FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES ET SOCIALES
UNNERSITE DE LILLE II
LE JUGE ET LA PROTECTION DE L'INTEGRITE
PHYSIQUE DU SALARIE
THESE
POUR LE DOCTORAT EN DROIT
présentée et soutenue-publiquement
par
Komi WOLOU
DIRECTEUR DE TIIESE:
Monsieur Henri FENAUX,
Maître de Conférences à l'Université de Lille II
Directeur de l'Institut de Criminologie
MEMBRES DU JURy
Monsieur Jean-Maurice VERDIER,
Professeur à l'Université de Paris X (Nanterre)
Monsieur Alain COEURET,
. Professeur à l'Université de Paris XII (Val de Marne)
Monsieur Paul FRIMAT,
Professeur à l'Université de Lille II
Monsieur Pierre-Yves VERKINDT,
Professeur à l'Université de Lille II
1996

Remerciements
Nous voudrions exprimer toute notre reconnaissance à M. Henri FENAUX.
notre Directeur de Thèse, et M. Pierre-Yves VERKlNDT Professeur à Lille Il
qui ont bien voulu nous diriger dans l'élaboration de' cette thèse. Ce travail
n'aurait pas été possible sans leurs conseils et surtout leur pem1anente
sollicitude.

\\ \\
L'Université de Lille Il n'entend donner aucune approbation ni improbation
aux opinions émises dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées
conmle propres à leurs auteurs.

Principales abréviations:
\\
\\,
Ass. Plén. :
Arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation.
B.S. :
Bulletin social Francis Lefevre.
Bull:
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
C.S.B.P.:
Les cahiers sociaux du Barreau de Paris.
C.S.s.:
Code de la sécurité sociale.
c. trav.:
Code du travail.
Civ.:
Arrêt d'une Chambre civile de la Cour de cassation.
C.E.
Arrêt du Conseil d'Uat
Crim.:
Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
D.
Recueil dalloz.
Dr. ouvr.:
Revue droit ouvrier.
Dr. soc.:
Revue droit social.
Gaz. pal.:
Gazette du palais .
.1.0.:
Journal officiel
.I.0.C.E.
Journal officiel de la Communauté européenne.
.I.c.P.:
Jurisclasseur périodique (Semaine juridique).
N.C.P.:
Nouveau code pénal.
Resp. Civ. et ass:
Revue de responsabilité civile et assurances.
Rev. jur. centre Ouest: Revue juridique du Centre Ouest
Rev. sc. crim.:
Revue de sciences criminelles.
Rev. trim. dr. san. soc.: Revue trimestrielle de droit sanitaire et social
RJ.S. :
Revue de jurisprudence sociale Francis Lefèvre
Soc.:
Arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
T.G.!.:
Tribunal de grande instance.
Trib. adm.
Tribunal administratif.

INTRODUCTION GENERALE
La protection de l'intégrité physique des salariés constitue un problème
d'importance capitale pour la société. Les accidents du travail et les maladies
professionnelles touchent directement ou indirectement une grande partie des
citoyens. En 1993, malgré une baisse de plus de Il % par rapport à l'année
précédente, 672 964 accidents occasionnant 53 238 incapacités permanentes et
869 décès l ont été enregistrés. L'impact de ces préjudices sur la société est
indéniable.
A l'échelle familiale, le décès d'un parent, d'un fils ou la survenance
d'une incapacité permanente, peut être source de déséquilibre et même de
drame familial. A l'échelle nationale, ({ La survie des groupes humains dépend
de la capacité des travailleurs et de leur santé (..). Les nuisances du travail
réduisent les capacités des travailleurs donc, à travers eux. non seulement le
potenliel des entreprises. mais aussi celui de la société tout entière »2 J\\ cela,
il convient d'ajouter les charges financières qu'entraîne la réparation de ces
préjudices.
Tous ces éléments joints au fait que les salariés représentent en France
plus de 85 % des travailleurs J mettent en relief la nécessité de la protection de
leur intégrité physique. Cette protection des salariés apparaît à la lumière de
ces données, non seulement comme une question d'éthique sociale mais aussi
un paramètre de prospérité économique. D'ailleurs, l'origine économique du
terme ({ contrat de travail»4 auquel se trouve attaehé;la qualité de salarié,
traduit l'imporlanœ économique du salarial dans les soci~'lés modernes.
1
Cf « Conditions de travail, Bilan 1994 », La documel11ation française, p. 8.
2 J LORIOT. « Le médecin du travail dans "entreprise}), Dr. soc. 1987, p. 592
'. Cf Premières infonnations, Dossiers Statistiques, La documentation française, Hors-série, Septembre 1994,
p. 32. L'emploi non-salarié représentait 18,7 % de l'emploi total ~n 1975. En 1992, il n~ r~prést::nlt:: 'Iut:: 15 %
de l'ensemble des emplois.
4. Cette expression était ignorée des rédacteurs du Code civil et de tous les législateurs du XIXo Siècle. Elle a
été introduite par les économistes. Cf CUCHE, « Du rapport ne rlépendance, élément constitutif du contrat de
travail}). cité par T. REVET, « La force de travail (étude juridique)>> Litec, 1992, p. 135.

2
Si ces considérations économiques et sociales expliquent le débat déjà
séculaire mais toujours d'actualité sur la protection de l'intégrité physique des
salariés, la question de l'intérêt d'une étude sur la pfape du juge dans celle
protection demeure posée.
Il importe donc de relever d'abord que, quand bien même la mission
première du juge est, en général, de trancher les litiges qui lui sont soumis, tout
procès lui offre l'occasion de dire le droit, de préciser ce qui est pemlis et cc
qui est interdit par la loi, de circonscrire les droits et obligations de chaque
citoyen. 11 pourrait même ordonner l'exécution forcée d'une obligation.
On signalera ensuite qu'en 1992, en matière d'hygiène et de sécurité
dans les entreprises et pour nous limiter seulement au juge pénal, 5595
décisions ont été rendues 1 • Cette situation subodore que le juge pourrait jouer
un rôle déterminant dans la protection de l'intégrité physique des salariés ct
justifie la présente étudc.
--
Il convient cependant, afin dc circonscrire le dc,maine de celle-ci, de
préciser d'abord la notion de salarié.
L'émergence du salariat correspond à une étape de l'évolution de
l'histoire du travail. Elle témoigne des transformations survenues dans les
rdations entre les hommes, tous confrontés aux besoins de l'existence mais
diftëremment armés. On notcra d'aillcurs que cc sont ces transformations qui
ont rendu nécessaire la protection de l'intégrité pllysique du salarié. La notion
dc salarié de même que la nécessité de sa protection physique nc peuvent donc
être fondamentalement détachécs de l'histoire du travail d'un point de vue
social et technique.
L'apparition du salariat constitue un phénomène relativement
récent. En effet, « Historiquement, la tendance domina,nte consiste d'ailleurs
à acheter l'homme pour maÎtriser sa force de trl~vail»2. On pouvait
également disposer de sa force de travail après l'avoir vaincu. Il s'agit bien
entendu de l' csclavage.
1 .Cf. L'inspecteur du travail en France en 1992, Les chil1res clefs, La documentation française, 1994, p.37.
2. T. REVET, ouvr prée., p. 31.

3
Ainsi, « La main-d'oeuvre servile a été utilisée dans l'Egypte des
Pharaons et dans l'Athènes de Périclès, comme dans la Rome des Rois, de la
République et des Césars» 1. Cependant, même à Rome où l'esclavage a
connu une grande importance, il existait dès le temps des Rois, des artisans
libres. Mais la main-d'oeuvre servile prévalail. L'évolution des mentalités sur
l'esclavage allait progressivement entraîner de nouveaux types de rapports
sociaux ayant pour corollaire, une nouvelle fOffile de servitude dans les
mécanismes de production.
C'est d'abord de la philosophie stoïcienne que viendront les
nouvelles pensées2 . L'apport du christianisme sera ensuite déterminant dans
cette évolution. Il en résultera d'abord une humanis.ation des Jois sur
\\
l'esclavage puis des affranchissements de pJus en plus nombreux. Ainsi, «A
mesure qu'on avançait vers le Bas Empire, le manque d 'hommes dû il la fois
.à la multiplication des affranchissements et à la fin des conquêtes, oblige les
pouvoirs publics à prendre des mesures pour assurer les services essentiels et
notamment les subsistances.
Nombres d'hommes libres intégrés dans des collèges sont
astreints à un travail obligatoire, souvent héréditaire. (.). Des esclaves lIfl
peu plus libres, des hommes libres moins libres se retrouvent dans une
condition nouvelle qu'exprimera plus tard le terme de servage »3.
La Gaule connaîtra une évolution similaire. A J'extension de
l'esclavage liée aux grandes invasions, succéderont des affranchissements de
plus en plus nombreux sous l'influence de l' Egi ise et, la conviction que
l'esclave est d'un rendement médiocre. Cependant, les propriétaires demeurés
libres sont de plus en plus nombreux à fuir cette liberté et ses charges
militaires pour s'engager dans les liens de la dépendance. Ainsi, la seigneurie
1
G. LEFRANC, {( Histoire du travail et des travailleurs », Flammarion, 1975, p. 67. L'auteur rapporte ces
écrits d'ARISTOTE
{( Il existe des hommes inférieurs, autant que l'àme est supérieure au corps et l'homme à la brute; l'emploi de
leurs forces corporelles est le meilleur parti qu'on puisse tirer de leur être, ils sont nés pour être esclaves
(..) » ARISTOTE, Politique, J, 1.
J." Sont-ce des esclaves? Non. Mais des hommes. Des csclavcs~ Non. Mais des compagnons de tente. Dcs
esclaves? Non. Mais d'humbles amis. Des esclaves? Dis plutÔI des freres en servitude, si tu réfléchis que la
fortune a le même empire sur eux et sur loi. » Et l'auteur conclut « Voici ma doctrine: vis avec ton intërieur
comme tu voudrais que ton supérieur vécùt avec toi» SENEQUE, Lettres à Luci!ius, XLVII.
J
G. LEFRANC, ouvr. prée. p.85.

4
territoriale du Haut Moyen Age se transfonne en une seigneurie personnelle
qui englobe peu à peu l'ensemble de la paysannehe française. « II jaut
concevoir la seigneurie de celle époque comme une entreprise à la jois
agricole et industrielle, où le salaire est remplacé par des allocations en
terre» 1 •
Les rivalités entre seigneurs provoquent l'insécurité. La liberté
aliénée n'est plus compensée par la sécurité. Les guerres civiles seront relayées
par des guerres étrangères. Beaucoup de paysans fuyant l'insécurité se
réfugient dans les villes.
Au cours de ces siècles troublés, le servage recule de manière
sensible alors que le nombre des ouvriers augmente. A la fin de l'Ancien
Régime, il existe toujours des serfs mais ils sont peu nombreux. La Révolution
proclame l'égalité de tous les citoyens en même temps qu'elle établit Ulle
nouvelle base dans les relations de travail.
\\ ,
2
En effet, aux temles de l'article 7 du décret d'Allarde
des 2-17
Mars 1791, « (..) il sera libre à toute personne (..) d'exercer telle projession,
art ou métier, qu'elle trouvera bon (. ..) ». Le Code civil de 1804, hériticr des
principes révolutionnaires laisse le contrat de travail qualifié de louagc de
services, à la volonté des parties. Cepcndant, « On ne peut engager ses
services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée »,3 allusion faite à
l'esclavage et au servage qui, sous l'Ancien Régime, constituaient des foroles
d'exploitation de la force de travail.
Le Code civil fait du louage de services « une espèce du genre
louage d'ouvrage »4 puisque l'article 1710 C. civ. définit ce dernier comme
« un contrat par lequel 1'une des parties s'engage à jaire quelque chose pour
l'autre, moyennant un prix convenu entre elles»5. On assiste alors à une
quasi-absence d'une réglementation propre au louage de 'services dans le Code
civil. L'insertion du louage de services dans les louages d'ouvrage, puis le
J • G. LEFRANC, ouvr. prée. p. 91
1
Archives parlementaires (Assemblée Nationale), Première série (1787-1799), T. XXIII, P 626
Article 1780 C. civ.
T. REVET. OUVL prée p. 34.
L'article 1711 C. civ. précisait que les louages de choses et d'ouvrage se subdivisent en plusieurs espèces
particulières dont le louage de travail ou de service appelé loyer

5
rattachement de ce dernier au louage des choses révèle le désintérêt du Code
civil envers l'activité humaine, son assimilation à une marchandise et la
méconnaissance de la personne du travailleur' . En cela, les rédacteurs du Code
civil ne semblent pas être parvenus à se détacher totalement de certaines
conceptions de l'Ancien Régime où )' esclave, source de force de travail, est
considéré comme une chose. L'élaboration d'un corps de règles propres aux
relations de travail constitue donc une double rupture avec le Code civil.
Rupture d'abord parce que procédant du constat que, « entre le
travailleur et l'utilisateur de force de travail le rapport est inégalitaire»2
contrairement à la vision égalitaire du Code civil. «C'est la prise de
conscience de cette inégalité qui a suscité le développement d'un droit du
travail, dont la plupart des règles s'inscrivent dàns un effort de ré-
équilibrage »3 .
Rupture également parce que ce nouveau corps de règle témoigne
du « rejet de l'assimilation de l'activité humaine à une marchandise (..). La
législation nouvelle est centrée sur la personnalité du travailleur»4. Cette
prise de conscience de la dimension humaine dans l'exploitation de la force de
travail constitue le point de départ d'une évolution passant par la protection de
l'intégrité physique du locateur de cette force de travail.
On notera cependant une continuité du Code civil au nouveau
corps de règles spécifiques au locataire de force de travail. 11 s'agit du lien de
subordination. « Instrument permettant au maître de jouir des services du
locateur comme s'il avait affaire à une chose, la subordination fait de la force
de travail du débiteur une chose, objet de louage »5. t\\'est également ce lien
de subordination qui est la caractéristique essentielle du contrat de travail
auquel se rattache la qualité de salarié. On remarquera d'ailleurs que c'est de
cette permanence
du
lien
de
subordination.
manifestation
du
rapport
1
Cf T. REVET, ouvr. pree. pp. 40-42. cf également J-1 DUPEYROUX: « Une nouveauté extraordinaire
bien comme les autres, soumis comme les autres à la seule loi de l' ofli-e et de la demande, le travail est
radicalement dissocié de la personne de celui ou celle qui la fournit: cette personne disparaît. 1/ y avait un droil
du travail dans le cadre des corporations; il n'yen a plus deux articles -et quels articlesl - dans le Code civil
( .. ) ». J-J. DUPEYROUX. « Quelques questions ». Dr. soc. 1990. p. 9
1
A LYON-CAEN, « L'égalité et la loi en droit du travail », Dr. soc 1990. p. 70.
, 1-1 DUPEYROUX. art prée p.IJ
T. REVET, ouvr. prée. pAZ.
T. REVET. ouvr. pree. p 49.

6
inégalitaire, que procède paradoxalement, la nécessité d'une rupture et donc la
protection du salarié. Nous ne pourrons dès lors, cerner le domaine de notre
étude (puisqu'elle se rapporte à la protection de l'intégrité physique du salarié)
sans se référer au contrat de travail.
Le Code du travail ne donne aucune définition du contrat de
travail. La doctrine le définit comme « la convention par laquelle une
personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre, SOl/S la
subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération »1.
Cette définition nous permet de distinguer d'abord le salarié du travailleur
indépendant. Tel est le cas de l'artisan, du pelit commerçant ou encore du
médecin.
Le contrat de travail se distingue ensuite du contrat de louage
d'ouvrage ou d'entreprise. Certes dans les deux types de contrat, l'une des
partics donnera des instructions à l'autre. Cependant, les ordres du maître de
l'ouvrage concernent l'orientation générale de l'ouvrage et le but à atteindre
alors que dans le contrat de travail, les ordres portent directement sur
l'exécution du travail. Les méthodes et les moyens d'exécution relèvent par
ailleurs de l'initiative de l'employeur. Le contrat d'entreprise «porte plutôt sur
le produit du travail que sur la fourniture de la force de travail »2. Le
locataire d'ouvrage n'est donc pas un salarié et n'entre pas dans nos
préoccupations.
Enlln et pour se limiter aux situations très voisines du contrat de
travail, il convient de distinguer le salarié du mandataire. L'article 1984 C. civ.
définit le mandat ou la procuration comme « un acte par lequel une personne
donne à une autre le pouvoir de fa;"e quelque chose pour le mandant et en
son nom ». La différence avec le contrat de travail réside dans le caractère plus
ou moins étroit du lien de subordination. « Le lien de dépendance unissant le
salarié à l'employeur est, en effet, plus appuyé que\\celui rapprochant le
mandataire au mandant »3
Ainsi, les dirigeants de's sociétés sont des
1
G. LYON-CAEN, 1. PELlSSIER,« Droit du travail ", Précis Dalloz. 1990, p. 188.
2
1. RIVERa et 1. SAVATlER, « Droit du (ravail ", Thémis, PUF, l 'J91, p. 79.
, . C PUGELlER, « Salariés », Juris-Classeurs Travail, Fascicule 2-10, 1992, nO p.6.

7
mandataires et non des salariés quand hien même ils \\peuvent cumuler leur
mandat social avec un contrat de travail.
La notion de salarié ainsi precIsee à travers la définition du
contrat de travail, est sans aucun rapport avec la nature de l'activité exercée.
L'ouvrier au chantier ou dans l'atelier de fabrication, la dactylographe sur sa
machine et l'enseignant dans son amphi n'ont en commun que cette force de
travail qu'ils mettent à la disposition de leur employeur et sous leur autorité.
Par ailleurs, il importe de préciser que, contrairement aux salariés
de droit privé recrutés par contrat, dans les conditions de droit commun, par
l'Etat et les collectivités locales, les agents publics n'entrent pas dans le
domaine de notre étude l . Ces derniers relèvent du statut général de la Fonction
publique2 .
,
\\
Notre objectif dans le cadre de cette étude n'est pas de procéder
simplement à une analyse du mécanisme de protection des salariés. C'est au
contraire de déterminer la place du juge dans cette dynamique. Il convient de
préciser que la notion de « juge» ne vise pas ici un ordre particulier de
juridiction. Aussi nous intéresserons-nous au juge administratif, au juge
prud'homal, au juge des affaires sociales, au juge pénal et au juge civil. li
s'agit cn d'autres termes de tous les ordres de juridiction intervenant dans la
protection de l'intégrité physique du salarié.
On remarquera que la situation du salarié relativement à son
intégrité physique a été d'abord marquée par une période d'insécurité liée à
l'absence de mesures particulières de protection.
1
Sur les critères de distinction des agents publics el des salariés de droit privé, cf. J-B. AUBY « Agents
fublics», Juris-C1asseur administratif \\ 993, Fascicule 180, na 14 s
Ce Statut de la Fonction publique présente des ditlërences sensibles par rapport aux travailleurs liés par un
contrat de travail A titre d'exemple, en matière d'accident de service, la règle du forfait de pension à laquelle
il n'est pas dérogé peut être formulée ainsi. « dès lors qu'un dommage subi à l'occasion du service par un
fonctionnaire est susceptible de donner lieu à réparation à son profit ou à celui de ses ayants cause par
application d'un régime de pensions civiles ou militaires, ce mode de réparation s'oppose à ce qu'une
indemnité soit allouée à l'agent ou à ses ayants cause par application des règles générales de la responsabilité
de la puissance publique» Cf. ("Les Notes Oleues", Semaine du 28 Septembre au 4 Octobre 1992, nO 612.)
Ce qui n'est pas toujours le cas des salariés titulaires d'un contrat de travail car il existe, comme nous le
verrons (Cf. pp. 125 s.) des régimes dérogatoires à la réparation forfaitaire des accidents du travail.

8
En effet, même dans le Code civil de 1804, les pr~judices
corporels
survenant
aux
salariés
dans
['exercice
de
leurs
lünctiolls,
représentaient un dommage parmi tant d'autres auquel aucune allusion n'a été
spécialement faite. Une évolution des mentalités e~ surtout de la pensée
juridique (1) a été donc nécessaire à la mise en plaèe d'un mécanisme de
protection (II). Il conviendra de retracer cette évolution atin, d'une part, de
mettre en relief la place du juge dans le système juridique d'alors et le rôle
qu'il a pu jouer dans la protection de l'intégrité physique du salarié avant la
mise en place d'un mécanisme spécifique de protection. Cette démarche nous
permettra d'autre part, de mieux saisir les différentes articulations de cc
mécanisme, car, on ne saurait parler du rôle du juge dans la protection de
J'intégrité physique du salarié sans d'abord comprendre le mécanisme de cette
protection.
~ 1: L'EVOLUTION DE LA PENSEE JURIDIQUE JUSQU'A LA MISE EN
PLACE D'UN MECANISME DE PROTECTION.
La pensée juridique
au
début
de
l'industrialisation
a été
"
influencée par les principes issus de la Révolution (1\\). Ces principes ont
d'ailleurs constitué un frein à ['évolution du système juridique et ont eu des
répercussions sur la protection de l'intégrité physique des salariés. L'amorce
ultérieure d'une amélioration de la situation des salariés procédera d'une
rupture avec les principes de la Révolution (8).
AI L'INFLUENCE DE LA REVOLUTION SUR LA PENSEE JURIDIQUE.
Une interrogation sur le rôle du juge eût paru choquant aux yeux
des Révolutionnaires. En effet, dans l'esprit de ces derniers, le système
juridique est exclusivement législatif Cc système juridique aura une incidence
sur l'application de la loi notamment le Code civil de 1804.
\\

9
1/ UN SYSTEME JURIDIQUE EXCLUSIVEME,NT LEGISLATIF.
Aux tennes de l'article 12 du décret du 16-24 Août 1790,1 les
tribunaux « (...) s'adresseront au corps législatif toutes les fois qu'ils croiront
nécessaires d'interpréter une loi (...) ».
Ce texte délimite la place du juge dans le système juridique tcl
qu'il est issu de la Révolution. En effet, réagissant contre les Parlements de
l'Ancien Régime, les révolutionnain.:s ont cru devoir dénier au juge tout
pouvoir de construction, le réduisant à un simple technicien de la loi qu'il est
chargé d'appliquer mécaniquement.
J-O. BREOIN résume bien la situation lorsqu'il écrit: « Dans
l'exaltation métaphysique de la séparation des pouvoirs (1789-1791) le juge
indépendant fut privé de tout autre pouvoir que l'exécution docile de la loi,
privé même du pouvoir d'interpréter la loi»2. ROBESPIERRE atteste
d'ailleurs sans ambiguïté cette place du juge dans le système juridique: « (...)
c'est au législateur à interpréter la loi qu'il a faite (..). Ce mot de
jurisprudence doit être effacé de notre langue. Dans un Etat qui a une
Constitution, une législation, la jurisprudence des tribunaux n'est autre chose
que la loi »3 .
Il s'agit en fait d'une "sacralisation de la loi". Il en résulte que la
vie quotidienne ne peut servir de base ou de référence à une construction
juridique. Ce culte de la loi et le rejet de la jurisprudence comme source de
droit dureront plusieurs décennies après la Révolution. C'est en considération
de ces éléments que sera appliqué le Code civil notamment les articles relatifs
à la responsabilité civile.
1
Oécret sur l'organisation judiciaire, du 16 Août 17'10. sanctionné par lettre patente du 24 du lIlèmc mois,
Archives parlementaires (Assemblée Nationale), Premiére série, T. XVIII, p. lOS.
2. J-O. BREOIN, « La légitimité des juges)), dans « Etre juge demain)), Textes réunis par J-P. ROYER,
Presses Universitaires de Lille, 1983, p. 29
3
Archives parlementaires (Assemblée nationale), Première série, T. XX, Séances des 9 et 18 Novembre
1790, pp 336 et 516

10
2/ L'INCIDENCE DES PRINCIPES DE LA REVOLUTION SUR LE
REGIME DE LA RESPONSABILITE CIVILE.
La faute est une notion multiséculaire au point que les rédacteurs
du Code civil l'ont adoptée l sans s'interroger sur sa signification. En effet, les
auteurs de l'ancien droit admettaient sans même soupçonner la possibilité
d'une discussion, qu'il n'y a pas de responsabilité sans faute. « S'il arrive
quelque dommage par une suite imprévue d'un fait innocent sans qu'on
puisse imputer de faute à l'auteur de ce fait, il ne sera pas tenu d'une telle
suite» écrit DOMAT2 . L'oeuvre des rédacteurs du Code fooués à l'école de
l'ancien droit sera empreinte de cette culture.
La doctrine et surtout l'Ecole de l'Exégèse, perpétuant la tradition
révolutionnaire, place l'homme, l'individu libre, au centre de la réflexion
juridique. C'est dans cet esprit que sera appréhendée la notion de faute.
L'individu libre ne peut être engagé que par sa volonté. La volonté est à la
base de toutes les obligations imposées à l'homme par le droit' .
Il en résulte que la faute, source de toute responsabilité, procède d'une
démarche intellectuelle. C'est un fait voulu. Et ce fait ',dommageable doit par
ailleurs être étranger à l'exercice d'un droit. Cette Ecole en arrive à l'idée que
le fait dommageable doit être illicite, c'est-à-dire contraire à un texte légal, à
une règle du droit positif ou encore à un contrat.
Il importe de rappeler qu'aucune règle spécifique n'est prévue
dans le Code civil pour la réparation des préjudices subis par le salarié dans
l'exécution de son travail. 1\\ en résulte que le salarié doit rapporter la preuve de
la faute de l'employeur pour que son préjudice soit réparé. Tous les préjudices
dus à une cause inconnue, à un cas fortuit ou à la faute de l'employé, si légère
soit-elle, ne donnent lieu à aucune réparation. Aucun pouvoir d'interprétation
l . Cf article 1382 C. civ. 1804.
l
DOMAl', « Les loix civiles dans leur ordre naturel », cité par H. et L. MAZEAUD, Traité théorique et
~ratique de la responsabilité civile dél.ict~elle et contractuelle: S 3",'" éd. 1938., 1'. 3, ~. 50.
. .
. Pour cette Ecole, de toutes les obhgatlons qUl sont lm posees a 1 homme pade drOit, une seule categorie est
étrangère à la volonté de l'obligé. Ce sont les obligations légales dont le type est l'obligation du tuteur. « Par
engagements formés volontairement ou involontairement, la loi n'entend pas ici des obligations formées avec
ou sans la volonté de s'obliger, mais seulement des obligations provenant ou ne provenant pas d'un làit
volontaire, des obligations nés du fait de l'homme ou sans le fait d l'homme» Cf v. MACARDE,
« Explication théorique et pratique du Code civil ", 1'. V, 7'"'' éd. 1873, Paris Delamotte, p. 248.

11
n'étant par ailleurs reconnu au juge,
on
aboutissait
à une situation
d'immobilisme;
« (..)
en fait,
c'était
l'irresponsabilité
à
peu près
universelle)}l. C'est dans ce contexte juridique que s'inscrivent les dommages
de plus en plus nombreux dont sont victimes les salariés dans leurs activités.
Ces dommages qui constituent incontestablement un poids social, ne tardent
pas à émouvoir l'opinion publique et à tàire évoluer la réflexion juridique.
« Les règles qui pouvaient paraitre suffisantes lorsque l'artisan ou l'ouvrier
était maître de son outillage, se montrent sous le régime de la grande
industrie de plus en plus impuissantes à assurer la justice )}2 . La rupture avec
les principes de la Révolution paraissait inéluctable.
BI LA RUPTURE AVEC LES PRINCIPES DE LA REVOLUTION.
L'irruption de nouvelles théories sociales apparaît comme le point
de départ de cette rupture. Elle sera relayée par des tentatives doctrinales et
jurisprudentielles visant à améliorer le régime de la responsabilité civile.
\\
II L'IRRUPTION DE NOUVELLES THEORIE'S SOCIALES.
De célèbres penseurs dont Auguste COMTE sont à la base d'une
nouvelle conception des rapports sociaux. Ce dernier, développant la théorie
dite des « Trois états », distingue les stades théologique, philosophique et
positiviste. Selon l'auteur, dans le dernier état, le développement des sciences
va permettre d'arriver à une société mieux organisée, mieux comprise et où
l'on détïnira des valeurs sociales et des objectifs sociaux. La loi ne sera plus
que l'expression des réalités sociales. « Le positivisme n'admet jamais que des
devoirs, che: tous envers tous. Car son point de vue sociale ne peut
comporter aucune notion de droit, constamment fondée sur l'individualité ».
Le régime politique poursuit-il, consiste tout entier « à réaliser cette double
maxime: Dévouement des forts aux faibles; vénération des faibles pour les
forts »3.
'-
1
R. SALEILLES. « Les accidents du travail et la responsabilité civile l>, Paris, Librairie Nouvelle de Droit et
de jurisprudence, 1897, p. 9.
2. Rapport du député DUCHE à la Chambre des députés le 28 Novembre J 887 lors de la préparation de la loi
du 9 Avril 1898, Lois annotées 1899. p. 762
.1 . A COMTE. « Catéchisme positiviste l>, 2éme éd. 1874, Pans Leroux. PP
297 et 303.

l2
C'est la remIse en cause de l'idée d'une loi intangible qui
représenterait un idéal abstrait, base de la philosophie révolutionnaire. Malgré
des réticences et réserves, les juristes commencent à remettre en cause leur
conception individualiste du droit. On en arrive à l'idée que les principes de la
Révolution de 1789 ne sont pas plus immuables que ne l'ont été les principes
de la société antique, de la féodalité ou de la Monarchie.
Cette évolution des mentalités se traduit \\également sur le plan
juridique par une révision des méthodes d'interprétation des textes par la
doctrine.
Surtout,
la jurisprudence
sera
désonnais
considérée
comme
l'instrument de la vie sociale dans le système juridique. La mission du juge se
trouve alors définitivement façonnée. Ainsi s'ouvre une coopération entre la
jurisprudence et la doctrine, la première par ses décisions, fournissant à la
seconde l'objet de ses réflexions.
Le régime de la responsabilité civile tel qu'issu du Code civil s'en
ressentira. Mais surtout, les tentatives doctrinales et jurisprudentielles se
multiplieront en vue de pennettre une meilleure réparation des préjudices subis
par les salariés.
21 LES TENTATlVES DOCTRINALES ET JURISPRUDENTIELLES EN
VUE DE L'AMELIORATION DE LA SITUATION DES SALARIES.
Le problème essentiel qui se posait aux accidentés du travail était
d'ordre probatoire: démontrer dans ce contexte industriel de plus en plus
complexe, la faute du patron, source de toute responsabilité. Cette faute
consiste dans J'intention de commettre un acte illicite ou bien dans la
connaissance du caractère délictuel du fait accompli ou dans la négligence que
l'on a mise à ne pas en découvrir les conséquences ou les caractères. La
difficulté à démontrer la faute de l'employeur est certaine dans ce contexte
industriel marqué par la quasi-absence de mesures réglementaires sur les règles
de sécurité notamment les outils et matériels de production. On peut même se
demander
encore
aujourd'hui,
malgré
le
foisonnement
des
mesures
réglementaires, combien de préjudices seraient réparés si ce régime avait
survécu. Mais malgré ce contexte juridique peu favora,ble, le juge n'a-t-il pas
\\

13
essayé de contourner ces obstacles en recourant par exemple à une obligation
générale de prudence?
Face à ces difficultés, la première tentative jurisprudentielle se
traduit par le recours à l'article 2000 C. civ. En effet? déjà en 1852, la cour
d'appel de Paris, en vue de tàire jouer la garantie due, au mandataire par Je
mandant et surtout afin de renverser la charge de la preuve, assimile
1
simplement le contrat de louage de services au contrat de mandat • Cette
initiative qui témoigne déjà de la sollicitude du juge à l'égard du salarié, aussi
louable qu'elle puisse paraître, était juridiquement contestable et ne pouvait
connaître une réelle fortune. C'est alors que la doctrine allait recourir à la
« thèse contractuelle» en conférant une portée générale à l'article 1147 C. civ.
Cette thèse défendue par SAUZET2
et SAINCTELETTE,3
consiste à dire qu'en passant un contrat de travail, les parties auraient entendu
mettre à la charge de l'employeur, une obligation relative aux accidents du
travail. Il s'agirait d'une clause tacite d'une promesse de sécurité. Ainsi,
lorsqu'il y a un accident du travail, iJ suffira à la victime de démontrer
J'existence d'un contrat de travail pour que le défendeur (l'employeur) soit
\\.
dans l'obligation de réparer le dommage, sauf à lui de prouver l'existence
d'une cause étrangère.
Non seulement cette analyse ne correspond pas à la notion de
contrat de travail jusque là admise, mais aussi, la volonté des parties ayant
force de loi, elles peuvent par une clause expresse écarter cette promesse de
sécurité. Il n'aurait pu en être autrement que si le législateur prohibait une telle
clause. Cette thèse était donc peu adaptée à la protection des salariés. Mais les
efforts jurisprudentiels seront poursuivis.
Sans renoncer à l'article 1382 C. civ., la jurisprudence procède à
une objectivation de la notion de faute. La faute n'est plus cette démarche
intellectuelle de la conception classique mais un fait extérieur. Les juges, pour
'. Paris, 14 Août 1852, 0.1852,2,75.
2. SAUZET, De la responsabilite du patron vis-à-vis des ouvriers dans les accidents du travail. Rev. cril,
1883, p. 596 et 608, cité par R. SALEILLES, ouve. préc., p. 12.
.\\. SAINCTELETTE, « Accident du travail, responsabilité et garantie », Rev. de droit belge, 1888, p. 40 l, cité
par R. SALEILLES, ouvr. prée, p. 12.

14
retenir la responsabilité patronale, se tondent sur tel règlement de fabrique qui
n'a pas été respecté ou tel1e précaution générale qui n'a pas été prise' . Il s'agit
donc d'une incrimination de l'aménagement général de l'industrie. C'est une
infraction aux usages de l'industrie « ou plUlôl aux usages que la
jurisprudence veul imposer à l'induslrie moderne (...J. L'intérêt pratique le
plus visible qui en dérive, c'est que la preuve pour l'ouvrier était étrangement
facilitée })2 .
Dès 1888, s'amorce un nouveau mou,vement jurisprudentiel
tendant à conférer une autonomie à l'article 1384 C. ci~\\ Les juges essayeront
de découvrir dans ce texte, jadis considéré comme une simple déclaration de
principe, une transition annonçant deux autres cas d'extension de l'article
1382, un nouveau cas de responsabilité, cel1e du fàit des choses. Ainsi, dans
une espèce du 26 Avril 18883 , le tribunal de Gien après avoir constaté que
l'origine de l'accident dont a été victime le salarié était indéterminée, avait
pourtant condamné l'employeur sur la base de l'article 1384 al. 1. C. civ. Cette
décision témoigne de l'état d'esprit des tribunaux soucieux d'une meil1eure
réparation des préjudices. D'autres décisions analogues seront rendues par les
tribunaux, y compris les juridictions administratives dont le célèbre arrêt
CAMES du 21 Juin 18954 .
Cette jurisprudence trouvera sa consécration dans l'arrêt Marie du
16 Juin 1896. Cet arrêt qui pose le principe général de la responsabilité du fàit
\\,
des choses a été rendu dans une espèce relative aux\\ accidents du travail.
« Attendu que l'arrêt attaqué constate souverainement que l'explosion de la
machine du remorqueur à vapeur Marie, qui a causé la mort de T. .. , est due à
un vice de construction; qu'aux termes de l'article 1384 C. civ., cette
constatation qui exclut le cas fortuit et la force majeure, établit, vis-à-vis de la
victime de l'accident, la responsabilité du propriétaire du remorqueur, sans
qu'il puisse s y soustraire en prouvant soit la faute du conducteur de la
J. Casso 19 Juillet 1870, S J871, J, 9; Casso 5 Avril 1894, D. 1894, J, 479.
2. R. SALEILLES, ouve prée. p. 10 et Il .
.1
Trib. civ. de Gien, 26 Avril 1888, Gaz. paL 1889, 2, supp. p. 20.
• . C E. 21 Juin 1895 (Cames), D. 1896, 3, 65, Conclusions Romieu.

15
machine, soit le caractère occulte du vice incriminé» 1 . Le patron serait donc
responsable du dommage causé par l'outillage industriel aux salariés.
Bien
avant
l'intervention
législative,
c'est
donc
de
la
jurisprudence qu'est venu le progrès juridique porteur d'une lueur d'espoir. En
effet, en recourant à l'article IJ84 C. civ., les juges devaient permettre une
meilleure réparation des préjudices subis par les salariés, puisque cette
réparation ne devrait plus être subordonnée à la p'reuve de la faute de
l'employeur.
Néanmoins, déjà à cette époque, des législations spécifiques
fondées sur l'idée du risque ont été élaborées dans certains pays européens
notamment la loi du 6 Juillet 1884 pour l'Allemagne. S'inspirant de l'arrêt
Marie, la doctrine allait approfondir cette idée du risque qui selon R.
SALEILLES, est « (..) la rançon du machinisme et de l'industrie moderne,
c'est la part inévitable d'inconnu qu'il faut subir lorsqu'on se livre à ces
terribles engrenages devant lesquels l'initiative de l'ouvrier disparaît presque
(..) »2 .
C'est cette idée du risque professionnel qui sous-tendra le
nouveau mécanisme de la protection de l'intégrité physique du salarié
concrétisé par la loi du 9 Avril 18983 .
§ Il: LA MISE EN PLACE D'UN MECANISME DE PROTECTION DES
SALARIES.
L'homme dans ses activités, a toujours été exposé aux nsques
d'accidents et de
maladies.
« L'accident aurait été dans
la période
paléolithique la cause essentielle de décès et la maladie n'auruil pris le
dessus qu'à partir du moment où la sédentarisation amplifiait les contacts
quotidiens entre individus et donc les échanges microbiens, tandis que le
développement de l'agriculture, moins dangereuse que la chasse, faisait
1
Cass 16 Juin 1896, S 1897, l, p. 17.
R. SALEILLES, ouve prée. p. 6
Lois annotées, 1899, p. 761.

\\
16
reculer les blessures» 1. Par ailleurs, l'idée de maladie professionnelle était
déjà présente chez les médecins de l'Antiquité comme Hippocrate2 , Le besoin
de protection des travailleurs n'a été cependant ressenti qu'à partir du moment
où les accidentés devenaient, suite à l'industrialisation, un véritable poids
social vu leur nombre et l'absence de mesures particulières et efficaces de
réparation. En effet, l'attitude de l'Etat libéral a été d'abord celle de
l'abstention. « Le laisser Jaire, laisser passer appliqué à l'économie le Jil'
aussi à la misère»3 générale à laquelle s'ajoutaient les accidents du travail. Ce
désarroi se trouvait accentué par l'interdiction des associations qui entravait la
mise en place des mutuelles. La loi du 15 Juillet 18504 autorisera les sociétés
,
de secours mutuels à demander leur reconnaissance d'utilité publique et les
placera sous la surveillance de l'autorité municipale. Ces sociétés ne
connaîtront pas un véritable développement avant la loi du 9 Avril 1898 et ne
pouvaient d'ailleurs pas pallier les insuffisances des principes du Code civil
dans la réparation des préjudices professionnels. Aussi, cette loi du 9 Avril
1898 fondée sur le principe de la réparation forfaitaire (A) apparaît-elle
comme le premier dispositif détenninant dans la protection de l'intégrité
physique des salariés. Il sera ensuite développé un nouvel axe de protection
orienté (8) vers la prévention des préjudices professionnels.
AI LA LOI DU 9 AVRIL 1898: LA REPARATION FORFAITAIRE DU
PREJUorCE PROFESSIONNEL.
Cette loi a nécessité une très longue préparation qui témoigne des
réticences et des divergences d'opinion auxquelles\\,elle a donné lieu. La
proposition de loi initiale a été déposée le 29 Mai 1880 par le député Martin
NADAUD. Adoptée à la Chambre des députés en 1884, elle sera rejetée par le
Sénat. D'autres initiatives seront prises en 1886 puis en 1897 et aboutiront
enfin à \\' adoption de la loi du 9 Avril 1898.
J,
P-J HESSE, « La rénovation des concepts juridiques », Dr soc, 1990, p, 708, L'auteur se rétëre aux
travaux de James C. RILEY Sickness, recorery and death, Londres, 1989.
2. P-J. HESSE, art, prée, p. 709,
J. J. MüURAD, « De l'insécurité à la sécurité, Essai sociologique sur les risques sociaux dans la civilisation
occidentale 1>, Faculté catholique, Institut des sciences sociales ct politique de Lille, 1953, p. 50
4
cr Lois annotées, S 1848-1853, p. 153
\\

17
Cette loi constitue a la fois un grand progrès social ct une
révolution juridique en ce qu'elle établit le principe de la responsabilité sans
faute des employeurs à l'égard de leurs employés. {( L'idée était de substituer à
l'incertitude du droit un dispositif de sécurité réciproque et solidaire d1l
patron et de l'ouvrier. L'ouvrier abandonnait son droit à une réparation
intégrale du dommage subi en cas de faute prouvée du patron contre la
certitude d'être
toujours
indemnisé;
le patron devenait juridiquement
responsable de tout accident du travail( ..) »\\ .
En effet, aux termes de l'article 1 de cette loi, {( Les accidents
survenus par le fait du travail, ou à l'occasion du travail, aux ouvriers et
employés (..) donnent droit au profit de la victime ou de ses représentants, cl
une indemnité à la charge du chef d'entreprise,
à la condition que
l'interruption de travail ait duré plus de quatre jours ».
Le même texte limite le bénéfice de la loi à certaines catégories
d'ouvriers notamment ceux {( ( ..) occupés dans l'industrie du bâtiment, les
usines, manufactures, chantiers, les entreprises de transport par terre et par
eau, de chargement et déchargement, les magasins publics, mines, minières,
carrières et, en outre, dans toutes exploitations ou partie d'exploitation dans
laquelle sont fabriquées ou mises en oeuvre des matières explosives, ou dans
laquelle il est fait usage d'une machine //lue par une }t!rce autre que celle de
l'homme ou des animaux (..) ». Le domaine de la loi sera cependant
progressivement élargi2 . C'est finalement la loi du 1cr Juillet 19383 qui
rattachera la protection de la loi au contrat de travail et corrélativement à tous
les salariés4 .
1
F. EWALD, « L'Etat providence», Grasset, 1986, p. 287.
2. La loi du 39 Juin 1899 étend la couverture aux « accidents occasionnés par l'emploi des machines agricoles
mues par des moteurs inanimés et dont sont victimes, par le fait ou à l'occasion du travail, les personnes
quelles qu'elles soient, occupées à la conduite ou au service de ces moteurs ou machines »..
La loi du 12 Avril 1906 étend à toutes les exploitations commerciales, les dispositions de \\a loi du 9
Avril 1898.
La loi du 18 Juillet 1907 offre aux employeurs non assujettis au régime de la loi du 9 Avril, la faculté
de se placer sous le régime de ladite loi.
D'autres lois notamment du 13 Décembre 1912, du 15 Juillet 1914, puis du 2 Août 1923 élargissent
le domaine de la loi respectivement
aux.délégués à la sécurité des ouvriers mineurs, aux exploitations
forestières, aux gens de maison, domestiques, concierges etc ..
). Lois annotées, 1939-1940, p. 1201
4.
Il importe cependant de noter que, actuellement, le bénétice de la législa~fn sur les accidents du travail,
n'esl pas exclusivement limité aux salariés Outre l'article L. 41 1-1 c. s. s. qùi étend le bénéfice de la loi à

18
Il importe de souligner gu' initialement, le législateur ne s'était
intéressé qu'aux accidents dont sont victimes les employés. La loi du 25
Octobre
1919'
va
cependant
étendre
la
protection
aux
maladies
professionnelles.
S'agissant de l'indemnisation, elle est à la fois fonction de la
gravité du préjudice et du salaire de la victime. Ainsi, aux termes de l'article 3,
le montant de la rente est égal au deux tiers du salaire annuel en cas
d'incapacité absolue et permanente.
Pour les
incapacités
pernlanentes
partielles, cette rente est égale à la moitié de la réduction que l'accident aura
fait subir au salaire. Pour les inçapacités temporaires excédant quatre jours, le
montant de l'indemnité journalière sera égal à la moitié du salaire touché au
moment de l'accident. Lorsque J'accident est suivi de "mort, une pension est
servIe
au
conjoint
survivant,
aux
enfants
légitimes
ou
naturels
ct
éventuellement, aux ascendants et descendants, dans les conditions définies
par le même article. Il s'agissait par ces dispositions, de procurer à ces
personnes, les moyens de subsistance que le décès de l'ouvrier aura
.
• 2
suppnmes .
De la conjonction des deux éléments (salaire et incapacité) qui
permettaient de déterminer le montant de la rcnte, il résultait en définitive que
c'est la perte de la capacité de gain qui est prise en compte dans la réparation
des préjudices professionnels.
Aujourd'hui encore, cette réparation, du point de vue des
principes, répond à la même logique. En effet, aux termes de l'article L. 434-2
aJ. 2 C. S. S., « Lorsque l'incapacité permanente est ég}ûe ou supérieure à un
taux minimum déterminé (la %), la victime a droit à une rente égale au
toute personne, travaillant « à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou
chefs d'entreprise », l'article 418-8 reconnaît le bénétice de la loi « sous réserve des prescriptions spéciales du
décret en Conseil d'Etat» à plusieurs aUlres catégories de personnes. Il s'agit notamment des étudiants ou les
éléves des établissements des enseignements techniques, les pupilles de l'éducation surveillée, les personnes
qui participent bénévolement au fonctionnement d'organisme à objet social crées en vertu ou pour
l'application d'un texte législatif ou réglementaire ... C'est cependant aux salariés que nous nous intéresserons.
1
Lois étendant aux maladies professionnelles la loi du 9 Avril 1898, O. P ln l, 4. 319.
, . Sur la légitimité des indemnités en cas de mort on peut lire ce qui suit « Le salaire représentait cc qui éLait
nécessaire à l'ouvrier pour vivre et faire vivre les siens: l'accident qui diminue ou supprime ce salaire est la
cause d'un dommage pour tous; ainsi, toute la famille doit avoir droit à une réparation»
Rapport
THEVENET au Sénat, Séance du 6 Février 1890, Lois annotées 1899, p 780.

]9
salaire annuel multiplié par le tau.t d'incapacité qui peut être réduit ou
augmenté en fonction de la gravité de celle-ci» 1 • Il en résulte que pour deux
salariés atteints d'un même taux d'incapacité et ayant subi des préjudices
strictement identiques, la différence des prestations peut être énorme en
fonction des salaires respectifs. L'appréhension législative du salarié sous
l'angle de la réparation semble donc se limiter encore à la force de travail.
L'intégration de la dimension humaine paraît imparfaite. C'est à juste titre que
le Professeur G. LYON-CAEN a pu donc écrire que, « En matière d'accident
du travail, la loi n'envisage en rien une personne atteinte dans son intégrité,
dans son patrimoine, dans ses chances de promotiorli, dans ses joies et ses
\\
a.flèctions; elle ne retient qu'un seul point: la force de travail, rebaptisée
capacité de gain; il n'est prêté attention à rien d'autre qu'à l'aptitude au
,
travail, à sa diminution ou à sa perte »~ .
Ainsi, alors que dans le droit commun de la responsabilité civile,
le juge use de son pouvoir souverain pour « apprécier l'étendue des préjudices
et les modalités susceptibles d'en assurer une réparation intégrale »,3 les
prestations
en
matière
d'accident
du
travail
résulte
d'une
formule
mathématique alliant le salaire de la victime au taux de son incapacité. Il en
résulte que le rôle du juge dans la détemlination de l'étendue du préjudice
professionnel se trouve limité. S'agissant par contre des préjudices de droit
commun, l'affirmation du principe de la réparation intégrale a permis au juge,
selon F. MEYER, de découvrir progressivement de nouveaux types de
préjudices à indemniser4 . De ce point de vue, on pourrit dire que la législation
de 1898 a, dans une certaine mesure, inhibé l'action du juge.
Un correctif sera cependant introduit par le législateur. li s'agit de
la tàute inexcusable qui, selon qu'clle soit imputable au salarié ou à
l'employeur, permet au juge de réduire ou de majorer l'étendue des
prestations. Il s'agit cependant d'une majoration plafonnée. En effet, aux
1. Cette rente est obtenue suivant un procédé complexe qui consistc à déterminer d'abord le salairc annuel Cc
salaire corrige permet d'obtenir le salaire utile (Cf art. R. 434·29 CSS. ) qui servira au calcul de la renlc.
Le taux d'incapacité réelle de la victime sera egalement corrigé. C'est le produit du taux corrigé et du salaire
utile qui permet de déterminer la rente
2. G. LYON·CAEN, « Les victimes d'accident du travail, victimes aussi d'une discrimination », Dr. soc. 1990,
f 738
.. Civ. 2é, 21 Fevrier 1979, Bull. Il, nO 55
4. F. MEYER, « La problematique de la repr.ration intégrale », Dr. soc. 1990, p. 720.

20
t~ml~s d~ l'article 20 al. 3. de ladite loi, le total de la rente allouée ne devait
pas dépasser le montant du salaire annuel, ce qui confirme la seule réparation
de la force de travail, à l'exclusion des autres préjudices. La majoration de la
rente connaît aujourd'hui encor~ cette même limitation (art. L. 452-2. CS.S.),
sauf à signaler que la victime pourra aussi demander la réparation des autres
préjudices notamment ceux causés par les soufTnll1ces physiques et morales,
les préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que la perte ou la diminution des
possibilités de promotion professionnelle (art. L. 452-3 CS.S.).
Une autre disposition importante de cette loi réside dans la
garantie des indemnités dues aux victimes. Certes, la loi n'a pas institué une
obligation d'assurance patronale pour la couverture de ces risques. Cette
faculté leur est seulement offerte. Cependant, il a été créé un fonds de garantie
chargé d'indemniser les victimes à défaut soit par \\Jes chefs d'entreprise
débiteurs, soit les sociétés d'assurance à primes fixes ou les mutuelles, de
s'acquitter de ces indemnités au moment de leur exigibilité' . Les victimes se
trouvaient ainsi protégées contre une éventuelle insolvabilité de l'employeur ou
des compagnies d'assurances. Ces dernières seront elles-mêmes soumises au
contrôle de l'Etat.
A ce système d'assurancc volontaire, la loi du 30 Octobre 19462
allait substituer celui d'une assurance accident du travail obligatoire au sein de
la sécurité sociale. Cette loi avait principalement pour objet de « moraliser la
réparation des accidents du travail en en retirant la gestion aux compagnies
d'assurances auxquelles deux griefs étaient faits: leur gestion spéculative et
leur inaptitude à toute politique de prévention »3 . Ce transfert allait permettre
la mise en place d'un véritable mécanisme de préventiot;l.
BI LA PREVENTION DES PREJUDICES PROFESSIONNELS.
La question de la prévention des accidents du travail avait tout de
même retenu l'attention du législateur. Bien avant la loi du 30 Octobre 1946,
1
Article 24 de la loi du 9 Avril 1898, Lois Annotées, \\899, p 800.
2.
Loi du 30 Oclobre 1946 sur la prévention ct la réparation des accidents du travail et des maladies
rrofessionnelles, O. 1946, L. p. 441.
.
Y. SAINT-JOURS, N. ALVAREZ et L VACARIE, « Traite de sécurité sociale» T Ill, Les accidents du
travail, L.G.DJ., 1982, p. 17

21
des dispositions étaient déjà prises en vue de la prévention des accidents du
travail. Elles se limitaient cependant à l'élaboration des règles d'hygiène et de
sécurité. Selon R. GRANGER,' les compagnies d'assurance essayaient aussi
de développer la prévention. Cependant les mesures prises demeuraient
fragmentaires et n'avaient pas un caractère obligatoire pour les employeurs.
Par ailleurs, eUes ne pouvaient pas susciter un mouvement d'ensemble de
prévention des préjudices.
Sur le plan législatif: plusieurs textes réglementaient déjà le travail
2
du point de vue de la sécurité. La loi du 2 Novembre 1892
réglemente
l'emploi des enfants et des femmes dans les établisseri'ients industriels. Celle
du 12 Juin 18933 porte de manière générale sur l'hygiène et la sécurité des
travailleurs dans les établissements
industriels.
Ces dispositions seront
étendues
aux
laboratoires,
CUlsmes,
caves,
boutiques,
entreprises
de
chargement et de déchargement par la loi du II Juillet 19034 . Mais le texte de
base en vertu duquel seront ensuite pris de nombreux décrets, demeure le Titre
JI du Livre II du Code du travail portant « Hygiène et sécurité des
travailleurs ».
La loi du 30 Octobre 1946, en même temps qu'elle transférait la
gestion de la réparation des préjudices professionnels à la sécurité sociale, lui a
confié une mission de prévention. En effet, aux termes des articles 10 et Il de
la loi, les caisses régionales qui pouvaient déléguer l'exercice de cette mission
aux comités techniques, étaient chargées d'établir 4es statistiques et des
,
renseignements utiles à la prévention. La loi leur permet également d'inviter
les employeurs à prendre les mesures gu' elle a décidées. Elles pourront aussi
imposer
des
cotisations
supplémentaires
aux
employeurs
qui
ne
se
conformeraient pas aux prescriptions qu' clle édicte. II a été par ailleurs créé un
fonds de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles
dont la mission consiste à créer et à subventionner des institutions ou des
oeuvres de prévention.
1. R. GRANGER, « L'influence de la sécurité sociale sur la responsabilité civile », Dr. soc. 1955, p.5?J.
1
S. Rec. gén. Lois annotées, 1891-1895, p. 521.
.1
S Rec. gén. Lois annotées, \\ 89\\ -1895, p. 566
, Lois annotées, \\901-1905, p. 681.

22
Cette mission de prévention de la sécurité sociale est aujourd' hui
confiée aux Caisses régionales d'assurance maladie (art. L. 215-1 C.S.S.) et la
Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés ( art.L. 221-1
C. S. S.). Plusieurs organismes de la sécurité sociale interviennent donc dans
la prévention des préjudices professionnels. li s'agit notamment des comités
techniques nationaux et régionaux et le tonds national de prévention des
accidents du travail et des maladies profèssionnelles. Aux termes de l'article L.
422-1. al. 4, «Les comités techniques nationaux effectuent toutes études sur
les risques de la profèssion et les moyens de les prévenir et disposent à cet
effet des ingénieurs-conseils (..) ». Ces missions dévolues aux caisses
s'exercent dans le cadre de la politique de prévention définie par les autorités
compétentes de l'Etat.
H importe de signaler aussi le rôle consultfttif joué par le Conseil
supeneur de
la
prévention
des
risques
professionnels.
Il
participe
à
l'élaboration de la politique nationale de prévention des risques professionnels
et propose à cet effet au ministre chargé du travail, « (..) toutes mesures
susceptibles d'améliorer l 'hygiène et la sécurité sur les lieux de travail et, de
façon générale. sur les conditions de travail (.. .) »(article R. 231-14 C. trav.).
On pourra considérer que tous ces aspects de la prévention des
risques professionnels s'inscrivent dans le cadre de la conception de la
politique générale de prévention par opposition à la mise en oeuvre des
mesures de prévention au sein de chaque entreprise.
C'est à ce dernier aspect que nous nous intéresserons dans nos
développements puisqu'il a pour cadre l'entreprise où le salarié se trouve face
à l'employeur, propriétaire des moyens de productiorl. 11 met aux prises le
propriétaire de la force de travail et l' util isateur de cette force de travail. C'est
d'ailleurs à ce stade de la prévention qu'intervient le juge. En effet, la première
phase relative à la conception de la politique de prévention relève pour une
large part, des organismes publics même si les acteurs sociaux y sont parfois
associés.
La mise en oeuvre des mesures de sécurité au sein de l'entreprise
se caractérise par l'application des r0gles d' hygiène, de sécurité et des

\\,
23
conditions de travail d'une part, et d'autre part par la sanction des violations de
ces mesures ainsi que les atteintes à l'intégrité physique des salariés.
S'agissant de l'application des règles d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail, il importe de préciser que cette responsabilité incombe au
chef d'entreprise: présentée plutôt comme un but, dont il faudra baliser la
réalisation, par l'admission des conditions.
Il ressort de tout ce qui précède que la réparation et la prévention
des préjudices professionnels .. constituent les deux axes autour desquels
s'organise la protection de l'intégrité physique des salariés, étant entendu que
\\
la sanction pénale en la matière a essentiellement pour objet la prévention.
n a pu être noté que, du fait du caractère forfaitaire de la
réparation du préjudice professionnel et surtout de l'évaluation mathématique
de l'étendue de la réparation, le pouvoir du juge se trouvait limité. Le juge ne
dispose-t-il pas néanmoins dans ce contexte législatif, d'une marge de
manoeuvre lui permettant au besoin d'assurer l'équité sociale ou de préparer
l'évolution
législative?
Dans
l'affimlative,
comment
le
juge
va-t-il
concrètement user de ce pouvoir? Ces mêmes questions subsistent s'agissant
de la prévention des risques où l'inflation réglementaire semble traduire la
volonté des pouvoirs publics de régir dans les moindres détails,
les
comportements des acteurs sociaux, particulièrement l'employeur. On pourrait
déjà se demander s'il n'existe pas à la charge de l'employeur, une obligation
générale de prudence que cette inflation réglementaire \\~isque de faire oublier
au juge. Quelle place la loi laisse-t-elle à l'initiative des jtlges dans ce système?
Il conviendrait d'essayer de répondre à toutes ces interrogations.
On peut aussi penser qu'il n'existe pas une séparation étanche
entre la réparation et la prévention des préjudices professionnels. Certes, alors
que la réparation des préjudices relève du droit de la sécurité sociale, leur
prévention est du domaine du droit du travail avec l'intervention des agents
administratifs en l'occurrence, les inspecteurs du travail, mais aussi du juge de
la faute pénale, à la recherche d'une sanction qui soit aussi une prévention.
Cette situation n'induit pas pour autant une rupture entre les deux volets.
L'institution de la faute inexcusable, par exemple, qui permet de moduler

24
J'étendue de la réparation des préj udices, ne suggère-t-elle pas qu'il pourrait y
avoir un lien entre la réparation et la prévention des préjJdices professionnels?
II est d'ailleurs utile de remarquer que le mode de calcul des
cotisations patronales au titre des accidents du travail et des maladies
professionnelles, répond à la volonté d'établir une corrélation entre les
prestations fournies par la Caisse à ce titre aux salariés de l'entreprise
concernée, et les contributions de l'employeur à la Caisse. II s'agit d'inciter les
employeurs à la prévention en rendant leur participation proportionnelle aux
frais occasionnés par la réparation des préjudices survenus dans leurs
entreprises.
Le Professeur Y. SAINT-JOURS exprime bien cette continuité
entre la réparation et la prévention des préjudices professionnels lorsqu'il écrit:
« (..) tant que la réparation des accidents du travail (..) sera moins onéreuse,
pour les employeurs, que les investissements nécessités\\par la prévention, le
choix économique les conduira à négliger les mesures de prévention» 1.
Malgré ce lien entre la réparation et la prévention des risques
professionnels, nous organiserons notre étude autour de ces deux axes pour
une commodité méthodologique, mais aussi en raison des particularités de
chacun d'eux. En effet, la réparation du préjudice implique avant tout
l'existence d'une victime, une personne atteinte dans son intégrité physique,
une vie perturbée par cet événement. Cette situation pose des problèmes
spécifiques qui ne correspondent pas toujours à ceux liés à la prévention. Il
s'agit avant tout, lorsque le préjudice résulte de la profession, de pernlettre à la
victime de retrouver sa capacité de gain, de prendre en compte son existence
postérieurement à l'accident. La prévention en revanche, concerne moins une
victime que l'ensemble des salariés exposés à différents risques. Elle a donc
pour objet de les protéger contre la réalisation de ces risques. En principe, le
problème de la réparation du préjudice professionnel ne se pose qu'autant que
les mesures de prévention ont échoué. En effet, la réalisation du dommage
atteste l'insuffisance des dispositions préventives. Cependant, la prévention du
préjudice professionnel apparaissant eomme une préocupation récente par
1 Y SAINT.JOURS, ouvr prée. p. 337.

25
\\,
rapport à sa réparation, cet ordre sera également adopté. Aussi, la place du
juge dans la réparation des préjudices professionnels (Première partie) et son
rôle dans la prévention des risques professionnels (Deuxième partie) seront
étudiées, en ayant en vue toutes ces questions que nous nous sommes posées.
\\.
,
'\\

26
PREMIERE PARTIE
LA PLACE DU JUGE DANS LA REPARATION DU
PREJUDICE PROFESSIONNEL

27
li n'y a pas de doute que bien avant l'intervention législative, les
tentatives jurisprudentielles présageaient du rôle que le juge aurait joué dans
['évolution du droit des accidents du travail, même en l'absence de textes
spécifiques. Certes, cette action s'inscrivait de manière générale dans le droit
de la responsabilité civile. Ce qui ne réduit pas pour autant sa portée. Bien que
la démarche du juge visait directement une meilleure réparation du préjudiœ,
elle devait à terme permettre également une meilleure organisation du travail
du point de vue de la sécurité car c'est avant tout, les usages, l'organisation
industrielle qui étaient incriminés. Et la doctrine ne manque pas de relever que
« l'intervention de la loi de 1898 a stérilisé la réflexion sur la protection
corporelle du salarié en évacuant tout débat sur la responsabilité et donc
toUle interrogation éthique ou morale» 1. En effet, bien que répondant à un
besoin impérieux et urgent, la loi de 1898 en ce qu'ellehssurait une réparation
certaine du préjudice professionnel, devrait logiquement amoindrir J'apport du
juge à J'évolution du droit. Mais cette législation en fait, n'a-t-elle pas préservé
la mission du juge? Comme l'enseignait R. SALEILLES, « (..) c'est une loi
sociologique que, quoiqu'on fasse, et si étroitement qu'on veuille l'enfermer
sous l'appareil législatif, le pouvoir qui juge trouvera toujours quelque fissure,
pour en sortir, aller de l'avant et préparer la voie au pouvoir qui fait la loi »".
Le juge serait donc pour ainsi dire, un promoteur de la loi. La protection
judiciaire du salarié, notamment sa construction relativement à Ja réparation du
préjudice professionnel dans le cadre de la législation des accidents du travail
nous permet-elle d'aboutir aux mêmes observations que l'auteur?
La réparation des accidents du travail dans le régime général de la
responsabilité civile impliquait une faute de l'employeu~, un dommage subi par
le salarié et une relation de causalité entre ce dommag~. et la faute. La loi de
1898 avait sans doute affranchi la réparation du préjudice « survenu par le fait
ou à l'occasion du travail» de la notion de faute. S'agissant par contre de la
notion d' « accidents survenus par le fait ou à l'occasion du travail », les
textes n'indiquent pas davantage les réalités auxquelles elles correspondent. Il
s'agit en fait de la détermination des préjudices que le législateur a entendu
1. F. MEYER, art. prée. p. 718.
2. R. SALEILLES, ouvr. prée. p. 1.

28
réparer
par
cette
législation
particulière.
Naturellement,
cette
mlSS1011
incombera au juge. Comment a-t-il assumé cette missiQn? Quelle est sa marge
de manoeuvre dans ce cadre juridique défini par le législateur? Autant dc
questions que suscite cette première mission implicite que le législateur a
assignée au juge à savoir, la détermination judiciaire de l'objet réparable (Titre
1) qu'il sera intéressant d'évoquer.
Mais il est une caractéristiquc évidente de la loi de ne pas pouvoir
prévoir tous les cas d'espèce ou toutes les situations que la pratique
quotidienne peut révéler. La loi constitue ainsi un cadre dans lequel le juge se
meut. C'est dire que dans le cadre juridique défini par la loi, des considérations
d'équité, les nécessités du moment ct même des jugements de valeur pcuvcnt
sous-tendre les orientations du juge. Aussi n'est-il pas étonnant en ce qui
concerne le domaine qui nous intéresse, qu'une fois déterminé l'objet
réparable, son étendue soit soumise à des restrictions justifiées ou non mais
qui, tout compte fait, répondent à une philosophie jurisprudentielle. Il
conviendra donc de mettre en relief ces mobiles qui dans le cadre législatif:
sous-tendent la doctrine du juge. 11 sera donc nécessaire d'examiner les limites
judiciaires de l'étendue de la réparation (Titre Il).

29
\\
TITRE 1
LA DETERMINATION JUDICIAIRE DE L'OBJET
REPARABLE

30
Le principe fondamental de la loi du 9 Avril 1898 est donc d'assurer une
réparation certaine mais forfaitaire du préjudice dont est victime le salarié dans
son travail. Cette loi qui initialement ne concernait que les accidents du travail
proprement dits, sera étendue aux maladies protèssionnelles puis aux accidents
de trajet par les lois du 25 Octobre 1919 et du 30 Octobre 1946. Tous ces
préjudices
sont
communément
désignés
sous
l'expression
préjudices
professionnels. Si relativement aux maladies professionnelles, le législateur a
pendant longtemps établi des listes limitatives par la technique des tableaux
des maladies professsionnelles, il n'en est pas de même des accidents du travail
proprement dits. Ce qui paraît logique. Cette notion couvrant une diversité de
situations dont la caractéristique commune serait le préjudice subi par le
salarié, il y a là une impossibilité matérielle d'établir une liste des situations
qu'il conviendrait de désigner par l'expression accident. La détermination de
l'objet réparable suppose donc que soient à la fois caractérisés le phénomène
accidentel et son rattachement au travail. « N'est-on pas/enté de dire que là où
il n'y a pas accident, il peut encore moins être q~estion d'accident du
travail?
»1 .
En effet, à la relation faute-dommage-lien de causalité qui caractérisait
la réparation des préjudices dans le cadre de la responsabilité civile, s'est
substitué un nouveau type de relation à savoir, un dommage accidentel et une
relation de causalité entre ce dommage et le travail. Aussi la détennination de
l'objet réparable suppose en premier lieu une définition judiciaire du préjudice
accidentel (Chapitre 1) et en second lieu, son rattachement à la profession
(Chapitre Il).
\\ . O. GODARD, « Le régime de la preuve en matière d'accident du travail », Thèse pour le Doctorat d'Etat,
S Paris, 1973, p. 29

31
CHAPITRE 1: LA DEFINITION .JUDICIAIRE DU PREJUDICE
ACCIDENTEL
La loi du 9 Avril 1898, parce qu'clIc assurait une réparation certaine du
préjudice né du travail, devait amoindrir le rôle du juge en la matière. Mais la
réalité sera radicalement différente. S'agissant des paramètres d'évaluation du
préjudice, son rôle se trouvait effectivement limité puisque cette réparation est
lortàitaire et déterminée en fonction du salaire de la victime. Par contre,
s'agissant de la définition du préjudice professionnel et surtout le régime de sa
preuve, le juge jouera un rôle cardinal. En eftèt, en légiférant sur les risques
protèssionnels, le législateur, comme dans bien des domaines, n'a pas délïni 13
l
notion d'accident. Peut-être a-t-il choisi la voie de la facilité . On remarquera
néanmoins que les travaux préparatoires n'étaient pas totalement muets sur le
sujet. Mais il est probable qu'une définition législative explicite conduise à
l'immobilisme. n revenait donc au juge d'élaborer le contenu de la notion
d'accident (Section I). La jurisprudence a-t-elle judi'cieusement usé de ce
\\
pouvoir?
Les caractéristiques du tàit accidentel étant précisées, le salarié victime
d'un préjudice doit naturellement démontrer le caractère accidentel de son
dommage (Section If). La preuve n'est-elle pas la rançon du droit? lei encore,
c'est la doctrine du juge sur le régime probatoire qui pourra donner à la loi
toute sa portée. Nous examinerons donc la démarche du juge qui déjà, il faut
le signaler, témoigne d'une réelle sollicitude à l'endroit du salarié.
SECTJON 1: L'ELABORATION DU CONCEPT D'ACCIDENT ET SES
APPLICATIONS
L'article 1cr de la loi du 9 Avril 1898 dispose avions-nous dit, que « Les
accidents survenus par le fait du travail, ou à /'occttsion du travCllI, aux
ouvriers et employés (...) donnent droit, au profit de la victime ou de ses
représentants, à une indemnité (...)). Il est donc certain que dans l'esprit du
législateur de 1898, le préjudice réparable est forcément d'origine accidentelle.
1 • J-J DU PEYROUX, « La notion d'accident du travail », f)
1%4. Chr. p 23.

32
Il importait dès lors, pour détenl1iner ce préjudiçe, de définir le fait
accidentel (§I). La définition du fait accidentel, tellè\\ qu'elle résulte de la
jurisprudence, satisfait-elle au besoin de protection des victimes. Autrement
dit, cette définition ne comporte-t-elle pas des lacunes? (§Il) Le cas échéant, il
conviendrait de se demander si le juge aurait pu faire autrement.
§ 1: LA DEFINITION DU FAIT ACCIDENTEL
L'application de la loi du 9 Avril 1898 n'a pas réellement soulevé de
véritables divergences doctrinales sur la définition théorique du concept
d'accident. La longue préparation qu'a nécessité le vote de cette loi et
l'expérience des pays voisins en la matière ont sans doute inspiré la doctrine et
la jurisprudence françaises. Reprenant en 1899 les temles de MARESTAING,
SACHET définissait l'accident comme « une atteinte au corps humain
provenant de l'action soudaine et violente d'une for~e extérieure»1 . Cette
définition sera reprise par la jurisprudence qui affirm~ra pendant longtemps
que « l'accident est caractérisé par l'action soudaine et violente d'un
événement extérieur provoquant une lésion sur l'organisme humain »2 .
Comment la jurisprudence a-t-elle traduit en pratique cette définition? L'étude
des éléments caractéristiques de l'accident (A) nous permettra de répondre à
cette question. On signalera déjà que ces éléments devraient permettre de
distinguer l'accident de la maladie (8).
AI LES ELEMENTS CARACTERISTIQUES DE L'ACCIDENT
11 ressort de la définition jurisprudentielle que quatre critères cumulatifs
permettent en principe de caractériser le fait accidentel. Il s'agit d'une action
soudaine, violente, une cause extérieure et une lésion de l'organisme humain.
Il UNE ACTION SOUDAINE
Si l'on se réfère au Littré, est soudain ce qui se fait dans l'instant. Très
tôt, la jurisprudence assimilera donc la soudaineté de l'action à sa localisation
1
A. SACHET, « Traité théorique et Pratique de la Législation sur les Accidents du Travail », Paris Larousse.
1899, r 14:1
2
Soc 16 Octobre 1956, Bull. IV, n" 792

33
dans le temps. « Attendu qu'il résulte de l'e5prit de la, loi du 9 Avril 1898 et
des travaux préparatoires que les maladies professiomtelles auxquelles on ne
saurait assigner une origine et une date déterminée sont exclues du bénéfice
de la loi» 1 • Il s'agit donc d'une part de détenniner le fait cause de la lésion et
d'autre part de le situer dans un intervalle de temps précis et court. On
discerne selon le Professeur J-J. DUPEYROUX, une hésitation entre le critére
de localisation dans le temps de l'origine du préjudice et celui de la soudaineté
de sa réalisation. En réalité, ce critère de localisation dans le temps ne
constitue qu'une traduction plus concrète de cette notion de soudaineté.
Néanmoins, ce glissement apparemment anodin constitue déjà une fissure qui
pennettra à la jurisprudence d'asseoir toute sa construction. Il aura d'ailleurs
pennis dès ['entrée en vigueur de la loi de couvrir des préjudices qui ne
constituent en réalité que des affections pathologiques2 . Il est aussi révélateur
de l'interprétation assez souple que fera la jurisprudence de tous ces critères, cc
qui pennettra une extension du domaine de la loi.
2/ UNE ACTION VIOLENTE
La notion de violence est très relative et difficilement quantifiable.
Néanmoins, « elle est caractéristique du choc brutal qui provoque la lésion
corporelle »3. Sans prétendre que ce critère relatif à la violence a disparu de la
jurisprudence,4 il y a lieu de reconnaître qu'il fait ['objet d'une conception
assez large. En effet, cette violence aux termes de la jurisprudence, ne résulte
pas forcément d'un choc physique. II peut tout simplement être le résultat d'un
choc émotionnels. De même, de simples vibrations peuvent être source de
violence. Cette violence doit avoir une cause extérieure à l'organisme lésé.
\\\\
1
Req 23 Juillet 1902, 1,274.
Req. 3 Novembre 1903. D. P 1907,1,87
Y. SAINT-JOURS, « Traité de Sécurité sociale », Till, LG.DJ. 1982, P 78.
La doctrine admet de nos jours que les critéres d'extériorité et de violence peuvent être éliminés de la
définition. Cf J-J. DUPEYROUX, « Doit de la Sécurité sociale », Précis Dalloz, 12"''' éd 1993, p 414. Ce
n'est cependant pas notre sentiment et nous y reviendrons
l. Bordeaux, 23 Avril 1907,5,40

34
3/ UNE CAUSE EXTERIEURE
« L'accident a toujours une cause extérieure» écrivait A. SACHET. La
condition de l'extériorité suppose forcément l'intervention d'un fait étranger à
la constitution de la personne même de la victime. Ce fait doit avoir déterminé
soit partiellement, soit totalement le dommage. Cette cause extérieure peut se
déduire des conditions mêmes du travail. Ln effet, selon la Chambre sociale,
« (...) si la notion d'accident du travail implique l'existence d'un traumatisme
c'est-à-dire d'une lésion cuusée pur un agent extérieure. celle condition est
remplie dès lors que la lésion est imputuble à un effort même accompli dans
un acte normal provenant de l'action du travail/eur sur la matière de son
travail» 1. Tel est par exemple le cas d'un salarié qui devait à sa prise de
service lever le capot d'un chariot, « mouvement de nature à provoquer une
lésion »2. La cause extérieure ne suppose donc pas l'existence d'un fàit
inhabituel manifestement distinct des conditions n0'iillales du travail. Elle
\\.
s'oppose simplement à une évolution spontanée de l'orgànisme à laquelle serait
étrangère toute influence extérieure, si minime soit-elle. D'un point de vue
matériel, cette cause extérieure se réduit en réalité à peu de chose. Autrement,
toute une catégorie de préjudice serait exclue du domaine de la loi.
L'accident implique par ailleurs la lésion de l'organisme humain.
4/ UNE LESION DE L'ORGANISME HUMAIN
Il ne s'agit pas forcément d'une lésion apparente mais de tout préjudice
corporel atteignant la personne du salarié. La doctrine admet que la folie peut
être assimilée à une lésion3 . Quant à la jurisprudence, elle admet qu'une
simple douleur ressentie par le salarié au lieu du travail suffit à caractériser la
,'
l
4
eSlOn .
Comme on peut le constater, ce dernier critère du fait accidentel tout
comme les critères précédents, fait l'objet d'une interprétation assez souple de
la part de la jurisprudence. Ainsi, indépendamment des règles probatoires,
soc. 23 Novembre 1961, Bull. IV, n° 972.
2
Soc Il Mai 1995, RJ.S. 1995, p. 534.
A. SACHET, ouvr. prée. p. 141.
• . soc. 17 Février 1988, Bull V. nO 109; Soc 8 Juin 1995. lU .S. 1995, p. 613

35
cette
situation
entraîne
la
couverture
de
certains
préjudices
qu'une
interprétation plus rigoureuse aurait pu exclure du domaine de la loi. Il y a
,
certainement là une volonté du juge de rendre effective cette législation car,
abstraction faite du lien entre le préjudice et la profession, c'est de la notion
même d'accident que dépend, pour une grande part, l'étendue des préjudices
réparables. Ces critères susmentionnés devraient permettre de distinguer
J'accident de la maladie, cette dernière n'étant réparée que sous certaines
conditions.
BI LA DISTINCTION ENTRE L'ACCIDENT ET LA MALADIE
Il convient d'abord d'évoquer l'enjeu de cette distinction.
11 L'ENJEU DE LA DISTINCTION
La définition de l'accident telle qu'elle a été donn~e visait sans doute à la
distinguer de la maladie. Ce constat dénote déjà l'intérêt qui s'attache à cette
distinction. Cependant, cet intérêt au fi] des législations successives s'est
amenuisé sans pour autant disparaître. En visant dans son article 1cr les
accidents survenus par le fait ou à l'occasion du travail, la loi du 9 Avril 1898
excluait de son
domaine
les
préjudices professionnels
dont
l'origine
accidentelle ne serait pas établie.
Comme la plupart des législations
européennes en la matière, la loi française ne s'appliquait donc pas aux
maladies professionnelles 1. Des amendements en vue d'étendre la loi aux
maladies professionnelles ont été rejetés2 . Il a fallu attendre la loi du 25
Octobre 1919 pour que les maladies professionnelles figurant sur une liste
officielle limitativement établie soient couvertes. Ainsi, alors que la victime
d'un accident professionnel bénéficiait de la couverture légale, le salarié
victime d'une maladie professionnelle n'était couvert qu'autant que cette
\\
\\
'. La legislation helvetique contrairement aux autres. prenait en compte les lesions de toute nature
occasionnees à un ouvrier, à moins que moins que \\' accident ait sa cause dans un cas de force majeure ou
imputable à la faute de la victime. Cf A. SACHET, ouvr prec p. 138.
2. En 1897, le rapporteur de la loi à la Chambre des deputes declare: « Il serait peut-être important de taire
une distinction. Si le fait de travailler les matières toxiques cause ce qu'on appelle un accident, soit 1 Mais il
peut arriver que, comme dans l'industrie des aliumelles, par exemple, 4ue, par une intoxication lente. il sc
produise, non un accident, mais une maladie. C'est alors un tout autre ordre d'idées. Je ne dis pas que nous ne
ferons pas un jour une loi sur les maladies ( ... ), mais la Chambre doit comprendre la différence qui existe entre
l'intoxication amenant un accident et l'intoxication lente causant une maladie )l (Chambre des députés, Séance
du 28 Octobre 1897, Cf Lois annotées, 1899, p. 7714)

36
maladie figurait sur cette liste. Il y a là une certaine rnJustice puisque
l'inscription d'une maladie sur un tableau de maladies professionelles peut
parfois être tardive l .
Bien que la liste de ces maladies se soit considérablement allongée au fil
des années, le principe est demeuré Je même jusqu'à la loi du 27 Janvier 1993:
d'où l'intérêt de la distinction. Depuis cette dernière loi qui a introduit un
système mixte, nous le verrons plus loin, tous les préjudices ne sont pas pour
autant couverts.
2/ LES ELEMENTS DETERNJINANTS DE LA DISTINCTION
Parmi les critères distinctifs de l'accident et la maladie, il y a lieu
d'écarter d'entrée la lésion de l'organisme. Les trois autres critères que sont la
soudaineté, la violence et l'extériorité de la cause, devraient donc permettre de
distinguer l'accident de la maladie. Mais il est très ai~é en se référant à la
science médicale ou la jurisprudence, de se rendre compt~ que la maladie tout
comme l'accident peut répondre à plusieurs de ces critères. Et il n'est pas rare
que la jurisprudence, face à deux situations voisines, retienne la qualification
d'accident pour l'une et celle de maladie pour l'autre.
« La brusque survenance d'une lésion physique au temps et au lieu du
o
travail constitue par elfe-même un accident imputable au travail (. ..))"
aflinne la jurisprudence. Ce qui conduit le Professeur .1-.1. DUPEYROUX à
dire qu'une épuration de la définition classique conduit la Cour suprême à s'en
tenir dans la plupart des décisions à l'idée de soudaineté et de localisation dans
le temps3. Cette observation largement vérifiée ne couvre pas l'extrême
diversité des espèces et ne rend pas exactement compte de la situation. En
réalité, ce critère recouvre deux paramètres différents: l'intervention d'un
élément extérieur et la concomitance du préjudice avec cètte intervention. C'est
d'ailleurs de cette concomitance que vient l'idée de soudaineté. 11 n'est pas
contesté qu'une maladie se manifeste de manière violente et soudaine.
'. Cf p. 46.
2. soc. 5 Mars 1970, O. 1970,621, note J-J
OUPEYROlJX; cr également Soc. 12 Octobre 1995, RJS
1995, p. 744.
, . J-J. DUPEYROUX, « Droit de la Sécurite sociale », Précis Dalloz, 12"'" éd. 1993, p. 415

37
Cependant cette manifestation violente et soudaine n'est jamais concomitante à
l'intervention d'une cause extérieure. Cet élément extérieur enclenche un
processus qui, à plus ou moins long terme, aboutit\\ à cette manifestation
soudaine. Une hernie par exemple peut être considérée comme une maladie ou
un accident bien qu'elle suppose une prédisposition constitutionnelle du
salarié. Lorsque le déclenchement de cette hernie au temps et au lieu du travail
constitue une évolution normale de l'état morbide du salarié, il s'agit d'une
maladie. Par contre, lorsque cette manifestation soudaine est imputable à une
cause extérieure en l'occurrence le travail, il y a accident. C'est cette double
fonction du travail - cause extérieure et élément de rattachement du préjudice à
la profession - qui a conduit la doctrÎne à voir dans le critère de soudaineté, Il:
seul élément détenninant de la distinction. Comme on le verra, il n'est pas
simplement suffisant que le travail ait joué un rôle dans la réalisation du
préjudice pour que le critère d'extériorité ne soit plus nécessaire. Encore t~\\tIt-il
que ce travail soit concomitant, ou voisin de la brusque apparition de la lésion.
Ainsi, une cour d'appel ne saurait valablement reco~na\\tre l'existence d'un
accident du travail en attribuant un infarctus du myocarde aux conditions de
travail très pénibles durant les mois qui ont précédé l'accident l . Par contre, la
qualification d'accident du travail ne peut être exclue en raison de l'existence
des troubles cardiaques dès lors que la journée de travail, ayant commencé à
six heures après un long trajet en voiture, « avait entraîné un changement de
rythme par rapport au travail habituel de l'intéressé »2.
S'il est certain que l'intervention d'une cause extérieure n'est jamais
concomitante à la manifestation du préjudice dans le cas d'une maladie, la
réunion de ces deux critères ne semble pas pour autant couvrir toute la réalité
du phénomène accidentel. Aussi convient-il de distinguer plusieurs situations.
La première c'est celle que O. GODARD appelle « l'événement
extérieur dans toute sa réalité concrète »'. C'est par ~xemple la chute d'une
machine qui blesse un salarié, ou encore une scie qui seÛtionne les doigts de la
victime. Il n'y a ici aucune difficulté à caractériser le fait accidentel et à le
distinguer de la maladie. Cette hypothèse ne nous retiendra pas.
1. soc. 6 Janvier 1982, Dull. V, n° 30
Soc. 16 Decembre 1993, RJ.SI994, p. 140.
. O. GODARD, Thèse prée. p. 30.

38
La deuxième situation est celle dans laquelle le salarié occupé à son
travail, ressent brusquement une douleur révélatrice d'une lésion. C'est selon
l'expression de la jurisprudence, la brusque apparition d~ préjudice au temps et
au lieu du travail. Ceci correspond à l'hypothèse déjà examinée où Ic
phénomène accidentel se déduit de la concomitance entre le fait extérieur (le
travail) et la manifestation du préjudice.
La troisième situation est celle dans laquelle un fait déterminé produit
un préjudice différé. Et ce préjudice peut se manifester de manièrc soudaine
ou non. La jurisprudence nous fournit plusieurs exemples 1: l'action d'une
substance chimique, l'effet progressif d'un outil de travail ou d'une substance
utilisée dans la production, le rayonncment d'un arc électrique etc. Ici, la
caractéristique principale dc J'accident réside dans le mode d'intervention de
cette cause extérieure. Selon que l'intervention soit ponctuelle (unique) ou
répétée, il y a ou non accident. L'intervention ponctuelle doit s'entendre de
celle qui est susceptible de causer la totalité du dommage par une action
unique par opposition à une série d'actions ou d'absorPtions. Ainsi, s'agissant
par exemple de l'action de l'oxyde de carbone, il y aura accident si les salariés
ont été soumis à une action massive et subite alors que le préjudice né d'une
2
série d'absorptions sera considéré comme une maladie . S'agissant des
blessures d'origine chimique, « il importe peu que les lésions ne soient
apparues de façon soudaine ou violente au moment même où était survenu
/'incident auquel elles correspondent ». Il suffit que l'incident soit survenu à
une date précise et au cours d'un travail déterminé3 . C'est eu égard à ce critère
d'intervention ponctuelle que les lésions d'origine professionnelle résultant des
microtraumatismes dus à la répétition d'un même geste ne sont pas pris en
charge, « chacun des gestes pris isolément n'eût pas suffi à provoquer les
lésions »4. La jurisprudence admet néanmoins que la lésion due à une journée
5
de travail puisse être considérée comme résultant d'une action unique . Mais
en réalité, en évoquant l'action unique, c'est à la notion ~e concomitance que la
';
jurisprudence se réfère. Certes, il ne s'agit pas de la concomitance de la cause
1. soc. 21 Janvier 1971, Hull. V, nO 45, Soc. 26 Juin 1980, Bull. V, nO 576.
2. Soc. 4 Juin 1971, Bull. V, nO 384
'. Soc 21 Janvier 1971 prée
Soc. 26 Juin 1980 prée.. A contrario voir Soc 24 Mars 1982, Bull. V, n° 216.
J. Soc
18 Mars 1970, Bull. V, n° 209

39
extérieure et l'apparition du préjudice mais sa réalisation. Si la jurisprudence
se fonde sur l'unicité de l'action pour reconnaître le caractère accidentel du
préjudice, c'est reconnaître implicitement que le doinmage est réalisé dès
l'intervention ponctuelle de cette cause extérieure.
Tout compte fait, il y a lieu de relever que le critère de soudaineté qui au
fond traduit la concomitance du préjudice avec la cause extérieure fait encore
l'objet d'une interprétation. Ce critère de soudaineté qui devient pour ainsi dire
un concept, se traduit soit par la localisation du préjudice dans le temps, soit
par l'unicité de cette action. Cette démarche du juge qui consiste à interpréter
les critères qu'il a lui-même élaborés, participe de sa volonté d'adapter ces
critères à la diversité des préjudices résultant de J'activité professionnelle et de
couvrir corrélativement une grande partie d'entre eux. La jurisprudence
procède ainsi par une gestion ad hoc de la notion de soudaineté. Il en dérive
une certaine sollicitude du juge à l'égard du salarié du moins en ce qui
concerne la définition du fait accidentel. Néanmoins, ce concept, tel qu'il est
défini par la jurisprudence, ne satisfait pas totalement àu besoin de protection
des salariés dans leurs activités professionnelles. Il présente encore des
lacunes.
§ lI: LES LACUNES DE LA CONCEPTION DU FAIT ACCIDENTEL
Les accidents du travail constituent un phénomène social important tant
par leur ampleur que leurs
conséquences.
Les victimes des risques
professionnels n'auront jamais assez mérité la sollicitude de la société. Dès
lors, une quelconque lacune dans le système de réparation de ces préjudices
peut paraître comme une intolérable injustice. Quelle, n'a souvent été
l'indignation des "profanes" lorsqu'on leur explique les principes sur lesquels
reposent la réparation des préjudices professionnels notamment la distinction
faite entre accident et maladie et les conséquences juridiques qui en découlent.
La législation des risques professionnels bientôt séculaite ne semble pas avoir
atteint l'âge de raison. Certains diront plutôt qu'elle est victime de l'usure du
temps. Tout compte fait, cette législation suscite la réprobation de plusieurs
auteurs qui insistent sur la nécessité d'une évolution. En témoignent les titres

40
de nombreux articles 1. Il est vraI que J'amélioration de la réparation dans
plusieurs autres domaines a rendu le principe indemnitaire de la réparation des
préjudices professionnels moins équitable. Mais ce qui retiendra notre
attention ici, c'est plutôt une crise d'ordre conceptuel qui, pour autant qu'elle ne
date pas d'aujourd'hui, n'est pas moins d'actualité. Il s'agit bien du concept
d'accident. En effet, entre les préjudices d'origine accidentelle tels qu'ils
\\
résultent de la jurisprudence et les maladies professionuelles reconnues par la
loi, il y a bien des préjudices professionnels non couverts (A). C'est ce que la
doctrine appellera « l'angle mort »2. La loi du 27 Janvier 1993 réagira trop
tardivement à cette situation. Mais elle aura simplement réduit l'étendue de
« l'angle mort» qui a malgré tout survécu (B).
AI LES PREJUDICES PROFESSIONNELS NON COUVERTS:
« L'ANGLE MORT })
Si l'on se réfère au Littré,3 l'accident c'est ce qui advient fortuitemenl
4
comme le rappelle fort bien un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux . Est
fortuit ce qui arrive au hasard, autrement dit, ce qui est imprévu. Et l'on
pourrait s'étonner que la jurisprudence ait laissé de côté cette définition assez
extensive pour s'en tenir à « l'action soudaine et violente d'une cause
extérieure entrainant une lésion pour l'organisme \\humain »5. Ce serait
ignorer le contexte dans lequel cette définition a été élaborée et les raisons qui
y ont prévalu.
II LES JUSTIFICATIONS HISTORIQUES
11 paraît inutile d'insister sur le fait que cetle définition a été donnée en
réfërence à la maladie. La volonté du législateur d'exclure du domaine de la loi
les
maladies
même d'origine
proCessionnelle est manifeste.
Déjà,
un
amendement du 3 Juin 1893 visant à rendre responsables les patrons des
'. Exemples: G. LYON-CAEN, « Les victimes d'accident du travail, victime aussi d'une discrimination », Dr.
soc. 1990, p. 737; Y. SAINT-JOURS, « Unè urgence pour les victimes d'accident du travait ». Dr. soc. 1990.
~. 690.
. J-1. DUPEYROUX, note sous Soc. 25 Juin 1964, D. 1964, p. 529.
\\
3. Le « Pelit Robert» donne la même définition de l'accident:
\\,
4. Bordeaux, 16 Mai 1963, D. 1963, p. 543.
~. Soc 16 Octobre 1956 préc.

41
conséquences des maladies professionnelles, a été rejeté l . Il en sera de même
en 1897 et les propos du ministre du commerce sont significatifs: « Je suppose
que dans une usine où l'on emploie des matières toxiques, un ouvrier se
trouve avoir absorbé accidentellement une substance, toxique ou avoir été
atteint par une éclaboussure d'acide ou de toute autre substance, qui ait
déterminé la mort ou une incapacité de travail; le caractère acciden/el
apparait nettement et ne saurait se confondre avec un empoisonnement lent,
avec une diathèse résultant de la pratique normale de la profession »2. Il cst
néanmoins indispensable de s'interroger sur les mobiles du choix du
législateur car il est d'une absurdité manifeste que les préjudices nés d'un
accident du travail soient réparés et que le salarié qui a contracté une maladie
dans l'exercice de sa profession soit abandonné à son triste sort. A. SACHET
le faisait déjà remarquer lorsqu'il écrivait: « L'équité commanderait d'assimiler
les maladies professionnelles aux accidents du travail: les malheureux
ouvriers qui usent prématurément leur santé dans l'exercice d'une projèssion
malsaine, sont au moins aussi dignes d'intérêt que leurs camarades alleints
d'une blessure plus ou moins profonde »' .
\\
C'est sans doute pour éviter que cette loi qui à l'époque apparaissait
comme une grande conquête sociale n'entraîne des abus, que le législateur s'est
engagé dans cette voie bien injuste. En effet, il est certain que, en excluant du
domaine de la loi les maladies professionnelles, le législateur a voulu éviter
que des maladies n'ayant aucun rapport avec la profession soient réparées au
titre de cette législation. C'est ce qui explique que le législateur de 1919 ait
subordonné
la
prise
en
charge
d'une
maladie
professionnelle
à
sa
reconnaissance officielle. C'est pourquoi il est demandé plus tard aux
médecins
de
déclarer
non
seulement
les
maladies
professionnelles
officiellement reconnues mais aussi celles qui, à leur avis, présentent un
caractère professionnel4 . Et les techniques médicales relativement peu
évoluées à l'époque n'ont sans doute pas rassuré le législateur. Malgré
r. Le député Fairé avait proposé de dire qu'il y aurait lieu à indemnité en cas d'incapacité de travail ou de
décés cause par des maladies professionnelles. Chambres des députés, Séance du 3 Juin 1893, Lois annotées
1899, p. 771.
2. Lois annotées, 1899, p. 772.
, . A. SACHET, ouvr. prée. p. 138.
4. Cf Article L 461-6 C.S.S

42
l'évolution des connaissances en la matière, le législateur ne se repentira pas.
Des préjudices dignes d'intérêt seront ainsi en marge de .Ia réparation des
risques professionnels. Il conviendrait de se pencher sur l'étendue de ces
préjudices non couverts.
2/ L'ETENDUE DE « L'ANGLE MORT»
L'étendue des préjudices non couverts dépend de deux facteurs: la liste
des maladies professionnelles officiellement reconnues et la définition du
concept d'accident. Plus cette liste est importante, plus il y a de chance qu'une
maladie professionnelle y figure. Cependant, il serait utopique de penser qu'il
est possible d'établir une liste exhaustive des maladies professionnelles. On ne
pourra donc raisonnablement espérer une résolution définitive du problème
quelle que soit l'importance de la liste. A ussi, c'est de la notion d'accident que
dépendra surtout l'ampleur de « l'angle
mort ».
Or, comme
il
a été
précédemment relevé, la définition jurisprudentielle de la notion d'accident
implique l'action soudaine et violente d'un événement extérieur entraînant une
lésion de l'organisme. Et malgré la souplesse dans l'interprétation de ces
critères, certains préjudices d'origine professionnelle t,~ sont pas couverts. Il
s'agit des affections microbiennes contractées dans l'exercice de la profession
et les lésions dues à l'action progressive des outils de travail.
al LES AFFECTIONS MICROBIENNES
Les espèces jurisprudentielles montrent que ces affections concernent
souvent deux catégories de salariés.
Il s'agit d'abord du personnel hospitalier qui dans l'exercice de ses
fonctions est forcément en contact avec des personnes atteintes de ces
maladies. C'est le cas dans la célèbre affaire Gendre où un médecin interne,
quinze jours après avoir examiné un malade atteint de poliomyélite, est lui-
même atteint de cette maladie.' Ces quinze jours correspondent bien au délai
d'incubation. Mais l'Assemblée plénière estimera qu'on 'ne saurait assimiler une
\\
contagion à un accident l . Et s'agissant de l'infection par le virus de
\\. Ass. Plén. 21 Mars 1969. D. 1969. p. 531.

43
l'immunodéficience humaine au temps et au lieu du travail, aucune disposition
particulière n'a été prise à ce sujet jusqu'en 1993. Malgré les particularités de
cette maladie et les difficultés probatoires auxquelles pourraient donner lieu
une action en reconnaissance du caradère professionnel d'une telle affection,
le Ministère du travail avait estimé que le SIDA n'a pas à être traité
différemment des autres atTections en milieu professionnel' . Et une circulaire
du Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale affirmait
d'ailleurs qu'il paraît « (...) prématuré d'instituer, au moyen d'un tableau, une
présomption de corrélation entre certains travaux el la survenance d'une
séroconversion »2. Il a donc fallu attendre le Décree d~ 18 Janvier 1993 pour
que soit instaurée une procédure de prise en charge, au titre de la législation
des accidents du travail, des salariés victimes d'infection par le virus de
l'immunodéficience.
La deuxième catégorie est celle des salariés en mission dans des régions
éloignées de leur lieu de travail où ils sont exposés à certaines maladies. C'est
le cas par exemple d'un ingénieur géologue atteint de la dysenterie après avoir
bu une eau impropre à la consommation4 .
Il n'y a pas de doute que tous ees préjudices sont en rapport avec la
profession.
Mais, parce qu'elles nécessitent un délai d'incubation,
ces
affections ne peuvent être assimilées à un accident. On peut même supposer
qu'une telle affection au terme de la période d'incubation se manifeste au
temps et au lieu du travail. Cette brusque maniiïestation qui emporte
présomption d'imputabilité ne pennettra pas cependant la couverture de ce
préjudice. Ainsi ces affections intimement liées au travail ont néanmoins été
exclues du domaine de la loi.
1
Cf M.-P. DESCAMPS, « SIDA et contrat de travail ", Semaine sociale Lamy, nO 543 du 18.03 1991, D (,
1
Circulaire n' 89-45 du 9 Octobre 1989. Ministère de la Solidaritè. de la Santé et de la Protect ion sociale.
Dr. ouvr. 1990, p. 135
J. Décret nO 93-74 du 18 Janvier 1993, J.O. du 20 Janvier 1993, p. 1004.
4. Soc. 17 Novembre 1971, Bull. V, n° 067

44
bl LES LESIONS DUES A L'ACTION PROGRESSIVE D'UN OUTIL DE
TRAVAIL
Les lésions résultant d'un ensemble de microtraumatismes dus à la
répétition d'un même geste ne constituent pas selon la jurisprudence un
accident. C'est le cas par exemple lorsque la consistance du bois qu'un ouvrier
était appelé à façonner, lui avait imposé des efforts quotidiens qui ont
occasionné peu à peu une fatigue, puis à l'épaule droite" une douleur qui s'était
aggravée de jour en jour1 • Encore une fois, l'origine 'professionnelle de ces
préjudices est certaine. On pourrait assimiler à l'action du matériel de travail,
l'absorption progressive d'une substance utilisée dans l'entreprise2 . Toutes ces
lacunes qui se sont très tôt révélées, sont bien connues de la jurisprudence, des
pouvoirs publics et critiquées par la doctrine. Et pourtant, pendant longtemps,
rien ne sera fait par les pouvoirs publics. Aussi leurs interventions se révèlent-
elles toujours tardives et parcellaires'. Et la Haute juridiction tout en
perpétuant sa jurisprudence, offrira aux victimes d'autres voies de réparation.
A y voir de près, ces tentatives jurisprudentielles ne sont en réalité qu'un aveu
d'incompétence.
31 LES TENTATIVES JURISPRUDENTIELLES OU L'AVEU
D'INCOMPETENCE
 défaut d'une redéfinition lie la notion d'accJctent, il s'agit pour la
jurisprudence de permettre aux victimes d'obtenir la réparation suivant le droit
commun de la responsabilité civile. Ce qui implique que le salarié établisse la
preuve de la faute de l'employeur4 . La jurisprudence se réfère parfois à l'article
1384 C. civ. relatif à la responsabilité du fait des choses. Ainsi, elle déclare
l'employeur gardien des poussières, des produits chimiques, de substances
1
soc. 14 Janvier 1976, Bull. V. na 27; Soc 26 Juin 1980, Bul) V, na 576.
!
Soc. 4 Janvier 1970, Bull. V, na 384.
J . Ainsi, pour les lésions résultant des microtraumatismes dus il la répétition d'un même geste, il a été créé le
tableau 39 « Affections péri-articulaires provoquées par certains gestes et postures de travail» qui prévoit une
liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies. Ce tableau créé par le Décret na 82-608 du
12 Juillet 1982 a été mis ajour par Décret na 93-1010 du 19 Août 19(3). Cf C. S. S., Annexes VII, p. 2129
N'est-il pas surprenant que pour un préjudice subi en 1980 par un salarié dans l'exercice de ses fonctions, il
soit obligé quinze ans après de recourir au droit commun pour la réparati011 de ce préjudice? Voir Soc. Il
Octobre 1994, RIS. 1994, p. 783.
'
4
Soc. 17 Juillet 1964, D. 1964, p. 28; Civ. 2"~, 15 Mars 1961, Il, n° 225.

\\
45
1
gazeuses etc. . Toute cette jurisprudence vise sans doute à réduire l'étendue de
l'angle mort. Elle témoigne de ce point de vue, une sollicitude du juge à l'égard
du salarié. Cependant, cette réparation parfois subordonnée à la preuve de la
faute de l'employeur met aussi en relief la limite de cette sollicitude. Et on
pourra bien se demander pourquoi la Cour n'a-t-elle pas remis en cause sa
définition de la notion d'accident afin de permettre la couverture de tous ces
préjudices. Le législateur n'ayant pas détini la notion d'accident, le juge ne
pouvait-il pas la modeler en fonction des besoins? Cette question se pose
d'autant plus que la Haute juridiction elle-même ne semble pas satisfaite des
résultats auxquels conduit sa conception de la notion d'accident2 . Et l'on
pouvait raisonnablement se demander si la Cour de cassation ne pouvait pas
défaire ce qu'elle a fait. Mais la Cour avait-elle en réalit~ le choix?
"
Nous avions déjà évoqué le contexte historique dans lequel celle
définition a été élaborée. Malgré l'évolution des connaissances médicales, le
législateur n'a pas remis en cause les principes issus des lois du 9 Avril 1898 et
du 25 Octobre 1919. Autrement dit, la volonté du législateur d'opposer la
maladie à l'accident et de ne réparer que les maladies prévues par les
règlements est toujours maintenue, quand bien même les raisons qui
justifiaient un tel choix ne paraissent plus déterminantes. Une redélinition de
la notion d'accident en vue de couvrir tous les préjudices professionnels, aussi
louable qu'elle puisse paraître, serail en désaccord avec la volonté expresse du
législateur. Le juge n'a pas pour mission de légiférer mais d'appliquer la loi. Si
dans le silence de la loi le juge doit créer le droit, il lui est interdit de substituer
sa volonté à celle du législateur lorsque celle-ci ne souffre d'aucune équivoque.
Les arrêts d'équité qui ont caractérisé les parlements \\~ous l'Ancien Régime
relèvent d'une période à jamais révolue. «L'exercice de la dialectique
juridique toujours légitime quand elle est mspirée uniquement par la bonne
foi, doit céder selon nous, lorsque la preuve estfaile que la solution envisagée
esl
exclue
par
l'expresse
volonté
du
législateur»
écrivait
R.
LATOURNERlE3 . C'est pourquoi tout en regrellant sa jurisprudence, la Haute
1
Civ. 2éme, 5 Juin 1957, D. 1957, p. 577; Soc. 31 Mars 1952, BulL III. nO 299.
2
Dans le rapport de la Cour de cassation (année judiciaire 1968-1969), l'affaire Gendre susmentionnec a éte
intitulée « un cas douloureux », ce qui traduit le sentiment des Hauts magistrats.
'. R. LATüURNERIE, « L'interprétation des textes assurant la protection des représentants du personnel
dans les entreprises », Dr. soc. 1975, Chr. p. 103

46
juridiction ne pouvait qu'interpeller les pouvoirs publics. En cela aussi, le juge
peut être perçu comme un promoteur de la loi. Le recours aux articles 1383 el
1384 C. civ. plutôt qu'une redéfinition de la notion d'accident apparaît donc à
notre avis comme un aveu d'incompétence. Il n'appartient pas au juge de
défaire ce que le législateur a fait. Mettre en évidence les insuffisances de la
loi constitue déjà un pas dans le progrès juridique. Il revenait donc au pouvoir
législatif d'intervenir. Il a fallu attendre le 27 Janvier 1993 pour qu'une loi soit
votée. Cette loi malheureusement n'a pas voulu ou n'a pas su anéantir
totalement « l'angle mort ».
\\
BI LA LOI DU 27 JANVlER 1993 ET LA SURVIE DE « L'ANGLE
MORT»
Le silence pendant longtemps observé par le législateur sur le
douloureux problème de « l'angle mort» est assez surprenant. On ne saurait
dire qu'il n'a pas été interpellé sur le sujet. Les recommandations de la C.E.E.
des 23 Juillet 1962 et 20 Juillet 1966 1 préconisant une formule mixte qui
consistait à autoriser la victime à établir la preuve du caractère professionnel
de toute maladie professionnelle non inscrite sur la liste officielle en est une
preuve. Mais le législateur a préféré évolué au coup par coup, par une
inscription progressive des maladies sur la liste officielle. Comme l'écrivait le
Professeur
Y.
SAINT-JOURS,
« Dans
bien
de
cas,
des
maladies
professionnelles ne sont officiellement reconnues qu'après une campagne
d'opinion publique ou spécialisée: la poliomyélite apr~s l'affaire Gendre, les
affections provoquées par les poussières d'amiante '(}près l'affaire Amisol
etc. »2. C'est ce système mixte pendant longtemps souhaité, qui sera enfin
institué par le législateur en 1993. Mais il l'assortira de nombreuses conditions
au point de vider la loi de sa substance.
'. Voir la C.E. du 31 Août 1962, p. 2188 et du 15 Novembre 1966, p 3572.
2 . Y SAlNT -JOURS, ouve. Prée. p
13 1.
,
\\

47
II LES DISPOSITIONS DE LJ\\ LOI DU 27 J~NVIER 1993
Cette loi relative à la reconnaissance des maladies professionnelles
complète l'article L. 461-1 C.s.S. par quatre alinéas. Le troisième est ainsi
libellé:
« Peut être également reconnue d'origine professionnelle, une maladie
caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles
lorsqu'il est étahli qu'elle est essentiellement et directement causée par le
travail habituel de la victime et qu'elle entraÎne le décès de celle-ci ou une
incapacité permanente d'un tau.x évalué dans les conditions mentionnées cl
l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé ».
Ce texte suscite une série d'interrogations. D'abord, que faut-il entendre
par maladie caractérisée? Doit-on estimer que tout ce 9ui n'est pas accident au
sens juridique constitue une maladie caractérisée ou ~dut-il encore définir la
notion de maladie caractérisée? Ce texte donnera certainement lieu d'autres
contentieux et il appartiendra au juge de préciser son contenu. On assistera
sans doute à un rôle accru du juge dans la détermination du préjudice
professionnel. Indépendamment des questions d'ordre probatoire, le contenu de
la notion de maladie caractérisée déterminera en partie l'étendue de « l'angle
mort ». L'étendue de « l'angle mort» sera d'autant plus réduite que la notion
de maladie caractérisée fera J'objet d'une interprétation extensive.
On relèvera aussi que seules les maladies caractérisées ayant entraîné It:
décès ou une incapacité permanente supérieure à un taux pourront être
reconnues d'origine professionnelle.
Pourtant de nombreux préjudices à
caractère professionnel, malgré leur importance, n'entraînent pas toujours une
incapacité permanente. Et il est permis de douter de la volonté du législateur
.,
dc couvrir tous les préjudiccs d'originc pmlèssionnctlc. Lcs accidcnts du
travail n'entraînant pas une incapacité permanente sont réparés au titre de la
législation sur les risques professionnels. Rien ne justifie qu'on puisse exclure
les maladies professionnelles dûment caractérisées lorsqu'elles n'entraînent pas
une incapacité supérieure à un taux déterminé. En fait, une partie seulement
des préjudices compris dans l'angle mort sera réparée. Il s'agira sans doute des
préjudices les plus importants par leur ampleur ct probablement les moins

48
'\\,
nombreux 1 • « L'angle mort}) a survécu à (.;Ctte législation. On pourrait même
parler de sa légalisation. On relève ainsi chez le législateur français un
syndrome consistant à laisser à la charge des salariés une catégorie de
préjudices professionnels. 11 en était déjà ainsi en 1898. 11 en est de même
aujourd'hui. A peine cette loi est votée qu'elle se trouve déjà dépassée puisque
certains préjudices notamment ceux qui n'occa'>ionnent pas une incapacité
permanente, ne seront pas réparés. Or, comme le fait remarquer J-M.
BETEMPS, « le besoin de sécurité de nos sociétés est tel que désormais tout
fait dommageable exige une réparation »2.
A cette lacune, il convient d' qjouter d'autres anomalies d'ordre
procéduraL En effet, le dossier en vue de la reconnaissance de la maladie
professionnelle doit comprendre aux termes de l'article\\P. 461-28 C.s.S., une
demande de reconnaissance signée par la victime, un avis motivé du médecin
du travail, un rapport circonstancié de l'employeur, le cas échéant les
conclusions des enquêtes conduites par les caisses compétentes, le rapport
établi par les services du contrôle médical de la caisse primaire d'assurance
maladie. Le Professeur Y. SAINT-JOURS fait remarquer à juste titre que
« dans cette avalanche de documents supet:fetatoires, il manque toutefois le
rapport du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, lequel
aurail, en l'occurrence,
le mérite d'étahlir l'équilibre avec celui de
l'employeur})3 . Cette situation est d'autant plus regrettable que la mission des
comités régionaux à l'avis desquels est subordonnée la reconnaissance de
l'origine professionnelle de la maladie « ne consistera pas tant à identifier une
pathologie en tant que telle qu'à la mettre en relation avec un risque
professionnel: travail de « détective» autant que de i::/inicien. (..) c'est la
connaissance précise à chaque poste de travail déterminé, du niveau de
l'intensité de / 'exposition à des risques physiques, chimiques ou biologiques
1.
Il est difficile de dire quel pourcentage des préjudices compris dans « l'angle mort» sera réparé en
application de celte loi. Néanmoins on remarquera que moins de 50 % des maladies professionnelles
reconnues entrainent une incapacité permanente.(En 1992, sur 6533 maladies professionnelles qui ont donné
lieu pour la premiére lois à un versement d'indemnités, 3170 ont entraîné des incapacités permanentes. Cf.
Bilans et Rapports, conditions de travail 1994, La documentation française, Déc
1994. p. 25). Si ce
pourcentage se véritle au niveau des préjudices comlJris dans l'angle mort, moins de la moitié de ces préjudices
seront réparés
2
J-M
BETEMPS,
« L'amélioration
de
la
relJaration
des accidents du
travail
ct
des
maladies
professionnelles », Dr. soc. 1993, p. 133
. Y. SAINT-JOURS, « La reconnaissance des maladies professionnelles depuis la loi nO 93-121 du 27 janvier
1993 (une réforme en trompe-I' oeil) », D. 1994, ChI'. IJ 59.

49
qui seule permettra à ces comités de motiver leur avis» 1 . Cette observation
nous conduit également à évoquer la composition de ce comité. 11 comprend,
aux tennes de l'article D. 461-27 C.S.S., le médecin-conseil régional, le
,.
médecin inspecteur du travail et un praticien hospitalier. On remarquera que ce
comité est exclusivement composé de médecins « tout comme si les maladies
professionnelles se limitaient à leur aspect purement médical, sans aucune
corrélation avec l'exercice d'une activité professionnelle et les conditions
spécifiques de travail »2 .
Il ressort de tout ce qui précède que la volonté du législateur de laisser
certains préjudices à la charge de la victime est manifeste. Dès lors, les
tentatives jurisprudentielles même les plus audacieuses, ne pourront nullement
mettre fin à cette injustice sur laquelle on insistera plus. Aussi convient-il de
penser à une réelle réfonne qui, sans faire de la législation des accidents du
travail une charité, aura le mérite d'indemniser le salarié pour les préjudices
directement liés à sa profession.
21 LA NECESSITE D'UNE REFORME SUBSTANTIELLE
Rien ne justifie aujourd'hui qu'une catégorie de préjudices d'origine
professionnelle, ne soit pas réparée au titre de la législation sur les risques
professionnels. Si certains sont tentés d'y voir une contrepartie de la réparation
certaine des autres préj udices, ce serait ignorer que ces réparations elles-
mêmes sont forfaitaires. On ne pourra pas non plus raisonnablement craindre
une reconnaissance abusive du caractère professionnel des préjudices.
D'abord, depuis la situation de 1898, les connaissances médicales ont
enregistré de grands progrès. Ensuite la loi du 27 Janvier 1993 a déjà
subordonné la reconnaissance de ces maladies à l'avis d'un comité régional.
Enfin et tout compte fait, la preuve du caractère professionnel du préjudice
incombera à la victime. Comme il a été déjà signalé, on ne pourra espérer une
quelconque révolution jurisprudentielle pennettant de cQuvrir « l'angle mort ».
\\
Une telle initiative, louable sur le plan humanitaire, serait juridiquement
contestable eu égard à la volonté expresse du législateur de distinguer
J-M. BETEMPS, Art. prée. p. 13 L
Y SAINT-JOURS, art. prée p. 59.

50
l
l'accident de la maladie . La nécessite d'une réfonne législative est alors
manifeste. Elle devrait viser la couverture de tous les risques professionnels et
pourrait s'opérer de deux façons: la suppression des conditions requises par
l'article L. 461-1 C.S.S. ou la définition législative de la\\notion d'accident
al LA SUPPRESSION DES CONDITIONS REQUISES PAR L'AL. 3 DE
L'ART. L 461-1 C.S.S.
Il s'agit des conditions relatives à l'incapacité pennanente et au
pourcentage du taux d'incapacité. L'alinéa 3 se verrait amputer une partie et
pourrait ainsi
être
rédigé:
« Peut être
également reconnue
d'origine
professionnelle, une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de
maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et
directement causée par le travail de la victime ». Cette fonnule pem1ettrait
d'introduire simplement la fonnule mixte sans aucune restriction particulière.
La liste officielle des maladies professionnelles continuera d'exister. Tout
préjudice survenu au salarié et dont le caractère professionnel est établi serait
aussi réparé. La deuxième réforme possible devrait se r'àpporter à la définition
législative de la notion d'accident.
bl LA DEFINITION LEGlSLATIVE DE LA NOTION D'ACCIDENT
Il est vrai que le législateur n'a pas défini la notion d'accident.
Cependant, la définition jurisprudentielle est fortement empreinte des travaux
préparatoires de la loi2 et résulte donc de la volonté législative. Ainsi la liberté
jurisprudentielle ou doctrinale a été moins étendue qu'on ne l'eût espéré. S'il
est légitime de craindre qu'une implication législative dans la définition des
concepts n'entraîne un immobilisme, ce risque se trouve considérablement
amoindri lorsqu'il s'agit d'une définition a posteriori. Les lacunes révélées par
la pratique séculaire des tribunaux suffisent à orienter le législateur. En tout
'\\
1. Voir p. 35, note 2.
2.
Bien que les parlementaires n'aient pas trouve «( .. ) nécessaire de définir par une énumération aussi
compléte le caractère de l'accident qui résulte de la détinition grammaticale du mot lui-même )l, on pourra lire
dans les travaux préparatoires de la loi du 9 Avril 1898 ce qui suit: « ( .. ) si, par le fait d'un toxique, un
véritable accident s'est produit, la loi s'appliquera. Si au contraire, il n'y a pas accident, c'est-à-dire événement
soudain et violent, la loi ne s'appliquera pas, parce qu'elle n'est pas faite en vue des maladies, mais en vue des
accidents ». Chambre des députés. séance du 28 Octobre 1897, Lois annotées 1899, p. 772.

5]
cas, il en est ainsi dans la matière qui nous concerne. Ainsi, pour pennettre
aux salariés de bénéficier de la réparation de tous les préjudices subis dans
l'exercice de leur profession, on peut définir l'accident conune suit: « Doit être
considéré comme un accident du travail quelle qu'en soit la cause, tout
préjudice subi par le salarié par le fait ou à l'occasion du travail».
L'accident c'est aussi selon le Littré, un événement mal~eureux. Qu'il s'agisse
d'une maladie ou d'un accident au sens jurisprudentiel, il y a bien un
événement malheureux.
Si cette définition venait à être adoptée par le législateur, elle ne devrait
pas s'accompagner de la suppression de la liste officielle des maladies
professionnelles. Ces tableaux de maladies professionnelles continueraient
d'exister afin de faciliter la preuve du caractère professionnelle de la maladie.
De ce qui précède, il résulte qu'on ne saura déduire de la persistance de
la définition jurisprudentielle de la notion d'accident une absence d'initiative de
la part du juge, contrairement à l'avis de certains auteurs. Cette initiative est du
ressort du législateur. Alors même qu'ailleurs comme nous le verrons 1, la
construction jurisprudentielle témoigne d'une volonté de protéger l'employeur,
ici, sa bienveillance à l'égard du salarié du moins dans l'interprétation des
éléments caractéristiques de l'accident, est manifeste. De plus, les lacunes
résultant de cette inaptitude du juge à modifier cette notion d'accident telle
qu'elie ressort de l'esprit de la loi, se trouvent en partie comblées par le régime
de la preuve élaboré par la jurisprudence. Pour nous en rendre compte, il
conviendra d'examiner le régime de la preuve du tàit accidentel tel qu'il résulte
de la jurisprudence.
SECTION Il: LA PREUVE DU FAIT ACCIDENTEL
La loi du 9 Avril 1898, bien que son objet soit de faciliter la réparation
du préjudice subi par le salarié, n'a pas remis en cause, en la matière, le régime
du droit commun de la preuve. Autrement dit, « Celui qui réclame l'exécution
d'une obligation doit la prouver »2. Certes, l'objet de 1:;1 preuve a radicalement
\\.
1
Voir Titre Il: Les limites judiciaires de la réparation (pp 123 ss)
l
Article 1315 Cciv.

