UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
Thèse pour le Doctorat d'Etat en Droit
Présentée et soutenue publiquement par:
Seydou Diouf
Le 02 décembre 2000
JURY
PRESIDENT
Monsieur le Professeur Bernard Durand, Doyen de la
Faculté de Droit de l'Université de Montpelllier I.
SUFFRAGANTS:
- Mme Fatna SARHANE, Professeur à la faculté des Sciences
Juridiques,
Economiques
et
sociales
de
l'Université
Hassane II de Casablanca ( Maroc ).
- Monsieur Samba TRAORE, Doyen de l'U.F.R de Sciences
Juridiques et pol1itiques de l'Université Gaston Berger
de Saint-Louis.
- Madame Amsatou SOW SIDIBE, Maître de Conférences
agrégée à la faculté des Sciences Juridiques et Politiques
(UC.A.D ).
- Monsieur Paul NGOM, Maître de Conférences Agrégé à la
Facu1t1é des Sciences Juridiques et Politiques de l'UCAD.

INTRODUCTION GENERALE

2
C'est en 1847 qu'une ordonnance parle pour la première fois de droit
Musulman au Sénégal et institue à Saint-Louis un Comité Consultatif chargé
de donner son avis sur les questions de droit musulman qui lui seraient
soumises par les tribunaux français 1.
L'islam ayant fortement marqué de son empreinte les peuples qu'il
enrôlait sous sa bannière, les autorités coloniales étaient obligées d'en tenir
compte. Dans des villes comme Saint-Louis, Dakar et Rufisque où les premiers
tribunaux musulmans seront institués, un grand nombre d'indigènes étaient
déjà fortement islamisés2.
Mais la politique officielle de la France, à première vue, pouvait
apparaîh'e d'une singulière ambiguïté. D'une part, en 1830, le Code civil est
introduit en bloc au Sénégal; et dans ce texte, on négligeait l'existence du droit
musulman ou des coutumes locales3. Il était tout simplement prévu que tout
individu né libre et habitant le Sénégal ou ses dépendances jouirait dans la
colonie des droits accordés par le Code civil aux citoyens français4. Mais
d'autre pmi, le colonisateur manifestait le respect qu'il portait à la religion
musulmane. Le gouverneur BOUET édifia une mosquée à Saint-Louis en
1844, reconnut officiellement l'existence de notables de la religion islamique et
1 Cf. P.V. de la Commission chargée de la réorgmùsation de la Justice Musulmane en A.O.F.
- A.N.S. - M. 8, p. 50.
2 Au XIe siècle, EL BAKRl (l 040-1 094) signale la présence de populations islamisées sur la
rive du Fleuve Sénégal (Cf. DIOUF Mamadou, Le Kajoor au XIXe siècle, KARTHALA,
1990, p. 84)/
3 Cf. SCHNAPPER B., Les Tribunaux musulmans et la politique coloniale au Sénégal
Cl 830-1914), Rev. Rist. du Droit français et étranger, 4e série, 1961, n° l, p. 93.
4 Les citoyens français se répat1issaient en deux catégories : les citoyens de statut civil
français et les citoyens originaires des quatre communes de plein exercice comme Dakar,
Gorée, Saint-Louis et Rufisque (Cf. Amsatou SOW SIDIBE, Le Pluralisme juridique,
L.G.DJ., Paris, 1991, pp. 23 et 25.

3
paya un traitement à "ce personnage curieux qu'était le Tamsir ou Chef de la
religion islamique à Saint-Louis"s.
A bien y regarder toutefois, il n'y avait pas incompatibilité entre la
déférence reconnue envers une religion et la volonté de ne lui voir jouer, dans
la cité, aucun rôle ni politique, ni juridique.
La politique d'ouverture envers la population musulmane de Gorée
se manifesta par la mesure d'expulsion plise par le Commissaire de police du
2e arrondissement (Gorée) à l'encontre d'un marabout nommé Mour
DIAKHATE accusé d'avoir tenu des propos blasphématoires à l'égard de la Loi
musulmane. Ce marabout avait dit à haute et intelligible voix, à l'occasion
d'une fête, qu'il n'existait pas à Gorée d'autorité musulmane et que, dès lors, les
fennnes étaient parfaitement et entièrement libres de se séparer de leur mari
sans s'astreindre aux expériences et obligations des mariages musulmans6• Cet
homme voulait dire que les fennnes répudiées ou celles dont les maris étaient
décédés n'étaient pas tenues d'observer la période de retraite légale. Autrement
dit, il n'y avait pas lieu d'imposer la loi musulmane aux femmes mmiées du
moment qu'il n'existait pas de cadi dans le pays.
Il est vrai qu'à cette époque, il n'existait pas de tribunal musulman à
Gorée et dans tout le 2e arrondissement où le décret de 1857 portant création
du Tribunal musulman de Saint-Louis n'a jamais été appliqué. Les musulmans
étaient peu nombreux à Gorée et il n'y avait pas le même intérêt politique qu'à
Saint-Louis d'y créer un tribunal musulman7• Depuis 1857, au contraire, à
5 Cf. SCRNAPPER B., Les Tribtmaux musulmans et la politique coloniale au Sénégal
(1830-1914), Rev. Rist. du Droit français et étranger, 4e série, 1961, n° 1, p. 93.
6 Cf. Correspondance du Commissaire de police du 2e arrondissement datée du 27-09-1877 -
A.N.S. M. 8 Ob. 8 1877, n° 360.
7 P.V. Commission chargée de la réorganisation de la Justice musulmane en A.O.F. - A.N.S.
- M.8, p. 51.

4
partir du moment où une exception a été généreusement faite en faveur d'une
catégorie d'habitants, où un statut personnel différent de celui des autres
français a été octroyé aux indigènes musulmans, l'islamisme a pris à Saint-
Louis une extension considérables.
Ainsi, à plusieurs reprises, en 1832, 1834, 1844 et 1847, des groupes
de musulmans envoyèrent au gouvernement de Saint-Louis des pétitions pour
obtenir une juridiction spéciale à l'instar de celles qui étaient créées en
Algérie9.
La stratégie des notables saint-louisiens était efficace à bien des
égards. Sachant que la tolérance religieuse était inscrite dans la Charte
constitutionnelle de la France, ils invoquaient justement son article 5 pour
légitimer leur revendication 10.
Ces revendications posaient le problème de la politique française
face aux institutions locales et face à tout ce qui était étranger aux institutions
et à la civilisation française. Les autorités coloniales se partagèrent entre deux
tendances opposées face à ces doléances: l'une prête à les accepter au nom du
respect de la religion; l'autre, au contraire, désireuse des les écarter au nom de
la supédorité européenne et de la souhaitable assimilation 11.
Le courant de pensée favorable au respect scrupuleux de l'Islam
conduisait à proposer de reconnaître la loi coranique et de mettre sur pied une
juridiction spéciale chargée de l'appliquer '2. Ainsi, fut créé, après vingt cinq
8 Idem.
9 Cf. SCHNAPPER B., Les Tribunaux musulmans et la politique coloniale au Sénégal
(1830-1914), Rev. Rist. du Droit français et étranger, 4e sélie, 1961, n° 1, p. 91.
la Ibidem.
11 Ibidem.
12 Op. cit., p. 93.

5
années d'hésitation, un Tribunal musulman composé d'un cadi, d'un suppléant
et d'un greffier, et compétent pour juger entre indigènes musulmans les litiges
relatifs à l'état civil, à l'exclusion de toute affaire pénale.
Les musulmans avaient opté pour la Charia afin de soustraire leurs
structures familiales à l'influence européenne.
C'était d'ailleurs là une attitude de bon sens, car ils s'étaient vite
aperçus que dans la perspective de sa mission civilisatrice, le colonisateur
tentait de les placer sous la juridiction de son propre droit civil pour les
soustraire à leurs mœurs et à leurs coutumes jugées contraires à ses propres
conceptions morales 13. Aussi, ont-ils été beaucoup plus réservés en ce qui
concerne les institutions de droit privé et notamment celles qui intéressent la
famille.
Les indigènes se rendaient-ils compte que le droit du manage
musulman leur imposerait des contraintes supplémentaires qui n'existent pas
dans le mariage traditionnel ?
Les élites qui avaient appris le Fiqh étaient certainement au courant
de cette réalité. Mais, les ignorants ne l'apprendront que devant le cadi et à
leurs dépens.
On pense par exemple aux charges du ménage qui pèsent
exclusivement sur le mari, ce qui n'est pas forcénlent le cas dans le mariage
13 Cf. KOUASSIGAl\\l G.A, Quelle est ma loi ?, Ed. Pédone, 1974, pp. 8 et 9.

6
traditionnel, charges qui expliquent par contrecoup que le droit du mariage
~.
14
musulman accorde un statut inférieur à l'épouse •
C'est précisément dans cette optique que nous avons entrepris cette
recherche dont l'objet est l'étude des droits de la femme dans le mariage en
droit Musulman, d'après la jurisprudence musulmane sénégalaise du XIXe au
XXe siècle.
Dans cette perspective, il est utile de partir de l'image -un peu
excessive- que l'on garde des temps préislamiques.
Dans le mariage "djahiliya" (l'époque de l'obscurantisme), la femme
n'avait aucun droit, elle était plutôt considérée comme la propriété du mari.
Selon divers auteurs dont TABAR! (IV.3D?), lorsqu'un homme décédait, il
était fi'équent que son frère se précipitât chez lui et, jetant son manteau sur la
veuve, devint ainsi t'héritier du mariage de son frère, c'est-à-dire qu'il mettait
celle-ci dans l'obligation de l'épouser15 .
L'Islam a donc amélioré la condition de la fen1me en lui octroyant
des droits qu'elle n'a jamais eus dans le passé.
Le Coran a institué la dot à son profit. "Donnez le douaire à vos
femmes spontanément, dit-il (S. IV, V. 13). De plus, il oblige le mari à
subvenir aux besoins de sa femme, à lui assurer la nourriture, les vêtements, le
14 En revanche, on a prétendu que, sous certains rapports, la femme africaine était plus libre
que les femmes d'Europe. Cependant, le libéralisme relatif imputé à la société indigène n'en
laisse pas moins parler de temps à autre quelques clichés classiques comme, par exemple,
l'idée décidément tenace que l'indigène "achète sa femme" (Cf. M. Paul NGOM, L'Ecole de
Droit colonial et le plincipe des coutumes indigènes, Thèse d'Etat, Dakar, 1993, pp. 173 et
279.

7
logement, les frais médicaux, etc., sans que celle-ci ne soit tenue de contribuer
en quoi que ce soit aux charges du ménage.
De même, toute femme mariée a le droit d'être entretenue
correctement par son mari. "Les femmes ont autant de droits que de devoirs
dans le mariage confonnément à la bienséance", a dit le Coran 16•
Toute épouse a le droit d'exiger de son mari des moyens de
subsistance compatibles avec sa position sociale, pour elle-même et pour les
enfants qu'elle nourrit ou dont elle a la garde, quels que soient les biens qu'elle
pourrait posséder en propre.
En outre, la loi musulmane impose au mari l'obligation de cohabiter
avec sa femme. Il doit notamment "l'approcher" au moins une fois tous les
quatre mois. Si le mari s'abstient de toucher à sa femme pendant 4 mois, cette
dernière a le droit de s'adresser au Cadi qui le rappellera à une meilleure
compréhension de ses devoirs conjugaux. S'il n'obtempère pas à son ordre, le
Cadi prononcera la dissolution du mariage.
En ce qui concerne le droit de l'épouse au déplacement, les docteurs
musulmans enseignent qu"'il est agréable à Allah de permettre à l'épouse de se
rendre au chevet d'un malade, de le veiller s'il est de ceux qui lui sont interdits
en mariage, de prendre part à la cérémonie funéraire et de rendre visite aux
proches parents si cette visite ne nuit pas aux intérêts de son mari" 17.
Il est bien vrai que le Prophète Mouhamed a réalisé en faveur des
femmes des réfonnes qui, par rapport au milieu où il vivait, font de lui un des
15 Cf. Hussein M. JOHER, Polygamie et condition de la femme dans l'Islam, NEA, 1983, p.
43.
16 Cf. S. II, verset 228.
17 Cf. EL DIAZAIRJ (A.), La voie du Musulman. Aslime ed., 1986, p. 458.

8
champions du féminisme 18. Mais ces "réfOlmes" semblent aVOlr été mal
comprises par les apologistes musulmans qui exagèrent leur portée.
Les fondamentalistes musulmans, dans le dessein de prouver
l'excellence du système matrimonial institué par le Droit musulman, invoquent
inlassablement la condition enviable que l'Islam a faite à la femme mariée. Ils
déclarent que la situation de l'épouse musulmane est plus avantageuse que celle
de la femme européenne que son mariage met sous la tutelle de son époux. Ils
estiment notamment que, dans le mariage musulman, toutes les obligations
reposent sur le mari qui paie la dot et entretien la femme, laquelle est exempte
de toute participation aux frais du ménage, quel que soit le niveau de sa
fortune 19.
Or, que représentent ces avantages matériels accordés à la femme
mariée 7
N'est-il pas, en quelque sorte, exigé d'un mari qu'il fournisse à sa
femme des vêtements, un foyer et de la nouniture "de la même façon qu'un
propriétaire de cheval doit nounir et donner un abri à son cheval 7,,20.
"De même, prétend-on, que le propriétaire d'un animal doit
supporter les dépenses d'entretien de celui-ci afin qu'il puisse continuer à
servir; de même, et dans le même but, la loi de l'entretien a rendu obligatoire
pour le mari de fournir le pain et le beune à sa femme,,21.
18 Cf. G.H. BOUSQUET, La Morale de J'islam et son éthique sexuelle, 1953,p. 118.
19 Cf. El HADJOUI M., La femme dans le Droit musulman, Imp. CASA, 1967, p. 14. V.
également le Code de la famille musulman de Cheikh TOURE, 2e éd. Dakar, 1979, p. 43.
20 AYATOLLAH M.M., Les droits de la femme en Islam, P.S.I.P., 1987, p. 146.
21 0
.
p. CIL, p. 149.

9
En tout état de cause, on constatera que le contenu des droits de
l'épouse est des plus réduits pour ne pas dire dérisoires. Car il s'agit de droits
ayant un caractère alimentaire ou biologique très prononcé tel que le droit à la
"Nafaqa" (l'entretien), à la !lHadana" (la garde de l'enfant), au !lVatou", le coït
légal, etc.
Aussi, convient-il de signaler que les traités de Fiqh classique ne
comportent aucune théorie générale ou cohérente des droits de la femme
mariée, c'est-à-dire des droits que celle-ci tient de sa propre nature. Il y a plutôt
des droits qu'elle tient de son mariage.
Les auteurs classiques mettent surtout l'accent sur le devoir de
soumission et de l'obéissance de l'épouse à l'égard du mari22 .
Le défaut de cohérence ainsi que la diversion constatés au sujet des
droits de la femme s'explique par le fait que la réglementation relative à l'union
conjugale telle qu'elle résulte du Coran n'a pas dessiné de manière définitive la
physionomie du mariage musulman. C'est par un lent travail d'adaptation et de
construction doctrinale que les auteurs du premier siècle de l'Hégire ont fini par
créer un système matrimonial nouveau qui a pris son expression définitive à
travers les enseignements des écoles sunnites au Ille siècle de l'Hégire.
Les travaux des savants orientalistes ont surtout contribué à mettre
en exergue les dispositions du Droit musulman permettant à la femme d'exiger
le respect de ses droits dans le mariage. Ils ont notamment apporté au concept
22 D'après un hadith du Prophète qu'on invoque souvent à ce sujet: "S'il m'avait été autorisé
de soumettre quelqu'un à se prosterner devant un autre, c'est bien à la femme que j'aurai
demandé de le faire devant son mari" ; d'après un autre hadith rapporté par Abou YAALA et
Al BAZZAR, le Prophète aurait dit en s'adressant aux femmes: "Si vous vous occupez de la
maison de vos époux, cela vaudra à chacune d'entre vous des biens égaux à ceux dévolus aux
combattants d'Allah". (Cf El DIAZAIRI, La voie du Musulman, Aslime Ed., 1986, p. 458).

10
des droits de la femme musulmane un nouvel éclairage et une nouvelle
dimension en les rapprochant des normes universelles des Droits de l'Homme.
Les auteurs musulmans contemporains, troublés par les critiques des
Occidentaux à l'endroit des prérogatives exorbitantes reconnues au mari par le
droit musulman, ou tout simplel11ent influencés par les nouvelles conceptions
sur l'égalité des sexes, s'ingénient à défendre leur système matrimonial.
Dans leur discours apologétique non fondé sur le droit, ces auteurs
prétendent notamment que "la valeur totale des droits accordés à la femme
mariée n'est pas inférieure à celle des droits accordés au mari; le Coran a
rétabli la femme dans ces droits dont une partie seulement n'a été accordée à la
femme occidentale que récemment et au compte-gouttes. Non seulement, le
droit à l'existence mais aussi un statut juridique et social plus conforme à sa
dignité,,23.
Le philosophe arabe Abou HARTA est resté sceptique devant de tels
propos. Il interpelle les arabes: "Vous voulez égaler les Européens? Vous ny
aniverez pas ! Nous n'y arriverons pas tant que nous n'aurons pas porté le fer
rouge sur une plaie qui nous mine: la situation de la femme,,24.
Cet auteur estime, en outre, que la polygamie n'est que de
"l'esclavage adouci ,,25.
Les apologistes musulmans trouvent au contraire à la polygamie des
avantages. Elle protégerait la femme contre un usage trop fréquent de la
23 La femme en Islam, Mosquée Beni Messous - Alger (s.d.), p. 23.
24 Cf. Abul Qacim TEDJIN1, L'évolution de la femme musulmane, ed. Afkar, Alger (s.d.), p.
5.
25 0
.
2
p. Clt., p. .

11
répudiation, car à défaut d'une telle institution, l'homme serait toujours obligé
de répudier sa fenlme chaque fois qu'il voudra se remarier avec une autre. Mais
c'est oublier qu'il y a d'autres possibilités susceptibles d'éviter les abus de
répudiation et faire peu de cas de la signification anthropologique de la
polygamie que le Prophète a d'ailleurs limité à quatre épouses et pour laquelle
il a, en outre, posé de sérieuses limites; il doutait même de la capacité du mari
à traiter également ses épouses, traitement à égalité dont il fait au mari un
devoir.
Quoi qu'il en soit de ces arguments26, il est certain qu'on ne peut bien
comprendre les droits de l'épouse musulmane sans se référer à la pratique des
juges, pratique vers laquelle il faut se tourner pour avoir une idée du statut réel
fait à l'épouse.
L'analyse de la jurisprudence permet ainsi de dépasser la doctrine
idéale des apologistes qui demeure en principe statique et immuable. Elle
permet en outre de déterminer jusqu'à quel point la pratique des tribunaux
musulmans a coïncidé avec les normes de la Charia et les besoins réels de la
société.
En effet, si on parcourt la jurisprudence, on découvre que les cadis
avaient une approche très simple voire très réaliste du droit du mariage.
Pour eux, l'union conjugale reste un contrat dans lequel le mari en
tant que quasi-acheteur occupe la position dominante. Ils appliquent à la lettre
26 Les fondamentalistes musulmans estiment en outre que l'Islam a pennis à l'homme de
multiplier ses épouses, mais pas à la femme parce qu'elle n'a pas plusieurs utérus dans
lesquels elle pourrait mettre séparément les enfants de chaque mari" (Cf. Emma BELLHAJ
Y., Discours islamiste radical et droits des femmes, in La non discrimina60n à l'égard des
femmes, Colloque de Tunis du \\ 3-16.01.1988, p. 370).

12
la loi coranique qui dit que « les hommes ont autorité sur les femmes en raison
des biens qu'ils ont investis »27.
Il ne fallait donc ménager aucun effort pour protéger les droits
essentiels reconnus à la femme mariée. Mais une fois ces droits bien garantis,
une préoccupation demeure : la femme n'aura qu'à obéir à son mari. Par
conséquent, il fallait de toute nécessité lui tenir la bride sous peine de troubler
les rapports existants en faveur du mari dans le couple.
Cependant, ce schéma patri arcal de la société doit être soumis à
J'inHuence tempérante du critère moral d'un juste traitement des épouses. Le
Cadi doit notamment moraliser les rapports entre époux. Il doit éviter que les
femmes qu"lAllah, le Très Haut, a confiées aux hommes, comme les esclaves
sont confiés aux maîtres", ne soient pas maltraitées par leur mari28 .
Ce "rôle moralisateur" du Cadi n'est qu'un pis-aller, parce que ce
dernier n'a aucun pouvoir de correction à l'égard des époux. Le Cadi ne peut
que réprimander les maris qui font tort à leurs femmes ou, à la limite, rompre
leur mariage.
Le juge musulman n'a pas qualité pour faire arrêter lui-même les
criminels ou auteurs des délits, mais il en requiert l'autorité chargée de la police
du pays si celle-ci ne prend pas d'elle-même les devants29.
La foncüon du Cadi paraît, de ce point de vue, avoir hérité à la fois
de l'arbitre préislamique (le hakam) et du juge byzantin.
27 Coran S. IV v. 34.
28 V. Jugement n° 105 à l'annexe.
29 A.N.S. M.241 , Corresp. Direc. Aff. Indigènes du 18-08-1899. V. également jugement nO
100 à l'annexe.

13
Le Cadi est en effet un arbitre rendant des sentences sur toutes les
questions qui intéressent l'état civil, le mariage, les successions, les donations,
le testament, etc. Mais il ne résout les problèmes que si quelqu'un vient se
plaindre.
On peut par ailleurs remarquer que le colonisateur français a
appliqué au Sénégal le même système d'organisation judiciaire du califat
Abbassid qui consistait à nommer un "Cadi suprême" (Cadi Al Qodat) dans la
capitale et des Cadis subalternes dans les provinces30.
Cependant, il existe une différence notoire qu'il convient de signaler
en passant entre la justice cadiale des califes Abbassides et celle instituée en
A.O.P. par le colonisateur français. C'est que chez les Abbassides, le Cadi
professait la doctrine de l'Imam tandis qu'au Sénégal, le juge musulman était
obligé de se soumettre aux ordres de l'autorité coloniale.
En pays d'islam, le chef de la Communauté, le calife, est titulaire de
tous les pouvoirs, le cadi n'est en fait que son "naib" (délégué) et il en porte les
couleurs.
Au Sénégal, les cadis étaient nommés par arrêtés du Gouverneur
Général sur avis du Procureur Généra1 31 • En tant que fonctionnaires délégués,
ils étaient bien SOUTIÙS aux ordres de l'autorité politique.
30 A titre d'exemple, les Cadis Ndiaye SARR (décédé en 1903) et Bécaye BA (décédé en
1911) étaient des "Cadis A1-Qodat" de Saint-Louis. Us siégeaient à la Commission chargée
d'examiner les titres et capacités des Cadis de provinces soumis à leur autorité.
31 Les Cadis n'étaient à la limite considérés que comme des instruments de la politique
indigène de la France. Ils contribuèrent à rapprocher de la France des masses indigènes qui
ne nourrissaient que le désir de s'en éloigner. Grâce à leur influence, de nombreux enfants
musulmans fréquentèrent les écoles françaises, chose qui ne se serait jamais produite si la
France n'avait pas donné aux indigènes musulmans le libre exercice de leur justice (Cf. P.V.
Comm. chargée de la réorg. Just. musul. en A.ü.F. 6-M.8 p. 28.

14
En principe, le Cadi doit appliquer les peines prévues par le Coran,
mutilation pour vol, talion ou rançon pour les crimes de sang, coup de fouet et
lapidation pour adultère. En fait, les textes coloniaux organisant la justice
musulmane au Sénégal limitaient considérablement sa compétence.
Il n'a jamais été question pour le juge sénégalais d'appliquer la loi
coranique dans toute sa rigueur. La justice cadiale rencontrera divers obstacles:
coutumes locales, croyances populaires ou décrets coloniaux qui obligèrent
souvent les Cadis à consentir en fait à des arrangements. C'est ainsi que le
législateur colonial avait supprimé le "djabre" (la contrainte matrimoniale) au
Sénégal. L'article 2 du décret du 15/0611939 dispose que le consentement des
futurs époux est indispensable à la validité du mariage. Le texte poursuit, en
prononçant la nullité "de toute convention matrimoniale concernant la fillette
impubère, qu'elle soit ou non accompagnée du consentement de la fille.,.,,32, Or
ce texte qui limite le droit du père de famille sur la personne de sa fille, est en
parfait désaccord avec la doctrine malékite qui autorise le "djabre".
Pour éviter de l'appliquer, les juges musulmans déclaraient en
général que pamli les causes qu'ils ont à trancher, il ne s'en présente jamais
donnant matière à la pratique du "djabre"33. De la même façon, les
compétences des Cadis étaient-elles bien réduites en matière successorale. Ils
ne pouvaient liquider une succession tout comme ils n'avaient pas le droit de se
déclarer tuteurs légaux des orphelins mineurs.
Il s'était même élevé une forte opposition à ce sujet contre le cadi
Ndiaye SARR de Saint-Louis qui prétendait avoir les mêmes attributions
conférées en Algérie aux fonctionnaires publics musulmans et d'être le tuteur
32 Cf. J. CHABAS, Le mariage et le divorce dans les coutumes des ouolofs, L.G.DJ., 1952,
p.8.

15
34
des orphelins . Les autOlités coloniales firent remarquer à ce magistrat qu'on
ne saurait comparer le Sénégal à l'Algérie. "Le Sénégal, dirent-ils, est une
colonie créée par la France, la ville de Saint-louis a été formée par les Français
et ce n'est que petit à petit que l'Islamisme s'est infiltré dans la population noire
de la ville, introduite par les Maures de la rive droite du fleuve. Il ne saurait
donc avoir droit de cité et revendiquer des prérogatives analogues à celles
d'Algérie,,35.
Mais, le ministre de la Colonie était d'avis qu'il n'y avait aucun
inconvénient à laisser faire le partage des successions exclusivement mobilière
et de minime importance.
On consacra dès lors la théorie des "successions pauvres". Il fut
décidé que seul le règlement des "successions pauvres", c'est-à-dire celles
n'atteignant pas cinq cent francs ou mille francs, sera laissé au Cadi3G •
Il faut également reconnaître que nos Cadis ne rendaient qu'une
parodie de justice en matière de Zina (la fornication). Dans une célèbre affaire
que nous verrons, un Cadi s'est tout simplement livré à un exercice inutile en
condamnant une "femme adultère" à une peine de lapidation qui ne fut jamais
exécutée. Il n'était rendu dans ce domaine qu'une parodie de justice parce que
le Tribunal musulman nravait pas la haute justice et ne pouvait autoriser
l'exécution des condamnés.
33 0
.
9
p. CIt. p.
.
34 Cf. P.V. COlmnission chargée de la réorg. de la justice musu!., 6.3.8, p. 4.
35 Ibid.
36 A.N.S. M.246 - D. nO 191.

16
D'autres restrictions telles que la création d'un Conseil Supérieur
Musulman, l'exclusivité du rite malékite et l'interdiction de l'utilisation de la
langue arabe furent égalen1ent appü11ées à la souveraineté du juge musulman.
En principe, la justice cadiale a toujours été exercée par un juge
ulllque qui rend des jugements en premier et denier ressort. Mais le
colonisateur français avait jugé plus opportun de créer un second degré de
juridiction chargé de statuer sur les décisions du Tribunal musulman. Cest
ainsi que le Conseil d'Appel musulman fut institué par le décret du 20 mai
1857. Or, ce Conseil n'a jamais été composé par des magistrats de carrière. Il
était plutôt présidé par le Gouverneur Général entouré d'un conseiller à la Cour
Impériale, du Directeur des Affaires Indigènes et d'un cadi-Tamsir37•
Certains magistrats français le qualifiaient de "Cour d'Appel
bâtard,,38. Il sera supprimé par le décret du 22 mai 1905 et remplacé par la
Cour d'Appel française.
On fit valoir que "l'envoi des affaires musulmanes à la Cour d'Appel
française serait un premier pas vers l'assimilation, et c'est de cette manière que
l'on arriverait peu à peu à montrer aux indigènes la supériorité des fonnes de la
]égislati on française,,39.
Concernant l'exclusivité du rite Malékite en A.O.F., le Directeur des
Affaires Indigènes affimmit clairement dans sa Circulaire du 18-01-1899 que
la jurisprudence Malékite est la seule en vigueur au Sénégal; elle est contenue
37 Cf. A.N.S. M.241.
38 Le Conseil d'Appel Musulman était ainsi qualifiée à cause de la double présence du Cadi
comme juge au Tribunal d'Instance et au Tribunal d'Appel (Cf. P.V. Commission chargée de
la réorganisation de la Justice Musulmane en A.O.P. - 6.M.8 A.N.S., p. 28).
39 Op. cit. pp. 28-29.

17
dans plusieurs ouvrages bien connus tels que l'Abrégé de Khalil, la Tohfa, etc.
4o
Elle doit être appliquée intégralement .
Afin d'astreindre les Cadis à appliquer ces textes à la lettre, le
législateur colonial décida de les codifier à bref délai. Le Cadi Ndiaye SARR
de Saint-Louis s'y oppos~ mais on lui fit comprendre que "son objection
contre ce projet n'est pas sérieuse; de ce que les lois musulmanes soient
nombreuses et contiennent des nuances, il ne s'en suit pas qu'il soit impossible
de les condenser dans un seul et même ouvrage. Cela était fait en Algérie,
pourquoi n'en serait-il pas de même au Sénégal ?,,41.
Ce Code n'a jamais vu le jour au Sénégal. Mais les tribunaux
appliquaient presque constanunent le rite Malékite comme le confirmait un
Cadi qui déclarait :"Khalil disait que le juge doit rendre ses jugements à
J'unanimité ou à la majorité du rite auquel appartient son Imam. Nous,
musulmans de l'Occident, nous sommes du rite Malékite. Nous rendons nos
jugements à l'unanimité ou à la majorité du rite Malékite,,42.
Aussi, dans un arrêt du 20 août 1935, la Cour d'Appel précisait-elle
que "la seule doctrine qui puisse être invoquée en A.O.F. est celle du rite
Malékite,,43.
40 Ibid.
41 L'objection de ce Cadi semble confonne à la tradition Malékite. On raconte, en effet, que
des Ulémas auraient suggéré au calife régnant du temps d'Imam Malek de promulguer un
Code qui aurait mis fin aux controverses d'école. Imam Malek se serait opposé à ce projet et
le Code n'a jamais vu Je jour (Cf. CHEAT A Ch., Droit Musulman, Dalloz, 1970, p.ll ; V.
également P.V. Comm. chargée de la réorg. de la Justice Musulmane en AD.F., AN.S. M.
241, p. 57).
42 (Cf. Aff. Epoux DIACK, AT.M., 11-11-1895, R.1895).
43 Cf. Jugement N° 33 de l'annexe.

18
Quelle autre doctrine était-elle susceptible d'être invoquée à cette
époque, en dehors du rite Malékite, notre pays ne connaissant pratiquement
44
que ce dernier depuis le Il e siècle '1 . La France n'avait pourtant pas déclaré
les raisons qui l'avaient amenée à préférer le Malékisme aux autres rites. Cette
doctrine comportait-elle à ses yeux des avantages qui n'existaient pas aj]]eurs'1
Les sources coloniales ne nous renseignent pas sur cette question. Mais il est
probable que plutôt que d'un choix, il n'était question que de constater la réalité
géographique de ce rite.
L'intérêt
porté
par
le
colonisateur
français
au
malékisme
s'expliquerait par des raisons de commodité voire de politique coloniale: le
"Malékisme sénégalais" fut copié sur le modèle algérien45 .
Du reste, ce n'est point cette question qui pose difficulté mais bien
plutôt l'état dans lequel se présentent les jugements rendus par les cadis, ainsi
que la fonne dans laquelle ils étaient rédigés.
En effet, l'interdiction de la langue arabe étant posée, il faut rappeler
que la plupart des jugements rendus par les cadis étaient d'abord rédigés en
arabe avant d'être traduits en français par les soins du greffe du Tribunal. Cette
44
Ce sont, en effet, les Almoravides qui apportèrent la religion musulmane et le rite
Malékite au Sénégal. L'Emir WARA DIABY, un prestigieux roi sénégalais, s'est converti
avec son peuple à l'islam devant le grand érudit marocain Cheikh Mouhamad El FASSI en
933 de l'ère chrétielme. Le grand savant Abdellah Ben YACINE, fondateur de la dynastie
Almoravide, se rendit vers 983 à Ndar (Saint-Louis). Ce savant, choisi pour enseigner le
Coran et Je Fiqh Malékite, s'installa à Ndar (Saint-Louis) où il fut entouré de plus de cent
disciples sénégalais et marocains (Cf. THIAM Ah.
Iyane, in Matin du Sahara, lundi 22-12-1986, n° 5821, pp. 1 et 2).
45 C'est à peu près dans ce but que la Medersa de Saint-Louis fut créée par arrêté en date du
15-01-1908. Mr. DESTING, l'ancien directeur de la Medersa d'Alger en était le directeur.
Cette école f0D11ait des cadres arabisants et des interprètes pour les besoins de
l'Administration. Le nombre des étudÎ;mts recrutés parmi les Sénégalais, les Mauritaniens et
les Maliens s'élevait à 111. Le cycle de fonnation était de 4 ans. Elle disposait d'une

19
pratique fut supprimée par le Gouverneur Général W. PONTY qui interdit
l'emploi de l'arabe dans la rédaction des jugements prononcés par les
juridictions indigènes.
"L'emploi de l'arabe, disait-il, est de nature à entraver l'oeuvre de
diffusion de l'influence de la France, l'arabe ne pénètre dans les pays afiicains
qu'avec le prosélytis-me musulman. Cest pour le noir, la langue sacrée; obliger
même indirectement nos ressortissants à l'apprendre, revient à encourager la
propagande des sectateurs du Coran. Au surplus, l'arabe ignoré de la plupart de
nos fonctionnaires qui sont, dès lors, incapables d'exercer un contrôle sur les
documents écrits dans cette langue, est inconnu de l'immense majorité de nos
ressortissants. Je vous serai donc obligé de prescrire que, désormais, les
jugements rendus par les juridictions indigènes soient exclusivement rédigés en
.
fr
,,46
ançms...
.
C'est cela qui explique en partie que les jugements rédigés en arabe
publiés à l'annexe de ce travail, soient assez limités. De même, faut-il
reconnaître que ce sujet est bien difficile à traiter à cause de l'évanescence des
sources le concernant. Les Archives du Tribunal Musulman de Saint-Louis se
trouvent dans un état lamentable: des papiers plus que poussiéreux, entassés
dans une seule pièce sans aération47 . Nous avons quand même pu mettre la
main sur une quantité de jugements importants. Nous avons eu surtout la
chance de tomber sur des registres du tribunal qui ont pu être sauvés et
transférés à la gouvernance de Saint-Louis. Nous avons trouvé une quantité
importante de décisions aux Archives de l'ancienne Cour d'Appel de l'A.O.F.
de Dakar.
bibliothèque très fournie comprenant un fonds d'ouvrages malékites très variés (Cf. Paul
MARTY, Etudes sur l'Islam au Sénégal, Paris, 1917,1. TI, p_ 113).
46 Cf. La circulaire du 08 mai 1911, ANS M.241.
47 Ces Archives se trouvent à la Rue Lauzaun angle me de France au Nord de Saint-Louis.

20
Aussi, existe-t-il un fonds sur la justice indigène aux Archives
Nationales, mais les affaires musulmanes y sont mal classées, ce qui ne facilite
pas la tâche au chercheur.
Nous n'avons surtout pas négligé une bonne partie de la
jurispmdence rendue après l'Indépendance du Sénégal puisqu'il faut le
rappeler, notre champ d'analyse couvre la période qui s'étend depuis la création
des tribunaux musulmans jusqu'à leur rattachement aux Justices de paix48.
Malgré tant de difficultés, nous avons pu amasser plus de 200
décisions de justice inédites dont 150 environ produits à l'annexe de ce travail.
L'échantillonnage
que
nous
avons
trouvé
peut
paraître
quantitativement limité. Il n'en demeure pas moins susceptible d'éclairer notre
question sans forcément y répondre de manière définitive; d1autant plus que ce
sujet n'a jamais été abordé par aucun juriste ou historien du droit sénégalais.
Les seuls travaux réalisés jusqu'à présent dans ce domaine, sont des mémoires
de Maîtrise et une Thèse de 3ème cycle soutenue à la Faculté des Lettres de
l'Université Cheikh Anta DIOP de Dakar.
Les travaux de ces pionniers restent utiles sur le plan historique,
mais leur apport au plan juridique est bien limité49.
Enfin, l'analyse de la tendance générale de la jurisprudence qui va
être exposée nous aura pelTIlis de constater que le juge musulman se focalise
48 C'est l'ordonnance du 14 novembre 1960 qui a intégré les tribunaux musulmans aux
Justices de Paix. Et la loi du 20-02-1984 fixant la nouvelle organisation judiciaire (article Il)
a remplacé les Justices de Paix par des Tribunaux Départementaux auxquels les Tribunaux
Musulmans sont finalement rattachés (Cf. J.O. du Sénégal du 19-11-1960, p. 1244; la. du
03-03-1984, p. 125 et la. du 23-10-1984, p. 677 et suivantes).
49 Voir notre bibliographie.

21
davantage sur les droits élémentaires de l'épouse, c'est-à-dire l'entretien (la
Nafaqa), la garde de l'enfant (la Hadana) et le "devoir conjugal" qui fait
obligation au mari de se prêter au COlTITIlerCe chamel avec sa femme (Ière
Partie).
En contrepartie de ces droits, la justice musulmane limite
considérablement la liberté d'action de l'épouse au profit du mari qui fixe le
domicile conjugal et exerce le droit de correction chaque fois que la conjointe
manque à ses obligations d'épouse (Ile Partie).
n s'y ajoute l'aggravation de la condition de la femme mariée
constatée dans la jurisprudence concernant les épouses battues, "les femmes
adultères" et les "taras" (les concubines esclaves) (Ille Partie).

22
PREMIERE PARTIE
LA RECONNAISSANCE DE DROITS
ELEMENTAIRES A LA FEMME MARIEE

23
La charia reconnaît à la femme mariée des droits essentiels que
tout mari est forcément tenu de respecter sous peine de rompre son mariage.
Ces droits que l'on pounait qualifier de vitaux ou de droits domestiques sont
la Nafaqa (droit à l'entretien), le droit aux relations intimes et le droit à la
garde de l'enfant (La Hadana).
La Nafaqa est l'obligation qUI incon1be au man de nournr sa
femme, de la vêtir et de la loger.
La Nafaqa est un concept de jurisprudence par excellence, d'où son
intérêt, car on ne l'évoque en général qu'en cas de conflit de ménage
nécessitant l'intervention du juge. C'est rare qu'on en parle autrement que de
manière théorique à travers les manuels de Fiqh.
Les rapports intimes sont également considérés par la majorité des
théologiens comme un droit absolu reconnu à la femme dans le mariage. Les
Malikites le classent au même titre que la Nafaqa. Aussi, dans leur
appréciation de la notion de "darar" (préjudice), vont-ils jusqu'à admettre que
le manque de rapports sexuels est plus difficile à supporter pour l'épouse que
le manque de Nafaqasü.
La Hadana, c'est-à-dire la garde de l'enfant est aussi attribuée à la
femme mariée. Les manuels de Fiqh en traitent soit avant soit après la
Nafaqa. Pour Khalil, ce droit appartient aux deux conjoints durant le mariage
; mais c'est un droit exclusif de la mère après le divorce5l .
50 V. notre § l, l'Affaire Khar Aly cl Mouhamadou Abdoul.
51
Abrégé de Khalil B. Ishaq, trad. G.R. Bousquet, éd. MaisOlmeuve, Paris, 1958, L. Il, p.
138.

24
Ces trois catégories de droits sont consacrés par la jurisprudence
sénégalaise. Notre justice musulmane a toujours veillé à garantir le droit de
l'épouse à l'entretien (Chap. 1).
On observera, par contre, que le droit de la femme mariée aux
relations intimes est plus difficile à assurer (Chap. Il).
Quant à la Hadana, elle pose problème : la garde de l'enfant
constîtue-t-elle un droit ou une corvée pour la femme? (Chap. III).

25
CHAPITRE 1
LA DROIT DE L'EPOUSE A L'ENTRETIEN
La loi musulmane fait acquérir le droit de Nafaqa à la femme
mariée à partir du moment où elle est mise à la disposition de son mari et
52
apte à supporter le coït . Même si la fortune de la femme est plusieurs fois
supérieure à celle du mari, elle n'est tenue de faire aucune contribution au
budget familial 53 .
Il ressort donc clairement de cette disposition que le système de la
Nafaqa accentue les rapports d'inégalité dans le couple en faveur du mari qui
prend sa femme en charge.
La philosophie de la Nafaqa a été pour cette raison, violemment
critiquée par la célèbre féministe iranienne, Mme Monghahariane : "Il est
exigé d'un mari qu'il fournisse à sa femme des vêtements, un foyer et de la
nourriture, de la même façon qu'un propriétaire de cheval doit nourrir et
donner un abri à son cheval,,54.
Du reste, cette comparaison n'est pas exagérée si l'on sait que
Khalil traite de la Nafaqa de la femme mariée, de l'esclave et de l'animal
dans un même chapitre. Pour s'en convaincre, il conviendra d'étudier la
Nafaqa de la conjointe et de la répudiée enceinte (Section I) et les sanctions
graduelles prévues en la matière par la jurisprudence (section II).
52 Djawahir et Al1klil, commentaire de Khalil, T. l, p. 402.
53
Ayatollah Mortada Motahhari, Les droits de la femme en Islam, Paris, s.d. (v. version
arabe, 1987), p. 148.
54 Op. cit. p. 146.

26
SECTION 1 - L'ENTRETIEN DE LA CONJOINTE ET DE LA
REPUDIEE ENCEINTE
La Nafaqa qui englobe à la fois le droit de la femme mariée à la
nourriture,
à l'habillement, au logement et aux différents services
domestiques, constitue la plus importante charge qui pèse sur l'homme en sa
qualité d'époux.
Cependant, il faut remarquer que la dépendance économique dans
laquelle est confinée la femme du fait de cette institution est quelquefois
préjudiciable pour elle; car il suffira que le mari arrête de lui assurer
l'entretien, soit volontairement ou par indigence pour que son ménage se voit
menacé de dissolution. D'où les difficultés du fonctionnement de cette
institution (§ 1) malgré les mesures de sauvegarde prévues en faveur de la
répudiée enceinte et de l'enfant (§ 2).
§ 1 - Difficultés liées au fonctionnement de la Nafaga
Plus de 20% environ des décisions de justice dont nous disposons,
rendues entre 1800 et 1900 concernent des épouses qui prétendaient être
privées de leur droit à l'entretien.
La plupart de ces jugements font état de cas de rupture de la Vle
COillll1une entre les époux (A). Les autres concernant des maris indigents ou
manifestant leur mauvaise volonté de payer la Nafaqa à leurs épouses (B).

27
A - La rupture de la vie commune entre les deux époux
Les cas de mans déclarés absents ou portés disparus étaient
fréquents au Sénégal au siècle den1ier, et la plupart des épouses délaissées
sans entretien s'adressaient à la justice en vue d'obtenir le divorce. Le cadi
faisait droit en général à leur requête en se fondant sur le droit Malekite qui,
en pareille circonstance, propose à la femme du disparu les solutions les plus
heureuses.
Il en découle une jurisprudence abondante d'où il suffira d'extraire
les cas les plus typiques.
L'affaire ayant opposé la nommée Khar Aly, fille de l'ex-roi du
Djollof (Bourba) à son mari l\\1ouhamadou abdoul détenu politique déporté
au Gabon, mérite d'être évoquée en premier lieu55 •
Le 22/07/1893, la dame Khar Aly qui se plaignit de l'absence
prolongée de son mari dont elle était sans nouvelles depuis son exil au
Gabon, introduisit une instance en divorce auprès du Cadi du Cayor56 , Ce
dernier rendit à l'occasion unjugement fort instructif.
Dans les motifs surabondants de sa décision, le Cadi disait que "la
femme d'un prisonnier ou d'un homme disparu dans un pays fétichiste est
tenue de rester sous le Itjouglt conjugal si son mari continue à subvenir à son
entretien, dans le cas contraire, elle peut divorcer. Et, ajouta-t-il, le divorce
est préférable car il est à craindre que la femme ne soit pas fidèle, parce que
55 Jugement nO 1, (le voir à l'annexe).
56
D'après David Robinson, Mamadoul Aboul est le fils de l'Almamy de Fouta Abdoul
Bokar Kane (Chiefs and Clerics, the History of Abdul Bokar Kane (1853-1891), Oxford
Studies, 1975, p. 136.

28
la non cohabitation est plus dure à supporter pour elle que le défaut de
Nafaqa. Mais au cas où elle ne demanderait pas le divorce, elle resterait la
propriété du mari aussi longtemps qu'elle supportera de se séparer de lui sans
entretien de sa part. Un temps légal de vie que les docteurs de la loi fixent de
différente faç,on sera toutefois accordé au mari présumé disparu. Pour
certains savants, la vie d'un prisonnier vivant en territoire infidèle est fixée à
70 ans. Pour d'autres, c'est à 80 ans. Les Ulémas estiment par ailleurs que la
conjointe du disparu devra observer un délai de quatre ans avant de rompre
le lien conjugal. Et pour conclure, il disait que "la femme Khar Aly, épouse
de Mouhamadou Abdoul ayant déclaré ne pouvoir rester sous la domination
de son mari a porté le cas devant notre juridiction en optant pour le divorce.
En conséquence, nous la déclarons divorcée de son mari détenu politique des
Français interné à l'étranger".
II convient d'abord de constater que le cadi a utilisé la technique du
"Kiyas" c'est-à-dire le raisonnement analogique dans le cas d'espèce pour
comparer le Gabon à un pays fétichiste57. Il a tout de même fait une juste
application du Fiqh Malekite qui permet à la femme d'obtenir la rupture de
son mariage pour absence prolongée du mari.
L'idée qui sous-tend sa décision est que l'éloignement physique ou
moral du mari est préjudiciable à la ferrune parce qu'il la prive de la Nafaqa
et des relations sexuelles auxquelles elle a absolument droit dans le cadre du
mariage. De même la rupture de la vie commune entre les époux risquerait
57
Le recours au Kiyas en l'espèce est discutable si l'on sait notamment que la Tohfa, la
principale référence de nos cadis, ne donne pas de définition précise de la notion de "Ard
Kufr", c'est-à-dire 1e territoire infidèle ou pays fétichiste. On ne sait donc pas avec
précision si le Gabon répondait à la définition d'un "pays fétichiste" à l'époque, Aussi la
Tohfa n'a-t-elle envisagé que le cas du prisonnier (Asir) disparu en territoire infidèle
(Tohfa d'n'ln Acim trad, Par L. Bercher, Alger, 1958, vers 640 à 650, p. 99).

29
de l'inciter à ne pas être l1dèle, c'est-à-dire à commettre le Zina (l'adultère),
un crime sévèrement sanctionné en Islam.
Il est également intéressant de souligner l'opinion que le cadi se
fait du mariage quand il considère que la femme est "la propriété du mari" et
lorsqu'il dit aussi qu'elle reste "sous le joug du mari". Son langage ne le
trahit-il pas ? En tout cas, il ne fait là que traduire l'opinion des juristes
classiques sur la condition de la femlne mariée, souvent considérée conune
objet de propriété et de jouissance pour le n1ari, n1ême s'il faut faire preuve
de prudence dans ce domaine du langage.
Pour Ibn Acem, par exemple, la fOffi1Ule utilisée pour fonner le
contrat de mariage consiste à prononcer un mot comme "donner en maraige ff ,
mot qui indique nettement la perpétuité de la cession58 ainsi que le transfert
définitif de la propriété de la femme à l'homme59 . Jbn Arafa ne dit pas le
contraire quand il définit le mariage COllline un contrat ayant pour objet la
simple jouissance physique avec la femme Gü . Bien sûr, on peut estimer que
ce sont là des écarts de langage qui n'ont qu'une importance relative et qu'ils
traduisent fort mal la conception du droit. Ils restent cependant, sous la
plume des cadis, fortement symboliques!
Le Coran ne considère pas cependant la femme comme objet de
plaisir pour l'homme. 11 stipule, au contraire, que "vos femmes sont pour
vous un champ de labour;
allez à votre champ comme (et quand) vous
61
voulez • "Champ" désigne ici un lieu de productivité comme la terre à
'i8 O '
3
-
p. CIl. vers 35, p. 53
59
. 0 p.
.
CIL p. 59'"
o.
60 Chéhata (Chafik), Droit musulman, Précis Dalloz, 1970, p. 69.
61 Coran S.I. v. 223.

30
cultiver. Il s'agit de "la production" des enfants62 . Ce texte coranique est tout
de même révélateur de l'étendue des droits qu'un mari peut avoir sur sa
femme.
La solution retenue dans l'affaire Khar Aly se trouve dans le
jugement rendu le 07/05/1895 par le Tribunal musulman de Saint-Louis dans
l'affaire Diaba Seck contre Malick Fa1l63 .
En l'espèce, la nommée Diaba Seck se plaignait de l'absence de
son époux Malick FaU qui, selon elle, était parti depuis trois ans sans lui
laisser ni nourriture ni habillement. Pour trancher l'affaire, le cadi demanda à
la plaignante de lui préciser le lieu où son mari était censé se trouver ~ et
cette dernière dit qu'il se trouvait dans une contrée nommée LAKHA
KHAYE.
Le cadi articula son jugement autour de quatre considérations:
"Attendu que le mari se trouvait dans un endroit connu, nous lui
adressâmes une dépêche en guise d'Idhar (interpellation) ~
"Attendu que la femme d'un homme absent se trouvant dans un
endroit connu ne peut être répudiée sans qu'il n'en soit d'abord averti par
l'ldhar .,
62
Ce verset fait l'objet de plusieurs interprétations. D'aucuns trouvent qu'il porte
l'interdiction du coït anal: l'homme ayant le droit de jouir de sa femme à sa guise mais n'a
pas le droit de dépasser te sexe (Cf. Ibn Arabie, Ahkam Al Guvane 1. I, s.d. Rabat, p.
173).
63
Jugement n° 2, voir l'annexe.

31
"Attendu que le mari nous répondit en disant qu'il accepterait le
verdict de notre tribunal;
"Attendu que la femme a préJëré le divorce;
"Nous la déclarons en conséquence séparée de son man après
avoir accordé à ce dernier un délai de deux mois en nous conformant à la
doctrine des Fuqaha et à l'avis d'Ibn Acim, qui enseigne que "l'épouse du
mari non présent lorsqu'elle aspire à être séparée de lui se verra assigner un
délai d'un mois,,64.
La fOlmalité de l'Idhar évoquée dans le jugement mérite quelques
explications. L'Idhar consiste généralement en ces mots adressés par le Cadi,
au defendeur contre lequel il se propose de rendre son jugement après que
toute la procédure antérieure s'est normalement déroulée et que par
conséquent sa religion est éclairée: "Te reste-t-il une preuve à faire valoir 7"
65
lui dira-t-il par exemple . Cette formalité est exigée sous peine de nullité.
L'Idhar est une des caractéristiques de l'école Malekite qui l'utilise plus que
les autres. La raison en est que la procédure de répudiation judiciaire pour
absence du mari à laquelle il est souvent utilisé n'est pas du tout développée
chez les autres rites Sunites. Citons par exemple, le rite Hanefite qui, malgré
le libéralisme qu'on lui attribue, ne permet pas à la fenune de demander le

b
d
·66
Ivorce pour a sence e son man .
En outre, ]'Idhar est révélateur du délit d'abandon de famille en
Islam. On peut aussi le considérer comme un critère de différenciation entre
l'absence (Ghiab) et la disparition (Mafqud). Car sa mise en œuvre en
64 La Tohfa, vers 635, p. 97.
6" 0
.
2-7
-
p. CIL p.
) .

matière de répudiation judiciaire pour abandon de tàmille n'intervient qu'en
cas "d'absence" et non pas pour la "disparition". Pour être plus explicite,
disons que le recours au procédé de l'Tdhar ne peut être d'aucune utilité si
l'affaire à juger concerne un mari présumé disparu. Car, pour adresser l'Tdhar
à quelqu'un, c'est-à-dire pour l'avertir, aussi faut-il pouvoir le joindre.
Citons à titre d'exemple un cas d'espèce où le Cadi n'avait
nullement besoin de recourir à ce procédé. Le 30 mars 1880, une plaignante
nommée Ramata Ousmane déclarait devant le tribunal musulman de Saint-
Louis, que son mari Abdoul Dia s'était absenté depuis sept ans sans lui
laisser la nourriture et sans lui écrire. Le Cadi lui demanda alors d'apporter
une preuve à l'appui de sa déclaration et elle s'exécuta en citant un témoin. Il
lui déféra également le senllent prévu par les textes et elle jura. En
conséquence de quoi, le Cadi la déclara séparée de son mari au tort de ce
dernier67 •
Cette affaire concerne-t-elle un cas d'absence ou un cas de
disparition? Il est évident qu'on parle d'un mari "absent" en l'espèce. C'est
nous-même
qui
avons
traduit
ce jugement de
l'arabe
; et savons
pertinemment qu'il s'agit d'un cas de disparition. Pourquoi ne le dit-on pas
alors? Qu'est-ce qui explique ce détour de langage?
Selon nous, l'ambiguïté du terme utilisé découle du fait que le droit
musulman assimile parfois l''' absent" au "disparu". L'absent étant tout
simplement celui qui ne peut être cité devant le juge de son domicile, soit
qu'il ait disparu soit qu'il ait fixé sa résidence dans un lieu éloigné68 .
66 Y. L. De Bellefonds, Traité du Droit Musulman, Mouton, Paris, 1965, T. II, p. 466.
67 Jugement n° 3, v. l'annexe.

33
Les deux cas sont certes différents quant au fond: la disparition
pouvant même entraîner l'ouverture de la succession du disparu, ce qu'on ne
saurait se permettre s'agissant d'un simple cas d'absence. Il reste que ces
situations entraîneraient le même inconvénient pour la femme qui reste sans
entretien.
Il est aussi arrivé que le préjudice souffert par la feI1l1ne soit tout
simplement dû à l'indigence du mari ou à son refus obstiné d'entretenir son
épouse.
B - L'indigence ou la mauvaise volonté du mari à assurer la
Nafaga
Sur l'indigence du mari, les cadis se montrent tantôt sévères, tantôt
conciliants.
Ainsi, par exemple, dans une affaire en date du 20 mars 1895
opposant la dame Fatou Ndiaye à son époux Ahmad Diallo, le Cadi de Saint-
Louis n'a pas hésité à accorder le divorce à la plaignante en estimant que son
mari était incapable de l'entretenir69.
La n0DU11ée Fatou Ndiaye déclarait en l'espèce que son mari l'avait
abandonnée depuis quatre ans au moment où précisément elle allaitait un
enfant. Interpellé par le juge, le mari prétendit qu'il voulait plutôt emmener
sa femme à son domicile conjugal. Le tribunal le condamna à payer des
habits à sa femme avant de l'enunener. Il accepta la décision du Cadi, mais
ne l'exécuta pas. Il s'absenta plutôt une seconde fois avant de réapparaître
68 Y. L. De Bellefonds, op. ciL, p. 269.
9
o
Jugement nO 4, v. l'annexe.

34
pour tenter de partir avec la femme chez lui.
Cette dernière revint à la
charge et saisit de nouveau le Cadi qui conclut alors que le mari était
indi gent et les sépara.
En revanche, sur une autre affaire pourtant plus curieuse en date
du 24 mai 1934, le Tribunal de Saint-Louis s'est montré plus compréhensif à
l'égard d'un mari qui invoquait son indigence.
Une plaignante du nom de Marie avait déclaré devant le juge que
son mari ne l'avait pas entretenue depuis six mois et malgré cela, il avait
épousé une autre felmne?o. Sur l'interpellation du juge qui demanda au mari
les raisons pour lesquelles il s'était marié avec une autre feIillne alors qu'il
n'était pas en mesure de subvenir aux besoins de sa première épouse, celui-ci
répondit que sa femme avait une amie qui s'est montrée gentille avec lui. Et
il lui est an'ivé un jour d'avoir des rapports sexuels avec elle et les parents de
cette dernière l'obligèrent à l'épouser. Il ajouta qu'il ne refusait pas
d'entretenir son épouse, mais les "temps sont durs actuellement et il n'est
qu'un réparateur de bicyclettes" .
Le Cadi lui fit comprendre que son nouveau mariage était illicite.
Mais étant donné que "les temps sont durs pour lui", il ne fut condamné qu'à
habiller sa femme. On lui exigea un boubou, un pagne et un mouchoir qu'il
devait lui remettre dans un délai de deux jours.
Ce jugement soulève deux sortes de problèmes juridiques, l'un
concerne le quantum de la Nafaqa, l'autre la validité du second mariage du
fornicateur, le défendeur, en l'espèce.

35
Sur le premIer point, le Cadi a souverainement déterminé le
nombre et la qualité des vêtements que le mari doit fournir à la femme. Il a
considéré la modicité de ses ressources et ne lui a, en fait, imposé qu'un
"complet", c'est-à-dire, un boubou, un pagne et un foulard de tête. Cette
jurisprudence est d'autant plus conforme à la Charia que la majorité des
écoles adopte le système de la remise des vêtements deux fois par an : c'est-
à-dire un vêtement à acheter à la femme en hiver et un autre à lui payer en
été71 • L'abrégé de KhaJil précise à cet égard que l'entretien de l'épouse est
déterminé en raison des facultés du mari, par jour, par semaine ou au mois
ou à l'année selon la nature de ses revenus; de même pour les vêtements
d'hiver et ceux d'été72 . Mais le droit à la Nafaqa cesse quand le mari tombe
dans le dénuement73.
Cette jurisprudence pounait aussi se justifier au regard du Coran
qui dit à propos de la Nafaqa de la femme répudiée "que l'homme aisé donne
selon son aisance, que l'homme qui n'a que le strict nécessaire donne en
proportion de ce qu'il a reçu de Dieu,·74.
En revanche, sur le second point de l'affaire, le Cadi n'avait pas à
affirmer catégoriquement que le deuxième mariage du fornicateur, en
l'occurrence le défendeur, était illicite. Cette union serait-elle illicite pour la
simple raison que le mari a eu des relations coupables avec la femme avant
de l'épouser? Cette affirmation gagnerait à être nuancée. Car un tel mariage
n'est pas annulable, de prime abord, d'après Imam Malik. A la question de
70 Jugement n° 5, voir l'annexe.
71
YD. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, Paris, 1965, t. II, p. 259.
72
Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi musulmane selon le rite de l'Imam Malek, trad. G.H.
Bousquet, Maisonneuve, 1958, 1. Il, p. 133.
73 O '
p. clt. p.
3
1 4.

36
savoir si un fornicateur peut valablement épouser sa complice, imam Malik
répondit: "Oui, il le peut bien mais à condition de la soumettre à l'Istibra,
c'est-à-dire à l'examen de viduité afin de vider la mauvaise eau contenue
dans son utérus,,75.
L'Istibra consiste, d'après Ibn Qudama :
1 - dans l'accouchement si la femme est enceinte;
2 - dans l'apparition des règles si la femme est menstruée ;
3 - dans l'observation d'une retraite de continence d'un mois si la
femme n'a plus ou n'a jamais eu des règles;
4 - dans l'observation d'une retraite de continence de dix mois
quand les menstrues ont cessé pour une cause indéterminée76.
Le mariage conclu entre un homme qui a commis un crime de zina
(la fornication) et sa complice est bien valable d'après la majorité des écoles.
Mais Ibn Hanbal et d'autres auteurs anciens considèrent qu'un tel mariage est
illicite. Ibn Taymiya dit qu'il ne peut être valable que si la complice, c'est-à-
dire celle qui a eu des rapports intimes hors mariage avec le fornicateur
acceptait de se repentir77 . S. KJ1alil se contente de dire quant à lui, qu'on
74
Coran, Sourate 65, n° 7. Ce verset s'appliquerait bien aussi en matière de Nafaqa de la
femme non répudiée dans la mesure où un autre dit "qu'Allah n'impose à aucune âme une
charge supérieure à sa capacité" (Sourate I. Verset 286).
75
Sahnoune, Al Moudawana AI K., 1. Il, p. 187.
76 Laoust (R), Le Précis de Droit d'Ibn Qudama, Beyrouth, 1950, p. 213.
77
Ibn Taymiya, al Fatawa, 1. 32, Rabat, s.d., p. 110.
La doctrine de Taki al dine Ahmad Ibn Taymiya (1263-1328) voulut être avant tout,
autour et dans l'esprit du Hanbalisme une doctrine de synthèse ou de conciliation de juste
mesure. C'est sous les Ottomans que ses idées en grande partie reprises par Mouhammad

37
blâme le mariage avec le fmnicateur78 . Mais si l'on s'en tient au vocabulaire
de cet auteur, "blâmer. .. " un mariage ne revient pas à le déclarer illicite.
Sur quoi le Cadi s'est-il donc basé pour affinner que le second
mariage conclu en l'espèce est prohibé? S'est-il référé à l'opinion d'Imam
Hanbal qui interdit ce genre de mariage? Ce dont il aurait parfaitement droit.
Mais quelle insolite jurisprudence alors ! Car on sait combien le rite
Malekite était prépondérant au Sénégal à l'époque. Ainsi, dans une de ses
conclusions, le Cadi Bécaye BA (mort en 1911) citant Khalil, disait que "le
juge doit rendre ses jugements à l'unanimité ou à la majorité du rite auquel il
appartient. Nous musulmans de l'Occident, nous sommes du rite Malekite.
Nous rendons nos jugements à l'unanimité ou à la majorité du rite Malékite"
(Cf. M. 242, affaires Arch. Nat. Dakar).
Au demeurant, les litiges concernant les n1aris indigents posaient
de sérieux problèmes au Cadi: parce qu'il fallait absolument protéger le droit
de l'épouse à la Nafaqa. Or, peut-on efficacement réclamer l'entretien à un
mari sans ressources? On risquerait à la limite de casser son mariage. Ce qui
n'est pas en général souhaitable ni par les époux eux-mêmes ni par le juge.
Aussi, le tribunal est-il amené à adopter une position intennédiaire
en accordant un délai d'un mois au mari incapable d'entretenir sa femme
avant de les séparer le cas échéant. rI en a décidé ainsi dans l'affaire en date
du 2 mai 1935 opposant la nommée Thiané Fall à son mari Ousmane Ndiaye.
B. Abd Al Wahab donnèrent naissance au wahabisme et à l'Etat de la dynastie saoud.
(Encycl. Islamique Nouvelle Edition, 1977, t. III, p. 978 et s).
78
L'auteur de l'Abrégé est très laconique ici, comme à l'accoutumée. C'est en traitant des
conditions de validité du mariage qu'il est amené à apporter cette précision. On sait
cependant, qu'il ne vise pas la femme qui se marie sans wali (tuteur) ni celle qui se marie
durant son Idda (la retraite légale). Il vise plutôt la femme qui entretien un commerce

38
La plaignante déclarait que son mari « qui ne travaille pas depuis 18 mois, ne
79
subvient plus à ses besoins» et elle réclamait en conséquence sa nourriture •
Interpellé par le juge, le mari répondit qu'au moment de son mariage, il avait
un emploi. Mais après 15 jours, il a été licencié. S'étant rendu à Dakar, et
durant son séjour dans cette ville, sa femme l'a injurié dans ses lettres et lui a
demandé le divorce. Pour conclure, il demanda au tribunal de lui accorder un
délai pour nounir et entretenir sa femn1e. Le tribunal qui considérait que le
mari ne travaillait pas mais que la nourriture de la femme lui incombait,
décida enfin de lui accorder un mois de délai pour subvenir à son entretien.
Notons que le Cadi a souverainement choisi le délai d'un mois à
accorder au mari. Il aurait pu lui en accorder deux en se conformant à la
doctrine d'Ibn Acim qui enseigne que "le mari quand il est incapable de
fournir les aliments à sa femme, a droit à un délai de deux mois"so. La
jurisprudence n'en demeure pas moins juste parce que ce même auteur ajoute
qu"'en cas d'incapacité de fournir les aliments et le vêtement, le délai à
impartir au mari est laissé à l'appréciation du magistrat"sl.
Cette décision ne fait d'ailleurs que confirmer une jurisprudence
antérieure consacrée, un mois auparavant, à un cas similaire. C'est le même
délai qui fut imposé au mari en l'espèce. Le Cadi voulait en fait lui pern1ettre
de trouver les ressources nécessaires pour améliorer la situation de sa
s2
femme .
sexuel hors mariage et qui épouse le complice par la suite (KhaJil B. Ischaq. Abrégé de la
Loi musul. Trad. G.H. Bousquet, t. II, Mais0l1l1eUVe, 1958, p. 17).
79 Jugement n° 6, voir l'annexe.
80 La Tohfa d'Ibn Acim, trad. 1. Bercher, alger, 1958, vres 630, p. 95.
81
Op. cit. vers 632, p. 97.
82 Jugement n° 7.

