UNIVERSITE DE PARIS 1- PANTHEON-SORBONNE
SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES
SCIENCES JURIDIQUES
LE CONFLIT TERRITORIAL
ENTRE LE BURKINA FASO
l
ET LA REPUBLIQUE DU MALI
DEVANT LA JUSTICE INTERNATIONALE
THESE
POUR LE DOCTORAT
DE L'UNIVERSITE DE PARIS 1EN DROIT
présentée et soutenue publiquement le 17 novembre 1987
par
G. Benoît KAMBOU
MEMBRES DU JURY:
Directeur de recherches: Monsieur le Professeur Laurent LUCCHINI
Professeur Agrégé de Droit Public - Paris 1
Membres:
Claude Albert COLLIARD
Professeur Honoraire de l'Université de Paris 1
Philippe BRETTON
Professeur Agrégé de Droit Public - Orléans
Dominique CARREAU
Professeur Agrégé de Droit Public - Paris 1
Michel VOELCKEL
Contrôleur Général des Armées
l C~NSEll-;~RIC'~':'~' ET MALG.e.CH~i
1 POUR l'ENSEIGNEMENT ~UPERIEUR l'
l c. A. M. E. S. - OUAGADOUGOU 1
t Arrivée .' ...•.... # '0' ";' .. -. '0 .~ \\
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,
3 0
\\ I:n,egls1re sous n
4,
. -.--- '---_.-'--.--_.._._-~----_.

II
L'Université de Paris 1 n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les thèses.
Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs
auteurs.

III
NOS REMERCIEMENTS
Au Professeur Laurent LUCCHINI
Nous exprimons notre profonde et impérissable reconnaissance pour
l'honneur qu'il nous a fait d'accepter pour la seconde fois la présidence de
notre thèse malgré ses multiples occupations. En effet, c'est sous son attentive
et clairvoyante direction que nous avons mené à bien en 1982 à la Faculté de
Droit d'Orléans notre thèse· de 3ème cycle, et confectionné en moins de deux
ans le présent ouvrage.
Nous lui adressons avec gratitude nos remerciements.
Nos remerciements vont également à Mme CORGIER et à ses
collaboratrices de la Bibliothèque Universitaire Centrale d'Orléans pour les
facilités qu'elles nous ont accordées dans les recherches documentaires.
• Le sujet de cette thèse est ainsi libellé: "Les mécanismes juridiques
internationaux d'exploitation des bassins fluviaux africains. - Contribution à un
modèle de coopération."

IV
A mes parents
A ma femme et à mon fils Lionel
Aux amis véritables

v
AVANT-PROPOS
La présente étude porte sur le conflit Mali 1 Burkina devant la justice
internationale. Il s'agit pour nous d'examiner les aspects juridictionnels de ce
conflit. Nous ne saurions le faire en négligeant les antécédents Mais il n'est
pas nécessaire de s'appesantir sur ces derniers éléments à cause du sujet
traité. Ainsi, nous passerons rapidement:
sur les structures de concertation que les parties ont créées afin
d'activer les négociations directes.
sur les travaux effectués ou non par les sous-commissions de la
commission de médiation de l'D.UA
et sur les deux guerres absurdes déclenchées en décembre 1974 et en
décembre 1985 malgré les appels au calme et les interventions
auxquelles elles ont donné lieu (interventions individuelles de chefs
d'Etat,
interventions
collectives
et
interventions
d'organisations
internationales
extra-africaines.
Toujours
dans
ce
registre,
c'est
volontairement que nous ne ferons
pas cas des conséquences
diplomatiques de ces deux guerres.
De plus, la présente affaire, comme toutes celles qui concernent les
contentieux frontaliers, met à rude épreuve l'objectivité du chercheur, celui-ci
pouvant se laisser emporter par des considérations d'ordre subjectif tenant soit
à son allégeance à l'égard d'une des parties au conflit, soit à son émotion, soit
à toute autre raison. A cet égard, il est instructif de rappeler la déclaration
suivante d'un éminent auteur:

VI
« Le sujet, avouons-le, est dangereux pour un savant, car il est tout pénétré de
passions politiques, tout encombré d'arrière-pensée. Les gens ont trop d'intérêt
en jeu quand ils parlent de frontière, pour ne parler de sang-froid: le
malentendu est permanent. On croit parler de droit international et l'on
rencontre les juristes de Philippe Le Bel...
Sur ce terrain, il faut une singulière force d'âme pour s'en tenir à un
parfait loyalisme intellectuel, sans lequel il n'est pas de science digne de ce
nom» 1.
Ces remarques gardent toute leur actualité, que nos lecteurs soient
rassurés: les présents travaux n'ont pas été effectués au nom d'une des
parties au différend mais au nom de la science juridique
Qu'ils sachent
cependant que l'objectivité scientifique n'interdit nullement que les faits ou les
comportements soient mentionnés tels qu'ils se sont présentés.
1 • cr. André SIEGFRIED. l'réf,lcc;\\ J~cqncs ANCEL .lagéogr;lpJlicdcsFrolllièrcs. Gallimard. 1\\l111.
p VIL

VII
LISTE DES ABREVIATIONS
AC.D.1.
Annuaire de la Commission de Droit International
AC.D.J.
Annuaire de la Cour Internationale de Justice
AF.D.1.
Annuaire Français de Droit International
AG.N.U.
Assemblée Générale des Nations Unies
AJ.DA
Actualité Juridique de Droit Administratif
ANAD.
Accord de non Agression et de Défense
C.EAO.
Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest
C.I.J.
Cour Internationale de Justice
C.P.J.1.
Cour Permanente de Justice Internationale
C.M.CA
Commission de Médiation, de Conciliation et d'arbitrage
O.l.P.
Droit International Public
I.G.N.
Institut Géographique National
J.D.1.
Journal de Droit International (Clunet)
L.G.D.J.
Librairie Générale du Droit et de la Jurisprudence
O.UA
Organisation de l'Unité Africaine
RSA
Recueil des Sentences arbitrales
RB.D.1.
Revue Belge de Droit International
RCAD.1.
Recueil des Cours de l'Académie de Droit International de
la Haye
RF.S.P.
Revue Française de Science Politique
RG.D.I.P.
Revue Générale de Droit International Public
RJ.P.I.C.
Revue Juridique et Politique. Indépendance et Coopération
S.F.D.1.
Société Française pour le Droit International
S.GAO.F.
Service Géographique de l'Afrique Occidentale Française
U.M.OA
Union Monétaire Ouest-Africaine.

INTRODUCTION GENERALE

2
Comme
beaucoup
d'autres
questions
d'ordre
territorial
intéressant
le
continent africain, le conflit territorial entre le Mali et le Burkina est l'une des
conséquences de la balkanisation de l'Afrique entamée à la conférence de Berlin de
1884-1885 ; l'Afrique n'en est pas encore guérie1.
Ce conflit pose également un problème de succession d'Etats2 c'est-à-dire
« Celui de la substitution d'un Etat à un autre dans la responsabilité des relations
internationales d'un territoire ii 3. Ce problème qui a toujours été l'un des sujets les
plus difficiles du droit international, a acquis une importance particulière au cours du
processus de décolonisation. En effet, succédant à l'Etat indépendant peut-il de son
propre gré modifier les frontières coloniales établies soit par des traités soit par des
textes réglementaire ou législatif? La doctrine est unanime à considérer que de
pareils traités engagent l'Etat successeur. Il en va de même du droit conventionnel 4.
En effet, en raison de leur caractère objectif, les traités de frontière sont
valables erga omnes et dérogent au principe de la relativité rappelé à l'article 34
de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. C'est le principe
de la continuité de ces traités qui s'applique. Cette règle de la continuité heurte de
front
le principe de
l'autodétermination
qui
exige
qu'un
Etat
nouvellement
indépendant puisse exercer sa pleine souveraineté dans le domaine de ses relations
conventionnelles avec les autres Etatss. Malgré tout et pour des raisons qui seront
exposées plus loin, les Etats africains ont adopté ladite règle dans la résolution du
Caire du 21 juillet 1964. Pour l'instant, il importe surtout de souligner que ce conflit
territorial a empoisonné les rapports entre deux pays qui comptent parmi les plus
pauvres de la planète. En effet, ces deux Etats sont classés parmi les pays les
moins avancés (PMA). Leurs impératifs immédiats sont l'autosuffisance alimentaire,
la maîtrise de l'eau et la lutte contre la sécheresse. Dans ces conditions, une guerre
entre eux est aberrante parce que néfaste pour leur décollage économique.
t cr. J.R. de BENOIST. "La balkanisation de l'I\\.O.F'' ..Nouvelles Africaines. p. 7')
2 Voir M. BEDJAOUI. "Problèmes récents de succcssion d'Etats dans les Etals nouveaux". R.C.A.D.I .. 1970.
11., pp. 463-564 Marco G. MARCOFF. Accession à l'ind~endancest succession d'Etats aux traités
internationaux. Editions Universitaires. f'ribnrg. Suisse 1')(,1). 31111 pages. et KArl ZEMANEK.
"State succession after decolonization" R.C.AJ:>J 1965, III, Tome 116, pp. 181-300.
.1 Article 21B de la convention de Vienne sm la succession d'Etats en matière de traité de 1')78 .
., Cr. article Il de la Convention de Vienne précitée
'cr Mustapha Kamil YASSEEN: "La Convenlion de Vienne SUt la succession ù'Etal en matière ùe traités". AF.I).1.
1978, p. 105.

1
D'ailleurs, pourquoi une guerre pour quelques arpents de sable ou de terres
marécageuses?
Ce conflit porte sur une partie de la frontière commune qui les sépare (280
km), l'autre partie, la plus étendue (1000 km environ) ayant fait l'objet d'une
délimitation conventionnelle6 (voir présentation graphique ci-après). Les origines de
ce conflit remontent à l'époque coloniale. A deux reprises, il a dégénéré en
affrontements armés ainsi qu'il a été indiqué, en méconnaissance non seulement
des dispositions de la Charte des Nations Unies (article 2 § 4) mais également de la
déclaration de l'A.G. N.U. du 24 octobre.1970 relative aux principes touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats et de la déclaration de Manille de
1982 sur le règlement pacifique des différends internationaux.
Mais entre ces deux affrontements militaires qui ont entraîné une rupture de
la Paix 7dans la sous région Ouest africaine, les deux Etats liés par l'histoire et la
géographie6 firent preuve de sagesse en s'en remettant à la Cour Internationale de
Justice.
Pour mieux comprendre, il sera examiné dans une première section la nature
et les origines du conflit et dans une seconde section le développement du conflit.
_ _ _ _ _ _ o
_
6 C'est le 1Ù scp(cmhrc 1983 que cette cOllvcnlioll l'ul signée (1 Jlélllwko ainsi qlle le compromis.
'L'année 19X(, a élé déelarée année de la paix par les 159 Elals des Nalions-U nies.
R Ces deux pays sont des anciennes colonies rrançaises. Ils sonl situés dans la wne sud-sahélienne. La
pluviométrie y est raible. Contrairement au Burkina. le Mali csl traversé par un grand flcuve pcmlanent, le
Niger, el dispose d'unc vasle
superficie: 1.240.000 kl1l 2 conlre 274 000 km 2 pour le Burkina. Ils ont des
régimes politiques diITércnts, mais ils sont lous membres de l'OUA, du mouvemenl des Non-Alignés, de la
C.E.A.O.. de l'Aulorilé du Liptako Gourma, de l'Autorilé du bassin du neuve Niger, de la CEDEAO, de
l'A.N.A.D .. de l'U.E.M.O.A. el de l'Orgauisaliou de la Couréreuce Islamique (0.c.1.). Seloule bimestriel
Courrier CEE-CAP dc Mai-Juiu 19X7, Jlo IOJ, p. 51, leur populatioJl esl estimée il 6,04 millions pour le
Burkina et;\\ X,21 millions d'habitaJlls pour le Mali. Ces eSlimalions sont de 19X5.

4
SECTION 1: NATURE ET ORIGINES DU CONFLIT
Après avoir débroussaillé la question de la qualification de ce conflit, nous
jetterons un regard sur son évolution.
§ 1 - De la qualification du conflit
Ce point ne nous retiendra pas très longtemps parce que nous aurons
l'occasion d'y revenir plus loin.
Le conflit territorial sous-tend selon la doctrine le conflit d'attribution et le
conflit de délimitation. Il existe une troisième catégorie: celle du conflit mixte.
Dans la première catégorie, «les effectivités» jouent un rôle important, tandis
que dans la seconde, seuls ont droit de cité les titres juridiques selon la doctrine.
Les parties n'ont pas pu se mettre d'accord sur la qualification qu'il convient de
donner au présent conflit. Pour le Burkina, il s'agit d'un conflit de délimitation
cependant que le Mali plaide pour un conflit d'attribution ou à la limite
pour un
conflit mixte.
Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 22 décembre 1986, la Cour n'a pas donné sa
caution à cette distinction. Elle a estimé en effet que quelle que soit l'hypothèse
envisagée,
il
s'agit toujours
d'établir une
ligne frontière
qui
séparera
les
souverainetés. C'est d'ailleurs à cette conclusion que les parties semblent être
parvenues lors des plaidoiries orales.
§ 2 - Historique du conflit9
Il convient de rappeler qu'après la Conférence de Berlin de 1884-1885 qui a
consacré le partage des côtes africaines, le dépeçage de l'hinterland du Continent a
entraîné la formation de frontières internationales entre les puissances coloniales.
Celles-ci pouvaient tracer dans leur zone d'influence des limites administratives. Ce
fut le cas de la FRANCE qui créa comme cadre géographique de sa politique
9 cr. Philippe PATIN. La valeur des frontières en ArIjque. L'exelllpJ9S!!tCouOil enlre la Haute-Valla elle Mali
de décembre 1974. Mémoire Paris 1979. IHEI, pp. 47-50.

5
coloniale deux regroupements souvent appelés fédération de l'AOF et fédération de
l'AEF.
Le présent conflit ne concernant que deux anciens territoires de l'A.O.F., il ne
sera désormais question que de cette fédération. La fédération de l'AOF a été créée
par un décret du 16 juin 1895. Elle comprenait les territoires du Sénégal, du Soudan
français, de la Guinée française et de la Côte d'Ivoire.
Mais à la suite du démembrement de la colonie du Soudan français, son
territoire fut réparti entre le Sénégal, la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Dahomey.
L'AOF fut
réorganisée en 1902, mais l'important pour nous est le décret du 18
octobre 1904 car c'est à partir de ce texte que l'acte de naissance de la colonie de
Haute-Volta fut préparé. En effet, ce texte a créé entre autres la colonie du Haut-
Sénégal-Niger 10 qui comprend les anciens territoires du haut Sénégal et du Moyen
Niger plus le territoire militaire du Niger et quelques autres cercles. Le 1er mars
1919, un décret créa la colonie de Haute-Volta dont le territoire est constitué des
cercles orientaux du Haut Sénégal-Niger, pour des raisons économiques et
administratives.
En effet, selon Henry Simon, Ministre des Colonies à cette époque, « la
colonie du haut-Sénégal Niger est encore trop étendue et composée d'éléments trop
divers pour que le gouvernement y puisse donner partout des marques égales de sa
sollicitude. Aussi, y a-t-il à l'heure actuelle une véritable nécessité tant au point de
vue politique qu'au point de vue économique, à accorder à la région la plus peuplée
de la Colonie cette personnalité qui a permis naguère au Haut-Sénégal Niger lui-
même de trouver dans une administration plus proche l'impulsion qui lui avait
manqué jusqu'alors.
La présence d'un gouverneur au centre du Mossi assurera ... la régularité d'un
contrôle qui, en raison de la distance, n'a pu être exercé d'une manière toujours
satisfaisante.. »
Le reste de la Colonie du Haut Sénégal Niger se transforma en Soudan
français par décret du 4 décembre 1920.
10 Cf. J.R. de BENOIST. op. cil.. p. 32. Confonnénlenl aux priucipes fondamentanx de l'organisation politique
française de l'époque. Ioules les colonies de l'AOF sont dirigées par une aulorité adllliniSlralive centrale, le
gouverneur général résidant <1 Sai ni-Louis puis;\\ Dakar.

6
Mais pour des raisons essentiellement financières et économiques, la Colonie
de Haute-Volta sera supprimée par un décret en date du 5 septembre 1932 signé
par le Président ALbert Lebrun.
Le Ministre des Colonies Albert Sarrault n'a-t-il pas déclaré : « Une
expérience de plus de dix années a montré que la mesure ainsi réalisée ne répondait
nullement à une nécessité.
D'autre part, poursuit-il, la suppression de cette unité territoriale permettra
d'appréciables économies ll et rendrait disponible pour le service général, le
personnel administratif et technique en service au chef-lieu ii, Ouagadougou.
Cette suppression a également rendu disponible pour la puissance coloniale
une main d'oeuvre mossi utilisée à divers travaux:
- dans les plantations et exploitations forestières de la colonie de Côte
d'Ivoire,
- dans la construction du chemin de fer qui relie Abidjan et Ouagadougou 12,
- dans l'office du Niger en vue de l'aménagement de terres irriguées dans la
région du delta central du Niger et le long de la vallée de ce fleuve.
La colonie de Haute-Volta fut ensuite répartie entre les colonies voisines de
Côte d'Ivoire, du Niger et du Soudan français. Seuls les territoires rattachés au
Soudan français intéressent nos propos
Il s'agit des cercles de Tougan et de
Ouahigouya. Dès lors, une réorganisation de la colonie du Soudan français
s'impose. Le gouverneur général prit à cet effet l'arrêté 2728 AP de 1935 qui
rattacha au cercle de Mopti les villages de Dionouga ou Dioulouma, Agoulourou,
Oukoulourou et Koudo. Ces villages appartiennent au canton de baraboulé de la
subdivision de Djibo, laquelle relève du cercle de Ouahigouya.
Les avatars administratifs se poursuivirent avec le rétablissement de la
Colonie de Haute-Volta dans ses limites de 1932 par la loi du 4 septembre 1947
signée par le président Vincent Auriol. Cette reconstitution a
été le fruit des
II La FRANCE élail économiqucmcI11 afTaiblic par les efTels de la crise de 1929
12 Cf. Jcan-SlIfcl CANAL. Afrigue Noire 19()O-194~. p. 146.

7
pressions et revendications de la population Mossi 13 qui rédigea à cet effet une
pétition : « la pétition des peuples voltaïques en vue de la reconnaissance de la
Haute-Volta dans ses premières limites ii Il est donc inexact d'affirmer que la Haute-
Volta a été recréée après la seconde guerre afin de doter d'un emploi supérieur un
haut fonctionnaire colonial 14.
La conséquence immédiate de cette reconstitution15 fut le retour à la mère
Patrie de tous ces territoires antérieurement détachés.
Si, apparemment il n'y eut aucun problème pour les autres territoires, il en est
allé différemment des quatre villages susmentionnés puisque le Mali soutient qu'ils
ont toujours appartenu au Soudan français. Il n'est pas inutile de signaler qu'à
l'origine, ce problème ne s'est pas posé en termes de frontières. En effet, les
archives coloniales n'ont révélé aucun différend de cette nature entre ces deux
entités16.
Seuls sont mentionnés des incidents isolés entre les populations
frontalières dans la région du Béli à cause des terres de culture, de pâturage et de
points d'eau
C'est au lendemain de l'accession à l'indépendance des deux Etats que ces
problèmes à la frontière se sont transformés en problèmes de frontières dès lors que
les nomades Touareg et bellah du Cercle de Gao (Mali) qui avaient émigré ou
transhumé sur les bords de la rivière du béli, se sont imaginés en territoire malien. Il
s'ensuivit de nombreux incidents entre autorités administratives frontalières surtout
lors des recensements des populations. Devant ces menaces réelles contre leurs
souverainetés, les deux pays se saisirent du dossier et décidèrent au nom du
principe de bon voisinage de rechercher une solution à ce conflit. A cet effet, ils
créèrent des structures de concertation et de coordination comme cadres des
négociations directes.
n cr. Politique arÜçaiu.<;.20 décembre I<)R5 "Le Bmkiua F:lso". Karlhala. p.12.
14er. J.c. GAUTRON. "Le régionalisme arrieaiu cl le modèle iuleramérieaiu".in Annales africaines 1966.
Universilé de Dakar. p. 55. noie IR.
15 Celle loi de 1')47 ainsi que le déerel de 1<)12 cl l'arrêté géuéral 272RAI' soul reproduits en annexe à la lin de
la lhèse.
16
Cr. J.R. de 8ENOIST. "La 8alkauisaliou cie l'A.O.!''', op. cil. pp. 40-41. Ccl auteur a évoqué dans son
ouvrage uue série de problèrnes rrontaliers de l'époque coloui:lle sans raire cas de diITérends enlre le Soudan
rrançais Cl la Haule-Voila. Une exceplion cependaul. Il a révélé lUI problème rrontalier enlre
la Haule-Voila cl le Niger.

x
SECTION Il - LE DEVELOPPEMENT DU CONFLIT TERRITORIAL
Deux étapes ont marqué l'évolution de ce conflit: le règlement politique et le
règlement juridictionnel.
§ 1 - Le règlement politique du différend
Pour résoudre pacifiquement ce différend,
les deux Etats ont décidé
d'entamer des négociations directes dans le cadre des structures de concertation
qu'ils ont mises en place progressivement. Pour ce faire, ils rassemblèrent de
nombreux documents écrits et cartographiques de la période coloniale relatifs au
tracé de la frontière commune.
Basées essentiellement sur des données juridiques, ces négociations se
déroulèrent de 1961
à
1974. A l'issue d'une dizaine de rencontres entre
représentants des deux pays, aucune solution ne fut trouvée, les négociations se
révélèrent dans l'impasse et une grave tension régnait entre les deux pays malgré le
caractère apaisant du communiqué final de la dernière rencontre entre les deux
chefs d'Etat à Faranama le 4 décembre 1974 au Burkina.
En effet, ce communiqué soulignait entre autres que l'entretien entre les deux
pays sur les questions de frontière s'est déroulé dans « une atmosphère de
fraternité empreinte de franchise et de compréhension mutuelle», et que « cette
rencontre a permis de dissiper tout malentendu créé par les rumeurs et
spéculations» .
Le dialogue ne put cependant pas tenir la guerre en état.
Devant cette situation préoccupante,
le président togolais à
l'époque
président en exercice du Conseil de l'Entente, proposa ses bons offices pendant que
le président sénégalais saisissait l'O. UA
Les deux pays ayant accepté la médiation de cette organisation panafricaine,
une Commission de médiation fut créée. Cette dernière est en réalité une
commission ad hoc puisqu'elle n'est pas une émanation de la commission de
médiation, de conciliation et d'arbitrage mise en place par le protocole du Caire de
1964. Elle créa à son tour deux organes subsidiaires: la sous-commission juridique

()
et la sous-commission militaire. Cette dernière était chargée de constater le retrait
effectif des troupes armées des deux pays de la zone litigieuse. Cette mission fut
accomplie sans problèmes du côté burkinabé mais du côté malien, les autorités
refusèrent l'accès de la sous-commission sur leur territoire.
Heureusement,
l'armistice fut respecté de part et d'autre.
Quant à la sous-commission juridique qui est incontestablement la plus
importante de par les problèmes qu'elle a soulevés, elle ne constitue pas un organe
de jugement. Sa mission est de proposer une solution au différend. Elle s'acquitta de
cette tâche en se fondant à la fois sur des considérations juridiques et équitables.
C'est donc dire que le droit n'était pas absent dans le règlement politique de ce
différend. On sait par exemple que quelques aspects procéduraux ont été observés.
En effet, les représentants des deux Etats ont déposé chacun un mémorandum ou
mémoire accompagné d'annexes qu'ils ont défendus et commentés devant la sous-
commission. Mais il est regrettable que les débats ne fussent pas contradictoires
car les parties ont été entendues à tour de rôle. Pour pallier cette carence, la sous-
commission a veillé à ce que chaque partie soit informée des arguments avancés
par l'autre Il faut tout de même signaler avant d'examiner l'accueil réservé à ses
conclusions, que si ladite sous-commission a pu mener à bien sa mission, c'est en
partie grâce au concours du comité technique neutre17 dont elle a demandé la
création et à la communication par la France de certains documents.
Elle soumit comme il se doit ses conclusions à la Commission de médiation
qui les entérina. En résumé, elle a conclu à l'abrogation implicite de l'arrêté 2728 AP
par la loi de 1947, et recommandé la cession du village de Dionouga au Mali; puis,
elle a estimé qu'une modification de la frontière dans la région de la mare de
Kétouaire est souhaitable; enfin, elle a conclu que le mont N'Gouma est situé au
nord du gué de Kabia. Les deux parties souscrivirent à ces conclusions puisqu'elles
se sont engagées à mettre un terme à
leur différend sur la base des
recommandations de la Commission de médiation.
Peu après cette médiation de l'O. UA, intervint celle du défunt président
Sékou Touré qui prit l'initiative de réunir à Conakry les deux frères ennemis. La
leçon que l'on peut tirer de cette seconde médiation est qu'elle a joué un rôle de
catalyseur dans le rapprochement entre les deux chefs d'Etat. Mais elle n'est pas à
l'abri de critiques, tant s'en faut. En effet, en préconisant uniquement une solution
17 Il esl eOlllposé de 1rois carlographes. IIl1jllrisle. 1111 elhllologllc cl 1111 Ollicier de l'Année.

10
politique au différend, la déclaration de Conakry du 10 juillet 1975 rejette du même
coup toute solution basée sur le droit. Faut-il y voir une rivalité larvée entre la
Commission de médiation de l'O.UA et le Président Sékou Touré? Cela est peu
probable car la déclaration de Conakry souligne que les chefs d'Etat du Mali et du
Burkina « saluent les efforts déployés et les résultats obtenus par la Commission de
médiation de /'0. u.A. et affirment leur volonté de tout mettre en oeuvre pour
dépasser lesdits résultats... ii Cette double médiation ne résolut pas le différend au
fond. La raison est fort simple.
Contrairement au Burkina, le Mali a fini par rejeter les recommandations de la
Commission de Médiation de l'O.UA qui, il faut le reconnaître, ne sont en aucune
manière contraignantes. En revanche, il estime que seule doit s'appliquer la
déclaration de Conakry.
Après une année d'inactivités, les négociations reprirent de 1976 à 1985. Des
rencontres s'effectuèrent au triple niveau ministériel, présidentiel et local. Elles
furent dans l'ensemble fructueuses puisque les deux Etats ont d'un commun accord
décidé en 1983 de porter leur différend devant la justice internationale. Cette sage
résolution ne les empêcha pas d'entrer en conflit armé une seconde fois en
décembre 1985. Les causes sont multiples.
On peut distinguer les causes immédiates avouées et les causes immédiates
non avouées.
* Parmi les premières, il y a essentiellement « l'occupation» par le Burkina de
quatre villages « maliens» : Kounia, Selba, Dionouga et Douna, à l'occasion du
recensement national de la Population décidé par le Conseil National de la
Révolution (exécutif du Burkina) du 10 au 20 décembre 1985 conformément aux
recommandations des Nations-Unies18.
A cet effet, un télex a été envoyé par le Burkina aux six ministres des affaires
étrangères des pays environnants pour les tenir informés de l'opération envisagée.
IR Les Nations-Unies reconnnandeni en elTel an.' Elals de procéder Ions les dix ans IInn recensement de leur
population en applicalion du plan d'action adopté pm la première conférence globale sur la population tenue à
Bucarest cn 1974. Cc plan a été réactualisé en ,Iolit 1<JS4 à la Confércnce Internalionale sur la population tenue
à Mexico. Cr. Chroniquc des Nations-Unies. 1<JS4-<i-vol. XXI.

11
Cette raison, ainsi qu'on le verra plus haut, se révélera en réalité un prétexte
ou un alibi pour abattre la jeune révolution burkinabé. Il est curieux de constater
qu'aucune raison d'ordre économique n'a été officiellement soulevée que ce soit en
1974 ou en 1985. Le Président malien Moussa Traoré n'avait-il pas affirmé à
l'Agence France-Presse le 11 avril 1975 que la portion de territoire revendiquée de
part et d'autre ne représente pas plus de 4 000 km2 et ne renferme pas, à sa
connaissance, de richesses qui pourraient justifier un déploiement de forces et
encore moins une guerre dont l'issue ne peut être que désastreuse pour chacun des
deux camps.
Cette idée avait déjà été exprimée par Radio-Mali le 20 décembre 1974 en
ces termes « ... nous n'avons jamais pensé, pas un seul instant, que des raisons de
convoitises d'un sous-sol rendu riche par l'imagination hostile d'une certaine presse
en mal d'information pourraient amener les autorités de l'autre côté à engager le
peuple de Haute-Volta dans une guerre injuste et fratricide». Sur la question, la
presse internationale a donné des informations contradictoires. D'un côté, elle fait
état de l'existence d'importantes ressources minières dans la zone litigieuse(titane,
uranium, pétrole, etc... ), de l'autre, elle affirme sans ambages : « les ressources
minérales qu'on a cru y trouver sembleraient relever de la chimère et la carte
générale géologique était si peu encourageante que les prospections ont été à peine
amorcées près de la rivière du béli »19
Une chose est sûre, des gisements de manganèse d'une teneur importante
ont été découverts à une centaine de kilomètres de la zone conflictuelle, à Tambao
(Burkina) et à Ansongo (Mali)20
De plus, cette région contestée renferme une richesse indéniable constituée
par le chapelet des mares du Béli, véritable enjeu du présent différend.
Parmi les raisons inavouées, figurent la déstabilisation de la jeune révolution
Burkinabé et la crise sociale et économique sans précédent qui tenaillait le Mali à la
veille de la guerre de 1985.
~~------------
-
--------------
19 Cf. Lc Mondc dn 15 mars 1<J74.
20 Sur cc point. voir Gilbcrt SOME : "Un c.\\cmple dc connil fronlalicr : le dilTércl\\(] cnlrc la Haulc-Volta clic
Mali". Annéc Africainc 1<J7!!. A. Pédonc. p. 14R

12
S'agissant de la première hypothèse, l'extension des combats à toute la
frontière commune témoigne de la volonté farouche des dirigeants maliens de
liquider ou d'étouffer la révolution Burkinabé (voir ci-contre une carte illustrative). En
effet, les combats ne se sont pas limités à la zone litigieuse. Les plus sanglants
eurent lieu à 300 kilomètres environ des villages contestés. La déclaration faite par
le président Burkinabé de retour du sommet du conseil de l'Entente, qui s'est tenu à
Yamoussokro (Côte d'Ivoire) le 10 septembre 19852 \\
n'est pas étrangère à ces
tentatives de déstabilisation.
Cette déclaration a été faite <3 l'occasion du meeting populaire organisé à
Ouagadougou le 11 septembre 1985. Nous en reproduisons ici un extrait significatif
: » .Notre combat ne se limite pas au Conseil de l'Entente, les autres peuples qui
sont à notre frontière sont eux aussi des peuples qui ont besoin de révolution; je ne
parle pas bien entendu du cas du Ghana mais je veux parler du Mali».
La République soeur du Mali peut comprendre, doit comprendre que son
bonheur sera notre bonheur, son malheur sera notre malheur; les soucis du peuple
malien sont les soucis du peuple Burkinabé; la révolution du peuple Burkinabé est à
la disposition du peuple malien qui en a besoin ; parce que seule la révolution leur
permettra de lutter contre la faim, la soif, la maladie, l'ignorance et surtout de lutter
contre les forces de domination néocoloniales et impérialistes,. Seule la révolution
leur permettra de se libérer parce que la révolution ne saurait être le monopole
d'aucun peuple »22
Cette déclaration a été jugée par le gouvernement malien comme une
«ingérence ffagrante dans les affaires intérieures et un appel direct au peuple
malien à se soulever contre son régime ii. 23
En vérité, elle constitue une réplique à l'ingérence malienne dans les affaires
intérieures du Burkina puisque la presse internationale a fait état quelques temps
21 Le thème du sonlmet "La Sécurité dans la sous-région" fail suile au.\\ explosions qui curent lieu en mai 1985
an Niger ct en aoflt de la même année. au Togo Le Mali n'est pas membre du Conseil de )'Entenle.
22 Cr. Carrefour afric,lin (Hebdomadaire national d'informai ion dn Burkina Faso)
na 901 du 20 septembre
1985. p. 14.
2.' Cf. Jenne Arrique n° 1297 du 1J novembre 19X5. Il..1.1.

13
auparavant de la présence à Bamako d'opposants à la révolution Burkinabé
encouragés par Moussa Traoré à déstabiliser le Conseil National de la Révolution.
Il n'est donc pas surprenant que le gouvernement malien veuille en finir avec
celui qui est considéré à tort comme un inconditionnel du Colonel Khadafi dans la
·
é
24
sous-r glon
.
C'est une preuve supplémentaire que la plupart des conflits entre Etats
africains cachent, sous des problèmes relatifs aux frontières ou à la subversion, des
oppositions idéologiques25. Mais peut-on conclure que les conflits frontaliers en
Afrique sont souvent personnalisés et disparaissent quand disparaît l'un des acteurs
726 Assurément, oui. Les exemples probants ne manquent pas : les conflits
frontaliers entre le Togo et le Ghana, entre la Côte d'Ivoire et le Ghana, et entre l'ex-
Haute-Volta et le Ghana.
Mais il est exagéré d'affirmer que ces conflits disparaissent lorsque l'un des
acteurs disparaît. A notre avis, il est plus sage de dire que ces conflits sont mis en
veilleuse car ils peuvent toujours raviver si les circonstances et les données
politiques s'y prêtent. La disparition du Président Kwame N'Krumah27 de la scène
politique ghanéenne a eu pour effet non d'effacer les conflits de frontière qui
opposaient le Ghana à ses voisins, mais de normaliser les relations entre ces pays
et de faire baisser ou disparaître la tension consécutive à ces conflits. Mais ceux-ci
ne disparaissent pas pour autant.
La seconde hypothèse tient à la dégradation de la situation économique et
sociale du Mali. Bien sûr, cette situation n'est pas propre à ce pays, mais si nous
l'évoquons dans ces lignes, c'est tout simplement pour montrer que la guerre a
éclaté la veille d'une grève générale des travailleurs maliens dont les salaires
étaient impayés depuis des mois. Il fallait donc que le gouvernement malien trouve
un moyen pour faire diversion aux difficultés intérieures. Ce moyen fut la guerre.
24 Voir l'opinion nuancéc dc Léon C.CODO. "Chronique dcs relalions inlcrafricaiues". Année africaine. A.
Pédone 1984. pp. 188-189.
25 Cr. Philippe CHAPAL. "Lc rôle de l'O.U.A. dans le règlement des litiges enlre Etats africains". Revue
!!!~ÇijçlI1Ie desscieucesjuridiques,poliliques cl econonliques. l'ni. p. 887
26 BA ABDOUL. B. KOFFL S. FATHI. L'O.U.A.~ de la Charle d'Addis Abéba à la Convention des Droits de
- -
- - - - - _ . _ - - - - -
J'Homme cl des Penples. Editions Silex 1984. pp.lll-ll1.Voir égalelllentibou DlAlTE : "L'O.U.A., l'O.N.U.
ct le règlemenl pacilique des connits inlerafrieaines". Annales africaincs. 1975. Pedone 1976, p. 21.
27 Commc le Pauafricanisle Georges Padmore. K",ame N'Knnnah soutenait l'idée d'une révision des frontières
coloniales dans le sens de leur rectilieation pour tenir conlple des appartenances ethniques.

14
Dès lors, celle-ci devient un moyen de politique intérieure, ou «un moyen de
ressouder une opinion divisée28
C'est une propension que les polémologues ont déjà mise en évidence :
« Pour l'homme d'Etat, la guerre est d'abord une solution
de facilité. Lorsque la
situation intérieure s'embrouille et s'envenime, rien de tel que de déclarer une guerre
pour l'éclaircir »29
Ainsi, quelles qu'en soient les causes, cette guerre a illustré une fois encore
l'échec de la concertation, l'échec du règlement politique du différend qui était déjà
pendant devant la Cour. Les données juridiques ayant été modifiées, des mesures
conservatoires se sont avérées nécessaires. La Cour les indiqua à la demande des
parties le 10 janvier 1986. A cet égard, l'A.NAD. a joué un rôle important qu'il
convient de souligner. En effet, non seulement elle a persuadé les deux belligérants
à geler le conflit, mais, de plus, elle a veillé au respect des mesures conservatoires
indiquées30 SI l'on s'en tient au communiqué final qu'a publié son secrétariat général
le 1er février 1986.
§ 2 - Le règlement judiciaire du différend
Après l'échec des négociations directes entamées depuis 1961, les deux pays
ont, à la faveur d'une décrispation à l'initiative du président Burkinabé, décidé de
saisir la C I.J. du différend juridique qui les oppose31 . A cet effet, ils ont conclu un
compromis le 16 septembre 1983 à Bamako. L'avant-projet de ce texte a été
introduit par le Sénégal. Au départ, les deux Etats avaient des points de vue
divergents sur le mode de règlement qu'il convenait d'appliquer au différend. En
effet, les autorités voltaïques de l'époque avaient exprimé leur foi en une solution
basée sur le droit tandis que le gouvernement malien n'avait pas caché ses
sentiments pour une solution politique négociée. C'est du reste ce qu'a préconisé la
déclaration de Conakry qu'il privilégie sur les recommandations de la Commission
de médiation de l'O.UA
2K cr. Le Monde Diplomatique de révrier 19X6, P 12.
29 cr. Gaston BOUTHOUL. La guerre. Que sais-je'? PUF 1'.>51, P X4.
:;oCes mesures onl élé violées par la suite par l'une des parties.
.'1 Celui-ci il décidé de lever le vélo dn I3urkina ;', l'entrée dn Mali dans l'U.M.O.A. Pour plus de délails, cf.
inrra. pp. 291-2'.>2.

15
L'affaire étant donc portée devant la Cour, non dans sa formation plénière
mais devant une chambre constituée à l'intérieur de celle-ci en application des
dispositions de l'article 26 du statut de la Cour , les deux parties ont échangé,
comme l'a prévu le compromis, des mémoires et contre-mémoires, et défendu leurs
positions pendant les plaidoiries orales. Il n'y eut pas de réplique, ni de duplique à la
phase écrite de la procédure. L'instance accusa néanmoins un retard dû à deux
reports du dépôt des mémoires. Le premier rendez-vous manqué était prévu pour le
16 octobre 1984 et le second pour le 22 février 1985. Il fallut attendre le 3 octobre
1985 pour voir s'effectuer l'échange des mémoires.
Ces derniers contiennent des conclusions qui ont été répétées dans les
contre-mémoires que les parties ont déposés le 2 avril 1986. Aucun argument
nouveau n'a donc été développé. Toutefois, au cours des plaidoiries orales, on a
noté
un
abandon
de
certains
arguments
antérieurement
défendus
et
un
rapprochement subséquent des positions des parties sur la qualification juridique du
différend.
La mission qu'elles ont confiée à la Cour n'est pas de déterminer l'agresseur
et l'agressé dans la dernière guerre, ce qui l'aurait conduit à appliquer la résolution
3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 de l'A.G.N.U. relative à l'agression, notamment
son article 3 qui définit les conditions d'agression32 ; sa mission consiste au contraire
à délimiter la frontière litigieuse et à procéder après coup à son abornement.
Concrètement, la Cour est priée de dire dans la première phase de sa mission
quelle est la frontière existante en 1932 entre les deux anciennes colonies
françaises au regard du principe de l'intangibilité des frontières africaines.
Dans l'appréciation des nombreux moyens de preuve que les parties lui ont
fournies (documents écrits et cartographiques,
comportements des autorités
administratives coloniales), la Cour a rencontré beaucoup de difficultés. Ces
difficultés tiennent d'une part à l'imprécision et à l'insuffisance de ces moyens de
preuve malgré leur grand nombre car les plus importants sont demeurés
introuvables, et d'autre part, aux particularités de la présente affaire. En effet, le
droit applicable ne se limite pas au droit international que la Cour identifie ici à l'uti
possidetis ; il comprend également le droit colonial et l'équité infra /egem.
Par
conséquent, son appréciation et son approche des questions débattues se sont
32 cr. Patrick RAMBAUD. "La définition de l'agression par ]'O.N.U. ". J3.,GJHE,~ 1976, na m, pp. 838-867.
Jaroslao ZOUREK. "Enfin une définition dc l'<lgression'' /\\,['\\»),.1974. pp. 9-29, cl Bengt BROMS. "The
definilion oraggression". R.C.A.D.L 1977, L vol. 154. pp. 305-388.

16
ressenties de ces difficultés. Ainsi, pour déterminer le régime juridique du tracé de la
frontière, la Cour a choisi de raisonner et d'argumenter par présomptions. Ce
procédé l'a conduite à vérifier les hypothèses qu'elle a formulées
à savoir le
caractère déclaratoire de l'arrêté général 2728 AP, et de la lettre circulaire 191 CM
2.
Ainsi, après trois années révolues de travaux dans des conditions qu'elle a
jugées elle-même incertaines, la Cour a procédé au tracé de la frontière en se
fondant sur des vraisemblances et des probabilités.
Ce tracé est régi par les deux documents précités qui ont été fort justement
les chevaux de bataille des parties. Sa dominante est qu'il répond plus aux
exigences de l'équité, qu'à celles du droit. En effet, l'arrêt révèle que la Cour a peut-
être cherché à ménager les deux parties en ne faisant ni de vaincu ni de vainqueur.
La preuve est que le Mali a obtenu gain de cause dans la partie occidentale de la
région contestée, et le Burkina dans la partie orientale.
Malgré tout, les deux parties l'ont jugé satisfaisant et se sont engagées à
assurer son exécution.
C'est une décision sage qui les honore et qui honore l'Afrique toute entière
dont un foyer de guerre vient de s'éteindre de manière définitive au profit de la Paix.
Sur le plan juridique, la portée de l'arrêt est indéniable. Ce n'est pas la
première fois que la Cour règle un conflit territorial33. En effet, elle a déjà eu
l'occasion de se prononcer sur des conflits territoriaux à caractère terrestre (cf.
affaire du Temple de Préah Vihear entre le Cambodge et la Thaïlande, affaire
relative à la souveraineté sur certaines parcelles frontalières entre la Belgique et les
Pays-Bas, etc.), et à caractère maritime, notamment dans les affaires touchant la
délimitation du plateau continental. Il serait fastidieux de citer ici ces affaires qui,
faut-il le souligner, dominent actuellement la jurisprudence de la Cour.
Les
innombrables ressources34 que
recèlent
les
mers,
constituent
la
principale
explication de leur caractère prédominant
11
.. Voir CA COLLIARD. "D.E.S. Cours dc Droill'lIblic". LcsÇQurs_dc_droiIJ'.J71-1'J75 pp. 45-46
et Ngando KINGUE. Lc contenticux Icrrilorial dcvant la CU. Thèsc dc Docloral d'Etat. Orléans, 1987.
;14 Ou pcul cilcr les nodules polymélalliqucs ct Ics giscmcnts d'hydrocarburcs

17
L'affaire du différend frontalier
BurkinalMali
vient
donc s'ajouter aux
nombreuses affaires qui montrent que le territoire est l'un des principaux chefs de
compétence de la Cour. Elle s'en distingue cependant par le fait qu'elle porte sur un
territoire peu connu.
De plus, cette affaire est un exemple remarquable car les deux pays qui
appartiennent à la catégorie d'Etats appelés « Etats nouveaux », ont choisi la voie
juridictionnelle notamment judiciaire pour régler leur différend.
Est-ce à dire que l'O.UA a perdu l'exclusivité35 des conflits interafricains
dans lesquels elle jouait un rôle prépondérant? 36 Faut-il conclure que cette affaire
sonne le
glas de la palabre africaine ? Non, car lorsque les Etats africains
acceptent d'aller devant la Cour ou devant l'arbitre comme l'ont fait la Guinée et la
Guinée Bissau dans l'affaire de la délimitation de leurs frontières maritimes, c'est
parce que le règlement diplomatique s'est trouvé dans l'impasse. Le recours au juge
international apparaît donc comme quelque chose d'exceptionnel. De toute manière,
comme l'a déclaré le professeur René Jean DUPUY, « La C.I.J. ne doit à aucun
égard être considérée comme lin moyen incomparable de favoriser le règlement des
différends. Elle s'insère dans un ensemble de procédures diverses etc... adaptées
au monde d'aujourd'hui... Les solutions négociées conservent leur irremplaçable
valeur entre Etats encore trop éloignés les uns des autres par les idéologies ou les
intérêts JJ 37
Dans ces conditions, la proposition du Colonel Khadafi de créer une Cour
africaine de justice pour trancher les litiges frontaliers n'a aucune chance d'être
reprise à leur compte par les autres chefs d'Etats africains38.
Dans la présente affaire, les négociations ont occupé une place importante
puisqu'elles se sont poursuivies avec la médiation de l'Algérie alors que l'affaire était
toujours pendante.
Il est évident que si les parties avaient pu trouver un
arrangement amiable au différend, ce qui était peu probable compte tenu des
échecs répétés, la Cour en aurait tiré les conséquences en radiant l'affaire de son
35 Cf. Ibou DlAITE. "L'O.U.A. ct le règlement pacifique des cOllnils inlerafricains". op. cil., p. 18.
Jo Cf. Jean-Claude MA VILLA. Le règlement des Cflnnils :lfric;lins - Etendue cl limites de la Charte de l'O.U.A.
Thèse d'Etat Aix-Marseilles. 1984.
.11 Cf. Colloque de Nice sur l'adaptation de l'ü.N.U. au monde d'aujomd'hui. Pédone 1965, p. IZO.
38 Cf. Maurice BARBIER. "Le problème du Sahara Occidenlnl cl la crise de l'O.U.A."
in Le Mois en Afrique,
;1Vril - mai 1981. nO Z07-Z08. p. 46. L'auteur souligne que si elle étail créée, celle Cour risquerait de connaître
le sort de la CM.CA.

18
rôle. Tout ceci confirme l'idée que les Etats africains affectionnent toujours peu la
justice internationale39. Les arrêts rendus par
la Cour dans les affaires du Sud-
Ouest africain et du Cameroun septentrional, ont contribué à un certain moment à
leur éloignement de évolution favorable de l'attitude des Etats africains vis-à-vis de
la C.I.J. La règle de la répartition géographique équitable qui régit aujourd'hui
l'élection des juges de la Cour, n'est pas étrangère à cette évolution dont le branle a
été donné par la Tunisie et la Libye dans l'affaire de la délimitation du plateau
continental qui les a opposées (cf. infra).
A la lumière des observations qui précèdent, et pour mieux comprendre le
sens de la décision rendue par la Cour, il est nécessaire que l'on analyse le
processus qui a conduit les deux parties à faire confiance à la Cour en lui portant
leur différend. C'est pourquoi, la présente étude sera articulée autour de deux
parties. La première qui préfigure la seconde, portera sur « la recherche d'un moyen
de règlement juridictionnel du conflit : le règlement judiciaire» ; la seconde partie
sera consacrée à l'issue du règlement judiciaire»
", cr. J.P. QlJFNFlJDFC. "Les Fiais afric;lills cl la colllpélcllce ,il: la C un, Àllllaies africaillcs.
)967,
pp.
27-50,' Voirég;i1clllclIl ùJcllek CJéRVJéNKÀ. "I,'O,I!,À. cOlllre vellis elillarées" illLe Illois
cn
Afrique.
Seplclllbrc 1')71. Il'' ')1. p, 6J

1 1)
PREMIERE PARTIE
LA RECHERCHE D'UNE SOLUTION
JURIDICTIONNELLE: LE REGLEMENT JUDICIAIRE

20
Il sera ici question de voir comment le Burkina et le Mali ont réussi à se mettre
d'accord pour retenir la solution judiciaire et surtout pour régler le problème de la
constitution de l'organe de jugement puisque l'affaire a été portée devant une
chambre spéciale de la Cour à laquelle les parties ont indiqué la règle de droit
qu'elles estiment applicable au présent différend. Bien entendu, la chambre ne
pourra valablement se prononcer que si elle a les données du problème.
De cette présentation sommaire se dessinent deux idées qui feront l'objet de
deux titres distincts:
la saisine de la Cour (Titre 1)
et l'objet du différend (Titre Il).

21
TITRE 1
LA SAISINE DE LA COUR

22
CHAPITRE 1
LE PROCESSUS DE SAISINE DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE
Avant d'aller devant la Cour, les parties ont dû repousser une proposition qui
leur avait été faite de soumettre leur différend à la procédure arbitrale. Les raisons
de ce refus n'ont pas été clairement définies. Il semble cependant qu'elles ne
diffèrent pas de celles qui sont traditionnellement invoquées par les Etats africains.
Dans ce chapitre, nous nous proposons d'analyser ces raisons, mais avant, il est
bon d'indiquer le contexte dans lequel est intervenue la proposition d'aller devant un
arbitre.
SECTION 1:
HISTORIQUE DE LA SAISINE DE LA COUR
Le Burkina Faso et la République du Mali ont décidé le 16 septembre 1983 à
Bamako de porter le différend frontalier qui les oppose depuis un quart de siècle
devant la Cour Internationale de Justice. Le choix de ce mode de règlement d'un
différend international fait suite à l'abandon par l'ex Haute-Volta de la voie arbitrale
qui avait été proposée par le président du Sénégal, Abdou Diouf, dans le cadre de la
recherche d'une solution juridique.
Après ce rejet Burkinabé du règlement arbitral pour des raisons qui seront
évoquées dans les lignes qui vont suivre, le président sénégalais proposa aux deux
Etats protagonistes de recourir au règlement judiciaire. Cette dernière proposition fut
acceptée non sans une certaine résistance du Mali qui a toujours marqué sa
préférence, tout comme le Burkina du reste, pour un règlement politique par des
négociations diplomatiques.
N'ayant jamais accepté la compétence obligatoire de la Cour, les deux Etats
ont choisi la voie du compromis pour saisir celle-ci. Le Sénégal initia un projet de
texte de compromis qui fut soumis aux parties qui l'amendèrent et l'adoptèrent le 16
septembre 1983 après quoi, elles le notifièrent à la Cour le 20 octobre de la même
année.

23
Ce compromis par lequel elles ont porté leur différend non devant la Cour
dans sa composition plénière mais devant une chambre de celle-ci, est un accord en
forme simplifiée et non un traité solennel puisque le paragraphe 1 de son article V
dispose que
: « Le président compromis entrera en vigueur à la date de sa
signature».
C'est là une différence avec le compromis qui a été conclu entre le
Canada et les Etats-Unis d'Amérique le 29 mars 1979 dans l'affaire du Golfe du
Maine puisque ce dernier texte devait faire l'objet d'une ratification.
Selon l'article Il du Compromis, la chambre spéciale devrait être constituée
conformément aux dispositions de l'article 26 & 2 du statut de la Cour.
Quoiqu'il en soit, qu'il s'agisse du règlement judiciaire ou du règlement
arbitral, ces deux modes juridictionnels de règlement des conflits internationaux,
n'en sont pas moins dans le cas qui nous occupe, un succédané du règlement direct
et amiable de ce conflit entrepris de 1961 à 1974 et de 1976 à 1985 et enfin depuis
la fin de la guerre de Noël 1985.
Enfin, c'est l'impasse dans laquelle se sont trouvées les négociations
diplomatiques qui a conduit au recours à une instance internationale.
L'objet du présent chapitre étant l'examen du processus de saiSine de la
Cour, il y a lieu d'indiquer les raisons probables qui ont pu motiver le refus du
Burkina du règlement arbitral. Mais d'ores et déjà, il importe de signaler que ces
raisons ne sont pas propres
à ce pays. Elles participent en effet d'une attitude
générale et constante des pays africains qui, à la différence des Etats latino-
américains40 n'avaient
jusqu'à l'affaire des deux Guinées aucune tradition en
matière de règlement arbitral. De façon générale, ils affectionnent peu les instances
internationales mais quand, de manière exceptionnelle, ils décident d'y recourir, leur
préférence va au juge judiciaire ; le recours de la Guinée-Conakry et de la Guinée-
Bissau à un tribunal arbitral constitué de juges de la Cour dans l'affaire de la
40 Scion ALVAREZ. "une partie considérable de l'histoire diplomatique des Républiques latines de l'Amérique
se réduit à des rivalités de frontière soit entre elles-mêmes, soil avcc les Elals européens installés sur telle ou
lelle partie du continenl américain. La plupart de ces litiges sont dos pm l'arbitrage". Droit International
Américain 1910. p. 67. Dans le même sens. TRAN VAN MINH écrit: "Les nouveaux Etats latino-américains
ont négocié avec l'Espagne le reconnaissance de lem indépendance et de leurs linlites territoriales dans divers
traités. L'on comprend dès lors que dans plusieurs eonnits. les parlies ont recouru ,1 l'arbitrage du Roi
d'Espagne qui était ccrtaiuemeui le plus qualifié pour apprécier les titres juridiques de ses anciennes colonies".
Rcl!!'lrql!..es_slILlej)lin9Qe..<1,ÇJjJll<!!ll;i!2iliL~<les_fmlll ièrcs ').U.I"..

24
délimitation de la frontière maritime entre ces deux Etats, n'est qu'une exception à
l'exception.
Cependant, l'arbitrage offre des avantages indéniables par rapport à la
procédure judiciaire. Ce jugement mérite d'être nuancé car, comme on le verra plus
loin, la constitution d'une chambre spéciale dans le cadre de la procédure judiciaire
comporte les mêmes avantages que l'arbitrage du moins en ce qui concerne la
composition de la Chambre. Mais, malgré tout, les Etats africains ne sont pas attirés.
Il convient de s'interroger sur les raisons
SECTION Il :
LES CAUSES DU REJET DE LA PROCEDURE
ARBITRALE PAR LES PARTIES
L'arbitrage
n'est
pas
le
mode
de
règlement
préféré
des
différends
interafricains notamment frontaliers. Cette affirmation est en porte-à-faux avec
l'opinion selon laquelle: « .... l'arbitrage a été dans tous les temps et dans tous les
continents le procédé classique de règlement pacifique des conflits de frontière)) 41.
Elle trouve cependant une confirmation dans l'échec des mécanismes mis en place
par le protocole du Caire de 1964 au niveau de l'O.UA par l'inaction de la
Commission de médiation, de conciliation et d'arbitrage.
Bien entendu, des
commissions ad hoc se créent à la naissance de certains conflits (ex. : la
Commission de médiation créée en 1975 dans le cadre d'un règlement politique du
différend frontalier objet de nos réflexions) mais celles-ci se forment toujours en
dehors de ces mécanismes. Les causes de cette désaffection sont diverses : il y a
des causes extérieures aux parties et des causes qui leur sont intérieures.
§ 1 - Les causes extérieures aux parties
Elles sont liées à l'absence de la pratique de l'arbitrage en Afrique. Quelles
qu'en soient leurs formes, les arbitrages entre Etats africains sont tellement rares
voire inexistants qu'ils retiennent l'attention de la doctrine.
Ainsi, le Professeur Quéneudec écrivait : Il ... aucun arbitrage relatif à un
tracé frontalier n'a encore vu le jour en Afrique Tout se passe comme si les Etats

25
africains s'abritant derrière le manteau de l'immutabilité territoriale, avaient décidé de
transposer au plan international l'institution traditionnelle de la palabre et d'ignorer
les procédures de règlement juridictionnel ou même les procédés plus souples de la
médiation et de la conciliation »42 Faisant le même constat, d'autres auteurs font
observer qu'il n'y a pas en Afrique d'exemples d'arbitrage fût-ce par chef d'Etats ou
par un autre organe43 bien que l'arbitrage, notamment l'arbitrage facultatif, soit un
moyen de règlement pacifique des différends particulièrement adapté aux besoins
des pays du Tiers-Monde. En effet, dans le cadre de l'arbitrage facultatif, la crainte
de ces pays d'avoir à céder une partie de leur souveraineté fraîchement acquise
sera réduite à un minimum, vu que leur acquiescement à une telle procédure est
indispensable. De plus, la flexibilité inhérente à
l'arbitrage permettra à ces pays
d'exercer un contrôle étendu sur la composition du Tribunal, sur le déroulement du
procès et sur le droit applicable 44.
Il Le choix des arbitres par les Etats procure à cette procédure son attrait et lui
permet d'avoir une grande souplesse En effet, c'est en fonction d'un litige donné et
des problèmes qu'il soulève que l'arbitre est désigné.
On peut aussi s'efforcer de
trouver un ou plusieurs juristes, appartenant à des pays amis des Etats au litige,
connaissant bien leurs systèmes juridiques et leurs problèmes particuliers. De plus,
les règles
de procédure et même les règles de droit applicables peuvent être
assouplies, parfois même écartées, à la demande des Etats.
1/ faut noter également qu'un arbitre nommé d'un commun accord trouve plus
facilement un terrain d'entente entre des points de vue opposés sans ôter pour cela
à sa décision sa force obligatoire. Enfin, les solutions proposées
seront mieux
acceptées par les parties lorsqu'elles auront choisi leurs juges et qu'elles seront
conscientes d'avoir été mieux comprises par lui »45
42 cr. "Remarques sur le règlellleul des eonllils rrontaliers en Arrique". R.G.D.I.P .. p. 72.
4, François BüRELLA. "Le système juridique de l'ü.U.A". A.F.D.1. 1'.171. p. 250. cl Pierre VELLAS. "La
révision des procédures de règlemenl des eonllils d;1I15 le c;ldre de l'O.lJ.A". Revue belge de Droillnlemational
1978-1979, p. (d l
44 Lucius CAFLISCII. 'L'm'enir de l'arbilrage interélaliquc". A.F.D.1. 1979. p. 42.
45 Philippe CHAPAL. L'arbilrabilité des diITérends inlernation;l\\I'(. A Pédone 1%7, p. 27.

26
Comme on le voit, l'arbitrage comporte beaucoup d'avantages. Pourtant ces
avantages n'ont aucun effet incitatif et attractif sur les jeunes Etats africains parce
que ceux-ci redoutent la liberté d'appréciation et de décision dont disposent les
arbitres. Et le fait que les arbitres aient souvent propension à se comporter en
amiable compositeur en cas de lacune ou d'inexistence du droit conventionnel, n'est
pas pour attirer ces Etats qui mettent parfois en doute l'objectivité des arbitres. Cette
tendance n'est pas l'apanage de l'arbitre car il peut arriver que le juge judiciaire
adopte la même attitude si les parties l'y autorisent
Sans doute, l'arbitrage reste-t-il le procédé le mieux adapté à un règlement
d'équité46 contrairement au règlement judiciaire mais ses avantages, ainsi qu'il a été
dit plus haut sont nuancés ; car lorsque la Cour constitue une Chambre spéciale
pour connaître d'une affaire déterminée comme c'est le cas dans la présente affaire,
la Chambre est établie à la demande conjointe des parties. Le nombre des membres
devant y siéger est fixé avec l'assentiment des parties et il serait étonnant que les
juges proposés par les parties ne fussent pas élus conformément au règlement de la
Cour.
En dépit de ses avantages, l'arbitrage comporte des inconvénients qui
l'éloignent des Etats africains et dont il faut passer en revue les causes.
§ 2- Les causes intérieures
Trois causes seront examinées successivement:
- l'influence des parties dans la procédure arbitrale,
- le coût de la procédure arbitrale,
- l'exclusion de recours contre l'inexécution de la sentence arbitrale.
A) - L'influence des parties
L'arbitrage est fait de liberté; il est façonné par les parties aussi bien pour le
choix des arbitres, la composition du tribunal, l'organisation de l'arbitrage que pour
la procédure.
4(, cr. Clmrlcs de VISSCHER. Aspeels réeenls dn droil procédural de la C.U". Il Pédone 1%(,. p. 20l!.

27
Cette procédure est fondée sur la collaboration des parties à l'instance.
L'arbitrage
fait donc dépendre le règlement du litige de la bonne volonté des
parties. Tout cela suppose un minimum d'entente entre les Etats en conflit; or, dans
le cas d'espèce, l'irréductibilité ou l'inflexibilité des positions ainsi qu'on le verra plus
loin, est telle que toute coopération s'avérait difficile voire impossible. Les multiples
impasses des négociations bilatérales en sont un témoignage tangible.
C'est l'une des raisons pour lesquelles le Burkina a rejeté la proposition de
régler le différend qui l'oppose au Mali par la procédure arbitrale,
au profit d'un
mode de règlement débarrassé de tout ascendant des parties; il s'est détourné de
cette voie parce qu'elle se prête également aux évaluations et pressions politiques.
Mais l'influence des parties sur la procédure arbitrale n'est pas la seule raison
qui explique l'attitude hostile des parties à ce mode de règlement. Il en existe
d'autres.
B) - Le coût de la procédure arbitrale
La
procédure arbitrale est plus coûteuse que la procédure judiciaire à un
double plan.
D'abord, ce sont les parties qui paient les honoraires des conseils. C'est là un
point commun aux deux procédures, cela n'étonne pas outre mesure. Mais là où les
deux procédures se séparent, c'est qu'ensuite, les arbitres sont rémunérés par les
parties alors que la rémunération des juges est supportée par le budget de la Cour.
A un moment où le Burkina s'efforce d'assainir son économie et de trouver des
sources de financement à ses nombreux projets de développement consignés dans
son plan quinquennal, ce n'est pas le moment d'imposer d'importantes ponctions au
budget de l'Etat. Les mêmes remarques sont valables pour le Mali.
Son coût n'est donc pas supportable par ces pays classés parmi les pays les
moins avancés.
C) - L'exclusion du recours contre l'inexécution
de la sentence arbitrale
L'absence de moyens contre toute tentative de se soustraire à l'exécution de
la sentence arbitrale semble avoir joué un rôle dans le rejet de la procédure

2li
arbitrale. Les hypothèses d'inexécution des sentences sont fréquentes et constituent
de ce fait l'un des problèmes traditionnels de l'arbitrage 4l
A la lumière de la pratique et de la jurisprudence internationale, on décèle
deux types de raisons susceptibles
d'expliquer l'inexécution des sentences
arbitrales48. Ces raisons sont soit d'ordre interne soit d'ordre international.
Parmi les raisons d'ordre interne, il faut citer les difficultés de fait en présence
desquelles se trouvent les gouvernements pour exécuter les sentences rendues :
lourdeurs des paiements à effectuer, résistance de l'opinion publique, difficultés
tenant à l'intervention des autorités, celles dont le concours est nécessaire pour
exécuter la sentence car elles ne sont pas souvent les mêmes que celles qui ont
élaboré le compromis.
Au nombre des raisons d'ordre international, figurent
l'irrégularité du
compromis et l'excès de pouvoir de l'arbitre.
Toutes ces raisons sont souvent invoquées ; elles traduisent la crise que
traverse l'arbitrage et se retrouvent dans deux affaires célèbres sur lesquelles il
convient de jeter un regard rapide.
*
L'affaire de la sentence arbitrale du Roi d'Espagne Alphonse XIII
rendue le 23 décembre 1906 dans le litige frontalier opposant le Honduras et le
Nicaragua.
Le roi d'Espagne avait été saisi de ce différend par ces deux Etats latino-
américains par voie de compromis signé le 7 octobre 1894. Ce texte était également
appelé le traité gamez-Bonilla. Il rendit sa sentence le 29 décembre 1906 faisant
droit au Honduras. C'est alors que contestant la régularité de la sentence, le
--------------------- -
_.-
47 Cf. Philippe MANIN cl Alelh MANIN. Doeullleuls d'études. Droit Inlernalional public. Règlcmeui pacifique
des dilTéreuds cuire FI;lls. Nouvelle édilion. l)ocullleul;IIÎoll rranç;lise l'lX). p..,7 .
.,. Louis CA VARE. "L'arrêt de la CU. du 1X novelllbre IIJ(,() cl les nloyeus d'assurer l'exécution des senlenees
arbilrales". Mélanges Henri Rolin A. Pédone. 1%4. P 42.

2')
Nicaragua refusa de l'exécuter. Pour celle raison, le Honduras demanda à la Cour
Internationale de Justice de déclarer que la non exécution de la sentence arbitrale
de 1906 constitue la violation d'un engagement international au sens de l'article 36
alinéa 2 du statut de la Cour et que le Nicaragua est tenu par conséquent de
l'exécuter.
En clair, il demande à la cour de sanctionner l'arbitrage intervenu. Ne voulant
pas jouer le rôle d'organe juridictionnel de révision, la Cour se garda de statuer sur
le fond du problème prenant soin de ne pas examiner la validité de la sentence
litigieuse. Elle examina cependant si elle devait être exécutée ou non et conclut
qu'elle était valable, obligatoire et devait par conséquent être exécutée par le
Nicaragua aux termes d'un arrêt qu'elle a rendu le 18 novembre 1960.
* Le deuxième cas est l'affaire du Canal de Beagle qui a donné lieu à une
sentence rendue le 22 avril 1977 par un tribunal arbitral et ratifiée par la Reine
d'Angleterre 49. Dans cette affaire, comme dans la première, il s'agit d'un litige
frontalier qui oppose cette fois-ci l'Argentine et le Chili. Mais, à la différence de la
première affaire qui a connu un dénouement judiciaire, celle seconde affaire n'a pas
été portée devant les juges de La Haye. Elle fut l'objet d'une solution politique
intervenue en 1984. Trois îles (îles Picton, Nueva et Lennox) étaient contestées par
ces deux grandes Républiques sud-américaines. Il est intéressant de noter que le
tribunal arbitral qui avait été constitué pour connaître de ce litige, comprenait cinq
membres, tous membres à
l'époque ou anciens membres de la C.I.J. et de
nationalités différentes. Le président du tribunal était l'éminent juriste britannique
Fitzmaurice. La sentence rendue débouta l'Argentine de ses prétentions. Sans motif
juridique valable, l'Argentine récusa cette sentence qui attribuait au Chili les îles
litigieuses; en témoigne la déclaration de nullité du 25 janvier 1978. En effet, le
régime de Videla qui croyait pouvoir se plier aux traditions latino-américaines du
règlement pacifique par voie d'arbitrage, s'est trouvé acculé en raison de difficultés
internes à déclarer nulle cette sentence qui l'obligeait à renoncer à d'infimes
parcelles de territoire au sud de la Terre de Feu et à d'importantes prétentions
maritimes 50
49 Deux senlenees la préeédèrenl : celle rendue par le Roi Edouard VII le 20 novembre 1902 ct celle rendue par
la Reine Elisabeth Ille 9 décembre 19(,(, dans l'aITaire de 1;1 fronlière des Andes.
5" (1)
Cf. Jacqueline DUTHF:IL de la ROCHERE. "1 ,'AITaire du Canal de Beagle. senlence
rendue par la
Reine d'Anglelerre le 22 avril 1'i77". N'.D..!. 1'i77

30
Devant cet imbroglio inattendu, le Chili avait souhaité la saisine de la Cour
parce qu'il était persuadé de la solidité juridique de sa position. Finalement, la
sagesse l'emporta et les deux Etats se résolurent à demander au Saint-Siège le 8
janvier 1979 à Montevideo d'agir comme médiateur dans ce différend51 . A la suite de
cette médiation pontificale, un traité de Paix et d'amitié fut signé entre les deux pays,
le 29 novembre 1984 à Rome52
Ce retour à une solution politique confirme l'idée selon laquelle les
négociations diplomatiques ont toujours été le moyen principal de règlement
pacifique des différends internationaux. Cette idée est confirmée par la maxime
« entre Etats comme entre particuliers, un mauvais arrangement vaut mieux qu'un
bon procès )) 53
Pour en finir avec l'affaire du Canal de Beagle, notons que si la sentence a
été rendue par un tribunal arbitral, les deux autres affaires qui l'ont précédée ont
donné lieu à des sentences rendues par la Couronne britannique selon le procédé
de l'arbitrage par souverain.
De plus, la sentence du 22 avril 1977 porte l'empreinte et le style du président
du tribunal comme la sentence rendue dans l'affaire du « Rann de Kutch ».
Les deux affaires qui viennent d'être examinées ternissent l'image de
l'arbitrage. Elles révèlent que le bénéficiaire d'une sentence arbitrale n'a aucun
moyen de recours contre l'inexécution de celle-ci par la partie perdante. Ce point
mérite que l'on s'y attarde.
Si l'article 94 de la Charte des Nations-Unies se préoccupe du sort des
décisions de la C.I.J., aucune disposition conventionnelle de portée universelle ne
s'occupe de celui des sentences arbitrales lorsqu'une des parties à un procès refuse
de s'incliner devant la décision de l'arbitre. Rappelons les dispositions pertinentes
de cet article 94. Son alinéa 2 dispose: « Si une partie à un litige ne satisfait pas aux
obligations qui lui incombent en vertu d'un arrêt rendu par la Cour, l'autre partie peut
recourir au Conseil de Sécurité et celui-ci, s'il le juge nécessaire, peut faire des
" Alain BROUILLET. "La médiation dn Sailli-Siège c1:lI1s le c1irrérend ellire
l'Argentine et le Chili sur la
zone australe" A.F.D.!. 1971), p. (,(,.
52 Pour le lexie du Traité. voir R.G.D.I.P. J1)1\\5. l Docnl\\lenls. pp. 1\\54-1\\(,1).
" Elle es! exprimée par Politis d:lI1s J'arrairc Mavrollllnatis qui a opposé la Grèce el "Angleterre. Rec. c.P.J.I.,
série C. na 5-1. p. 51.

] 1
recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l'arrêt ».
Ainsi, aux termes de ce texte, la saisine du Conseil de Sécurité d'une sentence non
exécutée semble impossible. Mais la difficulté pourrait être contournée par l'effet
provoqué d'une décision judiciaire. Dans ce cas, la partie qui y a intérêt devrait
porter ladite sentence litigieuse devant la C.I.J. qui rendra un arrêt dont les
conséquences lui permettront éventuellement de recourir au Conseil de Sécurité.
C'est ce qu'a fait le Honduras, mais il n'a pas obtenu gain de cause. Cette lacune
des textes est déplorable mais elle n'a pas toujours existé puisque les sentences
arbitrales et les arrêts de la C.PJ.L pouvaient être soumis au Conseil de la Société
des Nations ainsi que l'énonce l'article 13 du Pacte de la SD.N. : (( Les membres de
la société conviennent qu'en cas de solution arbitrale ou judiciaire d'un différend, ils
s'engagent à exécuter de bonne foi les sentences rendues, faute d'exécution de la
sentence, le Conseil propose les mesures qui doivent en assurer l'effet)) »
La doctrine propose de combler ce vide en appliquant l'article 94 précité en
dépit de ses dispositions contraires, aux sentences arbitrales permettant ainsi aux
parties de saisir directement, en cas d'inexécution de ces sentences le Conseil de
Sécurité sans passer par l'intermédiaire de la Cour5~
On peut cependant s'interroger sur l'efficacité de cette proposition quand on
sait que les mécanismes prévus par cet article n'ont jamais été mis en branle même
quand l'occasion se présentait. Récemment le Président Ortéga du Nicaragua
menaçait de saisir le Conseil de Sécurité si les Etats Unis n'exécutaient pas l'arrêt
de la Cour en cessant d'aider les rebelles antisandinistes55. En effet, comme ils l'ont
fait pour les mesures conservatoires, les Etats Unis n'entendent pas exécuter cet
arrêt. Dans le même sens, signalons des affaires plus éloignées dans le temps. Il
s'agit des affaires du Détroit de Corfou et de l'Anglo-lranian Oil où respectivement
l'Albanie et l'Iran ont refusé d'exécuter les décisions judiciaires les condamnant sans
être inquiétés56.
Un regard rétrospectif nous indique toutefois que le Conseil de la S.D.N. a été
saisi une seule fois sur la base de l'article 13 §4 du Pacte au sujet de la sentence
q cr. Louis CA VARF.. Q2. cil.. p. 54.
~~ cr. Le Mond~ du 22 juillel )98(" p. 5.
56 Notons cependant que dans ('aITaire de l'or monélaire donl l'arbilre Sauser Hall :lVail altribué fa propriété à
l'Albanie. l'accord signé;) Washington en )951 enlre la l'rance. le Royaume-Uni ct les Etals-Unis prévoyait que
le Royaume-Uni recevrait cet or en indemnisation partielle des donlIu:lges subis dans le Détroit de Corfou.

32
arbitrale rendue le 29 mars 1933 dans J'affaire des Forêts de Rhodope Central entre
Grèce et la Bulgarie. Mais, il ne fut saisi d'aucun arrêt de la C.p.J.1. 57.
Au-delà des doutes émis sur l'efficacité du recours au Conseil de Sécurité à
la suite de l'inexécution d'une décision judiciaire, il faut noter que les arrêts de la
Cour, à la différence des sentences arbitrales, sont investis mutatis mutandis d'une
autorité considérable. L'audience de la Cour est en effet grande et le refus de se
conformer à ses décisions est toujours mal apprécié par l'opinion internationale 58.
Tenter donc de s'y soustraire désigne l'Etat récalcitrant à la réprobation générale.
En conclusion, nous pouvons affirmer aux termes de ces développement, que
l'influence des parties sur la procédure arbitrale, l'absence de recours contre une
partie récalcitrante qui tenterait de se soustraire à la force obligatoire d'une
sentence arbitrale, le caractère onéreux de l'arbitrage et enfin l'autorité morale des
juges de la Cour, ont été les éléments qui ont pesé sur le choix
des parties du
règlement judiciaire mais ils ne sonnent pas pour autant le glas du règlement arbitral
; car loin d'être une formule dépassée, l'arbitrage connait aujourd'hui une telle
vitalité en droit international.
Après avoir indiqué les raisons réelles ou probables qui ont conduit les
parties à saisir une chambre ad hoc de la C I.J de leur différend, témoignant ainsi
de leur préférence pour le règlement judiciaire, examinons dans les pages qui
suivent les problèmes de la composition de cet organe subsidiaire de la Cour.
57 Cf. Alain PILLEPICH : La Cllarle des Nations Unies. Commentaire article par article sous la direction de
J.P. COTet d'Alain PELLET. Economi~,! 19R5. Article 94. p 1271
.'" Certaines sentenccs arbitrales jouisseul cependanl d'nne grande :mtmité inhéreute:\\ la personnalité des
jurisconsultes qui les ont rendues. Qu'il nous suffise de citer les sentences rendues par Max Hubcr dans l'afTaire
de l'Ile de P:llnl:1s. p:lr Sauser-Hall dans l'afTaire de l'or monétaire albanais. I.ardy dans l'afTaire de l'Ile de
Timor, etc...

JJ
CHAPITRE
Il
LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE SPECIALE
Elle est prévue à l'article Il du Compromis.
«Les parties soumettent la question posée à l'article 1 à une Chambre de la
C.l.J. (ci-après «la Chambre») constituée en application de l'article 26 § 2 du statut
de la C.l.J. (ci-après «la Cour») et les dispositions du présent compromis».
Le mécanisme des Chambres ad hoc n'est pas un phénomène nouveau ainsi
qu'on le verra (cf. infra). En revanche, ce qui est nouveau, c'est la mise en branle.
En effet, c'est la quatrième fois que les parties recourent à l'article 2659. Il est donc
trop tôt pour faire des systématisations
Néanmoins et en nous fondant sur la doctrine, on remarque que l'application
de l'article 26 soulève des points d'interrogation et suscite des inquiétudes en raison
du poids des parties dans l'élection des jL1ges et des menaces virtuelles qui pèsent
sur l'unité de la Cour. Mais ce qui retient surtout l'attention ce sont les critères de
choix des juges par les parties Ils sont variables et, dans la présente affaire, les
aspects politiques et les aspects juridiques s'imbriquent et s'entremêlent. Une
composition de la Chambre de juges africains fut envisagée au début mais devant
certains obstacles juridiques6o, les parties eurent recours à une solution tiers-
mondiste (Afrique-Amérique Latine). Là également, les considérations juridiques
prévalurent et finalement le cercle fut élargi à un juge d'un pays de l'Europe de l'Est.
Après quelques remarques d'ordre général sur l'institution de cet « organe
subsidiaire autonome de
la Cour»61,
seront
successivement
examinés
les
inquiétudes que suscite le recours à la Chambre ad hoc, et les critères de choix des
juges par les parties.
59 Affaire du Golfe du Maine, affaire du différend frontalier Burkina/Mali, affaire opposant le Honduras
au S8lv8dor. Voir communiqué de 18 Cour n° 86/16 du 11 décembre 1986, affaire opposant l'Italie
aux E.U.A. Voir communiqué de la Cour
n° 87/5 du 5 m8rs 1987.
"" Cf. infra.
Id Cf. Shabt8i ROSENNE. The Law and Praclice of The International Court of Justice. A.W. Sijthoff.
Leyde, 1965, vol. l, p. 72. et E. ZOLLER. "L8 première constitution d'une chambre spéciale par la
C.I.J.". R.GD.I.P. 1982-2

J4
SECTION PRELIMINAIRE: REMARQUES D'ORDRE GENERAL
,
La révision du règlement de la Cour qui a débuté en 1972 et s'est poursuivi
en
1978 a permis d'importants amendements et innovations apportées au
Règlement; seules nous intéressent les dispositions relatives aux chambres et, plus
particulièrement, celles relatives à la constitution des chambres pour connaître d'une
affaire déterminée 62" A cet égard, l'article 15 à 18 du Règlement dispose que « la
Cour peut, à toute époque, constituer une ou plusieurs chambres composées de
trois juges au moins selon ce qu'elle décidera pour connaÎtre de catégories
déterminées d'affaires... ii Depuis l'institution de ces chambres spéciales, c'est la
quatrième fois que deux Etats décident de leur confier leur différend.
Les pionniers en la matière sont le Canada et les Etats-Unis d'Amérique. Ils
ont eu recours à la Constitution d'une Chambre ad hoc dans l'affaire de la
délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine. Ces deux
Etats ont saisi la Chambre par un compromis conclu le 29 mars 1979 et entré en
vigueur le 20 novembre 1981 après qu'ils l'eurent ratifié63.
La philosophie de ces Chambres est de vivifier la Cour, de lui donner un
souffle nouveau en attirant vers elle les justiciables que sont les Etats. Donner de
l'impulsion à la Cour semble être la principale explication de l'institution de ces
Chambres. On veut par là encourager les Etats à aller devant la C.I.J. au lieu de
former des tribunaux arbitraux en dehors d'elle.
Pour atteindre ce but, on ménage les Etats en leur accordant la possibilité
d'influencer de manière décisive la composition de la Chambre. En effet, ce sont eux
qui suggèrent le choix des membres devant siéger dans la Chambre.
Ces membres sont normalement élus car l'intérêt d'une bonne justice
internationale exige que les problèmes touchant à la composition de la Cour, et a
fortiori ceux relatifs à la composition d'une Chambre, restent entourés d'un certain
secret64 En procédant à leur élection, la Cour tient compte des voeux des parties.
62 Il existe trois sortes de chambres: la chambre de Procédure sommaire, des
chambres pour
connaître de certaines catégories d'affaires et des chambres pour connaître d'une affaire déterminée.
6.' Rec. 1984, C.I.J.
Arrêt du 12 octobre 1984.
64 Elisabeth ZOLLER, op. cil., p. 307.

Yi
C'est ce qui s'est passé dans l'affaire du Golfe du Maine malgré les dispositions
contraires de l'article 18 du Règlement de la Cour.
" est vrai que l'article 17 du même texte prévoit que le Président de la Cour
consulte simplement les parties, ce qui laisse supposer que la Cour a, en la matière,
un pouvoir discrétionnaire. Théoriquement, l'avis émis par les parties ne devrait pas
la lier car la philosophie de l'article 26 du statut ne repose pas sur l'automatisme de
la ratification par la Cour du choix des parties. Mais comme il a déjà été indiqué, la
pratique est différente. Dans ces conditions, on peut affirmer que la constitution
d'une Chambre spéciale repose sur la formule insolite « les parties proposent et
disposent JJ, l'essentiel étant d'éviter d'éloigner les justiciables de la Cour6S.
A la lumière de cette pratique, on peut se demander si cette coopération
étroite entre la Cour et les Parties, constitue vraiment une bouffée d'oxygène
donnant enfin vie à cette catégorie de Chambre6G On peut également se demander
si la primauté donnée aux parties, ce qui introduit "esprit d'arbitrage dans l'institution
judiciHirer."
118
suscito pas dos illqlli(')\\udos (soclion
1) puisque
les parties
déterminent librement leurs critères de choix des Juges (section 2).
SECTION 1:
LES INQUIETUDES SUSCITEES PAR LE RECOURS
A LA CHAMBRE SPECIALE
Si l'institution des chambres spéciales a pour but de rapprocher la Cour des
justiciables, elle n'est pas pour autant à l'abri de critiques En effet, de nombreux
griefs sont formulés contre elle
le caractère fictif de l'élection des juges et les
menaces possibles contre l'unité de la Cour.
(,< Dans l'affaire du Golfe du Maine par exemple, la Cour s'est inclinée devant le
choix des parties sous peine de les voir retirer l'affaire pour la soumettre à un
tribunal
arbitral.
Cf.
Geneviève GUYOMAR : "Commentaire du Règlemenl. .. "
op. cil., p. 70.
C" Cf. Sture PETREN . "Quelques réflexions sur la révision du règlement de la
C.I.J.". Mélanges Ch.
Rousseau, p. 191
{" Cf. René Jean DUPUY. "La réforme du règlement de la C.I.J". A.F.D.1. 1972, p.
270. et Paul de la PRADELLE. "Progrès ou déclin du Droit International?
Mélanges Ch. Rousseau, op. cil., p. 147.