52
changé. 11 ne s'agit plus pour le salarié, pour obtenir réparation de son
préjudice, de prouver la faute de l'employeur. Il lui sufth de démontrer que son
préjudice entre dans le domaine de la nouvelle législation sur les risques
professionnels. En d'autres termes, il doit démontrer qu'il s'agit d'un préjudice
professionnel d'origine accidentelle. En présence d'un préjudice, cette preuve
implique celle de la matérialité de l'accident, du lien de causalité entre cet
accident et le préjudice et enfin, son caractère professionnel. II n'est pas certain
qu'en présence d'un préjudice survenu pendant le travail, une telle preuve soit
facile à rapporter.
Or, c'est précisément la crise engendrée par les difficultés probatoires de
la victime qui a rendu nécessaire une législation propre à réparer les préjudices
professionnels. II est donc naturel de dire que l'application de ce régime de
droit commun de la preuve, aurait pu sérieusement entraver l'objet de la loi.
C'est sans doute ce qui a conduit la jurisprudence à instituer un système de
\\.
preuve par présomption qui permet, à partir d'un certain nombre d'éléments, de
déduire la réalité d'un fait. Et c'est la présomption de matérialité qui permet de
présumer la réalité du fait accidentel. Comment la jurisprudence a-t-elle
élaboré cette présomption (§ 1) et quelle est J'incidence de celle-ci sur le
contenu du concept d'accident? (§ Il)
§ 1: L'ELABORATION DE LA PRESOMPTION DE MATERIALITE
De toutes les preuves qui incombent à la victime, la matérialité de
l'accident revêt à notre avis une importance primordiale en raison de la place
qu'elle occupe dans la trilogie Accident-Préjudice-Travail. En effet, le
préjudice professionnel réparable suppose un double lien de causalité
impliquant forcément le fait accidentel; d'abord, la nécessité d'un lien entre le
préjudice et J'accident, ensuite cette même relation entrèJ'accident et le travail.
\\
L'accident est en fait l'élément de liaison qui permet de rattacher le préjudice
au travail. Aussi, établir la matérialité de l'accident apparaît-il comme une
étape indispensable pour le reste du processus probatoire. D'un autre point de
vue, cette preuve se caractérise par les difficultés qui lui sont inhérentes. En
effet, l'accident est,
contrairemenL à ses
conséquences éventuelles, un

53
phénomène ponctuel, très passager. Il pourrait de ce fait passer inaperçu. De
là, se dessine déjà l'importance d'une présomption de matérialité.
AI DU DROIT COMMUN DE LA PREUVE A LA RRESOMPTION DE
MATER1ALITE
Si la loi du 9 Avril 1898 dispense le salarié ou ses ayants droit de la
preuve de la faute de l'employeur, il reste tenu, comme demandeur, de prouver
('événement même de l'accident. Telle était naturellement la position de la
jurisprudence au lendemain de la loi 1 . Autrement dit, la victime doit prouver
que son préjudice résulte de ('action violente et soudaine d'une cause
extérieure. L'administration de cette preuve soulève des difficultés qui ne se
sont pas fait attendre.
1/ LES D1FFICULTES PROBATOIRES
Prouver l'événement même de l'accident revient à identifier et à
caractériser le phénomène indépendamment du pré;judice qui en est la
conséquence. Ce phénomène ainsi isolé devrait par ailleurs répondre aux
critères du fait accidentel tel que nous l'avons défini.
Lorsque le préjudice est la conséquence d'un « événement extérieur
dans toute sa réalité concrète », la preuve de sa matérialité ne semble pas
soulever des difficultés particulières. C'est l'exemple d'une explosion, d'une
chute etc. Par contre, lorsque le préjudice n'est pas consécutif à un tel
événement, la preuve de la matérialité de l'accident devient plus délicate. Le
législateur, en évoquant le tàit accidentel, l'avait sans doute envisagé sous
l'angle d'un fait matériel identifiable. C'est surtout l'hypothèse des blessures
dues aux machines. Or, il arrive qu'un événement extérieur moins violent et
imparfaitement caractérisé soit source du préjudice. C'est le cas par exemple
où un ouvrier, soulevant une charge, est victime d'une lésion interne. Ce
préjudice peut être révélateur d'une malfonnation naturè!Je. Mais il ne demeure
pas moins vrai que c'est le travail qui a concouru à sa manifestation. L'accident
en tant qu'événement extérieur est sans doute moins caractérisé ici.
1. Trib. de Paix de Paris, 21 Mars 1900, D P. \\901,2,91, Paris, 12 Mai 1900, D.P. 1901,2,91

54
Il Ya aussi une autre hypothèse où la preuve du f~tit accidentel se révèle
quasi impossible. C'est le cas où l'ouvrier est trouvé mort au lieu et au temps
de son travail en l'absence de tout témoin. Cette mort peut être le résultat d'un
événement extérieur susceptible d'être caractérisé. Mais à défaut de témoin, la
preuve d'un tel événement peut se révéler impossible. Ces hypothèses montrent
J'aléa auquel pourrait conduire le régime du droit commun de la preuve. Doit-
on considérer le fait de soulever une charge comme un phénomène accidentel?
Ce fait en soi constitue-t-il un événement extérieur ayant un caractère soudain
et violent? A cette question la jurisprudence donnait une réponse nuancée en
fonction des circonstances. Selon que l'effort fourni fût ou non important, la
jurisprudence admettait ou rejetait le caractère accidentel du fait. Ainsi,
lorsqu'au cours de son travail, un ouvrier se baisse pour retenir un contrepoids
d'ailleurs peu pesant, s'il n'est pas possible de voir là un effort assez violent
pour causer une lésion interne, il n'y a pas accident h, Lorsque le salarié a
prolongé son travail après avoir ressenti la douleur révélatrice de son infirmité,
la jurisprudence conclut que ce fait établit à la fois l'extrême modération de
l'effort nécessaire à l'exécution du travail et l'insuffisance de cet effort pour
déterminer une hernie. Ainsi, cette hernie bien que s'étant révélée pendant le
travail, ne peut avoir qu'une cause étrangère2 . La poursuite du travail malgré la
lésion, qui aurait pu être considérée comme un acte de courage, traduit selon
ces décisions, l'absence du fait accidentel.
Cependant la jurisprudence a parfois recours à des critères plus concrets
pour l'appréciation de l'effort fourni. C'est le cas par exemple lorsqu'elle fait
référence au poids de l'objet3 . Elle a ainsi jugé qu'un ouvrier doit être censé
mort des
suites d'un
accident du
travail
dès lors
qu'il est constaté
souverainement par les juges du fait que, aussitôt ~près avoir coopéré au
déplacement d'un poitrail en fer du poids de 400 Kgs, i\\ s'est plaint d'une vive
douleur au côté. La réfërence à la notion d'effort pour établir la matérialité de
J'accident traduit d'ailleurs l'embarras de la jurisprudence face aux dirticultés
que présente une telle preuve. Or, tout comme la violence, l'effort est une
notion relative. Certes, elle est laissée à l'appréciation souveraine des juges du
1
Douai, 12 Août 1901 et Reg. 29 Février 1904, D. P 190(), 1. 101
'. Reg. 8 Juillet 1902,0. P. 1903, 1, 252.
Bordeaux, 19 Mars 1901, OP 1902,2,415; Rouen 30 Novcmbre 1901, O. P 1902,2,435

55
fait. Cependant, s'il est nom1al que soit jugé non établie la matérialité de
J'accident sur le fondement du défaut de violence, son, insuffisance ne saurait
raisonnablement justifier une telle décision. La notio~\\ d'accident ne requiert
pas un certain degré de violence mais simplement une action soudaine et
violente. Comment la victime pourra-t-elle prouver que la violence a atteint un
degré suffisamment élevé pour causer le préjudice qu'elle a subi? Ainsi, en
l'absence d'un fait accidentel très caractérisé, il s'avère difficile d'établir la
matérialité de l'accident. Aussi, la jurisprudence a-t-elle très tôt, allégé la
charge de la preuve. Elle va décider que la preuve de la matérialité peut
résulter de simples présomptions graves, précises et concordantes. Un arrêt
constate suffisamment qu'un ouvrier a péri par le fait de son travail alors qu'il
relève que l'ouvrier était arrivé sur le chantier à l'heure réglementaire, qu'après
avoir remplacé ses effets par des vêtements de travail et pris sa lampe, il était
descendu dans l'égout et n'avait plus reparu 1 . On remarquera dans cette espèce
que la jurisprudence a établi une véritable dispense de preuve de la matérialité
de l'accident. Cette preuve était d'ailleurs impossible, n~~1 ne pouvant dire si la
disparition de l'ouvrier dans l'égout était due à un véritable accident ou à une
évolution subite et naturelle d.unemal1()[Jllation.Au-delà de cette dispense de
la preuve de la matérialité de l'accident, celle du lien entre le préjudice et le
travail a été aussi admise. Les circonstances du décès conduisent cependant à
relativiser la portée de la décision. Mais les initiatives jurisprudentielles en
faveur de la victime se multiplieront.
2f LA JURISPRUDENCE AU SECOURS DE LA VICTIME:
L'ELABORATION DE LA PRESOMPTION DE MATERIALITE.
La réparation d'un préjudice au titre de la législation sur les risques
professionnels implique avions-nous dit, que soit établie la preuve de trois
éléments: la matérialité de l'accident, le lien entre cet accident et le préjudice,
enfin la relation entre l'accident et le travail. Aujourd'hui, le mécanisme de la
,
preuve en matière d'accident du travail repose sur trois présomptions que sont
la présomption d'imputabilité, la présomption de causalité et la présomption de
matérialité.
Ces
trois
présomptions
sont
souvent
regroupées
par
la
jurisprudence dans une formule concise: « Toute lésion survenue au temps et
1
Rel]. 6 Juillet 1903. D. P 1903. 1.533

56
au lieu du travail doit être considérée comme un accident présumé imputable
au travail ( ..) »1 • Pourtant, clics ont fait j'objet d'une élaboration successive.
En effet, comme l'écrivait O. GODARD, « ( ..) en termes de chronologie, la
mise au point du mécanisme de la présomption d'imputabilité est caractérisée
par l'adoption, au départ, d'une simple présomption de causalité, élargie
ensuite aux dimensions d'une véritable présomption d'imputabilité, pour être
peu à peu assortie d'une présomption de matérialité »2. Aussi, J'élaboration de
la présomption
de matérialité
apparaît-ellc
comme
l'achèvement d'un
processus. Il conviendra de le retracer en examinant les préludes à
l'élaboration de la présomption de matérialité avant de nous intéresser à la
présomption proprement dite.
al LES PRELUDES A L'ELABORATION DE LA PRESOMPTION DE
MATERIALITE
La matérialité de J'accident constitue en quelque sorte le trait d'union
entre les différents éléments de la preuve du préjudice professionnel. Par
ailleurs, le législateur n'ayant voulu réparer que le préjudice d'origine
accidentelle, il était naturel, au lendemain de la loi, que l'exigence de la
jurisprudence sur la matérialité de J'accident soit sans faille. C'est donc une
fois cet élément établi que la jurisprudence manifestera sa sollicitude à
l'endroit de la victime. JI s'agira de faciliter la preuve du lien de causalité entre
l'accident et le travail d'une part, puis le préjudice et l'accident d'autre part. Et
selon les juges du fond, il ressort de l'esprit de la loi du 9 Avril 1898 que
l'accident doit être toujours présumé survenu par le fait du travail ou à
l'occasion du travail; par suite, aucune preuve n'incomberait à la victime, et ce
serait au patron de démontrer que la cause de l'accident\\~st étrangère au travail
pour lequel il rémunérait son ouvrier3 .
\\
On dénote là une continuité dans la démarche jurisprudentielle avant et
après la loi de 1898 relativement à la charge de la preuve qu'elle tend à
1. soc 3 Octobre 1984, Bull
V, n° 351, Soc lu Avril 1')86, Bull. V, n° 142; Riom, 6 Février 1995, Dr. ouvr
1995,p.261
2. 0
GODARD, Thèse prèc. p. 28
.1
Trib. civ. Lyon, 22 Février 1900, DP 1901. 2, 131

57
1
renverser • Et cette démarche concourt pleinement à la réalisation de l'objet de
la loi, car, dans ce contexte industriel en plcin essor et de pJus en plus
complexe, l'ouvrier est sans doute mal placé pour démêler les différents
;
éléments impliqués dans le système de production. Et. la Cour de cassation
admettait déjà en J902 que tout accident causé par l'outiJJage, doit être
considéré comme accident du travail. «A ttendu que l'on doit considérer
comme survenu par lefait du travail tout accident causé par l'outillage ou par
les forces qui l'actionnent et arrivé dans les lieu"< et pendant le temps où
l'ouvrier était soumis à la direction du chef d'entreprise »2 . Il n'est donc pas
nécessaire que J'ouvrier rapporte Ja preuve que l'accident est survenu alors
même qu'il était occupé à effectuer le travail même auquel il était affecté.
Autrement dit, le risque professionnel est inhérent non seulement au travail
assigné à chaque ouvrier mais encore à l'ensemble des moyens mis en oeuvre
dans l'entreprise pour atteindre une production déterminée. C'est encore l'idée
de ('incrimination de l'ensemble du système de production déjà mentionnée
avant l'intervention du législateur en 1898.
On relèvera certainement ici encore une bienveillance du juge vis-à-vis
du salarié. Mais mieux encore, on pourra affirmer que c'est le juge qui donne à
cette loi à travers le régime de la preuve, toute sa portée; car, toute difficulté
probatoire serait de nature à paralyser le système législatif institué. L'accident
survenu au temps et au lieu du travail est donc présumé imputable au travail.
« Une chute est par elle-même un accident et, si elle se produit à l'heure el au
lieu du travail, elle est un accident du travail. S'il appartient au juge du fond
d'en apprécier les suites, il ne peUl pas en subordonner le caractère à la
détermination de la cause qui l'aurait occasionné et mettre à la charge de la
victime l'obligation de prouver que cette cause elle-même se rattachait au
'1 3
traval » .
Une fois présumé le lien entre J'accident et le travail, il restait à rattacher
le préjudice à l'accident pour que soit établi le Jien ~ntre le préjudice et le
travail. Ce lien entre le préjudice et l'accident la jurisprodence le déduira de la
1. Nous avions vu (Cf Introduction p. 13) que la demarche de la jurisprudence consistait à partir de 1888 à
renverser ou à faciliter la charge de la preuve qui pesait sur l'ouvrier accidenté.
2. Civ
17 Février 1902, D. P 1902, 2, 273
J
Civ. 8 Février 1911, D.P. 1911, 5,61; Civ. 10 Décembre 1913, S 1922, J, 81.

58
simultanéité de la lésion et l'accident. I( Toute lésion qui se produit dans un
accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail doit être considérée
sauf preuve contraire comme résu!tant de cet accident»l. La coïncidence
dans le temps de ces deux événements suffit à établir la réalité sinon une très
forte probabilité de l'imputation du préjudice à l'accident.
11 ressort de cette jurisprudence que c'est la preuve de la matérialité de
l'accident qui demeure entière à la charge de la victime. Une fois établie, eHe
permet de présumer, en raison des circonstances dans lesqueHes est survenu
l'accident, le double lien de causalité entre le travail et l'accident d'une part
l'accident et le préjudice d'autre part. ;\\ cc stade déjà, les différents éléments
de preuve qu'implique la réparation des accidents du travail se trouvent
largement facilités par le juge. On pourrait même parler d'une dispense de
preuve au protit du salarié pour les préjudices impliquant un accident entendu
comme un événement extérieur manifeste dans sa réalité concrète. Cependant,
il arrive malgré cette jurisprudence, que soit exigée la preuve de la relation de
cause à effet entre l'accident et le travail. Mais à y voir de près, cette preuve
n'est exigée que lorsque la matérialité de l'accident rt'est pas suffisamment
établie. 11 en est souvent ainsi des préjudices impliquant une prédisposition
morbide du salarié. C'est le cas des hemies. Il est probable que le législateur en
votant cette loi n'ait pas pensé à cette catégorie de préjudices où le phénomène
accidentel
distinctement
caractérisé
est
mOllls
évident.
Mais
le
perfectionnement de l'oeuvre jurisprudentielle qui passera par l'élaboration
d'une véritable présomption de matérialité permettra à terme de couvrir ces
préjudices.
bl LA PRESOMPTION DE MATERIALITE PROPREMENT DITE
Bien que la Cour ait facilité la preuve relativement au lien de causalité,
des difficultés subsistaient toujours puisque la présomption ne pouvait jouer
que lorsque la matérialité de l'accident est certaine. Mais ces difficultés ne
concernent qu'une catégorie de préjudices. Ainsi, dès 1930 la Cour va
considérer que la preuve de l'accident est établie dès lors que les circonstances
1. Ch. Réunies, 9 Avril 1921, S
J922, J, 81.

59
le rendaient vraisemblables 1. En 1951, un principe g6fléral sera posé par la
Cour de cassation: « Attendu, que après comme avant la loi du 30 octobre
1946. toute lésion dont le travail même normal a été la cause ou l'occasion
doit être considérée saufpreuve contraire comme résultant d'un accident du
travail»2. La jurisprudence faisait tomber ainsi le dernier élément encore à la
charge de la victime et à partir duquel étaient présumés les autres éléments de
preuve. Dorénavant, le système de preuve en matière d'accidents du travail
reposera sur des présomptiolls. Cerendant, la mise en oeuvre de ces
présomptions requiert que soient réunies un certain nombre de conditions.
Comme nous le verrons plus loin, ces présomptions peuvent avoir des
incidences sur le fond du droit. A travers ce régime probatoiœ, le juge n'aurait-
il pas élaboré sa propre conception du préjudice professionnel?
BI LA M1SE EN OEUVRE DE LA PRESOMPTIONPE MATERIALITE
Le Code civil définit les présomptions comme étant « des conséquences
que la loi ou le magistrat tire d'unfait connu à unfait inconnu »3 .
« Les présomptions qui ne sont point établies par la loi sont
abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre
que des présomptions graves précises et concordantes (..) »4.
Il ressort de ces dispositions que toute présomption légale ou judiciaire
suppose établie la réalité d'un fait ou un ensemble de faits desquels on déduit
la réalité d'un autre fait. Ainsi, qu'il s'agisse d'une présomption légale ou
judiciaire, le bénéfïciaire de la présomption a toujours la charge de la preuve
des conditions desquelles se déduit la présomption. La présomption n'a pas
pour objet de dispenser totalement le demandeur de la preuve contrairement à
ce que peut laisser croire la formulation de l'article 1352 C. civ5. Si infimes
que soient ces éléments, ils demeurent à la charge du demandeur. Ce sont les
conditions de la mise en oeuvre de la présomption. En matière d'accidents du
1 . Civ. 29 Octobre 1930, D H
1930
2. Civ. 20 Avril 1951.lCP
1951.11,6343 note GAUGUIER
:1 • Article 1349 Cciv.
, . Anicle 1353 C. civ.
5. L'al 1 de ce texte dispose ne ellet que « La présomption légale dispense de toute preuve celui au Jrofit
duquel il existe. »

60
travail, la victime ne bénéficie de la présomption de matérialité que lorsqu'elle
établit que son préjudice est apparu au temps et au lieu du travail. En effet,
selon la jurisprudence, « la brusque apparition au temps et au lieu du travail
d'une lésion révélée par une douleur soudaine cons,titue en elle-même un
accident du travail à défaut de preuve (. ..) qu'il est ùnputable à une cause
entièrement étrangère au travail» 1 • Cette fonnule jurisprudentielle indique
non seulement les éléments pennettant de présumer la matérialité de J'accident
mais aussi les moyens de combattre cette présomption. En d'autres tennes, il
s'agit de la preuve à la charge de la victime, puis de celle par laquelle
l'employeur peut la détruire.
li LES ELEMENTS DE PREUVE A LA CHARGE DE LA VICTIME
La victime doit d'abord établir que son préjudice est apparu, au temps et
au lieu du travail.
al LA BRUSQUE APPARITION DE LA LESION
\\
Relativement à ce critère, la jurisprudence utilise \\iifférentes expressions
pour faire jouer la présomption. Outre celle de la « brusque apparition », on
retrouve dans la jurisprudence de la Cour de cassation les [onnulations
suivantes:
« Toute lésion survenue au temps et au lieu du travail doit être
considérée comme résultant d'un accident du travail (..) » ou encore « Toute
lésion apparue au temps et au lieu du travail constitue en elle-même un
accident imputable au travail »2.
Ces ditférentes [onnulations sont-elles synonymes ou chacune d'elles
suffit-elle à faire jouer la présomption? Autrement dit, la simple apparition
suffit-clic ou au contraire est-ce la survenance du préjudice au temps et au lieu
du travail qui fait présumer là matérialité de l'accident? On notera qu'une
'. soc. 5 Mars 1970, Dr. soc. 1970, p. 471, note JAMBU-MERLIN. Soc. 12 Octobre 1995, R.JS. 1995, P
744 1\\ appartient à l'employeur « de détruire la présomption d'imputabilité qui s'attache à toute lésion, quelle
qu'elle soit, survenue brusquement au temps et au lieu du travail, en apportant la preuve que cette lésion a une
cause totalement étrangère au travail ».
2. Soc 2 Février 1983, Bull. V, nO 71; Versailles, 8 Février 1994, RlS. 1994, p. 31J.

61
simple apparition tout autant que la survenance du pr~judice au temps et au
\\
lieu du travail suffit à établir la présomption de matérialité. Mais en définitive,
seule la réalisation du préjudice au temps et au lieu du travail pemlet de retenir
la qualification d'accident du travail. Autrement dit, l'apparition du préjudice
au lieu du travail fait présumer sa réalisation concomitante. Ce qui explique
que la jurisprudence utilise indifféremment ces expressions. Le mérite de celle
jurisprudence est de renverser, tout compte fait, la charge de la preuve.
Cette multitude de formules visant une même fin est très caractéristique
de la jurisprudence en matière des accidents du travail. C'est ce que nous
évoquions déjà en parlant de la gestion ad hoc de la notion de soudaineté. On
le retrouvera également s'agissant de la notion de subordination. Elle traduit
très souvent la nécessité de !irer une même conséquence juridique d'une
diversité de situations telle que la pratique les révèle. Dans les faits, Je domaine
de la présomption de matérialité se limite aux préJ\\~dices impliquant une
prédisposition morbide de la victime ou du moins les préjudices qui de par leur
nature, n'exigent pas l'intervention d'un événement extérieur caractérisé et
distinct des conditions normales du travail. C'est justement pour ces préj udices
que, du seul fait de leur apparition au lieu et au temps du travail, on peut
présumer leur réalisation dans les mêmes conditions. Leur brusque apparition
au temps et au lieu du travail constitue une condition suffisante mais
indispensable pour emporter présomption de matérialité.
Cependant, la brusque apparition du préjudice n'est pas une condition
nécessaire pour caractériser le phénomène accidentel dans toute sa réalité.
L'exemple nous est fourni par les préjudices d'origine chimique. 1\\ convient
cependant d'ajouter que toute. douleur révélée au cours du travail suffit à
caractériser la brusque apparition d'une lésion 1. De l,à apparaît la limite très
fragile entre le préjudice professionnel et le préjudicè de droit commun. En
effet, un simple silence de l'ouvrier qui se serait tu alors qu'il aurait ressenti
une douleur au cours de son travail suffit à le priver du bénéfice de la loi.
Inversement, un ouvrier qui à son domicile aurait ressenti une vive douleur
qu'il passe sous silence, pourra bénéficier de la loi si au moment de l'exécution
de son travail, il se plaint de cette douleur. Alors qu'un acte de bravoure pourra
1 . Riom, 6 Fevrier 1995 pree.

62
pénaliser la victime, une simple malice peut permettre la couverture de son
préjudice; d'où la nécessité que le salarié soit informé. On ne saurait pour
autant remettre en cause cette 'construction jurisprudentielle qui, de loin, est
favorable à la victime à charge pour ellc, dans certaines conditions, de faire
preuve de diligence.
Pour que la présomption de matérialité joue, il est nécessaire que le
préjudice apparaisse au temps et au lieu du travail.
bl L'APPARITION DU PREJUDICE AU TEMPS ET AU LIEU DU
TRAVAIL
L'apparition du préjudice dans un temps et en un lieu voisins du travail
permet-elle de faire jouer la présomption') Il nous semble que contrairement à
\\a présomption d'imputabilité, l'apparition du préjudice dans un temps et en un
lieu voisins du travail ne suffit pas à mettre en oeuvre la présomption de
matérialité. Celle-ci exige que le préjudice soit apparu au temps et au lieu
effectifs du travail.
\\
'\\
On signalera cependant que le temps et le parcours normal du trajet sont
strictement assimilés au temps et au lieu du travail 1 • Le malaise brutalement
survenu au temps et sur le trajet normal est présumé accident de trajet et
dispense le salarié ou ses ayants droit de la preuve de la matérialité de
l'accident. Ainsi la Cour de cassation a cassé un arrêt qui, pour rejeter la
qualification d'accident de trajet suite à un malaise survenu dans ces
conditions, estime qu'il n'était ni établi ni allégué qu'un événement extérieur et
violent fut intervenu pour provoquer le malaise de la victime2 .
Néanmoins, un autre arrêt semble suggérer de faire jouer la présomption
alors même que le préjudice serait apparu dans un temps voisin du travail. 11
s'agit d'un salarié victime d'une chute au temps et au lieu du travail. Il est
transporté à l'hôpital où il décède d'un infarctus du myocarde. L'expertise
indique clairement que l'infarctus n'a aucune relation a~ec la chute. Autrement
dit, l'infarctus est apparu indépendamment de la chute et en dehors du temps et
'. L'accident du trajet sera étudié plus loin. lei, nous faisons référence à cette notion pour préciser seulement
ce qu'il convient d'entendre par temps et lieu du travail.
2. Soc. 22 Mars 1978, Bull. V, n° 274.

63
du lieu du travail. La cour d'appel déduit de ces conditions que la présomption
,
d'imputabilité est détruite. En effèt, il n'y a aucun fait matériel qui se serait
produit au temps et au lieu du travail et auquel l'on peut rattacher cet infarctus.
L'arrêt de la cour d'appel a été pourtant cassé et on pourrait donc penser que,
même dans ces conditions, la matérialité de l'accident est présumée. Mais en
réalité il n'en est rien. En effet, la Cour de cassation reproche à la cour d'appel
de n'avoir pas recherché l'influence possible des conditions de travail dont le
caractère pénible était invoqué par la veuve, sur l'apparition de l'infarctus. Il
s'agit de rechercher s'il n'y a pas un point d'ancrage dans le travail auquel on
peut rattacher le préjudice apparu en dehors du temps du travail. On voit bien
que même dans ce cas, la matérialité de l'accident n'est pas présumée même si
elle se résout aux conditions pénibles du travail' .
Ainsi la mise en oeuvre >de la présomption de matérialité exige que le
préjudice apparaisse au temps et au lieu même du travail ou à défaut, au temps
et sur le trajet nonnal.
\\
S'il est vrai que la preuve par présomption repose sur des indices, elle se
justifie par la forte probabilité de ces indices à pouvoir induire ces faits. La
protection des droits de l'employeur de même que la crédibilité du système
judiciaire en dépendent. Le juge ne peut donc se satisfaire de n'importe quel
indice. On comprend dès lors l'exigence de la jurisprudence sur la nécessité
d'une apparition du préjudice au temps et au lieu même du travail. Lorsque ces
conditions sont réunies, quel est le mécanisme de preuve contraire offert à
['employeur?
21 LA DESTRUCTION DE LA PRESOMPTION DE MATERIALITE
Selon la jurisprudence, toute lésion survenue au temps et au lieu du
\\
travail doit être considérée comme un accident présum~ imputable au travail
sauf s'il est rapporté la preuve qu'elle a une origine totalement étrangère à
celui-d. L'employeur n'est admis qu'à prouver que le préjudice est imputable
1
soc 15 Novembre '979, Bull. n° 863; Soc 8 Juin 1995 préc Il appanient à la caisse, pour faire lomber la
présomption d'imputabilité résultant de l'article L. 411 du Code de la sécurité sociale, d'établir que« le décès
du salarié survenu quelques jours après avoir ressenti une douleur pendant le travail> avait une cause étrangère
au travail ».
l
Soc 16 Avril 1986. Bull V, n° 142

64
à une cause étrangère au travail et ne peut s'exonérer en contestant la
matérialité de l'accident. La doctrine en a déduit que « l'accident reste défini
par la survenance ou l'apparition soudaine d'une lésion» 1 . Ainsi, la notion
d'accident serait réduite à une soudaine apparition d'une lésion alors
qu'initialement, cette condition' pem1ettait seulement de mettre en oeuvre la
présomption. On. pourrait donc en déduire que la pré~()mption de matérialité
est irréfragable,
l'employeur n'étant
admis
qu'à contester le caractère
professionnel de la lésion. « La notion classique d'accident événement
extérieur» aurait donc disparu. Si tel était le cas, nous pourrions affim1er que
la sollicitude du juge à l'égard du salarié s'est aussi faite dans la violation de
l'esprit de la loi, car, comme nous l'avions souligné, cette conception classique
de la notion d'accident, bien que résultant de la doctrine et de la jurisprudence,
est étroitement inspirée par l'esprit de la loi tel qu'il se dégage des travaux
préparatoires. Il nous semble que contrairement à cette opinion largement
admise, la présomption de matérialité n'a pas fondan1entalement altéré, du
point de vue conceptuel, la notion d'accident. Autrement dit, le phénomène
accidentel,
même lorsqu'il
est
présumé,
implique
toujours
une
cause
extérieure. Nous essayerons de le démontrer en examinant l'incidence de la
présomption de matérialité sur le contenu du concept aC,ddent.
§ Il: L'INCrDENCE DE LA PRESOMPTION DE MATERrALITE SUR LE
CONTENU DE LA NOTION D'ACCIDENT
La présomption, d'une tàçon générale, a pour but de faciliter la preuve
qui incombe au bénéficiaire d'un droit. Ce faisant, la présomption a une
incidence directe sur la solution juridique. C'est donc à juste titre que la
doctrine estime
que
certaines
présomptions
servent,
en
définitive,
à
l'élaboration d'une règle de droie .
La présomption de matérialité, quant à elle, exerce certainement une
influence considérable sur la solution retenue dans de nombreuses espèces. En
effet, il y a bien des situations dans lesquelles la législation sur les risques
professionnels serait écartée si cette présomption n' ayait pas été appliquée.
\\
. J-J. DUPEYROUX, ouvr. prée. p. 424, note 6.
R. DECOTTlGNIES, « Les présomptions en droit privé », LG.Dl. 1949, p. 187.

65
Cette extension évidente du domaine de la loi
traduit-elle
une réelle
modification du concept d'accident ou au contraire, n'affecte-t-elle que les
modalités de preuve? Dans le premier cas, l'altération. du concept d'accident
traduirait l'insuffisance des indices ou des conditions de mise en oeuvre de la
présomption;
autrement
dit,
les
conditions
desquelles
se
déduit
cette
présomption n'offrent pas de garanties suffisantes. Dans le second cas, la mise
en oeuvre de la présomption devrait pennettre du point de vue conceptuel, de
préserver la structure du concept d'accident. Le cas échéant, on pourrait
s'interroger sur la portée réelle de cette présomption.
AI LA POSSIBLE DENATURATION DU CONCEPT D'ACCIDENT
Il convient de rappeler d'abord qu'initialement l'accident, est défini
comme étant l'action soudaine et violente d'une cause extérieure entraînant une
lésion pour l'organisme. Mais aujourd'hui et selon la doctrine, « l'accident
reste défini par la survenance ou l'apparition d'une lésion» 1. Telle est la
conclusion de nombreux auteurs et le Professeur JAMBU-MERLIN s'en est
félicité car disait-il, « La condition d'extériorité ne figure pas dans l'article
415 C.s.S. »2 . En d'autres tennes, le critère d'extériorité a disparu. Il en est de
même de la "violence".
Dire que le critère d'extériorité a disparu des caractéristiques de
l'accident, c'est affirmer que le concept d'accident tel que conçu dès le départ,
a été altéré. Le Professeur O. GODARD l'affirme également: « (. ..) au plan
conceptuel, la mise en oeuvre de la présomption de matérialité est de nature à
atteindre très profondément la notion même d'accident du travail »3 . A lire les
décisions de la Cour suprême, on est forcément tenté de souscrire à cette
conclusion. La Cour ne cesse en eftèt d'affirmer que « Toute léSIOn apparue
au temps et au lieu du travail constitue en elle-même un accident imputable
au travail ». L'apparition de la lésion qui initialement, est une condition de
,
mise en oeuvre de la présomption, suffit à elle sl:ule à caractériser le
phénomène accidentel. L'accident se définit non plus par rapport à un fait
extérieur mais par ses conséquences c'est-à-dire la lésion. On pourrait
1 • J-J. DUPEYROUX, ouvr. prée
pp. 415, 424
1. JAMBU-MERLlN, Note sous Soc. 5 Mars 1970, Dr. soc
1970, p. 471.
1
0 GODARD, Thése prée. p. 61.

66
rapprocher cette situation de la conœption objective de Ja faute au XIX" siècle
où l'existence du dommage suffit à caractériser la faute. Mais n'y a-t-il pa'>
lieu, au-delà de cette fonnule de la Cour, de rechercher l'essence même de ses
décisions? N'y a-t-il pas une fonne d'ellipse dans l'expression jurisprudentielle?
Pour s'en convaincre, on examinera d'abord comment les différents éléments
de preuve sont imbriqués les uns aux autres.
1/ L'IMBRICATION DES ELEMENTS DE PREUVE 'DANS LE DOMAINE
DES ACCIDENTS DU TRAVAIL
En dehors des maladies professionnelles, pour qu'un préjudice soit
réparé au titre de la législation sur les risques professionnels, il est nécessaire
non seulement que soit présumée ou démontrée la matérialité de "accident
mais aussi l'imputation du préjudice au travail. C'est l'accident qui sert de
liaison à ce rattachement. En effet, la preuve de l'imputabilité du préjudice au
travail résulte de deux preuves différentes:
- La preuve que la lésion est causée par l'accident. Cette preuve résulte de la
concomitance de l'accident ct du préjudice: c'est la présomption de causalité.
- La preuve que l'accident est lui-même provoqué par le travail; cette preuve
résulte du fait que l'accident se soit produit au lieu du tr:;tvail.
,.
C'est parce que le préjudice est causé par l'accident et l'accident est
survenu par le fait ou à J'occasion du travail que le préjudice est censé résulter
du travail. L'accident est donc l'élément de liaison qui permet de remonter du
préjudice (conséquence finale) au travail (cause première). Autrement dit, la
présomption d'imputabilité procède de deux présomptions de causalité.
Cependant ces deux présomptions supposent que soit d'abord établie la
matérialité de l'accident. Si de plus, celte matérialité est présumée, alors on
aboutit à une cascade de présomptions. Du coup, la probabilité du fàit à
démontrer devient faible. Le fait accidentel qui sert de liaison entre le
préjudice ct le travail a apparemment disparu. Il nous semble que cet élément
de liaison doit forcément être remplacé par un autre critère. A défaut de cette
substitution, l'imputation du préjudice au travail serait artificielle et dénuée de
réelle valeur probatoire. O. GODARD exprimait ct(tte crainte lorsqu'elle

67
écrivait « L'abandon du critère d'extériorité même s'il est justifié sur le plan
conceptuel, devrait à terme plus ou moins long, compte tenu de la dynamique
propre au mécanisme de la preuve par présomption, porter alteinLe au
concept lui-même dès lors qu'Î/ n'était pas remplacé par un critère objectif
plus satisfaisant »1 •
Pour notre part, nous estimons que le critère d'extériorité n'a pas du tout
disparu de la construction jurisprudcntiel1e. Sil l'était, le concept d'accident
aurait certainement été dénaturé. Lorsque la matérialité de l'accident est
présumée, la présomption d'imputabilité repose sur la concomitance entre le
travail et le préjudice. C'est parce que le préjudice est apparu au temps et au
lieu du travail qu'il est censé résulter du travail. Ce qui rappelle la présomption
de causalité née de la concomitance de l'accident et du préjudice. La
présomption de causalité apparaît pourtant aux yeux de la doctrine comme
d'une logique évidente ou d'une très forte probabilité. La présomption
d'imputabilité née elle aussi de la concomitance du travail et de l'apparition du
préjudice relève d'une évidence similaire. Il subsiste néanmoins une difficulté.
Si la présomption d'imputabilité établit le lien entre le travail et le préjudice,
elle ne permet pas d'établir le caractère accidentel du pj'~judice. Or, en dehors
des maladies professionnelles, seul le préjudice professionnel
d'origine
accidentelle est réparable. L'employeur devrait donc en principe être admis à
établir le caractère non accidentel du préjudice. Une jurisprudence constante et
abondante affirme pourtant que l'employeur ne peut s'exonérer qu'en prouvant
que la lésion est totalement étrangère au travail ou encore que le travail n'a
joué aucun rôle. Et la doctrine en déduit que seul le caractère professionnel du
préjudice peut être contesté et non la matérialité de l'accident.
A notre avis, une autre lecture de la solution jurisprudentielle était aussi
possible. Si la jurisprudence n'exonère l'employeur qu'à la seule condition de
prouver que le préjudice a une cause étrangère, c'est dire que, outre le
caractère professionnel du préjudice, dès lors que le travail y a joué un rôle, les
éléments caractéristiques de l'accident sont réunis. Cette lecture de la solution
\\
jurisprudentielle signifierait qu'il n'y a d'autres moyens de prouver t'absence du
phénomène accidentel que de démontrer que le travail est totalement étranger
1 . 0
GODARD, Thèse prée. p. 68.

68
au préjudice. La présomption ayant pour effet de renverser la charge de la
preuve, tant que subsisterait un doute sur le rôle joué par le travail dans
l'apparition du préjudice,
non seulement la
présomption
d'imputabilité
subsistera mais aussi et forcément la présomption de matérialité aussi. Tel est
à notre avis le sens qu'il convient de donner à la jurisprudence en la matière.
Pour s'en convaincre, il convient de vérifier si le préjudice né du travail dans
des conditions emportant présomption de matérialité, répond bien aux critères
de la notion classique de l'accident du travail.
\\
2/ L'IMPLICATION DU TRAVAIL DANS LA REALISATION DU
PREJUDICE SUFFIT A ADMETTRE L'EXISTENCE D'UN FAIT
ACCIDENTEL
L'existence d'un fait accidentel suppose la réunion de plusieurs critères.
La matérialité de l'accident est présumée dès lors que certains de ces critères
sont réunis. Pour vérifier si le concours du travail à la réalisation du dommage
implique forcément un phénomène accidentel, il convient de voir si le travail
pourrait suppléer valablement aux autres conditions.
Le cas échéant, lorsque les conditions de la présomption de matérialité
seront remplies et que le travail aura de plus concouru à la réalisation du
dommage, on doit admettre sans réserve qu'il y a bien accident.
La
présomption de matérialité ne joue que lorsque le préjudice est apparu au
temps et au lieu du travail. On peut donc d'entrée, éliminer le critère relatif à la
\\
lésion car la présomption ne peut jouer sans lésion. Reste à vérifier si les
critères d'extériorité, de soudaineté et de violence sont remplis toutes les fois
que le travail a concouru à la réalisation du dommage.
Avant de nous intéresser aux qualificatifs "violent" et "soudain", il faut
se demander ce qu'il faut entendre par cause extérieure puisque l'action
soudaine et violente se rapporte à cette cause extérieure. Si le critère
d'extériorité disparaît, il doit l'être forcément avec ses attributs de violence et
de soudaineté.
Pour mieux saisir ce critère d'extériorité, on notera qu'il devait permettre
entre autres de distinguer l'accident de la maladie. « L'accident a toujours une
cause extérieure el celle cause se manifesle d'une façon soudaine el violente.

69
C'est à ce critérium qu'on distingue l'accident de la maladie (..). 1/ peut
arriver qu'elle (maladie) se déclare brusquement avec violence (. ..) mais alurs
sa cause réside dans la constitution organique du corps lésé. Est-elle
déterminée par un agent extérieur (. ..) son évolution est nécessairement lente
et continue ») 1. Deux enseignements déterminants peuvent être tirés de ces
lignes:
- La cause extérieure signifie que l'origine du préjudice n'est pas interne
à l'organisme qui subit le dommage.
-S'il est possible qu'une maladie tout comme un accident ait une origine
extérieure, son évolution est nécessairement lente et continue, donc ne peut
être concomitante à la manifestation. De ce qui précède, on peut déduire que si
le travail est la cause du préjudice alors le critère d'extériorité est rempli
puisque le travail n'est nullement interne à l'organisme qui subit la lésion.
Reste à savoir si le travail, cause extérieure, est concomitant à la
réalisation de la lésion ou au contraire, une évolution lente et continue a été
nécessaire à la réalisation de la lésion. Dans le premier cas il y aurait accident
et dans le deuxième, on ne pourrait parler que de maladie. Or, selon la
jurisprudence, la présomption d'imputabilité ne couvre que les lésions
survenues au cours du travail que la victime était en train d'exécuter. Pour
détruire la présomption d'imputabilité, il suffit donc de\\prouver que le travail
que le salarié était en train d'effectuer, n'a joué aucun rôle dans l'apparition du
préjudice c'est-à-dire que la lésion est le résultat de phénomènes à action lente,
antérieurs à sa manifestation2 . Peu importe que ce salarié ait été soumis les
mois précédents à un travail pénible'. Si le travail que le salarié était en train
d'effectuer a joué un rôle dans la réalisation du préjudice, alors sa réalisation
est concomitante à sa cause (cause principale ou cause accessoire). Ce qui
exclut l'idée d'une évolution lente. I,u condition de soudaineté est par là même
remplie.
Nous avions montré que le travail constitue bien une cause extérieure.
Nous venons de montrer que le critère de soudaineté est rempli vu les
1
A. SACHET, ouvr. prée. p. 137.
'. Soc l'· Juillet 1987, Bull. V, n° 436 (Arrêt de cassation) .
.\\ . Soc. b Janvier 1982, Bun. v, nO 2.

70
exigences de la Chambre sociale. Quant au préjudice c'est-à-dire la lésion, elle
existe déjà. C'est seulement la condition relative à la violence qui fait défaut
pour l'instant. Or cette notion avions-nous dit, est assez relative. Néanmoins
nous montrerons plus loin que si légère soit-elle, la violence intervient toujours
dans la réalisation du dommage, même si elle est imperceptible. Nous estimons
donc de tout ce qui précède que le critère d'extériorité n'a jamais disparu de la
jurisprudence de la Cour de cassation. Dès lors que le travàil (cause extérieure)
que le salarié était en train d'effectuer cause un préjudice qui apparaît
immédiatement au cours du travail, il y a bien accident. Peu importe que le
travail n'ait été que l'une des causes. Dès lors qu'il n'est pas démontré que ce
travail au cours duquel est survenu le dommage n'a )oué aucun rôle, alors
toutes les caractéristiques du fait accidentel sont réunies\\
Cela dit, on retiendra que le travail joue deux rôles dans la présomption
d'imputabilité: travail, élément de rattachement du préjudice à la profession,
travail, cause extérieure dans la matérialité de l'accident. On pourrait aussi voir
dans cette présomption d'imputabilité une autre présomption qui cependant
n'est jamais énoncée: le salarié qui est au temps et au lieu du travail est
présumé exécuter effectivement son travail. C'est cette idée qui sous-tend
l'imputation de la lésion au travail et confère à ce dernier les attributs de la
cause extérieure.
De tout ce qui précède, on pourra retenir que malgré ces présomptions ct
notamment la présomption de matérialité, la notion d'accident du point de vue
conceptuel a gardé toutes ses éaractéristiques et sa structure. Contrairement
aux apparences, on ne saurait parler d'une véritable \\~ltération. Est-ce pour
autant que la présomption de matérialité est dépourvue d'incidence pratique?
Nous ne le pensons pas. Mais l'essentiel de ses conséquences réside dans
l'affaiblissement du lien de causalité entre Je préjudice et le travail. Ainsi, aussi
infime que soit l'intervention du travail dans la réalisation du préjudice, le lien
de causalité est établi.

71
BI L'AFFAIBLISSEMENT DU LIEN DE CAUSALITE ENTRE LE
PREJUorCE ET LE TRA VAIL
La présomption a pour effet de renverser la charge de la preuve dès lors
que sont réunies certaines conditions. Lorsque la présomption est simple, les
difficultés probatoires qui ont conduit à l'élaboration de la présomption ne se
ressentiront que dans l'administration de la preuve contraire. Des préjudices
qui, sans cette présomption, auraient pu être exclus du domaine de la loi seront
couverts toutes les fois que le débiteur de la preuve contraire ne parviendra pas
à détruire la présomption. Ce qui entraîne natureHement l'extension du
domaine de la loi. Ce phénomène a été enregistré avec l'institution de la
présomption de matérialité. Et il s'en est suivi un affaiblissement du lien de
causalité qui, loin d'être une pénalisation de l'employeur, apparaît à nos yeux
comme l'expression d'une certaine équité. Pour saisir la réalité du phénomène,
il faudra procéder à une comparaison de certaines situations avant et après
l'élaboration de la présomption de matérialité.
Avant la présomption de matérialité. la victime devait nécessairement
préciser ou caractériser un fait matériel qui dans J'exécution de son travail a
particulièrement produit le dommage. Dans le cas d'une hernie par exemple, la
victime devait démontrer qu'il déplaçait une charge suffisamment importante
pour déclencher cette hernie. Aussi les tribunaux se pennettaient-ils d'écarter
la qualification d'accident du travail lorsqu'ils estimajent que l'effort fourni
était insuffisant. Il a été jugé par exemple que la pr~uve qui incombe au
demandeur ne doit pas être censée faite et que la hernie dont il se plaint doit
être considérée non comme une hernie de force mais plutôt comme le
développement nonnal d'une tare physiologique, s'il n'est pas justifié d'un
effort violent et exceptionnel. On peut déduire de ces solutions que la
jurisprudence exigeait que le travail ait joué lm rôle détenninant qui s'apprécie
par l'ampleur de l'effort fourni dans l'exécution du travail. Autrement dit, le
travail en lui-même ne suffit pas à caractériser l'accident. En effet, les mêmes
gestes accomplis par deux victimes distinctes donneront lieu à deux
qualifications diftèrentes selon que la juridiction aura estimé ou non que
l'effort fourni était suffisant pour causer le préjudice. Cet effort traduit la
violence du geste sur J'organisme lésé.

72
Et même, lorsque les bases de la présomption 'de matérialité ont été
jetées, les juridictions ont continué pendant un certain temps à se référer au
critère de l'effort en relevant que « le travail effectué par cet ouvrier exigeait
des efforts qui pour être courants, n'en étaient pas moins pénibles» ou encore
que « (..) l'état antérieur d'un malade ou d'un blessé n'exclut pas le droit à
indemnité de celui-ci lorsqu'il est certain que, par le fait du travail et
notamment par suite d'un effort anormal assimilable à un accident, l'état de
l'intéressé a subi une aggravation se manifestant par une douleur (..) »l,
Depuis que la présomption de matérialité a été définitivement introduite
dans la jurisprudence, il ne revient plus à la victime de prouver que les
circonstances dans lesquelles était exécutée la tâche qui lui était assignée, ont
pu produire le dommage. C'est plutôt à l'employeur de démontrer que ces
conditions et donc le travail, n'ont pu être à l'origine du,préjudice. L'impact du
travail sur l'organisme n'est pas toujours facile à évaluer'et ne peut faire l'objet
d'une quantification objective. A partir de quand peut-on estimer que
l'influence du travail a été suffisante au point que le préjudice lui soit
imputable? Cette interrogation faisait partie des préoccupations que suscitait la
jurisprudence antérieure à la présomption de matérialité. Mais avec cette
présomption, quelle qu'ait été l'influence du travail dans l'apparition du
préjudice, la preuve de la matérialité de l'accident est établie de manière
irréfragable. Des préjudices qui auraient pu relever du droit commun, à défaut
pour le salarié de pouvoir rapporter la preuve d'un fait accidentel distinct de
l'exécution normale du travail, sont aujourd'hui réparés. Tel est le cas d'un
malaise mortel survenu alors que le salarié chargait son carnion2• Le degré de
causalité
du
travail
dans
la
réalisation
du
préjudice
a
été
donc
considérablement atténué3. C'est dans ce sens que nous pourrons dire que la
présomption de matérialité a eu pour effet essenti~l d'introduire dans le
mécanisme de la preuve de l'accident du travail, la théorie de l'équivalence des
1. Soc. 23 Novembre 1961, Bull. nO 972; Soc. 30 Octobre 1962. [lull. nO 777
2
Soc 3D Novembre 1995, RJ.S 1996, p. 49.
, On peut aussi citer l'exemple d'un salarié âgé de quarante-quatre ans qui montait des ramettes de papier
d'un poids total de cinq kilos au premier étage d'un bâtiment. Il a senti une douleur vive alors qu'il était arrivé
en haut de l'escalier Antérieurement à la présomption de matérialité, la jurisprudence aurait pu estimer que
l'eft(,rt fourni était insuffisant à causer le préjudice qu'il a subi. Avec celte présomption, il revenait à
l'employeur de démontrer 'Ille ce préjudice avait une cause totalement étrangére au travail. Riom. (, Fèvric,
1995 préc

73
conditions. Toutes les causes qui ont concouru à la réalisation du préjudice
s'équivalent. Peu importe que "effet du travail sur l'organisme ait été d'une
violence patente ou moins significative. On ne saurait pour autant dire avec
certitude que le critère de violence a totalement disparu de la jurisprudence. Il
est évident que ce critère n'apparaît plus cxpressément. Cependant, est-il
possible que le travail que le salarié était en train d'exécuter joue un rôle dans
le déclenchement de l'état morbide sans qu'il y ait une quelconque violence,
même si aucun élément physique ne nous permet de la caractériser? Le doute
nous semble largement permis. Mais en fait, ce critère est réduit à peu de
chose. Autant il est difficile de caractériser cette violence, autant il paraît
impossible d'affirmer avec certitude qu'il n'y a eu aucun'~ fonne de violence sur
l'organisme lésé, à moins de prouver l'absence d'une cause extérieure, le
travail. Le cas échéant, le préjudice serait le résultat d'une évolution nonnale
d'un état pathologique préexistant.
Il pourrait paraître paradoxal que la présomption de matérialité ait une
incidence sur le lien de causalité entre le travail et le préjudice. Ceci n'a ricn
d'anormal lorsqu'on a présent à l'esprit que c'est le phénomène accidentel qui
permettait initialement le rattachement du préjudice au travail. De plus, comme
il a été mentionné, les éléments de preuve en matière d'accident sont imbriqués
les uns dans les autres. Il ne s'agit nullement d'une confusion entrc les
présomptions de matérialité et d'imputabilité mais d'une mise en évidence de
leur interaction. D'ailleurs, la fonnule unique dans laquelle la jurisprudence
regroupe très souvent ces deux présomptions est révélatrice de ce lien.
Pourrait-il en être autrement alors que le travail, élémènt de rattachement du
préjudice à la profession, constitue également la cause extérieure de laquelle se
déduit le caractère accidentel du préjudice?
11 est certain que de nombreux préjudices qui à l'origine n'étaient pas
soupçonnés, sont aujourd'hui couverts. Pourtant, en dehors des modifications
intervenues dans les tableaux des maladies prolessionnelles, la législation elle-
même n'a pas fondamentalement évolué. L'extension du domaine de la loi est
sans doute le fruit des efforts jurisprudcntiels, efforts qui ont été surtout
réalisés dans le régimc de la preuve. Ce qui témoigne de la sollicitude du juge
à l'égard des victimes. Mais surtout le juge confinne ainsi sa mission

74
d'adaptation du droit aux besoins sociaux dans le domaine juridique. De la
définition classique de l'accident événement extérieur, la doctrine en vient à
déduire aujourd'hui des solutions jurisprudentielles que l'accident est défini par
l'apparition soudaine d'une lésion. Les atlributs de la cause sont conférés à
l'effet (la lésion). C'est sans doute la concision des expressions de la Cour de
cassation qui a rendu possible cette déduction doctrinale. Néanmoins il nous
paraît opportun de relever que les conditions de la mise en oeuvre de la
présomption de matérialité ne devraient pas être confondues avec les critères
du phénomène accidentel.
L'examen des éléments de preuve à la charge de l'employeur nous a
permis de nous rendre compte que les caractéristiques du phénomène
accidentel sont réunies toutes les fois que le travail a concouru à la réalisation
du préjudice. Si d'un point de vue conceptuel, on peut affirmer que les
caractéristiques du fait accidentel sont préservées, le régime de la preuve
transférant le risque de la preuve à l'employeur, a pennis de réparer des
préjudices sans doute professionnels qui auraient pu en raison des diftlcultés
probatoires, rester à la charge des salariés. Même en élargissant ainsi le
domaine de la loi, la jurisprudence n'a nullement dénaturé le concept
d'accident, du moins en cc qu'il a d'essentiel. Cela nous paraît aussi nécessaire
car comme nous l'avions relevé, ce concept est avant tout d'inspiration
législative. Toutefois, aussi significative que soit la sollicitude du juge à
l'égard du salarié, il subsiste toujours des préjudices à caractère professionnel
non couverts, «l'angle mort ». Ccci nc devrait pas remettre en cause ou
réduire la portée de la bienveillance jurisprudentielle. Il ne revient pas au juge
de contrecarrer la volonté expresse du législateur. ,Très inj uste, toujours
persistant, « l'angle mort» n'est point indélébile. Mais I~ législateur est-il prêt
à le radier? L'avenir nous le dira.
Par ailleurs, il ne suffit pas qu'il y ait un préjudice accidentel pour que
l'employeur soit tenu de le réparer. Encore faut-il que ce préj udice se rattache
au travail. Aussi conviendrait-il d'examiner le fondement jurisprudentiel de
l'imputation du préjudice au travail.

75
CHAPITRE Il: LE FONDEMENT ,JURISPRUDENTIEL DU
RATTACHEMENT DU }>REJLJDICE A LA PROFESSION
La législation sur les risques professionnels n'a pas pour objet de couvrir
tous les risques atteignant la personne du salarié. S'il est indéniable que seuls
les préjudices se rapportant à l'activité professionnelle sont couverts par la
législation, le législateur n'a pàs défini ce qu'il faut entendre par « accidents
survenus par le fait du travail, ou à l'occasion \\1u travail ». Il s'agit
évidemment d'une notion capitale car de l'interprétation qui sera faite de cette
notion dépendra le fondement dc la responsabilité patronale. Il ne s'agit pas
d'un débat purement théorique car au fond, la traduction pratique de ce
fondement détenninera en partie le préjudice réparable. Certes, les travaux
préparatoires de la loi ne sont pas muets sur le sujet. 1 Au contraire, ils
fournissent une abondante littérature. Cependant, il semblerait selon certains
auteurs que la notion de risque professionnel qui a inspiré les auteurs de la loi,
« est insliffisante pour rendre compte de leur oeuvre» et « Ils ne paraissent
d'ailleurs ni l'avoir beaucoup creusée, ni même s'être mis tout àjàit d'accord
à son sujet »2 . Les travaux préparatoires seraient donc sans importance dans la
recherche du fondement de la responsabilité patronale. [1 conviendrait alors de
rechercher ce fondement dans les termes mêmes de la loi. C'est ce qui sera fait
par ces auteurs. Se fondant sur les temles de la loi et sprtout sur les décisions
jurisprudentielles, ces auteurs trouveront ce fondement dans le risque de
l'autorité alors que la majorité de la doctrine faisait du risque professionnel au
sens du risque créé, le soubassement de cette responsabilité.
Ce critère du risque de l'autorité connaîtra une réelle fortune dans la
jurisprudence de la Chambre sociale au point qu'on a pu dire que le problème
relatif au fondement de la responsabilité patronale est entièrement résolu. C'est
l'importance que la Cour de cassation a attachée à l'existence d'un contrat de
travail entre les parties pour retenir la qualification d'accident du travail qui
avait surtout suggéré cette analyse à une partie de la doctrine. L'autorité qui est
l'élément essentiel du contrat du travail disait-on, devrait expliquer et justifier
1 . Travaux préparatoires. Sénat, Séances des
J 3 Juin ct 4 Juillet 1895, et du
J9 Mars 1896, Lois annotées
1899, pp. 770 et 771.
~. A. ROUAST et M. GIVORD, « Traité Du Droit Des Accidents 'Qu Travail Et Des Maladies
Professionnelles », Dalloz, J934, pp. 20 et 25.
\\

76
le fondement de la responsabilité patronale. C'l:st de la subordination du salarié
à l'employeur que naîtrait la responsabilité de cc dernier.
Comment la jurisprudence a-t-elle traduit dans la pratique ce lien de
subordination source de responsabilité ') Ce critère qui mimifestelllenl SOllS-
tend dans une large mesure la construction prétorienne, est-il conforme à
l'esprit sinon à la lettre de la loi? Dans le cas contraire, le juge a-t-il substitué
sa propre conception du préjudice professionnel à celle: du législateur? Telles
seront nos préoccupations afin de rechercher s'il n'y a pas lieu de donner une
autre interprétation de l'oeuvre législative.
SECTION 1 : LE CRITERE DE SlJBORDINATlON
L'effet cssentiel du contrat de travail est de placer le salarié sous la
subordination de son employeur. La subordination disait le Profèsseur M.
DESPAX, « est le critère du contrat du travail» et elle « demeure aujourd'hui
comme hier la caractéristique essentielle des relations du travail» 1 • Or, dès
l'entrée en vigueur de la législation sur les accidents du travail, la jurisprudence
a subordonné le bénéfice de la loi à l'existence d'un contrat de louage de
services (il tàut entendre par louage de services, un contrat de travail).
L'entrepreneur disait-elle, ne saurait être responsable 'en vertu de la loi du 9
Avril 1898, s'il n'existe cntre la victime et lui absolument aucun contrat de
louage de services2 . Et elle exigeait d'ailleurs un contrat non affecté de viee. Il
est certain que la loi n'exigeait pas expressément J'existence d'un contrat de
travail. Mais la jurisprudence tirait cette condition des termes «ouvriers et
employés» de l'article 1cr de la loi. L'application de la loi ayant été
subordonnée à l'existence d'un contrat de travail, on comprend dès lors qu'une
partie de la doctrine ait recherché le fondl:ment de la responsabilité patronale
dans l'élément essentiel de ce contrat à savoir, la subordination du salarié à
l'employeur. Reste à savoir quand peut-on dire que le salarié est sous la
subordination de son employeur. La jurisprudence nous en fournit des
éléments de réponse. Le travail au sens de la loi du 9 avril 1898, commence
dès lors que le salarié est à la charge de son patron et ne prend fin que lorsque
\\
1
M. DESPAX, « L'évolution du rapport de subordination », Dr. soc. 1982, ~\\J. Il et 13.
Toulouse, 3 Décembre 1900, DP 1901, 2, 1~6.

77
le salarié reprend sa liberté 1 . Mieux encore, « (.. .) un accident ne peul èl/'{!
considéré comme survenu par le fait ou à l'occasion du travail lorsqu'il est
arrivé avant que l'ouvrier qui en a été victime, soit parvenu sur le lieu du
travail ou après qu'il s'en est éloigné »2. C'est donc la présence du salarié au
temps et au lieu du travail qui pernlet de conclure à sa subordination et de
rattacher le préjudice survenu dans ces conditions au tqlvail. Ce critère suffira-
t-il toujours à caractériser le lien de subordination eu é'gard à la diversité des
obligations professionnelles? L'analyse de la jurisprudence nous instruira
davantage sur la manifestation du lien de subordination.
§ 1: LA MANIFESTAI'ION DU LIEN DE SUBORDINATION
Ce principe posé dès les premières années de l'application de la loi
conserve encore aujourd'hui, toute son importance. Et pourtant, la loi elle-
même a connu une évolution permettant l'extension de son
domaine
relativement aux préjudices couverts, aux personnes protégées et aux
entreprises concernées. Le principe semble bien avoir résisté à l'usure du
temps. Est-ce à dire que les circonstances dans lesquelles a été élaboré ce
principe suffisent à englober toutes les situations qu'implique la diversité des
obligations professionnelles ou au contraire, tàudrait-il y voir une réadaptation
jurisprudentielle des critères ? Pour répondre à cette interrogation, nous
distinguerons selon que le salarié soit soumis ou non à des contraintes horaires
et à un lieu de travail déterminé.
AI LE SALARIE SOUMIS A DES CONTRAINTES HORAIRES ET
TRA VAILLANT EN UN LIEU FIXE
Il convient de se demander d'entrée, si ces critères de temps et lieu de
travail sont cumulatifs ou alternatifs. En d'autres tennes, suffit-if que l'une des
deux conditions soit remplie pour que l'accident soit réputé professionnel? On
ne pourra répondre de manière tranchée à cette question car la réalité
jurisprudentielle est plus complexe. S'il est possible que malgré leur cumul, le
\\'.
1
Civ. 26 Juillet 1907, D. p 1907, l, 2'lS
2. Soc. 3 Mars 1903. D. p. 1903, l, 274

78
caractère professionnel du préjudice soit réfuté,1
il arrive parfois que le
caractère professionnel du préjudice soit établi alors qu'une seule des deux
2
conditions se trouve remplie . Il n'y a donc pas de principe rigide en la
matière, tout est question de fàit. Aussi convient-il de faire successivement
abstraction de chacune des conditions pour mieux saisir la conslrtlclion
jurisprudentielle.
1/ LE PREJUDICE SURVENU AU UEU DU TRAVAIL ET EN DEHORS
DU TEMPS DE TRAVAIL
Cette hypothèse n'est pas rare. Elle couvre lé. accidents survenus
pendant les pauses, durant la nuit alors que le salarié était logé à son lieu de
travail ou encore, le salarié arrivé plus tôt à son lieu de travail etc. La
jurisprudence a souvent retenu la qualification d'accident du travail pour ces
types de préjudices dès lors que les circonstances permettaient de dire que le
salarié était soumis à l'autorité de son employeur. Il en est ainsi d'un accident
survenu pendant la fermeture de midi alors que la victime s'était joint cl
d'autres ouvriers pour procéder à l'enlèvement par camion des déchets de bois.
La Chambre sociale a fait remarquer que, même s'il était établi que la victime
n'avait pas à s'immiscer dans l'exécution d'un ordre donné par le contremaître,
cette faute n'est pas de nature à enlever à J'accident son caractère professionnel,
cet accident étant en effet arrivé à un ouvrier à l'occasion d'un ordre donné par
l'entreprise dans l'intérêt même de cette entreprise3 . C'est également le cas
lorsque J'ouvrier d'une entreprise est surpris dans son ~:ommeil par l'incendie
\\
d'un
baraquement aménagé en
dortoir,
que son
employeur avait mis
gratuitement à la disposition de ses ouvriers, afin de leur permettre d'observer
l'horaire de travail sur le chantier mobile de l'entreprise. La Cour a fait
observer que, contraint en fait de coucher dans le baraquement en raison des
conditions de travail, ('ouvrier s'y trouvait sous le contrôle et l'autorité de son
employeur4 . Plusieurs exemples pourraient encore être cités. Cependant, il
arrive que, bien que Je préjudice soit survenu au lieu du travail, la
jurisprudence écarte la qualilïeation d'accident du travail. C'est le cas de
Paris, 15 Juin 1995, R.JS 1995, p. 636
Soc 5 Janvier 1995, RJ.S. 1995, p. 122.
Soc. 15 Mai 1956, BulL nO 467.
• Soc 19 Novembre 1970, Bull. V, na 641; Soc 21 Décembre 1988. Bull V, na 685.
\\

79
certains préjudices survenus durant la pause de midi' . Mais il n'en est ainsi
que pour les préjudices n'impliquant pas un phénomène accidentel ostensible,
situation déjà examinée au chapitre précédent. Le préjudice survenu au lieu du
travail pendant la pause ne serait couvert qu'à condition que soit établie la
matérialité de l'accident2 . Il en sera de même si le malaise survenu se rattache
aux conditions d'exécution du travail.
Relativement au salarié logé au lieu du travail, la jurisprudence ne
retient la qualification d'accident du travail que lorsque le salarié n'est pas libre
de son choix. Ainsi, ne constitue pas un accident du travail l'accident survenu
à un salarié d'une entreprise de déménagement qui, chargé d'etTectuer un
travail le lendemain, avait décidé de passer la nuit dans le véhicule de
déménagement alors qu'il avait reçu de l'employeur les indemnités pour dormir
à l'hôtel 3 . On pourrait, eu égard à ce qui précède, affirmer que la seule
survenance du préjudice au lieu du travail suffit à elle seule suivant les
circonstances, à donner lieu à un préjudice professionnel. Le temps du travail
n'est donc pas un critère absolument nécessaire pour la détcm1ination du
caractère professionnel du préjudice. Mais qu'en est-il des préjudices survenus
au temps du travail mais hors de l'aire du travail?
\\
\\.
2/ LES PREJUDICES SURVENUS AU TEMPS MAIS EN DEHORS DU
LIEU DU l'RA VAIL
Il ne s'agit ni du salarié en mission ni des salariés ne disposant pas d'lin
lieu fixe de travail. Ici encore, les solutions jurisprudentielles ne sont pas
tranchées de fàçon rigide. Des accidents survenus dans ces conditions peuvent
suivant les cas être couverts ou non. II a été par exemple admis que la chute
survenue à une salariée dans l'escalier extérieur de son habitation alors qu'clic
s'apprêtait à retourner à son lieu de travail après avoir effectué des travaux de
dactylographie à son domicile, constitue un accident du travail proprement dit
dans la mesure où le retour de l'intéressé à son domicile a été nécessité par
'. soc 8 Juillet 1985, Ilull. V, n° 415.
\\
J. C'est le cas d'une blessure survenue à un salarie en nettoyant un plat dans II; local situe dans l'enceinte de
l'entreprise et exclusivement ouvert au personnel de l'entreprise à seule tin d'y prendre ses repas dès lors que
l'employeur y exerce son contrôle: Soc. 5 Janvier 1995, préc
.1
Soc. 31 Janvier 1979, Bull V, nO 102

80
l'exécution d'une tâche confiée par l'employeur!. Constitue également UI
accident du travail, celui survenu à un apprenti mineur de dix-huit ans alor
que, ayant cessé son travail avant la tin de l'horaire habituel avec l'accord d
son employeur, il était reconduit en voiture par ce dernier au domicile de ses
2
parents .
En revanche, la chute d'un salarié dans l'escalier d'une mairie où il s'était
rendu pour la collecte du sang ne peut constituer un accident du travail dès lors
que l'employeur avait seulement accordé à son pers?nnel la possibilité de
participer à cette collecte. L'accident est survenu en un l,jeu où le salarié n'était
plus soumis à l'autorité de l'employeur' . Si la coJIecte de sang avait cu lieu au
sein de l'entreprise, cette chute faite par la victime alors qu'elle était occupée
dans une activité totalement étrangère à son activité professionnelle, serait
couverte par la législation des risques professionnels4 . L'accident étant
survenu au cours d'une activité autorisée par l'employeur en un lieu soumis à
son
autorité,
le salarié se trouvait au moment de l'accident sous
la
subordination de son employeur.
On peut en définitive retenir que le préjudice survenu au temps du
travail mais en dehors du lieu du travail n'est couvert que lorsque la présence
du salarié à cet endroit constituait non une simple faculté otTcrte par
l'employeur, mais était rendue. nécessaire par les besoins du travail, ou du
moins, avait une relation avec la profession. S'il est indéniable que le critère
\\
tiré du lieu du travail revêt une grande importance, il eht aussi démontré qu'il
n'est
pas
toujours
indispensable
pour
que
soit
reconnu
le
caractère
profèssionnel du préjudice.
31 L'ACCIDENT SURVENU EN DEHORS DU TEMPS ET DU LIEU DU
TRAVAIL
Lorsque le préjudice survient en dehors du temps et du licu du travail, la
qualification d'accident du travail devrait en principe être écartée sauf si le
salarié prouve que le lien de subordination subsistait toujours au moment de
soc 29 Avril 1994, Bull. V, n° 228.
Soc. 13 Mai 1976, Bull V, nO 282.
'. Soc 28 Septembre 1983, Bull V. n° 470.·
Soc. 22 Mars 1979. Bull V. n° 274.

81
l'accident. J. ANDRIEUX fait observer qu'en pareil cas, il est évident que le
lien de subordination est presque toujours rompu 1 • Il en est ainsi d'un accident
survenu au secrétaire d'un comité d'entreprise blessé au cours d'un repas
réunissant les anciens de la société. La cour d'appel, pour admettre le caractère
professionnel du préjudice, avait relevé que la présence\\de la victime à cette
manifestation représentait pour elle une obligation morale et que son absence
aurait pu lui valoir la réprobation de son employeur. La décision a été cassée
au motif que cette circonstance était insuffisante pour conférer à ce préjudice
un caractère professionnel, cet accident étant survenu hors du temps et du lieu
de travail sans que l'intéressé eût reçu des ordres ou instructions de son
employeur2 . Pourtant, la présence de la victime à cette manifestation n'est pas
totalement indépendante de ses fonctions. Néanmoins la jurisprudence fournit
aussi des exemples dans lesquels le préjudice survenu en dehors du temps et
du lieu du travail est réparé au titre de la législation des risques prolessionncJs.
Ainsi, il a été jugé que l'accident de la circulation dont le responsable régional
des ventes d'une société a été victime en ramenant vers vingt-trois heures un
client au parking où ce dernier avait garé son véhicule, avait un caractère
professionnel. Les juges ont estimé qu'à l'heure des faits, la victime qui
\\
bénéficiait d'une grande liberté d'action, se trouvait encorè dans le cadre de la
mission qu'elle exécutait pour le compte de son employeur3 . C'est également le
cas du bûcheron qui, à son domicile, en dehors des heures du travail, s'est
blessé en préparant un outil pour le lendemain4 • Il n'est pas évident de dire que
Je salarié effectuant une tâche à son domicile est t:ncore sous la subordination
de son employeur; du moins, une telle subordination ne correpondrait pas au
sens traditionnel du terme.
Nous rechercherons plus loin si un autre critère ne supplée pa'> par
moment le critère du lien de subordination. Pour l'instant, on fera seulement
remarquer au vu de ce qui précède que les conditions de temps et de lieu ne
sont pas absolument nécessaires à la reconnaissance d'un accident du travail.
Cela nous paraît au demeurant normal. En effet, la localisation du préjudice au
temps et au lieu du travail fait présumer la subordinati,on du salarié à son
'. J ANDRIEUX, « La notion d'accident survenu par le fàit ou à l'occasion du travail », D 1957, chr. 201.
2. Soc 7 Novembre 1984, Bull. V, nO 421.
, Soc. 29 Avril 1987, Bull. V, nO 228.
4. Soc. 5 Janvier 1984, Bull. V, n° J.

82
employeur. Si à défaut de ces conditions, d'autres circonstances permettent
d'établir la subordination du salarié à son employeur, il va de soi que le
caractère professionnel du préjudice soit reconnu. Comme J'a si bien écrit M.
MELLüTTEE 1 « (.. .) le lien de subordination est lui-mème un élément
d'appréciation fluide, d'essence psychologique, souvent difficile à saisir H. Et
si la jurisprudence a été amenée à l'idcntilicr à des éléments objectifs que sont
les critères de temps et de lieu du travail, cette « présomption de causalité
résultant du temps et du lieu du travail n'a pas el ne saurait avoir un
\\.
caractère limitatifou exclusif».
'
C'est probablement cette raison qui a parfois conduit la jurisprudence à
faire elle-même une interprétation de la notion de temps et lieu du travail alors
qu'initialement, cette notion devait simplement pemlettre de caractériser
objectivement le lien de subordination. Au-delà de la notion de "temps et lieu
du travail" à laquelle elle assimile très souvent le lien de subordination, clic
remonte au besoin à cette notion abstraite de subordination pour caractériser le
préjudice professionnel. Le fait marquant de cette jurisprudence, c'est encore
son extrême souplesse.
Quand bien même les solutions jurisprudentielles, comme nous le
verrons, sont parfois contestables, son refus de toute systématisation lui
procure les moyens de gérer au coup par coup, toutes les situations en fonction
1
des circonstances particulières et surtout de Ja conception qu'elle se fait du
risque professionnel. La législation des accidents du travail apparaît du point
de vue de l'imputation du préjudice, comme un vaste chantier dont
J'architecture interne relève des soins du juge. Le juge n'est-il pas après tout un
gestionnaire du droit dans la vie sociale? Cette souplesse dans la construction
jurisprudentielle lui permet d'adapter sa construction à la situation des salariés
qui ne sont pas soumis à des contraintes de temps et de lieu de travail.
1. Conclusions de M MELLüTTEE, cf Soc. 29 Janvier 1965. D. S. 1965, p. "~80,

83
BI LES SALARIES NON SOUMIS A DES CONTRAINTES DE TEMPS ET
DE LIEU
Il s'agit de deux types de salariés: ceux qui en raison de la nature de leur
fonction ne sont soumis à aucune contrainte horaire ni.de lieu de travail; nous
,
les appellerons les salariés ambulants. La deuxième ~atégorie concerne les
salariés qui, bien que soumis habituellement à ces contraintes, sont en
déplacement loin de leur lieu habituel de travail. Il est manifeste que pour ces
salariés la notion de temps et lieu de travail ne pourra plus suffire à
caractériser le lien de subordination, ou du moins, cette notion sera plus
difficile à cerner.
Il LES SALARIES EN MISSION
Il est un fait fréquent qu'un salarié travaillant suivant un horaire fixe et
en un lieu déterminé, se déplace pour des motifs professionnels. Quand
pourra-t-on dire que ce salarié en mission est sous l'autorité de son employeur?
Deux principes se dégagent de la jurisprudence de la Cour de cassation.
L'employé en mission a droit à la protection de la loi pelldant tout le temps que
\\
dure sa mission. Cependant, les accidents occasionnés par les actes de la vie
courante sont exclus de la protection légale. li en est de même pour ceux
relevant d'une initiative personnelle et étrangère à la profession.
al LA PROTECTION LEGALE PENDANT LA DUREE DE LA MISSION
A partir de quand commence et prend fin la mission du salarié? Selon
A. ROUAST, « L'employé exécute sa mission (...) dès que commence le
déplacement nécessité par cette mission, et jusqu'à ce que ce déplacement soit
terminé. La responsabilité patronale commence donc à partir du moment où
le salarié quitte l'établissement pour se terminer au moment où il y entre; et si
le salarié a reçu ordre de partir de che::: lui, elle commence au moment où il
quitte son logement» 1. Telle· est également la solution retenue par la
jurisprudence. Ainsi, il a été jugé que:
1
A. ROUAST et M. GIVORD, ouvr. prée. p. 124

84
- L'accident de circulation dont a été victime un conducteur mécanicien alors
qu'ayant quitté le matin l'usine où il était employé pour livrer des pièces en lieu
éloigné, il rejoignait à son retour l'itinéraire normal qu'il avait quitté pour aller
dîner dans une localité voisine, constituait un accident du travail. La mission
confiée à la victime ne comportant ni trajet ni horaire fixes, et ne devant
prendre fin qu'au retour du véhicule à l'usine, l'accident s'était produit au
moment où le travail n'était pas terminé l .
- De même, le décès du salarié qui, s'étant rendu sur ordre de son employeur
dans la région parisienne pour y subir une visite médicale, a été découvert
mort à la gare d'arrivée dans le train-couchette qu'il avait emprunté la veille
pour regagner son domicile, a été victime d'un accident du travail. Selon les
juges, dès lors que le malaise mortel était survenu au cours d'un trajet entrant
dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée par son employeur, la
victime était sous l'autorité de ce dernier2 .
- Enfin, constitue un accident du travail celui dont a été victime un salarié en
cours de déplacement professionnel etlcctué sur l'ordre de son employeur et
dans l'intérêt de l'entreprise, même si Je sinistre survient alors que le travail
commandé étant achevé, l'envoyé en mission revenait à son point de départ' .
Si le principe de la protection légale durant toute la durée de la mission
est acquis, on ne comprend pas par contre le rondement\\d'un tel principe. Si la
localisation du préjudice au temps et au lieu du travail pennet de dire que le
salarié est sous l'autorité ou sous la subordination de son employeur, ici on
aperçoit mal
pour l'instant le critère permettant d'établir le
lien
de
subordination. Pour mettre en relief ce critère, il convient d'examiner les
exceptions à ce principe de couverture générale.
bl L'EXCLUSION DES PREJUDICES OCCASIONNES PAR LES ACTES
DE LA VIE COURANTE
Aux termes d'une jurisprudence solidement établie, l'employé en mission
n'est couvert par la législation des accidents du travail que pendant
'. soc. 25 Janvier 1979, Bull. V, nO 86. Voir également Versailles. 12 Janvier 1993, RJ.S 1993, p. 276
1 . Soc. 24 Juin 1987, Bull
V. n° 415.
Crim. 24 Janvier 1989, Bull. nO 30.

85
l'accomplissement des actes professionnels impliqués par sa mISSIon. La
jurisprudence distingue donc les actes professionnels de ceux se rapportant à la
vie courante. Ainsi, il a été jugé que:
- Ne présente pas un caractère professionnel la noyade .d'un salarié en mission,
dans la piscine du domicile d'un responsable d'une a~tre entreprise, dès lors
que la baignade a eu lieu à un moment où les discussions d'affaires avaient
cessé; il s'agissait donc d'une activité de détente sans lien effectif avec la
mission qu'il venait d'accomplir l .
- Ne peut bénéficier des dispositions de la législation sur les risques
professionnels, la veuve du salarié décédé d'un collapsus cardiaque durant son
sommeil dans la chambre d'hôtel où il était descendu dès lors qu'il n'est fait
état d'aucun fait précis assimilable à un accident du travail survenu au cours de
son activité professionnelle2. Si par contre, avant de regagner l'hôtel, au
moment où l'employé était en activité professionnelle, il avait ressenti un
malaise dont le décès survenu pendant le sommeil aurait été la suite, le
caractère professionnel du préjudice pourrait être retenu.
- De même, ne constitue pas un accident du travail, l'nccident survenu à un
salarié en déplacement pour les besoins de l'entreprise dès lors que, la chute à
l'origine du préjudice subi, a eu lieu alors que le salarié quittait après le repas
du soir, le restaurant de l'hôtel où il était descendu. Selon la Cour, ledit
accident s'était produit au cours de l'accomplissement d'un acte de la vic
courante
sans
qu'ait
été
relevée
aucune
circonstance
particulière
nécessairement liée à l'exécution de la mission 3. Pourtant dans cette espèce, la
chambre d'bôtel de même que le repas ont été retenus par l'employeur. La cour
d'appel qui a cru pouvoir déduire de ces circonstances la subordination du
salarié à son employeur au moment de l'accident, a vu sa décision censurée. Le
salarié en mission, outre le temps du trajet, n'est donc couvert que pendant
l'exercice effectif de la mission pour laquelle il a effectué ce déplacement.
L'élément de rattachement ici, c'est l'activité professionnelle proprement dite.
En dehors de ce temps, « il n'agit plus que pour lui-m\\~me. il est un individu
\\
'. soc. 2 Mars 1995, RJ.S 1995, p. 291, Cf également Soc. 26 Mai 1994, RJ.5. 1994, p. 544
1 Soc. 18 Février 1970, BulL V, n° 131; Soc. 30 Mars 1995, RJS. 1995, p.613 (2""< espèce).
J
Soc. 24 Mars 1986, Bull. V, nO 112

o r
Oc}
entièrement libre de ses actes» 1 • L'activité professionnelle doit ici s'entendre
de manière assez large. Il s'agit de toute activité accomplie dans l'intérêt de
l'employeur. Tel cst l'cnscigncmcnt qui scmble sc dégagcr d'unc décision de la
Cour de cassation. Elle décide en eHet qu'un représentant de commerce qui. en
tournée à l'étranger, au lieu de repartir directemcnt à l'issuc dc la mission, est
allé récupérer pour le ramener en France un ami qui lui a servi d'interprète
dans ses contacts professionnels, se trouvait dans les limites de sa mission, le
transport ainsi assuré étant la contrepartie du service rel:ldu. 2
\\
\\
Quelle que soit l'interprétation faite de l'activité professionnelle, on
constate que c'est cette notion qui permet d'établir la subordination du salarié à
son employeur. Pourtant, s'agissant des salariés soumis à un horaire et un lieu
fixes, nous avions constaté que l'accident survenu au lieu du travail alors que
le salarié n'était pas spécialement occupé à une activité professionnclle
particulière, serait qualifié d'accident du travail. Du moins une telle victime
bénéficiera de la présomption d'imputabilité.
Le lieu de travail du salarié en mission n'englobe-t-il pas tout cet espaœ
géographique sur lequel le salarié ne se serait pas rendu sans cette mission
professionnelle? Rien dans la loi n'impose à la jurisprudence cette distinction
faite entre acte de la vie courante et actes professionnels. Cette construction
met encore en évidence le pouvoir du juge dans le domaine des accidents
professionnels. Et on peut se demander si, sous prétexte d'appliquer la loi aux
diftërentes situations, le jugc ne procèdc pas en définitive à une législation
parallèle. Le salarié en mission semble à notre avis soumis à un régime plus
sévère que rien ne justifie. De plus, le lien de subordination tiré de l'exercice
effectif des activités professionnelles nous semble trop réducteur de la réalité
des obligations professionnelles. Cette idée sera développée plus loin'. Mais
on relèvera pour l'instant qu'alors que, d'un côté c'est le critère géographique
qui prédomine dans la définition du lien de subordination, de ['autre, c'est la
nature de l'acte qui prévaut. Même s'il doit faire l'objet d'adaptation en f(mction
des situations, un critère plus unifom1e est souhaitable d'autant plus que -nous
'. A ROUAST et M. GIVORD. ouvr préc.·p 125.
2
Soc. 19 Octobre 1988, Bull. V, nO 522 .
.1. Cf pp. 103 55.
1.
1

87
le verrons plus loin 1- ni l'un, ni l'autre de ces critères ne peut expliquer toute la
construction jurisprudentielle.
21 LES SALARIES AMBULANTS
[\\ s'agit principalement des représentants de colnmerce. Les solutions
dégagées par la jurisprudence relativement aux salariés en mission s'appliquent
également ici. Néanmoins, la jurisprudence fàit intervenir la notion de temps
nonnal du travail.
Selon la jurisprudence, le représentant de commerce, à moins qu'il n'ait
recouvré son indépendance ou interrompu sa mission pour un motif d'intérêt
personnel et indépendant de l'emploi, u droit à la protection de la législation
des accidents du travail pendant tout le temps où s'exerce cette mission,
laquelle ne prend fin qu'avec le déplaccment2 . Doit être considéré comme se
trouvant dans l'exercice de son activité professionnelle, le représentant en vins
qui, ayant non seulement visité les clients déjà suivis, en a recherché de
nouveaux.
Par
suite,
lorsqu'en
regagnant
son
domicile
après
avoir
raccompagné chez lui l'acquéreur éventuel d'un déhit ,de boissons, ct qu'il lui
est arrivé un accident, cet accident constitue un accideni\\du travail3 . Par contre
lorsqu'il s'est écoulé plusieurs heures entre la visite du dernier client non loin
de son domicile et le moment de l'accident, il n'est pas justifié que l'accident se
soit produit au temps nonnal d'exécution de la mission4 . Il en est de même
lorsque le salarié, après un dîner d'affaires entrant dans le cadre de sa mission,
s'était rendu dans un café pour y boire à nouveau, puis avait invité un tiers
étranger à leur négociation à se rendre chez lui pour consommer encore de
l'alcools. La cour d'appel a pu déduire que l'intéressé n'était plus dans le
cadre de sa mission. L'interruption de la tournée pour des motifs personnels
fait perdre au représentant de commerce la protection légale.
Temps normal de la mission, acte de la vic courante, interruption de la
mission pour des motifs indépendants de l'emploi, autant de critères qui
1 . Cf pp. 115 ss.
2. soc 8 Janvier 1976, Bull. V, n° 15.
, Soc. 1J Mars 1970, Bull. V. 183.
• Soc. 24 Mars 1982, Bull. V, n° 220
Soc. 3 Février 1994, RJS. 1994, p. 297

88
permettent à la jurisprudence de caractériser ou non le lien de subordination. Si
malgré la diversité de ces critères, on admet que le lien de subordination sous-
tend toute la construction prétorienne, il est plus que probable que ce lien de
subordination ne revête pas dans tous les cas la même signification. Ce qui
équivaudrait à l'existence de plusieurs fondements ou du moins à l'insuffisance
du critère de subordination tel qu'il résulte de la jurisprudence. Avant la
recherche de ces fondements, il conviendra d'abord d'examiner le mécanisme
de la preuve du caractère professionnel du préjudice, eu égard à la diversité
des critères jurisprudentiels caractérisant le lien de subordination.
'.\\
§ Il: LA PREUVE DU LIEN DE SUBORDINATION
Le lien de subordination qui, selon l'expression de l'avocat général
MELLüTTEE, est un élément fluide d'essence psychologique, n'est saisissable
qu'à travers des critères beaucoup plus objectifs relevant par leur nature des
faits. Prouver le lien de subordination au moment de la survenance du
préjudice, revient donc à établir les raits desquels se déduit le lien de
subordination. De ce fait, la preuve du lien de subordination relève du régime
de la preuve d'un fait juridique; il s'agit donc du principe de la liberté de
preuve. On comprend dès lors que relativement à la preuve du caractère
professionnel du préjudice tout comme celle de la matérialité de l'accident, la
jurisprudence ait largement recouru à la preuve par présomption. Aussi
affirme-t-el\\e avec constance que « Toute lésion survenqnt au temps et au lieu
\\
du travail doit être considérée comme résultant d'un accident du travail, sauf
s'il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère
au travail» 1. La mise en oeuvre de cette présomption suppose que la victime
ait pu localiser son préjudice au temps et au lieu du travail. Il est impératif de
noter que la localisation du préjudice au temps et au lieu du travail n'est pas un
critère indispensable au rattachement du préjudice à la profession. Elle [ail
seulement présumer le lien de subordination du salarié à l'employeur,
subordination qui constitue le critère jurisprudentiel de rattachement. La
preuve du lien de subordination pourrait donc se faire par tous les moyens:
\\. Riom. 6 Février 1995, Dr. ouvr. 1995, p. 2li 1, Soc 12 Oclobre 1995 prée

89
indices graves et concordants mais aussi et surtout la preuve testimoniale. Mais
qu'adviendra-t-illorsque le préjudice survient en l'absence de tout témoin?
AI DU PRINCIPE DE LA LIBERTE DE PREUVE DU LIEN DE
SUBORDINATION
Probablement, en raison Ùes diverses tonnes sous lesquelles se révèle le
lien de subordination, la jurisprudence n'a pas cherché à retenir un critère
pennettant de le caractériser en toute circonstance. Selon qu'il s'agisse d'un
salarié soumis à un lieu de travail tixe, ou d'un salarié ambulant ou enfin d'un
salarié en mission, la preuve du lien de subordination se traduira de différente
façon. Pour que joue la présomption d'imputabilité avions-nous dit, il faut que
le fait accidentel survienne au temps et au lieu du travail. La preuve de la
localisation du préjudice au temps et au lieu du travail incombe sans doute à la
victime. Alors que le salarié en mission est dispensé de cette preuve, le
préjudice survenu en dehors du temps et du lieu du travail est régi par le droit
commun de la preuve.
II LA LOCALISATION DU FAIT ACCIDENTEL AU TEMPS ET AU
LIEU DU l'RA VAIL
La preuve de la localisation du fait accidentel 11U temps et au lieu du
\\
travail ne soulève pas de difficultés particulières surtout lorsque le préjudice
survient dans les conditions habituelles de travail, c'est-à-dire au temps et au
lieu du travail en présence des autres collègues de service. S'il s'agit d'un
accident, phénomène extérieur suffisanllnent caractérisé, il est perçu par les
autres salariés dont le témoignage suffit à localiser le préjudice. Cependant,
lorsqu'il s'agit d'une lésion due à une prédisposition morbide, le travail n'ayant
contribué qu'à déclencher le malaise, les déclarations de la victime à ses
camarades de travail aussitôt après le malaise seront détenninantes dans
l'administration de la preuve. Mais en pareil cas, c'est la cessation immédiate
du travail qui est souvent révélatrice de la survenance du préjudice au temps et
au lieu du travail'. Il est peu probable qu'un salarié qui aurait négligé de
déclarer instantanément un tt;1 malaise, puisse démontrer plus tard son
1.
1
\\
1
soc Il Mai 1995, RJ.S 1995, p. 608, (2""" espèce).

90
imputation au travail si l'aggravation de son état survenait en dehors du temps
et du lieu de travail. Il tàut relever s'agissant de ces derniers préjudices qu'en
fait, la présomption d'imputabilité se confond avec la présomption de
matérialité. Il suffit que le salarié localise son préjudice au temps et au lieu du
travail pour que la matérialité de l'accident de même que son imputation au
travail soient présumées. S'agissant des premiers préjudices, ceux impliquant
un fait accidentel ostensible, ce n'est pas le préjudice que le salarié devra
localiser au temps et au lieu du travail mais le fait accidentel proprement dit.
Une fois cette preuve établie, même les préjudices apparus en un temps voisin
du travail ou de l'accident bénéficient de la présomption, d'imputabilité.
\\
Nous avions souligné que le salarié en cours de trajet nornlal bénéficie
aussi de la présomption d'imputabilité. En effet, selon la Cour de cassation,
dès lors qu'un salarié est décédé des suites d'un malaise survenu sur le trajet
qu'il devait suivre pour aller de son domicile à son lieu de travail, sa veuve
bénéficie
de
la présomption
d'imputabilité '.
Le
trajet se
parcourant
habituellement en l'absence des collègues, des indices concordants et précis ou
le témoignage d'un tiers suffira à localiser le préjudice. Tel est le cas d'un
salarié qui déclare à son employeur avoir été blessé, en descendant d'un car qui
l'avait amené à son lieu de travail, par la fermeture brutale des portières de ce
véhicule lorsque ces déclarations sont corroborées par le témoignage du
conducteur2 . Il en est de même pour le salarié qui, ayant quitté son travail dans
la soirée à cyclomoteur, avait été victime d'un accident et n'a été secouru que
près de douze heures après. Les juges avaient \\fait observer que les
constatations matérielles de l'enquête recoupaient la version donnée par la
victime lors de son transport à l'hôpital dans « des conditions qui étaient en
faveur de sa sincérité )}' . Cette décision peut être rapprochée d'une autre dans
laquelle le salarié qui a quitté son travail en tïn d'après-midi, a été découvert le
lendemain matin à peu de distance de son domicile, gisant sans connaissance
1 • soc. 3 Février 1988, Bull v, na 86
2. SOC. 9 Décembre 1985, Bull V, na 587
.\\. Soc. 26 Avril 1974, Bull. V, na 253; Paris 30 Mars 1995, RJ.S. 1995, p. 476. Paris, 24 Octobre 1995,
RJ.S 1995, p. 53; Doit être considéré commc accidcnt de trajet l'agression dont a été victime un salarié vers
2) h 30 mn; alors qu'il rentrait, en auto-stop. au domicile de ses parents aprés sa journée de travail terminée il
19 h. 30 mn dés lors qu'il résulte des déclarations de la victime confortées par une attestation d'un collégue et
des présomptions sérieuses, qu'il a, compte tenu des circonstances, emprunté un moyen de transport et un
itinéraire obligés entre son lieu de travail et sa résidencc.
\\\\,

9]
sur la voie publique. Les juges ont estimé dans cette espèce que la victime
n'apportait pas la preuve qui lui incombait que son préjudice est survenu au
temps nonnal du trajet l . Tout est donc question de faits. La voie sur laquelle
est survenu le préjudice est-elle souvent fréquentée, les juges peuvent estimer
que le fait que le salarié n'ait pas été découvert plus tôt démontre que le
préjudice n'est pas survenu au temps normal du trajet2 . Cette voie est-elle au
contraire très peu fréquentée au moment où J'accident est censé survenu, les
juges peuvent admettre que le p'réjudice est survenu au temps nonnal du trajet.
\\,
Le salarié en mission étant a priori en dehors 'de son lieu de travail
habituel, il conviendra d'examiner à présent, le régime de la preuve de la
localisation du préjudice subi par le salarié en mission.
2/ LA DISPENSE DE PREUVE AU PROFIT DU SALARIE EN MISSION
« L'envoyé en mission a droit à /a protection de /a loi pendant tout le
temps que s'exerce sa mission, celle-ci devant être considérée comllle
s'exerçant tant qu'il n'est pas établi que l'ouvrier a .recouvré sa pleine
indépendance ou a interrompu sa mission pour un motif uniquement dicté par
l'intérêt personnel et indépendant de son emploi»3. Le salarié en mission
bénéficie donc d'une présomption de protection légale continue pour toute la
durée de la mission. Mais il ne 's'agit que d'une présomption simple ayant pour
effet de dispenser le salarié de la preuve du lien de s\\lbordination. Il revient
donc à l'employeur qui entend contester le caract~re professionnel du
préjudice, de démontrer que le préjudice est survenu alors que le salarié n'était
plus sous sa subordination. Toutefois, cette preuve ne saurait résulter du 1àit
qu'au moment de l'accident, le salarié avait interrompu son trajet en vue de
prendre un repos après un trajet f'atiguant" . Cette présomption établie au prolit
du salarié en mission n'implique pas pour autant que ce dernier bénéticie d'un
régime plus favorable. En effet, la distinction Actes de la vie courante-Actes
professionnels permet à "employeur de détruire assez facilement celte
présomption.
Soc. 6 Novembre 1985, Bull. V, n° 515.
Soc. 16 Mars 1983, Bull. V. n° 227.
Soc 26 Avril 1951. Bull. IV, n° 227
'. Soc. 14 Mai J984, Bull. V. nO 190.

92
Contrairement au salarié en mission, Je salarié ambulant et notamment le
représentant de commerce ne bénéficie pas de cette présomption continue.
Aussi doit-il prouver qu'au moment de l'accident il était effectivement dans
l'exercice de ses activités professionnelles. Le seul fait qu'il ait avisé son
employeur de la survenance d'un accident ou d'avoir consulté un médecin ne
suffit pas à établir le caractère professionnel du préjudice' . En revanche, celle
preuve peut résulter des précisions sur le travail réellement effectué 2 et les
clients qui auraient été visités .au moment de l'accident. Le lieu et l'heure de
l'accident, l'heure à laquelle les derniers clients ont étévisités de même que la
situation géographique de leur domicile sont autant d'~léments pern1ettant de
dire que le salarié était effectivement dans l'exercice de sa profession, et
corrélativement, sous la subordination de son employeur au moment de
l'accident. On signalera par ailleurs qu'il Y a des situations dans lesquels le
salarié se trouve soumis au régime du droit commun de la preuve.
3/ LA RESURGENCE DU DROIT COMMUN DE LA PREUVE
Le régime de la preuve du caractère professionnel du préjudice se trouve
largement dominé par des présomptions. Le préjudice survenu au temps ct au
lieu du travail est présumé imputable au travail. Le salarié en mission bénéficie
également d'une présomption continue. Il peut arriver que le préjudice
survienne alors que le salarié n'était plus ni au temps ni au lieu du travail. Dans
ces conditions, la victime ne bénéficie évidemment pas de la présomption.
Aussi doit-il prouver, suivant le droit commun de la preuve, la relation de
cause à effet existant entre son préjudice accidentel et sa profession. Le lien de
subordination étant aux tem1es de la jurisprudence le fondement de la
responsabilité patronale, il doit prouver qu'il était sous la dépendance de son
employeur au moment de J'accident.
Tel est le cas lorsque le salarié, en dehors du temps et du lieu du travail,
exécutait en fait les ordres de son employeur. S'agissant par exemple d'un chef
de chantier victime d'un accident monel alors qu'après le travail, il se rendait
sur ordre de son employeur visiter les chantiers modèles, les juges ont re1cvé
, soc 20 Octobre 1971, Bull. V, nO 577.
2
Soc 9 Mars 1995. R.JS
1995. p. 291
L'accitlenl dait survenu au domicile du salarié alors qu'il
déchargeait de lourdes valises d'échantillons 'de son véhicule

93
«qu'au moment de l'accident la victillle se rendait bien sur les ordres et pour
le compte de son patron, au chantier modèle pour éluder les dispositds de
sécurité utilisés sur ce chantier» 1. L'exécution des ordres de l'employeur au
moment de l'accident sumt à établir le lien de subordination. D'ailleurs, une
jurisprudence ancienne affinne que le salarié est au temps et au lieu du travail
au sens de la loi du 9 Avril 1898 partout où il se rend d'ordre de son maître et
pour les besoins de l'entreprise2 . Alors même que la victime serait à son
domicile particulier, dès lors que le patron n'aurait pas mis à sa disposition un
local dépendant de l'entreprise pour accomplir l'acte ,au cours duquel il est
blessé, l'ouvrier doit être considéré comme étant au lieu 'du travaie .
Il ressort de ce qui précède que la preuve du caractère professionnel du
préjudice est largement facilitée par les mécanismes élaborés par la
jurisprudence. Qu'il s'agisse de la matérialité de l'accident ou de l'imputation
du préjudice à la profession, la preuve à la charge de la victime est toujours
considérablement allégée par la jurisprudence. Ce qui ne suppose pas que le
salarié victime d'un accident pourra toujours faire réparer son préjudice au titre
de la législation sur les accidents du travail. Mais on remarquera que toutes les
difficultés qui pourraient exclure du domaine de la loi certains préjudices subis
par le salarié sont liées il la conception jurisprudentielle. de la notion de
préjudice professionnel et non à la preuve.
Cette constante sollicitude d'un point de vue probatoire s'explique sans
doute par des raisons historiques. Ce sont en effet, les '.difficultés probatoires
qui ont rendu nécessaire cette loi. De ce point de vue, on pourra dire que la
jurisprudence a concouru à la réalisation effective de l'objet de la loi.
Il est certain que, de la simple localisation du préjudice ou du fait
accidentel au temps et au lieu du travail, la jurisprudence présume son
imputation au travail. Cependant, la preuve de cette localisation qui, en
général, ne suscite pas de difficultés majeures, se révèle parfois impossible
sauf à accorder foi aux déclarations de la victime. C'est le cas lorsque le
préjudice survient en l'absence Je lout témoin.
1 •
Paris, 22 Octobre J 968, Gaz. Pal. J 969, lI, 55
Civ. 13 Février 1906, DP 1908,1,58.
Civ. 24 Juin 1905, D.P. 1908, 1,218.
\\\\

\\
94
BI LE PREJUDICE SURVENU EN L'ABSENCE DE TOUT TEMOlN
La survenance du préjudice en l'absence de tout témoin n'est pas un
phénomène rare. Au contraire, la jurisprudence en fournit de nombreuses
espèces Cette hypothèse peut concerner aussi bien les préjudices dus à une
prédisposition pour lesquels le travail n'aurait été qu'un "catalyseur" que ceux
impliquant un phénomène extérieur suffisamment caractérisé. Ce peut être un
salarié qui, après le départ de ses collègues, se blesse alors qu'il continuait son
travail, ou encore un salarié qui en raison de la nature de ses tâches, ne dispose
pas des mêmes horaires de travail que les autres salariés. Dans tous ces cas les
déclarations de la victime constituent le plus soulv'ent la seule source
d'information. Mais encore faut-il qu'elles soient corroborées par des indices
sutlïsants. On remarquera une certaine évolution de la jurisprudence qui
semble passer de l'exigence d'une simple diligence à une sorte de suspicion
déniant ainsi toute valeur probatoire aux déclarations de la victime.
II L'EXIGENCE D'UNE SIMPLE DILlGENCE
Dans une série d'arrêts, la Chambre sociale accordait crédit aux seules
déclarations de la victime pourvu qu'elle fasse preuve de diligence après que le
préjudice soit survenu. Il s'agit par exemple pour la victime de déclarer le
préjudice à son employeur dès que possible. Cette fornlalilé remplie, dès fors
que les déclarations de la victime ne sont pas contredites par les constatations
médicales, les tribunaux admettaient que le caractère professionnel du
"
préjudice était établi. Il en est par exemple ainsi d'une ~alariée qui, seule à la
cuisine un san1edi après-midi, a ressenti une vive douleur dans les reins en
déplaçant une bouteille de gaz. Bien qu'ayant poursuivi son travail, elle avait le
lendemain prévenu son employeur el consulté un médecin le lundi. La
Chambre sociale a estimé que les juges du fond appréciant la valeur des
preuves produites et notamment les déclarations concordantes de la salariée et
son employeur, peuvent en déduire que l'intéressée a bien été victime d'un
accident du travait 1 • Dans une autre espèce où le salarié avait fait une chute
alors qu'il quittait son domicile pour son lieu de travail, les juges ont estimé
que les circonstances de l'accident impliquent qu'il ait pu se passer en l'absence
\\ , soc. 10 Juin 1971, Bull. V, n° 442.

95
de tout témoin et la bonne foi des deux époux apparaît entière l . On constate
que dans ces. espèces, les déclarations des victimes 'suffisent dès lors que
certaines démarches ont été effectuées.
Réciproquement, la jurisprudence refuse de reconnaître le caractère
professionnel du préjudice lorsqu'il n'a été déclaré que plusieurs jours plus tard
et les lésions constatées plus d'un mois après2 . Dans ces conditions, il revient il
la victime quelle que soit son honorabilité de démontrer autrement que par ses
propres affinnations, la matérialité de "aCCIdent ct la relation de causalité entre
celui-ci et la lésion. C'est donc la négligence de la victime qui pennet au juge
de mettre en doute ses déclarations ct de refuser corrélativement le caractère
professionnel du préjudice. Quand bien même on pourrait penser que la crainte
de la perte d'emploi puisse conduire les salariés à s'abstenir de signaler trop
souvent les lésions de moindres importances ou les malaises ressentis au cours
de leur travail, cette jurisprudence nous paraît assez ~quitable. La protection
des droits de l'employeur aussi en dépend. En effet,.dans l'hypothèse d'un
accident survenu en l'absence de tout témoin, plus la déclaration est vite faite
et le médecin consulté dans les meilleurs délais, plus il est facile de vérifier la
véracité des affinnations de la victime. Il serait absurde de faire une confiance
absolue aux déclarations des victimes tout autant que leur dénier toute valeur
probatoire. Cette jurisprudence concilie ainsi le la protection du salarié et la
nécessité de protéger les droits de l'employeur. Malheureusement, à cette
jurisprudence d'un réalisme manifeste, fait suite un raidissement.
2/ LE RAIDlSSEMENT DE LA JURISPRUDENCE
A partir de 1975, on assistera à une nouvelle tendance jurisprudentielle
qui en substance peut être résumée par l'idée que la diligence du salarié
accidenté alors qu'il était seul au lieu du travail ne ,saurait être considérée
comme un indice auquel on peut attribuer une valeur probatoire. Un salarié
prétendant avoir été victime d'un accident un vendredi après-midi, avait
aussitôt consulté un médecin et n'a pu aviser son employeur que le lundi, ce
dernier étant absent en fin de semaine. Selon les juges, le fait d'avoir consulté
. soc. 2S Février 1970. Bull V. nO 142.
Soc. 22 Mai 1970, BulL V. n° 152

96
le médecin et d'avoir avisé l'employeur ne peut être considéré comme un
ensemble de présomptions précises et concordantes de la survenance du
préjudice au cours du travail' . Dans ces espèces dont les faits sont pourtant
très proches de ceux du 22 Mai 1970 précité, la Cour a estimé que la preuve
du caractère protèssionnel du préjudice n'a pas été établie. Tantôt les juges
pour motiver leur décision s'appuient sur le fait que personne n'avait été
témoin de l'accident ni vu la victime aussitôt après celui-ci. Tantôt, ils estiment
que les attestations ou témoignages se bornaient à reproduire les déclarations
de la victime. Alors même que la victime aurait été aperçue moins de deux
heures après l'accident, le caractère protèssionnel du préjudice ne sera pas
établi 2 . Un principe général sera donc posé par la Cour et selon lequel, il
appartient à celui qui prétend avoir été victime d'un a<;cident du travail quelle
,
que soit sa bonne foi, d'établir autrement que par ses propres affirn1ations, les
circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel3 . Pourtant on
voit mal comment en l'absence de tout témoin, l'on puisse établir avec
exactitude les circonstances de l'accident autrement que par ses propres
déclarations. Il ne serait même pas exagéré de dire que la jurisprudence fait
jouer une sorte de présomption de mauvaise foi, juridiquement insoutenable, à
l'encontre de la victime. Il est même pem1is de se demander si la rigueur
jurisprudentielle n'aboutit pas à une impossibilité matérielle de la preuve des
accidents survenus dans ces conditions, auquel cas, ces préjudices seront
désormais proscrits du domaine des risques professionnels.
3/ DE LA PREUVE IMPOSSIBLE
Il est bien des situations dans lesquelles, au reg~rd de la jurisprudence
\\
de la Cour de cassation, il sera quasiment impossible d'établir la preuve du
caractère professionnel du préjudice. Deux espèces jurisprudentielles nous
permettront de les illustrer.
Une caissière, serveusc de cl\\1cma prétend aVOir été victimc d'un
accident à vingt-trois heures quarante-cinq minutes alors qu'elle rentrait chez
elle après sa journée de travail qui a pris tin à vingt-trois heures vingt minutes.
. soc. 15 Juin 1977, Bull. n° 400; Soc 13 Mai 1976. Bull. V. nO 281
2. Soc. 8 Juin 1978. Bull. V. n° 458.
Soc. 26 Mai 1994. RJS 1994. p. 545.

97
La fille de la victime affinne que les faits leur ont été relatés comme tels par la
victime. Les juges du fond ont estimé que vu l'heure tardive, la victime n'avait
pu prévenir personne de l'accident avant le lendemain et ont admis le caractère
professionnel du préjudice. L'arrêt a été cassé au motif qu'il revenait à la
victime quelle que soit sa bonne foi d'établir autrement que par ses déclarations
les circonstances exactes de l'accident l . Cet exemple montre dans quelle
situation inconfortable se trouve le salarié lorsque le préjudice survient sans
témoin. Dans la première espèce, ni le témoignage de la fille de la victime ni le
fait qu'elle ait consulté le médecin ni enfin les circonstances de l'accident n'ont
pu infléchir la position des juges. Qu'aurait pu faire la victime pour que son
préjudice soit réparé? La question reste posée si sa diligence jointe aux
circonstances de l'accident ne suffisent pas à établir le caractère protèssionneJ
du préjudice. En écartant le témoignage des personnes qui n'ont vu la victime
que peu de temps après l'accident, la jurisprudence semble exiger un témoin
oculaire. Ce qui en l'espèce paraît impossible. C'est donc à juste titre que le
Protèsseur Y. SAINT-JOURS a pu observer que «Cette position négative de
la jurisprudence s'inscrit contre l 'Œ<iome selon leqilel "à l'impossible nul
n'est tenu,,»2.
Cette jurisprudence apparaît comme une coquille dans son oeuvre
relativement au régime de la preuve. Jusque là, nous avons toujours relevé la
constante tendance du juge à faciliter le régime de la preuve à la charge de la
victime. Il est souhaitable que la jurisprudence revienne à sa doctrine initiale' .
La diligence du salarié, à défaut d'éléments objectifs, devrait pemlcltre de
localiser vraisemblablement le préjudice dans le temps et dans l'espace. La
présomption d'imputabilité pemlettrait alors une solution plus équitable.
A la lumière de tout ce qui précède, il n'y a pas de doute que c'est le lien
de subordination qui, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, sous-tend
le rattachement du préjudice à la profession. Il convient cependant de se
'. soc. g Juin \\978, Bull. V, nO 457; Dans le mème sens, Soc. 6 Janvier 1977, Bull V, nO g Dans un sens
opposé voir, Soc. 25 Février J970 prée.
2. Y. SAINT-JOURS, « Accidents du travail: l'enjeu de la présomption d'imputabilité », D. 1995, Chf P 17.
). Tel semble ètre déjà le cas si l'on s'en tient à une décision récente de la Chambre sociale. En eflèt, il a été
jugé que la preuve, qui incombe à la victime, de la localisation d'une lésion au temps et au lieu du travail est
rapportée dans le cas suivant: un gardien d'immeuble a déclaré avoir subi un traumatisme à l'épaule droite en
descendant des bennes vide-ordures, un certificat médical ayant été délivré à l'assuré par lin centre chirurgical
le lendemain. Soc. Il Mai 1995, RJ.S. 1995, p. 608 (3"'" espèce)

98
demander si ce lien de subordination dans sa traductiQn pratique répond à la
lettre et à l'esprit de la législation sur les risques professionnels. Et s'agissant
d'une loi à caractère social, il y a lieu de rechercher si les résultats auxquels
conduit ce critère ne font pas constater une certaine iniquité. A ce propos, nous
relèverons déjà que, non seulement ce critère ne répond pas à l'esprit et à la
lettre de la loi mais n'explique pas totalement non plus, la construction
prétorienne. Et qui plus est, il aboutit parfois à des solutions humainement
répréhensibles. Aussi pourrait-on dire que ce critère apparaît doublement
défaillant.
SECTION Il : LES INSllFFISANCES DU CRITERE DE
SVBORDINATION COMME SOURCE DE LA RESPONSABILITE
PATRONALE
Le lien de subordination selon la doctrine « demeùre aujourd'hui comme
hier la caractéristique essentielle des relations du travail» 1 avions-nous
relevé. 11 peut dès lors paraître peu logique de rechercher un autre fondement à
la responsabilité patronale. Cela semble évident. Cependant, il le devient
moins lorsqu'on se rend compte que le lien de
subordination n'est pas une
réalité monolithique. D'abord, cette notion elle-même connaît une évolution.
Ensuite, on ne saurait dire avec certitude que l'expression jurisprudentielle du
lien de subordination dans le domaine des accidents du travail correspond à sa
manifestation dans l'ensemble du droit du travail. Enfin, en admettant que c'est
de la subordination du salarié à l'employeur que découle la responsabilité de cc
dernier, on peut en déduire que le préjudice professionnel est celui auquel l'état
de subordination du salarié l'expose. Or, cet état de subordination expose le
salarié à des risques directs dont les uns sont instantanés et les autres différés.
Les premiers sont ceux qui se réalisent au cours de l'exécution du travail quand
bien même leur apparition peut être postérieure. Ces préjudices sont ceux qui
correspondent à la notion jurisprudentielle du risque professionnel. Les
seconds sont ceux qui, bien que liés à l'état de subordination du salarié, sc
réalisent à un moment où cette subordination a cessé. Ces préjudices sont
exclus du domaine de la loi. Le législateur a-t-il vraiment entendu exclure ces
1
M. OESPAX. art. prée

99
préjudices du domaine de la réparation? Autrement dit, cette conception du
risque professionnel est-elle conforme à l'esprit de la loi? (§I) Sinon, n'y a-t-il
pas lieu de rechercher un autrè critère ou du moins une autre conception du
lien de subordination qui, tout en poursuivant le but\\,du législateur, aura le
mérite d'être plus équitable? (~ll)
§ 1: LA CONFORMITE DU "RISQUE DE L'AUTORITE" A L'ESPRlT DE
LA LOI
La loi du 9 Avril 1898 comme on devait s'y attendre, allait poser le
problème du fondement de la responsabilité patronale. La faute qui jadis était
l'unique fondement de la responsabilité civile avait dans une large mesure,
disparu de la nouvelle législation. Dorénavant, l'existence d'un dommage et
d'une relation de cause à effet entre ce dommage et le travail suffira à
l'indemnisation du salarié. S'appuyant sur les travaux préparatoires de la loi, de
nombreux et éminents auteurs rcclll;rcheront ce fondement dans le risque créé
par l'employeur. Mais la théorie du risque de l'autorité soutenue par A
ROUAST l'emportera. Elle sera confinnée par les décis.ions jurisprudentielles
du moins dans une large mesure et ce malgré l'évolution législative ultérieure.
Pourtant, certaines des dispositions législatives paraissent en désaccord avec
cette théorie CA). Nous les mettrons en relief. Par ailleurs, des décisions
jurisprudentielles souvent favorables à la victime infirment partois cette
théorie. Ne peut-on pas voir là une sorte de remords jurisprudentiel ou du
moins l'incapacité de cette théorie à expliquer l'ensemble de l'oeuvre
jurisprudentielle? (B)
AI L'EVOLUTION LEGISLATIVE EN MATIERE D'ACCIDENTS DU
TRAVAIL, UN DEMENTI PARTIEL DE LA THEORIE DU RISQUE DE
L'AUTORITE
Même les auteurs favoràbles à la théorie du risque de l'autorité ont
reconnu que les promoteurs de la loi ont été inspirés par la théorie du risque
,
professionnel au sens du risque créé. Leur oeuvre aurait simplement dépassé
ce cadre pour s'inscrire dans celui du risque de l'autorité. En quoi consiste
celte dernière théorie et quels sonl les arguments législatifs évoqués à son
appui?

100
1/ LES ELEMENTS DE LA THEORIE DU RiSQUE DE L'AUTORITE
Chronologiquement, la théorie du risque de l'autorité a succédé à celle
du risque professionnel dont il a pris le contre-pied. Aussi l'énoncé de la
théorie du risque de l'autorité suggère que soient rappelées brièvement les
bases de la théorie du risque professionnel. Selon cette théorie, le patron qui
fait travailler un ouvrier l'expose au risque d'accident. Il n'y a sans doute pas
faute de sa part à exposer ainsi son ouvrier: c'est une nécessité du progrès
industriel. Il n'cn reste pas moins que ces dangers du travail sont cause
d'accidents
pour les
travailleurs
et constituent
la rançon
du
progrès.
Néanmoins, il y aurait injustice que les victimes n'obtiennent pas réparation de
leur préjudice si elles ne prouvent pas la faute du patron. Le patron tire son
profit de cet outillage dangereux. II est équitable qu'il en supporte les risques.
Le salarié blessé dans son travail doit être indemnisé par celui pour le compte
de qui il accomplissait ce travail. L'accident est pOl\\,r ce dernier un risque
professionnel J .
.
Telles sont les idées essentielles sur lesquelles repose la théorie du risque
professionnel. A. ROUAST et M. GIYORD leur adresseront des critiques d'un
point de vue théorique et pratique. Selon ces auteurs, si la responsabilité du
patron se tonde sur le danger qu'il fait courir à autrui, cette loi ne devait
concerner que les entreprises dangereuses. Le commis ou le domestique
ajoutent-ils, qui a fait une chute sur le trottoir n'était pas exposé à un risque
spécial dans sa profession mais au risque normal des piétons. Par ailleurs, la
responsabilité du risque créé par l'activité d'un individu doit avoir logiquement
pour limite les fautes commises par un autre. Si donc J'accident est dû à la
faute d'un tiers, le patron n'en devrait pas être tenu. Même si l'accident est
1 .On pourra par exemple se référer à R. SALEILLES, « C)
là où s'exerce \\Ine activité qui entre en contact
avec les autres, qui les emploie à son service, et les engrène dans sa sphère d'àction, cette activité s'est par le
fait même approprié toutes les conséquences de son initiative, tous les risques qui peuvent en découler pour
ceux qui le servent, auxquels elle touche, et qui se trouvent exposés aux contre-coups qu'elle produit dans le
monde des faits extérieurs »; ouvr. prée. p. 12
C'est la même idée que l'on retrouve dans les travaux préparatoires de la loi: « Le risque
professionnel, c'est le risque afférent à une profession déterminée indépendamment de la faute des patrons et
des ouvriers. Malgré les précautions prises, il se produira toujours des accidents sans Que la plupart d'entre
eux résultent d'aucune faute. (... ). Du moment où l'industrie entraîne des risques inévitables, l'ouvrier ne doit
ni ne peut les supporter, aujourd'hui moins Que jamais, en présence de l'outillage moderne et les forces Qui
l'actionnent. (... ) C'est au maître Qu'incombe la responsabilité de la machine qui tue et qui blesse; la machine
est sienne, n'en doit-il pas répondre au même titre qu'il entretient ses outils et ses machines, en faisant entrer
le risque professionnel dans le prix de revient» Lois annotées, 1899, p. 763.