39
Il ressort de l'analyse des jugements exposés que nos Cadis
déployaient un grand effort pour garantir les droits de la femme mariée à
l'entretien. Mais leur tâche était malaisée parce que leur propre jurisprudence
fait dépendre la Nafaqa à la soumission de la femme mariée et au plaisir
sexuel qu'elle procure à son mari. Le droit musulman enseigne à ce sujet que
la
femme
insoumise
ou
abandonnant
le
domicile
conjugal
perd
automatiquement son droit à l'entretien. La femme est également réputée
"Nashiz" (insubordonnée) si après s'être livrée à son mari, elle interrompt
ensuite, sans raison valable, les relations conjugales83 .
Or, la "Nushuze" (c'est-à-dire l'insubordination de l'épouse) est une
notion assez élastique et ne profite en général qu'aux hommes. Des maris mal
intentionnés peuvent facilement s'en prévaloir en accusant leur femme d'être
insoumise afin d'échapper à leur obligation.
Par exemple, dans l'affaire Nlbaye DIOP contre Marième Mbengue
jugée d'abord le 24 octobre 1808 par le Cadi de Dakar puis déférée le 4
décembre de la même année devant la Chambre musulmane de la Cour
d'Appel de l'A.O.F., la dame Marième Mbengue fut déboutée au motif
qu'elle n'avait pas rempli
son devoir conjugal et n'avait droit, en
conséquence, à aucune indemnité de nourriture et d'entretien84. Le mari ayant
tout simplement déclaré devant le Cadi en jurant sur le Coran que sa femme
s'était deux années durant refusée de partager sa couche.
Or, en l'espèce, la dame Marième Mbengue avait bien porté à la
connaissance du tribunal que durant quatre ans son mari avait, sans motif,
refusé de lui fournir la nourriture et l'habillement et que lui ayant vainement
83
YL.D. Bellefonds, traité de Droit musulman comparé, Mouton, Paris, 1965, t. II, p.
267.

40
réclamé ce qu'il devait, de ce fait, force lui était de s'adresser à la justice pour
vaincre sa mauvaise volonté.
Dans une décision similaire rendue le 02/02/1966 par le Tribunal
musulman de Saint-Louis, la dame Thiendougou D. fit assigner son mari
Cheikh T., Marabout, devant le Cadi de céans pour abandon et défaut
d'entretien pendant quatre ans. Mais le mari argumenta, sans rien prouver,
qu'il avait abandonné sa femme parce qu'elle refusait de coucher avec lui et
de s'occuper de son ménage85 . Or, outre que le mari reconnaissait avoir
abandonné
sa
femme,
bien
plus,
on
l'accusait
des
choses
plus
compromettantes: sa femme soutenait qu'il l'avait abandonnée au profit de
sa propre sœur et avait profité de son absence pour coucher avec elle. A la
suite de quoi il fut condamné à une amende de 50.000 F à payer à la famille
de sa sœur. Et pour parer à cette honte, elle s'en acquitta à la place du mari.
Et ce dernier qui fut pris de honte, l'abandonna.
Le mari, à court d'argument, ne pouvait qu'annoncer devant le
Cadi, séance tenante, sans attendre la décision du tribunal, qu'il divorçait sa
femme à partir de ce jour et voulait qu'elle quittât sa maison.
Une autre femme fut condamnée le 05 septembre 1959, à peu près
pour les mêmes motifs, à rembourser 500 F sur sa dot, plus un lit, à son mari
qUI
l'accusait
d'avoir
refusé
de
supporter
ses
"lourdes
charges
matrimoniales". La défenderesse avait pourtant précisé, en l'espèce, qu'avant
de conclure le mariage, ses parents avaient fait remarquer à son mari que son
état de santé exigeait des soins et beaucoup de patience. Mais le mari n'en eu
84 Jugements n° 8 et 9, v. annexe.
85 Jugement nO 10.

41
cure, selon elle, et voulut la soumettre à "la cadence de quatre rapports par
nuit", ce qu'elle ne put matériellement supporter,,86.
Aussi, la femme abandonnant le domicile conjugal encourt-elle la
même sanction. Comme en témoigne un jugement en date du 03/0611956
le Cadi disait, en se basant sur l'Abrégé de Khalil, que "la femme qui
abandonne le toit conjugal perd tous ses droits à l'entretien, à la condition
qu'elle refuse de rejoindre le domicile conjugal après l'invitation du Cadi,,87.
La jurisprudence a aussi considéré que le refus de rejoindre le
domicile conjugal sans motif valable est une rébellion et, en cas de rébellion
ouverte, la femme doit rembourser intégralement, même plus, toutes les
dépenses effectuées par son mari à son sujet88 •
Une exception a été cependant apportée à cette règle : « d'après
Imam Malik, dira un Cadi, quand une femme en état de grossesse abandonne
le domicile conjugal sans le consentement de son mari, cette femme, quoique
rebelle, a droit à l'entretien à partir du jour de son départ jusqu'à son
accouchement, et si elle avait emmené les enfants, ceux-ci restent à la charge
d
'
89
U pere»
.
Au demeurant, il est curieux de constater que la jurisprudence des
Cadi lie carrément le paiement de la Nafaqa au plaisir sexuel que l'épouse
doit donner au mari. Khalil s'est d'ailleurs clairement prononcé sur ce sujet et
a enseigné que le droit à l'allocation disparaît si la femme se refuse au coït ou
86 V. jugement nO Il.
87
Jugement nO 12.
88 Jugement nO 13.
89
Jugement n° 14.

42
9o
aux caresses du mari . Ibn Qudama, un jurisconsulte hanbalite dit à son tour
que le mari n'est pas tenu d'assurer les dépenses d'entretien de sa femme
quand celle-ci est trop jeune pour qu'il puisse en jouir (istimta) ou quand elle
refuse de se donner à lui ou de lui obéir comme elle le doië 1.
C'est en confirmant en quelque sorte cette doctrine qu'un Cadi a
été amené à dire de manière indécente que la femme a droit au divorce si son
mari est incapable de lui assurer la nourriture parce qu'on ne saurait l'obliger
à offrir sa "marchandise" sans contrepartie92. En d'autres termes, le plaisir
sexuel que la femme procure à son mari est regardé comme une marchandise
dont le prix est la Nafaqa.
Cette jurisprudence qui est également appliquée au Maroc y a été
sévèrement critiquée dans une note sous un arrêt rendu par la Cour suprême
de Rabat en date du 111011198293 . Une dame du nom de Safi Aïcha fut en
l'espèce condamnée à 3 mois de prison avec sursis par le Tribunal de
première instance de Oujda pour abandon de domicile conjugal et
"négligence de famille". Son mari, le sieur Zarhoui, demanda ensuite au
tribunal de la condamner à lui payer 4.000 Dirham de dommages-intérêts à
cause du préjudice moral et matériel que son absence lui avait causé. Le
tribunal fit partiellement droit à sa requête en condamnant la femme à lui
verser 1.500 Dirham. Mais l'intéressée déféra le jugement à la Cour d'appel
de ladite ville qui l'infirma en estimant que "la Moudawana", le Code du
statut personnel marocain offre au mari dont la femme abandonne le
domicile conjugal la possibilité de suspendre la pension alimentaire, mais ne
90
Khalil B. Ishaq, abrégé de la Loi musulmane. Tad. G.H. Bousquet, Maisonneuve,
1958, t. II, p. 134.
91
Laoust H., Le précis de Droit d'Ibn qudama, Beyrouth, 1950, pp. 191 à 192.
~
.
Jugement n° 15.
93 Madiala al Qada Wa1 Qanoune n° 131, Rabat, aoùt 1983, p. 112.

43
lui donne pas la faculté de réclamer des dommages-intérêts. L'arrêt de la
Cour ajouta, enfin, une précision qu'il conviendrait bien de noter ici; elle
disait, en fait, que "la pension alimentaire correspond au droit du mari de
jouir de sa femme". La Cour suprême de rabat confirma enfin cette décision
et débouta le sieur Zarhoui.
La solution appliquée en l'espèce s'inspire de la doctrine des
auteurs classiques qui enseignent que le mari pourvoit à l'entretien de sa
femme en contrepartie du droit d'avoir des rapports intimes avec elle.
Docteur Ahmad Khemlessi, un juriste marocain, a critiqué cette
décision en estimant que la Moudawana marocaine n'assimile pas la pension
alimentaire au prix de la jouissance (l'Istimta). Il considère, en outre, que la
suspension de la Nafaqa prévue par l'article 123 dudit Code n'a été, en fait,
préconisée que dans le but de contraindre la femme "nachiz" (celle
abandonnant le domicile conjugal ou refusant d'entretenir des relations
sexuelles avec son mari) à exécuter ses engagements matrimoniaux parmi
lesquels figure en premier lieu le devoir de cohabitation94 • L'auteur s'est
ensuite employé à noyer le "réalisme" de la Cour dans un flot de
considérations morales et religieuses. Il estime que le lien conjugal est
beaucoup plus noble qu'un simple échange de prestations entre un mari qui
fournit la nourriture et les vêtements et une épouse qui donne le plaisir95
parce qu'Allah a notanunent dit : "Quant à elles (c'est-à-dire les fenunes),
elles ont des droits équivalents à leurs obligations conformément à la
94 Docteur Ah. Khemlessi, op. cit. p. 110.
9S 0
.
-
p. Clt. p. 111.

44
bienséance96• Elles (c'est-à-dire vos épouses) sont un vêtement pour vous et
vous êtes un vêtement pour elles »97.
Selon nous, cette jurisprudence qui laisse entendre impudemment
que le mari jouit de sa femme moyennant le prix de la Nafaqa est bien
critiquable car elle méprise les fondements religieux de l'obligation
d'entretien qui sont bien définis par le Coran et la Sunna du Prophète. Il est
bien dit dans le Coran que: "le père de ]'enfant (c'est-à-dire le mari) est tenu
de pourvoir à la nourriture et aux vêtements de la femnle suivant le bon
usage98 . La même reconlmandation a été donnée concenlant le droit de
l'épouse au logement: "Et faites que ces fen1ll1es habitent où vous habitez et
suivant vos moyens. Et ne cherchez pas à leur nuire en les contraignant à
vivre à l'étroit99.
Les hadith se rapportant à la Nafaqa de la fell1ll1e mariée sont très
nombreux, entre autres celui qui fait dire au Prophète, s'adressant à une
femme qui lui avouait avoir puisé dans la caisse de son mari avare, et à l'insu
de ce dernier: "Prends-y ce qu'il te faut, pour toi et tes enfants, suivant le
bon usage" 100
Aussi, pour éviter que la femme répudiée en état de grossesse ne
soit victime des aléas de la Nafaqa, bien des mesures de sauvegarde sont-
elles prévues en sa faveur et pour son enfant.
96 Sourate la vache, v. 228.
97
V. même Sourate
v. 187 : Un vêtement : il faut entendre par là une source de
tranquillité, de quiétude et de complémentarité réciproque entre les deux époux (v. le
~8aint Coran et la traduction française de ses versets, A. Saoudite, 1405 (H), p. 29..
Sourate II, v. 233.
99 Sourate 66. v. 6.
100 Y.L.D. Bellefonds, Traité du Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. Il, p. 257.

45
§ 2 - Mesures de sauvegarde en faveur de la répudiée enceinte
et de l'enfant
La loi musulmane fait obliga60n au mari répudiateur d'entretenir la
répudiée enceinte jusqu'à son accouchement. Et cela prouverait, s'il en était
encore besoin, que l'entretien n'est pas le prix du coH. Aussi, en vertu de la
parenté est-il obligatoire que le père assure la Nafaqa de son enfant jusqu'à
ce qa'il soit pubère, raisonnable, en mesure de gagner sa vie 1ûl .
La jurisprudence qui sera examinée ici est peut-être loin de refléter
l'ensemble des controverses doctrinales que suscite la question de la
"Nafaqa" matrimoniale (Nafaqa zawdjiya) et la "Nafaqa entre parents"
(Nafaqa Al Aqarib). Elle mérite néanmoins d'être étudiée car, comme on le
vena, les principales règles instituant la Nafaqa de la répudiée enceinte (A)
et de l'enfant commun (B) y sont consacrées.
A - La Nafaga de la répudiée enceinte
La règle selon laquelle la femne enceinte, si elle est répudiée
continue à avoir droit à l'entretien a été au moins rappelée dans trois
décisions rendues par le Tribunal de Saint-Louis.
Dans une première affaire jugée le 29/0S/l88i û2 entre les époux
Yatma Diop et Codou Diop, la femme se plaignait que son mari l'avait
maltraitée et battue. Mais n'étant pas capable de prouver ses allégations
devant le Cadi, elle se proposa de se séparer de lui par le khoul (le divorce
négocié). Leur union f11t en conséquence rompue, mais comme elle était
101
Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi musulmane selon le rite Malekite. Trad. G.R.
Bousquet, maisonneuve, Paris, 1956, livre TI, p. 138.
102
Jugement n° 16, v. annexe.

46
enceinte, le Cadi condamna le mari à lui assurer son entretien jusqu'à son
accouchement en se fondant sur le texte du Coran qui stipule que "si elles
sont enceintes, pourvoyez à leurs besoins jusqu'à ce qu'elles aient accouché.;
puis, si elles allaitent l'enfant né de vous, donnez leur leur salaire" 103.
Dans la deuxième affaire jugée le 14/05/1899 l04, la nommée Koura
K. avait introduit une plainte auprès du Tribunal musulman de Saint-louis
pour réclamer son droit à l'entretien. Son mari interpellé, dit qu'il avait
"suspendu le divorce au tabac de sa femme, et quand cette dernière a fumé,
son divorce fut automatiquement consommé". En clair, cette affaire concerne
une répudiation conditionnelle dont l'accomplissement est subordonnée à la
réalisation d'un acte à accomplir par la femme. Dans le cas d'espèce, la
femme avait été mise en demeure de ne pas fumer le tabac, sous peine d'être
répudiée. Et puisqu'elle avait effectivement fumé conmle le disait son mari,
elle fut répudiée. Notons au passage que ce procédé de répudiation est bien
valable en droit musulman.
En l'espèce, le Cadi prit néanmoins la précaution de demander au
mari de préciser s'il entendait prononcer un divorce « baïne » (irrévocable)
ou un divorce révocable; et ce dernier confirma qu'il venait effectivement de
prononcer un divorce « baïne ». Mais il se trouvait que la femme était
enceinte,
le Cadi
le condamna à assurer
sa Nafaqa de
grossesse
conformément à la doctrine de "Moukhtassar de Malek" c'est-à-dire de
l'Abrégé de Malek.
103
Sourate 65, v. 6.
104 Jugement n° 17, v. annexe.

47
La troisième décision fut rendue le 30/0911959 105 • Les faits de cet
exemple étant un tout petit peu cmbroui11és, nous n'avons trouvé meilleur
procédé pour mieux les restituer que de laisser la parole aux parties elles-
"
. 1
t
10ô
memes qUl es racon ent
.
La demanderesse comparante déclare: "Depuis trois ans environ
que je suis mariée avec le sieur Ba Bay, il n'a cessé de faire organiser des
prières pour avoir un enfant. Vers le mois d'octobre 1958, ma santé s'ébranle
et prise de malaises persistants, il me soumet à un sérieux traitement. Un
jour, le 28 octobre 1958 exactement, le médecin reconnaît mon état de
grossesse de deux mois environ. Cette nouvelle, au lieu de produire un
heureux effet auprès de mon mari, lui fait adopter une attitude de désespoir
qu'il exprime en ces termes: "cette grossesse n'est pas de mon œuvre, car je
ne fais pas d'enfant". Et la plaignante ajouta: "Aussi, il a cessé de cohabiter
avec moi et ne m'a plus entretenue; je sollicite l'intervention de la justice
pour qu'il sache que l'enfant de sexe masculin prénommé Zal est bien le sien
et ne conteste plus le nom de Bâ qu'il porte".
Le mari comparant a répondu: "Depuis notre mariage en 1956,
chaque fois que nous étions aux prises, je lui répétais les reproches que ne
cessaient de me faire mes parents de m'être uni à une femme qui ne me
procure ni enfant ni bonheur. Le 12/08/1958, elle m'a refusé les rapports trois
jours durant, alors que ses règles venaient de cesser. Notre vie commune
interrompue durant un mois et trois jours, n'a recommencé que le 15
septembre 1958. Vous vous rendez compte de ma surprise de voir mettre à
mon profit une grossesse de deux mois environ après un mois et treize jours
!os Jugement nO 18.
106
C
.
.
, .
l
1
1
.
.ertams Jugements se caractensent par eur ongueur, es parties y racontant elles-
mêmes leur propre version des faits. Aussi, préférons-nous les laisser tels quels afin de
préserver leur originalité.

48
de vie commune précédé d'une interruption d'un mois et trois jours et les
règles.. Je refuse donc jusqu'à la preuve du contraire".
Le tribunal ouï les parties rendit un jugement l07 dont l'un des
attendus précisait que ... la femme en état de grossesse peut réclamer, en
outre, ses frais d'entretien et l'allaitement jusqu'à son accouchement (Tohfa
vers 613)108.
Il ressort de la jurisprudence ci-dessus exposée que l'obligation
alimentaire entre époux ne s'éteint pas avec le divorce. La loi musulmane
impose notmmnent au mari répudiateur d'entretenir la divorcée "suivant le
bon usage (bil ma'ruf)" 109,
Mais il Y a lieu d'opérer des distinctions et des sous-distinctions
suivant que la femme a été répudiée "Radji" (révocable) ou "baïne"
(irrévocable).
Si la femme qui a fait l'objet d'une répudiation radji (révocable)"
est enceinte, tous les théologiens décident qu'elle a droit à l'entretien jusqu'à
son accouchement. !vIais la Nafaqa de la répudiée enceinte est réglementée
d'une manière extrêmement sévère par les Fukaha. Par exemple, en cas de
fausse grossesse entraînant la disparition du fœtus, la femme sera obligée de
tout restituer en fait de Nafaqa et de vêtement11O• Et si l'enfant qu'elle met au
\\07
C .
" h
.
,
d'
h'
e Jugement sera evoque au c apltre consacre au selment
anat eme.
108 Cet article est tiré de la section relative à ce qui est dû aux femmes répudiées et autres
en tàit d'aliments et ce qui s'y rapporte (Cf. Ibn Acim, Tojfa al. Hukam, Trad. L. Bercher,
Alger, I.E. O., 1958, p. 93).
109 C
S
oran,· .1., v. 241.
110 Kha1il, Diawahir al Iklil, 1. l, p. 404.

49
lll
monde venait à mourir, le père en reprend les vêtements même USéS
. De
plus, la Nafaqa pour grossesse ne sera pas payée à l'intéressée sur la base de
sa simple déclaration. Cette grossesse doit être manifeste aux dires des
l12
experts et le fœtus doit bouger, ce qui ne s'observe pas avant quatre mois
.
Pour l'auteur de la Tohfa, aucune obligation de Nafaqa n'est
maintenue en faveur de la répudiée enceinte si l'enfant qu'elle porte en son
sein vient à mourir 113. Aussi, la femme qui a fait l'objet de répudiation
révocable a-t-elle droit à l'entretien pendant le temps que dure sa retraite
(trois menstruations) 114. D'où le sens de la question posée au mari par le juge
dans le jugement précité'15.
Notons que si cette précision est importante sur le plan du droit,
elle demeure sans effet dans la pratique car, d'après ce qui se constate au
Sénégal, la femme divorcée quitte aussitôt le domicile conjugal pour
rej oindre ses parents.
Sayid Qotob estime que le but recherché par le verset 1 de la
Sourate 65 (le Divorce) portant interdiction de renvoyer la répudiée de la
maison conjugale avant le terme prescrit, est de permettre la création de
conditions favorables pour un retour à la vie commune. C'est-à-dire on
espère que le mari qui continue de voir la femme qu'il a répudiée à ses côtés,
en finisse par revenir à de meilleurs sentiments à son égard116.
111
Kha1il B. Ishaq, Abrégé de la loi musulmane selon le rite d'I. Malek, trad. G.H.
Bousquet, Maisonneuve, Pris, 1956, livre II, p. 134.
112 Ib'd
3
lem, p. 1 4.
l13
Ibn Acim, Tohfa Al Hukam. Tad. L. Bercher, I.E.O., Alger 1958, vers 614, p. 93.
114 Y.L. D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t. II, p. 270.
115 J
017' . ,
ugement 11
precIte.
116 Sayid Quotob, Fi DhilaliJ Qorane, t. 6, Caire, 1986, p. 3599.

50
En revanche. la situation de la femn1e divorcée baïne (irrévocable)
a fait naître de nombreuses divergences entre les écoles. Et cela est dû au fait
qu'il existe sur ce point un important donné scripturaire qu'il n'a pas été facile
de concilier avec les principes juridiques en la matièrel17 . Le Coran dit :
"Logez les femmes que vous avez répudiées là où vous logez vous-
mêmes"] 18. Ce verset accorde le droit au logement à la femme répudiée sans
distinguer le cas de la femme répudiée radji (révocable) de celui de la femme
répudiée baïne (inévocable).
Or, d'après un hadith rapporté par I\\1uslin1 et Abou Daoud, Fatima
Bin Qaïs aurait dit: « Mon mari m'a répudiée trois fois et le Prophète ne m'a
reconnu ni le droit au logement ni le droit à la nourriture» 119.
Comment concilier ces deux textes qui semblent contradictoires?
Le verset coranique reconnaît à l'épouse répudiée le droit au logement.
Tandis que le hadith de Fatima Bint Qaïs indique que cette dernière, répudiée
par son mari, n'a bénéficié de la part du Prophète ni droit au logement ni
droit à la nourriture. Peut-être conviendrait-il de considérer la qualification
juridique de la répudiation visée par les deux textes, ce qui ne résout pourtant
pas entièrement la question.
Car, s'agissant du hadith, on peut dire que la qualification juridique
de la répudiation prononcée est évidente. Il s'agit d'une répudiation
Ï1Tévocable dans la mesure où le chiffre de deux a été dépassé ; "la
117
YL.D. Bellefonds, op. cit. p. 271.
118 Sourate 65, v. 6.
119
Le tenne hadith ne signifie pas toujours parole du Prophète. On désigne aussi sous ce
vocable, les récits, fables et légendes qui font l'objet de communication (cf. 1. Goldziher,
Etude sur la Tradition Islamique, trad. 1. Bercher, Maisonneuve, Paris, 1984, p. 3. V.
également Mansour (Ch.), At Tadj Al Diami Li] Oussoul, D.F. Beyrouth, 1986, 1. 2, p.
365.

51
répudiation étant pelmise pour seulement deux fois", d'après le Coran S. II
PO
v. 229 - .
En revanche, la répudiation dont parle le verset en question, c'est-
à-dire le verset 6 de la sourate 65 précitée, est beaucoup plus difficile à
qualifier ; ce texte se contentant de dire : "les femmes que vous avez
répudiées" .
Selon les juristes hanbalites et zahirites, ce verset ne vise que la
femme répudiée à titre révocable, parce que la femme répudiée de façon
l21
irrévocable n'a droit ni à la nourriture ni à l'habillement ni au logement
.
Les Malékites et les Chaféites adoptent une position intermédiaire;
pour eux, la répudiée à titre irrévocable a droit au logement conformément
au verset coranique précité et non à la nourriture à cause du hadith évoqué
ci-dessus 122. Le raisonnement de ces juristes est fort subtil: ils ont d'abord
scindé le hadith en question pour n'en retenir que ce qui est confirmé par
ledit verset, à savoir le droit au logement. Ensuite, ils estiment que la
répudiée n'a pas droit à la nourriture parce que le texte coramque ne le
précise pas et le présent hadith ne le consacre pas non plus.
En outre, la Loi musulmane oblige Je mari répudiateur à supporter
les frais de l'allaitement étant entendu qu"'en droit Malékite strict elle (la
120 Le Calife Omar aurait autorisé la répudiation par trois ou la répudiation triple qui sera
par la suite approuvée par Idjma. C'est la répudiation que l'on fait suivre du mot "trois" ou
du signe "trois" avec les doigts, seul le savant Ibn Taymiya et son disciple Ibn Al Kayim
ont rejeté sa validité (Cf. D. Bellefonds, op. ci1. p. 368).
121
Op. cil. p. 271.
122
Mansour Ch ., op. 't
CI . p. 3'" -
t)).

52
mère) ne doit rien à ses enfants" 123. Ce droit "soumet le père seul au devoir
,
.
,,124
d entretIen...
.
Aussi,
la
femme
répudiée
définitivement
peut-elle
suivant
certaines opinions, réclamer un salaire d'allaitement du fait qu'elle est
'
,
d
,125
evenue etrangere au pere
.
B - L'obligation alimentaire à la charge du père
Interprétant fidèlement le Fiqh classique Malékite, nos cadis jugent
constamment que c'est le père qui est débiteur d'aliments à l'égard de
l'enfant; comme en témoignent de nombreuses décisions de justice où des
maris ont été condamnés à fOUll1ir la nourriture à leurs enfants.
On peut d'abord citer à titre d'exemple le litige ayant opposé la
nomn1ée Katy à son mari Abdou S., jugée en date du 12/02/1978. La femme
déclarait que son susdit mari la battait ... et refusait de la nourrir. Le tribunal
trouvant ses déclarations fondées, prononça le divorce et condamna le mari à
nourrir les enfants.
En motivant sa décision, le Cadi disait que d'après
Khalil, la femme a droit au divorce en cas de sévices répétés même si elle
n'en rapportait pas la preuve 126.
123
François Paul-Blanc, Les Nafaqat al Aqarib dans les droits d'Afrique du Nord
francophone, in Mélange offerts à C. Clomer, Litec, s.d., p. 67.
124 F. Paul-Blanc, op. cit. p. 65.
125
Toufy F., L'Enfant, Rec. Ste J. Bodin pour l'Histoire comparative des Institutions, éd.
L. Ency., Bruxelles, 1975,1. XXXV, p. 294.
126 Jugement n° 19.

53
Le détail qu'il importe de relever ici est l'obligation imposée au
père de subvenir à l'entretien de ses enfants impubères. Cette solution est
conforme à la "loi divine" 127
Aussi, l'unanimité est-elle totale sur ce point dans l'enseignement
de toutes les écoles. Le premier des ascendants tenus de fournir des aliments
est bien entendu le père des enfants. S'il en a les moyens, il doit subvenir seul
à l'entretien de ses entànts sans que la mère ne soit obligée d'apporter sa
'b
.
P8
propre contrl utlOn - .
La jurisprudence en a décidé ainsi à maintes reprises.
Ainsi, dans l'affaire des époux Sanghoulé F. et Niang A.S., jugée
le 26/06/1886, le Cadi décida que la nourriture des trois enfants issus du
mariage incombait au père l29 . Il en a été également ainsi dans l'affaire jugée
13o
le 23/03/1887 entre les nommés Ibrahima T. et Khar M.
, dans celle jugée
le 31/0311891 concernant les époux NIbarick Nd. et Aïcha B. 13l et dans celle
du 24/02/1894 concen1ant Mariama F. cotnre Ahmad D. 132 .
Il ressort de ces différents exemples que c'est le père qui est le
débiteur d'aliments vis-à-vis de ses enfants en bas âge parce que la notion
d'entretien de la femme va en Islam jusqu'à ce point que, selon la loi, la
femme n'est pas obligée de noulTir son propre enfant, c'est au père de l'enfant
127 Le Coran, S. II v. 233 : "Au père de l'enfant de les (l'enfant et la mère) nourrir et vêtir
de manière convenable".
128 De Bellefonds, Y.L., Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. III p.99
129
'
Jugement n° 20.
130 Jugement n° 2] .
131
Jugement n° 22.
132 ]ugement n° 23.

54
de lui procurer une nourrice à ses frais, si la femme ne veut pas donner à
t ,t 133
e er
.
Les nombreuses restrictions apportées par le Fiqh Malékite
classique dans la matière des "Nafaqat-AI-Aqaribe" (obligation d'entretien
entre parents) ont d'abord amené le Doyen F.P. Blanc à dire que "le Fiqh
Malékite peut donc être défini dans le domaine des "Nafaqat-AI Aqarib ...
comme un droit marqué par un individuahsme farouche ... " 134, avant de
conclure, à la suite de L. De Bellefonds, "qu'en matière de Nafaqat-AI-
Aqarib, le Fikh Malékite classique est "mesquin" et "injuste" 135.
Pour étayer sa thèse, cet auteur pose des questions: "quelle est dès
lors, dans le pays d'obédience malékite, le devenir d'un enfant indigent et
orphelin de père ? Ou plus généralement quel peut être l'avenir d'un enfant
dont le père est nécessiteux et incapable de gagner sa vie ? 11 ne peut
s'adresser à son aïeul, fût-il riche, pour acquérir des aliments car nul n'a
d'obligation à l'égard de l'enfant de son fils à plus forte raison de sa fille l36 . Il
ne peut non plus solliciter sa mère dès l'instant où il est sevré; il se trouve
donc réduit à la mendicité, à défaut du bon vouloir de ses proches ou de
l'assistance toute théorique du Bayt-al-mâl" 137,
Et le Doyen Paul Blanc de s'interroger ensuite sur le devenir de la
fille répudiée après consommation de son mariage: car, "si elle est indigente,
elle ne devient pas, sauf hypothèse très particulière, créancière de son
père" 138, Ensuite, il conclut: "Force est cependant de s'étonner de la férocité
133
Mosquée BENl MESSOUS, Alger, La femme en Islam, s.d., p. 16,
134 F.P, Blanc, op. cit. p. 60.
135 Ib'd
1 em p. 62.
136 Khalil B; Ishaq, op. cit. pp, 137-138, cité par F,P. Blanc, op. cit. p, 61.
137 F.P. Blanc, op. cit. p. 61.
138 Ibidem p. 61.

55
d'un système juridique refusant de consacrer la solidarité familiale sans rien
l ·
b'
,,139
Ul su stltuer
..
L'embarras du Doyen Paul Blanc au sujet des solutions consacrées
par le droit Malékite classique en matière des Nafaqat-AI-Qarib est bien
justifié. Mais les critiques qu'il lui adresse en le qualifiant notamment
d'injuste et de mesquin, gagneraient à être nuancées.
D'abord, les inquiétudes de cet auteur concernant le devenir de
l'enfant impubère, indigent ou orphelin de père sont bien légitimes comme
du reste ses soucis concen1ant le sort de la fille répudiée après consommation
de son mariage. Aussi, a-t-il parfaitement le droit de se poser des questions
parce que le droit Malékite considère que seul le père est tenu de nourrir son
enfant. Et la mère qui ne doit rien à son propre enfant peut même réclamer
une rétribution en acceptant de l'allaiter, surtout quand elle est d'une
condition sociale élevée.
La condition de "l'enfant Malékite" peut donc s'avérer difficile.
Car s'il perd son père, ou bien, si celui-ci était incapable de le nourrir, qui
d'autre alors s'occuperait de lui?
Au demeurant, la durée pendant laquelle le père est redevable
d'aliments vis-à-vis de l'enfant pose aussi problème. Parce que le père a
seulement l'obligation d'assurer la Nafaqa à l'enfant mâle jusqu'à ce qu'il soit
pubère, capable de travailler pour gagner sa vie, comme il est tenu de nourrir
sa fille jusqu'à consommation de son mariage 140.
139 F. P. Blanc, op. ciL p. 62.
140 KJlalil B. Ishaq, op. cit. p. 138.

56
Si en atteignant la puberté, l'enfant se révèle faible d'esprit, dément
ou atteint de toute autre infirmité physique, l'obligation se prolonge alors
indéfiniment. Si par contre, l'infirmité mentale ou physique n'apparaît que
postérieurement à la puberté, l'obligation du père ne renaît pas l41 •
L'analyse de l'auteur est certes confirmée par les textes de Khalil et
d'Ibn Acim, mais elle est loin de l'être par celui de Sahnoune, l'auteur de la
Moudawana al Koubra l42 • Or, sauf eneur de notre part, cet ouvrage de base
du Fiqh Malékite n'a nullement été cité par le Doyen F.P. Blanc.
Y.L. De Bellefonds abonde dans le même sens que M. F. Paul
Blanc. Par exemple, évoquant le cas de l'enfant orphelin de père en bas âge
sans ressources personnelles, il en anive à conclure quillon est pour le moins
surpris de constater que même les traités juridiques les plus étendus en usage
dans
cette
école
(l'école
Malékite
s'entend)
n'envisagent
une
teBe
hypothèse"143. Or, il est étonnant de lire de tels propos sous la plume de ce
grand orientaliste.
Les critiques que le doyen F.P. Blanc et Y.L. De Bellefonds
adressent à l'école Malékite concernant les "Nafaqat-AI Aqarib" méritent, en
effet, d'être bjen relativisées. Parce que les hypothèses d'école qu'ils
envisagent ont été, pour la plupart, évoquées et bien traitées par l'auteur de la
Moudawana Al Koubra.
141
Y.L. De Bellefonds, traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. III, P. 88.
)42
Il s'agit de la Grande Moudawana composée par Sahnoune (160-240). L'auteur de la
Moudawana Al Koubra fit d'abord ses premières études à Kairouan avant de passer
ensuite en Egypte auprès d'Ibn Kasim. Il est considéré comme l'un des plus remarquables
disciples d'Imam Malek. Aussi, contribua-t-il à côté d'Assad Ibn Al Fourat (145-213 H) à
la large diffusion du rite Malékite au Maghreb et en Afrique au Sud du Sahara (v. notre
communication au Colloque International de Tombouctou du 09 au 14 août 1995, pp. 5 et
6 dont publication est attendue dans la revue "F.t.e.r.s.i,n" appartenant à une Fondation
tunisienne).

57
D'abord s'agissant du cas de l'enfant orphelin de père sans
ressource personnelle, une opinion rapportée par Salmoune enseigne qu'un
tel enfant peut être confié à son oncle ou à son tuteur testamentaire. Mais
personne ne sera obligé de le nourrir. Son sort est assimilable à celui des
1
orphelins musulmans qui dépendent de la communauté musulmane 44.
La Moudawana a rapporté une autre opinion fondée sur le verset
233 de la Sourate l qui dit: "Et les mères qui veulent donner un allaitement
complet [... ] Même obligation pour l'héritier" 145. On a déduit de ce verset
que "l'héritier recueille dans ce domaine les charges de celui dont il
h ' 't ,,146
en e
.
L'opinion fondée sur ce verset veut dire que l'oncle ou le tuteur
testamentaire qui recueille un enfant orphelin de père sans ressource est tenu
de supporter les frais de sa nourriture, exactement comme s'il s'agissait d'un
147
bien dont il aurait hérité et qui lui aurait occasionné une charge
.
Il existe un principe du droit commercial musulman qui traduit
cette situation. Il s'agit du principe "Al Khourmou Lil Khounmi,,148, c'est-à-
dire la charge incombe à celui qui tire profit de l'entreprise.
149
Sahnoune interrogea un jour son maître Ibn Kasim
au sujet de
l'enfant pubère, atteint de folie ou d'une autre maladie incurable: celui-ci
peut-il nonnalement contraindre son père à le nourrir?
143
Y.L. De Bellefonds, op. cit. p. 87.
144_ Imam Sahnoune, Al Moudawana al Koubra, Dar Al Fike BeyTOuth (s. d.), 1. Il, p. 252.
14:>
Imam Salmoune, op. cit. p. 252.
146 Le Saint Coran et la Traduction en langue française du sens de ses versets, R. d'Arabie
Saoudite, 1400 H, p. 37.
147 l
S lu
.
mam
a 10une, op. crL p. 252.

58
Il lui posa une autre question au sujet de la fille répudiée ou veuve
après consommation de son mariage: celle-ci a-t-elle le droit de réclamer
des aliments à son père?
Ibn Kasim lui répondit en ces termes: "Je n'ai noté aucun propos
d'Imam Malek concernant ce sujet. Je trouve cependant que le père doit
nourrir son enfant dans ce cas, parce qu'un père n'est déchargé de la
nourriture de son fils que quand il devient majeur et apte à gagner sa vie. Et
c'est précisément à cause de la faiblesse physique et mentale qui caractérise
l'enfant que sa prise en charge est obligatoire. Or, ceux que vous venez de
citer, c'est-à-dire le dément et le malade sont plus faible que l'enfant
impubère qui a droit aux aliments.
Ne constatez-vous pas également le cas de la fille ? Celle-ci
grandit chez son père qui la prend en charge et la nourrit, fût-elle plus apte
que le dément ou le malade incurable pour gagner sa vie. On conclut, a
fortiori, que le dément et le malade incurable peuvent, à bon droit, réclamer
des aliments à leur père,,150.
On retient d'abord de ces propos que le système Malékite de la
"Nafaqat Al Aqarib" n'est pas aussi "mesquin" qu'on le croit. Cet avis émis
par Sahnoune, l'un des grands ténors de l'école Malékite de l'époque
classique, devrait ensuite nous permettre de relativiser les thèses fondées sur
la doctrine de Khalil B. Ishaq. On a, notamment soutenu que "le jeune
148 Chahbone Ab-Al Karim, Commentaire de la Moudawana, le Code du Statut personnel
Marocain, Rabat, 1987, 1. 1, p. 477.
149
Abdourahmane Ibn Kasim (132-191 H) fut le disciple d'Imam Malek; il fréquenta ses
cours à Médine pendant plus de vingt ans, et récita sa "Mouwatta" par cœur (v. Ibn
Farhone et Ibn Baba, Encyc. Des savants Malékites - Dar Al Fila, Beyrouth, s. d., p. 146
et s.).
150 Sahnoune al Moudawana al Koubra, Dar Al fila, Beyrouth (s. d.), 1. II, p. 252.

59
garçon est créancier d'aliments durant un temps limité qUI ne peut
normalement excéder sa dix-huitième année [... ]. Si, en revanche, l'infinnité
le rendant définitivement ou provisoirement inapte à gagner sa vie survenait
au-delà de cette "majorité" il perdrait tout recours contre son géniteur et
pourrait, en ce cas encore, se trouver totalement démuni, à la merci de ses
proches et du théorique Bayt-al-mal,,\\5J.
Aussi, Y.L.D. Bellefonds a-t-il pu soutenir qu"'en droit Malékite,
l'obligation alimentaire du père s'étant éteinte avec la consommation du
mariage de sa fille, ne peut plus "renaître" après répudiation bien que la fille
ait perdu l'entretien que lui assurait auparavant le mari et qu'elle soit dans le
besoin,,152.
Ces thèses reposent sur le texte de Sidi Khalil i53 mais elles n'en
demeurent pas moins excessives.
D'ailleurs, il n'y a pas qu'en droit musulman que l'obligation
alimentaire suscite autant d'" anomalies " et d'''injustices''. Aussi, la liste des
parents tenus de l'obligation alimentaire a semblé avoir été établie par le
Code civil français d'une façon un peu sèche. On y avait surtout critiqué
J54
l'absence d'obligation alimentaire entre frères et soeurs
. La jurisprudence
151
F.P. Blanc, Les Nafaqat-Al Aqarib dans les droits d'Afrique du Nord, Mélanges
offerts à A. Clamer, s. d., Litec. P. 61.
152 Y.L. D. Bellefonds, traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. III, p. 88.
153
Or, il n'est point besoin de démontrer l'antériorité de la Moudawana de Sahnoune,
composée au IIIe siècle de l'Hégir, par rapport à l'Abrégé (Moukhtasar) de S. Kahlil écrit
seulement au Vllle s. H. On a pu dire à tort, que l'Abrégé de Khalil "remplace, en quelque
sorte, la Mouwatta et la Moudawana de Sahnoune" (Cf. Brockelman, II, 83. S. II, 96-9
cité in Ency. Islamique.
C'est que tout simplement les orientalistes s'cn sont occupés de bonne heure; alors que,
d'après notre connaissance, la Grande Moudawana n'a encore fait l'objet d'aucune
traduction française.
154 Carbonnier J., droit civil, II. La Famille, Les Incapacités, Thémis, 1979, p. 499.

60
française a donc été obligée de tenir partiellement compte de ces critiques en
reconnaissant entre frères et sœurs l'existence d'une obligation naturelle de
secours 155 . Et pendant un certain temps, elle a entendu strictement cette
obligation et considéré qu'elle prenait fin avec la survenance de la majorité
fixée d'abord à 21 ans puis à 18 ans par la loi du 15/07/1974 156.
La jurisprudence sénégalaise ne se préoccupe pas des cas de
figures envisagés par le Doyen F. Paul Blanc et Y.L. De Bellefonds. Elle
décide tout simplement que le père est tenu de payer le prix de la nourriture
et de la garde de l'enfant jusqu'à son tenne, c'est-à-dire jusqu'à la survenance
de la majorité de l'enfant157. Cependant, le système de solidarité tribale qui
prévaut au Sénégal est bien susceptible de prémunir l'enfant déshérité contre
la férocité supposée du Fiqh Malékite des Nafaqat-Al Aqarib.
Il conviendrait enfin d'insister sur l'idée que la pension alimentaire
a ceci de particulier qu'elle est à la fois vitale et aléatoire. Elle est vitale pour
l'épouse qui dépend exclusivement du mari. La femme mariée qui ne
s'occupe en général que de tâches domestiques 158 peut facilement se trouver
dans le dénuement et à la merci du mari.
155 Ibid.
156 Benabent (Alain), Droit civil, La Famille, Litec, 1982, p. 438.
157 V. jugement nO 23 précité.
Aussi notre jurisprudence moderne abonde-t-elle à peu près dans le même sens :
"l'obligation alimentaire entre époux et des époux envers les enfants fait partie des
charges du ménage", "l'augmentation de la pension alimentaire des enfànts est en fonction
de l'évolution de leurs besoins et du coût de la vie; la contribution du mari aux charges du
ménage doit tenir compte des ressources de ce dernier et des besoins des enfants du
conjoint" (cf. J.P. Dkr, 11-9-1976, Dame Cissé, R.J .S. CREDILA, 1982, vol. III, p. 30 ;
TPI Dkr, 12-7-1977, Epoux Gaye, R.J.S. CREDILA, vol. UI, p. 30 ; v. également C.F.
annoncé, E.D ..1.A., 1990, p. 154 s.
158
Aussi, n'avons-nous rencontré au cours de nos recherches qu'un seul cas concernant
une é ouse exerçant un emploi salarié. L'intéressée était sage-femme africaine à

61
La Nafaqa est aléatoire, parce que d'une part, sa source peut tarir
pour une raison ou pour une autre. D'autre part, le mari mal intentionné ou
voulant en finir avec sa femme pourrait la lui refuser afin de l'acculer à
solliciter le divorce.
D'où
les
garanties nécessaires
prévues
par
la
loi
en cas
d'inexécution
de
l'obhgation alimentaire.
Mais
en
fait
de sanctions
prononcées contre les maris fautifs dans ce domaine, la justice musulmane
ne s'y prend que de manière graduelle afin de préserver la stabilité du
.
159
manage
.
SECTION II - LA SANCTION GRADUELLE DU NON-PAIElVIENT
DELA~AFAQA
De nombreuses sanctions assorties à l'obligation alimentaire, notre
jurisprudence n'aura consacré que l'arrérage de la Nafaqa et le divorce
judiciaire. Il ne pouvait en être autrement, car le recours à des solutions
extrêmes comme l'emprisonnement du mari récalcitrant ou la pratique des
saisies de droit commun seraient difficilement concevables au Sénégal où le
mariage conserve un caractère social, voire familial, très prononcé. Quel
tribunal oserait, par exemple, enfermer un mari pour refus de paiement de la
pension alimentaire l60 ?
Ziguinchor (T.M.S., jugement du 24/0211960, affaire sIeur Diallo, père adoptif de
l'intéressée contre le Sergent ibrahima).
159 Car il faut reconnaître que le mariage musulman est fragile si on le compare au
mariage catholique qui ne tolère pas le divorce. Le mariage musulman admet le divorce
bien qu'un hadith dispose que "le plus détetable des choses licites est le divorce" (Cf.
Touré (Ch)., Le code de la Famille musulman, 2e éd., Dkr, 1979, p. 51).
l60
Or, pour certain légistes, le Cadi a le droit de réprimander le mari mauvais payeur de
la Nafaqa avant de le mettre en prison s'il tergiverse à assurer l'entretien à son épouse (v.
Abdoul W. Khalaf, Ibn Usul al-Fiqh, p. 208).

62
Aussi, notre jurisprudence s'est-elle tout simplement bornée à
consacrer le principe de l'arrérage de la Nafaqa (§ 1) avant d'en arriver au
divorce judiciaire (§ 2)..
§ 1 - L'arrérage de la Nafaga : la revanche des épouses
Les arrérages de la Nafaqa consistent dans des arriérés de frais
d'entretien dont la conjointe est en droit de réclamer le paiement au mari. Or
la dette de Nafaqa est un signe de pathologie affectant le mariage. Elle
prouve que l'époux ne s'est pas acquitté de son devoir d'entretien vis-à-vis de
sa femme.
Mais à Y regarder de près une telle situation arrange curieusement
bien la conjointe dans la mesure où cela lui pennet d'inverser en sa faveur les
rapports de domination dans le mariage : la feilll11e devenant tout d'un coup
la créancière de son mari. De plus, dans la pratique des tribunaux, la fixation
des arriérés de la Nafaqa est laissée à la souveraine appréciation du juge. Or,
rares sont les maris récalcitrants qui échappent à la main lourde de certains
cadis qui fixent quelquefois assez démesurément les dettes de Nafaqa. Ainsi,
a-t-on vu des décisions de justice où des dettes de Nafaqa accumulées sur
plusieurs mois, pem1irent à des épouses de se constituer un fonds pour
racheter leur liberté en procédant au remboursement de la dote à leur mari
par voie de compensation.

63
A - Une souveraine appréciation des arriérés de la Nafaga à
l'avantage des épouses
La jurisprudence consacrée en matière d'évaluation des dettes de
Nafaqa montre que certaines épouses étaient favorisées par les juges. Mais
nous ne pouvons illustrer cette tendance de la jurisprudence que par des
jugements récents rendus à Saint-Louis du temps où les frais d'entretien
étaient généralement donnés à la conjointe en espèces 161 • D'abord, le 07
mars 1962, le sieur Alassane H. fut condamné à payer 15.000 F à titre
d'arriérés de frais d'entretien à la femnle qu'il venait de répudier en état de
grossesse de six mois. Il fut condamné à lui verser 25.000 F CFA par mois
.
"
h
162
Jusqu a son accoue ement
.
En l'espèce, la dame prétendait avoir été répudiée en état de grosse
de six mois, ce que le mari chercha d'abord à nier en disant qu'il ne l'avait
pas répudiée et ne savait pas non plus qu'elle était enceinte. Mais le Cadi qui
ne fut pas dupe, lui déféra le sennent rituel et il se déroba. On le condamna
par conséquent à régler les arriérés de Nafaqa dus à la plaignante et à
subvenir à ses besoins jusqu'à son accouchement l63 .
Le Cadi appuya sa décision sur la doctrine de S. Khalil et d'Ibn
Acim. Il précisait notamment que "l'entretien arriéré est une dette que le mari
doit obligatoirement payer". En citant ensuite le vers 628 de la Tohfa, il
161
Dans les temps les plus reculés, la femme mariée prélevait directement sa nourriture
du grenier de son mari qui lui donnait rarement de l'argent en guise d'entretien.
162 Jugement n° 24.
163
Ce mari fut, en effet, sévèrement éprouvé étant dOlmé ses maigres sources de revenus.
Les faits de l'espèce nous montrent qu'il ne fut qu'un simple artisan exerçant pour son
propre compte.
Aussi, l'affaire suivante nous montrera-t-elle un mari qui ne touchait que 8.500 F par mois
(cf. jugement n° 25 suivant).

64
disait que la fixation de la pension alimentaire est laissée à l'appréciation du
Cadi".
Ensuite, cette jurisprudence sera confinnée en l'espace de quelques
semaines seulement. Parce qu'à la date du 28 mars 1962, la nommée Awa S.
a assigné son mari devant le même Cadi en déclarant qu'il l'avait abandonnée
sans entretien pendant deux ans, et avait, en plus, enlevé son enfant âgé de 5
ans. Le mari interpellé plaida coupable en disant que son faible salaire de
8.500 F ne lui pennettait pas de subvenir aux besoins de sa famille. Mais sa
défense n'émut guère le Cadi qui le condamna à payer la somme de 36.000 F
CFA d'entretien arriéré dû pendant deux ans à sa femme ; en plus d'un
"cadeau de conciliation" fixé à 10.000 F à lui remettre dans un délai de 3
mois sans compter l'entretien mensuel évalué à 2.500 F qu'il devait lui verser
d
1
d
164
A
ans ce meme aps e temps
.
Cette décision nous paraît à la fois excessive et irréaliste. Car le
mari a été certes reconnu coupable, mais fallait-il pour autant mettre à sa
charge une dette qu'il n'était pas en mesure de payer? Pire encore: le Cadi
ne lui accordait que trois mois pour payer. Or, qu'adviendrait-il de son
mariage, si au bout de trois mois, il n'arrivait pas à honorer la dette? Son
épouse le traînerait certainement de nouveau en justice.
Notre avis est qu'il ne fallait pas accabler ce mari de dettes étant
entendu que son épouse n'avait encore manifesté aucun désir de rompre son
mariage. Il était plus judicieux de se limiter au "cadeau de conciliation ... "
fixé
à 10.000 F.
Ce jugement a surtout le défaut d'être un peu
correctionnalisé alors qu'il ne s'agit au fond que d'une affaire de famille.

65
On a comme l'impression que le Cadi voulait appliquer une peine
l65
de Tazir
à l'encontre du mari coupable. Parce que le vers 628 de la Tohfa
qui fonde sa décision est, en quelque sorte, assimilable à la notion de Tazir.
Or, il ne lui serait pas permis de procéder à une telle assimilation dans le cas
d'espèce en vertu d'un principe d'Idjima (le consensus des Docteurs) qui
interdit fOffi1ellement au juge de recourir au Tazir pour prononcer une
l66
sanction pécuniaire
. En dernière analyse, la sévérité de la décision rendue
s'expliquerait moins par un simple arrérage de Nafaqa que par l'application
d'une véritable peine de "Tazir pécuniaire".
Tout compte tàit, cette jurisprudence arrange bien les femmes
mariées dans la mesure où elle leur pelmet d'acquérir des moyens de
rembourser la dot en cas de khoul'. Ainsi, la femme mariée qui a des dettes
de Nafaqa à réclamer à son mari, peut, si elle le désire, lui opposer la
compensation financière pour obtenir le divorce par le khoul'.
B - Créance de Nafaga contre l'obligation de restituer
la dot
Le droit musulman permet la compensation financière (Mouqaçat)
en matière de Nafaqa. Mais on en trouve de rares cas dans notre
jurisprudence. Nous en avons, cependant, découvert une décision qui
mériterait d'être signalée. Il s'agit de l'affaire jugée le 03/12/1899 concernant
les époux Coura Guèye et Malick Diop167. Madame Coura Guèye avait
164 Jugement nO 25.
165
Le Tazir vient d'une racine arabe : azara c'est-à-dire incriminer ou punir. Aussi
emploie-t-on suivant les cas, les expressions "infraction de Tazir" et "peine de Tazir" pour
désigner des comportements jugés répréhensibles et punis de peines arbitraires.
166
Cette précision est apportée par le Cadi Ndiaye Sar dans l'affaire Mme Hamari cl
Bounama, T.M.S., le 3010111890).
167 Jugement nO 26.

66
déféré son mari devant le Cadi de Saint-louis pour lui réclamer les arriérés de
sa Nafaqa qui s'élevaient, selon elle, à 540 F. C'était en raison de 15 F par
mois jusqu'à trois ans. Le mari reconnut la dette et s'engagea à payer; mais
ne disposant pas de ladite somme sur le champ, il promit de la régler plus
tard. Le litige fut donc momentanément résolu et les deux époux regagnèrent
leur domicile. Mais l'affaire refait surface le 09/01/1897 lorsque le mari
Malick Diop saisit à son tour le Cadi en déclarant que son épouse Coura
Guèye avait obstinément refusé d'avoir des relations conjugales avec lui 168.
La femme interpellée raconta que son mari ne la nourrit pas et réclama le
divorce. Le mari compta alors la dot qu'il lui avait remise et cela faisait 600
F ; le cadi en défalqua les 540 F représentant les alTiérés de la Nafaqa due à
la femme et les lui versa. Mais cette dernière était tenue de rembourser un
reliquat de 60 F étant donné que le montant de la dot était légèrement
supérieur aux arriérés de la Nafaqa. Le khoul' fut en tout cas consommé.
Mais l'affaire connut un nouveau rebondissement le 1er mai 1897
lorsque le sieur Malick Diop inteIjeta appel devant le Conseil d'Appel
Musulman en estimant que c'est à tort que le premier juge avait ordonné le
prélèvement d'une somme de 540 F sur la dot de 600 F que lui devait la
femme l69 . Il allégua en plus qu'il avait versé en octobre 1896 une somme de
400 F à cette dernière pour son entretien, plus 100 F pour sa belle-mère,
qu'enfin la femme doit lui remettre les meubles qu'il avait apportés au
domicile conjugal.
Statuant sur l'appel interjeté par le mari, le Conseil d'Appel
Musulman 170 déclarait que le sieur Malick Diop avait été déjà condamné par
168 Jugement nO 27.
169 Jugement nO 28.
170
Le délai d'appel d'un Cadi supérieur devant le Conseil d'Appel Musulman institué par
décret du 20/5/1857 et siégeant à St. Louis est de deux mois (Cf. Arch. Nat., M. 241).

67
le Tribunal Musulman de Saint-Louis en date du 3/12/1896 à payer à sa
femme la somme de 540 F représentant trois années par lui passées à
l'étranger, et ce jugement est aujourd'hui définitif et passé en force de chose
de jugée. Concernant la somme de 400 F qu'il prétendait avoir donné à sa
femme, le Conseil estima que cette somme avait servi à l'entretien du
ménage du mois de mai au mois de décembre 1896, soit pendant 8 mois à
raison de 30 F par mois, ce qui pour 8 mois donne un total de 240 F. Il ne
restait donc à la possession de l'intimée qu'une somme de 160 F dont elle
devait le remboursement. Pour les 100 F la Cour disait que l'appelant
reconnaît lui-même qu'il en avait fait don à sa belle-mère et de plus, cette
dernière n'est pas en cause dans l'espèce.
La Cour décida enfin que l'intimée devait payer à Malick Diop la
somme de 60 F, solde restant dû sur la dot qui lui avait été contractée par son
mari et celle de 160 F reliquat de la somme de 400 F versée pour l'entretien
du ménage. Elle ordonna la restitution des meubles apportés par le mari au
domicile conjugal et débouta ce dernier du surplus de sa demande.
Que faut-il penser de cette jurisprudence?
On notera tout d'abord que le Conseil d'appel Musulman a bien
confirmé les deux décisions rendues par le juge du fond, lesquelles ont été, il
faut le reconnaître, bien motivées. La démarche suivie en l'espèce est bien
cohérente. Ainsi, en procédant à la compensation financière pour séparer les
deux époux, le Cadi a-t-il d'abord pris le soin de rappeler au mari qu'il avait
bel et bien une dette d'entretien à régler à sa femme. Il lui cita notamment ce

68
qu'Ibn Fatihone (sic)!7\\ a enseigné à ce sujetl72. De même, lorsque les deux
époux ont de nouveau comparu devant lui, la femme réclama le divorce. Il
leur précisa ce que l'auteur de la Rissala a professé en matière de khoul,173.
On notera ensuite l'astuce dont la femme a fait preuve dans
l'affaire: elle a d'abord attiré son mari en justice afin de lui faire signer une
reconnaissance de dette de Natàqa devant le juge. Le mari qui croyait que
l'affaire était ainsi réglée, constatera à sa grande surprise que la femme ne
voulait plus de lui.
La jurisprudence offre~ par ailleurs, à la femme mariée qui n'aurait
pas recouvré ses créances de Nafaqa ou qui n'aurait pas été entretenue par
son époux la possibilité de faire dissoudre son mariage par le juge.
§ 2 - Divorce judiciaire pour non-paiement de Nafaga
La jurisprudence musulmane sénégalaise consacre l'heureuse
solution du droit malékite pennettant à la femme mariée de solliciter et
d'obtenir la répudiation judiciaire pour défaut d'entretien. Heureuse solution
puisque le rite Hanéfite, pourtant réputé pour son libéralisme, n'accorde pas
cette faculté à la conjointe.
Les Hanéfites invoquent, à ce sujet, une pratique du Prophète
lequel se contentait de "bouder" ses femmes, sans les divorcer, lorsque
celles-ci lui réclamaient une Nafaqa qu'il n'était pas en mesure de leur
171
Ibn Fatihone ? Un auteur obscur dont le nom ne figure pas sur le "Dictionnaire des
Savants Malékite" d'Ibn Farhoune et d'Ibn Baba. Est-ce une erreur de transcription? Ne
s'agit-il pas plutôt d'Ibn Farhoune, l'un des auteurs dudit Dictionnaire?
172 Cf 1 .
026' ..
. e Jugement n
preCIte.
173 Cf 1 .
0
27
, . ,
. e Jugement n
precIte.

69
fournir. Ils soutiennent également qu'aucun compagnon du Prophète n'a
divorcé sa femme par manque d'entretien malgré que les Sahaba (les
Compagnons du Prophète) étaient des gens indigents pour la plupart174•
Les trois autres rites (Malékite, Chaféite et Hanbalite) trouvent par
contre que si le mari n'assure pas l'entretien à sa femme, celle-ci serait
fondée à solliciter le divorce judiciaire; et la procédure à suivre dans ce cas
est simple. Il lui appartiendra tout simplement d'introduire une requête
auprès du Cadi en prouvant que son mari a arrêté, soit volontairement soit
involontairement, de la nourrir. Mais les cadis se montrent généralement
assez prudents avant de prendre une décision. Pour préserver les intérêts des
époux, le tribunal prend au moins deux précautions nécessaires. D'abord, il
exige de l'épouse qui se plaint du défaut d'entretien de prêter serment pour
confirmer ses déclarations. Ensuite, il accorde un délai au mari afin de lui
permettre d'améliorer la condition de sa femme.
Mais pour préserver les intérêts de l'époux, le tribunal exigera de la
plaignante de prêter serment afin de confirmer ses déclarations. Aussi, un
délai sera-t-il accordé au mari avant le prononcé du divorce.
A - La prudence des cadis: serment et délai
La procédure suivie en cette matière est, en principe, dominée par
le souci d'éviter (dans toute la mesure du possible) d'en arriver au divorce.
Les Cadis déclarent souvent que "la plus détestable des choses licites pour
174
Chahbone Ab. Al Karim, Commentaire de la Moudawana, le Code du Statut
personnel Marocain, 1. l, Rabat, 1987, p. 221.

70
Allah est le divorce" 175. D'où le devoir religieux incombant aux Juges
musulmans de veiller à la préservation et à la pérennité de l'institution du
mariage. Car un autre hadith dit : "Mariez-vous et ne divorcez pas" 176.
Ainsi, pour éviter toute précipitation dans ce domaine, le Cadi est-
il tenu d'abord d'assigner un délai au mari avant de le séparer de sa femme.
Tout comme cette dernière est obligée de prêter sennent pour confirmer son
manque d'entretien.
Plusieurs décisions de justice consacrent cette pratique. Le Cadi de
Saint-Louis en a d'abord décidé ainsi dans l'affaire jugée le 09/03/1935 entre
les époux Seydou A. et Malado y.ln En l'espèce, la femme déclarait avoir
été abandonnée par son mari depuis treize mois et demandait au tribunal de
statuer sur son sort.
Le Cadi fit droit à sa requête en prononçant le divorce au tort du
mari. Mais un mois de délai lui fut tout d'abord accordé afin de lui permettre
d'entretenir régulièrement sa femme. Le Cadi précisait que "ce genre de délai
varie suivant la conscience du juge et l'état où se trouve la femme" 178.
Il n'a été, en fait, accordé qu'un mois de délai au défendeur. Cette
décision n'en demeure pas moins conforme au texte de la Tohfa qui enseigne
à ce sujet que le mari incapable de fournir les aliments à sa femme, a droit à
un délai de deux mois l79, "mais Ibn Al-Quasim laisse ce délai à l'appréciation
du magistrat", dit encore la Tohfa (vers 635).
175
Hadith déjà cité (Cf. Touré Cb., Le code de la famille musulmane, Dakar, 1979, p.
49).
176 0
.
49
p. Clt. p.
.
177 Jugement nO 29, voir l'annexe.
178 Cf. L'Abrégé de Khalil, Trad. G.R. Bousquet, Maisonneuve, livre II, 1956, p. 135.
179 Cf. Ibn Acim, La Tohfa, Trad. L. Bercher, alger, 1958, vers 630, p. 95.

71
Cette jurisprudence a été strictement appliquée ensuite dans une
deuxième affaire jugée le 07/09/1935 180 avant qu'un revirement ne fût opéré
à l'occasion de l'affaire des époux Aïssatou G. et Papa M. l8l le tribunal ayant
cette fois-ci décidé de n'accorder que 15 jours de délai au nonuné Papa M.
dont la femme se plaignait d'avoir été abandonnée depuis trois ans. Le
revirement jurisprudentiel est d'autant plus notoire ici que la plaignante, en
sus de son sem1ent, apporta des témoins qui attestèrent de son manque
d'entretien.
Ainsi, la COUT d'Appel (Chambre Musulmane) s'est-elle opposée à
un divorce prononcé le 12/01/1935 par le Cadi du Tribunal Musulman de
Saint-Louis au motif que le mari n'aurait pas reçu la lettre par laquelle le
tribunal lui accordait un délai de grâce d'un mois 182.
Les faits de la cause sont assez simples. La dame Khady S. assigna
son mari Martin S. pour entendre prononcer la dissolution de son mariage.
Elle prétendait, en fait, que ce dernier l'avait abandonnée et laissée sans lui
fournir l'argent nécessaire pour sa nourriture et ses vêtements. Par lettre du
tribunal en date du 13/11/1934, Martin S. alors commerçant à Conakry, a été
invité
à entretenir sa fenune. Un délai d'un mois lui fut accordé pour
améliorer sa situation, passé ce délai un jugement devait intervenir en faveur
de cette dernière.
Etant donné que le mari ne donna aucun SIgne de vie jusqu'à
l'expiration du délai, le tribunal invita la femme à prêter serment pour
confirmer son manque d'entretien. Mais elle refusa de s'exécuter préférant
plutôt attendre l'arrivée du mari pour lui rembourser la dot et être libre. Et
180 Jugement nO 30.
181
Jugement n° 31, voir l'annexe.

