UNIVERSITE DE YAOUNDE fi
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
DIGNITE ET DROITS FONDAMENTAUX DES SALARIES
réflexion à partir des droits camerounais et français
Thèse
Pour le Doctorat d'Etat en Droit
Présentée par : Jean-Marie TCHAKOUA
Sous la direction de MM.
Jean-Pierre LABORDE
Professeur, Vice-Président chargé de la Recherche de
l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
et
Paul-Gérard POUGOUE
Professeur, Vice-Recteur chargé de l'Enseignement de
l'Université de Yaoundé II
--_..-.-.....--_.~~-..

REMERCIEMENTS
Si je signe tout seul sous ce travail, je n'ignore pas qu'il est le fruit de beaucoup
d'efforts et de sacrifices consentis par plusieurs personnes, que Je prie d'accepter mes
remerciements.
Ma reconnaissance va d'abord à mes directeurs de recherche, les professeurs Jean-
Pierre LABORDE et Paul-Gérard POUGOUE. En dépit de leurs multiples occupations, ils ont
suivi de très près ce travail, et avec un enthousiasme et une disp0IÙbilité de tous les instants. Je
suis conscient que ce travail n'est qu'un modeste pas sur le chemin qu'ils voudraient me voir
SUIvre.
Ma reconnaissance va ensuite au Centre de Droit Comparé du Travail et de la Sécurité
Sociale de l'UIÙversité Montesquieu-Bordeaux IV où j'ai effectué trois stages et dont la
bibliothèque m'a servi d'irremplaçable source .Je dois en outre remercier tous les membres du
centre qui, par d'utiles critiques et suggestions, ont enrichi ce travail. En particulier, MM.
François PETIT, Philippe AUVERGNON et Philippe MARTIN trouveront dans ce travail les
marques de leurs nombreux conseils.
Ma reconnaissance s'adresse enfin à la Coopération Française qui m'a permis de
poursuivre à Bordeaux la préparation de cette thèse; à l'AUPELF-UREF qui a soutenu
financièrement mes travaux; à M. Moïse KEMBEU, Directeur de rétablissement PC Besl,
pour sa mUIÙtie dans la rIÙse en forme définitive; à tous ceux qui, de près ou de loin, ont
contribué à la réalisation de ce travail.

Ce travail a été soutenu par l'Agence francophone pour l'Enseignement supérieur et la
Recherche (AUPELF-UREF) dans le cadre d'une allocation de recherche du Fonds
francophone de la Recherche.

DEDICACE
A toi, travailleur subordonné
Afin que le lien de subordination ne soit pas une négation de ta dignité:
qu'au contraire on trouve dans la dignité la justification à la fois de la nécessité
et de laforce de tes droits fondamentaux.


PRINCIPALES ABREVIATIONS
Al. : Alinéa
Art. : Article
Ass. Plen. : Assemblée plénière
Bull. : Bulletin
C. A. : Cour d'appel
Casso : Cour de cassation
C. Civ. : Code civil
C. E. : Conseil d'Etat
CJCE : Cour de justice des communautés européennes
Cons. const. : Conseil constitutionnel.
c.p : Conseil des prud'hommes
Crîm. : Chambre criminelle
C.S. : Cour suprême
D. : Recueil Dalloz
D. O. : Droit ouvrier
Dr. soc. : Droit social
JCP : Juris - classeur périodique
JCP éd. E. : Juris - classeur périodique, édition entreprise
1. 1. : Juridis Info.
1. P. : Juridis Périodique
1. S. A. : Jurisprudence Sociale Annotée
Obs. : Observations
RF aff. soc. : Revue française des affaires sociales

RFD adm : Revue française de droit administratif
RJS : Revue de jurisprudence sociale
RTD euro : Revue trimestrielle de droit européen
RTD civ : Revue trimestrielle de droit civil
S. : Recueil Sirey
Soc. : Chambre sociale
Somm. : Sommaires
TGI : Tribunal de grande instance
TPI : Tribunal de première instance

INTRODUCTION
1
Quelle que soit l'opinion que l'on a de la fonction du droit du travail , on devrait sans
nul doute admettre qu'une recherche sur les droits fondamentaux des salariés se situe au cœur
de cette matière. Quand de surcroît l'étude s'inscrit dans le champ du droit comparé, on peut
en supposer les richesses.
Ce travail s'ouvre cependant sur un double écueil. Le prenuer écueil tient aux
différences entre les deux pays choisis pour mener l'étude, à savoir le Cameroun et la France.
En effet, si on met à part la commune appartenance des deux pays à une même famille de
droit, on découvre le grand fossé qui les sépare. La différence de niveau de développement
économique entre le Cameroun et la France est une évidence. Sur le plan politique, la France
est une vieille démocratie, alors que le Cameroun se situe encore dans une zone de transition
entre l'autocratie et la démocratie2• Et si l'on souhaite se placer sur le strict terrain du droit du
travail, on ne peut s'empêcher de faire observer, pour ne prendre qu'un aspect du problème,
que même réduit à son état de crise, le syndicalisme en France est sans commune mesure avec
le syndicalisme au Cameroun. Introduit au Cameroun pendant le mandat de la Société des
Nations exercé par la France3, le syndicalisme y est resté embryonnaire. Il n'a pu vaincre les
nombreux obstacles de fait et de droit posés par les pouvoirs publics4•
1 A. SUPIOT soutient que le droit du travail a pour but la protection des salariés (Pourquoi un droit du travail?
Dr. soc. 1990, 486). Mais cette thèse protectrice des salariés du droit du travail n'est pas partagée par certains
auteurs, pour qui le droit du travail serait un outil de gestion de l'entreprise pas plus au service des salariés qu'à
celui de l'employeur (V. B. TEYSSIE, Remarques sur le droit du travail, Mélanges offerts à André COLOMER,
Paris 1993, Litec, p. 495).
2 Sur les récentes mutations institutionnelles en Afrique, voir G. CONAC (Sous. la dir.) , L'Afrique en transition
vers le pluralisme, Economica, 1993; A. G. CABINIS et M. L. MARTIN, Droits et libertés en Afrique
francophone: perspectives constitutionnelles contemporaines, in Pouvoir et liberté, Etudes offertes à Jacques
Mourgeon, Buylant, Bruxelles, 1998, p. 319. Et sur les récentes mutations au Cameroun en particulier, voir M.
KAMTO, Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun, in L'Afrique en
transition vers le pluralisme op. cit. ; M. NGEULE ABADA, Ruptures et continuités constitutionnelles en
République du Cameroun: réflexions à propos de la réfonne constitutionnelle du 18 janvier 1996, RADIC, p.
283. Ibid. La réfonne constitutionnelle du 18 janvier 1996 en République du Cameroun, in Droits africains,
1995-1996, nO 15/16, p. 77;
A. D. OLINGA, L'aménagement des droits et libertés dans la constitution
camerounaise révisée, RUDH, vol. 8, nO 4-7, p. 116; Ibid. Considérations sur les traités dans l'ordrejuridique
camerounais, RADIC, 1996, p. 283 ; 1. CI. TCHEUWA, Quelques aspects du droit international à travers la
nouvelle constitution camerounaise du 18 janvier 1996, RJPIC, 1999, p. 85 .
3 Sur le plan fonnel, et contrairement à ce qu'ont laissé penser les faits, le Cameroun n'ajamais été une colonie;
il a été tour à tour territoire sous protectorat, sous mandat et sous tutelle.
4 Pour une description de ces obstacles, voir Léon KAPTUE,
Droit et syndicalisme au Cameroun, R.1.A. 1994 ,
63 et s.

Malgré ces différences notables, et pour trois raisons principales, nous avons persisté à
penser que cette étude était possible. Tout d'abord, il faut remarquer que le droit
contemporain du travail montre des tendances à une internationalisation, à l'unité des règles
fondamentales, dans le cadre de standards internationaux5• Le constat nous a paru tellement
fort qu'il a vaincu toutes les réticences qu'on pouvait tirer de l'appartenance du Cameroun et
de la France à des ensembles régionaux différents6, et de l'inégale réception des nonnes
internationales du travail par les deux pays7. Ensuite, si cette étude s'inscrit dans une certaine
mesure dans le champ du droit comparé, son but ultime n'est pas de dresser un tableau où on
retrouverait d'un côté les solutions du droit camerounais, et de l'autre celles du droit français.
Nous tentons au contraire une réflexion plus générale qui prend les droits camerounais et
français comme points d'appui8. Autrement dit, les matériaux essentiels de la réflexion qui
sera menée seront puisés dans les droits camerounais et français, sans que le schéma soit celui
de la comparaison des deux ensembles9. Enfin, la conception que nous avons des droits
fondamentaux nous amène sinon à minimiser la force de la volonté des législateurs. du moins
à la relativiser. Le droit international semble aujourd'hui assez avancé dans ridée que certains
droits sont, par nature même, moins subordonnés à la volonté de l'Etat 10.
Le second écueil tient à la difficulté de cerner les notions-clés du sujet que sont la
dignité et les droits fondamentaux. Si ces notions ne sont pas inconnues des juristes, elles
5
TADUESZ
ZIELINSKI, Les problèmes méthodologiques dans la science du droit,
Bulletin du
COMPTRASEC, 1982, nO 2. p. 368. L'Organisation Internationale du Travail joue un rôle majeur dans cette
internationalisation puisqu'elle édicte des normes qui sont ensuite diffusées dans les Etats membres,
essentiellement par le moyen des ratifications. Elle a ensuite mis en place des mécanismes obligeant les Etats
membres à lui faire des rapports périodiques même sur les conventions qu'ils n'ont pas ratifiées.
6 On ne peut aujourd'hui ignorer l'influence de plus en plus grande que l'Union Européenne exerce sur le droit
français. Le Cameroun, quant à lui, est membre de l'Organisation de l'Unité Africaine et fait partie de quelques
espaces juridiques régionaux spécialisés, ce qui ne manque pas d'influencer son droit. Le plus actifs de ces
espaces est l'Organisation pour J'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Si l'Acte uniforme sur le droit
du travail qu'annonce son traité créateur n'est pas encore adopté, en revanche est adopté l'Acte uniforme sur le
droit des sûretés, et l'Acte uniforme sur les procédures collectives d'apurement du passif qui modifient quelques
dispositions du Code du travail.
7 A cette date, le Cameroun n'a ratifié que 47 conventions de l'OIT dont il a du reste dénoncé 4. La France en a
ratifié 115 et dénoncé 19.
8 D'où le sous titrage: réflexion" à partir des droits camerounais et français ".
9 Ce qui ne nous interdira pas de temps en temps de faire des remarques comparatives.
10 L'idée est présente dès J'origine de l'OIT. Mais c'est depuis Ja Déclaration du 18 juin 1998 sur les principes et
droits fondamentaux au travail qu'elle s'est clairement manifestée. Elle est aussi consubstantielle au devoir
d'ingérence humanitaire dont on ne peut plus sérieusement douter de l'existence et de la positivité. Sur
l'ingérence, Lire M. Chr. DELPAL, Politique extérieure et diplomatie morale. Le droit d'ingérence humanitaire
en question, Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, Paris, 1993 ; O. CORTEN et P. KLEIN, Droit
d'ingérence ou obligation de réaction, Ed. Bruylant, Bruxelles, 1992.
2

demeurent largement imprécises dans
leur significationIl. Cette carence théorique pourrait
surprendre si l'on considère l'extraordinaire fortune de ces notions ces derniers tempsl2. Il est
même pennis de penser que pour une large part, elles doivent leur notoriété à leur
imprécision13• Aussi nous est-il apparu nécessaire de tenter d'abord de cerner ces deux
notions (Section 1) avant de voir comment elles sont opératoires en droit du travail. Plus
précisément, il s'agira de jeter un regard d'ensemble sur les droits fondamentaux des salariés
en droit du travail (Section).
SECTION 1 : LES NOTIONS DE DIGNITE ET DE DROITS FONDAMENTAUX
Les notions de dignité et de droits fondamentaux sont préoccupantes à un double titre.
Tout d'abord, comme toute notion, elles requirent une défInition précise. Ensuite, nous
assistons aujourd'hui à une sorte de «montée en puissance» des deux notions. Un tel
phénomène est toujours un message qu'il faut comprendre afIn d'en tirer meilleur profIt. En
deux points nous rechercherons les éléments de défInition (PARAGRAPHE 1) et le sens de
l'émergence contemporaine des deux notions (PARAGRAPHE II).
PARAGRAPHE 1: LES ELEMENTS DE DEFINITION DES DEUX NOTIONS
La difficulté de défInition des deux notion paraît a priori ne pas avoir la même
intensité, parce qu'on pense que la notion de droits fondamentaux est plus connue du droit
que celle de dignité. Le rapport que nous décelons entre les deux notions nous autorise
cependant à définir le dignité (A) avant les droits fondamentaux (B).
Il Sur le caractère flou de la notion de dignité, voir J. MICHAUD, Les maîtres-mots d'un texte législatif, in
Ethique, droit et dignité de la personne, Mélanges Christian BOLZE, Litec 1999, p. 105 ; Ph.. PEDROT, La
dignité de la personne humaine: principe consensuel ou valeur incantatoire? Mélanges Chr. BOLZE op. cit.,
Avant-propos XL Sur l'absence de définition de la notion de droits fondamentaux, voir V. CHAMPEIL
DESPLATS, La notion de droits fondamentaux et le droit constitutionnel français, D. 1995, Chr., p. 323
12 Philippe PEDROT décrit bien la notoriété de la référence à la dignité: « Dignité des exclus et des travailleurs.
Dignité des sans logis et dignité des sans voix. Dignité des malades et dignité des mourants... De partout,
montent des appels et des reconnaissances en faveur de la dignité....Dignité, dignité, j'écris ton nom », pourrait-
on proclamer, paraphrasant le poème de Paul Eluard» (in Ethique, droit et dignité de la personne, Mélanges
Christian BOLZE, op. cit Avant-propos, Xl). Pour les références aux droits fondamentaux, on consultera
utilement le numéro spécial de J'AJDA sur les droits fondamentaux, 1998.
13 Ph. PERDROT op. cit.,
3

A. La notion de dignité
Si la notion de dignité est, pour le juriste, d'appréhension difficile, c'est parce qu'elle
est essentiellement philosophique 14. Et même dans le langage des philosophes la dignité se
présente comme une notion complexe. Dans une première acception, proche du langage
courant, la dignité évoque la grandeur, le rang. Cette acception est héritière du mot d'origine
romaine « dignitas », qui signifie le mérite. Ce sens de la dignité serait historiquement le plus
ancien. Le Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale l5 explique que de nombreuses
cultures où il existe une stratification sociale disposent d'un code moral ou de règles
protocolaires qui exigent des membres de la classe supérieure qu'ils se comportent avec
dignité, c'est-à-dire avec la retenue et le maintien censés exprimer de manière appropriée leur
position sociale supérieure 16. Dans la Grèce antique en particulier,
la dignité est une vertu
politique liée aux fonctions élevées qu'occupent les citoyens dans leur cité, et d'abord à leur
statut d'homme libre 17• Platon et Aristote pensent que si le maître doit traiter convenablement
les esclaves, dès lors qu'ils ont mérité une punition, c'est pour exercer sa modération: il n'est
pas digne d'un homme libre de se laisser emporter par la colère et de maltraiter un esclave
qui, pour être en deçà de l'humanité, n'en présente pas moins une apparence humaine 18•
La
notion de dignité est conçue donc comme contrôle de soi l9.
Par la suite la notion de dignité évo lue ou, plus précisément, s'enrichit. L'idée de
mérite n'est pas évacuée, mais en faveur de la recherche de l'égalité et de la fraternité entre
les hommes, la notion de dignité investit l'aire des relations interpersonnelles. Tout d'abord,
la dignité crée une obligation de respect à la charge d'autru~ puisqu'il faut que celui-ci adopte
un comportement approprié à l'égard des personnes jouissant du même statut20• C'est en
prenant conscience de la dignité de l'autre que j'accède à la conscience de ma propre
dignité21 . En même temps, l'homme revendique le monopole de la dignité, qualité qui le
distingue des animaux et a fortiori des choses inanimées. Emmanuel Kant va systématiser la
14 Cl. NEIRINCK, La dignité humaine ou le mauvais usage juridique d'une notion philosophique, in Ethique,
droit et dignité de la personne humaine op. cit., p. 39.
15 Sous la direction de M. CANTO-SPERBER, PUF, 1996.
16 Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale op. cit., p. 413.
17 V. Ph. PEDROT op. cit. p. 5.
18 Ibid.
19 Ce sens reste actuel, puisqu'on exprime souvent le souhait que la victime d'un mauvais sort se conduise« avec
dignité ». Le fait, par exemple, de pleurer en public pourrait être interprété comme un manque de dignité. Plus
encore, on exige des membres des grand corps de la société une conduite digne.
20 Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale op, cit. p. 413
21 Cl. NEIRlNCK op. cit. p. 40.
4

notion dans Les fondements de la métaphysique des mœurs: « Dans le règne des fins, tout a
un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut être remplacé par quelque chose d'autre, à titre
d'équivalent; au contraire, ce qui est supérieur
à tout prix, ce qui par suite n'admet pas
d'équivalent, c'est ce qui a une dignité »22. Les choses ont un prix, l'horrune seul a la
dignité23• La dignité est inconditionnelle pour l'espèce humaine, c'est-à-dire que la qualité
d'homme suffit pour en bénéficier, et aucun horrune ne peut en être privé. On résume bien en
affirmant que la dignité est inhérente à la personne humaine24•
Ensuite, les doctrines personnalistes développent le contenu relationnel et altruiste de
la dignité. Elles réagissent ainsi contre la tendance doctrinale qui réduit l'horrune à n'être
qu'un individu. La personne humaine n'a pas seulement une dignité inaliénable en tant
qu'agissant avec une volonté et un libre arbitre, mais aussi, elle s'inscrit dans la relation avec
autrui. La personne se réalise pleinement lorsqu'elle est centrée sur l'autre. Elle est « un être
avec les autres et pour les autres »25.
B. La notion de droits fondamentaux
La notion de droits fondamentaux relève incontestablement du langage juridique
courant, ce qui ne veut nullement dire qu'elle est facile à cerner. Sa compréhension est
singulièrement embrouillée par l'emploi d'autres notions tenues pour proches ou équivalentes.
Dans les écrits en effet, on utilise tantôt les notions de droits de l'horrune, de libertés
publiques, de libertés fondamentales, de droits et libertés fondamentaux, de principes
fondamentaux, sans qu'il soit sûr qu'on renvoie aux mêmes réalités juridiques.
Si l'on compulse
les
écrits,
on trouvera
plusieurs
conceptions
des
droits
fondamentaux. Tout d'abord, les droits seraient fondamentaux en raison de leur place dans la
hiérarchie
des
normes.
Plus
précisément,
il
s'agirait
des
droits
et
libertés
22 E. KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, éd. Vrin, 1980, pp. 112 et 113.
23 Voir B. MAURER., Essai de définition théologique et philosophique de la dignité humaine, in Les droits
fondamentaux: Actes des lères journées scientifiques du Réseau Droits fondamentaux de l'AUPELF-UREF
tenues à Tunis du 9 au 12 octobre 1996, Bruylant, Bruxelles 1996, p.226.
24 La Déclaration universelle des droits de l'homme affinne dans son préambule que la dignité est inhérente à
tous les membres de la famille humaine.
25 Sur le personnalisme,
voir MOUNIER. Oeuvres Paris, Le Seuil, (quatre tommes) 1961-1963, notamment,
tome 3, Le Personnalisme; E. BORNE, Les nouveaux inquisiteurs, PUF, Paris, 1983; R-J. DUPUY,
« Conclusions» dans Amicorum discipulorumque liber, 1. 4 Méthodologie des droits de l'homme, Pédone, Paris,
1972 ; G. Marcel, La dignité humaine et ses assises existentielles, Aubier, Paris, 1964.
5

constitutionnellement protégés26• On a même dit que les droits fondamentaux se situeraient
"par essence" au niveau constitutionnef7, ce qui les distingue d'une catégorie juridique plus
large: les libertés publiques. Ensuite, on pourrait considérer les droits fondamentaux comme
ceux exprimés ou garantis par les normes supérieures d'un ordre juridique donné ou qui sont
essentiels à l'existence et au contenu d'autres droits de cet ordré8• Si cette définition procède,
elle auss~ de la logique de la hiérarchie formelle des normes, elle s'ouvre néanmoins aux
droits qui ne seraient pas forcément prévus dans la Constitution.
Ces deux conceptions ont en commun de prendre dans l'ordre juridique leurs éléments
de définition des droits fondamentaux; au risque de se plier à toutes les contingences de la
construction juridique, à l'arbitraire de "ceux qui font les lois". Les droits fondamentaux
seraient-ils si contingents?
Cette interrogation, en vérité, postule une autre façon de conceVOIr les droits
fondamentaux. Ils seraient supérieurs à l'ordre juridique, parce qu'exprimant des valeurs qui
dépassent l'ordre juridique, et qu'il ne saurait remettre en cause ou toucher29 . L'idée rappelle
3o
bien la théorie du droit naturel, mille fois enterrée, et toujours ressuscitée . Le relent de
supra-constitutionnalité qu'elle contient a récemment été vigoureusement combattu par
Bernard MATHIEU. L'auteur affirme que" l'existence de règles supra-constitutionnelles en
droit interne est une impossibilité "quasi-ontologique "'00' une impossibilité absolue ,,31.
L'existence de telles règles enlèverait sa souveraineté au peuple32 . L'analyse rejoint bien
celle du Conseil constitutionnel français, qui a jugé que "sous réserve, d'une part, des
limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la constitution ne peut
être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89 alinéa 4 du texie
constitutionnel, et d'autre part, du respect des prescriptions du Se alinéa de l'article 89 en
26 L. FAVOREU, Rapport introductif:
colloque sur la protection des droits fondamentaux par les juridictions
constitutionnelles en Europe (19-21 février 1981), RIDC, 1981, p. 671.
27 B. GENEVOIS, Normes de valeur constitutionnelle et degré de protection des droits fondamentaux, RFD adm.
1990,317
28 Jr. ARCOUX, Le concept de droits fondamentaux dans le droit de la Communauté Economique Européenne,
RIDC, 1984, 691
29 V. J. P. LABORDE, Conclusion des 4 èmes journées franco-espagnoles de droit comparé du travail (12 et 14
mai 1994) : Les principes et droits fondamentaux en matière sociale en Espagne et en France, Bulletin du
COMPTRASEC, 1994, nO 2 pp 119 et 120
30 V. P. KA YSER, Essai de contribution au droit naturel à l'approche du troisième millénaire, Revue de
Recherche Juridique, 1998-2,287.
31 B. MATHIEU, La supra-constitutionnalité existe-t-elle ?, Réflexions sur un mythe et quelques réalités, Les
Petites Affiches, 1995 n° 29, 12
32 Ibid

vertu desquelles" la fonne républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet de révision ",
"
.
,,33
1e pOUVOIr COnstItuant est souveram.
Pourtant, ce même Conseil constitutionneL à propos justement des droits qu'on
présente comme fondamentaux, utilise le verbe" reconnaître ,,34. Ce faisant du reste, il ne suit
que les textes de grande autorité. En effet, les Constitutions française et camerounaise,
directement ou par le détour des déclarations, utilisent bel et bien les verbes" reconnaître" ou
" proclamer ,,35 lorsqu'elles énoncent des droits fondamentaux. Les verbes" reconnaître" et
" proclamer" peuvent tout exprimer, sauf, bien sûr, une idée de création. Le sens attesté du
mot " proclamer" est: " publier ou reconnaître officiellement par un acte ,,36. Quant au
tenne "
reconnaître", il signifie: "admettre comme vrai ou réel,,37 ou "constater,
découvrir ".
Les constituants semblent bien montrer qu'ils se sont limités à constater un état, et à le
publier.
Dès lors, on comprend bien le Tribunal constitutionnel allemand qui a affinné que la
substance des droits fondamentaux est hors d'atteinte du pouvoir constituant, même
38
oriainaire
e
39
La logique juridique peut ne pas trouver son compte dans une telle solution . Mais la
solution est difficilement contestable. La conscience humaine, individuelle ou collective,
semble bien acquise à l'idée que la qualité d'être humain repose sur un signe distinctif
absolument indéniable, qui requiert une traduction en droit. Dans ce sens, la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples signée à Naïrobi le 27 juin 1981 pose de façon
sentencieuse que « Les droits fondamentaux de l'être humain sont fondés sur les attributs de
la personne humaine» 40. Elle reprend ainsi, à quelques mots près, une affinnation de la
Convention américaine relative aux droits de l'homme signée à San José de Costa Rica le 22
33 Décision nO 92-312 OC du 2 septembre 1992, Rec. 94,
34 V. Décision nO 325 OC du 13 août 1993, Dr. soc., 1994, 74
35 Voir la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, les préambules des constitutions
françaises du 26 octobre 1946 et du 4 octobre 1958 et camerounaise du 2 juin 1972 modifiée le 18 janvier 1996.
36 V. LE Petit ROBERT.
37 V. LAROUSSE.
38 Décision du 23 avril 1991, Cf. O. JOUANJAN, AUC, 1991, Economica, 1993,371. Cette décision peut être
rapprochée d'un arrêt de la Cour constitutionnelle italienne qui a affirmé expressément que" La Constitution
italienne comprend quelques principes suprêmes qui ne peuvent être renversés ou modifiés dans leur contenu
essentiel même par une loi de révision constitutionnelle ou par d'autres lois constitutionnelles" ( arrêt cité par
FAVOREU et PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 9è éd. 826).
39 V. B. MATHIEU op. cit. 13. .
40 Préambule de la Charte.
7

novembre 196941 • C'est dire que les droits fondamentaux ne trouvent ni leur source ni sans
doute leur force dans le droit positif. Le droit qu'élaborent les organes de l'Etat est ainsi
soumis à une exigence de qualité. On a dit que l'Etat est soumis non seulement au droit qu'il
se donne, mais aussi à quelques principes naturels de justice dont la permanence depuis vingt
cinq siècles est évidente42• L'Etat de droit serait, dans cette perspective, celui qui se soumet
non seulement aux règles qu'il élabore, mais aussi au respect de celles qui lui sont extérieures
et antérieures43•
Il ne faut pas cependant ignorer les difficultés de cette perspective. Ces difficultés
apparaissent non seulement lorsqu'on réfléchit sur la sanction des droits, mais auss~ lorsqu'on
44
rappelle l'impossibilité de recenser indiscutablement les droits naturels • C'est pourquoi
beaucoup préfèreront la quiétude du positivisme juridique, quitte à devoir recourir parfois à
quelques artifices. En effet, pour rester dans sa logique, l'ultra positivisme juridique est
parfois obligé d'emprunter des pistes voilées telle une interprétation très audacieuse des
textes. Dans ce jeu, le texte servirait, au fond, simplement de prétexte ou de filon pour
remonter à quelque chose situé hors du texte si ce n'est pas hors du droit. La technique est
particulièrement utilisée par les juridictions constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel
français l'a récemment utilisée, en découvrant45 le principe de sauvegarde de la dignité
humaine sous la formule suivante: « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples
libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple
français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de
croyance,
possède des droits inaliénables et sacrés »46.
Cette trouvaille du Conseil
constitutionnel pourrait d'autant plus étonner qu'une année plus tôt, un projet tendant à
ajouter à l'article 66 de la Constitution un droit à la dignité avait échoué47 sans que personne
ne pense alors que l'adjonction aurait fait double emploi avec la formule de la constitution
sus-évoquée. C'est que les données du contexte avaient changé. En 1993 l'ordre juridique
n'avait pas suffisamment éprouvé le besoin de se référer à la dignité; et lorsqu'en 1994 ce
41 Elle affirme en termes forts que« Les droits fondamentaux de l'homme ne découlent pas de son appartenance
à un Etat donné, mais reposent sur les attributs de la personne humaine ».
42 Y. MADIOT, Quâlité du droit et protection des droits fondamentaux, in Mélanges CAMPINOS, PUF, 1996, p.
63.
43 Voir F. J. LAFERRIERE, L'Etat de droit et les libertés, in Pouvoir et liberté, Etudes offertes à Jacques
MOURGEON, Bruyant, Bruxelles, 1998, p. 165.
44 Ibid.
45 Pour cette découverte, voir D. ROUSSEAU, Les libertés individuelles et la dignité de la personne humaine,
Montchrestien, coll. Préparation CRFPA, p. 62.
46 Conseil constitutionnel, Décision du 27 juillet 1994, D. 1995, jur . p. 237, note B. Mathieu.
47 Voir Rapport au Président de la République, Journal Officiel, Lois et décrets, 16 février 1993, p. 2548.
8

besoin s'est fait suffisamment sentir le Conseil constitutionnel a procédé à une lecture
audacieuse, à la limite d'une récriture du préambule de la Constitution de 1946.
Cette observation suggère sans doute qu'au sujet de la définition des droits
fondamentaux, il faille prendre des distances par rapport aux analyses trop tranchées. On se
situerait au point de passage entre la morale et le droit (positif)48. Intégrant bien sûr mais
49
dépassant l'idée de hiérarchie, la notion de droits fondamentaux va-delà du droit . Hors de
l'ordre juridique, ridée des droits fondamentaux naîtrait d'une exigence intangible, que le
droit a la charge d' " adopter ,,50.
Quelle serait alors cette exigence dictée au droit par la morale?
Parce qu'on réfléchit sur l'homme, pour qui les droits fondamentaux sont conçus, il
faut bien penser qu'il s'agit d'une exigence qui lui est essentielle. Ce qui est essentiel à
l'homme et le singularise
n'est rien d'autre que la dignité, laquelle, a t-oo, dit, lui est
inhérente.
Les droits fondamentaux seraient donc des droits inhérents à la personne humaine:
ceux qui lui sont reconnus en raison de sa dignité, et pour protéger celle-ci.
Cette définition pennet de distinguer clairement les droits fondamentaux de deux
catégories juridiques voisines : les libertés publiques et les droits de l'homme. Les libertés
publiques, tout au mois dans leur conception classique5!, sont définies comme des
prérogatives reconnues aux individus dans leurs rapports avec la puissance publique, et visant
essentiellement à limiter la toute-puissance de cette demière52• Intéressant les rapports entre
l'individu et la puissance publique, les libertés publiques ont un objet à la fois plus restreint et
plus large que les droits fondamentaux. Dans leur objet les droits fondamentaux dépassent les
48 V. Sur la question, P. G. POUGOUE, Droits fondamentaux et corps du travailleur: esquisse d'une réflexion
sur l'apport des droits fondamentaux à l'évolution du droit du travail, Annales de la FSJP, Université de
Dschang, t 1, vol. 1, 1997, 6
49 Voir L. RICHER, Les droits fondamentaux: une nouvelle catégorie juridique? AJDA, 1998, nO spécial sur les
droits fondamentaux, p. 1.
50 Le juriste devrait prêter une attention particulière à cette opération d' " adoption ", car en dépend la portée et
l'efficacité des droits fondamentaux consacrés.
51 Pour une conception plus moderne des libertés publiques, se confondant pratiquement avec la notion de droits
de l'homme, voir 1. L. ISRAEL, Droit des libertés fondamentales, LGDJ, 1998, ,p. 26. L'auteur
souhaite
dissiper le malentendu qui laisserait supposer que les libertés publiques s'opposent aux libertés privées, les
premières concernant les rapports avec J'Etat et les secondes les rapports des particuliers entre eux.
52 P. ROUBIER, Délimitation et intérêts pratiques de la catégorie des droits subjectifs, Archives de philosophie
du droit, 1964, p. 87 .
9

libertés publiques parce qu'ils visent des droits des personnes non seulement dans leurs
rapports avec la puissance publique, mais aussi dans les rapports interindividuels. En
revanche la catégorie des droits fondamentaux est plus fermée parce qu'elle s'attache
seulement à la personne du sujet de droit53•
C'est parce qu'ils s'attachent à la personne du sujet de droit que les droits
fondamentaux peuvent se confondre avec les droits de l'homme. Le risque de confusion est
d'autant plus grand que la doctrine dominante affirme que les droits de l'homme sont fondés
sur la dignité de la personne humaine54• Mais si dans leur objet et même leur fondement les
droits fondamentaux se rapprochent des droits de l'homme, il faut tâcher de les en distinguer
au niveau de leur régime. L'incontestable mérite du discours sur les droits de l'homme c'est
d'être sans cesse conquérant. On est parti, par accumulation des acquis, de la première à la
troisième génération des droits de l'homme. Chaque pas est une victoire du sujet des droits de
l'homme sur l'arbitraire et les contradictions de la société. Mais cette avancée n'intègre pas
toujours la préoccupation qualitative55• Celle-ci se pose en termes de régime de protection,
ainsi qu'on le verra dans le paragraphe sur le sens de l'émergence contemporaine des notions
de dignité et de droits fondamentaux.
53 En seraient donc exclues par exemple la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d'enseignement etc.
54
Voir A. VERDROS, La dignité de la personne humaine, base des droits de l'homme, Osterreichische
zeitschrifl für offent/iches recht und Vo/kerrecht, vol. 31, n° 3-4, 1980. La présentation des textes sur les droits
de l'hommesemble confirmer cette idée. Mais il ne faut pas oublier que l'émergence de la notion de droits de
l'homme est historiquement très antérieure à celle de dignité, qui elle ne date que de 1945.
55 Une tentative a été faite dans ce sens à travers la distinction entre les droits intangibles et ceux qui ne le sont
pas (F. SUDRE, Droit international et européen des droits de l'homme, PUF, 1989,
p. 151). Mais, cette
distinction a rapidement été condamnée par le discours sur les droits de l'homme qui souligne l'égalité,
l'indivisibilité et l'interdépendance de ces droits. La Proclamation de Téhéran du 13 mai 1968, adoptée à
l'unanimité, affirme solennellement: « Les droits de l'homme et les libertés fondamentales étant indivisibles, la
jouissance complète des droits civils et politiques est impossible sans celle des droits économiques, sociaux et
culturels. Les progrès durables dans la voie de l'application des droits de l'homme supposent une politique
nationale et internationale rationnelle et efficace de développement économique et social ». Cette solution a été
réaffirmée en juin 1993 à Vienne et en mars 1996 à Copenhague.
10

PARAGRAPHE II. LE SENS DE L'EMERGENCE CONTEMPORAINE DES NOTIONS
DE DIGNITE ET DE DROITS FONDAMENTAUX
Les intitulés56 des études consacrées à la dignité ou aux droits fondamentaux ne
cachent pas l'embarras qu'on a à dire la place et le rôle de ces notions en droit positif Sans
doute faut-il faire observer que l'interrogation ne s'est jamais posée exactement dans les
mêmes tennes en ce qui concerne les deux notions. On semble s'accorder sur ce que les droits
fondamentaux constituent au minimum une notion juridique. Certes il reste à dire quelle est
leur nature juridique et comment ils sont opératoires en droit. La difficulté est plus importante
en ce qui concerne la dignité, puisqu'il faut, avant toute interrogation sur sa nature et ses
moyens d'action, dire si elle est devenue un concept juridique.
La doctrine s'est divisée sur l'ensemble de ces questions. Si certains ont conclu au
danger et même à l'impossibilité de « juridiciser » la dignitéS?, d'autres au contraire ont jugé
que la dignité avait accédé au statut de concept juridique, et constitue le support d'un droit
nouveau58•
Certes, la controverse n'a d'intérêt que par rapport au bénéfice que l'ordre
juridique pourrait tirer de telle ou telle solution. Or sous cet angle, les transformations
qu'apporte l'érection de la dignité en droit nouveau sont loin de rassurer. La dignité mériterait
sans doute d'être autrement mise en valeur. En l'occurrence, elle peut demeurer au stade des
fondements philosophiques et se refléter en droit positif dans la catégorie juridique de droits
fondamentaux.
Mais avant de monter comment la dignité peut servir de justificatif pour la
construction du régime des droits fondamentaux (B), il ne semble pas inutile d'évaluer la
solution qui consiste à en faire un droit nouveau (A).
56 Voir Bertrand MATHIEU, La dignité de la personne humaine, quel droit? quel titulaire, Dalloz, 1996, cm., p.
282 et s; SAINT-JAMES, Réflexions sur la dignité humaine en tant que concept juridique du droit français,
Dalloz 1997, cm., p. 61 et s; B. EDELMAN, La dignité de la personne humaine, un concept nouveau; Dalloz
1997, cm., p. 185 et s; L. RlCHER, Les droits fondamentaux: une nouvelle catégorie juridique ?, AIDA, 1988,
nO spécial, p. 1 ; CHAMPEIL-DESPLATS, La notion de» droit fondamental» et le droit constitutionnel
français, Dalloz, 1995, chr., p. 323 et s; M-L PAVIA, Eléments de réflexion sur la notion de droit fondamental,
Les Petites Affiches, 1994, nO 54, p. 6 et s ; L. Jr. MARCOUX, Le concept de droits fondamentaux dans le droit
des communautés européennes; in Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Economica,
1992
57 Sans exhaustivité, cf. 1. P. THERON, Propos sur une jurisprudence contestable, in Pouvoir et liberté, Etudes
offertes à J. MOURGEON, Bruylant, Bruxelles, 1988, p. 295 et s.; A.-M. Le POURHIET, Le Conseil
constitutionnel et l'éthique bio-médicale, in Mélanges DUPUIS, LGDJ, 1997, p. 213 et s. ; Cl. NEIRINCK, La
dignité humaine ou le mauvais usage d'une notion philosophique op.cit.
58 Sans exhaustivité, cf. B. EDELMAN, La dignité de la personne humaine, un concept nouveau op. cil., avec
beaucoup de réserves, B. MATHIEU, La dignité de la personne humaine, quel droit? quel titùlaire op. cil.
11

A. La dignité comme droit nouveau
Les références à la dignité sont de plus en plus nombreuses aussi bien dans les textes59
que dans les décisions de justice6o• De là à en faire le support d'un droit nouveau, il y avait
une bonne distance, qui a bien été franchie. Interprétant très audacieusement quelques
formules jurisprudentielles, une partie de la doctrine a fait valoir qu'il y avait place pour un
droit à la dignité, à côté des catégories traditionnelles que sont la liberté, l'égalité etc. Le droit
positif aurait en quelque sorte décidé de mettre en valeur une notion qu'il avait longtemps
négligée.
Nous retracerons succinctement le processus d'apparition du nouveau droit (1)
avant de montrer le trouble qu'il cause en droit positif (2).
1. Le processus d'apparition du nouveau droit
C'est la recherche d'une protection accrue de la personne humaine a concouru très
favorablement à la manifestation d'un droit autonome et bien démarqué des autres droits.
En France, on s'accorde en général à faire remonter à la décision du Conseil constitutionnel
du 27 juillet 199461 sur les projets de lois relatives à la bio-éthique la «juridicisation » de la
dignité. Des précédents significatifs aussi bien dans les textes que dans les décisions de justice
ci-dessus cités démentent pourtant formellement cette présentation. Cependant, ces précédents
sont passés, les uns après les autres, presque inaperçus. Deux circonstances expliquent que la
référence à la dignité contenue dans la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994
ait un destin singulier. D'une part, la place du Conseil constitutionnel dans les institutions de
la République et le rôle de plus en plus important qu'il joue dans le développement des droits
fondamentaux justifient qu'on lise ses décisions avec une certaine fixation sur les droits.
S9 Au Cameroun, la notion de dignité est incorporée à la Constitution par le mécanisme de l' « appropriatIOn»
de texte auquel le constituant recourt largement. Voir en particulier l'article 5 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples à laquelle la Constitution affinne son attachement dispose que « Tout individu a droit au
respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». A cette référence il faut ajouter celles contenues dans les
textes des Nations unies. En France on consultera entre autres le Code pénal, (chapitre v, titre III, Des atteintes à
la dignité), le Code de déontologie des médecins, la loi sur la bio-éthique insérée au Code civil, la Convention
européenne sur les droits de l'homme et la bio-médecine.
6OVoir entre autres les décisions du Conseil constitutionnel du 24 juillet 1994 et du 25 janvier 1995 op cit, du
Conseil d'Etat du 27 octobre 1995 op. cit., de la Cour d'appel de Paris du 28 mai 1996, D. 1996, Jur. 617, note
B. Edelman ; CEDH, 25 avril 1978, Tyrer, A, nO 26 ; 27 août 1992, Tomasi cl France, Rev. sc. crim, 1993, p. 33,
61 Op cit. CE, Il juillet 1990, Ministre des affaires suciales et de l'emploi cl Syndicat CGT de la société Griffine-
Maréchal,
Rec. CE, 1990, p.215

D'autre part, le contexte social paraissait plus favorable à l'émergence d'un droit nouveau62•
En effet, les progrès de la science et surtout ses applications sur l'homme avaient atteint des
proportions inquiétantes. Cette nouvelle source d'inquiétude s'ajoute à celles causées par La
vidéosurveillance et l'informatisation des données. En effet, la vidéosurveillance a pris des
proportions plus grandes et permet d'épier continuellement l'homme sur les lieux du travail et
même dans la rué3• L'informatisation permet de collecter et stocker une somme infiniment
grande d'informations plus ou moins intimes. Dans le domaine des technologies biomédicales
la dignité de l'homme est encore en cause.
L'angoisse semblait donc avoir atteint son paroxysme à la veille de la décision du
Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994. On cherchait confusément de nouveaux repères en
droit, parce qu'on avait le sentiment que la protection juridique était insuffisante. Un auteur
particulièrement averti sur l'évolution de la notion de dignité résume: « Tout se passe comme
si, désormais les droits de l'homme étaient impuissants à défendre l'individu contre les
dangers contemporains qui le menacent. Il n' y a rien dans les droits de l'homme, qui puisse
nous prémunir, par exemple, contre la bio-médecine ou les excès du marché »64. La dignité
apparaissait comme une catégorie juridique pertinente susceptible de leur faire barragé 5•
Justement, dans le domaine des technologies biomédicales le législateur a pensé qu'il
fallait trouver un encadrement juridique aux prouesses de la science66• C'est l'objet des lois n°
94-653 et 94-654 du 29 juillet 1994. Mais avant l'adoption des lois, le Conseil constitutionnel
est saisi pour dire si elles sont conformes à la Constitution. Dans les motifs de sa décision, le
Conseil affirme: « Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 a affirmé et
proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d'emblée que: « Au
lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté
d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout
être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits
inaliénables et sacrés »; qu'il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne
62 Sur ce contexte favorable, .voir V. SAINT-JAMES, Réflexion sur la dignité de l'être humain en tant que
concept juridique du droit français op. cit. p. 62 ; H. OBERDOFF, La dignité de la personne humaine face aux
progrès médicaux, in Mélanges PEISER P. U Grenoble, 1995, p. 382.
63 Cette surveillance continue est ressentie comme une atteinte à l'intimité des personnes surveillées.
64 B. EDELMAN, note sous Paris, 28 mai 1996, D. 1996, Jur., p. 619.
65 Ibid.
66 Le rapport Cabanel dressé au non de la commission des lois du Sénat (n° 230 1993-1994) indique que lors des
débats sur la loi relative au corps humain, le respect de la dignité humaine est invoqué comme objectif du texte.
13

humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un pnnclpe à valeur
constitutionnelle»67.
La référence à la dignité donnait une forte légitimité aux dispositions législatives qui
en avaient vraiment besoin. Un membre du Conseil constitutionnel pouvait alors dire des lois
sur la bioéthique qu'elles constituent une législation « sans équivalent sur le plan international
... méritant de figurer parmi les grands textes de tradition juridique et morale française »,
puisqu'elles apportaient une réponse à l'angoisse contemporaine68.
Un commentateur particulièrement avisé des décisions du Conseil constitutionnel
devait juger que la consécration de la valeur constitutionnelle de la sauvegarde de la dignité
était « un événement majeur », et lui prédisait d'importantes conséquences69 non seulement en
droit constitutionnel, mais aussi dans d'autres branches du droit7o• Les contentieux
administratif et judiciaire
ne
tardèrent
pas
à
s'ajuster à
la
décision
du
Conseil
constitutionnet7 l • De plus en plus la dignité va être invoquée72 comme support d'un droit
67 Op. cit.
68 N. LENOIR, Le statut juridique du corps humain pour répondre à l'angoisse contemporaine, in Mélanges G.
BRAIBANT, Dalloz ]996, p. 4]3.
69 Les décisions de justice ont une autorité qui s'attache non seulement au dispositif, mais également aux motifs
qui en sont le soutien nécessaire Cf not. 1. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 22 ème édition, p. 189 ; 1.
GHESTIN et G. GOUBEAUX avec la coll. De . FABRE MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction générale,
4 ème édition, 1994, p. 224 et 255 ; B. MATHIEU, Droit constitutionnel et droit civil: « de vieilles outres pour
un vin nouveau, RTD civ, 1994 p. 59 ; D. ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 4 ème édition,
1995, p. 140-141 et 149-150.
70
L. FAVOREU, Dalloz 1995, Somm. pp. 300 et 301. Voir aussi M.-L. PAYIA, La portée de la
constitutionnalisation du principe de dignité, 3 ème congrès français du droit constitutionnel, Dijon, juin 1996,
dact. P. 7.
71
L'effet « transformateur» de la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 est mis en évidence
dans un jugement du Tribunal de grande instance de Toulouse (D. 1996, jur. 101). Mlle Sandra X... est
poursuivie pour avoir facilité le séjour irrégulier en France de M... Y... , en l'hébergeant et en subvenant à ses
besoins, infraction prévue et réprimée par l'article 21 alinéas 1,2,3,4,5, 7,9 et 10 de l'ordonnance n° 45-2658
du 2 novembre 1945 relative au séjour des étrangers en France. Le texte punit d'un emprisonnement de cinq ans
et d'une amende de 200.000 F toute personne qui, alors qu'elle se trouve en France, aura par aide directe ou
indirecte facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France. Il
n'était pas contesté que Sandra X... avait fourni un logement et des moyens nécessaires à son entretien à Y... , en
particulier en cohabitant avec lui alors qu'elle savait qu'il était en situation irrégulière. La prévenue a construit sa
défense sur le caractère trop générique du texte d'incrimination, lequel devrait, selon elle, être interprété à la
lumière des principes généraux. Elle fit valoir qu'on ne pouvait traiter de la même façon le trafiquant de main
d'œuvre clandestine, le passeur, le financeur d'un réseau terroriste, l'organisation humanitaire fournissant
nourriture et habits à des étrangers clandestins, le médecin qui soignerait l'étranger en situation irrégulière. Sur
quoi le tribunal va juger que « sanctionner toutes les aides aux étrangers en séjour irrégulier conduirait cette
population à vivre hors de tout contact humain affectif; qu'une telle exigence serait contraire au principe de
sauvegarde de la dignité humaine récemment affirmé par le Conseil constitutionnelles 26 et 27 juillet 1994 (JO
29 juill., p. 11024) ».
On a souligné le caractère contra legem de l'interprétation qui fut ainsi donnée à l'ordonnance de 1945 relative
au séjour des étrangers (B. Mathieu, La dignité de la personne humaine, quel droit? quel titulaire op. cit). Mais
14

nouveau précisant ou complétant les droits déjà garantis, mais surtout se particularisant par
bien des traits.
L'affaire Benetton, tant devant le Tribunal de grande instance73 que devant la Cour
d'appel de paris74, semble la plus caractéristique de la maturation et finalement de la
naissance d'un droit autonome à la dignité. En l'espèce, la Société Benetton Group SpA a fait
réaliser, pour sa campagne publicitaire, trois séries d'affiches sur lesquelles figurent un torse
humain, un bas-ventre et un fessier nus, portant les estampilles «HIV POSITIVE». La
diffusion de ces supports publicitaires, dans la presse et sur des panneaux publicitaires, a été
assurée par la Sté United c%rs of Benetton. Lors du lancement de la campagne publicitaire,
cette dernière a expliqué dans un communiqué de presse que ces photographies étaient
destinées à « attirer l'attention sur la complexité d'un thème souvent perçu comme dérangeant
et que la société préfère généralement ignorer». Mais J'Agence française de lutte contre le
SIDA (AFLS) estima que sous le prétexte d'infonnation, la Sté Benetton France n'avait en
réalité cherché qu'à promouvoir sa marque, au mépris des intérêts des malades du SIDA. Le
21 septembre 1993, elle assigna la Sté Benetton, en dommages et intérêts qu'elle s'engageait
à reverser aux associations de lutte contre le SIDA. Quatre personnes, Erik X ... , Eric E ... ,
Régis T... et Elisabeth D... , sont intervenues volontairement dans l'instance pour demander
réparation du préjudice dont elles affinnaient avoir personnellement souffert du fait de la
publicité litigieuse. La Sté Benetton s'est opposée à l'admission de ces prétentions en
invoquant essentiellement le défaut d'intérêt et de qualité pour agir de l'AFLS et des
intervenants volontaires, et le fait que seules les Stés Benetton Group SpA et United c%rs of
Benetton communication auraient été susceptibles d'être concernées par le litige.
Par jugement rendu le 24 novembre 1993, le tribunal déclare irrecevable, pour défaut
d'intérêt et de qualité pour agir, la demande de l'AFLS ainsi que les interventions volontaires
d'Eric E... , Elisabeth D ... et Régis T ... Pour avoir démontré qu'il était atteint de l'infection,
il faut reconnaître q"ue le plaideur et ensuite le tribunal ne pouvaient trouver mieux que la jurisprudence du
Conseil constitutionnelle pour asseoir leur lecture du texte.
72 C'est vrai que l'invocation de la dignité pour soutenir des actions en justice ne date pas d'aujourd'hui. Mais il
faut, dans le flot des arguments déployés pour soutenir une cause, distinguer entre les arguments qui visent à
atteindre la sensibilité de celui qui doit apprécier, c'est-à-dire des arguments de type émotionnel, et les moyens
juridiques. L'invocation de la dignité relevait du premier ordre, et ne dispensait pas de trouver un moyen de
droit. Dans les lignes qui vont suivre, on verra comment forçant son destin, la dignité est devenue le moyen
juridique autonome des recours..
73 TOI de Paris, 1 er février 1995, D. 1995, jur., 569, note B. Edelman.
74Paris, 28 mai 1996, D. 1996, jur. P. 617, note B. Edelman.
1 <::

Erik X ... est resté dans les liens de l'instance, mais le fond du contentieux n'est pas vidé, en
raison de l'absence aux débats des sociétés Benetton Group SpA et Sté United c%r of
Benetton communication. C'est dans ces conditions qu'Erik X ... va assigner les deux sociétés
pour qu'elles soient solidairement condamnées à lui verser la somme de 100.000 F à titre de
dommages et intérêts, et que soit ordonnée à leurs frais la publication in extenso du jugement
et le retrait de l'affichage critiqué.
Le 21 février 1994, Eric E ... et Elisabeth D... , dont les demandes avaient été jugées
irrecevables, vont une fois de plus intervenir dans la procédure pour réclamer également les
mesures de publication, ainsi que l'allocation à chacun d'eux de la somme de 100.000 F à titre
de dommages et intérêts. Ils indiquent cette fois-ci qu'ils sont tous deux atteints du virus HIV
et justifient en conséquence d'un intérêt concret et positif à agir. Le 4 mai 1994, « Aide
fédération nationale », association reconnue d'utilité publique (elle est différente de la
première association dont la demande a été jugée irrecevable pour défaut de qualité), est
intervenue volontairement pour demander également l'arrêt de la campagne publicitaire, les
mesures de publication et d'affichage, ainsi que l'allocation d'un franc à titre de dommages et
intérêts.
L'évolution du contentieux montre bien comment la dignité se démarque d'autres
terrains pour se présenter comme une prérogative nouvelle. L'association Aide fédération
nationale se situe sur le terrain de la dignité des malades du SIDA dont elle a pour objet la
défense75. L'argumentation de l'association est la suivante: en l'état actuel des connaissances,
l'infection par le virus HIV demeure une affection effrayante et, comme telle, susceptible de
provoquer de manière plus ou moins consciente, des manifestations d'exclusion ou de rejet,
voire d'hostilité. Associer, par le biais d'une inscription apposée en divers endroits non
dénués de signification symbolique, ce mal redoutable à des portions de chair humaine
dénudées, évoque la barbarie nazie ou le marquage de viande. De surcroît parce qu'aucune
légende ne vient expliquer son sens, une telle image constitue un message à tout le moins
équivoque et iIJ,discutablement de nature à permettre des interprétations défavorables à la
cause des malades du SIDA.
75 L'article premier de ses statuts indique en effet qu'elle a pour objet, notamment, de venir en aide aux
personnes touchées par l'infection au VIH et à leur entourage, pour répondre à leurs besoins sociaux, médicaux.,
psychologiques, juridiques, financiers et moraux; de défendre l'image, la dignité et les droits des personnes
atteintes de cette infection.
16

Erik X... fonde sa demande sur la violation de l'article 9 du Code civil qui protège la
VIe privée. II soutient que s'il ne peut rapporter la preuve que les images reproduites
représentent des parties de son corps, en revanche en tant que malade du SIDA, il ressent cette
exposition comme une atteinte à sa propre intimité et la divulgation d'un état qu'il partage
avec d'autres, et qui auraient pu, tout aussi bien que lu~ agir en l'espèce.
Eric E... et Elisabeth D... fondent leur demande sur la violation de l'article 1382 du
Code civil dont le texie est bien connu: « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui
un dorrunage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».
Le tribunal commence par constater la faute de la Sté Benetton, ce qui ne semblait pas
faire de doute compte tenu du caractère équivoque du message. Sous astreinte de 50.000 F par
infraction constatée, il fait défense aux sociétés Benetton Groupe SpA et United c%rs of
Benetton de poursuivre la campagne litigieuse. Ensuite il fait droit aux prétentions de
l'association Aides fédération nationale. Celle-ci se voit allouer un franc au titre de la
réparation du préjudice subi en raison de l'atteinte
portée aux intérêts collectifs dont elle
assure la défense. Enfin, le tribunal accorde 50.000 F de dommages et intérêts à chacune des
personnes Erik X... , Eric E... et Elisabeth D.... Le juge indique cependant clairement qu'il ne
souscrit pas à l'argumentation d'Erik X... fondée sur l'atteinte à la vie privée. Dans un style
très pédagogique, il prend soin de reprendre les termes de l'article 9 du Code civil invoqué:
« chacun a droit au respect de sa vie privée» ; et d'ajouter « qu'il ressort des termes mêmes
de ce texte, que cette protection présente un caractère individuel et vise les seules atteintes
subies personnellement par le titulaire du droit concerné; qu'elle ne saurait être étendue à des
éléments, certes de nature à se rattacher à l'intimité de l'existence, mais ne concernant pas
précisément celle de la personne qui s'estime lésée, à laquelle il ne suffit pas, pour bénéficier
du droit précité, d'invoquer une simple analogie de situation et qui doit nécessairement
justifier qu'elle subit elle-même le manquement reproché; Attendu que les publicités
incriminées présentent des parties d'anatomies humaines et accréditent l'idée que les
personnes représ~ntées sont contaminées par une grave infection; que ces personnes ne sont
cependant nullement identifiables; qu'Erik X... ne justifie d'ailleurs pas être l'une d'elles;
q'il n'est, partant, point fondé à prétendre qu'il a subi, du fait de ces reproductions, une
atteinte à sa vie privée ».76
76 TG! de Paris, 1cr février 1995, D. 1995, jur. 569, note B. Edelman.
17

Bien entendu, le préjudice d'Erik x
n'est pas nié dans sa réalité, pas plus que son
droit à réparation77• Mais seulement Erik X
avait choisi un mauvais fondement pour sa
prétention, ce qui a failli conduire au rejet de celle-ci. Un rapprochement entre la réponse du
juge sur la prétendue atteinte à la vie privée et sa réponse sur l'allégation d'atteinte à la
dignité choisie par l'association Aides fédération nationale comme fondement juridique de sa
demande accrédite l'idée selon laquelle le droit à la dignité s'est créé un espace propre qui ne
se confond nullement avec le droit à la vie privée. II ne se confondrait sans doute avec aucun
autre droit qu'on invoque traditionnellement.
La Cour d'appel va dans une large mesure conforter cette analyse. En effet, en appel,
les prétentions d'Erik X ... Eric E ... et Elisabeth D... vont changer de fondement juridique ; il
ne s'agit plus ni d'atteinte à la vie privée, ni de violation de l'article 1382 du Code civil, mais
de l'atteinte à la dignité. L'évolution dans l'argumentation est merveilleusement résumée par
un commentateur, tout au moins en ce qui concerne la substitution de la dignité à la vie
privée: « il ne s'agit plus de déduire de la représentation abstraite d'un corps malmené une
atteinte à son corps propre, mais de déduire d'une représentation dégradante d'une maladie
une atteinte à la dignité de chaque malade »78.
Dans le motif principal de son arrêt, la Cour d'appel affinne: «Considérant qu'en
imposant au regard, en des lieu.x de passage public forcé ou dans certains organes de presse,
l'image fractionnée et tatouée du corps humain, les sociétés commanditaires appelantes ont
utilisé une symbolique de stigmatisation dégradante pour la dignité des personnes atteintes de
manière implacable en leur chair et en leur être, de nature à provoquer à leur détriment un
phénomène de rejet ou de l'accentuer. .. qu'en imposant à chacun des intimés personnes
physiques, en particulier, une représentation de leur état de personnes séropositives, les
appelantes ont occasionné un préjudice moral individuel qui sera exactement réparé par
l'allocation à chacun d'eux de la somme d'un franc à titre de dommages et intérêts et les
mesures d'interdiction et de publication d'ores et déjà ordonnées par les premiers juges ». Sur
quoi la Cour va çonfinner le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 1er
février 1995.
77 Le tribunal lui a même accordé 50.000 F à litre de dommages et intérêts.
78 B. Edelman, note sous Paris, 28 mai 1996 op. cit, p. 619.
lR

La décision apparaît dans toute sa portée dans l'analyse qu'en fait Bernard Edelman,
en rapprochant la réponse négative donnée à Erik X ... sur la prétendue atteinte à sa vie privée
du succès de la demande sur le fondement de la dignité: « si le passage de l'abstrait au
concret ne peut s'effectuer dans la structure de la protection de la vie privée - eu égard au
monopole individuel reconnu à chaque personne - en revanche, dans la structure des droits
fondamenta~ ce passage s'effectue aisément puisque chaque homme est partie prenante.
Porter atteinte à la dignité de l'homme en général revient à porter atteinte à chaque homme en
particulier: on n'est plus en présence d'un « monopole individuel» mais d'une qualité
inhérente à 1'humanité toute entière»79.
Le rapprochement que l'auteur fait entre cette solution et le régime du crime contre
l'humanité éclaire davantage l'analyse. L'humanité se présente comme la réunion symbolique
so
de tous les hommes dans ce qu'ils ont de commun, à savoir leur qualité d'êtres humains . Et
«Lorsque l'humanité est victime d'un crime --dont le propre consiste à dénier, pour ses
auteurs, l'humanité même des victimes -, chaque homme, en tant que membre de la
, h '
.
SI
communaute umame, se sent attemt. .. » .
On voit bien se dessiner un droit nouveau à la dignité. Ce droit marque son autonomie
d'un point de vue non seulement de l'espace juridique dans lequel il évolue, mais aussi du
plan sur lequel il se situe. S'agissant de son espace juridique, on a vu comment le droit à la
dignité évite le terrain du droit à la vie privée. Quant à son plan, on peut dire qu'il emprunte le
schéma original de la défense des intérêts collectifs de l'humanité, même si en fin de compte
une personne individuelle peut l'invoquer.
Mais à tout considérer, cette consécration d'une prérogative particulière et fort
originale
demeure
très
préoccupante
au
regard
du
trouble
qu'elle
engendre
dans
l'ordonnancement des règles du droit. Autrement dit, le nouveau droit se raccorde très
difficilement avec d'autres concepts ou institutions du droit positif.
79 B. EDELMAN, note sous Paris op cit. p. 619
80 B. EDELMAN, La dignité humaine, un concept nouveau, op cit., p.ISS.
81 B. EDELMAN, note op cit. P. 619.
lG

2. Le trouble causé par l'érectwn de la dignité en droit nouveau
L'émergence du nouveau droit perturbe quelques certitudes sur la notion de qualité
pour agir en justice et, paradoxalement, affaiblit la notion de dignité
(
La perturbation introduite dans l'appréciation de la qualité pour agIr en justice
s'observe lorsque dans l'affaire Benetton précitée l'on démonte le mécanisme par lequel la
Cour d'appel se fonde sur la dignité. La Cour suit en l'espèce un enchaînement qui fait passer
d'un plan individuel anonyme -l'image anonyme-, à un plan générique
et abstrait-le gerrre
hurnain-, pour finalement arriver à un plan individuel-les demandeurs en réparation. Plus
concrètement, on passe successivement de l'image d'un bas-ventre et d'un fessier anonymes
nus sur lesquels sont inscrites les mentions « HIV POSITIVE »82, à l'image de la dignité de
84
l'Homme abstraitement considéré83, pour réparer les préjudices individuels des demandeurs
Erik X ... , Eric D ... et Elisabeth D ....
La démarche est très subtile et conduit à une appréciation trop audacieuse de la qualité
pour agir des intervenants volontaires. On sait que l'exigence de la qualité pour agir est une
règle fondamentale du droit processuel dont la fonction est de tracer le cercle des titulaires de
l'action en justice, de sorte que les prétoires ne soient point envahis par une foule de
personnes pouvant avoir des intérêts divers et plus ou moins indirects. Ainsi, pour agir en
justice, il ne suffit pas d'avoir un intérêt fût-il légitime; encore faut-il que cet
intérêt soit
personnel et direct85. Or, le schéma décrit dans l'affaire Benetton est loin d'attester que Eric
E ... , EriK X ... et Elisabeth D ... justifiaient d'un préjudice direct. Leur accorder une action en
justice ne peut s'expliquer que par une appréciation très discutable de la qualité pour agir. En
effet, on tente de faire admettre en quelque sorte que c'est du seul fait d"être des humains que
les intervenants personnes physiques ont un titre à agir. Si l'on poursuit le raisonnement
jusqu'au bout, on ne voit pas comment, devant une atteinte à la dignité, on pourrait refuser le
droit d'agir à une personne physique quelle qu'elle soit. Membre de la communauté humaine,
n'aurait-elle pas toujours un titre à agir et à obtenir réparation de son préjudice personnel
chaque fois que la dignité humaine est atteinte?
82 Premier plan (concret et individuel mais ici anonyme).
83 Deuxième plan (collectif et abstrait).
84 Troisième plan (concret et individuel).
85 1. VINCENT et S. GUINCHARD, Procédure civile, Précis Dalloz, n028.

Sous
l'angle
de cette
interrogation,
quelques éléments de
l'affaire
Benetton
apparemment anodins prennent de l'importance. En effet, en appel, les demandeurs se sont vu
allouer à chacun un franc pour la réparation du préjudice subi. La Cour d'appel réforme sur ce
point le jugement querellé, qui avait alloué 50.000 F de dommages et intérêts à chacun des
demandeurs Eric E ... , Erik X ... et Elisabeth D ...
La
Cour
d'appel
était-elle
SOUCIeuse
d'épargner
le
portefeuille
des
sociétés
défenderesses? On ne saurait le dire avec certitude. Toujours est-il qu'au regard du
raisonnement adopté pour faire droit aux prétentions des demandeurs, il y avait des raisons de
craindre une cascade de poursuites d'autres
personnes (des humains) atteintes ou non du
SIDA. Cet élément montre peut-être que dans l'esprit des juges d'appel, comme du reste du
premier juge86, ce qui importait c'était de stigmatiser l'atteinte à la dignité, non la réparation
du préjudice que peut éprouver la victime de l'atteinte. Autrement dit, ce qui primerait c'est
l'interdit, non la prérogative individuelle qui en résulte. Les particuliers seraient admis à voler
au secours de la légalité outragée, sans pouvoir en attendre grand'chose pour eux-mêmes.
Ce faisant, on arrIve à un « cocktail» inattendu entre les règles du contentieux
subjectif et celles du
contentieux objectif Ce mélange de genres est d'autant plus gênant
qu'il n'était nullement nécessaire. En effet, devant les premiers juges, Erik X ... avait obtenu
la réparation de son préjudice en invoquant les règles de la responsabilité civile délictuelle de
l'article 1382 du Code civil. Il ne faisait aucun doute que les sociétés défenderesses avaient
commis une faute délictuelle en abusant de leur liberté d'expression. Le juge avait admis que
cette faute avait occasionné un préjudice aux demandeurs87, en créant les conditions
favorables à leur exclusion sociale. Etaient donc réunis tous les éléments de la responsabilité
civile délictuelle: un fait générateur, un préjudice et un lien de causalité entre le fait
86 Le souci d'épargner le portefeuille des demanderesses a sans doute pu jouer un rôle décisif également en
première instance. Il faut en effet se rappeler que le tribunal avait jugé irrecevable la demande de l'Association
Agence française de lutte contre le SIDA pour défaut d'intérêt et de qualité à agir. La solution s'accordait
difficilement avec l'attitude du tribunal sur l'intervention volontaire de l'association Aides fédération nationale.
L'intervention de ~tte dernière association est jugée recevable et son préjudice réparé parce qu'elle défend les
intérêts collectifs des malades du SIDA. Cet argument de défense des intérêts collectifs aurait nonnalement pu
conduire à recevoir également la demande de la première association. Mais ce n'est pas ce que le tribunal a
pensé. Le tribunal avait-il tenu compte, sans le dire, de la différence dans les montants des demandes des deux
associations? L'association Agence française de lutte contre le SIDA demandait un million de francs à titre de
dommages et intérêts, alors que l'association Aide fédération nationale demandait un franc à titre de dommages
et intérêts.
87
Même si cette admission peut paraître discutable, on ne peut sérieusement la critiquer puisque la
reconnaissance de la réalité d'un préjudice relève du pouvoir souverain dujuge du fond.
21

générateur et le préjudice. L'abandon de ce fondement pour celui de la dignité traduisait un
certain parti pris de se fonder sur un droit subjectif préexistant à l'atteinte allégué, terrain sans
doute plus significatif ou plus fécond. En reniant les règles de la responsabilité civile
délictuelle de l'article 1382 du Code civil fondées sur le devoir de ne pas nuire à autrui, au
profit du droit à la dignité88, le juge a tranché en faveur de la catégorie «droit» la
confrontation théorique sous-jacente entre les « droits» et les « devoirs ». La gêne c'est que la
solution a conduit à un insolite panachage entre les règles du contentieux objectif et celles du
contentieux subjectif en imposant au passage, pour l'appréciation de la qualité pour agir, une
solution aux conséquences imprévisibles.
On peut en revanche prévoir à court terme un affaiblissement de la notion de dignité si
on persiste dans la perspective ouverte. En premier lieu, en tant que prérogative juridique, la
dignité entrera en conflit avec d'autres prérogatives juridiques. Les arrêts dits de « lancer de
nain»89 sont caractéristiques de cette confrontation. Un
nain a consenti à se livrer à un
spectacle où il est lancé, sur une courte distance, par des spectateurs. Il tire de la participation
à ce spectacle des revenus qui lui permettent de vivre et de s'insérer dans la société. Mais
dans l'exercice de leurs pouvoirs de police municipale, certains maires interdisent le
spectacle. Sur recours pour excès de pouvoir exercé par les promoteurs du spectacle et le nain
9o
lui-même, le Tribunal administratif de Versailles annule les interdictions • Sur recours, le
Conseil d'Etat infirme le jugement. Le motif principal de l'arrêt est intéressant: « L'attraction
de « lancer de nain» qui consiste à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser
comme projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée comme telle ;...
par son objet même, ce spectacle
porte atteinte à la dignité de la personne humaine». Le
88 La prédisposition au recours à la dignité peut également se voir dans l'analyse qu'on a faite d'un arrêt de la
Cour de cassation portant sur la réparation du préjudice. La Cour a jugé que la victime d'un accident de la
circulation qui l'a réduite à l'état végétatif conserve le droit d'être indemnisée de tous les chefs de préjudice
(Cass. Civ. 2é, 22 février 1995, D. 1996, II, 69, note Y. Chartier). La doctrine n'a pas hésité à y voir une
application du respect de la dignité, partagée également par les hommes quel que soit leur état (E. MATHIEU,
La dignité de la personne humaine, quel droit? quel titulaire op cit., p. 284). L'explication n'est certes pas
philosophiquement contestable et est même, humainement parlant, très émouvant. Mais d'un point de vue
juridique, la solution donnée par la Cour de cassation se justifie plus simplement par le recours à la notion de
sujet de droit88• Eri effet, même réduit à l'état végétatif: la victime d'un accident ne perd pas sa personnalité
juridique; elle demeure donc un sujet de droit. C'est à ce titre qu'elle peut être demandeur en réparation et
bénéficier de la réparation de tous les chefs de préjudice que prévoit la loi. Le recours à la dignité n'est donc
qu'une explication au second degré, celui des fondements de l'ordre juridique. L'ordre juridique s'y est
incontestablement fondé pour admettre que la personnalité juridique ne disparaît au plus tôt qu'avec la mort. La
personnalité juridique peut exceptionnellement se prolonger au-delà de la mort (voir Jean Carbonnier, Droit
civil, Les personnes PUF, 1995, 30)
89 C.E., 27 <>çtobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, D. 1995, IR, p. 257;
Ville d'Aix-en-Provence, RFD.
Adm, 1995, p. 1204; Conc!. Frydman; D. 1996,jur. P. 177, note Lebreton;
90 T. Adm. Versailles, 25 février 1992, AJOA, 1992, p. 525, note Ch. Vimbert.
22

Conseil d'Etat affirme au passage que « le respect de la dignité de la personne humaine est
une des composantes de l'ordre public; que l'autorité investie du pouvoir de police peut,
même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une atteinte au respect de
la dignité de la personne humaine ».
Au soutien de leur prétention, les sociétés promotrices du spectacle invoquaient la
liberté du commerce et de l'industrie, liberté à valeur constitutionnelle. Une autre liberté à
valeur constitutionnelle, la
liberté du travail, était en cause dans l'espèce. En effet, le nain
percevait le spectacle comme une activité dont il tirait des revenus. L'interdiction décidée le
mettait dans l'impossibilité de continuer cette activité.
Le Conseil d'Etat a fait triompher le principe de dignité sur toutes ces libertés.
Ces solutions d'espèces où on voit triompher le principe de dignité peuvent rassurer,
malS elles ne doivent nullement faire oublier le travail judiciaire préalable qui consiste, en
pareille circonstance, à arbitrer entre les droits ou libertés en présence. Le principe de dignité
que le Commissaire du Gouvernement présente bien comme un « principe absolu» 91 sera
parfois vaincu même si le résultat présenté ne le laisse pas toujours apparaître. En effet, dans
les hypothèses où le juge doit faire triompher un autre droit, l'échappatoire consiste à ne pas
admettre que le problème se pose en termes de dignité. Ille fera d'autant plus facilement que
dans le concret la reconnaissance d'une atteinte à la dignité, et quoi qu'en pense le
Commissaire du Gouvernement FRYDMAN, passe nécessairement par des appréciations
subjectives, par nature imprévisibles. On peut en juger à partir d'un rapprochement entre les
décisions rendues dans les affaires Benetton et du lancer de nain. Dans la première affaire, le
juge caractérise l'atteinte à la dignité en mettant en avant le risque d'exclusion sociale des
malades du SIDA; dans la seconde affaire, le nain soutient que l'activité interdite lui permet
de s'insérer dans la société. Pour la première fois, il s'était senti intégré dans la société parce
qu'il avait une activité qui lui permettait d'être reconnu par les autres. Ainsi donc, selon lui,
c'est la mesure d'interdiction du spectacle qui favorisait son exclusion sociale. Autrement dit,
c'est l'interdiction qui portait atteinte à sa dignité.
91 Conclusion Frydman publiées sous C.E., 27 octobre 1995, RFD. adm 1995, p. 1204. Voir aussi N. LENOIR,
Bioéthique, Constitutions et droits de l'hommes, Diogène prée., p. 26 et s.

L'argumentation que développe le Commissaire du Gouvernement pour faire échec
aux prétentions du nain est intéressante: « le respect de la dignité de la personne humaine,
concept absolu s'il en est, ne saurait. .. s'accommoder de quelques concessions en fonction des
appréciations subjectives que chacun peut porter à son sujet... ». Il est suivi par le juge; mais
c'est moins parce qu'il y aurait une méthode d'appréciation objective de la dignité que parce
92
que son appréciation personnelle a coïncidé avec celle du Commissaire du Gouvernement •
Ce jeu assez trouble du principe de la dignité rappelle le débat sur l'euthanasie, où les
partisans et les adversaires de l'aide à la mort rapide se fondent sur la dignité humaine.
Ces appréciations très diverses de la dignité créent le sentiment qu'on n'est pas en
présence d'un principe intangible qui s'impose à tous, et qu'au contraire le contenu de la
dignité dépend de l'opinion que chacun s'en faië3. Et lorsqu'on décide de faire rentrer la
dignité dans les « joutes» quotidiennes, on multiplie les occasions de manifester la diversité
d'opinions à son sujet, ce qui finit par créer le sentiment que la dignité est pire qu'un standard
94
juridique et qu'elle est prête à justifier une solution tout autant que son contraire . La
perspective qui s'ouvre dans ces conditions est celle d'une grande insécurité juridique sur le
fondement d'une notion qui se veut pourtant protectrice95 . C'est pourquoi il faut penser que
loin de donner une force juridique à la dignité, son entrée dans les joutes quotidiennes la
dilue96 singulièrement et l'expose à la dégradation97 par excès de banalisation.
Par ailleurs, la seule idée de concilier la dignité avec un autre principe est choquante.
La notion d'intangibilité exclut normalement toute idée de conciliation, puisque concilier
92 On pourrait rapprocher également ces affaires d'une décision de la Commission européenne des droits de
l'homme qui s'est refusée à considérer que le maintien dans des conditions de précarité et de pauvreté constitue
un traitement inhumain et dégradant au sens de la Convention européenne, RUDH, 1990, p. 349.
93 Sur ce que le travail d'interprétation rend le principe relatif: voir B. MATHIEU op. cit. p. 285. Sans doute, les
appréciations subjectives ne peuvent être absolument évitées en droit. Si l'on considère en particulier une notion
comme J'ordre public qui était en cause dans J'affaire du spectacle de Jancer de nain, on voit bien qu'au moins
dans sa composante qu'est la moralité publique, elle donne lieu à une appréciation subjective. Interdire par
exemple un spectacle immoral dépendra bien souvent de la plus ou moins grande tolérance de celui qui apprécie.
Cependant, si un spectacle est interdit dans une localité et autorisé dans une autre, ou diversement traité dans une
même localité à des périodes différentes, on le comprend bien. La notion de moralité publique qui justifie
l'interdiction est contingente. Mais une telle variation conviendrait assez mal à la dignité compte tenu de son
caractère d'intangibilité
94 A cet égard, on a comparé la dignité à « une auberge espagnole où chacun trouve ce qu'il y apporte» (F.
BORELLA, Le concept de dignité de la personne humaine op. cit. p. 37.
95 Sur cette insécurité, voir Lebreton, note op. cit. J. P. THERON op cit. p.304.
96 Pour cette dilution, voir B. MATHIEU op. cit., p. 285
97 V.Cl. NEIRlNCK op. cit. p.49.
24

c'est, dans une certaine mesure, négocier, déroger98, assouplir, réduire. Comment concevoir
par exemple que telle atteinte à la dignité doit être tolérée parce qu'elle se justifie par le souci
de laisser s'exprimer également le droit de propriété? La dignité ne peut être réduite99 ; on
doit la respecter ou ne pas la respecter.
Un dernier inconvénient sera évoqué en particulier en ce qui concerne l'insertion de la
dignité parmi les composantes de l'ordre public, à côté de la tranquillité, de la sécurité et de la
moralité publiques. Cette insertion posait problème, parce que le Conseil d'Etat avait indiqué
que même en l'absence de circonstances locales particulières, l'autorité investie du pouvoir de
police pouvait interdire le spectacle. Au juste, que la dignité soit appréciée sans référence aux
circonstances locales, n'a vraiment rien d'anormal; c'est le contraire qui aurait pu être
choquant, la personne humaine étant la même partout. C'est la rupture introduite dans la
jurisprudence sur l'appréciation du trouble à l'ordre public qui était préoccupante. On savait
jusque là que dans l'exercice de leur pouvoirs de police, les maires ne pouvaient édicter des
interdictions qu'en invoquant des circonstances locales100. En affranchissant ces autorités de
l'obligation de caractériser le trouble local, le Conseil d'Etat leur donnait la possibilité
d'utiliser leurs pouvoirs non pas pour faire respecter la moralité publique, mais pour imposer
leur propres conceptions morales. D'où le soupçon d'un retour à l'ordre moral qui n'a pas
tardé à se manifester 10 1.
Sans doute faudrait-il se rendre compte que si l'incorporation de la dignité parmi les
composantes de l'ordre public pose des problèmes, c'est parce qu'on tente de mettre sur un
même plan des éléments qui relèvent normalement de plans différents 102. Comme d'autres
98 Dans ce sens, A. M. Le POURHIET, Le Conseil constitutionnel et l'Ethique bio-médicale op. cit., pp. 216 et
221.
99 M. DELMAS-MARTY parle d' "irréductible humain" in Vers un droit commun de l'humanité, Editions
Textuel, 1996, p. 74 et J. RIVERO de « minimum incompressible », in L'entreprise et les libertés publiques, Dr.
soc., p. 423. Avant ces auteurs, E. KANTa parlé d' « impératif catégorique ».
\\00 C.E, 7 juin 1902, Cne de Neris-les Bains, S. 1902, 3,jur. 81, note Hauriau ; 19 mai 1993, Benjamin, S., 1934,
3, jur., p. 1, note Mestre.
10\\ G. Lebreton, note au Dalloz 1996, p. 180.
102 V. J. P. THERON, Dignité et liberté op. cit., p. 298. De telles difficultés se sont présentées en Allemagne
avec la Constitution du 23 mai 1949. Le texte constitutionnel affirme que « la dignité de la personne est
intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la respecter et de la protéger », et prévoit plus loin que
« chacun a le droit à la vie et l'intégrité physique» (Article 2 alinéa 1). Le dispositif a été mis à rude épreuve à
l'occasion du recours en inconstitutionnalité intenté contre une loi du 27 juillet 1992 rendant non punissable
toute interruption de grossesse pratiquée dans les douze premières semaines, pourvu que la femme enceinte ait
consulté au préalable des experts médicaux et sociaux. Si la Cour constitutionnelle invalide un certain nombre de
dispositions de la loi et leur substitue même d'autres, elle ne remet pas en cause le principe de l'avortement pour
des raisons non médicales. Il est très significatif quc ce faisant la Cour ait choisi de fonder sa solution sur
l'article premier alinéa 1 de la Constitution prévoyant l'intangibilité de la dignité, et non sur l'article 2 alinéa 2

inconvénients soulignés ce « dysfonctionnement» montre combien il est risqué de manier le
principe de dignité comme un argument juridique103• Sa vocation est celle d'un principe
fondateur lo4• En cette qualité, la dignité fonde
des politiques publiques et solutions
juridiques. Dans cette dernière rubrique on peut évoquer la fonction du concept de dignité en
droit communautaire européen lO5• La dignité y a fondé, entre autres, la promotion des actions
positives en faveur des femmes I06, de la lutte contre le harcèlement sexuel au travail 107, des
mesures visant à promouvoir l'intégration des personnes âgées, « étant donné que tout homme
quel que soit son âge a droit à la reconnaissance de sa dignité »108. On peut aussi citer le
régime exceptionnel du crime contre l'humanité. Constituant l'essence même de l'atteinte à la
dignité humaine, cette infraction est déclarée imprescriptible par la loi 109• L'imprescriptibilité
est l'élément particulier que la dignité imprime au régime de l'infraction.
Tentons à présent de voir comment on peut utilement fonder les droits fondamentaux
sur la dignité.
B. La dignité comme justificatif d'un régime spécifique des droits fondamentaux
On peut observer qu'il y a une concomitance certaine dans l'évolution des notions de
dignité et de droits fondamentaux, tant en ce qui concerne leur apparition en droit
prévoyant le droit à la vie et à l'intégrité physique. Sans doute aurait-il paru contradictoire que la Cour
constitutionnelle fonde sur le droit à la vie et à l'intégrité physique une solution qui, au fond, légitime
l'avortement pour des raisons non médicales, alors qu'il est acquis en science que le fœtus vit (Cour
constitutionnelle fédérale, 28 mai 1993, BverfG. E.. tome 88, p. 203). Mais en préférant fonder sur l'intangibilité
de la dignité hwnaine les restrictions qu'elle apportait aux possibilités d'avorter, la Cour constitutionnelle ne
rendait pas vraiment service à ce principe. Car quel est finalement le sens de l'intangibilité de la dignité humaine
si la vie du fœtus peut être supprimée? Comment finalement la dignité va-t-elle légitimer les atteintes à la
personne hwnaine que le droit à la vie ou à l'intégrité physique ne peut tolérer?
103 Sur la dérive des fonctions de la dignité, voir V. SAINT-JAMES op. cil., p. 64.
104 Sur le statut de principe fondateur de la dignité, voir J. 1. ISRAEL, Droit des libertés fondamentales, LGDJ,
1998, p. 335 et s.
lOS Sur l'ensemble de la question, voir S. RETTERER, Le concept de la dignité en droit communautaire: du droit
positif au droit prospectif, in Mélanges Ch. BOLZE op. cil. pp. 87 et s.
106 Voir Recommandation du Conseil du 13 décembre 1984 relative la promotion des actions positives en faveur
des femmes (lOCE L. 331 du 19 déc. 1984).
107 Recommandation de la Commission du 27 novembre 1991 sur la protection de la dignité des femmes et des
hommes au travail (lOCE L. 49 du 24 fév. 1992), suivie par une déclaration du Conseil du 19 décembre 1991
concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission sur la protection de la dignité des femmes
et des hommes au travail, y compris le code de pratiques visant à combattre le harcèlement sexuel (lOCE C. 27
du 4 fév. 1992).
108 Déclaration du Conseil du 6 décembre 1993, JOCE C. 343 du 21 déc. 1993
109 Voir la loi française nO 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes
contre l'hwnanité.
26

international, que leur mise en vlliIeuse et leur « réapproriation )) par le droit interne! 10, La
dignité apparaît dans cette évolution à la fois comme la justification et « la pierre philosophale
des droits fondamentaux, la substance qui possède la propriété merveilleuse de faire naître des
droits fondamentaux, de leur donner un sens, de les métamorphoser; il [le principe de dignité]
est le principe de l'intelligibilité des droits fondamentaux ))111. Il s'agit de souligner ce lien en
construisant le régime
des droits fondamentaux à partir de la notion de dignité. Plus
concrètement, le régime des droits fondamentaux doit traduire les exigences de la notion
philosophique de dignité. Pour ce faire, il faudrait garder à l'esprit les idées par lesquelles les
philosophes conceptualisent la notion de dignité, A la suite de KANT, Jean LACROIX
conceptualise la dignité par la référence à la fin, par opposition au moyen; par la référence à
la valeur, par opposition au prix. La dignité est au-dessus de tout prix, elle a une valeur; une
chose a un prix parce qu'elle peut être remplacée par une autre équivalente Il2 . Le concept de
dignité véhicule
ainsi un idéal d'absolutisme que traduit fidèlement la notion d'intangibilité
qui n'est certes pas inconnue des juristes. Construire, à partir de la notion philosophique de
dignité, un régime juridique prévalent pour les droits fondamentaux c'est, au-delà de la
solution traditionnelle qui consiste à les placer au sommet de la hiérarchie des norrnes l13 ,
mettre au service des droits fondamentaux des institutions juridiques qui garantissent leur
prévalence 114.
Cette prévalence doit se monter tant au fond du droit que dans la procédure. Au fond
du droit tout d'abord, il s'agirait d'appliquer la sanction maximale à tout comportement qui
est attentatoire à un droit fondamental. Plus précisément, et en droit du travail, il est question
de frapper de nullité suivie de remise en état tous les actes juridiques attentatoires aux droits
l15
fondamentaux
. II est aussi question, au moyen de la notion d'indisponibilité, de soustraire à
110 Les deux notions apparaissent au lendemain de la seconde guerre mondiale dans les textes des Nations Unies.
Elles sont toutes les dew<: mises presque entre parenthèse en droit interne français et camerounais, jusqu'à très
récemment où elles émergent ensemble notamment en droit français.
III D. ROUSSEAU, La liberté individuelle et la dignité op. cit., p. 69.
112 1. LACROIX, Le Social d'Auguste COMTE, cité par le Dictionnaire philosophique de A. LALANDE.
113 Solution sur laquelle nous n'insisterons pas, pour la simple raison qu'elle se passe de toute discussion.
114 La prévalence des droits fondamentaux doit aussi être garantie par le recours à la sanction pénale chaque fois
qu'une atteinte
est portée à un droit fondamental. On sait bien que l'ordre juridique protège les valeurs
essentielles de la société par le biais de l'incrimination des comportements qui leur sont attentatoires, et même
par la gradation dans les sanctions applicables. Mais nous ne développerons pas cet aspect plutôt traditionnel
dans le cadre de ce chapitre que nous voulons bref.
115 Dans une certaine mesure, en droit franç.ais, J'exercice consiste simplement à donner des précisions sur le
domaine et les conséquences de la nullité.
27

toute possibilité de renonciation les droits fondamentaux 116. N'est-il pas révoltant, par
exemple, que malgré le caractère alimentaire du salaire on admette que le salarié puisse y
renoncer ?117.
Sur le terrain procédural, il s'agit de rechercher par les voies optimales la sanction des
atteintes aux droits fondamentaux. Cet objectif peut être atteint en faisant cesser par la voie
d'urgence toutes les atteintes aux droits fondamentaux. La rapidité d'une procédure comme le
référé semble en tout cas convenir à la nécessité de rétablir d'urgence le « règne du droit»
menacé par l'atteinte à un droit fondamental. L'atteinte à un droit fondamental serait, pour
ainsi dire, une voie de fait, au sens simple de sortie de la voie du droit. Comment
ne pas
admettre que dans ces conditions il y ait aussi à faciliter la preuve de la violation en instituant
au besoin une présomption à partir de certains indices?
Le droit du travail montre à la fois les difficultés et les perspectives d'un régime
spécifique des droits fondamentaux.
SECTION II. LES DROITS FONDAMENTAUX ET LE DROIT DU TRAVAIL
La recherche d'un régime spécifique des droits fondamentaux à partir du droit du
travail est à la fois difficile et stimulante. En raison du lien de subordination, l'ampleur des
menaces aux droits qu'on peut considérer comme fondamentaux est grande. Or, le lien de
subordination est, dans le contrat de travail, une donnée qu'on ne peut esquiver. Il faudrait
donc insister sur les particularités de la relation de travail (PARAGRAPHE II) après un bref
aperçu du contexte de l'étude (PARAGRAPHE 1)
PARAGRAPHE 1: LE CONTEXTE DE L'ETUDE
Il ne semble pas sans intérêt d'évoquer très rapidement le débat qu'il y a eu en
doctrine, comme- dans tous les milieux du travail, sur la flexibilité du droit du travail. Ce débat
116 Les droits fondamentaux entretiennent des rapports particuliers avec la volonté individuelle et donc avec la
liberté. S'ils n'évincent pas le pouvoir de la volonté individuelle, au moins ils lui assignent un sens. Cette
considération les situe dans une optique qui ne coïncide pas trait pour trait avec la définition des droits subjectifs
en tant que manifestation éminente du pouvoir de la liberté du sujet de droit (voir H. COING, Signification de la
notion de droit subjectif: Archives de philosophie du droit, 1964, p. 9).
117 A. JEAMMAUD soulignait que l'article L.144-1 du Code du travail français n'a nullement pour sens de
prohiber la renonciation au salaire (Cf La renonciation du salarié, D. O. 1997, 541).
28

s'articule autour de deux propositions contraires. Certaines analyses ont en effet désigné les
" contraintes ,,118 du droit du travail comme responsables des difficultés actuelles des
entreprises. La suppression ou tout au moins la réduction de ces contraintes, soutient-on,
conduirait à coup sûr à la relance de l'économie, et plus loin au plein emploi l19. En face, on
soutient que la crise qui perdure traduit simplement la faillite des politiques de gestion des
entreprises, et, plus profondément, la faillite du capitalisme tourné vers la recherche du profit
à tout prix. Il faudrait donc renforcer les mesures de protection des salariés, sans quoi le
patronat leur ferait supporter les conséquences de ses erreurs de gestionl20. Ce débat a eu des
échos aussi bien en droit interne qu'en droit international du travail. Il importe de présenter
séparément les échos en droit interne (A) et en droit international du travail (B).
A. Les droits internes camerounais et français
Aussi bien au Cameroun qu'en France, le législateur semble s'être laissé séduire par la
thèse de la flexibilité. 12l Si l'on tente un bilan des opérations de « flexibilisation »122, on doit
reconnaître qu'il est en défaveur des salariés. La vulnérabilité s'est développée de leur côté.
Personne n'avait du reste soutenu fermement que, simultanément, les opérations de
« flexibilisation» arrangeraient les employeurs et les salariés. Et, sans doute, est-il tôt pour
chercher à savoir si le plein emploi promis par les partisans de la flexibilité aura lieu. Mais
l'ampleur de la dégradation de la condition des travailleurs peut par moments inquiéter.
Dans ce contexte, on a émis l'hypothèse que la défense des droits fondamentaux serait
le dernier rempart contre la dégradation progressive et accélérée de la condition des
118 C'est une métaphore utilisée pour désigner une protection excessive des salariés.
119 On peut avoir un écho de cette thèse dans un article de B. TEYSSIE publié récemment au JCP sous un titre
bien évocateur: " Propos iconoclastes sur le droit du licenciement pour motif économique ", Ed. G, 1996, 3902
120 Pour un écho de cette analyse, voir TIENNOT GRUMBACH, La notification collective d'une modification
et le rôle des institutions représentatives, D. O. 1996 ,72. L'auteur cite le cas de la société BULL qui, en raison
de très mauvais choix de gestion, a successivement enregistré de lourdes pertes d'investissements et d'emplois.
121 Au Cameroun, on peut voir les premières réponses à l'appel à la flexibilité dans le nouveau Code du travail.
Entre autres, il introduit de nouvelles fonnules d'embauche (article 25 al. 4) et renvoie à la négociation collective
la fixation des salaires et catégories professionnelles (article 62 al. 2)
En France, le dispositif de « tlexibilisation »du droit du travail s'est mis en œuvre depuis 1982, et ne semble pas
avoir épuisé ses possibilités.
122 Ce néologisme est devenu courant dans la doctrine travailliste, et désigne le fait de rendre ;es règles flexibles.
29

travailleurs. Car, plus" souple ", plus incertaine, devient la situation contractuelle du salarié,
123
plus ferme doit être son statut d'homme et plus ferme la garantie de ses libertés essentielles

Bien entendu, on ne peut pas dire que les droits dits fondamentaux jouent toujours ce
rôle aujourd'hui. On peut à cet égard observer qu'au Cameroun, la notion de droit
fondamental est utilisée une seule fois par le législateur, à l'article 2 du Code du travail. Il
dispose, en de termes péremptoires, que « le droit au travail est reconnu à chaque citoyen
comme un droit fondamental». Mais le législateur n'a pas fait suivre de conséquences cette
affirmation. Bien au contraire, le nouveau Code du travail est en général très défavorable à la
garantie de l'emploi; on peut donc dire qu'il milite plutôt contre la liberté du travail, tout au
moins dans la face positive de celle-ci I24• Certes, même sans les qualifier de fondamentaux, le
législateur a tenté d'aménager un régime plus fort pour certains droits, ne serait-ce qu'en les
constitutionnalisant 125. Mais le régime reste largement insatisfaisant et surtout incohérent 126.
La liberté syndicale et son corollaire le droit de grève sont à mi-chemin entre l'interdiction et
l'autorisation, et plus vers la première que vers la seconde. C'est sans doute ce qui a contraint
les salariés à une rare passivité sur les plans aussi bien collectif qu'individuel. La négociation
collective est ici un leurre, pour des partenaires sociaux qu'on pourrait dire encore sous la
« tutelle» des pouvoirs publics. Si des efforts ont été faits par le législateur pour assurer la
protection des délégués du personnel, les juridictions ne viennent que très récemment de
comprendre le sens des textes, sans qu'on soit même sûr qu'elles maintiendront la nouvelle
position 127.
123 J. M. VERDIER op. cit., 428
124 La liberté de travail a deux fuces : une face négative et une fuce positive. Dans sa face négative, la liberté de
travail est une liberté de ne pas travailler; dans sa face positive, elle est la liberté de travailler concrètement et
suppose donc des possibilités juridiques et matérielles de trouver un emploi ou de continuer à travailler si on a
déjà un emploi. Les dispositions sur le licenciement entretiennent donc un rapport certain avec la liberté de
travail.
125 Ainsi par exemple du droit de grève ou de la liberté syndicale prévus par le préambule de la Constitution.
126 Le licenciement attentatoire à la liberté syndicale par exemple est écartelé entre deux sanctions: la nullité
prévue par l'article 4 alinéa 3 du Code du travail et l'article 39 alinéas 1 et 4 du même code.
127 L'article 130 du nouveau Code du travail, qui reprend l'article 137 de l'ancien code, dispose que le
licenciement du délégué du personnel sans autorisation de l'inspecteur du travail est nul et de nul effet Mais les
juridictions voyaient dans un tel licenciement une rupture simplement abusive sanctionnée de dommages-intérêts
(CS, nO II/S du 20 novembre 1980; n067/S du 29 avril 1982; nO 41/S du 9 décembre 1982 ; nO 23/S du 10
décembre 1987 inédits).Récemment, la Haute juridiction a censuré une Cour d'appel qui avait alloué des
dommages-intérêts à un délégué du personnel licencié sans autorisation. Le licenciement étant nul et de nul effet,
dit la Cour, ne peut produire aucun effet juridique (CS, nO 38/S du 28 juin 1990 CAMAIR d TIEPMA Jean
Calvin inédit). Mais toutes les juridictions du fond ne se sont pas encore alignées sur cette position. Voir Cour
d'appel de Douala, arrêt nO 297/S du 24 août 1994, affaire Batibois d Mategi Martin, inédit (licenciement jugé
abusif). Un arrêt de la même
Cour
fuit même une confusion entre la condition préalable d'autorisation,
fonnalité substantielle, et la fonnalité de notification de motif du licenciement dont l'article 39 alinéa 5 du code
du travail sanctionne la méconnaissance de dommages-intérêt d'un montant n'excédant pas un mois de salaire
30

La sécurité physique des salariés bénéficie d'une réglementation relativement détaillée
se réclamant expressément d'inspiration de l'Organisation Internationale du Travail et
.
1
l '
.
1128 M .
dr
d'autres organismes techniques reconnus sur e pan mternatIona
.
aIS peut-on pren e
cette sorte de « déclaration de filiation» comme un gage de pertinence, lorsqu'on sait par
exemple que le Cameroun n'a pas cru devoir ratifier la Convention nO 155 de l'OIT sur le
droit de retrait qui est au centre du dispositif de sécurité prévu par cette institution?
L'une des difficultés ici, c'est déjà de démêler les droits qu'on peut considérer comme
fondamentaux des autres droits des salariés. Un seul exemple: si l'on met à part sa garantie
constitutionnelle du reste fort limitée dans sa portée 129, il faut dire que le droit de grève est
affirmé sur le même ton que le droit de se faire délivrer un certificat de travail !
En France, s'il faut reconnaître que le législateur social est vraiment prolixe et assez
soucieux des droits fondamentaux, il faut aussi dire qu"il ne couvre pas tout le champ des
préoccupations. Ici également, on découvre sans peine que les droits fondamentaux n'ont pas
été" théorisés". D'où un régime de protection par endroits hésitant. Le droit à l'intégrité
physique du salarié permet bien d'illustrer l'imperfection de la garantie offerte par le
(arrêt nO 76/S su 03 décembre 1993, affaire Société Saproc d Hessing Daniel, inédit, alors qu'un jugement du
TGI de la même ville jugeait purement et simplement légitime le licenciement d'un délégué du personnel
prononcé malgré le défaut d'autorisation de l'inspecteur du travail (n° 192 du 27 janvier 1986, affaire Bomboa
Essaie cl Boulangerie Pâtisserie Bamboutos, inédit. L'absence d'autorisation de l'inspecteur du travail qui était
invoquée interdisait normalement le juge de vérifier le bien fondé des arguments de l'employeur).
128 L'article 95 du Code du travail dispose: « Les conditions d'hygiène et de sécurité sur le lieu du travail sont
définies par arrêtés du Ministre chargé du travail, pris après avis de la Commission Nationale de Santé et de
Sécurité au Travail.
Ces arrêtés tendent à assurer aux travailleurs, tout en prenant en considération les conditions et contingences
locales, des normes d'hygiène et de sécurité conformes à celles recommandées par l'Organisation Internationale
du Travail et d'autres organismes techniques reconnus sur le plan international ».
129 La place du droit de grève dans la Constitution n'a d'intérêt qu'au regard de l'impossibilité théorique, pour le
législateur et le gouvernement, d'y porter atteinte. Sur le plan pratique, cette garantie est fort limitée, parce que
la Constitution n'organise aucun contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois (Voir A. KONTCHOU
KOUEMEGNI, Vers un nouveau modèle de contrôle de la constitutionnalité des lois au Cameroun, in Les Cours
suprêmes en Afrique, sous la dir. G. CONAC, Economica, 1989, t. II, p. 44), et le contrôle a priori est réservé au
Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l'Assemblée nationale, à un tiers des
sénateurs ou des députés (articles 18 alinéa 3 et 23 alinéa 3 de la Constitution). Le Conseil constitutionnel
compétent en la matière et, avant lui, la Cour suprême, n'ont jamais été saisis pour assurer le contrôle a priori de
la constitutionnalité d'un texte. La doctrine dominante soutient qu'il ne résulte pas de l'attribution à un organe de
la compétence pour déclencher la procédure de contrôle que les citoyens ne peuvent pas faire procéder au
contrôle par la voie d'exception (M. KAMTO et P. G. POUGOUE, Commentaire de la loi nO 89/018 du 28juiIlet
1989 portant modification de la loi nO 75/16 du 8 décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement de la
cour suprême, Juridis-Info nO 1, p. 8 ; A. D. OLINGA, L'aménagement des droits et libertés dans la constitution
camerounaise révisée op cit. p. 125 ; plus réservé, 1. CI. TCHEUWA op. cit. p. JO 1). Mais il ne sem ble pas que
cette voie ait déjà été tentée avec succès. Pour l'échec de la tentative, on lira en particulier l'affaire Société des
.Grands Travaux et l'Est d Etat du Cameroun, CFJ, n° 4 du 28 octobre 1970, Recueil Mbouyom, tome 1, p. 118.
31

législateur. Compte tenu de la place de l'intégrité physique dans la hiérarchie des valeurs et
nonnes, et du rôle que le législateur donne au salarié dans la protection de son intégrité
physique, on pouvait légitimement s'attendre à ce que le législateur indique qu'est nul le
licenciement d'un salarié qui s'est retiré d'une situation de travail dont il avait un motif
raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
Ce n'est pas le cas ; et les juridictions décident qu'un tel licenciement est dépourvu de cause
.
.
1
. d
. . 130
réelle et sérieuse, ce qui emporte une sanctIOn sunp ement ID ernrutarre
.
De façon générale, on peut dire que le domaine des nullités est encore en-deçà de ses
potentialités. Il faudrait, en plus, souligner les fluctuations de la jurisprudence pas toujours
l31
favorable aux droits fondamentaux et, notamment au droit de grève

B. Le droit international du travail
Les conventions internationales sur les droits de l'homme intéressent les travailleurs et
peuvent donc à juste titre être évoquées ici. Mais! au moins parce qu'elles sont souvent
reprises par l'OIT dans le cadre des conventions internationales du travail, nous focaliserons
l'attention sur le travail de cette Organisation. Sur le terrain spécifique des droits
fondamentaux, elle a fait une œuvre impressionnante en adoptant plusieurs conventions 132 et
recommandations. Mais l'actualité à l'OIT est l'adoption, le 18 juin 1998, de la Déclaration
relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Le lien entre les principes et droits
fondamentaux au travail et la dignité est mis en évidence par l'annexe de la Déclaration qui en
souligne l'objectif. Il s'agit de promouvoir les principes et droits fondamentaux consacrés par
la Constitution de l'OIT ainsi que par la Déclaration de Philadelphie qui pose que « le travail
n'est pas une marchandise ». Si le travail n'est pas une marchandise, c'est bien parce qu'il est
effectué par l'homme qu'on ne saurait ravaler au rang de chose. La Déclaration a conduit
130 Paris, 27 mars 1987, Juris-Data n0028984; Riom, 24 octobre 1987, D. S. 1989, IV, 323. On peut certes relever
que les plaideurs ne demandent pas la nullité; mais c'est une preuve que ne s'est pas dégagé une théorie des
droits fondamentauX susceptible d'éclairer leur choix.
131 La technique la plus redoutable est le rétrécissement du champ de la grève, par une disqualification d'un
certain nombre de mouvements qui peuvent s'en réclamer. Gérard LYON-CAEN soulignait déjà que le fait de
laisser le juge définir la grève est une menace pour le droit de grève ( Le grand silence des travailleurs, Dr. soc.
1981,142).
132 Citons entre autres, la convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndicale, la convention sur
Je droit d'organisation et de négociation collective, la convention sur l'élimination de toute forme de travail
obligatoire, la convention concernant les représentants des travailleurs,
la convention sur l'égalité de
rémunération, la convention concernant la discrimination, la convention sur le droit de retrait.
32

133
l'OIT à traiter de la délicate question de la liste des droits fondamentaux
• On a pu observer
que la liste dressée par l'OIT est restreinte, parce qu'elle ne pouvait être que le résultat d'un
consensus au sein des Etats membres 134. On pourrait même être étOImé qu'aucune
préoccupation de sécurité physique, le noyau dur de la protection des travailleurs, ne
transparaisse de la liste. Au delà de la difficulté de parvenir à un consensus, certaines carences
pourraient s'expliquer donc par le déficit d'une réflexion d'ensemble sur les droits
fondamentaux. Certes, il serait naïf de penser qu'on pourrait parvenir à un parfait accord sur
une liste des droits fondamentaux. On pourrait au mieux s'entendre sur un noyau de droits;
laissant forcément des
incertitudes en périphérie. C'est dire qu'une liste de droits
fondamentaux comportera toujours une marge d'arbitraire 135.
On peut tout de même avoir au moins deux motifs de satisfaction à la lecture de la liste
de l'OIT. D'une part, il s'est agi, pour l'Organisation, de faire une liste de principes et droits
fondamentaux « au travail ». L'OIT reste ainsi fidèle à l'idée qu'elle s'est toujours faite, à
savoir que les droits fondamentaux consacrés sont les droits fondamentaux de l'homme
appliqués au travail 136.
C'est depuis 1944 qu'elle a clairement indiqué qu'elle ne pourrait
limiter ses préoccupations au travailleur en tant que protèssionnel, et que bien au contraire
elle s'intéresse à l'Homme au travail. C'est indiscutable qu'en acceptant la subordination à
autrui, le salarié n'abdique pas sa qualité d'homme!37 et est donc concerné par tout ce qui
touche l'homme. D'autre part, la liste des droits fondamentaux continue, comme par le passé.
à saisir les rapports de travail dans leurs dimensions à la fois individuelle et collective. La
reconnaissance effective du droit à la
négociation collective ou la liberté d'association
peuvent ainsi être présentées sur le même plan que le droit à la non discrimination ou la
liberté du travail. Ces deux dimensions des rapports de travail sont intimement liées, de sorte
qu'il serait dangereux de s'enfermer dans une conception des droits fondamentaux qui ignore
la dimension collective des rapports de travail. L'existence de cette double dimension est une
des particularités des relations de travail.
133
Il s'agit de: la 'Iiberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective,
l'élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l'abolition effective du travail des enfants,
l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession.
134 N. MINGANT, Le système de contrôle de l'OIT des droits fondamentaux des travailleurs, Mémoire de DEA,
Université Montesquieu-Bordeaux IV, 199811999, p. 15.
135 Au demeurant, on exagère l'importance théorique de la question de la liste des droits fondamentaux. La
question la plus importante semble être plutôt ceIle du régime des droits fondamentaux.
136 Voir N. VALTICOS, Droit international du travail, Dalloz, Paris, 2eme édition, 1983, p. 242
137 Ibid,
33

PARAGRAPHE II: LES PARTICULARITES DE LA RELATION DE TR.AVAIL
Les particularités de la relation de travail sont clairement annoncées par la difficulté
théorique de savoir quel est l'objet du contrat de travail 138. On a montré que l'obligation du
salarié ne peut se classer ni dans la catégorie des obligations de faire ou de ne pas faire. ni
dans celle des obligations de donner. Elle est au contraire
une obligation de praestare
ignorée par le Code civil 139. Le contrat de travail est le seul qui permet à une des parties
d'exercer sur l'autre un pouvoir. Le lien de subordination qui est consubstantiel au contrat de
travail rend en effet légitime le pouvoir de J'employeur sur le salarié. même s'il faut préciser
que le pouvoir ne s'exerce pas en théorie sur la personne même du salarié 140.
Ensuite, l"entreprise est le lieu d'un contlit d'intérêts plus ou moins ouvat entre les
différents protagonistes de la relation de travail. L'analyse juridique s'efforce d'identitier un
intérêt propre de rentreprise, qui serait ditlérent de tous les intérêts particuliers en
présence '41 . A un moment ou un autre, l'intérêt de l'entreprise entrera en conflit avec
l'exercice d'un droit fondamental individuel. Il est particulièrement frappant qu'une liberté
comme celle d'être homosexuel. qu'on peut situer dans Je domaine de J'état et donc une
prérogative qu'on croit par essence inoffensi\\'e, puisse être limitée par l'intérêt de J'entreprise.
au moins lorsqu'on peut établir qu"elle a causé un trouble caractérisé dans rentrepriseI4~.
C'est dire qu'il n'y a que la liberté des comic!Ïons sans aucune manifestation extérieure. qui
138 Voir M. FAVRE-MAGNAN. Le contrat de travail défini par son objet in Le travail en perspective, sous la
dir. A. SUPIOT. LGDJ, 1998. p. la\\.
139 Ibid. p. 103 et s.
140 Le départ entre ce qui relève de la personne et ce qui relève de "activité du salarié est parfois très difficile.
L'observation la plus banale est que c'est avec son corps que le salarié exécute le travail.
141 Voir G. COUTURIER, L'intérêt de l'entreprise, écrits en l'honneur de Jean SA VATIER op. cit.. p. J 43.
14" De ce point de vue, la distinction faite dans l'affaire du sacristain licencié pour son homosexualité (Soc. 17
avril 1991, Dr. soc .. 1991, p. 489) entre l'état d'homosexualité et le l:omportement de l'homosexuel est bien
trompeuse. La Cour de cassation censure la Cour d'appel de s'être bornée, pour juger que le licenciement avait
une cause réelle et sérieuse, à mettre en cause les mœurs du salarié. sans constater d'agissements de ce dernier
ayant créé un trouble caractérisé au sein de I·association. En d'autres termes, l'état en lui-même ne saurait
entraîner la réaction de l'employeur: il faudrai! s'intéresser aux agissements du salarié. Or. la liberté d'avoir un
état n'implique-t-elle pas celle de l'afficher au besoin ': (La Cour de cassation parle plus précisément non pas
d'état, mais de mœurs, ce qui implique bien entendu une certaine conduite). Si la Cour d'appel avait par exemple
relevé que le sacristain avait déclaré son homosexualité même dans les médias, la Cour de cassation n'aurait sans
doute pas cassé la décision. C'est dire que la que~tion décisive paraît être celle du trouble causé dans J'entreprise.
34

est indiscutable et absolument hors d'une logique de conciliation. Mais en même temps que ce
type de liberté soit hors de toute atteinte, elle manque d'intérêt pratique d'un point de vue de
l'analyse, une liberté ne valant en fait que part les mesures qu'on peut concrètement prendre
contre ceux qui peuvent tenter de la remettre en cause. Ce qu'il faudrait donc retenir, c'est que
dans l'entreprise les droits fondamentaux sont aux prises avec des données à la fois de fait et
de droit qu'on ne peut ignorer.
Ces contraintes propres à la relation de travail conduisent à penser que les droits
fondamentaux devront enter dans le jeu de la conciliation avec d'autres intérêts 143.
Les
arbitrages qui en résultent sont loin d'être aisés. Et les difficultés arrivent parfois où on les
attend le moins. Nul n'avait par exemple pensé que le droit à la négociation collective, droit
de valeur constitutionnelle en France, connaîtrait le destin à la limite trouble qui est le sien
aujourd'hui. En effet, ce droit est au départ conçu comme moyen d'amélioration du minimum
garanti par la loi l44• Mais les employeurs n'ont pas résisté à la tentation de l'exploiter à des
fins contraires aux intérêts des salariés. En particulier, on y a recours aujourd 'hui pour baisser
le niveau de protection des salariés145.
L'erreur serait de s'arrêter à cette lecture pessimiste de la relation du travail.
En effet.
si la relation de travail présente les plus graves menaces de violation des droits fondamentalLx,
elle offre aussi le terrain le plus propice à l'observation et sans doute le plus fécond pour
l'imagination. C'est donc fort opportunément qu'on a lancé un manifeste pour que les droits
fondamentaux se développent dans l'entreprise 146. La situation d'homme subordonné
commande une vigilance particulière. En effet, pour que le salarié demeure un homme, il faut
que son aliénation ne soit pas totale. La dignité inhérente à tout homme est une exigence
intangible, que son titulaire lui-même ne peut abdiquer, fût-ce contre argent, car elle est
inhérente à la condition d'homme I47•
La nécessité de protéger l'irréductible part d' humanité dans la condition du salarié va
justifier l'émergence de la dimension collective des rapports de travail. On ne s'étonne donc
143 D'un point de vue intellectuel, il faut juger favorable que la nécessité de conciliation concerne les droits
fondamentaux et non la dignité, valeur intangible. C'est dire que les droits fondamentaux auront beau se fonder
sur la dignité, ils ne peuvent en représenter qu'une image relativement défonnée.
144 C'est en tout cas la philosophie du préambule de la Constitution française de 1946.
145 De là est née l'idée des négociations dérogatoires in pejus.
146 J. M. VERDIER, En guise de manifeste: le droit du travail terre d'élection pour les droits de l'homme, Ecrits
en l'honneur du professeur Jean SAVATIER, PUF 1992, 427.
147 V. J. RIVERO, Les libertés publiques dans l'entreprise, Dr. soc. 1982, 442
35

pas que les mutations qui affectent aujourd'hui la dimension collective des rapports de travail
soient au cœur de la question des droits fondamentaux des salariés.
Deux idées suffiront à résumer cette introduction: les droits fondamentaux ont pour
fondement la dignité; c'est pourquoi ils doivent avoir un régime plus fort à l'image de la
dignité qui exprime une valeur intangible. Autrement dit, les droits fondamentaux sont, en
droit, le moyen d'expression du principe philosophique de la
dignité. Il faudrait donc
rechercher une corrélation entre le régime des droits fondamentaux et le principe de dignité.
Ces propositions posent tout de même un délicat problème en ce qui concerne leur
présentation dans un schéma cohérent. Deux soucis nous ont animé dans le choix du plan:
d'une part, nous n'avons pas voulu ignorer le droit positif sous le prétexte que la réflexion est
essentiellement prospective; d'autre part, nous n'avons pas voulu ignorer les contraintes de la
relation du travail, fussent-elles de fait 148, sous le préteÀ1e de proposer un régime de
protection révolutionnaire. La difficulté est justement de trouver une bonne articulation d'une
part entre le droit positif dans les pays choisis pour l'étude et ce qui relève de l'analyse
prospective, d'autre part entre l'idéal et le possible. Nous avons certes choisi de présenter
dans un ensemble facilement identifiable ce qui à notre sens serait un régime des droits
fondamentaux, mais il ne nous a pas paru judicieux de faire une summa divisio entre le droit
positif et l'analyse prospective. La proposition d'un régime juridique des droits fondamentaux
n'a pu être possible qu'à partir d'une photographie et d'une radiographie du droit positif au
Cameroun et en France. Il fallait en effet prendre connaissance du droit positif, l'expliquer à
la lumière du postulat d'un lien entre les droits fondamentaux et la dignité, avant de tenter de
le faire évo luer.
Nous avons également choisi de porter une attention particulière aux contraintes de la
relation du travail. Celles-ci se traduiront par des limites objectives à l'expression des droits
fondamentaux. Il s'agit de limites en principe justifiées, et en les mentionnant nous ne
nourrissons aucUl). sentiment pessimiste.
Au total, c'est une lecture du droit positif qui nous permet d'affirmer dans un premier
temps que les droits fondamentaux sont le moyen d'expression du principe philosophique de
148 Pour n'être pas de droit, ces contraintes n'cn sont pas moins pesantes. 11 faudrait au moins attirer J'attention
sur leur effet pernicieux, avec l'espoir que mieux connues elles seront mieux combattues.
36

dignité; et nous n'ignorons nullement les contraintes particulières à la relation de travail en
recherchant, dans un second temps, une corrélation entre le régime juridique des droits
fondamentaux et la notion de dignité.
Les deux parties du travail sont intitulées: les droits fondamentaux comme moyen
d'expression du principe de dignité (Première partie) et la nécessaire corrélation entre le
régime juridique des droits fondamentaux et la notion de dignité (Deuxième partie)
37

PREMIERE PARTIE:
LES DROITS FONDAMENTAUX COMME MOYEN D'EXPRESSION
DU PRINCIPE DE DIGNITE
38

Les droits fondamentaux pourraient être regroupés sous deux valeurs et une exigence
dont on ne peut douter du rapport avec la dignité: la liberté, l'égalité et la sécurité.
La liberté est depuis longtemps présentée comme un droit naturel et imprescriptible de
l'homme l48, mais surtout comme un attribut essentiel de la dignité. On a affirmé que la
h
.
d'
, Il
At
lib 149
personne umame est Igne parce qu e e est un e re
re
.
L'égalité s'impose comme une valeur sans laquelle la dignité ou la liberté serait un
privilège pour quelques uns seulement. On a dit a cet égard que contrairement à la liberté qui
relève de l'ordre des fins, l'égalité relèverait de l'ordre des moyens 150. Mais cette
" instrumentalisation" de l'égalité ne doit pas conduire à minimiser son importance,
spécialement en droit du travail. L'égalité est ici une valeur fondamentale, surtout depuis
qu'on fait un rapprochement entre l'entreprise et la République. Le principe d' égalité est
devenu en tout cas une référence incontournable venant souvent au soutien d'autres moyens
de droit. A cet égard, l'article L.122-45 du Code du travail français l51 tel qu"interprété par la
jurisprudence montre bien les vertus du principe d'égalité. En effet si ce texte a un rapport
évident avec les libertés individuelles et collectives des salariés, il n'est véritablement
opératoire que parce qu'on y a combiné la liberté avec rexigence de non discrimination.
Quant à elle, l'exigence de sécurité est au centre des préoccupations sur les droits
fondamentaux parce qu'elle concerne directement le corps humain, substrat de la personne 152.
Le corps est la dimension la plus évidente de la personne humaine, l'irréductible bastion de la
dignité. On conçoit aisément que le droit organise sans la moindre concession sa protection.
Certes, il n'est pas question de nourrir l'idée selon laquelle les droits se rapportant aux autres
148 V. M. VERPEAUX, La liberté, AJDA, 1998, n° spécial, 144.
149 Voir Thomas d'AQUIN, Somme théologique op. cit. 1-11, q. 1, article 1 ; Dans ce sens,
KANT, d'après Z.
KLEIN, La notion de dignité humaine dans la pensée de Kant et de Pascal, éd. Vrin, Bibliothèque d'histoire de
philosophie, Paris, 1968, p. 46
150 N. BELLOUBET-FRIER, Le principe d'égalité, AIDA, 1998, nO spécial, 152.
151
Article L. 122~5 du Code du travail: «Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de
recrutement, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses
mœurs, de sa situation de fumille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions
politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses ou, sauf inaptitude constatée
par le médecin du travail dans le cadre du titre IV du livre II du présent code, en raison de son état de santé ou de
son handicap.
Aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de l'exercice normal du droit de grève.
Toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit >l.
152 V. M. A. HERMITTE, Le corps hors du commerce, hors du marché, Archives de philosophie du droit, 1988,
p.323.
39

aspects de la personne humaine seraient moins importants 153. On doit cependant constater que
les droits se rapportant aux valeurs sont plus susceptibles de restriction que ceux se rapportant
au corps. Cette relative « fragilité» des valeurs justifie qu'on insiste sur leur importance, au
moins autant qu'on parle de la sécurité. C'est pourquoi nous accorderons une égale attention
au bien qu'est la sécurité et aux valeurs que sont la liberté et l'égalité.
La dignité s'exprime à travers le respect du corps
(TITRE 1) et des aspirations
(TITRE II) du salarié.
153 Le corps et l'âme sont intimement liés. Voir CI. LAMBOIS, La personne, corps et âme, in La personne, sujet
de droit, IVèmes journées René Savatier, PUF, )994,57.
40

TITRE 1
LE RESPECT DU CORPS DU SALARIE
Les textes constitutionnels donnent le ton du respect dû au corps. En effet, la
Constitution du Cameroun affirme en son préambule l54 d'une part que la sécurité est garantie
à chaque individu, d'autre part que toute personne à droit à la vie et à l'intégrité physique. On
peut regretter de ne pas retrouver des références aussi nettes dans les textes constitutionnels
français. Mais on ne saurait sérieusement douter du statut constitutionnel du corps en
France I55•
Cette grande considération pour le corps ne peut laisser indifférent le juriste du travail.
Alain. SUPIOT a montré qu'étant le lieu, le passage obligé de la réalisation des obligations du
travailleur, le corps du salarié est la chose même qui forme la matière du contrat 156. Cette
analyse du contrat de travail n'est pas partagée par tous l57 ; mais on ne peut contester que c'est
le corps du salarié qui s'use et se déforme sous le poids de la fatigue, des maladies et des
accidents du travail l58. Il faut, à tout le moins, éviter la disparition du corps du salarié si on
veut maintenir la relation salariale. Ne serait-ce que parce qu'on ne peut concevoir un contrat
de travail sans lui, le corps du salarié doit être protégé.
Le corps du salarié est protégé surtout parce qu'il n'est pas un objet quelconque; c'est
le corps de l'Homme l59• La protection qui s'attache au corps du salarié déborde donc l'analyse
purement contractuelle du rapport de travail; c'est une exigence de la dignité.
154 L'article 65 de la Constitution dispose que le préambule fait partie intégrante de la Constitution.
155 On peut penser que la référence à la «sûreté », à côté de la liberté, contenue dans la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 renvoie au corps. En effet employé dans un autre contexte le mot sûreté aurait
fait penser à l'absence d'arrestation arbitraire. Mieux, le préambule de la Constitution de 1946 contient le
principe de protection de la santé. Voir aussi Cons. Cons1., Décision du 22 janvier 1990, Dr. soc. 1991, p. 332 et
s.
156V. A. SUPIOT, Critique du droit du travail, PUF 1994, p. 54.
157Voir, pour la contestation de cette analyse, 1. SAVATIER, La liberté dans le travail, Dr. soc. 1990, p. 56.
158 V. C. DEJOURS et al., Plaisir et souffrance dans le travail, Paris, CNRS/AOCIP, 1988,1. 1, 145.
159 La plus petite attention suffit à voir que même dans d'autres domaines le corps est très protégé. L'exemple le
plus médiatisé est sans doute celui offert par les nouvelles règles du jeu de la Fédération Internationale de
Football Association (FIFA). La dernière coupe du monde de football a montré, même aux non spécialistes du
sport, comment la FIFA tient en horreur les agressions contre le corps. Lorsque l'intention cie porter atteinte à
41

Autrement dit, le défi du droit du travail est de permettre que par-delà toutes les
nécessités de la production, que par-delà toutes les analyses juridiques sur la valeur
économique de son activité, l'Homme demeure. Ce défi était sans doute bien compris depuis
l6o
1841, date d'apparition en France de la première loi sociale
. Depuis lors, et malgré un
grand taux d'ineffectivité des normes, les législateurs ont imperturbablement continué leur
œuvre créatrice. Des dispositions toujours plus complexes et d'origines très diverses l61
viennent tous les jours garantir l'intangibilité du corps.
La réaction du patronat face aux dispositions sur l'hygiène et la sécurité du travail n'a
pas fondamentalement changé. Comme à l'époque de la loi de 1841, il place le débat sur le
terrain des coûts de productionl62 . Il était dès lors périlleux de laisser aux seuls employeurs la
maîtrise absolue des dispositifs de sécurité du travail. En instituant le droit de retrait, le droit
positif tire donc des conséquences positives de la réticence des employeurs à l'égard des
règles d'hygiène et de sécurité du travail.
Le droit de retrait n'est pas seulement le complément des règles sur l'hygiène et la
sécurité. Il faudrait aussi souligner qu'il est inspiré d'une philosophie nouvelle qui fait du
travailleur non pas un « objet» à protéger, mais le sujet de sa propre protection. Il lui restitue
ainsi la maîtrise de son corps. Il y a là une révolution conceptuelle qui autorise à présenter
séparément les deux factures de la protection de l'intégrité physique du salarié: la facture
traditionnelle (CHAPITRE I) et la facture moderne (CHAPITRE II).
l'intégrité physique de l'adversaire est manifeste ou peut être présumée (cas de tacle par derrière), le coupable
est immédiatement expulsé du terrain et est suspendu pour au moins un autre match supplémentaire.
160 Loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants employés dans les manufactures. Elle fixe l'âge minimum
d'admission à huit ans, interdit aux enfants les travaux de nuit ou dangereux. Certes, il ne faut pas oublier le sort
qui fut celui de cette loi: elle ne fut jamais appliquée, les libéraux lui reprochant de fausser les mécanismes
économiques (V. G.. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, Droit du travail, op. cit. p. 6.) Au fait, cette
ineffectivité est une véritable fatalité qui suit les législations ou réglementations sur l'hygiène et la sécurité du
travail. Jamais on ne s'est lassé de souligner le grand taux d'ineffectivité des dispositions sur l'hygiène et la
sécurité du travail (V. H. SEILLAN, Sécurité du travail et ordre public, Dr. soc. 1989. P. 369).
161 Aux sources nationales (étatiques et non étatiques) il faut ajouter les sources internationales (Organisation
Internationale du Travail) et européennes. li faut souligner que l'hygiène et la sécurité du travail constituent l'un
des axes fondamentaux de l'action de l'OIT. En droit communautaire, l'importance des questions d'hygiène et
de sécurité du travail se montre bien à travers la possibilité d'y prendre des directives à la majorité qualifiée.
162 Cette approche a connu une expression singulière dans le débat sur l'insertion des clauses sociales dans les
accords de commerce.
42

CHAPITRE 1
LA FACTURE TRADITIONNELLE DE LA PROTECTION DE L'INTEGRITE
PHYSIQUE DU SALARIE
Si l'on exclut les problèmes de réparation des atteintes 163, la protection de l'intégrité
physique du salarié se ramène à la prévention, souvent saisie exclusivement à travers les
dispositions sur l'hygiène et la sécurité au travail. Or, cette présentation
ne renseigne pas
suffisamment sur le dynamisme du droit à l'intégrité physique du salarié. Ce dynamisme
s'observe dans le fait que le corps s'impose au chef d'entreprise dans l'exercice du pouvoir de
direction. En particulier, en matière d'organisation du travail, le chef d'entreprise voit son
pouvoir affaibli par l'exigence du respect du corps. Plus largement, à tous les points où se
prennent les normes du travail, le corps s·est montré à la fois présent 164 et conquérant. Dans le
contexte actuel dominé à la fois par la globalisation des règles et par une certaine recherche de
l'autorégulation de l'entreprise, on pouvait légitimement craindre que les préoccupations de
sécurité soient ignorées. On observe au contraire que le corps du salarié reste l'intangible
« objet» que les normes négociées doivent respecter.
En d'autres termes, la protection de l'intégrité physique du salarié ne peut se réduire à
UfIe dimension défensive, où on cherche à mettre le corps à l'abri des atteintes, parce qu'il
affronte le dur labeur quotidien. Ce qui importe davantage, c'est la face offensive de la
163 Nous ne traiterons pas, dans ce travail, de la réparation des atteintes.
164 La sécurité est cette matière qui, même dans les systèmes les plus dominés par l'abstentionnisme de l'Etat en
matière de relations de travail, constitue la part irréductible d'un droit du travail imposé par la puissance publique
La Constitution de l'OIT affirme la nécessité de la protection des travailleurs contre les maladies générales ou
professionnelles et les accidents résultant du travail. Pour faire suite à ces prémices, cette institution a pris dans
le domaine de la sécurité des travailleurs d'importantes conventions et recommandations. Il n'est point exagéré
d'affirmer que les conventions et recommandations relatives à la sécurité constituent l'essentiel du Code
international du travail élaboré par j'OIT.
En droit européen on a affirmé que le "noyau dur" du droit en construction réside dans une série de directives
portant précisément sur la sécurité et la santé au travail (M. BüNNECHERE, op. cit. p. 176). En étendant à cette
matière la règle de la prise de décision à la majorité des Etats membres, l'Europe favorise la prise des mesures en
faveur de la sécurité. L'abondant volume de dispositions européennes traitant directement ou indirectement de la
sécurité montre qu'on n'est pas resté au stade des intentions. Il ya dans cet ensemble de normes, la consécration
d'un véritable droit fondamental du travailleur: son droit à l'intégrité physique (A. SUPlüT, Critique du droit du
travail op. cit. p. 69.). La directive européenne nO 93-391 du 12 juin 1989, en son article 5 oblige l'employeur à
assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail.
43

protection de l'intégrité physique, où le corps apparaît plutôt conquérant. Ce chapitre sera
donc divisé en deux sections: le corps laborieux (SECTION I) et le corps conquérant
(SECTION II).
SECTION 1 : LE CORPS LABORIEUX
Il faut saVOIT gré aux orgarusmes internationaux, notamment à l'OIT, d'avoir su
traduire en normes l'exigence de sécurité des salariés. Le législateur camerounais rend un
hommage bien mérité à cette action lorsqu'il affirme que les dispositions sur l'hygiène et la
sécurité du travail tendront à assurer aux travailleurs, tout en prenant en considération les
conditions et contingences locales, des normes d'hygiène et de sécurité conformes à celles
recommandées par l'Organisation Internationale du Travail et d'autres organismes techniques
reconnus sur le plan international 165. Au moins une raison objective rendait nécessaire le
recours aux normes internationales: le Cameroun ne dispose pas de l'expertise indispensable
en matière d'hygiène et de sécurité. Mais il est une autre raison: la sécurité fait partie de ce
., noyau dur" où les règles s'internationalisent de plus en plus.
Les normes d'hygiène et de sécurité présentent en général les mêmes caractéristiques:
elles sont abondantes, et même touffues. Il serait bien hasardeux et sans doute sans grand
intérêt de tenter une présentation exhaustive de ces règles. On se contentera de présenter les
principes généraux d'hygiène et de sécurité (PARAGRAPHE I) en faisant une place à part à
la responsabilité du chef d'entreprise (PARAGRAPHE II).
165 V. Article 95 alinéa 2 du code du travail.
44

PARAGRAPHE 1 : LES PRINCIPES GENERAUX D'HYGIENE ET DE SECURITE
Il faut prendre très au sérieux le constat fait il n'y a pas longtemps: en droit
camerounais, la place réservée à la sécurité des travailleurs dans la hiérarchie des valeurs
semble négligeable l66• C'est, entre autres, parce que le législateur n'a pas adopté une
approche globale des questions de sécurité. Pas un seul mot n'est dit sur la formation des
salariés à la sécurité; le lien entre la sécurité et les conditions de travail est insuffisamment
perçu. On mesure l'écart avec le droit français, où depuis la loi du 23 décembre 1982, le
comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a vu le jour sur les cendres des
anciens comités d'hygiène et de sécurité et d'amélioration des conditions de travail. Cette
mutation institutionnelle traduit une approche des problèmes plus globale (A), où le maître-
mot reste la prévention (B).
A. Une approche plus globale des problèmes de sécurité
Si l'apparition du concept de sécurité intégrée est assez récente, l'approche. elle, date
de longtemps. En effet, il est incontestable que les dispositions sur la durée du travail, le
repos, la maternité, pour ne prendre que ces seuls points. ont un lien assez direct avec la
sécurité des salariés.
La convention n° 155 de l'OIT sur la sécurité et la santé des travailleurs a mis en
évidence ce lien en prescrivant" l'adaptation du temps de travail, de l'organisation du travail
et des procédés de travail aux capacités physiques et mentales des travailleurs ,,167.
L'association de l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail conduit à ne plus limiter
la prévention à la suppression des situations de travail dangereuses ou pathogènes, mais à
l'étendre à la charge de travail physique et mental168. En amont des accidents du travail et des
maladies, l'attention est portée à la fatigue, à l'usure, aux souffrances engendrées par le poste
de travaill69• Ainsi, la prévention consiste aussi à aménager un bon rythme de travail.
166 J. DJUIKOUO, La protection de la santé et de la sécurité du travailleur en droit camerounais, RJA 1992/1993,
p. 112.
167 V. Article 5.
168 1. VACARIE, Travail et santé: un tournant, in Melanges Lyon-Caen op. cil. p. 332.
169 Ibid.
45

Depuis la loi du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des
accidents du travail, et de plus en plus sous l'impulsion de l'Europe, le droit français donne
plus de consistance à la notion de sécurité intégrée. Les exigences de sécurité doivent être
prises en compte dans la conception même des matériaux, des machines, des modes
opératoires, des locaux etc.. 170. C'est dans cette perspective que des obligations sont
fonnulées, qui sont mises à la charge non seulement des employeurs utilisateurs, mais aussi
des maîtres d'ouvrage, en matière de construction, des fabricants ou des importateurs, des
loueurs, vendeurs, etc. l7l . On remarquera au passage l' " enrôlement" dans le dispositif de
prévention des personnes extérieures à l'entreprise: fabricants, vendeurs, loueurs, etc. La
précaution vaut sans doute comme simple rappel de l'obligation de sécurité qui pèse déjà sur
ces personnes à un autre titre. Mais ce rappel n'est pas inutile puisqu'au sein de l'entreprise
les règles se prolongent par celles relatives à l'utilisation des machines.
Dans les chantiers de bâtiment, où les rIsques et la gravité des accidents sont
incontestablement plus élevés, le concept de sécurité intégrée a engendré d'autres types de
précaution. D'abord, le maître d'ouvrage, le maître d'œuvre et le coordonnateur en matière de
sécurité doivent tant au cours de la phase de conception, d'étude et d'élaboration du projet
que pendant la réalisation de l'ouvrage, mettre en œuvre les principes généraux de la
prévention172. Ensuite, l'accent est mis sur la concertation et la coordination lorsqu'en raison
de l'intervention de plusieurs personnes ou entreprises, on craint un dysfonctionnement
susceptible d'entraîner des accidents 173.
Il faudrait souligner le grand nombre et la variété des organes qui, en France 174,
veillent à l'hygiène et à la sécurité du travail. Hors de l'entreprise, il s'agit du conseil
supérieur de la prévention des risques professionnels175, de l'agence nationale pour
l'amélioration des conditions du travail, de l'institut national de recherche et de sécurité, de
l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics. On pourrait
même ajouter à cette liste les organismes de sécurité sociale.
170 V. G. COUTURIER, Droit du travail, Les relations individuelles, PUF 1993, 483.
171 Ibid.
172 V. Article L.235-1 du Code du travail français.
173 V. Articles L.235-4, L.235-6, L.235-1 1.
174 Au Cameroun on ne peut citer que la commission nationale de santé et de sécurité au travail, le comité
d'hygiène et de sécurité au travail, l'inspecteur du travail, le médecin du travail et le délégué du personnel.
175 C'est à peu près l'équivalent au Cameroun de la commission nationale de la santé et de la sécurité au travail.
46