101
provoqué par la faute légère de j'ouvrier, on ne conçoit pas que celui-ci puisse
réclamer une indemnité. S'appuyant ensuite sur une série de décisions, ils
relèvent à juste titre l'importance que la Cour de cassation attache à l'existence
d'un contrat de louage de services entre les parties. « Ce n'est pas sans raison
que la jurisprudence n'applique la loi de 1898 qu'aux accidents survenus à
des ouvriers liés par un contrat de louage de services et ne l'applique pas à
des associés,
à des fermiers,
à des métayers,
à des travailleurs à
l'entreprise »,1 diront-ils. Pourtant, ces travailleurs manient aussi des machines
dangereuses. Mais il est normal qu'ils assument les risques d'accidents parce
qu'ils opèrent librement en conservant leur pleine indépendance. Au contraire,
celui qui loue ses services se place sous l'autorité de son employeur. Il travaille
aux heures prescrites et au lieu désigné, avec le matériel imposé. L'accident
qui survient dans ces conditions incombe à celui qui a donné les ordres.
L'autorité est une source de risque concluent-ils. Par ailleurs, l'extension de la
loi à des établissements commerciaux qui ne présentaient pas des dangers
particuliers constituait selon ces auteurs, une confirmation de leur théorie. Il
conviendra de faire une analyse de cette théorie ainsi exposee, au regard de la
législation sur les risques professionnels.
21 CRITIQUE DE LA THEORIE DU RISQUE dE L'AUTORITE
Sur le plan pratique, les partisans de la théorie du risque protessionnel et
ceux du risque de l'autorité aboutissent logiquement à des solutions diftërentes.
Ainsi par exemple, M. PIAGET, partisan de la théorie du risque professionnel
estime que l'on doit considérer que « l'ouvner est à l'heure et au lieu de son
travail chaque fois que sa présence cl une heure et en un lieu donnés ne
s'explique que par l'obligation où il .'le trouvait d'y être de par son travail »2.
Ce qui revient à faire garantir par le chef d'entreprise, tous les accidents de la
rue qui ont pu survenir sur le trajet pour se rendre à l'usine.
A. ROUAST, au nom de la théorie du risque de l'autorité, trouvait cette
garantie bien lourde et peu équitable. Pourtant, plus tard, la loi du 30 Octobre
1946 allait étendre la couverture aux accidents du tr~iet. Ce qui constitue un
\\
A ROUA ST et M. GIVORD, ouvr. prée. p. 125
2. PIAGET eité par A ROUAST et M. G1VORD, ouvr prée. p 113

\\02
démenti fonnel à la théorie du risque de l'autorité du moins dans sa version
iniciale. En effet, on ne saurait dire que le salarié victime d'un accident de
trajet était sous l'autorité de son employeur. Les partisans de la théorie du
risque de l'autorité l'avaient d'ailleurs clairement affinné lorsqu'ils écrivaient:
,
« Avant cette entrée (entrée dans l'usine) et après ~:.ette sortie, le salarié
recouvre sa pleine indépendance et le chef d'entreprise cesse d'être

responsable des accidents qui peuvent lui arriver même s'ils se rattachent par
un lien quelconque au travail »1, Cette analyse est certainement contestable
depuis l'extension de la protection aux accidents du trajet. Avant cette loi, ces
mêmes auteurs estimaient que la responsabilité de l'employeur relativement au
trajet entre le domicile et le lieu du travail existe quand on peut considérer que
le chef d'entreprise a imposé un passage périlkux à son ouvrier pour gagner le
lieu de travail. Cette argumentation nous paraît peu logique pour deux raisons.
D'abord,
un
passage
apparemment sans
danger
peut le
devenir
subitement à la suite d'un événement quelconque. On peut imaginer un pont
sur lequel passe l'ouvrier chaque matin pour aller à son travail. Ce pont
fragilisé par une pluie de la veille, se rompt au passage de la victime.
Ensuite, nous ne voyons pas comment à partir du passage par un endroit
périlleux, on peut déduire que le salarié était sous l'autorité de son employeur
sinon que cette subordination qui l'oblige à passer par ce chemin, l'expose à un
risque. Et dans ce cas, j'on évoque indéniablement la notion de risque
professionnel au sens du risque auquel J'état de subordination du salarié
['expose.
Comme le relève si bien S. SPREREGIN, « Le trajet ne constitue pas,
en effet. un acte de la vie privée. mais fait partie' de l'ensemble des
« servitudes» qu'impose la profession »2. Il nous semble bien que c'est dans
cette optique que le législateur a étendu le bénéfice de la loi aux accidents de
trajet. C'est dire que le législateur entend réparer tous les préjudices résultant
de la servitude de la profession. Ce qui est certainement en opposition avec la
théorie du risque de l'autoricé.
"
'. A ROUAST et M. GI VORD, ouvr. préc. p. 115
2. S SPREREGIN. « Les accidents du trajet et leur place dans la législation du 30 Octobre 1946 », Gaz. Pal.
1959, p. 25.

103
La théorie du risque de l'autorité est également contestable d'un autre
point de vue. En effet, l'autorité étant source de responsabilité, tous les
préjudices survenus alors que le salarié était sous J'autorité de l'employeur
devraient être réparés. Il s'agit des préjudices survenus au temps et au lieu du
travail c'est-à-dire selon cette doctrine confinnée paf la jurisprudence, « à
t'occasion du travail ». Or, nOLIs savons que les accidents survenus dans ces
conditions emportent seulement présomption d'imputabilité et l'employeur
peut démontrer que la cause du
préjudice est étrangère à l'activité
professionnelle. C'est dire qu'au-delù de l'autorité exercée sur le salarié, une
relation de cause à effèt est nécessaire entre le travail et le préjudice pour que
l'employeur soit en définitive responsable. Cette observation nous conduit n
nous demander ce qu'il faut entendre par « à l'occasion du travail ». Lcs
travaux préparatoires de la loi ne nous renseignent pas suffisamment sur cette
expression. Aussi voudrions nous nous reporter d'abord au sens courant du
tenne. Selon le Petit Robert l " à l'occasion de " signifierait « t'occasion en
élant fourni par ». En appliquant cette explication à notre cas, serait
protèssionnel tout accident dont l'occasion aurait été fournie par les activités
professionnelles du salarié. Comme on le verra plus loin, cette interprétation
,.,
se retrouve d'ailleurs dans certaines décisions de la Chambre sociale. Une telle
interprétation ne serait pourtant pas antinomique de la jurisprudence attribuant
une importance particulière à l'existence d'un contrat de travail ct donc au lien
de subordination.
Toutefois, ce lien de subordination doit être compris autrement. Nous ne
contestons pas en effèt que le 1ien de subordination soit la caractéristique
essentielle des relations du travail. Cependant, l'état de subordination du salarié
chargé d'exécuter les ordres de son patron l'expose à des risques dont il faut
tenir compte dans toute leur ampleur. Il est injuste et même inhumain de
laisser le subordonné, simple exécutant, supporter les conséquences de ses
actes alors qu'il n'a fait qu'obéir à son devoir professionnel. L'exemple suivant
nous fera comprendre mieux la situation Un chef d'équipe réprimande un
ouvrier qui exécute mal son travail ou détériore le i1,1atériel de travail. Cc
dernier, vexé, promet une vengeance qu'il mettra à exécution au domicile de
son chef d'équipe le soir après le travail. On peut même supposer que, pour se
faire ouvrir la porte par l'épouse de son chef d'équipe, il a évoqué un motif

104
professionnel. La théorie du risque de l'autorité exclut ,du bénéfice de la loi ce
chef d'équipe qui n'a fait que son devoir professionn~1, conséquence de son
contrat de travail. C'est son état de subordination qui lui impose de réagir
lorsqu'un membre de son équipe détériore le matériel de l'employeur. C'est à
notre avis ce lien de subordination qui a fourni t'occasion du préjudice. Le
préjudice professionnel serait donc celui auquel l'état de subordination du
salarié l'expose.
Cependant, ce risque ne peut se limiter aux seuls moments où s'exerce
J'autorité de l'employeur sur le salarié. Tant que s'exerce cette autorité, le
caractère professionnel du préjudice doit être présumé. En limitant le préjudice
professionnel au seul moment où s'exerce J'autorité de l'employeur, la théorie
du risque de l'autorité de même que la jurisprudence dans une large mesure,
confondent les conditions de la mise en oeuvre de la présomption avec ce]]es
desquel1es doit être déduit le caractère professionnel,. du préjudice. On voit
\\
aussi, comme nous
l'avons déjà souligné,
que
la théorie du risque
professionnel n'est pas fondamentalement en contradiction avec l'exigence du
contrat de travail. C'est que le contrat du travail dont J'effet essentiel est le Jien
de subordination, impose des obligations au salarié. De ces obligations
découlent des risques. Et tous ces risques doivent être réparés.
Reste à savoir si les autres critiques adressées à la théorie du risque
professionnel sont inconciliables avec l'exigence du contrat de travail. Selon
les tenants de la théorie du risque de J'autorité, si la responsabilité du patron
découle des risques auxquels il expose le salarié, la législation concernerait
uniquement les entreprises dangereuses.
Cette argumentation n'est pas
convaincante non plus. Y a-t-il une activité humaine qui ne comporte aucun
risque? Seulement, les uns sont plus importants que les autres. Il ne fàut pas
non plus oublier que la législation de 1898 a constitué (me véritable révolution
qu'on ne pouvait pas instantanément étendre à tous les secteurs, bien qu'ils
soient tous et à des degrés différents dangereux. Ce qui explique que son
domaine d'application n'ait été étendu que progressivemene. Toutes les
'. « (. .. ) c'est l'extension de l'assurance des accidents. qui doit être la règle de l'avenir. Votre commission ne
se dissimule pas que la veuve et l'orphelin d'un ouvrier tué dans la moins dangereuse des professions sont
aussi intéressants que les représentants de l'ouvrier qui périt dans les usines, où la vie humaine est
continuellement en péril. Elle a, toutelois. pensé quc. l'OUI introduirc utilcment le principe nouveau du risque

105
activités humaines comportant un risque, celui pour le compte de qui est
effectuée cette activité doit supporter les risques présents et futurs. Les
dispositions législatives concernant les maladies professionnelles qui assurent
au salarié la garantie du préjudice même après l'exposition au risque ou même
après l'expiration du contrat de travail pendant un certain délai, confinnent
cette analyse.
Pamli
les
cnttques,
figure
également
celle
selon
laqudlc,
la
responsabilité du risque de l'activité d'un individu doit logiquement avoir pour
limite la faute d'un tiers, et même la faute légère de l'ouvrier lui-même.
S'agissant de la faute d'un tiers, on retiendra que l'intrusion d'un tiers dans la
sphère d'activité du salarié occupé à son activité professionnelle, n'est pas
totalement étrangère aux risques auxquels l'activité du salarié l'expose. Les
obligations du salarié s'accomplissant dans la société, l'interaction entre les
différentes activités est inévitable. Quand bien même' cette interaction
résulterait de la taute d'un tiers, il ne revient pas à l'ouvrier d'en supporter les
conséquences mais à celui qui l'expose à cette interaction fautive. D'ailleurs, ce
dernier (l'employeur) et depuis 1946 la C.S.s. dispos~\\d'une action contre le
tiers responsable qui en définitive supportera les conséquences de sa faute. Par
ailleurs, chercher à exclure du domaine de la loi les préjudices dus à la faute
même légère de la victime, c'est ignorer les défaillances inhérentes à l'activité
humaine. C'est bien l'individu avec ses imperfections qui est chargé de
l'exécution de cette activité 1 • En employant un tel individu, ses imperfections
sont partie intégrante de l'ensemble des risques à condition bien entendu que
cette faute, source du préjudice, n'ait pas été intentionnelle. La responsabilité
patronale aurait donc pour limite
le
préjudiœ résultant
de
la
raute
intentionnelle. Un tel préjudice résulte en effet, de la volonté du salarié. C'est
donc un risque étranger à l'entreprise.
professionnel et de l'assurance obligatoire, il fallait procéder avec ordre, avec méthode et avec une certaine
lenteur. En précipitant tout à l'excès, on compromettrait à coup sûr le sort d'une des plus importantes
réformes sociales. » Rapport du député Louis RICARD à la Chambre des d.èputés en 1893. Lois annotées
1899, p. 768.
\\
1 • Les travaux préparatoires sont instructifs sur la question. ({ Le risque professionnel se définit de lui-méme. Il
comprend d'abord, et avant tout, les accidents provenant de cas fortuits ou de la force majeure Il comprend
également les accidents dus à ces distractions, ces défàillances inévitables pour l'ouvrier que C.) la répétition
quotidienne d'un travail dangereux habitue insensiblement à négliger les précautions nécessaires, et qui se
familarise avec le péril, au point de se laisser entraîner à des témérités imprudentes, mais inhérentes au travail
lui-même. Ce sont toujours et presqu'au mène degré, des chances malheureuses du métier ». Lois annotées
1899, p. 763

106
Quant à la faute inexcusable, 1 elle donne lieu selon les cas à une
réduction ou à une augmentation de la rente. La faute inexcusable n'est
nullement volontaire. Néanmoins, elle suppose un comportement coupable en
cc sens qu'elle devrait nomlalemenl pouvoir être évitée par un homme
ordinaire. II ne s'agit pas d'un risque étranger à l'entreprise mais d'un risque
accru par l'une des parties au contrat. Ce qui justifie ces modulations.
Les tenants de la théorie du risque de l'autorité affirment que « l'employé
qui commet une faute intentionnelle s'insurge contre l'autorité patronale, il
viole le contrat, et le patron n'est plus tenu à rien à son égard ». Plus loin ils
ajoutent que « le chef d'entreprise répond de tous les accidents survenus au
cours d'interruption de travail, même s'il y a désobéissance de la victime,
pourvu qu'il se soit produit dans un lieu où existe sa subordination vis-à-vis
du patron »2. La désobéissance n'est-elle pas aussi une \\riolation du contrat? Si
le lien de subordination est la conséquence essentielle du contrat de travail, elle
se traduit par le droit pour l'employeur de donner des ordres et le devoir pour le
salarié de les exécuter. Si nous suivons donc leur logique, la désobéissance
devrait également constituer une limite à la responsabilité patronale.
Comme on peut le constater suite à ces développements, les critiques
adressées à la théorie du risque professionnel au sens du risque créé, ne
résistent pas à l'analyse. Au contraire, elle paraît en parfaite harmonie avec les
dispositions législatives qui, par contre, en de nombreux points, sont en
désaccord avec la théorie du risque de J'autorité. En réalité cette théorie du
risque de l'autorité n'a qu'une assise jurisprudentielle encore d'actualité. La
Chambre sociale l'a récemment. réaffirmée: « Qu'en statuant ainsi, alors qu'il
résulte de ses constatations que l'accident s'est produit dans une dépendance
de
l'entreprise

l'employeur
continuait
d'e:lercer
ses
pouvoirs
d'organisation, de direction et de contrôle, de sorte que le salarié se trouvait
toujours sous son autorité ( ..) la cour d'appel a violé le texte susvisé»3. La
cour d'appel, pour dire que le préjudice ne devait pas être réparé au titre de la
législation des accidents du travail, avait relevé que le salarié était « (. ..)
1
Nous etudierons plus loin la faute inexcusable (Voir pp 157 ss). La question est abordee ici pour repondre
seulement aux critiques faites à la theorie du risque professionnel
'. A. ROUAST et M. GIVORD, ouvr prec pp. 26 et 1""
J. SOC 30 Novembre 1995, R.J.S. 1996. p. 48

107
volontairement demeuré dans l'enceinte de l'entreprise en dehors des heures
de travail et à des fins strictenlent personnels ». Son arrêt a été cassé par la
Chambre sociale qui confirme ainsi la théorie du risque\\de l'autorité
\\
Certes, cette théorie permet de réparer certains préjudices qui auraient
pu ne pas l'être si on s'en tenait à l'exercice de l'activité professionnelle
proprement dite. Tel aurait été le cas du salarié blessé alors qu'il prenait son
repas pendant la pause de midi, dans les locaux de l'entreprise réservés à cet
effet'. Il n'en demeure pas moins, eu égard à tout ce qui précède, que la
jurisprudence a substitué sa propre conception du risque professionnel à celle
qui se dégage de la loi. Or, cette théorie ne parvient pas non plus à expliquer
l'ensemble de la construction prétonenne. La référence jurisprudentielle à la
théorie du risque professionnel est sans doute rare mais pas assez pour être un
phénomène marginal.
B/ L'INCAPACITE DE LA THEORIE DU RISQUE DE L'AUTORITE A
EXPLIQUER L'ENSEMBLE DE L'OEUVRE JURISPRUDENTIELLE
\\
Nous avions relevé que la théorie du risque de l'autorité n'a qu'une assise
jurisprudentiel1e. Ce support n'a jamais cessé d'être remis en cause par la
jurisprudence elle-même. C'est ainsi qu'il a pu être jugé dès 1907 que le
patron était responsable quand l'ouvrier travaillait « aux ordres et pour les
besoins de l'entreprise»2. L'expression "pour les besoins de l'entreprise"
remet en effet fondamentalement en cause la théorie du risque de l'autorité.
Les partisans de cette théorie estiment que « cette formule procède d'un
souvenir de la notion première du risque professionnel (. ..) Cet hommage
rendu à l'idée qui a inspiré les rédacteurs de la loi ajoutent-ils, ne parait pas
avoir une grande portée pratique »3. Pourtant, depuis 1898, des décisions
similaires ont émail1é l'histoire de la jurisprudence en la matière avec une
référence plus ou moins explicite au risque professi?nneI4 . Nous nous en
tiendrons seulement aux plus récents. Nous distinguer6t:1s deux situations. La
'. soc. 5 Janvier 1995 préc. Cf aussi pour l'application de la théorie du risque de l'autorité Soc. 4 Juillet
1984, Bull. V, n° 291; Soc. 10 Juin 1987, Bull V, nO 373
1
Civ. 17 Juillet et 6 Aoùt 1907, D. P 1908, 1,218 .
.1. A ROUAST et M. GIVORD, ouvr. préc
p. 106.
4. Civ. 22 Novembre 1927, O. H
1928, 36; Soc. 27 Mai 1961, Bull. IV, nO 451
Soc. 21 Février 1963, Bull.
IV, n° 188

108
première concernera les espèces dans lesquelles la Cour dc cassation rejette
manifestement la théorie du risque de l'autorité. La deuxième sera relative aux
espèces dans lesquelles la Cour semble avoir adopté la théorie du risque de
l'autorité mais dont l'analyse révèle indiscutablement le contraire.
1/ LES REJETS MANIFESTES DE LA THEORIE DU RISQUE DE
L'AUTORITE
Dans une espèce, une salariée a été tuée dans son bureau par SOli
conjoint au temps et au lieu du travail. La Chambre sociale estime qu'il ne
s'agit pas d'un accident du travail dès lors que le conjoint venu contester les
conditions dans lesquelles s'exerçait sur les enfants son droit de garde et de
visite, avait pu parvenir jusqu'a la victime sans invoquer un prétexte pouvant
se rattacher à l'activité professionnelle de celle-ci 1 • Il i'~ssort de cet arrêt que,
alors même que le salarié serait sous l'autorité de son employeur, dès lors que
le préjudice accidentel est sans rapport avec Je travail, il est possible d'écarter
la qualification d'accident du travail. Ainsi dans cette espèce, si le meurtrier
avait invoqué un motif professionnel pour pouvoir se mettre en présence du
salarié, le caractère professionnel du préjudice serait admis. C'est précisément
ce qu'avait décidé la Chambre sociale une décennie plus tôt. En effet, par un
arrêt de cassation, la Cour avait jugé que lorsque dans l'exercice de son activité
professionnelle, un salarié a été tué par un individu qui avait invoqué un motif
de service pour être mis en sa présence, ce meurtre quel qu'en soit les mobiles,
doit être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail2 .
C'est dire aux tennes de cette décision que, si ténu soit-il, c'est le lien entre les
activités professionnelles de la victime et le préjudice qui sert dans cette
espèce, de fondement à la responsabilité patronale.
\\ ,
Si le mobile de l'agression était indéterminé parce que l'agresseur
n'avait pas été identifié, le préjudice serait d'origine professionnelle en raison
de la présomption d'imputabilité' .
1
Soc. 23 Janvier 1985, Bull V, nO 2 J 8
2
Soc. 23 Avril 1970, Bull. V, nO 275
J
Dijon, 28 Avril 1992, RJ S 1')92, p. 781.

109
De manière plus explicite encore, la Cour se réfère parfois au critère de
\\
l'activité profitable à l'entreprise. C'est ainsi qu'elle a estimé que le préjudice
subi par un bûcheron blessé à son domicile alors qu'il vérifiait le bon
fonctionnement de la tronçonneuse qu'il devait utiliser le lendemain pour son
travail, constituait un préjudice professionnel au motif qu'il est survenu dans
l'exercice d'une activité profïtable à son employeur'. Un autre exemple assez
significatif du rejet de la théorie du risque de l'autorité mérite également d'être
rapporté. Un directeur d'une agence bancaire qui se trouvait à son domicile
personnel a été mis en demeure par des malfaiteurs armés, d'ouvrir avec les
clés dont il avait la garde, la chambre forte de son agence. Les juges ont décidé
que les lésions dont a été victime ce directeur ont un caractère professionnel au
motif que l'agression était en rapport étroit avec la mission qui lui avait été
confiée par son employeur2 . Il s'agit là d'une véritable contïrmation de la
théorie du risque professionnel. Pourtant dans une espèce analogue, les juges
ont refusé la qualification d'accident du travail. n' s'agit d'un directeur
d'entreprise blessé à son domicile par quatre individus qui ont déclaré qu'ils
venaient venger les morts d'une catastrophe minière. Pour refuser le bénéfice
de la loi, les juges ont estimé que, même si les agresseurs n'avaient atteint la
victime qu'en raison de la nature de ses fonctions dans l'entreprise, les
blessures reçues par elle à un moment où elle ne se trouvait pas placée sous la
direction de son employeur ne pouvaicnt être considérées comme survcnus du
fait ou à J'occasion du travail J .
Face à cette jurisprudence divergente donnant lieu à l'application des
deux théories différentes, on est en droit de se demander, avec le Professeur .I-
l DUPEYROUX, si les décisions de la Cour ne précèdent pas le raisonnement
juridique. Mieux encore, on peut se demander si la théorie du risque de
J'autorité ne devient pas aujourd'hui l'exception à laqU'~lIe les juges recourent
parl()is pour refuser à la victimc, le bénéfice Je la loi. En effet, la portée
pratique de la théorie du risque professionnel est plus importante qu'on nc le
croit. Des décisions qui apparemment relèvent de la théorie du risque de
'. soc 21 Mai 1986, Bull. V, n° 218, Voir également Soc. 9 Mars 199\\ RJ.S. 1995, p.291 Il s'agissait dans
celte espèce, d'un accident survenu à un V.R.P. un samedi à son domicile alors qu'il déchargeait de lourdes
valises d'échantillons de son véhicule.
, . Soc. 4 Février 1987, Bull. V, n° 65
J. Soc. 29 Octobre 1980, Bull V, nO 796;

110
l'autorité montrent après analyse qu'il n'en est rien. Aussi convient-il au-delà
des formules quasi rituelles de la jurisprudence consacrant la théorie du risque
de l'autorité, de rechercher le !'(mdement réel de certaines décisions.
2/ L'ADOPTION IMPLICITE DE LA THEORIE DU RISQUE
PROFESSIONNEL
La traduction jurisprudentielle de la théorie du risque de ('autorité
s'exprime par le fait qu'est considéré comme accident du travail, tout accident
survenu au salarié alors qu'il se trouvait sous l'autorité de son employeur.
Plusieurs formules sont souvent utilisées par la juri~prudence tels "sous la
subordination", "sous la surveillance" ou encore "sous le contrôle". Ainsi, dans
une espèce du 20 Février 1980, la Cour énonce que dès lors qu'un accident est
survenu au temps du travail et en lieu soumis à la surveillance de l'employeur,
il incombe à celui-ci d'apporter la preuve que la victime s'est soustraite
volontairement à son autorité. 11 n'y a pas de doute que c'est le principe du
risque de l'autorité qui est affinné. Mais les faits nous instruiront davantage. II
s'agissait d'un salarié qui a été blessé par l'un de ses camarades de service alors
qu'il se trouvait dans le réfectoire de ['usine où il était employé. Sur le molif du
différend qui opposait les deux salariés, les versions divergent. Les juges du
fond pour dire qu'il s'agissait d'un accident du travail, ont relevé que compte
tenu de ces déclarations en sens opposé, il n'était pas établi que lors de
l'accident, la victime se fût soustraite à l'autorité de l'employeur pour régler un
diftërend d'ordre personnel totalement étranger à l'emploi. Le pourvoi formé
contre cette décision a été rejeté par la Cour de cassaÙon 1 . Des motifs de la
décision on peut retenir que, si le mobile du différend était établi avec
certitude et était étranger au travail, il aurait été possible d'écarter la
qualification d'accident du travail. Peut-être pourrait-on rétorquer que la
référence au mobile du différend était un motif surabondant auquel la Cour de
cassation n'avait pas jugé nécessaire de répondre et ne mettait pas en cause la
décision elle-même. Une telle argumentation ne pourra pas être réfulée de
manière absolue.
r
soc 20 Fevrier 1980, Bull V, nO 163 Voir egalcment Soc 15 Juin 1995, RJ.S. 1995, P 612. Dans cette
derniere espece, le salarie a été tué par deux individus qui n'ont pas été identifiés. Le mobile de l'agression est
donc demeuree inconnu

111
\\,
Mais un autre exemple typique nous pennettra de mieux saisir la
doctrine de la cour sur le sujet. En effet, la Cour avait jugé que lorsqu'après
une discussion suivie de bousculade qui s'était élevée entre deux ouvriers, l'un
d'eux a été frappé d'un couteau par son adversaire, les juges du fond ne
peuvent pour écarter la responsabilité de l'employeur, se borner à énoncer
qu'en allant chercher le couteau au vestiaire, l'agresseur avait agi dans des
conditions étrangères à l'exécution de son travail et sans relation de causalité
avec celui-ci, sans préciser la cause de la rixe ayant opposé les deux ouvriers
ni indiquer en quoi elle était étrangère au travail 1 . On remarquera que la Cour
de cassation elle-même tàit référence à la cause de la rixe. On peut encore
parler certes de motif surabondant. Mais si la Cour de cassation qui n'a pas de
justifications à donner à un juge supérieur, se tàit l'obligation d'invoquer un
motif même surabondant, il y a lieu de rechercher si\\elle n'en fait pas une
doctrine.
De tout ce qui précède, le moins qu'on puisse dire, c'est que si le lien de
subordination demeure le fondement de la responsabilité patronale, cette
subordination ne saurait se réduire à la notion d'autorité. La nature des
activités source du dommage semble jouer un rôle non négligeable.
3/ L'IMPOSSIBILITE DE REDUIRE LE LIEN DE SUBORDINATION A
LA NOll0N D'AUTORlTE
A la notion de dépendance caractéristique du lien de. subordination, la
jurisprudence substitue parfois celle de dépendance technique qui elle, est
exclusive de la notion d'autorité. C'est le lien de subordination qui distingue
essentiellement
le
contrat
de
travail
du
contrat\\ d'entreprise.
Or,
la
\\
jurisprudence admet même en l'absence de tout rapport d'autorité entre les
parties, l'existence du lien de subordination. En effet, la Cour a estimé que le
fait pour un salarié rémunéré à la tâche pour les travaux pour lesquels il est
spécialement engagé, d~ pouvoir refuser de s'en charger et de bénéficier d'une
certaine liberté dans l'exécution de son travail, n'est pas en soi exclusif du lien
de subordination. Le fait que le propriétaire de l'appartement que la victime
était chargée de peindre avait non seulement fourni les matériaux mais encore
1
soc 21 Avril 1977, Bull. v, n° 264. (i"" espèce)

112
les outils qui lui étaient nécessaires, ce dont il résultait l'existence d'une
dépendance technique entre eux, suffit à établir ce lien de subordination. Peu
importait dès lors que la victime disposât de toute liberté quant aux jours et
horaires de travail l . C'est là encore un indice nous permettant de remettre en
cause ou tout au moins de nuancer l'affirmation selon laquelle « est
l'autorité là aussi doit être la responsabilité ». N'y a-t-il pas lieu de suggérer
au regard de tout ce qui précède, un autre fondement de la responsabilité
patronale plus conforme non seulement à la lettre et à l'esprit de la loi, mais
aussi à l'équité?
§ II: LA THEORIE DU RISQUE PROFESSIONNEL, UN FONDEMENT
PLUS REALISTE DE LA RESPONSABILITE PATRONALE
Contrairement à la théorie du risque de l'autorité qui ne couvre que les
préjudices survenus alors que le salarié était sous la dépendance effective de
l'employeur, la théorie du risque professionnel permettrait de couvrir les
risques auxquels l'état de subordination du salarié l'expose. Ce dernier critère
n'est nullement en opposition avec l'élément essentiel du contrat de travail
avions-nous dit. Néanmoins, il ne permettra pas pour autant de couvrir tous les
préjudices qui, sous le régime du risque de l'autorité, étaient couverts. La
réciproque est tout autant vraie. Or, d'un point de vue doctrinal, il paraît
absurde d'appliquer suivant les cas l'une ou l'autre de ces théories sous peine de
dégénérer dans l'arbitraire. A notre sens, un choix s'imp\\ose. Quand bien même
\\
chacune des théories comporterait des inconvénients, on ne saurait procéder à
un choix hasardeux sans se référer à leurs incidences pratiques. Ce n'est pas
parce qu'on ne pourra pas atteindre la perfection qu'il faut renoncer à
l'amélioration. Nous avons déjà vu dans une certaine mesure les incidences
pratiques de la théorie du risque de l'autorité. Nous les mettrons davantage en
relief en étudiant aussi celles de la théorie du risque professionnel et ce, dans
une perspective comparative.
1
Soc. 28 Novembre 1974, Bull. V, n° 59.
,'.\\

113
\\
\\
AI LES INCIDENCES PRATIQUES DE LA THEORrE DU RISQUE
PROFESSIONNEL
Les développements précédents nous ont permis de nous rendre compte
de l'ampleur de la théorie du risque protèssionnel dans la jurisprudence.
Indépendamment des considérations juridiques, quel peut être le mérite
respectif des deux théories du point de vue de l'équité? Nous nous rendrons
compte, à travers quelques exemples tirés de la jurisprudence, des avantages
certains de la théorie du risque professionnel.
11 UN FONDEMENT PLUS CONFORME A L'EQUITE
« Si l'on s'en tient à l'idée du risque professionnel, il faut que l'accident
ait un rapport avec l'exercice de la profession, si l'Qn y substitue celle du
risque de l'autorité, il faut que l'accident résulte d'un travail accompli SOliS la
subordination du patron» 1 • Ces observations sont exactes. Deux exemples les
illustreront.
Dans une espèce du 10 Juin 1987, une salariée a été tuée par son
concubin venu au siège de la société qui l'employait lui demander de reprendre
la vie commune. La Chambre sociale a estimé que bien que la victime n'ait pas
demandé à son employeur d'exercer un contrôle éventuel sur l'entrée de son ex-
ami, cette abstention fût-elle fautive, n'impliquait pas qu'elle s'était soustraite à
l'autorité dudit employeur. La Cour avait donc décidé qu'il s'agissait d'un
accident du travaif . C'est là une application certaine de la théorie du risque de
l'autorité. La théorie du risque professionnel par contre n'aurait pas permis de
couvrir ce préjudice. Peut-être cette femme, en réalité victime d'un conflit
d'origine para-conjugale, mérite la sympathie sociale. \\Prenons alors un autre
exemple. Un salarié d'une entreprise qui par ailleurs appartient à une bande de
trafiquants de drogue, se fait tuer dans son service par un autre membre de la
bande. Ce dernier vient de se rendre compte que le salarié (la victime) n'avait
pas livré la marchandise (la drogue) comme prévu. La théorie du risque de
l'autorité impose la réparation de ce préj udicc au titre de la législation sur les
accidents du travail. La théorie du risque protèssionnel écarterait ce préjudice.
1
A. ROUA ST ct M. GIVORD, ouvr prée. il 105
Soc. 10 Juin 1987 prée.

\\,
114
Venons en maintenant à une hypothèse inverse. (( Un veilleur de nuit
qui assiste, caché, à un hold-up, et qui est tué le lendemain. che: lUi, les
auteurs de ce hold-up ayant voulu supprimer un témoin >/. Ou encore un
vigile qui se fait tuer chez lui par un individu qu'il avait empêché de voler un
article dans le magasin. Selon la théorie du risque de l'autorité, les victimes
dans ces deux cas ne seront pas couvertes par la loi. La théorie du risque
professionnel par contre garantit ces préjudices. Une théorie qui rendrait le
patron responsable des conflits matrimoniaux et des conséquences des activités
que condamne la morale et que la loi réprime, et qui par contre, abandonnerait
à leur triste sort des citoyens honnêtes, des salariés loyaux dévoués à leur
employeur, devient à la limite immorale, pourrait-on dire. Tout au moins il
apparaît qu'une telle théorie est d'une iniquité manifeSl:y d'un double point de
vue: iniquité d'abord à l'égard de l'employeur contraint de supporter des
cotisations afférentes à un préjudice auquel il est en définitive étranger et qui
aurait pu se produire partout; iniquité ensuite à l'égard du salarié victime de sa
loyauté à l'endroit de l'employeur; i:lbsurdilé enfin due à l'ingratitude vis-tl-vis
du salarié loyal et récompense au salarié malhonnête.
Il n'est sans doute pas exact de dire que le salarié victime d'une
infraction est totalement abandonné à son sort puisque depuis la loi du 8 Juillet
1983 sur la protection des victimes d'inffi:lction, la victime peut fàire une
demande d'indemnité à l'Etat pour «atteinte à l'intégrité soit physique soit
mentale ». Cependant cette loi n'offre pas une réparation automatique puisque
la victime doit prouver l'insolvabilité de l'auteur de l'agression. Et qui plus est,
tous les accidents dépendant de la profession et survenus au domicile du
\\
salarié ne sont pas forcément des i:lgressions. C'est le cas déjà vu d'un ouvrier
qui pour les besoins du service, affûte la veille son outil de travail. Un tel
ouvrier n'aura droit à aucune réparation si J'on appliquait la théorie du risque
de l'autorité. Les problèmes posés par la théorie du risque de l'autorité
demeurent donc entiers.
La théorie du risque professionnel ne pemlettra pas de couvrir tous les
risques avions-nous dit. Tel sera la situation de l'ouvrier qui, avec l'autorisation
de son employeur amène sa voiture personnelle dans la cour de l'usine pour y
'. Exemple classique emprunté de l'ouvrage de J-J DUPEYROUX, ouvr. prée. p 416, note 6.

115
effectuer des réparations. Alors même que la théorie LIu risque professionnel
écarterait un tel préjudice, cela ne nous paraît pas contraire à l'équité.
Imaginons par exemple un ouvrier qui, dans la crainte d'un éventuel préjudice,
exécuterait souvent ses activités personnelles dangereuses au temps et au lieu
du travail. Nous ne pensons pas qu'un tel ouvrier mérite plus d'intérêt que le
salarié laborieux qui effectuerait à son domicile des tâches professionnelles.
Néanmoins nous pensons qu'on ne devr<lit pas systématiquement exclure tous
ces préjudices, certaines tâches ponctuelles devant être considérées comme
tolérées par la pratique.
II y a enfin une hypothèse où une atténuation importante doit être
apportée à la théorie du risque profèssionnel. C'est ('hypothèse du salarié qui
quitte spontanément son travail pour porter secours à une personne en danger
et qui se blesse. Il est évident que cette assistance à personne en danger est
totalement étrangère à ses obligations protèssionnelIes.\\Mais il s'agit à la fois
d'une obligation morale et légale. En tout état de cause, ce salarié mérite la
protection légale.
Dans tous les exemples donnés jusqu'ici ct se rapportant à l'incidence
pratique de la théorie du risque prolCssionnel, nous avons évoqué le cas du
salarié exécutant sa tâche au lieu habituel du travail ou du salarié à son
domicile. Nous analyserons à présent l'incidence pratique de cette théorie à
l'égard du salarié en mission. Nous rapprocherons cette situation de celle du
salarié ambulant.
2/ L'APPLICATION DE LA THEORIE DU RISQUE PROFESSIONNEL
AU SALARIE EN MISSION
La jurisprudence relative au salarié accidenté alots qu'il était en mission
est d'un artifice singulier. Alors que, selon la doctrine, l 'l'idée du risque-pro fit
peut concurrencer en la matière l'idée du risque de l'autorité, il nous semble
qu'aucune de ces théories ne justifie pleinement cette jurisprudence si ce n'est
une distinction arbitraire. En effet, nous avons vu que cette jurisprudence est
fondée sur la distinction: acte de la vic courante, acte de la vie professionnelle.
\\ J-) DUPEYROUX, « La notion d'accident du travail ». D 1964, chr p. 23.

116
Le salarié serait sous l'autorité de son employeur seulement s'il accomplit les
actes professionnels. A contrario, l'accident survenu alors qu'il accomplissait
un acte de la vie courante serait de droit commun. Analysons cette distinction
au regard de l'idée du risque de l'autorité. Comment peut-on estimer que
l'employé qui, d'ordre de son employeur ct pour les besoins de l'entreprise,
s'éloigne à des milliers de kilomètres, n'est pas sous l'autorité de son employeur
parce qu'il était à son hôtel le soir après son travail? C'est évidemment de la
volonté de son employeur et même sur ses exigences qu'il se trouvait à ce
moment précis, en ce lieu. Cette autorité s'exerce dès le départ du salarié et ce
jusqu'à son retour. Si le salarié peut être déclaré personnellement responsable
des préjudices résultant d'actes d'initiative personnelle, de pure fantaisie, ceux
par contre dus à sa seule présence sur les lieux devraient être couverts, qu'il
s'agisse d'un acte de la vie courante ou non. Ainsi, lorsque le salarié tombe
dans les escaliers mal éclairés de l'hôtel, que cet hôtel ait été choisi par son
employeur ou par le salarié lui-même, cet accident est dû à sa présence sur les
lieux. De même, lorsqu'un salarié en mission est pris de malaise et tombe dans
la piscine de l'hôtel où il était logé et se noie alors qu'il allait de sa chambre à
la salle où il devait déjeuner, ce préjudice est dû à sa présence sur les lieux 1.
S'il est probable que ce salarié soit victime de ce malaise même s'il n'était pas
en mission, il est aussi certain qu'il ne serait pas tombé dans une piscine s'il
n'était pas en mission. Cette noyade résulte en définitive de sa présence sur les
lieux et devrait être réparé. Raisonner autrement, c'est faire de ces préjudices
une fatalité à laquelle le salarié de toute façon, n'aurait pas pu échapper. Les
tenants de la théorie du risque de l'autorité estiment pourtant que le salarié en
mission, pendant le repos, cesse de se comporter en \\\\subordonné du patron
\\
2
parce que le repos interrompt le travail . Nous voyons là que ces auteurs se
réfèrent aux activités professionnelles proprement dites du salarié. Ce qui
constitue sans doute une contradiction interne de cette théorie insuffisante à
expliquer la jurisprudence. Est-ce parce que le salarié en mission, le soir venu,
doit trouver un abri pour la nuit qu'il cesse d'être subordonné de son patron?
1. soc. 26 Mai
1994, R.J.S
1994. p. 544. Ce préjudice ne revêt pas un caractère professionnel scion la
Chambre sociale.
2
A. ROUAST ct M. GIVORD. ouvr. préc p 125

117
Alors, qu'est-ce qui explique sa présence en ce lieu si ce n'est son état de
subordination?
Comme le disait si bien M.
MELLOTTEE, « une présomption
discontinue c'est-à-dire qui serait interrompue à l'heure des repas et pendant
le repos de la nuit n'aurait aucun sens»'. La jurisprudence l'a parJ()is compris
et a admis que l'accident survenu alors que le salarié en mission accomplissait
un acte de la vie courante, constituait un préjudice professionnel dès lors qu'il
« était demeuré dans les limites normales de celle mission»2. Mais les
circonstances de la décision réduisent considérablement sa portée. Il s'agissait
d'un salarié en mission blessé à la suite d'un tremblement de terre alors qu'il
était à son hôtel. Aussi la distinction entre acte de la vie courante et acte
professionnel reste-eIle valable.
Comme nous avons eu à le montrer, la théorie du risque de l'autorité
n'explique pas pleinement cette jurisprudence. La référence faite à l'activité
protèssionneIle peut aussi laisser croire qu'il s'agit de la théorie du risque
professionnel. Et ce n'est pas sans raison que le Professeur J-J. DUPEYROUX
parlait de la concurrence des deux théories. Mais cette dernière théorie
n'explique pas entièrement non plus cette jurisprudence qui exclut du bénéfice
de la loi les préjudices survenus alors que le salarié accomplissait un acte de la
vie courante. Nous n'entendons pas par préjudice professionnel en application
de la théorie du risque professionnel, le préjudice survenu alors que le salarié
exerçait etlèctivement une activité professionneIle proprement dite. Si tel était
le cas, cette théorie serait elle-même injuste et d'ailleurs plus restrictive que la
théorie du risque de l'autorité. Le risque protèssionnel correspondant au risque
auquel les fonctions du salarié l'exposent, tous les préjudices survenus durant
la mission sont de cette nature.
II n'cn sera autrement que lorsque le salarié abandonne sa mission pour
s'engager dans des activités totalement étrangères et qui ile constituent pas non
plus un acte de la vie courante Entre le salarié qui tombe des escaliers mal
éclairés et celui qui abandonne sa mission pour une baignadeJ ou une partie de
, MELLüTTEE, Conclusions pree .. D. S. 1965, p. 280
2
Suc. 29 Janvier 1965, D. S 1965. p. 280
Soc. J0 Mars 1995, RJS 1995. p. 613.

118
chasse, la différence est nette. Dans le premier cas, 'la chute est liée à sa
présence sur les lieux, quand bien même son inattention aurait concouru à la
réalisation du dommage. Dans le second cas, il s'agit d'une initiative
personnelle indépendante de l'emploi, dont on peut se passer et qui de surcroît
n'est pas un acte de la vie courante. La théorie du risque professionnc1 au sens
du risque auquel l'état de subordination du salarié l'expose, pennettrait d'établir
une présomption continue en faveur du salarié en mission sans qu'intervienne
la distinction actes professionnels, actes de la vie courante. S'il est injuste de
rendre le patron responsable des préjudices nés d'une attitude traduisant de la
part du salarié une prise de distance à l'égard de ses fonctions, il est aussi
inéquitable d'exclure du domaine de la loi les préjudices nés des actes de la vie
quotidienne. Il résulte de tout ce qui précède que même du point de vue de
l'équité, la théorie du risque professionnel reste de loin ,la plus apte à assurer la
protection du salarié. Reste à savoir si cette théorie pourra s'inscrire dans les
principes généraux régissant les relations du travail.
BI LA THEORIE DU RISQUE PROFESSIONNEL ET LES PRINCIPES
REGISSANT LES RELATIONS DU TRAVAIL
Il est apparu que la subordination est l'effet essentiel du contrat de
travail. C'est dans cette subordination que la théorie du risque de l'autorité
cherche son fondement. Ce qui en soi n'est pas contestable sous réserve de la
vision trop restrictive qu'elle présente de la notion. C'est en vertu du lien de
subordination que la théorie du risque de l'autorité soutient que tout préjudice
survenu dans l'exécution d'une tâche sur ordre du patron est un accident du
travail, fût-elle exécutée exclusivement dans son intérêt personnel ou celui de
sa famille. « Le patron est tenu de toutes les conséq~ences des ordres qu'il
donne sans distinguer entre ceux qui profitent à l'efUreprise et les autres
ordres» 1 • Nous rappellerons qu'un ouvrier qui se serait blessé à son domicile
avec un outil qu'il apprêtait pour les besoins du lendemain ne bénéficierait pas
de la loi. De telles distinctions ne nous paraissent pas confonnes à l'objet du
contrat de travail. En effet, si la subordination est l'effet essentiel du contrat,
« par ce contrat de travaille salarié met à la disposition de son employeur sa
1
A. ROUAS,. et M. G1VORD, ouvr. prée p. \\0&.

119
force de travail. mGls non sa personne» 1. Aussi, la subordination qui se
traduit par le droit pour l'employeur de donner des ordres et l'obligation pour le
salarié de les exécuter, ne signifie pas que le salarië soit dans l'obligation
d'exécuter tous les ordres émanant de son employeur alors même qu'ils seraient
totalement étrangers à l'objet du contrat.
Le salarié est subordonné à son employeur pour l'exécution des tâches
détemlinées. L'article 1780 al. 1 C. civ. dispose qu'« on ne peul engager ses
services qu'à temps, ou pour une entreprise déterminée ». L'insubordination
qui est en principe lourde de conséquences néfastes pour le salarié, n'est établie
que lorsqu'il n'y a pas abus dans le droit pour l'employeur de donner des
ordres. L'ordre doit être compatible avec la nature du travail à exécuter. S'il est
possible de modifier certaines clauses secondaires du contrat, les clauses
essentielles ne peuvent pas l'être. C'est dire en définitive que la subordination
du salarié est limitée par les clauses même du contrat. Alors que le salarié
pourra refuser sans se faire sanctionner d'exécuter les ordres totalement
étrangers à l'objet du contrat, de simples manquemerits dans l'exécution des
tâches pour lesquelles il est engagé pourraient légitimement donner lieu à des
sanctions. Comment donc garantir au salarié les préjudices survenus dans
l'exécution des tâches qu'il est en droit de refùser et le priver du bénélice de la
loi pour les actes qu'il est obligé d'accomplir sous prétexte qu'il n'était pas sous
la subordination de son employeur? Si dans J'exercice de sa profession, le
salarié doit toujours pour agir, attendre les instructions de son employeur, il est
à craindre qu'on aboutisse à une inertie préjudiciable à l'entreprise. Doit-on
pénaliser l'ouvrier qui quitte l'entreprise pour les besoins professionnels sous
prétexte qu'il n'a reçu aucune instruction de son employeur?
Par ailleurs, il est utile de faire remarquer que, bien que le salarié soit
subordonné à l'entreprise personne morale qui l'emploie, c'est de ses supérieurs
hiérarchiques directs qu'il reçoit souvent des ordres. Dès lors que l'ordre émane
"'
d'une autorité compétente, même s'il ne s'agit pas du supérieur direct et
habituel, le salarié doit obéir2 . Si l'on s'en tient au risque de l'autorité qui ne
prend en compte que les activités effectuées sur instruction du patron, c'est
J RIVERa, (1 Les libertés publiques dans l'entreprise », Dr. soc. 1982, p. 243.
Soc 7 Janvier 1972, Bull. V, n° 8

120
dire que le salarié doit exécuter tous les ordres de ses supeneurs dans
l'entreprise, même si ces instructions sont données ,dans l'intérêt de leurs
familles respectives et indépendamment de l'emploi. Et\\tous les préjudices qui
surviendront seront réparés au titre de la législation des accidents du travail.
Nous ne pensons pas que cela corresponde à la notion de subordination telle
qu'elle résulte de la jurisprudence. Si lc salarié peut recevoir des ordres de ses
supérieurs et peut être sanctionné pour insubordination, c'est bien pour les
ordres afférents aux activités professionnelles.
Parmi les arguments évoqués à l'appui du risque de l'autorité, ligure le
fàit que c'est l'employeur qui supporte la totalité des cotisations et cela, du fàit
de l'autorité qu'il exerce sur le salarié. Une telle argumentation n'est pas non
plus juste à notre avis. En eftèt, une fois encore, c'est l'entreprise personne
morale qui supporte les cotisations. Or, cette entreprise a un but et des activités
déterminés. C'est dans le cadre de ces activités que le salarié lui est soumis et
en retour, elle assure les cotisations relatives aux risqll-es auxquels elle expose
\\
son employé. Tous ces éléments font qu'on ne pourra faire abstraction de
l'activité professionnelle pour s'en tenir à l'autorité de l'employeur. D'ailleurs,
entre autres, la tarification des accidents du travail tient compte de la nature du
risque de l'entreprise dans une certaine mesure. Si on devait se fier à la théorie
du risque de l'autorité selon laquelle {( l'autorité qui est l'élément essentiel du
contrat de travail doit toujours avoir les mêmes conséquences »,1
les
tarifications ne devraient tenir compte que du nombre des salariés pour toutes
les entreprises quelle que soit la nature des risques. Quand bien même tous les
salariés sont subordonnés à leurs employeurs, ils ne sont pas tous exposés aux
mêmes risques. C'est donc les risques réels dépendant de la nature de l'activité
profèssionnelle et auxquels l'état de subordination du salarié l'expose qui
constituent au sens de la loi, le préjudice professionnel. Le mode d'intégration
des cotisations afférentes aux accidents de trajet dans la tarification relative
aux préjudices professionnels, confirme bien cette andl~se. Les salariés étant
soumis aux mêmes risques, s'agissant des accidents qui pourraient survenir
entre leur domicile et le lieu du travail, ces cotisations ne constituent qu'une
majoration forfaitaire représentant un même pourcentage de salaire pour toutes
1
A ROUAST, et M. GIVORD, ouvr. prée. p. 27.

121
les entreprises 1 • Enfin, la théorie du risque de l'autorité faisant aussi rélërence
à la notion de surveillance ou de contrôle, se heurte à un principe fondamental
de la législation des risques profèssionnels. On pourrait y voir comme le relève
le Professeur J-J. DUPEYROUX, une présomption ià.~fragable de fàute. Or
cette législation fait abstraction de la notion de faute - sauf si elle est
intentionnelle - pour la détennination de la nature du préjudice.
Tous ces développements et ces exemples, loin de nous éloigner de notre
sujet visait à mettre en
relief la conception judiciaire du
préjudice
professionnel. Il y a bien lieu de parler d'une conception judiciaire car à
l'intérieur du cadre établi par la loi, on remarque que le juge disposait de tous
les moyens de façonner celte notion de préjudice professionnel. Il l'a sans
doute fait, mais à sa convenance et non en confonnité avec l'esprit de la loi.
Comme on a pu le constater, le risque de l'autorité qui sous-tend largement les
solutions jurisprudentielles, n'est pas d'inspiration législative. Elle traduit sans
doute l'étendue des pouvoirs du juge qui en définitive demeure la clé du
système. Rien ne s'oppose aujourd'hui comme hier, à ~e que le juge substitue
totalement une conception du risque professionnel au "sens du risque créé à
celle fondée sur le risque de l'autorité qui comme on l'a vu, n'est confonne ni à
l'équité, ni à l'ensemble des relations du travail ou encore mOll1s aux
dispositions légales dans leur cohérence interne.
Cela dit, une importante précision mérite d'être faite relativement à cette
notion de risque créé. Le risque créé ne se limite pas aux risques propres à
l'entreprise c'est-à-dire aux structures de production. Certains de ces risques
existent naturellement dans la nature. Mais lorsque le salarié, dans l'exercice de
sa profession, se trouve exposé à ces risques, ils constituent des risques que
l'entreprise crée au salarié. Ce sont donc les risques auxquels l'entreprise
expose son salarié. Si à l'issue de ces développements, on ne peut dégager une
réelle philosophie directrice de la doctrine jurisprudentielle, on a pu se rendre
compte de l'étendue des pouvoirs du juge qui en définitive a façonné la
législation des accidents du travail.
1. Arrêté du le< Octobre 1976. art. 4_2 0
CS S., Ann. l, p 1480

122
La loi du 9 Avril 1898, loin d'amoindrir le rôle du juge, l'a certainement
accru. En effet, dans le régime général de la responsabilité civile, bien que les
initiatives des juridictions témoignaient déjà de leur présence aux côtés du
salarié, les préoccupations du juge étaient essentiellement probatoires. Le juge
avait pour mission au regard des éléments de tàit qui lui sont soumis, de dire si
la faute reprochée à l'employeur était établie. Quand bien même sa conception
de la notion de faute traduisait une volonté de faire évoluer le droit et
corrélativement de résoudre un problème social de plus en plus cuisant, l'objet
réparable était préétabli. Il s'agissait de tout préjudice subi par le salarié et
imputable à l'employeur. Avec l'intervention législative, il s'agissait dorénavant
de déterminer de manière globale le préjudice réparable et son régime
probatoire. Plus qu'on ne peut le croire, les contraintes législatives auxquelles
le juge se trouve soumis, se réduisent à peu de chose. Sa latitude à se mouvoir
dans ce cadre législatif et à imprimer ses propres marques au droit est presque
totale. Mais il y a sans doute des motivations directives de la construction
jurisprudentielle qui pourraient en même temps servir de limite à cette
construction.

123
TITRE Il
LES LIMITES JUDICIAIRES DE LA REPARATION
'.
,
\\,

\\
124
Nos précédents développements nous ont permis de mettre en relief le
pouvoir du juge dans la détermination de l'objet réparable. En effet, il en
ressortait que le cadre défini par la loi n'est en définitive étoffé que par le juge
qui détennine l'objet réparahle.
U
le préjudice professionnel, selon la
jurisprudence, est celui survenu alors que le salarié était sous la subordination
de son employeur. 1\\ est impérieux de remarquer qu'en réalité, tous ces
préjudices survenus dans ce cadre délini par la loi et complété par le juge, ne
constituent pas forcément un préjudice professionnel. Ce cadre que nous
pourrons appeler le champ de l'activité professionnelle, n'est qu'une sphère à
l'intérieur de laquelle doivent être recherchés les préjudices professionnels.
Autrement dit, dans cette sphère, coexistent des préNdices professionnels et
des préjudices de droit commun. C'est dire que l'objet réparable tel que
précédemment défini, est soumis à une restriction. Le juge procède ainsi dans
cette sphère à l'identification du préjudice "réellement" professionnel. Outre
cette limite tenant à l'objet réparable, il y en a une autre relative à l'étendue des
prestations. La caractéristique essentielle de la réparation des préjudices
professionnels, c'est son caractère forfaitaire. Cependant, ce principe posé
depuis la loi de 1898, connaît deux exceptions fondamentales permettant une
réparation plus complète du préjudice. Ce sont les régimes dérogatoires au
principe de la réparation forfaitaire des accidents du travail.
Ces régimes, parce qu'ils permettent une réparation plus étendue du
préjudice subi par le salarié, et corrélativement des charges plus lourdes à
l'employeur, méritent une attention particulière justifiée par la nécessité de
situer le juge par rapport aux intérêts en présence. FOf\\'":e est de reconnaître que
\\
ces
considérations
pécuniaires
ont une
incidence
sur la construction
jurisprudentielle. Ainsi, ces régimes apparaissent comme une illustration de
l'attachement du juge au principe du forfait (Chapitre 1); ce qu'il conviendrait
de démontrer.
A cette limite tenant à l'étendue des prestations, il fàudra ajouter celle
relative à l'objet de la réparation cl savoir, J'identification du préjudice
réparable (Chapitre Il).

125
CHAPITRE 1: L'ATTACHEMENT DU JUGE A L'IDEE DU fORFAIT
DANS LES REGIMES DEROGATOIRES AU DROIT DE LA
REPARATION DES PREJUDICES PROFESSIONNELS
Un principe fondamental à savoir la réparation forfàiLaire mais certaine
du préjudice, régit les accidents du travail. Tel était la substance du compromis
historique réalisé par la loi du 9 Avril 1898. Heureux compromis en ce qu'elle
constituait une importante avancée sociale tout en donnant satisfaction à
chacune des parties, cette loi qui avait affranchi la responsabilité patronale de
la notion de faute, allait réintroduire celle de fàute inex0usable. Cette dernière,
sans incidence sur la nature du préjudice, aura seulement pour conséquence la
majoration ou
la diminution
de
l'indemnité
selon qu'elle
résulte de
l'employeur et ses substitués ou de la victime. Il s'agit sans doute d'une
dérogation limitée au principe de la réparation forfaitaire et d'Une restitution
partielle au juge de ses attributions naturelles. Cette disposition apparaît en
effet, comme un complément indispensable de la réparation forfàitaire car,
comme le souligne la doctrine, si l'on veut que les accidents soient rares, il fàut
que les parties soient intéressées à les éviter l .
Cependant, à l'instar de la notion de fàute qui jamais n'a fait l'objet
d'une définition légale, le législateur n'en dira pas plus sur celle de fàute
inexcusable laissée à l'appréciation du juge. Jusqu'en 1963, seul le préjudice
dû à la faute inexcusable de l'employeur ou du salarié constituait le régime
dérogatoire de la réparation des accidents du travail, \\ abstraction faite bien
entendu, du préjudice né du fàit d'Un tiers. Mais la loi du 6 Août 1963
instituera une action de droit commun en faveur de la victime d'un accident de
trajet pour les préjudices qui ne sont pas réparés par la législation des
accidents du travail. Ainsi, l'accident de trajet et celui dû à une làute
inexcusable, sont les deux régimes dérogatoires au principe de la réparation
forfaitaire du préjudice professionnel. Néanmoins, on soulignera que ces deux
dérogations, d'un point de vue législatit~ répondent à des préoccupations
diffërentes bien qu'elles aient toutes pour effèt une meilleure réparation du
dommage.
1
A ROUAST el M GIVORD. ouvr. prée p 18

126
Sans
qu'on
puisse
dire
avec
œrtitude
que
la
construction
jurisprudentielle se ressent des préoccupations du législateur, on relèvera que
l'attitude dujuge vis-à-vis de ces deux dérogations correspond elle aussi, à une
double philosophie qui se traduit par une extrême souplesse à l'égard de l'une,
et une réticence vis-à-vis de l'autre. [n effet, malgré la rigoureuse définition
donnée de la notion de faute inexcusable et à laquelle se réfère la Cour depuis
1941, l'analyse de la jurisprudence montre que cette faute est très souvent
retenue. Et il est permis de se demander si cette définition est encore
aujourd'hui d'actualité pratique. Contrairement à cette jurisprudence fort
extensive, la construction prétorienne dans le domaine des accidents du trajet
révèle un rigorisme marqué d'une part par la prétërence de la Cour à la notion
d'accident du travail proprement dit, et d'autre part, par l'exclusion du
domaine des préjudices professionnels de certains d0!TImages. Ces décisions
\\
qui ne paraissent pas toujours confomles à la lettre de la loi, répondent à une
doctrine de la Cour, très attachée au principe de la réparation forfaitaire du
dommage professionnel.
La construction de la Cour relativement à l'accident de trajet (Section 1)
et à la faute inexcusable (Section Il) étant sous-tendue par deux considérations
distinctes, leur étude séparée et successive s'impose. Ceci nous permettra non
seulement de mettre en relief les caractéristiques de cette jurisprudence mais
aussi et surtout les motivations réelles du juge au regard des fonctions que le
législateur a assignées à ces deux régimes.
SECTION 1: LES CONTOURS JURISPRUDENTIELS DE
L'ACCIDENT DE TRAJET
Evoquer une réticence jurisprudentielle à la recont~aissance de l'accident
de trajet peut paraître surprenant si l'on se réfère au fait que, bien avant
l'intervention législative, les tentatives de la jurisprudence en vue d'étendre la
législation à cette catégorie de dommages étaient nombreuses. La loi du 30
Octobre 1946 qui consacrait l'autonomie juridique de l'accident de trajet
devait donc normalement renforcer la jurisprudence dans sa lancée initiale. Ce
fut en effet le cas. La réticence de la jurisprudence n'interviendra gu' avec la
différence de régime entre l'accident de trajet et l'accident du travail

\\
127
proprement dit, le premier pennettant une réparation plus complète du
préjudice, le second étant toujours enfenné dans les limites de la réparation
forfaitaire. Cette simultanéité entre une réparation plus étendue des accidents
du trajet et la radicalisation de la jurisprudence suggère sans doute que la
construction jurisprudentielle en la matière, répond à une certaine philosophie
il laquelle des considérations pécuniaires ne seraient pas étrangères et qu' il
convient de rechercher.
§ 1: LA PHILOSOPHIE DIRECTRICE DE LA CONSTRUCTION
JURISPRUDENTIELLE.
On ne saurait comprendre la construction jurisprudentielle relativement
aux accidents du travail et de trajet sans se référer à l'enjeu de cette
distinction (A). Par ailleurs, cet enjeu a connu une fluctuation dont se ressent
la jurisprudence. Autrement dit, il existe une corrélation entre l'enjeu de la
distinction et la construction jurisprudentielle (13). C'est cette corrélation qui
nous permettra de dégager la philosophie de la jurisprudence.
AI L'ENJEU DE LA DISTINCTION ENTRE ACCIDENT DU TRA VAIL
ET ACCIDENT DE TRAJET
Cet enjeu a connu une évolution dont l'origine en réalité, est antérieure à
la loi du 30 Octobre 1946. Nous distinguerons trois périodes successives: celle
d'avant la loi de 1946, ensuite celle se situant entre cette loi et la loi du 6 Août
1963. Enfin nous nous attacherons à la période allarlt de cette dernière loi
,
jusqu'à ce jour.
Il L'ENJEU DE LA DISTINCTION AVANT LA LOI DU 30 OCTOBRE
1946.
Certes, avant cette loi, la notion d'accident de trajet n'avait aucune
existence légale. En eHet, la loi du 9 Avril 1898 ne réparait que les accidents
du travail proprement dits. El la jurisprudence se fondant sur cette loi, a
parfois étendu la réparation aux accidents survenus au cours du trajet.
L'accident de trajet n'était alors réparable qu' autant 'lu 'il pouvait être assimilé
à un accident du travail proprement dit. Tel était le cas lorsque J'accident est
\\
\\

128
survenu au cours d'un transport assuré par l'employeurl . On parlait alors
d'une prolongation du lien de subordination qui était le critère fondamental de
la définition de l'accident du travail 2 . Honnis ces accidents survenus au cours
du trajet mais qui pourraient être assimilés à un accident du travail, l'accident
de trajet proprement dit n'était pas réparé. Dès lors, avant la loi du 30 Octobre
1946, le salarié avait intérêt à cc que son préjudice soit qualifié d'accident du
travail, seule qualification susceptible d'engager la responsabilité patronale.
Cette loi allait modifier les données du problème d'un double point de vue,
2/ LES DONNEES DE LA LOr DU 30 OCTOBRE 1946
Aux ternles de l'article 2 al. 2 de ce cette loi, « Est également considéré
comme accident du travail, l'accident survenu (..) pendant le trajet de la
résidence au lieu du travail et vice versa (..) ». Ce texte tout en donnant une
base juridique à la réparation de l'accident de trajet, l'assimilait purement et
simplement à l'accident du travail proprement dit.
Du coup, l'intérêt
précédemment évoqué qui s'attachait à cette disti~ction, a disparu. La
jurisprudence l'a elle-même relevé en affinnant que, désormais, le droit à
réparation trouvait sa source dans la loi elle-même, sans qu'il y ait lieu de
rechercher s'il était basé sur un lien de dépendance entre le salarié et son
employeur'. Corrélativement, le débat doctrinal sur la distinction entre
l'aecident du travail stricto sensu et l'accident de trajet, s'était estompé et ne
reprendra que plus tard avec l'apparition de nouveaux intérêts. Il s'agira
essentiellement de la tarification
des
cotisations au
titre des
risques
professionnels. En effet, avant la loi de 1946, une ordonnance du 4 Octobre
1945 instituait « une organisation de la Sécurité sociale» chargée d'assurer la
protection des travailleurs. La loi de 1946 qui n'en était qu'une conséquence,
avait non seulement étendu le domaine des risques professionnels mais
également con lié leur gestion à la Sécurité sociale substituant ainsi à
l'assurance facultative privée, l'assurance obligatoire dë la Caisse de sécurité
sociale. Cette dernière, pour fixer les taux de cotisation accident du travail
pendant les premières années (1947 à 1950), reconduisit les taux des
1
Cass, civ. 31 Juillet 1929. Gaz Pal. 1929. 2. 700
,
Cf M. DEGEORGE, « Taux de cotisation accidenl du travail el accident de trajet », Gaz pal. 1959, l,
Doel p, 60.
1
Nancy. \\ 8 Novembre 1949. Gaz Pal 1950, 1. 150

129
assurances privées qui, avant elle, garantissaient le risque, en les affectant de
coefficients. Selon M. DEGEORGE ces taux ainsl\\ majorés demeuraient
néanmoins dans l'ensemble relativement faibles. Ce qui laissait indiftërents les
employeurs. Mais l'augmentation des charges sociales allait très tôt éveiller
leur attention. En effet, à partir de 1951 et en application du décret du 16
Février 1948, le taux de cotisation sera détemliné suivant la fornlUle suivante:
(Valeur du risque x 10Q}
salaires.
La valeur du risque s'entend des prestations versées aux accidentés du
travail de l'entreprise considérée, durant les trois dernières années connues.
Pour la tarification des années 1953 ct 1954, une circulaire du Il Décembre
1950 allait pennettre à la caisse de majorer le numérateur et de minorer le
dénominateur de la formule. li s'ensuit une augmentation sensible des
cotisations patronales. Les patrons, soucieux de réduire le montant des
cotisations, s'intéresseront aux éléments intervenant dahs la détennination des
taux. Or, la couverture des accidents du trajet résulte d'une majoration
forfaitaire du taux brut calculé sur la base des prestations effectivement
versées pour les accidents du travail proprement dits. C'est dirc que les
accidents de trajet n'ont aucune incidence sur le montant des cotisations.
Aussi, les employeurs préféraient-ils cette dernière qualification à celle de
l'accident du travail proprement dit. L'intérêt de la distinction réapparaît donc
mais seulement dans les rapports entre la caisse ct les employeurs. Néanmoins,
comme on le verra, la construction jurisprudentielle n'est pas restée
indifférente à ces intérêts économiques naissants.
3/ LES CONFUTS D'INTERETS DEPUIS LA LOI DU 6 AOUT 1963
L'absence d'intérêt à distinguer l'accident du travail de l'accident de
trajet dès l'entrée en vigueur de la loi du 30 Oct~hre 1946 résultait de
l'interprétation de cette loi. En effet, se référant à l'article 2 de la loi, la Cour
de cassation a institué une identité parfaite de régime entre l'accident du
travail et l'accident de trajet. La conséquence logique qui en résultait, est
qu'aucune action de droit commun n'était recevable contre l'employeur et ses
préposés auteurs de l'accident ct cc, malgré une femle résistance des
juridictions de fond.
Cette jurisprudence allait susciter la réaction du

]30
législateur qUI mtervint par la loi du 6 Aoüt 1963. Cette loi reconnaissait
expressément à la victime, une action de droit commun contre l'cmploycur cl
ses préposés auteurs d'un accident de trajet pour les préjudices qui ne sont pas
réparés par la législation sur les accidents du travail. Dorénavant, la victime se
trouvera elle aussi intéressée par la qualification de son préjudice. Cet intérêt
nouveau vient ainsi se greffer aux enjeux susmentionnés.
S'agissant d'abord de l'employeur, alors que la qualification d'accident
du travail est de nature à augmenter ses cotisations, celle d'accident de trajet
l'expose à une action de droit commun de la victime. Contrairement à la
période antérieure à la loi de 1963, la préférence des employeurs pour les
accidents du travail est sans équivoque pour plusieurs raisons. D'abord, les
cotisations au titre des accidents du travail répondent à une logique
d'assurance collective. Ensuite, bien que le taux de cotisation soit fonction des
prestations réelles de la caisse, le caractère forfaitaire de la réparation était de
nature à modérer le montant réel des cotisations. Par contre, sauf dans
l'hypothèse d'une assurance de responsabilité, l'employeur devra supporter sur
son patrimoine toutes les condamnations auxquelles pourrait donner lieu une
action civile de la victime.
\\,
S'agissant ensuite de la caisse, la nature juridique du préjudice est sans
incidence sur ses prestations. Bien que la qualification d'accident du travail
soit de nature à augmenter les cotisations, cct intérêt se révèle négligeable par
rapport à celui du salarié lorsque le juge reticnt la qualification d'accident de
trajet D'ailleurs, la Caisse de sécurité sociale est rarement partie au procès
ayant pour objet, la détenuination de la nature juridique de l'accident.
S'agissant enfin de la victime, l'accident de trajet lui assurant une
réparation plus complète de son préjudice, il est naturellement enclin à soutenir
que son préjudice constitue un accident de trajet. Néanmoins, la loi du 7
Janvier 1987 relative à la protection de l'emploi des salariés victimes d'un
accident du travail, aurait pu inverser cette tendance. En effet, aux tenues de
l'article L 122-32-1 C. trav « [,e contrat du salarié victime d'un accident du
travail autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est
suspendu pendant la durée de l'arrêt du travail ( ..) le salarié bénéficie d 'une
priorité en matière d'accès aILx actions de formation professionnelle ( ..) ».

131
Eu égard à ccs dispositions, la victime pourrait dans 'çertains cas préfërer la
\\
qualitïcation d'accident du travail à celle d'accident de trajet 1. Tels étaient
essentiellement les enjeux qui s'attachaient à la distinction jusqu'à la loi du 27
Janvier 1993. Force est de constater qu'il existe une étroite corrélation entre
ces enjeux et la construction jurisprudentielle.
B/ LA CORRELATION ENTRE L'ENJEU DE LA DISTINCTION ET LA
DOCTRINE JURISPRUDENTIELLE RELATIVEMENT A LA NATURE
JURIDIQUE DE L'ACCIDENT
Nous avions évoqué l'évolution et parfois l'inversion de l'enjeu depuis
la loi du 9 Avril ] 898. Il semblerait bien que plus une qualification juridique
protège les intérêts économiques de l'employeur, plus la jurisprudence a
tendance à l'étendre. C'est ce que nous essayerons d'abord de démontrer afin
de tirer les enseignements qui s'imposent.
Il LES FLUCTUATIONS DE LA JURISPRUDENCE
On ne saurait parler sans nuance d'une tendance de la Cour à élargir le
domaine de la qualification qui le mieux préserve les intérêts de l'employeur.
En effet, nous avions vu que bien avant \\a consécration législative de la notion
d'accident de trajet, la jurisprudence s'efforçait déjà lorsque l'occasion s'y
prêtait, d'étendre le bénéfice de la loi à cette catégorie de dommages. Ce qui
sans doute contredit l'idée d'une protection des intérêts de l'employeur. En
réalité, cette tendance n'apparaît que lorsque le minimum correspondant ù la
réparation forfaitaire est acquis au pront du salarié. Autrement dit, c'est au
niveau des régimes dérogatoires que se manifeste davantage la bicnveillance
du juge à l'égard de l'employeur. On comprend dès lors, que la construction
jurisprudentielle avant la loi du 30 Octobrc 1946 vise a.étendre le domaine de
la loi au profït du salarié. Et comme nous le verrons, la doctrine de la Cour
après cette loi a connu une Iluctuation comparable à celle de l'enjeu. Dès
l'entrée en vigueur de cette loi, la Cour elle-même n'attachait plus aucune
importance à cette distinction dorénavant dépourvue d'intérêt. Par contre, à
partir du moment où la nature du préj udice avait une incidence sur le montant
1 . soc 3 Mars 1993. Semaine sociale Lamy, supplément n° 661 du 6 Septembre 1993, p. 40

132
des cotisations suite à l'application en 1951 du décret du 16 Février 1946, non
seulement la jurisprudence allait insister sur cette distinction mais surtout, on
assistera à un revirement jurisprudentiel.
En effet, avant
1946, l'accident survenu au sem de l'entreprise
constituait un accident du travail stricto sensu, peu importait les circonstances
dans lesquelles il était survenu. A partir de 1955, on dénote une tendance
inverse. Dans une première espèce, un ouvrier, son travail fini, avait quitté
l'atelier auquel il était affecté. Alors qu'il voulait mettre en marche sa voiture
dans la cour de l'usine, il a été blessé par un retour de manivelle. La
commission régionale d'appel de la Sécurité sociale de Toulouse avait jugé
qu'il s'agissait d'un accident de trajet. Par une décision du 9 Avril 1957, la
Cour de cassation rej ette le pourvoi formé contre cette décision 1 •
Dans une autre espèce, un ouvrier est victime d'un accident au sein tic
l'entreprise alors qu'il descendait d'une voiture appartenant à l'entreprise. JI a
été jugé qu'il s'agissait d'un accident de trajet au moti( que « le lieu du travail
doit être entendu comme celui qui est assigné à l'employé pour l'exécution du
contrat qui le lie à son employeur >?
Comme on le constate, ce premier
revirement jurisprudentiel visant J'extension du domaine de l'accident de trajet
au détriment de l'accident du travail, correspond à la période où la
qualification d'accident de trajet était sans incidence sur le montant des
cotisations. L'accident du travail par contre était de nature à augmenter les
cotisations patronales. Aussi est-il pennis de penser que ce revirement
s'explique par l'enjeu financier qui s'attache à cette distinction.
Mais très tôt, alors qu'aucun nouvel élément législatif n'est intervenu,
on assistera encore à un nouveau revirement, la jurisprudence revenant à sa
doctrine antérieure. En effet, dès 1960, elle affinnera qu' «un salarié se
trouve au temps et au lieu du travail ( ..) tant qu'il était soumis à l'autorité et
à la surveillance de son employeur(..); tel était le cas ,du salarié qui allant à
son travail ou venant de le quitter, se trouvait dans les dépendances de
l'établissement »3. Ce revirement semble encore démentir l'idée d'une
\\ soc 9 Avril 1957, Gaz. Pal. 1957,2.94.
2
Commission de 1'" Instance Saône-et-Loire. 5 Juillet 19:;7. Gaz Pal 1957,2.221.
Soc. 20 Décembre 1960. D. 1961. P 125

133
corrélation entre l'enjeu de la distinction et la constrÙ'ction jurisprudentielle.
Mais en réalité, il n'en était rien. En effet. ce revirement correspond à la
période où, doctrine et juridictions de fond opposaient une résistance acharnée
à la jurisprudence de la Cour de cassation relativement à l'action de droit
commun de la victime d'un accident de trajet contre l'employeur. Ce
mouvement qui avait débuté depuis 1951, s'accentuait et laissait présager une
évolution de la situation.
Une telle évolution aurait pour conséquence
d'accroître les droits de la victime d'un accident de trajet. Il nous semble bien
que c'est cette résistance des juridictions du fond, prémonitoire d'une
intervention
législative,
qui
explique le
revirement jurisprudentiel.
Ce
revirement se traduit par une conception plus large de la notion d'accident du
travail au détriment de l'accident de trajet. C'est également ce qui explique
qu'après cette intervention législative par la loi du 6 Août 1963, bien que la
doctrine eût vivement souhaité et escompté un revirei~ent jurisprudentiel en
faveur d'une conception extensive de la notion d'accident de trajet, la Cour de
cassation ait maintenu la tendance amorcée depuis 1960. Le revirement
jurisprudentiel était intervenu avant la loi, mais dans un sens contraire à celui
souhaité par la doctrine. Alors que cette dernière était favorable à une
réparation plus complète du préjudice par ulle action de droit commull au
profit de la victime, la Cour semblait, elle, attachée à l'idée du forfait telle
qu'elle résulte de la loi du 9 Avril 1898. Et cette analyse se cOlllïrme
également par l'hostilité de la jurisprudence à l'égard des actions de droit
commun de la victime contre l'employeur.
2/ L'HOSTILITE DE LA JURISPRUDENCE A L'EGARD DES ACTIONS
DE DROIT COMMUN
Aux tennes de l'article 2 de la loi du 9 Avril 189'$, les salariés soumis à
ladite loi « (... ) ne peuvent se prévaloir cl raison des a~cidents dont ils sont
victimes dans leur travail, d'aucunes dispositions autres que celles de la

présente loi ». En d'autres temles, tant en ce qui concerne le principe que
l'étendue de la réparation, les dispositions de cette loi revêtent un caractère
impératif et exclusif. En application de cet article, la jurisprudence avait déjà
en 1900 jugé que, si la demande formée à l'occasion d'un accident est fondée
sur la loi du 9 Avril 1898, l'ouvrier ct ses ayants droit sont irrecevables à

134
demander subsidiairement ['application de l'article 1382 C. CIV. ou a se
réserver le droit d'intenter une action contre le patron à raison d'une faute que
celui-ci aurait commise l . La jurisprudence ajoutait, que le principe ainsi
formulé était absolu. Le principe était à juste titre acquis et le débat clos sur le
sujet.
La loi du 30 Octobre 1946 allait introduire un nouvel élément de
discussion. La question s'était posée très tôt de savoir si l'innovation de la
nouvelle loi consiste à « étendre la notion juridique de l'accident du travail en
prolongeant en quelque sorte fictivement en cours de trajet l'idée d'autorité et
le lien de subordination» ou doit-on, au contraire, trouver dans cette nouvelle
disposition, « la création d'un cas d'accident du travail tout à fait spécial et
exceptionnel»2. En d'autres tenDes, fallait-il admettre ou non une identité
parfaite de régime entre l'accident du travail et l'accident de trajet? La
question n'est pas seulement d'intérêt théorique puisque d'importantes
conséquences pécuniaires s'attacheront au choix qui sera fait.
al L'ASSIMILATION JURISPRUDENTIELLE DE'L'ACCIDENT DE
TRAJET A UN ACCIDENT DU TRA VAIL ORDINAIRE
L'assimilation pure ct simple de l'accident de trajet à l'accident du
travail équivaut à appliquer à ce type d'accident, le principe de la réparation
forfaitaire. Par contre, si on y voit un accident du travail tout à lait spécial,
l'immunité dont bénéficient l'employeur ct les cosalariés entre eux s'estompe.
On pourrait aussi considérer éventuellement le salarié comme un tiers par
rapport à son employeur. Ce qui aurait pour conséquence de penDettre à la
Caisse de sécurité sociale indépendamment de l'action de droit commun du
salarié contre l'employeur, d'exiger de ce dernier le remboursement de ses
prestations. Ce fut d'ailleurs le cas dans une espèce du 20 Juillet 1950 dans
laquelle la Caisse, après avoir versé à la victime les prestations dues, exigeait
de
l'employeur
le
remboursement
des
fonds
dé?oursés3 .
Mais
cette
interprétation sera rejetée par la Cour de cassation.
Certes, quelques
juridictions du fond ont dès le départ jugé recevable l'action de la victime
1. Dijon, 9 Mai 1900. D. P. 1901, 133.
2. l
GAUGUIER, note sous Nancy, 1'" ch. 20 Juillet 1956, lep 1951, II, 6249.
) . Nancy, l'" ch. 20 Juillet 1956 prée.

135
"
contre l'employeur. Mais très vite, celte jurisprudence "il été abandonnée. Les
Chambres criminelle et sociale de la Cour de cassation justifieront cette
immunité de l'employeur et ses préposés de différentes manières. Pour la
première, « les salariés d'un même employeur, qu'ils soient all lieu et all
temps du travail ou sur le trajet (. ..) constituent un groupe à l'intérieur duquel
le recours à l'article 68 (relatif au recours contre le tiers) n'est pas
possible ». Pour la seconde, il y a lieu « (. ..) de considérer tous les ouvriers
d'un même employeur qui se rendent à leur travail ou qui en reviennent
comme des préposés de cet employeur »' . Il s'agit d'une assimilation totale de
l'accident de trajet à l'accident du travail proprement dit excluant toute action
de droit commun. Selon la Cour de cassation, la victime qui bénéficie d'une
réparation certaine au titre des risques professionnels pour les préjudices
survenus en cours de trajet, devrait aussi en supporter les conséquences c'est-
à-dire se satisfaire d'une réparation forfaitaire.
"
Dès 1958, les juridictions du fond afficheront leur réticence à l'égard de
cette jurisprudence2 protectrice de l'employeur et qui donnait souvent lieu à
des iniquités. Cette iniquité se trouvera accentuée par la loi du 27 Février 1958
rendant obligatoire l'assurance des véhicules terrestres à moteur.
En effet, alors que les victimes d'accident de la circulation bénéficiaient
non seulement d'une réparation certaine mais aussi intégrale, les victimes d'un
accident de la circulation qui constitue également un accident de trajet, doivent
se contenter d'une réparation forfaitaire. Et la différence peut parfois être
énorme. C'est sans doute ce qui a renforcé la détermination des juridictions du
fond soutenues par la doctrine au sein de laquelle, les Hauts magistrats étaient
fortement représentés. La cour d'appel d'Orléans faisant office de cour de
renvoi après cassation d'un arrêt de la cour d'appel de I\\lris, se prononce dans
les mêmes termes que cette dernière donnant ainsi droit à une action de la
victime contre son employeur. Les Chambres réunies appelées à statuer
confim1eront sans équivoque la jurisprudence de la Cour de cassation:
« Attendu que l'article 4 / 5- / 0 C. S. 5:. considère comme accident du travail
tous les accidents survenus aux travailleurs pendant le trajet de la résidence
1 . C,illl
7 Avril 1956, Bull nU 575. Soc. 7 Juin 1951, Bull Ill, n" 444.
'. Paris, 19 Décembre 1958, Gaz Pal. 1959, J, 99; Orléans, 7 Octobre 1960, Gaz. Pal. 1960,2,227, Paris, 16
Janvier 1961, Gaz. pal 1961,1,187

136
au lieu du travail et vice versa; qu'ainsi les accidents du trajet sont sOU//lis au
même régime que les accidents du travail proprement dits et que leur
réparation doit obéir aux mêmes règles» 1 . Dès lors, il fallait une intervention
du législateur non seulement pour venir à bout du conflit entre les juridictions
du fond et la Cour de cassation, mais aussi et surtout: pour éviter l'iniquité
déjà relevée. Ce qui sera fait par la loi du 6 Août 1963.
A travers ce qui précède, nous avons seulement voulu mettre en relief
l'attachement de la cour à l'idée du forfait. Ce qui explique que nous n'ayons
pas pris position sur la nature juridique de l'accident de trajet. Tout compte
fait, ce débat très nourri ft l'époque est aujourd'hui sans intérêt, le législateur
ayant défini lui-même les effets qui s'attachent à ce type de préjudice. La
volonté de la Cour de ne permettre qu'une réparation forfaitaire du préjudice
professionnel hormis les cas expressément prévus par la loi, est manifeste. Elle
se confirme d'ailleurs par la conception que la Cour a de la notion d'ayant
droit dans la législation des accidents du travail.
bl LA CONCEPTION EXTENSIVE DE LA NOTION D'A YANT DROIT
Aux termes de l'article 66 de la loi du 30 Octobre 1946 ( art. L 451-1 C.
S. S.), aucune action de droit commun ne peut être exercée par la victime ou
ses ayants droit en cas d'accident du travail. Les articles L 434-7 à 434-14 du
même Code énumèrent les personnes appelées à bénéficier de ladite loi lorsque
la victime décède. Il s'agit des père et mère, du conjoint et des enfants. Tout
comme la victime, c'est sans doute en contrepartie des avantages que la loi
elIe-même leur accorde, qu'ils sont interdits de toute action de droit commun
contre l'employeur et ses préposés. Or, il est certain que la sphère des
personnes pouvant subir un préjudice du fait du décès du salarié, ne se limite
pas à cette énumération légale. Il aurait donc été normal que les personnes à
qui le décès de la victime a. été préjudiciable et qui ne bénéficient pas
cependant d'un traitement particulier au titre de la législation des accidents du
travail, puissent être admis à exercer une action de droit commun. Ceci paraît
d'autant plus évident que la loi elIe-même veut que quiconque cause un
dommage à autrui, soit obligé il le réparer. Mais la Cour, fidèle à son
1
Ch. Réunies. 22 Juin 1962. D. 1962, p. 717, note A. ROUAS.,.

]37
attachement à l'idée du forfait, les privera de cette réparation. En effet, par un
arrêt du 17 Décembre 1953, elle a décidé que les frères\\et soeurs de la victime
qui ne figurent pas sur la liste limitative susvisée, n'en sont pas moins des
ayants droit et comme tels, sont irrecevables à se prévaloir contre le patron, des
dispositions de droit commun 1 • La même exclusion frappe les ascendants~
ceux-ci, on Je sait, n'ont droit à une rente qu'autant qu'ils démontrent qu'ils
étaient à la charge de la victime lorsque cette dernière avait un conjoint ou des
enfants ou du moins, qu'ils auraient pu obtenir de la victime une pension
alimentaire. La Cour de cassation a estimé qu'alors même que les ascendants
seraient privés d'une rente, ils sont irrecevables à exercer une action de droit
commun contre l'employeur et ses préposés2 .
De plus, la législation sur les accidents du travail n'accordant des droits
aux ayants droit que lorsque lu victime décède, il apparaît que ces derniers
n'interviennent qu'aux lieu et place de leurs auteurs. Or, indépendamment des
préjudices subis par la victime, ct alors même qu'elle ne'serait pas décédée, les
ayants droit pourraient aussi du fait de l'accident, subir indirectement des
préjudices. 11 s'agit des préjudices par ricochet sur lesquels la législation sur
les risques professionnels est muette. Il est donc concevable qu'en dehors des
préjudices subis par la victime, les préjudices par ricochet personnellement
subis par les ayants droit puissent faire l'objet d'une réparation. L'existence de
tels préjudices est indiscutable.
Mais là aussi, pendant longtemps, la
jurisprudence s'opposera à la réparation des préjudices par ricochet dans le
domaine des accidents du travail. Ainsi, lorsque la victime gravement blessée
ne décède pas, ni le conjoint ni les enfants n'étaient recevables à se constituer
partie civile quand bien même aucune prestation légale ne leur était accordée3 .
On notera toutefois un revirement jurisprudentiel relativement récent sur la
notion d'ayant droit. En effet, il a été jugé que « le cotijoint de la victime d'un
accident du travail lorsque cette dernière a survé~~Y, n'a pas la qualité
d'ayant droit au sens de l'article L 451-1 c.s.s. précité, et peut dès lors, être
indemnisé de son préjudice personnel selon les règles de droit commun»
l'expression d'ayant droit figurant dans ledit article visant uniquement les
1. Crim. 17 décembre 1953, Bull n° 347. Crim. 8 Octobre 1<:180, Uull nO 253.
1. Crim. 22 Décembre 1958. Bull. nO 768.
Crim. 20 Mai 1969, Bull. nO 182

138
personnes énumérées aux articles L 434-7 à L 434-14 du même Code l . Les
ayants droit aux tenues de la loi, pourront donc recourir à une action de droit
commun puisqu'ils n'ont pas cette qualité lorsque la victime ne décède pas.
On doit aussi admettre dorénavant que les ayants droit ne figurant pas sur la
liste, sont en toute circonstance recevables à exercer une action de droit
commun contre l'employeur. Tel est par exemple le d~ de la concubine de la
victime2 de même que ses collatéraux) .
'
Il
convient
de
relever
ici
comme
ailleurs
que
le
revirement
jurisprudentiel n'a été rendu possible que grâce aux progrès réalisés dans
d'autres domaines relativement à la réparation des préjudices corporels. En
effet, la « loi Badinter» du 5 Juillet 1985 assura une réparation certaine ct
intégrale du préjudice aux victimes de l'accident de la circulation routière dès
lors qu'aucune faute inexcusable n'était retenue à leur charge. Dès lors, la
réparation forfaitaire qui apparaissait comme la contrepartie d'une réparation
certaine dans le domaine des accidents du travail, devenait dérisoire. Et qui
plus est, la jurisprudence, attachée à l'idée d'une réparation forfaitaire, refusait
l'application de la loi BADINTER aux accidents de trajet qui constituent en
même temps un accident de la circulation. Nous n'insisterons pas davantage
,
sur cette jurisprudence qui méconnaît « un principe 'général de droit selon
lequel lorsque deux lois spécifiques concourent à l'indemnisation de la
victime d'un fait dommageable,
celles-ci doivent se compléter et non
s'exclure »4. Cette jurisprudence une fois encore conduisait à de graves
injustices et rendait nécessaire une intervention législative car, comme
l'écrivait L. JOINET, « des règles trop rigoureuses, trop imparables dans leur
pureté logique, qui conduisent à des situatIOns sociales absurdes sont une
menace à la crédibilité de l'ensemble du !>ystème juridique dans lequel elles
s'inscrivent »5. Cette iniquité trop criante a conduit la Cour de ca'isation, à
défaut d'admettre l'application de la loi BADINTER à l'accident de trajet, (ce
qui de loin était souhaitable) à donner une autre interprétation de la notion
d'ayant droit. Aucun obstacle législatif à notre avis ne s'opposait pourtant à
1
Ass. Plén. 2 Février 1990, Dr. soc. 1990, p. 449, Conclusions de l'Avocat gi:,néral L. mINET
2
'
Soc. 26 Janvier 1994, R.J.S. 1994, p. 378.
J
Crim. 2 Mars 1993, R.J.S 1993, p. 321.
,
Y SAINT-JOURS, note sous Casso soc. 18 Avril 1991. Je P 1991. Il, 21714
L. JOINET, Conclusions préc

139
une telle évolution jurisprudentielle. La jurisprudence n'aurait-elle pas pu
défaire ce qu'elle a fait?
On a déjà remarqué qu'une intervention législati,>~ a été nécessaire pour
vaincre l'hostilité de la jurisprudence à l'extension de la réparation du
préjudice professionnel, surtout lorsque cette extension peut se traduire par une
augmentation des charges de l'employeur. C'est finalement la loi du 27 Janvier
1993 qui pennettra J'application de la loi BADINTER, aux accidents du
travail qui constituent en même temps un accident de la circulation. En effet,
aux tennes de l'article L. 455-1-1 C.s.S.,« La victime ou ses ayants droit et la
caisse peuvent se prévaloir des articles L. 454-/ et 455-2 lorsque l'accident
défini à l'article L. 4//-/ survient sur une voie ouverte il la circulation
publique et implique un véhicule terrestre conduit par l'employeur, un
préposé ou une personne appartenant à la même entreprise que la victime.
La réparation complémentaire prévue au premier alinéa est régie par
les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet /985 te,ndant à l'amélioration
\\
de la situation des victimes d'accidents de la circulatIOn et à l'accélération
des procédures d'indemnisation ».
Cette loi a donc pour objet d'unifier le reglme de la réparation des
préjudices professionnels impliquant un véhicule terrestre, puisque les victimes
de l'accident de trajet bénéficiaient déjà d'une action de droit commun contre
l'employeur.
Pour autant que cette loi vise une meilleure réparation d'une catégorie
de préjudices professionnels, elle n'encourt pas moins de reproche. En effet,
on remarquera que cette loi exclut de son domaine les préjudices causés par un
véhicule terrestre, dès lors que l'accident est survenu sur une voie qui n'est pas
ouverte à la circulation publique. Tel est le cas lorsque l'accident survient au
sein de l'entreprise. En raison du régime favorable dont bénéficient les
victimes d'accident de la circulation en général, une discrimination entre les
victimes d'accidents du travail n'impliquant pas un véhicule et celles dont les
préjudices sont dus à un véhicule, est concevable. Une telle discrimination
aurait tout au moins le mérite d'harmoniser le régime de la réparation des
préjudices dus aux véhicules terrestres. Cependant, on comprend mal qUi: ecUi:

140
législation ne s'applique pas aux victimes dont les préjudices surviendraient au
sein de l'entreprise, alors même qu'ils seraient dus à un véhicule terrestre.
Comme le relève G. VACHET, « Si l'accident survient alors que le véhicule
n'a pas franchi l'enceinte de l'entreprise, les salariés ne disposent d'auclIll
recours. Si l'accident survient, au contraire, alors que le véhicule a franchi
l'enceinte de l'entreprise, ils pourront agir»'. On pourrait sans doute justifier
cette discrimination par le fait que les salariés, au sein de l'entreprise, sont en
un lieu où s'exerce l'autorité et la surveillance de l'employeur. Comme il a été
\\
déjà démontré, la notion de subordination qui est le critère 6ssentiel du contrat
de travail, ne se limite pas à ces considérations géographiques. Avant la loi du
27 Janvier 1993, les victimes ne pouvaient agir contre leur employeur que
lorsque le préjudice subi était un accident de trajet. La nouvelle loi introduit
une discrimination entre les victimes d'accident du travail proprement dit.
puisque tous les accidents de la circulation, qui constituent également un
préjudice professionnel, ne sont pas forcément des accidents de tr~jet. Certains
de ces préjudices bénéficieront d'un régime plus favorable que \\cs autres,
quand bien dans les deux cas, un véhicule serait impliqué. Ce sont œux qui,
bien que constituant un accident du travail proprement dits, surviendront sur
une voie ouverte à la circulation publique.
Par ailleurs et s'agissant de la Chambre sociale, antérieurement ù la loi
du 5 Juillet 1985, lorsqu'il y a partage de responsabilité entre l'employeur ou
ses préposés et un tiers dans la survenance d'un accidt\\tlt du travail, elle
,
affirmait que l'action contre le tiers ne pouvait être exercée que déduction faite
de la part de la responsabilité patronale2 . Il s'agit d'une exception au principe
de l'obligation in solidum des coauteurs responsables d'un dommage unique.
Cela se justifie par le fait que le tiers n'avait aucune action subrogatoire contre
l'employeur. Sous l'influence de la loi BADINTER, la jurisprudence désireuse
d'assurer une réparation plus étendue à la victime sans pour autant enfreindre
le sacro-saint principe de l'immunité de l'employeur, allait remettre en cause
ce principe. Aussi a-t-elle jugé que « la victime d'un accident du travail en cas
de partage de responsabilité de cet accident entre l'employeur ou son préposé
1
G. VACHET, « L'accident de la circulation au regard de la législation sur les accidents du travail », R.JS
1993, p. 339.
1
Soc 10 Décembre 1984, Bull. V, n° 479

141
un tiers étranger à l'entreprise, est en droit d'obtenir de ce tiers, dans les
conditions du droit commun, la réparation de son entier dommage dans la
mesure où celui-ci n'est pas indemnisé par les prestations de la sécurité
sociale» 1 . Et la jurisprudence ajoute qu'en vertu des articles L. 451 et L 452-
5 C.S.S., «saufsi la faute de l'employeur est intentionnelle; le tiers, étranger
à l'entreprise, condamné à réparer l'entier dommage de' la victime d'un
accident du travail n'a de recours ni contre l'employeur ou ses préposés, ni
contre son assureur »2. Cette jurisprudence plus favorable à la victime n'en
est pas moins préjudiciable au tiers tenu de réparer au besoin, une part de la
responsabilité patronale. La jurisprudence n'est favorable à l'extension dl: la
réparation du dommage du salarié qu'autant que l'employeur n'en subira pas
les conséquences pécuniaires.
li ressort de tout ce qui précède que, la jurisprudence, très souvent,
s'efforce de limiter la responsabilité patronale. Ceci traduit l'attachement du
juge à l'idée du forfait dans les relations entre l'employeur et ses salariés. La
protection des intérêts de l'employeur pourrait-on dire, apparaît aux yeux du
juge comme une priorité et cela se confirmera dans les développements
ultérieurs. S'il est établi que l'enjeu pécuniaire exerce une influence sur la
construction jurisprudentielle, il est aussi certain que le jug&\\ devra recourir à
des critères juridiques pour sous-tendre sa «politique ». Aussi convient-il
d'étudier ces critères juridiques qui
partais,
cachent mal
les mobiles
économiques.
~ Il: L'HABILLAGE JURIDIQUE DE LA PHILOSOPHIE
JURISPRUDENTIELLE
L'étendue de la réparation étant en relation avec la qualifïcation retenue,
il s'agira d'abord de détennincr les critères permettant de distinguer un
accident de trajet d'un accident du travail proprement dit. Ensuite, l'accident
de trajet survenant a priori hors de l'entreprise, il serait également nécessaire
de dégager les éléments pennettant de distinguer l'accident de trajet de
1
Ass. Plén. 22 Décembre 1988, Ilull. civ. nO 10.
Âss. Plén. 31 Octobre 1991. RJS. Janvier 1992, nO 78. p. ()~.

142
\\' accident de droit commun atin de mettre en relief les préoccupations qUI
commandent la construction jurisprudentielle.
AI LES CRrTERES DIST1NGlJI\\NT L'I\\CCIDENT Dl) 'l'RA VI\\IL [)l:
L'ACCIDENT DE TRAJET
Bien avant la loi du 30 Octobre 1946, la jurisprudence, par une
extension de la notion de subordination, a permis de réparer des préjudiœs
survenus alors que le salarié n'était plus à son lieu de travail. fi est évident que
la construction jurisprudentielle à elle seule, sans intervention législative,
n'aurait
pas
permis
de
couvrir
toute
cette
catégorie
de
préjudices
professionnels que constitue l'accident de trajet. Il paraît donc normal que la
doctrine s'interroge sur la nature exacte de cette catégorie de préjudices dès
lors que le législateur a permis expressément sa couverture. \\
Deux théories principales ont été à ce sujet développées. Selon la
première tendance, la nouvelle législation se bornait à prolonger en dehors du
temps et du lieu du travail, le lien de dépendance qui unissait l'employeur et le
salarié. C'est cette position qui comme nous l'avons vu, a été adoptée par la
Cour de cassation. La loi du 30 Octobre 1946 disait-elle, « implique
l'extension du lien de dépendance »1. A l'opposé de cette tendance, une
seconde théorie considère que le législateur a voulu non pas étendre le lien de
dépendance mais ajouter un cas spécial d'assujettissement. Cette dernière
tendance semble être contirnlée par la jurisprudence ultérieure et la loi du 6
Août 1963. En effet, c'est ce lien de subordination qui, hier, permettait à la
cour d'assimiler un accident de trajet à un accident du travail ordinaire, qui,
aujourd'hui, lui permet de distinguer le même accident du travail de l'accident
de trajet. Résumant la jurisprudence de la Cour, le Professeur J. GHESTIN
écrivait que, « constitue un accident du travail celui qui èst survenu en lin
moment et en un lieu où le travailleur pouvait recevoir des ordres de son
employeur sur les moyens à mettre en oeuvre pour s'acquitter de ses
obligations professionnelles ». L'accident de trajet en revanche, est celui
survenu pendant que « le travailleur conservait la liberté de choisir son
1
soc 7 Juin 1951. Bull. 111. n° 444

]43
itméraire, son mode de transport, et plus généralement restait libre de son
comportement» 1 .
Celle jurisprudence de la Cour de cassation suscite à la rois
interrogations et remarques. D'abord, on relèvera que celle mutation dans le
raisonnement jurisprudentiel est contemporaine de la conception extensive de
la notion d'accident du travail au détriment de l'accident de trajet. Or, nous
avons déjà montré la corrélation existant entre l'enjeu économique et la
conception de la notion d'accident de trajet. Ainsi, la jurisprudence soucieuse
de restreindre le domaine des accidents de trajet, devait recourir à un critère
juridique lui pem1ettant d'atteindre ses objectifs. Se pose alors la question de
savoir si ce critère tiré du lien de subordination cadre biel'\\ avec la nature de
l'accident de trajet. Si l'on considère que la notion de subordination s'identifie
à celle de l'autorité ou de surveillance, alors ce critère distinctif tiré du lien de
subordination se conçoit aisément. Or comme nous l'avons vu, la notion de
subordination ne saurait se résumer à celle de surveillance ni de l'autorité. S'il
est indéniable que l'accident de trajet ne constitue pas un risque inhérent à
l'entreprise, on ne saurait davantage affirmer que ce risque est totalement
indépendant de l'activité professionnellc. S'il en était ainsi, le législateur
n'aurait sans doute pas étendu la législation sur les risques professionnels aux
accidents du trajet. En effet, comme l'écrivait un auteur, «les accidents du
trajet sont évidemment en rapport avec le travail qui situe, dans le temps et
dans l'espace, le parcours du prétravail et du post-travail; (..) le trajet ne
constitue pas un acte de la vie privée mais fait partie de l'ensemble des
« servitudes» qu'impose la profession exercée »2. En d'autres tem1es,
l'accident de trajet serait également un risque auquh"
les obligations
,
professionnelles du salarié l'exposent. En elTet, « s'il est un peu forcé de
considérer le travailleur comme téléguidé par son employeur dès l'instant où
il franchit le seuil de sa porte, il est du moins légitime de rattacher au contrat
du travail l'accident de trajet »3.
1 . 1. GHESTlN, « La distinction entre les accidents du travail ct les accidents du trajet depuis la loi du 6 Août
1963,J.C.p 1967, r, 2109.
l
S SPREREGIN, arl. prée. Gaz. Pal 1959, Doel. r 25
.\\ . L. SEBAG, note sous Ass. Plén. 19 Juin 1963, 0
1964, p. 301.
\\

144
De là surgit l'ambiguïté du lien de subordination comme critère de
distinction entre l'accident du travail ct l'accident de trajet eu égard surtout à
l'imprécision et à la fluctuation de cette notion dans l'ensemble de la
construction jurisprudentielle. Par ailleurs, la mise en oeuvre de la présomption
d'imputabilité suppose que le salarié soit au lieu et au temps du travail et plus
globalement sous la subordination de son employeur. Or la jurisprudence
admet que le salarié qui ne s'est pas détourné de son trajet nonnal bénéficie de
la présomption d'imputabilité'. Cette observation ne fait qu'accroître cette
ambiguïté. Et ce n'est pas sans raison que le Professeur .I-J. DUPEYROUX,
évoquant la distinction entre accident du travail ct accident de trajet, parle d'un
choix hasardeux2 . Cependant, on ne pourra réellement saisir les données du
problème sans étudier les éléments de fait desquels la jurisprudence déduit le
lien de subordination ou l'absence de ce lien. En effet, cette distinction
schématiquement fondée sur le lien de subordination, ne rend compte que de
manière approximative d'une réalité fort complexe. La situation géographique
du lieu de l'accident, les extrémités du trajet parcouru, la périodicité du trajet,
l'obligation pour l'employé d'utiliser un moyen de transport détenniné, la
rémwlération du temps de trajet, sont autant de critères isolés ou combinés qui
pennettent à la Cour de déduire la subordination ou l'indéphndance du salarié.
li convient d'approfondir ces éléments afin de mettre en relief lequel de ces
critères détennine la solution de la Cour. Ceci nous pennettra sans doute de
mieux comprendre la ligne directrice et les préoccupations de la jurisprudence.
1/ LE CRITERE GEOGRAPHIQUE DANS LA DETERMINATION DE
L'ACCIDENT DE TRAJET
Cc critère donne lieu à une construction jurisprudentielle assez simple ct
précise. Pour qu'il y ait accident de trajet, il est indispensable que l'accident
survienne en dehors de l'entreprise ct ses dépendances. Certes, dès les
premières années de l'application de la loi du 30 Octobre 1946, la Cour,
estimant que le lieu du travail doit être entendu comme celui qui est assigné à
l'employé pour l'exécution du contrat qui le lie à son employeur, avait qualifié
d'accident de trajet des accidents survenus au sein de l'entreprise. Plus tard, la
soc. 3 Février 1988. Bull. V, na 86.
).J DUPEYROUX. uuve. prée p 436

145
jurisprudence va considérer que le salarié se trouve au temps et au lieu du
travail au sens de l'article L 415 C.s.S. tant qu'il est soumis à J'autorité et à la
surveillance de son employeur. Tel est le cas du salarié qui, venant de quitter
son travail nonnal, se trouve encore dans les dépendances de l'établissement 1 •
Depuis, cette jurisprudence a été maintenue. Les dépendances de ('entreprise
s'entendent non seulement des bâtiments annexes mais aussi de toute ('étendue
clôturée du domaine de l'entreprise quelle que soit son importance2 . On notera
néanmoins une décision discordante de la Chambre criminelle qui semble se
justifier par les circonstances de l'espèce. Il s'agissait d'un accident de la
circulation survenu sur une voie privée dans l'enceinte de l'entreprise. La
Cour, se référant aux règlements de l'usine aux tennes desquels les usagers
circulent sur cette voie à leurs risques et périls, a décidé qu'il s'agissait d'un
accident de trajee. C'est sans doute cette volonté expresse de l'employeur
d'exclure de sa sphère d'autorité cette voie privée, qui a détenniné la solution
de la Cour. S'agissant des accidents survenus en dehors du domaine de
l'entreprise, ils donnent lieu à une j urisprudence mo;\\~s précise faisant
,
intervenir plusieurs paramètres. Ce qui peut faire penser que la jurisprudence
ne veut pas s'enfemler dans une définition étroite. N'y a-t-il cependant pas un
critère détenninant dans la construction .i urisprudentielle? li conviendrait de le
vérifier.
21 LA RECHERCHE D'UN CRITERE DETERMINANT DE L'ACCIDENT
DE TRAJET
Aux termes de J'article L 41 1-2 CS.S. est également considéré comme
accident du travail, l'accident de tn*t survenu entre: « /0 La résidence
principale, une résidence secondaire présentant un caractère de stabilité ou
tout autre lieu où le travailleur se rend habituellement pour des motiJ~'
d'ordre jàmilial et le lieu du travail JO le lieu de travail et le restaurant, la
cantme ou d'une manière générale,
te
lieu où le travailleur prend
habituellement ses repas (..) ».
soc 9 Novembre 1960, D 1961, p. 69, note )-). DUPEYROUX.
Soc. 22 Mars 1983, Bull. V, n° 182
Crim 25 Octobre 1967, D. 1967, p. 747.

146
Ces
textes
suffisamment
clairs
pourraient
laisser
présager
une
construction jurisprudentielle assez nette ct précise. Ce serait négliger la
diversité des situations plus nuancées que la pratique pourrait révéler. En effet,
il peut arriver que le salarié employé habituellement au sein de l'entreprise, soit
amené à travailler à un endroit autre que son lieu nonnal de travail. De plus, il
est possible que le salarié quittant son domicile, passe par l'entreprise avant de
se rendre à ce lieu temporaire de travail ou qu'il s'y rende directement à partir
de son domicile. Cette nouvelle affectation peut être ponctuelle. Elle peut
également s'étendre sur une durée plus ou moins longue ~t assimilable à une
mission professionnelle. Entin, bien que limitée à une sè.ule journée, cette
affectation peut être cyclique. Autant d'éléments qui interviennent dans les
choix opérés par la Cour et qui rendent a priori difficile toute systématisation,
d'autant plus que deux situations voisines peuvent donner lieu à des solutions
différentes. Seuls des exemples nous permettront de dégager la ligne directrice
de la jurisprudence.
Dans une espèce du 24 Octobre '978, la Chambre sociale a jugé ~llle
l'accident survenu sur le parcours entre la résidence habituelle de la victime et
l'endroit où elle a été temporairement appelée à travailler, constitue un
accident de trajet. La victime se rendait dans la voiture de son collègue à un
séminaire organisé par leur employeur dans une localité autre que celle où ils
exerçaient leur tonction. La Cour a fondé sa décision sur le fait que les
participants à ce séminaire rentraient chaque soir chez eux après la fin des
cours, sans être contraints par leur employeur de le fair(~, qu'ils pouvaient
,
utiliser tel moyen de transport de leur choix et n'étaient pas remunérés pendant
la durée du trajet 1 • On remarquera dans cette décision comme dans la plupart
des arrêts en la matière, une abondance d'arguments sans savoir au juste,
lequel a détemliné la solution de la Cour. Néanmoins on pourrait déjà penser
que lorsque le salarié est affecté à un poste de travail à l'extérieur de son
entreprise, ce nouveau poste doit être considéré comme son lieu de travail au
sens de l'article L 411-2 CS.S ..
Dans une autre espèce, la Cour de cassation reproche à une cour d'appel
d'avoir retenu la qualification d'accident de travail proprement dit, sans
1
soc. 24 Octobre 1978. BulL V. n° 696

147
rechercher si le déplacement au cours duquel l'accident s'est produit,
correspondait à une mission ponctuelle effectuée sur les instructions de
l'employeur, ou s'il s'agissait au contraire d'une affectation durable de nature
à conférer un caractère habituel au trajet entre le domicile de l'intéressé et leur
nouveau lieu de travail'. De cette décision on pourrait aussi penser que la
nouvelle affectation, pour être assimilée au lieu de travqil, doit revêtir un
\\
caractère durable. A contrario, lorsqu'il s'agit d'une affectatîon ponctuelle, on
est en présence d'un déplacement professionnel. L'accident survenu serait
donc un accident du travail proprement dit.
Pourtant, ce paramètre a été ignoré dans une espèce relativement récente
du 5 Novembre 1992 dont voici les faits. Une société a demandé à trois de ses
salariés de se rendre à une foire dans une ville voisine pour y tenir un stand.
Une fois leur travail achevé en lin de journée, l'un des salariés a raccompagné
sa compagne de travail à son domicile à l'aide de son véhicule personnel. Sur
le trajet, un accident s'est produit et cette compagne a été blessée. Bien que le
pourvoi ait relevé le caractère inhabituel et ponctuel du trajet effectué, la Cour
de cassation a retenu la qualification d'accident de trajet2 . C'est dire que ce
critère, en réalité, n'est nullement déterminant de la solution de la Cour. Le
choix du juge semble précéder le raisonnement juridique, ce qui semble aussi
expliquer la régulière abondance des arguments.
Un autre élément dont il faut tenir compte est le point de départ du
trajet. En effet, selon la Chambre sociale, ne peut être considéré comme un
accident de trajet, l'accident survenu à des salariés en fin de journée dans le
véhicule de leur employeur, du chantier où ils avaient été occupés, au siège de
l'entreprise, dès lors que l'accident s'est produit non sur le parcours habituel
entre le lieu du travail et leur résidence mais au cours d'un déplacement
professionnel entre un chantier occasionnel (provisoire) et le siège de
l'entreprise, peu important le moyen de transport utilisé et les modalités de
prise en charge du parcours' . Des enseignements qui peuvent être tirés de cette
décision, on notera essentiellement que pour que soit retenue la qualification
d'accident de trajet, il est nécessaire que le salarié ait quitté non pas le siège de
1
soc 25 Mai 1988, Bull V, n° ,II.
Soc 5 Novembre '992, Dr. soc. 1992, p. '028
Soc 7 Décembre 1983, Bull. V, nO 595.

148
l'entreprise, mais son domicile pour le lieu provIsOIre dU. travail. Plusieurs
autres arrêts confimlent cette analyse 1 .
On signalera néanmoins une décision de la Chambre criminelle dans
laquelle la qualification d'accident du trajet a été retenue quand bien même les
ouvriers se donnaient toujours rendez-vous au siège de l'entreprise avant leur
déplacement. La Cour avait mis l'accent sur la périodicité et la régularité du
déplacement2 . Cependant on retiendra que la Cour de cassation ne retient pas
toujours la qualification d'accident de trajet toutes les fois que le salarié quitte
son domicile pour son lieu occasionnel de travail. Une rétërence permanente
est faite à la rémunération du trajet, de même qu'à l'obligation ou la liberté
pour le salarié d'emprunter tel ou tel autre moyen de déplacement. Le salarié
est-il tenu d'emprunter un moyen de transport déteffiliné suivant les
instructions de l'employeur, la Cour décide qu'il s'agit d'un accident du
travail. A -t- illa liberté de son comportement, il s'agit d'uh accident de trajet.
\\
Ainsi, doit être qualifié d'accident de trD,jet, celui survenu alors que
l'employeur raccompagnait ses salariés de leur lieu de travail à leur domicile
pour leur rendre service en l'absence de transport en commun, ce qui
constituait une simple commodité dont ils n'étaient pas tenus de profiter'. Le
trajet est-il rémunéré cOl11mc temps de travail, il y a accident du travail. Si par
contre le trajet n'est pas rémunéré, il y a accident de trajet.
Reste à savoir lequel de ces deux critères (Rémunération du temps de
trajet et liberté dans le choix du moyen de transport) l'emporte. Selon la
Chambre sociale, constitue un accident du travail proprement dit, l'accident
survenu à des ouvriers qui, après la fin de leur travail, regagnaient leur
domicile à bord d'une voiture de l'entreprise dès lors que leur rémunération à
la tâche ne pemlettait pas de retenir qu'ils n'étaient pas rémunérés pendant le
temps de transport4 . Mieux encore, constitue un a~cident du travail
,
proprement dit, l'accident de la circulation survenu à un\\ouvrier qui, pour
rentrer en lin de semaine du 1ieu où son employeur avait ouvert un chantier il
'. soc. 27 Avril 1988, Bull. V, nO 254
1. Crim. 16 Juin 1987, Bull nO 252; Crim
3 Mars 1993. IU.S
1993, p. 321
Dans cette espèce, les salariès
ètaient transportès du chantier au siège de l'entreprise. La qualification d'accident de trajet a été retenu .
.1. Soc. 17 Février 1994, R.JS. Avril 1994, n° 467, p 297
'. Soc 23 Février 1983, Bull V, nO 99.

149
son domicile, avait pris place dans la voiture de son camarade de travail alors
que le temps normal de parcours était considéré comme temps de travail ct
l
rémunéré à ce titre . La cour d'appel pour retenir qu'il s'agissait d'un accident
de trajet, avait relevé que le conducteur, camarade de travail de la victime,
roulait au moment de l'accident pour ses propres besoins. Elle ajoutait que les
ouvriers n'ayant pas l'obligation J'utiliser un quelconque mode de lransport à
la fin de leur travail, la victime se trouvait dans une position complète
d'indépendance vis-à-vis de son employeur. La décision de la cour d'appel a
été cassée pour le motif susmentionné. Il est donc clair que la liberté du choix
du mode de transport ne constitue pas un critère déterminant dans la doctrine
de la Cour de cassation. C'est donc en définitive la rémunération du temps de
trajet qui permet de distinguer l'accident du travail de !' accident de trajel
proprement dit. C'est donc l'élément détem1Înant de la doet'rine de la Cour de
cassation en la matière. Le Professeur Y. SAINT-JOURS l'affirmait d'ailleurs
sans ambiguïté lorsqu'il écrivait:
« Le révélateur commun du lien de
subordination caractéristique de l'accident du travail par opposition à
l'accident de trajet consiste dans la rémunération du temps de transport
comme temps de travail)}2. Aussi, pourra-l-on définir l'accident de trajet
comme celui survenu au salarié sur le parcours de son domicile à son lieu de
travail, lorsque ce temps de parcours n'est pas rémunéré comme temps de
travail.
Cette jurisprudence qui ne retient la qualification d'accident de trajet
qu'autant que le temps du trajet n'est pas rémunéré est, une fois encore,
révélatrice des préoccupations du juge. La Cour de cassation semble dire que
le salarié, rémunéré durant son parcours, ne doit plus bénéficier d'une
réparation complémentaire. L'attachement de la Cour à l'id\\~e du forfait et par
\\
conséquent à la protection des. intérêts pécuniaires de l'employeur paraît plus
que jamais certain. On peut se demander si tous ces critères auxquels la Cour
se réfère de manière quasi rituelle, ne constituent en réalité qu'un décor dont la
seule raison d'être serait d'occulter les préoccupations pécuniaires de la
jurisprudence. Fidèle à l'idée du forfait, le juge est-il aussi attaché à la
réparation de tout préjudice pouvant advenir sur le trajet du salarié? L'analyse
1
Soc 15 OClObre 1970, Oull. V, n° 515
2
Y SAINT-JOURS, ouvr. préc. p. 115

150
de la jurisprudence sur la distinction entre accident de trajet et accident de
droit commun nous permettra de répondre à cette interrogation.
BI L'ACCIDENT DE TRAJET ET L'ACCIDENT DE DROIT COMMUN
Aux termes de la loi du 30 Octobre 1946, J'accident dc tr~jd Il'est
couvert que « dans la mesure où le parcours n'a pas été interrompu ou
détourné pour un motif dicté par l'intérêt personnel ou iI,dépendant de son
emploi ». Ce texte sera davantage précisé par la loi du 23 Juillet 1953 qui sera
repris par J'ordonnance n° 67-707 du 21 Août 1967. Ce texte est inséré dans le
C.s.S. à l'article L 41 J-2. Cet article in fine, dispose que l'accident de trajet
n'est couvert que « dans la mesure où le parcours n'a pas été interrompu ou
détourné pour un motifdicté par l'intérêt personnel et étranger aux nécessités
essentielles de la vie courante ou indépendant de l'emploi ». Il ressort de ce
texte que, hormis les obligations professionnelles, seules les nécessités de la
vie courante justifient la réparation du préjudice lorsque le tnljet a été
interrompu.
Mais que faut-il entendre par nécessité de la vie courante') La question
se pose parce que cette notion revêt une importance capitale eu égard à ce qui
vient d'être dit. De plus, elle constitue une sorte de point d'intersection qui
justifie à la fois les interruptions et les détours de trajet. ~ais curieuscment,
alors que la jurisprudence exclut du domaine de la loi les piéjudices survenus
pendant une interruption de trajet motivée par les nécessités de la vie courante,
les accidents survenus pendant le détour d'un trajet pour les mêmes mobiles,
sont couverts. Il conviendra donc d'évoquer la notion de nécessité de la vie
courante avant de rechercher les justifications de la distinction opérée par la
jurisprudence. Mais auparavant, il faudra détem1Îner les trajets protégés.
II LES TRAJETS PROTEGES
En nous référant aux textes déjà cités, Je parcours protégé est celui qui
se situe entre le lieu du travail d'une part, la résidence principale, une
résidence secondaire ou tout autre lieu où le travailleur se rend de façon
habituelle pour des motifs d'ordre familial, le restaurant, la cantine ou d'une
manière générale, le lieu où le travailleur prend habitu~Ilement ses repas

151
d'autre part. Il ressort de la lettre même Je la loi que le législateur assimile aux
résidences
secondaire
et
principale,
le
lieu

le
travailleur
se
renJ
habituellement pour des motifs d'ordre familial. Aucune autre restrictioll Ile
semble être apportée par la loi dès lors que ce parcours a été effectué pour des
motifs d'ordre familial.
Pourtant, selon la jurisprudence, par les mots « ou tout autre lieu où le
travailleur se rend de façon habituelle pour des motifs d'ordre familial, la loi
vise un lieu de séjour de l'intéressé lui-même, assimili:\\ à une résidence
principale ou secondaire et non un lieu où, sans qu'il s'accompagne de
séjour, s'accomplit un acte passager fut-il habituel et motivé par des
considérations d'ordre familial »' . \\1 a été même jugé que l'accident dont a
été victime un salarié en revenant de la commune où résidait sa soeur chez qui
il avait passé la fin de la semaine comme il le faisait régulièrement, pour
rejoindre Je chantier où il avait été affècté, ne constituait pas un accident de
2
trajet . A la Icttre de la loi, la jurisprudence ajoute ainsi une double condition,
la nécessité d'un séjour et ce lieu de séjour doit être celui du salarié lui-même.
L'assimilation par la loi du lieu où le travailleur se rend habituellement à la
résidence secondaire signifie-t-elle une identité parfaite de nature entre ces
deux notions comme le conçoit la jurisprudence? Il est permis d'en douter car,
si tel était le cas, pourquoi le législateur a-t-il jugé nécessaire d'ajouter à la
résidence secondaire, « tout autre lieu où le travailleur se rend de façon
habituelle pour des motifs d'ordre filmilial »'1
S'il est excessif de conclure que la Chambre sociale est en flagrante
violation des dispositions textuelles, on peut néanmoins affirmer sans réserve
que la loi n'impose pas forcément une telle interprétation à la Cour. Le juge
serait ici encore plus favorable à l'employeur? C'est le moins qu'on puisse dire
à notre avis et d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Ce sentiment se trouve
d'ailleurs renforcé par la conception restrietive que la Chambre sociale a de la
notion de restaurant ou du lieu où la victime prend habituellement ses repas.
En eflèt, on aurait pu penser que le lieu où le salarié achète habituellement ses
repas
pourrait
être
assimilé
au
restaurant
ou
au
lieu

il
prend
1
soc. 17 Janvier 1974, Bull. V, nO 53
Soc. 17 Novembre 1987, Bull. V, nO 648 (Arrèt n° 2).