72
elle restitua effectivement la dot au mari dès son retour à Saint-Louis. Le
tribunal les sépara ainsi en condanmant le mari à assurer l'entretien des
quatre enfants issus du mariage dissous.
Ce jugement fut rejeté en appel, la Chambre Musulmane de la
Cour d'Appel estimant que rien ne prouvait que le Sieur Martin S. avait
effectivement reçu la lettre du Cadi de Saint-Louis du 13/11/1934 qui lui
impartissait un délai
d'un mois,
d'autant plus
que ce denlier niait
formellement l'avoir reçue. La Cour soutenait, en outre, que l'appelant
"justifie avoir, bien qu'étant sans travail à Conakry, envoyé à sa femme
quelques petites sommes d'argent dans la mesure de ses moyens ; qu'il
demande à continuer le mariage et s'engage à remplir à l'égard de sa femme,
les obligations qui lui incombent" 183. Et la Cour de conclure "que c'est le cas
de faire application des règles énoncées aux vers 630 et suivants de la Tohfa
d'Ibn Acem qui constituent la coutume Musulmane (sic) suivie au Sénégal en
impartissant au mari un délai au terme duquel la répudiation lui sera
ordonnée ou le divorce prononcé.
Les griefs faits à la décision du Cadi ne sont pas fondés. Le juge
d'appel ne se situe même pas sur le même ten-ain que le jugement attaqué. La
Cour d'Appel semble avoir perdu de vue que c'est le divorce par
compensation (khoul ') et non le di voree judiciaire pour défaut d'entretien qui
a été finalement appliqué en l'espèce. Le mariage en question a été dissous à
partir du moment où la femme, qui ne désirait plus vivre avec son mari, a
préféré lui restituer sa dot pour être libre. Dès lors, le Cadi n'était plus dans
l'obligation d'appliquer la procédure en vigueur en matière de divorce pour
défaut de Nafaqa consistant à accorder un délai au mari et à déférer le
182 Jugement n° 32 et Arrêt n° 33.
183 Voir le jugement n° 33 à l'annexe.

73
serment rituel à l'épouse. C'est cette même procédure qui avait été certes
initiée mais on y avait renoncé quand la femme a préféré "attendre l'arrivée
du mari pour lui rembourser la dot et être libre". C'est le khoul' qui fut donc
finalement appliqué, la femme ne voulant plus continuer le mariage. Ce dont
elle a parfaitement le droit. Car la femme peut à tout moment racheter sa
liberté à son mari en lui restituant le montant de sa dot quand elle n'a pas été
lésée dans ses droits par ce demier l84 .
La Cour d'Appel a par ailleurs reproché au juge du fond d'avoir
cité "Saadon Thoumons" (sic) et "Rouhoul Bayane" avant d'ajouter que "la
seule doctrine qui puisse être invoquée en A.O.F. est celle des auteurs du rite
malékite" 185. Cet avis de la Cour d'Appel est également erroné, parce que
l'exclusivité du rite Malékite en Occident Musulman ne peut être justifiée au
regard de la loi musulmane.
Ainsi, le Directeur des Affaires Indigènes affirmait clairement
dans sa circulaire du 18/01/1899 que "la jurisprudence musulmane du rite
Malékite est la seule en vigueur au Sénégal. Elle est contenue dans plusieurs
ouvrages bien connus tels que le livre de Khalil Ibn Ishaq, la Tohfa, etc. , et
doit être appliqué intégralement" 186. Cette directive de l'Administration
coloniale est bien loin d'être conforme à la Charia. Car l'obédience à un rite
quelconque n'est nullement obligatoire pour un musulman. Le "Taqlid"
184
Ibn Aby Zeid al Kayrawani, La Rissala (A. Thamaroudani) s.d., Dar Fikr, Beyrouth,
p.480.
185 Nous ignorons le livre intitulé "Saadon Thoumons". Sa transcription a été certainement
faussée par la traduction officielle de la minute du jugement. Par contre, le livre intitulé
"Rouhoul Bayane" n'est rien d'autre qu'un commentaire du Coran, ce que le juge d'appel
semble carrément ignorer, sinon il ne l'aurait pas exclu du champ d'application du rite
Malékite.
J 86
Cf. Circulaire adressée par le Directeur des Affaires Indigènes à MM. Les
Administrateurs et Commandants de Cercle du Sénégal, D.T.M., Question de Principes,
1898-1919, Arch. Nat. M. 241.

74
(limitation d'un rite) n'est en effet, recommandé qu'au musulman dit "aami",
,
'd'
I l '
187
C est-a- Ire e musu man Ignorant
.
Il est vrai que le Malékisme est considéré comme le rite le plus
protecteur des droits de l'épouse. Mais nous ne pouvons pas affirmer que
c'est pour cette raison que le colonisateur qui« cherchait à améliorer la
condition de la femme indigène» voulait l'imposer au Sénégal. C'est, en
effet, le rite le plus favorable à la femme mais il est presque aberrant à force
d'être libéral. A titre d'exemple, le rite Malékite offre à l'épouse une libérale
procédure pour sortir du mariage, en cas de « darar » (préjudice) souffert par
la conjointe, ou quand le cadi estime tout sin1plement qu'il vaut mieux
séparer les époux afin d'éviter qu'ils ne transgressent la loi d'Allah, le
divorce est prononcé «sans délai ». aussi, le mari, même indigent, doit
régulièrement entretenir sa femme, sinon le droit Malékite accorde à cette
dernière la faculté de demander le divorce pour défaut de paiement de la
Nafaqa.
B - La rupture du lien conjugal sur la requête de l'épouse
En interprétant assez étroitement la doctrine malékite classique,
nos Cadis ont toujours regardé le défaut de paiement de la pension
alimentaire comme une cause péremptoire de divorce.
Pour illustrer la jurisprudence consacrée à ce sujet, nous ne
saurions trouver meilleur exemple que l'affaire dame Sakhabané188. Le Il
novembre 1895, la nOl11luée Sakhabané intenta un recours en justice en se
187
Cf. notre Communication au Colloque International de Tombouctou du 09 au 14 août
1995 ; v. la bibliographie.
188 Jugement n° 34.

75
plaignant que son mari Momar Diack ne lui avait donné pendant 7 à 8 ans ni
vivre ni vêtement en quantité suffisante comme le veut la loi musulmane;
que non content de cela, il a fait enlever de sa chambre tous les meubles qu'il
lui avait donnés ne lui laissant qu'une chambre nue ; qu'il a accordé la
préférence sur elle à ses autres femmes; qu'enfin le préjudice qu'il lui a porté
est de nature de ceux qu'une femme ne peut supporter et qu'il n'a cessé de
médire d'elle dans toutes les occasions.
Le mari Momar Diack convoqué par le cadi refusa de comparaître
pour être entendu bien qu'il fût présent à Saint-Louis.
En appliquant la procédure suivie en droit Malékite en matière de
divorce judiciaire, le tribunal exigea d'abord de la plaignante de produire ses
témoins afin d'attester la véracité du préjudice qu'elle aurait subi. On lui
demanda ensuite d'opter soit pour le divorce soit pour le maintien du lien
conjugal. Et en optant pour le divorce, on la déclara aussitôt séparée de son
man.
La décision fut attaquée le 24/08/1891 par le mari qui la déféra
devant le Conseil d'appel Musulman189 ; elle n'en fut pas moins confirmée
par cette instance d'appel qui déclara le mari mal fondé en ses explications et
fins de non recevoir de sa requête. Aussi importe-t-il de souligner que le juge
du fond avait bien motivé son jugement qu'il articula sur les considérations
suivantes:
10 _ D'abord concernant la procédure à SUIvre en matière de
jugement par défaut, il appliqua la réglementation prévue par la Tohfa d'Ibn
Acim qui enseigne que "lorsque le plaignant et le prévenu se trouvent dans 1

76
même ville, le Cadi enVOle un émissaire au dernier pour l'inviter à
comparaître sous peine de se voir condamner par défaut" 190, Se référant
ensuite à Khalil, il déclara: "Si le prévenu est absent de la ville où siège le
Cadi mais ne s'en trouve qu'à courte distance, celui-ci peut lui envoyer un
émissaire ou un appel écrit revêtu de sa signature" 191. Le Cadi évoqua, enfin,
maladroitement le Coran: "Que ceux qui sont appelés à comparaître devant
la loi de Dieu disent nous avons entendu et nous obéissons,,192.
2°_ Ensuite, dans le fond, le Cadi statua d'abord sur la matérialité
du préjudice subi par la plaignante avant de définir les modes de preuve
admis en la matière.
a - Concernant la consistance du préjudice subi par la femme, le
Cadi citant Khalil dira: «un préjudice quel qu'il soit, grand ou petit, est
toujours un préjudice»193. Cela signifie en clair, qu'il ne saurait y avoir de
petit ou de grand préjudice ; que le degré de gravité importe peu dans
l'appréciation du "darar" (préjudice) considéré comme la "clef de voûte du
système malékite" 194.
b - en ce qui concerne la preuve du préjudice, le Cadi dira que le
préjudice porté par un homme à sa femme prend corps dès que celle-ci peut
en produire des témoins ou que la nlmeur publique l'atteste. Et en se basant
sur TassouJy il précisera que la preuve du préjudice subi par la femme peut
toujours être rapportée soit par des témoins oculaires soit par ouï dire. Mais
189 Arrêt na 35.
190 Cf
] .
a 34
. ' .
. e Jugement n
precIte.
191
Ibidem.
192 Il n'a, en fait, précisé ni la Sourate ni le verset, mais on sait qu'il s'agit de la sourate 24
verset 51.
]93
Cf. Le jugement na 29 précité. Nous avons en effet du mal à localiser cette affirmation
dans la Moukhtasar de Khalil.

77
la question de savon" SI ces témoins doivent prêter serment reste
discutable 195.
Cette jurispnldence qui ne s'embarrasse pas de détails de procédure
est bien avantageuse pour les femmes l 96. Sa conception extensive de la
notion de "darar" (préjudice) risque même d'être préjudiciable aux époux.
Les femmes ne pourraient-elles pas s'en prévaloir pour invoquer n'importe
quoi? Etant entendu qu'il n'y a pas de "petit ou de grand préjudice" ; le
préjudice quel qu'il soit reste un préjudice. Ne pourrait-on pas, au moins,
excepter les "petits préjudices" ? De plus, les modes de preuve consacrés
sont réduits à leur plus simple expression : la lumeur publique ou la
commune renonunée suffisent pour attester tout préjudice porté par un mari à
sa femme. Le Cadi en a notamment décidé ainsi dans la présente espèce car,
il n'a écouté que les trois témoins que la plaignante lui a présentés, lesquels
ont déposé avoir maintes et maintes fois entendu dire que Momar Diack ne
cessait de porter préjudice à sa femme dans ses droits d'épouse.
Il existe cependant des cas où la jurispnldence se montre assez
tatillonne en exigeant tout d'abord que les torts imputables au mari soient
bien établis avant le prononcé du divorce, comme ce fut le cas des époux
Fatou et Macoumba qui comparurent deux fois en justice. Lors de la
première audience tenue le 29/01/1931 à Saint-Louis, la nommée Fatou qui
ne pouvait fournir aucune preuve à l'appui de sa demande, fut d'abord
condamnée à regagner son domicile conjugal avant que son mariage ne fut
dissous au cours de la seconde audience tenue le 10 mars 1931. En tojJe de
19~ Cf. Y.L.D. Bellefonds, traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. II, p. 480.
19)
Cf. At Tassouly Abi Al Hassane Aliou Ibn Abd As-Salam, Kitab AI Bandja Fi Chavhi
Tohfa,1. 1, Caire, 1317 H., p. 247 et s.
196
Or, il sera regrettable de constater l'absence d'une telle jurisprudence dans les litiges
concernant les femmes battues ou maltraitées par leur mari (v. notre me Partie, Ch. I).

78
fond de cette affaire, il y avait une demande en paiement de 12 mois de frais
d'entretien fornmlée par la femme qui, en plus, avait abandonné le domicile
conjugal.
Le mari interpellé répondit qu'à chaque fin de mois, il donne à sa
femme 100 kg de riz et 100 F en espèces, mais la femme vend le riz. Et ayant
réduit les 100 kg de riz à 50, la femme continue à le gaspiller. Il ajouta que
pendant qu'il était à l'hôpital, sa femme a quitté le domicile conjugal en
emportant tous ses bagages.
En statuant dans le fond, le tribunal a donné le tort à la femme qui
quitta le domicile conjugal sans l'autorisation de son mari. On la condamna
par conséquent à regagner le domicile conjugal à charge pour le mari de
l'entretenir convenablement.
Mais, comme on vient de le signaler, cette affaire sera de nouveau
portée devant le juge lorsque la femme assigna encore le mari en déclarant
que celui-ci ne l'avait pas entretenue comme le tribunal le lui avait ordonné.
Le mari interrogé de nouveau, déclara qu'il n'assurerait pas l'entretien de sa
femme et ne la divorcerait pas non plus.
Pour rendre son jugement, le tribunal se référa à la doctrine de Sidi
Khalil qui enseigne que si le mari se déclare être hors d'état de fournir la
pension alimentaire en cours et que la femme s'adresse à la justice, le juge
ordonne au mari dont l'indigence n'est pas établie de fournir la pension
alimentaire ou bien de prononcer le divorce confonnément à la loi
musulmane. Par ces motifs, le tribunal déclara dissous le mariage ayant
existé entre les deux parties.

79
Ces jugements ne soulèvent aucun débat particulier. Il serait donc
inutile d'en multiplier les exemples.
La deuxième catégorie de droits essentiels reconnus à la femme
mariée, qu'il importe à présent d'étudier, est le droit aux rapports intimes. Le
mariage étant lui-même défini par les Foukahas comme un contrat qui fait
acquérir le droit de jouir de la personne du conjoint 197, le terme technique qui
le désigne est celui de Nikah, c'est-à-dire l'acte de copulation l98 . Mais la
doctrine discute la question de savoir si les rapports sexuels qui « sont l'obj et
principal du mariage à l'égard du mari peuvent être exigés par la femme »199.
La position de notre jurisprudence est bien éclairante à ce sujet. Pour nos
cadis qui appliquent le rite Malékite, les rapports intimes sont un droit que la
femme peut bien réclamer à son époux.
197 Cf. Chehata (Ch.), Droit musulman, Dalloz, 1970. p. 7l.
198
.
.
Op. Clt., p. 68.
199 YL.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, 1985, 1. II, p. 297.

80
CHAPITREH
LE DROIT DE L'EPOUSE AUX RAPPORTS INTIMES
Ce qui est frappant au sujet d'un tel droit, outre le fait qu'il semble
élémentaire et dérisoire comme la Nafaqa, c'est qu'il est d'abord difficile à
exercer par la conjointe. Il est ensuite difficile à mettre en œuvre par la
justice du Cadi, étant donné qu'il se rapporte à ce qu'il y a de plus intime
dans la vie du couple: le coït.
La jurisprudence qui y a trait se répartit en deux principales
rubriques. Il y a d'une part, la délicate question de l'impuissance sexuelle du
mari qui a tant préoccupé la jurisprudence (Section 1). Il Y a d'autre part la
difficile garantie du droit de l'épouse aux rapports sexuels (Section II). Ce
plan que nous impose notre jurisprudence demande à être justifié. En effet, il
n'est pas sans intérêt d'aborder la question de l'impuissance du conjoint ici,
pour plusieurs raisons: 1°/ pour être valable, le mariage doit d'abord être
consommé. Or, l'impuissance sexuelle avérée du mari fait obstacle à un tel
résultat; 2°/la consommation du mariage conclu est un droit absolu pour les
époux, car la finalité naturelle de l'union conjugale est tout à la fois la
connaissance chanlelle et la procréation, l'aptitude physique du mari est
donc nécessaire à cet effet; 3o! enfin l'impuissance sexuelle du mari
constitue un vice rédhibitoire que les auteurs musulmans ont l'habitude de
traiter au chapitre du Nikah (le mairage) ; et il existe des décisions de justice
en la matière.

81
SECTION 1- L'IMPUISSANCE SEXUELLE DU MARI ET LE DROIT
DE L'EPOUSE A LA CONS01VIMATION DU MARIAGE
Sur le plan du droit, l\\impuissance sexuelle entraîne l'annulation du
manage. Mais l'action en annulation fondée sur ce vice est quelquefois
difficile à entreprendre surtout quand le mari déclaré impuissant refuse de
l'avouer. Aussi, la jurisprudence consacrée en la matière consiste-t-elle
d'abord à demander à la plaignante d'apporter la difficile preuve de
l'impuissance du mari défendeur avant que son mariage ne soit dissous.
Aussi, devra-t-on accorder un an de répit au mari présumé impuissant afin de
lui permettre de guérir de sa maladie, tout comme il pourra être "confronté"
avec sa femme devant des témoins qui se mettront à l'affût pour assister à
l'accomplissement du coït.
D'où deux difficultés à surmonter par la jurisprudence : l'une liée à
la preuve de l'impuissance du mari (§ 1), l'autre à la protection des avantages
matériels de l'épouse (§ 2).
§ 1 - Difficulté liée à la preuve de l'impuissance
Pour résoudre la délicate question de l'impuissance sexuelle du
mari, notre jurisprudence est souvent amenée soit à accorder le délai d'un an
au défendeur, soit à recourir à la logique de la "confrontation" des deux
époux.

82
A - L'octroi d'un an de délai
La doctrine Malékite consacrant l'octroi d'un an de délai au mari
impuissant
a fait
l'objet
de
plusieurs
applications
à travers notre
jurisprudence. Ainsi, dans l'affaire jugée le 18/12.1896 concernant les époux
Ahmad Sakho et Maïmouna Seck, le Cadi de Saint-Louis accorda un an de
répit au mari impuissant pour consommer le mariage. Il entendait ainsi le
faire traverser les "quatre saisons de l'année": l'été, l'hiver; le printemps et
2oo
l'automne
.
Nous reviendrons sur l'importance attachée par les légistes à la
théorie des "quatre saisons de l'année". Pour l'instant, rappelons les faits de
cette affaire qui sont relativement simples: la nommée Maïmouna Seck, qui,
en l'espèce, assigna son mari en justice, prétendait que ce dernier n'a pas eu
de rapports sexuels avec elle lors de leur nuit de noce et celui-ci l'accusait, en
plus, de n'être pas vierge. Le mari interpellé dit que la femme l'accusait d'être
impuissant et avait propagé la nouvelle, d'où sa riposte: il l'accusait à son
tour de n'être pas vierge.
n fut ensuite demandé au mari de dire s'il avait vraiment des
rapports intimes avec sa femme et il répondit par la négative. Le Cadi
demanda alors à la femme le pourquoi et celle-ci répondait qu'elle ne s'y
opposait pas en tout cas, avant d'ajouter que si le mari désire avoir des
rapports avec elle, il n'a qu'à venir avec des témoins. Ce défi ne sera pas
relevé par le mari qui regrettait, disait-il, de ne pouvoir répondre sur le
champ à la sollicitation de sa femme.
200 Jugement n° 36.

83
Le tribunal conclut qu'il était impuissant et lui assigna un an de
délai pour consommer le mariage. Il fut ensuite condamné à entretenir la
femme pendant ledit délai comme l'enseigne le livre intitulé "Aqrab a1-
Massalik,,201. Le Cadi citant cet ouvrage disait que le délai à accorder au mari
impuissant libre est d'un an tandis que pour le mari esclave, ce délai devra
être réduit de la moitié.
Le tribunal a notamment fait une juste interprétation de la loi
musulmane en l'espèce. Celle disposant d'après Ibn Acim (vers 466 de la
Tohfa) que "lorsque l'infinnité du mari consiste dans l'impuissance ou la
lèpre et qu'une action a été intentée devant le Cadi, celui-ci lui donnera un
délai d'une année complète [... ]. Après cela, s'il n'y a pas eu guérison, il
prononcera le divorce" (vers 467, op. cit.).
En assignant le délai au défendeur, le Cadi prit le soin de préciser:
"Nous lui accordons un délai d'un an afin qu'il traverse les quatre saisons de
l'année,,202, La doctrine est assez laconique sur la question du délai à
accorder à l'impuissant. Ainsi, la Rissala d'Ibn Abou Zeid Al Kayrawana se
contente-t-elle d'enseigner qu'à "l'impuissant on accordera le délai d'un an
pour consommer le mariage. Si durant ce délai, il arrive à coïter, c'est tant
mieux, sinon la résolution du mariage pourra intervenir sur la requête de la
femme ,,203.
Un spécialiste de l'Abrégé de Khalil demeurant au quartier Nord
Saint-Louis nous a expliqué pourquoi les Cadis précisent le délai à accorder
201
C'est-à-dire le "raccourci", un ouvrage du Fiqh Mlékite bien connu au Sénégal. Par
ailleurs, l'opinion apparente d'Ibn Rouchd, précise Khalil, est qu'aucun entretien n'est dù à
l'épouse durant ce délai (Cf. L'Abrégé, trad. G.R. Bousquet, Maisonneuve, 1956, livre n,
p.39).
202
Voir le jugement nO l, déjà rapporté.
203
Ibn A. Zeid al Kayrawani, La Rissala, s.d., Dar fila, Beyrouth, p. 471.

84
à l'impuissant par l'emploi de l'expression "traverser les quatre saisons de
l'année", c'est-à-dire l'hiver, l'été, le printemps et l'automne. D'après cet
érudit nommé Serigne Ndiaye, les Cadis espèrent par-là que l'effet
climatique de l'une des quatre saisons agisse favorablement sur la santé de
l'impuissant et le guérisse à la longue. Cela pourrait être, par exemple, le cas
de quelqu'un qui perd sa virilité quand il fait froid et qui la retrouve pendant
la période de chaleur. D'où l'intérêt de le faire patienter pendant un an afin
qu'il "traverse les quatre saisons de l'année" comme le disent les magistrats.
Cette jurisprudence avait été déjà appliquée dans une affaire un
peu similaire jugée le 14 septembre 1889 entre la nommée Fatimata Thioye
et son mari Mandiaye Lébou204. Le père de la dame avait porté plainte contre
son gendre en déplorant le fait que le mariage de sa fille célébré depuis
longtemps n'avait pas encore été consommé. Le tribunal, considérant que le
mari avait avoué lui-même son impuissance, lui assigna le délai d'une année
dans le but de "le faire traverser les quatre saisons de l'année".
Notons que le Cadi a tout simplement entendu être compréhensif à
l'égard du défendeur en lui impartissant un an de délai. Sinon la procédure
doit être différente selon que le mari avoue ou non son infirmité. S'il nie être
impuissant ou reconnaît sa maladie mais espère pouvoir s'en guérir, on lui
accordera un délai, mais s'il l'avoue, aucun délai ne lui sera, en principe,
assigné, le mariage devra être immédiatement résolu ; comme ce fut le cas
dans l'affaire des époux Mar Alkhafiza et ~1me Coumba Bâ jugée le
20/01/1898. Aucun délai n'a été imparti au sieur Alkhafiza qui reconnut
publiquement son impuissance devant le Cad?Os.
204
Jugement nO 37.
105 Jugement n° 38.

85
Le tribunal n'ayant pas jugé nécessaire de lui accorder un délai,
son cas étant désespéré, fit immédiatement annuler le mariage. Et la femme
faisant acte de générosité à son égard, renonça à lui réclamer le "kali" de sa
dot; c'est-à-dire le reliquat de la dot qui lui était dû.
Ibn Acim enseigne à ce sujet que "toute infirmité que l'on ne peut
espérer voir cesser, la décision de justice devra intervenir sans délai,,206. En
revanche, il ressort des enseignements d'Ibn Qodama, le Hanbalite, que le
mari, quoique reconnaissant son infirmité, aura toujours droit à un délai
avant le prononcé du divorce. Cet auteur dit: "si une femme prétend que son
mari est affligé d'impuissance sexuelle (inine) et qu'il est incapable de
s'acquitter de ses devoirs conjugaux, on accordera au mari, s'il reconnaît la
véracité de la déclaration, un délai d'un an à partir du moment où la plainte
est déposée. Au terme de ce délai, si le mari ne s'est pas acquitté de son
devoir conjugal, la femme peut opter soit pour le maintien du mariage soit
pour sa dissolution,,207.
La Chambre Musulmane de la Cour d'Appel de l'A.O.F. a, par
ailleurs, été amenée à rappeler les conditions normales d'octroi dudit délai ..
Dans son arrêt du 06/12/1935, elle rejeta la décision rendue par le Cadi de
Rufisque qui, selon elle, avait prononcé à tort, au bénéfice du mari, un sursis
20s
d'un an avant de statuer sur la demande de la femme
. La Cour estimait que
ce sursis n'aurait été justifié confom1ément à la coutume coranique (sic) que
206 Ibn Acim, La Tohfa, Trad. L. Bercher, alger, LE.O., 1958, vers 465, p. 71.
207 Laoust H., Précis de Droit d'Ibn Qudama, Beyrouth, 1956, p. 185.
208
Arrêt n° 39. Cet arrêt retrouvé aux Archives de la Cour d'appel de Dakar, n'a pas été
entièrement rédigé. Nous n'en possedons qu'une partie. Mais, c'est en appliquant l'adage
arabe qui dit : "ce qu'on ne peut pas tout avoir on n'en abandonne pas une partie" (MALA
YOUDRAKOU KOULOHO LA YOUTRAKOU BA'DOUHO) que nous avons jugé
opportun de ne pas négliger la seule partie que nous possédons de ce document.

86
si le mari faisant l'aveu de son impuissance sexuelle avait déclaré son
intention de se faire soigner et demandé un délai pour ce traitement.
En l'espèce, considérait la Cour, il incombait au Cadi d'ordonner
au mari de faire, dès à présent, la preuve de ses dires par un des modes de
preuve prévus par la coutume: le congrès des matrones, le beurre rouge ou le
serment. La Cour reprochait au Cadi de Rufisque d'avoir automatiquement
accordé un an de délai au mari accusé d'être impuissant par sa femme. Le
juge d'appel considérait qu'il fallait tout d'abord que le mari avouât son
infirmité et manifestât le désir d'aller se soigner. Aussi, étant donné qu'il
affirmait la fausseté des allégations de sa fenune et prétendait n'être pas
impuissant, devrait-on lui ordonner d'administrer la preuve de sa virilité. La
solution dégagée par la Cour d'Appel est bien conforme aux textes.
Il reste que cette jurisprudence est pleine de maladresses et de
bizarreries. A deux reprises, la Cour a évoqué la "coutume coranique" et la
"coutume coranique locale". Or, qu'est ce qu'une "coutume coranique
locale"? A notre avis, cette notion n'a nulle part été consacrée par les
docteurs de la loi musulmane. Si par cette formule la Cour vise les coutumes
tolérées par le Coran, il faudrait dans ce cas, reconnaître que l'expression est
malheureuse. Existe-t-il en l'espèce, une coutume susceptible d'être tolérée
par le Coran? Les modes de preuve de virilité mentionnée dans l'arrêt tels le
"congrès des matrones" et le "beurre rouge" constituent-ils des "coutumes
coraniques" ?
Ces modes de preuves appartiendraient plutôt aux coutumes des
Lébous de Rufisque et de Dakar qui relevaient de la compétence du Tribunal
français sauf s'ils préféraient adopter un «statut réservé» qui donnait
compétence à la juridiction du cadi. Les originaires des quatre communes de

87
plein exerCIce demeuraient soumIS à leurs coutumes plus ou moms
islamisées dont ils avaient réclamé et obtenu le maintien. Cette diversité de
statut civil, de statut coutumier et musulman, a dû induire en erreur le juge
d'appel qui invoque «la coutume coranique locale », «le Congrès des
matrones» et le « beurre rouge ».
Chabas a également évoqué ces coutumes de manière laconique:
« la preuve de l'impuissance peut être faite devant le tribunal lui-même qui
dispose à cet effet d'installations spéciales »209. Le « Congrès des matrones»
et le «beurre rouge» constituent-ils des éléments de ces «installations
spéciales»?
Ces
dernières
constituent-elles
une
coutume
coramque
locale» ?
Pour nous cette question est discutable parce que le "congrès des
matrones ne peut légalement être utilisé que pour témoigner des choses que
l'homme ne peut examiner lui-même comme la virginité ou l'existence d'un
mal affectant les parties génitales de la femme. Or, tel n'a pas été le cas dans
l'espèce. Qu'est-ce qu'un "congrès de matrones" peut-il faire dans une affaire
concernant un mari impuissant? Sinon de constater si la mariée a été ou non
déflorée. Et même en pareil cas, S. Khalil reste catégorique: la fenune qui
affirme sa virginité doit prêter serment, ou bien si elle est tenue pour
incapable ou contraignable son père prête serment à sa place, "mais on ne
fait pas procéder à son inspection corporelle par les femn1es si elle n'y
consent pas"210,
20.9
Chabas J., Le mariage et le divorce dans les coutumes de ouolofs, L.G.DJ., 1952, p.
13.
210
Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi Musulmane, trad. G.H. Bousquet, Maisonneuve,
1956, livre Il, p. 40.

88
Quid du beurre rouge mentionné dans l'arrêt? Nous ignorons en
quoi consiste cette pratique. Nous avons beau interroger les personnes qui
ont vécu l'époque où l'arrêt a été rendu afin de savoir conunent la "technique
du beurre rouge" sert à prouver la virilité d'un homme accusé d'être
impuissant. On ne nous a jamais rien dit de sûr sur cette question. Il ne nous
reste donc qu'à imaginer une chose horrible; le beurre rouge servirait à être
appliqué sur les parties génitales de l'impuissant afin de stimuler (ou de
tester) sa virilité. Une telle coutume (pourvu qu'il en existe) ne saurait être
tolérée par l'Islam. Car la charia ne permet pas que le "awra" (les parties
intimes du corps de la personne) soit exposée, sauf en cas d'extrême
nécessité. Même au moment du lavage rituel du mort, son "awra" doit rester
caché.
Il n'est pas non plus évident que la charia puisse admettre ce qu'il
conviendrait d'appeler la "confrontation intime" des époux et le coït
accompli devant des témoins.
B - La "confrontation intime" des époux
Nos cadis ont eu souvent recours à ce qu'il conviendrait d'appeler
la logique de confrontation des époux. Le procédé consiste à enfermer les
mariés dans une chambre et à les obliger à consommer le mariage séance
tenante.
Une confrontation fut organisée par le tribunal musulman de Saint-
Louis en date du 1110211894 entre la nommée Magatte et son mari, le sieur
211
Ankam
• La fenm1e accusait le mari d'être impuissant; elle prétendait être
restée un an et quelques jours chez lui sans qu'il parvint à la déflorer. Le mari

89
interrogé réfuta les allégations de la femme et affirma avoir bien accompli le
coït avec elle comme le ferait tout mari avec sa femme.
Après avoir examiné l'affaire, le Cadi jugea nécessaire d'introduire
les deux époux dans une chambre avec une natte. Et le mari fut invité à
accomplir le coït avec sa femme s'il en était capable comme il le prétendait.
C'est à ce moment qu'il se résolut à avouer son impuissance. Le tribunal
annula le mariage et le condamna à verser à la femn1e le complément de la
dot (le kali) qui lui était dû.
Cette jurisprudence sera de nouveau consacrée dans le litige
survenu le 17/0211894 entre la nommée Sada Gaye et son mari Haly Diop212.
En l'espèce, le mari exigeait que ses beaux-parents lui remettent sa femme.
Cette dernière prétendait en revanche avoir été bien remise à son mari, mais
il n'avait pu accomplir le coït avec elle.
Le tribunal considéra dès lors que la femme accusait le mari d'être
impuissant. Ce dernier interrogé, réfuta les allégations de la plaignante et
prétendit être capable de coïter.
Le Cadi ordonna que les deux époux rentrassent dans une chambre
avec des témoins postés à l'affût. Mais une fois que les intéressés se
retrouvèrent dans la chambre, la femme refusa de se coucher. Cela prouva au
Cadi que ses accusations n'étaient pas fondées. Elle fut condamnée soit à
restituer la dot au mari soit à regagner son domicile.
21]
Jugement nO 40.
212 Jugement n° 41.

90
Cette jurisprudence n'entraîne aucun inconvénient du point de vue
de la doctrine. Au demeurant, elle consacre une coutume qui est bien de chez
nous. Et l'on sait que la coutume peut bien intégrer la charia comme en
atteste la correspondance échangée entre le Cadi Bécaye Bâ de Saint-Louis
213
et le Cadi Aliou Ndiaye du village de Sabe
.
Cependant, la coutume consistant à confronter les époux doit être
pratiquée avec beaucoup de prudence. Car les témoins qui doivent assister au
coït ne doivent pas être très proches de leur objectif: ils ne doivent pas voir
l'acte sexuel s'accomplir clairement sous leurs yeux. L'Islam ne tolère pas
une telle indiscrétion. Car d'après les recommandations du Prophète, le coït
légal doit s'accomplir dans la discrétion (Assoutrou)Z14. Aussi, un hadith
interdit-il au mari de révéler ce que sa femme fait ou dit au moment des
rapports : "le pire des hommes auprès de Dieu est celui qui couche avec sa
femme et qui, par la suite, divulgue ses secrets. Celui-là est comparable au
Satan qui copule avec sa partenaire sous le regard des hommes"Z15. On
considère également que la présence d'une tierce personne, même aveugle,
ou dormant ou en bas âge dans la chambre nuptiale, doit naturellement
empêcher les époux d'avoir des rapports intimes"Z16.
On pourrait donc conclure de ces textes que la coutume permettant
le déroulement de l'acte sexuel en présence de témoins, même discrets, est
bien discutable; conmle, du reste, la protection des avantages matériels de la
victime de l'impuissance du mari est quelquefois mal assurée.
213
Cf. Document nO 1 à l'annexe.
214 Mansour Cheikh, At- Tadj Al Diamilil Usul Dar Fila, Beyrouth,
1986, 1. II, p. 380.
215 M
Ch 'kh
.
ansour
el
,op. cn. p. 310.
216 Dr. Wahaba Zahily, AI Fiqh al Islarni Dar Fikr, Beyrouth, 1984,1. 7, p.322.

91
§ 2 - Protection des avantages matériels de l'épouse
Le droit musulman protège les avantages matériels de la femme
découlant du mariage. Il lui garantit ses frais d'entretien et sa dot même au
cas où son mariage n'est pas consommé du fait de l'impuissance du mari.
A - Le paiement des frais d'entretien dus à l'épouse
Il conviendrait de montrer à l'aide de deux cas de figure, comment
ce droit est interprété dans la pratique par nos magistrats.
D'abord, le tribunal de Saint-Louis a condanmé un mari à payer
des frais d'entretien à une femme dont le mariage n'avait pas été consommé à
cause de son impuissance sexuelle. Le juge avait été saisi de cette affaire en
date du 5/12/1959 par la plaignante du Dom de Mme Ndiaye qui lui
demandait de trancher le litige l'ayant opposé à son mari, le sieur Mbagnick
B., gérant de "sécco,,217, à Kaolack, accusé d'être impuissant2H;.
217 Magasin où on stockait des graines d'arachides destinées à la semence.
218 Jugement n° 42.

92
Les faits de la cause sont racontés ainsi qu'il suit. La plaignante
disait: "Mes parents ont invité mon mari Nlbagnick B. à consommer notre
mariage. Et ce denlier est resté plusieurs jours chez nous sans avoir accompli
une seule fois un rapport intime correct avec moi. Il emploie la main pour me
chatouiller, et déclare qu'il a la "khala", sorte d'émotion qui empêche
l'érection et l'acte sexuel. Attribuant à mes "gris-gris" la cause de ses
difficultés, il me les a tous enlevés avec ma pennission. Ayant encore
déclaré que je n'ai pas consenti aux rapports sexuels, n10n frère, pour m'ôter
toute résistance, m'a tellement battue que j'en suis devenue malade. Mon
mari prétexte ensuite que je n'étais pas vierge avant d'avouer qu'il était
impuissant et me suppliait de ne pas le déshonorer et de confinner que nous
avons eu des rapports sexuels [... ]. Pour moi, malgré le magnifique cadeau
qu'il m'a offert, l'essentiel n'est pas encore fait. Je demande le divorce parce
que je ne puis rester sans mari et encore moins de m'unir pour la vie à un
homme pour la faffile".
Le mari non comparant convoqué quatre fois, se contenta
d'adresser une lettre au juge, déclara qu'il a eu, durant une semaine, deux
rapports avec sa femme, la plaignante qui, selon lui, n'était pas vierge ;
demanda une expertise médicale pour confim1er sa déclaration. Il réclama
son épouse et un an de délai pour essai et proposa de tout perdre si à l'issue
de cette période, il ne pouvait la satisfaire. Mais entre-temps, il se résolut
d'accepter le divorce en déclarant dans une lettre : "je tiens à faire
comprendre que je n'ai aucune épouse à Saint-Louis, je n'ai que mon argent,
c'est-à-dire le remboursement de ma dot".
Le tribunal appliqua aux faits de l'espèce le vers 462 de la Tohfa et
le texte de S. Khalil. Se basant d'abord sur la Tohfa (vers 462), il disait que
"si l'infirmité du mari est l'impuissance ou la lèpre et qu'il soit cité devant le

93
cadi, le magistrat lui accordera le délai d'une année entière. Et il faut que le
mari l'accepte; s'il nie les déclarations de sa femme, il faut un sem1ent pour
les réfuter. S'il prête selment, on lui donne sa femme; s'il refuse, le mariage
est dissous". Evoquant ensuite la doctrine de S. Khalil, le juge affirmait que
HIa totalité de la dot est due par suite de l'acte sexuel ou du refus par le mari
de consommer le mariage H. Enfin,
le tribunal prit acte du divorce prononcé par le man, dit qu'aucun
remboursement de la dot ne sera effectué et condamne le mari à payer à la
dame la somme de 21.000 F pour frais d'entretien durant 7 mois.
Ce qui est d'abord frappant en l'espèce, si du moins, l'on en croit
les déclarations de la plaignante, c'est que celle-ci a été battue à mort par son
frère pour être soumise à son mari. Cette violence banalisée montre, en fait,
l'état de subordination dans lequel la fem.rne était tenue à l'époque. Les filles
étaient contraignables au mariage et leur minorité ne prenait presque jamais
fin 219. Nos us et coutumes islamisées étaient de ce point de vue influencés
par le rite Malékite qui considère que la seule consommation du mariage
no
n'entraîne pas de plein droit l'émancipation de la femme
.
Au demeurant, les faits de l'espèce nous montrent que la plaignante
a été victime de violences physiques, tout comme elle a subi de nombreuses
pressions psychologiques de la part du mari. Or, qu'est-ce que la justice a pu
faire pour la défendre? Sinon que de prendre acte du divorce prononcé
implicitement par le mari. Celui-ci a été certes condamné à la dédon1illager ;
il devrait notamment lui payer 21.000 F de frais d'entretien durant 7 mois.
219
Dans une affaire rel ativernent récente jugée le 17/0311971, une fille mariée contre son
gré déclarait en justice: "C'est mon père qui m'a obligée ... Je préfère être fusillée que de
continuer à vivre avec mon mari que je n'ai jamais aimé" (Voir jugement nO 43 à
l'annexe).
220
Siband G., Répertoire alphabétique de la jurisprudence musulmane, Lib. Ferraris,
Alger, 1957, p. 168.

94
Une peine perdue, semble-t-il, car le mari récalcitrant qui n'a même pas
daigné revenir à Saint-Louis depuis son forfait payerait-il cette somme?
Encore qu'à cette époque le tribunal ne semblait pas disposer de moyens
logistiques pour faire exécuter ses sentences.
Mais cet inconvénient est peu grave pour les épouses qUI, en
pareilles circonstances, ne demandent qu'à obtenir le divorce et à reprendre
leur liberté sans avoir à rembourser la dot.
Le mari incriminé a été condamné à payer les frais d'entretien dus
à la plaignante avant le divorce. Mais si sa bonne foi était établie, le cadi lui
aurait accordé un an de délai et l'aurait, en même temps, dispensé de toute
obligation alimentaire à l'égard de la femme. La jurisprudence s'est
prononcée en ce sens le 20/0811938 : le tribunal de première degré de Fatick
statuant en matière de "coutume sérère islamisée a dispensé un mari déclaré
impuissant de toute obligation alimentaire à l'égard de sa femn1e durant le
temps que durait leur séparation. Il s'agit de l'affaire ayant opposé la nommée
Fata Nd. à son mari Kholé F. Ce dernier avait exposé ses moyens de défense
ainsi qu'il suit: "Après six mois de fjançailles, j'ai épousé la nommée Fata
Nd. ; sa main m'a été accordée par son père. Je l'ai reçue chez moi où j'ai
consommé le mariage. Après deux mois de vie conunune, elle a déserté le
domicile conjugal. Pendant son absence, fai constaté une certaine faiblesse
chez moi. Quand Fata est venue, elle a constaté cette faiblesse et elle a publié
mon impui ssance et refusé de rester chez moi" .
La parole ayant été donnée à ta femme, celle-ci répondit: "Mon
mari est impuissant. C'est pourquoi je ne veux plus vivre avec lui. Il était en
état d'impuissance avant notre mariage. Car, il n'a pas consommé le mariage
jusqu'à présent. A la question du juge: "votre femme dit que vous n'avez pas

95
consommé le mariage", le mari répliqua: 'Tai consommé le mariage. J'ai
trouvé qu'elle n'était pas vierge" 0
Le tribunal après avoir entendu les prétentions des parties et après
en avoir délibéré, prit la décision suivante: "Attendu que le nommé Kholé
(00') allègue que sa femme Fata Nd. a déserté le domicile conjugal malgré
une faiblesse sexuelle toute provisoire dont il se recoill1aît atteint et pour la
guérison de laquelle, il suit actuellement un traitement ... , dit que le délai de
traitement d'un an, à compter de ce jour, est accordé au nommé Kholé F. ;
(... ) dit que la femme est autorisée à vivre chez ses parents, le mari étant
dispensé de toute obligation d'entretien durant le temps que dure leur
séparation,,22J.
Ces deux cas de figure sont légèrement différents. Dans le premier,
le mari a été condamné à payer à sa femme les frais d'entretien qui lui étaient
dûs avant qu'il n'ait décidé de la répudier. Dans le second cas, le mari a été
dispensé de toute dépense vis-à-vis de sa femme, du moment qu'il se
reconnut atteint d'une "faiblesse sexuelle provisoire"
Mais il est une autre
0
différence à souligner entre les deux cas.
Dans le premier, il a été décidé qu'aucun remboursement de dot ne
serait effectué par la femme. Mais que signifie le maintien de la dot à côté de
tant de souffrances physiques et morales endurées par la femme?
221
A.I.K., t. 1eT deg. Fatick. Affaire Musulmane, D. 1938.

96
B - Le maintien du bénéfice de la dot
On se b0111era ici à rappeler la jurisprudence qui décide du sort de
la dot après le mariage annulé avant consommation. En effet, le Fiqh attache
beaucoup d'importance à la consommation du mariage mais il n'en fait pas
une condition sine qua non d'octroi de la dot à la femme.
La jurisprudence a notamment considéré que la totalité de la dot
est acquise à l'épouse si le conjoint est atteint d'une impuissance
physiologique avérée222. Qu'est-ce qui justifie l'attribution de la dot à la
femme en dehors de toute consommation réelle du mariage?
Pour décider ainsi, la doctrine et la jurisprudence ont eu recours à
l'institution de la "Khalwa" qui veut dire l'entrevue privée entre les deux
époux à l'abri de tout regard indiscret. La véritable "khalwa" faisant acquérir
la dot à la femme a lieu quand les époux pénètrent dans un endroit isolé,
tirent les rideaux ou ferment la porte223 .
Un hadith dit : "Quiconque fait dénuder une femme et la regarde,
lui devra la dot, qu'il ait ou non consonuné le mariage,,224. Aussi certaines
conditions doivent-elles être remplies pour que la "Khalwa" équivaille à la
consommation du mariage. La doctrine exige notanmlent qu'il n'existe pas
d'empêchement d'ordre physique ou religieux au moment de la "Khalwa".
L'empêchement d'ordre physique peut résider dans la trop grande jeunesse de
l'un des époux. Tandis que l'empêchement d'ordre religieux peut résulter du
222
Sabique S. Fiqh al Sunna, Dar Fila, Beyrouth, 1983, 1. II, p. 40.
223 Sabique S. Fiqh Al Suna, Dar Fikr, Beyrouth, 1983,1. TI, p. 140.
224 Dr. Wahba Z. Al Fiqh AIIslami, Dar Fikr, Beyrouth, 1984, t. 7, p. 326.

97
"jeûne" du "Ramadan" ou du fait que la femme a ses règles ou sort de
couches225 .
Ce qui est notamment intéressant à noter dans l'institution de
"Khalwa" c'est le fait que l'impuissance physiologique ne constitue pas un
empêchement d'ordre physique. La "Khalwa" de l'impuissant avec sa femme
entraîne les effets de la consommation réelle du mariage: elle fait du moins,
l
acquérir le droit à la dot à la conjointe. Le tribunal en a jugé ainsi dans
l'affaire rapportée ci-dessus, concemant Mbagnick Bâ, en décidant qu'aucun
remboursement de dot ne serait effectué par la femme.
Or, pour nous, ce jugement destiné à soulager la plaignante nous
paraît à la fois théorique et dérisoire. Il nous semble théorique car rien ne
prouve que le mari récalcitrant qui se trouvait à ce moment à Kaolack avait
accepté de se conformer à la décision du Cadi de Saint-Louis. Il nous paraît
également dérisoire parce que le bénéfice de la dot et de l'entretien qu'il
accorde à la plaignante ne représente pas grand chose par rapport à sa
dignité. De plus si l'on constate qu'en l'espèce, le mari entendait reprendre sa
l
dot après sa déconvenue, on serait tenté de croire que le douaire constitue le
prix d'achat de la fernnle. L'attitude de ce mari n'est pas, en tout cas, loin de
conforter la thèse de certains détracteurs de l'institution de la dot. On a
notan1ment soutenu que "de la même façon que quelqu'un qui a de l'argent
peut le dépenser pour acquérir un jardin, une maison, un cheval ou une mule,
on peut le dépenser pour obtenir une femme. De même que le prix d'une
maison d'un jardin ou d'un cheval dépend de sa taille, de sa beauté et de son
l
utilité de même que le prix d'une femme varie selon sa beauté, ou sa laideur,
l
225 YL.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, ] 965, t. II, p. 226.

98
de sa richesse ou de sa pauvreté"226 ; et "étant donné que l'homme et la
femme ont été créés égaux, le paiement d'un prix ou d'une rétribution n'a pas
de raison d'être,,227.
Cette critique est un tout petit peu exagérée. Il n'empêche qu'on
devrait en tenir compte afin de relativiser l'importance quantitative et
qualitative de la dot. Car est parfaitement valable en droit musulman
classique, le contrat de mariage dans lequel aucune dot n'est stipulée ;
comme en atteste une tradition attribuée au Prophète.
L'Envoyé d'Allah aurait dit à un homme: "veux-tu épouser teUe
fille (en nommant l'intéressée), celui-ci dit oui: Et il posa la même question
à l'intéressée qui répondit aussi favorablement. Et le prophète conclut :e
mariage qui ne comporta aucune dot. Le mari "vécut ainsi longtemps avec sa
femme. Ce n'est qu'à l'approche de sa mort qu'il se proposa de lui remettre,
en guise de dot, la t1èche par laquelle il combattait à la bataille de
Kh "b
,,228
ai ar
.
En outre, le droit de la femme aux rapports intimes a soulevé un
autre débat non moins intéressant: d'aucuns estiment que le mari n'est tenu
d'accomplir l'acte sexuel qu'une fois tous les quatre mois229 • D'où une
difficile garantie du droit de l'épouse aux rapports sexuels.
226
Ayatollah Mortada Motahari, Les droits de la femme ne Islam, trad. Par Ab al
Bostani, 1987, Paris, p. 136.
227 Ayatolla M. Matahari, on. cit. p. 138.
228 Dr. Wahba Zahily Al Fiqh al Islami Dar Fikr, Beyrouth, 1984, t. 7, p. 254.
229 Dr. Wahba Zahily, op. cit. p. 106.

99
SECTION II - LA DIFFICILE GARANTIE DU DROIT DE
L'EPOUSE AUX RAPPORTS INTIMES
Le droit à la cohabitation est un droit réciproque reconnu aux deux
époux. Il implique le droit aux rapports sexuels et l'égalité des co-épouses au
coït. Il est difficile à défendre et à réclamer en justice, eu égard aux
sentiments de pudeur dont il est entouré en terre d'Islam. Et ceci explique,
peut-être, le tàit que, dans la société musulmane, où la pudeur est considérée
comme une vertu230, la femme mariée qui subit le "préjudice de manque de
rapports sexuels,,231 a du mal à s'en plaindre devant le Cadi (§ 1). L'analyse
de la jurisprudence nous aura aussi révélé que la pratique de la polygamie
empêche quelquefois l'un des conjoints de jouir pleinement de son droit aux
rapports intimes (§ 2).
§ 1 - Préjudice résultant de « mangue de rapports intimes»
Nous n'avons rencontré que de rares cas concen1ant ce qu'il est
convenu d'appeler le manque de rapports sexuels ; et ces rares cas ont
entraîné l'application d'une jurisprudence constante, à savoir la rupture du
lien conjugal pour défaut de rapports sexuels.
230
D"
'l'b·
H d' h
.'
Ab
apres un ce e re . a It
rapporte par
ou Houraïra", la pudeur constitue une
parcelle de la foi" (N. Fathoul Bari, comm. D'Al Boukhari, Dar Al Maarifa, Beyrouth, t.
1, p. 51).
231
L'expression est ainsi consacrée par nos Cadis comme on le verra dans les pages qui
vont suivre.

100
A - La consistance du préjudice
Nous ne possédons, en fait, que cinq cas typiques où des femmes
mariées ont pris leur courage à deux mains pour dénoncer leur manque de
rapports in6mes. Les plaignantes utiliserons d'abord un langage voilé dans
les deux premiers cas que nous allons voir. Tandis que dans les trois autres,
c'est en des termes bien clairs que celles-ci exprimeront leur cause devant le
Cadi.
D'abord, dans llne première affaire jugée le 03/03/1958, une
plaignante du nom de Aïssatou C., déclarait devant le Cadi de Saint-Louis:
"voilà quatre ans que mon mari ne s'occupe pas de moi. J'ai besoin d'être à
côté de mon mari. Je ne peux rester sans mari. Je ne réclame aucun arrérage.
Je demande purement et simplement le divorce232.
En éclairant, d'abord, la pensée de la plaignante, le tribunal
précisait dans ses attendus: Ili1 résulte des débats que Aïssatou C. se plaint
du manque de rapports sexuels avec son mari pendant quatre ans et déclare
que ce manque de rapports peut entraîner de mauvaises conséquences.
Ensuite, se basant sur la doctrine de la Tohfa, le tribunal déclara dissous le
mariage ayant existé entre les deux parties.
Dans la deuxième affaire jugée le 24/0211960, la demanderesse
nommée Fatma S. déclarait "Mon mari m'a abandonnée pendant que j'étais
enceinte d'un mois environ. Je suis une simple femme et ne puis rester sans
cohabitation ni entretien233 . Le tribunal considérant que la femme peut
demander et obtenir le divorce contre son mari, sans rembourser la dot
232 Jugement n° 43, voir annexe.
233 Jugement n° 44, voir annexe.

101
lorsqu'elle est l'objet de sévices, mauvais traitements et manque de rapports
sexuels, dissout le mariage en question.
Dans la troisième affaire rendue le 25/11/1970, la demanderesse
nommée Salma D., disait sans aucun détour: "Depuis quatre ans, mon mari
est parti à destination inconnue me laissant deux enfants dont l'un est décédé
depuis l'année dernière. Je suis jeune, je ne peux rester sans rapports sexuels.
Je demande que le tribunal m'accorde le divorce234. Le h'ibunal, se fondant
sur la doctrine de S. Kha1il, fit droit à sa requête.
Dans une quatrième affaire similaire, jugée par le Tribunal
Musulman de Saint-Louis en date du 05/0811970 (l'affaire Fambaye N. cl son
mari le sieur Mbaye), la femme évoquait aussi sa jeunesse et disait qu'elle ne
pouvait supporter de rester sans rapports sexuels. La même jurisprudence lui
fut appliquée.
Enfin, dans la cinquième affaire jugée le 15/03/1972, la dame
Khady L. déclarait devant le Cadi: "Depuis 30 mois, mon mari Talla S. n'a
pas assuré mon entretien et durant 3 mois mon mari n'a plus voulu se mettre
en rapport avec moi. Quand je me couchais sur le même lit, il faisait des
gestes jusqu'à me faire tomber par terre,,235. Le mari interrogé, déclarait qu'il
n'avait pas refusé les rapports sexuels avec sa femme, mais c'est elle qui avait
abandonné le domicile conjugal bien qu'il lui eût remis un "cadeau de
conciliation". Mais la mère de l'intéressée confirma la déclaration de sa fille
en disant que son beau-fils Talla K. était de passage chez elle, mais sa fille
Khady L. lui avait signalé qu'il n'y avait aucun rapport sexuel entre eux.
234 Jugement n° 45, voir annexe.
235 Jugement nO 46.

102
Le tribunal prit une décision en faveur de la plaignante. Le mari fut
condanmé à lui verser 30.000 F et un délai de deux mois lui fut accordé pour
que sa femme regagne le domicile conjugal.
Signalons que nos Cadis n'ont jamais clairement défini ce qu'ils
entendent par "manque de rapports sexuels". Ils n'ont jamais précisé jusqu'à
quel seuil de tolérance on pourrait invoquer le manque de rapports sexuels.
Or cette question se discute dans la doctrine. D'où il serait intéressant
d'insister sur l'analyse des jugements qui décident de la séparation des
conjoints en cas de défaut de rapports sexuels.
B - La sanction du préjudice
Le principe selon lequel le manque de rapports sexuels justifie le
divorce a été constamment rappelé et appliqué à l'occasion de nombreuses
affaires. La fonnule généralement consacrée à cet effet est la suivante: "la
femme peut obtenir le divorce contre son mari lorsqu'elle est victime de ses
sévices, mauvais traitements et manque de rapports sexuels,,236.
Le droit malékite fait intervenir la notion de "darar" (préjudice), la
clef de coûte de son système, pour sanctionner le défaut des rapports sexuels.
D'après les juristes Malékites, les relations sexuelles sont un droit pour la
237
femme et une obligation à la charge du mari
. Du point de vue des
Foukahas Hanéfites, la conjointe a le droit de réclamer son droit aux
238
relations sexuelles et le mari est tenu, de la satisfaire
. Pour les Chaféites,
"le mari n'est tenu d'accomplir l'acte sexuel avec sa femme qu'une seule fois.
236
Plusieurs jugements comportent cette précision. Voir, à titre d'exemple, les jugements
n° 45, 44, 14 et 12 précités.
237 Dr. Wahab Zahily, Al Fiqh al Islami, Dar Filer, Beyrouth, 1983,1. 7, p. 106.

103
Car les relations sexuelles constituent un droit auquel le man pourrait
renoncer comme «il abandonnerait une maison prise en location ». On
entretient des relations conjugales avec sa femme en vue de trouver du
plaisir. Or, cela ne s'impose pas. Il est toutefois recommandé (Moustahaba)
au mari de ne pas négliger sa femme,,239. Enfin, pour les Hanbalites, le mari
non empêché a l'obligation de coïter avec sa femme, au moins, une fois tous
. 240
1es quatre mOls
.
Notons que ce sont les rites Malékite et Hanefite qui adoptent à ce
sujet les solutions les plus favorables à la femme mariée. Encore que l'école
241
Malékite ne fixe aucune durée à l'abstinence du rnari
, dès lors que la femme
soutient qu'elle éprouve un préjudice du fait de cette abstinence, le juge
242
pourrait prononcer la dissolution du mariage
.
Un préjugé détàvorable à l'égard de l'épouse est lié à l'interprétation
de cette doctrine par nos juges: nos cadis semblent nourrir quelques suspicions
à l'égard de la fennne mariée qui manque de rapports sexuels. Ils craignent
"qu'elle ne puisse être fidèle parce que le manque de cohabitation est plus
difficile à supporter que le manque de Nafaqa" 243 . Certains propos tenus par
des plaignantes renforcent également ces suspicions.
238 Ibidem, p. 106.
239 Ibidem, p. 106.
240 Ibidem, p. 106.
241 On discute la question de savoir si, en dehors de l'hypothèse de la "Illa", le mari a le droit
de s'abstenir de coucher avec sa femme. "IlIa" est le fait qu'un mari jure de s'abstenir d'avoir
avec sa femme des relations sexuelles entraînant pour elle le droit d'option pour sa
répudiation (v. Ibn Acim, La Tohfa, Trad. L. Bercher, Alger, 1958, p. 314).
La question de l'abstinence volontaire du mari semble avoir été bien résolue par le Prophète
quand il dit à Abdalla Abi Omar Ibn Al Ass en l'exhortant à respecter son devoir conjugal
vis-à-vis de sa femme: "Tu jeûnes le jour et pries la nuit.Mois je jeûne et interromps le soir;
je dors et contacte les femmes. Quiconque se détourne de ma Sunna n'est pas des miens" (V.
Dr. Wahba Z. Al Fiqh AI Islami, Dar Filer.
242 Y.L. De Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, 1. II, p. 298.
243 V
.
0
1
. supra, Jugement n
.

104
Que fàut-il penser, par exemple, quand une femme mariée ose dire
qu'elle est jeune et ne peut rester sans rapport sexuels244 , et que ce manque de
rapports sexuels peut avoir de mauvaises conséquences245 ? De tels propos ne
suggèrent-ils pas que la jeune mariée qui manque de rapports sexuels ne serait
pas capable d'être fidèle? Pire encore: quand une autre déclare: "je suis une
simple femme et ne puis rester sans cohabitation ni entretien" 246. Cela ne
semble-t-il pas insinuer qu'une femme tout court n'est pas capable d'être fidèle
à son mari?
Si les rapports intimes constituent un droit de l'épouse, son exercice
peut s'avérer difficile dans le cadre de la polygamie.
§ 2 - Difficulté de l'exercice des "droits sexuels" dans le cadre
de la polygamie
L'exercice des « droits sexuels» est bien malaisé dans la polygamie.
D'autant plus que le mari n'appartient pas exclusivement à une épouse en
particulier. Il doit plutôt faire l'objet d'un partage équitable entre ses épouses.
C'est ce qu'on appelle le "Qasam" , c'est-à-dire, le partage des nuits et des
faveurs maritales entre les femmes.
En effet, la jurisprudence fait obligation au mari d'être juste envers
ses épouses. Mais rien n'est précisé, sauf quelques rares allusions, au sujet de
l'égalité au coït. Une attitude assez juste de la part des juges, pourront-on dire,
car il est difficile d'admettre le principe de l'égalité quant au coït.
244
.
N · supra, Jugement n° 45.
245 N '
3
· supra, Jugement n° 4 .
246 N
.
· supra, Jugement nO 44..

105
A - L'obligation d'équité dans le "Qasam"
Mme Moughahriene dont nous avons déjà rencontré les critiques au
sujet de la Nafaqa, a pu écrire: "Le partage du mari est l'exemple typique de
rincongruité, car il n'y a pas dans le monde pire ennemi pour une femme que la
co-épouse,,247. Il y a, sans doute, une part d'exagération dans ce propos.
Il est vrai que la pratique injuste de la polygamie est très
préjudiciable à la co-épouse. Sinon le Coran n'aurait pas recommandé à un
homme qui craint de ne pouvoir traiter ses épouses avec égalité et justice, de se
248
contenter d'une seule femme
. L'obligation faite au mari d'être juste envers
ses épouses a été rappelée plusieurs fois à travers la jurisprudence.
En guise d'illustration, on pourrait d'abord citer la décision rendue
par le Tribunal Musulman de Saint-Louis le 07/07/1937. Les faits de la cause
sont les suivants: la nommée Mme Moulaye L. citant son mari devant le Cadi,
déclarait que depuis quelque temps, celui-ci l'avait privée de son entretien et de
ses deux nuits, et ce, malgré plusieurs démarches effectuées par elle auprès de
249
ce demier
. Le mari, le sieur Papa L., interpellé déclara que dans les mois
passés, il donnait à sa fen1ll1e 50 kg de riz avec une certaine somme mais après
avoir pris son repas, il a eu mal au ventre et à la suite d'une simple observation,
sa femme a manifesté le désir d'aller voir sa mère.
Après J'examen de l'affaire, le tribunal prit une décision qu'il articula
sur trois considérations: "Attendu que d'après la loi musulmane, le mari doit
entretenir sa femme suivant ses moyens et la traiter au même pied d'égalité
247 Ayatollah M. Motahari, Les droits de la felnme en Islam, Trad. Ab. A. al Bostani, Pris,
1987, p. 298.
248
C
V.
ora, S. N, verset 3.
249 Jugement n° 47.

106
avec ses rivales; Attendu que d'après la loi musulmane, la femme doit obéir à
son mari; Attendu que la femme demande son entretien et les nuits auxquelles
elle a droit". Le tribunal ordonna enfln à la dame de suivre son mari et de
satisfaire à tous ses devoirs conjugaux.
Cette décision a coupé la poire en deux. D'une part, le mari est
rappelé à l'ordre. On ne l'oblige pas à gâter sa femme; il doit tout juste la
nourrir selon ses moyens ; il doit être juste à son égard. D'autre part, la
plaignante a été obligée d'obéir à son époux, à le suivre et à satisfaire à tous ses
devoirs conjugaux. Les deux parties sont donc renvoyées dos à dos.
Or, la jurisprudence du tribunal n'avait pas adopté la même position
quelques années auparavant.
D'abord, dans une des toutes premières atIaires que le Tribunal
Musulman de Saint-Louis a eu à connaître en 1804, un nloÎs de délai fut
accordé à un mari reconnu injuste envers sa femme25o.
Celle-ci déclarait
qu'elle était abandonnée par son mari. Ce dernier, intelTOgé, prétendit être
indigent. Mais le Cadi constata que l'une de ses épouses vendait du bois de
chauffage lui appartenant au marché Guet Ndar. Illuj ordonna de partager le
produit de la vente entre ses épouses et il refusa. Un mois de délai lui fut
imposé pour entretenir sa femme et lui accorder ses nuits ou, à défaut, la
répudier. Le mari déclara séance tenante que le choix du divorce était les mains
de la femme; et celle-ci choisit le divorce.
2-0
:>
Jugement n° 48.