Au sem de l'entreprise, les organes partIcIpant à l'objectif de sécurité sont:
l'animateur de sécurité, le médecin du travail, l'inspecteur du travail, le délégué du personne~
le comité d'entreprise, et naturellement le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de
travail lorsque la condition de seuil d'effectifs est remplie.
La multiplicité et la variété de ces organes montre bien que l'approche de solution aux
problèmes de sécurité du travail est aussi celle d'une intégration de compétences multiples. La
question de la sécurité au travail se révèle ainsi comme celle qui bénéficie de l'attention du
plus grand nombre d'intervenants. Le credo est le même pour tous ces organes: prévenir les
atteintes.
B. Prévention, le maître-mot
Les arguments d'ordre éthique commandent qu'en matière de sécurité des personnes
on emprunte la voie de la prévention, la seule qui vaille vraiment. La personne humaine étant
perçue comme une fin en soi, il faut tout mettre en œuvre pour prévenir les atteintes à son
intégrité. L'objectif visé est un objectif de non-dommage 176. Lorsque l'atteinte est déjà
réalisée, il est trop tard et dans une certaine mesure indécent de rechercher une compensation
monétaire, puisque la dignité humaine est sans prix.
En se situant sur le terrain économique même, on démontre les avantages de la
prévention par rapport à la réparation. Bien entendu, la prévention a un coût, qui peut
influencer la rentabilité et même la survie des entreprises. Mais les accidents de travail et
maladies professionnelles coûtent aussi très cher à l'entreprise. Les coûts les plus apparents
sont ceux qui résultent de la destruction des machines et des matériaux, de la désorganisation
de la production et de l'indemnisation des travailleurs pour lésion ou perte de gain177. La
somme de ces coûts peut être suffisamment lourde pour compromettre parfois la survie de
l'entreprise178.
Sans surprise aucune, les dispositions légales et réglementaires sur l'hygiène et la
sécurité du travail sont orientées vers l'objectif de prévention. Le législateur français dit que
176 V. H. SEILLAN, Sécurité du travail et ordre public, Dr. soc. 1989,372.
177 V. A. BEQUELE, La protection de la vie humaine dans le travail: son" coût" et ses avantages. RIT vol 123
nO 2 1984 p. 3.
178 Ibid.
47

le chef d'établissement met en œuvre les mesures de sécurité sur la base des prrnclpes
généraux de prévention suivants :
• éviter les risq ues ;
• évaluer les risques qui ne peuvent être évités;
• combattre les risques à la source ;
• adapter le travail à l'homme;
• tenir compte de l'état d'évolution de la technique
• remplacer ce qui est dangereux parce ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui
l'est moins
• planifier la prévention
179
• prendre des mesures de protection collectives et individuelles

Ces principes impliquent que le chef d'entreprise doit disposer d'une grande capacité
d'analyse, d'organisation et d'anticipation. Il faut insister sur cette capacité d'anticipation,
puisque la prévention est définie comme un obstacle placé entre le risque professionnel et le
travailleur, et visant à assurer à celui-ci le confort nécessaire lui permettant de survivre au
travail 180.
C'est justement parce que le législateur ne peut anticiper sur tous les risques qUI
peuvent être créés en milieu du travail qu'il ne peut se réserver le monopole des dispositions
sur la prévention. Deux raisons majeures l'obligent à donner compétence au chef d'entreprise
pour organiser la prévention: d'une part, le rythme des interventions de la loi et des
règlements est largement en deçà du rythme de l'évolution des risques. D'autre part, le
législateur ne peut raisonnablement adapter la norme aux particularités de chaque entreprise
ou de chaque activité dans l'entreprise. Il appartient au chef d'entreprise, maître de
l'organisation du travail, de prendre les mesures les plus adéquates pour prévenir toute
atteinte à la sécurité des salariés. On voit bien que c'est très logiquement que le chef
d'entreprise a une responsabilité prééminente dans la sécurité des salariés.
179 V. Article L.230-2 du Code du travail.
180 1. DJUlKüuü, op. cit. p. 106.
48

PARAGRAPHE II: LA RESPONSABILITE DU CHEF D'ENTREPRISE
Les conventions collectives de travail camerounaISes aiment à stipuler que "les
organisations syndicales d'employeurs et de travailleurs s'efforcent de développer l'esprit de
sécurité chez les travailleurs ,,181. C'est la traduction d'un slogan qui dit que" la sécurité est
l'affaire de tous ". Mais, il faut souligner que le propos ne tend pas à diluer la responsabilité
du chef d'entreprise en matière de sécurité des salariés. La solution a clairement été affinnée
par les textes CA) et la jurisprudence a repoussé toutes les tentatives visant à la remettre en
cause ou même à l'infléchir (B).
A. L'affinnation de la responsabilité du chef d'entreprise
Les termes de l'arrêté camerounais n° 039 du 26 novembre 1984 relatif aux mesures
d'hygiène et de sécurité sur les lieux de travail sont nets sur la responsabilité du chef
d'entreprise en matière de sécurité l82. L'article 2 de cet arrêté dispose que remployeur 183 est
directement responsable de J'application de toutes les mesures de prévention, d'hygiène et de
sécurité destinées à assurer la protection de la santé des travailleurs qu'il utilise. On explique
que la subordination juridique met la force du travailleur subordonné à la disposition de son
employeur. La personne du travailleur subordonné, impliquée dans un processus de
production qui échappe à son contrôle, peut dès lors se trouver exposée à des risques
physiques. C'est pourquoi le chef d'entreprise se trouve assujetti au respect d'une
réglementation contraignante184. Autrement dit, l'employeur doit prendre les dispositions
181 Voir par exemple les conventions collectives de la pharmacie (article 58), de la banque (article 65), de la
manutention portuaire (article 41).
182 On doit regretter que la loi
n077111 du 13 juillet 1977 portant réparation et prévention des accidents du
travail et des maladies professionnelles ne pose pas le principe de la responsabilité du chef d'entreprise. Il se
contente de prévoir, en son article 49, une amende de 500.000 F à 5.000.000 F et un emprisonnement d'un à cinq
ans ou l'une de ces peines seulement, pour l'employeur qui, par négligence, imprudence ou inobservation des
règlements, occasionne la mort ou une incapacité de travail égale ou supérieure à 66 %. C'est sans doute parce
que le texte met l'accent plutôt sur la réparation civile des préjudices.
183 Le terme « employeur» utilisé par le législateur est assez équivoque à ce niveau, en particulier si l'employeur
est une personne morale et donc différent du chef d'entreprise. L'interprétation stricte du texte conduirait, au cas
où l'employeur est une personne morale, à n'imposer de sanctions qu'à cette personne morale et non au chef
d'entreprise, personne physique. Cette lecture est d'autant plus défendable que le législateur prévoit, comme
sanctions, non seulement l'emprisonnement, mais aussi l'amende, en indiquant que ces sanctions peuvent être
cumulatives ou alternatives. La personne morale qui ne peut être emprisonnée peut en revanche payer une
amende. Si une telle lecture peut être conforme à l'esprit du droit pénal, elle conduit malheureusement à une
inefficacité du dispositif puisque dans des entreprises de grande taille la responsabilité pénale est réduite à un
aspect qui ne dissuade pas assez.
184 F. GAUDU, Les droits sociaux, in Droits et libertés fondamentaux, Dalloz, Paris, 1996, P. 481.
49

utiles pour éviter les atteintes à l'intégrité physique du salarié, pris ici en quelque sorte
comme une simple" source d'énergie ", ayant perdu toute maîtrise sur son corpsl85.
Les termes de l'arrêté de 1984 précité sont particulièrement intéressants en ce qu'ils
indiquent que l'employeur est" directement responsable". Est ainsi bien traduite l'idée que
l'employeur doit veiller personnellement au respect des prescriptions légales et réglementaires
en matière d'hygiène et de sécuritél86•
Pour faire respecter les prescriptions d'hygiène et de sécurité, l'employeur dispose des
facultés que lui accorde le droit disciplinaire 187. Il peut donc sanctionner les salariés qui
s'écartent des prescriptions sur l'hygiène et la sécurité.
Il ne fait pas de doute que l'employeur peut, dans le règlement intérieur, compléter les
dispositions légales et réglementaires sur l'hygiène et la sécurité. Le législateur français est
clair sur ce point lorsqu'il indique à l'article L.122-34 du Code du travail que le règlement
intérieur :fixe les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de
sécurité dans l'entreprise ou l'établissement. Il faudrait penser que cette solution est vraie en
droit camerounais même si l'article 29 du Code du travail ne le dit pas 188.
De là, on peut avoir quelque regret que l'article 2 de l'arrêté camerounais précité
dispose que l'employeur est responsable de "l'application de toutes les mesures de
prévention, d'hygiène et de sécurité... ". Si la formule ne remet pas en cause l'idée que les
mesures légales et réglementaires peuvent avoir un prolongement dans le règlement intérieur,
elle ne met pas non plus en lumière cette idée. Or, si la responsabilité de l'employeur est mise
en avant en matière de sécurité des salariés, c'est non seulement parce que ces derniers sont
dans une certaine mesure" enchaînés" dans une organisation conçue par l'employeur, mais
aussi parce que les pouvoirs que l'employeur exerce le mettent dans une position privilégiée
pour assurer la sécurité. Si par le pouvoir disciplinaire l'employeur peut sanctionner tout
salarié qui ne respecte pas les règles sur la sécurité, par le pouvoir réglementaire il peut et doit
fixer ou préciser le contenu de ces règles. C'est donc très judicieusement que l'article L.230-2
185 V. A. SUPIOT, Pourquoi un droit du travail? Dr. soc. 1990, p. 485.
186 Ph. AUVERGNON, Corps et contrat de travail: quels droits fondamentaux., annales de la FSJP, Université de
Dschang, tome 1, vol. l, 1997,51
187 Ibid.
188 En indiquant que le règlement intérieur comporte des règles relatives à l'organisation technique du travail, à
l'hygiène et à la sécurité, l'article 29 du Code du travail camerounais pose implicitement cettf: solution.
50

du Code du travail français dispose que le chef d'établissement prend les mesures nécessaires
pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs de l'établissement, y compris les
travailleurs temporaires. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques
professionnels, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et
des moyens adaptés. L'énumération de ces mesures montre que le pouvoir de gestion du chef
d'entreprise est lui-aussi concerné par la sécurité des salariés.
Les sanctions encourues par le chef d'entreprise en cas de non respect des règles sur
l'hygiène et la sécurité sont particulièrement irnportantes I89• Les infractions susceptibles de
fonder l'incrimination peuvent être rangées en deux groupes: les infractions du Code du
travail et les infractions du Code pénaL plus nombreuses en France depuis le nouveau Code
pénalI90•
B. Le rejet des tentatives de remise en cause
Les tentatives de remise en cause de la responsabilité du chef d'entreprise se sont
fondées sur deux arguments: l'exigence d'une faute personnelle pour la responsabilité pénale
(1) et le principe de la légalité des délits (2).
1. L'argument de la nécessité d'une faute personnelle
La commission d'une infraction pénale suppose une faute personnelle l91 • C'est ce que
rappelle la loi française du 6 décembre 1976 lorsqu'elle traite des infractions aux règles
d'hygiène et de sécurité. Mais onI92 a relevé que cette précision a peu de portée pratique; le
chef d'entreprise commet une faute personnelle en ne veillant pas lui-même à la stricte et
constante exécution des dispositions édictées en vue d'assurer la sécurité des travailleurs: la
violation d'une règle de sécurité dans l'entreprise révèle donc au moins une négligence de sa
part. Il demeure donc responsable même lorsqu'il n'est pas présent sur les lieux de
l'infraction193, même lorsque l'un de ses préposés a commis une faute de négligence ou a
189 Nous n'aborderons pas la question de la responsabilité civile, puisque le droit des accidents du travail lui
enlève une part de son intérêt.
190 V. H. SEILLAN, Le nouveau Code pénal et la santé/sécurité au travail, Act. lég. Dalloz, 1994, 21 è cahier,
comm. lég. 209.
191 Voir article 74 du Code pénal camerounais.
192 G. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, Droit du travail, Dalloz 1994, 17< éd. P. 454.
193 Crim. 2 octobre 1979, Bull. Crim. N° 267.
51

violé une consigne de sécurité l94• Le chef d'entreprise ne peut exceptionnellement échapper à
la responsabilité pénale qu'en cas de délégation expresse. Cette délégation doit en plus être
précise, effective, et acceptée par Je délégataire l95•
Pareille responsabilité peut apparaître sévère au regard de la taille de certaines
entreprises. Mais cette sévérité est bien compréhensible: la loi demeurerait inappliquée si
l'employeur pouvait se satisfaire d'une consigne de sécurité platonique donnée à ses
subordonnées l96.
Très souvent, des accidents de travail surviendront parce que les salariés veulent se
soustraire aux contraintes d'un dispositif de sécurité incommode pour travailler vite ou par
simple bravade. La doctrine estime que même dans ces conditions, la responsabilité du chef
d'entreprise n'est pas dégagée 197• C'est du reste ce que la Cour d'appel de Yaoundé a rappelé
à un employeur qui voulait se prévaloir de la faute d'un salarié, chef de chantier. Le litige
concerne non pas une infraction pénale, mais la légitimité du licenciement du chef de chantier
après un accident de chantier. L'employeur reprochait au chef de chantier la non observation
des consignes de sécurité. Pour juger le licenciement abusif, la Cour relève que l'employeur
ne pouvait procéder au licenciement alors que l'accident était dû à l'insuffisance du système
de sécurité l98 • L'examen minutieux de l'espèce révèle que le comportement du salarié n'était
pas irréprochable puisqu'il n'avait pas observé toutes les consignes prescrites. Mais la Cour
d'appel a neutralisé la faute du salarié. Elle affirme, en d'autres termes, que le chef
d'entreprise ne peut pas se disculper simplement en invoquant la faute du salarié.
Est ainsi évacuée la crainte qu'avait suscitée en France l'inscription, dans la directive
européenne du 12 juin 1989, des obligations des salariés. Même les dispositions de la même
directive selon lesquelles" les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de
la santé au travail n'affectent pas le principe de la responsabilité de l'employeur ,,199 n'avaient
pu dissiper les craintes de voir la responsabilité du chef d'entreprise se diluer.
194 Crim. 18 mars 1976. JUT. Soc. UIMM nO 362, p. 193.
195 V. G. LYON-CAEN, J. PELlSSIER, A. SUPIOT, Droit du travail, op. cit. p. 455.
196 F. GAUDU op. cit. p. 481.
197 Ibid.
198 CA de Yaoundé, n° 83/Soc du 9 mars 1994. DYWIDA cl MEKONDO AWONA Mathieu, inédit.
199 V. Article 5.
52

A vrai dire, il n'apparaît pas que les sujétions résultant pour les salariés des principes
généraux de la prévention soient essentiellement différentes de celles résultant du pouvoir
d'organisation, du pouvoir réglementaire et du pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise20o•
Au demeurant, le législateur français a transcrit la directive européenne précitée sans rien
changer dans la présentation des règles traditionnelles. Les dispositions qui indiquent les
obligations des salariés ont ainsi été présentées par le biais du pouvoir réglementaire du chef
d'entreprise. En effet, l'article L.230-3 du Code du travail dispose que conformément aux
instructions qui lui sont données par l'employeur ou le chef d'établissement au règlement
intérieur, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon
ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes
concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail. Mieux, l'article L.122-34 du
Code du travail dispose déjà que le règlement intérieur prévoit les conditions d'utilisation des
équipements de travail, des équipements de protection individuelle, des substances et
préparations dangereuses ainsi que les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être
appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail
protectrices de la sécurité et de la santé des salariés dès lors qu'elles apparaissent
compromises. On s'en doute bie~ ces prévisions du règlement intérieur entraînent forcément
des sujétions pour les salariés.
Au juste, le règlement intérieur a toujours pu contenir des obligations pour les salariés
en matière de sécurité sans que cela ne soit vu comme un moyen d'éclipser la responsabilité
de l'employeur en matière de sécurité des salariés. En revanche, il faudrait bien scruter les
dispositions du règlement intérieur qui traiteraient éventuellement de l'état de santé et de
l'emploi.
2. L'argument du principe de la légalité des délits
Il n'y a pas d'infraction ni de peine sans un texte201 • Mieux, le texte d'incrimination
doit être précis202•
C'est pourquoi les dispositions des lois françaises de 1893 et 1903
imposant aux chefs d'entreprise l'obligation de tenir les locaux de travail en état de propreté,
et les machines, mécanismes et appareils dans les meilleures conditions de sécurité possibles
200 G. COlITURIER, Droit du travail, op. cit. p. 481.
201 Voir G. STEFANI, G. LEVASSEUR, B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz., 1994, nO 100.
202 Ibid. nO 123
53

avaient semblé trop vagues pour justifier une éventuelle poursuite pénale. La jurisprudence
avait rapidement déclaré qu'il s'agissait de dispositions de caractère général demandant, pour
être susceptibles d'application concrète, à être complétées par un règlement détaillé203. Des
mesures particulières sont venues évidemment compléter ces dispositions générales.
Demeuraient cependant gênantes les hypothèses où des accidents se produisaient sans
qu'on puisse les rattacher à l'inobservation de telle mesure particulière. En effet, face au
règlement, par nature impersonnel la réalité apparaît diversifiée et changeante204. Même
multipliée à l'infIni, la réglementation ne pourrait jamais tout prévoir. Le droit était donc
devant un dilemme: tenir à la rigueur du principe de la légalité des délits et peines ou assurer
un maximum d'efficacité à la protection de l'intégrité physique des salariés.
En 1968, la Chambre criminelle de la Cour de cassation française cassait un arrêt de la
Cour d'appel de Caen pour n'avoir pas recherché si le prévenu n'avait pas commis une
imprudence ou une négligence en s'abstenant" de prendre les mesures que les circonstances
commandaient comme relevant de l'obligation générale de sécurité qui lui incombait ,,205.
Aujourd'hui, les législateurs tant camerounais que français posent clairement les bases
d'une application directe des dispositions générales sur la sécurité au travail. L'article 96 du
Code du travail camerounais pose que lorsque des conditions de travail non visées par les
arrêtés sur les normes d'hygiène et de sécurité sont jugées dangereuses, pour la sécurité ou la
santé des travailleurs, l'inspecteur du travail "invite" l'employeur à y remédier206. La
formule de politesse utilisée par le législateur ne doit pas faire croire que l'employeur peut
facilement se soustraire à l'obligation de sécurité qui est en cause ici. Le texte précise qu'en
cas de contestation de l'employeur le litige est soumis à l'arbitrage de la Commission
nationale de santé et de sécurité du travail. C'est sans doute une indication l' {( invite» de
l'inspecteur du travail est plus qu'une simple recommandation.
203 Crim, 2 avril 1897, D., 1900, 1,241.
204 J. P. MURCIER op. cit., 612.
205 29 octobre 1968, Dr. soc. 1988,616.
206 Sur la question, l'article L.231-S du Code du travail français autorise le directeur départemental du travail et
de l'emploi, lorsqu'il constate une situation dangereuse contraire aux dispositions des articles L.32-1 et L.233-l
du Code du travail, à mettre l'employeur en demeure de prendre les mesures utiles pour y remédier, faute de quoi
un procès verbal pourra être établi à son encontre.
54

Ce qu'il faut souligner en définitive sur l'obligation de sécurité, c'est sa vie et son
développement propres, qui transcendent les textes sur lesquels on les fonde. On a déjà fait
remarquer que la Chambre criminelle la formule en termes de principe207. La Chambre
criminelle lui donne ainsi un nom, une vie propre, une autonomie qui produit des
conséquences précises. En la qualifiant de générale, elle lui donne une force, une portée qui
excèdent celles des réglementations particulières208. La force de l'obligation de sécurité est
tirée en vérité du principe de l'intangibilité du corps qu'exprime le formule du récit séculaire
.
209
« no/ 1 me langere))
.
On l'a dit, on a beau éviter que le corps soit touché, il finit par dépérir si on se
contente de cette attitude abstentionniste. La protection du corps requiert qu'on dépasse ce
schéma défensif pour un schéma offensif.
SECTION II : LE CORPS CONQUERANT
L'entreprise est incontestablement un lieu d'exercice de pouvoirs. Le pouvoir le plus
immédiat est celui du chef d'entreprise. Or, présenté sous le prisme de la préservation de la
santé, le souci de protéger l'intégrité physique a atteint de front l'exercice des pouvoirs du
chef d'entreprise. En gros, il s'agit de poser que l'état de santé du salarié n'est pas un frein à
l'emploi, et surtout que l'emploi doit tenir compte de l'état de santé du salarié. Par ailleurs, le
corps s'impose également comme référence de tout premier ordre dans l'activité normative en
droit du travail.
On présentera d'abord le rapport état de santé/emploi (PARAGRAPHE 1) avant de
montrer comment le corps inspire et module l'activité normative (PARAGRAPHE II).
207 J. P. MURClER op. cil., 614.
208 Ibid., 615.
209 « ne me touche pas» ou « ne me retiens» pas, selon les interprètes des Saintes écritures.
55

PARAGRAPHE I: L'ETAT DE SANTE ET L'EMPLOI
La protection de la santé ne peut avoir quelque consistance pour le salarié si on ne
l'envisage à l'aune du couple état de santé-emploi. Partons de l'obligation qu'a chaque
21o
entreprise d'avoir un service médical et sanitaire au profit de ses salariés
, et de l'obligation
de faire procéder aux examens médicaux des salariés aussi bien à l'embauche qu'au cours de
l'exécution du contrat de travail211 • II s'agit d'assurer la surveillance médicale des salariés.
L'obligation d'assurer la surveillance médicale est le ferment de toutes les solutions
imaginées en droit pour adapter l'emploi à l'état de santé. En effet, assurer la surveillance
médicale, ce n'est pas seulement faire détecter d'éventuelles maladies chez les salariés; c'est
aussi contribuer au rétablissement des malades, au besoin au détriment du libre exercice du
pouvoir de direction.
Bien souvent le salarié malade ne retrouvera pas tous ses moyens à la guérison, Le
chef d'entreprise ne doit-il pas lui donner un travail correspondant à ses moyens résiduels?
La solution est souhaitable; mais elle ne va pas de soi, surtout en droit camerounais.
Ce dernier contient au demeurant des particularités qui autorisent qu'on le présente à part.
Nous distinguerons donc les solutions du droit français (B) des solutions du droit camerounais
(A).
A. Les solutions du droit camerounais
Le législateur camerounais ne laisse pas voir qu'il situe le droit à l'intégrité physique
du salarié au-dessus des pouvoirs du chef d'entreprise. Le Code du travail est en effet
étonnamment muet sur l'obligation qu'a l'employeur de donner à chaque salarié un travail
correspondant à ses forces, à son état de santé. Des conventions collectives tentent de pallier
la carence. Mais il est visible que la préoccupation essentielle concerne le maintien dans
l'emploi, et non 'la santé. On comprend qu'au besoin le salarié cherche à sauver son emploi au
détriment de sa santé. Dès lors, il devient intéressant de réfléchir sur la preuve de l'aptitude ou
210 V. Articles 98 du code du travail camerounais et R-24 1-2 du code du travail français.
21l V. Au Cameroun, l'article 20 de J'arrêté du 15 octobre 1979 sur les services médicaux du travail, et en France
les articles R.24 1-48 et R.24 J-49 du code du travail.
56

de l'inaptitude à l'emploi. C'est une des difficultés pratiques que pose le droit camerounais.
Mais avant d'examiner ces difficultés, faisons un rappel des solutions existantes.
1. Rappel des solutions existantes
La première question à résoudre est celle du sort du contrat de travail pendant la durée
de l'incapacité résultant d'une maladie ou d'un accident. Le Code du travail et les conventions
collectives donnent à cette question des solutions différentes selon que l'accident ou la
maladie est d'origine professionnelle ou non. Dans le premier cas, l'article 32 (g) du Code du
travail dispose que le contrat est suspendu. La doctrine précise utilement que la suspension
dure toute la période d'indisponibilité2l2. Dans le cas où la maladie ou l'accident n'est pas
d'origine professionnelle, l'article 32 (c) du Code du travail dispose que le contrat de travail
est suspendu pendant une durée maximale de six mois; ce délai est prorogé jusqu"au
remplacement effectif du travailleur. La convention collective d'entreprise d'électricité et
d'eau porte à deux ans la durée de suspension du contrat pour maladie.
C'est en matière de reclassement que le droit camerounais apparaît très peu protecteur
de la santé des salariés. Si le décret nO 78/484 du 9 novembre 1978 fixant les dispositions
communes applicables aux agents de l'Etat relevant du Code du travail prévoit une obligation
de reclassement à la charge de l'employeur, il la circonscrit à l'hypothèse d'une inaptitude
partielle résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle213 .
Les conventions collectives présentent des dispositions très variées. Le texte de
l'industrie automobile et activités annexes, en son article 24, dispose: " Lorsqu'à la suite d'un
accident du travail ou non, ou d'une maladie d'origine professionnelle ou non, le travailleur
subit une réduction de ses capacités à titre définitif, l'employeur, dans la mesure de ses
possibilités et afin d'éviter un licenciement, peut lui proposer un emploi qui relève d'une
catégorie inférieu:e mais correspondant à ses capacités constatées par le certificat médical de
reprise de travail ". La formule est la même pour les articles 28 de la convention collective
212 P.G. POUGOUE. Droit du travail et de la prévoyance sociale au Cameroun. PUC. Yaoundé 1988, p. 144.
213 V. Article Il du décret. JI dispose qu'en cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle, le travailleur
qui ne peut reprendre son emploi antérieur après consolidation de son état, se voit confier des tâches
correspondant à ses nouvelles aptitudes physiques.
57

des transporteurs maritimes, transitaires et auxiliaires de transport et 29 de la convention
collective du commerce.
Cette formule est très lâche et en vérité sans grande portée juridique puisqu'elle ne
prévoit qu'une simple faculté de reclassement. Elle a montré ses insuffisances dans une
espèce devant la Cour d'appel de Yaoundé. Le travailleur est victime d'un accident de travail.
Au moment où l'employeur veut le voir reprendre le travail, le premier lui présente un
certificat médical qui atteste qu'il souffre à l'œil gauche. L'employeur le licencie aussitôt.
Contre la solution du premier juge, la Cour d'appel déclare le licenciement légitime au motif
que l'article 25 alinéa 1 de la convention collective de la boulangerie, pâtisserie, biscuiterie, et
des activités annexes applicable ouvre une faculté, non une obligation de reclassement à la
charge de l'employeur214•
A r opposé du groupe de conventions collectives prévoyant une simple faculté de
reclassement, se trouve un autre posant une véritable obligation. L'article 24 de la convention
collective des industries polygraphiques dispose que lorsqu'à la suite d'un accident ou d'une
maladie d'origine professionnelle ou non, le travailleur subit une réduction de ses capacités il
titre définitif, l'employeur lui propose un emploi qui peut relever d'une catégorie inférieure,
mais qui correspond à sa capacité constatée par un certificat médical de reprise de travai l5.
Dans le même sens, la convention collective des transporteurs maritimes, transitaires
et auxiliaires de transport prévoit à l'article 44 la possibilité de mutation pour raison de santé,
tandis que la convention d'entreprise de production, de transport, et de distribution
d'électricité et d'eau prévoit que si la mutation intervient du fait de la grossesse, la salariée
conserve le bénéficie de son salaire antérieur. Un droit à la conservation du salaire antérieur
est prévu par la même convention en cas de reclassement résultant d'un accident ou d'une
maladie d'origine professionnelle.
Plusieurs distinctions peuvent être faites au sein de ces dispositions conventionnelles:
certaines ne prévoient le droit à l'adaptation de l'emploi à l'état de santé que lorsque la
maladie ou l'accident d'où résulte la réduction de capacité est d'origine professionnelle;
214 CA de Yaoundé, N° 189/5 du 15 juin 1993, inédit.
215 Des formules voisines sont prévues par les articles 24 de la convention collective de la manutention portuaire
et 23 de la convention collective des entreprises de transport routier et urbain.
58

d'autres prévoient le droit à l'adaptation sans égard à l'origine de l'infirmité. Tantôt la
mutation s'accompagnera d'une diminution de rémunération, tantôt le bénéfice du salarie
antérieur restera acquis, ce qui peut influencer la réponse du travailleur à la proposition de
reclassement. Tantôt enfin, on l'a signalé plus haut, il y a une simple faculté de mutation,
tantôt il y a une véritable obligation de mutation à la charge de l'employeur.
On peut se demander dans quelle mesure les conventions qui prévoient une simple
faculté de reclassement sont conformes à la loi. En effet, l'alinéa 2 de l'article 1134 du Code
civil prévoit que les conventions doivent être exécutées de bonne foi. En matière de contrat de
travail en particulier,
la Cour de cassation française a jugé que «l'employeur, tenu
d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d'assurer l'adaptation des salariés à
l'évolution de leurs emplois »216. II est difficile d'admettre que tenu, sur le fondement de la
bonne foi, d'adapter le salarié à l'évolution de son emploi-laquelle évolution peut résulter
d'une circonstance totalement extérieure aux parties-, l'employeur ne soit pas tenu, sur le
même fondement. d'adapter remploi à l'état de santé du salarié, si de surcroît la circonstance
qui affecte la santé du salarié est d'origine professionnelle.
Cependant quand bien même on conviendrait qu'il y a obligation de reclassement. on
peut encore discuter du contenu et de la nature cette l'obligation, II est certes indiscutable que
lorsqu'il est stipulé que le travailleur diminué est, dans toute la mesure du possible, reclassé
dans un emploi en rapport avec ses capacités résiduelles, il s'agit d'une obligation de moyens.
Ainsi, on pourrait penser qu'en cas de licenciement pour incapacité, il reviendrait au
travailleur licencié d'établir que l'employeur n'a pas exploré toutes les possibilités de
reclassement. Mais, il faudrait aussi compter avec la règle de l'article 39 aL 3 du Code du
travail disposant que dans tous les cas de licenciement, il appartient à l'employeur d'apporter
la preuve du caractère légitime du motif qu'il allègue. L'employeur se contentera-t-il de
démontrer l'existence de l'incapacité ou doit-il aller plus loin et démontrer qu'il n'avait
aucune possibilité de reclassement ?
Se limiter à démontrer la diminution des capacités de travail du salarié ne serait pas
suffisant puisque l'employeur a à sa charge une obligation de reclassement en raison de la
diminution de capacité. La démonstration de la seule diminution de capacité pourrait même
216 Soc. 25 février 1992, D. 1992. 390 note Défossez.

fixer le juge dans la conviction que l'employeur n'a pas voulu réfléchir sur la possibilité de
reclassement. Et si l'employeur entend démontrer qu'il ne pouvait pas garder le salarié, il sera
217
amené à établir qu'il a exploré sans succès toutes les possibilités de reclassement
. C'est à
218
tout le moins une obligation de résultat atténuée
, quotidiennement appliquée par les
juridictions. Le Tribunal de grande instance de Douala a connu d'une espèce intéressante. A
la suite d'un essai de deux mois, le travailleur est engagé à titre définitif En sept mois de
service, il est victime de deux accidents de travai.l, ce qui conduit à son licenciement pour
"manque d'adaptation et de prédisposition pour le travail à effectuer, mettant en danger les
clients et l'agent lui-même ". Le tribunal affinne : " Attendu que la société Alarme Service ...
ne produit aucune pièce pouvant attester que TONTCHOUA qui avait été soumis à un essai
concluant ne pouvait être employé à d'autres tâches ... qu'il y a lieu de dire et de juger que le
licenciement est abusif,,219. La Cour d'appel de Yaoundé, dans le même sens, déclare abusif
un licenciement pour inaptitude au travail, au motif que l'employeur ne verse au dossier ni le
certificat médical d'inaptitude, ni la preuve que le salarié ne pouvait être utilisé à des travaux
22o
moins pénibles
.
II faudrait déduire des exigences de la jurisprudence ci-dessus que l'employeur qui
licencie un salarié pour inaptitude résultant de son état de santé doit indiquer les raisons pour
lesquelles il ne peut le reclasser.
Sont aussi susceptibles de poser des problèmes de compréhension les dispositions
conventionnelles qui prévoient que si le travailleur, à la suite d'un accident ou d'une maladie,
subit une réduction de ses capacités, " l'employeur lui propose un emploi dans la limite de ses
capacités résiduelles". La fonnule du texte semble n'autoriser aucun doute; l'obligation de
classement est ici une obligation de résultat atténuée. Mais il ne faut pas oublier que
l'employeur peut s'exonérer en prouvant que malgré toutes ses recherches, il n'a pu trouver
un emploi correspondant aux capacités du salarié. Certes, ce ne sera pas une preuve facile. Par
ailleurs, il faut souligner que les textes demandent à l'employeur de "proposer un emploi ".
217 Quoi qu'il en soit, du point de vue du droit à la santé, on ne peut avoir une satisfaction excessive de cette
solution. Elle tient à un appui vraiment fortuit de l'article 39 al. 3 du code du travail sur la preuve du caractère du
licenciement, non à une prise en compte de l'exigence de santé et de sécurité au travail. Le salarié aurait un sort
moins heureux si, au lieu de se plaindre de l'illégitimité de son licenciement, il engageait une procédure pour
voir condamner l'employeur à adapter son poste de travail à son état de santé.
218 A partir du moment où l'employeur peut s'exonérer sans être obligé de démontrer la force majeure ou le fait
du salarié, l'obligation de résultat qui pèse sur lui est atténuée.
219 TOI de Douala, nO 183 du 27 janvier 1986, inédit.
220 CA de Yaoundé, n° 106/5 du 28 Avril 1993, inédit.
60

On met ici en exergue le consentement du travailleur au reclassement proposé. L'échec de la
tentative peut être imputable au salarié qui refuse de bonnes propositions.
L'esprit de cette solution ne peut être sauf que si la proposition de reclassement
émanant de l'employeur n'est pas dérisoire, c'est-à-dire manifestement inacceptable. Le cas
échéant, les juges déduiront l'intention de licencier du caractère manifestement inacceptable
de la proposition de reclassement. Les tribunaux ont montré qu'ils sont particulièrement
vigilants dans la protection de l'intégrité physique des travailleurs. La Cour d'appel de
Yaoundé a statué sur une espèce pleine d'enseignements. En huit ans de service, un salarié
subit trois opérations chirurgicales suite à une hernie, ce qui entame son rendement au travail.
L'employeur saisit le médecin d'entreprise, qui propose l'affectation du salarié à un poste
moins pénible pendant trois mois. Le médecin personnel du travailleur propose la même
mesure, mais pour rune durée de quatre mois. L'employeur dit ne pas disposer d'emploi
moins pénible. Le médecin d'entreprise intervient de nouveau, et propose de mettre le
travailleur en congé maladie pour une durée d'un mois avant qu'il ne reprenne le travail à son
ancien poste. L'employeur refuse la mesure et met en service le travailleur à son ancien poste.
Ce dernier refuse de reprendre le travail, ce qui lui vaut une mise à pied, et plus tard un
licenciement.
Dans une abondante motivation, la Cour d'appel déclare le licenciement abusif:
" Attendu que la mise à pied de deux jours, du 5 au 7 avril 1978, pour refus de prendre son
poste de travail prouve sans conteste que depuis la consultation du 10 mars 1978, la CICAM
n'a pas procédé au changement de poste recommandé, ni permis à l'intimé le repos absolu
d'un mois maximum avant la reprise de son poste de tisserand, repos nécessaire relevé dans la
lettre du 14 avril 1978 du Docteur Abdoulaye ".
2. Les difficultés pratiques posées par les solutions existantes
L'arrêt d~ la Cour d'appel de Yaoundé ci-dessus montre une des difficultés pratiques
susceptibles de se poser dans la gestion du dossier médical du salarié. La médecine du travail
étant insuffisamment développée au Cameroun221 , il est courant que l'entreprise s'adresse à
221 En 1997, l'Annuaire statistique du Cameroun indiquait que Je pays ne comptait en 1994 que 26 médecins de
travail, soit deux fois moins qu'en ]986. Ce chiffre peut être plus bas aujourd'hui puisqu'il on expliquait sa
baisse par la crise économique.
61

un médecin généraliste plus ou moins proche de ses aspirations. Quant à lui le salarié préfère
s'adresser à un médecin traitant qui est non seulement techniquement compétent, mais qui
peut bien comprendre ses problèmes222. Dans l'un et l'autre cas, les conclusions médicales
peuvent être faussées, et sont le plus souvent contradictoires. Qui faut-il suivre dans ces
conditions? Au demeurant, les rapports des techniciens lient-ils le chef d'entreprise?
Aucun texte ne résout directement ces questions. Pour la première, on peut tenter un
rapprochement avec les difficultés de même nature posées au niveau de la prévoyance sociale
pour la réparation des accidents de travail et maladies professionnelles. L'article 7 du décret
nO 78/480 du 8 novembre 1979 fixant les modalités et la procédure de contrôle médical et
d'expertises médicales prévoit qu'en cas de désaccord entre le médecin de la Caisse Nationale
de Prévoyance Sociale et l'accidenté ou son médecin traitant, il est procédé à l'expertise
médicale qui est confiée soit:
• au médecin-inspecteur du travail du ressort ;
• à un médecin choisi d'un commun accord par le médecin traitant de la victime et
le médecin-conseil parmi ceux figurant sur une liste établie par le ministère de la Santé
Publique après avis du Conseil national de l'ordre des médecins; ce choix devant
intervenir dans les 15 jours suivant le dépôt de la demande d'expertise ou du rapport du
médecin conseil ;
• à un médecin choisi parmi ceux figurant sur la liste visée au paragraphe
précédent, par l'inspecteur du travail du ressort, en l'absence du médecin-inspecteur du
travail. Dans tous les cas le médecin-expert ne peut être ni le médecin qui a soigné la
victime, ni le médecin de travail de l'entreprise concernée, ni un médecin-conseil de la
Caisse Nationale de Prévoyance Sociale.
Il semble qu'autant que possible, la même solution devrait être appliquée aux
difficultés dans les modalités de mise en œuvre du droit à l'adaptation de l'emploi à l'état de
santé.
Quant à la question de la portée du rapport du médecin, il faut déduire de la technicité
des questions traitées que le chef d'entreprise dispose objectivement de peu de possibilité de
s'écarter des recommandations du médecin. On prendra aussi en compte le degré de
222 Il s'agit parfois d'un "marchandage" entre le médecin et le patient sur le principe, la durée ou les
conséquences de l'incapacité de travail.
62

spécialisation de l'auteur du rapport médical. S'il est un médecin non spécialisé dans les
questions de travail, son rapport pourrait ne pas peser beaucoup sur la décision à prendre
comme un rapport qu'aurait dressé un médecin spécialiste du travail. Celui-ci connaît mieux
les particularités des différentes tâches de l'entreprise et pourrait aller jusqu'à conseiller le
reclassement à tel poste bien précis, ou même prescrire des mesures propres à réaménager le
poste de travail aux convenances du travailleur diminué.
La seconde difficulté majeure que pose le droit camerounais concerne la preuve de la
maladie. Au regard de l'article 32 (c) du Code du travail, on peut dire que la maladie doit être
prouvée par un certificat médical" délivré par un médecin agréé par l'employeur ou relevant
d'un établissement hospitalier reconnu par l'Etat ". La Cour suprême décide que le certificat
médical est la seule preuve de la maladie223 • Cette solution est appliquée quand bien même il
résulte du dossier de procédure que l'employeur qui se prévaut de la non production du
certificat médical a donné de l'argent au salarié pour aller se faire soigner chez le médecin
indigène224. On a affinné que dans cette espèce, la Cour suprême a manqué de saisir
l'opportunité de résoudre une difficulté inhérente au contexte sociologique camerounais. En
effet, il est fréquent que le travailleur aille se faire soigner chez un guérisseur traditionnel, et
bien que tout le monde puisse en témoigner, il n'est pas de coutume de délivrer ici un
certificat médical. Il faudrait bien que la Cour suprême ait une conception large de la notion
de constatation de la maladie et ne s'en tienne plus seulement à l'exigence d'un certificat
médical22s. Au demeurant, en donnant au salarié de l'argent pour aller se faire soigner chez le
médecin indigène, l'employeur accepte le traitement indigène et " agrée" le médecin indigène
au sens de la loi226•
L'analyse peut trouver un appui supplémentaire dans l'idée que certains médecins
indigènes sont reconnus par le ministère de la Santé Publique227.
Malgré la réticence de la Cour suprême, les juridictions du fond font parfois preuve
d'ouverture en direction de la médecine indigène. Le Tribunal de grande instance de Yaoundé
a ainsi pu juger qu'un salarié qui prétendait avoir suivi un traitement indigène n'en avait
223 CS, nO 54/S du 15 avril 1982. Aff. OBAMA Paul d Directeur de l'UDEC, inédit.
224 CS, n° 40/S du 8 janvier 1982. Aff. KOUL J. Pierre d SOCADA J.S.A. 1. 2, p. 121.
225 P.G POUGOUE et V. TCHOKOMAKOUA : J. S. A., t. 2, p. 62.
226 Ibid.
227 Ils disposent à cet effet d'un àgrément.
63

rapporté aucune preuve228• C'est dire sans doute qu'il y a place pour la preuve d'un tel
traitement. Une telle preuve ne résulte certainement pas d'un certificat médical délivré par un
centre hospitalier au sens où l'entend le langage administratif.
Il semble qu'on viole le droit du travailleur malade de choisir son traitant, et par
conséquent son droit à la santé, en l'obligeant à s'adresser à un médecin exerçant dans une
formation hospitalière" reconnue ", au sens ou l'entend le langage administratif.
Dans la pratique, les travailleurs prudents recourent à la médecine indigène pour les
soins, et se "débrouillent" ensuite pour avoir un certificat médical d'un médecin exerçant dans
une formation dite reconnue. Dès lors, il y a de fortes chances que le contenu de ce certificat
soit fortement suggéré par le salarié et non décidé en âme et conscience par le médecin.
B. Les solutions du droit français
Le droit français établit une nette distinction entre les maladies professionnelles et les
accidents du travail d'une part et les maladies non professionnelles et accidents de droit
commun d'autre part229• Les intérêts de la distinction se montrent essentiellement sur un
point: la suspension du contrat de travail. Sur le terrain de la possibilité de reclassement en
cas d'inaptitude après la maladie ou l'accident, la distinction a perdu son intérêt.
1. La suspension du contrat de travail
Aux termes de l'article L.122-32-1 du Code du travail français, " le contrat de travail
du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie
professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou
la maladie ainsi que, le cas échéant, pendant le délai d'attente et la durée àu stage de
réadaptation,
de
rééducation
et
de
formation
professionnelle
que
(...) doit
suivre
l'intéressé... ".
228 Pour la prolifération des faux certificats médicaux au Cameroun, voir E. IUTIO, valeur actuelle des actes
médicaux à caractère judiciaire devant le juge répressif. Juridis-Périodique nO 27 p. 91 et s.
229 Ph. AUVERGNON, Corps et contrat de travail; quels droits fondamentaux, op. cil. p. 59.
64

La Chambre sociale a précisé que la législation protectrice s'applique même SI
l'origine professionnelle de l'accident ou de la maladie est seulement partielle, dès lors que
l,
1
.
230
emp oyeur en a eu connaissance
.
Deux questions importantes se posent pour l'application des dispositions légales.
D'une part, quand commence la suspension? Et d'autre part quand prend-t-elle fin ?
Sur la première question, il a été jugé que la date de la première constatation d'une
maladie professionnelle étant assimilée à la date de l'accident, la résiliation du contrat
intervenue au cours de la période de suspension consécutive à cette constatation méconnaît les
dispositions de la 10i231 . Autrement dit, la suspension commence en cas d'accident au jour où
celui-ci est survenu, et en cas de maladie au jour où celle-ci est constatée.
Sur la seconde question, la Chambre sociale décide que le contrat de travail est
suspendu jusqu'à la visite de reprise du travail par le médecin du travaie32.
Par rapport à la possibilité pour l'employeur de résilier le contrat de travail pendant la
période de suspension, le législateur français introduit de petites nuances selon que le contrat
est à durée détenninée ou à durée indétenninée. Le principe, certes, est partout l'interdiction
de licencier. Le législateur pose que la résiliation du contrat pendant la période de protection
est nulle233 . La jurisprudence ajoute utilement que l'interdiction de résiliation vise également
la mise à la retraite234•
Toutefois, le contrat à durée indétenninée peut être résilié pendant la période de
suspension si l'employeur justifie soit d'une faute grave du salarié, soit de l'impossibilité où il
se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, de maintenir ledit contrat.
S'agissant du contrat à durée déterminée, il peut être résilié si l'employeur justifie d'une faute
grave du salarié ou d'un cas de force majeure235.
230 Soc. 9 mai 1995. Or. soc. 1995,672.
231 Soc. 21 janvier 1987. Bull. civ. V nO 32.
m Soc. 22 mars 1989. Bull. civ. V nO 235.
233 V. Article L.122-32-2.
234 Paris, 29 avril 1993. RJS, 1993, 436, nO 738.
235 V. Article L.122-32-2.
65

Jusqu'à récemment, ce régime protecteur en cas de maladie professionnelle ou
d'accident du travail était très peu favorable en cas de maladie non professionnelle ou
d'accident de droit commun. Certes, pendant la durée de ces événements, le salarié a toujours
été dispensé de la fourniture de la prestation de travail, ce qui, dans une certaine mesure,
préserve sa santé. Et même, sauf dispositions conventionnelles favorables, les salariés
totalisant plus de trois ans d'ancienneté percevront une indemnité dégressive sur une durée
dépendant de l'ancienneté mais ne pouvant dépasser quatre vingt deux jours236. Mais le sort
du contrat de travail même était peu rassurant. La Chambre sociale avait précisé que cette
garantie de ressources n'est pas assirrùlable à une garantie d'emploi237. C'était dire que durant
la période où ces ressources sont versées, l'employeur peut rompre le contrat de travail.
Les conventions collectives indiquent parfois le temps d'absence pendant lequel
l'employeur ne peut licencier ou ne peut licencier qu'à certaines conditions. En toute
hypothèse, l'état de santé ne peut en lui-même être un motif de licenciement. Pourtant. ses
conséquences constitueront des causes réelles et sérieuses de rupture à l'initiative de
l'employeur dès lors qu'elles perturbent le bon fonctionnement de l'entreprisé38 .
La Cour d'appel de Paris vient d'ouvrir une piste plus favorable en se situant sur le
terrain de la discrimination en raison de l'état de santé. En effet, une lecture rapprochée de
l'article L. 122-45 du Code du travail français permet de soutenir que le trouble dans le
service ne peut, en l'absence d'un constat d'inaptitude dressé par le médecin du travail,
justifier un licenciement en cas de maladie239 C'est donc en définitive le médecin qui, par le
constat d'inaptitude, donne quitus pour licencier. Hors de cette voie, le licenciement serait
discrirninato ire.
Lorsque le salarié survit à l'épreuve de la maladie ou de l'accident, se pose pour lui le
problème du reclassement, ou plus largement de la poursuite de son activité.
236 V. Accord national interprofessionnel sur la mensualisation du 14 décembre 1977 dont les dispositions ont été
étendues par la loi du 19 janvier 1978.
m Soc. 4 juin 1982. Bull. V. n° 279.
238 Ph. AUVERGNON, Corps etcontrat de travail: quels droits fondamentaux? op. cil. p.60
239 Paris, 28 février 1997, D. O. 1997, 350, note A. SENGA.
66

2. La possibilité de poursuivre ['activité
Il ne fait pas de doute que le salarié devenu complètement inapte à l'issue d'une
maladie ou d'un accident perd son emploi. Les doutes n'ont pu exister que sur l'imputabilité
de la rupture. La jurisprudence pensait d'abord qu'une telle rupture était imputable à la force
majeure240. Une telle analyse était erronée, surtout lorsque l'inaptitude résultait d'un accident
ou d'une maladie professiormelle. L'analyse a été abandormée, et on est passé de la rupture
par force majeure à la rupture constituant nécessairement un licenciement241.
Lorsqu'à l'issue de la durée de l'inaptitude pour maladie professiormelle ou pour
accident de travaille salarié retrouve tous ses moyens, l'article L.122-32-4 du Code du travail
français prévoit qu'il retrouve son emploi ou un emploi similaire. La solution vaut, sans
doute, pour la maladie non professiormel1e et l'accident de droit commun.
L'obligation de réintégration à l'issue des périodes de suspension du contrat se
242
transforme, en cas d'inaptitude partielle, en obligation de reclassement
. L'article L.122-32-
5 du Code du travail français dispose en effet que" si le salarié est déclaré par le médecin du
travail inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait
précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer, compte tenu des conclusions écrites du
médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des
tâches existant dans l'entreprise et après avis des délégués du persormel, un autre emploi
approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé,
au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes, ou
aménagement du temps du travail ... "
Sous l'angle de la conservation de l'emploi, cette obligation de reclassement pose un
243
certain nombre de problèmes qui ne seront pas abordés ici
. En vérité, l'obligation de
reclassement ne nous intéresse que sous l'angle de la santé et de la sécurité du salarié à
reclasser. Sur ce terrain, la loi indique qu'il ne suffit pas simplement de chercher dans
240 Civ. 20 décembre 1926, Gaz. Pal., 1927, 1,457.
241
'
Soc. 14 décembre 1960. Bull. IV n° liB!.
242 H. BLAISE, Maladie et inaptitude physique, causes de rupture du contrat de travail, RlS. Fr Lefèvre, 1990,
315.
243 Voir pour ces problèmes, 1. VACARIE, Travail et santé: un tournant, Etudes offertes à G. LYON-CAEN op.
cit. ; J. SAVATIER, L'obligation de reclassement des salariés devenus physiquement inaptes à leur emploi, in
Mélanges H. BLAISE op. cit. et La visite de reprise effectuée par le médecin du travail à l'issue d'une absence
pour maladie ou un accident du travail. Dr. soc. 1997, p. 3 et s.
67

l'entreprise un poste correspondant aux forces résiduelles du salarié; au beso~ on procédera
à la mutation, à la transfonnation du poste de travail, à l'aménagement du temps de travail.
244
C'est d'une véritable adaptation de l'emploi à l'état du salarié qu'il s'agit
.
La jurisprudence se fondait naguère sur l'article 1134 du Code civil pour décider
qu'en cas d'inaptitude physique du salarié, l'employeur n'était pas obligé" de lui fournir un
emploi différent de celui pour lequel il avait été engagé ,,245. Aujourd'hui, cette jurisprudence
246
très contestable est abandonnée sur le fondement de dispositions pertinentes de la loi
.
Il reste à préciser les contours de l'obligation de reclassement ou, si l'on veut,
d'adaptation qui pèse sur l'employeur. Des termes de la lo~ il résulte que l'employeur est tenu
de proposer au salarié inapte à reprendre son ancien emploi un autre emploi approprié à ses
capacités. L'énergie de la règle s'étend normalement à la simple adaptation du poste de
travail247• L'employeur est donc tenu le cas échéant d'adapter le poste de travail248.
Le
reclassement
ou
l'adaptation
peuvent
s'avérer
impossibles.
Dans
ce
cas,
l'employeur doit indiquer les raisons pour lesquelles il ne peut donner une suite favorable à la
proposition du médecin du travail.
Le salarié peut légitimement refuser une proposition de reclassement qui ne lui paraît
pas appropriée à ses capacités. Et dans la mesure où l'enjeu principal reste la préservation de
la santé du salarié, l'employeur peut toujours solliciter un autre avis du médecin du travail sur
la proposition de reclassement qu'il entend faire, ou sur les mesures qu'il entend prendre pour
adapter le poste de travail à l'état de santé du salarié.
La responsabilité de l'employeur peut, bien entendu, être engagée du fait qu'il utilise
le salarié à un poste qui lui est déconseillé. Il a été jugé qu'en cas d'accident du travail ou de
maladie professionnelle trouvant sa source dans la méconnaissance des prescriptions du
244 Au demeurant, cette obligation d'adaptation est prévue même en raison de l'âge, de la résistance physique
(article L. 24 J-1 0- J du Code du travail).
245 Soc. 18 décembre J978. Dr. soc. 1979, 170. La solution résulte d'une lecture partielle de l'article 1134 du
Code civil. On a démontré dans le point précédent que l'obligation de bonne foi dans l'exécution des contrats
pèse sur les parties au contrat de travail et devrait se traduire par une obligation de reclasser, tout au moins
lorsque l'inaptitude est d'origine professionnelle.
246 V. Articles L.122-24-4, L.122-32-5, L.241-l 0-1.
247 Fournir un autre emploi est en général sinon toujours plus onéreux qu'adapter l'emploi existant.
248 Sa responsabilité pénale pourrait être engagée en cas de manquement.

médecin du travail sur l'inaptitude du salarié à certains travaux, l'employeur est coupable
d'une faute inexcusable249• Sur le plan pénal on peut penser que l'employeur qui prend des
libertés sur l'avis d'inaptitude donné par le médecin du travail est coupable d'un
" manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements ,,250. Il s'agit d'une circonstance aggravante. Mieux, si l'accident causé par la
résistance de l'employeur a entraîné la mort, ce dernier peut même être poursuivi pour
homicide par imprudence. Le dispositif pénal est en tout cas suffisamment dissuasif, à la
mesure de l'intérêt en jeu: l'intégrité physique du salarié.
PARAGRAPHE II: LE CORPS DANS L'ACTIVITE NORMATIVE
L'activité normative en droit du travail connaît des évolutions. Les points extrêmes
sont l'époque où le travail subordonné était perçu par le Code civil simplement comme un
contrat ordinaire et l'approche contemporaine où les partenaires sociaux se voient investir de
d'une certaine compétence pour réguler les rapports de travail. Si l'approche du droit civil
était inadmissible, c'est entre autres parce qu'eUe était incapable d'assumer certaines
exigences dont la protection du corps du salarié. Le souci de protection du corps est tellement
fort que même quant le législateur délègue aux partenaires sociaux son pouvoir normatif. il
laisse voir que les normes élaborées par ces derniers ne seront pertinentes que si elles
n'ignorent pas l'exigence de sécurité. En particulier le corps est, en droit français, une
référence à la validité des mesures dérogatoires sur le temps de travail (B).
Dans un registre plus classique, la création d'un droit particulier du travail subordonné
devait assurer la protection du corps non seulement en créant les conditions d'évitement des
atteintes, mais aussi en veillant à l'entretien du corps (A).
A. L'entretien du corps
Le corps. doit être entretenu, faute de quoi il ne peut garder sa consistance et doit
finalement disparaître. Se trouve établi un rapport direct entre la rémunération du travail et le
principe de l'intangibilité du corps. Ce dernier va inspirer un certain nombre de règles sur le
salaire. Il est même banal de relever que le salaire est perçu comme un élément vital.
249 S
3
oc.
novembre 1988. lur. soc. 1989, 80.
250 V. Articles 221-6 et 222-19 du Code pénal français.

L'institution en France du salaire minimum de croissance, et au Cameroun du salaire
minimum interprofessionnel garanti25 1 suffit à montrer que le salaire est perçu comme un
élément vital. L'idée fondamentale est que le salarié doit obtenir en échange de ses services
252
un revenu lui permettant de vivre
. Cette idée n'a été ébranlée ni par les termes de l'article
61 du Code du travail camerounais selon lesquels sauf accord entre les parties aucun salaire
n'est dû en cas d'absence du travailleur, ni par les affinnations de la jurisprudence qui insiste
~
1
l'
1
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·253 D
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peut-etre un peu trop sur ce que e sa arre est a contrepartIe
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jurisprudence apporte des assouplissements à l'exigence d'un travail effectué pour l'existence
d d ·
1 . 254
U
rOlt au sa arre
.
Une rigoureuse corrélation entre le salaire et le travail est une analyse qui se
comprend bien en droit civil. Or le salaire est une matière où le droit du travail répudie dans
une large mesure l'analyse civiliste (1). Cette répudiation est fondée sur l'analyse du salaire
comme élément vital. Par ailleurs, en tant qu'élément vital le salaire bénéficie d'un certain
nombre de garanties pour son paiement effectif (2).
1. La large répudiation de l'analyse civiliste du salaire
Les civilistes enseignent que dans un contrat synallagmatique, les prestations
réciproques des parties se tiennent mutuellement: l'une est la cause de l'autre, et
255
réciproquement. Il en résulte plusieurs conséquences
.
L'analyse que le droit du travail fait du salaire s'oppose à la réception telles quelles de
ces conséquences. Bien entendu, il ne sera pas question ici d'évaluer la mesure de la réception
ou du rejet par le droit du travail des conséquences du contrat synallagmatique. Mais on peut,
sans peine, constater qu'en raison de l'idée que le droit du travail se fait de la fonction du
251
Il faut, certes, ajouter au SMIC les institutions satellites qui sont le minimum garanti, la rémunération
mensuelle minimale. et les minima conventionnels.
m V. Article 64.
m Soc. II janvier 1962. lCP 1962 II.I2564. TG! de Bafoussam, nO 15 du 07 mars 1975 inédit.
254 Se tenir à la disposition de l'employeur est assimilé à un travail effectif. Soc. 28 février 1962. D.1962, 605
note G. LYON-CAEN; implicitement, CA de Yaoundé, nO 1681 du 6 septembre 1994. Collège privé Mongo
Beti cl OANSI Louis, inédit.
m Dont notamment la théorie des risques. Le droit civil des obligations enseigne que les risques sont à la charge
du débiteur empêché. (Cf A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, Paris 1994, Montchrestien, nO 344 à
346). Le Code civil traite du cas d'un contrat à exécution successive bien connu: le contrat de bail. Il prévoit que
la force majeure libère le locataire du paiement des loyers futurs (article 1722).
70

salaire, il s'est écarté ou n'a pas reçu sans aménagement certaines solutions que lui proposait
l'institution du contrat synallagmatique, et en particulier la fonction qu'aurait exercé le salaire
en tant que contrepartie du travail. Deux remarques peuvent être faites. En premier lieu, le
256
droit du travail organise la rémunération des périodes d'inactivité
, ce qui est impossible
dans une analyse rigoureuse du contrat,synallagmatique. En second lieu, la fixation du salaire
257
prend en compte certains éléments a priori étrangers à la prestation de travail
, de sorte
qu'on peut dire que le salaire n'est pas la mesure du travail.
Par ailleurs, la créance de salaire résiste bien à la menace de deux techniques
bien éprouvées en droit civil: la compensation et la renonciation.
258
La compensation, on le sait, est un mode de paiement
. Elle opère extinction des
dettes ou créances réciproques. L'employeur peut donc être tenté de compenser ses créances
envers le salarié avec sa dette de salaire. Mais si le procédé est commode pour l'employeur
qui peut même être dans la crainte de l'insolvabilité d'un débiteur économiquement plus
faible, il peut être désastreux pour le salarié qui compte sur son salaire pour assurer sa
subsistance. C'est pourquoi, en ce qui concerne la compensation, le droit du travail a fait à
259
l'employeur une place spéciale parmi les créanciers du salarié
.
L'article 3 du décret
camerounais nO 94/197/PM du 09 mai 1994 relatif aux retenues sur salaire dit qu'est nulle et
de nul effet la compensation effectuée par un employeur entre les salaires et indemnités qu'il
doit au travailleur et les sommes que celui-ci pourrait lui devoir à quelque titre que ce soit260.
En droit français, il ne s'est pas agi d'exclure radicalement la compensation, mais de
circonscrire son champ. L'article L.144-1 du Code du travail français est suffisamment clair
sur la question: "Aucune compensation ne s'opère au profit des employeurs entre le montant
des salaires dus par eux à leurs salariés et les sommes qui leur seraient dues à eux-mêmes
pour fournitures diverses, quelle qu'en soit la nature, à l'exception toutefois:
256 Ces périodes sont plus nombreuses qu'on ne l'imagine a priori. L'article 32 du Code du travail camerounais
énumère pas moins de onze hypothèses de suspension du contrat de travail. En France ces hypothèses sont plus
nombreuses encore compte tenu de la diversité des cas de congés spéciaux. D'autre part, il ne semble pas erroné
d'analyser comme de courtes périodes d'inactivité payées les repos journaliers et hebdomadaires.
257 Il s'agit en particulier de la taille de la famille. Cette idée a trouvé consécration dans la Constitution italienne
qui dispose en son article 36 que « Le travailleur a droit à une rémunération proportionnée à la quantité et à la
qualité de son travail et en tout cas suffisant pour lui assurer ainsi qu'à sa famille une existence libre et digne ».
25SCf. A. BENABENT, Droit civil, Les Obligations, Paris 1994, Montchrestien, nO 816 à 828.
259J. RIVERO et J. SAVATIER, Droit du travail, PUF, 9è éd,. p. 608.
260 Certes avec quelques réserves sur lesquelles nous
reviendrons dans la seconde partie de ce travail ( titre I,
chapitre 1).
71

1) des outils et instruments nécessaires au travail ;
2) des matières ou matériaux dont le salarié a la charge et l'usage;
3) des sommes avancées pour l'acquisition de ces mêmes objets"
Ce texte doit être lu avec celui de l'article L.144-2 qui dispose que "Tout employeur
qui fait une avance en espèce en dehors du cas prévu au 3° de l'article précèdent ne peut se
rembourser qu'au moyen de retenues successives ne dépassant pas le dixième du montant des
salaires exigibles ... "
261
La renonciation quant à elle est prévue par différents articles du Code civil
• Elle est
la manifestation de l'abandon d'un droit par son titulaire262• Mais par différents articles, les
Codes du travail
camerounais et
français
montrent
leur réticence
à
l'égard
de
la
renonciation263 .
Parce qu'elle est abandon par le salarié d'un droit dont il dispose à l'égard de
l'employeur, la renonciation paraît dangereuse264, en particulier lorsqu'elle porte sur le salaire
perçu comme moyen de subsistance.
Les règles sur la compensation et la renonciation sont, en vérité, destinées à assurer le
paiement effectif du salaire. Il faut en plus que le salaire remplisse sa fonction alimentaire.
2. Les garanties de paiement et d'une bonne utilisation du salaire
Il ne suffit pas que le salarié perçoive son salaire, encore faut-il qu'il puisse l'utiliser à
la satisfaction de ses besoins vitaux. Cet objectif peut ne pas être atteint simplement parce que
le salaire est perçu à un lieu non approprié, ou à contretemps. En fixant les règles relatives au
261Yoir entre autres les articles 1338 et s, 311-9, 2021,2026,2220 et s.
262Yoir P. RAYNA~, La renonciation à un droit, sa nature et son domaine en droit civil, RTD. civ. 1936, p.
763.
263 L'article 69 alinéa 4 du Code du travail camerounais dispose que "L'acceptation sans protestation, ni réserve,
par le travailleur d'un bulletin de paye ne peut valoir renonciation de sa part au paiement de tout ou partie du
salaire, des
indemnités et accessoires du salaire qui lui sont dus en vertu des dispositions législatives,
réglementaires, conventionnelles ou contractuelles ..,". Au fond, ce texte dit rigoureusement la même chose que
l'article L.143-4 du Code du travail français. Il faut citer à côté de ces textes les dispositions des articles L.122-
17 et 69 al.3 des Codes du travail français et camerounais sur Je reçu pour solde de tout compte. Le texte français
rend difficile l'efficacité du document; le texte camerounais lui dénie toute efficacité.
2641. y ACARIE, La renonciation du salarié, Dr. soc 1990, 757.
72

lieu et à la périodicité du paiement, le législateur protège le salaire non seulement contre
l'employeur, mais aussi contre le salarié lui-même qui pourrait facilement céder à la tentation
.
d"
d
265
e certames epenses mopportunes
.
Il faut sans doute souligner, dans le faisceau de dispositions imaginées pour assurer la
protection du salaire, la distinction que le législateur français fait entre l'ouvrier et l'employer,
relativement à la périodicité du paiement du salaire. Tous les deux peuvent être tenus par une
convention ou un accord de mensualisation. Dans le cas contraire, le salaire de l'ouvrier doit
être payé à intervalles réguliers de seize jours au plus, alors que celui de l'employé doit être
payé une fois par mois. C'est bien là une conséquence de l'idée selon laquelle le salaire de
l'ouvrier étant forcément plus bas, ne peut lui permettre de constituer, pour sa subsistance, des
réserves sur plus de seize jours.
Le dispositif de protection n'aurait pas été complet si on n'avait pas songé à organiser
le privilège du salaire266• En droit français, l'article 1.143-7 du Code du travail dispose que
« la créance des salariés et apprentis est privilégiée sur les meubles et inuneubles du débiteur
dans les conditions prévues aux articles 2101-4 0 et 2104-2 0 du Code civil». Mais il s'agit
d'un privilège général, d'une efficacité lirrlltée267.
Au Cameroun, le privilège du salaire résulte, dans un prell11er pallier, de la
combinaison des articles 70 du Code du travail et 107 de l'Acte uniforme de l'OHADA sur le
droit des sûretés. De cette combinaison, il apparaît que ce privilège ne peut bénéficier qu'à la
portion saisissable du salaire, la portion insaisissable étant couverte par le superprivilège. La
fraction saisissable bénéficie d'un privilège général268 qui passe après les frais funéraires, de
265 Voir, pour ces règles, les articles 67 et 68 du Code du travail camerounais, L.143-1 du Code du travail
français.
266 Nous nous limiterons au privilège du salaire pour cette démonstration. Mais l'idée peut se démontrer aussi
ailleurs. On pense notamment aux règles sur la saisie avec en particulier l'article 53 de l'Acte uniforme de
l'üHADA sur les voies d'exécution qui dispose que lorsqu'un compte, même joint, alimenté par les salaires d'un
époux commun en biens fait l'objet d'une mesure d'exécution forcée, ou de saisie conservatoire pour le paiement
ou la garantie d'un~ dette née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement à la disposition de l'époux
commun en bien une somme équivalente, à son choix, au montant du salaire du mois précédent, ou au montant
moyen des salaires des douze mois précédents.
267 D'abord, l'article 210 1 du Code civil le classe au quatrième rang, après les frais de justice, les frais funéraires
et de dernière maladie, quelle qu'en soit la terminaison, concurremment entre ceux à qui ils sont dus. Ensuite,
J'article 2104 du même code, sur les immeubles, classe le privilège du salaire au second rang, après les frais de
justice. Enfin, comme tout privilège général, le privilège du salaire passe après le fisc et les privilèges spéciaux.
Le droit camerounais comporte des nuances par rapport à ces solutions.
268 Les articles 113 et 114 de l'Acte uniforme de l 'OHADA sur les sûretés prévoient deux privilèges spéciaux au
profit, respectivement, du travailleur d'un exécutant d'ouvrage à domicile sur les sommes d'les par le donneur
73

dernière maladie ayant précédé la saisie des biens, les fournitures de subsistance faites au
débiteur pendant la dernière année ayant précédé son décès, la saisie des biens ou la décision
d'ouverture de la procédure collective. Mais le privilège ne couvre que les sommes dues aux
travailleurs et apprentis pour exécution et résiliation de leur contrat durant la dernière année
ayant précédé le décès du débiteur, la saisie des biens ou la décision judiciaire d'ouverture
d'une procédure collective.
La notion de superprivilège du salaire couvre des réalités différentes selon qu'on la
considère en droit camerounais ou en droit français. En droit camerounais, l'article 70 du
Code du travail permet de comprendre que le superprivilège du salaire couvre la fraction
insaisissable de celui-ci. Dans le silence du législateur, il faut penser que dans le temps il n'est
limité que par les règles résultant de la prescription de l'action en paiement du salaire. Il
profiterait donc même aux créances plus anciennes que celles que couvre le privilège au
premier pallier.
Pour sa force. il faudrait se reporter aux articles 148 et 149 de l'Acte
uniforme de rOHADA sur le droit des sûretés, 96, 166 et 167 de l'Acte uniforme de
l'OHADA sur les procédures collectives269.
La diversité des situations et règles impose de distinguer selon qu'on est en droit
commun ou dans le régime dérogatoire des procédures collectives. En droit commun, et en
matière mobilière, le superprivilège est classé après deux rubriques: les frais de justice
engagés pour la réalisation du bien vendu et la distribution du prix, ainsi que les frais engagés
pour la conservation du bien. En matière immobilière, il passe après les frais de justice
engagés pour la réalisation du bien vendu et la distribution du prix.
Dans les procédures collectives le superprivilège du salaire garde le même rang qu'en
droit commun, aussi bien en matière mobilière qu'en matière immobilière. Le législateur
indique cependant que le superprivilège joue en proportion de la valeur du bien sur lequel il
porte, par rapport à l'ensemble de l'actif Par ailleurs, les créances superprivégiées au jour de
l'ouverture de la procédure collective sont, avant toute autre, payées par le syndic sur simple
décision du juge commissaire, au plus tard dans les dix jours qui suivent la décision
d'ouvrage pour garantir les créances nées du contrat de travail si celles-ci sont nées de l'exécution de l'ouvrage,
et du travailleur d'une entreprise de travaux sur les sommes restant dues à l'entreprise pour les travaux exécutés,
en garantie des créances nées à son profit à l'occasion de l'exécution de ces travaux (les salaires dues sont payés
par préférence aux sommes dues aux fournisseurs).
269 Ces dispositions enlèvent toute force d'application à l'article 70 du Code du travail, mais seulement en ce qui
concerne la force du superprivilège du salaire.
74

d'ouverture de la procédure collective. En cas d'insuffisance de fonds elles sont payées sur les
premières rentrées de fonds, et celui qui avance des fonds pour acquitter ces dettes est subrogé
27o
dans les droits des salariés avec la même priorité
.
Aussi bien en droit commun que dans la procédure collective, garantie est accordée
sans limitation dans le temps autre que celle qui découle de la prescription de l'action en
paiement du salaire. Autrement dit, le superprivilège joue quelle que soit la date de naissance
de la créance de salaire.
En droit français, le superprivilège du salaire est confiné à la période de redressement
ou de liquidation judiciaire, où il permet à la créance salariale d'être payée très rapidement et
par priorité à toute autre créance27I • L'article L.143-10 du Code du travail français prévoit que
«Lorsqu'est ouverte une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, les
rémunérations de toute nature dues aux salariés et apprentis et l'indemnité mentionnée à
l'article L.980-11-1 [abrogé] due par l'employeur aux bénéficiaires d'un stage d'initiation à la
vie professionnelle pour les soixante derniers jours de travail ou d'apprentissage doivent,
déduction faite des acomptes déjà perçus, être payés, nonobstant l'existence de tout autre
créance privilégiée, jusqu'à concurrence d'un plafond mensuel identique pour toutes les
catégories de bénéficiaires... ,,272.
Les créances garanties par le superprivilège sont limitées à la période de soixante (60)
derniers jours de travail ou d'apprentissage pour les salariés ou apprentis; quatre vingt dix
(90) derniers jours pour les VRP ; quatre vingt dix (90) derniers jours de travail ou la dernière
période de paiement si celle-ci est d'une durée plus longue pour les marins de commerce.
Par procédure exceptionnelle, ces sommes doivent être payées dans les dix CI 0) jours
qui suivent le jugement d'ouverture de la procédure, sur une simple ordormance du juge
commissaire. La seule crainte est que le débiteur n'ait pas en main les fonds nécessaires.
270 Voir article 96 de l'Acte unifonne sur les procédures collectives. Lorsqu'on rapproche cet article des articles
166 et 167 du même Acte unifonne, on doit dire que le superprivilège a une portée qui diffère suivant la date de
la naissance de la créance salariale. Les rang qu'il a dans les articles 166 et 167 ne s'imposerait qu'aux salaires
superprivilègiés qui ne rentrent pas dans le champ de l'article 96, parce qu'ils n'existaient pas à la date
d'ouverture de la procédure collective.
271 Le droit français donne ainsi en intensité ce qu'il refuse en étendue.
272L'alinéa 2 de cet article donne le détail des rémunérations dont il est question à J'alinéa 1. L'article L.143-11 y
ajoute les indemnités de congés payés.
75

C'est justement cette crainte qui a poussé le législateur français à prévoir à la charge
des employeurs l'obligation de prendre une assurance contre le risque de non-paiement, en cas
de procédure de redressement judiciaire, des sommes qui sont dues aux salariés en exécution
du contrat de travail273 . Cette assurance obligatoire est inspirée par l'idée qu'en toutes
circonstances le salarié doit être mis en possession de ses moyens de subsistance.
B. Le corps comme référence à la validité des mesures dérogatoires sur le temps de
travail
L'idée d'accords dérogatoires date, en France, de 1982. Ces accords, dans leur
principe même, traduisent une certaine dégénérescence si ce n'est la déchéance du principe de
l'ordre public social. Pour la première fois, et à partir d'un constat de l'essoufflement de la
négociation collective tournée exclusivement vers l'acquisition d'avantages par les salariés, le
législateur autorisait des dérogations dans un sens moins favorable à ces derniers.
Mais nous nous intéresserons ici à une réalité plus vaste. Elle concerne, bien entendu,
la question particulière des rapports entre la loi et la négociation collective, mais aussi la
question des rapports entre normes d'origine européenne et normes internes françaises. Cest
dans les rapports entre normes européennes et normes françaises que le corps donne à voir la
1
force de sa résistance à la flexibilité, parce qu'on pense qu'il relève d'un ordre de valeurs non
négociables. L'occasion d'administrer la preuve d'une telle vision a été donnée par la
directive CEE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps
de travail. Dans sa philosophie générale, la directive ouvre largement aux législateurs
nationaux et à la négociation collective la faculté de prévoir des dérogations à ses
dispositions274 • Mais elle s'arrête sur un constat lumineux: "l'amélioration de la sécurité,
l'hygiène et la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être
subordonné à des considérations de caractère purement économique ,,275. A partir de ce
constat, la directive pose l'exigence de santé et de sécurité comme limite à toutes les mesures
qui peuvent être prises par les législateurs nationaux ou les partenaires sociaux en dérogation
aux indications qu'elle fournit. La directive fait même le rappel d'un principe qu~ pour être
27JVoir les articles L.I43-11-1 et suivants du code du travail français.
274 Voir l'article 17.
275 V
.
b 1 5 .
'd .
. pream u e, e consl erant.
76

élémentaire, n'en vaut pas moins la peine dans un domaine comme celui de l'aménagement
du temps de travail où la logique économique menace les idées les plus ancrées :
" l'organisation du travail selon un certain rythme doit tenir compte du principe général de
l'adaptation du travail à l'homme". C'est bien dit : par delà toutes les variations dans le
276
temps et l'organisation du travail, l'homme et en particulier son corps restent intangibles
.
La protection du corps relève ainsi indiscutablement du domaine de l'ordre public
communautaire, ce faisceau d'exigences supérieures se manifestant par une irnpérativité
fondamentale277. Le corps est, pour ainsi dire, un " rocher ,,278 que le droit communautaire
dresse dans le souci de conjurer tout risque de débordement.
Un rapprochement peut être fait entre l'appréhension du corps en droit communautaire
à travers la notion de l'ordre public et ce même jeu en droit interne. Il ne se discute pas que
279
les dispositions du droit interne sur la protection du corps sont d'ordre public
. On précise
même que les règles sur l'hygiène et la sécurité du travail relèvent du noyau dur de l'ordre
28o
public social
. La précision sur la nature de l'ordre public en cause est importance, parce
qu'elle dévoile le fait que les dispositions légales et réglementaires sur la protection du corps
peuvent être améliorées281. C'est dire que les dispositions légales et réglementaires sont
" dérogeables " dans le sens favorable aux salariés.
Mais le Conseil d'Etat français va plus loin; il admet des dérogations même dans un
sens défavorable aux salariés. En effet, dans l'arrêt du 8 juillet 1994 précité, il affirme
qu'aucun principe et notamment le principe de la protection de la santé ne fait obstacle à la
modification, même dans un sens défavorable aux salariés, des dispositions de l'article R.
241-48 du Code du travail en apportant des aménagements limités aux conditions
d'organisation d'un examen médical d'embauche.
276 V. préambule, 15è considérant.
277 E. PICARD, L'influence du droit communautaire sur la notion d'ordre public, L'AIDA, 20 juin 1996,62.
278 Dans l'exorde au colloque" L'ordre public à la fin du XX è siècle", Jean CARBüNNIER souligne la
nécessité de trouver un "rocher" par le moyen de l'ordre public, pour faire face à la société permissive ( Cf
L'ordre public à la fin du XX è siècle, sous la direction de Th. REVET, Dalloz 1996, 1).
279 V. H. SEILLAN, Sécurité du travail et ordre public, Dr. soc. 1989,371.
280 Ibid.
281 L'observation est aussi vraie d'un point de vue des rapports entre le droit européen et les dispositions du droit
interne.
77

Certes, on a affirmé que cette solution s'insère bien dans le dispositif des accords
dérogatoires dont le régime est fixé par l'article L.132-26 du Code du travaif82. Cet article a
pour objet d'habiliter les parties signataires d'une convention collective ou d'un accord
d'entreprise
ou
d'établissement
à
déroger
aux
normes
supérieures
étatiques
ou
conventionnelles, une ou plusieurs organisations non signataires pouvant toutefois s'opposer,
le cas échéant, à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord à condition qu'elles aient
recueilli les voix de plus de la moitié des électeurs inscrits lors de la désignation des
,
d
1283
representants u personne
.
Cette analyse néglige le rang de l'intérêt en cause, à savoir le corps du salarié. Et d'un
point de vue de la technique juridique, il est douteux que le pouvoir réglementaire puisse ab
initio autoriser une dérogation in pejus aux règles sur la médecine du travail alors surtout que
ces règles sont inspirées directement et exclusivement par l'exigence de la protection de la
santé et de la sécurité du travail.
C'est, semble-t-il, dans les conclusions du Commissaire du Gouvernement qu'il faut
chercher la vérité juridique. Ce dernier s'inscrit en faux contre ravis du demandeur qui
estimait que la médecine du travail ne pouvait faire l'objet de négociation collective. En
revanche, le régime de la négociation collective ici possible est celui du droit commun en
droit du travail. Il s'agit donc d'une négociation dans le sens de plus de faveur au salarié. Et
faute que l'examen concret des données de r espèce aient révélé ce plus de faveur, le
Commissaire du Gouvernement a conclu à l'illégalité du texte. Une telle conclusion donnait
son plein sens au principe d'intangibilité du corps.
Conclusion du chapitre
S'il est aujourd'hui, en droit du travail, une idée dont on ne peut raisonnablement
envisager la remise en cause, c'est bien la nécessité d'assurer la protection de l'intégrité
282 X. PRETOT op cit., 822.
283 Ibid.
78

physique du salarié84• De la première loi sociale à nos JOurs, les techniques et normes
juridiques n'ont cessé de se développer en se perfectionnant pour assurer au mieux la
protection du corps.
Deux axes importants ont été pris dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité :
désigner le chef d'entreprise comme responsable de la sécurité, organiser la prévention le plus
en amont possible.
Les techniques juridiques de protection du corps dépassent cependant cette approche.
Tout d'abord, au nom de la préservation de la santé du salarié malade, le pouvoir
d'organisation du chef d'entreprise est atteint. Ensuite, parce qu'il faut entretenir le corps du
travailleur, le salaire est particulièrement protégé. Enfin, la sécurité est désignée à l'attention
des Etats et des partenaires sociaux comme non susceptible de dérogation.
Le trait le plus révolutionnaire des techniques juridiques de protection du corps est
cependant sans conteste le pouvoir d'initiative reconnu au salarié pour la défense de son
corps.
284 Sur le principe de la protection, il n'y a pas d'opposition possible entre le salarié et J'employeur. Le premier
tient à son intégrité physique même par simple réflexe de conservation ; le second ne peut objectivement
compter sur la force de travail du premier que si celle-ci n'est pas détruite.
79

CHAPITRE II
LA FACTURE MODERNE DE LA PROTECTION DE L'INTEGRITE PHYSIQUE:
LA MAITRISE DE SON CORPS PAR LE SALARIE
La facture traditionnelle de la protection de l'intégrité physique est dans l'ensemble
caractérisée par une double constante : d'une part, la prééminence du chef d'entreprise,
désigné comme responsable de la sécurité des salariés ; d'autre part, et corrélativement, le
retrait de tout pouvoir d'initiative aux salariés. Dominés par le lien de subordination, ces
derniers n'ont qu'à respecter les règles ou même à obéir aux ordres du chef d'entreprise dans le
domaine de l'hygiène et de la sécurité285 Un tel schéma convient assez mal à un être doué de
raison, et dont la vie est menacée.
La nouvelle approche consiste à laisser au salarié un véritable pouvoir d'initiative
pour, le cas échéant, « sauver sa peau ». A vrai dire. on peut se demander pourquoi une telle
solution a tardé à s'imposer à la conscience des juristes. Se mettre à l'abri d'un danger grave et
imminent, n'est-ce pas un simple réflexe de conservation pour un homme286, même
subordonné?
Le droit de retrait ne peut cependant se réduire à la légitimation d'un réflexe
sécuritaire. Car pour investir le salarié de cette énorme responsabilité, il a fallu le reconnaître,
nécessairement, comme un être raisonnable287 . Le droit de retrait a ainsi permis de découvrir,
malgré le lien de subordination, le sujet raisonnable qu'est le travailleur. Au fond, on ne peut
faire l'économie des présupposés philosophiques dont le droit de retrait rappelle la
permanence et la forte pertinence.
285Les articles 2 et 7 de l'Arrêté camerounais n° 039 du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales
d'hygiène et de sécurité sur les lieux de travail sont éloquents à ce sujet. Le premier dispose que "L'employeur
est directement responsable de l'application de toutes les mesures de prévention d'hygiène et de sécurité
destinées à assurer la protection de la santé des travailleurs qu'il utilise". Le second pose que "Tout travailleur est
tenu de se conformer rigoureusement aux dispositions légales et réglementaires relatives à l'hygiène et à la
sécurité sur les lieux de travail ainsi qu'aux instructions du chef d'entreprise et aux prescriptions du règlement
intérieur, notamment en ce qui le concerne".
286A vrai dire, ce réflexe se vérifie aisément, même chez d'autres espèces vivantes.
287 Un sujet pensant, selon la formule de René DESCARTES
80

Nous présenterons le cadre juridique du droit de retrait (SECTION 1) avant les
présupposés philosophiques des règles sur la protection du corps (SECTION II).
SECTION 1 : LE CADRE JURIDIQUE DU DROIT DE RETRAIT
L'institution du droit de retrait remonte à la convention nO 155 de l'OlT sur la sécurité
de 1981. En France, la loi du 23 décembre 1982 reconnaît aux salariés le droit de se retirer
d'une situation de travail dont ils ont un motif raisonnable de penser qu'elle présente un
danger grave et imminent pour leur vie ou \\eursanté 289 .
Mais, ce qui importe, ce n'est pas seulement que le salarié se retire de la situation de
travail dangereuse
(PARAGRAPHE f) : il faudrait aussi voir les suites du retrait
(PARAGRAPHE II J,
PARAGRAPHE l : LE RETRAIT DE LA SITUATION DE TR.A. VAIL DANGEREUSE
Les dispositions sur le droit de retruit exigent du sabrié plus qu'un simple réflexe.
Dans la mesure où la prérogative qui lui est recOlmue se situe prGtiquement en face des
pouvoirs du chef d' entreprise et doit même être vue comme ponction sur le domaine de ces
pouvoirs, l'articulation des prérogatives au sein de r entreprise ne peut être harmonieuse que
si on précise clairement les conditions d'exercice du droit de retrait (A). Mais il faut aussi dire
que le retrait ne peut atteindre son objectif que s'il est nercé suivant des modalités bien
définies (B).
289 Certes. le premier pas dans cette voie remonte il la loi du 4 aoOt 1082 qui a reconnu aux salariés "un droit à
l'expression directe sur le contenu et l'organisation de leur travail". L'institution. ne concerne pas spécitiquement
la sécurité au travail; mais dans la mesure où elle vise sans exclusive toutes les conditions de travail, il ne fait
pas de doute qu'on peut s'en servir aux fins d'amélioration de la sécurité au travail. Ce qui importe en tout cas,
c'est que le salarié peut être écouté sur ses problèmes de sécurité.
Mais le droit d'expression ne confère aucun pouvoir' de décision aux s,i1ariés ; ceux-ci ne peuvent que faire des
observations, émettre des avis et faire des propositions.
81

A. Les conditions d'exercice du retrait
Ce qui légitime le retrait d'une situation de travail, c'est le danger que court le salarié.
Autrement dit, le salarié doit avoir un motif raisonnable de penser que seul l'arrêt de travail
peut mettre :fin à la menace qui pèse sur lui289• Le texte dit qu'il doit avoir un motif légitime de
penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa
santé. Deux éléments doivent être mis en exergue ici : la gravité et l'imminence du danger
d'une part Cl) ; et le motif raisonnable d'autre part (2).
1. La gravité et l'imminence du danger
D'un point de vue théorique, il est bien difficile de défmir la notion de danger290 grave
et imminent. Très judicieusement, le législateur français ne s'est pas engagé dans la voie d'une
définition de cette notion291 . Sur le plan pratique, c'est au cas par cas qu'on peut apprécier la
gravité et l'imminence du danger. On comprend que cette appréciation soit laissée au pouvoir
souverain des juges du fond. L'examen de quelques exemples concrets permettra de se faire
une idée de la gravité (a), puis de l'imminence (b) du danger.
a) La gravité du danger
On l'a assez souligné, l'existence d'un danger ne suffit pas à justifier le retrait ; ce
danger doit être grave292. D'un point de vue méthodologique, la gravité du danger doit être
appréciée en comparant ce danger au risque professionnel normal toléré dans la profession
concernée. Les lois et règlements peuvent offrir une grille de comparaison, en particulier
lorsqu'ils fixent des seuils limites d'exposition à la chaleur, au froid, aux rayons ionisants ou à
toute autre source de menace pour la santé ou la sécurité. Dans de telles conditions, le
dépassement de ces limites fait craindre indiscutablement un danger grave. A priori ou a
289G. LACHAISE, note op. cit. p. 193.
290En faisant une nuance entre les notions de risque et de danger, H. SEILLAN a montré que la définition de la
notion de danger même est loin d'être évidente (V. H. SEILLAN, sécurité du travail et ordre public, op. cit. p.
39).
291 V. aussi A. BOUSIGES, Le droit des salariés de se retirer d'une situation de travail dangereuse, Dr. soc.
1991, p. 284.
292Ibid.
82

posteriori, l'appréciation de la gravité du danger est facilitée puisqu'existe un élément objectif
d'appréciation: la limite tolérée par la loi ou le règlement.
Lorsque les règlements ne fixent aucun seuil limite de tolérance, chacun peut
naturellement se faire une idée de la gravité du danger. L'appréciation peut ici varier très
sensiblement selon qu'elle est faite par un homme trop prudent, à la limite paranoïaque, ou par
un homme intrépide ou même insouciant. L'exposition au simple courant d'air a ainsi pu faire
croire à un salarié qu'il était en présence d'un danger grave293 . En déclarant son licenciement
justifié, les juridictions du fond, approuvées par la Cour de cassation, ont eu une appréciation
différente de la situation.
En revanche, la Cour d'appel de Paris294 a estimé qu'il y avait danger grave et
imminent "du fait de l'incendie ayant détruit une partie de la toiture de l'atelier dans lequel
travaillaient des salariés. De même, il y a danger grave lorsqu'un veilleur de nuit est menacé
par un des résidents en état d'ivresse et faisant partie d'un groupe de résidents armés295 .
Le danger grave proviendra en général des conditions de travail telles qu'elles résultent
de l'organisation de la production par le chef d'entreprise, d'une machine ou d'un processus de
fabrication. Dans ces conditions, on peut penser que de façon plus ou moins consciente,
l'appréciation de la gravité du danger prendra en compte la marge de manœuvre qu'a le chef
d'entreprise pour faire disparaître ou à tout le moins diminuer le danger. La démarche ne va
pas sans conduire en fait à apprécier l'existence de la faute chez le chef d'entreprise.
Finalement, le danger sera jugé grave non pas en soi-même, mais beaucoup plus par rapport à
la conduite répréhensible du chef d'entreprise.
Dans certains cas, rares certes, le danger grave résultera des éléments extérieurs à
l'organisation du travail par le chef d'entreprise; par exemple des conditions atmosphériques.
Le Conseil des prud'hommes de Cergy-Pontoise a ainsi pu juger que le froid rigoureux peut
être légitimement considéré comme présentant un danger pour la santé des salariés qui
travaillent dans un hangar non chauffé296.
293Soc. 17 octobre 1989, JOI. soc. UIMM, 1990, 54..
294Paris, 30 octobre 1987. 0.0. 1988, p. 246.
295 paris, 27 mars 1987. Juris-Data, nO 028984.
296CpH, Cergy-Pontoise, 30 mai 1986. Juris Data nO 043746.
83

Dans le même ordre d'idées, il a été jugé qu'une pluie torrentielle et un vent violent sur
un chantier de construction rendent le travail dangereux297
Ici encore, il n'est pas sûr qu'on ne glisse pas, pour l'appréciation de la gravité du
danger, dans la recherche de la faute chez le chef d'entreprise. Celui qui apprécie la gravité du
danger se demandera peut-être si le chef d'entreprise a mis en œuvre tous les moyens propres
à faire face aux rigueurs de la nature. Il admettra d'autant plus facilement la gravité du danger
qu'il lui paraîtra que le chef d'entreprise n'a pas fait suffisamment d'effort pour lutter contre les
conditions naturelles, peu important qu'en vérité le danger soit en lui-même insignifiant.
Mais quoi qu'il en soit, on ne peut pousser la déviation jusqu'au point où la faute du
chef d'entreprise est en fait substituée à la gravité intrinsèque du danger. Le droit de retrait
n'est pas un instrument au service de la fainéantise ou des caprices des salariés. Il n'est pas
davantage une institution fondée sur le mécanisme de l'exception d'inexécution298 . En effet, si
le droit de retrait reposait sur le mécanisme de l'exception d'inexécution, les salariés auraient
la tentation, au moindre signe de défaillance chez l'employeur relativement aux question de
sécurité, d'exercer le droit de retrait. L'option paraîtrait séduisante si l'on pense qu'elle
conduirait à un maximum de sécurité. Au fond, elle fragilise le droit de retrait pour une raison
fondamentale. Le droit de retrait est exercé par les salariés, toujours sous réserve de
l'appréciation a posteriori des juridictions devant lesquelles la question peut être déférée. Il
n'est pas sûr que les juges acceptent très facilement que les salariés arrêtent le travail à la
moindre défaillance du dispositif de sécurité. En tout cas le retrait pourrait très facilement être
disqualifié en acte d'insubordination avec toutes les conséquences préjudiciables pour les
salariés299.
La doctrine a très justement récusé l'exception d'inexécution comme fondement du
droit de retrait30o• Le salarié qui se retire d'une situation de travail dangereuse ne cherche
aucunement à faire pression sur l'employeur; il cherche à assurer sa protection, c'est-à-dire à
sauver sa peau. Il faut donc que sa sécurité soit réellement et sérieusement menacée. Le
297Soc. 26 septembre 1990, Bull. civ. n° 3320.
298Yoir A. BüUS1GES, op. cit. p. 282.
299Yoir Soc. 20 janvier 1993, Jep 1993, Ed. ; E 494.
300Ibid.
84

Conseil de prud'hommes de Châteauroux a refusé le bénéfice des dispositions sur le droit de
retrait à un salarié en affirmant que "la faculté ouverte au salarié par l'article L.231-8 du Code
du travail doit être entendue comme un recours exceptionnel, lorsqu'en face d'une menace
sérieuse et très proche il n'y a pas d'autre moyen d'agir pour échapper au danger"301. Le danger
doit être grave, mais aussi imminent.
b) L'imminence du danger
La condition de l'imminence du danger pose assez de problèmes en matière de droit de
retrait. D'abord, on peut légitimement se demander s'il s'agit d'une condition qui se cumule
avec celle de gravité du danger. A la lecture du texte français, il ne fait aucun doute que sont
exigées cumulativement les conditions de gravité et d'imminence du danger. Mais sur le plan
concret, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt dont l'interprétation est
loin de l'évidence. En l'espèce, un employeur reprochait à un jugement d'avoir décidé qu'un
groupe de salariés avait régulièrement exercé le droit de retrait visé par l'article L.231-8 du
Code du travail, en constatant simplement qu'avait existé une situation dangereuse dans
l'entreprise, et sans avoir caractérisé la gravité et l'imminence du danger. La Cour a répondu
qu'ayant analysé l'ensemble des documents soumis au débat, le Conseil des prud'hommes a
relevé que les salariés s'étaient prévalus des dispositions de l'article L.231-8 du Code du
travail et a constaté qu'en raison du défaut persistant de conformité des installations de
l'entreprise avec les normes de sécurité, les salariés étaient fondés à se prévaloir d'une
situation dangereuse pour leur vie ou leur santé pour cesser le travail302.
Cette réponse laisse perplexe. Il reste difficile voire impossible de dire, à la lumière de
cet arrêt, si le danger, à le supposer présent, doit en plus être grave et imminent. Mais il faut
avouer que la difficulté ne se présente pas avec la même acuité selon qu'on envisage la gravité
ou l'imminence du danger. Dans la présente espèce, la gravité du danger était sans doute sous-
jacente. Son constat semblait résulter implicitement de celui du "défaut persistant de
conformité des installations de l'entreprise avec les normes de sécurité". Les normes de
sécurité constituent en effet le minimum de conditions propres à éviter des atteintes à
l'intégrité physique. On peut toujours soutenir que dès lors qu'une atteinte à l'intégrité
physique est envisageable, le danger est forcément grave.
301 CPH Châteauroux, 15 mai 1984 Jur. Soc. UIMM, n° 84-453, p. 316.
302Soc., 1er mars 1995, Bull. civ. n° 956.
85

Faut-il conduire une telle analyse même en ce qui concerne l'imminence du danger?
Autrement dit l'imminence du danger était-elle aussi sous-entendue dans l'arrêt?
On peut hésiter à l'affinner. De la description de la défaillance du dispositif de
sécurité, il faut penser qu'une atteinte à l'intégrité physique était possible ou même très
probable mais pas forcément imminente. Finalement, on comprend qu'en ne censurant pas le
Conseil des prud'hommes qui s'était abstenu de caractériser la gravité et l'imminence du
danger, la Chambre sociale a adopté une conception très ex1ensive du droit de retrait, qui est
allée en fait jusqu'à la non exigence de la condition de l'imminence du danger.
Ensuite, la compréhension de l'imminence du danger ne va pas de soi. On procède par
pronostic sur le moment probable de la réalisation de l'atteinte si rien n'est fait pour l'éviter.
Le danger est imminent lorsque le moment où l'atteinte peut se réaliser est proche303 . La
doctrine souligne la différence entre la proximité et l'immédiateté du danger3o-t. La loi
française n'exige nullement l'immédiateté du danger, mais son imminence. Le gouvernement
français a donné de cette exigence une lecture proche sinon conforme à celle de la doctrine.
Selon le ministre chargé du travail, la loi du 23 décembre 1982 a entendu "viser les situations
où le risque est susceptible de se réaliser brusquement et dans un délai rapproché"305.
La loi interne française est, sur ce point, plus protectrice que la directive européenne
sur le droit de retrait. La directive parle en effet de " danger immédiat ", ce qui est restrictif
On s'est demandé si la condition de l'imminence du danger permettait encore qu'on
pUIsse exercer le droit de retrait en cas de maladie. Il n'est pas contestable que certaines
maladies présentant naturellement des risques graves pour la santé n'apparaissent pas aussitôt
après l'événement qui les génère306. Le gouvernement français montrait déjà de la réticence à
voir le texte s'appliquer au cas du maintien d'un salarié à un poste contre-indiqué par le
médecin du travail qui aurait suggéré la modification du poste de travail de l'intéressé ou sa
303Le jugement du 15 mai 1984 du CPH de Châteauroux suscité parle de menace "très proche".
304M. BONNECHERE, Le corps laborieux: réflexion sur la place du corps dans le contrat de travail, O. O.,
1994, p. 180.
305Yoir Rep. à Q. E. n° 37923. J.O. A.N. 26 décembre 1983, p. 5497 et n° 73904 J.O. A.N. 23 décembre 1985,
p.5903.
306G. LACHAISE op. cit. p. 195.
86

mutation. Le ministre chargé du travail a estimé que le cas visé par le législateur ne
correspond en effet généralement pas aux propositions de mutation ou d'aménagement de
poste, à moins d'indication expresse contraire du médecin du travail307.
Mais la jurisprudence a pris une option différente. Dans l'arrêt Nette du Il décembre
1986308, la Chambre sociale a appliqué le droit de retrait à une salariée qui avait cessé de
travailler sous la crainte de voir son mal s'aggraver. La salariée souffrait d'une scoliose qui
risquait de s'aggraver dangereusement par la position de son siège en l'absence de repose-pied
préconisé par le médecin du travail. Si l'on suivait la lecture gouvernementale de la loi, il
n'était pas possible d'appliquer le droit de retrait dans ces conditions. Mais les juges du fond
ont souverainement apprécié les éléments de la cause et jugé que les conditions d'exercice du
droit de retrait étaient réunies. La Cour de cassation a préservé cette appréciation des faits. A
juste titre. La scoliose, déviation latérale de la colonne vert;.::'rale, peut progresser pour
aboutir à une déformation irréversible. Le danger grave et imminent était cette menace de
progression importante de l'affection309 .
Cette option en faveur de la compréhension très souple de l'imminence du danger va
implicitement se confirmer plus tard avec un arrêt Mohamed Saïd Adli du 20 mars 1996310.
Le salarié est employé par une entreprise de gardiennage. Muté à un nouveau poste de travail,
il fait savoir à son employeur que son état de santé ne lui permet pas de travailler au contact
des animaux ou des produits chimiques. Le poste de travail où il est affecté présente selon lui
un danger grave et imminent pour sa santé. Il cesse donc de travailler dans ces conditions, ce
qui conduit l'employeur à le mettre à pied et à le licencier plus tard3ll . Saisis de la contestation
née de ce licenciement, les juges du fond ont débouté le salarié de ses demandes au motif que
le danger grave et imminent dont parle la loi doit trouver sa cause dans un motif étranger à la
personne du salarié. Ils ont été désavoués sur ce point par la Cour de cassation.
307V'
Olr Rep. 'Q
a
. E. op. .
CIL
308Soc. II décembre 1986, Liaisons sociales, n° 5899, p. 9.
309M. BONNECHERE, op. cit. p. 180.
310Soc. 20 mars 1996. Dr. soc. 1996, p. 686.
31 IOn notera au passage la grande similitude des faits, du problème et de la solution dégagée ici avec ceux de
l'arrêt de la Cour d'appel de Yaoundé n° 223/s du 3 août 1993 suscité. La seule différence se situe en fait au
niveau des mots, puisque le juge camerounais ne parle pas de droit de retrait.
87

Il est remarquable, dans la présente espèce, que la question de l'imminence du danger
n'a pas été posée aux juridictions saisies. Le salarié présentait en effet une allergie au contact
des animaux et des produits chirrüques. Le mal qu'il redoutait pouvait donc se déclencher dans
un délai rapproché.
2. Le motifraisonnable du retrait
Le droit de retrait est exercé par un homme raisonnable, c'est-à-dire un homme doué
de raison. La doctrine tend à minorer le contenu objectif du motif raisonnable du retrait exigé
par la loi312• Contrairement au droit civil, le motif raisonnable visé ici ne renverrait pas à un
homme avisé et diligent ; mais à tout le moins, la loi impose au salarié de ne pas céder à la
panique et d'apprécier avec rigueur la situation31 ] Son appréciation ne doit pas être excessive.
A vrai dire, le contenu et la portée de l'exigence légale n'apparaissent clairement que
lorsqu'on envisage le cas du salarié qui commet une erreur d'appréciation Cb). Mais tout
d'abord, il faut évoquer le cas du salarié de mauvaise foi (a) puisqu'on peut lui assimiler le
salarié qui commet une erreur inexcusable d'appréciation.
a) Le salarié de mauvaise foi
L'institution du droit de retrait ne doit pas être détourné de son but314 . Rappelons-le, le
droit de retrait est conféré aux salariés à la seule fin d'assurer la protection de leur santé et de
leur vie contre un danger à la fois grave et imminent. Le salarié tente de détourner l'institution
du droit de retrait de sa finalité lorsque son refus de travailler est dicté non pas par un danger
grave et imminent, mais en réalité par le refus de l'employeur de réviser sa classification315
Ne peut pas non plus invoquer utilement le droit de retrait le salarié qui refuse d'accomplir
312Yoir A. BOUSIGES op. cil. p. 286.
313Ibid. p. 285.
314Yoir. O. GODARD, observations sous Soc., Il décembre 1986, Jep, 1987 ed. G
315Poitiers,4 novembre 1987. Juris-Data n° 049557.
88

une tâche qu'il estime ne pas rentrer dans son contrat316• Le juge doit donc exercer un contrôle
de détournement de l'institution317.
Très souvent, une erreur d'appréciation sera tellement grave qu'on l'assimile ou qu'on
la situe à tout le moins à la lisière de la mauvaise foi. Dans l'arrêt de la Cour d'appel de
Poitiers du 4 novembre 1987 précité, le salarié avait, par deux fois, refusé de travailler sur une
machine au motif que celle-ci était dangereuse. A partir du moment où on lui reconnaît une
certaine compétence professionnelle pour apprécier les conditions de sécurité au travail, la
réaction du salarié pouvait se comprendre a priori. Mais, en l'espèce, deux personnes
qualifiées avaient vérifié la machine, qu'elles ont reconnue de fonctionnement normal, et porté
cette information à la connaissance du salarié. Son refus persistant ne pouvait donc
s'expliquer que par la mauvaise foi ou par une erreur d'appréciation qu'on peut estimer
grossière et inexcusable.
b) Le salarié en erreur
Des termes mêmes de l'article L.231-8-1 du Code du travail français, on comprend
que l'exercice du droit de retrait est légitime dès lors que le salarié en cause a "un motif
légitime de penser" que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa
vie ou pour sa santé. La prérogative conférée au travailleur lui-même par la loi prend ici tout
son sens: la conscience qu'il a du danger318 . Seule cette conscience le guide, et c'est le repère
à l'aune duquel doit être appréciée la légitimité du retrait.
Le législateur n'ignore pas que le salarié peut faire une fausse appréciation de la
situation. Il accepte donc par avance l'erreur possible d'appréciation319. Le salarié doit
seulement avoir pu légitimement croire, in concreto, à l'existence d'un danger grave et
imminent320.
316pau, 14 avril 1989 Juris-Data n° 042796.
317La jurisprudence semble décider que la protection de la vie et de la santé ne doit pas être forcément le seul
motif de l'arrêt de travail (soc. 18 octobre 1989, Bull. Civ. V n° 606, p. 366. En l'espèce, le salarié se plaint de
mauvaises conditions de travail et d'un déclassement).
318G. LYON-CAEN, J. PELISSlER A. SUPIOT, Droit de travail, Dalloz 1996, 18e éd. p. 811.
319A. BOUSIGES, op. cit. p. 286.
320J. MOULY, note sous TA. Limoges, 24 novembre 1988, revue jurid. Centre Ouest, n° 4, p. 253.
89

Deux situations doivent être distinguées. En prenuer lieu, le danger peut exister
réellement, et le salarié ne se trompe que sur l'appréciation de sa gravité ou de son imminence.
Dans ces conditions, il est difficile de lui refuser le bénéfice des dispositions sur le droit de
retrait. Il ne serait même pas pertinent de lui opposer un rapport d'expertise sur la situation de
travail dressé après coup, puisque le salarié n'avait pas les conclusions de ce rapport au
moment où il exerçait son droit321 • De plus, celui qui apprécie après coup la gravité et
l'imminence du danger réfléchit dans des conditions sereines qui font défaut au moment où
s'exerce le retrait. Mieux, celui qui réfléchit sur un risque couru par autrui le fait de "sans
froid". Or, jamais' le salarié ne prendra de "sans froid" une décision lorsqu'il pense que sa vie
est menacée.
Dans la première comme dans la seconde hypothèses de l'erreur, le salarié en cause
peut utilement fonder son argumentation sur la théorie de l'apparence. Assez facilement. il
démontrera l'existence des deux éléments constitutifs de l'apparence : une situation de fait
visible, et une croyance erronée322.
Les modalités du retrait sont organisées de telle sorte que certaines erreurs peuvent
être évitées.
B. Les modalités du retrait
Lorsqu'un danger est repéré par le salarié qui exerce le droit de retrait, il doit être
enrayé par l'employeur. Encore faut-il que ce dernier soit informé de l'existence du danger.
Le texte oblige le salarié à signaler à l'employeur l'existence du danger (1). Easuite le salarié
ne doit pas exercer son droit de retrait de manière à créer un danger pour autrui (2).
321 Voir Paris, 30 septembre 1987,0.0. 1988, 246.
322V.1. GHESTIN, G. GOUBEAUX, Traité de droit civil, introduction, LGDJ, 1977, nO 786, p. 671.
90

1. L'obligation d'informer l'employeur
L'article L.231-8 du Code du travail français dispose in extrenso que "le salarié signale
immédiatement à l'employeur ou à son représentant toute situation de travail dont il a un motif
raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé,
ainsi que toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection".
L'énergie mise par le législateur dans l'énonciation de cette règle est compréhensible.
Si le salarié redoute vraiment la réalisation de l'atteinte à son intégrité physique, il est utile
qu'il en informe l'employeur le plus tôt possible, afin qu'à son tour celui-ci prenne les
dispositions qui s'imposent. Tel est le sens de l'emploi de l'adverbe "immédiatement" par le
législateur français. Il y a en effet toujours urgence lorsqu'on redoute une atteinte à l'intégrité
physique.
Très judicieusement le législateur prévoit que l'information doit être donnée "à
l'employeur ou à son représentant". Très souvent, l'employeur lui-même ne pourra pas être
saisi dans un délai bref. Le salarié peut alors s'acquitter de son obligation d'infom1er auprès
d'un autre salarié investi des pouvoirs de chef d'entreprise voire de chef d'établissement. Il
semble qu'il puisse aussi le faire auprès d'un membre du comité d'hygiène de sécurité et des
conditions de travail.
L'obligation d'informer l'employeur ou son représentant peut s'exécuter sans formalité
particulière. Ainsi, l'employeur ne peut, dans le règlement intérieur, faire obligation aux
salariés de faire une déclaration écrite323 • Une telle sujétion n'est pas justifiée par les
nécessités de la sécurité dans l'entreprise; elle apporte inutilement une restriction à l'exercice
du droit de retrait.
On peut se demander à quel moment précis doit s'exécuter l'obligation d'informer
l'employeur ou s<?n représentant. Plus précisément, l'information doit elle être faite avant ou
après le retrait ?
323C.E. 12 juin 1987, Dr. soc. 1987, 654.
91

Si l'on suit l'ordre de passage des dispositions dans le Code du travail français, on doit
admettre que l'information de l'employeur doit intervenir avant le retrait. Mais d'un point de
vue de la logique interne des dispositions légales, il faut admettre que l'obligation de signaler
le danger à l'employeur peut ou devrait s'exercer postérieurement au retrait. En effet, on a fait
remarquer que le second alinéa de l'article L.23I-S prévoit que l'employeur ne peut demander
au salarié de reprendre son activité tant que persiste le danger résultant notamment d'une
défectuosité du système de protection ; ce qui implique que le droit de retrait a été exercé
auparavant324 .
De plus d'un point de vue de la philosophie générale du droit de retrait, on ne conçoit
pas aisément que l'information de l'employeur ou de son représentant précède le retrait. Le
droit de retrait n'est pas conféré aux salariés dans le but qu'ils en usent pour faire pression sur
l'employeur. Le droit de retrait est conféré aux salariés à la seule fm de défendre leur sécurité
menacée. 11 n'est pas possible que le salarié sous menace grave et imminente de danger reste
dans la situation de travail et informe l'employeur, comme s'il lui disait qu'il cesserait le
travail dans tel délai si rien n'est fait.
Le salarié sous menace se mettra donc d'abord à l'abri du danger, puis informera
l'employeur de la défectuosité du système de sécurité325 . Pratiquement cet enchaînement sera
parfois instinctif, en particulier lorsque le salarié est surpris sur les lieux de travail par un
danger très imminent.
2. L'interdiction de créer un danger pour autrui
L'interdiction faite au salarié qui se retire d'une situation de travail dangereuse de créer
un risque grave et imminent pour autrui procède d'une logique élémentaire, passée dans la
sagesse populaire: "Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse". Plus
précisément ici, il est interdit au salarié de créer pour autrui un danger comparable à celui
qu'il fuit.
324M. BüNNECHERE, op. cit. p. 179.
325 Assez paradoxalement, le salarié qui cherche à informer préalablement l'employeur laisse penser que le
danger n'est pas imminent ou à tout le moins proche, ce qui le dessert.
92

L'énonciation de la règle montre bien qu'il s'agit d'une modalité, non d'une condition
d'exercice du droit de retrait. L'article L.231-S-2 du Code du travail français dispose en effet
que la faculté ouverte par l'article L.231-S doit être exercée "de telle manière" qu'elle ne
puisse créer pour autrui une nouvelle situation de risque grave et imminent.
Pourtant, dans l'analyse, l'interdiction de créer un risque grave et imminent pour autrui
est présentée comme une condition d'exercice du droit de retrait326 et exploitée à peu près
comme telle. En France, le Conseil d'Etat a donné un important avis sur l'exercice du droit de
retrait par le personnel naviguant : "Pour tenir compte des exigences propres à une mission
aérienne et de la nécessaire unité de commandement et d'action à bord d'un aéronef en service
aérien, le législateur a entendu confier dans l'intérêt commun des passagers et de l'équipage,
au commandant de bord et à lui tout seul, le pouvoir de décider si un aéronef est en mesure
d'exécuter la mission qui lui est assignée, sans créer un danger pour la sécurité ou la santé des
membres de l'équipage et des passagers"327. On est là à la limite des conditions et des
modalités du retrait.
La même observation doit être faite relativement à la question qui a été posée de
savoir si le refus de soin en raison de la crainte de contamination peut se recommander des
dispositions sur le droit de retrait. Il est sÛT que l'exercice du droit de retrait dans ces
conditions exposerait autrui, en l'occurrence le malade. De plus, le salarié qui refuserait de
donner les soins court le risque d'une condamnation pénale pour l'infraction de non-assistance
à personne en danger328.
Les personnes que le législateur protège par l'interdiction de créer le risque grave et
imminent sont incontestablement les autres salariés voire l'employeur lui-même ou des tiers à
l'entreprise. Le salarié qui se retire d'une situation de travail crée un risque pour autrui par
exemple lorsqu'il ne prend pas "les plus élémentaires précautions de sécurité"329. B. TEYSSIE
avance les exemples de l'abandon de poste, sur une chaîne de montage, auprès d'un four à feu
continu, dans un hôpital psychiatrique, sans les précautions nécessaires33o.
326v. G. LACHAISE, note op. cit. p. 193.
327Rep. Quest. écrite n° 19502, JCP 1985, ed. E. Etudes et commentaires, p. 691,14619.
328V. A. BOUSIGES, op. cit. p. 289.
329Soc. 17 octobre 1989, Jur. UIMM, 1989, p. 460.
330B. TEYSSIE, JCP, 1983, ed. c.r., II 14057, n° 70.
93

Le législateur ne vise que les risques d'atteinte aux personnes, non aux biens. Aussi, le
salarié qui se retire d'une situation de travail dangereuse ne peut a priori se voir reprocher le
fait de ne pas avoir pris des dispositions pour éviter des dommages aux biens. Mais le salarié
qui, de mauvaise foi, ne prend aucune disposition pour éviter des dommages aux biens peut
répondre de son attitude sur la base de la théorie de l'abus de droit331 •
Si en se retirant de la situation dangereuse le salarié cause un préjudice à autrui, ses
responsabilités civile et pénale peuvent être envisagées332. Et sur le strict terrain du rapport de
travail, il risque une sanction disciplinaire et même la plus grave qu'est le licenciement333 La
réalisation du préjudice à autrui ne sera même pas nécessaire pour une sanction disciplinaire.
Mais il est de la responsabilité de l'employeur de faire disparaître le danger initial ou celui
créé par le salarié. L'idée de faire disparaître le danger domine les règles sur les suites du
retrait.
PARAGRAPHE II : LES SUITES DU RETRAIT
On ne surestime pas la capacité du salarié à imposer son point de vue à l'employeur
négligent ou obstiné. Le retrait, en tout cas, n'est pas une fin en soi, ni suffisant pour atteindre
l'objectif poursuivi par le législateur. Aussi, ce dernier prévoit-il une série de mesures
postérieures au retrait, mais destinées à en assurer l'efficacité. Si le salarié ayant exercé le
droit de retrait reste à l'origine de ces mesures, il n'en maîtrise pas les développements, ni
même, à proprement parler, l'initiative. Les acteurs traditionnels de la sécurité du travail
rentrent en scène334
331 A. BOUSIGES, op. cit. p. 288.
3320. GODARD, les responsabilités en cas de danger grave et imminent, Jep, 1984, éd. c.r., 14225, p. 224 n°
17.
333Yoir Soc., 17 oct~bre 1989 précité.
33400 remarque au passage que J'article L.231-12 du code du travail français permet à un de ces acteurs, en
particulier l'inspecteur du travail ou le contrôleur du travail de pallier l'inertie du salarié qui aurait dû exercer le
droit de retrait et ne l'a pas fait: "Lorsqu'il constate sur un chantier du bâtiment et des travaux publics qu'un
salarié ne s'est pas retiré de la situation de travail définie à l'article L.231-S alors qu'il existe une cause de danger
grave et imminent résultant soit d'un défuut de protection contre les chutes de hauteur, soit l'absence de
dispositifs de nature à éviter les risques d'ensevelissement constituant une . lfraction aux dispositions des
règlements pris en application de l'article L.231-2, l'inspecteur du travail ou le contrôleur du travail, par
délégation de l'inspecteur du travail dont il relève et sous son autorité, peut prendre toute mec;ure utile visant à
94

Parce qu'il est une situation peu ordinaire, le retrait d'une situation dangereuse de
travail entraîne, en France, une mobilisation exceptionnelle des acteurs de la sécurité :
l'employeur, les représentants du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions
de travail, éventuellement le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail lui-
même, l'inspecteur du travail et l'agent du service de prévention de la caisse régionale
d'assurance maladie, voire le juge des référés. Toutes les diligences doivent être faites pour
enrayer le danger (A).Sur le terrain du contrat du travail, le salarié qui a exercé le droit de
retrait ne doit en souffrir aucun préjudice : sont interdites retenues de salaire et sanctions
disciplinaires (B).
A. L'enraiement du danger
Le dispositif que le législateur français met en place pour enrayer le danger dès qu'il
est déclaré traduit bien l'idée que la sécurité des personnes est une exigence non négociable.
Et dans la mesure où l'employeur reste après tout le premier responsable de la sécurité du
travail, c'est sur lui que le législateur met la pression pour enrayer le risque d'atteinte à
l'intégrité physique. L'article L.231-S-1 du Code du travail français pose une présomption
irréfragable de faute inexcusable à la charge de l'employeur négligent: "Ie bénéfice de la faute
inexcusable de l'employeur définie à l'article L.468 du Code de la sécurité sociale est de droit
pour le salarié ou les salariés qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie
professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé".
La sévérité du législateur est compréhensible.
En effet,
l'employeur ne peut
honnêtement plaider une excuse alors qu'alerté sur le risque d'atteinte à l'intégrité physique
des salariés il n'a pas pris les mesures propres à éviter le mal.
soustraire immédiatement le salarié de cette situation, notamment en prescrivant l'arrêt temporaire des travaux en
cause ... ".Au fond, quand bien même un seul salarié est menacé, la sécurité reste une affaire de tous. La
prééminence, dans la phase postérieure à J'exercice du retrait des institutions en charge de la sécurité du travail
est une preuve que le droit de retrait n'entend nullement affaiblir l'approche traditionnelle des problèmes de
sécurité.
95

Tout d'abord, l'employeur doit à tout le moins s'abstenir de demander au salarié qui
s'est retiré d'une situation de travail dangereuse de reprendre son activité dans la situation de
travail où persiste le danger335. Le retrait du salarié et corrélativement l'obligation faite à
l'employeur de ne pas l'utiliser dans les conditions de danger durent autant que le danger. Le
danger peut disparaître à la suite d'une mesure prise par l'employeur ou son représentant pour
y faire face. Il peut aussi disparaître par suite de l'effacement spontané de la circonstance qui
l'avait engendré. Ainsi, dans une affaire où le danger résulterait du fait d'un taureau qui s'était
échappé, le salarié a dû reprendre son travail le lendemain lorsque l'animal avait retrouvé son
calme336 Il ne pouvait légitimement persister dans le refus de travailler alors que la bête avait
cessé d'être dangereuse.
Lorsque le retrait de la situation de travail s'est fait sur la base d'une appréciation
erronée de la situation, le salarié ne peut légitimement persister dans le retrait après la
découverte de l'erreur. La Cour d'appel de Pau a jugé que "commettent une faute, certes
susceptible de justifier le licenciement, les salariés qui refusent de reprendre le travail qu'ils
ont cessé pour une raison qui s'est révélée non fondée après examen de la situation par le
CHSCT"337.
Lorsque le danger est réel et ne peut disparaître spontanément, il doit être enrayé
suivant un schéma qui peut évoluer en fonction de la perception que les uns et les autres ont
de la situation. L'article L.23l-9 du Code du travail français dispose que: " Si un représentant
du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail constate qu'il existe
une cause de danger grave et imminent, notamment par l'intermédiaire d'un salarié qui s'est
retiré de la situation de travail définie à l'article L.231-8, il en avise immédiatement
l'employeur ou son représentant et il consigne cet avis par écrit dans des conditions fixées par
voie réglementaire. L'employeur ou son représentant est tenu de procéder sur-le-champ à une
enquête avec le membre du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail qui lui a
signalé le danger et de prendre les dispositions nécessaires pour y remédier".
La lettre de ce texie ne doit pas tromper. Le texie suppose que jusqu'à l'avis qui lui en
est donné, l'employeur ignore le danger. C'est pourquoi il procède à une enquête pour s'en
335Voir article L.23] -8 du code du travail français.
336Riom, 24 octobre] 987, D.S 1989, IV, p. 323.
337Pau, 28 octobre 1988. Juris-Data n° 047607.
96

convaincre et en déterminer la consistance. Mais on sera parfois en présence d'un employeur
qui a déjà une idée bien précise du danger qu'on lui signale, parce qu'il en a déjà eu
connaissance et tarde simplement à l'enrayer. Il serait reprochable de retarder davantage la
mesure à prendre sous le fallacieux prétexte que la loi exige une enquête préalable. Au
demeurant, rien n'interdit à l'employeur de prendre des mesures provisoires338 de sécurité
avant l'enquête qui peut parfois durer, en particulier si elle nécessite une compétence
extérieure.
On ne doit se faire aucune illusion sur l'identité de vues qu'on souhaite entre
l'employeur et le membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. La
divergence peut porter sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser. Dans ces
conditions le comité d 'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est réuni d'urgence, en
tout état de cause, dans un délai n'excédant pas vingt quatre heures. En outre l'employeur est
tenu d'informer immédiatement l'inspecteur du travail et l'agent du service de prévention de la
caisse régionale d'assurance maladie, qui peuvent assister à la réunion du comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travaiP39.
Si le désaccord persiste après la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail, l'inspecteur du travail est saisi immédiatement par l'employeur34o. Selon
les cas, l'inspecteur du travail procédera à la mise en demeure du chef d'établissement34 1, ou
saisira le juge des référés afin que ce dernier ordonne toutes les mesures propres à faire cesser
le risque, telles que la mise hors service, l'immobilisation, la saisie des matériels, machines,
dispositifs, produits ou autres. Dans le secteur des travaux publics, le juge des référés peut
même ordonner la fermeture temporaire du chantier, et assortir au besoin sa décision d'une
astreinte342.
L'attention doit être attirée sur l'extrême célérité qui caractérise toutes les diligences
qui doivent être accomplies afin de restaurer les conditions de sécurité sur les lieux du travail.
Le membre du comité d'entreprise informe "immédiatement" l'employeur ou son représentant
338Bien entendu, l'employeur ne peut se fonder sur de telles mesures pour demander au salarié qui a cessé Je
travail de le reprendre. A ce stade, on ne sait pas encore si le danger est enrayé.
339Voir article L.231-9 du code du travail français.
34oIbid.
341 Voir articles L.231-9, L.230-S et L.231-S du Code du travail français.
342Voir article L.231-9 et L.263-1 du Code du travail français.

; celui-ci procède "sur-le-champ" à une enquête avec le membre du comité d'hygiène; le
comité est réuni "d'urgence et, en tout état de cause, dans un délai n'excédant pas vingt quatre
heures" ; si le désaccord persiste, l'inspecteur du travail est saisi "immédiatement". Si celui-ci
choisit la voie de l'action en justice, il doit utiliser la procédure du référé. C'est une extrême
célérité que commande, avec intransigeance, l'exigence de sécurité. Cette même exigence
explique aussi l'interdiction de faire souffrir le salarié des conséquences d'un retrait justifié.
B. L'interdiction de retenue de salaire et de sanction disciplinaire
Le droit de retrait serait indiscutablement sans portée si le salarié qui l'exerce pouvait
souffrir un préjudice du fait de son exercice régulier. L'employeur est en général dans la
tentation de prendre contre ce salarié des mesures d'ordre pécuniaire ou disciplinaire. Le
législateur français a visé juste en prévoyant qu' " aucune sanction, aucune retenue de salaire
ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une
situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger
grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux "3·13
Dans sa mise en œuvre, cette solution peut poser des problèmes différents selon qu'il
s'agit de l'interdiction de retenue de salaire( 1), ou de l'interdiction de sanction disciplinaire(2).
1. L'interdiction de retenue sur salaire
Confonnément au vœu de la lo~ la Cour d'appel de Paris a jugé que les salariés ont
droit au salaire correspondant à la période au cours de laquelle ils ont légitimement refusé de
travailler344 Les tennes de la loi sont impératifs et non susceptibles de dérogation. En
conSéquence, un accord collectif prévoyant le non-paiement des arrêts de travail ne peut
recevoir application. Ainsi, le bénéfice du paiement des journées non travaillées en raison
d'un retrait motivé doit, en tout état de cause, être accordé aux salariés concernés345.
343Yoir Article L.231-8-1 du code du travail français.
344Paris, 30 septembre 1987. Juris-Data, n° 000455.
345CPH, Cergy-Pontoise, 30 mai J986. Juris-Data n° 043746.