152
«habituellement ses repas ». Pourtant, la Cour de cassation a Jugé que
l'accident survenu pendant la pause du déjeuner, sur le trajet entre le lieu où
une salariée achetait habituellement ses repas ct le lieu de son travail où elle les
consommait, ne constituait pas un accident de trajet. Est sans incidence le 1~lit
qu'elle était obligée d'acheter ses repas à l'extérieur faute de s'en voir servir
dans l'entreprise' . Il apparaît de plus en plus que le préjudice professionnel est
d'esscnce jurisprudentielle en ce sens que c'est le juge qui, tout compte fait,
décide de ce qu'il convient d'entendre par préjudice professionnel. Un fàit
marquant illustré par deux décisions récentes de la Chambre sociale mérite
cependant d'être relevé.
Dans une espèce du 16 Mars 1995, il a été jugé que la chute dont a été
victime un salarié en regagnant l'entreprise pour consommer la nourriture
achetée avec un ticket de restaurant, dans le réfectoire mis à la disposition du
personnel par l'employeur, est un accident de trajet2 .
Dans une autre espèce du 23 Mars 1995. il a été jugé que la chutc dont a
été victime un salarié sur le trottoir pendant la pause de midi alors qu'il vcnait
à ce moment de quitter son bureau, pour se rendre à la boulangerie la plus
proche, afin d'acheter son repas et de déjeuner dans la salle mise à la
disposition des salariés par l'employeur ne constitue pas un accident de trajet'.
Si dans la première espèce, le restaurant mis à la disposition du
personnel par l'employeur était situé dans l'enceinte de l'entreprise, on aurait
pu considérer que le préjudice est survenu en lieu soumis à l'autorité dc
,
l'employeur. Et dans ce cas, nous serions en présence d' un\\~ccident de travail
proprement dit. Tel n'est pas le cas. La décision de la Cour est donc justifiée
par le làit que le préjudice est survenu entre le lieu où le salarié achète
habituellement son repas (restaurant) et son entreprise (lieu où il devait le
consommer). Ce qui nous paraît d'ailleurs contlmnc à l'article L. 411-2
CS.S.. Dès lors, on comprend 111a1 pourquoi celle même qualification
d'accident de trajet n'a pas été retenue dans J'espèce du 23 Mars 1995. On
remarquera que dans les deux cas, soit pour retenir la qualification d'accident
1
Soc]\\ Janvier 1991. RJS Mars 1991, n' 394 (2"'" espèce), p. 208.
2. Soc
16 Mars '995, RIS. 1995, p. 378 (2"'" espèce).
Soc 2J Mars 1995, R.JS. 1995, p. 378.
1,
1,

153
de trajet ou pour l'écarter, la Chambre sociale a eu recours à la même formule:
« Mais attendu qu'après avoir rappelé les dispositions, applicables en
l'espèce, de l'article L. 411-2 du Code de la sécurité sociale, la cour d'appel
a souverainement décidé, en fonction des circonstances de la cause ana~vsées
par elle, que l'accident litigieux constituait un accident de trajet» (espèce du
16 Mars) ou « ( ..) ne constituait pas un accident de trajet» (espèce du 23
\\
Mars). On retrouve cette même formule dans une autre espèce du 12 Octobre
1995\\ . Il apparaît dès lors que la volonté de la Chambre sociale d'abandonner
la notion d'accident de trajet à la souveraine appréciation des juges du fond est
manifeste. Ces deux solutions divergentes, conséquence de cette nouvelle
orientation de la Cour de cassation, illustre déjà les aléas auxquels pourrait
conduire cette doctrine. Selon que le justiciable relève de la juridiction de telle
ou telle autre cour d'appel, il bénéficiera ou non de la protection légale:
curieuse situation qui va à l'encontre du principe de l'égalité des citoyens. Une
harmonisation tenant compte à ta fois de l'évolution des comportements
sociaux et des dispositions de l'article L. 411-2 C.S.S. s'impose. En effet,
comme le relève la doctrine, « (..) le fait dominant de ces dernières années est
précisément la multiplication des points de vente de nourriture à emporter
auxquels les salariés ont de plus en plus recours en raison, d'une part, de leur
moindre coût par rapport à la restauration clossique e(, d'autre part, de
l'absence fréquente de restauration d'entreprise organisée }JQr l'employeur »;
et il importe que « (... ) les tribunaux tirent les conséquences logiques de cette
évolution en accordant le bénéjice de la législation sur les accidents du
travail aux salariés accidentés lors du trajet entreprise/lieu d'achat habituel
d'un repas lorsqu'il n:y a pas consommotion sur place »2. La protection d'un
tel trajet serait certainement plus conforme à l'esprit de la loi.
JI convient à présent de se demander quelle conséquence juridique
pourrait s'attacher à un détour ou une interruption de trajet.
1
Soc. 12 Octobre 1995, R.J S. 1995. p. 745.
\\
L MILET « L'accident de trajet: une création 'Inachevée", Dr. Ouvr 1995, p, 430\\

154
2/ LES DETOURS ET INTERRUPTIONS DE TRAJET
La réflexion est dictée par la différence de régime entre ces deux
situations. Nous rappellerons cependant que les détours et interruptions pcnnis
sont ceux qui sont dictés par les nécessités de la vie courante.
al LA NOTION DE NECESSITE DE LA VIE COURANTE
Aucune indication n'a été donnée par la loi sur cette notion. li revenait
donc au juge de déternliner ce qu'il convient d'entendre par cette notion. Elle
ne saurait pas non plus se prêter à une définition précise. Ainsi, c'est au coup
par coup que la jurisprudence résout le problème. Il peut s'agir des actes
réguliers et même quotidiens. C'est le cas par exemple\\d'un arrêt en vue
d'acheter des aliments pour une pause déjeuner,1
d'un 'détour en vue de
chercher son enfant à l'école maternclle2 ou de déposer sa compagne à son
lieu de travail3 . li peut s'agir également des actes moins réguliers, le passage
chez un kinésithérapeute,4 l'arrêt à un logement de chantier pour changer ses
vêtements5 . Enfin des actes peu courants peuvent être également assimilés aux
nécessités de la vie courante. Il en est ainsi d'un détour pour déposer une
u
déclaration fiscale . La nécessité de la vie courante ne doit donc pas
s'entendre seulement des actes nécessain:s à la vie quotidienne. Elle ne collvre
pas non plus tous les actes pouvant être considérés comme relevant d'une
obligation morale. Ainsi, il a été jugé que le détour effectué en vue de rendre
visite à ses parents, est motivé par un intérêt personnel étranger (.lUX nécessilés
de la vie courante7 .
Il convient d'examiner à présent, la différence de régime entre ks
interruptions et les détours de trajet.
1
soc 12 Octobre 1995 préc
Soc. 13 Octobre 1994, Dr ouvr 1995, l' 116.
.1
Soc. 16 Mars 1995, R.J.S. 1995, p. 574 (1'" espéce)
Soc 19 Mars 1986, Bull. V, nO 104
'. Soc. Je7 Avril 1993, Dr ouvr. 1994, 1'.237
6
Soc 18 Novembre 1993, R J.S. Février 1994, nO 18b, p 140.
Soc. 28 Janvier 1971, Ou\\l. V, nO 66

155
bl LA DIffERENCE DE REGIME ENTRE INTERRUPTION ET DETOUR
DE TRAJET
Depuis une décision de l'Ass. Plén. du 19 Juin 1963,' la jurisprudence
affirme avec
constance la suspension
de
la
protection
légale
pendant
l'interruption de trajet. Ici encore, la lettre de la loi ne commande pas
inéluctablement cette interprétation. On ne pourra cependant se limiter à ce
principe affirmé par la Cour. Il conviendrait pour mieux saisir sa position, de
se réfërer aux faits de quelques espèces jurisprudentielles.
Il a été jugé qu'il ne peut être qualifié d'accident de trajet, l'accident
survenu à un salarié qui, après avoir arrêté sa voiture sur le trajet du retour à
son domicile, traversait l'avenue pour aller chercher du pain dans une
2
boulangerie . Cette décision pouvait laisser penser que le trajet est censé êtn:
interrompu dès lors que le salarié en voiture immobilise son véhicule ct s'en
extrait.
Une telle jurisprudence serait à la
fois extrémiste et absurde.
Heureusement cette décision rapportée ne constitue qu'un cas isolé duquel on
ne saurait tirer un principe. En ef'Cct, dcs décisions en sens opposés ont été
3
données antérieurement et postérieurement à cet arrêt . Et la Cour dans une
autre espèce du 5 Mars 1986 a eu à préciser sa doctrine sur la notion
d'interruption de trajet. En effet, il a été jugé que l'accident survenu à un
salarié qui, se rendant à son travail, s'est arrêté pour prendre du pain ct a fait
une chute devant la boulangerie, constitue un accident de trajet dès lors qu'au
\\
moment des faits, l'intéressé n'avait pas pénétré dans ladite boulangerie en
sorte que le trajet n'avait pas encore été interrompu au sens de l'article L 415-
4
1 C.S.S. . Tel est également le cas du salarié qui s'est blessé en sortant de sa
voiture pour demander à un chauffeur-livreur de déplacer son véhicule qui
gênait la circulations. II Y a là une référence implicite à la notion de voie
publique. Ainsi, le trajet n'est interrompu que lorsque le salarié quitte la voie
publique et sc trouve en un lieu privé. Tel est le cas d'un salarié qui fait une
Ass. Plén. 19 Juin 1963, D 1964, J p. 301
Soc. 9 Juillet 1981. Bull. V, n° 696.
) Soc. 17 Octobre 1974, Bull. V, nO 48S
4
Soc. 5 Mars 1986, Bull. V, n° 72
Soc 14 Janvier 1993. Semaine soc·,ale Lamy,," 661 du 6. l) 1993. P 40.
\\ \\

156
chute dans l'escalier d'un immeuble où il devait recevoir les SO\\llS d'un
kinésithérapeute 1 .
La jurisprudence semble se réfërer aussi à un nouveau critère qui est
celui des actes « s'intégrant dans le trajet ». Tel est le cas d'une interruption
de trajet en vue d'un ravitaillement cn carburant2 . Il ne faudrait pas pour
autant surévaluer l'importance de ce critère car la Cour n'avait pas manqué de
relever que l'accident est survenu sur une voie ouverte à la circulation
publi4ue. [1 est probable que ce soit celle dernière motivation qui a détemliné
la solution de la Cour de cassation. C'est donc l'abandon de la voie publique
qui caractérise essentiellement l'interruption du trajet. Et c'est aussi ce qui
explique la différence de régime entre le détour du trajet et l'interruption de
trajet. En effet, le détour du trajet, contrairement à l'interruption, ne signifie
pas que le salarié a quitté la voie publique. Il s'agit seulement d'un écart pris
par le salarié par rapport à son trajet habituel. (JI ne fàut pas cependant
confondre le détour du trajet avec un trajet totalement distinct qui exclut
l'application de la législation sur les risques professionnels3 ).
Aussi, l'accident survenant au cours d'un détour de trajet se produit
forcément sur une voie ouverte à la circulation publique. Cependant, un détour
de trajet peut être suivi d'une interruption de trajet. C'est lorsque le salarié au
cours de ce détour, quitte la voie publique pour pénétrer dans un lieu privé. Tel
est le cas d'une salariée qui, en arrivant après un détour, dans le domicile des
parents d'un collègue où elle se rendait pour leur annoncer que celui-ci a été
blessé dans un accident de la circulation, a été elle-même victime d'un
accident. Selon la jurisprudence, l'accident s'étant produit au cours d'une
interruption de trajet, il s'agit d'un accident de droit commun, quel que fût le
motif du détour 4ui a précédé celle interruption4 . Il apparaît donc que la Cour
de cassation n'admet pas d'exception à ce principe suivant lequel, le préjudice
survenu au cours d'une interruption de trCl,jet constitue un préjudice de droit
commun. Cette attitude s'inscrit sans doute dans la tendance générale de la
Cour car, comme nous le verrons, le juge fait preuve d'une rigueur
1 . soc 5 Novembre 19S0, Bull. V, na SOJ
l
SOC 2b Avril 1990, Or soc, 992, p. 500
.\\ Soc JI Janvier 1991, R.J.S. Mars 1991, na J94, (3"'" espcce), Il. ~OS
, Soc. 21 Février 1983, Bull. V. na 99

157
"chirurgicale" dans l'identification du préjudice professionnel et souvent au
grand dam du salarié. Nous dirons une fois encore que la loi n'impose pas
cette conception au juge.
Malgré
l'ahondance
des
textes,
le
pouvoir
d'appréciation du juge dans le domaine de la réparation des préjudices
professionnels est très considérable. C'est sans doute la diversité des situations
pratiques que la loi ne pourra ni prévoir ni régir dans les détails qui confère au
juge tous ces pouvoirs. Mais le juge met-il ce pouvoir au service du plus faible
(le salarié)? Il est pennis d'en douter.
On notera aussi que c'est la référence à la voie publique qui explique la
jurisprudence relative aux accidents survenus dans les dépendances de la
résidence du salarié 1 ; ce qu'on pourrait appeler le pré-traJ~t ou le post-trajet
selon que le salarié quitte son domicile ou y revient. Ainsi, le trajet ne
commence pas dès lors que la démarche du salarié en vue de se rapprocher de
son lieu de travail cesse d'être équivoque mais à partir du moment où il a
définitivement quitté son intimité.
Il ressort de tout ce qui précède que dans ce régime dérogatoire que
constitue l'accident de trajet, on est loin d'une quelconque sollicitude du juge ù
l'égard du salarié, et le juge veille scrupuleusement sur les intérêts de
l'employeur. Mais il en est un autre régime dérogatoire dont J'étude apparaît
forcément complémentaire de celle qui précède.
II s'agit de la taute
inexcusable.
SECTION Il: LA FAUTE INEXCUSABLE DANS LA REPARATION
DES PREJUDICES PROFESSIONNEtS
Déjà, la loi du 9 Avril 1898 qui en même temps qu'elle réglementait le
domaine des préjudices professionnels y avait introduit la notion de faute
inexcusable, avait détemliné les conséquences qui s'attachaient à une telle
tàute. Cependant, le législateur gardera un mutisme sur ce qu'il convenait
d'entendre par faute inexcusable. Cette notion sera plusieurs tois reprise par le
1
Ne constitue pas un accident de trajet, celui survenu dans les dépendances de la résidence de la victime. Tel
est le cas lorsgue la victime. descendue de son véhicule pOlir ouvrir la pone de son garage situé a l'intérieur de
sa propriété, a été écrasée par son véhicule, mal immobilisé et gui s'était remis en mouvement. Soc 15 Juin
1995, RJS 1995, p 614.
\\

158
législateur dans le domaine qui nous concerne sans jamais la définir. Cette
lacune sera comblée par la jurisprudence. Elle donnera une définition de la
faute
inexcusable qui entre autres critères est une faute d'une gravité
exceptionnelle. La notion de gravité pas plus que l'adjectif « exceptionnelle»
qui lui est attribué, ne pennettent pas de saisir la réalité de la faute inexcusable
et de comprendre les préoccupations des juges. Par contre, les applications
pratiques auxquelles elle donne lieu, sont révélatrices d'une jurisprudence
assez souple. Et on peut se demander si la référence à la gravité exceptionnelle
revêt encore aujourd'hui une signification. N'est-on pas passé d'une tàute de
gravité exceptionnelle à une faute ordinaire.
Il
semblerait
aussi
selon
la
doctrine.
que
celle
jurisprudence
manifestement extensive, ait connu une certaine radicalisation. Cette idée
mériterait également d'être examinée afin de dégager la logique ou les
principes auxquels obéit la construction jurisprudentielle.
§ l: DE LA FAUTE D'UNE GRAVITE EXCEPTIONNELLE A LA FAUTE
ORDINAIRE
La notion de faute a été adoptée par les rédacteurs du Code civil sans
qu'ils l'aient définie
Néanmoins,
cc Code comportait des dispositions
desquelles se dégageait une hiérarchie des fàutes. Ainsi, outre la faute
ordinaire, doctrine et jurisprudence distinguaient la faute lourde et la faute
intentionnelle. C'est dans ce contexte juridique consacrant une gradation des
fautes que le législateur allait créer une nouvelle catégorie de faute, la làute
inexcusable, qui fit sa première apparition en droit du travail dans la loi du 9
Avril 1898. La faute inexcusable correspond-eHe à l'une des catégories de
fautes déjà existant? Ou au contraire constitue-t-cJle une entité distincte,
auquel cas, il conviendrait de détem1Îner sa place dans celte hiérarchie. C'est
en d'autres termes le problème de l'identification de la tàute inexcusable qui
s'est posé à la jurisprudence (A). Dores ct déjà, on peut relever que cette
démarche dujuge met en relief l'étendue de ses pouvoirs dans la protection du
salarié. li est certain que ce pouvoir d'appréciation du jug,~ ne constitue pas
une particularité de la législation sur \\cs accidents du travail ou de la fuute
inexcusable. Mais il se trouve sans doute accentué par le contexte juridique,

159
notamment à cause du flou résultant de œtte superposition\\de fautes et surtout
des effets très considérables qui s'attachent à une notion que le législateur lui-
même n'est pas parvenu à cerner' . Dans ces conditions, le juge ne devrait-il
pas faire office de législateur?
On signalera également que, de la définition théorique de la faute
inexcusable à ses applications pratiques, il existe sans doute un risque de
décalage. Ainsi, c'est moins par la définition lju'à travers la confrontation de
cette définition aux faits (B) qu'on pourra mieux cerner la notion de fautc
inexcusable et d'en déduire la philosophie jurisprudentielle.
AI L'IDENTIFICATION DE LA FAUTE INEXCUSABLE
Un premier élément d'identification dc la faute inexcusable nous vient
de la loi du 9 Avril 1898 elle-même. La faute inexcusable ne saurait être
assimilée à la faute intentionnelle. En effet, aux termes de ct.tte loi, alors que la
\\
faute intentionnelle engage la responsabil ité de l'employeur dans les temles du
droit commun et prive le salarié de toute indemnisation, la faute inexcusable
ne donne lieu qu'à une majoration ou à une réduction de la rente. Il s'agit là
d'un élément dont les tribunaux doivent tenir compte dans la recherche de la
définition de la faute inexcusable.
II LA RECHERCHE D'UNE DEFINITION DE LA FAUTE
INEXCUSABLE
On relèvera d'abord un tâtonnement de la jurisprudence qui durera un
peu moins d'un demi-siècle et qui aboutira à un arrêt du 15 Juillet 1941.
1
A propos de la fàule inexcusable, le Rapporteur de la loi au Sénat dira à la séance du 4 Mars 1898 ce qui
suit·. « En admettant ces expressions de « tàute inexcusable}} dans le projet, la commission a dû se dire qu'il
était fort ditlicile de défmir ce qu'il fallait entendre par faute inexcusable. Qu'est-ce que la faute inexcusable?
C'est la faute lourde, mais qu'est-ce que la faute lourde? :'<ous reculerions d'expression en expression sans
jamais parvenir à une définition absolument nette. précise ( .. ). C'est ainsi. que, dans l'impuissance où nous
étions de préciser et de définir la fàute inexcusable, nous avons été amenés au texte que nous vous présentons
aujourd'hui, qui est un texte transactionnel, car c'est celui de la Chambre des députés (
)}) Lois annotées
1898. p. 794

160
al LES TATONNEMENTS m~ LA .IlJRISPRUDENCE
Les incertitudes auxquelles a donné lieu la notion de faute inexcusable
résultent avant tout d'un problème de droit s'inscrivant dans un cadre plus
large, celui du pouvoir de contrôle de la Cour de cassation sur les décisions des
juridictions de fond. La Cour de cassation peut-elle exercer son contrôle sur
l'appréciation faite par une juridiction du fond sur la gravité d'une faute? Bien
avant la loi du 9 Avril 1898, la Cour a reconnu aux juges 't,iu fond un pouvoir
souverain dans l'appréciation de la faute lourde qui fait perdre le bénéfice de
l
l'assurance . C'est la même solution qui sera d'abord appliquée en matière de
faute inexcusable. En effet, dès [903 la Cour décide que, « Attendu d'une part
que ledit arrêt déclare qu'eu égard aux circonstances de la cause, la faute de
ces deux agents est inexcusable; que son appréciation à cet égard est
souveraine et échappe au contrôle de la Cour de cassation»2. Aussi, les
juridictions de fond s'efforceront, chacune à sa manière, de définir ou tout
simplement de caractériser cette tàute : « Lafaute inexcusable ne consiste pas
seulement dans celle qUi est la conséquence de l'imprudence réfléchie du
patron
ou de
ses préposés mais dans
une négligence
coupable et
intentionnelle résultant d'une volonté réfléchie et consciente et que n'aurait
pas commise tout homme soucient de la vie de ses ouvriers et de la sienne»
3
dira le Tribunal de Macon . De nombreuses définitions divergentes seront
ainsi données. Comme on peut le constater, !'appréci'lttion de la faute
inexcusable n'est pas simplement une question de tàit que I~ législateur aurait
laissé à l'appréciation du juge. Plus qu'une simple appréciation, il s'agit pour
le juge de donner une identité à cette faute en précisant ses caractéristiques.
C'est une fois cette identité établie, que les juges du fond pourraient retrouver
pleinement leur
pouvoir souverain
d'appréciation.
La
notion
de
faute
inexcusable n'a été maintenue dans la loi qu'à titre exceptionnel avec des
conséquences précises. Et comme le disait A. ROUAST, il suffit qu'une
juridiction décide qu'une simple imprudence constitue une faute inexcusable
et c'est l'idée londamentale de la loi qui sera atteinte 4 . La Cour de cassation
dont la mission est d'unifomliser le droit, se trouve ainsi investie d'un réel
1
Reg. 18 Avril 1882. DP 1883, 1. 260
Civ. 21 Janvier 1903, D. P 1903, l, 105.
Trib. Macon, 6 Mars 1900, Gaz. Pal. 1900, l, p. 627
• A. ROUAST, note sous Reg. 22 Février 1932, D. 1932. 1.25

161
pouvoir nomlatif et ne saurait pendant longtemps laisser cette identification à
la souveraine appréciation des juges du fond sans méconnaître la substance de
la loi.
\\
bl L'INSTITUTION OU CONTROLE DE LA COUR SUR
L'APPRECIATION DE LA fAUTE INEXCUSABLE
Elle a été faite par l'arrêt du 22 Février 1932 précité. En effet, dans cette
espèce, contrairement à la jurisprudence antérieure, la Cour s'abstient de dire
que l'appréciation de la faute inexcusable relève du pouvoir souverain des
juges des faits. De plus, après avoir relevé que la faute imputée « ne revêtait
pas le caractère d'unefaute d'une gravilé exceptionnelle, équipollente au dol
et commise sciemment », elle rejette le pourvoi « abstraction faite des motifs
surabondants ». Au-delà de sa tentative de dégager quelques caractéristiques
de la faute inexcusable, c'est la volonté de la Cour d'exercer son contrôle sur
l'appréciation des juridictions de fond, qui constitue l'importante innovation
de laquelle découlera l'évolution ultérieure. Cette décision de la Cour
d'exercer un contrôle sur l'appréciation des juridictions de fond, traduit une
prise de conscience que l'identification de la faute ine:.(cusable n'est pas
\\
seulement une question de fait.
Certes, on assistera encore à quelques hésitations dans la recherche de la
notion de faute inexcusable. Mais l'emprise de la Cour sur l'appréciation de la
notion devenait de plus en plus forte. Elle marquera d'abord la différence entre
la faute inexcusable et la faute intentionnelle, la première qui est d'une gravité
exceptionnelle ne se distinguant de la seconde que par l'absence de l'élément
intentionnd. Très progressivement, la Cour va peaufiner sa jurisprudence et
dans une espèce du 15 juillet 1945, elle donnera de la tàute inexcusable une
définition jamais remise en cause à ce jour. « La faute inexcusable retenue par
l'article 20 Paragraphe 3 de la loi du 9 Avril 1898 doit s'entendre d 'une jàute
d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire,
de la conscience du danger que devait avoir SO/1 auteur, de l'absence de toute
cause justificative, et se distinguant par le déjàut d'un élém,ent intentionnel de
1. Civ. J 9 Mars 1934. Gaz. Pal 1934, 1,91 S

162
la faute visée au paragraphe j"1 dudit article »1 . Ce qui non seulement allait
permettre une harmonisation du droit mais apparaissait également, comme un
complément indispensable à la loi. Aussi, loin de se cantonner dans la mission
exclusive de trancher les litiges nés entre les parties, le juge concourt
certainement à l'élaboration du droit. La faute inexcusable ainsi définie, il
convient de la situer dans la hiérarchie des fautes.
2/ LA PLACE DE LA FALITE INEXCUSABLE DANS LA HIERARCHlE
DES FAUTES
Le droit du travail connaît une gradation des fautes notamment en ce qui
concerne les fautes commises par le salarié. Schématisant l'échelle des fautes,
le Professeur Y. SAINT-JOURS distinguait la faute légère,\\\\a faute sérieuse, la
tàute grave et la faute lourde qui occuperait le sommet de l'échelle2 . Nous
ajouterons que la faute inexcusable et la faute intentionnelle ne sont pas non
plus totalement étrangères au monde du travail. Il conviendra seulement de
préciser leur particularité par rapport aux fautes déjà énumérées. Le problème
de la détermination de la place de la faute inexcusable dans la hiérarchie des
tàutes est contemporain de celui posé par la recherche d'une définition de cette
notion. Les deux problèmes sont d'ailleurs très liés.
Deux tendances jurisprudentielles sc dégageaient, l'une assimilant la
faute inexcusable à la faute lourde et l'autre la situant à un niveau
intennédiaire entre la faute Jourde et la faute intentionnelle. Si l'arrêt du 15
Juillet 1941 distingue clairement la faute inexcusable de la faute intentionnelle,
il ne permet pas de différencier la faute inexcusable de la faute lourde. Mais il
y a lieu de reconnaître aujourd'hui que ces deux types de t~!utes correspondent
\\
dans les relations de travail, chacun à une situation donnée. 'Alors que la fàute
inexcusable n'intervient que dans la réparation du préjudice professionnel, la
faute lourde se rapporte à la responsabilité contractuelle du salarié. La
première implique donc l'existence d'un préjudice corporel alors que la
seconde se rapporte aux fautes commises par le salarié dans l'exécution de son
contrat. La faute inexcusable n'étant pas en principe une faute ordinaire, elle
'. Ch. Rèun. 15 Juillet 1941, D. C 1941, 1. 117
Y SA1NT-JOURS, « La faute en droit du travaill'échel\\e et l'escabeau », D. 1990, Chr. p. \\ 13.

163
se situe dans le domaine de la réparation des accidents du travail entre cette
demière, sans incidence sur la réparation, et la faute intentionnelle qui prive le
salarié de toute indemnisation. Cette notion de faute inexcusable n'est
d'ailleurs apparue pour la première fois que dans le domaine de la réparation
des préjudices professionnels. Néanmoins, elle a été introduite dans le droit
aérien 1 et connaît actuellement un réel essor en droit civil avec la loi du 5
Juillet 1985 sur la réparation des accidents de la circulation. Il convient, dans
le domaine qui nous conceme, d'examiner les faits susceptibles d'être qualifiés
de faute inexcusable.
BI LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE A L'EPREUVE DES FAITS
De la définition donnée par l'arrêt du 15 Juillet 194] et constamment
reprise par la jurisprudence, on peut retenir que la faute inexcusable se
caractérise par sa gravité exceptionnelle, le caractère volontaire de l'acte ou de
l'omission, la conscience du danger, l'absence de fait justificatif ct de
l'intention de nuire. S'agissant d'abord de l'absence de fait justificatif: on
retiendra seulement qu'elle ne constitue pas une particularité de la faute
inexcusable. D'ailleurs, l'existence d'un fàit justificatif fàit disparaître le
caractère fàutif de l'acte. Aussi, ce critère ne retiendra pas longtemps notre
attention. S'agissant ensuite de l'intention de nuire, elle pennet simplement de
distinguer la faute inexcusable de la faute intentionnelle. Tl ne s'agit pas de
l'intention de commettre l'acte source du dommage mais de celle de provoquer
le dommage lui-même. C'est plus précisément la volontè chez l'auteur de
l'acte de nuire, qui caractérise la faute intentionnelle et fait défaut dans la faute
inexcusable. L'intention de nuire constitue donc une caractéristique par défaut
de la faute inexcusable et ne fera pas J'objet d'observation particulière.
S'agissant ensuite des autres critères, ils seront successivement examinés au
regard des décisions jurisprudentielles.
II LA GRAVITE EXCEPTIONNELLE DE LA FAUTE
En accolant le qualificatif d'inexcusable, écrivait l'avocat général
GAUTHIER, le législateur « a enlendu sanclionner les cas lrès rares où
1
Cf article L. 321-4 C aviation civile

164
l'employeur, ou l'un de ses substttués aurait commis une faute qu'il n'était
pas possible d'excuser, une sorte de faute vraiment impardonnable et c'est ce
que la Cour de cassation semble de son côté avoir admis'fn exigeant que la
faute revête un caractère de gravité exceptionnelle »1 . Le cioins qu'on puisse
dire, c'est que dans l'esprit du législateur tout comme dans les termes de la
définition de la Cour de cassation, si la faute inexcusable n'est pas à la tois
une tàute gravissime et rarissime, elle n'est pas non plus une faute ordinaire
inhérente aux défaillances humaines. Pourtant, lorsqu'on se réfère à la
jurisprudence, on se rend compte que la faute inexcusable est très souvent
retenue par le juge. Le concept d'exceptionnelle gravité étant « asse= flou et
empreint de subjectivité »,2 il conviendrait de nous référer aux faits pour
mieux saisir son sens. L'inobservation des règlements de sécurité, le déraut de
surveillance, les fautes d'imprudence sont autant de faits qualifiés de faute
inexcusable.
al L'INOSSERVArlON DES IU~GLEMENTS DE SECURITE
L'inobservation des règlements de sécurité a été souvent retenue comme
faute inexcusable à l'encontre de l'employeur3 . Elle couvre des situations aussi
diverses que la variété des activités professionnelles. C'est par exemple le làit
de laisser à la disposition de son personnel un équipement dépourvu du
système de sécurité alors même que ce matériel ne devait pas être utilisé4 .
C'est aussi le fait pour un entrepreneur de transport d'imposer à son chauffeur
un rythme de travail « avec une rigueur inflexible» sans repos. Constitue
également une faute inexcusable le fait pour l'employeur ou son substitué de
n'avoir pas exigé l'usage d'un dispositif individuel de sécurité et de prendre
toutes les mesures nécessaires pour que de tels dispositifs soient en
permanence sur le chantier. rI importe peu que la victime, membre du
C.H.S.C.T., ait commis une faute d'imprudence). Enfin ct pour ne citer que
1 • M. GAUTHIER,
({ Faute inexcusable: éléments constitutifs et autorité de la cLose jugée )>, Conclusions
sous Soc. 20 Juin 1984, Jep 1985, Il, n° 20358
2. G. LEGIER, ({ La faute inexcusable de la victime d'un accident de la circulation régi par la loi du 5 Juillet
1985, D. 1986, Chf. p. 97.
J
Soc 18 Février 1970, Bull V, nO 128. Soc. 5 Mars 1986, Bull V. n° 71 Soc 31 Octobre 1991, Bull V. It
465.
'. Soc. 4 Mars 1971, Bull. V, n° 185.
\\ Soc 1" Juin 1995, R.JS. 1995. P 535

165
\\
ces exemples, le fait d'employer un 111111eur à des trav~ux dangereux en
violation des prescriptions réglementaires constitue, abstraction faite de toute
autre circonstance, une faute inexcusable' .
Si on ne peut affinner que, de manière systématique, la violation des
règlements entraîne une faute inexcusable, il y () lieu de reconnaître que toutes
les fois qu'une telle violation est la cause détcnninante du préjudice, la Cour
considère que cette faute est établie quelle que soit la nature de ('acte. Ainsi,
on assiste en fait à la création prétorienne d'une faute inexcusable de droit. Les
raisons de cette jurisprudence fort louable qui contraste avec les tendances
habituelles de la Cour, seront évoqués plus loin. On se contentera ici de mettre
une fois encore en relief la constante présence du juge et surtout sa
contribution à l'élaboration du droit. Mais la faute inexcusable peut également
être retenue en l'absence de toute violation des règlements.
\\ ,
bl LE DEFAUT DE SURVEILLANCE ET LES FAUTES D'IMPRUDENCE
Le défaut de surveillance, même cn l'absence de toute violation des
prescriptions légales, peut être constitutif de faute inexcusable. Tel est le cas
lorsque l'employeur laisse sans surveillance un ouvrier inexpérimenté2 . Il y a
également faute inexcusable lorsque l'employeur présent sur le lieu du travail
n'a pas veillé à ce que soit utilisé le matériel de sécurité mis à la disposition
des ouvriers3 . Enfin on notera que la Chambre sociale, sans se référer
expressément à la notion d'imprudence, qualifie parfois les fautes de cette
nature de fautes inexcusables. Il en est ainsi d'un chef de chantier qui ordonne
à ses ouvriers de commencer le travail sans s'assurer que le courant électrique
a été coupé. En réalité, ce chef de chantier avait demandé à un ouvrier la
coupure du courant. Ce dernier se 'trompant de disjoncteur, ne l'avait fait que
pour un secteur qui n'était pas concerné par les travaux en, cours4 . Constitue
également une faute inexcusable le fait de laisser fonctidnner un appareil
dangereux, « (. ..) peu important qu 'tf (employeur) n'ail pas commis une
soc. 29 OClobre 1980. Bull V. n° 795
Soc 4 Mars \\971. Bull. V. n° 186
Soc. 8 Oclobre 1983, Bull V, n° 488
4
Soc. 8 Juillel 1987, Bull V, nO 453.

166
i1~fraction en matière de sécurité du travail» 1• Tout compte fait, il ressort de
ce qui précède que la faute inexcusable couvre une multitude de faits qui, loin
d'être des fautes extraordinaires, constituent des négligences voire des
inadvertances humaines. Aussi la notion de gravité exceptionnelle semble
dénuée de signification particulière. La construction jurisprudentielle répond
donc à une autre logique.
li convient donc de rechercher ailleurs les
caractéristiques de la faute inexcûsable.
2/ L'ACTE OU L'OMISSION VOLONTÀIRE
L'acte ou l'omission volontaire implique que « l'auteur ait agi avec
discernement» ou suppose en principe « une attitude déterminée ». On notera
que, tout comme pour les autres éléments, le juge n'est pas tenu de préciser par
une mention expresse que l' aete ou l'omission est volontaire2 . Il nous semble
bien qu'il y a un lien étroit entre l' aete volontaire et la conscience du danger.
C'est par rapport à cette dernière notion qu'il revêt toute sa signification. Ainsi
pourrait-on dire que J'acte volontaire est la témérité conduisant à agir malgré
un danger probable alors que l'omission volontaire serait la passivité de
\\' employeur ou son substitué face à un danger probable. Dès lors, commet une
faute inexcusable l'employeur qui
circule ù une vitesse manifestement
excessive sur une route réputée dangereuse alors qu'il transportait ses
salariés3 . Lorsque l'employeur, conscient d'un danger, sollicite l'avis d'un
\\
expert et se con forme aux techniques préconisées, iJ n'y a pas faute
4
inexcusable . On ne saurait parler en matière de faute inexcusable d'omission
ou d'acte volontaire alors que le danger serait imprévisible. Mais en revanche,
dès Jors que le danger est prévisible, toute omission ou toute action est
présumée volontaire.
3/ LA CONSCIENCE DU DANGER
Selon la Cour de cassation, il s'agit non seulement de la conscience que
l'auteur avait du danger mais de celle qu'il aurait dû avoir. Ce qui exclut que
1
soc. 3 Février 1994, CS.B.P. 1994, p. 85
, Soc. 8 Juillet 1987, Bull V, n° 465.
Soc. 5 Janvier 1995, BulL v, n° 11.
Soc. 28 Novembre 1991, RJ. S 1992, p. 133

167
le juge sonde la conscience de l'auteur pour rechercher s'il a effectivement eu
cette conscience. II lui suffit de se référer aux faits afin de dire si le risque
réalisé était prévisible. Il s'agit en d'autres tennes d'une appréciation in
abstracto. 1\\ y a donc conscience du danger dès lors qu'en l'état des
connaissances du moment, le danger aurait pu être Pl'*VU. C'est ce qui
explique que toutes les fois que la violation des obligations 'réglementaires est
la cause déterminante d'un préjudice, Il y a conscience du danger et donc l~lUte
inexcusable de la part de l'employeur. En fait, c'est la conscience du danger
qui constitue l'élément essentiel de la faute inexcusable. En effet, nous avions
déjà relevé à propos de la gravité exceptionnelle qu'elle ne revêtait aucune
signification particulière. S'agissant de l'acte ou de l'omission volontaire, ils
ne peuvent être compris que par rapport à la conscience du danger. C'est de la
connaissance du danger et de son acceptation téméraire que procède la gravité
de la faute. Et la conscience du danger faisant l'objet d'une appréciation in
abstracto, elle a vocation à s'étendre au fur et à mesure que progresse la
science. De plus, la jurisprudence n'exige pas que le danger soit manifeste ou
décelable sur le coup au tenne d'un examen sommaire. Aussi la gravité de la
faute procède-t-elle également de la négligence dont a fait preuve l'auteur de
l'acte ou de l'omission, en ne décelant pas un danger prévi~"jble, fût-il difficile
à prévoir. C'est la conscience du danger et donc la réalistttion probable du
risque qui pennet à la Cour d'écarter la faute inexcusable toutes les fois que la
l
cause du préjudice est indétemlinée . Ceci nous conduit à une notion
prépondérante dans la construction prétorienne à savoir la cause détenninante
du préjudice.
4/ LA CAUSE DETERMINANTE DU PREJUDICE
Bien que cette expression n'apparaisse pas dans la définition devenue
légendaire de la Cour, et contrairement aux éléments caractéristiques de la
faute inexcusable, elle figure presque toujours dans les décisions de la Cour de
cassation. En effet, pour que la faute soit qualifiée d'inexcusable, il importe
qu'elle ait été la cause détenninante du préjudice. [1 s'agit d'une condition sine
qua non. La cause détenninante n'est ni la cause immédiate ni la cause
\\,
'. soc 28 Octobre 1993, RiS 1993. p. 729.

168
exclusive. II s'agit plutôt d'un fait ou d'une 01111SSIon de l'employeur sans
lequel le préjudice ne se serait pas produit. La cause immédiate peut être le fait
d'un autre salarié ou de la victime clic-même. Mais d0s lors que le fait l'autir
de la victime n'a été rendu possible que du f'ait d'un manquement initial de
l'employeur, il y a faute inexcusable l . La l'aute de la victime ou du tiers ne
pourra intervenir que dans le montant de la majoration dès lors que la caus\\:
détenninante réside dans le manquement de l'employeur2 . A contrario, dès
lors que la faute de l'employeur n'est pas la cause détenninante du préjudice,
la Cour écarte la faute inexcusable de l'employeur en relevant qu'elle se trouve
atténuée par celle de la victime' .
Il est pennis de se demander au regard de ce qui précède, si la faute
inexcusable de l'employeur ne couvre pas après tout, tous lé5 préjudices qui lui
sont imputables. Auquel cas, la réparation strictement forfaitaire ne couvrirait
que les préjudices imputables à la victime ainsi que ceux dont les causes sont
restées inconnues. Tel est notre sentiment.
Néanmoins, il ne faut pas
surévaluer la portée pratique de cette situation car, comme nous le verrons, le
juge dispose toujours des moyens de contrôler les effets de la f'aute
inexcusable.
Il résulte de ce qui précède que la faute inexcusable est après tout, une
taute ordinaire. C'est celle qui a été la cause déterminante du préjudice ct que
l'employeur ou son substitué aurait pu, par sa diligence, éviter. De la lettre de
la
loi
aux
applications jurisprudentielles,
on
aurait
pu
penser
à
une
dénaturation de la loi ou à une substitution de la volonté du juge à celle du
législateur. En réalité, l'oeuvre de la jurisprudence relativement à la faute
inexcusable, dans son ensemble, concilie à notre avis la let\\tre et l'esprit de la
loi. A travers sa définition, la Chambre sociale s'aligne suf la lettre de la loi
qui voudrait que la faute inexcusable soit une faute très grave. Mais par ses
applications pratiques, le juge semble se soucier du contexte dans lequel cette
1
Soc. 7 Janvier 1971, Bull
V, n° 1:;: Soc
1\\ tl.hrs 1993, RJ.S
1993, p. 267. Attendu « que ce
comportement làutif de J'employeur, qui revêt les caractéristiques de la làute inexcusable, a eu un rôle
détenninant dans la réalisation de J'accident dês lors que, sans lui, l'imprudence reprochée à la victime n'aurait
~u être commise (..) ».
Sne 1() Mars l'lHR. Il,,11 V. n" 1HO. Sne II MalS l'l'n. P'C"
, Soc.:; Mars 1980, 13ull. V, nU 226: Soc 8 Février 197'). Ilull. V, nU 136: Soc 24 Mars 1982, 13ull V, Il"
211)

169
notion a été introduite. 11 parachève ainsi
l'oeuvre du législateur l.:ar
l'introduction de la faute inexcusable était aussi un correctif de la réparation
forfaitaire' . Tout compte fait on relèvera que cette jurisprudence contraste
avec la sollicitude habituelle du juge vis-à-vis des employeurs et surtout dans
un régime dérogatoire comme celui de la faute inexcusable. Ceci semble
remettre en cause l'observation selon laquelle le juge est souvent enclin à
protéger d'un point de vue pécuniaire, l'employeur. Ce n'est en réalité qu'une
apparence car il existe sans doute des explications à cette situation. Ces
explications tiennent à la fois à lü nature et aux objectifs assignés à la faute
inexcusable tout autant qu'à l'étendue du pouvoir d,\\~ juge. Nous les
étudierons. Mais avant cela, il conviendra de confronter ce p'oint de vue qui se
dégage de notre analyse à un autre point de vue selon lequel, la jurisprudence
relative à la faute inexcusable connaîtrait une certaine radicalisation. Cette
démarche s'impose en raison des motivations qui sous-tendraient cette
radicalisation.
§ Il: LA PRETENDUE RADICALlSATION DE LA FAUTE
INEXCUSABLE
La thèse de la radicalisation de la faute inexcusable a été défendue par
une partie de la doctrine. Il est souvent à juste titre reproché au juge de se
préoccuper un peu trop
des
intérêts
des
propriétaires
et
notamment
l'employeur dans les relations du travail. C'est sans doute dans ce sillage que
s'inscrit cette doctrine. Et cela paraît d'autant plus plausible que les reproches
\\
faits à la Cour de cassation n'ont été très significatifs que poStérieurement à la
loi du 6 Décembre 1976. Cette loi, il faut le souligner, avait amélioré le régime
de la réparation du préjudice proiCssionnd dû à la faute inexcusable de
l'employeur.
Si très souvent, des mobiles économiques transparaissent dans la
construction de la Cour, ils témoignent sans doute du souci du juge d'éviter
des charges trop lourdes aux entreprises Aussi, le juge se donne-t-il les
1
L'introduction de la taute inexcusable ct les enets qui s'y allachent apparaissel1l comme une solution
intermédiaire entre la réparation intégrale (proposee au cours des travaux) en cas de taute lourde imputable à
l'employeur, et le maintien en toute circonstance de la réparation t()rfaitaire. Cf Lois annotées 1899, pp 794
et 796.
\\
\\

170
moyens de les contrôler. Mais vu le régime de la faute inexcusable, le juge
n'est-il pas déjà pourvu des moyens de moduler le coût de la réparation? Si tel
est le cas, qu'est-ce qui pourrait justifier une radicalisation de la faute
inexcusable? Il convient donc de s'interroger sur l'exactitude de cette théorie
avant de rechercher les éléments qui concourent à sa Nstification ou, au
contraire, ceux qui militent en sa défaveur.
AI LES FONDEMENTS DE LA THES!:: DE LA RADICALISATION
Cette thèse procède de certaines observations faites sur la construction
de la Cour. JI s'agit notamment de l'application jurisprudentielle du principc
de l'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil en matière de faute
inexcusable, du glissement de l'appréciation in abstracto vers une appréciation
in concreto; ce qui a d'ailleurs conduit le Professeur Y. SAINT-JOURS cl
parler d'une variation de la notion de faute inexcusable.
ilLE PRINCIPE DE L'AUTORITE DL: LA CHOSE JUGEE EN MATlERI:
DE FAUTE INEXCUSABLE
L'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil c<'~nstitue un principe
général de droit dont l'application en matière de faute inexcusable n'est qu'un
aspect. Ce principe voudrait que ne puisse pas être remis en cause devant le
juge civil, ce qui a été déjà décidé par le juge pénal. Et pour éviter des
décisions contradictoires entre les deux ordres de juridiction, lorsqu'une
juridiction répressive est saisie d'un litige alors qu'un tribunal civil l'est
également du point de vue des intérêts privés, cette dernière juridiction sursoit
à statuer jusqu'à ce que ne soit donnée la décision du juge répressif; c'est la
règle exprimée par le « Criminel tient le civil Cil l'éloi ». Ce principe suppose
ainsi une identité de faits soumis aux juridictions civile et répressive. Le
principe de l'autorité de la chose jugée trouve son support juridique dans
l'affirmation jurisprudentielle de J'identité des fautes pénale (des articles 319
et 320 CP) et civile (de l'article 1383 Cciv.). Ce qui équivaut à dire que le
juge civil ne saurait retenir la respunsabilité d'une personne pour faute lorsque
Je juge pénal a conclu à l'absence de faute à sa charge. \\ Le principe a été
,
transposé et maintes fois aftirnlé par la Cour de cassation, dl matière de faute
inexcusable. Selon la Haute juridiction, la décision de relaxe prononcée même

171
au bénéfice du doute, d'un chef d'entreprise prévenu d'homicide involontaire
à l'occasion d'un accident du travail s'oppose de manière absolue à ce que soit
\\
retenue une tàute quelconque à sa charge à l'occasion" d'une action en
déclaration de faute inexcusable' . C'est cette jurisprudence que conteste une
partie de la doctrine qui y voit non seulement une restriction de la làute
inexcusable mais aussi son altération, un déni de justice ou encore la
protection de l'employeur. Cette critique se fonde d'une part sur l'absence
d'identité entre la faute pénale et la faute inexcusable, et d'autre pan sur
l'incompétence du juge répressif en matière de faute inexcusable.
al L'ABSENCE D'IDENTITE ENTRE LA FAUTE PENALE ET LA
FAUTE INEXCUSABLE
L'absence d'identité entre la tàute im:xcusable et la faute pénale ne fait
aucun doute tant au niveau de la jurisprudence que de la doctrine toutes
tendances confondues 2 . C'est cependant les conséquences qui sont tirées de
cette réalité qui divergent radicalement. Selon le courant ho~~tile à l'application
\\
du principe de l'autorité de la chose jugée en matière de faute inexcusable,
cette dualité de nature exclut qu'il puisse être question d'appliquer le principe
de l'autorité de la chose jugée. Cette doctrine serait sans doute irréprochable si
l'absence
d'identité
signifiait
une
absence
totale
de
caractéristiques
communes. Or, il est possible qu'en dépit de cette dualité de nature, toutes les
caractéristiques de l'une (tàute pénale) se retrouvent dans l'autre (faute
inexcusable). Cette dernière, pour être établie, pourrait par ailleurs, exiger la
réunion d'autres conditions.
Quant au courant favorable à l'application du principe, il estime que la
faute de l'article 319 C. P. qui vise la maladresse, l'imprudence, l'inattention,
la négligence et l'inobservation des règlements est si complète qu'elle englobe
les fautes de toutes sortes y compris les plus légères. Le reproche de fond qui
est fait à cette tendance qui est d'ailleurs celle de la Cour de cassation,3 réside
dans le fait que la faute inexcusable consiste dans une «fa~îe de direction du
\\ . soc. 6 Janvier 1984, Bull, V, n° 1.
,. On notera néanmoins que le Professeur Y SAINT-JOURS prête à ton cette intention à la Cour de
cassation. Cf « Traité de Sécurité Sociale », T. Ill, p. 207
, Voir à titre d'exemple, Soc. 30 Juin '982. Bull. V, n" 432.

172
travail qui relève par conséquent d'une collectivité professionnelle dont le
fondement échappe à toute analogie avec celui d'une faute qui consiste dans
la défense d'une société civile»' . Cettc critiquc nc nous paraît pas fondée. En
effet, il serait assez peu logique de faire abstraction des faits et de se référer
uniquement au cadre
dans
lequel s'exerce l'activité,
pour
conclure à
l'autonomie totale des fautes pénale et inexcusable.
L'analyse précédemment faite nous montre les situations dans lesquelles
la faute inexcusable est souvent retenue. Il s'agit soit de l'inobservation des
règlements de sécurité, du défaut de surveillance, des faute,s d'imprudence, ou
de la mauvaise organisation du travail, dès lors que l'unè,ou l'autre de ces
situations est la cause détemlinante du préjudice, Qu'il s'agisse d'une
mauvaise organisation du travail ou du défaut de surveillance, il y a bien
négligence, inattention ou maladresse de l'employeur ou son substitué. Et
comme nous le verrons plus loin, lorsque ces faits sont caractérisés, la
responsabilité pénale de l'employeur est toujours retenue tant qu'il n'a pas
valablement délégué son pouvoir. C'est dire que le juge social ne pourra
retenir, sans contredire le juge répressif, la faute inexcusable de l'employeur là
où la juridiction pénale a conclu à une absence totale de faute. On pourrait
même dire qu'avant d'être inexcusable, la l'au te est pénale au sens des articles
319 et 320 c.P .. Mais il ne peut en être ainsi que si et seulement si,
l'appréciation du juge social porte sur les mêmes faits soumis au juge
répressif. Autrement, le juge social pourra bien retenir contre l'employeur une
2
faute inexcusable .
S'il est acquis qu'aucune faute inexcusable ne saurait être retenue contre
l'employeur en \\' absence de toute faute pénale, en revanche, la condamnation
pénale n'entraîne pas pour autant une reconnaissance systématique par la
Chambre sociale, d'une faute inexcusable', Ceci fàit dire au Professeur Y.
SAINT-JOURS que « la seule logique de ce ,\\ys/ème réside dans son sens
unique:
invariablement favorable
à l'employeur et défavorable à la
victime »4. En réalité, la condamnation pénale n'entraînerait systématiquement
1
Y SAINT-JOURS. ouvr. prée p 210.
1
Soc 4 Juillet 1984, Bull. V, nO 292.
Soc 24 Mars 1982, Bull. V, nO 219.
y SAINT-JOURS, ouvr. prée p. 209
\\..\\

173
la reconnaissance d'une faute inexcusable que s'il y avait identité parfaite
entre les deux fautes. Or, s'il est vrai que toute faute inexcusable devrait
normalement tomber sous le coup de la loi pénale si les mêmes faits sont
soumis au juge répressif, la réciproque n'est pas vraie. La faute inexcusable est
en principe une faute d'une gravité exceptionnelle alors que la faute pénale
peut résulter d'une simple faute d'imprudence. Mais comme nous l'avions
souligné, au-delà de cette expression, la faute inexcusable est celle qui a été la
cause déterminante du préjudice. La jurisprudence n'exige\\pas par contre pour
condamner pénalement l'employeur, que \\a faute par lui com'mise, soit la cause
déterminante du préj udice. Il suffit que cette faute ait contribué à la réalisation
l
du préjudice
ou encore, que la faute de la victime n'ait pas été la cause
exclusive de l'accidene. Tout ceci explique etjustif'ic l'application du principe
de l'autorité de la chose jugée dans un « sens unique ». Ce qui ne signifie pas
qu'une faute pénale ne puisse pas être aussi une faute inexcusable. Tout
dépend des faits et des circonstances de la cause.
li importe néanmoins de préciser que, autant le juge social n'est pas tenu
de retenir la faute inexcusable de l'employeur lorsque ce dernier est condamné
sur le plan pénal, autant les motifs de sa décision ne doivent pas être en
contradiction avec ceux du juge répressif. Ainsi, lorsque le juge répressif, pour
retenir la responsabilité pénale de
l'employeur,
relève que ce dernier
connaissait la mauvaise qualité du sol sur lequel étaient efflectuées les fouilles,
ce qui aurait dû l'inciter coformément aux dispositions l~:gales à mettre en
place les blindages appropriés, le juge social ne peul, pour écarter la faute
inexcusable de cc même employeur, dire qu'il n'avait pas conscicnce du
danger couru par le salarié. Une telle décision méconnaîtrait alors l'autorité de
la chose jugée3 . On ne pourra donc pas à ce niveau, soupçonner le juge d'une
quelconque bienveillance à l'égard des cmploycurs ct au détrimcnt du salarié.
1. Crim. 22 Février \\995, Bull. n° 82
« Attendu (.) que iesjuges ajoutent que s'étant abstenu d'y procéder, il
a contribué à la réalisation de l'accident à la suite d'une faute grave de la victime, laquelle n'a pas respecté les
règles élémentaires de sécurité pour la visite des égouts. Attendu qu'en l'état de ces motifs.. d'où il résulte quc
la négligence du prévenu a concouru à la réalisation de l'accident, la cour d'appel a justifié sa décision sans
encourir les griefs allégués ».
2
Cnm. 15 Mars 1994, RJ.S. 1994, p. 676
1
Soc. 13 Juillet 1994, Bull V, n° 238.

174
L'incompétence du juge répressif en matière de faute inexcusable est
aussi évoquée pour contester l'application du principe de l'autorité de la chose
jugée.
bl L'INCOMPETENCE DU .JUGE REf>IŒSSIF EN MATIERE DE FAUTE
INEXCUSABLE
Aux termes de l'article L 466 C.SS, la connaissance de la faute
inexcusable est du ressort exclusif des juridictions sociales. La Chambre
criminelle se refuse à bon droit de qualifier les faits qui lui sont soumis à ce
sujet. Or, la Chambre sociale applique en la matière l'autorité de la chose
jugée. Et la doctrine en déduit que puisque rien n'est jugé par le juge répressi f
relativement à la faute inexcusable, « c'est en fait devant l 'à:~.ltorité de la chose
non jugée que la Chambre sociale s'incfine »' . Cette argumentation est très
spécieuse.
En effet, l'application du principe de l'autorité de la chose jugée au
criminel sur le civil ne signifie pas que l'objet de la saisine du juge civil soit le
même que celui qui a donné lieu au procès pénal. Si tel était le cas, la saisine
du juge civil n'aurait aucun sens. Le juge répressif se prononce sur l'aspect
pénal du litige (lorsque l'aspect civil ne lui est pas soumis) alors que le juge
civil ne s'occupera que des intérêts pécuniaires nés de cette infraction.
Cependant, -et c'est ce qui justifie le principe de l'autorité de la chose jugée au
criminel- il y a identité de personnes ct surtout des faits sur lesquels porte
l'appréciation des juges civil et répressif. Et puisque la faute pénale qui sous-
tend la condamnation du prévenu \\;:5t identique à la faute civile qui engage la
responsabilité de l'auteur de ]' acte à l'égard de la victim(~ du point de vue
,
pécuniaire, on ne saurait sans remettre en cause la décisidn du juge pénal,
rechercher à travers les mêmes faits, l'existence d'une faute. C'est à cette
même logique que répond l'application du principe en matière de faute
inexcusable. On ne peut donc valablement s'appuyer sur des arguments
d'ordre procédural pour remettre en cause ce principe qui, malgré les
'. Y. SAINT-JOURS, «Du principe de l'autorité de la chose Jugée au criminel en matiére de faute
inexcusable }), D. 1969, Chf p. 229

175
apparences, relève d'une question de tond. On ne peut donc ici encore déduire
de ce principe une conception restrictive de la faute inexcusable.
Enfin, il semblerait qu'on assiste à une appréciation in concreto de la
faute
inexcusable
qui
traduirait
également
cette
radicalisation
de
la
jurisprudence.
21 L' APPRECIATION JURIPRUDENTIELLE DELA FAUTE
INEXCUSABLE
"
l
Vu la définition jurisprudentielle de la faute inexcusable
et notamment
la conscience du danger qu'aurait dû avoir l'auteur de l'acte, il est certain que
cette faute ne peut en principe que faire l'objet d'une appréciation in abstracto.
Il n'est pas nécessaire de démontrer que l'auteur de l'acte avait réellement eu
conscience du danger. Il suffit, eu égard aux circonstances, de rechercher si
l'employeur ou son substitué ne devrait pas avoir conscience du péril auquel il
exposait le salarié. Pourtant la doctrine, sc tondant sur quelques décisions de la
Cour de cassation, relève un glissement vers une appréciation in concreto.
Aussi pourrait-on lire que « l'exclusion de la faute inexcusable de l'employeur
se substitue progressivement à une reconnaissance jadis admise». Et cette
turbulence dans le concept de la tàute inexcusable aurait été provoquée par les
conséquences pécuniaires accrues qui s'attachent à cette faute depuis la loi du
2
6 Décembre 1976 .
\\1 convient de se réfërer à quelques unes de ces décisions qui ont scrvi
de matière à réflexion à la doctrine, afin d'examiner s'il y a effectivement un
écart par rapport à la jurisprudence antérieure et d'en tircr les enseignements
qui s'imposent. La première décision est un arrêt de l'Assemblée Plénière en
date du 18 juillet 1980. Un train circulant dans l'enceinte de l'usine Usinor, a
accroché la voiture d'un ouvrier ( Boitiaux) qui, s'étant engagé pour quitter
l'usine sur un passage étroit entre l'atelier ct la voie terrée, s'était arrêté près
de cette dernière à la vue du convoi. Cette voiture entraînée. par le convoi,
blesse mortellement un autre ouvrier. La cour d'appel retient la faute
\\ Cf P 161.
'. y SAINT-JOURS. « Le remodelage des eflèl's de la faute inexcusable ». Jep 1987. Ed. E. Il. 17972. P
367

176
inexcusable de l'employeur au motif que, s'il avait interdit la circulation des
trains aux heures d'entrée ou de sortie, il n'avait cependant pris aucune des
mesures qui eussent été en pratique indispensables pour faire observer ces
prescriptions. L'Assemblée Plénière casse cette décision au motif que « les
faits all1si constatés n'étaient pas COl1Slilutij~' de faute inexcusable de la
société Usinor, compte tenu de leur absence de gravité exceptionnelle ainsi
que des agissements relevés à l'encontre de Boitiaux sans lesquels, l'accident
n'aurait pu avoir lieu ». Scion Je Professeur SAINT-JOURS, cet arrêt tend j
remettre en cause le concept même de la faute inexcusable notamment en ce
qui
concerne l'appréciation même
de sa gravité
exceptionnelle et
la
qualification de la faute inexcusahle l . Nous avions vu que la notion de gravité
exceptionnelle ne signifiait pas grand'chosc dans la construction de la Cour.
Elle admettra toujours que la faute est d'une gravité exceptionnelle dès lors
qu'elle considère que cette faute est la cause déterminante ~.u préjudice. C'est
donc à cette dernière notion qu'il faut se rétërer. Et à ce propos, la Cour relève
que sans les «agissements» de Boitiaux, l'accident n'aurait pas pu avoir lieu.
Peut-être
pourrait-on
parler
d'une
évolution
de
la
notion
de
cause
déterminante. Cette observation est aussi discutable. D'ailleurs l'auteur lui-
même reconnaît dans sa note in fine que, sur cette notion, la Cour n'opère pas
un revirement.
Une autre décision souvent citée pour illustrer la radicalisation de la
2
jurisprudence est l'arrêt de la Chambre sociale du 20 juin 1984 . La Cour de
cassation pour écarter la fàute inexcusable de l'employeur suite à une
catastrophe minière avait relevé que cette catastrophe avait. présenté des
aspects nouveaux et mal connus rendant difficile une précaution absolument
sans faille. Il était légitime que l'aiilpleur des préjudices nés de cet accident, ait
provoqué de vives émotions. On ne saurait néanmoins app';écier la gravité de
\\
la faute au regard des préjudices. C'est au regard des circonstances objectives
qui ont provoqué cet accident que pourrait s'apprécier la faute. Or, c'est la
négligence de l'employeur làce au danger prévisible qui caractérise la faute
inexcusable. Mieux le domaine est connu, plus on retiendra facilement la faute
inexcusable de l'employeur. En l'espèce, la Cour relève que la catastrophe
1
Y SAINT-JOURS, note sous Ass Plén 18 Juillet 1980. Je l' 198 l, II. 19642.
Soc 20 Juin 1984. Bull. Y, n° 2S9

177
présente des aspects nouveaux et donc mal connus. Ces observations montrent
bien qu'il est difficile de dégager une relation de cause à effet entre un
manquement de l'employeur fàce à un risque prévisible et la catastrophe. On
pourrait aussi en déduire que l'étendue des connaissances scientifiques
constitue l'une des mesures de la faute inexcusable. On ne peut donc parler ici
encore, de la radicalisation de la jurisprudence en matière de faute inexcusable.
Comment donc expliquer cette conception extensive de la faute inexcusable
alors que très souvent le juge apparaît comme un protecteur des intérêts de
l'employeur?
BI LES JUSTIFICATIONS DE LA CONCEPTION EXTENSIVE DE LA
FAUTE INEXCUSABLE
Plusieurs facteurs expliquent, en matière de faute inexcusable, la
construction jurisprudentielle. On retiendra d'abord l'ambivalence de cette
faute. On observera ensuite que malgré cette conception extensive, le juge
dispose toujours des moyens d'assurer à l'employeur "une protection" limitée
de ses intérêts. Il s'agit du pouvoir de modulation du juge relativement à
j'étendue de la réparation en fonction de la gravité de la faute dont
l'appréciation relève du pouvoir des juges du fond 1 .
11 L'AMBIVALENCE DE LA FAUTE INEXCUSABLE
La faute inexcusable a une vocation à la fois indemnitaire et préventive.
Initialement, elle apparaissait comme un correctif du principe indemnitaire de
la réparation forfaitaire des accidents du travail. Cette considération aurait dû
entraîner une conception très restrictive de la faute inexcusable eu égard à la
tendance générale du juge à vouloir enfermer la réparation des préjudices
professionnels dans un forfait. C'est ce qui explique d'ailleurs qu'une partie de
la doctrine s'efforce de découvrir une radicalisation là où il n'yen a pas. Le
fait est que la faute inexcusable n'a pas seulement un caractère indemnitaire.
Elle est aussi et surtout un moyen de prévention. C'est dans cette optique qu'il
1
On remarquera que ce pouvoir d'appréciation des juges du Ii.llld n'cst pas total. L'étendue de la majoration
étant en rapport avec la gravité de la faute. les juges du lond ne pourront fixer au maximum ,la majoration de la
rente alors qu'ils ont relevé une làute professionnelle à la charge dc la victime, Cf Soc. 18 Mars 1985. Bull.
Y, na 182.
,,
"

178
faudra rechercher les raisons qui expliquent la constructi\\ln du juge. Si l'on
veut que les accidents soient rares, il faut intéresser les pal:ties à les éviter et
notamment l'employeur qui dispose du pouvoir et des moyens d'organiser et
de contrôler l'exécution du travail. Aussi, la faute inexcusable apparaît-clic
comme une sorte de peine privée. C'est ce qui explique que pendant
longtemps, le législateur ait interdit l'assurance contre les conséquences d'une
telle faute. Et à l'instar dc toute peine dans la doctrinc contemporaine, au-delà
de l'aspect répressif qui se traduit par une pénalisation pécuniaire, c'est l'effet
dissuasif qui est recherché par le juge en matière de faute inexcusable. Le juge
ne saurait donc se livrer à une intcrprétation trop rcstrictive de la faute
inexcusable sans inhiber cette fonction préventive. Ceci explique aussi que la
fàute inexcusable telle qu'elle est conçue par la Cour, couvre les préjudices
imputables à l'employeur et que cc dernier aurait norn1alement pu éviter. C'est
en somme, une sorte d'incitation à la vigilance. Le juge serait donc plus
favorable à la prévention des risques qu'à une réparatioJ;1 plus étenduc qui
n'aurait pour seul avantage que d'assurer plus de gain à I~\\.victime. Aussi, le
juge optait-il
volontiers
pour une
interprétation extensive de la
faute
inexcusable et ceci d'autant plus qu'il disposait du pouvoir de régulation des
conséquences pratiques de cette faute.
2/ LE POUVOIR DE MODULATION DU JUGE
L'effet
essentiel
dc
la
faute
inexcusable
est
de
permettre
une
augmentation ou une réduction de la rentc allouée à la victime avions-nous dit.
Cependant, le législateur n'avait pas précisé les paramètres de cette variation.
Certes, d'autres lois ultérieures détennineront les préjudices susceptibles d'être
réparés pour faute inexcusable sans jamais priver le juge de son pouvoir de
modulation. Si on considère que la faute inexcusable a une fonction purement
indemnitaire, il s'ensuivra logiquement que la majoration de la rente sera
déterminée en fonction de l'étendue réelle du préjudice. DUl\\~ ce cas, malgré le
pouvoir d'appréciation du juge, il serait sans doute lié par des éléments
objectifs que constitue le préjudice subi par la victime. Ce pouvoir souverain
d'appréciation ne serait donc que limité. Si au contraire l'accent est mis sur le
caractère répressif, cette majoration sera fonction de la gravité de la fàute,
notion subjectiw préservant au juge tout SOli pouvoir d'appréciation. C'est

\\
179
cette dernière option qui sera adoptée par la Cour de cassation. En etfet,
suivant une jurisprudence constante, la majoration de la rente pouvait varier
jusqu'à concurrence d'un maximum et les juges du fond avaient donc à tenir
compte, sans aucune exclusion particulière, de toutes les circonstances qui
avaient entouré l'accident. Toutes ces circonstances doivent pennettre
d'apprécier la gravité de la faute car« (..) pour la fixation de la majoration de
la rente, seul peut être pris en considération le degré de gravité de la faute el
non ses conséquences}) 1. La jurisprudencc établit ainsi au sein de la l'aute
inexcusable qui est en principe une tàute de gravité exceptionnelle, une échelle
de gravité, mesure de la rente.
,
Ce faisant, la Cour s'était donné les moyens de dose\\ les conséquences
nées de la faute inexcusable. Elle considère très souvent que le caractère
déterminant de la faute de l'employeur n'est pas exclusif d'une faute
concourante de la victime dont on doit tenir compte dans l'évaluation de la
rente2 . Mieux encore, elle a jugé que la fixation du montant de la rente relève
du pouvoir d'appréciation des juges du rond, lesquels ne sont pas tenus même
en l'absence d'une faute concourante de la victime, d'appliquer le taux
maximum légal 3 . Par contre, elle casse les décisions qui, sans rechercher si la
faute imputable au tiers n'a pas atténué celle reprochée à l'employeur, fixent la
rente à son maximum4 . On voit réapparaître encore là,
l'inclination
jurisprudentielle à la protection de l'employeur. L'attitude de la Cour révèle
d'une certaine façon, la recherche d'un équilibre entre les besoins de
prévention et la survie des entreprises. li ne fait donc aucun doute que c'est ce
pouvoir de modulation du juge joint à la nécessité de prévention, qui explique
cette conception particulièrement extensive de la faute in~,\\,cusable. Le juge
\\
souvent garant de l'intérêt de l'employeur ne saurait nullement redouter les
conséquences de la faute inexcusable puisqu'il pourra encore maîtriser les
paramètres de l'évaluation de la rente. Comme l'écrivait le Professeur J-.1.
DUPEYROUX, « Si la conception de la jàule inexcusable qui se dégage des
1
soc. 17 Janvier 1962, Bull IV, n° 65; Soc 5 Juin 1995, CSBP 1995, p. 85.
Voir également Soc. 25 Mars 1993, Bull, V, n° 100. Dans cette dernière espèce, la cour d'appel, pour fixer
au maximum la majoration de la rente, avait estimé que la victime a subi « un préjudice particulièrement
~rave ». ~a décision a été cassee.
Soe 16 Mars 1988, Bull V, n° 178
, . Soc. 9 Novembre 1988, Bull. V, n° 582.
, Soc. J Novembre 1988, Bull. V, nO 359.

180
arrêts était extrêmement restriclive et rigoureuse, étant uniquement tenue
pour inexcusable la faute absolument impardonnable, le préjudice serait seul
selon toute ressemblance pris en considération pour la fixation de la
majoration. A une conception restrictive de la faute èiJrrespondrait une
conception extensive des effets » 1 •
A travers ces développements, nous avons mis en relief la différence de
conception qui caractérise les deux régimes dérogatoires, l'accident de tr~iet et
la faute inexcusable.
Il en ressort que si la protection des intérêts de
l'employeur constitue une préoccupation du juge au détriment du salarié, la
prévention n'est pas non plus étrangère à sa construction. Hostile à toute
réparation complémentaire lorsqu' c1le n'a pas pour objectif final la prévention
(cas des accidents du trajet), le juge se montre plus conséquent lorqu'il s'agit
de la prévention. Mais manifestement, cette prévention lorqu'elle pourra
compromettre la situation économique de l'entreprise, n'entre dans
les
préoccupations du juge qu'autant qu'il pourra contrôler ses effets. N'y a-t-il
pas au fait dans la construction jurisprudentielle une sorte de trompe-l'oeil? En
d'autres termes le juge en cherchant à concilier ces deux ~ituations opposées
\\.
(prévention et protection des intérêts pécuniaires de l'emplo,yeur), n'aboutit-il
pas à un dépérissement de l'une au proril de l'autre? 'l'cl semble être le cas car,
tant que l'impact final de la faute inexcusable sur la situation des entreprises
ne sera pas très significatif, on ne pourra espérer une plus grande diligence de
la part des employeurs. Et au bout des comptes, les deux missions que le
législateur a lui-même assignées cl
la
faule
inexcusable (les
fonctions
indemnitaire et préventive) se trouvent rort amoindries.
,
\\.
1
J-J DUPEYROUX, note sous soc 17 Janvier 1962, D, 1962, J. P 197

181
CHAPITRE Il: L'IDENTIFICATION JUDICIAIRE dl) PREJUDICE
PROFESSIONNEL
La législation sur les accidents du travail a pour vocation la réparation
de tous les préjudices accidentels survenus par le fait ou à l'occasion du travail.
A ceux là, il faut ajouter les maladies professionnelles reconnues comme telles
et les accidents de trajet. La jurisprudence, à partir de ces dispositions
législatives, a déterminé les critères de rattachement du préjudice à l'activité
professionnelle. Ainsi tout préjudice survenu au temps et au lieu du travail est
réputé imputable au travail. C'est la présomption d'imputabilité. JI apparaît que
cette présomption s'appuie sur des critères géographiques et temporels
abstraction faite du comportement du salarié de même que son état. Or, il est
évident que le salarié, dans son milieu de travail, est en partie artisan de sa
propre sécurité ou même de son insécurité en ce qu'il pourrtit créer des risques
étrangers à l'activité professionnelle. Cette seule observatio~\\uffit à meUre en
relief l'écart qui pourrait exister entre la probabilité née de la présomption, et la
réalité.
En effet, tout préjudice survenu au temps et au lieu du travail n'est pas
forcément d'origine professionnelle. Il sc peut que du fait du salarié, le lien de
subordination que la jurisprudence traduit par "le temps et le lieu du travail"
soit rompu. JI se peut également que le lieu du travail n'ait servi que de cadre à
la manifestation d'un état morbide préexistant et sans rapport avec l'activité
professionnelle. La législation des accidents du travail a pour objet non la
réparation de tous les préjudices atteignant la personne du salarié mais
seulement ceux liés à son travail. Aussi, le juge veille-t-i' à l'exclusion des
préjudices étrangers à J'activité professionnelle (Section I). Néanmoins, on
relèvera que la ligne de démarcation entre \\cs préjudices de droit commun et
les préjudices professionnels n'est pas toujours étanche. Il e~\\ possible que des
préjudices dits professionnels trouvent leur origine première dans l'état de la
victime, le travail n'ayant joué qu'un rôle catalyseur ou ayant seulement
précipité la réalisation du préjudice. Ces préjudices ne sont en réalité que
partiellement imputables à l'activité professionnelle. Il est également possible
qu'une incapacité liée au travail vienne s'ajouter à une incapacité naturelle et
en favoriser l'évolution. Tous ces préjudices soulèvent un certain nombre

182
d'interrogations, notamment en ce qui concerne l'administration de la preuve et
le régime de leur réparatioll. Aussi la réparation des préjudices partiellement
imputables au travail (Section Il) devra également retenir notre attention.
SECTION 1: L'EXCLUSION DES PREJUDICES ETRANGERS A
L'ACTIVITE PROFESSIONNELLE
Dans son principe, cette exclusion est tout à fait naturelle et ne
mériterait pas d'observation particulière. Le salarié durant le week-end,
organise une partie de chasse ou se décide à réparer la toiture de sa maison et
se blesse grièvement. Il n'y a aucune raison que ce préjudice soit réparé par
l'employeur. Cela va de soi. Ce n'est pas de cette catégorie de préjudices que
nous parlerons. Prenons à présent l'exemple d'un ouvrier qui travaille sur un
chantier. Sans en aviser son employeur, il va prendre un bain dans un courant
d'eau contigu au chantier et se noie. Ce préjudice est sans doute survenu au
temps du travail et à proximité du lieu du travail. Un tel préjudice, est-il
professionnel ou de droit commun? S'il est certain que ce préjudice résulte
d'une initiative personnelle du salarié, il n'est pas moins vrai .que c'est son
travail qui lui en a fourni J'occasion. Si on admet que de ce tàit, le salarié s'est
placé hors du lien contractuel (s 1), alors le dommage est de droit commun.
Il se peut aussi que le salarié présentant des disp~sitions morbides,
déclenche une hernie ou une crise cardiaque alors qu'il venait de commencer
son travail. Ce salarié bénéficie sans doute de la présomption d'imputabilité.
Mais on peut se demander si cc préjudice n'est pas partiellement ou totalement
imputable à son état pathologique (~. 11)
~ 1: LES PREJUDICES SURVENUS HORS DU LIEN CONTRACTUEL
C'est sans doute du lien contractuel existant entre le salarié et
l'employeur que découle la responsabilité de CI: dernier. Tl est donc nornlal que
('employeur soit exonéré lorsque le préjudice survient en dehors de ces
relations. Mais le problème qui se pose est celui de savoir quand peut-on dire
que le lien contractuel a été interrompu. Le contrat de travail suppose des
obligations à la charge de chacune des parties. Il en résulte que lorsque

]83
l'attitude du salarié est incompatible avec ses obligations professionnelles (A),
il se place hors du lien contractuel. Indépendamment de l'attitude du salarié, il
Y a aux tennes de la jurisprudence, des faits suspensifs du contrat de travail
\\
(B).
\\
AI FAITS INCOMPATIBLES AVEC L'OBLIGATION
PROFESSIONNELLE
La conséquence essentielle du contrat de travail étant de placer le salarié
sous la subordination de son employeur, l'insubordination du salarié a pour
effet de rendre inopérante la législation des accidents du travail. Celle-ci se
trouvera également écartée si le préjudice est volontaire.
II L'INSUBORDlNATION DU SALARIE
Les exemples fournis par la jurisprudence en la matière peuvent se
résumer à deux situations: l'insubordination pour abandon du poste de travail
et l'insubordination pour violation des instructions de . l'employeur.
Qu'il
\\
s'agisse de j'une ou de j'autre des deux hypothèses, il y a heu d'apporter des
nuances
car
ces
circonstances
ne
traduisent
pas
systématiquement
l'insubordination du salarié.
al L'ABANDON DU POSTE DE TRAVAIL
On distinguera d'abord scion que le salarié ait quitté sans autorisation
l'aire de l'entreprise, ou seulement abandonné son poste de travail tout en
demeurant au sein de l'entreprise. Cette distinction s'impose en raison de la
présomption d'imputabilité qui s'attache à la présence du salarié au sein de
l'entreprise y compris les dépendances de celle-ci. Dans le premier cas, lorsque
l'abandon de poste est indépendant de l'emploi, la jurisprudence estime que le
salarié s'est soustrait de l'autorité ou de la subordination de l'employeur.
L'accident survenu ne peut donc être réparé au titre de la législation sur les
accidents du travail. Tel est le cas d'une sage-femme qui, étbpt de service dans
un hôpital où elle était logée et nourrie, avait quitté cet établissement de son
propre chef pour clTectuer des achats à caractère privé. Tel est également le
cas du salarié décédé par noyade durant le temps de travail dès lors que

184
l'intéressé avait, sans autorisation, quitté son poste pour aller prendre un bain
dans une rivière proche du lieu du
travail 1 • On remarquera que la
jurisprudence prend toujours soin de mettre en relief le fait que le salarié ait
abandonné son poste de travail pour des "motifs personnels" ou sans "motifs
légitimes" .
A contrario, on peut penser que lorsque le salarié a un motif légitime de
quitter son poste, le préjudice survenu doit être réparé. Que faut-il entendre
alors par motif légitime? La Chambre sociale écarte l'application de la loi alors
même que le salarié abandonne son poste de travail pour apporter de J'aide, sur
leur requête, aux ouvriers d'une entreprise travaillant sur u}\\ chantier voisin2 .
Par contre lorqu'un gardien de résidence quitte son poste pour chercher du pain
et est victime d'un accident sur la voie publique, la Chambre sociale estime
qu'il y a accident du travail en relevant le caractère particulièrement
contraignant du service de garde qu'il assurait seul le dimanche. Elle en déduit
que la démarche effectuée n'était pas totalement étrangère au travail cl aux
conditions de son exécution' . On pourrait donc dire que le motif légitime, tel
qu'il résulte de la construction jurisprudentielle, doit s'entendre d'un motif qui,
bien qu'en rapport avec la satisfaction d'un besoin personnel du salarié, a été
rendu nécessaire par les conditions d'exécution du travail. Aussi, lorsque ce
déplacement est indépendant des conditions du travail, alors même qu'il serait
autorisé par l'employeur, le préjudice survenu est étranger à l'activité
professionnelle. Une première remarque s'impose ici et se confirmera dans les
développements qui suivront. Dès lors que le salarié franchit le seuil de
\\
l'entreprise, il apparaît aux yeux du juge comme un étf\\:mger, un tiers à
l'entreprise toutes les fois que sa démarche n'a pas pour finalité la satisfaction
des intérêts de l'entreprise.
S'agissant des préjudices survenus au sein de l'entreprise alors que le
salarié n'était pas à son poste de travail. la.i urisprudcnce admet en principe
qu'il y a accident du travail. Ainsi lorsque le préjudice survient au cours d'une
collecte de sang effectuée au sein de l'entreprise avec ['accord de l'employeur,
1. soc. 4 Fevrier 1971, Bull
V, nO 91
2. Soc 21 Novembre 1963, Bull. V, n° 819
, . Suc 14 Mars 1984, Bull. Y, n° 96.
\\

185
il Y a accident du travail l . Si la collecte a été plutôt organisée en dehors de
l'entreprise avec l'autorisation de l'employeur, la loi ne s'applique pas.
L'abandon de poste sans autorisation de l'employeur ne prive pas le salarié du
bénéfice de la loi dès lors que le salarié est resté dans les limites géographiques
de l'entreprise et ne s'est pas livré a des activités totalement étrangères à ses
fonctions. A contrario, lorsque l'abandon de poste est motivé par un intérêt
personnel, alors même qu'il n'aurait pas quitté l'entreprise;\\ il se met hors du
\\
lien contractuel. Tel est le cas du salarié employé a la surveillance des jeunes
ouvriers qui s'isole dans un coin de l'entreprise pour entreprendre le sillage d'un
engin de guerre pour en faire une goumlette2 . Il résulte de tout ce qui précède
que l'abandon de poste interrompt te lien contractuel toutes les fois qu'il est
dicté par un motif exclusivement personnel. Néanmoins, il y a lieu de tenir
compte des usages et des actes implicitement tolérés par l'employeur. Cette
jurisprudence est également applicable au salarié en mission qui, avant la
reprise du travail ou durant le repos, effectue une promenade a cheval3 . A ces
exclusions tenant à l'abandon du poste de travail, il faut ajouter la violation des
instructions de J'employeur.
bl LA VIOLATION DES INSTRUCTIONS DE L'EMPLOYEUR
La violation des instructions de l'employeur dans l'c;xécution du travail
n'est pas en principe de nature à priver le salarié du bénéfice 'de la loi. En elTet,
si on admet qu'une telle violation constitue ulle faute, elle serait sans incidence
sur la nature du préjudice. Elle n'aurait pour effet que de moduler l'étendue de
la réparation lorsqu'elle est inexcusable. Aussi convient-il de distinguer entre
ces violations, celles constitutives d'une faute dans l'exécution du travail de
celles qui sont de nature à soustraire le travailleur à l'autorité de son
employeur. Dans le premier cas il s'agira par exemple de l'utilisation dans
l'accomplissement du travail, d'un procédé prohibé par ['employeur ou des
moyens inhabituels. C'est le cas d'un gardien d'usine qui a été mordu par les
chiens de son employeur. La Cour a estimé que le préjudice était survenu alors
qu'il était dans Je local de J'usine où il assurait l'exercice normal de scs
1. soc. 1 1 Juillet 1991, Bull. V, n° 363.
'. Soc 12 Mai 1966, Bull. IV, nO 457.
~. Soc 4 Février 1971, Bull. V, n° 91

186
fonctions. Le fait qu'il soit allé chercher ces chiens et les amener dans ce local
sans autorisation ni nécessité, n'est pas de nature à enlever à ce préjudice son
caractère professionnd . De même, quand bien même l'état d'ébriété d'un
chauffeur-routier constitue une faute, il Il' est pas de nature à faire perdre à
l'accident son caractère professionnel dès lors que l'intéressé respectait
j'itinéraire et l'horaire fixés par l'employeur2 . Dans le deuxième cas, il s'agira
de faits témoignant de la volonté du salarié de se soustraire de la subordination
de son employeur. Il en sera ainsi lorsque, malgré l'interdiction formelle de
l'employeur d'effectuer un travail en raison des intempéries, le salarié utilise le
matériel de l'employeur pour exécuter les travaux prohibés au domicile de ses
parents. Lc fait que lesdits travaux auraient pu être facturés ne suffit pas à
conférer au préjudice survenu un caractère professionnel 3 . II revient au juge de
rechercher dans chaque espèce et au vu des circonstances, s,i les faits reprochés
au salarié sont constitutifs d'un manquement dans l'exÙution des tâches
professionnelles ou si au contraire, il y a rupture du lien contractuel.
Outre
les
préjudices
nés
de
l'insubordination
du salarié,
ccux
volontairement provoqués sont également exclus du domaine de la loi.
2/ LES PREJUDICES VOLONTAIRES
Il ne s'agit pas de préjudices résultant d'un acte ou d'une omiSSion
volontaire mais des préjudices voulus par le salarié. C'est le dommage résultant
d'une faute intentionnelle. P. ESMEIN définit la faute intentionnelle comme
« la rencontre de la volition avec le dommage interdit»4. C'est donc en
principe la volonté du salarié de porter atteinte à sa propre intégrité physique.
Il y a lieu de reconnaître que cette définition ne répond pas totalement à la
conception jurisprudentielle de la faute intentionnelle dans le domaine qui nous
concerne. En effet, il semble que l'on puisse déduire dès rares décisions
rendues en la matière que la faute intentionnelle se caractérise moins par la
volition du dommage que la simple intention de nuire. Il a été ainsi jugé que
1
soc. 2 Mars l'ln, Bull. V, nO 182.
Soc. 23 Mars 1995, RJ.S. 1995, P 378
.1
Soc. 18 Mars 1971, flull V, nO 232.
• . P ESMElN, « La faute et sa place dans la responsabilité civile », Rev. Trim. Dr. Civ. 1949, p 48! CT
aussi Y SAINT-JOURS, « Traité de sécurité sociale )1, T. III. L.GD.J., 1982, P 228.

187
constitue une faute intentionndlc excluant la prise en charge de l'accident au
titre des accidents du travail, la dégradation des mobiliers de l'employeur à
l'occasion de laquelle le salarié s'est blessé 1 Celle même conception de la
faule intentionnelle se retrouve dans une espèce du 24 Avril 1969. En effet,
s'agissant d'un salarié qui avait précipité son camarade dans une cuve
contenant de la soude et du cyanure et avait lui-même été blessé par la
projection du liquide, il a été jugé que ces lésions « étaient la conséquence
directe des violences qu'il avait volontairement exercées contre la victime et
participaient par suite, du caractère intentionnel de la faute qu'il avait
commise >/. On est dès lors tenlé de définir la faute intentionnelle comme
celle résultant d'un acte ou d'une omission volontaire ayant\\pour but de nuire.
Or, il arrive que la Cour admette la prise cn charge des préjudices survenus à
l'occasion des rixes entre salariés au temps et au 1ieu du travail sans rechercher
lequel des salariés a pu être l'agresseur' . Ces violences volontaires participent
tout de même à la volonté de nuire. Cette jurisprudence incite alors à une
prudence qui interdit toute systématisation. A propos de l'espèce du 24 Avril
1969, le Professeur Y. SA (NT-JOURS a pu écrire que la solution retenue par
la Cour, « (. ..) en l'absence de toute intention de l'intéressé de se blesser,
relève plutôt de la morale que de l 'ana (vse juridique »4. Tout compte fait, il
ressort de ce qui précède que la jurisprudence procède à une gestion
circonstanciée de la notion de faute intentionnelle, ce qui en soi n'est pas
condamnable, le législateur n'ayant pas par ailleurs défini cette notion.
Cependant, nous situant strictement dans le contexte de la loi du 9 Avril 1898,
il nous semble contraire à l'esprit de la loi de réparer des préjudices résultant
uniquement de la volonté du salarié de causer un dommagé\\ fût-ce seulement
aux biens.
Honnis ces cas cités, la jurisprudence fournit un exemple de faute
intentionnelle marqué par la volonté de la victime de porter atteinte à sa propre
intégrité physique. Il s'agissait d'une espèce dans laquelle le salarié après avoir
souscrit des polices auprès des compagnies d'assurance, s'était coupé le pouce.
soc. 5 Janvier 1995, R.JS 1995. p. 122
Soc. 24 Avril 1969. D 1969. p. 649
Soc. j Novembre 1994. CS.BP. 1995, p. 2
4. Y SAINT -JOURS, Ouve. prée. p 236
,\\\\

188
Ce préjudice volontaire a été simulé en accident de travail 1 • L'intention
frauduleuse du salarié vise sans doute les compagnies d'assurance et non la
sécurité sociale. Ce préjudice ne demeure pas moins intentionnel.
Il convient de distinguer l'atteinte à sa propre intégrité physique de la
volonté de se donner la mort, le suicide. Alors que la' première est un
phénomène rarissime et ne donne jamais lieu à aucune réparation, la seconde
soulève des difficultés probatoires assez complexes.
Bien qu'il paraisse touJours comme un acte volontaire, le suicide n'est
pas toujours réfléchi. Il peut résulter soit d'un acte réfléchi assimilable à une
fàute intentionnelle, soit d'une volonté largement perturbée par la maladie.
Dans le premier cas, qu'il survienne au temps et au lieu du travail ou en dehors
de l'entreprise, il ne peut donner lieu à réparation. Le problènw qui se pose est
celui de savoir comment pourrait-on rapporter la preuve du caractère réfléchi
du suicide. On remarquera que la jurisprudence, très souvent, s'en tient à l'état
psychologique de la victime pendant les moments ayant précédé l'acte. Ainsi,
lorsque le suicide a été précédé d'un état dépressiC la Cour estime que l'acte est
irrélléchi. Mais encore faut-il que j'état dépressif de la vic~ime soit en rapport
avec son travail. Tel est le cas lorsque le salarié a été préèédemment victime
2
d'un accident du travail ayant entraîné une incapacité suivie de dépression .
Lorsque l'état dépressif n'est pas consécutif à un accident du travail ou encore,
lorsqu'il est sans rapport avec le travail 'lue le salarié exécutait le jour de sa
mort, le suicide ne peut être considéré comme un accident du travail'. Il en
sera ainsi lorsque le salarié victime d'un accident de la route dans le cadre de
son travail, n'a été blessé que très lég0rement et que son état anxieux et son
4
intention suicidaire étaient antérieurs à l'accident .
Le suicide est également considéré comme un acte irréfléchi dès lors
qu'il résulte d'une impulsion brutale suite à une remontrance qui venait d'être
adressée à la victime par son employeur'. Tout repose en définitive sur
l'appréciation du juge en la matière. En effet, il paraît peu probable de pouvoir
1. Rennes, 30 Janvier 1961, inédit, rapporté par Y SAINT-JOURS, ouve. prée. p :;'16
2
Soc. 23 Septembre 1984, Bull. V, nO 524
.
Soc. 4 Février 1987, Bull. V, nO 64, Paris, 15 Juin [1)1)5, R 1.S. 1995, p. 636.
< Soc 7 Juillet 1994, R.J.S 1994, p. 624.
, . Soc. 20 Avril 1988, Bull. V, n° 241.

t89
établir une relation objective entre le suicide et les activités professionnelles.
Le suicide qui traduit sans doute un profond désespoir implique la conjugaison
de plusieurs facteurs et demeure un mystère dont seule la victime pourrail
parfois démêler les causes réelles. Ce qui explique que la jurisprudence se
réfère à l'état dépressif de la victime qui suppose une perte partielle des
facultés psychiques. A contrario, lorsqu'il ressort des circonstances que la
victime disposait de toutes ses facultés, l'acte suicidaire place le salarié en
dehors du lien contractuel}. Ce type de préjudice met en relief le pouvoir
d'appréciation dujuge et lui restitue dans toule sa plénitude, sa mission qui est
d'adapter le droit aux multiples situations que la loi ne pourra ni prévoir ni
régir.
Outre ces préjudices résultant des raits incompatibles avec l'obligation
professionnelle, il y a en d'autres qui ont également pour conséquence,
d'exclure l'application de la législation sur les risques professionnels. Il s'agit
des faits suspensifs du contrat de travail.
BI LES FAITS SUSPENS1FS DU CONTRAT DE TRA VAIL
,
Il est d'une logique évidente de dire que les préjudices',survenus pendant
la suspension du contrat de travail sont de droit commun. C'est cependant la
nature de ces faits qui pourrait donner lieu à des observations. Il s'agit selon la
jurisprudence, des congés payés auxquels on peut ajouter les congés pour
incapacité temporaire, la grève et les mises à pied. \\1 est certain que durant ces
périodes, le salarié jouit d'une totale indépendance. Mais qu'advient-il lorsque
le salarié pour des raisons qui ne sont pas totalement indépendantes du contrat
de travail, effectue un déplacement au sein de l'entreprise? Telles sont les
situations qui seront examinées.
II LE SALARIE EN CONGE PA Yi:: OU AU REPOS
Il est de jurisprudence constante que le préjudice survenu au salarié en
congé ne constitue pas un accident du travail. Il cn est de même de l'accident
survenu alors que le salarié n'était pas de service. Ainsi, ,J'accident dont est
'. Paris, 15 Juin 1995 prée.

190
victime un salarié qui, en raison de son horaire de travail n'a pu se rendre
pendant celui-ci au bureau de paic, était venu à l'usine pendant une période de
repos, ne peut être réparé au titre de la législation sur les accidents du travail.
Cette jurisprudence s'inscrit sans doute dans le courant doctrinal selon lequel le
lien de subordination serait la source de la responsabilité patronale. En effet,
pour écarter la demande du salarié, la Cour relève que le salarié était lihn: de
choisir l'heure à laquelle il pouvait dans la limite des heures d'ouverture du
bureau venir percevoir sa paye. Mieux encore, clle motive le rejet en relevant
que le déplacement effectué par le salarié n'avait pas pour cause un travail qui
allait avoir lieu ou venait de s'accomplir' . Alors même qui:: le préjudice serait
\\
survenu au sein de l'entreprise, le salarié serait privé du béiJéfice de la loi. Il
n'est donc couvert que lorsque son déplacement est motivé par une prestation
au profit de l'entreprise c'est-à-dire l'exécution effective du travail. Il y a là une
constante détermination du juge à ne faire supporter à l'entreprise que les
préjudices résultunt dcs activités réal isécs à son seul prolit. La législation sur
les accidents du travail ne saurait se con tondre avec une assurance sociale au
profit du salarié. Tel est en résumé le principe qui guide la construction
jurisprudentielle. Mais cette construction n'est-elle pas contraire aux règles de
droit? Il est sans doute pemlÎs de se demander si une telle jurisprudence n'est
pas réductrice du contrat de travail. En effet, le contrat de travail dont l'effet
essentiel certes, est le lien de subordination, commence dès la conclusion du
contrat et ne s'achève qu'avec les prestations des cocontractants. Or la
prestation essentielle due par l'en'lployeur, c'est le versement du salaire A
fortiori lorsque cette prestation a lieu au sein de l'entI\\~prise et exige le
\\
déplacement du salarié, elle s'inscrit entièrement dans ce' contrat. S'il est
permis de déduire de la liberté du salarié de choisir J'horaire de son
déplacement, l'absence du lien de subordination, n'y a-t-il pas lieu de penser
que le lien de subordination implique une aliénation totale de la volonté du
salarié et surtout l'absence d'initiative de sa part')
On remarquera que celte jurisprudence s'applique également au salarié
durant une incapacité temporaire due à un accident du travail. En effet, il a été
jugé que le salarié en état d'incapacité temporaire qui se dirigeait vers un
1. soc. 17 Mars 1976. Bull. V, n° 179

191
centre hospitalier après être passé chez son employeur pour y retirer une feuille
de soins sur recommandation de ce dernier, accomplissait une démarche dictée
par son intérêt personnel et ne peut bénéficier de la législation sur les accidents
du travail l . Autrement dit, le salarié n'a sa place au sein de j'entreprise
qu'autant qu'il dispose de toutes ses capacités au service de l'employeur. 11 est
pourtant patent qu'un tel préjudicè n'est pas totalement étranger à son activité
professionnelle. Il nous paraît logique que l'employeu{ responsable des
\\
préjudices survenus au salarié dans l'exécution de son travail, le soit également
pour les dommages nés des démarches rendues nécessaires par ce premier
accident. D'un point de vue moral, cette jurisprudence est certainement
détestable. On pourrait même dire que le salarié est moins bien traité qu'un
outil de travail en ce que pour préscrver ses moyens de production, tout
employeur est enclin au suivi de la réparation de ses machines. Le salarié ne
mériterait-il pas tout au moins cet intérêt') Rien à notre avis n'explique ces
solutions si ce n'est la volonté du juge, ici encore, de protéger d'un point de vue
péCUnIaire l'employt:ur. Le juge ne serait-il pas davantage "employeur" que
"salarié"?
D'un point de vue juridique eettc jurisprudence met en relief les limitcs
du critère du lien de subordination comme fondement de la responsabilité
patronale, du moins dans sa conception actuelle.
Est-il aussi exact de dire que le contrat de travail est suspendu du fait
d'une incapacité temporaire? Certes, aux tennes de l'article L. 122-32-1 C.
trav., le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail est
suspendu pendant la durée de l'arrêt du travail. En réalité, cette disposition vise
la protection de l'emploi du salarié victime d'un accident du travail cl
indisponible pour une longue durée. C'est alïn d'éviter que le contrat ne soit
résilié quc le législatt:ur a édicté ces mcsures qui ne devraient pas préjudicier
au salarié. A y voir de près, cette suspension produit des effets tort limités. En
effet, aux tennes du dernier alinéa du même texte, « la durée des périodes de
suspension est prise en compte pour la détermination de tous les avantages
légaux ou conventionnels liés à l'ancienneté dans l'entreprise ». De plus,
J'article L 223-4 C. trav. dispose que « (..) les périodes limitées à une durée
1 soc. 'l JanviCI 1'l85, Bull. v, n° 18

192
ininterrompue pour cause d'accident du travail ou de mala2<lie professionnelle,
sont considérées comme périodes de travail e'/fectif». C'est à juste titre qu'on
a pu dire que « La suspension du contrat de travail ne se conçoit et ne prend
tout son sens que par opposition à la rupture du contrat de travail» 1 . Moins
qu'une suspension du contrat de travail, il s'agit bien, dans l'esprit du
législateur, d'une protection du salarié durant une période d'indisponibilité
physique due à un préjudice protèssionnel. Et lorsque les démarches du salarié
durant cette période sont une conséquence inéluctable de son préjudice, il y a
lieu de lui assurer à notre avis une protection légale.
Un autre fait suspensif du contrat de travail selon la jurisprudence est la
grève. Quelle est en réalité la situation du salarié gréviste?
2/ LES SALARIES GREVISTES
La jurisprudence relative au salarié en grève sus'<;;ite une certaine
perplexité. En eftèt, la Chambre sociale estime également qu'il y a suspension
du contrat de travail. Ainsi J'accident survenu pendant une grève ne présente
pas le caractère d'un accident du travail. Il en est de même pour un accident de
2
trajet sauf à prouver l'intention de reprise du travail . Or dans une espèce, la
Chambre sociale avait condamné le chef d\\~ntrcprisc à payer leurs salaires aux
grévistes qui protestaient par ce mouvement contre l'absence de mesure de
3
sécurité ayant provoqué un aecident . S'il est établi que l'absence de prestation
se traduit par une réduction de salaire, la jurisprudence reconnaît aussi au
salarié un droit à indemnisation correspondant au salaire perdu lorsque « les
salariés se sont trouvés dans une situation contraignante telle qu'ils ont été
obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels,
directement lésés par suite J'un manquement grave et délibéré de t'employeur
à ses obligations 4
» . Le salaire étant la contrepartie des prestations du salarié,
,
il est nomlal que l'employeur soit libéré de l'obligation &\\, verser le salaire
lorsque le travail n'a pas été eftèctué.
'. J-Y. FROUIN, « La protection de "emploi des salaries victimes d'une maladie ou d'un accident », RJ S
1995,p.773.
'. Soc. 12 Mai 1964, Bull IV, n° 415; Soc 13 Mars 1'>6<), Bull. V, n° 185; Soc. 10 Decembre 1986, J.c.P
ed. E .. Il, 15092.
.\\. Soc Il Décembre 1985, BulL V, n° 601.
, Soc. 20 Février 1991, D. I. R. p. 103

193
Mais peut-on raisonnablement limiter le contrat du travail à ses deux
obligations synallagmatiques? Le contrat du travail outre l'exécution du travail
el le versement du salaire implique égalemcnt la reconnaissance au profit de
chaque partie de certaines prérogatives. I\\u pouvoir de gestion de l'employeur
on peut opposer le droit à l'action unilatérale 1 ct collective des salariés qui est
une prérogative constitutionnelle. Celle prérogative s'attache au statut du
salarié et s'inscrit dans le cadre du contrat de travail. Elle permet donc à ce
dernier d'exiger par cette action le respect de ses droits découlant de son statut
mais aussi la sauvegarde de son intégrité physique. En témoigne la possibilité
d'une réglementation conventionnelle des modalités de grève dont le délai
d'attente. Un autre argument peut être également tiré du régime de la
responsabilité civile du salarié gréviste. Nous savons\\. que « Tout fait
quelconque de l'homme. qui cause à autrui un dommage. oblige celui par la
faute duquel il est arrivé. à Je réparer »2 . En droit du travail, la responsabilité
contractuelle du salarié ne peut être engagée que pour faute lourde. Si la grève
suspend le contrat de travail, alors, les panics devraient être soumises au droit
commun de la responsabilité civile. Or, la Cour de cassation exige pour que
soit mise en jeu la responsabilité du salarié gréviste, que ce dernier ait commis
une faute lourde. C'est implicitement reconnaître la survivance du contrat ue
travail durant la grève. Conçue comme telle, la grève ne devrait pa, à notre
avis, suspendre le contrat mais en limiter ses effets notamment l'absence
d'exécution du travail et le défaut de salaire. Est-ce à dire que tous les
préjudices survenant au salarié durant la grève devraient être réparés? Il y a
lieu
de
distinguer
entre
les
grèves
motivées
par
des
revendications
professionnelles et celles qui ne le sont pas. Dans ce dernier cas, le salarié se
place hors du lien contractuel. Dans le premier cas, lai~gislation sur les
accidents du travail devrait s'appliquer. Tel n'est pas le cas au stade actuel dc la
jurisprudence qui, non satisfaite de la réparation forfaitaire, semble se donner
la mission de garantir les intérêts de l'employeur au prix d'une incohérence
dans sa construction. Plus logique par contre, apparaît la jurisprudence relative
au salarié mis à pied qui perd également la protection légale durant celte
'. 11 s'agit du droit de retrait r.ce li une situation de danger grave et imminent. La qnestion scr..
rtudire ,,\\ns loin. (Voir pp. 280 5S.)
,
Art. 1382 Cciv.

194
période. Outre ces préjudices susmentionnés, peuvent être également exclus du
domaine de la loi, ceux partiellement ou totalement dus à l'état de la victime.
§ Il: LES PREJUDICES PARTIELLEMENT OU TOTALEMENT DUS A
L'ETAT'DE LA VICTIME
\\
A en croire les spécialistes en la matière, les préju'~.\\ices partiellement
imputables à l'état de la victime comptent parmi les plus décourageants de tous
l
ceux que suscite l'application du droit de la sécurité sociale . C'est également
le problème « le plus jréquemment posé à la sagacité du médecin expert et du
1
juge »~ . On les désigne le plus souvent sous les termes « états préexistants»
ou «prédispositions ».
JI s'agit de l'aggravation d'un état pathologique
antérieur, par un accident du travail. A vrai dire, cette notion couvre plusieurs
situations qui ne sont pas toutes soumises au même régime de réparation. C'est
donc une réalité hétérogène (A). En raison de cette différence de régime, il
conviendrait de mettre en relief les particularités de chacune de ces situations.
De plus, il y a des situations qui, bien que n'entrant pas dans le domaine des
états préexistants, s'y rapprochent. Ce sont des situations voisines de l'état
préexistant: les rechutes (E).
AI LA NOTION D'ET1\\T PREEXISTANT, UNE REALlTi~ HETEROGENE
,
A vrai dire, écrivait R. MELLOTTEE, il y a toujours un état préexistant
lorsque survient un accident du travail. Le législateur s'en est lui-même rendu
compte puisque l'article L 452 C.s.S. invite les experts à corriger les nom1es
des barèmes chiffrés des lésions en tenant compte des facteurs d'application de
caractère personnel: nature des lésions, âge, état général professionnel etc. Il
s'agit en quelque sorte du bilan de santé ct donc des capacités professionnelles
du salarié avant l'accident. Par exemple, la fragilité constitutionnelle du salarié
ou son vieil âge peut être détem1inant dans la réalisation du préjudice survenu
dans l'exécution du travail. 11 est également possible que l'incapacité résultant
d'un accident du travail vienne s'ajouter à un état préexistant qui cependant n'a
joué aucun rôle dans la survenance de l'accident. Il conviendrait de distinguer
'. J-J. DlPEYROUX. « Le déclin de la présomption d'imputabilité». f) 1971, Chr\\~1
1. R. MELLOTTEE, « Les états préexistants aux accidents du travail ». D. 1973. Chr' p. 173

195
l'état préexistant seulement révélé par un accident du travail, de l'état
préexistant entraînant une incapacité dûment constatée avant l'accident. A
cette dernière situation, on pourrait aussi rapprocher les accidents du travail
successifs.
Il L'ETAT PREEXISTANT REVELE PAR UN ACCIDENT DU TRA VAIL
C'est ce qu'il convient d'appeler plus précisément une prédisposition.
L'ouvrier bien qu'atteint d'une malformation constitutionnelle, ne souffre
d'aucune incapacité dans sa vie professionnelle ou familiale. Il s'agit d'un état
morbide évolutif ou consolidé qui rend le salarié scion l'expression de R.
MELLOTTEE, « plus réceptif qu'un autre aux dangers de l'emploi» 1. En
effet, il y a bicn des préjudices professionnels dont la seule réalisation suppose
l'existence chez la victime d'un état pathologique antérieur mais latent. Lc
travail n'a donc contribué qu'à accentuer cet état ou à accélérer ce processus
morbide qui aurait de toute façon pu se manifester tôt ou tard. C'est souventlc
cas d'une hernie imputable aux activités professionnelles. C'est également le
cas des accidents cardio-vasculaires imputables au travail. Ces préjudices
n'exigent pas l'intervention d'un fait accidentel ostensibl~ment distinct du
préjudice. On l'a vu, c'est aussi pour ces préjudices qu'a été élaborée la
présomption de
matérialité.
Corrélativement, le salarié
bénéficie de
la
présomption d'imputabilité dès lors que ces préjudices surviennent au temps et
au lieu du travai\\' Dès lors, la question qui mérite d'être posée est celle de
savoir si ces préjudices qui impliquent l'existence d'un état morbide antérieur
doivent être totalement réparés au titre de la législation des accidents du travail
ou, au contraire, seule la part imputable au travail doit être couverte. La
réponse de la Chambre sociale à ce sujet est sans ambiguïté. « (. ..) lorqu'un
accident du travail entraine l'aggravation d'un état pathologique préexistant
n'occasionnant pas lui-même d'incapacité, la totalité de l'incapacité de travail
résultant de cette aggravation doit être prise en charge au titre de la
législation des accidents du travail,»2 .
, R. MELLüTTEE, art prée
'. Soc 28 Février 1968, Bull. IV. nO 135

196
Il a été ainsI Jugé que les
lésions nerveuses préexistantes dont
l'extériorisation a été favorisée dans certaine mesure par un accident du travail
doivent être indemnisées au titre des accidents du travail. C'est le principe de
l'indivisibilité du préjudice né d'un accident du travail. La Chambre sociale
écarte l'idée d'une réparation partielle au prorata de la contribution du travail à
la réalisation du préjudice. Mais encore faut-il que le travail ait effectivement
ou ait pu jouer un rôle dans la réalisation du préjudice. En effet, lorsque
l'apparition du préjudice au temps et au lieu du travail n'est que l'aboutissement
naturel de l'évolution d'un état morbide sans que le travail ait pu jouer un rôle,
la jurisprudence écarte totalement la réparation du préjudice. Et la Cour
précise qu'il n'est pas nécessaire que la constatation de cet état pathologique
préexistant fût préalable à l'accident, pourvu que l'expertise\\puisse révéler qu'il
1
évoluait pour son propre compte en dehors de toute relation a'vec le travail .
On pourrait donc dire que la jurisprudence applique en la matière "la loi
du tout ou rien". C'est la théorie la causalité adéquate. Que penser de cette
jurisprudence sur l'indivisibilité du préjudice professionnel? Cette construction
prétorienne nous paraît bien équitahle et c'est à juste titre qu'elle a été
approuvée par la doctrine notamment par R. MELLOTTE dans l'article
précité. En effet, très souvent, le salarié dispose, malgré son état morbide
latent, de toutes ses capacités professionnelles. \\l est même possible que celte
aftection échappe à sa connaissance. De plus, la lésion dont souffre le salarié
accidenté aurait probablement pu rester encore longtemps en état de latence
sans l'activité professionnelle. Or l'accident survenu peut entraîner dcs
séquelles indélébiles et même réduire considérahlement les capacités du
salarié. Ce principe répond donc à des considérations d'éq\\uité auxquelles on
peut ajouter l'intérêt qui s'attache à la grande simplicité de Ùl règle. Sans pour
autant remettre en cause l'aptitude des experts médicaux, il nous semble
aléatoire de vouloir coter l'apport du travail dans la survenance d'une lésion
alors que l'état du salarié était jusque là sans incidence sur ses capacités
professionnelles et même ses activités privées. Mais qu'en est-il lorsque le
salarié antérieurement à l'accident présentait une réelle incapacité qui ne fait
l'objet d'aucun doute?
1
soc 12 Octobre 1983, Bull. V. n° 489 (2"" espi:ce)

197
21 L'ETAT PREEXISTANT FNTRAINANT UNE INCAPACITE DU MENT
CONSTATATEE
On precIsera d'entrée qu'il ne s'agit pas forcément d'une invalidité
entraînant une réduction des capacités professionndles du salarié. Cette
incapacité peut être sans incidence sur J'activité professionnelle du salarié
puisqu'aux termes de la jurisprudence, l'absence de versement d'une pension au
titre d'une invalidité antérieure pas plus que la perception d'un salaire nonnaJ
ne sont de nature à faire obstacle à ce que la victime d'un accident du travail
l
ait été atteinte d'une invalidité antérieure . Il s'agit donc de toute atteinte à
,
l'intégrité physique du salarié antérieurement à l'accident. La constatation
préalable de l'incapacité suppose que l'état déficient ait fait l'objet d'une
constatation médicale. Tel est le cas lorsque le salarié a été précédemment
victime d'un accident ayant donné lieu à une expertise médicale. L'état
déficient bien que n'ayant fait l'objet d'aucune constatation médicale, peut être
manifeste. C'est le cas par exemple d'un salarié qui a déjà perdu un oeil. Nous
examinerons d'ahord une hypothèse particulière. C'est celle où l'état de la
victime a contribué à la survenance de l'accident. Et nous distinguerons selon
que cet état défïcient de la victime a une origine protessionnelle ou non.
-L'INCAPAClTE PREEXISTANTE D'ORIGINE PROFESSIONNELLE
11 s'agit de rechercher si l'origine de l'incapacité peut avoir une incidence
sur la nature du préjudice.
En effet,
il peut arriver qu'une incapacité
préexistante soit à l'origine d'un nouvel accident. Cet accide.nt peut se produire
dans l'enceinte de l'entreprise ou à l'extérieur. Selon la jurisprudence, les
accidents susceptibles de résulter d'une invalidité d'origine professionnelle ne
peuvent être réparés au titre de la législation des accidents du travail. Tel est le
cas du salarié atteint des troubles de l'équilibre suite à un accident du travail
Le décès dudit salarié par fracture du crâne à la suite d'une chute liée aux
troubles de l'équilibre ne constitue pas un préjudice professionnd. La Cour
relève que le premier accident a fait l'objet d'une réparation maximale. Dans la
logique jurisprudentielle, la prise en compte d'un tel préjudice équivaudrait à
une double réparation Il conviendra de souligner que dans cette espèce, la
, soc. \\7 Février \\982, Bull. V, nO 97.
2
Soc 6 Mai 1986, Bull V. n° 201; Soc 17 Décembre 1984. Bull V. n° SOO
\\

198
chute a eu lieu au domicile de la victime. La solution de la Cour aurait-elle été
différente si la chute avait eu lieu au sein de l'entreprise? Il fàUt assurément
répondre par la négative vu le pri~cipe de portée générale posée par la Cour et
selon lequel les accidents résultant d'une invalidité ne sont susceptibles
d'aucune réparation. Il n'en sera autrement que lorsque l'invk\\,)idité de la victime
l'a rendue plus réceptive aux risques auxquels l'expose son travail. Cc qui
implique l'intervention d'un élément extérieur sur ce corps fragilisé par cette
invalidité antérieure.
-L'INCAPACITE PREEXISTANTE D'ORIG1NE NON
PROFESSIONNEU ~E
Il est évident que le préjudice résultant, en dehors de l'entreprise ou des
conditions de travail, d'une invalidité d'origine non professionnelle est sans
rapport avec le travail. Mais lorsque le préjudice survient au sein de
l'entreprise, on distinguera ici encore selon que cette invalidité ait été la cause
exclusive de l'accident ou a simplement favorisé sa réalisation. Dans le premier
cas, il n'y a pas lieu d'appliquer la législation des accidents du travail. Tel est le
cas du salarié qui à la suite d'une crise d'épilepsie, séquelle d'un accident de la
,
circulation étranger au travail, se fracture le crâne au 1ieu (h~ travail 1 , Dans le
deuxième cas, on notera que l'état préexistant du salarié peut consister en une
lésion imparfaitement consolidée. Le travail n'aurait donc aggravé qu'une
situation antérieure sans laquelle aucun dommage ne se serait produit. C'est le
cas d'un saxophoniste qui, précédemment victime d'un accident de droit
commun lui ayant occasionné une contusion frontale, présente soudainement
quelques semaines plus tard dans l'exercice de ses activités, un malaise suivi
de troubles. L'expertise médicale a révélé que ces troubles sont liés à un
hématome sous-duraI dû aux pressions sur le système circulatoire. La Chambre
sociale a décidé que ces préjudices devaient être réparés au titre de la
législation sur les accidents du travail2 .
On pourrait donc déduire de ce qui précède que l'origine de ('invalidité
préexistante est sans influence sur ia nature du préjudice. Qu'elle soit d'origine
profèssionnelle ou non, le caractl:re professionnel du dommilge sera écarté dès
,
1
Soc. 13 Octobre J982, Bull v, nO 548
2
Soc 27 Mars 1985, Bull. V. nO 223

199
lors que le travail en cours n'y a pas contribué. Il conviendra déjà de signaler
que contrairement aux états préexistants n'entraînant aucune incapacité, le
préjudice résultant d'une aggravation d'une incapacité dûment constatée ne
sera réparé qu'à concurrence de cette aggravation. S'agissant des modalités
d'évaluation de l'incapacité, elles seront étudiées plus loin.
Il convient
seulement pour l'instant de distinguer l'état préexistant d'une situation voisine à
savoir, les rechutes.
BI UNE SITUATION VOISINE DE L'ETAT PREEX~STANT: LES
RF:Cl-\\ UTES
La rechute constitue une situation vOlsme des préjudices dus a une
incapacité préexistante desquels il convient de la distinguer.
Il INTERET DE LA DISTINCTION
Cette distinction présente un double intérêt, d'abord sur la nature du
préjudice ensuite sur l'évaluation du préjudice final.
S'agissant en premier lieu de la nature du préjudice, nous aVions
souligné que le préjudice résultant d'une incapacité professionnelle ne peut être
réparé au titre des accidents du travail. S'agissant d'une rechute par contre,
qu'elle soit survenue alors que le salarié était à son domicile ou au lieu du
travail, tout le dommage est imputable au travail dès lor~ que le préjudice
initial revêt un caractère profèssionnel. Néanmoins, en càs de rechute, la
victime ne bénéficie pas de la présomption d'imputabilité. En effet, selon la
Cour, la situation d'un assuré social, dont postérieurement à la consolidation
des blessures consécutives à un accident du travail, l'état nécessite divers soins,
ne relève plus que des procédures de rechute ou de révision sans que puisse
être invoqué le bénéfice de la présomption d'imputabilité'. Cette aftirmation
devra être nuancée. En eftèt, lorsque ln rechute intervient au temps ct au lieu
du travail, le préjudice est présumé imputable au travail. Il ne s'agit pas d'une
présomption
de
rechute
mais
d'un
nouvd
accident
de
travail.
L'elll.:
présomption sera détruite dès lors que le patron aura démontré que le travail en
1
soc. 12 Février 1985. Bull V. n" 106.