107
Ce jugement ne présente qu'un intérêt secondaire. Il rappelle
néanmoins l'importance accordée à la "vieiJle règle de partage des nuits,,25! et
les égards que le mari doit à ses différentes femmes.
Une décision similaire fut rendue le 04/11/1887 entre les époux
252
Fatou Gaye et Maïssa Ndiaye
. En l'espèce, la plaignante disait que son mari
avait cessé de passer la nuit chez elle et de la nourrir. Le mari interrogé
invoqua son indigence, mais ajouta que s'il s'abstenait de passer la nuit chez
cette femme et préférait rester chez sa rivale, c'est qu'elle femme avait une
mauvaise langue. Le tribunal donna tort au mari qui privait sa femme des nuits
auxquelles elle avai t droit et tenta (en vain) de les réconcilier.
La troisième affaire sur laquelle il faudrait insister est celle
253
intervenue le 03/11/1932 entre le sieur Touré et Mme M'Bénaye
. En
l'espèce, la dame déclarait que son mari à qui elle avait même présenté des
excuses, l'avait abandonnée et préférait sa rivale malgré qu'elle était en état de
grossesse. Par conséquent, elle réclamait ses nuits et sa nourriture. Le mari
comparant déclara qu'il était malade et préférait rester chez lui.
Le tribunal ouï les parties, rendit un jugement de principe dans
lequel il disait: "Attendu que la loi musulmane permet que, quand le mari, qui
a plusieurs femmes, tombe malade, il a droit de rester dans la chambre de celle
qui s'intéresse le plus à sa santé et qui lui donne le plus de soin; Par ces motifs,
le tribunal ordonne au sieur Touré de rester chez sa première femme pendant sa
maladie et d'assurer l'entretien de la dame M'Bénaye".
251 YL.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton 1956, 1. II, p. 286.
252 Jugement n° 49.
253 Jugement n° 50.

108
Cette jurisprudence pose le problème du partage égal des nuits entre
les co-épouses en cas de maladie du mari. La solution retenue par le juge est
conforme au texte de Khalil, mais elle est légèrement différente de la pratique
suivie par le Prophète lors de sa dernière maladie, et elle est donc discutable de
ce point de vue.
D'une part, Khalil enseigne qu'il incombe au wall (tuteur) d'un fou de lui
faire visiter ses femmes, et au mari malade d'observer le Qasam à moins qu'il
ne puisse poursuivre sa tournée; il demeure alors chez celle qu'il préfère,,254.
Ce qu'il importe de souligner, c'est que le mari polygame même malade, est
tenu de visiter ses femn1es à tour de rôle. Mais il a la faculté de se limiter à
l'une d'entre elles notamment à celle qui lui prodigue le plus de soin.
D'autre part, "pendant sa dernière maladie, et alors qu'il était trop
éprouvé, le Prophète observa scrupuleusement le principe de l'égalité de
traitement de ses épouses. Son lit était transporté d'une chambre à l'autre
chaque jour. A la fin, il appela toutes ses femmes et leur demanda la
permission de rester dans la chambre de l'une d'entre elles. Ayant obtenu cette
pennission, il se dans la chambre de Aycha,,255.
Il en ressort que même gravement malade, le Prophète prit d'abord la
précaution de consulter ses épouses avant de se fixer définitivement chez
Aycha.
Or, la solution consacrée par le Cadi dans l'espèce est susceptible
d'ouvrir la pOlie à la tricherie. Ne serait-il pas facile au mari polygame désireux
de favoriser une de ses femmes, de prétendre qu'il est malade afin de rester
254 Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi musulmane selon le lite d'Imam Malek, Trad. G.H.
Bousquet, Maisonneuve, Paris, 1956, livre il, p. 63.

109
auprès d'elle? Hypothèse d'école! pourrait-on dire. Mais cela pourrait bien
arriver si la religion qui interdit la tricherie, ne vient pas au secours du droit.
Le Prophète aurait d'ailleurs dit à ce sujet : "Quiconque a deux
épouses et ne les traite pas avec égalité, en manifestant une préférence pour
l'une d'elles sera traité le jour de la Résurrection de sorte qu'un côté de son
corps sera traîné par terre et le conduisant vers l'enfer,,256. On rapporte
également que Orwa Ibn Zoubair demanda un jour à Aycha, l'épouse du
Prophète, comment ce dernier traitait ses femmes; et Aycha répondit: "lI les
traitait avec justice et parfaite égalité. Il passait la nuit avec chaque femme à
tour de rôle. Si, par hasard, il voulait passer la nuit avec une autre, il demandait
d'abord la pemlission à la fenune à qui revenait le tour. Aycha ajouta: Quant à
moi, je ne lui ai jamais donné la permission d'aller chez une autre lorsqu'il me
le demandait,,257 .
La Charia a néanmoins fait quelques exceptions à la règle de l'équité
en matière de Qasam. Celles-ci s'appliquent notamment à l'épouse esclave, à la
nouvelle mariée vierge et au cas où le mari part en voyage.
L'exception concernant l'épouse esclave ne fait pas l'unanin1Ïté chez
les docteurs de la loi. Selon le Hanbalite Ibn Quodama, le mari est tenu de
passer une nuit sur quatre chez sa fem111e si elle est de condition libre, et une
255 Ayatolla M. Motahari, Les droits de la femme en Islam, 1987, p. 309.
256 Ayatollah M. Motahari, op. cit. p. 308.
257 Ayatollah M. Motahari, op. cit., pp. 308 à 309.
Aussi nous pouvons citer, à titre de comparaison, ce que raconte Omar Bâ au sujet du mari
polygame, tombé malade d'après les coutumes de Fouta : "C'est dans la case de "diévo"
(c'est-à-dire la première épouse) que le mari doit mourir. Celui-ci malade et même, à la
lisière des deux mondes, est transporté prestement de nuit comme de jour chez la première
où s'accomplissent les suprêmes fonnalltés, où se groupent les pleureuses, d'où il doit gagner
donc le cimetière" (Cf. Omar Bâ, La polygamie en Pays Toucouleur, Afrique Document, n°
64/07/octobre 1962. pp. 165-179.

110
nuit sur huit si c'est une esclave258 .
Pour Sidi Khalil, l'épouse esclave est
assimilée à la fenmle libre quant au Qasam259.
C'est l'école Malékite qui protège mieux ici les droits de la fenID1e en
général. Car que signifie la distinction faite en droit Hanbalite en matière de
Qasam entre femme esclave et tèlmne libre ? En effet, l'école Malékite
assimilant l'épouse libre à l'épouse esclave (qui, en principe, n'a pas de droit en
matière de Qasam) fait un net progrès vers l'émancipation de la femme.
En revanche, l'exception concemant la nouvelle épouse vierge a été bien
consacrée aussi bien par le droit Malékite que par le droit Hanbalite. Khalil
enseigne à ce sujet qu'on assigne à la nouvelle épouse vierge sept nuits
consécutives et à la déflorée trois, puis le mari reprendra sa tournée en
commençant par celle qu'il veut260 . Ibn Qudama professe, quant à lui, que
quand un homme épouse une vierge, il doit passer chez elle les sept premières
nuits avant de commencer sa tournée261 . S'il épouse une femme déflorée, il ne
. . ?6?
passera chez eIle que trOIS nmtS- -.
La troisième exception concerne le mari qui part en voyage. Les
légistes musulmans traitent cette question avec force de détails. Mais on n'en
retiendra que l'essentiel.
D'après la majorité des écoles, le mari polygame qui part en voyage
a le droit de choisir l'épouse qui devra l'accompagner, car c'est lui qui sait qui
SuppOltera le mieux le voyage et qui sera mieux indiquée pour s'occuper de la
258 Laoust H., Le précis de Droit d'ibn Quadama, Be)Touth, 1950, p. 192.
259 L'Abrégé de Khalil, Trad. G.H. Bousquet, Maisonneuve, 1956, livre Il, p. 63. La RissaJa
s'écarte de ce principe, v. Athamarou Daani, p. 473.
260 Kl
l'J
.
la l , op. clt. p. 63.
261 Laoust H., Le Précis d'Ibn Qudama, Bevrouth, 1956, p. 194.
~62
.
-
-
lbldem, p. 194.

111
26
maison en son absence .3. Le prophète avait cependant l'habitude de régler
264
cette question par le tirage au sort
. Avant d'entreprendre un voyage, "il tirait
au sort celle de ses femmes qui devait l'accompagner, il emmenait celle dont la
flèche sortai t,,265.
En revanche, si le partage égal des nuits entre les co-épouses est
obligatoire, le mari n'est pas tenu d'avoir avec toutes les mêmes rapports
266
sexuels
Peut-on exiger du mari polygame d'être équitable dans ce domaine?
B - L'impossible égalité quant au coït
Il n'a d'ailleurs jamais été question ni dans la doctrine ni dans la
jurisprudence, d'exiger du mari polygame d'être stIictement juste en matière de
coït. Les Cadis n'ont jamais tenté de réglementer cette question.
Par exemple, dans une correspondance datée du 30111/1916, le Cadi
de Saint-Louis se borna à fustiger la conduite d'un mari reconnu injuste envers
sa femme chez qui il restait seulement deux nuits alors qu'il passait quatre nuits
chez sa rivale.
Le Cadi précisait dans sa cOITespondance qu'un tel
comportement est préjudiciable à la plaignante, tout comme il est désapprouvé
par la Charia du Prophète267 .
Le contrôle de l'égalité quant au coït échappe à la compétence
matérielle du juge. n est même permis au mari de coïter davantage avec
l'épouse qu'il préfère.
263 V. Al Djesri Ab. R. Kitab Al Fiq Alal Madhaabib al arba-a, Beyrouth, éd. 1988, t. IV, p.
247.
264 Al D'
. Ab R
.
')4 7
~esn _
.
., op. Cl1. p. ~ 1.
265 Laoust H., Le Précis d'Ibn Qudama, Beyroutb, 1956, p. 193 et s.
266 Laoust H., Précis de Droit d'Ibn Qudama, Beyrouth, 1950, p. 193.

112
La question avait été bien posée à Ibn Taymiya en ces termes:
"Quid du mari qui préfère l'une de ses épouses [....] et couche davantage' avec
elle »? En réponse, Ibn Taymiya cita le Hadith qui dit : "Si un homme qui
épouse deux femmes penche vers l'une au détriment de l'autre, il aura le jour du
Jugement une partie de son corps penchée vers l'enfer [...] ; en revanche, il est
tout à fait licite au mari de coucher davantage avec l'épouse qu'il aura
268
préférée"
. Khalil enseigne quant à lui que "le mari n'est pas tenu d'observer
en faveur d'une femme l'égalité quant au coït, sauf s'il agit en vue de lui nuire,
par exemple il s'abstient d'une d'entre elles afin d'accroître sa puissance avec
une autre"269,
Aussi, le Coran a-t-il prévenu les croyants au sujet de l'impossibilité
où ils se trouveraient d'avoir à l'égard de leurs femmes les mêmes égards:
"vous ne pourrez jamais être équitables entre vos femmes, même si vous en
êtes soucieux. Ne vous penchez pas tout à fait vers J'une d'elles au point de
laisser l'autre comme en suspens (Coran IV, 129).
Ce verset montre que le mari polygame est incapable d'être
parfaitement équitable envers ses épouses, même s'il le désirait ardemment.
L'Envoyé de Dieu disait: «0 dieu, voilà tout ce que je puis faire. Je n'ai
aucun pouvoir pour faire ce qui dépend de Toi et non de moi »270, Le Prophète
voulait dire qu'il lui était difficile, sinon impossible, d'observer l'égalité stricte
entre ses épouses. Al"cha était son épouse préférée et toutes les autres le
savaient271. L'égalité quant au coït est d'autant plus difficile à réaliser que bon
267 V. Document n° 2 à l'mmexe.
268 Ibn Taymiya, Madjma Fatawa, volume 32, Rabat (s. d.), p. 269.
269 Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi musulmane selon le rite d'hnam Malek, Trad. G.R.
Bousquet, Maisonneuve, 1956, livre 11, pp. 62 à 63.
270 Cf. G.R. Bousquet, La Morale de l'Islam et son Ethique sexuelle, Maisonneuve, 1952,
~. 98.
k71 Ibidem.

113
nombre d'auteurs, des Hanéfites pour la plupart, n'admettent même pas que les
relati ons intimes consti tuent un droit de l'épouse.
Les Fouqahas malékites de ce rite enseignent, quant à eux, que les
relations intimes ne se commandent pas ; elles dépendent de trop de facteurs
indépendants de la volonté du mari pour qu'elles soient susceptibles d'être
imposées et réglementées272.
Certains Docteurs de la Loi ont tenté de réglementer la question, en
disant que les co-épouses, à l'exception des concubines, doivent avoir droit à
un traitement identique. Ainsi, quand le mari polygame est de ceux qui
travaillent la nuit, il devra nonnalement fixer ses «Nawba» (tours), c'est-à-
dire ses heures de présence auprès de ses femmes pendant le jour ;
inversement, s'il vaque à ses occupations dans lajoumée, il devra passer la nuit
à tour de rôle avec ses épouses et il lui est interdit, dans ce cas, disent les
Docteurs Hanéfites, de pénétrer dans la demeure de l'une de ses épouses quand
ce n'est pas son tour. S'il le fait et couche avec elle, il commet un acte haram
(illicite), mais il ne sera pas obligé de le «rembourser» à celle dont c'était le
tour, parce que les relations conjugales dépendent du désir et du penchant du
.
273
man»
.
En revanche, pour les juristes Hanbalites, les tours doivent être
placés la nuit à raison d'une nuit par épouse sauf si les époux en décident
autrement. Et, à l'opposé de l'Ecole Hanéfite, le rite hanbalite décide que si le
mari polygame ne respecte pas le mode de roulement établi entre ses épouses
et couche avec l'une d'elle en dehors de son tour, il sera tenu de le
272
Cf. Djesri A.R., Kitab al Fiqh Alal Madhahib al Arbaat, Beyrouth, 1988, t. 4, p. 432 ;
v. également Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit Musulman comparé, 1965, T.2, p. 284.
27". D"
.
32
-
~esn, op. Clt., p. 4
.

114
{~ remb,Jurser » à celle d.ont c'était le tour274. Pourtant, curieusement, le droit
hanétïte prévoit que le cadi a le droit de contraindre le mari à satisfaire les
instincts charnels de sa femme car, estiment les Docteurs de ce rite, un mari ne
saurait s'abstenir des rapports sexuels au-delà du seuil de quatre mois sans
commettre un grave manquement à la morale religieuse275 . Mais tout le monde
peut facIlement constater l'inefficacité de l'intervention du juge dans un pareil
domaine.
D'ailleurs, le plus souvent, l'ensemble des développements des
Fouqaha
sur la question prend figure de simples recommandations et de
prt\\~ertes moraux. Sans doute, fut-il un temps où de telles recommandations
étaient prises en considération, la violation des règles posées par les Fouqaha à
Cç sujet entraînant la réprobation des voisins, parents et amis et peut-être
~ciiLi:r,'('l}tion du Cadi qui, en vertu de son pouvoir de tazir (pouvoir
ô~:crétionna]re), infligeait au mari favorisant trop ouvertement une femme,
rép.;~rllsnd,::s et même peines corporelles, mais non pas la prison car, comme
i ';~C:Iit Ib11 NujaYl11, la mesure serait aberrante puisqu'elle priverait toutes les
reE1IJlèS de la présence de leur mari 2Îô •
ii semblerait donc que la seule solution qui soit offerte aux
mU3ulmans est d'imiter l'exemple du Prophète qui« en raison de sa noble
e" F_llUS, 8vait coutume~ lorsqu'il avait envie d'une de celles dont ce n'était pas le
tljur ct avait eu commerce avec cette dernière, de visiter toutes les autres. C'est
a.;~;' q:' selon Aïcha (Que Dieu soit satisfait d'elle), l'Envoyé de Dieu (à lui
()(~;- :t:di:~jon et salut) eHectua une pareille tournée en une seule nuit. Selon
te tQ(::;{r~.
,,:!:
f;,)ld ,~c:
. 7;, ",' tc: Bellefonds, Traités de Droit Musulman comparé, 1965, 1. II, p. 285.

115
Anas (à lui le salut), ses neufs femmes reçurent sa visite conjugale en une seule
. ,
277
matmee»
.
A côté de la Nafaqa et des rappOlis intimes, existe un autre droit
reconnu à la femme dans le mariage. Il s'agit de la hadana, c'est-à-dire la garde
de l'enfànt. Cependant, on discute la question de savoir si la hadana constitue
un droit ou une tâche domestique confiée à la femme.
277 G.H. Bousquet, La Morale de l'Islam et son Ethique sexuelle, 1953, p. 98.

116
CHAPITRE III
LA GARDE DE L'ENFANT: DROIT OU TACHE DOMESTIQUE
CONFIEE A LA FEMME?
Les ouvrages de Fiqh traitent de cette question soit avant, soit après
278
les Nafaqât
. Invariablement, les auteurs commencent leur exposé ainsi: "Si
les époux sont séparés" ou "si la dissolution du mariage a lieu", la mère se voit
279
alors attribuer la garde du petit enfant
. Si la plupart des Ulémas estiment que
la Hadana (la garde de l'enfant) ne s'ouvre qu'après la séparation des époux ou
après le décès de l'un d'entre eux, c'est qu'en réalité ils n'envisagent que
l'hypothèse habituelle, la seule qui donne naissance à de réels conflits entre les
parents280. Pour Khalil, ce droit "appartient à la mère répudiée ou veuve et aux
deux parents, ensemble durant le l11ariage,,28 1•
S'agissant de la nature juridique de cette institution, on discute la
question de savoir si la Hadana constitue un droit ou une obligation pour la
mère.
D'après la majorité des auteurs classiques, la Hadana est un droit
pour la mère (haq IiI hadina)282. Cependant, à y regarder de près, la Hadana
semble être une corvée pour la mère eu égard aux soins et charges éducatives
qu'elle entraîne pour elle et compte tenu aussi du fait qu'elle est établie dans
l'intérêt de l'enfant. Ainsi, Ibn Acim considère-t-il que la Hadana doit être
278 YL.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1956, t. III, p. 150.
279 1 Y.L.D. Bellefonds, op. cit. p. 157.
280 Ibidem p. 157.
281 KhaJil, Abrégé de la Loi musulmane, selon le rite de l'Imam Malek, Trad. G.R. Bousquet,
1956, livre Il, p. 139.
282 Cf. Sabiq S. Fiqh Al Sunna, Dar Fike, Beyrouth, 1983, t. Il, p. 288.

117
confiée à la femme pour sa douceur283 . Pour certaÎns Hanéfites, l'institution
revêt un caractère hybride en ce sens qu'elle est à la fois considérée comme un
droit et une obligation284.
La jurisprudence sénégalaise a, quant à elle, consacré l'opinion
Malékite qui considère que le droit de garde revient, en priorité, à la mère
(Section 1). l\\1ais l'un des traits distinctifs de cette jurisprudence est le contrôle
des conditions de capacité à l'exercice de la Hadana (Section II).
SECTION 1 - LE DROIT DE GARDE CONSIDERE COMNIE UNE
PREROGATIVE FENHNINE
La jurisprudence Malékite suivie au Sénégal considère en effet que
la Hadana doit d'abord revenir à la mère (§ 1) ou" à défaut, à la branche
maternelle de l'enfant (§ 2).
§ 1 - L'octroi du droit de garde en priorité à la mère de
l'enfant
En interprétant fidèlement la doctrine Malékite, nos cadis ont
souvent décidé que la Hadana revient en priorité à la mère de l'enfant285 •
283 Ibn Acim, Tohfa AI Hukam, Trad. L. Bereher, Alger, 1959, vers 655, p. 99.
284 Cf. Y.L.D. Bellefons, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t. III, p. 153.
285 Ibn Acim enseigne à cet égard qu'''il est plus convenable de confier la garde aux femmes,
car elles ont plus de douceur en ces sortes de choses". Autrement dit, "quand plusieurs
personnes se présentent pour exercer la Hadana, le Magistrat devra choisir une femme plutôt
qu'un homme" (Cf. Ibn Acim, Tohfa, Trad. L. Bercher, Alger, 1958, vers 655, pp. 99 et 330).

118
Cependant, en examinant les décisions, il nous est apparu un curieux
cas de revirement où un cadi a décidé d'octroyer la garde d'un garçon à son
oncle comme une sorte de privilège de masculinité accordé à l'homme.
A - La mère, principale titulaire de la Hadana
La dévolution de la Hadana à la mère de l'enfant semble d'abord se
fonder sur une Tradition du Prophète lequel disait en s'adressant à une femme:
"La garde de ton enfant te revient de droit,,286.
D'après la grande majorité des écoles, la Hadana constitue un droit
pour la mère, et il en résulte qu'elle peut y renoncer à tout moment et,
"notanm1ent, dans l'accord qu'elle conclut avec son mali, visant à obtenir une
répudiation négociée. La contrepartie offerte par la femme étant constituée par
l'abandon de la Hadana qu'elle exerçait jusque-là sur son enfant"Z87. Tel fut
notamment le cas dans l'aftàire jugée le 08/08/1904 entre les époux Aminata
288
Fall et Yatma Fa1l
.
En l'espèce, la femme déclarait que son mari l'avait affranchie voilà
sept ans passés et ils ont eu deux enfants dont le plus petit est sevré depuis
l'année den1ière. Elle ajouta que son mari n'assurait pas son entretien et
réclama en conséquence le divorce.
La parole ayant été donnée au mari, celui-ci déclara avoir accepté le
divorce à condition que les deux enfants restent sous sa garde; la femme
acceptant de lui remettre les deux entànts, le divorce fut consommé. Le
286 Sabiq S. Fiqh AI Sunna, Dar Fila, Beyrouth, 1983, 1. n, p. 288.
287 Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t. m, p. 152.
288 Jugement n° 51.

119
tribunal ordonna au mari de prendre les enfants et la femme rentra dans sa
"ldda" (retraite légale).
Il Ya beaucoup à dire sur cette affaire. Il est d'abord évident que c'est
la femme qui avait, en priorité, le droit de garde sur ses deux enfants; la
preuve en est qu'elle y a renoncé en échange d'un divorce négocié. On doit
aussi préciser que malgré sa condition d'Oumm-El-Walad289, cette Hadana lui
revenait de plein droit d'après la doctrine Malékite29o.
On
doit
ensuite
signaler que ce jugement est peu satisfaisant: quoi qu'il arrange la femme qui,
faute de moyens, a troqué ses enfants contre une « répudiation négociée ».
De plus, la procédure paraît inhumaine à bien des égards. D'une part,
la tèmme a été carrément spoliée par le mari grâce à la complicité du Cadi qui
n'aurait pas dû tolérer une telle opération. D'autTe part, la procédure est d'autant
plus injuste que la transaction a eu lieu entre un mari-maître et une affranchie:
les conditions sociales des époux étant bien inégales, le Cadi n'aurait fait
qu'aider le mari à faire chanter sa Oumm El-\\Valad qui venait à peine de
recouvrer sa liberté291 .
Le Cadi avait pourtant la possibilité d'opter pour une autre opinion
professée dans l'école Malékite laquelle dit que le (ou la) titulaire du droit de
289 Oumm El Walad, c'est-à-dire la concubine-mère ou littéralement la "mère de l'enfant".
On consultera avec profit l'étude consacrée à ce sujet par le Doyen F. Paul Blanc et Albert
Lourde intitulée "La Filiation servile et le statut d'Oumm El Walad en Droit Malékite, en
cours d'impression dans la Revue du Monde Musulman".
290 "Seule l'école Malékite accorde à la Oumm EI-Walad, à l'esclave qui a conçu des oeuvres
du maître, ainsi du reste qu'à celle dont l'enfant a été affranchi, la garde de son enfant" (Cf.
Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. ID, p. 163).
291 En l'espèce, la femme venait d'être afIranchie par son mari-maître. On sait cependant
qu'en droit, la concubine-mère est affranchie à la mort de son maître qui "n'a pas le droit de
la vendre, de la donner en gage, ni d'en faire l'objet d'une convention comportant un transfert
ou une acquisition de propliété" (V. Précis de Droit d'Ibn Qudama, Trad. H. Laoust,
Beyrouth, 1950, p.167).

120
n
Hadana ne peut valablement renoncer à son droie . Cela aurait permis au Cadi
d'empêcher la plaignante de renoncer à son droit de garde au profit du mari.
Mais le problème resterait entier: car, par quel moyen paierait-elle la dot au
mari pour obtenir le divorce?
Enfin, la plaignante a été privée du droit de réclamer la pension
alimentaire des enfants dont elle avait nonnalement la garde.
Le droit de Hadana revenant à la mère a été par ailleurs confinné par
la Chambre Musulmane de ]a Cour d'Appel de Dakar qui, dans son arrêt du
18/06/1934 précisait "qu'il n'existe dans la coutume suivie tant à Saint-Louis
qu'à Dakar et canfonne sur ce point à la loi coranique du rite Malékite, aucune
différence entre les effets de la répudiation [...] et ceux de la dissolution du
mariage [...] sur la garde de J'enfant en bas âge laquelle reste confiée à la mère
tant qu'il n'existe pas chez celle-ci de cause d'incapacité,,293.
Cette même Cour déclarait en 1929 que "]e droit de garde (Hadana)
revient à la mère et dure jusqu'à la puberté du garçon ou, pis, jusqu'au mariage
consommé de la fille; quand ]a mère meurt ou se remarie, ce droit passe à ]a
grand'mère maternelle puis à la tante maternel1e ; (cf. Khalil, mariage et
répudiation)"294.
A l'opposé de cette jurisprudence, il a été rendu un jugement par
lequel le Tribunal de Saint-Louis a décidé d'attribuer la garde d'un garçon à
son oncle.
292 Ibn Acim, La Tohfa Al Hukam, Trad. L. Bercher, Alger, 1958, vers 654, p. 99.
293 Arrêt n° 52.
294 Arrêt n° 53.

121
B - La garde dévolue à l'oncle: une prérogative de
masculinité?
Nous avons découvert un curieux cas d'espèce où le Tribunal de
Saint-Louis décida d'octroyer la garde d'un garçon à son oncle paternel au
motif que le droit de garde d'un fils revient d'abord au père, ou, à défaut, au
frère de celui-ci. Il s'agit de l'affaire jugée en date du 0911111878 entre les
,
h
d D"
,
1\\1'
K h295
nommes A ma
1eme et
anama
a
.
Le premier se plaignait au Cadi en déclarant que son frère Babacar
Philipe avait épousé la dame précitée avec laquelle il a eu un enfant nommé
Ahmad Boy; ce frère étant décédé, il est venu, lui-même, réclamer l'enfant à sa
mère qui a refusé de le lui remettre.
La femme interrogée, déclara qu'elle refusait de remettre l'enfant
parce qu'on ne lui avait pas payé sa dot. Le Cadi s'enquit de la situation du
mari et se rendit compte qu'il est mort indigent. Il estima que le payement de la
dot n'incombait pas à son frère, le sieur Ahmad Diémé. En revanche, il décida
de lui octroyer la garde du garçon et ordonna à sa mère de le lui remettre.
Ce jugement qui, du reste, est peu satisfaisant, mériterait d'être
exposée, parce qu'il est unique en son genre. Cette décision lèse les droits de la
fenm1e en question laquelle perd à la fois ses droits à la dot et à la garde de
l'enfant. Or, le Cadi aurait pu interpréter le verset 232 de la Sourate l où le
Coran dit: "Même obligation pour l'héritier... ", c'est-à-dire, l'héritier recueille,
dans ce domaine, les charges de celui dont il hérite296 . Au demeurant, le Cadi
~95
..
Jugement n° 54.
296 Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de versets, éd. Royaume de
l'Arabie Saoudite, 1405, p. 37.

122
aurait pu appliquer à l'affaire la règle dite de "Al Khounnou bil Khounni,,297,
c'est-à-dire les frais incombent à celui qui tire profit de l'affaire, un adage qui
correspond exactement à la maxime latine: « ubi emolumentum ibi onus ».
C'est l'héritier du mari, en l'occurrence le sieur Ahmad Diémé, qui
aurait dû payer la dot ou, à défaut, perdre la garde au profit de la mère de
l'enfant.
Tout compte tàit, le Cadi n'aurait pas dû pennettre que la femme
subît autant de dommages dans l'affaire. D'autant que la règle attribuant la
garde du fils au père à la place de la mère ne constitue pas une règle générale
en droit Malékite. Nous n'avons rencontré nulle part une telle règle, ni dans le
texte de Khalil, ni dans cel ui d'Ibn Acim. La pratique judiciaire sénégalaise ne
l'a pas non plus consacrée.
Le jurisconsulte Hanbalite, Ibn Qudama enseigne quant à lui que "le
garçon qui atteint l'âge de sept ans, a le droit de choisir entre son père ou sa
mère; sa garde revient à celui des deux parents qu'il choisit,,298. Abou Houraira
aurait rapporté à ce sujet: "J'étais avec l'Envoyé d'Allah lorsqu'une femme est
venue lui dire: "0 Prophète d'Allah, mon mari veut me priver de mon enfant".
Le mari répondit alors: "Qui peut disputer mon fils? Le Prophète leur proposa
de procéder par le tirage au sort, ce dont ils n'en voulaient pas; il ordonna alors
à l'enfant de choisir entre son père et sa mère; et l'enfant choisit sa mère. Le
Prophète entérina son choix,,299. Or, pour les docteurs de l'Islam, l'option à
accorder à l'enfant ne doit intervenir qu'au tenne de la période légale de la
garde fixée à 7 ou 8 ans par Imam Chafei. Les Hanéfites soutiennent que la
297 Chahbone, COl1ll11entaire de la Moudawana Marocaine, t. I, Rabat, 1987, p. 477.
298 Laoust H., Précis de Droit d'Ibn Qudama, Beyrouth, 1950, p. 220.
299 Mansour Ch., At-Tadj al Diami Lil Oussoul, D. Fila, Beyrouth, 1986,1. 2, p. 358.

123
mère a plus de mérite pour garder le garçon et ce, jusqu'à ce qu'il soit capable
o
de manger et de porter ses habi ts tout seueo .
Cette jurisprudence "séparaüste" consistant à confier le garçon au
père et la fille à la mère est bien controversée au plan de la doctrine. Mais elle
fait fOliune dans certains milieux traditionnels sénégalais où on croit encore
fermement que la garde d'un garçon ne doit pas être confiée à la femme qui ne
pourrait l'éduquer convenablement. On croit également dans ces milieux que la
garde du garçon confiée à la grand'mère ou à la tante est encore pire..
A l'opposé de cette tradition, le droit Malékite décide que la garde de
l'enfant revient à la mère et à la tante maternelle, etc., en l'absence de la mère.
Le rite Malékite privilégie la branche maternelle en matière de garde.
§ 2 - La primauté de la ligne maternelle
Il est frappant de constater ]'impOliance que la Fiqh Malékite
accorde aux "parents par les femmes", c'est-àdire les "Dhaoul Arham" en
matière de Hadana, alors que cela est loin d'être le cas en matière de droit des
successlOns.
A - Priorité accordée aux ascendantes de la mère et aux
tantes maternelles
Notre jurisprudence a constamment décidé que la mère est d'abord
plus apte à garder l'enfant, puis viennent l'aïeule maternelle, la bisaïeule
300 Ibidem.

124
maternelle, la tante maternelle, l'al"eule paternelle, etc. (Cf. T.M.S., Affaire du
02/06/1965, Ousmane G. cl Aminata B.).
Pour mIeux illustrer cette jurisprudence on se basera sur deux
jugements de principe rendus respectivement en 1881 et en 1958.
La première espèce est relative à une dispute survenue entre les
nommées Gnagna Soumata et Sofi Kerane au sujet de la garde d'une fille
répondant également au nom de Gnagna Soumata, qui se trouve être la fille du
frère de Safi Kerane et de la dame Yeum Diagne3Ü1 • La grand'mère dont la fille
porte le même nom prétend que c'est elle qui a le droit de garde sur elle. Mme
Sofi Kerane, sa tante paternelle, prétend également que ce droit lui revient.
Le tribunal considère que l'enfant étant née hors mariage, donc
illégitime, doit être rattachée à sa mère. Il décide, dès lors, de la confier à sa
grand'mère Gnagna Soumata (dont elle porte le même nom) en estimant que
celle-cl a plus de droits sur elle que sa tante paternelle, Sofi Kerane.
Le tlibunal a estimé que même si l'enfant était légitime, sa garde
reviendrait à l'aïeule maternelle, a fortiori s'il n'est qu'illégitime et coupé de sa
branche paternelle.
Cette espèce pose le problème de la garde de l'enfant naturel qui sera
traité un peu plus loin. Cependant, un aspect du problème mérite d'être
examiné ici. Il s'agit du concours entre la grand'mère et la tante paternelle au
sujet de la garde. A cet égard, il convient de souligner que le Cadi a
rigoureusement appliqué les dispositions du vers 655 de la Tohfa qui dit: "Il
est plus convenable de confier la garde aux femmes [...J, les femmes ainsi

125
302
choisies devront être parentes de l'enfant par les fernmes"
. Le tribunal a
nettement marqué sa préférence en faveur des Dhaoul Arham en matière de
garde. Mais ce problème est beaucoup plus compliqué qu'on ne le pense. Car,
en l'espèce, toutes les concurrentes appartiennent à la catégorie des parents par
les femmes.
Sur quel critère le tribunal s'est-il donc fond~ pour évincer la tante
paternelle au profit de la grand'mère ? Le Cadi a, en effet, préféré la grandfmère
qui appartient à la branche maternelle de l'enfant, laquelle doit être préférée à
sa branche paternelle. De plus, dans l'ordre des gardiennes, la grand'mère vient
après la mère et bien avant la tante paternelle. La garde revient d'abord à la
mère, puis à la mère de la mère, a précisé la Tohfa (vers 658).
Dans la deuxième espèce qui date de 1965, le demandeur nommé
Bassirou déclarait au juge que depuis son divon:e avec la nommée Mme Faye,
sa fille n'est jamais sous la garde de cette dernière ni sous celle de sa
grand'mère Mme Diouf. Mais qu'elle est plutôt gardée par une dame nommée
Mme Dieynaba. Par conséquent, le nommé Bassirou demandait au tribunal
dlordonner à Mme Faye de prendre la garde de sa propre fille. La defenderesse,
Mme Faye, répliqua en disant que sa filJe est présentement gardée par Mme
Dieynaba, sa tante, qui s'occupe convenablement d'elle. Elle signala, en outre,
qu'elle ne s'est pas encore mariée et demeure chez son père à Thiès. Mme
Diouf, sa mère, dit à son tour, qu'elle ne peut pas prendre la garde de l'enfant et
préfère la laisser toujours avec Mme Dieynaba. Le tribunal trancha l'affaire en
se fondant sur le vers 663 de la Tohfa303 et décida de confier l'enfant en
question à sa grand-mère, Madame Diouf
301 Jugement n° 55.
302 Cf. Tohfa, vers 665, p. 99.
303 Le vers 663 de la Tohfa stipule: "De plus, pour les femmes, il faut qu'elles n'aient pas de
mari, sauf quand celui-ci est le grand-père de l'enfant donné en garde".

126
Le problème juridique posé en l'espèce est celui de la capacité de la
femme mariée à garder un enfant parce que Madame Faye auprès de laquelle
se trouvait l'enfant en question était à ce moment-là mariée.
Il ressort de l'espèce que Mme Faye est la tante de la mère de l'enfant
en question, mais on ne voit pas de quelle tante il s'agit. On ne sait pas non plus
si son mari répond à la définition de l'article 663 (c'est-à-dire le vers 663) de la
Tohfa, à savoir le grand-père de l'enfant donnée en garde. On ne saurait guère
parler ici de concours entre une grand-mère et une tante car la grand-mère ne
voulait pas prendre l'enfant tout comme sa propre mère n'entendait pas la
garder. Elles ont plutôt préféré la laisser avec Mme Faye... pour lui faire plaisir
certainement. Et on connait la suite.
La jurisprudence du tribunal est demeurée constante mais la loi est
violée dans le cas d'espèce. Parce que la garde n'aurait pas dû revenir à la
grand-mère en présence de ]a propre mère de l'enfant qui est restée célibataire;
la grand-mère ne viendrait qu'en deuxième position après la mère. Mais si le
Cadi a préféré cette solution, c'est parce qu'il y allait de l'intérêt de l'enfant.
Cette tendance jurisprudentielle consistant à préférer les parents par les
femmes en matière de garde suscite quelques inten'ogations.
B - Une curieuse valorisation des Dhaoul Arham en matière
de garde d'enfant
L'importance accordée par la jurisprudence Malékite au Dhaoul
Arham en matière de Hadana est, pour le moins, curieuse. Car aucun droit

]27
304
successoral ne lui revient en présence du Beit-El-Ma1
. Les Dhaoul Arham
sont tous ceux qui: "parents par la matrice ou parentes par les mâles du défunt,
ne sont pas héritiers fardh ou aceb" et "qui, dans Je rite Malékite sont toujours
.
305
exclus, non successIbles"-
.
L'exclusion des Dhaoul Arham a été bien confirmée dans une
décision de principe rendue par le Tribunal de Saint-Louis en 1897. La
nommée Fatma FaU avait saisi le Cadi de Saint-Louis aux fins de réclamer
l'héritage de sa cousine Ndoumé Ndaffa décédée à Saint-Louis en laissant une
maison. En son audience tenue le 23/12/1897, le Cadi décida que la dame
Fatma Fall ne devait pas recueillir la succession de la défunte au motif qu'elle
faisait partie des "générations utérines,,306. Son fils et mandataire Demba
Gnagna attaqua cette décision devant la Cour Supérieure d'Appel musulman
307
qui, en son audience du 3/12/1878 confimla la décision rendue par le Cadi
.
308
Cette décision a fait couler beaucoup d'encre à l'époque
. Si une
petite digression nous était pennise, nous dirions que le Cadi a tout simplement
manqué de clairvoyance dans cette affaire parce qu'il n'aurait pas permis que
l'Etat colonial représentant le Beit-EI Mal à l'époque, fût préféré à la parente de
la défunte. Car sa décision a pennis au Procureur Général Chef du Service
Judiciaire de dire que « la nommée Fatma Fall qui n'est que la cousine de la
dame Ndoumbé Ndaffa n'a aucun droit à la succession qui, d'après J'article
1627 de la Tohfa, doit faire retour à l'Etat »309.
304 Teffai Mourad, Traité de succession musulmane d'après le rite Malékite, C. IFAN,
R.T.M. 1948, page 40.
305 B. Durand, Droit musulman, Droit successoral, éd. Litec, Paris, 1991, p. 247.
306 Jugement n° 56.
307 Arrêt n° 57.
30& Cette a fait l'objet de plusieurs correspondances entre les autorités coloniales de l'époque.

128
La question qui se pose est de savoir pourquoi le droit musulman se
montre plus compréhensif à l'égard des Dhaoul Arham en matière de garde
d'enfant tandis qu'il demeure restIictif à leur égard en matière de succession.
Pour répondre à cette question, il convient de dire que la Hadana est
une affaire de cœur et d'affection entre l'enfant et sa gardienne, tandis que
l'héritage est une affaire de patrimoine et de biens. S'agissant de la Hadana, on
choisira plutôt les parents par les femmes, plus précisément celles de la ligne
maternelle parce que, comme le disent les commentateurs : "la tendresse est
plus forte du côté de la mère,,310 et on préfère celle qui gardera le mieux
l'enfant et avec le plus d'affection311 , Le droit de garde est avant tout une
prérogative féminine, une fonction à laquelle les parentes et surtout les
parentes par les femmes, sont appelées par priorité312 •
Les Malékites sont encore plus rigoureux que les Hanéfites en ce qui
concerne la priorité accordée aux parentes par les femmes. On notera à cet
égard le rang privilégié accordé aux tantes et grand-tantes par le droit
Malékite313 •
Cependant, la Cour d'Appel (Chambre l\\;fusulmane) a considéré que
la coutume musulmane applicable tant à Saint-Louis qu'à Dakar, n'impose la
garde des enfants à un parent déterminé de la branche maternelle que si le père
réside dans la même localité que ce parene l4. La Cour d'Appel a également
considéré que "cette garde peut suivant la coutume, être enlevée à la grand-
309 Cf. correspondance adressée par le Procurem Général Chef du Service Judiciaire à Mf.
Le Gouverneur Général de l'AOF. Archives Nationales M. 242.
3\\0 Ibn Acim, Tohfa, Trad. par Léon Bercher, 1958, p. 330.
311 Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi musulmane, Trad. G.H. Bousquet, 1956, livre il, p.
140.
312 Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1956, Tome m, p. 159.
313 Y.L.D. Bellefonds, op. cit. p. 161.
.

129
tante paternelle si celle-ci est trop âgée pour l'assurer convenablement ou si elle
est atteinte d'une affection contagieuse"3i5. Aussi, la jurisprudence s'est-elle
montrée assez regardante sur les conditions d'aptitude à l'exercice de la
Hadana.
SECTION II - LE CONTROLE DES CONDITIONS DE CAPACITE A
L'EXERCICE DE LA HADANA
Nos cadis se montrent assez tatillons sur le contrôle des conditions
d'aptitude que doit remplir la gardienne. Ils procèdent d'abord au contrôle des
causes d'incapacité (§ 1) pouvant entraîner la déchéance de la Hadana avant de
considérer la filiation de l'enfant à garder, car la jurisprudence se montre
particulièrement sévère au sujet de la garde de l'enfant naturel (§ 2).
§ 1 -l.es causes d'incapacité à l'exercice de la Hadana
Le manage ou l'indignité de la gardienne constituent autant de
facteurs de déchéance de la Hadana au regard de la jm1sprudence.
A - La déchéance pour cause de mariage
La jurisprudence a constamment considéré le manage (ou le
remariage) de la gardienne comme un facteur de déchéance de la Hadana.
Deux décisions de principe illustrent cette tendance.
314 Arrêt nO 58.
315 V. l'arrêt n° 58.

130
Il Y a eu d'abord l'affaire jugée le 25/06/1886 dans laquelle deux
femmes dont l'une était mariée revendiquaient un même droit de garde sur une
même enfane l6 . La nommée Yacine, déclarait devant le Cadi de Saint-Louis
que c'est à elle que revenait la garde de la petite enfant nommée Touti. Elle
mettait en avant sa parenté par rappOli au père de l'enfant. La nommée Fasal
déclarait à son tour qu'elle était la sœur gemlaine du père de ladite enfant.
Le tribunal examina l'affaire et conclut que « le droit de garde
revendiqué par les deux femmes n'appartenait à aucune d'elles parce que, d'une
part, la parenté liant Yacine à l'enfant était très éloignée. D'autre part, la dame
Fasal qui aurait dû avoir la garde, compte tenu de ses proches liens avec
l'enfant, était à ce moment mariée à un homme qui n'était pas parent au degré
prohibé de l'enfant ».
La dame Fasal fut néanmoins préférée à la dame Yacine et le Cadi
lui confia la garde de la petite orpheline Touti ».
La seconde affaire en date du 24/08/1897 a été jugée entre les
nommés Médoune Diop et ZaYl1abou Guèye. Le nommé Médoune Diop
déclarait qu'il voulait voyager avec l'enfant nommé Maguet Guèye, son neveu,
mais sa mère Zaynabou Guèye s'y était opposée. Le tribunal examina l'affaire
et conclut que la nommée ZaYl1abou n'avait plus à revendiquer la garde de
l'enfant étant donné qu'elle s'était remariée. De plus, le fait que l'enfant dont
elle réclamait la garde ne vivait pas au même endroit que son oncle précité lui
faisait également perdre ce droit, estima le Cadi qui cita le vers 666 de la Tohfa
pour la circonstance: "Lorsque le tuteur de l'enfant soumis au droit de garde
part avec celui-ci pour émigrer et se fixer dans un endroit, cela rend caduc le
droit de la gardienne... ".
316 Jugement n° 59.

131
Le tribunal décida d'enlever le droit de garde à la mère de l'enfant et
317
le confier son oncle jusqu'à sa majorité
,
Les deux jugements rapportés ci-dessus interprètent assez fidèlement
les textes de Khalil et de la Tohfa qui enseignent que la gardienne doit être
célibataire ou mariée par un proche parent de l'enfant dont elle a la garde318,
Dans les deux espèces les personnes qui auraient dû avoir le droit de garde en
ont été dessaisies à cause de leur mariage,
Aussi, le fait que l'enfant proposé à la garde dans la 1ère espèce soit
une fille a-t~il contribué à la sévérité du jugement du Cadi. Car en pareil cas, on
met comme condition que l'époux de la femme appelée à recueillir la garde
d'une fille doit être parent à degré prohibé de celle-ci. Or, quelle est la raison
d'être d'une telle condition? A quoi pensent les Fuqaha au juste ?
Khalil enseigne à ce sujet qu'il y a lieu d'avoir des craintes pour. la
319
vertu de la fille parce qu'habile au coït
• Khalil craint notamment que le mari
étranger à J'enfant dont sa femme a la garde ne soit tenté de coïter avec elle. De
plus, les légistes trouvent que le mari qui n'est pas proche parent de l'enfant ne
peut nounir à son égard que des sentiments hostiles, du moins très peu
3zo
affectueux
.
Dans le second jugement, c'est-à-dire celui rendu le 24/08/1897, la
mère de l'enfant est concunencée par l'oncle considéré comme le tuteur de
l'enfant. La mère qui s'était remariée a été écartée au profit de l'oncle. Le
317 Jugement n° 60.
318 Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi musulmane selon le rite Malékite, Trad. G.H.
Bousquet, 1956, livre II, page 140. V. également Ibn Acim, p. 104.
319 Cf. Khalil L. ID; p. 140.
320 Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. ru, p. 167.

132
tribunal a appliqué le vers 666 de la Tohfa qui prévoit une réglementation très
inconfortable à l'égard de la femme gardienne. Il s'agit du vers qui stipule que:
"lorsque le tuteur de l'enfant soumis au droit de garde part avec celui-ci pour
émigrer et se fixer dans un autre pays, cela rend caduc le droit de la gardienne,
à moins qu'elle-même ne vienne habiter dans le même lieu,,321 .
Ce texte accorde le droit à tout tuteur d'un enfant donné en garde de
l'enlever et d'aller se fixer avec lui où bon lui semble, ce qui rend les droits de
la gardienne sur l'enfant très précaires. Parce que, dans ce cas, la seule solution
qui lui soit offerte si elle veut conserver son droit de garde est de se déplacer
avec l'enfant pour rejoindre son tuteur. Or, peut-on vivre constamnlent en se
déplaçant à cause d'un enfant?
Les légistes ont tenté d'apporter quelques tempéraments à la rigueur
de ce principe. Ainsi, pour éviter que la gardienne ne soit trop soumise à la
tyrannie du tuteur de l'enfant, admet-on que celui-ci n'aura la faculté de lui
enlever l'enfant qu'à certaines conditions. "D'abord, il faut qu'il n'y ait pas
d'autres Waly (tuteurs) au même degré que lui susceptible de le remplacer;
ensuite, l'endroit où il veut se rendre doit êh"e à moins de six "bans" (soit
environ 120 km) ; il faut que les routes et le pays où il entend s'installer soient
sûrs. Enfin, il faut qu'il fasse la preuve de tout cela devant le magistrat,,322.
Ces précautions si complètes et nécessaires soient-elles, sont-elles
respectées par la pratique judiciaire?
En effet, nous pensons que ces précautions étaient rarement
respectées par les cadis à cause du caractère patriarcal de la famille musulmane
31 1
- Tohfa, p. 101.
322 T 1(:',
o Ha, p. 330.

133
sénégalaise. Les hommes, assimilant abusivement la hadana à l'éducation des
enfants d'un couple séparé pensent, généralement, que le père ou le tuteur, doit
toujours avoir ses enfants à 1'œil.
Il faut également recOlmaître que la réglementation des juristes sur la
question est restrictive et archaïque parce qu'lI n'est pas pennis à la titulaire de
la garde de faire voyager l'enfant ou de le soustraire à l'influence de son père
ou de son wali. Elle n'est pas non plus autorisée à installer son enfant à plus de
323
six burud
du lieu où habite le père ou le wali. Or, il nous paraît inhumain et
même injuste, d'interdire à une femme répudiée de retourner avec son enfant
dans le pays (fût-il très éloigné) où se trouve installée sa propre famille et que
son mari, en l'épousant, lui avait fait quitter.
La jurisprudence consacrant la déchéance du droit de garde pour
cause de remariage de la mère est demeurée constante au Sénégal jusqu'à une
date assez récente comme en témoigne le jugement rendu le l 3/06/1971 324 . En
l'espèce, le mandataire du sieur Papa M. réclamait les enfants que ce dernier
avait eus de son mariage avec dame Ndao. La mère desdits enfants interpellée
répliqua en disant : "Je suis en effet, remariée, les enfants étant chez leur
grand-n1ère, je ne fàis aucune difficulté pour les remettre à leur père,,325.
Le tribunal après en aVOlr délibéré conformément à la loi
326
musulmane
décida de remettre les enfants à leur père qui devait les avoir
sous sa garde.
323
Plur. De « barid », une distance de 12 milles environ (cf. Y.L.D. Bellefonds, Traité de
Droit Musulman comparé, t. m, 1965 p. 175.
3J 4
- Jugement nO 61.
3J~
-. Jugement n° 61.
326 La dame a laissé entendre gue ses enfants sont restés avec leur grand-mère, après son
remariage. Dans la réalité, c'est son remariage qui a dû mettre fin à son droit de garde. Le

134
La jurisprudence a, en outre, consacré la déchéance de la hadana
pour indigni té de la mère gardienne.
B - Les mauvaises mœurs de la mère gardienne
Cette jurisprudence est illustrée par un cas rarissime. Il s'agit d'une
femme gardienne qui s'adonne à l'alcool, chose qui se produit assez rarement
chez les musulmanes sénégalaises.
Dans cette affaire jugée le 27/02/62 par le Tribunal de Saint-Louis,
la nommée Khaly S. réclamait la garde de ses enfants issus de son union
légitime avec la nommée Aïssatou B. divorcée au mois d'août 1960. Le mari
déclarait en justice que cette femme qui s'adonne à l'alcool est indigne pour
surveiller l'éducation des enfants en cause. Pour toute réponse, la femme
prétendit avoir abandonné ses mauvaises habitudes depuis quelques jours. Le
tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, décida d'enlever les
enfants à leur mère, à l'exception du plus jeune qui n'avait que 24 mois, et les
remi t à leur père.
Pour motiver son jugement, le Cadi disait entre autres:
"Attendu que d'après Sidy Khalil, la déchéance de la Hadana pour
cause d'indignité ou d'inobservation des conditions requises par la loi
doit être prouvée par le demandeur; "Attendu qu'il résulte des pièces
du dossiers que la nommé Aïssatou B. est souvent ivre, même dans
la rue; "Attendu qu'il n'y a pas lieu de dOill1er crédit quelconque aux
déclarations de cette dame; "Enfin, attendu d'après Essalick d'Imam
père des enfants, tout comme le tribunal, ne souhaitaient pas que ceux-ci rejoignent leur
mère chez son nouveau mari.

135
Malick, page 115, une femme folle, une femme volage et légère,
l'ivrognesse et femme d'une mauvaise conduite répandue ne peuvent
assurer la garde d'un enfant, pas plus qu'une femme dont la maison
est un lieu de R.Y. pour les libertins et les vauriens,,327.
Ce jugement nous paraît sévère à l'égard de la mère gardienne. Mais
il n'en demeure pas moins juste, au regard des textes. Parce que la loi laisse en
cette matière une grande liberté d'appréciation au Magistrat qui regarde
28
souverainement de quel côté se trouve l'intérêt de l'enfane . Il faudrait
également ajouter que tous les juristes consacrent cette réglementation que doit
respecter la femme appelée à exercer la Hadana.
Aussi, dans le souci de mieux protéger le "11ahdoun" (l'enfant donné
en garde), les Hanbalites et les Chaféites ont-ils imposé d'autres conditions à la
gardienne: celle-ci doit être honnête. Mais cette exigence est bien critiquée par
le Hanbalite Ibn Qai-m Al Diawzi qui dit: "Dans le vrai, l'honnêteté de la
mère ne doit jamais être exigée en matière de droit de garde; même si cela
constitue la doctrine de Ahmad et de Chaféi, qu'Allah ait pitié de leur âme.
Cette exigence est de trop. Si on se limitait à cette condition, nombre d'enfants
resteraient sans gardiens, faute de personnes honnêtes. On rendrait aussi la
tâche difficile à la Umma, parce qu'il existera toujours des enfants de gens
dévoyés, le monde étant ainsi fait"329.
La remarque de cet auteur est pertinente. Elle va dans le sens de la
modération des conditions exigées de la titulaire de la Hadana. La remarque est
d'autant plus intéressante qu'elle émane d'un auteur Hanbalite qui s'insurge
327 Voir jugement nO 62.
328 L'Enfant, Tome 35, Rec. Société Jean Baudin, Bruxelles, 1975, p. 300.
329 Chahbone Ab. Al Karim, Commentaire de la Moudawwana marocaine, T. l, Rabat, 1997,
p.399.

136
dans des termes voilés mais fermes contre le fondateur de la doctrine. [1 est vrai
que les Hanbalites et les Chaféites se distinguent par leur rigorisme en matière
de Hadana. Ils refusent par exemple que la Hadana d'un enfant musulman soit
no
confiée à une infidèle~ fût-clle sa mère: .
Les rites Malékites et Hanéfites se montrent plus libéraux sur cette
question parce qu~i1s n~exigent pas la parité religieuse. Ainsi une non
musulmane n'est jamais privée de la garde d'un enfant musulman331 ,
En outre, le jugement entrepris comporte une dose de sévérité même
si le Cadi a fait preuve tant soit peu de compréhension à l'égard de la
défenderesse. Le juge a été quelque peu sévère en ne tenant pas compte des
regrets formulés par la défenderesse qui a avoué sa faute ct promis de ne plus
recommencer. L'énumération des causes de déchéance établies dans le
jugement suppose qu~il est exigé de la gardienne d'avoir une conduite
irréprochable, ce qui paraît impossible. Cependant~ le cadi a été compréhensif
dans la mesure où il n'a pas finalement décidé de lui retirer tous ses enfants: il
lui a laissé le plus petit, âgé de 24 mois. Encore que l'on pourrait se demander
s'il s'agit d'une mesure de c1élnence ou du réalisme de sa part. Pouvait-il
décider autrement en retirant le nourrisson à sa mère?
Il est par ailleurs intéressant de signaler la sévérité avec laquelle la
jurisprudence règle la question de la garde de l'enfant naturel.
330 YL.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. III, P. 165.
331 Ibidem.

137
§ 2 - La sévérité de la jurisprudence au sujet de la garde de
l'enfant naturel
Nos cadis ont toujours adopté une position de fermeté à l'égard de
l'enfant naturel. Aussi, a-t-il été à maintes reprises décidé que la garde de
l'enfant né hors mariage ne doit revenir qu'à la mère. Parce qu'il ne doit être
réservé au père présumé que "la pierre", comme le prévoit un Hadith sur lequel
nous reviendrons.
La toute première affaire qu'il convient de citer est celle remontant à
1880, affaire dans laquelle le nommé Moundaye prétendait avoir le droit de
garde sur le petit enfant nommé Samba Doune qu'il déclarait être son fils332 .
Mais le nommé Bonavel qui se disait l'oncle dudit enfant, prétendait également
que cette garde lui revenait de droit. Mais étant donné que les parties n'étaient
pas de confession musulmane333 . Le Cadi leur demanda d'abord de dire par
quelle loi elles entendaient être jugées; ils répondirent qu'ils préféraient la Loi
musulmane. Après l'examen de l'affaire, le tribunal jugea que l'enfant naturel
devait être rattaché à sa mère, et son père n'avait aucun droit à faire valoir à son
égard.
La solution dégagée en l'espèce est certainement trop sévère, mais
elle reste conforme aux textes du droit Musulman classique qui interdisent au
père naturel de reconnaître son enfant. En droit classique, l'enfant né de la
fornication (Walad Al Zina) est coupé de son père qui n'a pas le droit de le
332 V . .
06"
Olr Jugement n
.J.
333 La procédure paliiculière suivie en l'espèce nous a fàit dire, sans risque de nous tromper,
que les parties étaient des non-musulmans. Sinon, il n'y aurait pas intérêt à leur demander de
préciser par quelle loi elles aimeraient être jugées. Ces genres de questions ne se posent pas
d'ordinaire aux musulmans, qui demeurent les seuls justiciables des Tribunaux musulmans.
Le Décret Impérial du 20 mai 1857 précisant en son art. 2 que "le Tribunal Musulman

138
reconnaître (Cf. Chahbone Ab-Al Karim - Connnentaire de la Moudawana
Marocaine,t. l, éd., Rabat, 1987, p. 364).
Cette jurisprudence sera de nouveau consacrée le Il mai 1946 dans
l'affaire Ngouya F. et le sieur Seck à propos de la garde de leurs enfants dont
une fille née hors mariage334 . En l'espèce, le tribunal disait : "Attendu qu'il
résulte de l'examen du bulletin de naissance de la fille M. Seck et du celiificat
de mariage de ses parents que cette fille est bien née hors mmiage ; attendu que
d'après Sidi Khalil, la reconnaissance d'un enfant naturel par le père est nulle
aux yeux de la loi musulmane; Attendu que la dame Ngouya est la grand-mère
maternelle des enfants; ordonne au sieur Seck à les lui remettre".
Enfin, dans l'affaire jugée le 22 novembre 1947 opposant le sieur
Amadou G. et la dame Fatou A. au sujet de la garde d'un enfant naturel, le
tribunal avait intimé l'ordre au père de rendre l'enfant qu'il avait ravi à sa
mère335 . En rendant son jugement le tlibunaI évoqua, en sus de la doctrine de
Khali] , le célèbre Hadith (Al Walad Lil Firache Wa lil Aahir Al Radiar, c'est-à-
dire, l'enfant appartient au Ut, au fornicateur la pierre), Ce Hadith mérite qu'on
lui consacre quelques développements.
"D'après Aïcha, l'épouse du Prophète, Otba Ibn Abi Waqas avait
attesté à son frère Sad Ibn Abi Waqas que l'enfant de la jeune esclave
appartenant à Zamaa est son fils et lui demandait de le prendre. Et lors de la
prise de la Mecque, ajouta Aïcha, Sad Ibn Abi Waqas s'empara de l'enfant en
disant: c'est le fils de mon frère et celui-ci m'a prié de le prendre. Abdou Ibn
Zamaa s'interposa et lui réclama l'enfant en lui disant: c'est mon frère, car il est
connaît exclusivement des Affaires Indigènes" (v. mTêté promulguant le Décret Impérial du
20 mai 1857, qui crée le Tribunal Musulman. Arch. GOUY. Saint-Louis).
334 Jugement nO 64.
335 Jugement nO 65.

139
le fils de l'esclave de mon père, et il est né dans son lit. Ils s'empoignèrent alors
et se dirigèrent vers le Prophète pour demander son arbitrage. Arrivés devant
l'Envoyé d'Allah, chacun lui raconta sa version des faits et ce den1Îer trancha
en faveur d'Abdou Ibn Zamaa en prononç,ant sa célèbre sentence: "Al Walad
Lil Firache Wahl Ahir al Hadjar", c'est-à-dire l'enfant appartient au lit et au
fornicateur la pierre".
Le mot "pierre" employé dans ce Hadith est diversement interprété
par les auteurs anciens. Pour certains, ce vocable signifie la déception. On dit
par exemple que le fOlnicateur qui réclame son l'enfant naturel n'aurait droit
qu'à la déception car on ne le lui donnerait pas. Pour d'autres, la "pierre"
signifie ici le sable. Ainsi, pour parler de quelqu'un qui a essuyé un revers, les
Arabes avaient-ils coutume de dire: "il a reçu du sable dans la bouche". Pour
d'autres enfin, la pielTe est ici employé dans le sens de lapider, c'est-à-dire tuer
à coups de pielTes. Mais, pour Nawavi, le plus célèbre commentateur du
recueil des Hadith de Mouslime, cette signification est faible, parce que tous
les fornicateurs ne sont pas lapidés. On ne doit, en fait lapider que le
fonlicateur muhsane, c'est-à-dire celui qui a déjà pris femme et consommé son
mariage336•
Ce Hadith est relatif à une double revendication de paternité sur un
même enfant. Les deux protagonistes sont d'une part, Sad Ibn Abdi Waqas, le
frère et mandataire de Otba Ibn Abi Waqas et, d'autre part, Ibn Abi Zamaa, le
fils et mandataire de Zamaa, le maître de la jeune esclave. Otba Ibn Abi
Waqas, sachant qu'un enfànt était né des rapports illicites qu'il avait eus avec la
jeune esclave de Zamma à la l\\1ecque avant sa conversion à l'Islam, confia son
secret à son frère Sad Ibn Abi Waqas. Il le pria de s'occuper de l'enfant. Sad
essaya d'exécuter le testament de son frère lors de la prise de la Mecque en

140
s'emparant de l'enfant. Mais son projet fut mis en échec et le Prophète décida
1 ·337
contre Ul
.
Le sens de ce Hadith, d'après Nawawi, est que, lorsqu'un homme
épouse une femme (ou prend une concubine), celle-ci devient son lit (c'est-à-
dire, sa femme légitime) et si un enfant est né de cette union, il sera réputé être
celui du mari (ou du maître) de la femme et héritera de lui338 .
Cela dit, il convient de souligner que la jurisprudence exposée339 n'a
fait qu'un usage approximatif du Hadith évoqué, lequel -il faut bien le noter- ne
vise que l'interdiction de reconnaissance de paternité de l'enfant adultérin au
profit du père fomicateur. Car en l'espèce, tout laisse croire que le Cadi était
confronté à la situation d'un enfant naturel (dont la reconnaissance de paternité
reste bien possible) plutôt qu'à celle d'un enfant adultérin dont le régime
juridique est différent34ü . Mais là n'est pas l'essentiel; l'important c'est que le
Cadi s'est, tout juste, basé sur le Hadith afin de refuser le droit de garde de
l'enfant illégitime au père reconnu coupable du crime de fornication.
En dernière analyse, cette jurisprudence marque une rupture par
rappOlt aux pratiques pré-islamiques qui toléraient la fornication et la
336 Ibidem, p. 213.
337 L'arbitrage du Prophète est d'autant plus impartial -il faut le recOlmaÎtre- que son verdict
est prononcé contre son propre compagnon, Sad Ibn Abi Waqas. Cet homme, surnommé "le
lion de l'Islam", est celui qui commanda les Années Musulmanes lors de la bataille de
"Madaaine" contre l'Empire Perse sous le califat d'Omar. Il sera également nommé
gouverneur d'Irak par ce même calife. (V. Khaled M. Khaled, Ridialoune Hawla Rassoul, ed.
D. Fikr, Beyrouth (s.d.), p. 1] 1 et s.).
338 Souyouti (D.D.) Tanwir Al Hawalik (Com. Mouwata) D. Fikr, s.d., t. 2, p. 213.
339 V. Jugement nO 65, précité.
340 D'après une définition donnée en droit français qui reste bien valable en Droit Musulman,
"Si l'enfant est issu de relations entre un homme et une femme célibataire, c'est un enfant
naturel. Si l'un des parents ou les deux étaient mariés au temps de la conception de l'enfant
avec une tierce personne, il s'agit alors d'lm enfant adultérin a matre ou patre ou double ou
encore doublement" (Cf. Benabent (A.), Droit civil, La Famille, Litec, 1982, p. 279 et s.).