La Chambre sociale346 de la Cour de cassation semble ne marquer aucune réserve de
durée du retrait pour l'application de la règle de la non retenue de salaire, quand bien même la
cause du danger est dans l'état de santé du salarié concerné347 Récemment, elle a appliqué la
règle à un salarié dont l'état de santé ne permettait pas l'emploi à un poste de travail, et qui,
pour cela, avait cessé le travail depuis cinq mois. La solution doit a fortiori s'appliquer
lorsque le danger provient d'une cause extérieure à la personne du salarié, telle que
l'organisation de la production.
Il faudrait approuver sans réserve cette solution. On ne voit pas sur quoi peut être
fondée une quelconque limitation de durée du retrait non susceptible de donner lieu à retenue
de salaire. Au demeurant, le salarié qui se retire d'une situation de travail dangereuse reste à la
.disposition de l'employeur, qui peut donc l'utiliser à un autre poste. S'il préfère le laisser sans
occupation, il ne peut par la suite s'en plaindre. rI devra verser au salarié le salaire dû. Il s'agit
d'une autre application de l'idée qui s'affinne de plus en plus, et selon laquelle la contrepartie
du salaire peut être le fait pour le salarié de se mettre à la disposition de l'employeur.
Lorsque les juridictions énoncent la règle de la non retenue de salaire, elles prennent le
plus souvent la précaution de parler d'un retrait justifié d'une situation de travaiL On
comprend dès lors que la solution n'est pas la même lorsque le retrait n'est pas légitime. Un tel
retrait est disqualifié en acte d'insubordination348 ou mieux, en une inexécution par le salarié
de ses obligations contractuelles349. La retenue de salaire est alors justifiée par l'idée
d'inexécution. Dans le même ordre d'idées, une prime de bonne marche peut être réduite350
2. L'interdiction de sanction disciplinaire
C'est en face du pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise que le législateur français a
situé le droit de retrait: "aucune sanction (...) ne peut être prise ... ". Des termes de la loi, on
comprend sans peine que l'immunité qui couvre ainsi l'exercice du droit de retrait est générale.
346Soc. 20 mars 1996. Dr. soc. 1996, p. 686.
347Contra, J. SAVATIER, note sous Soc. 20 mars 1996. "Le droit de retrait de la situation dangereuse ne saurait
pennettre au salarié, que son état de santé rend inapte à son emploi, de se retirer durablement de son travail en
continuant à percevoir son salaire, sans que son contrat ait été suspendu par une prescription d'arrêt de travail de
son médecin traitant, ou que son inaptitude ait été constatée par le médecin du travail".
348Soc. 20 janvier 1993, JCP, 1993 ed. E. II 494.
349Soc. Il juillet 1989, O.S. 90. IR, 228.
350CPH, Bethune, 31 octobre 1984, JCP 1985, 20, 498.
99

Ainsi, ni le licenciement, ru une autre sanction disciplinaire ne peuvent être légitimement
prononcés. Le licenciement d'un salarié qui a régulièrement exercé son droit de retrait est jugé
dépourvu de cause réelle et sérieuse351 .
Nous avons ci-dessus marqué notre réserve pour cette solution sans commune mesure
avec l'intérêt en cause, en l'occurrence le droit fondamental à l'intégrité physique. Le
licenciement d'un salarié qui s'est retiré d'une situation de travail dangereuse doit être
sanctionné de nullité, avec les conséquences de droit.
A partir du moment où le législateur pose clairement qu'aucune sanction ne peut être
prise à l'encontre d'un salarié qui s'est retiré d'une situation de travail présentant un danger
grave et imminent pour sa vie et sa santé, l'employeur évite souvent d'affronter ouvertement la
loi. Il multiplie plutôt des manœuvres de contournement, et tente en général de couler dans le
moule du pouvoir de direction des mesures de rétorsion. Les dispositions législatives ne
peuvent avoir une pleine efficacité que si le juge accepte de faire un contrôle de détournement
de pouvoir.
En revanche, un retrait injustifié peut donner lieu à une sanction disciplinaire352.
Si le principe de cette solution n'est pas discutable, son application a parfois laissé à
désirer. Dans une affaire Belmonte et Ayad353 , l'employeur a licencié des salariés qui avaient
refusé de poser un plancher au deuxième étage d'un bâtiment en construction en invoquant la
force de la pluie et du vent, un état de santé incompatible avec les conditions d'exécution des
travaux, et l'absence du dispositif de sécurité. Mais ces salariés n'ont pu prouver ni les
difficultés particulières de santé, ni le non respect par l'employeur des conditions de sécurité.
354
Ces carences n'ont pas empêché la Cour d'appel d'Aix-en-Provence
de constater que les
conditions climatiques pouvaient perturber le travail, mais sans pour autant l'empêcher. Du
reste, certains salariés avaient continué de travailler. Sur ces constatations, la Cour a jugé que
les salariés en. cause, hautement qualifiés, devaient avoir conscience des contraintes
351paris 27 mars 1987; Riom 24 octobre 1987, précités.
352CPH, Châteauroux, 15 mai 1984, Juris-Data n° 000806 ; Poitiers, 4 novembre 1987 suscité.
353Soc. 20 janvier 1993, JCP 1993, ed. E. II 494, note G. LACHAISE.
354 18 décembre 1990, inédit.
100

économiques pesant sur l'employeur, et notamment la nécessité de tenniner le chantier. Faute
de l'avoir fait, les salariés avaient été jugés coupables de faute grave355.
Il faudrait s'inscrire contre la qualification de faute grave retenue ici, alors même qu'il
est constant que les conditions climatiques pouvaient perturber les travaux.
On pourrait, en matière de droit de retrait, réfléchir à peu près comme en matière de
droit de grève. Il est constant, en France tout au moins, qu'un salarié gréviste ne peut être
licencié ou sanctionné à raison d'un fait commis au cours de la grève que si ce fait est
constitutif d'une faute lourde356. Des fautes mineures sont couvertes par une immunité. Il en
est ainsi parce que la grève comporte congénitalement la nocivité, mais surtout parce qu'on est
en présence d'un droit fondamental. Si l'on trace le parallèle avec le retrait d'une situation de
travail dangereuse, expression d'un autre droit fondamental,
on peut souligner avec
satisfaction le fait qu'une simple erreur dans l'appréciation de la situation de travail est sans
conséquence défavorable pour le salarié. Il faudrait qu'en plus le salarié victime d'une erreur
inexcusable bénéficie d'une protection au niveau de la qualification de la faute. La faute grave
ne devrait être retenue à sa charge que lorsqu'il est clair qu'il s'est livré à un appréciation
extravagante de la situation. Au fond, pourquoi n'irait-on pas jusqu'à affirmer que le retrait
d'une situation de travail qu'on pensait dangereuse ne peut donner lieu à sanction qu'en cas de
faute lourde?
L'analyse contraire montre simplement qu'on situe sur le même plan des éléments qui
relèvent de plan différents: l'intégrité physique -que défend le travailleur- et l'ordre dans
l'entreprise -qu'assure le chef d'entreprise sanctionnant le salarié qui se trompe. L'examen
des présupposés philosophiques des règles sur la protection du corps situe bien les enjeux.
355 On y reviendra infra dans le chapitre consacré aux limites infonnelles à l'expression des droits fondamentaux.
356Soc. 16 décembre 1992, Dr. soc. 1993,291, note SA VATIER; 7 juin 1995. Dr. soc. 1995,837.
101

SECTION Il: LES PRESUPPOSES PHILOSOPHIQUES DES REGLES SUR LA
PROTECTION DU CORPS
La facture traditionnelle des règles de sécurité du travail ne méconnaît pas la place du
corps dans la hiérarchie des valeurs. Elle pose au contraire le postulat de l'intangibilité du
corps humain. C'est le sens de l'ordre public des dispositions sur l'hygiène et la sécurité du
travail, et plus largement de l'affinnation selon laquelle le corps humain est inviolable357.
Mais l'approche traditionnelle des problèmes de sécurité procède d'une rruse entre
parenthèses de l'élément par lequel on doit reconnaître le salarié comme homme: la faculté
de raisonner et d'agir358• Or, depuis longtemps, les philosophes soulignent que la raison ou le
bon sens est la chose qui nous rend homme et nous distingue des bêtes359. Les règles sur le
droit de retrait rappelle bien cette vérité philosophique et, plus largement, l'idée qu'en tant
qu'homme le salarié bénéficie de la dignité qui commande qu'il soit traité comme une fin en
soi, non pas comme un moyen.
En deux points nous montrerons comment le salarié est saisi comme un être de raison
(PARAGRAPHE I), et comment en tant qu'homme il est considéré comme un fm en soi
(PARAGRAPHE II)
PARAGRAPHE l : LE SALARIE, ETRE DE RAISON
Les prérogatives que le droit reconnaît au salarié pour la protection de son intégrité
physique confinent indiscutablement à une idée : c'est le salarié, et lui seul, qui peut apprécier
instantanément que sa sécurité est menacée et qu'il ne peut se mettre à l'abri qu'en se retirant
de la situation de travail dangereuse36o. Ces prérogatives s'exercent dans un milieu, celui du
357 V. Article 16-1 d~ Code civil français.
358 Tout ce qu'on demande alo~s au salarié c'est d'obéir aux ordres.
359 V. R. DESCARTES, Discours de la méthode, 1ère partie, Pléiade, Gallimard, P. 126 ; SCHOPENHAUER
affirme aussi que" cette faculté que [l'Homme] possède de former des notions abstraites et qui le distingue des
animaux, est ce qu'on a de tout temps appelé raison" in Le monde comme volonté et comme représentation,
Alcan, Livre l, § l, p. 7.
360Certes, l'employeur ne cesse pas d'être investi de ses pouvoirs, ni d'être responsable de la sécurité des salariés
engagés dans l'organisation qu'il a conçue et qu'il est censé maîtriser. L'employeur reste donc aux commandes du
dispositif de protection de la vie et de la santé, ce qui postule qu'en amont il doit pouvoir apprécier le niveau de
102

travail, dominé par un personnage dont les compétences sont présumées et ont pratiquement
valeur de principe361 •. La sagesse du salarié consistera à respecter la finalité des prérogatives
qui lui sont accordées. Il ne s'agit nullement de tenter de remettre en cause les données
acquises du contrat de travaie62, mais seulement de se mettre le cas échéant à l'abri du
danger. Pour réussir ce pari, le salarié doit jouir d'un certain nombre d'attributs (A). Cette
idée entrame une autre tout aussi indiscutable: le salarié n'est pas un objet à protéger, il est un
sujet, le sujet actif de sa propre protection. L'objectif du droit n'a pu être atteint qu'en
reconnaissant au salarié un pouvoir d'autodétermination (B).
A. Les attributs de l'être de raison
Le salarié est certainement conscient de l'importance de sa sécurité, mais aussi du mal
nécessaire qu'est le lien de subordination. Cest pourquoi il ne tentera pas de détourner le
droit de retrait de sa finalité. Il est en outre conscient de ce que le risque est inhérent à toute
activité ; c'est pourquoi il ne cessera pas le travail sur des appréhensions trop légères. Au
fond, si on fait confiance au salarié pour les arbitrages nécessaires à l'efficacité du droit de
retrait, c'est parce qu'on le sait suffisamment compétent (1) et responsable (2) pour
l'évaluation des solutions à envisager
1. Le salarié, homme compétent
Le droit de retrait est fondé sur le savoir-faire du salarié qUl, connaissant bien son
travail et son milieu, peut en apprécier la variation dans un sens compromettant sa sécurité.
Lorsqu'en pleine connaissance de cause le salarié considère qu'il n'y a pas un autre moyen
d'éviter la réalisation du danger, il peut se refuser à l'accomplissement de la prestation de
travail363 . Il y a là la manifestation de la reconnaissance de l'identité professionnelle du
travailleur, d'un savoir faire propre au sujet pensant. Autrement dit, on retrouve là l'Homme
que décrit PLATON dans ce passage qu'il conviendra de citer in extenso:
risque dans la situation de travail en cause. Mais ici l'employeur n'exerce pas une compétence exclusive; le
salarié peut lui opposer sa propre appréciation du danger.
361 Ce n'est donc pas un hasard si au sein de l'entreprise l'employeur est aux commandes du dispositif de
sécurité.
362 La donnée majeure c'est la subordination juridique.
363 P. IRIAT op. cit. P. 146
103

"Le sens du mot anthrôpôs, "homme", est que, les animaux étant incapables de
réfléchir sur rien de ce qu'ils voient, ni d'en raisonner, ni d'en" faire l'étude ", anathreïn,
l'homme au contraire, en même temps qu'il voit, autrement dit qu'" il a vu ", opôpé, "fait
l'étude" aussi, anathreï , de ce qu'" il a vu ", opôpé, et en raisonne. De là vient donc que, seul
entre les animaux, l'homme a été à bon droit nommé" homme ", anthrôpôs : faisant l'étude
de ce qu' " il a vu ", anthrôn-ha-opôpé ".
Blaise PASCAL reprendra ce thème de la raison, en soulignant que l'homme est fait
pour penser, ce qui fait toute sa dignité et tout son mérite. Le rapport contrasté que l'auteur
fait entre l'homme et les éléments de la nature est saisissant. Une vapeur ou une goûte d'eau,
dit-il suffit pour tuer l'homme. Mais l'univers ne sait rien de l'avantage qu'il a sur l'homme.
Et quand bien même l'univers l'écraserait, l'homme serait le plus noble, parce qu'il sait qu'il
meurt364.
Face aux dangers qu'il court dans le travail, le salarié doit éprouver les mêmes
impressions de fragilité. Mais l'institution du droit de retrait lui redonne sa supériorité sur les
choses en l'invitant à mettre à profit sa raison pour apprécier les conditions de son travail. Par
la reconnaissance de sa compétence, le salarié échappe à une certaine "chosification" et se
réconcilie avec sa nature véritable d'être digne, pouvant réfléchir pour anticiper sur la
réalisation de l'atteinte à son corps. Les dispositions tant de l'OIT que du droit français
soulignent utilement cette activité de l'esprit du salarié. Pour se retirer de la situation de
travail, le salarié doit avoir un motif "raisonnable" de "penser" que celle-ci présente un
danger grave et imminent. Si, comme disait DESCARTES, "la puissance de bien juger et
distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison
est naturellement égale en tous les hommes ,,365, il reste que tous ne l'utilisent pas de la même
façon. Chaque salarié placé dans une situation de travail doit en avoir une opinion, une
appréciation personnelle. Celle-ci doit simplement être raisonnable.
On a dit que le terme" raisonnable" ne doit pas être entendu de façon objective et
abstraite comme en droit civil, où on fait référence au bon père de famille, homme
raisonnable, avisé et diligent366• La loi ne ferait pas référence à un homme normalement avisé,
364 Voir Z. KlEIN, La notion de dignité dans la pensée de Kant et de Pascal op. cil. p. 94
365 Discours de la méthode op ciL, 126.
366A. BüUSIGES, op. cil. p. 286.
104

mais au salarié concerné367. Mais le tenne " raisonnable" a un contenu objectif qu'on ne peut
ignorer. En premier lieu, c'est assez objectivement que se comprend la notion de danger grave
et imminent. Le danger doit présenter un certain degré de gravité et doit être distingué du
risque qui est naturel et doit être maîtrisé afm qu'il n'y ait pas précisément de danger368. La
jurisprudence française a ainsi refusé le bénéfice des dispositions sur le droit de retrait à un
salarié qui avait cessé de travailler alors qu'il était chargé de contrôler l'entrée des véhicules
dans la cour d'une gare routière. L'existence d'un danger était indiscutable, mais celui-ci ne
présentait pas le caractère de gravité exigé par la loi. De surcroît, les conditions de travail
étaient identiques à celles des jours précédents369. De même, il a été jugé que n'est pas
sérieusement dangereux le fait, pour une salariée, peintre, seule sur un chantier de déplacer
fréquemment une lourde échelle370.
Mais, il faut savoir jusqu'où on peut aller dans cette "objectivation" du danger grave et
imminent. Si on ne peut pardonner à un salarié d'exposer ses caprices, ni même de céder à la
panique, on doit à tout le moins considérer le salarié concerné dans sa particularité, ses
faiblesses éventuelles. L'appréciation du danger peut être influencée par l'inexpérience du
salarié, son âge, son ancienneté dans l'entreprise ou au poste et par bien d'autres conditions
qui lui sont particulières37 ]. Une bonne dose de subjectivité est en tout cas présente dans
l'appréciation du danger par le salarié372 .
Intellectuellement, il s'agit d'une pesée373 des éléments en présence en vue de dire s· il
y a effectivement danger grave et imminent. La tâche est d'autant plus difficile que le
législateur ne s'est pas engagé dans la voie d'une définition de la notion de danger grave et
irnminent374• La responsabilité du salarié ne s'en trouve que plus grande.
367Ibid.
368H. SEILLAN, Sécurité du travail et ordre public, Dr. Soc. 1989, p. 372.
369CPH. Châteauroux, 15 mai 1984, Jur. Soc. UIMM, na 84-453.
370Nancy, 2 octobre 1989. Juris-Data, na 047898. Voir aussi soc. 17 octobre 1989, Jur. soc. UIMM.1990, 54. A
propos d'un salarié exposé à des courants d'air.
37IVoir aussi A. BOUSIGES, op. cit. p. 286.
372 Cette subjectivité devra également être appliquée à J'admission de J'erreur excusable d'appréciation.
373 Le mot penser évoque bien peser puisqu'il vient du latin pensare qui veut dire peser.
374 A. BOUSIGES, op. cit., 284
105

2. Le salarié. homme responsable
Dans le mécanisme du droit de retrait, les qualités d'homme responsable du salarié se
montrent à au moins deux occasions: d'abord dans la prise de la décision de retrait de la
situation de travail, ensuite dans la mise en œuvre de cette décision.
L'acte de responsabilité attendue du salarié consiste à ne point abuser de la faculté de
retrait qui lui est accordée.
Dans la nuse en œuvre de la décision de retrait, le salarié fera encore preuve de
responsabilité en évitant une conduite égoïste. En l'occurrence, il évitera de créer un danger
pour autrui. II manifeste ainsi sa solidarité à l'égard des autres personnes qui sont dans son
champ d'action et dont l'intégrité physique dépend de lui. Antoine De SAINT-EXUPERY
disait de GUILLAUMET, un de ses personnages, que •. Sa grandeur c'est de se sentir
responsable. Responsable de lui... des camarades ,,373. C'est aux responsabilités qu'il assume
que l'auteur reconnaît l'Homme. Il affirme en effet qu' .. être homme, c'est vraiment être
responsable ".
Cette reconnaissance de la qualité d'homme compétent et responsable du salarié va
dépasser les limites des dispositions sur le droit de retrait 376. L'identité qui lui est reconnue
l'accompagne dans tous les actes de la vie de l'entreprise et oblige l'employeur à voir en lui
un contractant solidaire de l'avenir de l'entreprise377. Il sait où se situe l'intérêt de l'entreprise
et peut anticiper sur celui-ci.
Dans le domaine particulier de la sécurité, ce qu'il importe de souligner c'est le
pouvoir d'autodétermination qui est reconnu au salarié.
375 Terre des hommes, p.55
376 En fuit, le droit de retrait ne fait qu'accentuer cette reconnaissance puisqu'elle a commencé avec le droit
d'expression.
377 S'il ne veut pas forcément avoir un pouvoir de cogestion, il peut sefaire une opinion, voire critiquer certains
actes qui relèvent du pouvoir de direction du chef d'entreprise.
106

B. Le salarié, titulaire d'un pouvoir d'autodétermination
La place accordée dans le droit de retrait à la subjectivité du salarié indique la
transformation accomplie en droit du travail. Le salarié cesse d'être un objet protégé, mais
devient sujet dans l'exécution de son travail378. Personne, mieux que le salarié, ne peut avoir le
souci de la sécurité de ce dernier. On ne discute pas en tout cas de l'inaliénabilité du droit de
la personne à conserver sa vie et à apprécier ce qui est nécessaire à cette conservation379. Le
salarié ne reste "sujet" que dans la mesure où la maîtrise de sa sécurité, de son intégrité
physique lui est reconnue. II n'y a pas de droit de la personnalité en la matière si une part
d'exclusivité n'est pas laissée au travailleur pour décider et pour agir dans le but de protéger
son COrpS380. Pour les besoins de protection de son corps, le salarié se trouve ainsi soustrait à
la contrainte du lien de subordination; il est fondé à résister éventuellement à l'employeur qui
l'obligerait à reprendre le travail dans des conditions dangereuses. L'article L.231-S du Code
de travail français pose clairement que" l'employeur ou son représentant ne peut demander
au salarié de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et
imminent "
Les textes font confiance au salarié pour apprécier la gravité et l'imminence du danger.
Auss~ le salarié n'a pas à solliciter l'accord de l'employeur, de son représentant ni de toute
autre personne pour exercer le droit de retrait. De sa propre autorité, il apprécie la situation.
L'attention doit être attirée sur cette entière confiance faite au salarié, car le législateur aurait
pu imposer le passage par une institution professionnelle ou à tout le moins un avis.
La jurisprudence française, dans un premier temps, a pu jeter du doute dans les esprits
en ce qui concerne le droit qu'a le salarié d'apprécier lui même la gravité et l'imminence du
danger. La Cour d'appel de Versailles a jugé à propos d'un salarié victime d'un accident de la
circulation et qui éprouvait des douleurs dans l'exercice de ses nouvelles fonctions qu'il ne
convenait pas que ce salarié "se livre seul à une appréciation personnelle et abusive du droit
de retrait et du coptenu qu'il entend lui donner"381.
378p. IRlAT, op. cit. p. 145.
379J. SAVATIER, La lil:rté dans le travail, op. cit. p. 282.
380M. BONNECHERE, op. cit. p. 181.
38 1Versailles, 31 mai 1994, RJS nO 10/94 nO 1143, p. 676.
107

On peut concéder qu'en l'espèce l'appréciation du danger par le salarié n'était pas
"raisonnable". Mais si l'on réserve l'analyse sur ce point, on doit souligner que l'affirmation
de la Cour était contestable, en ce qu'elle laissait croire que le salarié doit s'entourer de
certains concours pour exercer son droit de retrait. La Cour d'appel de Versailles réservait en
effet à la médecine du travail la constatation de l'inaptitude et l'adaptation de l'emploi aux
possibilités physiques du salarié. Seules les prescriptions du médecin du travail devaient donc
s'imposer à l'employeur.
Cette analyse vidait le droit de retrait d'une grande partie de son contenu puisqu'il
devenait impossible de le mettre en œuvre dans des hypothèses où, de bonne fo~ le salarié
peut estimer qu'il court des risques graves pour sa santé382 La jurisprudence s'est aujourd'hui
orientée vers une conception large du droit de retrait, puisqu'elle l'admet même en cas de
maladie383. Elle sanctionne aussi toute initiative de l'employeur qui tendrait à imposer, pour
l'exercice du droit de retrait, une condition non contenue dans la loi384 . On peut penser qu'il en
est ainsi du passage obligé par le médecin du travail.
Certes, dans la pratique le salarié sollicitera le plus souvent l'avis d'un collègue, du
supérieur hiérarchique, d'un représentant du personnel ou du médecin du travail, en particulier
s'il n'est pas très sûr de sa propre appréciation de la situation. Mais il ne s'agit là que d'une
démarche de prudence, nullement imposée par la loi. Au fond, le droit de retrait trace pour le
salarié une sphère d'autonomie pour la protection de sa vie et de sa santé. Il n'est pas un objet
à protéger, il est le sujet actif de sa propre sécurité.
En situant le droit de retrait clairement en face du pouvoir disciplinaire et des menaces
sur le salairé85, les textes visent juste. Des termes des textes, on comprend sans peine que
l'immunité qui couvre l'exercice du droit de retrait est générale. Ainsi, ni le licenciement, ni
aucune autre sanction disciplinaire ne peuvent être justifiés. Le propos semble simple : le
salarié est un sujet raisonnable. Il l'est d'autant plus qu'on ne saurait imaginer qu'il place
aucune autre val~ur au dessus de sa sécurité. C'est pourquoi on ne peut lui faire le reproche de
382G. LACHAISE, note sous Soc. 20 mars 1996, JCP 1996 Ed. E, n° 36, p. 192.
383Soc. 20 mars 1996, op. cit.
384C.E. 21 juin 1987, Dr. Soc. 1987,645 ; Il juillet 1990, RJS, 1990, n° 767 "Si J'article L.231-8 oblige le
salarié à signaler immédiatement à l'employeur J'existence d'une situation de travail qu'il estime dangereuse, il ne
lui impose pas de le faire par écrit".
385 " Aucune sanction, aucune retenue de salaire... "
108

vouloir" sauver sa peau ". Les mécanismes du droit de retrait se montrent ainsi si naturels à
l'homme.
De là, on peut engager une discussion sur le sens à donner aux législations q~i ne
mentionnent nulle part l'existence du droit de retrait. La question concerne ici le droit
camerounais, le Cameroun n'ayant même pas cru devoir ratifier les conventions nO 155 et 170
de l'OIT qui contiennent la formulation du droit de retrait. Sans doute y a-t-il là une carence à
pallier tant le réflexe de conservation est si naturel. L'examen de
la jurisprudence
camerounaise montre à cet effet des signes qui ne trompent pas. Deux décisions sont
intéressantes à lire. En premier lieu, il faut considérer un jugement du Tribunal de première
instance de Yaoundé386. Après avoir présenté à son employeur un certificat médical
recommandant des soins, un salarié a pris, contre la volonté de l'employeur, la décision de
s'absenter pour se faire soigner. En déclarant illégitime le licenciement consécutif à cette
absence, le tribunal voulait sans doute dire que les pouvoirs du chef d'entreprise ont
nécessairement pour limite le droit du salarié à son intégrité physique, et plus précisément le
droit pour ce dernier d'apprécier ce qui est propre à conserver sa santé et sa sécurité. Ce
jugement est à rapprocher d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Yaoundé387 dans les
conditions voisines. En huit ans de service, un salarié subit trois opérations chirurgicales, ce
qui entame son rendement au travail. L'employeur saisit le médecin d'entreprise, qui propose
l'affectation du salarié, pendant trois mois, à un poste moins pénible. Le médecin personnel du
salarié propose la même mesure, mais pour une durée plus longue, à savoir quatre mois.
L'employeur répond qu'il ne dispose pas d'emploi moins pénible. Le médecin d'entreprise
intervient de nouveau, et propose de mettre le salarié en congé maladie pour une durée d'un
mois avant qu'il ne reprenne le travail à son ancien poste. L'employeur refuse la mesure et met
en service le salarié à son ancien poste. Ce dernier refuse de reprendre le travail dans ces
conditions, ce qui lui vaut une mise à pied, et plus tard un licenciement. Dans une abondante
motivation, la Cour d'appel déclare le licenciement abusif: "Attendu que la mise à pied de
deux jours du 5 au 7 avril 1978 pour refus de reprendre son poste de travail prouve sans
conteste que depuis la consultation du 10 mars 1978, la CICAM n'a ni procédé au changement
de poste recommandé, ni permis à l'intimé le repos absolu d'un mois maximum avant la
reprise de son poste de tisserand, repos nécessaire relevé dans la lettre du 14 avril 1978 du
386TPI de Yaoundé, jugement n° 209 du 20 août 1991 inédit.
387CA de Yaoundé, n° 223/S du 3 août 1993 inédit.
lOq

docteur Abdoulaye". Ici encore, l'interprétation de la solution paraît ne souffrir d'aucune
équivoque : le salarié peut légitimement opposer à l'employeur son appréciation des
conditions de sécurité au travail.
Certes, aucune des décisions n'évoque expressément le droit de retrait dans sa
motivation. Mais à notre sens, rien n'empêchait les juges de faire référence à cette institution,
même en l'absence d'un texte précis qui la prévoit et l'organise. En France, le Tribunal
administratif de Besançon388 a fort judicieusement vu dans le droit de retrait l'expression
d'un principe général du droit. En effet, le tribunal a affirmé qu'il résulte du principe général
du droit dont s'inspire l'article L.231-8-1 du Code du travail qu'aucune sanction, aucune
retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un agent public qui s'est
retiré d'une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu'elle présentait
un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé",
Par cette argumentation. le Tribunal administratif a appliqué le droit de retrait dans le
secteur public où aucun texte ne le prévoyait. Lejuge camerounais pourrait bien s'inspirer de
cette démarche.
En tout état de cause, le juge camerounais ne devTait jamais perdre de vue la définition
que l'article 23 du Code du travail donne du contrat de travail. Il s'agit d"'une convention par
laquelle un travailleur s'engage à mettre son activité professionnelle sous l'autorité et la
direction d'un employeur, en contrepartie d'une rémunération". Cette définition a la mérite
d'indiquer clairement l'objet du contrat de travail. Ce que le travailleur met sous l'autorité et la
direction de l'employeur, c'est son activité professionnelle; ce qu'il met à sa disposition, c'est
sa prestation de travail, non son corps. Le travailleur conserve tous les droits sur son corps, et
peut le mettre à l'abri du danger, peu importe alors que le travail ne puisse plus être exécuté
pendant ce laps de temps. La non exécution du travail n'est que le résultat, inévitable pour le
salarié, de l'exercice d'un droit, de surcroît fondamental.
388TA. Besançon, 10 octobre 1996, Dr. soc. ] 996, p. 1037.
110

PARAGRAPHE II : LE SALARIE EN TANT QU'HOMME EST UNE FIN EN SOI
Des auteurs soulignent avec insistance les rapports ambigus qui existent entre la
personne et les biens, et spécialement l'argent389. On dit même que l'argent aurait été inventé
pour permettre d'acquérir des personnes, des valeurs personnelles ou, comme elles, sacrées, :
acheter des femmes390, acquitter des dettes de sang, exécuter un rite funéraire ou acheter un
prisonnier de guerre391 . La personne humaine serait ainsi entrée depuis longtemps dans le
commerce392. L'image n'est pas celle d'un passé révolu, puisque l'observation demeure
actuelle, tout au moins si on considère le corps humain pris en ses composantes: les organes,
le sang, les substances. Nous serions arrivés à une société qui organise rationnellement le
commerce du corps humain393 .
Ce qui rendrait possible ce commerce, c'est rétablissement d'un rapport d'équivalence
entre la personne humaine et la chose. En tant qu'équivalent général, rargent aurait démontré
son aptitude à mettre en équivalence la chose et la personne394 .
Mais cette ffilse en équivalence rencontre une opposition irréductible, puisqu 'elle
prétend mettre sur une même ligne ce qui relève de rordre des moyens et ce qui relève de
l'ordre des fins. Contrairement aux choses, aux biens qui sont des moyens, la personne
humaine est une fin en soi. La dignité qui est consubstantielle à la personne humaine ne peut
se rabaisser au point de devenir un objet d'échange, puisqu'elle exclut de sa défmition même
ridée d'équivalence, de prix395 En dépit des apparences, la mise hors de tout prix de la
personne humaine conserve une grande part de vérité. Même la tentative de séparer
juridiquement la personne humaine de son corps, dans le dessein de ne protéger le corps que
lorsqu'il est habité par la pensée396 est restée sans grande portée397• Certes, en France n'a pas
été retenu lors de l'adoption de la loi sur le respect du corps humain l'amendement qui
389 V. Th. REVET, L'argent et la personne, in Mélanges Christian MOULY, Litec, 1998, 141.
3901. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 7 è éd., 315.1.
391 A. CAILLE, La monnaie des sauvages et la monnaie des modernes, Action et recherches sociales, 1986, nO 2
392 JOSSERAND, La personne humaine dans le commerce juridique, D. R, 1932, chr.l.
393 M. A. HERMITTE, Le corps humain hors du commerce, hors du marché, Archives de philosophie du droit,
1988,321.
394 Th. REVET, L'argent et la personne op. ciL, 141.
3951. LACROIX souligne que ce qui n'a pas d'équivalent, et partant est au dessus de tout prix, a de la dignité.
396 V. M. A. HERMITTE op. ciL, 324.
397 Il ne fait pas de doute que la dignité humaine survit à l'homme. D'où le rapport bien délicat avec la dépouille
mortelle, les restes humains.
1l l

précisait que "La personne humaine doit être respectée en son corps" 398. Mais les
dispositions retenues traduisent aussi ce souci. Le corps est respecté comme l'être lui-même.
Le droit s'inscrit donc dans la résistance à l'idée d'équivalence et de prix. Il insiste sur
ce que si le corps ou plus précisément certains de ses éléments sont dans le commerce
juridique, ils ne sont pas dans le commerce au sens marchand, la circulation se fait sans
contrepartie, loin de toute idée de profit, hors du marché399• L'article 16-1 du Code civil
français est particulièrement net sur la question : "Le corps humain, ses éléments et ses
produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial ". Les conventions ayant pour effet de
conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont
nulles40o. En vérité, si le corps est entré dans le commerce juridique, c'est essentiellement
dans une finalité humaniste. En effet, la brèche qui s'est ouverte dans le principe de
l'indisponibilité de la personne est justifiée par la nécessité de faire avancer la médecine par le
moyen des expérimentations de médicaments401 , ou plus directement par le souci de sauver
des personnes qui avaient besoin d'organes ou de substances venant d'autrui. Au fond, ce qui
légitime le commerce juridique des organes ou produits du corps, c'est encore la personne
humaine. On est inscrit dans un cercle où la personne est en même temps un moyen et une fin.
Si on peut penser que le corps est par moment traité comme une chose4 2
0 , il faudrait ajouter
qu'il ne s'agit pas d'une chose quelconque. Le corps serait une" chose d'origine humain et à
finalité humaine ,,403. La médecine et le droit s'emploient à rechercher un équilibre dans ce
rapport où l'idée de dignité n'a fmalement de sens que si elle peut au moins interdire que la
personne humaine soit traitée simplement comme un moyen. KANT affinnait déjà que
" l'homme ne peut être utilisé par aucun homme (ni par autrui, ni par lui-même) simplement
398 Le Code civil français fait penser à une séparation entre le corps et la personne. S'il proclame la dignité de la
personne à l'article 16, il parle du corps à l'article 16-1. La doctrine y a vu une contradiction (V.B. BEIGNlER,
L'ordre public et les personnes, in L'ordre public à la fin du XX è siècle, Dalloz 1994, 13).
399 Voir article 16-6 du code civil français.
400 V. Article 16-5 du Code civil français ;Ch. BYK, La loi relative au respect du corps humain, lCP 1994, 1,
3788, n° 14.
401 V. D. THOLNENIN, Ethique et droit en matière biomédicale, D. 1985, chr., 21 ; 1. F. PERRIN, Les essais
thérapeutiques, chez l'homme, PUF, Que sais-je? ; 1. P. DUPRAT, Information et consentement éclairé du sujet
dans le cas d'expérimentation de médicament sur l'homme sain, Rev. dr. sanitaire et social, III, 1982.
402 La doctrine souligne même que" le corps humain n'est pas une chose: c'est la personne" (V. M. GODARD,
Réflexions sur les sources du droit et les" principes" d'indisponibilité du corps humain et de l'état des
personnes, RTD eur., 1992 ; D. THOUVENIN, La personne et son corps: un sujet, pas un individu biologique,
les Petites Affiches, du 14 décembre 1994,25.
403 M. A. HERMITTE op. cit., 325.
112

comme un moyen, malS en même temps comme une fin, et c'est en cela que consiste
précisément sa dignité ,.404.
Ainsi, si l'Homme peut se mettre au service d'autrui par le contrat de travail, il est
exclu que dans cette opération il soit traité simplement comme un moyen. L'employeur
devrait en- tout état de cause le considérer comme une fin. Plus précisément l'employeur ne
saurait considérer le salarié comme une machine, un animal domestique dénué de tout droit et
de toute autonomie405. Le salarié est un homme dont la dignité doit être préservée quel qu'en
soit le prix, puisqu'elle est une fin en soi.
Le rapport de travail ne manque pourtant pas d'occasions où on peut se demander si la
dignité humaine reste une valeur suprême. On songe par exemple aux atteintes à la liberté qui
accompagnent l'exécution du contrat de travail. Mais le corps du salarié reste l'imprenable
bastion de la dignité406. Le droit du travail le situe au-dessus de tous les intérêts ou valeurs
présents dans le rapport de travail. Le corps et son intégrité sont indiscutablement situés au-
dessus des pouvoirs disciplinaires et de direction du chef d"entreprise par les dispositions sur
le droit de retrait407, alors déjà que le pouvoir réglementaire est depuis longtemps mis au
serVIce, entre autres, de la sécurité~o8. Il est également indiscutable que le souci de
préservation de l'intégrité physique est placé au-dessus des objectifs de production et de
rentabilité. Mais en général, l'analyse juridique répugne même à poser la question du rapport
entre la sécurité et la rentabilité. On craint sans doute d'affronter ridée d'une comparaison
entre ce qui relève de deux ordres différents : l'ordre des valeurs et l'ordre des biens
matériels409. Ce qu'il faut surtout voir dans cette pudeur, c"est le rejet d'une possibilité de
. supériorité du bien sur la valeur, du moyen sur la fin. La supériorité de la fin sur le moyen est
posée comme une vérité première et permanente qui n'a point besoin de démonstration ni de
remise en cause. Par la hiérarchisation qu'il opère, le droit du travail indique clairement que
c'est le salarié en sa personne qui est une fin.
404 Cité par R. EISNÉR, KANT-LEXIKON, Gallimard, 1994, 280.
405 O. de TISSOT, Pour une analyse juridique du concept de " dignité" du salarié, Dr. soc., 1995, 973.
406 Toute intervention sur le corps humain doit se faire dans le respect du socle d'ordre public, a dit le Garde des
sceaux français dans la présentation de la loi sur la bioéthique (V. Les Petites Affiches, 14 décembre 1994).
407 V. Articles L.23 1- S t L.231-S- 1 du Code du travail français.
408 V. Article 29 al. 1 du Code du travail camerounais et L.122-34 du Code du travail français sur le contenu du
règlement intérieur.
409 Un précepte antique traduisait déjà cette préoccupation, avec les limites bien compréhensibles de son temps
"homo liber non eSlimalionem non recipit" (l'homme libre n'est pas susceptible d'évaluatior»
113

Conclusion du chapitre
En reconnaissant au salarié le droit de se retirer d'une situation de travail dangereuse
pour sa vie ou sa sécurité, on a fait un pas décisif dans la garantie du droit à l'intégrité
physique. D'un point de vue juridique, ce qui importe c'est moins le retrait en soi, qui sera
parfois un pur réflexe naturel de conservation, que la protection conférée au travailleur qui
l'exerce. Il faut cependant considérer avec attention les présupposés philosophiques du droit
de retrait. Le salarié est en tout cas reconnu à la fois dans sa compétence professionnelle et
dans sa valeur en tant qu'Homme.
114

CONCLUSION DU TITRE
Parce qu'il est le temple de la personne, le corps s'est offert à la philosophie et au droit
comme l'élément le plus fécond dans la manifestation de la dignité du salarié. En lui donnant
une place constitutionnelle, le droit positif l'a placé au rang le plus élevé, traduisant ainsi son
respect pour le corps.
Plus que ce rang constitutionnel, c'est le principe séculaire de l'intangibilité du corps
qui en a révélé les immenses richesses. En droit du travail en particulier, on a compris qu'il
était impératif de dépasser l'approche défensive de l'intangibilité du corps, où on ne vise qu"à
mettre le corps à l'abri des dangers. Il importe davantage d'entretenir le corps dans le souci de
le conserver.
Le souci de protection du corps va aUSSi pousser le législateur à reconnaître aux
salariés un pouvoir d'autodétermination pour préserver sa sécurité: c'est le droit de retrait.
Le dispositif du droit de retrait est fondé sur quelques présupposés philosophiques qui
dévoilent une fois de plus la place du " sujet "' qu'est le salarié dans la relation de travail. Le
salarié est reconnu dans son identité, son savoir faire, sa qualité d'être de raison.
Par ailleurs, il faut dire que si tout est mis en œuvre pour assurer la protection du corps
du salarié, c'est à vrai dire moins parce que celui-ci est le passage obligé de la prestation de
travail que parce qu'est en cause la dignité. Celle-ci commande de considérer le salarié, en
son corps, lequel n'est point séparable de sa personne, comme une fin en soi, et non pas
comme un simple moyen. Le corps du salarié se montre ainsi comme le siège de sa dignité.
Mais les préoccupations du sujet de droit qu'est le salarié ne s'épuisent point dans la
sécurité; il aspire au respect de ses valeurs essentielles.
115

TITRE II
LE RESPECT DES ASPIRATIONS DU SALARIE
Au fond de la conscIence humaine gisent deux valeurs essentielles, attributs de la
dignité: la liberté et l'égalité. Or, la relation de travail salarié semble s'inscrire à l'antithèse
de ces valeurs. Le droit du travail conçoit la subordination du salarié à l'employeur comme
une chose normale, et en fait même le critère du contrat de travail. L'article 23 du Code du
travail camerounais définit en effet le contrat de travail comme" une convention par laquelle
un travailleur s'engage à mettre son activité professionnelle sous l'autorité et la direction d'un
employeur, en contrepartie d'une rémunération ,,410. Le contrat de travail se présente ainsi
comme une opération par laquelle le salarié descendrait du piédestal où il est originellement
placé en tant qu'Homme.
Peut-on, cependant, raisonnablement concevoir une telle" déchéance" ? L'un des
défis du droit du travail est justement d'assurer la permanence des attributs de la dignité du
salarié malgré les vicissitudes de sa condition. Le salarié qui accepte d" obéir aux ordres de
l'employeur compromet certes à sa liberté, mais ce n'est pas sa personne qu'il aliène: la
subordination va se limiter à la prestation de travail. Autrement dit, dans l'opération juridique
qu'est le contrat de travaiL le statut juridique de la personne du salarié doit être préservé. Ce
statut fonde des droits essentiels qui prévalent sur la subordination du salarié à l'employeur411.
Ces droits essentiels garantissant son statut de personne humaine existent dans les
rapports individuels de travail. L'évolution du droit du travail a cependant montré que les
droits individuels des salariés demeureraient théoriques sans une dimension collective des
rapports de travail. Au demeurant, celle-ci est sans doute aujourd'hui la donnée majeure du
droit du travaiL Aussi nous a-t-il semblé important de lui accorder une bonne place dans ce
410 Le droit français retient la même définition du contrat de travail, encore que le Code du Travail soit resté
muet sur la question Cv. G. LYON-CAEN, 1. PELISSIER, A. SUPIOT, Droit du Travail. Paris 1996, Dalloz, n°
125.
411 Sur cette idée de prévalence et de droits essentiels, voir E. PICARD, L'émergence des droits fondamentaux,
AIDA, 1998, n° spécial, 9.
11 h

412
titre. II sera question moms de recenser les droits en jeu
que de voir comment les
aspirations des salariés sont appréhendées par la dimension collective des rapports de travail.
En deux chapitres, ce titre traitera de la reconnaissance des droits et libertés
(CHAPITRE I) et du rôle de la dimension collective des rapports de travail (CHAPITRE II).
412 Observons que beaucoup de droits enjeu dans la dimension collective des rapports de travail sont sanctionnés
sur le plan individuel. Ainsi en est-il de la liberté de grève ou de la liberté syndicale qui s'exercent
collectivement, mais sont traitées avant tout comme des libertés individuelles.
117

CHAPITRE 1
LA RECONNAISSANCE DES DROITS ET LIBERTES
Deux tableaux pennettent de mesurer la marche vers la liberté du salarié. Le premier
est vieux. Il résulte de la description que Léon HARMEL donnait du bon patron: " l'autërité
patronale doit se rapprocher de plus en plus de l'autorité parentale ". Et s'agissant des devoirs
du patron envers la famille de l'ouvrier, on attend du premier" qu'il vienne en aide de tout
son pouvoir aux familles nombreuses..., qu'il facilite les mariages entre jeunes gens de bonne
conduite, qu'il fasse cesser les relations illicites si, par ailleurs, il s'en produit, et s'emploie à
faire légitimer les enfants qui en proviennent ,,413. Le second tableau est plus contemporain ;
c'est celui de la vie privée qui s'est transportée au lieu du travail: des tiroirs sont devenus des
endroits privilégiés pour la conservation des lettres, adresses, souvenirs plus ou moins
confidentiels; des murs de bureaux supportent des portraits des parents. En général. les chefs
d'entreprise s'y accommodent bien.
C'est que le progrès n"a pas consisté seulement à interdire à l'employeur de s'imposer
dans la vie privée du salarié; on tolère largement que la vie privée envahisse les lieux de
travail. La propriété des moyens de production414 serait moins forte que les valeurs que le
salarié défend ici.
La propriété des moyens de production serait également moms forte pour imposer
l'idée que le chef d'entreprise peut impunément faire des discriminations entre les salariés.
Au fond, le progrès s'est déployé sur deux dimensions complémentaires qui constitueront les
articulations de ce chapitre: la liberté (SECTION I) et l'égalité (SECTION II) dans la relation
de travail.
4IJ Ces extraits sont tirés du "Catéchisme du patron ". Bureaux du journal La Corporation, 6 janvier 1889, cité
par 1. SAVATIER op. cit. p. 52.
414 Allusion est ici faite, sans parti pris, à l'idée que les pouvoirs de l'employeur sont fondés sur la propriété des
moyens de production.
11 R

SECTION 1 : LA LIBERTE DANS LA RELATION DE TRAVAIL
En 1991, la Chambre sociale de la Cour de cassation française censurait une Cour
d'appel pour avoir admis la légitimité d'un licenciement fondé sur les mœurs et convictions
religieuses du salarié415• Quelque temps avant, la Chambre criminelle avait jugé que l'atteinte
à la liberté syndicale peut résulter d'un acte du chef d'entreprise qui n'a pas pour motif
exclusif la discriminat ion syndicale416.
Ces deux décisions ont en commun de protéger la liberté du salarié dans la relation de
travail. Mais il y a un élément qui les distend. La première s'inscrit dans l'idée que même
subordonné le salarié reste un homme et doit. à ce titre. bénéficier des libertés liées à ce statut.
(PARAGRAPHE 1). La seconde décision se comprend bien par rapport à la relation de travail.
Est en cause une liberté en rapport avec la relation de travail (PARAGRAPHE II).
PARAGRAPHE 1 : LES LIBERTES DU SALt\\RlE EN TANT QUE PERSOI\\TNE
4lï
La liberté a toujours eu, aux yeux des hommes, de multiples significations
, surtout
parce qu'on veut étendre indéfiniment les libertés individuelles418. Cette observation montre
bien les difficultés d'une analyse où on souhaite isoler les libertés liées au statut d'homme. La
démarche comporte donc, nécessairement, une part d'arbitraire. Les libertés qu'on présentera
comme liées au statut d'homme sont des libertés spirituelles en général (A). Mais on fera une
place à part à la liberté de la vie privée (B).
415 SOC,. 11 avril 1991. Dr. soc. 1991, note P. BOUAZIZ.
416 Crim., 16 janvier 1990, RJS. 1990,
163, n° 228.
4\\7 V. P. VALERY, Regard sur le monde actuel, Fluctuation sur la liberté, 49.
418 F. TERRE, Sur la notion de droits et libertés)ndamentaux, in Droits et libertés fondamentaux: épreuve
d'admission à l'examen d'entrée au CRFPA, Dalloz, 1994, p. 9.
Ibid.
119

A. Les libertés spirituelles du salarié en général
Les textes constitutionnels insistent sur les libertés spirituelles, et singulièrement sur les
libertés d'opinion et de religion. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame
que" Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses... ,,419. Elle ajoute même
que" la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus
de cette liberté dans les cas détenninés par la 10i ".no.
La Constitution camerounaISe, qui a visiblement été influencée par la Constitution
française421 , reprend assez fidèlement ces dispositions. A son préambule, elle dispose que
"Nul ne peut être inquiété en raison de ses opinions ou croyances en matière religieuse,
philosophique ou politique... ". L'analyse distingue en général deux aspects dans les libertés
, · ·
d l
4 77
e espnt: un aspect mterne et un aspect externe --.
Il est clair qu'on peut avoir une opinion politique. philosophique ou religieuse et ne
pas l'exprimer, c'est-à-dire ne pas la porter à la connaissance d"autrui. Cet aspect des libertés
de l'esprit, justement parce qu'il ne peut être connu des autres, échappe par nature à toute
prise de contrôle, et à son égard, toutes les clauses de restriction seraient vaines.
En France, l'affaire CLAVAUD"m a montré à quel point l'opinion publique était
attachée à la liberté d'opinion424. Elle a aussi donné aux juridictions l'occasion d'affmner le
caractère fondamental de cette liberté, notamment en prononçant la réintégration du salarié
licencié pour l'expression de son opinion, alors même que cette solution n'était expressément
prévue par aucun texte. La conviction qu'il y avait atteinte à un droit fondamental était
tellement forte qu'aucune des juridictions saisies n'a été troublée par la sévérité des critiques
419 Voir article 10.
420 Voir article II.
421
Sur cette question, voir M. KAMTO, L'énoncé des droits dans les constitutions des Etats africains
francophones, RJA 1991/2 et 3 p. 10.
422 Voir pour cette question Jacques ROBERT, La liberté religieuse, RIDe, 2, 1994 p. 629 et s. L'auteur saisit
admirablement la distinction entre les aspects interne et externe de la liberté religieuse, en y mêlant même la
distinction entre l'aspect individuel et l'aspect collectif" la liberté religieuse... est d'abord une liberté
individuelle puisqu'elle consiste, pour l'individu, à donner ou non son adhésion intellectuelle à une religion, à
choisir librement ou à refuser. Mais, elle est aussi une liberté collective, en ce sens que, ne s'épuisant pas dans la
foi ou la croyance, elle donne nécessairement naissance à une pratique" (P. 629).
423 Soc, 28 avril 1988, D. O. 1988, 251, Obs. A JEAMMAUD et M. LE FRIANT.
424 Pour la mobilisation de l'opinion, voir L. BROVFLLl, Liberté d'expression et nullité d'un licenciement, D.O.
1988, p. 249.
120

que M. CLAVAUD avait, dans un journal, formulées à l'endroit de la société qui
l'employait425.
Postérieurement à l'affaire CLAVAUD, la Cour d'appel de Metz a eu à annuler le
licenciement d'une salariée motivé par sa candidature aux élections municipales sous les
couleurs du Front National. La motivation est claire: " les engagements politiques personnels
d'une salariée, qu'ils soient publics ou non, dès lors qu'ils n'ont pas affecté son travail,
échappent au contrôle de l'employeur et ne peuvent en aucun cas servir de fondement
légitime à une décision de licenciement ,,426. La Cour décidait ainsi, en dépit de la réprobation
qu'une large majorité de l'opinion publique française manifeste à l'égard de la doctrine du
Front National. La liberté d'opinion était plus forte que de simples états d'âme que
l'employeur, les autres salariés de l'entreprise voire les clients pouvaient avoir vis-à-vis de
l'appartenance de la salariée licenciée au Front National.
De son côté, le Conseil d'Etat a plusieurs fois montré le prix qu'il attache à la libre
expression des opinions dans l'entreprise. A l'occasion du contrôle de la régularité des
règlements intérieurs d'entreprise. il a régulièrement affmné que sont contraires à l'article L.
122-33 du Code du travail les dispositions du règlement intérieur qui interdisent les
discussions politiques ou religieuses, et d'une manière générale toute conversation étrangère
au service427. De même, dans les entreprises dites « de tendance» 428 , le règlement intérieur
ne peut prévoir des clauses sur le caractère propre qu'en s'assurant que les obligations qui en
résultent pour les salariés doivent s'apprécier eu égard à la nature des fonctions exercées par
.
. 41 9
1es personnels qUi y sont SoUITIlS - .
Au regard de ces solutions, tant de la jurisprudence judiciaire que de la jurisprudence
administrative, favorables aux libertés de l'esprit, on peut se poser deux questions. D'une part,
la reconnaissance des libertés de l'esprit du salarié s'accompagne-t-elle du droit pour ce
dernier d'afficher ostensiblement les signes extérieurs de son appartenance à telle ou telle
religion, tel ou tel parti politique? En d'autres termes, quelle attitude l'employeur doit-il avoir
425 V. " L'humanité" du 15 jan'vier 1986. Le salarié y décrit ses conditions de travail, raconte sa peine d'ouvrier
posté, compare son trop modeste salaire au prix de vente du produit qu'il fabrique...
426 Metz, Il septembre 1990. Association inter Service Migrants/Schmitt. RJS, 1991, nO 668.
427 C.E, 25 janvier 1989, RJS, 1989, nO 423.
428
L'expression désigne les entreprises qui se consacrent à la défense d'une philosophie bien affinnée
(confessions religieuses, partis politiques etc.)
429 C.E. 20 juillet 1990. Dr. soc, 1990, p. 865.
121

vis-à-vis d'un salarié qui vient au travail en uniforme de son parti politique? D'autre part,
l'employeur est-il obligé de prendre des dispositions appropriées pour permettre au salarié de
jouir effectivement de sa liberté?
Le Conseil d'Etat a été saisi de la première question à propos de la liberté religieuse. Il
a alors affinné que la liberté religieuse reconnue aux élèves comporte pour eux le droit
d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements
scolaires dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui; mais elle ne saurait leur
permettre d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les
conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement ou par leur
caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de propagande, de pression., de
prosélytisme, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de
la
communauté
éducative...
enfin
troubleraient
{"ordre
dans
l'établissement
ou
le
fonctionnement normal du service public430•
Cette solution est certes prise au sujet de la seule liberté religieuse et dans le cadre
d'un service public et donc de la société politique en général. Mais rien ne semble s'opposer à
ce qu'elle soit étendue à toutes les libertés de l'esprit, puis appliquée à {"entreprise. Au fond.
ne s'agit-il pas de dire que le salarié a le droit de manifester sa liberté sauf à respecter celle de
l'autre et à éviter tout trouble dans l'entreprise? Le trouble devrait être apprécié ici non
seulement par rapport à la réaction des autres salariés, mais aussi par rapport à celle des
clients, et même à la fonction de production de l'entreprise.
Faut-il limiter là l'emprunt des solutions dégagées pour la société étatique, ou faut-il
soutenir qu'à l'instar de l'Etat qui doit assurer l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d'aucune sorte, l'employeur doit sortir d'une attitude passive pour prêter son
concours à l'exercice de telle liberté spirituelle par le salarié t 31 On pourrait imaginer par
exemple que l'employeur tienne compte des horaires de prière dans l'organisation du travail ;
430 V. Avis n° 34893~ Assemblé plénière, RFDA. 1990 pp. 1-9, note Jean RIVERa. Dans la même rubrique, il
faut citer un arrêt du Conseil d'Etat du 2 novembre 1992 (les petites affiches, 24 mai 1993, n° 62) où est annulée
l'exclusion du collège des jeunes filles qui portaient un foulard islamique.
431 L'analyse de la liberté religieuse a permis à Jacques ROBERT d'affirmer que la neutralité de l'Etat par
rapport aux religions comporte deux faces: une face négative qui suppose la discrétion de ('Etat et une face
positive qui implique l'engagement de l'Etat d'assurer pratiquement à chacun dans sa quotidienneté vécue, le
libre exercice de sa religion, c'est-à-dire de mettre à sa disposition, si la nécessité l'impose, les moyens lui
permettant d'en observer les règles (V. article op. cit. p. 633). Cette analyse peut être généralisée à toutes les
libertés de l'esprit.
122

qu'au besoin il aménage un local à cet effet. Pourquoi ne pas imaginer aussi que l'employeur
soit obligé de réaménager les horaires d'un salarié particulier pour pennettre à ce dernier de
participer aux réunions de son parti politique?
A vrai dire, il ne faut pas confondre l'entreprise avec la société étatique. Si l'Etat
assume une obligation d'assurer le développement des citoyens et au moins leur égalité
devant la loi qu'il édicte, on ne décèle aucune obligation similaire chez l'employeur et en tout
cas pas en ce qui concerne les libertés de l'esprit qui sont reconnues aux salariés par la loi et
non par l'employeur. La Chambre sociale de la Cour de cassation française a jugé que si
l'employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf
clause contraire, n'entrent pas dans le cadre du contrat de travail432. Ainsi, l'employeur ne
commet aucune faute s'il garde une attitude passive. Mais, il faut garder le bon sens: il
pourrait arriver que l'abstention de l'employeur ne s'explique que par une volonté de faire
obstruction à l'exercice d'une liberté fondamentale. Or, les pouvoirs qui lui sont conférés pour
la gestion du personnel le sont dans l'intérêt de l'entreprise. Il serait donc judicieux. le cas
échéant. d'apprécier le comportement de l'employeur, même passif, à l'aune de l'intérêt de
l'entreprise.
Faisons deux observations pour tourner cette page sur les libertés spirituelles. En
premier lieu. il faut souligner que l'article L.461-1 du Code du travail français prévoit au
profit des salariés un " droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions
d'exercice et l'organisation de leur travail ". On a démontré que ces dispositions visent plus à
canaliser des intelligences pour les besoins de rentabilité433 . L'observation est exacte. Il reste
que ces dispositions pennettent l'expression des opinions des salariés sur la vie de
l'entreprise. Le législateur précise utilement que les opinions émises dans ce cadre ne peuvent
motiver une sanction ou un licenciement434.
En second lieu, on a révélé qu'il est devenu extrêmement rare que les juridictions
françaises soient saisies de litiges entre salarié et employeur fondés sur une divergence
d'opinions politiques435• Le propos peut rassurer sur la maturité politique et l'esprit de
432 Soc. 24 mars 1998, RIS, 1998, p.448, n° 701.
433 V. A Supiot, Critique du droit du travail, op cit. p.
434 V. art. L. 461-1 paragraphe 2.
. ..
435 O. de TISSOT, La liberté d'expression des opinions politiques d'un salarié, Dr. soc 1994, p. 353.
123

tolérance des employèurs. Mais il faut craindre aussi que ce ne soit parce que ces derniers
dissimulent mieux leurs vices dans des motifs en apparence licites.
Au Cameroun, les juridictions ne sont pas particulièrement sollicitées pour les
contentieux relatifs à l'opinion politique du salarié. On peut néanmoins citer deux arrêts de la
Cour d'appel de Yaoundé. Dans le premier, la Cour d'appel juge abusif le licenciement d'un
salarié pour plusieurs motifs dont "l'incitation au mécontentement général de certaines
autorités politiques de la place... menées subversives ,,436. Le second arrêt juge abusif le
licenciement d'un salarié pour" trouble dans le service et propos subversifs437 à l'endroit des
hautes autorités de la République ,,438.
La rareté des recours qui invoquent la liberté d'opinion politique religieuse ou
philosophique ne doit pas tromper. L'observation empirique de la vie des entreprises montre
au contraire une excessive intolérance politique de la part des employeurs. Et si les salariés
évitent d'invoquer la discrimination en raison de l'opinion politique pour soutenir leurs
prétentions en cas de licenciement, c'est d'une part parce que l'interdiction de discrimination
politique n'est pas suffisamment portée à la lumière, et d'autre part, parce que les salariés
craignent souvent d'entrer en opposition ouverte avec la "machine politique" encore trop
forte ici. Il est très significatif que dans les deux arrêts de la Co ur d'appel de Yaoundé
précités, les employeurs aient cru devoir se muer en gardiens de rorthodoxie ou de la stabilité
politique. Le clin d'œil était ainsi fait, à toutes fms utiles, aux autorités dont on se montre
protecteur. De fait, cette "main-tendue" de certains employeurs au pouvoir politique a
souvent rencontré un écho favorable; les autorités politiques ne ménagent rien pour écraser
toute velléité de contestation, ou plus précisément, toute opinion dissidente, où qu'elle soit
exprimée. On espère simplement que l'institution du pluralisme politique entraînera un retour
à l'orthodoxie juridique, et qu'il sera clair pour les employeurs comme pour les autorités
politiques de tous bords que nul ne peut être inquiété en raison de son opinion politique, ou
des libertés qu'il prend dans sa vie privée.
436 Yaoundé, n° 118/s du 22 avril 1987 (MAGA TANGA cl SFID), inédit.
437 Il faut souligner le poids du mot" subversif" utilisé dans ces deux affaires. Il évoque le régime autoritaire
qu'a connu le Cameroun et surtout une ordonnance de 1962 portant répression de la subversion. La subversion
s'appliquait en fait à toute attitude critique à l'égani du pouvoir.
438 Yaoundé, 148/s du 16 avril 1991 (ONGBASSEMA dCNR), inédit.
124

B. La liberté de la vie privée
La liberté de la vie privée présente un visage plutôt peu rassurant : un contenu flou et
439
des contours fuyants. La notion a de la peine à se détacher d'autres concepts
. Cette situation
pourrait s'expliquer par le fait que les textes sur la vie privée paraissent trop lointains pour les
440
juges
. Le législateur français l'a peut-être pensé, qui par une loi nO 70-643 du 17 juillet
1970 introduite à l'article 9 du Code civil, dispose que chacun a droit au respect de sa vie
privée. Depuis lors, on a affirmé que le concept de vie privée a accédé à l'autonomie
juridique441.
Par un dédoublement terminologique, la VIe privée s'est inscrite à la fois dans la
442
catégorie juridique de droit et dans celle de liberté
, ce qui montre le dynamisme de la
notion. On s'est même demandé s'il ne valait pas mieux parler de " libertés" de la vie privée.
tant sont diverses les concrétisations que peut revêtir rindépendance de chacun quant à ses
comportements, ses mœurs, ses relations, ses allures... en un mot: ses modes de vie 13
-l·
. Au
juste, se pose même un problème de circonscription du domaine (2). lequel entretient
nécessairement une parenté avec le sens (1) de la liberté de la vie privée.
1. Le sens de la liberté de la vie privée
Le Doyen CARBONNIER définit la VIe pnvee d'un individu comme la "sphère
secrète de la vie d'où il aura le pouvoir d'écarter les tiers ,,444. Pour un individu engagé dans la
relation de travail, il s'agit d'une bulle protectrice, le protégeant contre toute intrusion, celle
des collègues du travail, des organisations représentatives du personnel, des tiers à
445
l'entreprise
, et, surtout de l'employeur. Il s'agit de la reconnaissance d'un droit à l'opacité
de l'employé446• Pour l'employeur, ce droit implique au moins deux obligations: ne pas
439 Dans ce sens, il faut souligner que la liberté de la vie privée est indirectement protégée par des dispositions
telles celles sur l'inviolabilité du domicile, le secret de la correspondance, l'interdiction de la diffamation, etc...
440 Au Cameroun en particulier, il fàudrait aller chercher cette liberté par morceaux dans la constitution et les
textes internationaux.
,
441 V. O. de TISSOT, La protection de la vie privée du salarié, Dr. soc 1995, p. 222.
442 Dans sa décision du 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel français affirme que" la méconnaissance du
droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle ".
443 B. PACTEAU, Cours polycopie de Libertés Publiques. Université de Bordeaux IV, 1995-1996, p. 230.
444 CARBONNIER, Droit Civil, l, PUF 1994, na 86.
445 1. FA YSSINET, Nouvelles technologies et protection des libertés dans l'entreprise. Dr. soc 1992, p. 596.
446 Ibid.
125

prendre en considération les éléments de la vie privée du salarié pour arrêter des mesures
contre ce dernier447 ; ne pas collecter (1), conserver ou diffuser (2) ces éléments.
a) L'interdiction de la collecte des informations sur la vie privée du salarié
En France, les dispositions sur la séparation entre les données de la vie privée et celles
rentrant dans le champ de la prestation de travail sont inspirées par le rapport rédigé par M.
Gérard LYON-CAEN sur les libertés publiques et l'emploi448. De façon quasi sentencieuse,
ce rapport a posé que" l'entreprise a le droit et le devoir de recueillir tous les renseignements
liés aux caractéristiques de l'emploi à pourvoir et aux compétences qu'il requiert: tous ces
renseignements et rien que ces renseignements ,,449. Suivant cette ligne, les nouvelles
dispositions légales françaises posent de façon rigoureuse les limites aux investigations des
employeurs. D'abord, les informations demandées ne doivent avoir pour finalité qu~
d'apprécier les capacités ou les aptitudes professionnelles du candidat à l'emploi ou du
salarié. Elles doivent donc avoir un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé45o. Ensuite,
le candidat à l'emploi doit être informé des méthodes techniques d'aide au recrutement et l~
salarié des méthodes et techniques d'évaluation professionnelle mises en œuvre à leur
égard451 . Ces méthodes doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie452.
Le dispositif peut être résumé en deux prmclpes: un prmclpe d'adéquation et de
proportionnalité des moyens à la fin poursuivie, et un principe de transparence qui exige que
les règles du jeu soient exposées au salarié concemé453 .
L'erreur serait de faire remonter seulement aux dispositions légales suscitées la
protection juridique de la vie privée des candidats à l'embauche. On se rappelle encore un
arrêt très remarqué de la Chambre sociale selon lequel un employeur ne peut "exiger des
447 Cet aspect sera abordé dans la section sur la non discrimination.
448 La Documentation française, 1992.
449 V. n° 75.
450 V. Art. L. 121-6:" Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ou à
un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses
aptitudes professionnelles.
Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé ou avec l'évaluation des
aptitudes professionnelles ... ».
451 Cette information du salarié se cumule avec celle du comité d'entreprise prévue par l'article L.432-2-1.
452 V. Art. Ll21-7.
453 Voir aussi 1. SA VATIER, op. cit. p. 332.
126

renseignements sans rapport avec l'emploi sollicité ,,454. Sur la base de cette décision,
l'administration française s'était employée à indiquer les renseignements pertinents. Elle a par
exemple affirmé qu'un employeur ne peut exiger d'un candidat à l'embauche qu'il fournisse
son dossier scolaire, celui-ci étant" un document personnel comportant des appréciations sur
le
candidat
lui-même
et
,
parfois,
des
renseignements
confidentiels
relatifs
à
son
environnement familial et social qui n'ont pas à être connus de l'employeur ,,455. En
conséquence de cette limite posée à la curiosité de l'employeur, l'administration estime que
" les candidats à l'embauche ne sont pas tenus de répondre aux questions et tests qui n'ont
aucun lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé ,,456. Cette solution semble être
implicitement maintenue par le nouveau dispositif législatift57, encore que l'article L.121-6 in
fine dispose que le candidat à l'embauche est tenu de répondre de bonne foi.
En vérité, le droit de réticence458 n'a de portée que s'il s'accompagne d'un droit de
459
mentir ou, moins grossièrement, du droit de livrer des informations inexactes
. La solution
devrait être retenue quel que soit le prLx à payer à la morale. Il s'agit d'organiser une
protection efficace d'une liberté fondamentale. la liberté de la vie privée.
En attendant, il faut juger très favorable la jurisprudence française sur la réticence des
salariés ou des candidats à l'embauche. Les employeurs ont cherché d'abord à se placer sur le
terrain des vices du consentement pour lutter contre la réticence des candidats à l'embauche.
La Chambre sociale a affirmé que l'employeur ne peut prétendre avoir commis une erreur
viciant son consentement en embauchant, dans un poste de directeur d'une société en
règlement judiciaire admise à poursuivre son exploitation, une personne qui avait caché avoir
dirigé précédemment une société mise en liquidation de biens46û. Ensuite, les employeurs ont
cru pouvoir invoquer la réticence pour obtenir la rupture du contrat de travail. Mais la
Chambre sociale a jugé que le fait pour un salarié de ne pas avoir signalé, lors de son
454 Soc, 17 octobre 1973. Dr. soc. 1974,290, note J. SAVA TrER; JCP 1974 n. 17.968 note Y. Saint Jours.
455 RM. J.O AN 16 mars 1987 0.0. 1987, 267.
456 RM. J.O. AN 15 octobre 1990. P. 4481.
457 V. J. GRlNDSIR, Les dispositions nouvelles relatives au recrutement individuel et aux libertés individuelles
(loi du 31 décembre 1992.) D.O. 1993, p. 238.
458 Notons au passage que l'article L.122-25 du Code du travail français prévoit expressément que la femme
candidate à un emploi salarié n'est pas tenue C...) de révéler son état de grossesse.
459 Pour la possibilité pour une femme de dissimuler son état de grossesse, voir Soc. 23 février 1972, Bull. civ. V
n° 152.
460 Soc. 3 juillet 1990. Bull. V. nO 349.
127

recrutement, qu'il bénéficiait d'une allocation comme handicapé, ne constitue pas une faute
grave justifiant la rupture d'un contrat à durée détenIÙnée461 •
Dans une certaine mesure, cette jurisprudence antérieure semble même plus protectrice
que les dispositions légales actuelles. En effet, en n'imposant pour le recours aux procédés de
collecte des infonnations que l'information préalable des salariés, l'article L.121-8 du Code
du travail français est en retrait par rapport à l'arrêt de la Cour de cassation qui avait décidé
que l'employeur ne pouvait filmer ou enregistrer ses salariés pendant leur travail que si deux
conditions étaient réunies: le salarié doit être averti, on doit être en présence des
circonstances exceptionnelles (vols répétés, problèmes graves de sécurité, par exemple)462. Le
Conseil d'Etat est même allé plus loin à propos d'un problème voisin, mais concernant
également la collecte des informations. Dans une espèce où était en cause les contrôles à la
sortie de l'entreprise, le Conseil d'Etat a jugé que "la vérification par la direction de
l'entreprise des objets éventuellement emportés par les salariés ne peut être légalement prévue
par le règlement intérieur que si celui-ci précise, d'une part, qu'il ne sera procédé à une telle
vérification qu'en cas de nécessité" notanunent à la suite de disparitions de matériel ou s'il
existe de risques particuliers de vol dans l'entreprise, d'autre part que le salarié sera averti de
son droit de s'opposer à un tel contrôle et d"exiger la présence d'un témoin, enfin que le
463
contrôle sera effectué dans des conditions préservant la dignité
et l"intimité de la
personne ,,464.
Malgré
cette relative distorsion entre
les nouvelles dispositions
légales et
la
jurisprudence, on peut espérer que cette dernière se maintiendra. Pour ce faire, il n'y aurait
qu'à faire prévaloir l'esprit sur la lettre de la loi. Au fond, les principes d'adéquation et de
proportionnalité ne pennettraient-ils pas d'écarter les procédés de collecte d'infonnation
attentatoires à la dignité?
En vérité, le doute sur l'interprétation de l'article L.121-8 du Code du travail français
ne semble permis .qu'en ce qui concerne les candidats à l'embauche. En effet, s'agissant des
personnes déjà sous contrat de travail, on ne peut pas ne pas tenir compte de l'article L.120-2
461 Soc. 9 janvier [991, Jur. soc. UIMM, [991. 2[5.
462 Casso crim, 23 juillet [992. O. 1993. Som. 206.
463 L'attention doit être attirée sur [a référence ici faite à la dignité de la personne humaine. C'est que, pour le
Conseil d'Etat, [a surveillance tatillonne, certaines formes de contrôle sont des atteintes à la dignité.
464 C.E., II juillet 1990. Rec Let ln 1990,215.

du même code qui dispose que" nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés
individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la
tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ,,.165.
En lisant ensemble les articles 1.120-2 et 1.121-8 du Code du travail français, ne faut-
il même pas penser que l'utilisation de la vidéosurveillance par exemple est irrémédiablement
condamnée? On a souligné que par nature la camera constitue un moyen excessivement
disproportionné par rapport au but recherché par l'employeur, qu'il s'agisse de la discipline,
de l'amélioration de la productivité, de la sécurité ou encore de la lutte contre les vols466. En
exposant continuellement à l'œil de la camera le salarié, ses gestes, on l'atteint dans son
identité, sa personnalité467.
Il faudrait cependant être plus mesuré dans la condamnation de la vidéosurveillance.
S'il est vrai qu'être soumis à un espionnage permanent. ou même ponctuel. est manifestement
contraire
aux
droits
des
personnes
et
aux
libertés
individuelles,
des
circonstances
exceptionnelles pourraient justifier un tel espionnage468. Il faudrait faire confiance au juge
pour apprécier ces circonstances. comme du reste pour apprécier les conditions d'adéquation
et de proportionnalité sus-évoquées.
Au juste, depuis la loi nO 95-73 du 21 janvier 1995469, le législateur français a
clairement admis la possibilité de recourir à la vidéo surveillance. Le texte, qui dans son objet
470
ne
semblait
concerner
que
la
sécurité
publique,
permet,
à
certaines
conditions
,
l'enregistrement d'images sur la voie publique. mais aussi dans les lieux ouverts au public et
471
particulièrement exposés à des risques d'agression ou de V01
.
465 Et du reste, par son caractère général, cet article devrait s'appliquer aussi bien aux personnes sous contrat de
travail qu'aux chercheurs d'emploi. Mais, même si on a de ce texte une lecture restrictive qui le cantonnerait aux
seules personnes sous contrat de travail, on ne peut, sans risquer un contresens, soutenir que l'article L.121-S du
Code du travail devrait se lire à une double vitesse, c'est-à-dire différemment selon qu'on l'applique à un salarié
ou à un candidat à l'embauche.
466 M. GREVY, Vidéosllrveillance dans l'entreprise: un mode normal de contrôle des salariés? Dr. soc 1995, p.
330.
467 Ibidem.
468 V. O. TISSOT, La protection de la vie privée du salarié, op. cit. p. 226.
469 C'est la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité. J.O. 1995,24 janvier, 1240.
470 Il fàut notamment une autorisation du représentant de l'Etat dans le département, et à Paris, du Préfet de
police.
471
On pouvait penser que cette possibilité de porter atteinte aux libertés individuelles n'est offerte qu'aux
autorités publiques chargées du maintien de l'orure. En fait, assez subrepticement, le législateur laisse deviner
que le dispositif de vidéosurveillance peut être mis en œuvre par des personnes privées. En particulier, la loi de

Toutefois, les garanties472 prévues par le législateur sont telles qu'on peut affirmer que
d'un point de vue des textes, le dispositif de protection des libertés individuelles des salariés
n'est pas profondément atteint.
Il faut espérer que les employeurs aient à l'esprit que même autorisé, l'enregistrement
d'images est une atteinte à la liberté et comme telle doit être contenue dans les limites strictes.
Comme le prévoit l'article 10.VI de la loi de 1995, l'enregistrement ne doit pas être utilisé à
des [ms autres que celles pour lesquelles il est autorisé. C'est dire que si par exemple
l'enregistrement est autorisé aux fins de surveiller le passage des clients dans les rayons d'un
magasin, l'employeur se montre indiscret s'il filme un salarié au niveau de la caisse, et a
fortiori s'il vise l'intérieur d'un tiroir. C'est bien connu: sont interdites les fouilles dans les
tiroirs des salariés, tout au moins hors de leur présence'm.
En ce qui concerne les éléments de la vie privée volontairement disposés de façon
ostensible sur les lieux du travail par les salariés474, il faut bien admettre que l'employeur peut
prescrire leur enlèvement. Mais il ne saurait les confisquer puisqu'il n'a aucun droit de
collecter ni de conserver de force les informations sur la vie privée des salariés.
b) L'interdiction de conserver ou de diffuser des éléments de la vie privée du salarié
On sait
combien il est
tentant,
chez l'employeur,
d'utiliser
les
moyens
de
l'informatique pour conserver des informations sur la vie des salariés. Mais il peut en résulter
un grave préjudice pour ces derniers qui voient ainsi conserver, et parfois pour très longtemps,
une somme importante d'informations sur leur personne. C'est donc très opportunément
qu'est intervenue la loi française nO 78-17 du 6 janvier 1978 relative aux fichiers, à
l'informatique et aux libertés. Cette loi encadre l'utilisation du traitement informatique des
données, notamment en posant des précautions de nature à empêcher des atteintes intolérables
à la liberté.
1995 fait référence à l'article L.432-2-1 du Code du travail sur l'information et la consultation préalables du
comité d'entreprise sur les moyens techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés
472 Citons entre autres garanties la destruction des enregistrements dans un délai maximum d'un mois, le droit
d'accès, la possibilité d'un recours, au besoin en la forme du référé (v. article 10.).
473 C.E. 12juin 1987. Dr Soc. 1987. P. 655; Soc. 9 avril 1987, Bull. n° 205.
4N
h
par exemple des p otos sur le mur.
130

D'abord, le salarié peut, pour des raisons légitimes, s'opposer à la conservation et au
stockage des informations sur sa personne. Ensuite, il peut demander la rectification des
informations collectées; les informations ne peuvent être conservées au-delà de la durée
prévue par la déclaration faite à la Cc nmission Nationale de l'Informatique et des Libertés.
Enfin, sauf accord exprès de l'intéressé, il est interdit de mémoriser et de traiter des données
faisant apparaître ses origines raciales, ses opinions politique, philosophique ou religieuse,
475
son appartenance syndicale, les données relatives à sa santé et à sa vie sexuelle

La loi de 1978 interdit la communication des informations à des tiers. C'est du reste
une application particulière de l'obligation qui pèse sur l'employeur, d'éviter de diffuser des
informations de la vie privée du salarié.
S'agissant cependant de l'adresse du salarié, la question est un peu complexe. Le
problème peut se poser par exemple à propos des élections des représentants du personnel. Il
s'agit, plus concrètement, de savoir si la liste électorale devrait porter l'indication du domicile
des salariés qui y figurent. La Chambre sociale de la Cour de cassation française avait décidé
" qu'à défaut de dispositions spéciales indiquant les mentions qui doivent figurer sur les listes
électorales pour les élections des représentants du personnel, le droit commun électoral est
applicable et impose l'énonciation du domicile réel des intéressés ,,476. Mais dans un arrêt plus
récent, la même Chambre a jugé que c'est à défaut des dispositions spéciales du protocole
d'accord préélectoral indiquant les mentions qui devraient figurer sur les listes électorales que
477
le droit commun électoral est applicable
.
C'est dire que le problème sera résolu en
appliquant prioritairement la solution prévue par les partenaires sociaux. Ceux-ci peuvent
exclure des mentions de la liste électorale l'adresse des salariés.
Cette question n'est pas résolue expressément par le législateur camerounais. Les
dispositions qui paraissent proches de cette préoccupation sont celles de l'article 10 alinéa 3
de l'arrêté nO 019IMTPS/SG/CJ du 26 mai 1993 fixant les modalités de l'élection et les
conditions d'exercice des fonctions des délégués du personnel. Ce texte indique les mentions
de la liste des candidats aux élections. Si cette liste doit indiquer, entre autres, l'âge de chaque
candidat, rien n'est dit sur leur adresse. Sans doute ne peut-on pas parier que l'énumération
475 En complétant Je texte de 1978 par la convention du Conseil de l'Europe, article 6.
476 Soc. 21 janvier \\988, Bull. V nO 66.
477 Soc. 2 octobre \\99\\, RJS IIJ91 nO 122 I.
131

est limitative. Mais, rien, a priori, ne rend utile la mention de l'adresse. Si on admet cette
solution pour les candidats à l'élection, afortiori doit-on l'appliquer aux simples électeurs.
L'adresse
des
salariés intéresse
aussi
les
organisations
syndicales,
le comité
d'entreprise. L'employeur a-t-il l'obligation ou le droit de communiquer les adresses des
salariés à ces institutions? La Chambre sociale de la Cour de cassation française a affirmé
qu'il" n'existe aucune obligation pour l'employeur de communiquer au comité [d'entreprise]
. .
d'
1
1
d
d l "
,,478
et aux orgarusatlOns syn Ica es es a resses es sa aries
.
La solution est justifiée si on la prend du côté des droits qu'auraient les salariés dont
les adresses sont en cause. E!:1 revanche elle permet auss~ malheureusement, les entraves que
l'employeur peut apporter au fonctionnement des institutions représentatives du personnel. On
comprend que la Cour d'appel de Chambéry ait jugé que l'obligation pour l'employeur de
mettre à la disposition du comité d'entreprise les moyens nécessaires à son fonctionnement
comporte la fourniture du fichier du personnel qui lui permettra de connaître les bénéficiaires
des activités sociales et culturelles qu'il est chargé de gérer·l79. Il y a là un arbitrage à faire
entre deux intérêts fondamentaux. Mais il n'est pas sûr que la solution de la Cour d'appel de
Chambéry soit en contradiction avec ceUe de la Cour de cassation. puisque le fichier du
personnel ne contient pas forcément des informations sur la vie privée du personnel: il peut
même en être amputé.
478 Soc, 26 septembre 1989. Dr. soc 1990,216. Voir aussi Soc, 19 décembre 1990, Jur. soc. UIMM, 1991, p. 146.
479 Chambéry, 25 mars 1991, RJS. 12/91, n° 1335.
132

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. , .f80
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e omame e a Vie pTlvee
Parce qu'ils n'ont donné aucune définition de la notion de vie privée, les législateurs
camerounais et français ont laissé à la jurisprudence un champ bien large pour en fIxer le
contenu et donc le domaine. L'œuvre jurisprudentielle est ici immense. Elle place dans le
482
champ de la vie privée la vie sentimentale481, la maternité
, les projets matrimoniaux483,
484
485
486
487
488
l'état de santé
, la pratique religieuse
, l'état civil
, l'adresse personnelle
, l'image
, la
489
49o
491
correspondance
, la situation de fortune
, l'apparence physique
, la liberté du choix de la
492
marque de voiture
ou d'organiser son emploi de temps493. L'observation permet de se
rendre compte que parmi ces éléments un grand ensemble se montre. Il est constitué des
éléments de la vie sentimentale. sexuelle et familiale.
480 A partir du moment où la vie privée est saisie en termes de liberté, la question du domaine de la vie privée est
en vérité celle des questions sur lesquelles s'exerce la liberté. On comprend ainsi que soit englobés dans le
domaine de la vie privée des sujets relevant même de la vie publique. L'évolution peut avoir un intérêt juridique
si on accepte d'appliquer une sanction spécifique à l'atteinte à la vie privée.
Dans un arrêt du 18 décembre 1997 (Voir D.O. 1998,223), la Chambre sociale de la Cour de cassation française
utilise la notion de" vie personnelle ". Celle-ci serait, selon le conseiller P. WAQUET, plus large que la notion
de vie privée, et moins négative que celle de vie extra-professionnelle susceptible de faire apparaître la liberté
comme un appendice résiduel de la vie professionnelle (Vie personnelle et vie professionnelle du salarié, CSBP,
1994, p. 289 et s.). Mais la notion de .• vie personnelle" pourrait être paradoxalement plus restrictive si elle
signifie que les comportements mis hors du champ de critique de l'employeur sont ceux qui se rattachent à la
personne même du salarié. En serait par exemple exclue une question comme le choix d'une marque de voiture
et peut-être d'une tenue. Au demeurant, il n'est pas impossible que J'évolution se fasse dans le sens de
sanctionner de nullité pour atteinte à la liberté personnelle certains comportements de la vie extra-professionnelle
suffisamment liés à la personne du salarié (même s'il s'agit de cas non expressément énumérés par la loi), et de
laisser sous l'empire de l'absence de cause réelle et sérieuse des licenciements pour des faits de la vie extra-
professionnelle moins liés à la personne même du salarié.
481 TGI, Paris, 2 juin 1976. D. 1977 (2e esp) note LINDON.
482 Civ. 2", 5 janvier 1983. Bull. civ. N°4.
483 P
.
b
ans, 7 octo re 1981, D. 1983,403, note LINDON.
484 Paris, 9 juillet 1980. D. 1981, 72 (2e esp) note LINDON.
485 Paris, Il février 1987, Gaz, Pal., 1987.1.138.
486 CEDH, 25 mars 1992, D. 1993. 101. (à propos du changement de sexe).
487 TG! de Paris, 2 juin 1976, D. 1977, 364 (3 e esp) note LINDON.
488 Paris 25 octobre 1982. D. 1983,363, note LINDON.
489 Cass, 24 janvier 1994 Gaz. Pal. 1994, 1.155.
490 Civ. 1ère, 19 mai 1984. Bull. civ. I. nO 176.
491 Soc. 22 juillet 1986, Liaisons Sociales, 1986, Al, nO 5844.
492 Soc. Janvier 1992. Dr soc. 1992, 334.
493 Soc. 27 novembre 1991. D. 1992, 296 (implicitement), qui constate qu'il n'y a pas atteinte à la vie privée
d'un salarié, cadre, averti plusieurs mois à l'avance qu'il sera fait appel à lui un jour chômé.
133

a) La vie sentimentale, sexuelle etfamiliale
Tout ce qui concerne la vie sentimentale, sexuelle et familiale relève du choix du
salarié. Ainsi, il peut choisir d'être homosexuel494, de rester célibataire ou de se marier, et de
se marier avec qui il veut. Il a été jugé que l'employeur ne peut, dans le règlement intérieur,
interdire le mariage entre deux de ses salariés495. Il ne saurait non plus licencier un salarié
parce qu'il a une liaison avec son collègue496. Est donc lointaine l'époque où, sous le couvert
du motif subjectif de perte de confiance, l'employeur pouvait sans reproche licencier un
salarié qui avait épousé l'employée d'un concurrent497, ou qui avait une liaison avec un autre
travailleur498. Aujourd'hui, de tels licenciements doivent être combattus en se situant sur le
terrain de la vie privée.
Au regard de cette évolution, on peut regretter qu'un arrêt de la Cour de cassation ait
cru devoir dire qu'une situation de concubinage peut justifier un licenciement si elle comporte
un risque de trouble dans l'entreprise499 . Non pas qu'on pense qu'une situation de
concubinage ne peut pas déstabiliser une entreprise; mais il ne faut pas considérer a priori
que le trouble est inévitabléoo. Au fond, il faut bien énoncer la solution du droit positif. et
notamment montrer que le principe est celui de l'expression de la liberté de la vie privée; ce
n'est qu'exceptionnellement, si l'exercice de la liberté apporte un trouble caractérisé dans
l'entreprise, que l'employeur est fondé à lui apporter une limite.
Bien plus, le législateur français prévoit que l'employeur doit tout mettre en œuvre
pour s'assurer que les salariés ne reçoivent pas des pressions de nature à les empêcher de
disposer librement de leur vie sexuelle. En effet, l'article L.122-48 du Code du travail dispose
qu'il appartient au chef d'entreprise de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de
prévenir le harcèlement sexuel. Il s'agit là d'une disposition très importante dans la mesure où
on ne doute plus de la réalité du phénomène du harcèlement sexuel dans le milieu du travail.
494 Soc. 17 avril 1991. Dr. soc 1991, p. 489.
495 Soc. la juin 1982. Bull. 392. C.E., 25 janvier 1989, RJS, 1994, nO 99391.
496 Soc. 20 octobre 1976. D. 1976, I.R. 298.
497 Soc. 9 janvier 1963. Bull. IV n° 33.
498 Soc. 19 juillet 1965. Bull. IV, n° 586 et 587.
499 Soc., 1eT avril J 992, RJS. 5/92 nO 577. p. 328.
500 V. M. GREVY, Travail et vie privée, Action juridique, nO 103. Novembre 1993, note 72.
134

Les victimes, de tous sexesSOI , sont souvent jeunes, non qualifiées ou peu qualifiées,
so2
faiblement rémunérées, le plus souvent en situation précaire
.
L'erreur aurait été de ne saisir le phénomène que dans les rapports entre le salarié et
l'employeur ou son représentant. Plus généreux, l'article L.122-46 prévoit qu' " Aucun salarié
ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de
harcèlement d'un employeur, de son représentant ou de toute autre personne qui, abusant de
l'autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des
contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur un salarié dans le but d'obtenir des
faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers ".
On a fait observer qu'en mentionnant" toute personne (...) abusant de l'autorité que
lui confère ses fonctions ", la loi s'est inspirée de la notion d'autorité de fait utilisée par le
Code pénal françaisso3 . Dans les rapports de travail, cette notion, fonctionnelle, permet de
dépasser la vision stricte du rapport d'autorité fondé sur une délégation expresse; elle pourra
englober des situations fort diverses: dirigeants sociaux salariés ou non, responsables de
services d'ateliers distincts de celui auquel est affilé le salarié, conjoint504, concubin ou
Sos
parents de l'employeur, représentant du personnel voire un client important
. La notion
d'autorité fonctionnelle permet aussi de prendre en considération les salariés" extérieurs " à
rentreprise, mis à la disposition de celle-ci par détachement. intérim ou sous-traitance506.
On a fortement regretté que le législateur se soit démarqué de la recommandation
européenne nO 9211311CE qui place les enjeux de la protection contre le harcèlement sexuel
so7
sur le terrain de la dignité des hommes et des femmes au travail
. En déplaçant le problème
sur le terrain de l'abus d' autoritéS08 , le législateur français n'entendrait pas réprimer l'atteinte
501 Marie Ange MOREAU a révélé qu'en France, 90% des victimes sont des femmes; les autres victimes sont
des hommes perçus comme étant homosexuels (A propos de J'abus d'autorité en matière sexuelle. Dr. soc. 1993,
115. A vrai dire les femmes aussi peuvent et se rendent souvent coupables de harcèlement sexuel).
502 V. M. A. MOREAU, Ibid.
503 C. ROY-LOUSTAUNAU, Le harcèlement sexuel" à la franÇ2ise", Commentaire de la loi nO 92.1179 du 2
novembre 1992, JCP. Ed. E., 1992, nO 15, p. 190.
504 On se souvient bien de cette,affuire de "démission provoquée" en raison des gestes déplacés que la salariée
avait subis de la part du conjoint de l'employeur: Soc. 17 décembre 1987, Lamy, 1988 nO 393, p. 54.
505 V. C. ROY LOUSTAUNAU op. cit. p. 190. L'auteur relève au passage qu'on se trouvera souvent en présence
de situations délicates, à la frontière de J'abus d'autorité et de J'abus d'influence.
506 Ibid.
507 M.A. MOREAU, op. cit. p. 116.
'
508 D'où le titre de la loi de 1992 prise en application de la recommandation européenne: loi relative à l'abus
d'autorité en matière sexuelle dans les relations du travail.
135

~_~
l
"
.~'; ~
'.~.
réelle à la dignité de la personne, en considérant qu'il s'agit d'un droit fondamental de la
personne humaine au même titre que la protection de la vie privée, ou qu'il s'agit d'une
donnée essentielle de l'individu comme sa santé, sa sécurité509. Puisque l'existence de
menaces et pressions est la condition exigée par le dispositif légal pour entraîner la protection
5lo
des victimes, on peut déduire a contrario que les faits en eux-mêmes sont autorisés
.
Cette critique tend à dire que le législateur français a adopté une conception restrictive
du harcèlement sexuel. Plus justement, on a qualifié cette conception de modérée, de plus
conforme à la culture française faite d'un subtil dosage de gauloiserie, de galanterie et
d'incrédulité, et en tout cas hostile à la guerre des sexes à l'américaine51' •
Loin de toute guerre de modèles, ce qui est intéressant dans la solution retenue par le
législateur français c'est, entre autres, d'avoir organisé la protection juridique du témoin du
harcèlement,
et
surtout
d'avoir
prévu
la
nullité
des
actes
contraires,
c· est-à-dire
attentatoires512.
Terminons ce sous point en évoquant l'état de grossesse et la maternité, comme
éléments de la vie privée. L.article L.122-25 du Code du travail français dispose que
'" L'employeur ne doit pas prendre en considération rétat de grossesse d·une femme pour
refuser de l'embaucher, résilier son contrat de travail au cours d'une période d'essai ou, (... )
prononcer une mutation d'emploi" 5J3. De même, aucun employeur ne peut résilier le contrat
de travail d'une salariée lorsqu ·elle est en état de grossesse médicalement constaté, et pendant
l'intégralité des périodes de suspension de contrat, ainsi que pendant quatre semaines qui
suivent l'expiration de cette période514• Toutefois, l'employeur peut licencier la salariée en
raison de l'impossibilité où il se trouve de maintenir le contrat, ou pour faute grave de la
salariée, non liée à son état de grossesse. Sur la base de l'exigence que la faute grave ne soit
509 M.A. MOREAU, op. cit. p. 116.
510 M.A. MOREAU, op. cit. p. 117.
51! C. ROY-LOUSTAUNAU, op. cit. p. 189.
512 L'alinéa 2 de l'article L.122-46 dispose qu' " aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir
témoigné des agissements définis à l'alinéa précédent ou pour les avoir relatés. Toute disposition ou tout acte
contraire est nul de plein droit". L'importance de ce texte tient à ce que très souvent, le harcèlement sexuel
posera un problème de preuve. Le témoignage d'un tiers pourrait être alors très précieux.
513 Sous réserve des dispositions sur l'affectation temporaire dans une autre emploi si l'état de santé de la salariée
l'exige.
514 V. Article L.122-25-1 du Code de travail français. L'article 84 du Code du travail camerounais dispose quant
à lui que toute femme enceinte dont l'état a fait l'objet d'une constatation médicale peut rompre son contrat sans
préavis. Pendant cette période, l'employeur ne peut rompre son contrat du fait de la grossesse.
136

pas liée à l'état de grossesse, les juridictions ont refusé la qualification de faute grave à des
5
absences expliquées par les débuts difficiles d'une grossesse !5, aux négligences même
'd"
d
1
bl 5!6
COnsl erees ans eur ensem e
.
Libre de devenir enceinte, la salariée est également libre de conserver la grossesse.
Ains~ l'interruption volontaire de la grossesse ne peut avoir de conséquence sur sa situation
dans l'entreprise.
De l'état de grossesse à l'accouchement, il n'y a qu'un pas; et le législateur français a
logiquement complété le dispositif de protection de la femme enceinte par un faisceau de
517
droits pour la salariée et d'obligations pour l'employeur
. Il n'y a aucun intérêt à recenser ici
les éléments de ce régime de protection. En revanche il faut souligner que la protection a pour
finalité d'assurer à la salariée la pleine jouissance de la liberté d'avoir un enfant. même
lorsqu'elle est sous contrat de travail: avoir un enfant est un choix de la vie privée soustrait à
l'emprise du lien de subordination.
b) Les autres aspects de la vie privée
Parmi ces autres éléments de la vie privée qu'on exammera sans insistance, il faut
accorder une place particulière à l'état de santé. Il sera le plus souvent en cause dans
l'entreprise, parce qu'il intéresse ["employeur dans sa politique de gestion du personnel.
Malgré l'intérêt que l'employeur peut avoir à connaître l'état de santé du salarié, il est
518
fermement établi que l'état de santé relève de la vie privée du salarié
. Il a été depuis
longtemps jugé qu'en raison du caractère intime de l'état de santé du salarié, le médecin du
5l9
travail est tenu au secret professionnel à l'égard de tous, y compris de l'employeur
. Le
dossier médical du salarié ne doit donc pas être communiqué à l'employeur; la fiche médicale
d'aptitude qui lui est transmise ne doit comporter aucune mention d'ordre médical mais
515 Soc. 4 juin 1987, lur. soc. UIMM, 1987.
516 Soc. 1cr juin 1976. Bull. civ. V, 278.
517 Voir pour J'essentiel de ces droits et obligations les articles 84 et 9 du Code de travail camerounais et L. 122-
53.5 et s. du Code du travail français.
518 V. 1. P. LABORDE, Quelques observations à propos de la loi du 12 juillet 1990 relative à la protection des
personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de leur handicap. Dr. soc. 1991, p. 618.
519 P . .
14
b
oltlers,
novem re 1973. D. 1974, 68.
137

simplement un avis général sur l'aptitude du salarié relativement au travail envisagé52o•
Pourtant la Cour de cassation a affirmé que si le médecin du travail est tenu au secret médicaL
il est également tenu de renseigner l'employeur et de le conseiller en lui fournissant les
éléments de fait qui lui sont nécessaires, selon la nature de la décision à prendre52J • La
formule est peu précise, ce qui rend incertaine la frontière entre les énonciations relatives à
l'aptitude du salarié et celles relatives à son état de santé522. La solution peut conduire à tous
les excès, et en particulier lorsque le salarié est atteint d'une maladie qui soulève de
l'émotion. On pense notamment au salarié atteint du SIDA ou simplement séropositif
En dépit de cette jurisprudence, il faut persister dans la solution de principe, à savoir
que l'état de santé relève de la vie privée; et lorsqu'il n'est pas susceptible de porter atteinte à
la prestation professionnelle, il ne saurait être pris en compte par l'employeur.
La situation de fortune relève-t-elle de la vie privée? La Cour de cassation a affirmé
que le respect dû à la vie privée de chacun n' est pas atteint par la publication de
renseignements d'ordre purement patrimonial, ne comportant aucune allusion à la vie et à la
personnalité de l' intéressé523 • L'affIrmation est bien nuancée. Elle ne contredit pas en effet
celle selon laquelle l'exigence comme condition d'attribution d'une prime par un comité
d'entreprise de la communication de la déclaration de revenus constitue une atteinte à la vie
privée, dès lors que la déclaration de revenus contient des renseignements tels que la situation
de famille légitime ou illégitime, situation de fortune, existence de dettes 524 • Ainsi, si la
situation de fortune peut être révélée, c'est à condition que la publication ne porte pas atteinte
à l'intimité de la vie privée525•
En dernier lieu, citons la tenue vestimentaire, la coiffure et en général l'apparence
physique comme éléments relevant de la vie privée. Il faut sans doute réserver l'hypothèse où
la tenue remplit un rôle de " repérage ", pas exemple chez une hôtesse de l'air526• Dans cette
hypothèse, la prestation de travail ne peut être correctement exécutée que si le salarié peut
520 D. JOSEPH, L'état de santé, élément de la vie privée du salarié? Sida, -secret médicaJ- emploi. D.O. 1990, p.
379.
521 Casso crim. 06 juin 1972. Dr. Soc. 1980,95.
522 D. Joseph, L'état de santé, élément de la vie privée du salarié? op. cit. p. 300.
523 Civ. 1cre, 28 mai 1991. D. 1992, 213, note KAYSER.
524 C'
lere 28
. 199
IV.
,
mail., D. 1999,213, note KAYSER.
525 Civ. lere, 29 mai 1984, Bull. Civ. l, n° 176.
526 Paris 13 mars 1984, D. 1984, IR. 297.
138

facilement être repéré panni tous ceux qui, clients ou passants, se trouvent sur les lieux du
travail.
Si l'on exclut cette hypothèse somme toute exceptionnelle, il faut dire que le choix de
la tenue vestimentaire est discrétionnaire pour le salarié. En d'autres termes, l'employeur ne
peut substituer ses goûts à ceux du salarié. Cela ne signifie nullement que le salarié peut
527
mettre une tenue qui cause un trouble caractérisé dans l'entreprise
.
La solution est la même pour l'apparence physique en général. La Cour d'appel de
Poitiers a décidé dans une espèce où l'employeur, chirurgien dentiste, jugeait mauvaise
l'apparence de son assistante que ce dernier" ne saurait trouver, dans les seuls éléments d'une
coiffure jugée trop vaporeuse, d'un fard estimé trop soutenu et d'une monture de lunettes trop
volumineuse. une agression contre sa clientèle" susceptible de justifier le licenciement à
défaut de changement immédiat528 .
Terminons ce paragraphe sur la progression de la liberté de la personne par une brève
remarque comparative. Le législateur camerounais, contrairement à son homologue français.
n'a pas consacré d'importantes dispositions à la liberté. Les quelques te:>...1:es ci-dessus cités
sont manifestement insuffisants pour cerner et traiter correctement les problèmes de liberté du
salarié. On doit donc souhaiter une intervention législative.
En attendant. le droit positif présente tout de même quelques ressources qu'on peut
exploiter. D'abord, il est indiscutable qu'en dépit du fait qu'on ne trouve pas dans la
législation camerounaises un texte qui protège la vie privée en général, le respect de la vie
privée est ici considéré comme une exigence fondamentale de la personnalité. Un tribunal a
ainsi alloué des dommages-intérêts à une dame dont la photographie avait été utilisée à son
insu pour des besoins de publicité529•
Ensuite, il est possible, en partant de l'obligation de bonne foi inscrite à l'article 1134
al 2 du Code civil applicable au Cameroun, de contrôler toutes les initiatives de l'employeur
527 Voir infra, le chapitre sur les limites formelles à l'expression des droits fondamentaux
528 Poitiers, 14 novembre 1973. O. 1974, 68.
529 TG! de Yaoundé. Affaire YOMBA cl Brasseries du Cameroun, Tendances jurisprudentielles et doctrinales du
droit des personnes et de [a fum ille, p. 21.
139

53o
atteignant les salariés dans leur dignité
. Le principe de la loyauté contractuelle exige un
climat de confiance dans l'entreprise. Une telle confiance ne peut régner s~ par exemple, les
salariés se sentent "espionnés", s'ils sont interdits de toute communication privée ou
politique. Signalons, à titre comparatif, que c'est sur le terrain de la loyauté des preuves que la
jurisprudence
française
a
combattu
la
surveillance
tatillonne
des
salariés
par ·Ies
employeurs531.
Enfin il est possible de tracer la ligne de démarcation entre le pennis et l'interdit en
partant d'une lecture assidue de l'article 23 du Code de travail camerounais qui défInit le
contrat de travail532. Ce que le travailleur met sous l'autorité de l'employeur, c'est son
"activité professionnelle" non sa personne. Cela signifie que les pouvoirs disciplinaire,
réglementaire et de direction par lesquels l'employeur exerce son autorité ne peuvent tendre à
aliéner la personne du salarié. Si, par la force des choses. ils ne peuvent totalement se
dispenser d'entraîner quelques sujétions pour le salarié, ces dernières ont pour limite
infranchissable l'exigence de dignité du salarié.
Les aspects de la liberté étudiés jusqu'ici concernent l'homme. tout honune. quelle que
soit sa situation. fI faut compléter le tableau en s'intéressant aux aspects de la liberté propres à
la relation de travail.
PARAGRAPHE II : LES LIBERTES EN RAPPORT AVEC LA RELATION DE TRAVA1L
L'assouplissement des contraintes du lien de subordination peut avoir au moins deux
manifestations. D'une part, les ordres de l'employeur peuvent rester en périphérie, consistant
en d~ directives très générales ou des commandes. D'autre part, les salariés peuvent être
associés aux décisions les concernant. La première manifestation dépend essentiellement du
bon vouloir du chef d'entreprise; la seconde est parfois commandée ou suggérée par le
législateur. L'observation du régime de la liberté du travail révèle la présence de ces deux
mouvements.
530 Dans le même sens, voir B. BOSSU, le salarié, le délégué du personnel et la vidéo surveillance. Dr. soc. 1995,
p.981.
531 Voir. Paris, 9 novembre 1966. D. 1967, p. 273 ; LYON, 21 décembre 1967 D. 1969. P. 25. Soc, 20 novembre
1991. Dr. soc 1992, p. 31.
532 Ce texte dispose que" Le contrat de travail est une convention par laquelle un travailleur s'engage à mettre
son activité professionnelle sous l'autorité et la direction d'un employeur, en contrepartie d'u;le rémunération ".
140

Assez paradoxalement, maiS c'est bien compréhensible, le lien de subordination
justifie d'autres libertés, la liberté de se mettre ensemble, de se syndiquer et de faire grève.
Celles-ci ont enregistré des progrès qu'on ne saurait dissimuler.
Ce paragraphe comportera donc deux points: la liberté du travail (A), la liberté
syndicale (B) et la liberté de grève (C).
A. La liberté du travail
La liberté du travail a un destin assez singulier. La doctrine l'a parfois présentée sous
un visage énigmatique, voire paradoxal. En effet, en autorisant la négociation de l'activité
humaine c'est à dire de la force du travail. la liberté du travail place cet échange sous le signe
exclusif de la liberté contractuelle. Or. cette liberté est, pour le salarié, la liberté de se mettre
sous la subordination de l'employeur, une liberté liberticide !533 Qu'importe, il ne se discute
plus aujourd'hui, la liberté du travail est un principe fondamental du droit534 promu au rang de
norme constitutionnelles35 .
Pourtant, rien ne fut évident au départ. Nul n'ignore les sombres périodes de l'histoire
de l'humanité, dominées par l'esclavage, le travail forcé, la constitution des corps de métiers
réservés. Au fait, il ne fut même pas facile de traduire dans les textes la liberté conquise; d'où
une affirmation plutôt hésitante ou, à tout le moins, négligente de la liberté du travail dès
l'origine. N'empêche qu'aujourd'hui, sur le plan formel536, la liberté du travail affiche une
vitalité à la mesure de son rang. Elle comporte deux aspects: la liberté de travailler(l), et la
liberté de ne pas travailler (2).
533 V. Th. REVET, La liberté de travail, in Droits et Libertés fondamentaux op. cit. p. 231.
534 G. LYON-CAEN, La liberté du travail et le droit français du travail, in La liberté du travail, Université de
Liège, 1969, p. 26.
535 L'article L. 412 du code du travail français dispose que" l'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes
les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la constitution de la République, en particulier la
liberté du travail. ". La constitution camerounaise parle de droit au travail.
536
D'un point de vue des symboles, il faut signaler que la devise du Cameroun est" PAIX-TRAVAIL-
PATRIE ". Il faut accorder toute sa signification à la présence de la valeur" TRA VAIL" dans cette triade,
directement après la " PAIX" et avant la " PATRIE ".
141

1. La liberté de travailler
D'un point de vue de la pertinence des dispositions légales, il y aurait beaucoup de
choses à dire sur la liberté de travailler des personnes sans emploi, ou plus précisément en
quête d'emploi. Pour ces " sans-emploi", le travail n'est pas seulement une " énigme ,,537, il
est une véritable angoisse538. On l'a dit, la liberté de travailler n'a de signification réelle que
lorsqu'il existe effectivement la possibilité de travailler, et même de faire le travail de son
choix. Or, cette possibilité de travailler ne peut exister que si le tissu économique est
suffisamment développé pour offrir des emplois diversifiés et en nombre suffisant. 539.
Il est vrai que le plein emploi relève aujourd'hui de la fiction. Et quel que soit le
nombre d'emplois vacants, le droit positif n'oblige encore aucun employeur à recruter tel ou
tel candidat à l'embauche. Tout au plus, peut-il sanctionner I"attitude de tel employeur si eUe
est révélatrice de discrimination. Et dans tous les cas, cette sanction ne sera pas une obligation
d'embaucher. Dans le droit fil de la liberté d'entreprise dont on a souligné la parenté avec la
liberté du travail, le Conseil constitutionnel français a aftlrmé la liberté. pour l'employeur de
choisir ses collaborateurs54o• Ce n'est pas le moindre des paradoxes de la libené du travail,
Mais un paradoxe sans doute inévitable si on veut conserver un minimum de cohérence dans
l'ordre juridique.
De façon plus réaliste, le droit positif apporte des solutions concrètes sur d'autres
points: l'Etat aide le citoyen à trouver un emploi et à le conserver (a) ; le législateur veille à
ce que le salarié ne soit pas privé de sa liberté du travail par le seul fait d'avoir conclu un
premier contrat de travail: c'est l'élimination des conséquences néfastes de la liberté
contractuelle (b).
537 Pour l'énigme du travail, voir A. SUPIOT, Critique du droit du travail, Paris, 1994, PUF, pp. J à Il.
538 Pour cette angoisse, voir J.M. TCHAKOUA, Le droit au travail, in Dignité humaine en Afrique, Hommage à
Henry De Decker, Cahier de l'UCAC, nO 1, p. 185.
539 V. G LYON-CAEN, Le droit au travail, op. cit. p. 204.
personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels, inhumains
540 Cons. const., 20 juillet 1988, Req. P. 124.
142

a) L'aide à trouver un emploi et à le conserver
L'aide attendue de l'Etat est multiforme dans le domaine de l'emploi. Certes, personne
n'a jamais pensé que l'Etat se substituerait au citoyen dans la recherche de l'emploi. Mais sur
trois points au moins l'Etat devrait se manifester de façon positive: élaborer une politique de
l'emploi pertinente541 , former les citoyens et faciliter la rencontre entre la demande et l'offre
d'emploi.
La formation des citoyens est une des obligations essentielles de l'Etat542. La
Constitution du Cameroun dispose à ce sujet que "l'Etat assure à l'enfant le droit à
l'instruction. L'organisation et le contrôle de l'enseignement à tous les degrés sont des
devoirs impérieux de l'Etat ,,543. Des mots très forts pour exprimer des exigences tout aussi
fortes.
Il s'agit concrètement de concevoir et de mettre en œUVTe des programmes
d, '
_-C:
be
.
d
544
enseIgnement cOmormes aux
SoIns u pays
.
Mais il serait insuffisant de n'aborder la question de la formation que par rapport aux
non salariés; les personnes sous contrat de travail sont également demandeuses de formation
pour se perfectionner ou s'adapter à l'évolution de leur emploi. Cette dimension ne semble
pas bien perçue, En témoigne le cas de ce pompiste licencié pour avoir refusé d'occuper le
poste de chef adjoint de station service545 . Le salarié avait répondu à son employeur et
soutenu devant le juge que le poste exigeait des connaissances en comptabilité et en gestion.
connaissances dont il n'était pas nanti. En vérité, le salarié était demandeur d'une formation
complémentaire. En déclarant légitime le licenciement pour faute qui avait suivi ce refus de
promotion, le juge a mis à nu une énorme insuffisance de la législation camerounaise sur la
formation professionnelle en entreprise. Le Code du travail oublie même de faire du départ en
formation une cause de suspension du contrat de travail546. A fortiori, le législateur ne pouvait
541 On peut certes érylettre des réserves sur les choix de l'Etat en matière de politique de l'emploi, ou juger ses
efforts insuffisants (V. JM. TCHAKOUA, Le droit au travail, op. cit. p. 172)
542 Sur l'obligation de formation en général, voir JM TCHAKOUA, Le droit au Travail, op. cit. p. 173 et s.
543 Préambule de la constitution du 18 janvier 1996. Voir aussi le préambule de la constitution française pour le
droit à la formation.
544 Au Cameroun ces dernières années, on a beaucoup parlé de professionnalisation des enseignements. Sur le
terrain cette professionnalisation s'est traduite par la refonte des programmes scolaires et universitaires et par la
création ou la réorientation de plusieurs centres de formation professionnelle
545 TG! de Yaoundé, n° 104/s du 10 janvier 1995, Aff. NYOBA cl OUEMBE, inédit.
546 Voir, pour les causes de suspension du contrat de travail l'article 32.
143

faire de la formation des salariés une obligation de l'employeur547. Quelques conventions
collectives tentent de fixer une obligation de formation à la charge de l'employeur; mais les
formules utilisées montrent bien les limites de l'ambition548. II faut simplement souhaiter que
l'évolution se fasse ici comme en France. On se souvient en effet qu'en France le régime de la
formation professionnelle continue s'est construit sous l'impulsion de la négociation
collective549• L'idée centrale de ce régime est que par une éducation pennanente, l'adulte doit
être suivi tout au long de sa vie de travail. II s'agit de lui permettre de s'adapter aux
changements des techniques et des conditions de travail, de favoriser sa promotion sociale55o.
L'ingéniosité du système a consisté surtout à trouver, par le détour de l'obligation de
reclassement qui pèse sur l'employeur551, une liaison entre la formation et la perte d'emploi.
Cette utilisation de la formation comme mesure de reclassement n'étonne pas. C'est que, dans
une large mesure, la formation est conçue comme moyen de conservation de l'emploi. Et il
faut bien savoir que l'essentiel du dispositif juridique qui accompagne le licenciement en
général et le licenciement pour motif économique en particulier vise à éviter que le salarié ne
soit" dépossédé" de son emploi. L'emploi est en quelque sorte conçu par le législateur
comme un bien dans le patrimoine du salarié. Lorsqu"il l'a obtenu. il ne doit en être
« dépossédé» qu'à titre exceptionnel552, et parfois avec une certaine garantie quïl en trouvera
un autre. salarié ou non553 .
Finalement, la figure actuelle du contrat de travail ne ressemble que très imparfàitement à
son ancêtre, le louage de service des articles 1778 à 1781 du Code civil. Entièrement soumis à
la liberté contractuelle, le louage de service était sans égard pour l'inégalité juridique et
économique des parties. Le contrat de travail aujourd'hui part d'un principe inverse.
particulièrement en matière de licenciement : il faut protéger la partie faible. Le licenciement
ne saurait intervenir sans motif ni même pour un motif quelconque: le législateur français dit
547 Sur la question, voir la loi n° 76112 du 5 juillet 1976 portant organisation de la formation professionnelle
rapide et son décret d'application nO 79/201 du 28 mai 1979.
548 L'article 19 de la convention des entreprises agricoles et des activités connexes dispose que les employeurs
devront" s'efforcer q'assurer la formation et de perfectionnement professionnel de leurs agents ". La convention
des entreprises de la manutention portuaire va plus loin en obligeant l'employeur à examiner toute demande de
stage et en stipulant que le salaire est maintenu pendant le stage (article 20).
549 V. LUTTRINGER, Réflexion sur les rapports entre formation continue et négociation collective, in Mélanges
H. SINAY, Peter Lang, 1994, 43 et s.
550 Voir sur cette question les articles L.900.1 et s du code du travail français.
551 V. Article L 321-4-1 du code du travail français.
552 V. J.M TCHAKOUA, Le droit au travail, op. cit. p. 178.
553 On peut regretter que dans une large mesure l'Etat n'exécute son obligation d'aider les citoyens à conserver
leur emplois, qu'à travers des mesures législatives qui n'imposent finalement d'obligations qt:'aux employeurs.
144

554
que la cause du licenciement doit être réelle et sérieuse
; son homologue camerounais dit
que le licenciement doit avoir un motif légitime555. Mais en vérité, il n'y a pas de différence
de conséquences entre les deux formules. Tout au plus faut-il ajouter que le législateur
camerounais présume l'illégitimité du licenciement puisque l'article 39 al.3 du Code du
travail dispose que" Dans tous les cas de licenciement, il appartient à l'employeur d'apporter
la preuve du caractère légitime du motif qu'il allègue". Ce motif doit du reste être
556
communiqué par écrit au salarié
.
Les conséquences à tirer du défaut de notification écrite du motif du licenciement
peuvent se discuter557 ; mais l'exigence est tout de même clairement formulée et tend à
renforcer l'idée que le salarié ne saurait être privé de son emploi dans n'importe quelle
condition. La liberté de travailler serait sans portée si du jour au lendemain et surtout sans
motiflégitime l'employeur pouvait licencier le salarié.
Terminons ce premier sous-point par le devoir des autorités publiques de rapprocher
l'offre et la demande d'emploi558• Il s'agit, au moyen d'outils de centralisation et de diffusion,
d'aider les chercheurs d'emploi à trouver des opportunités correspondant à leur profil et de
faciliter aux employeurs potentiels le recrutement de salariés adaptés aux besoins et leurs
entreprises. Il existe un véritable service public du placement. Le mérite du législateur
camerounais c'est d'avoir compris qu'il n'est pas dans l'intérêt des chercheurs d'emploi
d'instituer ici un monopole au profit de l'administration559. Il faut simplement s'assurer de la
gratuité de l'opération de placement, afm de ne pas pénaliser les chercheurs d'emploi, qui
sont probablement démunis. De même il n'est pas interdit à un chercheur d'emploi de se faire
554 V. Article L-122-l4-2.
555 V. Article 39 al 3 du code du travail.
556 V. Articles 34 du code du travail camerounais et L.122-14- 1 du code du travail français.
557 Au Cameroun la jurisprudence avait fixé l'idée qu'en l'absence d'une notification du motif du licenciement,
celui-ci est abusif (CS, n° 106/s du 19 août 1982. RCD. N° 28 p. 227. Mais cette jurisprudence semble
condamnée à disparaître dans la mesure où le nouveau code du travail prévoit à son article 39 al 5 qu'en cas de
licenciement légitime survenu sans observation des formalités, le montant des dommages et intérêts ne peut
dépasser un mois de salaire. Cette sanction est différente de celle appliquée en cas de licenciement abusif(V. JM
TCHAKOUA, Libres propos sur les licenciements op. cit. p. 81 ; F. DUQUESNE, Enonciation du motif du
licenciement et droit à la preuve du salarié, Dr. soc., 1996, p. 374 et s).
558 Les législateurs français et camerounais utilisent le terme" placement" pour désigner l'opération qui consiste
à rapprocher la demande et l'offre d'emploi. Ce terme est contestable dans la mesure où il laisse croire qu'il
s'agit de trouver du travail pour le chercheur d'emploi.
559 Avant le code du travail camerounais de 1992, l'administration jouissait d'un relatif monopole de placement
qu'elle tenait de l'article 119 du code de 1974. Désormais, il est prévu que le placement relève de " l'autorité"
du Ministre chargé du travail. JI peut être assuré par les organismes publics ou privés.
Notons qu'en France, l'ANPE jouit d'un monopole de placement. Mais ce monopole n'est pas absolu, du moins
provisoirement (V. article L.3 12-2 et L.312-7).
145

embaucher directement sans passer par un service de placement. La solution contraire aurait
constitué un formalisme sans intérêt, et surtout contraire à la liberté du travail.
b) L'élimination des conséquences néfastes de la liberté contractuelle
En déclarant la force du travail négociable, la liberté du travailla plaçait sous l'empire
de la liberté contractuelle. Or les excès de la liberté contractuelle peuvent se révéler très
préjudiciables pour le travailleur. Il ne faut point croire que c'est" à sans froid" que le
chercheur d'emploi conclut un contrat de travail; il est en lutte pour la survie et on peut
craindre que poussé par la nécessité, il s'engage trop. Le droit positif dispose d'un certain
nombre de règles destinées à éviter que l'exercice de la liberté contractuelle ne soit pour le
salarié une remise en cause de la liberté du travail. Sont en cause un certain nombre de clauses
qu'on présente traditionnellement à travers une terminologie assez floue: les clauses de non
concurrence560.
La question est traitée à l'article 31 du Code du travail camerounais. Le texte dispose
que
"le travailleur doit toute son activité professionnelle à r entreprise, sauf dérogation
stipulée au contrat. Toutefois, il lui est loisible, sauf convention contraire. d'exercer en dehors
de son temps de travail, toute activité à caractère professionnel non susceptible de
concurrencer l'entreprise ou de nuire à la bonne exécution des services convenus.
"Toutefois, il peut être stipulé d'accord parties que le travailleur ne pourra, en cas de
rupture du contrat, exercer pour son compte ou celui d'autrui une activité de nature à
concurrencer son employeur... ".
A la lecture de ce texte, il est clair que le législateur considère comme activité
concurrente non seulement le fait pour le salarié de mener une activité indépendante
concurrente, mais aussi celui de se faire embaucher par une entreprise concurrente.
560 Si l'on veut donner à chaque tenne son sens précis, on voit difficilement pourquoi il y aurait à parler de la non
concurrence dans les rapports entre le salarié et l'employeur (Comment, en effet, y aurait-il concurrence entre
l'employé, vendeur, et l'employeur, acheteur de la force de travail ?). Ce qu'on appelle ici clause de non
concurrence serait en vérité une clause de non réembauchage ou une clause d'exclusivité (V. G. LYON-CAEN,
Les clauses restrictives de la liberté du travail, Dr. soc. 1963, p. 87 et s).
146

On peut tenter d'analyser les solutions légales sous l'angle de la concurrence
déloyale 56 1. Le contrat de travail, qui contient implicitement mais nécessairement une
obligation de bonne foi, n'interdit-il pas au salarié de mener une activité concurrente de celle
de son employeur? L'analyse paraît séduisante, et trouve même un appui aussi bien dans la
doctrine classique562 que dans une partie de la jurisprudence camerounaise563 qui ne font pas
de distinction entre la concurrence anticontractuellle et la concurrence déloyale.
La doctrine moderne cependant établit nettement la distinction entre la concurrence
anticontractueIIe et la concurrence déloyale 564. Dans le premier cas, la concurrence est
"interdite ou non autorisée", alors que dans le second, elle est permise mais on est en
présence d'un certain nombre de procédés considérés comme critiquables ,,565.
Il ne fait pas de doute que l'article 31 du Code du travail camerounais place la
violation de l'obligation de non concurrence hors du champ de la concurrence déloyale. Le
salarié qui a accepté une clause de non embauche ou d'exclusivité ou se voit imposer cette
clause par le fait de la loi, est sous l'empire d'une interdiction de travailler.
Même
au
bénéfice
de
cette
explication,
les
dispositions
de
la
loi
restent
d'interprétation difficile. Pour y voir clair, il faudrait, sans doute, distinguer deux moments
pendant la durée du contrat de travail: le temps de travail et le temps libre. Pendant les heures
de travail, le salarié ne devrait pouvoir servir qu'un seul employeur. C'est le sens de la
formule selon laquelle le travailleur doit toute son activité professionnelle à l'entreprise. C'est
surtout l'interprétation a contrario de la formule selon laquelle le travailleur peut, en dehors
de son temps de travail, exercer toute activité à caractère professionnel.
561 La concurrence déloyale est, selon le Vocabulaire juridique de G. CORNU, un fait « constitutif d'une faute
résultant d'un usage excessif, par un concurrent, de la liberté de la concurrence, par un emploi de tout procédé
malhonnête dans la recherche de la clientèle, dans la compétition économique ». Est par exemple constitutif de
concurrence déloyale le dénigrement, la confusion volontairement créée entre deux marques, notamment au
moyen de la publicité.
562
M. GHIRON, Corso di diritto industriale, 2e éd. Cité par ROUBIER, Théorie générale de l'action en
. concurrence déloyale. RTD corn. 1948, p. 549.
563 TGI de Douala, jugement n° 158 du 28 janvier 1985 ; n° 275 du 11 mars 1985 ; n° 149 du 27 février 1989 ; n°
155 du 29 janvier 1990; n° 121 du Il mars 1991 (inédits).
564 P. ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, Sirey 1952, pp. 549 et s.
565
Ibid. pp. 482 et s. Sur la question, voir aussi G. JIOGUE, Introduction au droit camerounais de la
concurrence, Thèse de doctorat de 3è cycle, Université de Yaoundé II 1996,. pp. 82 et s.
147

Le législateur introduit toutefois une réserve qui nécessite une explication. Comment
comprendre, en effet, que le contrat de travail puisse prévoir une dérogation à l'obligation
d'exclusivité pendant le temps de travail? Autrement dit comment comprendre qu'à une
heure donnée le salarié puisse être sous les ordres de deux ou plusieurs employeurs à la fois?
Pratiquement, le cumul de contrats de travail n'est possible qu'à la condition que les différents
employeurs se répartissent l'emploi du temps du salarié concerné, sans possibilité de
chevauchement566.
Si le salarié peut, en dehors de son temps de travail, ou après son contrat de travail,
exercer toute activité à caractère professionnel, c'est à condition que son contrat de travail ne
prévoie pas une clause interdisant une telle activité. De plus, le salarié qui exerce une activité
professionnelle en dehors de son temps de travail devrait s'assurer qu'une telle activité ne
concurrence pas l'entreprise qui l'emploie, et ne nuit pas à la bonne exécution des services
convenus.
Au regard de tout ce qui précède, on peut avoir de très fortes inquiétudes pour la
liberté du travail. D'origine conventionnelle ou par l'effet de la loi, l'obligation dite de non-
concurrence est suffisamment présente durant le contrat de travail; à la cessation du contrat
de travail, elle peut s'exécuter si elle avait été stipulée. C'est justement à cette phase que le
droit positif s'est employé à limiter les excès, afin de protéger la liberté du travail. En effet
l'article 31 alinéas 1 et 2 du Code du travail camerounais pose des conditions très strictes à la
validité des clauses dites de non concurrence après la rupture du contrat de travail. La clause
ne peut être efficace que dans deux hypothèses alternatives: la rupture du contrat de travail
est survenue du fait du salarié alors que son employeur avait assumé les frais de son
déplacement du lieu de résidence au lieu de l'emploi; la rupture est consécutive à une faute
lourde commise par le salarié. Dans l'un et l'autre cas, l'interdiction de travail ne peut
s'appliquer que dans un rayon de cinquante (50) kilomètres autour du lieu du travail; et sa
durée ne peut excéder un (1) an. De plus l'activité exercée par le salarié doit être identique ou
similaire à celle de l'entreprise créancière de la clause de non concurrence.
On a souligné, à juste titre, que les hypothèses citées par le législateur sont
567
lirnitatives
. Par conséquent, en dehors de ces hypothèses, toute clause de contrat de travail
566·Encore faut-il même qu'on ne tombe pas sous le coup des dispositions sur le temps de travail.
567 G. JJOGUE, Thèse op. cil. p. 129.
148

interdisant au travailleur d'exercer une activité concurrente à celle de son employeur à la
568
rupture du contrat de travail est nulle de plein droit

L'application des
dispositions
légales peut
toutefois
présenter des
difficultés,
relativement à la notion de "fait du travailleur" utilisée par le législateur. Il y a
indiscutablement" fait du travaiJJeur " lorsque ce dernier met unilatéralement fin aux relations
de travail par démission. Mais il n'y aurait pas " fait du travailleur" si la prétendue démission
. . . ,
~ t d l'
1
569
est en vente causee par une tau e e emp oyeur
.
Il y a également "fait du travailleur" lorsque la rupture, bien que prononcée par
570
l'employeur, résulte d'une faute du salarié, peu importe la qualification de celle_ci
• Il y
aurait enfin "fait du travailleur" lorsque l'attitude de ce dernier n'est pas fautive mais est à
l'origine de la rupture. Ainsi par exemple d'un refus de modification substantielle du contrat
de travail ayant entraîné un licenciement lorsque la proposition était faite dans l'intérêt de
l'entreprise.
Le législateur camerounais semble penser que le respect de toutes les conditions
restrictives des clauses de non concurrence est de nature à laisser au salarié la possibilité
d'exercer normalement son activité professionnelle.
Plus difficile est de dire si en plus des conditions ci-dessus posées il faut rechercher un
intérêt de l'entreprise pour apprécier la validité de la clause de non concurrence. Le législateur
ne le dit pas ; mais une réponse affinnative ne serait pas absurde depuis qu'on soutient que
l'intérêt de l'entreprise est le point d'équilibre entre la protection sociale des salariés et
l'efficacité économique571 •
L'intérêt de l'entreprise est l'un des éléments à l'aune desquels le droit français
apprécie la validité des clauses restrictives de la liberté du travail572. La clause de non
568 Ibid. p. 129.
569 Ibid. p. 130, voir, sur l'ensemble de la question de licenciement déguisé, V. TCHOKOMAKOUA, Réflexions
sur la démission en droit du travail camerounais, Juridis Info nO 24, p. 81 et s.
570 G. JIOGUE, Thèse op. cit. p. 130.
571 P.G. POUGOUE, Le petit séisme du 14 août 1992, RJA 1994, p. 12.
572 Les solutions ici dégagées sont essentiellement le fait de la jurisprudence, le législateur éu:nt resté muet.
149

573
réembauchage doit être conforme à l'intérêt légitime de l'entreprise
• De façon générale, la
clause de non réembauchage ne doit pas annihiler la liberté de travail de son débiteur; elle ne
peut que la restreindre. Concrètement , la clause doit être limitée dans le temps ou dans
l,
d ' 1
d l'
. . ,
, 574
espace, et quan a a nature
e
actIvlte exercee
.
On peut regretter que par le jeu des règles de preuve la liberté contractuelle reprenne le
pas sur la liberté du travail. En effet, c'est au salarié que revient la charge de prouver le cas
575
échéant le caractère illicite des clauses de non-réembauchage
• L'employeur n'a même pas à
576
prouver que la clause est stipulée dans l'intérêt de l'entreprise
. Mais la seule idée d'un
contrôle de la validité des clauses de non réembauchage est en soi un bon signe pour la liberté
de travailler.
Libre de travailler, le salarié doit aussi être libre de ne pas travailler.
2) La liberté de ne pas travailler
La plus évidente manifestation de la liberté de ne pas travailler est la liberté de refuser
577
un emploi proposé. Certes, en insistant sur la valeur sociale du travail
, on crée une forte
incitation à l'embauche; mais on ne va pas plus loin: le travail forcé ou obligatoire est
interdit578 . L'OIT définit le travail forcé comme" tout travail ou service exigé d'un individu
sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de son
plein gré ,,579. Cette définition est reprise telle quelle par le Code du travail camerounais. Tout
comme l'OIT, le législateur camerounais exclut du champ de définition du travail forcé un
certain nombre de situations où la prestation est exigée dans l'intérêt de la défense nationale,
573 Soc. 14 mai 1992, RJS 1992, nO 735. La validité de certains types de clause de non réembauchage a été très
discutée, en particulier les clauses qui laissent à l'employeur, à son seul gré, la faculté d'étendre la portée de
ladite clause dans l'espace et dans le temps. La Cour de cassation française annule de telles clauses (Soc. 28 avril
1994, RJS 9/94 n° 697). Ces clauses tombent sous l'interdiction de stipuler une condition purement potestative
posée par l'article 1174 du code civil.
De même on s'est demandé si une clause de non réembauchage peut se trouver dans un accord transactionnel. La
Cour de cassation a répondu par l'affirmative (Soc. 5 janvier 1994. D. 1994, p. 586). Il y aurait simplement à
vérifier, en plus des conditions de validité propres à la clause, que les conditions de la transaction sont réunies.
574 Soc. 8 mai 1967. D. 1967 ; p. 690 note G. LYON CAEN.
575 Soc. 8 mai 1867, op. cit.
576 Soc. 13 octobre 1988. D. 1989, p. 122, note critique Y. SERRA.
577 V. D. MEDA, Le travail, une valeur en voie de disparition, Aubier, Paris, 1995.
578 V. Code du travail camerounais, article 2. AI. 3.
579 Convention n° 29, article 2-1.
150

en cas de sinistre, en exécution d'une condamnation judiciaire, etc..580. Ces exclusions sont
loin d'altérer dans sa substance l'interdiction du travail forcé.
Le droit positif contient quelques dispositions qui, si elles ne privent pas directement
les citoyens de leur droit de ne pas travailler, y aboutissent indirectement. Ainsi par exemple,
le Code du travail français dispose à l'article L. 351-17 que le droit au revenu de
remplacement servi aux personnes à la recherche d'un emploi s'éteint" lorsque, sans motif
légitime, le bénéficiaire de ce revenu refuse d'accepter un emploi, quelle que soit la durée du
contrat de travail offert, compatible avec sa spécialité ou sa formation antérieure, ses
possibilités de mobilité géographique compte tenu de sa situation professionnelle et familiale,
et rétribué à un taux de salaire normalement pratiqué dans la profession et la région ,,581. Mais,
le motif légitime auquel il est fait allusion ici est largement entendu, même en pleine période
de crise de l'emploi. On estime qu'un salarié est en droit de refuser un emploi qui est moins
qualifié ou qui est moÏrts bien rémunéré que celui qu'il occupait précédemment: quil peut
refuser un emploi situé dans une région autre que celle où il travaillait précédemment582 .
Par ailleurs, il n'est pas douteux que dans l'appréciation des besoins des débiteurs de
la pension alimentaire, les juges tiennent compte de leur comportement face à un emploi qui
leur aurait été proposé. Mais, cette prise en compte est loin d'affecter considérablement la
liberté de travail, dont on a dit qu'elle reste la pierre angulaire du droit du travail
contemporain583 •
Pour des personnes déjà sous contrat de travail, la liberté de ne pas travailler est celle
de rompre le contrat de travail. Cette liberté se manifeste dans toute sa force dans le régime du
contrat de travail à durée indéterminée. Comment pouvait-on empêcher un homme de sortir
de la subordination sans faire de lui un esclave? L'article 1780 du Code civil disposait déjà
qu' " on ne peut engager ses services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée ". Le droit
du travail moderne traduit cette règle par deux propositions: le contrat de travail est
nécessairement temporaire c'est-à-dire conclu pour une durée déterminée; s'il est conclu pour
une durée indéterminée, il doit être assorti d'une faculté de résiliation. Il s'agit là d'une règle
580 Voir code du travail camerounais, art. 2 al. 5.
581 Cf Y. ROUSSEAU et B. WALLON, Droit pour un chômeur de refuser un emploi. Dr. soc. 1990, p. 27 et s.
5821. PEUSSJER. La liberté du travail, op. cit. p. 26.
583 G. LYON-CAEN. Le droit au travail, op. cit.
151

584
d'ordre public directement justifiée par le principe de la liberté du travail

Et c'est
justement parce que cette règle d'ordre public dérive de la liberté de travail - plus que de la
liberté contractuelle - que le droit de démissionner est entouré de faveurs qu'on ne reconnaît
pas au droit de licencier585• Par exemple, s'il existe une indemnité de licenciement, il n'existe
aucune indemnité de démission. Celle-ci aurait peut-être contraint son débiteur à demeurer
sous le lien de subordination lorsqu'il est effrayé par la perspective de la verser. Mieux, alors
qu'un employeur ne peut licencier un salarié que s'il peut justifier d'une cause réelle et
sérieuse - au Cameroun un motif légitime--, une démission, expression de la liberté de ne pas
travailler, n'a pas à être" causée", "justifiée ,,586. La volonté de recouvrer sa pleine liberté
d'action est par elle même un motif suffisant. Le Code du travail français n'oblige même que
certains salariés bien déterminés à respecter un préavis en cas de démission587. Hors de ces
hypothèses, l'obligation de respecter le préavis ne peut résulter que de la convention
collective ou des usages de la profession588•
Le régime de la démission en droit camerounais n'est pas très diftërent de celui ci-
dessus décrit. Mais une présentation peu rigoureuse de la solution est susceptible de conduire
à des méprises. Traitant en même temps de la démission et du licenciement l'article 34 du
Code du travail dispose que" Le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours être
résilié par la volonté de l'une des parties. Cette résiliation est subordonnée à un préavis donné
par la partie qui prend l'initiative de la rupture et doit être notifiée par écrit à l'autre partie
avec indication du motif de la rupture ". Or, si l'on peut concéder que le législateur soumet la
démission à la condition du préavis, il est très discutable de penser que le salarié qui
démissionne doit indiquer par écrit le motif de la rupture. Qu'on le sache bien: personne n'a
jamais eu l'idée, en droit camerounais, de critiquer une démission parce que son motif n'était
pas légitime. Dès lors qu'on ne peut utilement critiquer le motif de la démission, il faut
admettre que la démission n'a pas à être motivée.
La plus grave menace sur la liberté de ne pas travailler provient des clauses dites de
"dédit-formation". Par ces clauses, l'employeur s'engage à assurer une formation au salarié
et à en couvrir le coût; le salarié, en contrepartie, s'engage à demeurer au service de
584 Th. REVET, La liberté du travail, op. cit. p. 241.
585 V. 1. PELISSIER, La liberté du travail, op. cit. p. 24.
586 Ibid.
587 Il s'agit des journalistes et des VRP (articles L.759-4 et L.751-1)..
588 V. Article L.122-5.

l'entreprise pendant une certaine durée et à rembourser à l'entreprise le coût de cette
589
fonnation s'il rompt le contrat avant le terme convenu
. La jurisprudence française admet la
licéité de principe de ces clauses: l'engagement du salarié est licite car il est la contrepartie de
l'effort fmancier consenti par l'employeur; la stipulation de remboursement de frais est licite
car elle est uniquement destinée à ne pas permettre au salarié de conserver sans contrepartie le
hé 'fi
d 1 c . '
590
ne ce e a lonnatlOn reçue
.
L'institution des clauses de " dédit-fonnation " est inspirée par le droit de la fonction
publique: en général l'Etat exige de ses agents qu'il envoie en fonnation un engagement de
servir pendant une durée minimum bien déterminée. Mais,
l'observation montre, au
Cameroun tout au moins, qu'il n'y a pas un suivi du respect de ces clauses par les
fonctionnaires, sauf si ceux-ci appartiennent à des corps très sensibles. On peut y voir l'idée
que la liberté de travail ne s'accommode point de ce genre de clauses.
Dans le secteur privé, la jurisprudence française s'emploie à contenir dans les limites
précises les clauses de "dédit-formation". Il faut déjà que
les dépenses aient été
effectivement engagées pour la formation du salarié591 . Puis il ne faut pas qu'à un titre ou un
autre ces dépenses résultent d'une obligation antérieure de l'employeur592 . Ce sera par
exemple le cas si la convention collective prévoit une obligation de formation à la charge de
l'employeur.
En vérité, malgré ces précautions, les solutions du droit positif sont en retrait par
rapport à la force de la liberté du travail en cause dans les clauses de .. dédit-formation ". Ces
clauses sont en réalité une renonciation au droit de démissionner, droit d'ordre public593 . Il
semble juste de rester à l'idée que le salarié ne peut renoncer à son droit de démissionner.
Certes, il peut exercer ce droit dans des conditions qui font apparaître une mauvaise foi de sa
part. Dans ces conditions, la théorie de l'abus de droit devrait suffIre à rétablir la justice.
L'utilisation de cette théorie aurait l'avantage de montrer clairement qu'avant tout le
démissionnaire est dans l'exercice d'un droit. A cet égard, il semble utile de faire le
rapprochement avec la jurisprudence qui affirme que "le libre retrait d'un adhérent [de
589 J. PELlSSIER., La liberté du travail, op. cil. p. 34.
590 Soc. 23 novembre 1983, Bull. V. na 576.
591 Soc. 18 mars 1970, Bull. V. na 207.
592 Paris, 3 mai 1984, D. 1985, p. 156.
593 .V. 1. PELlSSIER., La liberté du travail, op. CiL, p. 25.
153

syndicat] ne peut être limité par une clause conventionnelle ,,594. N'est-ce pas parce que la
liberté syndicale est une liberté fondamentale?
B. La liberté syndicale
Le Cameroun et la France ont l'un et l'autre ratifié la convention nO 87 de l'OIT sur la
liberté syndicale. On pouvait en attendre sinon une identité, du moins une nette ressemblance
dans les régimes de la liberté syndicale dans ces deux pays. Mais deux considérations
éloignent de cette attente. D'une part, si la liberté syndicale est une liberté individuelle, elle
comporte une dimension collective sans laquelle la dimension individuelle est sans portée:
l'action syndicale est une action de masse. Or, si la masse de salariés est importante en
France, elle est à peine considérable au Cameroun, où elle est en plus disséminée dans des
entreprises de taille trop modeste. D'autre part, au Cameroun, l'action syndicale est restée
proche voire jumelle de l'action politique595 . La confusion qui en est résultée continue de
marquer la perception du syndicat par les autorités de l'Etat. En conséquence, les menaces à la
liberté syndicale viennent non seulement des employeurs mais aussi des pouvoirs publics
soucieux d'assurer la stabilité politique. Une vue complète de la liberté syndicale doit
s'intéresser non seulement à la vie dans l'entreprise (2) mais aussi au regard qu'y portent les
pouvoirs publics (1).
1. La liberté syndicale et les pouvoirs publics
Ces derniers temps, on a vu les partenaires socraux précéder le législateur sur
beaucoup de terrains596• Cette anticipation n'est pas jugée défavorablement par les pouvoirs
publics, surtout lorsqu'en présence de problèmes délicats ils sont hésitants. Mais, les syndicats
sont avant tout des structures de défense des intérêts qui leur sont particuliers; ils ne peuvent
594 Soc. 23 juin 1988, Bull. Civ. V. nO 394.
595 Dès les premières heures du syndicalisme au Cameroun, la confusion entre le mouvement syndical et le
mouvement nationaliste a paru évidente aux yeux des autorités tutélaires. D'où une action muselée en direction
des organisations nationalistes dont l'UPC, et de l'USCC (Union des syndicats confédérés du Cameroun). Après
l'accession du Cameroun à la souveraineté internationale, le pluralisme syndical fut supprimé en même temps
que le pluralisme politique et rétabfi avec lui. Pour toute la question, voir Léon KAPTUE, Droit et Syndicalisme
au Cameroun, RJA, 1994, p. 63; André TIENTCHEU NJIAKO, La problématique des syndicats au Cameroun,
Mémoire de DES en Droit Privé, Université de Bordeaux l, 1974.
596 En France, plusieurs textes législatifs dont ceux sur les accords dits dérogatoires sont une simple mise en .
forme des accords entre partenaires sociaux.
154

en tout état de cause se substituer aux structures de l'Etat qui ont en charge l'intérêt général.
Les pouvoirs publics vont, par anticipation, orienter le mouvement syndical (a). Entre autres,
ils défIniront le statut et l'objet des syndicats (b).
a) L'orientation générale du syndicalisme
L'histoire du syndicalisme montre que les syndicats ont parfois' inspiré de fortes
craintes aux pouvoirs publics. Hier, les syndicats étaient purement et simplement interdits par
la loi Le Chapelier. La méfiance vis-à-vis des syndicats était plus contenue depuis le décret
français duIS février 1848 qui a reconnu la liberté d'association. La loi du 21 mars IB84 vint
finalement permettre la libre constitution des syndicats. Cette loi s'inspire d'un esprit
individualiste
qUI
va
profondément
marquer
le
syndicalisme.
L'exacerbation
de
l'individualisme va donner lieu à un multi-syndicalisme illimité, qu'on présente parfois
597
comme une des causes de la faiblesse du syndicalisme
,
Le pluralisme syndical pose un problème important: qui. parmi la multitude des
syndicats, parlera au nom des salariés? En effet. compte tenu des divisions syndicales. le
syndicalisme ne peut être "praticable" que si on opère une certaine sélection parmi les
syndicats, donc en réduisant le nombre de ceux qui sont" habilités ,,598, Est ainsi né le concept
de représentativité syndicale: certains droits ne pourront être exercés que par les syndicats
représentatifs599 .
Dès
lors
devient
importante
la
détermination
des
critères
de
la
oo
représentativitë .
On ne peut bien comprendre le fonctionnement des concepts de la représentativité en
France si on ne s'intéresse pas au mode de preuve de la représentativité. La représentativité
peut ici être présumée ou prouvée.
Les syndicats affiliés à une centrale syndicale
601
représentative
bénéficient d'une présomption de représentativité. Cette présomption est
597 V. JM. VERDIER, Sur la relation entre représentation et représentativité syndicales, Dr. soc. 1991.5.
598 Ibid. p. 6.
599 On s'en doute bien, l'importance de droits réservés aux syndicats représentatifs est de nature à orienter le
choix des potentiels adhérents.
600 Sur la question, voir infra seconde partie, Titre II, Chapitre II.
601 La liste des centrales représentatives est donnée par un arrêté du 31 mars 1966.
155 .

irréfragable602• En revanche, le syndicat non affilié à une centrale syndicale reconnue



• . ·603
representatlve peut prouver sa representatIVlte
.
On ne peut nier que ces solutions sont de nature à influencer de façon décisive le choix
des salariés qui désirent adhérer à un syndicat. Mais, du moment où le combat syndical
suppose un fond de légitimité pour les combattants, ces solutions étaient presque inévitables,
si en plus on veut assurer un minimum de cohérence au mouvement syndical.
Mais l'intervention de l'Etat ne doit pas se muer en une ingérence dans la vie des
syndicats, qui sont avant tout des groupements privés. En d'autres termes, les syndicats
doivent se constituer et fonctionner librement.
En France, la solution va pratiquement sans dire. La rédaction et le dépôt des statuts.
seules exigences légales pour la constitution des syndicats, ne peuvent être assimilés à une
autorisation administrative. L'autorité administrative ne peut s"immiscer dans l'admirIistration
604
des syndicats, le choLx des dirigeants: elle ne peut non plus dissoudre un syndicat
.
Ces solutions ont du mal à s'affirmer au Cameroun. Certes, on peut lire dans la
Constitution que la liberté syndicale est garantie dans les conditions fixées par la loi. Les
articles 3 et suivants du Code du travail fixent les conditions d'exercice de la liberté
syndicale. L'article 3 en particulier dispose que la loi reconnaît aux travailleurs, sans
restriction d'aucune sorte et sans autorisation préalable le droit de créer librement des
syndicats professionnels. L'article 4 ajoute que les salariés ont le droit de s'affIlier au syndicat
de leur choix dans le cadre de leur profession ou de leur branche d'activité.
Pourtant, le passé récent a montré le caractère théorique de cette liberté syndicale dans
un contexte de monolithisme syndical de fait. Depuis très longtemps au Cameroun, les
syndicats sont pratiquement sommés de "s'associer à la mobilisation des masses pour la
construction nationale ", de "collaborer avec le Gouvernement pour assurer l'amélioration
des conditions de vie des travailleurs, dans le cadre d'une politique globale de progrès
602 Soc. 5 juillet 1977. 0.0. 1978, 44.
603 Soc. 15 juin 1977, lur UIMM. W 381, p. 51.
604" La dissolution d'un syndicat ne peut être prononcée qu'à la-diligence du Procureur de la République ". (Soc.
6 avril 1994. Bull civ. V, nO 137).
156