200
cours n'a joué aucun rôle dans la réalisation du dommage. Il reviendra donc à
la victime de démontrer qu'il s'agit d'une rechute et non d'une simple évolution
d'un état morbide auquel Je travail serait étranger.
S'agissant en second lieu de J'évaluation de l'incapacité, on signalera que
le principe de la réparation des accidents du travail successifs est celui de
J'autonomie de chaque préjudice. Par contre dans l'hypothèse d'une rechute, il
y a lieu de procéder à une réévaluation de l'incapacité totale résultant de
l'aggravation. L'incapacité initiale et l'aggravation qui s'en est suivie fonnent
une incapacité unique et globale. Ceci n'est pas sans incidence sur les
modalités de réparation. En effet, lorsque le salarié est victime d'accidents
successifs dont chacun entraîne u'ne incapacité inférieure à dix pour cent, à
chaque préjudice correspond le versement d'un capital, ~\\eu importe que la
\\
somme des préjudices soit supérieure à dix pour cent. Par contre lorsqu'une
incapacité initiale inférieure à dix pour cent est réévaluée après rechute à un
taux supérieur à dix pour cent, elle donnera lieu à une rente (art. R 434-1-1 b
C. S. S.). Ces différents modes de prestation qui s'apparentent à des règles de
fonne pourront au fond donner lieu à des enjeux économiques importants.
Tout cela explique l'intérêt qui s'attache à cette distinction. Reste à savoir ce
qu'est une rechute et en quoi elle sc rapproche des états préexistants.
21 ETATS PREEXISTANTS ET RECHUTE
Le législateur n'a pas suffisamment délini la notion de rechute. L'article
L 443-2 C.s.S. se borne à affim1er que « Si l'aggravation de la lésion entraîne
pour la victime la nécessité d'un traitement médical, qu'il y ait ou non lIne
nouvelle incapacité temporaire, la caisse primaire d'assurance maladie statue
sur la prise en charge de la rechute». La jurisprudence à\\eu à préciser les
caractéristiques de la rechute. Selon la Chambre sociale, sont seuls pris en
charge au titre de rechute d'un accident du travail, les troubles provenant de
l'évolution spontanée des séquelles de l'accident du travail en dehors de tout
événement extérieur'. On retiendra de cette définition deux conditions
indispensables à savoir, l'évolution spontanée des séquelles el l'absence
d'événement extérieur
J. soc 29 Février 1984. Bull V. n' 79

201
;\\ ces conditions, il I~\\llt aiouter ulle troisième 110n moins importante: la
consolidation préalable des lésions. En effet, selon la Cour,'la chute du salarié
qui s'était produite avant la consolidation des blessures consécutives à un
premier accident du travail excluait qu'il puisse s'agir d'une rechute 1 • Certes,
celte condition ne permet pas de distinguer la rechute des états préexistants
dûment constatés. Néanmoins celte condition relative à la consolidation
intervient au niveau des règles probatoires. C'est à partir de la consolidation
que s'estompe la présomption d'imputabilité. En effet, lorsque le salarié
victime
d'un
accident
du
travail
présente
des
troubles
continus,
la
jurisprudence estime que ces troubles sont présumés imputables à cet accident
de même que Je décès qui pourrait s'ensuivn:2 . Par contre, sa situation
postérieurement à la consolidation relève des procédures de rechute et l'ouvrier
ne peut invoquer la présomption d'imputabilité' . Relativement à l'évolution des
séquelles, la jurisprudence semble avoir opéré un revirement tendant à
restreindre la notion de rechute. En effet, pendant longtemps, la Cour a estimé
que toute conséquence de la lésion qui après consolidatidr oblige l'assuré à
interrompre son activité constitue l'état de rechute même si les troubles qui ont
entraîné cet arrêt de travail entrent dans le cadre de ('incapacité de travail
réparée par la rente4 . Ainsi, lorsqu'un état épileptique provoqué par un
accident du travail a été indemnisé par l'octroi d'une rente, il n'en est pas
nécessairement de même de l'ensemble des répercussions ultérieures. De ce
fait, une chute sur la voie publique par suite d'une perte de connaissance en
relation directe avec l'accident du travail antérieur ainsi que ses conséquences,
.
1
<;
constltuent une rec lute' .
On
remarquera
que
cette
cnse
épileptique
constitue
bien
une
manifestation spontanée ne nécessitant pas un élément extérieur. De cette
situation, on pourrait rapprocher les troubles de l'équilibre qui ne nécessitent
pas non plus l'intervention d'un élément extérieur. Pourtant, dans ce cas la
jurisprudence a estimé qu'il s'agit d'un nouvel accident et n~n d'une rechute. La
1
soc. 12 Mai 1980, Bull V, n° 416.
2. Soc. 7 Juillet 1987, Bull. V, n° 359; Soc 30 Janvier 1985. BulL V. nO 70.
soc. 12 Février 1985, Bull. V, nO 106.
Soc 21 Février 1980. BulL V, nO 180
'. Soc 24 Janvier 1974, Bull Y. n° 67.

202
victime a été ainsi prIvee du bénéfice de la loi 1. Or c~est essentiellement
l'absence d'élément extérieur qui distingue la rechute d'un \\accident résultant
d'une incapacité préexistante. Alors que la rechute résulte exclusivement de
J'évolution spontanée des séquelles d'un premier accident, il y a nouvel
accident lorsque l'état de la victime l'a rendue plus réceptive à J'action d'une
force extérieure. Il y aura nouvel accident par exemple lorsqu'un salarié atteint
d'une incapacité fait une glissade entraînant sa chute. Par contre lorsque la
chute est exclusivement liée aux troubles de l'équilibre, il y a lieu d'admettre
qu'il y a rechute.
Que dire donc de cette jurisprudence? Il nous semble bien qu'il y a un
rétrécissement du domaine des rechutes au profit des accidents résultant d'une
incapacité préexistante qui sont souvent de droit commun. Cette tendance
semble aussi se confinner si l'on se réfère à l'appréciation jurisprudentielle de
la notion d'« évolution spontanée des séquelles ». Cette dernière expression et
celle d'aggravation spontanée sont utilisées indifféremmenl\\par les tribunaux.
Se fondant sur le principe selon lequel toute conséquence d'une blessure qui
après consolidation amène directement la victime à interrompre son travail
constitue l'état de rechute, la jurisprudence a admis que soient réparées à ce
titre les douleurs ressenties par un salarié dans la région abdominale où avait
,
été pratiquée une opération chirurgicale consécutive à un accident du travail- .
Pourtant dans une espèce récente, le rapport d'expertise après avoir relevé à
propos de l'état de la victime, qu'il s'agissait de la « survenance d'un épisode
plus aigu des séquelles de l'accident imposant des soins nouveaut et plus
forts» a relevé l'absence de faits nouveaux Selon la Cour de cassation, la
seule constatation de l'absence de fait nouveau impliquait que cet état ne s'était
pas aggravé même temporairement3 . A la notion d'évolution spontanée la Cour
substitue celle de fait nouveau. Cette jurisprudence, si elle se poursuit, devrait
à tenne conduire à exclure du domaine des rechutes toute aggravation des
séquelles existantes et connues au moment de la consolidatiè~.
Une quelconque radicalisation d'une jurisprudence, déjà peu favorable à
la victime relativement à l'étendue de la réparation, ne peut que susciter des
, Soc 6 Mai 1986. Bull V, n° 201
'. Soc 4 Juillet 1984, Bull V, n° 293
1. Soc
13 Janvier 1994, Bull. V, n° Il.

\\
203
inquiétudes d'autant plus que rien dans la loi n'impose au juge une telle
interprétation. Et pourtant, il y a bien lieu de parler d'une radicalisation de la
jurisprudence. En effet, la Chambre sociale avait dans sa doctrine antérieure
approuvé les juges du fond qui admettent le caractère professionnel du
préjudice alors que le rapport d'expertise après avoir relevé l'existence d'un lien
entre l'accident antérieur et les séquelles ayant entraîné l'arrêt du travail,
concluent à l'absence de fait médical nouveau. La Cour avait affirmé que le
fait que ces séquelles ne constituent pas un fait médical nouveau ne liait pas le
.
1
Juge
Actuellement, la rechute n'est plus que l'appari\\tion de nouvelles
séquelles et non l'aggravation de celles existant déjà ~u moment de la
consolidation. Cette jurisprudence contestable à maints égards s'accommode
d'ailleurs mal à la ligne directrice de la jurisprudence. En effet, le but de la
Cour est d'éviter la réparation des préjudices déjà indemnisés au titre de
l'incapacité peml<lI1ente. Or, ces invalidités ou ces séquelles n'ont été réparées
que dans leur état au moment de la consolidation et non dans les épisodes plus
aigus qui pourraient survenir. Cette jurisprudence crée une nouvelle catégorie
de préjudices qui, bien que ne constituant pas une rechute, n'entrent pas non
plus dans les accidents occasionnés par une incapacité préexistante. Il est à
redouter que cette notion de rechute ne devienne une peau de chagrin. Tout
compte fait, il n'y a plus de mystère sur la sollicitude du juge à l'égard de
l'employeur alors qu'à notre sens, la loi est censée protéger le plus faible.
Entre les préjudices qui font l'objet d'une réparation intégrale et ceux
résultant exclusivement d'une invalidité antérieure, ily \\a des préjudices
,
partiellement imputables à l'activité professionnelle. Il s'agit -nous l'avons vu-
des invalidités préexistantes dûment constatées auxquelles viennent s'ajouter
des incapacités dues à l'activité professionnelle ou révélées par elles. Il
conviendra à présent d'examiner de près le régime de la réparation de ces
préjudices.
\\ Soc 12 Mai 1980, BulL V, nQ 418

204
SECTION Il: LA REPARATION DES PREJtJDICES
PARTIELLEMENT IMPUTABLES A L'ACTlVITE
PROFESSIONNELLE
En réalité, d'un point de vue strictement juridique, il n'est pas exact de
parler d'une imputation partielle puisque nous avions relevé qu'en la matière, la
jurisprudence applique la loi du tout ou rien. Même lorsqu'il s'agit d'accidents
du travail successifs et donc d'incapacité antérieure dûment constatée, le
dernier accident est soit totalement réparé au titre de la législation des
accidents du travail, soit totalement écarté. L'imputation partielle se réfère
donc davantage à une imputation médicale l . Mais elle a le mérite de rendre
mieux compte des préjudices dont il s'agit. Nous étudierons successivement le
régime de la preuve de ces préjudices et le principe de leur réparation.
§ 1: LE REGIME DE LA PREUVE DES PREJUDICES PARTIELLEMENT
IMPUTABLES A L'ACTIVITE PROFESSIONNELLE
La preuve dans le domaine des accidents du travail est essentiellement
marquée par des présomptions. Ce sont évidemment les difficultés probatoires
souvent rencontrées par les victimes qui ont conduit à l'élaboration de ces
présomptions. Et c'est précisément au niveau des lésions dues à un état
morbide
préexistant
que
se
révèlent
les
difficultés
probatoires.
Les
présomptions élaborées ne retrouvent donc leur pleine signification que dans
ce
domaine.
Or,
la
présomption
de
matérialité
est
une
présomption
irréfragable. Il ne suffit pas que l'employeur rapporte la preuve de l'absence de
fait accidentel ostensible pour que le préjudice relève du droit commun. II lui
revient de démontrer au contraire que ce préjudice a une cause étrangère au
travail. Cette observation suffit à elle seule à commander la nature de la preuve
contraire à la charge de l'employeur ou, au besoin, à la charge de la victime
lorsque cette dernière ne bénéficie plus de la présomption d'imputabilité.
\\
S'agissant en effet de déterminer l'origine d'un préjudice enl l'absence de fait
accidentel manifeste, la preuve sera forcément d'ordre médical (A). Cependant,
sous peine de priver le juge de sa mission fondamentale et de substituer le
1
lllàudrait toutelois signaler que l'état de la victime postérieurement à la consolidation peut, d'un point de
vue juridique, être en partie imputable au préjudice professionnel. et en partie imputable à l'évolution normale
de l'état morbide

205
médecin expert au juge, le premier ne saurait trancher un problème d'ordre
juridique. L'accident du travail en est certainement un. De plus, .comme toute
science, la médecine pourrait-on dire, a l'âge de ses instruments. Aussi n'est-il
pas étonnant que subsistent des incertitudes médicale~ sur l'origine des
préjudices. A ces doutes médicaux devraient donc sup~léer les principes
juridiques (8).
AI UNE PREUVE ESSENTIELLEMENT MEDICALE
Aux termes de l'article L. 141-1 CSS., « les constatations d'ordre
médical relatives à l'état du malade ou de lu victime (..) donnent lieu à une
procédure d'expertise médicale dans les conditions .fixées par décret en
conseil d'Etat ». Et l'article L. 141-1 du même Code fixe les modalités de
désignation de l'expert. De l'expertise médicale on peut aussi rapprocher
l'autopsie prévue par l'article L. 442-4 C.S.s. En effet, aux termes de ce texte,
« la caisse doit si les ayants droit de la victime le sollicitent ou avec leur
accord si elle l'estime elle-même utile à la manifestation de la vérité, ( .. ) fil/re
procéder à l'autopsie (..) ». Dans'les tàits, l'initiative de l'autopsie, de même
que celle de l'expertise médicale, ne sera prise que par l\\~. partie à laquelle
incombe la charge de la preuve. Ainsi la caisse ne sollicitera l'autopsie que
lorsque les ayants droit bénéficient de la présomption d'imputabilité alors que
l'origine du préjudice est incertaine. « Si les ayants droit de la victime
s'opposent à ce qu'il soit procédé à l'autopsie demandée par la caisse, il leur
incombe d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'accident et le
décès» dispose l'article L 442-4 in tine. Que ce refus d'autopsie ait été fait en
connaissance de cause ou dans l'ignorance des conséquences qui en découlent,
est sans importance. En effet, scion la Cour de cassation, aucune disposition
légale n'impose aux organismes sociaux, lorsqu'ils sollicitent une autopsie, de
faire connaître aux ayants droit à quel risq ue les expose leur refus 1.
Cependant, on pourrait déduire de la jurisprudence de la Cour de
cassation que le refus d'autopsie entraînant la perte du bénéfice de la
présomption d'imputabilité doit être exprès. En effet, il a été jugé que le fait
\\
pour une veuve de procéder à l'incinération cinq jours aprè's le décès de son
1 Soc. 9 Décembre 1987, Bull V, nO 713; Soc 5 Janvier ]995, IU.S. 1995, p. 122

206
mari, en exécution des volontés du défunt, ne caractérise pas la volonté de
s'opposer à l'autopsie dès lors que ,rien n'interdisait à la veuve de le faire avant
l
la déclaration d'accident du travail . De même, ne constitue pas un refus
,
d'autopsie le fait pour la veuve d'un salarié de n'avoir pas répondu à une
correspondance de la caisse primaire dès lors qu'à aucun moment, l'organisme
social ne lui avait fait part de son intention de faire procéder à l'autopsie à
2
l'effet de combattre la présomption d'imputabilité dont elle bénéticiait . En
fait, la caisse avait dans la lettre adressée à la veuve, estimé que pour
déterminer la cause exacte de la mort de son mari, il lui appartenait de
demander une autopsie. Comme il a été indiqué plus haut, dès lors que la
victime bénéficie de la présomption, l'initiative de ['autopsie appartient à la
caisse qui doit seulement solliciter l'autorisation des ayants droit. Ainsi, non
seulement le refus doit être exprès mais encore faut-il que la caisse aÎt
régulièrement sollicité cette autorisation. Une demande tardive, plusieurs mois
après la déclaration d'accident, est fautive et l'incinération déjà effectuée ne
saurait renverser la charge de la preuve' . De même, ne constitue pas un refus
d'autopsie la remise du corps de la victime à la facult~ de médecine cn
exécution de la volonté du défunt, dès lors qu'aucune hâte dcessive ou fautive
n'a été relevée et que la demande d'autopsie n'a été faite par la caisse que trois
4
mois après le décès .
Cette jurisprudence, bien qu'elle paraisse protéger les ayants droits de la
victime, ne témoigne d'aucune sollicitude particulière du juge à leur égard. En
effet, il appartient à la partie qui a la charge de la preuve de faire preuve de
diligence. Les ayants droit bénéficiant de la présomption, la négligence de la
caisse ne saurait remettre en cause leurs droits. On pourrait d'ailleurs se
demander si le principe constamment affirmé et récemment rappelé par la
Chambre sociale et selon lequel «Aucune disposition légale n'impose aux
organismes sociaux, lorsqu'ils sol/icitent une autopsie, de faire connaître aux
ayants droit les conséquences de leur refus de celle mesure d'instruction »5
ne s'inscrit pas contre l'évolution genérale du droit.
'. soc. 1"> Novembre 1981, Bull. V, n° 438.
, . Soc 20 Novembre 1985, Bull. V, n° 549
J. Soc. 2 Mars 1983, Bull. V, n" 124
, Soc. 20 Janvier 1994, RJ.S. 1994, P. 216.
Soc. 5 Janvier 1995 prée.

207
Cette solution de la Cour pourrait se justifier par le principe selon lequel
nul n'est censé ignorer la loi. On remarquera cependant que ce principe a
récemment connu sur le plan pénal, un important tempérament réalisé par
l'article 122-3 N.C.pl. Sur le plan jurisprudentiel, la Chambre civile de la
Cour de cassation a institué par des décisions nombreusd" et diversifiées un
devoir de conseil a la charge des professionnels dans leu~ rapport avec les
consommateurs. Ainsi, qu'il s'agisse de l'assureur,
de l'architecte,
du
constructeur immobilier ou encore du notaire, ils sont tous tenus à une
2
obligation de renseignement . La responsabilité du notaire a été même retenue
dans une espèce dans laquelle l'initiative de l'acte illicite, source du préjudice,
a été prise par le plaignane . Quand bien même dans ces cas les rapports entre
les parties sont d'ordre contractuel, rien ne s'oppose à notre avis à ce que cette
jurisprudence trouve aussi une application dans le domaine qui nous concerne.
Comme l'a si bien justifié une décision de la cour d'appel de Versailles, « Les
caisses d'assurances maladies sont investies d'une mission de service public
leur
imposant
le
devoir
d'information
et
une
obligation
loyale
de
renseignement envers leurs assurés ou leurs ayants droit ». Dès lors, le refus
des ayants droit de procéder à une autopsie ne saurait les « (. ..) priver de cette
présomption (d'imputabilité) que s'il a été exprimé en toU;{ connaissance de
cause »4. A défaut d'un revirement jurisprudentiel de la Co~r de cassation, il
serait nécessaire que le législateur intervienne pour mettre en hannonie les
obligations de la Caisse avec la nature de son objet, et assurer par ailleurs, une
cohérence dans l'évolution générale du droit.
Comme le remarque si bien R. KESSOUS à propos du transfert de la
gestion des risques du travail à la Sécurité sociale, « Beaucoup plus qu'un
simple changement technique, il s'agissait d'une option politique essentielfe
affirmant l'intérêt supérieur qui s'attache à ce que les victimes des accidents
du travail soient indemnisées sur le fondement de la solidarité nationale
(..) »5. Cette observation impose à la Caisse une obligation d'inforn1ation ct à
1
«N'est pas pénalement responsable la person-ne qui justifie avoir C.IU, par une erreur sur le droit qu'elle
n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir "acte ». Article 122-3 N.C.P.
2. Civ. 111, 30 Octobre 1991, Resp. Civet ass, Ed. tech, Janvier 1992, nO 20; Ci,\\ III, 26 Novembre 1991,
Resp civ. et ass. Ed. Tech Février 1992. nO 73; Civ. l, 10 Janvier 1995, Resp. civ. et\\~ss. 1995, nO 101.
'. Civ. l, 10 Janvier 1995. Resp civ. ct ass. 1995, nO 104.
4
Versailles, 24 Novembre 1993, RJ.S 1993, P 139
, R, KESSOUS, Conclusions pour Ass. Plén S Novembre' ()92. lU S. 1993. p. 7

208
la Cour de cassation une interprétation plus sociale des principes juridiques, et
a fortiori, lorsqu'il s'agit d'une loi à caractère social.
Cela dit, il convient de se demander quel cst l'objet de ('expertise
médicale. Autrement dit, quelle est la mission assignée à l'expert?
Il L'OBJET DF: L'EXPERTISE MEDICALE
Seules les contestations d'ordre médical relatives à l'élat du malade ou de
. .
'\\
la victime peuvent donner lieu cl une expertise médicale. Par suite, selon la
Cour, une telle expertise ne saurait être ordonnée à J'effet de rechercher si le
travail exécuté et les risques pris par le salarié relèvent par leur nature de l'une
des activités énumérées au tableau des
maJadies professionnelles qu'il
l
invoque . En effet, l'expertise médicale a un objet exclusivement médical. Il
n'est pas demandé à l'expert de dire si l'accident ou le préjudice survenu est un
préjudice professionnel. Une telle appréciation relève de la compétence du
juge. Un expert qui dans l'impossibilité médicuJc de détenniner la cause du
préjudice, se borne à affinner « qu'au bénéfice du doute j'accepte que l'état
actuel est dû aux accidents antérieurs» donne une solution juridique et non un
avis médical2 . La mission assignée à l'expert médical est de détenniner en
l'état des connaissances actuelles de la scicnce, l'origine exacte de la lésion ou,
à défàut, les origines probables. Uautopsie a donc « nécessairement pour but
de recueillir un avis médical, non seulement sur la causE', du décès lorsque
\\
celle-ci est sujette à contestation filais également sur ta possibilité de
l'existence d'une cause étrangère au travail ». Encourt donc la cassation l'arrêt
3
limitant à la recherche de la cause du décès la mission de l'expert .
S'il est indéniable que J'objet de l'expertise est essentiellement médical,
on retiendra qu'en réalité, il reviendra au juge dans le cas d'un préjudice
litigieux, de détenniner dans chaque espèce, et suivant les circonstances, la
mission exacte de l'expert. Comme nOlis le verrons, cette mission est sans
conteste en rapport étroit avec les considérations juridiques qui pallient les
incertitudes médicales. On fera remarquer comme le souligne la doctrine que
1 . soc. 22 Mai 1984, Bull. V, n° 218
1. Montpellier, 29 Septembre 1970, Rapporté par 0
GODARD, Thése pree. p. 161 .
.
1. Soc. 22 Mars 1978, Bull. v, n° 233.

209
« rechercher la cause d'une lésion ou d'un accident suivi de lésion, implique
nécessairement de prendre partie sur un problème de causalité ». Or, d'un
point de vue juridique, le problème essentiel des préjudices professionnels, est
celui de la causalité. En effet, en présence d'un préjudice survenu au salarié, le
devoir du juge est de dire si le préjudice a pour cause le travail. C'est cc qui
conduit l'auteur à affirmer que, « dire que l'expert doit se contenter de réunir
les éléments d'information dont le juge a besoin pour trancher .les difficultés
relatives à l'existence du lien de causalité, n'a pas de signification dans les
faits sinon au plan de la règle de droit. »1 .
2/ LA PORTEE DE L'EXPERTISE MEDICA:LE
Aux termes de l'article L [41-2 CSS., l'avis de l'expert s'impose à
l'intéressé tout comme à la caisse. En réalité, même dans le cadre d'un litige
porté devant le juge, cet avis s'impose également à lui sous certaines
conditions. Certes, l'expert ne pourra se prononcer sur une question d'ordre
juridique. Mais le juge ne pourra pas non plus remettre en cause l'avis de
l'expert sur les faits médicaux dès lors que cet avis est clair, précis et ne recèle
pas de contradiction interne. Alors même que J'avis de l'expert comporterait
des insuffisances, il n'appartient pas au juge de substituer ses appréciations à
celles de l'expert2 • Il doit ordonner une nouvelle expertise ou une expertise
complémentaire. Pour que l'avis de l'expert puisse s'imposer au juge, il doit
être médicalement motivé et ne doit pas se borner à de simples affirmations. Il
n'est pas cependant indispensable pour que l'avis du médeç;in soit réputé clair
\\
et précis qu'il ait pu déterminer l'origine exacte de la I~~sion. L'expertise
médicale effectuée sans l'examen de la victime peut être annulée par le juge.
Ce qui n'empêche pas les juges du tond, d'utiliser à titre de simples
renseignements, les conclusions dépourvues de portées obligatoires, de cette
expertise médicale annuléeJ .
Doit être aussi considéré comme clair et préCIS, l'avis de l'expert
affirmant sans ambiguïté le caractère non professionnel du préjudice allégué,
'. 0 GODARD, Thèse prèc. p. 160
2
SOC 18 Décembre 1979. Bull V, n° 1014
Soc 27 Octobre \\977, Bull V, n° 7Jil.

210
peu important qu'il n'ait pu détenniner la véritable originel. C'est donc lorsque
le rapport d'expertise révèle des contradictions ou lorsqu'il ne répond pas à la
question posée à J'expert qu'il doit êtrc écarté. Un rapport qui en raison des
difficultés médicales se borne à émettre des hypothèses doit aussi être
considéré comme clair et précis. Il revient au juge de tirer les conséquences
juridiques de ces doutes médicaux.
BI LE DROIT FACE AU DOUTE MEDICAL
Le problème des accidents du travail étant avant tout un problème de
causalité, lorsque le préjudice implique un état morbide préexistant, l'idéal
serait que les connaissances médicales puissent pem1ettre ·de détem1iner avec
précision les causes réelles du dommage. Mais malheureui'ement, il n'en est
pas toujours ainsi. II arrive que la cause du préjudice soit totalement inconnue.
Il arrive également que, de par leur nature, les préjudices puissent être
médicalement imputables à plusieurs causes dont l'activité professionnelle,
sans qu'on puisse dire davantage laquelle de ces causes est à l'origine du
dommage. Sous peine de déni de justice, l'incertitude médicale ne saurait fairc
obstacle à une solution juridique. Nous avions rappelé que « la preuve est la
rançon du droit ». Autrement dit, « celUi qui réclame l'exécution d'une
obligation doit la prouver ».
S'il est certain que « la convictIOn du juge repose, au fond, sur une
probabilité aussi forte que possible, plutôt que sur une vérité formelle et
certaine »2, force est de reconnaître que la preuve sera réputée non établie
toutes les fois que subsisteront des doutes ou des incertitudes manifestes.
Ainsi. celui Il qui incombe la char8Q dQ tg preuve succombet~ dans la tentative
d'obtenir l'exécution de son droit aussi longtemps que persisteront ces
incertitudes. C'est le même principe qui s'applique dans le domaine des
accidents du travail. La Chambre sociale l'affim1e en ces tennes: « Attendu que
(. ..) celte incertitude concernant la preuve du rapport de causalité entre
l'accident et la lésion invoquée préjudiCie nécessairement à la partie qui a la
charge de cette preuve »3. C'est là justement que se révèle le mieux l'utilité de
1 soc 21 Janvier 1987, Uull n" 49
1
0 GODARD, Thèse prée. p 156.
Soc 27 Janvier 1961, Bull. V, nO 134

211
la présomption d'imputabilité qui comme nous l'avons déjà\\dit, constitue avec
la présomption de matérialité, la meilleure conquête prétorienne au prolit du
salarié dans le domaine des accidents du travail. En effet, la présomption
d'imputabilité a pour effet non seulement de renverser la charge de la preuve
mais entraîne aussi le transfert du risque de la preuve sur la partie qui a la
charge de la preuve contraire. Nous aborderons le sujet en distinguant donc
selon que la victime bénéficie ou non de la présomption d'imputabilité.
1/ LA VICTIME BENEFICIANT DE LA PRESOMPTION
D'IMPUTABILITE.
Il s'agit donc des préjudices survenus au temps ct au lieu du travail ou
pendant que le salarié est soumis à l'autorité de son employeur. A cette
situation il faut ajouter aussi la présomption légale résultant de l'article L 443-1
al. 4 C.S.S. En effet, aux temles de ce texte, dans le cas 0~ la victime a été
atteinte d'une incapacité pennanente et totale et avait été titulaire de la
majoration pour assistance d'une tierce personne pendant au moins dix ans, le
décès est présumé résulter des conséquences de l'accident pour l'appréciation
de la demande de l'ayant droit qui justifie avoir apporté effectivement
assistance à la victime pendant la même durée.
Lorsque la victime ou ses ayants droit bénéficient de la présomption
d'imputabilité, cette présomption transfonne le doute médical en une certitude
juridique à leur profit. En d'autres termes, le doute profite au bénéficiaire de la
présomption. En effet, il appartient à celui à qui incombe la preuve contraire
(l'employeur ou la caisse) d'établir avec certitude que le préjudice est
entièrement étranger à la profession. Le moindre doute fait subsister la
présomption. Une cour d'appel ne peut donc valablement se fonder sur un
rapport d'expertise selon lequel « (. ..) l 'hypothèse la plus ,vraisemblable est
que les lésions musculaires se sont développées spontanémè.nt et qu'elles se
sont traduites au cours d'un travail par une douleur ressentie par la viclime»
pour écarter le caractère professionnel du préjudice. Une telle vraisemblance
n'équivaut pas à la certitude que le préjudice a une origine totalement
étrangère au travail'. Tous ces préjudices qui, en raison du doute médical,
1 . soc. 8 Juin 1995, R ) S
1995, P 613

212
auraient dû relever du droit commun sont réparés grâce à la présomption.
Ainsi, lorsque les conclusions de l'expert révèlent que les lésions survenues au
salarié sont d'origine traumatique sans pouvoir détem1in'èr l'origine de ces
traumatismes,
le
préjudice
est
présumé
irréfragablement
d'origine
l
professionnelle . De même, alors qu'une victime bénéficie de la présomption
d'imputabilité, une cour d'appel ne peut se fonder sur le fait que rien ne
pem1et au vu des éléments du dossier d'imputer les troubles dont elle avait
souffert aux conséquences d'un fait traumatique, pour écarter le caractère
professionnel du préjudice.
Il convient de préciser quc cc régimc probatoire est détcmlinant dans la
mission que le juge assigne à l'expert, plus particulièrement la question à
laquelle il doit répondre. En effet, lorsque la victime bénéficie de la
présomption, à défaut pour l'expert de pouvoir déterminer la cause exacte du
préjudice, la question à laquelle il doit répondre est celle de savoir si le travail
aurait pu jouer un rôle dans la réalisation de ce préjudice. La mission de
l'expert se pose ainsi en termes de probabilité si faible soit-eïle. Dès lors qu'une
réponse affinnative peut être apportée à cette question, le prejudice est réputé
d'origine professionnelle.
Si malgré la présomption, le juge assigne à l'expert la miSSIOn de
rechercher si le travail a joué un rôle dans la réalisation du préjudice, la
Chambre sociale estime que la question est mal posée et une expertise
complémentaire devrait être ordonnée2 . Il importe de préciser que lorsque le
rapport d'expertise fait état d'inccrtitudes médicales, il appartient au juge, sans
se contredire, de tirer les conséquences qui s'imposent. A titre d'exemple,
lorsque la victime bénéficie de la présomption, les juges du fond ne pourront
sans se contredire refuser le caractère professionnel du préjudice au motif que
les éléments apportés par l'expertise excluent l'action brutale et soudaine d'ull
événement extérieur et ne laissent subsister que la notion de maladie tout en
constatant que les causes du décès sont demeurées incQnnues3 . Tous ces
principes invoqués sont inversés dès lors que [a victime ne b~~néficie pas de la
présomption d'imputabilité.
, soc. J Octobre 1984, Bull. v, n° 351
Soc. 16 Décembre 1987, BulL V, n° 734
J. Soc. 1" Juillet 1987, Bull. V. n° 436.

213
\\\\
\\
2/ LA VfCTfME NE BENEFICIANT PAS DE LA PRESOMPTfON
D'lM PUTABILlTE
La première hypothèse, c'est évidemment lorsque le préjudice survient
en dehors des conditions du travail. A celle-ci il faut ajouter les situations dans
lesquelles l'état de la victime connaît une évolution postérieurement à la
consolidation. La présomption d'imputabilité rappelons-le, ne survit pas à la
consolidation. C'est au retour au droit commun de la preuve dans toutes ses
dimensions que l'on assiste lorsque la victime ne bénéficie pas de la
présomption. La preuve du lien de causalité entre le préjudice et la profession
incombant à la victime, c'est à elle que préjudicient forcément les incertitudes
médicales. Ainsi, il ne suffit pas que l'autopsie puisse révéler une probable
imputation du préjudice au travail. JI s'agit de démontrer l'existence d'une
relation certaine entre le travail et le préjudice' . Alors mêm~ que les certificats
médicaux produits par les ayants droit précisent que l'accÙlent pouvait avoir
entraîné l'embolie pulmonaire cause vraisemblable du décès, la Cour estime
que la preuve certaine du lien de causalité n'est pas établie au motif qu'une telle
hypothèse nécessite une vérification anatomique. Ces règles probatoires
déterminent, ici encore, la mission que le juge doit assigner à J'expert. A défàut
de pouvoir déterminer la cause exacte du préjudice, la question à laquelle il
doit répondre est celle de savoir si le préjudice aurait pu résulter d'une cause
étrangère au travail. Dès lors que celte éventualité ne peut être médicalement
écartée de manière absolue, le préjudice en cause est nécessairement de droit
commun. Si le juge dans ces conditions assigne à l'expert la mission de
rechercher si le travail aurait pu jouer un rôle dans la réalisation du préjudice,
la question est mal posée et une nouvelle expertise ou une expertise
complémentaire devra être faite. Toutes ces données mettent en relief
l'importance de la présomption d'imputabilité, oeuvre jurisprudentielle sans
laquelle le salarié serait très souvent dans l'impossibilité de p~\\JUver le caractère
professionnel de son préjudice.
Que l'on proclame l'incompétence de l'expert à se prononcer sur des
questions d'ordre juridique, relève de l'ordre naturel des choses. Mais plus
qu'on ne le croit, le juge se trouve toujours lié par l'avis de l'expert dès lors que
1
Soc. Il) Novemb,e ll)81. Bull. V, n° '101

214
cette expertise ne recèle aucune irrégularité. Soit l'avis médical est affirmatif,
excluant tout doute, et le juge ne pourra que s'incliner; s~* l'expert émet un
avis dubitatif mais médicalement motivé et le juge, sous peine de censure, doit
en tirer, les conséquences juridiques qui s'imposent à lui. Ainsi, la mission du
juge dans ce domaine se résume en trois points:
- déterminer la mission à assigner à l'expert cu égard aux circonstances
de l'accident.
- contrôler la régularité de l'expertise.
- tirer l'impérative conséquence juridique de ['expertise.
Si tels sont les principes probatoires régissant les préjudices impliquant
un état préexistant, il convient d'étudier maintenant les règles de fond
déterminant l'étendue de la réparation.
\\
§ Il: LE PRINCIPE DE LA REPARATION DES PRÈJUDICES
PARTIELLEMENT IMPUTABLES A L'ACTIVITE PROFESSIONNELLE
Relativement aux états préexistants n'entraînant pas d'incapacité, le
principe est celui de l'indivisibilité du préjudice professionnel. C'est ce que
nous avions appelé la loi du tout ou rien. Néanmoins, ce principe mérite d'être
précisé. Le sens exact de ce principe est que le préjudice ainsi né, ne saurait
être fractionné pour la même période et corrélativement, les indemnités ne
peuvent en tout état de cause être payées au prorata de l'influence respective de
l'accident du travail et de l'état pathologique préexistant. Cependant -et c'est là
que la précision s'impose- ce principe ne fàit pas obstacle à ce que les
indemnités
puissent,
en
fonction
de
l'état
du
salarié,
être
versées
successivement d'après les règles propres aux accidents du travail et celles
relatives à l'assurance maladie 1. Il en est ainsi lorsque selon le rapport
d'expertise, la prolongation de l'arrêt de travail au-delà de I<l\\\\date fixée pour la
consolidation est duc à un état morbide pathologique ct congénitaf . C'est dire
de façon plus explicite que l'expert peut estimer que la consolidation a déjà été
1
Soc. 6 Mai 1976, Bull V, n° 259.
l
Soc. 27 Octobre 1978, Bull V, nO 734.

215
réalisée alors même que l'état de la victiml: ne s'est pas encore stahilisé, dès
lors qu'il constate que la pérennité du préjudice est due à l'état pathologique de
la victime.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette jurisprudence constitue lJIW
limitation grave au principe de l'indivisibilité du préjudice professionnel. Et
l'on peut se demander si le fait de dire que la consolidation a été réalisée alors
que l'état de la victime ne s'est pas encore stabilisé, ne frise pas l'arbitraire.
Dans cette espèce, la cour d'appel, pour faire droit à la requête de la victime, a
estimé que les experts avaient admis la relation de cau',e à effet entre le
syndrome douloureux et l'accident du travail et n'avaieht donné aucune
explication qui aurait pu permettre de détacher à compter du 7 Août 1975,
cette lésion unique de l'accident qui l'avait provoquée ou favorisée. Celte
décision a été cassée. Le principe de l'indivisibilité du préjudice professionnel
ne devrait-il pas tout au moins permettre la prise en compte du préjudice
jusqu'à la stabilisation de l'état de la victime?
Participe également à la même logique, la construction jurisprudentielle
relative à l'évolution de l'état de la victime postérieurement à la consolidation.
En elIet selon la jurisprudence, « si l'aggravation due entièrement il lin
accident du travail d'un état pathologique n'occasionnant auparavant aucune
incapacité doit être indemnisée en sa totalité au titre accident du travail, il en
est différemment d'une aggravation postérieure imputée pour partie il un
accident du travail et pour partie à une autre cause notaff!ment à l'évolution
normale d'un état pathologique préexistant» 1 • La réactior\\ que suscite cette
jurisprudence est de se demander pourquoi ne pas réparer tous les préjudices
résultant de cette évolution puisque le préjudice initial a été totalement
indemnisé
au
titre
de
la législation sur
les
accidents
du
travail.
La
jurisprudence de la Chambre sociale procède de la volonté de séparer le régime
des assurances maladies des accidents du travail. Comme le dit explicitement
et non sans audace R. MELLOTTEE, « la loi sur {es accidents du travail (/ été
instituée pour indemniser la victime des conséquences de l'accident, de toutes
ses conséquences et non pour faire un cadeau »2.
soc. 30 Novembre 1967, Bull. IV, n° 758.
l
R MELLOTTEE, « Lcs états préexislants a l'accidenl du llavail », [) J973, Chr. p. 173.
\\

216
Dans un système consacrant la réparation forfaitaire du préjudice, la
sollicitude du juge à l'égard du salarié ne devrait-elle pas avoir pour scule
limite toute l'étendue du préjudice, dès lors que le travail a contrihué à
déclencher un état morbide? Cette jurisprudence ne conduit-eHe pas à une
mathématisation de l'organisme humain au mépris des complexes corrélations
irréversibles entre les différents organes? Le juge - nous ne l'aurons jamais
\\
assez souligné- dans cette apparence de rigueur méthhdologique, donne
\\
souvent l'impression de protéger l'entreprise au détriment du salarié. S'agissant
des états préexistants entraînant une incapacité dûment constatée, il ne sera
réparé que J'aggravation résultant du dernier accident. En effet, depuis plus dc
trois décennies, la Chanlbre sociale a posé le principe selon lequel « En cas
d'accident du travail survenu à un ouvrier atteint d'une infirmité lui
occasionnant une incapacité de travail, le tale< d'incapacité à prendre en
considération pour le calcul de la rente est seulement celui afférent à
l'incapacité qui résulte de l'accident. »1 •
Il conviendra d'examiner les règles d'évaluation de l'incapacité de même
que les modalités de réparation afin de mettre en relief la doctrine de la Cour
sur le sujet.
AI L'EVALUATION DE L'INCAPACITE EN CAS D~ACCIDENTS
SUCCESSIFS
\\
Selon la jurisprudence, le fait que la victime bénéficiait avant l'accident
du travail d'un salaire normal compte tenu des fonctions exercées, ne suffit pas
à
2
éliminer l'idée d'une incapacité de travail préexistante .
3
Le Professeur .I-J.
DUPEYROUX
admet que ce point de vue
apparemment
paradoxal
s'explique
aisément
par
plusieurs
raisons:
le
bénéficiaire d'un salaire correspondant normalement aux fonctions remplies a
pu, à la suite de la dégradation de sa capacité de travail, être amené à changer
d'emploi et devoir se résigner à une situation professionnelle nouvelle très
inférieure à la précédente Par ailleurs, un comptable par exemple peut perdre
, . soc. 13 Février 1964, Bull v, n° 128.
2
Soc 13 Janvier 1966, Bull, IV, n° 44.
\\
.1 . J-J. DUPEYROUX, « le déclin de la présomption d'imputabilité, 0
1971, Chr p. ~,.1.

217
quelques doigts dans un accident du travail, conserver le \\pême emploi et le
même salaire, et avoir cependant droit à une rente qui s'ajoutera à son salaire.
Cette rente l'indemnisera de son incapacité fonctionnelle effective ct d'une
incapacité professionnelle éventuelle dans la mesure où, s'il perdait son emploi,
ses
capacités
de
réinsertion
sont
altérées.
De
manière
générale,
la
jurisprudence admet qu'une incapacité peut être retenue sans qu'il soit
nécessaire qu'elle se traduise par une perte de salaire effective ni un
reclassement professionnd. C'est ce qui explique que la perception d'un
salaire nornlal ne fasse pas obstacle à l'existence d'une incapacité préexistante.
Une jurisprudence divergente pernlettrait en cas d'accidents successifs une
double réparation. Or nous connaissons en la matière l'hostilité de la
jurisprudence. Le calcul de la rente résultant des facteurs incapaCité et salaire,
la prise en compte de l'incapacité initiale suffit, même en présence d'un salaire
normal, à éviter une double réparation.
\\
Il convient de relever que l'évaluation de l'incapacité t'ait intervenir des
données mathématiques qui ne sont cependant pas exclusives. La situation
objective du salarié y joue un rôle non négligeable. Lejuge dispose donc d'une
marge de manoeuvre lui permettant de tenir compte notamment, de la nature
des activités de la victime.
Il LES DONNEES MATHEMATlQUES DE L'EVALUATlON
Lorsque la victime antérieurement à l'accident n'était atteinte d'aucune
incapacité, l'évaluation de l'incapacité ne suscite aucune difficulté particulière.
Le salarié est présumé capable à cent pour cent. Il suffira de déterminer le taux
d'incapacité réelle et de procéder à une correction. Cette correction consiste
aux termes de l'article R 434-2 C.s.S. à réduire le taux d'incapacité réelle « de
moitié pour la partie de ce taux qui ne dépasse pas 50 p.lOO el augmenté de
moitié pour la partie qui excède 50 p.lOO. })
Par contre lorsque la victime est atteinte d'une invalidité antérieure,
l'incapacité résultant du dernier accident sera délemlinée suivant une méthode
de
calcul
dite
« la formule
de
Gabrie/li ».
Cctte
formule
d'origine
1
soc. 28 Avril 1986, Bull V, n° 185

\\,
218
jurisprudentielle a été ensuite contïnnée par la loi. Si on désigne par C, le taux
de capacité restant après le premicr accidcnt ct C 2 Je taux de capacité restant
après le deuxième accident, l'incapacité résultant du deuxième accident cst
égale à:
( cI-en
Cl
C'est ce taux qui sera utilisé pour le calcul dc la rente. 1\\ est institué dcs
commissions régionales et une Commission nationale techniques chargées de
l'évaluation de "état d'incapacité notamment le taux de cette incapacité. Les
décisions des commissions régionales sont rendues en premier et dernier
ressort lorsque ce taux est inférieur à dix pour cent. Le~rs décisions sont
susceptibles d'appel devant la commission nationale technique lorsque le taux
est supérieur à la p. J00. Ces commissions sont ainsi investies de véritables
fonctions
juridictionnelles.
Aussi
allons-nous
les
assimiler
dans
ces
développements au juge.
L'évaluation de l'incapacité ne dépendant pas seulement des données
mathématiques, il conviendrait de relever la marge de manoeuvre du juge dans
l'évaluation de ces incapacités.
2/ LA MARGE DE MANOEUVRE OU JUGE
Aux
tennes
de
l'article
L 434-2
CS.S.
« Le taux d'incapacité
permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge,
les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que .~es aptitudes et sa
,
qualification professionnelles compte tenu d'un barème indichtij d'invalidité ».
Il ressort de ces dispositions que l'évaluation de l'incapacité réelle de la victimc
dépend de plusieurs facteurs qui font l'objet d'une appréciation souveraine du
juge. Le barème d'invalidité étant indicatif, le fait qu'une lésion n'y soit pas
inscrite n'est pas à lui seul de nature à exclure l'existence d'une incapacité
l
pem1anente . C'est donc dans la correction du taux réel d'incapacité et aussi
dans l'hypothèse d'un état préexistant que les données mathématiques sont
1
Soc 28 Avril 1986, Bull. V. nO 185

219
prépondérantes. La commission technique pcut par ailleurs, rixer librement le
taux d'incapacité réel sans être liée par l'avis du médecin qualifié ni s'expliquer
sur la perte de salaire subie du fait du changement d'emploi 1 • La Chambre
sociale estime que dès lors que la profession manuelle de la victime lui rend
sensible la minime mais objective séquelle d'un accident du travail, la
Commission technique pourrait en tenir compte et admettre l'existence d'une
\\
2
incapacité permanente . L'incapacité professionnelle s'ent~nd non seulement
de celle relative à l'activité protèssionnelle principale exercée par la victime
mais aussi de ses activités secondaires. La Commission technique pour évaluer
le taux d'incapacité ne saurait donc écarter ks conséquences de l'infirmité sur
J'activité secondaire de chef d'orchestre d'un ouvrierJ .
Contrairement à l'imputation du préjudice à la protèssion, l'avis de
l'expert dans la détermination du taux d'incapacité ne lie pas Je juge. En elkt,
iJ ne s'agit plus exclusivement des données médicales mais de l'appréciation
globale de la situation de la victime tant en cc qui concerne ses facultés que ses
difficultés
professionnelles
fulures.
Il
peut
s'agir
des
difficultés
de
reclassement. C'est de tous ces élémenls évalués ou estimés aVant et après
J'accident que dépend le taux d'incapacité réel. Le pouvoir d'appréciation de la
Commission technique que nous avons assimilée au juge, est donc très étendu
en la matière. Le taux d'incapacité réel après correction scr<~ra non seulement
à la détermination du montant de la réparation mais aussi décidera des
modalités de cette réparation en fonction de l'importance de l'incapacité
permanente.
BI LES MODALITES DE LA REPARATION DES ACCIDENTS
SUCCESSIFS
Aux tcrn1es de l'article L 431-\\-4° C.SS, les victimes atteintes d'une
incapacité de travail bénéficient d' « une indemnité en capital lorsque le tUlL,
de l'incapacité est inférieur à un taux déterminé (10 p.IOO), une rente au-delà
et, en cas de mort, les rentes dues (lUX avants droit de la viC/lllle. » Ces
dispositions résultent de la loi nO 85-10 du 3 Janvier 1985. L'objectif de cette
l . soc JO Novembre 1983 Bull v. nO 586.
, Soc 15 Juin 1983. Bull V, nO 331.
,
, Soc. 26 Mars 1986, Bull V, nO 121
\\

220
loi est de pennettre une meilleure gestion administrative et une réparation plus
équilibrée en substituant à une rente souvent peu significative en raison de son
fractionnement, le versement d'un capital. Elles s'expliquent aussi par le fàit
que l'indemnisation des incapacités inférieures à dix pour c\\mt s'analyse moins
comme une réparation de la perte de la capacité de gain qu'une indemnisation
d'un préjudice corporel. Ce qui justifie que le capital versé soit exclusivement
fonction du taux d'incapacité sans qu'intervienne le salaire.
Que se passe-t-il en cas d'accident entraînant une incapacité inférieure à
dix pour cent alors que le salarié, à la suite d'un premier accident du travail.
était déjà atteint d'une incapacité supérieure à ce taux? Doit-on tenir compte de
l'incapacité globale, ou au contraire, le dernier accident fera-t-il l'objet d'une
réparation en capital')
On retiendra d'abord qu'aux tennes de l'article L 432-2 aJ.4 « Lorsque,
par suite d'un ou plusieurs accidents antérieurs, la réduction totale subie par
la capacité professionnelle initiale est égale ou supérieure à un taux (10
p.IOO), le total de la nouvelle rente et des rentes allouées en réparation des
\\
accidents antérieurs ne peut être inférieur à la rente calaNée sur la base du
\\
taux de la réduction totale et du salaire annuel mmimum prévu au premier a/.
de l'article L 434- 16» . Il ressort de ces dispositions que le législateur se réfère
à l'incapacité globale de la victime quel que soit le nombre d'accidents. Ce qui
explique qu'aucune allusion ne soit tàite à la réparation en capital dès lors que
l'incapacité globale est supérieure à dix pour cent. Il est vrai que cette
disposition est antérieure à la loi du 3 Janvier 1985. Mais le législateur aurait
certainement retouché cct article s'il avait voulu réparer chaque accident par un
capital alors même que l'incapacité totale serait supérieure à dix pour cent.
Pourtant, selon la Cour de cassation, « une indemnité en capital est attribuée à
la victime de tout accident du travail, qu't! soit unique ou survenu après
d'autres accidents profèssionnels, dès lors que l'incapacité en· résultant est
inférieure à / ap./OO. »1• Par exemple lorsque le salarié à la suite d'un premier
accident est atteint d'une incapacité de douze pour cent, et qu'il résulte du
deuxième accident une incapacité de huit pour cent, cette ~\\emière incapacité
,
sera réparée par le versement d'un capital.
\\ Ass Plén. 8 Février 1993, Bull Ass. n° 586

22]
Cette interprétation jurisprudentielle peut conduire à des situations très
fâcheuses. En eftèt, nous avions souligné que l'indemnité en capital se tàit en
tonction d'un barème sans qu'intervienne le salaire. En fait dans l'exemple
susmentionné, le salarié se trouve atteint d'une incapacité totale de vingt pour
cent. Cc qui constitue une perte certaine de la capacité de gain, notion
apparemment étrangère à l'indemnisation en capital. En application de l'article
L 432-2 du même Code, lorsque le salarié est victime de deux accidents
successifs entraînant chacun une incapacité de neuf pour cent, la victime aura
droit à une rente. Par contre, aux tem1es de la jurisprudence,. si le premier
accident entraîne une incapacité de douze pour cent et le second six pour cent,
cette deuxième incapacité donnera seulement lieu à un capital. Cc n'est
pourtant pas la loi qui commande une telle interprétation. Çomme l'écrivait le
Professeur Y. SAINT-JOURS, si le législateur avait entend~\\réparer ce dernier
préjudice par une indemnisation en capital, il aurait ainsi rédigé le premier al.
de J'article L 434-1 « Une indemndé en capital est attribuée à la vieil/lie (/'un
accidenl du Iravail ayanl enlrainé une incapacilé permanenle inJérieure cl un
pourcenlage déterminé (10 p. 100) »1. Or cct article se réfère à la victime
« alleinle
d'une
incapacité
permanente
/n}erieure
à
un
pourcenlage
délerminé ». Il s'agit donc suivant ce texte, d'une incapacité globale intërieure
à dix pour cent. C'est ce qui explique la réticence des cours d'appel qui
affîm1ent, non sans raison, que la victime de plusieurs accidents est
nécessairement atteinte globalement dans sa capacité professionnelle, de sorte
qu'il y a lieu de tenir compte dans l'indemnisation, des séquelles du ou des
précédents accidents2 . Il s'agit de réparer la réduction globale de la capacité de
travail, réduction résultant de l' « impacl cumulé» des accidents successi l's.
« Dans une incapacilé de travail, ce n'esl pas l'acciden~, Jroide cause du
\\
dommage qu'il Jaui voir in abstraclo; c'est l'être dont elle jàil la victime qu'if
convienl de regarder in concrelo.
« Qu'imporle, dans le droil de l'indemnisaiion, le nombre d'accidents:
un seul 01/ plusieurs, le taux d'incapacité de l'un. celui des aulres; qu'esl-ce
qui comple, sinon l'ensemble el avec lui la victime: le blessé, le malade,
1
Y SAINT-JOURS. note sous Soc 21 Février 1')')1. D. 1')')1 Jp., P 542
2. Paris. 22 Mai 1991. D. 1991. p. 548.

222
l'handicapé.
Sur
eux,
matière
vivante
se
cristallisera
l'incapacité
permanente »I
C'est sans doute sur le principe de l'autonomie des accidents succcssi l"s
que se fonde la doctrine de la Cour de cassation. Si le législateur avait voulu cc
principe immuable, il aurait sans doute supprimé l'article L. 434-2 al. 42 Ce
principe qui dans l'esprit de la Cour a pour objectif d'éviter une double
réparation du préjudice professionnel illustre une fois encore la mission que le
juge s'est assignée d'assurer la protection des intérêts de l'employeur non
seulement sans contrainte légale mais parfois dans la violat'jon de l'esprit de la
loi. Il convient pourtant de souligner que la prise en compte de l'incapacité
globale n'entraînera pas forcément une double réparation du préjudice. En
effet, l'incapacité globale sera la somme de l'incapacité antérieure et celle
résultant du nouvel accident, cette dernière incapacité étant obtenue par la
fomlllie de Gabrielli. Il ne s'agira pas d'ajouter la rente résultant de l'incapacité
globale à celle déjà perçue, mais de substituer celle-là à celle-ci.
La jurisprudence de la Cour de cassation pourrait à la limite conduire à
une perte totale de la capacité de gain en cas d'incapacités successives
inférieures à dix pour cent, sans pour autant que la victime bénéficie d'une
rente significative. C'est bien à une situation très préjudiciable à la victime
qu'elle conduit. Alors même que deux salariés seraient atteints' d'une même
incapacité globale, l'un suite à un seul accident, l'autre par préjudices
successifs, J'un percevra une rente assez signilicative alors que l'autre se
contentera de capitaux dérisoires. Il ya là comme le soulig~'~,e Y. CHAUVY,3
atteinte au principe de l'égalité des citoyens. Et l'auteur de s'interroger: « à
perdre tous les doigts de la main, qu'est-ce qui est préférable? Tous les cinq à
la fois ou un par un? ». On a pu justifier la solution de la Cour par le fait que
« (..) la réforme de 1985, outre des impératifs de gestion et de rentabilité,
poursuit également une fonction égalitaire: ellc veut indemniser de la lIIême
manière la lésion bénigne du manoeuvre ou celle du président-directeur
'. Y. CHAUVY, « L'indemnisation des victimes d'accidents du travail successifs: rente ou versement d'un
capital », Rev. dr san.. et soc. Avril-juin 1993, p. 373
2 Y SA1NT-JüURRS, Note préc.
] y CHAUVY, article préc

223
général» 1.
Ce
raisonnement
ignore
le
rait
que
ces
lésions
bénignes
s'accumulent sur la personne du salarié et pourraient de ce fàit réduire
considérablement ces capacités.
A défaut d'un revirement jurisprudentiel peu probable à notre avis, une
intervention législative devrait mettre fin à cette regrettable situation.
Il ressort de cette élude que J'identification du préjudice professionnel
passe par l'exclusion de certains préjudices tenant à l'attitude du salarié, à son
état physique antérieur mais aussi des considérations juridiques notamment la
suspension du contrat de travail. Si dans le premier cas l'insubordination du
salarié le prive souvent à juste titre du bénéfice de la loi, la jurisprudence
relative à l'état de la victime de même que les fàits suspensifs du contrat de
travail laissent parfois perplexe. Certes, si nous nous en tenons aux principes,
nous serions probablement enclin à suivre la Chambre sociale. Mais les faits
pJus que toute autre chose donnent aux principes leurs réelles significations.
'.
Ainsi, s'agissant d'abord des fàits suspensifs du contràt, le moins qu'on
puisse dire, c'est que le salarié qui met toule son énergie au service de
l'entreprise qui demeure pour une large part son cadre de vie, n'en reste pas
moins étranger aux yeux du juge. Sinon qu'est-ce qui expliquerait que le
contrat soit réputé suspendu toutes les rois que les démarches du salarié ne
profitent pas à l'entreprise notamment en cas de grève ou encore le salarié qui
effectue un déplacement en vue de percevoir son dû. Tous ces rails ne sont
nullement étrangers à l'activité professionnelle ou même au contrat de travail
A quand l'intégration effective et complète du salarié à son milieu de travail?
S'agissant aussi de la réparation des incapacités successives, l'obsession
consciente ou non de la jurisprudence à protéger les intérêts de l'employeur
aboutit le plus souvent à une fragmentation numérique du corps humain,
chaque préjudice étant détaché de son ensemble. « A vo~loir confiner les
chiffres dans un superbe isolement, rendre les mathémaÜtlues encore plus
sèches qu'elles ne le seraient déjà, n'arrivera-t-on pas, poussant la dissection
, J. CHEVREAU, « Accidents du travail et maladies professionnelles» RJ.S 1993, p. 148.

224
jusqu'à perdre du regard l'ensemble, à enlever, dans la trc.duclion numérique
des réalités humaines, leur sens profond. leur raison d'être, je ur finalité? »1 •
Parvenu au tenne de j'examen des limites judiciaires de la réparation, il
est possible d'acquérir la conviction quc la construction jurisprudentielle se
ressent des considérations pécuniaires. Deux orientations essentielles ont
semblé guider la doctrine de la Cour. A la nécessité de marquer une distinction
nette entre le régime des assurances sociales et le régime des accidents du
travail, s'ajoute la volonté judiciaire de protéger les intérêts de l'employeur.
Ainsi, l'elTet cumulé de ces deux préoccupations donne le sentiment d'un
"juge-partie". Le juge est sans doute davantage employeur que salarié. N'y a+
il pas lieu de penser que le juge met sa construction au service d'une cause') Ce
qui expliquerait comme le relève la doctrine, que les cho,ix jurisprudentiels
semblent souvent précéder le raisonnement juridique. Dans un contexte
économique de plus en plus difficile, il y a lieu de penser que la sollicitude du
juge à l'égard des employeurs ne pourra que se perpétuer.
1
Y CHAUVY, article prée

225
Le juge demeure hier comme aujourd'hui, la pièce maîtresse du système
de r~paration des préjudices professionnels. Relativement à la manière dont il
m;complit cette mission cardinale qui est la sienne, il y a lieu de relever en
premier lieu, une continuité depuis le Code eivil de 1804 à la loi de 1898 ct
toutes les modifications ultérieures.
Continuité d'abord dans la sollicitude du juge à l'égard du salarié
exclusivement dans le domaine probatoire. En effet, cette solliCitude qui s'était
déjà mani l'estée bien avant 1898,' n'a jamais été interrompue. C'est le mérite
essentiel du juge dans la réparation des préj udices subis I\\'~r le salarié. Cette
sollicitude, sous peine d'anéantir la loi, était plus que souhaitable, car la loi du
9 Avril 1898 n'aurait probablement jamais été élaborée sans les difficultés
probatoires auxquelles le salarié sc trouvait confronté 1 • Ainsi, la preuve du
préjudice professionnel sc trouve dominée
par des présomptions sans
lesquelles certains préjudices auraient pu rester en dehors du domaine de la loi.
Continuité également marquée par la constante pr~sence du juge avant
et surtout après la loi de 1898. Le procès en la matière, n'apparaît pas comme
une pathologie dans le système mais souvent, comme une occasion pour Il.:
juge de participer à l'élaboration du droit. C'était déjà le cas pour la notion de
faute avant la loi. Il en fût de même après la loi à propos des notions de faute
inexcusable, d'accident, "par le rait ou à l'occasion du travail".
Ensuite, on signalera une mûtation dans cette mission du juge en ce sens
qu'après la loi, c'est au juge qu'il incomba de déterminer l'oh\\iet à réparer. C'est
également là que s'estompe la sollicitude du .i uge à l'égard du salarié. Presque
toujours, dans l'ambiguïté des temles de la loi, l'interprétation a été faite au
détriment du salarié. A la bienveillance du juge dans le régime probatoire,
s'oppose sa conception du préjudice professionnel.
En définitive, cette
sollicitude ne s'exprime que dans le cadre des préjudices qu'il a lui même
détenllinés.
1
La première proposition de loi qui aboutira plus tard à la loi du ') Avril 1898 avait en cfTet pour but de
renverser purement el simplement la charge de la preuve. L'aJ1icic premier de la proposition du député Martin
NADAUD étai! ainsi redigée: «Quiconque emploi les services d'autrui est tenu de le garantir contre les
accidents du travail, dans n'importe quel métier ( .) à moins que l'employeur ne prouve que les accidents sont
dus à la raute de la victime» Lois annotèes 1899, p 7(,.\\.
\\

226
Aussi pourrait-on dire que le juge joue un rôle de régulation, une
recherche d'un équilibre entre la réparation des dommages subis par le salarié
et la nécessité d'éviter aux entreprises des charges assez importantes. Mais
comme on a pu déjà le constater relativement à la faute inexcusable, le juge
semble aussi se soucier de la prévention de ces préjudices. Laplace du jugc
dans la prévention des accidents du travail mérite donc d'être étudiée.
\\
\\
"

227
DEUXIEME PARTIE
LE JUGE ET LA PREVENTION DES RISQUES
PROFESSIONNELS
\\.

228
,
\\
Parler
de la place
du juge dans
la préve~tion des préjudices
professionnels peut paraître à première vue paradoxal. En effet, la mission
première du juge est de rendre "la justice" c'est-à-dire de trancher a posteriori,
au regard de la loi, entre des intérêts divergents qui donnent lieu à un litige.
Or, la notion de prévention suppose une anticipation, un devancement.
Cependant, cette contradiction n'est en réalité qu'apparente pour plusieurs
raIsons.
D'abord, en nous référant à la justice pénale, même abstraction faite des
modes d'exécution de la peine qui pourraient permettre l'amendement du
délinquant, les mesures prises par le juge visent non seulemeht à sanctionner le
délinquant mais aussi à dissuader ceux qui seraient tentés de s'engager dans les
mêmes voies que lui. De ce point de vue, on pourra déjà reconnaître au juge
\\
une
mission de prévention et de protection de La société contre les
\\
comportements délictuels. Dès lors, il apparaît que l'intervention du juge en
aval de l'infraction n'est pas forcément exclusive d'une mission de prévention.
Mieux encore, cette intervention post-délictuelle du juge peut en ce qui
concerne notre sujet, se situer en amont du préjudice dont l'évitement demeure
l'objectif de la prévention. La répression de la violation des règles de sécurité
indépendamment de tout préjudice en est une illustration.
Ensuite, on remarquera que cette conception du juge, arbitre des intérêts
divergents, est aujourd'hui dépassée ou du moins, doit être nuancéc. En
témoignent les nouvelles fonctions imparties au juge dont l'exemple le plus
frappant est celui du juge de l'application des peines. L'intervention du juge
des rétërés dans la prévention des préjudices professionnels en est également
un exemple. Bien qu'on puisse être tenté de voir dans cette intervention, le
règlement d'un conflit opposant les intérêts de l'employè;Jr à ceux des salariés,
il importe de se demander si les pouvoirs du juge en la matière n'attestent pas
que sa mission déborde le cadre d'un litige entre particuliers.
Enfin, alors même que le juge interviendrait en aval du préjudice
corporel subi par le salarié, sa construction pourra tout de même concourir à la
prévention des risques futurs ou au contraire entraver les efforts de prévention.
Forcc est cependant de constater que, relativement à l'employeur, celte

229
observation selon laquelle l'intervention du juge même en aval du préjudice
pourrait avoir un effet préventif, n'a une portée significative que dans le cadre
d'un procès pénal. En effet, hormis l'hypothèse d'une faute inexcusable où
l'étendue de la réparation pourrait être modulée en font·tion de la gravité de la
faute de l'employeur, le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation sur l'étendue des
prestations, pouvoir qui aurait pu permettre d'inciter les employeurs à la
prévention. Or, relativement aux conséquences de cette faute inexcusable, la
loi du 6 Décembre 1976 puis celle du 27 Janvier 1987 ont levé l'interdiction
d'assurance imposée à l'employeur par la loi du 30 Octobre 1946. Certes, on
pourra dire que l'aggravation des conséquences de la faute inexcusable de
même que la sévérité des juges seront de nature à augmenter le montant des
prestations et contraindre corrélativement l'assureur à imposer des primes assez
élevées à l'employeur. Et il pourrait en résulter un plus grand intérêt des
employeurs à la prévention. Cependant, il est de l'es~ence même des
assurances de responsabilité, de limiter les conséquences pécuniaires que
pourraient avoir sur le patrirnoine de l'assuré, les dommages dont il est
responsable. Il est donc peu probable que le juge puii,.se apporter de ce seul
point de vue, une contribution significative à la prévetltion des accidents du
travail.
En revanche, le procès pénal, même en aval du préjudice, offre toujours
l'occasion de mettre en relief le processus ayant conduit à l'accident et donc de
situer les responsabilités, tant au niveau des employeurs que les salariés, dans
la réalisation du préjudice. Il s'agira ensuite de prononcer dcs peines devant en
principe permettre "l'amendement" du
délinquant c'est-à-dire
inciter le
coupable à plus de diligence dans la prévention des risques. De cette
contribution du juge, se dégage d'abord un constat. Bien qu'il est indéniable
que le juge participe à la prévention des préjudices professionnels, sa
contribution passe tout d'abord par la responsabilisation des acteurs sociaux
(TITRE 1) en ce sens qu'à travers sa construction, il leur suggère un type de
comportement ou les y incite.
On signalera ensuite que la mission du juge ne se limite pas à cette vertu
pédagogique potentielle de sa construction. Comme nous le verrons, il est le
garant des prérogatives non seulement des structures représentatives des
salariés dans le domaine de l'hygiène et la sécurité mais aussi celles de

230
l'inspecteur du travail, agent de l'administration impliqué dans la prévention
des risques professionnels. De ce fait le juge apparaît comme un acteur médiat
de la prévention des préjudices professionnels (TITRE II) puisque de la
protection de ces prérogatives dépend aussi la prévention des accidents du
travail.

231
TITRE 1
LA RESPONSABILISATION DES ACTEURS SOCIAUX
DANS LA PREVENTION DES PREJUDICES
PROFESSIONNELS
\\

232
Les accidents du travail, hier acceptés comme une fatalité, constituent
de nos jours Un simple phénomène social dont le· cours peut être modifié
pourvu que les différents acteurs impliqués dans le monde du travail s'y
emploient. Si l'employeur ne peut pas être considéré comme personnellement
responsable des accidents qui surviennent au sein de son entreprise, il est par
contre le plus apte à les éviter. En effet, vue sous l'angle patrimonial, la sphère
d'activité du salarié ou plus précisement l'entreprise, constitue une propriété de
l'employeur. Ce dernier, du fait des prérogatives que lui confère ce droit de
propriété, détermine ses priorités et insuft1e au système de production les
orientations dont il demeure le véritable maître. Aussi pourrions-nous dire que
la prévention des accidents du travail passe en premier lieu par la diligence de
l'employeur. Mais sous peine de sacrifier la sécurité des salariés au profit des
intérêts économiques de l'entreprise, cette diligence de l'employeur ne saurait
être abandonnée à son propre vouloir. Une règle n'est efficace qu'autant qu'eJle
est assortie de sanction. Pour que l'employeur s'investis~~ à éviter les accidents,
\\
il faut qu'il soit intérêssé à le faire. Ce qui suppose J'existence d'obligations
assorties de sanctions à sa charge. De l'appréciation judiciaire de ces
obligations et de l'application des sanctions, dépendra certainement l'intérêt de
l'employeur
à
la
prévention
des
préjudices
professionnels.
La
responsabilisation des acteurs sociaux dans la prévention des accidents du
travail passe donc en premier lieu par la responsabilisation judiciaire de
l'employeur (CHAPITRE 1).
Cette observation est tout autant valable pour le salarié. En effet, il est
certain que la seule menace de la survenance d'une lésion corporeJle ne suffit
pas à inciter la plupart des salariés à la prudence. C'est dire qu'à l'égard du
salarié aussi, à la persuasion doit s'~outer la contrainte. Et la construction
jurisprudentielle devrait y concourir. Il conviendra donc d'étudier la doctrine
jurisprudentielle sur le sujet. La responsabilisation judie:.iaire des salariés dans
la prévention des préjudices professionnels (CHAPITRE II) devra donc retenir
notre attention.

233
CHAPITRE 1: LA RESPONSABILISATlON JUDICIAIRE DE
L'EMPLOYEUR DANS LA PREVEl\\TJON DES RISQUES
PROFESSIONNELS
La responsabilisation de l'employeur dans la prévention des préjudices
professionnels implique que soient mis en oeuvre d~~ moyens de nature à
l'amener à privilégier la prévention des risques. L'incitation financière apparaît
comme le remède communément préconisé. Selon la doctrine, « (. ..) tant que
la réparation des accidents, notamment en raison de son caractère forfaitaire,
sera moins onéreuse, pour les employeurs, que les investissements nécessités
par la prévention, le choix économique les conduira à négliger les mesures de
prévention» 1. Pourtant, aujourd'hui encorc, les dispositions législatives
régissant la réparation des préjudices professionnels de même que leur
financement s'accommodent mal de cette idéc clairement exprimée. La
réparation toujours forfaitaire des accidents du travail, l'aménagement législatif
de la responsabilité patronale en matière de faute inexcusable sont autant
d'éléments qui témoignent de la réticence des pouvoirs publics à concrétiser
ces principes ainsi exprimés.
.
Par contre, une confiance ancienne est faite à \\Ia sanction pénale et
malgré son inefficacité alléguée par plusieurs auteurs, les dispositions
législatives font encore penser que cette confiance est d'actualité. En témoigne
le foisonnement des dispositions réglementaires pénalement sanctionnées.
L'employeur, maître du système de production, est moins souvent au contact
du dispositif de production. Pourtant, sa responsabilité pénale constitue la
pièce maîtresse de ce système répressi f. La Cour a patiemment élaboré le
régime de cette responsabilité Avec insistance ct sous certaines réserves, clic
rend l'employeur pénalement responsable des violations de même que des
atteintes à l'intégrité physique des salariés et ce, malgré un "désaveu"
législatif. Mais au-delà de cet aspect répressif du problème, malheureusement
le plus manifeste, le régime dcja responsabilité pénale de l'employeur traduit
une réelle politique judiciaire de prévention. En effet, désigner la personne
" Y; SAINT-JOURS, N, ALVAREZ et [ VACARIE, « Traité de sécurité sociale» LG.DJ 1982, p, 337
2
En réalité et comme nous le verrons, la responsabilité de l'employeur telle qu'elle résulte de la
Jurisprudence, n'est pas une responsabilité du tàit d'autrui comme une partie de la doctrine et certains
parlementa'ires ont cru le constater.

234
pénalement responsable d'un accident et surtout délimiter les conditions de son
exonération constituent une démarche normative en Cl>\\ sens que ce processus
revient à dire au justiciable ce qu'il est tenu de faire. Cette politique judiciaire
suppose inéluctablement la recherche d'une technique pénale adaptée à ses
fins. On ne cessera de le dire, l'efficacité d'une règle réside dans les sanctions
dont elle est assortie. Etablir la responsabi lité du coupable en est une étape.
Prononcer une peine de nature à infléchir son comportement dans l'avenir en
est une autre, l'objectif final étant ici, d'assurer la prévention des risques
professionnels. C'est de cette démarche que procède en partie, la contribution
du juge à la prévention des risques professionnels. Il conviendra donc
d'examiner les articulations
de cette poli tique judiciaire de prévention
(SECTION I) avant de nous intéresser à ses moyens (SECTION Il).
SECTION 1: LA RESPONSABILITE I)ENALE DE L'EMPLOYEUR,
UNE POLITIQUE .JlJDICIAIRE DE PR~VENT10N
\\
Parler d'une politique judiciaire dans un domaine touchant au droit pénal
regl par des principes stricts qui visent non seulement la protection des
citoyens et leurs biens mais aussi à les mettre à l'abri de l'arbitraire du pouvoir
qui juge, c'est sans doute soupçonner une déviation ou un écart du juge par
rapport à ces principes traditionnels. En effet, s'il en est un domaine du droit
où le pouvoir du juge se trouve a priori fort limité et bien encadré, il s'agit bien
du droit pénal. Au principe de la légalité des délits et des peines, et la règle de
l'interprétation stricte des textes qui en découle, il tàut ajouter celui de la
responsabilité du tàit personnel' . Cc dernier principe voudrait que l'employeur
ne soit pénalement responsable des atteintes à l'intégrité physique du salarié ou
de la violation des règles de sécurité que s'il est établi à sa charge une faute
personnelle. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les décisions judiciaires en la
matière suscitent une réelle gêne au sein de la doctrin~,\\ notamment en ce qui
concerne le fondement de cette responsabilité (§ 1). Mais au-delà de cette
interrogation théorique sur le fondement de cette responsabilité, il semble bien
que la construction jurisprudentielle vise la réalisation d'une fin: nous nous en
1 . Ce principe de la responsabilité du fait personnel a été réaflirmé au Nouveau Code pénal (an 121-1) sans
gue celui-ci ,"oppose à la responsabilité pénale des personnes morales gue pounant il instaure

235
assurerons en étudiant les conditions d'exonération de la responsabilité
patronale à savoir, la délégation de pouvoirs (§ 1I).
§ 1: LE FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE PENALE DE
L'EMPLOYEUR
La responsabilité pénale du chef d'entreprise dans le domaine des
accidents du travail et plus généralement dans l'observation des mesures de
sécurité, constitue-t-elle une responsabilité du fait d'autrui (A) ou une
responsabilité du fait personnel? (B) Tcl est ainsi résumé le problème du
fondement de la responsabilité pénale de l'employeur qui a divisé la doctrine.
Le seul tàit que la question ait été évoquée suffit déjà à attester que dans la
construction jurisprudentielle,
le
lien
de
causalité
entre
un
éventuel
manquement de l'employeur et les faits constitutifs de l'infraction sanctionnée,
se réduit à peu de chose s'il n'est pas tout simplement inexistant. Il y a donc
une sévérité certaine du juge dans "appréciation de la responsabilité pénale de
l'employeur ou du moins une particularité de cette responsabilité. Nous
examinerons les théories en présence et ce au regard des fonctions de la peine,
dans l'optique de dégager la logique à laquelle \\ répond la démarche
jurisprudentielle en la matière. En effet, l'oeuvre du 'juge, surtout dans le
domaine qui nous intéresse, si elle était dépourvue de finalité ou en d'autres
termes, si elle faisait abstraction des fonctions assignées aux peines, se
résoudrait à un simple exercice intellectuel sans aucune utilité pratique. C'est la
mission du juge même qui est dans ce cas en cause. Aucune théorie ne saurait
donc valablement rendre compte de l'oeuvre jurisprudentielle sans se référer à
sa finalité.
AI LES THEORIES FONDEES SUR LA RESPONSABILITE DU fAIT
D'AUTRUI
Il convient d'entrée de signaler que depuis la loi du 6 Décembre 1976, le
législateur a expressément sùbordonné la responsabilité patronale à la
démonstration de sa faute personnelle. Il est néanmoÎ1'~ nécessaire d'analyser
\\
cette théorie puisque la jurisprudence postérieure à cette loi n'a pas
sensiblement évolué. On distingue plusieurs variantes dans la tendance
doctrinale qui voit dans la responsabilité patronale, une responsabilité du fait

236
d'autrui. Aux théories du mandat et du contrat, sans intérêts particuliers, on
ajoute celles fondées sur l'idée du risque et du pouvoir qu'exerce l'employeur.
Seules les deux dernières retiendront notre attention.
1/ LA THEORIE DU RISQUE-PROFIT
Elle consiste à dire que l'employeur qui tire profit de son activité, devra
en supporter les inconvénients. Si une telle théorie peut être valablement
évoquée dans la réparation pécuniaire des préjudices professionnels, elle paraît
sans doute peu réaliste en matière pénale. Elle est tout d'abord opposée au
principe de la responsabilité du fait personnel qui, malgré les dérogations,
demeure la règle. Cette théorie nous paraît aussi immorale puisqu'elle fonde la
responsabilité pénale qui touche à la liberté et à l'honneur d,es citoyens, sur la
recherche du profit, activité au demeurant licite. Elle devrait également dans sa
logique s'opposer à ce que l'employeur qui tire profit de son activité puisse
s'exonérer par délégation de pouvoirs. Incompatible aV'~c la théorie rétributive
de la peine, elle n'est non plus d'aucune utilité pratiqtte puisqu'elle exclut a
priori toute recherche de responsabilité (en dehors de l'employeur) dans la
réalisation des préjudices, condition pourtant nécessaire à leur prévention. Elle
revient à faire du juge un simple instrument de répression sans discernement
puisque tout accident donnera nécessairement lieu à une sanction pénale dont
le responsable sera toujours et invariablement déterminé d'avance. Nous
reconnaîtrions volontiers l'inutilité de la sanction pénale dans la prévention des
risques professionnels si cette théorie expliquait pleinement la construction
jurisprudentielle. Or la simple faculté offerte à l'employeur de s'exonérer par
délégation de pouvoirs su1fit à l'écarter. Une telle théorie ne peut donc
expliquer la responsabilité pénale de l'employeur. D'où la recherche du
fondement de cette responsabilité dans le pouvoir que l'employeur exerce sur
les salariés.

237
2/ L'EXERCICE DU POUVOIR COMME FONDEMENT DE LA
RESPONSABILITE PATRONALE
« Si le chef d'entreprise assume le risque pénal c'est moins, en effet, à
raison des avantages pécuniaires qu'il peut tirer de son industrie, que de
l'autorité qu'il exerce sur les hommes et sur les choses ainsi rassemblées» 1
écrit le Professeur A. COEURET. Cette thèse obtient< l'adhésion de plusieurs
auteurs
dont
le
Professeur .J.
SA VAl'1ER.
Selo~\\ ce dernier, « Cette
responsabilité dufait d'autrui, qui apparaÎt comme la contrepartie du pouvoir
exercé sur autrui, est nécessaire dans le domaine des infractions matérielles
liées à l'activité de l'entreprise »2.
Cette thèse a déjà le mérite d'évoquer l'aspect utilitaire de celte
responsabilité. Par ailleurs, l'auteur distingue la responsabilité pour blessure et
homicide involontaires de la responsabilité pour infraction à la législation du
travail.
Il
trouve
dans
l'hypothèse de
la délégation
de pouvoirs
une
confirmation de cette distinction. C'est donc la responsabilité pour infraction à
la législation du travail qui serait une responsabilité du fait Q'autrui. Mais cette
thèse ne nous paraît pas totalement justi1ïée. On relèvera d'abord, comme le
souligne la doctrine, l'absence dans le Code pénal de texte à portée générale
3
qui introduirait le principe de la responsabilité du dirii~eant ou du décideur .
Néanmoins, on signalera des interventions législatives pbnctuelles en droit des
sociétés consacrant la responsabilité exclusive du dirigeant alors même que les
éléments matériels de l'infraction auraient été commis par un simple salarié.
En matière d'hygiène et de sécurité, lorsque la responsabilité pénale du
dirigeant est visée, il s'agit d'une imputation alternative. Cette attitude du
législateur s'explique par la différence de nature entre les
infractions
économiques et les règles relatives à la sécurité des salariés.
Les premières sont souvent de nature à procurer un avantage à
l'entreprise ou à dissimuler des fautes de gestion. De ce fait, le décideur ou le
dirigeant, sans ignorer leur existence, pourrait par une passivité intentionnelle
r. A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal )l, Dr. soc 1975, J': 401.
, . J SAVATIER, note sous Crim. 23 Janvier et 21 Octobre 1975, O. 1976, J p\\ 379.
). M. OELMAS-MARTY, « Le droit pénal, l'individu ct l'entreprise culpabilité « du fail d'autrui» ou du
« décideur»», J.c.P. 1985,1.3218, nO 3

238
laisser faire ses collaborateurs. Il est même possible qu'il les incite à le tàire
sans qu'il y soit directement mêlé. Dans un cas comme dans l'autre, il sera bien
difficile d'établir cette participation du dirigeant à la commission de
l'infraction. On comprend dès lors que le législateur ,ait expressément voulu
\\
dans ces cas que le dirigeant soit personnellement responsable. C'est ce qui
explique par exemple que l'article 445 al. 1 du Code des sociétés vise
uniquement le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une
société anonyme 1 •
Les infractions aux règles d'hygiène et de sécurité en revanche,
répondent à une autre logique. Certes, il est possible que l'employeur tire profit
de ces infractions. C'est le cas lorsque dans un souci de rentabilité, il s'abstient
de réaliser les aménagements exigés par la législation ou lorsqu'il ne fournit
pas à ses ouvriers le matériel indispensable à leur sécurité. Dans ces cas, la
faute du dirigeant est manifeste et il n'est pas nécessaire de recourir à un
emprunt de matérialité pour établir sa responsabilité. Elle résulte de sa faute
personnelle. Par contre, cette' responsabilité est moins évidente dans de
nombreuses hypothèses dans lesquelles, bien que l'e'l1ployeur ait mis à la
disposition des salariés le matériel de sécurité, ce matÙiel n'a pas été utilisé.
Pourtant, la jurisprudence retient presque toujours, sauf délégation de
pouvoirs, la responsabilité pénale du patron. L'intransigeance de la Cour dans
ce domaine est manifeste. On pourrait alors ici supposer que la responsabilité
du patron est celIe du fait d'autrui. Mais à cette thèse, il sera possible
d'opposer deux objections fondamentales.
On observera au préalable qu'on ne pourra ici, soupçonner l'employeur
d'une quelconque complaisance qui consisterait à laisser luire ses salariés car,
on ne voit quel intérêt il pourrait tirer de cette situation2 .
,
1 • Article 445 al. 1 Code des sociétés: « Seront punis d'une amende ... le prÛ,dent, les administrateurs ou les
directeurs généraux d'une société anonyme qui n'auront pas mis à la disposition de tout actionnaire, au siége
social ou au lieu de la direction administrative (. ... ) ». Et il a été jugé que lorsqu'un actionnaire s'est vainement
présenté au siége de la société en vue d'obtenir la communication des documents (.. ) à défaut d'éléments
établissant la responsabilité d'une autre personne visée par les articles 445 et 463, doit être pénalement
responsable de l'infraction. Crim. 18 Avril 1983, Rev. stés 1983, 803.
2. On remarquera d'ailleurs que, si une telle complaisance est établie, alors il y a négligence de la part du
patron et on est en présence d'une faule personnelle.

239
De ce fait, du point de vue des fonctions de la peine, cette responsabilité
du fait d'autrui est injustifiée. Elle conduirait à dénier à la construction
jurisprudentielle, toute fonction préventive. En effet, que le patron soit ou non
dans l'impossibilité matérielle d'empêcher la violation des règles de sécurité
édictées par le législateur, sa responsabilité sera tout compte fait retenue.
Certaines décisions jurisprudentielles semblent pourtant répondre à cette
logique. Tel est le cas lorsque l'employeur qui dispose de plusieurs chantiers
sur tout le territoire, ne pourra personnellement être présent sur le lieu des
l
travaux . Et malgré qu'il ait mis le matériel nécessaÙe à la disposition des
salariés, sa responsabilité personnelle a été retenue. Mais nous ne pensons pas,
malgré ces décisions, qu'il s'agit dans la logique jurisprudentielle d'une
responsabilité du fait d'autrui car une telle responsabilité n'aurait aucune utilité
pratique. Elle ignore a priori la prise en compte de la situation particulière qui
a conduit à la violation des mesures de sécurité ou à la réalisation du préjudice.
On pourra aussi dire, comme dans le cas de la théorie du risque, que le
coupable est ici encore déterminé d'avance. Par ailleurs, cette responsabilité du
fait d'autrui, parce qu'elle exclut la recherche de la faute personnelle de
l'employeur, n'est nullement compatible avec la théorie rétributive de la peine.
Indépendamment de cette objection relative aux fonctions de la peine, il
y a une autre raison fondamentale qui suggère que soit écartée cettc thèse. Il
s'agit du régime même de cette responsabilité. En effet, pour que l'employeur
soit exonéré, la jurisprudence exige qu'il ait délégué scs\\pouvoirs. Si on admet
qu'il s'agit d'une responsabilité du fait d'autrui exclusive de toute faute si légère
soit-elle de la part du pénalement responsable, la délégation de pouvoirs source
d'exonération, devient inéluctablement une délégation de responsabilité pénale.
En effet, la responsabilité du délégataire devant être soumise au même régime
que celui du responsable initial, il n'y aura pas lieu de rechercher s'il a commis
ou non une faute. Une telle délégation de responsabilité serait contraire aux
principes du droit pénal. Comme on peut le constater, cette théorie n'explique
pas la construction jurisprudentielle.
Néanmoins, cette responsabilité du fait d'autrui n'exclut pas totalement
une faute du commettant. Cette faute en est d'ailleurs selon la doctrine, son
'. Crim. 22 Mai 1973, Bull n° 230
\\

240
fondement puisqu'elle repose soit sur unt faute dans le choix du préposé (culpa
in eligindo) soit sur un défàut de surveillance (culpa in vigilendo) comme
l'atteste le droit civil. C'est cette idée qui a été développée par Bernard
BOUBLI 1 . Selon l'auteur, il n'y a pas de présomption de faute à la charge de
l'employeur mais une présomption d'autorité. Le chef d'entreprise détenteur de
l'autorité supporte une obligation de sécurité dont il répond seul sauf lorsqu'il
délègue son pouvoir.
Parler d'une présomption d'autorité nous paraît superflu. C'est une
présomption de l'évidence. Il n'est pas contesté que c'est l'employeur qui
dispose de toute l'autorité sur l'ensemble du système de production. Mais
l'avantage de cette thèse est de mettre en relief au-delà de cette responsabilité
supposée du fait d'autrui, une faute personnelle de l'employeur. Et c'est ce qui
retiendra surtout notre attention.
En quoi consiste cette fàute'} Cette question nous paraît détenninantc
pour deux raisons. D'abord, c'est cette attitude fautive, source potentielle ou
actuelle du préjudice, que la jurisprudence incrimine. Ensuite, c'est à cette
attitude fautive qu'il convient de remédier afin d'éviter la survenance des
préjudices. C'est justement là que pourrait d'abord résider l'apport du juge dans
la prévention des risques professionnels. Il conviendr~\\ donc de dire en quoi
consiste cette faute en analysant les théories fondées sur la faute personnelle de
l'employeur.
BI LA RESPONSABILITE PATRONALE, UNE RESPONSABILITE DU
FAIT PERSONNEL
Il convient d'entrée de relever que le fait que la jurisprudence n'ait pas
sensiblement évolué après la loi du 6 décembre J 976 confinne bien que, dans
la logique de la Cour, la responsabilité du patron repose sur une faute
personnelle. Néanmoins, les explications données pat la doctrine ne manquent
pas ici encore, de susciter des objections liées aux principes généraux du droit
pénal de même qu'à l'ambiguïté des décisions jurisprudentièlles. La faute de
l'employeur dans le domaine des mesures de sécurité serait donc une faute d'un
1 . B. BOUBLI, « La délégation de pouvoirs depuis la loi du 6 Décembre 1976 », Dr. soc. 1977, p. 82

241
type particulier visant un objectif détenniné. Mais la doctrine y voit une
présomption de faute, une faute de surveillance ou du choix du préposé, une
complicité, une co-action ou encore, le patron est considéré comme l'auteur
moral de l'infraction.
S'agissant
d'abord
de
la
complicité,
elle
suppose
que
soient
cumulativement poursuivis l'auteur principal et son complice saut: bien
entendu, l'hypothèse d'une cause d'irresponsabilité liée à la personne de l'auteur
principal. Cette observation est également vraie s'agissant de la co-action qui
implique que les co-auteurs soient tous poursuivis. Or, relativement aux
mesures réglementaires de sécurité, seul l'employeur ou le délégataire de
pouvoirs est poursuivi. L'auteur principal (dans l'hypothèse d'une complicité)
ou le co-auteur (s'il s'agit de la co-action) reste en marge de la prévention
Cette thèse ne peut donc expliquer la responsabilité patronale d'autant plus que
les éléments matériel et moral de la complicité se révèlent difficiles à
caractériser. Nous examinerons donc les autres explications données de la
responsabilité patronale.
Il LA PRESOMPTION DE FAUTE A LA CHARGE DE L'EMPLOYEUR
Cette idée se retrouve chez le Professeur .1. PRADEL qui y voit une
présomption irrétragable. Comme le souligne le Professeur J. SA VArIER l ,
les présomptions irréfragables dissimulent les règles de fond. Mais tout
d'abord, une telle présomption en droit pénal, nous paraît contraire aux
principes régissant la matière. Ensuite, vue sous l'angle de la fonction des
peines, cette thèse encourt également les reproches déjà adressés à la théorie
fondée sur le risque. EnJïn, une telle présomption irréfragable n'explique pas
que la délégation de pouvoirs soit une cause d'exonération car elle deviendrait
une délégation de responsabilité. C'est pourquoi, certains auteurs considèrent
que la responsabilité patronale constitue la sanction d'une obligation légale de
surveillance qu'il n'a pas respectée.
1. J SA VATIER. note prée d. 1976. p. 379

242
21 LA VIOLATION D'UNE OBLIGATION DE SURVEILLANCI~
Cette thèse a été soutenue par plusieurs auteurs surtout des pénalistes,
qui répugnent à admettre une responsabilité du fait d'autrui. Ainsi selon MM.
MERLE et VITU, « S'il est vrai que la responsabilité pénale du chef
d'entreprise est en quelque sorte déclenchée par l'acte matériel du préposé,
elle n'en prend pas moins sa source directe dans la faute personnelle du
patron» 1 • Et cette faute résulterait d'un défàut de surv\\(illance. Contrairement
"
aux thèses déjà avancées, cette dernière, vue sous l'angle de la fonction des
peines, ne soulève aucune objection. Si la responsabilité patronale résulte d'un
défaut de surveillance, la sanction pénale aurait non seulement un effet
rétributif mais aussi et surtout, obligerait l'employeur à plus de vigilance. Cette
thèse s'accommode donc de la fonction utilitaire de la peine qui constitue son
essence même dans le droit pénal moderne. Elle justifie par ailleurs que le
délégataire de pouvoirs à qui incombe cette obligation de surveillance par
l'effet de la délégation, soit pénalement responsable des infractions commises.
Néanmoins, d'autres reproches ont été formulés par la doctrine à l'encontre de
cette théorie. II s'agit d'abord de la source de cette obligation de surveillance
qui paraît selon A. COEURET, incertaine. Il ne résulte pas en effet des textes
que l'intention du législateur ait été de faire peser une telle obligation sur le
chef d'entreprise. D'ailleurs, « il existe d'autres obligptions de surveillance
\\
dont la violation n'entraîne généralement pas de responsabilité pénale si le
surveillé commet une inftaclion ( surveillance des parents sur leurs enfants
mineurs, des éducateurs sur les délinquants dont ils ont la charge, etc.) »2.
Ensuite, cette thèse se trouve affectée d'un vice plus décisif aux yeux de
la doctrine. En effet, la sanction pénale de l'obligation de surveillance aboutit à
« briser l'élément maténel de /'infraction en aUribuant à celle-ci, une double
nature, celle d'un délit de commission au regard de l'auteur direct et celle
d'un délit d'omission au regard de l'employeur»3, en. l'absence de texte
spécifique. Par ailleurs, si l'on considère que la faute de l'employeur réside
dans le mauvais choix de ses préposés qui ont commis l'infraction, le patron
1 . R. MERLE et A VITU, Trailé de droit criminel, 2éme éd. Cujas, t. 1, nO 45,:
2
M. DELMAS-MARTY, Art. préc lep 1985,1.3218. n° 15
\\
A COEURET, Art. préc. Dr. soc. 1975, p. 40\\.

243
devrait pouvoir s'exonérer en démontrant que ses préposés étaient bien
qualifiés pour les fonctions auxquellcs ils sont employés. Or, aux termes de la
jurisprudence, même une telle preuve ne peut exonérer l'employeur. Cette
responsabilité du fait d'autrui fondée sur la faute personnelle du commettant
(culpa in elingendo), ne peut donc davantage retenirn(,'tre attention. Tous ces
reproches relevés font qu'aucune des théories rapportées n'explique pleinement
la construction jurisprudentielle. Aussi a-t-on également recouru à la notion
d'auteur moral.
3/ L'EMPLOYEUR, AUTEUR MORAL DE L'INFRACTION
Cette notion d'auteur moral a été évoquée par plusieurs auteurs qui
l'associent parfois à un défaut de surveillance. Ainsi, pour le Professeur
BOUZAT, « L'auteur moral n'est châtié pour le fait d'autrui qu'en apparence;
if est en réalité puni pour sa propre faute ou du défaut de surveillance qu'if
aurait dû exercer pour assurer l'exécution de son obligation personnelle» 1 •
S'agissant du défaut de surveillance, nous avons déjà signalé les objections
qu'il suscite. Mais l'auteur ne limite pas cette faute patI;onale au seul défaut de
\\
surveillance.
En quoi
peut consister cette fautejJersonnelle?
Nous y
reviendrons.
Selon le Professeur ROUX, le prétendu responsable pour autrui n'est en
réalité que l'un des coauteurs. La co-action est simplement plus diflîcile à
saisir qu'à l'ordinaire, car, au lieu de s'incarner dans les faits directement
incriminés par la loi pénale, elle réside dans un comportement qui les précède.
Cette analyse est contestée par le Professeur A. COEURET.
Selon ce dernier, la responsabilité de l'auteur moral ne saurait en effet
être engagée sans que soit constatée de sa part une faute d'imprudence en
relation causale avec l'infraction. Or cette constatation est le plus souvent
négligée par les tribunaux qui condamnent le chef d'entreprise en relevant
simplement un délit dans son établissement. Ce qui revient forcément selon
l'auteur, à présumer la responsabilité pénale de l'eri'~ployeur, présomption
\\
contraire au principe du droit pénal. Cette controverse ct l'incapacité d'une
, . P BOUZAT et J PINATEL, « Traité de droit pénal el de criminologie », Dalloz, 1963, t. 1, p. 306.

244
théorie à expliquer de manière satisfaisante la constr~'ction jurisprudentielle
attestent la particularité de la responsabilité pénale de l'employeur dans la mise
en oeuvre des mesures de sécurité.
4/ LA PARTICULARITE DE LA RESPONSABILITE PENALE DE
L'EMPLOYEUR
Il convient d'abord de dire que malgré sa particularité, la responsabilité
pénale de l'employeur ne s'écarte pas fondanlentalement des principes du droit
pénal. Il s'agit bien d'une responsabilité du fait personnel, compatible avec les
fonctions assignées à la sanction encourue par l'employeur. Mais en quoi
consiste la faute de l'employeur?
D'abord on relèvera que les mesures de sécurité édictées par les textes
sont souvent des obligations de faire. Ainsi, une abste~tion ou une mauvaise
exécution est en soi fautive. Ensuite, il importe dè remarquer que ces
innombrables mesures de sécurité entrent dans le cadre de l'organisation ou de
l'aménagement du système de production. L'obligation de l'employeur n'est pas
de surveiller personnellement ses salariés mais d'organiser le travail de sorte
que ces mesures de sécurité soient mises en oeuvre. L'inobservation des
mesures de sécurité traduit inévitablement une organisation défectueuse au
sein de j'entreprise. C'est cette organisation défectueuse dont la violation des
règles de sécurité n'est qu'une conséquence directe, que la Cour reproche à
l'employeur. Pour s'exonérer, l'employeur doit donc démontrer que son
entreprise a été organisée de manière à assurer l'effectivité des mesures de
sécurité. La délégation de pouvoirs en est la voie retenue par la jurisprudence.
Mais elle n'est pas exclusive. Ainsi dans une espèce, Ja Cour après avoir relevé
que,
dans
l'entreprise
qui
comportait
douze
caqres
et
quarante-cinq
magasiniers, six personnes ont été affectées à la surveillilllce de ces derniers, a
relaxé l'employeur au motif qu'il avait pris toutes les mesures utiles pour que
les règles de sécurité soient observées 1 • L'objectif final de la Cour est d'assurer
l'effectivité des mesures de sécurité. L'un de ses moyens est de rapprocher à
temle, le pénalement responsable des conditions de travail. Ainsi, il revient à
l'employeur qui ne peut personnellement suivre de près J'exécution du travail,
J. Crim. 14 Mars 1979, Bull V, n° 109

245
de déléguer ses pouvoirs à un subordonné. Aussi pourrions-nous dire que la
responsabilité patronale telle qu'elle est conçue par la jurisprudence, vise en
\\
définitive à inciter l'employeur à la décentralisation deS, pouvoirs dans la mise
\\
en oeuvre des mesures de sécurité. La délégation de pouvoirs source
d'exonération le confirme sans équivoque.
S'agissant des dispositions textuelles établissant une telle obligation
générale d'organisation de l'entreprise, nous pourrons nous référer à l'article L.
233- 1 C. trav. Les dispositions réglementaires particulières pénalement
sanctionnées ne sont qu'une énumération indicative des mesures imposées à
l'employeur dans l'organisation de l'entreprise. Ces mesures indicatives sont
également impératives. La responsabilité pénale de l'employeur apparaît donc
comme une incrimination d'un système de production défaillant d'un point de
vue "organisationnel". Ce qui rejoint la tendance affichée déjà par la
jurisprudence à la fin du siècle précédent pour la réparation des préjudices
subis par les salariés. Quelque reproche qu'on puisse adresser à cette
construction jurisprudentielle, sa vertu préventive est in~\\mtestable.
Prétendre qu'elle transforme le chef d'entreprise en « otage» exposé à
répondre systématiquement d'infractions qu'il ne peut ni prévoir ni empêcher,
est inexact.
Supposer par ailleurs qu'clle engendre un découragement
susceptible d'aboutir paradoxalement à de nouvelles négligences l , c'est oublier
comme le relève à juste titre A. COEURET, que « l'institution de la délégation
de pouvoirs est là précisément pour éviter que l'employeur ne soit tenu à
l'impossible >? Mieux qu'un simple moyen d'exonération, la délégation de
pouvoirs constitue d'ailleurs une pratique que la jurisprudence voudrait dans
l'intérêt de la prévention, intégrer à l'organisation des entreprises. Encore faut-
il préciser en quoi elle consiste.
'. MONTEILHET, « La responsabilité pénale de l'employeur du fait de ses préposés », J.CP. 1952, 1, n°
1060.
2. A. COEURET, Art. prée. Dr. soc. 1975, p. 411.

246
§ II: LA DELEGATION DE POUVOIRS DANS LA MISE EN OEUVRE
DES MESURES DE SECURITE
La délégation de pouvoirs n'est pas une institution propre au droit du
travail. Pour faire mieux comprendre la délégation de pouvoirs, la doctrine la
rapprochait de cette pratique en droit public notamment le droit administratif.
Dans cette matière, la délégation de pouvoirs correspond à la possibilité pour
un organe administrati f titulaire d'une compétence particulière, de décider
qu'Wl autre organe disposera à sa place de cette compétencel . La délégation de
pouvoirs constitue ainsi un procédé courant de répartition,. entre agents d'un
service administratif, des attributions entrant dans la compétence de leur chef.
Elle joue donc un rôle essentiellement fonctionnel. C'est à cette même logique
qu'elle répond dans le domaine des accidents du travaÎI. Il s'agit à partir de la
compétence générale requise pour la gestion ou la direction matérielle, et pour
arriver à notre domaine, de conférer à l'agent le plus proche du risque et donc
le plus apte à l'éviter, les moyens et les attributions nécessaires à cette fin. Il
faut s'empresser d'ajouter que dans la matière qui nous concerne, la délégation
de pouvoirs est une institution purement prétorienne. Cette observation jointe à
l'objectif assigné à la délégation de pouvoirs font de cette institution, une
contribution judiciaire à la prévention des accidents du travail (A). L'essence
de la délégation de pouvoirs étant essentiellement fonctionnelle, cette
institution ne devrait-elle pas avoir pour seule limite celle qu'implique une mise
en oeuvre effective des mesures de sécurité? C'est en d'autres tennes, le
problème de la subdélégation (B) qui est ainsi posé.
N LA DELEGATION DE POUVOIRS: UNE CqNTRlBUTION
JUDICIAIRE A LA PREVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS
Le régime de la responsabilité patronale, tel qu'il résulte de la
jurisprudence, constitue une incitation à la délégation de pouvoirs avions-nous
dit. Mais si on voit dans la délégation de pouvoirs, un simple transfert de
responsabilité, cette institution se trouve du coup dévalorisée et même perd sa
raison d'être. Quelque hostilité que puisse susciter cette institution, sa vertu
préventive sous certaines conditions, est sans égale dans le domaine des
1 .GROSHEIM, « La délégation administrative de compétence» D. 1958. Chr. XXV1l1.

247
accidents du travail. Nous le montrerons en mettant en relief son intérêt qui
semble se confondre avec ses fins. De plus, l'analyse d~h conditions auxquelles
la jurisprudence soumet sa validité nous permettra de nous rendre compte,
contrairement à une tendance doctrinale, qu'il ne s'agit pas d'un simple mode
de désignation du pénalement responsable mais d'une réelle politique de
prévention savamment élaborée par la jurisprudence.
1/ L'INTERET DE LA DELEGATION DE POUVOIRS
Tout d'abord, on relèvera que Je régime de la responsabilité pénale de
l'employeur suscite deux critiques opposées. Vu du côté des employeurs et de
leurs sympathisants, on ne retient que l'intransigeance de la Chambre
criminelle qui a pris « de façon de plus en plus marquée ses distances par
rapport au principe de la personnalité des peineS»I. Vue du côté des
syndicats, la délégation de pouvoirs est un moyen offer\\~ au chef d'entreprise de
,
se soustraire à ses obligations légales en choisissant un 'subordonné qui jouera
le plus souvent le rôle du « lampiste »2. Autant ces deux reproches sont
excessifs, autant ils s'expliquent. La vérité, c'est que la délégation de pouvoirs
responsabilise les uns et les autres en établissant des obligations à leur charge.
S'agissant des obligations que la délégation de pouvoirs met à la charge de
"employeur, nous les mettrons en relief lorsque nous étudierons les conditions
de sa validité.
Répondant aux objections selon lesquelles la délégation de pouvoirs
serait une échappatoire pour l'employeur, nous dirons qu'une responsabilité
pénale exclusive de l'employeur qui ne pourra même pas s'exonérer par
délégation de pouvoirs, serait une irresponsabilité pénale de droit établie au
profit des salariés dans la mise en oeuvre des mesures de sécurité. Or, très
souvent ct comme le souligne la doctrine, la bonne e\\:~écution des tâches de
\\
surveillance de même que l'application etfective des' mesures de sécurité
dépassent les capacités d'une seule personne, fût-elle dotée de tous les
pouvoirs. Ainsi, « le maintien de sa responsabilité pénale (de l'employeur) en
toute hypothèse cesse donc, pour la Chambre criminelle d'être une solution
1 . Cf J.O. , Ass. Nat. 12 Mai 1976, p. 2942.
2
Y SAINT-JOURS, notesousCrim. 15 Mars 1973, J.c.r 1973, nO 17577.

248
satisfaisante du double point de vue de l'efficacité dans la prévention et de la
justice dans la répression» 1. Or, il n'appartient pas au juge d'imposer il
l'employeur une organisation particulière du travail au sein de son entreprise.
Une telle injonction en l'absence d'une loi, serait contraire au pouvoir de
gestion de l'employeur. Cependant, tant qu'il ne s'entourera pas de ces
précautions indispensables à la mise en oeuvre effective des mesures de
sécurité, il expose certainement son personnel à un danger évident; d'où
l'intransigeance de la Cour à l'égard de l'employeur. Et il est permis de se
demander si, avant le législateur, le juge répressif n'avait pas déjà découvert
cette notion d'exposition de personne à un danger2 de l'article 223-1 N.e. P., la
matière particulière apparaissant comme le creuset de 'l,a réflexion générale et
de l'évolution du droit.
Il convient d'ajouter que la mise en oeuvre des mesures de sécurité ne
procède pas seulement d'une meilleure répartition des pouvoirs qui néanmoins
demeure un prélude indispensable. Plusieurs facteurs humains, notamment la
diligence des salariés titulaires de délégation dans les différents secteurs -
délégués qui, plus que l'employeur, sont au contact des conditions de travail-
conditionnent la sécurité des salariés. Aussi, leur responsabilité pénale
apparaît-elle comme un corollaire inéluctable de la délégation dont ils sont
titulaires dans la mise en oeuvre des mesures de sécurité. fi en résulte donc que
la délégation de pouvoirs constitue moins un moyen d'exonération de
l'employeur qu'une responsabiEsation des salariés. Ne voir dans la délégation
de pouvoirs que « l'un des chainons d'une constructiop; jurisprudentielle qui a
,
pour objet. en présence d'une infraction constatée, de déterminer la personne
physique pénalement responsable »3, c'est sans doute dénaturer l'institution.
Le salarié délégataire de pouvoirs devient par là-même, responsable de sa
propre sécurité de même que celle de ses pairs. Un exemple jurisprudentiel
l'atteste.
Dans une espèce, le chef d'équipe avait détecté un vice du matériel.
Mais il ne le signalera que postérieurement à ['accident4 . Il est certain que, s'il
A.COEURET, Art. prée. Dr. soc. 1975, p 404
Cette conception jurisprudentielle serait alors plus large que celle que le législateur vient d'instaurer
P. MALAVAL, Intervention au cours d'un colloque sur la délégation de pouvoirs, Dr. soc. 1984, p. 493.
4
Crim. 16JuÎn 1971, Bull. nO 192.
,
\\

249
était délégataire de pouvoirs et donc susceptible d'en~\\.ourir la responsabilité
pénale dans la mise en oeuvre des mesures de sécurité, il l'aurait signalé plus
tôt et il aurait effectué les démarches nécessaires à la réparation du matériel.
En exigeant que l'employeur puisse s'exonérer par la délégation de pouvoirs, le
juge répressif se tourne moins vers le coupable et donc le passé que vers
l'avenir, les victimes potentielles. N'est-ce pas là, la raison d'être de la justice
pénale? C'est toujours dans cette perspective de prévention que s'inscrivent les
conditions auxquelles la jurisprudence soumet la validité de la délégation,
conditions qui constituent des obligations à la charge de l'employeur.
21 LES CONDITIONS DE VALIDITE DE LA DELEGATION DE
POUVOIRS
Pour que l'employeur soit exonéré de sa responsabilité, il faut qu'il ait
\\
délégué ses pouvoirs à un préposé « pourvu de la comj>itence, de l'autorité et
\\
des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des
dispos itions en vigueur» 1. S'agissant d'abord des moyens dont doit disposer le
préposé,
ils
relèvent des
faits
et ne peuvent pas faire
l'objet d'une
systématisation. Ils sont en rapport avec la mission à laquelle le salarié est
délégué. Néanmoins, on relèvera ici encore un avantage de la délégation. En
effet, l'employeur qui serait en toute hypothèse responsable des infractions
commises par ses employés, sera même enclin à se soucier peu des moyens
mis à leur disposition pour éviter ces infractions. Mais dès lors qu'une voie lui
est offerte de se dégager de cette responsabilité, sa préoccupation sera sans
doute de satisfaire aux conditions de cette exonération notamment de mettre à
la disposition du délégataire, les moyens nécessaires à l'exécution de sa tâche.
Ce qui concourt naturellement à une meilleure sécurité des salariés.
S'agissant ensuite de la condition relative à l'à:'ltorité, elle est aussi
fonction de l'étendue de la délégation et de la mission qui lui est assignée.
Mais en tout état de cause, eHe
implique
forcément
le pouvoir de
commandement à l'égard des personnes dont il assure la sécurité. Entln et
s'agissant de la compétence du délégué, une observation s'impose. On
remarquera que l'employeur qui dispose de la plénitude de pouvoir au sein de
'. Crim. 27 Octobre 1976. Bull. nO JOJ.

250
l'entreprise et qui répond en principe des infractions commises, n'a pas le plus
souvent, les compétences techniques nécessaires en matière de sécurité. Si la
délégation de pouvoirs était une simple substitution du délégué dans l'exercice
des pouvoirs de l'employeur, il n'y aurait pas lieu d'exiger du délégué cette
compétence. Nul ne pouvant transférer plus de droits qu'il n'en a, la
substitution dans l'exercice d'une fonction devrait normalement avoir pour
conséquence, le transfert des droits et obligations initiaux, au substitué. Or,
aucun texte ne requiert les compétences techniques en matière de sécurité pour
la direction d'une entreprise. Il résulte donc des conditions de sa validité que la
délégation de pouvoirs n'est pas une simple subsiitution du délégué à
l'employeur. L'employeur ne pouvant s'exonérer que par la délégation de
pouvoirs, il se trouve par là-même dans l'obligation de dispenser ou de faire
dispenser une formation adéquate au délégué. Non pas que cette obligation
n'existait 1 pas mais la délégation de pouvoirs la rend effective et la renforce.
« L'autorité sans la compétence et inversement la compétence sans
o
l'autorité sont insuffisantes pour rendre effective une délégation»" écrit N.
AL VAREZ. La délégation de pouvoirs a donc pour effet de concentrer entre
les mains du délégué, en plus des moyens, la compétence et le pouvoir, cumul
qui fait défaut à la fois chez un simple salarié et souvent chez l'employeur lui-
même. C'est là que réside essentiellement son objet. Le mécanisme de la
délégation ainsi mis à nu, illu::;tre en soi la contribution du juge pénal à la
prévention des accidents du travail pour qu'il ne soit p'l,us besoin de s'attarder
sur son rôle dans ce domaine précis,
\\
Cependant, il convient de faire remarquer s'agissant toujours des
conditions de validité de la délégation de pouvoirs, que le contrôle de la
jurisprudence se limite à l'effectivité de cette délégation. En d'autres temles, il
s'agit pour les juges de vérifier au regard des circonstances et des prérogatives
du délégataire, s'il était en même d'assurer pleinement la mission qui lui a été
confiée. Au cas contraire, la délégation de pouvoirs ne sera pas valable. Cette
construction pragmatique s'explique sans doute par l'essence même de la
\\ . L'article L 231-3-1 C trav. impose en cftèt à l'employeur, l'obligation « d'organiser une formation pratique
ct appropriée en matière de sécurité, au bénéfice des travailleurs qu'il embauche, de ceux qui changent de
roste de travail ou de technique ( ) »
. N. ALVAREZ, « La délégation de pouvoirs », Legi social, 1991, p. 56.

251
délégation de pouvoirs qui est avant tout,
comme il
a été souligné,
fonctionnelle. Aussi la Cour de cassation se refuse-t-elle de subordonner la
délégation
de pouvoirs
à
une
quelconque
condition
autre
que
celles
indispensables pour assurer la sécurité des salariés. Notamment, l'attribution
d'une rémunération particulière du délégué ne saurait être une condition de la
validité de la délégation. Ce principe a été récemment rappelé dans un arrêt de
cassation. Ainsi, le fait que la convention collective ait réservé la charge de la
délégation aux agents de maîtrise ou que la délégation consentie à un chef
d'équipe n'ait pas été accompagnée d'un complément de rémunération, ne
l
suffisent pas à exonérer ce dernier de sa responsabilité pénale .
Outre les moyens, la compétence et l'autorité, la prévention des
accidents du travail implique également que le titulaire ,de ces prérogatives soit
au contact de la situation de danger. Or, la taille des~'ntreprises, la diversité
des activités, la multiplicité des chantiers rendent impossible la présence du
délégué tout comme celle de l'employeur au lieu même du travail. Cette
situation pourrait donc rendre la prévention aléatoire. Cette observation
suggère certainement la nécessité d'une subdélégation qui apparaît comme un
affinement judiciaire de la délégation.
BI LA SUBDELEGATION: UN AFFINEMENT JUDICIAIRE
L'expression pendant longtemps utilisée par la Chambre criminelle à
savoir,
un
préposé
« directement» ou « personnellement» investi par
l'employeur, a laissé croire à certains auteurs que la délégation ne pouvait
émaner d'un salarié, aussi haut placé fut-il dans la hiérarchie. C'est donc la
subdélégation qui selon ces auteurs était ainsi prohibéli':. Bien que la Chambre
criminelle ait postérieurement admis expressément'. la subdélégation,
la
doctrine ne manque pas de relever les inconvénients qu'elle entraînerait et de
l'assortir de certaines conditions. Quelle que soit la valeur de ces objections, la
subdélégation apparaît à la fois comme un besoin d'équité et surtout de
prévention.
Elle constitue un complément indispensable à la politique
judiciaire de prévention. Il convient néanmoins d'examiner les reproches
qu'elle encourt avant de dire pourquoi sa pratique paraît impérieuse.
'. Crim. 27 Août 1994, Dr. ouvr 1995, p. 156.

252
11 LES INCONVENIENTS DE LA SUBDELEGATION
l
On peut sur la question se reporter à M. PUECH . L'auteur émet une
double crainte à propos de la subdélégation. La première est celle d'une fuite
de responsabilité. La subdélégation serait de nature à entraîner un report en
cascade des obligations pénalement sanctionnées sur un préposé subalterne,
voire un simple exécutant. D'abord, on soulignera avec O. LARGIER et F.
MILOCH2 qu'il n'y a pas d'objection juridique de principe à ce qu'un
exécutant ayant contrevenu à une règle de sécurité, soit\\pénalement sanctionné
puisque l'article L. 263-2 C. trav. vise nommément les préposés. Et dans le
secteur des transports routiers, par exemple, l'article 2 de la loi du 31
Décembre 1975 dispose que « le préposé est passible des mêmes peines (que
toute personne chargée à un titre quelconque de la direction de ['entreprise)
lorsque l'infraction résulte de son fait personnel ». Mais au-delà de ces
considérations textuelles, c'est dans la délégation de pouvoirs même qu'il faut
rechercher les limites de la crainte exprimée. En effet, l'une des conditions
essentielles de la validité de la délégation de pouvoirs et donc de la
subdélégation est l'autorité et les moyens dont dispose le délégué pour éviter
les infractions qui lui sont reprochées. Il n'y a donc pas lieu de soupçonner
l'éventualité de la condamnation d'un simple exécutant qui n'aurait pas le
pouvoir
d'éviter
les
faits
qui
lui
sont
reprochés.
Et
la
construction
jurisprudentielle en la matière doit nous rassurer.
La deuxième crainte exprimée par M.
PUECH est l'impossibilité
d'identification du coupable qu'engendrerait des délégations successives,
notamment lorsqu'aucune faute n'est imputable au dernier des subdélégués. Et
l'auteur en conclut qu'on devrait faire l'économie de la subdélégation.
La mission du juge pénal même dans les situations les moins tranchées
est de démêler la responsabilité qui incombe à chacun des acteurs. Doit-on,
sous prétexte de simplifier la tâche du juge, se limiter à la recherche de la
responsabilité des seuls cadres qui en réalité, seraient dans l'impossibilité
matérielle d'éviter les infractions sanctionnées? Faire l'économie de la
1
M. PUECH, « L'identification du responsùble: Nouveaux problèmes », Dr. soc. 1984, p. 493.
2. D. LARGIER et F. MILOCH, « Technique pénale et politique de prèvention des accidents du travail:
quelques thèmes de réflexion », Dr. soc. 1984, p. 498.
'

253
subdélégation reviendrait à établir une responsabilité pénale de droit à 1
charge du délégué initial. La délégation de pouvoirs deviendrait un simple
transfert de responsabilité car il ne faudrait pas perdre de vue que la délégation
de pouvoirs procède du constat jurisprudentiel que la mise en oeuvre effective
des mesures de sécurité, jusque dans les chantiers, dépasse les capacités d'une
seule personne. D'ailleurs, toute clause qui limiterait la délégation de pouvoirs
à une catégorie de salariés serait inopérante. En effet, nous avions vu que la
Cour de cassation a censuré une cour d'appel qui, pour écarter la responsabilité
pénale d'un chef d'équipe, avait relevé que la convention collective applicable
avait réservé
la
délégation
aux
agents
de
maîtrise'.
Au-delà
de
la
responsabilité pénale du chef d'équipe, c'est aussi le problème de la licéité
d'une clause limitative de la délégation qui se pose. En effet, la délégation de
\\
pouvoirs ayant pour objectif final la prévention des 'i,'ccidents, toute clause
\\
prohibitive de la subdélégation constituerait un obstacle à la mise en oeuvre
des mesures de sécurité en ce sens qu'elle s'oppose au recours à tous les
moyens utiles ou nécessaires à cette fin. 1\\ s'agit donc d'une limitation
contractuelle des moyens nécessaires à la protection de l'intégrité physique des
salariés. Cette clause devient par là-même illicite. En passant outre la
convention collective, c'est la validité de cette clause que la Cour remet à juste
titre en cause. C'est donc la nécessité de mettre en oeuvre les mesures de
sécurité à tous les niveaux qui commande la pratique de la subdélégation et
met en relief ses avantages.
21 LES AVANTAGES DE LA SUBDELEGATfON
On remarquera d'abord que les infractions reliltives aux mesures de
sécurité peuvent trouver leur origine dans trois sÎl\\'Jations distinctes: la
mauvaise organisation de l'entreprise, le défaut de surveillance2 et le refus des
exécutants de mettre en pratique les instructions qui leur sont données ou de
porter le matériel de sécurité mis à leur disposition. Si dans le premier cas, la
responsabilité pénale de l'employeur ou du délégué initial, naturellement un
cadre de l'entreprise, est de nature à pcmlettrc une meilleure organisation de
1
Crim. 27 Août 1994 préc
2. En réalité, le défaut de surveillance résulte d'une mauvaise organisation de l'entreprise du point de vue de la
répartition des pouvoirs.