3CJ
§ 1- Le caractère fictif de l'élection des ~
Il a été reproché à la Cour de modifier son propre règlement en vidant de leur
substance les dispositions de l'article 18 du Règlement. Rappelons que cet article
dispose que les membres de la chambre spéciale devraient être élus au scrutin
secret.
Mais nous venons de voir qu'en pratique, les juges proposés par les parties
sont élus. De ce fait, le caractère secret du scrutin perd de sa valeur. Ainsi, dans
l'affaire du Golfe du Maine, le Canada et les Etats-Unis s'étaient mis d'accord sur le
nombre et les noms des juges que la Cour devait désigner et envisageaient de
porter leur différend devant un tribunal arbitral, si la Cour ne s'inclinait pas devant
leurs désirs.
Dans l'affaire du différend frontalier MalilBurkina, les deux parties ont proposé
également à la Cour des noms de juges qu'elle a finalement retenus.
Un autre grief formulé concerne les risques de démantèlement de la Cour.
§ 2 - Les menaces contre l'unité de la Cour
Ce risque a été souligné avec force par la doctrine.
En effet, Edward Hambro écrit que le recours à la Chambre spéciale fait des
mécontents parmi les juges non désignés. La Cour serait alors coupée en deux avec
une catégorie de plus éligibles que les autres pour les tâches judiciaires68. Il reprend
ainsi une idée déjà exprimée par E. Jimenez De Aréchaga à savoir que
« l'importance donnée aux parties pour la constitution de la Chambre spéciale
risquerait de porter atteinte à l'unité de la Cour, en transformant les chambres en
organes issus d'une sélection privée ,/9
68 Cf. Edward HAMBRO. "Quelques observations sur la révision du règlement de la C.I.J." Mélanges
Ch. Rousseau, op. ci!., p. 131
09
E. JIMENEZ DE ARECHAGA. "Les amendements au règlement de la C.I.J.".Conférence
commémorative. Gilberto Amado, Genève, Nations-Unies, 1972, p. 3.

37
La constitution d'une Chambre spéciale aboutirait donc à scinder en deux
catégories les juges de la Cour, certains pouvant bénéficier assez régulièrement de
la confiance des plaideurs, d'autres non?O
Le même jugement se retrouve dans des articles plus récents consacrés à la
question. Ainsi, dans son article précité, E. ZOLLER se demande si on ne risque pas
d'une part, de porter atteinte à l'autorité et à l'indépendance de la Cour qui doit
garder le dernier mot sur la composition de la Chambre, le pouvoir de constituer la
Chambre n'appartenant qu'à la Cour et à elle seule, et d'autre part, de permettre la
constitution de chambres régionales dont l'existence ébranlerait l'universalité du
droit international?1.
Au-delà des menaces contre l'unité organique de la Cour, n'y a-t-il pas des
menaces contre l'unité de la jurisprudence? La constitution d'une Chambre de la
Cour ne constitue-t-elle pas un moyen de contourner la Cour dans sa forme plénière
?72
En effet, le risque de parcellisation ou d'émiettement de la jurisprudence de la
Cour est grand. Confier une affaire à toute la Cour est certainement un gage de
l'unité du droit international et de la continuité jurisprudentielle.
En conclusion, on peut affirmer que si la doctrine est unanime sur les
menaces qui pèsent sur l'unité de la Cour, elle l'est moins sur l'idée de la
régionalisation de la juridiction internationale
En effet,
les partisans de la
régionalisation récusent l'idée de leurs adversaires selon laquelle les chambres
régionales mettraient en péril l'universalité du droit international, et ce, au mépris
des dispositions de l'article 9 du statut de la Cour. Ils font également observer que
les progrès du droit international passent justement par une reconnaissance des
différences qui distinguent les uns des autres.
Cette querelle doctrinale n'existe pas dans la détermination des critères de
choix des jL1ges.
10 René Jean DUPUY. op. cil., p. 273.
11 Cf. E. ZOLLER, op. cil.. p. 309.
72 Cf. Emmanuel DECAUX. "Arrêt de la Chambre de la CU sur l'affaire de la
délimitation
de
la
frontière dans le golfe du Maine. Canada/Etats-Unis 12 octobre 1984". A.F.D.1. 1984, p. 305.
Voir également Geneviève GUYOMAR : "La constitution au sein de la C.I.J. d'une Chambre chargée
de régler le différend de frontières maritimes entre les E.UA
et le Canada". A.F.D.1. 1981, pp. 213-
221.

38
SECTION Il :
LES CRITERES DE CHOIX DES JUGES
DES PARTIES
Dans la procédure judiciaire des chambres spéciales, les parties, on le sait,
exercent un rôle prépondérant au plan de la composition de l'organe de jugement.
Elles sont ainsi amenées à retenir plusieurs critères de choix. Elles seront par
exemple tentées d'examiner de très près l'histoire d'un juge dans des affaires
antérieures, dans des organisations ou conférences internationales auxquelles il a
participé.
Dans le cas qui nous occupe, des considérations politiques ont dicté aux
parties le choix des juges; elles ont, comme dans l'affaire du Golfe du Maine, retenu
l'appartenance régionale des juges mais il faut signaler que les facteurs juridiques
n'ont pas toujours été absents de leurs calculs. Elles ont tenu compte du profil
judiciaire des juges et de la position de leur pays d'origine sur certaines questions
de droit international intéressant les différends frontaliers. Evidemment, elles n'ont
pas hésité à exclure tout juge qu'elles ont considéré comme hostile à leurs thèses.
L'une des parties (le Burkina) souhaitait voir une Chambre composée de juges
africains. Mais pour des raisons que nous examinerons plus loin, les parties durent
s'en tenir à une formule tiers-mondiste qu'elles ont corrigée.
§ 1 - La solution africaine
Le souhait des parties tel qu'il résulte des termes du compromis est de former
une Chambre de cinq membres dont deux juges ad hoc qui seront désignés
conformément aux dispositions de l'article 31 du statut de la Cour.
Pour le choix des juges ad hoc, il n'y eut naturellement aucun problème,
chaque partie étant libre de désigner son juge sans se référer à l'autre. C'est ainsi
que furent nommés pour siéger toute la durée du procès le Français François
Luchaire et l'Egyptien Abi Saab respectivement par le Burkina et le Mali.
Il n'y eut également aucune difficulté pour le choix du juge, M. Bedjaoui,
s'agissant des juges de la Cour
Les bonnes relations que les deux pays

.N
entretiennent avec son pays d'origine, l'Algérie, lequel a joué un rôle de médiateur
dans le conflit frontalier, ne sont pas étrangères à ce choix.
Ce ne fut pourtant pas le cas pour la désignation des deux autres juges. Le
Burkina souhaitait que soit constituée une Chambre à coloration africaine et proposa
dans cette optique le juge sénégalais Kéba IVI'Baye Le troisième juge africain de la
Cour, Taslim Olawale Elias, rejoignit le rang des éligibles. Pourquoi une telle
solution? C'est certainement parce que les Juges africains sont plus proches d'eux
et sont donc plus sensibles à leurs difficultés. De plus, chacun d'eux est issu d'un
pays qui a connu ou connaît des problèmes frontaliers résultant de l'arbitrage des
tracés de la période coloniale. Citons pour mémoire le conflit algéro-marocain, le
conflit entre le Nigéria d'une part, le Tchad et le Cameroun d'autre part; le conflit
entre le Sénégal et la
Gambie. Ce dernier conflit est aujourd'hui réglé avec
l'institution de la Sénégambie.
Cependant, des obstacles ont empêché les parties de les retenir.
A) - Les motifs de non participation du juge Keba M'Baye
Il a été proposé par le Burkina et aussitôt le Mali l'a récusé pour les raisons
suivantes: le juge Kéba a présidé la sous-commission juridique c:je la Commission
de médiation de l'O. UA instituée le 26 décembre 1974 par le « Sommet de la
Réconciliation» tenu à Lomé à l'initiative et sous la présidence de Gnassingbé
Eyadéma, tout ceci sous l'autorité de l'O. UA
Composée du Togo qui assurait la présidence, du Niger qui jouait le rôle de
rapporteur, du Sénégal et de la Guinée-Conakry, la Commission de médiation a
entériné les conclusions et recommandations de la sous-commission juridique
consignées dans un rapport que le Mali a rejeté après l'avoir accepté (cf. infra)
parce qu'il ne lui est pas favorable.
Le fait cionc que le Mali s'oppose à sa désignation n'est pas étonnant. Le juge
Kéba ayant connu de cette affaire à un niveau régional, le Mali ne souhaite pas qu'il
puisse en connaître à nouveau en tant que juge de la Cour.
La récusation d'un juge qui a déjà statué sur une affaire n'est pas un
phénomène nouveau. L'article 17 al. 2 du statut dispose en effet que « les membres
de la Cour ne peuvent pa/1iciper au règlement d'aucune affaire dans laquelle ils sont

40
antérieurement intervenus comme agents, conseils ou avocats de l'une des parties,
membres d'un tribunal national ou international, d'une commission d'enquête ou à
tout autre titre ».
En application de cette disposition, le juge Evensen élu à la Cour en 1985
s'est abstenu de siéger dans l'affaire de la demande en révision et interprétation de
l'arrêt du 24 février 1982 dans l'affaire du Plateau Continental Tunisie! Libye, parce
qu'il était juge ad hoc de la Tunisie.
Sir Robert Jennings qui faisait partie des Conseils de Tunisie, s'est également
abstenu. Il a été élu à la Cour en 1982. Dans ces deux cas, il s'agit du déport
volontaire comme le prévoit l'article 24 du statut.
Cette notion de déport est différente de la notion de récusation qui suppose
une requête devant la Cour73. Dans le cas du juge Kéba M'Baye, n'ayant pas été élu
pour siéger, la procédure de récusation ne pouvait pas s'appliquer.
On se souvient que pour rendre son avis consultatif dans l'affaire du sud-
ouest africain, la Cour a été confrontée à ce type de problème. En effet, l'Afrique du
Sud qui occupe illégalement ce territoire,. avait, au stade préliminaire de la
composition de la Cour, récusé trois juges dont l'un avait participé comme
représentant de son gouvernement, à l'élaboration de la Résolution 246 (1968) du
Conseil de Sécurité. Cette résolution concernait directement le sud-ouest africain74.
Il s'agit du juge mexicain Padilla Nervo. De toutes façons, le juge Kéba M'Baye ne
pouvait pas siéger dans la Chambre spéciale parce que son pays le lui avait
demande 75. D'autre part, il pouvait se déporter comme lui permet l'article 24 du
statut: « si pour une raison spéciale, l'un des membres de la Cour estime devoir ne
pas participer au jugement d'une affaire déterminée, il en fait part au président ».
7.1 Sur la distinction entre ces notions, voir Louis FAVOREU : "Récusation et administration de la
~reuve devant la C.I.J. A propos des affaires du s.a. africain (fond). A.F.D.1. 1965, p. 236 et suiv.
4 Cf. Brigitte BOLLECKER. "Avis consultatif du 21 juin 1971 dans l'affaire de la Namibie (sud-ouest
africain)". A.F.D.1. 1975, p. 284.
1;
C'est sans doute parce que le Sénégal ne souhaite pas que cette affaire vienne compromettre ses
relations avec les parties.

41
B) - Les motifs de non participation dujuge T.O. Elias
Les choses sont beaucoup moins compliquées en ce qui concerne ce juge.
Oeux raisons ont pu conduire les parties à l'écarter:
- la première raison est d'ordre linguistique
Toute la procédure se déroule en français, langue avec laquelle ce juge n'est
pas familier. Ce motif est peut être moins déterminant que la deuxième raison qui est
plutôt politique parce que liée à l'attitude antipanafricaniste adoptée ces dernières
années par le Nigéria, pays le plus grand, le plus peuplé, le plus riche, de l'Afrique
de l'Ouest et surtout le plus gros contributeur au budget de la C.E.O.EAO. 76 (plus
de 70 % du budget).
Cette attitude s'est traduite par la violation répétée d'un principe fondamental
de cette Organisation: le principe de la libre circulation des personnes et des biens,
ainsi qu'en témoignent les expulsions massives de deux millions de ressortissants
des autres pays membres de la C.E.O.EAO en 1983. Cela est intervenu sous la
présidence de Shehu Shagari. Puis en 1985 et cette fois-ci sous le président
Mohamed Buhari, le Nigéria a expulsé 700 000 ressortissants de la Communauté77 .
Ces différentes expulsions ont été à l'époque condamnées par les pays
africains. L'on se souvient d'ailleurs qu'au sommet de la C.E.O.EAO. tenu les 5 et
6 juillet 1985 à Lomé, le chef d'Etat du Burkina
a condamné avec vigueur ces
méthodes du régime nigérian qui n'a cessé d'indigner les participants à ce sommet
en proposant de repousser au mois de juin la mise en application du droit de
résidence pour les ressortissants de l'Organisation, dans le cadre de la libre
circulation des personnes et des biens. Cette attitude a d'ailleurs poussé le
Président Burkinabé à quitter la Conférence sans attendre la cérémonie de clôture.
Non content de toutes ces violations du traité constitutif de la C.E.O.EAO., le
Nigéria a fermé ses frontières pendant un an, compromettant ainsi les échanges
économiques nécessaires avec les autres pays du continent et mettant du même
76 Il s'agit de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest. Elle a vu le jour le 28
mai 1975 et elle comprend aujourd'hui 16 membres: Bénin, Niger, Togo, Côte d'Ivoire, Burkina, Mali,
Ghana, Sénégal, Gambie, Mauritanie, Nigéria, Guinée-Conakry, Guinée-Bissau, Cap-Vert, Sierra·
Leone, Libéria. Son siège est à Lagos (Nigéria). Pour le texte du traité, voir J.O.HV du
10
juillet 1975, p. 516.
77 Cf. Afrique Nouvelle n° 1871 du 21 mai 198!), p. 6.

'12
coup à rude épreuve l'unité africaine 7B Comme on le voit, ni Kéba M'Baye, ni 1.0.
Elias n'ont été retenus. Leur éviction a conduit les parties à s'orienter vers une autre
solution.
§ 2 - La solution Tiers-mondiste
Il s'agit de compléter la chambre en ,désignant deux juges du Tiers-Monde,
c'est-à-dire des juges qui proviennent d'un ensemble de pays économiquement en
retard 7911 n'est pas nécessaire d'entrer ici dans des débats conceptuels mais notons
qu'au sein du Tiers-Monde, il existe d'énormes disparités économiques entre les
pays: il y a des pays qui connaissent un début d'industrialisation, les pays arabes
pétroliers, les pays les moins avancés80
Dans cette perspective, furent proposés les juges argentin José Maria Ruda
et brésilien Sette-Camara
Le premier fut retenu parce que, dit-on, il est originaire d'un continent auquel
revient la paternité historique du principe de l'uti possidetis
créé en 1810. Il est
donc censé avoir une compétence éprouvée dans les questions frontalières.
D'ailleurs, il a représenté son pays dans l'affaire de la frontière des Andes à propos
du différend frontalier qui a opposé l'Argentine et le Chili, différend qui donna lieu à
une sentence rendue par la Reine Elisabeth Il le 9 décembre 1966 81 .
Quant au juge brésilien proposé par le Mali, le Burkina s'opposa à sa
désignation parce que son pays est l'un des défenseurs acharnés de l'uti possidetis
7R Aujourd'hui, et comme pour se faire pardonner, le nouveau régime dirigé par le Général Ibrahim
Babanguida a condamné ces expulsions faites par ses prédécesseurs en soulignant qu'elles
constituent une violation de la tradition de tolérance et d'hospitalité du Nigéria. Cf. Jeune Afrique, n°
1292 du 9 octobre 1985, p. 22. Les frontiéres sont ouvertes et les nouvelles autorités tentent de
donner une autre image du Nigéria. Qu'il nous soit permis de souligner le rôle
important
que
ce
pays a joué conjointement avec la Libye dans l'arrêt des hostilités consécutives à la guerre Mali-
Burkina de décembre 1985.
79 Michèle SICART BOZEC. Les positions des juges du Tiers-Monde à la C.!.J. Thèse 3ème Cycle.
Aix-Marseille 1984. p. 9.
RO Voir Guy FEUER. "Les différentes catégories de pays en développement. Genève. Evolution.
Statut". Journal de Droit international 1981-1. Guy de LACHARRIERE. "Aspects récents du
classement d'un pays comme moins
développé". A.F.o.!. 1967, p. 703-716.
Du même auteur : "La catégorie juridique des pays en développement" in Pays en voie de
développement et transformation du droit int~Illa.ttQ!tal._S.F.o.!. Colloque d'Aix-en Provence. Pédone
1974, p. 41-46. CA COLLIARD. "Egalité ou spécificité des Etats dans le droit international actuel". in
Mélanges Trotabas 1970, p. 529-558.
RI J.P. COT. "L'affaire de la frontière des Andes". A.F.o.!. 1968.

43
de facto, principe que le Burkina juge (cf. infra) non pertinent dans la présente
affaire82 .
Cependant, au nom de son pays ce juge a soutenu lors des débats de la
Commission de droit international sur la succession d'Etats en matière de traités que
« si tout
Etat nouvellement indépendant pouvait répudier unilatéralement les
frontières qui constituent le fondement matériel de son existence, le monde se
trouverait plongé dans le chaos ii 83 Si ce n'était que cela, cette déclaration serait en
accord avec le principe de l'intangibilité des frontières, mais malheureusement, le
juge Sette-Camara a, semble-t-il, détruit d'un trait de plume ce qu'il venait de
construire comme en témoigne ce fragment de sa déclaration : « Il ne faut pas
oublier qu'aucun Etat n'est tenu d'accepter la dévolution d'une injustice. Il est
toujours libre de contester la légalité des dispositions établissant des frontières ))84.
Le Burkina Faso ayant refusé le choix du juge Camara, deux noms furent
évoqués pour la désignation du troisième juge : le Polonais Manfred Lachs et le
Français Guy Ladreit de Lacherrière, car il fallait corriger la formule tiers-monde.
§ 3 - La solution Tiers-Mondiste corri~
Une question se pose : fallait-il élargir le cercle à l'Occident en retenant le
juge G.L. de Lacharrière, ou à l'Europe de l'Est en désignant Manfred Lachs comme
troisième juge?
Le juge français fut écarté pour des raisons d'opportunité. En effet, un juge
français siège déjà dans la Chambre en tant que juge ad hoc. Par conséquent, il
n'est pas convenable qu'un deuxième juge ressortissant de France siège dans la
même Chambre pour connaître d'une affaire dont la France porte au demeurant une
grande responsabilité historique. Nul n'ignore que les origines de ce différend
remontent à l'époque où l'Empire français administrait les territoires de l'ex-Haute-
Volta et de l'ex-Soudan français.
82 Dans le conflit frontalier qui a opposé le Brésil et la Colombie, le gouvernement brésilien a fondé
ses prétentions sur l'uti possidetis de facto.
R1 A.CD.1. 1974, volume 1, r
210.
"A.C.D.1. 1974, vol. l, or. cil., p 210.

44
Et le fait qu'une des parties au procès, en l'occurrence le Burkina, ait fait
confiance à un juge ad hoc (Français LUGhaire) et à des Conseils français (J.P. Cot
et A. Pellet), peut paraître surprenant Mais que l'on se souvienne que les pays
latino-américains ont souvent désigné comme arbitre dans
leurs différends
territoriaux, le Roi d'Espagne, donc le symbole de l'ancienne puissance coloniale.
S'agissant du juge polonais Manfred Lachs, il a été retenu parce qu'il est
originaire d'un pays socialiste qui est idéologiquement proche des parties.
De plus, lors de la discussion en 1974 des problèmes relatifs à la succession
d'Etats, la Pologne a proposé au sein de la Commission de droit international de
considérer que l'intangibilité des frontières et l'intégrité territoriale qui en découle,
fasse partie du jus cogens85
La hardiesse de cette position s'explique par l'histoire de ce pays déchiré et
dépecé qu'un éminent professeur résume en ces termes : « La Pologne a le triste
privilège,
dans l'histoire des relations internationales,
de
l'appellation d'Etat
saisonnier» en raison des partages dont elle a été l'objet de la part de ses grands
voisins »86
L'histoire de ce pays de l'Europe de l'Est qui n'était pas une colonie
ressemble étrangement à celle de l'ex-Haute-Volta.
En effet, la Pologne a été rayée de la carte politique internationale par
l'accord germano-soviétique du 28 septembre 1939. Tout comme la colonie de
Haute-Volta l'a été par un décret de 1932. Elle est redevenue Etat en 1945 alors que
la colonie de Haute-Volta devait être reconstituée en 1947 pour devenir une
République le 5 août 1960.
Tous ces problèmes n'ont pas manqué d'éprouver ou de pétrir la conscience
du juriste qu'est Manfred Lachs. En le choisissant, les parties ont certainement
pensé à sa grande expérience dans les questions frontalières.
R; Cf. A.CD.I. 1974, volume Il, Première Partie, p. 80.
Rr, Cf. Philippe BRETTON. "Le traité germano-polonais du 7 décembre
1970". A.FD.I. 1971, p. 171.
Voir également Henry ROLLET "La Pologne au XXe siècle". A. Pédone, 1984

45
En conclusion, nous pouvons affirmer qu'en raison de la philosophie des
chambres spéciales, il résulte une liberté des Etats dans le choix des juges87. Dès
lors, il est difficile de parler de critères définis ou prédéterminés. La détermination de
la règle applicable à ce différend est, elle aussi, difficile. Tel sera l'objet du chapitre
III.
87 Vont donc siéger dans la Chambre, les juges suivants: M. BEDJAOUI, M. LACHS et
J.M. RUDA auxquels s'ajoutent les deux juges ad hoc Cf. Communiqué C.I.J. n° 85/6, le 10 avril
1985.

46
CHAPITRE III
LA REGLE APPLICABLE AU DIFFEREND ET SES CONSEQUENCES
Pour éviter à la chambre constituée des difficultés qui pourraient compliquer,
retarder ou empêcher la solution qu'elle est appelée à rendre dans l'affaire du
différend frontalier qui les oppose, le Burkina et le Mali se sont mis d'accord sur les
principes que celle-ci devra appliquer.
Il s'agit de :
- du principe de l'intangibilité des frontières africaines;
- du principe de l'uti possidetis ,
- de l'équité dans sa forme infra legem ,
- et du droit colonial français ou droit d'Outre-Mer depuis la constitution
française de 1946.
Mais, comme on le remarquera plus loin, ces deux pays vont interpréter
différemment ces principes et en tireront des conséquences opposées.
Ainsi, s'agissant du principe de l'intangibilité des frontières qu'ils assimilent au
principe de l'uti possidetis, la question de l'existence ou non d'une frontière léguée
par la puissance coloniale ne rendra pas son application facile.
Quant au principe de l'uti possidetis, après
s'être ralliées à la distinction
binaire souvent établie entre l'uti possidetis juris et l'uti possidetis de facto, les
parties exploitent différemment chaque division en relation avec la qualification
qu'elles attribuent au présent conflit territorial. Ainsi, l'uti possidetis avec le génitif
de juris
s'appliquerait dans le cas d'un conflit de délimitation frontalière avec
prévalence des titres juridiques, et l'uti possidetis de facto dans le cas d'un conflit
d'attribution où les effectivités prendraient toute leur valeur.
Cette distinction byzantine sera abandonnée au cours des plaidoiries orales.
S'agissant de la mission de la Chambre, les parties reconnaissent qu'elle n'a
reçu
aucun pouvoir de leur part pour statuer ex aequo et bono. Toutefois, l'une
d'elles (le Mali) a proposé que la Ch8mbre tienne compte de l'équité inhérente à la
fonction judiciaire internationale, c'est-à-dire l'équité infra legem. Sans manifester un

47
quelconque désaccord, l'autre partie, en l'occurrence le Burkina, a émis des
réserves en faisant observer qu'à sa connaissance, il n'existe pas en matière de
délimitation de frontières terrestres,
d'équivalent de la notion de «principe
équitables» à laquelle le droit applicable dans le domaine de la délimitation des
zones maritimes renvoie si fréquemment.
S'agissant enfin du droit colonial dont l'application constitue l'une des
particularités de l'affaire soumise à la Chambre, les parties s'y sont référées dans
leurs écritures puisque le différend tire ses origines de la période coloniale. Cette
question ne manque pas d'intérêt dans la mesure où
il s'agit pour le juge
international d'appliquer le droit interne d'un Etat. Dans quelle mesure peut-il faire
ce renvoi ? Nous y reviendrons plus 10111. En attendant, il n'est pas inutile de se
demander à quel moment la Chambre devra apprécier le droit applicable dont on
vient de donner un aperçu ? A cet égard, les parties ont invoqué deux dates
différentes mais très proches dans le temps pour que la divergence soit
fondamentale.
Etant donné l'importance dans la présente affaire du principe de l'intangibilité
des frontières africaines puisque c'est la deuxième fois que la Cour est appelée à se
prononcer sur cette question88, il sera examiné dans une section préliminaire, après
quoi seront successivement abordées les divergences relatives à son application et
celles liées à ses conséquences.
Il n'y aura pas de rubriques spéciales consacrées à l'application de l'équité
infra legem et du droit colonial français. Ces points seront examinés en détail dans
le cadre du commentaire de l'arrêt rendu par la Chambre le 22 décembre 1986.
KR La Cour a eu l'occasion d'apprécier ce principe une première fois dans l'affaire de la délimitation du
Plateau Continental entre la Tunisie et la Libye. Dans cette
affaire, on peut lire: "La frontière a
donc survécu à toutes les vicissitudes des deux guerres mondiales et elle illustre bien l'application du
principe proclamé dans la Résolution du Caire adoptée en 1964 par l'O.U.A., aux termes de laquelle
"tous les Etats membres s'engagent à respecter les frontières existantes en accédant
à
l'indépendance nationale". La même règle de continuité ipso jure des traités de frontière et des traités
territoriaux est reprise dans la Convention de Vienne sur la succession d'Etat en matière de traités".
Cf. 1982, op. cit., pp. 65-66.
Soulignons également qu'en matière arbitrale, ce principe a été également mis en relief notamment
dans l'affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau. En effet,
il a été rappelé dans le préambule du compromis d'arbitrage par lequel les deux Etats ont saisi le
tribunal arbitral mais malheureusement celle juridiction non permanente n'a pas eu l'occasion
d'apprécier ledit principe en raison de la réponse négative à la première question libellée comme suit
: "la convention du 12 mai 1886 entre la France et le Portugal détermine-t-elle la frontière maritime
entre les possessions respectives de ces deux Etats en Afrique de l'Ouest 7". Cf. R.G.D.I.P. 1985.11.,
op. cit., p. 514, paragraphe 67.

48
SECTION PRELIMINAIRE: LE PRINCIPE DE L'INTANGIBILITE DES
FRONTIERES AFRICAINES.
Dans le préambule du compromis signé le 16 septembre 1983, il est écrit ce
qui suit:
« Le gouvernement de la République de Haute- Volta et le gouvernement de la
République du Mali, désireux de parvenir dans les meilleurs délais à un règlement du
différend frontalier qui les oppose, fondé notamment sur le respect de l'intangibilité
des frontières héritées de la colonisation et de procéder à la délimitation et à la
démarcation définitives de leur frontière commune >J.
De ce qui précède, il ressort que les deux pays demandent à la Cour de dire
d'abord où se trouve la frontière séparant leur territoire, sur la base du principe de
l'intangibilité des frontières africaines. Ensuite, elle devra procéder à l'abornement
de la frontière ainsi délimitée.
Le compromis ne mentionne pas expressément qu'il s'agit du principe
consacré par la Charte de l'O. UA et surtout par la Résolution de cette Organisation
régionale AGH/Rés. 16-1 adoptée au Caire en 1964, mais il ne fait aucun doute qu'il
s'agit du principe de l'intangibilité consacré par ces deux instruments.
Mais, en réalité, une étude exégétique de la Résolution du Caire dont le texte
est ci-dessous reproduit, permet de se rendre compte que la Charte de l'O. UA est
muette sur ce principe. Elle ne parle en effet que du principe de l'intégrité territoriale,
principe universel puisque consacré aux articles 10 du Pacte de la Société des
Nations et 2 § 4 de la Charte de l'O.N U
En effet, le paragraphe 7 du Préambule de la Charte de l'O. UA déclare que
les chefs d'Etat et de gouvernement sont « fermement résolus à sauvegarder et à
consolider... l'intégrité territoriale de leurs Etats >J.
Plus loin, le troisième objectif assigné à l'O.UA est relatif à «la défense de
l'intégrité territoriale»
Enfin, au nombre des principes énoncés à l'article 3 de ladite Charte, figure
« le respect de la souverameté et de l'intégrité territoriale de chaque Etat >J.

,il)
Seule la Résolution précitée adoptée lors de la Conférence des Chefs d'Etat
africains tenue au Caire du 17 au 21 juillet 1964, consacre de manière précise le
principe de l'intangibilité des frontières comme en témoigne ce texte:
« Considérant que les problèmes frontaliers sont un facteur grave et permanent de
désaccord,
Consciente de l'existence d'agissements d'origine extra-africaine visant à diviser les
Etats africains,
Rappelant la création à la deuxième session ordinaire du Conseil du Comité des
onze chargé d'étudier de nouvelles mesures de nature à renforcer l'unité africaine,
Reconnaissant l'impérieuse nécessité de régler, par des moyens pacifiques et dans
le cadre purement africain, tous les différends entre Etats africains ;
Rappelant en outre que tous les Etats membres se sont engagés aux termes de
l'article VI de la Charte de l'O. UA., à respecter scrupuleusement le principe énoncé
au paragraphe 3 de l'article III de la Charte de ladite Organisation,
1- Réaffirme solennellement le respect total par tous les Etats membres de
l'O.UA. des principes énoncés au paragraphe 3 de l'article III de la Charte de ladite
Organisation
2- Déclare solennellement que tous les Etats
membres s'engagent à
respecter les frontières existant au moment où ils ont accédé à l'indépendance ))89.
Il résulte de cette résolution adoptée par tous les Etats africains à l'exception
du Maroc et de la Somalie qui ont formulé des réserves, que le domaine
d'application du principe de l'intangibilité, ne peut être constitué que par les
délimitations préétablies par le colonisateur. Notons que ce principe n'est rien
d'autre qu'une mouture de la règle d'origine latina-américaine de l'ufi possidetis90.
Certains auteurs combattent farouchement cette assimilation par des arguments
difficilement saisissables 91.
Tout le problème est donc d'identifier ces délimitations. Cette tâche n'est pas
toujours aisée surtout entre le Burkina et le Mali. Il va sans dire qu'a contrario, cette
R9 BOUTROS-GHALI S.
L'Organisation de l'Unité Africaine. Paris-Armand-Colin. Collection U 1969,
e· 182.
"SOUTROS-GHALI S. Les conflits de frontière en Afrique. Editions Techniques et Economiques.
1972, p. 16.
", Abdelhamid El OUALL "Luti possidetis ou le non-sens du principe de l'OUA pour le règlement des
différends tenitoriaux". Cf. Le Mois en Afrique. Décembre 1984-Janvier 1985, n° 227-228, pp. 11 et
15.

50
résolution signifie que là où il n'existe pas de frontières coloniales, le principe est
écarté. Elle signifie également que CAS frontières, quand elles existent, ne sauraient
être remises en cause quels que soient leurs caractères ou leur degré de précision.
Le gel de la situation telle qu'elle résulte du découpage colonial, a simplement pour
but d'éviter une remise en cause généralisée qui aurait été la source d'un
gigantesque et inépuisable contentieux92
De ce point de vue, la résolution a une valeur politique certaine; mais a-t-elle
une valeur juridique? A cet égard il convient de distinguer la valeur du principe et
celle du document dans lequel il est inscrit.
Bien qu'inscrite dans un document qui n'a pas valeur obligatoire, l'intangibilité
des frontières est un principe fondamental dans les rapports entre Etats africains. En
effet, mis à part son objectif conservatoire, ce principe est également un moyen de
règlement pacifique des différends territoriaux. A ce titre, c'est un principe de paix
qui mérite d'être observé.
C'est également un principe du droit international africain et les nombreuses
déclarations ultérieures faites soit par les hommes d'Etat africains, soit par les
organes de l'O.UA 93 soit enfin par d'autres organisations proches de l'O.UA (le
mouvement des non-alignés) confirment cette assertion
C'est enfin un principe du droit international dans la mesure où il implique
l'intégrité territoriale qui est un principe univ.ersellement reconnu. Cette dernière
position ne fait pas l'unanimité au niveau de la doctrine. En effet, les adversaires de
l'intangibilité des frontières y voient un principe fragile parce que sa proclamation
solennelle n'a pas suffi à empêcher les revendications territoriales en Afrique ainsi
qu'en témoigne la pratique internationale. Ce divorce regrettable de la pratique
d'avec la théorie, peut s'expliquer de deux manières:
- Certains Etats africains sont d'accord avec le principe tant que son
application ne les gêne pas.
- D'autres le vident de son contenu par des interprétations contradictoires et à
tout le moins peu uniformes au regard de l'esprit du principe et parfois dissolvantes
,,' M. FLORY. "L'avis de la C.I.J. sur le Sahara occidental". A.F.o.1. 1976, p. 253.
9.1
Notons cependant une dissonance résultant d'une position isolée prise par son Secrétaire Général
d'alors Eteki M'Boumoua. Cf. Infra.

51
Ses adversaires ont également soutenu que c'est un principe à valeur
continentale adopté dans le cadre africain pour des raisons de sagesse politique
afin de ne pas bouleverser toutes les situations acquises.
Certes, ce principe procède d'une Résolution adoptée par l'organe suprême
de l'O. UA, mais il vise à la prévention dans le continent de conflits territoriaux
susceptibles de menacer la paix et la sécurité internationales, aspiration commune à
toute la communauté internationale.
C'est un débat qui n'est pas prêt de s'épuiser et la contribution de la Chambre
était d'autant plus attendue qu'elle abordait cette question pour la première fois en
matière de frontière terrestre 94
Ainsi qu'on vient de le constater, l'interprétation de l'intangibilité des frontières
africaines soulève de nombreuses controverses. Ces controverses apparaîtront
sous un jour plus net dans les positions du Burkina et du Mali qu'il convient
maintenant d'examiner.
SECTION 1:
LES DIVERGENCES ENTRE LES PARTIES
LlllGANTES SUR LA REGLE APPLICABLE.
Si le Burkina et le Mali ont adhéré sans réserve au principe de l'intangibilité
des frontières, leur approche est différente avec le recul du temps. En effet, tandis
que le Burkina conçoit ce principe dans toute sa rigidité et rigueur en conformité
avec l'esprit et la lettre de la Résolution AGH 161, le Mali défend une conception
souple.
Tout au long de la procédure devant la Chambre de la Cour, ces différentes
interprétations vont sinon déterminer, du moins orienter la position fondamentale
des parties.
94 Excepté l'affaire du Sahara occidental où la question a été abordée dans les écritures des parties.

52
§ 1 - Les conceptions des parties
Après avoir examiné la conception du Burkina, nous examinerons celle du
Mali.
A)- La rigidité de la conception burkinabé
La conception du Burkina est assez orthodoxe; elle transparaît des positions
soutenues par l'ancien Président de la Cour E. Jimenez de Aréchaga consulté pour
l'occasion au nom de la partie Burkinabé: « Les parties au présent différend ont eu
l'intention délibérée de renforcer le principe du Caire en établissant comme règle de
droit à appliquer par la Chambre, le principe sacro-saint de l'intangibilité de leurs
frontières... Les parties ont voulu mettre en relief le fait que les frontières, telles
qu'elles résultent de leur héritage respectif, sont intangibles c'est-à-dire qu'on ne
peut les modifier même par voie d'accord ou par décision judiciaire )/5. Il en résulte
que le principe de l'intangibilité implique la sacralisation et conduit à la sainteté des
frontières coloniales96 ou du moins au maintien du statu quo frontalier.
Cette interprétation stricto sensu du principe est certainement dictée par les
termes mêmes de la Résolution AGH 16-1. Elle n'est pas nouvelle car déjà en 1963,
l'ex-président malien Modibo Kéita rappelait à la Conférence constitutive de l'O.UA
cc Si vraiment nous sommes les uns et les autres animés par la volonté
ardente de faire l'unité, il faut que nOliS prenions l'Afrique telle qu'elle est .. il faut que
nous renoncions aux prétentions territoriales si nous ne voulons pas instaurer en
Afrique ce qu'on pourrait appeler l'impérialisme noir L'unité africaine exige de chacun
de nous le respect intégral de l'héritage que nous avons reçu du système colonial
c'est-à-dire le maintien des frontières actuelles de nos Etats respectifs. 1/ est donc
9, Cf. Mémoire du Burkina Faso. Annexe p. 68.
96 Dominique BOURJOL-FLECHER. "Heurs et Malheurs de l'uti possidétis".
Intangibilité des frontières africaines. Cf. Revue juridique et politique Indépendance et Coopération,
1981,p.818.

53
nécessaire, il est même indispensable que d'une manière concrète, nous mettions un
terme à tous les éléments de division. Le respect doit être concrétisé par un
engagement, un pacte multilatéral de non agression garanti par chacun des Etats
.
é
97
,., Unis))
.
Cet appel de l'ancien président du Mali a été entendu et concrétisé dans la
Résolution précitée qui consacre l'immutabilité des frontières africaines que renforce
l'absence de la référence «à la menace ou à la force))
qui accompagne
traditionnellement, dans les relations internationales, la mise en cause de l'intégrité
territoriale telle qu'elle apparaît dans la Charte des Nations Unies98. Il est donc
permis de penser que la rédaction de la Résolution du Caire condamne toute remise
en cause des frontières coloniales quelle que soit sa forme, violente ou pacifique99.
Cela dit, le Burkina estime que si rigides soient-elles les frontières africaines
ne doivent pas empêcher la coopération et la communication entre les hommes. Le
Mali est d'accord avec la conclusion que tire le Burkina Mais ne partage pas cette
conception rigide.
B) - La souplesse de la conception malienne
La conception libérale des frontières africaines par le Mali apparaît dans les
écritures de ce pays. Elle est en contradiction avec la position antérieure qu'a
soutenue l'ancien président du Mali. Ainsi, il est écrit qu'» une analyse sérieuse de
la Charte de l'O. UA. et de la Résolution du Caire montre très clairement qu'aucun
de
ces textes ne consacre de manière absolue le principe de l'intangibilité des
frontières africaines )) 100
Mieux encore, les écritures du Mali révèlent que ce pays «souscrit à
l'intangibilité des frontières telle que l'entend le Professeur Daniel Bardonnet qui
affirme que c'est un Il abus de langage )) 101.
Dans l'esprit de ce professeur, le
97 Cf. Mémoire du Burkina Faso. Annexe p. 68.
", Dominirtuf! BOURJORL-FLECHER. "Heurs p,I Millheurs np, l'uli possidetis". Intangibilité des
frontières africaines. Cf. Revue juridique et politique Indépendance el Coopération, 1981, p. 818.
'1'1 Yves PERSON dénonce celte conception rigide et prône les regroupements
ethniques.Cf.
"L'Afrique Noire et ses frontières'" Le Mois en Afrique. Août 1972, n° 80, pp. 37 et 41.
11111 Mémoire de la République du Mali. Tome l, p 72
1111 Contre-Mémoire de la République du Mali, p 15

54
principe de l'intangibilité n'interdit pas les modifications territoriales. Cette façon de
voir est contraire à la philosophie de la Résolution AHG 16-1 qui proscrit tout
remaniement ou ajustement territorial, tout comme l'affirmation selon laquelle (( ce
serait contre tout bon sens si la Résolution AHG pouvait signifier l'immutabilité
territoriale ii 102
Les conseils du Mali soutiennent en plus que la règle de l'intangibilité est
relative parce qu'elle ne peut s'appliquer qu'autant que le legs du colonisateur est
suffisamment précis et identifiable1m Ceci est en rapport avec la négation par ce
pays de toute frontière coloniale précise dans la présente affaire. De toutes façons,
poursuit-il, si l'effet conservatoire de ce principe controversé est précieux, il ne tend
pas à figer les situations de fait pour l'éternité (le juge ou l'accord des parties
pouvant les modifier) 104
Cette interprétation souple et libérale exclut toute autre conception fut-elle
très formelle et rigide'05 ou particulièrement dictatoriale et automatique106.
Laquelle des deux interprétations qui viennent d'être examinées est contraire
à ladite Résolution? La réponse à cette question fera l'objet du paragraphe II.
§ 2 - A~~réciation des conce~tions des ~arties
L'exposé de toutes ces interprétations divergentes témoigne des difficultés
d'application du principe de l'intangibilité des frontières. Ces difficultés sont liées à
deux facteurs qui militent en faveur soit d'une reformulation de la Résolution
litigieuse soit d'une révision de la Charte qui contient pas mal de points qui
gagneraient à être éclaircis: il s'agit de la nature et de l'étendue des pouvoirs du
secrétaire général de l'O.U.A, notamment en matière d'admission d'un Etat candidat
à l'O. UA, les critères d'Etat souverain et indépendant, l'organe chargé de
l'interprétation de la Charte etc... Les deux facteurs sont la pratique des Etats
'''2 NGoy-NDuba. Le principe de l'intangibilité des frontières issues de la colonisation. Thèse de
Doctorat d'Etal. Reims 1982, p. 184
''''Contre-Mémoire de la République du Mali, p 32
,,,' C2/CR 8617 Plaidoiries orales, p 36
''''C'est en ces termes que le Professeur Pierre-Marie Dupuy a qualifié la conception du Burkina. Cf.
C2/CR8617 op. cil. p. 36
'"(, C2/CR 86/ p. 6

'iS
africains d'une part et les nombreux griefs formulés contre le principe de
l'intangibilité d'autre part.
A) - La pratique des Etats africains
Malgré la proclamation solennelle du principe de l'immutabilité des frontières
africaines, les Etats acceptent dans la pratique de définir ou modifier leurs frontières
de manière pacifique à la suite de négociation. Cela a conduit certains auteurs à
affirmer que le principe de l'intangibilité n'interdit pas les modifications territoriales si
celles-ci sont conventionnelles ou librement consenties107. De ce point de vue,
l'interprétation du Mali est pertinente mais inopérante en l'espèce car toute tentative
de solution diplomatique s'est révélée infructueuse d'où le recours au juge
international.
Cependant, ces deux Etats, parties au différend, ont chacun une expérience
en matière de règlement pacifique des conflits territoriaux postcoloniaux.
En effet, le Burkina a procédé à l'épuration des contentieux frontaliers qui le
mettaient aux prises avec certains de ces voisins. Ainsi, il a conclu:
- avec le Ghana le traité du 15 avril 1977 signé à Paga (Ghana) portant
matérialisation de la frontière entre les deux pays Les documents qui ont servi de
base à l'élaboration de cet instrument sont des accords passés entre les ex-
puissances coloniales française et britannique 1Ün
- Avec le Niger, le protocole d'accord du 14 juin 1964 signé à Niamey et
portant délimitation de la frontière entre les deux pays. Ce protocole d'accord est
fondé sur l'arrêté général 2602/APA du 31 août 1927 précisé par son Erratum du 5
octobre de la même année. La carte au 1/200. 000 de l'IGN de France est jointe à
ce texte réglementaire.
A l'heure actuelle, deux projets de textes ont été soumis aux deux
gouvernements: il s'agit d'un projet de protocole d'accord sur la matérialisation de la
- - - _ .
- - - - - - - - - _ . -
1117 Cf. TRAN VAN MINH. Remargues sur le principe de l'intangibilité des
frontières. P.U.F., Paris
1978, p. 79. V.
aussi D. BARDONNET. "Les frontières terrestres et la relativité de leur tracé".
R.C.AD.I., 1976, V, p. 109.
'''" J.O.H.V. du 18 août 1977. pp. 691-692.

5(,
frontière entre les deux pays d'une part, et un projet de traitè ayant le même objet
d'autre part. Ces textes ont été signés par les deux gouvernements le 28 mars 1987.
- Avec le Mali un accord en 1985 portant démarcation d'une partie de la
frontière commune soit un peu plus de 900 km : il reste cependant une autre partie
longue de 300 km environ sur laquelle les deux pays n'arrivent pas à se mettre
d'accord, ce qui les a conduit à s'orienter vers une solution juridictionnelle.
- Avec le Bénin les pourparlers sont en cours. Cependant, avec le Togo et la
Côte d'Ivoire, les négociations n'ont pas encore commencé.
De son côté, le Mali a conclu:
- avec le Niger, le Protocole d'Accord du 23 février 1962 signé à Gao (Mali) et
portant création d'une commission technique paritaire chargée de la matérialisation
de la frontière définie par la convention du 3 avril 1939.
- avec la Mauritanie, le traité signé à Kayes (Mali) le 16 février 1963 portant
abornement de la frontière.
- avec l'Algérie, la Convention d'Alger du 8 janvier 1983 sur la délimitation et
le bornage de la frontière 109.
Cependant, avec le Sénégal et la Guinée-Conakry, il n'existe pas d'accord de
ce type.
Dans les deux situations, les Etats se sont référés à des textes coloniaux
lacunaires dans la plupart des cas mais ne constituant aucun obstacle dirimant au
règlement des problèmes frontaliers, les ajustements équitables étant toujours
possibles.
Il est regrettable donc que le Mali et le Burkina n'aient pas pu mettre à profit
cette expérience qui leur aurait fait l'économie d'un procès.
109 J.O. de la République algérienne 1983, p. 3125.
Ahmed MAHIOU. "Le territoire en droit algérien". Annuaire de l'Afrique du Nord 1983, édition du
C.N.R.S., p. 163. Habib GHERARI. "Démarcation et bornage des frontières algériennes" in
Le Mois en Afrique, octobre - novembre 1984, n° 225-226, p. 24

57
Quoiqu'il en soit, cette pratique africaine de règlement frontalier entre parfois
en contradiction ou heurte de front la règle de l'immutabilité des frontières. Cette
règle demeure malgré tout la loi des parties et le juge ne saurait s'en départir sous
aucun prétexte. Cette boussole doit constituer son guide permanent dans la
détermination de la frontière coloniale, donnée tangible.
Certes, cette mission n'est pas facile à accomplir en raison surtout des
difficultés1ID liées à l'imprécision de la frontière résultant des textes invoquées et de
la masse considérable de cartes Pire, dans le secteur de Soum jugé difficile d'accès
parce qu'inhospitalier, il n'existe aucun texte établissant la frontière en dehors des
cartes sur lesquelles les parties se rabattent naturellement
Mais la seule conception qui vaille, c'est l'interprétation rigide de la règle de
l'intangibilité. Il va sans dire que cette façon de voir va soulever une levée de
boucliers, autre facteur militant en faveur d'une application souple de la règle
controversée.
B) -
Les griefs formulés contre l'application brutale
du principe

Ce n'est pas la première fois qu'une question de droit des gens ne fait pas
l'unanimité dans les rangs des internationalistes. On se souvient que ceux-ci ont été
divisés
à
l'occasion
des
débats
sur
la
valeur
juridique
du
principe
de
l'autodétermination et de la notion de jus cogens consacrée par la convention de
Vienne de 1969 sur le droit des traités, laquelle est entrée en vigueur le 27 janvier
1980.
Que le principe de l'intangibilité ou de l'ufi possidetis comme nous le verrons
plus loin, plonge les juristes dans la perplexité, n'a donc rien de surprenant.
C'est sous cet éclairage que nous abordons les critiques dont la règle de
l'intangibilité fait l'objet.
D'une manière générale, les adversaires de cette règle ont un point commun:
sa négation.
110 Jean-François GUILHAUDIS. "Remarques il propos des récents conflits territoriaux entre Etats
africains... " A.F.o.!. 1971, p. 233.

58
Ainsi, pour le Professeur D. Bardonnet qui a beaucoup écrit sur les
revendications territoriales, il est impossible d'admettre le caractère immuable d'une
situation donnée. « L»intangibilité, dit-il, est un non-sens pour le juriste et le droit ne
saurait proscrire le mouvement!!. ((La frontière, poursuit-il, n'échappe pas à cette
loi !!. 1H Dans le même sens, le Professeur Lachaume note qu'il n'existe pas
d'intangibilité des frontières, car ça n'a pas de sens et que rien dans les relations
humaines n'est vraiment intangible 117.
La même idée est exprimée par J. Combacau pour qui il est impossible de
considérer l'intangibilité des frontières comme une norme de jus cogens car deux
Etats
qui
ont
une
frontière
commune
peuvent
la
remettre
en
cause
conventionnellement1D
Enfin, pour l'ancien Secrétaire Général de l'O. UA, M. Eteki M'Boumoua, le
respect des frontières héritées de la colonisation n'est pas un principe sacro-saint,
mais une base de travail irremplaçable 114
Ces propos tenus par un responsable africain représentent-ils l'opinion de
l'Afrique ? Assurément non car nombreux sont ceux qui pensent en Afrique que
l'intangibilité des frontières est non seulement une base irremplaçable de travail,
mais également un principe sacro-saint Les arrangements auxquels les Etats
africains procèdent, sont politiques Mais si louables soient-ils et en raison de
l'instabilité politique qui caractérise le Continent, ils peuvent être remis en cause par
un
nouveau
gouvernement
accusant
son
prédécesseur
d'avoir
«bradé»
la
souveraineté du pays par les concessions intolérables qu'il a consenties.
Néanmoins, l'ampleur de la croisade menée contre cette règle jette parfois le
doute dans l'esprit dl.j juriste qui peut se demander si cette règle n'est pas au fond
une « théorie inachevée» 115 ou une règle continentale et non universelle malgré
son caractère expiatoire indéniable116
1 J 1 Cf. "Les frontières terrestres et la relativité de leur tracé". op. ci!., p. 109.
112 Cf. "La frontière - séparation" S.F.o.1. Colloque de Poitiers 1979. A. Pédone 1980, p. 164.
11.1 Cf. S.F.o.1. Colloque de Poitiers. op. cil., p. 65.
111 Cf. Le Monde du19 octobre 1977 et R.G.o.I.P.1978, Chrono [1.698.
Il', J.f
LACHAUME S.F.o.!, op ci!., p. 85.
11(, Cf. Dominique BOURJOL-FLECHER, op. ci!. p. 812. Cependant pour J. DE PINHO CAMPINOS,
c'est une règle universelle. Cf. "L'actualité de l'uti possidetis". S.F.o.I., op. cit., p. 106.

)C)
Pour notre part, nous nous en tenons à l'idée exprimée plus haut à savoir que
l'intangibilité des frontières est non seulement un principe de droit international
africain mais également un principe du droit international général à cause du lien
indissoluble qui l'unit au principe de l'intégrité territoriale, principe universellement
consacré.
Ce lien est si évident qu'il serait vain de se demander si l'intangibilité des
frontières découle de l'intégrité territoriale ou inversement. Il suffit selon Tran Van
Minh que l'une se trouve assurée pour que l'autre le soit également dans la mesure
où elles impliquent toutes les deux l'interdiction de porter atteinte unilatéralement
aux frontières ou aux territoires des autresln
Si l'on s'en tenait à tous ces points de vue nihilistes découlant d'une
méconnaissance de ses vertus pacificatrices, le principe de l'intangibilité serait une
épée de Damoclès qui planerait sur les relations internationales. Les contestations
frontalières sont inhérentes à toute société internationale de juxtaposition. En
adoptant ce principe, les chefs d'Etat africains plus que quiconque au monde,
étaient conscients des conséquences parfois désastreuses constituées par le
maintien
d'une
injustice
résultant
de
l'histoire,
injustice
qui
entrave
l'autodétermination des peuples. Mais c'était le prix à payer pour sauvegarder la paix
et la sécurité internationales dont ils ont tant besoin pour faire face aux défis du
développement économique.
C'est d'ailleurs dans ce sens que la Chambre s'est récemment prononcée
dans son arrêt du 22 décembre 1986 (§25 de l'arrêt).
« Le maintien du statu quo territorial en Afrique apparaÎt souvent comme une
solution de sagesse visant à préserver les acquis des peuples qui ont lutté pour leur
indépendance et à éviter la rupture d'un équilibre qui ferait perdre au Continent
africain le bénéfice de tant de sacrifices. C'est le besoin vital de stabilité pour
survivre, se développer et consolider progressivement leur indépendance dans tous
les domaines qui a amené les Etats africains à consentir au respect des frontières
coloniales,
et
à
en
tenir
compte
dans
/'interprétation
du
principe
de
l'autodétermination des peuples Il
1J7 Cf. "Remarques sur le principe de l'intangibilité des frontières". op. cit., p. 79.

CJO
Il serait donc erroné de conclure que ce principe est discrédité. Le fait qu'il
soit généralisé en Afrique si l'on en juge par les déclarations des chefs d'Etat qui ont
suivi sa proclamation montrent que non seulement son maintien est souhaité mais
qu'en plus il est devenu le cred0 118 des dirigeants africains. Dans ces conditions, on
peut se demander s'il ne constitue pas un principe coutumier à caractère régional 119.
Cette question remarquablement digne d'intérêt est cependant embarrassante.
En effet, selon le droit positif, la coutume ne résulte que d'actes émanant
d'organes étatiques dotés de la compétence internationale. Et si, depuis la
reconnaissance de la personnalité juridique des organisations internationales, l'on
admet qu'elles participent, en tant qu'éléments de l'ordre relationnel, à la formation
des règles coutumières dans leurs rapports avec les Etats ou avec d'autres
organisations,
les
souverains
restent
les
pourvoyeurs
principaux
du
droit
coutumier120 Il n'est donc pas exclu qu'une organisation internationale contribue à la
formation d'une règle coutumière internationale mais elle joue en la matière un rôle
secondaire découlant de sa qualité de sujet dérivé du droit international. Il en résulte
que l'intangibilité des frontières, principe secrété par l'O. UA peut être une règle
coutumière. Pour ce faire, l'attitude des Etats africains doit être en harmonie avec
l'esprit de la résolution AHG-16-1
Or, il a été déjà souligné que bien qu'ayant proclamé solennellement leur
attachement à ce principe, certains Etats africains n'hésitaient pas dans la pratique
à l'écarter au nom de considérations121 ethniques, économiques ou autres, tant et si
bien que son érection en règle coutumière est difficilement admissible.
Face à toutes ces controverses provoquées par le principe de l'intangibilité
des frontières, des formules ont été proposées pour sortir de l'ornière.
§ 3 - .ErQposition de solutions
Ces solutions s'articulent autour de deux idées: le regroupement fédéral et la
révision générale de la Charte de l'O. UA
IIK B. BOUTROS-CHAL!. "Le système régional africain. Régionalisme et universalisme dans le droit
internlltiOlwl cornl~IT1Il0r;Jin" S.F.o.1 CollofJlI~ d~ Bord~llIlX. A Pédone, Il 69.
Il'1 SAWADOGO Baloma. "Les conflits de frontière en Afrique". Thèse de Doctorat d'Etal. Poitiers
1982, p. 161.
120 SANDAOGO BALOMA. "Les conflits de frontière en Afrique". Thèse de Doctorat d'Etal. Poitiers
1982, p. 161.
121 cr Rcné-Jc;1I1 DUPIJY. « COlIllllllC sagc cl cOlllllIllC s;J\\]\\·agc». Mé1angcsJ.'harLc~Rou~cj1!! La communauté
intcrllalion;i1c. 1\\. rétlonc. 1<)745. p. 7(,

(l 1
A)
- Le regroupement fédéral
Cette solution méconnaît totalement la tradition jacobine des pays africains
d'expression française du fait de l'héritage du système napoléonien. En effet, pour
contourner les divisions nées de la notion de ligne-frontière, il a été préconisé
l'adoption de la
structure fédérale comme seul moyen approprié susceptible
d'endiguer une évolution des régions frontalières vers le séparatisme122. Une idée
analogue a été proposée ; elle consiste à rechercher une solution tendant à
dépasser les frontières actuelles par la constitution d'un vaste marché économique
ignorant les barrages hérités de la colonisation 123 Ce n'est pas une innovation car
déjà
à l'aube des indépendances politiques, le Docteur Kwamé N'Krumah avait
proposé pour l'Afrique entière une structure fédérale au Congrès Panafricain tenu à
Accra en 1958 mais la création de l'O.U.A. en 1963 enterra du coup son projet.
C'est dans la même mouvance que furent présentées les solutions tendant au
dépassement des considérations ethniques
B) -
La révision de la résolution AHG.16-1
Cette révision devrait passer par celle plus générale de la Charte de l'O.U.A.
Il convient de préciser cependant que la révision de la Charte en tant que telle
n'intéresse pas directement nos propos malgré son caractère urgent puisque sa
rédaction actuelle est défaillante124 sur certains points dont quelques uns ont été
signalés plus haut. Mais elle devrait être une occasion pour réexaminer la
résolution AHG adoptée au Caire
en 1964 qui fait l'objet d'interprétations
contradictoires.
Des correctifs sont en effet nécessaires
Bien entendu, il ne s'agira pas
d'abandonner cette arme d'auto-défense collective ni de dissiper quelque flou qui
l'entourerait car sa rédaction est sans ambigulté Il s'agira d'assouplir le régime ou le
contenu du principe de l'intangibilité des frontières qu'elle contient, par des correctifs
122 Cf. Claude BLUMANN. "Frontière et limites". S.F.o.!. op. cil., p
26 et Dominique BOURJOL.
S.F.o.!. ibidem, p. 823.
l2J Yagla Ogma WEN'SAA. "Le conflit frontalier entre le Ghana et le Togo". Ibidem, p. 156 et B.
BOUTROS GHALI "Les conflits de frontière en Afrique", ~ cil., pp. 80-81.
124 Sur un point particulier touchant l'interprétation des articles 27 et 28 de la
Charte, lire : Mohamed BEDJAOUI. "L'admission d'un nouveau membre à l'O.U.A.". Mélanges
Chaumont, op. cil., p. 35-38. et Mohamed BENNOUNA. "L'admission d'un nouveau membre à
l'O.U.A.". A. F.o. 1. 1980, pp. 193-198.

62
fondés sur la pratique des Etats africains. Cette pratique déjà examinée a révélé la
disposition des Etats à modifier dans certains cas leurs frontières de manière
conventionnelle
Ainsi, ce principe sortira de sa rigidité qui est l'actuel ordre établi, et aura plus
de chance d'être observé. A partir de ce moment, quelques traits communs
pourraient se dégager de la résolution des conflits territoriaux facilitant ainsi la
codification des relations interafricaines en la matière comme le souhaitait Mme S.
Bastid125
Il vient d'être mis en exergue les divergences des parties sur la portée de la
règle de l'intangibilité des frontières. Ces divergences réapparaîtront dans le débat
relatif au principe de l'uti possidetis et à la détermination de la date critique.
Il est donc normal d'examiner à présent ces dernières divergences.
SECTION Il :
LES DIVERGENCES SUR LES CONSEQUENCES DE
LA REGLE APPLICABLE

L'objet de ces divergences porte sur deux points·
- l'application de l'uti possidetis dans sa conception binaire (l'ufi possidetis
juris et l'ufi possidetis de facto ).
- et la détermination de la date critique
Compte tenu de l'inégalité de leur importance dans la présente affaire, les
développements consacrés à ces deux points seront disproportionnés. En effet, si le
problème de l'application de l'ufi possidetis a été largement discuté par les parties à
la lumière de la nature du conflit territorial qui les oppose, il en est allé différemment
du second point, parce que celui-ci n'est pas fondamental aux yeux des parties.
m ... "Les problèmes territoriaux dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice".
R.C.AD.!. 1962, Tome III, p. 489.

()l
Il convient enfin de souligner que pour justifier le bien-fondé de l'application
de l'uti possidetis de facto
au différend, le Mali a invoqué des considérations
d'équité qui n'ont pas laissé le Burkina indifférent.
Les deux points ci-dessus évoqués feront l'objet de développements séparés.
§ 1 -
Les divergences nées de l'almlication du
principe de l'uti possidetis
Dans les pages antérieures, il a été souligné que la doctrine dans sa majorité
ne fait aucune différence quant à leur portée entre le principe de l'intangibilité des
frontières et le principe de l'uti possidetis. Cette vision des choses tend à faire croire
qu'il existe une connexité entre ces deux principes ou, mieux que cela, qu'ils sont de
même nature. Les parties partagent également cette façon de voir avec cependant
quelque nuance signalée par l'une d'elles
A) -
Approche théorique de la question par les parties
Pour les parties, les interférences entre ces deux principes sont évidentes.
Pour le Burkina, cependant, l'uti possidetis ne se confond pas avec l'intangibilité des
frontières de la colonisation car selon lui, l'intangibilité des frontières sort de
l'héritage alors que l'uti possidetis
concerne sa constitution 126 . Mais au fond, il
admet que les deux principes ont en commun le maintien des frontières coloniales
qu'elles soient administratives ou internationales.
Quant au Mali, tout en admettant que l'uti possidetis est la conséquence de
l'intangibilité, il ajoute que le principe de l'intangibilité impose le respect des
situations de fait donc de l'uti possidetis de facto 127
En effet, partant de la prémisse que la puissance coloniale n'a pu définir avec
précision une ligne frontière entre les anciens territoires du Soudan français et de
Haute-Volta, ce pays est arrivé à la conclusion qu'elle n'a pu transmettre une
délimitation qu'elle n'a pas faite. Dès lors, seules comptent les considérations de
fait, c'est-à-dire l'exercice effectif des compétences des autorités en place de
"" Cf. Contre-Mémoire du Burkina Faso, p. 14.
m Cf. Contre-Mémoire de la République du Mali, p. 35.

M
l'époque coloniale12B Ce mode de raisonnement permet au Mali de justifier
l'application des « effectivités coloniales (cf infra)
Il n'est pas dans notre ambition de nous appesantir sur le lien qui existe entre
l'intangibilité des frontières et l'uU possidetis car au bout du compte, les deux
principes ont un dénominateur commun
ils condamnent tous les revendications
territoria les.
L'important ici est d'examiner l'exploitation que font les parties des deux
formes de l'uU possidetis car c'est là !e point névralgique du différend.
B)-
l'application de l'uti possidetis et la qualification du
conflit territorial
Dans les conflits territoriaux, la doctrine distingue traditionnellement les
conflits d'attribution et les conflits de délimitation.
Dans le premier cas où les considérations de fait jouent un rôle important, l'uU
possidetis de facto l'emporte sur les titres écrits. Dans le second cas en revanche,
c'est plutôt l'uU possidetis juris
qui est déterminant, les faits d'occupation étant
secondaires. Il s'agit en effet non de définir et de fixer le statut d'une masse ou d'une
entité territoriale mais de procéder à un choix entre des lignes susceptibles de la
diviser12H
C'est une distinction classique qui était surtout adaptée à la période des conquêtes
coloniales. Son application aux différends territoriaux interafricains ne va donc pas
sans problèmes car il existe des situations mixtes.
Dans l'affaire que nous avons l'honneur de commenter, les parties ne sont
pas d'accord sur la qualification du conflit qui les oppose.
Sans doute, ce désaccord résulte-t-i1 de l'ambiguité du compromis qui vise
non pas simplement une ligne à tracer mais une «zone contestée».
12"
Ibidem, p. 34.
I29Cf. Charles DE VISSCHER. Problèmes de confins en droit international public. A. Pédone, 1969, p.
25.

ô5
Pour le Mali, et ainsi qu'il a été signalé plus haut, il s'agit d'un conflit
d'attribution où seul l'uti possidetis de facto s'applique. Mais l'on verra par la suite
que les conclusions maliennes tendront vers un conflit mixte.
Pour le Burkina, au contraire, on est en présence d'un conflit de délimitation
où le titre écrit l'emporte sur l'effectivité, d'où son attachement à l'uti possidetis juris.
Avant de développer les raisons qui sous-tendent ces positions opposées, il y
a lieu de s'arrêter un moment sur l'origine du principe de l'uti possidetis
C'est en Amérique latine que cette règle a vu le jour
Elle désigne les limites administratives existant en 1810 pour l'Amérique du
Sud et en 1821 pour l'Amérique Centrale entre les colonies espagnoles. Deux
raisons ont conduit ces anciennes colonies à élaborer cette règle.
D'abord, il s'agissait de prouver leurs assises territoriales et ensuite d'éviter
les occupations par la force ou les revendications abusives des régions inexplorées
ou habitées par des indigènes. L'avantage de cette règle était donc d'affirmer d'une
part que dans l'ancienne Amérique espagnole, il n'y avait pas de territoires sans
maître (res nullius)
et d'autre part, que ces territoires n'étaient pas susceptibles
d'appropriation sans titres
Par conséquent, en cas de litige territorial, il fallait produire des titres en
application de l'uti possidetis juris.
Mais, quand ces titres étaient imprécis ou
n'existaient pas, l'application de l'uti possidetis juris s'avérait difficile. Aussi, faisait~
on appel, mais de manière exceptionnelle, à l'ufi possidetis de facto dont le Brésil,
ancienne colonie portugaise était le défenseur.
S'inspirant de ce panorama historique, les parties tenteront d'approfondir
leurs positions respectives.

ô6
1) - Du point de vue du Mali
Pour accréditer sa thèse, le Mali, a-t-on souligné, part de l'idée qu'il n'existe
pas de frontière coloniale et que par conséquent, le colonisateur n'a pu léguer
aucun texte écrit pour l'ensemble de la frontiére130
Devant ce vacuum juridique, il conclut que c'est l'ufi possidetis de facto qui
doit s'appliquer.
Dans ses écritures, il tentera de conforter cette thèse en invoquant plusieurs
sentences arbitrales rendues en Amérique Latine sur des différends territoriaux et
condamnant l'uti possidetis juris.
- La sentence arbitrale du 23 juin 1933
Cette sentence a été rendue par le Chief Justice Evan Hughes dans le
différend frontalier opposant le Guatémala et le Honduras.
L'application de l'uti possidetis était au centre de cette affaire que les
parties ont soumise à l'arbitre unique sur la base du compromis qu'elles ont signé le
16 juillet 1930. En effet, l'article 5 de ce texte disposait que «the only juridicalline
which may be established between their respective countries» devait être celle
résultant de l'uti possidetis de 1821.
Par ailleurs, le compromis autorisait l'arbitre à s'en écarter en cas de besoin.
L'interprétation que les parties ont donnée de cette règle révélait des
désaccords.
Ainsi, pour le Honduras, la frontière doit être fixée sur la base des divisions
administratives espagnoles telles qu'elles existaient en 1821 donc sur la base de
l'uti possidetis juris.
Pour le Guatémala au contraire, c'est l'uti possidetis de facto qui s'impose.
~~-~---- ~-----~---
J:1(l A cette thèse, le Burkina oppose 111 penn11nellce cl lil const<lnce de sa configuration géographique
de 1919 à 1932 et de 1947 à nos jours telle que cela apparaît sur les cartes coloniales.

ü7
Devant ces difficultés, l'arbitre donna une solution fondée sur l'équité après
avoir qualifié la règle de l'uti possidetis d'«idealistic conception». Ce faisant, l'arbitre
ne s'est pas éloigné des termes du compromis puisque celui-ci l'autorisait à écarter
l'uti possidetis juris si le besoin s'en faisait sentir.
Pour le Mali, cette affaire illustre la défaite de l'uti possidetis juris, puis tirant
parti de la solution qu'elle consacre, il invitera la chambre à statuer en équité: «Si
la base du règlement est le respect des frontières coloniales, à défaut de pouvoir
déterminer partie de celles-ci, la Chambre dispose de vastes pouvoirs puisés dans
le droit international et son souci de l'équité qui en est indissociable pour régler
définitivement le différend.» 131
Cette invitation sera renouvelée en des termes qui ne souffrent d'aucune
ambiguité : «le fait que les parties excluent que la Cour statue exaequo et bono, ne
signifie évidemment pas que la Cour doive s'abstenir d'appliquer cette forme d'équité
qui est inséparable de l'application du droit international» 132.
Il s'agit de l'équité infra-Iegem. Le Burkina ne s'est pas opposé en tant que tel
à ce dernier argument. Cependant, il s'est demandé dans quelle mesure la notion de
«principes équitables» propre 133 au contentieux de délimitation maritime, pouvait
s'appliquer au contentieux de délimitation terrestre.
Enfin, et dans le même ordre d'idées, le Mali interprète de manière extensive
les pouvoirs de la Chambre en se référant à l'adverbe «notamment» 134 mentionné
dans le préambule du compromis. Pour ce pays, l'adjonction de cet adverbe au texte
de la convention signifie que la chambre peut agir autrement que d'appliquer
l'intangibilité des frontières.
Au vu de ces arguments, on a vraiment l'impression que le Mali souhaite que
la Chambre applique l'équité pure et à défaut l'équité infra legem. Nous y
reviendrons plus loin. Pour l'heure, contentons-nous de rappeler que même s'il est
vrai que toute solution pour être acceptée et exécutèe doit être équitable, rien dans
1:\\1 Cf. Mémoire de la RM., p. 32
112 Cf. Contre - Mémoire de la RM, p. 14.
m De notre point de vue
134 Cf. Mémoire de la RM., p. 88.

68
le compromis ne permet à la Chambre d'agir aulrement que d'appliquer la règle de
l'intangibilité des frontières.
- La deuxième sentence invoquée par le Mali est celle rendue le 9 juillet 1909
dans l'affaire du différend frontalier entre la Bolivie et le Pérou. Là également, l'uti
possidetis juris a été abandonné au profit d'une solution équitable. En témoigne
l'extrait suivant de la sentence:
((In these long proceedings, which have continued fore more than three
centuries, if is frequently noticed that the dispositions of the Spanish Crown have
been contradictory, some of the same being vague and many in disagreement with
the situation or the topographical featL/res of the places.
The latter was due to the
want of geographical knowledge, and equitable interpretation, according to the
respective ideas of the period, is there for necessary for appreciating the true
signifiance and scope of the said dispositions» 13S
Toujours pour conforter sa thèse, le Mali invoqua la sentence rendue dans
l'affaire du différend territorial entre le Brésil et la Colombie Dans cette affaire, l'uti
possidetis n'a pas été appliqué. En revanche, dans l'affaire des frontières colombo-
vénézuéliennes évoquées dans les écritures maliennes, le Conseil fédéral suisse a,
dans la sentence qu'il a rendue le 21 mars 1922, qualifié l'uti possidetis de 1810 de
principe constitutionnel et international
En dehors de ces affaires dans lesquelles l'uti possidetis juris n'a pas été
magnifié, le Mali a fait sienne l'opinion du juriste chilien Alvarez selon laquelle les
arbitres ont toujours écarté l'ufi possidetis juris en dépit des compromis et au profit
de l'uti possidetis de facto
Cet auteur est parvenu à cette conclusion, après avoir
analysé les différends frontaliers en Amérique Latine
Tout ceci vise naturellement à montrer que l'uti possidetis juris n'est pas une
panacée universelle et qu'on est surtout en face d'un conflit territorial d'attribution.
L'avantage de cette conception est qu'elle conduit le juge à privilégier les effectivités
ou les actes posés par les parties au moment du legs de la frontière par le
colonisateur. En effet, en soutenant la thèse de l'inexistence de frontière coloniale,
le Mali accrédite l'idée de la non pertinence de l'uli possidetis juris en présence de
titres imprécis.
m
Recueil des sentences arbitrales. Volume XI, p. 143.. Pour la version française de cette affaire,
voir R.G.D.I.P. 1910 P 109 el suiv.

Mais pendant les plaidoiries orales, le Mali s'est rÈtracté en abandonnant
cette thèse reconnaissant ainsI l'existel'ce d'une frontière coloniale. Les propos d'un
de ses avocats sont à cet égard éloquents : «Ce n'est pas parce que les
administrateurs même le lieutenant général gouverneur du Soudan dans les années
1950, disent qu'il n'y a pas de frontière dans le sens d'une frontière réglementaire ou
législative, qu'il n'y a pas de frontière du tout» 136.
Dans le même sens, et comme il a été déjà signalé, le Mali a rompu avec la
vision dichotomique de l'uti possidetis qu'il qualifie de «byzantine» car il s'agit
toujours de prouver le droit 13l Ainsi, il rejoint De La Pradelle qui se demandait si
cette distinction ne complique pas le problème de la frontière13a
Le Burkina prit acte de ce changement de position mais ne modifia pas ses
conclusions d'un iota
2) -
Du point de vue du Burkina
Pour ce pays, la base de règlement du différend frontalier est et demeure l'uti
possidetis juris, lequel n'est applicable que dans le cadre d'un conflit territorial de
délimitation. Dès lors, toute prétention fondée non sur des titres juridiques mais sur
le caractère ethnique ou économique du différend, doit être répudiée car ces
considérations ne sauraient valoir titre.
Il estime en revanche que la Chambre ne doit considérer que les titres
juridiques c'est-à-dire les titres coloniaux auxquels il a succédé à savoir les titres
écrits et les «titres cartographiques». Nous nous réservons d'apprécier cette
dernière qualification dans les développements consacrés aux prétentions des
parties (cf. Titre Il).
Deux raisons expliquent la répudiation par le Burkina de la théorie de l'uti
possidetis de facto:
L'G Cf. C2/CR86/6 Plaidoiries du Professeur J. SALMON, P. 23.
L'7 Ibidem pp 27-28. La conséquence de la délimitation sur le plan pratique sera
nécessairemcnt Llnc allrihLl!ioll de tcrriloirc. pp :J4-3')
!IX DE LA PRADELLE. La frontière. 1928, p. 86.

70
- Cette théorie encourage la politique du fait accompli et favorise les
expansionnismes et les occupations abusives
- Elle constitue une doctrine d'exception qui n'a jamais reçu consécration
coutumière ni au plan régional latino-américain, ni moins encore, au plan africain ou
universel 139.
C'est pourquoi elle n'a pas été fertile en applications pratiques en Amérique
Latine. Elle a cependant été appliquée de manière exceptionnelle dans ce continent
parce que l'occupation de fait n'avait aucune valeur.
Seul, n'est valable que l'uti possidetis juris qui n'a pas été en honneur dans
des arbitrages peu significatifs intervenus en Amérique Latine au sujet de différends
frontaliers, on l'a vu. Au contraire, dans le continent africain, ce principe a été mis en
relief de manière éclatante dans deux affaires récentes en matière de conflit de
frontières maritimes entre les Etats africains. Il s'agit de l'affaire du plateau
continental entre la Tunisie et la Libye et de l'affaire de la délimitation de la frontière
maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau (cf. supra).
Sur le plan doctrinal également, il ne manque pas de défenseurs. En effet, le
juge Bedjaoui le considère comme un principe général logiquement lié au
phénomène de la décolonisation l~O
Notons que quelques années auparavant, la même idée avait été exprimée
par le Professeur Ago pour qui, l'ufi possidetis n'est pas un principe latino-américain
mais un principe de droit international général 141 . Seul, selon cet auteur, l'uti
possidetis avec l'adjonction du génitif «juris» , est un principe latino-américain.
Ainsi qu'on vient de le constater, les parties ont procédé à une distinction
binaire entre l'ufi possidetis juris et l'ufi possidetis de facto d'une part, le conflit
d'attribution et le conflit de délimitation d'autre part Ce n'est pas un fait du hasard.
Ces distinctions appellent un type d'arguments dont les parties ne se priveront pas.
Mais elles ne resteront pas pour autant prisonnières de ces arguments. En effet,
1.1') Cf. C2/CR86/3 Plaidoiries orales, p. 42.
141l Cf. C.I.J. Mémoires - Volume V - dans l'affaire du Sahara occidental, p. 315.
141
A.C.D.1. 19698 - Volume 1 - p. 120, paragraphes 71-72.

71
elles vont recourir à peu de choses près aux mèmes moyens de preuve en
dépassant le schéma théorique constitué par le tableau suivant
uti possidetis juris = titre = conflit de délimitation
uti possidetis de facto =effectivités =conflit d'attribution
Bien qu'étant au centre des débats, l'uti possidetis n'est pas selon les parties
la seule conséquence de la règle de l'intangibilité des frontières; il en existe une
autre sur laquelle les parties ne sont pas tombées d'accord. Il s'agit de la date
critique du différend.
§ 2-
Les divergences nées de la détermination de
la date critig~
La résolution AHG Rés. 16-1 de 1964 invite tous les Etats membres de
l'O.UA à respecter les frontières existant au moment où ils ont accédé à
l'indépendance Tout le problème est donc de déterminer ce moment. Cela revient à
parler de la date critique.
Selon le dictionnaire de la terminologie du droit international, la date critique
peut être définie comme «l'expression employée en procédure arbitrale ou judiciaire
pour désigner la date à pattir de laquelle les données du litige doivent étre
considérées comme définitivement fixées de telle manière que les faits postérieurs
doivent étre tenus pour sans pertinence pour la solution du différend'42 .
Mais elle est quelquefois définie comme la date significative pour la
détermination des droits des parties143 ou comme «le moment de la cristallisation du
litige» .
Elle joue un rôle important dans les litiges territoriaux. Et si, en général, sa
détermination ne va pas toujours sans poser quelques problèmes, en l'espèce, elle
ne devrait soulever aucune difficulté particulière. En effet, l'année 1960 est une date
capitale dans l'histoire mouvementée de la décolonisation française 144.
'.2 Sirey 1960, p. 186.
1•.' Paul REUTER. Droitlntemational Public. Thémis 1983, p
207
144
Cf. François BORELLA. «L'évolution de la Communauté en 1960 : de la Communauté
constitutionnelle à la communauté conventionnelle»/ A.FD.1. 1960, P 950.

72
De plus les différences apparues dans la détermination de la date critique ont
été jugées non fondamentales par les parties elles-mêmes Quelles sont les dates
choisies?
A) - La détermination de la date critique par le Mali
Le Mali a choisi les dates d'entrée en vigueur des constitutions des deux
territoires, c'est-à-dire le 30 janvier 1959 pour le Soudan et le 28 février de la même
année pour la Haute-Volta. Pourquoi ce choix? Pour le Mali, c'est à partir de ces
dates que les deux possessions ont cessé d'être des Territoires d'Outre-mer pour
devenir membres de la Communauté française, et ont acquis de ce fait la plénitude
de l'exercice des compétences qui leur étaient dévolues notamment en matière
d'organisation administrative et de dél imitation des circonscriptions 145.
Cela étant, le Mali a estimé que la date la plus récente des deux sus-
indiquées c'est-à-dire le 28 février 1959, constitue la date critique.
Bien que dotés de constitutio,l en 1959, peut-on affirmer que ces territoires
étaient véritablement indépendants? Non. Certes, c'est un pas vers l'indépendance,
mais ce n'est pas l'indépendance totale.
Rappelons à cet égard que si le titre XII de la Constitution française du 4
octobre 1958 permet aux Etats de la Communauté d'évoluer vers l'indépendance
dépassant ainsi le pas franchi par la loi-cadre, il a été conçu pour assurer un rôle
prééminent à la France146. De plus, même si ces Etats sont indépendants et ne font
plus partie de la République française, la Communauté ne les laisse pas accéder
isolément aux relations internationales. En effet, en ce domaine, leur séparation n'a
d'autre conséquence que de les placer en annexe de celle-ci, qui détient seule la
compétence internationale, pour elle et pour eux 14T
C'est donc dire qu'à cette date choisie par le Mali, les Etats, bien
qu'autonomes, n'avaient pas la souveraineté internationale individuellement mais
l"
Cf. Mémoire de la République du Mali, pp. 90-91.
146 Cf. François BORELLA, op. cit. p. 943'
147 Cf. René DE LACHARRIERE, «L'évolution de la Communauté franco-africaine».
A.F.o.!. 1960, p. 14.

7J
collectivement . D'ailleurs, leurs nouvelles administrations sont demeurées des
organes de la Communauté et tiennent leurs compétences de la Constitution
française de 1958 148 Par conséquent, toute modification des limites territoriales
entre la Haute-Volta et le Soudan français intervenue entre la date de l'autonomie
interne de ces deux pays et celle de leur indépendance, revêt un caractère interne à
la Communauté.
B) -
La determination de la date critique par le burkina
Contrairement au Mali, le Burkina a retenu comme date critique le milieu de
"année 1960, année des indépendances des ex-colonies françaises en Afrique à
l'exception de la Guinée. Pour déterminer cette date critique, il considéra les dates
d'indépendance des deux pays (20 juin 1960 pour le Mali et 5 août de la même
année pour le Burkina). Pourquoi le choix du milieu de l'année 1960 ? C'est parce
que cette date (le 20 juin 1960) est postérieure à la conclusion des accords de
transferts de compétence franco-maliens signés le 4 avril 1960 et franco-voltaïques
signés le 11 juillet 1960.
De plus, cette période correspond à celle de la Communauté rénovée
instituée par la loi du 4 juin 1960 et en dehors de laquelle restèrent les Etats du
Conseil de l'Entente dont l'ex-Haute-Volta 149 Il faut enfin souligner que dans l'esprit
des avocats du Burkina, la date critique ainsi déterminée renvoie à deux autres
dates: l'année 1932, année de la suppression de la colonie de Haute-Volta et 1947,
année de sa reconstitution dans ses frontières de 1932
Au-delà de leurs divergences sur la portée de la règle applicable, les parties
ont considéré le principe de l'uti possidetis
comme une conséquence de la règle de
l'intangibilité des frontières puis elles ont distingué entre l'uti possidetis juris et l'uti
possidetis de facto d'une part et entre le conflit territorial de délimitation et le conflit
territorial d'attribution. Mais dans les plaidoiries orales, le Mali a abandonné ces
distinctions ce qui signifie désormais que les parties sont d'accord au moins sur le
fait que le conflit actuel est un conflit de délimitation et non d'attribution car quelle
que soit l'hypothèse dans laquelle on se place, le juge est obligé d'établir une
frontière.
148 Cf. Contre-Mémoire du Burkina Faso, p 46.
149 Cf. François LUCHAIRE. Droit d'Outre-Mer et de la Coopération. Thémis, P.U.f. 1966, p. 184.

74
On verra plus loin que la Chambre n'a pas SUIVI les parties dans leur
raisonnement et surtout elle n'a pas repris la distinction entre l'uti possidetis juris et
l'uti possidetis de facto.
Enfin, comment réagira-t-elle face à l'invocation par les parties du droit
interne d'un pays, c'est-à-dire le droit colonial français ? Va-t-elle le considérer à
titre principal prêtant ainsi le flanc à la critique ou va-t-elle le considérer à titre
accessoire? Comme on le verra plus haut, la Cour a considéré ce droit comme un
fait qui doit être prouvé.