141
341
prostitution des femmes esclaves
. Désormais, tout rapport sexuel en dehors
du mariage et du concubinat légal constitue un crime au regard de la Loi
342
musul mane
.
Cette jurisprudence vi se au fond, à protéger l'institution du mariage
et le concubinat légal. Ainsi, fut-il clairement posée la règle "Al Walad Li
343
Sahib Al Firach", c'est-à-dire l'entànt appartient au possesseur du lit
. Le mot
«muhsane» signifie étymologiquement en langue arabe la personne protégée
44
par une forteresse (Hisni . Le mariage est donc assimilé à une muraille
protégeant la personne contre le pêché de la fornication. Par conséquent,
"quiconque conunet... avec une femme qui n'est ni son esclave ni son épouse
ou avec un jeune garçon, un acte honteux (fahisa) ou le subit, est passible de la
peine de lapidation s'il est muhsane,,345.
Il reste que les "murailles du mariage" sont oppressives à l'égard de
la femme. Si nous nous plaçons au shict point de vue du droit du mariage
élaboré par les juristes, nous constaterons que la situation faite à la fenune
mariée est difficile ;et cela est dû en partie aux interprétations littérales et
346
défonnées des textes favorisant l'égoïsme masculin
.
De tout ce qui précède, il faut conclure que les droits de la femme
demeurent inhérents à sa nature d'épouse. Il n'existe pas des droits que la
341 Le Coran dit à cet égard: "Ne contraignez pas vos femmes esclaves à la prostitution, si
elles veulent rester chastes" (S. 24, v. 33).
342 "Ceux qui se maintiennent dans leur chasteté et n'ont de rapports qu'avec leurs épouses ou
les esclaves qu'ils possèdent, ne sont point blâmables; [en revanche], ceux qui cherchent des
r,laisirs en dehors de cela sont des transgresseurs" a dit le Coran Sourate 70 Verset 29 à 31.
43 YL.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, 1. III, p. 26.
344 Est Mohsan, dans le sens de la loi pénale, la personne libre ayant contracté et consommé
un mariage valide (Cf. Schacht (l), Introduction au Droit Musulman, Maisonneuve et
Larose, 1965, p. 108).
345 Laoust H., Précis de Droit d'Ibn Qudama, Beyrouth, 1950, p. 264.
346 Boisard M., Islam et Droit de l'Homme, Lib. des Libertés, Paris, 1984, p. 62.

142
femme tient de sa propre nature. Il y a plutôt des droits qu'elle tient de son
mariage. Or, l'entretien, la cohabitation et la «hadana» coûte fort peu à
l 'homme. La loi de l'entretien infantilise la femnle et la maintient dans la
dépendance pennanente vis-à-vis du mari.
Le rapprochement fait par la jurisprudence malékite entre l'entretien
de l'animal, de l'esclave et de la femme est préjudiciable à cette dernière.
L'entretien considéré par ailleurs comme le prix du coït, constitue une source
d'inégalité dans les relations entre époux. L~obligation alimentaire n'est en fait
due que si la femme accepte de se prêter au commerce chamel avec son mari.
Or, cette interprétation matérialiste de la Nafaqa est illégale au regard de la loi
coranique (S. II v. 233) qui stipule: «le père de l'enfant, c'est-à-dire le mari,
est tenu de pourvoir à la nourriture et aux vêtements de la tèmme suivant le
bon usage ». Le Coran n'ajamais dit que l'entretien doit être assuré à l'épouse
en échange du plaisir qu'elle procure au mari.
Les modes de preuve de l'impuissance sexuelle établis par les cadis
demeurent archaïques et expéditifs. Car si « l'épreuve» à laquelle est soumis le
mali présumé impuissant se terrnjne par un échec, le divorce est aussitôt
accordé à la femme. Or, l'accomplissement du colt devant des témoins est-il
psychologiquement possible? La « chambre d'épreuves », le « beurre rouge»
et le «congrès des matrones» institués par les cadis à l'eiTet de tester
l'aptitude physique du mari déclaré impuissant, est illégal au regard de la
Charia.
La « hadana » octroyée en priorité à la femme pennet de corriger le
privilège de masculinité reconnu au père qui a toujours la tutelle des enfants
quand bien même la mère en aurait la gal'de. La «hadana» fait notamment
partie de ces privilèges que la femme partage avec les femelles animales. Elle

143
lui permet de conserver ses liens affectifs avec sa progéniture. De la même
manière, palTIli les animaux qui vivent en couple, c'est le mâle qui apporte la
nourriture à la femelle pendant la couvaison.
Cependant, il existe une inégalité remarquable dans ce domaine
entre mari et femme: au cas où la garde de l'enfant est attribuée au mari; le
fait qu'il convole à nouveau n'a aucune influence sur son droit de garde. Au
contraire, la répudiée ou la veuve lorsqu'elle se remarie perd automatiquement
le droit de garder ses entànts.
Un autre trait caractéristique de la justice cadiale est qu'elle reste
largement tributaire des us et coutumes arabes, même si certains de nos
magistrats ne s'en rendaient pas compte. Cette justice a beaucoup contribué au
maintien de la femme sous la dépendance du mari.

144
Ile PARTIE
LE MAINTIEN D'UN REGIME DE
DEPENDANCE CONJUGALE EN FAVEUR
DU MARI

145
Les droits reconnus à la femme mariée dépendent essentiellement de
sa soumission à son mari. Mais pour les auteurs musulmans, cette soumission
n'est pas synonyme de servitude imposée à la femme. Car d'aucuns estiment à
ton que "la femme musulmane est réputée n'avoir ni personnalité, ni
indépendance, ni liberté, et l'on faisait d'elle pour ainsi dire, l'esclave de son
mari 11347.
Aussi, le Coran affnme-t-il nettement que "les femmes ont autant de
droits et de devoirs envers leur mari 11348. Et d'après une tradition attribuée au
Prophète dont le recueil n'est pas précisé, il est dit que "les femmes sont les
égales des hommes en droit,,349.
Comment faudrait-il dès lors concilier ces nobles principes avec la
pratique des hommes... et de la jurisprudence ?
De ces pnnclpes Coraniques et Sunnites, il faudrait peut-être
comprendre tout simplement que la femme reste l'égale de l'homme en droit,
que ses actes juridiques, quand elle est majeure, sont en principe aussi valables
que ceux de l'homme mais que sa condition domestique est bien inférieure à
celle de l'homme et qu'enfin, sa liberté est également inférieure à celle de
l'homme.
Le coran est d'ailleurs clair à ce sujet: "les hommes ont autorité sur
les femmes, en raison des faveurs qu'Allah accorde à ceux-là sur celles-ci et
aussi à cause des dépenses qu'ils font de leurs biens,,35o.
347 Mafreg Y.I.H., Islam et Droit de J'Homme, Lib. des Libertés, Paris, 1984, p. 36.
348 S. II v. 238.
349 El Hajoui M., La femme dans le droit musulman, Imp. Casa - Maroc, 1967, p. 4.
350 En commentant longuement ce verset 34 de la Sourate IV, Ibn Al Arabie en a conclu que
les époux sont certes égaux en droit, mais c'est le mari qui prend le pas sur la femme puisque
c'est lui qui donne la dot, supporte les frais du ménage, protège la famille et la conduit vers le

146
Peut-être conviendrait-il de souligner que la prééminence de
l'homme ne s'affinne que dans les rapports mutuels du couple, le mari étant
légalement responsable de pourvoir à la satisfaction des besoins du ménage351 .
Ainsi, le droit incombant au mari de pourvoir complètement aux
besoins de la fatllille est interprété de façon àjustifier que celui-ci domine sans
restriction sa femme et ses enfants352. Au demeurant, l'examen de la
jurisprudence montre que la femme est tenue de se soumettre à son mari qui lui
assigne un domicile conjugal et la contrôle (Chap. 1).
La diminution de la capacité jmidique de la fenune favorise
également sa soumission à l'homme et l'oblige, pour bien des actes si elle est
mariée, de solliciter l'autorisation maritale (Chap. II).
chemin d'Allah (Cf. Abi Bah lbn Mouhammad Ibn Al Arabie; Abkam al Qurâne, Ed.
Rabat, (s.d.), t. 1, p. 410).
351 Bisar M. Islam et Droit de l'Homme, Lib. des Libertés, Paris, 1984, p. 66 ..
352 Béhcheti Bahanor, Philosophie de l'Islam, Paris, 1990, p. 346.

147
CHAPITRE 1
LE DROIT DU MARI DE FIXER LE DOMICILE CONJUGAL
ET DE CONTROLER SA FEMME
En droit musulman, le mari reste le chef incontesté de la famille; les
hommes ont une prédominance sur elles, c'est-à-dire sur les femmes, a bien dit
le Coran (S. II v. 228). Aussi "les femmes vertueuses sont-elles obéissantes" [à
leurs époux] (S. IV v. 34). Les règles de conduite conjugale édictées par la
Charia visent toutes en effet à restreindre la liberté d'action de la femme mariée
qui, en principe, ne pourrait sortir de chez ene ni recevoir de visite sans
,
. .
d
l
·353
autonsatlOn e son man
.
Quelle est la position de la jurisprudence musulmane sénégalaise sur
cette question?
Nos cadis qui sIen tiennent aux textes classiques ont, naturellement,
tendance à accorder à l'homme le pouvoir de décider dans toutes les affaires
concernant la vie conjugale. Aussi estiment-ils que la fixation du domicile
conjugal fait partie des prérogatives maritales (Section I).
Ces cadis admettent également sans grande difficulté, que le mari a
le droit de contrôler sa femme (Section II).
353 Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. TI, p. 287.

148
SECTION II - LA DETERMINATION DU DOMICILE CONJUGAL :
UNE PREROGATIVE MARITALE
Le droit reconnu au mari de fixer la résidence du ménage et de
contraindre sa femme à la rejoindre est d'ordre public en ce sens que, s'il y
renonçait dans le contrat de mariage, laissant à la femme la faculté de continuer
354
à habiter chez elle, la clause serait réputée non écrite, sauf en droit Hanéfite
.
Or, cette jurisprudence assujettit la femme mariée (§ 1) et la
défavorise par rapport au mari (§ 2).
§ 1 - L'assujettissement de la femme au mari
Le droit reconnu au mari de choisir unilatéralement la résidence du
ménage entraîne la soumission de la femme à l'homme. Aussi, la jurisprudence
admet-elle que la femme mariée doit rester dans son foyer (A) et suivre son
mari dans ses déplacements (B).
A - L'obligation pour la femme de rester dans son foyer
L'obligation faite à l'épouse de demeurer dans son foyer a été
nettement affinnée dans une décision en date du 26/07/1932355 . En l'espèce, le
mari déclarait: "j'entretiens ma femn1e comme il le faut; elle n'a rien à se
plaindre. Mais tous les matins lorsque je vais travailler, elle quitte le domicile
conjugal pour ne revenir qu'au soir. Malgré plusieurs observations que je lui ai
faites, elle continue ses sorties. C'est pour ces motifs que je viens demander
l'intervention de la justice".
354 YL.D. Bellefonds, op. cit. p. 289.

149
La femme invitée à répondre, déclara: "Ma mère est malade et elle
n'a que moi pour la soigner. C'est pourquoi, je vais tous les matins la voir et
passer la journée avec elle".
Le tribunal, après avoir délibéré conformément à la Loi Musulmane,
rendit le jugement suivant:
"Attendu que d'après la Loi Musulmane, la femme ne doit quitter
son domicile qu'après 1'autOlisation de son mari; attendu qu'il résulte
de l'interrogatoire que la dame Fatou D. a l'habitude de quitter le
domicile conjugal pendant l'absence de son mari; le tribunal la
condamne à rester dans sa chambre où l'a logée son mari et à ne plus
sortir sans son autorisation",
Ce jugement nous paraît à la fois anachronique et dépourvu de
fondement légal.
D'abord, ce jugement est d'un autre âge et ne devrait s'appliquer à la
femn1e en question. Aussi le Cadi n'a-t-l1 fondé son jugement sur aucune règle
précise. Il s'est contenté de dire que "d'après la Loi Musulmane, la femme ne
doit quitter son domicile conjugal qu'après l'autorisation de son mari" sans
mentionner aucune référence précise.
On sait cependant pertinemment qu'il vise le texte coranique où
Allah dit: "Restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas à la manière des
femmes d'avant l'Islam [Jihilia, l'époque pré-islamique]. Accomplissez la
prière, acquittez la Zakat et obéissez à Allah et à son Messager. Allah ne veut
355 J
06'6'
ugement n
, VOIr annexe.

150
que vous débanasser de toute souillure, 0 gens de la maison du Prophète et
'fi
l '
,,356
veut vous pun 1er p emement
.
Or, de toute évidence, ce texte n'a été révélé qu'à l'intention des
épouses du Prophète Mouhamed. Ce verset ne concerne donc pas directement
toutes les épouses musulmanes.
En commentant cette reconm1andation divine, le célèbre exégète
Saïd Qotob dira d'abord que "Restez (\\Va Qarna) dans vos foyers ne signifie
nullement que la femme mariée doit absolument garder sa chambre sans jamais
la quitter". De l'avis de cet auteur, ce texte signifie tout simplement que "le
foyer conjugal constitue le milieu naturel de l'épouse". Mais "en cas de
nécessité, cette deJnière peut bien être autorisée à quitter sa chambre,,35?
Saïd Qotob admettra ensuite, et c'est là l'essentiel, que cette
358
recommandation est adressée aux épouses du Prophète
, bien qu'il
359
désapprouvait le travail des femmes en dehors de leurs foyers
. 11 estimait
que "la sortie de la femme pour le travail est une catastrophe que seul l'état de
nécessité peut justifier; le rôle principal de la femme mariée est de rester au
foyer auprès des enfants,,36o.
3"6
- V. Sourate 33, v. 33,
357 Saïd Qotob, Fi Dhilalil Qorane, t. V, Ed. Caire, 1986, p. 2859.
358 Op. cit. p. 2859.
359 Nous ne disposons pas de sources sÛTes concernant la biographie de Saïd Qotob. Mais, on
raconte généralement qu'il fut membre fondateur du Mouvement intégriste des "Frères
Musulmans" d'Egypte et qu'il fut assassiné sur l'ordre du Président Gamal Abdel Nasser.
360 Saïd Qotob, op. cit. p. 2859,

JSl
En outre, abordant le problème du voile et de la claustration en
Islam, Kassim Amine l'auteur du célèbre "Tahrir Al Maraa,,361 soutient lui
aussi que le verset précité conceme exclusivement les épouses du Prophète.
Pour cet auteur, les raisons pour lesquels Allah a entendu réserver ce
verset aux femmes de son Messager restent bien évidentes: "0 femmes du
Prophète! Vous n'êtes comparables à aucune autre femme" leur a bien dit le
Seigneur (Coran S. 33 v. 32i62•
Enfin, le présent jugement est d'autant plus critiquable que le Cadi
n'a même pas considéré les déclarations de la défenderesse qui prétend en
l'espèce que sa mère est malade et n'a personne d'autre sauf elle pour la
soigner. D'où les motifs de ses absences selon elle. Le Cadi n'a même pas
daigné vérifier ces déclarations.
Or, si les dires de la défenderesse, qui semble tiraj}}ée entre
l'obligation d'obéir à son mari et celle de servir sa mère étaient vrais, quel parti
Je Cadi devrait-il prendre? Autrement dit, si la mère de Mme Fatou D. était
réellement malade, cette dell1ière n'aurait-elle pas le droit d'aller s'occuper
d'elle sans attendre l'autorisation de son mari ?
361 Lorsqu'en 1899 Kassim Amine (1863-1908) publia son "Tahrir AI Maraa" (la libération
de la femme) consacré à l'émancipation de la femme, le fait de prononcer le nom de la
femme était considéré comme "une injure et une honte". "Disciple de Mouhammed Abdouh
et Saad Zaghloul (les pères du nationalisme égyptien), Kassim Amine a fait des études de
droit en France et a exercé la fonction de magistrat. Il subit les invectives des Oulémas
encroûtés d'A] Azhar, pour lesquels d'ailleurs il n'avait que mépris. C'est dire l'abîme
d'amiération où se trouvaient alors plongées les mentalités quant à la question féminine"
(Cf. Soual N° 4, Paris, novembre 1983, p. 13).
362 Kassime Amine, Tahrir Al Maraa, Ed. alger, 1988, p. 72.

152
Si la Loi musulmane dit que la femme doit obéissance à son mari,
cette même loi ne stipule-t-elle pas en même temps que le (ou la) musulman(e)
doit avoir de l'affection pour sa mère?
363
A un croyant
qui demande au Prophète: "Que dois-je faire pour
mériter le paradis 7". L'Envoyé de Dieu lui dit: "Affectionne ta mère". Celui-cl
lui demande : "Et ensuite, que dois-je faire 7", Le prophète lui dit :
"Affectionne ta mère". L'homme repose la question une troisième fois et il
entend la même réponse. Ce n'est qu'à la quatrième question: "Et que dois-je
faire encore 7", qu'il entendit: "Affectionne ton père,,364,
Cette tradition attribuée au Prophète prouve, s'il en était besoin, que
tout croyant (ou toute croyante) est au moins tenu d'un "devoir d'affection"
envers sa mère. Par conséquent, s'il ya conflit entre ce même devoir et celui de
servir son conjoint, comme c'est le cas, en l'espèce, lequel de ces devoirs
faudrait-il privilégier 7
Le Cadi a complètement négligé cet aspect du problème en l'espèce.
Aussi, n'a-t-il pas cherché à comprendre la défenderesse. Au contraire, il
semble avoir adopté une attitude misogyne à son égard en la condamnant assez
sévèrement à rester dans sa chambre et à ne plus sortir sans l'autorisation de
son man.
Cette jurispmdence contribue, en tout cas, à renforcer l'autorité du
mari sur sa femme, dans la mesure où elle lui pem1et de la garder à vue ou de
l'obliger à le suivre.
363 C'est aussi valable pour une croyante.
364 La Femme en Islam. Mosquée BENIMESSOUS, Alger, p. 24.

153
B - L'obligation pour la femme de suivre son mari
Cette obligation est bien consacrée par notre jurisprudence. En effet,
le mari a le droit de choisir le donucile conjugal, d'exiger que sa femme s'y
installe et de l'emmener en voyage.
Plusieurs décisions de justice rendues par le Tribunal de Saint-Louis
entre la fin du siècle dernier et le début de ce siècle illustrent cette forme de
dépendance de la femme vis-à-vis de l'homme. Citons-en d'abord quelques
exemples avant d'examiner leur portée.
Dans une affaire jugée le ler/Ol/l889, un mari déclarait aV01r
maintes fois demandé en vain à sa femme de venir le rejoindre à son dOnllcile
conjugal dans son village se trouvant au Walo.
La femme interrogée par le Cadi, prétendit qu'elle avait peur du
mauvais traitement que son mari pourrait lui réserver si elle acceptait de le
sui vre. Le Cadi la rassura néanmoins en lui faisant comprendre qu'un "mari est
une personne présumée sûre jusqu'à la preuve du contraire, et il a le droit de
contraindre sa femme à le suivre". La femme répondait que, puisqu'elle n'avait
pas le choix, elle préférait lui restituer la dot et être libre365 .
Dans une autre affaire jugée le 12 octobre 1891, le Tribunal de
Saint-Louis jugea que la femme n'a rien à dire quand son mari décide de
s'installer quelque part ou d'aller ailleurs avec elJé66 .
365 V
.
. Jugement n° 67.
366 Arch. T.M.S. R. 1891, Khar Fall cl Al1a Dieng.

154
Puis, dans une affaire jugée le 13 novembre 1897, le mari déclarait
vouloir s'installer quelque part avec sa fenune mais celle-ci refusait de le
suivre prétendant qu'elle craignait le mauvais traitement que lui réserverait son
mari. Se basant sur la Moudawana de Malik, le tribunal considéra que le mari a
le droit de voyager avec sa fenm1e de pays en pays selon son bon gré, et si la
femme refuse de le suivre en exigeant au préalable sa dot, le mari s'engagerait
'1 1 .
1
d367
a a Ul payer p us tar
.
Ensuite, le tribunal dans son jugement du 10/07/1898 déclarait: "les
nommés Mademba et Bakar Sylla, enseignant, ont attesté devant nous, que le
nommé Salem Would Samba a acheté, en leur présence dans le village de
Keiheidi une esclave qui est devenue sa femme. Par conséquent, nous jugeons
que ce mari est libre d'emmener sa fellli11e partout où il voudra; car le mari
peut contraindre sa femme à le suivre de pays en pays"368.
Enfin, dans deux jugements rendus respectivement les 15 et 18
novembre 1912, le même tribunal se référant à la Moudawana de Malik qui,
selon lui, enseigne que Je mari peut contraindre sa femme à le suivre,
condamna deux épouses: l'une à suivre son mari à la condition que celui-ci lui
assurât ses préparatifs estimés à 50 p369, l'autre à suivre son mari tenu de la
nourrir370 ; en l'espèce, le mari prétendait que depuis quelque temps, il n'avait
plus de relations sexuelles avec sa femme qui le refusait; la fe1lli11e le nia. Le
Cadi ordonna alors au mari de jurer sur le Coran. Mais quand il voulut
s'exécuter, la femme l'alTêta et lui demanda de ne pas jurer. Le mari déclara dès
lors au Cadi qu'il ne pouvait plus rester à l'endroit où il se trouvait actuellement
et qu'il entendait s'en aller ailleurs avec sa femme. Le tribunal se basant sur le
367 Jugement n° 68, voir annexe.
168
-
Jugement n° 69.1
169
-
Jugement n° 70.
370 Jugement n° 71.

155
texte de la Moudawana, ordonna à la femme de le suivre à la condition qu'il
assurât sa nourriture.
Cette jurisprudence est certes confOlme au texte de la grande
Moudawana de Malik. Mais sa véri table portée a été exagérée par les juges.
Disons que les cadis ont, un tout petit peu, déplacé le texte de la
Moudawana de son véritable contexte.
Le droit du mari de "contraindre" sa femme à le suivre partout où il
veut aller, peut certes se justifier au regard du Fiqh Malékite. Mais le texte de
la Moudawana que nous avons consulté -pourvu qu'il soit le même que celui
cité par le Cadi- vise plutôt le mari polygame qui "a le droit de choisir l'une de
ses femmes et de l'emmener en voyage". Mais il lui est conseillé de procéder à
un tirage au sort conmle le tàisait le Prophète. Aussi lui est-il défendu de
"privilégier" (Maîl) ouvertement l'une de ses épouses3?].
Les Cadis ont, en fait, appliqué dans les espèces citées ce que
d'aucuns qualifient tout simplement de "dhahir" (le sens littéral) de la
Moudawana372 . Au surplus, cette jurisprudence est d'un autre âge373 ; elle fait
371 Imam Sahnoun, Moudawana Al Koubra, Dar Al Fikr, Beyrouth (s.d.), t. Il, p. 198.
372 Les Malékites se fondant sur le "dhahir" du texte de La Moudawana disent que le mari
qui désire aller en voyage est libre de choisir la femme qu'il préfère sans procéder au tirage
au sort, et peu importe que le voyage ait pour but le "hadj" (le pélérinage) ou le "khajvou" (la
guelTe sainte) ou non... Car d'aucuns [MalékitesJ soutiennent que si le voyage est destiné à
un autre objectif que le "hadj" ou le "khajvou", il n'y aurait pas lieu de procéder à un tirage
au sort. Dans le cas contraire, c'est-à-dire, si son but est d'aller en pèlerinage ou à la guerre
sainte, le mari serait obligé de tirer au sort celle qui devra l'accompagner (Cf. Djesri-Ab-
Rahmane, Kitab Al Fiqh Ala Madhahib Al Arbaa, 1. IV, Dar K., Beyrouth, 1988, p. 248).
J7J Ce droit du mari qui ne laisse pas de surprendre a été pourtant codifié par certains pays
musulmans. D'abord, dès 1917, la loi ottomane sur la famille disposait dans son art. 71 :
"Après le paiement de la fraction de la dot immédiatement exigible, la femme est tenue de
résider au domicile du mari, à la condition que celui-ci soit suffisamment anlénagé et
d'accompagner son mari s'il décide de se rendre dans une autre ville, à moins qu'il n'y ait

156
bon marché des intérêts de la femnle mariée, l'assujettit davantage au mari et la
met dans une situation d'instabilité pennanente car un mari capricieux pourrait
constamment obliger sa tèmme à changer de domicile conjugal, voire de pays.
Par ailleurs, nombre de solutions consacrées en matière de domicile
conjugal entraînent des inégalités notoires au détriment de la femnle mariée.
§ 2 - Une jurisprudence en défaveur de l'épouse
Tout d'abord, la jurisprudence consacrant la règle du droit Malékite
selon laquelle chaque conjoint a le droit de refuser d'habiter avec l'enfant
impubère de l'autre semble discriminatoire envers la femme mariée (A).
Ensuite, la prise en considération de la condition sociale de l'épouse pour le
choix de son domicile est bien critiquable (8).
A - Discrimination envers l'épouse?
Nous ne disposons, hélas, ici, que d'un seul cas de jurisprudence.
Aussi, nous sera-t-il difficile de porter un jugement définitifsur cette question.
quelque empêchement". Ensuite, la loi j ordanielme de 1951 reprend la même disposition
(art. 33) : "Est regardé comme un empêchement le fait par le mari de chercher à nuire à sa
femme ou de ne pas être un homme de confiance". Puis le Code du S.P. Syrien (art. 70),
après avoir posé le principe que la femme doit suivre son mari en voyage, donne au juge les
plus larges pouvoirs afin de décider s'il peut en résulter pour elle un dommage quelconque,
auquel cas, elle conserve son droit à l'entretien bien que s'étant abstenue d'accompagner son
mari. Enfin, le C.S.P. Irakien lui, parle de l'obligation de la femme d'accompagner son mari
en voyage "sauf excuse valable" (Cf. Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé,
1965, 1. H, pp. 293 à 294).

157
L'affaire dont il est ici question a été jugée par le Tribunal
Musulman de Saint-Louis en date du 07/03/] 886, lequel ordonna à une femme
mariée,« d'éloigner son enfant du donucile conjugal »374.
En l'espèce, le mari se plaignait du maUValS traitement dont il
déclarait être victime de la part du fils d'un autre lit de sa femme et craignait
que cela ne dégénérât en conflit entre eux. Il s'abstint par conséquent de la
nourrir et de cohabiter avec elle.
Le tribunal après avoir examiné l'affaire, jugea que c1est le fils de la
femme qui avait provoqué le htige et demanda à cette dernière de l'éloigner de
la maison.
Cette jurisprudence montre que la femme n'a pas le droit d'imposer à
son mari la présence d'un enfant issu d'un autre lit.
L'inverse est-il possible? Le mari peut-il imposer à sa femme la
présence d'un enfant issu d'un autre lit?
En pnnclpe, l'homme ne peut imposer à sa femme la présence
d'aucun de ses enfants à lui, pas même la présence d'un enfant d'un autre lit, ~
moins qu'il ne s'agisse d'un tout petit enfant gui nIa pas atteint l'âge de raison.
Réciproquement, la femme n'a pas le droit de loger chez elle ses propres
enfants en bas âge sans l'autorisation de son mari.
Sur ce dernier point, elle est donc moins favorisée que son mari qui
peut lui imposer la présence de ses enfants d'un autre lit quand ils n'ont pas
atteint Itâge de raison375 .
374
Jugement n° 72.

158
Ce jugement est fondé en droit, mais la règle qui le sous-tend n'a été
que partiellement évoquée par le Cadi qui s'est bonlé à dire en substance:
"D'après KhaliJ, le mari a le droit de refuser d'habiter avec l'enfant de sa
femme.
Or, l'Abrégé de Khalil dispose clairement : "Chaque conjoint peut
refuser d'habiter avec l'enfant impubère de l'autre s'il a un gardien"376.
Cette doctrine est confinnée par l'auteur du "Fiqh selon les quatre
rites" qui enseigne que "si l'un des conjoints a un enfant en bas âge, l'autre peut
refuser d'habiter avec lui sauf s'il a consommé le mariage alors qu'il savait que
l'enfant vivait avec son conjoint"377.
A lire le présent jugement, on a comme l'impression que le droit de
refuser d'habiter avec l'enfant d'un autre lit du conjoint est uniquement accordé
au mari. Or, au regard des textes précités, ce droit est également reconnu à la
femme mariée qui peut catégoriquement refuser d'habiter avec l'enfant d'un
autre lit de son mari, à moins qu'il ne s'agisse d'un petit enfant qui n'a pas
atteint l'âge de raison.
Le Cadi a occulté cet aspect de la doctrine malékite, en l'espèce.
Certes, le problème ne s'est réellement posé que du côté du mari: le fils de sa
femme ayant été mis en cause. Peut-être, est-ce la raison pour laquelle le Cadi
n'a pas senti la nécessité de bien préciser, comme du reste, l'a fait Khalil, que
375 YL.D. Bellefonds, traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. II, p. 259.
376
Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi musulmane selon le rite de l'Imam Malek, Trad.
G.R. Bousquet, Maisonneuve, Paris, 1956, livre II, p. 133. Voir également le texte arabe
in Djawaahir Al Iklil par Cheikh Salih Abd. Samih, Le Caire (s.d.), 1. II, p. 403).
377
Djesri Abd-Rahmane Kitab al Fiqh ala Madhahib al Arbaa, 1. 4, Beyrouth, 1988, p.
559.

159
"chaque conjoint peut refuser d'habiter avec l'enfant impubère de l'autre s'il a
un gardien".
Cette réserve étant apportée, il y a lieu de penser que le Cadi n'a fait
que traduire sa conception du mariage qui, au demeurant, est celle de tous les
hommes à l'époque. En effet, dans la société patriarcale qui fut la nôtre, les
rapports entre époux n'étaient regardés que du côté du mari ; tandis que les
droits de l'épouse étaient tout simplement immolés à la mystique du devoir de
soumission à l'autorité illimitée du mari.
Il serait par ailleurs intéressant de souligner que Je présent jugement
traduit un conflit entre une règle de droit arabo-islamique et une coutume
sénégalaise. La règle qui accorde le droit au conjoint de refuser d'habiter avec
l'enfant de l'autre est certainement inspirée des coutumes arabes, lesquelles ne
tolèrent pas qu'un conjoint emmène au domicile conjugal un enfant issu d'un
autre lit378 .
Or, la cohabita60n avec le "Domou Djitlé,,379 est bien tolérée au
Sénégal malgré le proverbe wolof qui dit: "Domou Djitlé dou dom", c'est-à-
dire, "Un fils appartenant à un autre lit n'est pas un fils".
378
Tous ceux qui ont vécu chez les Arabes et observé leurs tàmilles, peuvent confinner
cette réalité.
Aussi, certaines règles de la Charia restent-elles influencées par les coutumes arabes
quoiqu'il nous soit difficile de les distinguer. La plupart des textes concernant les femmes
rentrent dans cette catégorie. Par exemple, pour réciter une prière sur une dépouille
mortelle, la position de l'Imam est variable en fonction du sexe du défunt. Si le mort est
un homme, il se tiendra au milieu de son corps. Par contre, s'il s'agit d'une femme, l'Imam
se placera à ses épaules afin de dérober son regard des parties intimes de son corps. Or,
cette jalousie (Alkhira) à t'égard d'une fenune morte peut-elle se justifier ? (Cf.
Athamarou Daani, Commentaire de la Rissala, Le Caire (s.d.), p. 279).
379 Mot wolof signifiant enfant issu d'un autre lit.

160
Cependant, nos Cadis n'hésitaient pas à faire prévaloir la règle du
Droit Musulman dès lors qu'elle est avérée, comme c'est le cas en l'espèce,
fût-elle en nette opposition avec nos us et coutumes.
Par ailleurs, la jurisprudence qui prend en considération la
condition sociale de l'épouse pour la détermination de son domicile conjugal
nous semble contraire au respect dû à la personne de la femme.
B - La prise en considération de la position sociale de
l'épouse dans la détermination du domicile
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis a fait une application très
typique de la doctrine de Khalil selon laquelle "il appartient à la femme de
refuser d'habiter avec les proches de son mari dont elle craint les
indiscrétions, sauf si elle est d'humble condition, à moins d'établir les torts
que cela lui cause,,380,
Aussi, dans son jugement en date du 19/0411972, le Cadi décidait-
il : "Attendu que d'après Khalil, l'épouse quand elle n'est pas d'humble
condition, peut refuser d'habiter avec les proches de son mari, condamne le
sieur Abdourahmane F. à trouver un logement en dehors de ses parents381 .
Cette jurisprudence appelle plusieurs observations.
D'abord, la doctrine de Khahl sur laquelle elle prend appui est
imprécise. Car quels sont, de l'avis de cet auteur, les critères qui doivent
380
Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi Musulmane selon le rite de l'Imam Malek, Trad.
G.H. Bousquet, Paris, 1956, livre II, p. 133.
381
Arch. T.M.S. R.1972, Affaire du 19/04/72, Abdourahmane F. cl Mme Sakho.

161
permettre au mari ou au Cadi de distinguer l'épouse de condition humble?
Aussi, Khalil utilise-t-il tout simplenlent le mot nwadi 'an pour désigner la
femme d'humble condition, terme traduit par un glossateur par l'expression
"daniyatoul Qadri", c'est-à-dire, une fenune de vile condition382.
Pour
l'auteur de
l'Abrégé
(Moukhtasar),
l'épouse
d'humble
condition ne peut avoir les mêmes droits qu'une femme de condition sociale
élevée. La première ne peut exiger un domicile conjugal séparé; tandis que
la seconde a le droit d'être logée seule en dehors des parents de son mari.
Les juristes de l'école Chaféite ne partagent pas cette doctrine. Ils
enseignent au contraire que la détermination du logement de l'épouse doit se
faire en fonction des possibilités du mari, conune le prévoit exactement le
Coran: "Faites que ces femmes [vos femmes] habitent où vous habitez et
383
suivant vos moyens" (S. 65 v. 6)
.
La Moudawana marocaine n'a pas non plus suivi le droit Malékite
classique sur cette question. Ce Code àispose clairement (art. 119) que "le
mari ne peut imposer à sa fenU11e la présence d'une co-épouse dans une
'"
.
,,384
meme maIson
.
Ensuite, cette jurisprudence nous semble arbitraire, à l'image
même de l'institution de la Kafaa (la mésalliance) qui la sous-tend. Car, il ne
peut y avoir mésalliance en droit musulman qu'en ce qui concerne la femme:
elle seule peut déchoir à la suite d'une union mal assortie; quant à l'homme,
382 Cheikh Salih A.S., Djiwahir Al !khI, comment. De Khahl, Le Caire (s.d.), t. I, p. 403.
383
Chahbone Ab. Al. Karim, Commentaire du Code du statut personnel Marocain, Rabat,
1987, t. I, p. 454.
384 Chahbone Ab. Al. Karim, op. ci. P. 453.

162
385
il est censé élever la femme à son propre ni veau
; "Quant on veut savoir si,
dans un mariage, le mari est assorti à sa femme, il y a lieu de comparer la
condition respective des époux en se plaçant aux six points de vue suivants:
origines raciales des familles, ancienneté dans l'Islamisme, profession du
père de la femme et du mari, moralité des épouses, leur fortune et enfin
existence éventuelle d'un esclave dans leur ascendance respective,,386.
Les
monuments
législatifs
contemporains
ont
tendance
à
minimiser l'importance de cette institution dont les auteurs Hanafites qui en
sont les principaux défenseurs ont du mal à produire les titres de
387
légitimité
.
Aussi, AI-Razi (mort en 370 H.), bien que Hanafite, la rejette-t-il,
en se basant sur le Coran (S. 49 v. 13) qui affirme: "0 hommes! nous vous
avons créés d'un mâle et d'une femelle, et nous avons fait de vous des nations
et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre
vous, auprès d'Allah, est le plus pieux,,388.
AI-Razi se prévaut, bien entendu, en sus d'un Hadith du Prophète
qui dit que "les hommes sont égaux comme des dents d'un peigne, pas de
supériorité d'un arabe sur le non-arabe,,389.
Cette doctrine qui semble spécifique aux arabes ne devrait pas être
appliquée
au
Sénégal.
Les
auteurs
classiques
qui
l'interprètent très
385 Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t. II, p. 170.
386 0
.
1 4
p. CIt. p.
7 .
387
.
Op. CIt. p. 180.
388 Op. cit. pp. 172 à 173.
389
"Les degrés d'égalité de naissance (Kafaa) sont par ordre décroissant chez les
musulmans libres: membres des Quraysh, la tribu du Prophète; les autres arabes, les non-

163
laborieusement font valoir que "les questions de lignage, de prééminence de
clans sont propres aux habitants de l'Arabie où existe une hiérarchie
minutieusement établie depuis plus de treize siècles entre les diverses
tribus,,390.
Enfin, cette jurisprudence ne semble pas avoir fait l'objet d'une
application constante chez nous. Nous n'en avons, en tout cas, rencontré
qu'un seul jugement; alors que très nombreux restent les autres cas de figure
où des maris regroupent, sans la moindre discrimination, leurs épouses dans
~
d
391
une meme emeure
.
Ici, l'usage a certainement plus de poids que la règle du droit. En
effet, dans la pure tradition sénégalaise, le mari polygame vit entouré de ses
épouses, de ses nombreux enfants et, parfois, de ses père et mère. Même dans
une contrée fortement islamisée comme le Fouta où le culte de la noblesse est
demeuré vivace chez les toucouleurs, il est rare qu'une épouse noble puisse
prétendre à un domicile séparé. On y recommande, tout au plus, que la "diévo"
(la première épouse) occupe le point occidental de la maison, tandis que la
"limbel" (la deuxième épouse) et la "limbediel" (la troisième) s'installent au fur
arabes" (Cf. Schacht 1" Introduction au Droit Musulman, Maisonneuve et Larose, 1983,
~90137).
. . '
,
-
Y.L.D. Bellefonds,T traIte de DrOlt Musulman compare, Mouton, 1965, t. II, p. 174.
391
A titre d'exemple, voir l'affaire jugée par le Tribunal Musulman de Saint-Louis en
date du 09/0311910 où un mari se plaignait d'avoir été abandonné sans motif valable par
sa femme. Celle-ci interrogée par le Cadi, répondit qu'elle ne voulait plus rejoindre le
domicile conjugal où vivaient ses co-épouses. Elle fut néanmoins condamnée par le juge
soit à réintégrer son foyer, soit à rembourser la dot (Arch. T.M.S. R.1910).
V. également l"'affaire Musulmane" jugée par le Tribunal Indigène de Thor Diandère en
date du 10 octobre 1910, où la nommée Cadou D. se plaignant de son sort, disait que
depuis trois ans, son mari n'avait pas rempli son devoir conjugal à son égard. Le mari
répondit qu'il avait plusieurs femmes dans la demeure et "une case spéciale" où celles-ci
viennent le trouver à tour de rôle. Mais "Cadou D. ne veut pas venir dans cette case"
(Arch. Nat. 2 D 13-20).
On pourrait enfin citer l'affaire Dame Sakhabané (v. jugement n° 29 précité) où tout laisse
croire que les co-épouses vivaient ensemble.

164
et à mesure de leur arrivée dans le carré; et la "oudoddé gallé" reste à la
fermeture de la demeure. Avec cet alignement, 1'hôte le moins averti dès le
salamalec les situe,,392.
Aussi, le fait de réunir ses épouses dans une même demeure
pennettrait-il de les avoir à l'œil, étant donné que l'attribut de la puissance
maritale va jusqu'à permettre au mari de contrôler sa femme.
SECTION Il - LE DROIT DU MARI DE CONTROLER SA FEMME
Une grande partie de la doctrine consacre le principe de la puissance
maritale fondée sur le Coran qui affirme que "les maris sont d'un degré
supérieur à leurs femmes" (S .1, v. 228) et "les hommes sont supérieurs aux
femmes (S. IV, v. 34).
C'est en interprétant plus ou moins étroitement cette doctrine que des
Cadis sont allés jusqu'à permettre à des maris de restreindre considérablement
la liberté de leurs fennnes, lesquelles ne pouvaient recevoir de visites ou de
correspondances (§ 1), ni sOliir de chez elles sans leur autorisation (§ 2).
§ 1 - Le contrôle des visites et correspondances
En effet, si la doc11ine malékite autorise le mari à interdire à sa
femme de recevoir des visites sans son consentement (A), il n'existe, à notre
connaissance, aucun texte lui permettant d'exercer un droit de contrôle sur sa
correspondance (B).
392 Bâ Oumar, La polygamie en pays toucouleurs, Af. Document n° 64, juillet-octobre 1962,
MW.

165
A - Le contrôle des visites
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis a effectivement donné gain
de cause à un mari qui n'appréciait pas que sa belle-Inère vint souvent rendre
visite à sa femme.
Ainsi, le 04/0811913, la nommée Tabaski D. assigna son beau-fils,
M. Benjelloun A. en justice au motif qu'il l'avait insultée et renvoyée de chez
lui alors "qu'elle a été seulement voir sa fille pour se rendre compte de sa
.
.
,,39::\\
sItuatIOn' '.
M. Benjelloun interrogé par le tribunal, déclara n'avoir pas insulté sa
belle-mère mais dit qu'il ne voulait pas qu'elle vint souvent chez lui sans son
autorisation.
Le tribwlal, après avoir examiné l'affaire, invita d'abord la plaignante
à produire des témoins attestant ses dires. Et elle répondit qu'elle n'en avait pas.
Il jugea ensuite que d'après Khalil, la loi permet aux parents de visiter leurs
enfants vivant avec leurs maris une fois par semaine (de préférence le
vendredi). Il conclut enfin en disant: "Attendu que la plainte d'insulte de la
femme n'est pas fondée, faute de témoins" (sic), le tribunal l'en déboute mais
l'autorise à aller voir sa fille une fois par semaine accompagnée d'une femme
de confiance si l'époux le juge nécessaire.
Le tribunal a consacré une solution qui satisfait en quelque sorte les
deux parties: d'une part, la plaignante est autorisée à aller voir sa fille une fois
p.174.
393 Voir jugement n° 73.

166
par semame, d'autre part, le mari se voit libéré d'une belle-mère jugée
encombrante qui ne pounait plus fréquenter librement sa maison.
Il a rendu un jugement cohérent et conforme au droit malékite. En
bon procédurier, le juge a mis la plaignante en delneure de prouver ses
allégations comme cela est bien prévu par un Hadith qui dit "Si l'on accordait
aux gens tout ce qu'ils réclament, il se trouverait des hommes qui
revendiqueraient les biens et la vie d'autrui. Mais la preuve testimoniale
incombe au demandeur et le sennent à celui qui nie,,394.
Le mari aurait subi une peme arbitraire de "Tazir" (une peme
discrétionnaire) s'il était avéré qu'il avait insulté sa belle-mère. Le Cadi aurait
prononcé le blâme ou le sermon à son encontre.
Ce jugement est bien fondé en droit car il est bien dit dans le
Moukhtasar de Khalil "qu'il est attribué aux enfants impubères, d'un autre lit, le
droit de venir voir leur mère chaque jour, et, à ceux plus âgés, celui de venir
une fois par semaine comme aux père et mère, mais en présence d'une femme
jouissant de la confiance du mari s'il soupçonne les parents de lui corrompre sa
femme ,,395 .
Le droit du mari d'interdire à son épouse de recevoir des visites est
indiscutablement admis par tous les auteurs. Cependant, les Malékites y
apportent des limites en admettant que les enfants en bas âge d'un autre lit
peuvent être reçus par leurs mères tous les jours, afin d'être surveillés par elle.
En revanche, ceux qui sont plus âgés ainsi que le père et la mère de la femme,
n'auront droit qu'à une visite hebdomadaire. Curieusement, ce sont les auteurs
394 Ibn Acim, Tohfa Al Hukam, trad. par L. Bercher, Alger, LE.D., 1958, p. 252 .
. 4 ; _

167
Hanéfites qui se montrent plus ngoureux sur cette question, comme le
témoigne le passage suivant de Kassani : "Le mari a le droit d'interdire aux
mère, père, enfants d'un autre lit et parents de degré prohibé de sa femme, de
venir la voir chez elle, car la maison est sa maison à lui et il a le droit d'en
interdire l'accès à qui bon lui semble, mais il ne lui appartient pas de les
empêcher de la voir et de lui parler hors de chez elle, à moins qu'il ne craigne
leur mauvaise influence auquel cas cette tolérance pourrait être supprimée396.
Il reste que notre présent jugement concerne deux époux issus de
deux cultures différentes. Le mari, en l'occurrence le sieur Benjelloun A., est
marocain et attaché à sa culture397. Tandis que sa femme, sénégalaise, est
obligée de vivre sa propre coutume qui exalte la solidarité du groupe. Aussi, la
maison sénégalaise ne fenne-t-elle jamais sa porte aux parents et visiteurs, ce
que la famille marocaine ne ferait pas non plus certainement. Mais les
Marocains sont en général plus réservés et plus individualistes en matière de
vie conjugale. Ainsi, tout ce qui a trait à l'intimité de la famille ou de la femme
en général est entouré de tabou chez les Arabes, ce qui n'est pas forcément le
cas au Sénégal.
395 Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi Musulmane, trad. G.R. Bousquet, Paris, 1956, livre Il,
P96l~~L.D. Bellefonds, Traité de Droitmusulmancomparé, Mouton, 1965, 1. II, p. 202.
397 L'attachement des Marocains à leurs us et coutumes, ce qui du reste, est normal, est
attesté par une source coloniale où il est dit: "l'appartenance des Marocains, contrairement
aux nègres à un Etat reconnu, à une civilisation séculaire, fait qu'il leur est difficile de renier
leur patrie [... ] ; de plus il est impossible de les intégrer aux sociétés dans lesquelles ils
vivent".
Cette même source mentionne le nom de Benjelloun A. qui doit être le même que celui cité
dans notre espèce, lequel fut "l'un des plus grands commerçants marocains à Saint-Louis et
qui avait d'intenses activités politiques dont l'un des aspects était par exemple le soutien
matériel qu'il prodiguait au leader de l'opposition sénégalaise Galandou Diouf' (cf Akmir
(A.), Le statut juridique des marocains de l'Afro Occ., le Mali comme exemple, Colloque
intemational de Tombouctou, 14 août 1995, pp. 3 et 6).
:MUNi. z:
-_f

168
Voilà autant de raIsons qui expliqueraient le refus du SIeur
Benjelloun de recevoir sa belle-mère chez lui. Or c'est la coutume du sieur
Benjelloun qui est notamment codifiée par Khalil, la référence principale du
juge en l'espèce398 . Et cette coutume a bien plis le pas sur celle de la
plaignante, c'est-à-dire la coutume sénégalaise qui demeure ignorée par la
solution dégagée en l'espèce.
La puissance maritale peut-elle conférer au mari le droit d'exercer un
contrôle sur la correspondance de sa femme?
B - Le contrôle de la correspondance
L'analyse d'une décision rendue par le Tribunal Musulman de Saint-
Louis en date du 13 septembre 1913 nous permet de conclure que le droit de
contrôle du mari peut aussi s'exercer sur la correspondance de sa femme. Les
faits de la cause sont très significatifs. En l'espèce, le sieur Abdoul S. désirant
rentrer chez lui dans le Fouta Kane] voulait emmener sa femme. Celle-ci
interrogée sur le désir de son mari, répond qu'elle ne peut pas partir avec son
mari ; car celui-ci l'a toujours brutalisée et elle a peur que ce mauvais
traitement continue une fois qu'ils seront à Fouta. Le mari interrogé sur cette
accusation, dit qu'il ne l'a jamais frappée, seulement il désire l'emmener pour la
corriger de certains méfaits. Le tribunal invita la femme à prouver ses
déclarations, et elle présenta dix témoins qui ont tous déclaré avoir vu son mari
la brutaliser et l'entendre dire en la frappant "je me vengerai de ta peau".
398 Quoi qu'on puisse dire, Khalil intègre bien des coutumes arabes dans son recueil. La
valeur juridique de la coutume a été du reste soulignée par Je Grand Cadi de Saint-Louis,
Bécaye Bâ (v. Doc. n° 01 précité en annexe).

169
Mais aucun témoin n'a pu dire pour quel motif ce mauvais traitement
était infligé à la dame. Le mari invité à répondre, dit que "sa femme avait
toujours des relations illégales avec d'autres personnes et il avait trouvé des
preuves précises en présentant des lettres d'amour que la femme échangeait
,
399
avec quelqu'un a Dakar"
.
Le tribunal ouï les parties, prit la décision suivante:
"Attendu que si une femme se plaint d'avoir été frappée par son mari
et ne peut pas fournir des témoins et que le mari dit que c'est par
correction qu'il l'a frappée, c'est le dire du mari qui fait foi; Attendu
que d'après des preuves palpables, Abdoul S. ne faisait que corriger
sa femme pour mauvaise conduite ; "Attendu que d'après la
Moudawana, l'homme peut contraindre sa femme à le suivre partout
où il veut ;Attendu que Abdoul S. est dans son droit, déboute Awa
T. de sa plainte et l'invite à suivre son mari".
Si on analyse les faits de l'espèce, on verra que le mari commence
par invoquer son désir, ou son droit d'emmener sa femme dans le Fauta avant
de prétendre avoir découvert les lettres d'amour que celle-ci échangeait avec
quelqu'un à Dakar. D'où il faut conclure que le mari ne faisant plus confiance à
sa femme, cherchait à l'éloigner de Saint-Louis où elle recevait ses
correspondances.
En outre, si le mari déclare avoir trouvé des preuves précises, "des
preuves palpables" selon les propres tennes du Cadi, en désignant les lettres de
sa femme, c'est qu'il les a délibérément cherchées et découvertes. Aussi, en
assimilant les «lettres d'amour» découvertes par le mari à des preuves
399 V .
07
. Jugement n
4.

170
palpables, le Cadi autorise-t-il imphcitement ce dernier à contrôler les
correspondances de sa femme.
Ce jugement en dit long sur l'étendue des POUVOIrs de contrôle
reconnus au mari sur sa femme. Le Cadi dit-il clairement que "le mari Abdoul
S. est dans son droit" ; et la plaignante est déboutée de sa plainte.
La position du tribunal ne pouvait pas être plus claire. Le Cadi a
nettement pris parti en faveur du mari. Il s'est même comporté comme un juge
répressif à l'égard de la plaignante qui doit être corrigée pour sa mauvaise
conduite. Dix témoins ont déposé en sa faveur, mais c'est peine perdue car ces
témoins ne savent pas pOlir quel motif la femme était frappée. Or, selon le
tribunal, c'est elle qui a tort.
Nous insisterons davantage sur le droit des femmes battues un peu
plus loin. Pour l'instant, il convient d'examiner assez brièvement la question de
savoir si la puissance maritale accorde au mari le privilège de surveiller la
cOlTespondance de sa femme.
Il n'existe à notre connaissance aucun texte accordant au mari le
privilège d'accéder au secret de la correspondance de sa femme contre son gré
ou par des moyens frauduleux. Et le Cadi n'en a cité aucun dans les motifs du
présent jugemen1.
Nous avons plutôt de bonnes raisons de croire que cela devrait être
interdit en vertu du verset qui dit: "0 vous qui avaient cru ! Evitez de trop
conjecturer [sur autrui] car une partie des conjectures est pêché. Et n'espionnez
pas, et ne médisez pas les uns des autres. L'un de vous aurait-il mangé la chair

171
de son frère mort? [Non] ! Vous en aurez l'horreur,,4oo. Said Qotob a abordé ce
verset et en a conclu que «même l'enquête judiciaire ne saurait justifier la
pratique de l'espionnage. Les hommes doivent plutôt être jugés d'après leurs
actes »40J.
Il cite au passage le cas d'un homme traduit en justice au motif que
sa barbe laissait apparaître des tâches de vin. Le Cadi répondit aux accusateurs
qu"'il nous est défendu d'espionner. Mais si on nous saisit d'une affaire bien
,
1
d
.d'
.
,,402
prouvee, nous a pren rons en conSI eratlOn
.
Saïd Qotob conclut que "les valeurs qui font la fierté des Nations les
plus démocratiques et les plus attachées au droit de l'Homme depuis 1400 ans,
ne représentent rien à côté de la haute portée de ce verset coranique,,403.
Cet auteur n'envisage pas les relations entre époux dans son
commentaire. Mais puisqu"il est interdit aux musulmans d'espionner et de
conjecturer, il doit nOTI11alement être interdit au mari d'épier sa conjointe et
d'ouvrir ses lettres sans son consentement.
Du reste, on comprend aisément pourquoi cette question n'a pas
préoccupé nos cadis: au Sénégal, la plupart des femmes sont restées
analphabètes jusqu'au milieu du siècle dernier. Si on excepte les rares épouses
qui savaient lire des lettres «wolofal »404, celles capables d'entretenir une
405
correspondance secrète en langue française étaient quasiment inexistantes
.
400 1 S. 49, v. 12.
401 Saïd Qotob, Fi Dhilalil Qorane, T., Le Caire, 1986, pp. 3345 à 3346.
402 ibid.
403 Ibid.
404
Il s'agit des lettres en langue wolof avec des caractères arabes.
405
Par contre, dans un pays comme la France où les femmes sont lettrées et libérées, la
jurisprudence a clairement décidé qu'lm époux ne peut verser aux débats les lettres

172
Aussi est-il permis à l'époux en velW du plincipe de la suprématie
maritale, de contrôler les sorties de sa femme.
§ 2 - Contrôle des déplacements
Le droit de regard du mari sur les sorties de sa fenm1e est confirmé
par la jurisprudence (A). De plus, les époux dont les femmes s'absentent sans
leur autorisation peuvent compter sur la complicité du tribunal qui leur intime
l'ordre de regagner leur domicile conjugal (B).
A - Le droit de regard du mari
Le droit reconnu au mari de surveiller les déplacements de sa femme
est confirmé par la jurisprudence à travers de nombreuses décisions:
Dans un jugement rendu par le Tribunal Musulman de Saint-Louis
en date du 25/1 0/1889, la nommée Nianga prétendait que son mari, le sieur
Massamba Nd. l'avait répudiée et renvoyée de chez lui. Le mari interpellé
déclara que sa femme lui désobélt, sort sans son autorisation et discute avec ses
apprentis.
échangées entre son conjoint et un tiers qu'il aurait obtenues par violence ou fraude.
Mieux encore, la France a supprimé la puissance maritale depuis 1938 ( Cf. Capitant H.,
Les G.A.l.F. civ., 7c édit. Dalloz, 1976, p. 104).
Le code de la famille sénégalaise a consacré le principe de la puissance maritale en son
art. 152 : «le mari est le chef de la famille. Il exerce son pouvoir dans l'intérêt commun
du ménage et des enfants. Mais un timide effort vient d'être accompli par le Réseau
Parlementaire sur la Population en vue de modifier la rédaction dudit aJ1icle de la manière
suivante: « la qualité de chef de famille est attribuée au moment de la célébration à l'un
des époux en accord avec l'autre. La décision est notifiée alors à l'officier d'état civil qui
enregistre l'accord des époux. Le chef de la famille exerce ce pouvoir dans l'intérêt
commun des enfants ». (Cf. Rapport provisoire de l'étude sur les mesures législatives et
réglementaires relatives aux problèmes de population, Touba Kouta, août 1996, p. 20) .
• ,.U_"lfl,,' •.

173
Le Cadi lui demanda de prouver ses déclarations et il cita des
témoins qui se contentèrent de dire: "le mari a dû un jour se plaindre devant
nous de la mauvaise conduite de sa femme à son égard sans que nous n'ayons
. "
' d '
,,406
assIste a aucune scene e menage
.
La femme persista à nier les déclarations du mari. Le Cadi estimant
qu'il était impossible de les réconcilier, appliqua 1'" Idjtihad" afin de les juger:
il partagea la dot fixée à 160 Dirham entre eux. Mais étant donné qu'une partie
de la dot (le naqd) composée d'un esclave dont le prix était estimé à 55
Dirham, plus 8 Dirham en espèces, en avait été déjà remise à la femme au
moment de la conclusion du mariage, il n'en restait qu'un kali (le reliquat) de
97 Dirham à payer par le mari.
Dans une deuxième affaire jugée le 09/01/1908, concernant les
époux Fama K. et Koura S., cette dernière déclarait que son mari la battait
souvent et la maltraitait. Le mari intenogé répondit qu'il n'avait nullement
porté préjudice à sa femme et s'il la battait, c'est qu'elle s'était montrée indocile
à son égard et sortait sans son autorisation.
Le Cadi exigea de la plaignante de prouver ses allégations mais
elle en était incapable. Il tenta dès lors de les réconcilier avant d'intimer l'ordre
à la femme de réintégrer son domicile conjugal à la condition de le ressaisir si,
à l'avenir, le mari ne se comportait pas bien à son égard. La femme refusant
d'obtempérer, fut mise en demeure de rejoindre son mari ou, à défaut, de lui
restituer la dot407 .
406 Jugement n° 75.
407 Jugement n° 76.

174
Puis dans une troisième affaire le 10/09/1947, la nommée Rokhaya
D. déclarait en justice: "mon mari me frappe souvent, c'est pourquoi je ne
peux plus continuer le mariage". Le mari invité à répondre, déclara: "Nous
nous sommes battus [ma femme et moi] trois fois, parce que je lui défendais
les mauvaises fréquentations et elle me répondit que je ne pouvais l'empêcher
de faire ce qu'elle voulait, ce qui m'a obligé à la corriger. Mais, malgré tout, je
veux qu'elle continue le mariage et pour cela, j'accepte de lui donner un cadeau
de conciliation de 500 F,,40S.
Le tribunal ouï les parties, rendit la décision suivante:
"Attendu qu'il résulte du débat qu'il n'y a que querelle de ménage
entre les époux; Attendu que d'après Sidi Khalil, le mari dont la
femme se montre désobéissante, commence par lui donner des
avertissements, puis la repousse de son lit et, enfin, lui donne des
coups s'il croit que l'effet en puisse être utile; par ces motifs et ces
textes, ordonne à la femme de suivre son mari et de lui obéir;
ordonne au mari de se conduire convenablement vis-à-vis de sa
femme".
Enfin, dans un quatrième jugement plus récent rendu le 01/12/1971,
la nommée a.D. déclarait devant le Tribunal de Saint-Louis: "je porte plainte
contre mon mari, B.S.S. qui, au cours de notre mariage, employait des moyens
illicites pour se servir de moi ... , il m'enchaînait au pied du lit et ne me
déchaînait que pendant les moments qu'il me donnait à manger ou se mettait en
contact sexuel avec moi. Cest ma co-épouse qui était pmiie à la police pour
408 J.
07
ugement n
7.

175
dénoncer le geste de mon mari à mon égard. Je ne peux plus continuer le
mariage,,409.
Le mari interpellé, nia les déclarations de la femme en disant: "Ma
femme n'a jamais été enchaînée mais j'avais acheté une chaîne pour lui faire
peur. C'est le Commissaire de Police qui m'avait dit d'enchaîner ma femme, de
ce fait, elle n'abandonnerait plus le domicile conjugal, et les arrangerait d'un
côté de mes recherches ; et je ne suis pas d'accord sur le divorce qu'elle
sollicite" .
La co-épouse de la plaignante interrogée à sont tour, confirma la
version de sa rivale en déclarant que leur mari avait effectivement remis 1.000
F à chacun des quatre hommes qui avaient capturé sa femme; elle ajouta en
décrivant la scène: "comme les enfants curieux s'intéressent à contempler les
partie génitales nues de la femme qui pleurait, je dis à mon mari: on n'a pas à
déshonorer une femme de la sorte".
Et le tribunal, après avoir délibéré, prit la décision suivante:
"Attendu que le mari déclare que sa femme n'a jamais été enchaînée,
mais qu'il avait acheté une chaîne pour lui faire peur, et c'est le
Commissaire de Police qui lui avait dit d'enchaîner sa femme ;
Attendu que [l'autre] épouse du sieur B.S.S. déclare à l'audience que
le smnedi 13 mars 1971, dans la nuit, son mari et plusieurs hommes
sont débarqués de trois taxis emmenant sa femme. O.D. toute nue;
Attendu que d'après Khalil, la femme peut obtenir le divorce contre
son mari lorsqu'elle est l'objet de sévices (manque d'entretien,
manque de cohabitation, manque de rapports sexuels) ; Attendu que
la nommée O.D. est l'objet de tous ces sévices; Attendu que d'après
409 Jugement n° 78.

176
le livre des Quatre Ecoles, p. 393, quand l'animosité règne entre les
époux et devient intense de sorte qu'ils transgressent la loi divine,
dans ce cas la séparation est nécessaire avec ou sans leur
consentement; Attendu qu'il y a lieu de prononcer le divorce dans
leur intérêt. Le tribunal déclare dissous le mariage ayant existé entre
lesdits époux pour sévices et ordonne à la femme d'observer le délai
de retraite légale".
Ces quatre jugements illustrent le droit reconnu au mari d'interdire à
sa femme de sortir sans sa permission. Dans la première espèce remontant à
1889, le mari a répudié sa femme qui, selon lui, sort sans son accord. Mais il
n'a apporté aucune preuve sérieuse à l'appui de sa déclaration. Les témoins
cités se contentèrent de dire qu'ils n'ont assisté à rien. Le tribunal prit
néanmoins acte de la répudiation prononcée. Mais puisqu'il s'avérait
impossible d'établir les torts du mari, le Cadi n'avait autre solution que de
recourir à l'Idjtihad en partageant le montant de la dot entre les époux.
Dans la deuxième espèce remontant à 1908, le mari reconnaît avoir
battu sa femme qui sort sans son avis, mais nie lui avoir porté préjudice. Le
tribunal n'a retenu aucun grief contre lui. Par contre la femme qui n'a pu établir
son innocence, a été mise en demeure soit de réintégrer son domicile conjugal,
soit de payer la dot au mari.
Ce jugement confirme également le droit de contrôle du mari sur les
sorties de sa femme, parce qu'on en a déduit que le fait pour le mari de battre sa
femme qui sort sans son autorisation ne constitue pas un préjudice pour elle.
Dans la troisième affaire rendue en 1947, le mari contrôle les
fréquentations de sa femme et la corrige. Le Cadi lui donne raison en

177
ordonnant à la femme de le suivre et de lui obéir. Soulignons au passage qu'il a
été permis au mari d'offrir un cadeau de réconciliation de 500 F à sa femme
avant d'en arriver au pire: le divorce.
Or, cette cuneuse pratique de "cadeau de réconciliation,,4lo
permettrait à bien des maris de soumer le chaud et le froid en même temps: on
pourrait battre sa femme si elle commet la moindre faute et lui offrir un cadeau
de conciliation pour apaiser sa colère.On prétend; que "la femme est majeure
.c.
.
d
. ,,411
par ses lautes et mmeure par ses r01ts
.
En cas de dissension entre époux, Khalil prévoit le recours à
l'arbitrage: "le juge dépêchera aux conjoints deux arbitres choisis parmi les
membres de leurs fanùlles, si possible, et on recommande que ce soient les
deux voisins,,412. Le système d'arbitrage est, du reste, prévu par de nombreuses
législations musulmanes contemporaines413 .
Enfin, dans la quatrième espèce, la plus récente remontant à 1971, le
man commet un véritable crime contre l'honneur de la femme. De plus, la
qualification des torts imputés à la plaignante en l'espèce, est erronée.
410 Il s'agit d'une coutume locale bien consacrée par notre jurisprudence ; voir à titre
d'exemple les Jugements 25, 42 et 46 précités.
411 Voir citation de Louise Weiss in Jeune Afrique n° 1807 du 24 au 30 août 1995, p. 80.
412 Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi Musul. Trad. G.R. Bousquet, livre II, p. 64, Paris, 1956,
p.64.
413 Le Code de la Famille algérien en a clairement décrit la procédure en ces tenues: "Si la
mésentente s'aggrave entre les deux époux et le tort n'est pas établi, deux arbitres doivent être
désignés pour les réconcilier. Les deux arbitres, l'un choisi pam1Î les proches de l'époux et
l'autre parmi ceux de l'épouse, sont désignés par le juge à charge pour lesdits arbitres de
présenter un rapport sur leur office dans un délai de deux mois (cf. art. 56 de la loi n° 84-11
du 09/06/1984 portant Code de la Famille algérien). V. également la Moudawana marocaine
(art. 56 al. 3), trad. par F.P. Blanc et Co, Ed. Soche presse Université, 1986. V. également
Code du Statut Personnel Unifié des pays du Golfe, art. 101, Ed. Shorty (s.d.).