économique et social ,,605.
C'est
là le ciment
idéologique du monolithisme
syndical
.
C I "
d
. .
606
savamment COnstruit et entretenu au
ameroun sous e regune u partI uruque
.
Le retour au pluralisme politique donne l'espoir d'un pluralisme syndical authentique,
gage d'une véritable liberté syndicalé07•
b) Le statut et l'objet des syndicats
En ce qui concerne l'objet des syndicats, deux options sont ouvertes: la première
consiste à limiter cet objet; la seconde consiste à l'ouvrir. Le droit camerounais a choisi la
première option. En effet, l'article 3 du Code du travail dispose que les syndicats
professionnels ont pour objet l'étude, la défense, le développement et la protection des intérêts
notamment économiques, industriels, commerciaux et économiques, ainsi que le progrès
sociaL économique, culturel et moral des membres. Toute activité qui n'est pas de nature à
promouvoir ces objectifs demeure interdite aux syndicats professionnels. En spécifiant ainsi
assez clairement l'objet des syndicats, et surtout en leur interdisant toutes autres activités, le
législateur leur fait courir le risque d'une ingérence de la part des autorités publiques.
L'article 13 du Code du travail dispose du reste que le greffier des syndicats peut annuler
l'enregistrement d'un syndicat s'il est établi que ledit syndicat a délibérément mené des
activités non statutaires ou violé la loi.
Instruit par les déboires de la CGT poursuivie aux fins de dissolution pour un soupçon
608
de politisation
, le législateur français s'est, depuis 1982, démarqué du principe dit de
spécialité. L'article L.411-1 du Code du travail dispose que des syndicats professionnels ont
exclusivement pour objet l'étude de la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et
moraux, tant collectifs qu'individuels des personnes visées par leurs statuts. En restant vague
sur le champ des droits et intérêts à défendre, ce texte s'inscrit dans une large ouverture.
605 Extrait d'un discours de M. AHMADOU AHIDJO, Président de la République du Cameroun à Garoua le 13
mars 1969.
606 L'article 3 des statuts de l'UNTC, syndicat unique de l'époque, dispose que ce syndicat exerce ses activités
dans le cadre des options définies par le parti, l'UNe.
607 Pour l'instant l'Organisation Syndicale des Travailleurs du Cameroun, ancienne centrale syndicale unique,
partage l'espace médiatique avec l'Union des Syndicats Libres, centrale syndicale récemment constituée (les
syndicats se signalent plus par des réactions dans les média)
608 Trib. Correct Seine, 13 janvier 1921. Gaz Pal. 197.1.1.87. Voir aussi Soc. 6 novembre 1974. D.O. 1975.143
(enlèvement d'affichage à contenu politique).
157

Le syndicat ne peut mener à bien ses activités s'il n'a pas de personnalité juridique; la
loi la lui reconnaît dès qu'il est constitué. Il a en plus le droit d'ester en justice et d'acquérir,
sans autorisation, à titre gratuit ou à titre onéreux, des biens meubles ou immeubles609• Les
immeubles et objets mobiliers nécessaires à leurs réunions, à leurs bibliothèques et à leurs
cours d'instruction professionnelle sont insaisissables61O, ce qui ne signifie pas que les
syndicats peuvent se so ustraire à la respo nsabilité civile611.
Il faut enfin citer parmi les prérogatives des syndicats, la faculté d'exercer tous les
droits réservés à la partie civile, relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à
l'intérêt collectif de la profession612•
Sur ce dernier terrain, la dimension collective de la liberté syndicale aide, mais elle
peut aussi entrer en contradiction avec les prétentions individuelles, comme on le vérifiera
dans le prochain sous-point.
2. La liberté syndicale dans l'entreprise
C'est sans nul doute au sein de l'entreprise que la liberté syndicale a connu l'évolution la
plus significative. La distance est grande entre le temps où tout élan de syndicalisme tombait
sous le coup du pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise et celui en cours, où l'employeur est
pratiquement sommé de collaborer à l'exercice de la liberté syndicale par les salariés. Des
auteurs soulignent qu'on est passé du stade de la simple liberté syndicale à celle d"un véritable
droit syndicaI613• Permettre à quelqu'un de se syndiquer sans toutefois l'y contraindre, c'est là
une formulation purement négative; ce qui importe encore plus, c'est de garantir cette liberté,
de la protéger contre ceux qui seraient tentés de ne. point la respecter, d'éviter que son
exercice ne comporte pour le syndiqué des conséquences préjudiciables. La liberté se
transforme alors en droit subjectif l4•
Comme en matière de liberté du travail, on distingue ICI deux aspects: une face
positive (a) et une face négative (b).
609 V. Codes du travail camerounais (article 17) et français (article L. 411-12).
610 V. Code du travail camerounais (article 18) et français (article L. L11-12).
611 C'
"4"
1
nm. L. JanvIer 1978, Bul . n° 29.
612 Voir codes du travail camerounais, article 18 et français, article L.411-11.
613 G. LYON CAEN, 1. PELISSIER, A SUPIOT, Précis de droit du travail, op. cit. n° 625.
614 Ibid.
158

a) La face positive de la liberté syndicale
En affinnant que" tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action
syndicale et adhérer au syndicat de son choix ", le constituant français posait une règle dont
on ne peut dissimuler l'importance. La fonnulation de la règle en montre les richesses: la
liberté syndicale n'est point simplement une liberté d'adhésion; c'est aussi une liberté
d'action sans laquelle la première liberté est sans intérêt.
L'employeur est tenu de contribuer à l'exercice de la liberté syndicale des salariés en
leur accordant au besoin des crédits d'heure, en aménageant pour eux un panneau d'affichage.
Le législateur ou les conventions collectives61S invitent ainsi les employeurs à considérer
l'exercice de la liberté syndicale dans l'entreprise comme une' activité nonnale à laquelle ils
doivent prêter leur concours sans états d'âme.
Dans cette collaboration, l'employeur doit éviter toute pression contre ou en faveur
d'un syndicat. La liberté syndicale négative se trouve entravée lorsqu'une circulaire adressée
par une fédération patronale invite les salariés à répondre favorablement aux demandes d'un
syndicat ouvrier616.
b) La face négative de la liberté syndicale
Les articles 4 du Code du travail camerounais et L.412-2 du Code du travail français
interdisent à r égard des salariés tout acte de discrimination tendant à porter atteinte à leur
liberté syndicale. La jurisprudence française prend bien la mesure de cette interdiction
notamment en détectant même les atteintes dissimulées617.
Les menaces contre la liberté syndicale ne viennent cependant pas seulement de
l'employeur; elles viennent aussi des syndicats. Que le droit positif décide de faire des
effectifs syndicaux le ou l'un des critères de la représentativité, n'est pas sans risque pour les
615 Les dispositions sur les conditions matérielles de l'exercice de la liberté syndicale n'existent au Cameroun
que dans les conventions collectives.
616 Soc. 16 mars 1977. D. 1977, IR, 188.
617 Crim. 21 novembre 1989 0.0. 1990. 410 (sanction frappant les seuls délégués syndicaux grévistes) ; Crim. 16
janvier 1990. RJS. 1990; 163, nO 328 (la discrimination syndicale peut ne pas être le motif exclusif) ; Soc. 16
février 1985. 0.0. 1986, 313 (refus de prime et promotion depuis le jour de la prise de resp0l1$3bilité syndicale).
159

salariés. Ceux-ci vont parfois subir des contraintes de la part des syndicats. Deux situations
sont en cause ici: l'adhésion et le retrait d'un syndicat.
L'individualisme à la base du mouvement syndical aussi bien en France qu'au
Cameroun a conduit les législateurs à protéger les salariés contre l'hégémonie des syndicats.
De façon indirecte, la protection de la liberté de ne pas adhérer à un syndicat résulte de l'effet
erga omnes des accords collectifs618• En ne réservant pas les fruits de la né.gociation collective
aux seuls adhérents des organisations signataires, la loi laisse au salarié le choix de l'adhésion
ou de la non adhésion à un syndicat.
De même, des tennes de la loi, il faut penser que sont indiscutablement interdites les
pratiques dites de "closed shop ", de "lemon shop". Elles consistent, pour un syndicat, à
obtenir l'insertion dans un accord collectif d'une clause obligeant l'employeur à n'engager
que les ouvriers syndiqués ou prenant l'engagement de se syndiquer, ou une clause réservant
les avantages obtenus aux seuls membres du syndicat. Une telle clause est illicite dans la
mesure où elle viole directement l'interdiction faite à l'employeur de prendre en considération
l'appartenance ou la non appartenance syndicale. d'un travailleur pour arrêter une décision sur
l'embauchage, la rémunération, et en général toute mesure de son pouvoir disciplinaire ou de
direction. De plus, la réservation des avantages d'un accord aux seuls membres des syndicats
signataires
viole
l'effet
erga
omnes des
accords
collectifs.
Cet
effet
se
rattache
indiscutablement à l'ordre public absolu dans la mesure où il traduit la conception que le
législateur a de la fonction" réglementaire" de la négociation collective.
Est également illicite la pratique de mise à l'index contre un salarié qui refuse de se
syndiquer ou contre un employeur qui recrute un ouvrier non syndiquë 19.
Parfois des salariés éprouvent des difficultés plutôt au moment de se retirer d'un
syndicat auquel ils avaient librement adhéré. La Cour de cassation française a fort justement
affinné qu'il résulte de l'article LAll-S du Code du travail que la démission d'un syndicat
professionnel est l'exercice d'un droit reconnu par la 10i62o• Il en résulte que le libre retrait
d'un adhérent ne peut être limité par une clause conventionnelle. Sont aussi concernées les
618 Voir sur cet effet aga omnes des accords collectifs, J.M. VERDIER: Sur la relation entre représentation et
représentativité syndicale, op. cit. p.6.
619 Le syndicat qui y recourait mettrait en jeu sa responsabilité civile.
620 Civ. 1ere 23 mars 1983, Bull. Civ. 1 n° 112.
160

dispositions des règlements intérieurs des syndicats qui conditionnent le retrait du syndicat au
rappel de toutes les cotisations syndicales échues.
Libre de se syndiquer, libre de travailler, libre dans les manifestations de sa
personnalité, cela peut sembler assez pour le salarié. Mais il aspire encore à l'égalité,
corollaire de la liberté.
C. La liberté de grève
Présenter la grève sous le signe de la liberté n'est pas nouveau621. Le procédé a
l'avantage de permettre de mettre plus facilement en lumière la double facette du droit de
faire grève. La grève est une prérogative individuelle s'exerçant collectivement. Elle est aussi
une liberté au sens de faculté à la fois de faire et de ne pas fairé22 .
Il n'empêche que la grève se présente le plus souvent sous la marque du « droit ». En
France, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 reconnaît clairement le droit de
grève avant de donner au législateur mandat de le réglementer: « le droit de grève s'exerce
dans le cadre des lois qui le réglemente ».
A vrai dire, la portée de ce mandat est loin d'être claire, et le législateur français n'a
23
pas résisté à la tentation d'apporter des limitations au droit de grèvé . Le Conseil
constitutionnel a admis la pertinence de ces limitatio ns, qu'il justifie par la nécessité de
concilier les intérêts et principes en présence: « la reconnaissance du droit de grève ne saurait
avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations
nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève,
a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle; que les limitations peuvent aller
jusqu'à l'interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour
621 Voir 1. PELISSIER. La grève: liberté très surveillée, D. O., 1988,59.
622 D'où les confits qui peuvent naître entre le droit de grève et la liberté du travail.
623 Loi du 27 décembre 1947 pour les CRS; loi du 28 septembre 1948 pour les policiers; ordonnance du 6 août
1958 pour le personnel des services extérieurs de l'administration pénitentiaire; ordonnance du 22 décembre
1958 pour les magistrats; loi du 13 juillet 1972 pour les militaires; loi du 31 juillet 1978 pour le personnel du
service des transmissions du ministère de l'intérieur; loi du 17 juin 1971 pour les ingénieurs des études et des
exploitations de
l'aviation
civile.
Voir
Ph.
MARTIN,
Grève,
« services essentiels»
et relations
professionnelles: réflexions sur les modes de régulation, Bulletin -de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, 1997, 79.
161

assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux
besoins essentiels du pays »624.
Il est cependant clair que c'est au seul législateur qu'appartient la possibilité de retirer
de manière générale, absolue et permanente le droit de grève à certaines catégories d'agents,
sous le contrôle du Conseil constitutionnel625• Le législateur ne peut déléguer une telle
compétence au gouvernement. Ce dernier ne peut intervenir le cas -échéant que pour
déterminer les modalités d'application des conditions d'exercice du droit de grève fixées par
le législateur. Evidemment il n'est pas aisé de combiner les règles de compétence du
législateur et du gouvernement en cette matière. D'une part, sur le plan pratique, il n'est pas
facile de distinguer entre les conditions et les simples modalités de grève. D'autre part, le
Conseil d'Etat a jugé qu'il appartient au gouvernement, responsable du bon fonctionnement
des services publics, de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, la nature et l'étendue des
limitations nécessaires à l'ordre public626.
La plus grande menace qui pèse sur le droit de grève tient cependant à son absence de
définition légale. Cette carence expose les salariés aux fluctuations de la jurisprudence. La
grève fut définie tour à tour comme une « modalité de défense des intérêts professionnels »627,
une « cessation concertée de travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles déjà
déterminées auxquelles l'employeur refuse de donner satisfaction» 62S. un «arrêt de travail
concerté ... dans le but d'obtenir une amélioration des conditions de travail »629.
Dans l'ensemble, la définition retenue ne coïncide pas avec ce que le sens commun
qualifie de grève. D'où de nombreuses disqualifications en fautes disciplinaires630 de
nombreux mouvements que les salariés pensaient situer sur le terrain de l'exercice du droit de
grève. On remarquera en particulier que la jurisprudence insiste sur la nécessité des
revendications protèssionnelles631 , et surtout d'un arrêt de travail632. Ces exigences ont pour
conséquences de mettre hors de la qualification de la grève les mouvements à connotation
624 Cons. Const. 25 juillet 1979, D. 1980, 101.
625 Ph. MARTIN op. cit., 79
626 C.E., 7 juillet 1950, Rec. Lebon, p. 426 ; D. 1950, 538 note A. Gervais.
627 Soc. 28 juin 1951, Dr. soc. 1981,532; Grands arrêts du droit du travail, n° 10
628 S
2
oc.,
1 mars 1973, Bull. V, n° 174; 26 mars 1980, Bull. V, 297.
629 Soc. 3 octobre 1963, D. 1964,3, note G. Lyon Caen; id. 16 mai 1989, D. 1989, I.R., 176.
630 Voir Soc. 17 décembre 1996, Bull. civ. V, n0445
631 Soc. 13 novembre 1993, RJS, 1194, n° 72 ; Id. 1~ juin 1996, Bull. V, n° 243
632 Soc. 5 mars 1953, D. 1954, 109.
162

politique et les « grèves» dites perlées ou de zèle consistant simplement en un non respect dès
règles habituelles d'exécution de travail.
Cela étant, dès lors qu'ils se situent dans la définition de la grève, les salariés gardent
l'entière maîtrise sur le fond de leurs revendications: « Si la grève suppose l'existence de
revendications de nature professionnelle, a affinné la Chambre sociale, le juge ne peut, sans
porter atteinte au libre exercice d'un droit constitutionnellement reconnu, substituer son
appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé de ces revendications»633.
Le juge ne peut ainsi estimer que les revendications à la base de la grève sont excessives.
Pour le reste, le législateur français634 a transcrit la jurisprudence qui s'est consolidée
sur l'idée que la grève ne rompt pas, mais suspend le contrat de travail635 .
Au Cameroun, le droit de grève est reconnu par la Constitution636 . Il s'agit d'une
évolution notable d'un point de vue de la hiérarchie des valeurs et droits. puisque depuis le
Code du travail des pays d'Outre-Mer de 1952, le législateur reconnaît le droit de grève
concurremment avec le droit le lock-out637. On a regretté cette reconnaissance simultanée du
droit de grève et de lock-out, dans un contexte d'inégalité fondamentale entre les forces en
présence638. En élevant au niveau constitutionnelle droit de grève. et non le droit de lock-out,
le Constituant donne un signe fort dont des conséquences devraient être tirées d'un point de
l'appréciation concrète des comportements des salariés et de l'employeur.
L'évolution est également notable d'un point de vue de l'esprit des textes puisque le
Code de 1952 et les deux autres de 1967 et de 1974 qui l'ont suivi utilisaient une formule
négative: «Sont interdites tout lock-out ou toute grève déclenchés avent l'épuisement des
procédures ... ». Le nouveau Code du travail adopte une philosophie et une tournure
nouvelles:« Sont légitimes la grève ou le lock-out déclenchés après épuisement et échec des
procédures de conciliation et d'arbitrage» 639.
633 Soc. 2 juin 1992, 1992, Dr. soc. 1992, 696.
634 Voir article L. 521-1 du Code du travail.
635 CSA., 19 mai 1939, Dr. soc. 1939, p. 199.
636 Cette reconnaissance constitutionnelle date du 18 janvier 1996.
637 Voir article 218 du Code du travail des pays d'Outre-Mer.
638 1. M. Tchakoua, La grève et le lock-out dans le nouveau Code du travail camerounais RJA
1994 p. 93 et s.
639
'
,
,
Article 157 du Code du travail.
163

Par ailJeurs, le législateur supprime implicitement le droit jadis reconnu à l'autorité
administrative, de façon générale et imprécise, de procéder à des réquisitions collectives et
individuelles des salariés impliqués dans toute grève déclenchée dans un secteur vital de
40
l'activité économique, sociale ou culturellé . Certes, l'actualité législative marquée par
l'institution du service minimum dans le secteur des transports64 1 pennet de penser qu'on
retourne progressivement au droit de réquisition. Mais, il faut penser qu'au moins le
législateur donne une idée plus précise des secteurs où on peut aménager le droit de grève, par
l'organisation d'un service minimum. Hors ces cas prévus par la loi, aucune réquisition ne
sera possible.
Enfm, au Cameroun, le législateur donne une défmition suffisamment généreuse de la
grève: « La grève est le refus collectif et concerté par tout ou partie des travailleurs d'un
établissement de respecter les règles nonnales de travail en vue d'amener l'employeur à
satisfaire leurs revendication ou réclamations »642. Il en résulte que la grève peut emprunter
plusieurs modalités dont l'excès de zèle ou le ralentissement du rythme de travail.
Le plus grand regret reste l'institution d'une longue procédure amiable préalable au
643
déclenchement de la grève. Dans les faits, cette procédure annihile le droit de grève
.
Au total, au Cameroun comme en France, les aspirations des salariés à la liberté sont
prises en compte par les textes, et souvent au plus haut niveau de la hiérarchie des nonnes.
Lorsque le législateur n'offre pas de solutions explicites, il est possible qu'on trouve en droit
positif des solutions pour assurer le respect de la liberté. Pour ce faire, il faut bien compter sur
la hardiesse des juridictions, comme on le verra dans la section suivante sur l'égalité dans le
travail.
640 Le Code ne fait plus référence au droit de réquisition
641 Voir Lois, nO 97/023 du 30 décembre 1997 relative au service minimum sur les aérodromes du Cameroun, et
nO 98/001 du 14 avril 1998 instituant un service minimum dans le secteur des transports.
642 Article 157 alinéa 4 du Code du travail.
643 Voir 1. M. Tchakoua, La grève et le lock-out dans le nouveau Code du travail Camerounai<; op. cit.
164

SECTION II : L'EGALITE DANS LE TRAVAIL
L'égalité est difficile à saisir644. La difficulté se montre bien à travers l'ambiguïté ou
tout au moins les variations par lesquelles on présente le principe d'égalité. On parle tantôt de
l'égalité, tantôt de la non discrimination.
Si les deux notions n'ont pas de sens différents, elles ont tout au moins des fonctions
différentes. En fait, la notion de non discrimination se montre plus appropriée lorsqu'a priori
on pense que les personnes entre lesquelles ils ne faut pas distinguer sont dans une situation
de fait identique. En revanche, la notion d'égalité semble plus porteuse lorsqu'on cherche à
apporter une correction à un déséquilibre de départ. Il s'agit alors de rétablir une égalité de
chances, cette fois-ci en opérant des distinctions. Le droit du travail offre un champ propice à
l'expression de ces deux faces de l'exigence d'égalité. D' une part, il insiste sur la nécessité de
la non discrimination (PARAGRAPHE 1); d'autre part. et au nom de l'égalité. il institue des
compensations
ou
des
actions
positives
en
faveur
des
catégories
défavorisées
(PARAGRAPHE II).
PARAGRAPHE l : LA NON DISCRlMINATION
Le Code du travail camerounaIS ne contient pas assez de réferences sur la non
discrimination; seulement deux articles du code en parlent expressément. D'abord l'article 4
al 2 (a) qui interdit" tout acte de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale
en matière d'emploi"; ensuite l'article 61 al 2, qui dispose qu' " A conditions égales de
travail, d'aptitude professionnelle, le salaire est égal pour tous les travailleurs, quels que
soient leur origine, leur sexe, leur âge, leur statut et leur confession religieuse ".
Au contraire du code camerounais, le Code du travail français fourmille de
dispositions sur la non discrimination: le champ couvert par les textes est très vaste, ce qui
peut rassurer. L'accumulation aussi bien des actes que des motifs pour lesquels il ne faut pas
discriminer serait un indice du dynamisme du principe. Mais au-delà d'une vague assurance,
il faut s'interroger sur la portée des textes. Sur ce terrain, l'extrême variété des dispositions en
644 A. LYON-CAEN, L'égalité et la loi en droit du travail. Droit social 1990, p. 68.
165

cause est troublante. On peut observer par exemple qu'à l'article L.123-1 du Code du travail
français, l'interdiction de discriminer n'est pas instituée pour les mêmes motifs selon qu'il
s'agit, pour l'employeur, de faire une offre d'emploi, d'embaucher ou d'affecter des salariés.
Faut-il y voir une volonté du législateur de faire varier le principe de non discrimination
suivant les actes en cause? Au fond, on ne peut pas ne pas pousser l'analyse jusqu'à la
question plus générale de l'existence d'un principe général de non discrimination. L'examen
de la jurisprudence récente montre des signes de progrès vers l'émergence d'un tel principe
(B). Mais commençons par un arrêt sur les cas de discriminations interdites par les textes (A).
A. Les discriminations interdites expressément par les textes
De façon assez pragmatique, les législateurs détenninent les actes et surtout les motifs
pour lesquels ils interdisent la discrimination. La démarche peut sembler tâtonnante; mais
elle s'appuie sur l'observation de la société en général et plus particulièrement de l'entreprise.
Il a été souligné que la liste des critères de distinction entre individus jugés irrecevables
illustre bien les étapes que l'histoire humaine a parcourues dans le processus d'égalisation de
manière à la rendre toujours un peu plus opératoire64). L'observation pourrait être étendue à la
liste des actes pour lesquels les discriminations sont interdites en droit du travail; fi:xution des
salaires, avancement, affectation, etc.. Mais il n'est pas question de présenter un tableau de
discriminations interdites en séparant les motifs de discrimination des actes par lesquels la
discrimination se révèle. Il suffira donc de présenter les motifs de discrimination interdits.
Ceux-ci peuvent être répartis en deux grands groupes: tantôt l'employeur discrimine en
raison de l'état des salariés (l) ; tantôt il se fonde sur les comportements de ceux-ci, des choL'\\.
qu'ils ont opérés (2).
1. La non discrimination enfonction de l'état des salariés
A maintes reprises, le législateur français interdit à l'employeur de tenir compte, lors
de la prise des décisions, du sexe, de la race, de la nation, de l'origine, de l'état de santé ou du
handicap des salariés. Mais, on s'en doute bien, la force de l'interdiction est variable en
fonction des motifs, et surtout des situations concrètes. En effet, les travailleurs entre lesquels
MS L. CHARPENTIER: L'arrêt KALANKE : expression du discours dualiste de l'égalité, RTD, euro 32(2) avril-
juin 1996, p. 284.
166

on cherche l'égalité ne sont pas des personnes abstraites; ils sont placés dans des conditions
précises dont il faut tenir compté46• Dans les faits, le sexe est le motif de discrimination le
plus en vue.
a) La non discrimination en raison du sexe
Si d'énormes progrès ont été enregistrés sur la voie de l'égalité des sexes, on ne peut,
sans quelque naïveté, penser que le préjugé de l'inégalité des sexes est vaincu. En 1946
encore, le constituant français avait jugé opportun de disposer que "la loi garantit à la femme,
dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ". La précaution pouvait sembler
superfétatoire dans la mesure où était depuis longtemps affirmé le principe de l'égalité de tous
les êtres humains; mais l'état des mœurs sociales justifiait encore largement cette précision.
En 1951, c'est au tour de l'OIT de rappeler le principe de l'égalité des sexes dans la
p
convention nO 100 sur l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes6. . Ayant
tous les deux ratifié cette convention648, le Cameroun et la France devaient introduire dans
leur droit des dispositions à même de lui donner effet. Le législateur camerounais, à l'article
61 al2 du Code du travail, se contente d'exclure l'inégalité de salaire en raison d'un certain
nombre de motifs dont le sexe. Quant au législateur français. il a saisi le phénomène de la
discrimination sexiste tant sous l'angle particulier du salaire que sous un angle plus large.
Sous l'angle salarial, la discrimination sexiste est interdite implicitement par l'article
L.140-2 du Code du travail, qui fait obligation à tout employeur, pour un même travail ou
pour un travail de valeur égale, d'assurer l'égalité de rémunération entre les hommes et les
femmes. Le législateur fournit un certain nombre d'éléments permettant de comparer la valeur
des travau,x.
Sous un angle plus large, l'interdiction de la discrimination sexiste est contenue dans
l'article L.122-35 du Code du travail français. Ce dernier exclut du règlement intérieur les
dispositions discriminatoires en raison du sexe. Le dispositif est complété par les articles
L.123-1 et L.122-45 qui interdisent la discrimination sexiste dans les offres d'emploi, le
646 Sur cette influence des conditions concrètes, voir A. SUPIOT, Principe d'égalité et limites du droit du travail
(en marge de l'arrêt stoeckel), Dr. soc 1992, p. 392.
647 Voir article 2 de la convention.
648 Ces ratifications ont été enregistrées le 10 mars 1953 pour la France et le 25 mais 1970 pow le Cameroun
167

recrutement, la mutation, la promotion, l'affectation, la formation, le refus de renouvellement
du contrat, les sanctions, le licenciement, la classification professionnelle et la qualification.
On se trouve Ici dans une matière où le droit communautaire exerce une très forte
influence sur le droit interne français. Une directive649 relative à l'égalité de traitement entre
hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, la formation et la promotion
professionnelle et les conditions de travail a été prise par le Conseil de l'Europe le 9 février
1976. La France a été plusieurs fois condamnée pour ne pas avoir mis son droit interne en
conformité avec cette directive. C'est d'abord par un arrêt du 30 juin 1988650 que la Cour de
justice a condamné la France pour avoir maintenu en vigueur dans la fonction publique de
l'Etat des systèmes de recrutement distincts en fonction des sexes. Cette condamnation allait
conduire la France à revoir ses textes sur le recrutement dans la fonction publique de l'Etat651 .
Ensuite, le 25 octobre 1988, la France est de nouveau condamnée pour ne pas avoir
pris dans les délais prescrits toutes les mesures nécessaires pour assurer, dans le secteur privé,
l'application complète de la directive de 1976652 . Plus précisément une disposition de la loi du
13 juillet 1983 était en cause. Le texte avait maintenu en vigueur pour une durée indéfInie, les
droits particuliers acquis par les femmes. A l'expiration du délai de mise en conformité du
droit interne, les partenaires sociaux auxquels la France prétendait laisser le soin de faire
évoluer son droit ne l'avaient pas fait.
Enfin, le 25 juillet 1991, la Cour de justice des communautés européennes condamnait
la prohibition française du travail de nuit des femmes653 .
L'influence qu'exerce le droit communautaire sur le droit interne français se ressent
également au niveau de l'interprétation des textes. En particulier, la Cour de justice des
communautés européennes retient la discrimination sexiste sans égard à la circonstance qu'il
n'existe pas quelqu'un du sexe opposé qui aurait été préféré. Elle a jugé qu'un employeur agit
649 Directive CEE 76/207 du 9 février 1976 (J.O. CEE n° L39 du 14 février 1976, p. 40.)
650 ClCE, 30 juin 1988, Revue français de droit administratif, nov-déc 1988, pp. 978 et s, commentaire le.
BONICHOT.
651 Furent notamment pris les décrets nO 92-200 du 3 mars 1992 supprimant les corps de fonctionnaires des
services actitS de la police nationale de la liste des corps pour lesquels un recrutement distinct peut être prévu
pour les hommes et pour les femmes, et nO 92-201 du 3 mars 1992 modi fiant les statuts particuliers des corps de
fonctionnaires des services actifs de la police nationale.
652 ClCE, 25 octobre 1988, Dr. soc 1989, 555.
653 ClCE, 25 juillet 1991, Dr. soc 1992, 174.
168

en violation de l'article 2 de la directive n° 76/207 s'il refuse de conclure un contrat de travail
avec une candidate qu'il avait jugée apte à exercer l'activité concernée, lorsque ce refus
d'engagement est fondé sur la crainte des conséquences possibles, dommageables pour
l'employeur, de l'engagement d'une femme enceinte, la circonstance qu'aucun candidat de
654
sexe masculin ne se soit présenté étant indifférente

La décision est d'un intérêt majeur. Elle implique qu'il n'est pas nécessaire, pour qu'il
y ait discrimination sexiste, qu'on procède à une comparaison entre la victime et un autre
qu'on aurait préféré ou privilégié. La règle vaut, semble-t-il, pour tous les motifs de
discrimination, par exemple l'ethnie, la race, la nationalité, l'origine.
b) La non discrimination en raison de l'ethnie, de la race, de la nationalité ou de l'origine
En raison de l'importance du phénomène tribal au Cameroun, on peut s'étonner que le
Code du travail camerounais ne contienne aucune disposition spécifique interdisant la
discrimination ethnique655 . A moins de voir dans la notion d'origine visée par le législateur
suffisamment de place pour celle d'ethnie. Le propos serait de dire que sont interdites toutes
les discriminations pour cause d'origine, et donc aussi des discrimination pour cause d'origine
ethnique. Le raisonnement ne serait pas mauvais. Mais le problème n'est pas pour autant
entièrement résolu. En effet, l'article 61 al 2 du Code de travail camerounais qui interdit la
discrimination pour cause d'origine ne concerne que le salaire. Reste donc à imaginer une
disposition générale interdisant la discrimination pour cause d'origine ethnique, raciale ou
nationale.
En France, l'article L.122-45 du Code du travail dispose qu' "aucune personne ne
peut être écartée d'une procédure de recrutement, aucun salarié ne peut être sanctionné ou
licencié en raison de son origine ... de son appartenance à une ethnie, une nation ou une
race... ".
654 CJCE, 8 novembre 1990, RJS, 58, n° 108.
655 N
'd .
d ' d
.
1
ous conSl erons comme
e main re Importance es nuances qu'on peut trouver dans les sens des mots
ethnie et tribu.
169

Les législateurs ont dû cependant se montrer parfois très réalistes, dans le souci de
protéger l'économie nationale. Il leur a semblé juste d'instituer des discriminations frappant
les étrangers. Ce choix, a-t-on souligné, n'est pas forcément contraire au droit international,
où une discrimination à l'égard des étrangers ne devient illégitime que si elle aboutit à priver
ces étrangers du " minimum de traitement civilisé" que l'Etat est tenu de leur accorder ou si
elle est prohibée par une disposition précise d'une convention internationale656• Au
demeurant, si la convention nO 97 de l'OIT sur les travailleurs migrants de 1946 énonce bien
un principe général de non discrimination en matière de travail et de sécurité sociale, il est
admis que ce principe n'interdit pas aux Etats de limiter l'accès des étrangers à l'emploi657•
Sur le terrain de la restriction de l'accès des étrangers à l'emploi, l'exemple le plus net
vient de la fonction publique. L'accès à la fonction publique est considéré comme un droit
civique, un attribut de la souveraineté658 . Ce n'est que très exceptionnellement qu'un étranger
pourrait être titulaire dans la fonction publique. La solution gagne du terrain dans le secteur
privé où, de fait ou de droit, les étrangers vont être écartés d'un certain nombre d'emplois. Au
Cameroun, la réglementation du travail des étrangers résulte. pour l'essentiel, des dispositions
du décret nO 93/571/PM du 15 juillet 1993 pris en application de l'article 112 du Code du
travail. Comme l'annonce bien le titre du décret, l'exclusion des étrangers concerne d'une part
certaines professions659, d'autre part certains niveaux de qualification66o.
Il faudrait en vérité dire que le législateur, pour ces emplois, n' exclut pas
irrémédiablement les étrangers du marché du travail camerounais; il institue plutôt une
priorité au profit des nationaux. Aussi, les étrangers peuvent-ils être recrutés lorsque la
demande de visa sur leur contrat établit qu'il manque de compétence nationale pour ces
emplois. Dans la pratique les demandes de visa des contrats ne sont presque jamais rejetées,
tout au moins pas pour le motif tiré de la priorité aux nationaux.
En France, c'est essentiellement par le biais des conventions internationales que les
restrictions à l'accès des étrangers à l'emploi ont été assouplies ou supprimées. Déjà en
656 V. D. LOCI-IAK, Les discriminations frappant les étrangers sont-elles licites? Dr. soc. 1990, 77. Certes, la
légitimité de ces restrictions a été contestée, surtout lorsque au-delà de la fonction publique, elles concernent les
emplois dans les entreprises publiques et nationalisées
657 Ibid.
658 D. LOCHAK, Les discriminations frappant les étrangers sont-elle licites? op. cit. p. 79.
659 Le décret prévoit J'intervention d'un arrêté pour fixer la liste de ces professions; mais cet arrêté n'est pas
encore pris.
660 Il s'agit des emplois de manœuvre, d'ouvrier, d'employé ou d'agent de maîtrise.
170

application du Traité de Rome, les ressortissants communautaires ne sont pas concernés par
les restrictions à l'exercice d'une profession en France.
c) La non discrimination en raison du handicap, de l'état de santé ou de la grossesse
On pense que dans des moments particulièrement difficiles pour le salarié, il faut lui
apporter du réconfort. Cette philosophie imprègne toutes les dispositions légales sur
l'interdiction de discrimination en raison de l'état de santé ou de handicap. L'article L.122-45
du Code du travail français fait défense à l'employeur d'écarter un candidat à l'emploi d'une
procédure de recrutement parce qu'il est malade ou handicapé. Le même texte interdit à
l'employeur de sanctionner ou de licencier un salarié pour ces mêmes raisons. Déjà à l'article
L.122-35, le Code du travail français prévoit que le règlement intérieur ne peut comporter des
dispositions lésant les salariés dans leur emploi ou leur travail en raison de leur handicap.
Au Cameroun, l'interdiction de la discrimination en raison du handicap est timidement
posée par l'article Il du décret du 26 novembre 1990 fixant les modalités d'application de la
loi de 1983 sur la protection des personnes handicapées.
L'interdiction de discrimination en raison de l'état de grossesse est prévue à l'article
L.122-25 du Code du travail français. L'employeur ne doit pas prendre en considération l'état
de grossesse d'une femme pour refuser de l'embaucher, résilier son contrat de travail au cours
d'une période d'essai ou prononcer une mutation emploi. Seule est possible une affectation
temporaire dans un autre emploi, à l'initiative de la femme grosse ou à celle de l'employeur si
l'état de santé de celle-ci, médicalement constaté l'exige.
L'interdiction de discriminer en raison de l'état de grossesse peut se justifier par au
moins deux arguments. En premier lieu, l'état de grossesse est très proche, au point de s'y
confondre, de l'état de santé. Or, on l'a vu ci-dessus, il est interdit de discriminer en raison de
l'état de santé. En second lieu, discriminer en raison de l'état de grossesse d'une salariée
serait une façon assez insidieuse de disposer de sa liberté de la vie privée. En effet, devenir
grosse ou pas est un choix personnel de la salariée, et l'employeur qui entendrait influencer
même indirectement ce choLx s'immisce dans sa vie privéé61 . Très logiquement donc, le
661 Il faut remarquer au passage l'ambivalence de la vie privée. La vie privée a été étudiée sous l'angle de la
liberté; présentement elle est envisagée comme aspect de la recherche de l'égalité.
171

législateur autorise la candidate à un emploi ou la salariée à dissimuler son état de
grossesse662.
L'explication de l'interdiction de la discrimination par la liberté de la vie privée est
valable pour plusieurs autres motifs de discrimination: les mœurs, la situation de famille. A
vrai dire, on est à la linùte des discriminations pour des motifs tirés de la conduite, des choix
des salariés.
2. La non discrimination en raison de certains comportements et choix personnels des
salariés
Parce qu'il n'a pu abdiquer sa qualité de personne humaine en se mettant à la
disposition d'un employeur, le salarié, même sous le lien de subordination jouit de certaines
libertés: la liberté d'avoir ses mœurs, la liberté des convictions et opinions religieuses.
63
politiques ou philosophiques, la liberté de disposer de sa vie sexuellé . Par ailleurs. du tàit
même qu'il se trouve sous le lien de subordination, le salarié ne peut espérer améliorer sa
64
condition que s'il se joint à ses semblables pour une action collectivé .
Très opportunément, le Code du travail français énonce, à côté de la règle de la non
665
discrimination syndicale, celle de la non discrimination mutualiste
.
Les liens entre les
activités syndicaliste et mutualiste sont tellement étroits qu'on imagine difficilement leur
dissociation.
La
mutualité
serait
en
quelque
sorte
une
conséquence
nécessaire
du
662 V. Article L.122-25.
663 Nous ne développerons pas ici la question de la discrimination en raison des choix personnels. II suffira de se
reporter au passage sur la liberté de la vie privée.
664
L'action collective prend plusieurs formes. Mais ici nous ne serons intéressés que par la grève et le
syndicalisme.
665 Deux articles du Code du travail français énoncent la règle de la non discrimination syndicale et mutualiste.
D'abord, l'article L.122-45 prévoit qu'une personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement,
sanctionnée ou licenciée en raison de ses activités syndicales ou mutualiste. Ensuite, l'article LA12-l interdit à
tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale
pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l'embauchage, la conduite et la répartition du travail, la
formation professionnelle, l'avancement, la rémunération et l'octroi d'avantages sociaux, les mesures de
discipline et de congédiement. Ce dernier article est préférable au premier, puisqu'il saisit le phénomène de la
discrimination syndicale sous un angle plus large. La discrimination ne concerne pas seulement l'activité
syndicale; elle concerne aussi la simple appartenance à un syndicat. De plus, le texte a l'avantage de laisser voir
que la liste des mesures soustraites à la discrimination n'est qu'indicative, puisqu'il les cite après le mot
" notamment ", qui introduit des énumérations non limitatives.
172

syndicalisme. Les juridictions se sont montrées très attentives à toutes les manœuvres par
666
lesquelles les employeurs pouvaient pratiquer des discriminations syndicales

L'article 4 al 2 (a) du Code du travail camerounais dispose laconiquement qu'est
interdit à l'égard des travailleurs tout acte de discrimination tendant à porter atteinte à la
liberté syndicale en matière d'emploi. La notion d'emploi doit, bien sûr, être entendue ici
comme couvrant toute la matière des relations de travail, de l'offre d'emploi à la cessation des
rapports de travail, en passant par la gestion de la carrière du salarié.
Les manœuvres de l'employeur en vue de décourager l'action collective des salariés
seront probablement plus importantes lorsque l'action collective des salariés devient violente,
c'est-à-dire en cas de grève. Et bien souvent, l'employeur est très subtile dans la pratique de la
discrimination. Par exemple, sans se situer sur le terrain du licenciement ou de la sanction, il
cherche à atteindre les grévistes au niveau de la rémunération. Il le fait notamment en
prévoyant des avantages qui ne reviendraient qU'atLX non grévistes. L'article 1.521 du Code
du travail français est intéressant en ce qu'il permet de sanctionner de telles discriminations. Il
dispose en effet que l'exercice du droit de grève ne saurait donner lieu de la part de
l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages
SOCiaUX.
En dépit de quelques inconstances, la jurisprudence suit bien cette voie. La Chambre
sociale a jugé que même à l'encontre des salariés grévistes, le temps consacré à la remise en
marche des machines à l'issue d'un mouvement de grève ne saurait justifier une retenue sur
salairé67• Il y a en effet discrimination pour exercice du droit de grève lorsque la
rémunération du temps de remise en marche des machines tient compte de la participation à la
grève. Certes, la production ne peut se poursuivre pendant l'intervalle de temps consacré à la
remise en marche des machines; mais la situation n'est pas particulière à l'arrêt de travail
pour fait de grève.
Est également discriminatoire à l'égard des grévistes le fait de disposer que seules les
absences non autorisées entraînent la perte d'une prirne668, ou de prévoir dans un accord de fin
666 Voir pour cette attitude de la jurisprudence, Supra section 1, §.2, B.
667 Soc. 6 juin 1989. Bull. civ. V, n° 426.
668 Soc. 21 octobre 1982, Bull. civ. V, n° 569.
173

de conflit des primes plus importantes pour les non grévistes alors que la quantité de travail
demandée à ces derniers n'avait pas été plus importante qu'à l'accoutumée669•
Il faudrait noter au passage que le législateur camerounaIS ne parle pas de
discrimination pour fait de grève, ni même de discrimination pour les choix de la vie
personnelle. Ce silence peut inquiéter si l'on pense un seul instant que les discriminations ne
seront pas sanctionnées dans l'espace ainsi laissé vide. Mais le problème n'est pas absent en
droit français. Quelque prolixe qu'ait été le législateur, il n'a pu être exhaustif. Dans les deux
pays, la jurisprudence tente de pallier la carence.
B. L'évolution vers un principe général de non discrimination
Les motifs de discrimination interdits ne sont pas traités de la même fàçon par le
législateur67o• Il suffit, pour s'en convaincre de considérer un motif de discrimination et de
l'examiner à travers tous les textes qui en parlent671 .Si l'on reste collé à la lettre des textes, il
faudrait admettre qu'un motif de discrimination irrecevable au niveau du recrutement pourrait
être accepté si l'on y recourt au niveau de la formation, de la promotion, de la rémunération
ou du licenciement.
On pourrait accélérer la marche vers un prmclpe général de non discrimination en
uniformisant le traitement des différents motifs de discrimination interdits. La démarche
resterait tout de même insuffisante puisqu'elle continuerait de reposer sur la technique de
l'énumération.
Peut-on rêver même d'une solution où la technique énumérative est
abandonnée? La jurisprudence a tenté de remettre en cause l'analyse traditionnelle (1). Les
solutions qu'elle a trouvées peuvent être améliorées en explorant de nouvelles pistes, en
particulier l'encadrement de l'exercice du pouvoir de direction du chef d'entreprise (2).
669 Soc. 2 mars 1994, Dr. soc. 1994, 523.
670 V. A. LYON-CAEN, L'égalité et la loi en droit du travail, Dr. soc, 1990, p.74.
671 Comparer par exemple le traitement de la discrimination pour raison de handicap dans les articles L.122-45 et
L.123-1 du code du travail français.
174

1. Les tentatives jurisprudentielles de remise en cause de l'analyse traditionnelle
Devant les ambiguïtés et parfois le silence du législateur, c'est vers la jurisprudence
que se sont tournés les regards des salariés angoissés par les décisions des employeurs qu'ils
jugent discriminatoires. Dans certaines hypothèses, les salariés ne se sont peut-être pas rendus
compte de la carence des textes, tant la discrimination dont ils étaient victimes leur paraissait
évidente. Mais chez le juge, il ne suffit pas d'une simple impression qu'on a au premier
abord; il
faut convaincre le lecteur de l'existence de la discrimination. L'argumentation à
élaborer est très complexe, en raison des fortes implications que la solution retenue peut avoir
sur tout le droit du travail. L'examen de la jurisprudence française montre bien cette
difficulté. Au contraire, les décisions camerounaises recensées n'ont présenté aucune
difficulté redoutable pour les juges.
a) Les données du droit camerounais
Assez
étonnamment,
la
jurisprudence
camerounaise
fait
montre
d'un
grand
progressisme dans la voie de l'émergence d'un principe général de non discrimination. Il ~tait
à craindre que tirant prétexte de la réserve du législateur, elle laissât les employeurs prendre
toutes les libertés dans des domaines où la loi n'impose pas expressément la non
discrimination. Au contraire, lorsqu'elles en ont eu l'occasion. les juridictions ont montré
toute l'importance qu'elles souhaitent voir accorder à la non discrimination. Trois arrêts sont
intéressants à lire à ce sujet.
Le premier arrêt est de la Cour d'appel de Yaoundé, saisie par un salarié qui contestait
la légitimité de son licenciement prononcé à la suite d'une grève présentée comme illicite672 .
Pour juger le licenciement abusif, la Cour affinne : " Considérant que le licenciement de M....
effectué en marge de la procédure suivie pour le cas de tous les autres employés soupçonnés
ou impliqués dans la tentative de grève sauvage du 3 avril 1989 et plus d'un mois après celui
des autres est fait avec une légèreté blâmable ,,673.
672 Le caractère illicite de la grève n'a pas été discutée dans l'arrêt, et semblait résulter de l'inobservation de la
procédure amiable préalable au déclenchement de la grève. L'expression « grève sauvage» est souvent utilisée
pour parler des grèves déclenchées avant le déclem;hemcnt ou l'épuisement des procédures amiables.
673 Yaoundé, arrêt n° 191/s du 15 juin 1993, inédit.
175

Dans cette affaire, il faut le reconnaître, la question de la discrimination ne se posait
pas directement. Du reste, le salarié n'avait pas expressément invoqué la discrimination. Mais
la Cour d'appel, qui était appelée à statuer sur le caractère du licenciement, a trouvé celui-ci
abusif parce que la différence de traitement faite entre les auteurs d'un même fait était
injustifiée. Ce qu'on attendait donc de l'employeur c'était de soumettre à une même
procédure de licenciement tous les salariés impliqués dans la grève.
La démarche de la Cour d'appel de Yaoundé est comparable à celle suivie par la Cour
d'appel de Douala quelque temps plus tard. Cette Cour est appelée à se prononcer sur le
caractère de la rupture du contrat de travail de M.B.L., licencié pour perte de confiance à la
suite d'un vol au siège de la société qui l'emploie. Pour déclarer la rupture abusive, la Cour
commence par relever que le travail du salarié licencié ne consiste pas dans le gardiennage. Et
d'ajouter" qu'on se demande alors pourquoi la société MA VEM AFRIC n'a perdu confiance
qu'envers B.L. et deux autres seulement alors qu'en l'absence de preuve, d'indice ou de
présomptions graves et concordants contre ces derniers la logique commandait une perte de
confiance à l'endroit de tous les employés en général, et des gardiens de nuit du magasin en
particulier; qu'en tout cas, cette perte de confiance est trop gratuitement sélective pour être
admise comme motif légitime de licenciement ,,674.
Le troisième arrêt est également de la Cour d'appel de Douala. Le différend qUI
oppose les parties éclate à l'occasion d'une procédure de
licenciement pour motif
économique. Conformément à la loi, l'employeur réunit les représentants du personnel pour
rechercher avec eux des mesures alternatives au licenciement. Au cours de cette réunion, il est
décidé que les salaires subiront une réduction de 10% pour les cadres et agents de maîtrise.
Dans l'exécution de cette décision, l'employeur opère, pour une salariée, cadre, une réduction
non pas de 10% mais de 40%. Celle-ci refuse la mesure et est poussée à la démission. Par la
suite elle saisit les juridictions pour licenciement abusif La Cour d'appel accède à sa
prétention.
Il est clair. au regard des données de l'espèce, que la Cour pouvait se fonder sur le non
respect par l'employeur de l'engagement contracté envers les salariés à travers leurs
représentants. Mais elle a voulu aller plus loin. Si en effet ne manque pas dans la motivation
674 Douala, arrêt nO 112/5 du 04 février 1994, inédit.
176

de la Cour la référence au non respect de cet engagement, il faudrait retenir surtout que la
Cour d'appel reproche à l'employeur d'avoir pratiqué la discrimination. "Considérant qu'il
est constant, conformément à l'article 40 al 5 du Code du travail, que dame MBOWOU a
démissionné en vertu de l'article 40 al 5 du Code du travail; il n'en demeure pas moins vrai
que conformément au texte sus-indiqué, parmi les mesures envisagées pour éviter le
licenciement pour motif économique, la réduction de salaire vient en dernier lieu;
Qu'en outre, cette réduction doit s'appliquer d'une manière uniforme à tout le
personnel d'une même catégorie675.
Qu'en l'espèce, il avait été décidé lors des réunions du 3 avril et 4 mai 1993 une
réduction des salaires des cadres et agents de maîtrise de l'ordre de 10%.
Considérant que dame MBOWOU était secrétaire de direction, donc cadre; Qu'il
résulte donc que la mesure consistant à réduire son salaire de 40% est non seulement
discriminatoire, mais encore a été prise en dehors des réunions prévues par l'article 40 du
Code du travail ,,676.
Assez confusément, on sent dans cette motivation l'idée d'une égalité de traitement
des salariés. Il est reproché à l'employeur de ne pas avoir traité également les salariés.
b) Les données du droitfrançais
Sur la voie de l'émergence d'un principe général de non discrimination, trois arrêts
remarquables ont été rendus en France. Tout d'abord, un arrêt CELIK de la Chambre social au
sujet de l'égalité de rémunération. Le salarié, M. CELIK, travaille dans un même atelier que
trois autres ouvriers de l'entreprise. Tous les quatre sont chargés des mêmes fonctions; il est
exigé d'eux le même rendement. Mais M. CELIK perçoit un salaire plus bas que ses trois
collègues. Devant le Conseil de prud'hommes de Mâcon, M. CELIK obtient une décision de
rappel de salaires. Sur pourvoi de l'employeur, la Chambre sociale affirme que" les juges du
fond, devant lesquels la société Flonic Schlumberger reconnaissait que les quatre ouvriers de
l'atelier, dans lequel travaillait M. CELIK, étaient chargés des mêmes fonctions d'embarquer,
ont relevé qu'était exigé des quatre salariés ainsi occupés à ce même poste un rendement
respectant les normes définies identiques; qu'ils ont ainsi constaté que M. CELIK, effectuant
675 Il n'est pas sans intérêt de signaler que rien, dans le texte cité, ne permet d'affirmer que la réduction doit être
uniforme pour tous les salariés de la même catégorie.
676 Douala, arrêt n° 236/s du 3 mai 1996, inédit.
177

le même travail que les trois autres ouvriers du poste, remplissait les mêmes conditions de
qualité et de quantité de production, sans que puissent être en l'espèce retenus les autres
éléments, comme une valeur de travail différente, invoqués par l'entreprise". Les juges du
fond et la Chambre sociale ont pu déduire de ces constatations que M. CELIK était victime de
discrimination.
Ensuite, un arrêt de la Chambre sociale rendue en matière de licen<ûement. Après des
négociations infructueuses en vue de la modification des horaires de travail, les salariés de
l'entreprise Banco Pinto et Sotto Mayor, dont M. DOS SANTOS, cessent le travail à l'appel
de leur syndicat. L'employeur notifie à M. DOS SANTOS la suspension immédiate de ses
fonctions. Plus tard M. DOS SANTOS est licencié pour faute grave. Les juges du fond
estimèrent son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Les agissements M. DOS
SANTOS ne constituaient pas une faute grave dans la mesure où l'employeur avait estimé
compatible avec l'intérêt de l'entreprise de conserver à son service la grande majorité des
employés ayant adopté cette attitude; la sanction prononcée contre M. DOS SANTOS était
donc discriminatoire. Contre la décision, l'employeur fit un pourvoi, que la Chambre sociale
rejeta.
Ces deux arrêts ont divisé la doctrine. Les prenuers commentateurs y ont 'vu
l'affinnation d'un principe général de non discrimination. On a écrit qu'un salarié qui
démontre que sa situation, objectivement considérée, se traduit par une discrimination,
dorénavant interdite en tant que telle, contraint l'employeur à justifier cette disparité677.
L'édifice, avait-on ajouté, devait être complété en étendant ici l'article L.140-S du Code du
travail qui dispose qu'en cas de litige, et relativement à l'administration des preuves, le doute
profite au salarié678 .
D'autres commentateurs ont appelé à plus de prudencé79, n'y voyant même que le
rappel à l'employeur de l'obligation d'égale application d'une norme qu'il s'est donné à lui-
même68o• Au soutien de l'idée de l'inexistence d'un principe d'égalité de traitement des
salariés, on a affinné qu'aucun texte ne fait place à une égalité généralisée, qui jouerait entre
deux salariés quels qu'ils soient, toute différence de traitement étant ipso facto présumée
677 Ph. LANGLOIS, O. 1988, Som. 316 (note sous Soc. 10 décembre 1987).
678 Note anonyme dans 0.0. 1989, p. 36 (Sous Soc. 10 décembre 1987).
679 P. RONGERE, op. cit. p. 100; JE RA Y, L'égalité et la décision patronale, Dr. soc. [990, p. 94.
680 P. RONGERE, op. cil. p. 100.
178

681
discriminatoire
. Le seul texte qui paraît avoir ce sens est trop ambigu pour pouvoir être pris
en considératio~682. Il s'agit du texte des articles L.133-S, 4 et L.136-2, go, qui prévoient
qu' " à travail égal, salaire égal ".
Tout récemment, la Chambre sociale a versé un nouvel élément au dossier, frappant
justement contre l'argument d'absence de texte qui avait été développé: "La règle de
l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes est une application de la règle plus
générale" à travail égal, salaire égal" énoncée par les articles L.133-S-4° et L.136-2, go du
Code du travail. Il s'en déduit que l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération
entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés
dans une situation identique ,,68]. Certes, l'arrêt ne doit pas se prêter à un jugement hâtifU84.
Mais au moins, il faut reconnaître qu'il fait sortir de l'obscurité le principe à travail égal,
salaire éga1685 . Si on ne peut dire que la Chambre sociale interdit toute différence de
rémunération, il faut au moins reconnaître qu'elle exige que la différence de rémunération soit
justifiée686. Au fond il s'agit d'un renversement de l'ordonnancement juridique. Plus
concrètement, en présence d'une allégation d'inégalité. l'employeur serait en position très
inconfortable. Sans doute ne faut-il pas aller jusqu'à voir un bouleversement des règles sur la
preuve dans le contentieux du travail. A tout le moins, il faudrait admettre qu'en ce qui
concerne la justification de la difterence, le doute profiterait au salarié.
La Chambre sociale a certainement fait un pas de plus dans la poursuite de l'idéal
d'égalité entre salariés. Mais le chemin reste long; il faut explorer d'autres pistes.
2. Exploration de quelques pistes à la recherche de l'idéal d'égalité
L'évolution de la jurisprudence, aussi bien en France qu'au Cameroun, montre bien
qu'on est à la recherche d'un principe général de non discrimination entre salariés. Cette
recherche se comprend aisément depuis qu'on tend à considérer l'entreprise comme une
681 P. RONGERE, op. cit. p. 101.
682 Ibid.
683 Soc. 29 octobre 1996. Dr. soc 1996, p. JO 14.
68~ A LYON-CAEN, De l'égalité de traitement en matière salariale, à propos de ('arrêt PONSOLLE, Casso soc.
29 octobre 1996. Dr. soc 1996, 10 13.
685 Ibid.
6861b'd
l
,p. 1014.
179

" République" dont les salariés seraient les citoyens: ne faut-il pas considérer que l'égalité
entre salariés serait la première marque de cette société?
Deux pistes peuvent être SUIVIes si l'on veut améliorer les solutions existantes:
encadrer l'exercice des pouvoirs du chef d'entreprise, pour en éliminer l'arbitraire et
aménager un bon régime de preuve pour la discrirnination687•
Plusieurs voies sont possibles pour réduire le domaine de l'arbitraire, ou tout au moins
de l'imprévisible. Une première voie consiste à étendre les solutions que le droit du travail
français a imaginées pour assurer l'égalité des sexes688. Sans prétendre à l'exhaustivité,
énumérons quelques unes de ces solutions. D'une part, la loi a institué des modes de contrôles
internes à l'entreprise. L'article L.432-4 al 3 du Code du travail prévoit qu'à l'occasion du
rapport annuel d'ensemble sur l'activité de l'entreprise, le chef d'entreprise soumet au comité
d'entreprise un état faisant ressortir l'évolution de la rémunération moyenne horaire et
mensueJ1e par sexe. La même obligation d'information périodique est prévue par l'article
L.432-4-1 sur la situation de l'emploi. Le chef d'entreprise doit alors retracer, mois par mois,
l'évolution des effectifs et de la qualifIcation des salariés par sexe. Plus globalement, la loi du
20 décembre 1993 prévoit que dans les entreprises de moins de trois cents salariés, le chef
d'entreprise remet au comité d'entreprise une fois par an un rapport qui se substitue à
l'ensemble des informations économiques, sociales et financières prévues par différents
textes. Ce rapport contient la situation comparée des conditions générales d'emploi et de
formation des femmes et des hommes.
Le législateur français confie aussi au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions
de travail la charge de faciliter l'accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux
problèmes liés à la matemitë89.
L'article 1.132-27 du Code du travail, quant-à lui, impose lors de la négociation
annueJ1e obligatoire, une analyse comparée de la situation des hommes et des femmes en ce
qui concerne les emplois et les qualifications, les salaires payés, les horaires effectués et
687 Cette idée ne sera pas approfondie ici, parce qu'elle est développée dans le chapitre suivant.
688 lE. RAY, op. cit. p. 92.
689 Article L.236-2.
180

l'organisation du temps de travail. L'employeur doit alors fournir aux représentants du
690
personnel partenaires à la négociation, les raisons de ces situations

D'autre part, la loi prévoit certains contrôles externes de l'égalité des sexes. Les
négociations de branche sont une occasion d'un examen de l'évolution des salaries effectifs
moyens par catégories professionnelles et par sexe. Par ailleurs, l'article L.123-6 du Code du
travail reconnaît aux organisations syndicales représentatives le droit d.'exercer en justice
toutes actions qui naissent de l'application des règles relatives à la non discrimination en
raison du sexe en faveur d'un salarié de l'entreprise, sans avoir à justifier d'un mandat de
l'intéressé, à condition toutefois que celui-ci dûment informé, ne s'y soit pas opposé.
Enfin, dans cette première série de mesures tendant à rendre effective l'égalité des
sexes, il faut signaler l'article L.133-S-9° du Code du travaiL qui prévoit comme devant
obligatoirement figurer dans les conventions collectives susceptibles d'être étendues des
dispositions sur " l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et les mesures de
rattrapage tendant à remédier aux inégalités constatées ".
Au juste, le droit conventionnel peut beaucoup apporter au principe d'égalité. Des
exemples sont bien connus, de conventions collectives qui prévoient des dispositions
destinées à permettre aux représentants du personnel d'avoir une évolution normale de leur
691
carrière, en dépit de leurs multiples absences
• Ces dispositions tendent à éviter que le
représentant du personnel ne soit jugé trop rigoureusement et même déclassé pour
d'inévitables faiblesses professionnelles dues à l'exercice de son mandat. Mais parfois on va
plus loin, pour s'intéresser à la " réinsertion du représentant du personnel ,,692.
La contribution la plus décisive du droit conventionnel au prmClpe d'égalité reste
cependant l'inscription dans les conventions collectives des clauses destinées à mettre plus
d'objectivité dans la promotion au sein de l'entreprise. Au Cameroun la convention
d'entreprise d'électricité et d'eau du 1er juin 1970 stipule que" pour pourvoir les emplois
vacants ou créés, la société fait appel en priorité aux travailleurs en service dans son
entreprise désiretLx d'améliorer leur classement hiérarchique, sous réserve que la qualification
690 Article L.132-28.
691 Sur cette question, voir M. DESPAX, Le déroulement de la carrière professionnelle des représentants du
personnel, Bull. F. Lefèvre 3/86, p. 121.
692 V. Accord, Rhône-Poulenc, du 11 mai 1984, article 17.
181

professionnelle des travailleurs en service susceptibles d'être promus corresponde au niveau
fi
·
1d

. ,,693
pro esslonne
es postes a pourvOIr
.
Il ne fait pas de doute que ces dispositions contraignent l'employeur à un minimum
d'objectivité et surtout de transparence dans la promotion. Les prescriptions du texte ne
peuvent être du reste respectées que si le chef d'entreprise publie la vacance du poste et laisse
aux salariés un délai raisonnable pour réfléchir et postuler éventuellement. .
Naturellement, demeure la question de la sanction d'une telle obligation. Mais le
principe d'une telle obligation est déjà un pas important. Il faut sans doute souligner que la
convention d'entreprise d'électricité et d'eau sus-évoquée tranche net avec beaucoup d'autres
conventions collectives qui traitent de la promotion au sein de l'entreprise. Ces dernières
n'emploient nullement la formule impérative; elles prévoient pour l'employeur une simple
facultë94 .
Ces dispositions des conventions collectives camerounaises peuvent être rapprochées
de celles qui, en France, prévoient qu'en cas de vacance ou de création de poste, l'employeur
en informe le personnel; les candidatures internes répondant aux conditions requises sont
étudiées en prioritë95 . Certes, les contraintes qu'on impose aux employeurs ne sont pas très
fortes puisqu'ils publient la vacance, recueillent les candidatures, les examinent sans être
obligés de donner une suite favorable à telle candidature, quelle qu'elle soit. Et faute que leurs
critères de choL'< soient connus avec précision par les postulants, les employeurs peuvent
toujours échapper à la critique s'ils font de la discrimination. En tout état de cause ces
dispositions sont en retrait par rapport à celles qui prévoient l'avancement automatique, la
prime d'ancienneté, la prime de rendement à partir des données quantifiables connues dès le
départ. Il faut peut-être insister sur la connaissance préalable des critères de promotion. Au
fond, le sentiment d'être victime de discrimination tient parfois au seul fait d'être surpris par
une décision qu'on ne pouvait prévoir. Parfois, les salariés ne demandent pas mieux qu'à
savoir pourquoi tel collègue et pas eux, le jugement de valeur sur le critère utilisé par
693
Dans ce sens, voir aussi les conventions collectives des banques (art. 20), du commerce (art. 20), des
assurances (art. 20) des pharmacies (art. 21).
694 Ainsi par exemple, la convention collective des entreprises forestières et activités annexes prévoit qu'en cas
de vacance de poste, l'employeur peut faire appel en priorité aux travailleurs en service dans l'établissement.
695 Voir convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, des soins, de cure et de garde
à but non lucratif (article 04-01-1) et convention collective nationale des établissements et services pour
personnes inadaptées et handicapées (article II).
182

l'employeur étant relégué au second plan. Cette observation est valable qu'on l'applique au
principe traditionnel de la non discrimination, ou que l'on envisage la face plus moderne de
l'égalité que constituent les actions positives et les mesures de compensation.
PARAGRAPHE II: LA RECHERCHE DE L'EGALITE PAR DES MESURES
DE
COMPENSATION ET DES ACTIONS POSITIVES
L'application d'un même traitement à tous ne peut conduire à un résultat satisfaisant
qu'autant qu'on se trouve dans une position de départ uniforme. Or, le droit du travail gère
quotidiennement des déséquilibres; il est un droit de correction696, il répudierait l'égalité
juridique, pour prendre en compte les inégalités de fait, dépourvues jusqu'alors de pertinence
juridique697. Pour serrer le réel d'aussi près que possible, la règle se différencie au
maximum698 .
Le Conseil constitutionnel français a admis la pertinence de cette solution de façon
non ambiguë: " Le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi établisse des règles
non identiques à l'égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations
différentes ,,699. Le propos est en conformité avec l'article 2§ 4 de la directive européenne n°
76/2ü7/CEE du 9 février 1976700 qui prévoit la possibilité de recours à des actions positives,
et avec la Déclaration de PHILADELPHIE qui parle d' " égalité de chance ". Cette notion est
la matrice nourricière de toutes les dispositions des conventions internationales du travail qui
prévoient des mesures de protection en faveur de catégories particulières de salariés.
A partir de l'OIT, ces mesures vont se répandre dans des législations nationales. Plus
précisément les mesures qui se répandront sont celles qui visent à compenser un déséquilibre
(A) ; au contraire des mesures qui visent à rattraper un écart (B). Ces deux types de mesures
696 A. LYON CAEN, L'égalité et la loi en droit du travail, Dr. soc. 1990,69.
697 Ibid.
6981. RIVERa, Rapport sur les notions d'égalité et de discrimination en droit civil. Travaw( de l'Association H.
CAPITANT, Dalloz 1965, p. 90.
699 Décision du 27 janvier 1979. Rec. P. 73 ; 16 janvier 1982. Rec. P.24.
700 Cette directive est relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes
en ce qui concerne l'accès à l'emploi, la formation et la promotion professionnelles et les conC;itions de travail.
IR3

doivent être distingués si l'on souhaite se faire une idée claire des mesures de protection en
i':
d
. '
.
li'
701
laveur es categones partlCU eres
.
702
A. Les mesures de compensatIOn
Le principe des mesures de compensation en faveur de certaines catégories de salariés
ne se discute plus; l'hésitation ne pourrait se faire aujourd'hui que sur la détermination des
catégories à protéger. Quatre groupes au moins sont indiscutablement concernés par ces
mesures: les femmes, les enfants, les travailleurs âgés, les représentants du personnel. Mais
au fur et à mesure que le marché du travail se segmente, de nouveaux groupes de salariés se
présentent qui ont besoin d'une prise en compte spécifique: les travailleurs intennittents, les
travailleurs temporaires, les travailleurs handicapés, etc ...
Deux
sous-ensembles
peuvent
être
constitués
au
sem
de
ces
mesures
de
compensation: certaines mesures tiennent aux données physiques ou biologiques (1) :
d'autres s'expliquent par le particularisme des conditions d'exécution du contrat (2).
1. Les mesures de compensation tenant aiL'(: données physiques ou biologiques
Il est impossible d'ignorer les difficultés particulières qui entourent ['exécution du
travail par les femmes, les travailleurs jeunes703 ou très âgés, les travailleurs handicapés.
L'inventaire de mesures prises montre que les femmes ont été l'objet de la plus grande
sollicitude de la part du législateur.
a) Les mesures de compensation enjaveur des jemmes
A divers endroits du Code du travail, aussi bien au Cameroun qu'en France, on trouve
des dispositions s'inspirant directement ou indirectement de l'idée d'assurer une certaine
compensation à la femme au travail. Un arrêt de la Cour de justice des communautés
701 Pour cette distinction, voir M.T. LANQUETIN, De l'égalité de chances: à propos de l'arrêt KALANKE,
CJCE 17 octobre 1995. Dr. Soc. 1996, p. 496. De façon schématique, on peut dire que les mesures de
compensation se distinguent des actions positives non seulement par leur caractère permanent, mais aussi par
leur finalité qui n'est pas de rétablir ['égalité, mais de compenser le déséquilibre constaté. Il est vrai que cette
distinction se révélera parfois très difficile à faire.
702 A cette question, M.LL. MIENDJEM a consacré toute la seconde partie de sa thèse intitulée: Egalité et
discrimination en droit du travail camerounais. Univer~ité de Yaoundé II, !996.
703 Le droit du travail est même né du souci de protéger les enfants et femmes au travail.
1lU.

européennes a clairement indiqué les objectifs de ces mesures: " il s'agit d'assurer d'une part
la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de
celle-ci jusqu'à un moment où ses fonctions physiologiques et psychiques sont normalisées à
la suite de l'accouchement et d'autre part la protection des rapports particuliers entre la
femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l'accouchement en
évitant que les rapports soient troublés par le cumul de charges résultant de l'exercice
simultané d'une activité professionnelle ,,704. Ainsi, c'est autour de la grossesse et de ses
suites que sont organisées les mesures de compensation au profit de la femme.
En droit camerounais, ce sont les articles 84 et 85 du Code du travail qui contiennent
l'essentiel des mesures destinées à protéger la maternité. L'article 84 dispose que" (1) Toute
femme enceinte dont l'état a fait l'objet d'une constatation médicale peut rompre son contrat
sans préavis et sans avoir de ce fait à verser l'indemnité prévue à l'article 36 ci-dessus.
Pendant cette période, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail de l'intéressée du fàir
de la grossesse.
(2) Toute femme enceinte a droit à un congé de maternité de quatorze (14) semaines
qui commence quatre (4) semaines avant la date présumée de l'accouchement. Ce congé
peut être prolongé de six (6) semaines en cas de maladie dûment constatée et résultant, soir
de la grossesse, soit des couches. Pendant la durée de ce congé, l'employeur ne peut
rompre le contrat de travail de l'intéressée.
Quand l'accouchement a lieu avant la date présumée, la période de repos est prolongée
jusqu'à l'accomplissement des quatorze (14) semaines de congé auxquelles la salariée a droit.
(4) Quand
l'accouchement
a
lieu
après
la
date
présumée,
le
congé
pris
antérieurement est prolongé jusqu'à la date de l'accouchement sans que le congé postérieur
soit réduit.
(5) Outre les diverses prestations prévues par la législation sur la protection sociale
et familiale, la femme a droit, pendant le congé de maternité, à la charge de la Caisse
Nationale de Prévoyance Sociale, à une indemnité journalière égale au montant du salaire
effectivement perçu au moment de la suspension du contrat de travail; elle conserve le
droit aLLX prestations en nature ".
704 CJCE , 12 juillet 1984, Affaire Hofinan cl Banner E. Rec. 1984, p.3Ü47.
185

Quant à lui, l'article 85 dispose que" (1) pendant une période de quinze (15) mois à
compter de la naissance de l'enfant, la mère a droit à des repos pour allaitement.
(2) La durée totale de ces repos ne peut dépasser une (1) heure par journée de
travail.
(3) La mère peut, pendant cette période, rompre son contrat sans préavis dans les
conditions fixées à l'article 84 alinéa 1 ci-dessus ".
A ces dispositions, il faut ajouter d'une part celles de l'article 83 du Code du travail
qui prévoient l'interdiction de certains travaux aux femmes et aux femmes enceintes, d'autres
part les dispositions de l'article 90 al. 2 qui prévoient la majoration de la durée du congé
annuel en faveur des mères salariées vivant avec un ou plusieurs enfants âgés de moins de six
(6) ans70S .
En droit français, le dispositif de protection de la maternité est plus étofte et plus
raffiné. Les dispositions de la loi sont même complétées par celles des conventions
collectives. Le législateur cherche à saisir le phénomène de la maternité dans toutes ses
variations probables: la naissance est unique ou multiple, l'accouchement a eu lieu à la date
présumée ou à une date différente, l'accouchement a connu une suite normale ou a été suivi
de maladie, etc...
.
De façon schématique, on peut, comme au Cameroun, résumer le dispositif autour de
deux mesures: la dispense pour la salariée d'exécuter les obligations de son contrat et la
protection contre le licenciement.
Pendant une première période qui commence avec le début de la grossesse et qui se
termine six ou huit semaines avant la date présumée de l'accouchement, la salariée peut être
dispensée d'exécuter une partie de sa tâche habituelle. La dispense prendra la forme d'une
réduction du temps de travail706, ou celle d'un changement provisoire de poste de travail sans
réduction de rémunération.
705 Le rattachement de cette dernière mesure à la maternité peut se discuter; il reste qu'aucun homme ne saurait
~rétendre en bénéficier, même s'il assure la garde d'un enfant de moins de six (6) ans.
06 Certaines conventions collectives ne prévoient cette réduction qu'après un certain nombre de mois de
grossesse. V. sur la question M. Le VENEN. Rev. prat. dr. soc. 1980, nO 483, p.209.
186

Lorsque la grossesse est suffisamment avancée, la femme enceinte est totalement
dispensée de l'obligation d'exécuter le contrat de travail: elle est ~e en congé de maternité.
La durée de ce congé varie en fonction du nombre d'enfant, du moment de l'accouchement
par rapport à la date présumée, de l'état de la mère après l'accouchement, et même du rang de
l'enfant chez la mère707•
Pendant toute cette période d'" hibernation" du contrat de travail, et même bien au-
delà, la femme est protégée contre le licenciement. L'article L.122-25-2 du Code du travail
dispose en effet qu' "aucun employeur ne peut résilier le contrat de travail d'une salariée
lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constatée et pendant l'intégralité des
périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit (...) ainsi que pendant les
quatre semaines qui suivent l'expiration de ces périodes... ".
Certes, il reste possible de résilier le contrat de travail en cas de tàute grave de la
salariée, ou lorsqu'il y a une impossibilité de maintenir le contrat, pour un motif étranger à la
grossesse ou à l'accouchement. Mais le législateur prévoit que dans l'une ou l'autre de ces
hypothèses, la résiliation du contrat ne peut prendre effet ou être signifiée pendant la période
de suspension708• C'est justement cette interdiction de notification de la résiliation pendant la
période de suspension du contrat de travail qui montre bien que l'interdiction de licencier la
femme enceinte dépasse le cadre de la non discrimination et donc de l'égalité fonnelle, pour
s'insérer dans celui des mesures de compensation. L'idée de fond est de protéger la salariée
contre toute perturbation pendant la période du congé légal de maternité709. La Cour de
cassation a montré qu'elle attachait du prix à l'interdiction de notifier le licenciement pendant
la période de suspension; elle n'a pas hésité à censurer un jugement qui avait admis que
l'employeur notifie le licenciement pendant la période de suspension quand bien même le
licenciement ne doit prendre effet qu'au retour du congé de la salariée710.
707 Voir sur la protection l'article L.122-26.
708 Article L.122-27.
709 Ph. MARTIN, L'égalité des sexes en droit (français) du travail: un principe en constante évolution. 0.0.
1996, p. 446.
710 Soc. ID mai 1995, Bull. V, n° 152.
1~7

h) Les mesures de compensation enfaveur des autres groupes
Le droit camerounaIS est vraiment pauvre en ce qui concerne les mesures de
compensation en faveur des travailleurs handicapés, jeunes ou très âgés. Le Code du travail ne
mentionne même pas le handicap comme état pouvant entraîner une quelconque mesure de
compensation. Certes, existe une loi nO 83/013 du 21 juillet 1983 relative à la protection des
personnes handicapées. Mais cette loi se contente de dire des généraIltés7Il . Son décret
d'application712 tente d'aller plus loin; mais en dehors des dispositions sur l'emploi protégé
dans des structures spéciales, ce décret ne contient que des facultés, et non des obligations à la
·
.
bar
d
713
C
ge e qUl que ce SOIt
.
En ce qui concerne l'âge avancé, il ne fait pas l'objet d'une mesure de compensation
spécifique, encore que la mise en œuvre de certaines règles sur le licenciement puisse
conduire à penser que les plus âgés bénéficient d'un traitement de faveur714.
Quelques mesures de compensation sont prévues dans le Code du travail en faveur des
jeunes travailleurs. L'idée de base est que ces jeunes travailleurs sont encore physiquement
fragiles et il faut éviter de compromettre leur croissance et leur santé par des travaux très
épuisants. Dans cet esprit, le principe de l'interdiction de certains travaux aux jeunes gens
posé aux articles 82 et 83 du Code du travail est une mesure de protection. S'agit-il aussi
d'une mesure de compensation? On peut en douter. Mais on ne peut douter du rattachement à
l'idée de compensation des dispositions de l'article 82 du Code du travail selon lesquelles les
femmes et les enfants doivent avoir un repos d'une durée minimale de douze (12) heures
consécutives.
711 L'article 3 de cette loi dispose que" ... l'éducation, la fonnation, l'orientation professionnelle, l'emploi (... ) du
mineur ou de l'adulte handicapé constituent une obligation de solidarité nationale.
L'Etat, les familles, les personnes physiques ou morales associent leurs interventions pour concrétiser
l'obligation visée au paragraphe 1 "
712 Décret n° 9011516 du 26 novembre 1990.
713 L'article 12 par exemple dit que" Les entreprises publiques ou privées réservent autant que possible aux
~ersonnes handicapées, les emplois qui leur sont accessibles dans la proportion de 10% au moins ".
14 En effet, les conséquences pécuniaires du licenciement sont d'autant plus intéressantes pour le salarié qu'il est
ancien dans l'entreprise Le bénéfice de l'indemnité de licenciement est conditionné par une certaine ancienneté;
son montant, comme celui de l'indemnité compensatrice du préavis et des dommages intérêts éventuels est
dépendant de ['ancienneté dans l'entreprise (V. art. 39 du code du travail). Par ailleurs, panni les critères légau:x
d'établissement de l'ordre des licenciements pour motif économique, on retrouve l'ancienneté dans l'entreprise
et les charges familiales (V. article 40 al. 6 du code du travail) Si les travailleurs les plus anciens ou ayant les
plus grandes charges familiales ne sont pas toujours les plus âgés, l'observation sociologique et statistique
montre tout de même que les bénéficiaires des dispositions légales sont en grand nombre les plus âgés. Il suffit
de reporter ici le raisonnement appliqué à la détection de la discrimination indirecte Mais l'ancienneté ne
coïncide pas toujours avec l'âge avancé.
1 QQ

-
Le législateur français va plus loin dans les mesures de compensation en faveur des
jeunes travailleurs. II serait fastidieux et de peu d'intérêt de recenser ici toutes ces mesures.
Mais plus que leur nombre, c'est leur variété qu'il faut souligner. Aux mesures de
compensation classiques telles que la réduction du temps de travail ou l'allongement du repos
ou du congé715, il faut ajouter plusieurs mesures moins classiques: contrat d'insertion en
alternance716, contrat emploi-solidarité?! 7, formation alternée718•
En vérité certaines de ces mesures ne sont pas réservées exclusivement aux jeunes
travailleurs719• Et dans certains de leurs aspects ces mesures se rattachent moins à l'idée de
compensation qu'à celle d'actions positives. On songe par exemple à la formation
professionnelle en alternance. Elle tend incontestablement à pennettre à ses bénéficiaires de
rattraper un écart.
Le droit français du travail prévoit également des mesures de compensation au profit
des travailleurs handicapés. La volonté du législateur est clairement exprimée à l'article
L.323-9 du Code du travail qui fait de l'emploi et du reclassement des personnes handicapées
un élément de la politique de l'emploi. Le reclassement des travailleurs handicapés comporte.
outre
la
réadaptation
fonctionnelle,
l'orientation.
la
rééducation
ou
la
formation
professionnelle pouvant inclure. le cas échéant, un réentrainement scolaire. le placement.
L'Etat pourra même consentir une aide financière alLX établissements, organismes et
employeurs devant
employer les handicapés.
Cette aide
peut
concerner
notamment
l'adaptation des machines ou des outillages, l'aménagement des postes de travaiL y compris
l'équipement individuel nécessaire aux travailleurs handicapés pour occuper ces postes. et les
accès aux lielLx de travail. Bien plus, outre les aides financières accordées aux stagiaires de la
formation professionnelle, les travailleurs handicapés peuvent bénéficier à l'issue de leur
stage de primes à la charge de l'Etat, destinées à faciliter leur reclassement720.
715 Voir, entre autres, les articles L.221-14, L221-15, L.221-21, L223-3, L.225-1.
716 Voir articles L981-1 et s.
717 Voir articles L.322-4-7 et s.
718 Voir article L980-1.
719 L'institution de l'emploi-solidarité par exemple concerne aussi les chômeurs âgés. Au fait, par divers
mécanismes tant législatits que conventionnels, le droit français institue des compensations en faveur des
travailleurs âgés. Les contrats de solidarité ont même la vertu de combiner des compensations en faveur des
jeunes et des compensations en faveur des travailleurs âgés. En effet, avec le concours de l'Etat, les entreprises
s'engagent à remplacer les démissionnaires par les jeunes travailleurs.
no V. Article L.323-16.
lR9

Par ailleurs, les personnes handicapées pour lesquelles le placement dans un milieu
normal de travail s'avère impossible peuvent être admises soit dans un atelier protégé si leur
capacité de travail est au moins égale à un pourcentage de la capacité normale fixée par
décret, soit dans un centre d'aide pour le travail721 . La loi prévoit et assimile aux ateliers
protégés des centres de distribution de travail à domicile. Ces centres peuvent procurer aux
travailleurs handicapés des travaux manuels ou intellectuels à effectuer à domicile722•
Certes, le travail à domicile n'est pas interdit à d'autres catégories de salariés723 ; mais
il est intéressant de souligner que dans l'hypothèse qui nous intéresse ici, le recours au travail
à domicile est une réponse positive au handicap qui pénalise le travailleur. Dans le même
ordre d'idées, l'article L.323-29 du Code du travail dispose que des emplois à mi-temps et des
emplois dits légers sont attribués après avis de la commission technique d'orientation et de
reclassement professionnel aux travailleurs handicapés qui ne peuvent être employés en raison
de leur état physique ou mental, soit à un rythme normal, soit à temps complet.
Au juste lorsqu'on parle des mesures de compensation en faveur des handicapés, on
n'est pas loin des mesures de compensation qui tiennent aux particularités des conditions
d'exécution du travail.
2) Les mesures de compensation tenant au..x particularités des conditions d'ex:écution du
travail
Le développement du travail précaire a fait apparaître deux grands groupes de salariés
dans l'entreprise: d'un côté les travailleurs permanents relativement plus qualifiés, ayant pu
monnayer leurs qualifications, et nantis d'un statut garanti par un certain nombre de règles du
droit social; de l'autre, les travailleurs précaires, relativement peu qualifiés, n'ayant pu rien
négocier de leurs conditions de travail, et restant à peu près à l'" extérieur" de la
communauté de travail, si ce n'est du droit social lui-même. Ces travailleurs précaires sont en
quelque sorte à la merci de l'employeur.
721 V. Article L.323-30.
722 Ibid.
723 V. Articles L.72l-! et s.
190

D'autres salariés de l'entreprise ont besoin de protection, non pas parce qu'ils seraient
du marché du travail de seconde zone, mais parce qu'ils peuvent gêner l'employeur.
a) Les mesures de protection des salariés en situation précaire
Il faudrait d'emblée dire que malgré les lourds facteurs qui les défavorisent, les
salariés en situation précaire n'ont pas bénéficié de la grande sollicitude du législateur
camerounais. Cet état de choses pourrait s'expliquer par l'intérêt tardif du législateur pour
cette catégorie de salariés. En effet, c'est seulement depuis le dernier Code du travail que le
législateur traite du travail précaire724. On peut même observer qu'ici l'objectif du législateur
est moins d'améliorer la condition de cette catégorie de salariés que de permettre aux
entreprises de disposer en toute légalité d'un personnel d'appoint.
En France, la situation des travailleurs précaires a été améliorée en tentant de calquer
leur statut sur celui des travailleurs permanents. Le montant de la rémunération du travailleur
temporaire mis à la disposition d'un utilisateur ne peut être inférieur à celui que perçoit un
ns
salarié de cet utilisateur de qualification équivalente occupant le même poste de travail
.
Cette rémunération comprend le cas échéant les primes et accessoires de salaire. Si la
Chambre sociale a jugé qu'en cas de non respect du principe d'égalité des rémunérations la
demande tendant au versement d'un rappel de salaire doit être dirigée uniquement contre la
n6
société de travail temporaire
, elle a en revanche décidé qu'en cas de défaillance de
l'entreprise de travail temporaire, l'utilisateur lui est substitué de plein droit pour le paiement
tant du salaire et de ses accessoires que des cotisations sociales727.
A ces dispositions sur le salaire, on peut ajouter celles de l'article L.124-4-S selon
lesqueLles le salarié lié par un contrat de travail temporaire mis à disposition d'une entreprise
appartenant aux activités professionnelles définies à l'article L. 731-1, a droit à une
indemnisation en cas d'arrêt de travail occasionné par les intempéries dès lors que les salariés
de l'utilisateur, occupés sur le même chantier en bénéficient.
724 Article 25 al 4 du Code du travail.
725 V. Article L.124-3-6° et L. 124-4-2.
726 Soc. 22 mai 1991, RJS, 1991,472 n° 905.
727 Soc. 7 mars 1984, Bull. civ. V nO 90.
191

De façon plus globale, l'article L.212-4-2 pose que les salariés employés à temps
partiel bénéficient des droits reconnus aux salariés à temps complet par la loi, les conventions
et les accords collectifs d'entreprise ou d'établissement sous réserve, en ce qui concerne les
droits conventionnels, de modalités spécifiques prévues par une convention ou un accord
collectif.
L'inscription des dispositions ci-dessus dans les mesures de compensation ne s'impose
pas à l'évidence; mais il faut se demander ce que serait le statut des travailleurs non
permanents sans cet "arrimage" sur celui des travailleurs permanents. Et il s'agit d'un
rapprochement qui ne va pas de so~ puisque objectivement le travailleur précaire est loin de
présenter les mêmes conditions que le travailleur permanent. On comprend que l' " arrimage"
du statut du travailleur précaire sur celui du travailleur permanent est une mesure de faveur
pour le travailleur précaire.
b) Les mesures de protection en/aveur des représentants du personnel
En raIson du mandat qu'ils exercent, les représentants du personnel attirent plus
facilement l'hostilité de l'employeur; ils sont donc sous la menace permanente du
licenciement et des autres sanctions. Très opportunément le législateur a pensé qu'il fàllait
leur donner un statut spécial protecteur.
Pour que cette protection soit efficace, il ne suffit pas de protéger les représentants du
personnel pendant la durée de leur mandat; il faut également protéger les candidats à ces
fonctions et ceux dont le mandat vient d'expirer728.
Au Cameroun, cette protection ne concerne que les délégués du personneL le
législateur n'ayant prévu aucune règle de protection pour les dirigeants s)'lldicaux. L'article
130 du Code du travail dispose que tout licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou
suppléant, envisagé par l'employeur est subordonnée à l'autorisation de l'inspecteur du travail
du ressort. L'inspecteur du travail doit, après enquête contradictoire, s'assurer que le
licenciement envisagé n'est pas motivé par les activités du délégué dans l'exercice de son
mandat. Tout licenciement effectué sans que l'autorisation ci-dessus n'ait été demandée et
728 V. G. LYON-CAEN, J. PELISSIER et A. SUPIOT. Droit du travail op. cit. p. 646.
192

accordée est nul et de nul effet729• Ces dispositions sont applicables aux délégués du personnel
pour lesquels est envisagée une mutation les mettant dans l'impossibilité d'exercer leur
mandat dans leur établissement d'origine, sauf accord des intéressés exprimé devant
l'inspecteur du travail du ressort. Ces dispositions s'appliquent également aux anciens
délégués du personnel, pendant une durée de six (6) mois à compter de l'expiration du
mandat. Elles s'appliquent enfin aux candidats aux fonctions de délégué du personnel pendant
une durée de six (6) mois à compter de la date de dépôt des candidatures.
A quelques nuances près, ces dispositions camerounaises sont identiques à celles que
prévoient les articles L.425-1 et suivants du Code du travail français. Mais allant plus loin que
son homologue camerounais, le législateur français organise un statut protecteur pour les
délégués syndicaux730. Mieux, le législateur français prévoit d'autres représentants du
.
.
d
731
1
.
personnel inconnus du
rolt camerounars
et orgaruse eur protectIon contre l'hostilité de
l'employeur.
Aux dispositions légales qui organisent un statut protecteur de tàçon plus ou moins
ostensible, il faut ajouter les règles conventionnelles plus discrètes qui tendent à garantir aux
représentants du personnel des chances de progrès social comparables à celles des autres
salariés de l'entreprise. On est ici à la limite des mesures à inscrire dans la catégorie des
actions positives.
B. Les actions positives
Les actions positives peuvent être définies comme des mesures ou programmes visant à
résorber des écarts constatés entre les membres d'un milieu, par exemple le milieu du travail.
729 Pour l'application de ces dispositions par les tribunaux, voir P.G. POUGOUE, Réflexion sur la protection des
délégués du personnel contre les licenciements en droit du travail camerounais, RCD, 1984 ; PG POUGOUE et
V. TCHOKOMAKOUA, L'entrave à j'exercice des fonctions du délégué du personnel, JSA, t.2, 1986-1987, pp.
27 et s ; A. D. TJOUEN, Plaidoyer pour une reforme législative du licenciement irrégulier des salariés en droit
du travail camerounais, RIDC , 1993, pp. 861 et s. ; J.- M. TCHAKOUA, Libres propos sur les licenciements en
droit camerounais, op. cit.
730 Voir articles LA12-18 et s.
731 Il s'agit des membres des comités d'entreprise ou d'établissement des membres des comités d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail, des représentants dt:s salariés dans les procédures de redressement judiciaire,
des conseillers prud'hommes, du conseiller du salarié.
lQ~

La nécessité de développer des actions positives est loin de faire l'unanimité. Si les
tenants de l'individualisme libéral ne refusent pas toutes mesures positives, ils manifestent de
fortes réserves à leur endroit732• Au Cameroun, on ne trouve pas une seule disposition légale
s'insérant dans le régime des actions positives. En France, l'égalisation des chances a connu
un sort moins triste; les articles L.123-S-9° du Code du travail contiennent le principe des
actions positives en faveur des femmes. Mais dans l'ensemble, on reconnaît que ces mesures
sont modestes733.
Sans doute en est-il ainsi parce que nous sommes dans une matière fortement
influencée par la politique, les préjugés plus ou moins conscients. On a même observé que
quand bien même la volonté politique est en faveur des actions positives, le droit est loin de
suivre734. Le retard du droit est parfois compréhensible: techniquement il est bien difficile
d'organiser des actions positives en se fondant sur les critères qui. ailleurs, sont considérés
comme des critères de discrimination interdits. Au tond. l'une des ambiguïtés des actions
positives c'est de se présenter, au moins en apparence, comme une négation de l'égalité. D'où
l'intérêt d'examiner leur justesse (1) avant de s'interroger sur leur mise en œuvre (2).
1) La justesse des actions positives
Il tàudrait éviter de rester à un simplisme qui consisterait à penser que les discussions
sur la justesse des actions positives n'opposent que les libéraux individualistes aux partisans
des doctrines sociales. Au sein même de ce dernier groupe, les divergences ne manquent pas ;
au moins parce qu'il s'agit de savoir si telle mesure précise arrêtée ou proposée répond à la
finalité d'assurer l'égalité. C'est dire que le problème est double. Il ne s'agit pas simplement
de réfléchir sur la justesse des actions positives prises abstraitement (a) ; il faut aussi, plus
concrètement, examiner la validité de telle ou telle mesure (b).
732 MT LANGUETIN, De l'égalité des chances op. cit. p. 500.
733 Ibid.
m Ph. MARTIN, L'égalité des sexes en droit (français) du travail op. cit. p. 448. L'auteur montre la divergence
entre les institutions à caractère politique de l'Europe et la Cour de justice des communautés t'l'lfopéennes.
194

a) Discussion sur la justesse des actions positives abstraitement considérées
La Cour de justice des communautés européennes a défini les actions positives
comme des "mesures qui, tout en étant discriminatoires, selon leurs apparences, visent
effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait pouvant exister dans la réalité de la
vie sociale ,,735. La difficulté, c'est de s'assurer que ces mesures ne sont discriminatoires que
"selon leurs apparences". La crainte de basculer dans la discrimination ne doit pas être
ignorée. L'arrêt KALANKE736 de la Cour de justice des communautés européennes a permis
de voir que sur le terrain des actions positives rien n'était véritablement acquis. Même le droit
européen qui s'était montré à l'avant-garde de la marche pour l'idéal d'égalité est en fait
moins satisfaisant qu'on ne l'avait pensé. Il est assez significatif que la Cour de justice
présente l'égalité de chance comme une dérogation à l'égalité de traitement. Cette
présentation est du reste une fidèle traduction de la Direction européenne du 9 février 1976
relative à la mise en œuvre de l'égalité de traitement entre hommes et femmes 737.
Cette analyse a été vivement critiquée: poser l'action positive comme dérogation à
l'égalité de traitement c'est renvoyer à l'éternelle opposition entre égalité fonnelle et égalité
substantielle. Or, si la distinction fonnel/concret est utile en ce qu'elle pennet de prendre la
mesure des ambiguïtés et des paradoxes que recèle la notion même d'égalité, leur opposition,
comme si elles désignaient deux objectifs différents et incompatibles semble, en revanche,
pour le moins spécieuse738. L'objectif poursuivi par l'égalité fonnelle n'est autre que celui
d'assurer une égalité réelle entre ses destinataires739. En même temps, les 'actions positives ne
constituent que des mesures de mise en œuvre de l'égalité de traitement dont elles poursuivent
la réalisation effective740.
Ces analyses contiennent, en apparence, une erreur de logique puisqu'on peut se
demander finalement quels sont les points de départ et d'arrivée dans le mécanisme. A vrai
dire, égalité de chance et égalité de traitement sont imbriquées dans un "tout" où l'une se
nourrit de l'autre et vice-versa.
Il s'agit de detL'<: composantes complémentaires et
m CJCE, 25 octobre 1988, Commission cl France Dr. soc. 1989, p.551.
7J6 CJCE, 17 octobre 1995, RTD euro 1996, p.429.
737 Voir article 2 paragraphe 4 de la directive.
738 L. CHARPENTIER L'arrêt KALANKE, expression du discours dualiste de l'égalité, RTD eur. 32(2) 1996,
p.281.
739 Ibid.
740 M.T. LANQUETIN, De l'égalité des chances, op. cit. p.498.
10':;;

indissociables de l'égalité741 , entre lesquelles il n'est pas pertinent de chercher un rapport de
hiérarchie. La hiérarchisation de ces éléments impliquerait qu'en cas de confrontation il faut
faire triompher l'élément supérieur. Or, le problème ne se pose pas en termes d'opposition
entre l'égalité de chance et l'égalité de traitement. Sous un angle plus pratique, il est plus
souvent question de savoir si telle mesure positive adoptée ou proposée est effectivement au
service du principe d'égalité. Autrement dit, plus que d'une comparaison entre l'égalité de
chance et l'égalité de traitement, il est souvent question d'apprécier la validité de telle mesure
positive précise.
b) La validité d'une mesure concrète
L'affaire
Commission
des
Communautés
Européennes
contre
la
République
française742a bien montré qu'il ne suffit pas qu'une catégorie de salariés soit défavorisée pour
que toutes les mesures arrêtées en sa faveur soient jugées pertinentes. Dans cette affaire, la
France est condamnée par la Cour de justice des communautés européennes pour ne pas avoir
pris dans le délai prescrit toutes les mesures nécessaires pour assurer, dans le secteur privé.
l'application complète de la directive na 76/207 du 9 février 1976. Plus concrètement. la Cour
de justice reprochait à la France d'avoir pris un texte qui autorisait dans des conventions
collectives des droits particuliers pour les femmes. Ce texte maintenait en vigueur, pour une
durée indéterminée les droits particuliers acquis par les femmes. La condamnation n'a pu être
évitée, même en démontrant que les partenaires sociaux s'emploieront à faire disparaître les
inégalités qui étaient ainsi tolérées. Quelques années plus tard, et dans un domaine qui n'est
pas véritablement celui des actions positives, le juge communautaire a condamné la France
pour l'interdiction du travail de nuit aux femmes 743 . Pourtant les dispositions de la loi
française, prises en application de la convention na 89 de l'OIT qui impose l'interdiction du
travail de nuit des femmes, prétendaient protéger ces dernières744. Sans discuter de
741 Ibid.
742 CJCE, 25 octobre 1988, Dr. soc. 1989, p. 555.
743 CJCE, 12juillet 1991 aff. C345-89. Dr. soc. 1992, 174.
?oU Une étude de la criminalité sexuelle a montré que des infractions les plus graves sont commises surtout entre
22h et 5h (Voir M. BORDEAUX, B. HAZO, S. LORVELLEC, Qualifié viol, Genève, Méridiens Klincksieck
(990). Au risque d'agression, on ajoute aussi la vulnérabilité particulière des femmes et les répercussions du
travail de nuit sur la vie familiale (voir M.A. MOREAU, Travail de nuit des femmes, Observations sur l'arrêt de
la CJCE du 25 juillet 1991. Or.soc. 1992, 176).

l'articulation du droit communautaire avec cette convention de l'OIT régulièrement ratifiée745
par la France, la Cour de justice a affirmé que" le souci de protection qui a inspiré à l'origine
l'interdiction de principe du travail de nuit féminin n'apparaît plus fondé". En dénonçant
ainsi l'interdiction de travail de nuit des femmes, la Cour de justice laissait voir que le
législateur français rompait l'égalité sur le marché du travail au détriment des femmes qu'il
tenait à l'écart d'un certain nombre d'emplois746• Assez insidieusement, la prétendue
protection des femmes était une atteinte au principe d'égalité et même à la liberté du travail.
On peut, en extrapolant, se demander si le raisonnement de la Cour de justice ne peut
pas s'appliquer au travail des jeunes. Ce qui ne peut que contribuer à aggraver les enjeux de la
discussion sur la validité des mesures de protection.
A vrai dire, il n'est pas très courant que la validité des actions positives soit contestée
à partir de l'idée qu'elles seraient en fait désavantageuses pour les catégories qu'on prétend
protéger. Très souvent, la question se pose plutôt de savoir dans quelle mesure les mesures
adoptées en faveur des catégories défavorisées ne vont pas compromettre de façon intolérable
les chances de progrès des catégories qui sont au départ non défavorisées. C'est l'idée de ne
pas finalement faire des actions positives une sorte de privilège pour leurs bénéficiaires.
La Cour de justice des communautés européennes a dégagé deux critères de validité
des actions positives. D'une part, les mesures positives ne doivent pas garantir une priorité
absolue et inconditionnelle aux personnes protégées747. D'autre part, la mesure ne doit pas
tendre à substituer à la promotion de l'égalité des chances envisagée le résultat auquel seule
la mise en œuvre d'une telle égalité des chances pourrait aboutir748•
Le premier critère semble VIser une disposition qui réserverait des emplois sans
restriction ni réserve et qui ne dépendrait d'aucune condition749• Ainsi par exemple d'une
m La convention avait été ratifiée le 7 juillet 1953. Mais suite à la condamnation de la France, elle a été
dénoncée.
746 Ces emplois sont de plus en plus nombreux au fur et à mesure que les progrès techniques rendent insignifiant
l'écart de luminosité entre le jour et la nuit et que d'autre part, les entreprises sont engagées dans une volonté de
rentabiliser les outils de production dans des délais très brefs.
747 Voir arrêt KALANKE op. cil. Attendu 22.
748 fbid. Attendu 23.
m M.T. LANQUETfN, De l'égalité des chances, op. cil. p. 499.
197

disposition qui réserverait un quota déterminé d'emplois aux femmes, aux enfants ou aux
handicapés 750.
Le second critère oblige à ne pas substituer à l'égalité de chance l'égalité de résultat.
Mais d'apparence simple, ce critère est en réalité d'un maniement très difficile. On l'a vu dans
l'arrêt KALANKE, où la Cour a invalidité une disposition du Land de Brême qui, à
qualification égale, donnait la préférence aux femmes pour l'accès à un niveau d'emploi où
celles-ci sont sous représentées. On voit bien que le tout n'est pas d'affinner la pertinence des
actions positives; encore faut-il voir comment elles peuvent être mises en œuvre.
2) La mise en œuvre des actions positives
L'institution des actions positives est le résultat de l'observation de la société. Cette
observation permet de démasquer les points de rupture entre l'idéal d'égalité que véhicule
l'égalité formelle et la réalité concrète. Il est pour cela bien important de tracer b
"circonscription ,,751 de l'observation. On pourrait penser que s'agissant d'instituer des
actions positives dans le milieu du travaiL l'observation doit se limiter à ce milieu. Mais il ne
faut pas oublier que l'entreprise peut n'être que le reflet, et mieux, un "dépotoir" des réalités
construites en dehors. C'est ainsi par exemple que les inégalités entre hommes et femmes
dans le milieu professionnel sont dans une certaine mesure une reproduction de ces mêmes
inégalités dans la société. 11 faudrait donc faire des observations à la fois internes et externes à
l'entreprise752.
Au recensement des différentes inégalités doit normalement succéder l'élaboration des
mesures positives. Il s'agit normalement des règles" inégalitaires" destinées à corriger les
écarts observés. La décision du Conseil constitutionnel français précitée dit si bien que le
principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi établisse des normes non identiques à
l'égard des catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes753 •
750 On ne peut pas ne pas penser à l'article L.323-1 du code du travail français qui oblige les employeurs
occupant au moins vingt salariés à employeur 6% de handicapés par rapport à l'effectif total. Certes, le
législateur prévoit plus loin une obligation alternative.
751 Le terme est emprunté à A. LYON CAEN, op. cit. P. 69. L'auteur l'utilise à un autre propos.
752
Sur cette question, voir L. CHARPENTIER, L'arrêt KALANKE: Expression du discours dualiste de
l'égalité, op. cit. p. 289.
753 Une lecture assidue de cette décision a permis de préciser son sens. Si le Conseil constitutionnel n'interdit pas
des normes non identiques à l'égard des personnes se trouvant dans des situations différentes, il ne les impose
pas non plus. Cette orientation s'explique par la volonté du Conseil constitutionnel de ne pas se substituer au
198

L 'hésitation se fait pourtant lorsqu'on abandonne la comparaison par groupes pour
s'intéresser aux situations individuelles dans les différents groupes. En effet, il n'est pas très
rare que dans le groupe défavorisé un ou plusieurs individus soient dans une condition
préférable par rapport à un ou plusieurs autres individus du groupe dominant. Mais de telles
circonstances ne doivent pas faire conclure à l'inopportunité des actions positives, ni même
rendre nécessaires les comparaisons individus par individus.
La délicatesse des méthodes de détection des inégalités, et même du choix des mesures
susceptibles de les enrayer rend intéressante la question de savoir qui a compétence pour
l'élaboration des mesures positives. La compétence du législateur754 ne fait pas de doute, à
partir du moment où il a reçu compétence pour assurer l'égalité de tous devant la loi. Les
partenaires
sociaux
peuvent
également
adopter des actions
positives.
Beaucoup
de
conventions collectives ne contiennent-elles pas déjà des dispositions sur la protection des
représentants du personnel ?755 Rien ne les empêche de prévoir des dispositions sur l'emploi
des personnes handicapées, des jeunes travailleurs, des travailleurs trop âgés, etc...
La compétence de l'employeur paraît moins évidente; mais elle n'est pas à exclure.
En France il a implicitement reçu du législateur mandat d'assurer la protection des catégories
défavorisées lorsqu'il élabore les critères d'établissement de l'ordre des licenciements pour
motif éconornique756• Et du reste, indépendamment de ce mandat, il doit veiller à réduire les
écarts entre les groupes de travailleurs s'il ne veut pas s'exposer aux surprises de la doctrine
des discriminations indirectes.
La compétence pour l'élaboration des actions positives emporte nécessairement celle
de définir les catégories défavorisées. Et du coup on peut craindre des détournements de
pouvoirs de la part de l'employeur. Dans un contexte comme celui du Cameroun, des actions
législateur et surtout par la difficulté que le Conseil éprouverait à justifier sa propre appréciation des inégalités
(A. LYON CAEN, L'égalité et la loi en droit du travail, Dr. Soc. 1990, p. 71). De fait, le législateur est parfois
coupable de discrimination indirecte (V. Ph MARTIN, Droit social et discriminations sexuelles: à propos des
discriminations générées par la loi, Dr. soc. 1996, p. 562 et 5.)
754 Il faut même comprendre très largement le mot législateur.
755 L'article L.133-5 du code du travail ffançais fait même obligation aux conventions de branche conclues au
niveau national de contenir, pour être entendues, des dispositions concernant les délégués du personnel, l'égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes et les mesures de rattrapage tendant à remédier aux inégalités
constatées.
756 Rien ne permet de penser que la compétence de l'employeur est limitée à la procédure du licenciement pour
motif économique.
]99

positives en faveur des ressortissants d'une tribu ne manqueraient pas de susciter des débats
passionnés.
Quoi qu'il en soit, les actions posItIves ne doivent jamais êtres détachées de
l'observation sociale puisque c'est sur elle qu'elles sont fondées 757• Les actions positives ne se
justifient que dans une société donnée, à un moment donné. L'observation sociale pennet de
juger de leur pertinence, de les réviser au besoin pour les adapter au nouveau contexte. Ainsi
donc contrairement au principe d'égalité fonnelle, les actions positives se présentent comme
des mesures conjoncturelles. C'est d'ailleurs pourquoi l'article 5 §.2c de la directive
européenne nO 76-207 relative à la mise en œuvre du principe d'égalité de traitement entre les
hommes et les femmes exige que ces mesures soient révisées lorsque le souci de protection
qui les a inspirées à l'origine n'est plus fondé. Il s'agit, au fond, de préserver l'équilibre
précaire entre les deux facettes du principe d'égalité.
Conclusion du chapitre
L'image la plus saisissante du rapport de travail pourrait bien être celle du lien de
subordination qui s'assouplit et, plus encore, se rétrécit. Bien entendu. il ne tàudrait rien
exagérer de l'assouplissement du lien de subordination.
Le rétrécissement du lien de subordination résulte d'une simple clarification, une
distinction entre ce qui relève du contrat et ce qui n'en relève pas. La summa divisio a été tàite
entre vie professionnelle et vie extra-professionnelle ou, sans doute plus précisément, vie
personnelle758.
Parallèlement à l'avancée des libertés, la recherche de l'égalité a été effrénée.
Intellectuellement déjà, on ne sépare que très difficilement l'égalité de la liberté. L'un des
mérites du législateur français c'est d'avoir compris cette imbrication.
757 A. LYON-CAEN, op. ciL p. 75.
758 Suivant l'arrêt de la Chambre sociale du 18 décembre 1997 op. ciL

Il
demeure
cependant
quelques
difficultés
propres
au
pnnClpe
d'égalité,
particulièrement en droit du travail où il fait face à la liberté de gestion du chef d'entreprise,
qui a valeur de principe. Le principe d'égalité est ensuite en difficulté parce que le droit du
travail gère quotidiennement des inégalités. L'exigence d'égalité se transforme alors en
exigence de compensation et même d'actions positives. Ce second terrain est particulièrement
délicat, parce qu'il requiert des instruments d'évaluation fiables et la recherche très attentive
d'un équilibre toujours très précaire entre deux facettes d'un même prinCipe. Il y a là, sans
doute, une explication à l'absence d'actions positives en droit camerounais.
Mais, plus sûrement, les actions positives supposent une analyse du rapport de travail
moUlS centrée sur la relation individuelle, et plus attentive aux groupes. Se voit bien
l'importance de la dimension collective des rapports de travail.
~OI

CHAPITRE II
LE ROLE DE LA DIMENSION COLLECTIVE DES RAPPORTS DE TRAVAIL
Les rapports collectifs de travail peuvent aujourd'hui, sans exagéra~ion, être présentés
comme l'âme du droit du travail. En effet, ils sont la marque éminente de la spécificité et le
terrain des grands enjeux du droit du travail. Rien d'étonnant qu'ils connaissent l'évolution
759
qui est la leur aujourd'hui, avec même parfois un grand intérêt pour l'employeur
.
Pourtant, personne n'aurait pu prédire un tel destin à la dimension collective des
rapports de travail. D'abord dans l'ordre historique. elle apparaît après les rapports individuels
de travail76o. C'est une apparition soudaine dans une société dominée par le dogme de
l'individualisme. Ensuite, l'action collective rencontre l'hostilité aussi bien des employeurs
que des pouvoirs publics. Les employeurs trouvaient naturellement leur compte dans les
rapports individuels de travail bâtis sur un déséquilibre juridique et économique qui leur est
favorable. Quant aux pouvoirs publics, ils redoutaient r~mergence de corps intem1édiaires.
761
qui pourraient remettre en cause la stabilité politique
.
C'est donc dans l'adversité que la dimension collective des rapports de travail s'est
imposée comme un "reçu du fait, de la réalité sociologique ,,762. Instinctivement, on peut
percevoir que la naissance et le développement du " collectif,,76J sont le produit des rapports
de production. Les salariés ont en effet compris que dans l'isolement ils ne peuvent que subir
la volonté de l'employeur. La lutte s'enclenche donc sous le signe de la dénonciation du
contrat individuel de travail. Mais les salariés sont devant une autre menace : la tyrannie des
groupements qu'ils vont constituer. Si la domination de l'employeur n'est pas acceptable,
759 Pour l'intérêt subit du patronat pour la négociation collective, voir M. DESPAX, Les paradoxes de la
négociation d'entreprise, in Etudes offertes à Gérard Lyon-Caen, Dalloz 1989,267.
760 Tout ce qui suivra sur l'apparition de la dimension collective des rapports de travail est vrai d'abord en
France. Si l'on excepte la grève, on peut dire que la dimension collective des rapports de travail s'est introduite
au Cameroun par la seule volonté du législateur. Le premier Code du travail (1952) transpose au Cameroun les
dispositions françaises en vigueur sur les ;::onventions collectives.
761 Même les travaillistes présentent alors les groupements et en particulier les syndicats comme" les rivau..x
naturels de l'Etat" (P. DURANT, L'Etat devant les puissances professionnelles, Dr. soc. 1948,1)
762 Le fragment entre guillemets est de A. JEAMMAUD, cité par Liaisons sociales, 1990, doc. p. 7
763 Le mot collectif est employé ici en raison de sa force d'image, pour signifier l'intervention de plusieurs
personnes autour d'intérêts communs.
202

celle du groupement ne l'est pas non plus. L'effort du droit va consister entre autres à
préserver ce bien rare et inaliénable qu'est la liberté. Au passage, la soif d'égalité va se
montrer non pas seulement dans les rapports avec l'employeur, mais aussi dans les rapports
entre salariés. Au fond, le "fait collectif" dans les rapports de travail est plus complexe qu'il
n'en donne l'air. Il dépasse même les rapports entre l'employeur et la collectivité des salariés
et exige une explication plus poussée. Un rappel des enjeux de la dimension collective des
rapports de travail (SECTION 1) pennettra de mieux en faire apparaître la toile de fond
(SECTION II)
SECTION 1: LES ENJEUX DE LA DIMENSION COLLECTIVE DES RAPPORTS
DE TRAVAIL
La doctrine explique souvent que contre leur situation d'infériorité génératrice
d'exploitation les travailleurs ont réagi en agissant ensembleÎ6.J. L'irrésistible émergence du
"collectif" a ainsi été perçue sous le signe d'une lutte pour la survie. L'observation
empirique ne dément point cette tendance de la dimension collective des rapports de travail.
En effet, très tôt le syndicalisme fit de la lutte pour la fixation du montant du salaire l'objet
majeur de ses revendications. Il ne semble pas qu'aujourd'hui un ordre de priorité différent se
soit imposé. Bien au contraire, on peut observer qu'au Cameroun, toutes ou presque toutes les
grèves sont déclenchées en vue d'obtenir le paiement du salaire ou de ses accessoires765 .
L'observation ne doit pourtant pas tromper : la dimension collective des rapports de
travail ne peut être réduite à son aspect alimentaire. S'y joue le sort du salarié dans toute sa
personnalité, son humanité. Le salarié n'est pas réductible à son corps qui a seulement besoin
d'être alimentée. On retrouve dans la dimension collective des rapports de travail un sujet
entier, qui lutte certes pour sa survie, mais qui exprime aussi de profondes pulsions
immatérielles sans lesquelles il n'est plus homme. Sous le refus de la domination que traduit
intuitivement le recours au groupe (PARAGRAPHE 1), se montre confusément la lutte pour
le rétablissement ou l'affirmation de valeurs humaines (PARAGRAPHE II).
764 G. COlffURIER, Droit du travail, Les relations collectives de travail, PUF 1991,9.
765 Aucune étude n'a été menée sur la classification des grèves suivant les revendications ou réclamations qui les
sous-tendent. Mais des recherches au greffe des juridictions nous ont permis de constater que toutes les sentences
arbitrales rendues par les conseils d'arbitrage ont pour objet le paiement du salaire ou de ses z:cessoires.
203

PARAGRAPHE 1. LE REFUS DE LA DOMINATION
Sans doute parce qu'on a suffisamment avancé dans le projet jamais achevé de l'Etat
de droit, les références au droit de résister à l'oppression sont devenus extrêmement rares dans
les écrits766. Pourtant les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne
semblent pas avoir fait œuvre inutile en consignant dans cet illustre texte le. droit de résistance
à l'oppression767• Pierre KAYSER explique que même garantie par la Constitution, la liberté
peut être menacée et violée; dans ce cas ultime, il faut recourir au droit de résistance à
l'oppression768.
Le droit de résister à l'oppression montre certes la défiance à l'égard des gouvernants
et du «droit injuste» qu'ils pourraient à un moment ou à un autre mettre en place pour
opprimer. L'action collective des salariés, surtout lorsqu'elle devient violente, semble bien
inspirée par l'idée de résister à l'oppression. Pour échapper à la disparition et retrouver la
condition d'hommes conscients de leur dignité, les salariés doivent refuser l'état de dominés
dans lequel les place le contrat individuel de travail. Il y a dans ce souci des salariés de
s'accrocher à leur humanité un mouvement que le droit n'a pu maîtriser qu'en opérant un repli
sur lui-même. En examinant profondément cette réponse du droit, on voit mieux les données
du problème. Le recours à la force du groupe semble à peu près n'être qu'une réaction
légitime (B) à une situation fondamentalement injuste (A).
A. La situation fondamentalement injuste
Les éléments constitutifs de l'injustice congénitale des rapports de travail peuvent se
voir dans l'inégalité foncière qu'on retrouve dans la relation individuelle de travail. Par le
détour de la propriété769, l'employeur s'est adjugé sur le salarié une supériorité qui confine à
l'aliénation.
766
Voir toutefois FI. BENOIT-ROHMER et P. WACHSMANN, La résistance à l'oppression dans la
Déclaration, Droits, n° 8, p. 91.
767 L'article 2 de la Déclaration cite panni les droits naturels et imprescriptibles de l'homme le droit de résister à
l' oppress ion.
768 Essai de contribution au droit naturel à l'approche du troisième millénaire, Revue de recherche juridique,
1998/2, 397.
769 1. 1. ROUSSEAU pensait déjà dans le contrat social que c'est l'institution de la propriété qui a mis fin à la
liberté et à l'égalité naturelle des hommes et a par conséquent donné naissance à l'injustice (Voir L. BREHIER,
Histoire de la philosophie, 6è éd., 1. 2, p. 417).