7':,
CONCLUSION DU TITRE
Les points développés à l'intérieur de ce titre sont importants à plusieurs
égards.
1) Ils révèlent une profusion de problèmes juridiques intéressants qu'il
convient de rappeler:
* le dilemme des parties entre une solution arbitrale et une solution judiciaire.
* la constitution pour la quatrième fois d'une chambre spéciale pour connaître
d'un différend international. Cette procédure semble attirer les Etats du Tiers-Monde
puisque deux Etats latino-américains en l'occurrence le Costa-Rica et le Honduras
ont demandé à la Cour la constitution d'une chambre spéciale pour régler un conflit
de délimitation maritime et terrestre qui empoisonne leurs relations
* Les problèmes juridiques qui viennent d'être examinés à savoir
l'appréciation par le juge international du principe de l'intangibilité des frontières
africaines, du principe de l'ufi possidefis, du rôle de l'équité non plus en matière de
délimitation maritime mais en matière de délimitation terrestre, et enfin l'application
du droit interne.
2) Ils facilitent la compréhension des autres données du litige à l'examen
desquelles il faut maintenant s'employer.

TITRE ·11
L'OBJET DU DIFFEREND

77
L'article 40 du statut de la Cour dispose que la requête qui lui est soumise
doit indiquer l'objet du différend. L'article 38 §2 de son Règlement dispose
également qu'elle doit contenir l'indication précise des moyens de droit invoqués par
les parties et donner un exposé exact des faits et des moyens sur lesquels repose la
demande.
Dans notre affaire, l'objet du litige est une frontière indéterminée de près de
300 kilomètres. Le compromis le décrit sommairement à l'article 1 alinéa 2 comme
suit:
«La zone contestée est constituée par une bande de territoire qui s'étend du
secteur Koro (Mail) Djibo (Haute- Volta) jusque et y compris la région du Béli. ))
Cette formule on ne peut plus lapidaire, ne facilite pas l'identification des
points de divergence sur le tracé de la frontière commune aux deux Etats en conflit.
Il appartient donc à ces Etats d'y apporter des précisions à travers leurs écritures.
Aussi, et par une approche globale les deux Etats se sont-tils attelés à ce travail
préalable et nécessaire, en recourant à des données astronomiques.
Ainsi, pour les autorités maliennes, «la zone faisant l'objet du contentieux...
est une bande de terrain de 2840 kilomètres carrés environ d'une longueur de 275
kilomètres, ayant l'allure générale d'une ligne brisée constituée par trois segments
occupant respectivement les parties sud-ouest, centrale et nord-est du quadrilatère
délimité par les méridiens 0°14'08)) et 15°09'37)) Nord d'autre part)) 150.
Quant aux autorités burkinabé, elles situent cette zone entre le 8ème
parallèle et le 17ème parallèle
Pour le juriste, toutes ces données techniques manquent de clarté du fait de
leur caractère général. C'est pourquoi il nous paraît impérieux pour l'économie des
présentes recherches, de procéder à l'inventaire précis de tous les points litigieux et
des thèses en présence151 . Après quoi, nous nous pencherons sur les mesures
150 Cf. Mémoire de la République du Mali, op. ci\\., fJ 34.
151 Tous les moyens articulés par les parties à l'appui de leurs prétentions territoriales sont consignés
dans des Mémorandum en date du 11 décembre 1972 pour le Mali et du 18 septembre de la même
année pour le Burkina.

78
conservatoires qui ont été ordonnées par la Cour à la suite du second affrontement
armé survenu entre les parties après le dépôt de leurs mémoires. Des appréciations
critiques des différentes thèses invoquées viendront clore le présent titre. Mais en
attendant de nous consacrer à ces trois points qui feront l'objet de chapitres
distincts, quelques remarques préliminaires s'imposent.

CHAPITRE PRELIMINAIRE
LES DONNEES DU DIFFEREND
Traditionnellement, toutes les études consacrées aux conflits territoriaux, que
ces derniers soient terrestres comme dans le cas qui nous préoccupe, ou maritimes,
soulignent l'importance de certains paramètres indispensables à la compréhension
des données de base de ces conflits.
Il s'agit des aspects historique et
géographique qui se trouvent le plus souvent dans une situation d'imbrication. En
effet «the idea of boundary can never be separated from the culture and history of
the people it surrounds or from the Nature of their political groupings and the territory
occupied by them» 152.
Les lignes qui vont être esquissées situeront les questions en débat entre le
Burkina et le Mali dans ce double contexte historico-géographique153. Ainsi, il sera
loisible de jeter un regard rétrospectif non seulement sur l'origine du différend
frontalier mais également sur les configurations des villages revendiqués et des
circonscriptions administratives qui sont au centre des débats. Une fois la position
du différend indiquée, il conviendra d'exposer de manière détaillée son objet et
d'indiquer subséquemment les arguments soutenus de part et d'autre.
Pour ce faire, il nous semble important de débuter ces prolégomènes en
examinant dans un premier temps les modes d'établissement de la domination
coloniale. L'intérêt d'une telle démarche est qu'elle permet d'appréhender l'assise
territoriale de la politique coloniale française dans la «zone contestée». Un tour
d'horizon rapide sur les prémices du différend viendra clore dans un deuxième
temps ces préliminaires.
1<2 Verkijika G. FANSO. «Traditional and colonial african boundaries : concepts and functions in
intergroupe relations». Présence africaine 137/138,1986, p. 58.
15, Cela ne signifie nullement que les aspects juridiques seront sacrifiés. Loin s'en faut, car nos
travaux sont avant tout juridiques.

80
SECTION 1:
LES MODES ADMINISTRATIFS D'ETABLISSEMENT
DE LA DOMINATION COLONIALE FRANCAISE
DANS LA ZONE LITIGIEUSE

Pour les besoins de sa politique coloniale, la France, comme beaucoup
d'autres pays européens (Grande-Bretagne, Belgique, Portugal, etc.) a créé des
circonscriptions administratives qui n'ont pas toujours gardé la même dénomination
au fil du temps. En effet, le cercle qui est la circonscription administrative de base de
chaque colonie créée aussi bien en Afrique équatoriale française (A.E.F.) qu'en
Afrique occidentale française (A.O.F.) avait pour devancière «La Résidence» qui est
devenue un poste militaire lequel a été érigé en village. Plusieurs villages forment
un canton et plusieurs cantons constituent une subdivision. Le cercle est le
regroupement de plusieurs subdivisions.
Il est intéressant de noter que les nouveaux Etats africains issus de la
décolonisation ont maintenu ces institutions coloniales les premières années de
l'indépendance politique pour éviter un vide juridique que risquait de créer le départ
du colonisateur. Mais l'inadaptation de ces structures allogènes à leurs réalités
socio-économiques va amener les Etats africains à créer au niveau le plus élevé des
circonscriptions administratives plus vastes que celles de la période coloniale 154.
Le
présent
litige
met
directement
en
cause
deux
circonscriptions
administratives coloniales: les cercles de Ouahigouya et de Dori situés en territoire
Burkinabé. Ces deux cercles dont il faudra maintenant parler ont connu sur le plan
historique les mêmes péripéties.
154 Cf. P.F. GONIDEC et A. BOCKEL. «L'Etat africain». L.GD.J. 1985, p. 260. Au
Burkina Faso par exemple, il y eut en 1974 les départements qui regroupaient plusieurs sous
préfectures lesquelles correspondaient aux limites des anciens cercles
de
la
colonisation.
Cf.
Ordonnance n° 74-45 du 2 juillet 1974 portant
organisation
de
l'administration territoriale
de
la
République de Haute-Volta J.O.H.V. 11 juillet 1974.
Depuis 1983, des circonscriptions administratives plus étendues ont vu le jour. Il s'agit de la mise en
place de 30 provinces, chacune des provinces regroupant plusieurs départements. Cf. Ordonnance n°
83-12 CNR-PRES du 15 septembre
1983 portant division du territoire de la République de Haute-
Volta en 25 provinces J.O.H.V. 22 septembre 1983, p. 992. Cette ordonnance a été modifiée par
l'ordonnance 84-55 du 15 août 1984 qui créa 5 provinces supplémentaires.
Voir surtout
ordo

83-21
CNR-PRES
du
14 novembre
1983 portant
réorganisation
de
l'Administration territoriale de la RHV J.O HV 22 décembre 1983, p. 1319. Voir enfin Philippe
L1PPENS. «Les institutions politiques de la Haute-Volta». Revue juridique et politique - Indépendance
et coopération, janvier - mars 1970, n° 1, pp. 93-110.

SI
§ 1 - Le cercle de Ouahigouya
Avant d'être érigé en cercle en 1903, c'est-à-dire un an avant la création de la
colonie du haut-Sénégal Niger d'où sont issus le Soudan français et la colonie de
Haute-Volta, le cercle de Ouahigouya était une résidence puis un poste militaire
rattaché à la Résidence de Macina (Mali).
Il sera supprimé en 1917 et transformé en subdivision. A la création de la
colonie de Haute-Volta en 1919, il redevient un cercle dont les configurations
restèrent inchangées jusqu'au 5 septembre 1932, date à laquelle la colonie de
Haute Volta fut supprimÈe et rÈpartie entre les colonies mitoyennes de Côte
d'Ivoire, du Niger et du Soudan français. Ce cercle avait pour subdivision Djibo qui
comprenait deux cantons, les cantons de Baraboulé et de Tongomayel. A l'un de ces
cantons, notamment le canton de Baraboulé, étaient rattachés les villages de
Dioulouna, Oukoulou, Agoulourou et Koubo qui sont contestés. Dans les interstices
de cette disparition, intervint l'arrêté général 2743/1P du 17 novembre 1932 portant
réorganisation des territoires de la défunte Haute-Volta rattachés au Soudan
français.
Ce texte prévoit en effet que «le Cercle de
Ouahigouya faisant
actuellement partie de la Haute- Volta, et le canton d'Aribinda détaché du cercle de
Dori, forment une circonscription dénommée. Cercle de Ouahigouya».
Trois ans plus tard et dans cette ambiance de réorganisation administrative,
fut pris l'arrêté général 2728 du 27 novembre 1935 portant délimitation des Cercles
suivants du Soudan français: Bafoulabé, Bamako et Mopti. Cet arrêté gubernatorial
détacha les quatre villages susmentionnés du Cercle de Ouahigouya pour les
rattacher au Cercle de Mopti.
Les deux points nouveaux par rapport au statut antérieur du cercle de
Ouahigouya, c'est que d'une part il s'est agrandi du Canton d'Aribinda et, d'autre
part des villages appartenant à l'un des cantons de sa subdivision, ont été rattachés
à un Cercle du Soudan français.
Tous ces avatars n'ont pas touché que ce cercle de Ouahigouya. Une autre
localité qui est au centre du différend dans la région de Béli connut sensiblement le
même sort

X2
§ 2 - Le Cercle de Dari
Comme le Cercle de Ouahigouya, le Cercle de Dari fut d'abord une
Résidence puis un poste militaire avant d'être érigé en Cercle alors que la colonie
de Haute-Volta n'était pas créée. Quand elle fut créée, les cantons de Tillabéry
(Niger) et de l'Oudalan furent rattachés au Cercle de Dari. Cela dura jusqu'en 1926
où les cantons du Niger lui furent amputés à l'exclusion de celui d'Oudalan. Depuis
lors, ses limites demeurèrent jusqu'à la suppression de la colonie de Haute-Volta.
En conclusion, on peut noter que les deux circonscriptions administratives
que nous venons d'évoquer, constituent le cadre géographique du différend : le
Cercle de Ouahigouya avec ses quatre villages contestés et le Cercle de Dari qui
intègre le canton de l'Oudalan réceptacle des mares du Béli dont l'appartenance est
également discutée entre le Burkina et le Mali.
C'est donc autour de ces deux circonscriptions qu'est né ce différend
frontalier qui prendra des proportions insoupçonnées. Il faut tout de même préciser
que ce différend n'en était pas un aux premières heures de la décolonisation. Il est
le succédané d'une série d'incidents ou de problèmes à la frontière.
SECTION Il :
LES PREMICES DU DIFFEREND: DES PROBLEMES
A
LA
FRONTIERE
AUX
PROBLEMES
DE
FRONTIERES
Pendant la période coloniale, les populations frontalières des colonies du
Soudan français et de la Haute-Volta vivaient rarement en parfaite intelligence. Les
démons de la division avaient pour noms: rixes ou bagarres au sujet de terrains de
culture et de l'utilisation des eaux des mares qui arrosent une partie de la zone
conflictuelle sahélienne
L'accession de ces colonies à l'indépendance politique n'améliorera guère la
situation. En témoignent les protestations maintes fois élevées par le Burkina contre
«les empiétements maliens sur sa souveraineté territoriale par les multiples
incursions, le recensement des ressoltissants maliens en territoire burkinabé, la
levée d'imp6ts, la poursuite par les forces de l'ordre maliennes de maliens

83
nomadisant ou réfugiés au Burkina Faso .. )) 155
Sans oublier les altercations entre
douaniers des deux pays, l'arrachage du drapeau Burkinabé à Soum par des
bandes armées maliennes, l'occupation du Nord du Béli par des gendarmes
maliens, etc...
Il apparaît à travers tous ces faits que le principe de bon voisinage supposé
régir les rapports entre Etats voisins est constamment bafoué. Mais malgré cette
situation déplorable dont l'Empire français est responsable au plan historique, ces
deux Etats ont conclu un certain nombre de conventions:
- la Convention d'assistance mutuelle administrative du 30 août 1966 ;
- l'Accord de transit du 18 octobre 1963 ;
- la Convention d'Etablissement et de libre circulation des personnes et des
biens du 30 septembre 1969. Cette convention a été ratifiée par le Burkina le 31
décembre de la même année;
- l'Accord solennel du 24 octobre 1983 portant création d'une grande
commission mixte de coopération. Le but de cette commission est de
promouvoir, développer et renforcer la coopération entre les deux Etats dans
tous les domaines d'intérêt commun (article 3 dudit Accord).
Tous ces incidents multiples à la frontière se sont transformés en problèmes
de frontières ou ont aggravé ces problèmes
C'est pourquoi les deux pays se sont employés à les régler par des
négociations directes à l'intérieur de structures de concertation adéquates mises en
place et renforcées numériquement en fonction des nécessités du règlement
politique. Ces problèmes prendront de l'ampleur et s'étendront à des secteurs qui
n'étaient naguère contestés.
En conclusion, deux points retiennent notre attention: les nouvelles mutations
territoriales qui affectent les circonscriptions administratives qui viennent d'être
passées en revue et l'évolution jusqu'au stade conflictuel des incidents de frontière.
155 Mémoire du Burkina Faso, p. 145.

lI'1
1) -
Les cercles de Dori et de Ouahigouya ont subi des transformations qui
ont été maintenues jusqu'à l'indépendance
Ainsi, aux termes de l'arrêté du 22 avril 1952, le Cercle de Dori s'est enrichi
de deux nouvelles subdivisions : Aribinda et Oudalan. Antérieurement ces deux
localités étaient des cantons qui étaient respectivement rattachés aux Cercles de
Ouahigouya et de Dori. L'arrêté n° A853/APAS du 7 octobre 1955 a transformé
l'Oudalan en poste administratif avec pour chef-lieu Gorom-Gorom.
L'arrêté n° 443/1NT/APA du 20 août 1958 érige en cercle la subdivision de
Djibo qui relevait du Cercle de Ouahigouya
Enfin, l'arrêté n° 460/lNT de la même date crée dans le Cercle de Djibo le
poste administratif d'Aribinda
2) -
La fréquence des incidents de frontière en Afrique est liée à la fragilité
des
nouveaux
Etats
dont
les
disparités
ethniques
compromettent
parfois
l'indépendance et la stabilité dans la mesure où les solidarités traditionnelles ne se
fondent pas sur une base territoriale 156.
Dans les zones où les frontières sont perméables comme dans le cas
présent, les incidents sont quotidiens et les contrôles difficiles.
Il n'est donc pas étonnant que dans la plupart de ces cas, ces incidents
se muent en véritables conflits territoriaux qui ne prendront fin qu'avec la
délimitation définitive des frontières
C'est à partir de ce moment seulement que le principe selon lequel
«Entre Etats indépendants, le respect de la souveraineté est l'une des bases
essentielles des rapports internationaux» 157 trouvera toute son expression.
156 Cf. Collection U. L'Afrique contemporaine. Armand Colin 1968, p. 393.
LIJ Recueil 1949 C.I.J. Affaire du Détroit de Corfou, p. 35.

X5
CHAPITRE 1
LA PRESENTATION DES POINTS DE DÉSACCORD
ET LES THESES EN PRESENCE158
Il ne s'agit pas de reprendre ici les incidents à la frontière commune dont il a
été fait mention dans les pages précédentes. Il s'agit au contraire de recenser tous
les points qui constituent une pomme de discorde entre les parties. Ces points de
divergence ont été formulés avec netteté sous la forme d'un mandat par la
Commission paritaire permanente lors de la réunion qu'elle a tenue à Sikasso (Mali)
les 7 et 8 octobre 1971.
Ce mandat qui a été donné à la Commission technique mixte s'inscrit dans la
recherche globale d'une solution négociée à laquelle doivent aider les rencontres
entre les deux parties dans le cadre des structures de coordination et de
concertation qu'elles ont créées.
En effet, la teneur de ce mandat révèle que la Commission technique mixte
est chargée de :
1) Vérifier la position exacte des villages de Djoulouna, Oukoulou,
Agoulourou et Koubo ;
2) Déterminer les coordonnées
- des mares de Kétouaire et d'In Abao
- du gué de Kabia
- des hauteurs du Mont N'Gouma.
Il est bien entendu que pour mener à bien sa miSSion, la commiSSion
technique mixte se doit de recueillir et de rassembler tous les renseignements utiles
(textes et documents cartographiques).
I<R Ci-après, croquis illustrant les revendications des rar1 ies

86
Il n'est pas superflu d'observer également que la région de Soum ne figure
pas au nombre des points de désaccord évoqués, ce qui laisse penser qu'il n'existe
aucun problème à son sujet. Les écritures des parties révèlent pourtant que c'est un
point de divergence.
Cela étant. deux types de divergences transparaissent au travers des points
énumérés:
- le désaccord sur le tracé de la frontière dans le secteur des quatre villages
d'une part,
- et le désaccord sur la détermination des coordonnées des autres secteurs
géographiques (secteur du Béli, secteur de Soum et les hauteurs du Mont
N'Gouma), d'autre part.
Pour des raisons de commodité rédactionnelle, les mares de Kétouaire et
d'Inabao ne feront pas l'objet de développement séparés du fait de leur influence
déterminante sur le tracé de la frontière respectivement dans le secteur des quatre
(4) villages et dans le secteur du Béli.
Les mêmes observations sont valables pour le gué de Kabia qui est
indissolublement lié à la question de la détermination des hauteurs du Mont
N'Gouma.
SECTION 1:
LE TRACE DE LA FRONTIERE DANS LE
SECTEUR DES QUATRE VILLAGES
Cette section fera l'objet de deux sous sections consacrées l'une aux
problèmes sémantiques des quatre villages et l'autre aux thèses soutenues par les
parties.

'1',7
SOUS-SECTION 1:
PROBLEMES SEMANTIQUES RELATIFS AUX
QUATRE
VILLAGES
LITIGIEUX
ET
LES
SOURCES DE DELIMITATION DANS CETTE
REGION

Deux points seront abordés sous cette rubrique : l'identification de ces
villages et les sources de délimitation de la frontière dans cette région.
§ 1 - L'identification des quatre villages
C'est l'arrêté général n° 2728/AP du 27 novembre 1935 qui mentionne pour la
première fois ces villages. Ce texte règlementaire intervenu après la suppression de
la colonie de Haute-Volta, portait délimitation des cercles de Mopti, Bamako et
Bafoulabé. Pour être plus précis, ces villages sont évoqués dans la partie de ce
texte consacré à la définition des limites orientales du Cercle de Mopti du Soudan
français ainsi qu'on peut le lire: «A l'Est de ce dernier point, une ligne méridienne
rejoignant au Nord le parallèle 13°30' puis une ligne sensiblement Nord-Est, laissant
au Cercle de Mopti les villages de Yom, Oou/ouna, Oukou/ou, Agoulourou, Koubo,
passant au sud de la mare de Toussougou pour aboutir en un point situé à l'Est de la
mare de Kétouaire Il.
Du point de vue de leurs caractéristiques, ces villages sont situés dans une
zone de nomadisme au sol fertile qui explique une certaine sédentarisation des
populations nomades. Ils sont parfois source de confusion toponymique à cause de
leur homonymie qui est symptomatique et aussi parce que l'orthographe du même
nom de village varie selon les lieux.
De plus, dans cette région des quatre villages comme dans la plupart des
régions frontalières africaines, un village et son hameau de culture peuvent relever
de deux souverainetés différentes.
- S'agissant de la situation géographique ou plutôt cartographique
de ces
villages, l'Institut Géographique National de France (I.G.N.) estime qu'ils sont situés
au-delà d'une frontière figurés sur la carte établie par cet organisme neutre à
l'échelle 1/200 000, en croisillons continus

H8
Que signifient ces croisillons? L'I.G,N, fait le point en précisant du même coup le
sens des croisillons discontinus : « Sur les cartes au 1/200 OOOième d'Afrique
francophone établies par f'I. GN, il est d'usage, depuis 1950, de distinguer par deux
signes différents les tracés de limites administratives selon que ceux-ci peuvent être
reportés sur les cartes avec précision ou seulement approximativement,
Le tracé composé de croisillons continus indique que la limite concernée a pu
être reportée sur la carte sans ambiguité, soit par l'interprétation de textes clairs et
précis, soit par levé direct sur le terrain d'après les éléments fournis par les autorités
locales, Le tracé composé de croisillons discontinus est en principe utilisé dans tous
les cas ne permettant pas un report précis sur la carte, que ce soit .'
- par difficulté ou impossibilité d'interpréter les textes,
- par imprécision ou absence de données recueillis sur le terrain,
- par litiges ou contestation émanant d'une ou plusieurs parties et qui nous ont
été signalés»,
L'utilisation respective des signes continus ou discontinus sur des éditions
successives de la même date est sans rapport avec les indépendances des Etats
d'Afrique francophone» 159
- S'agissant maintenant de la toponymie de ces villages, des difficultés se
sont élevées, En effet, mis à part Dionouga qui est le village le plus important du
point de vue de la densité des populations de nationalité malienne qui y vivent, les
trois autres villages sont en réalité des hameaux de culture si l'on s'en tient aux
résultats des travaux, l'appellation Oukoulou n'existe pas sur la carte des colonies
feuilles Hombori et Ansongo de 1925 établie par le service géographique de l'AO,F.
à l'échelle 1/500 000,
Mais il existe un hameau de culture du nom d'Okoulourou. Agoulourou ne
figure pas non plus sur la carte des colonies précitée et la Commission pense qu'il
s'agirait probablement d'Okoulourou en raison des similitudes phonétiques.
Enfin, Koubo n'est pas un village mais un hameau de culture, Seul Kobo est
un village,
159 Cf. Rapport de la sous-commission juridique de la commission de médiation de l'O,U,A. Pour le
règlement du différend frontalier entre la Haute-Volta et la Mali, Lomé, 14 juin 1975, p. 12,

WI
Tout ceci confirme les remarques antérieures qui ont été faites sur la
confusion toponymique ou orthographique des villages. Malgré les précisions
apportées par la Commission technique mixte sur la véritable qualification des
quatre localités litigieuses, l'appellation de villages a été maintenue par les parties
dans leurs écritures. Qu'il nous soit permis de nous arrêter sur chacun d'eux.
A) -
Le village de dionouga
Bien que situé sur la carte des colonies en territoire Burkinabé, ce village est
essentiellement habité par des Dogons du Mali. Ceux-ci sont venus s'installer dans
cette localité pendant la période coloniale à la recherche de terres de culture et de
pâturage après autorisation du Chef du Canton de Baraboué (Baraboulé est un
canton de la subdivision de Djibo au même titre que Tongomayel). Après les
indépendances politiques des années 1960, le Mali revendique ce village ainsi que
son hameau de culture Kounia en se fondant sur des arguments d'ordre ethnique
dont les détails seront examinés ultérieurement.
B) -
Les villages d'oukoukourou et d'agoulourou
Une vive querelle oppose les parties sur la question de savoir si la localité
d'Oukoulourou est un village ou un hameau de culture. Pour le Mali qui s'appuie sur
le témoignage des habitants de Douna, village Malien que le Burkina n'a jamais
revendiqué, cette localité est un village dont Selba situé à six kilomètres au sud
constitue le hameau de culture.
Ce témoignage est erroné répliquent les autorités Burkinabé qui rappellent
que Selba ne peut être un hameau de culture puisqu'il est bel et bien un village
appartenant au Burkina Faso selon toutes les cartes coloniales.
Quant à Agoulourou, il semble qu'il soit un petit campement situé à 15
kilomètres au sud de Douna. Il renferme une petite retenue d'eau en hivernage.
De ce qui précède, il apparaît que Kounia et Selba qui ne faisaient pas partie
des villages initialement contestés, suscitent des questions. Et on peut se demander
si cette situation confuse n'est pas à l'origine de l'amalgame des villages litigieux
que l'on a constaté à la suite du conflit armé qui a mis aux prises le Burkina et le
Mali en décembre 1985. En effet, Kounia, Selba et Douna étaient cités comme des
points litigieux par le Mali en lieu et place d'Oukoulourou, Agoulourou et Koubo. Cet

90
imbroglio territorial est-il le fait du hasard ou cache-t-il des visées expansionnistes?
Cette question est de bonne guerre. Toutefois, il faut noter que lors des discussions
relatives aux mesures conservatoires imposées par les opérations militaires de
décembre 1985, les Avocats du Mali ont mis fin à cette confusion en s'en tenant aux
quatre villages initiaux d'autant plus que les autorités Burkinabé n'ont jamais élevé
une prétention territoriale sur le village malien de Douna. En revanche, elles
estiment que Dionouga, Kounia et Selba sont en territoire Burkinabé.
On ne peut cependant s'empêcher de faire l'observation suivante : en
revendiquant à la fois le village et son hameau de culture alors que les deux
localités peuvent se retrouver dans des territoires relevant de souverainetés
différentes, le Mali entend-il par là forger une nouvelle théorie en matière de
revendications territoriales lorsqu'il défend l'idée selon laquelle les terrains cultivés
par les habitants d'un village s'étendent sur une zone géographique uniforme sans
rupture de continuité?
C) -
Le village de koubo
Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, cette localité n'est pas un village mais
un hameau de culture appartenant au Burkina Faso. En revanche, Kobo qui n'est
pas mentionné par l'arrêté gubernatorial na 2728 est un village malien situé selon la
commission technique mixte à 27 kilomètres à l'Est de Douna.
En conclusion, deux questions méritent d'être soulevées:
1) Au regard de tout ce qui précède, quel est des deux pays protagonistes
celui qui joue le rôle d'occupant?
1\\ est trop tôt pour répondre
2) A la lumière des éléments examinés dans cette rubrique consacrée à
l'identification des quatre villages litigieux, on peut se demander si la problèmatique
actuelle ne relève pas en réalité d'un conflit territorial à caractère mixte.
L'on a bien constaté qu'il s'est agi de villages ou de hameaux de cultures,
deux registres qui sous-entendent une étendue géographique ou une masse
territoriale Ces dernières notions, on le sait, entrent en ligne de compte dans la
définition du conflit territorial d'attribution.

'JI
Il semble pourtant que le Compromis qui lie les deux parties ne permet aucun
doute possible au sujet de la qualification du présent conflit territorial. En effet, la
question posée à la Chambre de la Cour Internationale de Justice est la suivante
:»Quel est le tracé de la frontière entre la République de Haute-Volta et la
République du Mali dans la zone contestée telle qu'»elle est définie ci-après» (Article
l, alinéa Premier).
Telle est également l'approche des Avocats du Burkina à travers une
démonstration claire. En effet, après avoir posé le postulat suivant: «On est en
présence d'un conflit de délimitation si le différend est une opération de délimitation,
et s'il porte sur une parcelle géographiquement non autonome», les Avocats du
Burkina font remarquer à juste titre qu'il est demandé à la Chambre d'achever
l'opération de délimitation entreprise avec succès par les parties sur près de 900
kilomètres. De plus précisent-ils, «la zone contestée n'est pas définie en fonction de
ses caractères intrinsèques ou de ses particularités géographiques, mais comme
«une bande de territoire qui s'étend du secteur Karo (Mali) Djiba (Haute-Volta)
jusque et y compris la région du Béli» /60. Il apparaît que la distinction entre le conflit
territorial d'attribution et le conflit territorial de délimitation n'est pas aisée à faire
dans certaines situations bien qu'elle soit consacrée par la doctrine.
De notre point de vue, les conflits territoriaux doivent être apprecles in
concreto et non in abstracto
car chaque affaire est une figure unicum, un cas à
part avec ses spécificités. Ce genre de situation, il est certain, n'est pas de nature à
faciliter la mission impartie au juge international. Les difficultés161 qui s'élèvent sont
d'autant plus grandes que la qualification conventionnelle du conflit territorial ne
correspond pas aux conclusions d'une des parties. En pareil cas, c'est la volonté
exprimée dans la convention qui devrait prévaloir C'est une exigence fondamentale
de
la
justice
internationale
à
laquelle
aucune
dérogation
n'est
possible
théoriquement.
Dans la sentence arbitrale du 17 juillet 1986 qui ne concerne pas précisément
la délimitation territoriale, (cette sentence a été rendue par un tribunal arbitral
1(,(l
Cf. Mémoire du Burkina Faso, pp. 71-72.
1(, 1 Surtout lorsque le conflit de frontière est sUPflosé avoir toujours pour enjeu une portion, une
masse de territoire plus ou moins déterminé. Cf. Sandaogo Baloma. Thèse précitée, p. 2.

92
constitué conformément au compromis du 23 octobre 1985 en l'affaire concernant le
filetage à l'intérieur du golfe du Saint-Laurent entre le Canada et la France), on peut
lire: «Le Tribunal commencera par souligner qu'ayant été saisi par un compromis
qui traduit la commune volonté des parties, c'est dans les termes de ce compromis
plut6t que dans les conclusions des parties)) qu'il doit rechercher quels sont les
points précis sur lesquels il lui appartient de se prononcer 162
Après cette découverte de la région des quatre villages, reste un point
d'interrogation: a-t-il existé des textes d'établissement de compétences?
§2-
Les sources de délimitation de la frontière
dans la région des quatre villa~
Aucun texte règlementaire ne régit le tracé de la frontière dans cette région.
Pourquoi
une telle situation de vide juridique ? Est-elle spécifique à la frontière
commune Mali-Burkina ? Aussurément non. «Le Ministre français des affaires
étrangères n'avait-il pas écrit en 1886 à son collègue, le Ministre de /'Intérieur/J>Le
gouvernement français paraÎt avoir eu alors pour doctrine que la meilleure des
frontières est celle qui n'est pas déterminée)) 163
Dans ces conditions, on comprend que «les textes (lois, décrets, et arrêtés),
fassent souvent défaut. Non pas qu'ils soient introuvables, mais il semble dans bien
des cas qu'ils n'aient jamais été pris.
Certains de ceux qui existent ne sont pas toujours clairs sur la

164
ques lon«
.
Sans doute, cette négligence ou insouciance du colonisateur français
s'expliquait-elle par l'insuffisance des données géographiques et surtout par
l'absence d'intérêt à fixer les frontières lorsque le même Etat colonial administrait
plusieurs territoires voisins.
162 R.G.D.I.P. 1986-3, p. 730, § 21.
,("
Cf. P.F. GONIDEC et A. BOCKEL. L'Etat africain. L.GDJ. 1985, p. 108. Voir également Romain
YAKEMTCHOUK. «Les frontières africaines». R.G.D.I.P.1970, p. 41.
1(,; Cf. Rapport précité de la sous-commission juridique de l'O.U.A., p. 5

')\\
Oès lors, 1\\ Il'étAit pAS PfOllllrlllt dA voir l'Adlllllllstr;ltIOl) CnlOlllrllA frnnçaise
recourir aux éClits PélSSRS elltr e éliltOI ilés administratives lucales lesquelles étaient
en réalité «les vérifalJles maÎtres c/u jeu» dans la mesure 011 les délimitations se
faisaient sur la brise des rapports de mission présentés par celles-cI
C'est aillsl que commencèrent à se former les signes des futurs conflits
territoriaux
COlllllle le dit lil sous-commission JlIrldlqllf~ dA 18 commission de
médiatioll de 1'0 U.A, 'Tout se passait comme si ces lin utes allaient de soi Le
législateur jouait avec les circonscriptions admll1istratives comme avec des dominos .'
les déplaçant en !Jloc pOl/r les rattacher à cl'autres 01/ les un (Iétac/ler, ne IJrécisant
leurs limites qu '<'1 (le r[J/es occasions J) IG"
Par CtlllSé(l'lf)nt, los fHlIllif'llf}S I!\\sllilaient des l'ils;Hds el des commodités de
la colonisation rGG
1\\ faut cependant noter que pour l'une des parlle au procès, en l'occurrence le
Mali, il existe un texte délimitant la frontière dans cette région des quatre villages:
c'est
l'arrêté
gèlléral
27211
dont
il
convient
cJ'exallllner
les
tenrlnts
et
les
aboutissants. Pour cela, des rappels historiques ne seront priS de trop
La colonie de Haute-Volta, on se souvient, a été créèe par un décret en date
du 1er mars 1919. L'arllcle 1er de ce texte dispose que «les cercles de Gaoua,
Bobo-Dioulasso, Dédol/gou, Ouagadougou, Dari, Say et Faela N'Gourma, faisant
actuellement partie du /-la ut-Sénégal Niger, forment une colonie clistlllcte qui porte le
nom de /-1aute- Volta
Le cl7ef-lieu est Ouag[Jc/ol/gou J)
Cette colonie, pour des raisolls déjà èvoquées, fut supprimée selon les
mêmes formes par un décret du 5 septembre 1932 et répartie entre les colonies du
Niger, de Côte d'Ivoire et du Soudan français. Cette répartition a étè organisée par
l'article 2 de ce texte. Ainsi, les Cercles de Fada et de Dari (le canton d'Aribinda
excepté) sont rattachés à la coloille du Niger
I(I~
.
r.
Rflpporl. op Cil. p .1
,(,(, Cf. FrRl1ç-llis LUCllI\\IfŒ. Dloil d'()lIlll'Mr'1 pI dp la Coop"~r;lliol1 111'''1111'; [' l' ,- . IHGG. p. 1;>7

94
Les Cercles de Tenkodogo, Kaya, Ouagadougou, Koudougou, Gaoua, Batié,
Bobo-Dioulasso et la partie du Cercle de Dédougou située sur la rive droite de la
Volta Noire, (aujourd'hui Mouhoun) sont rattachés à la Colonie de Côte d'Ivoire.
Enfin, le Cercle de Ouahigouya, le canton d'Aribinda du Cercle de Dori et la
partie du Cercle de Dédougou située sur la partie gauche de la Volta Noire, sont
rattachés à la colonie du Soudan français.
Ces trois colonies se sont ainsi agrandies des dépouilles de la colonie de
Haute-Volta qui a disparu de la scène politique. Dès lors, un réaménagement de
leurs circonscriptions administratives initiales s'imposait. C'est dans ce contexte que
le gouverneur général de l'Afrique occidentale française prit l'arrêté n° 2728 pour
réorganiser les cercles du Soudan français à savoir Mopti, Bamako et Bafoulabé.
Au Cercle de Mopti fut rattaché le Cercle de Ouahigouya qui comprenait la
subdivision de Djibo selon un arrêté général du 20 octobre 1920. Cette subdivision,
on l'a vu, était composée des cantons de Baraboulé et de Tongomayel. Et c'est au
canton de Baraboulé qu'appartenaient les quatre villages litigieux.
Douze ans après l'entrée en vigueur de l'arrêté 2728, cheval de bataille du
gouvernement malien, la loi n° 47-10-707 du 4 septembre 1947 reconstitua la
colonie de Haute-Volta dans ses frontières de 1932. En effet, l'alinéa 2 de l'article 2
de ce texte législatif dispose que; «... les limites sont celles de l'ancienne colonie de
Haute-Volta à la date du 5 septembre 1932))
Il Y a donc lieu de définir ces limites pour voir ce qui appartenait ou
n'appartenait pas à la colonie de Haute-Volta Il suffisait alors de se référer au
décret créant la colonie de Haute-Volta
Pourquoi une loi pour rétablir ce que le pouvoir règlementaire a créé puis
détruit?
La réponse est liée à l'évolution con$titutionnelle de la France, ancienne
puissance coloniale.
A l'origine en France, les décisions relatives à l'organisation administrative
territoriale relevaient du pouvoir règlementaire.

()5
C'est ce qui explique que sous la Troisième République, qui va de 1875 à
1946, les choses changèrent. En effet, l'article 72 de la Constitution française du 27
octobre 1946 réserve à la loi «l'organisation politique et administrative des territoires
formant l'Union française».
C'est en application de ce texte fondamental que le législateur reconstitua en
1947 la colonie de Haute-Volta. Cependant, il y a lieu de préciser que l'alinéa 1 de
l'article 77 de la Constitution française de la Cinquième République du 4 octobre
1958 dispose ce qui suit : «Dans la Communauté instituée par la présente
Constitution, les Etats jouissent de l'autonomie ; ils s'administrent eux-mêmes et
gèrent démocratiquement et librement leurs propres affaires... »
En réalité, ces Etats qui n'accédèrent à l'indépendance qu'à partir de 1960,
ne pouvaient prendre aucune décision en matière d'organisation territoriale.
Pour en revenir à la loi de 1947, notons qu'en reconstituant la colonie de
Haute-Volta, elle pose du même coup le problème de la validité de l'arrêté général
2728. Cet arrêté survit-il à cette loi ce qui signifierait que les quatre villages litigieux
restent toujours rattachés à Mopti? Ou est-il implicitement abrogé par ladite loi, ce
qui aurait pour conséquence un retour automatique de ces villages au Cercle de
Ouahigouya ? Le débat reste ouvert.
En conclusion, on peut noter que cette reglon des quatre villages étant
marquée par un vide juridique du fait de l'inexistence de textes délimitant la
frontière, les parties auront recours aux cartes établies par le colonisateur, malgré
les réticences constantes du Mali vis-à-vis de ces documents, et dans le seul but
d'étayer leurs arguments.
SOUS-SECTION Il:
L'ARGUMENTATION DES PARTIES DANS LA
REGION DES QUATRE VILLAGES

Ainsi qu'il a été souligné plus haut, il n'existe pas dans le secteur des quatre
villages de textes délimitant la frontière entre le Burkina et le Mali excepté bien sûr
la loi du 4 septembre 1947 qui rétablit la colonie de Haute-Volta et l'arrêté général
2728 autour duquel le Mali a construit son édifice argumentaire
Cette absence quasi-générale de titres écrits sera cependant compensée par
le recours des parties aux documents cartographiques ainsi qu'aux «effectivités

%
coloniales». Ceci est d'ailleurs valable pour les autres secteurs géographiques à
propos desquels les parties n'arrivent pas à se mettre d'accord à cause du tracé de
la frontière.
Il est intéressant de noter qu'elles n'accordent pas la même importance aux
matériaux cartographiques et aux effectivités.
En effet, si pour le Burkina à défaut de titres écrits, il faut se rabattre sur les
cartes conformément aux recommandations émanant des rencontres bilatérales
précédentes, pour le Mali, l'absence de titres écrits doit être suppléée par les
effectivités, les cartes jouant un rôle secondaire.
Autant le Mali combat les cartes mais s'y réfère malgré tout, autant le Burkina
invoque les effectivités bien qu'il n'y voit pas un argument de poids à cause de la
qualification qu'il attribue au conflit territorial. Chaque partie privilégie un type
d'argument en fonction de sa qualification du conflit.
§ 1 -
Les fondements des thèses soutenues par le
Burkina Faso
La position défendue par le Burkina est principalement axée sur la loi de 1947
d'une part et sur les cartes coloniales d'autre part. En outre, il s'appuiera sur la lettre
circulaire 191 CM2 du 19 février 1935 et sur celle du 3 juin de la même année pour
déterminer la localisation géographique de la mare de Kétouaire.
A) -
La loi du 4 septembre 1947
Il n'est pas inutile de rappeler que c'est l'article 2 de ce texte de loi qui a
reconstitué la colonie de Haute-Volta dans ses frontières de 1932. Pour le Burkina
Faso, cette loi consacre le retour automatique de tous les territoires qui lui ont été
détachés pour être rattachés aux colonies voisines. Concrètement, elle implique une
réintégration au territoire Burkinabé du Cercle de Ouahigouya, du canton d'Aribinda
du Cercle de Dori et de la partie du Cercle de Dédougou située sur la partie gauche
de la Volta Noire, qui avait été rattachée au Soudan français.
En conséquence, les quatre villages litigieux retournent « à leur mère patrie»
c'est-à-dire au Cercle de Ouahigouya.

en
Cette loi, aux yeux des autorités Burkinabé signifie également que l'arrêté
général 2728 que le Mali a exhibé pour la première fois à la réunion de Tin Akoff
(Burkina) tenue le 15 mai 1969, est implicitement abrogé
On se souvient que ce texte réglementaire avait été pris pour réorganiser les
circonscriptions administratives du Soudan français On se souvient également que
ce texte mentionnait dans ses dispositions la mare de Kétouaire autre objet de
désaccord entre les parties du point de vue de sa localisation. En effet, pour le Mali,
cette mare se situe au pied des collines de Manaboulé
Cette position semble aujourd'hui abandonnée puisqu'il propose de situer
ladite mare à l'emplacement du «forage Christine».
Le Burkina Faso, quant à lui, fait d'abord remarquer que cette mare n'existe
pas sur la carte des colonies déjà évoquée. Seule y figure la mare de Manaboulé.
Puis il a analysé:
- la lettre 191 CM2 du 19 février 1935 adressée au Lieutenant-Gouverneur du Niger
par le Gouverneur Général de l'A.O.F. Cette lettre est relative à un projet de
délimitation de la frontière entre la colonie du Niger et celle du Soudan.
- La lettre-réponse n° A. 1068 du1 068 du 3 juin 1935 du Lieutenant-Gouverneur, et a
conclu que la mare de Kétouaire ou de Kabanaire se situe entre les monts
Tabakarech (ouTabanach) et le point de latitude 14°43'45» et de longitude 1°24'15»
presqu'à la limite des Cercles de Mopti, Gourma-Rharaus et Dari.
La localisation de cette mare est importante parce qu'elle a une incidence sur
le tracé de la frontière dans cette région des 4 villages naguère régis par l'arrêté
2728.
Du point de vue du Burkina, ce texte ne survit pas à la loi de 1947 qui
l'empêche désormais de déployer des effets futurs, ses effets antérieurs demeurant
valables. En effet, (<l'abrogation d'un droit ou sa limitation ne signifie donc pas que le
titre doit être considéré comme n'ayant jamais existé, ni qu'il n'est plus susceptible de
produire des effets quelconques, au contraire, il pourra encore en sortir pour autant
qu'ils se rapportent à l'époque pendant laquelle il était valide)) 167
167 Cf. Denise BINDSCHEDLER-ROBERT. «De la rétroactivité en Droit International». Mélanges
Guggenheim 1968, pp. 189-190.

Le Burkina ne conteste aucunement la validité de ce texte dans la période
comprise entre 1935 et 1947. Il n'est pas d'ailleurs seul à avoir ce sentiment. La
sous-commission juridique de la Commission de Médiation est parvenue en 1975
aux mêmes conclusions. En effet, n'a-t-elle pas affirmé que «la loi de 1947 qui a fait
reprendre à la Haute*Volta ses limites de 1932 a entendu mettre à néant tous les
textes qui ont modifié ces limites et singulièrement l'arrêté général 2728» ?168.
Les conclusions de cette sous-commission qui était présidée par Keba
M'Baye, alors président de la Cour Suprême du Sénégal, étant pour l'essentiel
favorables au Burkina, on comprend pourquoi ce pays cite assez souvent le rapport
déposé par cet organe d'une institution ad hoc.
Mais cela ne l'empêche pas de rechercher de son propre chef les preuves de
ses allégations. Ainsi, pour donner la preuve de l'invalidité de l'arrêté général 2728,
le Burkina croit bon de souligner que le fait qu'il ait été nécessaire à la puissance
coloniale de prendre l'arrêté général n02337 INT/AP1 du 6 mai 1949, convainc que
la loi de 1947 s'appliquait automatiquement sans l'intermédiaire d'aucune disposition
de nature réglementaire.
L'article premier de cet arrêté dispose que «les territoires des cantons de
Menamba et de Mahou groupant actuellement les villages bobo détachés du Cercle
de Koutiala par l'arrêté général du 16 décembre 1933 et rattachés au Soudan par
application des dispositions de l'al1icle 2 de la loi du 4 septembre 1947, sont
incorporés au Cercle de Koutiala». Cet arrêté 2337 entre-t-il dans le champ
d'application des dispositions de l'article 3 de la loi de 1947, lesquelles prévoient
des modifications ultérieures de territoire sous réserve préalable de la consultation
des assemblées locales intéressées à savoir celles de Haute-Volta et du Soudan
français?
Le Burkina répond négativement en prenant soin d'indiquer que cette
procédure de consultation n' a jamais été utilisée.
L'édiction de l'arrêté 2337 n'a pas été suivie d'une consultation des
Assemblées
locales
intéressées
pour
une
seule
raison
:
il
concerne
le
rétablissement des limites légales de la Haute-Volta et non la modification de ces
1(,8 Rapport précité, p. 11.

()()
limites. De plus, ce texte s'imposait d'autant plus que les cantons de Menamba et de
Mahou n'appartenaient pas dès l'origine à la subdivision de Nouna du Cercle de
Tougan avant 1932.
Le retour de Nouna à la colonie de Haute-Volta étant automatique en vertu de
la loi de 1947, il fallait donc qu'un texte réglât le sort desdits cantons. D'où l'arrêté
général 2337. C'est là la différence avec le retour des quatre villages litigieux pour
lesquels aucun arrêté n'est intervenu. Comment pouvait-il en être autrement quand il
est établi qu'avant 1932, ils appartenaient à la colonie de Haute-Volta. Aucune
analogie entre les deux situations n'est donc possible.
Toutefois, il existe des facteurs troublants qui entretiennent des doutes sur
l'appartenance des quatre villages au Burkina Faso. Il s'agit de la forte concentration
des populations d'origine malienne dans ces villages, notamment à Dionouga (les
Dogons). Cette situation est parfois source de confusion entre la compétence
territoriale exercée par le Burkina Faso et la compétence personnelle qu'exerce le
Mali sur ses ressortissants à l'étranger
Il est d'autres éléments troublants Ainsi, par une lettre n01760, en date du 6
mai 1961, l'Institut Géographique National Français a signalé au Commandant du
Cercle de Djibo que le village de Dionouga se situe en territoire malien. Dans sa
réponse en date du 8 juin de la même année, celui-ci se rallia à l'avis émis par cet
organisme.
Ces deux correspondances ont fait l'objet des remarques suivantes formulées
par le Burkina.
Ce jugement de l'IGN ne peut procéder que d'une erreur provoquée par
l'importance du peuplement malien de ce village. En effet, la quasi-totalité des
cartes coloniales dont un grand nombre sont l'oeuvre de l'IGN, situent de manière
constante les villages contestés en territoire Burkinabé.
Quant à l'acquiescement expresse du Commandant de Cercle de Djibo, il n'a
aucune
valeur
juridique
parce
qu'étant
une
autorité
déconcentrée
donc
hiérarchiquement inférieure aux autorités centrales, il n'a aucune compétence pour
procéder à une rectification de frontière.

100
Aussi, pour conforter sa thèse, le Burkina n'a pas hésité à recourir a une
institution du Droit Civil notamment du Droit des Biens en empruntant l'image de
l'usufruitier et du nu-propriétaire. Pour mieux comprendre cette figure juridique, il
convient de définir l'usufruit.
L'article 578 du Code Civil français le définit comme <rie droit de jouir des
choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la
charge d'en conserver la substance)).
Cette jouissance est-elle temporaire ou définitive?
L'usufruit a un caractère temporaire, ce qui empêche l'usufruitier de devenir
propriétaire par le mécanisme de la prescription acquisitive. La chose devra donc
être restituée au nu-propriétaire qui a, seul, un titre de propriété16B
Transposée en droit international, cette image tend à prouver que le Mali est
un occupant. Or, les faits d'occupation ne prévalent pas sur les titres juridiques
même s'ils revêtent un caractère paisible170
Le titre dont se prévaut le Burkina est le fait même de la succession aux
frontières coloniales. Et toutes les fois que le Mali a tenté d'empiéter sur sa
souveraineté territoriale, il a élevé des protestations. De ce fait, son attitude diverge
totalement de celle qu'a adoptée la Thallande dans l'affaire du Temple de Préah
Vihear 171.
Si justes soient-elles ces remarques ne gomment pas pour autant le malaise
qui entoure le Village de Dionouga.
C'est pourquoi, en son temps, la sous-commission juridique de l'O.UA avait
proposé au Burkina sa cession au Mali. Le Burkina avait à l'époque émis des
réserves sur cette proposition.
Toutefois, en 1984, dans la recherche effrénée et parallèle d'une solution
négociée à ce conflit qui perdure, le Ministre Burkinabé de l'Administration
)(,9 Sur les rapports entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, voir Christian LARROUMET «Droit Civil»
Tome II. Les Biens - Droits Réels principaux. Editions Economica, 1985, p. 236 et suiv.
170 Recueil, C.I.J. 20 juin 1959, affaire relative à la souveraineté sur certaines parcelles frontalières
Belgique/Pays-Bas, p. 12.
171 Sur les arcanes du raisonnement du Burkina à propos de la référence à celle affaire, voir Mémoire
de ce pays, pp. 142-143.

101
Territoriale, mû par un élan de Paix, n'a pas écarté la possibilité d'une telle cession
lors d'une rencontre avec son homologue malien. Mais ce n'était qu'une proposition
verbale qui, au demeurant, n'a pas eu de suite.
Enfin, dans ses tentatives pour prouver l'invalidité de l'arrêté général 2728, le
Burkina a été amené à donner son point de vue sur l'autonomie alléguée de cet
arrêté. Cette autonomie ou indépendance résulterait de l'absence dans les visas de
ce texte règlementaire du décret portant suppression de la colonie de Haute-Volta.
Sur ce point, le Burkina souligne qu'en 1935, il n'était plus nécessaire de se référer
au décret de 1932 parce que l'entité coloniale voltaïque n'existait plus. Il ne saurait
donc découler de cette omission une prétendue autonomie de l'arrêté 2728 car sans
le décret de 1932, ledit arrêté n'eût certainement jamais vu le jour. L'arrêté est la
conséquence du décret.
On peut se demander maintenant si toutes les positions que le Burkina vient
de défendre, ont reçu une consécration graphique.
B) - «Les titres cartographiques»
Avant d'examiner le
rôle
que
le
Burkina fait
jouer
aux
documents
cartographiques dans le présent différend, quelques précisions nous semblent
nécessaires.
Deux raisons paraissent avoir guidé ce pays dans le recours aux cartes:
- La première raison ne lui est pas propre. Elle est liée au fait que ce type de
document est important du point de vue de sa valeur indicative dans tous les
règlements territoriaux.
- La deuxième raison relève plutôt d'un «code de conduite» adopté par les
deux parties. En effet, la référence aux cartes comme document de travail, est une
application des recommandations faites par les parties elles-mêmes dans le cadre
des structures de concertations communes.
Exemples: A la réunion d'Ansongo (Mali) tenue le 29 novembre 1961, les
parties se sont référées à la carte des colonies Hombori-Ansongo 030 NE 031 NW
de 1925 échelle 1/500.000 (nous y reviendrons plus loin). De même, à la réunion de
Bobo-Dioulasso tenue en 1966, le principe du recours aux cartes en cas
d'insuffisance ou d'absence des textes a été adopté.

102
Plus significative est la réunion de Bamako tenue les 29 et 30 septembre
1969 où la Commission paritaire permanente a décidé que les deux délégations se
référeraient aux cartes au cas où elles ne retrouveraient pas de textes pertinents.
Cette décision fut prise après que la Commission se fût accordée des délais
supplémentaires pour rassembler les textes qui ont servi de base au tracé de la
frontière dans la région du Béli.
Mieux que cela, les deux pays ont utilisé la carte IGN français de 1960 établie
à l'échelle 1/200.000 pour la délimitation de la frontière qui va de Orodoro (Burkina)
jusqu'au village de Dionouga, soit un peu plus de 900 kilomètres. ((Cette carte
constitue du point de vue Burkinabé, le véritable (destamentJJ de la puissance
coloniale, ou le document le plus précis et le plus récent dans lequel elle a défini les
limites entre ses colonies à la veille des IndépendancesJJ ln .
Elle est le titre juridique par excellence, renchérit-il 173
C'est pour toutes ces raisons que pour la délimitation de la frontière restante,
le Burkina recourt aux cartes qu'il considère comme seuls documents objectifs étant
entendu que celles-ci ont été confectionnées suivant des textes juridiques et par un
service officiel, en l'occurrence le service géographique de l'AO.F. 174. Il est
d'ailleurs curieux de constater que dans ses écritures, le Burkina parle constamment
de «titres cartographiques» Ce qualificatif est d'autant plus surprenant que le Droit
International positif ne considère pas l'élément cartographique comme un titre
juridique, même si au niveau de la jurisprudence de la
Cour Internationale de
Justice, une évolution dans le sens de son admission est perceptible. Ce point sera
examiné dans le chapitre suivant consacré à l'appréciation critique des thèses
soutenues par les parties. En attendant, contentons-nous de prendre la mesure de
l'importance que le Burkina accorde aux documents cartographiques.
A l'échange des mémoires, le Burkina a présenté trente-sept (37) cartes ou
croquis devant la Chambre tandis que le Mali en a produit soixante quinze (75). Puis
171 Cf. Contre-Mémoire du Burkina Faso, p. 80.
m Il est éclairant de souligner que bien qu'elle ait été imprimée en 1960, c'est-à-dire à la date critique
du différend, celle carte a été levée avant l'indépendance des Etats du Burkina et du Mali si l'on en
croit la noie de l'IGN de France en date
du 27 janvier 1975.
174 Cf. Mémorandum de Haute-Volta, op. cil. p. 20. Pour le Burkina, ce service aurait tenu compte de
l'Arrêté Général 2728 dans l'établissement ultérieur des cartes dont la précision allait grandissant.

103
à l'échange des contre-mémoires, le Burkina ajoutera quatre (4) nouvelles cartes, ce
qui lui donne un total de quarante et une cartes. Tous ces documents ne sont pas
fondamentalement différents si l'on en croit la défense du Burkina. En effet, sur les
75 cartes du Mali, une vingtaine au moins recoupent celles du Burkina. En outre,
toutes les cartes présentées n'intéressent pas les frontières contestées; à preuve,
une vingtaine intéressent la région des quatre villages. Sans les citer toutes,
rappelons quelques-unes:
- la carte au 1/200.000 de 1960 ;
- la carte des colonies de l'AO.F. de 1925 feuille Hombori Ansongo établie à
l'échelle 1/500.000 par le service géographique de l'AO.F.
Cette carte mérite que l'on s'y attarde parce qu'elle a été le document de
référence des parties lors des négociations bilatérales qui ont été sanctionnées par
le Protocole d'Accord de San (Mali) en 1961. En effet les représentants des deux
Etats avaient décidé de retenir comme frontière la ligne divisoire figurant sur cette
carte qui fait passer la frontière commune au Nord des quatre villages.
Il restait aux deux gouvernements compétents en matière de délimitation frontalière,
d'entériner ou de rejeter ces résultats. Malheureusement, aucune instruction
gouvernementale ne fut enregistrée.
Ce silence s'expliquerait-il par la non exacerbation du différend à l'époque? Cela
est fort probable. Toutefois, à la réunion d'Ansongo (Mali) tenue le 7 décembre
1961, le Mali dénonça le principe du recours aux cartes comme document de travail
et fit passer la frontière au sud des villages litigieux.
-l'Atlas des Cercles de l'AO.F. édition 1926 (SG-AOF)
-la carte de l'AO.F. èdition 1925 échelle 1/3000.000 (Meunier)
-le croquis de l'AO.F. édition échelle 1/1.000.000 (SG-AOF)
-la carte de l'AOF de 1955 échelle 1/2500000 (SG-AOF)
Comme on le constate, ces cartes comme toutes celles qui n'ont pu être
citées, ont été établies par la puissance coloniale longtemps avant la survenance de
l'actuel litige. Leur objectivité et leur degré de fiabilité sont donc en principe garantis.
On ne saurait alors reprocher à l'autorité coloniale une quelconque partialité.

104
On ne saurait également parler dans cette affaire d'une redondance ou d'une
«marée cartographique» 175 comme dans l'arbitrage du Canal de Beagle.
Parmi les cartes présentées par les parties, très peu ont été établies par
elles-mêmes
Enfin, la dissymétrie perceptible dans le nombre des cartes ou croquis
présentés par chacune des parties, laisse naturellement penser que le Mali éprouve
une affection quasi fétichiste de la cartographie. Quand on sait que ce pays est
hostile dans la présente affaire à
la cartographie et reproche au Burkina de lui
accorder une valeur probante, on s'étonne qu'il présente plus de cartes que son
adversaire. La logique aurait voulu qu'il en présentât moins. Ce ne sont là que des
constatations.
Pour terminer avec toute ces remarques, dans leur jeu de cartes, les parties
ont présenté chacune des cartes favorables aux thèses de l'adversaire en les
jugeant erronées ou dépourvues de valeur.
Cela dit, le Burkina accorde une force probante aux cartes mais les textes
écrits conservent leur primauté. Il s'agit bien entendu (<des cartes éditées par le
service géographique de l'A OF ou de toutes celles qui ont été confectionnées par
des éditeurs privés dans les conditions prescrites par les textes réglementaires...
parce qu'elles participent de la nature juridique de leur approbation par l'Autorité
supérieure compétente. Leur acceptation par le gouverneur général couvre les vices
de forme éventuels» 176.
Mais seules les cartes concordantes c'est-à-dire celles qui placent toujours
les villages litigieux en territoire Burkinabé, bénéficient de cette force. Aussi, plaide-
t-il pour leur prise en compte par la Chambre. Par quelles techniques? Le Burkina
fait observer d'abord que «dans les affaires les cartes ont joué un r61e secondaire
(/le de Palmas, Minquiers et Ecrehous), il s'agissait de conflit d'attribution territoriale
les titres occupent une place peu importante. /1 n'en va pas de même dans les
conflits de délimitation comme en la présente espèce» III
175 Cf. Brigitte BOLLECKER STERN. «L'arbitr8ge dans l'affaire du Canal de Beagle entre l'Argentine
et le Chili». R.G.D.I.P. 1979-1, p. 35.
176 Mémomndurn du Burkina F8so op. cit., p. 20
177 Mémoire du Burkina Faso, p. 113.

105
Ensuite, et toujours pour demander à la Cour de renforcer l'évolution récente
de sa jurisprudence en matière de cartographie en considérant comme moyens de
preuve certaines cartes lorsqu'elles remplissent certaines conditions, le Burkina
Faso par la bouche de l'éminent professeur JP. Cot. a soutenu l'idée suivante:
((Nous n'entendons pas faire dire aux cartes plus qu'elles ne disent. Leur valeur
testimoniale est affaire d'espèce. Elle dépend de la valeur intrinsèque des cartes, de
leur qualité absolue mais aussi de leur qualité relative jugée par rapport à la péliode
où elles ont été dressées. Elle dépend de la cohérence des séries de cartes. Elle
dépend de leur diffusion,
de leur utilisation
concrète,
quotidienne par les
administrateurs de l'époque. Elle dépend bien entendu de leur statut plus ou moins
officiel ; de leurs conditions d'élaboration, de leur reconnaissance officielle par les
autorités compétentes» 178.
Cette idée que la force probante des cartes est affaire d'espèce a déjà été
développée par Charles de Visscher 179 (cf. infra p. 195 et suiv.).
En conclusion, l'importance des cartes dans la présente affaire est certaine.
C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les deux parties n'ont pu
s'empêcher de s'y référer malgré leurs différences d'appréciation.
En ce qui concerne le Burkina, les cartes dont il s'est prévalu sont tellement
importantes qu'il les a élevées au rang de titres juridiques. Cela signifie-t-i1 qu'il voue
aux cartes en général une affection exagérée? Certainement pas si l'on s'en tient à
son attitude discriminatoire vis-à-vis de celles-ci. D'ailleurs, il s'en est défendu. En
tout état de cause, le dernier mot appartient à la Cour. Etant donné la nature du
différend (conflit territorial de délimitation), va-t-elle accorder plus d'attention aux
arguments basés sur les cartes qu'à ceux revalorisant les effectivités comme on va
le voir maintenant? Dans l'hypothèse d'une réponse positive, se cantonnera-t-elle
dans ses positions traditionnelles ou tiendra-t-elle compte des spécificités de la
présente affaire en infléchissant sa politique jurisprudentielle ? C'est autant de
questions qui trouveront leurs réponses dans la troisième partie des présentes
recherches.
Ce tour d'horizon sur les théses du Burkina étant terminé il reste à faire le
point sur celles de son adversaire
178 Cf. C2/CR.86/3 C.I.J. Plaidoiries orales, p. 77
179 ln Les problèmes de confins en Droit InterrI.ll1i(jnélLPuQli.«. Paris, A. Pédone, 1960, p. 41.

IOô
§ 2 - Les fondements de l'argumentation malienne
Dans la région litigieuse, le Mali distingue une zone dite sédentaire et une
zone de normalisation. La première zone qui s'étend de Dionouga à la mare de
Toussougou englobe les quatre villages contestés. Elle est délimitée selon le Mali
par l'arrêté général n° 2728. Quant à la deuxième zone, elle regroupe les secteurs
du Béli, du Soum et la région du Mont N'Gouma. Contrairement à la première zone,
il n'existe selon le Mali aucun texte régissant le tracé de la frontière dans cette
seconde zone. Aussi, pour régler son sort, le Mali recourt-il aux effectivités.
En effet, tandis que les arguments du Burkina privilégient les «titres
cartographiques» à défaut de titres écrits, ceux du Mali s'articulent autour des
effectivités coloniales.
On serait tenté de croire que le Mali dans son argumentation ignore la
cartographie lorsqu'il écrit que les informations cartographiques ne sont pas pour lui
un fondement juridique de la délimitation180 Mais, en réalité, ce pays considère le
recours aux cartes comme l'instrument technique de la négociation qui a précédé le
règlement judiciaire. Mieux, il ne repousse pas systématiquement tout document
cartographique. Il considère au contraire qu'il doit chaque fois être examiné de
manière critique pour déterminer s'il est fiable et s'il a une valeur probante dans le
contexte dans lequel il a été confectionné181. Dans son entendement, cette valeur
doit être exclusivement envisagée pendant la période antérieure à la date de
l'indépendance du Mali et du Burkina.
En un mot, le Mali dans la présente espèce livre un combat contre les cartes
auxquelles il nie toute valeur probante,
mais malgré cette dénégation, il fera
largement usage des cartes (75 en tout).
Par conséquent, le Mali ne néglige pas la cartographie mais les titres
juridiques et les effectivités constituent l'épine dorsale de son argumentation.
IRO Mémoire de la République du Mali, p. 238.
IRI Mémoire de la République du Mali, p. 242.

107
A propos d'ail/eurs des titres juridiques, il tente de saisir les contours de cette
notion avec l'aide du dictionnaire de la terminologie du droit international 182. Ainsi il
distingue le titre-cause et le titre-instrument. Le premier qui résulte de la succession
d'Etat est l'ufi possidetis
tandis que le second est la manifestation de volonté du
colonisateur,
par
les
actes
législatif
et
réglementaire,
les
cartes
et
les
comportements administratifs. Dès lors, il reproche au Burkina de semer la
confusion en parlant de titres coloniaux
Le seul titre juridique qu'il a invoqué dans le litige relatif aux quatre villages
est l'arrêté général 2728.
La défense de ce titre passe nécessairement par la réfutation de sa part de la
force abrogative de la loi de 1947 qui reconstitue la colonie de Haute-Volta et du
Rapport de la sous-commission juridique de la Commission de Médiation de
l'O.UA, rapport qu'il avait préalablement accepté.
Le canevas qui vient d'être brossé guidera les développements auxquels il
faut maintenant s'employer.
A) - L'arrêté général 2728
Ce texte est le pivot de l'argumentation du Mali pour qui c'est le seul titre
existant dans la région des quatre villages.
D'ail/eurs, fait-il remarquer,
la
Commission paritaire permanente en sa session de Bamako 29-30 septembre 1969,
n'avait-elle pas fait de ce texte une base pertinente de règlement du différend.
Nous ne reviendrons pas sur le contenu de ce document dont il a été déjà fait
mention de manière suffisante dans les pages antérieures. L'essentiel est de savoir
que selon le gouvernement malien, les villages de Dionouga, Oukoulourou,
Agoulourou et Koubo que les dispositions de ce texte ont rattachés au Canton de
Mondoro du Cercle de Mopti, ont toujours été maliens et ont primitivement appartenu
aux Cercles de Hombori et de Bandiagara. De ce fait, la loi de 1947 qui rétablit la
colonie de Haute-Volta, n'a aucun effet sur cet arrêté qui est autonome. Par quoi se
traduit cette autonomie?
IH2 Contre-Mémoire de la République du Mali, p. 50 et suivantes.

lOI'
1) -
Les preuves maliennes de l'autonomie de l'A.G. 2728
Ce sont d'une part les conséquences des pouvoirs propres
dont un subordonné est investi et d'autre part l'absence du décret de 1932 dans les
visas de l'arrêté litigieux.
* Sur le premier point, c'est un truisme de rappeler que l'AG 2728 est un acte
administratif qui a été pris par le gouverneur général de l'A.O.F. en 1935 en raison
de ce que la compétence en matière de délimitation des collectivités territoriales
ressortissant pendant la période coloniale, du moins jusqu'en 1946, au pouvoir
réglementaire. En cette qualité, il est le supérieur hiérarchique des Lieutenants-
Gouverneurs qui, eux, ne peuvent prendre que de simples arrêtés.
Mais, il demeure néanmoins une autorité inférieure par rapport au Ministre
des Colonies qui a un pouvoir d'annulation, ou de réformation des actes
administratifs édictés par le subordonné qu'il est. Et ce, pour des raisons à la fois
d'opportunité et de légalité. Mais en aucun cas, le Ministre ne peut se substituer de
piano à lui pour prendre une mesure qui lui revient aux termes de la loi et des
règlements. C'est ce qui ressort de l'Arrêt Quérait (CE 30 juin 1950 - Dalloz 1951,
p.593).
Placée dans le contexte du différend Mali-Burkina, cette jurisprudence du
Conseil d'Etat français signifie aux yeux du gouvernement malien que le législateur
de 1947 ne pouvait pas abroger un acte qui entre dans la compétence légale d'une
autorité inférieure.
* Le second point concerne l'autonomie de l'arrêté 2728 par rapport au décret
de 1932 portant suppression de la colonie de Haute-Volta. Les visas dudit arrêté ne
font pas apparaître ce décret. Naturellement, le Mali tire la conclusion que les
villages litigieux ne faisaient donc pas partie de la subdivision de Djibo avant 1932.
Qu'il nous soit permis d'indiquer ici que si des preuves ont été apportées pour
corroborer le caractère malien du village de Dionougou, ainsi qu'il apparaît dans les
effectivités coloniales, il en est allé différemment au sujet des trois autres villages.
Cela étant, il résulte de ce qui précède que l'A.G. 2728 est autonome et conserve sa
validité malgré la loi de 1947.

109
2) -
La survivance de l'A.G. 2728 à la loi de 1947
Rappelons que l'A.G. 2728 ne concerne que la délimitation
des
circonscriptions administratives du Soudan français et que la loi de 1947 se
contente quant à elle de ressusciter la colonie de Haute-Volta qui était
dépourvue d'existence juridique.
La tentation est certainement grande de considérer que cette
loi a
implicitement abrogé l'arrêté généraL Il n'en est rien car un acte administratif reste
valable jusqu'à l'entrée en vigueur d'un texte l'abrogeant ou le modifiant, or, dans le
cas présent, aucun acte n'a abrogé ni en 1947 ni postérieurement à cette date de
façon tant explicite qu'implicite l'arrêté de 1935183
De surcroît, l'abrogation tacite ne se présume pas mais se démontre. La
conclusion ne doit donc pas précéder la démonstration comme le fait le Burkina.
Intrinsèquement, l'A G. 2728 est un titre juridique autonome non frappé de
caducité.
Il est cependant regrettable que les cartes qui lui sont annexées soient
restées introuvables dans les Archives du Gouvernement Général de l'AO.F. à
Dakar et dans celles de l'Ancien Ministère des Colonies à Paris. En effet, l'article 1er
alinéa 1 de l'arrêté dispose: «les limites des cercles de Bafoulabé, Bamako et Mopti
sont précisées comme suit et telles qu'elles sont transcrites sur les cartes annexées
au présent arrêté))
Mais le fait que ce texte n'ait pas servi de base aux travaux du service
géographique de l'AO.F. postérieurs à 1935 conforte la conviction des autorités
maliennes qu'il est le seul texte existant dans cette région des quatre villages.
Enfin, on ne saurait refermer toutes ces pages sans rappeler deux choses:
- le Mali récuse le rapport et les conclusions de la sous-commission juridique
et estime qu'ils ne lui sont pas opposables.
IR, Cf. Mémoire de la République du Mali, p. 230 el Contre-Mémoire du même pays,
p. 138.

11()
- deux correspondances déjà évoquées et versées au dossier du Mali,
confirment le caractère malien du village de Dionouga. Il s'agit de la lettre que l'IGN
a adressée au Commandant de Cercle de Djibo en 1961 et la réponse de celui-ci.
Mais d'autres faits antérieurs revêtent également un caractère confirmatif.
B) - Les «effectivites» coloniales
A défaut de textes, il faut rechercher les actes d'administration effective sur le
terrain 184 Telle est la conception du gouvernement malien Nos propos consisteront
à relever iCI les comportements ou actes des autorités administratives coloniales qui
constituent les preuves de l'exercice effectif de compétences territoriales.
Mais, auparavant, il est nécessaire de souligner que le Burkina
et le Mali
sont tombés d'accord sur le fait que seules les «effectivités» coloniales et non
postcoloniales sont pertinentes. Ceci, eu égard à la date critique du différend que le
premier situe dans le milieu de l'année 1960 et le second en 1959.
Il est bon également de rappeler que pas plus dans la région des quatre
villages que dans les autres secteurs conflictuels,
le Burkina juge que les actes
d'administration effective jouent un rôle secondaire sans doute à cause de la nature
du conflit territorial qui l'oppose au Mali. Mais l'on verra que dans le secteur du Béli,
le Burkina aura lui aussi recours aux effectivités.
Il est loisible enfin de remarquer que les «effectivités» maliennes ne
concernent que le village de Dionouga, les trois autres constituant en quelque sorte
des parents pauvres à cet égard.
Sur ce point d'ailleurs, les écritures maliennes ne font pas oeuvre novatrice.
Elles se contentent de rappeler les rapports de la Commission technique mixte en
date du 17 avril 1972 et de la sous-commission technique mixte.
Dans ses écritures, on peut lire cependant que le Mali retient comme point
frontalier dans les villages d'Oukoukou et d'Agoulourou, le baobab de Selba situé
non loin de la borne astronomique implantée au nord de la mare de Selba185. Il est
184 Cf. Mémoire de la République du Mali, p. 230 et contre-mémoire du même pays, p. 138.
1H5 Mémoire du Mali, p. 279.

III
souligné par ailleurs que dans ces trois villages notamment à Koubo où les
sédentaires sont clairsemés, aucun voltaïque n'habite.
Ceci étant, les actes d'administration effective du village de Diounouga sont
légion et il serait fastidieux de les éplucher. C'est pourquoi, nous nous contenterons
de citer ceux d'entre eux qui nous paraissent très significatifs eu égard à la manière
dont les administrateurs vivaient la limite de leurs circonscriptions. Il s'agit des faits
saillants suivants.
- le village de Dioulouna ou Dionouga est cité parmi les villages de
Bandiagara dans l'état nominatif du 9 octobre 1903 et celui du 28 février 1904 ;
- il est inclus dans le recensement des villages du canton de Mondoro le 1er
mars 1923;
- dans son rapport de tournée des 21 janvier 1929 et 11 février de la même
année, le chef de canton de Mondoro signale Dioulouna comme le centre le plus
important avec 629 habitants;
- le rapport du chef de poste de Douentza en date du 3 mai 1948 et du 1er
juillet 1948 cite Dioulouna ;
- En décembre 1950, une instruction judiciaire eut lieu à propos d'un
infanticide commis dans le village de Dionouga ;
- il est cité dans la liste des Impôts 1951 et 1953 ;
- il fait partie du ressort du bureau de vote de Hombori 1 par l'arrêté n°
1627bis du 12 juin 1951, etc...
Tout comme l'A.G. 2728, la pratique administrative coloniale qui vient d'être
énumérée de façon non limitative, constitue pour le Mali une base juridique solide,
du caractère malien du village de Dionouga. Théoriquement, le Mali pouvait s'en
tenir à ces deux pièces à conviction compte tenu de son aversion des cartes. Mais
ce ne fut point le cas.

112
C) - Le recours du Mali aux cartes
Si le Mali n'est pas favorable aux cartes relatives à la frontière qu'il partage
avec le Burkina, il ne répugne pas pour autant à les utiliser pour consolider ses
prétentions territoriales. De ce point de vue, on est enclin à voir une similitude entre
son comportement et celui qu'a adopté l'Argentine dans l'affaire du Canal de Beagle.
Peut-être, faut-il le rappeler, le Mali a présenté devant la Chambre beaucoup
plus de cartes que le Burkina (75 contre 41). Eu égard à l'hostilité qu'il affiche contre
ce type de documents que la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités
n'a malheureusement pas retenu comme moyen d'interprétation des traités, cette
attitude peut sembler paradoxale.
Sans doute le fait que les cartes ne cadrent pas avec ses vues dans la
plupart des cas, explique-t-i1 cette attitude. N'a-t-il pas écrit, en effet que (des
documents cartographiques concernant la frontière Burkina-Mali qui ont été établis
pour la majeure partie au cours d'une période de 81 ans par divers auteurs et à partir
de données souvent approximatives, présentent des lacunes, des erreurs et des
incohérences très importantes? il 186.
En affirmant cela, le Mali prenait certainement pour cibles les cartes établies
par l'IGN français à l'échelle 1/500.000 et 1/200.000 édition 1960, qu'il juge erronées
et dont il met la valeur en doute. Il n'est donc pas étonnant qu'il n'ait jamais accepté
le tracé de la frontière que consacre la carte à l'échelle 1/200.000 et ce, dès son
indépendance187. Ces deux cartes ne concernent pas les quatre villages litigieux.
Mais il en existe plusieurs autres les concernant ; ces cartes qui situent lesdits
villages en territoire Burkinabé, ne sont pas à l'abri des critiques du Mali bien que ce
pays les aient citées.
C'est le cas:
- du croquis du canton de Mondoro 1/500.000. 10 mars 1923 (P. Lugeol) ;
IR(, Mémoire de la République du Mali, p. 215.
IR7 Ibidem, p. 237

113
- de la carte des colonies de l'AO.F. Soudan - Haute-Volta, feuille Hombori
D30 NE - 1925 - 1/500.000 édition Blondel La Rougery Paris.
- de la carte des colonies de l'AO.F. - Soudan - Haute-Volta-Niger - feuille
Ansongo D. 31 NE 1925 -1/500.000.
Ces deux dernières cartes sont établies par la société géographique de
l'AO.F.
- De l'Atlas des Cercles, édition 1926, établi par la société géographique de
l'AO.F.
Toutes ces cartes sont concordantes et situent constamment les quatre
villages en territoire Burkinabé. Malgré tout, le Mali vit en elles des documents sans
valeur, le seul document valable étant l'AG. 2728. Et pour convaincre la Chambre
spéciale de rejeter toutes ces cartes malgré leur concordance, le Mali invoqua
l'affaire du Rann de Kutch où les cartes émanant de l'Autorité britannique avaient
revêtu ce caractère mais elles ne furent pas pour autant retenues par les arbitres.
Cette vision subjective ne l'empêcha pas cependant de trier dans son jeu de
cartes, celles qu'il juge pertinentes. Il s'agit de la carte du Gourma à l'échelle
1/1.000.000 édition incertaine 1900 ou 1901 et du croquis sur le Niger Moyen
1/1.000.000 du 15 août 1905 établi par le Lieutenant Desplages.
Rares sont donc les cartes qui lui rendent un bon service. Quoiqu'il en soit,
les cartes, en droit international positif n'ont pas de valeur probante absolue. Elle ne
sauraient donc être considérées comme des «titres juridiques appelés titres
cartographiques» par le Burkina.
Cette qualification lui a attiré les foudres maliennes tant dans les écritures
qu'au cours de la procédure orale. En effet, écrit le Mali, cette affirmation est une
innovation hardie mais elle manque totalement de base juridique si l'on entend par
là un titre-cause. C'est un abus de langage188 et pour P. Marie Dupuy, «nous vivons
une première» 189.
188 Contre-Mémoire de la République du Mali, pp. 96-97.
189
C2/CR8617 C.I.J. Plaidoiries orales, p. 37

114
Cela dit, le Mali affirme qu'un certain nombre d'affaires reconnaissent une
certaine valeur probante aux cartes : affaires relatives à la souveraineté sur
certaines parcelles (Temple de Préah Vihear). C'est pourquoi il va recourir à
nouveau à ces matériaux dans les autres secteurs géographiques qui font
également l'objet du différend frontalier.
SECTION Il :
LES AUTRES POINTS DE DIVERGENCES
Ce sont les secteurs du Béli, du soum et les hauteurs du Mont N'Gouma.
Contrairement au premier point qui concerne le tracé de la frontière, ces points
relèvent d'un conflit de positionnement190, c'est-à-dire que de l'emplacement de ces
points dépendra le tracé de la frontière entre les deux pays. Y a-t-il vraiment une
différence entre la détermination de la frontière et le positionnement d'un point
géographique ? Pour le profane de la géodésie, cela n'est pas évident dans la
mesure où dans tous les cas, il faut déterminer une ligne divisoire. D'ailleurs
l'examen des problèmes afférents au tracé de la frontière dans les secteurs sus-
mentionnés confirmera ou infirmera ce point de vue.
§ 1 - Le tracé de la frontière dans la zone du Béli
Après une brève présentation de cette zone, il sera mis en exergue les pièces
à conviction produites par les parties à l'appui de leurs prétentions territoriales.
A)·
Présentation de la zone du béli
Le Béli ou mare de Dori est également appelé Agacher en Tamacheck. C'est
une succession de mares formant un chapelet ininterrompu de plus de 150
kilomètres de longueur au Nord de l'Oudalan (mares de Rafnaman, Fadar-Fadar,
Inabao, Tin Akoff, ln Tangoum) ; c'est le seul point d'eau permanent entre le fleuve
Niger et le Burkina Faso. Le nomadisme et la transhumance sont les activités les
plus fréquentes de cette zone où grouillent Berbères, Touaregs et Peuls. Dans ces
conditions, la notion de territorialité est aberrante, voire superflue et apparaît comme
quelque chose de traumatisant pour ces nomades venus selon le Burkina, du
Soudan français, attirés par ce point d'eau situé au coeur du Sahel, et ce, à la faveur
de difficultés de contrôle administratif et fiscal. Ces difficultés tiennent à la faiblesse
190 Mémoire du Burkina Faso, p. 160. A cette dichotomie, le Mali substitua, on l'a vu,
la
distinction
entre la zone sédentarisée et la zone de nomadisation.