\\,
254
l'entreprise, il n'en est pas de même dans les autres cas. La surveillance des
salariés implique forcément la présence physique du surveillant sur le lieu du
travail. Or, même dans les petites entreprises, il peut bien exister plusieurs
équipes opérant séparément, notamment les équipes d'entretien et de
dépannage. On ne saurait, dans \\.:Cs conditions, faire obligation au chef
d'entreprise ou à son délégué de garantir le port du matériel de sécurité par les
ouvriers tout en lui interdisant une délégation de pouvoirs à cette fin. Et cette
subdélégation ne saurait entraîner une confusion dans la détem1Ïnation du
pénalement responsable. Il s'agit d'une répartition des tâches dans la mise en
oeuvre des mesures de sécurité. Le matériel fourni pm: l'employeur est-il non
\\
conforme à la réglementation en vigueur, on recherchel'a la responsabilité de
l'employeur ou du délégué initial chargé de procurer ce matériel aux salariés.
Le matériel n'est-il pas simplement utilisé par les salariés sur le chantier, on
retiendra dans les liens de la prévention le subdélégué chargé de veiller sur le
lieu du travail au port du matériel ou à son installation conformément aux
règles en vigueur. Mais encore faut-il que cette délégation dont est titulaire ce
chef d'équipe ou chef de chantier ait été régulièrement consentie.
Il est impérieux de bien distinguer la subdélégation ou les délégations
successives de la délégation des mêmes pouvoirs à plusieurs personnes. Cette
dernière pratique est d'ailleurs justement condamnée par la jurisprudence car,
conm1e le souligne la Cour, elle est de nature à restreindre l'autorité et à
entraver les initiatives de chacun des prétendus délégataires 1 • En revanche, la
subdélégation, et donc la répartition des tâches, a pour (pnséquence immédiate
d'assurer l'équité de la justice répressive car il y aura ide'ntité entre le coupable
et le responsable. Cette construction jurisprudentielle aboutit certainement -et
c'est là aussi son grand mérite- à inciter chacun, à son niveau de responsabilité,
à plus de vigilance; l'employeur loin des conditions de travail déléguera ses
pouvoirs; le cadre supérieur chargé de la sécurité veillera à la formation des
chefs d'équipe et à la fourniture du matériel adéquat, le chef d'équipe à cc que
le matériel soit convenablement utilisé. La sécurité des travailleurs en sortira
renforcée. Et le juge pénal dans l'hypothèse d'un accident ou de la violation des
règles de sécurité situera les responsabilités. C'est ainsi que, pour retenir la
'. Crim. 6 Juin 1989, Bull. n° 243.

255
responsabilité d'un chef d'équipe, la Cour avait relevé qu'après une forn1ation
théorique et pratique l'ayant rendu particulièrement apte à prendre en charge la
sécurité des employés de son équipe, il avait été habilité à cette fin par son
directeur, titulaire d'une délégation de pouvoirs 1 •
Le juge recherchera par ailleurs si les tàits poursuivis entrent dans les
compétences du délégués aux termes de la délégation dont il est bénéficiaire.
C'est ainsi qu'ayant remarqué dans une espèce que la délégation de pouvoirs ne
concernait que l'hygiène et la sécurité alors que l'infraction constatée portait
sur l'absence de titres de travail des travailleurs étrangers, la Cour avait retenus
2
la responsabilité personnelle de l'employeur . Et alors même que les faits
reprochés au délégataire seraient de sa compétence, on recherchera au besoin,
s'il n'a pas été mis dans l'impossibilité de d'accomplir ses obligations en
raison d'un manquement initial. Ainsi, « (..) en présel:,ce d'un comportement
apparemment fautif du délégataire, les tribunaux dev;aient procéder à une
recherche de causalité, afin de déterminer si la genèse de l'infraction ne se
situe pas en amont de la position hiérarchique qu'il occupe, révélant par là
même un fonctionnement général défectueux de l'entreprise, imputable à son
seul chef»3 .
S'agissant de la fornle de la délégation, on signalera seulement qu'aucun
fonnalisme particulier n'est requis. L'essentiel est que la délégation soit
effective. Et les juges sont là pour s'a'>surer qu'elle répond aux conditions de
validité requises. Ainsi, le tàit que le prétendu délégataire de pouvoirs ait
reconnu l'existence de cette délégation peut ne pas être considéré comme
déternlinant dans la mesure où cette reconnaissance émane d'un salarié soumis
à un lien de subordination4 .
\\
Tous ces développements sur la délégation de pbuvoirs montrent sans
équivoque la contribution du juge pénal à la prévention des accidents. Il
apparaît à travers ses décisions comme un constructeur5 ou un organisateur du
'. Crim. 14 Février 1991, Bull. n° 79.
2
Crim. 9 Novembre 1993, RJS 1994, P 165.
J. A. COEURET, « La décentralisation du pouvoir dans J'entreprise et le droit du travail », Thèse pour le
Doctorat d'Etal, 1981, p. 497
4. Crim. 2 Février 1993, R. J. S
1993, p. 655.
~ L'institut de Criminologie de la fàculté de droit de Lille s'efrorce de creuser cette notion un peu oubliée du
"juge de la reconstruction" notamment au cours de deux colloques successifs, le premier précisément sur « Les

256
milieu du travail ou du moins c'est cette mission qu'il s'est assignée. C'est en
cela qu'il convient de dire que l'appréciation de la responsabilité pénale de
l'employeur constitue une politique judiciaire de prévention. Le juge pénal ne
se contente pas de désigner le coupable mais de préconiser à travers les
conditions d'exonération, les moyens à mettre en oeuvre afin de pal1ier les
défail1ances du point de vue de la sécurité, dans l'organisation de l'entreprise.
La construction jurisprudentiel1e a une portée normative avions-nous dit. Elle
est également pédagogique au regard de ce qui précède. Mais cette politique
pour atteindre ses fins, doit certainement rechercher les moyèns adaptés.
SECTION Il: LA POLITIQUE JUDICIAIRE DE ~REVENTION A LA
RECHERCHE DE SES MOYEKIS
Le régime de la responsabilité pénale de l'employeur et notamment la
délégation de pouvoirs répond, on l'a constaté, à une logique de prévention.
Les heureuses conséquences de cette institution sont dues au fait qu'outre la
décentralisation de pouvoirs qui en découle, elle établit des obligations à la
charge de l'employeur et des délégués. De l'étendue de ces obligations
déprendront sans doute les précautions patronales et donc la sécurité des
travailleurs. En effet, il est peu probable que \\es employeurs, sans y être
contraints, aillent au-delà des obligations que leur impose la loi. Or, il est aussi
vrai que la législation, même par voie réglementaire, ne pourra énumérer de
manière exhaustive les obligations qui incombent à l'employeur. S'il est
indéniable que le principe de la légalité des peines et délits implique que soient
précisément définis par le législateur les faits incriminé') par la loi, force est de
,
reconnaître que malgré le foisonnement des textes régl~mentaires, l'apport du
juge dans la délimitation de l'étendue de la responsabilité patronale est capital.
Comme on le verra, l'étendue de l'obligation patronale telle qu'elle résulte de la
jurisprudence, correspond à une volonté de la Cour d'imposer à l'employeur la
mise en oeuvre de tous les moyens en l'état des connaissances du moment,
pour l'éradication des situations de dangers. L'étude de l'étendue de la
responsabilité patronale (§ 1) nous pennettra donc de le démontrer. Par ailleurs,
situations de danger en milieu de travail}) (Novembre 1991) et le second sur « La sortie de prison})
(Décembre 1994)

257
on rappellera qu'il est une vérité incontestable que l'efficacité d'une règle réside
dans les sanctions dont elle est assortie. Aussi ingénieuse que puisse paraître la
construction jurisprudentielle, elle sera vouée à l' éche~\\tant que des sanctions
adaptées à la nature des infractions ne l'accompagneront pas. Aussi la politique
judiciaire de prévention passe-t-elle également par la recherche des sanctions
pénales adaptées au besoin de prévention (§ II).
§ 1: L'ETENDUE DE LA RESPONSABILITE PATRONALE
Lorsqu'on évoque l'étendue de l'obligation patronale, on esl enclin à se
référer d'abord aux mesures de sécurité d'ordre réglementaire (A) édictées dans
chaque domaine d'activité. D'ailleurs la prolifëration sans cesse croissante de
ces mesures pourrait laisser croire à une volonté législative d'une énumération
exhaustive des obligations incombant à l'employeur. Le cas échéant, les
dispositions réglementaires représenteraient à la fois le minimum requis et
suffisant pour exonérer l'employeur de sa responsabilM pénale. La mission du
juge serait donc de vérifier simplement si ces dispositi0ns ont été respectées.
Tel n'est cependant pas la position de la Cour qui progressivement, a su
concrétiser une obligation générale de sécurité (B) à la charge de l'employeur.
AI L'OBSERVATION DES MESURES REGLEMENTAIRES
La réglementation de l'hygiène et de la sécurité du travail constÏlue sans
doute l'élément essentiel de la prévention des risques professionnels, écrivait P.
CHAUMETTE l . Mais l'exécution de cette obligation suppose que soit d'abord
précisé son contenu. Il ne s'agit pas d'établir la liste des dispositions
réglementaires de sécurité régissant chaque domaine d'activité. Une telle liste
serait à la fois inutile et impossible dans le cadre de cette étude. En effet, à
chaque
innovation
technique
correspondent
des
normes
de
sécurité
particulières. P. CHAUMETTE2 les regroupe cepef,dant en trois thèmes
essentiels, l'aménagement des installations et locaux de travail, la sécurité des
appareils, machines, dispositifs et équipements, la protection contre les
substances et produits nocifs. Mais ce qui retiendra le plus notre attention, ce
1. P. CHAUMETTE, « L'activation du lien réparation-prévention Il, Dr. soc. 1990, p. 724.
2. Cf. P CHAUMETTE, Article prée. p.

258
sont les obligations pratiques que ces dispositions entraînent à la charge de
l'employeur et l'application qu'en fait la jurisprudence. La première de ces
obligations, c'est sans doute la mise à la disposition des travailleurs d'un
matériel adéquat. A celle-ci, il convient d'ajouter r'\\Hilisation effective du
matériel et la formation des salariés.
II LA MISE A LA orSPOSITION DES TRAVAILLEURS D'UN
MATERIEL CONFORME A LA REGLEMENTATION
A l'impossible nul n'est tenu. Il s'agit là d'une maxime juridique ù
laquelle on ne peut apporter de démenti. Mais sur la question de savoir ce qui
est possible de ce qui ne l'est pas, les débats sont toujours ouverts. C'est à ce
premier constat que conduit la doctrine jurisprudentielle sur le sujet. En effet,
l'obligation faite à l'employeur d'utiliser un matériel répondant à des nonnes
déterminées suppose la possibilité pour ce dernier de se procurer ledit matériel
sur le marché. Telle n'est cependant pas la position de la Cour. En etfet, scion
la Chambre criminelle, les dispositions relatives aux appareils de sécurité sont
impératives, peu importe qu'il n'existe pas sur le mard,\\~ un système répondant
totalement à l'obligation prévue par les règlements 1 • C'hte décision illustre la
rigueur jurisprudentielle sur la question. L'obligation faite à l'employeur de
fournir aux salariés un matériel conforme à la réglementation apparaît comme
une obligation de résultat à laquelle, selon la Cour, l'employeur ne peut
échapper que par une dérogation légale ou un cas de force mqjeure. Même une
tolérance administrative, notamment l'opinion d'un représentant du ministère
du travail, ne peut pennettre à l'employeur de déroger à la réglementation. [)ar
ailleurs le fait que les prescriptions rendent le travail plus difficile ne constitue
évidemment pas un cas de force majeure et il n'appartient ni à l'employeur ni
au juge d'apprécier l'utilité ou l'eftïcacité des prescriptions2 .
Cette rigueur jurisprudentielle relativement à la conformité du matériel
de travail l'a conduit également à s'abstenir de rechercher le lien de causalité
entre l'inobservation de la réglementation et le préjudiù~ subi par le salarié. En
etTet, la Cour considère toujours ce lien de causalité établi dès lors que le
1
Cnm. 23 Mai 1977, Bull. nO 184
Crim. 27 Novembre 1990, Bull. nO 409

259
matériel utilisé par la victime n'est pas conforme à la réglementation, peu
importe la gravité de la faute commise par la victime ou l'inobservation
volontaire par cette dernière, des consignes données par l'employeur! .
Quelle que soit la rigueur de la Chambre criminl:He sur la question, elle
demeure tout à fait légitime. En effet, l'utilisation des matériels réglementaires
est la première condition élémentaire de la sécurité des salariés. De plus,
contrairement à d'autres obligations incombant à l'employeur, le défaut de
matériel conforme à la réglementation apparaît souvent comme un choix. C'est
ce choix fautif que la Cour sanctionne. Mais au-delà de ce choix fautit~
l'objectif de la Cour, c'est la réalisation de l'objet de la loi qui demeure
l'utilisation effective d'un matériel conforme aux normes. C'est ainsi qu'elle
décide que « la délivrance par un vendeur, français ou étranger, du certificat
de conformité prévu par l'article R. 233-68 du Code du travail ne dispense
pas le chef d'entreprise, en tant qu'utilisateur, de s'assurer que les appareils
cr machines qu'il emploie sont cOI?!ormcs à la réglementation en matière
d'hygiène et de sécurité »2. Cette jurisprudence est contestée par la doctrine
qui voit dans la procédure d'autocertification une ~xception expressément
,
\\
voulue par le législateur pour rendre effectif le principe de sécurité intégrée. 11
nous semble pourtant que cette jurisprudence, loin de faire échec à ce principe,
concourt à sa réalisation. En effet, la responsabilité patronale qui découle du
manquement à l'obligation faite à l'employeur de s'assurer de la conformité du
matériel utilisé, ne fait pas obstacle à la responsabilité du constructeur qui a
indûment délivré un certificat de conformité. Une jurisprudence divergente
permettrait à l'employeur de se retrancher derrière ce certificat et d'utiliser en
toute connaissance de cause, un matériel non conforme à la réglementation. Ce
qui au contraire mettrait en échec l'objet de la loi qui est de mettre le salarié à
l'abri des matériels "dangereux". Toutes ces précautions jurisprudentielles
devraient donc
permettre
de
rendre
effective
cette obligation
faite
à
l'employeur de mettre à la disposition des travailleurs le matériel adéquat. Mais
la prévention des risques professionnels ne dépend pas seulement de cette
,
exigence. Encore faut-il que le matériel de sécurité soit 'i.\\~nectivement utilisé.
'. Crim. 20 Juin 1968, Bull. nO 206~ Crim. 12 Novembre 1984, Bull nO 343.
2
Crim. 6 Juin 1990, lC.P. 1991, Ed. E., nO 130. p 70. note 0 GODARD. Crim. 2 Février 1993, R 1 S
1993, p. 655.

260
2/ L'UTILISATION EFFECTIVE DU MATERIEL DE SECURITE
La mise à la disposition de l'ouvrier d'un équipement de sécurité ne
suffit pas à exonérer l'employeur de sa responsabilité pénale. Il doit prendre
toutes mesures pour que les dispositifs de protection ind,ividuelle prévus par les
textes soient effectivement utilisés, sinon il commet un~\\ faute personnelle' . Si
l'obligation faite à l'employeur de mettre à la disposition des travailleurs un
matériel conforme à la réglementation découle directement de la loi, l'autre
aspect est en revanche avant tout d'origine jurisprudentielle. Il constate une
obligation implicite à la charge de l'employeur qui est celle de sa présence
effective ou à défaut, celle de son délégué au lieu du travail. En effet, alors
même que le chef d'entreprise, en raison de la multiplicité de ses chantiers,
aurait donné des instructions précises au chef de chantier, il demeure toujours
personnellement responsable des infractions commises2 . Il ne s'agit pas
seulement d'une incitation à la délégation mais une obligation de délégation
dès lors que la présence effective de l'employeur n'est pas possible. Par cette
présence effective, l'employeur ou son délégué doit pouvoir, par l'autorité qu'il
exerce sur les salariés, les surveiller et les contraindre au besoin par des
sanctions, à se conformer aux règles de sécurité indivii~uelle et collective. La
sécurité du salarié ne doit pas être laissée à son bon vouloir. Tel est le sens de
cette jurisprudence qui, quelque reproche qu'elle puisse encourir, est légitimée
par ses fins à savoir, éviter ce qui peut l'être. En cela, la Chambre criminelle
concourt à la réalisation de l'objet de la loi. De la nécessité de mettre en oeuvre
les mesures réglementaires de sécurité découle enfin une dernière obligation,
celle de la formation des salariés.
3/ LA FORMATION DES SALARIES EN MATIERE DE SECURITE
Tout chef d'établissement doit s'assurer que les travailleurs embauchés
dans son entreprise ont reçu la formation pratique et appropriée en matière de
sécurité3 . Cette obligation résdte de l'article L. 23] -3-1 C. trav.. 11 ne s'agit
pas de la compétence requise pour tout délégataire ~e pouvoirs mais d'une
,
1. Crirn. 4 Octobre 1978. Bull. n° 257
Crim. 22 Mai 1973, Bull. V, n° 230.
Crirn. 9 Mai 1989, Bull. n° 175.

261
fom1ation pratique adaptée au travail effectivement exécuté par tout salarié. Ici
encore, de l'absence de cette fom1ation, la Cour déduit la faute de l'employeur
et le lien de causalité avec le préjudice subi par le salarié.
Il ressort de tout ce qui précède que relativement aux mesures
réglementaires de sécurité, bien qu'elle ne l'ait pi\\s annoncé, c'est une
",
obligation de résultat que la Cour met à la charge de l'employeur. La
conséquence qui en résulte est qu'aucun préjudice professionnel ne doit sous
peine de sanctions, trouver sa source dans l'inobservation des mesures
réglementaires. Mieux qu'une simple pénalisation, la Chambre criminelle
préconise à travers les obligations qu'clle met à la charge de l'employeur, les
moyens d'y parvenir. Sans y être directement impliqué du moins à cc stade, le
juge pénal insuffle à l'employeur le mode d'organisation de l'entreprise
relativement aux dispositions de sécurité en ce sens que, outre la mise à la
disposition des salariés d'un matériel adapté, il impose à l'employeur sa
présence personnelle ou celle d'un salarié ayant autorité sur les autres. Le juge
pénal n'est sans doute pas un simple juge répressif malgré les reproches qui lui
sont souvent adressés, mais le juge de la construction du monde du travail. Si
toutes ces exigences jurisprudentielles devraient normalement permettre de
rendre effectives les dispositions réglementaires, il y a heu de reconnaître que
le juge ne se satisfait pas de cette situation. C'est plus une obligation générale
de sécurité qu'il tend à imposer à l'employeur.
BI LA CONCRETISATION D'UNE OBUGATION GENERALE DE
SECURITE
Bien avant la loi du 9 Avril 1898, la tendance qui se dégageait de la
jurisprudence était celle d'une obligation générale de sécurité. En eflèt, comme
nous l'avions déjà relevé, la faute de l'employeur résultait des infractions aux
usages de l'industrie « ou plutôt aux usages que la jurisprudence veut imposer
à
l'industrie
moderne»'.
Cependant,
il
faut
bien
le. signaler,
cette
jurisprudence avait pour but depennettre une réparation du préjudice subi par
le salarié. Il s'agissait donc de la responsabilité civile dvl'employeur et non de
sa responsabilité pénale. S'agissant de cette dernièrè; la jurisprudence se
'. R. SALEILLES. ouvr. prée plO

262
refusait de reconnaître la responsabilité de l'employeur en l'absence de textes
spéciaux. Ce n'est pourtant pas les textes à caractère général qui faisaient
défaut. En effet, aux termes de la loi du 12 Juin 1893, « les établissements
doivent être aménagés de façon à garantir la sécurité des travailleurs. Les
machines, mécanismes, appareils de transmission, outils et engins doivent
être installés et tenus dans les meilleurs conditions possibles de sécurité ».
\\
Cependant, la jurisprudence avait estimé que ces textb étaient de caractère
général et devaient être complétés par un règlement détaillé pour être
susceptible d'application 1 • Dès lors, la sécurité des salariés devait toujours
passer par l'élaboration des dispositions réglementaires. Et l'employeur qui
respecte
ces
dispositions
techniques
remplissait
toutes
ses
obligations
relativement à la sécurité des salariés.
Une telle conception de l'obligation patronale constitue une légitimation
du préjudice corporel en ce sens que l'employeur n'était pas tenu de mettre en
oeuvre ce qui était possible pour éviter le préjudice. Entre les exigences
réglementaires et les précautions qui, dans le cadre de chaque entreprise,
pouvaient être prises afin d'éviter les accidents, il y a sans doute un décalage.
Les préjudices survenant dans cette zone "non protégée" n'étaient donc pas
sanctionnés alors même qu'il aurait été possible de I~s éviter. Ce faisant, le
juge avait limité sa propre contribution à la prévention d~ ces préjudices. Cette
jurisprudence procédait d'une conception assez rigoriste de la séparation des
pouvoirs, la mission du juge n'étant certainement pas de déterminer les faits
pénalement répréhensibles. Or la législation sur la sécurité des salariés ne
constitue pas toujours, à la diffërence des infractions de manière générale, une
prohibition de certains comportements ou actes en fonction des jugements de
valeurs de la société concernée. H s'agit plutôt d'imposer à l'employeur en
fonction des connaissances du moment, des mesures pratiques visant à éviter
un dommage. Dès lors, la passivité de l'employeur malgré la connaissance du
risque ou la possibilité de le connaître, le rend pénalement responsable, même
dans le silence du règlement, si cette omission ou cette action est source de
dommage. Sous peine de compromettre la protection de l'intégrité physique
des salariés, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne pouvait
J
Crim. 2 Avril 1897, D. 1900, 1,241

263
perpétuer cette jurisprudence. Aussi, la construction de la Chambre criminelle
répond-elle aujourd'hui, à d'autres considérations qui tiennent surtout à
l'insuffisance congénitale des mesures réglementaires.
Il L'INSUFFISANCE CONGENITALE DES DISPOSITIONS
REGLEMENTAIRES
C'est la caractéristique de la loi que de ne pouvoir prévoir toutes les
situations. Les règlements, aussi détaillés et abondant~\\soient ils, ne pourront
nullement cerner toutes les situations notamment en matière de sécurité où la
prolifération des techniques rend leur maîtrise a priori hypothétique. Si la
liberté des citoyens commande que soit prédéterminé ce qui est interdit et
réprimé, leur sécurité commande également que soient mises en oeuvre toutes
les précautions possibles afin d'éviter ce qui peut l'être. « Le fait que la loi ou
les règlements autorise un acte, en le subordonnant à certaines conditions
édictées dans l'intérêt des tiers, n'a pas pour effet de relever cew; qui
accomplissent cet acte de l'obligation de prudence et de diligence» 1. Ce
principe du droit civil est utilisé dans les relations du travail nous dit la
doctrine, « (...) pour étayer la conception propriétariste de l'entreprise, et
dans cette hypothèse on maintient que le salarié est un tiers, par rapport au
lieu de travail: la logique con:mande alors d'admettre aussi, en l'état, cette
qualité de tiers par rapport au choix de la machine, ct à son utilisation. Dès
\\
lors, même si telle fabrication est licite, même si te'Ue machine n'est pas
interdite, cet éventuel silence de la loi ne libère pas l'employeur »2. C'est sans
doute ces considérations et surtout la nécessité d'une prévention plus efficace
qui ont commandé le revirement jurisprudentiel qui a rendu à son tour, plus
intelligible l'ensemble des dispositions relatives à la sécurité des salariés.
2/ LA RENAISSANCE D'UNE OBLIGATION GENERALE DE SECURITE
Elle s'est opérée sans intervention législative. A ce titre, on pourra dire
qu'elle est d'origine jurisprudentielle. Mais en réalité, elle procède d'une
relecture des dispositions du Code pénal et du Code du travail. En 1968, la
Civ 2"'''', 14 Juin 1972, D. 1973.423, note E.LEPOINT
H. FEN AUX, note sous Douai, 28 Janvier 1982. D; 1983.1. 83

264
Chambre criminel1e qui jusque là renonçait à retenir la responsabilité pénale de
l'employeur en l'absence d'une infraction particulière aux règlements, reproche
à une cour d'appel de n'avoir pas recherché si, outre l'inobservation des
règlements, le prévenu n'avait pas commis une imprudence ou une négligence
en s'abstenant « de prendre les mesures que les circonstances commandaient
comme relevant de l'obligation générale de sécurité qui lui incombait» 1 • La
Cour reconnaissait donc explicitement, comme le suggère d'ailleurs les articles
319 et 320 du Code pénal, que l'obligation de l'employeur ne se limite pas au
seul respect des dispositions réglementaires. C'est la prise en considération de
la situation de danger en milieu de travail 2 . Il s'agit do~\\ pour la jurisprudence
d'imposer à l'employeur, « l'intégration au processus de production la sécurité
optimale »3. Dès lors, « (...) l'intensité de l'obligation patronale dépendra
moins des mesures réglementaires, et plus de l'appréciation circonstanciée
des juges »4. Le rôle du juge dans la lutte contre la situation de danger en
milieu de travail en sort accru et ce pour une meilleure prévention. Cette
construction prétorienne constitue aussi un correctif à la délégation de
pouvoirs car, alors même que l'employeur aurait délégué ses pouvoirs, il n'est
pas dispensé de l'obligation générale de sécurité qui lui incombe. Cette
tendance jurisprudentielle à étendre la responsabilité patronale au-delà des
règlements, se trouvera renforcée par le recours aux dispositions mêmes du
Code du travail. En effet, les articles L. 232-1 et L.233-1 jusque là considérés
comme de simples chapeaux' introductifs des dispositions techniques et
auxquels on accordait au plus « une valeur de réjérencf\\morale », retrouveront
leur autonomie et serviront de
base
à une
condamnation pénale de
l'employeur5 . Aujourd'hui, parce que la Chambre criminelle l'a voulu,
l'obligation générale de sécurité est devenue une réalité du droit positif. La
réparation certaine du préjudice professionnel ne saurait octroyer à l'employeur
le droit d'exposer indûment ses salariés à des dangers par l'observation
exclusive des règlements. C'est en vain que le "législateur" multipliera les
règlements. Quand bien même ils seront toujours utiles, ils demeureront aussi
1 . Crim. 25 Octobre 1968, BulL n° 274
2
Crim. 1 1 Octobre 1989, Dr. ouvr. 1990, p. 409
P CHAUMETTE, « L'activation du lien reparation-prevention », Dr. soc 1990, p. 724.
4. P. CHAUMETTE, « Commentaire de la loi du 31 Décembre \\991 relative aux obligations de l'employeur
et du salarie en matiére de securité au travail », Dr. soc. 1992, p. 377
5 . Crirn
12 Juillet 1988, Bull. n° 302.
\\,

\\
265
insuffisants. L'élimination du danger anormal du milieu de travail passe donc
par le juge. Mais reste à savoir quelle est la nature de cette obligation générale
de sécurité.
2/ LA NATURE DE L'OBLIGATION GENERALE DE SECURITE
Sur la nature des obligations de l'employeur, H. SEILLAN estime que
l'ordre public n'est pas représenté par les seules règles précises mais aussi par
ces textes qui définissent une véritable obligation de sécurité d'origine légale et
qui équivaut à une obligaticll de non-dommage. Tout autre conception
équivaudrait à la « légitimation du dommage à l'homme» 1. Cette analyse
\\,
aboutit nous semble-t-il, à j'application systématique dü la loi pénale dès lors
qu'il se produit un dommage au sein de l'entreprise. Par ailleurs, elle conduira à
abandonner tout moyen de production une fois qu'il en résulte un dommage
corporel à un salarié. Cette conception doctrinale rigoriste de l'obligation de
l'employeur ne nous paraît donc pas justifiée. Et qui plus est, sur le plan
pratique, alors même qu'elle permettrait une répression systématique, elle ne
renforcera pas la sécurité du salarié. Sans légitimer le dommage corporel, il
nous semble bien que la situation de danger est parfois inhérente à J'activité
industrielle. Il ne s'agit pas pour la jurisprudence d'imposer à l'employeur une
obligation de non-dommage qui au demeurant serait au-dessus de ses moyens.
« La finalité de l'obligation générale de sécurité n'est pas la disparition
complète de tout danger dans la production. Il s'agit plutôt du danger
anormal »2 . Le danger anormal est celui que les connaissances techniques du
'.
moment et la diligence de l'employeur devraient penù~ttre d'éviter. Ainsi, il
engage sa responsabilité pénale dès lors qu'il omet de prendre les mesures
nécessaires pour interdire l'accès du chantier où tombaient des morceaux de
béton provenant d'un mur et dont l'un de ses salariés a été victime3 . Il s'agit
donc pour la Cour, d'imposer à l'employeur un comportement type, celui du
bon père de famille, quoi que cela puisse coûter à son industrie.
S'il est certain que de l'appréciation des juges dépendra ['étendue de
J'obligation patronale, la diligence de J'employeur ou J'exécution effective de
1 . H SE1LLAN, « Sécurité du travail et ordre public », Dr soc
1989, p. 369.
2
J-P MURCIER, « Origine, contenu et avenir de l'obligation générale de sécurité »Dr. soc 1988, p 610.
Crim. 14 Mars 1994. RJS 1994, p. 676.
,
"

266
son obligation est subordonnée aux sanctions dont elle est assortie. La
recherche de sanctions pénales adaptées constitue donc un complément
indispensable à une protection de l'intégrité physique du salarié.
§ II: LA RECHERCHE DES SANCTIONS PENALES ADAPTEES
Bien loin de nous certes, l'époque où les pénalités étaient arbitrées par
les juges. Le principe du droit pénal moderne est celui de la légalité des peines.
De cette observation il résulte que la recherche judiciaire des sanctions
adaptées se trouve forcément limitée par l'éventail des peines prévues par le
législateur lui-même, quitte à ce que ce dernier intervienne pour offrir d'autres
possibilités au juge. C'était déjà le cas avec l'intervention législative sur les
peines de substitution. Ce fut encore le cas avec le nouyeau Code pénal. Dans
\\
cette panoplie de peines, le juge conserve tout de mêm0 sa liberté. Sous peine
de ritualiser la sanction pénale, de la transfornler en un simple folklore qui
libérerait le juge de son devoir sans rien changer à la siluation, un choix
réfléchi s'impose, et davantage en matière de sécurité où les infractions
apparaissent bien souvent, comme une option. Le juge a+il fait un usage
judicieux des sanctions disponibles dans cette matière qui nous concerne?
Malgré des obstacles persistants, n'est-il pas possible de réaliser une meilleure
adéquation entre les sanctions et la nature de l'infraction?
AI LA DIVERSITE DES SANCTIONS ET LEUR USAGE
« Dans toute la panoplie des moyens mis en oeuvre pour développer
une véritable incitation à Îa prévention,
des plus simples aux plus
sophistiqués, l'incitation financière directe reste que! qu'on dise parmi les
plus efficaces» écrit O. GODARD 1 . Or, nous savons' que la réparation des
accidents du travail depuis la loi du 9 Avril
1898 est essentiellement
forfaitaire. A cela, il faut ajouter la tendance du juge social à protéger les
intérêts de l'employeur, vu son attachement au principe de la réparation
forfaitare. Dès lors, seule la voie pénale reste ouverte à toute incitation
financière de l'employeur. Nous pensons aux amendes. Mais ici encore, force
1
0 GODARD, « La législation d'accident du travail. un chefd'oeuvre en péril?», Dr. soc. 1991, p. 345.

267
est de reconnaître l'existence pendant longtemps, d'obstacles sérieux auxquels
le nouveau Code pénal a apporté des solutions dont l'efficacité nous semble-t-
il, reste pour l'instant hypothétique. Ces obstacles initiaux sont à la fois
d'ordres légal et psychologique.
1/ LES OBSTACLES D'ORDRE LEGAL
A la faiblesse des peines, il faut ajouter l'irresponsabilité des personnes
morales. Ces deux éléments se trouvent au demeurant liés car c'est en réalité
de l'irresponsabilité des personnes morales que résulte e;'~ partie la faiblesse des
peines. En effet, pendant longtemps, la répugnance du législateur à la
responsabilité pénale des personnes morales a été manifeste. Dès lors, alors
même que la violation des règles de sécurité ou l'option pour un système de
production dangereux serait un choix d'entreprise, seules les personnes
physiques étaient poursuivies. Ce qui explique probablement la modicité des
peines prévues en la matière par le législateur. Il s'agissait essentiellement des
peines contraventionnelles. Quelles que soient l'étendue de la responsabilité
patronale et la rigueur des juges, les efforts des tribunaux se trouvaient du
coup anéantis par la faiblesse des peines. Le problème était d'autant plus grave
que ces amendes peu significatives sont semble-t-il dans IÇl pratique, payées
par l'entreprise'. Ainsi, non seulement les personnes physiques poursuivies
sont en fait dispensées de peiIies mais aussi, ces amendes en raison de leur
faiblesse, sont sans incidence significative sur la situati;,~n de l'entreprise.
Cependant, la loi du 5 Juillet 1972 allait aggraver les sanctions
permettant l'application des peines correctionnelles dès la première infraction.
11 s'agissait donc pour le législateur de réprimer plus sévèrement les infractions
afin de rendre effectives les mesures de prévention. Or J'article 5 c.r. pose le
principe du non-cumul des peines en matière de crimes et délits. Ce qui du
reste était possible lorsque les infractions étaient de simples contraventions,
excepté bien entendu, les contraventions de cinquième classe. La loi du 5
Juillet 1972 aboutissait donc paradoxalement à alléger les sanctions. Pour
contourner la difficulté, la Chambre criminelle a estimé que la loi du 5 Juillet
1972, apportait une dérogation au principe du non-cumul des peines de sorte
B. BüUBLI, « La délégation de pouvoirs depuis la loi du 6 Décembre 1976 », Dr. soc. 1977, p. 82
\\,

268
que les pemes encourues pour violation de la réglementation pourraient se
cumuler aux peines prévues aux articles 319 et 320 du Code pénal. 1 Cette
dérogation voulue par la Chambre criminelle devrait permettre de réaliser
l'objectif de la loi puisque la répression en sortait renforcée.
Cette lecture de la loi sera pourtant condamnée par le législateur lui-
même. En effet, la loi du 6 Décembre 1976, en même temps qu'elle pernlettait
au juge, à une double condition, de meUre à la charge de l'entreprise les
amendes prononcées, prohibait expressément le cumul des peines2 . Comme le
faisait remarquer la doctrine, « fi en résulte que, en cas de prononcé d'une
amende, le tribunal ne pourra pas dépasser le maximum de 20000F (<j'il Y a
eu homicide involontaire) ou de f5000F (s'il y a eu blessures involontaires),
même si, en raison du nombre des ouvriers concerné,y, le montant global des
amendes résultant de l'application de l'article L 263-2 Nu Code du travail eût
été normalement supérieur à ces chiffres»3. A cette première limitation, il
faut en ajouter une seconde résultant de l'application de l'article L. 263-2 C.
trav. qui permet de prononcer autant d'amendes qu'il y a de salariés concernés
par l'infraction. La Cour de cassation a jugé que plusieurs infractions ne
pouvaient pas être relevées lorsqu'elle concerne le même salarié. Ainsi,
lorsqu'il a été relevé deux infractions (défaut de ceintures de sécurité et défaut
de casque) sur le même salarié, une seule amende peut être appliquée4 . Si les
sanctions financières constituent le moyen le plus adapté à une incitation des
employeurs à la prévention, il est certain au regard de tout ce qui précède que,
malgré l'ingénieuse construction jurisprudentielle en la matière, sa portée
pratique demeure limitée en raison de la faiblesse des amendes. C'est
probablement de là que procède la défiance de la doctrire à la capacité du droit
pénal à assurer la prévention des accidents du trm:".1il. Mais on pourrait
également penser aux peines privatives de liberté. Là encore, des obstacles
d'ordre psychologique semblent subsister.
1 • Crim. 21 Octobre 1975, D. 1976, p. 376, note 1. SA VATIER.
2
Ainsi, lorsqu'un délit d'homicide ou de blessure involontaire est poursuivi en même temps que des
infractions correctionnelles aux dispositions concernant la sécurité des travailleurs, et ceci. même dans le cas
où , par exception, la loi prévoit que dans le cas de cenaines infractions délictueuses au Code du travail il est
prononcé autant d'amendes qu'il y a de travailleurs concernés, la règle selon laquelle en cas de conviction de
plusieurs crimes ou délits la peine la plus l'one est seulement prononcée s'applique. Crim 8 Mars 1994,
CS.B.P., 1994, P 215.
J. Y MONNET, « Les aspects pénaux de la loi du 6 Décembre 1976", Dr. soc
1977, p. 78.
4 . Crinl. 17 Mai 1977, Bull. na 176.

269
,
"
2/LES OBSTACLES D'ORDRE PSYCHO~~OGlQUE
L'emprisonnement constitue dans la conscience populaire, la peine la
plus humiliante et donc la plus créatrice d'intimidation. Bien que son efficacité
soit contestée, elle occupera encore longtemps, une place importante dans le
système de répression.
Et pourtant, alors que l'opinion publique sera
indifférente à l'incarcération d'un voleur d'autoradio, elle conçoit mal qu'un
patron d'entreprise qui par négligence ou inobservation des règlements a causé
la mort de plusieurs ouvriers, soit jeté en prison. Et même le corps. judiciaire
i
n'est pas à l'abri d'un tel jugement. Les statistiques semblent le confinner . 11
est indéniable que la nature des infractions en cause contribue pour une part à
cette situation. Mais par dessus tout, c'est leur qualité de patron qui rend
difficile leur assimilation à de véritables délinquants. Ce qui explique d'ailleurs
que lorsque ces peines privatives de liberté sont pronOl\\~ées, elles sont presque
toujours assorties de sursis2 .
\\
Nous rappellerons que la responsabilité patronale est celle du fait
personnel. Il n'y a donc pas de risque qu'ils soient emprisonnés pour une tàute
qu'ils n'ont pas commise. Par ailleurs, s'il peut paraître injuste qu'un employeur
soit privé de sa liberté pour une simple faute de négligence passagère, il y a
lieu de reconnaître que beaucoup de préjudices résultent de la violation répétée
et parfois permanente des règlements de sécurité ou des principes élémentaires
de prudence. Ce fut d'ailleurs le cas dans l'affaire Chaperon. JI nous semble
bien que la qualité d'employeur ne doit pas occulter cette fonne de criminalité
qui méprise la valeur humaine au profit de « l'argent roi ». Dès lors que la règle
transgressée était connue de l'employeur, et c'est d'ailleurs souvent le cas, cette
délinquance
n'est en
rien
moins
immorale que
l'abus
de
confiance,
l'escroquerie ou les blessures involontaires dans d'autr~\\: domaines. Or une fois
l'amende payée, l'employeur délinquant, sans être atteint dans son honneur,
croit s'être acquitté de sa dette à l'égard de la société, reléguant au passé,
l'accident avec son cortège de drames, humain, familial et professionnel.
Comme le relève le Professeur SA VATIER, « Les vertus de la prison pour
1 . Voir Annexes, Tableaux 1 et 2, p. 392. En 1992 par exemple, les peines de prison ferme ou assorties de
sursis représentaient environ 4 % des condamnations
2. Voir Annexes Tableau nO 3, p. 393

'.
\\
270
l'amendement des délinquants sont aujourd'hui contestées. Mais elle a
certainement
une valeur d'intimidation
à l'égard des personnes dont
l'honorabilité sociale n'est pas atteinte par une simple peine d'amende. Et il
ne faut donc pas l'écarter systématiquement dans le cas de mépris des
obligations de sécurité ayant entraÎné de graves accidents corporels dans
l'entreprise» 1 •
L'inadaptation des peines prononcées apparaît donc aujourd'hui comme
un obstacle essentiel à la prévention des accidents du travail, obstacle qui
anéantit l'excellente construction jurisprudentielle dans ce domaine. Peut-être
le juge mettra-t-il à profit les dispositions du nouveau Code pénal.
'.\\,
\\
BI L'APPORT DU NOUVEAU CODE PENAL
On relèvera d'abord dans le nouveau Code la multiplication des textes
d'incrimination pour homicides et blessures involontaires2 . Cependant tous ces
textes n'ajoutent rien à l'étendue de ('obligation patronale telle qu'elle résultait
déjà des anciennes dispositions et de la jurisprudence. Le fait marquant
relativement à ces infractions, c'est sans doute l'aggravation des peines qui, si
elles sont judicieusement choisies, pourraient faire évoluer les comportements.
Nous y reviendrons en détail.
S'agissant toujours des nouvelles incriminations, une seule retiendra
notre attention. Il s'agit des risques causés à autrui de l'article 223-1 N.C.P ..
Cette infraction non plus n'ajoute rien à l'étendue de J'obligation patronale en
ce que les faits réprimés entraient déjà dans la c~'~égorie plus large des
violations des règlements de sécurité. Seulement, la nouvelle loi en fait une
infraction particulière tout en aggravant les sanctions. Sa spécificité par
rapport aux autres innovations réside dans le fait qu'elle est constituée
indépendan1ment et avant tout accident ou préjudice. Il s'agit d'une « (...)
infraction-obstacle, (. ..) un comportement qui en lui même n'a causé aucun
dommage, mais qui en contient un en germe »3. Le quantum de la peine est
certainement de nature à jouer un rôle dissuasif à l'égard des employeurs
'. J. SAVATIER, note précitée. d. 1976, p. 381.
2
Il s'agit des articles 221-6, 222-19, 222-20 et R. 622-1 Nep.
J PRADEL, « La mise en danger », Rev. jur Centre Ouest, 1994, n° 14, p. 65.
,
\\\\

271
Cependant il n'est pas certain Liue cette nouvelle incrimination aura une réelle
portée pratique dans le domaine de la sécurité du travai",
,
'.
D'abord, comme nous le verrons plus loin 1 , il existe actuellement des
obstacles certains pour la constatation et la poursuite des infractions en matière
d'accident du travail et davantage en l'absence d'accident ou de préjudice. Mais
la difficulté essentielle réside dans les éléments constitutifs même de
l'infraction. En effet, il ne s'agit pas d'une simple violation d'une règle
particulière mais une « violation manifestement délibérée ». C'est dire que la
volonté de l'employeur de transgresser la loi ne doit soutlhr d'aucune
équivoque possible. Et qui plus est, cette violation doit être de nature à exposer
une personne à un « risque de mort ou de blessures de nature à entraÎner une
mutilation ou une irifirmité permanente ». Cette précision traduit la volonté du
législateur de réduirc le pouvoir d'appréciation du juge et les hypothèses
d'application de ce texte en les limitant aux situations extrêmement graves2 .
Sinon, rien ne permet a priori de déterminer objel'{ivement l'ampleur du
préjudice pouvant résulter de l'inobservation d'un règl\\ement. Des situations
apparemment anodines peuvent être source de dommages insoupçonnables.
Comme le souligne M. PUECH, « A dire vrai, la preuve dans un sens ou dans
l'autre est impossible à apporter avec un degré de probabilité suffisant pour
asseoir une décision. (..) pour éviter la di/liculté, la jurisprudence posera en
règle que la connaissance de l'existence d 'un danger emporte celle de la
consistance du danger (c'est-à-dire qu 'd présente l'un des traits prévus par la
loi). D'où ces deux conséquences: qu 'd appartiendra au prévenu d'établir le
contraire et que faute d:v parvenir, le doute profitera... au ministère
public »3. II est donc probable que le juge ait une conception plus large de la
notion que ne le laisse penser les dispositions légales.
Des nouvelles dispositions du Code pénal, outre les peines prévues, la
\\
responsabilité pénale des personnes morales retiendr~', notre attention car il
"
1
Voir p. 331
1. D'ailleurs, la Circulaire du 14 Mai 1993 qui se rétëre aux travaux préparatoires de la loi est très explicite sur
la question. « D'une manière générale, il peut être observé que le législateur a clairement indiqué au cours des
débats qu'il souhaitait soigneusement délimiter les contours de cette inti'action nouvelle, afin, notamment,
qu'elle ne sanctionne que les comportements pour lesquels il ne fait aucun doute qu'un risque pour la vie ou
l'intégrité d'autrui a été pris délibérément. C'est la raison pour laquelle il a précisé que seule une violation
« manifestement» délibérée d'une obligation « particulière» était incriminée (... ») .
.1. M. PUECH, « De la mise en danger d'autrui », D. 1994, Chf. P 156

272
nous semble qu'elle est sous certaines conditions, porteuse d'espoir dans le
domaine qui nous intéresse. Nous avions déploré la faiblesse des peines liée
probablement à l'irresponsabilité des personnes morales. Cette carence a été
remédiée par la nouvelle législation qui pemlet de porter l'amende au quintuple
(jusqu'à 2500000F pour le délit d'homicide involontaire résultant d'un
manquement délibéré à une obligation de sécurité) lorsqu'elle est imputée aux
personnes morales. Mais avant de nous intéresser aux peines, il convient
d'examiner d'abord le principe même de la responsabilité des personnes
morales dans notre matière.
1/ LA RESPONSABILITE PENALE DES PERSONNES MORALES DANS
LE DOMAINE DES ACCIDENTS DU TRA VAIL
"
Le principe de la responsabilité pénale des persûnnes morales soulève
une importante interrogation dont l'issue dépendra des juges. Le problème est
d'autant plus préoccupant que, de J'interprétation de la Cour dépendra
l'efficacité ou l'anéantissement de la règle. En effet, aux termes de l'article 121-
2 N.C.P., la responsabilité des personnes morales ne peut être engagée que
pour les infractions commises pour leur compte et par leurs organes ou leurs
représentants. Or en matière d'hygiène et de sécurité, l'employeur ne peut
s'exonérer de sa responsabilité que par délégation de pouvoirs. Dès lors, doit-
on considérer le délégataire de pouvoirs comme représentant ou non de
l'entreprise?
Dans le premier cas, la possibilité de retenir à la fois la responsabilité
pénale du délégataire et celle de la personne morale aura certainement un effet
dissuasif pourvu, que le juge ne privilégie pas les. ii\\térêts économiques de
l'entreprise. Il y a lieu de craindre cette éventualité d'autant plus que le N.C.P.
ne détermine pas la peine minimale applicable mais seulement les peines
maximales. Cette situation confère sans doute au juge une plus grande liberté
souhaitable dans son principe mais qui pourrait entraver l'efficacité des
sanctions si les juges venaient à raire preuve d'une indulgence extrême à
l'égard des entreprises.
Dans le second cas, comme le relève la doctrine, la responsabilité pénale
des personnes morales aura pour conséquence « d'encourager une politique de

273
déconcentration des pouvoirs dans les entreprises, animée moins par le souci
d'améliorer la prévention des accidents du travail que par celui de faire
échapper la personne morale à toute responsaMlité pénale dans ce
\\
domaine» 1 • On assistera alors dans ce domaine à une i;\\lmunité pénale de fait
des personnes morales.
Selon D. GUIRIMAND, « Il est certain d'ores et déjà que seul un des
organes de la personne morale (assemblée génémle, conseil d'clclilllflislmliol1.
conseil municipal. ..) ou son représentant (gérant, président du conseil
d'administration, maire .. .) pourra engager la responsabilité de fa personne
morale lorsqu'il aura agi pour le compte de celle-ci ( ..). La personne morale
ne sera donc pas pénalement responsable des infractions commises, même cl
son profit, par un de ses employés »2. Si cette solution venait à être adoptée
par la Cour, elle conduirait sans doute à des situations fâcheuses; relativement
aux peines, on assistera à un quasi retour à la situation d'avant la loi, la
fuiblesse et l'inadaptation des peines, er donc un échec des nouvelles
dispositions. Il serait donc inopportun que la Cour éca\\~e systématiquement la
\\
responsabilité des personnes morales lorsque l'infraction! aura été commise par
le délégataire.
En effet, s'il est certain que la délégation ne concerne que les rapports
entre l'employeur et le délégataire de pouvoirs, il y a lieu de relever que par ce
mécanisme, le délégué devient aussi responsable devant la loi pénale. Il est le
représentant de l'entreprise dans la gestion de la sécurité à son niveau de
responsabilité. On ne saurait donc réduire cette institution à une simple
organisation interne à l'entreprise. Le juge n'étant pas toujours tenu de retenir
la responsabilité pénale de la personne morale dès lors que l'infraction a été
commise par l'un de ses représentants, il décidera, suivant les circonstances,
s'il y a lieu de sanctionner aussi la personne morale. Mais il nous semble très
probable que la jurisprudence devienne plus exigeante sur les conditions de la
validité de la délégation si elle venait à décider que le \\;télégataire de pouvoirs
ne pourra engager la responsabilité de la personne morale.
1
A. COEURET, « La responsabilité en droit pénal du travail' continuité et rupture», Rev. sc crim 1992.
~ 475
. D. GUIRIMAND, « La responsabilité pénale des personnes morales», R. J S. 1993, Etudes et doctrines,
p. 487

274
Par ailleurs, il convient de relever que, SI à l'Op\\,)osé de cette situation
évoquée, les juges venaient à retenir souvent la responsabilité exclusive des
personnes morales, il est à craindre des manquements plus fréquents des
personnes physiques. Certes, il résulte de la loi que la responsabilité pénale des
personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou
complices des mêmes faits. « Le cumul demeure donc possible. Mais possible
ne veut pas dire fréquent ni encore moins automatique» 1. La responsabil ité
d'une personne morale pourrait donc être retenue sans que soit recherchée
celle de la personne physique. Tel est déjà le ca'> dans une espèce du 3
Novembre 19952 .
II importe de relever qu'il résulte de l'intention même du législateur que
la responsabilité des personnes morales ne doit pas occulter celle des personnes
physiques. Rechercher exclusivement la responsabilité\\de la personne morale,
« (...) c'est s'exposer à faire peser sur la personne mo/'.ale une responsabilité
automatique et objective qui dépasse sans doute ce que le législateur a
voulu»3. Et s'agissant particulièrement de la protection de l'intégrité physique
des salariés, « (..) une telle solution est susceptible d'induire che:: les cheft
d'entreprise et leurs collaborateurs. lesquels ne se sentiront plus menacés par
la sanction pénale alors que, dans le domaine des accidents du travail, bien
des négligences causales procèdent d'un comportement humain fataliste ou
insuffisamment vigilant ( ..) »4.
Il est plus que probable que dans cette espèce citée, 5 la responsabil ité
d'une personne physique aurait été recherchée si le nouveau Code pénal
n'avait pas établi celle des personnes morales. On rappellera une fois encore,
les
dispositions
de
la
nouvelle
loi
n'ont
pas
pour
objet
d'établir
l'irresponsabilité pénale des personnes physiques. .\\ a nouvelle législation
\\
, . P. COUVRAT « L'infraction commise par une personne morale », Rev. lur. Centre Ouest, 1994, nO 14,
r 50
. T.G.!. Paris, 31 Novembre 1995, Dr. soc. p. 159.
J. A
COEURET, « La responsabilité pénale des personnes morales pour accident du travail », Dr. soc. 1996,
p. 157.
4. Idem.
l. Dans cette espéce, la victime a fait une chute suite à la ruptured'un goujon corrodé par la rouille. La victime
travaillait sur un échafaudage à une hauteur de 14 mètres. Il apparaît que des points de rouilles pouvaient être
observés sur celui-ci. Les services de l'inspecteur du travail ont relevé que la lisse et la sous lisse à chaque
niveau n'étaient pas à une hauteur réglementaire. Le directeur d'exploitation de la société employeur de la
victime a reconnu qu'aucun contrôle minutieux n'a été réalisé quant à la résistance des lisses.

275
procède davantage de «(...) la volonté de mettre en oeuvre une politique
criminelle efficace» 1 .
On soulignera cependant que le problème se pose non pas au niveau du
juge mais en amont. En effet, le juge pénal ne pouvanC,retenir dans les liens de
la prévention que les personnes visées dans le réquisit~'ire, c'est au Ministère
public qu'il appartient de prendre l'initiative de la poursuite cumulative des
personnes physiques et morales.
Il résulte de ce qui précède que la portée ou l'effectivité des nouvelles
dispositions du Code pénal relativement à la sécurité des travailleurs dépendra
de l'interprétation jurisprudentielle. Mais quelle que soit l'interprétation
donnée, le perfectionnement de l'oeuvre jurisprudentielle dans la prévention
des préjudices professionnels passera inévitablement par une diversi fication
des sanctions pénales.
2/ LA DIVERSIFICATION DES SANCTIONS PENALES
« S'il est un domaine où la réponse pénale n'absprbe pas l'ensemble des
réponses à la commission des infractions, c'est bien ~\\,lui du droit pénal du
travail) écrit C. LAZERGES 2 . Ce phénomène est plus accentué encore si l'on
se limite au domaine de la sécurité. Bien que la quasi totalité des peines
prévues par le nouveau Code étaient déjà prévues par le Code pénal et le Code
du travail, la non-diversification judiciaire des sanctions pénales dans le
domaine des accidents du travail n'est pas seulement imputable au juge.
Certes, comme le souligne le même auteur, « la charge des audiences
correctionnelles ne permet pas de porter un regard particulier sur les
infractions au droit pénal du travail, sanctionnées habituellement par une
amende, sans effort d'utilisation du panel complet des sanctions ». Mais des
considérations propres aux textes d'incrimination expliquent aussi cette
absence de diversification des sanctions dans le domaine des accidents du
travail. En effet, excepté les articles L 263-2 C. trav. (qui prévoit uniquement
,'.
\\.
"
1. J. MOUL y « La responsabilité des personnes morale el le droit du travail », Les petites alliches 1993,
na 120, p. 33.
2. C. LAZERGES, « La diversification des réponses pénales à la commission d'une infraction au droit pénal
du travail », Rev. sc. crim. J 992, p. 500.

276
l'amende), L. 263-6 al. 1 C. tra•. (qui prévoit la publication de la décision de
condamnation), les articles 319 et 320 c.P., toutes les ,\\~tres sanctions prévues
par le Code du travail dans le domaine de l'hygiène "et de sécurité étaient
pratiquement assorties de conditions.
L'article L. 263-4 C. trav. qui prévoit la fenneture de l'établissement
n'est envisagé que dans l'hypothèse d'une récidive. Il en est de même de
l'interdiction d'exercer certaines fonctions prévue par l'article L. 263-6 al. 2 C.
trav .. L'article L. 263-3-1 du mêmt: Code qui prévoit de faire obligation à
l'employeur de rétablir les conditions nom1ales d'hygiène ct de sécurité est
subordonné à la relaxe du prévenu. On notera que même les dispositions du
nouveau Code pénal ne remédient pas à cette situation. L'article L. 263-1 C.
trav. relatif à l'exécution des travaux de sécurité dans un délai détenniné par le
juge, se rapporte seulement aux dispositions de sécurité d'ordre général. Les
dispositions relatives à la saisie d'appareils ou la fenneture des établissements
sous astreinte par le juge des rétërés prévues à l'aI\\icle L 263-1 C. trav.
soulèvent aussi des difficultés procédurales puisqu'elles Impliquent que le juge
soit d'abord saisi par l'inspecteur du travail. Ce qui n'est pas souvent le cas.
Comme on
le
constate,
malgré
la
diversification
des
mesures
législatives, les occasions offertes au juge pour leur application sont très
réduites. On comprend dès lors que l'essentiel des peines prononcées se
résument à des amendes ' . Plusieurs de ces dispositions ont été reprises dans le
nouveau Code pénal notamment sur les sanctions encoures par les personnes
morales. Le mérite de ces dispositions réside dans le fait que le prononcé de
ces peines à l'encontre des personnes morales n'est soumis à aucune condition
particulière autre que celles prévues pour la responsabilité pénale des
personnes morales en général. Il y a donc lieu d'espérer de la jurisprudence,
une meilleure diversification des sanctions.
\\\\,
Mais la plus importante innovation en la matitre reste à notre aVIs
l'article 131-393° N.C.P. qui prévoit le placement de la personne morale sous
la surveillance judiciaire. Il s'agit d'une mesure qui s'inscrit dans le temps et
c'est surtout là son intérêt. Il y a lieu de regretter aussi que les travaux d'intérêt
1 . En 1992, les amendes représentaient plus de 58 % des condamnations. Cf Annexes, Tableau 1, P 392

277
général prévus par le Code pénal soient soumis à l'accord du prévenu. Ces
travaux impliquent sans doute une certaine contrainte qui, contrairement aux
amendes, s'inscrit dans le temps. Il nous semble bien que ces types de peines
sont mieux adaptées à la situation des employeurs insensibles aux amendes qui
par ailleurs, ne les atteignent pa.; dans leur honneur.
Bien que la sanction pénale intervienne souvent ~\\q aval du préjudice, il
y a lieu de reconnaître que le juge pénal est aussi un juge de la reconstruction
des conditions de sécurité. Cette vocation, comme le montrent maintes
dispositions textuelles notanunent le pouvoir reconnu au juge d'ordonner la
fenneture des établissements, la saisie d'appareils ou encore j'exécution des
travaux dans un délai détenniné, est d'origine législative. Malgré cette volonté
affichée du législateur, les textes comme nous l'avions souligné, sont souvent
inadaptés. Il convient donc de leur apporter des modifications afin que le juge
soit plus souvent impliqué dans cette construction tant en amont qu'en aval du
préjudice. Notamment, les conditions requises par J'article L 263-3-1 C. trav.
doivent être supprimées pour permettre au juge d'enjoindre à l'employeur dans
tous les cas, d'exécuter dans le délai défini, le plan de reconstruction. Comme
nous le verrons plus loin 1, J'intervention du juge des référés en amont du
préjudice pourrait être plus effective par une retouche L\\: L 263-1 C. trav.
L'accueil réservé par la doctrine au droit pénal dans le monde du travail
est souvent mitigé, parfois à cause du cloisonnement des matières ou du
désintérêt de certains juges. Tantôt la sanction pénale est considérée comme
une nécessité, tantôt un mal nécessaire ou enfin un mal tout court. Pourtant, au
regard de tout ce qui précède, le rôle du juge pénal dans l'organisation de la
sécurité dans le milieu du travail apparaît indispensable. En détenninant les
conditions d'exonération de l'employeur, il concourt à une meilleure répartition
des pouvoirs en fonction des compétences en vue d'une meilleure prévention.
En délimitant l'étendue de l'obligation patronale, il incite les employeurs à plus
de diligence. Si ce rôle détennil1ant joué par le juge pénal est moins apparent,
on le doit certainement à l'inadaptation des peines. I\\1ès lors, une fois cette
,
\\
1
Voir pp 349-3)0

278
difficulté surnl0ntée, le juge pénal sera certainement la cheville ouvrière de la
prévention des préjudices professionnels. Son mérite ne se limitera plus à
donner aux lois leur réelle pOilée mais aussi, il pourra mieux assurer leur
effectivité. Cependant, il importe de relever que la pré\\\\(ntion des accidents du
.
"'
travail ne dépend pas seulement de la responsabilité de ;'employeur. Le salarié
est également concerné. Aussi celle prévention doit-elle passer par une
responsabilisation des salariés.
\\\\
\\

279
CHAPITRE li: LA IŒSPONSAlllLlSATlON JUDICIAiRE nl!
SALARIE DANS LA PIU:V~~NTION DES RISQUES
PROFESSIONNELS
L'employeur, propriétaire des moyens de production ct titulaire du
pouvoir de gestion de l'entreprise répond, dans les conditions que nous avions
vues, des préjudices qui pourra~ent survenir au salarié. Cependant, sc limiter à
la seule responsabilité de l'employeur dans la réalisati\\n des préjudices, c'est
occulter une partie du phénomène. En effet, si nOlnl\\-e de préjudices sont
imputables au système de production ou à la faute de l'employeur, le salarié
concourt également à la réalisation du préjudice. Tout modèle de prévention
qui se veut efficace doit donc en tenir compte. « Faire porter la responsabilité
des accidents exclusivement à l'encadrement, ou, ce qui revient au même, à
un système qui a pour dynamique de fond l'accumulation du capital et pour
principe ordonnateur la recherche du profit est injuste, et surtout elltraÎne à
chercher les solutions dans une seule direction. Ce qui, dans un domaine
aussi
complexe
que
celui
des
accidents
du
travail,
IJeut
Feiner
considérablement le progrès »1. On pourra donc dire que le salarié est lui-
même acteur de sa sécurité (Section 1) et peut même devenir auteur de sa
propre insécurité et celle de ses pairs. Dans le cadre législatif actuel, y a-t-il
une possibilité pour le juge de mettre le salarié face à ses responsabilités dans
la prévention des risques auxquels il èst exposé?
\\ ,
On a beau étendre la responsabilité patronale, aggraver les sanctions, il y
a bien des préjudices qui ne pourraient être évités sans une contribution active
du salarié à sa propre sécurité. Si COl11l11e nous le verrons, la participation du
salarié à la prévention des risques professionnels implique que lui soient
reconnus à titre personnel des droits, il est aussi indispensable que des
obligations soient établies à sa charge (SECTION Il) afin de le prémunir
contre seS propres n~gligences, source de préjudices pour sa personne cl les
autres salariés.
1
J DUMONT, « Le personnel el la prévention dL'S accidents du travail: ~\\~teur uu suj~t? », Dr. sot:. 1477,
p. 32
\\ \\

280
SECTION 1: LE SALARIE, ACTEUR DE SA PR~PRE SECURITE
',-
Dès lors qu'il n'est pas discuté que le salarié peut contribuer à la
protection de son intégrité physique, il importe de créer les conditions
nécessaires à cette participation. Il convient de lui donner les moyens de lutter
contre les situations de danger pouvant résulter du système de production ou
des défaillances humaines. Ce qui suppose que lui soient reconnus des droits.
Le législateur l'a compris en instituant par la loi du 6 Décembre 1982 le droit
de retrait du salarié (§ 1). En effet, aux temles de l'article L. 231-8 C. trav.,
« Le salarié signale immédiatement à l'employeur ou son représentant toute
situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente
un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute
défectuosité qu'il constate dansle système de protection.
L'employeur ou son représentant ne peut de~ander au salarié de
reprendre son activité dans une situation de travail o\\ù persiste un danger
grave et imminent (..) ». Cette question mérite d'être abordée dans notre étude
pour la simple raison que c'est de l'appréciation jurisprudentielle des conditions
requises pour ce retrait que dépendra l'exercice effectif de ce droit. En eHet,
rien ne sert d'affirmer l'existence d'un droit sans mettre son titulaire à l'abri des
désagréments que pourrait lui entraîner son exercice. De ce fait, on peut
subodorer que le juge pourrait avoir un rôle essentiel dans la mesure de ce
droit de retrait. Mais pourrions-nous dire au regard de sa construction qu'il
assure effectivement ce rôle'? Les développements suivants nous pennettront
de le savoir. On notera seulement pour l'instant que, plus le juge sera enclin à
reconnaître facilement la situation de danger grave et irnnlinent, mieux les
salariés exerceront leur droit. Cette même raison justifie que soient examinées
les limites judiciaires de l'exercice du droit de retrait (§ V).
"\\,
§ 1: LE DROIT DE RETRAIT DU SALARIE FACE A UN DANGER
GRA VE ET IMMINENT
La loi subordonne le retrait du salarié à la condition qu'il ait un motif
raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et
imminent (A). Mais cette faculté doit s'exercer de sorte qu'il ne soit pas créé
pour autrui une situation de danger grave et imminent. Par ailleurs, le salarié

281
qui exerce son droit de retrait doit signaler à l'employeur la situation de danger
(B). De quelle façon doit se faire cette déclaration? Peut-elle avoir une
incidence sur l'exercice du droit de retrait? Nous rép~drons à ces questions
afin de mettre en reliefla protection judiciaire du droit dé retrait.
AI LES CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE RETRAIT
Il conviendra d'une part de sc demander ce qu'il faut entendre par
"danger grave et imminent" et d'autre part de mettre en reliefla protection dont
bénéficie le salarié qui a régulièrement exercé son droit de retrait.
1/ LA NOTION DE DANGER GRA YE ET IMMINENT
Il ne s'agit pas de définir cette notion qui relève plutôt d'une appréciation
circonstanciée des juges. Cette démarche est d'autant plus inopportune que
l'exercice du droit de retrait n'est pas subordonné à l'existence d'un danger réel.
II suffit que le salarié ait une raison valable de penser \\que ce danger est réel.
,
Nous nous bornerons donc à partir de quelques èxemples tirés de la
jurisprudence, à mettre en relief les éléments qui déterminent la solution du
juge. On remarquera d'abord que le législateur n'ayant pas défini la notion de
1
danger grave et imminent, il revient au juge, par un contrôle a posteriori, de
déterminer l'étendue du droit du salarié. S'agissant d'un droit aussi important
pour la sécurité du salarié, cette prérogative du juge fait de lui un élément clé
de la protection de son intégrité' physique. Reste à examiner les contours
judiciaires de la notion de danger grave et imminent.
On signalera d'entrée que cette notion ne saurait se confondre avec les
conditions de travail seulement pénibles ou comportant un risque naturel
inhérent au travail exécuté2 . De même une légère dégradation des conditions
de travail ne constitue pas un danger grave. Tcl est le eas lorsque le niveau
sonore habituellement de quatre-vingt-deux décibels au \\!ieu de travail, monte à
quatre-vingt-huit décibels3 . Cependant, on notera que c'est bien souvent à
1. Le juge ne pourra délerminer l'étendue du droit de relrail qu'à l'occasion des litiges qui Jui sont soumis
suite à l'exercice de ce droit.
'. Cons. Prud'h. Châteauroux, 15 Mai 1984, jp soc. UIMM, nO 84-453, p. 316.
J
Cons. prud'h. Béthune, 31 Oclobre 1984, J.CP. 1985,11, n° 20498.

'.
282
'\\
l'attitude du salarié que la jurisprudence se réfère pour apprécier les motifs qui
ont déterminé Je retrait du salarié. Ainsi, dans l'espèce précitée, le juge relève
que « le simple port de bouchon anti-bruit aurait pu remédier aux nuisances
constatées ». C'est donc du refus persistant du salarié de reprendre son travail
malgré cette solution préconisée par l'employeur que procède son abus de
droit. Tel est aussi le cas lorsque le salarié refuse de reprendre son travail après
avoir exercé son droit de retrait alors que les membres du comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail de même que les représentants de
l'employeur, ont conclu après les vérifications nécessaires, à une absence de
risque pour le salarié 1 •
En revanche, dans une autre espèce où le salarié, malgré son refus
d'occuper son nouveau poste, avait poursuivi son trav~l dans des conditions
qu'il estimait mieux adaptées à sa sécurité, la jurisprudence avait estimé qu'il
était en droit de penser que cette nouvelle situation présentait un danger grave
et imminent2 • En somme, on remarquera que la jurisprudence se réfère peu à
la situation objective de travail mais au mobile qui incite le salarié à se retirer
de son poste. S'agit-il de profiter des dispositions légales pour se soustraire à
ses obligations contractuelles, le juge estime qu'il n'y a pas de motif
raisonnable. S'agit-il au contraire d'une croyance même erronée à une situation
de danger, il y a un motif raisonnable. Cette construction jurisprudentielle tout
en protégeant le salarié de bonne foi, permet à l'employeur de maîtriser la
gestion de son entreprise.
Il Y a un autre élément à inscrire à l'actif de la jurisprudence. On aurait
pu penser que cette notion de danger grave et immi~~nt s'adaptait mal à la
situation de maladie. Et il paraît peu probable que le législateur ait soupçonné
cette situation. Mais la jurisprudence a su adapter le droit de retrait à la
situation de maladie, en tenant compte dans son appréciation de l'état même du
salarié. C'est ainsi que dans l'espèce précitée elle avait admis l'existence d'un
motif raisonnable alors que la situation en cause ne concernait qu'une simple
modification du siège de la salariée, modification dictée par les impératifs de
production. 11 est certain qu'un salarié ordinaire n'aurait pas pu arguer de
\\ Poitiers. 3 Fevrier 1993, R. J. s. 1993, p. 398.
2
Soc. Il Décembre 1986, lep. 1987, Il, nO 20807.

283
l'existence d'un danger imminent. Mais en tenant comp,te de la scoliose dont
.
,
était atteinte l'employée, elle a admis que son refus de\\' travailler au nouveau
poste était justifié.
De manière implicite mais certaine, la Chambre sociale par cette
décision, impose à l'employeur l'adaptation des conditions de travail à la
situation du salarié en ce sens qu'elle inclut l'état du salarié dans l'appréciation
de la situation de danger grave et imminent. La santé du salarié constitue pour
ainsi dire, aux termes de la jurisprudence, une limite au pouvoir de gestion de
l'employeur. De ce point de vue, la construction de la Chambre sociale rejoint
entièrement les préoccupations du législateur puisque le principe même du
droit de retrait emporte autorisation légale de désobéissance aux ordres de
l'employeur dès lors qu'elle est justifiée par un danger grave et imminent. l,a
jurisprudence contribue ainsi à lui donner toute sa portée en l'adaptant à la
situation particulière du salarié. Elle intègre dans la notjon de danger grave et
,
imminent un facteur humain propre au salarié qui exerce ce droit. Ce dernier
facteur, plus qu'une simple appréciation subjective de la notion de danger
grave qui mettrait seulement le salarié à l'abri des sanctions, permet dans une
certaine mesure au salarié handicapé,1 d'exiger l'adaptation des conditions de
travail à son état. Il en sera ainsi surtout lorsqu'il s'agit d'une nouvelle
affectation ou d'une modification du poste de travail. L'exemple précité le
prouve puisque malgré les modifications du siège préconisées par le médecin,
l'employeur avait estimé qu'il ne s'agissait que d'un simple souhait, « ce qui
(selon l'employeur) n'imposait aucune obligation à l'employeur et ce qui
n'interdisait pas à celui-ci d'estimer de bonne foi que les aménagements
réclamés risquaient d'accroître la pénibilité du poste ». La Chambre sociale,
en décidant que le salarié a un motif raisonnable de refuser le nouveau poste,
oblige par là-même l'employeur à tenir compte des mod\\fications réclamées.
'\\
,
Un autre élément retiendra notre attention dans la construction des
juges. Il s'agit du droit de retrait par anticipation. En effet, la jurisprudence
admet que le salarié peut recourir à l'article L. 231-8 C. trav. sans attendre
d'être effectivement soumis à un danger grave et imminent dans la mesure où
'. " ne s'agit pas de « travailleur handicapé» au sens de la loi (Article L. 323-10 C trav) mais de tout état
morbide du salarié qui rendrait périHeuses certaines conditions de travail

284
la nature de ce danger était telle qu'il eût sans doute été trop tard pour exercer
le droit de retrait 1 • Cette interprétation s'écarte sans doute de la lettre de la loi
qui n'accorde au salarié le droit de retrait que devant une situation qui laisse
croire à un danger réel et imminent. Le salarié est-il en droit d'anticiper cette
situation? En répondant par l'affirmative, la Cour a procédé à une
interprétation téléologique de la loi. Dans cette espèce où il s'agissait
précisément d'une mission à effectuer par des
instructeurs-pilotes de
l'aéronautique en Angola, était-il impossible aux salariés, une fois arrivés dans
ce pays, de refuser les conditions périlleuses de travail? Il est permis d'en
douter. Mais dans son principe, l'arrêt n'encourt a~ct~ reproche. Certes, le
domaine de la loi en sort élargi, peut-être plus que he l'avait envisagé le
législateur puisqu'il s'agissait d'une probable situation de danger. Mais dès lors
que le salarié aurait été dans l'impossibilité d'exercer son droit lorsque ce
danger se serait concrétisé, il était permis de l'anticiper sous peine de
neutraliser l'objet de la loi. C'est là sans doute qu'il faut rechercher le sens de la
décision jurisprudentielle. Et en cela, le juge parachève l'oeuvre du législateur.
Mais encore faut-il que le salarié qui exerce régulièrement son droit puisse être
mis à l'abri de toute sanction.
21 LA RELATIVE IMMUNITE DU SALARIE DANS L'EXERCICE DU
DROIT DE RETRAIT
Aux termes de l'article L: 231-8-1 du Code du travail, aucune sanction
ne peut être prononcée contre le salarié qui se retire d'tlne situation de danger
grave et imminent. Selon la doctrine,
cette dispo~ition a entraîné un
«malentendu dans les relations directes salarié-employeur, dans la mesure
où certains salariés considèrent que l'employeur n'a en aucun cas, le droit
d'effectuer une retenue de salaire ou le cas échéant d'appliquer une sanction
disciplinaire, quand bien même le refus de travailler ne serait pas Justifié par
la crainte réelle d'un danger à la fois grave el imminent »2 . Ce n'est pas cette
catégorie de salariés qui nous concerne ici. Il s'agit bien de ceux qui ont
régulièrement exercé leur droit de retrait c'est-à-dire ceux qui ont eu un motif
raisonnable de penser que la situation présentait un danger grave et imminent
Paris 19 Décembre 1991, B. s. Ed. francis Lefeyre, 1992, n° 367, p. 147.
0. GODARD, note sous Trib. adm. Bordeaux, 7 Mai 1985, lC.P. 1985, Il, n° 20512
\\,\\

285
\\
"\\
quand bien même ce danger ne serait pas réel. Certes, lorsque l'employeur aura
pris une sanction disciplinaire autre que le licenciement, le juge aura le pouvoir
de l'annuler. Mais qu'en sera-t-il lorsque l'employeur aura licencié le salarié?
Le juge peut-il contre le gré de l'employeur ordonner sa réintégration? Cette
question qui se pose d'une façon générale en droit du travail, revêt une
importance capitale dans notre matière. En effet, c'est du pouvoir du juge de
mettre le salarié à l'abri de cette sanction fort redoutée, que dépendra l'exercice
du droit de retrait qui, au demeurant, constitue un important progrès dans la
protection de l'intégrité physique du salarié.
On remarquera qu'à l'état actuel de la jurisprudence, une rupture du
contrat de travail à la suite d'un exercice régulier du droit de retrait est
simplement qualifiée de licenciement sans cause réelle\\et sérieuse. Telle est la
solution donnée par la cour d'appel de Paris qui a reconn\\1le droit du salarié de
se retirer d'une situation dangereuse, en l'occurrence, la conduite d'un véhicule
dont le système de freinage était défectueux l . Le licenciement sans cause
réelle et sérieuse donne lieu, aux termes de l'article L. 122-14-4 C. trav., à une
réparation qui ne saurait être inférieure au salaire des six derniers mois2 et à
une condamnation de l'employeur à rembourser aux organismes sociaux les
indemnités de chômage. Mais cette disposition suffit-elle à dissuader
l'employeur de recourir au licenciement ou à s'opposer à la réintégration du
salarié? Il est permis d'en douter.
11 convient de se demander si cette jurisprudence qualifiant de « sans
cause réelle et sérieuse» le licenciement du salarié qui a régulièrement exercé
son droit de retrait, résulte d'une impossibilité juridique pour le juge d'annuler
un tel licenciement et d'ordonner la réintégration du salarié. Si tel était le cas,
en dépit d'une conception jurisprudentielle favorable à\\)'exercice du droit de
retrait, cette impossibilité pour le juge d'ordonner la poursuite du contrat serait
de nature à dissuader les salariés à recourir à ce droit. Tout compte fait, on
reconnaîtra que cette situation amenuiserait la protection judiciaire du droit du
salarié à son intégrité physique.
1 . Pari'. 16 Janvier 1992. RJ.S. 1992. p. 312; Paris 6 Février 1992. RJ.S
1992, p. 312
2. Cette disposition n'est applicable qu'au salarié ayant au moins deux années d'a,ncienneté dans l'entreprise.
Par ailleurs, "entreprise doit employer au moins onze salarié.s ..


286
Pour répondre à cette question, il conviendra de nous référer d'abord,
dans un cadre plus général, au pouvoir du juge en matière de licenciement. On
signalera qu'aux termes de l'article L. 122-43 al. 3 C. trav., le juge ne pourra
annuler un licenciement. On rapportera ensuite une décision de la cour d'appel
de Paris selon laquelle, la nullité d'un licenciement n'autorise pas le juge à
ordonner la réintégration du salarié en raison du caractère personnel du contrat
de travail, et il est d'ordre public qu'aucune des parties ne puisse être contrainte
de continuer à l'exécuter contre sa volonté!. Cette solution de la Cour
s'inscrivait dans la iliéorie générale des contrats marqu~~ essentiellement d'une
part par la volonté des parties, et la sanction en termes de dommages-intérêts
des inexécutions2 d'autre part. Or, cette solution a été à juste titre condamnée
par la Cour de cassation qui a jugé que la nullité du licenciement entraîne la
"réintégration" du salarié, le contrat de travail n'ayant pas été valablement
rompu3 . En décidant ainsi, la Chambre sociale tout comme le législateur,4 a
placé le droit protégé au-dessus de la volonté des parties. Il s'agit plus
précisément du droit de grève qui est d'ailleurs d'ordre constitutionnel. Le
législateur en a tiré la conséquence qui s'impose en sanctionnant par la nullité
absolue, le licenciement du salarié gréviste qui n'a commis aucune faute
lourde. Le droit du salarié à son intégrité physique est un droit du même ordre.
Mieux encore, il constitue un droit naturel attaché à la personne humaine et
s'impose à ce titre au législateur lui-même et a fortiori aux parties
contractantes.
C'est
en
considération
de
ces
éléments
qu'il
convient
.
,
d'interpréter la prohibition du législateur aux termes de laquelle, le salarié qui
exerce régulièrement son droit de retrait ne pourra être sanctionné. Toute
sanction, y compris le licenciement, prononcée en violation de celte
interdiction est donc censée nulle et non avenue.
Le licenciement prononcé alors que le salarié a régulièrement exercé son
droit de retrait n'entre donc pas à notre avis, dans le domaine d'application de
l'article L 122-43 al. 3 C. trav. On pourra donc dire que rien ne s'oppose
juridiquement à ce que le juge sanctionne un tel licenciement par la nullité et la
poursuite du contrat. Si le juge ne se reconnaît pas le pouvoir d'annuler un tel
'. Paris, 5 Mai \\988, D. 1989, IR p. 157.
2. Articles 1134 el 1147 C. civ.
, Soc 26 Septembre 1990, D 1990, tR. 228
Article L. 521- 1 C. lrav.
\\."\\,

\\"
287
\\,
licenciement, il Y a lieu de parler d'une auto-limitation de ses pouvoirs. Cette
auto-limitation méconnaît nous semble-t-il, la portée du droit protégé.
Rien à notre avis ne permet de j usti fier cette solution jurisprudentielle.
Elle nous paraît d'ailleurs contraire à la volonté législative, la loi disposant
qu'aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié (qui a
régulièrement exercé son droit de retrait), Il en résulte donc que le juge devra
logiquement ordonner la poursuite du contrat de travail. Seul ce pouvoir du
juge peut rendre effectif le droit du salarié à se retirer d'une situation de danger
et intelligibles les mesures édictées pour la protection de l'intégrité physique du
salarié. A défaut de cela, la menace d'un licenciement, alors même qu'il serait
accompagné d'une indemnisation, est de nature à raréfier l'exercice du droit de
retrait Il découle de ce qui précède que la protection d~, droit du salarié à son
intégrité physique est tributaire du pouvoir du juge. Ce dernier a vocation à
être le garant de ce droit et devra en conséquence adapter sa construction au
besoin de la prévention dès lors que la loi le permet
Indépendamment
du
pouvoir
du
juge
d'annuler
les
sanctions
irrégulièrement prises à l'encontre du salarié, le juge devra également veiller à
ce que l'exercice du droit de retrait ne soit soumis à aucune autre condition que
celle prévue par la loi, Ceci explique le contrôle exercé par la jurisprudence sur
le règlement intérieur des entreprises notamment sur l'obligation de consigner
par écrit les situations de danger grave et imminent
BI L'OBLIGATION DE SIGNALER LA SITUATION DE DANGER
\\
Cette obligation résulte de J'article L. 231-8 C. tra\\,. précité, Il s'agit bien
d'une formalité qui s'impose au salarié mais forcément après qu'i! se soit retiré
de la situation de danger. Il ne s'agit donc pas a priori d'une condition
d'exercice de ce droit C'est cette considération qui a conduit certains
tribunaux 1 à décider que l'obligation faite par l'employeur au salarié de
consigner cette déclaration par écrit, n'était pas incompatible avec l'exercice du
droit de retrait, analyse qui a obtenu l'adhésion de certains auteurs. C'est ainsi
que A. BOUSIGES estime que toute clause qui imposerait postérieurement au
'. Trib.•dm. Bordeaux, 7 Ma; 1985, J.C.P 1985, Il, n" 20512.

288
retrait une information sur la situation devrait être admise. Selon l'auteur, «Il
ne s'agirait pas pour le salarié de se justifier, mais d'apporter les éléments
d'information sur le risque encouru (. ..) il est de la compétence de l'employeur
de veiller à la sécurité et de prévoir à celle fin tout moyen d'information»' .
Mais à y voir de près, cette formalité qui, chronologiquement, vient après le
retrait du salarié, pourrait devenir une condition de son exerèice. En effet, bien
qu'intervenant postérieurement au retrait, c'est elle qui le légalise. Le retrait du
salarié n'est justifié que parce que l'employeur ou son représentant a pu
\\
constater les faits tels qu'allégués par le salarié, ou d'Il moins a été mis en
mesure de les constater. Ainsi, la justification donnée postérieurement au
retrait ne saurait remettre en cause Je licenciement puisque le motif évoqué n'a
pas été donné immédiatement comme il se doit2 . Dès lors, le retrait devient
abusif tant qu'il n'est pas accompagné de cette formalité. Le salarié qui entend
s'y soustraire doit, sous peine de sanction disciplinaire, renoncer par là-même à
l'exercice de ce droit. Ainsi lorsqu'au-delà des exigences légales, l'employeur
impose au salarié, sous peine de sanction disciplinaire, une déclaration écrite,
il y a bien une condition supplémentaire de l'exercice de ce droit puisque de la
difficulté à respecter cette formalité, peut naître le renoncement au droit. Ce
qui peut être préjudiciable non seulement au salarié lui-même, mais aussi à
tous ceux qui se trouveraient dans la sphère d'activité où la situation de danger
a été constatée. Le Conseil d'Etat ne s'y est pas trompé. C'est ainsi qu'il a
décidé qu'en obligeant le salarié à faire une déclarati"çn écrite, le règlement
,
intérieur impose aux salariés de l'entreprise, dans l'exe'rcice de leur droit de
retrait, une sujétion qui n'est pas justifiée par les nécessités de la sécurité dans
"entreprise3 . Au-delà d'une simple lecture théorique de cette disposition du
règlement intérieur, c'est son incidence pratique que le Conseil d'Etat
sanctionne.
'. A. BOUS\\GES, « Le droit des salariés de se retirer d'une situation dangereuse pour leur intégrité
~hysique", Dr. soc. 1991, p. 288.
.
. Pau, 14 Avril 1989, Juris-data n° 042796.
). C.E. 9 OClObre 1987 (Centre Renault Agriculture), JC.P. 1987, IV, pA02.; C.E ) 2 Juin 1987 (Sté
Gantois), Dr. soc. 1987, p. 654.
\\.\\

\\
289
Quelque hostilité doctrinale! que puisse susciter cette jurisprudence, elle
mérite à notre avis d'être approuvée. Elle traduit la volonté des juges de
garantir aux salariés la plénitude de leur droit. A la lumière de ce qui précède,
il est certain qu'une jurisprudence divergente aurait pu permettre à l'employeur
à travers le règlement intérieur, d'entraver l'exercice d'un droit d'origine légale.
Les salariés qui n'auront aucune difficulté à consigner par écrit la situation de
danger exerceront légitimement leur droit. Qu'en sera-t-il des autres?
Il semble bien que la controverse sur la légalité de l'obligation faite au
salarié de consigner par écrit la situation de danger résulte' d'une divergence
d'analyse sur la nature de cette formalité. Abordant le sujet sous l'intitulé "Le
droit d'alerte", le Professeur O. GODARD s'était dernhpdé s'il s'agissait d'un
droit ou bien d'une obligation. « Examiné sous l'angle des responsabilités du
salarié, écrit-il, il est bien certain qu'une lecture analytique de l'article 1.
231-8 peut conduire à admettre qu'il n'existe aucune obligation pour le
salarié. La loi ne lie officiellement pas le droit d'alerte à l'exercice du droit de
.
2
retrait» .
S'il est indéniable que la loi ne subordonne pas l'exercice du droit de
retrait à l'obligation de signaler le danger, d'un point de vue pratique, J'alerte
apparaît, pour la raison que nous avons déjà évoquée, comme la contrepartie
nécessaire sans laquelle le retrait peut devenir abusif. Tout compte fait, le refus
d'alerter l'employeur pourra
légitimement donner
lieu' à une
sanction
disciplinaire alors même que le salarié aurait eu un motif raisonnable de se
retirer. Il n'est pas certain que le législateur en dispo~ant expressément que
« Le salarié signale immédiatement à l'employeur ou à son représentant toute
situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente
un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (..) »3, ait voulu en faire
une simple faculté. Il s'agit bien d'une obligation qui découle impérativement
de l'exercice même du droit de retrait. Et c'est justement parce qu'il s'agit d'une
obligation légale qu'il n'y a pas lieu d'en imposer au salarié, une autre que celle
1 . Le Professeur J. SAVAT 1ER qui voit dans la consignation par écrit une simple mesure d'application de
l'obligation faite au salarié de signaler une situation de danger. estime que cette position du c.E. est difficile à
comprendre. Cf. « Le contrôle administratif du règlement intérieur», Dr. soc. 1987, p. 652.
'. O. GODARD, « Les responsabilités en cas de danger grave et imminent », J.c.P. éd. E nO 14215.
, . Anicle L. 231-8 aL 1 pree.

290
résultant de la loi, sauf si elle est justifiée par les besoins de sécurité. Or une
simple déclaration verbale suffit à alerter l'employeur ou son représentant.
Il ressort de ce qui précède que le juge dans sa construction relativement
au droit de retrait, apparaît comme le garant du droit du salarié à son intégrité
physique. Cependant, si ce droit constitue la limite du pouvoir de gestion de
l'employeur, il s'avère aussi nécessaire sous peine de rompre l'équilibre
indispensable entre le droit à' la sécurité et les besoins d'organisation de
l'entreprise, qu'il soit exercé dans les limites légales.
\\
§ II: LES LIMITES DU DROIT DE RETRAIT
A l'instar de tout droit, le droit de retrait entraîne des sanctions lorsqu'il
fait l'objet d'un exercice abusif. Mais avant de nous intéresser aux sanctions, il
convient de se demander en quoi pourrait consister l'abus de droit en la
matière.
AI L'EXERCICE ABUSIF DU DROn DE RETRAIT
Selon la doctrine, l'exercice du droit de retrait peut engendrer deux types
d'abus: \\' exercice irrégulier ou abusif du droit de retrait tel que défini par
l'article L 231-8 C. trav. d'une part, et J'inobservation de la procédure d'alerte
inscrite dans le règlement intérieur de l'entreprise d'autr\\part 1 •
S'agissant en premier lieu de la procédure d'alerte, il nous semble bien,
pour les raisons que nous avons déjà évoquées, que le salarié n'aurait abusé de
son droit que lorsque le danger n'aura pas du tout été signalé à l'employeur ou
son représentant. Tout autre exigence serait superflue. « 11 serait choqualll que
le salarié puisse être sanctionné disciplinairement pour ne pas avoir respecté
la procédure écrite d'information, alors qu'if aurait exercé son droil de retrait
de façon légitime })2. Et la jurisprudence du Conseil d'Etat précitée va dans ce
sens. S'agissant en second lieu de l'abus dans l'exercice même du droit de
retrait, on distinguera deux situations.
\\. O. GODARD, note sous Trib. adm. Bordeaux, 7 Mai \\985 prée
, 1 MOULY, eité par A BOUSIGES, arl prée.
\\\\

291
\\...
\\
La première est celle du détournement de droit. Il s'agira par exemple
pour le salarié de prétexter d'une situation de danger grave et imminent pour
résoudre un conflit d'ordre personnel avec l'employeur. Dans ce cas, la
situation de danger doit être pour le moins manifestement contestable. Il
reviendra néanmoins au juge de rechercher au travers des éléments de la cause,
le motif réel du retrait, l'appréciation étant par ailleurs faite en fonction des
compétences du salarié. Il ne s'agit pas, nous semble-t-il, simplement de savoir
si, eu égard à la compétence du salarié, il aurait dû se rendre compte de
l'absence de danger mais de rechercher s'il est de mauvaise foi. C'est de la
volonté du juge et surtout de sa capacité à discerner la croyance erronée du
salarié à une situation de danger, du désir de s'opposer à l'ordre de l'employeur
que dépendra l'utilité du droit de retrait. En effet, il convient de se rappeler que
la subordination constitue le critère essentiel du co,ntrat de travail. Cette
"
subordination n'est pas seulement d'une utilité juridiqu~ mais aussi un besoin
fonctionnel en ce sens que la bonne marche de l'entreprise en dépend. Il
appartient donc au juge de veiller à ce que ce droit ne soit pas détourné de son
objectif. La mission du juge consiste en d'autres termes à rechercher le juste
équilibre permettant de concilier d'une part la nécessité d'une subordination
indispensable à l'organisation de l'entreprise et d'autre part, la protection
efficace de l'intégrité physique du salarié.
La deuxième situation est celle dans laquelle la réalité du danger n'est
pas contestée. Mais les critères de gravité et d'imminence requis par la loi font
défaut. Il y a là également abus, dès lors que le retrait du salarié ne résulte pas
d'une appréciation erronée de la situation mais d'un retrait en
toute
connaissance de cause. Il y a lieu de rapprocher entin le droit de retrait de la
situation de la grève motivée par des conditions d~ sécurité. Toutes ces
\\
distinctions s'imposent car aux termes de la jurisprudence, ces situations
n'entraînent pas toutes les mêmes sanctions disciplinaires.
BI LA SANCTION DE L'EXERCICE ABUSIF DU DROIT DE RETRAIT
Si aucune sanction ni retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre
d'un salarié qui s'est retiré d'une situation de travail dont il a un motif
raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa

292
vIe ou sa santé, en revanche, l'employeur peut appliquer toute sanction
disciplinaire lorsque le salarié abuse de son droit de retrait C'est cependant, la
situation objective qui a entraîné le retrait et surtout l'attitude du salarié qui
permettront de déterminer la nature de la sanction éventuelle. Parce que
J'exercice du droit de retrait s'inscrit dans Je contexte plus général de
l'exécution du contrat de travail, lorsque les conditions requises pour l'exercice
de ce droit (qui constitue une limite légale au pouvoir de commandement de
l'employeur) ne sont pas remplies, le droit commun du contrat de travail
retrouve sa plénitude. Il s'ensuit que le salaire qui est la contrepartie du travail
fourni, n'est pas dû au salarié. Et la Chambre sociale, ~ juste titre, se refuse à
qualifier ces retenues de salaires de sanctions'. Autrement, cette mesure
tomberait sous le coup de l'article L. 122-42 C. trav. prohibant les sanctions
pécuniaires. Non seulement ce droit serait détourné de son objet mais
entraverait corrélativement la bonne marche de l'entreprise.
Indépendamment de la retenue de salaire, le salarié peut faire l'objet de
sanctions disciplinaires allant d'une simple mutation2 au licenciement. C'est
cette dernière sanction en raison de sa gravité, qui retiendra notre attention.
Nous remarquerons qu'il serait abusif que le retrait même fautif du salarié
puisse entraîner en l'absence de toute autre considération, le licenciement.
Nous avions vu que la jurisprudence qualifie la rupture du contrat de travail de
licenciement sans cause réelle ct sérieuse] lorsque le salarié a régulièrement
exercé son droit. Il a été aussi jugé que les salariés qui refusent de reprendre le
travail qu'ils ont cessé pour une raison qui s'est rév~lée non fondée après
.,
examen de la situation par le Comité d'hygiène, de sécùrité, et des conditions
de travail (C.HS.C.T.)4 commettent une faute susceptible de justifier leur
licenciement. Cependant, précise la décision, le caractère de gravité de leur
faute n'est pas prouvé si les conditions de travail ne sont pas ce qu'elles
devaient être5 . Ainsi, toutes les fois que la situation en cause, bien que ne
'. soc. 11 juillet 1989, Bull V, n° 516.
,. Cons. Prud'h. Châteauroux. 15 Mai 1984 prée.
J. Paris, 16 Janvier et 6 Février prée.
4. L'intervention du CH.S.CT. en cas de danger grave et imminent sera étudiée plus loin. Cf. pp. 34955
'CA Pau, 28 Octobre 1989, Juris-dala n' 047607.
.
.
\\\\,

293
\\
constituant pas un danger grave et imminent, était pou} le moins dangereuse,
l'initiative de la rupture du contrat de travail est imputable à l'employcurl .
Il Y a lieu de relever que cette décision établit indépendamment de la
situation de danger grave et imminent, un véritable droit du salarié à la sécurité
dans l'exécution de son travail. Ce droit s'exprime en termes d'obligation à la
charge de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail. La Chambre
sociale l'indique clairement dans cette même décision en déduisant de
l'exposition du salarié à une situation dangereuse constatée par les juges du
fond, l'inexécution par l'employeur de ses obligations. Elle en conclut que le
refus du salarié de poursuivre l'exécution du travail dans ces conditions ne
pouvait exonérer l'employeur qui avait pris l'initiative de la rupture, du
paiement des indemnités de préavis et de licenciement. Il ne s'agit sans doute
pas de garantir au salarié l'élimination de tout dang~r dans l'exécution du
,
travail. Il s'agit du danger, ou du risque, anormal. C'est un risque qui n'est pas
forcément inhérent au type de travail effectué et qui peut être éliminé.
S'il est indéniable que l'affirmation jurisprudentielle du droit du salarié à
une condition normale de travail constitue un atout dans la mise oeuvre de ce
droit, c'est surtout de la sanction de sa violation que résultera son respect. Il y a
donc lieu de se demander encore ici, si la simple imputation de la rupture du
contrat à l'employeur suffit à l'inciter au respect de ce droit. On remarquera
que la jurisprudence fait preuve de modération dans la sanction de la violation
du droit de retrait du salarié puisqu'elle n'ordonné pas la réintégration du
salarié qui a régulièrement exercé son droit, et se contente d'imputer l'initiative
de la rupture du contrat à l'employeur lorsque les conditions de travail, bien
que ne constituant pa~ un danger grave et imminent, étaient cependant
anormales. Or, plus la rupture du contrat entraînera des\\charges à j'employeur,
\\
moins il sera enclin à recourir au licenciement. Corrélativement, il sera dans
l'obligation de rétablir les conditions normales de travail. Il convient de
signaler que l'imputation de la rupture du contrat à l'employeur a pour
conséquence d'ouvrir au salarié le droit aux indemnités de préavis et de
licenciement. En revanche, lorsque le licenciement est dit abusif c'est-à-dire
sans cause réelle et sérieuse, elle donne lieu à l'application de J'article L. 122-
'. soc. 18 Octobre 1989, Bull. V, n° 606.

,"\\
294
14-4 C. trav. dans les conditions déjà signalées 1. Il nous semble que, dans
l'hypothèse d'une situation de danger qui ne constitue pas pour autant un
danger grave et imminent, le juge devrait recourir davantage à cette dernière
qualification pour deux raisons.
D'abord d'un point de vue pratique, cette qualification permet de garantir
davantage au salarié son droit aux conditions normales de travail c'est-à-dire
l'élimination du danger anormal. Ensuite, d'un point de, vue juridique, le
contrat de manière générale et particulièrement le contrat de travail doit être
exécuté de bonne foi (article 1134 al. 3 C. ci v.), a fortiori ici, sous le contrôle
des juges prud'homaux issus du monde du travaiL C~te disposition emporte
obligation pour l'employeur de placer le salarié dans les ~onditions normales de
travaiL Il a été d'ailleurs jugé que lorsqu'il affecte un salarié à un nouveau
poste de travail, l'employeur tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail,
a l'obligation de veiller à l'adaptation de son salarié au moyen d'une formation
sérieuse, L'absence d'un temps de fonnation suffisant, contrepartie patronale
de la bonne exécution du contrat de travail, rend le licenciement prononcé pour
non-respect systématique de la charge de travail, dépourvu de cause réelle et
sérieuse2 . Tl paraît logique de rapprocher cette jurisprudence de la situation de
l'employeur qui place son salarié dans des conditions anormales de travail.
L'employeur ne devra donc pas se prévaloir de l'exécution fautive de ses
propres obligations pour rompre le contrat de travail. Une telle rupture serait
pour le moins abusive. Et il conviendra d'en tirer les conséquences.
JI est utile de rapporter une décision jurispruden\\ielle dans ce sens. Il a
été jugé que si les conditions décrites par un salarié ne constituent pas au sens
de l'article 1. 238-1 du C. trav. une situation de danger grave et imminent pour
sa vie, il n'en demeure pas moins que ces conditions tenant spécialement à
l'éclairage, au chauffage et à l'aération du local étaient inacceptables. Et
l'employeur en mettant en oeuvre une procédure de licenciement en présence
du refus légitime des salariés d'accepter de telles conditions de travail, commet
un détournement de procédure3 , L'employeur avait donc été condamné à
verser aux salariés une indemnité représentant six mois de salaire et à
'. cr, p. 285, Nole 2,
'. Versailles, 26 Mai 1992, R. 1. S 1992, p. 601
J. Versailles, 15 Février 1994, RJ.S
1994, p. 394.
\\,

295
rembourser aux organismes sociaux les indemnités de chômage. Il est
nécessaire que le juge recourt davantage à cette sanctio,n pour Ics raisons déjà
,
évoquées. Il pourra même le faire sans y être invite puisque l'article 12
N.e.p.e. l'y autorise. L'effectivité de la protection de l'intégrité physique du
salarié en dépend.
Il ressort de ce qui précède que l'imputation de l'initiative de la rupture
du contrat à l'employeur ne suffit pas à assurer au salarié l'élimination des
situations de danger anormal dans J'exécution du contrat. Il est également vrai
qu'alors même que le juge opterait pour la qualification de rupture abusive, le
droit du salarié aux conditions normales de travail n'en sera pa<; tout à fait
protégé, la seule menace d'un licenciement suffisant le plus souvent, à vaincre
la résistance du salarié dans un contexte social marqué par la crise de l'emploi.
Néanmoins, cette qualification de rupture abusive aura l'avantage d'inciter
l'employeur à plus de retenue. Du fait de cette protection insuffisante du droit
de retrait, le recours à la grève peut paraître comme un \\omplément nécessaire
de ce droit.
En effet, si l'exercice fautif du droit de retrait peut entraîner le
licenciement du salarié, il n'en est pas de même de l'exercice du droit de grève
sauf bien entendu pour faute lourde. A défaut pour les salariés de se retirer
d'une situation simplement dangereuse, il leur est possible de recourir à la
grève pour faire respecter leur droit aux conditions normales de travail. Cela
suppose non plus un retrait individuel du salarié mais un arrêt concerté et des
revendications
sur
les
conditions
de
travail.
Tout
licenciement
qui
interviendrait malgré la réunion de ces éléments caractéristiques de la grève,
serait nul de plein droit. En pennettant d'ailleurs aux salariés de réclamer le
versement des salaires lorsque la grève a été rendue nécessaire pour protester
contre l'absence des mesures de sécurité, le juge garantit aux salariés leur droit
\\
aux conditions normales de sécurité dans l'exécution d~ leur contrae . Alors
même que les conditions de travail seraient rendues dangereuses par une
intempérie, la grève en vuc du versement des indemnités est justifiée et le
licenciement est nul de plein droit2 .
'. soc. II Décembre 1985. BulL V. n' 60\\.
2 . Soc. 20 Septembre 1990 prée.

296
\\
Il ressort de ce qui précède que malgré la
""
volonté des juges de garantir
au salarié l'exercice du droit de retrait, cette prérogative ne met pas le salarié à
l'abri de tous les risques anormaux. De même, le recours à la grève n'est pas
toujours adapté à toute situation de danger surtout lorsqu'il s'agit d'un danger
imminent. En revanche, l'effet conjugué de la construction jurisprudentielle
relativement au droit de retrait et la grève motivée par les conditions de
sécurité, tout en mettant les salariés à l'abri de la sanction la plus redoutée (le
licenciement) et la plus susceptible de vaincre leur résistance, leur pennet
d'avoir droit aux conditions normales de travail. Il revient aux salariés de
savoir s'en servir. Mais la sécurité du salarié passant par sa propre diligence, il
est aussi nécessaire qu'il respecte l'obligation de sécurité qui lui incombe.
SECTION II: L'OBLlGATIaN DE SECURITE 1\\ LA CHARGE DU
SALARIE
.
Le législateur est resté pendant longtemps assez discret sur l'obligation
du salarié dans la prévention des risques professionnels, alors que les
dispositions réglementaires édictant des obligations nouvelles à la charge de
l'employeur devenaient de plus en plus abondantes. Cette observation rejoint
d'ailleurs les conclusions du rapport de l'Inspection générale des aflàires
sociales lorsqu'elle relève que: « Il ne faut pas se dissimuler que ce principe
d'intégratIOn (de la sécurité) qui découle d'un élémentaire bon sens impose
une évolution des conceptions législatives qui, à l'origine, ont concentré
toutes les responsabilités en matière de prévention sur l'employeur et lui seul.
Sans créer une dilution des responsabilités qui irait à l'encontre des buts
poursuiVIs.
il faut
pour dèvelopper
la prévention faire
place
aux
responsabilités que peuvent avoir d'une part les ar~itectes, fabricants de
matériels etfournisseurs de produits utilisés par les ent;eprises et d'autre part
au sein de l'entreprise, les agents d'encadrement et les travailleurs eux-mêmes
( ..). Pour améliorer la sécurité du travai!, il faut pouvoir le cas échéant
ajouter la contrainte à la persuasion à tous les niveaux de la hiérarchie des
.
1
entreprises» .
1. Rapport annuel de l'Inspection Générale des affaires sociales, 1973. pp. 35, 37

297
Cette discrétion du législateur sur les obligations du salarié s'explique
sans doute par l'état de sujétion de ce dernier aux ordres de l'employeur Aussi,
le législateur préfère-t-il se référer au pouvoir nonnatif de l'employeur à travers
le règlement intérieur Néanmoins, on relèvera que cette obligation de sécurité
a été dans son principe clairement affinnée par le légis\\~teur dans la loi du 31
Décembre 1991, confonnément aux directives-cadres de la Commission
européenne du 12 Juin 1989. Ainsi, aux termes de l'article L. 230-3 C. trav.
« il incombe à chaque travailleur de prendre soin en fonction de sa formation
et selon ses possibililés, de sa sécurilé el de sa santé, ainsi que celles des
autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au
travail ». S'agissant du contenu de l'obligation du salarié, la loi se réfère une
fois encore au règlement intérieur. Du reste, on soulignera que cette obligation
de sécurité n'est pas nouvelle puisqu'elle résulte aussi du contrat de travail.
Mais en l'affinnant explicitement, le législateur a voulu la rendre solennelle et
attirer l'attention du salarié sur sa responsabilité. Il est cependant indéniable
que l'existence ou l'affinnation d'une obligation ne suffit pas à garantir son
exécution. Il y a donc lieu de se demander si, au regard des dispositions
textuelles et de la jurisprudence surtout, le salarié est s1l!ffisarnment intéressé à
"
respecter toutes les obligations qui lui incombent en matière de sécurité. C'est
en d'autres tennes le problème de la sanction de ces obligations (§ 1) qui se
trouve ainsi posé. Certes, le pouvoir disciplinaire, qui est le corollaire du
contrat de travail, pennet à l'employeur de sanctionner les manquements du
salarié d'autant plus que le contenu de l'obligation du salarié en matière de
sécurité est largement défini par le règlement intérieurl .
Cependant, par analogie à la situation de l'employeur, on peut également
penser que les sanctions pécuniaires pourraient davantage inciter les salariés au
respect des règles de sécurité. Or, nous savons que de telles sanctions sont
prohibées par la loi. Honnis l'hypothèse d'une faute intentionnelle, la victime
bénéficie toujours d'une réparation forfaitaire de son préj udice sauf à signaler
une éventuelle réduction de cette indemnité pour faute inexcusable. Quel est
ou peut être l'apport du juge de ce point dans la respon'llabilisation du salarié?
\\
'. Aux termes de l'article L. 122-34 C. trav. le réglement intérieur est un document écrit par lequel
l'employeur fixe exclusivement les mesures d'application de la reglementation en matière d'hygiène et de
sécurité dans l'entreprise ou l'établissement. les règles générales et permanentes relatives à la discipline, et
notamment la nature et l'èchel1e des sanctions que peut prendre l'employeur.

298
N'y a-t-il pas lieu d'envisager d'autres moyens plus contraignants? L'incitation
pécuniaire du salarié à la prévention des risques professionnels (§ Il) devra
donc être étudiée.
§ 1: LA SANCTION DE L'OBLIGATION DE SECURITE DU SALARIE
Les sanctions susceptibles d'être directement enc6~rues par le salarié qui
ne respecte pas les mesures de sécurité sont de deux ordres: la sanction pénale
(A) lorsque ce manquement du salarié est source de préjudice corporel pour
autrui, et la sanction disciplinaire (B) indépendamment de tout préjudice. Cette
dernière sanction relève sans doute de la compétence de l'employeur mais nous
verrons quel est le contrôle du juge sur ces sanctions.
Al LA SANCTION PENALE DE L'OBLIGATION DE SECURITE DU
SALARIE
L'accent souvent mis sur la responsabilité pénale de l'employeur semble
occulter celle des salariés. Pourtant ces derniers ne sont pas à J'abri de ces
sanctions. Il conviendra néanmoins de distinguer le cas du salarié qui cause un
dommage à un autre salarié du cas de Ja victime elle-même.
1.
.
,
11 LE CAS DU SALARIE QUI CAUSE UN DOMMAGE A UN AUTRE
SALARIE
Il ne s'agit pas des salariés qui en vertu d'une délégation exercent une
fonction
de
direction
mais
ceux
qui,
dans
l'exercice
de
leur tâche
professionnelle ont, par négligence ou imprudence, causé la blessure ou la
mort d'un autre salarié. Il y a lieu de reconnaître néanmoins qu'il s'agit très
souvent de salariés investis, tout au moins, d'un pouvoir de commandement.
C'est le cas du chef de chantier ou d'équipe dont la responsabilité pouvait être
engagée sur la base des articles 3 19 et 320 du Code pénal/ indépendamment
de la responsabilité pénale de l'employeur. Ainsi, lorsqu'un chef de chantier à
qui il n'incombait pas d'emprunter la procédure écrite requise par l'article 172
du décret du 8 Janvier 1965 pour obtenir la coupure du courant, avait
cependant omis de s'assurer que le courant avait été eft~ctivement coupé, il se
\\
'. Articles 221-6,222-19,222-20, R. 622-1. R. 625-2, R. 625-3 N.C.P.

299
rend coupable d'homicide involontaire si ce manquement a occasionné la mort
d'un salarié; ce qui n'exclut pas la responsabilité de l'employeur à qui revenait
l'obligation de respecter la procédure initiale1 . Cette responsabilité cumulative
permet sans doute d'éviter que la poursuite systématique de l'employeur ou de
son délégué n'entraîne une immunité pénale des sal~és et corrélativement,
une absence totale de précaution.
\\
Il convient de relever que la jurisprudence fournit peu d'exemples dans
lesquels le salarié, simple exécutant sans aucune responsabilité si minime soit-
elle au sein de l'entreprise, fait l'objet de poursuite pénale pour des
manquements ayant entraîné des préjudices corporels. On ne saurait pourtant
en déduire que la négligence ou l'imprudence des salariés est rarement à
l'origine des préjudices professionnels2 . En effet, plusieurs arrêts de la
Chambre sociale en matière de faute inexcusable montrent que les salariés qui
n'ont pas qualité de substitué dans la direction de l'entreprise concourent
souvent à la réalisation du préjudice3 . Il est donc probable que cette situation
s'explique par le choix des prévenus opérés par le Ministère public suite aux
enquêtes préliminaires ou aux· procès-verbaux des inspecteurs du travail, le
juge du siège, saisi "in personam", ne pouvant retenir dans les liens de la
.
\\
prévention que les personnes désignées dans le réquisito'ire. Ce choix peut être
également influencé par l'obligation générale de sécurité qui, aux termes de la
jurisprudence, pèse sur l'employeur ou son délégué.
Tout compte fait, il est indispensable que tous les salariés puissent
répondre de leur imprudence ou de leur négligence devant la loi. Il n'y a pas
lieu cependant de suggérer la substitution de la responsabilité du salarié à celle
de l'employeur. Comme nous l'avions signalé, le régime de la responsabilité
patronale tel que défini par la jurisprudence, concourt à une meilleure
organisation du travail du point de vue de la sécurité. Par ailleurs, rien ne
s'oppose à ce que le salarié simple exécutant qui a délibérément contrevenu
aux règles de sécurité, soit poursuivi en même temps que l'employeur. En
\\"
.
1. Crim
21 Juin 1977, Bull. V, nO 230; dans le même sens, Crim. 12 Janvier 1971, Bull. n' 7; Crim. 23
Octobre 1984, Bull. n' 316.
2. Voir alitre d'exemple, Versailles, 9 Mars 1993, RJ.S. 1993, p. 680.
J
Soc. 14 Janvier 1974, Bull. V, n' 28; Soc. 22 Février 1979, Bull. V, n' 179; Soc. 21 Octobre 1987, Bull; V,
n' 585; Soc. 19 Octobre 1988, Bull. V. n' 527

300
effet, la problématique des accidents du travail ne se pose pas nécessairement
en tennes d'antagonisme entre l'employeur et les salariés. La matière nous fait
constater, ici plus qu'ailleurs,· que c'est une question d'ordre public, une
question qui concerne toute la société. C'est l'Homme ~s tout son être qui est
en jeu. Il ne s'agit pas de protéger les salariés co~tre l'employeur mais
l'individu contre la négligence des autres, y compris les salariés entre eux.
Nous pensons d'ailleurs que cette nécessité de protéger les salariés contre leur
propre négligence impose que soit pénalement sanctionnée l'omission de
signaler une situation de danger grave et imminent de laquelle s'est retiré le
salarié, lorsque ce danger se réalise et provoque des préjudices corporels. JI
pourrait même en être ainsi lorsqu'il constate une situation de danger à
laquelle il n'est pas lui-même exposé et qu'il omet de le signaler, dès lors que
cette situation
entraîne
des
dommages
corporels
aux
autres 1 •
Il est
indispensable de protéger le salarié contre les négligences des autres salariés
simples exécutants, d'autant plus que l'employeur préférerait de loin que le
préjudice résulte de la faute de ces derniers plutôt que d'un agent de direction.
En effet, dans ce dernier cas, le préjudice résultant de. la faute d'un agent de
\\
direction peut éventuellement donner lieu à une action e~ reconnaissance de la
faute inexcusable. En revanche, lorsque le préjudice résulte de la faute d'un
simple salarié, la victime se contentera de la réparation forfaitaire n'ayant par
ailleurs aucun recours contre son collègue, en raison de ('immunité dont
bénéficient entre eux, les salariés d'un même employeur pour les accidents de
travail proprement dits.
S'il est possible et même souhaitable que soit pénalement sanctionné le
salarié qui cause un dommage à un autre salarié, des obstacles subsistent
s'agissant de la sanction pénale des manquements de la victime elle-même.
2/ LE CAS DE LA VICTIME ELLE-MEME
On remarquera d'abord que des obstacles juridiques s'opposent à la
sanction
pénale
de
la
victime.
S'agissant
d'abo~ des prescriptions
réglementaires, leur mise en oeuvre incombe à l'employeur et son délégué, ce
l . Cette responsabilité peut résulter de la combinaison des articles L 231-8 al. 1 C. trav. (in fine) et 221-6
N.C.P.

301
qui exclut la responsabilité des salariés et donc de la victime. Alors même qu'il
serait possible de retenir sa responsabilité pénale, des obstacles d'ordre
psychologique subsisteraient. En effet, on pourrait rapprocher la situation de la
victime fautive, de l'hypothèse d'un motocycliste victime d'un accident de la
circulation alors qu'il était dépourvu de casque de proteçtion. On songera
plutôt à le soigner qu'à lui infliger une amende. La compassion prime la
recherche de l'application de la -loi. Cette observation est a fortiori valable pour
de simples négligences sans intention d'enfreindre au, règles de sécurité. On
remarquera d'ailleurs que la loi pénale ne sanctionrte pas les préjudices
physiques causés à soi-même. Ainsi, alors que la provocation au suicide est
réprimée (article 223-13 N.C.P.), la tentative de suicide ne l'est pas.
On pourrait alors, plus généralement, penser à une éventuelle sanction
pénale en amont même
du
préjudice,
à l'encontre des
salariés
qui
volontairement enfreignent les règlements de sécurité puisqu'ils mettent en
cause non seulement leur propre sécurité mais aussi celle des autres. Alors
même qu'il s'agirait seulement de leur sécurité, une sanction pénale est
concevable à l'instar de l'automobiliste sanctionné pour défaut de ceinture.
Cette
situation
risquerait
cependant
d'entraîner
une
dilution
des
responsabilités 1 et surtout un désengagement de l'employeur auquel le salarié
est subordonné. C'est ce qui explique probablement que le législateur en la
matière s'en remette à la sanction disciplinaire.
\\
BI LA SANCTION DISCIPLINAIRE DE L'üBLLGATlON DE SECURITE
Aux termes de l'article L. 122-43 al. 2 C. trav. le juge «peut annuler
une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la
faute commise ». Cependant, l'alinéa 3 du même article précise que ces
dispositions ne sont pas applicables en cas de licenciement. Le contrôle
judiciaire du pouvoir disciplinaire de l'employeur connaît donc une importante
limitation relativement au licenciement. Il convient cependant de remarquer
que, si le juge ne peut annuler le licenciement du salarié, il dispose du pouvoir
de lui restituer son exacte qualification. Ainsi, un licenciement pour faute
1 . D'ailleurs, l'article L. 230-4 C
lrav. dispose que « Les dispositions de l'alllicie L. 230-3 n'affectent pas le
principe de la responsabilité des employeurs ou chefs d'établissements ».
'\\

302
grave peut être simplement qualifié par le juge de licenciement pour cause
réelle et sérieuse. 11 lui est également possible de qualifier d'abusif un
licenciement qui selon l'employeur, avait une cause réelle et sérieuse. Toutes
\\
ces qualifications ont une incidence sur l'indemnisation \\lu salarié. Alors que le
licenciement pour faute grave le prive de toute indemnisation, le licenciement
pour cause réelle et sérieuse lui permet de percevoir des indemnités de
licenciement et éventuellement des indemnités de préavis. Le licenciement
abusif comme nous l'avons déjà vu, permet d'allouer une indemnité plus
importante. Et la faute lourde du salarié peut par ailleurs engager sa
responsabilité contractuelle. 11 importait de relever cette échelle des sanctions
car, de l'ampleur des conséquences qu'entraînerait pour le salarié un éventuel
licenciement, pourra dépendre sa diligence.
Comme toute sanction, la sanction disciplinaire a certainement un effet
dissuasif. Et l'exemplarité des sanctions pourra certainement y contribuer. Plus
le juge sera enclin à admettre facilement la faute grave du salarié qui a enfreint
les règles de sécurité, mieux les salariés respecteront \\~s mesures. II s'agit de
responsabiliser les salariés, les contraindre au besoin par l'intimidation, à la
vigilance et au respect scrupuleux des consignes de sécurité. Autant il est
nécessaire de protéger suffisamment le salarié qui exerce régulièrement son
droit de retrait ou qui réclame des conditions normales de travail, autant il est
indispensable de sanctionner sévèrement celui qui, par sa négligence, expose
sa propre personne et les autres salariés à un risque anormal. Telle peut être
l'une des contributions du juge à la protection de l'intégrité physique du salarié.
Reste à savoir plus concrètement quelle est la ligne directrice de la
jurisprudence sur la question.
La jurisprudence fournit de nombreux exemples dans lesquels le salarié
a été licencié pour violation des règles de sécurité. Il a été ainsi jugé que le fait
pour un salarié de bloquer le dispositif de sécurité constitue une faute grave
justifiant son licenciement sans indemnité de préavis et de licenciement' . De
'\\
même, doit être cassé l'arrêt qui estime sans cause \\réelle et sérieuse le
licenciement d'un chef de chantier alors que la tranchée dont il contrôlait la
réalisation n'avait pas été creusée sur toute la longueur prévue, ce qui avait
'. soc 24 Octobre 1973. BulL V, n° 507.