Dans la dimension collective des rapports de travaille droit de grève apparaît comme
l'élément qui, d'un point de vue sociologique, explique le mieux l'état d'injustice de la
770
relation individuelle de travail. Le droit de grève
a depuis longtemps acquis une légitimité
sociale et juridique, au point que personne ne peut aujourd'hui, raisonnablement, en prévoir la
suppression. Il semble utile de réfléchir sur la signification de la reconnaissance du droit de
grève. Plus précisément, il faudrait tâcher de comprendre
les raisons de la réapparition de
cette forme de justice privée dans une société "civilisée,,771 , et à contre courant de l'évolution
des institutions sociales. L'opposition est saisissante: la société a évolué dans le sens d'une
progressive distanciation de la loi du plus fort, chaque individu renonçant à se faire justice à
soi-même et recourant à l'office des arbitres, puis des juges pour résoudre ses différends. La
grève, en revanche, conduit à ériger en règle juridique le droit d'une collectivité, la
collectivité des travailleurs, de se faire justice soi-même. C'est ainsi qu'après avoir été
réprimée comme délit pénal jusqu'à la deuxième moitié du XIXè siècle, la grève est passée,
772
en moins de cent ans, du stade de faute civile au stade de liberté publique fondamentale
.
Si la grève n'est pas une justice privée dans sa torme primitive, elle en est un
succédané, au même titre, par exemple. que la légitime défense 773 du droit pénal avec
laquelle on peut du reste tenter un rapprochement. Le rapprochement peut également être fait
entre la grève et la réaction à une provocation774. Si l'action violente des salariés est justifiée
ou excusée, c'est sans doute parce qu'elle répond en quelque sorte à une attaque illégitime.
770 V. H. SINAy et 1. Cl. lAVILLIER, Droit du travail, La grève, Dalloz 1984.
771 On ne peut s'empêcher dès lors de se demander si le droit a abdiqué sa mission première qui est d'interdire le
recours à la force entre citoyens. L'institution du droit de grève incline à voir un lien de filiation entre la
dimension collective des rapports de travail et le droit de résistance à l'oppression prévu par la déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789.
772 ft SINAy et 1. Cl. lAVILLIER op. cit. p. l.
773L'article 84 du Code pénal camerounais dispose que "(1) La responsabilité pénale ne peut résulter d'un acte
commandé par la nécessité immédiate de la défense de soi-même ou d'autrui ou d'un droit appartenant à soi-
même ou à autrui contre une atteinte illégitime, à condition que la défense soit proportionnée à la gravité de
l'atteinte ... ". Ces disposition sont proches de celles de l'article 122-5 du code pénal français : "N'est pas
pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle même ou autrui, accomplit,
dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle même ou d'autrui, saufs'il
ya disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte"
774L'article 85 du code pénal camerounais dispose que "(1) Bénéficie de l'excuse atténuante, s'il n'y a pas
disproportion entre provocation et la réaction, tout auteur d'une infraction immédiatement provoquée par l'acte
illégitime d'autrui contre lui-même ou en sa présence contre son conjoint, son descendant ou ascendant, son frère
ou sa sœur, son maître ou son serviteur, le mineur ou l'incapable dont il a la charge ... ".
205

Evoquons simplement ici l'histoire des relations de travail, qui est celle de la
domination pennanente du capital sur le travail. Le salarié n'offre que sa force de travail, face
au pouvoir du capital incontestablement plus grand.
La domination de l'employeur sur le salarié reçoit une consécration juridique dans la
définition du contrat de travail. La subordination est retenue comme critère d'identification du
contrat de travail.
Certes, depuis l'effondrement du rêve d'une société sans classes, personne n'a imaginé
une autre forme d'organisation de la production pouvant se substituer à la formule actuelle. Le
travail subordonné reste, pour ainsi dire, une fonnule incontournable; mais il n'en reste pas
moins un « mal» dont il faut sans cesse intégrer la présence.
L'évolution du droit du travail, à la faveur de la pénétration de la théorie des droits de
l'homme
dans
l'entreprise775
montre
bien
un
certain
assouplissement
du
lien
de
subordination. Le champ de la subordination est mieux circonscrit, afin que celle-ci s'exerce
dans le strict cadre de la prestation de travail et non pas sur tout l'homme. Mais d'un point de
vue économique, rien n'a pu maîtriser le processus d'appauvrissement des salariés. Au
contraire, la crise économique qui perdure accentue La précarité et finit par pennettre la
destruction, sur le terrain du droit, des acquis. Pressés par le besoin, les salariés acceptent
malgré elLX un abaissement du niveau de leur protection776 garantie par la loi ou par la
convention collective. Sur le terrain de la liberté, la pauvreté matérielle des salariés rend
utopique toute manifestation concrète. Par ailleurs, les progrès technologiques ont mis au
point de nouvelles techniques de surveillance et de gestion du temps et du lieu de travail
susceptible de
remettre
en
cause
quelques acquis
sur le
terrain des
droits de
la
personnalités777.
775Yoir les actes du colloque sur l'entreprise et les libertés publiques, Dr. Soc., 1982,417 et s. ;GAUME (G).,
Le temps de la démocratie dans l'entreprise, Dr. Soc., 1982,267; BELIER (G) , Droit disciplinaire et citoyenneté
dans l'entreprise, Dr. Soc. 1982,407.
776 L'observation est d'autant plus choquante qu'elle peut se vérifier même au niveau des règles sur l'hygiène et
la sécurité au travail.
777 Il faut penser, entre autres, à la vidéosurveillance, au travail à domicile qui dans une certaine mesure rend
difficile la maîtrise sur la durée de travail, au dévdùppement des moyens de communication qui permet que le
salarié soit joint plus facilement.
206

Au bout du compte, le salarié d'aujourd'hui est plus proche de l'ouvrier du XIXè siècle
qu'on ne l'imagine a priori. Comme lui, il vit sous la dOllÙnation du patron ou, si l'on préfère,
de l'employeur. Il a bien le sentiment que le salaire lui est servi pour entretenir sa force de
travail et produire sans relâche, essentiellement au profit du détenteur des moyens de
production. L'affaire Clavaud précitée778 présente bien ce sentiment d'exploitation. Le salarié
est licencié pour avoir, dans un journa4 décrit ses conditions de travail. II y raconte sa peine
d'ouvrier posté, compare son trop modeste salaire au prix de vente du produit qu'il
fabrique ... Sans aucune difficulté, on comprend la dénonciation d'une exploitation capitaliste
de la force du travail. La mobilisation qui a accompagné le contentieux né de cette
dénonciation a pu laissé voir que le sentiment du salarié était très partagé, même si l'argument
juridique de la confrontation était la liberté d'expression779• En annulant le licenciement
prononcé par l'employeur pour les propos évoqués, la Cour de cassation ne tirait certes que
des conséquences de la violation d'une liberté fondamentale, la liberté d'expression, ce qui
n'empêche que la force du travail y trouve la reconnaissance implicite de la pertinence au
fond des propos de M. Clavaud. Le secrétaire du syndicat CGT a indiqué que le
comportement de l'employeur était « révélateur de l'attitude du patronat qui recherche une
soumission accrue des salariés, une plus grande intégration à ses objectifs de rentabilité» 780.
A partir du sentiment que révèle l'affaire Clavaud en France où existe pourtant
quelques dispositions sur la participation des salariés aux résultats de l'entreprise, on peut se
faire une idée de l'état d'esprit qui peut être celui des salariés dans un pays comme le
Cameroun, où n'existe aucun dispositif permettant d'assurer la participation des salariés aux
résultats de l'entreprise. Les formules de dépit que ceux-ci emploient souvent lorsqu'ils vont
au travail sont à cet égard assez édifiantes: « je vais au travail de X »781.
Parce que le salarié a consCIence qu'il ne reçoit pas de l'employeur une juste
rémunération de son travail; parce qu'il s'est privé de la "valeur hwnaine suprême ,,782 qu'est
la liberté en se mettant sous le lien de subordination, le rapport de travail ne peut lui
778 Soc. 28 avril 1988, D. O. 1988, p. 251.
779 Sur cette mobilisation, voir L. BROVELLl, Liberté d'expression et nullité d'un licenciement, D. 0.1988, p.
249.
780 Ibid.
781
Dans cette formule, « X)} est l'employeur.
Elle signifie que le salarié va faire un travail qui profite
exclusivement à l'employeur.
782 L'expression est de P. KA YSER op. cit., 400.

apparaître que comme une agression injuste. Celle-ci peut à tout moment devenir intolérable
et justifier une réaction, même violente.
Les données du contexte montrent que le mal est à la fois réalisé et imminent. En effet,
les salariés ne supportent pas déjà leur condition actuelle parce qu'elle leur paraît à bien des
784
égards injuste. Au surplus, l'idée de droits acquis recule
un peu plus chaque jour, parce que
certains employeurs veulent leur faire supporter ou à tout le moins partager le poids de la crise
économique voire de leurs erreurs de gestion. Dans ces conditions, était-il audacieux que la
réaction des salariés bénéficie des analyses faites sur la légitime défense.
B. La réaction légitime
Si malgré la répression multiforme dont elle a été l'objet la grève s'est imposée
comme moyen de luttes sociales, c'est bien parce qu'elle est la manifestation de l'instinct de
conservation. Pour le salarié, la grève répond en général à la nécessite absolue de survivre
dans la relation de travail. Le contentieux de la grève a souvent révélé cette réalité. En effet,
dans plusieurs affaires la Cour de cassation française, a affirmé que les salariés avaient été
« contraints de recourir à la grève pour obtenir le paiement de rémunérations ayant pour eux
le caractère alimentaire »785. Certes, cette affirmation visait à justifier qu'exceptionnellement
les grévistes bénéficient de la rémunération pendant la période de suspension du contrat de
travail pour fait de grève. C'est dire qu'elle n'apportait rien à la légitimité de la grève qui, en
elle-même, ne faisait pas de doute. On a souligné que depuis l'avènement du salariat, la grève
constitue un phénomène sociologique incontournable. Le pouvoir de ceux qui n'ont pour seul
moyen d'existence que leur force de travail consiste à cesser collectivement leur activité
professionnelle afin de prouver leur existence humaine et lier avec ceux qui exploitent leur
force de travail des négociations portant sur la rémunération ou les conditions de travail, avec
parfois des prolongements sur le plan législatif et réglementaire786 . L'erreur, dans cette
analyse, serait d'isoler la grève des autres aspects de la dimension collective des rapports de
travail. Un tel schéma ne correspond nullement aux données historiques sur l'apparition de la
dimension collective des rapports de travail. La grève et la négociation collective sont deux
784 La manifestation la plus incontestable de la menace perpétuelle et du recul de l'idée des droits acquis est
l'apparition d'un mode de dérogation in pejus aux règles légales ou conventionnelles.
785Soc.14 mars 1979, D. 1979, I.R. 423 übs. J. Pélissier; 20 février IlJl) 1, Dr. soc 1991, 318, note J. Savatier.
7861bid.

moyens de lutte indissociables, puisque la grève n'est pas une fin en soi. Elle apparaît bien
souvent comme" la pré-condition" d'une négociation sérieuse entre le capital et le travail.
On comprend que l'Organisation internationale du travail considère le droit de grève comme
le corollaire indispensable de la liberté syndicale.
Derrière les revendications qui la sous-tendent, la grève et même toute l'action
collective des salariés apparaissent finalement comme une exigence de la dignité humaine
pour les salariés qui refusent de disparaître ou de vivre servilement dans une organisation
dans laquelle ils risquent d'être traités comme des objets.
Acculés donc par les injustices de leur condition, les salariés réagissent par les
instincts grégaire et de conservation. Cette réaction pourrait même prendre la forme de la
violence. La violence est ici considérée comme légitime puisqu'elle répond à une" violence"
qui ne l'est pas. L'employeur doit accepter le mal qui résulte pour lui de l'exercice du droit de
grève. Le mal résulte de l'organisation des rapports de production.
A coup sÛT, on ne peut attendre du salarié en grève qu'il agisse dans le sens de l'intérêt
de l'employeur. Le droit de grève est au contraire un droit de nuire, exercé de surcroît dans un
contexte où le salarié a, dans une certaine mesure, perdu la maîtrise de soj786.
L'exercice du droit de grève ne saurait toutefois être l'exercice de la violence
787
aveugle
. Les salariés en grève agissent dans le but de voir améliorer leur condition. Si on ne
peut exiger d'etLx d'agir totalement "à sang froid"788 dans ce contexte où ils vivent la menace
de la disparition ou de l'asservissement, on ne peut non plus leur permettre de compromettre
irrémédiablement d'autres intérêts sous le prétexte de la grève. Se montre là une des
786L'artic!e 85 al. 4 du code pénal camerounais retient comme condition d'application de l'excuse de provocation
le fait que la provocation soit de nature à priver une personne normale de la maîtrise de soi.
787En droit pénal, le législateur s'efforce d'établir, en cas de légitime défense ou de riposte à une provocation, un
rapport de proportionnalité entre l'attaque et la riposte. En matière de légitime défense, l'article 84 du Code pénal
camerounais dispose qu'''il y a toujours juste proportion entre l'homicide et l'atteinte qui donne lieu de craindre
soit la mort, soit les blessures graves ... soit le viol ou la sodomie". L'article 85 al. 2 du même Code dispose que
"l'homicide ainsi que les blessures sont excusables s'ils ont été provoqués par des coups ou violences graves
envers les personnes". Il est clair, au regar2 Jes solutions retenues, que le législateur n'exige pas une symétrie
entre la gravité de l'attaque et celle de la riposte. En général, les personnes agissant en légitime défense ou après
une provocation n'ont pas le temps, et ne sont pas dans des conditions psychologiques pouvant leur permettre de
mesurer sereinement leur réaction à l'attaque. Tout de même, le législateur exige d'eux qu'ils soient raisonnables.
788 L'Ancien Droit analysait la légitime défense comme le résultat d'une contrainte morale; l'acte de défense
n'était pas commis de sang-froid (Voir STEFAl'H (G), LEVASSEUR (G) et BOULOC (B), Droit pénal général,
Précis Dalloz, 1994, n0387.
209

difficultés du droit de grève : savoir jusqu'où aller, ou plus concrètement la limite entre
l'exercice normal et l'exercice anormal du droit de grève. La question est particulièrement
difficile parce qu'ici on ne peut simplement faire recours au critère de l'abus de droit qu'est
l'intention de nuire789, le droit de grève étant en lui-même un droit de nuire. En d'autres
termes, la nocivité est congénitale à la grève. L'intention de nuire ne peut sans doute
caractériser l'abus du droit de grève que si elle est particulièrement grave ou exclusive de tout
autre intérêt. Dans ce cas, on peut dire qu'elle traduit l'acharnement d'un combattant qui
dépasse les lois de la guerre790.
En somme, il faut bien comprendre le sens et la philosophie du droit de grève. Le
recours à la grève est en principe légitime, ce qui confère immunité aux grévistes791.
Exceptionnellement le bénéficie de l'immunité peut être retiré, en particulier lorsqu'on peut
prouver contre le gréviste une faute particulièrement grave. Il importe. sur le plan pratique,
que celui qui apprécie la faute chez le gréviste intègre l'esprit du droit de grève et la -condition
du gréviste. Ce dernier est, avant tout, un être longtemps dominé, qui vit un moment unique
il met entre parenthèses le lien de subordination. à défaut de l'inverser. Il agira donc en
général avec un zèle bien compréhensible. Mais il agira aussi en toute responsabilité. puisque
la liberté pour laquelle il lutte postule aussi la responsabilité.
L'acharnement avec lequel le salarié lutte pour sortir de sa condition de dominé et
l'organisation de la lutte collective montrent au passage que le salarié vit dans la soif de
valeurs humaines
789Le vocabulaire juridique de Gérard CORNU définit l'abus de droit comme une faute consistant à exercer son
droit sans intérêt pour soi-même et dans le seul dessein de nuire à autrui ou, suivant un autre critère, à l'exercer
en méconnaissance de ses devoirs socialL'c
790H. SINAy et 1. CI. lAVILLIER : Droit du travail: la grève op. cit, p. 261.
79lL'article L.521-1 du Code du travail français pose fort judicieusement que "La grève ne rompt pas le contrat
de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ".
Son exercice ne saurait donner lieu de la part de l'employeur à des mesures discriminatoires en matière de
rémunération et d'avantages sociaux.
En droit camerounais, l'interdiction de licencier en raison de la grève résulte implicitement du fuit que la loi
reconnaît le droit de grève.
Tout licenciement prononcé en violation du premier alinéa du présent article est nul de plein droit".
210

PARAGRAPHE II. LA LUTTE POUR LE RETABLISSEMENT OU LE RESPECT DE
VALEURS HUMAlNES
Trois valeurs humaines sont concernées par la dimension collective des rapports de
travail: la liberté, l'égalité et la fraternité.
Il est sans doute utile de rappeler ici que toute la dimension collective des rapports de
travail s'est construite dans l'objectif, pour les salariés, de sortir de la domination de
l'employeur. En
prenant donc pour argument de combat la volonté de sortir d'une
organisation des rapports de production qui les aliène, les salariés ont d'emblée placé leur
lutte sous le signe de la liberté.
Nous ne prendrons plus sous cet angle la dimension collective des rapports de travail.
Attachons nous plutôt à la façon dont est organisée la lutte collective, en constatant déjà que
les moyens de lutte utilisés étaient potentiellement porteurs d'un conflit entre le groupe et
l'individu. Le premier menace le second dans sa liberté792• On comprend pourquoi tout est
conçu dans le souci de préserver cette liberté. La doctrine souligne souvent à cet égard que le
syndicalisme et la grève doivent ménager la liberté des non participants793. Il faudrait sans
doute ajouter que le principe de l'ordre public social qui est la clé de voûte du droit du travail
semble être l'outil qui a le mieux construit le compromis entre la collectivité et la liberté
individuelle CA).
L'égalité, quant à elle, s'est imposée non pas seulement parce qu'elle est un corollaire
indispensable de la liberté, mais aussi et surtout parce qu'elle peut permettre d'atteindre des
objectifs précis. A vrai dire, l'observation attentive de la dimension collective des rapports de
travail révèle que le principe d'égalité est loin de présenter un visage saisissable d'un trait; sa
figure est au contraire multiforme (B).
Quant à la fraternité, elle a pratiquement été refoulée ou dégradée CC).
792 Au moins parce que tout groupement doit exercer une certaine autorité sur ses membres.
793 Nous ne développerons pas cet aspect de [a question ici.
21 1

A. L'ordre public social, compromis entre la collectivité et la liberté individuelle
La notion d'ordre public social est depuis longtemps au centre de controverses, en ce
qui concerne tant sa signification que ses sources formelles 795. Il n'est pas question de prendre
position à ce ni veau sur ces controverses796. Seulement, afin de conduire l'analyse, nous
avons adhéré à l'idée que l'ordre public en droit du travail est la définition du statut de base
auquel tout salarié peut prétendre797 . Il s'exprime dans la combinaison de~ sources du droit du
travail. Nous considérerons en particulier les rapports entre d'une part la loi et la convention
collective, et d'autre part la convention collèctive et le contrat individuel de travail.
Un détour dans l'évolution des relations collectives de travail permet de saisir le
compromis entre le groupe et la liberté individuelle. par le moyen de l'ordre public social. En
effet, les premières tentatives de construction d'une force collective en face du patronat ont
lieu dans un contexte dominé par le dogme de la liberté individuelle installé dans les esprits
depuis le siècle des Lumières. Aujourd'hui on dénonce allègrement ce dogme. parce quïl ne
signifiait rien de concret pour des salariés pris dans le lien de subordination798. On devrait
cependant éviter d'ôter la question cie son contexte. et de ne voir dans la mise en avant de la
liberté individuelle qu'un simple prétexte pour l'enfermement des salariés dans la relation
individuelle de travail. Le contexte historique de l'hostilité à l'égard des groupements est
avant tout celui du triomphe philosophique de la liberté, célébrée comme" valeur humaine
suprême ". Le contexte est aussi celui de la confiance dans la loi, expression de la volonté
générale 799. Pour ainsl dire, le droit sïdentitie à la loi 80o. On pense qu'entre le salarié isolé et
tàible et l'employeur tout-puissant qui aliène, c'est la loi qui est le moyen de la liberté. Sur le
plan philosophique donc l'idée de l'émergence du groupe ne pouvait pas manquer de susciter
quelque réticence ou à tout le moins une certaine inquiétude.
Au demeurant. et quelle que füt la bonne intention qui lïnspirait, la première approche
de la convention collective a donné raison ~l ceux qui portaient la crainte de l"asservissement
de l'individu par lè groupe. En dTet, la formule originelle du contrat collectif de travail ne fut
°9~ Nous ne developperons pas œt aspect de la C]uestion ici.
795 Voir G. COUTU RJE R, L'ordre pub 1ic de protection, heurs et mal !leurs d'une vielle notion neuve, in Etudes
offertes à Jacques Flour, Paris, Defrénois, 1979.
796 Voir infra, 1[ ème partie, titre 1. chap. l, Section 1. § 2. B, 1.
797 M. BONNECHERE, L'ordre public en droit du travail, ou la légitime resistance du droit du travail à la
flexibilité, D.O. 1988, P. 17 J.
798 La liberté était en fait galvaudée dans la relation de travail. puisqu'elle y était véritablement utopique.
799 L'article 6 de la Déclaration des droits de lïlonll:,è et du citoyen est clair à cet effet.
soo M. DELMAS-I'vIARTY. il! Libertés et droits fonJ,llllentaux, Ed. du Seuil, 1996,9.

ni plus ru moInS qu'une irrémédiable substitution du groupe à l'individu. L'objet de la
convention est de fixer par anticipation les conditions auxquelles devront être obligatoirement
conclus les contrats individuels de travail qui interviendront éventuellement entre le patron et
chacun des ouvriers800• Est bien loin toute idée d'autonomie de la volonté individuelle. La
volonté collective est ici magnifiée, et on ne peut qu'espérer qu'elle soit suffisamment sûre.
Le groupe ne pouvait en tout cas s'assurer une légitimité sociale qu'en garantissant au salarié
individu un niveau de liberté au moins équivalent à celui que procure la loi..
Comment, toutefois, s'assurer par avance que le groupe ne glissera pas dans le
totalitarisme ? N'allait-on pas simplement, sous le prétexte de libérer le salarié de la
domination de l'employeur, lui changer de maître rOI La peur de substituer à l'ancien un
nouveau maître peut se lire en général dans toute la législation sur les conventions collectives
d'entre les deux guerres mondiales. Mais la tâche était particulièrement difficile, parce qu'il
fallait en même temps consolider et fortifier le mouvement collectif afin qu'il joue le rôle
qu'il visait.
Les premières réponses du droit à la crainte de l'asservissement de l'individu par le
groupe furent loin de procurer satisfaction. Dominée par la crainte de porter atteinte à une
valeur aussi forte que la liberté individuelle, la loi française du 25 mars 1919 a gravement
fragilisé la dimension collective des rapports de travail. En effet, pour préserver la liberté
individuelle de chaque salarié, la loi a pris un certain nombre d'options parmi lesquelles on
peut relever trois principales. D'abord, la loi insiste sur la participation personnelle de chaque
salarié et sur l'idée du mandat en citant au premier point des salariés liés par la convention
ceux qui en sont les signataires ou ont donné un mandat spécial écrit pour traiter en leur
nom802• Ensuite, la loi donne une faculté de retrait aux salariés membres du groupement ayant
signé ou adhéré à la convention, qui ne souhaitent pas être liés par celle-ci. Ils doivent dans ce
cas démissionner du groupement dans un délai de huit jours francs à dater du jour du dépôt de
la convention au secrétariat du conseil des prud'hommes ou au greffe de la justice de paix, ou
de notification de l'adhésion803 . Enfin, la loi s'abstient d'imposer aux groupements une
Soo P. LOUIS-LUCAS, Conventions collectives de travail op. cit., 68.
SOlOn pouvait d'autant plus le penser que
le syndicalisme naissant ne se montrait pas tolérant à l'égard des
salariés qui hésitaient à rejoindre le groupe.
S02 Article 31-k (1°).
S03 Article 31-k (2° et 3°)

sanction en cas de non respect de la convention par leurs membres. La solution contraire
aurait certainement été une source de tension entre les syndicats et leurs membres.
Si la liberté individuelle en sortait sauvegardée, on s'éloignait de l'objectif poursuivi
qui est, faut-il le rappeler, de compenser la faiblesse individuelle des salariés par le recours au
groupe. L'insistance sur la nécessité d'un mandat écrit et surtout la faculté de retrait du
groupement uniquement aux fins d'éviter l'application d'une convention coÜective étaient des
facteurs d'affaiblissement de l'autorité de la convention collective et de désagrégation du
groupe. En effet, la faculté de retrait en vue d'échapper à l'application de la convention
collective pouvait s'exercer non seulement lorsque la convention collective avait été conclue
pour une durée indéterminée, mais aussi lorsqu'elle était conclue pour une durée déterminée.
Or, la convention à durée déterminée était conclue pour donner une certaine stabilité aux
relations de travail. Le groupement qui avait conclu la convention ne pouvait en effet la
dénoncer avant le terme prévu. Mais ses membres pouvaient s'en affianchir, par le jeu des
démissions. La convention collective était ainsi privée de toute portée pratique80-l.
Restait donc à trouver une formule qui, à la fois. souligne la nécessité de l'action
collective, donne au groupe une chance de se constituer durablement. et préserve la liberté
individuelle. Autrement dit la panacée devait être recherchée dans une formule qui donne à la
convention collective une force et un caractère de généralité qu'elle n'avait pas auparavant,
mais ménage la liberté individuelle. Le dispositif a été mis en place en deux étapes
principales.
La loi française du 24 juin 1936 s'oriente en général dans le sens de plus de généralité
et de force à la convention collective805. Seul cet aspect retiendra l'attention à l'époque806.
Pourtant, la loi de 1936 pose une règle d'une importance capitale : "Les conventions
804 P. DURAN n Traité de droit du travail op. cit., 435.
805 A la demande d'une organisation syndicale représentative, le ministre du travail provoquera la réunion d'une
commission mixte en vue de la conclusion d'une convention collective de travail ayant pour objet de régler les
rapports de travail entre employeurs et employés d'une branche d'industrie ou de commerce déterminée pour
une région déterminée ou pour l'ensemble du territoire. La commission mixte est composée des représentants
des organisations syndicales les plus représentatives. Le ministre doit au besoin intervenir pour aider à trouver un
accord entre les partenaires sociaux
(article 1). Sous certaines conditions, le ministre pourra étendre
l'application de la convention collective même aLLX dissidents (articles 31 vd et 31 ve).
806 Aussi bien les notes de présentation du projet que les débats à la Chambre des députés et au Sénat insistent
sur cet aspect.

collectives ne doivent pas contenir de dispositions contraires aux lois et règlements en
vigueur, mais peuvent stipuler des dispositions plus favorables ".
La règle a une double signification. D'une part elle réaffirme la confiance dans la loi
comme moyen de protection des salariés et donc aussi de leur liberté individuelle. D'autre
part elle renforce l'intérêt du salarié individu pour l'action collective, puisque la convention
collective ne peut modifier son "statut légal" que dans le sens de l'amélioration. Certes
demeure la crainte du totalitarisme du groupe. Mais à partir d'un socle minimum constitué par
la loi, le salarié avait plus à espérer qu'à redouter du groupe.
Le second maillon de l'ordre public social vint éloigner définitivement tout nsque
d'aliénation pour le salarié. En effet, la loi française du 23 décembre 1946 vint poser
clairement que
les
dispositions
des conventions collectives s'imposent
aux contrats
individuels, sauf si les clauses de ces contrats sont plus favorables aux travailleurs807. En
conséquence de l'assurance ainsi donnée au salarié qu'il ne risque rien en empruntant la voie
de l'action collective, le législateur de 1946 put. sans crainte, supprimer la faculté jadis
donnée au salarié de se retirer d'une organisation syndicale pour échapper à l'application
d'une convention collective. Le risque d'opposition d'intérêts était en effet supprimé, puisque
de la convention collective on ne pouvait qu'espérer une amélioration808 .
Le principe de faveur est ainsi apparu historiquement comme le moyen qui a assuré au
mieux l'intégration de la volonté de progrès social des salariés par le recours au groupe dans
un schéma stratégique qui préserve leur liberté individuelle. Autrement dit, si la dimension
collective des rapports de travail s'est construite durablement, c'est parce qu'il y a eu les delL"X
maillons essentiels du principes de l'ordre public social qui ont, aussi bien sur le plan
philosophique que sur le plan pratique, apporté des réponses satisfaisantes à la crainte de
l'asservissement du salarié individu par la collectivité des salariés. Sur le plan dogmatique, la
liberté du salarié se cristallise dans la lo~ mais sur le plan pratique, elle s'exerce par la faculté
de faire stipuler dans son contrat individuel de travail les dispositions autres que celles
contenues dans la norme collective. En définitive, grâce au principe d'ordre public social, la
norme collective, qui est le produit de l'exercice des libertés collectives, peut exister et se
développer sans menacer la liberté individuelle. Le principe d'ordre public social donne du
807 Article 31.
808 L'article 31 k du texte put aussi, sans- crainte, préciser que [es groupements sont garants de ['exécution de [a
convention par leurs membres.
115

relief à la liberté en l'éloignant de la perspective de s'exercer dans un sens défavorable à son
titulaire.
B. L'égalité, une figure multiforme
La liberté sans l'égalité n'est qu'un privilège809, d'autant plus dangereux qu'il serait
créateur des conditions de remise en cause de la liberté. La vérité est bien connue : dans les
rapports entre deux, le plus fort fait toujours peser une menace sur la liberté du plus faible81o•
Considérée sous cet aspect de garantie de la liberté, l'égalité est à l'origine même de la
dimension collective des rapports de travail. En effet, si la nécessité du recours au groupe a
été ressentie, c'est parce qu'on ne pouvait assurer une chance de liberté aux salariés qu'en
égalisant les conditions de discussion avec les employeurs.
Dans le milieu du travail cependant, on ne peut pas se limiter à cette approche.
L'égalité mérite d'être saisie aussi et surtout sous un angle qui n'est pas celui de la lutte des
classes, c'est-à-dire un angle qui intéresse non plus les rapports verticaux entre l'employeur et
le salarié, mais les rapports horizontaux entre salariés. Sur ce second terrain, on découvre les
relations très confuses voire contradictoires que la dimension collective des rapports de travail
entretient avec l'égalité. Il y a au moins une vérité qui s'offre à l'observation: l'égalité n'est
pas recherchée pour elle même; elle n'est qu'un moyen pour atteindre des objectifs811 •
Pourtant si on ne prend garde, on peut penser que la "valeur égalité" n'intéresse que
très modestement la dimension collective des rapports de travail. Dès l'origine, en particulier
du côté des salariés, on ne s'inquiète pas de ce que l'adhésion à un syndicat ou la conclusion
d'une convention collective puisse conduire à des inégalités. Une explication peut être donnée
: le recours à la dimension collective des rapports de travail ne trouvait pas sa cause dans les
inégalités entre salariés.
En revanche, on peut dire que le souci d'assurer une certaine égalité entre citoyens en
général et entre salariés en particulier n'a jamais quitté le législateur. En présentant la loi du
809 E. PICARD, L'influence du droit communautaire sur la notion d'ordre public, Actualité juridique droit
administratif, 20 juin 1996, 73.
810 Voir J. RIVERa, Les libertés publiques dans l'entreprise, Dr. soc. 1982, p. 422.
811 On ne doit peut-être pas s'en étonner outre mesure; même sur le plan philosophique, ['égalité ne doit son
statut de valeur qu'à sa fonction de garantie de la liberté. Elle serait ainsi une " valeur-moyen ", mais non
forcément seconde.
11ô

24 juin 1936 sur la convention collective, Michel DEBRE alors auditeur au Conseil d'Etat,
soulignait que la loi permettait d'intégrer les conventions collectives dans "les dispositions
administratives ". Mais il ajoutait qu'il ne fallait pas que la convention collective se substitue
à la loi812 ; parce que celle-ci, contrairement à la convention collective, est générale813 . Une
telle comparaison a perdu une part de sa force depuis qu'on sait que la convention collective
peut, par divers mécanismes, avoir un champ d'application très étendu814• Mais replacée dans
son contexte, cette comparaison montre bien le souci des pouvoirs publics de veiller à un
minimum d'égalité, condition de la permanence du contrat social. Si malgré tout cette égalité
entre les salariés pouvait être rompue par la conclusion d'une convention collective, on ne
pouvait aller jusqu'à une remise en cause des conditions minimales du contrat social. Ces
conditions minimales pouvaient encore être trouvées dans la loi conservée comme outil
primordial de régulation des rapports de travail. La convention collective pouvait simplement
améliorer ce minimum dans l'intérêt des salariés auxquels elle s'applique.
Ainsi, la recherche de l'égalité n'est pas sans rapport avec l'idée d'un statut
nurumum. Ce rapport va se confurner dans les relations entre salariés liés par une même
convention collective. C'est alors la convention collective qui sert de plancher; le contrat
individuel de travail peut améliorer les dispositions conventionnelles. Le moindre des
paradoxes n'est pas qu'on peut justifier par la liberté, et plus précisément la liberté
contractuelle, les dérogations que le contrat individuel de travail peut apporter à la convention
collective, et même celles que la convention peut apporter à la loi. Le ravalement de la
"valeur égalité" au rang de simple instrument du statut minimum serait causé par la soif de
liberté.
Le législateur pousse parfois plus loin son jeu; il ne se contente pas de défonner la
"valeur égalité ", il la repousse purement et simplement lorsqu'elle peut compromettre
certains objectifs. Le syndicalisme n'a pu être praticable qu'avec un certain infléchissement
voire une rupture de l'égalité entre syndicats. Une guerre d'audience et de leadership entre
syndicats est née du pluralisme syndical, conséquence de la liberté syndicale illimitée.
Plusieurs syndicats se sont constitués et veulent s'adresser à l'employeur ou au groupe
patronal dans son ensemble au nom des salariés. Pour pennettre le dialogue entre les
partenaires sociaux, il a fallu organiser le "groupe salarié" et en particulier dire qui est habilité
812 C'est dire qu'il était hors de propos de ne faire de la loi en droit du travail qu'une nonne supplétive.
&13 M. DEBRE op. cit., 374. .
814 On pense notamment au mécanisme de l'extension.

ou plus habilité à parler au nom des salariés. La solution a consisté à imaginer la notion de
représentativité
des
syndicats815•
Des
avantages
seront
accordés
aux
syndicats
représentatifs816• Plus précisément certaines prérogatives seront réservées aux syndicats
représentatifs817•
Il en résulte forcément une inégalité entre syndicats, d'autant plus remarquable qu'elle
repose parfois sur un a priori définitif En effet, en France, certaines centrales syndicales ont
depuis longtemps fait preuve de leur représentativité818. Les syndicats qui s'affilient à elles
815Sur la représentativité des s)Tldicats, voir 1. M. VERDIER Mélanges A. Brun, 571 ; Dr. soc. 1991, p. 1.
816 Il n'est sans doute pas inutile de signaler que le droit camerounais parle non pas de la représentativité des
s)Tldicats, mais de leur plus grande représentativité. Cette expression est héritée de la loi française du 24 juin
1936, elle même héritière du traité de Paix de Versailles. Mais la nuance est pour l'instant sans conséquence
pratique.
817 Pour la liste des prérogatives des s)Tldicats représentatifs en France voir le Précis de droit du travail de G.
LYON-CAEN, 1. PELISSIER, A. SUPIOT, op. cil. n° 658.
Sans doute en raison du caractère embryonnaire du s)Tldicalisme au Cameroun, le législateur ne dit pas grand-
chose des prérogatives réservées aux s)Tldicats les plus représentatifs. De ce fait on ne voit pas clairement tous
les intérêts de la distinction entre les s)Tldicats les plus représentatifS et ceux qui le sont moins. Certes. il ya des
points de certitude et des points de relative incertitude.
Il est certain que le législateur réserve aux seules organisations s)Tldicales les plus représentatives le droit de
demander l'extension d'une convention collective (V. Article 53 du code travail), de faire désigner leurs membres
dans les organismes paritaires ( V. Article 119 (commission consultative du travail))., et, en cas d'élection des
délégués du personnel, le droit de recevoir du chef d'établissement communication de la liste des travailleurs de
l'entreprise remplissant les conditions d'électorat, et de désigner les scrutateurs dans les bureaux de vote ( V.
Articles 8 et 17 de l'arrêté de 26 mai 1993 fixant les modalités de l'élection et les conditions d'exercice des
fonctions des délégués du personnel.),
Le Code ne leur réserve pas expressément la prérogative de participer à la négociation des conventions
collectives nationales. Mais, la lecture du décret du 15 juillet 1993 fixant les conditions de fond et de forme
applicables aux conventions collectives de travail permet de comprendre que seules les organisations les plus
représentatives peuvent participer aux négociations. En effet, l'article 8 de ce décret prévoit que "la convention
collective nationale est élaborée par une commission mixte composée en nombre égal, de représentants des
employeurs et des travailleurs, nommés par arrêté du Ministre chargé du travail, sur proposition des
organisations syndicales les plus représentatives". Ainsi, sont exclues du processus les syndicats moins
représentatifS. (La convention collective est dite nationale lorsqu'elle est conclue dans le cadre d'une ou de
plusieurs branches d'activité. Son champ d'application doit obligatoirement couvrir l'ensemble du territoire
national (article 3 du décret 93/578 du 15 juillet 1993 op. cil.)).
Les incertitudes sont relatives à la convention collective d'entreprise. A son égard, ni le Code du travail, ni aucun
autre texte ne réservent aucun monopole aux organisations syndicales les plus représentatives. On peut bien
conclure que dans ces conditions, toute organisation syndicale, quel que soit son degré de représentativité, peut
conclure avec l'employeur une convention d'entreprise. Mais on se demande pourquoi le législateur aurait pu
prévoir une telle solution. Comment, en effet, réserver aux organisations les plus représentatives le droit de
participer à la conclusion des conventions collectives nationales, des accords d'établissement, et non pas aussi
des conventions collectives d'entreprise.
Sur le terrain, on ne trouve aucune pratique susceptible d'orienter la réflexion. Les quelques rares conventions
collectives d'entreprise qui existent ont été conclues sous le règne du monolithisme syndical de fait c'est-à-dire à
une époque où la notion de la plus grande représentativité était sans intérêt pratique. On espère que le pluralisme
naissant va permettre de répondre plus clairement à la question posée (La convention collective est dite
d'entreprise lorsqu'elle est conclue dans le cadre d'une ou d'un groupe d'entreprises. Son champ d'application
territorial peut être national, interdépartemental ou local (article 3 du décret 93/578 du 13 juillet 1993 op. cit.)).
glg La liste de ces syndicats figure dans un arrêté du 31 mars 1966.

bénéficient d'une présomption de représentativité. Cette présomption est irréfragable819•
Lorsqu'un syndicat n'est pas affilié à une centrale syndicale déjà reconnue représentative, il
.
. ' .
d
·820
Olt prouver sa representatlvlte
.
Quelles
que
soient
cependant
les
précautions
mIses
à
l'appréciation
de
la
représentativité d'un syndicat, on trouve parfois de grandes distorsions entre le droit et le
fait821 , ce qui peut conforter dans l'opinion que la loi institue des privilèges. On paie sans
doute là le prix du souci d'arriver à un syndicalisme efficace. N'étant pas une fin en soi,
l'égalité doit
être écartée
lorsqu'elle peut conduire à des
conséquences
fortement
préjudiciables.
Le législateur français montre du reste qu'il n'oppose pas égalité et action collective.
En effet, il a désigné à l'intention des partenaires sociaux l'égalité comme une valeur
fondamentale à promouvoir. Parmi les éléments que doivent contenir obligatoirement les
conventions collectives de branche conclues au niveau national pour être étendues, l'article
L.133-S du Code du travail cite: les modalités d'application de la règle" à travail égal, salaire
égal", et les procédures de règlement des différends pouvant naître à ce sujet ; l'égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes et les mesures de rattrapage tendant à
remédier aux inégalités constatées ; les conditions propres à assurer le droit au travail de
toutes personnes handicapées en état d'exercer une profession.
Ces quelques éléments montrent non seulement l'attachement du législateur à la
"valeur égalité ", mais aussi sa conviction de ne pouvoir y arriver sans le concours des
partenaires sociaux822. Le législateur, semble-t-il, se fait simplement l'interprète d'une pulsion
profonde chez chaque salarié. Et si la collectivité des salariés nourrit la prétention de pouvoir
réguler les rapports de travail, elle devrait s'assurer qu'elle est en mesure de permettre
l'expression de la "valeur égalité" entre salariés. Le mérite du législateur français est de
rappeler cette vérité banale : la soif d'égalité est bien toujours présente dans l'esprit des
819 Soc. 5 juillet 1977. D.O. 1978, p. 44.
820 Soc. 9 décembre 1982, Jur. UlMM, n° 444.
821
On le voit souvent lorsque les syndicats ont des appréciations différentes de l'opportunité du recours à
l'action collective violente. Il arrive parfois que le syndicat prétendument représentatif ne soit pas suivi par les
salariés.
822 Au passage ils montre comment la notion d'égalité peut se plier à diverses applications (non discrimination,
actions positives).
219

salariés. Mais on sait quelle est la complexité du sujet ; le législateur ne peut, depuis sa
lointaine position, régler tous les détails de l'exigence d'égalité entre salariés.
On peut remarquer que certaines dispositions des conventions collectives vont
tellement loin dans la recherche de l'égalité qu'elles secouent quelques certitudes. Le pouvoir
de direction des chefs d'entreprise est en effet atteint par les dispositions conventionnelles qui
organisent les modalités de promotion au sein de l'entreprise823• En investissant au nom de
l'égalité une aire de compétence jadis réservée au pouvoir exclusif du chef d'entreprise, la
collectivité des salariés réinstalle dans l'entreprise une valeur humaine que le pouvoir de
direction tend à évacuer. L'intelligence des dispositions conventionnelles est de ne jamais
glisser dans un égalitarisme qui enlèverait tout sens à la valeur sociale de l'effort individuel.
Les conventions collectives ne sont pas conçues dans le souci de placer tous les salariés à un
niveau unique; les dispositions sur la promotion sont au contraire fondées sur un postulat de
la hiérarchie des postes.
Au total, la "valeur égalité ", aussi bien par les soins du législateur que par l'action
des salariés, entretient des rapports très divers avec l'action collective. Tantôt édulcorée,
tantôt répudiée, elle est aussi, en même temps, magnifiée.
c. La fraternité pratiquement refoulée ou dégradée
Il est certainement très difficile de concevoir la fraternité dans un schéma où les
salariés sont enfermés dans la relation individuelle de travail824. Aussi, la dimension collective
des rapports de travail est une chance pour l'expression de la valeur de fraternité entre
salariés, puisque la fraternité ne peut se concevoir qu'entre deu.x au moins.
Pourtant on ne peut pas dire que le droit du travail est un terrain où prospère le
sentiment de fraternité. Au contraire, on a remarqué que la fraternité a été comme frappée de
stérilité juridique, et exclue du droit social825• Les causes d'une telle exclusion seraient à
chercher tout d'abord dans les difficultés pour le salarié d'assurer sa subsistance. Ces
823 Ce point sera développé infra.
824 Intellectuellement il est bien sûr possible de concevoir l'hypothèse d'une fraternité entre l'employeur et le
salarié.
825 A. SUPIOT, La fraternité et la loi, Dr. soc., 1990, ll8.
210

difficultés expliquent que non seulement il ne soit pas toujours en mesure de dépasser les
considérations matérielles pour entrer dans la dimension spirituelle dans laquelle s'inscrit la
fraternité, mais aussi que très tôt l'idée de solidarité ait été substituée à celle de fraternité. Le
concept de fraternité est certes difficile à cemer826, mais c'est sans doute à tort que pour
beaucoup il n'évoque que" la chaleureuse solidarité qui s'exprime dans une communauté
d'hommes et de femmes qui luttent pour le respect de leur dignité, tout autant que pour la
d ' ~
d l "
A
,,827
elense e eurs mterets communs
.
La mise en avant de la question des intérêts communs à défendre a conduit les salariés
à se satisfaire largement de quelques solutions du droit positif proposant une garantie de
survie là où l'Homme aurait espérer faire la rencontre de son «frater» c'est-à-dire de celui
pour qui il a de l'affection et pour qui il peut au besoin consentir des sacrifices. Les
dispositions sur le syndicat sont à cet égard lourdes de signification ; la loi reconnaît aux
travailleurs le droit de créer des syndicats professionnels ayant pour objet la défense des
intérêts notamment éconorruques, industriels, culturels et morau.x de leur membres828 .
L'intérêt, et non un quelconque sentiment, se trouve ainsi désigné comme le ciment de la
dimension collective des rapports de travail.
L'approche est porteuse d'un certain nombre de difficultés liées à la diversité des
intérêts. Si en effet la dimension collective des rapports de travail peut espérer se fortifier à
partir de l'idée d'une opposition d'intérêts entre le travail et le capital, on ne peut nier ni
même négliger les divergences d'intérêts au sein du groupe salarié. Il en résulte forcément un
certain affaiblissement du groupe des salariés.
Il Y a dans l'observation des mouvements collectifs des signes qui font penser que les
travailleurs manifestent le désir de sortir du « guetho » de la dimension matérielle des rapports
collectifs. Le signe le plus banal est ce qu'on appelle sans doute improprement grève de
solidarité. Il s'agit de la grève déclenchée pour soutenir un salarié victime d'une injustice.
L'idée de solidarité peut convenir si l'on veut voir dans un tel mouvement la manifestation de
la crainte chez les grévistes d'être à leur tour victimes de mêmes mesures ou de mesures
similaires. Mais les grèves dites de solidarité se font parfois dans des conditions qui ne se
826 1. KASPAR., Fraternité et droit du travail, Dr. soc., 1990, 116.
827 Ibid.
828 V. Codes du travail camerounais (article 3) et français (article LAI!).
~21

prêtent pas à une interprétation autre que le sentiment de fraternité des grévistes à l'égard du
salarié victime de la mesure injuste. Le recours à la grève, qui en tout état de cause doit
s'analyser comme une prise de risque et un sacrifice important829, traduit peut-être alors le
retour des salariés à un sentiment profondément humain: la fraternité.
L'analyse juridique résiste pourtant au retour à ce sentiment fondamentalement
humain qu'est la fraternité. On n'admet en effet la licéité de la grève dite de solidarité que
3o
lorsque les grévistes peuvent justifier de l'existence d'un intérêt collectit . Très tôt la
doctrine83l et la jurisprudence832 ont montré leur hostilité à l'égard de l'altruisme. Mais la plus
nette formulation jurisprudentielle de cette hostilité est dans l'arrêt Courty du 8 janvier 1965
qui affirme l'illicéité d'une grève déclenchée par solidarité avec un salarié frappé d'une
sanction disciplinaire en se référant expressément à l'absence, en l'espèce, de tout intérêt
collectif susceptible de justifier l'action des grévistes, s'agissant d'un acte disciplinaire
individuel ne mettant pas en cause les intérêts des autres salariés833 . Si une telle solution est
parfois dénoncée, c'est toujours en tentant de démontrer l'existence d'un intérêt collectif au
moins sous-jacent. On explique que lorsqu'un salarié est licencié pour motif disciplinaire ou
autre, lorsqu'il est frappé de sanctions disciplinaires, lorsque devant une modification
unilatérale de son contrat il n'a d'autre alternative que de se soumettre ou de se démettre,
l'enjeu du litige dépasse le cas individuel, car le comportement patronal n'atteint pas
seulement le salarié isolément considéré mais touche à la condition actuelle et future de tous
dans l'entreprise834. Plusieurs arrêts sont dans cette orientation, c'est-à-dire qu'ils laissent voir
une nette souplesse pour les grèves dites de solidarité, en même temps que l'exigence de
l'existence d'intérêts collectifs à la base de la grève835 • Mais bien souvent, la reconnaissance
829 En acceptant de perdre son salaire pendant la période de suspension de contrat de travail pour la grève et de
courir le risque d'une rupture éventuelle de son contrat pour mouvement illicite, le gréviste fait un énorme
sacrifice.
830 J. DEPREZ, Grève de solidarité et pouvoir sanctionnateur du chef d'entreprise: vers un assouplissement des
conditions de licéité de la grève de solidarité ?, Dr. soc. 1988, p. 143.
831 V. P. DURAND et A. VITU, Traité du droit du travail, 1956,1. III, n° 229, p. 86 I.
BRUN et GALLAND, Droit du travail, 1ère édition 1958, III, 173, p. 90 I.
832 Casso Soc. 26 juin 1952, 5 è esp. Dr. soc. 1952, 534.
833 Soc. 8 janvier 1965, Dr. soc. 1965,380, noteJ. Savatier.
834 J. DEPREZ, op. ci1. p. 144.
835 Soc., 27 février 1977, Bull. V, p. 131 (grève de contestation contre le licenciement de quatre salariés. La
justification est la défense de la stabilité de l'emploi); 22 novembre 1995, Dr. soc. 1996, 204 ( grève pour la
défense de l'emploi) .
222

de l'existence de cette dernière condition apparaît bien artificielle. On dirait même que c'est
simplement l'idée de fraternité que la jurisprudence a en horreur836•
Quoi qu'il en soit, ce ne sont ni les nuances de la jurisprudence, ni les artifices
intellectuelles imaginées par la doctrine pour expliquer les variations qui vont faire admettre
qu'il y a toujours de l'instinct de conservation dans toutes les grèves déclenchés pour soutenir
autrui. La fraternité face au pouvoir disciplinaire est, dans tous les groupes d'hommes, de la
nature des choses837• La fraternité au sens de sentiment de commune appartenance à un même
ensemble est, dans les rapports humains, de l'ordre des choses. Elle implique entre autres des
sacrifices désintéressés pour autrui. Que le droit éprouve des difficultés particulières à
appréhender un tel sentiment est une donnée bien compréhensible. Qu'il montre de
l'acharnement à le condamner ou à l'évacuer du lien social paraît au contraire troublant. En
ce qui concerne plus particulièrement la grève dite de solidarité, on gagnerait soit à s'engager
résolument dans l'idée que dans l'entreprise un intérêt collectif existe toujours derrière un acte
individuel, ce qui est une manière artificielle de rester cohérent avec l'exigence d'un intérêt
collectif, soit à admettre qu'on peut faire grève par sentiment de fraternité, ce qui dispense de
rechercher la condition d'intérêts collectifs, mais aussi donne plus de prévisibilité au droit.
Le droit français tente cependant de faire un sursaut lorsqu'il pennet r expression de la
fraternité entre les salariés dans
la sanction des droits qui leur sont reconnus, et plus
précisément à des moments où ils ont besoin de se sentir entourés. L'image la plus saisissante
est celle d'un salarié menacé de licenciement. L'article L.122-14 du Code du travail français
prévoit que le salarié menacé de licenciement a la faculté de se faire assister par un conseiller
de son choix à l'entretien préalable au licenciement838• Ce conseiller, selon les cas,
appartiendra au personnel de l'entreprise ou pourra être pris en dehors sur une liste dressée
par l'administration après consultation des organisations syndicales.
Il ne fait toutefois pas de doute que ce qui a prévalu dans la pensée du législateur c'est
un pragmatisme devant le besoin d'assurer les droits de la défense des salariés menacés de
836 On peut être d'autant plus étonné par ce rejet que si l'on fuit un rapprochement avec Je droit pénal, on se
rendra compte que le droit a bien reçu le sentiment de fraternité. En effet, en admettant la légitime défense
d'autrui, le droit pénal donne une place au sentiment de fraternité.
837 v. F. GAUDU, La fraternité dans l'entreprise, Dr. soc., 1990, 137 ( l'auteur parle plus précisément de la
solidarité).
838 v. MATHIEU, Le conseiller du salarié, O., 1991, chr., 119 ; C. et P. MAYNIAL, Le statut du conseiller du
salarié: le début de la " longue marche" vers la représentation du personnel dans les PME, Dr. soc., 1994, 3 ; L.
ROCHE, Le conseiller du salarié: une institution complexe, Ibid., 10.

licenciement, en particulier dans des entreprises de petite taille. Au demeurant, c'est sous cet
angle que le texte a été le plus souvent étudié8J9• Il n'empêche que l'initiative du législateur
français a trouvé un terrain fertile à l'expression de la fraternité. Trois ans après l'institution
du conseiller du salarié, on fit le constat de son succès84o, en même temps que de la très forte
proportion des salariés dans les listes de conseillers dressées par les adrninistrations841 • Si du
côté du salarié menacé de licenciement l'institution peut être perçue simplement comme une
chance d'avoir droit à une bonne défense, du côté du "salarié-conSeiller" elle est la
manifestation de la fraternité.
Le pragmatisme du législateur peut également être vu derrière les dispositions qUI
permettent au salarié de se faire assister ou représenter devant les juridictions par un membre
du syndicat ou par tout autre salarié842• Le législateur français va même plus loin en prévoyant
des cas où le syndicat est admis à se substituer à un salarié victime d'une injustice84J . On voit
rapidement le souci d'assurer l'efficacité du dispositif légal même en cas de carence des
concernés immédiats. Mais comme pour les dispositions sur le conseiller du salarié. il ne faut
pas ignorer l'espace d'expression que ces dispositions ouvrent à la fraternité.
Pour autant, il ne faudrait pas ne pas souligner les difficultés d'expression de la
fraternité dans le milieu du travail, en particulier lorsqu'elle entre en conflit avec les intérêts
matériels des salariés. L'essoufflement de la "valeur fraternité" a été constaté à l'occasion de
la mise en œuvre du discours sur le « partage du travail »844. Cette valeur n'a pas été
suffisamment forte pour faire admettre aux salariés l'idée qu'ils doivent consentir des
sacrifices en termes salariaux pour donner aux autres salariés la chance d'être maintenus ou
recrutés. Certes, on avance souvent qu'il n'est pas sûr qu'existe en contrepartie des sacrifices
demandés aux salariés la garantie de recrutement ou du maintien durable d'un certain nombre
839 V. CHALARON, Fonnalisme en matière de licenciement individuel, Etudes offertes à A. WEILL, 1983, 121
; DUQUESNE, Droits de la défense du salarié menacé de licenciement, Dr. SOC., 1993, 847 ; PAUTRAT,
Omission dans la lettre de convocation de la faculté de se faire assister par un conseiller, Dr. soc. 1992, 977. Une
exception toutefois, F. GAUDU, La fraternité dans l'entreprise op. cit.
840 L. ROCHE op. cit. 17
841 C. et P. MA YNIAL op. cit., 4. La proportion a parfois atteint 99%.
842 V. Les articles 142 du Code du travail camerounais et R. 516-5 du Code du travail français.
843 V. les articles L.122-3-16, L.123-6, L. 125-3-1, L.127-6, L.135-4, L.321-15, L.341-6-2, L. 721-19 du Code du
travail.
844 Le partage du travail est une métaphore sociale employée pour désigner les situations où les salariés doivent
accepter des sacrifices pour éviter le licenciement d'autres salariés. On pense en particulier aux mesures
alternatives aux licenciements pour motif économique. A partir de l'observation que le travail ne peut être réduit
à un bien marchand, Alain SUPIOT a fait une critique de la notion de partage du travail (Le travail, liberté
partagée, Dr. SOC., 1993, p.715 et s.). Mais pour les besoins de la démonstration, nous considérerons le thème du
« partage du travail» comme il a été exploité.

de contrats de travail845• Mais à l'observation, il semble que chez les salariés, le SOUCI
d'assurer les lendemains pèse plus que toute autre considération. Au moins il y a à voir que le
législateur846 offre aux salariés une opportunité de" fraterniser" par le partage. L'ennui c'est
que ce jeu sera parfois mis en échec par la liberté qui s'exprime par le biais du contrat
individuel de travail. Des accords de partage de travail ont souvent été mis en difficulté par les
clauses du contrat individuel de travail en vertu de la règle de la solution des conflits entre la
convention collective et le contrat individuel847• S'il est plus favorable, lè contrat l'emporte
sur la convention collective.
A vrai dire, un tel conflit entre la fraternité et la liberté n'a rien d'étonnant. Les valeurs
qu'on rencontre en droit du travail en général et dans les rapports collectifs en particulier
entrent parfois en conflit. Il n'en demeurent pas qu'elles se recommandent d'une même toile
de fond qu'il faut à présent découvrir.
SECTION
II
: LA TOILE DE FOND DU RECOURS A LA DIMENSION
COLLECTIVE DES RAPPORTS DE TRAVAIL
Autant la collectivité s'impose comme donnée incontournable en droit du travail,
autant il est difficile de l'organiser au mieux des intérêts des salariés. Les raisons de telles
difficultés sont bien connues. Evoquons simplement les entraves que le patronat peut mettre
sur la voie de l'organisation et du développement des groupements de salariés. D'autres
difficultés, sans doute plus redoutables, sont endogènes à la collectivité des salariés. Elles
résultent essentiellement de la multitudes des valeurs en présence. Citons la liberté, l'égalité et
la fraternité, même réduite à son contenu non émotionneL la solidarité. Organiser et animer
l'action collective sont difficiles, parce qu'il faut sans cesse rechercher la juste combinaison
entre des pulsions parfois antagonistes, voire rappeler aux salariés des valeurs humaines à ne
point méconnaître. Si ces valeurs se bousculent et se limitent mutuellement, c'est qu'aucune
845 V. f. GAUDU op. cit., 138
&46 Le thème du partage du travail est très présent également sur le terrain judiciaire où il guide le juge qui
apprécie la justi fication du motif de la modi fication du contrat de travail par référence à l'intérêt de l'entreprise.
Le motif de la modification est reconnu légitime s'il correspond à une volonté du chef d'entreprise d'éviter le
licenciement. Le salarié qui refuse le partage en paie donc le prix sur le terrain de la qualification de son
licenciement éventuel.
847 V. J. E. RA Y, Les accords sur le temps de travail, Dr. soc., 1988, 110 et s.

d'entre elles ne peut à elle seule expliquer le recours à la dimension collective des rapports de
travail. Il y a donc un grave risque à raisonner à partir d'une seule de ces valeurs
(PARAGRAPHE 1). Il semble y avoir au fond des rapports collectifs de travail, comme du
reste au fond de toutes les solutions qui s'inspirent de la volonté de placer l'homme au centre
du droit, une valeur matricielle: la dignité (PARAGRAPHE Il).
PARAGRAPHE 1 : LES INCOVENIENTS D'UNE VUE PARTIELLE
On pourrait insister ici sur l'utilité de la conciliation entre la liberté individuelle et les
libertés collectives, si on veut donner une chance de survie à la collectivité en même temps
qu'à l'individu. On pourrait aussi insister sur la promotion simultanée des valeurs de liberté et
d'égalité dans la dimension collective des rapports de travail. Mais quels que soient les
intérêts qui peuvent s'attacher à ces questions, nous préférons ne pas les traiter ici. au moins
parce qu'elles sont traditionnelles. En revanche, il semble utile de tirer des conséquences du
triste destin de la fraternité sur un terrain où on n'imaginait pas son absence. A côté de la
liberté et de l'égalité, la fraternité fait figure de parent pauvre. L'approche choisie sera donc
de faire un plaidoyer pour la fraternité. Mais alors faudrait-il voir déjà comment et pourquoi
on est arrivé à la mise à l'écart de la fraternité.
L'entreprise comporte un grand ..sque, car il va falloir parler de devoir. En effet, on
court toujours un grand risque lorsqu'on évoque même l'idée que la reconnaissance des droits
sans le rappel des devoirs est une erreur848• Les juristes privatistes en particulier sont
excessivement méfiants devant le rappel des devoirs, parce qu'ils pensent que la démarche
dissimule une tendance répressive voire fasciste 849. Pourtant l'utilité du rappel des devoirs
semble vraiment aller de soi. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne
s'y dérobe pas, même si elle reste certainement très discrète sur les devoirs de l'homme. On
pouvait penser que guidés par l'exaltation de la liberté individuelle que les philosophes des
Lumières puis la Révolution française tenaient pour sacrée, les rédacteurs de la Déclaration se
contenteraient de construire pour l'homme un monde idyllique où il n'aurait que des droits et
jamais des devoirs. La lecture du texte pousse à une analyse différente. Dès le préambule, la
Déclaration se propose de rappeler à tous les membres du corps social leurs droits et leurs
848 Voir Y. MADIOT, La place des devoirs dans une théorie des droits de l'homme, in Pouvoir et liberté, Etudes
offertes à Jacques Mourgeon, Bruylant, Bruxelles 1998, p. 209.
849 De ce point de vue, le souvenir des régimes qui ont insisté sur les devoirs leur rend justice.

devoirs. Certes, par la suite, et globalement, le sens immédiat du texte est l'assignation des
limites aux pouvoirs des gouvernants et l'énonciation corrélative d'un certain nombre des
libertés individuelles. Mais les limites des libertés individuelles découlent incontestablement
des nécessités de la vie en communauté. La Déclaration affinne à cet égard que" La liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ...,,850,
La liaison ainsi faite entre la liberté et le prochain est plus profonde qu'il ne paraît.
D'un point de vue éthique, elle met en lumière le devoir d'humanité qui s'attache à la liberté.
Le pouvoir de liberté d'un homme n'a d'égal que le pouvoir de liberté de tous les autres
hommes et ce pouvoir est un devoir.85l Le droit qu'a chaque homme d'être reconnu libre va
de pair avec son devoir de reconnaître la même liberté aux autres hommes. Il ne peut, sans
renoncer à son" devoir d'humanité "S52, échapper à cette logique. Ainsi, aussi bien d'un point
de vue de l'utilité sociale que d'un point de VUe éthique, il existe une indivisibilité entre les
droits et les devoirs de l'homme.
Il n'empêche que d'un point de vue de la traduction juridique, on pense qu'indiquer
les devoirs de l'homme dans une déclaration est parfaitement inutile, parce que les devoirs
sont en quelque sorte sous-jacents aux droitsS53 . La solution laisse bien voir que les devoirs ne
seraient que la face cachée et donc honteuse des droitsS54. Dès lors on comprend assez
aisément pourquoi une valeur humaine comme la fraternité trouve difficilement place en droit
du travail. Il est déjà assez significatif que la fraternité n'ait pas trouvé place dans la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pourtant l'idée de fraternité n'est pas absente
des discours antérieurs et même contemporains à la Révolution française s55• Si elle n'est pas
introduite dans la Déclaration, c'est parce qu'elle ne rentre pas dans sa logique profonde qui
est celle des libertés publiques au sens classique de la notion. La Déclaration est, avant tout,
une somme de prérogatives reconnues à l'homme et, corrélativement, l'assignation des limites
aux pouvoirs de l'Etat. La fraternité, qui résulte d'un rapport horizontal entre les hommes,
pouvait donc en être absente.
850 Article 4.
851 S. GOYARD-FABRE, La Déclaration des droits ou le devoir d'humanité: une philosophie de l'espérance,
Droits, 1988, 8, 43.
852 L'expression est empruntée à S. GOY ARD-FABRE op. cit.
853 Y. MADIOT op. cit. p. 210.
854 Ibid. 214.
855 A. SUPIOT a fait une ouverture sur la " longue histoire" de la fraternité dans son article intitulé : La
fraternité et la loi, Dr. soc., 1990, 118.
227

Par la suite la fraternité est récupérée par la Constitution de 1848 et prendra même
place dans la devise de la République française856• Mais jamais elle n'a proprement accédé au
rang de principe juridique. Restée dans l'ordre des sentiments, elle est laissée au bon vouloir
de ceux qu'elle unit857• Lorsque les Constitutions françaises de 1946 et de 1958 proclament
leur attachement à la Déclaration de 1789, on peut bien deviner qu'elles ne pensent pas à la
fraternité.
Au contraire de la fraternité, la liberté et l'égalité sont depuis longtemps entrées dans
l'ordre juridique positif où elles sont perçues beaucoup plus en termes de prérogatives pour
les citoyens. La fraternité est laissée à la traîne, entre autres parce qu'on ne voit pas
directement les prérogatives qu'elle peut instituer, et qu'à trop chercher elle aboutit à imposer
des sujétions à ses bénéficiaires. De surcroît, vue sous un certain angle, la fraternité porterait
la vision d'un égalitarisme entre les fraters.
Un tel projet heurte un monde du travail où les
inégalités entre salariés ne peuvent plus être dissimulées. Si en effet un tel nivelage peut être
flatteur pour les manœuvres et autres salariés peu qualifiés. il est une aberration pour les
cadres conscients de leur supériorité858. A la fraternité qui risque de trop afficher ses
contraintes, le réalisme des Constituants et autres juristes semble donc avoir préferé la face
rassurante de la liberté et de l'égalité. Si les valeurs de liberté et d'égalité ne manquent pas
d'instituer elles aussi quelques sujétions aux citoyens, au moins elles dissimulent bien celles-
ci derrière de fortes promesses de prérogatives.
Un tel discours plein de promesses convenait rrueux aux masses salariées que les
"dangers" de la "juridicisation " de la fraternité. Alors donc qu'on pouvait s'attendre à voir
la fraternité prospérer en droit du travail puisque celui-ci a pour objet le lien social, la
fraternité en fut pratiquement exclue.
A vrai dire, en se dispensant de donner un contenu juridique à la fraternité, le droit
positif n'a pas forcément rendu service aux salariés. L'apparente quiétude dans laquelle on est
installé est de temps en temps troublée par les exigences du monde du travail. Il n'est que de
se rappeler les difficultés du discours sur le « partage du travail ». Si l'on sentait intuitivement
856 Cette devise est: Liberté-Egalité-Fraternité.
m J. M. VERDIER, Syndicalisme et fraternité, Dr. soc., 1990, 127.
858 1. M. VERDIER souligne que dans son histoire, la fraternité fut un objet de discorde entre les conventionnels
et les sans-culottes, ces derniers aspirant à une" déhiérarchisation " de la société qui n'était pas acceptée par les
premiers (op. cit)

le besoin d'obliger les salariés à consentir des sacrifices pour le bien de tous, en revanche il
était difficile de fonder juridiquement un tel discours. L'obligation paraissait condamnée à
rester sur le plan moral. Au nom de quelle règle juridique pouvait-on obliger un salarié à
accepter le « partage» conventionnel du travail alors que son contrat individuel de travail -au
fond la liberté- lui donne les moyens juridiques de la résistance?
Le succès du discours sur le «partage du travail» suppose l'àffirrnation non pas
seulement du droit au partage, mais aussi de l'obligation de partager. Seule la fraternité
pouvait fonder plus facilement la politique de « partage du travail» puisqu'elle comporte des
certes des prérogatives, mais surtout des devoirs 859. Mieux, ce sont les devoirs que la
fraternité met en avant, car le visage de l'autre, non seulement mous interpelle, mais aussi
nous oblige à l'action860.
Le législateur camerounais, mû sans doutes par d'autres considérations, fait preuve
d'un courage certain sur le terrain du « partage du travail». La formule qu'il met en œuvre à
travers les mesures alternatives au licenciement pour motif économique témoigne d'une
nouvelle vision de l'entreprise, plus proche d'une institution comme la famille. Le législateur
autorise le chef d'entreprise à licencier le travailleur qui refuse les mesures de sacrifice
alternatives aux licenciements. L'article 40 du Code de travail dispose que pour tenter d'éviter
un licenciement pour motif économique, l'employeur doit réunir les délégués du personnel et
rechercher avec eux en présence de l'inspecteur du travail du ressort toutes les autres
possibilités telles que; la réduction des heures de travail, le travail par roulement, le travail à
temps partiel, le chômage technique, le réaménagement des primes, indemnités et avantages
de toute nature, voire la réduction des salaires. A l'issue des négociations, et si un accord est
intervenu, un procès verbal est signé par les parties et par l'inspecteur du travail. Dans le cas
où un travailleur refuse d'accepter les mesures visées, il est licencié.
Il semble que dans l'esprit de ces dispositions, le travailleur ne peut s'opposer aux
mesures alternatives au licenciement en invoquant les règles classiques de solution des
conflits de normes, et en particulier en leur opposant son contrat individuel de travail. En
effet, les dispositions légales sont fondées sur une idée de sacrifice à consentir pour éviter les
licenciements.
859 V. F. GAUDU op cit., p. 138 à 141 pour les prérogatives et les devoirs de fraternité.
860 E. LEVINAS, Totalité et infini, essai sur l'extériorité, éd. Livre de poche, Paris, 1990.

Il ne faut cependant pas ignorer le risque qu'il y a de détourner les dispositions légales
de leur philosophie. L'employeur peut être dans la tentation de passer très rapidement aux
mesures drastiques alors que celles-ci ne s'imposent pas. Afin d'éviter une telle occurrence, le
législateur a soustrait les mesures alternatives au licenciement, en fait les « mesures de
partage », au pouvoir de direction pour les placer dans le cadre de la négociation d'entreprise.
Si donc la nouvelle vision de l'entreprise peut être comparée à l'image dé la famille, le chef
d'entreprise sera ici loin du chef de famille qu~ très souvent, prend seul les décisions; au
contraire, il doit engager la négociation avec le personnel et s'en tenir à ses résultats s'il veut
se fonder sur les mesures alternatives au licenciement pour motif économique. En d'autres
termes, les sacrifices qui sont demandés des salariés ne sont nullement imposés par
l'employeur mais, aussi bien dans leur objet que dans leur mesure, décidés dans l'intérêt
commun par les parties à la négociation. La présence de l'inspecteur du travail pendant toute
la durée des négociations est le gage de l'effectivité de celles-ci.
On ne trouve pas en droit français un tel dispositif imposant ouvertement des sacrifices
aux salariés. Pris au dépourvu, le Conseil constitutionnel a très habilement rattaché au droit
d'obtenir un emploi une solution que la fraternité aurait mieux expliquée. II s'agissait de
savoir dans quelle une limitation des possibilités de cumul au-delà de soixante ans entre
pensions de retraite d'un régime obligatoire et revenu d'activité était conforme aux
dispositions constitutionnelles sur le droit au travail. Plus concrètement, la loi soumise à
l'examen du Conseil constitutionnel modifiait le régime de la contribution de solidarité
imposée aux retraités cumulant une pension et un revenu d'activité, dans des conditions qui
dissuadaient en fait ceux-ci d'exercer toute activité.
La Haute juridiction a affinné qu'il
appartenait à la loi" de poser des règles propres à assurer au mieLLx le droit pour chacun
d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre
d'intéressés possible et le cas échéant en faisant contribuer les personnes exerçant une activité
professionnelle à l'indemnisation de celles qui en sont privées ,,861. Le texte est jugé conforme
à la Constitution parce qu'il permet l'exercice du droit au travail par un plus grand nombre,
même si en même temps il restreint la liberté du travail862• On peut remarquer que la solution
met en conflit le droit au travail et la liberté du travail. Cette opposition paraît assez curieuse
au regard des analyses classiques. MieLLx, si le Conseil constitutionnel explique bien pourquoi
861 Cons. const., n° 85-200 du 16 janvier 1986.
862 Dans ce sens, voir G. LYON-CAEN, J. PELISSIER., A. SUPIOT op. cit. n° 46
230

les personnes privées d'activité peuvent prétendre à une indemnisation, en revanche elle laisse
dans le mystère les raisons pour lesquelles cette indemnisation est mise à la charge des
personnes en activité. Une chose est de reconnaître le droit au profit d'une personne, une autre
en est de mettre ce droit à la charge d'une autre personne. Or, le lien de fraternité semble
pouvoir mieux expliquer le mécanisme juridique par lequel les salariés peuvent au besoin se
soutenir mutuellement.
On peut tout de même observer que de façon très subtile le juge introduit la fraternité
dans le champ du droit du travail, en particulier lorsqu'il est appelé à apprécier par rapport à
l'intérêt de l'entreprise une proposition de modification du contrat de travail faite par
l'employeur. La proposition lui apparaît justifiée par l'intérêt de l'entreprise si elle répond au
souci du chef d'entreprise d'éviter des licenciements863 • La notion d'intérêt de l'entreprise
ouvre ainsi un champ inespéré à l'expression de la fraternité.
La fraternité, de par la double facette qu'elle montre, dévoile les eXIgences de la
dignité humaine qu'il faut à présent chercher à voir au fond des rapports collectifs de travail.
PARA.GRAPHE II: LA DIGNITE COMME VALEUR MATRICIELLE
Il semble ne point faire de doute que les questions de liberté et d'égalité sont des plus
présentes en droit du travail en général et dans les rapports collectifs de travail en particulier.
Au bénéfice des développements ci-dessus sur la fraternité, on peut dire qu'il est souhaitable
de mener une réflexion sur la place de cette valeur en droit du travail.
Les insuffisances d'une démarche fondée exclusivement sur la liberté ou l'égalité ou
même sur la liberté et l'égalité, nous ont conduit à voir que la mise à l'écart de la fraternité est
une erreur dans une matière ayant pour objet le lien social, si ce n'est pas l'Homme tout court.
l'Homme sur qui on réfléchit doit être saisi dans toutes les valeurs qui lui sont essentielles.
C'est un sujet qui aspire à la liberté, à l'égalité et à la fraternité avec son semblable. En vérité,
il aspire à une valeur plus globalisante qui suppose certes les composantes évoquées, mais les
dépasse. Cette valeur matricielle si l'on veut, ne peut être que la dignité puisque c'est elle qui
explique mieux l'Homme en le singularisant.
863 V. sur la question f. GAUDU op. cit., 139.
231

Nos réflexes de juriste nous poussent naturellement à nous demander quels sont les
prérogatives juridiques qui sont en cause, au profit de qui ces prérogatives sont instituées864•
Mais cette approche n'est pas toujours pertinente en ce qui concerne la dignité. Dans son
acception la plus ancienne, la dignité postule aussi des devoirs, en ce sens qu'on exige des
personnes de rang supérieur qu'elles aient une conduite conforme à leur rang. Cette acception
est certes en recul notamment chez les juristes, mais elle n'a pas complètement disparu. On la
retrouve lorsqu'on lit les textes sur quelques corps de profession865• On la retrouve aussi
lorsqu'on réfléchit à partir de son antonyme, la notion d'indignité, plus familière au droit.
Bien entendu, il faudrait éviter de penser que l'indignité est une sorte de privation de la
dignité. Cette conception doit être écartée, parce que la dignité est inarnissible866. Il ne semble
pas que le droit puisse consacrer une solution qui aboutit à la perte de la dignité. Le Code civil
parle de l'indignité
à propos du successeur867. L'indignité successorale est une simple
déchéance de droits successoraux qui frappe un héritier coupable d'une faute grave.
Si la notion d'indignité ne nous permet pas de cerner vraiment celle de dignité, au
moins nous avertit-elle de ce que la dignité renvoie aussi à une certaine conduite idéale pour
les hommes. Une conduite hors de laquelle on devrait normalement se sentir indigne, c'est-à-
dire ignoble.
En droit du travail, la valeur de fraternité, mietLx que toute autre, peut expliquer cette
sanction. On peut par exemple voir que le salarié qui, par un sentiment égoïste, s'oppose à une
réduction du temps de travail ou de prime imposée par la nécessité d'éviter des licenciements
doit normalement vivre un supplice interne en tant qu'Homme. Car son refus du « partage du
travail» traduit son incapacité à faire triompher la valeur humaine qu'est la fraternité. Pour
faire court, c'est une sorte d'indignité que le droit sanctionne en autorisant l'employeur à le
licencier.
S'il est utile de faire ces précisions, encore faut-il lever une équivoque. Le propos
n'est pas de faire jouer la dignité contre les salariés; mais de souligner que la dignité humaine
864 Le titre de l'article de B. MA TillEU ci-dessus dit tout sur ces réflexes.
8<ij Voir, en France, article 6 de ('ordonnance nO 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature;
article 3 de la loi du 31 décembre 1971 sur les avocats.
866 Voir B. MAURER op. cit. p. 245.
867 V. article 727.

implique aussi ce qu'un auteur a appelé" des devoirs d'humanité ,,868. Il en est ainsi au moins
parce qu'on ne peut la réduire à la liberté. On sait déjà qu'elle implique incontestablement
869
l'égalité. Les moralistes parlent à cet égard d'égale dignité
. La dignité humaine implique
aussi la fraternité sans laquelle l'homme perd sa dimension affective pour n'être réduit qu'à
un animal obéissant à son instinct de survie.
La dimension collective des rapports de travail donne du relief à la dignité humaine
parce qu'ici on sort d'un schéma où le salarié n'est perçu que dans son rapport avec
l'employeur. Il est appréhendé ici dans toute la complexité de sa situation quotidienne. Celle-
ci s'étale sur deux plans concomitants: le plan vertical et le plan horizontal. L'inscription de
l'égalité dans un schéma horizontal ne fait plus de doute dès lors qu'il est indiscutable que la
notion d'égalité en œuvre en droit du travail est moins une égalité entre l'employeur et le
salarié qu'une égalité entre salariés. De même, la fraternité s'inscrit essentielJement dans une
démarche horizontale.
A propos de la liberté, on pouvait penser a priori ne devoir réfléchir que dans un
schéma vertical employeur/salarié. Pourtant là encore il ne faudrait pas oublier la démarche
horizontale. Il suffira de donner deux indications pour l'illustrer. En premier lieu, on
considérera la liberté syndicale qui se déploie sur plusieurs façades dont celle qui astreint les
salariés pris individuellement ou agissant en groupe à ne point imposer leurs choLx ou
87o
convictions aux autres salariés
. En second lieu, on soulignera l'analyse de la grève sous le
concept de la liberté. Comme liberté, la grève présente à la fois une face positive et une face
négative. Cette dernière implique l'obligation pour les grévistes de respecter la liberté des non
grévistes de ne pas s'associer à la grève. Que le droit positif saisisse cette dernière facette de
la liberté de grève beaucoup plus en termes de liberté du travail87 1 n'y change absolument
nen.
868 S. GOYARD-FABRE op. cit. 46.
869 On consultera très utilement la morale sociale de l'église sur ce thème.
870 V. Codes du travail camerounais (article 4) et français (articles L.412-1, L.412-21)
871
V. Code du travail français, article L.412-1, Soc. 17 mai 1977, Dr. soc. 1978, 119 ; Code du travail
camerounais, article 19.

Conclusion du chapitre
En recourant à la dimension collective, les salariés recouvrent une part importante de
leur liberté perdue dans la relation individuelle de travail.
Mais le succès de la construction n'était pas assurée compte tenu de la crainte que la
collectivité
n'impose
aux
salariés
pris
individuellement
des
sujétions
intolérables.
L'ingéniosité du droit du travail a consisté à forger le principe de l'ordre public social qui,
entre autres, a permis de concilier les poussées simultanées de la collectivité et de l'individu
dans la relation de travail. C'est que dans ses manifestations tant collectives qu'individuelles,
la liberté est une valeur essentielle.
Quant à l'égalité, elle s'est imposée non pas seulement parce qu'elle est le corollaire
de la liberté, mais aussi parce qu'elle permet d'atteindre un certain nombre d'objectifs bien
ciblés par le législateur.
Assez étonnamment la fraternité ne s'exprime que très imparfaitement dans les
rapports collectifs de travail. On peut pourtant bien se demander aujourd'hui si, au moins au
nom du devoir de partage, on ne devrait pas promouvoir la valeur de fraternité dans le lien
social. Les politiques de « partage du travail» et les récentes décisions de la jurisprudence
française sur les rapports entre la norme collective et le contrat individuel de tuvail montrent
qu'on ne peut utilement réfléchir sur le lien social à partir d'une seule valeur comme la
liberté. Le lien social concerne l'Homme, dans ce qu'il a d'essentiel: la dignité. Celle-ci n'est
pas réductible à la liberté, ni même à la liberté et à l'égalité. Elle englobe aussi la fraternité.

CONCLUSION DU TITRE
La relation individuelle de travail est un grand «réceptacle» des droits et libertés,
même d'exercice collectif comme la liberté syndicale ou de grève. On ne peut donc s'étonner
que même d'un point de vue de la reconnaissance formelle elle offre les plus grandes
possibilités d'expression aux droits et libertés. Aussi nous a-t-il paru possible de présenter à
partir de la relation individuelle de travail les droits et libertés tant individuels que collectifs
de salariés.
Il ne faut cependant pas voir dans cette présentation une quelconque mise en retrait de
la dimension collective des rapports de travail. Au contraire, on a souligné que c'est elle qui
donne leur portée véritable aux droits et libertés. Que seraient les nombreuses libertés
reconnues au salarié si, face à l'employeur, il se présentait tout seul pour les défendre?
Mieux, même d'un point de vue de la conquête des nouveaux droits ou espaces de liberté. la
dimension collective des rapports de travail joue le rôle majeur à la fois fàce à l'employeur et
aux pouvoirs publics.
La dimension collective des rapports de travail est construite sur des valeurs de
liberté, et d'égalité. Il fàut espérer qu'elle donne plus de place à la fraternité. Que ces valeurs
s'y bousculent et s'y opposent parfois n'a rien de désolant. Le droit du travail ne progressera
qu'en assurant un équilibre satisfaisant entre ces valeurs.
2~5

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Le droit du travail moderne a permis une remise en cause progressive et, on peut le
penser, définitive de l'analyse marchande du travail en insistant sur la nécessaire prise en
compte de la personne du salarié. Pour les salariés, l'avancée vers une société civilisée s'est
faite en termes de prérogatives qui leur ont été reconnues par le législateur pour la défense de
leur personnalité. Les droits en cause ont triomphé de l'analyse patrimoniale de la relation de
travail, parce qu'ils ont été reconnus essentiels voire indispensables à la conception qu'on se
fait de l'Homme et du travail humain. Le langage juridique dit plus précisément que ces droits
sont fondamentaux.
L'opération qui pennet ainsi de qualifier le droit de fondamental est pratiquement
intuitive, ce qui comporte certes le risque d'arbitraire, ou à tout le moins de qualification
abusive. Mais il n'est pas douteux que le recours à la notion de droit fondamental traduit
toujours l'idée d'une prérogative qu'on veut rattacher à la dignité. Le principe de dignité est
en fait la référence philosophique qui a fécondé le droit positif et permis l'émergence des
droits fondamentaux. II n'est pas cependant sûr que le droit positif a tiré toutes les ressources
nécessaires du principe de la dignité. L'intéressant serait qu'existe une corrélation entre le
régime des droits fondamentall;,( et la notion de dignité.

DEUXIEME PARTIE
LA NECESSAIRE CORRELATION ENTRE LE REGIME JURIDIQUE
DES DROITS FONDAMENTAUX ET LA NOTION DE DIGNITE
137

· L'hypothèse de travail est que si ce qui se trame autour des droits fondamentaux se
fait au nom de la dignité, il faut puiser dans la notion de dignité les éléments essentiels de la
construction d'une théorie des droits fondamentaux. Or, si l'emploi de la notion de dignité est
devenu relativement courant chez les juristes, personne n'en a formulé une définition
juridique, et il n'est pas exclu qu'on s'en tienne définitivement à ce vide. En effet, pour être
opératoire en droit, le concept de dignité n'a pas besoin d'une définition spécifique. Il peut
bien remplir sa fonction si l'on saisit son sens chez ceux qui l'emploient le plus souvent, à
savoir les philosophes. On remarquera du reste que ceux-ci le définissent moins souvent qu'ils
n'indiquent sa fonction. Rappelons ce qu'en dit Jean LACROIX: " La dignité est le caractère
de ce qui a valeur de fin en soi et non pas seulement de moyen. Il ne faut pas, poursuit
l'auteur, confondre prix et dignité: une chose a du prix quand elle peut être remplacée par une
autre équivalente. Mais ce qui n'a pas d'équivalent, et partant est au-dessus de tout prix, a de
·
..
,,\\
1a d19rute...
.
Sans effort, on comprend que la notion de dignité ne devrait être opératoire en droit
que si elle fonde les solutions extrêmes, puisqu'il y a au fond de la dignité une exigence de
perfection. Elle commanderait donc, pour les droits fondamentaux, des règles de protection
prévalant sur toute autre considération. Ne se rapprocherait-on pas ainsi de l'idée de " fin en
soi" que postule la dignité?
Comment, toutefois, conceVOIT, un tel absolutisme des droits des salariés dans le
rapport de travail, où le chef d'entreprise exerce inéluctablement des pouvoirs? Comment
penser qu'en tout état de cause le salarié pourrait opposer à l'entreprise tel droit, nit-il
fondamental? Il est sans nul doute vrai que les droits, même fondamentaux, sont toujours
relatifs:!. Sur le plan formel, un même droit peut être saisi différemment par deux textes qui lui
3
donnent des consistances différentes . Et quand bien même le droit aurait été saisi de façon
identique par deux textes, sur le plan substantiel, sa portée effective dépendra encore du
4
conflit dans lequel il est engagé . Il y a là une limite objective à la perfection souhaitée, qui
commande de s'accommoder des règles de protection simplement plus fortes. Le projet qui
1 V. Le social d'Auguste COMTE, cité par le Dictionnaire philosophique A. LALANDE.
2 E. PICARD, L'émergence des droits fondamentaux en France, AJDA, 1998, n° spécial, 26.
3 Ainsi en est-il du droit à l'égalité qui, selon les textes, peut ne signifier qu'une exigence de non discrimination,
ou peut commander des actions positives.
4 La liberté de conscience ne pourra pas s'exercer dans la même intensité selon qu'on a affaire à une entreprise
de tendance ou une entreprise quelconque.
238

est proposé (TITRE 1) n'ignore donc pas les limites à l'expression des droits fondamentaux
(TITRE II).
'139

TITRE 1
VERS UN REGIME SPECIFIQUE DES DROITS FONDAMENTAUX
Dans la mesure où il est question, en matière de droits fondamentaux, de perfection
ou plus précisément de régime fort, on voit poindre à l'horizon la nullité. Un auteur disait
qu'elle semble être la sanction la mieux adaptée aux prohibitions de la loi en matière d'acte
juridique, parce qu'elle est la plus naturelle, la plus adéquate au but de la 10 i ; parce que,
suivant l'expression romaine, elle lui donne son maximum de perfections. On voit aussi
poindre à l'horizon l'institution de l'ordre public puisqu'elle protège les intérêts forts, mais
aussi et surtout parce qu'elle a un sens et une fonction particuliers en droitdu travail. L'ordre
public social est ici l'outil de la conquête de plus d'avantages. Si l'on veut faire jouer aux
droits fondamentaux un rôle de rempart à la dégradation continue de la condition des salariés,
il faudrait déjà commencer par tirer tous les avantages de la notion d'ordre public sociaL
Le jeu de l'ordre public social fait penser aux mécanismes juridiques par lesquels on
peut mettre les droits fondamentaux hors de portée de l'employeur qui souhaite tirer avantage
de la faiblesse morale et matérielle du salarié.
Parallèlement à ces techniques qui concernent le fond du droit, il faut s'intéresser à la
transformation des règles procédurales si l'on veut construire un ensemble cohérent. Au fond
du droit donc, il s'agit d'appliquer la sanction maximale aux actes attentatoires aux droits
fondamentaux (CHAPITRE 1) ; dans la procédure, il s'agit de rechercher l'efficacité optimale
des solutions retenues (CHAPITRE II).
5 JAPIOT, Des nullités en matière d'actes juridiques, thèse, Dijon 1909, p. 41.
240

CHAPITRE 1
LA SANCTION MAXIMALE POUR LES ATTEINTES AUX DROITS
FONDAMENTAUX
C'est autour des problèmes de liberté, d'égalité et de sécurité qu'il faut tenter de
démêler ou de construire le régime fort des droits fondamentaux. Sans doute faut-il ajouter
que la sécurité doit être comprise aussi bien dans le sens de sécurité physique que dans celui
de sécurité économique6• Ce dernier aspect de la sécurité s'intéresse à la défense du salaire
aussi bien dans le cadre de l'action collective que dans un face à face entre l'employeur et le
salarié7.
Plusieurs moyens juridiques sont utiles à la protection des droits fondamentaux des
salariés: la nullité, la sanction pénale, les privilèges, l'ordre public social. L'erreur serait de
vouloir assigner systématiquement un domaine à chaque technique. Au contraire, elles se
combinent souvent même si on peut, pour des besoins de division de l'exposé, constater que
la nullité est pour des questions de liberté et d'égalité un moyen de toute première importance
alors que la sanction pénale, le jeu de l'ordre public social et les privilèges intéressent
beaucoup plus la question de sécurité. L'une des sections de ce chapitre tentera de souligner, à
partir de la liberté et de l'égalité, le rôle que joue et peut jouer la nullité dans la protection des
droits fondamentaux (SECTION I) ; l'autre tentera de montrer ce qui peut se construire autour
de l'exigence de sécurité (SECTION II).
6 Il faut même voir que la séparation sécurité physique/sécurité économique est dépassée par l'analyse du salaire
comme élément vital.
7 Il faudrait sans doute préciser que nous ne nous intéresserons pas à la protection internationale des droits
fondamentaux. Il est certes incontestable que l'enracinement des droits fondamentalLx dans le droit international
leur confere une possibilité d'être sanctionnés au niveau international. Et on sait avec quelle hardiesse les
juridictions internationales protègent les droits fondamentaux. Ne serait-ce que pour cette raison on peut affirmer
que les droits fondamentaux bénéficient d'une protection supérieure à celle des droits ordinaires. Mais ce n'est
pas la voie que nous avons choisie. La variété des mécanismes internationaux de protection des droits
fondamentalLx interdit une incursion, même succincte, dans ce domaine pour les seuls besoins de démonstration
de l'idée avancée dans ce titre.
241

SECTION 1: LA NULLITE, SANCTION DES ACTES ATTENTATOIRES AUX
DROITS FONDAMENTAUX
B. AARON a affirmé que "la possibilité pour un salarié d'obtenir du juge sa
réintégration en cas de licenciement illicite est l'un des critères fondamentaux qui permettent
d'apprécier la valeur d'un système juridictionnel en matière de travail ,,8. A l'aune de cette
affirmation, chacun peut apprécier l'évolution du droit et le chemin qui reSte à parcourir aussi
bien en France qu'au Cameroun. Pour mémoire, il faut rappeler que même si la jurisprudence
française a très tôt admis que le licenciement irrégulier des représentants du personnel est
nul9, elle a aussitôt affirmé que" l'obligation de réintégrer constitue une obligation de faire
dont l'inexécution ne peut donner lieu qu'à l'allocation de dommages-intérêts aux termes de
l'article 1142 du Code civil ,,10. C'est seulement en 1972 que s'opère une révolution en droit
socialll ; la Cour de cassation impose la réintégration comme conséquence de la nullité du
licenciement d'un représentant du personnel.
Il est intéressant de VOI le lien qUI existe entre les questions de nullité et de
réintégration, tout au moins lorsqu'il est question de licenciement. La réintégration est la
conséquence de la nullité du licenciement (PARAGRAPHE II). Mais se pose une autre
question importante, celle du domaine même de la nullité 12 (PARAGRAPHE 1).
PARAGRAPHE 1 : LE DOMAINE DE LA NULLITE EN DROIT DU TRAVAIL
En 1977, le professeur Gérard COUTURIER observait que "la place faite à la nullité
de l'acte juridique qu'est le congé en général et le licenciement en particulier est
étonnamment réduite en droit positif: dans les tables alphabétiques des ouvrages usuels, la
nullité du licenciement ne justifie jamais, ou presque, une rubrique distincte, on n'y trouve pas
le mot-clé renvoyant aux différents développements où seraient étudiées les causes de nullité
8
B. AARON cité par A. SUPIOT, "Les juridictions du travail" Traité de droit du travail de G. H.
CAMERLYNCK, t.9, Dalloz 1987, W 200, p. 209.
9 Ch. Civile, Section sociale 3 juin 1948, 0.0. 1948, p. 411.
\\0 Casso Soc. 27 novembre 1952 0.1953.329.
Il V.J.J. DUPEYROUX, Le Monde, 4 juillet 1972.
'
12 Pour des besoins d'équilibre, le paragraphe n'épuisera pas les problèmes de nullité. Les questions de null ité de
la compensation et de la renonciation seront abordées dans la section II.
242

du licenciement et les conséquences de ces nullités ,,13. Que l'auteur soit rassuré aujourd'hui:
aucun ouvrage de droit du travail ne peut plus s'autoriser une telle carence. Pour autant, des
problèmes demeurent, puisqu'on ne s'accorde pas sur le domaine des nullités.
Le prermer réflexe, lorsqu'on veut définir le domaine d'une institution, c'est de
chercher les textes qui en parlent. Mais ce réflexe risque de ne pas être d'un grand secours en
matière de nullité en général, et particulièrement dans les relations de travail. Nous sommes
en effet dans une matière où les textes ne sont pas toujours très précis, ou suffisamment
expressifs. Un effort d'interprétation s'impose donc si l'on veut saisir le sens des textes et
tracer le domaine des nullités. Il y a en fait des points de certitude (A), des zones d'incertitude
(B), et un besoin de pousser plus loin le domaine de la nullité (C).
A. Les points de certitude
En droit camerounaIS. la recherche des dispositions légales qUI sanctionnent de
nullité les actes attentatoires aux droits fondamentaux est relativement décevante. De tàçon
générale, le législateur camerounais parle très peu de la nullité. Le texte le plus souvent
évoqué à ce sujet est incontestablement l'article 130 du Code du travail frappant de nullité le
licenciement du délégué du persormel effectué sans autorisation de l'inspecteur du travail.
Puis viendraient, dans le même code et dans un ordre d'importance décroissant, l'article 4
alinéa 3 frappant de nullité tout acte contraire à la liberté syndicale, l'article 29 frappant de
nullité les dispositions du règlement intérieur ne rentrant pas dans son objet, l'article 30 fixant
les conditions que doivent remplir, à peine de nullité, les mises à pied l4, et l'article 75
frappant de nullité les dispositions qui autoriseraient des prélèvements sur salaires contraires
I5
aux dispositions légales .
La nullité du licenciement du délégué du persormel sans autorisation de l'inspecteur du
travail se justifie par l'idée que l'institution du délégué du persormel est une des
manifestations les plus fortes des libertés collectives des salariés. Sous la notion" d'intérêt de
13 G. COUTURIER, Les nullités du licenciement, Dr. Soc. 1977, p. 215.
14 Les conditions visées par le texte tendent, entre autres, à assurer au salarié mis à pied une garantie des droits
de la défense.
15 On verra cette idée dans la section II.
243

l'ensemble des travailleurs ,,16 que la jurisprudence a souvent mise en avant pour justifier la
sanction de nullité ou la neutralisation des moyens par lesquels l'employeur peut être tenté de
la contourner, il faudrait voir l'attachement aux libertés collectives des salariés. L'attachement
aux libertés collectives justifie aussi la sanction de nullité qui correspond à la violation de la
liberté syndicale. Certes, ne doit point être éclipsée la dimension individuelle de la liberté
syndicale. On dit bien de la liberté syndicale qu'elle est une liberté individuelle s'exerçant
collectivement.
La sanction de nullité appliquée aux dispositions injustement insérées dans le
règlement intérieur se justifie par une idée simple se rattachant au souci de faire triompher les
droits fondamentaux. En effet, on sait bien que le pouvoir réglementaire qui s'exerce entre
autres par le moyen du règlement intérieur représente une menace permanente pour les droits
fondamentaux des salariés17. En prévoyant donc la nullité des dispositions qui sont de trop
dans le règlement intérieur, le législateur pose un obstacle anticipé aux initiatives de
l'employeur qui pourraient être attentatoires aux droits fondamentaux.
En droit français, le domaine avéré des nullités est plus étendu, surtout depuis que le
législateur a multiplié les références à la nullité. Les dispositions les plus en vue sont les
articles L.122-45 et L.122-46 du Code du travail. Le premier texte dispose: "Aucune
personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement, aucun salarié ne peut être
sanctionné ou licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs ou de sa situation
de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions
politiques, des ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses ou, sauf
inaptitude constatée par le médecin du travail (. ..) en raison de son état de santé ou de son
handicap ".
" Aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de l'exercice normal du
droit du grève ".
" Toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit. ".
On admettra, sans difficulté, que la nullité ici prévue ne peut concerner le fait d'écarter
une personne d'une procédure de recrutement. La solution tient au fait que dans un système
où il n'y a pas d'obligation de recruter, on ne voit pas à quoi conduirait une telle nullité,
16 Cass, ch. mixte, 21 juin 1974, O. 1974, 594.

même si on l'admettait pour un acte négatif tel le refus d'embauche. Mais même amputé de ce
fragment, le domaine couvert par la nullité reste relativement important. Sont ici concernées
pratiquement toutes les libertés individuelles et collectives qui peuvent s'appliquer au salarié.
Est aussi concernée l'égalité au travail, puisque cet article est avant tout un texte sur la non
discrimination. L'article L.122-45 du Code du travail français est, à vrai dire, bivalent.
L'observation est aussi valable pour l'article L.122-46, qui dispose qu' "aucun salarié
ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de
harcèlement d'un employeur, de son représentant ou de toute autre personne qui, abusant de
l'autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des
contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but d'obtenir des
faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers ".
"Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour aVOIr témoigné des
agissements définis à l'alinéa précédent ou pour les avoir relatés ".
"Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ".
Il n'est pas rare que l'employeur, par rétorsion, prenne un acte contre le salarié qui agit
en justice pour défendre ses droits ou ceux d'un autre salarié. Le législateur français
sanctionne de nullité le licenciement qui pourrait résulter d'une telle manœuvre, en particulier
lorsque le salarié licencié avait agi aux fins d'assurer l'égalité professionnelle entre les
hommes et les femmes. En effet, l'article L.123-5 du Code du travail dispose qu' " Est nul et
de nul effet le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce
salarié ou en sa faveur sur la base des dispositions (...) relatives à l'égalité professionnelle
entre les hommes et les femmes, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause réelle
et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur à raison de l'action en
justice... "
On se demandera légitimement si le législateur limite la protection aux seuls
travailleurs en lutte pour l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Plus précisément
la protection n'est-elle assurée qu'autant que
le salarié licencié défendait l'égalité
professionnelle entre les hommes et les femmes? On ne voit pas bien pourquoi il en irait
autrement lorsque l'action en justice tend à assurer l'égalité tout court ou le respect d'un autre
17 Voir le chapitre suivant pour le développement de cette idée.

droit. L'idée vient de chercher une base éventuelle à la nullité dans ces cas. Mais, alors, on
entre dans le domaine des incertitudes.
B. Le domaine des incertitudes
Il est relativement aisé de résumer le problème qui se pose à ce "niveau: le domaine
des nullités s'arrête-t-il à celles énumérées expressément par le législateur ou va-t-il plus
loin? Et si oui, jusqu'où va-t-il ?
Un argument de discussion est cette jurisprudence qui affirme qu'en matière de
licenciement, il n'y a pas de nullité sans texte18• Cette formule péremptoire a été jugée fort
hasardée 19. Elle est surtout démentie par l'histoire de la nullité du licenciement. En effet, le
premier cas de nullité de licenciement est jurisprudentiel; il s'agit d'un arrêt de la Chambre
sociale du 3 juin 1948, affirmant que le licenciement illégal d'un représentant du personnel est
frappé de nullité et non pas seulement abusif, c'est-à-dire fautifo. Plus récent. l'arrêt
Clavaud21 s'inscrit dans cette ligne, puisqu'il annule un licenciement sans le soutien d'un
texte prévoyant expressément cette sanction.
On explique cette solution par l'idée qu'on était en présence de la violation d'une
liberté constitutionnelle, en l'occurrence la liberté d'expression. L'atteinte portée à des
libertés qui participent de la norme constitutionnelle trouve sa sanction naturelle dans la
nullité de l'acte contraire à celle-ci22 . L'explication est à la fois juste et courte. En effet, la
liberté d'expression en cause dans l'affaire Clavaud est bien sûr protégée par la Constitution
française. Mais ce n'est pas ce statut constitutionnel qui met à son service la technique de la
nullité. La conséquence la plus évidente du statut constitutionnel d'un droit est l'interdiction
faite aux pouvoirs exécutif et législatif d'y porter atteinte23 . Certes, on peut relever qu'en droit
français le statut constitutionnel d'un droit coïncide en général avec la sanction de la nullité
des actes juridiques qui lui sont attentatoires. Il ne semble pas judicieux d'en déduire que la
tg Poitiers, 12 juin 1974, lur. Soc. UlMM. W 347, 38 ; Soc. 31 mars 1982, Dr. soc. 1983.225.
19 G. COUTURIER, Les nullités du licenciement, Dr. Soc. 1977,215.
20 Soc. 3 juin 1948, 0.1948.510.
21 Soc. 28 avril 1988, Dr. Soc. 1988,429.
22
B. TEYSSIE, Observations sous Metz, 13 janvier 1986, PCP 1986 II.2D686 p. 696; M. HENRY, La
réintégration des salariés non protégés, 0.0. 1995, p. 380
23 On connaît les aléas de cette garantie, dans le cadre de la protection de constitutionnalité des textes.

nullité ainsi organisée dérive du statut constitutionnel du droit. On est plutôt en présence de
deux techniques de protection complémentaires trouvant leur commune explication dans la
recherche d'une protection maximale d'un certain nombre de droits jugés fondamentaux. La
nullité est donc une technique qui complète la constitutionnalisation des droits; elle n'est pas
la conséquence de la constitutionnalité des droits.
Elle doit donc pouvoir exister
indépendamment de tout argument de constitutionnalité des droits. Ce qui est en œuvre, c'est
l'idée d'un ordre public supérieur, celui qui vise des droits et des valeurs reconnus comme
fondamentaux dans le système juridique24.
Si en droit du travail cette solution tarde à s'imposer dans les esprits, c'est sans doute
\\
en raison du très classique refus jurisprudentiel de toute exécution forcée de l'obligation de
réintégrer25 conséquence de la nullité. Mais il faut y arriver si on veut donner un sens à la
reconnaissance des droits fondamentaux.
L'occasion est sans doute bonne pour suivre jusqu'au bout JAPrOT : "L'existence de
nullités sans textes, nullités virtuelles jadis discutée. ne fait plus de doute en doctrine ni en
jurisprudence et la controverse semble épuisée ,,26. L'auteur ajoute même que l'extension de
la sanction de nullité et la diminution progressive du domJine des lois imparfaites constituent
. 27
un grand progres .
Beaucoup d'autres auteurs partagent ce point de vue. M.M. MALA URIE et AYNES
affirment que le principe. qui compone certes des exceptions. est que la nullité est virtuelle:
en d'autres tem1es, il y a nullité du seul fait qu'un acte juridique contrevient à une règle
légale, même si aucune disposition ne l'a prévue. A condition que l'intérêt que la loi vise à
2s
sauvegarder soit assez important pour justifier cette sanction .
L'ordre juridique laisse parfois deviner très aisément l'importance qu'il accorde à un
intérêt ou une valeur. En effet, même s'il ne faut pas penser que la sanction de nullité dérive
du statut constitutionnel d'un droit, il faut reconnaître qu'il n'est pas indifférent. par exemple,
que la liberté et la non discrimination soient des principes de rang constitutionnel. Lorsque par
24 G. COUTURIER, Annuler les actes illicites. la réintégration obligatoire. 0.0. 1988. p. 134.
25 G. COUTURIER, Les nullités du licenciement. op. cit. p.::! 17.
26 JAPIOT, Des nu] lités en matière d'actes juridiques. thèse. Dijon 1909. p. 41.
n Ibid.
13 MALAURIE et AYNES, Droit civil, Les obligations. Cujas. p. 254. nO 258.
247

la suite le législateur interdit le licenciement contraire à une liberté ou le licenciement
discriminatoire,
il faut penser que la sanction de la violation de la règle ne peut être que
nullité.
La volonté du législateur de sanctionner de nullité la violation d'une règle peut aussi
se déduire de l'énergie avec laquelle il pose la prescription ou l'interdiction. Autrement dit, le
style du législateur n'autorise parfois aucun doute sur ce que la sanction correspondant à la
violation doit être la nullité. Ainsi lorsque le législateur dit que l'employeur ne peut ...,
l'employeur ne pourra ..., l'employeur doit ..., aucune sanction ne pourra ..., il va de soi que
l'inobservation de la règ~ doit être sanctionnée de nullité. Celle-ci est la conséquence
29
normale de l'impérativité résultant des termes même employés • Conséquence normale de la
violation d'une règle impérative, la nullité doit toujours être entendue, à moins que le
législateur ne l'exclue.
Si le législateur veut écarter cette conséquence, il doit le dire de fàçon expresse et non
équivoque. Cette exclusion ne peut résulter par exemple d'une contradiction entre plusieurs
sanctions prévues pour la même faute. Au Cameroun, ce propos intéresse en particulier la
sanction du licenciement attentatoire à la liberté syndicale. En effet, l'article 4 du Code du
travail camerounais dispose que" sont interdits à l'égard des travailleurs (... ) tout acte de
discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi ... Est nul et
de nul effet tout acte contraire aux dispositions du présent article ". Mais l'article 39 du même
code dispose que "Toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des
dommages-intérêts.
Sont
notamment
considérés
comme
effectués
abusivement
les
licenciements motivés par les opinions du travailleur, son appartenance ou sa non
appartenance à un syndicat. On voit qu'il y a une contradiction entre les articles 2 et 39 du
Code du travail. La sanction de dommages-intérêts étant en quelque sorte exceptionnelle
compte tenu de l'impérativité de la règle énoncée à l'article 2, doit s'effacer devant la nullité
de surcroît expressément prévue par la loi.
L'exclusion de la nullité doit également être entendue de façon restrictive car il est de
règle que l'exception doit être comprise de façon restrictive.
248

En résumé, on peut dire que la sanction de nullité s'applique lorsque le législateur la
prévoit explicitement ou implicitement par l'utilisation d'un style bien expressif à cet effet30•
Mais il ne faut pas donner une importance excessive à ces attitudes du législateur.
L'indication expresse ou implicite de la nullité dans un cas précis n'est que l'expression
particulière d'une règle plus générale. De sorte que finalement, on peut dire que lorsqu'on est
en présence d'un intérêt fondamental, l'indication législative est d'un intérêt théorique limité,
puisqu'elle ne dit que ce qui va de soi. En d'autres termes, même sans aucune indication dans
ce sens, la nullité s'applique, comme conséquence de la violation d'un droit fondamental.
D'un point de vue pédagogique cependant, il faut reconnaître l'importance des
dispositions légales qui rappellent la sanction de nullité. L'observation montre que bien
souvent, ce rappel répond à une résistance des juridictions, qui refusent de tirer des règles de
droit les conséquences qui s·imposent. Il serait en revanche malencontreux que les précisions
du législateur conduisent à un contresens. Il est par exemple très discutable d'affirmer que le
législateur français n'ayant indiqué la sanction de nullité des licenciements attentatoires à la
liberté d'ester en justice que dans le cas particulier de l'action visant l'égalité professionnelle
entre hommes et femmes. la nullité ne s'applique pas si l'action en justice qui a entraîné le
licenciement tendait à défendre la non discrimination en raison de la race. La protection est
assurée au droit fondamental à la non discrimination, peu importe l'objet de la discrimination.
Le choix: par le législateur de l'égalité professionnelle pour rappeler cette règle est simplement
conjoncturel; il est lié en particulier au sort de l'égalité professionnelle dans les entreprises et
devant les juridictions.
C. Pousser plus loin le domaine de la nullité
Dans le domaine particulier du licenciement, le législateur prévoit les dommages-
intérêts comme sanction de l'absence de cause réelle et sérieuse3l • Il est clair que dans ces
conditions, la nullité se trouve exclue, à moins de se justifier par une autre raison. Et
justement, il est des cas où l'absence de cause réelle et sérieuse se double de la violation d'un
29 E. WAGNER, La violation d'une règle légale impérative par l'employeur: (à propos de la réintégration des
salariés ordinaires) 0.0. 1995, 365.
30 Les prévisions législatives ne sont que la traduction de l'importance de l'intérêt en cause.
240

droit fondamental. Cette circonstance interdit de ne raISonner qu'en termes d'absence de
cause réelle et sérieuse. En effet, on n'est pas seulement en présence d'un acte violant une
règle de droit; on est aussi en présence d'un acte attentatoire à l'ordre public supérieur. La
sanction de nullité s'applique, comme conséquence inéluctable de la violation de l'ordre
public supérieur. La sanction de dommages-intérêts ne se justifie plus, parce qu'elle est
absorbée par la nullité.
En France, le propos intéresse en premier lieu les licenciements motivés par l'exercice
du droit de retrait. A partir du moment où il ne se discute pas que le salarié a un droit
fondamental à l'intégrité physique. et où,de surcroît,. il est investi de prérogatives particulières
pour la défense de cette intégrité physique, on ne peut plus raisonner en termes de
licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'intégrité physique est un intérêt très fort qui
commande une protection supérieure du salarié qui le défend.
Au demeurant, il ne faut pas exagérer l'importance des dispositions qui prévoient que
le salarié peut se retirer d'une situation de travail dont il a des raisons de penser qu'elle
présente un danger pour sa santé ou sa sécurité. Même en l'absence de telles dispositions. la
force du droit à l'intégrité physique suffit à justifier la sanction de nullité qu'on appliquerait
au licenciement d'un salarié motivé par le retrait d'une situation de travail dangereuse.
Le propos intéresse en second lieu les licenciements motivés par l'exercice d'une
liberté de la vie privée ou de la vie personnelle. Les éléments de la vie privée énumérés aux
articles L.122-45 et L122-46 du Code du travail et dont la prise en compte rend le
licenciement nul sont incontestablement des applications particulières de la liberté générale de
la vie privée. II n'y a vraiment pas de raison de sanctionner de nullité le licenciement d'un
\\
salarié pour s'être marié32, et de sànctionner simplement d'indemnité le licenciement d'un
autre salarié pour avoir choisi telle femme précise33 , voire pour avoir choisi tel lieu ou tel
cérémonial pour son mariage. Dans tous ces cas, il y a atteinte à une liberté de la vie privée ou
3( Le licenciement sans cause réelle et sérieuse est l'équivalent de celui que le législateur camerounais appelle
malencontreusement licenciement abusif Pour cette terminologie inappropriée voir lM. TCHAKüUA, Libres
propos sur les licenciements, op. cit. p. 68 et s.
J2 Ce qui correspond au licenciement motivé par la situation matrimoniale.
]] Ce qui ne correspond pas strictement à la notion de situation matrimoniale, puisque l'employeur peut se
contenter de critiquer le choix de telle personne comme conjoint.
?50

de la vie personnelle, ce qui justifie que la sanction applicable soit la nullité et non les
do mmages-intérêts.
Au Cameroun, il faudrait aller plus loin et s'intéresser à tous les licenciements
attentatoires à une liberté fondamentale individuelle ou collective: liberté d'opinion, libertés
de la vie privée ou personnelle, liberté syndicale34, liberté de grève etc. Il faudrait aussi
s'intéresser à tous les licenciements discriminatoires : discrimination ethnique, politique,
sexiste etc.
En d'autres termes, on ne peut traiter également un licenciement simplement sans
cause réelle et sérieuse et un licenciement attentatoire à un droit fondamental. Le premier est
sanctionné de dommages-intérêts parce que le législateur a exclu la nullité. Le second aurait
pu être sanctionné de dommages-intérêts et de nullité; mais cette seconde sanction absorbe la
première et reste la seule applicable.
Il ne suffira pas cependant de prononcer la nullité; encore faudra-t-il la tàire suivre de
la conséquence adéquate. Cette conséquence est normalement la remise en état.
PARAGRAPHE II : LA REMISE EN ETAT, CONSEQUENCE DE LA NULLITE
On ne peut, sans une certaine naïveté, s'étonner de ne pas trouver dans le Code du
travail camerounais la notion de remise en état. On trouve une seule fois celle de
réintégration35, mesure par laquelle la remise en état se réalise concrètement. En effet, le
législateur manifeste une prudence excessive à l'égard de tout ce qui pourrait tendre à
/
menacer l'autorité du chef d'entreprise. L'erreur serait de tirer prétexte de cette carence pour
affirmer que le droit du travail camerounais ignore la remise en état. La jurisprudence qui
34 Le raisonnement est un argument supplémentaire en faveur de l'application de la sanction de nullité, dans le
contexte actuel du droit camerounais, au licenciement attentatoire à la liberté syndicale. Nous avons ci-dessus
démontré que la contradiction entre les articles 4 et 39 du Code du travail devrait se résoudre au profit du
premier parce qu'il s'inscrit dans une lecture normale du droit. La nullité est en effet la sanction qui convient le
mieux à la violation d'une liberté fondamentale comme la liberté syndicale.
'
35 Le Code du travail en parle
à propos du délégué du personnel suspendu provisoirement pllr l'employeur, en
attendant l'autorisation de licencier. Si l'autorisation est refusée, le délégué doit ètre réintégré. (article 130 al. 4)

avait longtemps résisté à ordonner la réintégration du délégué du personnel irrégulièrement
licencié s'est finalement rangée du côté de la vérité juridique36.
Quant au législateur français, il prévoit expressément la réintégration dans beaucoup
de dispositions du Code du travail. Certes, on pourrait faire remarquer que les articles L.122-
45 et L.122-46 qui protègent le droit à la non discrimination et les liberté~ fondamentales ne
contiennent aucune référence à la réintégration. De quoi reprendre la discussion ci-dessus sur
le domaine de la nullité. Il suffirait simplement de remplacer le mot nullité par le mot
réintégration, et voilà posé le problème du domaine de la réintégration. Ici, comme en matière
de nullité, il faut éviter le contresens: le législateur peut certes exclure la réintégration comme
conséquence de la nullité. Une telle exclusion devrait être expresse et non équivoque. Dans le
cas contraire, la réintégration s'impose non seulement parce qu'elle est la conséquence
normale de la nullité (A), mais aussi, lorsque les droits fondamentaux sont en cause, parce
qu'il faut refuser de faire produire un quelconque effet à un acte juridique attentatoire aux
intérêts fondamentaux. L'analyse juridique recourt même à la notion de voie de fait (B), pour
traduire son intransigeance devant un acte attentatoire à un droit fondamental.
A. La réintégration, conséquence nonnale de la nullité
Les travaillistes se rappellent toujours l'arrêt Sortais dans lequel la Cour de cassation _
française a affmné que" l'obligation de réintégrer constitue une obligation de faire dont
l'inexécution ne peut donner lieu qu'à l'allocation de dommages et intérêts aux termes de
l'article 1142 du Code civil ,,37. Quelques années seulement après l'arrêt très remarqué du 3
juin 1948 par lequel la Haute juridiction avait jugé que le licenciement illégal d'un
représentant du personnel était nul, la réintégration était ainsi refusée. Cet arrêt a provoqué de
grands efforts doctrinaux tendant à démontrer non seulement que la réintégration est possible,
mais aussi et surtout qu'elle est la seule voie adéquate qui puisse donner tout son sens à la
nullité du licenciement.
Il n'est pas question de reprendre ici tout l'argwnentaire par lequel la doctrine fit
admettre l'idée de la réintégration. Tout au plus, nous en résumerons la substance. Le
36 Voir C.S. arrêt nO 38/5 du 28 juin 1990, affuire TIEPMA, inédite.

législateur dit très souvent d'un acte juridique qu'il est "nul et de nul effet ". Cette fonnule
redondante traduit bien un adage qu'on reprend très volontiers en matière de licenciement:
"Quod nullum est, nullum producit effectum". L'acte frappé de nullité est censé n'avoir
jamais existé; il ne produit aucun effet tant pour le passé que pour l'avenir. L'application de
ce principe au licenciement semble a priori particulièrement simple: dire que le licenciement
est nul c'est dire que le contrat de travail n'a pas été rompu, il subsiste et chacun des
contractants reste tenu des obligations qui en résultent; l'employeur, notamment, doit donner
le travail et payer le salaire38. Au fond, le mot" réintégration" est même juridiquement peu
approprié, le salarié étant censé n'avoir jamais été licencié. Ce mot ne s'est imposé et subsiste
dans le langage juridique que parce qu'il semble rendre compte de la situation de fait qui
accompagne la rupture irrégulière du contrat. Cette situation de fait est la mise hors de
l'entreprise du salarié irrégulièrement licencié.
Le recours à l'article 1142 du Code civil pour interdire la réintégration forcée a été
vigoureusement dénoncé. C'est une vision particulièrement cynique de la fonction de la règle
de droit que d'admettre que toute obligation aurait une alternative monétaire, un tarif'9. Cela
reviendrait à encourager l'accomplissement d'actes illicites à chaque fois que le profit tiré de
l'infraction est plus grand que le préjudice causé puisque la réparation ne peut normalement
excéder le montant du préjudice40 • Sur le plan de l'analyse purement juridique, il faut bien
admettre que lorsque le juge ordonne la réintégration, il impose une obligation qui ne peut
41
porter atteinte à la liberté individuelle
puisqu'elle pèse en général sur une entreprise qui est
une personne morale. Et quant bien même l'employeur serait une personne physique,
l'exécution de l'obligation ne met pas en cause sa personne. Il faudrait souligner qu'il s'agit
d'une obligation négative, consistant à ne pas faire obstacle à la poursuite du contrat par le
42
salarié . C'est dire qu'on n'imagine pas que le débiteur fournisse une mauvaise prestation
parce qu'il est contraint. A cet égard, l'affrontement théorique entre réintégration et
continuation du contrat de travail n'est pas neutre et a précisément pour explication la
distinction entre obligatio~ de faire et obligation de ne pas faire43•
37 Casso Soc. 27 novembre 1952, D.1953.329.
38 G. COUTlJR,'IER, Les nullités du licenciement, op. cit. p. 217.
39 M. HENRI, op. cit. p. 382.
~o M. HENRI, Pour des droits effectifs, Droit ouvrier 1991, p. 155.
~l C'est la crainte d'aboutir à une grave atteinte à la liberté individuelle qui fonde la solution de l"article 1142 du
Code civil.
:
~2 M.HENRI, La réintégration des salariés non protégé, op. cit. p. 382.
~3 Ibid.

Du reste, pourquoi devrait-on présumer que l'employeur s'opposera à la poursuite du
contrat de travail après la décision du juge prononçant la nullité du licenciement? L'idée est
que la question d'une éventuelle exécution forcée ne se pose que postérieurement à la
décision de " réintégration ". A ce stade, la question recevra les réponses appropriées, et sans
nul doute la possibilité de prononcer une astreinte44. Au stade de la condamnation à la
réintégration donc, la question de l'exécution forcée est prématurée.
De toute façon, la jurisprudence sociale était pratiquement condamnée à abandonner
l'épouvantail de l'article 1142 du Code civil, puisque l'employeur qui persiste à refuser la
réintégration s'expose éventuellement à des sanctions pénales45. Le délit étant un délit
continu, l'employeur ne peut légitimement persister dans son refus après une condamnation.
De plus, l'un des verrous dans l'argumentaire des opposants à la réintégration a sauté en
France, depuis que par un décret du 17 décembre 1985, le juge des référés a reçu pouvoir pour
"ordonner l'exécution de l'obligation, même s'il s'agit d'une obligation de tàire". Les
travaillistes ne peuvent voir dans ces dispositions qu'une juste récompense au juge des
référés, puisque c'est en référé que le mouvement de la réintégration a commencé. Il avait été
jugé que le représentant du personnel irrégulièrement licencié était fondé à s'adresser au juge
des référés pour lui demander d'ordonner sous astreinte" la continuation de l\\~xécution du
contrat de travail dont la régularité n'était pas contestée en elle même, et auquel l'employeur
avait prétendu mettre [m ... ,,46. On vit là l'amorce d'une ligne de rigueur que la jurisprudence
a immanquablement respectée, et ce en dépit des fluctuations économiques que l'entreprise
pouvait connaître47.
En vérité, certaines de très nombreuses décisions de réintégration ne feront pas date
dans les annales de la jurisprudence, en particulier lorsqu'elles appliquent une disposition
expresse de la loi. A moins d'être exceptionnellement spectaculaire, on ne voit pas comment
une décision française portant réintégration d'un salarié protégé devrait retenir longuement
l'attention. Serait également d'un intérêt juridique mineur une décision portant réintégration
d'un salarié
licencié pour avoir agI en justice pour combattre
une discrimination
44 Sans denier sa pertinence à l'hypothèse où compte tenu de la résistance supposée ou réelle du débiteur, le juge
assortit sa décision d'une astreinte.
4S Voir à ce sujet l'article 168 al. 5 du Code du travail camerounais.
46 Casso soc. 14 juin 1972 lCP 1972 JJ 17275.
47 H. SINA Y,Çijgueur et ampleur de la réintégration. Dr. soc. 1994, 552.

professionnelle entre les hommes et les femmes. La solution est en effet expressément posée
par l'article L.123-S du Code du travail français.
En revanche, la Cour de cassation française a rendu un très important arrêt le 26
septembre 1990, en affirmant que "le licenciement des salariés grévistes étant entaché de
nullité, c'est à bon droit et sans excéder ses pouvoirs que le juge des référé.s, pour faire cesser
un trouble manifestement illicite, a ordonné la poursuite du contrat de travail qui n'avait pu
être valablement rompu ,,48. Cette solution devrait pouvoir s'appliquer également dans les
autres cas de nullité de licenciement, et notamment dans les cas de licenciements
discriminatoires ou attentatoires aux libertés fondamentales. L'analyse semble aller de soi, et
a en tout cas a été faite en France par les signataires de la convention collective des routiers
dans le cas particulier de la liberté syndicale. L'article 5 de cette convention prévoit qu'en cas
de licenciement fondé sur une atteinte à la liberté syndicale, la réintégration sera de plein droit
dans le même emploi et aux mêmes conditions. Il s'agit, semble-t-il, d'une simple précision
justifiée par l'observation des rapports sociaux, non d'une disposition qui entend créer un
droit à la réintégration qui n'existait pas. La nullité du licenciement justifie à elle seule la
réintégration. La solution ne semble pas d'une parfaite évidence pour tous; mais beaucoup de
juridictions du fond l'on appliquée49, et même lorsque la nullité du licenciement ne paraissait
so
pas évidente .
En droit camerounais, et malgré une très longue résistances l, la jurisprudence admet
aujourd'hui sans conteste que la réintégration est la conséquence normale de la nullité. Le
point de départ de cette vision nouvelle est un arrêt TIEPivlA de la Cour suprême posant
fermementS2 que le licenciement du délégué du personnel sans autorisation de l'inspecteur du
travail est" nul et de nul effet et ne peut produire aucun effet juridique "S3. Cette motivation
est retenue pour dire que la condamnation aux dommages-intérêts est sans fondement dans ces
48 Dr. soc. 1991, 60.
49 CPH de Meaux, 9 décembre 1993. D.O.
1995 p. 385 ; Paris 29 juin 1994. D. O. 1995 p. 26 : CPH de
Versailles 29 novembre 1994, D.O. 1995, p. 190.
, 50 II s'agit de la nullité du licenciement suite à la nullité de la procédure collective de licenciement. Bien entendu,
depuis les arrêts Samaritaine, la Cour de cassation a posé fermement qu~un tel licenciement est nul ( Soc, 13
février 1997, D. O. 1997, 94).
51
Pour cette longue résistance voir P.G POUGOUE, Réflexion sur la protection des délégués du personnel
contre les licenciements en droit du travail camerounais. RCD, n° 27, p. 1 et s.
52 L'arrêt TIEPMA a été rendu par la Cour suprême composée de cinq membres. Aux termes de l'article 23 al 3
de la loi n° 75/16 du 8 décembre 1975 fixant la procédure et le fonctionnement 'de la Cour suprême, les arrêts de
ladite cour rendus par au moins cinq membres (conseillers) s'imposent aux juridictions inféri"ures.
53 CS, nO 38/s du 28 juin 1990, inédit.

conditions. Quelques mOlS plus tard, la Haute juridiction allait plus loin, ordonnant la
réintégration, " conséquence de la nullité du licenciement ,,54.
Dans la plupart des décisions où la réintégration est prononcée, cette mesure ne répond
pas à une demande du salarié5, C'est que, pour le juge camerounais, la réintégration, alors
même qu'elle n'est prévue par aucune disposition, apparaît comme une suite nonnale de la
nullité du licenciement. La jurisprudence est tellement fenne sur ce point que la Cour suprême
a jugé que la mesure de réintégration échappe même à l'exigence légale du préalable de
conciliation devant l'inspecteur du travail56. On prend la mesure exacte de cette solution
lorsqu'on se rappelle avec quelle sévérité la Cour suprême assure l'application de l'article 139
57
du code du travail qui impose un préalable de conciliation à toutes les demandes • Pour la
Cour suprême donc, la demande d'annulation du licenciement vaut aussi demande de
réintégration.
Cette solution appliquée au licenciement
nul du
délégué
du
personnel
doit
nonnalement s'étendre à tous les licenciements nuls, à moins qu'expressément le législateur
n'en dispose autrement. A notre sens, le législateur ne saurait opportunément évincer la
réintégration; il ne pourrait prévoir qu'une sanction concurrente et alternative à la
réintégration. Le Tribunal de grande instance de Yaoundé a anticipé sur une telle évolution en
allouant à un délégué du personnel irrégulièrement licencié des dommages-intérêts que ce
dernier avait préférés58. Une telle solution est justifiée. En effet, il ne serait pas judicieux que
la mesure de réintégration conduise à une contrainte indirecte sur la personne du délégué du
personnel, ce qui serait aussi une violation de sa liberté du travail. L'embarras sera parfois de
savoir si la demande de dommages-intérêts correspond à un choix conscient du délégué du
personnel ou si elle résulte de son ignorance des conséquences normales de la nullité du
licenciement. On pourrait donc suggérer que le cas échéant le juge attire l'attention du
délégué du personnel sur la mesure de réintégration. Sans sortir de son office, le juge attirerait
l'attention du délégué du personnel en lui posant simplement la question de savoir s'il préfère
la sanction indemnitaire à la poursuite de son contrat de travail. La question fait simplement
apparaître la réintégration comme la conséquence normale et de principe de la nullité du
licenciement.
54 CS nO 007/s du 18 octobre 1990 inédit.
55 Il faut néanmoins faire attention de ne pas imposer la réintégration au salarié qui n'en veut pas.
56 CS, nO 15/S du 27 octobre 1994. Juridis Info nO 23 note 1. KOM.
:
57 CS, 20 octobre 1980, TPOM, 576, p. 165; nO 97/S du 25 juin 1987, inédit.
58 TGI de Yaoundé, nO 293 du 22 février 1993, inédit).

Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer qu'en matière de révocation des
fonctionnaires, le juge administratif dont on pouvait craindre de grands scrupules prononce la
59
réintégration comme conséquence de la nullité de l'acte administratif de révocation • Ille fait
même sans la médiation de la notion de voie de fait60 qui, dans une certaine mesure, semble
faire oublier que la nullité peut déployer ses pleins effets même sans l'appui de cette notion.
Ce qui ne veut pas dire que le recours à la notion de voie de fait est sans intérêt. La voie de
fait est en effet un autre fondement de la réintégration.
B. La voie de fait, autre fondement de la réintégration
On peut remarquer que la plupart des décisions sur la réintégration empruntent
explicitement ou implicitement le fondement de la voie de fait pour leur motivation. Le ton
est donné par la première décision de justice prononçant la réintégration, l'arrêt Revêt-sol
précité. Par la suite, d'autres décisions s'aligneront, recourant à la notion précise de voie de
fait ou à celle de trouble manifestement illicite61 . Ce recours répété à la notion de voie de fait
a fait dire à un auteur qu'en l'état actuel de la jurisprudence, la constatation de la seule nullité
ne suffit pas à justifier légalement une mesure de réintégration62• Il doit s'agir d'une nullité
particulière, provoquée, non par une simple illégalité, mais par une voie de fait 63 .
Cette analyse est contestable. En effet, si la voie de fait est souvent invoquée, c'est
bien plus parce qu'elle traduit mieux la réprobation de l'acte qui est combattu. Employée en
particulier à propos d'actes attentatoires aux droits fondamentaux des salariés, la notion de
voie de fait exprime un rejet sans possibilité de concession de l'acte abject. La définition que
la doctrine donne de la voie de fait est ici d'une grande éloquence; elle parle en effet d'une
" exaction ", une "transgression grossière des voies de droit ,,64. L'auteur de la voie de fait
S9 CE, 7 avril 1933, Rev. dr. pub. 1933, 624.
60 Le juge administratif éprouverait sans doute quelque embarras à recourir à une notion de voie de fait différente
de celle en usage dans son langage habituel. En droit administrati~ la voie de fait est entendue comme une
irrégularité manifeste portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique, commise par
('administration dans l'accomplissement d'une opération matérielle d'exécution.
61 Soc. 26 septembre 1996, op. cit.
62 M.F. BIED-CHARRETON. La réintégration ... à grands pas ... ? D.O. 1996, p. 294.
63 Ibid.
.
M.M. HENRI, La réintégration des salariés non protégés, op. cil. p. 377.
?57

est sorti carrément des voies du droit, pour emprunter celles du fait. Pour cela, son acte ne
mérite aucune considération; il appelle la sanction la plus exemplaire.
D'ici, on peut esquisser une explication au moins sociologique de la jurisprudence
camerounaise qui, en matière de licenciement irrégulier du délégué du personnel, prononce la
"réintégration immédiate" et ajoute qu'en cas de non réintégration, les salaires à échoir
seront payés sur simplement commandement de l'huissier65• On peut émettre des réserves sur
la justesse de la précision selon laquelle en cas de non réintégration les salaires à échoir seront
payés sur simple commandement de l'huissier66•
Mais,
l'indication montre bien la
détermination des juges, qui voudraient absolument neutraliser l'acte de l'employeur quel
qu'en soit le prix pour ce dernier. La traduction des dispositions jurisprudentielles est simple:
on ne contraint pas matériellement l'employeur à "reprendre" le salarié irrégulièrement privé
de son emploi; mais en fonction de ce que sa décision coûtera à l'entreprise, il appréciera
l'opportunité de donner du travail au salarié ou de ne pas lui en donner. Au moins il est averti
que même s'il ne donne pas du travail au délégué du personnel, il ne lui versera pas moins le
salaire67.
En droit français, et sans certes rien ajouter aux effets de la nullité si elle avait été
retenue comme fondement de la réintégration, les décisions de justice qui recourent à la voie
de fait utilisent des teffiles bien forts pour neutraliser l'acte de l'employeur. L'arrêt Revêt-Sol
ordonne la " continuation de l'exécution d'un contrat de travail dont la régularité n'était pas
contestée en elle-même, et auquel l'employeur avait prétendu mettre fin par une voie de fait
bien que le droit de le rompre unilatéralement lui avait été retiré ,,68. Il serait réducteur de ne
voir dans l'emploi du mot" continuation" que la seule idée que le licenciement en cause est
nu169• Plus précisément, on refuse d'admettre qu'il y a eu un acte susceptible de mettre fin au
contrat. L'employeur a " prétendu" mettre fin au contrat. Mais ce n'était qu'une prétention
sans portée, puisque l'employeur a emprunté une voie de fait; il a quitté les voies du droit. On
est pratiquement dans la théorie de l'inexistence de l'acte.
65 CA de Yaoundé, n° 163/s du 2 Août 1994 ; n° 1511s du 5 juillet 1994 ; n° 168/s du 6 septembre 1994 inédits.
66 Il semble qu'en ajoutant cette précision, qui du reste ne lui est pas demandée, le juge s'investit dans un rôle de
conseil des parties.
67 Au passage, la Cour suprême laisse voir que la contrepartie du salaire peut être, pour le salarié, le seul fait de
se mettre à la disposition de ('employeur.
68 Casso soc. 14 juin 1972, op. cit.
.
69 Le propos n'est pas ici de démontrer que des intérêts juridiques particuliers s'attachent aux mots utilisés. Nous
nous situons sur le terrain de la rhétorique.