115
de l'armature administrative coloniale, laquelle est doublée de l'éloignement de la
zone du Béli des centres administratifs d'alors que sont Dori pour la Haute-Volta et
Ansongo pour le Soudan. Malheureusement, elles survécurent à la période post-
coloniale. Ce phénomène n'est pas propre aux deux Etats indépendants parties au
différend frontalier. D'une manière générale, les pays en voie de développement
n'ont pas les moyens d'administrer convenablement leurs confins. Aussi assiste-t-on
souvent à une sous administration des campagnes 191.
C'est pour toutes ces raisons que la zone du Béli est aujourd'hui habitée
essentiellement par des nomades maliens192
Autre point marquant de cette zone, elle a fait l'objet de plusieurs cartes
contrairement à la région de Soum. A défaut de textes de délimitation de la frontière
dans cette région, ces cartes seront souvent invoquées par les parties tout comme
les effectivités coloniales matérialisées ici par les rapports de missions et autres
correspondances rédigées par l'administration coloniale.
Il existe cependant un acte administratif dépourvu de force exécutoire (la
lettre circulaire 191/CM2 du 19 février 1933). Ce document qui ne concerne pas
directement le tracé de la frontière dans la zone du Béli, sera exploité de manière
différente par les parties.
l'JI
Cf. Maurice PIERRE-ROY. Les régimes politiques du Tiers-Monde
(Chap. IV consacré à
l'administration) l.G DJ 1977, P 294.
1"2 Toutefois, il existe des peuplements Dogons et Sonraïs

B) -
Les pièces à conviction produites par les parties
1) Selon les autorités maliennes, le Béli constitue la frontière et cette frontière
se situerait au sud de l'Oudalan. Au contraire, le Burkina la fait passer au nord de
cette localité en ayant à l'esprit que le Mont N'Gouma dont le sort est intimement lié,
est situé au nord du gué de Kabia. Pour éviter tout malentendu, le Mali précise cette
frontière en indiquant qu'elle passe par ... la mare de Rafnaman et de ce point, suit
le marigot en passant notamment par la mare de Fadar-Fadar, la mare d'In Abao, la
mare de Tin Akoff et la mare d'In Tangoum pour aboutir au gué de Kabia 193.
Les éléments ne manquent pas pour démontrer le bien-fondé de sa position:
Il soutient que la région du Béli a toujours fait partie géographiquement et
historiquement du Soudan français et singulièrement de la subdivision d'Ansongo
qui fait limite avec le Cercle de Dori. Dans cette logique, il prit appui non seulement
sur un facteur ethnique mais également sur deux arrêtés généraux concernant la
délimitation du Cercle de Gao, sans oublier les cartes
Ainsi, il soutient que la zone du Béli est habitée par des populations
maliennes «par excellence»
(les Touaregs). L'Essor, journal gouvernemental
renchérira: «Ce n'est pas une prétention territoriale que de vouloir garder le Béli ou
Agacher,
c'est
tout
simplement
un
fait
incontestable
historiquement
et
géographiquement... Les prétentions d'un Etat ne peuvent se fonder que sur celles
de sa population ... elles ont possédé et habité la zone... »
Ces arguments ne sont
pas du tout surprenants, le chef de l'Etat malien en avait donné le ton lorsqu'il a
conclu le Mémorandum de son pays relatif au différend frontalier en soulignant que
toute solution au litige «ne peut et ne doit ignorer les réalités humaines qui
commandent la vie dans cette région».
Son deuxième point d'appui est constitué par les arrêtés généraux du 7 mars
1916 et du 31 décembre 1922. Ces deux textes, a-t-on écrit plus haut, concernent la
délimitation de la circonscription de Gao (Soudan français). Pour l'essentiel, ils
disposent entre autres, «qu'à partir d'In Abao, le Cercle de Gao a pour limite la limite
septentrionale de la Haute-Volta!!.
19.1
Cf. Mémoire de la République du Mali, p. 313

117
Le Mali en conclut que la mare d'In Abao se situe à l'intérieur de son territoire.
Sur ce point précis sur lequel le Burkina est en total désaccord avec le Mali, il
résulte du rapport de la Commission technique mixte que cette mare litigieuse, bien
que ne figurant pas sur la carte, est située à 28 kilomètres à l'Ouest de Tin Akoff sur
le cours du Béli entre la mare d'In Kacham à l'Est, la mare d'In Amanam à l'Ouest et
la mare de Tin Abao au nord. Notons que le Burkina fait sienne cette dernière façon
de voir le problème.
Les cartes étaient également à l'honneur dans les justifications maliennes.
Ainsi, le Mali invoqua la carte de 1925 établie à l'échelle 1/200.000. Cette carte lui
attribue toutes les mares du Béli. Il en appela également à la carte 1/200.000,
édition de 1960. On se souvient que cette carte avait été utilisée par les deux pays
pour délimiter la frontière s'étendant d'Orodara (Burkina Faso) à Dionouga. Mais en
réalité, elle ne donne pas entièrement satisfaction au Mali car si elle lui attribue le
Béli, sur un autre volet, notamment dans la région des quatre villages, elle est
favorable au Burkina. Sa singularité tient donc au fait qu'elle donne aux parties des
espoirs qu'elle s'empresse de démolir aussitôt.
TOL1jours a propos des cartes, le Mali invoqua le croquis Afrique-feuille Niger
de 1925, échelle 1/2.000.000 établi par le service gÈographique de l'Armée. Ce
croquis laisse une majeure partie du Béli au Soudan français mais, et cela est
fâcheux, il place Yoro au Burkina, un village dont le caractère malien n'a jamais été
contesté par le Burkina, pays dont il faut maintenant examiner les positions.
2) D'entrée de jeu, le Burkina fait un aveu en reconnaissant que dans la
région du Béli et particulièrement à l'Oudalan, ses établissements permanents sont
très rares. Cette présence quasi inexistante dans cette région peut-elle être
interprétée comme une derelictio ? Assurément non; car ((On ne peut ... assimiler à
un abandon les cas les plus fréquents de simple discontinuité, d'interruption plus ou
moins accidentelle ou de fléchissement dans l'exercice des attributs de la
souveraineté» 194.
194 Charles de VISSCHER Les effectivités en Droit International Public. Paris, A. Pédone 1967, p.
114. V. aussi Sentence arbitrale rendue le 4 avril 1928 dans l'affaire de l'île de Palmas.
RG.D.I.P.
1935, p. 165. Sentence arbitrale du 28 janvier 1931 dans l'affaire de l'île de Clipperton France
clMexique, RGD.I.P. 1932, p. 132. Enfin, V C.PJ.I., arrêt du 5 avril 1933, statut juridique du
Groênland oriental, série A/B n° 53, p. 47.

118
Il est vrai que la présente affaire n'a rien à voir avec une situation de res
nul/ius où la théorie de l'occupation est pertinente, mais il reste à démontrer que la
zone litigieuse du Béli avait bien et a toujours un souverain en dépit de son
absence. C'est à ce travail que va s'atteler le Burkina.
- La lettre circulaire 191 CM2 du 19 février 1935 195
A défaut de texte réglementaire régissant la frontière dans la zone du Béli, le
Burkina a jugé que la description faite de cette zone dans la lettre-circulaire 191
CM2, a un certain intérêt, celui d'indiquer les configurations de la frontière Mali-
Burkina. Aussi, l'a-t-i1 fait sienne. Rappelons que cette lettre émane du gouverneur
général de l'A.O.F. et est adressée au Lieutenant-Gouverneur du Niger au sujet de
la délimitation de la frontière entre la colonie du Niger et celle du Soudan.
Les passages jugés pertinents par le Burkina sont ainsi libellés:
«... elle (la limite) traverse le fleuve Niger en direction sud; passe par le sommet des
Monts Sakourou-Sakor, des hauteurs de Gorontodi, des monts Tin Garan, N'Gouma,
Troutikato, par la pointe nord du mont Ouagou, la pointe nord de la mare d'In Abao,
le sommet des monts Tin Eoult et tabanarach et s'infléchit vers le sud-ouest jusqu'au
point de latitude 14°43'45» et de longitude 1°24'15» (Ouest de Greenwich) .. de là,
elle rejoint le Goroual au point de latitude 14°27'30» et de longitude 1°14'45» (Ouest
de Greenwich) .. elle suit ce marigot jusqu'en un point situé à environ 3 kilomètres à
l'Ouest de Tin Abalak et s'infléchit vers le sud-sud ouest en laissant au Soudan les
mares d'In Tagam et Boukouma pour atteindre à environ 2 kilomètres au Nord de
Doaga un point constituant le triplexe confinim . Soudan, Niger, Côte d'Ivoire».
Pour le Mali, cette lettre n'a aucun effet de droit parce c'est un acte
préparatoire à un projet de décision administrative de délimitation entre le Soudan
français et le Niger.
Elle n'en constitue pas moins un document important aux yeux du Burkina.
Mais seule, elle ne suffit pas à emporter la conviction que la zone du Béli a toujours
appartenu à la Colonie Haute-Volta. D'où la nécessité de recourir à la pratique
administrative coloniale.
195 Elle a été enregistrée au Cabinet sous le n° 260lAP le 11 mars 1935.

119
- La pratique administrative coloniale
Elle est essentiellement constituée de correspondance et de comptes-rendus
de tournées.
Ne seront retenus que les éléments les plus significatifs, à savoir:
- la lettre de l'administrateur commandant de Cercle de Dori, F. De Coutouly,
à Monsieur le Capitaine Commandant le Cercle de Gao en date du 25 mars 1922.
- Le rapport de l'administrateur Cuvillier Fleury Commandant de Cercle de
Dori du 7 juillet 1928.
Ces deux documents attestent que dès le départ, le Béli a toujours été placé
sous administration du Cercle de Dori.
- Le compte-rendu des tournées effectuées au cours du mois de novembre
1949 par le commandant de Cercle de Dori. Ce compte-rendu place les mares d'In
Abao, de Tin Akoff et le gué de Kabia dans la région de l'Oudalan.
- La lettre n° 162/CF du 27 juin 1949 du Commandant de Cercle de Dori sur la
nomadisation des Bellahs d'Ansongo dans le Béli.
Il est important de noter que dans cette lettre, le Commandant de Cercle de
Gao demande à son homologue du Cercle mitoyen de Dori, de refouler sur la
subdivision d'Ansongo (Cercle de Gao), les bellahs qui étaient venus s'installer sur
les bords du Béli dans les environs de Tin Akoff. Cette nomadisation, ainsi qu'il a été
relevé plus haut, vise à échapper au contrôle administratif et fiscal. Pour mettre fin à
cette
situation, les autorités administratives de Gao et de Dori ont institué
une
autorisation de transhumance. Au demeurant, c'est ce qui ressort de :
- la lettre n° 202 du 9 avril 1950 du Commandant de Cercle de Dori au
Gouverneur de la Haute-Volta à Ouagadougou.
- du rapport politique annuel de 1951 du Commandant de Cercle de Dori. Il
résulte de ce rapport que les bellahs des fractions Ikavenene et Ichaganine
descendus de la subdivision d'Ansongo, s'étaient
établis sur les rives du Béli et
demandaient à être recensés dans l'Oudalan, etc..

120
Tous ces pneumatiques traduisent des «effectivités coloniales». Leur intérêt
c'est qu'elles apportent un éclairage sur l'origine de la présence massive des
nomades maliens dans la zone du Béli. Ce faisant elles comblent, selon le Burkina.
le vide juridique créé par le colonisateur. Selon les autorités Burkinabé, elles ont
toléré cette présence après les Indépendances. A partir de ce moment les incidents
liés aux difficultés de la cohabitation entre les autochtones et ces nomades étaient
inévitables. Leur fréquence et leur gravité ont fini par les transformer en véritables
conflits frontaliers entre les deux pays
Malgré le caractère éclairant des effectivités, elles ne constituent pas pour le
Burkina une arme favorite en la présente affaire. Mais, lorsque les circonstances
l'exigent comme nous venons de le voir, il n'hésite pas à les jeter dans la balance
comme l'a fait le Mali au sujet des cartes (cf supra).
Si cet argument est indicatif, il n'est cependant pas le seul.
- Les cartes
Elles tiennent une place de choix dans le raisonnement du Burkina et
viennent en complément de la lettre circulaire 191 CM2 et des effectivités coloniales.
Pour leur grande majorité, elles situent les mares du Béli en territoire Burkinabé.
Tel est le cas des cartes suivantes qu'il a produites:
- l'Atlas des Cercles de l'AO.F. pour les villages. les cahiers de recensement,
de recrutement de la région de Soum, Toussougou et les cahiers de tous les villages
situés sur le Béli c'est-à-dire Fadar-Fadar, Tin Akoff, Rafnaman, édition 1925, 1926,
1/1.000.000.
- Les documents cartographiques du service de l'hydraulique de l'AO.F. de
1954 qui citent les mares et les puisards du Nord-Dori. Ces documents révèlent ,
que toutes les mares du Béli et celles de Soum, Toussougou ... appartiennent soit au
Cercle de Dori, soit au Cercle de Ouahigouya.
- La carte Hombori, échelle 1/500 000, édition de 1925, déjà citée. Cette
carte, selon le Burkina, est conforme à la description de la frontière telle qu'elle est

121
faite dans la lettre 191 CM2. Au contraire, le Mali estime qu'elle contient des
renseignements toponymiques et topographiques des plus fantaisistes.
A son tour, le Burkina soutient que le croquis Afrique feuille du Niger de 1925,
échelle 1/2.000.000 invoqué par le Mali, ne saurait être retenu parce qu'il s'agit
d'une carte à édition provisoire.
En conclusion, ainsi qu'on le verra plus loin en examinant le litige relatif au
tracé de la frontière dans le secteur de Soum, la toile de fond de ce débat est la
question de l'eau. Soutenant que le Béli constitue la frontière, le Mali écrit que la
pratique coloniale a fait de ce marigot la frontière pour des nécessités de la survie
des populations intéressées. «Cette conclusion -indique-t-il -est de bon sens. Dans
une zone de transhumance où l'eau est une nécessité vitale pour les tribus
nomades, qu'el/es dépendent du Soudan français ou de la Haute-Volta, on voit mal
un colonisateur au courant de cette situation, décider de priver une colonie aux
dépens de l'autre d'un accès traditionnel aux quelques mares pérennes du marigot»
'96
S'agira-t-il du Thalweg, de la ligne médiane ou d'une frontière à la
rive? Pour le Mali, c'est aux parties assistées d'experts désignés par la Cour en
conformité avec l'article IV, § 3 du Compromis, qu'il appartiendra de mettre en
oeuvre la ligne distribuant le plus adéquatement la ressource partagée que constitue
l'eau des mares 197
Quant au Burkina, il voit dans cette tentative de faire coïncider à tout prix la
frontière avec le Béli «la vieille et si funeste»
notion des frontières naturelles qui
pointe derrière le débat dans lequel s'est engagé le Mali.
§ 2 - Le tracé de la frontière dans le secteur de Sourn
Le secteur de Soum fait partie de l'Oudalan. C'est une zone difficilement
accessible. En effet, elle est réputée inhospitalière à cause de ses fourrés
extrêmement serrés d'arbustes épineux qui rendent son parcours sinon impossible,
du moins difficile.
196 Cf. Mémoire de la République du Mali, p. 311.
197 Cf.
Contre-Mémoire de la République du Mali, pp. 157-158.

122
C'est sans doute pour cette raison que le colonisateur ne s'y est pas aventuré
malgré l'importance économique des mares que renferme cette zone (mares de
Soum, de Toussougou, de Manaboulè, etc.) La conséquence directe de cette
situation, c'est que ce secteur n'a été ni cartographié, ni délimité par aucun texte. Il
existe cependant un texte dont les effets juridiques ne sont pas évidents, il s'agit de
la Circulaire 93 CM2 du 4 février 1930. Malheureusement, il n'a pas été retrouvé par
les deux parties 198
Cette indigence cartographique et textuelle est la caractéristique essentielle
de cette zone. Dans ces conditions, sur quoi reposeront les prétentions des parties?
C'est à cette question qu'il faudra répondre.
A) -
Le fondement de la revendication malienne
Le Mali fonde sa revendication territoriale à la fois sur l'attitude de
l'administration coloniale vis-à-vis de la mare de Soum et sur un accord passé entre
les autorités locales des deux pays au sujet de cette mare.
Ainsi, dans un premier temps, il affirme que la mare de Soum est la frontière
et, pour se justifier, invoque la pratique administrative du colonisateur qui, selon lui,
voyait en cette mare la frontière. Puis, il en appelle dans un second temps à l'accord
du 15 janvier 1965 passé entre le Commandant de Cercle de Djibo et celui de
Douentza (Mali). En vertu de cet accord, la mare de Soum était divisée en deux par
le milieu. Mais cette frontière hydrographique à la ligne médiane, n'a jamais été
reconnue ou validée pour la simple raison que la convention qui la consacre n'a
jamais été entérinée par les deux gouvernements
Ne démordant pas de ses prétentions, le Mali, à la rencontre des Ministres
de l'Intérieur des deux pays, tenue à Orodara le 13 juillet 1972, changea de position
en plaçant la mare litigieuse au nord de la frontière coloniale dans son territoire en
s'appuyant sur l'arrêté général 2728.
Le Burkina, dont il faut maintenant examiner les arguments compara cette
volte-face à une «girouette» et soutint que cette façon de voir la frontière est
incompatible avec la lettre circulaire 191 CM2.
l'IN Lors de la préparation de l'arrêté 2728 en 1935, le gouverneur général de l'A.O.F. renvoyait le
Lieutenant-Gouverneur du Soudan français à cette circulaire.

123
8) - Les arguments burkinabé
Pour le Burkina, la frontière se trouve au-dessus du village de Soum qui est
situé au nord de la mare de Soum. La base juridique de son raisonnement fut
articulé autour de la lettre circulaire 191 CM2 et de l'arrêté 2728 ; les dispositions de
ces deux textes concernent incidemment les mares de Soum (Cf. supra). De plus, il
fait remarquer que l'appartenance du secteur de Soum au Burkina n'a jamais fait
l'objet d'un contentieux entre les deux pays et ce jusqu'à un passé relativement
récent. En effet, ce point ne figurait pas au nombre des questions controversées
soumises à la Commission technique mixte en 1971 par la Commission paritaire
permanente à l'issue de sa session de Sikasso.
(Soum est aujourd'hui une des trente provinces qui parsèment le territoire
Burkinabé. Son chef-lieu est Djibo alors que la province voisine de l'Oudalan a pour
chef-lieu Gorom-Gorom).
Comme dans la zone du Béli, le problème de l'accès à l'eau est ici une
hantise. Il sous-tend selon le Burkina la revendication malienne.
L'examen des problèmes afférents aux secteurs du Béli et du Soum étant
terminé, reste un dernier point de dissentiment : celui de la détermination des
hauteurs du Mont N'Gouma.
§ 3. Le Mont N'Gouma et le point triple
Deux points seront examinés iCI
la position du problème et l'exposé des
arguments.
A)
La position du problème de la détermination des
hauteurs du mont n'Gouma
Le Mont N'Gouma est un massif faisant partie d'une chaîne de montagne dont
la lettre 191 CM2 fait état dans la description de la frontière nigéro-soudanaise. Sa
situation géographique est gouvernée par l'arrêté général n02336 du 31 août 1927
et son Erratum en date du 5 octobre de la même année. Cet arrêté général fixe les
limites de la Haute-Volta et du Niger Il dispose en son article premier ce qui suit:

124
1) Limite entre le Cercle de Tillabéry et la Haute-Volta
«Cette limite est déterminée au nord par la limite actuelle avec le Soudan
(Cercle de Gao) jusqu'à la hauteur de N'Gourma, à l'Ouest par une ligne passant au
gué de Kabia, mont de Darouskay, mont de Balebanguia, à l'ouest des ruines du
village de Tokebangou, mont de Doumafende qui s'infléchit ensuite vers le sud-est
laissant à l'est les ruines Tong-Tong pour descendre dans une direction nord-sud en
coupant la piste automobile de Tera à Dori, à l'ouest de la mare d'Ossolo pour aller
rejoindre ensuite la rivière Sirba (limite du Cercle de Say) aux environs et au sud de
Boukato».
Estimant ces dispositions réglementaires imprécises, le gouverneur général
substitua à l'article premier de l'arrêté, l'article premier suivant de l'erratum n0 12DS
du S octobre 1927.
«Limites des colonies du Niger et de la Haute-Volta.
Une ligne partant des hauteurs de N'Gouma, passant au gué de Kabia (point
astronomique), au mont d'Arounskaye, au mont de Balebanguia, à l'ouest des ruines
du village de Tokebangou, au mont de Doumafende et à la borne astronomique de
Tong- Tong. Cette ligne s'infléchit ensuite vers le sud-est pour couper la piste
automobile de Tera à Dori à la borne astronomique de Tao située à l'ouest de la
mare d'Ossolo et atteindre la rivière Sirba à Bossebangou Elle remonte presque
aussitôt le nord-ouest en laissant au Niger, sur la rive gauche de cette rivière, un
saillant comprenant les villages de Alfassi, Kouro, Tokalan, Tankoura, puis, revenant
au sud, elle coupe de nouveau la Sirba à hauteur du parallèle de Say».
Il résulte de l'arrêté général que le mont N'Gouma appelé ici N'Gouma, est
situé au nord du gué de Kabia qui est le point triple entre les trois colonies du Niger,
du Soudan français et de la Haute-Volta. En effet, le texte de l'arrêté dit ceci: «la
limite est déterminée au nord par la limite actuelle avec le Soudan (Cercle de Gao)
jusqu'à la hauteur de N'Gouma».
Ce point triple est le point de jonction des frontières de ces trois colonies.
Mais la seconde rédaction résultant du texte de l'erratum est moins précise et
semble situer le mont au sud-est du gué : elle parle d'«une ligne partant des
hauteurs de N'Gouma».

12')
Les dispositions contradictoires de ces deux textes seront à l'origine d'une
divergence d'opinion entre les parties: l'une (le Burkina) situe le mont N'Gouma au
nord conformément au texte de l'arrêté général, l'autre (le Mali) situe cette donnée
orographique au sud-est de ce gué en s'appuyant sur l'Erratum.
Avant d'examiner en détail les arguments dont elles se prévalent, il convient
de noter que le gué de Kabia ainsi qu'on l'a remarqué, est au centre de cette
querelle de positionnement. Ce gué concerne la frontière entre le Burkina et le
Niger. Il est entouré d'un ensemble de montagnes au nord, à l'est et à l'ouest.
B)- Les arguments invoqués par les parties
* Pour le Burkina, la localisation géographique du mont N'Gouma est
indissociable de la détermination du tracé de la frontière dans le secteur du Béli. On
se souvient que pour cette détermination, la lettre 191 CM2 lui était apparue comme
un élément pertinent.
Dans la présente rubrique, cette lettre qui n'est pas
véritablement un acte administratif, est tout aussi importante dans la mesure où,
selon ce pays, elle est inspirée de la carte de 1925 établie à l'échelle 1/500,000
feuille Ansongo et de l'arrêté gubernatorial du 31 août 1927. C'est pourquoi, du point
de vue des titres écrits, il fonde sa thèse sur ces deux documents en privilégiant tout
de même l'arrêté général. Ainsi, il situe le mont litigieux au mont du gué de Kabia.
Pour le prouver, il fait remarquer que ce mont ne concerne que la délimitation de la
frontière entre le Niger et lui.
A cet égard, il s'appuie sur le Protocole d'Accord du 23 juin 1964 qui le lie à
ce pays. Relatif à la délimitation de leur frontière commune, ce texte conventionnel
auquel est annexé la carte au 1/200.000 de l'I.G.N. de France, vise l'arrêté général
2336 et son Erratum, on sait que cet erratum situe le mont N'Gouma au sud-est du
gué de Kabia, entrant ainsi en contradiction totale avec son interprétation
cartographique. En vertu de cette interprétation, le mont est situé au nord du gué.
Ainsi, elle confirme les dispositions de l'arrêté général. Le nord du gué de Kabia
étant le point triple, la localisation du mont au sud-est du gué aura pour
conséquence une amputation du territoire nigérien. Dans ces conditions, il n'est pas
impossible que le Niger, pays tiers au différend, envisage, s'il le désire, une
intervention dans le procès, dans la mesure où son intérêt juridique est en cause.

126
Les cartes confirment également le point de vue Burkinabé. Il en va ainsi:
- De la carte déjà évoquée de 1925, échelle 1/500.000 feuille Ansongo. Elle
est en tout point conforme à la description de la
ligne frontière contenue dans la
lettre 191 CM2.
- De l'interprétation cartographique de l'erratum en porte-à-faux par rapport à
ce dernier: carte de 1927 échelle 1/1000000.
Une carte fait cependant exception: il s'agit de la carte Tera de 1960, échelle
1/200.000. Cette carte situe le mont N'Gouma à l'est du gué de Kabia. Pour le
Burkina, le mont dont il est question sur ladite carte, est en fait la colline de Tanhara
située en territoire nigérien et que l'on retrouve sur la carte de 1925 citée ci-dessus.
Il s'agirait donc d'une erreur manifeste de nom imputable à l'opérateur sur le terrain.
Car, le mont ne concerne que la frontière Burkina/Niger et ne peut se trouver sur la
frontière Mali/Burkina. C'est également le point de vue de la sous-commission
juridique de la Commission de Médiation de l'O.UA 199
• Quant au Mali, il s'inscrit en faux contre les arguments invoqués par le
Burkina et tente dans un premier temps de démontrer le bien-fondé de ses
allégations. Bien entendu, il reste convaincu que le mont N'Gouma est situé au sud-
est du gué de Kabia. Quels sont ses moyens de preuve?
Au plan textuel, c'est l'Erratum à l'arrêté général 2336, arrêté dont il juge le
texte plein d'erreurs et de confusion20o
Au plan cartographique, ses préférences vont surtout à deux documents:
- la carte Tera de 1960, échelle 1/200.000. Cette carte, a-t-on écrit, situe le
mont à l'est du gué.
- le croquis cartographique du Cercle de Tillabéry - juillet - août 1954, échelle
1/250.000. Ce matériau place également le mont à
l'est du gué et fait passer la
1()9 Cf. Rapport, op. cil., p. 15.
2110 Sans préciser la nature de ces erreurs. Cf. Contre-mémoire de la République du
Mali, p. 63.

127
frontière entre le Soudan et le Cercle de Tillabéry (Niger), de Labbezanga au gué de
Kabia en passant par le mont N'Gouma.
Puis il affirme que le texte et son
Erratum n'ont jamais fait l'objet
d'interprétation cartographique.
Il en conclut que l'arrêté général n'est pas une référence. Il n'existe, écrit-il,
que dans l'imagination du gouverneur général 201
Conscient que sa position risque de provoquer un empiétement sur la
souveraineté territoriale nigérienne, du fait du déplacement du point triple, le Mali a,
dans un second temps, demandé à la Cour de s'abstenir de statuer sur ce point: 'Le
point triple ne peut s'effectuer en dehors du Niger ou de manière à ne pas porter
atteinte aux droits du Nigeo!.
A cet effet, il invoque l'affaire de l'or monétaire albanais202 L'affaire se
déroule pendant la Seconde Guerre Mondiale où les Alliés avaient saisi à Rome en
1943 l'or monétaire albanais en Allemagne. La guerre terminée, le gouvernement
italien qui était à l'origine propriétaire de la banque nationale de l'Albanie, pays sur
lequel il exerçait sa suzeraineté, demande à la Cour par une requête en date du 19
mai 1953 que les alliés (Etats-Unis d'Amérique, France et Royaume-Uni) lui
restituent cet or. L'affaire fit d'abord l'objet d'une sentence arbitrale rendue le 20
février 1953 par le professeur Sauser··Hali. Cette sentence désigna l'Albanie comme
le véritable propriétaire de cet or.
Indiscutablement, l'Albanie avait un intérêt d'ordre juridique dans ce procès
qui la concernait à plus d'un titre. Elle pouvait donc intervenir conformément à
l'article 62 du statut de la Cour203 Mais elle ne le fit pas, sans doute parce qu'elle
n'accepte pas la juridiction obligatoire de la Cour.
Par un arrêt en date du 15 juin 1954, rendu à l'unanimité des 14 membres, la
Cour se déclare incompétente au motif que sans le consentement de l'Albanie, elle
n'était pas en mesure de statuer sur la créance que l'Italie aurait contre ce pays.
'''1 Cf. Contre-Mémoire de la République du Mali, p. 63.
lOl Recueil C.U. Arrêt du 15 juin 1954.
20.' Cet article dispose: «Lorsqu'un Etat estime que, dilns un différend, 1111 intérêt d'ordre juridique est
pour lui en cause, il peut adresser à la Cour une lequêle à lin (J'intervention». Il est complété par les
articles 81 à 86 du Règlement de la Cour.

12R
En effet, dit la Cour «statuer sur la responsabilité internationale de l'Albanie
sans son consentement serait agir à l'encontre d'un principe de droit international
bien établi et incorporé dans le statut, à savoir que la
Cour ne peut exercer sa
juridiction à l'égard d'un Etat si ce n'est avec le consentement de ce dernie?04.
Tirant parti de cet arrêt, le Mali soutient qu'aussi longtemps que le Niger
n'interviendra pas dans le procès qui le met aux prises avec le Burkina, la Cour
devrait s'abstenir de se prononcer sur l'emplacement des hauteurs du mont
N'Gouma car toute décision prise à propos de ce repère orographique, affecterait
les droits du Niger.
Le Burkina réfute cette façon d'appréhender le problème en faisant observer
que «l'objet de la décision que la Cour est appelée à rendre est de déterminer le
tracé de la frontière non entre le Niger d'une part et le Burkina ou le Mali d'autre
part, mai bien entre ces deux derniers Etats. Il se trouve que chacun d'eux étant par
ailleurs limitrophe du Mali, le point de rencontre entre leur frontière commune et
celle du Niger constitue le point triple ... » 20S
Pour conclure ce point orographique, on pourrait retenir les observations
suivantes : la mission de la Cour est de trancher les différends juridiques avec les
moyens qu'elle reçoit des parties. Elle ne peut rendre la justice internationale en
dehors de son mandat spécifique. Si d'aventure, elle prononçait dans la présente
affaire, un non-liquet faisant
ainsi droit à la demande malienne, elle ferait
certainement reculer les chances d'un retour à la paix dans cette partie de la sous-
région ouest africaine. En effet, si les choses devaient rester en l'état, cette situation
augmenterait les risques de nouveaux affrontements du fait de la fréquence des
incidents qui s'y produisent, la paix et la sécurité internationales s'en trouveraient
ainsi menacées.
C'est pourquoi et sans même parler des risques d'empiétement sur la
souveraineté territoriale du Niger, il n'est pas souhaitable que le différend sur la
localisation du mont N'Gouma soit laissé en suspens.
204 Contre-Mémoire du Burkina Faso, p. 256.
2o, Contre-Mémoire du Burkina Faso, p. 256.

129
Nous venons d'examiner les différends points de divergences qui ont conduit
le Burkina et le Mali à se porter devant la Cour Internationale de Justice à
la
recherche d'une solution juridique. Cette attitude témoigne de la confiance qu'ils
placent en cette auguste Cour.
Les arguments qu'ils ont invoqués pour étayer leurs thèses ont été passés au
peigne fin.
Quelles remarques pouvons-nous faire au stade actuel de nos
développements? Pour répondre à cette question, qu'il nous soit permis de revenir
sur deux points.
1) -
Les points de dissentiment
Ils ont été regroupés en deux grandes séries sous des dénominations
diverses par les parties. Ces dénominations ne sont pas fondamentales dans la
mesure où elles ne modifient pas l'objet du conflit. Cette diversité des points de
désaccord a guidé le plan de nos recherches ce qui nous a quelquefois amené à
faire des répétitions. Celles-ci semblent pourtant nécessaires.
Le compromis, il est vrai, n'a pas précisé où commence la frontière contestée
et où elle s'arrête. Est-il pour quelque chose dans cette diversité ? Nous ne le
pensons pas parce que les secteurs conflictuels, bien que situés dans une zone
sahélienne, n'ont pas les mêmes caractéristiques, on l'a vu.
On peut cependant affirmer que si le compromis était plus précis en indiquant
expressément que le gué de Kabia est la fin de la frontière litigieuse, le Mali n'aurait
jamais pu demander à la Cour de s'abstenir de statuer sur ce point.
Il est à noter également que SI les questions débattues n'ont pas évolué dans
leurs assises territoriales tout au long de la procédure judiciaire, elles l'ont été avant.
En effet, selon le Burkina, les revendications maliennes sont allées croissant depuis
le début des négociations jusqu'à la saisine de la Cour en 1983 : quatre tracés de la
frontière figurent à l'actif revendicatif de ce pays. N'a-t-on pas dit que «l'appétit vient
en mangeant» ?
2) -
Les arguments invoqués
D'une manière générale, le climat qui a présidé à la défense des thèses, a été
marqué par l'absence de courtoisie entre certains conseils. Il serait superflu

130
d'indiquer ici des détails. Sans doute, ce climat général s'explique-t-il par la fougue
avec laquelle ces conseils ont défendu les dossiers de leurs clients.
Cela dit, le Burkina ne se place pas dans la position d'un Etat revendicateur,
mais dans celle d'un Etat qui défend les limites territoriales que le colonisateur lui a
léguées. Cette attitude a d'ailleurs transparu lors de la saisine de la Cour et au cours
de la procédure dans la priorité à prendre la parole devant celle-ci. Le Burkina
estime en effet qu'il n'est pas demandeur mais défendeur. Cela n'est pas exact car à
partir du moment où les deux Etats ont soumis leur différend territorial à la Cour à la
suite de la conclusion d'un compromis, c'est en principe la règle de l'égalité qui
s'applique à eux et qui fait d'eux à la fois des demandeurs et des défendeurs.
Mis à part ces détails, les conclusions contenues dans les mémoires n'ont pas
varié dans les contre-mémoires.
Ces mémoires ont d'ailleurs été échangés
longtemps après le délai prescrit par la Cour par la faute du Mali qui n'a pas
répondu au rendez-vous quand il le fallait.
Notons que dans l'intervalle des Mémoires et des contre-mémoires, un
événement regrettable s'est produit entre les deux pays. Il s'agit des graves
incidents signalés par les deux pays selon des versions différentes, incidents qui ont
débouché sur un second affrontement armé en décembre 1985 et qui ont donné lieu
à l'indication par la Cour de mesures conservatoires. Celles-ci seront examinées à la
fin de ce chapitre.
Dans les plaidoiries orales, même si des arguments nouveaux n'ont pas été
avancés, on a cependant assisté à un abandon de thèses initialement défendues
par le Mali.
Tel est le cas des arguments basés sur des considérations d'ordre ethnique
et économique.
Tel est également le cas de la distinction entre le conflit territorial d'attribution
et le conflit territorial de délimitation; car selon le Mali, (da conséquence de la
délimitation sur le plan pratique sera nécessairement une attribution de territoires»
206
106 C2/CR 86/6 C.I.J. Plaidoiries orales, p. 23.

111
Et pourtant, les parties ont bâti leurs arguments en fonction de cette
distinction doctrinale du conflit territorial.
La distinction entre l'uti possidetis juris et l'uti possidetis de facto déjà
signalée dans les pages consacrées à la règle applicable au différend, a enfin été
abandonnée par le Mali qui estime que dans tous les cas, il s'agit de prouver le
droit.
On se souvient, et c'est par là que nous terminons ce chapitre, que le Mali a
toujours soutenu la thèse de l'inexistence de frontières coloniales entre lui et le
Burkina. Il semble qu'il soit revenu sur cette thèse.
Aux termes de ces remarques, le moment est venu de donner notre sentiment
sur tout ce qui précède, notamment sur les thèses soutenues par les parties. Pour
ce faire, examinons d'abord les mesures interlocutoires ordonnèes par la Cour au
lendemain du dépôt des Mémoires.

112
CHAPITRE Il
DE LA NECESSITE DES MESURES CONSERVATOIRES
Vingt-six mois après la saisine de la Cour et pendant que la procédure écrite
poursuivait son cours normal malgré quelque retard imputable aux atermoiements
des parties, une guerre absurde éclata pour la seconde fois entre le Burkina et le
Mali. Cette guerre eut pour conséquence immédiate la modification des données
juridiques du différend frontalier.
Dès lors, des mesures provisoires étaient
nécessaires car le retour au statu quo territorial s'imposait.
C'est pourquoi, à l'initiative des deux parties au différend, la Cour a indiqué
des mesures conservatoires dans son ordonnance du 10 janvier 1986207.
Le Professeur André Cocatre-Zilgien les définit comme suit:
« Ce sont essentiellement des dispositions visant à maintenir un certain statu
quo en attendant qu'un litige soit trancllé au fond Ce sont des mesures provisoires:
elles doivent pouvoir être rapportées si les circonstances qui les avaient motivées ne
les justifient plus )/08.
Avant d'examiner les mesures conservatoires demandées par les parties, les
motivations qui sous-tendent leurs demandes, et les mesures conservatoires
indiquées par la Cour, il nous paraît important de préciser cet incident de procédure
prévu à l'article 41 du statut de la Cour et aux articles 73 et suivants de son
règlement. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la Doctrine et surtout sur la
jurisprudence.
"" c.u. « Commulliqué non officiel pour publicatioll IIUlllédiale Il'' XM2 du 1'1 J<lnvier l'IX(,.
2". Cr. « Les mesures conservatoires décidées par Icjllge ou Jl<lr l'<Irbilre inlern<ltional >J. R.G.D.I.P. 1%6, nOI,
pA

IJJ
SECTION 1:
LES CONDITIONS NECESSAIRES A L'INDICATION
DE MESURES CONSERVATOIRES
L'article 41 du statut de la Cour dispose:
« La Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circonstances
l'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à
titre provisoire
En attendant l'arrêt définitif, l'indication de ces mesures est immédiatement
notifiée aux parties et au Conseil de Sécurité ».
Cet article dont la généralité du contenu est assez frappante, a été complété
par les articles de la sous-section 1 de la section 0 consacrée aux procédures
incidentes du règlement de la Cour adopté en 1978
Toutes ces dispositions combinées révèlent que la mise en oeuvre des
mesures conservatoires obéit à un certain nombre de conditions. Ces conditions
étant insuffisantes, la jurisprudence se chargera de les combler.
§1 - Les conditions de forme
Qui peut faire la demande en indication de mesures conservatoires et à quel
moment?
A) - L'auteur de la demande
Aux termes des articles 73 et 76 du Règlement de la Cour, les parties à un
différend peuvent formuler une demande en indication de mesures conservatoires.
Mais il n'y a pas que les parties qui aient cette possibilité. La Cour a le pouvoir de
les indiquer d'office en dehors de toute demande (article 41 du statut).

134
1°) - Les parties
Elles sont habilitées à formuler de telles demandes mais dans la pratique, il
est rare qu'elles le fassent conjointement En effet, la demande est souvent le fait
d'une seule partie au différend,
notamment
la demanderesse au fond,
la
défenderesse se retranchant dernière une attitude négative en refusant de
comparaître. Sur les douze ordonnances rendues par la Cour actuelle, dix l'ont été
dans ces conditions209.
Etant donné l'importance de ces ordonnances, nous procéderons à leur
énumération en distinguant selon qu'elles ont indiqué ou non des mesures
conservatoires. Cette énumération peut paraître fastidieuse mais la conception de
notre étude nous l'impose.
Ordonnances de la
Cour
Internationale de Justice
indiquant des mesures
conservatoires dans les affaires suivantes:
- Interhandel Suisse cl E.UA - Ordonnance du 24 octobre 1957. Recueil n0105.
- Compétences en matière de pêcheries Royaume-Uni cl Islande.
- Ord. du 17 août 1972.
- Ord. du 12 juillet 1973.
- Procès de prisonniers de guerre pakistanais. Pakistan cl Inde Ord. du 13 juillet
1973.
- Des essais nucléaires: Australie cl France, Nouvelle-Zélande c/France.
Ord. du 22 juin 1973.
- Personnel diplomatique et consulaire des E.UA à Téhéran E.UA cllran.
Ord. du 15 décembre 1979.
,09 Cf. CI~ude RUCZ. « L'indic~lion de JI1Csurcs conservatoircs par hl Cour IlItcrn~lionalcde Justice dans
1'~IT~ire des ~clivités JI1ilil~ires cl p~r~JI1ilil~ires~" Nic~r;lglla cl conlre celui-ci». R-G.D.I.P. 19K5, n°l,
pp.K3-K4.

135
- Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
Nicaragua
c/E.UA
Ordo du 10 mai 1984.
Ordonnances de la Cour Internationale de Justice refusant d'indiquer des mesures
conservatoires dans les affaires suivantes:
- Anglo-iranian Oil Company: Royaume-Uni c/lran.
Ordo du 5 juillet 1951. Rec. 1951, p.93
- Plateau Continental de la Mer Egée : Grèce clTurquie.
Ordo du 11 septembre 1976. Rec. p.13.
Avant l'actuelle Cour, la Cour Permanente de Justice Internationale a eu à se
pencher sur le contentieux des mesures conservatoires dans les affaires suivantes:
- Affaire de la dénonciation du traité sino-belge de 1865.
Rec. 1927, série A, n08.
- Affaire de la Compagnie d'Electricité de Sofia et de Bulgarie.
Rec. 1939, série AiB, n079.
Dans ces deux affaires, la C.P.•I.I. a effectivement indiqué les mesures
conservatoires. Mais dans les quatre affaires qui suivent, elle s'est refusée à le faire
- Affaire de l'usine de Chorzow. Rec. 1927, série A, n012.
- Affaire du statut juridique du Groenland du Sud-Est. Rec. 1932, série AiB, n048.
- Affaire de la Réforme agraire polonaise Série AIB, n058
- Affaire de l'Administration du Prince Von Pless. Rec. 1933, série AiB, n054.

On remarquera en passant que dans toutes ces affaires, le demandeur au
fond est toujours le demandeur dans la procédure incidente d'indication de mesures
conservatoires. Mais, nous verrons plus loin que l'affaire du différend frontalier
opposant le Burkina et le Mali ne suit pas la tradition. En effet, bien que ces deux
pays aient saisi la Cour par voie de compromis après notification à celle-ci d'une
lettre conjointe, le Burkina Faso estime que c'est le Mali qui est demandeur car ce
pays revendique des villages reconnus burkinabé sur le plan international. Par
conséquent, le Burkina ne revendique pas, mais défend au contraire un héritage
colonial.
S'agissant de mesures conservatoires, une vive querelle s'est engagée entre
les parties devant la Cour lorsque celle-ci leur a demandé en application de l'article
76 paragraphe 3 de son règlement, de présenter leurs observations sur les mesures
à prendre CRttR querelle portait sur l'::mtArioritA ORS demandes en indication de
mesures conservatoires adressées au Greffe de la Cour. Chacune estimait avoir pris
l'initiative de la demande la première. Dans la pratique, la Chambre a donné la
parole en premier lieu au Burkina. Est-ce parce que la demande de ce pays est
antérieure à celle du Mali? La Chambre s'est-elle fondée sur la date d'arrivée au
greffe de la Cour des originaux des demandes? Ce sont des questions que l'on est
enclin à se poser. En tout état de cause, l'original de la demande burkinabè est
arrivée le 2 janvier alors que celui de la demande malienne n'a été enregistré que le
6 janvier 1986.
Nous réservant le droit de revenir sur cet empressement dans le dépôt des
demandes en indication de mesures conservatoires, il nous plait d'observer qu'il
résulte de tout ce qui précède que l'auteur de la demande est toujours une seule
partie au procès. Par conséquent, le fait que la demande émane ici des deux parties
à la fois constitue une exception à la pratique courante. Quelle signification faut-il
attribuer à cette particularité du différend frontalier opposant depuis 1961 le Burkina
et le Mali? Cette double initiative signifie-t-elle que les deux Etats entendent par là
renouveler leur confiance à la sagesse de la Cour ou est-ce pour montrer à l'opinion
internationale que l'événement regrettable qui vient de se produire est le fait de

137
l'autre qui du reste, n'entreprend aucune action pour un retour de la Paix et de la
sécurité dans la sous-région? L'alternative ici est assez difficile car vu les efforts
déployés par les chefs d'Etat africains et non africains, par l'O. UA et surtout par
21D
l'A.NAD.
pour ramener la paix, aucun de deux protagonistes ne pouvait
contribuer au soulagement des populations En réalité, chacun veut accréditer l'idée
qu'il est l'apôtre de la Paix entre les peuples.
L'article 41 du statut de la Cour et l'article 75 de son règlement donnent à la
Haute Assemblée des pouvoirs d'indiquer d'office les mesures conservatoires qu'elle
estime nécessaires.
La Cour dispose donc de pouvoirs discrétionnaires pour juger de l'opportunité
de ces mesures.
Dans une lettre datée du 27 décembre 1986, le Mali lui avait « suggéré»
d'user de ses pouvoirs souverains pour indiquer propio motu les mesures qu'elle
juge nécessaires.
Il faut noter cependant que la Cour n'a jamais déclaré ex-officia des mesures
conservatoires. Toutes les fois qu'elle y a procédé, c'est à la suite d'une demande
d'une des parties. Mais le simple fait de demander des mesures conservatoires
n'oblige pas la Cour à les indiquer. Elle peut s'y refuser et les textes lui en donnent
le droit. Cette faculté résulte des articles 75 et 76 du Règlement : « Le Cour
peut »... Mais les raisons de ce refus sont variables suivant les affaires.
Ainsi, dans l'affaire du Plateau Continental de la Mer Egée évoquée ci-
dessus, la Grèce pour protester contre les exploraI Ions sismiques effectuées par la
Turquie sur une zone qu'elle estime comme relevant de sa souveraineté, a saisi
concurremment la C.I.J. par une requête unilatérale et le Conseil de Sécurité le 10
"0 Accord de Non-Agression el d'assislancc en nJalière de défense enlre les Elals de la C.E.A.O. et du Togo
conclu;\\ Abidjan le <Jjuin 1977. Voir J.ü.H.V. Il avril )IJ7X, p. 21(,.

138
août 1976. Elle formula deux demandes à la Cour. la cour doit d'abord dire quel est
le tracé de la limite entre les étendues du plateau continental relevant de chacun
d'eux, et que la Turquie ne peut entreprendre aucune activité sur le plateau
continental de la Grèce sans son consentement.
Elle demande ensuite, en même temps que sa requête introductive d'instance
que la Cour indique des mesures conservatoires.
La Cour n'ayant noté aucun préjudice irréparable aux droits d'exploration et
d'exploitation que revendique la Grèce d'une part, et aucun dommage résultant des
explorations sismiques d'autre part, conclut que les conditions d'application ou de
mise en oeuvre des mesures conservatoires ne sont pas réunies. De plus, le refus
de la Cour se justifie également par la présence du Conseil de Sécurité
parallèlement saisi afin que celui-ci prenne les mesures qui s'imposene'" Autrement
dit, la Cour s'est dessaisie au profit du premier organe des Nations Unies chargé du
maintien de la paix et de la sécurité internationale
Enfin, dans l'affaire de l'interhandei mettant aux prises la Suisse et les Etats-
Unis d'Amérique à propos du blocage par ce dernier pays des avoirs de la société
Interhandel soupçonnée d'être liée à l'Allemagne nazie, la Cour, malgré la demande
suisse d'indiquer des mesures conservatoires, s'y est refusée ; non pas qu'elles ne
fussent pas opportunes mais tout simplement à cause de la législation américaine.
En effet, celle-ci prévoit que la vente desdites actions ne peut être effectuée qu'à la
suite d'une instance judiciaire. Or, cette instance est actuellement pendante dans ce
pays.
Si la Cour dispose de larges pouvoirs quant à l'opportunité des mesures
conservatoires, ces pouvoirs s'étendent également au contenu de ces mesures
interlocutoires
2ll Le Conseil de Sécmilé avail adoplé la résoiutiou du 2:' ,IOÎII l 'J7(, i11'applicalion de laquelle il a renvoyé les
parties.

1.\\<)
En effet, l'article 75, paragraphe 2 du règlement de la Cour lui permet
d'indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui sont
sollicitées. Elle légalise ainsi ce qui, dans la procédure au fond, serait considéré
comme un excès de pouvoir, c'est-à-dire le pouvoir de statuer ultra petita.
Les dispositions de ce texte ont été appliquées par la Cour dans l'affaire
relative à la compétence en matière de pêcheries Cette affaire, rappelons-le, a
opposé d'un côté le Royaume-Uni et l'Islande el de l'autre la République Fédérale
d'Allemagne et l'Islande. Le Royaume-Uni et la République et la République
Fédérale d'Allemagne s'étaient une première fois opposés à l'élargissement par
l'Islande de sa zone de pêche exclusive à douze milles marins. Ce premier
contentieux fut résolu par les Accords de 1961 conclus entre ces trois pays
riverains.
Le second contentieux devait résulter en 1971 d'un nouvel élargissement à
cinquante milles marins de sa zone de pêche exclusive. L'Islande publia ce nouveau
règlement le 14 juillet 1972. La R. FA et le Royaume-Uni demandèrent alors à la
Cour
qu'ils
avaient
saisie
par
requête
séparée,
d'indiquer
des
mesures
conservatoires en vertu desquelles l'Islande devait s'abstenir d'appliquer sa
nouvelle réglementation aux navires britannique et allemand et de prendre toute
mesure qui entraverait l'activité de pêche de ces navires dans la zone située au-delà
de la limite des douze milles fixés d'un commun accord en 1961.
De plus, les demandes en indication de mesures conservatoires visaient à la
limitation par le Royaume-Uni de ses prises à 185 000 tonnes métriques par an dans
la zone maritime islandaise et celle de l'Allemagne devait se limiter à 120 000
tonnes.
Il est intéressant de noter que dans les mesures conservatoires qu'elle a
indiquées, la Cour a légèrement modifié les mesures sollicitées par les parties.
Ainsi, les prises annuelles du Royaume-Uni dans les eaux islandaises ont été
limitées à 170 000 tonnes métriques au lieu de 185 tonnes tandis que celles de

140
l'Allemagne ont été ramenées à 119 000 tonnes au lieu de 120 000 tonnes
demandées.
On verra que dans l'affaire du différend frontalier Mali-Burkina, les mesures
conservatoires ordonnées par la Cour le 10 Janvier 1986 diffèrent sur certains
21;>
aspects des mesures demandées par les parties
.. C'est sur cette remarque que
s'arrêtent nos développements consacrés à la première condition de forme. Reste à
examiner maintenant la deuxième condition.
B)- Le moment de la demande
Il n'y a pas de moment précis Tout dépend des cas. A cet égard, deux
situations sont à distinguer: certaines demandes sont faites en même temps que la
saisine de la Cour; d'autres demandes sont formulées après la saisine de la Cour
compte tenu de la tournure que prennent parfois les événements.
1° -
La concomitance entre la requête introductive d'instance et
la demande en indication de mesures conservatoires.
On retrouve cette hypothèse dans plusieurs affaires.
- Dans l'affaire du plateau continental de la Mer Egée, la Grèce a saisi la
Cour le 10 août 1976 et lui a demandé le même jour d'indiquer des
mesures
conservatoires.
- Dans l'affaire relative au procès de prisonniers de guerre pakistanais, le
Pakistan a saisi la Cour le 11 mai 1973 pour lui demander de déclarer illégal le
transfert de 195 Pakistanais faits prisonniers par l'Inde qui est intervenue dans cette
guerre civile aux côtés des insurgés, et d'indiquer des mesures conservatoires
tendant à ce que le rapatriement des prisonniers de guerre et des internés civils ne
212 Ellcs sonlnol;lInlllcn( dilTércnlcs dc celles sollicilécs par le Mali d;lns la prcillièrc vcrsion dc sa dcmandc.
Cr. infra.

141
soit pas interrompu et à ce que ces derniers ne soient pas transférés au Bangladesh
pour y être jugés.
- Dans l'affaire du personnel diplomatique et consulaire des E.UA à
Téhéran, la requête américaine introductive d'instance et la demande en indication
de mesures conservatoires ont été faites le 29 novembre 1979.
- Dans l'affaire des activités militaires, le Nicaragua a introduit le 9 avril 1984,
par voie de requête unilatérale, une action en responsabilité contre les Etats-Unis.
Le même jour, il introduit une demande en indication de mesures conservatoires.
- Enfin, dans l'affaire des essais nucléaires, les demandes de l'Australie et de
la Nouvelle-Zélande ont été faites le 14 mai 1973.
La concomitance des deux demandes signifie-t-elle qu'il n'y a aucun problème de
compétence? En d'autres termes, la saisine de la Cour au fond implique-t-elle sa
compétence pour indiquer des mesures conservatoires ? Pas automatiquement,
mais le consentement des Etats condition sine qua non de la compétence de la Cour
au fond, n'est pas indifférent à l'exercice de sa juridiction incidente.
On ne peut donc a priori poser l'équation. saisine de la Cour au fond égale
compétence en matière d'indication des mesures conservatoires.
Cette question a été déjà résolue par la jurisprudence et la Doctrine. En effet,
selon Michel Dubisson, la compétence de la Cour pour indiquer les mesures
conservatoires est inhérente non pas à sa compétence sur le fond mais à sa simple
saisine213.
Au plan jurisprudentiel, signalons l'affaire des essais nucléaires où la Cour a
affirmé sans ambages dans l'ordonnance du 22 juillet 1973 que: « La Cour n'a pas
besoin avant d'indiquer ces mesures, de s'assurer de façon concluante de sa
compétence quant au fond de l'affaire »214 mais elle ne doit pas cependant indiquer
213 Cf. « La Cour Internationale de Justice» L.GD.J. J'lM. p. 225.
21< Recueil J974. p. JO 1.

142
de telles mesures si les dispositions invoquées par le demandeur ne se présentent
pas comme constituant prima faGie, une base sur laquelle la compétence de la Cour
pourrait être fondée. Il est important de faire remarquer que la Cour permanente de
justice internationale avait souligné dans deux affaires que l'indication de mesures
conservatoires ne préjuge en quoi que ce soit de la compétence de la Cour215.
Il en résulte que la simple saisine de la Cour a le plus souvent suffi pour
qu'elle indique des mesures conservatoires soit d'office, soit à la demande des
parties malgré la dénégation de sa compétence qui semble aujourd'hui se
généraliser.
Mais que se passera-t-il si, après avoir indiqué ces mesures, il s'avérait
qu'elle était incompétente au fond? Cette situation s'est présentée dans l'affaire de
l'Anglo-iranian
Oil
Company et
la Cour a déclaré
caduques
les
mesures
conservatoires qu'elle avait ordonnées le 5 juillet 1951.
Ce qui est remarquable et nous l'avons déjà souligné, c'est que les Etats
défendeurs dans la procédure contestent dans la plupart des cas cette compétence
incidente. Ils soulèvent une exception d'incompétence. C'est le cas des E.U.A. dans
l'affaire de l'interhandel, de l'Islande dans l'affaire des pêcheries, de la France dans
l'affaire des essais nucléaires, de l'Inde dans l'affaire relative au procès des
prisonniers de guerre pakistanais, de la Turquie dans l'affaire du Plateau continental
de la mer Egée, de l'Iran dans l'affaire du personnel diplomatique et consulaire des
E.U.A. à Téhéran et enfin des E.UA dans l'affaire des activités militaires. Arrêtons-
nous à cette dernière affaire pour souligner que
les E.U.A.
ont soutenu
l'incompétence de la Cour en invoquant trois exceptions préliminaires.
La première est tirée de la nature du différend où s'imbriquent des questions
diplomatiques et des questions juridiques avec cependant, selon les conseils
américains, une prédominance des premières.
m Arrai rc du l'rincc Von l'!css prcciléc. p. 151.
Arraire de la dénoncialion dUlraité lJclgociJinois précitée. p.7.

143
La seconde est tirée de la litispendance. En effet, ce différend dont la C.I.J.
était saisie faisait l'objet de négociations politiques au sein de l'O.E.A. et du groupe
de Contadora (Colombie, Mexique, Panama, Venezuela) sans oublier le rôle du
Conseil de Sécurité également saisi par le Nicaragua.
La troisième exception est tirée de la non participation au règlement du
différend des « parties indispensables» c'est-à-dire des Etats de l'Amérique
Centrale (Costa-Rica, Honduras, Guatemala).
On peut légitimement se poser la question de savoir pourquoi une telle
dénégation de la compétence incidente de la Cour et parfois de sa compétence au
fond? Est-ce la conséquence d'une résistance systématique au règlement judiciaire
international ou est-elle due à la prédominance des facteurs politiques généraux
dans les conflits justiciables?
La deuxième explication semble plus probable car, d'une manière générale,
lorsque les gouvernements sont en face d'une variété de modes de règlement des
différends concurrents, « ils inclinent (naturellement) à préférer la souplesse des
négociations politiques )/lG
Mais quelles qu'en soient
les raisons,
il
est certain
que
« le trait
caractéristique de la compétence incidente est qu'elle dépend non du consentement
des parties, mais d'un fait objectif tel que l'existence d'un procès devant la Cour »217.
Il est tout à fait singulier de remarquer que dans l'affaire du différend qui
oppose le Burkina et le Mali, ne se pose aucun problème de compétence de la Cour
pour indiquer les mesures conservatoires. Cette situation se comprend aisément
quand on sait que les deux Etats ont saisi la Cour par voie de compromis conclu le
16 septembre 1983 et notifié à la Cour le 20 octobre de la même année. On pourrait
cependant nous rétorquer que le compromis n'a pas prévu l'indication éventuelle de
mesures conservatoires. Là également, ne se pose aucun problème de compétence
car il est établi que les deux parties sont auteurs des demandes en indication des
mesures conservatoires. A supposer même que malgré les incidents regrettables qui
se sont produits entre les parties en décembre 1985, elles n'eussent pas formulé de
'Ir. cr. Charlcs Dc VISSCHER. « Aspccls récents dn droit prOl.Ùlllral dc la <'.1..1. ». A. Pédonc, 196(" p. 204.
217 Hcrbcrt W. BRIGGS. « La compétencc incidcnlc dc la CU. cn tanl qnc compétcncc obligatoire».
R.G.D.I.P. [960. I.P. 229.

144
telles demandes, dans ce cas précis, c'est par interprétation souveraine du
compromis que la Cour va prescrire proprio motu ces mesures afin de donner un
« effet utile il à la loi des parties. N'oublions pas que le compromis est un
engagement international et qu'il constitue la base même de la compétence au fond
de la Cour, Dès lors, celle-ci a tout naturellement le droit de l'interpréter. Elle
applique alors les méthodes valables pour l'interprétation des traités218. Nous
reviendrons plus loin sur cette question d'interprétation.
On se rend compte après tout ce qui vient d'être dit qu'il serait pour le moins
surprenant que le Burkina et le Mali ne donnent pas à la Cour les moyens de se
prononcer sur leurs demandes.
Toutefois, le problème de sa compétence pourrait se poser dans deux
situations.
- si elle statuait ultra petita • dans la procédure incidente, on l'a vu, les textes
lui donnent le droit de décider de mesures au-delà ou en-deçà de la demande des
parties. Mais ces pouvoirs exceptionnels lui sont interdits dans la procédure au fond
où elle ne doit s'en tenir qu'à la volonté des parties. C'est là que prend tout son sens
le principe du consensualisme qui marque la justice internationale.
- si elle recourait à des considérations d'équité alors que celles-ci ne sont
prévues ni expressément ni implicitement par le compromis.
Cette deuxième situation n'est pas une hypothèse d'école dans la mesure où le cas
pourrait se produire si la Cour venait à épouser le point de vue de la partie malienne
qui l'invite à statuer exaequo et bono en cas de lacune ou d'insuffisance du droit
applicable. Cette façon de voir est loin d'être partagée par le Burkina (cf. supra).
"" cr. Gcncvièvc GUYOMAR. {( COllllllcnlairc dn Règlclllcni dc la (' 1..1, )} précitée. p.251.

Le problème de la compétence de la Cour aurait également pu se poser au
stade de la procédure incidente si la Cour au lieu d'indiquer des mesures
conservatoires, rendait un véritable jugement préliminaire On fera remarquer que
cette crainte était nourrie de part et d'autre par les Conseils burkinabè et maliens
dans les observations qu'ils ont présentées devant la Chambre.
2° - Les demandes intervenant après la saisine de la Cour
Elles sont légion comparativement aux demandes faites simultanément avec
les requêtes introductives d'instance.
Du point de vue de la sociologie du droit, on pourrait sérier leurs causes en
deux grands groupes:
- Les demandes consécutives à une tournure dramatique que prennent les
événements à la suite de :
• l'escalade des actions violentes dans les régions frontalières,
• la détérioration ou la dégradation des rapports de bon voisinage,
• la rupture du dialogue consacrant l'impasse des négociations directes,
• la tension extrême.
- L'évolution imprévue du différend par une des parties.
Cette situation qui comporte le risque de porter préjudice aux droits qu'elle peut
tenir d'un arrêt qui pourrait être rendu par la Cour fait souvent suite à l'attitude peu
conciliante, obstinée et intraitable de la partie défenderesse.
Toutes ces causes, qui peuvent paraître abstraites, se retrouvent dans les
affaires de l'Anglo-iranian Oil Cie, de l'interhandei et du différend frontalier Mali-
Burkina, soit alternativement, soit cumulativement.

146
Après nous être longuement appesantis sur les conditions de forme et sur les
problèmes que celles-ci ont soulevés, jetons maintenant un regard sur les conditions
de fond.
§2 - Conditions de fond
Trois éléments seront examinés successivement: l'urgence ou « le péril en la
demeure », le préjudice irréparable et le lien avec l'instance principale. Si les
premières et dernières conditions sont prévues par les textes, il en va différemment
du préjudice irréparable
qui
a constitué
surtout une
préoccupation
de
la
jurisprudence
A) - L'urgence
Cette condition est prévue aux articles 41 alinéa 1 du statut de la Cour et 75
alinéa 1 de son règlement. Il en résulte que seule l'urgence justifie l'indication par la
Cour des mesures
conservatoires.
C'est
la
condition
principale puisqu'elle
commande l'existence d'un préjudice irréparable. Pour être plus précis, s'il y a
urgence, il y a risque de création d'un préjudice irréparable. Par conséquent.
l'absence d'urgence n'est pas une condition de mise en oeuvre des mesures
conservatoires.
La C.P.J.1. a eu l'occasion de le rappeler dans l'affaire Prince Von Pless et la
C.I.J. dans les affaires de l'interhandei et du procès des prisonniers de guerre
pakistanais.
En effet, dans l'affaire de l'interhandel, la Cour affirme qu'il n'y a pas lieu
d'indiquer des mesures conservatoires considérant « qu'en l'état des informations
fournies à la Cour, il apparaÎt que, selon la législation des E. U.A., la vente desdites
actions ne peut être effectuée qu'à la sUite d'une instance judiciaire actuellement
pendante dans ce pays et dont la fin prochaine n'est pas annoncée, que cette vente

147
est par là subordonnée à une décision judiciaire qui rejettent les prétentions de
l'Interhandel ii.
Dans l'affaire des prisonniers pakistanais, la Cour estime que « le fait que le
gouvernement pakistanais prie maintenant la Cour de différer la suite de l'examen de
la demande en indication de mesures conservatoires signifie que la Cour n'est plus
saisie d'une demande en indication de mesures conservatoires sur laquelle elle
doive statuer d'urgence i).
Dans le différend mettant aux prises le Mali et le Burkina, l'urgence ne fait
l'ombre d'aucun doute, les deux parties sont d'ailleurs d'accord sur ce point. Cette
urgence tient à l'explosion du conflit armé, conflit meurtrier et sanglant dont la
continuation ou la reprise mettrait en cause la possibilité d'exécuter l'arrêt à rendre
et empêcherait la réunion des éléments de preuve219.
Mais bien que nécessaire, l'urgence à elle seule ne suffit pas à mettre en
branle le mécanisme des mesures conservatoires.
B) . Le préjudice irréparable
C'est une condition jurisprudentielle. Il est remarquable en effet de constater
que tout comme l'expression « s'abstenir de tout acte susceptible d'aggraver ou
d'étendre le différend »., la notion de préjudice irréparable revient constamment
dans les ordonnances que la Cour rend dans le cadre du contentieux des mesures
conservatoires.
Est-ce
à
dire
que
le
préjudice
irréparable
n'est
pas
une
préoccupation des instruments qui régissent la Cour? Non, car cette notion est
sous-jacente aux larges pouvoirs d'appréciation que la Cour tient de l'article 41 de
son statut: « ... si elle estime que les circonstances l'exigent ... ii.
Mais que faut-il entendre par préjudice irréparable?
21'> cr. C2/CR HMI C.U. Audience publique de i:J Ch;nnbre lenne le Jeudi <) J<IIIVler 1<)H(,. p. 2<).

I/IX
Selon Charles Rousseau, c'est le préjudice que ne peut compenser ni une
indemnité,
ni
aucune prestation matérielle dont la constatation dépend de
l'appréciation de la Cour220
En clair, les mesures conservatoires visent à prévenir la réalisation de ce
préjudice et non à statuer sur ses conséquences. Mais cela n'est pas toujours
évident car dans l'affaire des activités militaires, le risque éventuel qui est la base
sur laquelle la Cour indique les mesures conservatoires, a largement dépassé les
sphères de l'éventualité. En effet, l'agent du Nicaragua n'a-t-il pas déclaré: « Nous
ne parlons pas d'une possibilité sérieuse de préjudice irréparable. Ici, à ma grande
tristesse, nous parlons de mort certaine pour des centaines d'étres humains »221.
En dehors de ce cas exceptionnel, la survenance de dommage irréparable
relève dans la plupart des cas de l'éventualité Cette hypothèse se vérifie par
exemple dans l'affaire des essais nucléaires où le préjudice irréparable pouvait être
provoqué par les substances radioactives.
Dans le conflit frontalier Mali-Burkiné'l, la non évacuation par les belligérants
de la zone contestée ou la reprise des hostilités risquerait de porter préjudice
irréparable au droit des parties à voir exécuter l'arrêt, par la création sur le terrain
d'une situation de fait.
C) - Le lien avec l'instance principale
Les mesures conservatoires doivent avoir un rapport avec le litige. Pour
reprendre un langage propre aux « administrativistes », la demande ne doit pas être
dénuée de tout lien avec l'instance principale. Cette condition est énoncée à l'article
73 alinéa 1 du Règlement de la Cour.
"" cr. Charles ROllSS[,AU. DrojlJnl~rrwlional l'nbli~. L~s rilpporls Conl1i~llIds
Editions Sirey, 198.1. p. 4('I.
221 CR R4/8. p. 50.

149
« Une partie peut présenter une demande en indication de mesures
conservatoires par écrit à tout moment de la procédure engagée en l'affaire au sujet
de laquelle la demande est introduite. » Les dispositions de ce texte ont été
rappelées dans les affaires des Pêcheries222 et du plateau continental de la mer
Egée223 En outre, notons que dans l'affaire de la réforme agraire polonaise, le
C.P.J.L a rejeté une demande en indication de mesures conservatoires en raison du
manque de lien de connexité entre la demande et la requête principale.
Pour clore cette section, on peut se demander si les conditions d'indications
des mesures conservatoires qui viennent d'être examinées ne s'apparentent pas à
des conditions de recevabilité. La réponse semble négative pour deux raisons:
Primo, nous ne sommes pas dans une procédure contentieuse mais dans une
procédure incidente.
Secundo, les conditions de recevabilité supposent que si elles sont réunies,
le juge doit statuer sous peine de déni de justice ou de non liquet.
Dans cette hypothèse, le juge est en quelque sorte dans une situation de
compétence liée. Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour Internationale de
Justice, notamment des arrêts dans les affaires de l'lnterhandel et du Plateau
continental de la mer Egée, que le juge international peut refuser d'indiquer des
mesures conservatoires même si toutes les conditions sont réunies. C'est la
conséquence logique des pouvoirs discrétionnaires qu'il tient, comme il a été dit plus
haut, de l'article 41 du statut de la Cour et de l'article 73 et suivants de son
règlement.
C'est à la lumière de ces conditions générales qu'il faudra maintenant aborder
les mesures conservatoires sollicitées par les parties d'une part et les mesures
conservatoires indiquées par la Chambre d'autre part.
'n Rccucil 1\\)72. pp. 1.1 cl 15.
221 RCCllci1 1\\)7(,. p. Il

ISO
SECTION Il :
LES MESURES CONSERVATOIRES SOLLICITEES
PAR LES PARTIES ET LEURS MOTIVATIONS
Dans les pages précédentes, il a été constaté que deux parties, aussi
paradoxal que cela puisse paraître, étaient d'accord sur la nécessité et l'urgence
des mesures conservatoires. Aussi, ont-elles sollicité des mesures dont il convient
d'examiner le contenu et les raisons profondes.
§1 - Le contenu des mesures conservatoires
sollicitées par les parties
Les demandes initiales ont été formulées par les deux parties mais elles ont
toutes été remaniées et corrigées.
A) - La demande du Burkina
1° - La demande initiale
Le Burkina a demandé à la Chambre l'indication de trois mesures par une
lettre datée du 31 décembre 1985. Notons qu'avant cette lettre, son coagent avait
adressé au Greffier de la Cour un télégramme en date du 30 décembre 1985 par
lequel il demandait à la Cour d'indiquer des mesures conservatoires, puis il a ajouté
qu'une lettre suivra; il s'agit précisément de la lettre précitée. Que contient-elle?
- Primo. Les parties retireront leurs forces armées de part et d'autre de la
ligne proposée par la sous-commission juridique de la Commission de médiation de
l'organisation de l'Unité africaine le 14 juin 1975.
- Secundo. Les parties s'abstiendront de tout acte ou action sur le terrain qui
pourrait empêcher ou entraver l'exécution de l'arrêt rendu par la Chambre de la Cour
sur la base des conclusions des parties.

1.'1 1
-Tertio. Les parties s'abstiendront de tout acte ou action qui pourrait entraver
la réunion des éléments de preuve dans la présente instance.
Cette première communication fut modifiée par la suite en raison des récentes
évolutions sur le terrain et surtout de la nouvelle communication malienne si l'on en
croît le coagent burkinabè224. La seconde communication du Burkina est-elle
totalement différente de la première ? L'examen de son contenu en donne la
réponse.
2° - La demande initiale modifiée
Quatre mesures au lieu de trois sont demandées de manière définitive.
- Les deux parties s'abstiendront de tout acte ou action sur le terrain qui
pourrait empêcher ou entraver l'exécution de l'arrêt qui sera rendu par la Chambre
de la Cour sur la base des conclusions des parties.
- Les deux parties s'abstiendront de tout acte ou action qui pourrait entraver
la réunion des éléments de preuve dans la présente instance.
- Chacune des parties retirera, si ce n'est déjà fait, ses forces de la zone
revendiquée par le Mali, telle qu'elle est délimitée par les prétentions énoncées
dans leurs mémoires respectifs déposés au Greffe de la Cour le 3 octobre dernier.
- Chacune des parties s'abstiendra de tout acte d'administration territoriale
au-delà de la ligne retenue en 1975 par la sous-commission juridique de la
Commission de médiation de l'O.UA
Tout en nous réservant de commenter plus loin ces demandes, examinons à
présent celles du Mali.
n·' C2/CI~ xc>! 1. p. 20.

152
B) - La demande du Mali
Le Mali avait adressé au greffier de la Cour une lettre datée du 27 décembre
1985 dans laquelle il suggérait que la Chambre agissant proprio motu sur la base de
l'article 75 du Règlement de la Cour, adopte des mesures conservatoires22S
Mais, le 7 janvier 1986, il adressa en bonne et due forme une lettre au greffe
par courrier spécial. Par cette lettre, le Mali saisit à son tour la Cour d'une demande
formelle en indication de mesures conservatoires.
Nous
examinerons
cette
demande
formelle
après
avoir
épluché
les
suggestions faites par ce pays.
1° - Les suggestions maliennes
Les demandes faites par le Mali sous forme de suggestions sont au nombre
de deux: la Chambre et la Cour sont priées:
- « d'inviter le Burkina Faso non seulement à veiller à empêcher tout acte
susceptible de préjuger les droits du Mali à l'exécution de l'arrêt que la Cour peut
être appelée à rendre au fond ; mais aussi à veiller à arrêter tout acte de quelque
nature qu'il soit qui pourrait aggraver ou étendre le différend soumis à la Cour.
-
Le Burkina Faso devrait être invité à rapporter les mesures unilatérales
prises dans les villages de Dioulouna, Kounia, Selba et Douna et d'y retirer les
éléments armés et autres qu'il y a introduits ))
cc' /1 imporle de noler qlle les eopies de la demande dll nurkina el de la Ieltre dll Mali sonl parvenues au grelTe
de la Cour le 2 janvier 193(,. Mais les originallx sonl parvenlls pour le 13urkina le 2 janvier 193(, el pour le Mali
le (, janvier de la même année.

2° - La demande formelle des mesures conservatoires
A la suite de la demande formelle faite par le Burkina, le 31 décembre 1985,
et déposée au greffe de la Cour le 2 janvier 1986, le gouvernement du Mali a été
amené lui aussi à demander... à la Cour, sur la base de l'article 73 du Règlement,
cette fois, de prendre les mesures conservatoires suivantes:
- « Inviter chacune des parties à s'abstenir de tout acte ou action susceptible
de préjuger aux droits de l'autre partie à l'exécution de l'arrêt que la Chambre de la
Cour peut être appelée à rendre au fond.
- inviter chacune des parties à s'abstenir de tout acte de quelque nature qu'il
soit qui pourrait aggraver le différend soumis à la Cour
Le Gouvernement du Mali estime qu'il n'y pas lieu de prendre d'autres mesures
conservatoires» .
§2 - Les motifs sous-tendant les demandes burkinabé
et maliennes
Après avoir indiqué les caractères generaux des mesures conservatoires,
nous examinerons les motivations qui ont guidé les parties dans la formulation de
leurs demandes.
A) - Les caractères des mesures conservatoires
Ce point a été évoqué dans la première section du chapitre. Aussi allohs-
nous nous contenter de le rappeler succinctement.
Les mesures conservatoires, pour être valables, doivent revêtir certains
caractères.

154
- Elles ne doivent pas préjudicier au principal
Dans l'affaire du personnel diplomatique et consulaire des E.U.A. à Téhéran,
l'Iran a soutenu que la demande américaine préjugeait du fond et qu'elle était en
réalité une tentative pour obtenir un jugement provisionnel
Si ces reproches étaient fondés cela voudrait dire que la demande américaine
est en porte-à-faux avec l'arrêt rendu dans l'affaire de la réforme agraire polonaise
et minorité allemande en vertu de laquelle les mesures conservatoires doivent être
tournées vers l'avenir et ne doivent pas constituer un jugement sur les événements
passés.
En l'espèce cependant, le défendeur n'avait pas tort puisque la Cour
reconnaît que la demande américaine des mesures conservatoires a un lien très
étroit avec la décision au fond qui allait être rendue. Elle rejette malgré tout
l'objection iranienne en affirmant que les mesures conservatoires doivent viser à
protéger les droits invoqués en attendant que l'arrêt au fond soit rendu.
- Elles ne doivent avoir pour objet que le maintien ou la préservation des
droits des parties de la façon la plus objective et impartiale possible.
- Enfin, elles doivent reposer sur un principe d'équilibre et d'égalité. Autant
que faire se peut, elles doivent s'efforcer de tenir la balance égale entre les intérêts
des parties226.
Il n'est pas inutile de faire remarquer, qu'en général, les parties dans leurs
demandes de mesures conservatoires, ne respectent pas ce principe d'équilibre et
invitent la Cour à porter un jugement qui leur est favorable sur les faits qui sont à
l'origine de leurs demandes. Les présentes demandes maliennes et burkinabé font-
elles exception? On le saura en exposant maintenant leurs motivations.
22(, cr. André COCATRE-ZILGIEN. op. cil. p.o.

155
B) - Les motivations des parties
10 - Les motivations du Burkina
Dans sa première communication qui a été modifiée pour des raisons que
nous avons déjà évoquées, le Burkina a proposé dans le cadre du retrait des forces
armées des deux pays, le respect par les deux parties de la ligne proposée par la
sous-commission juridique de la Commission de médiation de l'O.UA le 14 juin
1975. Il explique cette proposition par le fait que « c'est la seule ligne qui est
revêtue de l'autorité d'une instance internationale »227
Le Mali, on le sait, l'a jugée inacceptable. En effet, après avoir souscrit aux
conclusions et recommandations de la sous-commission juridique, puisqu'il a signé
le communiqué final de Lomé en date du 18 juin 1975, le Mali s'est, par la suite,
rétracté en marquant sa préférence pour la déclaration de Conakry du 1a juillet
1975. Juridiquement, cette ligne lui est opposable et il devrait en toute bonne foi la
respecter.
Dans le cas contraire, la théorie de l'estoppel pourrait lui être opposée. Il
devrait honorer ses engagements internationaux en respectant les résolutions de
l'O.UA auxquelles il a souscrit. Et le fait qu'il ait soumis son acceptation d'aller
devant
la
C.I.J
à
l'inopposabilité
et
l'inapplication
des
conclusions
et
recommandations de la sous-commission juridique ne saurait être interprété comme
une condition libératoire des engagements antérieurs qu'il a pris.
La seconde mesure est classique ; elle marque le désir du Burkina
d'empêcher l'aggravation ou l'extension du différend.
Quant à la troisième mesure qui invite les parties à s'abstenir de tout acte ou
action qui pourrait entraver la réunion des éléments de preuve, le Burkina invoque la
destruction d'archives concernant la région litigieuse à la suite des bombardements
227 C2/CR X(,!1 jl. 11.

1"(,
effectués par l'aviation malienne des villes de Djibo et Ouahigouya où se trouvaient
les dépôts des plus importants d'archives coloniales.
D'une manière générale, l'architecture de la demande du Burkina est assez
équilibrée et inspirée par le souci d'égalité des parties
L'innovation introduite dans sa nouvelle communication est la dissociation
faite entre le désengagement des forces armées des deux pays et l'administration
civile des villages contestés.
En effet, dans l'esprit des Conseils Burkinabé, une zone démilitarisée ou
déclarée no man's land militaire ne doit pas être synonyme d'un vide administratif
car « une population peut vivre sans militaires, au moins momentanément et surtout
s'il existe des garanties internationales la protégeant, mais elle ne peut se passer
d'administration» 228.
Notons cependant que pendant les plaidoiries du 9 janvier 1986, le Burkina a
suggéré d'autres solutions au problème du désengagement militaire et administratif
mais il a tout de suite ajouté que ces solutions sont peu réalistes et difficiles
d'application dans le contexte actuel, en raison du climat de tension et de méfiance
qui règne entre les deux pays229.
En effet, l'application de telles solutions suppose que les deux Etats soient
animés par un esprit coopératif. A défaut, tout exercice dans la zone litigieuse d'une
compétence concurrente s'avère impossible. Quand on sait que ces Etats sont allés
devant la C.I.J. à la suite de l'échec des négociations bilatérales, l'idée qu'ils
puissent s'entendre sur l'administration commune de la région contestée apparaît
comme une gageure.
m cr C2/CR l\\()/ L p. )')
OZ" Il s'agil d'lm condominium provisoirc ou d'lInc 'l(lmillislralion cOlljOln!c 011 cncorc d'nnc administration
inlcrnationale Iclll' qll'on " .. vn cn Irian occidcnlal

1.~7
2° - Les motivations du Mali
Pour le Mali, c'est « l'occupation}) par le Burkina des villages qu'il revendique
qui justifie ses suggestions. Il s'agit des villages de Dioulouna, Selba, Kounia et
Douna où selon les conseils maliens, le Burkina a hissé son drapeau.
En effet, font-ils remarquer, « le Mali a toujours administré ces villages. Ce
territoire est actuellement administré par le Mali paisiblement Donc, il paraÎtrait tout
à fait inacceptable que l'on essaie entre-temps de remettre en cause un statu quo
administratif paisible depuis des années )/30
Aux termes de l'article 3
de la Résolution 3317/29 de l'A.G.N.U., cette
occupation militaire constitue une agression justifiant le recours au droit naturel de
la légitime défense(231).
Tous ces arguments invoqués par le Mali sont contraires aux conclusions de
la sous-commission juridique selon lesquelles lesdits villages, en dehors de Douna,
appartiennent au Burkina.
Les autorités burkinabé ont toujours reconnu le caractère malien de ce
village. C'est pourquoi elles n'y ont jamais envoyé leurs soldats.
Sur le plan formel, la structure des suggestions maliennes est contraire à
l'esprit d'égalité et au souci d'équilibre et de neutralité qui doivent caractériser les
mesures conservatoires. Témoin, les dispositions suivantes de la première et
seconde mesure: « La Chambre est priée
1° -
d'inviter le Burkina Faso non seulement à veiller à empêcher tout acte
susceptible de
préjuger les droits du Mali à l'exécution de l'arrêt, etc...
2.'" cr. C2/CR R(,/ L pp. 71-74.
211 Ibidem. p. 7(,

15X
20 -
Le Burkina Faso devrait être invité à rappolTer les mesures unilatérales... et à
retirer les éléments armés... »
De plus, ces mesures préjugent du fond du fait de leur lien indissoluble avec
la substance de l'affaire. C'est ce que pensent aussi les Conseils burkinabé, les
Professeur JP. Cot et A. Pellet qui notent que le Mali invite la Cour à rendre en
vérité un jugement préliminaire en méconnaissance de l'arrêt rendu dans l'affaire de
la Réforme agraire polonaise232 et au besoin en condamnant le Burkina Faso.
Mais si la rédaction de la première demande malienne se prête aux critiques,
il faut bien reconnaître que celle de sa demande formelle en date du 7 janvier 1986
est équilibrée, neutre et conforme au principe d'égalité des parties.
Pour clore ce développement, nous pouvons affirmer que si les deux pays
sont tombés d'accord sur l'urgence et la nécessité des mesures conservatoires, il en
est allé autrement pour leurs motivations. Que va décider maintenant la Cour? Ce
sera l'objet de la prochaine et dernière section.
SECTION III :
LES MESURES CONSERVATOIRES ORDONNEES
PAR LA CHAMBRE
Para9.@.Phe préliminaire:
Les particularités de ces
mesures
A l'issue de l'audience publique du 9 janvier 1986 au cours de laquelle la
Chambre a entendu les observations des parties conformément à l'article 76 §3 du
Règlement de la Cour, elle a rendu le lendemain 10 janvier une ordonnance par
,.12 Selon celte .illri~prl1dellce. l'objet de~ mcsures conselyaloircs esl de conserver le droit de chacun y compris
du défendeur.