303
entraîné l'ensevelissement partiel d'un salarié et révélait un manquement de
l'intéressé à ses obligations!.
Schématiquement,
on observera dans
la
jurisprudence récente deux niveaux dans la gradation des sanctions retenues
par les juges. Il s'agit du licenciement pour faute grave et du licenciement pour
cause réelle et sérieuse. Fait significatif, on constatera que la qualification
retenue est en rapport avec la nature du danger créé {ar le manquement du
salarié.
,
11 LE LICENCIEMENT POUR CAUSE REELLE ET SERIEUSE
Des deux qualifications précédemment indiquées, elle est celle qui
entraîne moins de conséquences néfastes pour le salarié. Cette sanction nous
semble-t-il, est admise par la jurisprudence dans deux cas.
Le premier est celui dans lequel le manquement du salarié n'expose
directement à un danger que sa propre personne. Tel est le cas lorsque le
salarié refuse de se conformer aux prescriptions de sécurité personnelle
notamment de mettre une tenue correcte et les chaussures de sécurité fournies
par l'employeur2 .
Le deuxième est celui dans lequel, bien que le cpmportement du salarié
,
soit de nature à nuire à la santé des autres salariés, il he les expose pas à un
danger immédiat. Tel est le cas d'un salarié qui fume à son lieu de travail au
mépris des règles d'hygiène et de propreté applicables dans un milieu où sont
conditionnés des aliments de toute nature3 . Il a été également jugé que s'il n'est
pas démontré que le salarié fumait dans un endroit où il aurait pu mettre en
danger réel l'établissement en mettant le feu (ce qui selon le juge aurait
constitué une faute grave), il n'en demeure pas moins que le fait de persister
dans une attitude contraire au règlement intérieur constitue une cause réelle et
sérieuse de licenciement4 . Il convient d'ajouter qu'il importe peu que la régIe
transgressée soit d'origine réglementaire, issue du réglement intérieur ou ne
soit même pas écrites. Outre le licenciement pour une cause réelle et sérieuse,
. soc. 3 Mai 1979, Bull. V, n° 373.
\\
Paris, 17 Juin 1992, RIS 1992. p. 657
\\
) Reims, 9 Novembre 1994, RIS. 1995, p. 72.
Nîmes, 20 Novembre 1992, RJ.S. 1993, p. 160.
'. Aix-en-Provence, 1\\ Mai 1993, RJ.S. 1993, p. 624; Reims. 9 Mars 1994, préc.

304
l'employeur pcut rompre le contrat de travail pour faute grave lorsque le salarié
a enfreint les mesures de sécurité.
\\,\\
2/ LE LICENCIEMENT POUR FAUTE GRA VE
La jurisprudence fournit plusieurs exemples dans lesquels le salarié qui
a enfreint les règles de sécurité est licencié pour faute grave. Cette sanction qui
entraîne de lourdes conséquences pour le salarié est souvent retenue par la
jurisprudence pour des manquements plus graves que ceux déjà mentionnés. Il
s'agit des transgressions qui exposent non seulement la personne du salarié
mais aussi toute l'entreprise ou tous les autres salariés à un danger immédiat.
Nous entendons par danger immédiat celui qui est susceptible de se réaliser
instantanément. Ce que nous pourrions appeler en empruntant l'expression du
Professeur PRADEL, « un risque immédiat de dommage et non un risque de
dommage immédiat})1 .Se rend donc coupable d'une faute grave, l'ingénieur
\\
qui, à la suite d'une erreur de conception de l'aliOle~tation d'un ensemble
automate, fait remplacer un câbleur des fusibles par des strapps en cuivre, ce
qui représentait un danger potentiel d'incendie2 . Commet également une faute
grave, le salarié qui fume dans un atelier dès lors qu'en raison de la nature de
l'établissement, ce manquement est de nature à entraîner un risque d'explosion
et de pertes humaines dans J'entreprise3 .
Au regard de ce qui précède, on pourra dire que le juge n'hésite pas à
admettre le bien-fondé du licenciement du salarié pour violation des règles de
sécurité. Cette jurisprudence est à juste titre relativement sévère à l'égard du
salarié comparativement à la ligne générale de la jurisprudence en matière de
licenciement notamment pour perte de confiance, pour des motifs tenant aux
moeurs ou à la vie privée du salarié, ou enfin pour des propos insultants et
outranciers envers les dirigeants de l'entreprise4 . Ces \\icenciements sont plus
,
souvent qualifiés d'abusifs par la jurisprudence. Il a tHé même jugé qu'un
licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors que les faits qui l'ont
1. J. PRADEL, « La mise en danger », art. prée.
2. Paris 13 Mars 1992, RJ.S. 1992, p. 657
3. Paris, 23 Décembre 1991, R.J. S. 1992, p. 657. A propos d'un salarié qui a omis d'ôter une lame tranchante
d'un rasoir ayant été utilisé sur un patient atteint du virus du sida, voir Versailles, 9 Mars 1993, R.J.S. 1993,
F680.
. Soc. 3 Mai 1994, Dr. ouvr. 1994, p. 145

305
motivé ont fait l'objet d'une décision de relaxe par le juge pénal! . Or, tous les
exemples rapportés et qui ont donné lieu au licenciement ne tombent pas
forcément sous le coup de la loi pénale (les éléments\\constitutifs du délit de
,
.
mise en danger de la personne de l'article 223-1 N.C.P. ne sont pas réunis dans
tous les cas) surtout lorsqu'ils n'ont donné lieu à aucun accident.
Au demeurant, cette sévérité des juges nous paraît indispensable. En
effet, comme nous l'avions déjà relevé, le problème de la sécurité et donc de
l'intégrité physique du salarié ne relève pas du seul domaine des obligations
contractuelles. C'est bien une question de sécurité collective. Et ici plus
qu'ailleurs la rigueur du juge doit être de principe puisque ces types de
sanctions contrairement à la sanction pénale, pourront intervenir plus souvent
en amont du préjudice. Elles jouent donc un rôle préventif certain. Il s'agit
pour le juge de permettre à l'employeur de se séparer à moindre coût, et donc
plus souvent, du salarié dont la présence au sein de l'entreprise constitue un
danger collectif. Ainsi, en s'abstenant de requalifier le licenciement du salarié -
ce qui aurait pour conséquence de rendre plus onéredse pour l'employeur la
\\
rupture du contrat- il encourage ce dernier à recourir' à cette sanction afin
d'assurer aux autres salariés, J'élimination de dangers supplémentaires. De ce
point de vue, le juge social apparaît comme un agent de prévention.
Cependant,
aussI
louable
que
puisse
être
cette
construction
jurisprudentielle, il nous semble qu'il existe bien une autre voie par laquelle le
juge pourra renforcer sa contribution à la responsabilisation des salariés dans
le domaine de la sécurité. Cette voie insuffisamment explorée est celle de
l'incitation pécuniaire directe du salarié au respect des mesures de sécurité à
travers la faute inexcusable de la victime.
§ II: L'INCITATION PECUNIAIRE DU SALARIE AU RESPECT DES
MESURES DE SECURITE: LA FAUTE INEXCUSABLE DE LA VICTIME
\\
Relativement aux moyens de contraindre l'emplbyeur au respect des
règles de sécurité, nous avions relevé que selon la doctrine, les pressions
pécuniaires sont d'une meilleure efficacité. Et la faute inexcusable constitue en
'. Douai, 12 Juin 1992, RIS. !992, p. 723.

305
motivé ont fait l'objet d'une décision de relaxe par le juge pénal! . Or, tous les
exemples rapportés et qui ont donné lieu au licenciement ne tombent pas
forcément sous le coup de la loi pénale (les éléments constitutifs du délit de
mise en danger de la personne de l'article 223-\\ N.C.P. ne sont}las réunis dans
tous les cas) surtout lorsqu'ils n'ont donné lieu à aucun ilfcident.
Au demeurant, cette sévérité des juges nous paraît indispensable. En
effet, comme nous l'avions déjà relevé, le problème de la sécurité et donc de
l'intégrité physique du salarié ne relève pas du seul domaine des obligations
contractuelles. C'est bien une question de sécurité collective. Et ici plus
qu'ailleurs la rigueur du juge doit être de principe puisque ces types de
sanctions contrairement à la sanction pénale, pourront intervenir plus souvent
en amont du préjudice. Elles jouent donc un rôle préventif certain. [l s'agit
pour le juge de permettre à l'employeur de se séparer à moindre coût, ct donc
plus souvent, du salarié dont la présence au sein de l'entreprise constitue un
danger collectif. Ainsi, en s'abstenant de requalifier le licenciement du salarié -
ce qui aurait pour conséquenc~ de rendre plus onéreuse pour l'employeur la
rupture du contrat- il encourage ce dernier à recourir à cette sanction afin
d'assurer aux autres salariés, l'élimination de dangers ~pplémentaires. De ce
point de vue, le juge social apparaît comme un agent de prévention.
Cependant,
aUSSI
louable
que
puisse
être
cette
construction
jurisprudentielle, il nous semble qu'il existe bien une autre voie par laquelle le
juge pourra renforcer sa contribution à la responsabilisation des salariés dans
le domaine de la sécurité. Cette voie insuffisamment explorée est celle de
l'incitation pécuniaire directe du salarié au respect des mesures de sécurité à
travers la faute inexcusable de la victime.
§ Il: L'INCITATION PECUNIAIRE DU SALARIE AU RESPECT DES
MESURES DE SECURITE: LA FAUTE INEXCUSABLE DE LA VICTIME
Relativement aux moyens de contraindre l'employeur au respect des
règles de sécurité, nous avions relevé que selon la dpctrine, les pressions
pécuniaires sont d'une meilleure efficacité. Et la faute inexcusable constitue en
" Douai. 12 Juin 1992. RJ.S. 1992. p. 723

307
qui limite certainement l'apport du juge à la responsabilisation du salarié dans
la prévention des accidents. Cette désuétude de la faute inexcusable, malgré la
participation certaine et parfois coupabh: du salar\\é à la réalisation du
préjudice, ne devrait-elle pas inciter le législateur à réh'abiliter cette faute (B)
par l'institution d'une faute inexcusable de droit pour certains manquements?
Cette démarche aura sans doute pour conséquence de limiter le pouvoir
d'appréciation du juge. Mais la menace d'une réparation limitée (inférieure à la
réparation forfaitaire) aura certainement pour conséquence l'amélioration de la
prévention.
AI LA FAUTE INEXCUSABLE DU SALARIE, UNE SANCTION EN
DESUETUDE
11 paraît actuel1ement bien difficile de faire une étude de la jurisprudence
sur la faute inexcusable de la victime en matière d'accident du travail. En end,
les litiges ayant pour objet la ,reconnaissance de la faute inexcusable de la
victime sont si rares qu'on pourrait même dénier à, cette institution toute
\\
fonction de prévention des préjudices professionnels.
\\
On reconnaîtra néanmoins que la jurisprudence recourt très souvent à la
faute de la victime, soit pour écarter la faute inexcusable de l'employeur, soit
pour limiter la majoration de l'indemnisation du préjudice subi par le salarié du
fait de la faute inexcusable de l'employeur ou son substitué. Il en est ainsi dans
le premier cas lorsque le salarié en l'absence d'instructions de l'employeur,
prend un risque en toute connaissance de cause ou enfreint volontairement les
mesures de sécurité 1•
Le deuxième cas concerne le salarié qui a concouru par sa négligence ou
l'inobservation des règles de sécurité à la réalisation du dommage bien qu'une
faute inexcusable initiale soit imputable à l'employeur2. Cette réduction de la
majoration est cependant insuffisante pour inciter le salarié à l'observation des
règles de sécurité puisque l'indemnité perçue est tout~ompte fait, au moins
égale à l'attente légitime du salarié c'est-à-dire le forfait qui lui est dû aux
I
soc. 3 Mars 1982. Bull. V, nO 139; Versailles. 11 Février 1992. R.J.S. 1992. p. 448
'. Soc. 22 Novembre 1990. BulL V. n" 588; Soc. 5 Avril 1990. Bull. V, n° 177; Soc. 5 Janvier 1995. C.S.B P.,
1995. p. 85.

307
qui limite certainement l'apport du juge à la responsabilisation du salarié dans
la prévention des accidents. Cette désuétude de la faute inexcusable, malgré la
participation certaine et parfois coupable du salarié à la réalisation du
préjudice, ne devrait-elle pas inciter le législateur à réhabiliter cette faute (8)
par l'institution d'une faute inexcusable de droit pourçertains manquements?
Cette démarche aura sans doute pour conséquence de limiter le pouvoir
d'appréciation du juge. Mais la menace d'une réparation limitée (inférieure à la
réparation forfaitaire) aura certainement pour conséquence l'amélioration de la
prévention.
AI LA FAUTE INEXCUSABLE DU SALARIE, UNE SANCTION EN
DESUETUDE
Il paraît actuellement bien difficile de faire une étude de la jurisprudence
sur la faute inexcusable de la victime en matière d'accident du travail. En effet,
les litiges ayant pour objet la reconnaissance de la faute inexcusable de la
victime sont si rares qu'on pourrait même dénier à cette institution toute
fonction de prévention des préjudices professionnels.
\\
On reconnaîtra néanmoins que la jurisprudence rè-court très souvent à la
faute de la victime, soit pour écarter la faute inexcusable de l'employeur, soit
pour limiter la majoration de l'indemnisation du préjudice subi par le salarié du
fait de la faute inexcusable de l'employeur ou son substitué. Il en est ainsi dans
le premier cas lorsque le salarié en l'absence d'instructions de l'employeur,
prend un risque en toute connaissance de cause ou enfreint volontairement les
mesures de sécurité 1.
Le deuxième cas conceme le salarié qui a concouru par sa négligence ou
l'inobservation des règles de sécurité à la réalisation du dommage bien qu'une
faute inexcusable initiale soit imputable à l'employeul Cette réduction de la
majoration est cependant insuffisante pour inciter le salarié à l'observation des
règles de sécurité puisque l'indemnité perçue est tout compte fait, au moins
égale à l'attente légitime du salarié c'est-à-dire le forfait qui lui est dû aux
\\
l
soc. 3 Mars 1982, Bull V, n' 139, Versailles, II Février 1992. RJS 1992. p 448
, Soc 22 Novembre 1990, Bull V, n' 588, Soc 5 Avnl1990, Bull V, n' 177, Soc 5 JanvIer 1995, C S.B P
1995, p. 85.

308
tennes de la législation. Pourtant, il nous semble qu~ l'incitation pécuniaire
serait d'une grande utilité dans la responsabilisation des salariés. Or on
remarquera qu'excepté le licenciement pour faute grave, rien n'est entrepris de
ce point de vue pour améliorer la prévention des accidents, les sanctions
pécuniaires étant par ailleurs prohibées par la loi. Cette désuétude de la faute
inexcusable du salarié prive sans doute le juge de l'une des occasions par
lesquelles il aurait pu contribuer à cette prévention. On ne se bornera pas
cependant à ce constat. Il convient de rechercher les raisons qui expliquent cet
abandon.
C'est une évidence première que le juge ne pourra statuer sur l'existence
d'une faute inexcusable du salarié qu'autant qu'il est saisi du litige. C'est donc
du côté de l'employeur qu'il convient d'abord de rechercher cette éventuelle
carence.
Une première explication consisterait à dire que l~ reconnaissance de la
faute inexcusable comportant une phase amiable, les parties aboutissent à un
compromis déjà à cette phase. Cette explication nous paraît peu probable. Rien
n'expliquerait que toutes les actions en reconnaissance de la faute inexcusable
du salarié aboutissent déjà dès la phase amiable et qu'au contraire, les actions
en reconnaissance de la faute de l'employeur donnent lieu à une jurisprudence
abondante. Cette explication tiendrait si le nombre des litiges était seulement
peu élevé: c'est de leur quasi disparition qu'il s'agit.
La deuxième explication possible est celle d'une abstention systématique
des employeurs à faire reconnaître la faute inexcusable de la victime, soit par
compassion soit parce qu'ils n'ont aucun intérêt à le faire. La première
hypothèse tiendrait au fait que les employeurs hésitent à aggraver la situation
financière d'une personne déjà atteinte dans son \\ntégrité physique. La
deuxième hypothèse s'expliquerait par une jurisprud\\nce de la Chambre
sociale de laquelle il résulte que le conseil d'administration de la Caisse
primaire qui peut en cas de faute inexcusable de la victime diminuer le
montant de la rente, pouvait ne pas user de cette faculté 1. C'est dire qu'en
définitive, la reconnaissance de la faute inexcusable du salarié ne se traduit pas
1. soc. 22 Mai 1984, Bull V, n° 214

309
forcément par une réduction des charges de l'employeur. Cette jurisprudence
ne nous paraît pas équitable car rien ne justifie que la faute inexcusable de
l'employeur aggrave ses charges alors que celle du salarié ne lui profite pas.
Tout compte fait, elle ne rend. pas service à la prévention car au-delà de la
pénalisation du salarié, c'est l'effet préventif qui est ~ussi recherché dans la
faute inexcusable de la victime. Il est donc souhaitab'te que soit réhabilitée
cette faute afin de rendre de nouveau au juge, la possibilité de proportionner la
réparation du préjudice à la gravité de la faute inexcusable du salarié dans
l'intérêt d'une meilleure prévention.
BI LA NECESSAIRE REHABILITATION DE LA FAUTE INEXCUSABLE
DU SALARIE
Il peut paraître paradoxal de préconiser la réhabilitation de la raute
inexcusable du salarié alors que la réparation toujours forfaitaire des accidents
du travail est dénoncée. Ce paradoxe n'est réel que lorsqu'on considère que la
faute inexcusable du salarié n'a pour objet que la limitation de la responsabilité
de l'employeur. Or, c'est son aspect préventif qu'il convient de renforcer.
D'ailleurs la décision jurisprudentielle que nous avions ~énoncée et aux termes
de laquelle la faute inexcusable du salarié ne se traduit1pas forcément par un
gain pour l'employeur, tend à accréditer la prépondérance de l'aspect préventif
sur les considérations pécuniaires. L'inconvénient de cette jurisprudence, c'est
d'entraîner la désuétude de cette faute puisqu'clle peut susciter le renoncement
des employeurs à rechercher la faute inexcusable du salarié. C'est dire que la
réhabilitation de la faute inexcusable du salarié devra se traduire d'une part par
la reconnaissance à l'employeur d'un droit à une réduction des cotisations dès
lors que le préjudice survenu au salarié est imputable à sa propre faute
inexcusable. Ce qui aura pour conséquence de les amener à agir le cas échéant,
en vue de la reconnaissance de cette faute. D'autre part, il s'agira d'instituer une
notion de faute inexcusable de droit à l'encontre des salariés· comme c'est déjà
le cas pour l'employeur et ce, dans l'intérêt d'une meilleure prévention.
L'opportunité de l'institution d'une faute inexcusable du salarié nous
.
'.
paraît justifiée par l'inefficacité des sanctions pénales dans la sphère du libre
arbitre et surtout par les manquements parfois délibérés des salariés à leur
obligation de sécurité. Il serait probablement excessif d'affirmer que « (..)

310
l'accidenté est toujours l'acteur principal de l'accident))l. Cependant, il y a
lieu de mettre en relief la contribution des salariés à la réalisation du préjudice
ou à J'aggravation de ses conséquences. En effet, de norl-tbreux préjudices sont
imputables au fait que le salarié a omis d'utiliser le matériel de sécurité mis à
sa disposition ou s'en est séparé avant j'achèvement de son travail. Tel est par
2
exemple le cas d'un maçon qui détache sa ceinture de sécurité . Certes, il
incombe à l'employeur de veiller au respect de ces mesures de sécurité. Mais il
y a lieu de reconnaître la difficulté à surveiller chaque employé d'autant plus
que la violation des règles de sécurité peut être instantanée, empêchant ainsi
l'employeur ou son délégué de se rendre compte du manquement et de prendre
les mesures qui s'imposent. Il ne s'agit pas toujours de simples inadvertances
de la part des salariés mais d'une réelle option, d'un acte volontaire. On pourra
aussi rapprocher de ces actes volontaires, l'état d'ivresse. Tel est le cas d'un
salarié qui fait une chute dans les escaliers du vestiaire alors qu'en raison de
son état d'ivresse totale, son employeur lui a donné l'ordre de quitter
.
\\
,
.
l
3
,
entrcpnse .
\\
Face à ces choix délibérés, la condamnation de l'employeur n'est pas
d'une grande utilité. Certes, il s'agit de contraindre ce dernier à une
surveillance étroite des salariés. Cependant, tant qu'une menace certaine ne
pèsera pas sur le salarié, l'éventualité d'une sanction disciplinaire ne suffira pas
à le contraindre au respect des règles de sécurité. Pour ces manquements
délibérés, il nous semble nécessaire d'instituer une faute inexcusable de droit.
La crainte du gendanne dit-on, est le commencement de la sagesse.
Il nous semble aussi nécessaire de préserver au juge son pouvoir
d'appréciation sous peine de passer d'un excès à l'autre. Aussi, cette faute
inexcusable de droit, si elle vcnait à être instituée, devrait-t-clle être une
présomption simple à la charge du salarié. Il reviendra alors au juge, au vu des
circonstances, d'admettre ou d'exclure l'existence d'une\\~elle faute. Il ne s'agit
pas de systématiser la faute inexcusable du salarié mais d'éviter que sa
1 _ 1. DUMONT, ({ Le personnel ct la prévention des accidents du travail: acteur ou sujet? ». Article précité p.
32.
'. Soc. 3 Mars 1983. Bull. V, ne 139; Soc. 2 Octobre 1985. Bull. V. nù 432.
J. Soc. 28 Avril 1980, Bull. V, n' 366.

311
désuétude, certainement préjudiciable à la prévention, ne se perpétue. Il y va
aussi de l'intérêt des salariés.
De tout ce qui précèdc, il ressort d'une part que le droit du salarié à son
intégrité physique notamment à travers J'exercice du droit de retrait relèvc de la
protection judiciaire. D'autre pm, on a pu constater que le juge dans l'exercice
de sa mission pourra à travers les orientations qu'il 'Qonne à ses décisions,
intéresser les salariés au respect des règles de sécurité "'et à la prévention des
préjudices. Sa construction sur les sanctions disciplinaires en cas de violation
de ces règles en est une illustration. De ce fait, on pourra certainement dire quc
le juge a vocation à jouer un rôle déterminant dans la prévention des risques
professionnels notanlment en responsabilisant les salariés. Mais s'agissant de la
façon dont est accomplie cette mission, on notera avec regret quelques
insuffisances liées à la modération dont il fait preuve. En effet, en ne se
reconnaissant pas le pouvoir d'annuler le licenciement du salarié qui a
régulièrement exercé son droit de retrait, le juge laisse à notre avis son oeuvre
inachevée. Et la désuétude de la faute inexcusable du salarié accentue
certainement ce sentiment.
\\
L'organisation du travail du point de vue de la sécurité et la prise en
compte de la situation de danger par les acteurs sociaux dans l'exécution du
contrat de travail sont tributaires de la construction jurisprudentielle. En effet,
qu'il s'agisse de l'employeur ou du salarié, c'est au juge qu'il revient à travers la
détennination et la sanction de leurs obligations respectives ou la protection de
leurs prérogatives, de les contraindre à un type de comportement en vue de
prévenir les préjudices professionnels. C'est ce que nous avions dénommé la
responsabilisation judiciaire des acteurs sociaux. On reconnaîtra qu'il existe
une difficulté certaine à évaluer l'ampleur de J'incidence de la construction
jurisprudentielle sur les pratiques au sein de l'entreprise. Cependant, partant du
principe qu'aucune obligation ne peut être suffisanlmenl respectée sans être
convenablement sanctionnée tout comme aucun dr<~it n'est véritablement
exercé qu'autant qu'il est protégé, et vu la construction jurisprudentielle aux

312
tenues de ces développements, on ne saurait négliger l'impact de l'oeuvre
judiciaire sur les acteurs sociaux.
Le rôle du juge dans la prévention des rIsques professionnels ne se
limite pas à la responsabilisation des acteurs sociaux. Il y est davantage
impliqué. Quoiqu'il ne soit pas un acteur social, il deffil~ure acteur médiat de la
prévention des préjudices professionnels.
\\.
\\
\\
\\,,\\

313
\\
TITRE Il
LE JUGE, UN ACTEUR MEDIAT DE LA PREVENTION DES
RISQUES PROFESSIONNELS
\\
\\

314
S'il
est
indéniable que
l'éradication
de
tout risque
dans
l'exécution de la tâche du salarié demeure impossible, il est certain que la
diligem:e des acteurs sociaux pennettra d'éliminer les dangers anonnaux.
Certes, les actions de sensibilisation et de fonnation en direction des acteurs
sociaux peuvent concourir à la réalisation de cet objectif. Nous avions aussi vu
quel est en la matière, l'apport du juge qui par sa construction, contribue à la
responsabilisation des acteurs sociaux. Cet apport nous paraît détem1inant
puisque, à la différence d'une simple action de sensibilisation, J'intervention
du juge revêt un caractère coercitif. On observera\\cependant que, aussi
\\
souhaitable que puisse être son intervention, le juge n'est impliqué dans la
prévention des préjudices professionnels qu'autant qu'il est saisi. De ce fail, il
apparaît déjà comme un acteur médiat de la prévention des risques
professionnels.
Il résulte de ce qui précède que son apport est en réalité
subordonné à l'action des personnes ou des structures habilitées à le saisir.
Selon que ces dernières recourent à lui lorsque les conditions de sa saisine sont
réunies ou qu'elles négligent de Je faire, le juge pourrait être suffisamment
impliqué ou marginalisé. Et dans ce dernier cas, son action n'aura aucune
portée significative. On ne saurait donc parler de la placé du juge dans la
prévention des accidents professionnels sans s'intéresser à la façon dont il est
saisi. L'implication du juge dans la prévention des préjudices professionnels
(Chapitre 1) pourrait-on dire, constitue un préalable à \\a contribution à cette
prévention.
Le
rôle
du
juge
ne
se
limite
certainement
pas
à
la
responsabilisation des acteurs sociaux. En effet, la prévention des accidents
professionnels implique aussi que des droits leur soient reconnus. Nous avions
à cet effet étudié le droit de retrait du salarié. Outre ce droit, de nombreuses
prérogatives sont aussi reconnues au Comité d'hygiène, de sècurité et des
conditions de travail, structure représentative des salariés dans la prévention
des accidents du travail. D'autres prérogatives sont également reconnues en la
matière au médecin du travail, même si ce demier est un salarié, soumis en
principe aux ordres de son employeur.
\\

315
A la différence de ['employeur et en raIson de l'état de
subordination des salariés, ces prérogatives dans le domaine de la sécurité ne
seront effectives qu'autant qu'elles sont protégées. A la mission du juge qui
consiste à responsabiliser les acteurs sociaux, s'ajoute donc celle de la
protection des prérogatives des différents intervenants dans la prévention des
risques professionnels (Chapitre II).
\\,
\\
\\\\

\\.\\
316
CHAPITRE 1: L'IMPLICATION DU JUGE DANS LA PREVENTION
DES RJSQlIES PROFESSIONNELS
Il est un principe juridique que celui qui n'a aucun intérêt à agir
n'est pas admis à saisir Je juge. Ce principe est exprimé par la fonnule «pas
d'intérêt, pas d'action». Nous avons dans nos précédents développements,
mis en en relief certains aspects de la contribution du juge à la prévention des
risques professionnels sans nous intéresser à sa saisine. Certes, il est évident
que le salarié sanctionné pour ~voir exercé son droit de retrait pourra saisir le
juge, garant de l'exercice de ce droit. Cependant, on remarquera que, si pour
les litiges opposant directement l'employeur au salarié\\ ce dernier est le seul
habilité à saisir le juge, il y a bien d'autres situations relatives à la prévention
des accidents professionnels dans lesquelles il perd le monopole de cette
saisine. Il en est ainsi lorsque le salarié a été victime d'un préjudice corporel
qu'il impute à la faute de l'employeur. Dans cette hypothèse, outre la victime,
les structures représentatives des salariés pourraient également saisir le juge. Et
l'inspecteur du travail dans sa mission de police judiciaire est habilité à relever
les infractions et à les transmettre au Parquet. L'intervention de l'inspecteur du
travail illustre cette idée déjà exprimée selon laquelle, le problème de la
prévention des accidents du travail est une question d'ordre public. Et il peut
même arriver que les salariés ne soient pas partie au procès. Le litige opposera
plutôt le délinquant (employeur) à la société.
En effet, on aurait tort de penser que l'ü,\\tervention du juge est
toujours postérieure au préjudice. Indépendamment Me tout préjudice, la
simple violation des règlements de sécurité suffit à engager la responsabilité
pénale de l'employeur. Mais encore faut-il que l'inspecteur du travail ait relevé
l'infraction commise et transmis le procès-verbal au Parquet. C'est à cc dernier
qu'il reviendra de poursuivre au besoin l'employeur. Par ailleurs, l'inspecteur
du travail peut, aux tennes de l'article L. 263-1 C. trav., saisir le juge des
référés lorsqu'un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique des salariés
résulte de l'inobservation des règles de sécurité. Il résulte donc de ce qui
précède que l'inspecteur du travail apparaît comme un auxiliaire du juge dans
la prévention des accidents du travail. C'est dire que la contribution du juge à
la prévention des accidents du travail est en partie tributaire des relations entre
"
\\.

317
l'inspecteur du travail et l'institution judiciaire. De I~\\ur étroite coopération
pourront résulter d'une part, la meilleure connaissance par l'institution
judiciaire des conditions réelles de travail des salariés et d'autre part,
l'effectivité des mesures de sécurité. Il conviendra donc d'étudier les rapports
entre le juge et l'inspecteur du travail (SECTION 1).
Il importe aussi de remarquer que l'inspecteur du travail qui est
un allié du juge dans la prévention des accidents du travail apparaît parfois
comme un intermédiaire entre le juge et les structures représentatives des
salariés notamment le comité d'hygiène, de sècurité et des conditions du
travail. Il n'en demeure pas moins vrai que la saisine du juge par ces structures
et surtout leur participation au procès lui otTrent une meilleure occasion de
contribuer
à
la
prévention. des
préjudices.
Ces
structures
sont-elles
suffisamment mises en mesure de saisir le juge? En. quoi l'amélioration de
l'accès des salariés aux tribunaux pourra-t-elle con20urir à une meilleure
prévention des risques? La construction jurisprudentielle permet-elle d'inciter
les salariés à recourir davantage au juge? Autant d'interrogations qui suggèrent
que soit examiné le rapport entre le juge et les structures représentatives des
salariés (SECTION Il).
SECTION 1: LE JlJGE ET L'INSPECTEUR DU TRAVAIL
JI s'agira d'abord de situer l'inspecteur du travail dans le
processus judiciaire (§ 1) ayant pour objet direct ou indirect, la prévention des
accidents du travail. Cette démarche vise à rechercher en quoi l'intervention de
l'inspecteur du travail pourraitentraver ou favoriser l'action du juge dans le
domaine qui nous concerne bien entendu. Ensuite, on remarquera que du fait
,
de la complémentarité de \\' institution judiciaire et de 'r inspection du travail
dans la prévention des accidents du travail, tout dysfonctionnement de J'un ou
l'autre des deux organes, sera de nature à compromettre l'efficacité de leur
action. C'est en d'autres termes les obstacles à une coopération efticace entre
les deux institutions (§ II) qui sont ainsi évoqués.

318
§ 1: L'INSPECTEUR DU TRAVAIL DANS LE PROCESSUS JUDICIAIRE
« L'échec de la loi du 22 Mars 1841, inexécutée faute de
l'existence d'un corps de contrôle comme l'expérience constante de lOutes les
sociétés humaines, montrent qu'il n'existe pas de respect des réglementations
sans corps de contrôle et possibilité de sanction à 1}~ncontre des éventuels
contrevenants» écrit D. LEJEUNE\\ . La force d'une loi ne réside-t-elle pas en
effet, dans les mesures coercitives dont elle est assortie et surtout dans leur
effectivité? Cette observation présage déjà l'importance de l'inspecteur du
travail
dans
le
processus judiciaire
En
effet,
il
ressortait
de
nos
développements que le juge pénal à travers le régime de la responsabilité
pénale de l'employeur, concourait pleinement à l'organisation du milieu du
travail relativement aux conditions de sécurité. Or, l'intervention du juge pénal
et le prononcé de la sanction pénale constituent souvent \\lne phase tenninale
d'une procédure en amont de laquelle, les infractions ont été constatées et une
enquête diligentée. Cette mission préalable à l'intervention. du juge incombe
aux agents de police judiciaire et assimilés, dont l'inspecteur du travail dans le
domaine de la réglementation du travail. La saisine du juge étant en partie liée
à cette mission des agents de police judiciaire, il Ii,onviendra d'examiner
\\
d'abord les prérogatives de police judiciaire de l'inspecteur du travail. A
l'instar des officiers de police judiciaire, l'inspecteur du travail transmet les
procès-verbaux d'infractions au Ministère public, à qui il appartiendra de
saisir ou non le juge. On ne saurait donc parler de la place de l'inspecteur du
travail dans le processus judiciaire sans mettre en relief ses rapports avec le
Ministère public (A). Ceci nous permettra de dire ensuite quelle est ou devrait
être sa mission à l'audience (B).
N L'INSPECTEUR DU TRAVAIL ET LE MINISTERE PUBLIC
On étudiera successivement les prérogatives de police judiciaire de
l'inspecteur du travail et la transmission des procès-verbaux au Parquet.
\\.,
1. D. LEJEUNE, «( L'inlervention de l'inspecteur du travail pour la prévention des risques professionnels »,
ENA.J. 1982, P 45

319
If LES PREROGATIVES DE POLICE JUIJlClAIRE DE L'INSPECTEUR
DU TRAVAIl"
\\
.
.
Aux tennes de l'article L 611-1 C. trav.;. « Les Inspecteurs du
travail sont chargés de veiller à l'application des dispositions du Code du
travail (.) Ils sont également chargés, concurremment avec les agents et
officiers de police judiciaire, de constater, s'il échet, les in/raclions à ces
dispositions ». A ce titre, ils disposent de larges pouvoirs d'investigation
parfois plus étendus que ceux des officiers de police judiciaire "ordinaires". En
effet, aux tennes de l'article L
611-8 C. trav. ils «ont entrée dans tous
établissements où sont applicables les règles énoncées à la première phrase
du premier alinéa de l'article L 611-1 à l'effet d y assurer la surveillance et
les enquêtes dont ils sont chargés ». On remarquera que contrairement aux
agents de police judiciaire, les inspecteurs du travail ont un droit de visite
pennanent Lcs premiers ne pourront avoir ce droit de visite sans J'assentiment
exprès du propriétaire, à moins qu'une infonnation soit ouverte ou qu'un
indice apparent d'un comportement délictueux puisse r~i"éler l'existence d'une
infraction. Ils ont également ce droit en cas de flagr~t délit l . Cependant,
s'agissant des locaux habités où sont exécutés les travaux, les inspecteurs du
travail ne peuvent y pénétrer qu'après avoir reçu l'autorisation des personnes
qui les occupent (art. L 611-R al. }). Concurremment avec les officiers de
police judiciaire, ils ont également qualité pour procéder aux fïns d'analyse, il
tous les prélèvements portant sur les matières mises en oeuvre et les produits
distribués ou utilisés.
Par ailleurs, aux tennes de l'article L. 611-9 C. trav. les
inspecteurs du travail peuvent se faire présenter au cours de leurs visites,
l'ensemble des livres, registres et documents rendus obligatoires par la loi.
Toutes ces prérogatives de l'inspecteur du travail sont protégées par la loi qui
punit tout obstacle à l'accomplissement des dcvoirs de. l'inspecteur du travail
(article L. 631-1 C. trav.). Ainsi, ce délit est constitué \\on seulement lorsque
l'employeur refuse de donner à l'inspecteur les documents imposés par la loi
mais également lorsqu'il lui fournit de fausses infonnations de nature à éluder
1. Crim. 21 Juillet 1982, Bull. n' 196.

320
son contrôle! . Cette mission d'enquête et de contrôle de la réglementation du
travail confère à J'inspecteur du travail le droit de procéder à l'audition de
témoins au sein de l'entreprise. Se rend donc coupable du délit d'obstacle à la
fonction de l'inspecteur du travail, l'employeur qui lui refuse l'autorisation de
procéder à l'audition des témoins au sein de l' entreprise2 . Il convient aussi de
se demander si
ces
prérogatives confèrent à l'inspecteur le droit de
convocation.
\\"\\
Selon
une
réponse
ministérielle
refativement
ancienne,
l'employeur n'est pas juridiquement tenu de déférer à une convocation de
l'inspecteur du travail. Mais ajoute le ministre, il aura généralement intérêt à le
faire, En cela, on peut aussi estimer que le pouvoir de l'inspecteur du travail
est moins étendu que celui des officiers de police judiciaire. Néanmoins, son
droit d'entrée dans l'entreprise et le pouvoir de procéder aux auditions
suffisent à lui garantir le bon déroulement de sa mission et à relever au besoin
des infractions. Ces infractions sont constatées par des procès-verbaux qui aux
termes de l'article L. 611-10 C. trav, font foi jusqu'à preuve du contraire, Ces
procès-verbaux sont transmis au Parquet à qui appartient en définitive,
l'initiative de la poursuite.
21 LA TRANSMISSION DES PROCES-VERBAUX
\\,
\\
Aux termes de l'article 19 du Code de procédure pénale « Les officiers
de police judiciaire sont tenus d'informer sans délai le procureur de la
République
des
crimes,
délits
et
contraventions
dont
ils
ont
la
connaissance,(..)), Nous avions souligné que relativement à la constatation
des infractions aux règles de sécurité, les inspecteurs du travail jouent un rôle
de police judiciaire. Par ailleurs, l'article 40 du même Code impose la même
obligation à toute autorité constituée, tout officier public ou tout fonctionnaire
qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un délit ou
d'un crime. On aurait donc pu déduire de ces dispositions que l'inspecteur du
travail est tenu de transmettre directement les procès-verbaux au Parquet,
d'autant plus que l'article L 611-10 al. 2 du Code du travail dispose que l'un
\\
\\. Crim. 4 Février 1992. RJ.S. 1992, p. 499, Crim. 3 Janvier 1985, Bull. n' 6. \\
'. Crim. 22 Juillet 1981, Bull. n' 237.
'

321
des deux exemplaires des procès-verbaux est déposé au Parquet. Pourtant, aux
termes d'un décret du 24 Novembre 1977, le Directeur départemental du
travail et de l'emploi est chargé des rapports avec les services judiciaires, sous
réserve des attributions confiées par la loi aux inspecteurs .du travail. De ce
texte, il découle une pratique administrative qui consiste pour l'inspecteur du
travail à transmettre les procès-verbaux à la Direction départementale du
.
"
travail qui à son tour, les transmet au Parquet. Théoriqu~ment, l'inspecteur du
travail peut transmettre directement le procès-verbal au Parquet. Mais cela sera
mal vécu par sa hiérarchie car selon la Section Centrale du travail l (service de
la Direction départementale
du travail),
il
existe au-delà de l'action
individuelle, une politique pénale de la Direction départementale ct du
Ministère.
Concrètement, ct nous référant à la pratique dans le département du
Nord, le procès-verbal une fois rédigé par la Section d'Inspection du travail,
est transmis à la Section Centrale du travail puis à l'échelon du directeur-
adjoint chargé de la branche du travail. Ce dernier fait enregistrer Je procés-
verbal qu'il transmet ensuite au Parquet, accompagné d'un numéro de
bordereau pour permettre une information sur le numéro du Parquet. Est
également annexé au procès-verbal, un feuillet c~ncernant la date de
\\
l'audience et la décision. Les suites données par le Parquet, notamment le
numéro du dossier, sont enregistrées à la Section Centrale du travail puis
transmises à la Section d'Inspection du travail concernée. On signalera que
cette pratique ne résulte d'aucun texte mais d'un rapprochement amiable entre
le Parquet et la Direction départementale. Cette situation rend non seulement
probable une divergence de pratique d'une région à j'autre mais aussi la
possibilité d'un dysfonctionnement sur lequel il conviendra de revenir.
Cette transmission
des
procès-verbaux par l'intermédiaire de
la
Direction départementale présente selon les praticiens, l'avantage de permettre
une relecture du procès-verbal. Cette procédure aurait donc pour but d'éviter
que des erreurs de droit ou de faits ne soient commises par les inspecteurs du
travail, ce qui le cas échéant, entraînerait des classements sans suite.
\\'\\
l
il s'agit des services de la Direction départementale du travail à Lille. Dans le cadre de nos recherches, nous
avons eu des entretiens avec le responsable de la Section centrale du travail et un responsable d'une section
d'inspection du travail.


"
\\
322
Pour autant que
ces
avantages
sont réels,
cette
procédure
de
transmission appelle nombre de réserves.
On notera d'abord qu'il est possible de faire une objection juridique
relativement à cette pratique. En effet, n'y a-t-il pas lieu eu égard aux
dispositions légales précitées de penser qu'au nombre des attributions que la
loi confère à l'inspecteur du travail, figure la transmission des procès-verbaux?
Par ailleurs, l'article 40 faisant obligation à tout fonctionnaire d'informer le
Procureur de la République de tout crime ou délit dont il a connaissance dans
l'exercice de ses fonctions,
ce
pouvoir de
contrôle de
la Direction
départementale n'est-il pas contraire à la loi?
. \\
Il ne s'agit pas d'une simple interrogation d'ordr'è théorique puisque de
cette pratique administrative, pourraient découler des obstacles à une meilleure
répression des infractions aux règles de sécurité et donc une inefficacitè des
mesures de prévention.
En effet, on remarquera en premier lieu que, sans conserver en pratique
le monopole des contacts avec le Parquet, c'est la Direction départementale qui
assure l'essentiel de ces relations. Hormis les cas exceptionnels où l'inspecteur
du travail pour des raisons particuliéres, voudrait rencontrer Je Ministère
public, il se trouve dans une situation d'anonymat par rapport aux procès-
verbaux qu'il établit. Or nous semble-t-il, il demeure le miel.J.x placé de part sa
connaissance de l'entreprise et des conditions dans lesquelles l'infraction a été
relevée, à pouvoir insister auprès du Ministère public pour les suites à donner
au procès-verbal. On signalera au vu des statistique~l que l'inspection du
\\
travail apparaît comme une Administration très peu répressive. Ce qui suppose
a priori que tout procès-verbal est révélateur d'un manquement sinon grave, du
moins répété de l'employeur. Dès lors, et ce malgré le pouvoir du Parquet de
juger de l' opportunitè des poursuites, tout classement sans suite peut, soit
paraître comme une méconnaissance de la part du Parquet des conditions
réelles de travail dans l'entreprise concernée, soit résulter d'une insuffisance
d'explication de la part de l'Administration du travail. Quand bien même les
praticiens que nous avons rencontrés semblent plutôt apprécier favorablement
1. Cf Annexes, Tableau 4, p. 394. En ]992, moins de 3 % des infractions constatées ont été relevées par
procès-veral.

323
cette situation
d'anonymat,
il
est à
craindre
qu'elle n'engendre
peu
d'engouement de ['inspecteur du travail pour les suites données à ces procès-
verbaux. Un contact direct et permanent entre l'auteur du procès-verbal et le
Ministère public, juge de l'opportunité des poursuites, rendrait le premier plus
concerné et plus responsable des procès-verbaux qu'il établit. Ceci pourrait
d'ailleurs permettre une meilleure rédaction des procès-verbaux qui au
demeurant, constitue j'un des objectifs visés par I~, pratique actuelle. Le
\\
second, mieux éclairé et sur insistance du premier, éviterait certains
classements sans suite.
Il importe en second lieu de rappeler qu'il n'y a pas de doute que J'effet
dissuasif de la répression réside aussi dans sa promptitude. Or cette procédure
administrative de transmission a pour conséquence d'allonger le délai de
transmission. Selon C LAZERGES,I ce délai serait en moyenne de quatre à
six mois alors qu'un procès-verbal dressé par la gendarmerie en matière
d'accident du travail est transmis dans les quinze jours. Il convient néanmoins
de relativiser ces observations puisque à Lille, et selon la Section Centrale du
travail, ce problème qui a pu se poser par le passé n'est plus d'actualité. Ainsi
le délai moyen de transmission serait actuellement de un mois.
Il ne demeure pas moins vrai, comme on a pu se rendre compte au cours
de nos discussions avec les praticiens, que quelques ~\\ocès-verbaux rédigés
trois mois plus tôt par les inspecteurs du travail, étaient encore à la frappe. Ces
procès-verbaux n'avaient pas encore été transmis à la Section Centrale du
Travail. Cette situation s'explique aussi par l'insuffisance du personnel au
niveau du secrétariat, problème qui au demeurant varie d'un département ou
d'une section à un autre et selon que l'on soit en ville ou en campagne. Ainsi,
alors qu'ici deux secrétaires sont atlectés à six inspecteurs du travail, ailleurs,
deux secrétaires sont à la disposition d'un inspecteur.
Et
cette
procédure
de
transmission
précédemment
décrite
n'a
certainement pas pour conséquence d'abréger ce délai de transmission. Non
seulement cette lenteur diffère la répression mais aussi pourrait contribuer aux
classements sans suite. 11 en rèsultera en définitive, une marginalisation du
\\
'. C. LAZERGES,« La conslatation de l'infraction elles poursuites pénales », Dr. soc. 1984, p. 480.

324
juge. Cette marginalisation sera préjudiciable à la prévention des risques eu
égard à la contribution du juge à l'organisation du milieu du travail déjà
évoquée. On rappellera aussi que toute règle devient inefficace dès lors que les
sanctions dont elle est assortie sont inappliquées.
li Ya lieu de se demander au regard de ce qui précède si la procédure de
transmission des procès-verbaux ne présente pas plus d'inconvénients que
d'avantages.
\\
Par ailleurs, selon les inspecteurs que nous \\ avons rencontrés, la
Direction départementale ne peut s'abstenir de transmettre au Parquet un
procès-verbal sans l'accord de l'inspecteur du travail qui l'a rédigé. Et en cas
de désaccord, le procès-verbal doit tout de même être transmis. Un refus de
transmission ferait de la Direction départementale un organe de contrôle de
l'opportunité; ce qui serait contraire à l'indépendance de l'inspecteur' . C'est
dire qu'en définitive, la décision de transmettre le procès-verbal appartient à
l'inspecteur du travail. L'opportunité d'une transmission par la Direction
départementalc nous semble dès lors douteuse. Il nous paraît plus conséquent
d'abandonner cette pratique de la centralisation des rapports avec l'institution
judiciaire. Ceci permettra d'une part d'abréger les délais de transmission, et
d'autre part d'établir un contact permanent entre l'inspecteur du travail et le
Parquet. On notera d'ailleurs' que les inspecteurs du travail rattachés au
Ministère des transports sont directement chargés des mpports avec le Parquet
\\
pour les procès-verbaux qu'ils établissent.
.
II importe enfin d'observer que moins il y aura d'intermédiaires entre
l'inspecteur du travail et le juge, mieux ce dernier sera à même de connaître le
processus ayant entraîné J'accident ou encore de situer les responsabilités des
manquements constatés. Il ne s'agit pas de substituer l'inspecteur du travail au
Ministère public mais de permettre leur étroite collaboration. Ceci nous
conduit à évoquer la place de l'inspecteur du travail à l'audience.
1.
Il paraîtrait d'ailleurs peu logique que la Direction départementale puisse juger de l'0ppOltunité d~
transmettre les procès-verbaux alors que çontrairement il l'inspecteur du travail, eHe ignore les réalites
particulières qui caractérisent chaque entreprise. Il nous semble cependant qu'on ne pourra pas en pratique,
écarter totalement ce risque.
\\

325
BI L'INSPECTEUR DU TRAVAIL ET L'AUDIENCE
L'audience constitue une phase déterminante dims les poursuites
exercées pour violation des règles de sécurité puisqu'elle est marquée par
l'intervention du juge. Elle traduit par ailleurs, l' éch~~ des moyens mis en
oeuvre par l'inspecteur du travail pour assurer le respect des mesures de
sécurité. Aussi, l'intervention du juge apparaît-elle comme un "recours ultime"
afin d'assurer aux salariés une meilleure sécurité dans l'exercice de leurs
fonctions. Cette observation commande qu'une attention particulière soit
accordée à l'audience puisqu'elle devrait permettre au-delà des responsabilités,
de déterminer à la lumière des sanctions prévues par la loi, celles qui sont
susceptibles de contraindre l'employeur ou tout contrevenant, au respect des
règles de sécurité. Il importe donc que le juge soit suffisamment éclairé sur les
conditions de travail des salariés de l'entreprise concernée car, « (..) de la
même manière que le magistrat est appelé à apprécier la personnalité de
celui qui est poursuivi devant lui, (..) il est nécessaire d'apprécier le cadre
dans lequel cet accident s'est déroulé»l.
En effet,
à défaut d'une
connaissance du milieu du travail et des mécani~mes ayant conduit à
l'accident, toute sanction prise par le juge s'apparànterait à une simple
vengeance publique dénuée de toute vertu préventive. Comme le souligne
DUMAINE dans son étude relative à l'accidentologie, « Dans la lutte contre
l'accident, le préventionniste doit avant tout connaître ( l'anatomie de la
tâche ii, c'est-à-dire les éléments constitutifs du scénario de l'action, mais
aussi le milieu physique de l'action, le milieu psycho-professionnel lié à
l'organisation et le milieu psychosocial induisant les comportements des
indiVidus »2 .
Cette méthodologie illustre le rôle qui pourrait être celui de
l'inspecteur du travail à l'audience. En effet, la connaissance du milieu de
travail que pourraient avoir le Ministère public et le juge à qui incombe la
décision fmale, n'est autre que celle que pourront leur apporter les acteurs de
\\ce milieu. Il s'agit en premier lieu de l'employeur et les 'li,~lariés. La solution du
1
Il. O. GUERIN. Proe Rép. TGr. Lille, Intervention
au cours du colloque organisé par l'Institut de
:criminologie et de Sciences Criminelles de Lille II sur le théme « La situation de danger en milieu de travail ".
[Novembre 1991, p. 119.
[. OUMM" " " " D. ""'UNe. ' " " ,'k , ,m

326
juge de même que son efficacité du point de vue de la prévention sont
forcément tributaires de la connaissance qu'il a de ce milieu. Or, il est peu
probable que les salariés, pris isolément et bien que mieux renseignés sur les
conditions de travail, puissent apporter toutes les infonnations de nature à
mettre en relief les manqueQ:1ents dont est coupable l'employeur. Cette
situation est liée à leur état de subordination q~i peut faire craindre
d'éventuelles représailles patronales. L'inspecteur du\\travail, sans être un
acteur direct du milieu de travail est à même, par ses visites inopinées et son
pouvoir
d'investigation
indépendamment
de
tout
accident,
d'éclairer
l'audience. Il pourra aussi en collaboration avec le Procureur, proposer les
sanctions adaptées à la situation de l'entreprise. D'ailleurs sa présence au
procès pénal peut être un élément de réconfort psychologique permettant au
salarié de s'exprimer librement.
Force est de constater que malgré l'avantage certain qui résulterait d'une
étroite association de l'inspecteur du travail à toutes les étapes de la procédure
pénale, sa présence à l'audience est loin d'être une pratiq~e courante. Nous
pourrions même dire, nous référant au cas de Lille, que son absence à
l'audience est quasi systématique bien que les services de la Direction
départementale chargés des rapports avec l'institution ~udiciaire entretiennent
de bonnes relations avec le Parquet. Cette situation s'expliquerait par plusieurs
facteurs.
On remarquera d'abord qu'aucune séance spéciale n'est réservée aux
affaires relatives à l'application de la réglementation du travail. Ainsi, alors
même que l'inspecteur du travail serait infonné du jour de l'audience, sa
participation au procès suppose une présence continue durant toute la séance.
Ensuite, les magistrats du siège seraient, à Lille, défavorables à la
participation de l'inspecteur du Travail au procès. li y aurait même eu selon la
Section centrale du Travail et une Section d'inspection du travail, des
incidents.
Enfm, lorsque l'inspecteu'r est amené à participer à l'audience, il le fait à
titre de témoin à qui aucune prérogative ni attention Rarticulière n'est faite.
\\
Aussi arrive-t-il qu'il subisse des humiliations de la part de l'avocat du

327
prévenu sans que le juge intervienne. Cette situation engendre certainement
des frustrations et corrélativemènt un manque d'intérêt pour l'audience pénale.
Or, la participation de l'inspecteur du travail à l' a~dience ne s'apparente
,
nullement à la défense d'un intérêt particulier. On pourrait même dire qu'au
même titre que le Procureur, il est un représentant de l'intérêt général qu'il est
chargé de défendre dans les entreprises, le procès pénal n'étant qu'une étape
avancée de cette mission.
On trouvera probablement dans cette absence de l'inspecteur du travail
au procès ou du moins dans ce rôle négligeable qui est actuellement le sien,
l'une des causes de l'inefficacité des sanctions pénales souvent évoquée par la
doctrine dans le domaine de la prévention des risques professionnels. En effet,
il est peu probable que le juge, peu rompu au monde du travail, face à un
procureur qui ne l'est pas moins, s'investisse de manière adéquate et recherche
les causes réelles des manquements de même que les moyens de les éviter.
Il Y a lieu de remarquer que dans d'autres don',aines, l'Administration
,
est bien impliquée dans le procès pénal soit en assistaht le Ministère public,
soit par constitution de partie civile. La présence de l'Administration a pour
objet non pas d'obtenir des dommages intérêts mais de suivre la procédure et
de soutenir éventuellement l'accusation. Tel est le cas en matière de délit de
fraude fiscale. La protection de l'intégrité physique des salariés mérite autant
d'intérêt que le recouvrement des créances de l'Etat. Cette observation
commande qu'il soit légalement reconnu à l'inspecteur du travail, le droit et
même l'obligation de s'associer à tous les niveaux, à la poursuite des
infractions à la réglementation du travail. On insistera d'ailleurs sur le fait que
la présence de l'Administration à l'audience est plus nécessaire ici qu'ailleurs.
En effet, en matière de délit de fraude fiscale, la mission dujuge nous semble-
t-il, est fondamentalement répressive. Par contre, dans le domaine de la
réglementation du travail, le juge a pour vocation de permettre le cas échéant,
la reconstruction des conditions normales de travail.C~ qui suppose, il faut le
rappeler, une meilleure connaissance de l'entreprise et du matériel utilisé. Des
connaissances techniques deviennent dès lors nécessaires au bon déroulement
du procès.

328
Une réglementation des rapports entre \\' Administration du travail et
l'institution judiciaire aurait aussi pour mérite de permettre une meilleure
coopération entre les deux institutions. En l'état actuel des choses, la qualité de
leurs rapports dépend du bon vouloir du personnel des deux services et de leur
diligence. Une institution dont le bon fonctionnement serait lié à la seule
diligence de son personnel n'est pas à l'abri des dyskmctionnements même
,
occasionnels. Ainsi à Lille, à la suite de l'informatisation des services du
tribunal, aucune information sur les suites données aux procès-verbaux qui lui
sont transmis, n'a plus été communiquée à la Direction départementale du
travaiL Ce dysfonctionnement a pu durer plusieurs années. C'est dire que
durant toute cette période, non seulement la Direction départementale était
restée dans l'ignorance des décisions rendues, mais elle se trouvait également
écartée de la procédure lorsque l'employeur était amené à faire appel de la
décision rendue. Il a fallu une démarche de la Direction départementale auprès
du Parquet pour que les décisions lui soient de nouveau communiquées. Il
n'est pas impossible que de tels dysfonctionnements soient encore d'actualité
dans certains départements. Il nous paraît donc nécessaire de rendre plus
cohérent et homogène les relations entre l'inspection du travail et l'institution
judiciaire par une réglementation. Alors même qu'une telle réglementation ne
garantirait pas forcément une meilleure coopération, elle\\ aurait pour mérite de
fixer un cadre contraignant à la fois pour l'Administration du Travail et
l'institution judiciaire, le jugc y compris. La diligence de l'Administration du
Travail et le Parquet permettrait alors dc parfaire leur collaboration.
On rappellera qu'une coopération insuffisante entre l'Administration du
travail et le Parquet aurait pour conséquence de favoriser les classements sans
suite. Ce risque est d'autant plus sérieux que les difficultés matérielles de
l'Administration judiciaire jointe à l'existence de nombreux crimes et délits
plus graves, sont de nature à reléguer au second rang les manquements dans le
domaine de la sécurité. lJ en résultera une marginalisation de plus en plus
marquée du juge pénal dans la prévention des accidents du travail.
Il Y a lieu d'ajouter qu'indépendamment ,de tout procès pénal,
l'inspecteur est habilité à saisir le juge des référés aux "termes de l'article L.
263-1
C.
trav.
Contrairement
à
la
procédure
pénale
qui
implique

329
l'établissement d'un procès-verbal et sa transmission au Parquet, la procédure
des référés permet à l'inspecteur de saisir directement le juge. A priori, la
rapidité de cette procédure par rapport au procès péI'lfl, et le contact direct
qu'elle permet d'établir entre l'inspecteur du travail ef le juge (détenteur en
définitive du pouvoir de décision), lui confèrent un avantage certain. Cet
avantage est accru par le fait que le juge intervient justement en amont de
l'accident afin de l'éviter. Tout en préservant les intérêts de l'employeur en ce
sens que les parties pourront exercer les voies de recours, elle permet une
exécution par provision vu l'urgence.
Comme l'écrivait SELGNOLLE, le juge des référés est un « véritable
dispensateur de l'exécution forcée» 1 pouvoir plus que nécessaire dans un
domaine où la vie et la santé des personnes sont en jeu. Outre la fermeture
temporaire d'un atelier ou chantier, le juge pourra ordonner « (..) la mise hors
de service, l'immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs ou
autres». Ces prérogatives que 'la loi confère au juge font de lui, le garant
potentiel des conditions de sécurité en milieu de trav~il. Encore faut-il que
.
l'inspecteur du travail recoure à ces dispositions légales. Mais on remarquera
qu'ici encore, cette faculté offerte à l'inspecteur du travail est relativement peu
utilisée2 malgré l'espoir suscité par les premières décisions3 rendues en la
matière. On ne saurait pour autant en déduire l'absence de violation des règles
de sécurité de nature à créer un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique
des salariés. Le fait est que cette procédure se révèle selon les praticiens, assez
lourde et peu adaptée à ses fins; elle ne répond pas à l'urgence. En effet,
contrairement aux apparences, cette procédure qui nécessite l'intervention
d'un huissier se révèle également assez lente. Ainsi, entre la constatation de la
situation de danger par l'inspecteur du travail et la décision du juge des
réfërés, il peut s'écouler une semaine. Et la situation pourrait avoir beaucoup
évolué. Par ailleurs, en cas de décision de fermeture de l'établissement jusqu'à
la mise en conformité des équipements, le dossier seraitl10urd à gérer selon les
\\
.
personnes interrogées.
.
'. SELGNOLLE, « Des référés, la juridiction du président du tribunal », T. 1, Lib. Tech. 1957, pli, cité par
J-f ZAPATA, ({ L'inspecteur du travail et le juge des référés », Dr. soc. 1975, p. 436.
2. En 1992 par exemple, cette procédure a été utilisée 23 fois dans le domaine de l'hygiéne et la sécurité Cf
« L'inspecteur du travail en France en 1992. Les chiffres clefs », La documentation française, 1994, p.34.
). T.G.!. Bayonne, 12 Décembre 1973; T.G.!. Marseille, 6 Juillet 1973, Dr. soc. 1975, pp. 441,443.

330
S'agissant de la lenteur de la procédure, il est indéniable que le référé
demeure en l'état actuel du droit et abstraction faite des pouvoirs de
l'inspecteur du travail dans le domaine du bâtiment et travaux publics, le
moyen le plus rapide de mettre Jin à une situation de danger. Il aurait donc été
normal, à défaut d'une solution mieux adaptée, que cette procédure soit plus
souvent utilisée. Aussi sommes-nous enclin à penser qàe le peu d'engouement
des inspecteurs pour cette procédure s'expliquerait moins par sa lenteur que
par les difficultés que suscite la gestion des dossiers. Il s'agit là nous semble-t-
il des problèmes directement liés à l'inspection du travail elle-même. C'est
dire, qu'il s'agisse du juge pénal ou du juge des référés, qu'indépendamment
des difficultés procédurales, d'autres obstacles subsisteraient également et
pourraient expliquer cette réticence de l'Administration à recourir au juge dans
la prévention des préjudices professionnels. Il conviendra donc de rechercher
les raisons qui s'opposent à une coopération accrue entre l'inspecteur du
travail et le juge.
§ Il: LES OBSTACLES A UNE COOPERATION ACCRUE ENTRE
L'INSPECTEUR DU TRAVAIL ET LE JUGE
\\
La coopération entre l'inspecteur du travdil et Je juge dans la
prévention des accidents du travail apparaît comme une nécessité en raison de
la connaissance du milieu du travail du premier et le pouvoir de décision du
second. Cependant, cette coopération se révèle doublement imparfaite: non
seulement le juge est peu saisi mais aussi l'inspecteur du travail est absent au
procès pénal.
On remarquera que la saisine du juge implique deux préalables: la
constatation de la violation d'une règle de sécurité et la volonté de l'inspecteur
de donner une suite judiciaire à ce manquement. Par ailleurs, la constatation de
l'infraction suppose forcément \\a présence effective de l'inspecteur dans
l'entreprise. C'est dire que toute difficulté matérielle (A) de nature à entraver
cette mission de contrôle de l'inspecteur du travail, constitue une entrave à
l'intervention du juge dans la prévention des accidents \\lu travail. Il y a donc
\\
lieu de rechercher au regard des missions que la loi contère à l'inspecteur du
travail ou celles qu'il effectue en pratique, si les moyens matériels, notamment

331
les effectifs, ne relèguent pas au second rang la missio~ de contrôle des règles
de sécurité dans l'entreprise. C'est en d'autres terines, le problème de
l'effectivité des visites des inspecteurs du travail auquel se trouve intimement
liée la constatation des infractions qui est ainsi posé.
S'agissant de la suite à donner aux infractions constatées, on
remarquera que l'inspecteur du travail n'est pas tenu de dresser un procès-
verbal. En effet, confomlément à la convention nO 81 de l'Organisation
internationale du travail ratifiée par la France, « il est laissé à la libre décision
des inspecteurs du travail de donner des avertissements ou des conseils au
lieu d'intel1ler ou de recommander des poursuites» 1 . Ils' agit donc d' une
dérogation à l'article 40 c.P.P. faisant obligation aux officiers de police
judiciaire de transmettre au Parquet les procès-verbaux établis. On ne pourra
donc d'un point de vue juridiqùe faire une objection au refus d'un inspecteur
du travail de dresser un procès-verbal. Cependant, \\{orsqu'on se réfère à
l'ampleur du phénomène, on est enclin à conclure avec Gérard GAUME à une
« quasi-immunité»2 des employeurs qui échappent à la justice. Entre autres,
c'est la diversité des missions de l'inspecteur du travail dont certaines se
révèlent parfois opposées, qui semble expliquer cette situation. Il conviendra
donc outre les difficultés matérielles auxquelles est confrontée l'inspection du
travail, d'insister sur la difficile conciliation entre ses différentes attributions
(8).
Al LES DlFFICULTES MATERLELLES DE L'INSPECTION DU
TRAVAIL
On ne saurait évoquer les difficultés matérielles de l'inspection du
travail sans d'abord se référer' à sa structure et à des données statistiques.
L'inspection du travail est l'unité de base dans la stru6{ure administrative de
\\
contrôle de la législation du travail. Elle correspond à une section de contrôle
composée d'un inspecteur, de deux contrôleurs et d'un secrétariat. L'élément
de référence permettant ce découpage est le nombre de salariés. Ainsi, une
section est affectée au contrôle d'un ensemble d'entreprises dont le nombre de
1. 1.0 21 Février 1950.
2. Déclaration du secrétaire de la C.G.T., Dr. soc. 1984, p. 472.

332
salariés est évalué à trente-cinq mille soit un rapport d'un agent de contrôle
pour douze mille salariés environ.
Indépendamment ,de ces données, on peut remarquer que la
répartition géographique des entreprises ou en d' autn;s termes la densité des
salariés sur l'aire contrôlée peut être un facteur supplànentaire de diflicultés
dans la surveillance des entreprises. Tout compte fait, on notera que selon les
statistiques de 1992, plus de quatre entreprises sur cinq échappent à tout
l
contrôle . La fréquence des visites dans les entreprises serait selon un
inspecteur, de un an dans les entreprises de plus de cinquante salariés ct de
trois ans pour les entreprises de moins de cinquante salariés. Ce qui confirme
les observations selon lesquelles, « (..) historiquement, l'inspection du travail
concentre ses moyens plutôt vers les salariés des entreprises d'une certaine
taille, ce qui est plus aisé et plus « rentable» statistiquement, et plus
gratifiant au plan personnel, plutôt que se tourner vers la nébuleuse des
PME, synonyme d'émiettement des actions (..) »2. C'est pourtant dans ces
(( (..) entreprises dont la faiblesse des moyens propres ne leur permet pas de
faire face par elles-mêmes à uri diagnostic approprié de leur fonctionnement,
que ce soit quant à la prévention des risques professrcmnels (..) »3, que les
conditions de travail sont moins favorables. Il en est
"
ainsi d'autant plus que les
structures représentatives des salariés sont a priori moins organisées et plus
faibles face au pouvoir patronal. Cette absence de l'inspecteur du travail sur le
terrain entraîne corrélativement la marginalisation du juge car comme nous
l'avions signalé, cette intervention de l'Administration constitue l'étape initiale
d'une procédure dont l'aboutissement éventuel est la saisine du juge. En effet,
hormis les cas où un accident entraîne des préjudices corporels graves, les
infractions commises dans ces entreprises non contrôlées, échappent à la
connaissance des inspecteurs du travail et donc du juge. Et lorsque ce dernier
est appelé à intervenir, il le fait forcément en aval du préjudice. Nous ne
dénions pas à cette intervention du juge en aval du préjudice, un effet
préventif. Mais dès lors qu'il est possible au juge d'intervenir en amont, il
\\,,
1. Source: L'inspecteur du travail en France en 1992. Les chitfres clefs La documentalion française, 1994, p.
26. Cf en annexe, le Tableau 5 des statistiques depuis 1985, p 395.
z. 1. DUGHERA, C. LENOIR, M. RICOCHON, «L'inspection du travail en quête d'une nouvelle
légitimité », Dr. soc. 1993, p. 138.
J. idem.

333
importe dans l'intérêt des salariés et de toute la sociét'lj, que l'Administration
,
puisse le mettre en mesure de le faire.
Cette absence des inspecteurs du travail sur le terrain est tout
d'abord liée à une insuffisance des effectifs. En 1992, sur 433 sections
d'inspections du travail,
15 seraient dépourvues d'inspecteurs 1. A cette
insuffisance des effectifs, il faut ajouter la diversité des missions de
l'inspecteur du travail. En effet, outre le contrôle de la législation du travail et
la constatation des infractions, les inspecteurs du travail assurent « (..) un rôle
de conseil et de conciliation en vue de la prévention des conflits.
Ils participent à l'exécution de
l 'ensemb/~ des différentes
missions des directions départementales et notamment celles concernant
l'emploi. la formation professionnelle et l'amélioration des conditions de
travail. Ils contribuent à la collecte des inform61tions concernant les
établissements soumis à leur con/rôle »2.
\\.
En marge de ces multiples attributions légales, se développe une
sollicitation de l'inspecteur du travail dans des domaines qui ne sont pas de sa
compétence. Il en est ainsi des questions relatives à l'exécution du contrat de
travail qui occupent une place non négligeable dans les demandes adressées
aux inspecteurs3 . Ces multiples occupations de l'inspecteur du travail qui font
de lui un agent surchargé, pourraient expliquer en partie sa réticence à l'égard
des procédures qui nécessitent un suivi et qui le mobiliserait pour plusieurs
jours. C'est nous semble-t-il le cas des rétërés qui, selon les inspecteurs
rencontrés, est une procédure lourde.
Cette vocation de généraliste « (.. .) présente l'inconvénient majeur de
favoriser la dispersion de l'action d'inspection »4. C'~st dans ces multiples
attributions que se diluent les interventions des in'specteurs du travail
relativement à l'hygiène et à la sécurité. Ces dit1ërentes attributions au
J
Chiffre communiqué par le ministère du travail et rapporté par A. HIDALGO, ({ Inspection du travaiL crise
d'identité et tranches de vie)), Dr. soc. 1992, p. 849
1. Article 2 du décret
du 24 Novembre 1977 portant organisation des services extérieurs du travail et de
l'emploi.
.1.
Cf l
SALVI, « Les recours informels à l'Administration du travail », Dr. soc. 1987, p
490; C.
CHETCUTI, Réflexion sur l'inspecteur du travail, Dr. soc. 1976, p. 33.
4. A HIDALGO, Art. préc.

334
demeurant difficiles à concilier entraînent logiquement le dépérissement des
unes au profit des autres.
\\ \\,
BI LA DIFFICILE CONCILIATION DES ATTRlBUTIONS DE
L'INSPECTEUR DU TRAVAIL
Des attributions de l'inspecteur du travail deux points essentiels
retiendront notre attention. Il s'agit d'une part des missions de conseil et de
conciliation résultant du décret du 24 Novembre 1977 et d'autre part, les
attributions de police judiciaire qui s'inscrivent dans une logique de
répression. Comme l'a écrit Y. GAUDEMET, « Si, l'on considère qu'entre
conseil et répression, il y a une forme d'antinomie beaucoup plus qu'une
continuité logique, on doit se demander si l'inspecteur du travail qui se veut
agent de pacification sociale n 'hésite pas, au moins dans certains cas. à
exercer les compétences répressives que la loi lui reconnaÎt)} 1 • L'intérêt de la
question dans notre sujet réside dans le fait que, de l'h~itation de l'inspecteur
du travail à user de ses attributions répressives, résultera" la marginalisation du
juge dans la prévention des accidents du travail.
Cette question nous paraît primordiale car l'inspecteur du travail avec
ses multiples vocations est certainement appelé à les concilier ou du moins à
ne pas les ignorer dans ses différentes interventions. En effet, une répression
systématique des infractions constatées serait sans
doute de nature à
compromettre la réussite d'éventuelles interventions visant la conciliation des
acteurs sociaux. Inversement, une très large indulgence de l'inspecteur du
travail, alors même qu'elle favoriserait sa mission de conciliation et de
prévention des conflits sociaux, serait de nature à entraver son autorité dans le
contrôle et le respect de la législation. On a pu certes dire que « ( ..) c'est non
moins certainement la conjoncÙon de ces pouvoirs d'action contradictoires
qui donne son vrai visage à l'inspection du travail françÇfise et qui lui confère
autorité et crédit dans chacune de ses missions )? . Cep~ndant on reconnaîtra
qu'il n'en sera ainsi qu'autant que l'équilibre nécessaire entre les besoins de
1
Y GAUDEMET, Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail. Dr. soc. 1984. p. 458
2
Y. GAUDEMET, art. prée. p. 459.

335
conciliation, de conseil et la nécessité de répression, il~t maintenu. N'y a-t-il
pas lieu de conclure au vu des statistiques, à la rupture de cet équilibre?
En effet, non seulement les inspecteurs contrôlent de moins en moins les
entreprises mais aussi, le nombre des infractions relevées par procès-verbaux
est relativement faible l . Cette faiblesse des procès-verbaux s'expliquerait en
partie selon les praticiens par le fait que pour certaines infractions, les
employeurs rétablissent immédiatement les conditions
de
sécurité dès
l'intervention de l'inspecteur. Ceci rend inutile selon eux, l'établissement d'un
procès-verbal sauf lorsque cette infraction a donné lieu à un accident. La
systématisation d'une telle pratique risque à notre avis, d'amener les
employeurs à perdre de vue la nature même de leur obligation. II ne s'agit pas
d'une obligation de non-dommage qui légitimerait l'exposition provisoire du
salarié à un danger dès lors qu'il n'en est pas résulté un dommage. 1\\ s'agit
plutôt d'oeuvrer à la disparition du danger anormal.ÙJ est le cas du danger
résultant de l'inobservation, même provisoire, des règles de sécurité. Ces
situations sont indéniablement des sources potentielles de dommages parfois
irréparables2 •
Par ailleurs, le peu d'engouement des inspecteurs du travail pour
la procédure des référés civils traduit également la rupture de cet équilibre. A
cela il convient d'ajouter les classements sans suite liés au pouvoir du Parquet
d'apprécier l'opportunité des poursuites.
Tout compte fait, il y a lieu de reconnaître que tous ces facteurs
concourent certainement à éloigner le juge de la protection de l'intégrité
physique du salarié. « Aucun droit ne peut être appliqué et respecté sans être
assorti de sanctions pénales significatives»3. Du moins, il nous paraît
nécessaire d'associer de manière significative la cont~~inte à la persuasion.
L'activité administrative dans le domaine de la préventÎon étant très souvent
un préalable à la saisine du juge, le renforcement de la présence de ce dernier
1.
En 1992, sur 92] 856 infractions constatées, seules 23315 ont été relevées par procès-verbaux.
Spécialement dans le domaine de l'hygiene el la sécurité. 5 473 procès-verbaux ont été établis contre 12882
mise en demeure et 358 232obsenlations. Source: {( L'inspecteur du travail en France en 1992». p. 34.
2. Une incapacité pennanente atteignant la personne du salarié ne peut qu'être indemnisée. Il n'y aurait en
réalité réparation que lorsqu'il est possible de remettre exactement la victime dans son état antérieur à
l'accident.
, . Y. GAUDEMET, art. prée. p. 472.

336
suppose une meilleure organisation de l'inspection du travail. Elle pourrait
s'opérer de deux façons.
La première pourrait consister à un effore.financier permettant de
combler le déficit d'effectif dont souffre actucl1ement l"inspection du travail. li
n'est pas certain que cette solution permette une mei1leure implication du juge
dans la prévention des accidents en raison de la réticence de l'Administration à
donner une suite judiciaire aux infractions. Mais la finalité de l'institution
étant non pas la saisim: du juge mais le respect de la réglementation et
corrélativement la protection de l'intégrité physique du salarié, l'essentiel à
notre avis est que cet objectif soit atteint. Il nous paraît donc nécessaire, si
cette vocation de généraliste de l'inspecteur du travail devait se perpétuer, que
lui soient reconnues de nouvel1es prérogatives permettant d'accroître son
autorité à l'égard des employeurs. 11 s'agira, à défaut d'une intervention plus
fréquente du juge, de reconnaître à l'inspecteur du travail lé droit de prendre
toute mesure utile visant à soustraire les salariés aux situations de danger.
C'est déjà le cas dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (article L.
231-12 C. trav.). Cette disposition qui résulte de la loi ~ 31 Décembre 1991,
a permis en 1992 de réduire pour la première fois dans le domaine du bâtiment
et des travaux publics, le nombre des accidents mortels de treize pour cent} .
Cette expérience pourrait etre étendue aux autres domaines afin de pallier cette
absence du juge. On insistera d'ailleurs sur le fait que la menace de la
fermeture provisoire de l'établissement aura un effet bien dissuasif à l'égard
des employeurs. En effet, l'arrêt d'une seule machine, qui pourrait d'ailleurs
entraver pour plusieurs jours tout le système de production, est certainement
plus onéreux à l'entreprise qu'une hypothétique amende qui interviendrait
plusieurs mois après j'infraction. Cette réforme soulèverait sans doute des
difficultés d'ordre idéologique et juridique.
D'abord cette ingérence général isée de l'Administration sera mal
perçue car elle peut être analysée comme une limitatio'\\,du droit de propriété.
Il importe cependant de se rappeler qu'au-delà de cette ingérence, c'est la
protection de la personne humaine qui est visée.
\\. « L'inspecteur du travail en France en ]992», p. 43.

337
\\"
Ensuite, d'un point de vue juridique, ce pouvoir de l'inspecteur
du travail peut être source de responsabilité de l'Etat lorsque les décisions
indûment imposées à l'employeur lui occasionnent des dommages. C'est
d'ailleurs ces deux raisons qui ont motivé l'opposition du Gouvernement à
l'extension des pouvoirs de l'inspecteur du travail dans la loi du 5 Juillet
19721 • Il est donc peu probable que cette réforme qui par ailleurs aura pour
conséquence d'éloigner davantage le juge de la protection de l'intégrité
physique du salarié, soit adoptée. Une autre solution demeure néanmoins
envisageable.
Cette deuxième réforme qui nous parait plus souhaitable est ceBe
qui permettrait une réelle implication du juge. « L'inspecteur du travail dresse
moins de 3% de procès-verbaux par rapport aux irifrqctions constatées écrit
M. COHEN. Là est la source principale de la quasi imfllunité des délinquants
patronaux en France »2. Cette deuxième réforme consisterait donc à
décharger l'inspecteur du travail de ses multiples attributions au profit d'un
contrôle exclusif du respect de la législation. L'inspecteur du travail serait
simplement un officier de police judiciaire spécialisé dans le domaine du
travail avec la particularité de pouvoir saisir le juge des référés civils. Le
respect de la législation devenant sa seule mission, il en résultera une meilleure
coopération avec l'institution judiciaire notamment la constatation efficace des
infractions, le suivi des procès-verbaux et la présence au procès. Les missions
de conseil et de conciliation seraient entièrement confiées à des organes
spécialisés. Une telle réforme, sans forcément nuire à la prévention des conflits
sociaux, aura certainement pour mérite de rendre plus effective la législation
du travail notamment dans le domaine de l'hygiène et la sécurité des
travailleurs.
\\
11 convient de remarquer que l'unique avantage probable de la
situation actuelle, c'est de tàciliter la mission de conciliation. Le laxisme dans
le contrôle de la législation en est, dans les faits, la contrepartie. Cette
contrepartie, bien disproportionnée, justitie qu'une réforme intervienne en la
matière d'autant plus que la législation du travail concerne non seulement les
'. J.o. Assemblée nationale 1972. p. 2108.
2. M. COHEN, « Le droit des comités d'entreprise & des comités de groupe» L.GD.J. ]" édition 1994, p.
817.

338
droits des salariés mais aussi leur santé, leur vie, en un mot tout leur être. Et le
juge apparaît très certainement comme le plus apte à assurer cette protection.
« (..) le droit du travail est souvent ineffectif; par contee, nombreuses sont les
dispositions que le législateur a cru bon d'accomp'agner d'une sanction

pénale en cas d'inobservation. Ces sanctions sont disponibles pour réduire
l'inejjèctivité du droit du travail. Il faut donc un droit pénal du travail effectif
( ..) ce qu'il n'est pas»i . Aussi, l'implication du juge pénal (ou du juge tout
court) dans la protection de l'intégrité du salarié constitue-t-elle un impératif.
Il serait donc souhaitable qu'elle soit renforcée. Nous avions déjà indiqué les
réformes qui pourraient être faites. Cependant, il y a lieu de reconnaître que
quelle que soit l'option du législateur, l'implication du juge dans la protection
de l'intégrité physique du salarié ne sera d'autant plus effective que les
conditions seront réunies pour une saisine du juge par les salariés eux-mêmes.
Ceci ne signifie nullement qu'en l'état actuel du droit, et relativement à la
sécurité et aux conditions de travail, les salariés sont interdits d'une action en
justice contre l'employeur. Néànmoins, on remarquera que des améliorations
pourraient encore intervenir tant au niveau des procédÛ~es de saisine que des
garanties offertes au salarié qui intente une action contre l'employeur. Il
conviendra de les mettre en relief. La saisine du juge par les salariés retiendra
donc notre attention.
SECTION Il: LE JUGE ET LES SALARIES
La saisine du juge par les salariés relativement aux conditions de
sécurité n'est qu'un aspect du droit d'agir en justice reconnu à tout citoyen,
pourvu qu'il ait un intérêt à agir. En effet, « L'action en justice constitue une
liberté publique à laquelle il ne saurait être dérogé dans l'entreprise))2.
Cependant, l'exercice de ce droit au sein de l'entreprise pose des problèmes
particuliers en raison de la riature même du contrat de travail dont la
caractéristique essentielle avions-nous dit, est la subordlnation du salarié. Cet
\\
état de sujétion pourrait exposer le salarié qui agit contre l'employeur à des
représailles. Or, il n'y a « Pas de liberté réelle si l'Etat n'en assure pas
1
P AUVERGNON, « Débats et idées sur l'inspection du lravail sous la V' République», Dr. ouvr. 1993, p.
93.
'. A SUPIOT, « La protection du droit d'agir en justice », Dr. soc. 1985, p. 774.

339
\\
l'intégration sociale en la dotant d'un régime de com'R,tabilité qui en permet
l'exercice paisible (..)) 1. Le législateur l'a compris en instituant la
substitution syndicale à l'action individuelle du salarié dans certains domaines,
notamment les actions relatives à la protection du travail à domicile ou encore
à l'égalité professionnelle (articles L. 123-6 et L. 721-19 C trav.). « JI s'agit
alors d'interposer entre l'employeur et le salarié un écran collectif (..) >/.
On remarquera que cette substitution syndicale ne s'applique pas au domaine
qui nous intéresse c'est-à-dire la sécurité et les conditions de travail. Le
problème reste donc entier s'agissant de \\' action individuelle du salarié contre
l'employeur (§ 1) dans ce domaine. Néanmoins, la saisine du juge par les
structures représentatives des salariés (§ 11) reste possible pour la défense des
intérêts collecti fs ou en vertu des prérogatives que leur confère la loi 1\\
conviendra donc d'examiner les conditions, la procédure et l'objet de cette
saisine.
"""
PARAGRAPHE 1: L'ACTION INDIVIDUELLE DU SALARIE CONTRE
L'EMPLOYEUR
Le salarié peut agir en justice contre son employeur pour plusieurs
motifs. Entre autres, il peut intenter une action en vue de la reconnaissance du
caractère professionnel du préj udice qu'il a subi ou en vue d'établir la faute
inexcusable de l'employeur lorsque la procédure amiable n'a pas abouti. Bien
que ces types d'action témoignent de l'existence des problèmes de sécurité au
sein de l'entreprise, ils ne retiendront pas notre attention. En effet, malgré
\\' aspect répressi f de la faute inexcusable, l' objecti f de la victime, c'est avant
tout d'obtenir la réparation d'un préjudice subi suite à un accident. D'ailleurs,
au regard des nombreuses décisions jurisprudentielles relativement à la faute
inexcusable de l'employeur, on pourra dire que cette act\\on est souvent exercée
par les salariés. L'implication du juge de ce point de ~ue est effective. Les
actions qui nous intéressent ici sont celles qui visent soit à établir la
responsabilité pénale de l'employeur (A), soit à obtenir réparation d'un
dommage moral (8) indépendamment de tout accident donc de tout préjudice
corporel; les premières en raison des insuffisances de l'inspection du travail,
\\. E. WAGNER, « Le rôle des syndicats et des associations dans la défense des droits et l'accès à la justice
des salariés ». Dr. ouvr. 1990, p. 291
'. A. SUPIOT, Art. prèc., p. 774.

340
les secondes parce que, lorsqu'elles donnent lieu à une condamnation de
l'employeur, elles constituent une reconnaissance et une sanction du droit du
salarié à des conditions normales de travail, indépendamment des mesures
réglementaires.
\\,\\
Al LA SAISINE DES TRIBUNAUX REPRESSIFS
Avant de nous intéresser aux conditions de cette saisine de même
qu'à la façon de la promouvoir, il importe de mettre d'abord en relief l'intérêt
de la présence de la victime ou des salariés au procès pénal. Ces intérêts sont
multiples.
S'agissant de la VIctIme, le procès pénal constitue l'occasion
d'établir la faute de l'employeur ou de son substitué dans la réalisation du
dommage subi en vue d'une éventuelle action en reconnaissance de la faute
inexcusable.
Nous avions aussi remarqué que la reconstruction des conditions
de travail constitue une prérogative du juge pénal. Les dispositions des articles
"
L. 263-3 et L. 263-3-1 C. trav. l'attestent. La connaissa&ce des conditions de
travail dans l'entreprise constitue certainement un préalable sans lequel, ces
pouvoirs reconnus au juge ne seront d'aucune utilité pratique. Le procès pénal
offre toujours l'occasion d'un débat sur le mécanisme du fonctionnement de
l'entreprise du point de vue de la sécurité. Ce qui permet de pallier au besoin,
les défaillances sources de risques. Or nous avions déjà souligné la faible
présence de l'inspecteur du travail dans les entreprises. Il pourra résulter de
cette situation, une connaissance imparfaite des conditions de travail. Le
salarié reste en tout état de cause mieux avisé que l'inspecteur sur les
conditions de travail. C'est dire qu'alors même que l'inspecteur du travail
serait toujours présent au procès, c'est du salarié, au contact quotidien du
dispositif de production et exposé aux risques, que pourra résulter l'exacte
connaissance du mécanisme défaillant. Cette observation est valable non
seulement pour la victime mais aussi et surtout les struc~ures représentatives
des salariés qui, contrairement à la victime prise isolém~nt, pourront mieux
résister aux éventuelles représailles patronales. Cette présence des salariés
permettra donc d'une part de situer les responsabilités et d'éviter que ne soit

341
désigné un bouc émissaire qui mettrait l'employeur à l'abri des sanctions.
D'autre part, les interventions du salarié pourront guider le juge dans le choix
des mesures à enjoindre éventuellement à 1'entreprisee~\\.vue du rétablissement
des conditions de sécurité. Ces considérations justifient qu'une attention
particulière soit accordée aux salariés bien que ces derniers soient partie (partie
civile) au procès.
En effet, alors même que l'objectif premier de la victime serait
d'obtenir la culpabilité de l'auteur du préjudice subi, l'incidence pratique de sa
présence au procès pénal déborde le cadre de ce sentiment « vindicali f ». Le
salarié est ou devrait être en fait un auxiliaire du juge puisqu'il concourt à la
connaissance de l'entreprise du point de vue de la sécurité et corrélativement à
la restauration des conditions dc sécurité. L'absence de fin indemnitaire de
l'action civile de la victime devrait conforter cette position puisqu'il ne s'agit
pas de rechercher un intérêt pécuniaire particulier. Paradoxalement, elle a
pendant longtemps entravé la présence de la victime au procès pénaL
'\\
En effet, en application de l'article 2 de la loi du 9 Avril 1898 aux
termes duquel les ouvriers ne peuvent se prévaloir d'autres dispositions que
celles de ladite loi, la jurisprudence avait estimé que le salarié ne peut agir
directement contre le patron, ni se joindre en qualité de partie civile à l'action
exercée par le Ministère public 1 . Il en résultait que non seulement la victime
ne pouvait déclencher l'action publique par constitution de partie civile mais,
n'était pas non plus partie au procès pénal. L'implication du juge dans la
prévention des risques était dès lors subordonnée à l'action publique exercée
par le
Parquet.
Cette jurisprudence
s'inscrivait
dans
une
conception
aujourd'hui désuète selon laquelle, l'action civile n'était qu'une action en
réparation dont Je particularisme réside dans l'origine pénale du préjudice.
Depuis, la jurisprudence a connu un revirement. La Chambre criminelle
considère que l'intervention d'une partie civile peut n'~tre motivée que par le
souci que soit établie la culpabilité du prévenu. Dès hm, la constitution de
partie civile doit être accueillie quand bien même il serait démontré que la
réparation du dommage causé par l'infraction échapperait à la compétence de
1. Trib. correct. de la Seine. 21 Mars 1900, Journal des assurances, 1900,2, 147.

342
l
la juridiction répressive . Cependant, il est de jurisprudence constante que
cette action ne saurait donner lieu à \\' octroi d'une indemnité au protït de la
2
victime . Cette absence de tïn indemnitaire n'est sans doute pas de nature à
susciter l'engouement des victimes au procès pénal. On remarquera par
ailleurs qu'il n'est pas facile au salarié de contribuer à établir la responsabilité
pénale de son employeur alors qu'il est encore lié par un contrat de travail.
Cette situation jointe aux lacunes de l'inspection du tra\\ail fait que le juge est
insuffisamment impliqué dans la prévention des risques professionnels sauf
bien entendu pour des accidents graves.
A cela, il convient d'ajouter le fait que les salariés ne saisissent le
juge pénal qu'en aval du préjudice corporel. En effet, comme le souligne le
Professeur.J. SAVATlER, « Tanl qu'elles n'ont pas provoqué des préjudices
professionnels, les infractions à la réglementation d'hygiène et de sécurité ne
sont guère poursuivies qu'à l'initiative des inspecteurs du travail»3. Et il
convient de se demander s'il existe une impossibilité juridique pour les salariés
de saisir le juge pénal en amont du préjudice, dès lors que la violation des
mesures de sécurité est de nature à les exposer à un risque. Certes, une simple
dénonciation à l'inspecteur du travail ou au Ministère public ne suffit pas à
mettre en mouvement l'action publique. Cependant, la constitution de partie
\\
civile ou la citation directe à l'initiative du salarié sont\\le nature à mettre en
mouvement l'action publique. Mais encore faut-il que le salarié ait subi un
préjudice. Selon le Professeur SAVAl'1ER, il ne semble pas que l'exposition
du salarié à un risque résultant de l'inobservation des mesures de sécurité
suffit à fonder une action civile. Cependant il importe de relever que tout
dépend de l'appréciation du juge du fond. Et le préjudice qui pourrait sous-
tendre
l'action
du
salarié
n'est
pas
forcément
corporel.
L'exposition
permanente à un danger pourra à notre avis justitïer l'existence d'un préjudice
moral et surtout avec la nouvelle incrimination de mise en danger d'autrui du
N.C.P..
D'ailleurs la Chambre criminelle admet que, bien que la victime
n'ait pas fait, devant la juridiction d'instruction, la preuve de l'existence du
1. Crim. 24 Mai 1973, Bull. n° 238; Crim. 23 Janvier 1980, Bull. n' 34.
'. Crim. 10 Mars 1993, R.1.S 1993, p. 672; Crim. 11 Juillel 1994, Dr. auvr. 1995, p. 35.
).1. SAVATlER, noie prée. D. 1976, p. 382.

343
préjudice allégué, ni du caractère personnel et direct de ce préjudice, sa
constitution de partie civile a pour effet de mettre en mouvement l'action
l
publique . Il nous semble que cette jurisprudence pOUffa recevoir application
dans le domaine qui nous concerne. La recevabilité de l;\\action civile du salarié
indépendamment de tout préjudice corporel aura donc pour effet de permettre
une meilleure implication et corrélativement, une contribution accrue du juge
pénal à la prévention des accidents du travail. Mais encore fàut-il que le salarié
ait saisi le juge. Il n'en sera ainsi que lorsque le salarié bénéficiera de garanties
suffisantes contre les représailles patronales que pourrait susciter sa démarche.
Nous y reviendrons. On remarquera pour l'instant que la violation des règles
de sécurité ou le fàit de soumettre le salarié à des conditions anormales de
travail pourra justifier la saisine du juge prud'homal2 par le salarié.
BI LA SAISINE DU .lUGE PRUD'HOMAL
Notre objectif ici, e' est de rechercher comment, indépendamment
du litige qui pourrait naître de l'exercice du droit de r~trait ou d'un préjudice
né de la faute inexcusable de l'employeur, le juge social pourrait concourir à la
restauration des conditions normales de travail en faveur des salariés. C'est de
la possibilité pour les salariés de saisir le juge et des décisions de ce dernier
que pourra résulter l'amélioration des conditions de travail. En effet, il y a des
situations qui, bien que ne constituant pas un danger grave et imminent ou
encore une violation des règles de sécurité, n'en demeurent pas moins
pénibles. Et ces situations peuvent à long terme être source de dommages
corporels. Il peut s'agir des difficultés inhérentes aux tâches exécutées. Elles
s'inscrivent dans ce ca~, dans les conditions normales de travail. L'hypothèse
qui nous intéresse ici est celle des conditions de travail anormalement pénibles
qui seraient dues à une négligence de l'employeur. Est-il possible au salarié de
demander réparation d'un préjudice moral qui résulterait de cette situation? La
recevabilité d'une telle action de même que la condamnation de l'employeur
\\
pourront certainement constituer une menace pécuniaii<ç à l'entreprise. II en
'. Crin] 28 Janvier 1971, lep. 1971, Il, 16792; Crim. 20 Novembre 1980, Bull. nO 109; Crim 7 Décembre
1987, Bull. n° 445.
2. La saisine du juge des réfërés en cas de danger grave et imminent sera évoquée plus loin. Cf p. 349 55.

344
sera ainsi d'autant plus que cette réparation échappera, contrairement à
l'indemnisation des préjudices professionnels, au principe du forfait.
La pratique nous fournit un exemple dans. lequel le salarié
demande la réparation du préjudice subi en raison des conditions anormales de
travail. Et la Cour a, à juste titre, admis la recevabilité de cette action 1 .
S'agissant par contre des dommages-intérêts, la Coura'((stimé que l'employeur
\\
n'avait commis aucune faute en imposant temporairenlent à ses salariés de
telles conditions de travail. Il s'agissait en fait du transfert des salariés dans des
nouveaux locaux non encore aménagés en raison des travaux effectués dans
l'entreprise, ce qui les avait contraints à travailler dans la poussière, le bruit et
les courants d'air.
Bien que la Cour n'ait pas jugé fondée la demande de réparation
du salarié, on remarquera qu'il a été reconnu à travers cette décision, le droit
du salarié à une condition normale de travail. Il s'agit d'une obligation qui
s'impose à l'employeur. Mais cette obligation se limite à une obligation de
moyens; ce qui explique que la jurisprudence subordonne la réparation du
préjudice à l'existence d'une faute à la charge de l'employeur.
Les
circonstances de l'espèce notamment les déclarations des autres salariés selon
lesquelles cette situation temporaire de travail ne leur a \\pas causé de préjudice
et les photographies versées au débat, ont pu déterminer la solution de la Cour.
C'est dire que lorsque l'employeur aurait indûment exposé ses salariés à de
mauvaises conditions de travail, soit parce qu'il est de mauvaise foi, soit parce
qu'il a commis une faute, il pourra être condamné à réparer les préjudices
physiques ou moraux subis par les salariés.
Contrairement au juge pénal qui ne pourra être impliqué dans la
protection de l'intégrité physique du salarié que parce qu'il a y eu violation des
mesures réglementaires, ou parce que le salarié a subi un préjudice physique
du fait d'un accident, le juge social est à même de garantir les conditions
normales de travail. On ne saurait trop le répéter, ces conditions normales de
travail constituent un droit pour le salarié. Il importe donc de créer les
conditions nécessaires à un recours plus fréquent des salariés au juge social.
\\
1
Versailles. Il Mars 1993, RIS. 1993. p. 396.

345
Au demeurant, ces conditions devraient aussi permettre aux salariés, au
besoin, de saisir le juge pénal. Il s'agit de mettre le droit du salarié d'agir en
justice à l'abri des représailles patronales, notamment I~\\licenciement.
Il existe certainement une menace sérieuse pour le salarié qui
poursuit son employeur en justice. Il s'expose certainement à des représailles.
Le législateur a perçu ce risque. Ainsi, aux termes de l'article L. 123-5 C.
trav., « Est nul et de nul effet le licenciement d'un salarié faisant suite à une
action en justice engagée par ce salarié ou en sa faveur sur la base des
dispositions du présent Code relatives à l'égalité professionnelle entre les
hommes et les femmes (..) ». Cependant, le champ d'application de ces
dispositions ne s'étend pas à toutes les actions cn justice. Notamment, les
actions en justice liées à la sécurité, à l'hygiène et aux conditions de travail ne
bénéficient pas de cette protection légale. C'est dire qu'alors même qu'il serait
établi que le licenciement du salarié est lié à l'action en justice exercée contre
l'employeur, le salarié ne pourra obtenir que des dommages-intérêts. Le juge
\\,
ne pourra ordonner sa réintégration. Ainsi, dans une t:spèce, la Cour après
avoir relevé que le salarié handicapé qui refuse de travailler dans un local
dépourvu de sanitaire et saisit l'inspecteur du travail puis la juridiction
prud'homale de ses réclamations ne fait qu'exercer son droit, n'a pu que
qualifier de licenciement sans cause réelle et sérieuse la rupture du contrat qui
s'en est suivi l . Le licenciement demeure donc acquis.
Il importe de remarquer que, quel que soit l'accueil que la
jurisprudence réserve aux réclamations du salarié relativement à la sécurité et
aux conditions de travail, la saisine du jugc par le salarié n'entrera dans les
habitudes que lorsque l'employeur sera mis dans l'impossibilité de licencier le
salarié en raison de l'action intentée. Le contrat de travail par son effet,
consacre l'inégalité des parties contractantes. Cet état de choses justifie que les
pouvoirs publics apportent la protection nécessaire à 1,,\\ partie en situation de
.
\\
faiblesse surtout lorsqu'il s'agit de protéger un droit fondamental comme celui
d'agir en justice. Les dispositions de l'article L 123-5 C. trav. précité sont
certainement louables. Mais rien ne justifie que son domaine soit limité. Une
telle limitation semble légitimer le licenciement du salarié pour certaines
'. Aix-en-Provence, 6 Décembre \\994, RJ.S. 1995, p. 228.

346
actions en justice intentées contre l'employeur. II importe donc que le domaine
d'application de cet article soit étendu à toutes les actions en justice. Sous
prétexte d'une solution libérale qui laisserait chaque partie au contrat de travail
avec ses seuls moyens, c'est tout un ensemble de droits du salarié qui serait
ainsi remis en cause. La protection de l'intégrité physique du salarié passe
donc par la protection de son droit d'agir en justice\\et, corrélativement, la
reconnaissance au juge du pouvoir d'annuler un licenciement qui résulterait de
l'exercice de ce droit.
Indépendamment de ce droit individuel du salarié, il conviendra
aussI d'examiner comment l'implication du juge dans la prévention des
préjudices professionnels pourrait s'opérer à travers l'action des structures
représentatives des salariés.
§ Il: LA SAISINE DU JUGE PAR LES STRUCTURES
REPRESENTATIVES DES SALARIES
Les structures représentatives des salariés sont habilitées à saisir
le juge. Il en est ainsi notamment lorsqu'un salarié est victime d'un accident
dû à l'inobservation des règles de sécurité au sein de \\: entreprise. Se faisant,
elles se constituent partie civile (A). La loi a également prévu en cas de danger
grave et imminent une procédure (8) permettant au comité d'hygiène de
sécurité et des conditions de travail de saisir l'inspecteur du travail. C'est à ce
dernier qu'il appartient de saisir le juge des réterés. Bien que la loi n'ait pas
reconnu à cette structure le pouvoir de saisir directement le juge des référés, il
convient néanmoins d'étudier cette procédure afin de préconiser les réformes
qui pourraient permettre une meilleure implication du juge.
AI L'ACTION CIVILE DES STRUCTURES REPRESENTATIVES DES
SALARIES
Aux tern1es de l'article
L. 411-11 C. trav., les syndicats
professionnels «peuvent devant les juridictions exercer tous les droits
réservés à la partie civile relativement auxfaits portant\\un préjudice direct ou
indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il~' représentent ». Ces
dispositions ne sont pas nouvelles puisqu'elles résultent de l'article 5 de la loi

347
du 12 Mars 1920. Les syndicats ne sont admis à exercer cette action qu'autant
qu'une atteinte a été portée à leur intérêt collectif. Cette notion d'intérêt
collectif doit être distinguée de l'intérêt individuel des" membres du syndicat.
\\
« Il ne se confond pas avec les intérêts particuliers des 'adhérents, il n'est pas
la somme des intérêts individuels de ceux qui en font partie III . Ainsi, il a été
refusé à un syndicat de bijoutiers le droit de poursuivre ['auteur d'un vol et
d'un meurtre dont un des adhérents a été victime2 •
Dès lors, la question se pose de savoir si le préjudice dont a été
victime un salarié du fait de l'inobservation des mesures de sécurité constitue
une atteinte à l'intérêt collectif des
travailleurs
pouvant pennettre
la
recevabilité de l'action civile des syndicats, La question s'était posée à la
Chambre criminelle dans une espèce du 26 octobre
1967,
La Cour,
contrairement à l'avis du Parquet qui estimait que, si l'infraction poursuivie
avait porté atteinte à l'intérêt général qu'il était chargé de défendre, elle ne
lésait aucun intérêt professionnel, avait admis que la violation des règles de
sécurité constituait un danger anormal justifiant l'actiori,syndicale3 , Depuis, la
\\
jurisprudence est constante sur le sujd. Et cette jurisprudence doit être
approuvée, En effet, contrairement à une infraction, le vol par exemple, qui ne
viserait qu'un membre d'un syndicat professionnel, la violation des règles de
sécurité constitue une atteinte à l'ensemble des salariés pour plusieurs raisons,
On remarquera que l'employeur n'est pas un tiers par rapport aux
salariés ainsi exposés au danger. Et en concluant le contrat de travail,
l'employeur a entendu par là-même mettre les salariés de son entreprise dans
les conditions normales de travail. En effet, bien que le cOntrat de travail soit
individuel et lie le salarié directement à son employeur, les conditions de
travail dans l'entreprise représentent une sorte de régime de base commun à
tous les salariés de l'entreprise Ainsi, indépendamment de l'infraction pénale,
la violation des règles de sécurité, constitue une remise en cause des conditions
d'exécution de la tâche des salariés et donc une atté~nte portée à l'intérêt
1
1. G. STEFAN!, G. LEVASSEUR, B. BOULOC. « Procédure pénale », Précis Dalloz, 14ème éd. 1990,
p,
212
,. Crim. 29 Janvier 1986, Bull nO 39
'. Crim. 26 Octobre 1967, J,c.P. 1968, Il,15475
4, Crin>. 3 Décembre 1981, Bull. nO 323; Crim. 23 Novembre 1982, Bull, n° 264,

348
collectif. 11 en est ainsi alors même qu'un seul salarié serait vIctIme d'un
préjudice corporel. Par ailleurs, la législation sur 1'hygiène, la sécurité et les
conditions de travail a pour objet la protection de la santé et de la vie de
l'ensemble des salariés. Tout compte fait, il y a lieu de relever que cette
jurisprudence pennet aux syndicats de mettre en mouvement l'action publique
et donc l'intervention du juge. Elle pennet d'éviter que le Parquet ne conserve
le monopole de J'initiative de l'action publique puisque les syndicats pourront
joindre leur action à celle de la victime du préjudice ~~rporcl ou la suppléer
lorsque cette dernière hésite à saisir le juge.
11 convient aussi de se demander si les syndicats pourront se
constituer partie civile indépendamment de tout préjudice corporel. En
d'autres tennes, la simple violation des règles de sécurité suffit-elle à fonder
l'action civile des syndicats?
On remarquera que c'est moins le préjudice suhi par le salarié que
la remise en cause des conditions de travail suite à la violation des règles de
sécurité, qui fonde l'action des syndicats; c'est ce que la jurisprudence appelle
le danger anormal'. Cette remise en cause des conditions de travail des
salariés, justifie donc que les syndicats puissent se constituer partie civile
indépendamment de tout accident dès lors que l'employeur viole les mesures
de sécurité.
\\,,
L'accès des syndicats à la justice est sans doute dépendant de leur
force, c'est-à-dire de leur capacité à résister aux manoeuvres patronales
destinées à les déstabiliser, leur accès à l'information et à la connaissance de
leurs droits, mais aussi de leurs moyens financiers permettant de recourir au
besoin au service des professionnels du droit. C'est dire que l'action syndicale,
de laquelle pourrait aussi résulter une meilleure implication du juge dans la
prévention des préjudices, est tributaire du niveau d'organisation du syndicat.
Aussi pourrions-nous dire que l'implication soutenue du juge dans la
prévention des préjudices professionnels passe aussi par une promotion du
mouvement syndical au sein de l'entreprise. Cependant, les syndicats ne sont
pas les seules structures repr~sentatives des salariés appelées à intervenir
\\
\\\\'.
1
Crin 26 Octobre 1967, prée.

349
lorsque les mesures de sécurité venaient à etre enfreintes dans l'entreprise. Le
Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est d'ailleurs
davantage impliqué dans la protection de l'intégrité physique des salariés.
Parmi ses nombreuses prérogatives dans le domaine de la sécurité, nous
retiendrons essentiellement son intervention en cas, de danger grave et
.
.,
imminent en raison de la procédure particulière à laqutlIe elle donne lieu, et
pouvant aboutir à la saisine du juge des référés.
BI LA PROCEDURE DE SAISINE DU .lUGE DES REFERES EN CAS DE
DANGER GRAVE ET IMMINENT
Aux termes de l'article L. 231-9 e. trav., « En cas de divergence
sur la réalité du danger ou lafaçon de lefaire cesser, notamment par arrêt du
travail, de la machine ou de l'installation, le comité d'hygiène de sécurité et
des conditions du travail est réuni d'urgence ( ..) A défaut d'accord entre
l'employeur et la majorité du comité d'hygiène de sécurité et des conditions
de travail sur les mesures à prendre et leur condition d'exécution,
l'inspecteur du travail est saisi immédiatement par l'employeur ou son
représentant (.. .) ». Le même article in fine permetà\\l'inspecteur du travail
soit de mettre en demeure l'employeur, soit de saisir I~ juge des référés qui
pourra ordonner toutes les mesures propres à faire cesser le risque.
Ces dispositions appellent une première remarque: l'issue de la
procédure en cas de divergence entre l'employeur et le Comité d'hygiène et de
sécurité dépend totalement de l'inspecteur du travail. Il apparaît comme un
arbitre dont la décision s'impose aux parties. L'intervention du juge des
référés en cas de danger grave et imminent dépend de sa seule volonté. En
effet, la loi ne permet pas au Comité de saisir le juge en cas de divergence
entre lui et l'inspecteur du travail. Or, contrairement à certains pays
(Allemagne par exemple) où les inspecteurs du travail sont des techniciens, ils
sont souvent recrutés en France parmi les juristes et économistes. Dès lors, on
peut s'interroger sur l'opportunité de laisser l'initiative de l'option judiciaire à
l'inspecteur du travail (et à lui seul) qui, d'un point d~ vue technique, est a
priori moins compétent que l'ensemble du e.H.S.e.T.. Ce Comité pourra
d'ailleurs recourir à la compétence des autres salariés de l'entreprise.

350
Par ailleurs, lorsque l'inspecteur aura mis en demeure l'employeur
d'effectuer les travaux nécessaires dans un délai déterminé, cette mise en
demeure permet-elle au salarié qui s'est retiré de la situation de danger, de ne
pas reprendre son travail jusqu'à l'exécution effective des travaux? Il est
permis d'en douter.
Enfin, il convient de se demander si cette procédure relativement
longue pour aboutir à la saisine du juge des référés, s'accommode avec la
situation de danger grave et imminent qui implique une prompte évaluation de
la situation et une action immédiate pour faire cesser l~ danger. N'y a-t-il pas
lieu de penser que la reconnaissance au C.H.S.C.i. du droit de saisir
directement le juge des référés en cas de danger grave et imminent, permettrait
une meilleure implication du juge? La simplification de la procédure apparaît
nécessaire d'un double point de vue.
D'abord, comme il a été déjà relevé, les inspecteurs du travail
hésitent souvent à recourir au juge des réfërés. Ensuite, excepté le domaine du
bâtiment et des travaux publics (où l'inspecteur du travail dispose des pouvoirs
assez étendus. Cf. article L. 231-12 C. trav.), seul le juge conserve le pouvoir
d'ordonner immédiatement les mesures indispensables à faire cesser le risque
notamment, la fermeture des ateliers, l'immobilisation des appareils, etc. Cette
situation justifie que le juge soit autant que possible directement accessible aux
salariés à travers la simplification des procédures de saisine. Déjà, l'article L.
236-9 C. trav. reconnaît au Comité le droit de saisir I~ président du tribunal
d'instance qui statue en urgence en cas de désaccord entre l'employeur et le
C.H.S.C.T. sur la nécessité d'une expertise lorsqu'un risque grave est constaté
dans l'entreprise. 11 conviendrait de reconnaître également ce droit au Comité
en cas de divergence sur la réalité du danger suite à l'exercice du droit de
retrait.
11 ressort de ces développements que l'intérêt d'une implication
accrue du juge dans la prévention des risques est certain. En etier, le juge
apparaît en définitive comme le seul à pouvoir contraindre l'employeur à
effectuer sans délai, sous peine d'immobiliser le matériel de production, les
\\\\
\\

351
transfonnations nécessaires à la sécurité des salariés. Par ailleurs, le procès
pénal constitue la meilleure occasion d'un débat contradictoire sur le
mécanisme de fonctionnement de l'entreprise relativement à la sécurité.
Malgré cet avantage certain dc l'intervention du juge, ce dernier apparaît aussi
comme un acteur insuffisamment impliqué dans la prévention. Cette situation
résulte des difficultés procédurales et de l'insuffisance des garanties dont
bénéficient les salariés qui assignent en justice leur «,mployeur. La prise en
compte des suggestions faites pourrait sans doute pehnettre d'améliorer la
situation.
Cependant le renforcement de la sécurité des salariés suppose
aussi que soient protégées les prérogatives des différents intervenants dans la
prévention des risques professionnels indépendamment de la violation des
règles de sécurité proprement dites.
.\\
\\\\\\.

352
CHAPITRE II: LA PROTECTION JUDICIAIRE DES
PREROGATIVES DES DIFFERENTS INTERVENANTS DANS LA
PREVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS.
La protection des prérogatives des différents intervenants dans la
prévention des risques professionnels constitue l'une des articulations de la
protection de l'intégrité physique des salariés En effet, les problèmes liés à la
sécurité au sein de l'entreprise ne relèvent pas de la compétence exclusive de
l'employeur qui effectuerait suivant sa convenance, toutes les modifications
relatives à la sécurité. De nombreuses attributions sont conférées par la loi au
C.H.S.C.T.. Ces attributions font de ce comité, à défaut d'être un réel lieu de
décision, un contrepoids au pouvoir patronal dans la gestion de la sécurité dans
l'entreprise. Ainsi, aux termes de l'article L. 236-2 C. trav., et dans le cadre de
l'une de ses missions qui est de veiller à l'observation des prescriptions
législatives et réglementaires, le comité procède à des in~pections et à l'analyse
des risques professionnels au sein de l'entreprise. Il est également consulté
avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions
d'hygiène, de sécurité ou les conditions de travail. Ces attributions reconnues
au CH.S.CT procèdent de l'idée selon laquelle, « (..) il n y a pas d'action
réelle d'amélioration des conditions de travail sans la participation des
travailleurs eux-mêmes (..) la mise hors-circuit des travailleurs constitue
donc une Il hérésie scientifique ii i) 1 .
Cependant, quelle que puisse être l'étendue du droit d'expression
des salariés sur leurs conditions de travail, ils ne pourront réellement
contribuer à la réalisation des conditions de sécurité optimale qu'autant que
ces prérogatives sont protégées. Encore faut -il que les salariés exerçant des
fonctions représentatives, notamment les membres du C.H.S.C.T., bénéficient
d'un statut permettant le libre exercice de leur misslon. Le législateur l'a
'.
compris
en
instituant
un
mécanisme
de
protection
des
structurcs
représentatives des salariés et leurs membres (SECTION 1). Il s'agira ici de
mettre en relief la place du juge dans ce mécanisme à travers les attributions
que la loi lui reconnaît mais aussi sa construction.
1. B. KRYNEN, « Le droit des conditions de travail: droit des travailleurs à la sante et à la sécurité?}) Dr. soc.
1980,p.533.

\\
353
Il importe aussi de souligner que le médecin du travail joue un rôle
important dans la protection de la santé des salariés. En effet, « L'institution de
la médecine du travail correspond à une philosophie volontariste et opttnllste
des rapports entre le travail et la santé: le travail ne doit pas abîmer
l'homme, mais l'épanouir» 1 .
L'intervention du médecin dans le milieu du travail appelle
néanmoins quelques remarques. La décision du médecin du travail peut être
lourde de conséquences pour l'ç:mploi du salarié et même pour sa santé. Cette
situation justifie que lui soit assurée une indépendance totale dans ses
décisions médicales. Quelle est ou peut être la contÂbution du juge en la
matière?
Comment concilier,
dans
l'intérêt de
la santé
des
salariés,
l'indépendance du médecin avec son statut de salarié de l'entreprise? Il
conviendra de répondre à ces interrogations. Aussi devrons-nous étudier cette
institution capitale dans la préservation de la santé des salariés à savoir, le
médecin du travail (SECTION JI).
SECTION 1: LE MECANISME DE PROTECTION DES
STRUCTURES REPRESENTA TIVES DES SALARIES ET LEURS
MEMBRES
La protection des prérogatives des structures représentatives des
salariés notamment le C.H.S.C.T., .est caractérisée par l'institution d'un statut
protecteur individuel de leurs membres (§ 1) et la répres~ion des entraves à leur
mission collective ou individuelle prévue par l'article L. 263-2-2 C. trav. (§ Il).
§ 1: LA PROTECTION INDlVIDUELLE EN MARGE DU PROCES PENAL
Elle est marquée par la subordination du licenciement des membres
du C.H.S.C.T. à une autorisation administrative préalable en aval de laquelle
s'exerce le contrôle du juge administratif. A cela, il convient d'ajouter le
contrôle du juge social lorsque par des manoeuvres frauduleuses, l'employeur
entend se soustraire de cette procédure légale.
1 . 1. SA VATI ER. ( Le médecin du travail et le son du salarié », Dr. soc. J987, p. 604.
\\

354
\\
\\
AI L'AUTORISATION ADMINISTRATJVE DE LICENCIEMENT
Aux tennes de l'article L. 436-1 C. trav., « Tout licenciement
envisagé par
l'employeur d'un
membre
titulaire ou
suppléant d'un
représentant syndical prévu à l'article L. 433-1 est obligatoirement soumis au
comité d'entreprise qui donne un avis sur le projet de licenciement.
Le licenciement ne peut mtervenir que sur autorisation de
l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement (..) ». Et l'article L 236-
Il dispose que ces dispositions sont applicables aux salariés qui siègent ou ont
siégé en qualité de représentants du personnel dans un comité d 'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail. Il résulte de ces textes que les membres du
CH.S.C.T. ne peuvent être licenciés que sur autorisation de l'inspecteur du
travail. Et la décision de l'inspecteur est soumise au con~ô1e hiérarchique.
Mais la question se pose de savoir quelle est l'étendue réelle du
pouvoir de ces autorités administratives, S'agit-il de vérifier si les fautes
alléguées à la charge du salarié protégé ou les motifs évoqués suffisent à
justifier son licenciement ou au contraire, l'autorité administrative pourrait-elle
pour des raisons d'opportunité s'opposer au licenciement du salarié? On
remarquera à ce sujet qu'au pouvoir souverain d'appréciation reconnu à
l'autorité administrative, a succédé la nécessité d'un contrôle juridictionnel
accru dicté par le besoin d'assurer un équilibre des intérêts en cause.
Il DU POUVOIR SOUVERAIN D'APPRECIATION DES AUTORITFS
ADMINISTRATIVES., ,
Il avait été jugé que ni la circonstance que la tiqesure de licenciement
serait sans rapport avec le mandat électif de l'intéressé, ni le fait que celui-ci
aurait commis une faute grave n'est pas de nature à priver le ministre du
pouvoir de refuser pour des motifs d'intérêt général, l'autorisation de
licenciement sollicitée! , L'autorité administrative apparaissait dès lors comme
un garant de l'intérêt général au sein de l'entreprise avec un pouvoir
discrétionnaire d'appréciation, Et il a pu à juste titre être constaté que « ( ..)
'. C.E. 30 Juin 1971 (Sieur Boutonne!), Rec. C.E. p. 489. c.E. 29 Mars 1968 (Manufacture française des
pneumatiques Michelin), Rec. C.E. p. 214.