D'autres
décisions
vont
s'inscrire
dans
cette optique.
Ainsi
le Conseil
des
prud'hommes de Carcassone affirmait-il qu'une procédure de licenciement étant nulle en
l'absence de plan de reclassement, les salariés demandeurs étaient" toujours membres de la
société (...) avec toutes les conséquences qui en découlent ,,70. Quant au Conseil des
prud'hommes de Meaux, il a jugé qu'un employeur qui avait procédé aux licenciements
collectifs sans se confonner aux prescriptions de l'article L.321-4-1 du Code du travail
commet une voie de fait entraînant pour les salariés un trouble manifestement illicite,
justifiant" les mesures de remise en état qui s'imposent ,,71. Il n'y aurait plus d'hésitation, ni
même de choix à faire, dès lors que les mesures en cause" s'imposent ".
Parallèlement à cette évolution autour de la nullité du licenciement, doit s'achever la
forteresse qui se construit autour de l'exigence de sécurité.
SECTION II : LE RENFORCEMENT DE L'EXIGENCE DE SECURITE
Autour de J'exigence de sécurité, se construit une forteresse dont les éléments sont
bien disparates. D'une part les dispositions sur l'hygiène et la sécurité au travail ne cessent de
se perfectionner. Le trait le plus apparent de ce perfectionnement est le droit de retrait reconnu
aux salariés. On pourrait citer aussi, et surtout au Cameroun, une grande inflation pénale72.
D'autre part, à partir de l'idée que le salaire est un élément vital, s'est construit un
faisceau de règles. L'importance des perspectives ouvertes justifie que dans la présente
section nous réservions la question de l'hygiène et de le sécurité73 pour nous intéresser
davantage à ce qui se construit autour du salaire. La lutte est engagée sur deux fronts. D'une
part il faut veiller à ce que le travailleur ne soit pas privé de salaire: c'est la garantie de la
non privation du salaire (PARAGRAPHE I) ; d'autre part, il faut s'assurer que le salaire
70 CPH de Carcassone, 17 janvier 1994, O. O. 1994, p. 242.
71 CPH de Meaux, 29 avril 1994, O. O. 1995, p. 24.
n L'un des traits forts du nouveau Code du travail est le relèvement du niveau des peines en cas de violation des
dispositions légales et réglementaires. Certes. l'accroissement des sanctions pénales n'est pas spécifique aux
dispositions sur l'hygiène et la sécurité.
73 Il ne fuut nullement voir dans ce choix une sous-estimation de l'importance de la question.

pennet et permettra au salarié d'assurer sa subsistance: c'est la garantie du caractère suffisant
du salaire (PARAGRAPHE II).
PARAGRAPHE 1 : LA GARANTIE DE LA NON PRIVATION DU SALAIRE
Parce qu'il pense que le salaire est un élément vital pour le salarié, le droit positif a
prévu un ensemble de mécanismes pour éviter que le salarié n'en soit privé. L'un de ces
mécanismes est le privilège du salaire. Mais nous nous contenterons de l'évoquer ic/4• Nous
consacrerons en revanche des développements plus importants à la réticence du droit à l'égard
de deux techniques civilistes susceptibles de priver le salarié d'aliments . Il faudrait interdire
la compensation avec le salaire (A), et limiter les possibilités de renonciation du salarié (B).
A. L'interdiction de la compensation avec le salaire
S'il peut être commode, pour des dettes et créances réciproques, d'opérer une
compensation, cette opération devient dangereuse si elle peut compromettre la survie d'une
des parties. Le propos intéresse la relation de travail, où on peut craindre qu'en raison de sa
faiblesse économique, le salarié ne " laisse sa peau ,,75 dans l'opération de compensation.
Le problème n'a pas échappé au législateur français. L'article L.144-1 du Code du
travail témoigne d'une réticence à l'égard de la compensation dont il pose néanmoins les
conditions d'efficacité76•
Cet article doit être lu en combinaison avec l'article L.144-2 qui dispose que "Tout
employeur qui fait une avance en espèces en dehors du cas prévu au 3° de l'article précédent
74 Des développements ont déjà été consacrés au privilège du salaire dans la première partie, titre l, chapitre l,
section l, para. 2, B, 2.
75 Cette formule imagée est un écho du propos de SUPIOT qui souligne que dans la relation de travail, le salarié
nsque sa peau.
76"Aucune compensation ne s'opère au profit des employeurs entre le montant des salaires dus par eux à leurs
salariés et les sommes qui leur seraient dues à eux-mêmes pour fournitures diverses, quelle qu'en soit la nature, à
l'exception toutefois:
1) des outils et instruments nécessaires au travail;
2) des matières ou matériaux dont le salarié a la charge et l'usage;
3) des sommes avancées pour l'acquisition de ces mêmes objets"
260

.....
,
ne peut se rembourser qu'au moyen de retenues successives ne dépassant pas le dixième du
montant des salaires exigibles ... "
En simplifiant les fonnules, on peut distinguer trois hypothèses:
D'abord les fournitures. Elles peuvent avoir un objet très divers. Mais très souvent, il
s'agira des fournitures de marchandises, dans l'hypothèse où l'entreprise én vend; il s'agira
aussi très souvent des fournitures d'outils ou d'instruments de travail.
Permise dans l'hypothèse de fourniture d'outils ou d'instruments de travail, la
compensation est exclue dans tous les autres cas de fourniture.
Ensuite, les avances de sommes d'argent. Si elles ont été faites pour l'acquisition
d'outils et de matériels de travail, elles pourront faire l'objet de compensation. Dans le cas
contraire elles sont assimilables à un prêt fait par l'employeur au travailleur77 . L'employeur ne
peut se faire rembourser ces sommes qu'en procédant à des retenues successives ne dépassant
pas le dixième du salaire exigible78• La limite fIxée par le texte s'impose même aujuge79•
EnfIn, les autres créances. Celles-ci peuvent résulter de plusieurs circonstances dont la
rupture du contrat de travail par le salarié ou une faute commise dans l'exécution du contrat.
La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation française a évolué sur ce
point. La Chambre sociale a d'abord affirmé que l'article L.144-1 concerne seulement les
dettes contractées par les salariés envers leurs employeurs pour fournitures diverses quelle
qu'en soit la nature80, ce qui voulait bien dire qu'en dehors de cette hypothèse la compensation
était possible. Puis elle a affirmé que lorsque la dette du salarié envers l'employeur n'a ni la
même cause, ni le même objet que la créance de salaire alléguée, la compensation ne peut être
opérée avec cette créance salariale. Cette solution est plus protectrice de la créance salariale,
et surtout plus proche de l'idée que le salaire est un élément vital pour le salarié, même si
l'idée d'une possible compensation est déjà troublante.
77SOC. 21 novembre 1984, l.S. 1985, F.29 ; 5 mai 1993, RJS, 6/93 n° 616.
78V. Article L.144-2.
79S0C. 2 décembre 1970, 0.1971,553.
sOSoc. 16 novembre 1960. 0.1961,219.
261

En tout état de cause, les cas où la compensation est admise doivent être interprétés
restrictivement. Pour l'application de la compensation, il a été jugé qu'il ne suffit pas, s'il ne
s'agit pas d'instruments de travail, que le salarié ait la charge des objets en cause ; il faut
encore qu'il en ait l'usage81 . La Cour de cassation a ainsi écarté la compensation au profit
d'une société qui avait confié des marchandises à un vendeur avec une clause stipulant que les
manquants seraient facturés à ce vendeur. La Cour a estimé que les conditions d'application
de la compensation n'étaient pas réunies; car le salarié n'avait pas l'usage des marchandises.
Lorsque la compensation est autorisée, il est sûr qu'elle ne peut jouer au-delà de la
quotité saisissable du salaire. A fortiori, la compensation ne peut avoir pour effet de ramener
le salaire perçu en deçà du SMIC82.
Le Code du travail camerounais ne parle pas particulièrement de la compensation
entre le salaire et une créance que l'employeur pourrait avoir sur le salarié. Le problème
devrait être résolu à partir de l'article 75 83 du Code consacré aux retenues sur salaire. Il
indique les conditions dans lesquelles les retenues sur salaire peuvent être faites. Au profit de
l'employeur, le texte imagine trois hypothèses: les retenues en vue de la consignation si celle-
ci est prévue par la convention collective ou le contrat individuel de travail, les retenues pour
avances consenties au salarié par l'employeur, et les retenues à la suite de fourniture
d'aliments dans des conditions prévues par la loi.
8ISOC. 9 octobre 1968. Bull. Vn° 351; 24 mars 1993, RJS 5/93, nO 515.
82 Soc. 19 novembre 1959, lCP 1960 II. 11397.
83L'article 75 du code du travail dispose "(1) En dehors des prélèvements obligatoires, du remboursement des
prestations prévues à l'article 66 al. 3 (ravitaillement en denrées alimentaires), et des consignations qui peuvent
être prévues par les conventions collectives et les contrats individuels, il ne peut être fait des retenues sur les
salaires que dans les cas ci-après :
a) par saisie-arrêt;
b) par application des dispositions prévues à l'article 21 (prélèvement à la source des cotisations syndicales) ;
c) par cession volontaire souscrite par le cédant en personne et communiquée pour vérification à l'inspecteur du
travail du ressort quand il s'agit du remboursement d'avances consenties par l'employeur au travailleur et devant
le président du tribunal compétent dans les autres cas ;
d) en cas d'institution, dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, de sociétés de
secours mutuels comportant le versement de cotisations par le travailleur.
(2) Les acomptes sur un travail en cours ne sont pas considérés comme avances.
(3) Les dispositions d'une convention collective ou d'un contrat individuel autorisant tous autres prélèvements
sont nulles et de nul effet ... ".
Le TG! de Douala a jugé que le contrôle préalable des cessions volontaires de salaire, consistant à en soumettre
pour vérification, le projet à l'inspecteur du travail n'est pas une formalité prescrite à peine de nullité (TGI de
Douala, n° 187/s du 13 janvier 1995. MALOBE cl les Sacheries du Cameroun, inédit).
262

Le texte ajoute que les dispositions d'une convention collective ou d'un contrat
individuel de travail autorisant tous autres prélèvements sont nulles et de nul effet. Dans
l'esprit de ces dispositions, l'article 3 du décret nO 94/1 97/PM du 09 mai 1994 sur les retenues
sur salaire précise que sous réserve des hypothèses de retenues prévues par la loi, est nulle et
de nul effet la compensation effectuée par l'employeur entre: les salaires et indemnités qu'il
doit au travailleur et les sommes que celui-ci pourrait lui devoir à quelque titre que ce soit84•
La jurisprudence veille bien à ce que les retenues ne soient pas opérées en dehors des
hypothèses prévues par la loi. Elle a manifesté sa fermeté spécialement en ce qui concerne les
tentatives d'invoquer la compensation. En effet, Très tôt, dans une espèce où l'employeur
invoquait la compensation entre le salaire et des sommes détournées par le travailleur, la Cour
suprême85 a jugé que l'article 3 du décret du 16 juillet 195586 était une application de la règle
d'ordre public formulée par l'article 1293 du Code civil interdisant la compensation entre
deux créances dont l'une est déclarée insaisissable en raison de son caractère alimentaire. La
Cour suprême a même écarté la possibilité de la compensation judiciaire en censurant, par un
moyen soulevé d'office, une cour d'appel qui avait admis une compensation entre le salaire et
les sommes dues à l'employeur par le travailleur8? Le juge camerounais s'écarte ainsi de la
solution de son homologue français. La Cour de cassation française a en effet jugé que les
exceptions au.x règles de la compensation légale ne s'étendent pas aux créances et dettes
faisant l'objet d'une demande en compensation judiciaire dont l'appréciation appartient aux
juges du fond88.
Certes, il faut rester assez prudent sur la portée des solutions camerounaises. En effet,
lorsqu'on s'éloigne de la piste de la compensation légale ou judiciaire pour s'intéresser à la
compensation conventionnelle on peut être hésitant. En effet, l'article 3 du décret de 1994 qui
interdit formellement la compensation avec le salaire considère celle-ci sous l'angle d'une
retenue opérée d'autorité par l'employeur.
Faut-il l'appliquer également au cas où
l'employeur et le travailleur décident d'un commun accord de passer à la compensation? En
84 On peut regretter qu'une solution aussi importante ne soit pas donnée par la loi elle-même.
85 CS, arrêt na 22 du II décembre 1963, Répertoire chronologique des arrêts de la Cour suprême, p. 56 ; voir
également TG! de Douala, na 40 du 9 juil1et 1984, Aff. BELNOUN d Sté GBAC, na 396 du 30 juin 1986 Aff.
KENYON d SNEC, inédits.
86 Ce texte interdisait la compensation avec le salaire.
87 CS, arrêt n0 65 du 14 juin 1966, Répertoire chronologique des arrêts de la Cour suprême, p. 57.
263

dépit des affirmations péremptoires de la jurisprudence, la réponse négative pourrait
s'imposer si l'on part de l'idée que le législateur n'interdit pas la cession de salaire au profit
de l'employeur. Si le travailleur peut céder son salaire et, sans doute, même à titre gratuit, a
fortiori peut-il le donner en compensation. A cet argument a simili peut être complété par
l'argument plus général de la liberté contractuelle qui reste un grand principe du droit.
Pourtant,
qu'elle soit unilatérale ou conventionnelle,
la compensation a pour
conséquence de mettre en péril la fonction alimentaire du salaire. La distinction entre la
retenue autoritaire et la retenue à la suite d'une manifestation de volonté de la part du
travailleur est trompeuse si elle conduit à la conclusion que seule la première peut comporter
de danger. On pourrait lui substituer la distinction entre la retenue qui a pour cause directe ou
indirecte la nécessité d'assurer la subsistance du travailleur et celle qui est étrangère à une
telle nécessité89• Dès lors qu'elle ne peut se justifier directement ou indirectement par l'idée
d'assurer la subsistance du salarié, la retenue de salaire au profit de l'employeur doit être
interdite. Dans ces conditions, il serait un peu artificiel de vouloir faire de la compensation
conventionnelle un cas à part, en mettant par exemple en avant l'idée que le salarié a consenti
à la cession de salaire. Si ce n'est parce qu'il y voit un intérêt objectif, comment penser que le
salarié puisse volontairement céder à l'employeur son moyen de survie? Quel intérêt objectif
pourrait-il d'ailleurs avoir à céder son salaire? Le salarié ne pouvant objectivement préférer
un autre intérêt à sa survie, il faut de toute façon penser que la cession de salaire est infectée
d'un vice congénital de consentement. Le contrat par lequel la compensation ou la cession de
salaire se réalise pourrait donc être critiqué sur le terrain de ses conditions de fonnation, en
particulier en s'intéressant à un élément fondamental comme le consentement. La difficulté
consistera à savoir sur quel terrain précis situer la contestation. Il paraît bien difficile de se
situer sur un terrain comme la violence ou le dol. En revanche, on peut tenter de se situer sur
le terrain de l'erreur. La voie paraît fort étroite, parce que le salarié devrait tenter de
démontrer qu'il a commis un erreur sur sa propre prestation. On sait quelle est la réticence
qu'une partie de la doctrine manifeste à l'égard de la théorie de l'erreur appliquée à la
prestation fournie par le demandeur, en soutenant en particulier que l'article 1110 du Code
88 Soc. 10 janvier 1974. D. 1974, IR, 43 ; elle a aussi jugé que la non compensation des salaires avec les sommes
dues par le salarié ne s'applique pas lorsque la dette du salarié résulte d'un comportement délictueux ou
frauduleux (Soc. 26 octobre 1978 Bull. civ. V. n° 719 ; 6 mars 1980, ibid, V, n° 228).
89 On pourrait classer dans cette rubrique les retenues à la suite d'acomptes sur un travail en cours, les retenues à
la suite de fournitures d'aliments, voire des retenues pour avance sur salaire.
264

civil qui admet l'erreur sur la substance ne VIse que la contre-prestation90• Mais la
jurisprudence admet bien l'erreur sur la prestation fournie. Dès 1930, la Cour de cassation
française a affinné « qu'il y a erreur sur la substance, notamment quand le consentement de
l'une des parties a été déterminé par l'idée fausse que cette partie avait des droits dont elle
croyait se dépouiller ou qu'elle croyait acquérir du contrat »91. La solution a été plusieurs fois
reprise92 et est approuvée par la doctrine dominante93• A partir de cette solution, et en
soutenant son ignorance de la fonction strictement alimentaire du salaire, le salarié peut tenter
de faire admettre qu'il a commis une erreur sur sa prestation contractuelle.
Par ailleurs on pourrait également critiquer la compensation conventionnelle avec le
salaire ou la cession de salaire en faisant valoir que le contrat qui les réalise porte sur un objet
indisponible. Cette fois-ci, le salarié soutiendrait que le contrat porte sur un droit dont il n'a
pas la libre disposition. Il faut à cet égard se rappeler que l'article 1128 du Code civil dispose
qu'il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions.
Ce texte est interprété comme signifiant que les conventions ne peuvent être passées que sur
des droits disponibles94• Le contrat qui réalise la compensation avec le salaire ou la cession
de salaire pourrait donc être classé panni les contrats illicites.
L'argument d'indisponibilité
permet également d'être réticent à l'égard de la
renonciation.
B. La limitation des possibilités de renonciation du salarié
Un rapprochement entre le Code civil95 et les Codes du travail camerounaIS et
français permet de voir la réticence de ces derniers à l'égard de la renonciation. L'article 69
alinéa 4 du Code du travail camerounais dispose que "L'acceptation sans protestation, ni
réserve, par le travailleur d'un bulletin de paye ne peut valoir renonciation de sa part au
90 1. CARBONNIER, t. 4, n° 49 ; CHATELAIN, L'objet d'art, objet de droit, Etude Flour, 1979, p. 63.
91 Casso civ. 17 novembre 1930, S. 1932, 1, 17, note Breton.
92 Casso 1ère civ. 15 juin 1960, lCP 1961, II, 12274, note R. Youin ; Paris, 29 juin 1992, D. 1993, Som. Corn. p.
209.
93 DEMOLOMBE, Obligations, t. 1, nO 104; FLOUR et AUBERT, Les Obligations, n° 197, GHESTIN, Le
contrat, nO 331, MAZEAU et CHABAS, nO 163,1. MAURY, De l'erreur sur la substance dans les contrats à titre
onéreux, Etudes Capitant, 1939, n° 17 et s.
94 Casso Ass. pl. 31 mai 1991, D. 1991,417, rapp. Chartier, note Thouvenin.
95Yoir entre autres les articles 1338 et s, 311-9, 2021, 2026, 2220 et s.
265

paiement de tout ou partie du salaire, des inderrmités et accessoires du salaire qui lui sont dus
en vertu des dispositions législatives, réglementaires, conventionnelles ou contractuelles ...".
Ce texte dit rigoureusement la même chose que l'article L.143-4 du Code du travail français.
.
On a souligné le danger de la renonciation du salarié, car elle est abandon du droit de
ce dernier à l'égard de l'employeur96•
L'embarras vient de ce que la renonciation est une manifestation de la liberté du
salarié. Lorsqu'on sait le prix qui est attaché à la liberté individuelle, on peut hésiter à
combattre la renonciation. Quand bien même l'avantage auquel le salarié veut renoncer
viendrait de la loi ou de la convention collective, il est difficile de dire que l'impérativité de
ces nonnes peut triompher de la liberté du salarié. On concédera facilement que l'impérativité
de ces nonnes ne s'impose pas au salarié dans la mesure où il s'agit de lui conférer un droit.
Comment, alors, concilier cette analyse avec le souci de protection du salarié et surtout
au regard de la suspicion qui entoure toute manifestation de volonté par laquelle le salarié
renonce à un droit?
Il est vrai que rien ne va de soi lorsqu'on parle de la renonciation du salarië7• Il
faudrait déjà distinguer en fonction de l'origine du droit objet de la renonciation. Lorsque ce
droit est d'origine conventionnelle, et contrairement à ce que peut d'emblée suggérer la force
de la liberté individuelle, la règle est que le salarié ne peut valablement y renoncer. Cette
solution déjà constante en jurisprudence française 98, découle de la loi. L'article L.135-2 du
Code du travail français dispose que lorsque l'employeur est lié par les clauses d'une
convention ou d'un accord collectif, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus
avec lui sauf clause plus favorables99• La solution s'explique donc directement par la règle de
solution des conflits des sources en droit du travail. Dans une certaine mesure, il faut dire
%1. VACARIE, La renonciation du salarié, Dr. soc 1990, 757.
97 A commencer par la définition même de la renonciation. A. JEAMMAUD a recensé plusieurs définitions de la
renonciation dont certaines vont jusqu'à englober des actes juridiques procurant un avantage à celui qui renonce
(La renonciation du salarié, o. O. 1997, 536 et s.). Nous lim itons notre propos aux actes par lesquels celui qui
renonce, sans contrepartie objective, manifeste la volonté d'abandonner un droit au lieu de le faire valoir.
98 "Les parties liées par un contrat ne peuvent, pendant toute la durée du contrat, déroger par un accord
particulier, sauf dispositions plus fàvorables pour le salarié, aux stipulations de la convention collective dont
elles relèvent" Soc., 3 mai 1988, Bull. civ. V, n° 161, p. 106. Voir aussi Soc., 20 février 1986, Bull. civ. V, n°
35 ; 6 juillet 1994, Bull. civ. V, n° 226

qu'elle ne méprise pas la liberté; elle lui assigne un sens 100. La liberté peut s'exercer, mais
dans le sens favorable au salarié. Exercée dans un sens contraire, la liberté paraît bien
suspecte et en tout cas pratiquement considérée comme infectée d'un vice congénitaL
Le droit positif étonne en revanche lorsqu'il traite de la renonciation du salarié à un
droit d'origine légale ou réglementaire. On pouvait espérer que dans la logique de la règle de
la solution des conflits, il ne permît pas au salarié de renoncer à un avaptage d'origine
étatique. En effet, si le salarié ne peut renoncer à un avantage qu'il tient de la convention
collective, source plus proche de lui et qu'on peut même penser moins impérative, il est
curieux qu'il puisse renoncer à un avantage qu'il tient de la loi. Mais en la matière, il ne
semble pas que le raisonnement a fortiori a été retenu. Les législateurs camerounais et
français seraient favorables à la renonciation du salarié à un avantage d'origine étatique. Tel
semble être le sens implicite des dispositions sur l'acceptation sans protestation ni réserve
d'un bulletin de paie lOI • Ces dispositions ont pour objet d'éviter qu'on tire de l'acceptation
sans réserve ni protestation des conséquences qu'elle n'a pas 102. II ne s'agit donc pas
99 Signalons qu'au Cameroun cette solution est posée plutôt par un décret, en l'occurrence le décret du [5 juillet
1993 sur les conventions collectives (article 23).
\\00 Pour la place de la liberté individuelle en face du collectifvoir supra ,première partie, titre 2, chapitre 2.
101 V. Codes du travail camerounais (article 69 al.4) et français (article L. [43-4)
102 Il ne faut pas non plus interpréter les dispositions sur le reçu pour solde de tout compte comme interdisant la
renonciation du salarié. L'article 69 al. 3 du Code du travail camerounais dispose que "N'est pas opposable au
travailleur la mention "pour solde de tout compte" ou toute autre mention équivalente souscrite par lui, soit au
cours de l'exécution, soit après la résiliation de son contrat et par laquelle le travailleur renonce à tout ou partie
des droits qu'il tient de son contrat de travail". Il n'aurait pas été raisonnable que le législateur permette que
l'employeur se libère de sa dette de salaire par le moyen d'un reçu pour solde de tout compte, signé par un salarié
qui n'est pas toujours à mesure de faire les comptes lui-même et parfois même en recourant à ses proches. Cette
dernière solution est d'une importance singulière dans le contexte camerounais où les relations de travail sont
largement dominées par la peur du salarié vis à vis de l'employeur, et très souvent noyées dans des liens
sentimentaux de tribu ou de famille exclusifs de toute protestation sur le vif. En effet, très souvent le salarié ne
proteste que lorsqu'il a accumulé une somme importante de lTustrations qui finissent par le révolter. Mais cette
protection m'empêche que l'employeur cherche à établir la renonciation par d'autres moyens.
En droit français la protection du salarié est même beaucoup moins forte. En effet, l'article L.122-17 du Code du
travail français n'enlève pas à l'employeur toute possibilité de tirer profit du reçu pour solde de tout compte.
Tout en tenant son effet libératoire pour indiscutable (Le reçu pour solde de tout compte a un effet libératoire
pour l'employeur à l'égard de tous les éléments de rémunération dont le paiement a été envisagé par les parties
(Soc, 8 juillet 1980, BulL civ. V nO 617).) , il pose simplement ses conditions de forme et permet sa dénonciation
dans un délai de deux mois. La jurisprudence a précisé que le reçu pour solde de tout compte ne peut être délivré
pendant que le salarié est encore sous la dépendance de l'employeur (Soc. 23 juin 1988, Bull. civ. V nO 386).
La précision sur le moment de la délivrance du reçu pour solde de tout compte réduit les craintes qu'on peut
avoir de ses conséquences. Pour autant le reçu pour solde de tout compte reste un document très dangereux pour
le salarié. Le danger est d'autant plus présent que les salariés sont en général dans la fausse croyance d'une
obligation de signer ce document (D. BOULMlER, Le reçu pour solde de tout compte: un acte de tous les
dangers pour le seul salarié. Dr. soc. 1996, p. 928).Les employeurs entretiennent bien une telle croyance. Au
Cameroun en particulier, bien des chefs d'entreprise ne versent les droits liés au licenciement, et parfois le
dernier salaire au travailleur que contre signature par ce dernier d'un reçu pour solde de tout compte. Une
pratique analogue a été signalée en France (Voir O. BOULMIER op. ciL). En signant donc le reçu pour solde de
tout compte, le salarié est dans l'illusion de s'acquitter d'une obligation, ou même de conclure une transaction.
267

d'exclure la renonciation en elle-même, qui demeurerait pour ainsi dire juridiquement
possible103. La jurisprudence française a en tout cas estimé que la renonciation à un avantage
d'origine étatique était possible, à propos du congé supplémentaire pour cause de
fractionnement 104. La jurisprudence se fait alors fort d'exiger qu'une telle renonciation soit
expresse et individuelle.
Il faudrait dire que la jurisprudence reprend ainsi quelques précautions qu'elle met en
général à l'efficacité de la renonciation. Ces précautions se justifient davantage lorsque le
droit objet de la renonciation est d'origine contractuelle. Un accord collectif ne saurait
éteindre des droits que le salarié tient de son contrat sans heurter la règle de la solution de
conflits des sources 105. De même, la renonciation ne peut résulter d'un vote majoritaire du
personnel fo6• On peut ajouter à ces précautions certaines autres l07 préconisées par la doctrine
qui souligne majoritairement que la renonciation reste exceptionnelle108. Mais le problème de
la renonciation n'est pas pour autant résolu, surtout lorsqu'elle a pour objet le salaire.
Comment le salarié peut-il valablement renoncer à son moyen de subsistance ?
Autrement dit, que le salaire soit fixé par la loi, la convention collective, ou le contrat
individuel, peut-on imaginer que le salarié se prive volontairement de son moyen de survie lO9?
Il y a là un impératif de survie qui commande le rejet de toute manifestation de volonté
abdicative. On semble être en présence d'un droit indisponible llO•
103 Comp. P. O. Pougoué, Droit du travail et de la prévoyance sociale au Cameroun op. cit. p. 270. L'auteur
pense qu'il fuut fuire valoir la règle de combinaison des sources pour interdire la renonciation aux droits qu'il
tient de la convention collective ou de la loi.
104 SOC., 10 juillet 1986jur. soc. UIMM, 1986, 439 ; 4 novembre 1988, Liaisons sociales, Lég. soc; n° 6163, 15.
105 Il faut réserver, au Cameroun, le cas de l'accord sur les mesures alternatives au licenciement pour motif
économique (article 40 du Code de travail). Dans l'esprit des dispositions législatives, cet accord déroge aux
règles sur le conflit des normes, la modification du contrat de travail. Au demeurant, en fuisant pratiquement du
maintien des emplois un avantage" suprême ", le législateur semble vouloir montrer qu'en vérité il n'y a pas
renonciation pure et simple.
1060. LYON-CAEN, Ibid.
107 Certains auteurs ont proposé de subordonner la renonciation à l'acquisition du droit, de sorte que soient
illicites les renonciations anticipées (ph. MALAURIE, note sous Poitiers, 18 décembre 1953. D. 1954, p. 519.
Dans ce sens, voir la 3e Chambre civile, 27 octobre 1975. Bull. III nO 310, p. 235 ; Soc. 22 février 1945, p. 1945,
p.289, 18 mars 1955; 0.1956, p. 517; 22 novembre 1957, D. 1958, p. 42). D'autres auteurs sont allés plus loin,
conditionnant l'efficacité de la renonciation à la cessation préalable de l'état de subordination. Le titulaire du
droit ne retrouve une autonomie suffisante pour disposer librement de son droit que lorsque cesse l'état de
dépendance ( O. COUTURIER, La confirmation des actes nuls. LODJ, 1972, p. 247 et s. ; 1. OHESTIN, Le
contrat, LODJ, 1988, p. 973 et s).
losO.H. CAMERLYNCK, La renonciation du salarié, Dr. soc. 1960, p. 62 ; O. LYON CAEN, La bataille truquée
de la flexibilité, Dr. soc. 1985, p. 50 I. Contra, A. JEAMMAUD, La renonciation du salarié, D. O. 1997,543.
109 Comparer la solution avec la condamnation morale du suicide.
110 L'idée semble être dans l'article 15 de l'Acte uniforme de l'OHADA dur les procédures collectives
qui
interdit aux créanciers de salire toute remise dans le l:adre du concordat préventif.
268

L'idée n'est pas de soustraire absolument le salaire de toute manifestation de volonté.
Elle est plutôt de dire que la volonté du salarié ne saurait légitimement être de se priver de
salaire 1Il. Il s'agit donc d'une indisponibilité relative, puisque le salarié demeure libre de
passer sur son salaire des conventions donnant-donnant 112. Il faudrait simplement surveiller
que sous ces conventions ne se dissimule une renonciation au sens d'abandon pur et simple.
Dès lors que c'est la fonction alimentaire du salaire qui fonde son caractère
d'avantage indisponible, on ne peut s'empêcher d'étendre la réflexion aux autres éléments qui
répondent à la même finalité. Pensons par exemple au droit au repos dont on sait qu'il est,
comme le salaire, inspiré par des raisons de sécurité physique. On voit bien qu'il n'est guère
possible de soutenir que le salarié peut renoncer au droit au reposll3. De proche en proche, on
peut ainsi avancer vers l'idée plus générale que le salarié ne peut renoncer à son droit
fondamental à l'intégrité physique 114. Si l'on veut pousser plus loin la généralisation, on doit
dire que le salarié ne peut renoncer à un droit fondamental. L'affirmation de l'indisponibilité
du statut protecteur des salariés investis de mission représentative du personnel est bien
connue 115.
Est également bien connue l'affrrmation de l'indisponibilité de la liberté
syndicale ll6• II semble y avoir là des applications particulières d'une règle générale qui vaut
pour tous les droits fondamentaux. L'indisponibilité qui les affecte trace des limites au champ
de la renonciation.
III Il faut du reste distinguer la question de la perception de celle du montant du salaire. Le droit au salaire est
principalement roncemé par le premier niveau; c'est à propos de la perception du salaire que l'hypothèse de
l'interdiction de la renonciation doit être vérifiée. Ceci ne veut pas dire qu'il ne faille pas s'intéresser au montant
du salaire puisqu'il pose aussi un problème de dignité. Au demeurant, on peut définir un minimum au-delà
duquel la renonciation peut être admise. Une telle solution permettrait par exemple de valider la renonciation aux
primes et autres éléments qui ne se justifient pas par ['idée de survie. La difficulté est qu'à partir du moment où
on parle de dignité, on ne peut pas éviter, dans la définition de ce minimum, les débats sur la question de
conditions de vie décentes ou, mieux, conformes à la dignité humaine. Dans tous les cas doivent être maintenues
les précautions propres aux voies par lesquelles la renonciation se réalise. Il s'agira le plus souvent de réponse à
une proposition de modification du contrat de travail.
112 On désigne souvent la transaction et la conciliation devant les juridictions de travail comme témoignant de la
faveur du droit positif et même des salariés pour la renonciation. Il faut bien romprendre que le recours à ces
solutions témoigne simplement d'un esprit de réalisme chez les salariés qui ne savent jamais d'avance l'issue
d'un procès éventuel. Et de toute façon ni la transaction ni la conciliation ne sont véritablement des actes
abdicatifs. Le salarié qui y recourt y a toujours un avantage objectif.
113 L'article 92 al. 5 du Code du travail camerounais dispose que" le congé étant alloué au travailleur dans le but
de lui permettre de se reposer, l'octroi d'une indemnité rompensatrice aux lieu et place du congé est
fonnellement interdit ". Le propos est simple: le rattachement du droit au congé à la sécurité physique fonde son
exclusion du commerce juridique. Il faudrait préciser que si le salarié ne peut renoncer, même contre argent, à
aller en congé, afortiori ne peut-il le faire sans contrepartie.
114 La règle découle de l'indisponibilité du corps humain.
115 Voir Crim, 26 novembre 1985, Bull. crim,.no 379; Soc., 1er juin 1994, Dr. soc. 1994, 783.
116 V. A. JEAMMAUD op. cit., 540.
269

Il Yaurait sans doute à faire un lien entre cette solution et l'institution de l'ordre public
dont on sait qu'elle présente deux variantes en droit du travail: l'ordre public absolu et l'ordre
public relatir 17. Evoquons un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes qui a
affirmé que les salariés ne pouvaient renoncer aux dispositions de la directive européenne
concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des
droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise, même si les inconvénients d'une telle
renonciation sont compensés par des avantages qui ne sont pas globalement moins
favorables 118. On pouvait bien deviner qu'on est en présence d'un ordre public absolu. Mais il
ne semble pas qu'il faille généraliser une telle solution. On peut même, dans une certaine
mesure, discuter la qualification de renonciation lorsque le salarié recherche et obtient une
situation plus favorable. Rien n'empêche donc que l'ordre public relatif soit sollicité sur ce
terrain puisque la circonscription du domaine de la renonciation par le recours à l'argument de
l'indisponibilité des droits fondamentaux vise à neutraliser seulement les manifestations de
volonté vraiment abdicatives.
Il sera en outre fait appel à l'ordre public relatif en ce concerne la défense du salaire.
PARAGRAPHE II: LA GARANTIE DU CARACTERE SUFFISANT DU SALAIRE
Ce paragraphe est plus général que ne dit son titre ; par le biais de la question du
salaire sera abordée la question plus générale du progrès social. Cette présentation a été
choisie parce que le salaire est l'angle qui montre le plus l'acuité des problèmes de régression
ou de progrès socialll9.
117 Les frontières entre ces deux composantes de l'ordre public sont des plus instables.
118 CJCE, lO février 1988, Dr. soc. 1988,457, note COUTURIER.
119 Derrière la question du montant du salaire se joue sournoisement le destin de la dignité du salarié. On voit
notamment la sécurité physique en cause par le détour de la question du temps de travail (fatigue, stress). Par le
détour du temps de travail se posent aussi les problèmes de liberté (emploi de temps échappant plus ou moins au
salarié, confusion entre la vie privée et familiale et la vie professionnelle, menace sur les pratiques religieuses
avec la suppression du repos dominical ou l'occupation du temps de prière). On pense aussi à la question du
niveau de vie décent. Le destin de la dignité se joue aussi derrière la question,du montant du salaire lorsqu'on
considère la politique de partage du travail. Celle-ci emprunte parfois la voie de la réduction de salaire que le
salarié doit accepter par fraternité ou solidarité avec son semblable.
-
:no

Au Cameroun comme en France, l'idée en vogue est celle de la libre négociation des
salaires120. En cette matière, semble dans une large mesure révolue l'époque où on présentait
l'Etat comme" un partenaire social hors de l'entreprise ,,121. La libre négociation postule aussi
bien la possibilité d'augmentation que celle de la réduction du salaire. Mais il faut dire que la
première hypothèse n'est pas à l'ordre du jour, surtout au Cameroun; et si elle se présente,
elle ne pose aucun problème particulier puisqu'elle serait toujours bien accueillie par les
salariés. La réduction des salaires est la mesure qui d'ordinaire pose d'énonnes difficultés.
Ces difficultés sont celles de la combinaison entre les différentes sources du droit du travail.
Elles sont aussi liées à la mesure de la liberté du chef d'entreprise dans l'utilisation de son
pouvoir de direction.
La régression sociale peut prendre plusieurs voies (A). Mais la défense du progrès (B)
peut s'organiser autour de quelques idées qui ne sont pas forcément dépendantes de la voie
choisie par la régression.
110 Le Conseil constitutionnel français peut donc affirmer avec assurance que "Le principe que la fixation des
rémunérations salariales, ainsi que leurs accessoires de toute nature, relève de contrats librement passés entre
employeurs et salariés", figure parmi les principes fondamentaux du droit du travail qui sont du domaine
législatif et auxquels le gouvernement ne peut porter atteinte par voie réglementaire (Cons. const. Il juin 1963.
D. 1964, 109, note L. Hamon). Certes on ne peut imaginer l'idée d'une totale indifférence de l'Etat. Ce dernier
reste en périphérie et assure ce qu'on appelle l'ordre public salarial (lutte contre l'inflation par la prohibition de
certaines clauses d'indexation, fixation d'un salaire minimum, prohibition de la discrimination salariale).
Mais il faut se garder de contresens en matière de négociation des salaires Il convient d'indiquer clairement à
quel niveau se font les négociations salariales. Deux niveaux doivent être distingués: le niveau collectif et le
niveau individuel.
Deux repères en droit camerounais permettent de comprendre le sens et même de prendre la mesure de la libre
négociation du montant du salaire. Le premier point à considérer est l'article 69 du Code du travail de 1974. Il
disposait que: "Des décrets pris après avis du Conseil national du travail fixent:
1) Les zones de salaire et les taux des salaires minima interprofessionnels et agricoles garantis;
2) Dans les conditions déterminés à l'article 61 ci-dessus :
a) Les catégories professionnelles ainsi que les salaires minima afférents aux dites catégories;
b) Les taux minima de rémunération des heures supplémentaires ainsi que du travail de nuit, du dimanche et des
jours fériés;
c) Le cas échéant, le taux de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de déplacement, de la prime d'assiduité".
Le second point à considérer est l'article 62 alinéa 2 du Code du travail actuellement en vigueur. Il dispose que:
"Les catégories professionnelles et les salaires y afférents sont fixés par voie de négociation dans le cadre des
conventions collectives ou des accords d'établissement prévus au titre III de la présente loi".
Par rapport à l'ancien texte, le nouveau apporte deux changements notables: il ne parle plus de zones de salaire;
il renvoie la question de la négociation des salaires à la compétence des partenaires sociaux.
Sur le plan formel, le Cameroun adopte ainsi une solution depuis longtemps appliquée dans d'autres pays, dont la
Frnnc~
.t
La négociation individuelle quant à elle ne peut qu'améliorer la condition du sa1arié.
l2Iy. P.G. POUGOUE, Droit du travail et de la prévoyance sociale, op. cit. p. 237.
271

A. Les voies de la régression sociale
La réduction des salaires peut emprunter plusieurs modalités. Elle peut s'opérer par
suppression ou réduction d'une prime ou de tout autre avantage de même nature; elle peut
intervenir par réduction du salaire de base avec ou sans réduction du temps de travail.
Il est cependant assez rare que l'opération de réduction de salaire intervienne de façon
brutale et autonome. Le plus souvent, elle fait l'objet d'une proposition de modification du
contrat de travail ou est présentée comme une mesure alternative au licenciement pour motif
économique. Dans le premier cas, la proposition de modification doit recevoir une réponse du
salarié pris individuellement (1). Si la volonté individuelle du salarié n'est pas absente dans le
second cas, elle est en fait ravalée au second plan par la prééminence du collectif (2).
1. La voie de la relation individuelle de travail
En ces temps de difficulté pour les entreprises, les dispositions sur la modification du
contrat de travail en cours d'exécution 122 sont très sollicitées. Elles permettent aux chefs
d'entreprise d'adapter la masse salariale aux réelles capacités financières des entreprises.
Il importe de bien comprendre le mécanisme prévu par le législateur. L'employeur
n'est pas autorisé à opérer une modification unilatérale du contrat 123. Il doit faire la
proposition de modification au salarié. L'article 42 alinéa 2 du Code du travail camerounais
dit à cet effet que le contrat de travail peut. en cours d'exécution, faire l'objet d'une
modification "à l'initiative" de l'une ou l'autre partie. La .. proposition" de modification peut
être refusée par l'autre partie. en l'occurrence lorsqu' elle concerne la réduction de salaire.
L'acceptation de la proposition de réduction de salaire doit être non équivoque l24 . Elle
ne peut résulter du simple fàit de la poursuite du contrat de travail 125• A défaut donc d'une
I~~ V. Sur la question P. E. KENFACK, La mobilité du c<lpit<ll de l'entreprise et le droit social au Cameroun,
Thèse de 3è cycle, Université de Yaoundé Il, 1994.
123 TGI de Yaoundé. nO 261 du4juillet 1994, inédit.
I~~ Soc., 5 juillet 1973, Bull. civ.. V, nO 452.
1~5 Soc. 8 octobre 1987, Bull. civ. V, n° 541. Il f<lut toutefois sign<ller l'évolution intervenue en France en matière
de modification substantielle du contr<lt de travail pour motif économique. Le nouvel article L.321-1-2 du Code
du travail prévoit que lorsque l'employeur, pour un motif économique. envisage une modification subst<lntielle
des contrats de trav<lil, il en informe chaque salarié p<lr lettre recomm<lndée avec accusé de réception. La lettre de
272

volonté claire et non équivoque de la part du salarié d'accepter une modification de sa
rémunération, la poursuite de l'exécution du travail s'effectue aux conditions antérieures '26.
Peu importe dans ces conditions que le salarié accepte sans protestation le nouveau salaire que
lui verse l'employeur 127•
En fait cependant, le salarié saisi d'une proposition de modification ne se fait aucune
illusion; il sait bien que son refus peut donner lieu au licenciement128. Si une telle rupture est
imputable à l'employeur, il n'en résulte pas nécessairement qu'elle est dépourvue de cause
réelle et sérieuse 129• La rupture a une cause réelle et sérieuse lorsque la modification proposée
était faite dans l'intérêt de l'entreprise \\30.
Dans un contexte de cnse économique, il sera très facile pour l'employeur de
démontrer qu'une proposition de réduction de salaire est justifiée par l'intérêt de l'entreprise.
N'est-il pas commode de prétendre que les entreprises en difficulté peuvent retrouver un
équilibre financier en réduisant sensiblement la masse salariale?
Si l'option est retenue, elle ne peut avoir de succès que si plusieurs modifications
individuelles de contrat sont faites. L'employeur peut, dans ces conditions, privilégier la voie
des rapports collectifs.
2. La voie des relations collectives de travail
Lorsque l'employeur peut utiliser la solution de la dénonciation d'un usage pour
opérer une réduction des charges salariales, il n'hésite pratiquement pas. Il est en effet admis
qu'aucune négociation n'est nécessaire lorsqu'on veut supprimer un usage'3'. L'employeur
notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. A
défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.
Certes, la règle n'est pas destinée à imposer la modification au salarié; elle facilite simplement la preuve de
l'acceptation.
126 Soc. 5 octobre 1993, CSs. 1993,265, A. 59.
127 Sont ici applicables les dispositions sur l'acceptation sans protestation, ni réserve d'un bulletin de paie.
128 G. LYON-CAEN, 1. PELISSIER, A. SUPIOT, Droit du travail, op. cit. n° 1021.
129 Soc. 16 juillet 1987, Bull. civ. V nO 480.
130 Soc. 28 février 1985, D. 1985, tR, 454, Obs. A. LYON-CAEN. L'article 42 alinéa 2 (a) du Code du travail
camerounais dispose clairement que" si la proposition de modification émanant de l'employeur est substantielle
et qu'elle est refusée par le travailleur, la rupture du contrat de travail pouvant en résulter est imputable à
l'employeur. Elle n'est abusive que si la modification proposée n'est pas justifiée par l'intérêt de l'entreprise".
131 V. Soc. 16 octobre 1980, Bull. V nO 554; II juin 1981, Bull. V, nO 533.
273

peut donc le faire unilatéralement, à condition de donner un préavis dans ce sens aux
,
d
1132
representants u personne
.
L'employeur n'aura pas toujours la chance d'opérer la réduction des salaires par
dénonciation d'un usage. Au contraire, il sera très souvent obligé d'emprunter la voie
périlleuse de la négociation collective.
Si la VOle de la négociation comporte des nsques non négligeables pour les
employeurs, c'est parce que ces derniers y rencontrent très souvent des interlocuteurs plus
aguerris que sont les syndicats de salariés. Ces syndicats ont en général une grande
répugnance pour tout ce qui peut tendre à remettre en cause les acquis. Quand de surcroît la
base de discussion avec ces syndicats est une proposition de réduction de salaire, élément
vital, on peut aisément imaginer la réticence de ces derniers. Cette hostilité des syndicats à
l'idée d'une diminution de salaire s'observe quel que soit le niveau de négociation choisi. Si
finalement l'employeur peut obtenir une réduction collective de salaires, c'est très souvent
malgré les syndicats et parce que ceux-ci se voient brandir le spectre des licenciements
massifs.
Depuis quelques années, on fait l'expérience de négociations entre les employeurs et
des représentants du personnel autres que les délégués syndicaux. Les accords qui en résultent
étaient dits "atypiques", justement parce qu'ils ne sortent pas du moule classique de la
négociation. Le nouveau Code du travail camerounais fait une importante place à ce type
d'accord dans les dispositions sur le licenciement pour motif économique. L'article 40 alinéa
2 du Code dispose en effet que" Pour tenter d'éviter un licenciement pour motif économique,
l'employeur qui envisage un tel licenciement doit réunir les délégués du personnel s'il en
existe et rechercher avec eux en présence de l'inspecteur du travail du ressort, toutes les
possibilités telles que: la réduction des heures de travail, le travail par roulement, le travail à
temps partiel, le chômage technique, le réaménagement des primes, indemnités et avantages
de toute nature, voire la réduction des salaires ".
132 Soc. Il juin 1988, op. cit. Au Cameroun, la possibilité de dénoncer un usage n'est pas prévue par la loi.
Celle-ci ne traite pas des usages. Il est vrai que l'observation empirique ne révèle pas l'existence de beaucoup
d'usages.
Il faudrait sans doute penser que Jans les entreprises où ils existent, les usages pourraient être
dénoncés moyennant un préavis dans un délai raisonnable qu'apprécieraient éventuellement ks juges du fond.
274

La seule difficulté, pour l'employeur, consiste à obtenir l'adhésion des délégués du
personnel aux mesures qu'il envisage133. Si un accord dans ce sens est conclu, il devient la
nonne pour tous, saufIe droit reconnu à tout salarié de s'y opposer, avec les conséquences qui
en résultent pour son contrat. Le Code précise que lorsqu'un travailleur refuse" par écrit ,,134
d'accepter les mesures arrêtées, il est licencié avec paiement du préavis et., s'il remplit les
conditions d'attribution, de l'indemnité de licenciement.
On peut penser qu'au moins pour la durée de validité de l'accord, le contrat de travail
est modifié, tout au moins si au moins un des éléments concernés par l'accord relève du
contrat individuel de travail: il y a novation dans les rapports contractuels.
En France, le projet de modification est préparé et présenté par l'employeur dans le
plan social. Bien entendu, la loi n'impose fonnellement aucune négociation en ce qui
concerne le plan social. Mais dans la mesure où le plan social est soumis aux représentants du
personnel dans le cadre de la procédure de concertation, et où les intérêts collectifs sont en
jeu, il s'instaure en fait une négociation autour du projet de l'employeur '35 Il en résulte
presq ue inévitablement des « sacrifices» de la part des salariés. Mais jusqu'0 ù aller dans ces
« sacrifices» ? Ne faut-il pas en tout cas organiser la défense des salariés contre certaines
manœuvres de réduction?
B. Les voies du progrès social
L'observation du rythme et de l'ampleur de la régression sociale confine à une
certitude: si on n'organise pas la défense du salarié, le seuil du tolérable peut être dépassé l36 .
Traditionnellement, la défense des avantages sociaux est assurée à partir de la solution des
conflits des nonnes en droit du travail (1). Mais on peut explorer une autre voie (2).
IJJ Rien, dans le texte, n'indique que l'employeur doit présenter un projet aux délégués du personnel. Mais ayant
pris l'initiative de la procédure, il devra en fait présenter un projet de mesures alternatives au licenciement,
d'autant plus qu'il souhaitera garder la maîtrise du pouvoir de direction qui est ainsi partagé.
Mais les
représentants du personnel peuvent également faire un contre-projet.
lJ4 L'indication de l'écrit comme moyen d'expression du refus du salarié laisse penser qu'en l'absence d'un tel
acte, l'employeur peut légitimement payer le salarié au taux arrêté par l'accord de réduction. La solution déroge
au;x dispositions de l'article 69 alinéa 4 qui dit que l'acceptation sans protestation, ni réserve, par le travailleur
d'un bulletin de paie ne peut valoir renonciation de sa part au paiement de tout ou partie du salaire, des
indemnités et accessoires
IJ5 V. G. COUTURlER, Droit du travail, op. cit. n° 160.
275

1. La solution des conflits des normes
La hiérarchie des sources du droit du travail revêt un caractère progressiste. En effet,
le droit du travail se présente traditionnellement comme une série de prescriptions de
caractère impératif, marquées du signe de l'ordre public social constituant au profit des
salariés un minimum intangible auquel la négociation peut ajouter sans retrancher 137. La
solution est admirablement présentée par les articles L.132-4, L.135-2 et L.i32-23 du Code du
travail français 1J8, et avec un arrière goût d'inachevé par les articles 52 et 57 du Code du
travail carnerounais139.
Mais récemment, on a démontré que le recours à la notion d'ordre public social
empêche de faire une distinction utile entre ordre public et principe de faveur. Le principe de
faveur et l'impérativité de la loi d'ordre public ne devraient pas être confondus. Ils ont des
fondements différents et reposent sur des textes distincts, leur domaine ne se superposent pas.
Le principe de tàveur, à la différence de l'ordre public. n'intéresse pas la formation des actes
conventionnels ; il est simplement une règle de solution des concours de normes. Ces
précisions sont faites pour faire accréditer l'idée qu'on ne peut a priori attacher aux lois du
travail un caractère d'impérativité l40 . Si la démonstration séduit, elle semble ne pas
correspondre à la pensée profonde du législateur pour qui l'impérativité de la loi, en droit du
travail ou en toute autre matière, irait de soi. Des raisons particulières au droit du travail ont
conduit le législateur à poser, depuis 1936, une entorse à l'impérativité de la loi; mais à deux
conditions cumulatives explicitement énoncées : que la dérogation se fasse dans un sens
favorable aux salariés, et qu'elle ne tombe pas sur un terrain interdit. On commettrait sans
doute une infidélité à la pensée du législateur en lisant séparément les deux propositions de
136Au Cameroun, beaucoup de salariés perçoivent un salaire inférieur au SMIG ou aux minima conventionnels.
137 G.R CAMERLYNCK et G. LYON-CAEN, Précis de droit du travail, Dalloz.
138 Article L.132-4 "La convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus
favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur ".
Article L.135-2 : " Lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de
travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables ".
Article L.132-25 " La convention ou les accords d'entreprise ou d'établissement peuvent adapter les dispositions
des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels applicables dans l'entreprise
aux conditions particulières de celle-ci ou des établissements considérés.
" La convention ou les accords peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés ".
139 Il faut regretter que le Code du travail ne règle pas lui même la question du rapport entre la convention
collective et le contrat individuel de travail. La question est traitée par le décret n° 93/578fPM du 15 juillet 1993
sur les conventions collectives, dont l'article 23 dispose que les dispositions des conventions collectives
s'imposent, sauf dispositions plus favorables, aux rapports nés des contrats individuels de travail.
276

l'article L.132-4 du Code du travail français correspondant à l'article 52 al. 2 du Code
camerounais. A partir du moment où le législateur prévoit qu'elle s'impose aux rapports nés
des contrats individuels de travail, la convention collective est également impérative l41 et ne
s'incline que devant une disposition plus favorable du contrat. L'ordre public social est une
métaphore juridique imaginée pour traduire la double idée d'impérativité et de progrès social
par le moyen de la règle de faveur.
Le Conseil d'Etat français fait de la solution particulière de la combinaison des
sources en droit du travail l'application d'un principe général du droit du droit du travail: " Il
résulte des termes mêmes (de l'article L.132-4) que, conformément d'ailleurs aux principes
généraux du droit du travail, des dispositions législatives ou réglementaires prises dans le
domaine de ce droit présentent un caractère d'ordre public en tant qu'elles garantissent aux
travailleurs des avantages minimaux, lesquels ne peuvent, en aucun cas, être supprimés ou
réduits, mais ne font pas obstacle à ce que des garanties ou avantages non prévus par les
dispositions législatives ou réglementaires soient institués par voies conventionnelles ,,142.
Quant à la Chambre sociale de la Cour de cassation française, elle a jugé que si les
clauses d'une convention collective peuvent restreindre les droits qu'elle institue elle-même,
il n'en est pas ainsi de ceux que le travailleur tient de la loi 143. Les clauses qui
méconnaîtraient une telle exigence doivent être déclarées nulles l44•
En d'autres termes, un avantage prévu par une norme ne peut être supprimé ou réduit
que par une norme de même rang l45 . De même qu'une convention collective ne peut
140 Y. CHALARON, L'accord dérogatoire en matière de temps de travail, Dr. soc., 1998, 335 ; voir aussi A.
JEAMMAUD, Le principe de faveur. Enquête sur une règle émergente, Dr. soc. 1999, p. 115.
141 Rien d'étonnant qu'on ait comparé la convention collective à un acte réglementaire (Voir P. DURANT, Le
dualisme de la convention collective, Rev. trim. 1939,353).
142 Droit Ouvrier 1973, p. 190.
143 Soc. 26 avril 1979, Bull. Civ. V n° 348, p. 253.
144 Soc. 5 janvier 1964, lCP, 1964 II 13682 ; Soc 8 avril 1970, lCP, 1970 IV 134.
1451\\ fàut particulièrement insister sur ce dernier point. La pratique camerounaise montre que par le biais des
propositions de modification individuelle du contrat de travail, l'employeur obtient régulièrement des salariés la
réduction du salaire de base ou d'un de ses éléments sans égard à l'origine dudit élément.
Cette pratique doit être vigoureusement combattue, parce qu'elle est contraire au sens de l'ordre public en droit
du travail, à la hiérarchie des sources. Sauf lorsqu'il prévoit une amélioration de la solution existante, le contrat
individuel de travail du salarié doit être placé à la base de la hiérarchie des sources en droit du travail. Mieux, si
le contrat individuel se voit parfois reconnaître une certaine efficacité en droit du travail, à côté d'une disposition
conventionnelle, c'est moins en raison d'une supériurité reconnue au .contrat qu'en raison du principe de
l'application de la nonne la plus favorable au salarié.
277

supprimer ou réduire un avantage prévu par la loi ou le règlement, un avantage prévu par la
l46
convention collective ne peut être supprimé ou réduit par la voie individuelle
.
A vrai dire, il n'y a, pour la voie de la modification du contrat individuel, que quelques
rares primes obtenues le plus souvent par des cadres ayant pu négocier une majoration de
salaire avec l'employeur.
Il faut toutefois éviter un optimisme excessif. Deux importantes fissures sont
introduites dans le dispositif. Tout d'abord, en France, et depuis 1982, des accords dits
dérogatoires ont été institutionnalisés. L'article L.132-26 du Code du travail permet aux
partenaires sociaux de déroger même dans un sens moins favorable aux salariés à la norme
supérieure, à condition que cette dernière ait ouvert la faculté de dérogation. Plus
concrètement, la convention collective pourra déroger à la loi si celle-ci l'autorise; l'accord
d'entreprise pourra déroger à la convention conclue au niveau interprofessionnel si celle-ci
autorise la dérogation l47. L'exigence d'une autorisation préalable de dérogation est une
précaution qui se justifie par les craintes qu'inspire une telle remise en cause de la solution
traditionnelle des conflits de normes. La loi en ajoute une seconde : les organisations non
signataires de l'accord dérogatoire peuvent s'y opposer dans un délai de huit jours. à
condition de justifier d'une certaine représentativité 148. Les conditions d'exercice du droit
l49
d'opposition ont été reconnues trop prohibitives
, ce qui peut faire penser que le législateur
place beaucoup d'espoir dans la faculté de dérogation.
On peut bien penser que le contexte qui a présidé à l'institutionnalisation des accords
dérogatoires est différent de celui ayant présidé à l'établissement de l'ordre public social
largement compris. Les scrupules qu'il montre témoignent de ce que le législateur n'est pas
encore complètement convaincu de l'opportunité d'un changement. L'idée de lois simplement
C'est donc un véritable contresens en droit du travail d'admettre par la voie d'une proposition de modification du
contrat la suppression d'un avantage salarial prévu par une convention collective ou par la loi ou le règlement.
Il est donc certain qu'on ne peut légitimement obtenir du salarié une fixation du salaire en deçà du minimum
arrêté par le législateur ou la convention collective.
146 Soc. 20 novembre 1986, Juri.-doc. 1986, F. 82.
147 La pratique a montré qu'il n'est pas aisé de comprendre le mécanisme, en particulier lorsqu'interfère le
niveau régional de négociation. Dans une affaire où était en cause un mécanisme similaire (dérogation dans le
mode de représentation), le TGI de Poitiers semble admettre que des accords de branche peuvent être conclus au
niveau régional ( 15 décembre 1997, Dr. soc. 1998, 334).
148 Ces organisations doivent avoir recueilli les voix de plus de la moitié des électeurs inscrits lors des dernières
élections des comités d'entreprise ou, à défaut, des dc:légués du personnel.
149 v. y. CHALARüN, L'accord dérogatoire en matière de temps de travail op cit., 364.
278

supplétives porte le germe de la destruction de l'équilibre que la notion d'ordre public social a
construit en droit du travail et où se mêlent aussi bien les questions de progrès matériel que de
liberté voire d'égalité
Il n'empêche qu'on peut remarquer que le législateur n'exclut rien du champ de la
faculté de dérogation; il cite même expressément le salaire parmi ses objets possibles. La
pratique, quant à elle, est plus fine. Si le salaire reste la cible privilégiée, on emprunte plutôt la
voie de l'aménagement du temps de travail. Au passage on heurte aussi les libertés spirituelles
par des horaires de travail qui ne respectent pas toujours les pratiques religieuses, pas plus que
la séparation entre vie professionnelle et vie privée et familiale; on heurte la sécurité au
travail par des horaires qui ne tiennent pas toujours compte des limites de résistance à la
fatigue du corps humain. Au total, c'est pratiquement tout le dispositif de protection de
l'Homme au travail qui se trouve atteint.
Ensuite, il Y a l'apparition des accords dits atypiques ci-dessus signalée, qui suscite
des inquiétudes. Ces accords inquiètent moins parce qu'ils n'empruntent pas rigoureusement
les sentiers des accords traditionnels que parce qu'ils comportent de graves risques de
régression sociale 150• A ceux qui espéraient les voir neutralisés la Chambre sociale de la Cour
de cassation française avait très tôt répondu que des conventions conclues de façon irrégulière
au regard de la législation n'en constituent pas moins des accords synallagmatiques
immédiatement exécutoires dans les termes du droit commun des contrats 151.
Certes, dans sa dernière jurisprudence, la Chambre sociale ne donne de ces accords
atypiques que la force d'un engagement unilatéral de l'employeur I52 . Mais en dépit de ce repli
de la Chambre sociale, les employeurs n'ont pas perdu leur enthousiasme pour les accords·
atypiques. En France, l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la
politique contractuelle donnait déjà une certaine légitimité sociale à ces accords. Par la suite,
le législateur, bien soutenu par le Conseil constitutionnel l53 , leur a donné force par les lois du
150v. M. DESPAX, Les paradoxes de la négociation d'entreprise, in Les transformations du droit du travail, op.
cit. p.279.
15'SOC. 9 mars 1957, (4 arrêts), Dr. soc. 1957, p. 278.
152Soc. 14 juin 1984, Bull. V, 251. voir aussi E. Dockès, L'engagement unilatéral de l'employeur, Dr. soc. 1994.
p. 227 et s.
153 Cons. const., Décision nO 96-383-DC du 6 novembre 1996 : " Si ces dispositions confèrent aux organisations
syndicales vocation naturelle à assurer notamment par voie de négociation collective, la défense des droits et
intérêts des travailleurs, elles n'attribuent pas pour autant à celles-ci un monopole de la représentation des

12 novembre 1996, 13 juin 1998 et 19 janvier 2000. A été autorisée la conclusion des accords
de branche négociés en commission composée des représentants des organisations syndicales
représentatives, pouvant déroger aux dispositions du Code du travail qui réservent aux
organisations syndicales représentatives le droit de participer à la négociation de conventions
ou d'accords collectifs de travail l54• Un accord de branche peut autoriser la conclusion d'un
accord avec les représentants élus du personneL l'entrée en vigueur d'un tel accord
d'entreprise ainsi négocié étant subordonnée à l'aval d'une commission pâritaire de branche.
Sans exiger la conclusion d'un accord de branche, les lois de 1998 et 2000 autorisent la
conclusion d'un accord d'entreprise de réduction de temps de travail donnant droit à une aide
de l'Etat par un salarié mandaté par une organisation syndicale reconnue représentative dans
les entreprises dépourvues de délégué du personnel l55• Le législateur français rattrape amsl
mais avec quelques nuances son homologue camerounais.
Au Cameroun en effet, le pouvoir de négocier est directement conféré aux délégués du
personnel et autres représentants ad hoc des salariés dans le cadre de la recherche des mesures
alternatives au licenciement pour motif économique. La formule est d'application générale en
ce sens qu'on peut la mettre en œuvre dans toutes les entreprises, grandes et petites. pourvues
ou dépourvues de délégués du personnell56 . En France, la compétence des représentants des
salariés autres que les délégués syndicaux pour signer des accords est subordonnée à une
autorisation des partenaires sociaux au niveau de la branche professionnelle 157. En outre, il
doit s'agir d'entreprises de petite taille dépourvues de délégués syndicaux. L'idée est bien que
la formule n'est qu'un palliatif 58. Enfin, la loi du 12 novembre 1996 prévoit que ces accords
doivent être validés par une commission paritaire de branche. Cette commission doit contrôler
que
l'accord
n'enfreint
ni
les
dispositions
légales
en
vigueur,
ni
les
dispositions
conventionnelles.
salariés... ", D. O. 1996,485. Voir B. MATHIEU, Précisions relatives au droit constitutionnel de la négociation
collective. A propos de la décision du Conseil constitutionnel 96-383 D.C du 6 novembre 1996, D. 1997, 20è
cahier, chr., 152
154 Dans ces conditions, l'expression" accord atypique" continuera d'être employée plus parce qu'elle est un
raccourci pour signifier accord non conclu par les représentants syndicaux que parce qu'elle renvoie à une norme
qu'on ne peut classer
155 Le législateur précise que l'accord signé par un salarié mandaté doit avoir été approuvé par les salariés à la
majorité des suffrages exprimés. Le fuit que l'accord soit conclu par un salarié mandaté par un syndicat permet
de dire qu'en vérité il n' y a pas d'atteinte au pouvoir syndical de négocier.
156 Dans ce dernier cas, l'inspecteur du travail désigne un représentant ad hoc avec qui la négociation se tient.
157 A noter certes que la loi sur les 35 heures ne prévoit plus une telle autorisation. Par
ailleurs, le TGI de
Poitiers suscité a jugé que l'accord de branche peut être conclu au niveau régional (15 décembre 1997, Dr. soc.
1998,334).
158 EII
"
.
1
e est aussI expenmenta e.
280

Ces conditions restrictives laissent supposer que les accords dits atypiques sont
exceptionnels. Mais, on ne minimise pas le risque de régression sociale que comportent ces
accords. 159. Si l'on consent même à ne pas évoquer l'argument que beaucoup d'accords
existeront en marge de la loi16o, il faut dire que la pente de régression semble bien amorcée
par le législateur, qui de toute façon entramera dans son sillage le juge même sur des points de
fait.
Il est une question classique sur laquelle l'évolution semble imparable: qualifier une
règle en fonction de son caractère favorable ou non aux salariés. Beaucoup de dispositions
sont en tout cas "à double tranchant" 161. Puis, il ne faut pas l'oublier, le patronat ne peut
abandonner sa stratégie traditionnelle : la mesure qui de toute évidence apparaît comme un
signe de régression sociale sera présentée comme le moindre mal. Le moindre avantage pour
les salariés sera très souvent présenté comme un inconvénient potentiel pour la stabilité de
l'emploi. La promesse de stabilité de l'emploi se trouve ainsi érigée en tout état de cause en
contrepartie suffisante voire supérieure à toutes sortes de concessions de la part des salariés.
La Chambre sociale de la Cour de cassation française n'a pas résisté à une telle lecture de la
réalité sociale à propos de la révision d'une convention collective. EUe a en effet estimé que
l'avenant qui prévoyait, en contrepartie de la suppression d'une prime compensée par une
autre d'un montant inférieur, le maintien des salariés dans leur emploi était favorable à
l'ensemble des salariés 162. Si l'analyse n'est pas mauvaise en soi, elle comporte un risque
qu'il ne faut pas négliger. Elle est en effet fondée sur une certaine mystification du maintien
de l'emploi, alors surtout qu'en l'absence d'un indice fiable pour apprécier a priori la bonne
foi de
l'employeur, on peut penser qu'il s'agit plus probablement d'une promesse
potestative 163. Le risque est que la promesse de maintien de l'emploi ne devienne un
épouvantail qui empêche de prendre l'exacte
mesure des sacrifices consentis de part et
d'autre. Il faudrait donc souhaiter que le maintien de l'emploi n'emporte la conviction des
159 Voir la note très critique de G. LYON-CAEN au Droit. Ouvrier 1996,479.
160 C
d
f:'"
b
es accor s peuvent en ait etre tres nom reux.
16lL'expression est de M. ALIPRANTIS, La place de la convention collective dans la hiérarchie des normes
juridiques. LGDJ, 1980, p. 62.
162 SOC., 19 février 1997, Dr. soc. 1997,433.
163 Pour le contrôle de l'exécution des engagements en matière d'emploi, voir f. GAUDU, Dr. soc. 1998, 367 ;
G. COUTURIER, La méconnaissance d~un engagement en matière d'emploi Ibid., 375, G. GELINEAU-
LARRIVET, Quelques observations sur le respect des engagements en matière d'emploi, Ibid., 380.
281

représentants des salariés puis des juges que s'il est suffisamment précis, par exemple quant
au nombre d'emplois à maintenir, et quant à la durée minimale de stabilité.
L'observation pennet d'attester pourtant que l'argument du maintien de l'emploi a
suffisamment de l'influence sur les représentants du personnel. Un faux consensus social sur
fond de chantage se fait ainsi assez rapidement autour des mesures régressives l64• Dans tous
les cas, le dispositif de protection des salariés par le recours à la solution de conflit des
sources est bien atteint. Il faudrait explorer d'autres voies.
2. Les voies à explorer
On pourrait sans doute engager la contestation des mesures qui poussent la régression
sociale jusqu'à placer les salariés dans des conditions d'existence indécentes à partir de l'idée
que ni les salariés, ni a fortiori leurs représentants ne peuvent valablement donner leur
consentement à ces mesures. Le propos doit être compris comme visant un seuil quantitatif en
deçà duquel il est interdit de descendre. Mais il faut aller plus loin, puisqu"il y a aussi une
dimension qualitative des exigences. Celle-ci doit s'attacher à définir des "objets" sur
lesquels la régression ne peut être admise.
Sur le plan quantitatif, la solution doit être cherchée à partir du constat dressé par
Gérard LYON-CAEN à propos de l'apparition de nouveaux acteurs à la négociation: si les
employeurs sont à la recherche de nouveaux interlocuteurs, pense l'auteur, c'est parce que
ceux-ci sont plus accommodants, plus accessibles aux arguments "on créera des emplois,
acceptez des concessions". Les nouvelles dispositions légales sur la négociation ont pour
raison d'être de faciliter la révision in pejus des droits des salariés 165. Le recours à la
négociation serait donc devenu un artifice aussi bien pour les employeurs que pour le
législateur.
Si on ne peut pas interdire aux salariés d'exercer leur droit à la négociation par
l'intermédiaire de leurs représentants, il semble contraire au bon sens de permettre que ce
164 La chambre sociale de la Cour de cassation française a déjà connu d'une espèce où un salarié s'estimait
victime de violence morale. C'est la crainte de perdre son emploi à cinquante ans qui l'aurait déterminé à signer
un avenant à son contrat individuel (Soc. 15 octobre 1997, n° 34180).
165 V. commentaire de la décision du Conseil constitutionnel n° 96-383 op ciL, 482.
282

droit soit exercé à leur détriment. Tel semble être le sens profond du principe de l'ordre public
social en rapport avec le droit de participation. La participation du salarié à la détermination
de ses conditions de travail n'a de sens que si celle-ci n'a pas d'effets contraires à ses intérêts.
La précaution la plus élémentaire à cet effet consiste à ne permettre de toucher à un avantage
qu'au niveau où il a été obtenu. C'est à ce niveau que sont objectivement appréciables tous les
éléments ayant présidé à la fixation de l'avantage. Aussi bien au niveau de la loi qu'à celui des
conventions collectives à large portée, la fixation du salaire minirn~ de base, ou des
accessoires du personnel dans le cadre restreint de l'entreprise. Lorsqu'on autorise le
représentant du personnel à remettre en cause, en général sans examen sérieux et approfondi,
les éléments arrêtés au niveau supérieur, on court le risque d'une paupérisation à l'extrême des
salariés, et donc de les placer dans des conditions de vie contraires à toute idée de dignité
humaine.
Au fond, il s'agit simplement de mettre en échec les solutions plus ou moms
artificielles par lesquelles les éléments de la condition des salariés sont revus à la baisse sans
aucune garantie que ces derniers continueront de vi\\iTe et de travailler dans la décence. Il
semble donc qu'il faille instituer un parallélisme rigoureux de sorte que le salaire ne puisse
être éventuellement revu à la baisse qu'au niveau où il a été fixé. C'est à ce niveau qu'on a plus
certainement la maîtrise sur les éléments ayant présidé à sa fixation originaire 166.
La difficulté dans cette voie, est que le législateur qui doit normalement être le garant
d'une existence conforme à la dignité, ne semble pas avoir pris la mesure exacte du risque
couru par les salariés. Par une conception faussement vertueuse de la négociation collective, il
a porté un coup dur au principe de l'ordre public social. Certes, dans une large mesure, le
législateur porte les idées en vogue à notre époque. Mais la dignité des salariés pour laquelle il
faut réaffirmer l'ordre public social est au contraire un principe intemporel. L'ordre public
social doit rester, par delà les variations du contexte économique, le principe le plus
fondamental du droit du travail.
166 Il faut cependant réserver la possibilité, pour les accords dit de « partage de travail », de s'imposer devant les
dispositions des contrats individuels. En effet, la volonté d'opposer le contrat individuel à l'accord traduit une
certaine forme d'égoïsme qu'on ne peut encourager à des moments de sacrifice. De plus, les dispositions plus
fuvorables des contrats individuels ne peuvent se retrouver que dans des contrats de salariés au-dessus d'un
minimum à la fois quantitatif et qualitatif.
283

Pour jouer pleinement son rôle, ce pnnclpe a besoin d'une assISe juridique
suffisamment solide. On pense à une place constitutionnelle. La Chambre sociale a qualifié
l'ordre public social de "principe fondamental ", certes sans qu'il soit sûr qu'en l'espèce elle
ait eu une arrière-pensée pour la faculté qu'aurait le législateur de le remettre en cause 167• Le
Conseil d'Etat en revanche paraît bien avoir à l'esprit la question de la hiérarchie des normes
lorsqu'il affinne que l'ordre public social est un principe général du droit du travail168. On
remarquera que le Conseil constitutionnel français n'a pas soulevé l'inconstitutionnalité des
dispositions législatives relatives aux accords dérogatoires, qui permettent des dérogations in
peju/69. Le Conseil jugera même que la loi de 1936, analogue à l'actuel article L. 132-4 du
Code du travail français ne dit pas qu'en cas de conflit de normes c'est la plus favorable qui
doit recevoir application 170. Compte tenu de cette réticence du Conseil constitutionnel, la
doctrine estime que le principe de faveur n'a pas valeur constitutionnelle l71 .
Pourtant, il n'est pas sûr qu'il n'y a pas place dans le paysage constitutionnel
français, au moins pour la solution des rapports entre la loi et les conventions collectives172.
Un éminent auteur a présenté le principe de faveur comme le plus fondamental des principes
généraux du droit du travail '73 • Sans doute parce que la dimension collective des rapports de
travail ne se comprend pas aisément sans ce principe. li tàut en plus souligner le lien entre ce
principe-dénommé tel ou dénommé ordre l'ordre public social-et la liberté l74• Comme on l'a
démontré 175, ce principe n'est pas seulement l'outil du progrès matériel; il est aussi chargé
d'idée de liberté et de dignité.
En vérité, le principe de l'ordre public social apparaît dans toute sa force lorsqu'on le
situe dans le contexte où il s'est établi. D'un point de vue temporel, il ne faut pas oublier que
c'est en 1936 que ce principe, tout au moins dans son aspect qui concerne le rapport entre la
loi
et
la
convention
collective,
entre
dans
le
paysage juridique
français.
Il
est
167 SOC., 25 novembre 1992, Dr. soc. 1993, 63. " ...Ia dérogation ne peut pas, en vertu du principe fondamental
énoncé à l'article L.132-4 du Code de travail, être opposée au salarié si elle est moins favorable à ce dernier ".
168C.E.,Avis ass. gén., 22 mars 1973, D. O. 1973, 190; G.A., 1980, n° 50.
169 V. Décision 82-145 DC, RJC 1-133.
170 V. décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997, JO, 26 mars 1997, p. 4661.
171 A. JEAMMAUD, Le principe de faveur. Enquête sur une règle émergente op. cit., p. 123.; et avant la
décision du Conseil sur la loi relative à l'épargne retraite, G. LYON-CAEN op. cit. p. 483
172 En fait, l'ordre public social au sens restreint.
173 G. COUTURIER, Observation sous Soc., 19 février 1997, Or. soc. 1997,433.
174 Le principe de l'ordre public social est en quelque sorte un compromis entre le collectif et la liberté
individuelle. Voir l'idée à la première partie, titre l, t:hapitre Il, section II.
175 Voir Première partie, titre Il, chapitre 2, Section l, para. l, A.
284

incontestablement antérieur à la Constitution de 1946. On comprend que les auteurs du
recours contre la loi créant les plans d'épargne retraite aient pensé que ce seul « maillon»
faisait accéder le principe de faveur au rang des principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République 176 dont parle la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel a refusé
cette solution, sans à notre sens consacrer explicitement la solution contraire. Et sans doute le
contexte actuel n'incitait-il guère à dire que le principe de faveur a valeur constitutionnelle. Il
faudrait peut-être penser que replacé dans un autre contexte, en particulier celui de 1936, et
sans doute prise isolément, la solution du conflit entre la loi et la convention collective aurait
mérité une autre considération.
En tenues de qualité, le progrès devrait être recherché en insistant sur l'idée qu'on ne
peut tout laisser à la négociation. Se trouve posé le problème des frontières de la
négociation l77 Que l'aménagement du temps de travail par exemple fasse l'objet de
négociation n'a en principe rien de choquant. Mais lorsque la négociation débouche sur la
remise en cause directe ou indirecte de la sécurité, on peut s'en inquiéter; c'est au demeurant
une préoccupation de la directive européenne nO 9311 ü4/CE du 23 novembre 1993 concernant
certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Mais si l'attention est ainsi portée aux
problèmes de sécurité, on ne semble pas avoir pris la juste mesure des périls sur d'autres
terrains. On ne perçoit que très vaguement ce que coûte à la liberté et à l'égalité la négociation
individuelle ou collective.
Certes, on ne peut concevoir un système absolument prohibitif de toute sujétion. Il
faudrait peut-être au moins rappeler que toute négociation se fait sous réserve de ne pas porter
atteinte à certaines valeurs. Le juge se sent alors psychologiquement plus armé pour invalider
les dispositions attentatoires aux droits fondamentaux. En l'état actuel du droit, il n'est pas
impossible de contester la régularité d'une clause conventionnelle qui viole une disposition
constitutionnelle I78 • La Chambre sociale de la Cour de cassation française a récemment
annulé une clause de convention collective portant atteinte au droit de grève par le moyen
d'une obligation de préavis 179. Une convention collective, a dit la Cour, ne peut avoir pour
176 Sur la reconnaissance des principes fondamentaux reconnus par les lois de la république, voir B. MATHIEU,
la République sociale, in B. MATHIEU et M. VERPEAUX, La République en droit français, Economica, 1996.
177 M. A. SOURIAC-ROSTCHILD, Le contrôle de la légalité interne des conventions et accords collectifs, Dr.
soc, 1996,395.
178 V. M. A. SOURIAC-ROSTCHILD,.op. cit, 399.
179 Soc., 7 juin 1995, Dr. soc. 1995,835.
285

effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l'exercice du droit de grève
constitutionnellement reconnu. Les Constitutions camerounaise et française sont pleines de
ressources par lesquelles on peut tenter d'assurer le respect d'un minimum de valeurs
intangibles.
Conclusion du chapitre
La nullité des actes juridiques attentatoires aux droits fondamentaux est une sanction
qui, en raison de ses effets énergiques, convient au régime fort qu'on souhaite appliquer à ces
droits. Encore faut-il qu'on fasse suivre cette nullité de la conséquence juridique qu'elle
appelle: la remise en état. La nullité doisen plus"être appliquée chaque fois qu'est pris un acte
juridique attentatoire à un droit fondamental. L' ordre juridique marquerait ainsi sa forte
réprobation des atteintes aux droits fondamentaux.
Parallèlement, la défense du moyen de subsistance qu'est le salaire doit être assurée.
En premier lieu, il s'agit d'interdire la compensation avec le salaire et la renonciation au
salaire. Plus largement la renonciation doit être interdite si elle a pour objet un droit
fondamental. En second lieu, il s'agit de réaffmner le sens et la force juridique du principe
d'ordre public social.
286

CHAPITRE II
LA RECHERCHE DE L'EFFICACITE OPTIMALE DANS LA PROCEDURE
Au moins trois séries de difficultés sont susceptibles de compromettre l'efficacité
d'une sanction applicable au fond du droit. D'abord, les difficultés liées à l'écoulement du
temps.
Certaines solutions ne sont opportunes ou même justifiées que
lorsqu'elles
interviennent très rapidement. Ainsi en est-il de la réintégration d'un salarié dans son emploi.
Comment, par exemple, réaliser cette réintégration lorsque l'entreprise a déjà disparu
emportant avec elle l'emploi dans lequel on souhaite réintégrer le salarié 7180. Parfois
l'entreprise n'aura pas disparu, mais le salarié étant resté longtemps hors de celle-ci, éprouve
ou craint des difficultés de réadaptation. Pour éviter ce piège, il faudrait que la réintégration
soit rapide, sinon instantanée.
Ensuite, il arrive que la sanction prévue par la loi ne s'applique pas effectivement,
parce que personne ne l'a recherchée. Par ignorance, négligence ou peur de s'attirer les ennuis
de l'employeur, beaucoup de salariés s'abstiennent de mettre en œuvre les mécanismes
protecteurs de la loi. La panacée peut être recherchée dans un système qui prévoit des actions
de substitution.
Enfin, la sanction applicable au fond du droit peut ne pas être prononcée en raison des
difficultés de preuve. En effet, le juge ne peut accéder aux prétentions des plaideurs que si
leurs allégations sont reconnues fondées. La difficulté de faire triompher sa cause peut être
négligeable ou importante selon que la loi crée une présomption en faveur du demandeur ou
lui laisse la charge de la preuve. Naturellement, et sous peine de causer un grand
bouleversement dans le droit de la preuve, le législateur ne peut prévoir des présomptions au
profit du demandeur qu'à titre exceptionnel. Dans une large mesure, le droit français le fait
lorsque la discrimination est alléguée. Celle-ci bénéficie donc d'un régime probatoire
dérogatoire du droit commun.
180 Voir sur cette question, G. COUTURIER, Annuler les actes illicites, la réintégration obligatoire. D.O. 1988,
p. 139; M. HENRI, La réintégration des salariés non protégés, D.O. 1995, p. 383.
287

Au demeurant, le problème de l'efficacité du régime des droits fondamentaux n'est
pas que judiciaire. Au Cameroun en particulier, il peut y avoir des difficultés à constituer et
administrer un syndicat. On pourrait bien rattacher ces difficultés au fond du droit. Mais nous
avons choisi de les aborder ici parce que les solutions qui y ont été apportées jusqu'ici sont
beaucoup plus d'ordre procéduraL Il s'agit de dépasser cette approche.
Recherche de la sanction par la voie la plus rapide et au besoin· par une action de
substitution, système de preuve dérogatoire du droit commun, tels sont les grands traits du
régime procédural approprié aux droits fondamentaux. La transformation porte donc.J d'une
part sur les voies (SECTION I). et,d'autre par1jsur les moyens de la sanction (SECTION II).
SECTION l : LES VOIES DE LA SANCTION DES ATTEINTES AUX DROITS
FONDALY1ENTAUX
Le droit processuel est caractérisé par une division sommaire. On a, d'une part, les
procédures pour lesquelles le législateur ne signale aucune urgence. Ces procédures doivent
alors être instruites suivant une vitesse qui dépend essentiellement du volume des affaires
pendantes. On a;d'autre part,des procédures pour lesquelles le législateur signale une urgence
certaine. Elles doivent être instruites et tranchées avec célérité. Traditionnellement, l'urgence
tient aux circonstances du problème: une preuve est susceptible de dépérir, un droit va être
irrémédiablement compromis, etc. Mais de plus en plus se montrent des hypothèses où
l'urgence tient à la nature des problèmes. Plus précisément, cenains problèmes sont
considérés in abstracto et de jure comme nécessitant une solution urgente. Ici, le critère de
classement semble être l'importance du droit en cause ou la gravité du choc éprouvé par
l'ordre juridique du fait de l'acte qu'on veut combattre. Dans cet ordre d'idées, le législateur
français soumet à la procédure de référé un certain nombre d'actions tend81t à la protection de
la liberté et de l'égalité. Il faudrait généraliser la solution.
Au Cameroun, le législateur soumet à une procédure sommaire l'enregistrement des
syndicats et même le recours contre la décision d'annulation de l'enregistrement. Or, il faut
avoir à l'esprit que le besoin de recourir à une procédure d'enregistrement sommaire ou à une
procédure rapide de contestation de la décision d'annulation de l'enregistrement ne s'est
288

imposé qu'en raison d'une difficulté qui, elle, ne semble pas inévitable. Le solution est donc
dans la plus grande sécurisation des syndicats.
Deux
idées peuvent donc
pennettre
d'annoncer
l'effort
à
entreprendre:
La
systématisation des recours judiciaires d'urgence (PARAGRAPHE I) et la plus grande
sécurisation des syndicats (PARAGRAPHE II)
PARAGRAPHE l
LA SYSTE~TISATION DES RECOURS JUDICIAIRES EN
URGENCE
Le Conseil d'Etat français a rendu le 21 octobre 1994 trois arrêts qui témoignent sans
doute du caractère inachevé de l'évolution du régime procédural des droits fondamentaux, en
particulier en ce qui concerne le recours au référé. Etait en cause l'étendue de la faculté
accordée à l'inspecteur du travail de saisir le juge des référés pour faire cesser une atteinte. Le
conseil a affinné que ni l'article L611-1 du Code du travail, ni aucune autre disposition légale
du même code ne prévoyant que l'inspecteur du travail puisse demander au juge civil des
référés de faire cesser l'emploi des salariés en méconnaissance des dispositions sur le repos
dominical, l'article R.261-1 du Code du travail qui donne cette faculté à l'inspecteur du
travail est illégal181. Or, il faudrait généraliser le recours au référé (A), et même prolonger la
solution sur le terrain répressif (E).
A. Le référé à généraliser
Dans le cadre de la relation de travail, l'hypothèse la plus ancienne où est ouverte la
voie du référé est incontestablement la réintégration. Cette compétence du juge du référé pour
la réintégration n'est certes pas exclusive; elle vient en concours avec celle du juge du fond.
Mais l'ensemble des données en cause désignent le juge des référés comme juge naturel de la
réintégration 182. Ne faut-il pas dire aussi que le juge des référés est le juge naturel des atteintes
181 C.E., 21 octobre 1994, D. 1994, IR 266.
182 Voir pour cette idée en cas d'atteinte à la vie privée, aux libertés
individuelles et collectives résultant de
l'application du règlement intérieur, Larissa DARRACQ, Le contrôle du règlement intérieur, Mémoire de DEA
en Droit social, Université Bordeaux, 1995-1996, p. 157.

aux droits fondamentaux? (1) Il faudrait alors examiner les données de fait (2) et de droit (3)
qui rendent crédible une telle proposition.
1. Lejuge des référés, juge naturel des atteintes aux droitsfondamentaux
Les observateurs attentifs à l'évolution du statut des libertés n'ont sans doute pas été
étonnés qu'en France l'article IOde la loi nO 95173 du 21 novembre i 995 relative à la
l83
sécurité
ouvre la voie du référé à quiconque s'estime victime d'une atteinte à l'occasion de
la mise en œuvre des moyens de surveillance que la loi retient. Ce texte rappelle bien celui de
l'article L.422-1-1 du Code du travail qui soumet aux formes applicables au référé l'examen
des divergences qui pourraient naître entre le délégué du personnel et l'employeur sur
l'existence dans l'entreprise d'une atteinte injustifiée aux libertés individuelles ou sur les
moyens d'y mettre fin. Lorsqu'on met ensemble ces textes, on comprend difficilement que le
législateur français ait voulu limiter la faculté accordée à l'inspecteur du travail de saisir le
juge des référés pour faire cesser une atteinte aux droits. Le texte qui donne pouvoir à
l'inspecteur du travail est certes inclus dans le dispositif d'hygiène et de sécurité du travail et
ne semble donc pas pouvoir se lire hors de ce cadre. Le recours à cette solution urgente
témoigne d'une certaine considération pour l'intégrité physique du salarié. Mais ce qui est
vrai de l'intégrité physique du salarié l'est aussi sans doute de sa liberté. Les décisions du
Conseil d'Etat ci-dessus évoquées peuvent paraître choquantes puisqu"elles montrent bien que
malgré la compétence générale dont il est investi en matière de contrôle de l'application de la
législation du travail l84, l'inspecteur du travail ne peut pas rapidement faire cesser une atteinte
injustifiée aux droits et libertés. Les espèces soumises au juge étaient d'autant plus
intéressantes qu'elles posaient implicitement un problème de liberté religieuse. La solution du
conseil aurait sûrement été la même si au lieu d'un problème de repos dominical il s'était agi
185
d'exposition du salarié au harcèlement sexuel
, d'intrusion manifeste dans sa vie privée.
La voie qui est ainsi fermée à l'inspecteur du travail est pourtant ouverte au délégué du
personnel 186 et au salarié par l'article L.422-1-1 du Code du travail. Peu importe ici que le
183 Loi dite d'orientation et de programmation.
184 V. Articles lOS du Code du travail camerounais et L.611-1 du Code de travail français
185 A moins que le juge n'y voit un problème d'intégrité physique plus que de liberté, ce qu'il faut peut-être
exclure si c'est un salarié de sexe masculin qui se trouve exposé..
186 Il faudrait même voir qu'il est troublant qu'en même temps la loi prévoit que le délégué du personnel peut
saisir l'inspecteur du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l'application des prescriptions
290

texte ne vise pas stricto sensu le juge des référés mais " le bureau de jugement du Conseil de
prud'hommes ". L'idée majeure est qu'il faut aller vite; c'est pourquoi le texte précise que le
bureau de jugement" statue selon les formes applicables au référé ". Est bien exprimée l'idée
latente suivant laquelle l'atteinte à la liberté en particulier et à un droit fondamental en général
appelle une réaction rapide 187. L'urgence à agir et la compétence du juge de l'urgence
semblent naturelles, parce que le trouble causé par l'atteinte doit cesser le plus vite possible.
2. Les données de fait en faveur de la compétence du juge des référés
Il est aisé de se situer sur le terrain de la réintégration des salariés irrégulièrement
licenciés pour montrer comment, en matière de droits fondamentaux, les données de fait
désignent le juge des référés comme juge compétent. La voie a tellement été empruntée que
lorsqu'on évoque une décision de justice ordonnant la réintégration forcée d'un salarié dont le
licenciement est nul, on pense d'abord à une décision du juge des référés l88 • Rien d'étonnant à
cela: la première décision de réintégration forcée qu'on a connue était rendue en référé 189. Par
la suite des décisions de réintégration se sont multipliées au niveau du référé 190.
Cette constante sollicitation du juge des référés s'explique par les effets préjudiciables
qui peuvent résulter de l'écoulement du temps. La réintégration n'apparaît comme une mesure
pratiquement envisageable, n'est réalisable et ne trouve sa véritable signification que
lorsqu'elle intervient rapidement après le licenciement illicite 191. L'obligation de réintégrer a
beau être une obligation de résultat 192, elle a beau être accompagnée d'une astreinte, on sera
parfois devant une impossibilité absolue de réintégrer le salarié, même dans un emploi
équivalent à celui qu'il occupait. Au delà de la rigueur des principes, le juge qui statue sur une
demande de réintégration doit parfois se demander s'il prend une décision adéquate l93 .
législatives et réglementaires dont elle est chargée d'assurer le contrôle (article L.422-1 du Code du travail
français). Il n'y a certes pas une contradiction dans les textes; mais on limite inopportunément l'inspecteur du
travail lorsqu'on ne lui permet pas d'agir en référé.
187 V M. HENRl, La réintégration des salariés non protégés, O. O. 1995, p. 383.
188 G. COUTURIER, Annuler les actes illicites, la réintégration obligatoire op. cit. p. 138.
189 Ibid, p. 139.
190 Soc. 23 février 1977 0.1977 IR 161 ; Soc, 25 janvier 1979 JCP 1979, IV 109 ; Soc. 21 juillet 1986, Bull. V nO
389 p. 298.
191 G. COUTURIER, Annuler les actes illicites, op. cit. p. 139.
192 V. H. SINAY, Rigueur et ampleur de la réintégration (1992-1993), Dr. soc. 1994, 553.
193 Voir Paris (18e ch), 23 février 1996, O. O. 1996, p. 296. La Cour dit que la réintégration est la sanction" la
plus adéquate ".
291

L'appréciation de l'adéquation de la réintégration par rapport à la situation est en vérité un
jugement sur l'opportunité de la réintégration. Et il faudrait craindre que sous l'effet du temps
le droit à réintégration ne se transforme en droit à indemnité. En d'autres termes, la remise en
état qu'exige l'atteinte à un droit fondamental risque, sous l'effet du temps, de céder la place à
l'argent.
L'erreur serait de penser qu'une décision de réintégration ne peut causer de gêne qu'à
l'entreprise. Bien souvent, le salarié réintégré rencontrera des difficultés à reprendre un
emploi qu'il a quitté depuis très longtemps, s'il ne se voit pas tout simplement obligé de se
contenter d'un emploi équivalent ou considéré comme tel.
La réintégration sera parfois difficile à admettre pour l'entreprise, parce qu'elle avait
déjà pourvu au remplacement du salarié licencié, ou parce qu'entre-temps elle a procédé à une
réorganisation des services.
Ces problèmes ne se posent pas ou se posent avec une moindre acuité lorsque la
réintégration intervient à un moment proche du licenciement. Un tel pari ne peut être tenu que
par le juge des référés puisqu'il statue en urgence. La réintégration pourrait ainsi être obtenue
quelques jours seulement après le licenciement.
Mieux encore, lorsqu'on est en présence d'une atteinte continue à un droit
fondamental comme c'est souvent le cas, il est souhaitable de choisir la voie la plus rapide
pour mettre fin au trouble. L'hypothèse la plus banale est celle d'un dispositif de sécurité qui
expose les salariés à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé. L'erreur serait
de faire absolument confiance à la faculté de retrait qui est accordée aux salariés. La
conscience du danger et surtout le courage de se retirer de la situation de travail peuvent être
très variables d'un individu à un autre. C'est donc fort opportunément que le législateur
français a prévu la voie du référé. Il faudrait dire autant du référé en matière d'atteinte aux
droits et libertés qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches. On pense notamment
aux méthodes ou dispositifs de surveillance attentatoires à la dignité des salariés, aux tenues
de travail plus ou moins provocatrices que l'employeur peut imposer. Dans tous ces cas, les
longues procédures judiciaires sont à proprement parler inadéquates.
292

Les pouvoirs que la loi donne au juge des référés lui pennettent même d'anticiper sur
le préjudice en passe de se réaliser.
3. Les données de droit
En droit du travail français, les dispositions légales sur le référé sont celles des
articles R.516-30 et R.516-31 du Code du travail issues du décret n° 79-1022 du 23 novembre
1979194• Le premier article dispose que" Dans tous les cas d'urgence, la formation du référé
peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les
mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un
différend". Quant au second article, il dispose que "la formation de référé peut toujours
même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de
remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser
un trouble manifestement illicite.
"Dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, elle
peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il
s'agit d'une obligation de faire ".
D'apparence simple, ces dispositions ont reçu des interprétations divergentes. La
Chambre sociale a jugé que "la seule méconnaissance des formalités préalables àu
licenciement n'entraînant pas une obligation de réintégrer et celle-ci ne pouvant qu'être
proposée en cas d'absence de cause réelle et sérieuse, le juge des référés ne peut ordonner la
réintégration, en étendant ainsi les sanctions légales au-delà des limites prévues pour leur
application ,,195. La Chambre sociale illustre ainsi le raisonnement suivant lequel le juge des
référés ne pourrait jamais aller au-delà de ce que peut accorder le juge du fond 196.
Contre cette solution, on a affirmé qu'à l'égard du juge du référé, il est indifférent
que la réintégration soit ou non possible au fond 197. Le juge des référés a le pouvoir de
194 Pour une bibliographie très sélective sur le référé en droit du travail, voir 1. M. SPORTOUCH, Le recours au
juge du provisoire en doit du travail, Dr. soc. 1987,503 et s. ; 1. NORMAND, Les procédures d'urgence en droit
du travail, Dr. soc. 1980, 45 et s. ; A SUPIOT, Les pouvoirs de la formation de référé, Dr. soc. 1986, 535 et s.
195 Soc. 29 février 1977, Bull. civ. V n° 95.
196 Soc. 14 mars 1983, JCP, 1983 : IV, 171.
197 E. WAGNER, La violation d'une règle impérative par l'employeur (à propos de la réintégration des salariés
ordinaires) D. O. 1995, p. 367.
293

prendre des mesures que ne pourrait pas prendre le juge du fond; ses pouvoirs se situent à un
autre niveau, il est le juge de l'instant et du provisoire l98.
Ces propos se fondent sur la lettre des textes. Le non respect d'une formalité par
exemple rend la procédure irrégulière et constitue donc un trouble manifestement illicite l99.
L'illicéité, a-t-on souligné, est un fait constitué par la non conformité d'une situation par
2oo
rapport à la norme qui la régit
. L' illicéité manifeste n'est pas la violation particulièrement
grave d'une règle particulièrement importante, entraînant des conséquences particulièrement
2ol
lourdes
. L'illicéité est manifeste quand elle résulte de la constatation même des faits, sa
réalité n'est pas discutable.
De ces précisions, M. WAGNER déduit que le juge des référés peut, en face de toute
violation incontestable de la loi et conformément à l'article 516-31 du Code du travail,
prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser le
trouble manifestement illicite qui résulte de la violation. Il le ferait sans se soucier de la
solution qui pourrait plus tard être prise au fond. Et il importe peu que ce faisant. il puisse
causer un préjudice important voire irréparable à rune des parties202 .
En vérité, lorsqu'on scrute les textes en s'efforçant de donner à chaque mot son sens
véritable, on ne peut sérieusement combattre cette analyse. Mais lorsqu'on considère son
potentiel d'extension, on peut bien se demander si tel est vraiment la volonté du législateur.
En effet. le triomphe de cette thèse impliquerait que dans pratiquement tous les cas de
violation d'une règle de droit, il soit possible d'obtenir du juge des référés une mesure de
remise en état. Et du coup le réfàé apparaîtrait comme une étape commode pour tous les
plaideurs. fi en résulterai t sürement une profonde transformation de la fonction de l'institution
du référé. Une telle" banalisation ,,203 du recours au référé développerait sürement chez les
plaideurs de nouveaux réflexes, qui les porteront à se tourner systématiquement vers le juge
des rétërés. Or, la saisine du juge des référés doit rester exceptionnelle204 .
198 Ibid, p. 366.
199 E. WAGNER, op. cil. p. 366.
200 Ibid.
201 Ibid.
:02 Cette analyse est fondée sur une arrêt de la Chambre civile du 18 janvier 1989, D. 1989 IR, 33.
203 Le mot est emprunté à J. NORMAND op. cil. p. 49.

En tout état de cause, il est peu sûr que les dispositions françaises actuelles sur le
référé visent à créer une antichambre presque systématique au contentieux au fond, même si
l'article R-516-30 du Code du travail calque l'étendue des compétences du juge du référé sur
celles des conseils de prud'hommes.
On peut même avancer que le législateur français VIse dans la notion de trouble
manifestement illicite autre chose qu'une simple violation de la lo~ même évidente. Et il ne
faudrait point oublier que la notion de trouble manifestement illicite entretient un lien de
parenté avec celle de voie de fait, laquelle a toujours fondé la compétence du juge du
référéos, La voie de fait est la référence qui convient le mieux aux actes attentatoires aux
droits fondamentaux; parce que cette référence traduit mieux le rejet de ces actes.
Finalement, on peut penser que dans le subconscient du législateur français, la notion de
trouble manifestement illicite visait des actes attentatoires aux droits fondamentaux. Sinon on
ne comprendrait pas que le législateur affinne que le trouble manifestement illicite peut
exister" même en présence d'une contestation sérieuse ".
En effet, la contestation sérieuse existe chaque fois qu'il y a doute sur le sens dans
lequel le juge du principal aurait statué06. Or, dans ces conditions, l'illicéité n'est plus
manifeste. Le texte ne serait compréhensible que si l'on admet que la notion d'illicéité
manifeste soit comprise autrement. Il s'agirait de l'atteinte à un droit fondamental. Et peu
importe alors que le défendeur en référé puisse alléguer un droit susceptible de jeter le doute
dans l'esprit du juge. Le fondement de l'intervention du juge des référés ne serait pas ici
l'évidence. L'atteinte à un droit fondamental justifie en effet la prise des mesures
conservatoires et surtout de remise en état qui s'imposent. Dans ce sens, la Chambre sociale
dans les arrêts du 26 septembre 1990207 sur la réintégration des salariés grévistes semble
s'appuyer plus sur la nature constitutionnelle du droit de grève que sur tout autre chose2 8
0 . La
solution est plus nette dans une décision du Conseil de prud'hommes de Grenoble où est en
cause, une fois de plus, une atteinte au droit de grève. Le conseil affirme: " Le droit de grève
204 L DARRACQ op. cit. p. 163.
205 Le trouble manifestement illicite est la conséquence de la voie de fait.
206 B. GAURIAU, La nullité du licenciement et la personne du salarié, Dr. soc. 1993, 743 ; 1. NORMAND op.
cit. p. 50.
'
207 Soc. 26 septembre 1990, D. O. 1990, p. 457.
208 Le rapport de M. le Conseiller WAQUET est intéressant à lire à ce sujet 01. Dr. soc. 1991,60 et s).

est constitutionnel; il y a lieu à faire cesser d'urgence un trouble manifestement illicite que le
conseil a pouvoir de prononcer par voie de référé ,,209
Naturellement, la solution ne peut être admise que si elle se limite à la réintégration
conservatoire, car au fond, seule la nullité prononcée justifie la réintégration.
Au Cameroun, la recherche d'une argumentation juridique pour la compétence du
juge des référés en matière de droits fondamentaux est relativement décevante. En effet, si
l'on s'appuie sur les textes existants, on ne peut pas penser que la violation d'un droit
fondamental puisse, à elle seule/justifier la saisine du juge des référés. La compétence du juge
des référés reste conditionnée par l'urgence et l'absence de préjudice au principae lO• Si
l'atteinte à un droit fondamental peut justifier l'urgence2IJ , la condition d'absence de
préjudice au principal peut défaillir si l'on admet qu'elle implique que le juge du référé ne
peut prendre la même mesure que celle demandée au juge du fond. Certes, il ne serait pas
pertinent de dire, pour contourner l'argumentation, qu'au référé on ne demande que la
réintégration conservatoire et au juge du fond on demande la nullité, la réintégration ne devant
être que la conséquence de cette nullité. Ce serait en quelque sorte un jeu de mots.
On doit toutefois souligner que s'est développée en matière de référé
une
2
jurisprudence très hardie et même franchement contra legem2 / . Pour l'essentiel, cette
jurisprudence ignore la condition d'absence de préjudice au principal, et retient la compétence
du juge du référé sur la seule constatation de l'urgence213 • Mieux, elle fonde la compétence du
juge du référé sur la notion de voie de fait, qu'il faut faire cesser214.
Remarquons au passage qu'au prix de cette hardiesse, la jurisprudence camerounaise
s'est mise sur la même ligne que le droit français en matière de référé. L'arrêt de la Cour
d'appel de Douala ci-dessus cité résume assez bien la situation. Le litige oppose l'Hôpital
209 C.P.H. Grenoble, 15 avril 1996, D. O. 1996,413.
210 Voir les articles 182 et 185 du code de procédure civile et commercial.
211 Sans doute les juridictions camerounaises font-elles cette analyse lorsqu'en matière de licenciement irrégulier
de délégué du personnel elles prononcent la " réintégration immédiate". Voir par exemple C.A. de Yaoundé, n°
163/s du 2 avril 1994, inédit.
212 N'y est pas étranger le fait que les dispositions sur le référé datent de 1954 et sont donc dépassées par
l'évolution.
213 CA de Douala, arrêt n° 42/RF du 25 janvier 1995, J.P. n° 33, p. 16.
214 c.A. Yaoundé n° 366/civ. 8 septembre 1993, inédit (à propos d'une banque ayant refusé de payer des chèques
alors que le solde du compte du tireur est créditeur) ; CA de Douala., arrêt nO 42/RF du 25 janvier 1995, op. cit.

Général de Douala au sieur WAKEM KUIMO. Le père de ce dernier a été adrrùs à l'hôpital
pour des soins, sur un bon de prise en charge délivré par l'administration. Le malade décède
et son fils WAKEM KUIMO demande sa dépouille mortelle et le certificat de décès.
L'Hôpital Général de Douala retient la dépouille mortelle et le certificat de décès pour non
versement des frais d'hospitalisation et de morgue. Pour vaincre cette résistance, le juge des
référés est saisi. La question se posait de savoir l'étendue de la prise en charge signée par
l'administration. C'est sur ce fondement que l'Hôpital Général contestait la compétence du
juge du référé. Mais la Cour d'appel lui a répondu que "le juge des référés demeure
compétent, lors même que le débat principal serait porté devant le juge du fond, pour
ordonner les mesures jugées urgentes". Plus loin, la Cour d'appel relève que la dépouille
mortelle et le certificat de décès demeurent hors du commerce et inaliénables; ils ne peuvent
par conséquent faire l'objet d'un droit de rétention. Dès lors, "la rétention de la dépouille
mortelle et du certificat de décès de feu KUIMO Jean Paul ne repose sur aucun fondement
juridique et s'analyse en une voie de fait à laquelle il convient de mettre fin ".
De là à prononcer par exemple en référé la réintégration du délégué du personnel
irrégulièrement licencié, il n'y a qu'un pas qui peut être facilement franchi par le juge
camerounais215•
L'incertain, dans cette jurisprudence camerounaise, reste la notion de voie de fait à
laquelle on a recours. Il ne s'agit certainement pas de la voie de fait au sens du droit
administratif Il faudrait espérer qu'elle signifie, pour les juges, une sortie grossière des voies
du droit, ou plus précisément une violation particulièrement choquante de la loi, un acte
abject. La violation d'un droit fondamental ne pourrait être qu'une voie de fait.
B. La procédure répressive d'urgence
Le caractère généralement continu des infractions en matière de travail a été
souligné216• Ceci signifie que la commission de ces infractions s'étend sur une certaine durée
215 A notre connaissance, aucun plaideur n'a encore tenté cette voie.
216 C. VERON-CLAVIERE, P. LAFARGE, 1. CLA VIERE-SCHIELE, Droit pénal du travail, Encyclopédie
Dalloz, Pénal VI EC-W p. II.
297

et s'y prolonge par une réitération constante de la volonté coupable217• Ains~par exemple,de
l'entrave à l'exercice des fonctions de délégué du personnel lorsqu'elle résulte d'un
licenciement, ou de la soumission d'une personne à de conditions de travail incompatibles
avec la dignité humaine. Dans le premier cas, l'employeur montre parfois de l'obstination en
refusant de se soumettre à une décision judiciaire de réintégration.
En droit pénal, l'intérêt de la qualification de continue appliquée'à une infraction se
situe essentiellement à deux niveaux: : la solution du conflit des lois dans le temps et le point
de départ de la prescription de l'infraction. L'infraction continue est sujette à la loi nouvelle,
même plus sévère, si elle se prolonge, ne fût-ce qu'un instant, sous l'empire de cette loi
nouvelle218• C'est au jour où l'activité matérielle constitutive de l'infraction continue prend
fin que commence à courir le délai de prescription219. Pour le reste, les infractions continues
sont poursuivies et jugées pratiquement suivant les mêmes règles que les infractions
instantanées. En particulier, si la division procédure ordinaire et procédure urgente peut avec
une certaine approximation, être appliquée à la procédure pénale, le critère de répartition n'est
pas le caractère instantané ou continu et choquant des infractions. La clé de répartition se
trouve beaucoup plus du côté de l'urgence qu'il y aurait à rassembler les preuves ainsi que des
facilités qu'on pourrait avoir à le faire 220• Il faudrait même dire qu'en général le jugement des
affaires est d'autant plus retardé que celles-ci sont graves.
La situation n'est pas critiquable si l'on pense que l'accélération de la procédure,
surtout lorsque celle-ci est répressive, expose à des erreurs qui sont très chèrement payées par
les personnes poursuivies. Mais lorsqu'on considère le choc que la société peut ressentir du
fait de certaines infractions, on peut penser qu'il vaut mieux parfois agir vite. Ce choc sera
\\
d'autant plus fort que l'auteur de l'infraction continue a. réitérer la volonté coupable. La
société devrait avoir un autre intérêt à agir vite lorsque l'infraction commise laisse craindre
une autre plus grave.
217 J. PRADEL, Droit pénal général, CUJAS, Paris 1995, n° 366.
218 Crim., 23 décembre 1925, S. 1927, J, 199.
219Crim., 16 juillet 1964, D. 1964,664.
:
220 Voir les articles 394 et s. du Code de procédure pénal français et pour le Cameroun les textes épars sur le
flagrant délit.
298

Sur le terrain du droit du travail, bien des atteintes à l'intégrité physique des salariés
seraient évitées si la constatation des infractions aux dispositions sur l'hygiène et la sécurité
donnait lieu à une procédure urgente devant les juridictions répressives.
Le propos est de dire que l'atteinte à certains intérêts devrait justifier une réaction
urgente, en particulier si une telle atteinte se réitère, montrant ainsi le mépris qu'a son auteur
des intérêts fondamentaux de la société. Le législateur pénal camerounais 'a eu recours à une
analyse semblable lorsqu'il a dressé une liste d'infractions considérées comme flagrantes par
nature221 • La commission de ces infractions ouvrait la voie du flagrant délit222 sans égard aux
données temporelles, ni à une autre circonstance pouvant faciliter ou rendre urgent le
rassemblement des preuves223• Cette législation répondait au souci de mettre rapidement hors
d'état de nuire les délinquants les plus dangereux224. Si les résultats attendus n'ont pas
toujours été obtenus225, au moins le législateur a montré que le rythme et surtout la voie de la
répression peut se décider en fonction du choc que l'infraction fait ressentir à la société.
Quand de surcroît les données du problème permettent de crarndre un mal imminent et plus
considérable, le recours à une procédure urgente semble impératif
L'article 123-1 du Code pénal français réprime "le fait de soumettre directement
autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure grave de nature à entraîner une mutilation
ou une infmnité permanente par la violation manifeste et délibérée d'une obligation
particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ". En montrant que
cette infraction s'applique à la sécurité du travail, on a souligné qu'elle est appelée à jouer un
rôle majeur dans la prévention226. Mais le dispositif reste exploité en-deçà de ses potentialités
~21 V. V. TCHOKOMAKOUA, Les particularités de la procédure de flagrant délit en droit camerounais depuis
1972, RCD, nO 30, sp. P.9 et s.
222 L'ordonnance nO 72/17 du 28 septembre 1972, en son article premier, pose que dans tous les cas prévus aux
articles du Code pénal qu'elle cite, " le suspect est obligatoirement déféré au parquet qui le traduit devant la
juridiction compétente par voie de flagrant délit ou "for summary trial" ".
223 V. S. MELONE, Les grandes orientations actuelles de la législation pénale en Afrique: le cas du Cameroun
(réflexion sur les ordonnances pénales récentes), Archives de Politique Criminelle, 262.
224 L'ordonnance nO 72/17 fait partie d'une série d'ordonnances prises pour lutter contre la grande criminalité
qui, à cette époque, avait atteint une côte alarmante. La liste des infractions considérées comme flagrantes par
nature montre bien que le législateur voulait marquer son attachement à certains intérêts fondamentaux de la
société: vol, escroquerie, abus de confiance, recel, chèque sans provision, vol aggravé, abus de confiance et
escroquerie aggravés, outrage à la pudeur d'une personne mineure de 16 ans, vagabondage, homosexualité,
proxénétisme, prostitution, corruption de la jeunesse, vagabondage.
.
225 Entre autres parce que la liste retenue était très longue, diluant la force des explications qui sous-tendaient
cette législation. L'erreur du législateur pénal, dans cette voie, fut sans doute de laisser croire que pour lui tout
est fondamental.
.
226 H. SEILLAN, Le nouveau Code pénal et la santé/sécurité du travail, Act. Lég. Dalloz, 1994, 21è cahier, 209.
299

puisqu'il ne sert qu'à tenir à bonne distance ceux qui sont tentés de violer la loi. Celui qui a
déjà violé la loi peut longtemps persister dans la mise en danger d'autrui.
Il n'est pas sûr qu'en évoluant vers une procédure répressive plus rapide on met
particulièrement en péril les droits des personnes poursuivies ou même qu'on introduise une
énonne transformation dans les règles de procédure pénale. D'une part, l'accélération de la
procédure de répression ne change pas les peines applicables à l'infraction ; il s'agit
simplement d'abréger les délais de jugement. D'autre part, il est très probable que l'infraction
en cause tombe déjà dans le registre de délits flagrants. Au fond, il est simplement question de
désigner à l'attention du parquet des infractions à poursuivre avec célérité. Pareillement, la
juridiction de jugement devrait statuer à bref délai.
En revanche la voie répressive d'urgence perdrait une part de son intérêt si elle ne
débouche pas sur la faculté accordée au juge d'ordonner des mesures de remise en état de
sécurité à l'instar de ce que prévoit l'article L.263-3-1 du Code du travail français 227. Mais
contrairement à ce que prévoit ce texte, il n'y a pas de raison de conditionner la prise de ces
mesures d'urgence à la relaxe des personnes physiques poursuivies. A partir du moment où
l'objectif est de rétablir les conditions de sécurité troublées, il faut prolonger éventuellement
la sanction pénale par la mesure de remise en état.
PARAGRAPHE II
LA PLUS GRANDE SECURlSATION DES SYNDICATS AU
CAMEROUN
On ne peut se faire une idée, même approximative, du changement intervenu au sujet
des conditions d'exercice de la liberté syndicale au Cameroun si on ne se rappelle les
multiples obstacles de fait et de droit érigés sur la voie du syndicalisme dans ce pays depuis la
période de la Tutelle228• Bien entendu, la liberté syndicale reste" sous haute surveillance" au
Cameroun229, ne serait-ce que parce que les syndicats ne peuvent exister qu'après avoir
obtenu un certificat d'enregistrement délivré par le greffier des syndicats, fonctionnaire
zn Sur la non utilisation de ce texte dans la pratique, H. SEILLAN op. cit., 210.
228 Cf L. KAPTUE, Droit et syndicalisme au Cameroun. RJA, 1994, p. 63 et s.
229 Ibid, p. 79.
300

nommé par décret23o• Ce dernier peut annuler l'enregistrement d'un syndicat s'il estime, entre
autres, que le syndicat bénéficiaire a délibérément violé une disposition du Code du travail ou
, d
.. ,
.
231
mene es actlvltes non statutarres
.
Il faudrait cependant prendre acte de ce qu'aussi bien pour la constitution que pour la
contestation de la décision menaçant l'existence du syndicat, le législateur manifeste une
intention libérale. Il y a un véritable allégement des contraintes (A). Mais il faut aller plus
loin, c'est-à-dire lever purement et simplement ces contraintes (B).
A. L'allégement des contraintes pesant sur les syndicats
On doit se placer sur les deux terrains ci-dessus indiqués pour apprécier l'évolution
accomplie au Cameroun en matière syndicale. Sur le terrain de l'étude du dossier
d'enregistrement du syndicat, le législateur a introduit de la célérité (1). Si l'administration
annule l'enregistrement du syndicat, sa décision peut être rapidement annulée (2).
1. Célérité dans l'étude de la demande d'enregistrement
On a dit que l'exigence du certificat d'enregistrement instaure sournoisement un
régime de l'autorisation préalable qui n'avait jamais eu cours au Cameroun, même pendant
les années les plus sombres de l'expérience coloniale232 . En vérité, ce régime d'autorisation.,
sournois ou non, ne date pas d'aujourd'hui. Ce qui a en revanche changé, c'est l'indication
précise du délai dans lequel cette "autorisation" doit être dormée ou refusée. L'article Il du
Code du travail dispose que" l'enregistrement d'un syndicat s'effectue comme suit:
Une demande d'enregistrer le syndicat et ses statuts est présentée au greffier des
syndicats. Cette demande est accompagnée de deLLx exemplaires des statuts du syndicat et
d'une liste nominative des dirigeants, avec indication des fonctions qu'ils remplissent.
Le greffier accuse réception de la demande et procède à l'examen et à l'enregistrement
du syndicat et de ses statuts dans un délai de (1) mois. Passé ce délai, l'enregistrement est
réputé effectif".
230 V. article 6 du code du travail.
231 V. article 13 du code du travail.
mL. KAPTUE op. cit. p. 79.
301

peut, dans les trente (30) jours suivant la notification de cette décision, porter le litige devant
la juridiction administrative ... ".
Le texte est plus riche qu'il ne paraît. En premier lieu, il ne fait pas de doute que la
fonnalité du recours gracieux préalable exigé pour la recevabilité du recours contentieux n'est
pas nécessaire ici. Certes, la loi ne le dit pas expressément, et ceux qui voudraient s'appuyer
sur l'interprétation nécessairement restrictive des exceptions pourront soutenir que la loi n'a
pas exclu le recours gracieux. Mais ce raisonnement ne résiste pas à l'analyse. Saufà créer de
toutes pièces un délai pour l'introduction et la réponse au recours gracieux, et donc à en
ajouter au texte, on ne voit pas comment on peut insérer dans le délai de trente jours prévu
pour la saisine de la juridiction administrative les deux mois accordés aux justiciables pour
introduire le recours gracieux, plus les trois mois accordés à l'administration pour y
2J8
répondre
.
En second lieu, les conséquences qui peuvent être tirées d'une éventuelle décision
d'annulation sont importantes. D'ordinaire. il n'est pas possible de tirer de l'annulation d'un
acte administratif une conséquence qui tend cl substituer !cl décision de justice à la décision
administrative qui aurait dû être prise. Autrement dit. le juge peut annuler l'acte administratif
illégal, mais il ne se substituera pas à l'administration pour prendre un acte confonne au droit.
Or dans l'hypothèse où la décision administrative peut résulter du silence de l'administration,
il faudrait penser que la décision de justice qui annule un acte peut faire naître ou renaître une
autorisation tacite. ou dans le cas particulier du syndicat, un enregistrement tacite. Et
239
l'administration commettrait une voie de fai t
si elle méconnaissait les effets de cet
enregistrement.
En dernier lieu, l'attention doit être attirée sur le large éventail de personnes pouvant
attaquer la décision du greffier des syndicats: "Tout syndicat2~O, tout membre, ou toute
personne qui s'estime lésée ". Cette large ouverture de l'action vise à favoriser les recours, et
finalement à renforcer les moyens de la sanction de la liberté syndicale.
238 Ces délais sont prévus par l'artic le 12 de l'ordonnance n° 72/6 du 26 Août 1972 précitée.
239 La notion de voie de fait est ici employée aussi bien dans le sens général d' ,. exaction" que dans le sens
particulier de voie de fait administrative.
240 L'attention doit être attirée sur l'indicJtion du syndic::lt parmi les personnes susceptibles d'exercer le recours.
S'agit-il de dire que la personnalité juridique peut exceptionnellement précéder l'enregistrement ou survivre à
l'annulation? Rien ne permet de l'affirmer avec cel1itude.
303

Malgré tout, la liberté syndicale ne s'installera véritablement au Cameroun qu'avec la
levée complète des contraintes administratives qui pèsent encore sur les syndicats.
B. La levée des contraintes pesant sur les syndicats
Lorsqu'on remonte l'histoire du mouvement syndical au Cameroun en portant
l'attention sur les rapports entre les syndicats et l'administration, on est frappé par la méfiance
avec laquelle l'administration a toujours traité les syndicats. Les textes successifs sur les
syndicats expriment les craintes et les desseins les plus secrets du pouvoir241 . Au départ on
refuse le droit de se syndiquer aux travailleurs qui ne sont pas de statut civil français. Puis vint
la période des grands rêves : suite à la Conférence de Brazzaville, un décret d'août 1944
affirme le principe de la liberté syndicale. La procédure de création des syndicats est des plus
simples : le dépôt à la mairie ou au bureau du chef de circonscription d'un dossier en trois
exemplaires, comprenant les statuts et les noms des administrateurs ou des dirigeants du
syndicat. On est en présence d'un régime de déclaration qui exclut tout contrôle d'opportunité
par l'administration242. Mais ce libéralisme sur la plan juridique masque un esprit de réticence
qu'on peut lire dans une correspondance du Haut Commissaire en poste au Cameroun au
ministre des colonies: " Je me permettrais d'attirer votre attention sur le danger de laisser se
constituer à la colonie des syndicats indigènes avec tous les privilèges accordés par la loi à ces
associations ,,243. Dans les faits, la liberté syndicale sera méconnue, même si sur le plan
juridique elle s'affirme davantage244 . Les expériences d'Indochine et d'Algérie vont en plus
convaincre la puissance tutélaire de mieux contenir les syndicats dont les liens avec la lutte
nationaliste ne font plus de doute. La violence politique qui va durer jusqu'aux premières
années de l'indépendance n'épargna donc pas le mouvement syndical. La méfiance que
continuent
d'inspirer
les
syndicats
va pousser
les
autorités
à des
manœuvres
de
" domestication". Parmi les moyens choisis, il faut citer le monolithisme syndical. Le
pluralisme est ravalé au désordre, à l'agitation et à la destruction. La mystique de l'unité
241 L. KAPTUE op. cil., 63.
242 L. KAPTIJE op cil., 65.
243 Archives nationales du Cameroun, APA 11025 Lettre du Haut Commissaire Nicolas au ministre des colonies,
Yaoundé, 1944.
24-1 La loi du 15 décembre 1952 portant Code du travail dans les territoires d'Outre-mer supprime quelques
restrictions que contenait le texte de 1944 : l'obligation pour les syndicats de déposer auprès du Procureur de [a
République le bilan financier annuel, et l'exigence d'un niveau de CEPE pour les dirigeants syndicaux.
,ru

nationale vogue en faveur du monolithisme syndical qui s'établira en 1972 avec la création de
L'Union Camerounaise des Travailleurs, appendice du parti unique.
Dans le Code du travail de 1967, on enregistre déjà un net recul par rapport à la
législation antérieure. Si le texte affirme encore que les travailleurs ont
" sans qu'il soit
besoin d'une autorisation préalable , le droit de se constituer librement en syndicats
professionnels ,,245, la procédure de création des syndicats comporte une curiosité par rapport
à la formule péremptoire du texte. En effet, on voit apparaître un personnage nouveau, le
greffier des syndicats, fonctionnaire nommé par décret du Président de la République, chargé
de recevoir la demande d'enregistrement de tout syndicat en formation. Il faut situer à cette
date l'instauration du régime de l'autorisation préalable, puisque la loi précise bien que le
syndicat n'a d'existence légale qu'à partir du lendemain du jour de son enregistrement246. Cet
enregistrement peut être annulé par le greffier des syndicats entre autres si le syndicat a violé
les dispositions légales et réglementaires. Le greffier des syndicats exerce en plus un contrôle
très rapproché des activités des syndicats puisqu'il reçoit les comptes annuels de ceux-ci, et
peut à tout moment demander telle information financière. Jusqu'au Code du travail de 1992,
la perception que les pouvoirs publics ont des syndicats n'a pas changé, et le monolithisme de
fait rend même inutile un certain nombre de précautions juridiques imaginées par les pouvoirs
publics.
Le retour au pluralisme politique en 1990 était l'occasion d'espérer un certain
nombre de changements, en particulier dans les rapports entre l'administration et les
syndicats. Le maintien du greffier des syndicats et les compétences qui lui sont reconnues
apparaissent comme une véritable anomalie dans une société qui se veut libérale. En donnant
en fait au greffier des syndicats le droit de décider de l'existence juridique des syndicats, on
mine psychologiquement la liberté syndicale. En permettant ensuite au greffier des syndicats
d'annuler l'enregistrement d'un syndicat au motif que celui-ci aurait mené des activités non
statutaires, on érige pratiquement ce fonctionnaire en gardien des statuts des syndicats, rôle
qui ne convient pas à un tiers, même intéressé, au syndicat.
Le souffle de célérité ci-dessus relevé pour l'étude du dossier d'enregistrement et le
recours contre la décision d'annulation ne sont que des calmants à un mal volontairement créé
245 V. Article 3 du Code du travail de 1967.
305

et entretenu par le législateur. La liberté syndicale ne peut exister et s'exercer véritablement
que si les pouvoirs publics s'abstiennent de toute intervention de nature à la limiter47 Ce
principe est clairement posé par l'article 2 de la convention nO 87 de l'OIT régulièrement
ratifiée par le Cameroun248•
Non pas qu'on pense que les syndicats sont à l'abri de tout dérapage. Mais pas plus
qu'à l'employeur, il n'appartient à l'administration de s'immiscer dans la vie syndicale.
D'autant plus qu'au Cameroun en particulier, l'Etat reste un grand employeur au sens même
du code du travail249. L'administration est en tout cas directement intéressée au jeu syndical
pour agir en toute indépendance. La voie du progrès passe sans doute par le juge à qui on
permettrait le cas échéant de dissoudre le syndicat dans des conditions bien définies par la loi.
Le juge pourrait également prononcer la nullité des syndicats mal constitués, le tout à la
demande des personnes intéressées. La solution ne comporte aucun risque pour l'ordre public
dont l'administration a la charge. Il s'agit simplement d'éviter l'arbitraire de l'administration
sur un terrain où on sait qu'il est à craindre. Comme tout intéressé, l'administration pourrait
demander l'annulation ou la dissolution d'un syndicat25o• La solution s'accompagnerait de la
substitution d'une simple déclaration à la formalité d'enregistrement pour la constitution des
syndicats.
L'intérêt de la solution est de passer d'un contrôle administratif des syndicats à un
contrôle judiciaire. Concrètement, elle oblige l'administration qui allègue une anomalie dans
la constitution ou dans la vie d'un syndicat à solliciter l'arbitrage d'une autorité neutre
puisqu'elle ne peut elle-même prendre aucune sanction. Mais surtout dans le procès qui va
s'ouvrir, il appartiendra à l'administration de rapporter la preuve de ses allégations. On va
voir dans la prochaine section sur les moyens de la sanction des atteintes aux droits
fondamentaux que le jeu de la preuve a une importance capitale.
246 V. Article 6 du Code du travail de 1967.
247 V. 1. MERLIN, Rapport pour Soc, 10 avril 1998, Dr. soc. 1998,565.
248 La ratification a été enregistrée au BIT le 07 juin 1960.
249 Aux nombreux agents de l'Etat relevant du code de travail, il faut ajouter les personnels des entreprises
publiques au sens large.
250 En France, le ministère public peut demander au juge la dissolution ou l'annulation. Voir r~pport J. MERLIN
op. cit.
30fi

SECTION II: LES MOYENS DE LA SANCTION DES ATTEINTES AUX DROITS
FONDAMENTAUX

En ouvrant aux syndicats la possibilité, devant toutes les juridictions, d'exercer tous
les droits réservés à la partie civile, relativement aux faits portant un préjudice direct ou
indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent, la loi française du 12 mars
1920 offrait indirectement aux droits fondamentaux des salariés plus· de chance d'être
respectés. Il faut ajouter à cette faculté d'agir pour la défense de l'intérêt collectif les
nombreux cas d'actions de substitution que le Code du travail français a prévues au profit des
syndicats. L'idée, simple, est que le syndicat doit pouvoir, dans certains cas, se substituer à un
salarié pour intenter une action. Il en est ainsi entre autres lorsqu'il s'agit de faire respecter le
statut d'un ouvrier à domicile, lorsque le travailleur en cause est étranger, lorsque le litige,
quoique individuel, concerne l'application d'une convention collective, lorsqu'il s'agit de
faire respecter l'égalité professionnelle, etc.251 • La liste de ces actions de substitution est
vraiment longue.
La création de certaines de ces actions peut s'expliquer par le souci de pallier les
difficultés pratiques que peuvent rencontrer les salariés qui souhaitent agir. Mais dans bien
des cas, l'idée de fond est qu'on ne peut abandonner au seul salarié en cause l'initiative d'une
action pour la défense d'un droit fondamental. Nous ne retiendrons pour notre propos que les
actions de substitution en vue de la défense des droits fondamentaux (PARAGRAPHE 1).
Leur création, ainsi que le régime de la preuve (PARAGRAPHE II) constituent les deux
moyens par lesquels on assure une meilleure sanction des droits fondamentaux.
PARAGRAPHE
1 : DES
ACTIONS
DE
SUBSTITUTION
POUR
LES
DROITS
FONDAMENTAUX
Il Y a en droit français une série d'actions de substitution dont le principe ne fait
aucun doute. Il s'agit des actions de substitution que peuvent exercer les organisations
syndicales représentatives. Ces actions sont ouvertes lorsqu'est en cause un travailleur
251 Voir pour ces actions le code du travail français, articles L.122-3-16, L.123-6 ; L.125-3-1 ; L.135-4 ; L.321-
15; L.341-6-2; L.721-19.
307

intérimaire ou étranger ou s'il y a prêt de main d'œuvre illicite252, ou encore si le contrat est à
durée déterminée253• Elles le sont également en faveur des salariés de groupements
d'employeurs254, quand le litige, quoiqu!; individuel, concerne l'application d'une convention
collective255, pour faire respecter le statut de travailleur à domicile256, pour faire respecter
l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes257 etc. Pour notre propos, nous ne
retiendrons que la dernière action citée, c'est-à-dire l'action de substitution en vue du respect
de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes (A), puisqu'elle concerne
directement les droits fondamentaux.
Le Code du travail français prévoit en outre, en vue du respect des droits des
personnes et des libertés individuelles dans l'entreprise, un mécanisme d'intervention du
délégué du personnel dont on peut se demander s'il consacre ou non une action de
substitution. Et en toute hypothèse, il faudrait sans doute arriver à ouvrir sans équivoque une
action de substitution exercée par le délégué du personnel (B).
A. L'action de substitution exercée par le syndicat en vue du respect de l'égalité
professionnelle
L'article L.126 du Code du travail français, qu'il faut pour ce propos lire en
combinaison avec les articles L 123-1, L.140-2 à L.140-4 du même Code, prévoit que les
organisations syndicales représentatives dans l'entreprise peuvent exercer en justice toutes les
actions qui naissent de la violation des dispositions sur l'égalité professionnelle entre les
hommes et les femmes.
Cette action couvre un champ très large, à l'image même des moyens par lesquels
l'employeur peut rompre cette égalité: mention dans une offre d'emploi du sexe ou de la
situation de famille du candidat recherché, refus d'embauche, mutation, résiliation ou refus de
renouvellement du contrat, rémunération, formation, affectation, etc..., sur la· base du critère
252 V. Articles L. 124, L.341-6-2, L.127-6 du Cod~ du travail
253 V. Article L.122-3-16 du Code du travail
254 V. article L. 127-6 du code du travail
255 V. Article L.135-4 du Code du travail
256 V. Article L. 721-19 du Code du travail
257 V. Article L. 123-6 du Code de travail

de sexe ou de la situation de famille. On n'oubliera pas surtout l'hypothèse où l'action de
substitution naît d'une mesure inspirée par la résistance du salarié au harcèlement sexuel.
Il s'agit incontestablement d'une substitution dans l'exercice de l'action en justice,
dans la mesure où celle-ci naît au bénéfice du salarié victime qui peut donc choisir de
l'exercer personnellement. Si on ne peut contester au syndicat un intérêt au moins moral à
agir, son intervention ici ne peut se confondre avec celle qu'il fait lorsque l'action exercée lui
appartient. Son intérêt à agir n'est donc pas juridiquement reconnu. Le seul intérêt à agir qui
est juridiquement protégé est celui de la victime de la discrimination professionnelle.
Cette distinction entre titulaire de l'action et personne l'exerçant fonde la précaution
que le législateur français institue : à l'instar de ce qui se passe pour les autres actions de
substitution, le titulaire de l'action ne doit pas s'être opposé à l'initiative du syndicat. Il doit
même en être préalablement averti par écrit. L'article L.123 -6 du Code du travail français
prévoit un délai d'attente de quinze jours à compter de l'information donnée au salarié.
Le législateur n'ignore pas cependant les enjeux en présence. S'il n'admet pas l'intérêt
juridique des syndicats, il ne les traite pas non plus en véritables tiers. Ils peuvent agir sans
avoir à justifier d'un mandat du salarié directement concerné. Les termes du texte indiquent
bien que le syndicat demandeur n'a pas à solliciter une autorisation du salarié intéressé; il a
simplement à s'assurer que ce dernier n'est pas opposé à son action258 • La raison est sans
doute qu'on pense que la collectivité des salariés est concernée dans une certaine mesure par
la discrimination professionnelle. On est bien en présence d'une atteinte qui dépasse le strict
cadre des rapports individuels de travail pour s'inscrire dans un champ plus large. Est en jeu
non pas seulement le destin particulier d'un salarié, mais aussi celui de toute la collectivité
des salariés. Et dans la mesure où le collectif peut intervenir sans heurter l'individuel, il
faudrait l'admettre. C'est le sens de la substitution, assortie de réserve d'opposition du salarié
individu, qui est organisée. Ce droit d'opposition témoigne du souci de préserver la liberté
individuelle dans l'action de substitution259•
258 L'intérêt de cette précision tient aux pièces que le juge pourra exiger pour la recevabilité de la demande. Sauf
circonstances exceptionnelles résultant par exemple de ce que le salarié affirme n'avoir pas été averti, le juge ne
devrait pas exiger la production de la correspondance adressée au salarié par le syndicat.
259 La solution peut être rapprochée de celle du conflit des sources et, si l'on veut, du compromis souligné dans la
première partie, titre Il, chapitre 2 entre les libertés collectives et la liberté individuelle.
309

Lorsque la discrimination professionnelle a rapport avec le harcèlement sexuel, le
législateur français est plus précautionneux. En effet, on se situe ici dans le champ de
l'intimité, ce qui impose une certaine prudence. Il n'est pas sûr que le salarié victime du
harcèlement sexuel soit
disposé à affronter la publicité
voire la médiatisation qui
accompagneront nécessairement le procès qui va se dérouler. Aussi, l'action de substitution
du syndicat ne peut être engagée qu'avec un accord écrit du salarié intéressé. Naturellement,
l'action syndicale serait irrecevable si elle n'est pas accompagnée de cet accord écrit.
L'intérêt de la collectivité des salariés à combattre la discrimination sexiste dans la
profession étant admis, on peut se demander si l'analyse ne vaut pas pour un autre motif de
discrimination voire pour tous les droits fondamentaux. Les dispositions du Code du travail
français sur les actions de substitution ont l'incontestable mérite de montrer qu'au-delà des
intérêts individuels, certaines atteintes mettent en jeu les intérêts collectifs voire les valeurs
fondamentales d'un système. La solution imaginée, et sans doute à généraliser, est d'organiser
la coexistence de ces intérêts dans un dispositif qui place la collectivité dans une position lui
permettant de pallier éventuellement la défaillance individuelle des salariés. La possibilité
donnée aux organisations syndicales représentatives de se substituer éventuellement au..\\:
salariés est bien une pièce dans ce dispositif Elle est toutefois de portée limitée, et pourra
surtout n'être d'aucun secours dans des entreprises sans présence syndicale. Dès lors,
l'hypothèse d'une action de substitution au profit des délégués du personnel est pleine
d'intérêt.
B. L'action de substitution du délégué du personnel pour la défense des droits
fondamentaux
L'article L.422-11 du Code du travail français dispose que "Si un délégué du
personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte au.x
droits des personnes ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée
par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, il en saisit
immédiatement l'employeur ou son représentant... " Cette saisine est destinée à obtenir la
prise de mesures propres à faire cesser l'atteinte. Le texte indique que l'employeur ou son
représentant est tenu de procéder sans délai à une enquête avec le délégué du personnel en vue
de prendre des mesures qui s'imposent. Mais il faut penser que cette enquête ne sera
310

nécessaire que si l'employeur ignore ou si le délégué et lui ne s'accordent pas sur les contours
du mal.
Parfois l'employeur et le délégué du personnel auront une appréciation différente de
l'atteinte ou des mesures propres à y mettre fin. Dans ce cas, et dans celui où l'employeur ne
réagit pas du tout, le délégué du personnel saisit le bureau de jugement du Conseil de
prud'hommes qui statue selon les formes applicables au référé. Le juge peut ordonner toutes
mesures propres à faire cesser l'atteinte et assortir sa décision d'une astreinte qui sera liquidée
au profit du Trésor.
La pratique a cependant montré que ces dispositions ne sont pas de compréhension
aisée. La Cour d'appel de Paris a rendu un arrêt retentissant sur l'étendue du droit d'agir du
délégué du personnel. Les dispositions de l'article L.422-1-1 du Code du travail, a-t-elle
affirmé, ne donnent pas au délégué du personnel le droit d'agir au titre de la relation
individuelle de travail, mais le seul droit d'engager une procédure d'alerte26o. L'affinnation
peut se recommander de la règle" nul ne plaide par procureur" et surtout de l'orientation
générale donnée par le Conseil constitutionnel français à partir des actions syndicales. Le
Conseil a en effet jugé que" les modalités de mise en œUYTe des prérogatives reconnues aux
organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié... ,,261. Encore faut-
il qu'on admette que l'article L.422-1-1 met en place une action de substitution. La Cour
d'appel de Paris était, semble-t-il, loin de le penser.
La Chambre sociale262 va bien se rapprocher de l'analyse de la Cour d'appel de Paris.
En effet, si elle casse la décision de la Cour d'appel de Paris, c'est non sans avoir rappelé
l'idée que le délégué du personnel ne tient pas de l'article L.422-1 du Code du travail français
le droit d'agir en nullité des licenciements prononcés par l'employeur à la suite d'une atteinte
aux droits des personnes et aux libertés individuelles. La Haute cour ajoute en revanche que le
texte confère au délégué du personnel pouvoir à l'effet de réclamer le retrait d'éléments de
preuve obtenus par l'employeur par des moyens fraudulelL"X qui constituent une atteinte aux
droits des personnes et aux libertés individuelles. On a fait observer que la Cour opère une
distinction dans l'objet de la demande. Le délégué ne peut agir à la place des salariés pour
260 Paris, 6 décembre 1994, Dr soc. 1995,983.
261 Conseil eonst., 28 juillet 1989, AJDA, 1989, p. 796.
262 Soc., 10 décembre 1997, D. O. 1998,224.
311

obtenir une décision qui les concerne individuellement sur la base de leur contrat de travail. Il
ne s'agirait donc pas d'une action de substitution263 .
La solution est compréhensible au regard de la force de la liberté individuelle. Mieux,
l'analyse du contentieux de la nullité montrerait qu'il naît de l'inexécution du contrat de
travail dont n'est pas partie la collectivité des salariés représentée par le délégué du personnel.
L'initiative du délégué du personnel buterait donc sur un défaut de qualité.
Pour autant, il y a un sentiment d'imperfection qui demeure. Si on ne peut affirmer
sans nuance que la Chambre sociale a donné raison à celLX qui pensaient que la Cour d'appel
de Paris n'avait pas pris la mesure exacte de l'étendue de la substitution autorisée par le
législateur264, on ne peut non plus dire qu'elle rejette l'idée de substitution. Elle était sans
doute bien consciente de l'étroitesse de la voie qu'elle avait choisie, voire de l'ambiguïté de
son propos. Dans tous les cas , elle casse sans renvoi, et la solution qu'on obtient au bout du
compte est pratiquement celle qu'avaient voulue les délégués du personnel: la cour ordonne
le retrait de toute procédure des éléments de preuve obtenus par l'employeur au moyen de
l'enregistrement vidéo en cause.
Toute cette gYmnastique part de l'idée que le délégué du personnel ne peut demander
la nullité du licenciement à la place du salarié. Mais la question reste de savoir si l'article
L.422-1-1 du Code du travail français prévoit une action de substitution, et si oui avec quel
objet. S'il ne s'agit par exemple que d'obtenir le retrait d'un dispositif portant une atteinte
injustifiée aux droits et libertés, on peut hésiter à dire que le délégué du personnel se substitue
au salarié. La substitution ne peut être envisagée que pour une action appartenant au salarié, à
l'instar de l'action en nullité. La Cour de cassation assure qu'il n'y a pas possibilité, pour le
délégué, d'agir sur le terrain de la nullité.
Or, Il n'est pas indifférent que le législateur français ait prévu à l'article L.422-1-1 du
Code du travail que le délégué du personnel ne peut agir que si le salarié concerné averti par
écrit ne s'y oppose pas. Il y a là une précaution commune aux actions de substitution265• Leur
philosophie générale est qu'elles doivent pallier la carence des concernés immédiats sans les
263 F. S. note sous Soc. 10 décem bre 1997 op cit.
264 B. BOSSU, Le salarié, le délégué du personnel et la vidéo-surveil!ance, Dr. soc. 1995, 980
265 V. Article L.123-6 du Code du travail français.
312

contraindre. Loin d'entrer en conflit avec la liberté individuelle, les actions de substitution lui
donnent de l'envergure puisqu'elles permettent aux droits et libertés de recevoir une sanction
effective. En d'autres termes, s'il faut revenir à l'action en nullité, il faudrait dire qu'en
organisant éventuellement des actions de substitution, on ne remet pas en cause l'idée que la
266
première est personnelle
; on lui donne simplement une possibilité supplémentaire d'être
exercée. Il est question d'une simple duplication des moyens de la sanction, d'autant plus
opportune qu'on peut penser que le salarié en cause devrait être admis à intervenir dans
l'instance déclenchée par le délégué du personnef67. L'administration des preuves peut en
être très facilitée. On sait bien que c'est sur le terrain de la preuve que beaucoup d'actions en
justice échouent. Le droit français a posé donc un pas très important en aménageant le régime
de la preuve des discriminations.
PARAGRAPHE II : L'AMENAGEMENT D'UN BON REGIME PROBATOIRE DE LA
DISCRIMINATION
Une discrimination qui n'est pas prouvée n'existe pas : nombreux sont les salariés
s'estimant victimes d'un traitement discriminatoire qui ne sont jamais parvenus à obtenir gain
de cause en justice lorsque la discrimination est dissimulée sous l'apparence d'un acte du chef
268
d'entreprise, que le juge hésite à examiner en profondeur
. On a même dit qu'en matière de
269
discrimination, le régime de la preuve est le seul terrain utile
.
Pour bien comprendre les enjeux de la question, il faut se rappeler que la VIe
quotidienne, pour le chef d'entreprise, est une somme de choi:\\( : choix des personnes à
recruter dans une multitude de candidatures, choix des salariés à placer à tel ou tel poste,
choix des salariés à envoyer en formation ou à promouvoir étc. Et à chacun de ces moments, il
ya toujours plus de candidats que de places. Peut-on dès lors obliger l'employeur à justifier a
priori ses choi:\\(? Suffit-il même d'une simple allégation de discrimination pour qu'il soit
266 V. Pour cette idée, B. GAURIAU, La nullité du licenciement et la personne du salarié, Dr. soc. 1993, 742.
Pourtant, il n'est pas insensé d'arriver à l'idée qu'en matière de droit fondamental, la victime immédiate ne peut
empêcher la collectivité d'agir en justice. On serait en présence d'une prérogative qui échappe aux intérêts
particuliers.
.
267 La solution est expressément prévue pour l'action des syndicats en vue du respect de ['égalité professionnelle
(article L. 123-6 de code du travail français).
268 J.E. RA Y op. cit. p. 89.
269 Ph. LANGLOIS, note sous Soc. 10 décembre 1988, D. 1988, 31 e cahier p. 316.
313

obligé de se justifier? Comment faciliter la détection des discriminations si l'employeur peut
simplement se réfugier derrière les facultés de choix dont il dispose? Telles sont quelques
unes des interrogations qui peuvent permettre de comprendre l'importance du régime de la
preuve de la discrimination.
Le législateur français a imaginé un certain nombre de solutions (A) auxquelles il faut
ajouter celles d'origine européenne (B).
A. Les solutions imaginées par le législateur français
Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici les dispositions de la loi sur le régime de la
preuve en matière de licenciement et de sanction en généraL Ce rappel, en effet, permet de
voir la nuance qui est faite en matière de discrimination.
En ce qui concerne le licenciement, l'article L.122 -14-3 du Code du travail français
prévoit qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure
suivie et du caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, fonne sa conviction
au vu des éléments fournis par les parties e~au besoin;après toutes mesures d'instruction qu'il
estime utiles. En cas de recours portant sur un licenciement pour motif économique,
l'employeur doit communiquer au juge tous les éléments qu'il a fournis aux représentants du
personnel en application des articles L.32l-2 et L.32l-4... Si un doute subsiste, il profite au
salarié.
Cet article dit à peu près la même chose que l'article L.122-43 qui règle le sort de la
preuve de la régularité de la procédure de sanction et du caractère du fait qui la justifie. Le
Conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés
au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur doit fournir au Conseil de
prud'hommes les éléments qu'il a retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et
de ceux qui peuvent être fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le Conseil de
prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures
d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
i U

Il ne faudrait pas se méprendre sur les tennes de ce dispositif: comme l'a rappelé le
Conseil constitutionnel, il ne s'agit pas de faire peser sur le seul employeur la charge de la
preuve270• L'employeur supporte simplement le risque de la preuve.
Cette analyse doit être nuancée en ce qui concerne l'égalité de rémunération entre les
hommes et les femmes. L'article L.140-S du Code du 'travail dit expressément qu'en cas de
litige, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier l'inégalité de
rémunération invoquée. Certes, il ne dispense pas le salarié de fournir des éléments de preuve
à l'appui de sa demande, ni le juge d'ordonner au besoin les mesures d'instruction pour
asseoir sa conviction. Mais il reste vrai que le juge attend de l'employeur une justification des
inégalités constatées. En cas de discrimination apparente, les juges du fond sont en principe
conduits à demander à l'employeur s'il existe des raisons objectives à la différence de
traitement. Si cette preuve n'est pas rapportée ou s'il subsiste un doute, le juge fait droit à la
demande du salarié271 • A la limite donc, le salarié peut se contenter d' établir l'apparence de
discrimination. La règle a même été étendue à tous les salariés, quel que soit leur sexe. La
Chambre sociale a en effet affirmé que "La règle de l'égalité de rémunération entre les
hommes et les femmes [est] une application de la règle plus générale" à travail égal, salaire
égal ,,272. Elle en déduit que la différence de traitement doit être justifiée.
L'arrêt est porteur de grands espoirs pour le principe de non discrimination en généraL
même s'il ne faut pas sous-estimer les difficultés de transposition de la solution.
Par ailleurs, certains auteurs proposent une lecture très hardie des textes. En
particulier, ils croient voir dans la loi un renversement de la charge de la preuve en cas de
licenciement discriminatoire. En ce qui concerne l'état de santé du salarié par exemple, on a
soutenu que les règles de preuve ne sont plus celles de l'article L.122-14-3 du Code du
travail: la loi posant pour principe que l'état de santé ou le handicap ne peut pas être un motif
de licenciement, l'employeur doit supporter la charge de prouver que la rupture est motivée
270 Décision n° 89-257 OC du 25 juillet 1989, Dr. soc. 1989,627.
271 Ph. MARTIN, L'égalité des sexes en droit (français) du travail: un principe en constante évolution. D. O.
1996, 444. L'auteur ajoute cependant qu'il ne semble pas qu'en pratique le juge se montre aussi rigoureux
notamment lorsque la discrim ination n'est pas apparente (Ibid).
272 Soc. 29 octobre 1996. Dr. Soc. 1996, 1014.
315

par la seule nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié273• Ce serait là
l'application du principe plus général selon lequel l'employeur à qui on reproche d'avoir
remis en cause, par la mise en œuvre d'une mesure unilatérale, l'exercice d'une liberté
publique ou d'un droit fondamental doit, s'il veut éviter la condamnation, rapporter la preuve
que la mesure contestée est pleinement justifiée par l'intérêt de l'entreprise274•
Ces analyses s'appuient sur quelques décisions des juridictions du fond275• L'ampleur
des bouleversements qu'elles entraînent doit certes commander une certaine prudence. Mais il
faudrait un jour en arriver à l'idée qu'à la violation d'un droit fondamental doit correspondre
un régime de preuve plus favorable.
B. Les solutions d'origine européenne
La Cour de justice des communautés européennes a rendu le 8 novembre 1990 un
arrêt qui mérite de figurer en bonne place dans les annales de la lutte contre la discrimination.
Elle a jugé qu'" un employeur viole directement le principe d'égalité de traitement énoncé par
la directive 76/207 CEE du 9 février 1976 s'il refuse de conclure un contrat de travail avec
une candidate qu'il avait jugée apte, lorsque ce refus est fondé sur les éventuelles
conséquences dommageables pour lui de l'engagement d'une femme enceinte, la circonstance
qu'aucun candidat de sexe masculin ne se soit présenté étant indifférente". Cette solution
n'était pas évidente, car pour retenir la discrimination, la Cour n'a pas eu à recourir à un
raisonnement comparatif comme de coutume.
Pour la Cour européenne, la discrimination doit être" traquée" quelles que soient les
circonstances dans lesquelles on peut la pratiquer, et même si elle est dissimulée. Cette
préoccupation est à la base de toute la doctrine des discriminations indirectes. Selon l'article 2
de la directive européenne nO 97/80 du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve
dans les cas de discrimination à raison de sexe "Une discrimination indirecte existe
lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte une proportion
273 P.M. note sous Paris (ISe ch) 5 novembre 1995. D. O. 1995, P. 174; M.F. BIED CHARRETON et M.
HENRI, note sous Conseil de Prud'hommes de Versailles, 29 novembre 1994, D. O. 1995, 191.
274 Ibid.
m Crim. 29 mars 1994. D. O. J995.211 ; Conseil de Prud'hommes de Versailles, 29 novembre 1994 et Paris 5
novembre 1995 op. cit.

nettement plus élevée de personnes d'un sexe, à moins que cette disposition, ce critère, cette
pratique ne soit approprié(e) et nécessaire et ne puisse être justifié(e) par des facteurs objectifs
et indépendants du sexe des intéressés ". Cette définition est une formulation différente de ce
que disait déjà la Cour de justice des communautés européennes. Celle-ci a toujours affinné
qu'il y a discrimination indirecte lorsque, bien que n'appliquant pas de critère de distinction
prohibé, une mesure applique d'autres critères de distinction dont les effets sont identiques ou
du moins analogues à ceux auxquels aboutirait l'application du critère de distinction prohibé,
ou encore lorsqu'une réglementation établit une distinction purement formelle de cas
différents, mais leur applique en réalité un traitement identique276• Autrement dit, la
discrimination indirecte est une forme dissimulée de discrimination qui, par application
d'autres critères de distinction, aboutit en fait au même résultat que des discriminations
ostensibles277.
L'approche des problèmes de discrimination indirecte est originale. On ne donne pas
une définition abstraite de la discrimination indirecte, mais on décrit les éléments qui
conditionnent son existence278 . Comme la jurisprudence, la directive a compris que les règles
de preuve ne doivent pas rester extérieures à la notion de discrimination indirecte. En effet la
notion de discrimination indirecte ne peut être opératoire que si on met à son service un
système de preuve approprié. La Cour de justice des communautés européennes a affirmé que
"les travailleurs seraient privés de moyens de faire respecter le principe de l'égalité [de
traitement] devant la juridiction nationale si la présentation d'éléments pennettant de révéler
une discrimination apparente n'avait pas pour effet d'imposer à l'employeur de prouver que la
différence [de rémunération] n'est pas en réalité discriminatoire ,,279.
Plus concrètement, au sein de l'entreprise, deux éléments essentiels sont à retenir: le
premier concerne l'effet de la mesure prise par l'employeur280 et le second la charge de la
preuve281 • L'observation sociologique et les données statistiques pennettent de présumer la
discrimination. Mais la directive européenne précise bien que le salarié doit apporter sa
276 K. LENAERTS , CDE, 1991.12.
m ClCE, arrêt SOTGIU du 12 février 1994, aff. 152173, Rec. 1974, p. 153, point 11.
278 M. Th. LANQUETIN, Discrimination à raison de sexe, commentaire de la directive nO 97/80 op. cit. Dr. soc.
1998,690.
279 ClCE, 27 octobre 1993 aff. C 127/92, Dr. Pamela Mary Enderby d Frenchay Health Authority Secretary of
State ofHealth.
280 Signalons au passage que la théorie de la discrimination indirecte peut frapper même une loi.
317

contribution à la sanction de la discrimination. En effet c'est au salarié qui s'estime lésé
d'établir des faits qui permettent de présumer la discrimination. La difficulté peut être
importante ou négligeable selon qu'on admet que le salarié ne produira que des éléments
vraisemblables ou qu'on l'oblige à pousser la démonstration jusqu'à rendre la discrimination
quasi certaine282•
Quoi qu'il en soit, on n'oblige pas le salarié à établir la véracité de la discrimination.
Dès lors qu'il apporte la preuve des éléments à sa charge, la discrimination est présumée. Il
s'agit d'une présomption simple qui pourra être renversée par l'employeur s'il justifie
objectivement la mesure prise283• L'employeur ne pourra pas, cependant, avancer n'importe
quelle raison pour se justifier. La raison avancée doit être considérée comme légitime par le
juge. Celui-ci devra même s'assurer que l'objectif poursuivi par l'employeur ne peut pas être
atteint par d'autres moyens non discriminatoires. A défaut il n'y a pas justification284 .
La théorie des discriminations
indirectes
permet de donner aux critères de
discrimination interdits plus de prise sur le réel. On se rapproche ainsi de plus en plus de
l'idéal d'égalité dans le travail. La théorie des discriminations indirectes est surtout
intéressante en ce qu'elle permet, sans effort excessif, d'obliger le chef d'entreprise à rendre
compte de l'usage qu'il fait de ses pouvoirs.
Conclusion du chapitre
L'atteinte à un droit fondamental doit être considérée comme un trouble suffisamment
grave pour justifier une réaction urgente. La voie qui s'impose pour faire cesser un tel trouble
est celle du référé. La formule peut cependant être utilement complétée par l'ouverture d'une
procédure répressive urgente.
281
M.T. LANQUETIN, De la discrimination indirecte entre travailleurs masculins et féminins, Etudes en
hommage Madame le professeur H. SINAY, Peter Lang. Frankfurt, 1994, 416.
282 Cette seconde solution enlèverait son efficacité à l'approche, puisque le salarié ne peut pas accéder facilement
aux moyens de preuve utiles.
283 Ibid.
,IS

La violation d'un droit fondamental est aussi une atteinte aux intérêts essentiels du
salarié concerné en particulier et de la collectivité des salariés en général. De là, l'idée vient
de pennettre qu'éventuellement les institutions représentatives des salariés se substituent au
salarié immédiatement victime de l'atteinte pour exercer l'action en justice afin de rétablir le
règne du droit. Certes, il faudrait s'assurer que ce faisant, on n'impose pas à ce salarié des
sujétions inadmissibles. La précaution à prendre est justement de s'assurer que l'individu
n'est pas opposé à l'initiative de la collectivité représentée par le délégué du personnel ou le
syndicat.
Bien entendu, le syndicat ne peut efficacement jouer son rôle et ainsi se substituer
éventuellement au salarié individu s'il ne dispose pas d'une certaine indépendance et, bien
plus, de l'assurance sur son existence même. La remarque intéresse en particulier le droit
camerounais où il faut souhaiter la levée des menaces qui pèsent sur l'existence des syndicats.
284 M.T. LANQUETIN, La discrimination à raison de sexe en droit international et communautaire, Dr. Soc.
1988, p. 806.
319

CONCLUSION DU TITRE
Il est incontestable qu'on se rapprocherait de l'idéal que véhicule le principe de
dignité si aux actes juridiques attentatoires aux droits fondamentaux on appliquait, par la voie
la plus rapide, la nullité suivie de remise en état. Le droit positif, surtout français, est engagé
dans cette voie.
L'admission des actions de substitution indique bien que les droits fondamentaux
traduisent des valeurs qui transcendent les intérêts individuels des victimes immédiates des
atteintes en cause. Ces atteintes seraient portées à un fonds commun à toute l'humanité.
L'interdiction de la renonciation, même limitée dans son domaine, pennet de pousser plus
loin l'idée d'une prérogative transcendant les intérêts individuels. Dans certains cas en effet,
la protection assurée par le droit échappe à la volonté de ses bénéficiaires. Il y a là une
solution qui convient bien au principe de dignité. La dignité est conférée à l'Homme sans
égard à sa volonté, et il ne peut y renoncer sans sortir de la communauté humaine. Il ne
devrait pouvoir renoncer à aucune prérogative juridique qui concourt à l'expression de sa
dignité.
L'ennui c'est que la relation de travail subordonné comporte congénitalement les
éléments qui tendent à menacer les exigences de la dignité. Il faudrait prendre acte de ces
éléments qui justifient un certain nombre de limites à l'expression des droits fondamentaux.
320

TITRE II
LES LIMITES A L'EXPRESSION DES DROITS FONDAMENTAUX
Il est très significatif que
pratiquement
toutes
les décisions
de justice qUI
reconnaissent des droits et libertés aux salariés assortissent ceux-ci de réserves. Nous n'en
citerons que deux. D'abord un arrêt du Conseil d'Etat statuant sur la conformité à la loi d'un
règlement intérieur d'entreprise qui réservait à la direction la faculté de soumettre les salariés
soupçonnés d'ébriété à l'épreuve de l'alcootest, le refus de s'y soumettre étant considéré non
seulement comme une faute disciplinaire, mais aussi comme un aveu implicite de l'état
d'ébriété. Pour juger ce règlement intérieur contraire à la loi, le Conseil d'Etat relève que
"ces dispositions ne pourraient être justifiées, eu égard à l'atteinte qu'eiles portent aux droits
des personnes, qu'en ce qui concerne les salariés occupés à l'exécution de certains travaux ou
à la conduite de certaines machines ,,285.
Ensuite, un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation française qui affirme
que "La clause de non-concurrence n'est licite que dans la mesure où la restriction de liberté
qu'elle entraîne est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ,,286.
Bien entendu, on ne peut saisir toute la réalité des limites à l'expression des droits
fondamentaux à travers les décisions de justice. On insiste souvent sur ce que le contentieux
287
est parfois un prisme déformant de la réalité sociale
. Le propos est vrai dans tous les pays;
il l'est davantage dans un pays comme le Cameroun où la voie du procès est considérée avec
beaucoup de réserve par les salariés288.
285 CE., 8 juillet 1988, Rec. CE., tables, 1043.
286 Soc., 24 octobre 1995, CSB, 1995,319, A. 57.
287 V. Sur les sources statistiques, leur intérêt et les limites de connaissance qu'elles procurent, A. JEAMMAUD,
L'état du contentieux judiciaire social, Dr; soc., 1993, 445.
288
On peut ainsi expliquer dans une certaine mesure le relatif succès de l'institution de la tentative de
conciliation devant l'inspecteur du travail.
3:21

Plus que le prisme défonnant du contentieux, ce qui pourrait empêcher d'appréhender
les limites à l'expression des droits fondamentaux, c'est une confiance absolue et aveugle
dans les mécanismes du droit. Le droit est ici aux prises avec des réalités extra juridiques alors
déjà qu'il ne sunnonte que très imparfaitement ses contradictions internes. Le salarié qu'on
veut protéger sera parfois le complice plus ou moins conscient de la violation de ses droits; le
discours du droit paraîtra parfois chimérique pour une économie en cr}se ou qui véhicule
d'autres valeurs289• Nous regrouperons ces limites essentiellement para-juridiques dans un
chapitre intitulé les limites infonnelles (CHAPITRE II). Les limites relativement bien cernées
par le droit feront l'objet d'un autre chapitre intitulé les limites fonnelles (CHAPITRE 1).
289 Pour le contraste entre les valeurs véhiculées par les juristes et celles véhiculées par les~conomistes, voir
Pietro ICHINO, Conférence à l'Université Borde:llix IV -14 avril 1998, inédite.