159
laquelle elle a indiqué à l'unanimité cinq mesures conservatoires233 Cette procédure
incidente comporte des aspects originaux qu'il convient de relever.
Ce n'est pas la première fois que la Cour indique des mesures conservatoires
à l'unanimité. Souvenons-nous de l'affaire du personnel diplomatique et consulaire
des Etats-Unis à Téhéran et de l'affaire des activités militaires. Dans cette dernière
affaire cependant, il s'en est fallu de peu que l'unanimité ne fût pas réunie. En effet,
sur les quatre mesures que la Cour a indiquées, trois l'ont été à l'unanimité, la
deuxième mesure ayant été adoptée par 14 voix contre une
Mais c'est la première fois qu'une Chambre de la Cour ordonne des mesures
conservatoires, de surcroît à l'unanimité. Et c'est la quatrième fois que les parties
demandent à la Cour d'appliquer "article 26 de son statut en constituant une
Chambre pour juger un litige déterminé après l'affaire du Golfe du Maine234. Dans
cette affaire où la Cour a été saisie par voie de compromis conclu le 29 mars 1979
entre le Canada et les Etats-Unis, l'originalité tient au fait que la délimitation
territoriale qui est demandée à la Chambre, ne concerne plus uniquement le plateau
continental mais à la fois cet espace océanique et la zone de pêche exclusive.
Dans l'affaire qui nous occupe, a déjà été souligné le caractère tout à fait
singulier de la double demande des mesures conservatoires faite par les parties, ce
qui ne rend pas facile la détermination de la demanderesse et de la défenderesse
dans cette procédure incidente. La difficulté est d'autant plus grande que chaque
partie soutient avoir été la première à présenter une requête unilatérale dans ce
sens. En vérité, s'il est établi que le Mali a été le premier à demander par lettre à la
Cour d'indiquer des mesures conservatoires, il reste entendu que l'original de sa
lettre est parvenu au Greffe de la Cour bien après celui du Burkina. La date d'arrivée
au greffe de la Cour faisant foi, le président de la Chambre a invité de façon
régulière le coagent burkinabé à prendre le premier la parole.
233 C. \\.J. Communiqué 11°8612 le \\0 janvier 1986.
231 Cf. Rec. 1984. CU. 12 octobre 1984 cl deu;,; autres alTaires précilées

ICJO
Dans ces conditions, ne peut-on pas affirmer que le Burkina est demandeur et
le Mali défendeur dans cette procédure?
Quelle que soit la réponse, cet empressement dans la revendication de la
qualité de demandeur est unique dans les annales de la C.U.
Ces remarques préliminaires étant soulignées, l'attention sera portée sur le
contenu des mesures indiquées par la Chambre et leur effet sur l'évolution du
différend.
§1 -
Le contenu des mesures conservatoires
indiquées par la Chambre.
Après avoir présenté ces mesures, il sera question d'examiner les critiques
qu'elles appellent.
A) - Le prononcé de ces mesures
Ordonnées le 10 janvier 1986, ces mesures conservatoires qui sont au
nombre de cinq (5) tendent à ce que:
1A
« Le gouvernement du Burkina Faso et le gouvernement de la République du
Mali
veillent l'un et l'autre à éviter tout acte qui risquerait d'aggraver ou d'étendre le
différend dont la Chambre est saisie ou de porter atteinte au droit de l'autre
partie à obtenir l'exécution de tout arrêt que la Chambre pourrait
rendre
en
l'affaire ii.
2B
Les deux gouvernements s'abstiennent de tout acte qui risquerait d'entraver
la réunion des éléments de preuve nécessaires à la présente instance.
1C
Les deux gouvernements continuent à respecter le cessez-le-feu institué par
accord entre les deux chefs d'Etat le 31 décembre 1985.

1 <Ji
1D
Les deux gouvernements retireront leurs forces armées sur des positions ou à
l'intérieur des lignes qui seront, dans les vingt jours suivant le prononcé de la
présente ordonnance, déterminées par accord entre lesdits
gouvernements,étant
entendu que les modalités du retrait des troupes seront fixées par ledit accord
et que, à défaut d'un tel accord, la Chambre indiquera elle-même ces
modalités par voie d'ordonnance.
1E
En ce qui concerne l'administration du territoire contesté, la situation
antérieure aux
actions armées qui sont à l'origine des demandes en indication de mesures
conservatoires ne soit pas modifiée ».
Que faut-il penser de ces mesures arrêtées par la Cour?
B).
Appréciation des mesures conservatoires
ordonnées par la cour
La rédaction neutre des mesures conservatoires indiquées par la Chambre
témoigne de son souci de « dédramatiser» la situation. Le but juridique fondamental
des mesures conservatoires est d'assurer la sauvegarde des droits des parties
avant l'arrêt définitif que la COllr pourrait rendre
Par conséquent, elle ne doit
épargner aucun effort pour apaiser le différend ou pour assurer son « coaling off »
selon la formule anglo-saxonne.
Cependant, si sur le plan formel, un satisfecit doit lui être décerné, sur le plan
de la motivation de ces mesures, quelques points nébuleux subsistent. 1\\ est vrai
qu'en droit la Cour a l'obligation de motiver ses arrêts et non les mesures
conservatoires qu'elle ordonne.

162
10 - La structure générale de ces mesures
Du point de vue de leur présentation générale, ces mesures sont équilibrées,
prudentes et ne constituent pas un jugement préliminaire.
Elles sont équilibrées parce qu'elles tiennent la balance égale entre les
parties, même si elles se rapprochent beaucoup plus des mesures conservatoires
sollicitées par le Burkina que de celles demandées par le Mali.
Elles traduisent également la prudence observée par la Chambre. En effet, il
est remarquable de constater que la Chambre prend soin de ne pas utiliser le verbe
« devoir ».
Elle se
montre ainsi
respectueuse
de
la
souveraineté et des
susceptibilités nationales des destinataires de ces mesures. Toutefois, la quatrième
mesure semble très hardie. Certains Etats de l'ANA O., comme on le verra plus
loin, y ont même vu un ultimatum adressé aux deux Etats belligérants.
Enfin, ces mesures conservatoires ne préjugent pas du fond. Si elles sont
respectées, chaque partie conservera intacts ses droits jusqu'à l'arrêt à rendre.
20 - Les aspects sibyllins de la motivation de ces mesures
Les mesures conservatoires indiquées par la Chambre comportent du point
de vue de leurs motivations des zones d'ombre qu'il convient de relever.
Ainsi, la première mesure (1A), si classique soit-elle laisse le lecteur sur sa
faim. En effet, la Chambre ne précise pas les actes qui risqueraient d'aggraver ou
d'étendre le différend. Mais on sait que, dans la pratique, les actes visés sont la
propagande politique hostile, les attaques par voie de presse, radio, télévision, etc.
La Cour a d'ailleurs précisé la finalité d'une telle mesure dans l'affaire de la Cie
d'électricité de Sofia et de Bulgarie C'est une mesure que les deux parties ont
proposée.

1(l.1
La seconde mesure (1 B) a été quant à elle sollicitée par le Burkina qui l'a
justifiée par la destruction par l'armée malienne des archives coloniales pertinentes
à la suite des bombardements des villes de Djibo et Ouahigouya.
Cette mesure a soulevé une vive controverse entre les Conseils des deux
pays. Dans un premier temps, le Mali ne voyait aucun inconvénient à ce qu'elle fut
ordonnée, mais par la suite, il s'est rétracté parce que, dit-il, il ne sait pas ce qu'elle
peut bien signifier. Les propos tenus par l'un de ses Conseils sont suffisamment
explicites à cet égard :
« Quant à la dernière proposition du Burkina Faso, celle qui est relative à
l'idée qu'il faudrait s'abstenir de tout acte ou action qui pourrait entraver la réunion
des éléments de preuve dans la présente instance, le gouvernement du Mali n'est
pas hostile à cette idée abstraite en général.. Mais ce qu'il ne parvient pas à
percevoir et les explications qui ont été données jusqu'à présent n'améliorent pas les
choses.
C'est ce que cela signifie concrètement. Il n'y a pas en effet à proprement
parler de preuve sur le terrain si l'on entend par preuve éventuellement des
documents dans les villages. Il n'y a hélas pas de documents dans les villages parce
que tous les documents de ces villages se trouvaient à Douentza ou à Mondoro236 ou
enfin aux différents chefs-lieux mais ne restaient pas dans les villages... la collecte
de preuves se situe judiciairement dans le cadre du principe de la collaboration des
parties à la preuve..
Dans ces conditions, le gouvernement du Mali s'abstient de prendre cette
demande de mesures conservatoires à son compte »236
S'agissant de la troisième mesure (1C), il est regrettable que la Chambre n'ait
pas prévu ou désigné un organe appelé à veiller au respect du cessez-le-feu conclu
le 31 décembre 1985 par les parties. Cette exigence s'imposait d'autant plus que
2.1< Localités ayant toujours appartellu au Mali.
210 C2/CR 8(,!1 op. cil. p. 84.

164
pendant les hostilités, plusieurs cessez-le-feu ou armistices ont été conclus mais
n'ont pas été respectés sur le terrain. On peut penser également que le fait que la
Chambre soit restée muette sur ce point n'est pas en réalité un oubli car la Chambre
n'ignorait pas qu'une Commission d'observateurs avait été constituée à laquelle
l'ANAD. avait confié à l'issue de son sommet extraordinaire tenu à Yamoussokro
(Côte d'Ivoire), la mission de veiller non seulement au retrait effectif des forces
armées des deux pays mais également à l'application du cessez-le-feu
Les mêmes remarques sont valables pour la quatrième mesure (1 D). Cette
dernière concerne le retrait des forces armées sur des positions qui seront
déterminées par les parties. On remarque que la ligne proposée par la sous-
commission juridique de l'O.U.A. n'a pas été retenue. Cette ligne avait été proposée
par le Burkina. Le Mali, on l'a vu, a jugé cette ligne inacceptable et reproché au
Burkina de demander à la Chambre de lui octroyer ce qui fait l'objet de sa demande
contentieuse.
S'agissant enfin de la dernière mesure (1E), elle comporte comme les
mesures précédentes des points brumeux Ainsi, en ce qui concerne l'administration
du territoire contesté, elle ne donne aucune précision sur la situation qui prévalait
avant l'épreuve de force. Sans doute, cela n'était-il pas nécessaire car dans la
pratique, les villages de Dionouga, Kounia, et Selba étaient administrés par les
délégués C.DR 237 malgré la présence massive de maliens dans ces villages,
notamment à Dionouga. Aussi, prescrire le statu quo administratif de la région
litigieuse a pour corollaire immédiat que ces délégués continuent à assumer les
responsabilités politiques et administratives qui étaient les leurs en attendant l'issue
de l'instance.
En conclusion à ce paragraphe, on peut se demander si au plan du droit, les
'17 Comités de défense de la Révolution, détachements <!';lss;ull qui S';III;lqnclOnl ;\\ 10US les royers de
Résistaucc. Cr. C.N.R. (Couseil National de la Révolution) « Discoms d'orienlalion politique)} - Ouagadougou
- Haute-Voila. )981. p.25.

lM
critiques qui viennent d'être formulées sont justifiées Il a été souligné plus haut que
rien n'oblige la Cour à motiver ses mesures conservatoires contrairement aux arrêts
qu'elle rend. On peut ajouter que rien ne l'oblige ou plus précisément ne lui impose
un certain volume ou une certaine teneur des mesures conservatoires qu'elle
ordonne. En effet, l'article 41 du statut de la Cour dit qu'elle peut indiquer les
mesures conservatoires mais le texte ne lui donne aucune instruction particulière.
Dès lors, elle peut si elle le juge nécessaire, détailler les mesures conservatoires
qu'elle ordonne en courant le risque de les alourdir, ou les rendre succinctes
laissant le lecteur parfois sur sa faim. C'est donc une question qui relève de
l'appréciation de la Cour. Dans tous les cas, ses mesures sont souvent éclairées par
le compte-rendu qu'elle publie des observations faites par les parties.
§2 - L'effet de ces mesures sur l'évolution du différend
Cette question soulève l'épineux problème de l'exécution de ces mesures.
Notons que peu de temps après l'indication des mesures conservatoires, l'AN.AD.
a publié un communiqué selon lequel ces mesures auraient été respectées par les
parties236, ce qui d'ailleurs les honorait. Mais cela ne signifie pas qu'elles ont toutes
deux fait preuve de bonne foi par la suite, c'est-à-dire jusqu'au prononcé de l'arrêt le
22 décembre 1986.
Après avoir examiné la non exécution de ces mesures par une des parties,
nous nous interrogerons sur les conséquences de celle-ci.
A) - L'inexécution des mesures conservatoires
par le Mali
Dans les premiers mois qui ont suivi l'indication de ces mesures, aucune des
parties n'a fait preuve de triomphalisme. De plus, elles sont restées discrètes et peu
bavardes. Aussi il est difficile de dire avec précision comment elles ont accueilli ces
mesures. Aucune n'a commenté officiellement ces dernières, outre le fait que seul le
BR Le Jer révrier 198(,.

166
Burkina a souligné, et de manière brève, leur caractère équitable dans son contre-
mémoire (p.8).
Cependant, il existe des signes qui montrent que le Mali rechigne à ces
mesures239.
- Selon le Journal « Jeune Afrique» n° 1318 du 9 avril 1986 (Exclusif), p. 3D,
le Chef de l'Etat malien aurait présidé le 14 mars 1986 une cérémonie officielle dans
l'un des villages contestés (Dionouga) sous la protection d'un impressionnant
déploiement de forces militaires dont une quarantaine de chars et sept avions. Cette
information a été corroborée par le Journal gouvernemental malien (( l'Essor» du
19 mars 1986, p. 4.). En effet, ce quotidien a fait état de l'escale dans ce village
situé à 12 kilomètres de Moundoro du président Moussa Traoré.
Que signifie cet acte de souveraineté accompli quelques jours avant le
onzième sommet de la C.EAO. dans une région où la Chambre a prescrit un
désengagement militaire? Est-ce pour exercer une influence sur le déroulement du
procès ou pour entraver la solution judiciaire qui en découlera ? Enfin, comment
cette violation a-t-elle pu se produire alors que l'A. NA D. est chargé de veiller au
respect des mesures de démilitarisation de la zone ?240
Quoiqu'il en soit, le Mali s'est rendu coupable d'une violation même
temporaire, de l'esprit et de la lettre des mesures conservatoires.
L'inexécution de ce type de mesures n'est pas nouveau en Droit International.
Dans l'affaire des activités militaires, les Etats-Unis avaient continué à armer les
« contras» nicaragoyens contre ie gouvernement du Nicaragua malgré les mesures
conservatoires tendant à la cessation de cette activité.
219 Sans reprendre 1II0! pour 11101 les demandes sollicitées par le Ilnrkin;1. ces mesures ne s'en rapprochent pas
moins.
2'0 Voir Arrique-Asie na 372 du 21 avril 19X6. p. 1(,

1Cl?
Dans l'affaire qui nous préoccupe, les mesures conservatoires n'ont pas
mécontenté que le Mali. Il semble qu'elles aient provoqué une irritation des Chefs
d'Etat de l'A.NAD. 241 qui ont sévèrement jugé la quatrième mesure.
Rappelons que cette mesure concerne le retrait des forces armées des deux
pays sur des positions qui seront déterminées par les parties dans un délai de vingt
jours faute de quoi, la Chambre indiquera elle-même les modalités de ce retrait. En
effet, réunis à Yamoussokro en sommet extraordinaire le 18 janvier 1986 pour
prendre les mesures qu'impose l'affrontement entre le Burkina et le Mali (retrait
effectif des troupes de la zone contestée, normalisation des rapports de ces deux
pays belligérants etc) les chefs d'Etat de cette organisation sous régionale de
défense collective y auraient vu un « ultimatum» adressé aux deux pays. « Cet
ordre risquait de créer une confusion et le Mali, occupant le terrain à l'israélienne,
pouvait être tenté d'exiger une soumission du Burkina... 1/ a donc été demandé à la
Cour de s'occuper du problème de fond }/42. Est-ce une position de l'A.NAD. ou de
certains Etats membres de cette organisation? Aucune précision n'est donnée sur
la question. Mais le fait est que cette quatrième mesure conservatoire a créé au sein
de cette institution un certain malaise. Qu'est-ce qui explique ce malaise?
Il n'est un secret pour personne que les nouveaux Etats, notamment ceux du
continent africain, sont sourcilleux en matière de souveraineté et affectionnent peu
les solutions imposées. De ce point de vue, la position des chefs d'Etat de l'A.NAD.
est compréhensible, mais elle n'en est pas moins inacceptable au plan juridique.
En effet, ainsi qu'il a été signalé plus haut, dans l'exercice de sa compétence
incidente, la Cour est habilitée à indiquer des mesures totalement ou partiellement
différentes de celles sollicitées. Par conséquent, elle peut ordonner toutes les
mesures conservatoires qu'elle juge nécessaires.
Cela étant, quelles conséquences entraîne l'inexécution malienne des
mesures conservatoires?
"" Cf. JeUIIC A friquc N° 1]0') dll 5 f'évricr l')l\\(,. p. 11.
2'"Cf. Jcunc Afriquc N° Ll09 du 5 Févricr 19l\\(,. p J 1.

168
B) -
Les conséquences de l'inexécution par le
Mali des mesures conservatoires
La première conséquence est liée à l'évolution des rapports entre le Burkina
et le Mali relativement au différend.
Quant à la seconde conséquence, elle a trait au recours que le Burkina
pourrait former contre cette inexécution
Sur le premier point, notons que cet
incident majeur et dirimant que constitue cette inexécution, a obligé le Burkina à
suspendre les négociations qui avaient repris entre les deux pays à l'issue de la
guerre de Noël 1985 parallèlement à la procédure judiciaire. Il aurait pu d'ailleurs
saisir à nouveau la Chambre de la Cour sur la base des dispositions de l'article 76
§1 du Règlement de la Cour mais il n'a pas usé de ce droit
S'agissant du second point, il est admis que l'Etat qui n'exécute pas les
mesures conservatoires indiquées par la Cour, ne viole pas une obligation juridique.
Il se rend coupable d'un manquement à la bonne foi243 . En effet, l'ordonnance
indiquant ces mesures est certes exécutoire, mais elle n'est ni obligatoire ni
définitive comme les arrêts de la Cour puisqu'elle peut être modifiée ou rapportée
par la Cour à la suite d'un changement de circonstances.
Il est d'ailleurs curieux qu'en l'espèce présente, la Chambre n'ait pas modifié
son ordonnance du 10 janvier 1986 après la violation par le Mali des mesures
conservatoires indiquées
La bonne foi veut que toute soumission volontaire d'un litige à la Cour oblige
les parties à s'abstenir en cours d'instance de tout acte susceptible soit de contrarier
le fonctionnement de la Cour, soit de paralyser éventuellement l'efficacité de sa
décision.
w cr. Eli7.abclh ZOLLER. !"aJ1QI]I1C roi cJ1-'Ù:gilinlcrnalional pnblic 1\\ l'éllanc. 1977. p. 151

169
Que pouvait donc faire le Burkina
devant l'inexécution des mesures
conservatoires par le Mali? Pouvait-elle saisir le Conseil de Sécurité en application
de l'article 94 alinéa 2 de la Charte? Il est assez difficile de répondre car cet article
ne concerne que les arrêts définitifs. Quant à l'article 41 du statut de la Cour, il ne
concerne lui que les mesures conservatoires dont le seul but est de préserver les
droits des parties en attendant l'arrêt définitif. Cependant, rien ne devrait empêcher
le Burkina de déclencher les mécanismes prévus par l'article 94 précité dans la
mesure où l'article 41 du statut de la Cour fait obligation à la Cour de notifier les
mesures conservatoires qu'elle a décidées au Conseil de Sécurité. Dans l'affaire de
l'Anglo-iranian Oil Company,
l'Iran a refusé de se soumettre aux mesures
conservatoires décidées par la Cour dans une ordonnance du 5 juillet 1951. La
Grande-Bretagne a aussitôt saisi le Conseil de Sécurité conformément à l'article 94
§2 de la Charte et des pouvoirs généraux qui lui sont attribués par les articles 33 et
35 de la Charte pour la solution pacifique des différends. Après discussion, le
Conseil décida d'ajourner les débats jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée sur sa
propre compétence. Malheureusement, elle se déclara incompétente au fond,
rendant ainsi caduques les mesures conservatoires qu'elle a indiquées244. La
chance de voir résolue une question épineuse venait de s'envoler du même coup.
Cette affaire montre que le juge ordonne des mesures conservatoires, mais
n'a pas les moyens de les faire respecter. Dans ces conditions, on comprend
pourquoi le Burkina s'est gardé d'entreprendre une quelconque action qui risquerait
de retarder l'issue du procès.
Pour conclure, qu'il nous soit permis de revenir sur un problème particulier
déjà évoqué qu'ont soulevé les mesures conservatoires indiquées par la Chambre:
il s'agit de l'indignation qu'elles ont provoquée au sein de l'A.NAD.
La guerre entre le Burkina et le Mali aurait-elle provoqué une nouvelle
« guerre» entre la Cour et l'A.N.A.D.. Assurément non. Car ces deux institutions
concourent au maintien de la Paix, l'une sur le plan universel en donnant une
solution définitive aux différends internationaux dont elle est saisie, l'autre en

170
assurant la défense collective de ses membres contre les menaces d'agression
extérieure (article premier alinéa 1 de l'Accord)
En l'espèce, en trouvant une
solution politique au conflit (gel du conflit) préalable nécessaire à une solution
juridictionnelle, l'A.N.A.D. permet à la Chambre de trancher le différend. De ce point
de vue, loin d'être antagonistes, le communiqué final du sommet extraordinaire de
Yamoussokro et les mesures conservatoires indiquées par la Chambre sont
complémentaires.
La leçon que l'on peut tirer ici est que la simultanéité des modes de règlement
des différends internationaux ne va pas toujours sans problème, même si en droit
elle est admise.
Des précédents judiciaires ont du reste sonné l'alarme
Ainsi, dans l'affaire du plateau continental de la mer Egée, la Cour, en raison
de la saisine concurrente et parallèle du Conseil de Sécurité, s'est dessaisie au
profit de celui-ci afin qu'il prenne les mesures nécessaires pour restaurer la paix
dans cette région.
Dans l'affaire des activités militaires, les Etats-Unis ont tenté de bloquer toute
solution judiciaire du conflit en faisant valoir « qu'un règlement judiciaire, fût-ce sur
une question incidente, ne peut que gêner le processus de négociation régional
actuellement en cours alors que se poursuivaient les hostilités»
En effet, des négociations régionales avaient cours dans le cadre du groupe
de Contadora et de l'O. E.A. en application de la Résolution 530 du Conseil de
Sécurité.
Dans ces deux affaires, la règle electa una via était applicable mais
inconcevable dans le cas d'espèce où le règlement politique et le règlement
judiciaire ne sont pas concurrentes mais complémentaires ; seule, la solution
politique ne peut que différer le règlement définitif du différend, différend sur lequel il
convient de porter maintenant nos appréciations. Ces appréciations qui se veulent
surtout critiques seront faites sur la base de l'éventail des points en débat
précédemment examinés.

171
CHAPITRE III
APPRECIATIONS CRITIQUES DES THESES EN PRESENCE
INTRODUCTION
Selon Charles De Visscher, « quand une affaire est portée devant le juge
international par voie de compromis, il est exceptionnel qu'une obscurité réelle
entoure soit l'objet du différend, soit même celui des demandes »245.
La présente affaire s'éloigne peu de la tradition. En effet, si les demandes des
parties sont précises, l'objet du différend tel qu'il apparaît dans le compromis qui a
scellé l'engagement des parties manque de clarté. De ce fait, on ne sait pas
exactement où commence la frontière litigieuse et elle où s'achève. La conséquence
de cette lacune est que le Mali a demandé à la Chambre de ne pas statuer sur la
localisation géographique du Mont N'Gouma.
Il est à remarquer cependant que certaines dispositions du Compromis, bien
que non équivoques, ont donné lieu à des interprétations différentes de la part des
parties. Tel est le cas de l'article 1alinéa 1 d'où résulte la mission de la Cour. Il en
va de même du Préambule dans lequel est énoncée la règle applicable c'est-à-dire
l'intangibilité des frontières africaines.
Il convient enfin de noter que sur des questions touchant directement le
différend qui oppose les parties, le compromis est resté muet, posant ainsi le
problème de son interprétation. Les parties ont présenté toute une
panoplie
d'arguments. Il conviendra de s'interroger sur leur consistance juridique ou leur
pertinence au regard de la nature des questions débattues. Ainsi, il nous sera
loisible de voir quels sont les arguments qui se prêtent le plus à un règlement fondé
sur l'équité et ceux qui répondent aux exigences de la règle de droit.
- - - - - - - - - - - - - - - _ . _ - -
2" Cf. Aspccls récents du droit procédural dc la CU. A Pédollc, Il)(,().

172
Mais avant de développer tous ces points, Il est un problème qu'il convient
d'étudier : c'est le problème de l'influence des archives sur l'argumentation de
parties.
SECTION PRELIMINAIRE: L'INFLUENCE DES ARCHIVES
L'importance des archives dans ce type de débat n'est pas à démontrer. La
possession d'un grand nombre de documents pertinents (textes et documents
cartographiques) joue un rôle fondamental dans la preuve des allégations des
parties. Malheureusement, celles-ci ont été confrontées à un manque ou à une
insuffisance de documents. Les causes sont profondes: la frontière entre le Burkina
et le Mali ainsi qu'on l'a vu plus haut, n'a pas fait l'objet d'un texte réglementaire. Sa
délimitation n'a donc pas été faite par voie d'arrêté général 246 à l'époque coloniale.
La loi de 1947 a reconstitué la colonie de Haute-Volta dans ses limites de 1932,
limites qu'aucun texte ne précise. Il existe cependant des documents indicatifs de
ces limites. Certains ont pu être retrouvés, d'autres non. C'est le cas de la lettre
circulaire 93CIVI2 du 4 février 1930 C'est également le cas de certaines cartes
établies par la puissance coloniale. Que de recherches les parties n'ont pas
effectuées à Dakar, ancienne capitale de l'AOF. et à Paris où les archives ont
certainement été rapatriées24l Malgré tout, elles ne trouvèrent aucun texte de
délimitation de leur frontière commune. Ce qui les amena à changer de fusil
d'épaule dans leur méthode d'argumentation. Le problème des archives étant ainsi
posé, on ne saurait le passer sous silence.
Le
transfert
des
archives
est
un
problème
contemporain
lié
à
la
décolonisation. Son importance pour la vie administrative des jeunes Etats africains
a été telle qu'un Colloque fut organisé sous la forme de journées d'études sur les
archives et l'histoire africaines à Dakar du 1er au 8 octobre 1965. Comment le
NO L'arrêlé général 2n!! de \\915 ne concerne qne les limiles de la colonie du Soudan français.
'" Voir A.C.D.1. Annnaire de la Commission de Droil Intelllaliouai 1974. Volnme Il. Première Partie. pp. 112·
114.
Voir également C. LAROCHE: « Les archives françaises d'Onlre-Mer» Comptes-rendus mensuels des
séances de l'Académie dcs Sciences d'Outrc-Mer. Paris, Tonie XXVI. n° III, Illars 1966.

173
transfert des archives appartenant à ces Etats s'est-il opéré? Il n'existe pas, en ce
qui concerne les Etats africains nouvellement indépendants et l'ancienne puissance
coloniale française de conventions spéciales relatives à la dévolution des biens
français de l'époque. Ce sont les Accords de coopération technique conclus entre la
France et eux qui règlent ce problème, avouons le, de manière peu satisfaisante,
l'Etat prédécesseur n'attribuant que les archives qui sont peu importantes pour lui248.
Ainsi, il ne s'est élevé aucun problème en ce qui concerne les archives
d'administration ou de gestion courante (registre d'état civil, dossiers judiciaires
relatifs aux litiges pendants ou en instance devant la Cour de Cassation et le
Conseil d'Etat et intéressant les ressortissants des anciens territoires, etc... ), il en
est
allé
différemment
des
archives
dite
de
« Haute
Politique»
ou
de
« souveraineté» à propos desquelles l'ancienne puissance coloniale est réticente
parce qu'elles sont liées à son impérium. Ce sont les documents diplomatiques,
militaires ou politiques dont les traités de frontière et les documents cartographiques
annexés249.
Dès lors, on peut convenir avec Charles Rousseau que le transfert des
archives a suscité parfois des cornplications250
On peut se demander si la Convention de Vienne du 1er mars - 8 avril 1983
relative à la succession d'Etat en matière de biens, archives et dette d'EtaeS1 ,
permettra de venir à bout de ces complications.
On ne peut être sûr de rien car on se trouve dans une matière où l'aspect
politique l'emporte sur l'aspect juridique. De plus, vu l'indifférence que les Etats
248 L'accord dc coopération rranco-malicn datc du 2 révricr ct 9 mars l ')(i2. Cr. lO.RF. 1964, p. 6122.
La Convention de coopération rranco-voltaique a été conclue le 24 avril 1% 1. lO.R.F. P. 1261. Elle a été
remplacée par la Conventiou siguée;\\ Paris le 4 révrier !<J8(,. cr Marchés tropicaux elmédilerranéens du 14
révrier 1986, p. 181.
V. aussi Gérard FOUILLOUX, « La succcssion aux biens pnblics rrançais dans les Etals nouveaux d' Arrique.
A.F.D.!. 1965, p. 908.
249 Touterois. en cas de besoin, des copies sont parrois délivrées.
2.10 Cr. « Droit inlerIwtional public»
lOèl1le édition. Précis Dalloz 1984. p. 177.
2~1 En vertu de celle Convention. il raut entendre par archives « tous doculllents, quelles que soient leur date et
leur nature, produits ou reçus par l'Elat prédécesseur dans l'exercicc de ses ronclions qui, fila date de la

174
manifestent à son égard, indifférence qui résulte du nombre insignifiant des
signatures qu'elle a recueillies à ce jour252 , vu le vote négatif ou l'abstention des
anciennes puissances coloniales253, on peut penser que si elle entrait un jour en
vigueur, les principes qu'elle a consacrés ne s'imposeraient pas aux Etats qui n'ont
pas ratifié ladite convention en raison de la règle Res inter alios acta. Il s'agit du
principe du transfert sans compensation des archives d'Etat à l'Etat successeur
(article 23) et du principe que les arrangements convenus entre l'Etat prédécesseur
et l'Etat nouvellement indépendant, ne doivent pas porter atteinte au droit de ces
Etats au développement, à l'information sur leur histoire et à leur patrimoine culturel
(art. 28, al. 7).
Il résulte que les Etats africains et en particulier le Mali et le Burkina n'auront
pas la chance d'accéder un jour à l'essentiel de leurs archives. Cela les handicapera
encore longtemps. Pour l'heure, le handicap se situe au niveau de l'insuffisance des
archives. C'est dans ces conditions qu'ils ont pourtant conclu le compromis en 1983,
engagement international par lequel ils ont saisi la Cour devant laquelle ils ont
formulé des demandes soigneuselnent argumentées
SECTION 1 :
LES OBSERVA110NS RELATIVES AU TEXTE DU
COMPROMIS
Source de la compétence de la Cour, ce compromis de 1983 comporte
quelques lacunes certainement liées au fait qu'il n'a pu comme tout texte juridique,
tout prévoir. De la même manière, il est apparu peu claire sur certains points,
suscitant au sein des parties des interprétations divergentes qu'il convient
d'apprécier.
succession d'Etats. appartenaient à l'Elat prédécesseur conrormémellt à son droit interne et étaient conservés
par lui directement ou sous son contrôle eu qualité d'archives à quelqne fin que ce soit ».
252 Cr. Jean MONNIER. « La C. V. sur 1<1 succession d'Etats en matière de biens, archives et dettes d'Etat»
A.F.D.I. 1984. p. 229.
253 Ont volé contre: La R.F.A .. Belgique, Canada. E.U.A .. France. Israël, Ilalie, Luxembourg, Pays-Bas,
Royaul11e-U ni, Suisse.
Se sont abstenus: Auslralie, Autriche, Danemark. Espagne. Finlande, Grèce, Islande, Japon, Norvège,
Portugal. Suède. cr. A/Conr. 117/SR 10.

175
§1 - Les lacunes du texte du compromis
Deux points seront examinés : les imprécisions du compromis d'une part, et
ses silences d'autre part.
A)-
Les imprécisions du compromis et leurs
conséquences
Elles ne concernent en réalité que l'objet du différend. Les demandes des
parties ont fait ressortir plusieurs tronçons ou secteurs frontaliers (secteur des
quatre villages, secteur du Béli, secteur du Soum et détermination des hauteurs d'un
point orographique) alors que le compromis parle de la frontière litigieuse en des
termes généraux: « La zone contestée est constituée par une bande de territoire qui
s'étend du secteur Kara (Mali) Djibo (Haute- Volta) jusque et y compris la région du
Béli ».
En effet, les imprécisions qui entourent le début et la fin de la frontière ont
conduit le Mali à demander à la Chambre de refuser de statuer sur la position
géographique du Mont N'Gouma en raison des risques d'altération qu'une décision
judiciaire ferait courir au territoire du Niger, pays tiers au procès.
Il invoque à cet effet l'affaire de l'or monétaire albanais. Ce faisant, il
n'excluait pas toute intervention de ce pays dans le procès en cours. Aujourd'hui, la
procédure est close et l'arrêt a été rendu le 22 décembre 1986 sans que le Niger
soit intervenu et sans que le Burkina et le Mali l'aient fait citer.
L'examen de l'arrêt notamment de son dispositif révèle que la Chambre n'a
pas adjugé au Mali ses conclusions sur ce contentieux orographique. Que faut-il en
penser?

17()
Contrairement au juge interne, le juge international peut refuser de statuer en
prononçant un non liquet, s'il constate son incapacité à mener à son terme la tâche
qui lui est confiée. « /1 en sera ainsi s'il se heurte à une impossibilité de fait (souligné
par nous) par exemple si un compromis l'oblige à fixer une frontière d'après la
détermination exacte d'une ligne géographique qui se révèle ne pas exister en
fait »254. Existe-t-il ici une impossibilité de fait à déterminer les hauteurs du Mont
N'Gouma ? La jurisprudence de l'or monétaire invoquée s'applique-t-elle au cas
d'espèce? Pour répondre à ces questions, qu'il nous soit permis de raisonner à titre
hypothétique.
Imaginons le cas où le Niger a adressé à la Chambre une requête à fin
d'intervention; sur quelle base textuelle l'aurait-il faite? Sur la base de l'article 62
du statut de la Cour ou sur la base des dispositions de l'article 63 du même texte?
D'ores et déjà on peut écarter l'article 63 parce que non pertinent. Il ne s'agit
pas d'interpréter une convention internationale. Le Niger ne pouvait donc se fonder
que sur l'article 62. A ce niveau, il est intéressant de noter que deux mobiles
peuvent l'animer.
10 - Il intervient pour la préservation de ses droits.
20 - Son intervention vise la revendication de ses droits avec négation plus ou
moins étendue des droits revendiqués par les parties originaires à l'instance255.
L'ancien président de la C I.J., E.•IIMENEZ De Aréchaga distingue dans son
opinion individuelle dans l'affaire du Plateau Continental entre la Libye et Malte,
l'intervention ad adjuvandum et l'intervention ad excludendum256.
21< Cf. Paul REUTER. Droil h.!!ernation'lLPu\\JJie. (,ème édilion mise ;ijour l '1~n. op. eil. p. 61.
'ss Celle dislinel ion esl faile pa r Giuseppe SPERDlJTI. {( Noies Sil rI' inlcrvent ion dans le procès
inlernational ». A.F.o.!. 1984. p. 277.
256Reeueill'l84. CU. 21 mars 1'184. Requête de l'Italie;) fin d'intervenlion. p.(,?

177
La première forme d'intervention a pour objet d'épauler une partie contre une
autre. Exemple: l'intervention de Fidji contre la France dans les affaires des Essais
nucléaires pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
La seconde est une intervention concurrente du genre de celle de l'Italie dans
l'affaire précitée Libye contre Malte
Au regard de ces formes d'intervention ? On peut penser que si l'une des
parties au procès, en l'occurrence le Mali, souhaitait que le Niger intervienne, c'est
parce qu'il espérait un ralliement de ce pays tiers à sa position comme l'a fait Fidji
dans les affaires des Essais Nucléaires.
Encore faut-il que la requête à fin d'intervention soit recevable car rien ne
permet de penser que la Cour l'aurait accueillie favorablement.
En effet, la Cour a rejeté ces dernières années trois demandes d'intervention
dans des conditions jugées parfois contestables si l'on en croit les opinions
dissidentes qui ont accompagné les arrêts rendus. Il s'agit de l'intervention de Malte
dans l'affaire Tunisiel Libye et de celle de l'Italie dans l'affaire Libye/Malte. Le
troisième rejet semble cependant justifié. Par ordonnance en date du 10 mai 1984,
la Cour a déclaré irrecevable la demande d'intervention de la République d'El
Salvador dans l'affaire des activités militaires parce que cette demande se rapporte
à la phase en cours de l'instance introduite par le Nicaragua elles E.UA 257.
Le dénominateur commun de ces affaires est qu'elles témoignent d'un
malaise dans l'application de l'institution de l'intervention. Ce malaise n'est pas
passé inaperçu chez les juges. Ainsi, à propos du rejet par la Cour de la requête
italienne à fin d'intervention, le juge Ago a soutenu que « la décision relative à la
présente instance pourrait donc sonner le glas de /'institution de l'intervention dans
les procès internationaux, du moins de cette institution telle qu'elle avait été
entendue et définie par les textes pertments ))?:>n
Le juge Schwebel exprima la
m Cf. Rcc. 1lJX4. p. 21 (,.
~,R Rcc. CU. 21 \\lIars )lJX4. Rcqllêlc dc l'Italic:\\ fin dïlllcrvclliioll. Opinioll dissidcnlc. p. 110.

ln
même idée : « l'avenir de l'institution de l'intervention devant la Cour, dit-il semble
bien menacé }/59
Sous cet éclairage, voyons si la jurisprudence concernant l'or monétaire est
pertinente
De prime abord, il existe une analogie dans les attitudes de l'Albanie et du
Niger; jusqu'à la fin de la procédure orale, ces deux Etats n'ont en aucune manière
manifesté le désir d'intervenir dans les procès qui, pourtant, les concernaient. Mais,
examinés soigneusement, les deux situations diffèrent. En effet, si la Cour a décliné
sa compétence dans l'affaire de l'or monétaire, c'est sans doute parce que dans
cette affaire, l'intérêt juridique de l'Albanie, Etat tiers, avait été porté devant la Cour
par les termes de la déclaration de Washington du 25 avril 1951.
Cette déclaration qui est en fait un compromis, définit l'objet du différend et
dispose ce qui suit:
« Les gouvernements de la République française, du Royaume-Uni et des
Etats-Unis déclarent qu'ils acceptent comme défenseurs la juridiction de la Cour aux
fins de statuer sur le recours introduit par l'Italie ou par l'Albanie ou par toutes
deux )}.
Il résulte de ce compromis que l'Albanie était invitée à présenter à la Cour
une requête à fin d'intervention.
Dans ces conditions, en se refusant à statuer comme elle l'a fait, la Cour ne
s'inscrit pas en faux contre ledit compromis. Dans le cas présent, rien de tel n'a été
prévu dans le compromis à l'adresse du Niger. On peut donc se demander à juste
titre si la Cour ne violerait pas la loi des parties si d'aventure, elle renvoyait celles-ci
dos à dos sur le point relatif au mont N'Gouma Une telle décision limiterait l'effet
absolu des traités établissant une frontière. En effet, le Niger est partie au Protocole
d'Accord du 23 juin 1964 qui le lie au Burkina Ce texte qui régit la frontière entre
259 Rec. 19X4. op. cil. op. disscnlc. p. 147.

179
ces deux pays se fonde sur l'arrêté 2336 du 31 août 1927 et de son Erratum du 5
octobre de la même année; ces textes situent le mont N'Gouma au nord du gué de
Kabia, ce que conteste le Mali.
Or, il est bien connu en droit international que les traités établissant une
frontière appelés traités de « disposition» ou traités « réels» dérogent à la règle
res inter alios acta qui limite les effets des traités seulement aux parties (articles 59
du statut de la Cour).
Par conséquent, le Protocole d'Accord de 1964 vaut erga omnes et est de ce
fait opposable au Mali.
Il résulte de ce qui précède que la jurisprudence de l'or monétaire n'est pas
pertinente et qu'il n'existe aucune impossibilité de fait, aucun obstacle dirimant à ce
que la Cour se prononce.
Le second point lacunaire concerne le mutisme du Compromis.
B) - Les silences du compromis
Outre le fait qu'il pêche par imprécision, le Compromis est également resté
muet sur deux points dont l'importance méritait qu'ils soient signalés. /1 s'agit des
mesures conservatoires et du règlement politique du différend par une commission
ad hoc de l'Organisation de l'Unité Africaine
10 - Les mesures conservatoires
Les demandes de mesures conservatoires ont été faites par les deux parties,
ce qui en soit, est un phénomène nouveau. Dès lors, aucun problème de
compétence de la Cour ne s'est posé. En revanche, la situation serait différente si
l'une des deux parties demandait l'indication de ces mesures alors que l'autre
conteste la compétence de la Cour. En effet, des complications surviendraient car le
compromis n'a pas prévu ces mesures ; de plus, on sait qu'en la matière, la

IRn
compétence ne se présume pas Mais la Cour ne serait pas pour autant désarmée
car deux solutions pourraient s'offrir à elle.
- Premièrement, l'article 75 alinéa 1 du Règlement de la Cour dispose que
« la Cour peut à tout moment décider d'examiner d'office si les circonstances de
l'affaire exigent l'indication de mesures conservatoires que les parties ou l'une d'elles
devraient prendre ou exécuter )).
- Deuxièmement, le Compromis étant un engagement international, la Cour
doit pouvoir l'interpréter. Alors elle doit appliquer les méthodes valables pour
l'interprétation des traités.
Ainsi, elle doit prendre le compromis dans son sens le plus restrictif. « Mais,
dans le doute, les clauses d'un compromis par lequel la Cour est saisie d'un
différend doivent, si cela n'est pas faire violence à leurs termes, être interprétées
d'une manière permettant à ces clauses de déployer leurs effets utiles )/60.
Dans le cas présent, le meilleur moyen pour la Cour de permettre au
compromis de déployer «ses effets utiles », c'est d'ordonner le statu quo. Ce
procédé d'interprétation que désigne d'adage « ut res magis valeat quam pereat » a
été adopté par la doctrine et la jurisprudence261 .
- Le règlement politique sous l'égide de l'O.U.A.
Contrairement au conflit de décembre 1985 où le rôle de l'O. UA était limité
sans doute à cause de la présence de l'ANAD, organisation sous-régionale en
matière de défense collective participant au maintien de la paix et de la sécurité
internationale, dans le premier conflit de décembre 1974, elle a, en quelque sorte,
2(,11 cr Geneviève GlJYOMAR: « COlllluentaire du l(è~lelllellt de la CU. »op.ciL p. 251.
2(,' CP.JI. OIU) du l'JaoÎII ln') AlT;liredes/ones rr;lnches. Série A Il'' 22 p. Il. Hec. 1')4'). AITairedu
Détroit de COrrOll, p. 24.
Selon la sentence rendue par "arbitre LARDY entre les Pays-Bas ct le Portugal au slUet de la détcrmination
d'une partie de leurs possessions dans l'Île de Timor. « les conventiOlls entre Elats, comllle cclles entre
partieulicrs, doivellt être interprétées plutôl d,ms le sens avce Ieqllel elles peuvent avoir quelque eITet que dans
le sens avec lequel elles n'en pourraient produire ;IIIC\\ll1 »

181
pris le problème en main. Ainsi, elle créa comme elle l'a fait dans le conflit frontalier
algéro-marocain, une commission ad hoc pour un règlement politique du conflit.
Cette commission ad hoc est une commission de médiation dont la sous-
commission juridique déposa un rapport que le sommet des Chefs d'Etat membres
de la commission entérina.
Ce rapport contenait des conclusions et des recommandations faites sur la
base de considérations juridiques et d'équité. Et il est curieux que le compromis ne
le mentionne nulle part. Est-ce parce qu'il est favorable aux thèses du Burkina? On
est enclin à le penser quand on sait que le Mali avait posé comme condition pour
aller devant une instance internationale, la mise à l'écart ou l'abandon de ce rapport
comme s'il n'avait jamais existé. Ses prises de position antérieures laissaient
présager cette solution. En effet, après avoir signé le communiqué final de la
commission de médiation, le Mali est revenu sur sa position en avançant des
arguments qu'il a repris devant la Cour: à savoir que « juridiquement, ce n'est pas
une décision, et qu'il aurait fallu qu'aux yeux du Mali, ces décisions soient
objectives »262
Puis il dénonce « Le caractère vague de ces recommandations, leur nature
transitoire, inachevée et techniquement imparfaite263 et leur manque de logique
intrinsèque »264
La dureté de ces termes ne plaira sans doute pas au juge M'Baye qui avait
présidé à l'époque la sous-commission juridique. Au-delà de ces conditions
subjectives, il faut noter que même s'il est vrai que le médiateur ne peut faire que
des propositions ou des suggestions aux parties en conflit qui ont seules le dernier
mot, les solutions proposées étant facultatives et non contraignantes, il est vrai
également que le droit international attache des conséquences juridiques au simple
comportement des Etats et aux déclarations des Chefs d'Etat. En affirmant cette
cr. Scntcnce arbitralc du 25 juill 1914. R.S.A. VOIUIIIC XI N.U.. p. 50X.
262 Cf. Contrc-Mémoirc du Mali, p. 23.
263 Ibidcm. p. 24.
2M 1bidclII. p. Z(,.

182
idée, il nous vient à l'esprit que peu avant d'engager son pays par sa signature, le
président Moussa Traoré avait déclaré le 11 avril 1975 à l'Agence France-Presse:
« Même si la Commission de /'0. u.A. décide objectivement que la frontière passe
par Bamako, le gouvernement que je préside s'inclinera devant la décision ».
Minimisant la portée de cette déclaration le conseil du gouvernement malien
soutint qu'elle n'était qu'une « boutade »265
Le Droit International distingue en pareil cas la volonté déclarée et la volonté
réelle mais pour des raisons de sécurité dans les relations internationales, il retient
la volonté déclarée si ironique soit-elle. Cela nous parait normal car scruter le fond
de la pensée des Etats pour découvrir leur volonté réelle, relève de la gageure. Des
difficultés subsistent cependant car il n'existe pas en droit international de critères
objectifs permettant d'apprécier à partir de quel moment un Etat est engagé par son
comportemene66.
De ce qui précède, il résulte que les représentants des Etats doivent faire
attention à leurs déclarations publiques ou privées et aux engagements auxquels ils
souscrivent car une fois l'engagement pris, ils doivent faire preuve de bonne foi267
dans son exécution. Et comme l'a soutenu M. Alfaro dans son opinion individuelle, «
un Etat partie à un litige international est tenu par ses actes ou son attitude
antérieure, lorsqu'ils sont en contradiction avec ses prétentions dans ce litige ,/68.
Il est vrai que l'article 38 du statut de la Cour ne cite par les actes unilatéraux
parmi les sources du droit, mais la Cour, en tranchant des différends ne peut
négliger de telles sources. La Chambre pourra-t-elle alors ignorer l'engagement pris
par le Mali d'accepter au début le rapport de la Commission de Médiation ? La
265 Cf. Contre-Mémoire du Mali, p. 22.
266 Cf. Philippe CAHIER; «Le comportement des Etals comme source de droits ct d'obligations». Mélanges
Guggenheim 1968, p. 2(,5.
267 Jean-Didier SICAULT. « On caractère obligatoire des engagements Imilaléranx en 0.1. P. « R.G.D.I.P.
1979, III, pp. (,77 il (,8(,.
Gian Carlo VENTURINI. « La porlée ct les eITetsjuridiqnes des :lltilndes cl des actes nnilatéraux des Etats».
R.C.A.D.1. 1964. II. Vol. 112, pp. %7-4(,1.
268 Cf. Rec. 1%2 C.U. , Affaire du Temple de Préah Vihear. p. 39 cl suiv. Dans la même sens « Nnl ne saurai!
sOllffier" la rois le chaud ct le rroid ». Cf. 1.P. COT. « La conduite subséqnente des parties" lin traité ».
R.G.D.I.P. 1%6'! N"3, p. 653.

18)
réponse est positive car rien dans le compromis qu'elle a la charge d'appliquer et
d'interpréter, ne lui permet le contraire.
§2 - L'internrétation divergente du compromis QM
les parties
Au stade actuel de l'application du compromis, les parties ne sont pas
parvenues à se mettre d'accord sur les dispositions de ce texte se rapportant à la
règle applicable au différend (notamment à la portée de celle-ci) ainsi qu'à l'étendue
des pouvoirs confiés à la Cour pour accomplir sa mission.
A) - La règle applicable_ (cf. supra)
B) - La mission de la cour
Selon l'article 38 du statut de la Cour, la mission de la Cour est de régler
conformément au droit international les différends qui lui sont soumis.
En l'espèce, le Burkina et le Mali ont porté devant elle un différend territorial à
la suite de la conclusion d'un compromis qui précise sa mission, à savoir régler ledit
différend sur la base du principe de l'intangibilité des frontières coloniales. Loin
d'êtr.e exorbitants, les pouvoirs qui lui sont accordés à cet effet connaissent des
limites qu'il convient d'examiner.
Ainsi qu'il résulte du compromis, les parties n'ont pas donné à la Cour le
pouvoir de statuer exaequo et bono, pas plus qu'elles ne l'ont autorisée à appliquer
l'équité dans son acception générale. Mais elles semblent d'accord pour que la
Haute Cour fasse application de l'équité infra legem. De ce fait, cette mission se
trouve circonscrite autour du droit international.

184
On peut cependant se demander si certains termes du compromis ne laissent
pas à la Cour la possibilité de se référer à toute considération pertinente, Exemple:
le Préambule souligne que le règlement du différend est fondé « notamment»
(souligné par nous) sur le respect du principe de l'intangibilité des frontières; plus
loin, l'article 112C permet à la Chambre d'exiger toute autre pièce de procédure jugée
nécessaire.
Il semble néanmoins exclu que la recherche de l'équité soit le but de sa
mission.
On se rappelle que dans certaines affaires relatives aux délimitations
maritimes, les arbitres se sont fixés un tel objectif269 Il semble également exclu que
la Cour tienne compte des considérations extrajuridiques. Elle doit se prononcer sur
des demandes précises et n'a pas à peser la gravité des conflits d'intérêts qui les
suscitent, ni à envisager leurs incidences futures 27D
Aussi doit-elle répudier les arguments fondés
sur des considérations
économiques historiques et ethniques invoqués dans la présente affaire, D'ailleurs,
sa jurisprudence a eu déjà l'occasion de rejeter ce type d'arguments dans maintes
affaires.
Ainsi, dans l'affaire du Temple de Preah Vihear, la Cour note que « les parties
ont également invoqué d'autres arguments de caractère géographique, historique,
religieux et archéologique,
mais la
Cour ne saurait les considérer comme
décisifs)} 271.
269 Cf. Scntcnce du 14 février ]985 relative;\\ l'affaire précilée dcs deu~ Guiuées. ~G.D.LE. )985. Il, p. 521 87
ct§ p. 530,
Dans Ic même sens. voir les observations de 1.P. QUENEUDEC daus l'affaire de la délimitai ion du plateau
continenlal entre la France ellc Royaumc-Uni. Cf. !.LçJ)Lr~ 1<)79. 1. p. 71
François MONCONDUIT. « Affaire du plalean continental de la Mer du Nord RFA/Danemark (RFA/Pays-Bas.
Arrêt du 20 février }%9. A.F.D.!. 1%9. pp. 240-241.
'''' Charles DE VISSCIIER. « Aspects récents du droit procédural de la CU »op..<;!l. p. 10.
271 Recueil 1962. p.15.

IS'i
Dans l'affaire du Golfe du Maine, il ressort de l'arrêt rendu ce qui suit: « 1/ est
donc évident, aux yeux de la Chambre que l'ampleur respective de ces activités
humaines liées à la pêche ou à la navigation, à la défense, ou d'ailleurs à la
recherche et à l'exploitation d'hydrocarbures, ne saurait entrer en considération en
tant que circonstance pertinente ou si l'on préfère, en tant que critère équitable à
appliquer à la détermination de la ligne de délimitation »27Z
En effet les dangers que présente l'invocation des facteurs ethniques comme
base de revendications territoriales sont grands, surtout dans un continent comme
l'Afrique où des ethnies naguère homogènes sont éparpillées dans plusieurs
territoires relevant de souverainetés différentes.
Ces considérations que le Burkina qualifie de « titres ethnographiques»
risquent de remettre en cause la souveraineté de tous les Etats273 en Afrique. Ces
menaces ont été déjà soulignées à l'occasion du différend frontalier sino-indien où la
Chine a invoqué entre autres l'appartenance à la nationalité tibétaine des habitants
de la zone litigieuse274
Telles sont les limites de la compétence de la Cour.
La mission de la Cour, avons-nous dit, consiste à régler le différend sur la
base du droit international, mais qu'est-ce-à-dire ? Doit-elle procéder uniquement à
la délimitation de la frontière litigieuse, ou son rôle consiste-t-il à déterminer
l'appartenance de masses territoriales?
Ces questions éveillent la distinction entre les conflits relatifs aux frontières et
ceux qui concernent l'attribution d'un territoire. Les parties ont longuement discuté
de ce point et semblent d'accord pour affirmer qu'il s'agit d'un conflit de frontière.
Cette conclusion est d'autant
plus juste que la contestation sur la frontière se
272 cr Reeueil l'iX4. op. cil. p. 142 ~2.17.
m Pour le Burkiua. tenir eomple de ees titres. e 'est « ouvri ria boÎle de Pandore des règlements territoriaux en
Afriqnc et remettre sérieusement en canse la slabililé des froutières africaines. cr Conlre-Mémoire de ec pays,
~1}~r. 1. LUCCHINL « Aspeetsjuridiqncs de la frontière sino-iudienne». i\\Y.DJ~ )%1. p. 2XX.

186
présente toujours comme un débat sur une zone territoriale donnée275. Inversement,
la contestation sur l'attribution d'un territoire donné débouche sur le tracé d'une
frontière. De ce fait, en délimitant la frontière, la Cour détermine du même coup
l'appartenance de masses territoriales.
En conclusion, et compte tenu du caractère particulier de la zone litigieuse
(désert renfermant quelques mares pérennes), la Cour a choisi pour des raisons
d'ordre humanitaire et économique, la limite hydrographique. Dans l'affaire des deux
Guinée,
le tribunal n'a-t-il pas déclaré que « les frontières fixées par l'homme ne
devraient pas avoir pour objet d'augmenter les difficultés des Etats ou de compliquer
leur vie économique }/76
Cette note de probabilité met ainsi fin aux observations relatives au texte du
compromis ; reste à examiner la valeur à attacher aux actes invoqués par les
parties.
SECTION Il : LA VALEUR DES PREUVES SOUMISES A LA COUR
Les parties ont invoqué de nombreux arguments par lesquels elles
revendiquent la souveraineté dans la région litigieuse; il convient de les apprécier.
Le Mali,
on
l'a
vu,
a concentré
son argumentation
sur
les
textes
réglementaires (l'arrêté général 2728, l'arrêté général du 31 décembre 1922,
l'Erratum à l'arrêté général de 1927), les effectivités invoquées notamment dans le
secteur des quatre villages et, subsidiairement sur les cartes géographiques.
Quant au Burkina, il a attaché un grand poids à la loi de 1947, à la lettre-
circulaire
191
CM2,
aux
cartes
et
d'une
manière
secondaire
aux
actes
d'administration coloniale dans le secteur du Béli.
0" Cf. Suzanne BASTID. « Les problèmes lcrriloriau.~ dans la .Il1rispmdencc de la c.u. ». B,.c.A.QJ-,- 1962.
Tome 1I1, p. 452.
276 Cf. RG.D.LP. 1985, op. cil., p. 5.12 ~ 12.1

IX7
C'est sur ces divers points de droit que bute le présent débat. A ces points, il
faut ajouter un autre point
la question des frontières hydrographiques et des
frontières résultant des cartes.
Toutes ces preuves soumises à l'appréciation de la Cour sont-elles efficaces
et concluantes ? Quelle valeur peut-on leur attribuer? Nous nous proposons de
répondre à l'ensemble de ces questions en respectant le tableau thématique suivant
- les effectivités,
- la valeur abrogatoire de la loi de 1947 et l'autonomie de l'arrêté général
2728,
- les preuves tirées des documents cartographiques,
-les interrogations sur les frontières naturelles et les frontières artificielles.
§1 - Les « effectivités»
Le territoire revendiqué par les parties n'est pas terra nu/lius. Il a toujours
appartenu à un souverain mais le tracé de la frontière est imprécis d'où la
cristallisation actuelle des oppositions. Pour prouver leur titre de souveraineté, les
parties ont invoqué des actes d'administration effective.
II a été souligné plus haut qu'elles se sont mises d'accord pour ne considérer
que ce qu'elles appellent « les effectivités coloniales}) ; en d'autres termes, il s'agit
de l'exercice effectif des compétences territoriales à la période coloniale.
Ce recours à l'effectivité ainsi d'ailleurs qu'aux cartes, s'explique de toute
évidence par l'insuffisance ou l'imprécision des titres écrits et par le fait que
l'effectivité est un élément essentiel pour établir la validité des compétences
étatiques 27l De plus, l'on sait en général que lorsque les limites géographiques de
deux Etats n'ont pas été fixées par voie conventionnelle, c'est au principe de
m cr Jean TOUSCOZ, « Le principe d'clTeclivilé d,lns l'ordrc inlcrJIalional ». L.GD.J. 1%4, p. 223.

188
l'effectivité qu'il est fait appel pour déterminer l'étendue géographique de leur
souveraineté.
Les actes d'administration invoqués par le Mali concernent le secteur des
quatre villages notamment le village de dionouga Ce sont essentiellement des actes
électoraux, juridictionnels, d'administration courante ou usuelle et le voisinage des
hameaux de culture des villages litigieux, etc.
Quant au Burkina, il a fait valoir dans le secteur du Béli les rapports et
comptes-rendus de missions effectuées par les administrateurs de l'époque
coloniale pour prouver la façon dont ceux-ci ont vécu la frontière.
Bien que significatifs, tous ces actes n'ont pas aux yeux des parties, la même
importance en tant que moyen de preuve compte tenu de leur désaccord sur la
qualification du conflit territorial qui les oppose. Ainsi, pour le Mali leur rôle dans ce
procès est incontestable. Cette position tranche avec celle du Burkina pour qui les
manifestations de souveraineté tiennent une place peu prépondérante dans les
conflits de délimitation.
Il est à noter que les deux Etats revendiquent concurremment l'exercice de la
souveraineté dans un territoire désertique parsemé de quelques points d'eau qui
attirent les populations
nomades des deux pays.
Bien qu'exceptionnel, le
sédentarisme existe surtout dans le secteur occidental de la frontière.
Ces précisions s'imposent parce que « l'intensité de l'exercice des attributions
étatiques doit être mesurée par rapport aux circonstances concrètes. Si le territoire
est faiblement peuplé ou sans habitants permanents, on ne saurait exiger la même
manifestation d'un exercice de droits souverains que dans les cas où le territoire a
une population permanente et importante »278.
Du fait de son caractère sahélien, le territoire contesté ne peut être un lieu de
concentration de populations. Cette situation explique sans doute l'insuffisance de la

1X')
présence effective du Burkina dans le secteur des quatre villages. Malgré tout, il
importe de signaler que ce pays a toujours l'intention et la volonté d'agir en qualité
de souverain. La présence massive de ressortissants maliens dans la zone n'y
change rien. Le Burkina estime que c'est pour des raisons de bon voisinage et
surtout d'ordre humanitaire liées à l'existence des mares qu'il a toléré ces
populations maliennes. Si ces attestations sont prouvées, elles signifient que le Mali
ne doit exercer aucune compétence sur son territoire quels que soient la durée et
les caractères de la présence de ses ressortissants dans ladite zone.
Dans ces conditions, le Mali ne peut faire appel à la théorie de la
prescription(79) ; de la même façon, sont inopérants les témoignages des notables
et la tradition orale.
Que peut faire la Cour? Deux attitudes sont possibles.
- Dans l'hypothèse où elle retiendrait le point de vue développé par le
Burkina, elle devrait privilégier les titres écrits car dans les différends de frontière
« Foi est due au titre »(280).
C'est ce qu'elle a fait dans l'affaire relative à la souveraineté sur certaines
parcelles frontalières où elle n'a pas hésité à écarter l'effectivité néerlandaise qui
était pourtant réelle en faveur de la lettre explicite de la Convention du 8 août
1843(81).
Elle adopta la même attitude dans l'affaire du Temple de Préah Vihear. Dans
cette affaire, le Cambodge, partie demanderesse, a invoqué un titre juridique fondé
sur les travaux de la Commission mixte de délimitation des frontières entre le Siam
et l'Indochine française effectués en application des dispositions d'une Convention
du 13 février 1904.
'iR cr. Max SORENSEN. « Prillcipcs dc droil illlclllaliollalpllhlic ». R,c:.f\\Jl.!.. )<)(,0. III. p. 14<).
279 ccllc théorie proprc snrlonl au droil privé est rarement employée par la jurisprudence récente. Cr. Roger
PINTO. ({ La prescriptioll ell droil illlelllalioll;ll» !t.Ç.i\\.D.!. 1()~.'i.1 Vol. X7, pp. 1<)7-1'JX.
2"" cr. Charles DE VISSCHER. « La rechcrche de l'eITectivilé clans les principales orienlations de la
jurisprudencc inlernalionale » ..t\\.:télangçsJ!!.lgge~n.hçil!l I%X, p. 7(,1.
'~I cr. Reclleil l'i.'i'), p. 22'.1

1<)l)
La Thaïlande qui occupait effectivement le territoire contesté, s'est fondée sur
son comportement à l'égard dudit territoire mais la Cour ne l'a pas suivie. Elle a
estimé que la carte établie par la Commission de délimitation situait le temple en
territoire cambodgien ; et comme cette carte n'a jamais suscité de protestations
expresses de la part du gouvernement thaïlandais, la Cour conclut que celui-ci l'a
acceptée.
Dans le cas d'espèce, les titres écrits auraient pu permettre à la Cour de
trancher le différend s'ils étaient précis et suffisants; or, ce n'est pas le cas. Par
conséquent, elle ne peut s'empêcher d'examiner la valeur des autres moyens de
preuves dont l'effectivité.
- Dans l'hypothèse où elle épouserait le point de vue malien, elle devrait
prendre en compte les actes d'administration et ne pas perdre de vue les affaires où
ces éléments ont été pris en considération.
- Dans l'affaire du Groënland oriental, la Cour a reconnu que la souveraineté
danoise a été exercée pendant de longues périodes, d'une manière publique et avec
la reconnaissance de tous les autres Etats sans protestation de la Norvège.
- Dans l'affaire de l'Ile de Palmas282, l'arbitre Max Huber a conclu que « le titre
de souveraineté des Pays-Bas, acquis par l'exercice continu et pacifique de l'autorité
étatique pendant une longue période de temps, qui remonte probablement au delà
de 1700, reste donc valable »283
- Dans l'affaire des Minquiers et Ecrehous, la Cour attacha « en particulier,
valeur probante aux actes qui se rapportent à l'exercice de la juridiction et de
l'administration locales, ainsi qu'à la législation »284
2R2 Lcs P'lys-Bas onl rondé Ienrs prétenlions sm I"crrcclivilé elles ~tals-Unis. sur des titres de la déeouvertc, de
la reconnaissance par lraité cl de la eontigllilé
2R\\ cr Arrairc l'allll;15. np. cil. p. 200.
2"·' La Cour devait exalllincr les litres lIIédiév;llIX de la Francc èl de la Grandc-llretagnc rclatirs ù dcs groupes
d'î1ols cl de rochers. Rccucil 1<)51. p. (,5.

1C) 1
- Enfin, dans l'affaire du différend frontalier entre le Vénézuela et la Colombie,
la Reine Régente d'Espagne a rendu le 16 mars 1891 une sentence par laquelle elle
reconnaît l'effectivité colombienne.
Dans toutes ces affaires, l'exercice de la souveraineté a constitué un titre
parce qu'il a été prolongé, ininterrompu, paisible, public et incontesté. En va-t-il de
même de l'effectivité malienne? Si elle est réelle, elle n'a jamais été paisible et
incontestée. En effet, les écritures montrent que le Burkina a toujours élevé des
protestations contre les actes de souveraineté posés par le Mali sur son territoire. Le
fait que les commandants de Cercle de Gao (Mali) et de Dori (Burkina aient institué
une autorisation de transhumance dans les années 1949 pour empêcher ou
réglementer l'émigration sur les rives du Béli des bellahs venus du Mali, le prouve.
Il ne peut donc être reproché au Burkina d'avoir acquiescé aux actes de
souveraineté prétendûment exercés par le Mali. Il est clair que toute inaction de sa
part lui aurait rendu opposable la situation de fait créée par le Mali285. Tout ceci
montre que l'effectivité n'est pas une règle absolue et impérative. Les contestations,
les protestations, les oppositions et les résistances constituent ses limites.
Dans ces conditions, la théorie de l'occupation effective ne peut constituer un
argument de poids dans ce conflit comme il a été soutenu286. Il en va de même de la
prescription.
De toutes façons, l'insuffisance de la présence effective du Burkina dans
cette partie de la zone litigieuse n'implique pas que sa souveraineté est éteinte.
Cette situation n'est pas inconnue de la jurisprudence internationale. En effet, juges
et arbitres ont jugé que le non-exercice de la souveraineté sur une partie d'un
territoire n'est pas forcément synonyme de l'abandon de celui-ci.
28' Sur les effets de lïnaelion d'un Etat faee;\\ une situation de fail. voir Jean Bi\\Ri\\LE : « L'aequiesccmenl
dans la jurisprudencc inlernalionale » 6J'.QL 1')(,). Il 197 cl ,~
cl Ch. DE VISSCHER. Problèmes d'inlç!J!rÇlalio!üuùiciairccu DrOlllnlcIIlali()'!<IU'J!9Iic. Pédone 1%3, pp.
J65-IRI.
2'0 Cr. Yaya DüUMBlA. Le règlellleni pacifIque des eQ!!IliJs~e fronlLère enlre le Mali Clics Elals Iimilrophes
gans le eadr.e de~m:i![Çip_e,s-ll"ç~JmIj'Q~lJj~. Thèse 1èllle cycle Panthéon-Sorbonne 1975, p, 6R.

192
- Dans l'affaire de l'ile de Clipperton, la France n'a pas procédé à une
occupation effective de l'île, mais l'arbitre lui a attribué ladite île. Pour justifier cette
décision, l'arbitre affirme « qu'il n'y a aucun motif d'estimer que la France ait
ultérieurement perdu son droit par derelictio puisqu'elle n'a jamais eu /'animus
d'abandonner l'ile, et le fait de n'y avoir pas exercé son autorité d'une manière
positive,
n'implique pas la
déchéance
d'une acquisition déjà
définitivement
achevée »28?
- Dans le même sens, Max Huber note dans l'affaire de l'île de Palmas :
« Quoique continue en principe, la souveraineté ne peut pas être exercée en fait à
tout moment sur tout point du territoire. L'intermittence et la discontinuité compatibles
avec le maintien du droit diffèrent nécessairement suivant qu'il s'agit de régions
habitées ou inhabitée »288.
\\1 faut de plus noter que sur ce point, la pratique internationale admet de
manière constante que la souveraineté d'un Etat puisse être définie sur certains
points de la frontière tandis qu'elle resterait indéfinie sur d'autres289 .
- Enfin, dans l'affaire du Groënland oriental, la C.P.J.1. a déclaré: « Quant à
l'abandon volontaire allégué par la Norvège, rien ne témoigne d'une renonciation
précise de la part des rois de Norvège ou de Danemark »290.
En conclusion, toutes ces preuves tirées de l'effectivité sont relatives; elles
ne concernent pas tous les secteurs de la frontière contestée. De ce point de vue,
elles ne sont pas décisives et ne peuvent à elles seules conduire à une solution
finale satisfaisante du différend.
2R7 Sentence du 28 jauvier 1931 au sujet du dilTércnd relatif;\\ la souveraineté sur l'île de Clipperton
France/Mexique. ItCLD.I.P, 1932, op eil. pp. 13 1-132.
2RR Cr. R.G.D.I.P. 1935, op. eil., p. 165.
2R9 Cf. A. DE LA PRADELLE et N. POLlTIS. « L'indivisibilité de la frontière et le eonflit eolombo-
vénézuélieu ». R.GJ;>JE~ 1ni. p. 44.
Dans le même sens, voir D. BARDONNET. « De la densification des frontières terrestres en Amérique
Latine ». Mélanges C.A. Colliard. A. Pédol1e 191;4. p. 6.
29<' c.P.J.!.. arrêt du5 avril19D. série AIB 11°53. p. 47.

193
L'autre moyen de preuve qu'impose l'imprécision ou l'insuffisance des textes
est l'élément cartographique.
§2 - La preuve tirée des cartes géographi~291
Dans tous les conflits territoriaux, les Etats invoquent toujours des cartes à
l'effet de prouver leur souveraineté territoriale mais le poids qu'ils attachent à ces
documents est variable et dépend des indications géographiques que ceux-ci
fournissent.
Leur utilisation dans les différends frontaliers n'est donc pas un phénomène
nouveau. La jurisprudence internationale a d'ailleurs eu l'occasion, à maintes
reprises, de se pencher sur leur autorité. Elle estime en général qu'elles ont une
valeur limitée.
Dans la présente affaire, les parties n'ont pas failli à la tradition; elles ont en
effet présenté de nombreux documents cartographiques (plus d'une centaine).
Pouvaient-elles d'ailleurs se passer de ces matériaux devant les lacunes des textes
? Non. Ce recours aux cartes laisse penser a priori que les deux parties voient en
elle un moyen de preuve mais, en réalité leur comportement ou leur attitude à
l'égard de la cartographie est différent. Avant d'apprécier la valeur juridique de ces
documents à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence, il est bon de s'arrêter
un instant sur ledit comportement.
A) - L'attitude des parties vis-à-vis de
la cartographie
L'attitude des parties à l'égard de ces documents n'a pas été uniforme. Des
différences notables ont été constatées à un double plan: au niveau du principe du
- - - _ . _ - _ . _ - -
291 Sm la valeur des caries, voir la bibliographie iudiquée par le proresseur Ch. Rousseau. D.I.P. Les
compétences, tomes Ill. Sirey 1977, pp. 24(,-249.

1()4
recours à la cartographie dans les procès internationaux et au niveau de l'utilisation
concrète des cartes dans la présente espèce.
Sur le premier point, tandis que le Burkina attache une importance
considérable aux cartes comme moyen de preuve de la souveraineté territoriale d'un
Etat, à certaines conditions (caractère officiel de leur origine, impartialité ou
objectivité dans leur établissement, indications géographiques concordantes), le
Mali exprime des réserves quant à leur usage. Il a été néanmoins obligé de les
utiliser.
Mais le plus important est sans aucun doute le second point. En présentant
dans leur jeu de cartes, des cartes qui confirment les thèses de l'adversaire, les
parties ont fait preuve de loyalisme. Mais cela n'a pas empêché leur utilisation
subjective, ce qui nous paraît de bonne guerre, car il est normal que chaque partie
invoque les cartes qui lui sont favorables et rejette celles qui ne cadrent pas avec
ses prétentions territoriales.
Il est cependant paradoxal qu'un Etat combatte des cartes déterminées dont il
juge les indications erronées ou dépourvues de valeur et les cite à l'appui de sa
thèse. Ces incohérences ou ces discordances sont apparues à l'occasion de
l'utilisation par les parties de la carte de l'IGN français au 1/200000 de 1960. Cette
carte a la caractéristique de donner à la fois tort et raison à chaque partie. En effet,
dans le secteur des quatre villages, elle est favorable au Burkina et défavorable au
Mali. En revanche, c'est le contraire qui s'est produit dans le secteur du Béli.
Indépendamment de cette remarque qui vaut pour les deux parties, de
nombreuses cartes ont été jugées douteuses, voire erronées par le Mali. C'est
notamment le cas de la carte des colonies de l'A.O.F. Soudan-Haute-Volta - feuille
Hombori et Ansongo au 1/500 000 de 1925 établie par la société géographique de
l'A.O.F., édition Blondel La Rougery Paris; c'est également le cas de l'Atlas des
Cercles, et de la carte au 1/1 000 000 relative à la nouvelle frontière de la Haute-
Volta et du Niger, et établie suivant l'erratum du 5 octobre 1927 et de l'arrêté
général du 31 août de la même année.

19S
B) - Valeur juridique des cartes utilisées
Bien qu'elles soient des moyens de preuve, les cartes ont en général une
valeur relative et non absolue, mais dans certaines conditions, la jurisprudence
internationale les prend en compte.
Pour Charles De Visscher, les circonstances qui sont le plus généralement
prises en considération sont les suivantes:
« Les garanties d'exactitude géographique intrinsèque de la carte, l'échelle à
laquelle la carte a été dressée, sa précision au regard des points contestés,
l'impartialité des informations utilisées par ses auteurs, la publicité qui lui a été
donnée, les circonstances qui ont entouré sa communication aux gouvernements en
litige,
l'utilisation que ceux-ci en ont faite,
leur comportement à ce sujet,
particulièrement la connaissance qu'ils en avaient lors des négociations ou au
moment de la conclusion d'un instrument juridique le plus souvent d'un traité de
frontière »292
Dans le même ordre d'idées, L. LUCCHINI souligne que les cartes sont
reconnues en droit international comme un mode de preuve pouvant établir
l'exactitude des revendications territoriales mais la jurisprudence internationale
exige comme qualités essentielles leur exactitude géographique et le caractère
officiel s'attachant à ce documene93.
Dans l'affaire des parcelles frontalières, la carte a été prise en compte parce
qu'elle était annexée à la Convention de 1843, laquelle lui attribue la même force et
la même valeur qu'à une disposition conventionnelle294
2n Cf. ProblclIle de confins en droit inlernnlional public. op. cil. p. 4(,.
293 Op. cil. p. 284.
294 Opinion dissidente de M. Armand-Ugon. Ree. 1959. p. 24(,.

196
Dans l'affaire du Temple de Préah Vihear, la Cour a également reconnu
valeur probante à la carte établie par la Commission mixte de délimitation non pas
pour ses éléments intrinsèques mais en raison des circonstances qui ont entouré
l'acceptation par les parties du tracé de la frontière qui y figure: « Même s'il existait
un doute sur l'acceptation par le Siam en 1908 de la carte, et par conséquent de la
frontière qui est indiquée, la Cour, tenant compte des événements ultérieurs
considérerait que la Thaïlande, en raison de sa conduite, ne saurait aujourd'hui
affirmer qu'elle n'a pas accepté la carte »295
Il est cependant des cas où les cartes n'ont pas été considérées. Les juges et
les arbitres témoignent en effet une grande circonspection à l'égard de l'utilisation
de ces documents. Dans l'affaire Palmas par exemple, Max Huber a déclaré: « En
tout cas, une carte ne donne qu'une simple indication et encore très indirecte... »296.
De ce qui précède, il résulte que la force probante des cartes est affaire
d'espèce.
Pour en revenir au cas présent, les cartes invoquées par les parties ont pour
la plupart, été établies par le service géographique de l'A.O.F. ou l'IGN français,
donc par l'ex-puissance coloniale. Leur caractère officiel et impartial ne fait donc pas
l'ombre d'un doute. Mais leurs indications géographiques sont-elles exactes?
Dans le secteur des quatre villages où les oppositions sont plus fortes, de
nombreuses cartes situent de manière constante ces localités en territoire burkinabé
plus qu'en territoire malien. A titre indicatif, citons les cartes des colonies de l'A.O.F.
de 1925 au 1/500 000 édition Blondel La Rougery Paris, l'Atlas des Cercles de
l'A.O.F. édition de 1926, la carte de l'A.O.F. de 1925 au 1/3 000 000, la carte I.G.N.
au 1/200 000 de 1960297 etc...
295 Recueil \\ 962, p. 12.
296 Cf. Sentence. op. cil. , p. 181.
297 Celle dernière enrle a été élnblie;\\ pnrtir de photographies aériennes, sa lIabilité est donc plus grande.

197
Deux documents cartographiques situent lesdits villages en territoire malien.
Ce sont:
- la carte du Gourma au 1/1 000 000 - édition incertaine 1900 ou 1901.
- et le croquis sur le Niger moyen établi par le lieutenant Desplagnes le 15
août 1905 au 1/1 000 000.
Du fait que ces cartes sont concordantes et corroboratives, le Burkina n'a
plus hésité à les qualifier de « titres juridiques ». Eu égard à la valeur limitée qui est
attribuée aux cartes, cette terminologie peut paraître hardie parce qu'inhabituelle
dans la jurisprudence internationale. Elle mérite cependant une attention particulière
parce qu'elle ne s'applique qu'à un type de cartes déterminées invoquées dans un
contexte marqué par les incertitudes des textes écrits. Leur autorité ou leur force est
d'autant plus grande que certaines d'entre elles sont le reflet de textes écrits. C'est
le cas par exemple de la carte au 1/500 000 de 1925 imprimée par Blondel La
Rougery qui est conforme à la lettre-circulaire 191 CM2. Cette lettre parle d'elle-
même, même si sa valeur juridique n'est pas évidente. Si les cartes annexées à des
textes réglementaires (à l'arrêté général 2728) et si la loi de 1947 reconstituant la
colonie de Haute-Volta était accompagnée d'une carte, les parties n'en seraient pas
là aujourd'hui.
Ces insuffisances ne sont pas de nature à faciliter la tâche de la Cour.
§3 - La force abrogatoire de la loi de 1947 ou la
survivance de l'arrêté général 2728 AP
Ces deux points ont été l'objet d'une abondante argumentation de la part des
deux Etats.
En ce qui le concerne, le Mali, fonde ses prétentions territoriales sur l'arrêté
général 2728 qu'il considère comme le seul titre juridique dans le secteur des quatre
villages.

19X
Aux dires de ce pays, ces villages ont toujours appartenu aux cercles maliens
de Hombori et de Bandiagara. Pour le prouver, il fait d'abord observer que l'arrêté
2728 n'a pas servi après 1935 et tire la conclusion que c'est le seul texte existant
dans la règion. Ensuite, s'appuyant sur le droit administratif notamment sur la
théorie de l'acte unilatéral, le Mali considère d'une part que le fait que le décret de
1932 supprimant la colonie de Haute-Volta n'ait pas été cité dans les visas de
l'arrêté 2728, est une preuve suffisante que celui-ci est autonome et indépendant
par rapport à la loi de 1947 ; il estime d'autre part au sujet des pouvoirs propres
d'une autorité administrative inférieure, qu'aucune autorité supérieure n'a pu se
substituer au gouverneur général, auteur de l'arrêté litigieux, pour réformer ou
mettre fin aux effets de ce dernier.
De son côté, le Burkina ne cesse de soutenir que cet arrêté a été purement et
simplement abrogé par la loi de 1947 Pour consolider cette position, il considère
que si la puissance coloniale a jugé opportun de prendre l'arrêté général 2337
INT/AP1 du 6 mai 1949 pour incorporer les cantons de Menamba et de Mahou au
Cercle malien de Koutiala, c'est qu'à la différence des quatre villages contestés, ces
cantons appartenaient originairement au Mali. Rappelons que ces cantons avaient
été détachés de ce Cercle par l'arrêté général du 16 décembre 1933 pour être
rattachés à la subdivision de Nouna du cercle de Tougan. Et dans l'esprit du
Burkina, aucun texte n'a été pris pour régler le sort des quatre villages parce que
ceux-ci ont réintégré automatiquement le territoire dela colonie de Haute-Volta dès
la promulgation de la loi de 1947.
Il invoqua d'autre part « les acquiescements maliens» du Rapport de la sous-
commission juridique de la Commission de médiation de l'O.U.A. Ce rapport, on se
souvient, a été conforté par le Communiqué final du 10 juillet 1975 par lequel les
chefs d'Etats réunis à Conakry « saluent les efforts déployés et les résultats obtenus
par la Commission de médiation de l'O. UA. et affirment leur volonté commune de
tout mettre en oeuvre pour dépasser lesdits résultats notamment en facilitant la
délimitation de la frontière séparant les deux Etats afin de sceller définitivement leur
réconciliation ii.

199
La question que l'on est en droit de se poser au terme de ces rappels est la
suivante: le législateur de 1947 a-t-il vraiment abrogé l'arrêté général 2728 ? La
réponse à cette question nous conduit à des considérations tirées du droit interne
français qui, ne l'oublions pas, est la dominante de la présente affaire.
C'est le droit administratif français qui est principalement visé.
Une
constatation s'impose. L'abrogation qu'il faut prouver n'est pas expresse mais tacite.
Avant de pousser loin l'analyse, il convient de la définir. L'abrogation est tacite
lorsque le législateur édicte un texte contraire aux dispositions antérieures, sans
préciser qu'il les abroge298. Deux idées sont sous-jacentes à cette définition : la
contrariété avec les dispositions antérieures ou l'incompatibilité du texte ancien avec
le nouveau.
C'est précisément cette antinomie qui préside aux rapports entre la loi de
1947 et l'arrêté général 2728. En effet, si cet arrêté devait survivre, cette loi ne
pourrait plus rassembler ce qui a été désagrégé.
Lié à la question centrale qui est débattue, un autre point soulevé mérite
d'être éclairci. Il s'agit du moyen tiré de l'absence du parallélisme des formes. Le
Mali estime en effet que l'inobservation de ce principe fondamental du droit
administratif français, signifie que l'arrêté 2728 est autonome par rapport à la loi.
Les spécialistes de ce droit savent tous que pour l'abrogation d'un texte
réglementaire, ce principe doit être respecté sous peine de violation d'une formalité
substantielle. Mais il ne faut pas prendre cette exigence au pied de la lettre car la
compétence pour prononcer l'abrogation n'appartient pas seulement à l'auteur de
l'acte initial. Elle peut également appartenir à des autorités supérieures299. Cette
298
Cf. MAZEAUD. Leçons de droit civil. Introduction Ù l'éln<1.s:_<1!IAr!l!t. Tome 1. 8ème édition 1986, p. 120.
V. également Encyclopédie Dalloz - Droit Civil Y. Les Prêts, n° 115. Très souvent est absente la formule
terminale fréquente: « les dispositions contraires i\\ la présente loi (Oll décret) sont abrogées. Cf. Jurisclasseur
de Droit Administratif 1986, fase. 105, n095.
299 Cf. J.M. AUBY « L'abrogation des actes administratifs n. A.J.D.A. 1%7, p. ID.