178
Le mari prétend qu'elle a abandonné le domicile conjugal. Or, tout
laisse croire, d'après les faits de l'espèce, que la femnle cherchait plutôt à se
dégager de l'emprise d'un mari qu'elle n'ajamais aimé, d'où la fugue.
Parce que d'après nos coutumes les plus usÜées, quand une épouse
abandonne le domicile conjugal (Fay), elle regagne aussitôt celui de ses parents
ou se réfugie provisoirement auprès de ses amis qui attendent le mari sur un
pied de guerre, soit pour rompre le mariage ou de négocier le retour de la
femme à son foyer.
On imagine donc mal comment un mari oserait venir arracher sa
femme des mains de ses parents ou amis et l'emmener de force.
Que déclare, en fait, le mari ? Il nie avoir enchaîné sa femme, mais
reconnaît avoir acheté une chaîne pour lui faire peur, et obéi aux directives du
Commissaire de Police qui lui aurait conseillé de l'enchaîner afin d'éviter que la
police ne soit toujours obligée de se mettre à sa recherche chaque fois qu'elle
aura abandonné le domicile conjugal.
Depuis quand a-t-on vu la police s'occuper de la poursuite des
épouses qui abandonnent le domicile conjugal ? Aussi, la rivale de la
plaignante a-t-elle clairement déclaré à l'audience que "le samedi 13 mars 1971
dans la nuit, son mari et plusieurs hommes sont débarqués de trois taxis
emmenant sa co-épouse O.D. toute nue",
Dans quelle circonstance cette capture a-t-elle pu avoir lieu ?
Comment et où le mari et ses hommes ont-ils pu attraper la femme, la ligoter et
la ramener à la maison? Cette capture n'aurait jamais été possible si les parents
et amis de la femme étaient présents. A moins de supposer qu'ils l'auraient tout

179
simplement Uvrée manu militmi à son mari; hypothèse possible si on sait que
la coutume traditionnelle et islamisée autorise le père à marier sa fille vierge
sans solliciter son consentement, même si elle a atteint la nubilité414 .
Par conséquent, nous estimons que la présente espèce ne constitue
pas un strict cas d'abandon de domicile conjugal même si le mari veut nous le
faire croire afin de justifier la sanction infligée à la femme.
Même dans un cas d'abandon de domicile conjugal, il n'est jamais
permis au mari d'enchaîner sa femme, encore moins de la traîner toute nue
dans la rue. Aussi, le droit de contrôle que ce mari a entendu exercer sur sa
femme est-il excessif et contraire aux principes les plus élémentaires des droits
de la personne. Il est également regrettable que le crime que ce mari a commis
soit demeuré impuni, le Cadi dont les compétences sont bien limitées en
matière pénale ne pouvait en effet que se résoudre à séparer les deux époux
dans leur propre intérêt, comme il le dit lui-même.
Aussi, est-il ahUlissmlt de constater que jusqu'au début du siècle, les
époux dont les femmes s'absentaient contre leur gré pouvaient saisir les Cadis
de leur ressort qui leur intimaient l'ordre de regagner leur domicile conjugal.
B - La complicité des Cadis: la monrassala
Il est en effet curieux de constater qu'au début du siècle dernier, les
maris dont les épouses osaient partir en voyage sans y être autorisées ou celles
dont la durée du voyage dépassait le délai autorisé, pouvaient compter sur la
complicité des Cadis qui, dans leur "mourassala", obligeaient ces femmes à
414 V. Cha bas J., Le mariage et le divorce dans les coutumes des ouolof, L.G.DJ., 1952, p. 8.

180
regagner leur foyer. La "mourassala" est un échange de correspondance entre
deux magistrats, l'un demandant à l'autre d'intervenir sur un litige dont il a été
lui-même saisi au niveau de sa circonscription. La procédure est clairement
définie dans la Tohfa d'Ibn Acem au vers 33 du chapitre relatif à la
comparution du défendeur et à ce qui s'y rapporte.
Cette pratique "est courante en Tunisie soit entre les Cadis des
diverses circonscriptions à l'intérieur de la Régence, soit entre ceux-ci et le
Cadi de Tunis dont ils ne sont que des représentants,,415. Elle est également
bien utilisée au Sénégal. Ainsi, les Cadis de l'intérieur du Sénégal pouvaient
consulter le Grand Cadi de Saint-Louis sur un cas d'espèce embarrassant par
416
voie de mourassala
.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis a malheureusement fait usage
de la pratique de la "mourassala" à maintes reprises dans le but de limiter la
liberté de circulation des femmes mariées. Nous en citerons quelques exemples
afin d'étayer nos propos.
D'abord, dans une "mourassala" datée du 2/03/1916, le Cadi de
Saint-Louis s'adressant à son confrère de Rufisque, lui écrit: "J'ai l'honneur de
vous faire savoir que le nommé Faka S., menuisier, s'est présenté devant nous
en déclarant que sa femme a dépassé le délai qu'il lui avait accordé pour aller
voir sa sœur à Rufisque. Cette femme n'est pas rentrée jusqu'à présent, n'a
même pas écrit. Par conséquent, nous vous prions de bien vouloir convoquer
cette femme et lui ordonner à rejoindre immédiatement son domicile conjugal.
Signé le Cadi Aynina Seck,,417.
415 V. Ibn Acem, La Tohfa Al Hukam, trad. par Léon Bercher, Alger, LE.o., 1958, p. 254.
416 V. correspondance adressée par le Cadi Bécaye Bâ à son confrère du village de Sabe à
propos de l'usage de la coutume en justice (Doc. N° 1 produit à l'annexe).
417 Arch. T.M.S., R.1916, Lettre n° 22.

181
Ensuite, dans une autre mourassala datée du 24/04/1916, le Cadi de
Saint-Louis écrivit à son homologue de Dakar: "J'ai l'honneur de vous faire
savoir que le nommé Amadou B., marabout à Sor, s'est présenté devant nous
déclarant que sa femme Seynabou L. est partie pour Dakar depuis longtemps
sans son autorisation et qu'il demande aujourd'hui à ce que cette femme
rejoigne le domicile conjugal. Nous vous prions de bien vouloir inviter cette
femme à retourner auprès de son mari. Cette femme habi te avec sa soeur A.K.
chez Mb. S. quartier Khock. Signé le Cadi Aynina Seck,,418.
Puis, dans une autre correspondance, datée du 07/03/1917, le Cadi
de Saint-Louis s'adressant à celui de Podor, lui disait: "J'ai l'honneur de vous
faire savoir que le nommé Diali Bal, demeurant à Saint-Louis s'est présenté
devant nous en déclarant qu'il n'avait accordé que deux mois de permission à sa
femme Boudou S., lorsqu'elle se rendait à Podor à l'occasion du décès de son
père. Mais elle y est restée deux mois de plus. Nous vous prions de bien
vouloir convoquer cette femme et lui ordonner à rejoindre son domicile
conjugal. Signé le Cadi Aynina Seck,,419.
Enfin, dans une "mourassal a" datée du 07/03/1917, le même Cadi
écrivit au Commissaire de Police de Kébémer : "J'ai l'honneur de vous faire
savoir que le nommé Amadou F. s'est présenté devant le Tribunal Musulman
de Saint-Louis déclarant que sa femme, la nommée Jiddad F., est absente pour
Kébémer sans son autOlisation. Cette femme demeure chez Y.F., femme de
M.T., employé de la Maison :NIaurel et Frères. Nous vous prions de vouloir
bien convoquer cette femme et lui ordonner à rejoindre son domicile conjugal.
Signé le Cadi Aynina Seck,,420.
- - - - - - ~---~
418 Arch. T.M.S., R.1916, n° 33.
419 Arch. T.M.S. R.1917, n° 33.

182
Les réponses des autorités judiciaires contactées par le Cadi de
Saint-Louis ne nous sont pas parvenues. Mais il ne fait aucun doute que les
épouses recherchées à travers ces correspondances étaient toutes tenues
d'obtempérer à la convocation du juge et de déférer au voeu de leur mari, sans
quoi, elles étaient contraintes soit de regagner leur foyer, soit, à défaut de
rembourser la dot conTIne en témoigne une décision de justice rendue le
29/09/1935. En l'espèce, le nommé Ndiaye S. déclarait que sa femme lui avait
demandé une pemussion d'un mois pour se rendre à Thiès et elle y est restée 13
mois malgré ses appels. Par conséquent, il s'adressait à la justice pour
reprendre sa femme. La femme convoquée répondit que son mari la maltraitait,
la frappait et l'insultait. Par conséquent, elle ne pouvait plus vivre avec lui et
désirait obtenir sa liberté.
Le tribunal après avoir exan1iné l'affaire, condamna la dame à verser
à son mari la somme de 535 F que représentait la dot pour avoir sa liberté421 •
Ces décisions reposent sur une certaine vision du mariage musulman
qui renforce la puissance maritale et limite considérablement la liberté de la
femme. Au centre de cette conception, on trouve l'importance accordée au
Mahr (la dot) et au domicile conjugal.
D'abord, la dot est considérée comme une survivance du temps où la
fille était effectivement vendue par ses parents au mari422 • Dès lors, le premier
devoir de toute épouse est de se plier à la volonté de son mari.
420 Arch. T.M. R.1917, na 34.
421 J"
a
9
ugement n 7 .
422 V. Chabas (J.), Le mariage et le divorce dans les coutumes des ouolofs, L.G.DJ., 1952, p.
la.

·W·'-H"'··
A
184
D'où les limites apportées par notre jurisprudence à la liberté de
circulation des femmes mariées.
Il est une autre raison qui explique la sévérité du contrôle exercé sur
les femn1es, c'est qu'elles ne jouissent pas de leur pleine capacité juridique.
Aussi, est-il fonnellement interdit à la femme mariée de voyager plus de deux
Jours sans être accompagnée par son époux ou par un parent au degré
prohibé427.
Il faut dire que cette jurisprudence n'arrange pas du tout les femmes
marchandes qui, de nos jours, se rendent à l'étranger sans le moindre contrôle
de leur mari.
Au total, la plupart des cas examinés ci-dessus ont reçu des solutions
contestables. Des abus innombrables sont commis sur les femmes. Le droit de
l'épouse au déplacement, à la libre circulation, à recevoir la visite de ses
parents ou ses correspondances est limité ; tandis que la doctrine de la
puissance maritale est renforcée par les juges. Il s'agit d'une jurisprudence d'un
autre âge. Car, il faut reconnaître qu'au début du siècle dernier, les idées
d'émancipation, de liberté et d'égalité de droits et devoirs de l'homme et de la
femme étaient presque méconnues au Sénégal.
427 D'après un Hadith, "il est interdit à la femme mariée de voyager plus de deux jours sans
être accompagnée par son mari ou par une personne au degré prohibé" (Cf. Cheikh Salih
A.S., Diawaahir al Iklil, s.d., Le Caire, 1. l, p. 163.
Khalil enseigne quant à lui qu'elle ne peut se rendre à la Mecque pour accomplir le
pèlerinage sans être accompagnée par un parent au degré prohibé ou par son mari (Cf.
Khalil, livre 11, p. 44).

185
On serait bien tenté de paraphraser Xénophon qui disait que Dieu a
créé les femmes pour les fonctions du dedans; l'homme pour toutes les autres.
Pour les femmes, il est honnête de rester au foyer et malhonnête de traîner
dehors.
Aussi, la diminution de la capacité juridique de la femme l'oblige-t-
elle, pour bien des actes, à solliciter l'autorisation maritale.

186
CHAPITRE II
LA DIMINUTJON DE LA CAPACITE JURIDIQUE DE L'EPOUSE
Certaines incapacités de jouissance et d'exercice qui affectent la
femme dans le mariage sont essentiellement liées à sa personne, c'est-à-dire à
son sexe.
D'abord, elle ne peut ni conclure ni rompre son propre manage
(Section 1). Ensuite, son droit est loin d'égaler celui de son mari en matière de
preuve et des successions (Section II).
SECTION 1 - L'INCAPACITE DE LA FEMME DE CONCLURE ET
DE ROMPRE SON PROPRE MARIAGE
La femme ne peut, en principe, apporter son agrément à son propre
mariage. Le droit organise la tutelle matrimoniale à son profit (§ 1) et reconnaît
au mari le privilège de mettre fin au mariage de manière discrétionnaire (§ 2).
§ 1 - L'obligation de présence du wali de la femme au contrat
de mariage
Notre jurisprudence consacre le principe de la wilaya (la tutelle
matrimoniale) et en
fait
une prérogative masculine (A).
Mais cette
jurisprudence demeure ambiguë au sujet de la pratique du "jabre" (la contrainte
matrimoniale (B).

187
A - L'exercice de la wilaya: une prérogative masculine
Les cas de jurisprudence que nous citerons en exemple, à l'exception
d'un seul, montrent clairement que l'exercice de la "wilaya" est exclusivement
réservé aux hommes. Il ne pouvait d'ailleurs en être autrement étant donné que
le droit malékite auquel se réfèrent nos Cadis prévoit expressément que "le
wali contractant devra être de condition libre, de sexe masculin et capable,,428.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis a eu à appliquer ce principe à
l'occasion du litige survenu le 24/03/1892 entre le sieur Omar D. et sa femme
Hawa D. Le premier déclarait en justice que sa femme avait abandonné le
domicile conjugal et ne lui obéissait plus depuis quelque temps.
Cette dernière, interpellée, déclara que son mari l'avait d'ailleurs déjà
répudiée, ce que celui-ci nia complètement.
Le Cadi exigea de la dame d'apporter ses preuves et elle cita des
hommes qui se montrèrent incapables de prouver ses allégations; le tribunal
estimant dès lors que ses déclarations étaient "vaines" lui intima l'ordre de
rejoindre son mari. Mais son père présent à l'audience, déclara sur l'instant
même sans être démenti par le mari, que le mariage de sa fille avait été conclu
par sa mère sans son autorisation.
Par conséquent, le tribunal conclut que ce mariage contracté sans la
présence
du
wali
est nul
d'une
nullité
absolue
conformément aux
429
enseignements de Khalil
.
428 Ibn Acem, Tohfa Al Hukam, trad. L. Bercher, Alger, I.E.O., 1958, vers 346, p. 53.
429 Jugement n° 80.

188
Cette jurisprudence est simple dans son interprétation. Elle montre,
d'une part, qu'une femme ne peut valablement conclure le mariage de sa propre
fille. Il en ressort d'autre part, que la non présence du tuteur légal au mariage
de sa fille entraîne sa nullité absolue. L'union devra être dissoute même après
consommation. Mais il n'y aura pas de peine de fornication, la femme aura
droit à la dot d'équivalence et les enfants seront légitimes, que les époux soient
de bonne foi ou de mauvaise foi en raison de la "Subha" (l'ambiguïté ou

incertitude suivant le cast .
La solution adoptée en l'espèce est en conformité absolue avec les
textes. "Le Prophète, aux dires de Aïcha, aurait affirmé: la femme qui se marie
sans l'autorisation de son wali, contracte un mariage nul, nul, nul, le mot
«batil» étant répété trois fois. Ailleurs, une formule plus lapidaire: pas de
mariage sans wali, tout mariage auquel n'assistent pas les quatre personnes
suivantes : le prétendant, le wali et les deux témoins est de la basse
fornication,,431.
L'institution de la wilaya est, en outre, défendue par un auteur en ces
termes: "Il est essentiel qu'une fille sans expérience sexuelle consulte son père
et obtienne son consentement avant de contracter un mariage ; les pères
connaissent mieux la mentalité des hommes et pensent à l'intérêt de leurs filles.
Donc, la loi qui exige le consentement du père ici ne méprise pas la femme,
loin de là, elle cherche seulement à la protéger,,432.
Il faut cependant reconnaître que ces arguments, quelle qu'en soit
leur beauté, ne convainquent guère les femmes qui réclament le droit de se
marier librement sans la présence d'un tuteur, la possibilité de demander le
43jO YL.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, 1. II, p. 50.
43'1
.
, Op. Clt. p. 51.
i
1

189
divorce sans subir de représailles ct enfin celle de ne pas être répudiées,
rejetées comme un objet hors d'usage..433.
Y. Linant de Bellefonds semble soutenir la thèse des féministes
quand il écrit: "La femme a donc moins de pouvoir que l'esclave mâle qui peut
conclure en personne son propre mariage, pour peu que le maître lui ait donné,
434
à l'avance, la pemlission
, "la femme n'ayant qu'une aptitude intellectuelle et
morale inferieure à cene de l'homme, il est préférable de laisser à son pr9pre
parent mâle le soin de conclure l'acte le plus important de sa vie : le
mariage ,,435 .
Cette remarque n'engage que son auteur mais elle donne bien à
réfléchir. Car, si nous considérons la tradition et la pratique des juges, nous
constaterons que la "wilaya" procède d'une logique patriarcale susceptible
d'amener l'arbitraire compte tenu de l'étendue de l'autorité du walL
Il existe deux jugements qui illustrent ce point de vue.
Dans le premier rendu le 08/0211892, le nommé Ndiabou déclarait
devant le Cadi qu'après avoir demandé et obtenu la main de la nommée Walid
F., la nièce du sieur Samba D., celle-ci devait le rejoindre à la demeure
conjugale. Mais quand elle fut emmenée, elle refusa obstinément d'y rester et
retourna aussitôt auprès de son oncle Samba D. et lorsqu'il interpella ce
demier, celui-ci lui fit comprendre qu'il avait violé la condition qui lui était
fixée, à savoir que sa nièce serait sa première femme (Awo)436. Or, quand
432 Ayatollah :\\1.M., Les droits de la femme en Islam, Téhéran, 1987, p, 25.
433 Soual, Rev. quadrimestrielle n° 4, 1983, p. 187.
434 Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit Musulman, Mouton, 1969, 1. lI, P. 49.
435 0
't
5/
p. Cl ,p. ~.
436 La place de la "Awo" est très prisée dans la polygamie. C'est la "Awo" qui gère les
affaires du mari el elle a la prééminence sur ses rivales.

190
celle-ci est allée chez lui, grande était sa surprise de trouver une autre femme à
sa place.
Le non respect de cette condition a été donc interprété par le sieur
Samba D. comme une répudiation prononcée contre sa nièce, et il la maria
aussitôt à un autre sans même avoir remboursé sa dot au mari plaignant.
Pour juger l'affaire, le tribunal estima que la condition fixée par ce
tuteur est nulle et non avenue d'après Ibn Acem qui enseigne que: « les clauses
contraires à la nature du contrat ne sauraient être stipulées valablement; quant
aux autres, elles sont admises, si les parties s'y soumettent de leur plein
gré»437.
En conséquence de quoi, Samba D. fut condanmé à restituer sa dot
au marit438.
Dans la seconde décision rendue le 12/0111874, le nommé Noh
sollicita l'intervention de la justice musulmane de Saint-Louis dans le litige qui
l'opposait au sieur Baka D. le tuteur matrimonial de sa femme. Il voulait
emmener sa femme à son domicile conjugal, tandis que ses parents voulaient
qu'elle restât encore quelque temps auprès d'eux à cause de son jeune âge. Le
Cadi estimant que le délai requis pour conduire une nouvelle mariée à son
domicile conjugal est d'un an, fit le décompte et trouva que la fille était déjà
restée 8 mois chez ses parents depuis la conclusion du mariage. Par
conséquent, l'ordre fut donné au mari de laisser encore la fille pendant 4 mois
chez ses parents afin qu'elle complétât le délai normal439.
437 lbn Acem, Tohfa AI Hukam, trad. L. Bercher, 1958, vers 383, p. 59.
438 Jugement n° 81.
au-

191
Il ressort de ces deux jugements que le wali, outre l'autorité qu'il
exerce sur sa fille ou sa pupille, comme le confimlent les exemples concernant
la pratique de "jabre" que nous verrons un peu plus loin, peut également dicter
sa loi au mari.
Cette jurisprudence montre en outre, que le contrat de mariage se
négocie et se conclut entre hommes par-dessus la tête de la femme qui n'est
que l'objet du contrat.
Cela dit, il convient de relever quelques erreurs de fond dans les
jugements précités.
D'abord, s'agissant de la première espèce, sur quoi le Cadi s'est-il
basé pour dire que la condition fixée par le wali, à savoir que sa pupille serait
la première femme (Awo) de son mari n'est pas valable?
Aussi le vers 383 de la Tohfa cité à l'appui du jugement semble-t-il
mal interprété car en quoi la clause stipulée en l'espèce par le wali serait-elle
contraire à ]a nature du mariage?
Ce qu'on pourrait, à la limite, reprocher au mari, c'est de n'avoir
pas respecté ses engagements vis-à-vis du wall; mais cette condition reste
valable. D'ailleurs, le droit malékite est très conciliant de ce point de vue. Il
suffit que la clause soit "utile" à l'un des conjoints sans contredire les effets
normaux du mariage pour être valablement insérée dans les conditions
matrimoni ales440.
439 Jugement n° 82
440 Y.L.D. Bellefonds, traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, 1. TI, p. 92.

192
Le Cadi semble d'ailleurs varier sur cette même question parce
qu'il avait déjà rendu quelques années auparavant un jugement qui contredit
celui-ci. Il s'agit de l'affaire des époux Momar D. et Fatou F. où il citait
également ce même vers de la Tohfa, c'est-à-dire le vers 383441 •
Rappelons les faits: le 14/02/1885, le sieur Momar D. déclarait
devant ce même magistrat que sa femme avait refusé de le suivre pour aller à
l'endroit où il faisait son commerce. La femme interrogée répondit que son
refus de suivre son mari était motivé par deux raisons. D'abord, celui-ci la
frappait ; ensuite, il avait plusieurs épouses et elle avait déjà beaucoup
voyagé avec lui depuis trois ans. Il appartenait à ses autres femmes de
voyager à leur tour.
Le Cadi lui demanda de prouver ses allégations et elle en fut
incapable. Mais, sur l'instant même, son oncle exhiba son certificat de
mariage où étaient mentionnées les clauses dont le mari avait lui-même
accepté l'insertion dans le contrat, lesquelles clauses stipulaient clairement
que ce mari n'aurait jamais le droit de voyager avec deux femmes en même
temps et emmènerait plutôt chacune à son tour.
Le Cadi jugea d'abord que ces conditions étaient valables et que
même si elles n'étaient pas stipulées dans le contrat, elles n'en resteraient pas
moins valables parce qu'elles sont consacrées par le "orf' (la coutume)
comme tout mari polygame doit être en mesure de le savoir.
441
Jugement n° 83.

193
Et le Cadi de citer ensuite le Miyaar442 qui rapporte un "fetwa" du
savant Ibn Rochd à qui on avait posé la question suivante: "qu'est-ce qu'on
doit valablement écrire sur les clauses matrimoniales 7" et qui répondit :
"toute condition consacrée en la matière par les "orf' devra être tenue pour
valable" .
Par conséquent" ajouta le Cadi, cette condition ne fait pas partie de
celles entraînant la nullité du mariage, comme l'enseigne, du reste, Ibn Acem
: «les clauses contraires à la nature du mariage ne sauraient être stipulées
valablement, quant aux autres, elles sont admises si les parties s'y soumettent
·
d 1
1
,443
e eur p em gre»
.
En explicitant le sens de l'expression: "quant aux autres", le Cadi
précisa qu'il s'agit des clauses qui demeurent compatibles avec la fin du
mariage, comme par exemple le droit que pourrait se réserver la femme
d'imposer à son mari de rester monogame, de ne pas la déplacer de chez elle
et de ne pas prendre de concubines, etc.
Le man fut condamné par le tribunal à se conformer à ses
engagements.
Nous avons du mal à concilier ces deux jugements rendus par un
même Cadi. S'agit-il d'un revirement jurisprudentiel? rien n'est moins sûr.
442
Il s'agit probablement du célèbre recueil des Fetwa ou Fatawa (avis juridiques) des
savants d'Ifriqiya et de J'Andalousie composé par Abi al Abaas Ahmad Yahya Al
Wanchirichi mort à Fès en 9J4 H.
443
Vers 383 de la Tohfa précité.

194
Ensuite, s'agissant de la seconde espèce où il est dit que le délai
requis pour conduire la nouvelle mariée à son domicile conjugal est d'un an,
nous pensons que le Cadi est mal fondé à adopter un tel jugement.
Nous n'avons trouvé aucune trace de cette réglementation dans les
textes. Nous pouvons, cependant, nous tromper de lecture.
Nous pensons que ce délai doit plutôt dépendre de l'âge de la fille.
Car il est évident que si elle a atteint la maturité matrimoniale, il ne serait
point nécessaire de faire observer à son mari le délai d'un an avant de la
conduire à sa demeure conjugale.
Le moms qu'on pUIsse dire de cette solution est qu'elle est
contraire aux usages locaux, absurde et arbitraire.
En revanche, il serait intéressant de noter la tendance que notre
jurisprudence aura prise au cours des années trente, tendance consistant à
atténuer la rigueur des textes organisant la tutelle matrimoniale.
C'est ainsi que dans son arrêt du premier mars 1936, la Chambre
Musulmane de la Cour d'appel de Dakar opposera une fin de non recevoir à
un tuteur matrimonial qui demandait la dissolution du mariage de sa sœur
conclu sans son autorisation. Etant absent depuis longtemps, le beau-frère de
la femme consentit à son mariage sans qu'il ne fût averti.
La Cour d'Appel considéra que "la non intervention au mariage du
tuteur désigné par la loi pem1et à ce dernier de demander la dissolution du
mariage s'il a été tenu volontairement à l'écart ou si l'union est entachée de
l'un des vices énumérés par la loi, que rien de tel n'existe dans le procès

195
actuel, que par suite, ce tuteur n'a qu'à s'en prendre à lui-même si ses droits
de tuteur matrimonial ont été méconnus, qu'en tout cas, il est aujourd'hui mal
fondé à venir demander la dissolution d'un mariage qui, par ailleurs, paraît ne
.
.
,,444
contenu aucun VIce
.
Cette jurisprudence est constante dans la mesure où elle confirme
celle que cette même Cour avait adoptée deux années auparavant en rejetant
la requête d'un mari qui prétendait que "la demande en divorce introduite par
sa femme n'est pas recevable; que seul le père de cette femme aurait qualité
pour demander en justice le divorce".
La Cour considéra que le mariage se conclut par le consentement
des époux et que c'est à la demande des époux que le mariage peut être
rompu,,445.
On peut dire que cette solution rehausse tant soit peu la femme en
dégageant son mariage des entraves qui l'environnent de la part du tuteur
matrimonial.
Aussi, dans une affaire plus récente jugée le 24/0311971, le
Tribunal Musulman de Saint-Louis a-t-il déclaré valable le mariage qu'une
grand-mère fit contracter à sa petite-fille en dépit de l'opposition du père de
cette dernière. Le père prétendait que sa fille avait été donnée en mariage par
sa grand-mère sans son autorisation. Mais l'intéressée rétorqua qu'elle aimait
son fiancé et que même si son père parvenait à les séparer en rompant le
mariage, elle le suivrait et se mettrait à sa disposition.
444 Arch. T.D.D., Aff. Du 1e mai 1936, M. Diakhoumpa cl Daouda W.
445
Arch. T.D.D., Aff. Du 03 aoüt 1934, Ibrahima S. cl Seynabou D.
.A."~~

196
La grand-mère de la fille, qui avait notanmlent conclu ce mariage,
ne se présenta pas à l'audience et ne désigna aucun mandataire. Le tribunal
446
trancha néanmoins l'affaire en se basant sur les vers 50 et 51 de la Tohfa
et
. .
1
.
447
mamtmt e manage
.
Cette position libérale de la jurisprudence repose-t-elle sur une
base légale?
A vrai dire, cette solution n'est légale qu'au regard du droit
Hanéfite dont les légistes "ne manquent jamais de faire état d'une décision du
Calife Ali qui aurait déclaré valable un mariage qu'une mère fit contracter à
sa fille en dépit de l'opposition des wali,,44S.
L'exercice de la "wilaya" pose un autre problème juridique non
moins préoccupant: la pratique du "jabre".
Mais le "jabre" (la contrainte matrimoniale) ne suscite, hélas,
qu'une jurisprudence ambiguë chez nous.
B - Une iurisprudence ambiguë en matière de "Jabre"
Les musulmans sénégalais semblent avoir accueilli favorablement
le droit Malékite autorisant le "jabre".
446
Ces vers 50 et 51 qu'il ne serait pas nécessaire de citer ici sont relatifs à la procédure
de comparution devant le Cadi.
447 Jugement nO 84.
448 YL.D. Bellefonds, Le Droit musulman comparé, Mouton, 1965, 1. II, p. 52.
Aussi, un Hadith dit-il : "Unc femme ne peut marier une autre femme", (YL.D.
Bellefonds, op. cit. p. 61).

197
D'après ce droit, "si la jeune fille est vierge ou tout au moms
prétendue telle, le père peut l'obliger à contracter mariage ll449.
Or, cette pratique était déjà si courante au Sénégal que le
législateur colonial en était amené à intervenir par le décret du 15/06/1939
qui disposait en son article 2 que: "le consentement des futurs époux est
indispensable à la validité du mariage,,45o.
Ce décret colonial a été favorablement accueilli par les notables
qui composaient les tribunaux indigènes avec plus de réticence, au contraire,
par les Cadis qui, pour éviter d'appliquer un texte qui limite le droit du père
de famille sur la personne de ses filles, déclaraient que parmi les causes
qu'ils ont à trancher, il ne s'en présente jamais donnant matière à l'application
du décret du 15/06/1939,,451.
Ceci explique la rareté des décisions de justice concernant cette
question. Car, si l'on en croit Chabas, les Cadis dissimulaient les cas de jabre
dont ils étaient saisis afin de rester en confonnité avec le décret du
15/06/1939.
Il existe néanmoins des exemples typiques traduisant l'embarras
des Cadis au sujet de cette pratique qui est bien prévue par le rite Malékite,
mais bannie par le droit colonial.
449
El Hadjoui (M. M.), La femme dans le Droit musulman, Imp. Casa, Maroc, 1967, p.
lI.
450 Chabas J., Le mariage et le divorce dans les coutumes ouolofs, L.G.DJ., 1952, p. 8.
451
Chabas, op. cit. p. 9.

198
Ainsi, dans son jugement du 13/06/1959, le Tribunal Musulman de
Saint-Louis a tout juste regretté le fait qu'une fille ait été contrainte d'épouser
un homme qu'elle n'aimait pas.
Le Cadi avait déclaré en l'espèce : "si réellement la jeune fille
n'était pas consentante, il n'y avait pas de raison de célébrer le mariage. C'est
un grand tort pour les parents d'obliger leur fille à consommer le mariage".
L'union n'en fut pas moins maintenue. La fille fut condamnée à rejoindre son
.
'1'
b
1 d 452
man ou a U1 rem ourser a ot
.
Dans une affaire similaire jugée le 21/06/1961, la nommée
Marème D. prétendait avoir été donnée en mariage à l'âge de treize ans sans
son consentement. Par conséquent, elle déclarait ne pouvoir continuer le
mariage avec le nommé Saliou D. qu'elle n'a jamais aimé.
Le tribunal trouva un moyen subtil afin de "couper la poire en
deux" : il sépara les deux époux en se basant sur la Rissala qui autorise le
Khou1453 . Or, cette solution ne s'imposait pas en l'espèce parce qu'elle
pénalisait la femme qui n'avait pas tort, sinon qu'elle refusait de s'unir à un
homme qu'elle ne pouvait aimer. Cependant, la décision lui a permis de
retrouver sa liberté.
Il aurait été plus judicieux d'annuler le mariage en question pour
défaut de consentement de la femme. Cette solution nous paraît timide et
ambiguë.
452
Voir le jugement nO 13 précité.
453
Jugement na 85.

199
On se rappelle l'affaire des époux Mbagnick N. contre Fagueye N.
dans laquelle la femme déclarait avoir été battue à mort par son frère lors de
.
.
454
la consommatlOn du manage
.
Cette jurisprudence en dit long sur les états d'âme des cadis qui
n'ont, en fait, à ce que nous sachions, annulé aucun mariage pour défaut de
455
consentement de la femme. Et Chabas n'en a cité aucun exemple
.
En évoquant un seul cas de nullité prononcée par Je Tribunal de 1er
degré de Dakar où la femme se plaignait d'avoir
été attachée lors de la
consommation du mariage, Chabas en conclut qu"'on ne trouve que très
rarement des espèces aussi nettes; généralement, il s'agit de mariages pour
lesquels la volonté de l'épouse a été forcée,,456.
A vrai dire, nos Cadis avaient plusieurs raisons pour appliquer le
droit de jabre tout comme ils en avaient autant pour le condamner.
D'une part, le droit de jabre est consacré par le rite Malékite en
457
vIgueur chez nous
. De plus, cette pratique est bien ancrée dans les
454 V .
0
42
, . ,
. Jugement n
precIte.
455
Tl est bien vrai que Chabas n'étudie que le mariage et le divorce dans les coutumes
ouolofs comme l'indique le titre de son livre. Mais étant donné qu'il souligne la
"réticence" des Cadis sans citer d'exemples à l'appui de sa thèse, cela peut signifier que
ces cas étaient soit rares, soit tout simplement inexistants. Il ne cite qu'un jugement rendu
par le Tribunal de 1er degré de Dakar qui ne regarde pas le droit musulman (op. cit. p. 9).
456 Chabas, op. cit. p. 9.
457
D'après Khalil, "exercent le droit de jabre : le maître sur sa servante, le père sur sa
fille folle ou vierge. Il l'exerce aussi sur la déflorée si elle est impubère, même du fait d'un
mariage valable ou si elle est pubère et n'est pas vierge par suite d'accident" (Khalil
B.Ishaq, L'Abrégé de la Loi Musu1., selon le rite Malékite, trad..G.R. Bousquet, 1956,
livre II, p. 17 et s.).
FS.D. . __dl

200
mœurs458 . D'autant plus qu' «il est légitime de penser qu'un père n'usera du
droit de jabre que dans l'intérêt de sa fille pubère mais demeurée vierge donc
inexpérimentée. L'amour qu'un père porte normalement à ses enfants est la
meilleure garantie contre un usage abusif du droit de jabre »,,459.
D'autre part, le droit de jabre étant banni dans la colonie, les Cadis
devaient s'en abstenir sous peine d'être révoqués. Aussi, un moindre effort
d'Idjtihad leur aurait-il permis d'écarter cette pratique qui se justifie mal au
regard du Coran et de la Sounna.
Aussi, ne peut-on sérieusement considérer (comme l'ont tenté
certains Fuqaha) que le verset suivant du Coran XXXIII,36 : « il ne convient
pas aux croyants et aux croyantes de suivre leur propre choix si Dieu et son
apôtre en décident autrement », vise le droit de jabre. Quant aux Hadith, on
n'en trouve guère de probant dans le recueil de Boukhari et de Muslim460.
Nous savons qu'il existe des querelles byzantines autour de la
question, mais il n'y a pas lieu d'y insister davantage, la jurisprudence
sénégalaise ne lui ayant consacré que des solutions timides et ambiguës.
Nos l11agistrats adoptent la position d'Ibn Acem qui n'admet le
"jabre" qu'à regret. L'auteur de la Tohfa enseigne qu'il est recommandé de
demander à la fille vierge son consentement46J .
458
"Aussi arrive-t-il que des mariages soient célébrés symboliquement ou collectivement
au baptême de l'enfant (Se jour de la naissance) ou collectivement par le marabout (Cf.
Femmes Sénégalaises à l'Horizon 2015, Dakar, 1993, p. 13S).
459 Y.L.D. Bellefonds, Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t. II, p. 62.
460 0
.
63
p. CIt. p.
En fait, "ce droit ne trouve pas son fondement dans le Coran ou dans la sunna; c'est une
institution de l'époque préislamique dont la doctrine et la jurisprudence ont sanctionné les
pratiques et la légalité" (Cf. F.P. blanc, Le Droit Musulman, Dalloz, 1995, p. 42).
461
V. 361 de la Tohtà, p. 57.
-

201
Il vient d'être démontré que la capacité matrimoniale et personnelle
de la femme est limitée parce que seul l'homme est habilité par la loi
musulmane à conclure le mariage. Aussi, la femme n'est-elle jamais appelée
à consentir à la rupture du lien conjugal: le pouvoir de répudiation constitue
un droit exclusif du mari.
§ 2 - Un droit de répudiation discrétionnaire reconnu au mari
Ce qu'il faudrait d'emblée noter, c'est que les droits des épouses
sont souvent menacées du
fait de l'absence de
garantie contre les
répudiations impulsives (A) et la mauvaise protection des intérêts matériels
de la répudiée (B).
A - Absence de garantie contre les répudiations impulsives
Les répudiations impulsives ou spontanées sont le fait des maris
qui ne respectent pas les dispositions prévues par la Charia en matière de
répudiation (Talaq). Or cette pratique est d'autant plus dommageable aux
épouses que les Cadis ne peuvent nullement obliger les maris à respecter les
conditions préalables à observer avant le prononcé de la répudiation.
Ainsi, la lecture de bon nombre de jugenlents pemlet de conclure
que la plupart des répudiations prononcées l'ont été sous l'effet de la colère,
par un "coup de sang".
Par exemple, dans l'affaire du 25/06/1958 ayant opposé la dame
Ndoumbé T. à son mari, le sieur Ndiaw Mb., celle-ci déclarait avoir discuté
avec son mari qui l'avait frappéeet répudiée devant les témoins Mbaye S. et

202
Gora S. «Maintenant, ajouta-t-elle, le mari nie avoir prononcé le divorce ».
Ce dernier invité à répondre, déclara qu'il n'a pas répudié sa femme et que
ses allégations sont fausses. Quand ce fut le tour des témoins présumés d'être
interrogés par le Cadi, ils déclarèrent que le mari avait effectivement
«divorcé sa femme» devant eux. Par conséquent, le Cadi prit la décision
suivante:
"Attendu que d'après Khalil pour qu'il y ait divorce valable, il faut
deux témoins de sexe masculin; attendu que la fonnule de divorce
est prononcée devant des témoins de sexe masculin [en l'espèceJ.
Par ce motif, Je tribunal maintient le divorce prononcé; dit que la
fenm1e est libre depuis la fin de sa période de retraite légale,,462.
Aussi, dans J'affaire du 03/03/1972, à la suite d'une dispute à
propos de l'entretien de sa femme, cette dernière, la dame Arame Mb. se voit
répudier par son mari, le sieur Absa D. lequel a regretté son geste en
déclarant qu'il avait tenu des propos dont il ne se rappelle plus.
La femme déclara que son mari l'avait copieusement injuriée et
demanda
par
conséquent
au
tribunal
de
confirmer
la
répudiation
463
prononcée
Il en a été également ainsi dans l'affaire des époux Cheikh Touré cl
Thiendougou D. où la femme avait été répudiée en pleine audience464.
462
Jugement nO 86. Le mot divorce employé est impropre en l'espèce. C'est le tenne
"répudiation" qui aurait dû être utilisé.
463
Arch. T.M.S., Affaire du 03/0311972, le sieur Absa D. c/ Dame Araille Mb., R.1972.
464 V . .
° 10
o ' .
Olr Jugement n
precite.

203
Etant donné les caractères intempestifs de ces ruptures, il y a lieu
de croire que les conditions de la répudiation sunnite n'ont pas été respectées
par les époux.
La répudiation sunnite doit être prononcée dans une période
intermenstruelle (Tuhr), doit être une non seulement par la formule, mais par
le sens et durant cette période intermenstruelle il ne doit pas y avoir eu de
rapports conjugaux entre les deux époux. Enfin, elle ne doit pas être suivie
d'une autre répudiation pendant la retraite légale de la femme (Idadat65 .
«Celui qui prononce la répudiation en dehors d'une période de
pureté en sera empêché et sera contraint de reprendre sa femme »466, « s'il s'y
refuse, le magistrat l'y contraindra par les menaces, les coups et la prison. Si
malgré cela, il persiste dans son refus, le Cadi prononce la reprise de plein
droit, c'est-à-dire qu'il passera outre la volonté du mari. Elle est en effet, une
volonté coupable, mais le mari pourra naturellement répudier sa femme par
la suite »467.
465 Ibn Acem, Tohfa Al Hukam, Trad. L. Bercher, Alger, LE.O., 1958, p. 3] 8.
466 Op. cit. vers 224, p. 79.
467
a
.
p. Clt. p. 319.
Dans certaines législations contemporaines comme, par exemple, celle du Maroc et des
pays du Golfe, la répudiation prononcée par le mari en complet état d'ivresse ou sous la
contrainte ou au cours d'une colère lui enlevant en tout ou en pmiie le contrôle de lui-
même, reste sans effet. Et "si la répudiation intervient au cours d'une période menstruelle,
le juge contraint l'époux à reprendre la vie commune" (v. art. 49 et 47 du Code du Statut
personnel. .. la Moudawana Marocaine, Trad. F.P. Blanc et R. Zeidguy, 1986).
Aussi, est-elle sans effet, la répudiation prononcée par un époux ne jouissant pas de toutes
ses facultés mentales ou par un mari en colère (v. mi. 83 code du Statut personnel des
pays du Golfe, Al chourty, s.d.).
Le code de la famille algérien qui confond divorce et répudiation se contente de dire que
"si le juge constate que le mari aura abusivement usé de sa faculté de divorce, il accorde à
l'épouse le droit aux dommages et intérêts pour le préjudice quelle a subi" (V. art. 52 de la
loi nO 84-11 du 09/06/1984 portant Code la Famille algérien).

204
Or, dans la pratique judiciaire sénégalaise, toute ces prescriptions
sont demeurées lettres mortes. Aussi, n'avons-nous rencontré aucune
décision de justice où un mari, après avoir répudié sa femme d'une manière
illégale, fut contraint de la reprendre. Et cela se comprend parfaitement, si
l'on sait que nos Cadis ne disposaient d'aucun moyen de contrainte à l'égard
468
des maris récalcitrants
.
De plus, la plupart des textes anciens que nos juges app1iquaient
autorisent le mari à mettre fin au mariage d'une manière discrétionnaire sans
être tenu de motiver sa décision. Au demeurant, le Cadi n'a pas à intervenir
pour apprécier les conditions de légalité d'une répudiation "du moment qu'ils
'agit d'un acte qui a conservé jusqu'à ces dernières années un caractère
domestique n'exigeant même pas la présence de témoins sauf chez les
Chiites,,469.
Le droit musulman classique ne se SOUCIe guère de justifier la
prérogative exorbitante du mari de dissoudre le lien conjugal de manière
unilatérale. En revanche, les auteurs contemporains troublés par les critiques
adressées à l'endroit de la répudiation unilatérale par les défenseurs des droits
de la femme, s'ingénient à justifier cette institution dont certains musulmans
470
souhaiteraient voir la réforme ou l'abolition pure et simple
.
468
Les Cadis étaient seulement compétents en matière civile. Mais les pouvoirs publics
prêtaient main-forte quand les agissements de l'accusé étaient de nature à troubler l'ordre
public colonial.
469
Y.L.D. Bellefonds, traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, p. 135.
470
La répudiation unilatérale a soulevé un débat passionnant dans notre droit positif et
dans la doctrine.
Ainsi lors de l'élaboration de notre code de la famille en 1971, le Ministre de la Justice
disait: "l'une des options fondamentales a été la suppression de la répudiation. Tolérée
par le Coran, elle a été rejetée par les législations récentes de certains Etats musulmans
comme contraire au respect dû à la personne de la femme". A quoi répondit le Conseil
Supérieur Islamique : "Cette déclaration ne peut être prise en considération par un
musulman croyant en Dieu et en son Prophète. Dieu a toléré le mariage et la

205
Aussi, la répudiation unilatérale, compte tenu des maUVaises
circonstances (la colère ou l'ivresse du mari, etc.) dans lesquelles elle
intervient généralement, sacrifie-t-elle les droits de la répudiée.
B - Mauvaise garantie des droits de la répudiée
En effet, l'imprécision des solutions adoptées en matière de
paiement du kali (reliquat de la dot) comparée à la clarté des textes
prévoyant le remboursement de la dot par la femme au mari en cas de Khoul
prouvent que les droits du répudiateur sont mieux garantis que ceux de la
répudiée.
Trois solutions différentes consacrées au cours d'une même année
par un même cadi permettront d'illustrer cette jurisprudence.
D'abord, dans son jugement du 25/07/1895, le Cadi de Saint-Louis
déclara: "le nommé Samba Nd., après avoir spontanément répudié sa femme
devant les témoins Djibril, Abdoulaye Nd. et Yatma K., lui a remboursé au
cours de l'audience 30 dh représentant le "kali" de sa dot,,471.
Ensuite, dans une autre affaire jugée le l er août de la même année,
le même Cadi décida ainsi: « le nommé Ali D. a confirmé devant nous qu'il
versera un dh par mois sur le kali de 60 dh dû à la dame Mariama répudiée à
tire définitif (baïne) »472.
répudiation ... " (Voir P.V. de réunion du CS.!. du Sénégal, Dakar, le 03/0111971, Doc.
Inédit, p. 8).
Aussi, un critique iranien a-t-il pu écrire: "Il est honteux d'accorder le droit de divorce au
mari seulement, à notre ère de l'atome, des lunes artificielles et de la démocratie"
(Ayatollah M.M.), Les droits de la femme en Islam, Téhéran, 1e éd., 1987, p. 208.
47\\
Jugement nO 87.
472
Jugement n° 88.

206
Enfin, dans une troisième affaire jugée le 17/1 0 de la même année,
le même juge rendit le jugement suivant: "Nous avons condanmé le sieur
Galo K. à compléter la dot due à la dame Soukeyna qu'il a répudiée dans sa
correspondance du 1311 0/1895. Il s'agit d'un kali évalué à 60 dh. Nous le
recommandons avec le nommé Natako D. qui se trouve à Dakar afin qu'il le
.
. ,
l
1
,,473
Ul verse mtegra ement
.
Le Cadi a appliqué trois modes de règlement du kali (le reliquat de
la dot). Il a d'abord utilisé un mode de paiement instantané. Il a ensuite
utilisé un mode de paiement par acompte et enfin un mode de paiement par
procuration.
Or, de ces trois modes, seul le premier présente une garantie pour
la répudiée; tandis que les deux autres sont aléatoires.
S'agissant du mode de paienlent par acompte, rien ne prouve que le
mari répudiateur respectera ses engagements et versera 1 dh par mois à son
ex-épouse, quoique le jugement en question soit revêtu de l'autorité de la
chose jugée. Aucune garantie n'a été, en tout cas, prise contre le répudiateur.
Le paiement par procuration est également hypothétique car rien
ne garantit que les personnes intermédiaires s'exécuteront COllll11e le prévoit
le juge.
En revanche, quand la femme est tenue de restituer la dot au mari,
à l'occasion du khou1 (la répudiation négociée), aucun moratoire ne lui est
accordé. La restitution de la dot doit, dans ce cas, s'effectuer séance tenante,
sans quoi la femme ne pourrait racheter sa libreté. La jurisprudence Malékite
473 Jugement nO 89.

207
est claire sur cette question: en cas de khoul, aucun délai n'est accordé à la
Jè:

1 d
·474
lemme pour restItuer a ot au man
.
Le
khoul
a
une
signification
étymologique
et juridique.
Etymologiquement, elle signifie "enlever un vêtement de son corps" ; "vos
épouses sont vos vêtements et vous êtes le leur", a dit le Coran (S. II, verset
187). Et juridiquement, le khoul est le divorce obtenu par la femme
moyennant compensation financière (iwad) au profit du mari.
On s'accorde donc à reconnaître qu'en pratique, l'absence de
compensation soit tout à fait exceptionnelle; le cas de khoul sans "badel",
c'est-à-dire sans contrepartie aucune constituant en somme, une hypothèse
d'école475 . Aussi, l'école chaféite n'admet-elle pas la possibilité d'un khoul
sans compensation; le cas échéant, le mari aurait droit, en vertu de la loi, à la
dot d'équivalence476.
Toutes les garanties nécessaires sont donc prévues pour permettre
au mari de récupérer la dot en cas de khoul et, il est même écrit que si une
femme ayant exercé le khoul venait à mourir" on puisera sur ses biens la
somme nécessaire à éteindre sa dette477.
D'autres solutions consacrées par la jurisprudence et la coutume
frisent la pusillanimité à l'égard de la répudiée. La jurisprudence décide par
exemple que la femme ne peut avoir droit de conserver que les habits qu'elle
avait reçus du mari trois mois avant le divorce478 . Toutes les écoles, à
474
Cf. Al Wancharichy, Al Miyaar, Rabat, 1981, 1. III, p. 321.
475
De Bellefonds (YL.), Le Droit musulman comparé, Mouton, 1965, 1. II, p. 424.
476 Op. cit. p. 437.
477
Ibn Acem, Tohfa Al Hukam, Trad. L. Bercher, Alger, 1958, p. 83.
478
De Bellefonds, (YL.), Le droit musulman comparé, 1. TI, p. 259 .
...... ·•.,,40- . • .

208
l'exception de celle Hanéfite, admettent que les vêtements remis à la femme
par avance sont susceptibles d'être récupérés par le mari s'il répudie sa
femme avant la saison suivante. Si, par exemple, le mari fournit à sa femme
en été tous les vêtements et ceux d'été et ceux d'hiver et avant l'arrivée de
l'hiver répudie celle-ci, Chaféites et Malékites lui reconnaissent le droit de
reprendre les vêtements d'hiver, car il s'agit d'une prestation anticipée,
devenue caduque du fait de la répudiation479 .
En outre, tout le monde peut constater que dans la pratique, la
femme musulmane sénégalaise répudiée, fût-ce à titre révocable (Radji)
quitte aussitôt le domicile conjugal pour regagner le domicile de ses parents;
alors que dans un pareil cas, les droits des époux découlant du mariage
demeurent tels qu'ils étaient avant la répudiation. Le mari étant toujours
obligé de continuer à pourvoir à l'entretien, au logement et à l'habillement de
sa femme, tandis que celle-ci lui doit obéissance48o.
Aussi, est-il intéressant de signaler que l'institution de la "Moutaa"
est quasiment ignorée par la pratique judiciaire sénégalaise. La "Moutaa" est le
don de consolation que tout mari qui prend l'initiative de répudier sa femme
doit lui offrir, compte tenu de ses moyens et de la situation de la répudiée.
Cette institution est notamment prévue par le Coran (S. Il, V. 236t81 . Elle vise
la réparation du préjudice subi par la fenm1e du fait de la répudiation482•
479 Ibid.
480 De Bellefonds (YL.), Le Droit musulman comparé, Mouton, 1965,1. Il, p. 396.
481
Ce verset dispose : "Donnez-leur toutefois quelques biens convenables dont elles
puissent jouir. C'est un devoir pour les bienfaisants".
482 Cf Chahboune (A.A.), Corn. du Stat. personnel marocain, Rabat, 1987, t 1, p. 249.
Toutefois, le C.F. marocain consacre la solution adoptée par la majorité des Oulémas ct
dispose en son article 60 que: "tout mari qui prend l'initiative de répudier sa femme, doit lui
offrir un don de consolation (Moutaa) qui sera fixé compte tenu de ses moyens et de la
situation de la femme répudiée (Cf. Moudawana marocaine, trad. F.P. Blanc, 1986, p. 37).

209
Tous les rites, à l'exception du Malékisme, enseignent que "la
Moutaa" est obligatoire. Le droit Malékite estimant seulement qu'elle est
recommandée.
Il faut donc reconnaître que la répudiation unilatérale est bien
discriminatoire à l'égard de l'épouse; l'inégalité de droits entre époux est très
manifeste sur cette question. Nous allons également constater qu'en matière de
succession et de preuve testimoniale, la situation de l'épouse n'est pas plus
avantageuse.
SECTION II -INEGALITE ENTRE EPOUX EN MATIERE DE
PREUVE TESTIMONIALE ET DE DROIT
SUCCESSORAL
Le droit musulman classique consacre l'inégalité de l'épouse par
rapport au mari sur un double plan. D'abord sa capacité est limitée en matière
de preuve (§ l). Ensuite, son droit successoral est inférieur à celui du mari (§
2).
§ 1 - La capacité limitée de l'épouse en matière de preuve
La preuve testimoniale de l'épouse est valable pour les questions
ayant trait aux biens, mais elle est inefficace en ce qui concerne le mariage et la
répudiation.

210
A - La validité du témoignage de la femme en matière de
biens
La capacité de l'épouse en matière de preuve testimoniale n'est
qu'une capacité limitée parce qu'elle ne vaut que pour les questions ayant trait
aux biens.
Cette règle est maintes fois illustrée par la jurisprudence. A titre
d'exemple, on pourrait d'abord citer l'affaire Khar Aly cl Nancy Dado jugée le
29/11/1897 par le Tribunal Musulman de Saint-Louis. Ce litige était relatif à
deux colliers et deux bracelets en or que la dame Khar Aly la fille de l'ex-
Bourba (le roi du Djoloff) déclarait avoir reçus de son père au moment où elle
allait rejoindre son mari dans le Fouta. Mais sa marâtre, Nancy Dado déclara
que ces bijoux lui appartenaient, que son mari Aly Bouri les lui avait tout
simplement empruntés pour sa fille Khar Aly qui se prêtait à aller dans le Fouta
et c'était à titre de prêt qu'elle avait consenti à donner les bijoux.
Khar Aly répliqua en disant qu'elle avait reçu lesdits bijoux de son
père à titre de cadeau d'usage et ne savait pas que cet or lui ait été prêté. Elle
ajouta que son père Aly Bouri avait disposé des dix captifs qu'elle avait reçus
de son mari en guise de dot.
Pour trancher l'affaire, le tribunal exigea d'abord de la dame Nancy
Dado de prouver ses allégations et elle cita les nommées Coura Bacine et
Bineta Seck qui confirmèrent ses dires en prêtant serment sur le Saint-Coran.
Nancy Dado elle-même prêta le même sennent tel que "la loi musulmane
l'exigeait d'ell e".
Le tribunal, se basant d'abord sur la doctrine d'In Rochd qui exige "le
serment de tout individu fOllliulant une constatation quelconque contre un
......1Ut,

211
mort,"en se référant ensuite sur la doctrine d'Abou Mouhamed qui dit que le
témoignage de l'épouse est accepté lorsqu'il s'agit des biens. En s'appuyant sur
ces principes, le Cadi condamna la nommée Khar Aly à rendre à Nancy Dado
les bijoux réclamés483.
Ce jugement fut infirmé par le Conseil d'Appel musulman le
14/01/1898 sur l'appel interjeté par Khar Aly.
Le Conseil d'Appel Musulman développa des arguments qu'il serait
intéressant d'exposer brièvement ici.
Considérant, disait-il, que des explications verbales fournies à
l'audience par l'appelante, il résulte que les bijoux lui avaient été donnés par
son père Aly Boun en 1890 à l'occasion de son mariage; qu'elle ne les avait
plus en sa possession, qu'elle ignorait que les bijoux n'étaient pas la propriété
de son père; que ces déclarations faites en la présence de Nancy Dado, n'ont
pas été contestées par elle;
Considérant que s'il a été établi devant le premier juge que les bijoux
étaient la propriété de Nancy Dado qui ne les avait remis à Aly Bouri qu'à titre
de prêt à usage, ce dernier seul est responsable du détournement qu'il a
commIS;
Considérant que celui qui a perdu ou auquel il a été volé quelque
chose peut le revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du
vol, contre celui des mains duquel 11 la trouve. Cette revendication ne lui est
pas ouverte en cas de simple abus de confiance;
483 Jugement na 90.

212
Considérant d'ailleurs qu'il s'est écoulé plus de trois ans depuis que
la donation a été faite par Aly Bouri à Khar Aly que les bijoux ne se trouvent
plus en possession de celle-ci; que c'est donc à tort qu'elle a été condamnée
personnellement à remettre les bijoux qu'elle avait reçus de bonne foi et qu'elle
ne détient plus,,484.
On note d'abord ici que le principe de la validité de la preuve fournie
par l'épouse en matière de biens est expressément consacré par la justice.
Le juge du fond s'est notamment référé à Abou Mouhamed, l'auteur
de la Rissala qui enseigne que le témoignage de l'épouse n'est admis que dans
485
les actions qui portent sur les biens
.
Ce même pnnCIpe est enseigné par Ibn Acem qui dit : "le
témoignage d'un homme conoboré par celui de deux femmes fait preuve dans
.
.
b'
486
tout ce qUI a traIt aux Iens
.
Cet anèt du Conseil d'Appel Musulman nous paraît contestable, car
s'il est vrai que la dame Khar Aly n'avait pas à rembourser les bijoux qu'elle
avait reçus de bonne foi de son père, il est également regrettable que sa marâtre
Nancy Dado ait été condamnée à perdre lesdits bijoux qu'elle n'avait fait que
remettre à Aly Boun (le père de l'appelante) à titre de prêt à usage.
484 AlTêt n° 91.
485 Ibn Abi Zeid AI Kayrawai, La Rissala Athanarou Dani Dar Fila (s.d.), Beyrouth, p. 250.
486 Ibn Acem, Tohfa Al Hukam, trad. L. Bercher, Alger, LE.O., 1958, p. 2.
Certains auteurs disent, en effet, que c'est seulement en matière de talion et de "lmdûd" que
le témoignage de la femme n'est pas admissible (Cf. Tyan E., Histoire de l'organisation
judiciaire en pays d'Islam, Ann, Univ. Lyon, 1943, p. 232).
Les Dhahirites admettent, quant à eux, que le témoignage de deux femmes avec un honune
est valable dans tous les cas sans exclusion (Cf. El Hajoui (M.M.), La femme dans le droit
musulman, Dar El K. Casa, 1976, p.16).

213
Le Conseil d'Appel Musulman a certes jugé que seul Aly Bouri
devait être tenu responsable de la perte des bijoux. Mais une telle décision ne
pouvait pas satisfaire la plaignante qui entendait récupérer son or.
Aussi, ne sommes-nous pas loin de partager l'avis du premier juge.
Car à défaut de pouvoir condamner l'ex-roi du Djolof, Aly Bouri, à rembourser
la valeur de cet or, il aurait fallu décider que la personne qui en avait profité,
en l'occurrence sa fille, sa principale hérÜière, les remboursât, ne serait-ce que
de sa part de l'héritage de l'ex-roi du Djolor87.
Au demeurant, la décision du Conseil d'Appel Musulman ne repose
sur aucune base légale. Les arguments opposés au premier juge n'ont rien à
voir avec la Loi Musulmane. Par exemple, la durée de prescription de trois ans
"pour vol", pour objet perdu et "abus de confiance" n'a aucun fondement en
droit Musulman.
En revanche, le jugement attaqué est fondé sur le sennent et la
preuve testimoniale qui constituent la preuve idéale en Droit Musulman.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis a eu également à consacrer la
validité du sennent coranique de la femme dans une autre affaire jugée le
14/0611908. En l'espèce, le nommé Samba D. tirailleur de son état, prétendait
avoir remis à la dame Aïcha S. 30 dh et des boucles d'oreille d'une valeur de
trois grammes d'or. Mais sur l'invitation du Cadi, il fut incapable de prouver
ses allégations. Par conséquent, il fut demandé à la défenderesse de prêter
487 "Alburi Ndiaye, ruler of the wolof kingdom of Jolof from 1875 tu 1890, was one of
Senegal's resistance leader against French aggrcssion. He djed in Niger having preferred
exile to surrcnder or defeat". (Cf. Eunice A. Charles (Af. Studies Center, Boston,
Massachusetts (U.S.A.), Albouri Ndjaye et la résistance à la conquête française du Sénégal,
Bull. IFAN, S.R n° 1-2,1982, p. 48).

214
sennent et elle jura sur Je Coran que le sieur Samba D. ne lui avait rien remis.
Elle fut purement et simplement acquittée488.
En revanche, le témoignage de la femme reste inefficace pour les
actes importants de sa vie: le mariage et la répudiation.
B - L'inefficacité du témoignage de l'épouse en matière de
mariage et de répudiation
Le principe de l'invalidité du témoignage de l'épouse en matière de
répudiation a été consacré dans l'affaire des époux Gallo, le policier et Mme
Diawa D.jugée le 10/0611889.
En l'espèce, le mari déclarait vouloir reprendre la vie commune avec
sa femme, ce que cette dernière refusa catégoriquement sous prétexte qu'elle
avait déjà été répudiée par son mari à titre définitif Mais en fait de preuve, elle
ne pouvait citer que des épouses qui attestèrent l'avoir entendu dire que son
mari l'avait déclarée haram (illicite) pour lui.
Le Cadi jugea que la répudiation ne peut être prouvée que par deux
témoins de sexe masculin489 .
Le principe selon lequel la répudiation ne peut être prouvée que par
des témoins de sexe masculin a été confümé dans l'affaire des époux Diama L.
et Malick S. En l'espèce, la femme déclarait que son mari l'avait répudiée. Ce
dernier intelTogé, répondit qu'il était malade et pensait que la répudiation
prononcée par un malade n'est pas valable. Le Cadi demanda à la femme
488 Jugement n° 92.
489 Jugement n° 93.

2IS
d'apporter ses preuves et elle cita deux témoins de sexe masculin qUI
déposèrent tous avoir entendu le mari prononcer la répudiation de sa bouche,
de son propre gré.
Le tribunal jugea dès lors que la répudiation était consommée parce
490
qu'elle était prouvée par deux témoins de sexe masculin
,
Sur la maladie invoquée par le défendeur en l'espèce, le Cadi cita la
Tohfa qui enseigne que la répudiation prononcée par le malade est valide. En
outre, le témoignage de la femme est irrecevable en matière de mariage selon
la doctrine de Khalil qui dit: "s'il y a contestation entre les deux époux au sujet
du mariage, son existence est établie par le témoignage de deux hommes". Si
quelqu'un affilme qu'une femme sans mari est son épouse et qu'elle le nie, on
ordonne à celle-ci d'attendre, pour se remarier, la production de témoins
proches de sexe masculin491.
En revanche, si une femme produit un témoignage au sujet de la
mort de son prétendu mari, elle jurera en produisant ce témoignage et en
héritera car il s'agirait d'une affaire patlimoniale.
L'existence d'un mariage ne peut être établie que par le témoignage
de l'homme. Tandis que le décès d'un mari peut être prouvé par le témoignage
d'un homme appuyé par le sennent de la femme qui héritera de lui492.
490 Kh 1'1
'
95
al, op, CIL, p,
.
491 Op. ciL P. 59.
492 Khalil, op, cit. , p. 58.