CHAPITRE 1
LES LIMITES FORMELLES A L'EXPRESSION DES DROITS FONDAMENTAUX
De la première décision, ci dessus citée sur la conformité du règlement intérieur à la
loi29o, on peut retenir l'idée de la nécessaire conciliation entre la liberté des salariés et la
sécurité des personnes et des biens291 . Il faudrait aussi en retenir l'idée que toute liberté est
susceptible de limitations. Dans la seconde décision citéé92, la limite que la Chambre sociale
reconnaît implicitement à la liberté du salarié - ici la liberté du travail -, c'est l'intérêt de
l'entreprise. Le propos est simple: l'intérêt de l'entreprise peut justifier une atteinte à la
liberté du travail au moyen d'une clause de non-concurrence.
La référence à l'intérêt de l'entreprise est ici très significative; elle revient dans deux
autres arrêts où est en cause, non plus la liberté, mais l'égalité entre salariés. Des salariés
reprochent à l'employeur de leur avoir infligé une sanction différente de celle infligée aux
autres, alors qu'ils avaient tous commis une même faute. Ils estiment donc que l'employeur a
fait une discrimination. La Cour de cassation française juge que "s'il est interdit à
l'employeur, à peine de nullité de la mesure, de pratiquer une discrimination, au sens de
l'article L.122-45 du Code de travail, il lui est permis, dans l'exercice de son POUVOIT
d'individualisation des mesures disciplinaires et dans l'intérêt de l'entreprise, de sanctionner
différemment des salariés qui ont participé à une même faute ,,293.
On voit bien l'intérêt de l'entreprise dressé en limite à la liberté et à l'égalité des
salariés. Les dernières décisions citées érigent une autre limite, qui apparaît du reste assez
naturelle: les pouvoirs du chef d'entreprise.
290 Celle qui admet implicitement que les salariés occupés à la conduite des machines peuvent être soumis à
l'épreuve de l'alcootest.
291 La solution rappelle bien la décision du Conseil constitutionnel français sur la conciliation du droit de grève
avec le principe de la sécurité des personnes et des biens (25 juillet 1980, Dr. Soc. 1980, p. 441).
292 La clause de non concurrence est valable si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de
l'entreprise.
293 Soc., 15 mai 1991, Dr. soc. 1991,P. 624.

Les limites formelles à l'expression des droits fondamentaux des salariés sont, on s'en
doute bien, les pouvoirs du chef d'entreprise (SECTION 1) et l'intérêt de l'entreprise294•
(SECTION II)
SECTION 1: LES POUVOIRS DU CHEF D'ENTREPRISE COMME LIMITE A
L'EXPRESSION DES DROITS FONDAMENTAUX
Paul Durano a fait un intéressant rapprochement entre le pouvoir dans l'entreprise et
le pouvoir dans la société politique295• Le rapprochement visait à montrer une analogie entre
les deux pouvoirs. L'auteur pouvait ainsi faire remarquer que comme dans la société
politique, on retrouve dans l'entreprise trois pouvoirs: le pouvoir législatif (réglementaire), le
pouvoir disciplinaire et le pouvoir de direction. Le rapprochement est pertinent. Mais si on
étend la comparaison à la nature des régimes dans l'entreprise et dans une société politique, il
tàudrait dire que l'entreprise ne peut pas être une "République ", même si on souhaite
conférer une "citoyenneté ,,296 à ses membres. L'entreprise est au contraire une organisation
de type essentiellement autocratique, où un " propriétaire" exerce un " pouvoir souverain ",
297
selon les termes du professeur Jean SAVATIER
• Si le droit de propriété sur les moyens de
production ne s'exerce pas ici dans la même mesure que le droit de propriété sur un bien
quelconque, la propriété des moyens de production a donné une autre prérogative à
l'employeur: ses pouvoirs s'exercent à la fois sur les biens et sur les hommes298, peu importe
qu'il les exerce par lui même ou qu'il les délègue à une autre personne.
L'analyse identifie ici trois pouvoirs distincts: le pouvoir réglementaire, le pouvoir de
direction et le pouvoir disciplinaire. Mais nous n'en retiendrons que deux, le pouvoir
réglementaire (PARAGRAPHE 1) et le pouvoir de direction (PARAGRAPHE II) étant donné
que le pouvoir disciplinaire se situe simplement dans le prolongement de ces deux pouvoirs.
294 On pourrait même dire que ces deux limites n'en font qu'une si l'on admet que les pouvoirs du chef
d'entreprise sont fondés sur l'intérêt de l'entreprise. Mais nous avons choisi de présenter séparément ces limites
au moins pour en montrer l'ampleur. C'est aussi vrai que l'intérêt de l'entreprise peut justifier des limites aux
pouvoirs du chef d'entreprise.
295 P. DURAND et R. JAUSSAUD, Traité de droit du travail, t.l, n° 348.
296 La métaphore politique de la citoyenneté dans l'entreprise date de l'époque où on s'interroge de plus en plus
sur les moyens de développer les droits de l'homme et la démocratie dans l'entreprise.
297 Pouvoir patrimonial et direction des personnes, Dr. soc. 1982, pA.
298 V. 1. SA VATIER, op. cit. p. 1.
324

PARAGRAPHE 1: LE POUVOIR REGLEMENTAIRE DU CHEF D'ENTREPRISE ET
LES DROITS FONDAMENTAUX DES SALARIES
Le Code du travail camerounais ne montre que la face favorable du règlement
intérieur, outil du pouvoir réglementaire, puisqu'il se contente de le rendre obligatoire à partir
d'un seuil d'effectifs, et de décrire le contrôle auquel il est obligatoirement soumis. En vérité,
le règlement intérieur a une redoutable face cachée, que dévoile l'article L.122-35 du Code du
travail français lorsqu'il dispose que" Le règlement intérieur ne peut (...) apporter aux droits
des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas
justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". Les
atteintes aux droits et libertés se trouvent ainsi implicitement légitimées.
On a souligné l'aspect négatif de cet article qui, pour la première fois, reconnaît
qu'une personne privée qui ne dispose d'aucune prérogative de puissance publique peut
restreindre les droits des personnes et les libertés individuelles et co llectives299. Certes, cette
reconnaissance en elle même n'a rien de choquant. Elle permet au contraire de dévoiler une
situation au fond inévitable et d'en assurer le contrôle. Le mérite du législateur français est
d'avoir saisi la réalité dans toute sa consistance. A côté du règlement intérieur (A), il faudrait
aussi voir les circulaires et notes de service (B).
A. Le règlement intérieur et les atteintes aux droits et libertés individuelles et collectives
Un regard d'ensemble sur le contentieux de la conformité du règlement intérieur aux
dispositions légales et réglementaires permet de se faire une idée de la diversité et de
l'intensité des atteintes qui peuvent être portées aux droits et libertés individuelles et
collectives des salariés.
M. Georges
ALEXANDRE
faisait
observer, en
1987,
que
l'examen de
la
jurisprudence ne montrait aucun cas de recours fondé sur un règlement intérieur qui
299 V. G. ALEXANDRE. Les règlements intérieurs des entreprises et le juge administratif, D. O. [987, p. 4 [2.
325

instituerait une discrimination30o• Mais l'auteur ne manifestait aucun étonnement à cet
égard. Il faudrait bien de la naïveté ou de l'inconscience à un employeur pour inscrire des
discriminations dans le règlement intérieur30I • La remarque reste pertinente aujourd'hui,
même si on peut citer un cas avéré, où le règlement intérieur contenait une clause
ostensiblement discriminatoire.
Celle-ci réservait aux seuls membres du personnel
naviguant commercial masculins la possibilité de poursuivre leur carrière jusqu'à cinquante
cinq ans302• Il y a là une exception qui ne remet pas en cause l'observation que les
règlements intérieurs sont toujours suffisamment "bien" rédigés pour échapper à la
sanction des dispositions sur la non discrimination.
Dans le domaine des restrictions aux libertés, les règlements intérieurs ont en revanche
fait étalage de tout leur potentiel. Il est devenu par exemple très banal que le règlement
intérieur contienne des dispositions sur un laissez-passer pour circuler dans l'entreprise. Il ne
s'agit pas toujours de prévoir un document spécial permettant l'accès à certaines zones
sensibles de l'entreprise; il s'est agi parfois d'un laissez-passer permettant au salarié
d'accéder à son propre poste de travail et devant être présenté à toute réquisition303 .
Le procédé pourrait être très choquant pour le salarié qui, même après plusieurs années
au service d'une entreprise, s'y sent traité comme un étranger. S'en dégage un réel sentiment
d'être méprisé. Ce sentiment confine même à un grave manque de confiance ou à une
véritable suspicion lorsque des caissières se voient interdire le passage des membres de leur
famille avec la précision qu'un tel passage est constitutif d'une faute grave304•
En sens inverse, c'est la sortie du poste de travail qui peut être l'objet de la
réglementation de l'employeur. Celui-ci inclut par exemple dans le règlement intérieur une
clause interdisant au personnel de sortir de l'entreprise sans un bon indiquant l'heure et le
motif de sortie305. On n'est pas loin de dispositions fixant l'ordre de passage à la douche306 .
300 G. ALEXANDRE, op. cit. p. 411.
JOI Ibid.
302 Voir. CE, 6 février 1981, AIDA, 1981,489.
303 CE, 9 octobre 1987, Régie nationale des usines Renault. Reg. nO 72220.
304 CE, 9 décembre 1994, D. 1995, IR 23.
305 CE, 1er février 1993, RJS. 1993,237, nO 392.
306 CE, 9 octobre 1987, Jur. soc. UIMM, 1988, n° 88.498, 628.
326

Sont aussi devenues banales les clauses des règlements intérieurs qui ne se contentent
pas de prescrire le respect de l'horaire de travail mais ajoutent surtout que le salarié qui doit
être relayé devra rester en poste jusqu'à la prise de service effective de son remplaçant. Des
employeurs ont même incorporé au règlement intérieur l'obligation pour les salariés
d'accomplir les heures supplémentaires ou de récupération que les premiers pourraient
décider307•
Il y a un autre domaine suffisamment occupé par le règlement intérieur: la circulation
de l'information. En général, les règlements intérieurs disposent que la diffusion ou
l'affichage. dans l'établissement de journaux, tracts, imprimés, brochures, photographies,
pétitions et autres doit être autorisée par la direction308• L'employeur peut chercher par ce
moyen à faire obstruction même aux communications syndicales dont le Conseil d'Etat avait
utilement rappelé la libre diffusion au personnel de l'entreprise, dans l'enceinte de celle-ci,
aux heures d'entrée et de sortie du travail309.
Les atteintes portées par les règlements intérieurs aux libertés sont ressenties plus
intensément en matière de fouille, qu'il s'agisse des fouilles dans les armoires et vestiaires ou
des fouilles corporelles avec les moyens plus ou moins fins. La vigilance des juridictions a
permis d'éviter le pire à ce niveau. Mais la motivation des décisions laisse tout de même voir
que les fouilles en soi ne sont pas interdites. Le Conseil d'Etat affinne par exemple qu'une
disposition relative à la fouille est licite si elle précise, d'une part , que la fouille n'aura lieu
qu'en cas de nécessité, notamment à la suite de disparitions de matériels et s'il existe de
risques particuliers de vol, d'autre part, que le salarié sera averti de son droit de s'opposer à
un tel contrôle et d'exiger la présence d'un témoin, enfin que ce contrôle sera effectué dans
les conditions préservant la dignité et l'intimité de la personne310. Si le Conseil d'Etat a
invalidé une clause du règlement intérieur par laquelle l'employeur se réservait le droit de
fouiller à tout moment les vestiaires ou armoires individuelles, il a nettement laissé voir qu'il
l'a fait en raison de la disproportion de l'atteinte par rapport au but recherché3ll .
307 CE, 9 octobre 1987, op. cit.
308 Tribunal adm. LYON, 3< ch. 15 janvier 1987. O. O. 1987, p. 421.
309 C.E. 20 janvier 1982, O. O. 1982, p. 440.
310 CE II juillet 1990. O. 1990, IR. 213.
;11 C.E. 12juin 1987, O. 0.1987, p. 416.

Le même argument de défaut de proportionnalité a permis au Conseil d'Etat de juger
contraires à la loi les dispositions d'un règlement intérieur interdisant à tout membre du
personnel de pénétrer ou de séjourner en état d'ébriété dans l'établissement, état que
l'employeur se réservait le droit de constater au moyen d'un éthylomètre. Ces dispositions
peuvent néanmoins être justifiées à l'égard des salariés occupés à l'exécution de certains
travaux ou à la conduite de certaines machinesJl2•
Les employeurs cherchent à justifier également par la nature des fonctions les
dispositions de plus en plus nombreuses dans les règlements intérieurs, et par lesquelles ils
imposent le port d'une tenue vestimentaire précise313, la coupe de cheveux. L'employeur
n'oublie naturellement pas d'être suggestif sur la mine à avoir pendant le contact avec la
clientèle314 : mine joviale en général et, peut-être, mine d'enterrement pour les salariés des
pompes funèbres.
Les dispositions légales sur la médecine du travail ont fourni aux employeurs le
prétexte de prescrire dans le règlement intérieur que les salariés signalent obligatoirement au
médecin du travail ou à eux-mêmes les symptômes d'une maladie professionnelle315 .
L'exigence est manifestement illicite si on l'analyse par rapport à l'appartenance de l'état de
santé au domaine de la vie privée.
Dans ce même domaine de la liberté de la vie privée, il faudrait signaler les clauses, de
plus en plus nombreuses dans les règlements intérieurs des entreprises spirituellement ou
politiquement bien marquées qui, au nom de leur caractère propre, imposent des limitations
suffisamment importantes à leur personnel. Le Conseil d'Etat a décidé qu'" aucune
disposition législative ne fait obstacle à ce que le respect du caractère propre des
établissements d'enseignement privé figure au nombre des obligations imposées par le
règlement intérieur, sous réserve que ce dernier précise, d'une part, que le respect de ce
caractère ne saurait porter atteinte à la liberté de conscience des intéressés et, d'autre part, que
312 C.E. 8 juillet 1988 op. cil.
313 Soc. 17 avril 1986. lur. Soc. UIMM, 1987. P. 8 (Règlement intérieur et Charte professionnelle imposant
l'uniforme aux gardiens.)
314 La presse a rapporté récemment l'expérience de la British Airway qui, pour faire face à la concurrence
internationale, a entraîné ses hôtesses de l'air à des attitudes qu'elle considère plus joviales vis-à-vis des clients:
plus de sourire, petites tapes amicales, etc. On nll peut pas s'étonner que ces suggestions entrent dans une note de
service.
315 C.E. 4 mai 1988, lCP, 1988 IV, 231.
328

les obligations qui en découlent doivent s'apprécier eu égard à la nature des fonctions
.
1
l '
. ,,316
exercees par e personne qUI y est sounus
.
Il faut sans doute arrêter ici cet inventaire des clauses des règlements intérieurs portant
des restrictions aux droits et libertés des salariés. Il ne s'est agi du reste que de signaler les cas
les plus usuels. En effet, avec une régularité moins importante, on rencontre des clauses
interdisant le mariage entre salariés de l'entreprÏse317, interdisant toutes conversations
. ,

318
t
t '
rt'
h
319
etrangeres au servIce
, ou tout passage au res auran a une ce ame eure
.
La variété des atteintes aux droits et libertés que peut contenir le règlement intérieur
montre bien l'intérêt du contrôle qui doit être exercé sur ce dernier. Mais ce contrôle risque de
ne pas avoir lieu, si l'exercice du pouvoir réglementaire choisit la voie discrète des circulaires
et notes de service.
B. Les atteintes contenues dans les circulaires et notes de service
L'attention a été attirée sur ce que de plus en plus le pouvoir réglementaire du chef
d'entreprise s'exerce au moyen des circulaires et notes de service, aux dépens du règlement
intérieur320. Non pas qu'on conteste au chef d'entreprise le droit d'inscrire des mesures
d'ordre général ailleurs que dans le règlement intérieur. Un tel procédé présente un intérêt
pratique considérable. Contrairement au règlement intérieur qui contient des prescriptions
durables, les notes de service répondent à des besoins passagers ou urgents ou visent des
mesures de détail321 • Il y aurait donc une différence de nature ou, à tout le moins, de rôle entre
le règlement intérieur et les circulaires et notes de service. Une telle analyse expliquerait sans
doute qu'au Cameroun le législateur n'ait pas cru devoir soumettre les circulaires et notes de
service au contrôle de l'admirIistration du travail comme il l'a fait s'agissant du règlement
intérieur322•
JI6 C.E. 20 juillet 1990, Dr. Soc. 1990. P. 862 ; 23 juillet 1993. Dr. Soc. 1993, p. 842.
J'7 CE 10' .
"
JUIn 1982, JCP 1984, II, 20230.
J'8CE 15'
.
. .
JanvIer 1989, Dr. Soc. 1990. P. 203.
JI9 Tribunal administratif de Paris, 2 février 1987, Dr. soc. 1987, p. 649.
J20 P.G. POUGOUE, Droit du travail et de la prévoyance sociale au Cameroun, op. cit, p. 109.
321 N. CATALA, L'entreprise, Paris, Dalloz n° 202, p. 225 et 226.
J22 L'article 29 al. 3 du Code du travail dispose qu'ayant de mettre le règlement intérieur en vigueur, le chef
d'entreprise doit le communiquer pour avis aux délégués du personnel s'il en existe, et pour visa à l'inspecteur
329

Les risques qui en résultent pour les salariés sont évidents. On sait en effet que le
contrôle administratif qui est fait a priori sur le règlement intérieur vise à s'assurer que celui-
ci ne dépasse pas son objet, et plus largement qu'il ne porte pas une atteinte intolérable aux
droits et libertés individuelles et collectives des salariés. En n'imposant pas un contrôle a
priori des circulaires et notes de service, le législateur camerounais laisse les salariés en
quelque sorte à la merci du chef d'entreprise. Ce dernier pourrait mettre dans les circulaires et
notes de service toute disposition qui lui semble devoir y entrer. La possibilité du contrôle a
posteriori que le juge judiciaire peut faire à ce sujet est d'un secours assez limité, puisque très
souvent aucun recours n'est fait contre les dispositions attentatoires aux droits et libertés323•
D'où l'idée émise par certains auteurs324, de soumettre les circulaires et notes de service au
même contrôle préalable que le règlement intérieur. On relève qu'il est pratiquement
impossible d'opérer une distinction entre le règlement intérieur et les circulaires et notes de
service. Celles-ci viseraient le même personnel et traiteraient des mêmes questions que le
règlement intérieur.
Cette idée a été reçue dans une large mesure en droit français, où l'article L.122-39 du
Code du travail dispose que "les notes de service ou tout autre document qui portent
prescriptions générales et permanentes dans les matières mentionnées à l'article L.122_34325
sont, lorsqu'il existe un règlement intérieur, considérés comme des adjonctions à ce règlement
intérieur ; ils sont, en toute hypothèse, soumis aux dispositions de la présente sous-
section326 ". Une telle disposition était susceptible de balayer toutes les craintes ci-dessus
avancées. Mais le législateur français ne va pas très loin: l'article L.122-39 poursuit que
lorsque l'urgence le justifie, les prescriptions relatives à l'hygiène et à la sécurité peuvent
recevoir application immédiate. Dans ce cas, ces prescriptions doivent immédiatement et
simultanément être communiquées au secrétaire du comité d'hygiène et de sécurité, aux
secrétaires du comité d'entreprise et à l'inspecteur du travail.
du travail du ressort qui peut exiger le retrait ou la modification des dispositions qui seraient contraires aux Jois
et règlements.
323 A notre connaissance, rien de tel ne s'est encore produit au Cameroun.
324 Voir notamment B. SOfNNE, L'analyse juridique du règlement intérieur d'entreprise, Paris, LOD], 1970, p.
17 et s.
325 Cet article énumère des matières traitées au règlement intérieur.
326 Cette sous section traite du règlement intérieur.
330

Cette obligation de communication ne change nen au principe de l'application
immédiate des mesures d'hygiène et de sécurité. Certes, en prenant le soin d'indiquer d'une
part que les seules mesures d'application immédiate sont celles relatives à l'hygiène et à la
sécurité et d'autre part que ce régime d'exécution immédiate n'est applicable que lorsque
l'urgence le justifie, le législateur montre le caractère exceptionnel de cette hypothèse. Mais
l'employeur désireux de porter une atteinte aux droits et libertés voudra faire comprendre très
largement le domaine de l'hygiène et de la sécurité. Quant à la condition de l'urgence, elle lui
paraîtra remplie chaque fois que l'ajournement de l'application de la mesure lui semble
susceptible de paralyser ou même de retarder la marche de l'entreprise. Finalement on est que
très peu éloigné du droit camerounais qui n'institue aucun contrôle a priori des circulaires et
notes de service.
Il se peut qu'eu égard aux possibilités de contournement des contraintes de la loi que
lui offrent les dispositions sur les circulaires et notes de service, le chef d'entreprise préfère
celles-ci au règlement intérieur. Dans bien des entreprises ou d~ établissements aucun
règlement intérieur n'existe du tout327. Dans d'autres cas le règlement intérieur est très
squelettique, l'essentiel des règles étant renvoyé aux circulaires et notes de service.
A vrai dire, on peut tenter de contrôler l'usage que le chef d'entreprise peut faire du
règlement intérieur, des circulaires et notes de service. Mais jamais il ne sera possible de
mesurer même les menaces aux droits et libertés lorsque le pouvoir réglementaire du chef
d'entreprise s'exerce au moyen des ordres verbaux plus ou moins généraux. Et il serait naïf de
penser que des atteintes aux droits et libertés ne peuvent pas résulter de ces ordres verbaux.
Ces ordres sont plus redoutables, parce que pour des raisons liées aux difficultés de preuve, il
est difficile de les combattre.
Les ordres verbaux sont aussi un moyen privilégié d'exercice du pouvoir de direction.
327 Dans la mesure où le règlement intérieur n'est obligatoire qu'a partir d'un certain seuil d'effectifs, des
entreprises peuvent fonctionner légalement sans règlement intérieur. Au Cameroun, le principe est même le
fonctionnement sans règlement intérieur- En effet le seuil de Il salariés retenu par le législateur est trop élevé
compte tenu de la taille de la plupart des entreprises au Cameroun.
331

PARAGRAPHE II : LE POUVOIR DE DIRECTION DU CHEF D'ENTREPRISE ET LES
DROITS FONDAMENTAUX DES SALARIES
L'appellation même du pouvoir de direction évoque bien les limitations aux droits et
libertés que ce pouvoir peut imposer aux salariés. Quand bien même on peut faire observer
que l'évolution du droit du travail a tendu à encadrer l'exercice de ce pouvoir328, le propos ne
vise pas à nier la réalité des sujétions qu'il comporte pour les salariés. Au fait, le pouvoir de
direction demeure très largement souverain329.
Au demeurant, et contrairement à ce qu'on peut penser a priori, le pouvoir de
direction du chef d'entreprise n'atteint pas les salariés seulement dans leur soif de liberté (A) ;
il surprend aussi leurs attentes dans le domaine de l'égalité (B).
A. Le pouvoir de direction et la liberté des salariés
Le chef d'entreprise est maître de l'utilisation de ses subordonnés; il assIgne à
chacun un poste de travail, et le modifie lorsqu'il le juge nécessaire, tout au moins dans la
33o
mesure où cette modification n'est pas substantielle
. Dans ce sens, il n'est pas indifférent
que la mobilité géographique du salarié ait été analysée comme un élément accessoire du
contrat de travail33l . La conséquence en est que l'employeur peut toujours décider d'affecter
le salarié sans que l'avis de ce dernier soit nécessaire.
La mise en œuvre de la mobilité géographique peut menacer les libertés publiques
individuelles, singulièrement la liberté du travail. Au juste, la liberté du travail trouve ses plus
larges restrictions dans le pouvoir de direction du chef d'entreprise (1), même si la tendance
est à ne considérer que les libertés dans le travail (2).
J28 V. A. JEAMMAUD et A. LYON-CAEN. Droit et direction du personnel, Dr. soc., 1982, p. 63 et s.
329 1. SA VATIER, Pouvoir patrimonial et èirection des personnes op. cit. p. 2.
330 1. RIVERa et 1. SA VATIER, Droit du travail, op. cit. p. 171.
331 I. DAUGAREILH, Le contrat de travail à l'épreuve des mobilités, Dr. soc. 1996, p. 132. Aujourd'hui en
France, on parlerait de condition d'emploi, notion que la Chambre sociale a substituée à celle d'élément non
substantiel.
332

1. Pouvoir de direction et liberté du travail
Le pouvoir de direction du chef d'entreprise pose la première limite à la liberté du
travail dès l'entrée en contrat de travail. En effet, la liberté du travail, prise comme liberté de
travailler, de faire quel travail on veut, vient ici au contact de l'employeur, considéré comme
propriétaire ou comme éventuel contractant332• L'intérêt de la liberté du travail, ou si l'on veut
du demandeur d'emploi, c'est d'arriver à la conclusion du contrat de travàil. Mais le contrat
ne sera conclu que si le propriétaire, potentiel employeur, le veut bien. Autrement dit, le choc
entre la liberté du travail et le droit de propriété ou la liberté contractuelle ne se résoudra pas
au profit de la liberté du travail. Le droit n'a pas créé à la charge de l'employeur une
obligation d'embauche. Par la faculté de choix du personnel qui est reconnue à l'employeur
au niveau de l'embauche, premier acte d'exercice du pouvoir de direction, le droit positif situe
bien l'observateur sur la portée de la liberté du travail, au contact du pouvoir de direction.
Certes, le Code du travail français interdit la discrimination à l'embauche333,
interdiction tellement forte qu'elle est accompagnée d'une incrimination pénale33-1. La Cour
de justice des Communauté européennes a même jugé qu' " un employeur viole le principe
d'égalité de traitement énoncé par la directive nO 76/207 CEE du 9 février 1976 s'il refuse de
conclure un contrat de travail avec une candidate qu'il avait jugée apte, lorsque le refus est
fondé sur les éventuelles conséquences dommageables pour lui de l'engagement d'une femme
enceinte, la circonstance qu'aucun candidat de sexe masculin ne se soit présenté étant
indifférente ,,335.
La décision pourrait faire crorre qu'à une certaine condition, notamment lorsque
l'employeur reconnaît le postulant apte, il aurait une obligation d'embaucher. Au fait, le
constat de la reconnaissance par l'employeur de l'aptitude de la femme candidate à l'emploi
visait simplement à démontrer l'existence de la discrimination. La Cour de justice était arrivée
à l'idée qu'à partir du moment où l'employeur avait reconnu l'aptitude de la candidate à
l'embauche, son changement d'attitude ne pouvait s'expliquer que par la discrimination en
332 Il fuudrait sans doute, plus justement, dire que la liberté du travail vient au contact du droit de propriété.
333 V. Article L.-123-1.
334 V. Articles 225-1 et s du Code pénal.
.
335 CJCE, 8 novembre 1990. O. 1992, Somm. 288 obs. Lanquetin.
333

raison de l'état de grossesse, ou plus précisément du sexe. La décision ne semble donc pas
devoir se lire hors du cadre de la preuve de la discrimination.
Aucune remise en cause n'est donc faite de l'idée que l'employeur n'est pas obligé de
recruter tel demandeur d'emploi.
L'affirmation doit toutefois être nuancée, au regard des dispositions sur la priorité de
réembauche. L'article L.321-14 du Code du travail français prévoit que le salarié licencié
pour motif économique ou ayant adhéré à une convention de conversion bénéficie d'une
priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat
s'il manifeste le désir d'user de cette priorité dans un délai de quatre mois à partir de cette
336
date
.
Se trouve ainsi instituée, à la charge de l'employeur, une véritable obligation
d'embaucher son ancien salarié lorsqu'un poste est disponible.
Il ne faut cependant se faire aucune illusion sur la portée pratique de l'obligation. En
337
jouant sur la notion de compétence protèssionnelle
et la relativité qu'elle implique,
l'employeur parvient assez facilement à enlever à la règle l'automaticité qu'elle semble
contenir. De plus, dans les cas les plus habituels, les salariés sont nombreux à vouloir faire
valoir une priorité de réembauche à un même poste. ce qui tinalement laisse à l'employeur
338
une faculté de choix plus ouverte
.
Pendant l'exécution du contrat de travail. la liberté du travail est encore aux prises
avec le pouvoir de direction du chef d·entreprise. Il est évident que ce dernier peut à tout
339
moment décider une transformation d'emploi. Certes, s'il s'agit d'une modification
du
}36 La formule est, à quelques nuances près, celle de l'article 40 al. 3 du code du travail camerounais d'après
lequel le travailleur licencié pour motif économique bénéficie il égalité d'aptitude professionnelle, d'une priorité
d'embauche pendant deux ans dans la même entreprise.
337
La Cour d'appel de Yaoundé précise que "l'aptitude professionnelle ne peut être appréciée que par
J'employeur en vertu de son pouvoir de direction" (nO Ills du 19 octobre 1993, inédit.).
338 II tàut néanmoins signaler au moins un cas où la priorité d'embauche est suffisamment forte. C'est, en France,
l'hypothèse d'un salarié qui après avoir dans certaines conditions résilié son contrat de travail pour élever son
enfant, souhaite retrouver celui-ci. L'article L.122-28 du Code du travail français prévoit que l'employeur est
tenu de le reprendre par priorité si la demande est exprimée dans l'année de la rupture.
Mais la solution procède plus de la protection de l'enfant que du respect de la liberté du travail de son parent. De
plus l'employeur peut toujours jouer sur les questiolls de qualifications.
339 Au Cameroun une modification substantielle.
334

34o
contrat de travail, la proposition doit en être faite au salarié
. La modification ne peut se
réaliser que si ce dernier l'accepte341.
Deux arguments de fait et de droit doivent toutefois conduire à relativiser la portée du
dispositif légal. D'une part, les salariés sont dans une situation tellement précaire qu'en
général ils n'osent pas répondre négativement à une proposition de modification. Le pouvoir
du chef d'entreprise ne rencontre en général donc aucune résistance décisive",
D'autre part, le salarié qui refuse une proposition de modification peut être licencié. Et
ce licenciement n'est fautif que si la proposition de modification n'était pas faite dans l'intérêt
de l'entreprise. Cette solution est expressément prévue par l'article 42 al. 2 du Code du travail
342
camerounais. En France, elle est régulièrement appliquée par lajurisprudence
.
Au fond, la liberté du travail du salarié se joue entre les mains du chef d'entreprise,
soit parce qu'il peut tirer avantage de la fàiblesse économique du salarié pour lui imposer une
modification, soit parce qu'il peut invoquer l'intérêt de l'entreprise, élément dont la
3
jurisprudence se fait parfois fort de préciser que l'employeur est le seuljuge 'B .
En affirmant par ailleurs que le chef d'entreprise est seul juge des mesures les mieux
344
appropriées pour redresser la situation de l'entreprise
, la Cour de cassation française fait
voir l'état aléatoire de la condition des salariés. Et lorsque la Cour d'appel de Douala peut
ajouter qu' " il n'appartient pas à dame E. d'apprécier la situation financière de la société, son
340 V. art. L.321. 1-2 du code du travail français et 42 al. 2 du Code du travail camerounais.
341
Depuis une réforme législative intervenue le 20 décembre 1993 en France, le régime de la preuve de
l'acceptation du salarié dépend du motif de la modification. S'il s'agit d'un motif personnel, l'acceptation ne se
présume pas (Soc. 5 juillet 1973 Bull, V. nO 452). S'il s'agit d'une modification pour motif économique, même
le silence du salarié vaut, à l'expiration du délai d'un mois qui lui est imparti pour sa réponse, acceptation. Dans
le silence des textes, il faut penser qu'au Cameroun le silence du salaire vaut refus de la modification proposée.
En effet, dans les rapports de travail, où on peut aisément imaginer la timidité du salarié face au chef
d'entreprise, il serait désastreux de tirer de mauvaises conséquences du silence du salarié. Et dans la mesure où
on admet que l'acceptation de la proposition de modification entraîne la novation dans les rapports contractuels,
il faut faire appel à l'article 1273 du code civil selon lequel la novation ne se présume point; il faut que la
volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte. Le silence du salarié ne sera jamais suffisamment clair pour
signifier une acceptation. Lorsque la proposition de modification concerne le salaire, on peut faire valoir les
dispositions sur l'acceptation sans protestation ni réserve, par le travailleur, d'un bulletin de paie. Au Cameroun,
comme en France, le législateur dit qu'une telle acceptation ne vaut pas renonciation. Il faut toutefois signaler
que le législateur camerounais exige un écrit du salarié qui refuse un accord contenant des mesures alternatives
au licenciement pour motif économique (art. 40 al. 5 du code du travail).
342 Soc. 16juillet 1987, Dr. soc. 1988, p. 141; 19 octobre 1994. RJS, 12/94 n° 1360.
343 Soc. 30 mai 1980, Bull civ. V nO 473.
344 Soc 4 janvier 1980 Bull. V. nO 6, p. 5.
335

employeur, cette besogne incombant soit au chef d'entreprise responsable de son affaire et
juge des circonstances qui la compromettent, soit aux délégués du personnel ,,345, on peut
penser qu'au Cameroun comme en France, la liberté de travailler est bien suspendue au bon
vouloir du chef d'entreprise346•
On est même parfois troublé par l'idée que les juges se font des pouvoirs du chef
d'entreprise. Le 16 janvier 1995, le Tribunal de grande instance de Yaoûndé347 a rendu un
jugement pour le moins angoissant. Le demandeur est employé dans une station service
d'essence. Mais après plusieurs années de service, ses relations avec son chef d'entreprise se
détériorent. Ce dernier lui propose de quitter son poste de pompiste pour celui de boutiquier
dans la même station. Le salarié refuse. Le chef d'entreprise lui propose ensuite les fonctions
d'adjoint au chef de station: nouveau refus. On peut s'étonner que le salarié refuse tour à tour
deux postes et surtout le second puisqu'il s'agissait d'une promotion.
Pour refuser ces postes, le salarié souligne le fait qu'ils nécessitent tous les deux des
connaissances en comptabilité générale et en gestion. Or, il ne disposait pas de ces
connaissances, pas plus que d'une quelconque expérience acquise sur le tas. Il explique alors
au juge que le chef d'entreprise lui proposait ces postes parce qu'il souhaitait le voir
commettre des erreurs professionnelles. Il en aurait forcément commis
dans la tenue des
comptes puisqu'il n'avait aucune connaissance à ce sujet.
Pour juger légitime le licenciement consécutif à ce double refus, le tribunal se fonde
sur" le pouvoir de gestion du personnel" dont dispose le chef d'entreprise.
On peut faire de longs développements sur l'obligation qu'aurait le chef d'entreprise
d'assurer la réadaptation professionnelle de son personnel, notamment lorsqu'il veut l'utiliser
à des tâches nouvelles. Mais contentons nous ici de relever que le salarié était devant un
véritable dilemme cornélien: refuser la proposition au risque d'être licencié immédiatement;
accepter la proposition au risque de se faire licencier plus tard pour faute. Il a choisi la
première voie parce qu'il espérait pouvoir démontrer le cas échéant que son licenciement est
345 CA de Douala, n° 127/s du 04 février 1994, Aff. EPESSE B Olive, inédit.
346 Le Conseil constitutionnel français a affirmé la liberté, pour l'employeur de choisir ses collaborateurs
(Décision n° 88-244 D.C. du 20 juillet 1988, Dr. soc. 1988, p. 760).
347 TG!, Yaoundé, n° 104/s du 16 janvier 1995 (NYOBA d OUEMBE) inédit.
336

injustifié. Il n'y est pas parvenu parce que le juge n'a pas compris que le chef d'entreprise
avait opéré un véritable détournement de pouvoir.
Au juste, si le juge en est arrivé à cette solution, c'est parce qu'il raisonne plus en
tennes de droit de propriété qu'en tennes de liberté du travail. Et en cela, il est sans doute
bien fidèle à la pensée profonde du législateur.
En effet, si on exclut l'hypothèse du licenciement pour motif économique pour lequel
le législateur camerounais prévoit la consultation des délégués du personnee48, nulle part il
n'est prévu même un avis non obligatoire des salariés ou de leurs représentants pour un acte
de gestion de l'entreprise. La perception de l'entreprise par le législateur camerounais reste
donc foncièrement patrimoniale. On ne s'étonne donc pas que contre les données du
contexte349, le législateur ait institué au profit du chef d'entreprise un droit de lock-out. Le
chef d'entreprise pourrait légitimement fenner les portes de l'entreprise" pour faire pression
sur des travailleurs en grève ou qui menacent de faire grève ,,350. On sait bien ce que ce droit
de lock-out peut coûter à la liberté du travail des salariés non grévistes et même des grévistes
qui souhaitent reprendre le travail, mais ne peuvent le faire parce que l'employeur a décidé de
leur faire payer le prix du risque qu'il ont pris.
Il est assez significatif qu'en France, l'illégitimité du lock-out ait été affirmée moins
pour des raisons d'atteinte à la liberté du travail que pour des raisons de non exécution par
l'employeur de sa prestation contractuelle351 . La force du contrat a paru ici plus valorisante
que la liberté du travail pourtant constitutionnellement reconnue.
348 v. art. 40 du Code du travail.
349 Le contexte camerounais est celui d'une forte inégalité économique entre le salarié et l'employeur, et d'une
quasi inexistence du syndicalisme. L'institutionnalisation du lock-out comme contrepoids du droit de grève
procède donc du refus de considérer l'inégalité des forces en présence. Pour des développements sur la question,
on peut consulter lM. TCHAKOUA, La grève et le lock-out dans le nouveau code du travail camerounais. RJA
1994, p. 83 et s.
350 V. 157 al. 5 du Code du travail camerounais.
351 Soc. 30 octobre 1952. Dr. soc. 1953 p. 31 ; 6 janvier 1984, Jur U1MM 1984 n° 452. L'analyse ici faite est que
l'employeur qui ferme les portes de l'entreprise viole son obligation contractuelle de donner du travail.
337

De même, il faut observer que le chef d'entreprise qui recourt à un lock-out illicite
n'encourt aucune sanction pénale352• La solution montre clairement à quel niveau le
législateur situe la liberté du travail par rapport au pouvoir de direction du chef d'entreprise.
Au demeurant, le chef d'entreprise qui licencie est considéré comme étant dans
l'exercice d'un droit. Ce droit de licencier se révèle plus fort que la liberté du travail des
salariés. Aucun des dispositifs353 imaginés jusqu'ici en faveur des salariés -n'a été en mesure
de changer cette analyse.
On voit bien qu'aussi bien au niveau de l'embauche qu'à celui de l'exécution ou de la
cessation du contrat de travail, la liberté du travail des salariés est littéralement dominée par
les pouvoirs du chef d'entreprise. Et la situation ne semble guère plus satisfaisante s'agissant
de la liberté des salariés dans le travail.
2. Pouvoir de direction et liberté dans le travail
On n'ignore pas que la liberté des salariés peut être pratiquement embrigadée sur les
lieux et pendant l'exécution du travail354. Mais ce n'est pas par ce bout que nous voulons
considérer la question des rapports entre le pouvoir de direction et la liberté dans le travail. La
question nous semble plus intéressante par rapport à l'organisation du temps du salarié. Deux
décisions de justice nous sont apparues assez caractéristiques du désir des chefs d'entreprise
de disposer du temps libre des salariés. La première est une décision du Tribunal de grande
instance de Douala, statuant sur le caractère d'un licenciement prononcé par un chef
d'entreprise qui reprochait à son salarié d'avoir refusé de travailler un jour non ouvrable355 .
Le tribunal juge ce licenciement abusif, l'employeur n'ayant pu démontrer" que ce travail
était absolwnent indispensable pour la survie de l'entreprise". L'employeur devait être
véritablement étonné par cette solution, tant la pratique consistant à utiliser les salariés à
temps et à contretemps est courante au Cameroun.
352 Contrairement à ce qu'on peut penser au premier regard, l'article 168 al. 5 du Code du travail camerounais ne
peut pas permettre de sanctionner l'employeur pour atteinte à la liberté du travail. Le texte est visiblement conçu
pour réprimer les actes commis par des tiers à la relation de travail.
353 Dans ces dispositifs, il faut accorder toute leur importance aux articles L.122-14 du Code du travail français
aux termes duquel le doute sur le bien fondé du licenciement profite au salarié, et 39 al. 3 du code du travail
camerounais qui dispose que dans tous les cas de licenciement, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve
du caractère légitime du motif qu'il allègue.
m La doctrine répugne même à envisager la liberté d'aller et venir dans l'entreprise.
33S

La seconde décision est de la Chambre sociale356 de la Cour de cassation française. Le
salarié s'oppose à son employeur qui l'a sollicité un jour chômé. Il met en avant la violation
de sa liberté de la vie privée. Il ne triomphera pas dans sa prétention: le juge estime qu'il était
informé de ce qu'il serait sollicité plusieurs mois à l'avance.
Peu importent les solutions dégagées dans ces deux décisions; leur intérêt c'est de
montrer que l'enjeu entre le pouvoir de direction et la liberté des salariés- se joue fortement
autour de la maîtrise du temps, plus précisément du calendrier.
Jean SAVATIER357 a fait, il n'y a pas longtemps, le constat du "développement du
temps libre du travailleur". Le constat n'est peut-être pas dénué de fondement; encore faut-il
voir si les travailleurs peuvent bénéficier de ce temps libre sans trop d'aléa:,.
11 y a des signes qui ne trompent pas : beaucoup de salariés au Cameroun n'ont de
souvenir de correspondances adressées au chef d'entreprise depuis leur embauche que des
demandes de congé ou de permission d'absence. L'attente de la réponse de l'employeur est
toujours angoissante, parce qu'on n'est jamais sûr qu'il va répondre favorablement. La
remarque pourrait, dans une certaine mesure, être vraie en France. Il faut en tirer une
conclusion: l'agenda du salarié subit les humeurs du chef d'entreprise.
Le problème se pose avec une gravité particulière au Cameroun, où le législateur n'a
pas fixé une période légale de congé. Les conventions collectives n'ont pas non plus fixé de
période de congé. De sorte que chaque salarié doit tenter de convaincre le chef d'entreprise,
lorsque c'est possible, pour obtenir une mise en congé. Et c'est justement parce que le départ
en congé peut intervenir à n'importe quelle période de l'année que l'employeur peut choisir
de ne pas l'accorder au moment voulu par le salarié.
En France, la loess a fixé W1e période au sein de laquelle les conventions collectives
peuvent arrêter la date du départ en congé. Mais il ne s'agit pas de dates individualisées. Il
appartient à l'employeur, maître de l'organisation de son entreprise, de fixer la date précise du
355 TGI Douala, nO 668 du I3 septembre 1993, inédit.
356 Soc. 27 novembre 1992, D. 1992, 296.
357 1. SA VATIER, La liberté dans le travail, op. cit. p. 52.
358 V. Art. L.223-7.
339

d'entreprise la possibilité de refuser le congé, ou au moins de le différer pour un temps
considérable.
Il est même remarquable qu'à propos des congés pour événements familiaux367, le
législateur français parle d'une "autorisation exceptionnelle d'absence". Il rejoint ainsi
pratiquement
son
homologue
camerounais
qui parle
de
"pennission exceptionnelle
d'absence ,,368. Les expressions utilisées ne sont pas non appropriées; au contraire, elles
traduisent bien l'idée que les salariés sont "normalement ,,369 à la disposition du chef
d'entreprise.
A condition de ne pas en abuser, l'employeur peut imposer aux salariés des heures
supplémentaires. Le refus d'exécuter le travail pendant les heures supplémentaires est
constitutif de faute37o.
Enfin, Il est très significatif que la Cour de cassation ait récemment abandonné la notion
de modification substantielle du contrat de travail. En effet, lorsque les éléments essentiels du
contrat de travail n'ont pas été touchés, la Haute juridiction refuse désonnais le tenne
modification et se situe sur le terrain d'une exécution nonnale du contrat de travail. Le refus
du salarié de se soumettre à la volonté du chef d'entreprise constitue un manquement aux
obligations contractuelles37I, et le cas échéant une faute grave372.
On peut donc conclure que le tableau de la liberté des salariés n'est pas aussi rassurant
qu'on l'aurait souhaité. Il faut peut-être espérer trouver un motif de satisfaction plutôt du côté
de l'égalité.
367 V. Article L.226-1 du Code du travail.
368 V. Art. 89 al. 4.
369 Le mot fuit pendant au mot" exceptionnel" utilisé par le législateur.
370 Soc. 16 octobre 1985. 8uU V. n° 459 ; 19 juin 1987 0.0. 1988, p. 314.
371 Casso Soc. 25 juillet 1992. RJS 92, n° 960.
372 Casso Soc. 18 novembre 1992 RJS 93 n° 5.
34\\

B. Le pouvoir de direction et l'égalité entre salariés
On attendait très peu le pouvoir de direction du chef d'entreprise dans une tension
avec l'égalité entre salariés. Sans doute parce qu'il est assez commode et usuel de n'envisager
dans l'entreprise que la relation verticale entre l'employeur et le salarié. Pourtant l'entreprise
est une" société ". Or, dans la société les rapports entre les divers membres'sont aussi ceux de
comparaison. Au sein de l'entreprise donc, les rapports que le salarié entretient avec son
employeur sont nourris de comparaisons avec un ou plusieurs autres salariés373•
En face de la soif d'égalité des salariés, le chef d'entreprise dresse la liberté374• La
liberté, qui a ici pour instrument le pouvoir de direction, triomphera le plus souvent de la soif
d'égalité des salariés; sans doute parce que l'égalité est en manque de soutien législatif (2).
Au fond, on semble avoir surestimé les efforts de la jurisprudence tendant à dégager un
principe général de non discrimination. Une relecture des arrêts concernés s'impose (1).
1. Le sens et la portée exacts des décisions jurisprudentielles récentes sur l'égalité entre
salariés
Une lecture trop hâtive et optimiste des décisions récentes375 en matière de non
discrimination
peut
conduire
à
affinner
l'existence
d'un
principe
général
de
non
discrimination. Mais lorsqu'on laisse les premières émotions, on découvre qu'en fait on n'a
pas beaucoup avancé. Le pouvoir de direction du chef d'entreprise reste presque aussi
souverain qu'avant. L'observation est vraie en droit camerounais (a) où les solutions dégagées
par les juridictions ont bénéficié d'un appui fortuit des règles sur la preuve de la légitimité du
licenciement. En droit français (b), c'est un examen serré des décisions qui révèle des gennes
d' imrnobilisme.
373 On peut remarquer que même les employeurs ont pris goût à l'exercice de comparaison, puisqu'ils réduisent
les salaires des salariés pour les mettre au même niveau que d'autres dans le même emploi (CA de Douala, n°
236/s du 03 mai 1996 AfCA d Mbouwou (inédit).
J74 V. sur cette question D. LOCHAK, Réflexions sur la notion de discrimination, Dr. soc. 1987, p. 788.
m Voir supra, Première partie, Titre II chap l, section l.
341

iL Les décisions camerounaises sur la non discrimination
Il faudrait sans doute rappeler ici les trois arrêts camerounais précédemment cités, et
ayant déclaré abusifs des licenciements faits visiblement dans l'arbitraire. Le premier arrêt
applique des procédures disciplinaires différentes aux auteurs d'un même fait 376• Dans le
deuxième arrêt, l'employeur affinne avoir perdu confiance au salarié, sans qu'on sache
pourquoi c'est à lui seul, et pas à tous les autres placés dans la même situation, que
l'employeur a perdu confiance. Dans le troisième arrêt, l'employeur recourt à la réduction de
salaire comme mesure alternative au licenciement pour motif économique. Mais la réduction
n'est pas uniforme pour tous les salariés.
Lorsqu'on scrute de près ces arrêts en considérant le rôle joué par l'article 39 al. 3 du
Code du travail camerounais, on est forcément moins enthousiaste sur la portée des solutions
dégagées par les juges. En effet, l'article 39 al. 3 du Code du travail dispose que dans tous les
cas de licenciement il appartient à l'employeur de rapporter la preuve du caractère légitime du
motif qu'il allègue. Dans les trois aflàires, les employeurs avaient invoqué respectivement la
faute, la perte de confiance et le refus d'accepter la modification. Mais il n'ont pas pu
convaincre les juges de la légitimité de ces motifs. Plus précisément, et parce que les salariés
concernés avaient allégué la discrimination, les employeurs n'avaient pas pu rapporter la
preuve négative de l'absence de discrimination. La tâche des employeurs était doublement
difficile : non seulement ils avaient la charge de la preuve, mais aussi il s'agissait d'une
preuve négative, jamais facile à rapporter377.
La présomption d'illégitimité du licenciement prévue à l'article 39 al. 3 du code du
travail réduit donc singulièrement la portée des solutions ci-dessus présentées. A preuve, il
n'est pas aisé de les transposer à un autre acte de l'employeur, par exemple la rétrogradation
d'un salarié ou la promotion. En effet, l'employeur n'ayant pas à prouver la légitimité de la
mesure prise, il reviendra au salarié qui la conteste d'établir qu'elle est discriminatoire. La
difficulté sera, pour le salarié, de concilier ses arguments sur la démonstration de la
discrimination avec la faculté de choisir qui est inhérente aux pouvoirs de chef d' entreprise378.
En fait, il lui reviendra de démontrer que la distinction opérée par l'employeur est illégitime,
376 CA de Yaoundé, n° 19 Ils du 15 juin 1993 op. cil.
377 Sur la preuve d'un fait négatif, voir 1. L. LARGUIER, RTDC 1953, p. 1.
378 V. J-E. RA Y, L'égalité et la décision patronale. Dr. soc. 1980, p. 83.
343

c'est à dire en vérité qu'elle est fondée sur un motif interdit379• Or, l'hypothèse d'existence
d'un principe général de non discrimination ne peut se vérifier que si la conduite attentatoire
peut être repérée et sanctionnée même en l'absence d'une disposition précise l'interdisant.
Quoi qu'il en soit, la Cour suprême, juge du droit, s'est montrée plus réservée face aux
prétentions d'un salarié qui s'estimait victime de discrimination. Ce salarié, comme bien
d'autres de l'entreprise, avait été licencié pour cessation d'activités. Devant les juridictions il
soutenait que son licenciement était abusif, parce qu'après la prétendue cessation d'activités,
un de ses collègues avait continué à travailler de surcroît au poste précédemment occupé par
le demandeur. Celui-ci ne s'expliquait pas comment on pouvait le licencier et mettre à son
poste un autre salarié qui n'y était pas habituellement occupé. Pour refuser d'affronter le
problème de discrimination qui était implicitement posé, la Haute juridiction s'est réfugiée
derrière la motivation des juges du fond, selon laquelle le travailleur préféré avait été
maintenu temporairement en poste aux :fins d'assurer la liquidation des dernières opérations
courantes de manutention et de réception de courrier380. L'argumentation du demandeur au
pourvoi est restée, à vrai dire, sans réponse. Il s'agissait de dire si en préférant son collègue
pour les opération résiduelles de manutention et de réception du courrier l'employeur avait
pratiqué la discrimination au détriment du demandeur au pourvoi.
Visiblement, la Haute juridiction n'aurait pas été gênée par une solution contraire prise
par les juges du fond qui avaient à juger de la légitimité du licenciement. Mais ceux-ci avaient
décidé que le licenciement était légitime. De quel argument disposait la Cour suprême pour
censurer la décision si elle lui paraissait contestable? Elle ne pouvait le faire que si elle
disposait d'un argument de droit. Or, aucun texte n'imposait à l'employeur une égalité de
traitement des salariés. Le juge suprême pouvait peut-être chercher à dégager un principe
général du droit et l'appliquer à l'espèce. Mais une telle hardiesse n'est pas facile, en raison
des implications qu'elle peut avoir sur l'ensemble du droit du travail. Que serait-il resté du
pouvoir de direction du chef d'entreprise si la Cour suprême avait dégagé un principe général
d'égalité de traitement entre salariés? Là était l'enjeu.
379 La difficulté est naturellement de prouver que le motif est interdit.

b. Les décisions françaises sur la non discrimination
Un regard rétrospectif sur la jurisprudence française pennet de se faire une idée du
profond ancrage du pouvoir de direction du chef d'entreprise en face de la soif d'égalité des
salariés. En effet, lorsqu'on remonte très loin dans le passé, on trouve suffisamment de
décisions de justice qui ne trouvent aucun inconvénient à ce que le chef d'entreprise ait plus
ou moins d'égard pour tel ou tel salarié. La colère ou les largesses du chef d'entreprise
peuvent être inégalement réparties si aucun texte ne s'y oppose381 . Une étude de la
jurisprudence entre 1960 et 1980 a permis d'affinner que la seule constatation des différences
dans les sanctions infligées à des salariés coupables d'une même faute n'a jamais été jugée
discriminatoire en elle-même382. La Chambre sociale a aussi jugé que" l'employeur est libre,
dans l'exercice de son pouvoir de direction ... de décider pour chaque salarié des
augmentations de rémunération ,,383. Et dans la mesure où ces augmentations sont décidées à
partir de l'idée que le chef d'entreprise se fait de la valeur du salarié concerné, il est utile de
rappeler cette jurisprudence de la Chambre sociale qui interdit aux juges du tond de "se
substituer à l'employeur pour apprécier la compétence et l'aptitude de l'agent ,,384.
D'une VolX plus autoritaire, le Conseil constitutionnel a affirmé la liberté, pour
l'employeur, de choisir ses collaborateurs385 . On s'en doute bien, cette liberté implique celle
d'organiser les mobilités ascendante et descendante du personnel.
Ce rappel de quelques éléments de la jurisprudence montre bien que l'affirmation des
pouvoirs du chef d'entreprise condamne la consécration d'un principe général d'égalité. En
doctrine, une seconde condamnation a été prononcée à partir de l'institution du contrat de
380 CS. arrêt n° 99/s du 21 juillet 1994, (Affaire NMlRA A BEB d SIEMI).
381 On pourrait même se demander pourquoi l'employeur, qui n'a pas pour mission d'assurer l'égalité entre les
salariés, aurait le souci de leur appliquer les mêmes décisions. Déjà, le législateur, qui a la mission d'assurer
l'égalité des citoyens devant la loi, semble créer plutôt des inégalités dans l'applicabilité de la loi en droit du
travail. Les différents seuils prévus par la loi pour l'application des dispositions du Code du travail ne vont pas
dans le sens de la stricte égalité devant la loi. Au contraire, ils stratifient la masse des salariés.
382 J. PELISSIER, Le détournement par l'employeur de son pouvoir disciplinaire, Mélanges dédiés à Jean
VINCENT, Dalloz, 1981, p. 273.
383 Soc. 9 juillet 1985. Juris-social, 1985, F.89.
384 Soc. 19 novembre 1987.0.0.1989, p. 27; 9 février 1989, lS. 1989, p. 143.
385 Décision n° 88-244 du 20 juillet 1988. Dr. soc.. 1988. P. 760.

travail, plus précisément de la liberté contractuelle386• On se trouverait ici dans un espace où
la liberté chasse l'égalité387•
C'est en rapport avec cet ensemble bien cohérent qu'il faut lire les arrêts CELIK388,
DOS SANTOS389 et PONSllLLE39o de la Cour de cassation française. Nous ne reviendrons
pas ici sur les réserves qu'une partie de la doctrine a émises sur la portée des arrêts CELIK et
DOS SANTOS391 • En revanche, l'arrêt PONSDLLE intéresse parce que-la Chambre sociale
semble y répondre aux arguments de la doctrine sur l'absence de texte imposant l'égalité de
rémunération392 : "la règle de l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, dit
elle, est une application de la règle plus générale "à travail égal, salaire égal" énoncée par les
articles L.133-S-4 et L.136-2-S du Code du travail. Il s'en déduit que l'employeur est tenu
d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant
que les salariés en cause sont placés dans une situation identique ".
Même dans ces conditions, il faut rester assez réservé sur l'avancée qui résulterait des
termes de la décision.
Tout d'abord, il faut observer que cet arrêt est intervenu en matière de rémunération et
semble ne pouvoir pas se lire hors de ce cadre: la Chambre sociale fonde en effet sa solution
sur les articles L.133-S-4 et L.136-2-S du Code du travail qui parlent tous cl'égalité de
rémunération.
Ensuite, même dans ce domaine, la solution dégagée doit être prise avec beaucoup de
précaution. On a souligné qu'elle ne condamne pas toute distinction: elle l'institue en latitude
seconde, exigeant, donc, une justification393 • La remarque se justifie, lorsqu'on considère le
386 V. P. RONGERE, A la recherche de [a discrimination introuvable: l'extension de l'exigence d'égalité entre
salariés. Dr. soc. 1990, 102.
387 Ibid.
388 Soc_ 10 décembre 1987. Dr. soc. 1990. P. 106. (A propos de l'égalité de rémunération entre les salariés
effectuant le même travail et respectant les mêmes conditions de qualité et de quantité de production).
389 Soc. 1er décembre 1988. Dr. soc. 1990, p. 107 (A propos de la différence de traitement entre les auteurs d'une
même taute).
"90
)
Soc. 20 octobre 1996. Dr. soc. 1996, p. 1014, note A. LYON-CAEN.
391 A l'opposé de certains auteurs, P. RONGERE n'a vu dans les arrêts CELIK et DOS SANTOS que le rappel à
l'employeur de l'obligation d'égale application d'une norme qu'il s'est donnée à lui-même (V. A la recherche de
la discrimination introuvable, op. cil. p_ 100.)
392 Voir, pour cette argumentation sur l'absence de texte imposant une égalité généralisée, P. RONGERE, op. cil.
p. 101.
393 A. LYON-CAEN, note op. cil. p. 1014.
346

dernier attendu de l'arrêt: "attendu qu'ayant relevé que la salariée accomplissait avec un
coefficient salarial identique et une qualification supérieure, le même travail qu'une salariée et
percevait une rémunération moindre, et que l'employeur se bornait, pour justifier cette
situation, à alléguer la différence d'ancienneté entre les salariés, le Conseil de prud'hommes,
qui a constaté que l'ancienneté respective des salariées était prise en compte par une prime
d'ancienneté distincte du salaire de base, a légalement justifié sa décision ".
Au fond, l'arrêt de la Chambre sociale apporte un changement au niveau de la preuve.
Il appartiendra au chef d'entreprise d'apporter les justifications des différences opérées394•
Il est sûr qu'en l'absence de critères très rigoureux d'appréciation des compétences
professionnelles, l'employeur va jouer sur ce tableau pour justifier les différences. S'il existe
des critères rigoureux que l'employeur ne peut manipuler pour l'appréciation de la
compétence professionnelle, il voudra exploiter l'état du marché de l'embauche, et plus
précisément les négociations contractuelles qui sont toujours particulières aux rapports avec
chaque salarié.
Il faut bien se rendre compte que dans l'arrêt de la Chambre sociale ci-dessus,
l'employeur s'est exposé à la critique en invoquant l'ancienneté d'une des salariées alors que
l'ancienneté était déjà prise en compte par une prime. La solution aurait-elle été la même si
l'employeur avait invoqué les négociations contractuelles qui auraient conduit aux résultats
différents pour l'une et l'autre salariées? On peut en douter, même si la Cour parle de
" situation" identique. Le mot évoque un ensemble de conditions objectives. Mais la
détermination des éléments pouvant entrer dans un tel ensemble peut conduire très loin.
En définitive, il n'est pas très sûr qu'on soit complètement sorti de l'analyse qui
repousse l'idée d'un principe général de non discrimination à partir de la liberté contractuelle.
Il a en effet été démontré qu'en matière de salaire, de classification professionnelle ou de tout
élément contractuel des rapports de travail, le jeu du contrat, sa place dans l'ordre public
social suffisent à fonder en droit des différences entre salariés395 . La liberté contractuelle
permet à l'employeur de proposer une situation particulière à tel ou tel, la seule précaution à
prendre, lorsqu'on aborde un sujet sur lequel existent des règles générales applicables à
394 Voir aussi. Ibid.
347

l'entreprise, étant que le contrat améliore la situation du salarié396• L'effet relatif des contrats
interdira à tel autre de réclamer un chiffre de salaire identique s'il ne se fonde pas sur une
règle obligatoire ou un engagement spécialement pris envers lui397.
L'avenir dira si les articles L.133-5-4 et L.136-S du Code du travail français sont
suffisamment forts pour s'imposer devant la liberté contractuelle et l'effet relatif du contrat. A
ce sujet la solution du conflit des normes par le recours à la distinction norme générale et
norme spéciale pourra céder, parce que sa mise en œuvre sera très difficile ici398• Bien plus, la
pratique pourra bien imaginer des solutions de contournement d'un hypothétique principe
général d'égalité, tant est ancrée dans les esprits l'idée de la souveraineté du pouvoir de
direction du chef d'entreprise.
L'autre point d'achoppement entre le pouvoir de direction du chef d'entreprise et
l'égalité des salariés, c'est les sanctions disciplinaires. Les lendemains de l'arrêt DOS
SANTOS précité ont confiné à l'analyse qu'il n'existe pas de principe général d'égalité des
sanctions pour les auteurs d'une même faute399. Au contraire, et empruntant au droit pénal le
principe de la personnalisation des peines, on a soutenu qu'il faut permettre à l'employeur,
dans l'intérêt de l'entreprise, d'adapter la sanction disciplinaire à la personnalité des
salariés400.
Ces arguments ont convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation française qui
a jugé que " s'il est interdit à l'employeur à peine de nullité de la mesure, de pratiquer une
discrimination, au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail, il lui est permis, dans
l'exercice de son pouvoir d'individualisation des mesures disciplinaires et dans l'intérêt de
l'entreprise, de sanctionner différemment des salariés qui ont participé à une même faute ,,-tG \\.
395 P. RONGERE, op. cit. p. 100.
396 L'égalité se réduit alors à un statut minimum commun.
397 Ibid.
398 On peut avoir la prétention de repousser la liberté contractuelle ou l'effet relatif des contrats au motif qu'il
s'agit de règles générales devant céder devant les articles L.133-5-4 et L.136-S du Code du travail. Plus
avantageusement, ce qu'on voudra repousser c'est l'effet relatifdes contrats. Au bout du compte, on arriverait à
une solution qui réalise un nivelage par le haut, en alignant tous les salaires sur celui du salarié le mieux
rémunéré dans les mêmes conditions. Ce qu'on risque à terme, c'est de voir les chefS d'entreprise abandonner la
voie des négociations salariales individuelles
399 P. WAQUET, Rapport dans les affaires. Lerch et autres et Schlienger. Dr. soc. 1991, p. 620.
400 bOd
1 1 • p. 621.
401 Soc. 15 mai 1991 (2 arrêts). Lerch et autres dSA. Services rapides Ducros et Schlienger d
SA Edouard
Dufors. Dr. soc. 1991, p. 624.

Au fait, il n'est pas nécessaire que le chef d'entreprise soit spécialement habile pour
montrer qu'une différence de traitement a été faite dans l'intérêt de l'entreprise. La tâche lui
sera d'autant plus facile que cet intérêt est présumë02• Il faudrait donc dire en définitive qu'il
peut, presque toujours, appliquer une sanction différente aux auteurs d'une même faute.
La focalisation des débats autour des questions de rémunération et 'de sanction ne doit
pas faire croire qu'il s'agit là des seuls points où le chef d'entreprise peut faire des
différenciations choquantes.
La
vie
en entreprise montre
la multiplicité
de
points
insoupçonnés où les salariés peuvent se sentir malheureux à cause d'une différence de
traitement: la répartition du travail, l'affectation des bureaux, l'équipement des bureaux, la
fourniture des moyens de travail voire le sourire patronal inégalement réparti. Mais dans
certains de ces cas, les salariés trouvent le slogan "tout le monde ou personne" un peu
déraisonnable, ou pas assez fort pour soutenir une contestation judiciaire. A vrai dire, et ainsi
que l'a montré l'examen des décisions tant camerounaises que françaises ci-dessus, la soif
d'égalité des salariés est en manque d'un bon soutien textuel.
2. La soifd'égalité des salariés en manque d'un soutien textuelfort
Une équivoque doit être levée d'entrée de jeu: il ne s'agit pas de denier pertinence
aux textes qui sanctionnent la discrimination. Ces très nombreuses dispositions constituent
des acquis pour la recherche de l'égalité entre salariés. Mais, déjà, le grand nombre et surtout
la diversité de ces dispositions sont un facteur de trouble. Il n'est que d'observer que les
motifs de discrimination ne sont pas traités de la même façon par le législateur français403 •
De plus, reste entière la question des différenciations sur la base des motifs non
énoncés par le législateur comme motifs de non discrimination. Faut-il alors se fonder sur le
sentiment d'" arbitraire ,,404 pour sanctionner de telles différences de traitement ou faut-il
" démissionner" et se réfugier derrière l'absence de texte malgré le sentiment d'injustice qui
se dégage des différenciations arbitraires?
402 Notons toutefois que si la sanction est un licenciement, au Cameroun, l'employeur a la charge de la preuve de
son caractère légitime (art. 39 al. 3 du code).
;: v. également. A. LYON-CAEN, L'égalité et la loi cn droit du travail, Dr. soc. 1990, p. 74.
Le mot est emprunté à Daniel LOCHAK, op, cil. p, 781.
349

Sans doute est-il important de voir si Wle solution ne peut pas être trouvée hors du
Code du travail. Mais la recherche sera relativement décevante. Tout d'aoord, en droit
international, les nombreux textes sur la non discrimination ont une structure analogue à celle
des textes du droit interne du travail; ils énoncent d'une part les motifs de distinction
prohibés, d'autre part les domaines dans lesquels la prohibition joue405• Par exemple, si la
Déclaration universelle des droits de l'homme4o6 pose le principe de l'égalité de tous les êtres
humains, elle le fait suivre d'une longue énumération de motifs de non discrimination407.
C'est aussi, à quelques nuances de rédaction près, le style de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales408, et du Pacte international
409
relatif aux droits civils et politiques

D'autres textes ont un champ d'application moins étendu; soit qu'ils énoncent un
principe de non-discrimination général pour les catégories visées mais spécifique quant au
domaine couvert41O, soit qu'à l'inverse ils visent à protéger spécialement une catégorie de
. d
1 d
.
411
personnes malS ans tous es omailles
.
Une dernière catégorie de textes est plus restrictive encore. Entrent dans cette
catégorie l'article 119 du Traité de Rome sur le principe de l'égalité salariale entre hommes et
femmes ainsi que les directives européennes nO 75-117 du 10 février 1975 relative à
l'application du principe de l'égalité de rémunération entre les travailleurs masculins et les
travailleurs féminins et na 76-207 du 9 février 1976 sur l'égalité de traitement entre les
hommes et les femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion
professionnelle et les conditions de travail.
La Convention n° 111 de l'OIT, le seul texte international qui considère la
discrimination dans le domaine du travail prise dans sa généralité, est symptomatique de
l'échec du recours au droit international pour la solution aux problèmes de l'inégalité au
405 V. O. LOCHAK, op. cil. p. 780.
4O<i Le recours à cette référence n'est pas une prise de position sur la valeur juridique du texte.
407 V. Art. 1 et 2.
408 V. Art. 14.
409 Sans doute faut-il aussi souligner qu'en employant le terme" notamment" les textes laissent place à une
interprétation large. Mais il est peut-être juste de penser qu'employée dans un texte international, le mot
" notamment" indique simplement aux Etats que la liste dressée peut être complétée par ces Etats.
410 V. convention de l'OIT sur la discrimination en matière d'emploi et de profession. (nO Ill).
350

travail. Elle procède à une longue énumération, même si elle laisse voir clairement la gêne
412
qu'elle a de ne pouvoir continuer ou limiter l'énumération

Sur le plan interne français, le préambule de la Constitution de 1946 doit être cité au
rang des textes qui procèdent par énumération. L'article premier de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen qui pose l'égalité en droits des hommes n'a pas semblé
suffisamment fort pour pénétrer dans l'entreprise. Visiblement, on a préféré donner plus
d'importance à la réserve de l'utilité sociale qu'il forrnule413.
Finalement, le préambule de la Constitution de 1958 n'a pas eu tort de présenter
l'égalité comme un "idéal". Elle est un idéal dans la société politique; elle est un idéal
également dans l'entreprise, où la liberté d'action du chef d'entreprise occupe l'espace laissé
par les textes qui instituent quelques motifs de non discrimination, et désignent les actes pour
lesquels ces motifs sont irrecevables. Au fond, et jusqu'ici, chaque texte sur la non
discrimination se trace ses propres limites, de sorte que l'accumulation des textes épars sur la
non discrimination au travail ne constitue que des ponctions successives sur le domaine de la
liberté de gestion du chef d'entreprise. Pour présenter autrement la question, on pourrait dire
que dans les rapports de travail, le principe est la liberté de gestion du personnel, l'obligation
d'assurer l'égalité entre salariés n'étant que l'exception. La jurisprudence souligne assez le
lien entre certaines des solutions dégagées et l'intérêt de l'entreprise.
SECTION
II
L'INTERET
DE
L'ENTREPRISE
COMME
LIMITE
A
L'EXPRESSION DES DROITS FONDAMENTAUX
Sous un angle directement favorable aLLX salariés, l'intérêt de l'entreprise peut être
présenté comme la référence à l'aune de laquelle est appréciée la légitimité des actes du chef
414
d'entreprise
• Mais cette notion n'opère pas à sens unique; elle est aussi la référence qui
411 Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
m Après l'énumération des motifs de distinction interdits, la convention nO III laisse aux Etats membres de
l'OIT la faculté de compléter la liste par d'autres motifs de discrimination s'ils le jugent utile.
413 Article premier de la Déclaration: "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les
distinctions ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune"
414 La Cour de cassation affirme par exemple que le pouvoir disciplinaire est exercé par ['employeur dans
l'intérêt du bon fonctionnement de l'entreprise (Soc. 6 novembre 1959 JCP 1960 II, 11477). L'affirmation

justifie les limites apportées aux droits et libertés des salariés. Investi de cette double mission,
l'intérêt de l'entreprise ne pouvait qu'être au cœur des préoccupations de ceux qui forgent le
droit du travail415• Au lendemain de l'adoption du nouveau Code du travail camerounais, on a
présenté l'intérêt de l'entreprise comme l' "épicentre" de la réforme, l'espoir d'un équilibre
416
entre les intérêts antagonistes en droit du travail

Pourtant, c'est seulement en 1992, et pratiquement sur la pointe' des pieds, que la
notion d'intérêt de l'entreprise entre dans le Code du travail camerounais. Le législateur
l'utilise une seule fois, à propos de la modification du contrat de travail417• En France, la
notion n'est toujours pas inscrite dans la loi. Mais elle éclaire un certain nombre de
dispositions418.
L'attention doit être attirée sur cet "acteur" du droit du travail qui opère sans vouloir
trop s'afficher. Bien entendu, nous voudrions nous limiter ici aux seuls modes et moyens par
lesquels l'intérêt de l'entreprise apporte des limites aux droits et libertés des salariés. Mais
comment passer sous silence l'épais nuage qui enveloppe la notion? On ne s'accorde même
pas sur sa fonction véritable en droit du travail.
Et du moment où l'intérêt de l'entreprise peut justifier des limites aux droits et
libertés, il faut au moins se demander qui en est le juge. En effet, l'étendue et l'intensité des
atteintes peuvent dépendre de qui apprécie. Aussi, nous compléterons la présentation des
modes et moyens juridiques des limitations (PARAGRAPHE 1) par une interrogation sur
l'appréciation de l'intérêt de l'entreprise (PARAGRAPHE II).
postule la possibilité d'invalider les sanctions qui s'écartent de cette référence. En ce qui concerne le pouvoir de
direction, la cour a par exemple jugé qu'une mutation qui n'est pas décidée dans l'intérêt de l'entreprise est
susceptible de constituer un détournement de pouvoir (Soc. 9 mai 1990. Bull. civ. V. n° 210, 127.)
415 B. TEYSSIE , Remarques sur le droit du travail, Mélanges offerts à André COLOMER, Litec 1993, p. 496.
416 P.G. POUGOUE, Le petit séisme du 14 août 1992, RJA, 1994, p. 9.
417 Article 42, alinéa 2 (a) du Code du travail" si une proposition de modification substantielle émanant de
l'employeur est refusée par le salarié, le licenciement qui peut en résulter n'est abusif que si la modification
proposée n'était pas justifiée par l'intérêt de ['entreprise"
418 B. TEYSSIE, Ibid.
352

PARAGRAPHE l : LES MOYENS DE LUvfITATION DES DROITS fONDAMENTAUX
PAR L'INTERET DE L'ENTREPRISE
Si l'intérêt de l'entreprise est, comme on l'a dit, dans la bonne marche de l'entreprise
ou, en cas de difficulté, le sauvetage de celle-ci419, il ne fait pas de doute qu'il se trouve à des
420
degrés divers dans beaucoup de dispositions du Code du travail
ou dans des décisions
rendues par les juges421 • L'intérêt de l'entreprise est, en vérité, à tous les points de tension
entre les intérêts antagonistes en œuvre en droit du travail, où il sert de principe de solution.
Son jeu sera tantôt favorable, tantôt défavorable à l'exercice de leurs droits et libertés par les
salariés. Parfois il n'impose que quelques légères restrictions à ces droits et libertés. Mais il
est des moments où l'intérêt de l'entreprise commande des solutions plus graves pour le
salarié, par exemple le licenciement.
Quoi qu'il en soit, on peut remarquer que l'intérêt de l'entreprise joue à deux niveaux.
Tantôt le législateur le désigne aux acteurs du droit comme principe de solution; et le procédé
n'atteindra son objectif que si ces acteurs en ont une appréciation juste. Tantôt le législateur
lui-même tire directement toutes les conséquences qu'il souhaite donner à l'intérêt de
l'entreprise. Ici l'intérêt de l'entreprise déploie ses effets en amont, au niveau de la politique
législative (B), alors que dans le premier cas, il déploie ses effets dans le droit positif, par des
techniques et concepts juridiques (A).
419 P.G. POUGOUE, le petit séisme, op. cit. 13.
420
A titre d'exemple, on peut voir l'expression de l'intérêt de ('entreprise dans les dispositions sur le
licenciement pour motif économique et sur la modification du contrat de travail.
421 G. LYON-CAEN a démontré que l'intérêt de l'entreprise est le principe qui guide les juges dans la solution
des conflits collectifs (Les principes généraux du droit du travail, Mélanges CAMERLYNCK, 1977,42).
353

d'appliquer la même sanction aux deux protagonistes s'il estime de l'intérêt de l'entreprise de
.
d 1
Il bo
.
d l'
d'
,,422
ne pas se pnver e a co a
ratIOn e un
eux
.
Dans la seconde affaire, les faits sont plus complexes, mais la solution très simple. Des
actes illicites sont commis par des salariés à l'occasion d'une grève. Le chef d'entreprise
applique trois solutions différentes aux salariés: certains ne sont pas sanctionnés; d'autres
sont sanctionnés par des avertissements ou des mises à pied; un troisième groupe est licencié.
Ce troisième groupe saisit les juridictions pour discrimination. Suivant le rapport du conseiller
WAQUET et les conclusions de l'avocat général FRANCK, la Chambre sociale juge que
"s'il est interdit à l'employeur, à peine de nullité de la mesure, de pratiquer une
discrimination au sens de l'article L.122-45 du Code du travail, il lui est permis, dans
l'exercice de son pouvoir d'individualisation des mesures disciplinaires et dans l'intérêt de
l'entreprise, de sanctionner différemment des salariés qui ont participé à une même faute ,,,m.
Le recours cumulatif à l'intérêt de l'entreprise et à la personnalisation de la sanction
peut relativiser la force de la première référence. Mais, il faut dire que la Cour ne recourt pas
à la seconde argumentation parce que la première est insuffisante. En effet, dans le premier
arrêt suscité, l'intérêt de l'entreprise était l'unique référence qui justifiait la limitation à
l'exigence d'égalité.
b. Liberté des salariés et intérêt de l'entreprise
Le recensement des cas où l'intérêt de l'entreprise justifie une limitation des libertés
des salariés serait fastidieux. On se contentera d'évoquer ici les cas les plus réguliers. Deux
matières sont particulièrement concernées: la modification des contrats de travail et les
clauses de non concurrence424 .
422 Soc. 16 décembre 1986. Bull. n° 489, p. 590.
423 Soc. 15 mai 1991. Dr. soc. 199 l, p. 624 (deux arrêts).
424 Mais ~ous n'e;<aminerons pas ici la modification des contrats de travail, parce qu'elle est étudiée plus loin à
un autre tItre. VOIr, paragraphe II suivant.
355

L'article 31 du Code du travail camerounais traite des clauses de non concurrence sans
faire référence à l'intérêt de l'entreprise425. Mais à la lecture du texte, on comprend aisément
426
que les clauses de non concurrence visent la croissance et donc l'intérêt de l'entreprise
.
La jurisprudence française établit clairement le rapport entre l'intérêt de l'entreprise et
la clause de non concurrence en faisant du premier un des critères de validité de la seconde427•
La souplesse avec laquelle la Cour de cassation française accueille les clauses de non
concurrence est remarquable. En 1988, elle a censuré une Cour d'appel qui avait déclaré
illicite une clause de non concurrence au motif que la qualification professionnelle du salarié
ne relevait pas d'une spécialité poussée ou particulière et que l'employeur n'était pas
susceptible de subir un préjudice au cas où le salarié viendrait à exercer ses activités dans une
autre entreprise. La Haute juridiction a estimé que les juges du fond ne pouvaient ainsi
substituer leur appréciation de l'utilité pour l'entreprise d'une clause de non concurrence à la
force obligatoire de la convention des parties428 .
Au fait, ce refus de prendre en considération la qualification du salarié concerné par la
clause a pour conséquence de pennettre le développement de ces clauses même, et surtout,
dans les contrats des salariés sans grande qualification. Ces salariés sont en effet les moins
préparés à résister à la volonté du chef d'entreprise de limiter leur liberté de travail par une
clause de non-concurrence. On comprend que ces clauses se retrouvent même dans le contrat
d'un garçon de café-+29.
425 Cette absence de référence à l'intérêt de l'entreprise peut s'expliquer par le fait que cet article 31 est la reprise
tel quel de l'article 36 de l'ancien code, qui ne contenait aucune référence à l'intérêt de l'entreprise. Le concept
opère déjà, mais à visage couvert Cette rédaction du texte semble avoir rendu satisfuction. A titre comparatif; le
seul article du code qui parle de l'intérêt de l'entreprise, l'article 42, est nouveau.
~26 Le texte dispose: "(I) Le travailleur doit toute son activité professionnelle à l'entreprise sauf dérogation
stipulée au contrat. Toutefois, il lui est loisible, sauf convention contraire, d'exercer en dehors de son temps de
travail toute activité à caractère professionnel non susceptible de concurrencer l'entreprise où de nuire à la bonne
marche des services convenus.
Toutefois, il peut être stipulé d'accord parties que le travailleur ne pourra, en cas de rupture du contrat, exercer,
pour son compte ou celui d'autrui, une activité de nature à concurrencer son employeur dans les deLL'< cas ci-
après:
si la rupture du contrat est survenue de son fait lorsque son employeur avait assumé les frais de son déplacement
du lieu de résidence au lieu de l'emploi
si la rupture du contrat est consécutive à une fuute lourde de son fuit..
Cette interdiction ne peut toutefois s'appliquer que dans un rayon de cinquante (50) kilomètres autour du lieu de
travail; sa durée ne peut excéder un (1) an ".
427 Soc. 14 mai 1992, RJS, 1992, nO 735.
428 Soc. 13 octobre 1988, o. 1989, 122 note V. Serra.
429 Soc l''mars 1995. RJS, 1995,257, nO 377.

La Cour de cassation française a ouvert d'autres vannes à l'avancée des clauses de
non-concurrence en jugeant que leur validité n'est pas subordonnée à l'octroi au salarié d'une
compensation pécuniaire,
qu'elle consiste en une indemnité compensatrice versée à
430
l'expiration du contrat ou en une majoration du salaire au cours de l'exécution du contrat
.
La clause de non-concurrence pourrait même être insérée dans une transaction, peu importe
alors qu'elle soit différente, dans certaines de ses modalités, de l'obligation de non
concurrence insérée au contrat initial43 1• Mais il semble que dans ce dernier cas, il faille
vérifier l'existence d'une contrepartie pour conférer validité à la clause. Ce ne serait que
432
l'application des dispositions sur la transaction
.
Il peut être vraiment troublant pour les salariés ainsi menacés dans leur liberté de
travail que la clause puisse être consentie non pas par eux personnellement, mais prévue dans
433
une convention collective
. La gêne se situe ici à deux niveaux: d'une part, le salarié se
trouve soumis à une clause que sans doute il n'aurait personnellement pas acceptée; d'autre
part il n'a guère assez de chance de démontrer que la clause n'est pas justifiée par l'intérêt de
l'entreprise. En effet, par principe, on attache beaucoup plus de respect à une norme arrêtée à
434
un niveau supérieur
.
Si les clauses de non concurrence sont ainsi arrêtées depuis les conventions
collectives, c'est justement parce que l'intérêt qu'elles représentent pour l'entreprise va un
peu de soi. Il va aussi de soi que l'intérêt de l'entreprise peut n'agir qu'à travers d'autre
concepts.
430 S
9
oc.
octobre 1985, D. 1986,420, note Y. Serra.
431 Soc. 5 janvier 1994 D. 1995, p. 586 ; 20 juin 1995, RJS, 10/95, nO 10 18.
431 V. Article 2044 Cc.
433 Pour cette possibilité, V. C.
PIZZIO-DELAPORTE, La clause de non concurrence: jurisprudence récente.
Dr. soc., 1996, p . 145.
434 Pourtant, considérée avec attention, la technique est très contestable. En effet, dans les rapports entre les
sources du droit du travail, il n'est pas juste que la source conventionnelle se substitue au contrat individuel dans
un sens moi.ns favorable au salarié. L'esprit des dispositions sur les clauses de non-concurrence semble indiquer
que celles-CI ne peuvent être consenties que dans le contrat individuel de travail. Le Code du travail camerounais
en traite en tout cas dans le chapitre consacré au contrat individuel de travail.
357

12. L'intérêt de l'entreprise en œuvre à travers d'autres concepts
Au Cameroun, comme en France, la jurisprudence a sensiblement rétréci la possibilité
435
IPour le chef d'entreprise de licencier légitimement le salarié pour perte de confiance
• Elle
n'a pourtant pu aller jusqu'à dire que la perte de confiance ne peut pas être un motif valable de
licenciement. On peut rapprocher de ce cas ceux des salariés, de plus en plus nombreux, qui
sont licenciés en raison d'une mésentente avec le chef d'entreprise, ou même avec un
collègue.
Par . ailleurs, certains comportements qUI ressortissent nonnalement à la sphère
d'autonomie du salarié deviennent inacceptables lorsqu'ils ont causé un trouble dans
l'entreprise. On cite très souvent le cas de l'aide-comptable de Nancy venue au travail avec
" un chemisier transparent, sur une poitrine nue ... Loin de cacher quoi que ce soit, cette étoffe
transparente ne faisait qu'accentuer le caractère accrocheur de la tenue adoptée par cette jeune
femme ,,436. Par cette attitude, la salariée a causé de l'excitation parmi ses collègues
masculins, et le trouble qui en est résulté n'a pas échappé au chef d'entreprise. Un tel trouble,
qu'on dit souvent caractérisé, est pareil à celui qui résulterait du fait, pour les croyants,
d'apprendre que leur guide spirituel mène des pratiques contraires à la foi qu'il professe.
Comme la perte de confiance ou la mésentente Ca), il justifie des limites aux droits et libertés
des salariés Cb), allant même jusqu'à mettre entre parenthèse les frontières entre vie
professionnelle et vie extra professionnelle.
a. La perte de confiance et la mésentente
Nous avons choisi de mettre sous cette rubrique certaines solutions qUI ne se
réclament pas expressément de la perte de confiance, mais qui objectivement ne peuvent
s'expliquer que par elle. Ainsi en est-il par exemple du licenciement par une société de
m
Pour le Cameroun, voir Douala, n° 584/s du 29 septembre 1993. NONO Pierre cl Société Camerounaise
d'Equipement (inédit) : "Considérant qu'il ne suffit pas qu'un individu soit poursuivi pour infraction supposée
commise au préjudice de son employeur pour que malgré la relaxe prononcée, la perte de confiance soit justifiée
'" le juge criminel ayant lavé le sieur NONO de tout soupçon" .Yaoundé, n° 103/s du 20 avril 1993. Etat du
Cameroun cl EMAH Théophile (inédit): "Considérant que l'employeur qui invoque la perte de confiance
comme motif de licenciement doit articuler les fuits précis constitutifS de cette perte de confiance. Pour
l'évolution de la jurisprudence sur cette question, voir J.M TCHAKOUA, Revue de jurisprudence sociale,
Juridis Info, n024 P. 71. Pour la France, voir Soc. 29 novembre 1990, Bull Civ. v., n° 597 " la perte de confiance
ne constitue pas en soi un motif de licenciement ". Soc. 12 mars 1987, Dr Soc 1987, 357 note 1. SAVATIER (sur
la nécessité de faits précis pour caractériser la perte de confiance).
358

437
gardiennage d'un employé pour vol commis à l'étalage
• Si en l'espèce le vol n'était pas
commis au préjudice de la société, cette entreprise de gardiennage ne pouvait plus
objectivement garder sa confiance à un employé voleur.
On peut également expliquer par la perte de confiance le licenciement d'un salarié
embauché pour diriger un établissement financier, licenciement motivé par la découverte de
438
l'interdiction bancaire pour émission de chèque sans provision qui frap'pe ledit salarié

Cette situation n'est, en effet, pas différente de celle où la perte de confiance résulte de la
condamnation du salarié, négociateur dans une agence immobilière, pour escroquerie et abus
de confiance439.
La perte de confiance est parfois déduite du trouble causé dans la relation de travail ou
au sein de l'entreprise en général par une instance entre le salarié et l'employeur44o• Mais
derrière cette notion de trouble, il faut voir la crainte qu'éprouve le chef d'entreprise de devoir
laisser au sein de celle-ci un employé qui peut en entraver la marche441 • Et de toute façon, il
choisit de licencier le salarié pour mettre l'entreprise à l'abri de surprise désagréable.
La démarche est la même dans les cas de licenciements pour mésentente. On ne le
souligne pas assez, les licenciements pour mésentente ou désaccord deviennent chaque jour
plus nombreux, surtout au niveau des cadres salariés.
A notre sens, ces licenciements ne devraient pas se fondre complètement dans la
catégorie des licenciements pour perte de confiance, au moins parce que la mésentente qui
sert de cause au licenciement se situe parfois entre deux salariés. On a ainsi vu une espèce où
la mésentente s'était montrée dans les rapports entre l'épouse du gérant, salariée, et une autre
salariée. Il a été jugé qu'il appartenait au gérant, pour assurer le fonctionnement normal de
l'entreprise, de se séparer de l'une ou l'autre de ces salariées442• De même, on a pu voir un
436 N
b
ancy, 29 novem re 1982. D. 1985,354, note C. LAPOYADE DESCHAMPS.
437 Soc. 10 novembre 1991, Dr. soc., 1992, 791.
438 Grenoble, 20 octobre 1986, BS Fr. Lef. 4/87 nO 396.
439 Soc. 2 mars 1978, Bull. civ. V. nO 145.
440 Yaoundé, nO 82/s du 28 novembre 1994, Mballa Luc cl Sté Afric. Des bois du Mbam. Inédit.
441 Voir pour l'entrave à la marche de l'entreprise, Soc. 12 mars 1991, Dr. soc 1991. 626, note J. SA VA TrER.
442 Soc. 10 décembre 1985, Dr. soc. 1986, 210. Sur le pouvoir du chef d'entreprise, pour le choix du salarié à
licencier, Soc, 19 juin 1985 Bull. civ. V. nO 344.
359

licenciement pour cause réelle et sérieuse suite à une discorde entre un chef de vente et ses
vendeurs443.
En général, la mésentente ou le désaccord, cause de licenciement, se situe entre le
salarié et le chef d'entreprise. Les problèmes existeront même plus probablement entre le chef
d'entreprise et un cadre. Et la mésentente risque d'être plus dommageable, justement en
444
raison du rang hiérarchique du salarié
• La Cour de cassation français~ a jugé, dans une
espèce où le désaccord se situait entre un cadre et l'employeur, qu'en constatant que les
relations étaient devenues difficiles et que le climat était aggravé par l'incompatibilité
d'humeur, les juges du fond ont pu décider que le maintien du contrat était devenu
impossible445• Des divergences en matière économique et financière entre un responsable et
l'employeur ont aussi été jugées suffisantes pour justifier un licenciement446 •
Est en œuvre, dans toutes ces solutions, l'idée que sans égard à la pertinence du point
de vue du salarié opposé à la direction, sans égard non plus au jugement moral qui peut être
porté sur l'attitude du salarié impliqué dans la mésentente, l'intérêt de l'entreprise suffit à
justifier l'atteinte à la liberté du travail. La décision de licencier ne procède nullement d'un
jugement de valeur, mais d'une analyse purement objective. Un peu comme on évaluerait le
degré de trouble causé par un comportement.
b. Le trouble caractérisé
"Trouble dans l'entreprise ", "trouble caractérisé ", "scandale dans l'entreprise",
les expressions sont assez variées pour désigner ce que nous regroupons sous ce seul titre de
" trouble caractérisé ", l'expression étant plus usuelle.
Il faudrait sans doute reprendre ici l'arrêt de la Chambre sociale du 20 novembre 1991
suscité, relatif au licenciement d'un salarié dont le comportement, le vol, avait "créé un
443 Soc. 5 janvier 1984, Bull. civ. V. n° 2.
444 C'est sans doute pourquoi on ya vu aussi un terrain pour la perte de confiance. Soc. 23 juin 1976, Bull. civ.
V. nO 385. Sur l'influence du rang hiérarchique dans la perte de confiance, voir Yaoundé n° 248/s du 21
septembre 1993, inédit.
445 Soc. 9 octobre 1986, 0.1987,3 note G. LYON-CAEN.
446 Soc. 6 novembre 1984, Bull. civ. V. n° 410.
](,0

trouble caractérisé au sein de l'entreprise ,,447, quoiqu'il se situait dans la sphère de sa vie
extra professionnelle.
En vérité, les cas sont plus nombreux où le juge estime qu'il n'y a pas eu dans
l'entreprise un trouble caractérisé susceptible de justifier un licenciement. Citons entre autres
l'exemple du licenciement d'un sacristain homosexue1448. Olivier de TISSOT cite un nombre
non négligeable de décisions où le juge estime qu'il n'y a pas eu un trouble caractérisé dans
l'entreprise449• L'auteur souligne utilement que l'affinnation de l'inexistence d'un tel trouble
vient justifier la condamnation de l'employeur pour non respect de la vie privée45o• Le jeu de
l'argumentation est intéressant parce qu'en même temps on montre que le droit serait du côté
de l'employeur si l'événement de la vie privée du salarié avait causé un trouble caractérisé.
Il faudrait par ailleurs souligner l'analyse par pronostic qui est faite lorsqu'on estime
par exemple que si le salarié de la banque s'habille en rocker, certains clients risquent de
changer de banque451 .
Procède également de l'analyse par pronostic rinclusion dans les règlements intérieurs
des entreprises de tendance des dispositions destinées à préserver leur caractère propre'm. A
travers la liberté de l'enseignement, le Conseil constitutionnel453 français a donné une
consistance à la notion de "caractère propre des établissements". Ce dernier justifie un
devoir de réserve au personnel de ces établissements, et pourrait à l'occasion justifier le
licenciement du salarié qui sort de sa réserve, causant ainsi un trouble dans l'entreprise.
L'analyse serait la même pour les salariés des partis politiques454•
Au juste, si la jurisprudence a inventé les notions de perte de confiance, mésentente,
trouble caractérisé, c'est en vertu de la lecture qu'elle s'est faite de la politique législative.
L'intérêt de l'entreprise a d'abord été conçu au niveau de la politique législative.
447Soc. 20 novembre 1991, Dr. soc. 1992, p. 79.
448 Soc. 17 avril 1991. Dr. soc. 1992, p. 329, note 1. SA VATIER.
449 O. TISSOT, la protection de la vie privée des salariés. Dr. soc. 1995, p. 229.
450 Ibid.
451 Paris, 13 mars 1984, D. 1984, IR 297.
m CE, 20 juillet 1990, Dr. soc 1990, p. 865.
m Conseil constitutionnel, Décision nO 87 OC du 23 novembre 1977, GDCC, 7 éd. P. 357.
454 Au regard de la force de l'obligation de réserve chez le haut personnel de l'Etat, une étude, au Cameroun, sur
l'obligation de réserve chez les agents de l'Etat relevant du Code du travail, mais employés à un degré élevé de
la hiérarchie ne manquerait pas d'intérêt.
361

455
B. L'intérêt de l'entreprise au niveau de la politique législative
Il Y a aujourd'hui en droit du travail des solutions qui s'imposent avec une grande
évidence, et dont on peut par conséquent prévoir le maintien au moins à moyen terme. Au
rang de ces solutions, il faut citer la sanction indemnitaire du licenciement illégitime, et même
déjà le droit de licencier. On rangera dans la même catégorie le droit pour l'employeur de
modifier le contrat de travail en cours d'exécution.
Si ces règles affichent un profil aussi haut, c'est en raison de leur constance, et peut-
être aussi de leur efficacité. Mais l'évidence de ces solutions nous dispense souvent de nous
interroger sur leur prL'<. Or, l'analyse juridique montre bien qu'elles évincent dans une
certaine mesure la liberté du travail; certes dans l'intérêt de l'entreprise. L'observation est
vraie, qu'il s'agisse du licenciement (1), ou de l'acte moins radical qu'est la modification du
contrat de travail en cours d'exécution (2).
1. Les licenciements et l'intérêt de l'entreprise
Dans
un
article
prospectif sur
l'avenir du
droit
du
licenciement,
Gérard
COUTURIER nous a rappelé que le droit pour l'employeur de mettre fin unilatéralement au
contrat ou à la relation de travail a valeur de principe456• L'auteur explique cette solution par
le recours au droit commun du contrat: n'est-il pas classique d'énoncer que tout contrat
conclu sans détermination de durée peut être résilié unilatéralement par l'une ou l'autre des
parties? Ce droit de résiliation unilatérale n'est-il pas un mécanisme reCOlUm par la théorie
générale du contrat457 ?
L'analyse est convaincante, encore qu'elle puisse ne pas être très bien reçue par ceux
qui, par principe, nourrissent une certaine méfiance à l'égard de l'emprunt du droit commun
pour expliquer les solutions du droit du travail. A vrai dire, on peut tenter de trouver quelque
m Dans la mesure où l'intérêt de l'entreprise se trouve à tous les points de tension entre les intérêts antagonistes
en œuvre en droit du travail, la présentation qui va suivre est très sélective.
456 G. COUTURIER, Quel avenir pour le droit de licenciement? Perspectives d'une régulation européenne. Dr.
soc. 1997, 75.
m Ibid.

ressource interne au droit du travail pour expliquer la valeur de principe du droit de licencier.
En effet, on imagine difficilement comment l'entreprise pouvait exister et se développer s'il
était interdit de licencier. N'est-il pas nonnal que le chef d'entreprise mette fin au contrat ou à
la relation de travail avec le salarié qui ne répond plus à l'exigence de survie et de
développement de l'entreprise ?
L'affirmation peut paraître choquante lorsqu'on pense au licenciement pour maladie,
ou suite à l'inadaptation du salarié. Mais ne s'impose-t-elle pas lorsqu'on envisage par
exemple le licenciement pour faute? Le nouveau Code du travail camerounais présente une
autre hypothèse où, en raison de l'intérêt présumé de l'entreprise, le chef d'entreprise est
autorisé à licencier. II s'agit de l'hypothèse où un travailleur refuse l'accord contenant des
mesures alternatives au licenciement pour motif économique458•
A vrai dire, tout est question des conditions et modalités dont on peut entourer le
licenciement. Interdire le licenciement en lui-même est contraire à l'intérêt de l'entreprise.
L'entreprise ne peut survivre et se développer, dans l'intérêt de tous, que si son chefa le droit
d'y prendre les décisions de gestion qui s'imposent, peu importe que dans un cas particulier
une décision prive un salarié de son emploi459. La privation d'emploi à ce salarié apparaît
comme le prix à payer pour assurer la survie ou le développement de l'entreprise.
Du côté du salarié licencié, ce qui est retenu, c'est l'atteinte à la liberté du travail.
Mais il semble aujourd'hui qu'il ne peut raisonnablement contester le principe du droit de
licencier460• Provisoirement au moins, la tension entre l'intérêt de l'entreprise et la liberté du
travail se résout au profit du premier.
Certes, le législateur a sérieusement encadré le droit de licencier, afin d'éviter les abus,
ce qui invite à relativiser l'atteinte à la liberté du travail. Mais l'intérêt de l'entreprise refait
surface au niveau de la sanction de la violation de certaines règles sur le licenciement. Nous
n'évoquerons pas ici les multiples cas où la jurisprudence hésite à tirer des règles légales les
m Y. Article 40 du Code du travail.
459 On pourrait même observer que la Cour de cassation au sujet de la possibilité pour un salarié de faire valoir
son contrat face à un accord collectif inspiré par le maintien de l'emploi reprend à son compte cette analyse.
460 "Si des risques de suppression du licenciement ou du droit de licencier sont quelquefois évoqués, c'est
surtout dans le contexte de débats politiques, et au titre d'une présentation caricatur'lle des évolutions
prévisibles" Ibid.

461
conséquences voulues par le législateur
. Bornons-nous à relever que dans bien de ces cas,
la réticence des juges s'explique par la crainte d'imposer aux entreprises des charges
incompatibles avec leur survie.
Sur le terrain de la politique législative, il faut dire un mot sur le choix des
dommages-intérêts comme sanction du licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou, au
Cameroun, du licenciement abusif. Jean PELISSIER a écrit que" lorsque l'acte de rupture est
injustifié, lorsqu'il n'a pas de cause réelle et sérieuse, l'atteinte à la liberté de travail devrait
être sanctionnée par la nullité de l'acte faisant échec à l'exercice de cette liberté ,,462. Si le
législateur n'a pas suivi cette voie, ni a fortiori l'argument qui présente la nullité comme la
463
sanction normale de la violation d'une règle impérative
, c'est justement parce que les
conséquences de la nullité sont redoutables pour l'entreprise. Et à partir du moment où le
principe est le droit de licencier, le législateur admet facilement que le licenciement sans
464
cause réelle et sérieuse soit sanctionné simplement de dommages-intérêts
.
Au Cameroun, cette solution n'a pas paru suffisamment protectrice de l'intérêt de
l'entreprise; elle a été aggravée. En effet, sous l'empire des Codes du travail précédents, les
juges prononçaient contre des entreprises des condamnations à de lourds montants de
dommages-intérêts. Pour lutter contre cette tendance, le législateur, dans le nouveau Code du
travail, a fixé des plafonds à la condamnation des entreprises pour licenciement abusif65.
Bien entendu, on peut ne pas partager l'option prise par le législateur. Mais l'intéressant ici
est de comprendre le mobile qui l'anime: l'intérêt de l'entreprise.
Une fois de plus, l'intérêt de l'entreprise l'emporte face à la liberté du travail, puisque
la sanction du licenciement d;étermine plus ou moins directement l'employeur dans le recours
au licenciement. Dans le cas particulier au Cameroun, l'employeur peut sans beaucoup de
crainte recourir au licenciement, car celui-ci a un "coût" financier négligeable pour
461 Nous pensons notamment à la nullité de la procédure de licenciement collectif. (Article L.321-4-1 du code du
travail français).
4621. PELISSIER, La liberté du travail, Dr. soc. 1990, 12.
463 Voir JAPIOT, Des nullités en matière d'actes juridiques, thèse Dijon 1909, spécialement le fragment cité par
A. LYON-CAEN dans son mémoire en cassation en fuveur de Clavaud.
464 On peut mesurer la distance entre cette solution et celle du droit administratif où la révocation irrégulière est
sanctionnée de nullité de l'acte administratif. Le fait peut choquer si on se rappelle que l'Etat utilise parfois dans
des conditions de fait identiques deux personnels relevant de statuts différents. Pour le même fait et dans des
conditions identiques, le salarié injustement licencié ne peut prétendre qu'aux dommages- intérêts, alors que le
fonctionnaire irrégulièrement révoqué a vocation à la réintégration.
364

l'entreprise466• Et pour mieux faire apparaître à quiconque que le licenciement est décidé dans
l'intérêt de l'entreprise, le chef d'entreprise dilue souvent sa responsabilité dans le recours
préalable
à
une
proposition
de
modification
substantielle
qu'il
sait
manifestement
inacceptable. Il parvient parfois à faire croire qu'il licencie malgré lui, et surtout parce que le
salarié a des exigences incompatibles avec l'intérêt de l'entreprise.
2. La modification du contrat de travail et l'intérêt de l'entreprise
En disposant à l'article 42 alinéa 2 du Code du travail que" Le contrat de travail
peut, en cours d'exécution, faire l'objet d'une modification à l'initiative de l'une ou l'autre
partie", le législateur camerounais semble poser une règle sans gravité particulière. Vue du
côté du droit commun, et en particulier de la liberté contractuelle, l'affmnation vaut au plus
comme un simple rappel. Il n'est point discutable que les parties à un contrat
peuvent
467
toujours s'entendre pour en modifier les clauses

L'inégalité des parties au contrat de travail enlève pourtant toute portée à une telle
analyse. Et si le droit de modification substantielle est au centre des débats les plus pointus en
droit du travail468, c'est sans nul doute parce qu'il n'opère pratiquement qu'à sens unique,
c'est à dire au profit exclusif de l'employeur. Aujourd'hui, c'est le droit de la modification qui
favorise le plus efficacement l'assujettissement des salariés au pouvoir hiérarchique et aux
prérogatives disciplinaires et organisationnelles de l'employeur469. Les salariés savent bien
qu'ils doivent accepter la proposition ou être licenciés. Les termes de l'article L.321-1-2 du
Code du travail français montrent que par anticipation le législateur lève, au profit de
l'employeur, tous les doutes qui dans biens des situations470 auraient pu exister sur la réalité
de l'acceptation. : "Lorsque l'employeur (... ) envisage une modification substantielle des
465 Voir article 39 du Code du travail.
466 En raison du plafonnement du montant des dommages-intérêts pour licenciement abusi~ l'entreprise qui
licencie risque de payer au plus un mois de salaire par année d'ancienneté du salarié dans l'entreprise (article 39
al. 4 du Code du travail).
467 Encore que pour le cas particulier de la modification substantielle du contrat de travail, on ne peut pas
seulement dire qu'il s'agit pour les parties, de s'entendre pour modifier les clauses du contrat. En fait, le salarié à
qui la proposition de modification est faite voit directement le spectre du licenciement. Il a le choix entre
accepter et se voir licencier. La volonté commune qui semble présider à la modification est très souvent de
façade.
468
V. TIENNOT GRUMBACH, La notification collective d'une modification et le rôle des institutions
représentatives, 0.0. 1996, 72.
469 Ibid.
470 On pense en particulier au cas où le salarié ne répond pas à la proposition. ---

contrats de travail, il en informe chaque salarié par lettre recommandée avec accusé de
réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa
réception pour faire connaître son refus.
" A défaut de réponse dans un délai d'un moiS, le salarié est réputé avoir accepté la
modification proposée ".
Notre propos n'est pas de faire une appréciation de la justesse des dispositions de la
loi. En revanche, nous tentons d'expliquer ces dispositions. Dans ce sens, il ne fait pas de
doute que la pression mise sur les salariés saisis d'une proposition de modification répond au
souci de ne pas retarder la transformation. Bien entendu, ces transformations et tous les
licenciements qui pourraient en résulter sont légitimes s'ils sont dictés ou simplement
conformes à l'intérêt de l'entreprise. La solution est expressément énoncée par l'article 42 al.
2 du Code du travail camerounais; elle est régulièrement appliquée par la jurisprudence
française471 • L'intérêt de l'entreprise est ainsi la justification de l'atteinte à la liberté du
travail, puisqu'il légitime le licenciement472 . A cet égard, le style de rédaction de l'article 42
al. 2 du Code du travail camerounais est éloquent. Le texte dit que la rupture consécutive au
refus de la proposition de modification" n'est abusive que si la modification proposée n'est
pas justifiée par l'intérêt de l'entreprise". La tournure négative utilisée pour envisager
l'éventualité de la rupture abusive semble montrer qu'on préjuge favorablement de l'existence
de l'intérêt de l'entreprise dans les propositions de modification"m.
L'observation quotidienne invite à ne pas sous-estimer, pour les salariés, les
conséquences douloureuses des propositions de modification de leur contrat. Il est sûr que la
menace de rupture se profile toujours derrière la proposition de modification émanant de
l'employeur474• Et les modifications proposées sont parfois tellement profondes qu'on
imagine aisément que le salarié doit les refuser. Au fond, dans beaucoup d'entreprises, la
m Soc. 16juillet 1987. Dr. soc. 1988,141, Soc. 10 décembre 1987. Jur. Soc. 1988, 33 (a contrario).
472 Quand bien même le licenciement est évité, très souvent parce que le salarié a accepté la proposition de
modification, l'atteinte à la liberté du travail n'est pas moins certaine. La liberté du travail n'implique-t-elle pas
aussi la liberté de continuer à travailler dans les conditions voulues par le salarié?
473 Certes, dans le contexte camerounais, l'article 39 alinéa 3 du Code du travail impose à l'employeur la charge
de la preuve du caractère légitime du licenciement. C'est dire que lorsque le licenciement survient des suites du
~efus d'Une proposition, l'employeur doit prouver que la proposition était faite dans l'intérêt de l'entreprise. Mais
li ne faut pas oublier que dans un procès une chose est la répartition de la charge des preuves, une autre est la
formation de la conviction du juge sur la suffisance de telle ou telle preuve. Sur ce dernier terrain, le juge sera
plus ou moins exigeant selon sa sensibilité personnelle qui n'a rien à voir avec la charge de la preuve.
474 P.E. KENFACK, La modification du contrat de travail au Cameroun, RJA, 1994, p. 209.
366

proposition de modification est devenue non plus un moyen d'adaptation du contrat de travail,
mais l'antichambre:,voire le premier acte de la procédure de licenciement.
Bien entendu, il reste au salarié la possibilité de faire juger que la proposition de
modification n'était pas faite dans l'intérêt de l'entreprise. Mais la voie est bien étroite, dans
la mesure où on conteste au juge le droit de se substituer au chef d'entreprise pour apprécier
l'opportunité du recours à la modification475 • Nous abordons là le problème général de
l'appréciation de l'intérêt de l'entreprise.
PARAGRAPHE II: L'APPRECIATION DE L'INTERET DE L'ENTREPRISE
Qui peut juger de l'intérêt de l'entreprise? Telle est la question à laquelle M.
GRELON a tâché de trouver une réponse476. Mais la question en appelle sans doute une
autre: comment juger de l'intérêt de l'entreprise? Et posée avant, cette seconde question
éclaire la première, puisque certains acteurs peuvent d'emblée être disqualifiés s'ils ne
disposent ou ne peuvent disposer d'outils d'appréciation pertinents.
Même la plus petite attention permet de se rendre compte que ces questions sont
fortement influencées par l'idéologie, et que chacun y va de sa sensibilité. D'où la difficulté
de dégager une ligne directrice en droit positif. De la doctrine de " l'employeur seul juge des
mesures les mieux appropriées pour redresser la situation de l'entreprise ,,477 à la sanction des
licenciements qui ne sont pas justifiés par l'intérêt de l'entreprise478, on croit voir une
évolution dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation française. Mais
l'évolution est-eUe vraiment irréversible ou même certaine? Des résistances doctrinales479
continuent de se manifester, et sont la preuve que la page n'est pas vraiment tournée.
A vrai dire, si le problème est à ce point compliqué, c'est parce qu'on ne s'entend
même pas sur ce qu'est l'intérêt de l'entreprise, ni sur le rôle qui est le sien en droit du travail.
475 v. B. TEYSSIE, La modification du contrat de travail, instrument de gestion de l'entreprise, Dr. soc. 198 l,
219 et s.
476 V . 0.0. 1988, p. 128 et s.
477 Soc. 4 janvier 1980, Bull. civ. V. nO 6 p. 5.
478 Soc. 23 mars 1994, Dr. soc. 1994, 563.
367

C'est dire qu'un éclairage peut être apporté à la question de l'appréciation de l'intérêt de
l'entreprise (B) si on s'interroge au préalable sur ce qu'il est, c'est à dire son statut juridique
(B).
A. Le statut juridique de l'intérêt de l'entreprise
Si l'intérêt de l'entreprise a très tôt été présenté comme une "fonnule magique"
nécessitant une "démystification ", c'est au moins parce qu'on doute de sa fonction en droit
du travail. Mieux encore, on doute de son existence. Il ne s'agirait que d'une construction de
l'esprit destiné àjouer un rôle idéologique.
Cette présentation a peut-être quelque chose de vrai si on veut faire de l'intérêt de
l'entreprise un épouvantail aux mains du chef d'entreprise. Mais dès lors que le législateur
4so
désigne l'intérêt de l'entreprise
comme principe de solution des conflits entre des intérêts
antagonistes, il faudrait tâcher de découvrir l'identité profonde de cette notion (1). Cette
recherche précédera celle sur sa fonction (2).
1. L'identité de la notion d'intérêt de l'entreprise
Qu'est-ce que l'intérêt de l'entreprise? Voilà la question apparemment simple à
laquelle il faut trouver une réponse. On peut être déçu de ne trouver ni dans la loi, ni dans la
jurisprudence aucune définition, même approximative de l'intérêt de l'entreprise. Les
tentatives doctrinales de définition de l'intérêt de l'entreprise sont presque fatalement
influencées par l'idée que chacun se fait de l'entreprise elle-même.
La théorie institutionnelle de l'entreprise présente celle-ci comme une institution
unissant autour d'un intérêt commun le capital et le travail481. En face, on repousse l'idée,
479 V. B. TEYSSIE, Propos iconoclastes sur le licenciement pour motif économique, JCP 1996, Ed. G. Doctrine
nO 4 p. 53.
480 Cette désignation est expressément faite par le législateur camerounais à l'article 42 al. 2 du code du travail:
"Si la proposition de modification [du contrat de travail] émanant de l'employeur est substantielle et qu'elle est
refusée par le travailleur, la rupture du contrat de travail pouvant en résulter est imputable à l'employeur. Elle
n'est abusive que si la modification proposée n'est pas justifiée par l'intérêt de l'entreprise " ..
481 A.
SUPIOT, Groupes de sociétés et paradigme de l'entreprise. RTD corn. 1985 p. 623. Sur cette théorie en
général, voir P. Durand; La notion d'entreprise, Travaux de l'Association Henri CAP/TANT t. 3 , 1947, p. 45-
60.

parce qu'elle n'aurait pas prise sur le réel. La réalité montrerait plutôt une opposition
482
d'intérêts dans l'entreprise
, C'est, pense-t-on, parce que l'entreprise n'est pas une
communauté harmonieuse où viendraient se fondre les intérêts de tous ceux qui concourent à
483
son existence et à son développement
qu'on ne peut dégager un intérêt qui lui est propre.
Ces critiques perdent du terrain au fur et à mesure qu'avance la théorie institutionnelle
de l'entreprise. Le constat a été fait d'une montée évidente de l'approche institutionnelle de
484
l'entreprise
. En France notamment, depuis les lois Auroux on souligne la proximité du
485
modèle construit par le législateur de celui que décrit la théorie institutionnelle
. Le
législateur a mis ainsi en forme des prises de position de plus en plus nettes de la
486
jurisprudence tant du Conseil d'Etat
que de la Cour de cassation. Cette dernière a
précisément jugé que" le règlement intérieur s'impose à tous les membres du personnel
comme au chef d'entreprise, dès lors qu'il est régulièrement pris et constitue un acte
réglementaire de droit privé ,,:187. Le ralliement à la théorie institutionnelle de l'entreprise s'y
lit aisément. Certes, on ne peut dire que cette théorie a été entièrement reçue en droit positif.
Mais il serait vain aujourd'hui de prétendre la contester-188. Encore faut-il préciser que
l'affirmation d'un intérêt de l'entreprise ne vise pas à nier la réalité des antagonismes existant
dans l'entreprise. Il s'agit de dépasser ces intérêts antagonistes.
A cet égard, il n' est pas sans intérêt de regarder du côté du droit de la famille pour
faire un rapprochement avec un concept similaire: l'intérêt de la famille. S'il est incontestable
que la vie familiale est moins conflictuelle que la vie en entreprise, on ne peut soutenir
utilement qu"au sein de la famille tous les intérêts convergent. Comme au sein de l'entreprise,
la vie familiale présente souvent des situations où des intérêts particuliers s'opposent:
l'intérêt des enfants s'opposant à celui du mari ou de la femme; l'intérêt d'un seul entànt
s'opposant à celui des autres enfants etc. Pourtant personne ne conteste en droit de la famille
.l'existence d'un intérêt de la famille distinct de celui paniculier de chacun de ses membres.
Le Code civil français contient en tout cas plusieurs références à l'intérêt de la famille-189.
~82 Voir J. RIVERa et 1. SA VATl ER, Droit du travail 12" éd. 1991 p. 165.
m A. LYON-CAEN, note précitée D. 1978, p. 353.
mG. COUTURIER, L'intérèt de l'entreprise, Ecrits en 1'honneur de Jean SA VATIER, PUF, 1992 p. 148.
"S
'
A. JEAMMAUD, Dr. soc. 1988, 593.
~86 V. C. E., 13 novembre 1987. Rec. p 369; 4 mai 1988, 0.1990, somm. 134.
~87 Soc. 25 septembre 1991. Dr. soc. 1991, 788.
~88 G. COUTURlER, L'intérèt de l'entreprise, op. ciL p. 148.
m Voir les articles 217, 220-1 et 1397.
369

L'intérêt de la famille est trouvé par la recherche d'une composition entre les intérêts en
présence.
II s'agit,
a-t-on souligné,
d'un arbitrage à faire entre les préoccupations
contraires490•
En droit du travail, la même méthode devrait s'appliquer, dans une toile de fond
clairement définie; l'intérêt de l'entreprise réside essentiellement dans la vie et la croissance
de l'organisme économique.
En fin de compte, le concept d'intérêt de l'entreprise apparaît moins dogmatique que
toutes les théories avancées pour le justifier ou pour le combattre491 • Il s'agit simplement d'un
outil permettant de résoudre quotidiennement les conflits d'intérêts en préservant l'outil de
production492. Nous abordons déjà ainsi la question de la fonction de l'intérêt de l'entreprise.
2. Lafonction de l'intérêt de l'entreprise
On ne peut qu'évoquer ici le long procès qui a été fait à l'intérêt de l'entreprise;
"pure création de la jurisprudence ".193, " souvent pour essayer de faire dire à la loi ce qu'elle
ne disait pas dans l'intérêt du chef d'entreprise ,,..j94. Le juge ne ferait recours à la notion
d'intérêt de l'entreprise que pour imposer un point de vue qui est le plus souvent le point de
vue de l'employeur495 .
Il y a manifestement quelque chose d'excessif VOIre de manichéen dans ces
affIrmations. Se montre encore le poids des sensibilités personnelles dans les analyses sur
l'intérêt de l'entreprise.
L'évolution du droit positif invite à dépassionner les analyses sur l'intérêt de
l'entreprise, et spécifiquement sur sa fonction. L'intérêt de l'entreprise peut certes justifier les
limites aux droits et libertés des salariés. Mais ce jeu n'est pas illégitime en soi ni même
contraire à l'intérêt bien compris de ces salariés. II faut parfois dépasser l'exigence de la
490 f. LUCET. Obs. Sous civ. 1<Te 5 juillet 1989. RTO civ. 1991, p. 391.
491 V. P.G. POUGOUE, Le petit séisme du 14 août 1992. RJA 1994, p. \\3.
492 Ibid.
493 J.E. RAYet lM. MOUSSERON, Droit du travail, un droit vivant. Ed. Liaisons, 1991, n° 205 p. 144.
494 B. GRELON, Qui peut juger de l'intérêt de l'entreprise. 0.0. 1988, 128.
m Ibid.
370

protection immédiate pour s'inscrire dans la durée496• Auss~ faudrait-il condanmer toutes les
pratiques qui peuvent mettre l'entreprise dans l'impossibilité d'apporter une réponse
favorable497, et surtout de survivre à la satisfaction des revendications ou même des
réclamations.
Dans un autre sens, la référence à l'intérêt de l'entreprise est le gage des salariés
contre l'arbitraire du chef d'entreprise. Evoquer simplement l'intérêt de l'entreprise comme
justification des pouvoirs du chef d'entreprise, c'est justement suggérer aussi des limites à
l'exercice de ces pouvoirs498 . De même que l'intérêt général est le critère de la légitimité de
499
l'action administrative, l'intérêt de l'entreprise serait celui de l'action patronale
. La théorie
du détournement des pouvoirs a déjà fait son siège en droit du travail. Les actes du chef
d'entreprise doivent en effet être invalidés s'ils sont révélateurs d'un détournement de
pouvoirs500•
Finalement, l'intérêt de l'entreprise est un acteur du droit du travail pas plus au service
de l'employeur qu'à celui des salariés. Il est un instrument aux mains du législateur et des
autres parties prenantes du droit du travail pour la recherche du point d'équilibre entre les
intérêts antagonistes.
Du côté du législateur, l'intérêt de l'entreprise est un guide et une mesure de la
pertinence des solutions dégagées. De sorte que toute réforme en droit du travail doit être
appréciée entre autres à l'aune de la conciliation qu'elle fait des intérêts antagonistes. Cette
difficile tâche est celle à laquelle s'est récemment attelé le législateur camerounais. Et si la
réforme a été accueillie avec une certaine froideur, c'est bien parce qu'elle a parfois semblé
confondre l'intérêt de l'entreprise avec celui du capital.
Du côté des salariés et du chef d'entreprise, l'intérêt de l'entreprise est la norme de
référence pour la conduite au quotidien.
496 C'est la philosophie d'ensemble qui gouverne les dispositions de l'article 40 du code du travail camerounais
sur les négociations préalables au licenciement pour motif économique.
497 V. P.G. POUGOUE, Le petit séisme, op. cit. p. 14.
498 V. M. DESPAX, L'entreprise et le droit, LGDJ, n° 393.
499 H. Le NABASQUE, cité par G. COUTURIER, L'intérêt de l'entreprise op cit
144
500
'
.


Soc. 28 mars 1979, Bull civ. V. n° 280.
371

Quant au juge, il a reçu l'intérêt de l'entreprise comme mesure de la légitimité des
actes qui lui sont déférés.
Le juge, cependant, devrait bien savoir jusqu'où il peut aller dans cette tâche. Certains
soutiennent même qu'il ne saurait apprécier l'intérêt de l'entreprise. Tout n'est donc pas aussi
évident qu'on pourrait penser. Il faudrait dire un mot sur les questions majeures de
l'appréciation de l'intérêt de l'entreprise.
B. Les questions majeures de l'appréciation de l'intérêt de l'entreprise
Deux questions majeures se posent au sujet de l'appréciation de l'intérêt de
l'entreprise. En premier lieu, on se demande qui peut ou doit apprécier l'intérêt de
l'entreprise. L'intérêt de la question réside dans le fait que chacun peut se faire une idée
personnelle de l'intérêt de l'entreprise, en fonction de ses propres intérêts, de sorte que
l'intérêt de l'entreprise ne soit finalement qu'un instrument qui masque des intérêts
particuliers.
En second lieu, et à supposer que l'intérêt de l'entreprise pUisse être apprécié par
quelqu'un de différent du chef d'entreprise, il faut se demander jusqu'où il peut aller dans son
appréciation. Les enjeux de la question sont importants puisqu'on pourrait voir dans un
contrôle trop attentif de l'intérêt de l'entreprise une certaine remise en cause des attributs du
droit de propriété.
Les deux questions majeures ici ciblées doivent être examinées séparément: d'abord
qui apprécie l'intérêt de l'entreprise? (l) Ensuite jusqu'où aller dans l'appréciation(2).
1. Qui apprécie l'intérêt de l'entreprise
Il est indiscutable que le chef d'entreprise peut et doit appreCler l'intérêt de
l'entreprise. Etant le premier responsable de la bonne marche de l'entreprise, il doit pouvoir
apprécier ce qui peut favoriser cette bonne marche ou au contraire la perturber. Le bon chef
d'entreprise est celui qui, dans toutes les conditions, doit pouvoir prendre des décisions
judicieuses aussi bien par rapport au présent qu'à l'égard des évolutions prévisihles.
172

Cette appréciation au quotidien de l'intérêt de l'entreprise est presque instantanée chez
le chef d'entreprise. Elle n'a même pas été rappelée quelque part, dans la loi ou par la
jurisprudence, puisqu'elle est inhérente aux pouvoirs qui sont reconnus au chef d'entreprise.
Le chef d'entreprise appréciera d'autant plus facilement l'intérêt de l'entreprise qu'il a
la parfaite maîtrise des éléments qui y concourent. Il reçoit les expressionS de tous les intérêts
particuliers, et dispose plus que tout autre d'informations d'ordre technique, économique et
financier sur la vie de l'entreprise.
Si le droit pour le juge d'apprécier l'intérêt de l'entreprise a été contesté, c'est
justement parce qu'on pense que ce dernier ne bénéficie pas de la plénitude des moyens dont
dispose le chef d'entreprise pour apprécier cet intérêt. Porter un jugement sérieux sur une
décision de réorganisation, a-t-on dit, suppose de prendre en compte tant d'éléments d'ordre
technique, économique, financier acquis ou relevant d'une analyse prospective, qu'il est
permis de s'interroger: le juge dispose-t-il des connaissances et du temps pour les apprécier
sérieusement ?-,Of.
A moins d'être le produit d'un euphémisme, cette argumentation montre une évolution
par rapport à l'affirmation tranchée selon laquelle" l'intérêt de l'entreprise est défini par le
seul chef d'entreprise ,,502. L'affirmation est sûrement inspirée par l'idée de la souveraineté du
chef d'entreprise, ou plus précisément de l'employeur, propriétaire des moyens de production.
La doctrine de l' "employeur seul juge ,,503 est, bien sûr, démentie par l'évolution du
droit, aussi bien en France qu'au Cameroun. En France, même au plus fort de la théorie de l'
"employeur seul juge", on réservait au juge le contrôle du détournement des pouvoirs. Il
s'agit certes d'un contrôle périphérique; mais le principe du contrôle était au moins posé.
MielLx, la jurisprudence interdisant à l'employeur de substituer son appréciation des sanctions
à celle de l'employeur a dû s'effacer devant la loi du 4 août 1982 qui permet au juge de
501 V. 8. TEYSSIE, Propos iconoclastes sur le licenciement pour motif économique, op. cit. 54.
502 V. Information sociale UIMM n° 87-1924 du 20 juillet 1987.
503 Soc. 4 janvier 1980 Bull. Civ. V. nO 6 p. 5 (l'employeur est le seul juge des mesures les mieux appropriées
pour redresser la situation de l'entreprise) ; Soc 20 juillet 1977 Bull. Civ V n° 494 (l'employeur est le seul juge
de l'opportunité d'infliger une sanction au salarié fautif). Pour le Cameroun, voir C.S., nO 18/s du 27 novembre
1962 ; nO 53/s du 15 avril 1982 inédits).
373

504
contrôler la proportionnalité de la sanction par rapport à la faute commise par le salarié
• On
ne niera pas que dans l'exercice de ce pouvoir le juge est amené à apprécier l'intérêt de
l'entreprise.
Au Cameroun, un tel pouvoir d'apprécier la proportionnalité de la sanction par rapport
à la faute est prévu par le législateur en matière de mise à pied. L'article 30 alinéa 4 du Code
du travail dispose que si le grief allégué pour justifier la mise à pied est reconnu insuffisant
par le tribunal, le travailleur à l'encontre duquel elle a été prononcée perçoit une indemnité
compensatrice correspondant au salaire perdu et éventuellement des dommages-intérêts.
La loi ne prévoit pas un tel contrôle de façon générale pour la sanction. Mais les
juridictions ne s'interdisent pas un tel contrôle. Ainsi la Cour d'appel de Yaoundé a jugé dans
une espèce que" la sanction appliquée n'a pas été à la mesure de la faute ,,505, ce qui l'a
conduite à déclarer abusif le licenciement prononcé par l'employeur.
Plus nettement, la même Cour d'appel a rappelé à un employeur qui semblait en
douter que le fait pour un salarié d'aller se faire former est un acte posé dans l'intérêt de
l'entreprise506.
Bien entendu, on ne prétendra pas que pour la jurisprudence camerounaise la théorie
de
l'
"employeur seul juge" est définitivement
ou entièrement dépassées07• Mais
indépendamment même des attitudes des juges, il faut penser qu'à partir du moment où le
législateur indique l'intérêt de l'entreprise comme référence à l'aune de laquelle doit être jugé
un acte de l'employeur, le juge a non pas seulement le droit, mais l'obligation d'apprécier cet
intérêt. Comment, en effet, le juge peut-il vérifier qu'une proposition de modification est
justifiée par l'intérêt de l'entreprise s'il ne procède pas à l'examen de cet intérêt?
5().l v. article L.122-43.
505 CA de Yaoundé, n° 68/S du 15 février 1994. SOSUCAM cl ELOUNDOU, inédit.
506 CA de Yaoundé n° 37/S du 6 novembre 1990. CNPS cl Dame DIBAKTO
507
La Cour d'appel de Douala a par exemple jugé qu'il n'appartient pas au salarié d'apprécier le motif
éwnomique du licenciement (nO 127/5 du 4 février 1994 inédit).
374

Que le juge soit insuffisamment outillé pour apprécier l'intérêt de l'entreprise, on peut
le soutenir. Mais l'argument relève d'un autre ordre de préoccupations508 et ne peut permettre
de nier le principe de l'appréciation.
Si l'on fait un rapprochement avec les catégories similaires, par exemple l'intérêt de
la famille ou l'intérêt de l'enfant, on se rend compte que les difficultés d'appréciation se
posent dans des conditions pratiquement identiques509. Pourtant personne ne conteste au juge
le droit d'apprécier l'intérêt de la farnille510 ou celui de l'enfant5Il • Et on a observé très
judicieusement que le concept d'intérêt de l'enfant n'était ignoré des juristes qu'à l'époque où
les relations familiales étaient conçues sous un aspect autoritaire5l2• La remarque peut être
transposée en droit du travail. Aujourd'hu~ l'effondrement du modèle autoritaire de la
relation de travail s'accompagne nécessairement du rétrécissement du domaine de l'arbitraire
et même du discrétionnaire. L'employeur doit au besoinJrendre compte de l'exercice de ses
J
pouvoirs. Ce sera très souvent devant le juge5l3 .
Nécessairement la question se pose de saVOIr jusqu'où le Juge peut pousser sa
curiosité.
2. Jusqu'où peut aller l'appréciation?
Sur la question du niveau de l'appréciation par le juge de l'intérêt de l'entreprise, il y
a un point sur lequel on s'accorde en général: le juge peut toujours faire un contrôle du
détournement de pouvoirs par le chef d'entreprise. A partir du moment où on admet que les
pouvoirs du chef d'entreprise sont des prérogatives "finalisées ", il devient impératif de
s'assurer que le chef d'entreprise n'exerce pas ces pouvoirs dans un but étranger à leur
finalité.
508 Le constat devrait conduire à de mesures appropriées, et sans doute en termes de grande spécialisation des
juges ou de recours plus régulier à l'expertise
509 Voir pour les difficultés d'appréciation de l'intérêt de l'enfrmt Marc DONNlER, L'intérêt de l'enfant. Dalloz,
1959, chronique XXVI, 180; CARBONNlER, Droit civil t. 2. La fumille 14e édition 1991, p. 271.
510 Voir Paris (1 eTe ch.) 7 octobre 1993 Gaz. Pal. 1994, 2, somm, 607 " pour apprécier dans son ensemble l'intérêt
de la famille, le tribunal peut ... ".
51! V. M. DONNlER, op. cit. p. 180.
512 M. DONNIER, op. cit. p. 27.
375

Mais il s'agit là d'un contrôle minimal. S'exerçant pratiquement en périphérie des
actes du chef d'entreprise, le contrôle du détournement des pouvoirs ne concerne que les seuls
mobiles de l'acte et non pas leur opportunitë l4• Le juge est ainsi amené à rechercher les
intentions subjectives de l'employeur. Bien entendu, comme dans toute recherche d'intention,
la tâche du juge ne sera pas facile puisque l'employeur dissimule presque toujours la
mauvaise intention sous une apparence de régularité.
Des réticences commencent à se manifester lorsqu'on aborde la question de
l'opportunité des actes du chef d'entreprise. Il est vrai que l'idée d'apprécier l'opportunité des
actes de gestion sans pouvoir corrélativement partager les risques de gestion n'est pas
facilement acceptable. Analysant les dispositions sur le licenciement pour motif éconoITÙque,
Bernard TEYSSIE, affmne que" les textes commandent uniquement au juge de vérifier que
sont intervenues des suppressions, transformations d'emploi ou de contrat consécutives
notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Qu'elles soient
ou non justifiées par l'intérêt de l'entreprise relève d'un autre niveau d'analyse. Le juge
devrait se contenter de vérifier que la décision de l'employeur n'est pas dictée par des
considérations étrangères audit intérêt515 .
Comme le relève l'auteur lui-même, le juge n'a pas suivi cette voie; il fait au contraire
un contrôle" attentif" de l'intérêt de l'entreprise. En effet, dans son souci de s'assurer que les
actes du chef d'entreprise sont" justifiés ,,516 par l'intérêt de l'entreprise, le juge va largement
au-delà d'un contrôle périphérique, et examine les actes même dans leur opportunité. En
France, et en matière disciplinaire, le législateur autorise cette solution lorsqu'il permet au
juge d'annuler la sanction disproportionnée par rapport à la faute comrrùse par le salarié.
Et quoi qu'on ait pu soutenir, même en matière d'actes de gestion, il serait injustifié de
cantonner le juge à un simple contrôle du détournement de pouvoir par le chef d'entreprise.
En effet, si le juge ne devait s'en tenir qu'à ce contrôle, il suffirait au chef d'entreprise de
brandir à chaque coup l'écran de l'opportunité de ces actes pour échapper à la sanction.
513 Certes, il ne faut pas oublier que les institutions représentatives du personnel à qui le chef d'entreprise doit
livrer un certain nombre d'informations reçoivent indirectement un compte de l'usage que le chef d'entreprise
fait de ses pouvoirs.
514 L. CADIET. Dr Soc. 1991. P. 209.
515 B. TEYSSIE, op. cil. 53 et 54.
516 Voir Soc. 9 mai 1990. Bull. civ. V. n° 210, p. [27; Soc. 23 mars 1994, Dr. Soc. 1994, p. 563.
376

En tout état de cause, la jurisprudence a montré en matière de clause de non-
concurrence qu'elle pouvait aller loin dans l'appréciation de l'intérêt de l'entreprise. Dans une
décision du 14 mai 1992, la Cour de cassation française approuve en effet les juges du fond
d'avoir écarté une clause de non-concurrence qui" n'était pas indispensable à la protection
des intérêts légitimes de l'entreprise ,,517 On ne peut pas ne pas y voir un contrôle de
l'opportunité des actes du chef d'entreprise.
Au Cameroun aucun élément de la loi ou de la jurisprudence ne pennet de dire avec
certitude jusqu'où le juge pourrait aller dans son appréciation. Toutefois, une décision de
justice rendue au sujet du rôle des délégués du personnel dans la procédure de licenciement
pour motif économique pennet de penser que certains juges pourraient s'inscrire dans le
registre d'une appréciation de l'opportunité des décisions. L'arrêt affinne en effet que" les
suggestions attendues des délégués du personnel ne se limitent pas seulement à la vérification
de la liste des personnes à licencier, mais doivent s'étendre à l'opportunité même de la mesure
envisagée ,,518.
On le voit bien, on ne tient pas le chef d'entreprise pour seul juge de l'opportunité des
mesures à prendre. Les délégués du personnel peuvent et doivent se livrer à une appréciation
de l'opportunité des actes, même en dehors d'une procédure de licenciement pour motif
économique puisqu'ils sont investis d'une mission générale de suggestion des mesures à
prendre pour la bonne marche de l'entreprise.
Si les délégués du personnel sont ainsi habilités à apprécier l'opportunité des actes du
chef d'entreprise, il n'y a vraiment pas de raison d'enlever au juge cette même prérogative.
Naturellement, les juges devant qui les actes sont déférés devraient avoir la sagesse de
savoir jusqu'où ils peuvent conduire la critique. Il est indiscutable que les juges peuvent ne
pas avoir la maîtrise technique de tous les éléments en cause. Le cas échéant, pour s'éclairer,
ils peuvent demander toute information utile.
517 Soc., 14 mai 1992, Dr. soc. 1992,927, note Corrignan-Carsin
518 CA de Douala, na 139/s du 23 février 1994. SCM cl NKENGUE Mbarga Zacharie, inédit.
377

Dans le contexte camerounaIS, le chef d'entreprise qui a licencié doit faire face à
l'article 39 al. 3 du Code du travail qui dispose que dans tous les cas de licenciement il
appartient à l'employeur d'apporter la preuve du caractère légitime du motif qu'il allègue.
Concrètement, on devra présumer que le licenciement n'est pas fait dans l'intérêt de
l'entreprise; quitte au chef d'entreprise à démontrer le contraire519•
Les éléments à prendre en considération pour l'appréciation de l'intérêt de l'entreprise
seront des éléments de fait, variables d'un cas à l'autre. Est donc exclue la possibilité d'une
bonne appréciation in abstracto; l'appréciation devrait donc se faire in concreto.
Conclusion du chapitre
Tous les droits, et comme tels les droits fondamentaLLx, sont sujets à des limites. Dans les
rapports de travail, ces limites sont objectivement constituées par les pouvoirs du chef
d'entreprise et l'intérêt de l'entreprise.
Disséminées à plusieurs points, dans les solutions quotidiennement appliquées ou en
amont dans la politique législative, ces limites sont plus nombreuses qu'on ne s'imagine au
premier abord.
D'un point de vue de philosophie générale des rapports de travail, il serait intéressant
de comprendre la démarche intellectuelle qui permet d'accréditer ces limites. On voit
malheureusement en œuvre un relent de la vision patrimoniale des rapports de travail, qu'on
s'efforce certes de contenir. L'observation concerne plus particulièrement les pouvoirs du
chef d'entreprise, et plus précisément leur fondement. L'observation intéresse aussi l'intérêt
de l'entreprise qui, si on ne le définit pas bien, peut ne masquer que l'intérêt de l'employeur,
et plus loin la force du droit de propriété.
Les limites ainsi étudiées peuvent surprendre par l'intensité des atteintes qu'elles
portent aux droits fondamentaux des salariés; mais dans leur principe elles sont bien connues.
519 L'idée générale de présomption de conformité des actes de l'employeur à l'intérêt de l'en.treprise reçoit ici
une exception.