200
modalité de disparition d'un acte exécutoire peut également être le fait d'un texte de
même niveau300
Donc l'arrêté général 2728 aurait vraisemblablement pu être abrogé par un
autre arrêté général. Ce ne fut pas le cas. Il a fallu une loi, c'est-à-dire un texte qui,
sur
le
plan
hiérarchique,
constitue
une
norme
supérieure
aux
normes
réglementaires301 .
Malgré la rigueur de cette démonstration, il faut bien reconnaître que les
choses se sont pas aussi faciles qu'on le croit. Les parties en ont d'ailleurs
conscience puisqu'elles ont dû recourir à d'autres moyens de preuve (cf. supra).
En effet, et toujours à propos de ce démêlé, le Mali invoque un autre
argument: l'absence du décret de 1932 supprimant la colonie de Haute-Volta dans
les visas du texte de l'arrêté 2728 de
1935. Pour ce pays, cette absence est la
preuve manifeste que ledit arrêté a été édicté en dehors de toute considération
relative au sort de la colonie de Haute-Volta.
La fragilité d'un tel argument tien au fait que l'omission d'un texte dans les
visas d'un acte n'est pas cause de nullité302
En conclusion,
on peut dire que malgré leur importance dans la présente
affaire, les éléments qui précédent ne permettent pas à eux seuls de régler de
manière satisfaisante le différend.
D'autres éléments sont indispensables. Au nombre de ceux-ci figurent les
effectivités et les cartes dont la valeur probatoire a été déjà examinée.
100 Ibidem. p. 131.
101 Décrets, ;urêlés. délibérations. Il imporle de noter également que les décrets autonomes institués par la
Constitution française de 1958 sont soumis au principe de légalité.
Cf. Martial Dc Laboulaye C.E. 28 Octobre l 'J60. Rec. 570.
cl Syndicat Général des Ingénieurs-Conseils. C.E. 2(, juin l '.IS') GAJA 8ème édition 1984, p.475.
102 Cr. Jurisclasscur de droit administratif J '.18(,. fasc. 107. n" 17. Cellc omission n'est pas un vice de forme: CE
25 avrill'J47. Aurponlange. Recneil Lebon, p. 1(,4

201
On ne peut clore cette section sans parler de l'impression que l'on ressent à
la lecture des travaux écrits des parties. C'est l'attachement par l'une d'elle à la
frontière hydrographique considérée comme une solution équitable.
§4 - L'attachement à la frontière hydrographique
C'est le fait d'une des parties au procès, en l'occurrence le Mali. Les mobiles
de son attitude sont clairs.
La région litigieuse est une région particulièrement désertique mais elle a
l'avantage d'être parsemée de quelques mares pérennes (mares du Béli, mares de
Soum, etc... ) grâce auxquelles se développent des activités agro-pastorales303
(transhumance, culture dunaires, etc... ). L'eau est donc d'une nécessité vitale dans
cette région. En effet, mares et marigots, même s'ils recèlent des dangers que l'on
n'ignore pas .. 304 sont des poumons indispensables à la vie des communautés,
surtout lorsque celles-ci se sédentarisent. Ils fournissent l'eau domestique, l'argile
précieuse pour les constructions et la poterie, les lieux de l'hygiène corporelle et le
lavage30S Dans ces conditions, il est aisé de comprendre que cette source de vie
soit au centre des débats entre les parties
Ainsi qu'il a été souligné plus haut, la plupart de ces mares sont situées en
territoire burkinabé selon les cartes coloniales. Ce fait est contesté par le Mali qui
soutient que la pratique coloniale a fait du Béli la frontière pour des nécessités de
survie des populations intéressées. Aussi, il estime que la frontière dans le secteur
du Béli doit passer par la mare de Rafnaman et suivre le marigot en passant par les
mares de Fadar-Fadar, d'In Abao, de Tin Akoff et d'In Tangoum.
Dans la même logique, il considère la mare de Soum comme la frontière en
se fondant sur l'accord passé le 15 janvier 1965 entre le Commandant de Cercle de
,n1 cr. Mcmoire de la J~cpubliqlle du Mali. pp. 41-,1().
,0' Stagnant. ils peuvent eonlribuer à la dilTusion du paludisme, :\\ l'e'lension de la bilharziose, à la
transmission de parasiles comme le « ver de Guince ».
105 Cf. Jean DEVISSE. « Les Africains cl l'cau : la longue durée ». Colloque sur les politiques de l'cau en
Afrique, développement agricole ct partieip;ltion p~ysanne. ~eono!Dica J9R5, p. 127.

202
Djibo (Burkina) et celui de Douentza (Mali) Malheureusement, cet accord entre
autorités administratives locales n'a pas été entériné par les autorités centrales
compétentes des deux pays.
Il est à noter que dans la région des quatre villages, les deux parties ont
estimé que le tracé de la frontière dépend de la détermination des coordonnées de
la mare de Kétouaire ou Kébanaire. On se souvient également que la Commission
technique mixte a été chargée de localiser ladite mare ainsi que celle d'In Abao
signalée dans le secteur du Béli.
Des travaux de cette Commission, il en est résulté que ces mares ne figurent
pas sur la carte coloniale.
Il apparaît de toutes ces données une volonté manifeste de faire coïncider à
tout prix la frontière avec les mares
Cette recherche effrénée de frontière
hydrographique signifie-t-elle que les Etats préfèrent les frontières naturelles ou
géographiques aux frontières artificielles?
Il semble que ce procédé connaisse un déclin à l'époque contemporaine
surtout en Afrique. Autrefois, en effet, les puissances coloniales préféraient en
Afrique, comme en Asie, les frontières naturelles aux frontières astronomiques fixées
suivant un degré de méridien ou de parallèle306
Ce déclin explique et justifie le qualificatif de ({ vieille et funeste notion»
attribué par les Avocats du Burkina à la théorie des frontières naturelles.
Cette notion n'est pas pour autant éteinte même si elle n'a pas de
signification en soi ; elle est contradictoire dans les termes car toute frontière est
une notion à la fois politique et juridique, c'est-à-dire une création humaine307.
.106 Pour ROMAIN Y AKEMTCHOUK. op cil.. p. ~:l. Ic crilèrc dc fronlièrc naturelle n'a élé ulilisé en Afrique
quc snhsidiairclllclIl
"" ('harles 1l1>tISSI'ÂII
IhoillnlClnalHln;J1I'nhl,c Tllnle III l.eslIJlllpl-lenCl·s Sire)' 1'177. op. cil.. p. 241 *
I(,X.

203
Dans l'affaire du Temple de Préah Vihear, le souci des parties était d'établir
des frontières naturelles et visibles mais la Cour s'est prononcée en faveur de la
frontière
indiquée sur la
carte pour
la
zone
litigieuse
écartant
ainsi
les
considérations de caractère topographique30B
Cette notion offre l'avantage d'être plus directement identifiable par sa
conformité avec la topographie 309 puisqu'elle fournit un critère objectif de référence.
N'a-t-on pas écrit que les bonnes frontières étaient celles qui se voyaient et
dont l'identification ne prêtait pas à controverse310
Si les frontières naturelles ont d'indéniables avantages, elles suscitent
cependant des inquiétudes inhérentes à toute localisation physique. En effet, elles
peuvent subir des changements brusques ou progressifs ou même disparaître. Ces
risques sont d'autant plus grands que dans le cas d'espèce, il s'agit de mares
situées dans une région désertique et chaude où la pluviométrie est faible et où
l'évaporation intense et l'infiltration des eaux constituent des menaces constantes.
Dans ces conditions, ces mares qui ne coulent pas, peuvent disparaître un
jour. A partir de ce moment, les problèmes ne manqueront pas. La ligne frontière
sera invisible. Cette ligne ne peut être qu'une ligne médiane si l'on veut que les
deux Etats qui se trouvent dans une situation naturelle èquivalente accèdent à l'eau.
Pourquoi les mares de Kétouaire ou Kébanaire n'ont-elles pas été identifiées
sur le terrain? Peut-être se sont-elles asséchées du fait de la grande chaleur. Cela
est bien possible.
Tous ces moyens de preuve n'ont pas permis à la Cour de trancher le litige
de façon satisfaisante.
308 Recueil 1%2. op. cil. p. 35
309 Charles DE V1SSCHER. Problèmes de confins. op. cil.. p. 22.
310 cr. CHARLES roussean. op. cil.. p. 245 ~ 1N

204
L'examen critique des demandes formulées par les parties a permis de
mesurer la consistance ou la fragilité juridique des arguments articulés. Ce que l'on
peut retenir, c'est que certains d'entre eux, notamment les arguments extra-
juridiques tirés des facteurs ethniques ou du partage des eaux des mares, militent
en faveur d'un règlement plutôt transactionnel que fondé sur la règle de droit CÎ-
dessus définie.
La Cour sera-t-elle sensible à la légitimité de telles considérations ?
L'examen de son arrêt le dira.

20.'i
CONCLUSION DU TITRE 1\\
L'objet du différend soumis à une chambre constituée au sein de la
C.I.J.
vient d'être indiqué conformément à l'article 40 du statut de la Cour. Quelles leçons
peut-on en tirer?
L'examen de ce préalable sans lequel aucune juridiction ne peut rendre une
décision, a mis en relief les nombreuses demandes et conclusions des parties.
Si la formulation de leurs revendications territoriales est claire, il en est allé
parfois différemment de leur fondement juridique à cause de l'imperfection ou
l'insuffisance des instruments de preuve. La puissance coloniale en porte la
responsabilité parce que la délimitation des frontières entre colonies mitoyennes
dont elle était la souveraine n'a pas toujours été sa préoccupation surtout dans les
régions désertiques; aussi, les textes de limites frontalières sont-ils rares.
L'arrêt que la Chambre doit rendre au nom de la Cour (article 27 du statut de
la Cour) se ressentira sans aucun doute de ces difficultés.

206
DEUXIEME PARTIE
L'ISSUE DU REGLEMENT JUDICIAIRE

207
Deux titres seront traités dans le cadre de cette partie. Ils porteront, pour le
premier, sur le droit que la Cour a effectivement appliqué, et pour le second, sur la
solution au fond qui sanctionne ce différend. Il s'agit de voir ici comment la Cour
s'est prise pour formuler le droit qui va désormais l'éclairer dans l'identification de la
frontière litigieuse.
Une fois ce travail effectué, nous verrons comment elle a procédé à la
délimitation de ladite frontière.

208
Après l'examen des volumineuses pièces écrites produites par les parties et
l'audition des plaidoiries orales, la Cour a rendu à l'unanimité le 22 décembre 1986
un arrêt que les parties se sont engagées à exécuter. Cet arrêt règle définitivement,
on peut l'espérer, un contentieux vieux de plus d'un quart de siècle qui envenimait
les rapports entre deux pays durement éprouvés par la sécheresse et qui comptent
parmi les plus pauvres de la planète.
La délimitation est une opération juridique et, à ce stade du règlement du
litige, l'arbre peut cacher la forêt, les problèmes sérieux n'apparaissant qu'à
l'abornement de la frontière. C'est pourquoi, comme l'a souhaité le Mali au cours des
plaidoiries, il est nécessaire que la Chambre rende un arrêt aussi précis que
possible de façon à ce que les parties n'aient pas de difficultés à démarquer la
frontière qu'elle aura déterminée, pour qu'elles ne soient pas obligées de venir au
bout de six mois demander un arrêt interprétatif 311.
Cela suppose par conséquent que l'architecture générale de l'arrêt et le
raisonnement suivi par la Cour soient de nature à faciliter la compréhension et
l'exécution de celui-ci aux parties au procès pour lesquelles il est obligatoire (article
59 du statut de la Cour)
A cet égard, il y a lieu de noter que malgré quelques difficultés d'ordre
toponymique, la structure de l'arrêt paraît claire. En effet, après avoir déterminé le
droit applicable au différend, réglé deux questions à titre préalable et examiné les
moyens de preuve invoqués par les parties, la Cour a procédé au tracé de la
frontière par secteurs à la lumière des sources de droit qu'elle a jugées pertinentes.
Le dispositif de l'arrêt semble bien équilibré tel celui « d'un jugement de Salomon»
puisque la partie occidentale de la région contestée a été attribuée au Mali tandis
qu'une grande partie de la zone orientale est allée au Burkina. On a l'impression
que la Cour n'a voulu mécontenter aucune partie ; elle n'a pas voulu faire de
vainqueur ni de vaincu. Il est donc permis de penser que cette décision ressemble
'" cr. C2/CR X('/'J p. 72.

2()()
beaucoup plus à un règlement transactionnel fondé sur l'équité qu'à un règlement
fondé sur le droit international que la Cour identifie ici à l'uti possidetis.
L'arrêt contient six croquis reproduits à titre illustratif. Bien qu'adopté à
l'unanimité, il a fait l'objet de deux opinions individuelles de la part des deux juges
ad hoc désignés par les parties. Une de ces opinions a soulevé tant de divergences
de fond que l'on peut se demander si l'unanimité n'est pas en réalité une façade.
L'arrêt est accompagné de deux cartes géographiques dont l'une reproduit les
prétentions territoriales des parties et l'autre le tracé de la Cour.
Enfin, deux traits principaux marquent l'arrêt
son caractère factuel et
l'appréciation que la Cour a eu de sa fonction.
La Cour a, en effet, consacré beaucoup de soins à décortiquer les faits de
l'espèce. Ces points dont elle aurait bien pu se passer, ont conféré un caractère
secondaire aux aspects juridiques qui sont « noyés ». C'est sans doute le souci de
la clarté qui a justifié ce besoin, car n'oublions pas que la présente affaire s'est
déroulée dans une région peu connue où les moyens de communication sont rares.
En outre, la Cour a cherché plutôt à arrêter définitivement l'hémorragie
causée par la guerre qu'à régler le différend sur la simple base du droit international.
On peut donc dire que cet organe judiciaire s'est comporté plus comme un diplomate
que comme un juge.
Du point de vue du raisonnement, la Cour est partie du général pour
déboucher
sur
du
particulier;
ainsi,
elle
a
énoncé
des
principes
que
malheureusement elle a semblé ignorer lorsqu'il s'est agi de les appliquer à l'espèce
qui lui était soumise. Exemple: le principe selon lequel les cartes jouent en droit
international un rôle secondaire ou ne représentent qu'une simple indication
géographique.
La raison tient essentiellement à l'insuffisance ou à l'imprécision des moyens
de preuve dont certains, les plus déterminants sans aucun doute, n'ont pu être

210
retrouvés par les parties. Cet handicap explique pourquoi la Cour a choisi
d'argumenter par présomptions.
Elle a ainsi présumé le caractère déclaratoire de l'arrêté 2728/AP sur lequel
le Mali a toujours fondé ses revendications dans le secteur des quatre villages qui
s'étend jusqu'à la mare de Kétouaire, et de la lettre-circulaire 191 CM2 invoquée par
le Burkina à l'appui de ses prétentions dans les régions de Soum, du Béli et du mont
N'gouma.
Dès lors, ce qui importe, c'est la recherche de tous les arguments qui
confirment cette double présomption Pour ce faire, la Cour n'a pas hésité à faire feu
de tout bois.
L'arrêt contient également des développements qui semblent discutables. Il
s'agit de l'érection par la Cour du principe de l'uti possidetis en principe du droit
international, c'est-à-dire en une règle générale procédant non des principaux
systèmes juridiques du monde mais de la pratique internationale; il s'agit enfin de
l'appréciation par la Cour de la portée de l'acte unilatéral et de l'interprétation
extensive de la notion de titre juridique.
De nombreuses leçons peuvent cependant être tirées.
D'abord, l'arrêt montre que la Cour reste toujours attachée à la thèse dualiste
dans les rapports entre le droit international et le droit interne, bien qu'à cause de
l'uti possidetis elle ait été obligée d'appliquer le droit colonial français.
En outre, l'arrêt met en évidence la préférence pour la Cour des frontières
astronomiques définies par référence à des coordonnées géographiques de latitude,
même
si,
en
l'espèce,
les
éléments topographiques
ont
prévalu
(repères
hydrographique et orographique).
Sur le plan juridico-politique, l'arrêt revêt une importance capitale. C'est la
première fois en effet que la Cour internationale de justice se prononce sur un

211
différend territorial en matière de frontière terrestre opposant deux Etats africains.
Nul n'ignore que les Etats africains répugnaient jusqu'à ces dernières années à
recourir aux instances internationales spécialement juridictionnelles pour régler
leurs problèmes.
Faut-il pour autant conclure que cette décision judiciaire sonne le glas de la
({ palabre africaine» ? Nous ne le pensons pas car malgré l'existence d'éléments
qui témoignent d'une évolution dans leur attitude ou d'une disposition à faire
confiance à la justice internationale (sentence arbitrale rendue dans l'affaire des
deux Guinée, règlement judiciaire dans l'affaire du plateau continental Tunisie/Libye,
acceptation par de nombreux Etats africains notamment anglophones de la
compétence obligatoire de la Cour), les Etats africains privilégient toujours les
solutions négociées.
Après ce tour d'horizon, nous nous proposons d'examiner cette seconde
partie dans deux titres consacrés respectivement au droit appliqué par la Cour et à
la solution au fond de l'arrêt.

212
TITRE 1
LE DROIT APPLIQUE PAR LA COUR

21.1
En vertu du compromis, la Chambre a estimé, comme les parties, que la règle
qui s'applique au présent différend territorial est l'intangibilité des frontières
africaines. Mais, sans trahir la loi des parties, la Cour est allée plus loin en faisant
de l'uti possidetis le principe de base, l'intangibilité des frontières n'étant qu'un
aspect. En effet, pour la Cour, l'uri possldetis est un principe général dont
l'application a précisément pour conséquence le respect ou le maintien des
frontières héritées de la colonisation, autrement dit l'Intangibilité desdites frontières.
L'application du droit colonial français et de l'équité dans sa forme infra legem
concourent à l'expression de ce principe. C'est pourquoi il nous paraît utile
d'examiner dans un premier temps la construction de ce principe général et dans un
second temps, les modalités de sa mise en oeuvre.

214
CHAPITRE 1
L'UTI POSSIDETIS, PRINCIPE DE BASE DU REGLEMENT DU LITIGE
Deux points seront examinés ici: les techniques d'érection de l'uti possidetis
en principe général d'une part, et les observations que suscite cette construction
judiciaire.
SECTION 1: LA CONCEPTION DE LA COUR
Elle est énoncée dans le texte de l'arrêt en des termes qui ne souffrent
d'aucune ambiguïté. « L'uti possidetis, écrit la Cour, est un principe établi de droit
international, en matière de décolonisation..
Ce principe ne revêt pas pour autant le caractère d'une règle particulière,
inhérente à un système déterminé de droit international. 1/ constitue un principe
général, logiquement lié au phénomène de l'accession à l'indépendance, où qu'il se

t
312
mamIes
.
De ces extraits significatifs, ressortent deux idées essentielles:
- l'uti possidetis est un principe général lié à la décolonisation d'une part,
- l'uti possidetis n'est pas une règle particulière inhérente à un système
déterminé de droit international d'autre part
Ces deux points feront l'objet de paragraphes distincts
mer. Recneil 19S(,. p. 5(,5 § 20

21S
§ 1 - L'uti possidetis, principe général lié à la
décolonisation
Selon l'arrêt, l'ufi possidetis est le principe de base dans le règlement du
différend frontalier Mali/Burkina. En effet, c'est ce principe qui a guidé la Cour dans
la recherche de la vérité à travers les moyens de preuve que lui ont fournis les
parties. Mais, pourquoi est-il lié à la décolonisation?
Dans l'esprit de la Cour, ce principe n'est reconnu que par les pays ou
nations autrefois soumis au joug colonial
Tels les Etats latino-américains,
asiatiques et africains.
Dans la mesure où le mot « décolonisation» revêt une importance particulière
pour la présente affaire, il convient de préciser sa signification avant de pousser
plus loin nos développements
Selon le Petit Robert, dictionnaire de la langue française, la décolonisation
est « la cessation pour un pays de l'état de colonie ou le processus par lequel une
colonie devient indépendante ii. Vue sous cet angle, la décolonisation a pour objectif
l'accession d'un Etat à l'indépendance
Dans son opinion individuelle, le juge Luchaire ne semble pas d'accord avec
cette façon de voir. Sa position est plutôt nuancée. En effet, il estime que la
décolonisation ne doit pas être confondue avec l'accession à l'indépendance car,
dit-il, l'indépendance n'est pas le contraire de la colonisation mais son parfait
achèvement313.
Ce point de vue n'est pas nouveau car les chapitres XI, XII et XIII de la Charte
des Nations-Unies qui concernent la tutelle exercée par cette organisation
universelle sur les territoires non autonomes, évitent soigneusement d'utiliser le mot
.1I10p. ind. de M. François LUCHIIIRF. Rec. l'JX(,. Il (,54

216
« indépendance» et préfèrent parler d'évolution, d'émancipation. Nul n'ignore
pourtant que la Résolution 1514 (XV) du
14 décembre 1960 de l'AGNU relative è
l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, permet aux peuples
sous domination coloniale d'accéder à l'indépendance en accélérant le processus
de décolonisation314 Dans ces conditions, le texte de cette résolution est en porte-à-
faux avec la Charte. quoiqu'il en soit, nous sommes d'avis que la décolonisation est
le phénomène inverse de la colonisation d'où émergent les Etats nouveaux315.
A l'heure actuelle, il y a très peu de territoires qui ne soient pas indépendants.
La seule exception que l'on cite souvent est le sud-ouest africain ou la Namibie. Il
n'est donc pas étonnant que le rôle du Conseil de Tutelle soit aujourd'hui réduit tel
une peau de chagrin. Cet organe principal des Nations Unies risque de disparaître
un jour pour absence d'opjet au grand bonheur des peuples épris de liberté.
D'ailleurs n'a-t-il pas été écrit que « la décolonisation est achevée »316.
Beaucoup de choses pourraient être dites sur ce thème mais ce n'est pas
l'objet direct de nos propos. Notre ambition est plutôt d'envisager ou d'examiner le
sort des frontières de l'Etat décolonisé.
On a vu plus haut que ces frontières peuvent être à l'origine administrative
donc régies par des textes de droit interne tels les règlements ou les lois, ou
internationale lorsqu'elles sont établies par des traités internationaux. Compte tenu
de leur caractère « réel» ou objectif, ces frontières passent à la décolonisation au
nouvel Etat car l'obligation de respecter les frontières préexistantes découle sans
aucun doute d'une règle générale de droit international: l'uti possidetis. Cette règle
est applicable à cet Etat à l' « instantanée» même du statut territorial existant au
moment de son accession à l'indépendance
lI~Sur la valeurjllridiqlle de eelle résollilioli el nol:unllleni sur ses rapports avec la Charte des Nations Unies,
voir Michel VIRALLY « Droil international et décoionis:ltion devanl les Nalions Unies» A.F.D.1. 1%3. p.
519 et suiv.
.1I5Cr. M. BEDJAOUI. « Problèmes récenls de succession d'l~lal dans les Etals nouveaux H. ReC.A.D.l. 1970. II.
~. 489.
. l "Daniel COLA RD. Les relations in1Ç!1!uliQlli1IÇS. 2èllle édit ion Masson 1981. p. 205.
et H. THIERRY-J. COMBACAU. S. SUR. C. VALLEE. Qroit Internatipnal PLJblic" Sème édition
Montehrestien 1986. p. 489.

217
En d'autres termes, {{ il gèle le titre territorial ou arrête la montre sans lui faire
remonter le temps »317
Pour les parties, cela signifie que c'est le titre territorial existant à la date de
la proclamation de leur indépendance qui prévaut. Comme le Burkina, la Cour pense
que cette date est la date critique.
De toute évidence, l'ufi possidetis est lié au phénomène de la décolonisation.
Il résulte que l'intangibilité des frontières est une application de ce principe de base
sur lequel repose le dispositif de l'arrêt. De ce fait, malgré les nombreuses
affirmations solennelles dont il a fait l'objet surtout en Afrique, le principe de
l'intangibilité n'a, aux yeux des membres de la Haute Cour, qu'une valeur
déclaratoire ou recognitive en ce sens qu'il confirme un principe existant, l'uti
possidetis318 Celui-ci jouit d'une reconnaissance générale et peut par conséquent
être transposé en droit international.
Que faut-il entendre par ({ reconnaissance gènérale » ? Faut-il croire que ce
principe induit de la pratique est accepté par toutes les Nations ? On peut
difficilement le penser pour deux raisons.
La première est qu'il ne concerne que certaines nations, nous l'avons vu.
La seconde est qu'il est rare que des principes soient universellement
reconnus par toutes les Nations.
Pour vérifier si un principe de droit est effectivement reconnu par les Nations
du Monde, la seule méthode valable est celle du droit comparé parce qu'il permet
d'étudier systématiquement la position prise par tous les systèmes juridiques
importants à l'égard de ce principe319. La reconnaissance d'un principe donné par la
117Cr. Recueil 1986. p. 568 § JO.
mCr. Recueil 198(,. p. 566 § 24.
""Cf. M,IX SORENSEN ({ Les principes de droit intern;llion:tl pnhlic» rte.A.!).1. 1%0. III. Vol. \\0\\, op. cil.,
p. n
Voir également A. PELLET. « Rec\\!~çll~~_Sl![le'§'Qrin(;ipçs_gé!lér,1l1x_ç1e droit en droit international ». Thèse
Paris, 1974.

21X
totalité des Etats n'est donc pas nécessaire puisqu'il suffit de constater que les plus
importants systèmes juridiques l'ont reconnu 320 Dans le cas qui nous préoccupe et
compte tenu de ce qui précède, les systèmes visés sont les systèmes latino-
américains et afro-asiatiques
On sait, en effet, que la première vague de décolonisation a commencé en
Amérique Latine où a été appliqué pour la première fois la règle de l'uti possidetis.
La seconde vague déferla en Asie et en Afrique après la seconde guerre
mondiale.
Sur ces continents, les Etats, pour des raisons déjà évoquées, ont fait du
maintien des frontières coloniales un principe de relations internationales, ou un
moyen de règlement des conflits territoriaux. En effet, les traités bilatéraux, les
déclarations gouvernementales et des textes fondamentaux de droit interne s'y
réfèrent. Certes, ça et là, se sont élevées des voix discordantes mais elles
n'entament pas pour autant l'attachement profond de ces Etats à ce principe321 .
Ainsi,
en Amérique
Latine par exemple,
le Brésil,
ancienne colonie
portugaise, ne se sent pas concerné par le principe de l'uti possidetis juris ; il s'en
tient par conséquent aux possessions actuelles, c'est-à-dire après son accession à
l'indépendance
En Asie, l'Afghanistan a toujours refusé de se plier à la ligne Durand qui le
sépare du Pakistan. De plus, la Chine qui était naguère une semi-colonie, n'a jamais
accepté l'intangibilité des frontières que postule la règle de l'uti possidetis. C'est
pourquoi, dans son différend frontalier avec l'Inde, elle a rejeté la ligne Mac Mahon
tracée en 19143n De même, dans le conflit frontalier qui l'oppose à l'U.R.S.S. et qui
est doublé d'un conflit idéologique, la Chine a répudié la frontière commune pour
son caractère injuste323 Il semble cependant que sa position ne soit pas aussi
.nnMax SORENSEN. op. cil.. p. 24.
121 Sur cc poinl. voir les développements intéressanls de TRAN VAN MINII. op. cil.. p. (.(, cl suiv.
mCr. L. LUCCHINI. op. cil.
mCr. M;rrio BETT ATI. Le eonf1it.§j!.lQ::~Q\\iÇfi(IUC. Lihrairie i\\rlllall[l-Col in 1ni. pp. '.14-'.15.

219
catégorique qu'on le croit puisqu'elle a accepté de s'incliner devant ce principe dans
ses rapports avec la Birmanie.
En Afrique, seuls la Somalie et le Maroc, rejettent officiellement le principe du
statu quo frontalier prescrit par la Résolution du Caire de 1964.
De ce qui précède, il nous paraît difficile d'affirmer qu'un principe général
n'existe pas en soi, à titre préalable et au niveau du droit international avant
l'intervention même du juge324
Toutefois, malgré sa généralité, le principe de l'uti possidetis n'est pas une
règle absolue 325.
La seconde technique d'érection de l'uti possidetis en principe général du
droit a trait à la négation même par la Cour du caractère particulier de ce principe.
Ce point nous retiendra moins longuement.
§ 2 - L'ut; poss;det;s n'est pas un principe régional
Cette idée est exprimée sans ambages ainsi qu'il suit: « il faut voir dans le
respect par les nouveaux Etats africains des limites administratives et des frontières
établies par les puissances coloniales, non pas une simple pratique qui aurait
contribué à la formation graduelle d'un principe de droit international coutumier dont
la valeur serait limitée au continent africain comme elle l'aurait été auparavant .3
l'Amérique hispanique, mais bien l'application en Afrique d'une règle de portée
générale »326
Ceci confirme l'idée précédemment soulignée par la Cour à savoir que l'ufi
possidetis n'est pas une règle particulière inhérente à un système déterminé de
mC'esl pourl ,Ill1 l'opinion de Charles CHAUMONT. « Conrs Général de Droil Internalional Public ».
R.C.A.D.1. 1970. VOL. !29. p. 4(,2.
mCr. Charles ROUSSEAU. p-.!:oitJntS;fn'J!iol.l'il Public 'l'oille III. l.es conlpélences. Sirey, 1977, op. cil., p.
238.
32(,Recueil 198(,. ~ 21.

220
droit international. Ce faisant, la Cour fait de l'ufi possidetis non pas l'un des
nombreux principes327 visés par l'article 38 alinéa 1c du statut de la Cour mais un
principe du droit international général ou un principe propre au droit international328.
Autrement dit, l'ufi possidetis est devenu un principe du droit international et non un
principe général de droit tel que mentionné à l'article 38 alinéa 1c du statut de la
Cour. La doctrine dominante329 distingue ces deux principes. Les principes généraux
de droit ne
s'incorporent pas automatiquement
dans
le
système
du
droit
international, c'est le juge qui les transpose du plan interne au domaine des
relations internationales.
S'agissant des principes généraux du droit au rang desquels la Cour a rangé
l'ufi possidetis, ce sont des règles qui procèdent de la pratique internationale elle-
même, des traités ou des coutumes , ils appartiennent donc à l'ordre juridique
international positif 330
Les juristes soviétiques les identifient cependant également 331 aux règles
déduites des conventions et des coutumes et nient les principes généraux de droit..
En Occident, certains auteurs considèrent que l'article 38 du statut de la Cour
vise à la fois les principes du Droit international général et les principes généraux de
droit reconnus par « les nations civilisées ». C'est le cas du Professeur Reuter.
"'POIIf les auteurs soviétiques au eoulmire. les principes généraIl \\ ne cOllslitllell1 pas une source indépendante
dn droil inlernational parce qn'ils s·e.\\priment dans la cOlltllme ct dalls 1:1 convenlion. Cf 11'0 LA PENNA.
Conceptions soviélilJ.l1es du c1[QiLiJlteIll<llional~lJ.blic. A. l'édollc 1')54. p. 1(,6.
.1"Cr. Michel VIRALLY. " Le rôle des « principcs )J d:lns le dél"c!oppcmcnt dn droit intcrnational )J. Mélanges
Guggenheim I96R, p. 512.
329Bela VITANYL. « Lcs positions doctrinalcs concerna ni le sens dc la nOlion dc " principes généraux de
droit)J reconnus par les" nalions civilisées)J. R.G.D.J.P. l'.IX2. pp. 4X-116.
Du même auteur. " La signification de la" généralité)J des principes de droit )J. R.G.D.J.P. 1'17(,.1. pp. 537-
545.
Voir également Michel VIRALLy préeilé. Alfred VERDROSS " Les principes généraux de droit dans le
système des sources du D.I.P. « Mélanges Guggenhcim : Antoine I3LONDEL « Les principes généraux du droit
devant la CP.II ct la CU. Mélanges Guggenheim. pp. 204-205 ct Antoine FAVRE « Les principes généraux du
droit, fonds eommlln du droit des gens)J. Mélanges guggcnhein~J74.
33"Charles DE VISSCHER. "contribution" l'étude des sources dn droit intern:ltional )J. Revue de droit
international ct dc législation eonœarée, l'.Ill. p. 4()(,.
DICr. Charles CHAUMONT. « Cours Génér:ll de D.I.P. ». R,C'.AcD_L InO.I.Vol. 12'.1. p. 458.

221
De plus, il a la particularité d'être reconnu par des nations autrefois
marginalisées comme en témoigne la distinction anachronique entre « Nations
civilisées» et Nations qui ne le sont pas
En effet, ce vocable de « nations civilisées» n'a plus aujourd'hui droit de cité
dans la société internationale car aucun groupe de Nations n'a de monopole dans
l'élaboration du droit international 332.
C'est dans ces nations naguère marginalisées que l'uti possidetis a pris une
importance particulière. On peut par conséquent conclure que si l'uti possidetis n'est
pas un principe régional, c'est cependant dans certaines régions333 qu'il a pris toute
sa valeur.
Ces appréciations controversées montrent bien que la conception de la cour
n'est pas prête de faire l'unanimité au sein de la doctrine.
SECTION Il :
REFLEXIONS SUR LA CONCEPTION JUDICIAIRE
DE L'UTt POSSIDETtS
L'abondante littérature juridique sur les revendications territoriales révèle que
la valeur juridique de l'uti possidetis a toujours été la préoccupation de la doctrine.
Ainsi, certains auteurs le considèrent comme Un principe politique. En reconnaissant
à l'uti possidetis juris valeur de principe général du droit, il va de soi que la Cour
désavoue cette conception.
D'autres, en revanche, y voient un principe juridique.
332Yoir Milan BARTaS. ({ Transfornwl ion des principes générallx Cil règles positives du droit international ».
Mélanges Jurai Andrassy. Marlinus NijhoJT. La Haye l')(j~. p. 2
mCes! ce Clue pense le Professeur YIRALLY. ({ Régioll;11 iSlIle etlllli\\'erS;llisllIe dans le droit international
contemporain ». S.F.D.I. ColIO<Jlle de Bordeallx (Déb;lIs SOIIS la présidence de Charles ROUSSEAU). A.
Pédone 1'.177. p. 215.

222
Outre ces remarques, on peut regretter que la Cour soit restée silencieuse
sur la distinction qui est traditionnellement faite en doctrine entre l'uti possidetis juris
et l'uti possidetis de facto. Cette distinction que les parties ont reprise, tend à
opposer les titres et les effectivités. En cela, elle rejoint celle qui est faite entre les
conflits de délimitation et les conflits d'attribution.
§ 1 - Les conceptions doctrinales
De nombreux auteurs récusent la conception selon laquelle l'uti possidetis est
un principe général du droit. Mais il en est cependant dont les positions sont en
parfaite harmonie avec celles de la Cour.
A) - Les positions adverses
Ce sont les positions qui ne concordent pas avec les vues exprimées par la
Cour dans l'arrêt. Ainsi, il a été écrit qu'il est difficile de reconnaître à l'uti possidetis
la valeur d'un principe de droit international général JJ4 car c'est un principe de
politique
conservatoireJJ5
dont
le
rôle
dans
les
relations
internationales
contemporaines a été essentielJJ6. 1\\ a pu, de ce fait, être utilisé pour geler
passagèrement des litiges entre les Etats afro-asialiquesJJ7. La même idée se
retrouve également chez les auteurs anglo-saxons : « ln no case has the
international community recognized, as an institution of international law, the principe
f t·
'd t'
JJ8
ou/ poss/ e /s ii...
.
Le caractère régional de ce principe ne fait donc aucun doute dans l'esprit de
ces auteurs. Analysant l'origine de l'intangibilité des frontières, le Professeur
Boutros-Ghali n'avait-il pas parlé d'un « uti possidetis africain ii ? J39
'''Cf Daniel BARDONNET « Frontières terrestres el équité '>. l'vIÇJaugçs Re!!tç~, op. cil., p. 63.
'''Du même aulem. « Les frontières terrestres ct la relativilé de Ienr tracé >, !LÇ.A.ILL 1976. V. op. cil., p. 99.
.Ho], DE PIN HO CAMPINOS. !C-~ilctuilllt~_ç1ç-"ll1iJ~os_sig~Us op. cil. p. 101
J"Ibidem, p. 11J.
33"L.M. BLOOMFIELD.« The British-Honduras-Gualemala dispute ». Toronto 1')53, p. 94.
J39BOUTROS-GHALL L'organisai ion de l'uuité aJriqlille. Paris 1%X, op. cil, P 4X.
Et Domiuique BOURJORL-FLECHER. « Heurs cl malheurs de l'ul i possidelis '>. op. cil, p. li 17.

223
On peut se demander si cette querelle sur la valeur juridique de ce principe a
vraiment un sens. Faut-il toujours opposer les principes politiques et les principes
juridiques comme s'il existait une cloison étanche entre ces deux catégories? Non,
car sans perdre son caractère juridique, un principe peut parfaitement présenter
pour les Etats qui l'invoquent ou le proclament, une très grande importance34o
Tel est précisément le cas de l'uti possidetis, principe politico-juridique.
La conception de la Cour trouve cependant un écho favorable auprès d'autres
auteurs.
B) - Les positions favorables
L'idée que l'uti possidetis est un principe général du droit, a surtout été
défendue par le Professeur Ago et le juge Bedjaoui alors qu'il était conseil et avocat
dans l'affaire du Sahara occidental.
En effet, pour le premier, l'uti possidetis est non pas un principe de droit
latino-américain, mais un principe de droit international général qui a une double
signification. Il précise cependant que c'est l'uti possidetis juris avec l'adjonction de
ce génitif qui est un principe latino-américain341 .
De la même manière, le second a déclaré dans sa plaidoirie: « En tant que
principe prévoyant l'érection en frontières internationales d'anciennes délimitations
administratives établies pendant la période coloniale, le principe de l'uti possidetis
juris est un critère d'ordre général, nécessairement lié à la décolonisation, où qu'elle
se produise En tant que principe comportant le respect des frontières internationales
W'Miehcl VIRALLY. «Le rôle des principes dans le dél'c1oppelllenl dn Droil inlernaliona! ». Mélanges
Guggenheim. op. cil., p. 535.
3·I1Cf. A.C.D.1. 1%8, Vol. 1. op. cil, p. 120, ~ 71.

224
préexistantes à l'émancipation, le principe de l'uti possidetis est incontestablement
une règle de droit international général}} 342
Cette dernière position est si apparentée à celle de la Cour qu'on est enclin à
penser que le juge Bedjaoui a, sans aucun doute, influencé l'arrêt de manière
décisive.
Il est à noter enfin que bien que l'arrêt ait été adopté à l'unanimité, le juge ad
hoc Abi Saab semble s'être démarqué des vues de la Cour sur l'uti possidetis dans
son opinion individuelle. En effet, à propos du poids des cartes dans la présente
affaire, il a écrit: « cette quéte effrénée d'un « titre juridique» au prix de faire feu de
tout bois, vise à satisfaire une certaine conception du principe de l'uti possidetis ,,343
souligné par nous). Le caractère nettement péjoratif de cette réflexion est évident
mais on peut regretter que le juge n'ait pas donné de précision dans son opinion
individuelle sur ce qu'il entend par « une certaine conception ». Touchant le
fondement même de l'arrêt, cette opinion qui n'est pas censée remettre en cause le
dispositif dudit arrêt, s'apparente plus à une opinion dissidente qu'à une opinion
individuelle.
Si la Cour a souligné avec hardiesse que l'uti possidetis est un principe qui
appartient désormais à l'ordre juridique international positif, en revanche, elle est
restée muette sur un point qui a longuement retenu l'attention des parties.
"2cr cu.. Mémoires. Pbidoiries el documents - S:lh:ml occident:J1. Vol. V. p. lll!.
"'cr. op. iJ1(1. de M. AI3I SAAFl. Rec. l'!l!(,. p. (,(,1.

22<;
§ 2 - Les silences de l'arrêt
Un seul point retient l'attention. Il s'agit de la distinction souvent faite par la
doctrine entre l'uti possidetis juris et l'uti possidetis de facto. Cette distinction a été
reprise par les parties qui en ont d'ailleurs fait l'ossature de leurs argumentations
puisque selon elles, l'issue du litige en dépend. Cette distinction tend à opposer le
titre juridique et les effectivités. De ce point de vue, elle est intimement liée à la
qualification
du
différend
territorial
(cf.
supra).
ainsi,
l'uti
possidetis juris
s'appliquerait dans le cas d'un conflit de délimitation où la prévalence des titres
juridiques est de régie.
Quant à l'uti possidetis de facto, on fait généralement appel à elle dans
l'hypothèse d'un conflit d'attribution.
Sans vider de manière explicite cette querelle des parties, la Cour a tenu
néanmoins à donner son sentiment sur cette opposition en déterminant les
orientations suivantes: « - dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, ou une
administration effective s'ajoute à l'uti possidetis juris, « l'effectivité» n'intervient en
réalité que pour confirmer l'exercice du droit né d'un titre juridique.
- dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet du
différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre
juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre.
- dans l'éventualité ou 1'(( effectivité » ne coexiste avec aucun titre juridique,
elle doit inévitablement être prise en considération;
- il est enfin des cas où le titre juridique n'est pas de nature à faire apparaÎtre
de façon précise l'étendue territoriale sur laquelle il porte
Les « effectivités »
peuvent alors jouer un r61e essentiel pour indiquer comment le titre est interprété
dans la pratique ».

22CJ
De ces orientations, on peut tirer deux séries de conclusions:
1) Lorsqu'il existe un titre juridique, la Cour le fait toujours prévaloir à moins
que ce titre ne fasse pas apparaître de façon précise l'étendue territoriale sur
laquelle il porte.
Ainsi donc, la Cour semble favorable à la prescription ; selon cette notion
de droit privé quelquefois reprise en droit international, le titre juridique s'efface au
bénéfice de la situation de faie44
2) En cas d'absence de titre, la Cour donne toujours la primauté aux
« effectivités ».
De ces hypothèses envisagées par la Cour, laquelle correspond à la situation
présente ? la Cour ne le précise pas mais tout porte à croire qu'il s'agit de la
dernière. En effet, les textes pertinents quant au tracé de la frontière sont imprécis.
Comme on le voit, elle n'a pas repris à son compte les divisions doctrinales de l'uti
possidetis. Elle a cependant distingué deux éléments constitutifs de cette règle.
Le premier, représenté par l'uti possidetis juris, accorde au titre juridique la
prééminence sur la possession effective comme base de la souveraineté.
Le second vise, quant à lui, à assurer le respect des limites territoriales au
moment de l'accession à l'indépendance. C'est ce dernier élément que la Cour a
préféré puisqu'il constitue le fondement de sa décision345.
Néanmoins, c'est de manière explicite que la Cour a condamné la distinction
entre conflit de délimitation et conflit d'attribution. En effet, elle a affirmé que chaque
délimitation, aussi étroite que soit la zone controversée que traverse le tracé, a pour
conséquence de répartir les parcelles limitrophes de part et d'autre de ce tracé.
'11er Roger PINTO. « La prescriplioll Cil droil illlclllalJ()lIal» IU'.A.D.1. 1')55.1. vol. 117. op. cil. p. 192.
""Recllci 1 l 'Jl{('. ~ 21

227
Revenant à la présente affaire, elle a estimé que l'article 1 du compromis confirme
cette règle générale puisqu'il vise non pas simplement une ligne à tracer mais une
« zone contestée ». Quoiqu'il en soit, poursuit-elle, l'effet d'une décision judiciaire,
qu'elle soit rendue dans un conflit d'attribution territoriale ou dans un conflit de
délimitation, est nécessairement d'établir une frontière346. En effet, dans les deux
situations, il s'agit de clarifier une situation juridique déterminée. C'est d'ailleurs à la
même conclusion que les parties semblent être parvenues
On a déjà indiqué plus haut la position de quelques célèbres auteurs sur la
distinction entre ces deux types de conflit territorial. Contentons-nous à présent de
rappeler que dans l'affaire du temple de Préah Vihear, le professeur Paul Reuter,
avocat d'une des parties au procès (en l'occurrence le Cambodge) a proposé cette
distinction à la Cour, mais l'arrêt rendu ne l'a pas reprise. Il est vrai, en effet, que,
dans la pratique, l'application de cette distinction n'est pas évidente car elle peut
s'estomper347
Mais malgré tout, des voix s'élèvent encore pour souhaiter son
maintien34B
Ayant procédé à la délimitation du principe de base qui doit guider et orienter
son action dans le cadre du règlement de ce différend frontalier, il reste maintenant
à voir comment la Cour entend le mettre en oeuvre.
'"'Recuci 1 l')XI>. p. 51>1. ~ 17
"'Charlcs DE VISSCHER. « Problèmes de coulïus. »op. cil.. p. 25.
l'"Michel VIRALLY. HLc ehamp opératoirc du règlcmculjudieiaire illlcrnaliollai H. !tG.D.I.P. 1983, p. 290.

228
CHAPITRE Il
LES MODALITES DE MISE EN OEUVRE DU PRINCIPE DE
L'UT! POSSIDETIS
Pour déterminer les frontières existantes au moment de l'accession à
l'indépendance du Burkina et du Mali, la Cour, ainsi qu'il lui a été demandé, a
appliqué au présent différend d'une part le droit colonial français ou droit d'Outre-
mer et d'autre part l'équité infra legem.
Dans les lignes qui suivent, nous verrons comment la Cour s'y est prise pour
l'application dans un différend international de normes relevant du droit interne d'un
Etat membre de la Communauté internationale; après quoi nous nous pencherons
sur l'applicabilité de l'équité telle qu'elle a été ci-dessous définie dans un litige
territorial relatif aux frontières terrestres.
SECTION 1: L'APPLICATION DU DROIT COLONIAL FRANCAIS
Le présent différend relève du droit international et, par conséquent du
principe de l'ufi possidefis tel que le conçoit la Cour. Mais les parties estiment
également que le droit colonial français s'applique. Ainsi, le droit interne d'un Etat
qui n'est pas partie au différend malgré sa responsabilité historique, est soumis à
l'examen du juge international.
En principe,
la fonction du juge international est d'appliquer le droit
international et non le droit interne des Etats. On sait néanmoins que le droit
international ne peut pas ignorer le droit interne car malgré son autonomie, il
demeure incomplet. Pour son fonctionnement, il a donc besoin du droit interne parce

22()
qu'il ne peut se réaliser ni sans lui ni en dehors de lui349. On remarquera d'ailleurs
que dans la grande majorité des affaires portées devant la Cour, il y a toujours un
problème de droit interne qui se pose.
Dans le cas d'espèce, la Cour a décidé d'appliquer le droit colonial français
({ non en tant que tel. .. mais seulement comme un élément de fait, parmi d'autres, ou
comme moyen de preuve et de démonstration ».350 Mais avant d'en arriver là, la
Cour a rappelé qu'habituellement le droit International ne renvoie pas au droit établi
par un Etat colonisateur non plus qu'à aucune règle juridique établie unilatéralement
par un Etat quelconque.
Il résulte qu'elle a considéré le droit colonial français à la fois comme un
élément de fait et comme un moyen de preuve.
§ 1 - Le droit colonial français, élément de fait
En raison des circonstances de l'affaire, notamment de la pertinence de l'ufi
possidetis, la Cour a été obligée d'appliquer le droit colonial en question. En effet, le
différend qui lui est soumis est né pendant la période de colonisation. Et devant
l'imprécision des tracés frontaliers, la Cour n'avait pas d'autre choix que de
rechercher la véritable intention du colonisateur. Bien entendu, il ne s'agit pas pour
elle de se prononcer sur la validité du droit interne dans l'ordre national mais elle
peut l'interpréter car devant le juge international, il n'existe aucune question
préjudicielle qu'il puisse renvoyer au juge national.
Il s'agit donc pour elle d'appliquer des règles internes à titre de fait au regard
du droit international 351 . C'est ce que la Cour a fait en considérant le droit colonial
français comme un fait juridique qui doit en tant que tel être prouvé.
119Cf. Krystina MAREK. « Les rapporls entre le droil internalional cl le urait inteme;i la lumière de la
jurisprudence de la c.P.J.!. » R.G.O.!.P. 1%2, na 1, IL2(,].
35"Reeueil IlJl\\(), p. :;()l\\, ~ 29.
151er. Paul GUGGENHEIM. Traité de uroiLinlcrnalionaIpublic. l,ihrairie de l'université Georgie cl Cie S.A.
Genève, 1%7, p. XI Voy égalenlenl
J.c. WITENI3EI~(j. " La lhéorie des prcuves dcv;ult Icsluridiclions inlclIl;l1ionalcs». I~Ll\\.O.!. 19.1(,. Il. p,
14.,

230
Ce n'est pas la première fois qu'une question de ce genre se pose à une
juridiction internationale. Les cas sont en effet nombreux, ce qui provoque à coup
sûr une extension du champ d'application du droit international, et permet de
dégager deux cas de figure.
Premièrement, l'application du droit national à titre principal; deuxièmement,
l'application du droit national à titre accessoire
Dans la première hypothèse, compte tenu du caractère subordonné du droit
national, il semble prima facie exceptionnel que le juge international applique le droit
national à titre principal. Cependant, il existe un cas où la C.P.J.!. a reconnu sa
compétence pour résoudre
un
litige fondé
essentiellement, aux termes du
compromis, sur des questions de droit interne352 C'est l'affaire des emprunts serbes
et brésiliens où la Cour a déclaré. « Tout en étant tenu d'appliquer le droit interne
lorsque les circonstances l'exigent,
la Cour qui est une juridiction de droit
international et qui, en cette qualité, est censée connaÎtre elle-même ce droit, n'est
pas obligée de connaÎtre également les lois nationales des différents pays. Tout ce
qu'on peut admettre à cet égard, c'est qu'elle pourrait être éventuellement obligée de
se procurer la connaissance du droit interne qu'il y a lieu d'appliquer; et cela, soit à
l'aide des preuves que lui fournissent les parties, soit à l'aide de toutes recherches
auxquelles la Cour jugerait convenable de procéder ou de faire procéder »353.
Dans cette affaire, le droit interne a été appliqué en tant que norme applicable
à un litige international puisque la contestation soumise à la Cour concernait
Jean J. A. SALMON. « Le fail dans l'applicalion dll droil IlIlcmaliollal» R.C.A.D.1. 19X2. II. vol. 175, p.
106..
Georges PERRIN. « Observai ions sur le régi Ille de la prellve .en droil internalional public». R.J.P.I.C. Janvier-
Mars 1985. p. 774 ..
Madallle Palll [JASTID. Il Droil inlenwliollal pllblic - l'rillcipcs IÜlldalllClllall\\ ». Cours de Droit 1<J69-1970, p.
123..
c.P.J.1. Cerlains illléréls allcluands en Haule Silésie l'ololl:lIsc. alTél <III 25 lIIai 1112(,. série A na 7. p. 19 .. ct
Jeiln-pierre ROUCîEA\\JX « l.es renvois dn droil inlelllaliou:11 :nl droil inlcrnc» RGDIP 1977-2 p. 167.
-'''Cr. Paul REUTER. « L'e\\tension du droil intenwtional :nl\\ dépens du droil nalional devant le juge
inlernational )}. /lfélanges /Valine. Tome 1. p. 241.
-"'Cr. Série A na 20/21. arrél n° 15. p. 124.

231
« exclusivement des rapports entre l'Etat emprunteur et des personnes privées,
c'est-à-dire des rapports qui, par eux-mêmes, sont du domaine du droit interne »354.
Toujours, dans ce premier cas de figure, l'affaire de la Barcelona Traction
mérite d'être citée car dans cette affaire, la C.I.J. a estimé que sont pertinentes les
institutions de droit interne, à savoir les droits d'une société anonyme et ceux des
actionnaires. L'extrait qui suit le prouve amplement
« Pour aborder maintenant l'affaire sous l'angle du droit international, la Cour
doit, comme elle l'a déjà indiqué, partir du fait que la présente espèce met
essentiellement en jeu des facteurs tirés du droit interne, à savoir ce qu'il y a de
distinct et ce qu'il y a de commun entre la société et l'actionnaire, que les parties ont
pris
chacune
pour prémisse
de
leur
raisonnement
tout
en
donnant
des
interprétations divergentes.
Si la Cour devait se prononcer sans tenir compte des institutions de droit
interne, elle s'exposerait à de graves difficultés juridiques et cela sans justification.
Elle perdrait contact avec le réel,
car il n'existe pas, en droit international,
d'institutions correspondantes auxquelles la
Cour pourrait faire
appel.
C'est
pourquoi... non seulement la Cour doit prendre en considération le droit interne mais
encore, elle doit s 'y référer» 355.
En clair, dans les deux affaires que nous venons d'évoquer, la C.P.J.1. et la
C.I.J. se sont référées au droit interne parce qu'elles y ont été contraintes par les
nécessités de leur fonction et surtout par les circonstances des affaires qui leur sont
soumises. Mais, elles maintiennent toujours leur position dualiste qui leur permet de
ne pas considérer une règle de droit interne comme obligatoire a priori. Dans le cas
qui nous préoccupe, la Cour ne pouvait pas s'empêcher d'examiner l'affaire à la
lumière du droit colonial pour des raisons déjà évoquées
.1< 'Ibidem. p. 1R.
.1"Cr. Rec 1no, C 1..1. ;m'ê! dll 'i février 11)70, Affaire de la llarcclolla Traclioll, p. :\\7 ~ 50 el p. :IR ~ 55,

232
Mais contrairement aux deux affaires précédentes, elle n'a pas appliqué le
droit colonial à titre principal, mais à titre accessoire. « Si le droit colonial intervient
dans cette affaire, ce n'est pas comme tel, du fait d'un renvoi que le droit
international ferait à ce droit, mais seulement à titre d'élément de preuve de la
situation existant au moment de l'accession à l'indépendance des deux Etats
parties» 35B
Ce n'est pas ce que pense le juge ad hoc Abi Saab. En effet, ce dernier
estime que «l'arrêt est allé au-delà des limites de ce sage énoncé, en fondant son
raisonnement presque exclusivement et avec abondance de détails sur cet
élément »357 C'est, dit-il « une tâche qui ne convient guère à un organe juridictionnel
international et dont elle (la Cour) aurait pu faire l'économie dans une large
mesure ».
Cette remarque est fondée, mais ce qui semble avoir échappé au juge, c'est
que cette façon de faire de la Cour est dictée par les circonstances et les
particularités de l'affaire
Tous les moyens de preuve invoqués par les parties sont marqués du sceau
colonial. De plus, l'origine du différend remonte à la période coloniale. Dans ces
conditions, il est difficile que la Cour adopte en la matière une attitude expéditive à
moins de vouloir rendre un arrêt irréel, ce qui n'est pas son but.
Dans le second cas de figure, la Cour se prononce sur un fait de droit interne
en tant que simple question préalable. Elle a eu l'occasion de le faire dans l'affaire
Chorzow358 et dans l'affaire Mavrommatis. Dans cette dernière affaire, la C.P.J.1.
s'est occupée de la validité des concessions Mavrommatis, donc d'un point de droit
interne « seulement comme d'une question préalable, non pas comme d'un point de
droit rentrant, de par sa nature intrinsèque, dans la juridiction propre à la Cour »359.
""Reclleil l')X(,. p. )')() ~ (,'). Voir ég<llclIIClI1 ~\\\\I dc 1·",101.
"70p ind. de M. AI3I SAAI3. RClleil 1'.18(,. p. (,)'J.
·'~"Op. cil.
1~9Ree. Série A.'i p 2'J.

213
La question préalable est une technique de plus, élaborée pour justifier la
connaissance par une juridiction internationale d'un point de droit interne360. En tout
état de cause, une fois cette question résolue, la Cour examine un ou plusieurs
points de droit international qui entrent naturellement dans sa fonction. En l'espèce,
il s'agit du problème de la protection diplomatique
Comme nous venons de le voir, quelle que soit l'hypothèse dans laquelle on
se place, on se rend compte que le juge international, malgré sa position dualiste,
n'en est pas moins contraint de considérer les normes de droit interne comme des
normes vraiment juridiques, c'est-à-dire comme produisant des effets de droit, car,
après tout, elles ne sont pas autre chose. Mais, en même temps, il ne peut les
concevoir
autrement
qu'inférieures
au
droit
international
qu'il
est
chargé
d'appliquer361 .
§ 2 - Le droit colonial, moyen de preuve
Dans leurs pièces écrites, les parties ont « débroussaillé» le droit interne
français. Pour sa part par exemple, le Mali a analysé les règles du droit des contrats
et du droit administratif et a conclu que l'arrêté général de 1927 ne peut être
considéré comme un titre valable et pertinent parce que comportant une erreur362 sur
l'objet de la décision. Dans sa réponse, la Cour a fait remarquer que ces arguments
tendant à montrer la non validité en droit administratif français de cet arrêté, n'ont
aucun intérêt dans la mesure où ce texte réglementaire ainsi que l'erratum qui
l'accompagne, n'ont d'autre valeur que celle d'un élément de preuve363 (souligné par
nous). C'est-à-dire un élément qui doit être prouvé. Comment? L'arrêt ne le dit pas.
Le compromis lui non plus, n'est d'aucun secours puisque son article III alinéa 2 se
contente de mentionner « sans préjuger aucune question relative à la charge de la
preuve, les parties prient la chambre d'autoriser la procédure suivante au regard des
pièces de procédure écrite»
H'''tlle mppelle la IlIa~ime biell eOlllllle Cil droil adllllllisiralil' scloll laqllelle, le jllge de l'aetioll eslle jnge dc
l 'e~cepl iOIl en ce qni concerne l'appréciai ion d '1111 acle adminisl r:11 ir par le juge péna 1.
'('Ier. Michel VIRALLY. 1 snr un Ponl :lll~ {illes' les rapports enlre droil international cl droits illlernes ».
Mélanges H. Rolill. Pédolle l')M. op. cil .. p. ,l'l].
""L'illvocalion de cc vice de cOllselllemenl d:I1IS les cOllllils Il'I'rilori:lIl\\ sera e~:Imillée plus loin ..

7H
Au stade actuel de nos développements, l'évocation des règles relatives à la
preuve en droit international n'est pas une préoccupation.
Nous nous réservons d'examiner cette question plus loin. Pour le moment,
penchons-nous sur les implications de l'article précité du compromis. Cet article
n'énonce aucune règle relative à la preuve On peut donc penser qu'il donne pleins
pouvoirs à la Cour qui peut dès lors, recourir à tout moyen d'investigation ou à tout
mode de preuve à savoir la preuve écrite ou documentaire, la preuve orale ou
testimoniale ou encore les voies d'instruction. Aussi, en considérant le droit colonial
comme un moyen de preuve ou de démonstration, la Cour affirme non seulement la
grande liberté dont elle jouit dans la procédure probatoire, mais également, elle
invite les parties par la même occasion à collaborer à la recherche de la vérité en
prouvant ce droit.
Mais si la recherche de l'intention véritable de la puissance coloniale passe
par la preuve du droit que celle-ci a secrété, ce qui est une tâche des parties, en
revanche la recherche d'une solution équitable fondée sur le droit international,
incombe à la Cour.
SECTION Il : L'APPLICATION DE L'EQUITE INFRA LEGEM
Bien que l'équité soit une notion contingente et variable, donc difficile à
cerner, certains auteurs ont tenté de la définir. Ainsi pour Louis Delbez, l'équité est
la forme supérieure et raffinée de la justice qui s'oppose au droit strict, tout en
restant inhérente au droit et entrant dans la mission du juge364.
Lalande l'a définie comme {( ce sentiment sûr et spontané du juste et de
l'injuste» 365
)("Rccucil 19X6. pp. 591-592. ~ 72 .
.le"cr. Louis Dclbc/. Lcs-prjllcigcsgéuérall.\\ du droiliulclllaliouai public. ,èmc édiliou. 1.. G. D.l. 1964. p. 481.
""cr. Vocablliairc Icchlliqllc cl eriliqllc dc la philosophie. !'lJl' 7èlllC édilioll 19%. p. 295.

2l'i
Pour d'autres auteurs en revanche, l'équité parait « insaisissable »366, elle n'a
pas de contenu concree6?
L'article 38 du statut de la Cour ne la cite pas parmi les sources du droit
international que le juge peut appliquer dans les règlements des différends qui lui
sont soumis. Tout au plus, permet-il à la Cour de statuer ex aequo et bono lorsque
les parties lui en donnent l'autorisation (article 38, alinéa 2).
Ces deux formes de justice (le règlement en équité et le règlement ex aequo
et bono)
sont
les
plus
connues
en
droit
international.
Mais
la
doctrine
contemporaine368 distingue trois formes d'équité à l'intérieur de l'équité, notion-
mère:
- l'équité infra legem qui est inhérente au droit;
- l'équité praeter legem qui permet au juge de combler les lacunes du droit;
- l'équité contra legem qui conduit le juge à écarter l'application du droit.
L'arrêt a repris cette distinction à son compte et a souligné la pertinence en
l'espèce de l'équité infra legem où les principes équitables sont subordonnés non
pas à la morale ou au sentiment que le juge peut avoir du juste et de l'injuste, mais
au droit. Ainsi, comme le droit colonial, l'équité infra legem constitue pour la Haute
Cour un instrument d'identification de la frontière léguée aux Etats parties par le
colonisateur.
Un constat s'impose cependant. Les principes équitables dominent les arrêts
relatifs aux délimitations maritimes. Ces principes sont-ils transposables dans le
contentieux de délimitation terrestre? C'est la question que s'est posé le Burkina.
-'66Danicl BARDONNET. « Equilé ct fronlièrcs Icrrcstrcs » Mélangcs l'auU~çlltÇ~ op. cil. p. 15.
-'67CHEMILLIER-GENDREAU. « I.a significalion dcs principes éqnilahlcs dans le droil inlcrnalional
contcmporain». B.B.D.1. 1981-1982.
36RCHEMILLER-GENDREAU. op. cil., p. 514 : Alain PELLET« Droil inlcrnational public. PUF Mementos
Thémis 1981 lèrc édilion, pp. 31-34.
Lc profcsscur Rcutcr alTcctc quant ;) Ini trois fonclions ùl'éqnilé :
- l'équité visaut unc solution d'équivalencc
- l'équité visant unc solution dc proportionnalité
-l'équité visanl unc solution dc finalité
Voir;\\ cc SlüCl l'arliclc publié p;lr l'aulcur. « Quclqucs rénc:\\ions sur l'équité cn droit iutcrnational ».. R.B.D.1.
1980.1

236
Cette possibilité semble admise si l'on en juge par l'application par la Cour de
l'équité infra legem à la présente espèce Ce parallélisme entre les contentieux de
délimitation maritime et de délimitation terrestre pose le problème du domaine
d'application de l'équité en droit international Nous examinerons ce point dans un
premier paragraphe après quoi, nous analyserons dans un second paragraphe la
formule « une solution équitable qui repose sur le droit applicable ».
§ 1 - Le domaine d'application de l'équité en droit
international
Avec l'arrêt rendu par la Cour le 18 juillet 1966 dans l'affaire du sud-ouest
africain, on avait cru que la Cour ne ferait plus jamais recours au principe d'équité
puisqu'elle a déclaré: « La Cour juge le droit et ne peut tenir compte de principes
moraux que dans la mesure où on leur a donné une forme juridique suffisante »369.
Mais l'affaire du Plateau Continental de la mer du Nord est venue relancer
cette idée par la célèbre formule de l'arrêt de 1969 : « Quel que soit le raisonnement
juridique du juge, ses décisions doivent par définition être justes, donc en ce sens
équitable» 370
La même idée est reprise dans l'affaire de la Barcelona Traction où l'arrêt
déclare « dans le domaine de la protection diplomatique, comme dans tous les
domaines, le droit international exige une application raisonnable» 371. Précisons que
dans cette affaire la Cour a, malgré tout, rejeté les considérations d'équité
invoquées par la Belgique.
Dans plusieurs autres affaires maritimes soumises à la CourJ72 , l'équité a été
une notion récurrente: affaire des pêcheries islandaises, affaire de la délimitation du
J('YRee. 19(,(" p. ~4.
"ORee. 1969. p. 48. ~ 9~
"1 Ree. 1970 CU. 5 révrier l'nO, (J. 48 ~ 9~.
mNGANDO KINGlJE Le COj!lenliell.\\.J.<:iTiI9rial..devanll;IC.I.J. Thèse Docloral d'Etal. Orléans 1987. TOllle
II.
Voir SlU10\\Il René-le'ln DUrUY - Dauiel VIGNES Trailé du Nouveau Droit de la Mer. ~fonollliÇ!! 1985.

237
plateau continental Tunisie/Libye,
affaire du Golfe du Maine, affaire de la
délimitation du Plateau continental Libye/Malte. Nous n'excluons pas les affaires
maritimes soumises à arbitrage. Toutes ces affaires ont certainement contribué à
l'idée que les principes équitables ne s'appliquent qu'en droit de la Mer. En réalité,
l'équité et les considérations équitables sont évoquées avec une grande fréquence
dans des domaines divers (respect des droits de l'Homme, droit international
économique, indemnisation en cas de nationalisation, etc.. 373
Le fonctionnement de la justice internationale n'est pas en reste. En effet, « le
r61e de l'équité a été important dans les nombreuses instances arbitrales relatives à
la délimitation des frontières. Ce qui s'explique d'une part par les insuffisances des
bases juridiques de décisions adoptées par les parties dans les compromis arbitraux
; d'autre part, par l'objet même des litiges qui se prêtent assez souvent à des
compensations, échanges ou rétrocessions de territoires »374
Il en résulte qu'il n'y a pas de limitation du domaine d'application de l'équité.
Dès lors, elle s'applique parfaitement au contentieux de délimitation terrestre comme
le montre d'ailleurs l'article du Professeur Bardonnet intitulé « Equité et frontières
terrestres »37S On peut également signaler qu'en Amérique Latine, de nombreux
tribunaux arbitraux ont eu recours aux considérations d'équité pour trancher les
litiges territoriaux d'ordre terrestre qui leur étaient soumis. Il serait fastidieux de les
énumérer ici. Aussi, allons-nous retenir seulement deux exemples illustratifs : les
sentences Alcorta et Hughes. Ces sentences ayant été déjà examinées, nous
passerons sous silence les faits. Mais il est important de rappeler qu'elles ont été
respectivement rendues les 9 juillet 1909 et 23 janvier 1933. Elles révèlent que les
arbitres ont appliqué des considérations d'équité pour écarter l'uti possidetis parce
que les compromis les y autorisaient.
"'CHEMILLIFR GFNDREt\\lJ. op. cil. pp. .'i IO-.'il0.
'''Charles DE VISSel 1ER. « De l'éqllilé .. »._O]J~ciL. p. 10)
"'cr Mélanges Palll Rellter. op. cil.

218
Moins certaine est l'affaire du Rann de Kutch que l'on peut citer avec
prudence. Cette affaire a opposé deux Etats asiatiques, l'Inde et le Pakistan à
propos d'un différend territorial terrestre. Contrairement aux deux précédentes, dans
cette affaire, le compromis du 30 juin 1965 n'a pas précisé la base sur laquelle le
tribunal arbitral devait déterminer la frontière litigieuse. Ce silence donna l'occasion
aux parties d'interpréter différemment le fondement de la compétence du tribunal.
Ainsi, le Pakistan a soutenu que celui-ci peut statuer ex aequo et bono. Quant à
l'Inde, elle s'est contentée d'affirmer que l'équité n'a pas sa place dans le règlement
du différend.
Dans sa sentence du 19 février 1968, le Tribunal écarta la thèse pakistanaise
en rappelant que le pouvoir de décider sur cette base, aurait requis le commun
accord des parties et déclara ne pouvoir trouver cet accord dans les termes du
compromis non plus que dans un acte postérieur Il distingua enfin le règlement ex
aequo et bono et le recours à l'equity au sens anglo-saxon du terme 376.
Dans son appréciation, le Professeur HA Salmon a estimé que cette
sentence est fondée sur l'équité : «le tribunal a fait jouer à l'équité un r61e
outrepassant sans doute ce qui avait été accepté par les parties »3n
Le problème de l'application des principes équitables dans le contentieux de
délimitation terrestre ayant ainsi été réglé, il convient d'analyser l'application de
l'équité infra legem à la présente espèce
§ 2 - Analyse de l'a~plication de l'équité infra leg!ll!J.
Dans la présente affaire, la Cour a rappelé que les parties ne lui ont conféré
aucun pouvoir pour statuer ex aequo et bono, ce qui l'aurait peut-être conduite soit à
écarter le droit, soit à combler ses lacunes. En effet, l'arrêt a déclaré: « il est clair
que la chambre ne peut en la présente affaire statuer ex aequo et bono, n'ayant pas
reçu des parties la mission de procéder à un ajustement de leurs intéréts
·1J"Dans le S.l'slèlnc ;lIIglo-sa~on. "Fqnil.l' csl nll corps tic lèglcsJI.ridiqllcs dc tIroil i.llcrllc.
mer A.F.D.!. ]%X, p. 235.

239
respectifs .. ». Cette forme de justice n'a d'ailleurs jamais été appliquée. L'équité
contra legem et l'équité praeter legem telles qu'on vient de les voir, sont des
applications ou de la même famille que le règlement ex aequo et bono. On
comprend pourquoi la Cour les a écartées en ne prenant en considération que
« l'équité telle qu'elle s'exprime dans son aspect infra legem, c'est-à-dire cette forme
d'équité qui constitue une méthode d'interprétation du droit et en est l'une des
rté
378
quall
.
L'expression concentrée de cette équité qui est parfois appelée «équité
accessoire »379, tient dans une formule que l'arrêt cite « Il ne s'agit pas simplement
d'arriver à une solution équitable, mais d'arriver à une solution équitable qui repose
sur le droit applicable »380
Cette importante formule appelle deux séries de remarques:
1°) Elle confirme les positions générales de l'arrêt de 1969 rendu par la Cour dans
les affaires du plateau continental de la Mer du Nord en ce qui concerne l'équité. En
effet, dans ces affaires où la Cour était seulement chargée de fixer les principes et
règles de délimitation, cette haute juridiction a déclaré: « il ne s'agit pas d'appliquer
l'équité simplement comme une représentation de la justice abstraite,
mais
d'appliquer une règle de droit prescrivant le recours à des principes équitables»381.
Une question se pose. Peut-on assimiler la même formule à celle de l'arrêt
rendu par la Cour dans l'affaire du Plateau Continental TunisielLibye, à savoir
« l'équité en tant que notion juridique procède directement de l'idée de justice »382 ?
Pour notre part, nous ne pensons pas qu'un tel amalgame soit possible à
moins d'un revirement de jurisprudence car la dernière formule érige l'équité non
pas en une notion extrajuridique mais en une notion juridique. Il est cependant
])RRcencil 1<)X(" pp. 5ii7-5(,X ~ 2X.
"9Cr. Olivier PIROTTE. « La notion d'éqnilé dans la.Jnrisprudencc réccnte de la CU.)} R.GD.I.P. 1973, n° l,
P';o~~~: 11)74, CU 25.Jnillel 1'J74. AITaire des Pêcheries irland;lises. p..1.1, ~ 7X el p. 202 ~ (,<).
IRI Rec. 1%9. p. 47 ~ X5 .
.'"'Rec. J <)X2, p. (,() ~ 71.

240
curieux de constater que la Chambre a repris cette formule qu'elle considère par
ailleurs comme son guide383.
En ce qui le concerne, le juge Gros avait, dans on opinion dissidente,
sévèrement critiqué l'arrêt d'où ressort cette formule en déclarant: « il ne m'est pas
apparu au cours de la construction du présent arrêt qu'il s'agisse d'équité »384.
Un commentateur s'est également montré critique à l'égard du même arrêt
puisqu'il a considéré que « la Cour s'est livrée à une glose embarrassée sur la
notion d'équité» 38S.
2°) Y a-t-il vraiment une différence fondamentale entre une solution équitable tout
court et une solution équitable qui repose sur le droit applicable ? La solution
équitable à l'état pur relève du jugement de valeur, de noumènes, d'impressions
plus que d'une analyse strictement juridique
Quant à la solution équitable reposant sur le droit, elle est fondée sur des
considérations juridiques, sur le droit international, c'est-à-dire en l'espèce sur l'uti
possidetis.
Intellectuellement parlant il y a donc une différence. Cette différence réside
dans le fait que la subjectivité de la Cour est limitée là où prédominent les
considérations juridiques, la recherche de l'équité n'étant faite qu'en fonction de la
règle générale qu'elle doit appliquer c'est-à-dire l'uti possidetis. N'a-t-on pas écrit
que « l'équité jouera un r61e d'autant plus significatif dans l'application des règles
juridiques que ces règles seront énoncées en termes généraux »386.
3S3Ree. 1986 p. 633 ~ 149.
3s4Rec . 1982 p. 151 ~ l '!.
3S5Emmauuel DECAUX.« L'arrêt de la CU. dans l'allaire dnl'latc:llI l'onlinenta\\ Tuuisie/Lybie. Arrêt du24
février 1982 H. AF.D.1. 1982, p. 172.
,s'Taul REUTER. «Qnelques rél1exions sur l'équité en droit internalional H. op. eit. p. 168.

241
Mais les risques de statuer en équité pure sous le couvert du droit sont réels
surtout dans les litiges territoriaux parce que ces derniers se prêtent plus facilement
à des compensations, des ajustements ou à des rééquilibrages d'intérêts. Dans le
cas qui nous occupe, la Cour n'a pas échappé à cette loi de la pratique ou à cet
écueil car l'environnement naturel et administratif de la région litigieuse est un
facteur qui milite en faveur d'une solution transactionnelle ou équitable. La Cour a
cependant donné des assurances contre cette éventuelle déviation : « La chambre
tient néanmoins à souligner que rien n'autorise un recours à la notion d'équité pour
modifier une frontière établie. Dans le contexte africain en particulier, on ne saurait
invoquer les insuffisances manifestes, du point de vue ethnique, géographique ou
administratif, de maintes frontières héritées de la colonisation pour affirmer que leur
modification s'impose ou se justifie par des considérations d'équité. Ces frontières,
aussi peu satisfaisantes soient-elles, jouissent de l'autorité de l'uti possidetis et sont
à ce titre entièrement conforme au droit international contemporain »387.
Cette différence étant montrée, nous tenons à affirmer que nous ne
souscrivons pas à une opinion qui tend à la nier comme on peut le constater :
« Autant le fait de décider selon l'équité est un pouvoir du juge, autant ce pouvoir ne
suppose pas et ne conduit pas nécessairement à une solution différente de ce que
serait la conclusion d'un jugement de droit strict »388
Au terme de l'examen du droit colonial français et de l'équité infra legem,
deux éléments qui concourent à la mise en oeuvre de l'uti possidetis, quelle
conclusion peut-on tirer?
387 Rec. 198(,. p. (,)J ~ J49.
388Cf. Mario ROTONDI. »Considéralions Stlr la fonclion de l'éqnilé dans titi syslèllle de droit positif écrit )).
Mélanges Marc-Ance!. p. 53.

242
Dans ce chapitre, deux idées ont retenu notre attention:
1) La Cour a examiné le droit interne d'un Etat qui n'est pourtant pas partie au
procès même si, historiquement, il est à l'origine de la présente affaire. C'est une
particularité qui mérite d'être soulignée
2) L'arrêt a revêtu pour nous et certainement pour de nombreux juristes un
caractère édifiant puisqu'il a mis en exergue des notions peu courantes et avec
lesquelles nous sommes peu familiers. Nous voulons parler de la trilogie de l'équité.

241
CONCLUSION DU TITRE 1
Dans cette phase de détermination des règles applicables, la Cour a fait une
place de choix au principe de l'uti possidetis En effet, elle a fait de ce principe son fil
conducteur ou le phare qui l'éclaire dans le règlement du présent litige. C'est dans
cette perspective qu'elle l'a considéré comme un principe général du droit ou mieux
encore comme le droit international qu'elle doit appliquer
Elle a également reconnu la pertinence du droit colonial français et de l'équité
infra legem dont l'application contribuera à l'identification de la frontière litigieuse.
Mais loin d'être large, cette application est très restrictive.
En effet, s'il est normal que le juge national applique le droit international en
application de la théorie du monisme avec primauté du droit international, le renvoi
du
droit
international
au
droit
interne,
même
s'il
existe,
s'effectue
sans
« réception »389. C'est la raison pour laquelle la Cour a appliqué le droit colonial
français non en tant que tel mais comme un moyen de preuve parmi tant d'autres.
Enfin, elle a circonscrit l'équité à sa forme infra legem, confirmant ainsi les
positions qu'elle a prises dans l'affaire du Plateau Continental de la Mer du Nord en
cette matière.
Quel usage va-t-elle concrètement faire de ces règles et principes? C'est ce
que nous examinerons dans le titre Il de cette deuxième partie.
'R"Cr. N'GUYEN QUOC DINH. DAILUEIC l'FU.FT « Droit IlIlclllaliollall'lIblic » 1èmc édilion, L.G.D.J.
1987. p. 87.

244
TITRE Il
LA SOLUTION AU FOND

245
Deux points seront examinés dans le cadre de ce titre: d'une part l'analyse
de la solution au fond et d'autre part sa portée.
CHAPITRE 1
ANALYSE DE LA SOLUTION AU FOND
Trois points seront successivement examinés:
L'examen par la Cour des questions préalables
La définition du régime juridique de la frontière qu'elle a tracée
L'appréciation de la solution au fond.
En raison de son importance, le second point nous retiendra beaucoup plus
longuement que les deux autres car c'est là précisément que l'on verra si les
principes ci-dessus proclamés sont concrètement appliqués.
SECTION 1: L'EXAMEN DES QUESTIONS PREALABLES
Avant d'exposer les motifs qui vont étayer le dispositif de l'arrêt, la Cour s'est
prononcée à titre préalable sur deux questions. L'une a trait à l'attitude adoptée par
le Mali dans la recherche par les parties d'une solution au différend avant la saisine
de la Cour. Il s'agira d'apprécier cette attitude dans le cadre des structures de
concertation que les deux pays ont mises en place, d'une part, et dans le cadre de
l'O. UA au sein de la Commission de Médiation constituée en dehors des
mécanismes prévus par le protocole du Caire de 1964 d'autre part.
L'autre question est relative aux pouvoirs dont dispose la Cour dans la
fixation du point triple, c'est-à-dire le point terminal de la frontière litigieuse.

2'\\<1
$1
Les arguments tirés « des acquiescements
maliens»
Les parties ont abondamment argumenté leurs positions, et parmi les
arguments qu'elles ont fait valoir, la Cour a retenu quelques aspects des moyens de
preuve du Burkina qu'elle juge peu déterminants pour l'issue du litige. Il s'agit des
« acquiescements maliens ». En quoi consistent-ils ? Selon le Burkina, ces
« acquiescements découlent de l'attitude de malienne face aux résultats des travaux
de la Commission de Médiation de l'ü.UA et aux principes et règles de délimitation
retenus par la sous-commission juridique de ladite Commission ».
A)
« Les acquiescements maliens» des conclusions de
la commission de médiation
Pour avoir déjà évoqué les conclusions de la Commission de Médiation, il ne
sera pas nécessaire d'entrer dans les détails dans le cadre des présents
développements. Aussi, nous bornerons-nous à rappeler que ces conclusions ont
été en fait l'oeuvre de la sous-commission juridique. Pour le Burkina, le Mali les a
acceptées. Pour conforter son affirmation, il invoque deux raisons:

Premièrement, il soutient que le communiqué final de la Conférence au
sommet de Lomé du 27 décembre 1974 est un véritable accord
international liant les parties390
Une question se pose, un communiqué final peut-il constituer un accord
international ? Il semble que cela soit possible. C'est du moins ce qui ressort de
l'affaire du plateau continental de la mer Egée (compétence) où la Cour a écrit: « il
n'existe pas de règle de droit international interdisant qu'un communiqué conjoint
constitue un accord international destiné à soumettre un différend à l'arbitrage ou au
règlement judiciaire ii391.
Wf'Cest ù la suite de cctte Conférence que fut crééc 1,1 Commissioll dc Médiillioll.
391Rec. ('1.1. 19 déccmbrc 1<nR. p. 19. Voir ég:llcmclIl M. RFTTATI. "1 :nffaire dll Plnlcall COlllinclllal de \\a

247
Nous avons souligné le caractère peu contraignant de ces recommandations
qui ont valeur de simple résolution. Elles ont cependant le mérite de participer de la
philosophie du règlement des différends interafricains par les Africains eux-mêmes.

Deuxièmement, le Burkina estime que la déclaration faite par le Chef
d'Etat malien à l'Agence France-Presse le 11 avril 1975392 est un signe
supplémentaire d'acquiescement On se souvient que l'un des avocats du
Mali a repoussé cet argument en faisant observer qu'il s'agit d'« une boutade
du type de celles que l'on lance dans une Conférence de Presse Il.
B)
L' cc acceptation » par le Mali des principes de
délimitation retenue par la sous-commission
juridique de la commission de médiation
Pour mener à bien ses travaux, la sous-commission juridique s'est fondée non
seulement sur le principe de l'intangibilité des frontières africaines mais en plus sur
la règle de la prééminence du titre législatif ou réglementaire et sur le principe du
recours aux documents cartographiques Ces mêmes principes avaient guidé les
travaux entrepris par les parties dans le cadre des structures bilatérales de
concertation ou de coordination qu'elles ont mises en place. Partant de cette idée, le
Burkina affirme que le Mali avait accepté lesdits principes pour la délimitation de la
frontière commune non contestée, et conclut que ces mêmes principes devaient
s'appliquer pour la délimitation du reste de la frontière en vertu du principe de l'unité
du tracé frontalier.
En réalité, les principes dont le Mali conteste l'application concernent la
valeur des cartes et les comportements d'effectivité. On se souvient que, depuis le
début de la procédure devant la Cour, ce pays a toujours contesté la valeur des
-------- - _ . _ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Mer Egée devant la CU. (arrêt du 19 déccmbre 1978). A.L12L 1978, pp. 101-120.
192 Cette déclaration a été menlÎonnée plus haut.