355
l'autorité administrative est pratiquement souveraine et que la notion
d'intérêt public, ou ce qui est considéré comme tel, couvre, dans la plupart
des cas, ces décisions qui échappent ainsi pratiquement au contrôle de leurs
vrais motifs» l . A travers ce pouvoir reconnu aux autorités administratives, ce
sont les représentants du personnel qui se trouvaient indirectement investis au
sein de l'entreprise, d'une mission d'intérêt général qui éclipsait leur statut de
salarié soumis aux obligations contractuelles. Ce qui pouvait aussi porter
atteinte aux
intérêts
de
l'employeur; d'où
la nécessité
d'un contrôle
juridictionnel accru.
\\
21 .. .A LA NECESSITE D'UN CONTROLE JURIDICTIONNEL ACCRU.
Certes, l'exercice effecti f des attributions des représentants du
personnel de manii:re générale et les membres du C.H.S.C.T. particulièrement,
suppose un statut suffisamment protecteur qui les mette à [' abri des
représailles patronales.
Cependant, on notera que les règles de droit,
lorsqu'elles ne résultent pas de la volonté expresse du kgislateur, n'acquièrent
leur légitimité qu'autant quelles assurent la sauvegarde et l'équilibre des
intérêts légitimes en cause. Ce statut protecteur ayant pour seul obj et de
permettre l'exercice réel des prérogatives, il devrait également avoir pour seule
limite l'exercice normal de ces attributions. S'il est indéniable que « (.) le
statut des représentants du personnel intéresse l'ordre social (. ..) l'obéissance
\\
aza: lois et le respect des contratsn 'ont jamais cessé i:('être les éléments de
l'ordre juridique >? .
Dès lors, toute protection des représentants du personnel qui sous le
couvert
de
l'intérêt
général
compromettrait
les
intérêts
légitimes
de
l'employeur, risquait également de mettre à mal l'ordre social au sein de
l'entreprise. En effet, on ne saurait admettre que la qualité de représentant du
personnel devienne une mesure autorisant les abus et les atteintes aux droits de
l'employeur au sein de l'entreprise. Ces considérations ont conduit le Conseil
d'Etat à étendn: le contrôle du juge administratif sur les décisions des autorités
administratives.
1.
R. LATüURNERIE. « L'interprétation des textes assurant la protection des représentants du personnel
dans "entreprise », D 1975, Chf. p. 105.
2. P DURAND. cité par R LATOURNERIE, article précité, p. 104
\\
"\\

356
3/ L'ETENDUE DU CONTROLE DU JUGE ADMINISTRATIF
Le principe a été posé par l'arrêt Bemette du 5 Mai ] 976. 11
s'agissait pour le Conseil, tout en affirmant la protection exceptionnelk lIont
bénéficient les représentants du personnel et le pouvoir d'appréciation de
l'intérêt général de l'autorité administrative, de déterminer les limites de ce
POUVOIr.
Aux termes de cet arrêt, « Pour refuser l'autorisation sollicitée,
l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général
relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une
atteinte excessive ne soit portée<à l'un ou l'autre des intérêts en présence »' .
Cette
jurisprudence
du
Conseil
d'Etat \\impose
à
l'autorité
administrative sous le contrôle du juge administratif, la recherche d'un
équilibre entre le statut protecteur des représentants du personnel que
commande l'intérêt général, et l'intérêt particulier de l'employeur qui implique
la soumission des salariés protégés à leurs obligations contractuelles. Dès lors,
il convient de se demander quelle est la portée réelle de la protection des
membres des structures représentatives d quelle est l'autorité de la décision de
l'inspecteur du travail ou du juge au-delà de la période légale de protection.
al LA PORTEE DE LA PROTECTION DES MEMBRES DES
STRUCTURES REPRESENTATIVES OES SALARIES
Il s'agit de recherchcr< si cette construction du Conseil, notamment la
référence aux intérêts en cause, n'aboutit pas en fait à affaiblir la protection
\\
dont bénéficient les représentants du personnel. Commè l'a écrit F. EWALD,
«Juger en termes d'équilibre c 'est Juger de la valeur d'une conduite ou d'une
pratique dans son rapport à la normalité sociale, en fonction des coutumes et
des habitudes qui sont à un certain moment celles d'un groupe donné »2. La
question reste donc posée de savoir quand peut-il y avoir atteinte excessive aux
intérêts des parties. La solution certes, dépendra de l'appréciation de l'autorité
administrative puis du juge.
'. C.E. 5 Mai 1976 (Bernette) Dr. ouv. 1976, p. 431
2. F. EWALD, {( L'Etat providence», Grasset 1986, p.472.

357
On remarquera d'abord, en amont de l'intervention du juge, que
J'autorité administrative est juge du contrat car il s'agira pour j'inspecteur de
rechercher si la violation par le salarié de ses obligations contractuelles portent
une atteinte excessive à l'employeur. Le cas échéant, l'intérêt général ne
saurait constituer un obstacle à la rupture de son contrat.
En aval, le juge administratif devient également juge du contrat et de
l'intérêt général, autrement dit, de ce que doit être l'exercice normal des
fonctions de représentation. Dès lors, et par cette exig~nce de l'équilibre des
,
intérêts, le contrôle du juge sur la décision administrative devient total. Ceci
implique que l'Administration mette en relief les motifs lui permettant tout à la
fois de protéger l'intérêt général sans pour autant porter atteinte de manière
excessive aux intérêts des parties. Ainsi il a été jugé que, lorsque, à l'appui de
sa demande de licenciement d'un salarié protégé, l'employeur allègue la perte
de confiance vis-à-vis de celui-ci, il appartient à l'autorité administrative de
rechercher sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les éléments
invoquès à l'appui de la demande justifient une telle allégation compte tenu de
la nature des fonctions exercées par le salarié, de l'ensemble des règles
applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution du
mandat dont il est investi 1 •
Eu
égard
à
tous
ces
éléments
notamment
les
obligations
contractuelles desquels résulte la décision de l'inspecteu~du travail ou du juge,
on pourrait être tenté de dire que la protection dont bénéficient les
représentants du personnel se résume à une garantie procédurale qui ne leur
confère pas d'autres privilèges particuliers par rapport aux autres salariés. Une
telle analyse serait d'une véracité relative. Certes, on remarquera effectivement
que la notion d'intérêt général
n'interviendrait pour justifier le refus
d'autorisation qu'autant que le salarié protégé n'aura pas largement outrepassé
ses
pouvOIrs
ou
enfreint
de
manière
significative,
ses
obligations
contractuelles.
Cependant, contrairement au salarié ordinaire titulaire d'un contrat à
(Urée indéterminée qui pourrait être licencié à tout moment sauf à condamner
'. c.E. l" avril 1992 (Sté Ladbroke Hotels-France). RiS. 1992, p. 490.
\\

\\
358
\\.
l'employeur à verser les indemnités nécessaires en cas de rupture abusive, le
salarié protégé est mis à l'abri des ruptures abusives. C'est donc contre l'abus
de droit de l'employeur que le titulaire d'un mandat de représentation se trouve
essentiellement protégé. C'est, nous semble-t-il, ce que la jurisprudence
administrative traduit en termes d'équilibre entre les intérêts en cause. Le
salarié protégé ne sera donc maintenu au sein de l'entreprise qu'autant que la
poursuite de son contrat ne nuira pas à l'entreprise. Ainsi, alors qu'un salarié
ordinaire pourrait être licencié pour inaptitude physique, le salarié protégé ne
le sera qu'autant qu'il n'y aura pas d'autres possibilités de reclassement au
sein de l'entreprise 1 • On le sait et la jurisprudence ne cesse de le rappeler, la
protection exorbitante de droit dont bénéficient les représentants du personnel
a été instituée au profit des salariés qu'ils représentent\\- Il n'y a donc pas lieu
d'étendre la protection au-delà de ce qui est indispensaBle à l'exercice nom1al
de leur fonction. Cependant, sous peine de les entraver dans l'exercice de leur
mission, une protection suffisante est nt:cessaire et ce, même à l'expiration de
leur mandat. C'est ainsi qu'aux termes de l'article L. 436-1 al. 3 C. trav., les
anciens représentants du personnel bénéficient des mêmes garanties six mois
après l'expiration de leur mandat. Ils ne pourront donc être licenciés qu'autant
que l'autorité administrative sous le contrôle du juge aura donné son accord.
La question reste posée de savoir ce qui pourrait advenir au-delà de
ce délai légal de protection. Le salarié ne bénéficiant plus d'un statut
protecteur, son licenciement relève bit::n entendu du droit commun. Il
conviendra donc d'analyser la construction jurisprudentielle en la matière.
BI LE JUGE SOCIAL ET LA PROTECTION DES RIi;PRESENTANTS DU
PERSONNEL
\\
On abordera ici deux questions distinctes.
La première est celle de savoir quelle est l'autorité de la décision du
juge administratif au-delà du délai légal de protection. Le sujet mérite d'être
abordé ici puisque le salarié ne bénéficiant plus du statut protecteur, la rupture
'. C.E J"Fèvrier 1995, SA Midic. cllzqUlerdo, R.] S 1995, p. 185.
'. Crim. 19 Octobre 1993, Dr. ouvr. 1994, p. 93.

359
de son contrat relève du droit commun et corrélativement de la juridiction
prud'homale.
La deuxième est celle de savoir quelle valeur la Chambre sociale
accorde aux transactions intervenues entre le salarié protégé et l'employeur en
vue de la rupturc du contrat.
li L'AUTORITE DE LA DECISrON DU JUGE AU-DELA DU DELAI DE
PROJECTION LEGALE
La question mérite d'être précisée. n ne s' a~~t pas d'envisager une
,
protection qui serait sans limite dans le temps. II s'agit seulement de savoir si
l'employeur pourra se prévaloir des faits commis durant l'exercice du mandat
pour licencier le salarié à l'expiration du délai de protection dès lors que
l'autorisation de licenciement avait été refusée pour les mêmes motifs.
Selon un arrêt de la Chambre Sociale du 26 janvier 1994, un tel
licenciement est illicitel . Mais ce qui doit retenir notre attention, c'est la
sanction dont il est assorti. L'employeur peut-il être obligé à réintégrer le
salarié? On notera que dans cette décision rapportée, l'employeur a été
simplement condanmé à payer des indemnités de rupture du contrat avec
dommages-intérêts. Cette situation réduit certainement la portée de la
protection des représentants du personnel. Dès lors, le refus opposé par
l'inspecteur du travail ou même par le juge au licenciement du salarié protégé
\\
ne devient-il pas en fait, une autorisation de licenciemè~t différée? Il est bien
difficile de parler d'un véritable statut protecteur si l'employeur peut se
prévaloir des faits accomplis durant l'exercice du mandat pour licencier le
salarié à l'expiration du délai de protection, même si ce licenciement donne
lieu à des dommages-intérêts. Il est à craindre, à défaut de la nullité d'un tel
licenciement, que cette situation ne compromette l'exercice des fonctions de
représentation
notamment
celles
du
C.H.S,C.T..
La revendication
des
prérogatives du comité par ses membres deviendrait alors un luxe risqué.
Il est peu probable que la jurisprudence puisse décider de la nullité
d'un tel licenciement à défaut d'un texte. Le principe en la matière on Je sait,
l
Soc. 26 Janvier 1994, Bull. V, n° 27.
\\

360
est qu'il n'y a point de nullité sans texte. Il nous paraît\\donc nécessaire que le
législateur par une disposition expresse, institue la nullité d'un licenciement
qui interviendrait après le délai de protection légal, dès lors que ces faits ont
été accomplis durant l'exercice du mandat.
11 convient enfin d'examiner au regard de la jurisprudence sociale,
les effets qui s'attachent à une transaction intervenue entre un représentant du
personnel et l'employeur.
2/LA RUPTURE PAR TRANSACTION DU CONTRAT DE TRAVAIL
D'UN SALARIE PROTEGE
On remarquera d'entrée que ces transactions faites ·sur l'initiative de
l'employeur visent à faire échec à la procédure légale de licenciement des
salariés protégés. II s'agit pour l'employeur de propose~ au salarié protégé des
indemnités substantielles afin d'obtenir son départ volo~taire ou sa démission
de son mandat. Ce qui pennettrait à l'employeur dans cette dernière hypothèse,
de procéder à son licenciement suivant la procédure de droit commun. En
d'autres tennes, il s'agit généralement de simuler un licenciement en une
démission. L'exemple suivant qui a donné lieu à un arrêt de la Chambre
sociale du 1cr Juin 1994 nous pennettra de mieux saisir la situation.
Un salarié protégé a été convoqué pour le 20 Avril j 988, à lin
entretien préalable au prononcé d'une sanction disciplinaire, un licenciement
étant envisagé. Le lendemain (21 Avril), il démissionne de ses fonctions de
membre du comité d'entreprise. Le 22 Avril, il reçoit notification de son
licenciement pour motif économique et, de manière concomitante, signe une
transaction aux tennes de laquelle il accepte la rupture du contrat de travail et
\\le motif invoqué par l'employeur. L'acte prévoit par aill~urs le paiement à son
IProfit de diverses indemnités. La cour d'appel a annulé cette transaction et
Icondamné l'employeur à verser au salarié des indemnités pour licenciement
Inul au motif que « (..) la chronologie des faits démontrait que l'employeur
lavait organisé, par la procédure qu'il avait mise en place, la rupture du
ieontrat de travail en dehors du eadre légal». Le pourvoi foOllé contre cet

\\
361
1
arrêt a été rejeté . Cette même solution est retenue lorsque le salarié accepte la
convention de conversion qui lui est proposée par l'employeur. En effet, selon
les juges, en l'absence de toute manifestation de volonté de démissionner, le
contrat de travail d'un salarié protégé ne peut être rompu sans observer la
procédure légale exorbitante du droit commun2 • Cette solution de la Cour doit
être approuvée d'un double point de vue.
D'abord, comme le souligne la Chambre sociale elle-même, sauf
manifestation de volonté non équivoque du salarié de démissionner, le contrat
de travail d'un salarié protégé ne peut être rompu que par un Iicenciemene.
« Or il n y a pas de démission lorsque l'employeur prend l'initiative d'un
départ négocié »4 .
\\.
\\
Ensuite, on rappellera que le statut protecteur dont bénéficient les
représentants du personnel a été institué au profit de l'ensemble des salariés.
Or, la transaction intervenant entre l'employeur et le salarié protégé en vue de
la rupture du contrat ne prend en compte que l'intérêt particulier du salarié. Cc
qui constitue nous semble-t-il, "un détournement de droit" de la part du salarié
en même temps qu'une violation de la loi de la part de l'employeur. Si le
salarié protégé peut de sa propre initiative démissionner de son mandat ou
rompre son contrat de travail, tout départ négocié qui résulterait de J'initiative
de l'employeur ne peut avoir pour objet que de contourner la procédure légale
au détriment des intérêts de l'ensemble des salariés dont la défense est confïée
au salarié protégé. En annulant une telle transaction et en condamnant
l'employeur à payer des indemnités pour la nullité du licenciement, la
Chambre sociale oblige les employeurs à recourir à la\\procédure légale dans
l'intérêt de la collectivité des salariés de l'entreprise. Cette construction de la
Chambre sociale qui renforce le statut protecteur des représentants du
personnel, garantit par là-même les intérêts qu'ils sont chargés de défendre. Et
nous rapportant au eas particulier des membres du C. H. S. C.T. représentants
'. soc. 1" Juin 1994. Dr. ouvr. 1994. p 348
'. Versailles, 30 Janvier 1995, R.J.S. 1995. p. 270; Soc. 4 Avril 1990, R.J.S 1990, nO 395.
3. Soc. 12 Decembre 1990, R. 1. S. 1991, p. 34_ Celte même considérationjustitie que l'employeur soit oblige
de suivre la procédure légale de iicenciemenllorsque le salarié protégé refuse une modification substantielle ou
non de ses conditions de travaiL( Même arrêt).
4. M COHEN, Ouvr. préc. p. 757

362
du personnel, c'est la protection de l'intégrité physique des salariés qui en sort
renforcée.
\\
Indépendamment de cette procédure de licenciement et les motifs
qui déterminent l'autorisation ou le refus d'autorisation de licenciement des
salariés
protégés,
tels
qu'ils
résultent
des
décisions
des
juridictions
administrative et sociale, l'entrave aux fonctions représentatives de même que
l'inobservation de la procédure de licenciement constituent le délit d'entrave.
PARAGRAPHE Il: LE DELIT D'ENTRAVE
L'institution du délit d'entrave correspond au besoin de garantir
l'exercice des missions de représentation dans l'entreprise et par là, la liberté
de l'action collective dans les domaines relevant de la compétence des
structures représentatives. Aux termes de l'article L. 263-2-2 C. trav.,
«Quiconque aura porté atteinte ou tenté de porÎ'r?;r atteinte soit à la
constitution , soit à la désignation des membres, soit au fonctIOnnement
régulier des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail,
notamment par la méconnaissance des dispositions de l'article L. 236-11 et
des textes réglementmres pris pour son application,
sera puni d'un
emprisonnement de deux mois à un an ( ..) ». Force est de constater que ce
délit fait l'objet d'une définition assez large qui confère en fait au juge le
pouvoir de dire ce qui est répréhensible ou ce quine l'est pas. Il est certain
qu'il existe une corrélation inverse entre les faits constitutifs de l'entrave ct les
prérogatives du C.H.S.C.T.. En d'autres termes, plus ce délit fait l'objet d'une
conception large, plus les prérogatives des représentants du personnel sont
étendues et mieux protégées. L'étude des éléments constitutifs de l'entrave (A)
nous
permettra donc de
mesurer J'ampleur de
la protection
desdites
prérogatives. Il conviendra aussi de vérifier si ces pouv(}irs dévolus au juge et
l'usage qui en est fait, sont conformes aux normes \\onstitutionnelles (B)
notamment au principe de la légalité des délits et des peines.

363
\\ \\
A 1LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L'ENTRAVE
Nous examinerons successivement les éléments légal, matériel et
intentionnel de l'infraction.
Il L'ELEMENT LEGAL DE L'INFRACTION
Nous avions déjà observé s'agissant de cet élément, que le délit
d'entrave fait l'objet d'une définition assez large et peu précise. On notera
cependant que le délit est constitué par « (..) tout fait d'action ou d'omission
ayant pour objet ou même seulement pour effet de porter une atteinte
quelconque, si légère soit-elle, aufonctionnement normal du comité, au plein
exercice de ses attributions ou encore aux prérogatives de ses membres
(...) »1 . Le législateur a donné par ailleurs une liste indi~tive des faits pouvant
constituer une atteinte au fonctionnement du comité. Il s'agit notamment de
l'inobservation des procédures de licenciement. Comment la jurisprudence
applique-t-elle cette disposition et quels sont les autres faits pouvant tomber au
regard de la jurisprudence sous le coup de la loi? H conviendra pour répondre à
cette question d'étudier l'élément matériel de l'infraction.
21 L'ELEMENT MATERIEL DE L'INFRACTION
La pratique judiciaire fournit une multitude d'exemples sur les faits
pouvant constituer le délit d'entrave. Il peut s'agir du refus de l'employeur de
consulter le comité sur les questions relevant de sa compétence notamment sur
la teneur des règlements et consignes d'hygiène et de sécurité,2 ou du refus
opposé à la demande de deux membres, de convoquer une réunion du comité3 .
Il en est également ainsi, lorsqu'à défaut d'avoir obte~'1J une autorisation de
licenciement du salarié protégé, l'employeur procède à une modification
substantielle de ses fonetions4 et a fortiori lorsqu'il ne recourt pas à la
procédure légale pour le licenciement du salarié protégé. En effet, selon la
Chambre criminelle, seule une cause insumlontable à laquelle l'employeur est
'. P. MALAVAL, « Le délit d'entrave» débat, Dr. soc. 1979. p.95.
2. Crim. 22 Février 1979, Bull. n' 82.
, Crim. 4 Janvier 1990, BulL n" 1 1.
4. Crim. 15 Février 1994, D. 0
1994. p. 209.

\\
364
étranger, peut justifier la rupture du contrat de travail du représentant du
personnel, sans observation de la procédure spéciale '. Ainsi, alors même que le
salarié serait inapte à poursuivre ses fonctions, le délit d'entrave est constitué
dès lors que l'employeur ne sollicite pas l'autorisation administrative sauf bien
entendu, lorsqu'il y a une impossibilité absolue de reclassement de l'intéressé
au sein de l'entreprise2. De même, la transaction conclue avec un salarié
protégé, fût-elle en accord avec l'inspecteur du travail, n'est pas une cause
justificative de la méconnaissance des dispositions d'ordre public réglementant
la procédure légale de licenciemene. Enfm et pour ne citer que ces exemples,
on signalera que la résolution judiciaire du contrat de travail d'un salarié
protégé est constitutive du délit d'entrave4.
\\,
\\
Il a été nécessaire de rapporter tous ces exemples pour illustrer la
diversité des faits pouvant tomber sous le coup de la loi sans qu'on puisse
toujours savoir a priori, quand peut-on considérer que le délit est constitué.
C'est dire que le juge dispose ici d'un réel pouvoir d'appréciation a priori peu
compatible avec le principe de la légalité des délits. De ce fait, ce pouvoir du
juge a donné lieu à des critiques doctrinales. Nous y reviendrons.
On pourrait néanmoins considérer pour l'instant, qu'en présence de
ces faits variés réprimés sous le terme de délit d'entrave, l'élément moral
devrait jouer un rôle déterminant dans la constitution de l'infraction. Il
s'agirait donc pour le juge de détemlÎner et de réprimer les actions ou
omissions ayant pour objectif final d'entraver le fonctionnement des structures
représentatives. Reste à savoir quelle est la portée de l'élément moral dans la
"
construction jurisprudentielle.
'"
3/ L'ELEMENT MORAL DE L'INFRACTION
La Chambre criminelle affirme depuis plusieurs décennies que la
seule violation d'un statut que le chef d'entreprise ne peut ignorer contient en
elle-même tous les éléments tant moraux que matériels du délit d'entrave5. Et
1 Crim 3 Février 1981, Juri-social 1981, Sl 65.
'. Crim. 27 Septembre 1994, CS.BP., février 1995, p.67
'. Crim. 19 Octobre 1993, Dr. ouvr. 1994, p. 93,
'. Ass. Plén, 28 Janvier 1983, Dr. soc. 1984, p 517.
'. Crim. 10 Novembre 1953, Bull. nO 292; Crim, 10 Février 1972, D. J972jp. p. 474..
\\

365
cette jurisprudence a été
récemment et à maintes reprises, rappelée par la
Cour. Ainsi, il a été jugé que l'existence du délit n'est pas subordonnée à
l'obtention du but poursuivi, l'élément intentionnel résultant du caractère
volontaire des pressions l
Mieux encore, il a été jugé que l'élément
intentionnel du délit se déduit non du but recherché par l'intéressé mais du
caractère volontaire des mesures qu'il a prises2.
On remarquera que l'élément intentionnel
"
qui\\selon la formule de P.
MALA VAe est en règle général réduit à peu de chose, tend à disparaître des
éléments constitutifs de l'infraction si l'on s'en tient à cette décision de la
Cour. D'une infraction intentionnelle qu'est le délit d'entrave, on assiste à un
glissement vers une infraction matérielle qui en principe n'est admise que pour
les
infractions
contraventionnelles.
Cet
amenuisement
de
l'élément
intentionnel accentue le sentiment d'une conception jurisprudentielle très
extensive du délit d'entrave qui se dégageait déjà de la diversité des faits
matériels qui pourraient constituer le délit d'entrave, et continue l'étendue du
pouvoir du juge en la matière.
On remarquera cependant que ce pouvoir du juge, au-delà de la
répression du délit, permet d'expliciter les règles de droit en ce sens qu'il
précise les limites du pouvoir de gestion de l' emplo)~ur et corrélativement
l'étendue des droits des structures représentatives notamment ceux du
C.H.S.C.T.. Ayant observé dès le départ qu'« il n'y a pas d'action réelle
d'amélioration des conditions de travail sans la participation des travailleurs
eux-mêmes »4 et eu égard à ce pouvoir du juge qui lui permet non seulement
de déterminer mais aussi de protéger le droit d'expression des salariés sur leurs
conditions de travail, on pourra en défmitive dire que c'est à la prévention des
risques professionnels que concourt le juge à travers cette construction. Le
problème demeure néanmoins posé de savoir si ce pouvoir du juge n'enfreint
pas les normes constitutionnelles classiques notamment le principe de la
légalité des délits.
1 C'
.
nm. g Mars 1994, D. 0 1994. p. 330
\\.
'. Crim. 15 Février 1994, D. O. 1994, p. 209.
\\.
' p MALAVAL, Article précité, Dr. soc 1979. p 95
'. B. KR YNEN, art prée.

366
BI DELIT D'ENTRA VE ET NORMES CONSTJTUTJONNELLES
La répression du délit d'entrave soulève deux types de difficultés au
regard du principe de la légalité des délits. Il s'agit d'une part de la sanction
pénale d'une obligation conventionnelle et d'autre part, la détermination
judiciaire d'une obligation pénalement sanctionnée.
Il LA SANCTION PENALE D'UNE OBLIGATION
CONVENTIONNELLE
\\,
\\
Aux termes de l'article L 153-3 C. trav., « Lorsqu'en vertu d'une
disposition législative expresse dans une matière déterminée, une convention
ou un accord collectif étendu déroge à des dispositions législatives ou
réglementaires, les infractions aux stipulations dérogatoires sont passibles
des sanctions qu'entraînerait la violation des dispositions législatives ou
réglementaires en cause ». Ces dispositions résultent de la loi du 13 Novembre
1982. Antérieurement à cette loi, la Chambre criminelle avait déjà cassé un
arrêt qui, pour relaxer un prévenu poursuivi pour délit d'entrave, avait jugé
que la loi pénale ne pouvait pas sanctionner l'inexécution d'une obligation
conventionnelle l . Cette jurisprudence sera par la suite confirmée par la loi.
Elle illustre une fois encore la conception large que la Cour de cassation a de la
notion de délit d'entrave. Elle met également en relief le rôle de promoteur de
la loi, paradoxalement joué par le juge dans une matiè~e régie par le principe
de la légalité des délits. Ce qui a conduit certains auteu;k à dénoncer la liberté
prise par la Cour de cassation avec le principe de l'interprétation restrictive de
la loi2 . Et malgré les dispositions législatives précitées, on pourrait encore se
demander si cette faculté oftèrte aux particuliers de déterminer des obligations
passibles de sanctions pénales, n'enfreint pas le principe constitutionnel de la
légalité des délits. On remarquera cependant que cette infraction au principe de
la légalité n'est en réalité qu'apparente comme l'a su bien démontrer P.
CHAUVEL
1 . Crim. J4 Février 1978, Bull. n° 58
'. J. MINüRET-GIBERT, « Le délit d'entrave », Dr 'oc 1979, p. 102.
\\

367
En effet, selon l'auteur,' dans un texte répressif,« (..) il convient de
distinguer trois éléments: d'une part l'obligation (qUi .indique ce qui est
prescrit), d'autre part, l'incrimination (qui assortit d'une sanction la vIOlation
de l'obl(gation) et enfin la sanction elle-même (qui détermine la nature et
l'étendue de la punitIOn). (..) la détermination des mfractions et des peines
n'a en aucune façon été transjëlée à des personnes privées »2.
On remarquera d'ailleurs que
le domain~ de ces obligations
pénalement sanctionnées est détenniné par le législateur lui-même. Seul le
contenu ou ce qu'il conviendrait d'appeler la substance des obligations, sera
déterminé par les parties. Ce qui en principe, devrait permettre à l'employeur
de mieux cerner ses obligations puisqu'elles sont librement consenties. Comme
le relève P. CHAUVEL, il arrive que le droit commun connaisse une même
indifférence à l'origine légale ou conventionnelle du titre violé. Ainsi, «dans
le délit d'abus de confiance, c 'est la volonté des parties qui détermine, le plus
souvent, l'exacte affectation de la chose dont le détournemenl (l'abus)
constituera le délit ». La détermination conventionnelle ne constitue donc pas
une particularité du délit d'entrave ni une atteinte au principe de la légalité des
délits.
En effet, le législateur ayant permis aux parties de déroger par
convention el dans
certaines conditions à
une
o'tligation
pénalement
sanctionnée, il s'ensuit que ces nouvelles obligations conventionnelles doivent
nécessairement être assorties de sanctions pénales. Autrement, les dispositions
conventionnelles permettraient de faire obstacle à la loi pénale en ce sens
qu'elles rendraient inopérantes les sanctions pénales dont sont assorties les
dispositions légales auxquelles dérogent ces conventions.
Ce qui serait
contraire à l'objectif du législateur qui est de pennettre aux structures
représentatives d'obtenir des prérogatives plus étendues que le minimum légal
tout en garantissant leur effectivité. C'est ce qui explique et justifie d'ailleurs
la construction jurisprudentielle, même antérieurement à la loi du
13
t.
11 convient de préciser que l'auteur se refère à la distinction déjà faite par
D. DETRACHIAACHE-
TROPER, « Des prescriptions de nature réglementaire correctionnellernent sanhionnées », AJ.DA '978, p.
417 et s
'
, P. CHAUVEL, « Interprétation déclarative de la loi pénale et droit pénal du travail », Dr. soc. 1983, p. 665

368
Novembre 1982. La Chamhre criminelle loin de porter atteinte au principe d
la légalité, concourait déjà à la réalisation de la volonté du législateur.
Si la détermination conventiOImelle d'une obligation pénalement
sanctionnée ne porte pas atteinte au principe de la légalité des délits, le
problème demeure posé s'agissant d'une définition large de l'infraction
permettant au juge de déterminer les obligations pénalement sanctionnées.
2/ LA DETERMINATION JUDICIAIRE D'UNE OBLIGATION
PENALEMENT SANCTIONNEE\\
La définition très large de la notion du délit d'entrave qui a pour
corollaire la reconnaissance au juge du pouvoir de déterminer les faits
répréhensibles a fait l'objet de vives critiques de la part de certains auteurs.
Aussi peut-on lire: « On place en ejjèt le justiciable dans l'obligation de se
mettre en irifraction pour connaître la limite de ses devoirs. (..) Par une
défaillance inadmissible du législateur et du pouvoir réglementaire, le
justiciable ne connaît pas avec précision le contenu de ses obligations de faire
ou de ne pas faire.
Comment alors les sanctionner pénalement? (. ..)
Appartient-il au juge de définir le contenu des obligations de faire ou de ne
pas faire imposées az.a citoyens? »1 •
Pour autant que ces critiques sont fondées du point de vue des
principes, elles appellent nombre de réserves. En effet, \\e\\~rincipe de la légalité
des délits qui implique que le làit réprimé soit prévu et prédéterminé par le
législateur avant la commission de l'acte a pour conséquence, l'interprétation
restrictive des textes. Selon FAUSTIN-HE LIE, cette formule signifie qu'il
fallait réprimer les comportements que le législateur avait en vue, en remontant
« à la raison de la loi pour en éclairer le texte, à la règle générale pour en
vérifier l'application»2. Ceci exclut qu'on sc limite exclusivement à la leUre
du texte.
Il n'y a pas de doute que la volonté du législateur ici, c'est d'assurer
(effectiVité de toutes les prérogatives des structures représentatives des
1
l'. J. MARTIN MARTINIERE, « Le délit d'en!'rave», Dr. soc. 1979, p. 100.
2. FAUSTIN-HELIE cité par P. CHAUVEL, art prée., p. 660.
\\.\\

369
salariés. Or, on l'a vu, c'est une caractéristique de la loi de ne pas pouvoir
prévoir toutes les situations concrètes que pourrait révéler .Ia pratique. Cette
caractéristique se trouve renforcée dans ce domaine où les faits pouvant
entraver le fonctionnement des structures représentatives sont d'une extrême
variété. Ce qui rend impossible toute énumération cxht\\ustive. Dès lors, soit le
.,
législateur renonce à son objectif tel que précédemment exprimé, soit il
abandonne l'appréciation des faits à la sagacité des juges. Ces derniers seront
donc tenus de se rapprocher autant que faire se peut de la volonté du
législateur. Lc juge se trouve donc investi d'une mission qui est celle d'une
«formulation jurisprudentielle d'une volonté certaine, mais informulée parce
qu'informulable, la loi ne pouvant prévoir tous les cas »' . Le juge n'est-il pas
d'ailleurs l'instrument du droit dans la vie quotidienne? Ceci ne signifie
nullement qu'il est reconnu au juge le pouvoir de légiférer.
En effet, il ressort de ce qui précède que le contenu des obligations
pénalement sanctionnées n'est pas en réalité détenniné par le juge. Ces
obligations existent et elles sont antérieures à son intervention. Le rôle du juge
se résume donc à rechercher si les tàits reprochés à l'employeur sont contraires
à ses obligations, c'est-à-dire s'ils sont de nature à entr~ver le fonctionnement
\\
des structures représentatives. Il s'agit là d'une simple question d'appréciation
qui entre dans les compétences naturelles du juge et ne saurait se confondre
avec une oeuvre de création des normes pénales contrairement à l'opinion
exprimée par certains auteurs ct scIon laquellt:, «(. ..) théOriquement, la
JUrisprudence ne peut avoir en droit pénal un rôle créateur (. ..). li en va
différemment en droit pénal du travai/»2 . Certes, en raison de la diversité des
éléments matériels du délit d'enlrave, le pouvoir d'appréciation du juge
apparaît étendu. Cependant, il se trouve totalement soumis à la volonté du
législateur clairement exprimée par la kttre même de la loi, la mission du juge
étant de réaliser l'objet de cette loi. Il lui revient en d'autres termes, de garantir
les prérogatives des structures représentatives, notamment le droit d'expression
des salariés sur
leurs
conditions
de
travail,
élément
indispensable à
l'anlélioration de ces cunditions et donc à la prévention ~es préjudices pouvant
résulter de l'exercice de leurs tâches professionnelles.
\\
P. CHAUVEL, ..1. prée. p 660
2
0
GODARD, «( Droit pénal du travail n, Masson, 1980, p. 26

370
La contribution du juge pénal à la protection de l'intégrité physique
du salarié paraît ici encore certaine. Son intervention complète forcément
l'action du juge administratif et du juge social. On remarquera cependant avec
le Professeur M. COHEN qu'il est toujours prèférable d'empêcher la
réalisation d'un préjudice que d'attendre une indemnisation. « Un comité
d'entreprise pourra donc plus facilement faire stopper en référé un
comportement entravant son activité que s'il attendait l'issue d'une procédure
pénale pour délit d'entrave. Cela n'empêche pas de provoquer parallèlement
des poursuites pénales notamment pour décourager tOl1te récidive (. ..) »1 .
\\,
De l'idée que la prévention des préjudices professionnels passe par
la protection des prérogatives des différents intervenants dans la prévention
des risques professionnels, nous étions amené à étudier le mécanisme de
protection
des
structures
représentatives
des
salariés.
Cette
même
considération suggère que soient examinés les attributions du médecin du
travail de même que le mécanisme de leur protection.
SECTION Il: LE MEDECiN DlJ TRAVAiL
Trois dispositions du Code du travail résument bien les difficultés
que soulève J'institution de la médecine du travail et commandent le plan de
nos développements.
\\
D'abord, aux termes de l'article L. 241-2, « 1es services médicaux
du travail sont assurés par un ou plusieurs médecins qui prennent le nom de
« médecins du travail» et dont le rôle exclusivement préventif consiste à
éviter l'altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail
notamment, en surveillant les conditions d'hygiène du travail, les risques de
contagion et l'état de santé des travailleurs ».
Ensuite, l'article L. 241-4 dispose que « Les dépenses afférentes aux
services médicaux sont à la charge des employeurs; dans les cas de services
communs à plusieurs entreprises, ces frais sont répartis proportionnellement
au nombre des salariés ».
1 . M. COHEN, ouvr. prée. p. 816.
\\.\\

371
Enfin et aux tennes de l'article L. 241-8, « Chaque fois que la chose
est possible, le médecin du travail est un médecin spécialisé, employé à temp
complet. qui ne peut exercer la médecine de clientèle courante ».
Il ressort du premier de ces textes que le médecin du travail se
trouve investi d'une mission d'intérêt général qui est celle de la protection de
la santé des salariés. Il résulte également des deux ..derniers textes que le
médecin du travail est un employé de l'entreprise, 'les frais des services
médicaux étant par ailleurs à la charge de l'employeur. Il apparaît donc au vu
de ces dispositions que le médecin du travail est un salarié de l'employeur au
service de l'intérêt général (§ 1). JI sc pose dès lors la question de savoir
comment concilier ce statut de salarié du médecin du travail avec les
impératifs d'intérêt général (§ Il) qui ne coïncident pa~ toujours avec les
intérêts de l'employeur.
§ { LE MEDECIN DU TRAVAIL, UN SALARIE AU SERVICE DE
L'INTERET GENERAL
Il résulte de l'article L. 241-2 C. trav. que la surveillance des
conditions de travail constitue l'un des moyens d'action du médecin du travail.
Nous savons aussi
que, sous
réserve
des
prérog\\~tives des structures
représentatives, ces conditions de travail sont détcnninées par l'employeur
propriétaire du dispositif de production. Quand bien même le médecin du
travail ne dispose d'aucun pouvoir pour modifier ces conditions de travail, la
loi lui confère des prérogatives (A) permettant d'infléchir les décisions de
l'employeur. Ces prérogatives se manifestent essentiellement par son pouvoir
d'investigation de même que les avis médicaux qu'il pourra émettre. Il
conviendra donc d'étudier la portée de ses avis de même que les moyens de
contestation offerts aux acteurs sociaux (B).
AILES PREROGATIVES DU MEDECIN DU TRAVAIL
La mission assignée par le législateur au médecin du travail ne
,souffre d'aucune ambiguïté: il s'agit d'éviter que le travail ne soit une source
\\d'altération de la santé du salarié. Bien que l'entreprise à\\i,t un intérêt manifeste
à préserver la santé de son personnel, cette mission du médecin du travail

372
déborde certainement le cadre de l'entreprise. Elle s'inscrit dans un contexte
plus global de santé publique qui induit la notion même d'intérêt général. En
effet, « Les nuisances du Iravail réduiseni les capacilés des Iravailleurs donc,
à travers eux, non seulemeni le potenliel des enlreprises, mais aussi celui de
la sociélé loul eniière })I . Celte situation justifie que des prérogatives d'ordre
public soient reconnues au médecin du travail. Ces prérogatives sont parfois
source de contrainte pour l'employeur et peuvent constituer une menace pour
l'emploi du salarié.
1/ LES PREROGATIVES DU MEDECIN DU TRAVAIL, SOURCE DE
CONTRAINTE POUR L'EMPLOYEUR
;
Une analyse des dispositions réglementaires et législatives permet
d'apprécier la portée des prérogatives du médecin du travail. Certes, aucun
texte ne lui confère un pouvoir de décision au sein de l'entreprise. D'ailleurs, il
en serait autrement qu'une atteinte serait portée au pouvoir de gestion de
l'employeur. Ainsi, hormis les dispositions de J'article R. 241-44 C. trav. qui
lui reconnaissent un pouvoir propre de procéder à des
prélèvements
nécessaires aux fins d'analyse, les textes se bornent à faire de lui, soit un
simple conseiller, soit un associé. Cependant, chacune de ses interventions
peut soit générer des dépenses pour J'entreprise, soit devenir un élément
permettant d'établir la responsabilité civile et même pénale de l'employeur.
S'agissant d'abord de l'article R. 241-44 C. trav., outre le fait que
ces prélèvements et analyses sont effectués aux frais de l'entreprise, ces
..
.
attributions du médecin lui permettent de faire des \\propositions pouvant
impliquer d'énormes dépenses. Il pourrait par exemple et en raison de la
toxicité des produits, préconiser l'abandon de leur usage ou la substitution
d'un autre produit.
En cela, le médecin du travail complète l'oeuvre
réglementaire car la réglementation ne pourra de manière exhaustive recenser
tous les produits susceptibles de nuire à la santé des travailleurs. Bien que
l'employeur ne soit pas tenu de suivre ces recommandations, cette intervention
du médecin permettra d'établir au besoin la faute inexcusable de l'employeur
lorsque ces produits sont source de préjudices corporels au sein de J'entreprise.
1
l LORIOT. art. prée.. Dr. soc. 1987. p. 592

373
Sa responsabilité pénale pourrait également être établie puisqu'il aurait en
toute connaissance de cause, exposé ses salariés à des produits nocifs.
On notera ensuite que toutes ces remarques sont également valables
pour l'article R. 241-42 C trav. qui fait obligation à J'employeur d'associer le
médecin du travail à toutes nouvelles techniques de production. Ainsi, pour les
raisons déjà évoquées, l'avis du médecin
du travail
peut contraindre
l'employeur à renoncer à une innovation des techniques, de production.
,
'\\
Enfin et pour ne citer que ces exemples, l'article L. 241-\\ 0-1 C.
trav. dispose que « Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures
individuelles telles que les mutations ou transformations de postes, justifiées
par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique
ou à l'état de santé des travailleurs.
Le chef d'entreprise est tenu de prendre en considération ces
propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motij.~ qui s'opposent à
ce qu'ily soit donné suite. (..) )}
Les contraintes résultant des propositions du médecin du travail
procèdent ici de la volonté expresse du législateur. L'employeur ne pourra aller
à l'encontre de l'avis du médecin qu'autant qu'il existe un motif valable qu'il
"
aura fait connaître. Certes, les avis du médecin du travà~I ne sont pas toujours
contraires aux aspirations de l'employeur. [] en sera ainsi lorsque le médecin
aura déclaré le salarié totalement inapte à occuper un emploi. Ceci permettra à
l'employeur de se séparer à moindres frais d'un salarié devenu inapte à
occuper son poste. Par contre, lorsque contrairement à la proposition dc
reclassement formulée par le médecin, l'employeur licencie le salarié sans
justifier de l'impossibilité de reclassement, sa responsabilité peut être engagée.
Un tcl licenciement est aux termes de la jurisprudence sans cause réelle el
"
1
seneuse .
Il conviendra néanmoins de s'interroger pl us loin sur la portée
pratique des avis du médecin du travail au regard des sanctions susceptibles
d'être encourues par l'employeur qui sans motif valable, ne suit pas l'avis du
\\..
1
\\
. soc 21 Mars 1990, BulL V, n' 137, Soc 27 Octobre 1993,l3ull. V, n' 250

374
médecin. On observera pour l'instant que l'avis du médecin du travail peut
aussi être une menace pour l'emploi du salarié.
2/ L' AVIS DU MEDECIN DU l'RA VAIL, UNE MENACE POUR
L'EMPLOI DU SALARIE
L'article R. 241-48-1- C. trav. dispose que « Tout salarié fait l'objet
d'un examen médical avant l'embauchage vu au plus tard avant l'expiration
de la période d'essai qUi suit 1'embauchage. ( ..) »
Aux tem1es du même texte, cet examen a pour but:
« 1° De rechercher si le salarié n'est pas alleint d'une a./fection dangereuse
pour les autres travailleurs;
Il 2° De s'assurer qu'il est médicalement apte au poste de travail auquel le
chefd'établissement envisage de l'affecter;
113° De proposer éventuellement les adaptatIOns du poste ou l'alleetatlOn cl
d'autres postes ».
Il résulte de ces dispositions que l'avis du médecin du travail peut
être un obstacle à la conclusion même du contrat soit parce que le salarié est
atteint d'une maladie dangereuse, soit parce que sa santé nécessite des
adaptations de poste qui pourraient s'avérer onéreuses pour l'employeur.
L'examen médical annuel auquel est soumis tout salarié (article R. 241-49)
tout comme celui qui fait suite à tout arrêt de '. travail pour maladie
professionnelle excédant huit jours, peut entraîner la 'î'upture du contrat de
travail. 11 en sera ainsi soit en raison de l'inaptitude totale constatée par le
médecin, soit parce que l'employeur, au lieu d'affecter le salarié à un autre
poste, préfère embaucher un nouveau salarié plus performant.
Parce que l'avis du médecin peut êlrt: source de contrainte pour les
acteurs sociaux, il importe d'examiner la portée pratique des recommandations
ou avis du médecin du travail.

375
BI LA PORTEE PRATIQUÈ DES A VIS DU MEDECIN DU TRA VAIL
\\
Il s'agira ici d'examiner l'elTcctivité des préro\\atives du médecin du
travail. Ceci consistera à analyser les sanctions applicables lorsqu'une suite n'a
pas été donnée à l'avis du médecin ou lorsqu'il n'a pas été consulté, étant
entendu que ces sanctions ont en principe pour objet d'éviter que les
prérogatives du médecin ne demeurent sans effet pratique. li conviendra
cependant avant d'analyser ces sanctions, d'étudier les voies de recours dont
disposent les acteurs sociaux contre l'avis du médecin du travail.
Il LES RECOURS CONTRE L'A VIS DU MEDECIN DU TRA VAIL
L'article L. 241-10-1 C. trav. relatif aux propositions de mutations
ou de transformations de poste dispose dans son alinéa dernier qu' « En cas de
difficulté ou de désaccord, la décision est prise par l'inspecteur du travail
après avis du médecin-inspecteur du travail ».
\\
Interprétant ces dispositions, la Cour de cassation a jugé que l'avis
du médecin pouvant être contesté par Je salarié devant l'inspecteur du travail,
le juge judiciaire et plus particulièrement le juge des référés ne peut ordonner
une expertise afm de contester le bien-fondé de cet avis l . Il résulte donc de
cette jurisprudence que l'inspecteur du travail dispose en matière de recours
contre l'avis du médecin du travail d'une compétence exclusive. Or, il résulte
également de la jurisprudence que le recours exercé par le salarié contrc l'avis
du médecin n'est pas suspensif de la mesure de licenciement prise par
l'employeur. Ainsi, alors même que l'inspecteur du travail aurait demandé à
l'employeur de suspendre la mesure de Iicencicment afin de permettre un
complément d'information, ce dernier n'est pas tenu de déférer à cette
invitation2 . Dès lors, il convient de s'interroger sur l'intérêt réel de cette voie
,
de recours reconnue au salarié.
\\
D'abord, l'inspecteur ne dispose certainement pas du pouvoir
d'ordonner au besoin la réintégration du salarié lorsque l'avis d'inaptitude
exprimé par le médecin se serait révélé inexact. Ensuite, sans contester le bien-
\\ soc. 12 Mars 1987. Dr. soc. 1987, p. 604, note J. SAVATlER Soc. 2 Février 1994, Bull. V, n' 43.
1
Soc. 19 Février 1992, Bull. V, nO 447.

376
fondé de la décision du médecin, l'employeur pourra procéder au licenciement
du salarié. Et dans ce cas, l'inspecteur du travail perd sa compétence. On est
dès lors tenté de penser que l'avis du médecin du travail n'a en réalité de
portée pratique qu'autant qu'il est conforme aux aspirations de l'employeur,
l'intervention de l'inspecteur 'aboutissant donc à légitimer la décision de
l'employeur. Une tel1e conclusion est néanmoins exce\\sive ou tout au moins
prématurée, si l'on s'abstient d'examiner les conséqùences qui pourraient
résulter de l'inobservation de l'avis du médecin confirmé par l'inspecteur du
travail.
2/ LA SANCTION DE L'INOBSERVAT10N DES AVlS DU MEDECIN
DU TRAVAIL
Il s'agit de l'inobservation d'une proposition de reclassement ou de
modification du poste de travail suite à une inaptitude du salarié il occuper son
poste initial. Il conviendra de distinguer selon que le préjudice ayant entraîné
l'inaptitude est d'origine profcssionnel1e ou non.
S'agissant
d'abord, d'une
inaptitude
due
à
un
préjudice
professionnel, la loi elle-même détermine les saneti~ns qui s'attachent au
licenciement
du
salarié
alors
qu'il
n'existe
pas
~me impossibilité de
reclassement au sein de l'entreprise. Ainsi, aux termes de l'article L. 122-32-7
C. trav., « (...) le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans
l'entreprise. avec maintien des avantages acquis; en cas de refus de l'une des
parties, le tribunal octroie au salarié une indemnité. Cette indemnité, qui ne
peut ètre inférieure à douze mois de salaire, est due sans préjudice de
l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, de l'indemnité spéciale de
licenciement prévues à l'article L.122-32-6 ». On remarquera que bien avant
ces dispositions législatives résultant de la loi du 7 Janvier
1981, la
jurisprudence admettait déjà que, lorsque la rupture du contrat était due à un
accident du travail, el1e résultait d'un risque de l'entreprise ct ne pouvait priver
le salarié d'une indemnité de licenciemene. Le Juge a donc précédé, en la
matière, le législateur qui a cependant sanctionné un tel licenciement d'une
indemnité spéciale. On constate ici que d'énormes corl~équences pécuniaires
l
soc. 1" Février 1979, Bull. V. n° \\09.

377
bien contraignantes pour l'employeur sont prévues afin· d'éviter qu'il ne
recoure systématiquement au licenciement du salarié inapte. Cette indemnité
constitue d'ailleurs un minimum légal, le juge Pfuvant prononcer des
sanctions plus lourdes. Cette sanction permet-elle de prQtéger suffisamment le
salarié inapte? Nous y reviendrons.
S'agissant ensuite d'une inaptitude résultant d'un préjudice de droit
commun, la solution actuelle est le résultat d'une évolution jurisprudentielle
ensuite entérinée par le législateur. En effet, la Cour de cassation avait
initialement jugé que le salarié déclaré inapte à occuper son poste initial à la
suite d'un accident de droit commun n'avait pas un droit au reclassement. Le
revirement jurisprudentiel a permis de reconnaître au salarié victime d'un
préjudice non professionnel, un droit au reclassement'
que le législateur
viendra confirmer par la loi du 31 Décembre 1992 (article L. 122-24-4 C.
trav.). On remarquera ici le rôle déterminant joué par la jurisprudence dans la
protection de l'emploi du salarié devenu inapte à son emploi. Elle apparaît
particulièrement comme le promoteur de la loi ~uisqu'elle a, par sa
construction, inspiré l'évolution législative aboutissant a la reconnaissance au
profit du salarié d'un droit au reclassement, qu'il s'agisse d'une inaptitude
d'origine professionnelle ou non.
C'est à juste titre que le Professeur
MAZEAUD affirme que, « Plus que jamais, l'une des caractéristiques du
droit du travail tien! à son aspect prétorien )2 .
Lorsque l'inaptitude est de droit commun, la jurisprudence qualifie
le licenciement de sans cause réelle et sérieuse dès lors qu'il existe une
possibilité de reclassement au sein de l'entreprise. La sanction est celle de
l'article L.
122-146-4. C. trav.
Le tribunal pourra ainsi proposer la
réintégration du salarié ou condamner l'employeur à verser une indemnité qui
ne peut être inférieure à six mois de salaire. On remarquera une différence très
marquée relativement aux indemnités versées au profit du salarié, selon que le
salarié est devenu inapte au poste initial à la suite d'un Rréj udice professionnel
ou de droit commun. Cette situation s'explique aisémerit du fait que dans le
premier cas, l'inaptitude est liée au risque de l'entreprise. Il y a lieu de
[ . soc 21 Mars 1990. Bull. V, n° 137. Soc. 8 Juillet 1992, BulL V. na 447
2. A. MAZEAUD, « Le licenciement en cas de maladie prolongée ou d'inaptitude physique d'origine non
professionnelle: la loi. le juge et les partenaires sociaux », Dr. soc. 1992, p. 234.

378
reconnaître qu'en l'état actuel du droit, la protection du salarié devenu inapte à
la suite d'un préjudice de droit commun est bien dérisoire.
En effet, il paraît peu probable que la condamnation de l'employeur
à verser une indeomité de six mois de salaire et des dommages-intérêts puisse
contraindre l'employeur désireux de licencier le s,lliarié handicapé à y
\\
renoncer. Il en est ainsi d'autant plus que l'employeur préférera se débarrasser
une fois pour toutes du salarié handicapé que de devoir le supporter des années
durant. Et cette dernière observation est tout autant valable pour le salarié
victime d'un préjudice professionnel. C'est à juste titre que la doctrine fait
remarquer que, « S'il est vrai qu'en matière d'accident du travail ou de
maladie profèssionnelle,
la protection du travailleur est sensiblement
améliorée, (..) elle n'était pas sans limites. La principale était qu'au fond,
l'employeur peut s'affranchir moyennant indemnisation parfois substantielle,
de son obligation de reclasser son salarié »1 .
Le problème nous paraît d'une importance particulière d'autant plus
que le salarié handicapé, éventuellement en début de carrière, aura du mal à
trouver un nouvel emploi malgré les dispositions législatives protectrices des
handicapés (Cf. articles L. 323-1, 323-2, 323-3 C. \\~rav. ). 11 nous paraît
d'ailleurs absurde d'instituer une obligation légale d'emploi (Article L. 323-1)
au profit des salariés handicapés tout en pennettant à l'employeur de se
séparer, moyennant indemnisation, d'un salarié inapte à occuper son poste
initial alors même qu'il existe des possibilités de reclassement au sein de
l'entreprise. Cette observation commande que soit d'une part revue la sanction
du licenciement du salarié devenu inapte et d'autre part que soit dévolue à
l'Administration, notamment l'inspecteur du travail et sous le contrôle du juge
administratif, un nouveau rôle dans la protection de ces salariés. Il s'agirait
d'instituer au profit des salariés handicapés, un régime de protection analogue
à celui des salariés investis des fonctions représentatives, Ce qui reviendrait à
ne plus limiter leur pouvoir au seul contrôle de l'aptitude du salarié mais au
besoin à s'opposer à son licenciement. Il ne s'agit pas de contraindre
l'employeur
à
conserver
au
sein
de
l'entreprise\\ un
salarié
devenu
"
P Y. VERKINDT, P. FRIMAT, E. ELOY, R. CUVIER, « Aptitude physique et contrat de travail», éd.
Liaisons, 1990, p. 187.

379
professionnellement inutile à l'entreprise. La rémunération d'un tel salarié
serait sans contrepartie et constituerait un enrichissem~nt sans cause. Il s'agit
\\
tout simplement de permettre sa réintégration toutes les fois qu'il existe une
possibilité réelle de reclassement au sein de l'entreprise. Ceci permettra en
amont de faire du licenciement un ultime recours lorsque l'employeur aura tout
essayé. Seule une telle réforme permettra de concilier effectivement le droit à
la santé et le droit à l'emploi.
On remarquera que, sauf inaptitude constatée par le médecin du
travail, le licenciement du salarié en raison de son état de santé ou son
handicap est, aux termes de l'article L. 122-45 C. trav., nul. Ce texte procède
de la volonté du législateur d'empêcher que l'état de santé ne devienne un
élément de discrimination dès lors que le salarié est apte à exercer ses
fonctions et ne constitue pas une menace pour la santé des autres. On
comprend donc mal que cette 'nullité ne soit pas étendue au salarié devenu
inapte lorsque ses
aptitudes,
postérieurement au '"réjudice,
permettent
néanmoins de le reclasser au sein de l'entreprise. En effet, comme a pu le
constater D, JOSEPH, « (..) le médecin du travail reçoit de la loi un pouvoir
de propositions: assurer la compatibilité d'un emploi aw: capacités physiques
du salarié. Ce faisant, l'avis d'inaptitude ne constitue pas une autorisation du
licenciement. Par son contenu dynamique et positif, il tend à la détermination
d'une nouvelle aptitude. Il interpelle l'employeur sur les conditions dans
lesquelles il dirige et organise son. entreprise» 1 . Dès lors que cette nouvelle
aptitude permet au salarié d'occuper encore un poste au sein de l'entreprise
sans préjudice pour les autres salariés, il convient d'empêcher l'employeur de
procéder à son licenciement.
La seule objection que puisse susciter l'extension du pouvoir de
l'inspecteur du travail est celle de l'ingérence de l'Etat dans la gestion d'un
patrimoine privé, l'entreprise. Alors même qu'il en serài,t ainsi, cette situation
se trouve justifiée car la gestion de l'entreprise implique parfois des intérêts
opposés, ceux de l'employeur et ceux du salarié. Et il est du devoir des
pouvoirs publics de protéger le plus faible. La naissance du droit du travail
procède d'ailleurs de cette volonté logique. Par ailleurs, et « Puisque les
, . D. JOSEPH, « Le reclassement des travailleurs déclares inaptes à leur emploi », Dr. ouvr. 1989. p. 125

380
préoccupations
éthiques semblent revenir
en force
dans
le
monde
économique, et dans l'entreprise en particulier, il y aurait là un moyen au
fond très raisonnable de les mettre en pratique »1 . Le rôle du juge serait dans
ce contexte d'assurer l'équilibre entre les intérêts de 1\\employeur et la
protection de l'emploi du salarié handicapé. Il s'agit en d'autres termes, à
travers le contrôle des décisions de l'inspecteur du travàjl, de veiller d'une part
à ce que l'inaptitude du salarié à occuper son poste initial ne devienne une
cause systématique de la perte d'emploi, et d'autre part, que le maintien du
salarié handicapé au sein de l'entreprise ne devienne pour l'employeur ni une
charge insupportable, ni une contrainte injustifiée Nous avons déjà vu que le
juge assure une mission analogue dans la protection des salariés investis de
fonctions représentatives en veillant à l'équilibre de l'intérêt général et celui de
l'employeur.
Il ressort de tout ce qui précède, et même en l'état du droit positif,
que le médecin du travail a vocation à assurer une mission d'intérêt général
qui justifie les prérogatives qui lui sont reconnues. Concilier sa vocation avec
son statut de salarié constitue une condition nécessaire à la réalisation de cet
objet.
\\,
§ Il: LA CONCILIATION DU STATUT DU SALARIE DE L'ENTREPRISE
AVEC LES IMPERATIFS D'INTERET GENERAL
Parce que les prérogatives du médecin du travail peuvent être source
de contrainte, l'employeur peut être tenté d'entraver l'exercice de ces
prérogatives. C'est pourquoi le législateur a prévu à l'article L. 264-1 C. trav.
des pénalités visant à sanctionner la violation des règles relatives à la médecine
du travail. Cependant, du fait de l'état de subordination du médecin du travail,
ses prérogatives ne seraient qu'illusoires si l'employeur pouvait suivant son
vouloir mettre fin à tout moment à son contrat de travail. Aussi le législateur a-
t-il veillé à protéger le médecin du travail et dans l'intérêt des salariés, contre
la précarité de l'emploi (A). Mais il conviendra de se demander si ce statut du
médecin permet de garantir effectivement son indépend\\illce. N'y a-t-il pas lieu
d'envisager une amélioration (B)?
\\
\\. P y VERKINDT, P FRIMAT. E. ELOY, R. CUVIER, ouve prée. p. 188.

" 0 ,
Jùi
AI LA PROTECTION DU MEDECIN DU TRAVAIL CONTRE LA
PRECARITE DE L'EMPLOI \\"\\
Pour
sauvegarder
son
indépendance
écrit
J.
LORIOT,
« le
législateur compte naïvement sur la protection qu'il a accordée au médecin
du travail contre le licenciement.
« L'expérience démontre que tant l'affirmation de l'indépendance
que la protection du médecin du travail ne suffisent pas à résoudre tous les
problèmes posés par l'organisation de l'activité du médecin» 1 . Pour autant
que cette affinnation est vraie, la protection du médecin du travail constitue
une condition indispensable (sans doute insuffisante) pour l'exercice régulier
de ses prérogatives et surtout pour la réalisation de l'objet de cette institution.
En effet, il serait naïf de penser que, parce que la santé des travailleurs
concourt aux succès de l'entreprise, l'employeur sera toujours enclin à
collaborer avec le médecin du travail malgré les contraintes que ses
..
prérogatives pourraient engendrer. Le risque de pressih,n directe ou indirecte
des employeurs sur le médecin du travail est certain et la jurisprudence fournit
des exemples2 . Il est certain que de toutes les menaces qui pourraient peser sur
le médecin du travail, le licenciement apparaît comme le plus apte à vaincre sa
résistance aux injonctions de l'employeur. Aussi l'article R.241-31 C. trav.
soumet-il la nomination et le licenciement du médecin du travail à l'accord du
comité d'entreprise ou du comité d'établissement ou de la commission de
contrôle des services interentreprises. On remarquera que contrairement aux
représentants du personnel, ces dispositions protectrices du médecin du travail
sont d'origine réglementaire. Aussi, certains employeurs appuyés par une
partie de la doctrine ont-ils cru pouvoir soulever l'exception d'illégalité de ces
dispositions. Non seulement ils ne seront pas suivis par la jurisprudence mais
aussi, elle jugera que la réglemèntation du travail a essentiellement pour objet
de protéger la santé du personnel et non les intérêts pr~wres du médecin. Elle
en a corrélativement déduit la recevabilité de l'action Jivile des syndicats en
1 . J. LORIOT. art prée, p. 595
2
Cf Soc. 10 Octobre 1979, BulL V, n° 703. Espèce dans laquelle une association inter entreprise avait
licencié un de ses médecins du travail parce que certains employeurs lui reprochaient de reconnaître trop
d'inaptitudes au travail favorisant ainsi l'absentéism~. et menaçaient de se retirer de l'association s'il était
mainlenu en
tonclions.

382
cas de violation de cette réglementation 1. Ce qui permet d'éviter que le
médecin qui, rappelons-Je, demeure salarié de l'employeur, ne se retrouve seul
face à ce demier.
Par
ailleurs,
après
quelques
hésitations,
la
jurisprudence
sanctionnera le licenciement irrégulier du médecm du travail par sa
réintégration2 . Cette constmction jurisprudentielle constitue à notre avis et
comme nous J'avions déjà relevé, une condition indispensable à l'exercice
effectif des prérogatives que la loi confère au médecin. En effet, il est probable
que la menace d'une perte d'emploi fasse infléchir les décisions du médecin
du travail. Ce dernier serait alors réduit à un outil à la disposition de
l'employeur. En d'autres termes, par les pressions qu'il exercera sur le
médecin, l'employeur pourra obtenir de lui des avis d'inaptitude sur un salarié
ou encore des avis tàvorables sur les conditions de travail ou l'introduction
d'une nouvelle technique de production. C'est en définitive aux salariés que
profite cette protection jurisprudentielle du statut du médecin du travail. Il
convient néanmoins de se demander malgré cette construction jurisprudentielle
si ce statut de salarié du médecin du travail est compatible avec cette mission
d'intérêt général dont il est investi? A défaut de pouvoir soumettre le médecin
du travail par des pressions, l'employeur ne peut-il p~ en faire un allié au
service de sa cause? Ce qui reviendrait en définitive à la même situation que si
le médecin était dépourvu de toute protection légale.
Certes, il ne s'agit pas de douter des vertus des personnes exerçant
cette profession. Cependant, on admettra avec A. LYON-CAEN qu'« Une
institution dont l'efficacité repose sur la force de caractère de ceux qui sont
chargés de la mettre en oeuvre ne peut fonctIOnner correctement (..) »] . Ne
convient-il pas dès lors de garder le médecin du travail à une distance
raisonnable de l'employeur sans pour autant l'éloigner de l'entreprise? Telle
1. Crim. 9 Ma; 1978, Dr. soc 1979, p. 462.
'. Soc. 7 Mai 1987, BulL V, n" 274. Il semblerait néanmoins que le refu,s persistant de l'employeur de
réintégrer le médecin, est sanctionné par l'octroi de dommages-intérêts (Cf [\\Omy Social 1994. n" 1463, p.
618.). Si celte solution s'avérait exacte, il conviendrait de la dêplorer. La protection du médecin du travail a
été instituée au proflt des salariés. li serait plus logique que l'employeur soit contraint sous astreinte, de
réintégrer le médecin
J. A. LYON-CAEN, « Les répercussions des appréciations des médecins du travail », Dr. soc. 1980, n" sp.
Avril 1980, p. 75.

383
est à notre avis l'une des lignes directrices des améliorations susceptibles
d'être apportées à cette institution.
\\
BI L'AMELIORATION DE LA PROTECTION DU MEDECIN DU
TRAVAIL
Le simple fait que l'avis du médecin du travail soit susceptible de
recours de la part de l'employeur ou du salarié suffit à rapprocher sa mission
de celle d'un arbitre ou d'un juge sous certaines réserves bien entendu. Certes,
sa mission fondamentale n'est pas de trancher un litige opposant l'employeur
au salarié. Et son intervention ne résulte pas de l'existence préalable d'un litige
mais de la volonté de la loi, dans les conditions prévues et dans l'intérêt du
salarié. Cependant, se fondant sur des connaissances techniques, il émet des
avis ou fait des propositions qui, sans avoir une force exécutoire, engagent la
responsabilité des acteurs sociaux lorsque ces derniers refusent de s'y
soumettre. Nous avons déjà vu s'agissant de l'emplo\\eur, les sanctions qui
s'attachent à l'inobservation de l'avis du médecin. S'agissant du salarié, la
Chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé qu'est fondé, l'arrêt qui
déboute le salarié licencié de sa demande d'indemnité pour licenciement sans
cause réeHe et sérieuse dès lors que l'arrêt relève qu'à la suite de la visite
médicale, l'intéressé avait été déclaré apte à reprendre son emploi sous réserve
de pouvoir rentrer chaque soir chez lui, et que l'employeur lui a offert un poste
compatible avec son état et conforme aux prescriptions du médecin du
'1'
traval ,
On remarquera que le médecin apparaît aussI comme juge des
conditions de travail quand bien même son avis n'est pas assorti d'une force
exécutoire.
Et pourtant, nul ne s'émeut que le médecin du travail, investi d'une
mission d'intérêt général et dont l'intervention est sour~ potentielle de cont1it
et de responsabilité des acteurs sociaux, soit salarié de l'une des parties en
l'occurrence, l'employeur. Quelles que soient les garanties légales qu'on
pourrait accorder à l'inspecteur du travail ou à un juge, on concevrait mal
'. soc. 13 Décembre 1994, CS BP, n067, Fév. 1995, p. 35; Soc 7 Décembre 1994, Audisjuns n05U, Fév.
1995, p 24.

384
qu'ils soient salariés de l'employeur partie à un procès. Certes, les situations
ne sont pas identiques, mais le rapprochement nous paraît réel. On objectera
que la décision du médecin est susceptible de recours, ce qui pourrait
constituer une garantie pour le salarié. On remarquera que, lorsque le médecin
émet un avis d'inaptitude, la' saisine de l'inspecteur du travail n'est pas
suspensive de la décision de l'employeur qui pourrait'~cencier le salarié sans
l
attendre la décision de l'inspecteur . Tous ces éléments nous conduisent donc
à suggérer que le médecin du travail soit tenu à une distance raisonnable de
l'employeur. Il s'agit en d'autres termes, de « lui conférer une autonomie
radicule par rapport au chef d'entreprise »2 . Ce résultat pourra être atteint en
faisant de la médecine du travail, un service public comme le suggère
d'ailleurs la doctrine, notamment Y. FROMONT.
Selon cet auteur, « Dans un contexte de privatisation. publiciser le
statut des médecins du travail susciterait sans nul doute de vives réactions »3 .
Nous pensons néanmoins que ces réactions seraient peu justifiées. En effet, il
ne s'agit pas d'aggraver les charges de l'Etat ni celles des employeurs. Nous
savons que les services médicaux fonctionnent actuellement aux frais des
employeurs. Il s'agira de transférer par un système de cotisation, ces fonds à
l'Etat. Le système de fmancement des accidents du Cmvail s'explique entre
\\
autres par la nécessité d'adapter les rentrées aux dépenses. Rien ne s'oppose à
ce que cette même philosophie oriente la gestion de ce service sans pour autant
appliquer les mêmes méthodes de tarification.
D'un point de vue procédural, cette réforme permettrait de se passer
d'un recours devant l'inspecteur du travail, la décision du médecin du travail
pouvant directement faire l'objet d'un recours devant le juge administratif.
Sous réserve de ce recours, ces décisions devraient être exécutoires. La
modification du statut du médecin ne résoudrait pas tous les problèmes, il est
vrai. Mais nous admettrons comme le souligne Y. FROMONT, qu'elle aurait
le mérite de mieux protéger le médecin du travail et corrélativement ses
prérogatives. Si cette modification s'accompagne d'un droit à réintégration en
faveur du salarié, l'objet de l'institution sera pleinement réalisé.
On
\\,
. soc. 19 Février 1992. BulL V. nO 99
A LYON-CAEN. art. prée p 75.
, Y FROMONT, « Le statut des médecins du travail », Dr soc. 1987, P 591.

385
reconnaîtra qu'actuellement, « (..) au lieu d'agir sur l 'homme en l'adaptant
au travail par le reclassement ou la mutation de poste, l'action du médecin
fait privilégier la séparation de l 'homme et du travail» 1 . Il en est ainsi parce
\\
que l'employeur pourra passer outre l'avis du médecin'moyennant une simple
indemnisation. C'est à cette situation qu'il conviendra aussi de remédier.
Parvenu au terme de ces développements, il y a lieu de remarquer
qu'en raison de la diversité des faits pouvant entraver l'exercice norn1al des
prérogatives des différents intervenants dans la prévention des risques
professionnels, le juge a vocation à jouer un rôle détenninant dans la
protection de ces prérogatives. Cela est vrai pour les structures représentatives
des salariés. Il l'est également pour le médecin du travail. En efIet, alors même
que la procédure de licenciement serait régulière, il reviendra au juge lorsqu'il
est saisi, de rechercher si ce licenciement n'est pas en rapport avec l'exercice
nonnal de ses fonctions. Eu égard au pouvoir d'appréciation du juge
relativement au délit d'entrave, on pourrait même dire qu'il apparaît comme un
assesseur du législateur puisque c'est à lui qu'il revient de concrétiser la
volonté de ce dernier. Promoteur de la loi et assesseur\\du législateur dans la
protection des prérogatives des structures représentatives et du médecin, le
juge joue indéniablement un rôle irremplaçable.
En raison d'une part des pouvoirs que la loi confère au juge,
notamment la faculté d'ordonner les modifications nécessaires dans le système
de production relativement à la sécurité, et d'autre part le rôle qui est le sien
dans la protection des prérogatives, le juge constitue certainement un acteur de
la prévention des risques professionnels. Excepté l'employeur, il demeure
d'ailleurs le seul acteur susceptible d'imposer de telle~ modifications au sein
\\
'. A. LYON-CAEN, arl. prée.. p. 73.

de ['entreprise et même contre la volonté de l'employeur'. Pouvait-il en être
autrement?
En effet, la nécessité de concilier le pouvoir de gestion de
J'employeur (pouvoir résultant de son droit de propriété) et le besoin de
protection de la santé des salariés prédisposaient le juge à jouer un rôle
déterminant en la matière. Ce constat commande nous semble-t-il, de rendre le
juge accessible autant que faire se peut, aux acteurs so\\iaux. Ce qui n'est pas
touj ours le cas.
\\.
\\.
'. On rappellera que ce pouvoir est reconnu à l'inspecteur du travail seulemen't. dans le secteur des bàtiments
et travaux publics.

387
Parvenu au tenne de cette deuxième parti~, il Y a lieu de constater
que les dispositions relatives à la prévention des risqJes professionnels sont
fort disparates, même si l'on fait abstraction des mesures réglementaires de
plus en plus nombreuses qui régissent chaque secteur particulier. La pluralité
des ditférents intervenants, qu'il s'agisse des personnes physiques ou des
structures représentatives, la diversité de leurs prérogatives et leurs obligations
respectives attestent ce constat. On a remarqué que le juge était impliqué à
tous les niveaux de ce mécanisme de prévention.
Garant des prérogatives, le juge se voit aussi chargé de faire
respecter les obligations respectives des acteurs sociaux.
En la matière, le juge ne se contente pas d'une application
mécanique de la loi. Il met en oeuvre une réelle politique judiciaire de
prévention qui témoigne de la prise en compte des problèmes concrets que
pose la prévention des risques professionnels. Nous l\\avons vu à travers le
régime de la responsabilité pénale de l'employeur, notamment la délégation de
pouvoirs. La confrontation du juge aux cas pratiques lui donne certainement
un avantage par rapport au législateur dont il complète l'oeuvre.
\\,
\\

388
CONCLUSION GENERALE
L'objectif de l'étude était non seulement de mettre en reliefle rôle
du juge dans la protection de )'intégrité physique des salariés mais aussi de
montrer, en dégageant Ics principes directifs de sa cQnstruction, comment il
.
\\
accomplissait cette mission. L'utilisation du tenne génerique « le juge» a été
légitimée, puisque le juge administratif, le juge pénal, le juge des affaires de la
sécurité sociale et le juge civil y sont tous impliqués. Cela était prévisible vu la
diversité des dispositions protectrices des salariés et l'intervention des agents
extérieurs à l'entreprise.
Nous nous sommes davantage référé dans nos développements
aux arrêts de la Cour suprême qu'aux décisions des juridictions du fond en
raison de la mission d'harmonisation des règles de droit qui incombe à cette
Cour.
« A vrai dire, écrivait J-D. BREDIN, le rôle dujuge n'est pas (. ..)
distinct de celui de la loi qu'il applique: (...) Il est vrai aussi que le juge n'a
pas historiquement, un rôle strict de conservation: il a souvent précédé,
encouragé le législateur, assumant la responsabilité\\d'évolutions rendues
nécessaires par les moeurs ou commandées par l'équité sociale ».1 Parvenu
au tenne de cette étude, il est possible de confinner cette observation de J-O.
BREDIN dans le domaine de la protection de l'intégrité physique des salariés.
En effet, le régime de la preuve dans la réparation des accidents
du travail et son incidence sur les préjudices réparables, notamment ceux qui
ne sont pas dus à un fait accidentel manifeste et distinct du préjudice, attestent
indéniablement la fonction quasi-nonnative de la jurisprudence en la matière.
La réparation des préjudices professionnels se trouve aujourd'hui fortement
marquée par l'apport des juges. Ceci explique que la loi du 9 Avril 1898,
bientôt centenaire, n'ait pas été fondamentalement modifiée par le législateur.
\\\\,
\\
1
]-0. BREDIN. art prée. p. 31.

389
Cet apport du juge lui a parfois permis en notre matière d'adapter
le droit aux besoins sociaux. Cela n'a été possible que parce que le cadre
juridique résultant de la loi du- 9 Avril 1898, laissait au juge une importante
marge
de
manoeuvre.
Sa
mission
demeure
d~nc et en principe,
complémentaire de celle du législateur. C'est ce qui I~i confère à la fois sa
légitimité et sa légalité. Nous l'avons vu s'agissant surtout de son rôle dans la
répression du délit d'entrave.
Le juge se trouve influencé dans cette fonction d'adaptation, par
les nouvelles conquêtes sociales. L'exemple nous a été fourni par le revirement
jurisprudentiel sur la notion d'ayant droit dans la réparation des accidents du
travail, suite à l'application de la "loi Badinter" relative à la réparation des
accidents de la circulation. Le juge aurait donc recours dans sa construction, à
une méthode comparative permettant de faire évoluer la réparation des
préjudices professionnels en fonction des autres régimes de réparation de droit
commun.
Cette
méthode
serait
néanmoins
d'une
portée
limitée,
vu
l'attachement de la jurisprudence au principe de la réparation forfaitaire
comme il a été démontré.
\\
La construction jurisprudentielle ne présente pas seulement une
dimension normative. Elle a également une vocation pédagogique illustrée par
le régime de la responsabilité pénale de l'employeur. En effet, à travers le
régime de cette responsabilité, notamment les conditions d'exonération de
l'employeur, le juge suggère à ce dernier les moyens de prévenir les préjudices
professionnels.
Le juge a-t-il toujours su mettre son pouvoir d'appréciation au
service de l'équité sociale? Il est pourtant permis de répondre par la négative.
Sa conception du risque professionnel qui correspond au risque de l'autorité en
est une illustration puisqu'elle laisse encore à la charge de la victime des
préjudices en réalité dus aux risques de l'entreprise. Dès lors que la marge de
manoeuvre du juge lui permet de s'écarter de l'esprit de la loi sans pour autant
.
1,
assurer l'équité sociale, n'y a-t-il pas lieu de conclur\\e à une trop grande
liberté? Cette liberté ne devrait-elle pas interpeller le législateur?

390
Cette situation jointe à la persistance de « l'angle mari» résultant
elle de l'oeuvre du législateur, risque de confirmer cette observation selon
laquelle «Le droit en général est l'ensemble des règles de conduite
sanctionnées par l'autorité de l'Etat où s'exprime la volonté de la classe
dominante, et destinées à sauvegarder l'ordre social avantageux pour celle-
.
1
CI »
La survie de « l'angle mort» malgré la loi du 27 Janvier 1993
n'est qu'un exemple qui illustre la tendance du législateur à procéder par
touches successives au lieu d'une réforme complète. Qn autre exemple nous
est donné par l'article L. 123-5 C. trav.. Rien ne justifie quc ce texte relatif à la
nullité du licenciement du salarié faisant suite à une action en justice, se limite
seulement aux dispositions assurant l'égalité professionnelle entre les hommes
et les femmes.
On notera par ailleurs que la construction jurisprudentielle se
ressent beaucoup de la nature contractuelle des rapports existant entre
l'employeur et le salarié, bien que le droit du travail procède du constat de
l'inégalité entre les parties. Une place importante est accordée à la volonté des
parties. C'est sans doute ce qui explique que la jurisprudence se refuse
d'annuler en l'absence de texte spécial, les licenciements indûment prononcés
par J'employeur notamment dans le cas de J'exercice du droit de retrait. Nous
l'avons vu,
il s'agit bien d'une auto-limitation d,es pouvoirs du juge
.
,
préjudiciable à la protection de l'intégrité physique des 'salariés. Ce problème
qui s'inscrit de manière générale dans les questions de nullité pour illégalité en
droit du travail revêt une importance capitale dans notre matière.
En effet, le préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère
la Constitution de 1958 garantit à tous la protection de la santé. En ne
soustrayant pas totalement le salarié qui a régulièrement exercé son droit de
retrait de toute sanction, le juge n'enfreint-il pas cette loi fondamentale? Cette
situation impose nous semble-t-il, une intervention expresse du législateur atin
de restituer au salarié son droit à la protection totale de sa personne.
1. G. LYON-CAEN, « Les fondements historiques et rationnels du droit du travail}J, Dr. ouvr, 1951, p, 5.
\\.\\

391
Par ailleurs, les limites judiciaires de la réparation du préjudice
professionnel, telles qu'elles se dégagent de cette étude, ne suggèrent-elles pas
une intervention législative permettant une réparation intégrale du préjudice
professionnel?
Cette réfomle serait aujourd'hui d'autant plus opportune que
d'autres législations notamment la loi Badinter du ~ Juillet 1985, tout en
assurant la réparation intégrale, garantit aussi aux victimes des accidents de la
circulation la réparation de leurs préjudices. Il en est ainsi même lorsqu'une
faute est imputable à la victime sauf bien entendu, lorsqu'il s'agit d'une faute
inexcusable.
Il Y a lieu de se demander si les salariés victimes des préjudices
professionnels ne méritent pas autant de sollicitude du législateur que cette
catégorie de victimes? Quand bien même la législation sur les préjudices
professionnels répond à une logique autre que celle d'une simple réparation,
l'égalité des citoyens proclamée par la Constitution commande un traitement
égalitaire des victimes. La persistance de la réparation forfaitaire des
préjudices professionnels ne risque-t-elle pas de faire du salarié un citoyen de
second rang?
\\,
Lille le 15 Février 1996.
\\ \\,

\\,
\\
392
ANNEXES
- -
Nobre total des
Nombre
Dispense
Nombre
Prison ferme ou
décisions
de relaxes
de peines
d'amendes
avec sursIS
5595
299
1968
3114
214
Soit 58,79 % des
S~it 4,04 % des
condamnations
cohdamnations 1
'1
Tableau 1
Sanctions infligées en France entière en matière d'hygiène et Sècurité
en 1992. Source: « L'Inspection du Travail en France en 1992 »,
La documentation Française, 1994, p. 37.
1
Total des
Emprisonne-
Amende
Dispense
Peine de
condamnations
ment avec ou
de peine
substitution
sans sursIS
et mesure
èducative
Travail et
Sécurité
3908
282
3483
1~7
16
sociale
Soit 7,21 %
\\ \\
Circulation-
133700
54507
79081
1362
18750
Transport
Soit 35,46 'Yo
Tableau 2
Tableau comparatif des condamnations en matière de travail-sécurité sociale et transport-
circulation routière pour l'année 1988. Source: Statistique annuelle 6 Tome 1.
Documentation française, 1990, p. 64.
\\

393
\\\\
Total des
Sursis total
Sursis
Fenne
Travail
condamnations
partiel
d'intérêt
général
Hygiène et sécurité
60
56 soit 93,33 %
2
2
0
Homicide involontaire
83
80 soit 96,62 %
0
3
0
(Accident du travail)
Homicide involontaire
1398
1239 soit 88,62 %
95
64
10
(Conducteur)
Blessures
67
65 soit 97,0 1 %
0
2
a
involontaires
(accidents du travail)
Blessures
1244
1 117soit 89,79 %
33
94
5
involontaires
(conducteur)
\\ \\
Tableau 3
Peines privatives de libertè assorties de sursis. Tableau comparatif des dèlits en matière
d'hygiène et de sécurité (les homicides et blessures involontaires Accidents du travail) et
les infractions à la circulation routière (les blessures et homicides involontaires causés par
les conducteurs, la conduite en état alcool ique exceptée). Source: Statistique annuelle 7, La
documentation française, 1990, pp. 69 et 70.
\\\\

394
\\,
~
Année
Total des
Infractions ayant
1nfractions
lntractions ayant
infractions
fait l'objet d'une
relevées par P V.
fait l'objet d'une
constatées (2) + (3)
observation ou
(3)
procédure de
d'une mise en
référé
demeure (2)
1
\\-~-
1
1985
880063
849061
31002
31
1986
1 086088
1060781
2S 256
51
1987
1 180 S7S
l 147310
32265
38
1988
1 130377
1 098197
32180
48
1
~_I989 __
1 104600
1 069066
3S 534
28
1
1990
1038114
1 003420
34694
37
~-
1991
947303
914476
32827
1
36
1992
921 856
898541
23 315 .
Il
.....L
35
1
Tableau 4
Les suites données au contrôle. Il ne s'agit pas seulement des infractions relatives à
l'hygiène et à la sécurité mais de toutes les infractions d<lQs le domaine de la
réglementation du travail. Source. « L'inspection du travail en France en 1992}) La
documentation française, 1994, p. 27.

\\
395
Année
Etablissement assujettis
Etablissements visités
1
.
1985
1131633
189824
1986
1
1 151 555
218064
j
1
1987
1 180670
223 333
~
1988
1213801
224800
1
1989
1 254 187
204397
1990
1 283 063
180471
t -
\\,
1991
1290816
187 105
~-~----------
.
1992
1 284 175
184903
Tableau 5
Contrôle des établissements par les inspecteurs du travail: Nombre d'établissements
assujettis et nombre d'établissements contrôlés. Source: « L'inspection du travail en France
1992 », La documentation Française 1994, p. 26.
\\,
\\

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400
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\\ '.
- «Interprétation déclarative de la loi pénale et droit pénal du travail »,
Dr. soc. 1983, p. 665.
- « L'activation du lien réparation-prévention », Dr. soc. 1990, p. 724.
- « Commentaire de la loi du 31 Décembre 1991 relative aux obligations
de l'employeur et du salarié en matière de sécurité au travail », Dr. soc.
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ou versement d'un capital », Rev. dr. San. et Soc. 1993, p. 373.
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401
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\\
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« du fait
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- « Interprétation déclarative de la loi pénale et droit pénal du travail »,
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Dr. soc. 1983, p. 665.
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- « Commentaire de la loi du 31 Décembre 1991 relative aux obligations
de l'employeur et du salarié en matière de sécurité au travail », Dr. soc.
1992, p. 377.
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CHEV~AUa·)
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~t ..r*,",

402
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lC.P. 1984, éd. E. n° 14215.
GRANGER(R.)
\\
- « L'influence de la sécurité sociale sur la i'esponsabilité civile »,
Dr. soc. 1955, p. 573.
GROSHEIM (J-C)
-
« La
délégation
administrative
de
compétence »,
D.
1958,
Chr. XXVIII.
GUIRIMAND (D.)
- « La responsabilité pénale des personnes morales», R.J.S. 1993,
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- « La rénovation des concepts juridiques », Dr. soc. 1990, p. 708.
\\
HIDALGO (A.)
- « Inspection du travail:
cnse
d'identité
et tranches
de
vie »,
Dr. soc. 1992, p. 849.

\\\\
403
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Dr. ouvr. 1989, p. 125.
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\\'.
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LAZERGES(C.)
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«La
constatation
de
l'infraction
et
les
poursuites
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404
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\\
- « Les fondements historiques et rationnels '1u droit du travail »,
Dr. ouvr. 1951, p. 5.
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d'accident
du
travail,
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aussi
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.
\\
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Nouveaux
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406
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\\
ZAPATA (l-f.)
- « L'inspection du travail et le juge des référés », Dr. soc. 1975, p. 436.

......

\\
407
\\
IV/ Notes et Conclusions
DUPEYROUX(J.-l)
- Note sous Soc. 17 Janvier 1962, D. jp. p. 197.
- Note sous Soc. 25 Juin 1964, D. 1964, p.529.
FENAUX (H.)
- Note sous Douai, 28 Janvier 1982, D. 1983, jp. p. 83.
GAUGUIER (J.)
- Note sous Nancy, 1ère ch. 20 Juillet 1956, J.c.P\\ 1951, Il, 6249.
\\
GAUTHIER (M.)
- Conclusions pour Soc. 20 Juin 1984, lC.P. 1985, Il,20358.
GODARD (O.)
- Note sous Trib. adm. Bordeaux, 7 Mai 1985, J.c.P. 1985, Il, 20512.
JAMBU-MERLIN
- Note sous Soc. 5 Mars 1970, Dr. soc, 1970, p. 471.
JOlNET (L.)
- Conclusions pour Ass. Plén. 2 Février 1990, Dr. soc. 1990, p. 449
KESSOUS (R.)
\\
- Conclusions pour Ass. Plén, 5 Novembre 1992, R.J.S. 1993, p. 7.
MELLOTTEE (M.)
- Conclusions pour Soc. 29 Janvier 1965, D.S. 1965, p. 280.
ROUAST (A.)
- Note sous Req. 22 Février 1932, 0.1932, 1,25.

408
SAINT-JOURS (Y.)
- Note sous Crim. 15 Mars 1973, .J.c.P. 1973, 17577.
- Note sous Ass. Plén. 18 Juillet 1980, J.c.P. 19~1, II, 19648.
- Note sous Soc. 18 Avril 1991, lC.P. 1991, II, 2'1714.
- Note Sous Soc. 21 Février 1991, D. 1991, jp. p. 542.
SAVATIER (l)
- Note sous Crim. 23 Janvier ct 21 Octobre 1975, D. 1976, jp. p. 379.
SEBAG(L.)
- Note sous Ass. Plén. 19 Juin 1963, D. 1964, p. 301.
\\.
\\
\\\\.

409
TABLE DES MATIERES \\
iNTRODUCTION GENERALE
/
§ 1: L'EVOLUTION DE LA PENSEE JURIDIQUE JUSQU'A LA MISE EN
PLACE D'UN MECANISME DE PROTECTION
8
AI L'INFLUENCE DE LA REVOLUTION SUR LA PENSEE JURIDIQUE.8
11 UN SYSTEME JURIDIQUE EXCLUSIVEMENT LEGISLATIF.....9
21 L'INCIDENCE DES PRINCIPES DE LAREVOLUTION SUR LE
REGIME DE LA RESPONSABILITE CIVILE
10
BI LA RUPTURE AVEC LES PRINCIPES DE LA REVOLUTION....
ll
11 L'IRRUPTION DE NOUVELLES THEORIES SOCiALES
] 1
21 LES TENTATIVES DOCTRINALES ET JURISPRUDENTIELLES
EN VUE DE L' AMELIORATION DE LA SITUATION DES
SALARIES
12
§ II: LA MISE EN PLACE D'UN MECANISME DE PROTECTION DES
SALARIES
\\'
15
AI LA LOI DU 9 AVRIL 1898: LA REPARATIOn, FORFAITAIRE DU
PREJUDICE PROFESSIONNEL.
16
BI LA PREVENTION DES PREJUDICES PROFESSIONNELS
20
PREMIERE PARTIE
26
LA PLACE DU JUGE DANS LA REPARATION DU PREJUDICE
PROFESSIONNEL
26
TITRE 1
..
29
LA DETERMINATION JUDICIAIRE DE L'OBJET REPARABLE
29
CHAl'17ïŒ /: LA DEFlNI1WN JUDiC/AI/V; DU l'/ŒJUDlCl~'ACC1IJENn'L
3/
SECTION 1: L'ELABORATION DU CONCEPT D'ACCIDENT ET SES
APPLICATIONS...
..
.
31
§ 1: LA DEFINITION DU FAIT ACCIDENTEL
32
AI LES ELEMENTS CARACTERISTIQUES DE L'ACCIDENT
32
Il UNE ACTION SOUDAINE
32
\\
21 UNE ACTION VIOLENTE
V
33
31 UNE CAUSE EXTERIEURE..........................................
34
41 UNE LESION DE L'ORGANISME HUMAIN........
.34
BI LA DISTINCTION ENTRE L'ACCIDENT ET LA MALADIE
35
Il L'ENJEU DE LA DISTINCTION
35
2/ LES ELEMENTS DETERMINANTS DE LA DISTINCTION
36
§ II: LES LACUNES DE LA CONCEPTION DU FAIT ACClDENTEL
39
AI LES PREJUDICES PROFESSIONNELS NON COUVERTS
« L'ANGLE MORT»
.40


410
11 LES JUSTIFICATIONS HISTORIQUES
..40
21 L'ETENDUE DE « L'ANGLE MORT »
.42
al LES AFFECTIONS MICROBIENNES
42
bl LES LESIONS DUES A L'ACTION PROGRESSIVE D'UN
OUTIL DE TRAVAIL..
.44
31 LES TENTATIVES JURISPRUDENTIELLES OU L'AVEU
D'INCOMPETENCE
\\
.44
.,
BI LA LOI DU 27 JANVIER 1993 ET LA SURVIE DE « L'ANGLE
MORT »..........................................................................................
.
.46
II LES DISPOSITIONS DE LA LOI DU 27 JANVIER 1993
..47
21 LA NECESSITE D'UNE REFORME SUBSTANTIELLE ..
..49
al LA SUPPRESSION DES CONDITIONS REQUISES PAR L'AL.
3 DE L'ART. L 461 - 1 CSS............................
50
bl LA DEFINITION LEGISLATIVE DE LA NOTION
D'ACCIDENT
50
SECTION II: LA PREUVE DU FAIT ACCIDENTEL..
51
§ 1: L'ELABORATION DE LA PRESOMPTION DE MATERIALlTE
52
N DU DROIT COMMUN DE LA PREUVE A LA PRESOMPTION DE
MATERIALITE
53
11 LES DIFFICULTES PROBATOIRES
53
21 LA JURlSPRUDENCE AU SECOURS DE LA VICTIME:
L'ELABORATION DE LA PRESOMPTION,DE MATERIALITE ..... 55
al LES PRELUDES A L'ELABORATION\\;E LA PRESOMPTION
DE MATERIALITE
56
bl LA PRESOMPTION DE MATERIALITE PROPREMENT DITE58
BI LA MISE EN OEUVRE DE LA PRESOMPTION DE MATERIALITE59
II LES ELEMENTS DE PREUVE A LA CHARGE DE LA VICTIME60
al LA BRUSQUE APPARITION DE LA LESION
60
bl L'APPARITION DU PREJUDICE AU TEMPS ET AU LIEU DU
TRAVAIL..
62
21 LA DESTRUCTION DE LA PRESOMPTION DE MATERIALITE63
§ II: L'INCIDENCE DE LA PRESOMPTION DE MATERIALITE SUR LE
CONTENU DE LA NOTION D'ACCIDENT..
64
N LA POSSIBLE DENATURATION DU CONCEPT D'ACCIDENT
65
Il L'IMBRICATION DES ELEMENTS DE PREUVE DANS LE
DOMAINE DES ACCIDENTS DU TRAVAIL...
66
21 L'IMPLICATION DU TRAVAIL DANS LA REALISATION DU
PREJUDICE SUFFIT A ADMETTRE L'EXI~TENCE D'UN FAIT
ACCIDENTEL.
\\
68
BI L'AFFAIBLISSEMENT DU LIEN DE CAUSALITE ENTRE LE
PREJUDICE ET LE TRAVAIL
71
-
..., 'f*,~
.....
......

411
CHAPI7ï?.E 1/: LE FONDEMENTJURlSI'RUDENTlL'L DU RA 77'A CHl:'MLN7' DU
Pl?.EJUD/CE A LA PROFESS/ON.
:
75
SECTION 1: LE CRITERE DE SUBORDINATION..........................
76
§ I: LA MANIFESTATION DU LIEN DE SUBORD{NATION
77
AI LE SALARIE SOUMIS A DES CONTRAINTkS HORAIRES ET
TRAVAILLANT EN UN LIEU FIXE
77
1/ LE PREJUDICE SURVENU AU LIEU DU TRAVAIL ET EN
DEHORS DU TEMPS DE TRAVAIL
78
21 LES PREJUDICES SURVENUS AU TEMPS MAIS EN DEHORS
DU LIEU DU TRAVAIL
79
31 L'ACCIDENT SURVENU EN DEHORS DU TEMPS ET DU LIEU
DU TRAVAIL
80
BI LES SALARIES NON SOUMIS A DES CONTRAINTES DE TEMPS
ET DE LIEU
83
II LES SALARIES EN MISSION
83
al LA PROTECTION LEGALE PENDANT LA DUREE DE LA
MISSION
83
hl L'EXCLUSION DES PREJUDICES OCCASIONNES PAR LES
ACTES DE LA VIE COURANTE.
84
21 LES SALARIES AMBULANTS
\\
87
§ lI: LA PREUVE DU LIEN DE SUBORDINATION\\.............88
AI DU PRINCIPE DE LA LIBERTE DE PREUVE DU LIEN DE
SUBORDINATION
89
II LA LOCALISATION DU FAIT ACCIDENTEL AU TEMPS ET AU
LIEU DU TRAVAIL
89
21 LA DISPENSE DE PREUVE AU PROFIT DU SALARIE EN
MISSION
:
91
31 LA RESURGENCE DU DROIT COMMUN DE LA PREUVE.
92
BI LE PREJUDICE SURVENU EN L'ABSENCE DE TOUT TEMOIN
94
1/ L'EXIGENCE D'UNE SIMPLE DlLIGENCE
94
21 LE RAIDISSEMENT DE LA JURISPRUDENCE
95
31 DE LA PREUVE IMPOSSIBLE
96
SECTION 11 : LES INSUFFISANCES DU CRITERE DE SUBQRDINATION
COMME SOURCE DE LA RESPONSABILITE PATRONALE
98
§ 1: LA CONFORMITE DU "RISQUE DE L'AUTORITE" A L'ESPRIT DE LA
\\
L Œ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ;.. \\ . . . . . . . . . . . .
99
AI L'EVOLUTION LEGISLATIVE EN MATIERE D'ACCIDENTS DU
TRAVAIL, UN DEMENTI PARTIEL DE LA THEORIE DU RISQUE DE
L'AUTORITE
99
Il LES ELEMENTS DE LA THEORIE DU RISQUE DE L'AUTORITE 100
21 CRITIQUE DE LA THEORIE DU RISQUE DE L'AUTORITE .... 101

OH
. l)i;.~
,...,
" \\

412
BI L'INCAPACITE DE LA THEORIE DU RISQUE DE L'AUTORITE A
EXPLIQUER L'ENSEMBLE DE L'OEUVRE JURISPRUDENTIELLE 107
11 LES REJETS MANIFESTES DE LA THEORIE DU RiSQUE DE
L'AUTORITE
.
108
21 L'ADOPTION IMPLICITE DE LA THEORIE DU RISQUE
PROFESSiONNEL..............
.
.
110
31 L'IMPOSSIBiliTE DE REDUIRE LE LIEN DE SUBORDINATION
A LA NOTION D'AUTORITL..............\\..........
] 11
§ II: LA THEORIE DU RISQUE PROFESSIONNEL:\\UN FONDEMENT
PLUS REALISTE DE LA RESPONSABILITE PATRONALE...
112
AI LES INCIDENCES PRATIQUES DE LA THEORIE DU RISQUE
PROFESSIONNEL.
113
II UN FONDEMENT PLUS CONFORME A L'EQUITE
J 13
21 L'APPLICATION DE LA THEORIE DU RISQUE
PROFESSIONNEL AU SALARIE EN MISSION
115
BI LA THEORIE DU RISQUE PROFESSIONNEL ET LES PRINCIPES
REGISSANT LES RELATIONS DU TRA VAIL.
118
TITRE II
123
LES LIMITES JUDICIAIRES DE LA REPARATION
.
123
CHAPITRE 1: 1, 'A lTACHI,MI,NT J)(I.J(lGE A L 'IIJEE J)U f'()R1'AIJ J)ANS' U;S
REGIMES Df-'ROGATO//ŒS AU J)R01T J)F LA RE1'ARA nON DES l'lŒJUJ)JCES
PROFESS10NNHLS
125
SECTION 1: LES CONTOURS JURISPRUDENTIELS DE L'ACCIDENT DE
TRAJET
\\
126
§ 1: LA PHILOSOPHIE DIRECTRICE DE LA CONÙRUCTION
JURISPRUDENTIELLE...........
127
AI L'ENJEU DE LA DISTINCTION ENTRE ACCIDENT DU TRAVAIL
ET ACCIDENT DE TRAJET.........
127
Il L'ENJEU DE LA DISTINCTION AVANT LA LOI DU 30
OCTOBRE 1946.
127
21 LES DONNEES DE LA LOI DU 30 OCTOBRE 1946
128
31 LES CONFLITS D'INTERETS DEPUIS LA LOI DU 6 AOUT 1963129
BI LA CORRELATION ENTRE L'ENJEU DE LA DISTINCTION ET LA
DOCTRINE JURISPRUDENTIELLE RELATIVEMENT A LA NATURE
JURIDIQUE DE L'ACCIDENT.......................
131
llLES FLUCTUATIONS DE LA JURISPRUDENCE
131
21 L'HOSTILITE DE LA JURISPRUDENCE A L'EGARD DES
ACTIONS DE DROIT COMMUN
133
al L'ASSIMILATION JURISPRUDENTIELLE DE L'ACCIDENT
DE TRAJET A UN ACCIDENT DU TRA\\yAIL ORDINAIRE .... 134

413
bl LA CONCEPTION EXTENSIVE DE LA NOTION D'AYANT
DROIT
136
§ Il: L'HABILLAGE JURIDIQUE DE LA PHILOSOPHIE
JURISPRUDENTIELLE,
141
N LES CRITERES DISTINGUANT L'ACCIDENT DU TRA VAIL DE
L'ACCIDENT DE TRAJET
\\...................
142
II LE CRITERE GEOGRAPHIQUE DANS LA DETERMINATION DE
L'ACCIDENT DE TRAJET
144
21 LA RECHERCHE D'UN CRlTERE DETERM1NANT DE
L'ACCIDENT DE TRAJET
145
BI L'ACCIDENT DE TRAJET ET L'ACCIDENT DE DROIT COMMUN 150
li LES TRAJETS PROTEGES
150
21 LES DETOURS ET INTERRUPTIONS DE TRAJET.........
154
ai LA NOTION DE NECESSITE DE LA VIE COURANTE
154
bl LA DIFFERENCE DE REGIME ENTRE INTERRUPTION ET
DETOUR DE TRAJET
155
SECTION Il: LA FAUTE INEXCUSABLE DANS LA REPARATION DES
PREJUDICES PROFESSIONNELS
:
,.............
..157
§ 1: DE LA FAUTE D'UNE GRAVITE EXCEPT10NNELLE A LA FAUTE
ORDINAIRE
:
158
N L'IDENTIFICAT10N DE LA FAUTE lNEXC\\USABLE.
159
Il LA RECHERCHE D'UNE DEFINlTION Dt: LA FAUTE
INEXCUSABLE
159
ai LES TATONNEMENTS DE LA JURISPRUDENCE.
160
bl L'INST1TUTION DU CONTROLE DE LA COUR SUR
L'APPRECIATION DELA FAUTE INEXCUSABLE
161
21 LA PLACE DE LA FAUTE INEXCUSABLE DANS LA
HIERARCHIE DES FAUTES
162
BI LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE A L'EPREUVE DES FAITSl63
li LA GRAVITE EXCEPTIONNELLE DE LA FAUTE
163
ai L'INOBSERVATION DES REGLEMENTS DE SECURlTE .. 164
bl LE DEFAUT DE SURVEILLANCE ET LES FAUTES
D'IMPRUDENCE
165
21 L'ACTE OU L'OMISSION VOLONTAIRE
166
31 LA CONSCIENCE DU DANGER
166
41 LA CAUSE DfTERMINANTE DU PREJUDICE
167
§ Il: LA PRETENDUE RADICALISATION DE LA ~UTE INEXCUSABLE 169
N LES FONDEMENTS DE LA THESE DE LA RiADiCALISATION .... 170
IlLE PRINCIPE DE L' AUTORlTE DE LA CHOSE JUGEE EN
MATIERE DE FAUTE INEXCUSABLE
170


414
al L'ABSENCE D'IDENTITE ENTRE LA FAUTE PENALE ET
LA FAUTE INEXCUSABLE
171
bl L'INCOMPETENCE DU JUGE REPRESSIF EN MATIERE DE
FAUTE INEXCUSABLE....................
174
21 L'APPRECIATION JURIPRUDENTIELLE DE LA FAUTE
INEXCUSABLE.
175
Il L'AMBIVALENCE DE LA FAUTE INEXCUSABLE
177
21 LE POUVOIR DE MODULATION DU JUGE
.. 178
CHAPITRE Il: I:IDENTlFlCATlONJUDlCfAIIŒ DU PREJUDlCI~'
PROFESSIONNEL
:
181
SECTION 1: L'EXCLUSION DES PREJUDICES ETRA~GERS A L'ACTIVITE
PROFESSIONNELLE
182
§ 1: LES PREJUDICES SURVENUS HORS DU LIEN CONTRACTUEL
182
AI FAITS INCOMPATIBLES AVEC L'OBLIGATION
PROFESSIONNELLE
"
183
II L'INSUBORDINATION DU SALARIE
183
al L'ABANDON DU POSTE DE l'RA VAIL..
183
bl LA VIOLATION DES INSTRUCTIONS DE L'EMPLOYEUR 185
21 LES PREJUDICES VOLONTAIRES.......................
186
BI LES FAITS SUSPENSIFS DU CONTRA T DE l'RAVAIL
189
Il LE SALARIE EN CONGE PAYE OU AU REPOS
189
21 LES SALARIES GREVISTES..............................
192
§ Il: LES PREJUDICES PARTIELLEMENT OU TOTALEMENT DUS A
L'ETAT DE LA VICTIME......................
194
AI LA NOTION D'E\\AT PREEXISTANT, UNE REALITE
HETEROGENE.....
194
II L'ETAT PREEXISTANT REVELE PAR Ù~ ACCIDENT DU
l'RA VAIL..
195
21 L'ETAT PREEXISTANT ENTRAINANT UNE INCAPACITE
DUMENT CONSTATATEE..........................
197
BI UNE SITUATION VOISINE DE L'ETAT PREEXISTANT: LES
RECHUTES....
..
199
Il INTERET DE LA DISTINCTION
199
21 ETATS PREEXISTANTS ET RECHUTE
200
SECTION 11: LA REPARAl'ION DES PREJUDICES PARTIELLEMENT
IMPUTABLES A L'ACTIVITE PROFESSIONNELLE
204
§ 1: LE REGIME DE LA PREUVE DES PREJUDICES PARTIELLEMENT
IMPUTABLES A L'ACTIVITE PROFESSIONNELLE
204
AI UNE PREUVE ESSENTIELLEMENT MEDICALE
205
1/ L'OBJET DE L'EXPERTISE MEDICALE
208
21 LA PORTEE DE L'EXPERTISE MEDICALE
209
H
·b.~
~
~
'\\

\\
415
BI LE DROIT FACE AU DOUTE MEDICAL ..... . . . . . . . . . 2 1 0
II LA VICTIME BENEFICIANT DE LA PRESOMPTION
D'IMPUTABILITE. ..
.
21 1
21 LA VICTIME NE BENEFICIANT PAS DE LA PRESOMPTION
D'IMPUTABILITE
.
2 13
§ II: LE PRINCIPE DE LA REPARATION DES PREJUDICES
PARTIELLEMENT IMPUTABLES A L'ACTIVITE PROFESSIONNELLE 214
N L'EVALUATION DE L'INCAPACITE EN CAS D'ACCIDENTS
SUCCESSiFS
216
Il LES DONNEES MATHEMATIQUES DE L'EVALUATION
217
21 LA MARGE DE MANOEUVRE DU JUGE
218
BI LES MODALITES DE LA REPARATION D~S ACCIDENTS
\\,
SUCCESSIFS
\\.
219
DEUXIEME PARTIE
227
LE JUGE ET LA PREVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS
227
TITRE 1
231
LA RESPONSABILISATION DES ACTEURS SOCIAUX DANS LA PREVENTION
DES PREJUDICES PROFESSIONNELS
231
CHAPITRE 1: LA RES}'ONSABIUSA7'lON JUDICIAIRE D~'I/EMnOYEUR DANS
lA PREVENTION DES RlSQ(f}<:S PROFESSIONNHS
233
SECTION 1: LA RESPONSABILITE PENALE DE L'EMPLOYEUR, UNE
POLITIQUE JUDICIAIRE DE PREVENTION
234
§ l: LE FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE PENALE DE
L'EMPLOyEUR
235
N LES THEORIES FONDEES SUR LA RESPONSABILITE DU FAIT
D'AUTRUI
235
\\
Il LA THEORlE DU RISQUE-PROFIT
\\
236
21 L'EXERCICE DU POUVOIR COMME FONDEMENT DE LA
RESPONSABILITE PATRONALE
237
BI LA RESPONSABILITE PATRONALE, UNE RESPONSABILITE DU
FAIT PERSONNEL..
.
240
Il LA PRESOMPTION DE FAUTE A LA CHARGE DE
L'EMPLOYEUR.
.
241
21 LA VIOLATION D'UNE OBLIGATION DE SURVEILLANCE. 242
31 L'EMPLOYEUR, AUTEUR MORAL DE L'INFRACTION
243
41 LA PARTICULARITE DE LA RESPONSABILITE PENALE DE
L'EMPLOyEUR.......
244
§ Il: LA DELEGATION DE POUVOIRS DANS LA MISE EN OEUVRE DES
MESURES DE SECURITE
.
246

\\1,
\\

\\
416
\\,
AI LA DELEGATION DE POUVOIRS UNE CONTRIBUTION
JUDICIAIRE A LA PREVFNTION DES RISQUES PROFESSIONNELS246
Il L'INTERET DE LA DELEGATION DE POUVOIRS... . . . ... 247
21 LES CONDITIONS DE VALIDITE DE LA DELEGATION DE
POUVOIRS. . .
.249
BI LA SUBDELEGATION: UN AFFINEMENT JUDICIAIRE.
.
251
11 LES [NCONVENIENTS DE LA SUBDELEGATION......
.
252
21 LES AVANTAGES DE LA SUBDELEGATION
253
SECT10N II: LA POLITIQUE JUDICIAIRE DE PREVENTION A LA
RECHERCHE DE SES MOYENS
.
256
§ 1: L'ETENDUE DE LA RESPONSABILITE PATRONALE
257
AI L'OBSERVATION DES MESURES REGLEMENTAIRES..
.
257
Il LA MISE A LÀ DISPOSITION DES TRA VAILLEURS D'UN
MATERIEL CONFORME A LA REGLEME~TATION . . . . . ... 258
21 L'UTILISATION EFFECTIVE DU MATE~IEL DE SECURITE.260
31 LA FORMATION DES SALARIES EN MATIERE DE SECURITE260
BI LA CONCRETISATION D'UNE OBLIGATION GENERALE DE
SECURITE.
261
II L'INSUFFISANCE CONGENITALE DES DISPOSITIONS
REGLEMENTAIRES.........
.
263
21 LA RENAISSANCE D'UNE OBLIGATION GENERALE DE
SECURITE.............
.
263
21 LA NATURE DE L'OBLIGATION GENERALE DE SECURITE .265
§ II: LA RECHERCHE DES SANCTIONS PENALES ADAPTEES
266
AI LA DIVERSITE DES SANCTIONS ET LEUR USAGE
266
11 LES OBSTACLES D'ORDRE LEGAL..........
267
21 LES OBSTACLES D'ORDRE PSYCHOLOGIQUE .,.,',
269
BI L'APPORT DU NQUVFAU CODE PENAL ,
,.. ,
"",,,,270
Il LA RESPONSABILITE PENALE DES PERSONNES MORALES
DANS LE DOMAINE DES ACCIDENTS D~.\\ TRAVAlL
272
21 LA DIVERSIFICATION DES SANCTIONS PENALES
275
CHAI'ITRE JI: LA RESl'ON.'WJJUSA liON JU!JIClAIRE DU SALAmI,' !JANS !"A
P1ŒVfN1'JON f)f,'S RISQ(Jl·}'; J'IWl·Ï'.SSIONNU.S
,
,
279
SECTION I: LE SALARIE, ACTEUR DE SA PROPRE SECURITE 280
§ 1: LE DROIT DE RETRAIT DU SALARIE FACE A UN DANGER GRAVE
ET IMMINENT.............................................
.
280
AI LES CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE RETRAIT
281
Il LA NOTION DE DANGER GRAVE ET IMMINENT
281
2/ LA RELATIVE IMtv1UNITlo Dl] SAI"ARIE DANS L'EXERCICE
DU DROIT DE RETRAIT
.
284
BI L'OBLIGATION DE SIGNALER LA SITUATION DE DANGER
287
ft··1
. f'~'"
........
'"-0(

417
,
§ Il: LES LIMITES DU DROIT DE RETRAIT
".\\........
290
AI L'EXERCICE ABUSIF DU DROIT DE RETRAIT
290
BI LA SANCTION DE L'EXERCICE ABUSIF DU DROIT DE RETRAIT291
SECTION Il: L'OBLIGATION DE SECURITE A LA CHARGE DU SALARIE .296
§ 1 LA SANCTION DE L'OBLIGATION DE SECURITE DU SALARIE ..... 298
Ai LA SANCTION PENALE DE L'OBLIGATION DE SECURITE DU
SALARIE
298
Il LE CAS DU SALARIE QUI CAUSE UN DOMMAGE A UN
AUTRE SALARIE
298
21 LE CAS DE LA VICTIME ELLE-MEME...............
. 300
BI LA SANCTION DISCIPLINAIRE DE L'OBLIGATION DE SECURITE30 1
Il LE LICENCIEMENT POUR CAUSE REELLE ET SERIEUSE
303
21 LE LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE..........
.
304
§ Il: L'INCITATION PECUNIAIRE DU SALARIE AU RESPECT DES
MESURES DE SECURI'rE: LA FAUTE INEXCUSABLE DE LA VICTIME305
Ai LA FAUTE INEXCUSABLE DU SALARIE, \\JNE SANCTION EN
\\
DESUETUDE
:
307
BI LA NECESSAlRE REHABlLITATION DE LA FAUTE
fNEXCUSABLE DU SALARIE
309
TITRE Il...........................................
. .
.
....... 313
LE JUGE, UN ACTEUR MEDIAT DE LA PREVENTION DES RISQUES
PROFESSIONNELS
.
313
CHAPITRE 1: L 'IMPLlCA1'lON DUJU(JI,' DANS LA l'IŒVEN1'lON DI,'S RIS(jW,'S
PROFESSIONNt·LS
316
SECTION I: LE JUGE ET L'INSPECTEUR DU TRAVAIL
317
§ 1: L'INSPECTEUR DU TRAVAIL DANS LE PROCESSUS JUDICIAIRE3 18
Ai L'INSPECTEUR DU TRA VAIL ET LE MINISTERE pUBLlC.
318
II LES PREROGATIVES DE POLICE JUDICIAIRrô DE
L'INSPECTEUR DU TRAVAIL ...............................................319
21 LA TRANSMI~SION DES PROCES-VERBAUX
320
B/L'INSpECTEUR DU TRAVAIL ET L'AUDIENCE..
.325
§ Il: LES OBSTACLES A UNE COOPERATION A~CRUE ENTRE
,
L'INSPECTEUR DU TRAVAIL ET LE JUGE
330
AI LES DIFFICULTES MATERIELLES DE L'INSPECTION DU
TRAVAIL...........................
..
..... 331
BI LA DIFFICILE CONCILIATION DES ATTRIBUTIONS DE
L'INSPECTEUR DU TRAVAIL..................
334
SECTION Il LE JUGE ET LES SALARIES.........................338
AI LA SAISINE DES TRIBUNAUX REPRESSiFS....
340
BI LA SAISINE DU JUGE PRUD'HOMAL
.
343
", . r"
,,,.~
......

418
§ II: LA SAISINE DU JUGE PARLES STRUCTURE'S REPRESENTATIVES
DES SALARIES
346
Ai L'ACTION CIVlLE DES STRUCTURES REPRESENTATIVES DES
SALARIES
346
BI LA PROCEDURE DE SAISINE DU JUGE DES REFERES EN CAS DE
DANGER GRAVE ET IMMINENT
349
CHAPITRE Il: LA. PROTECTION JUDICIAIRE DES PREROGATIVES DES
DIFFERENTS INTERVENANTS DANS LA. PREVENTION DES RISQUES
PROFESSIONNELS
352
SECTION 1: LE MECANISME DE PROTECTION DES STRUCTURES
REPRESENTATIVES DES SALARIES ET LEURS MEMBRES
353
§ 1: LA PROTECTION INDIVIDUELLE EN MARGE DUPROCES PENAL353
AI L'AUTORISATION ADMINISTRATIVE DE LICENCIEMENT.......354
1/ DU POUVOIR SOUVERAIN D'APPRECIATION DES
AUTORITES ADMINISTRATlVES
354
T
21 ...A LA NECESSITE D'UN CONTROLE JURIDICTIONNEL
ACCRU
355
31 L'ETENDUE DU CONTROLE DU JUGE ADMINISTRATIF
356
al LA PORTEE DE LA PROTECTION DES MEMBRES DES
STRUCTURES REPRESENTATIVES DES SALARIES
356
BI LE JUGE SOCIAL ET LA PROTECTION DES REPRESENTANTS DU
PERSONNEL
358
1/ L'AUTORITE DE LA DECISION DU JUGE AU·DELA DU DELAI
DE PROTECTION LEGALE
,
359
21 LA RUPTURE PAR TRANSACTION DU CONTRAT DE
IRAVAIL D'UN SALARIE PROTEGE
:
360
PARAGRAPHE II: LE DELIT D'ENTRAVE
362
A 1LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L'ENTRAVE
363
1/ L'ELEMENT LEGAL DE L'INFRACTION
:
363
2/ L'ELEMENT MATERIEL DE L'INFRACTION
363
3/ L'ELEMENT MORAL DE L'INFRACTION
364
,
BI DELIT D'ENTRAVE ET NORMES CONSTITUTIONNELLES ........ 366
1/ LA SANCTION PENALE D'UNE OBLIGATION
CONVENTIONNELLE
366
2/ LA DETERMINATION JUDICIAIRE D'UNE OBLIGATION
PENALEMENT SANCTIONNEE
,
368
SECTION II: LE MEDECIN DU TRAVAIL
370
§ 1: LE MEDECIN DU TRAVAIL, UN SALARIE AU SERVICE DE
L'INTERET GENERAL
371
AiLES PREROGATIVES DU MEDECIN DU TRAVAIL
371

419
1/ LES PREROGATJVES DU MEDECIN DU TRA VAIL SOURCE
DE CONTRA1NTE POUR L'EMPLOYEUR', .
. . : ' 7 2
\\
2/ L'AVIS DU MEDECIN DU TRA VAl L. UNE MENACE POUl(
L'EMPLOI DU S A L A R [ E . . . .
374
BiLA PORTEE PRATIQUE DES AVIS DU MEDECIN DU TRAVA I I.:'7"
1/ LES RECOURS CONTRLé L'A VIS DU MEDECIN DU Tl{i\\ VAIU7,;
2/ LA SANCTION DE L'INOBSERVATION DES !\\VIS DU
MEDECJN DU TRAVAIL... .
.
:'76
~ 11 LA CONCILIATION DU SL<\\TUT DU SALAR1E DE LTNTRLI'RISI
AVEC LES IMPERATIFS D'INTERET GENERAL.
...... :iXli
AI LA PROTECTION DU MEDECIN DU TRA VAIL CONTRE LA
PRECARITE DE L·EMPLOl...
~~ \\
Bi L'AMELIORATION DE LA PROTECTION DU MEUICIN DU
TRAVAIL
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