En revanche d'autres limites pratiquement occultes menacent les droits fondamentaux. Le
prochain chapitre va tâcher de les examiner.
379

CHAPITRE II
LES LIMITES INFORMELLES A L'EXPRESSION DES DROITS
FONDAMENTAUX
On souligne assez le poids de l'environnement sur le droit du travail52o• Les facteurs
culturels, politiques et économiques jouent en effet un rôle très important dans les choix des
solutions par le législateur, et plus encore dans la mise en œuvre concrète de ces solutions.
Bien des dispositions de la loi sont restées pratiquement lettre-morte soit parce qu'elles ne
correspondent pas au contexte socioculturel où elles doivent s'appliquer, soit parce qu'elles
n'ont pas rencontré le tissu économique indispensable à leur expression521 • Le législateur lui
même tire déjà des conséquences du contexte économique pour infléchir la courbe de
protection des droits fondamentaux des salariés522.
Mais nous voudrions dans ce chapitre aller un peu plus loin que ce constat de
changement d'attitude du législateur. Au demeurant, le législateur n'est pas le seul acteur du
droit pouvant faire la lecture du contexte économique. Le juge, les partenaires sociaux, les
salariés sont conscients de l'influence du contexte économique. Les angles et peut-être même
les finalités de la lecture peuvent certes varier d'un acteur à un autre. Il en résultera des
exploitations différentes faisant même penser parfois à une manipulation des instruments du
droit au détriment des salariés. En tout état de cause, il faudrait au moins constater qu'existent
des limites pas toujours facilement reconnaissables à l'expression des droits fondamentaux
des salariés. Certaines sont incontestablement liées aux contraintes économiques (SECTION
1) ; d'autres résultent d'une mauvaise utilisation des instruments du droit. Il y a donc un
possible dévoiement de ces instruments (SECTION II).
520 V. X. BLANC-JOUYAN, Du bon usage de la méthode comparatiste en droit du travail, in Mélanges offerts à
André COLOMER, Paris, 1993, Litec, 75.
521
Il Y aurait sûrement de révélations déconcertantes si on fuisait une étude sur le degré d'effectivité des
dispositions camerounaises sur l'hygiène et la sécurité du travail, sur l'institution du délégué du personnel. En
fuit on peut observer sans effort qu'au Cameroun le travail dépendant se développe sur deux tableaux bien
différents: le secteur formel où on s'efforce plus ou moins à suivre la réglementation et le secteur informel où on
ignore presque tout du droit du travail.
m Grossièrement, on peut le voir dans les fissures faites dans le dispositif de l'ordre public social.
3sn

SECTION 1 : LES CONTRAINTES ECONOMIQUES
On ne devrait pas
avoir la naïveté de penser que seuls les pouvoirs publics et les
chefs d'entreprise peuvent saisir les données économiques et les répercuter éventuellement sur
les relations de travail. Déjà l'obligation faite au chef d'entreprise par le législateur français
de communiquer périodiquement aux institutions représentatives des ~ariés un certain
nombre d'informations à caractère économique concernant l'entreprise suffit à persuader que
les salariés peuvent eux aussi avoir une lecture des données économiques.
Bien plus complexe est la traduction des données économiques par les uns et les
autres. Des chefs d'entreprise on peut craindre un facile recours aux solutions tournées
exclusivement vers le souci de rentabilité économique et donc peu protectrices de la dignité
des salariés. De ces derniers on peut craindre l'acceptation de propositions déraisonnables. La
renonciation concerne en général les valeurs relatives comme la liberté ou l'égalité; mais elle
peut concerner aussi l'exigence de sécurité. En tout état de cause, ni les chefs d'entreprise, ni
les salariés ne peuvent être indifférents à l'état du marché. La forte concurrence économique
qui s'y déroule a un prix (PARAGRAPHE II). Entre autres réactions aux données
économiques, se nouent parfois des rapports ambigus entre la sécurité physique et le gain
(PARAGRAPHE 1)
PARAGRAPHE 1: LES RAPPORTS PARFOIS AMBIGUS ENTRE LA SECURITE ET LE
GAIN
Le poids des données économiques pousse parfois les décideurs à un réalisme qui se
traduit concrètement par une baisse du niveau des exigences de sécurité. La question intéresse
tous
les
droits
fondamentaux
des
salariés,
qui
subissent
quelques
restrictions
ou
aménagements nécessaires à l'activité de production. Mais appliquée au droit à la sécurité,
elle prend un relief particulier, parce qu'on pense que le droit à l'intégrité physique ne peut
souffrir de restriction. On peut pourtant remarquer que le législateur fait une liaison entre les
questions de sécurité et de charges financières des entreprises (A). Bien plus, lorsqu'on
observe attentivement certains mécanismes concrets par lesquels se réalise entre les salariés et
les entreprises l'échange de prestation de travail contre rémunération, on peut se demander si
3Rj

le concept d'indisponibilité du corps hwnain conserve toute sa pertinence. Sont en effet très
nombreuses des situations qui donnent à penser que la sécurité physique des personnes est
dans le négoce. La question devrait en tout cas être au moins posée (B).
A. L'exigence de sécurité et les charges financières des entreprises
On a depuis longtemps fait observer que les gouvernements, même s'ils répugnent à
fonder leurs décisions en matière de sécurité sur des analyses de rentabilité, sont bien obligés
de tenir compte de l'incidence de leurs programmes et des règlements qu'ils édictent sur
523
l'activité économique
. En effet, la société qui veut ramener le risque au degré zéro doit être
prête soit à sacrifier certaines productions directement ou indirectement dangereuses en
. s'accommodant des conséquences sur la productivité, l'emploi, les prix et les exportations,
524
soit à payer au prix fort des articles produits dans des conditions de sécurité absolue
.
En vérité, les législateurs ont toujours le souci de ne pas faire peser sur les entreprises
des charges incompatibles avec leur capacité financière. On comprend toute la portée des
dispositions tel l'article introductif de l'arrêté camerounais n° 039 du 26 novembre 1984 fixant
les mesures d'hygiène et de sécurité sur les lieux de travail. Cet article dispose que l'arrêté
"fixe les règles de base en matière d'hygiène et de sécurité sur les lieux de travail en vue d'une
protection aussi efficace que possible de la santé des travailleurs,,525. Il ne fait pas de doute
que dans l'esprit du législateur le niveau d'efficacité acceptable s'appréciera en fonction des
moyens financiers, matériels, institutionnels et humains qu'on peut raisonnablement mobiliser
pour assurer la prévention des atteintes. Sur le plan méthodologique, le choix des moyens à
mobiliser ne tiendra pas compte seulement du niveau d'efficacité avéré d'un dispositif éprouvé
ailleurs ; on intégrera aussi les contraintes liées aux coûts de ces moyens. Pour s'en
convaincre, il n'est que de considérer l'institution des seuils d'effectifs dans l'application des
m A. BEQUELE, La protection de la vie humaine dans le travail: son" coût" et ses avantages. R.I.T. vol. 123
nO l1984p.1.
524 lb'd
1 • p. 10.
52.5 Ce texte doit être rapproché de l'article L.230-2 du Code du travail français sur les principes généraux de la
prévention. Le législateur dit, entre autres, que le l:hef d'établissement doit" remplacer ce qui est dangereux par
ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui l'est moins ".
382

mesures d'hygiène et de ·sécurité526. En deçà du seuil fixé par le législateur, les problèmes de
sécurité ne sont pas forcément moins importants; mais on ne voit guère l'opportunité de
mobiliser la structure considérée.
De façon plus frontale, l'article L.263-3-1 du Code du travail français montre
comment il peut être" suicidaire" pour une entreprise de mettre en œuvre tel dispositif de
sécurité. Le texte traite des mesures qu'une juridiction saisie après un accident du travail peut
obliger l'entreprise en cause à prendre pour rétablir les conditions normales de sécurité. La
juridiction doit enjoindre à l'entreprise de présenter, dans un délai qu'elle fixe, un plan de
réalisation de ces mesures. Si l'entreprise ne présente pas de plan, la juridiction saisie la
condamne à exécuter pendant une période qui ne peut excéder cinq ans un plan de nature à
faire disparaître les manquements constatés. Dans ce dernier cas, dit le texte, les dépenses
mises à la charge de l'entreprise ne peuvent dépasser le montant annuel moyen des cotisations
d'accident du travail prélevé, au cours des cinq années antérieures à celle du jugement, dans le
ou les établissements où ont été relevés les manquements aux règles d'hygiène et de sécurité.
Ce plafonnement du montant des dépenses nécessaires au rétablissement des
conditions de sécurité montre bien que le tout n'est pas de vouloir poursuivre l'objectif de
non-dommage. Encore fait-il voir si l'entreprise est en mesure de survivre à la réalisation des
mesures recommandées.
Dans les faits, la recherche d'un équilibre entre les dispositifs de sécurité et la survie
des entreprises est très présente dans l'esprit des institutions en charge de l'hygiène et de la
sécurité, et même des autorités en charge du contrôle de la réglementation. On découvre alors
qu'une solution comme le contrôle a priori de la conformité des appareils et machines527 peut
à tort justifier un laxisme au nom de la survie des entreprises. En effet, si le contrôle a priori
participe très favorablement de l'objectif de prévention, il faut s'assurer qu'il n'encourage pas
la complaisance chez les personnes chargées du contrôle de la réglementation d'hygiène et de
sécurité dans l'entreprise. La tentation est grande pour ces personnes de se dire qu'une
machine déclarée non dangereuse ne peut pas être responsable d'un accident.
526y. Au Cameroun, l'article 8 de l'arrêté de 1984 précité prévoit un minimum de cinquante (50) salariés pour le
comité d'hygiène et de sécurité. L'article L.236-1 du Code du travail prévoit le même seuil d'effectifS pour le
comité similaire en France.
383

Le chef d'entreprise qui a investi d'énonnes sommes dans
l'acquisition de
l'équipement n'est pas lui même enclin à suivre, sur cet équipement, un jugement différent de
celui prononcé en amont par les autorités ayant effectué le contrôle a priori. Les compétences
techniques des autorités de contrôle peuvent avoir suffisamment d'influence sur le jugement
des autres intervenants en aval dans la " chaîne de sécurité" pour qu'ils osent prendre une
décision qui oblige l'entreprise à abandonner un dispositif de sécurité chèrement acquis.
Même les juridictions n'ont pas échappé à la propension à lier l'exigence de sécurité
aux charges des entreprises. La Cour d'appel d'Aix-en-Provence528 a rendu en matière de
droit de retrait un arrêt assez net sur la question. En l'espèce, deux ouvriers du bâtiment
auxquels il était demandé de mettre en place des hourdis au deuxième étage d'un immeuble
avaient refusé d'accomplir cette tâche parce que les conditions de sécurité étaient dangereuses
: des pluies et un vent violent fragilisaient le matériau utilisé et créaient des risques de chute;
aucun dispositif de protection n'était installé par l'employeur ; leur état de santé était
incompatible avec l'exécution du travail. En un mot, ils avaient estimé qu'il y avait danger
grave et imminent justifiant l'exercice du droit de retrait, ce qu'avait du reste pensé également
le Conseil des prud'hommes529 saisi à la suite de leur licenciement. Mais sur appel. la décision
fut infirmée. Pour repousser la prétention des salariés, la Cour d'appel a développé une série
d'arguments dont le fait que les deu:\\( salariés étant hautement qualifiés, étaient en mesure
d'apprécier mieux que d'autres que des contraintes économiques peuvent imposer l'exécution
de travaux dans des conditions difficiles.
On a dénoncé la référence ainsi faite aux contraintes économiques530. Elle est en fait
une de rares traductions fonnelles d'un exercice insidieux mais quotidien, consistant à mettre
en balance l'intégrité physique des salariés et les charges des entreprises. On peut être
particulièrement choqué ici parce que l'aveu vient du juge dont on aurait pu espérer un peu
plus d'intransigeance sur les questions de sécurité. Dans l'espèce suscitée, les salariés ont fait
527 Pour ces contrôles, voir 1. P. ANTONA et R. BRUNOIS, Hygiène et sécurité dans ['entreprise, Dalloz, 1991,
100 et s.
528 18 décembre 1990, inédit.
529 CPH. Arles, 11 avril 1989, inédit.
53Dp. IRIAT, Thèse op. cit., p. 160.
384

un pourvoi en cassation, mais n'ont pu trouver satisfaction, la Haute cour53 1 ayant refusé de
remettre en cause l'appréciation souveraine des faits par la Cour d'appeL
B. La sécurité est-elle parfois dans le négoce?
La question du rapport entre la sécurité et le gain intéresse un certain nombre de
situations de fait ou même de droit qu'on peut trouver aussi bien au Cameroun qu'en France.
Mais dans le preIIÙer pays cité, le poids de quelques facteurs socio-éconoIIÙques lui donne un
relief singulier. Nous ne considérerons ici que la pratique de faux certificats médicaux
d'aptitude établis à la demande des salariés, pour montrer à quel point on ne peut gagner
parfois son pain qu'au risque de sa vie. La question générale de l'abaissement contre argent
du niveau de protection et la rémunération de certains risques particuliers (1) précédera
l'examen du cas particulier des salariés qui demandent de faux certificats médicaux d'aptitude
(2).
1. Les questions de l'abaissement contre argent du niveau de sécurité et de rémunération
pour des risques particuliers
Un salarié a-t-il la liberté d'accepter, même contre argent, des conditions de travail
dangereuses? L'interrogation peut paraître indécente; mais elle s'impose si l'on veut saisir la
signification d'un certain nombre de données du droit positif.
Déjà, d'un point de vue historique, il n'est pas indifférent que l'idée et les mécanismes
de la réparation aient précédé cetLx de la prévention des accidents du travail532• Sans doute ne
pouvait-il en aller autrement dans un système où l'échange du salaire et du travail avait fait
disparaître de la relation de travail le corps et la personne du salarié, et justifiait une analyse
strictement patrimoniale du contrat de travail533 . Le salaire pouvait en tout cas être présenté
531 Soc, 20 janvier 1993, JCP 1993, II, jur., p. 246, note G. LACHAISE.
m Voir pour cette antériorité de ['idée et des mécanismes de la prévention, P. CHAUMETIE, Le comité
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et le droit de retrait du salarié, Dr. soc, 1983, 425 ; G.
LACHAISE, Le droit de retrait des salariés de leur poste de travail, JCP, 1991, Ed. E. n° 44, 451.
533 V. A. SUPIüT, Le juge et le droit du travail, thèse Droit, Bordeaux 1979, cité par P.
CHAUMETTE op. ciL,
426.
385

comme une compensation du risque encouru534• La rémunération incluait à la fois le travail
fourni et les inconvénients et dangers qu'il représente535• Cette vision a laissé des vestiges.
La perception sous le rapport marchand des conditions de sécurité du travail n'oublie
pas de souligner le rôle du consentement du salarié, au moins en termes d'acceptation des
risques. En France, l'attention a été attirée sur un certain nombre de dispositions, en
particulier celles du décret du 2 octobre 1986 relatif à la protection des travailleurs contre les
dangers des rayonnements ionisants. L'article 10 de ce texte dispose: "Dans des situations
inhabituelles de travail, lorsque d'autres techniques ne peuvent être utilisées, des expositions
concertées peuvent être tolérées sous réserve de l'application des dispositions suivantes:
"Seuls les travailleurs ayant donné leur accord (...) peuvent être soumis à des
expositions exceptionnelles concertées". Ce qu'on appelle ici expositions exceptionnelles,
c'est la faculté de doubler les possibilités annuelles prévues par le texte.
Plus loin, l'article 12 du décret traite des expositions d'urgence, consistant à aller au-
delà du double des limites annuelles: " Seuls des travailleurs volontaires ne présentant aucune
des conditions d'exclusion défmies à l'article la ci-dessus, et figurant sur une liste
préalablement établie de travailleurs spécialement informés sur les nsques des expositions
dépassant les limites, peuvent participer à une intervention impliquant une exposition
d'urgence ".
Dans l'esprit du législateur, ce qui fonde et légitime le dépassement des limites
d'exposition, c'est le consentement des salariés. Autrement dit, le salarié aurait la liberté
d'accepter des conditions d'emploi dangereuses.
En contrepartie de quoi le salarié accepte-t-il ces conditions de travail dangereuses?
Au moins en contrepartie de l'emploi. Au rnieLLx, il bénéficiera d'une prime de risque. Les
législateurs camerounais et français font obligation aLLX conventions collectives conclues au
niveau national de contenir des dispositions sur "les majorations pour travaux pénibles,
physiquement ou nerveusement, dangereux, insalubres ,,536. Est ainsi dévoilée la logique
534 G. LACHAISE, op. cit. 451.
535 Ibid.
536 V. Au Cameroun, article 7 du décret du 15 juillet 1993 sur les conditions de fond et de forPle applicables aux
conventions collective. En France, article L.133-5 du Code de travail.

marchande des primes de risque qui inondent les relations de travail. Au Cameroun, les
articles 41 de la convention collective des entreprises de travaux publics, du bâtiment et
activités annexes et 51 de la convention collective des hôtels, restaurants, cafés, bars et
dancings disposent que tout travailleur affecté à un poste comportant des risques et classé
comme tel par la commission nationale d'hygiène et de sécurité du travail peut bénéficier
d'une indemnité qui est détenninée d'accord parties.
Ce que les conventions collectives ne disent pas expressément, et qu'il faut pourtant
comprendre, c'est que la prime de risque se négociera aux conditions du marché.
En dehors de ces dispositions qui visent expressément la prime ou l'indemnité de
risque, il faut citer un certain nombre de dispositions prévoyant des primes qui se rattachent à
la même philosophie. Il en est ainsi des dispositions qui prévoient des primes de salissure537
ou
de
poste538.
Dans
une
moindre
mesure,
la
rémunération
majorée
des
heures
supplémentaires peut se rattacher à la même philosophie.
Au juste, l'idée d'un échange marchand sur la sécurité peut être moralement et même
juridiquement condamnable539. Mais il faut dépasser cette première observation pour
souligner que le risque est inhérent à toute activité productrice. On comprend mieux le sens de
la notion de risque professionnel. En principe donc, peu importe que pour un risque plus
important les parties contractantes conviennent d'une compensation fmancière.
En revanche, la pratique est inacceptable si elle vise à abaisser le ruveau de la
prévention. En effet, la protection assurée aux salariés est d'ordre public. Il est donc
juridiquement tout à fait impossible qu'un salarié renonce au bénéfice de la législation
protectrice de sa santé. Il y a là une certitude, une vérité juridique incontoumable54o• La
protection que la loi institue au profit du salarié s'impose même à ce dernier, parce qu'elle
procède de sa dignité. La décision du Conseil constitutionnel français du 27 juillet 1994
précitée souligne bien la " primauté de la personne humaine (...), l'inviolabilité, l'intégrité et
537 V. Article 72 de l'Accord d'établissement du 15 décembre 1984 des Brasseries du Cameroun.
538 V. Article 46 de la convention collective nationale des entreprises relevant du secteur de l'exploitation, de la
production et du raffinage des hydrocarbures.
539 L'article 16-1 du Code civil français dispose que le corps humain ne peut faire l'objet d'un droit patrimonial.
La décision du Conseil constitutionnel sur la loi nO 94-653 du 29 juillet 1994 qui est transcrite à cet article adopte
cette solution (Décision du 27 juillet 1994, D. 95-16° cahier, 238).

l'absence de caractère patrimonial du corps humain". Plus que de l'absence du caractère
patrimonial, il faut recourir à la notion d'indisponibilité du corps humain541 pour rejeter toutes
solutions par lesquelles on voudrait obtenir du salarié une renonciation à son droit à l'intégrité
physique. La dignité humaine commande donc qu'on soit intraitable sur l'exigence de
séc'urité. En conséquence, on rejettera toutes propositions de l'employeur visant à abaisser le
niveau de protection des salariés déterininé par la loi.
Quel employeur aurait-il cependant la naïveté de proposer ostensiblement au salarié un
abaissement du niveau de protection? Dans la pratique, les contrats de travail sont silencieux
sur ce point. Ils se bornent à définir un type d'activité ou d'emploi. S'il s'avère que celui-ci
est dangereux, on soutiendra que c'est dans sa nature et que le salarié y avait consenti542.
Mieux, l'employeur peut parfois proposer au salarié un emploi qui présente un niveau de
sécurité en deçà de celui exigé par la loi. Il sait que l'état du marché de l'emploi condamne le
salarié à accepter l'emploi sans trop s'interroger sur les conditions de sécurité qui l'entourent.
En effet, en cette fin de siècle, obtenir et conserver un emploi sont des enjeux
fondamentaux543 . L'état du marché du travail condarrme parfois les demandeurs d'emploi et
les salariés à laisser pratiquement en veilleuse l'exigence de sécurité s'ils veulent avoir ou
garder leur place parmi leurs semblables544• Le fait de gagner sa vie ou de tenir à une certaine
identité sociale s'accompagne dès lors d'inconvénients excessifs en termes de risques
acceptés. L'exigence de sécurité va ainsi être mise entre parenthèses non pas parce qu'il
manque de règles juridiques qui l'affinnent, mais parce qu'elle est aux prises avec des
mécanismes du marché qui lui sont défavorables. On n'est pas sur un telTain juridique, mais
sur un terrain para-juridique. Certes il ne faudrait pas aller jusqu'à dire qu'ici l'économie
commande au droit545, puisque malgré tout la règle de droit demeure inchangée. Son seul
mérite serait ici de rappeler l'exigence de dignité humaine malgré les vicissitudes du jeu du
marché. Le discours sur les droits fondamentaux a cette incontestable vertu de se montrer
toujours plus indispensable lorsque ces droits sont en difficulté.
540 H. SEILLAN, Sécurité du travail et ordre public, Dr. soc. p. 374.
541 Voir sur cette question, M. GOBERT, Réflexions sur les sources du droit et les" principes" d'indisponibilité
du corps humain et de l'état des personnes. RTD civ. 1992.489.
542 H. SEILLAN op. cit.
543 G. LACHAISE, Le droit de retrait, op. cit. 451.
544 Le travail est indiscutablement un moyen d'identification sociale.
545 B. TEYSSIE pense que l'économie commande au droit du travail
Cf. Liaisons sociales, n° 136/90 du 19
décembre 1990.
3SS

En tout état de cause, le salarié qui accepte la proposition d'emploi dans des
conditions de sécurité médiocres sait sans doute qu'il accepte un abaissement du niveau de sa
protection546• Il sait aussi qu'il prend un risque s'il tient un emploi sans examen d'aptitude à
cet emploi
2. La pratique au Cameroun d'établissement de/aux certificats d'aptitude à la demande des
salariés
Au Cameroun les dispositions légales et surtout réglementaires perçoivent les
rapports état de santé-emploi et plus précisément la question du reclassement beaucoup plus
sous l'angle de la conservation de l'emploi. Cette situation influence l'attitude des salariés
vis-à-vis des examens d'aptitude à l'emploi. Certains peuvent au besoin dissimuler une
maladie persistante pour être maintenus sous contrat de travail.
En vérité, il ne s'agit que d'un aspect particulier d'un comportement plus général
qu'on retrouve à toutes les phases du contrat de travail où le sort du salarié peut dépendre de
son état de santé. Ainsi, aussi bien au niveau de l'examen médical d'embauche qu'au niveau
des examens médicaux périodiques, le salarié est parfois prêt à tout pour être déclaré apte. Il y
parviendra d'autant plus facilement que chez certains praticiens les certificats médicaux sont
547
établis sans examen et sur commande des patients
.
L'explication est simple : l'emploi est rare, et personne ne souhaite manquer
l'opportunité d'en avoir un, ou perdre celui qu'il a déjà obtenu, parce qu'il est reconnu inapte.
Les" diligences" du salarié pour trouver ou conserver un emploi peuvent être d'autant plus
importantes que hors du rapport de travail, la société ne lui fournit aucun moyen de
subsistance548 • Le tissu économique étant insuffisamment développé, il n'existe pas une
diversité d'emploi pouvant correspondre à de degrés variés d'inaptitude. Dès lors, le salarié
546 Cela ne veut pas dire qu'il est facile au salarié de savoir le niveau de protection qui lui est garanti par la loi. II
fait face à delLx obstacles de fait et de droit. De fait, l'état des connaissances des salariés sur les exigences légales
et réglementaires en matière de sécurité est des moins satisfaisants. L'accès alLX connaissances est ici
singulièrement compliqué par la technicité des normes. D'un point de vue juridique, on peut parfois douter du
niveau exact de protection que recherche le législateur. Son langage est en effet parfois imprécis.
547 Pour les certificats médicaux de complaisance, on lira utilement l'étude bien illustrée de E. KInü, La valeur
actuelle des actes médicaux à caractère judiciaire devant le juge répressif camerounais, Juridis Périodique, nO 27,
91.
548 Au Cameroun, il n'existe aucun régime de protection du chômeur, ni d'indemnisation spéciale pour celui qui
perd son emploi pour des raisons de santé.
389

ou le demandeur d'emploi atteint même d'une légère inaptitude est pratiquement sûr de sortir
du marché du travail. Il faudrait aussi souligner le faible développement du travail
indépendant549, qui fait que celui qui n'est pas sous contrat de travail est souvent au chômage.
Les conséquences qui en découlent s'évaluent non seulement en termes de dénuement
matériel, mais aussi de déconsidération sociale. La peur du chômage et de ses conséquences
inéluctables explique donc des prises de risques anormaux de la part des salariés ou des
chercheurs d'emplo~ peut-être pas toujours suffisamment informés des ·réelles possibilités
d'aggravation de telle ou telle maladie du fait de l'emploi qu'on tient.
A vrai dire, notre ère est celle de la peur du « marché du travail »550. Les liens du
marché du travail avec le marché tout court ne sont plus à démontrer. Les relations ambiguës
qui se nouent entre la sécurité et le gain ne sont qu'une facette du lourd prix de la concurrence
économique.
PARAGRAPHE II : LE PRIX DE LA CONCURRENCE ECONOMIQUE
Produire en masse pour tàire face à la concurrence est une solution qui va de soi pour
les entreprises. Mais dans une large mesure, produire en masse veut dire produire vite. La
remarque intéresse l'entreprise, mais elle peut aussi être ramenée à la dimension individuelle
du salarié qui doit accélérer son rythme de travail pour répondre am( objectifs fi'Cés par la
direction voire ceux qu'il s'est fi'Cé lui-même pour une raison ou une autre551 . II n'est pas
impossible qu'à ce niveau l'exigence de la sécurité des personnes subisse le contrecoup de
certains choix. La question sera examinée sous le rapport sécurité/et rythme de production
(A). Puis on soulignera que la réaction à la concurrence peut être le nivelage par le bas des
conditions de travail (B).
549 Sans doute à cause d'une politique de formation tournée vers le travail dépendant, [a conscience collective
tient en mépris le travail indépendant tant qu'il ne génère pas une masse de richesses visible.
550 Métaphore qui désigne très improprement le rapport de l'offre et de [a demande de travail.
551 La rémunération du travail dépend parfois très étroitement du volume de la production indwiduelle du salarié.
390

A. La sécurité et le rythme de production
L'attention a été attirée sur les salariés à statut précaire, désignés comme des victimes
"privilégi~" des accidents du travail552. Cette situation tient, entre autres, aux pressions
commerciales qui sont exercées sur eux aux fins de les rendre rentables ·pour le temps bref
qu'ils passent dans l'entreprise553• Leur sécurité est ainsi parfois mise à mal par le souci
somme toute légitime de rentabilité.
Il est sûr que même en mettant de côté les pressions commerciales, il n'est pas facile
de veiller à la santé et à la sécurité des salariés intérimaires. Ils sont sous le poids de plusieurs
facteurs qui rendent difficile la prévention des risques professionnels554 . Cette observation a
conduit le législateur français à prévoir des règles particulières pour la santé et la sécurité des
travailleurs intérimaires555. Lorsqu'il lui a paru impossible d'assurer la protection de ces
salariés contre des risques provenant de certains travaux particulièrement dangereux. le
législateur français a purement et simplement interdit le recours au travail temporaire pour ces
travaux556. Il s'agit de travaux comportant l'exposition à des agents nocifs, tels qu'acide
fluorhydrique, sulfure de carbone, travaux exposant à l'inhalation des poussières de métaux
durs etc... Mais cette interdiction n'est pas absolue, puisque le législateur prévoit que dans
certaines conditions, le directeur départemental du travail et de l'emploi peut accorder une
dérogation.
L'examen du droit camerounais du travail précaire ne montre pas que le législateur a
mis en avant l'exigence de sécurité des travailleurs. Tout d'abord, les hypothèses légales
d'ouverture de la possibilité du recours au travail intérimaire montrent que la préoccupation
essentielle est la production. La possibilité du recours au travail temporaire est ouverte pour
552 L. CASAUX, La médecine du travail des salariés temporaires. Dr. soc 1994,943.
553 Ibid.
554 Encore une fois, le moindre se ces facteurs n'est pas la brièveté du passage dans l'entreprise. Au Cameroun,
les durées maximales des contrats intérimaires sont de trois mois pour le travail temporaire et quinze (15) jours
pour le travail occasionnel, chacun des contrats pouvant être renouvelé une seule fois. A l'évidence, le salarié
passe très peu de temps dans l'entreprise pour qu'on puisse organiser à son profit une surveillance médicale.
555 Des mesures de protection commencent avec la loi du
12 juillet 1990 avant de se poursuivre avec la
transcription de la Directive européenne n° 91-383 du 25 juin 1991 complétant les mesures visant à promouvoir
l'amélioration de fa sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée
déterminée ou une relation de travail intérimaire.
391

" le remplacement d'un travailleur absent ou dont le contrat est suspendu, [soit] l'achèvement
d'un
ouvrage
dans
un
délai
déternùné
nécessitant
l'emploi
d'une
main
d'œuvre
supplémentaire557 ". La possibilité du recours au travail occasionnel est ouverte pour
"résorber un accroissement conjoncturel et imprévu des activités de l'entreprise ou
l'exécution de travaux urgents pour prévenir des accidents imminents, organiser des mesures
de sauvetage ou procéder à des réparations de matérieL d'installations ou de bâtiments de
l'entreprise présentant un danger pour les travailleurs558 ". Si une des hypo-thèses d'ouverture
vise justement les mesures de sauvetage, et donc un objectif de sécurité, il n'en résulte pas
forcément que des dispositions sont prises pour assurer la sécurité des sauveteurs. Et
lorsqu'on imagine que le droit camerounais ne contient aucune disposition qui oblige
l'employeur à former les salariés à la sécurité, on prend la mesure des risques d'accident
auxquels sont exposés les travailleurs intérimaires. L'employeur trop soucieux de la
production mettra directement le salarié au travail sans la moindre initiation.
On peut regretter que le législateur ouvre la possibilité du recours au travail
intérimaire sans égard au degré de risque dans l'activité concernée. Ainsi, une entreprise où
on est exposé aux produits les plus nocifs pourrait légalement recourir au travail intérimaire si
elle y trouve son compte.
Le salarié, chez qui la conscience du danger n'est pas toujours suffisante, s'active à
produire vite, surtout s'il est rémunéré à la tâche. Bien entendu, il miroite la possibilité de voir
son contrat se transformer en un contrat de longue durée, ce qui ne peut qu'accroître son zèle.
Quand bien même le dispositif de sécurité est bien ordonné, il a tendance à le violer s'il
comporte trop de contraintes et ralentit son rythme de production559.
L'observation empmque du marché du travail camerounais permet de dire que le
risque d'atteinte à l'intégrité physique en raison du recours intempestif au travail intérimaire
est inégalement réparti dans les professions. Si l'on considère par exemple le secteur du
commerce, il n'y a pas de raison de s'inquiéter outre mesure. Il n'y a pas ici d'exposition à de
risques particuliers. C'est peut-être ce type d'activité que le législateur avait plus en vue
556 V. Article L.124-2-3.
557 V. Article 25 al. 4 du Code du travail.
558 Ibid.
559 Une étude sur la sociologie des accidents chez les travailleurs intérimaires montrerait sans doute que ces
accidents s'expliquent dans une large mesure par le souci de ces salariés de montrer qu'ils sont très performants.
392

lorsqu'il organisait le travail précaire. Mais le travail intérimaire se développe aussi ailleurs,
et en particulier dans le secteur des travaux publics.
Ensuite, il n'est pas sÛT que le législateur camerounais impose un examen médical
d'aptitude préalable à l'emploi des intérimaires. L'examen médical préalable à l'embauche est
une exception par rapport à la règle de principe qui est l'admission à l'emploi des salariés
. dont on ne s'est pas préalablement assuré de l'aptitude. Sur cette question, la lecture du seul
article 100 du Code du travail camerounais pourrait tromper. Cet article dispose clairement
que "tout salarié doit obligatoirement faire
l'objet d'un examen médical avant son
embauche". Mais son arrêté d'application ne prévoit cet examen que pour" l'aptitude à
l'embauche définitive ,,560, sauf quelques exceptions qu'il cite. Finalement on comprend que
l'examen médical à l'embauche peut être différé si on prend soin de recourir à l'essai56 1•
Cette solution est contestable du point de vue de la santé et de la sécurité des salariés.
L'essai s'exécutant dans des conditions matérielles identiques et même parfois plus difficiles
que le contrat définitif, il n'y a pas de raison que le salarié y accède sans aucun contrôle
d'aptitude. Les risques particuliers que courent les travailleurs à l'essai tiennent justement à
leur volonté de se montrer très perfonnants.
Le législateur devrait donc intervenir pour faire triompher l'exigence de sécurité des
562
salariés de l'objectif de production et de rentabilité des entreprises
.
560 V. Article II de l'arrêté du 26 novembre 1984 fixant les mesures d'hygiène et de sécurité sur les lieux de
travail..
561 Pratiquement tous les contrats de travail (définitifs) sont précédés d'un essai.
562 Deux voies cumulatives devraient être suivies. D'une part, il faudrait fermer l'ouverture de la possibilité du
recours au travail intérimaire pour les activités particulièrement dangereuses. D'autre part, il faudrait organiser
pour les travailleurs intérimaires une surveillance médicale spéciale qui tient compte de la très courte durée de
leur contrat de travail. Leur travail, sa durée fut-elle courte, ne doit pas s'exercer au détriment de leur santé ou de
leur vie.
En attendant, on peut interpréter comme imposant un examen médical avant embauche des salariés intérimaires
l'article Il de ['arrêté du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales d'hygiène et de sécurité sur les lieux de
travail. Ce texte, qui ne concerne certes pas le travail intérimaire mais est général, dispose que l'examen médical
avant l'embauche est obligatoire pour des travaux comportant un risque grave soit en raison de la nature des
produits et agents manipulés ou utilisés, soit en raison des conditions dans lesquelles le travail est exécuté. La
trop courte durée du contrat ne peut-elle pas être considérée comme une circonstance particulière comportant un
risque grave dès lors qu'elle ne laisse pas au salarié le temps de connaître son milieu?
J9J

B. Le risque de nivelage par le bas des conditions de travail
On ne peut ignorer aujourd'hui les interactions entre les droits fondamentaux de la
personne humaine et le marché. Les droits fondamentaux interviennent indiscutablement
comme une réserve d'ordre public, un socle minimal
que le jeu du marché se doit de
respecter pour rester pertinent. Cette fonction des droits fondamentaux s'observe par exemple
dans les exigences du respect de la sécurité des personnes dans -la fabrication,
la
commercialisation et l'utilisation des produits. Mais à cette fonction s'est greffée une autre, en
liaison avec la concurrence commerciale: les droits fondamentaux sont réclamés comme outil
d'égalisation de la concurrence. La question est particulièrement importante en droit du
travail, où elle justifie le débat actuellement en cours sur l'insertion des clause sociales dans
les accords de commerce563 .
Le propos est simple: de deux pays qui produisent les mêmes biens de consommation,
la concurrence ne peut être soutenable que s'il y a dans l'un et l'autre respect de normes
minimales de travail, puisque le respect de ces normes a un coût qui s'intègre au prix de
revient du bien proposé à la vente. Si les conditions de la concurrence commerciale sont
troublées par le respect inégal des normes de travail, et donc par le jeu des charges sociales
inégales, les pays peu soucieux du respect des normes minimales de travail tireront un
avantage indu de ce déséquilibre564.
La liaison entre le commerce et les conditions de travail n'est pas récente565. Et si on
en est resté pratiquement au niveau des débats, c'est justement parce qu'il y a des résistances
plus ou moins justifiées de la part des pays qui ne respectent pas assez les normes minimales
de travail566. Mais le marché a des modes de régulation informels, discrets, mais très
profonds, qui ne tardent pas à prendre le pas sur la régulation juridique. Dans le rapport entre
les droits fondamentaux des salariés et la concurrence commerciale, il faut craindre qu'à
défaut de se faire entendre, les pays respectueux des droits fondamentaux se résignent à
563 Sur la question, voir le numéro du Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité socilae consacré à la
dimension sociale de la mondialisation, 1996.
564 La question est à juste titre appréhendée sous l'angle de la loyauté :V. 1. P. SARDIN, La loyauté dans les
échanges intemationaux : le débat sur l'hannonisation des nonnes de travail, Bulletin du COMPTRASEC op. cit,
21.
565 V. A. LYON-CAEN, La pérennité d'une interrogation, Bulletin du COMPTRASEC op. cit., 13
394

abaisser le niveau de protection des salariés afin d'égaliser les conditions de la concurrence
commerciale. Le jeu est d'autant plus dangereux que les pays qui profitent du non respect des
nonnes minimales de travail ne sont pas disposés à perdre ce qu'ils considèrent comme leur
avantage. La concurrence se déplace sur le terrain social, mais par le moyen d'une
"surenchère vers le bas". Il en résulte forcément ce qu'un auteur567 a appelé un .. bradage
social" dans des pays où des entreprises sont traditionnellement respectueuses des droits
fondamentaux.
La prise par un certain nombre de multinationales de " Codes de conduite ,,568, sortes
de lignes de conduite en matière de droits fondamentaux que les maisons-mères donnent à
leurs filiales à l'étranger, est de nature à tempérer les craintes d'un nivelage par le bas des
conditions de travail. Ces" Codes de conduite" replacent le respect des droits fondamentaux
au cœur des préoccupations des entreprises sans la médiation des autorités des pays d'accueil.
Mais comme on l'a souligné, les exemples de multinationales qui s'engagent réellement à
respecter les droits fondamentaux de l'homme au travail dans le cadre de leurs activités sont
rares569• Ils ne peuvent occulter la réalité largement dominante de pratiques indifférentes aux
aspects sociaux les plus élémentaires57o. D'autant plus que les investisseurs étrangers trouvent
parfois dans des pays d'accueil des facilités de contournement voire de violation frontale des
nonnes qu'ils n'ont pas dans leur pays d'origine. Ils utilisent ces facilités pour démanteler la
protection sociale nationale.
Le raisonnement sur la liaison entre les droits fondamentaux des salariés et la
concurrence commerciale peut être ramené au niveau de deux entreprises d'un même pays,
produisant dans des" conditions sociales" différentes. Et ici, le mouvement de nivelage par le
bas est plus insidieux et plus rapide encore dans la mesure où les concurrents se connaissent
bien et se surveillent plus étroitement. Une espèce soumise à à la Cour de cassation est
suffisamment nette à ce sujet. Après reprise d'une entreprise, l'employeur procède à un
566
V. P. STAELENS, La clause sociale,: pOSItIon des pays en voie de développement, Bulletin du
COMPTRASEC, op. cit., 57. H. SUZUKI, Normes sociales et développement économique, point de vue des
pays asiatiques, Bulletin du COMPTRASEC op. cit. 116.
567 J M. SERVAlS, Les aspects sociaux de la libéralisation du commerce international ou la clause sociale
revisitée, Bulletin du COMPTRASEC op. cit., 215.
568 V. L. COMPA, Les" codes de conduites" dans les sociétés multinationales américaines: les exemples de
LEV1-STRAUSS & co. et REEBOK CORP, Bulletin du COMPTRASEC, op. cit., 180.
569 1. DAUGARE1LH, Commerce international et pratiques sociales de multinationales françaises, Bulletin du
COMPTRASEC op. cit, 195.-
no Ibid.
395

lalignement vers le bas des rémunérations. La Cour trouve cette mesure justifiée, comme
~rOCédant de la volonté patronale de rendre les coûts de fabrication comparables à ceux des
1 .
571
entreposes concurrentes
.
Hier encore la loi et la règle de solution des conflits de normes constituaient de solides
remparts contre toute tentative de nivelage par le bas. Aujourd'hui le dispositif a enregistré
Ides fissures'" qui montrent quelques risques de régression sociale. A partir du moment où
Il'entreprise peut dans une certaine mesure s'autoréguler, on doit veiller à ce que
Il' autorégulation ne débouche pas sur une mise entre parenthèses des droits fondamentaux des
lsalariés, qui irrunanquablement entraînerait les concurrents,
Un arrêt de la Cour d'appel de Douala573 montre bien combien, même en faisant la
comparaison seulement à l'intérieur de l'entreprise, la tentation est grande chez l'employeur
d'aligner la situation des salariés les mieux traités sur celle du moins bien traité. L'occasion
était celle d'une proposition de modification du contrat de travail présentée comme alternative
au licenciement pour motif économique. L'employeur, qui avait alors opéré, pour une
secrétaire de direction, une baisse de salaire plus importante que celle arrêtée de commun
accord avec les délégués du personnel, soutenait qu'il l'avait fait afin de mettre la salariée au
niveau des autres secrétaires de direction574" L'employeur révélait ainsi une pratique plus
présente qu'on ne s'imagine a priof7.· La condition du salarié le plus défavorisé est parfois
pour l'employeur la référence pour des propositions de modification des contrats de travail.
L'observation est vraie pour le salaire ; elle l'est aussi pour tous les autres aspects de la
condition du salarié qui ont un lien étroit avec les droits fondamentaux des salariés575 ,
L'employeur pourrait trouver ici un terrain favorable si l'élément en cause est analysé comme
relevant du domaine des conditions de travail576, En effet, lorsque l'élément que l'employeur
veut modifier est classé dans les conditions de travail, l'abaissement de niveau de protection
571 Soc., 26 janvier 1994, L. S., nO 7014, p. 21.
572 Nous faisons allusion aux accords dérogatoires en France, et aux accords sur les mesures alternatives au
licenciement pour motif économique au Cameroun.
573 Arrêt nO 236/s du 3 mai 1996, inédit.
574 Pour la même pratique en France, on lira avec intérêt un arrêt de la Chambre sociale du 13 décembre 1993, 1.
S. UIMM, 1994,p. 57. Un employeur avait réduit de 30 à 40 % la rémunération de certains salariés. La cour
affinne que cette modification était destinée à assurer l'égalité de rémunération entre les salariés de même
catégorie en raison de graves difficultés économiques. Elle la trouve en conséquence justifiée par l'intérêt de
l'entreprise.
575 Par exemple l'organisation du temps de travail, le lieu de travail.
~~- En droit camerounais, on parle non pas d'élément relevant des conditions de travail, mais d'élément non
substantiel. Mais le mécanisme de fonctionnement de l'institution est le même.
396

est facilité puisqu'il n'a pratiquement aucune précaution particulière à prendre. On pense qu'il
exerce simplement son pouvoir de direction. Comme pour la proposition de modification des
contrats de travail, la condition du salarié défavorisé peut jouer comme un guide pour le chef
d'entreprise dans l'exercice de son pouvoir de direction.
Dans presque tous ces cas où de façon plus ou moins insidieuse la condition du salarié
défavorisé exerce de l'attraction sur celle des autres salariés, l'employeur répercute
consciemment ou non au sein de l'entreprise et plus précisément dans des rapports
interindividuels des schémas de réaction contre la concurrence. Finalement, le nivelage par le
bas sur fond de concurrence se déploie sur deux dimensions bien distinctes : une dimension
extérieure à l'entreprise où le modèle de référence est l'entreprise la moins favorable à
l'expression des droits fondamentaux des salariés; et une dimension interne à l'entreprise où
le modèle de référence est le salarié le moins favorisé.
Comme on l'a souligné ci-dessus, l'employeur peut, dans cette démarche, bénéficier
du concours de la règle de droit. Non pas que la règle est conçue à cette fin. Mais même
animée de la plus noble des intentions, la règle de droit peut manquer son objectif Il faudrait
le dire: les droits fondamentaux des salariés souffrent parfois d'un dévoiement des outils du
droit.
SECTION II : LE DEVOIEMENT DES OUTILS DU DROIT
Bien des salariés peuvent être aujourd'hui embarrassés par les dispositions de l'alinéa
8 du préambule de la Constitution française de 1946577 qui prévoit que "tout travailleur
participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de
travail... ". Ce principe qui, en 1946, était dit" particulièrement nécessaire" le demeure-t-il
aujourd'hui? Sans aucun doute, et on comprend que la Déclaration de l'OIT du 18 juin 1998·
relative aux principes et droits fondamentaux au travail rappelle le droit de négociation
collective. Les effets bénéfiques de la participation des salariés sont en vérité indiscutables578
577 Ces dispositions constitutionnelles ont inspiré un certains nombre de dispositions légales en France, voir au
Cameroun, puisque le premier Code du travail au Cameroun vient de la France, et contient un fonds de
dispositions que les codes successifS ont reprises.
57~ Ce qui suit vise donc, non pas à remettre en cause l'option de reconnaître le droit de participation, mais à
mIeux en organiser les modalités d'exercice dans l'intérêt des salariés.
397

; mais ils ne cachent nullement la réalité de la régression sociale qui s'orchestre à partir du
principe de participation. La vérité est simple : les antagonismes qui sont pratiquement
consubstantiels au monde du travail s'expriment parfois par des voies plus subtiles. Si
l'employeur ne peut s'opposer à un certain nombre d'institutions favorables aux salariés, au
moins va-t-il essayer de les retourner à son avantage. Au Cameroun, un tel procédé trouvera
même parfois un appui involontaire des pouvoirs publics. Le terrain qui montre parfaitement
ce jeu est actuellement celui de la participation des salariés à la détermination de leurs
conditions de travail (PARAGRAPHE I). Mais la même stratégie peut s'observer aussi sur un
terrain plus traditionnel: le règlement intérieur (pARAGRAPHE II).
PARAGRAPHE l : LA PARTICIPATION DES SALARIES A LA DETERMINATION DE
LEURS CONDITIONS DE TRAVAIL
Sous la rubrique de la participation des salariés à la détermination de leurs conditions
de travail, deux phénomènes sont facilement observables: d'une part, l'existence de plusieurs
institutions pouvant parler au nom des salariés a donné lieu à de difficultés d'articulation des
rôles (A) ; d'autre part, et plus particulièrement au Cameroun, la logique de l'assistance
publique a pris la place de celle de liberté publique (B).
A. La difficile articulation des rôles respectifs des institutions représentatives des
salariés
Les droits camerounais et français présentent, en matière d'institutions représentatives
des salariés, des différences significatives. Déjà en nombre, la différence est sensible
puisqu'au Cameroun on ne trouve que les délégués du personnel et les syndicats, qui sont
même pratiquement inexistants dans les entreprises. En France, il faut en plus compter le
COIJÙté d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Les
questions d'articulation de rôles ne se posent donc pas forcément dans les mêmes tennes.
Nous présenterons le problème d'abord au Cameroun (1), ensuite en France (2).
398

1. Les diffICultés d'articulation des rôles au Cameroun
En raison du caractère embryonnaire de la dimension collective des rapports de
travail au Cameroun, les pro blèmes d'entrée en scène des représentants des salariés ne se sont
pas posés avec acuité dans l'entreprise. Mais à l'horizon ils sont perceptibles. En effet, ce
n'est que très tardivement que les pouvoirs publics ont perçu l'importance de la participation
effective des salariés à la détermination de leurs conditions de travail579• L'évidence s'est
imposée à eux à la suite de la crise économique. Les solutions imaginées jusque là par le
législateur se sont montrées insuffisantes ou non appropriées pour faire face aux nouveaux
défis580.
La négociation fut donc retenue comme voie de solution des problèmes; mais il restait
à l'organiser, et notamment à dire qui participerait à la négociation du côté des salariés. La
formule classique581 ne pouvait être utilisée: il n'y a pas de représentants syndicaux dans les
entreprises. Par la force des circonstances, les interlocuteurs des employeurs à la négociation
furent les délégués du personnel, seule institution représentative présente dans les entreprises.
Ces négociations furent faites dans l'informel, faute de dispositions habilitant les délégués du
personnel à négocier les accords collectifs.
En 1992, dans le nouveau Code du travail, une assise légale fut trouvée à ce nouveau
champ d'intervention des délégués du personnel. En effet, le licenciement pour motif
économique est obligatoirement précédé d'une négociation entre l'employeur et les délégués
du personne1582. Cette négociation vise à trouver des mesures alternatives aux licenciements
ou, si les licenciements sont inévitables, en limiter le nombre583 .
Le législateur semble bien indiquer qu'il institue une législation de crise en permettant
aux délégués du personnel de conclure des "accords" pour éviter ou limiter le nombre de
licenciements. En effet, les mesures prises doivent être, selon l'article 40 du Code du travail,
579 Les "négociations" menées pour la conclusion des conventions coIlectives existantes ne furent qu'un leurre.
Elles étaient sous la domination des pouvoirs publics qui s'étaient en fuit substitués aux prétendus négociateurs.
580 Ceux-ci ne sont pas seulement la conservation immédiate de l'emploi, mais aussi la conservation pour
longtemps de celui-ci. Cette conservation à long terme passe forcément par la survie de l'entreprise. Il a fallu
d'urgence mettre fuce à face les salariés de l'entreprise et l'employeur.
581 La négociation est classiquement de la compétence des syndicats.
582 Dans l'hypothèse où il n'existe pas de délégué du personnel dans l'entreprise concernée, l'inspecteur du
travail fuit désigné un représentant ad hoc des salariés à l'initiative de l'employeur.
399

précisées dans un procès verbal qui en indique la durée de validité. Il pourrait sembler
excessif de tirer des conséquences de ce que l"'accord" est consigné dans un procès verbal de
réunion, plutôt que publié dans le mode classique des accords collectifs584. Mais il faudrait
vraiment insister sur la question de la durée de l'accord. Même si la loi n'exclut pas
l'hypothèse que les mesures prises soient à durée indétenninée, son esprit suggère qu'elles
soient à durée bien détenninée. On a là une différence notable avec les conventions
collectives dont l'article 5 du décret nO 93/598 du 15 juillet 1993 dit qu'elles sont conclues
toujours pour une durée indéterminée.
D'autre part, cet « accord» ne s'impose pas au salarié qui le "refuse par écrit". Mais
dans ce cas, celui-ci peut être licencié avec paiement de ses droits. Dans la mesure où, en fin
de compte, c'est chaque salarié qui décide individuellement d'accepter ou de refuser la mesure
contenue dans l'accord, on peut penser que cet accord n'est pour le salarié qu'une proposition
de modification de son contrat ou, largement de son « statut », même si la proposition
n'émane pas de l'employeur. Au moins peut-on dire qu'il est à l'initiative de l' « accord »,
puisque c'est lui qui décide de déclencher le processus585. C'est dire en définitive que même
si dans sa dénomination et son processus d'élaboration l'
« accord» sur les mesures
alternatives au licenciement pour motif économique emprunte les apparences d'un accord
collectif, il est quant à sa nature juridique, assimilable à une proposition de modification.
Certes, dans ce dispositif on pennet au salarié d'exprimer son refus même si les éléments
touchés par l'accord ne relèvent pas du contrat de travail. Mais dans la mesure où son refus
autorise l'employeur à le licencier, on ne peut trop s'embarrasser outre mesure de la confusion
qui est ainsi faite entre les éléments qui relèvent du contrat de travail et ceux qui n'en relèvent
pas.
583Voir article 40 du code du travail.
584 A l'égard des salariés, et sous réserve du refus que chacun peut exprimer, l'accord produit un effet erga
omnes comparable à celui de tout accord collectif.
585. Certes, l'assimilation du mécanisme à celui de la modification substantielle comporte quelques limites, plutôt
de fait que de droit. D'une part, dans l'hypothèse la plus habituelle, les mesures contenues dans l' « accord » sont
à durée déterminée: Dans ce cas, ces mesures doivent cesser de s'appliquer dès l'arrivée du terme stipulé: les
dispositions suspendues redeviennent applicables. C'est dire que si on admet, comme dans l'hypothèse de
modification du contrat de travail prévue par l'article 42 alinéa 2 du Code du travail, qu'il ya novation dans les
rapports contractuels, il faudrait souligner que cette novation ne joue que dans l'intervalle de temps de validité de
la mesure. La solution paraît juridiquement défendable.
D'autre part, le mécanisme est un peu différent de celui de la proposition de modification de l'article 42 alinéa 2
parce qu'a priori le législateur autorise l'employeur à licencier le salarié qui refuse l' « accord», sans qu'il y ait
à chercher si 1'« accord» est conclu dans l'intérêt de l'entreprise. Lejuge ne pourrait, semble-t-il, déclarer un tel
licenciement abusif. En revanche, il semble que l'employeur peut décider de ne pas licencier le salarié qui refuse
l' « accord». Dans ce cas, son contrat doit se poursuivre dans les termes antérieurs à l' « accord».
400

En revanche, le dispositif pose des problèmes lorsqu'il permet que dans le cadre de
l'entreprise on remette en
cause les éléments du « statut collectif» des salariés fixés en
amont, par, exemple dans la convention collective nationale.
Et quoi qu'il en soit, l'idée de permettre aux délégués du personnel et même aux
salariés ordinaires, représentants ad hoc, de négocier des "accords" avec l'employeur est en soi
grosse de transformations. Le syndicalisme naissant en montrera les implications réelles
lorsque les dirigeants syndicaux voudront jouer dans l'entreprise leur rôle" naturel" qui est la
négociation avec l'employeur. On verrait bien alors que se pose un grave problème de
définition des rôles des représentants des salariés.
2. Les difficultés d'articulation des rôles en France
Beaucoup de critiques ont été faites aux dispositions reconnaissant aux salariés le
droit d'expression sur leurs conditions de travail586. Certaines de ces critiques étaient
révélatrices d'un risque de détournement de l'institution de sa mission normale. On ne voyait
par exemple dans le droit d'expression qu'une manipulation visânt à "remplacer la prise de
pouvoir par les salariés par une prise de parole ,,587. Plus gravement, Force Ouvrière a soutenu
que la reconnaissance d'un droit d'expression directe des salariés porte en germe le risque de
l'élimination à terme du syndicalisme et constitue à ce titre la négation de tout ce pourquoi
elle lutte588 .
Ces appréhensions n'étaient peut-être pas sans fondement. Mais l'écoulement du
temps a montré que la place et le rôle des syndicats sont menacés moins par l'expression
directe des salariés sur leurs conditions de travail que par les délégués du personnel et le
comité d'entreprise.
De fréquentes frictions entre les délégués du personnel et les syndicats avaient amené
la jurisprudence à tracer une ligne de séparation entre les compétences des deux institutions.
586 Le droit d'expression avait pourtant été revendiqué et salué par au moins une organisation syndicale comme
une reconnaissance des mérites du travailleur CV, 1. P. JACQUIER, Droit d'expression: si c'était cela aussi la
transformation d'une société? Dr. soc., 561)
587 G. ADAM, A propos du" droit d'expression des salariés" : réflexions critiques sur un texte sans importance,
Dr. soc., J982, 288.
588 f. O. Hebdo, supplément au n° 1693, 9 décembre 1981.
401

En 1973 en effet, la Cour de cassation avait énoncé la règle: seules les réclamations, qui ne
concernent que l'application des règles en vigueur dans l'entreprise relèvent de la compétence
des délégués du personnel; tandis que les revendications qui, elles, visent la transformation
du droit sont un monopole des syndicats589• On pouvait dès lors penser que tout se jouerait
autour de la nuance sémantique entre les notions de réclamation et de revendication. Le
législateur même s'en est tenu à ces terminologies. L'article L.422-1 du Code du travail donne
aux délégués du personnel compétence pour "- présenter aux employeurs toutes les
réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application du Code du
travail et des autres lois et règlements concernant la protection sociale, l'hygiène et la sécurité,
ainsi que des conventions et accords collectifs du travail applicables dans l'entreprise;
"- saisir l'inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à
l'application des prescriptions législatives et réglementaires dont elle est chargée du
contrô le ,,590.
Quant à l'article L.132-19. il dispose que les conventions ou à défaut les accords
d'entreprise sont négociés entre l'employeur et les organisations syndicales de salariés
représentatives dans l'entreprise591 .
Pourtant sur le terrain, on s'est bien rendu compte qu'il est difficile, voire utopique de
vouloir cantonner dans un rôle de "gardiens de la légalité" des représentants du personnel qui
veulent parler au nom de ceux qui les ont élus. Ce rôle leur paraît réducteur, notamment à des
moments cruciaux pour la vie de l'entreprise.
La jurisprudence a dû faire preuve de réalisme dans l'appréciation des cas. La
Chambre sociale a en effet jugé qu'entre dans les attributions des délégués du personnel
l'organisation d'une réunion qui a pour but d'expliquer et d'appuyer les revendications
592
exprinlées par les grévistes
• Plus tard, la Chambre criminelle a jugé que l'article L.422-1 du
589Crim. 24 mai 1973. D. 1973,599. La Chambre criminelle a aussi jugé que n'entre pas dans les attributions des
délégués du personnel le fait de transformer les entretiens avec le personnel en manifestation revendicatrice
(Crim. 25 mai 1982. Bull. crim. n° 135).
590L'article 128 du code du travail camerounais définissant les missions du délégué du personnel parle lui aussi
de "réclamation".
591Les articles 52 et 57 du code du travail camerounais désignent les représentants des syndicats comme
interlocuteurs des employeurs dans la négociation.
592SOC. 8 novembre 1988, Bull. civ. V, n° 575.
401

Code du travail, dans le domaine des salaires, ne limite pas la rrusslon des délégués du
personnel aux seules réclamations tendant à l'application des règles du droit593 .
Certes, il ne faudrait pas oublier d'ajouter que dans son arrêt suscité la Chambre
criminelle dit que l'employeur, dans les entreprises où existent des sections syndicales, est
fondé, en présence de revendications des délégués du personnel portant sur l'augmentation des
salaires et la réduction du temps de travail à répondre qu'elles relèvent de la négociation
collective instituée par l'article L.132-27 du Code du travail. La Chambre criminelle paraît
ainsi s'efforcer de rester fidèle à sa jurisprudence antérieure. Mais au fond, la préoccupation
était tout autre : il s'agissait ici simplement d'éviter la condamnation pénale de l'employeur
pour délit d'entrave. Outre le fait que le renvoi à la négociation collective instituée par l'article
L.132-27 du Code du travail est une simple faculté pour l'employeur, le renvoi n'est possible
que dans les entreprises où existent des sections syndicales.
Finalement. il tàut clairement dire que la jurisprudenCè a pris act~ de l'impossibilité
pratique de tenir les délégués du personnel hors du champ de la négociation. Les délégués du
personnel sont même portés plus vers la négociation que vers tout :lutre objet~o4. L:l Cour de
cassation a jugé que l'accord signé entre les délégués du personnel et l'employeur constitu~ un
engagement de l'employeur envers ses salariés595 .
D'un autre côté les syndicats doivent tàire tàœ à b poussée du comité d'entn:prise. II
n'a juridiquement pas de compétence pour la négociation, puisqu'il donne simplement des
avis. Dans les faits, le cOITÙté d'entreprise n'est partois que le forum de préparation des
décisions du chef d'entreprise. Ses réunions de travail deviennent ainsi des séances de
négociation entre les représentants des salariés et le chef d'entreprise596 . Les décisions qui en
sortent sont consignées au procès verbal. Si on ne peut à proprement parler y voir des accords
593Crim. 26 janvier 1993, Bull. crim. n° 43 ; Dr. soc. 1993, 746, note 1. SAVATIER.
~94Nousavons supra observé la même tendance chez le comité d'entreprise (ce paragraphe, B.I.). Voir en général
pour cette question. M.F. Bied Charreton: L'articulation des missions du syndicat et du comité d'entreprise au
sein de l'entreprise. D. O. 1995. p. 56 ; M. A. SOURIAC-ROSTCHILD : Négociation collective d'entreprise et
consultation du comité d'entreprise, Act. Jur. 1996. nO 118 p. 3 et s. et n° 119.
mSoc. 7 janvier 1988, Dr. Soc. 1988,464 ; 2 avril 1987. S.S. Fr. Lefv. 1987,375.
~96 V. G. LYON-CAEN, J. PELISSIER, A. SUPIOT, Droit du travail, op. cit. nO 712.
403

collectifs597, au moms faudrait-il rappeler que les décisions prises engagent le chef
,
.
. l
. ,
d
598
entrepnse qUi es a signees
.
Il ne faut cependant pas galvauder le caractère unilatéral de l'engagement qui est ainsi
pris. Les salariés et leurs représentants sont bien conscients qu'il y a là un "pacte" qu'il ne faut
pas remettre en cause si on ne veut pas compromettre l'équilibre sur lequel il est fondé, et
finalement la stabilité de l'entreprise. Par réalisme donc, les salariés considèrent comme
accord synallagmatique ce que la jurisprudence s'efforce de considérer comme
un
engagement unilatéral de l'employeur.
Si l'employeur est quant à lui porté à négocier avec les délégués du personnel ou les
membres salariés du comité d'entreprise, c'est au moins parce qu'il sait qu'au sein de
l'entreprise, ceux-ci jouissent d'une légitimité certaine susceptible de leur permettre de rallier
plus facilement les autres salariés à un acte qu'ils ont négocié et signé. L'employeur qui a
signé un "accord" avec les membres du comité d'entreprise se détourne de la voie de la
négociation avec les syndicats.
Un tel" accord" paraît contestable aux syndicats non pas seulement pour la raison de
principe de répartition des rôles, mais aussi parce que les membres du comité sont sous la
domination réelle ou supposée du chef d'entreprise ou de son représentant qui préside le
comité d'entreprise599. La transformation du rôle du comité d'entreprise est ainsi vue comme
6oo
un moyen de fausser l'action collective des salariés
. L'employeur qui souhaite baisser le
niveau de protection des salariés prendra plus probablement la voie du comité d'entreprise ou
des délégués du personnel. Par ces pistes peut s'organiser une véritable désagrégation des
droits les plus élémentaires.
597 Il en est ainsi parce que les membres salariés du comité d'entreprise n'ont reçu de la loi aucune compétence
pour négocier les accords collectifs.
598 Soc. 14 juin 1984. Dr. soc. 1984, 192 ; 23 octobre 1985. Dr. soc. 1986, 105.
599 Les mêmes critiques sont reprises dans une certaine mesure par les syndicats chaque fois que les délégués du
personnel nourrissent la prétention de négocier au nom du personnel. Si les délégués du personnel ne peuvent
pas être dits sous la domination directe du chef d'entreprise, on ne peut objectivement comparer leur
indépendance avec celle des syndicats, dont les délégués, même dans l'entreprise, peuvent encore s'abriter
derrière les instructions de leur centrale pour parler avec une certaine autorité face à l'employeur.
600 Cet argument a été soulevé, sans succès, par les auteurs du recours contre le projet de la loi française du 12
novembre 1996 . Le Conseil constitutionnel français y a apporté une réponse bien mitigée.
404

Pourtant, la réponse donnée par le Conseil constitutionnel au recours contre le projet
de la loi du 12 novembre 1996 qui a brisé le monopole syndical dans la négociation montre
bien que les représentants élus du personnel n'ont pas seulement une légitimité sociale; ils
ont aussi une légitimité juridique pour agir : "Considérant, dit la Haute juridiction,(...) que
des salariés désignés par la voie de l'élection ou titulaires d'un mandat assurant leur
représentativité peuvent également participer à la détermination collective des conditions de
travail dès lors que leur intervention n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à celle des
,
.
d'
1 ,,601
representatlOns syn Ica es
.
La solution est énoncée avec force, et les réserves de conditions d'intervention de ces
" nouveaux" acteurs de la négociation posées par le législateur et relevées par le Conseil
constitutionnel semblent bien circonstancielles.
B. La substitution d'une logique d'assistance publique à la logique de «liberté
bli
602
pu
que»
Ce qui frappe au premier regard sur la condition des dirigeants syndicaux en France,
c'est leur protection exorbitante du droit commun603 . Mais à côté de cette protection, il y a tout
un faisceau d'autres éléments permettant aux dirigeants syndicaux d'accomplir leur mission de
représentation dans de bonnes conditions. Le délégué syndical doit en particulier avoir à sa
601 Cons. const., décision n096-383 D.C. op cit.
602 Nous recourons à la notion de liberté publique simplement pour souligner deux points: d'une part, il
appartient aux salariés et non pas aux pouvoirs publics, d'exercer le droit de participation; d'une part il est
important que les pouvoirs publics apportent leur concours à l'exercice effectif du droit.
603 L'article L.412-18 du Code du travail français dispose que "le licenciement d'un délégué syndical ne peut
intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ou de l'autorité qui en tient lieu. Toutefois, en cas de
faute grave, le chef d'entreprise a la faculté de prononcer à titre provisoire la mise à pied immédiate de
l'intéressé.
Cette décision est, à peine de nullité, motivée et notifiée à l'inspecteur du travail dans le délai de quarante huit
heures à compter de sa prise d'effet.
Si le licenciement est refusé, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit ... ". L'article LAI2-
18 étend cette protection aux anciens délégués syndicaux pendant douze mois après la cessation de leurs
fonctions; aux délégués syndicaux créés par les conventions ou accords collectifS; aux salariés pressentis pour
exercer les fonctions de délégués s)ndicaux.
Bien entendu, le chef d'entreprise ne peut mettre en échec la protection du délégué syndical par des manœuvres
de contournement. La Cour de cassation a jugé que la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun
dont bénéficie le délégué syndical exclut que soit poursuivie par la voie judiciaire la résiliation de son contrat de
travail (Ass. plen, 28 janvier 1983. Bull. civ. nO 1 ; D. 1983,269; Dr. soc. 1984,511, note Couvrat et Massé)
La protection du délégué syndical est renforcée sur le plan pénal par l'existence du délit d'entrave (V. Article
LA81-2 "Toute entrave apportée à J'exercice du droit syndical défini par les articles LA12-1 et LAI2-4 à LAI2-
405

disposition un certain nombre d'informations pertinentes sur la situation de l'entreprise. Le
législateur organise les modalités suivant lesquelles l'employeur doit communiquer ces
604
informations aux délégués syndicaux

Par ailleurs, le délégué syndical ne peut exercer ses fonctions s'il n'a pas le droit de
circuler librement dans l'entreprise, et d'y prendre tous contacts nécessaires. L'article L.412-
17 du Code du travail français organise les modalités de cette circulation. La liberté de
circulation est d'ordre public ; elle ne peut être limitée par le règlement intérieur et
bo d
. .
. .
d l'
1
605
su
r onnee a une autonsatlon e emp oyeur
.
Enfin, l'article L.412-20 du Code du travail fixe les règles sur le temps de délégation
des délégués syndicaux en tenant compte des effectifs des salariés et donc de l'ampleur
objective du travail à effectuer. Ce temps de délégation est considéré comme temps de travail
effectif.
Le législateur français n'a pas oublié d'envisager l'hypothèse où les dirigeants
syndicaux s'absentent de l'entreprise pour participer aux négociations ou aux réunions des
instances paritaires. Mais il lui a paru plus judicieux de renvoyer aux conventions de branche
et accords professionnels ou interprofessionnels la détermination des règles relatives aux
modalités de ces absences, à la compensation des pertes de salaires ou au maintien de ceux-ci
ainsi qu'à l'indemnisation des frais de déplacement. L'article L.132-17 du Code du travail rend
même ces règles obligatoires dans les conventions de branche et accords professionnels ou
interprofessionnels.
La protection exorbitante de droit commun ainsi que les facilités accordées aux
délégués syndicaux pour l'exercice de leur mission s'inscrivent dans une logique de liberté
publique606 sans cesse renforcée en France. Les pouvoirs puhlics sont en quelque sorte
"débiteurs" des titulaires du droit de participation en ce sens qu'ils ont l'obligation de mettre
en place les règles et structures propres à assurer le meilleur exercice de ce droit.
20 sera punie d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 25000 Frs ou de l'une de ces deux peines
seulement ... lt.)
604Y. Article L.l32-28.
605Crim. 4 février 1986, op. ciL
606 Y. M. L. MORIN, La loi et la négociation collective: concurrence ou complémentarité, Dr. soc. 1998, 419.
406

La garantie du droit de participation prend la voie de la recherche d'un équilibre entre
les forces en présence607• Il s'agit tout d'abord d'un équilibre juridique que poursuivent les
règles sur la protection exorbitante de droit commun des représentants syndicaux. Il s'agit
aussi d'un équilibre plus réel devant être assuré par la création de conditions d'infonnation
suffisantes. Les salariés et leurs délégués doivent être en mesure de discuter en connaissance
de cause avec l'employeur ou les représentants des employeurs. Certes, dans bien des cas, la
communication de l'infonnation ne suffit pas ; encore faut-il que les destinataires soient en
mesure de comprendre les données dont la technicité est parfois très poussééo8.
Au regard de cette nécessité de créer les conditions d'un équilibre dans la négociation,
on est relativement déçu par l'approche camerounaise des problèmes. Sans doute ne faut-il
pas revenir ici sur la longue réticence des pouvoirs publics à l'égard du syndicalisme609• Bien
entendu, elle peut expliquer dans une certaine mesure l'inexistence de règles légales
protectrices des délégués syndicaux6lO• Mais la question à résoudre ici déborde bien le cadre
607 V. G. LYON-CAEN, Critique de la négociation collective, Dr. soé .. 1979,350.
608 D'où le fréquent recours aux experts. Mais se pose le problème de crédit.
609 Voir Léon KAPTUE, op. cil.
610 Le législateur camerounais traite des dirigeants syndicaux beaucoup plus en termes de limitation. En effet,
l'article 10 du Code du travail dispose que "( 1) Les promoteurs d'un syndicat ainsi que les membres chargés de
son administration doivent jouir de leurs droits civiques et ne pas avoir encouru de condamnation emportant les
déchéances prévues à l'article 30 alinéas (1), (2) et (3) du Code pénal.
(2) Les étrangers doivent, en outre, avoir résidé pendant cinq (5) ans au moins sur Je territoire de la République
du Cameroun".
L'article 15 (f) du même Code interdit d'élire au poste de Président, Secrétaire ou de Trésorier ou à d'autres
fonctions analogues une personne ne sachant ni lire, ni écrire français ou anglais.
La seule règle favorable aux dirigeants syndicaux apparaît à l'article 19 du Code du travail. Cet article dispose
que "Toute action accomplie par une personne dûment mandatée par un syndicat et visant à faire aboutir un
différend de travail ne peut entraîner de poursuite à l'égard de cette personne que si une telle action incite une
autre personne à rompre un contrat de travail ou constitue une ingérence dans le droit d'autrui à disposer de son
capital ou de son travail à son gré".
Aucune disposition de la loi ne prévoit les heures de délégation en faveur des dirigeants syndicaux, ni a fortiori
une protection spéciale de ces dirigeants contre les actes du chef d'entreprise.
Ce silence de la loi a sans doute stérilisé les partenaires sociaux, qui s'en sont limités à quelques mesures
destinées à favoriser l'exercice de leur mandat par les dirigeants syndicaux. Trois points sont particulièrement
concernés : les autorisations d'absence pour participer aux réunions, la suspension du contrat de travail du
permanent syndical et l'interdiction de discrimination contre les dirigeants syndicaux.
Sur le premier point, les dispositions des conventions collectives sont assez variées. Tantôt les absences sont
payées comme heures de travail (Convention collective nationale des entreprises de travaux publics, du bâtiment
et des activités annexes, article 9); tantôt elles ne sont pas payées (Convention collective nationale des
entreprises forestières et des activités annexes, article 9) Elles sont dans tous les cas admises dans la durée
maximale de dix (10) jours ouvrables par année civile. Les conventions collectives prévoient que les
autorisations complémentaires peuvent être accordées aux cadres syndicaux, d'un commun accord entre
employeur et organisation syndicale. Les dispositions conventionnelles sur les autorisations d'absence ne
peuvent être utiles aux dirigeants syndicaux que si les employeurs sont disposés à autoriser ces absences.
Sur le deuxième point, à savoir la suspension du contrat de travail des permanents syndicaux, les dispositions
conventionnelles sont presque identiques. Le salarié ayant acquis dans l'entreprise une ancienneté de deux ans et
qui est mandaté par son organisation pour remplir les fonctions de permanent syndical doit, tt l'expiration de ce
407

de la méfiance à l'égard des syndicats. Les délégués du personnel, qui bénéficient d'un statut
protecteur, ont récemment été investis de pouvoirs de négociation611 sans qu'on voit
apparaître à leur profit des règles propres à assurer l'efficacité de leurs nouvelles missions.
L'employeur ne se voit imposer aucune obligation de communiquer telle ou telle information
aux délégués du personnel. Les salariés ordinaires appelés à négocier en l'absence des
délégués du personnel ne peuvent prétendre ni aux prérogatives612 ni à la protection des
délégués du personnel.
Dans ces conditions, la négociation que le législateur espère instaurer ne peut être,
pour l'employeur, que le moyen le plus commode pour déguiser ces décisions unilatérales.
Pendant
la courte période d'
"expérimentation ,,613
du dispositif qUI permet
aujourd'hui aux délégués du personnel et représentants ad hoc des salariés de participer à la
prise des mesures alternatives au licenciement pour motif économique, l'administration du
travail s'était déplacée dans des entreprises pour encadrer voire conduire les négociations61 -l.
La mission des représentants de l'administration était d'assurer la protection des salariés face
aux employeurs qui étaient dans la tentation de trop vite liquider les acquis sociaux. La
formule a été consacrée par le nouveau Code du travail qui dispose à l'article 40 que pour
éviter le licenciement pour motif économique, l'employeur doit réunir les délégués du
personnel et rechercher avec eux, en présence de l'inspecteur du travail, d'autres possibilités,
c'est-à-dire des mesures alternatives au licenciement. Il faudrait considérer comme condition
substantielle la présence de l'inspecteur du travail615•
Les données du contexte permettent de penser que l'inspecteur du travail joue dans la
recherche des solutions un rôlé 16 plus actif que ne dit la loi. Le déséquilibre des forces en
mandat, réintégrer son emploi, à candition que la durée de ce mandat, renouvellement compris, n'excède pas six
(6) ans.
Sur l'interdiction de discrimination contre les responsables syndicaux, les conventions collectives ont une
formule presque platonique: l'employeur s'engage simplement à s'abstenir de toute discrimination vis-à-vis des
responsables syndicaux.
611 Allusion est faite aux dispositions sur la recherche des mesures alternatives au licenciement pour motif
économique (article 40 du Code du travail).
612 Voir article 3 de l'arrêté du 26 mai 1993 sur le licenciement pour motif économique.
613 Il s'agit de la période pendant laquelle les négociations furent conduites dans les entreprises hors des cadres
légaux.
614 Le Gouvernement a parlé alors de politique contractuelle de l'Etat.
615 Il signe le procès verbal d'accord. Il est en quelque sorte le témoin authentificateur de l'accord.
616 V. ADAMOU, Le rôle de l'inspecteur du travail dans la procédure du licenciement pour motif économique,
Mémoire de fin de formation à l'ENAM, 1998.
408

présence le lui suggère. On devrait même faire un parallèle avec la procédure de négociation
des conventions collectives. L'article 8 du décret nO 93IPM du 15 juillet 1993 fixant les
conditions de fond et de forme applicables aux conventions collectives de travail prévoit que
la convention collective nationale est élaborée par une commission mixte composée, en
nombre égal, de représentants des employeurs et des travailleurs, nommés par arrêté du
ministre chargé du travail, sur proposition des organisations les plus représentatives. Si ce
texte, dans sa lettre, fait penser à l'article L.133-1 du Code du travail français, il en est bien
éloigné dans l'esprit. En effet, au Cameroun, est très déterminant le rôle de l'autorité
administrative. Les membres de la commission sont nommés par le ministre, certes sur
proposition des organisations syndicales; la commission est convoquée et présidée par le
représentant de l'administration. Il conduit donc les travaux, et en dresse le procès verbal617.
L'expérience du passé montre que le représentant de ['administration conduit les
travaux avec beaucoup d'influence. On peut ainsi expliquer les fortes similitudes dans [es
dispositions des conventions collectives. Certaines variations peuvent du reste s'expliquer
plus par le changement de personne dans la représentation de ['administration que par tout
autre chose.
A partir du moment où on pouvait présumer que l'intervention active de l'autorité
publique était favorable aux salariés, la formule semblait satisfaisante. Mais la formule a au
moins un inconvénient : l'assistance publique apportée aux salariés ne peut facilement
dépasser le cadre de la commission d'élaboration des conventions collectives nationales. Il
faut remarquer que la loi ne règle pas les modalités de négociation des conventions
d'entreprise et accords d'établissement. C'est dire que les représentants des salariés ne
peuvent y compter que sur eux-mêmes. Et si la loi prévoit dans le cadre de la recherche des
mesures alternatives au licenciement pour motif économique la présence de l'inspecteur du
travail618, l'objectif visé semble difficile à atteindre. En effet le territoire national est loin
d'être bien couvert par les inspections du travail, de sorte que beaucoup d'entreprises pourront
même ne pas organiser la négociation parce que l'administration n'est pas en mesure de tenir
sa place.
617 V. Article JO du décret cité.
618 Le législateur semble souhaiter qu'il y joue un rôle très actif.
409

En tout état de cause, le droit de participation des salariés n'a de sens véritable que si
on met leurs représentants dans des conditions leur pennettant de discuter eux-mêmes avec
l'employeur ou les représentants des employeurs. Il s'agit de s'engager dans une logique de
liberté publique, contrairement à celle d'assistance publique à la négociation actuellement en
vigueur, qui contient un relent de paternalisme sans être réellement efficace. Au fond, on
évolue dans une fonnule qui infantilise les salariés et leurs représentants, alors qu'en même
temps il est clair qu'ils sont appelés à jouer un rôle important dans la détermination de leurs
conditions de travail. Faute de leur donner les moyens juridiques d'une telle mission, on les
met dans des conditions favorables au déguisement des décisions unilatérales des employeurs,
alors pourtant que c'est dans l'optique d'un partage619 de décision qu'il faut situer le droit de
participation des salariés.
Sur le terrain du droit de participation, la menace contre les droits fondamentaux des
salariés vient ainsi des pouvoirs publics, plus ou moins conscients des conséquences de leurs
actes. C'est une situation plutôt rare. Le plus souvent, c'est l'employeur qui tentera de
détourner de leurs fonctions les outils du droit. Un terrain lui est particulièrement favorable:
le règlement intérieur
PARAGRAPHE II : LE DEVOIEMENT DU REGLEMENT INTERIEUR
Aussi loin qu'aient pu aller les réfonnes tendant à la démocratisation de l'entreprise,
elles n'ont pas pu suggérer même d'enlever au chef d'entreprise le droit de prendre
unilatéralement des mesures générales et impersonnelles s'imposant à tous. Depuis fort
longtemps, l'effort du droit vise plutôt à tirer, pour les salariés, tous les avantages du pouvoir
réglementaire qu'exerce le chef d'entreprise. Se voit ainsi la raison fondamentale de
l'obligation qui est faite aux entreprises d'élaborer et d'afficher un règlement intérieur à
l'attention de tous, et en particulier des salariés. Mais bien souvent, certains chefs d'entreprise
recourent à d'habiles manœuvres pour détourner le règlement intérieur de sa fonction
protectrice. Deux procédés sont principalement en cause: vider le règlement intérieur de toute
disposition susceptible d'avoir un effet favorable aux salariés (A), et y inclure, au contraire,
des dispositions susceptibles d'annihiler toute initiative chez les salariés (B).
619 Pour ce partage des décisions par la négociation, voir G. Lyon Caen op. cit, 350.
410

A. L'amenuisement du contenu du règlement intérieur
Mû sans doute par une crainte bien compréhensiblé20, le législateur camerounais a
circonscrit le domaine du règlement intérieur à l'essentiel. L'article 29 du Code du travail
dispose que "son contenu est limité exclusivement aux règles relatives à l'organisation
technique du travail, aux nonnes et à la procédure disciplinaires, aux prescriptions concernant
l'hygiène et la sécurité du travail, nécessaires à la bonne marche de l'entreprise ... Toutes les
autres clauses qui viendraient à y figurer, notamment celles relatives à la rémunération, seront
considérées comme nulles de plein droit ... ". Le législateur camerounais suit ainsi, dans une
certaine mesure, son homologue français. Ce dernier trace, à l'article L.122-34 du Code du
travail621 , le champ du règlement intérieur. Ce champ est plus vaste puisqu'au domaine qu'on
pourrait considérer comme traditionnel622, le législateur français ajoute les dispositions
relatives aux droits de la défense et à l'abus d'autorité en matière sexuelle623 .
Il est très significatif que le législateur oblige le chef d'entreprise à inclure dans le
règlement intérieur des dispositions qui n'instituent que des droits en faveur des salariés,
lesquelles dispositions sont par ailleurs contenues dans la législation ou la convention
collective. L'article L.122-35 du Code du travail français, à propos de cette obligation
positive qui pèse sur l'employeur, parle même d'un rappel: le règlement intérieur "rappelle
les dispositions ... ".
620 Le législateur craint que sous le biais du règlement intérieur l'employeur ne porte atteinte aux droits des
salariés. Mais comme on va le voir, c'est une précaution qui a son revers.
621 Selon ce texte" le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement:

les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ou
l'établissement (...)

les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au
rétablissement de conditions de travail protectrices de la sécurité et de la santé des salariés dès lors qu'elles
apparaîtraient compromises.
Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, et notamment la nature et l'échelle des sanctions
que peut prendre l'employeur.
Il énonce également les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés, tels qu'ils résultent de l'article
L.122-41 ou, le cas échéant, de la convention collective applicable.
Il rappelle les dispositions relatives à l'abus d'autorité en matière sexuelle, telles qu'elles résultent notamment
des articles L.122-46 et L.122-47. "
622 La discipline, l'hygiène et la sécurité peuvent être considérées comme les matières traditionnelles pour le
règlement intérieur.
623 Si les dispositions relatives aux droits de la défense ne sont pas tout à fait étrangères au domaine traditionnel
du règlement intérieur en ce sens qu'elles rentrent dans la procédure disciplinaire, les dispositions sur l'abus
d'autorité en matière sexuelle sont en revanche éloignées de ce domaine.
411

Cette obligation de rappel est en fait très importante, à en juger simplement par le
contentieux qui se développe sur le contenu obligatoire du règlement intérieur. Le Conseil
d'Etat a, sans surprise, jugé que le rappel des mesures d'application relatives à l'hygiène et à
la sécurité n'est pas contraire à l'article L.122-34 fixant restrictivement le contenu du
règlement intérieul24• Cela ne veut nullement dire que l'employeur est tenu de reproduire ces
règles dans le règlement intérieur625• Il y a là une nuance riche d'intérêts pour ceux qui
souhaitent voir telle ou telle disposition figurer dans le règlement intérieur.
Il ne faudrait pas se tromper d'enjeu dans ce combat autour du contenu du règlement
intérieur. Une disposition légale accordant des droits aux salariés ne cesse pas d'être
applicable parce que ·le chef d'entreprise a refusé de la reproduire dans le règlement intérieur.
Mais le chef d'entreprise sait que cette reproduction peut modifier les comportements
individuels et collectifs des salariés. L'enjeu se situe donc au niveau de la fonction éducative
du règlement intérieur. Le législateur voudrait que le règlement intérieur soit aussi un support
voire un complément de la législation et de la réglementation officielles. L'article L.122-34
du Code du travail français dit bien que par le règlement intérieur, l'employeur fD<e des
"mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de la sécurité".
L'employeur, personne privée, est ainsi investi par l'Etat d'une parcelle de pouvoir
réglementairé26. Mais bien conscients des enjeux d'un tel pouvoir, certains employeurs ne
l'exercent qu'avec parcimonie. Plus précisément, ils feront un tri malicieux parmi les
dispositions à mettre dans le règlement intérieur: sauf si la loi le leur impose, ils ne feront
figurer au règlement intérieur aucune disposition qui confère des droits aux salariés, ou
rappelle des droits à eux conférés par la loi ou la convention collective. Au contraire, ils
mettront dans le règlement intérieur des interdictions générales, sans réserve des dispositions
légales et réglementaires. Le tribunal administratif de Paris a été appelé, dans une affaire
Crédit Lyonnais627, à mettre fin à une discorde qui avait duré longtemps entre cette banque et
l'administration du travail. Pour l'essentiel, l'administration du travail demandait l'adjonction
d'un certain nom.bre de dispositions au règlement intérieur628, ce que l'employeur refusait.
L'administration estimait que la mouture du règlement intérieur présentée par la banque était
624 C.E. Il juillet 1990. RJS. 1990, 520, n° 767.
625 C.E. 4 mai 1988. D. 1990, Somm., 134.
626 A. SUPIOT, La réglementation patronale de l'entreprise, Dr. soc. 1992, p. 218.
627 T.A. Paris, 2 février 1987, Dr. soc. 1987, 645, note SAVATIER
628 V. 1. SA VATIER op. cil. p. 647.
412

susceptible de faire croire aux salariés qu'ils étaient désormais privés d'un certain nombre de
droits.
Les appréhensions de l'administration du travail n'étaient pas dépourvues de
fondement, dans la mesure où on ne peut pas créditer tous les salariés de connaissances
suffisantes sur la hiérarchie des normes, lesquelles connaissances pouvaient leur permettre de
comprendre que l'employeur ne peut pas remettre en cause les dispositions légales et
réglementaires. Reprenons ici deux points de discorde entre l'employeur et l'administration
du travail.
D'abord l'article 4 du règlement intérieur qui posait que" les salariés de la banque ne
doivent divulguer aucune information concernant les affaires de la banque ou les intérêts des
tiers". Le texte paraissait anodin, se contentant de rappeler ce qui semblait aller de soi dans
l'activité bancaire. Mais l'administration du travail exigeait que cet article soit complété, afm
de ne pas faire échec à la législation relative au droit d'expression des salariés et aux
institutions représentatives du personnel, notamment à l'exercice du mandat du comité
d'entreprise.
Ensuite l'article 8 du règlement intérieur qui prévoyait que" Tout accident survenu à
un salarié doit être aussitôt signalé par l'intéressé (ou par un tiers) à la hiérarchie ... ". Ce
texte, lui-aussi, paraissait sans danger pour les salariés. Mais l'administration du travail
exigeait qu'il mentionne la réserve de la force majeure, d'impossibilité absolue ou de motifs
légitimes.
Sur ces deux points, c'est la résistance, sans doute inattendue, de l'employeur qui a
nus en exergue les intérêts des insertions exigées par l'administration du travail. Et en
donnant raison à l'administration du travail, le Tribunal administratif de Paris a en quelque
sorte revigoré la fonction éducatrice du règlement intérieur.
Une telle solution serait davantage utile au Cameroun, où la connaissance du droit
reste un luxe dans la société et plus particulièrement pour les travailleurs. L'autorité publique
doit sans cesse éduquer les masses. Il ne serait donc pas négligeable que les règlements
intérieurs dans les entreprises servent d'outil pédagogique.
413

Certes, on ne trouve gère dans les entreprises des règlements intérieurs qui s'efforcent
de rappeler les lois et règlements sur les points où ces rappels peuvent profiter aux salariés.
Les règlements intérieurs sont plutôt réduits à la portion congrue qui rappelle ou aggrave les
obligations des salariés. Le salarié peut en tout cas perdre tout esprit d'initiative simplement
après lecture du règlement intérieur.
B. L'annihilation de tout esprit d'initiative chez les salariés par le règlement intérieur
On ne compte plus les clauses que certains chefs d'entreprise tiennent à insérer dans
le règlement intérieur quand bien même ils savent pertinemment qu'elles ne peuvent pas
juridiquement y figurer. La manœuvre n'est pas innocente; l'objectif visé est de porter
atteinte à un certain nombre de droits et libertés des salariés. D'un point de vue statistique, le
point le plus visé est sans doute la rémunération, seule ou en relation avec l'exercice du droit
de grève, ou du mandat de représentant du personnel.
Anticipant sur d'éventuelles initiatives des employeurs, les législateurs camerounais et
français ont pris la précaution d'interdire les sanctions pécuniaires dans le règlement intérieur
ou tout autre document émanant de l'employeur629. En dépit de cette interdiction formelle,
certains employeurs ne se sont pas abstenus; ils ont au contraire multiplié des manœuvres
plus ou moins subtiles pour contourner les textes. Ces subtilités ont contraint la jurisprudence
à des solutions pas toujours à l'abri de critiques. En effet, pour neutraliser des dispositions qui
violaient indirectement l'interdiction de sanctions disciplinaires, la Chambre sociale de la
Cour de cassation française a jugé que dès lors qu'une prime de fin d'année présente, eu égard
à sa constance, sa généralité et sa fixité, un caractère obligatoire, faisant d'elle un élément du
salaire, l'employeur ne saurait prévoir, au titre de ses conditions d'attribution, l'absence de
sanctions disciplinaires63o• Presque en sens contraire, la même Chambre a décidé que la seule
circonstance que le versement d'une prime ayant le caractère d'un élément de salaire soit
subordonné à la ~ondition d'un défaut d'absence ne constitue pas une sanction pécuniaire631 .
Bien entendu, on ne peut pas parier que les deux décisions sont inconciliables; mais la
gymnastique à faire pour saisir le fil conducteur de la jurisprudence est déconcertante.
629 Voir articles 29 du Code du travail camerounais et L.122-42 du Code du travail français.
630 Soc. 19 mai 1988, Bull civ. V. n° 307.
631 Soc. 10 juin 1992, Bull. civ. V. n° 376.
414

Bien souvent, toutes les dispositions du règlement intérieur à la limite ou à la marge
de la légalité ont un rapport direct avec l'exercice d'un droit fondamental. La société
HAPIAN avait ainsi pu disposer dans son règlement intérieur une clause prévoyant qu'une
prime exceptionnelle et révocable pouvait être réduite notamment en cas d'absence pour
grève. La disposition visait indiscutablement à dissuader les salariés de recourir à la grève.
Très judicieusement, le Conseil d'Etat a déclaré cette disposition illicite, comme contraire à la
prohibition des amendes et à l'interdiction des mesures discriminatoires liées à l'exercice du
droit de grèvé32.
Cette manœuvre de la société HAPIAN est à rapprocher de celle d'un autre employeur
qui s'était contenté de signaler, dans le règlement intérieur, que l'utilisation du crédit d'heures
rémunérées dont disposent les représentants élus du personnel et les représentants syndicaux
devrait être en rapport avec les activités qui les justifient, et qu'un contrôle pouvait être exercé
a posteriori par ses soins. Cette disposition, qui ne se rapportait ni à l'hygiène ou à la sécurité,
ni à la discipline, visait, en vérité, à intinùder les représentants du personnel. Le Conseil
d'Etat l'ajustement invalidée633 .
Plus cyniquement, le règlement intérieur menace parfois de sanction tout salarié qui ne
dénonce pas une faute commise par un autre salarié, placé ou non sous son contrôle. Une telle
clause agit à deux niveaux: d'une part, elle entrave le lien de solidarité entre salariés. De
façon indirecte, c'est la dimension collective des rapports de travail qui est ainsi ébranlée.
D'autre part, et comme toutes les autres clauses qui visent à intinùder les salariés, la clause
installe une psychose dans l'entreprise. Sous la crainte permanente d'une sanction, les salariés
ne prennent aucun risque de revendication de leurs droits. Spoliés ainsi de tout esprit
d'initiative, ils se laissent conduire par le chef d'entreprise.
Cette annihilation de l'esprit d'initiative peut produire des effets hors de proportion
avec l'intention du chef d'entreprise. Les institutions comme le droit d'expression sur les
conditions de travail ne servent plus à grand-chose lorsque le salarié est dominé par la peur.
Le droit de retrait ne peut plus être exercé puisqu'il est avant tout un pouvoir d'initiative que
la loi a reconnu au salarié pour la défense de son intégrité physique. Même du point de vue de
632 C.E. 12juin 1987, Dr. soc. 1987,651.
415

la production, le salarié sans pouvoir d'initiative présente des résultats médiocres puisqu'il est
finalement utilisé en deçà de ses capacités réelles634•
Conclusion du chapitre
L'état et les mécanismes du marché du travail jouent parfois un rôle très défavorable
aux droits fondamentaux des salariés. Ce jeu devient très choquant lorsqu'il se noue entre les
questions de sécurité et de gain des rapports contraires à toute idée de dignité.
Les difficultés rencontrées sont redoutables parce qu'elles sont para-juridiques
les
réponses du droit deviennent ineffectives et donc inefficaces.
L'état et les mécanismes du marché offrent en plus un argument de poids aux chefs
d'entreprise qui veulent baisser, dans une apparence de légitimité, le niveau de protection des
salariés. Les moyens utilisés par les chefs d'entreprise sont alors, paradoxalement, ceux du
droit. L'observation intéresse en premier lieu le droit de participation des salariés qui, à bien
des é[ards, est devenu, pour certains chefs d'entreprise le moyen le plus sûr pour remettre en
cause la protection légale des salariés. L'observation intéresse en second lieu le règlement
intérieur, qui peut être manipulé au point de n'être qu'un outil au service des atteintes plus ou
moins injustifiées aux droits fondamentaux.
633 C.E. 8 juillet 1988, Req. n° 71548.
634 Pour cette idée, voir J. P. JACQUIER, Droit d'expression: si c'était cela aussi la transformation d'une société
? Dr. soc. 1983, 561.
416

CONCLUSION DU TITRE
Les deux types de limite qui affectent l'expression des droits fondamentaux ne
peuvent être perçus de la même façon. Les limites présentées comme fonnelles peuvent certes
reposer sur des explications contestables ; elles demeurent cependant bien justifiées dans leur
principe. On ne peut en effet concevoir une entreprise dont le chef ne dispose pas de pouvoirs,
ni penser que ces pouvoirs sont exclusifs de toute restriction des droits et libertés des salariés.
On ne peut non plus ignorer les intérêts légitimes de l'entreprise, sans lesquels la perspective
même de l'emploi durable est compromise. Au fond, à tout considérer, l'intérêt de l'entreprise
est aussi, par un retour bien compréhensible, l'intérêt des salariés.
Les limites présentées comme informelles reposent en général sur des motifs non
avouables, d'ordre purement spéculatif ou totalitaire. La logique qui les anin1e est bien celle
d'un retour à une perception marchande du travail.
Les VOles discrètes qu'empruntent ces limites neutralisent ou détournent de son
objectif la protection juridique.
Dans l'ordre des symboles cependant, le choix de la discrétion comme mode
d'expression de ces atteintes montre que malgré tout la conscience humaine n'est pas prête à
retourner à l'idée que le travail est une marchandise.
417

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
L'ambition de rechercher une corrélation entre le régime juridique des droits
fondamentaux des salariés et la notion philosophique de dignité rencontre incontestablement
des difficultés liées à la nécessité d'inscrire les droits fondamentaux dans le contexte de
l'entreprise.
L'erreur serait cependant de s'arrêter à ce constat; car, alors, il n'y aurait aucun intérêt
juridique à reconnaître des droits fondamentaux aux salariés. La panacée consiste sans doute à
réfléchir non pas vraiment en termes de symétrie rigoureuse entre les attributs du principe de
dignité et ceux des droits fondamentaux, mais en termes de régime plus fort. Alors, un champ
immense s'ouvre à révolution. La catégorie juridique des droits fondamentaLLx est, si l'on
n'abuse des images, tirée vers le haut par le principe de dignité. Les droits fondamentaux se
démarquent alors nettement des autres catégories juridiques par des solutions plus radicales et
moins aléatoires. Le droit positif offre fort heureusement des ressources juridiques à une telle
solution. On pense aLLX institutions comme la nullité, l'ordre public, l'indisponibilité des
droits, le référé etc. A cette liste il faudrait ajouter la dimension collective des rapports de
travail, qui est un moyen de conquête et en même temps une véritable garantie de l'effectivité
des droits fondamentaux.
418

CONCLUSION GENERALE
Sans qu'on y prête toujours une attention suffisante, les notions de dignité et de droits
fondamentaux ont fait leur apparitio.n, au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans les
textes de l'Organisation des Nations-Unies, et se sont par la suite répandues dans le monde.
Au premier regard, le recours à ces notions est une forme rhétorique particulièrement
nécessaire à cette période précise de l'histoire: l'humanité sort d'une longue guerre pendant
laquelle la dignité a été profondément bafouée.
La concomitance dans l'apparition de ces notions n'est pas gratuite; l'analyse montre
que la dignité est la source d'inspiration philosophique des droits fondamentaux. Rien
d'étonnant donc que le recours aux droits fondamentaux corresponde presque toujours à de
moments de douloureuses mises à l'épreuve de la dignité. Plus encore, le recours à la notion
de droits fondamentaux semble répondre à l'insuffisance des références juridiques utilisées
jusque là635• Est en tout cas espérée une énorme transformation des comportements
individuels et collectifs vis-à-vis des droits présentés comme fondamentaux. Le recours à la
notion des droits fondamentaux porte ainsi l'espérance d'un sursaut. En droit du travail en
particulier, l'invocation des droits fondamentaux est, aujourd'hui, une réponse à la profonde
remise en cause des acquis sociaux, à l'asservissement des salariés par des méthodes de
travail et de gestion du personnel de plus en plus raffinées. Le propos est de dresser les droits
fondamentaux comme rempart à la dégradation de la condition des salariés. Autrement dit, au
jeu du marché et de la technologie avilissante, on oppose les droits fondamentaux.
Rien ne va pourtant de soi dans cette entreprise. Incontestablement les droits
fondamentaux ne permettront d'atteindre les objectifs visés que s'ils se démarquent des autres
catégories juridiques et s'imposent comme catégorie plus forte. Or, en tant que fondement
philosophique des droits fondamentaux, le principe de dignité offre des solutions à la
construction de ce régime juridique particulier et plus fort. Le principe de dignité commande
en effet de traiter l'Homme comme une fin en soi. Les droits qui se rattachent à ce principe
635 Pour les circonstances entourant l'émergence de notions nouvelles, voir E. PICARD, L'émergence des droits
fondamentaux en France, AlDA, 1998, nO spécial Droits fondamentaux, 6.
419

devraient donc avoir un régime juridique suffisamment fort pour s'imposer et donc assurer la
primauté de la personne humaine sur d'autres prétentions ou intérêts.
Le droit du travail s'est présenté comme un terrain très favorable à la recherche d'un
tel régime fort636. Certainement parce que la dignité du salarié est sous perpétuelle menace
dans la relation de travail salarié, le droit du travail a très tôt fait recours à quelques solutions
originales. Tout d'abord, il faut citer l'émergence et le développement de la dimension
collective des rapports de travail. D'un point de vue sociologique, cette dimension collective
compense la faiblesse du salarié dans la relation individuelle de travail. D'un point de vue
juridique, le recours aux rapports collectifs a engendré deux techniques de la toute première
importance: une technique de défense des acquis, le principe d'ordre public social et une
technique de dédoublement dans l'exercice des droits, le mécanisme de la substitution.
Apparu de toute évidence comme solution de conciliation entre la liberté individuelle
du salarié et les libertés collectives, le principe d'ordre public social est, en même temps, le
plus puissant instrument de progrès social et de défense des acquis637. La technique de
substitution permet aux représentants des salariés, dans des cas précis, d'exercer en justice les
droits du salarié individu, certes dans le strict respect de la liberté de ce dernier. La dimension
collective des rapports de travail est conçue dans la philosophie d'appuyer les salariés
individus dans l'exercice quotidien de leurs droits638 . Lorsqu'il s'agit de surcroît d'organiser
un mécanisme de substitution pour la défense d'un droit fondamental, la démarche est plus
compréhensible639.
Ensuite, la théorie des nullités a connu un développement extraordinaire en droit du
travail, en particulier en matière de licenciement. Il était déjà révolutionnaire de décider qu'on
peut critiquer une partie à un contrat à durée indéterminée pour avoir mis fin à celui-ci. On
est pourtant allé jusqu'à dire que la rupture pouvait être nulle. Au départ, la nullité ne
636 Le Doyen POUGOUE a introduit une réflexion sur l'apport des droits fondamentaux à l'évolution du droit du
travail ( Droits fondamentaux et corps du travailleur : esquisse d'une réflexion sur l'apport des droits
fondamentaux à l'évolution du droit du travail, Annales de la FSJP, Université de Dschang, n° 1, t. l, vol. 1,5.).
La réflexion peut aussi se mener dans le sens inverse.
637 D'où les inquiétudes qui accompagnent aujourd'hui les fissures qui apparaissent dans son dispositif
638 Il ya là un objectif d'effectivité et donc d'efficacité du droit, plus présent qu'on ne s'imagine a priori. Y
concourent également toutes les fonnules de conseil et d'assistance apportées au salarié par les représentants du
personnel, les représentants syndicaux ,ou ses collègues.
639 La dignité qui est au fond des droits fondamentaux n'appartient-t-elle pas à un fonds commun à toute
l'humanité?
420

s'applique qu'au licenciement irrégulier des représentants du personnel64o• Aujourd'hui, en
France tout au moins, le domaine des nullités de licenciement est particulièrement étendu.
Sous réserve de quelques ajustements qui sont nettement prévisibles, on pourrait bien dire que
la nullité s'applique chaque fois qu'un licenciement est attentatoire à un droit fondamental du
salarié.
Enfin) le droit du travail a bien saisi le paradoxe du corps humain, cet" objet" à la
fois fragile et sublime, parce qu'il n'est point séparable de la personne même. Ce double
caractère du corps du travailleur justifie un faisceau de règles destinées à assurer la sécurité
physique et économique. Dans cette deuxième dimension de la sécurité, le salaire apparaît
comme un élément incontournable , mais aussi difficilement saisissable. Dans une analyse
synallagmatique du contrat de travail, on aimerait bien présenter le salaire comme la
contrepartie de la prestation de travail. La réalité est plus raffinée. Si, pour le principe, le
salaire reste incontestablement la contrepartie de la prestation de travaiL l'intérêt du droit du
travail pour la question de l'équilibre des prestations réciproques est très relatif. fi faut dire
qu ïnterfèrent ici les questions de survie. de vie décente, de dignité.
A vrai dire, le rapport entre le salaire et la prestation de travail n'est pas le seul point
où le droit du travail reçoit, mais en les déformant. les techniques juridiques du droit civil. La
question de la réception ou au contraire du rejet des solutions du droit civil par le droit du
travail n'est pas nouvelle64l . Bien entendu, c"est en général d'un transfert à sens unique qu'il
est question. Le moment semble peut-être venu de s'interroger sur ce que le droit du travail a
apporté ou peut apporter à d'autres matières. Ne faut-il pas déjà voir quelques similitudes
entre le contrat de travail et, par exemple le contrat de bail? A de degrés certes variables, ces
deux contrats mettent en présence, respectivement, deux parties inégales : l'employeur et le
salarié pour le premier, le bailleur et le locataire pour le second. Dans l'un et l'autre cas, des
atteintes à la dignité du plus faible par le plus fort sont à craindre642. La mise en place
progressive des collectifs de locataires dans des cas de bail d'immeubles à plusieurs locataires
640 On est pratiquement resté àce stade au Cameroun.
641
V. G. LYON-CAEN, Rôle de principes généraux du droit civil en droit du travail, RTD civ., 1974; G.
COUTURIER, Les techniques civilistes et le droit du travail: Chronique d'humeur à partir de quelques idées
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travail, in Les sources du droit du travail (Sous la dir. B. TEYSSIE. PUF, 1998), 129
642 Pour les menaces sur la liberté du plus faible par le plus fort comme raisonnement justificatif du discours sur
les droits de l'homme, voir J. RIVERO. La protection des droits de l'homme dans les rapports entre personnes
privées, in Mélanges Cassin, tome III, Pédone, Paris, 1971,311
421

semble être la prise en compte de cette crainte. II y a là, en tout cas, des ingrédients du
développement d'une dimension collective des rapports de bail comparable à ce qu'on voit en
droit du travail. Ne s' appuiera-t-on pas demain sur cette dimension collective pour étudier les
droits fondamentaux des locataires?
Le législateur français, par la loi du 29 juillet 1998 relative à l'exclusion, a créé les
conditions de la généralisation d'un certain nombre de solutions jusque là cantonnées au droit
du travail. La loi fonde la lutte contre l'exclusion sur le respect de l'égale dignité de tous les
êtres humains643 . Elle tend à garantir l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les
domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice etc644. De là on
peut légitimement s'attendre à un déploiement de solutions telle l'institution des « inégalités
compensatrices », de l'ordre public de protection.
643 V. Article J al.l.
644 V. Article J a1.2.
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-Les limites de la responsabilité civile des syndicats professionnels dans les conflits
collectifs, D. O., 1990, 375.
-L'indemnisation des grévistes contraints de recourir à la grève par la suite d'un
manquement de l'employeur à ses obligations, Dr. soc., 1991,315.
-Un employeur peut - il fihner à leur insu ses salariés ?, Dr. soc., 1992, 28.
-Un syndicaliste non salarié peut - il faire partie de la délégation syndicale à la
négociation annuelle obligatoire dans l'entreprise ?; Dr. soc., 1994, 958.
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~lllt()J)lJ<:llI()~•..••..••.•••..••...•.......••................•.....••............••...•..•....••.......1
SECTION 1 : LES NOTIONS DE DIGNITE ET DE DROITS FONDAMENTAUX
3
PARAGRAPHE 1 : LES ELEMENTS DE DEFINITION DES DEUX NOTIONS
3
A. La notion de dignité
4
B. La notion de droits fondamentaux
p
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 5
PARAGRAPHE II : LE SENS DE L'EMERGENCE CONTEMPORAINE DES NOTIONS
DE DIGNITE ET DE DROITS FONDAMENTAUX
Il
A. La dignité comme droit nouveau
12
1. Le processus d'apparition du nouveau droit
12
2. Le trouble causé par l'érection de la dignité en droit nouveau
20
B. La dignité comme justificatif d'un régime spécifique des droits fondamentaux
26
SECTION Il : LES DROITS FONDAMENTAUX ET LE DROIT DU TRAVAIL.
28
PARAGRAPHE l : LE CONTEXTE DE L'ETUDE
28
A. Les droits internes camerounais et français
29
B. Le droit international du trayaiL
32
PARAGRAPHE II : LES PARTICULARITES DE LA RELATION DE T10\\ VAIL.
34
PREMIERE PARTIE
LES DROITS FONDAlYIENTAUX COMME MOYEN D'EXPRESSION
DU PRINCIPE DE DIGNITE
38
TITRE 1 : LE RESPECT DU CORPS DU SALARIE
41
CHAPITRE 1 : LA FACTURE TRADITIONNELLE DE LA PROTECTION DE
L'INTEGRITE PHYSIQUE DU SALARIE
·B
SECTION 1 : LE CORPS LABORIEUX ••••.•.•..•..•.....•....••.......••.......•..•.....•.....•..•...... 44
PARAGRAPHE 1: LES PRINCIPES GENERAUX D'HYGIENE ET DE SECURITE
45
A. Une approche intégrée des problèmes de sécurité
45
B. La prévention, le maître-mot
47
PARAGRAPHE II. LA RESPONSABILITE DU CHEF D'ENTREPRISE
49
A. L'affirmation de la responsabilité du chef d'entreprise
49
B. Le rejet des tentatives de remise en cause
51
455

1. L'argument de la nécessité d'une faute personnelle..•.....•.••••..••..•.......•.•...••.•..•••5J
2. L'argument du principe de légalité des délits•...••.•.•.•.......••...••..•..•..•...••.•.••••.•.••. 53
SECTION Il: LE CORPS CONQUERANT
55
PARAGRAPHE 1: L'ETAT DE SANTE ET L'EMPLOI
56
A. Les solutions du droit camerounais .....•.•............................•.....•.•.......•.........•.....•......... S6
J. Le rappel des solutions existantes ..•.....•.....•..•.......••.....................................•.....•...........• 57
2. Les difficultés pratiques posées par les solutions existantes.....•...................................... 6J
B. Les solutions du droit français
64
J. La suspension du contrat de travail .•.............................................................................. 64
2. La possibilité de poursuivre l'activité
67
PARAGRAPHE II : LE CORPS DANS L'ACTIVITE NORMATIVE
69
A..L'entretien du corps
69
1. La large répudiation de l'analyse civiliste du salaire
70
2. Les garanties du paiement effectif et d'une bonne utilisation du salaire
72
B. Le corps comme référence à la validité des mesures dérogatoires sur le temps de
travail
76
Conclusion du chapitre
78
CHAPITRE II : LA FACTURE MODERNE DE LA PROTECTION DE
L'INTEGRITE PHYSIQUE: LA MAÎTRISE DU SALARIE SUR SON CORPS
80
SECTlON II : LE CADRE JURIDIQUE DU DROIT DE RETR-\\IT
81
PARAGRAPHE 1: L'EXERCICE DU RETRAIT
81
.>-\\. Les conditions d'exercice du retr.lÏt
82
1. La gravité et l'imnlÏnence du danger
82
a) La gravité du danger
81
b) L'imminence du danger
85
2. Le nlotifraisonnable du retrait
88
a) Le salarié de mauvaise foi
88
b) Le salarié en erreur
89
B. Les modalités du retrait
90
1• L'0 bl"
.
Igatlon d"rfi
ln ormer l'emp/oyeur
91
2 L"
d··
d
' d
.
.
Inter IctlOl1
e creer un
anger pour autrui
92
PARAGRAPHE II : LES SUITES DU RETRAIT
94

A. L'enraiement du danger
95
B. L'interdiction de retenue de salaire et de sanction disciplinaire
98
1. L'interdiction de retenue sur salaire .......•.•..•.•.......•.............•........•....•.....•..••....•............• 98
2. L'interdiction de sanction disciplinaire.•...........................................•.....•................•..•... 99
SECTION rI: LES PRESUPPOSES PHILOSOPHIQUES DES REGLES SUR LA PROTECTION DU
CO RPS
102
PARAGRAPHE 1 : LE SALARIE, ETRE DE RAISON
102
A. Les attributs de l'être de raison
103
1. Le salarié, homme compétent
103
2. Le salarié, homme responsable
106
B. Le salarié, titulaire d'un pouvoir d' autodétermination
107
PARAGRAPHE II: LE SALARIE EN TANT QU'HOMME EST UNE FIN EN Sor..
l11
Conclusion du chapitre
114
Conclusion du titre
115
TITRE II: LE RESPECT DES ASPIRATIONS DU SALARIE
116
CHAPITRE 1 : LA RECONNAISSANCE DES DROITS ET LIBERTES
118
SECTION 1: LA LIBERTE DANS LA RELATION DE TRAVAIL.
119
PARAGRAPHE I: LES LIBERTES DU SALARIE EN TANT QUE PERSONNE
119
A. Les libertés spirituelles du salarié en général
120
B. La liberté de la vie privée
125
1. Le sens de la liberté de la vie privée
125
a) L'interdiction de la collecte des informations sur la vie privée du salarié
126
b) L'interdiction de consen'er ou de diffuser des éléments de la vie privée du salarié
130
2. Le domaine de la vie privée
133
a) La vie sentimentale, sexuelle et familiale
13.f
b) Les autres aspects de la vie privée
13 7
PARAGRAPHE II : LES LIBERTES EN RAPPORT AVEC LA RELATION DE TRAVAIL
........................................................................................................................................... 140
A. La liberté d u travail
141
1. La liberté de travailler
142
a) L'aide à trouver un emploi et à la conserver
ln
457

b) L'élimination des conséquences néfastes de la liberté contractuelle
146
2) La liberté de ne pas travailler .••.•••••••.••••..••••••••••••.••••.••••••..••••••••••..••••••••..••••.••..••••..•.•••..150
B. La liberté syndicale .•.......•••....•.•...................••...•.•.•..••......••...•.......•.•...••.....•...•....••••..... 154
1. La liberté syndicale et les pouvoirs publics ............•....•.......••.....••••.....•..•.••...••.•..••..•..•..•154
a) L'orientation générale du syndicalisme
,
155
b) Le statut et l'objet des syndicats
157
2. La liberté syndicale dans l'entreprise..................•........•.......•........••............................... 158
a) Laface positive de la liberté syndicale
159
b) Laface négative de la liberté syndicale
159
C. La liberté de grève
161
SECTION II: L'EGALITE DANS LE TRAVAIL.................................................................•................... 165
PARAGRAPHE I: LA NON DISCRIMINATION
165
A. Les discriminations interdites expressément par les textes
166
1. La non discrimination en fonction de l'état des salariés
166
a) La non discrimination en raison du sexe
l6-;-
b) La non discrimination en raison de l'ethnie. de la race. de la nationalité ou de l'origine l69
c) La non discrimination en raison du handicap. de l'état de santé ou de lu grossesse
1- 1
2. La non discrimination en raison de certains comportements et choir: personnels des
salariés
172
B. L'évolution vers un principe général de non discrimination
174
1. Les tentatives jurisprudentielles de remise en cause de l'alla(vse traditionnelle
175
a) Les données du droit camerounais
175
b) Les données du droit frany'ais
1":"7
2. Er:ploration de quelques pistes à la recherche de l'idéal d'égalité
179
PARAGRAPHE II : LA RECHERCHE DE L'EGALITE PAR DES MESURES DE
COMPENSATION ET DES ACTIONS POSITIVES
183
A. Les mesures de compensation
184
1. Les mesures de compensation tenant alLr: données physiques ou biologiques
1IU
a) Les mesures de compensation en faveur des femmes
18-1
b) Les mesures de compensation enfaveur des aUlres groupes
188
2) Les mesures de compensation tenant aux particularités des conditions d'exécution du
travail
190
a) Les mesures de protection des salariés en situation précaire
191

b) Les mesures de protection en/aveur des représentants du personnel
192
B. Les actions positives
193
1) La justesse des actions positives••••.•••..••••..........•...•.•.••..••...•......•........••..•......•.•....•......••. 194
a) Discussion sur la justesse des actions positives abstraitement considérées
195
b) La validité d'une mesure concrète
196
2) La mise en œuvre des actions positives......................•....•...•....•.•.....•........•••.••..•....••......198
Conclusion du chapitre
200
CHAPITRE II : LE ROLE DE LA DIMENSION COLLECTIVE DES RAPPORTS DE
TRAVAIL .........................................................................................................•.
202
< • • • • • • • • • • • •
SECTION 1: LES ENJEUX DU RECOURS A LA DIMENsrON COLLECTIVE DES RAPPORTS DE
TRAVAIL
203
PARAGRAPHE 1: LE REFUS DE LA DOMI0JATION
20..+
A. La situation fondamentalement injuste
204
B. La réaction légitime
20S
PARAGRAPHE II : LA LUTTE POUR LE RETABLISSE;\\ŒNT OU LE RESPECT DES
VALEURS HUivlAlNES
21 1
A. L'ordre public social, compromis entre la collectivité et la liberté individuelle
211
B. L'égalité, une figure multiforme
216
C. La fraternité pratiquement refoulée ou dégradée
220
SECTION JI : LA TOILE DE FOND DU RECOURS A LA DIMENSrON COLLECTIVE DES
RAPPORTS DE TRAVArL
225
PARAGRAPHE 1 : LES INCONVENIENTS D'UNE VUE PARTIELLE
226
PARAGRAPHE II : LA DIGNITE COMME VALEUR iv1ATRlCIELLE
231
Conel usion du eha pitre
234
Conclusion du titre
235
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
236
459

DEUXIEME PARTIE
LA NECESSAIRE CORRELATION ENTRE LE REGIME JURIDIQUE
DES DROITS FONDAMENTAUX ET LA NOTION DE DIGNITE
237
TITRE 1 : VERS UN REGIME SPECIFIQUE DES DROITS FONDAMENTAUX ....240
CHAPITRE 1 : LA SANCTION MAXIMALE POUR LES ATTEINTES AUX DROITS
FONDAMENTAUX ........................................•.................................................•...•..........241
SEcrION 1 : LA NULLITE, SANCTION DES ACTES JURIDIQUES ATTENTATOlRES AUX
DROITS FONDAMENTAUX ••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 242
PARAGRAPHE l : LE DOMAINE DE LA NULLITE EN DROIT DU TRAVAIL.
242
A. Les points de certitude ...................................................................•.............................243
B. Le domaine des incertitudes
246
C. Pousser plus loin le domaine de la nullité
249
PARAGRAPHE II: LA REMISE EN ETAT, CONSEQUENCE DE LA Nl.JLLITE
251
A. La réintégration, conséquence normale de la nullité
252
B. La voie de fait, autre fondement de la réintégration
257
SECTION [[: LE RENFORCEMENT DE L'EXIGENCE DE SECURITE
259
PARAGRAPHE I: LA GARANTIE DE LA NON PRIVATION DU SALAIRE
26ü
A. L'interdiction de la compensation avec le salaire
260
B. La limitation des possibilités de renonciation du salarié
265
PARAGRAPHE II : LA GARANTIE DU CARACTERE SUFFISANT DU SALAIRE
27ü
A. Les voies de la régression sociale ..................................................................•..............272
1. La voie de la relation individuelle de travail ••...•••..•....•.•.......•••.•.•.......••••...•••....•...•.......•272
2. La voie des relations collectives de travaiL..........................•.•..•••...•....•.•••.•...•.••..•.•...•..••273
B. Les voies du progrès social.•.........................................................................................275
1. La solution des conflits des normes
276
2. Les voies à explorer.•••....•.•...•...•...•...•.........•...................................................................282
Conclusion du chapitre
286
460

CHAPITRE II : LA RECHERCHE DE L'EFFICACITE OPTIMALE DANS LA
PROCEDURE...•....••...•...•......•••.........•.•...•..............................•..•........................•.......•....•287
SECTION 1: LES VOIES DE LA SANCTION DES ATTEiNTES AUX DROITS FONDAMENTAUX
...........................................................................................................................................288
PARAGRAPHE 1 : LA SYSTEMATISATION DES RECOURS JUDICIAIRES EN
URGENCE
289
A. Le référé à généraliser
289
1. Lejuge des référés, juge naturel des atteintes aux droitsfondamentaux...........••..........290
2. Les données defait enfaveur de la compétence dujuge des référés.........................••...291
3. Les données de droit•...••..•••..••....••.......................•.......................•......••..........•...•..........293
B. La procédure répressive d'urgence ......•......................................................................297
PARAGRAPHE II : LA PLUS GRANDE SECURISATION DES SYNDICATS AU
CAMEROUN
300
A. L'allégement des contraintes pesant sur les syndicats
301
1. Célérité dans l'étude de la demande d'enregistrement
.301
2. Le recours contre le refus ou la décision d'annulation de l'enregistrement
.302
B. La levée des contraintes pesant sur les syndicats
304
SECTION Il : LES MOYENS DE LA SANCTION DES ATTEINTES AUX DROITS FONDAMENTAUX
........•...............••..............•....•.....••...•.......•....•.•...•......•..............•..........•............................•..............•............307
PARAGRAPHE 1 : DES ACTIONS DE SUBSTITUTION POUR LES DROITS
FOND~NTAUX
307
A. L'action de substitution exercée par le syndicat en vue du respect de l'égalité
professionnelle
308
B. L'action de substitution du délégué du personnel pour la défense des droits
fondamentaux
310
PARAGRAPHE Il : L'AMENAGEMENT D'UN BON REGIME PROBATOIRE DE LA
DISCRIMINATION
313
A. Les solutions imaginées par le législateur français
314
B. Les solutions d'origine européenne
-
316
Conclusion du chapitre
318
Conclusion du titre
320
'< t

TITRE II : LES LIMITES A L'EXPRESSION DES DROITS
FONDAMENTAUX
321
CHAPITRE 1: LES LIMITES FORMELLES A L'EXPRESSION DES DROITS
FONDAMENTAUX
323
SECfION 1 : LES POUVOIRS DU CHEF D'ENTREPRISE COMME LIMITE A L'EXPRESSION DES
DROITS FONDAMENTAUX
324
PARAGRAPHE I: LE POUVOIR REGLEMENTAIRE DU CHEF D'ENTREPRISE ET
LES DROITS FONDAMENTAUX DES SALARIES
325
A. Le règlement intérieur et les atteintes aux droits et libertés individuelles et
collectives
325
B. Les atteintes contenues dans les circulaires et notes de service
329
PAR.A.GRAPHE II : LE POUVOIR DE DIRECTION DU CHEF D'ENTREPRISE ET LES
DROITS FONDArviNTAUX DES SALARIES
.33~
A. Le pouvoir de direction et la liberté des salariés
332
1. Le pouvoir de direction et la liherté du travail
333
2. Le pouvoir de direction et la Iiherté dans le travail
338
B. Le pouvoir de direction et l'égalité entre salariés
3 2
1. Le sens et la portée e..mcts des décisions jurisprudentielles récentes sur l'égalité entre
salariés
342
a. Les décisions camerounaises sur la nun discriminaliun.
3-13
b. Les décisionsfrançaises sur la non discriminalion
3-15
2. La soif d'égalité des salariés en manque d'un soutien te.."Ctuelfort
349
SECTION Il: L'INTERET DE L'ENTREPRlSE COMME LIMITE A L'EXPRESSlON DES DROlTS
FONDAMENTAUX
351
PARAGRAPHE 1 : LES MOYENS DE LIMITATION DES DROITS FOND","\\1ENTAUX
PAR L'INTERET DE L'ENTREPRISE
35.3
A. L'intérêt de l'entreprise en œuvre dans le droit positif à travers des techniques et
concepts juridiques
354
1. L'intérêt de l'entreprise directement invoqué
354
a. L'égalité entre salariés et l'intérêt de l 'entreprise
.35-1
b. La liberté des salariés et l'intérêt de l 'entreprise
355
2 L"
,
d 1"
.
d'
A
.
IIlteret e entreprIse en œuvre a travers
autres concepts
.358

a. Laperte de confiance et la mésentente
358
b. Le trouble caractérisé
360
B. L'intérêt de l'entreprise au niveau de la politique législative
362
1. Les licenciements et l'intérêt de l'entreprise.....••..........•...•••.....•.•••..............•...........•••...362
2. La modification du contrat de travail et l'intérêt de l'entreprise..•••.•.......•..•.•............•.•.365
PARAGRAPHE II: L'APPRECIATION DE L'INTERET DE L'ENTREPRISE
367
A. Le statut juridique de l'intérêt de l'entreprise
368
1. L'identité de la notion d'intérêt de l'entreprise
368
2. La/onction de l'intérêt de l'entreprise
.370
B. Les questions majeures de l'appréciation de l'intérêt de l'entreprise
372
1 Q .
, . l"
, A -J l'
.
372
.
UI apprecle
Interet ue entreprISe
.
2. Jusqu'où peut al/er l'appréciation ?
.375
Conclusion du chapitre
378
CHAPITRE Il : LES LIMITES INFORMELLES A L'EXPRESSION DES DROITS
FONDAMENT,L\\VX .............•...........................................................................................380
SECTION 1: LES CONTRAINTES ECONOMIQUES ...........•....•...•.•.....•...................................381
PARA.GRAPHE r : LES RAPPORTS PARFOIS fuvfBIGUS ENTRE LA SECURITE ET LE
GAIN
381
A. L'exigence de sécurité et les charges financières des entrep rises
382
B. La sécurité est-elle parfois dans le négoce ?
385
1. Les questions de l'ahaissement contre argent du niveau de sécurité et de rémunération
pour des risques particuliers
385
2. La pratique au Cameroun d'étahlissement de/aiL\\: certificats d'aptitude à la demande des
salariés
389
PARAGRAPHE II : LE PRIX DE LA CONCURRENCE ECONOMIQUE
.390
A. La sécurité et le rythme de production
391
B. Le risque de nivelage par le bas des conditions de travail
394
SECTION II : LE DEVOIEMENT DES OUTILS DU DROIT
397
PARAGRAPHE 1: LA PARTICIPATION DES SALARIES A LA DETERMINATION DE
LEURS CONDITIONS DE TRAVAIL
398
A. La difficile articulation des rôles respectifs des institutions représentatives des
salariés
398

1. Les difficultés d'articulation des rôles au Cameroun
399
2. Les difficultés d'articulation des rôles en France
.401
B. La substitution de la logique d'assistance publique à la logique de liberté publique
...........................................................................................................................................405
PARAGRAPHE II: LE DEVOIEMENT DU REGLEMENT INTERIEUR
.4IO
A. L'amenuisement du contenu du règlement intérieur
.411
B. L'annihilation de tout esprit d'initiative chez les salariés par le règlement
intérieur
414
Conclusion du chapitre
416
Conclusion du titre
417
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
A18
CONCLUSION GENERALE
419
BIBLIOGRAPHIE
23
1r;.!