24X
documents cartographiques. Cela ne l'a pas empêché d'en faire usage pour les
besoins de sa cause.
Ces acquiescements que le Burkina lui oppose, reposent sur la théorie de
l'estoppel qui signifie qu'un Etat ne peut pas adopter un comportement qui contredit
son attitude antérieure. Autrement dit, le Mali ne peut pas refuser aujourd'hui ce qu'il
a accepté hier.
Ce n'est pas la première fois que cette théorie est invoquée devant la Cour.
Dans l'affaire du Temple de Préah Vihear, la Cour a relevé divers éléments
de fait qui manifestent l'acquiescement du Siam au tracé de la frontière tel qu'il est
indiqué sur la carte393
Dans l'affaire du Golfe du Maine, le Canada a invoqué l'estoppel qu'il a défini
au cours des plaidoiries comme « l'alter ego» de l'acquiescement. Profitant de
l'occasion qui lui était ainsi donnée, la Cour précisa ces deux notions en ces termes
: La Chambre constate en tout cas que les notions d'acquiescement et d'estoppel,
quel que soit le statut que leur réselve le droit international, découlent toutes deux
des principes fondamentaux de la bonne foi et de l'équité. Elles procèdent cependant
de
raisonnements
juridiques
différents,
l'acquiescement
équivalant
à
une
reconnaissance tacite manifestée par un comportement unilatéral que l'autre partie
peut interpréter comme un consentement, l'estoppel, par contre est lié à l'idée de
forclusion. D'après une certaine façon de voir, la forclusion serait d'ailleurs l'aspect
procédural et l'estoppell'aspect de fond même du principe,i394
Que pense la Cour de tous ces arguments burkinabé? Elle considère, ainsi
qu'on va le voir maintenant, qu'ils sont sans importance pour l'issue du litige.
.193 Cf. J.P. COT. "AlTaire du Temple de Préah Vihear - Cmuoodgefl'llaïlande (rond). Arrêt du 15 juin 1962.
A.F.D.1. 1962. p. 216 el suiv.
10·1 nec
l'lX.I. P,O'i $ 1'0
SlIr la notioll <l'csloppcl. voir AlIloillc MAln'lN. "I.'csloppcl Cil Il. 1.1''' l'a ris. A. l'C<lOIlC 197').

C)- La position de la cour
Avant toute chose, la Cour releva le caractère "irrelevant" de l'historique des
incidents frontaliers et des efforts déployés pour mettre fin au différend, puis jugea
les arguments burkinabè ci-dessus rapportés non déterminants. En effet, affirme-t-
elle, "il importe donc peu que le Mali ait ou non adopté une attitude particulière, soit
au cours de négociations sur des questions de frontières, soit à J'égard des
conclusions de la sous-commission juridique de la Commission de Médiation de
1'0. u.A. et que cette attitude puisse ou non s'interpréter comme traduisant une prise
de positon déterminée, voire un acquiescement, quant aux principes et règles, y
compris ceux qui définissent la valeur des divers moyens de preuves, applicables à
la solution du différend,>395.
Pour justifier
sa
position,
la
Haute
Cour
s'est
appuyée
sur
deux
considérations:
le fait que les parties ne lui ont pas demandé dans le compromis de
tenir compte des travaux de la Commission de médiation;
le fait qu'elle ne peut retenir la thèse du Burkina selon laquelle le
rapport de la sous-commission juridique est devenu obligatoire; dans
ce deuxième cas, elle considère que si elle le faisait, elle n'aurait qu'à
l'entériner.
Bien que défendable, ce raisonnement présente quelques failles qu'il
convient de relever.
Si la Cour refuse de tenir compte des travaux précités, en toute logique, elle
ne devrait pas rappeler dans les motifs de sa décision les résultats desdits travaux à
des fins démonstratives. Or, c'est ce qu'elle a fait tout au long de l'arrêt. On verra
plus loin qu'il existe parfois un divorce entre les principes affirmés par la Cour et leur
J'" Rccueil 1<JX(), p. 575 $ 42.

250
application concrète. L'arrêt, on peut l'affirmer, pèche de ce point de vue.
De plus, à propos de la déclaration faite par le chef d'Etat malien à l'Agence
France-Presse, l'arrêt souligne que cette déclaration ne constitue pas un acte
unilatéral comportant des effets juridiques, aucun accord n'ayant été conclu à la
suite des travaux de la Commission de médiation. Tout dépend de l'intention de
l'Etat considéré, renchérit l'arrêt.
Aucun accord n'a effectivement été conclu
après
les travaux de
la
Commission de médiation par les parties. Sur ce point, la position exprimée par la
Cour se fonde sur un principe qu'elle a antérieurement affirmé dans l'arrêt rendu
dans l'affaire des Essais nucléaires: « La Cour ne saurait faire état des déclarations,
admissions ou propositions qu'ont pu faire les parties au cours de négociations
directes qui ont eu lieu entre elles, lorsque ces négociations n'ont pas abouti à un
accord complet »396. Cette position n'appelle donc aucun commentaire.
En revanche, sur les conséquences de l'acte unilatéral, les développements
de l'arrêt ne sont pas satisfaisants. Laisser entendre que tout acte unilatéral
n'entraîne pas forcément des obligations, cela serait vrai si la Cour ajoutait « car tout
dépend des circonstances dans lesquelles inte/vient cet acte ». Au lieu de cela, la
Cour affirme que tout dépend de l'intention de l'Etat considéré. Seules ces
circonstances permettront de découvrir l'intention réelle. En l'espèce par exemple, la
déclaration du président malien a été faite non pas in vacuo mais à propos du
règlement du différend frontalier, contrairement à l'opinion exprimée par la Cour au
paragraphe 39 de l'arrêt. Quant au critère de l'intention de l'Etat considéré, il nous
paraît subjectif et ne peut à ce titre être retenu.
C'est une situation difficile que de rechercher l'intention réelle d'un acteur de
droit international. C'est pourquoi, pour préserver la sécurité juridique dans les
rapports internationaux, on s'attarde toujours à l'intention déclarée (cf. supra).
.,or. Rec. 1'.>74, op. cil" p. 270 $ 54 ct C.P.J.I, IJsine de Chorl.Ol\\' (fond!. série A 1J0 17, p. 51.

251
La question relative à l'attitude des parties dans ce différend frontalier et plus
particulièrement à l'acquiescement, a été également abordée par le juge ad hoc
Luchaire dans son opinion individuelle. Son raisonnement est particulièrement
intéressant.
En effet, il écrit : « les colonies de la Haute- Volta et du Soudan français
étaient, après le référendum du 28 septembre 1958, des Etats membres de la
Communauté. A l'indépendance, elles ont succédé à elles-mêmes, dans la mesure
où elles ont recueilli à la fois les compétences qu'exerçait à leur égard la
Communauté mais aussi celles qu'elles exerçaient elles-mêmes en tant qu'Etats
membres de cette communauté».
Il conclut que ces nombreux Etats sont
aujourd'hui tenus par les décisions implicites ou expresses qu'ils ont prises dans le
cadre de la Communauté en vertu de la théorie de l'acquiescement. Cette façon de
voir serait inattaquable si l'indépendance des anciennes colonies qu'étaient la
Haute-Volta et le Mali remontait au lendemain du référendum de 1958. Ce qui n'est
pas le cas car, à cette date, ces colonies devenues territoires d'Outre-Mer, n'étaient
pas véritablement indépendantes ainsi qu'il a été indiqué plus haut.
En revanche, c'est à juste titre qu'il oppose au Burkina son propre
acquiescement qu'il tire de l'absence de protestation par ce pays contre une
situation de fait qui se résume en la participation à la vie démocratique soudanaise
du village de DioulounaJ9? En effet, l'assemblée territoriale de Haute-Volta aurait
bien pu le faire malgré sa compétence consultative.
L'examen de cette premiére question préalable étant terminée, voyons
comment la Cour conçoit ses pouvoirs dans la fixation du point triple.
.197 Recueil 1986. p. 6)6.

2<;2
$2
La conception de la Cour de ses pouvoirs dans la
fixation du point triple
Le point triple est le point terminal de la frontière entre les parties. C'est
également le début de la frontière entre le Burkina et le Niger. Rappelons que le
texte applicable à cette zone qui fait partie intégrante de la région du Béli est l'arrêté
général du 31 août 1927 et son erratum du 5 octobre de la même année. Le
compromis ne précisant pas où commence et où se termine la frontière litigieuse, les
parties se sont livrées à des interprétations opposées39B La Cour se devait donc de
faire le point sur cette question en tenant compte des avis émis par les parties. On
sait que pour le Mali, la Cour doit s'abstenir de se prononcer sur la détermination du
point triple parce que, dit-il, si elle le faisait, elle trancherait en même temps les
droits du Niger dans ses rapports avec cllacune des parties
Nous avons déjà montré plus haut que le Niger, Etat tiers au procès pouvait
formuler une requête aux fins d'intervention parce qu'il a des droits à faire valoir. La
détermination du point triple le concerne car son territoire pourrait être affecté si le
mont N'Gouma était placé non pas au nord mais au sud-est du gué de Kabia. Mais
on sait que jusqu'à la proclamation du présent arrêt, ce pays n'a manifesté aucune
intention d'intervenir. Aussi, la Cour se devait-elle de sauvegarder ses intérêts.
Contrairement au Mali, le Burkina estime, quant à lui, que la Cour faillirait à
sa tâche si elle prononçait un non Iiquef sur la question débattue. Il fonde sa position
sur l'arrêté général de 1927 et sur la carte IGN au 1/200.000 de 1960 ; selon ce
pays, il existe de nombreuses raisons qui incitent la Cour à se prononcer:
le différend ne met aux prises que le Burkina et le Mali. Cependant,
dans l'esprit du gouvernement burkinabé, le protocole d'accord de
1964 qui le lie au Niger est un élément que la Cour doit considérer;
.1'IX
Lcs problèmcs ,lITércnls au débul dc la rrontièrc litigicusc seronl c.\\alllinés plus loin.

la détermination du point triple est la conséquence de l'arrêt et non son
objet;
le compromis demande à la Chambre de procéder à la délimitation et à
la démarcation définitive de la frontière.
La cour, après avoir interprété le compromis pour dégager la volonté des
parties, « conclut qu'il ressort clairement des termes du compromis, son préambule
compris, que l'intention commune des parties était d'obtenir de la Chambre
l'indication du tracé de la frontière entre leurs territoires respectifs dans toute « la
zone contestée ii et que cette zone représentait pour elles la totalité de la frontière
non encore délimitée d'un commun accord".
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour n'a pas perdu de vue le protocole
d'accord de 1964 élaboré par le Burkina et le Niger sur la base de l'arrêté de 1927,
son erratum et la carte au 1/1.000.000 de 1927 qui accompagnait ledit arrêté. Ce
dernier élément l'a également déterminée à rejeter l'un des arguments maliens
fondés sur l'existence d'une erreur de fait 399 qui aurait affecté l'arrêté de 1927.
En se prononçant donc sur le point triple, la Cour a exprimé son intention de
ne pas vider à moitié la querelle des parties en limitant comme elle l'a fait dans
l'affaire du plateau continental LibyelMalte, sa décision à une zone géographique
déterminée. Cette remarque faite par la Cour, l'a conduit à distinguer les principes
de délimitation maritime et les principes de délimitation terrestre.
199
Cc n'est pas la première fois qu'une erreur esl invoquée devant la CU. dans un conOit territorial. Voir
Louis DUBOUIS. "L'erreur en droit international public" A.F.Q,L 1%3. p. l'JI ù 226. En elTet, la notion
d'erreur a été évoquée dans la sentence
arbitrale rendue par le roi d'Espagne le 23 décenlbre 1906 enlre le Iionduras cl le Nicaragua. Celle sentence a
été soumise ;\\ la Cour qui a prononcé sa décision le 1Xnovemhre 1%0.
De même. d,1I1S 1';IITaire relative;l la souvcr,linelé sur certaines parcelles frontalières. les Pays-[3as ont prétendu
qu'une erreur de copie. simple errcur matérielle. s'était glissée dans le procès-verbal de la Commission de
délimil:ltion anne~é ,Ill trailé de 1841. cl ;1 vicié ccl accord. I.a COllr ne les a pas sllivis.
Voir ù cc snjct André COC1Ître-Zilgien. A.~ll~L l'J5'). p. 291.
Enfin, dans l'aITaire du Temple de Préah Vihear. la Cour a refllsé de snivre la Thaïlande qni avait invoqué une
erreur dans sa déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour f,lite par elle en l'ISO. Dans cette affaire, la
Cour a défllli les condilions d'Ilne erreur essentielle c'est-il-dire de l'crrellr constitntive d'un vice de
consentement: "la principale importancc jnridiqne de l'errellr. lorsqu'elle e~iste. est de pouvoir affecter la

254
Ainsi, dans le contentieux de délimitation terrestre, l'arrêt souligne que
« les
considérations
juridiques
dont
il
faut
tenir
compte
pour
déterminer
l'emplacement d'une frontière terrestre entre des parties ne dépendent aucunement
de la situation de la frontière qui sépare le territoire de l'une ou de l'autre de ces
parties de celui d'un Etat tiers .. »400 (souligné par nous)
Cette formule semble vouloir dire que le facteur géographique importe peu
dans ce type de contentieux.
En revanche,
en matière de délimitation du plateau continental, non
seulement la délimitation doit s'opérer par voie d'accord conformément à des
principes équitables401
mais également, elle doit tenir compte de toutes les
circonstances pertinentes (y compris les circonstances géographiques).
De ce fait, conclut la Cour lorsque « le Juge est saisi d'une demande portant
sur la délimitation d'un plateau continental, il doit se garder de statuer même si les
parties en litige l'y autorisent, sur des droits afférents à des zones où s'expriment des
prétentions d'Etats tiers »402 L'accord de tous les Etats dont les intérêts sont
menacés est nécessaire. Cette précaution est dictée sans aucun doute par le fait
que dans le contentieux de délimitation maritime, il est plus question de limites que
véritablement de frontières matérialisables comme en matière terrestre. C'est
pourquoi la Cour a estimé que la demande des parties relative au "point triple" est
mal formulée car "il s'agit en effet pour la Chambre non pas de fixer un point triple,
réalité du consentement censé avoir été donné". Rec. l'J(, 1. CU. arrêl du 2(, lIIai 1')(,1. p. JO.
40»
Ree. 19R(,. p. 5711, $47.
,.,01
La recherche de l'équité sc fait donc par l'obligalion de négocier cl de la faire de tcllc sorte que cela ait
quelque chance d'aboulir Ù 1111 accord. Eu cfTc!. eOlllnle le dil la Cour "les parties sont tenues d'engager une
négociation en vue de réaliser IIU accord cl lion pas simplement de procéder Ù IIl1e négociation formelle comme
une sorte de condition préalable <1 l'appliealioll aulommique d'une certaine méthode de sc comporter de lelle
manière que la négociation ait un sens. cc qui n'esl pas le cas lorsque 1'\\IIle d'clic insisle sur sa propre position
saus envisager alleu Ile modilie:llion". Cf. Rec. 1%'1, op. cil. P 47 $ X7a.
Voir égalemellt RCllé Jeall DUl'lJY - 1);lIIicl VICiNI'S. ''"!"r:tilé clu NOllve;1I1 I)roil de la Mer". Ecollomiea l'IR5.
op. eit.. p. 1IJ.
cl enlill Frallçois MONCONOUIT "AITairc cllI Plale:1I1 ("orllillclliai de 1;1 Mer cllI Norcl". A.F.O.1. )<)(''1, P 2JR.
"'2
Recueil l'IXe,. p. 57R. $ 47.

255
ce qui exigerait le consentement de tous les Etats concernés, mais de constater au
vu des moyens de preuve que les parties ont mis à sa disposition, jusqu'où s'étend
la frontière héritée de l'Etat colonisateur,,403 Mais sa décision de statuer sur tout le
petitum ne signifie pas qu'elle sacrifie les droits du Niger qui aurait pu intervenir
comme elle le reconnaît elle-même.
Au contraire,
la Cour affirme que ces droits seront sauvegardés par
l'inopposabilité à ce pays non seulement de l'interprétation qu'elle donne à l'arrêté
général de 1927 et à son erratum mais également à l'arrêt qu'elle a rendu404.
Il résulte de ce qui précède que l'arrêt rendu dans l'affaire de l'or monétaire
pris à Rome en 1943, n'est pas pertinent comme nous l'avons souligné plus haut.
C'est pour cette raison que la Cour n'en a tenu aucun compte.
Ces deux questions préalables liquidées, la Cour s'est employée à définir les
contours de sa décision.
SECTION Il :
LE REGIME JURIDIQUE DU TRACE DE
LA FRONTIERE
Conformément à la mission que les parties lui ont confiée -à savoir tracer une
ligne et une ligne précise et non pas leur donner des indications susceptibles de les
éclairer quant à la détermination de leur frontière commune, la Cour a procédé à la
délimitation de ladite frontière, son abornement n'intervenant que dans l'année
suivant l'arrêt rendu avec l'aide de trois experts dont la désignation est laissée au
soin de la Cour.
Comment s'y est-elle prise? La Cour a doté ce tracé frontalier d'un double
régime juridique. Ainsi on distingue d'une part la frontière régie par l'arrêté général
403
Recueil 1986. p. 579 $ 49.
404 Sur la prise en compte des intérêls dcs Etats liers. voir Charles ROUSSEAU. "Le règlement arbitral ct
judiciaire cl les El,lls tiers".
Mélanges f:LRol!.lJ A. Pédone 1%4. p. 107.

256
2728/AP et d'autre part, celle régie par la lettre-circulaire 191/CM2. Ce double
régime correspond à la division de la frontière en deux secteurs40S
Pour en arriver là, la Haute Cour a dû utiliser le procédé de la présomption
pour conclure au caractère déclaratoire non seulement de l'arrêté 2728 mais
également de la lettre-circulaire 191/CM2, c'est-à-dire qu'elle a tiré des déductions
de certaines circonstances du litige. Ces circonstances dont le bien-fondé sera
examiné, militent dans leur ensemble, de l'avis de la Cour en faveur de cette
présomption. On peut se demander pourquoi la Cour a choisi ce procédé comme
instrument de recherche de la vérité.
Les raisons tiennent essentiellement aux particularités de la présente affaire:
preuves insuffisantes et incertaines résultant des documents tant écrits que
cartographiques, absence de documents importants non retrouvés par les parties:
tel est le cas de la lettre-circulaire 93CM2 du 4 février 1930, de la lettre du
gouverneur du Soudan français en date du 3 juin 1935406, des cartes jointes à la
lettre circulaire 191 CM2 et à l'arrêté 2728 AP. On ignore également si le décret
portant suppression de la colonie de Haute-Volta et la loi reconstituant cette même
colonie, étaient assortis de cartes.
Dans cet esprit de dénuement quasi total, se fonder sur des probabilités et
des vraisemblances a paru à la Cour le meilleur choix pour rendre sa décision
d'autant plus qu'elle ne peut se dérober à sa mission parce qu'elle est
insuffisamment éclairée.
Certes, les parties ont soumis à la Cour de nombreux moyens de preuve,
mais ceux-ci se sont révélés insuffisants, peu déterminants aux yeux de la Cour.
C'est pourquoi, l'arrêt souligne que "la Chambre ne peut avoir la certitude de statuer
40,
le Burkina a proposé eelle division CJue la Cour a entérinée.
406
Celle !Cllre n'a pas élé produile à l'illslancc

257
en pleine connaissance de cause,AD?
Elle a néanmoins jugé les moyens suivants comme pertinents:
1)
En ce qui concerne les textes, notons le décret du 1er mars
1919, l'arrêté général du 31 décembre 1922, l'arrêté général du
31 août 1927 et son erratum du 5 octobre 1927, le décret du 5
septembre 1932, l'arrêté général du 27 décembre 1935, l'arrêté
du 2 août 1945 ; en dehors de ces textes réglementaires, on a la
lettre-circulaire 191 CM2 du 19 février 1935 suivie de la réponse
du Lieutenant gouverneur du Soudan français en date du 3 juin
1935, la loi n047-1707 du 4 septembre 1947. Dans cette
panoplie de textes, la Cour n'a considéré que l'arrêté 2728 du
27 septembre 1935 et la lettre-Circulaire 191 CM2.
2)
En ce qui concerne les cartes, elle n'a retenu que la carte des
colonies de l'A 0 F. au 1/500 000 -édition 1925- dressée par le
service géographique de l'AO.F à Dakar et imprimé à Paris par
Blondel La Rouger/DB, et la carte de l'AO.F. publiée par l'IGN
français entre 1958 et 1960 - feuille Ansongo, ln Tillit, Dori,
Tera et Djibo. Ces deux documents cartographiques revêtent à
ses yeux un caractère probant. Pourtant on remarquera que
dans les motifs de l'arrêt, la Cour a reconnu à de nombreuses
cartes valeur probante.
3)
En ce qui concerne les "effectivités", l'attention de la Cour s'est
surtout portée sur les travaux de piste effectués dans le secteur
des quatre villages.
Malgré cette profusion de moyens de preuve, la Cour est restée sur sa faim
""
Rec. \\IJX(i. p. 5X7. $ M.
-1""
Pour la SlIilc. celte carle sera déslgllée comme 1';1 fait l'arrêl SOll5 la dénomimllion de Carle Blondel La
Rongery.

2)8
mais elle s'est résignée à rechercher à travers ces derniers les éléments qui
confortent ou corroborent sa double présomption
Cette double présomption fera l'objet du premier paragraphe qui sera suivi
d'un second paragraphe consacré au tracé de la frontière.
$1
La double présomption du régime juridique du
tracé de la frontière
Nous examinerons d'une part le caractère déclaratoire de l'arrêté 2728 et
d'autre part celui de la lettre-circulaire 191 CM2
A) Le caractère déclaratoire de l'arrêté 2728
Il convient de préciser que ce texte régit la partie de la frontière qui va de la
fin de la frontière délimitée conventionnellement par les parties c'est-à-dire du début
de la frontière litigieuse, à la mare du Sourn. Ce début n'est pas clairement apparu
dans les écritures des parties. En effet, si le Mali le fait partir du village de Lofou, un
village malien non contesté, le Burkina quant à lui, s'est contenté de présenter
devant la Cour la carte IGN au 1/200.000 de 1960 sur laquelle les parties s'étaient
fondées pour délimiter conventionnellement la première partie de leur frontière
commune. Cette carte fait figurer le point terminal de la frontière non contestée à 18
kilomètres au nord de Lofou.
La Cour en conclut que le début de la frontière litigieuse se situe au sud du
point de coordonnées géographiques 1°59'01" ouest et 14°24'40". Ainsi, elle n'a pas
retenu le point de vue malien parce que celui-ci tend à semer la confusion dans
l'appellation "quatre villages" reprise d'ailleurs par la Cour.
Si l'arrêté 2728 vise le village de Lofou, il vise également la mare de
Kétouaire. Cette mare n'ayant pas été identifiée, la Cour, on le verra, va lui
substituer la mare de Soum.

259
1\\ n'est pas également inutile de rappeler l'historique de cet arrêté. Pris après
la suppression de la colonie de Haute-Volta, ce texte a rattaché à Mopti (Cercle
soudanais) les quatre villages aujourd'hui contestés : Agoulourou, Oukoulourou,
Koubo et Dionouga « qui relevaient initialement de Ouahigouya, Cercle voltaïque ».
La question posée à la Cour est de savoir si ces villages ont de tout temps
appartenu au Soudan français ou si cette appartenance est consécutive à la
suppression en 1932 de la colonie de Haute-Volta
Pour le Mali, pour qui l'arrêté 2728 constitue « le cheval de bataille» ces
villages ont toujours appartenu au Soudan français. Pour le Burkina au contraire, cet
arrêté ne constitue plus un titre valable parce qu'il a été implicitement abrogé par la
loi de 1947.
La Cour ne partage pas ce dernier avis. En effet, « il existe -pour elle- une
présomption que l'arrêté litigieux n'a pas eu pour fin ni pour effet de modifier les
limites existantes en 1935 entre les Cercles de Mopti et de Ouahigouya ». Elle fonde
cette présomption sur des signes dont certains sont contestables: interprétation des
textes législatif et réglementaire, des cartes, des documents administratifs et des
autres preuves (pratique coloniale, déclarations des populations locales).
10 -
Sur la distinction entre villages et hameaux de culture
La Cour estime que le village a pu, à certaines fins administratives
comprendre tous les terrains qui en dépendaient même si elle n'a pas la certitude
que les hameaux de culture ont toujours été pris en considération par le colonisateur
dans le tracé des limites. Elle reste convaincue malgré tout que les hameaux de
culture n'ont aucune incidence sur le tracé des frontières coloniales.
En effet, affirme-t-elle, « à l'époque coloniale, le fait que les habitants d'un
village se trouvant dans une colonie française, aillent cultiver des terres situées sur
le territoire d'une colonie française voisine n'était nullement en contradiction avec la
notion de limite bien déterminée entre les diverses colonies ou Cercles ».

260
Ce qu'il importe de souligner, c'est que ces pratiques ont été poursuivies
après les indépendances et posent un problème de souveraineté.
Un Etat dont les populations vont cultiver des terres appartenant à un village
d'un autre
Etat,
peut-il prendre pour prétexte ce fait
pour revendiquer
le
rattachement de ce hameau satellite? Non. Ce problème se pose concrètement
entre le village de Kobou (malien) et le hameau de culture de Kobo (burkinabé).
La Cour déclare: « les informations dont dispose la Chambre ne suffisent pas
à établir avec certitude si c'est le village de Kobou ou le hameau de Kobo qui
correspond au village de Koubo visé par l'arrêté 2728 .. mais étant donné que le
hameau n'est qu'à quatre kilomètres de distance de ce village, elle estime qu'il y a
lieu de les considérer comme un tout et de tracer la ligne frontière de façon à les
laisser tous deux au Mali» ,A09
Cette solution laisse apparaître une conception extensive de la notion de
village. Les difficultés rencontrées par la Cour pour trancher cette question sont
évidentes mais elles n'expliquent pas à elles-seules cette position de la Cour. Il est
vrai que tout autre solution aurait eu pour effet d'infirmer le caractère déclaratoire de
l'arrêté 2728. En tout cas, cette solution n'est pas sans défauts.
*
Elle
peut
constituer
pour
les
nouveaux
Etats
issus
de
la
décolonisation un instrument de politique d'expansion. Comme en général, leurs
frontières sont perméables, il suffirait que des paysans d'un village d'un Etat A
aillent cultiver les terres fertiles du village frontalier ou même en profondeur d'un
Etat B pour que l'Etat A se croit le droit de revendiquer ces terres.
** Elle incite les Etats qui ne s'entendent pas à durcir leurs positions
dans les régions frontalières. Ainsi, il ne sera pas rare qu'un Etat refuse que des
populations d'un Etat voisin viennent cultiver des terres à leur profit. En dernière
analyse, ce sont les paysans ou les éleveurs qui feront les frais de cette décision.
·111<'
Rec. 191\\6. p. (,2\\ $ 126.

261
~u Enfin, on peut craindre comme effet immédiat, que les parties soient
tentées de remettre en cause l'accord du 25 février 1964 qu'elles ont conclu. Cet
accord règle dans le Sahel les problèmes fonciers et du maintien des droits d'usage
des eaux des mares, sur la base des coutumes de la région. Ce risque semble
écarté car dans sa déclaration faite à Ouagadougou au lendemain de la
proclamation de l'arrêt, le Président burkinabé à souligné : « Notre souveraineté
n'est exclusive des intérêts d'aucun peuple. En particulier, nous proclamons que
l'eau et les riches pâturages de la région de l'agacher, internationalement reconnue
comme territoire burkinabé, sont à la disposition du peuple du Mali et du peuple du
Burkina Faso. Les agriculteurs et éleveurs maliens y sont chez eux et doivent
continuer de se sentir chez eux en attendant que les perspectives révélées par les
recherches minières, se confirment pour la prospérité des deux peuples »410. La
Chambre tente ensuite de tirer des travaux préparatoires de l'arrêté 2728 des
indicateurs qui confirment sa présomption
20 -
Examen des travaux préparatoires de "arrêté
La Cour note, dans un premier temps, que « le préambule de l'arrêté se réfère
à un certain nombre de textes tant antérieurs que postérieurs au décret du 5
décembre 1932 portant suppression de la colonie de Haute- Volta mais ne mentionne
aucunement ce dernier ».
Dans un second temps, elle fait observer que l'article 1er de cet arrêté
dispose « les limites des Cercles de... Mopti sont précisées comme suit.. » et que
l'intitulé dudit texte est l'arrêté portant délimitation des cercles de Bafoulabé, Bamako
et Mopti (Soudan français) »et non « arrêté portant modification territoriale dans le
Cercle de... ») ; puis, elle conclut que ces formules confortent sa présomption.
Le premier point soulève une question de droit administratif français,
notamment la question du caractère substantiel ou non d'un texte non mentionné
'10
Cf. Carrefour africain n°')(,7 du 26 déccllIbrc 1')1\\6. p. ')

2ô2
dans les visa d'un autre texte. Nos analyses antérieures ont montré que le fait que
l'omission dans les visas n'entraîne pas la nullité d'un texte, signifie que le texte non
cité n'a aucune conséquence juridique. Il est curieux de constater que la Cour se
réfère au droit interne pour confirmer une hypothèse qu'elle a formulée.
Dans son argumentation, le Mali est allé plus loin que l'arrêt puisqu'il a
invoqué en plus le non-respect par le législateur de 1947 de la règle du parallélisme
des formes, ce qui aurait eu pour effet de valider l'arrêté 2728
On comprend parfaitement la prudence qu'observe la Cour qui se garde bien
d'insister ou d'entrer dans le détail d'un droit qu'elle n'a pas mission d'appliquer.
Le second point tend à montrer qu'en prenant l'arrêté 2728, la puissance
coloniale n'a pas entendu modifier la frontière avant 1932. Les arguments invoqués
par le Burkina pour contrecarrer cette vision des choses, n'a pas suffi à renverser la
présomption de la Cour. Ces arguments s'articulent autour de la note du 5 décembre
1934 écrite par le directeur des affaires politique et administrative du gouvernement
de l'A.O.F. ; cette note porte en marge la mention «modification territoriale au
Soudan », Il invoqua également la note du 11 jUillet 1935 rédigée par le service
géographique de l'A.O.F. en réponse à la communication du directeur des affaires
politiques.
La Cour en vient maintenant aux cartes.

L'examen des cartes par la Cour
Il ne s'agit pas de n'importe quelle carte puisque la Cour affirme qu'elle n'a
examiné que les cartes comportant des éléments concordants ; sur le problème de
la cartographie dans les litiges internationaux, nous y reviendrons. La Cour a
rappelé les principes prudents et réservés de la jurisprudence internationale, et
défini les conditions dans lesquelles celles-ci peuvent être prises en compte.
Revenant à la présente espèce, elle a estimé qu'aucune carte n'illustre de

263
manière officielle et directe les textes pertinents. Elle fut néanmoins moins
catégorique quant à leur utilisation concrète puisqu'elle a admis, mais de manière
sélective, que certaines cartes ont cependant valeur probante. Il s'agit notamment
de celles invoquées par le Mali dans la région des quatre villages.
Ce sont:
une carte sans intitulé ni date représentant le gourma ;
une carte du Niger au 1li 00.000 établie par le Lieutenant Desplagnes en
1905 ;
la carte des colonies de l'AO.F. au 1/500.000 de 1925 (carte Blondel La
Rougery) ;
l'Atlas des Cercles de l'AOF, fascicule IV, carte n059, Cercle de Ouahigouya
(SGAOF., 1926)
un croquis de l'Afrique française au 1/1.000000 - feuille ND-30,
Ouagadougou 1926.
La Cour estime que ces cartes comportent des éléments concordants quant à
l'appartenance au Mali des villages litigieux, et qu'elles répondent au postulat qu'elle
a formulé à savoir que « les cartes peuvent avoir une valeur probante considérable
dans la mesure où el/es reflètent des faits physiques par exemple l'existence et
l'emplacement d'un village ».
Cependant, elle reconnaît que sur tous ces documents, lorsque le village de
Dionouga est indiqué, il se trouve toujours du côté soudanais sauf sur la carte
Blondel La Rougery et dans l'Atlas des Cercles.
Mieux encore, elle reconnaît que quand les trois autres villages sont
représentés, ils sont toujours localisés du côté burkinabé
Incontestablement, il Y a une contradiction flagrante entre l'arrêté 2728 et les
cartes officielles. On vient de voir que ces dernières concordent plutôt avec la thèse
que ces villages sont burkinabé à l'exception de Dionouga C'est d'ailleurs pour

264
cette raison que la sous-commission juridique de la Commission de médiation de
l'O. UA avait proposé au Burkina la cession au Mali de ce village, mais celui-ci émit
des réserves comme il a été indiqué plus haut.
La Cour reconnaît parfaitement cette situation, mais s'appuyant sur le
Répertoire général des localités de l'A.O.F. (fascicule IV et VII) publié en 1927 et
produit par le Mali, elle a décidé que ces villages reviennent au Mali. En réalité, il
semble bien que la Cour était beaucoup plus préoccupée par sa présomption que
par les indications géographiques de telle ou telle carte. En conséquence, tous les
éléments qui contredisent cette présomption ne sont pas les bienvenus. De ce point
de vue, il n'est pas exagéré de dire qu'elle a érigé cette présomption en une
présomption juris et de jure c'est-à-dire en une présomption irréfragable.
La Cour aurait-elle pris la même décision si l'examen par le Burkina Faso des
procès-verbaux du référendum du 28 septembre 1958 avait révélé une participation
de ces villages du côté de ce pays ?411. Sans aucun doute, d'autant qu'elle ne
manque pas d'arguments corroborant sa présomption.
4° - Les autres arguments développés par la Cour
Elle a fait ainsi observer d'une manière qui nous semble logique et
péremptoire que la Haute-Volta a été reconstituée en 1947 dans ses limites de 1932
et que si en 1935, il y avait une nouvelle limite, celle-ci serait inopérante dès l'entrée
en vigueur de la loi de 1947, ce qui n'a pas été le cas.
Qui plus est, elle a pris à son compte les déclarations faites le 5 septembre
1985 par les « anciens» de Dioulouna, porteurs d'une vieille tradition orale. Ces
déclarations reprises par la Cour comme moyen de preuve ont été faites par ces
anciens à la Commission technique mixte deux mois avant le déclenchement du
111
Celle sllggestioll a été faite P;II' le jllge ad hoc Lllch;lirc da liS SOli opillioll individuelle. Cclui-ci a regrellé
que les p~r1ies n'aieui pas ponssé leurs investigations en rccherchanl ce type d'informations. Cr. Recueil 1986,
p. 65(,.

2ô5
second affrontement militaire entre le Burkina et le Mali. Et il est important de
souligner qu'elles ont été invoquées par le Mali.
Cette dernière remarque est importante pour nos développements dans la
mesure où les populations maliennes de Soum oni indiqué dans le cadre de la
recherche de la mare de Kétouaire, un emplacement que le Mali ne retient plus
après l'avoir accepté.
Quel est le contenu de ces déclarations? Elles révèlent que « sous le régime
colonial, les travaux de piste pour Dioulouna, s'arrétaient à Tondigaria, à la hauteur
de la pierre blanche (10 km environ au sud de Dioulouna) .. Mais concernant le
village burkinabè de Diguel, lesdits travaux s'arrêtaient à Sagarabane (gravillons
rouges) à sept (7) km environ au nord (du vil/age de Diguel) li. Pour la Chambre, ces
informations sur les travaux de piste entrepris sur ordre des administrateurs
coloniaux concernés ont une certaine valeur en tant que preuve412
Que peut-on penser de ce témoignage ? Certes, il donne un indice sur les
limites probables qui existaient à l'époque. La Cour ne le considère-t-elle pas
comme un élément significatif des « effectivités» susceptibles de prouver les
intentions des administrateurs coloniaux413 ? Mais s'il est vrai que le juge ou l'arbitre
international est libre de retenir les moyens de preuve invoqués par les parties qui
lui semblent déterminants, il est tout aussi vrai que l'appréciation de certains
éléments d'informations exige de la part de tout organe juridictionnel une certaine
prudence. Tel est le cas des témoignages car, outre le fait qu'il existe de faux
témoins, certains témoignages sont parfois subornés et il n'est pas rare dans ces
conditions que les faits soient maquillés ou controuvés.
C'est sans doute pour cette raison que les droits internes contiennent des
limitations légales au droit de la preuve. Les Etats influencés par le code civil
donnent par exemple une prééminence à l'écrit qui est obligatoire en matière civile
·II~ Rcc. l'IlI(,. p. (li X.'\\> 120.
'II'
Ibidcm. p. ù20. .'\\> 124.

266
au-delà d'une certaine somme (article 1341 du code civil). Les pays de la Common
Law donnent, quant à eux, la préférence au témoignage, mais pour être valable,
celui-ci doit répondre à des conditions très strictes ("cross-examination"), prohibition
de la "hearsay-evidence,,414
Le droit international,
sauf dispositions limitatives contenues dans
le
compromis ou dans un traité particulier, ne connaît pas de restrictions. Dans la
présente affaire, nous avons déjà montré que le compromis donne en matière de
preuve pleins pouvoirs à la Chambre puisque son article III alinéa 2 se contente
d'indiquer que les parties ne préjugent aucune question relative à la charge de la
preuve.
Le fait donc que la Cour prenne en considération ces témoignages ne peut le
lui être reproché. En revanche, on peut s'interroger sur la valeur des témoignages
surtout lorsqu'ils sont faits par des populations frontalières dans un conflit territorial.
A l'instar de beaucoup d'autres sujets, ces populations ne sont pas du tout à l'abri
d'une
quelconque
manipulation
ou
d'un
conditionnement
de
la
part
des
gouvernements protagonistes. Ces conditions, objet des présents propos, pourraient
bien être dictées par le gouvernement malien.
Le fait que ce gouvernement ait rejeté, après l'aVOir accepté, un emplacement
géographique que ces mêmes populations. lui ont indiqué, devrait aiguiser la
vigilance de la Cour, car pourquoi accepter dans un cas ce que l'on refuse dans
l'autre? Il Y a deux poids, deux mesures.
D'une manière générale, la consultation des populations locales dans les
conflits frontaliers n'est pas en soi un principe condamnable s'il existe des garanties
d'objectivité ou d'impartialité, en d'autres termes si les populations consultées
s'expriment librement sans être influencées.
11,'
Cr. Jcan .I.A. SALMON. "Le lilil dans l'applicalioll dn dmil inlelll;llional". I~~C/\\J)L 19112. II. vol. 175,
op. cil. pp. 30l)-310.

267
Le problème de la validité de l'arrêté 2728 ayant été réglé, le tracé de la
frontière doit se conformer aux termes de ce texte. Cela ne peut être fait qu'à la
condition qu'il ne subsiste aucun autre problème. Or, nous avons vu plus haut que la
mare de Kétouaire visée par cet arrêté, n'a pas été identifiée sur le terrain, pas plus
d'ailleurs que le problème de la mare de Toussougou, autre point de repère, n'a été
réglé.
S'agissant de la mare de Toussougou qui a donné son nom à un village, le
Mali l'identifie à la mare de Féto maraboulé alors que le Burkina soutient la thèse de
l'existence de deux mares distinctes, celle de Toussougou et celle de Fêto
maraboulé Les cartes lui donnent d'ailleurs raison: ainsi, la carte établie en 1973
aux fins d'un inventaire des ressources hydrauliques en Haute-Volta révèle
l'existence de deux mares ; il en va de même de la carte géographique de
reconnaissance de ce pays puisque celle-ci montre deux points coloriés en bleu qui
semblent indiquer des mares.
La Cour se rangea derrière le point de vue burkinabé en préférant la carte
hydraulique de
1973 qu'elle
qualifia
d'
((élément de preuve d'une
valeur
particulière ii (paragraphe 128).
Les problèmes se sont posés dans les mêmes termes au sujet de
l'identification de la mare de Kétouaire.
Les deux parties avaient, dans un premier temps, conclu que cette mare était
la même que celle de Kébanaire mentionnée dans la lettre 191 CM2. Mais après
s'être ravisé de son erreur, le Burkina a émis des doutes lors des plaidoiries mais
n'a pas insisté outre mesure car, de toutes façons, la localisation de cette mare n'est
pas, à ses yeux, nécessaire aux fins du tracé de la ligne frontière du fait de
l'abrogation implicite de l'arrêté 2728. La Cour ne partagea pas cet avis car, selon
elle, c'est plutôt l'emplacement de la mare de Kébanaire qui n'est pas nécessaire
aux fins de l'interprétation de la lettre 191 CM2

2CJ8
En ce qui concerne le Mali, c'est à l'aide d'un faisceau d'indices souligné par
l'arrêt, qu'il situa en dernière analyse la mare sur le site de Forage Christine après
avoir rejeté, appelons-le, l'emplacement que les populations de Soum lui avaient
indiqué.
Sur le terrain, il fut impossible de retrouver cette mare et bien qu'elle ne se
soit pas transporté sur les lieux du litige, la Cour a considéré que la mare de Soum
située à 24 km à l'Est de la mare de Toussougou, se trouve dans la bonne direction
au regard de la ligne indiquée par l'arrêté 2728.
Aussi, elle conclut qu'elle apparaît être la seule mare susceptible d'être
identifiée avec celle qui est visée par cet arrêté.
Mais en son âme et conscience, la Cour n'est pas convaincue de ceUe
décision. Dès lors, son raisonnement est marqué par des hésitations, des
contradictions et des voltes faces. En effet, d'un côté, elle affirme: « /a chambre
n'estime pas pouvoir cane/ure à l'identité de /a mare de Kétouaire avec /a mare de
Soum !!, de l'autre, elle fait remarquer que malgré tout « la Chambre est convaincue
que la mare de Soum est une mare frontalière »
Pourquoi toutes ces hésitations, tous ces flottements alors que de l'avis de la
Cour même, il résulte des documents administratifs qu'elle a examinés que ceUe
mare relevait soit du Cercle de Dori (Haute-Volta), soit de celui de Ouahigouya
(Haute-Volta) ? Une seule explication est plausible: faire correspondre autant que
possible le tracé de la frontière aux termes de l'arrêté 2728. Mais pour la Cour, son
choix de la mare de Soum comme mare frontalière est dicté par trois conditions:
10 -
le procès-verbal d'une réunion tenue à Soum le 15 janvier 1965 entre
une délégation voltaïque et une délégation malienne, d'où il ressort que la mare de
Soum est la frontière.

2° -
Dans la lettre du 18 janvier 1965, par laquelle il transmettait ce procès
verbal au Ministre de l'Intérieur de la Haute-Volta, le commandant de Cercle de
Djibo a expliqué que la mare en question avait été divisée en deux suivant les
données d'un rapport que malheureusement les parties n'ont pas soumis à la Cour.
Ce procès-verbal qui tient lieu d'accord n'a jamais été confirmé par l'instance
compétence à savoir la Commission paritaire permanente. En conséquence, il ne
peut être pris en compte ainsi que l'ont souligné la Cour et les parties. Mais, se
fondant sur les impressions qu'elle tire des circonstances de cet accord, et en
application de l'équité infra legem, la Cour a estimé
3° -
que les commandants des cercles limitrophes de Douentza et de Djibo,
ont pu partager une certaine manière de voir (souligné par nous) et surtout qu'ils se
sont accordés pour reconnaître que la mare de Soum était une "mare frontalière" qui
devait être partagée entre les deux Cercles415.
B) Le caractère déclaratoire de la lettre-circulaire 191 CM2
Pour le tracé de la frontière allant de la mare de Soum au point triple, la
lettre-circulaire 191 CM2 sera un élément auquel la Cour se référera constamment
même si elle n'épouse pas tout son contenu.
Quelques précisions préalables s'imposent.
Cette lettre est en connexion avec trois autres documents:
l'arrêté général du 31 décembre 1922 portant réorganisation de
la région de Tombouctou;
l'arrêté général du 31 août 1927 fixant les limites des colonies
de Haute-Volta et du Niger;
'1;
Rec. 198(,. p. (,'2. $ 147.

270
enfin, l'arrêté général 2728 AP.
Les deux premiers textes mentionnent des points topographiques que vise
également la lettre 191 CM2 Il s'agit de la mare d'In Abao et du mont N'Gouma.
Quant à l'arrêté 2728, il définit les limites orientale et septentrionale du Cercle
de Mopti ; une partie de ces limites se confond avec celle définie par la lettre
191 CM2 d'où la confusion faite par les parties entre la mare de Kétouaire et la mare
de Kébanaire.
La question essentielle posée par cette lettre-circulaire qui n'est pas
véritablement un acte administratif, est de savoir si elle décrit une limite existante à
l'époque entre le Soudan français et le Niger. Cette question, on se souvient, a
divisé les parties.
Pour le Burkina, elle constitue l'expression authentique par l'autorité
compétente à l'époque de la conviction qu'elle avait quant au tracé de la timite416.
Pour le Mali, en revanche, cette lettre est un "projet" ou une proposition qui
n'a jamais été transformée en acte réglementaire417
Tout en étant d'accord avec cette définition, la Cour relève que la lettre
191 CM2 contenait un projet de texte qui aurait pu prendre par la suite la forme d'un
arrêté, et qu'un tel projet pouvait très bien entériner et définir une limite qui existait,
fût-ce seulement avec une valeur de fait
Elle en conclut que JJla définition de la limite entre le Soudan français et le
Niger, pour la partie de cette limite qui intéresse la présente affaire, telle qu'elle figure
Ree. J <JX(,. p. (,14. $ 151.
m
Il définit le prqiet ainsi qu'il stlil : "Ull projet eOtlsiste en tin travail ct tille rédaction préparatoires qui
décrivent cc qtle l'on pense faire ou atteindre'" Rec l ')X(,. J. 5<JX $ X.l.

271
dans la lettre 191CM2 du gouverneur de l'A OF en date du 19 février 1935,
correspondait, dans l'esprit aussi bien du gouverneur général que de tous les
administrateurs qui ont été consultés, à la situation existante ))41a
Cette conclusion n'étant qu'une simple présomption formulée par la Cour, il
serait intéressant à présent de voir comment elle s'y est prise pour identifier la limite
existante.
Pour ce faire, deux abcès doivent d'abord être crevés: il s'agit d'une part, de
la détermination de l'emplacement de la mare d'In Abao, et d'autre part de la
détermination des hauteurs du mont N'Gouma. La délimitation définitive de la
frontière régie par la lettre 191 CM2 passe en effet par le règlement de ces deux
importants contentieux.
- S'agissant de la mare d'In Abao, la Cour, après examen de divers moyens
de preuve invoqués (documents écrit et cartographique et comportements des
administrateurs coloniaux) a décidé qu'elle constitue la frontière. Cette mare est
visée, comme il a été indiqué par la lettre 191 CM2 et par l'arrêté du 31 décembre
1922. Aux termes de cet arrêté, la limite occidentale du Cercle de Gao passait par
« les mares de Oussodia Messi et d'In Abao et à partir de ce point )) (la mare d'In
Abao) suivait « la limite septentrionale de la Haute- Volta ))
La lettre 191 CM2 parle quant à elle de la « pointe nord de la mare d'In
Abao ))et attribue de ce fait toute la mare au Burkina. Mais au nom de l'équité infra
legem et bien qu'étant d'accord avec la limite générale décrite par cette lettre, la
Cour a rejeté cette mention "Pointe nord". Le souci de partager équitablement les
eaux de cette mare entre les deux parties l'a conduite à désavouer certaines
indications d'un document qu'elle considère pourtant comme un moyen de preuve
d'une valeur particulière. Elle a donc décidé que la frontière ne passera pas par
cette pointe nord mais traversera la mare malgré les indications contradictoires des
'IR
Rec. ]98(,. p. (,()O $ 85.

272
cartes.
Cette mare ne figure pas par exemple sur la carte IGN français au 1/200.000
de 1960 que les parties avaient utilisée comme document de base pour la
délimitation de la partie non discutée de la frontière; mais il y figure une ligne en
croisillons discontinus qui touche le Béli au confluent de celui-ci et de deux marigots
de cours nord-sud.
Sur la carte Blondel La Rougery, la mare d'In Abao est représentée sous la
forme d'un triangle de base est-ouest et la ligne frontière est située au sommet du
triangle, c'est-à-dire au nord de la mare. On remarquera la parenté ou du moins la
coïncidence entre cette ligne et celle décrite par la lettre 191 CM2. 1/ n'y a rien
d'étonnant à cette situation car, selon la Cour, « il est hors de doute que la lettre
191CM2 de 1935 visait la définition par un texte de la limite qui figurait sur la carte
Blondel La Rougery de 1925, ce dont les parties conviennent». Le Mali l'estime
cependant inexacte.
Viennent ensuite deux autres cartes, la carte au 1/200.000 de la direction
fédérale des mines et de la géologie de 1953, et la carte intitulée « Hydrologie du
Nord Dori (Haute-Volta) service de l'hydrologie de l'A OF - 1954 »
La première représente la mare d'In Abao au point de coordonnées 0°28'
ouest et 15°02' nord et la mare de Tin Kacham au point de coordonnées 0°23' ouest
et 15°00' nord.
La seconde carte situe la mare d'In Abao au point de coordonnées 0°25'
ouest et 15°02' nord et la mare d'In Kacham au point de coordonnées 0°18' ouest et
15°00' nord.
Bien que contradictoires, ces coordonnées géographiques révèlent un net
rapprochement entre la mare d'In Kacham ou de Tin Kacham et la mare d'In Abao.
On est même parfois tenté de les confondre. D'ailleurs, la Cour n'a pas résisté à

273
cette tentation. Mais elle a finalement décidé que la mare d'In Abao est située au
confluent des marigots de cours nord-sud d'In Abalou et d'In Habakar. Cette
décision s'éloigne assez peu des constatations faites en 1972 par la sous
commission technique de la commission technique mixte. Cet organe subsidiaire
situe la mare d'In Abao sur le cours du Béli entre la mare d'In Amanan à l'Ouest et la
mare d'In Kacham à l'est.
Toutes ces incertitudes sur la forme et l'emplacement de la mare n'ont pas
détourné la Cour de l'idée contenue dans la lettre 191 CM2 selon laquelle la mare
d'In Abao est une mare frontalière mais contrairement aux prescriptions de ce
document, la Cour a décidé que la ligne frontière traverse la mare et non la longe
dans sa partie septentrionale.
- L'autre point topographique dont la localisation a une incidence sur le tracé
de la frontière dans cette partie orientale, est le mont N'Gouma.
Comme pour la mare d'In Abao, la Cour n'a pas perdu de vue la lettre
191 CM2 dans la détermination de son emplacement. Cette lettre, vise le mont
N'Gouma,
mais elle n'est pas
le
seul
document
qui
mentionne ce
point
orographique. En effet, l'arrêté général du 31 août 1927 précité le mentionne
également.
Il en va de même de certaines cartes précédemment examinées tels la carte
Blondel La Rougery, la carte IGN au 1/200.000 de 1960, l'Atlas des Cercles, la carte
au 1/1.000.000 de 1927 qui accompagne l'arrêté de 1927 et la carte de la mission
Gironcourt.
Les demandes formulées par les parties sur cette zone des monts sont
connues. On se souvient que le Mali avait demandé à la Cour de s'abstenir de se
prononcer sur la détermination du point triple pour des raisons liées à la sauvegarde
de la souveraineté territoriale du Niger, Etat tiers au procès. Mais dans la rubrique
des questions préalables, la Cour a rejeté sa requête.

274
On a vu également que ce pays s'est appuyé finalement sur la carte IGN de
1960, le croquis du Cercle de Tillabéry datant de 1954 et sur l'erratum à l'arrêté de
1927, pour soutenir que le mont N'Gouma est situé au sud-est du gué de Kabia.
Considéré en d'autres circonstances comme « la seule représentation exacte
de la réalité JJ, la carte IGN de 1960 est passée aux yeux du Mali pour un document
pleins d'erreurs.
" s'est enfin appuyé sur la lettre du 27 août 1927 du Commandant de Cercle
de Dori au gouverneur de la Haute-Volta. Cette lettre qui concernait le projet de
délimitation entre les Cercles de Dori et de Tillabéry, parlait d'une ligne « partant du
gué de Kabia JJ
Tous ces arguments, qui tendent à situer le mont N'Gouma au sud-est du gué
de
Kabia,
ont
pour
seul
et
unique
but
la
revendication
d'une
frontière
hydrographique suivant le cours du Béli.
Quant au Burkina, il a toujours soutenu que le mont N'Gouma est situé au
nord du gué de Kabia et a invoqué à l'appui de cette thèse, l'arrêté général de 1927,
la lettre 191 CM2, la carte Blondel La Rougery, la carte au 1/1.000.000 de 1927, et la
carte de la mission de Gironcourt de 1908-1909 Mais il rejeta les indications
données par la carte IGN de 1960 relativement à la situation de ce mont.
La Cour, après une interprétation de la lettre 191 CM2, pièce maîtresse du
présent débat, a établi que le texte de ladite lettre est fondé sur la carte Blondel La
Rougery ; puis, elle a affirmé que ce document écrit « constitue la preuve que c'est
/a limite orographique qui a été adoptée en l'espèce »41B
En effet, tout concourt à conforter la conviction que le mont se situe au nord
du gué de Kabia.
Il''
Ree. l 'JX(,. p. MI :Ii 1(,4.

Dans l'arrêté général de 1927, on lit par exemple « une ligne passant au gué
de Kabia », ce qui laisse supposer que la ligne avait son origine plus au nord « à la
hauteur de N'Gauma »dit la Cour.
Elle poursuit l'exégèse de ce texte réglementaire en soulignant que son
erratum indique que la ligne partait « des hauteurs de N'Gauma » et passait au gué
de Kabia.
Constituent également des éléments corroboratifs selon la Cour:
les constatations du comité technique de cartographie; pour ce comité,
il existe bel et bien au nord du gué de Kabia des éléments
topographiques
susceptibles
d'être
dénommés
« Hauteurs»
de
N'Gouma;
les cartes de l'époque qui situaient ce mont au nord du gué notamment
la carte Blondel La Rougery
Le Mali estime que cette carte a décrit une « orographie entièrement
fantaisiste» et (( invente» une série de montagnes.
le troisième élément, toujours selon la Cour, est l'inexistence d'une
tradition orale en 1927, tradition qui aurait pu contredire les indications
des cartes et documents de cette époque420, ce qui n'est pas le cas.
La question que l'on peut se poser est celle de savoir si cette tradition aurait
été rapportée de manière objective si elle avait existé. Il se serait posé le problème
de la valeur du témoignage oral.
Contrairement à cette tradition orale, la lettre écrite par le Commandant de
Cercle de Dori au Gouverneur de la Haute-Volta, en date du 27 août 1927, a bien
existé, mais la Chambre estime qu'elle n'a aucune valeur intrinsèque.
"0 Rcc. l')l{(), p. (j·n. $ 17.1.

276
Dans l'optique de la Cour, cet emplacement de la mare d'In Abao et du mont
N'Gouma selon la lettre 191 CM2 correspond à la « réalité administrative »($ 111) et
nul ne peut le contester pas même les Commandants des Cercles soudanais
intéressés. En effet, ceux-ci ont été consultés par le Lieutenant-Gouverneur du
Soudan afin qu'ils fassent part de leurs observations sur la limite décrite par la lettre
191 CM2. L'administrateur du Cercle de Mopti avait quant à lui informer par
télégramme-lettre du 19 mars 1935 qu'il ne trouvait « aucune modification à apporter
à ce projet de texte ». Sans doute n'avait-il pas, à ce moment-là, la carte Blondel La
Rougery feuille Hombori en main. Tout ceci ressort de la lettre-réponse du
lieutenant-Gouverneur du Soudan français en date du 3 juin 1935.
En tout état de cause, le Burkina a estimé que cette absence de protestation
de la part d'une autorité administrative coloniale contre le tracé de la limite indiqué
par la lettre 191 CM2, valait et vaut acceptation de ce tracé. Ainsi, il opposa pour une
seconde fois au Mali son acquiescement mais, contrairement à la première fois (cf.
section 1 du chap. 1du titre Il de la 2ème partie), la Cour se rallia à son point de vue.
Le caractère déclaratoire de l'arrêté général 2728 et de la lettre circulaire
ayant ainsi été démontré, reste la question du tracé proprement dit de la frontière.
$2.
Le tracé de la frontière par la Cour421
La mission de la Cour est de délimiter la frontière litigieuse pour procéder
dans un délai d'un an à son abornement ou à sa démarcation. La détermination
d'une frontière comporte en effet deux séries d'opérations: une opération juridique,
qui la fixe in abstracto, sur la carte ; une opération d'arpentage, qui la fixe in
concreto, sur le terrain.
"1
V"
'1
1
.
-
olr ci-aprcs a carlc cl c croquIs

277
Si la frontière est naturellement indivisible dans la première partie de ces
deux ordres d'opérations, elle est naturellement divisible dans la seconde422 en ce
sens que l'abornement peut se faire par portions.
Les parties ne lui ont pas, par conséquent, demandé d'indiquer uniquement
les règles et principes de délimitation comme elle l'a fait dans l'affaire du Plateau
continental de la Mer du Nord.
La Cour peut se livrer d'autant plus facilement à cette tâche qu'elle a éclairci
la question des points topographiques de repérage (mares de Toussougou, mare de
Kétouaire, mare d'In Abao et mont N'Gouma), et la question de toponymie,
notamment des villages. D'une manière générale, ce tracé décidé par la Cour à
l'unanimité et fondé principalement sur des éléments astronomiques (coordonnées
géographiques de longitude et de latitude), présente la configuration suivante:
« 1/ pan d'un point de coordonnées géographiques 1°59'01 » ouest et
14°24'40" nord (Point A), prend une direction nord en suivant sur 3,5 km
environ la ligne en croisil/ons discontinus qui figure sur la cane de l'Afrique de
l'Ouest au 11200.000 éditées par l'IGN français jusqu'au point de coordonnées
géographiques 1°58'49" ouest et 14°28'30" nord (point B), s'infléchit vers l'est
et coupe la piste reliant Dionouga et Diguel à approximativement 7,5 km de
Dionouga en un point de coordonnées géographiques 1°54'24" ouest et
14°29'20" nord (point C) .. la ligne passe ensuite à une distance approximative
de 2 km au sud des villages de Kounia et d'Oukoulourou par le point de
coordonnées géographiques 1°46'38", ouest et 14°28'54" nord (point D et le
point de coordonnées 1°40'40" ouest et 14°30'03" nord (point E) .. elle
continue tout droit jusqu'à un point de coordonnées géographiques 1°19'05"
ouest et 14°43'45" nord (point F) situé à 2,6 km approximativement au sud de
la mare de Toussougou .. de ce point, elle continue tout droit jusqu'au point de
coordonnées géographiques 1"05'34" et 14°47'04" nord (point G) situé sur le
rivage ouest de la mare de Sourn, qu'elle traverse en suivant une direction
m
A De LAPRADELLE cl N. POLITIS "L'indivisibililé de la rronlièrc cl le ConOil colombo-vénézuélien".
R.G.D.LP. 1'J2I.op. cil.. p. 111.

278
générale d'ouest en est et en la divisant en parts égales entre les deux Etats;
elle remonte ensuite selon une direction générale nord/nord-est pour rejoindre
la ligne IGN au point de coordonnées 0°43'29" ouest et 15°05'00" nord (point
H), de là la ligne suit la ligne IGN jusqu'au point de coordonnées
géographiques 0°26'35" ouest et 15°05'00" nord (point 1), s'infléchit vers le
sud-est et continue tout droit jusqu'au point J.
Les points J et K, dont les coordonnées géographiques seront
déterminées par les parties avec l'aide des experts désignés conformément à
l'article IV du compromis, répondent à trois conditions: ils se situent sur le
même parallèle de latitude; le point J se trouve sur le rivage ouest de la mare
d'In Abao et le point K sur le rivage est de cette mare; la ligne tracée entre
eux aura pour effet de diviser l'étendue de la mare en parts égales entre les
parties. Au point K, la ligne s'infléchit vers le nord-est et continue tout droit,
jusqu'au point de coordonnées géographiques 0°14'44" ouest et 15°04'42"
(point L) et, de ce point, elle continue tout droit jusqu'à un point de
coordonnées géographiques 0° 14'39" est et 14°54'48" nord (point M) situé
approximativement à 3 km au nord du gué de Kabia".
La. lecture de ce dispositif appelle plusieurs remarques.

La dominante des données astronomiques
Dans son exégèse de la lettre 191 CM2, la Cour a laissé apparaître sa
prédilection pour les frontières astronomiques. En effet, elle a déclaré: « On aurait
pu croire que la mention, dans la lettre 191CM2 de 1935, d'un point défini par des
coordonnées de latitude et de longitude aurait eu pour effet de simplifier la tâche de
la Chambre qui aurait ainsi disposé d'un repère solide et fiable (souligné par nous)
aux fins de la détermination du tracé de la ligne »423
Plus loin, elle décrit: « La Chambre affirme que les coordonnées indiquées
par la lettre 191CM2, donnent une impression de précision, alors qu'elles sont
·12' Rcc. 1<.JX(,. p. (d.1 $ 110.

empruntées aux cartes de l'époque, en particulier à la carte Blondel La Rougery et à
l'Atlas des Cercles... ; si le projet du gouverneur général de l'AOF s'était transformé
en texte réglementaire, il est évident que l'exactitude de ces coordonnées aurait
constitué une présomption irréfragable. Mais tel n'est pas le cas »424.
Par conséquent, si, comme il a été indiqué, la Cour a écarté les coordonnées
géographiques résultant de cette lettre, c'est tout simplement parce qu'elle les juge
imprécises. N'oublions pas que cette lettre interprète des cartes datant de 1925,
1926, époque où les relevés cartographiques étaient très approximatifs. 1/ ne faut
donc pas y voir un rejet intrinsèque de ces coordonnées même si en l'espèce la
Cour fait prévaloir les éléments topographiques ; « en cas de conflit entre la
topographie et les coordonnées, il faut s'en tenir à la topographie )42S
20
La recherche systématique de division des mares en parts égales
La recherche d'une ligne frontalière passant par les mares de Soum et d'In
Abao, le choix arbitraire426 de la ligne médiane quand les documents de référence
mentionnent une frontière à la rive (lettre 191 CM2), témoignent de la volonté
manifeste de la Cour de répartir ces mares de manière à ce que chaque Etat ait un
accès à l'eau dans cette région désertique Ainsi, au nom de conditions humanitaires
et sociales qu'elle s'est bien gardée de révéler, la Cour a modifié à la fois l'histoire et
la géographie.
L'équité infra legem, un des principes applicables à la présente espèce,
apparaît dès lors comme un rr cheval de Troie ») qui masque l'application d'un droit
"humanisé" ou rr existentialiste )).
".,
Ibidenl. p. (JlO. $ 144.
m
Ree.1986,p.614,$611.
·"r, Pomgnoi la ligne médiane el pas la ligne;) \\a rive'! La Conr ne se juslifie pas. Il est inulile de parler ici du
Ihalweg parce que l'on est en présenee d'e;l\\I\\ sl:lgn;IIlles non n;l\\igables

280
Ce n'est pourtant pas l'avis du juge ad hoc Abi Saab qui estime que la Cour
n'a pas tiré toutes les conséquences de ce principe. Pour lui, en effet, la Cour n'est
pas allée très loin dans sa décision, car elle devrait « concrétiser la ligne définie par
les mares de Soum et d'In Abao et non choisir une ligne qui coïncide avec celles des
cartes »427. Ce point de vue devrait être nuancé pour les raisons suivantes:
Pour le tracé de la frontière, la Cour a pris en compte la carte IGN au
1/200.000 de 1960 que les parties considèrent toutes deux comme
fiable et offrant des garanties de précision et d'impartialité.
La carte Blondel La Rougery de 1925 qui est interprétée par la lettre
191 CM2 situe la ligne frontière à la pointe nord de la mare d'In Abao.
Si la Cour avait retenu cette indication, toute la mare reviendrait au
Burkina.
En étendant le débat au secteur des quatre villages, on se rend
compte que mis à part le village de Dionouga, les autres villages sont
situés par les cartes officielles en territoire burkinabé. Et cependant, au
nom de l'équité infra legem, la C'our les a tous attribués au Mali.
Quelles sont maintenant les conséquences juridiques de cette frontière
hydrographique ? En divisant ces mares en parts égales entre les deux pays, la
Cour oblige du même coup les deux parties à coopérer pour coordonner l'utilisation
des eaux desdites mares. Cette utilisation est faite jusqu'ici conformément à la
coutume de la région.
Mais on peut se demander ce que peut bien signifier cette ligne judiciaire de
partage des eaux pour des populations à vocation essentiellement agricole. La
nécessité d'une coopération pourrait se faire sentir si l'un des pays riverains décidait
d'utiliser ces eaux à une grande échelle. Il est établi déjà que Soum est le meilleur
centre d'élevage de la province burklnabè du même nom qui a pour chef-lieu Djibo.
.", op. ind. Rcc. IlJl\\(" p. (,(,2.

2HI
Bien que les parties aient passé sous silence l'aspect économique du différend, il
n'est pas impossible que le Burkina utilise un jour les eaux des mares du Béli, un
des affluents du moyen Niger, aux fins d'extraction du manganèse de Tambao.

2X2
SECTION Il: APPRECIATION DE LA SOLUTION AU FOND
Tout au long de nos développements, nous avons, autant que faire se peut,
exprimé notre point de vue sur les diverses questions abordées par l'arrêt. Mais
nous avons délibérément passé sous silence deux points sur lesquels nous nous
sommes réservé de revenir. Il s'agit de la distorsion entre les principes affirmés par
la Cour et leur application concrète d'une part, et de la conception extensive de la
notion de titre juridique de la Cour et ses pouvoirs en matière de preuve d'autre part.
Ces deux points feront l'objet de deux paragraphes. Un troisième paragraphe sera
consacré au silence de l'arrêt sur la violation des mesures conservatoires.
$1
La distorsion entre les principes affirmés
et leur application concrète
L'arrêt est marqué par quelques développements qui semblent peu cohérents,
notamment en matière d'utilisation des cartes et d'application de l'équité infra legem.
Le second point ayant déjà été examiné, il ne sera pas nécessaire d'y revenir. En
revanche, nous nous arrêterons un moment sur le premier point. Prima faGie, la Cour
a rappelé le caractère subsidiaire et relatif des cartes dans les différends
internationaux. En effet, l'arrêt déclare « en matière de délimitation des frontières ou
de conflit international, les cartes ne sont que de SImples indications, plus ou moins
exactes selon les cas .. elles ne constituent jamais à elles seules et du seul fait de
leur existence,
un titre territorial,
c'est-à-dire
un document auquel le droit
international confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l'établissement des
droits territoriaux ))428
Elle souligne cependant que (( dans quelques cas, elles peuvent acquérir une
telle valeur, notamment lorsqu'elles sont intégrées parmi les éléments qui constituent
l'expression de la volonté de l'Etat et des Etats concernés )).
m
Rec. l ')X(, p. 5X2. $ 54.

Dans le cas présent, les parties ont présenté devant la Cour de nombreuses
cartes dont « aucune n'illustre de manière officielle et directe les textes pertinents )).
Cependant, la Cour a retenu deux cartes auxquelles elle accorde une valeur
probante : la carte Blondel La Rougery de 1925 et la carte IGN français au
1/200.000 de 1960. La première est interprétée par la lettre 191CM2. Quant à la
seconde, elle est considérée par les deux parties comme un document fiable.
Mais dans les motifs de l'arrêt, de nombreuses autres cartes se sont vu
reconnaître par la Cour une valeur probatoire. Tel est le cas des cartes que la Cour
a citées dans le secteur des quatre villages et considérées par elle comme
concordantes. Tel est également dans le secteur du Béli le cas de la carte
hydraulique de 1973.
Au regard des principes énoncés, la valeur probante accordée à ces cartes
peut paraître, à première vue, surprenante, d'autant que l'arrêt a révélé que les
cartes annexées à des textes pertinents n'ont pas été retrouvées par les parties (à
l'arrêté 2728 et à la lettre 191 CM2). On ignore également si la loi reconstituant la
colonie de Haute-Volta était accompagnée d'une carte, tout comme le décret la
supprimant. Mais, quand on examine de près les circonstances de l'affaire et surtout
les moyens de preuve invoqués par les parties, on se rend compte que la Cour ne
pouvait ignorer dans sa décision certaines cartes. Car, non seulement les preuves
sont insuffisantes, mais également dans certaines régions de la zone conflictuelle,
notamment dans le Soum,
les parties n'ont invoqué que des cartes.
Cet
infléchissement de la position de la Cour ne saurait cependant être interprété
comme un revirement jurisprudentiel. Il tire son fondement de la présente affaire.
Ainsi, l'arrêt confirme la formule bien connue selon laquelle la force probante
des cartes est affaire d'espèce. En ce sens, il se situe dans la lignée des arrêts
rendus par la Cour dans les affaires des parcelles frontalières et du Temple de
Préah Vihear

284
Dans la première affaire, la Cour a pris en compte une carte parce qu'elle
était annexée à une convention.
Dans la seconde affaire, le caractère probant d'une carte a été tiré des
circonstances qui ont entouré son acceptation par les deux parties. Dans le même
sens, l'affaire de Jaworzina pourrait être citée. Dans cette affaire relative à la
délimitation de la frontière polono-tchécoslovaque, la C P.J.!. a reconnu qu'en
principe « les caltes et leurs légendes n'ont pas (lne force probante indépendante
vis-à-vis des textes et des décisions )) et a, malgré tout pris en considération la carte
spéciale de la région contestée.
$2
L'interprétation par la Cour de la notion de titre
juridique et les pouvoirs de la Cour en matière de
preuve
Dans leurs querelles sur la qualification du conflit territorial qui les oppose,
les parties en sont venues à opposer les titres juridiques et les "effectivités" ; les
premiers s'appliquant aux conflits de délimitation et les secondes aux conflits
d'attribution. Dans leur esprit, il existe donc une différence entre la preuve écrite et
les faits d'occupation.
Tout en étant d'accord avec cette vision, la Cour la trouve néanmoins
restrictive. L'arrêt le souligne par ces mots
« en réalité, la notion de titre peut
également et plus généralement viser aussi bien tout moyen de preuve susceptible
d'établir l'existence d'un droit que la source même de ce droit ))429
Le titre juridique ne se réduit pas, selon la Cour à la preuve littérale, il
englobe également tout moyen de preuve, c'est-à-dire tous les arguments des
parties jugés tels par elle. Ce sont en l'espèce, les textes écrits, les cartes, les
effectivités, les témoignages ou la tradition orale.
1~~ Rcc. 198(,. p. 5(,4 $ 18.

285
Ainsi,
la Cour reprend la définition que donne le dictionnaire de la
terminologie du droit international selon laquelle, le titre est « le terme qui, pris dans
le sens de titre juridique, désigne tout fait, acte ou situation qui est la cause et le
fondement d'un droit »430
Le Mali, on se souvient, a distingué dans la notion de titre juridique le titre-
cause et le titre-instrument. Le premier, résultant de la succession d'Etat, serait l'ufi
possidetis et le second viserait les actes législatif et réglementaire, les cartes et les
comportements de l'administration coloniale Comme on le voit, l'existence d'une
parenté entre le titre-instrument et la conception de la Cour, ne fait l'ombre d'aucun
doute.
« titres cartographiques»
sans en donner le contenu exact. Il semble
cependant résulter de ses écritures que les titres coloniaux sont l'ensemble des
documents et faits de la puissance coloniale qui constituent le fondement d'un droit.
A ce titre, ils regroupent les textes, les cartes et les comportements. Les titres
cartographiques qui désignent les cartes dont la valeur probante est indiscutable, en
seraient donc un élément. On remarque là également que cette acception rejoint
celle de la Cour
Il est important de noter que si la Cour a disposé d'une liberté de manoeuvre
en matière d'admissibilité de la preuve, c'est tout simplement parce que le
compromis signé par les parties est muet sur ce point. Mais sur la charge de la
preuve, son article III $2 s'est contenté de souligner, comme il a déjà été indiqué,
que les parties ne préjugent d'aucune question relative à la charge de la preuve. Or,
justement, la Cour a été confrontée à cette question quand le Mali a prétendu que
c'est au Burkina qu'il appartient d'établir le caractère voltaique des villages litigieux
en déterminant leur situation administrative entre 1927 et 1935. Se fondant sur
l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua, la Haute Cour décida que "c'est en définitive au plaideur qui cherche à
<.'iI
Sirey !')W. op. cil.. p. W4

286
établir un fait qu'incombe la charge de la preuve,,431 ; chaque partie devra par
conséquent prouver ce qu'elle allègue Cette décision s'explique par le fait qu'il
s'agit d'une procédure sur compromis où il n'existe ni défendeur ni demandeur. De
ce fait, le principe selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur (aetori
ineombit probatio) est inopérant, car les parties doivent produire simultanément leurs
argumentations et leurs preuves Par conséquent, le fardeau de la preuve va peser
alternativement sur l'un ou l'autre des plaideurs C'est justement cette règle de la
432
simultanéité des productions
que la Cour a opposée au Mali.
Peut-on à partir de ce moment conclure qu'il existe en droit international un
principe de répartition du fardeau de la preuve? Pour Charles de Visscher, le droit
433
international n'a jamais élaboré des règles en matière de preuves
On a pu cependant soutenir qu'il existe dans cette discipline juridique une
règle répartissant la charge de la preuve, celte règle consiste précisément à imposer
au demandeur et au défendeur la charge respective de prouver ou tout au moins de
434
commencer à prouver les faits qu'ils allèguent
Mais la doctrine dominante admet généralement que la procédure sur
compromis s'oppose à l'idée d'une répartition du fardeau de la preuve en droit
international.
Quant à la jurisprudence internationale, elle semble ne faire aucune
distinction selon qu'il s'agit d'une procédure sur compromis ou d'une procédure sur
requête Elle applique dans les deux cas la règle de la simultanéité des preuves
·131
Rec. 19R(,. p. 5R7 $G5 el p. 605 $ 95.
m
Cf. J.c. WITENBERG. "Onus probandJ devant 1csjllridictions arbilrales". !tG.D.I.P. 1951. p. 325. Voir
égalemenl Georges PERRIN. op. cil.. p. 774.
1"er.... "De l'équilé... '' op. cil. p..'\\.1 .
.I.Hlc. WITEN8ERG. R.C.A.D~ 19.1(,. II. 0\\). cil. pp. 44-45. Le Profcsseur REUTER admct qne la procédure
en droit inlernational a un earactère mi-accIIsaloire. mi-iliquisilori,J1. CT "Droit International Public". PUF,
6èmc édition mise il jour 1911.1. p. 44R.

287
pour garantir l'égalité des chances entre les parties. C'est ce qui résulte de l'affaire
des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua introduite par voie de requête
unilatérale.
Une question se pose. Quel a été le rôle de la Cour dans la recherche de la
preuve en l'espèce?
Il est important, d'entrée de jeu, de noter que le statut et le règlement de la
Cour lui donnent un certain nombre de pouvoirs en la matière. Ainsi, l'article 48 du
statut prévoit qu'elle « prend toutes les mesures que comporte l'administration des
preuves ».
L'article 49 du même texte dispose, quant à lui, que "la Cour peut, même
avant tout débat, demander aux agents de produire tout document et de fournir
toutes explications. En cas de refus, elle prend acte".
Enfin, les articles 50 du statut et 62 du règlement de la Cour soulignent le rôle
actif des juges en matière de preuves435 .
La Cour estime qu'en l'espèce, tous les pouvoirs qu'elle tient de ces textes
sont difficiles à exercer à cause de l'insuffisance des moyens de preuve. Le
problème pourrait aussi bien être renversé. En tout état de cause, il a été établi que
la Cour ne s'est pas transportée sur les lieux du litige pour des preuves
supplémentaires. Il est évident également que pour les questions d'ordre technique
(par exemple l'interprétation des cartes), elle a dû recourir à des experts.
En dépit de cet handicap lié à l'insuffisance des moyens de preuve, la Cour
est intervenue activement dans la recherche de la vérité, ne serait-ce que pour
·'''Ce rôle aclif a clé Irè~ rellmrqllé ùalls l'aH:,ire ÙCS Lssais 1I11ciéaircs où la Cour a versc elle-mème au dossier
des pièces qlli Il'anlielll pas élé proùlliles par les parlics. Il s'agit des déclaraliolls des <Il1lorilés frallçaises sur la
fill des essais ùalls 1':llmosphère el le p:lss,lge ail sl,lùe des lirs ~olllelTaills.

288
confronter avec les faits de l'espèce, les hypothèses qu'elle a formulées. Elle a
choisi de raisonner par présomption, il fallait donc qu'elle recherche tous les
éléments de preuve confirmant cette présomption. Ces éléments ont joué ici
concurremment en ce sens que la Cour n'a privilégié aucun moyen de preuve. Ce
procédé de la présomption a cependant un inconvénient, il aboutit à une relative
approximation de la vérité436.
La Cour est parfaitement consciente de cette situation, comme en témoignent
les extraits suivants de l'arrêt:
- « La Chambre ne peut avoir la certitude de statuer en pleine connaissance
de cause »437 ;
- rr aucun tracé frontalier indiscutable ne peut être dégagé de cet
abondant matériau cartographique »438 ;
- rr les informations dont elle dispose ne suffisent pas à établir avec
certitude si c'est le village de Kobou ou le hameau de Kobo qui correspond... etc »439
- rr la Chambre constate que les éléments à sa disposition ne suffisent pas
toujours à établir lequel des tracés possibles coïncide avec celui qui existait
réellement en 1932 »440
Cette situation inconfortable l'a parfois conduite à des conclusions qui
semblent brutales et qui témoignent de l'embarras de la Cour:
Exemple: elle a déclaré à propos de la carte IGN au 1/200.000 de 1960 : « si toutes
les autres preuves font défaut ou ne suffisent pas pour faire apparaÎtre un tracé
-1)(,
Cf. Roger DECOTTIGNIES. Les préSOIllP,io!~<:'I-' dn~iLllriyç. L.G.DJ. 1950. p. II.
.1.1)
Ree. 19X(" p. 5X7 $ 64
""
Ibid. p. .'H4 $ .'iX
139
Ibid. p. (,21 $ 12(,
'·10
Ibid. p. (,30 $ )42.

2WJ
précis, sa valeur probante devient déterminante »441 Autre exemple: "Constatant
qu'il n'est guère possible de parvenir en l'espèce à une solution qui concilierait tous
les éléments en présence, la Chambre conclut que ces éléments ne renversent pas
la présomption déjà établie selon laquelle l'arrêté 2728 AP avait un caractère
déclaratoire ».
Ces exemples montrent bien que la présente décision est loin d'être
incontestable, d'une part; ils laissent implicitement la porte ouverte à une éventuelle
demande en révision au cas où les parties découvriraient après coup des
documents déterminants, d'autre part. En effet, l'arrêt a déclaré : (( Mais même si
ces documents avaient été retrouvés, la Chambre ne saurait exclure que, dans la
masse d'archives de l'Administration de l'A OF, aujourd'hui dispersées dans plusieurs
pays, il puisse encore exister d'autres documents précieux »442
Mais l'hypothèse d'une révision paraît improbable. De toutes façons, si l'une
des parties prenait une telle initiative, elle aurait peu de chance de gagner le procès
car la Cour n'entend pas revenir sur l'autorité de la chose jugée.
La jurisprudence internationale récente est, à cet égard, dissuasive. En effet,
"arrêt rendu par la Cour le 10 décembre 1985 sur la demande en révision et
interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 dans l'affaire du Plateau Continental
Tunisie/Libye, montre que la Cour n'accepte pas facilement que les parties
remettent en cause l'autorité de la chose jugée dont ses arrêts sont revêtus. Dans
cette affaire, la Cour a rejeté la double demande tunisienne443.
Au vu de tout ce qui précède, on a l'impression, si l'on s'en tient au contenu
de l'arrêt que les parties ont confié à la Cour une mission sans lui donner les
moyens nécessaires à son accomplissement Cette situation ne saurait cependant
<" Rcc.] ~R6. p. 5R(•. :\\> 62
·H2
Rcc. I~R6. p. SR? :\\> M .
•• 1.1
Cf. Emmannel DECAUX. A.fD,J. 1'lX5. pp.124-4~

290
expliquer le silence de l'arrêt sur la violation des mesures conservatoires.
$3
Le silence de l'arrêt sur la violation des mesures
conservatoi res
Il sera ici question d'un aspect du différend sur lequel la Cour n'a pas insisté
dans son arrêt: il s'agit de l'exécution ou non des mesures conservatoires qu'elle a
indiquées le 10 janvier 1986. En effet, la Cour s'est contentée de souligner que la
proclamation de l'arrêt met fin aux effets de l'ordonnance indiquant ces mesures. En
cours d'instance, ces mesures déployaient toujours leurs effets. Si l'on s'en tient au
communiqué final de l'A.N.A.D. auquel la Cour a rendu hommage, ces mesures ont
été exécutées par les deux parties. Cette précision n'est pas de trop car il semble
que par la suite le Mali ait enfreint ces mesures. Il eût été donc normal que l'arrêt
mentionnât cette violation. Mais il n'en a rien été. Dès lors des interrogations sont
permises. Ce silence résulte-t-il d'une attitude de principe de la part de la Cour? On
peut le penser car il ressort de sa jurisprudence que « dès lors que la Cour a
constaté qu'un Etat a pris un engagement quant à son comportement futur, if n'entre
pas dans sa fonction d'envisager que cet Etat ne le respectera pas »444.
En conclusion, malgré le caractère équitable du tracé de la frontière, le
véritable gagnant du procès est le Burkina. En effet, celui-ci s'est vu attribuer la
quasi-totalité des mares du Béli. Dans une région où les pluies sont rares, l'eau est
une ressource inestimable car c'est d'elle que dépend la survie des populations.
;,H
Ree. lY7~ cu. Arraire des Essais nncléaires. Anslralie/France. p. 272 $ ()O.