216
Il en découle que le témoignage de la femme n'est valide que si l'acte
à prouver se rattache non pas au "statut personnel", mais au "statut réel"
93
conune les droits du patrimoine (Houqoq al Maliyat .
On peut donc dire que le Droit Musulman limite la capacité
testimoniale de la femme aux questions secondaires du point de vue de l'Islam.
Parce que les matières importantes comme le mariage, le divorce, la
fornication, etc., sont soustraites à sa compétence.
Un juriste musulman a tenté de justifier l'infériOlité légale de la
femme en matière de preuve en se fondant sur le verset 282 de la Sourate II. Il
estime que la valeur du témoignage d'un homme est égale à celle de deux
femmes. Et cela a pour but d'obliger à faire chercher de préférence les témoins
parnn les hommes. Ainsi, la femme est dispensée de la charge de témoigner, en
ce qu'elle comporte de responsabilité lourde incombant aux hommes seuls. Il
estime que l'être humain est généralement sujet à l'oubli, de sorte qu'il est
distrait quant à la précision des faits sur lesquels il apporte son témoignage et
la femme dans ce domaine est plus exposée que l'homme. Mais il n'y a rien en
494
cela qui soit de nature à porter atteinte à sa considération
.
Ces arguments ne sont guère convaincants pour nous. Ils confirment
plutôt l'infériorité de la femme par rapport à l'homme dans la mesure où ils
prétendent que la femme est plus distraite que l'homme et doit dispensée être
de la charge de témoi gner.
493 Pesel O., La judicature, la procédure, la preuve dans l'Islam Malékite,
Casa (Maroc),
1942, p. 120.
494 Colloque de Riyad, de Paris, du Vatican sur Les Dogmes Musulmans et les droits de
J'homme en Islam, p. 203.

217
Aussi, n'est-il pas évident que le verset 282 de la Sourate II invoqué
qui dit: "si l'une des fenmles s'égare l'autre puisse lui rappeler", signifie que la
fenID1e est plus distraite que l'homme".
Ce verset a été mal interprété, parce que le Coran ne dit pas
formellement que la femme "s'égare" plus que l'homme et doit, par voie de
conséquence, être dispensée de la charge de témoigner.
Il est malaisé de justifier l'inégalité de l'honID1e et de la fenID1e en
matière de témoignage. Il faut tout simplement admettre qu'elle est légale
parce que décrétée par le Coran.
Il est pareillement difficile de justifier l'inégalité des droits
successoraux entre époux.
§ 2 - L'inégalité des droits successoraux entre époux
Dans le système successoral musulman, le mari est beaucoup plus
avantagé
que la
femme
connne en témoigne de nombreux
cas de
jUlisprudence.
Il conviendrait d'abord de partir des cas d'espèces où le conjoint
survivant hérite de sa femme qui laisse des enfants avant de citer des exemples
inverses où c'est l'épouse (ou les épouses) survivante qui hérite en concours
avec les enfants du mari.
D'abord, dans son jugement en date du 17/02/1885 concernant la
succession de la dame Hanta W. évaluée à 961,50 F, celle-ci avait laissé

2J8
comme héritiers son man Fara D., sa fille Rokhaya et son père Marne
Samba495 .
Le tribunal répartit l'hérüage de la manière suivante: le mari a eu
droit au 1/4, soü 240,7 F, la fille prit la 112, soit 480,75 F et le père prit le
reliquat soit 240,38 F.
Ce jugement est bien confOlme à la loi musulmane. Car lorsque la
fille hérite seule de sa mère ou de son père, elle reçoit la 112. En fait, le père a
reçu son 116 comme réservataire et le reliquat à titre d'aceb. Et la Loi
Musulmane dispose également que quand l'épouse laisse une postérité, le mari
prend le 114.
Aussi, lorsque le père est en présence d'autres réservataires comme
c'est le cas dans l'espèce, il a droit au reliquat si celui-ci n'est pas inférieur au
116, sinon il s'attribue d'offlce le 116 comme lorsque les réserves épuisent la
totalité de l'héritage.
Ensuite, dans le jugement concernant la succession de la nommée
Fatoumata Nd. évaluée à 1045,5 F, celle-ci avait laissé comme héritiers sa
mère Fily, son mari Demba K. et trois filles: Khady D., Fama D. et Marie D.
Elle laissa en outre, un fils Samba K.
Le mari reçut son 1/4, soit 261,2 F, la mère 116 soit 140,62 F et le
reliquat fut partagé entre les enfants à raison de 130,62 F pour chaque fille et
496
261,24 F pour le garçon J.
495 Jugement N° 95.
496 Jugement n° 96.

219
Cette solution est également correcte au regard de la loi musulmane.
La particularité de ce cas par rapport au précédent réside dans le
concours de la mère avec les enfants du de cujus. Ici, la mère est réservataire
du l/6. Sinon elle a droit au 1/3 lorsque le de cujus est sans postérité et ne
laisse qu'un seul frère ou une seule soeur.
En revanche, l'épouse est en position de défaveur quand elle hérite
de son mari en concours avec ses enfants.
Ainsi, dans la succession du nommé Omar S. évaluée à 541,20 F,
celui-ci laissa comme héritiers deux épouses: Marie D. et Yaba M. ; deux fils:
Mbeur D. et Salih D. Les deux épouses se partagèrent le 118 à égalité chacune
ayant reçu 3,86 F. Puis les deux fils se partagèrent le reliquat, chacun reçut
237,04 F en leur qualité d'aceb497.
Cette solution est juste, car en cas de pluralité, les épouses se
partagent le 1/4 ou le 118 selon la situation498 .
Il en a été également ainsi dans la succession du sieur Malan D. qui
laissa 463,65 F, deux épouses: Mawa D. et Kouba S. ; deux fils: Omar D. et
Mouhamed D. et une fille Hafsa D.
Les deux épouses ont eu droit au 118 soit 57,70 F et le reliquat fut
partagé entre les enfants suivant la prescription coranique accordant au garçon
le double de la part revenant à la fille. Ainsi, chaque garçon reçut 162,28 F
tandis que la fille se contenta de 81,14 F.
497 Jugement n° 97.
498 Cf. Durand (Bemard), Droit musLLlman, Droit successoral, Litec, Paris, 1991, p. 188.
$.,.,3

220
Puis, après ce partage, l'un des garçons, Mouhamed D., décéda en
laissant comme héritiers: sa mère Koumba S., son frère consanguin Omar D.
et sa soeur consanguine Hafsa D. qui se partagèrent sa part de la manière
suivante: la mère en reçut 116 soit 27,4 F et le reliquat, 135,2 F fut réparti entre
499
le frère et la soeur: Omar D. en reçut 90,16 F et Hafsa D. 45,08 F

Enfin, dans la succession du sieur Sildior évaluée à 4625,5 F, le
défunt laissa trois épouses: Khar Valla, Zeinab M. et Aïcha Lala ; il laissa en
outre deux filles: Haram F. et Maryatou.
Les trois épouses se partagèrent le 1/8 à égalité : chacune reçut
192,71 F et le reliquat fut partagé entre les deux filles à égalité, soit 2023,50
FSoo•
On remarque ici que le concours des co-épouses tourne à leur
détriment en amoindrissant leurs parts successorales respectives. D'où les
nombreuses critiques adressées à la polygamie et au système successoral
musulman par les courants féministes lesquels considèrent que "la succession
en droit musulman lèse profondément les intérêts de la femme, la veuve ne se
voit octroyer que le huitième de la succession de son mari. Ces dispositions
entrent en contradiction flagrante avec les principes de l'égalité des sexes
inscrits dans la Constitution"SOI.
Les apologistes de l'Islam répondent à ces critiques en disant :
"Quant à sa part de la succession, c'est-à-dire l'épouse, on ne peut point
prétendre qu'elle est lésée, si on prend en considération les conditions de son
499 Jugement nO 98.
500 Jugement N° 99.
501 Femmes sénégalaises à l'horizon 2015, Ministère de la Femme et de l'Enfant..., 1993, p.
88.

221
existence: la femme est à la charge de son père avant son mariage et à celle de
son mari après"so2. Ces mêmes apologistes ajoutent que l'Islam a bien favorisé
la femme en lui octroyant une part successorale égale à la moitié de celle de
l'homme contrairement au Code civil français qui jusqu'en 1917, faisait cesser
l'usufruit du conjoint en cas de nouveau mariage s'il existe des descendants du
défuntSo3 .
Ce débat est aussi vieux que l'Islam lui-même. On raconte que le
"mécréant" Ibn Abi Awja, qui vécut au 2e siècle de l'Hégire, critiquait le
système successoral musulman. Il disait: "Quelle faute la pauvre femme a-t-
elle commise pour qu'elle obtienne une part dans l'héritage alors que l'homme
en obtient deux 7".
Répondant à cette critique, l'Imam Al-Çadiq dit: "La raison en est
que l'Islam a dispensé la fem..tTIe de participer à la guerre sainte et qu'Allah lui
accorde le droit d'exiger de l'homn1e une dot et que dans le cas de certains
crimes involontaires où les proches doivent payer une indemnité de sang, la
femme est exonérée"sü4.
D'autres auteurs ont encore soutenu que le motif qui sous-tend
l'inégalité des droits successoraux entre l'homme et la femme réside dans la
responsabilité de l'homme de prendre à sa charge toutes les dépenses
nécessaires à la famille. C'est la raison pour laquelle on applique aux mâles la
süs
règle de la part double de celle de la femme
.
502 El Hadjoui M.M., La fenmle dans le Droit Musulman, Casa (Maroc), 1967, p. 19.
503 a
.
20
p. CIl. p.
.
504 Ayatollah M.M., Les droits de la femme en Islam, p. 167.
505
Colloque de Ryad, de Paris, du Vatican sur Les Dogmes musulmans et les Droits de
l'homme en Islam, mars 1972, p. 24.

222
En effet, il faut reconnaître que les critiques des "féministes"
procèdent d'une certaine conception laïque du Droit Musulman. Elles ont
tendance à comparer le Droit Musulman au droit occidental qui prône une
égalité stricte entre l'homme et la femme. D'où leur erreur. Les "féministes"
semblent, en effet, ignorer que le Droit Musulman se confond avec la religion
et ses règles successorales sont les plus réfractaires à l'application de l'Idjtihad.
Les parts des héritiers à fard sont strictement fixées par le Coran. Il s'agit donc
des règles à prendre ou à laisser, mais il n'est pas pem1is aux adeptes de l'Islam
de les enfreindre, sous peine d'infidélité. Ainsi, après avoir déterminé les parts
des héritiers à fard, le Coran précise que: "tels sont les ordres d'Allah. Et
quiconque obéit à Allah et à son Messager, i1le fera entrer dans les jardins du
paradis et quiconque désobéit à Allah et à Messager et transgresse ses ordres, il
le fera entrer en enfer"SÜG?
Le Calife Omar s'est finalement incliné devant la majesté de cette
loi, quand il a voulu aborder la question de la «Kalala », c'est-à-dire la
S07
succession de la personne qui n'a pas d'enfants mais qui a une soeur
.
Il rédigea un document au sujet du grand-père et de la Kalala; il
continua à implorer le secours d'Allah en ces termes: «Mon Dieu, si tu
506 V. 13 et 14, S. IV.
507
Coran V. 176 S. IV : Ils te demandent un avis: Dis : ~(au sujet du défunt qui n'a ni
ascendant ni descendant qui en héritent, Dieu vous répond: Si quelqu'un meurt, qui n'a
pas d'enfant, mais qui a une sœur, à elle, alors la moitié de ce qu'il laisse; et il héritera
d'elle en totalité si elle n'a pas d'enfants; et s'il a deux sœurs, à elles deux, alors, les
deux tiers de ce qu'il laisse; et s'il a deux frères --garçons ou filles- au garçon, alors,
portion égale à celle de deux filles ... ». Jabir
a précisé: « Je suis tombé malade, le
Prophète est venu avec Abou Bakr, à pieds pour me rendre visite. Ils m'ont trouvé
évanoui ... Je repris cOlmaissance et dis: Envoyé de Dieu, comment vais-je disposer de
mes biens»? Le Prophète ne répondit rien jusqu'à ce que descendit ce verset au sujet de
cet homme qui avait 9 sœurs mais était sans père et sans enfants (Cf. Moharnad Arkoun,
de L'ljtihad à la critique de la raison islamique, l'exemple du statut de la femme dans la
Charia in La non discrimination à l'égard des femmes, UNESCO - C.E.R.P., Tunis, 1988,
p.82.
W
&.

223
attaches quelque bien à ce document~ fais qu'il soit appliqué ». quand il fut
poignardé, il réclama le document et on l'effaça. Personne ne sut ce qu'il y a
écrit: «J'ai, dit-il, écrit un document sur le grand-père et la Kalala et j'ai
demandé à dieu de m'éclairer sur ce que je dois en faire, j'ai jugé bon de vous
laisser dans la situation d'incertitude où vous étiez »508.
Plusieurs autres versions rapportent cet épisode de Omar insistant
auprès du Prophète pour obtenir le sens de Kalala au point de provoquer sa
colère et sa vive réaction: il plante son doit sur sa poitrine ou sur sa gorge et
lui répète que le verset révélé durant l'état est suffisant. On rapporte que Omar
prit une omoplate, rassembla les Compagnons de Mouhammad et déclara: «Je
vais assurément prononcer au sujet de la Kal al a, un arrêt (Qada) dont les
femmes parleront dans leurs quartiers privés»! A ce moment précis, un
serpent surgit dans la pièce et ce fut la dispersion. « Si, ajouta Omar, Dieu avait
fl509
voulu que cette question fut réglée~ il l'aurait réglée
. Le Calife Omar
entendait appliquer 1,Idjtihad au sujet de la Kalala, mais il y renonça
finalement, la question ayant été strictement réglementée par le Coran.
Peut-on dès lors conclure que le droit successoral musulman est figé
et réfractaire à l'effort de 1'ldjtihad ? Il est vrai que le Coran est très précis sur
les parts successorales à attribuer à chaque héritier mais on ne peut dire pour
autant qu'il est impossible de pratiquer 1'Idjtihad dans ce domaine. Nous
estimons qu'un effort d'interprétation allant dans le sens de l'assouplissement
des textes est bien confonne à l'esprit de l'Islam qui a haussé le niveau social
des femmes en leur accordant des droits successoraux.
508
Ibidem
509
Ib'd
1 em,

224
On sait qu'avant l'Islam, les femmes et les mineurs n'avaient aucune
vocation successorale. Seuls les fils en âge de combattre pouvaient héritier du
défunt. Le Coran répara ce t011.
Pourquoi les Docteurs de la Loi ne pourraient-ils poursuivre cette
tendance. Pourquoi n'aurait-on pas le droit de corriger tant soit peu les
inégalités des parts entre époux quand c'est nécessaire?
Nos Cadis qui étaient, pour la plupart, dogmatiques, pratiques et
littéralistes dans leur interprétation des textes, se montraient peu enthousiastes
pour la pratique de l'Idjtihad surtout dans un domaine, celui des successions où
tout est réglementé par le Coran. Mais l 'Idjtihad ne signifie pas -et c'est là que
le savant doit exercer son talent- que les textes qui régissent la matière des
successions doivent être systématiquement écartés. Cela signifie plutôt que les
enseignements des auteurs anciens, leurs idées et jugements ne doivent pas être
pris au pied de la lettre, mais qu'on doit les examiner dans un cadre de
réflexion plus approprié.
Pour conclure de ce qui précède, il faut retenir que le droit reconnu
au mari de choisir la demeure conjugale ne doit jamais s'exercer au détriment
de l'épouse. La Loi coranique est fornlelle à ce 8ujet : «Faites que vos femmes
habitent où vous habitez suivant vos moyens et ne cherchez pas à leur nuire en
les contraignant à vivre à l'étroit» (S. 65 v. 6).
Le droit du mari de fixer le domicile conjugal doit être contrôlé par
le juge à défaut d'être supprimé. Tl faut éviter qu'un mari mal intentionné
puisse s'en prévaloir pour nuire à sa femme en la contraignant à vivre à l'étroit.
Par ailleurs, il est frappant de constater que jusqu'au siècle dernier, les maris
étaient autorisés à se plaindre auprès des juges lorsque leurs épouses partaient

225
en voyage sans y être autorisées. Ces derniers réagissaient avec empressement
à leurs plaintes: les épouses indociles étaient condamnées à regagner leur
domicile conjugal ou, à défaut, à restituer la dot considérée, comme leur prix
d'achat.
Cette justice est pour le moins oppressive à l'égard de la femme. Le
droit Malékite gagnerait en outre à réviser sa position sur la question de la
tutelle matrimoniale (la wilaya). La jUlisprudence qui décide que le Wali (le
tuteur légal) contractant doit être de condition libre, de sexe masculin et
capable est anachronique et doit être abandonnée. La tutelle matrimoniale doit
être ouverte aux femmes. D'autant plus que la walaya féminine est légale en
droit Hanéfi te.
Enfin, il est ahurissant de constater J'inefficacité du témoignage de Ja
femme dans les actes les plus importants de sa vie: le mariage et la
répudiation. Les Oulémas doivent «rouvrir les portes de l'ldjtihad » sur toutes
ces questions. Car, en fait, c'est l'excès de dogmatisme des cadis qui a aggravé
la condition de l'épouse.

226
Ille PARTIE
L 9AGGRAVATION DE LA CONDITION
DE LA FEMME MARIEE PAR LES JUGES

227
Il est vral que nos Cadis ont beaucoup contribué à aggraver la
condition des épouses. Mais cela ne signifie pas qu'ils favorisaient toujours les
maris à leur détriment ou bien qu'ils étaient misogynes. Ce qu'il conviendrait
plutôt de retenir de cette observation, c'est que d'une part, nos cadis, exception
faite de certains d'entre eux, ne faisaient pas suffisamment preuve d'esprit
d'indépendance vis-à-vis des textes et des pratiques patriarcales.
D'autre part, l'organisation de la justice cadiale ne pennettait qu'une
protection bien limitée des droits fondamentaux de la femme mariée. Par
exemple, eu égard à leur compétence bien limitée en nlatière pénale, les Cadis
se souciaient peu des droits des épouses battues par leur mari (Chap. 1). La
jurisprudence était, par ailleurs, ambiguë en matière de "Qadhf' (imputation
calomnieuse de fOluication) (Chap. II) tout comme elle était anachronique au
sujet de la pratique des "Tara" (concubines légales) (Chap. III).

228
CHAPITRE 1
UNE JURISPRUDENCE PEU SOUCIEUSE DES DROITS
DES EPOUSES BATTUES
En effet, notre système judiciaire semblait parfois dépassé par la
gravité et la fréquence des violences faites aux femmes (Section 1), violences
contre lesquelles les Cadis ne pouvaient sévir que par le recours à la
conciliation ou à la séparation des époux (Section II).
SECTION 1 - SEVICES EXERCES CONTRE LES EPOUSES
Le droit musulman pelmet au mari de battre sa femme. Cependant,
les nombreux litiges concernant les épouses battues ou assimilées aux esclaves
(§ 1) montrent que le droit de cOlTection qui est pourtant bien limité par les
textes, est rarement respecté par les époux (§ 2).
§ 1 - Epouses battues ou assimilées aux esclaves
Les décisions de justices rendues à la fin du siècle dernier restent
largement dominées par les cas de violences conjugales. Les épouses battues
ou maltraitées par leur mari furent assez nombreuses (A). Aussi, une certaine
jurisprudence s'est-elle permise de les assimiler à des esclaves (B).

229
A _. Les épguses battues
Il existe de nombreuses décisions de justice illustrant les violences
e
conjugales faites aux ferrnnes mariées à la tin du
e
1g et au début du 2a siècle.
On citera d'abord, entre autres exemples, le litige ayant opposé le tirailleur
sénégalais Demba S. à son épouse Ramata L. ; le premier se plaignait que sa
femme avait abandonné le domicile conjugaL Cette dernière, interrogée par le
Cadi, répondait qu'elle avait bien quitté la demeure conjugale mais que son
mmi l'avait assommée d'un coup de bâton qui lui avait fait perdre connaissance
pendant deux heures; et les "Nazmans" (c'est-à~dire les autorités coloniales)
avaient même emprisonné le mari pendm1t deux mois}.
Le Cadi jugeant que ce dernier était coupable, ,,·ccord.'l à la victime la
faculté d'opter pour le divorce51O •
On constate qu'en l'espèce, le mari çroyait ê,\\re dam, son droit,
malgré son arrestation par les "Nazarans" en sol;icitant l'intervet '!tion de la
justice afin de reprendre la vie commune avec sa feIlli'l]e.
Deux juridictions sont intervenues dans ceth-', affaire : 1:1 justice
coloniale s'est saisie de l'aspect pénal en arrêtant le mari ; tIDdi~, que la justice
du Cadi ajugé l'aspect civil en séparant les deux épm.Jx. Son)ugen lent qu oigue
modeste, par rapport à la gravité du délit commis par le mari, n'e.n restl ~ pas
moins fondé en droit malékite. Car, en fait un mari a le droit de frappe r sa
femme comme cela est autorisé par le Coran. CependmJt, ce droit
est
strictement limité et réglementé par les textes. La dernière par:ie: du verset ~ '4
de la Sourate IV dit clairement: "Et quant à celles [les époLse:s] dont vou: s
510 Jugement n° 100.
...

230
craIgnez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d'elles sur le lit et
frappez-les ... ".
Nous reviendrons sur les différentes interprétations de ce verset. En
fait, nombre de maris usent et abusent de ce texte qu'ils combinent avec les
coutumes locales qui autorisent le mari à battre sa femme. Il en a été ainsi dans
un autre litige ayant opposé les époux Déguène N. et Mbaye D. Ce dernier
prétendait que sa femme avait abandonné le domicile conjugal et refusait de le
réintégrer malgré de nombreuses démarches effectuées auprès d'elle pour la
ramener à de meilleurs sentiments.
La feInme interpellée par le Cadi, répondit que si elle avait
abandonné la demeure conjugale, c'est parce que son mari la maltraitait, la
battait, et elle montra son dos au Cadi qui y constata les traces des sévices dont
elle fut l'objet de la part du mari. Le tribunal jugea dès lors que les coups
étaient exagérés et que le droit de correction ne permet jamais au mari de
défigurer sa femme ou de lui rompre les os et il prononça le divorce au tort du
mari en se fondant sur la Tohfa511.
Ensuite, dans l'affaire du tirailleur sénégalais Toumané S. contre sa
femrne Mariame Nd., le premier déclarait devant le Cadi que sa femme avait
abandOlmé le domicile conjugal et avait refusé de le regagner malgré ses
nombreuses interventions.
La femme interpellée par le juge, répliqua qu'elle avait bien fui le
domicile cQnjugal parce que son mari l'avait violemment frappée, et elle exhiba
son dos au Cadi qui y constata les traces des sévices. Le mari fut d'abord
réprimandé et averti qu'en cas de récidive de sa part, l'option (al Khiyar) serait

231
donnée à la femme pour le maintien ou la rupture du mariage. Ensuüe, il fut
ordonné à cette den1ière de regagner le donucile conjugal, mais le Cadi lui fit
comprendre sur l'instant même qu'il lui étaÜ loisible de demander le khoul, ce
qu'elle accepta sans hésüer en restituant au mari les 8 dh qu'il avaÜ offerts en
guise de sadaq (doti 12.
Là aussi, il faut reconnaître que la sanction prononcée par le juge est
tinnde et discutable. Elle est timide parce que la réprimande n'est qu'une
sanction morale de « tazir », et un mari mal intentionné pourrait ne pas en tenir
compteS 13.
La sanction est également discutable, parce qu'il n'y avait pas lieu
d'appliquer le khoul en l'espèce à partir du moment où il fut déjà prouvé que le
mari avait maltraité sa femme. La Tohfa enseigne à ce sujet: "Si la femme a
obtenu le divorce moyennant contrepartie et qu'elle prouve ensuite les sévices,
elle pourra répéter cette contrepartie514.
Cette jurisprudence s'écarte de celle rendue quelques années
auparavant à propos de l'affaire du tirailleur Mamadou D. contre la nommée
Sira où le Cadi n'avait pas jugé nécessaire de recourir au subterfuge du
« khoul» ; il prononça purement et simplement le divorce dès que le mari
s1s
avoua lui-même qu'H avait battu sa femme qui l'avaü offensé
.
Le tribunal a également décidé ainsi dans une affaire plus récente où
la nommée Léna S. prétendait que son mari lui portait souvent préjudice et,
511 Jugement nO 101.
512 Jugement nO 102.
513 Pour un homme d'un rang élevé on utilise le blâme ou la réprimande. On le mdoie en lui
adressant de vives reproches.
514
f:
CF. Toh a d'Ibn Acem, trad. L. Bercher, Alger, 1958, p. 69, vers 444.

232
c'est ainsi que, d'après elle, dans la nuit du 07/ au 08 juin 1962, il lui donna des
coups qui la blessèrent et sa mère la transporta à l'hôpital.
Là aussi, le Cadi n'hésita pas à prononcer le divorce judiciaire au lieu
d'appliquer le « khoul » ; il se basa sur la doctrine de Khalil qui enseigne: "la
femme peut obtenir le divorce contre son mari sans remboursement de la dot
lorsqu'elle est victime de sévices, mauvais traitements, manque de rapports
sexuels,,516.
Aussi, est-il ahurissant de constater que la jurisprudence assimile la
femme à l'esclave.
B - L'assimilation de la femme à l'esclave
Dans un litige jugé le 07/04/1887, un Cadi de Saint-Louis se référa à
un auteur qui assimile les hommes aux maltres et les femmes aux esclaves. Il
s'agit de l'affaire des époux Mornar D. et Mbodji B. où la femme se plaignait
d'être l'objet de nombreux sévices de la part du mari. D'abord après avoir
examiné l'affaire, le Cadi en conclut qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte des
plaintes de l'épouse qui ne constituent pas une cause de divorce étant donné
que ce litige avait été déjà réglé au cours d'une précédente audience de
réconciliation. Ensuite, il rendit un jugement de principe dans lequel il disait:
"Le préjudice justifiant le divorce est bien connu d'après les livres des
"Foukahas".
515 Jugement n° 103.
516 Jugement nO 104.

233
S17
Le Acimiya
dit notamment: "la preuve des sévices se fait par
témoins ou par commune renommée... Le moukhtasar de Khalil stipule que la
femme a droit au divorce quand bien même aucune preuve n'aurait attesté que
le préjudice subi s'est répété. Le préjudice consiste dans un acte illicite comme,
par exemple, le fait d'abandonner sa femme sans motif valable, de la :frapper,
de l'insulter, insulter son père et lui dire par exemple, fille de chien, fille de
mécréant ou fille de personne maudite. Khalil ajoute que le mari peut
sennonner sa femme qui se montre indocile et cela consistera à lui adresser des
paroles adoucissantes susceptibles de la ramener à l'obéissance. Et le mari a
notamment le droit, s'il ne peut abandonner sa femme, de la frapper de manière
légère sans lui rompre les os. Mais il lui est défendu de lui asséner des coups
violents, fût-il l'unique moyen pour la rendre docile, auquel cas, elle aurait
droit au divorce judiciaire et le mari subirait une peine de talion ; d'après
Nafravisl8 , toute femme qui désobéit à son mari doit être sermonnée ou isolée
par ce dernier et, si elle ne revient pas à de meilleurs sentiments à l'égard du
mari, il appartiendra à ce dernier de la frapper modérément s'il trouve que cela
peut être utile et on le croira sur parole s'il déclare l'avoir frappée pour la
corriger comme on croirait un maître qui déclarerait avoir battu son esclave
pour la même raison car, Allah Le Très Haut a confié les femmes aux hommes,
comme les esclaves sont confiés aux maîtres"S19.
Cette comparaison est pour le moins aberrante. Un tel parallèle n'a
jamais existé dans le Coran ou la Sunna du Prophète. Jamais Allah n'a comparé
les femmes aux esclaves. Ibn Kathir a dit que "l'homme est meilleur que la
517 C'est une autre appellation de la Tohfa d'!. Acem.
518 11 s'agit d'un auteur Malékite que nous ignorons.
519 Jugement nO lOS.

234
femme" maIS il n'est jamais allé jusqu'à avancer que la femme est pour
1'homme ce que l'esclave représente pour le maîtreS 20.
Cette manière d'interpréter les textes est une dérive «savante»
même si le raisonnement par analogie est fréquent par ailleurs. De plus, cette
décision ne se justifie guère au regard de nos us et coutumes. Car si l'on en
croit certains auteurs, l'argument d'infériorité de la femme (limbecilitas sexus),
propre à beaucoup de législations, n'a jamais prospéré chez nous. Si nous nous
référons à nos traditions, force nous sera de constater que la situation faite à la
femme était bien meilleure que celle de l'esclave. "Aucune de nos traditions ne
consacre l'infériorité de la femme, l'Afrique n'a jamais cessé de respecter la
femme même si par erreur ou par excès dans sa conception de l'univers, elle lui
a fait mal dans sa chair sans le savoir"s21.
De même, "la femme africaine malgré sa minorité juridique
fréquente, malgré sa dévolution occasionnelle comme un bien meuble, malgré
la polygamie, n'était pas la bête de somme qu'une littérature s'est plue à
présenter"s22.
Il est vrai que l'Islam accorde un statut inférieur à la femme mais il
ne l'a jamais ravalée au niveau de l'esclave. Le droit de correction marital a
bien des limites.
520 Ibn Kathir est un célèbre exégète mort à Damas en 774 H. Voir son commentaire du
verset 34 S. IV dans son Tafsir Alqorane Al Karim, 1. l, p. 537.
521 Ndao (Ch. A.), Société africaine et droit de la fenm1e, Soleil du vend. 28/0611985, p. 10.
522 Ki-Zerbo (J.), Histoire de l'Af. Noire, Batier, Paris, 1978, p. 635.

235
§ 2 - Limites du droit de correction maritale
Les conditions d'exercice du droit de correction marital sont strictes
en droit musulman. La conection corporelle que le mari a le droit d'infliger à
sa femme doit être modérée, elle ne doit pas être excessive au point de laisser
des traces sur son corps. Aussi, doit-elle être utile: elle doit viser la
« rééducation» de l'épouse.
Tous les manuels de Fiqh qui interprètent le verset 34 de la
quatrième Sourate relatif au droit de correction marital insistent sur la
procédure et les conditions de son application.
Khalil enseigne que "le mari commencera par exhorter son épouse
qui se montre rebelle, puis il rompt les relations conjugales avec elle et, enfin,
illa bat sans exagération, sans lui rompre les os s'il croit que cela est utile,,523.
Ibn Qudama dit qu'un mari qui craint l'insubordination de sa femme
peut la sermonner. Si elle fait preuve d'insubordination, il peut la mettre à
l'écart et, si cette mesure est insuffisante, il la bat modérément,,524.
Mais cette minutieuse réglementation est demeurée lettre morte pour
nombre d'époux qui abusent de leurs prérogatives nlaritales en battant
gravement leurs femmes. Pour preuve, le cas porté devant le Tribunal
Musulman de Saint-Louis en date du 24/01/1888 où le nommé Tourtiya
prenant fait et cause pour sa soeur Sadio F., déclarait que celle-ci était victime
des sévices de son mari Diallo M. qui l'avait blessée à tel point qu'elle ne
pouvait plus marcher. Ce dernier interrogé par le Cadi, nia les déclarations du
523 Kha1il, trad. G.R. Bousquet, 1958, livre II, p. 64.
524 Ibn Qudama, Le Précis de droit, trad. R. Laouste, 1950, p. 195.

236
plaignant, mais reconnut qu'une altercation a eu lieu entre lui et sa femme la
veille et qu'il l'avait même terrassée. n fut exigé du frère de la victime
d'apporter les preuves de ses allégations, et il cita deux témoins qui
confimlèrent ses dires; Le Cadi accorda à la femme la faculté d'opter soit pour
le maintien, soit pour la rupture du lien conjugal et elle choisit le divorce; le
525
mari fut condamné à lui compléter la dot
.
Il en a été également ainsi dans l'affàire Marie D. contre Massar S.
La première déclarait que son époux l'avait répudiée et lui devait par
conséquent le reliquat de la dot. Le mari interrogé, reconnut les déclarations de
sa femme et ajouta qu'il l'avait répudiée à cause de sa mauvaise conduite et
qu'elle l'avait même frappé et déchiré son vêtement. La femme invitée à
répondre par le juge, dit que c'est lui qui l'avait frappée le premier et lui avait
même mordu le doigt. Le Cadi prit acte de la répudiation prononcée et
condanma le mari à lui régler son "kali,,526.
Dans cette atIaire comme dans l'autre, les époux s'accusent
mutuellement : un mari avoue avoir livré un combat contre sa femme qu'il
terrassa un autre dit que c'est sa femme qui l'a d'abord frappé.
Et le Cadi semblait si dépassé par les faits, qu'il n'a même pas
cherché à savoir si la réglementation prévue en matière de correction était
respectée par les époux.
525 Jugement na 106 ; voir également les jugements na 108, 106, lOS et 104 précités.
526 Jugement na 107.

237
D'ailleurs, en fàit de réglementation, les époux n'avaient rien à
respecter, parce qu'ils agissaient sous l'empire de la colère ignoraient la loi
divine.
D'où toute la difficulté de la mise en oeuvre du droit de correction
marital.
La loi musulmane accorde le droit au mari de battre sa femme, mais
à y regarder de près, ce droit n'en est pas un, parce qu'il est très difficile à
appliquer.
De nombreux Hadiths attribués au Prophète en limitent l'exercice et
la portée. On raconte, par exemple, que "le Prophète avait interdit aux hommes
de battre leurs femmes, mais on lui avait rétorqué qu'elles étaient mal élevées,
il leur dit alors: "battez-les, mais les meilleurs d'entre vous ne battront jamais
leurs femmes; le meilleur d'entre vous est celui qui se comporte bien avec sa
femme; moi, je me conduis mieux que quiconque envers les femmes ,,527.
Une autre restriction de taille apportée au droit de correction est
l'interdiction faite au mari d'humilier sa femme. Mais cette interdiction est
demeurée inefficace si l'on en juge d'après lajurisprudence.
527 Tafsir Ibn Kathir, Tafsir Al Qorane Al Karim, éd. s.d., 1. l, p. 537.
Mais d'aucuns infirment le Hadith rapporté par Ibn Kassim selon lequel "Al Zoubair ayant
violemment frappé sa femme, Asmaa Bint Abu Bakr qui, dit-on, sortait souvent sans son
autorisation, celle-ci vint se plaindre auprès de son père, Abu Bakr, qui lui dit: résigne-toi à
ton sort, car Al Zoubair est un honune pieux et il pourrait être ton mari au paradis; car il m'a
été révélé que si un homme pieux épouse une fille, elle sera également sa fenune au paradis".
Ce Hadith a été qualifié de "curieux" (cf Kitab Al Behdja, Le commentaire de Tohfa, par
Tessoli, éd. Caire, 1317 H, p. 274. Voir également le Tafsir d'Ibn Arabi Ahkam Al Qorane,
Maroc, 468-543 H, 1. I, p. 418

238
Par exemple, dans le litige survenu le 20/0911913 entre le tirailleur
Baba K. et sa femme Mariama B., celle-ci se plaignait que son mari l'avait
brutalisée et blessée à la figure.
En jugeant l'affaire, le tribunal déclara: "Attendu que c'est à tort que
cet homme a frappé brutalement sa femme au point de la saigner; Attendu que
conformément à la loi coranique, une femme brutalisée à tort par son mari a
droit de réclamer à ce dernier une certaine indemnité avant de retourner au
domicile conjugal; Attendu que le mari accepte d'indemniser sa femme d'une
somme de 75 F payable 5 F par prêt (sic), ordonne à la femme Mariama B. de
rallier la demeure conjugale et au mari de changer de comportement vis-à-vis
de sa femme,,528.
On peut dire que la correction reçue par la plaignante a dépassé la
mesure, car d'après les faits de l'espèce, le mari l'a blessée à la figure et, de
plus, le Cadi l'a condamnée à rallier sa demeure conjugale. Moyennant quoi?
Le mari a tout simplement accepté de lui verser une indemnité de 75
F payable à raison de 5 F par mois (?).
Ce jugement est contestable car le Cadi a osé dire qu'en pareil cas la
femme a le droit, d'après la loi coranique, de réclamer une indemnité à son
mari. Nous pensons que c'est à tort qu'il a affirmé cela. Nous ne connaissons
aucune disposition coranique permettant un tel jugement. C'est au mépris de la
loi que le tribunal a consacré cette solution. Aussi, l'impunité du mari qui a
brutalisé et blessé sa femme est-elle injuste. De plus, l'homme a violé un
Hadith qui interdit au mari de frapper sa femme sur la figure. En effet, d'après
un Hadith raconté par Moawiya un homme avait posé à l'Envoyé d'Allah la

239
question suivante: "Quel droit l'épouse de l'un d'entre nous peut avoir sur son
mari" ? Et le Prophète lui répondit: "donnez lui à manger quand vous mangez,
habillez-la quand vous vous habillez. Ne la frappez pas sur la figure, ne
l'insultez pas et ne la boudez que sur le lit"S29.
Ce Hadith signifie que le mari doit la Nafaqa à sa femme, et s'il était
amené à la corriger, il devra éviter de la taper sur la figure. Cela se comprend
bien, parce que la correction corporelle ne doit pas laisser de trace sur le corps
de la femme comme l'indiquent les commentaires du verset 34 de la Sourate IV
précités. Aussi, la figure (surtout celle de la femme) est-elle très sensible aux
coups. Et une personne frappée à la figure est blessée dans son amour propre.
Par ailleurs, le Hadith tout comme le verset précité, porte
l'interdiction de tenir sa femme à l'écart en dehors du lit. C'est-à-dire que le
mari n'a le droit de bouder sa femme que quand il est en intimité avec elle, loin
des enfants et des personnes étrangères, afin de ne pas la vexer. Aussi, "la
correction corporelle ne doit-elle avoir pour but de tourmenter la femme ou de
se venger sur elle et encore moins de l'humilier. Le mari doit adopter une
attitude pédagogique envers sa femme. Il doit être comme un père éduquant
son enfant ou un maître corrigeant son élève"s30.
Cette attitude de la Loi Musulmane à l'égard de la femme est bien
compréhensive. Mais elle n'en consacre pas moins son infériorité légale en
l'assimilant à un enfant dont le père ou le maître est chargé de veiller sur
l'éducation.
528 Jugement n° 108.
529 Ibn Kathir, Tafsir al-Qorane Al Karim, éd. s. d., 1. l, p. 437.
530 S. Quotob, Fi Dhilalil Qorane, Le Caire, 1986, 1. 2, p. 654.

240
Cependant, ces recommandations restent théOliques, au regard de
notre jurisprudence comme en témoigne le litige jugé le 16/03/1913 entre le
nommé Fatou K. et son mari Diarra D., chauffeur, demeurant à Saint-Louis.
La femme déclarait ceci: "Mon mari m'a battue quatre fois et son
père jugeant plus prudent de nous séparer, m'a chassée de la maison pour éviter
tout accident, et dans mon exil, depuis un an, mon mari a refusé d'assurer mon
entretien" (sic).
Le mari invité à fournir ses moyens de défense, répliqua : "Je
reconnais exactes toutes les déclarations de mon épouse, mais si je suis resté un
an sans assurer sa subsistance, c'est que je l'ai répudiée depuis le 4 avril 1912.
Le tribunal jugeant que "le mari peut, à son gré, divorcer son
épouse", déclara "valable la répudiation déjà prononcée53 ! .
Voilà une plaignante dont la situation n'a pas été suffisamment prise
au sérieux par le Cadi qui n'a fait que prendre acte de la répudiation illégale
que son mari a prononcée contre elle après l'avoir battue quatre fois, chassée du
domicile conjugal et privée de son droit à l'entretien.
Cela prouve bien que les droits des épouses battues étaient mal
protégés par les juges.
531 Jugement n° 109.

241
SECTION II - MAUVAISE PROTECTION DES DROITS DES
EPOUSES BATTUES
De toute évidence, les torts faits aux femmes battues étaient mal
réparés parce qu'elles étaient souvent incapables d'en apporter les preuves (§
l). Les solutions généralement adoptées par les Cadis quelle que fut la gravité
du préjudice subi étaient soit de les réconcilier avec leur mari, soit de
prononcer le divorce judiciaire en leur faveur (§ 2).
§ 1 - La difficile preuve des sévices
La plupart des épouses battues ne parvenaient pas à apporter les
preuves de leur préjudice parce que, d'après la procédure suivie en matière de
violence conjugale, les sévices doivent être attestés par des témoins oculaires
ou par la rumeur publique (A). De plus, les dires du mari l'emportent sur ceux
de la femme (B).
A - Le fardeau de la preuve testimoniale
Lorsque les traces des sévices sont nettement visibles sur le corps de
la femme, aucun problème ne se pose, le lien conjugal est immédiatement
dissous au tort du mari si la victime en fait la demande.
Le Tribunal de Saint-Louis en a jugé amSl le 30/0911888 dans
l'affaire Rose Nd. cl Samba T.
En l'espèce, la femme se plaignait que son mari Samba T. l'avait
frappée avec un bâton qui lui avait enflé les doigts. Le mari interrogé, répondit

242
qu'il l'avait battue parce qu'eUe était indocile. Le Cadi estima que le mari avait
tort. Par conséquent, l'option (al Khiyar) fut accordée à sa femme qui préféra le
divorce. Le Cadi motiva son jugement en se basant d'abord sur Khalil qui
estime qu'en cas de "darar" (préjudice) manifeste, la femme a droit au divorce
même s'il n'y aucune preuve attestant la répétition du préjudice. Ensuite, Il cita
Ibn Salomon qui enseigne que "si le mari bat modérément sa femme pour un
motif légitime, il n'aurait aucun tort, si on connaît surtout les raisons pour
lesquelles 11 la bat"532 •
Cette jurisprudence est pour le moins gênante pour les épouses dans
la mesure où la victime des sévices n'est déchargée du fardeau de la preuve que
si les traces des coups sont nettement visibles sur son corps. Sinon, il lui serait
difficile de surmonter la difficulté de la preuve. Car "le darar ne peut être établi
sur la simple déclaration de la femme. Aussi doit-il être dûment prouvé ou
attesté par la commune renommée comme le dit bien Ibn Acem : la preuve des
sévices se fait par témoins ou par commune renommée 11533 .
Le tribunal en a décidé ainsi dans le litige survenu le 04/08/1913
entre les époux Coumba Nd. et Paté S.
En l'espèce, la femnle se plaignait que son mari l'avait brutalisée à
tort. Ce dernier interrogé, répliqua qu'il l'avait bien frappée parce qu'elle avait
-32
)
Jugement n° 110.
533 V. jugement nO 16, 20, et 22 précités.
En effet, la preuve par témoins est celle du droit commun : deux témoins honorables au
moins certifieront qu'ils savent pertinemment et personnellement que le mari use des sévices
envers sa femme lui portant préjudice dans sa personne et dans ses biens en usant de
mauvais traitements à son égard: coups, injures, marque de mépris injustifiés (cf. Ibn Acem,
Tohfa Al Hukam, trad. L. Bercher, Alger, 1958, p. 310).
Quant à la commune renommée, elle consiste en ce que les sévices sont de notoriété
publique. Ici encore, il y aura l'intervention des témoins au procès, mais ceux-ci se borneront
à déclarer que les sévices sont de notoriété publique (Ibid. p. 310).

243
refusé de nettoyer le salon. La femme invitée à fournir des témoins, répondit
qu'elle n'en avait pas.
Le Cadi jugea qu'il fallait des témoins oculaires pour attester le
préjudice ou à défaut des témoins qui l'auraient entendu par la rumeur
publique. Il ajouta que, selon Mouyassar, un commentaire de Khalil, "si le mari
dit que c'est pour corriger sa femme qu'il l'a frappée, et que celle-ci dit qu'elle
nIa été frappée que par brutalité et non par correction, la déclaration de
l'homme en ce cas est considérée comme exacte". La plaignante fut déboutée et
"invitée à rallier la demeure conjugale"s34.
Cette jurisprudence est restrictive en matière de preuve, car il peut
s'avérer difficile pour une épouse battue de citer des témoins oculaires qui
auraient assisté à son "supplice" ou qui auraient prouvé par la rumeur publique
qu'elle a été frappée par son mari. Cette condition est d'autant plus difficile que
les scènes de ménage ne se déroulent généralement pas en public. De plus, les
textes recommandent, comme nous l'avons dit plus haut, que la correction soit
int1igée à la femme dans la discrétion.
Mais il y a problème car en pareille circonstance, si la correction
dépasse la mesure et porte préjudice à la femme, comment parviendrait-elle à
le prouver en justice ?
La nommée Khar Y. fut confrontée à ce dilemme quant il lui a fallu
prouver les sévices dont elle prétendait être victime de la part de son mari. Elle
déclarait que celui-ci la battait constamment, mais elle fut incapable de citer
534 Jugement nO 111.

244
des témoins. Par conséquent, elle envisagea de se racheter par le khoul, mais
535
elle fut réconciliée avec son mari par le juge
.
Les sévices ne peuvent donc être prouvés que si la victime les a
subis en présence de témoins oculaires. Or la correction doit rester discrète. Il
n'est jamais recommandé au mari de corriger sa femme en dehors de l'intimité
conjugale.
Aussi le recours au témoignage peut slavérer inefficace dans la
mesure où les dires du mari doivent être préférés à ceux de la femme.
B - Préférence accordée aux dires du mari
Si au cours de l'audience l'homme dit que c'est pour corriger sa
femme qu'il l'a frappée et que la femme dit qu'elle n'a été frappée que par
brutalité, non par correction, la déclaration de l'homme en ce cas est considérée
536
comme exacte
. En outre, le mari qui déclare avoir battu sa femme pour un
motif quelconque, doit être cru au même titre qu'un mari qui déclare avoir
537
frappé sa femme pour la redresser
.
D'après un Hadith attribué au Prophète, "on ne demande pas au mari
pourquoi il a frappé sa femme", "c'est parce que, dira un auteur, un mari qui
frappe sa femme après l'avoir exhortée et mise à l'écart n'aura commis aucun
pêché,,538.
535 Jugement n° 112.
536 J
° 111
, . ,
ugement n
preclte.
537 Jugement n° 105 précité.
538 Cf. Mansour (Ch.), At-Tadj Al-Diami Lil Ousoul Dar FikI, Beyrouth, 1986, 1. 2, p. 325.

245
Il en résulte que le mari a le droit de taire les raisons pour lesquelles
il corrige sa femme.
Ainsi, dans l'affaire des époux Abdoul S. et Awa T. précitée, la
plaignante avait cité dix témoins539 qui déclarèrent tous avoir vu le mari
brutaliser sa femme et l'entendre dire: "Je me vengerai de ta peau". Mais
aucun d'entre eux n'a pu dire pour quel motif, le mari corrigeait ainsi sa femme.
Et le tribunal précisait que si une femme se plaint d'avoir été battue par son
mari sans pouvoir fournir des témoins et le mari dit que c'est par correction
qu'il l'a frappée, c'est le dire du mari qui fait foi 540 .
Au demeurant, le fait pour une épouse battue de citer des témoins,
fût-il un "lafif' (un groupe) peut s'avérer inefficace parce que le mari peut leur
opposer le secret de la correction: il ne suffit pas d'attester que tel mari bat sa
femme, aussi faut-il savoir pourquoi il la corrige. Or, le mari a le droit de ne
pas révéler les raisons pour lesquelles il bat sa fennne.
Des auteurs soutiennent de ce point de vue qu'il existe des motifs
psychologiques inavouables qui expliquent certaines violences conjugales: il
existerait des épouses qui aiment être battues par leur mari.
539 La déposition de dix témoins est valable. Ce mode de preuve généralement utilisé en
matière de délit de sang est désigné par le temle technique de "lafif' (groupe). Le "lafif' est
composé de "12 personnes au moins" qui peuvent ne pas être "adl", c'est-à-dire qui ne sont
pas forcément des témoins remplissant les conditions d'honorabilité légales. Ils créent ainsi
une présomption (lawth) qui viendra ensuite confirmer le serment cinquantenaire. "Le
serment cinquantenaire (quasama) consiste en cinquante serments répartis entre les mâles et
interdits aux fenunes et prêtés après que la mort de la victime et la parenté des co-jurants
avec la victime ont été prouvées. Ils jureront de façon catégorique "et s'il n'y a que deux
parents mâles, ils jureront chacun vingt-cinq fois" (V. vers 1556 de la Tohfa d'Ibn Acem,
trad. L. Bercher, Alger, 1958, pp. 227, 258 et 418).
540]
t 074
, ..
ugemen n
precIte.

246
541
Saïd Qotoh cÜant Alexis Care1
soutient qu'''il pourrait y avoir une
catégorie de femmes qui n'apprécient leur mari à sa juste valeur que s'il les
domine par la force de ses muscles. C'est avec cette catégorie d'épouses qu'il
conviendrait notamment de passer à la troisième étape de correction prévue par
le verset 34 de la quatrième Sourate542. Le créateur qui a prévu cette loi connaît
.
,
,,543
mIeux ses creatures
.
Dans le chapitre intitulé "les hommes et les femmes", Wil Durant
écrit: "la femme aime les soldats et admire les hommes forts et robustes (...) et
parfois elle préfère se marier avec un homme fou mais courageux (...) si les
femmes, de nos jours, ne sont pas aussi obéissantes qu'elles l'étaient jadis, c'est
parce que les honunes sont maintenant physiquement et moralement plus
faibles ,,544.
Ce débat psychologique dépasse notre compétence. Cependant,
force est de constater que les nombreux cas de violences conjugales observés à
travers la jurisprudence sont le fait des "tirailleurs sénégalais" qui imposaient
leur logique de caserne à leurs épouses545 .
Il faut également constater que les sanctions prononcées contre les
maris coupables étaient manifestement timides.
541 L'auteur de "l'homme, cet être inconnu".
542
Les différents degrés de correction applicables aux épouses dont on craint la
désobéissance sont d'après le verset 34 S. IV : "exhortez-les, éloignez-vous d'elles et frappez-
les".
543 Saïd Qotob, Fi Dhilalil qoran, Le Caire, 1986, 1. 2, p. 254.
544 Ayatollah M.M., Les droits de la femme en Islanl, trad. en arabe par Abu Zahra N.,
Téhéran, éd. Seyher, 1987, p. 159. V. version française, trad. Abbas Ah. Al Boustani, Paris,
s.d., p.
545 Les époux tirailleurs n'étaient pas les seuls à être mis en cause. Ainsi, le cas de ce
magistrat sénégalais en fonction en Mauritanie dont la femme déclarait: "durant mon séjour
à F. (ville mauritanienne), mon mari n'a janlais cessé de me maltraiter et j'étais malheureuse
dans ce coin de la brousse où je n'avais ni parent ni ami que lui" (Affaire des époux L. et Y.
jugée le 23/02/1966, Arch. T.M.S. R. 1966).

247
§ 2 - Timides sanction.s contre les coupables
Les solutions adoptées par la justice musulmane à l'encontre des
mans maltraitant leurs femmes nous paraissent nettement timides dans la
mesure où elles se limitent le plus souvent à la réconciliation des époux (A) et
au divorce judiciaire (B).
A - La réconciliation des époux
La réconciliation des époux est prévue par la loi musulmane, mais
elle peut paraître dérisoire si le préjudice subi par l'épouse est extrêmement
grave.
Ainsi, dans l'affaire du 27/04/1880, la nommée Bobo S. se plaignait
que son mari lui faisait subir toutes sortes de préjudices, la battait et l'insultait;
le mari interrogé, reconnut exactes les déclarations de la femme. Ils n'en furent
pas moins réconciliés par Je Cadi, "la femme ayant préféré regagner son
domicile conjugal,,546.
Dans une at1~lire plus récente jugée le 12/12/1971, la dame Khady N.
déclarait que son mari la maltraitait, lui faisait passer la nuit à la belle étoile et
était l'objet d'abandon complet de sa part, et que, même quand elle était
malade, son mari ne s'occupait pas d'elle. Elle n'en fut pas moins réconciliée
avec ce dernier "parce qu'elle voulait continuer son mariage à condition que le
mari lui assure son entretien,,547.
546 Jugement n° 113.
547 .M.S. le 1er/12/1971, Affaire Khady N. cl Amadou, Arch. T.M.S. R.1971.

248
Or, il Y a lieu de remarquer que les conditions de réconciliation
prévues par les textes n'étaient pas toujours réunies par les juges.
Il n'existe, à notre connaissance, à travers la jurisprudence aucune
trace de recours à l'arbitrage prévu par les textes en cas de dissensions entre
époux. Les Cadis avaient plutôt tendance à simplifier les procédures et à
réconcilier les parties par tous les moyens.
En commentant le verset 35 de la Sourate IV instituant le système
d'arbitrage548, Al Qortobi, l'un des plus grands interprètes du Fiqh malékite
enseigne que "les arbitres doivent être choisis parmi les parents des époux qui
sont les llÙeux indiqués pour connaître la situation des parties. Ils doivent être
des gens adls (honorables) et versés dans la science de Fiqh. L'arbitre désigné
auprès du mari lui dira en aparté: "Infonnez-moi, aimez-vous encore votre
femme, oui ou non 7" Si le mari répond: "Je n'ai plus envie d'elle, je veux
qu'on me restitue ma dot et qu'on me sépare d'elle", on saura alors que c'est lui
qui est indocile". Par contre, si le mari dit: "je l'aime encore. Donnez-lui de ma
fortune tout ce qui vous plaira et ne nous séparez pas", on saura que ce n'est
pas lui qui est indocile.
Puis l'arbitre procédera de la même manière avec la femme: "aimez-
vous votre mari" 7 lui dira-t-il. Si la femme dit : "non, séparez-nous et
accordez-lui de ma fortune tout ce que vous voudrez", on saura dès lors que
c'est elle qui est indocile. Si par contre, elle dit: "Ne nous séparez pas, incitez-
le plutôt à augmenter ma "nafaqa" et à être plus indulgent à mon égard, on se
548«
Si vous craignez le désaccord entre les deux époux, envoyez alors un arbitre de sa
famille à lui et un arbitre de sa famille à elle. Si les deux veulent la réconciliation, Allah
rétablira l'entente entre eux ».

249
rendra compte dans ce cas que la cause de l'insubordination ne vient pas
549
d'elle
.
Il reste que cette procédure est compliquée et aléatoire: si chacun
des époux interrogé dit la même chose, le problème restera entier. Peut-être
est-ce la raison pour laquelle el ne tente pas nos cadis.
D'autres facteurs comme la dépendance économique des femmes
ainsi que le poids de l'autorité parentale ont également constitué une limite de
taille au fonctionnement de l'institution. Nous avons déjà cité des cas où des
maris, après avoir usé de mauvais traitements à l'égard de leurs femmes, ont
accepté de leur offrir des "cadeaux de réconciliation,,55o.
L'autorité parentale s'exerçant en matière de "Diabré" est également
susceptible d'être utilisée en matière de réconciliation : les parents qui
pouvaient contraindre leurs filles au mariage pouvaient aussi les obliger à
accepter les conditions d'une mauvaise réconciliation. Pour preuve, citons le
cas d'une fille qui a osé résister à son père. Il s'agit de l'affaire Makha K.,
tirailleur, cl Maïmouna K. Cette dernière déclarait au Cadi qu'elle ne
regagnerait plus son domicile conjugal même si elle devait payer de sa vie, tant
elle était l'objet de mauvais traitements de la part de son mari qui la frappait
toujours,,551.
Aussi, compte tenu de leur dépendance économique à l'égard des
hommes, les épouses ne disposaient d'aucun pouvoir de négociation et de
549 AI-Qortobi (Abi Abdallah Mouhamed Ibn Ahmad) Al Diami Lil Ahkam al-Qoran, 1. V,
D. Filer, Beyrouth, 1995, p. 54.
550 Al Qortobi (Abi Abdallah Mouhamad Ibn Ahmad) AI-Diami Lil Ahkam AI-Qoran, 1. V,
D. Filer, Beyrouth, 1995, p. 154.
551 Cf. Affaire du 9/11/1913, Makha K. cl Maïmouna c., Arch. T.M.S. R.1913.

250
réconciliation. On les liait par les cadeaux du mariage ou par la dot. Ainsi, dans
l'affaire du 11/12/1911, le nommé Alassane C., tirailleur, de retour de son
voyage, trouva que sa femme s'était remariée avec un autre. Cette dernière
interrogée, déclara vouloir rompre le mariage à cause du mauvais traitement
que lui faisait endurer le tirailleur. Mais connne elle ne disposait pas du
montant de la dot à lui restituer, elle fut condamnée à lui obéir. Le Cadi décida
en outre que le mari devait d'abord la soumettre à un "istibra" de trois
menstrues avant d'avoir des rapports avec elle552 .
La réconciliation est une institution peu efficace à cause des
conditions matérielles dans lesquelles elle fonctionne : défaut d'arbitrage,
infériorité légale et économique de l'épouse par rapport au mari, soumission de
la femme à la puissance paternelle, etc. Aussi, peut-on dire que le divorce
judiciaire est un pis-aller.
B - La rupture du mariage
La divorce judiciaire est consacré par notre jurisprudence qui précise
que "l'union conjugale peut être dissoute par le khoul, par la répudiation et par
le divorce prononcé par le Cadi,,553.
Le droit malékite confère au juge le pouvoir de rompre le mariage
lorsque l'un des conjoints reproche à l'autre des faits rendant impossible la vie
554
commune entre gens de leur condition
.
552 Cf. Aff. du 11/12/1911, Alassane C. cl sa femme (?), Arch. T.M.S., R.191l.
L'istibra est un délai de viduité de trois menstrues imposé à la femme avant de pouvoir se
maner.
553 Cf. Affaire Mme Youm cl Mouhamad S., le (?) 1889, Arch. T.M.S. R.1889.
554 Les écoles chaféite et hanbalite ignorent ce procédé d'une répudiation fonnulée par le
juge pour le compte du mari. L'école hanéfite fait une place dérisoire à ce procédé (Cf. D.
Bellefonds (YL.), Traité de Droit musulman comparé, 1. II, 1965, pp. 406 et 451).

251
La procédure suivie en matière de divorce est simple en principe. Si
une épouse est en mesure de produire des témoins attestant le préjudice par elle
éprouvé du fait de son mari, elle fait une déclaration devant le Cadi et le
divorce lui est accordé. Mais si elle ne préfère pas le divorce malgré son
555
préjudice, le juge réprimandera le mari avant de les renvoyer

Cette jurisprudence malékite est constante chez nous556 • Ainsi, dans
l'affaire des époux Ngoné N. et Mmiam T., la plaignante déclarait que son mari
la maltraitait, la frappait et sa belle-mère l'insultait également. Le mari
interrogé reconnu exactes les déclarations de la femme. Le tribunal estimant,
dès lors, que le maintien de l'union conjugale aboutirait à des conséquences
.
55"1
graves, prononça le d1Vorce
.
Dans l'affaire 1-ime Ndikou S. cl le sieur Babacar, la femme déclarait
être victime de nombreux préjudices de la part du mari. Celui ci, invité à
répondre, nia les déclarations de la femme et dit que c'est elle qui refusait de lui
obéir. Le tribunal, jugeant que le maintien de l'union conjugale était devenu
impossible, l'affaire ayant été déjà portée trois fois devant sa juridiction,
prononça le divorce des époux558 •
Le Tribunal de Saint-Louis s'est même montré très libéral sur cette
question ; car sans même se baser sur des preuves formelles, il a eu à
555 Cf. Jugement n° 29 précité.
556 Elle est également appliquée par des pays comme le Maroc, l'Algérie et les pays du
Golfe.
La Moudawana dispose que "si l'épouse se prétend objet de quelque sévice que ce soit de la
part de son mari au point que la vie conjugale en soit devenue impossible (...), le juge
prononcera le divorce des époux" (Moudawana marocaine, Soche presse, 1986, art. 56, trad.
par le doyen F.P. Blanc). Le Code de la famille algérien dit qu'il est permis à l'épouse de
demander le divorce pour tout préjudice légalement reconnu... (Loi algérienne n° 84-11 du
9/0611964, art. 53). Le Code de la famille des pays du Golfe dit: "Si le juge ne réussit pas à
réconcilier les époux, il prononcera le divorce (Cf. C.F. des pays du Golfe Al Churty (s.d.),
art. 100).
-57
)
Jugement n° 114.

252
prononcer le divorce des époux qui s'accusaient mutuellement, chacun
prétendant avoir subi des préjudices de la part de l'autre. Le Cadi estima qu'il
559
était plus judicieux de les séparer
.
Ce même tribunal condan1na au divorce un mari "qui n'entretenait
plus sa femme, lui cherchait des histoires dans la rue, cherchait à l'écraser avec
son vélo solex et avait un mauvais comportement envers les parents de cette
demière,,560.
La jurisprudence est caractérisée par une carence notoire au sujet des
violences faites aux femmes. Car quelle que fût la gravité du préjudice subi par
l'épouse, le tribunal ne prononçait que le divorce judiciaire.
Nous avons déjà cité de nombreux cas extrêmement graves où les
561
maris coupables méritaient d'être punis avant d'être séparés de leur femme
.
Mais le tribunal n'a décidé que la rupture du lien conjugal. Cette attitude de
notre système judiciaire s'expliquerait par deux raisons.
D'abord, les tribunaux musulmans avaient des compétences bien
limitées, ils ne pouvaient rendre que des jugements en matière civile.
Ensuite, à cette époque, la femme était infantilisée et marginalisée.
La condition féminine et la sauvegarde des droits de la femme n'intéressaient
pas tous les Cadis. Nous avons déjà renconh-é un cas où un magistrat faisait
une comparaison insultante entre la femme et l'esc1ave562.
558 Jugement nO 115.
559 Cf. Aff. Koumba S. cl Bira T., 2 oct. 1889, Arch. T.M.S. R.1889.
560 Cf. Aff. Fatou M. cl Doudou D. le 3 octobre 1961, i\\rch. T.M.S. R.l961.
561 Jugements n° 78,100, 101, 102, 104, 107 précités.
562 J
° 105
.. ,
ugement n
preclte.

D.;

253
A Y regarder de près, nos Cadis ne semblent avoir consacré le
divorce judiciaire malékite qu'à regret. Car comme nous l'avons déjà démontré
un peu plus haut, notre justice a souvent adopté des solutions très restrictives
en matière de preuve des sévices. Ainsi, la plaignante qui n'est pas à même de
prouver son préjudice, est contrainte soit de rallier son domicile conjugal soit
de se contenter d'un khoul à son détriment.
Par exemple, dans l'affaire Mme Khary B. contre Demba S., la
plaignante faute de pouvoir établir, par témoins, le bien-fondé de ses griefs, fut
tout simplement obligée de subir le khoul à la place du divorce judiciaire
sollicité563 . Il en a été également ainsi dans l'affaire Mme Limalé contre
Weyke; encore que dans ce dernier cas, le mari lui-même reconnut avoir usé de
violences à l'égard de sa femme564 .
Le divorce judiciaire qui, en principe, n'est accordé que lorsque la
plaignante a subi les sévices de la part du mari en présence de témoins, n'est
qu'une mascarade. Le prononcé d'un simple divorce judiciaire sans une autre
forme de procès est loin d'être satisfaisant surtout pour les épouses qui ont subi
de graves préjudices 565.
Méditons, enfin, ce jugement rendu le 10/08/1951 en matière de
"coutume musulmane" par le Tribunal Coutumier de la Subdivision de Nioro
du Rip (Kaolack). En l'espèce, la nommée Seynabou D. déclarait: "Je suis
mariée avec le nommé Idrissa T. depuis 1946. Depuis lors, il n'a cessé de me
faire des brusqueries. Nous avons tàit quatre querelles, quatre blessées graves:
la 1ère j'ai perdu une dent; la 2e un doigt; la 3e une blessure mortelle qui m'a
-63
)
Aff. Khary B. cl Demba S., le 13/04/1896, Arch. T.M.S. R.1896.
564 Aff. Limalé cl Weyke, le 16/04/1896, Arch. T.M.S. R.1896.
565 V. jugements nO 78, 104, 105, etc., précités.