291
CHAPITRE Il
LA PORTEE DE L'ARRET
La saisine de la Cour Internationale de Justice, par deux Etats africains issus
de la décolonisation, d'un différend dont l'origine remonte à la colonisation, n'est pas
un fait divers qu'on peut se contenter d'évoquer simplement, car c'est un exemple
historique pour l'Afrique445 qui s'était éclipsée de la Haute Cour depuis un long
moment.
De ce point de vue, l'arrêt rendu le 22 décembre 1986 est très intéressant sur
le plan juridique.
Sur le plan politique, il aura également un grand retentissement non
seulement dans la sous-région ouest africaine où il restaure la paix, mais également
en Afrique toute entière où il sera lu dans les chancelleries et par les instances de
l'O.U.A.
Connaîtra-t-il un écho favorable? Les parties se sont engagées en tout cas à
le respecter, mais compte tenu de certaines positions prises par la Cour446, il est peu
certain qu'au plan africain, l'arrêt ait répondu aux attentes des Etats.
Cette présentation nous conduit à l'examen de la portée juridique de "arrêt
d'une part, et à celui de sa portée politique d'autre part.
'·11
Jeune Afrique ne U57 dn 7 janvier 19~7.
·Hfi
Notamment en matière d'apparlenanee des hamean.\\ de cnllure.

2n
SECTION 1: LA PORTEE JURIDIQUE DE L'ARRET
Ainsi qu'il a été indiqué, c'est la première fois que deux Etats africains classés
parmi les pays les moins avancés (PMA) décident de soumettre à la Cour un
différend frontalier terrestre qui les oppose.
Peut-on interpréter cette attitude comme une « nouvelle orientation prise par
les Etats africains au regard de l'institution judiciaire internationale ))? Ou est-ce une
expérience sans lendemain ? C'est à ces deux questions que nous tenterons de
répondre dans les lignes qui suivent. Mais auparavant, il convient de rappeler les
conditions dans lesquelles s'est opérée la saisine de la Cour.
1\\ ressort des écritures des parties que celles-ci ont accepté d'aller devant la
Cour à la suite d'une espèce de marchandage.
En effet, le Mali a écrit dans son contre-mémoire que « la Haute- Volta a lié le
règlement du problème frontalier au dossier monétaire de l'U M OA 447 voulant ainsi
porter atteinte à la souveraineté internationale du Mali dans le cadre de son droit
légitime à intégrer une organisation économique panafricaine ))448
Le Burkina se défend de lier les deux problèmes en ces termes. (( 1/ Y a lieu ici
de souligner que le Burkina Faso n'a jamais formel/ement établi de lien entre le
règlement du différend frontalier et l'entrée du Mali à l'UMo.A .. En réalité, l'entrée
du Mali à l'UMO.A se trouvait entravée par des problèmes d'ordre technique
connus de tous les Etats membres de l'U M o.A ...
H' U.M.O.A. ~ Union Monélaire Onesl Africaine instiluéc le 12 niai 11)(,2 comprenant la Côte d'Ivoire, le
Togo, le Burkina. le Niger cl Je Bénin. chacun ayanl lin droit de \\'cio.
'"
Contre-mémoire du M:lli. p. 177.

29.1
Qu'on sache tout simplement que la France ayant pris certains engagements
quant à la solution de ces problèmes, le Mali a pu intégrer tu. M. D.A. avec le plein
C
449
accord du
.NR.»
.
Pour y voir clair, rappelons le début de l'histoire
Du fait de l'enlisement du conflit frontalier entre les deux pays à cause du
caractère peu conciliant des positions défendues de part et d'autre, les autorités du
Burkina ont estimé que le différend ne pouvait désormais être réglé que par une
instance internationale. La C.I.J. semblait bien indiquer dans leur esprit. Mais il
fallait convaincre le Mali pour qu'il accepte l'idée d'une solution fondée sur le droit.
Cela ne fut pas facile car le problème de son entrée à l'U.M.DA n'était pas réglé.
Le traité du 12 mai 1962 qui a créé cette institution financière a été ratifié par le
Burkina et non par le Mali qui l'a seulement signé Restant donc en dehors de cette
institution, le Mali créa le franc malien en 1967 bien que faisant toujours partie de la
zone franc.
Compte tenu de sa situation financière désastreuse 450 qui lui a valu en mai
1982 et en décembre 1983 des prêts accordés par le Fonds Monétaire International
d'un montant de 77 millions de DTS (droits de tirages spéciaux), le Mali poussé la
France qui était lassée d'oeuvrer à son redressement économique45\\
considéra
l'U.M.DA comme une panacée. Il semble en effet que l'une des caractéristiques de
cette institution soit la stabilité. Pour ce faire, un obstacle devait être surmonté aux
yeux du gouvernement de la Haute-Volta de l'époque : le conflit frontalier entre les
deux Etats.
En 1982, confirmant les positions de ses prédécesseurs, le président
voltaïque J. B. Duédraogo donna son accord pour l'entrée du Mali dans rU.M.DA à
449
C.N.R. = Conseil Nalional de la Révollliion. POlir la citation. voir C2/CRX<i11.
450
Cr. Pierre METTELIN. "Mali-U.M.O.A. : Gellèse d'Ilne réinlégratlOn". Année africaine, pp. 269-271.
451
La France avait accepté d'annnier la delle malienne i) son égard et déeidé de payer les charges financières
dues à l'adhésion de ee pays à l'Union.

294
condition que celui-ci accepte le règlement du différend frontalier par la voie
juridictionnelle. Le règlement de ce différend devint ainsi un préalable à l'entrée du
Mali dans l'U.M.OA De l'avis des autorités voltalques de l'époque: c'est l'effort de
guerre consenti par le Mali en 1974-1975 qui a rendu sa situation monétaire et
financière critique. Par conséquent, elles ne voudraient pas que le Mali se serve
maintenant de la Haute-Volta pour éponger les dettes qu'il a contractées pour son
armement Cette ferme volonté est plus explicite dans la déclaration qui suit: « nous
avons fait preuve de notre ferme volonté de voir le Mali entrer dans l'U.M.O.A., mais
nous voulons également que ceux qui ont pris une part de responsabilité dans la
situation économique actuelle de ce pays, l'assument entièrement »452.
Toute dissociation des deux questions était donc exclue. Les choses en
restèrent là jusqu'à l'avènement au pouvoir du Conseil National de la Révolution
présidé
par Thomas
Sankara
en
1983.
Celui-ci
abandonna
les
positions
antérieurement défendues par ses prédécesseurs en levant le veto qui empêchait
l'entrée du Mali dans l'Union453 Mais il réaffirma avec force la nécessité d'une
solution juridictionnelle au différend frontalier Un mois auparavant, c'est-à-dire le 16
septembre 1983, les deux pays signèrent le compromis par lequel ils portèrent
l'affaire devant la Cour.
On en vient ainsi à la première question posée plus haut. Cette saisine
traduit-elle un changement radical d'attitude des Etats africains vis-à-vis de la Cour?
Pas vraiment.
A notre connaissance,
après l'affaire du plateau continental
Tunisie/Libye, c'est la deuxième fois que des Etats africains portent leur différend
devant la Cour. Certes, certains litiges en suspens pourraient être réglés un jour par
la voie judiciaire: c'est le cas de l'affaire de la bande d'Aouzou entre le Tchad et la
Libye, l'affaire du plateau continental entre le Sénégal et la Guinée ayant déjà été
soumise à un règlement arbitral auquel participe le juge Bedjaoui.
m
cr. Afriqne-Asie n0326 du 16 an 29 jnillel 19X4. p. 44
".1
Ce gesle de bonne volonte survint au sOlllmet de l'U.M.a.A. lenn;) Niamey du 29 au 31 octobre 1983. Le
17 fevrier 19X4. le Mali signa l'Accord confirmant son adhésion ;)1'U.M.a.A.

Mais il est quand même trop tôt pour parler d'un changement radical ou d'une
orientation nouvelle. Il convient plutôt de parler d'une évolution de l'attitude des
Etats africains vis-à-vis de la Cour ($1) mais cette évolution est parfois freinée par la
réticence persistante de ces Etats à l'égard des solutions extra-africaines ($2).
$1
L'arrêt confirme son évolution déjà amorcée
L'affaire du plateau continental TunisielLibye a amorcé une évolution
favorable que suit la présente espèce. Ce changement d'attitude de ceux qui, hier,
étaient tenus à l'écart des procédures d'élaboration du droit international et ont été
déçus par une « certaine jurisprudence « raciste» ou monstrueusement injuste de la
Cour Internationale de Justice )454, est intéressant juridiquement.
Il s'agit d'une part de l'arrêt rendu par la Cour en 1966 dans l'affaire du sud-
ouest africain et de celui rendu dans l'affaire du Cameroun septentrional. Le groupe
africain de l'Q.N.U. a condamné le premier et reproché à la Cour « de rendre les
racistes sud-africains encore plus arrogants ou encore plus intransigeants dans leurs
défis aux conventions internationales et à la conscience humaine >J.
Dans le second arrêt, la Cour a refusé de rendre le jugement déclaratoire que
lui a demandé le Cameroun au motif que le différend porte sur l'interprétation et
l'application d'un accord de tutelle qui a pris fin. Ce jugement devait constater que le
Royaume-Uni avait contrevenu à l'Accord de Tutelle relatif au Cameroun sous
administration britannique455
Si ces affaires ont ébranlé la confiance que des Etats africains ont placée
dans le règlement judiciaire dès leur accession à la souveraineté internationale, et
1.'4
cr. Guillaullle PAMBOU TCIIIVOUNDA. "LI: druil illll:l'llaliollai de l'illierprélaliou des lraités;\\ l'épreuve
de la jurisprudencc". Journal du droit Înternation;l!. Juillcl-Aoül-Scpl. 19X6, p. 610. Voir également Oualtara
Fambaré Nalehaba Lcs Elals africains CJJlLÇ.U,. Doctorat d'EI;lt - Poiticrs, 197X, Tome l, pp. 159- 161.
4~' Cr. H. TIIIERRY. "AlTairc du Cameroun septcllinoual". A. F.D.1. 1%4, pp. 115-9127 ct G. FISCHER,

justifiaient leur éclipse, aujourd'hui, ils ont pour ainsi dire très peu de motifs pour se
tenir toujours à l'écart. En effet, outre le fait que les Etats du Tiers monde
n'entendent plus être d'une manière générale uniquement les destinataires du droit
international mais les coauteurs (la force du nombre au sein de la communauté
internationale leur en donne les moyens par le biais des résolutions), l'application de
la règle de la répartition géographique équitable a eu pour conséquence une
présence significative au sein de la Cour des juges du Tiers monde. Cette règle a
sensiblement modifié la composition de la Cour en tenant compte de l'appartenance
des juges aux principaux systèmes juridiques du Monde.
De plus, cela est valable pour tous les Etats, les dispositions du statut de la
Cour et de son règlement relatives à la constitution de Chambres ad hoc, ont
également un effet attractif. Ces dispositions qui étaient restées lettres mortes
jusqu'ici sont mises en application comme le laissent apparaître les affaires du Golfe
de Maine Canada/E.U.A. et du différend frontalier Burkina/Mali. Notons également
que le gouvernement de la République d'El-Salvador et le gouvernement de la
République du Honduras ont notifié au greffe de la Cour un compromis conclu le 24
mai 1986 par lequel ils demandent à une chambre de la Cour de délimiter des
parties de leur frontière terrestre et de déterminer le régime juridique des îles et des
45G
espaces maritimes
Enfin, une Chambre a été constituée le 2 mars 1987 pour examiner l'action
intentée par les E.U.A. contre l'Italie au sujet d'un différend découlant de la
réquisition opérée par le gouvernement italien sur l'usine et sur d'autres éléments du
patrimoine de l'Elettronica Sicula SP.A. (ELSI)45?
Mais que l'on ne s'y méprenne pas. La méfiance qu'éprouvent les Etats
africains vis-à-vis de la justice internationale existe toujours, même si elle est
atténuée aujourd'hui
"Les réaelions dev,lIIll'alTêl de la CU. eonecllIanl le sud-ouesl arric;.iu". AFDI. 1')(,(,. P 144 cl suiv.
·"'fi Cf. Communiqué de la Cour n0861 le, du 1[ déccmbre 1')8(,.
.,<7
Cf. Commnniqué de la Cour n087/5 du 5 mars 1l)87.

297
$2
Les réticence persistante des Etats africains à
l'égard des solutions extra-africaines
Les Etats africains sont en règle générale réticents à l'égard de la justice
internationale. Mais lorsqu'ils décident de porter leur différend devant la Cour, c'est
que précisément, les procédures diplomatiques ont échoué. Dans le cas présent,
c'est l'impossibilité du règlement politique qui a conduit les parties devant le juge.
Dans ce sens, la Cour apparaît comme un juge de dernier recours458.
Restons
toujours
dans
le
cas
d'espèce
pour
souligner
l'attitude
symptomatique des parties de leur attachement aux solutions négociées. Tout au
long de la procédure devant la Chambre, le Mali et le Burkina ont parallèlement
recherché une solution politique au différend avec la médiation de l'Algérie. Il est
clair que s'ils avaient trouvé un arrangement amiable avant la proclamation de
l'arrêt, la Cour se serait vu obligée de radier de son rôle cette affaire pendante.
Les déclarations du Ministre malien de l'Intérieur à la presse burkinabé sont à
cet égard éloquentes : « c'est dans lin dialogue bilatéral au plan politique que tout
rentrera dans l'ordre »45B
Dans le même sens, son homologue burkinabé a souligné dans le discours
qu'il a prononcé lors de la cérémonie solennelle d'installation de la Chambre le 29
avril 1985 que « des contacts bilatéraux au plus haut niveau se poursuivent afin de
tenter, par cette procédure toute africaine, de contribuer à la solution de ce
çrt 460
con"t»
.
458
Cf. Michel VIRALLy. "Le champ opéraloire du règlemenl judiciaire inlcrnational". R.G.D.I.P. 1983, op.
cil., p. 281.
4.'9
Sidwaya dn 7 aOlîl l '!K).
4(,0
Ibid 6 mai 1(iX). p. 1.

298
D'une manière générale, on pourrait conclure que la non reconnaissance par
la quasi-totalité des Etats africains francophones de la juridiction obligatoire de la
Cour, est un signe de désaffection de la justice internationale. Seuls deux Etats ont
accepté sa compétence obligatoire. Il s'agit du Sénégal par sa déclaration du 22
octobre 1985 qui remplace celle du 31 mai 1985 et du Togo par sa déclaration du 24
octobre 1979461 .
C'est donc dire que la confiance en la Cour n'est pas sans limites.
Aussi, nous ne partageons pas l'idée selon laquelle « le renversement de
tendance en faveur du règlement judiciaire au plan international sonne le glas d'une
époque, celle de l'engouement pour le règlement politique des différends frontaliers
en Afrique »462.
L'engouement pour le règlement politique de ces différends n'a pas disparu
parce que les Etats sont conscients qu'une solution juridictionnelle ne résout pas
tous les problèmes. Comme l'a si bien souligné le professeur René Jean Dupuy, « à
vrai dire, il ne faut pas perdre de vue que l'essentiel pour que la paix règne n'est pas
que le juge siège, si les Etats parviennent par d'autres moyens à régler leurs
différends »463
En définitive, les Etats africains affectionnent toujours le règlement de leurs
litiges dans le cadre africain. A cet effet, des mécanismes sont prévus par le
protocole du Caire du 21 juillet 1964. Mais dans la pratique, ce protocole est un droit
dormant puisqu'il n'a jamais été appliqué.
Certes,
les Etats recourent aux
mécanismes institués mais en dehors du cadre tracé par le protocole464 . De ce fait,
'61
Cf. R.G.D.I.P. 19R5, n04, Chrono pp. 992-993 cl Annnairc dc la C.U. 19l\\5-19l\\6. Lcs Etats africains
anglophoncs sont nombrcux ù acceptcr ln compétcncc oblig;lloirc dc la Cour.
'(,2
Guillaumc Pambou Tchivounda. op. cil.. p. (dO.
M,'
Cf. C.U. Colloquc Inlcrnalional27-2') nwi 1%5. "1."ld;lplalion dc l'O.N.U. aumondc d'aujourd'hui", p.
ID..
.
lM
Cf. Philippc CHAPAl.. "Lc rôlc dc l'nu.A. dans Ic règlc1ncnl dcs liligcs cnlrc Etals africnins". Revue
algéricnnc dc scicnccs juridiqucs. politiques ct écouol!li<lI!~1 1971. pp. l\\94-91 O.

299
le règlement est toujours ad hoc ou négocié dans le cadre de l'O.UA ou par les
bons offices d'Etats africains. Ainsi, on assiste à une multiplication des commissions
ad hoc46s Pour mémoire, citons la commission spéciale mise en place dans le cadre
du règlement de la crise algéro-marocaine. Cette commission a été qualifiée
d'organe arbitral466. Plus près de nous, citons la commission de médiation constituée
dans le cadre de l'O.UA pour régler le différend frontalier Mali/Burkina etc. La
plupart de ces commissions ont échoué dans la mesure où leurs propositions en vue
du règlement des conflits ont été souvent rejetées par l'une des parties bien qu'elles
soient parfois fondées sur des considérations juridiques ou d'équité.
Comme on vient de le voir, ces Etats préfèrent régler leur litiges dans le cadre
africain sans procédure, sans formalisme mais de façon adaptée à la spontanéité
naturelle de la négociation et faisant appel au bon sens et aux vertus du coeur467.
SECTION" : LA PORTEE POLITIQUE DE L'ARRET
Si le recours au juge international revêt en l'espèce un caractère exemplaire,
il faut bien reconnaître que cela ne suffit pas pour stimuler les Etats africains à
fréquenter le prétoire de la Cour. Tout dépend du contenu de la décision. En
d'autres termes, cet exemple constituera pour ces Etats un modèle si le contenu de
l'arrêt répond à leur attente.
Dans l'immédiat l'arrêt permet cependant la restauration de la paix dans cette
sous-région ouest africaine, et stimule ou renforce la coopération internationale non
seulement entre les deux Etats belligérants
mais également au sein des
organisations sous-régionales dont ils sont membres.
"'5
M. BEDJAOUI n'~v~il-il p~s allirmé que "la Commission ad hoe est devenue l'organe par excellence
d'intervention Ions a/.inmls impulsé par I~ Conrérence ou par le Conseil" ? Cr. "Le règlement pacifique des
différends arricains". A.F.D.I.. )972. p. 85 .
.,r.r.
Cr. E. KWAW KOUASSI Les rapportsenlrc l'O.N.U. c l'O.IJ.A Ilrnylanl. flrtlxclles )978, p. 211J.
·'(,7
Pierre VELLAS. "La révision des procédures de règlement <.les connils <.Ians le cadre de l'O.U.A.'' R.B.D.1.
1978-1979. p. 1(,:1.

300
$1- L'arrêt restaure la paix
Pour régler pacifiquement ce différend, le Burkina et le Mali n'ont pas perdu
de vue les dispositions de l'article 33 alinéa 1 de la charte des Nations Unies. Cet
article met à la disposition des Etats un certain nombre de moyens de règlement
pacifiques de leurs différends en fonction de la nature de ces derniers.
Ils se sont également conformés à la déclaration de l'AGNU relative aux
principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération
entre les Etats468. Selon cette déclaration qu'a complété la déclaration de Manille sur
le règlement pacifique des différends internationaux469, « Tous les Etats doivent
régler leurs différends exclusivement par des moyens pacifiques de telle manière
que la paix et la sécurité internationale ainsi que la justice ne soient pas mises en
danger ))470 C'est « un remarquable exemple de maturité politique ))471 que ces deux
Etats donnent à l'Afrique. Ainsi, une page de la tumultueuse histoire récente entre
ces deux Etats est tournée et la paix restaurée. Et comme l'a déclaré le président
burkinabé, « l'imprécision de la frontière ne sera plus jamais source de ces
affrontements qui ont tant po/té préjudice à nos projets de route, de retenues d'eau,
de dispensaires, d'écoles, d'habitats ))472.
Mais pour que cette paix soit définitive et durable, elle doit être entretenue et
sous-tendue par une réelle volonté politique des deux pays de tirer un trait sur ce
regrettable passé qui a envenimé leurs rapports Car "Construire la Paix, la Paix
~(,R cr. Rés. 2(,25 XXV du 24 octobre 1')70.
4(,9
Cf. Rés. 37/10 du 15 uovcmbre IlJR2.
471)
Cf. Constantin ECONOMIDES . "La déclaration de Manille sur le règlement paeifiquc dcs dilTércnds
international!'''. A.F.D.1. 1%2. pp. 613-(,3l Voirégalellleni Mil;ln Si\\IIOVIC. Mélanges Manfred Laehs.
·111
Cr. Le Modc Diplolllatiquc de llIai IlJR7. p..HI
m
Cr. Carrcfour africain nO%7 du 2(, décembre IlJX(, dé,l:i cilé.

]01
avec un "P" majuscule est un art difficile, et assurément pas plus facile que celui de
conduire la guerre. Construire la Paix, cela ne signifie pas seulement conclure des
trêves et des armistices, signer des traités et des déclarations d'amitié éternelle.
Construire la Paix, cela signifie identifier et mettre en lumière les multiples facteurs
qui militent dans le sens contraire, savoir recueillir l'humus souterrain dans lequel
s'enfoncent les racines, les causes profondes et parfois lointaines de tensions entre
les Etats et entre les peuples, et créer des conditions qui les empêchent de surgir à
nouveau.
En un mot, la tâche n'est pas tant d'arrêter la guerre que d'éliminer les
raisons, les nombreuses, diverses et complexes raisons de la guerre )1473
C'est pourquoi, dans cette volonté politique la paix ne sera qu'un phénomène
éphémère. Certes, l'arrêt n'a pas répondu de manière satisfaisante aux attentes des
uns et des autres, mais les parties doivent s'en contenter et elles l'ont fait, en
témoignent leurs réactions après la proclamation de l'arrêt:
(( Le Burkina accepte l'arrêt rendu par la Cour et s'engage à faciliter toutes les
procédures tendant à son application )1.
(( Le Gouvernement du Mali... se range à la décision de la C.l.J. et vous assure
que... cet engagement sera respecté )1 , "en vous assurant de la totale disponibilité
du Gouvernement du Mali pour facilite/la mission des expelts. »3474 .
Ces réactions diplomatique favorables sont en réalité dictées par le
compromis. En effet, l'article IV alinéa 1 de ce texte dispose : (( Les parties
acceptent comme définitif et obligatoire pour elles-mêmes, l'arrêt de la Chambre,
rendu en application du présent compromis" » C'est ce qu'a reconnu le président
m
cr. Roberto AGO. Colloque organisé ,\\ J'occasion dn qU;lrantième anniversaire des Nations Unies. Thème
"L'adaptation des structures ct méthodes des Nations Unies". RCAD.1. 19X5, p. 37.
""
Cr. Commulliqué de la Conr nOX7/1 du 1(, janvier )')X7 : message envoyé le 24 décembre 1986 par le
Président Thom;1 SANKARA du Président de la Ch;lI11hre. IIlcss;lge llIalien envoyé au Président de la Chambre
le 10 janvier [987.

J02
burkinabé qui a déclaré : « en allant devant cette juridiction, nous prenions
l'engagement d'en respecter le mot ii 4n
Malgré tout, ces réactions dissimulent quelque insatisfaction car aucune des
deux parties n'a réussi à faire totalement prendre en compte ses thèses par la
Chambre.
De plus, les questions en débat ont reçu des réponses qui sont loin d'être
satisfaisantes pour tout le monde.
De même que le Mali n'a pas obtenu ce qu'il espérait dans la région du Béli
(région des mares), de même le Burkina n'a pas obtenu gain de cause dans le
secteur des quatre villages. Dans ce dernier secteur, l'arrêt a admis sans autre
forme de procès que les hameaux de culture font partie intégrante des villages.
Comme nous l'avons déjà montré, cette façon de faire de la Cour aura
certainement des conséquences pratiques dangereuses pour la stabilité et la
permanence des frontières africaines. Car, les Etats en mal d'agrandissement ou
d'expansion territoriale pourront l'invoquer
De ce point de vue, l'arrêt n'a pas entièrement répondu au souhait formulé
sous la forme d'une mise en garde par l'agent du Burkina Faso lors des plaidoiries
orales:
« L'Afrique entière a les yeux tournés vers la Haye, ... l'histoire des Etats
africains se joue dans cette salle d'audience et l'arrét à venir va étre étudié à la loupe
par les experts et les responsables politiques des pays membres de l'D.U.A.
Si, comme nous n'en doutons pas, les principes de l'intangibilité des frontières
léguées par le colonisateur au moment des indépendances et l'uti possidettis sont
reconnus, réaffirmés avec force et produisent leurs pleins effets et entiers effets,
m
Carrefour aJlic,!i!l du 26 décembre 1<)86. op. cil.

lOI
alors, chaque Etat membre de 1'0. U A se verra contraint et forcé de se contenter de
ses limites actuelles, aussi imparfaites soient-elles, parce que l'autorité juridique et
morale de la C.l.J. aura conforté ces principes.
Si, par extraordinaire, la moindre brèche venait à lézarder ces garde-fous, je
préfère ne pas penser à toute l'exploitation qui en serait inéluctablement faite par les
Etats qui, pour des raisons d'ordre ethnique, économique, historique ou autres,
estimeraient que leurs frontières sont soit mal faites, soit inexistantes ou tout
simplement qu'ils ont accompli tels ou tels actes d'administration dans des villages
situés de l'autre c6té de la frontière et que par conséquent, ils en réclament
l'attribution au nom de je ne sais quelles effectivités »476
$2
L'arrêt est un facteur de renforcement de
la coopération internationale
Il est bien évident que les deux pays ne pourront promouvoir leur politique de
développement économique, et mobiliser leurs efforts pour relever les défis
contemporains (sécheresse, famine, malnutrition, apartheid) que si la paix règne car
sans paix ni sécurité, aucun développement harmonieux n'est possible et la
coopération internationale en subit les contrecoups. La paix est donc la condition
d'une bonne coopération non seulement entre les deux parties, mais également au
sein des organisations sous-régionales dont elles sont membres: la C.EAO. et
l'Autorité du Liptako-Gourma. Ces deux organisations ont leur siège dans la capitale
burkinabé. Compte tenu du fait que la tension consécutive au différend frontalier
entre le Mali et le Burkina a rejailli sur le fonctionnement de ces organisations,
notamment de la C.E.A.O., les développements qui suivent seront consacrés
uniquement aux retombées politiques de l'arrêt sur cet aspect de la coopération
multilatérale.
·17(,
cr. C2/CR X(,11 Il 26,

304
On se souvient qu'avant le déclenchement de l'affrontement armé de
décembre 1985, une grave tension a régné entre les deux pays. Cette tension a
projeté son ombre sur la C. EA O. et entraîné momentanément une paralysie de ses
rouages. En effet, le Mali avait boycotté par deux fois les journées de solidarité des
jeunesses de cette organisation tenues à Ouagadougou, et la réunion dans la même
ville des Ministres de la pêche. La raison Invoquée par le Ministre malien des
finances et du commerce tenait à ce que « la représentativité du Secrétariat Général
de l'Organisation n'était pas significative »477 En clair, cette absence malienne est
une réplique à l'expulsion par les autorités burkinabé478 du Secrétaire Général de la
C.E.A.O., Orissa Kéita, de nationalité malienne. Celui-ci a été déclaré persona non
grata pour s'être livré à Il des railleries à l'égard de la révolution burkinabé ». Le Mali
a ressenti cette expulsion comme une atteinte à la dignité de la Nation479. S'étant
ainsi immiscé dans les affaires intérieures de l'Etat abritant le siège de l'organisation
dont il est la cheville ouvrière, Orissa Kéita a manqué à son devoir de réserve
résultant
de
la
Convention
de
l'O.UA
sur
les
privilèges
et
immunités
dipiomatiques480 Le droit diplomatique autorise tout Etat à expulser de son territoire
toute personne déclarée indésirable fût-elle diplomate. Mais le droit est une chose,
la diplomatie en est une autre
Ayant regagné son pays, Orissa Kéita est resté malgré tout secrétaire général
de la C.EAO., mais pouvait-il diriger l'Organisation en dehors de son siège, même
s'il s'est établi au C.R.E.S (Centre Régional d'Energie Solaire) un des grands
projets de la communauté, situé au Mali? En principe, en tant que cheville ouvrière
de l'Organisation, il doit résider à son siège
~JJ Cf. Sidwaya du 1R uovcmbrc l'JR5.
~JR Ccllc cxpulsiou cst intcrvcuuc alors quc le Présidcnt du Burkina assurait la présidcncc cn cxcrcice de la
C.E.A.O.
179
Cf. Jcunc Afriquc n01297 dn Il novcmbrc l'JR5. ]J.H.
,""
Mauricc AIIANIIANZO GLFU·:. ''l'Olll' unc OUA opér;IIIOUllclk" IU.I'I.C. juilicHléccmbre 19R5,
p.R20.

Cette situation "bâtarde" a heureusement pris fin avec la levée par les
autorités burkinabé de la déclaration persona non grata (fait rarissime dans l'histoire
du droit diplomatique) pour des raisons d'opportunité politique. En effet, la tenue à
Ouagadougou du 11 ème sommet de l'Institution en dépendait. Ce sommet eut
finalement lieu du 26 au 27 mars 1986.
En ramenant la Paix dans la sous-région, nul doute que l'arrêt contribuera à
rendre plus franche la collaboration entre ces Etats parce que cette collaboration
sera débarrassée de toute suspicion.
On peut cependant noter que ce n'est pas la première fois qu'un différend
entre deux Etats africains se prolonge sur une organisation internationale dont ils
sont membres. Le différend idéologique entre le Sènégal et la Guinée a eu pour
conséquence le départ de cette dernière de l'O.MVS. (Organisation pour la Mise en
Valeur du fleuve Sénégal)481
'"' Notre thèse de .l' cycle. Les méeanisllleUll!i,li.tlll(;!;j!lJ.eI1I<ltigl!aux d'exploitation des bassins fluviaux
africains. Contribution à un modèle lie coQlli5nni911 ? Orléans. l'JX2. pp. 110-11].

306
CONCLUSION DU CHAPITRE
Deux constats s'imposent:
1)
L'arrêt infirme ou tout au moins atténue l'idée selon laquelle l'Afrique n'a pas
encore fait entrer sans ses moeurs les méthodes classiques de règlement des
différends internationaux482 .
2)
L'arrêt révèle l'incapacité congénitale de l'O.UA à résoudre les litiges entre
Etats africains. Cette organisation panafricaine se décharge de plus en plus
sur les organisations sous-régionales (Conseil de l'Entente, A.NAD., etc.)
qui ont l'avantage d'être plus proches des Etats en conflit et qui peuvent par
conséquent trouver très vite des solutions d'apaisement
Malheureusement, ces solutions ne règlent pas les litiges au fond puisqu'elles
encouragent les parties à négocier. De ce point de vue la Cour a rendu à
l'O.UA, Organisation panafricaine, un immense service.
CONCLUSION DU TITRE Il
Si l'on en juge par les messages qu'elles ont adressés au Président de la
Chambre au lendemain de la proclamation de l'arrêt, les parties ont accepté sans
"rechigner" le tracé de la Cour. On est donc en droit de penser que cette décision
judiciaire que la presse internationale a qualifiée à juste titre de « jugement de
Salomon ))483, leur semble a priori satisfaisante.
Sans aucun doute, la Cour a voulu contenter les deux parties en ne donnant
entièrement raison ni à l'une ni à l'autre C'est un souci permanent des arbitres et
- - - - - _ . _ - - - - - - - .
m
cr. Opinion conlrairc dc DOUDOU THIAM. "1 ,c rédéralisllIc alricain", R.<:;,A.R.l.. 1<)(,9. IP. ]90.
<B]
Le Monde du 24 décembrc )986. p.2.

des juges de rendre des décisions acceptables par les parties dans la limite des
requêtes présentées.
Cette politique jurisprudentielle s'explique aisément. La Cour ne juge pas des
particuliers, elle juge des Etats qui sont, comme en l'espèce, particulièrement
attachés à leur souverainet8.
Dans ces conditions, l'institution judiciaire internationale ne peut négliger ce
fait dans les décisions qu'elle prend surtout lorsque celles-ci se veulent correctrices
d'une iniquité de l'histoire que sont les frontières arbitraires et artificielles nées de la
colonisation.

308
CONCLUSION GENERALE
L'étude menée à porté sur un sujet fort délicat parce qu'il prête facilement à la
passion. En toute impartialité et en toute objectivité, nous avons développé et
argumenté un point de vue qui est loin d'être partait. Le moment est venu de
conclure. Pour ce faire, nous avons retenu deux points: les enseignements de l'arrêt
et, en prospective, le recensement des problèmes éventuels liés à l'opération
d'abornement.
SECTION 1: LES ENSEIGNEMENTS DE L'ARRET
Parlant de la délimitation, le professeur Charles Rousseau lui a attribué trois
fonctions : c'est un facteur de paix, un signe d'indépendance et un élément de
sécurité484. Cette idée générale trouve son expression dans la présente espèce. En
effet, on peut espérer qu'entre le Burkina et le Mali, la frontière ne sera plus une
source de tension, sa délimitation étant faite, cette frontière sûre et qui doit rester
permanente, cloisonne désormais les souverainetés des deux Etats qui pourront
ainsi se consacrer en toute sécurité et en toute indépendance aux trois priorités
qu'ils ont définies, à savoir:
- la maîtrise de l'eau,
- l'autosuffisance alimentaire,
- et la lutte contre la sécheresse et la désertification.
Mais la stabilité de la frontière ne doit pas entraver la vie économique et la
communication entre les populations frontalières essentiellement nomades dont la
caractéristique principale est la mobilité. Par conséquent, le tracé judiciaire tout
comme le tracé conventionnel de la frontière ne doit en aucun cas être un motif de
rupture avec les usages coutumiers des terres de cultures, des mares, etc. En
'"
Droillillellwlioll,ll Public TOlIIe III. COlllpéIL'IlCCS SiIC\\' 1'177. op. cil p. 235.

- - - - - -
d'autres termes, malgré sa rigidité, la frontière doit rester perméable comme elle l'a
été jusqu'ici car il y va de la survie des populations Il s'agit de préserver des intérêts
dont la Cour ne peut en principe s'occuper. Cela ne devrait nullement constituer une
menace contre les droits territoriaux de chaque Etat qui sont bien définis. Pour sa
part, le président burkinabé a donné l'assurance que la souveraineté de son pays
n'est pas exclusive des intérêts d'aucun peuple. Comme on le voit, la délimitation est
un facteur de paix. Mais la paix n'est pas seulement l'affaire du juge, elle est surtout
l'affaire des Etats pour qui elle ne vaut que si elle est consolidée par une volonté
politique réelle.
Si la délimitation a en général de nombreuses vertus, la présente n'est pas
incontestable. En effet, l'arrêt a consacré le triomphe des « effectivités» ou des faits
d'occupation et risque de ce fait de provoquer une cascade de velléités
revendicatives. La présence d'un grand nombre de nationaux d'un pays dans un
autre pays frontalier peut pousser le premier pays à formuler des revendications
territoriales.
Par ailleurs, en reconnaissant à l'uti possidettis valeur de principe du droit et
en l'identifiant au droit international, l'arrêt relance le débat sur la valeur juridique de
ce principe.
Nous voudrons revenir sur l'effet salutaire de la non intervention du Niger sur
ses relations avec les deux parties.
S'il avait formé une requête aux fins d'intervention dans ce procès, il aurait
contre son gré compromis ses relations avec l'une des parties litigantes. En effet,
même dans l'hypothèse où il interviendrait pour sauvegarder uniquement ses droits
sans s'associer à l'une quelconque des parties comme l'a fait l'ile de Fidji dans
l'affaire des Essais Nucléaires, cette intervention serait dans tous les cas profitable
au Burkina qui est comme lui partie au protocole d'accord de 1964. Ce protocole, on
l'a vu, vise l'arrêté général de 1927, lequel place le mont N'Gouma non au sud-est
du gué de Kabia comme l'a soutenu le Mali, mais au nord de ce gué. Il serait

310
surprenant que sur cette question, le Niger se déjuge. Si c'était le cas, il engagerait
à coup sûr sa responsabilité internationale pour violation de ses engagements
internationaux.
Soucieux donc de préserver les bonnes relations qu'il entretient avec ses
deux voisins même si au début il se méfiait de la révolution burkinabè465, le Niger a
choisi par sagesse l'inaction.
Enfin cette affaire, qui a provoqué une brèche dans la tradition africaine de la
palabre, s'inscrit désormais dans les annales des deux pays. Et quel que soit
l'accueil qui est réservé à l'arrêt, il constitue pour l'O.UA et pour ses membres une
source d'inspiration dans le règlement pacifique des litiges frontaliers.
SECTION Il :
LE RECENSEMENT DES PROBLEMES EVENTUELS
LIES A L'OPERATION D'ABORNEMENT
Comme Il a été indiqué, la mission de la Cour ne s'arrête pas à la délimitation,
les parties lui ont également demandé de procéder à l'abornement de la frontière.
De plus, il a été indiqué que si au stade actuel de l'exécution du compromis, aucun
problème apparent ne s'est posé, rien ne permet d'affirmer qu'il en ira de même à la
seconde phase de sa mission. Du reste, la Cour a désigné dans son ordonnance du
9 avril 1987466 trois experts qui doivent assister les parties dans la mise en oeuvre
de l'arrêt. Elle a tenu à marquer par la même occasion la différence qui existe entre
l'expertise qui résulte de l'article 50 du statut de la Cour et dont l'initiative revient au
juge, et cette expertise demandée par les parties. Dans le second cas, le coût est
supporté non par la Cour mais par les parties Ces trois experts sont:
·'X' Sur ce poinl. voir l'amJlyse de Léon C. ('ono "Chroniqne des relations interarricaines". op. cil., pp. 181-
182.
-\\R(,
Cr. DilTérend frontalier - Désignalion d'e~perts. CU Rec. l'HP. p. 7.

311
Gilbert Mangin, de nationalité française, Conseiller à la Cour de cassation;
Zaki Belcaïd, de nationalité algérienne, Ingénieur des travaux géographiques
et cartographiques de l'Etat (Ecole Nationale des Sciences Géographiques de
Paris) ;
Petrus Richardus, de nationalité néerlandaise, Expert consultant en géodésie,
ancien directeur scientifique à l'Université agronomique de Wageningen
(Pays-Bas).
Dans ces dernières lignes, nous tenterons d'esquisser les problèmes qui
pourraient se poser.
Outre les problèmes financiers
que cette opération va soulever, il faudra
régler le sort des populations de chaque partie vivant sur un territoire aujourd'hui
attribué à l'autre. Dans le secteur des quatre villages, le transfert ne devra pas poser
de gros problèmes dans la mesure où il est essentiellement habité par des
populations d'origine malienne. En revanche, des difficultés pourraient s'élever dans
la région du Béli où cohabitent nomades maliens et burkinabé. Les premiers
pourraient opter soit de regagner leur pays d'origine, soit de rester en prenant la
nationalité burkinabé.
Le dernier problème qui pourrait se poser est celui des installations ou
équipements sociaux. Leur maintien, moyennant une juste indemnisation, nous
semble la meilleure solution.

112
ANNEXES

1 11
ARR ETE - W.2728/AP
DU 27 NOVEMBRE 1935 GOUVERNEUR GENERAL PORTANT
DELIMITATION DES CERCLES DE BAFOULABE, BAMAKO ET
MOPTI (J.O. 1935-PAGE 1013)
3° CERCLE DE MOPTI
Au sud: d'un point situé à environ 8 kilomètres à l'Est Nord-Est de Si une ligne bri
d'allure générale est laissant au Cercle de Mopti le village de Bassola, passant entre le viII
de Sounga Marka et Sounga Bambara traversant ensuite la rivière Sani à l'Ouest
Baramoundougou, passant ensuite au Sud de ce chef-lieu de Canton, prenant une direc
Nord-Est, laissant au Cercle de Mopti les villages de Konio, Toumadiana, Siragou
Torokoro, Koumaraga (ces trois derniers villages sur ou à proximité de la route de San à M
prenant unEl direction Est sur 18 kilomètres puis une direction sensiblement Sud, puis Sud
et Est Sud-Est laissant au Cercle de Mopti les villages de Kinemoussagou, Diamana,
Yalenkoro, Péguère et Sague, pour aboutir en un point situé à environ 10 kilomètres au
Est de Kare.
A L'EST: De ce dernier point une ligne méridienne rejoignant au Nord le parallèle 13°30',
une ligne sensiblement Nord-Est, laissant au Cercle de Mopti les villages de Yora, Dioulou
Oukoulou, Agoulourou, Koubo, passant au Sud de la mare de Toussougou pour aboutir e
point situé à l'Est de la mare de Kétouaire.
AU NORD: De ce dernier point une ligne sinueuse d'abord en direction Nord-Ouest passa
l'Ouest de la mare Massi et du Mont Abindal jusqu'en un point situé au Sud du puits d'Ag
puis en direction générale Ouest passant à 5 kilomètres au Nord de Hombori, au Nord d
mare de Fossa, au Sud de la mare de Dourgama, au Sud des monts Korama, Homi, Ta
Soufi, prenant ensuite une direction Nord, passant à l'Ouest de la mare de Sarlatta pour ab
au déversoir Est du lac Niangaye ; empruntant une ligne médiane du lac, passant ensuite p
déversoir Ouest, et le marigot de jonction avec le lac Haogoundou, suivant le bord de ce
rejoignant le marigot Kali Kali à hauteur de Gobi en laissant au Cercle de Mopti les village
Roundé, Dianguimaré, Gouya, Takiri-Boki, suivant en direction Sud le marigot de Kali Koli s
kilomètres environ rejoignant le lac Débo à l'Est du déversoir du Rara Issa, atteignant e
directement le point astronomique de Akka.
A L'OUEST: De ce dernier point la rive occidentale du lac Débo : le cours du marigot de Di
jusqu'au 15 è parallèle
,le cours du marigot de Bilé Dembéré jusqu'au Nord-Ouest d
village; le cours du petit marigot aboutissant à 2 kilomètres à l'Ouest de Sorme : le cours
marigots en direction générale Sud-Ouest, laissant au cercle du Macina les villages de Oual
aboutissant au marigot de jonction, Diaka-Niger à environ 8 kilomètres au Sud-Ouest du viII
de Makamé ; le cours du Niger jusqu'à l'Ouest du village de Nouhoun ; et une ligne bri
sensiblement Nord-Sud laissant au Cercle de Mopti les villages de Tabatou-Marka et 8amb
Tenda, Ouoko, Bounga pour aboutir en un point situé à environ 8 kilomètres à l'Est Nord-Es
Si?

314
ARTICLE 2 : Le lieutenant-Gouverneur du Soudan Français est chargé de l'exécutio
présent arrêté, qui sera enregistré, publié et communiqué partout où besoin sera.
Dakar, le 27 novembre 1935
BOISSON

115
GOUVERNEMENT CENTRAL
(Enregistré Cabinet sous le
DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE
W 260/Ap le 11/3/35)
BUREAU MILITAIRE
Dakar le 19 février 1935
SERVICE GEOGRAPHIQUE
191
CM2
DIRECTION DES AFFAIRES
POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES
LE GOUVERNEUR GENERAL DE l'A.O.F.
Frontière Soudan-Niger
à Monsieur le Ueutenant-
Gouverneur du NIGER
NIAMEY
1 Carte jointe.
La limite entre votre colonie et celle du Soudant n'a actuellement qu'une valeur de
résultant de textes ne comportant pas la description géographique de cette limite.
Il m'apparaît nécessaire pour assurer dans des conditions satisfaisantes le règle
des
diverses
questions
administratives
concernant
la
région
frontalière
SOUDA
NIGERIENNE ainsi que son report précis sur la carte, de fixer par un texte, la limite do
s'agit.
Pour me permettre d'adresser au Département les propositions réglementaires, je v
serait reconnaissant de vouloir bien
me communiquer d'urgence votre avis sur le projet
après:
D'un point situé à la frontière Algérienne sur le méridien 4°16'15» (est de Greenwich
limite entre Soudan et Niger se dirige vers le Sud en suivant ce méridien, jusqu'au puits
Mantas, qu'elle laisse au Niger, elle s'infléchit ensuite vers l'Ouest-Sud-Ouest jusqu'en un p
situé à 5 kms au Sud du puits Sessac ; puis elle se dirige directement vers le sud jusqu'
vallée d'Amachkalo dont elle suit la rive gauche jusqu'à la vallée de l'Ahzar, puis elle empr
cette vallée jusqu'au point de latitude 15°19'45» et de longitude 3°19'45» (Est de Greenwi
elle prend ensuite une direction sensiblement Est-Ouest pour aboutir au fleuve Niger à hau
de Labbezenga, en laissant au Soudan les puits IN Bazan, ln Atessa et Tame et au Niger
puits de Tacoubat et de Amalaoulaou ; elle traverse le fleuve Niger en direction Sud; passe
le sommet de Mont Garibiri ; prend une direction sensiblement Ouest en passant par le som
des Monts Sakourou-Sakor, des hauteurs de Gorotondi, des Monts Tin Garan, N'Gou
Trontikato, par la pointe Nord du Mont Ouagou, la pointe Nord de la mare d'In Abao, le som
des Monts Tin Eoult et Tabanarach et s'infléchit vers le Sud-Ouest jusqu'au point de latit
140 43'45» et de longitude 10 24'15» (Ouest de Greenwich) ; de là, elle rejoint le Gorouol
point de latitude 140 27'30'''' et de longitude 1)14'45" (Ouest de Greenwich) ; elle suit ce mar
jusqu'en un point situé à environ 3 kms à l'Ouest de Tin Abalak et s'infléchit vers le Sud
Ouest en laissant au Soudan les mares d'In Tagam et Boukouma pour atteindre à environ 2
au Nord de Doaga un point constituant le triplexe confinim : "Soudan-Ni ger-Côte d'Ivoire".

JI6
Vous voudrez bien trouver ci-joint une carte sur laquelle a été reportée la situation
divers points précités, telle qu'elle découle des travaux géographiques les plus récents.
Pour le Gouverneur Général et par délégation
Le Gouverneur Secrétaire Général
Signé: P. BOISSON

j 17
GOUVERNEMENT CENTRAL
REPUBLIQUE
FRANCAISE
L'AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE
Liberté-Egalité-Fraternité
GOUVERNEMENT DU SOUDAN FRANCAIS
KOULOUBA, le 3 juin 1935
AFFAIRES POLITIQUES
Le Gouverneur des Colonies
N° A.1.068 1
Lieutenant-Gouverneur p. i
du Soudan Français
Objet: Limites entre colonies du
Soudan et du Niger.
à Monsieur le GOUVERNEUR
GENERAL DE L'A.O.F.
En réponse à votre lettre n0191
CM2 du 19 février 1935, concernant
détermination des limites entre les colonies du Soudan Français et du Niger, j'ai l'honneu
vous faire connaître que les 4 Cercles frontaliers du Soudan intéressés sont, en partant
Nord-Est ceux de Tombouctou, Gao, Gourma-Rharous, Mopti et Ouahigouya.
Le projet de limite tel qu'il est indiqué dans la lettre 191 CM2 ci-dessus visé
semble pas devoir être modifié sauf en ce qui concerne:
1° - la partie intéressant le Cercle de Mopti dont l'Administrateur propose qu
mare de Kebanaire, située presque à la limite des Cercles de Mopti, Gourma-Rharous et
(ce dernier faisant partie de la Colonie du Niger) soit mentionnée dans la descrip
géographique de la limite qui, dès lors, sera modifié comme suit: (lettre 191 CM2 préci
page 2 lignes 4 et 5 avant dernières) : "le sommet des monts Tin Eou/! et Tabakarech
mare de KEBANAIRE".
2° - le secteur du Cercle de Gao pour lequel le Chef de cette Circonscription,
télégramme-lettre n0666 du 14 avril 1935, dont j'estime devoir vous envoyer ci-joint c
inexistenso ainsi que celle de ses deux pièces annexes-demande qu'un levé précis de la li
entre Labbezenga et Anderamboukane soit effectué par le Lieutenant Commandant la Sec
d'Artillerie de Gao après reconnaissance des Commandants de Cercle de Gao (Soudan
Tillabéry (Niger) en vue de désigner les points de la frontière à déterminer exactement".
Pour le Gouverneur par intérim absent,
L'Administrateur en Chef BELLIEU chargé de
l'expédition des affaires courantes
Signé: BELLIEU

318
N.P.!
ANNEXE 3
EXTRAIT DU JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE
W209 en date du Vendredi 5 SEPTEMBRE 1947
LOT W47-10707 DU 4 SEPTEMBRE 1947 TENDANT AU RETABLISSEMENT DU
TERRITOIRE DE LA HAUTE-VOLTA.
L'Assemblée Nationale et le Conseil de la République onl délibéré,
L'Assemblée Nationale a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit.
ARTICLE 1er. - Est et demeure abrogé le décret du 5 Septembre 1932 portant suppressio
la colonie de la Haute-Volta.
ARTICLE 2. - Le territoire de la Haute-Volta, rétabli, possède l'autonomie administrativ
financière d:llls los mêmes condiliolls {PIR Ins rllltrns tP.rTitoires du groupe de l'Afri
Occidentale Française.
Son chef-lieu est Ouagadougou et ses limites celles de l'ancienne colonie de la Ha
Volta à la date du 5 septembre 1932.
ARTICLE 3. Des modifications pourront être ultérieurement apportées aux limites territori
fixées à l'article 2 après consultation des assemblées locales intéressées.
ARTICLE 4 . La représentation du territoire à l'Assemblée Nationale, au Conseil d
République et à l'Assemblée de l'Union Française, ainsi que l'organisation du Conseil Gén
de Haute-Volta, feront l'objet de loi ultérieure.
ARTICLE 4. Des règlements d'administration publique détermineront toutes dispositi
transitoires, notamment en matière budgètaire et financière.
La présente loi sera exécutée comme loi d'Etat.
Fait à Paris, le 4 septembre 1947
VINCENT AURIOL
Par le Président de la République:
Le Président du Conseil des Ministres
PAUL RAMADIER
Le Ministre de la France d'Outre-Mer.
MARIUS MOUTET

-' 1()
ANNEXE N°4
o E CRE TOU 5 SEPTEMBRE 1932
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE
Sur le rapport du Ministre des Colonies
Vu
l'article du 18 du Sénatus-Consulte du 3 mal 1854
Vu
le décret du 18 octobre 1904, modifié les 4 décembre 1920 et 30 mars 1925,
réorganisant le Gouvernement Général de l'AOF.
Vu
le décret du 30 décembre 1912, sur le régime financier des colonies;
Vu
le décret du 1er mars 1919, portant création de la colonie de la Haute-Volta,
ensemble le décret du 1er mars 1919, instituant un Conseil d'Administration et du
Conseil du Contentieux dans cette colonie;
Vu
le décret du 4 décembre 1920, portant réorganisation du Conseil d'Administration
et du Conseil du contentieux de la colonie de Haute-Volta ensemble le décret du
30 mars 1925, en son article 2 ;
Vu
le décret du 28 décembre 1926, portant modification territorial entre les colonies
du Niger et de la Haute-Volta;
-=- 0 E CRE T E -=-
ARTICLE 1er. -
Les décrets du 1er Mars 1919, créant la Colonie de la Haute-Volta et
instituant un Conseil d'Administration de cette Colonie, le Décret du 4
Décembre 1920, portant réorganisation du Conseil d'Administration de la
Colonie de la Haute-Volta et le décret du 30 Mars 1926, en ce qui
concerne en son article 2 le Conseil d'Administration de cette Colonie, sont
et demeurent abrogés.
ARTICLE 2.-
Les Cercles de Fada et de DORI (le canton d'Arbinda excepté), sont
rattachés à la Colonie du Niger.
Le Cercle de OUAHIGOUYA, le canton d'Aribinda du Cercle de DORI et la
partie du Cercle de DEDOUGOU située sur la rive gauche de la Volta-
Noire sont rattachés à la Colonie du Soudan Français.
Les Cercles de TENKODOGO, KAYA, OUAGADOUGOU, KOUDOUGOU,
GAOUA,
BATIE,
BOBO-DIOULASSO,
et
la
partie
du
Cercle
de
DEDOUGOU situé sur la rive droite de la VOLTA-NOIRE, sont rattachés à
la Colonie de la Côte-d'Ivoire.
ARTICLE 3.-
Sont abrogées toutes dispositions contraires au présent décret dont les
détails d'application, sauf en ce qui concerne les services du Trésor,
seront réglés ou arrêtés du Gouverneur Général de l'A.O.F.
ARTICLE 4.-
Le Ministre des Colonies et chargé de l'exécution du présent décret, qui
aura son effet pour compter du 1er janvier 1933.
Fait à Rambouillet, le 5 septembre 1932
Par le Président de la République
Albert LEBRUN
Le Ministre des Colonies
Signé: Albert SARRAUT.
Pour copie conforme
Le Chef du Bureau Politique

:'10
N. LEGA, Administrateur-Adjoint des Colonies.
ANNEXE N"5
JOURNAL OFFICIEL DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE
N°1201 - 24 SEPTEMBRE 1927
-0-0-0-0-0-0-0-
ARRETE FIXANT LES LIMITES DES COLONIES DE HAUTE-VOLTA
ET DU NIGER.
LE GOUVERNEUR GENERAL P.I. DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE
OFFICIER DE LA LEGION D'HONNEUR,
VU
le décret du 18 Octobre 1904, ré!orgrJrlisrlnl 10. (;nllvernmTlent Général de l'Afrique
Occidentale Française, modifié par les décrets des 4 Décembre 1920 et 30 Mars 1925 ;
VU
le décret du 13 Octobre 1922 portant transformation du Territoire civil du NIGER en
colonie autonome ;
VU
le décret du 28 décembre 1926, promulgué suivant arrêté du 21 Janvier 1927, portant
modification territoriale en Afrique Occidentale Française et rattachant à la colonie du
NIGER, pour compter du 1er Janvier 1927 ; le Cercle de Say à l'exception du canton
GOURMANTCHE de BOTOU ;
VU
l'Arrêté du 22 Janvier 1927, incorporant au Cercle de FADA, le canton GOURMANTCHE
de BOTOU;
VU
l'Arrêté N°41 du 5 Mars 1927, de M. le Lieutenant-Gouverneur de la Haute-Volta,
rattachant au Cercle de Fada, le Canton GOURMANTCHE de BOTOU, dépendant
précédemment du Cercle de SAY ;
SUR la proposition du Lieutenant-Gouverneur du NIGER;
La Commission permanente du Conseil du Gouvernement entendue;

.121
--- ARR ETE ---
ARTICLE 1°. -
Les limites des colonies du NIGER et de la Haute-Volta sont déterminées
désormais comme suit:
1°) LIMITES ENTRE LE CERCLE DE TILLABERY ET LA HAUTE-VOLTA
Cette limite est déterminée au Nord par la limite actuelle avec le Soudan (Cercle de Gao)
jusqu'à la hauteur de N'Gouma, à l'Ouest par une ligne passant au gué de Kabia, mont de
Darouskoy, mont de Balébanguia, à l'Ouest des ruines du village de Tokébangou mont de
Doumafondé qui s'infléchit ensuite vers le Sud-Est laissant à l'Est les ruines Tong-Tong pour
descendre dans une direction Nord-Sud en coupant la piste automobile de Téra à Dari, à
l'Ouest de la Mare d'Ossolo pour aller rejoindre ensuite la rivière Sirba (limite du Cercle de
Say) aux environs et au Sud de Boulkalo.
2°) LIMITES ENTRE LE CERCLE DE SAY ET LA HAUTE-VOLTA
Sont exceptés de cette limite les villages du Canton de Sotou
Au Nord et à l'Est par la limite actuelle avec le Niger (Cercle de Niamey) de Sorbohaoussa à
l'embouchure de la Mékrou ;
Au Nord-Ouest par la rivière Sirba depuis son embouchure jusqu'au village de Bossébangou. A
partir de ce point un saillant, comprenant sur la rive gauche de la Sirba des Villages de
Almfassi, Kouro, Takalan, Tankoura ;
Au Sud-Ouest une ligne partant approximativement de la Sirba à hauteur du parallèle de Say
pour aboutir à la Mékrou ;
Au Sud-Est, par la Mékrou de ce point jusqu'à son confluent avec le Niger.
3°) LIMITES DU CANTON DE BOTOU :
A l'Ouest : limite extrême matérialisée par l'intersection de la route de Fada-Say avec
l'ancienne limite des deux Cercles et le marigot Tiéguélofonou. Ce point est situé à 1.200
mètres Ouest du Village de Tchenguiliba.
De ce point la limite remonte vers le Nord suivant une direction rectiligne et sensiblement
orientée S.S.O.N.NE.
Elle passe à environ deux kilomètres O. du village de Berni-Oueli et se termine au Nord à
environ deux kilomètres Sud du village de Vendou Mama au sommet de l'éperon le plus au
Nord du massif de Héni-Djoari (Gourma) ou montagne des Chacals.

.\\22
Au Nord: cette limite est sensiblement orientée Ouest-Est
Elle passe à un kilomètre Sud du mont Tambado Djoaga, suit le cours du marigot de
Dandiabonga, passe au Sud de Dantiandou longe les monts Yoga Djoaga jusqu'au confluent
des marigots de Dantiabonga et Diamoungou, continue sur ce dernier jusqu'au confluent des
marigots de Diamoungou et de Boulelfonou à environ cinq (5) kilomètres au Nord de ce dernier
village;
Au Nord-Est: la limite suit les crêtes des monts de Djoapionga jusqu'à la source du marigot de
Boulelfonou, remonte la pente Nord massif de Tounga DJoaga et se termine au point dit Niabo-
Farou (mare aux caïmans), sorte de large cuvette que traverse en saison sèche le chemin de
Botou à Fombonou.
A l'Esl, la limite suit les crêtes Est du massif de Tounga Djoaga et se dirige vers la
Tapoa suivant une direction exacte N.S
Elle passe à environ cinq (5) kilomètres Est du Village de Royor; (village de culture assez
étendu) et rejoint la Tapoa en un point qu'il n'est pas possible de définir exactement;
Au S.E. et au S. la limite suit le cours de la Tapoa qu'elle remonte jusqu'au point où elle
rencontre l'ancienne limite des Cercles de Fada et de Say.
Ce point extrême ne peut-être défini, la région Sud de Botou étant absolument déserte et
presque inconnue.
ARTICLE 2°. -
Les Lieutenants-Gouverneurs de la Haute-Volta et du Niger sont chargés
de l'exécution du présent Arrêté qui sera enregistré, publié et communiqué
partout où besoin seraI-
DAKAR, le 31 août 1927
DI RAT

ANNEXE W6
JOURNAL OFFICIEL DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCAISE
W1205 -15 OCTOBRE 1927
-0-0-0-0-0-0-0-
ERRATUM A L'ARRETE DU 31 AOUT 1927 FIXANT LES LIMITES DES
COLONIES DU NIGER ET DE LA HAUTE-VOLTA
-0-0-0-0-0-0-0-
L'article premier de l'arrêté du 31 août 1927 fixant les limites des colonies du Niger et de
la Haute-Volta, publié au journal officiel de l'Afrique Occidentale Française numéro 1201 du 24
septembre 1927, page 638, doit se lire comme suit:
ARTICLE 10
Les limites des colonies du Niger et de la Haute-Volta sont déterminées
.
-
comme suit:
Une ligne partant des hauteurs de N'Gouma, passant au Gué de Kabia (point
astronomique) au mont d'Arounskaye, au mont de Balébanguia à l'Ouest des ruines du village
de Tokébangou, au mont de Doumafendé et à la borne astronomique de Tong-Tong; cette
ligne s'infléchit ensuite vers le S.E. pour couper la piste automobile de Téra à Dori à la borne
astronomique de Tao située à l'Ouest de la mare d'Ossolo, et atteindre la rivière Sirba à
Bossaebangou. Elle remonte presque aussitôt vers le NO
laissant au Niger, sur la rive
gauche de cette rivière, un saillant comprenant les vil/ages d'A/fassi, Kouro, Tokalan,
Tankourou, puis, revenant au Sud, elle coupe de nouveau la Sirba à hauteur du parallèle de
Say;
De ce point la frontière suivant une direction E.S.E, se prolonge en ligne droite jusqu'au
point situé à 1.200 mètres Ouest du village de Tchenguiliba
De ce pOint elle remonte ensuite ulle direction rectiligne sensiblement orientée S.S.O.-
N.N.E. elle passe à environ deux kilomètres à l'Ouest du village de Birniouoli pour atteindre, à
environ deux kilomètres au Sud du village de Vendou Mama, le sommet de "éperon le plus au
Nord du massif de Heni-Djouri (Gourma) ou montagne des chacals.
S'orientant ensuite d'O en E, elle passe à un kilomètre au sud du mont Tambado
Djoaga, suit le cours du marigot de Dantiabouga et de Diamongou, longe ce dernier jusqu'au
confluent des marigots de Damongou, et de Boulelfonou à environ cinq (5) kilomètres au nord
de ce dernier village.
De ce point la limite suit les crêtes des monts Djoapionga jusqu'à la source du marigot
de Boulelfonou, remonte la pente Nord du massif de Tounga et Djoaga se termine au point dit
Niobo-Farou (mare aux caimans) sorte de large cuvette que traverse en saison sèche
unchemin de Botou à Fombounou.

324
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Le règlement pacifique des conflits de frontière entre le Mali et les Etats limitrophes
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Contribution à un modèle de coopération. Thèse 3ème cycle, Orléans 1982.
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1.~ 1
2) DOCUMENTS ET ACCORDS
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édition, Documentation française 1985.
Traité de Paix et d'amitié conclu entre l'Argentine et le Chili le 29 novembre
1984 à Rome, RG.D.IP. 1985 III
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Accord d'adhésion de la République du Mali à l'U.MOA du 17 février 1984.
Discours d'orientation politique du 2 octobre 1983, Ouagadougou, Burkina
Faso 1983
Accord portant création de la grande commission mixte de coopération entre
la République du Mali et le Burkina Faso du 24 octobre 1983.
Chronique des Nations-Unies, 1984-6 vol XXI
Accord de coopération franco-malien du 2 février et 9 mars 1962, J.O.RF
1964, P 6122.
Convention de coopération franco-voltalque du 24 avnl 1961. JORF 1961,
p. 1261. Cette convention a été remplacée par celle du 4 février 1986.
3) REVUES DE PRESSE
Afrique Asie
n032G du 1G au 79 jUillet 19811
n0351 du 1er Juillet 1985
n0344 du 25 mars 1985
Afrique Nouvelle
n01871 du 15 au 21 mai 1985
Carrefour Africain
n0901 du 20 septembre 1985
n0967 du 26 décembre 1986

]52
Courrier-CEE-ACP
de mai-juin 1987
Essor (Mali)
du 19 mars 1986
Jeune Afrique
n0 1357 du 7 janvier 1987
n0 1292 du 9 octobre 1985
n0 1297 du 13 novembre 1985
J.O.H.V.
du 18 août 1977
du 10 juillet 1975
Le Monde
du 24 décembre 1986
du 15 mars 1974
du 27 décembre 1985
du 22 juillet 1986
Le Monde Diplomatique
de février 1986
de mai 1987
Sidwaya
du 7 août 1985
du 6 mai 1985
du 30 décembre 1985
du 18 novembre 1985
du 6 janvier 1986
du 9 janvier 1986
du 7 janvier 1986
VI. TABLE DE LA JURISPRUDENCE
1) C.P.J.I. :
Affaire Mavrommatis, Grèce c/Angleterre, arrêt du 26 mars 1925.
Affaire de la dénonciation du traité sino-belge du 2 novembre 1865, Belgique
cl Chine, ordo du 8 janvier et 15 février 1927.
Affaire de l'usine de Chorzow, Allemagne cl Pologne,
Arrêt du 13 septembre 1928
Ordonnance du 19 août 1929.

353
Affaire des zones franches, France cl Suisse; arrêt du 7 juin 1932.
Affaire du statut juridique du Groënland oriental, Danemark cl Norvège, arrêt
du 5 avril 1933.
Affaire de l'Administration du Prince Von Pless, Allemagne cl Pologne,
ordonnance du 11 mai 1933.
Affaire de la réforme agraire polonaise, Allemagne cl Pologne, ordonnance
du 29 juillet 1933.
Affaire de la Cie d'électricité de Sofia et de Bulgarie, Belgique cl Bulgarie,
arrêt du 4 avril 1939.
2) C.I.J :
Affaire du Détroit de Corfou, Royaume-Uni cl Albanie, arrêt du 9 avril 1949.
Affaire de l'anglo-iranien ail company, Royaume-Uni cl Iran, ordonnance du 5
juillet 1951.
Affaire de l'or monétaire albanais, Italie cl France, Etats Unis d'Amérique,
Royaume-Uni, arrêt du 15 juin 1954.
Affaire de l'interhandel, Suisse cl E.UA, ordonnance du 24 octobre 1954.
Affaire relative à la souveraineté sur certaines parcelles frontalières,
Belgique cl Pays-Bas, arrêt du 20 juin 1959.
Affaire de la sentence arbitrale rendue par le Roi d'Espagne le 23 décembre
1906, Honduras cl Nicaragua, arrêt du 18 novembre 1960.
Affaire du Temple de Préah Vihear, Cambodge cl Thaïlande, arrêt du 15 juin
1962.
Affaire du sud-ouest africain, Ethiopie cl Afrique du Sud, Libéria cl Afrique du
Sud, arrêt du 21 décembre 1962.
• Affaire du Cameroun septentrional, Cameroun cl Royaume-Uni, arrêt du 2

, décembre1963.
Affaires du Plateau Continental de la Mer du Nord, République Fédérale
d'Allemagne cl Danemark, République Fédérale d'Allemagne cl Pays-Bas,
arrêt du 20 février 1969.
Affaire de la Barcelona Traction, Belgique cl Espagne, arrêt du 5 février
1970.
Compétence en matière de Pêcheries, Royaume-Uni cl Islande

354
Ordo du 17 août 1972
Ordo du 12 juillet 1973
Arrêt du 25 juillet 1974
Affaire des prisonniers de guerre pakistanais, Pakistan cl Inde; ordonnance
du 13 juillet 1973.
Affaire des Essais nucléaires, Australie cl France, Nouvelle-Zélande cl
France
Ordonnance du 22 juin 1973
Arrêt du 20 décembre 1974
Affaire du Sahara occidental, Mémoires, volume V.
Affaire du Plateau Continental de la Mer Egée, Grèce cl Turquie
Ordonnance du 11 septembre 1976
Arrêt du 19 décembre 1978
Affaire du personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis d'Amérique à
Téhéran, E.UA cl/ran, Ordonnance du 15 décembre 1979
Affaire du Plateau Continental, Tunisie cl JA Libyenne, arrêt du 24 février
1982.
Affaire du Plateau Continental JA Libyenne cl Malte, requête de l'Italie à fin
d'intervention
Arrêt du 21 mars 1984
Arrêt du 3 juin 1985
Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-
ci, Nicaragua cl E.UA
Ordonnance du 10 mai 1984 (mesures conservatoires)
Ordonnance du 4 octobre 1984 (déclaration
d'intervention de la République d'El Salvador)
Arrêt du 26 novembre 1984 (compétence de la Cour
et recevabilité de la requête).
Affaire de la délimitation de la frontière maritime dans la région du Golfe du
Maine, Canada cl E.UA, arrêt du 12 novembre 1984.
Affaire de la demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février
1982 en l'affaire du Plateau Continental (Tunisie) JA Libyenne, Tunisie c.
JA Libyenne, arrêt du 10 décembre 1985.

3))
3) SENTENCES ARBITRALES
du 9 juillet dans l'affaire du différend frontalier entre la Bolivie et le Pérou,
RG.D.IP. 1910, P 109 ou RSA vol XI, p. 141.
du 25 juin 1914 dans l'affaire de l'île de Timor, Pays-Bas cl Portugal, RA
Vol, XI, p. 508.
du 4 avril 1928 dans l'affaire de l'île de Palmas, E.UA cl Pays-Bas,
RG.D.IP. 1935, p. 156.
du 28 février 1931 dans l'affaire du différend relatif à la souveraineté sur l'île
de Clipperton, France/Mexique, RG.D.IP. 1932, P 131.
du 19 février 1968 dans l'affaire du "Rann de Kutch", Inde c/ Pakistan.
du 22 avril 1977 dans l'affaire du Canal de Beagle, Chili c/ Argentine.
du 30 juin 1977 dans l'affaire du Plateau Continental de la Mer d'Iroise,
Royaume-Uni c/ France.
du 14 février 1985 dans l'affaire des deux Guinée, RG.D.IP. 1985. Il p. 521.
du 17 juillet 1986 dans l'affaire relative au filetage à l'intérieur du Golfe du
Saint-Laurent entre le Canada et la France, RG.D.IP. 1986. III. p. 730.
4) CONSEIL D'ETAT FRANCAIS
30 juin 1950 - Arrêt Quérait, Dalloz 1951, P 593.
25 avril 1947 - Aurpourlange, Rec. Lebon.
26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs conseils, Grands arrêts de la
jurisprudence administrative, p. 474.
28 octobre 1960, Martial De Laboulaye Rec. 570.

356
T A BLE DES MAT 1E RES

AVANT-PROPOS
Introduction Générale
1
Section 1 : Nature et origines du conflit
territorial..................
.
4
$1. De la qualification du conflit
4
$2. Historique du conflit......................
4
Section Il : Le développement du conflit territorial
8
$1. Le règlement politique du différend.....
8
$2. Le règlement judiciaire du différend.........
14
PREMIERE PARTIE: LA RECHERCHE D'UNE SOLUTION
JURIDICTIONNELLE:
LE REGLEMENT JUDICIAIRE
19
TITRE 1 : LA SAISINE DE LA C.I.J.
21
CHAPITRE 1 : PROCESSUS DE SAISINE DE LA C.I.J.
22
Section 1 : Historique de la saisine de la cour
22
Section Il : Les causes du rejet de la procédure
arbitrale
.
24
$1. Causes extérieures aux parties
24
$2. Causes intérieures
26
A) L'influence des parties sur la procédure
26
B) Coût de la procédure
27
C) Exclusion de recours contre l'inexécution
de la sentence arbitrale
27
CHAPITRE Il : LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE SPECIALE
33
Section préliminaire: Remarques d'ordre général
34
Section 1 :
Les inquiétudes suscitées par le
recours à la Chambre spéciale
35
$1. Le caractère fictif de l'élection des juges
36
$2. Les menaces contre l'unité de la Cour.
36
Section Il : Les critères de choix des juges des
parties
38
$1. La solution africaine ."
38

2
A) Motifs de non participation du juge
M'Baye
39
B) Motifs de non participation du juge
T. O. Elias
41
§2. Solution Tiers-mondiste
.42
§3. Solution Tiers-mondiste corrigée
43
CHAPITRE III : LA REGLE APPLICABLE AU DIFFEREND ET SES
CONSEQUENCES
46
Section préliminaire: Le principe de l'intangibilité
des frontières africaines
48
Section 1 :
Les divergences entre les parties
litigantes sur la règle applicable
51
$1. Les conceptions des parties
52
A) La rigidité de la conception burkinabè
52
B) La souplesse de la conception malienne...........
53
$2. Appréciations des conceptions des parties
54
A) La pratique des Etats africains
55
B) Les griefs formulés contre l'application
brutale du principe
.
57
$3. Propositions de solutions
60
A) Le regroupement fédéral
61
B) La révision de la résolution ANG-16-1
61
Section Il : Les divergences sur les conséquences de63
la règle applicable
62
$1. Les divergences nées de l'application du
principe de l'uti possidetis
63
A) Approche théorique de la question par les
parties
63
B) L'application de l'uti possidetis et la
qualification du conflit territorial
64
1) du point de vue du Mali
66
2) du point de vue du Burkina......
67
$2. Les divergences nées de la détermination

J
de la date critique
.
71
A) La détermination de la date critique par
le Mali
72
B) La détermination de la date critique par
le Burkina..............
73
CONCLUSION DU TITRE 1
.
75
TITRE Il : L'OBJET DU DIFFEREND. .
76
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE: LES DONNEES DE BASE DU
DIFFEREND
79
Section 1 : Les modes administratifs d'établissement
de la domination coloniale francaise dans
la zone litigieuse..........
.
80
$1. Le Cercle de Ouahigouya
81
$2. Le Cercle de Dori
.
82
Section Il : Les prémices du différend: des problèmes
à la frontière aux problèmes de frontière
82
CHAPITRE 1 : LA PRESENTATION DES POINTS DE DESACCORD
ET LES THESES SOUTENUES PAR LES PARTIES
85
Section 1 : Le tracé de la frontière dans le secteur
des quatre villages
86
Sous-section 1 : Les problèmes sémantiques relatifs
aux villages litigieux et les sources
de délimitation frontalière dans cette
région
87
$1. L'identification des quatre villages...
87
A) Le village de Dionouga
89
B) Les villages d'Oukoulourou et d'Agoulourou
89
C) Le village de Koubo
90
$2. Les sources de délimitation de la frontière
dans la région des quatre villages
92
Sous-section Il : L'argumentation des parties dans la
région des qualre villages..........
95
$1. Les fondements des thèses soutenues par le

4
Burkina Faso
.
"
96
A) La loi du 4 septembre 1947
96
B) Les titres cartographiques..........
101
$2. Les fondements de l'argumentation malienne
106
A) L'arrêté général 2728
107
1) Les preuves maliennes de l'autonomie de
l'AG 2728
108
2) La survivance de l'AG 2728 à la loi de
1947
109
B) Les effectivités coloniales
110
C) Le recours du Mali aux cartes....
112
1
Section Il : Les autres points de divergence
114
$1. Le tracé de la frontière dans la zone du Béli
114
A) Présentation de la zone du Béli .
.
114
B) Les pièces à conviction produites par les
parties
116
$2. Le tracé de la frontière dans le secteur de
Soum
121
A) Fondement de la revendication malienne
122
B) Arguments burkinabè
'"
123
$3. Le mont N'Gouma et le point triple
123
A) Position du problème de la détermination
des hauteurs du mont N'Gouma
123
B) Les arguments invoqués par les parties
125
1) Les points de dissentiment
129
2) Les arguments invoqués
129
CHAPITRE Il : DE LA NECESSITE DES MESURES CONSERVATOIRES
Section 1 : Les conditions nécessaires à l'indication de
mesures conservatoires
133
$1. Les conditions de forme
133
A) L'auteur de la d e m a n d e . . . . . . .
133
1) Les parties
134
2) La Cour
137

)
B) Le moment de la demande
140
1) La concomitance entre la requête
introductive d'instance et la demande
en indication des mesures
conservatoires
.
......................................... 140
2) Les demandes intervenant après la
saisine de la Cour .
.
145
$2. Les conditions de fond
146
A) L'urgence ou le "péril en la demeure"
146
B) Le préjudice irréparable
147
C) Le lien avec l'instance principale
148
Section Il : Les mesures conservatoires sollicitées par
les parties et leurs motivations
150
$1. Le contenu des mesures conservatoires sollicitées
par les parties
150
A) Les demandes du B u r k i n a . . . . . . . . . . .
150
1) La demande initiale
150
2) La demande initiale m o d i f i é e . .
151
B) Les demandes du Mélli
152
1) Les suggestions maliennes
152
2) La demande formelle de mesures
conservatoires
153
$2. Les motifs sous-tendant les demandes burkinabè
et maliennes......................
.
153
A) Les caractères des mesures conservatoires
153
B) Les motivations des parties
155
1) Les motivations du Burkina
155
2) Les motivations du Mal i
157
Section III : Les mesures conservatoires ordonnées par
la Chambre
158
Paragraphe préliminaire: Les particularités de ces
mesures
158

6
$1. Le contenu des mesures conservatoires
indiquées par la Chambre .
. .
160
A) Le prononcé de ces mesures .
.
160
B) Les appréciations des mesures
conservatoires ordonnées par la Cour
161
1) La structure générale de ces mesures
162
2) Les aspects sybillins de la
motivation de ces mesures
..................................... 162
$2. L'effet de ces mesures sur l'évolution
du différend
.
165
A) L'inexécution des mesures conservatoires
par le Mali
165
B) Les conséquences de cette inexécution
168
CHAPITRE III : APPRECIATIONS CRITIQUES DES THESES EN
PRESENCE
171
Section préliminaire: L'influence des archives................
172
Section 1 : Les observations relatives au texte du
compromis
174
$1 Les lacunes du texte du compromis
175
A) Les imprécisions du compromis et leurs
conséquences
175
B) Les silences du compromis
179
1) Les mesures conservatoires
179
2) Le règlement politique sous l'égide
de l'O. UA
180
$2. L'interprétatino divergente du compromis
par les parties
183
A) La règle applicable.. .
183
B) La mission de la Cour
183
Section Il : La valeur des preuves soumises à la Cour
186
$1. Les "effectivités"
187
$2. La preuve tirée des cartes géographiques
193
A) L'attitude des parties vis-à-vis de la

7
cartographie................
..
193
B) La valeur juridique des cartes utilisées
195
$3. La force abrogatoire de la loi de 1947 ou la
survivance de l'arrêté général 2728 A P . . . .
197
$4. L'attachement à la frontière hydrographique
201
CONCLUSION DU TITRE Il
205
DEUXIEME PARTIE: L'ISSUE DU REGLEMENT JUDICIAIRE
206
TITRE 1 : LE DROIT APPLIQUE PAR LA COUR
212
CHAPITRE 1 : L'UTI POSSIDETIS, PRINCIPE DE BASE DU
REGLENIENT DU LITIGE
214
Section 1 : La conception de la Cour
214
$1. L'uti possidetis, principe général lié à la
décolonisation
.
215
$2. L'uti possidetis n'est pas un principe
r~gjQ!1<Jl .
.
219
Section \\1 : Réflexions sur la conception judiciaire
de l'uti possidetis
221
$1. Les conceptions doctrinales
222
A) Les positions adverses
222
B) Les positions favorables
223
C) Les silences de l'arrêt
225
CHAPITRE Il : LES MODALITES DE MISE EN OEUVRE DU
PRINCIPE DE L'UTI POSSIDETIS
228
Section 1 : L'application du droit colonial.............
..
228
$1. Le droit colonial français, élément de fait
229
$2. Le droit colonial français, moyen de preuve
333
Section Il : L'application de l'équité infra legem
234
$1. Le domaine d'application de l'équité en droit
international
236
$2. Analyse de l'application de l'équité infra legem
238
CONCLUSION DU TITRE 1
243
TITRE \\1 : LA SOLUTION AU FOND .
244

H
CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA SOLUTION AU FOND
245
Section 1 : Examen par la Cour des questions
Préalables
245
$1. Les arguments tirés des "acquiescements
maliens"
246
A) Les "acquiescements maliens" des
conclusions.....................
246
B) L"'acceptation" par le Mali des principes de
délimitation retenus par la sous-commission
juridique de la commission de médiation
247
C) La position de la Cour......
.
249
$2. La conception de la Cour de ses pouvoirs dans
la fixation du point triple
252
Section Il : Le régime juridique du tracé de la
frontière par la Cour
255
$1. La double présomption du régime juridique de la
frontière
.
258
A) Le caractère déclaratoire de l'arrêté 2728AP
, 258
1) Sur la distinction entre villages et
hameaux de culture
259
2) Examen des travaux préparatoires de
l'arrêté
261
3) Examen des cartes par la Cour
262
4) Les autres arguments développés par
la Cour
264
B) Le caractère déclaratoire de la lettre-
circulaire 191 CM2
269
$2. Le tracé de la frontière par la Cour
276
Section III : Appréciation de la solution au fond
282
$1. La distorsion entre les principes affirmés et
leur application concrète
282
$2. L'interprétation par la Cour de la notion de
titre juridique et les pouvoirs de la Cour en

()
matière de preuve
.
283
$3. Le silence de l'arrêt sur la violation des
mesures conservatoires
290
CHAPITRE Il : LA PORTEE DE L'ARRET
291
Section 1 : La portée juridique de l'arrêt
292
$1. L'arrêt confirme une évolution déjà amorcée
295
$2. La réticence persistante des Etats africains
à l'égard des solutions extra-africaines
297
Section Il : La portée politique de l'arrêt
.
299
$1. L'arrêt restaure la paix...................
..
300
$2. L'arrêt est un facteur de renforcement de la
coopération internationale
303
CONCLUSION DU TITRE Il
306
CONCLUSION GENERALE
308
Section 1 : Les enseignements à tirer.................
308
Section Il : Le recensement des problèmes éventuels
liés à l'opération d'abornement
.............................. 310
ANNEXES
.
........................ 312
- Annexe n01
L'arrêté n02728/AP du 27 novembre 1935 du
gouverneur général portant délimitation des cercles
de Bafoulabé, Bamako et Mopti (J.O. 1935, P 1013)
312
- Annexe n02
Lettre-circulaire 191 CM2 du 19 février 1935 et
la lettre-réponse du 3 juin 1935 ..
. .
315
- Annexe n03
Loi n047-10 707 du 4 septembre 1947 tendant
au rétablissement du territoire de la Haute-Volta
318
- Annexe n04
Décret du 5 septembre 1932 portant suppression
de la colonie de Haute-Volta
319
- Annexe n05
Arrêté du 31 août 1927 fixant les limites des

,
10
colonies de la Haute-Volta et du Niger..
.
320
- Annexe n06
Erratum à l'arrêté du 31 août 1927 fixant les
limites des colonies du Niger et de Haute-Volta
"
323
BIBLIOGRAPHIE
...........................................................................................324
"