254
mis au lit durant trois mois, la 4e une oreille de perdue. Ne pouvant plus vivre
avec cet homme, j'ai jugé nécessaire de lui régler sa dot pour me sauver de lui ".
Le mari invité à répondre, déclarait: "Je reconnais avoir battu ma
femme à plusieurs reprises et l'avoir blessée une seule fois parce qu'elle s'était
cramponné à mon sexe voulant me tuer... Je consens à lui faire un cadeau.
Dans le cas contraire, je demande la restitution intégrale de ma dot qui monte à
315üF".
Pour juger cette afülÏre, le tribunal se contenta de prononcer le
divorce "aux torts et griefs de l'un et l'autre époux" et ordonna le
remboursement de la dot566.
En effet, dans le passé, comme cela vient d'être démontré, notre
justice s'est montrée particulièrement tiède sur la question des violences faites
aux femmes, tout connne elle s'est montrée très partagée à propos des litiges
concernant l'infidélité du conjoint.
566 Jugement nO 116.

255
CHAPITRE II
UNE JURISPRUDENCE AMBIGUE EN MATIERE DE CRIME
DE ZINA (FORNICATION)
La jurisprudence musulmane a adopté une position ambiguë au sujet
de la répression du crime de zina. Mais cela n'est guère étonnant si l'on sait
que le droit musulman est toujours confronté depuis sa formation, à la délicate
question de la preuve du crime de stupre.
La jurisprudence qui va être citée en exemple consacre des solutions
à la fois rigoristes (Section 1) et réalistes (Section II).
SECTION 1- INTERPRETATION RIGORISTE DES TEXTES
La justice musulmane s'est montrée tatillonne au sujet de l'infidélité
du conjoint. En dehors de la procédure du "Liane" (le serment d'anathème), elle
n'a jamais réuni les preuves légales de zina ni appliqué la peine de lapidation
ou le supplice du fouet. C'est parce que les conditions d'admissibilité de la
preuve du zina sont extrêmement difficiles à remplir (§ 1). De plus, la sévérité
des décisions rendues en la matière n'ont jamais servi à grand-chose au
Sénégal, parce qu'elles ne sont pas applicables (§ 2).
§ 1 - La rigidité de la preuve du zina
La justice a rendu une décision relative à la preuve d'adultère, d'où il
ressort que le respect des textes imposant la preuve testimoniale constitue un
facteur bloquant pour le plaignant (A). II a été également décidé que le coït au

256
cours de la période d'Idda est assimilable au crime de zina et passible de
"hadd" (B).
A - Une preuve quasi impossible
Le cnme de zina n'a jamais pu être prouvé dans les conditions
eXlgees par le témoignage, pas même durant toute l'époque du Prophète
Mouhamed567 • Cette "vérité historique" n'a jamais été démentie par le Tribunal
Musulman de Saint-Louis qui a eu à juger une affaire dans laquelle son greffier
titulaire fut personnellement mis en cause.
En effet, dans l'affaire du 20/0211913, le nommé Mamour N.
prétendait avoir surpris le sieur S.G., le greffier titulaire du Tribunal Musulman
de Saint-Louis en flagrant délit d'adultère avec sa femme, en 1907. Ce
plaignant déclarait que peu de jours après cet événement, S.F. est venu frapper
à sa porte alors qu'il était dans sa chambre avec sa femme et, quand il ouvrit,
celui-ci murmura: "Comment, vous êtes déjà couchés 7" puis il se retira. Il
ajouta que sa servante est venue lui dire que le sieur S.F. passe la nuit avec sa
femme toutes les fois qu'il est absent. n prétendit ensuite que S.F. a réussi à le
séparer de sa femme et s'est marié avec elle avant l'expiration de sa retraite
légale.
La parole ayant été donnée à l'accusé, celui-ci réfuta les déclarations
du plaignant et prétendit qu'il s'était marié avec la femme en question après sa
retraite égale.
Le sieur Mamour N. invité à apporter la preuve de ses déclarations,
répondit qu'il ne pouvait citer de témoins, mais que la véracité de sa version ne

257
pouvait être contredite, parce que la vie que menait S.F. avec sa femme était
tout à fait notoire et publique.
Pour trancher l'affaire, le tribunal se basa d'abord sur le jugement
qui avaÜ été rendu le 19/09/1912 entre lesdits époux. Puis décida:
"Attendu qu'il n'appert au texte d'aucun de ces jugements que
Mamour N. ait en aucun moment fait état d'intervention de S.F. dans les
différends qui ont surgi entre sa femme et lui;
Attendu d'autre part que jamais le sieur Mamour N. n'a saisi le
Tribunal Musulman d'une plainte tendant à incriminer S.P. d'avoir des relations
coupables ou blâmables avec la dame Khady, sa femme, pendant le temps qu'a
duré son union avec elle;
Attendu que Mamour N. invité à administrer la preuve par
témoignage de raccusation par lui portée contre S.F., a déclaré ne pouvoir le
faire;
Attendu que d'après Khalil, la preuve du crime de stupre est acquise
par témoignage concomitant de quatre témoins de sexe masculin qui auraient
vu le même fait dans le même moment;
Attendu que d'après le même auteur, le mari encourt la peine légale
si, après le divorce définitif et l'achèvement de la péliode de retraite légale, il
prétend avoir vu l'adultère; c'est de même un simple châtiment arbitraire qui
est infligé au mari déclarant sans preuve avoir trouvé sa femme couché avec un
567 Colloques de Ryad, de Paris, du Vatican, de Genève et de Strasbourg sur les Dogmes
Musulmans et Je Droit de l'Homme en Islam, D.K. Beyrouth, 1972, p. 30.

258
homme sans couverture, tandis que pareille imputation dirigée contre une
femme étrangère lui vaudra la peine légale de la diffamation;
Attendu que d'après le même auteur, la durée de la retraite légale
(idda) est de trois périodes intennenstlUelles de pureté et que le minimum de la
durée de ces périodes est d'un mois et demi ;
Attendu que d'après Khalil autant que possible, il est ajouté foi à la
simple affirmation de la femme sans sem1ent pour tout ce qui a trait à
l'achèvement de la période de retraite par menstruation;
Attendu que d'après cet auteur, une idda de trois mois est imposée à
la femme qui n'a encore eu de menshues ou qui désespère de ne plus en avoir;
que l'idda de la femme enceinte lors de la mort du mari ou de la répudiée, cesse
par l'expulsion complète du produit de sa grossesse, flît-ce un môle;
Par ces motifs, le tribunal déclare le sieur Mamour N. mal fondé en
sa plainte et l'en déboute. Renvoie S.F. des fins de sa plainte contre lui"s68.
Ce jugement soulève plusieurs problèmes juridiques panni lesquels
on note le "qadhf' (accusation calomnieuse de fornication) porté contre une
femme déjà répudiée, la preuve et la prescription du crime d'adultère et la
remariage de la femme en période d'Idda.
D'abord, sur le Qadhf, le tribunal a opposé une fin de non-recevoir
au plaignant qui a attendu un an pour accuser sa femme de crime d'adultère.
Parce qu'en fait, il accuse le complice le sieur S.F. d'avoir eu commerce avec
elle.

259
On peut dire que le tribunal n'est pas allé jusqu'au bout de sa logique
car il n'a prononcé aucune sanction contre le mari accusateur qui n'a fourni
aucune preuve à l'appui de sa plainte.
Nous reviendrons un peu plus loin sur la peine prévue par les textes
en matière de Qadhf.
Ensuite, sur la preuve du crime d'adultère, le tlibunal a correctement
interprété le texte de Khalil qui enseigne que "pour prouver la fornication et la
sodomie, il faut quatre témoins adls comparaissant à un même moment et
déclarant avoir vu le fait ensemble, mais il est obligatoire ou recommandé
qu'ils déposent séparément... , ils attesteront que le coupable a introduit ses
parties génitales dans celles de sa partenaire "comme le style dans la bOlte à
collyre" .
La version du plaignant est troublante, mais elle n'est pas soutenable
au regard de la Loi Coranique qui dit: "Et ceux qui lancent des accusations
contre des femmes chastes sans produire par la suite quatre témoins, fouettez-
les de 80 coups de fouet, et n'acceptez plus jamais leur télnoignage. Et ceux-là
sont les pervers"S69.
568 Jugement nO 117.
569 Sourate La Lumière, v. 4. Les Compagnons du Prophète ont dû d'ailleurs se résigner
devant cette législation. Saad Ibn Maas avait dit : "0 l'Envoyé d'Allah", même si je
surprends un homme avec ma femme ... ! Devrai-je attendre pour réunir quatre témoins? , au
nom d'Allah, je trancherai la tête du coupable sans jamais lui pardomler". Le Prophète lui
répondit, en s'adressant au public: "Vous vous étoMez de la jalousie de Saad Ibn Maas.
Pourtant je suis plus jaloux que lui, et Allah est encore plus jaloux que moi".
Et Assim Ibn Ady lui dit : "Comment pouni.ons-nous réunir quatre témoins puisque si
quelqu'un surprend un homme sllr le ventre de sa femme et le dénonce, il sera fouetté de 80
coups et son témoignage ne sera plus valable en justice? Et si, au moment de l'acte, il
patiente pour réunir quatre témoins, Je coupable aura déjà satisfait ses besoins" ? Le Prophète
lui répondit que c'est ainsi que le verset a été révélé (CF. Al Qortobi, AI-Diami Lil Ahkam
Al Qoran, 1. VI, p. 169).

260
En dehors de l'aveu, les conditions de la preuve du zina s'avèrent
extrêmement difficiles. Une seule sentence de mort fondée sur la loi de Moïse,
prononcée par le Prophète contre un homme et une femme appartenant à la
religion judaïque accusés de fornication par quatre témoins a été jusqu'à
570
présent constatée dans l'Islam
.
La sentence était parfaitement légale en vertu de la règle dite
"charnu mane qablana" (la législation des Prophètes envoyés avant l'Islam). La
loi de Moïse et de Jésus, à moins d'être abrogée par le Coran, restent valables
.
d D
. M
1
571
et constltuent une source u
roIt l usu man
.
Certains interprètes soutiennent que l'exigence de quatre témoins
répond à un souci d'équité : il y a deux témoins pour chacun des deux
coupables. Mais Al Qortobi juge cette opinion peu pertinente, parce qu'elle
572
n'est corroborée, selon lui, ni par le sem1ent requis en matière des biens
, ni
par le "Lawth" admis en cas de "Qasama,,573.
Pour d'autres juristes, si l'acte de fornication est commis en présence
de quatre témoins, on estimera alors qu'il y a atteinte grave à l'ordre public.
570 On raconte qu'un homme et une femme appartenant à la religion de Moïse reconnus
coupables de crime d'adultère, furent amenés chez le Prophète par les Juifs. Ce dernier leur
dit, emmenez-moi les deux honmles les plus instruits parmi vous, et les Juifs lui présentèrent
les deux fils de Soria. L'Envoyé d'Allah leur demanda alors: "Comment trouvez-vous le cas
de ces deux perSOImes d'après la Torah" ? et ils répondirent: Nous y avons trouvé que si
quatre témoins attestent avoir vu la verge de l'homme pénétrer dans le sexe de la femme
comme le style dans la boîte à collyre, on doit les lapider". Qu'est-ce qui vous empêche donc
de les lapider, leur rétorqua le Prophète? Les Juifs répondirent: "Nous n'avons plus de roi,
et il nous répugne de tuer". Le Prophète convoqua les quatre témoins qui confirmèrent leur
déposition et ordOima la lapidation des deux coupables (Cf. Al Qortobi, op. cil. p. 74).
571 Khalaf (AW.), Ibn Usul Al-Fiqh, Koweit, 1986, p. 93.
572 Le sernlent du défendeur dans llne affaire patrimoniale est parfaitement valable. Par
exemple, "si le créancier allègue qu'il manque quelque chose, le débiteur qui a payé, jurera
s'être acquitté" (Cf. Khalil, trad. G.H. Bousquet, Paris, 1956, livre IV, p. 24).

261
Que l'acte sexuel soit considéré comme légitime ou bien comme illégitime, il
n'est jamais séant qu'il ait lieu au grandjour. C'est pourquoi la sévérité dont fait
preuve l'Islam à l'endroit de ceux qui offensent l'ordre et la morale publics
dépassent toute autre sévérité, "nous pensons que si un acte pareil avait été
commis sur une voie publique dans une grande capitale d'un pays civilisé où la
libre disposition de la chair ne fait l'objet d'aucun châtiment, les passants eux-
mêmes se seraient chargés de lyncher les protagonistes avant que la justice ne
fût saisie de l'affaire. Ceux-ci seraient assimilés à des bêtes dont le sang ne
d
.
1
' .
,,574
evraIt p us menter aucun respect
.
Bref, le Cadi a rendu en l'espèce un jugement cohérent et bien
argumenté. Il a, en quelque sorte, fait jouer la règle de la prescription: étant
donné que le plaignant n'a jamais mis en cause le défendeur, dans les deux
procès qui l'avaient opposé à sa femme, lesquels se sont soldés par un divorce,
il n'est plus fondé à porter des accusations contre lui. Ceci pose effectivement
le problème de la prescription du crime de zina ; le Cadi n'en a pas parlé de
façon explicite car, s'il ne s'agissait que de cela, le plaignant ne serait pas
débouté, parce que le droit Malékite n'admet aucune prescription en matière de
crime de fornication.
En revanche, pour les autres rites, l'écoulement d'un délai (un mois
selon certains Hanéfites, 6 mois pour d'autres) entraîne l'extinction de l'action
publique et rend, de ce fait, toute poursuite impossible575 .
573 En matière de délit de sang, le "l awth" consiste à se contenter de la déposition d'un seul
témoin qui atteste, par exemple, que la victime lui a avoué avant de mourir que c'est telle
personne qui l'a frappée (Cf. Al Qortobi, Al Djami Lil Ahkarn Al Qoran, 1. VI, p. 74).
574 Colloques de Ryad, de Paris, du Vatican, de Genève et de Strasbourg, sur Les Dogmes
M_usulmans et le Droit de l'Homme en Islam, D.K. Beyrouth, ] 972, p. 28.
57, Sabiq (S.) Fiqh Al Sunna, D.F. Beyrouth, ] 983, t. Il, p. 356.

262
L'argument invoqué à l'appui de la thèse de la prescription est que la
personne qui assiste à l'acte de fornication a la faculté, soit de dénoncer le
coupable en vertu de la "hisba,,576 soit de garder le silence en vue de le couvrir
(Sitr) ; et s'il s'avise de le dénoncer après avoir gardé le silence, on présumera
que son témoignage est motivé par la haine, par conséquent il ne sera plus
577
recevable
. Cela dit, le Cadi savait-il en l'espèce que son greffier était l'amant
de la femme du plaignant'? Ce n'est pas évident bien que tout pouvait presque
se savoir à Saint-Louis qui n'était qu'un gros village au début du siècle dernier.
Cette question peut paraître oiseuse, mais elle revêt une importance
capitale en droit judiciaire. On discute la question de savoir si le Cadi peut
fonder son jugement sur ce qu'il a appris lui-même de l'affaire avant
l'audience.
Tous les ulémas, à j'exception des Dhahirites, admettent que le juge
ne doit pas se fonder pour juger sur la connaissance personnelle qu'il a de
l'affaire. Le Calife Abu Bakr disait notamment: "S'il m'était donné de savoir
personnellement que telle personne méritait la peine de hadd, je ne la lui
infligerai jamais tant que je n'en aurai pas la preuve formelle,,578.
Enfin, sur le remariage de la femme se trouvant en sa période d'jdda,
le tribunal a consacré une jurispmdence intéressante qu'il convient d'examiner
à part.
576 La "hisba", c'est-à-dire la vertu qui a pour objet d'inciter au bien et de défendre le mal,
prévu par le Coran. Cette responsabilité incombe au Calife, mais aussi à tout musulman qui
peut faire observation à un de ses fi'ères en religion de ne pas violer les prescriptions
coraniques (Cf. Bernard Durand, Histoire comparative des Institutions, NEA, 1983, p. 181).
577 Sabia S., op. cit. p. 355.
578 Sabiq S., op. cit. 356. V. également Khalil, livre lV, p. 6.

263
B - Assimilation du remariage en période d'Idda à un crime de
zina
La jurisprudence qui illustre cette assimilation est celle consacrée
dans la célèbre affaire de la dame Ramari contre Bounama SalI, Chef
coutumier du Cayor.
Cette femme avait adressé une plainte au Directeur des Affaires
politiques, M. Toutain dénonçant l'injustice que M. Bounama Salllui avait fait
subir en confisquant ses biens suite à une condamnation à une peine de hadd
prononcée contre elle par le Cadi Baba Diakhoumpa de Tivaouane. Elle fut en
fait condamnée pour crime de fornication pour s'être remariée sans que son
premier mariage ne fût dissous.
M. "Toutain" chargea le Cadi de Saint-Louis de rejuger l'affaire. Ce
dernier convoqua les intéressés, à savoir: la plaignante, le Chef coutumier du
Cayor, bounama SalI, le Cadi de Tivaouane, Baba Diakhoumpa et le premier
mari de la femme.
Pour assurer sa défense, la plaignante déclara au Cadi de Saint-Louis
qu'elle avait été bien répudiée par son premier mari et avait achevé sa retraite
légale avant de se remarier. Son premier mari confirma sa déclaration.
Le Sieur Bounama SalI interrogé à son tour sur les raisons qui
l'avaient amené à ordonner la saisie des biens de la plaignante, déclara qu'il
avait nommé un Cadi à Tivaouane lequel avait prononcé cette décision.
Dans son jugement rendu le 30/1/1890, le tribunal, se basant sur le
témoignage du premier mari de la plaignante, jugea que le second mariage

264
attaqué de la femme était bien valable. Il précisa, en outre, que l'amende
pécuniaire discrétionnaire (de "Tazir") est illégal en vertu de l'Idjma.
Le sieur Bounama SaIl fut condamné à restituer les spoliations faites
à la femme. Il fut également condamné aux dépens579.
Ce jugement appelle quelques remarques. Tout d'abord, on ne nous
précise pas qui a assigné la dame Hamari en justice.
Mais, il Y a lieu de noter que l'action est d'ordre public, et tout
musulman peut, en principe, en vertu de la 'thisba", la mettre en mouvement.
Ensuite, au moyen de quelle technique juridique le Cadi est-il
parvenu à assimiler le remariage en période d'Idda à un crime de zina ?
Comment en est-il anivé à cette interprétation qui paraît dépasser les textes?
Il faut pourtant remarquer que la jUlisprudence rendue en l'espèce est
bien recommandée par la Loi Coranique et par le bon sens.
En effet, le Coran interdit le mariage avec "les femmes, les dames
qui ont un mari, sauf si elles sont vos esclaves en toute propriété" (S. IV, v.
24)580. Aussi, la Loi Musulmane définit-elle le zina comme le coït avec une
femme d'autrui ou mouharem (illicite). Le mariage étant assimilable au coït, la
justice musulmane du "Cayor" a donc présumé que la dame Hamari est tombée
sous le coup de la loi pour avoir contracté un mariage et coïté (car c'est un des
buts du mariage) au cours de sa période d'Idda.
579 Jugement n° 118.

265
Il est possible de relever deux principaux problèmes juridiques dans
cette espèce.
D'abord, il yale problème de la pratique de l'amende pécuniaire en
guise de "tazir" (peine arbitraire) . Il Ya ensuite la preuve de la fin de la Idda.
Sur la pratique de l'amende pécuniaire au nom du tazir, il y a
plusieurs opinions. Et le grand Cadi de Saint-Louis à écarté la solution adoptée
par le Cadi du Cayor qui, à défaut d'appliquer la peine d'hadd pour fornication
à la dame Haman, lui a infligé une amende pécuniaire à son arbitraire. Il a
décidé de confisquer sa fortune. Cette solution est-elle légale?
La réponse à cette question doit être bien nuancée, car si l'amende
criminelle est justifiée par la Sunna du Prophète, les partisans de cette pratique
trouvent que les biens pris au coupable doivent être conservés à part en
attendant que ce dernier s'amende de lui-même et vienne à récipiscence, auquel
cas, ces biens lui seraient remis. Dans le cas contraire, ils seront consacrés dans
les oeuvres de bienfaisance.
A l'inverse, les opposants de l'amende criminelle trouvent que cette
peine est inefficace comme moyen de lutte contre les crimes et qu'elle fut, de
surcroît, uniquement édictée pour l'époque du Prophète et a été abrogée depuis.
Ils craignent que cette peine ne redevienne une arme dont abuseraient les
autorités en confisquant injustement les biens des honnêtes gens.
On pourrait notamment flairer un relent de coutume "tiéddo" (c'est-
à-dire une pratique préislamique de chez nous) dans la première décision
580 Le Cadi a dü combiner ce verset avec un autre où il est dit: les femmes divorcées doivent
observer un délai d'attente de trois menstrues avant un remariage éventuel (S. II, v. 228) .


266
rendue par la justice du "Cayor", SUltout que la pratique dite de "alamane,,581
était très fréquente dans le pays. L'amende pécuniaire pemlettait notamment
582
aux chefs traditionnels de renflouer les caisses de l'Etat
.
C'est ainsi que le délit d'adultère était puni de prison ou d'amende,
583
sans préjudice des dommages et intérêts accordés à la victime
.
En tout état de cause, on peut dire que le jugement du Cadi du Cayor
se rapproche davantage de la coutume locale que de la Charia proprement dite.
Le grand Cadi de Saint-Louis lui en fit d'ailleurs un reproche voilé à
l'occasion d'un "Murassala" qu'il lui adressa concernant cette affaire. Nous y
revi endrons.
Sur la preuve de la fin de la Idda par menstruation, la jurisprudence
dégagée par le tribunal est assez claire et précise. Dans l'affaire précitée, il est
précisé que "d'après Khalil, autant que possible, il est ajouté foi à la simple
581
Le mot "alamane" proviendrait de l'amende ou de "Damané" signifiant en arabe
réfaration ou garantie.
58
Certains Cadis distribuaient avec une excessive générosité des amendes dont ils
percevaient le montant pour leur compte personnel et pour celui du chef du ressort
administratif dont ils dépendaient. Ainsi, en 1895 le Cadi de Sanoxor (dans le Cayor)
infligea au nommé Seyni y. une amende de 500 frs pour adultère avec une femme mariée.
Le Cadi prétendait avoir convert.i en amende la peine capitale prévue par le Droit Musulman
à cet effet, d'autant plus que les relations auraient été suivies de grossesse. En application de
cette sentence, le Chef de Sanoxor dépouilla le condamné de tous ses biens. Il lui prit un
cheval d'une valeur de J50 frs, un grenier de mil, une meule de paille d'arachide et 50 frs en
espèces.
Les grossesses hors mariage considérées comme des crimes étaient sanctionnées par une
lourde pénalité appelée "impôt du ventre". Son taux variait selon les humeurs des
administrateurs habilités à approuver ou à moduler les sentences prononcées par les Cadis
(Cf. Professeur Mbaye Guèye, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, UeAD. in
Article inédit intitulé "La justice indigène, facteur de transformation de la société locale", pp.
10et 12).
583 Coutume ouolof du Cayor, d'après M. Campistron, Administrateur de Colonies, 1937, p.
160.

267
affinnation de la femn1e sans sennent pour tout ce qui a trait à l'achèvement de
la période de retraite par menstruation,,584.
Ce même auteur enseigne qu"'on s'en remet aux femmes pour ce qui
est de la durée minima des règles en cette matière, c'est-à-dire l'Idda : est-ce un
jour ou une partie de celui -ci ,,585.
En application de cette règle, le tribunal n'a éprouvé aucune
difficulté pour ajouter foi à la déclaration de la dame Haman qui prétendait
avoir bien terminé sa Idda avant de se remarier.
Après l'annulation de son jugement par le Tribunal de Saint-Louis, le
Cadi du Cayor adressa un "Murassala,,586 au grand Cadi de cette ville qui lui
répondit en ces termes:
"Aujourd'hui, le 24/09/1890 (...), le but de cette correspondance est
de répondre à la vôtre dans laquelle vous nous interrogez au sujet de la femme
qui, durant sa idda, a contracté mariage et coïté avec le mari. D'après Malek
(cf. Khalil, t. Il), cette femme devient haram à jamais à ce mari. Tout rapport
sexuel avec une femme pareille la rend absolument illicite à son complice, rut-
ce par erreur, par viol, ou par fornication. Cependant, les relations illicites
entretenues dans le cadre d'un mmiage [nul] entraînent le droit à la dot au profit
de la femme, comme l'enseigne la Rissala. La pénétration du gland de la verge
dans le vagin, si c'est haram, entraîne le hadd. Pour la sanction dont vous
parlez, référez-vous à Imam Malek qui enseigne que l'Imam ou son adjoint,
584 Voir jugement nO 117 précité.
585 Khalil B. Ishaq, Abrégé de la Loi Musulmane selon le rite d'Imam Malek, trad. G.H.
Bousquet, MaisOlmeuve, 1965, livre II, p. 116.
586 Ce Mourassala ne nous est pas parvenu, mais si l'on en juge par la réponse qui lui a été
apportée, il devrait avoir pour objet principal d'engager une "Munadhara" (Polémique
courtoise) avec le Cadi de la capitale.

268
peut infliger la peine de tazir à quiconque viole un droit d'Allah ou un droit
humain. Il peut par exemple le blâmer ou le flageller. Le droit d'Allah et le
droit humain sont liés par ce que le droit d'Allah recommande que l'on
s'abstienne de nuire à autrui.
De l'avis unamme des docteurs de la loi, la sanction doit être
prononcée par une autorité compétente douée du savoir et de la piété. Elle ne
doit jamais procéder de l'ignorance et du plaisir personnel 5
11
87.
Ce Murassala n'a certainement pas apporté grand-chose au Cadi du
C
. d'
fu
d
588
ayor qUI, 1t-on,
t un gran savant
.
Cette correspondance ne contient, en fait,
que des notions
élémentaires sur la Charia que tout Cadi digne de ce nom doit forcément
savoir. Ce qui est plutôt intéressant à y relever est le reproche courtois, mais
ferme, adressé à la fois au Cadi du Cayor et à son Chef. En disant que "la
587 Arch. T.M.S., R.1890.
Ce Murassala est signé par le Cadi Bécaye 8à, le successeur du Cadi Ndiaye SaIT parti en
retraite dans l'intervalle et décédé en 1903 (Cf. liste des Cadis présidents du Tribunal
Musulman de Saint-Louis, A.G.S.).
588 Le Cadi Baba Diakhoumpa fut licencié après cet événement et quitta le Cayor pour aller
au Baol auprès du Teigne Tanor (le roi de ce pays). En prenant sa propre défense, il disait:
"Pendant que j'étais cadi du Cayor, j'avais dit à Demba War (un autre chef du Cayor) de faire
cesser ces abus et l'avais également dit au Teigne. Ils commettaient tous les deux des
injustices en faisant payer aux Sérères des droits musulmans (sic) et des droits fétichistes
(...). lis s'emparent souvent des successions qu'ils prétendent vacantes quand elles ne le sont
pas. Demba War s'appuyant sur ce principe, a pris à ma famille 12 esclaves (...). Je quittai le
Cayor et j'allai dans le Baol où le Teigne me reçut avec plaisir à cause des bons antécédents
qu'il avait appris sur mon compte.
Dans le Baol, je ne me suis pas départi des bons procédés que j'avais employés dans le
Cayor".
Dans une lettre datée du 21/02/1894, le Directeur des Affaires Politiques, s'adressant à
l'Administrateur du Cercle de Saint-Louis, lui notifiait: "11 y aurait lieu de faire appeler cet
homme [Baba Diakhoumpa] à Saint-Louis et de l'admonester de la façon la plus sévère en
lui faisant observer que s'il continue à porter le trouble dans le pays, le Gouverneur se verra
obligé de s'assurer de sa personne et de l'envoyer au Gabon" (Cf. Dossiers personnels des
Cadis, Arch. N. M.243).

269
sanction doit être prononcée par une autorité douée du savoir et de la piété.
Elle ne doit pas procéder de l'ignorance et du plaisir personnel (Al Hawaa)" , le
grand Cadi de Saint-Louis taxe son homologue du Cayor et son chef
traditionnel comme des personnes ignorantes et injustes.
Autre détail intéressant à relever est la qualité de la juridiction
d'appel qui ajugé l'affaire en dernier ressort: Le Tribunal Musulman de Saint-
Louis s'est transformé ici en une véritable Cour des Malalim, c'est-à-dire une
Cour dont le but principal était de "prendre connaissance, pour les trancher, de
tous les cas répondant à la notion de "justices", d'où le nom589 .
Il Ya un parallélisme entre l'évolution judiciaire de l'Algérie et celle
du Sénégal. Les autOlités coloniales qui ont eu à gouverner ces deux pays
connaissaient parfaitement cette juridiction d'exception qui apparaît dès le
début des Abbassides et qui a dû faire tâche d'huile très tôt en Algérie par le
biais de l'Islam590.
Il reste que les tribunaux de la Charia ne rendaient qu'une parodie de
justice en matière de crime de fornication.
§ 2 - Une parodie de justice
Les juridictions musulmanes sénégalaises ne sont pas en principe
habilitées à prononcer la peine de mort. Cependant, un Cadi qui a voulu se
conformer à la Loi Coranique a infligé une peine de lapidation à une dame qui
avait refusé de prêter le serment rituel consacré en matière de Lian (serment
589 Bernard Durand, Histoire comparative des Institutions, NEA, 1983, p. 180.
590 Bernard Schnapper, Les Tribunaux Musulmans et la Politique coloniale au Sénégal 1830-
1914, Revue Hist. Droit français, CNRS, 1961, nO 1, p. 91.

270
d'anathème). Ce fut peine perdue car la sentence ne sera jamais exécutée (A) et
le Lian fut jugé illégal par la Cour d'Appel (B).
A - Une peine de hadd fictive
L'affaire des époux Mayoro P. et Aminata L. qu'il convient de citer
a fait l'objet de trois décisions de 1932 à 1941.
Les faits de la cause remontent à janvier 1924, lorsque le sieur
Mayoro P. épousa à Saint-Louis la dame Aminata L. Dans le courant du mois
de février, le mari partit en voyage au Soudan en laissant sa femme chez ses
parents. En 1926, c'est-à-dire deux ans après, il reçut du Cadi de Saint-Louis
une lettre par laquelle sa femue lui demandait le divorce, ce qu'il refusa de lui
accorder en attendant de connaître les motifs de sa demande. Mais le Cadi lui
envoya une autre conespondance lui disant que, malgré son refus de céder au
désir de sa femne, le divorce serait prononcé. Puis quelque temps après, le
mari apprit que la femme avait accouché. "Harcelé par une avalanche de
lettres", il accepta finalement de divorcer. Et il déclara en justice n'être pas le
père de l'enfant dont la femme a accouché.
Cette dernière interpellée par le Cadi, déclara que c'était bien
Ivlayoro P. qui était le père de l'enfant, car depuis leur union jusqu'à son départ
pour le Soudan, ils avaient cohabité et au cours de la dernière nuit qu'il passa à
Saint-Louis, ils avaient eu des rappOlts qui lui ont fait sentir des symptômes de
grossesse à son départ. Elle prétendit enfin que la mère de Mayoro P. était
avisée de son accouchement.

271
Mayoro P. invité à procéder au Lian (serment d'anathème) accepta
de prêter le serment rituel, tandis que la femn1e s'y refusa. Le tribunal rendit
alors le verdict suivant: (...)
"Attendu que d'après le commentaire de la Rissala d'Aby Zeid, si la
femme refuse de prêter le serment prescrit, elle sera condamnée à la peine de
lapidation;
Attendu que le sieur Mayoro P. a prêté le serment prescrit et que la
femme s'y est refusée; par ces textes et motifs déclare qu'à partir de ce jour, la
paternité de la fille N. ne sera pas attribuée à Mayoro P. et que la peine de
lapidation est infligée à la dame Aminata L."S91.
Sur appel interjeté par cette dernière, la Cour d'Appel rendra d'abord
un arrêt avant-dire droit, avant d'annuler purement et simplement le jugement
rendu par le Cadi.
Nous reviendrons sur ces deux arrêts de la Cour d'Appel. Pour
l'instant, il convient d'abord d'insister sur la sentence prononcée à l'encontre de
l'appelante compte tenu de sa gravité et de sa rareté dans les annales de la
justice musulmane.
En effet, les juristes de l'Arabie Saoudite assurent que quatorze
siècles ont passé depuis que la peine de mort par lapidation a été édictée par
l'Islam sans qu'il leur soit possible de compter quatorze cas de lapidation durant
591 V. jugement n° 119.

272
cette longue durée. De la sorte, la peine de lapidation est demeurée telle qu'elle
fut, cruelle dans son principe, mais extrêmement rare dans son appUcation592 .
Si l'on en croit Al Wancharichy, le dernier Lian qui a lieu en Islam
s'est déroulé à la Mosquée de Cordoue en 388 de l'Hégir sous le contrôle du
"Sahibal-Churta" (le Chef de la police) et l'homme, Iban Aata qui en avait pris
l'initiative, disait qu'il voulait de ce fait revivifier la Sunna du Prophète593 . Le
Cadi de Saint-Louis entendait-il lui aussi "revivifier" la Sunna à en organisant
ce "Lian" ?
En tout cas, son effort consciencieux d'appliquer le Droit Musulman
tel qu'il l'avait compris ne fait aucun doute, quoique la Cour d'Appel estime
qu'il est bien passé à côté.
Peut-on dès lors croire à la culpabilité de la condamnée?
Ce n'est pas évident a priori. On peut tout simplement dire que son
crime d'adultère est présUlné du fait de son abstention de prêter serment.
Or, d'après la majorité des rites sunnites, la peine de lapidation doit
être appliquée à la femme qui refuse de prêter les sennents opposés à ceux du
mari594.
Les Hanéfites sont plus indulgents sur cette question. D'après eux, le
juge ordonnera l'emprisonnement de la femme jusqu'à ce qu'elle jure cinq fois,
en ajoutant à la cinquième fois, qu'elle soit maudite si elle mentait, ou bien
592 Colloque de Ryad, du Vatican, de Genève sur Les Dogmes Musulmans et les Droits de
l'Homme en Islam, D.K. Beyrouth, 1972, p. 30.
593 Al Wancharichy (Ab-Al Abas A.) Al Miyaar, Rabat, 1981,1. 4, p; 76.
594 De Bellefonds (Y.L.), Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, 1. II, p. 376.

273
jusqu'à ce qu'elle admette la véracité des accusations de son mari, auquel cas,
elle ne serait pas frappée de la peine qui atteint la fomicatlice595 .
Il reste que le Cadi s'est livré ici à un exercice inutile en condamnant
la femme à une peine de lapidation qui ne sera jamais exécutée à cause des
décrets des 22 mai 1857, 22 mai 1905 et 20 novembre 1932 instituant les
tribunaux musulmans et réglementant leur fonctionnement596•
Les tribunaux musulmans n'avaient pas la haute justice. Ils ne
pouvaient légalement décider d'exécuter des condamnés. Et, si en l'espèce, la
femme avait interjeté appel, c'était moins pour sauver sa tête que pour défendre
la paternité légitime de son enfant ainsi que son honneur.
D'ailleurs, les modalités d'exécution des condanmés à la peine de
lapidation n'ont jamais été clairement définies au Sénégal, c'est-à-dire que cette
question n'a. jamais, à notre connaissance, préoccupé nos magistrats dans leur
pratique judiciaire. Parce qu'elle demeure purement hypothétique chez nous.
Alors que les juristes classiques lui consacrent une littérature juridique
abondante hors de proportion avec son utilité pratique.
Les jurisconsultes musulmans discutent par exemple, la question de
savoir si le (ou la) condamné(e) doit être jeté(e) dans une fosse avant d'être
lapidée.
595 Ibidem.
596
D'après l'article 5 du décret du 20/11/1932 concernant la Justice Musulmane et
l'assessorat coutumier auprès des juridictions de droit français en AÜ.F., "les juridictions
musulmanes connaissent exclusivement des affaires civiles entre musulmans originaires des
quatre communes de plein exercice du sénégal" (Cf. Pautrat R., La justice locale et lajustice
musulmane en AÜ.F., Imp. Rufisque, 1957, p. 163).
-

274
Imam Malek et Abu Hanifata estiment qu'il n'est point nécessaire de
creuser une fosse à cet effet; tandis que d'autres savants dont Abu Thaour
enseignent le contraire en invoquant notamment le cas de Shurahata al
Hamdaniya qui fut lapidée du temps d'Ali dans une fosse. On dit par ailleurs
que les parties intimes du corps de la femme doivent rester cachées au moment
de la lapidtion. Aussi, devra-t-elle être assise dans la fosse contrairement à
l'homme qui devra se tenir debout au moment de l'exécution597.
Aussi, de l'avis unanime des savants, devra-t-on tenir compte de la
température qui ne doit pas être ni très chaude ni très froide. En revanche, les
avis divergent au sujet d'un condamné malade. Certains disent qu'on doit
retarder le châtiment jusqu'à sa guérison, d'autres disent qu'on devra le lapider
sans attendre598.
11 conviendrait à présent d'examiner un autre aspect de notre
problème, celui de la validité du lian autorisé par le Cadi.
B - Un "Han" illégal
La Cour d'Appel réagit en deux temps face à cette question.
D'abord dans son arrêt avant-dire droit, elle estima que rien dans la
loi coranique ou dans la coutume locale n'interdit le déclenchement d'une
action en désaveu de paternité même plus de cinq années après la naissance de
l'enfant si cette action est intentée dans un bref délai, à compter de la
connaissance par le père de la naissance de l'enfant. Puisque la dame Aminata
L. opposait au sieur Mayoro P. la tardivité de son action prétendant qu'il était
597 Sabiq S. Fiqh Al Sunna, D.F. Beyrouth, 1983, t. II, p. 359.
598 Op. cit. p. 158.

275
infonné de son accouchement, la Cour l'autorisa d'abord à rapporter la preuve
des faits qu'elle prétendait retenir à l'appui de son exception599
Ensuite, dans son arrêt du 25/09/1941, la Cour considéra que d'après
la coutume musulmane du Sénégal, Mayoro P. était tenu, à peine de forclusion,
de fonnuler le désaveu dans un délai de 7 jours après la naissance de l'enfant
ou la connaissance par lui de l'accouchement; que la présomption de paternité
du mari s'impose pour tout enfant né pendant une péliode de cinq ans à dater
de la cohabitation, saufla possibilité de désaveu dans un délai étroit imparti par
la Loi Coranique.
Or, d'après la Cour, il résultait d'une lettre datée de GAO, le
25/09/1926, adressée par ~1ayoro P. au Cadi de Saint-Louis que le mari était
informé de l'accouchement de sa femme. La Cour estimait dès lors, que c'est 6
ans après avoir connu l'accouchement de sa femme légitime, donc hors des
délais légaux, que Mayoro P. a cru devoir désavouer l'enfant né d'Arninata L.
pendant le mariage ; qu'à tort, le tribunal, au mépris des prescriptions
coraniques, a admis le mari à prêter le selment rituel et a accueilli l'action en
désaveu; que le jugement attaqué doit être annulé de ce chefoo.
La Cour d'Appel pose donc ici le problème du délai de l'exercice de
l'action en désaveu de paternité. Elle estime que le Cadi n'aurait pas dû
autoriser le mari à exercer cette action six ans après avoir été informé de
l'accouchement de sa femme.
599 Arrêt n° 120.
600 Arrêt n° 121.

276
La Cour s'est notamment basée sur une lettre que le mari avait
adressée au Cadi de Saint-Louis, laquelle prouvait qu'il était bien informé de
l'accouchement de sa femn1e.
60
Cette lettre découverte 15 ans après \\ a permis à la défenderesse
d'être déchargée du fardeau de la preuve. Cette dernière se lirrritait, on se le
rappelle, à prétendre que son mari Moyro P. avait été bien infoffi1é de la
naissance de son enfant parce que sa propre mère en avait été avisée, sans avoir
apporté la moindre preuve de ses allégations.
La Cour d'Appel fonde son grief sur le fait que le lian a été prononcé
hors des délais légaux, le mari ayant gardé le silence pendant six ans avant de
procéder au serment d'anathème.
La Cour d'Appel accuse en eftèt le Cadi d'avoir violé la Loi
Coranique en autorisant ce lian tardif. l\\1ais on a plutôt l'impression que c'est
elle qui se trompe. Disons plutôt que la Cour a procédé à une interprétation
restrictive des textes. Khalil enseigne à cet égard: "Si le mari tarde à prononcer
le lian après avoir eu connaissance de l'accouchement ou de la grossesse de sa
femme, et cela sans excuse, il sera empêché de procéder au lian,,6ü2.
La Cour a-t-eUe tenu compte de cette excuse dont parle Khalil,
laquelle peut consister dans la longue distance séparant le mari du prétoire du
Cadi, comme c'est le cas en l'espèce?
60\\
La Cour n'a signalé l'existence de cette lettre datée de ] 926 que dans son arrêt du
25/07/1941. Et Je "lian" a eu lieu en 1932, c'est-à-dire 6 a.l1S après que cette lettre ait été
envoyée de Gao.
602 Khalil B. Ishaq, trad. G.R. Bousquet, 1956, livre fI, p. 111.

277
Le Cadi a certainement considéré (sans l'avoir signalé) la longue
distance qui aurait empêché le mari qui se trouvait à ce moment au Soudan, de
prononcer le lian à temps. Le Cadi n'a pas, il est vrai, mentionné cette "excuse"
dans les motifs de son jugement d'où sa faiblesse. Mais une telle excuse peut
exister objectivement, et elle est même reconnue par la doctrine.
Ainsi, dans sa note sous l'arrêt des époux Baady Thaïb et Karima
Bint Rabih, rendu par la Cour suprême de Rabat en date du 30/01/1978, le
Professeur Ahmed Al Ghazi précise que l'action en désaveu de paternité est
réputée nulle si le mari ne prononce pas le "lian" dès qu'il est informé de la
grossesse de sa femme ou dès les premiers jours consacrés aux félicitations
sauf s'il a une excuse valable pour intenter l'actionGÜ3 •
Aussi, doit-on considérer comme excuse valable l'absence du mari
du lieu de l'accouchement. Car dans certaines circonstances exceptionnelles, le
désaveu pourra se placer un peu plus tard; l'essentiel est que le mari n'ait pas
donné, par son comportement, l'impression qu'il reconnaissait comme sien
l'enfant de sa femme6ü4.
Qu'est-ce qui, en l'espèce, empêchait Mayoro P. de désavouer
l'enfant par correspondance? Peut-être avait-il une "excuse valable" que le
Cadi a bien appréciée. J\\1ayoTo P. avait-il d'ailleurs une raison suffisante pour
désavouer J'enfant né de son épouse légitime durant le mariage?
Peut-être avait-il finalement trouvé trop longue la durée de grossesse
de la femme car, c'est en 1926, c'est-à-dire deux ans après qu'il apprit son
accouchemen1.
603 Cf. Madia1 Al Quadaa Wa1 Quaanun, Rabat, n° 131, août 1987, p. 123.
604 De Bellefonds (Y.L.), Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1973, 1. m, p. 45.

278
Aussi, ignorait-il certainement que le droit musulman établit en
faveur de l'enfant né pendant le mariage une présomption de paternité que le
mari de sa mère ne peut écarter qu'en prononçant l'anathème. Car le délai
nlinimal de grossesse d'après tous les textes est de six mois, tandis que le délai
maximal peut aller jusqu'à cinq ans d'après la doctrine Malékitéo5.
Le mari a été, ici, confronté au phénomène du "foetus endonni,,606.
Si l'on sait notanunent que la femme, selon ses dires, avait commencé à
ressentir les symptômes de grossesse dès la dernière nuit que le couple avait
passée ensemble à Saint-Louis.
Au total, si 011 met à part les réserves qui viennent d'être faites, on
peut dire que les deux solutions dégagées aussi bien par le Cadi que par le juge
d'appel restent bien valables.
La décision du Cadi gagnerait cependant à être mieux motivée. Elle
ne viole aucun texte, mais elle ne précise pas pour quelle raison elle a autorisé
le mari en question à prononcer l'anathème, alors que d'ordinaire, dans une
situation nonnale, il serait déclaré forclos.
La décision de la Cour d'Appel a le défaut d'être très restrictive. Elle
ne tient aucun compte de "l'excuse" dont le mari pourrait se prévaloir du fait de
son éloignement du lieu d'accouchement de sa femme. Mais au plan strict du
droit, cette décision est correcte, parce qu'elle n'a fait que rejuger la décision du
Cadi qui n'a évoqué aucune sorte d"'excuse légale", en faveur du mari.
605 De Bellefonds (YL.), op. it., pp. 34 et 35.
606 Cf. Cou]son (Noël J.), Histoire du Droit Islamique, P.u.F., 1995, p. 167.

279
On peut dire que le Cadi a été plus compréhensif envers le mari.
Le juge d'appel a quant à lui, rendu une décision plus souple voire
plus humanitaire à l'égard de la femme.
Cependant, qu'adviendrait-il de l'appelante si la Cour d'Appel était
du même avis que le Cadi sur la question? La dame Aminata L. serait-elle
dans ce cas lapidée?
La réponse est non! Cette dame ne serait pas lapidée même si la
Cour d'Appel avait cofirmé le jugement rendu en première instance. Parce que
la mise à mort de la fenune reconnue coupable de cette manière serait contraire
à l'éthique et à l'ordre colonial.
Car, outre que les textes instituant le Tribunal Musulman dans la
Colonie ne prévoyaient pas l'application de la peine de lapidation, on peut dire
que les autorités coloniales étaient farouchement opposées aux "châtiments
cruels" édictés par la Loi Coranique607 .
Notre système judidaire ne rendait donc presque en cette matière
qu'une parodie de justice.
607 "Sur le territoire français, il ne pouvait exister qu'une seule loi pénale", et le "Gouverneur
Général de l'AO.F. se devait de réaffimler la prééminence de la loi pénale française et
l'humanité de ses dispositions". La seule sanction prévue contre la femme convaincue
d'adultère, était la peine de l'emprisonnement pendant trois mois au moins et 2 ans au plus
a
(Cf. AN.S. 2D.14-2 . va également l'art. 337 du Code pénal applicable en AO.F. - Décret
du 6 mai 1877 RA.S. 1877.143). L'autorité coloniale n'était, en fait, engagée à respecter la
Loi Musulmane et les coutumes locales que si elles étaient confornles aux "principes de la
civilisation française".
Plus tard, les Nations-Unies vont réagir par la résolution 22/1984 en recommandant aux pays
islamiques qui pratiquent l'amputation de dicter d'autres nonnes confonnes à l'art. 5 de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (CF. Sahlier S., Non Musulm. en terre
d'Islam, 1979, p. 641).

'X"i!li'J-,f'ti!-6iimffi'
280
Par ailleurs, nos Cadis ont adopté des solutions fort réalistes
banalisant à la limite le crime de zina le qadhf (accusation calomnieuse de
fornication).
SECTION II - SOLUTION REALISTE EN MATIERE DE "ZINA" ET
DIJ "QADHF"
Le
réalisme
a
consisté
à faire
l'économie
des
procédures
compliquées et des peines sévères, édictées par la Loi Coranique en matière de
crime de zina et du qadhf Aussi, les Cadis ne se préoccupaient finalement que
des aspects civils des litiges qui leur étaient soumis, par exemple comme le
retour de l'épouse à la demeure conjugale, la reprise de la vie commune par les
époux, l'entretien de la fenune, le rattachelnent de l'enfant né dans le mariage
au mari de sa mère, etc. Tandis que les autres questions très techniques
relevant du droit criminel comme l'application de la peine de lapidation ou de
la flagellation étaient carrément occultées.
C'est ainsi que le zina et le qadhf malgré leur gravité en droit
Musulman, semblaient à la limite banalisés (§ l), tout comme l'institution de
lian fut tombée en désuétude (§ 2).
§ 1 - Banalisation du Zina et du Qadhf
De nombreuses décisions rendues en matière de crime de stupre et
d'imputation calomnieuse de fonlication montrent jusqu'à quel degré de
banalisation ces crimes étaient finalement tombés dans la jurisprudence. On

281
aura en quelque sorte assisté à leur dépénalisation (A). Des époux s'accusant
mutuellement de crime d'adultère restèrent impunis (B).
A - Dépénalisation de fait du Zina et du Oadhf
En effet, deux situations peuvent se présenter en matière de crime de
stupre. Ou bien le crime est dûment constaté et le fornicateur encourt la peine
de lapidation. Ou bien celui qui traite sa femme d'adultère ne fournit aucune
preuve légale à l'appui de ses allégations et le Cadi le fait fouetter de quatre-
vingts coups de fouet608 .
Or, il Y a de nombreux cas de jurisprudence qUI montrent que
certains Cadis n'accordaient que peu d'intérêt aux accusations de fornication
portées à leur connaissance.
Aussi, dans un jugement rendu le 07/09/1913 concernant les époux
Aldiouma S. et Aïssa S., la femme déclarait au juge qu'elle avait été
abandonnée par son mari qui a cessé de la nourrir et de l'entretenir, et elle
demandait le divorce pour cette raison.
Sur l'interpellation du Cadi, le mari répliqua qu'il n'avait jamais
abandonné sa femme, que c'est plutôt elle qui l'avait abandonné et se permettait
d'avoir des rapports avec d'autres personnes jusqu'à en avoir un enfant.
Le tribunal estimant que puisque la femme s'était livrée à de pareils
actes, et que d'après Khalil, une femme apte à la cohabitation a droit à la
608 Et ceux qui lancent des accusations contre des femmes chastes sans produire par la suite
quatre témoins, fouettez-les de quatre-vingts coups de fouet, et n'acceptez plus jamais leur
témoignage (Coan S. 24, v. 4).

282
nourriture et aux vêtements de la part de son man suivant l'usage et la
coutume, la condanme par ces motifs à rejoindre le domicile conjugal et à se
conduire autrement qu'auparavant avec le mari6ü9.
En l'espèce, le Cadi a passé sous silence les graves accusations
portées par le mari contre sa femme. Ce dernier prétend en fait que son épouse
s'est permise de fréquenter d'autres hommes jusqu'à en avoir un enfant.
Il Y a infraction à la procédure, car il fallait exiger du mari de
prouver ses allégations. Car en accusant ouvertement sa femme d'adultère sans
en avoir fourni la moindre preuve, celui-ci commet le délit de qadhf qui doit
être puni de quatre-vingts coups de fouet.
11 faut reconnaître que le Cadi a bien simplifié l'affaire. Il a évacué
l'aspect répressif pour ne s'occuper finalement que du côté civil: il cite la
théorie de la Nafaqa de Khalil et condanme la femme à rejoindre son mari qui
la nourrit.
Mais pire encore: en jugeant que: "Attendu que la femme a quitté le
domicile conjugal et en se livrant à de pareils actes", le Cadi ne semble-t-il pas
accréditer les accusations portées contre la femme par le mari ? Le tribunal a-t-
illa preuve certaine que la femme a fOlniqué jusqu'à en avoir un enfant?
L'autre erreur commIse par le Cadi dans son jugement c'est de
n'avoir pas ordonné au mari de soumettre sa femme à 1"'Istibra", c'est-à-dire un
examen de viduité. Parce qu'il est nécessaire, d'après Khalil, de procéder à
609 .Tugement nO 122.

· AbiT
TF" ,.. ~lpj
283
l'Istibra de la femme quand "la vacuité de son utérus n'est pas établie alors que
le coït avec elle n'était pas antérieurement pennis,,610.
Dans l'affaire du lundi 07/1211936, la nommée Rokhaya D. déclarait
au juge: IIJe viens demander la confirmation de la répudiation dont je suis
l'objet de la part de mon mari Massiré F. survenue au début du Ramadan
1936".
La parole ayant été donnée au mari, celui-ci répondait: "Je n'ai pas
répudié ma femme, je reconnais seulement avoir sorti ses bagages hors de ma
case car la femme m'avait insulté dans la personne de mes parents".
Et un témoin de coutume ouolof islamisé interrogé, déclara: Massiré
F. est venu me trouver dans mon carré, et me dire: "J'ai répudié ma femme
Rokha D. car je l'ai surprise sous la lampe dans la rue en train de causer avec
un homme. Je n'ai plus confiance en elle. Je l'ai mise à la porte pour toujours...
Et le tribunal, après en avoir délibéré déclara: "Attendu que le mari
conteste en partie les déclarations de la femme, mais reconnaît avoir jeté les
bagages de cette dernière hors de la case conjugale et en avoir rendu compte au
chef du quartier (... ) ; par ces motifs, constate l'existence du divorce par
610 La jurisprudence a maintes fois décidé de soumettre des femmes à l'Istibra. Il en a, par
exemple, été ainsi dans l'affaire Alassane c., caporal aux tirailleurs sénégalais, qui de retour
de son voyage, a trouvé sa femme remariée. Et puisque celle-ci ne disposait pas de la dot à
lui restituer, elle fut condamnée par le Cadi à le suivre mais à condition que ce mari ne
pourrait avoir des rapports avec elle qu'après qu'elle aurait eu ses règles (Cf. Aff. Alassane C.
cl Awa S., T.M.S., le 11/12/1911, R.1911).
Aussi dans l'affaire des époux El H. Amadou 1\\1]( et Mariam F., l'ordre a-t-il été donné par le
juge au mari de soumettre la femme à un Istibra de trois périodes de menstrues avant de
prendre contact avec elle. En l'espèce, après quatre années et demi d'absence, le mari
déclarait retrouver sa femme remariée, et celle-ci avait accepté de reprendre la vie commune
avec lui s'il lui payait son entretien arriéré (Cf. Aff. El H. Amadou N. cl Mariam F., T.M.S.,
le 20/12/1961, R.1961).

284
répudiation prononcée entre le nonmlé Massiré F. et Rokhaya D. vers le
1711111936; précise que la nommée Rokhaya D. observera le délai de viduité
de trois mois,,611.
Là aussi, si l'on en croit à la disposition du témoin "de coutume
ouolof islamisée", le mari s'est rendu coupable en l'espèce du délit de "qadhf
par allusion"612, et le tribunal ne s'en est nullement préoccupé. Il n'a plutôt
retenu que l'aspect civil du htige, à savoir "le divorce par répudiation"
prononcé par le mari. Il faut en tout cas dire que le tribunal n'a rien fait pour, au
moins, protéger l'honneur de la femme calomniée par son mali.
Il en a été également ainsi dans l'affaire des époux Demba D. et
Coumba R.. La fenune se plaignait que son mari l'avait frappée parce qu'il
l'accusait d'aller voir un autre homme. Le Cadi procéda néanmoins à la
réconciliation des deux époux. Il invita la fenune à suivre son mari et demanda
à ce dernier de ne plus la maltraiter613 .
On se rappelle également le htige ayant opposé les époux Abdoul S.
et Awa T. Le mari accusait la femme d'avoir des relations illégales avec
d'autres personnes et prétendait avoir découvert des preuves "très précises" en
présentant des "lettres d'amour" que celle-ci échangeait avec quelqu'un à
Dakar.
611 Jugement n° 123.
612 Le délit de "qadhf par allusion" est consacré par la doctrine. Cela consiste à imputer un
acte de Zina à quelqu'un en utilisant un langage voilé ou à peine voilé (taarud a thaahir)
comme par exemple lui dire: "Ton oeil a forniqué ou "mon père n'est pas un fornicateur"
(Cf. S. Sabiq, Fiqh Al-Sunna, D.F. Beyrouth, ] 983, t. II, p. 376 ; cf. également Khalil, trd.
Bouquet, livre N. p. 50).
613 Cf. T.M.S., Affaire du 29/0711914, Coumba R. cl Demba D., R.1914.

285
Le tribunal décida en faveur du man et invita la femme à le
Dans l'affaire des époux Souley D. et Penda S., la femme déclarait
sans être démentie par le mari que celui-ci la traitait d'adultère. Le mariage a
été dissous. Mais aucune décision particulière ne fut prise par le tribunal
615
concernant cette accusation
.
Dans l'affaire des époux Demba K et Koumba B., le mari accusait sa
femme d'avoir eu des relations illégales avec d'autres hommes et la frappait
jusqu'à "défigurer sa tête". Le Cadi se borna à déclarer que ce mari avait tort.
Puis il motiva sa décision en se fondant sur la doctrine de Khalil qui enseigne
que "la femme peut réclamer la répudiation pour cause de préjudice évident,
encore qu'elle ne rapporte pas la preuve que le préjudice soit répété,,616.
De ces différentes affaires, le Cadi n'a examiné que les aspects civils
tandis que les aspects répressifs sont carrément occulés. De telles solutions
partielles sont donc nOlmalement loin de satisfaire les plaignantes.
Dans le litige ayant opposé Cheikh T. à la dame Thiandougou D.,
c'est la femme qui accusait le mari. Elle disait que si celui-ci l'avait
abandonnée, c'est parce qu'il avait profité de son absence pour coucher avec sa
soeur. .. Cette accusation portée par la femme contre le mari n'a eu aucun effet.
Cette femme a même été répudiée en pleine audience par le mari617•
Dans l'affaire des époux Khalil D. et Marie D., le man avoua
carrément son acte de fornication. Il déclara au Cadi que sa femme avait une
614 J
0 7 4 ' . ,
ugement n
preCIte.
615 J
0
104
, ..
ugement n
preCIte.
616 Arch. T.M.S., Aff. àu 14110/1896, KOllmba B. cl Demba K., R.1896.
617 J
0
10
, ..
ugement n
preCIte.

286
amie qui s'est monh-ée très gentille envers lui, et il la fréquentait au vu et au su
de sa femme jusqu'au jour où il lui est arrivé d'avoir des rapports avec elle, et il
fut obligé de la marier.
Pour toute sanction, le Cadi se borna à lui préciser que ce mariage
618
était illicite
.
Voilà une affaire extrêmement grave en Droit Musulman. Parce qu'il
s'agit d'un crime de fornication reconnu par le coupable lui-même. Or, comme
on le dit en Droit criminel musulman, "l'aveu est le chef des preuves,,619.
Il faut dire que si l'affaire avait été jugée confom1ément à la Loi
620
Coranique, ce crime mériterait la mort
. Mais étant donné que la justice
musulmane avait, depuis longtemps, perdu ses attributions criminelles dans la
Colonie Sénégalaise; les Cadis avaient tendance à négliger les plaintes des
époux qui se traitaient d'adultère621 .
618 Jugement n° 05 précité.
619 Sabiq s. Fiqh Al Sunna, D.F. Beyrouth, 1983,1. n, p. 352.
620 Ce cas rappelle d'ailleurs celui de Maaiz qui fut lapidé du temps du Prophète pour avoir
avoué son crime de zina.
En effet, ce qui a pu être vérifié en matière d'adultère, le fut par le libre aveu du criminel qui
tint à se purifier durant cette vie "pour éviter les châtiments de l'Au-delà". On raconte que
lorsque le nommé Maaiz avoua son crime au Prophète, celui-ci détourna d'abord son visage
et refusa de l'écouter. Mais le prévenu s'empressa de renouveler ses aveux et une seconde
fois, le Prophète détourna son visage. Une troisième fois, le criminel confirma ses aveux ...
Force fut donc de lui appliquer la peine de lapidation en raison de cette insistance... Il
regretta son aveu aussitôt que l'on eut passé à l'exécution, et prit le fuite. Mais les hommes
chargés de l'exécution le poursuivirent et l'achevèrent. Le Prophète leur dit alors: "Que ne
l'eusissiez-vous laissé vivant. Tl se serait repenti et Dieu lui eût pardonné! (Cf. Colloque de
Ryad, de Paris... sur Les Dogmes Musu1..., 1972, p. 290).
621 Il faut reconnaître que les attributions criminelles des tribunaux musulmans du Sénégal
sont demeurées théoriques voire nulles, parce que les décrets des 20 mai 1857, 22mai 1905,
29 janvier 1907 et 25 avril 1910 qui les avaient institués avaient bien limité leurs
compétences. Aussi, aux termes de l'art. 5 du décret du 20 novembre 1932 était-il précisé
que ces tribunaux "connaissent exclusivement des affaires civiles entre musulmans
originaires des quatre communes de plein exercice du Sénégal". Par conséquent, il semblait
y avoir un vide juridique au sujet des crimes de fornication jusqu'en 1947, date à partir de

28i
Par conséquent, il n'a jamais été question de prononcer des sanctions
à l'encontre des époux coupables de délit de qadhf.
B - L'impunité des coupables
Notre jurisprudence a eu à dégager sa position qui ne pouvait pas
être plus claire sur la question du "qadhf' à l'occasion de deux décisions qu'elle
rendit en 1961 et en 1962.
D'abord, dans celle rendue Je 20/1211961, la demanderesse déclarait:
"Je porte plainte contre mon mari qui m'a abandonnée avec mon enfant. Durant
notre mariage, il n'a jamais cessé de me traiter d'adultère. Il est venu [un jour]
me taquiner, disant que j'ai couché avec un homme dans la chambre". A quoi le
mari répondit: "En effet, je l'ai traitée d'adultère, car je l'ai trouvée une fois
couchée avec un honnne dans sa chambre, je voulais battre cet homme, mais
elle m'a poussé en me frappant", avant de préciser qu'il ne pouvait fournir des
témoins en ce qui concerne les accusations de fon1ication qu'il portait contre sa
femme.
En jugeant l'affaire, le tribunal déclara:
"Attendu que le mari déclare qu'il traite sa femn1e d'adultère parce
qu'il l'a trouvée couchée avec un homme dans sa chambre; Attendu
que le mari déclare qu'il ne peut pas fournir des témoins en ce qui
concerne les accusations d'adultère pOItées à l'égard de sa femme;
Attendu que d'après le livre des Quatre Ecoles, lorsque la chasteté
laquelle un décret, qui ne semblait d'ailleurs concerner que les femmes mariées selon la
coutume locale, stipulait ; "La femme convaincue d'adultère (...) subira la peine

288
d'une femme libre est menacée par son mari, on doit dissoudre le
mariage et que d'après
la Rissala,
l'homme libre coupable
d'imputation calomnieuse est légalement passible de 80 coups de
fouet. Par ces motifs, le tribunal déclare dissous le mariage ayant
existé entre les nommés F.F. Ndiaye et Fall 8".622.
Ensuite, dans la décision rendue le 07/0311962, la plaignante
déclarait:
"Je me suis adressée au tribunal pour demander ma liberté, car mon
mari me maltraite. Il me traite d'adultère et déclare en outre que j'ai
une maladie vénérienne. A quoi le mari répliqua: "Je l'ai frappée,
car je l'avais trouvée avec un homme", avant de dire qu'il ne pouvait
fournir aucun témoin de ce qu'il avançait concernant la conduite de
sa femme.
Le tribunal décida:
"Attendu
que
la
demanderesse
se
plaint
des
accusations
calomnieuses concernant sa chasteté et que le mali n'a jamais fourni
les preuves exigées en pareils cas; Attendu que d'après le livre des
Quatre Ecoles, vo1. IV, lorsque la chasteté d'une femme a été
menacée par le mari, on doit dissoudre le mariage. Et que par
ailleurs, d'après la Rissala, p.
194, l'honm1e libre coupable
d'imputation calomnieuse est légalement passible de quatre-vingts
coups de fouet. L'imputation calomnieuse s'entend de l'accusation de
fornication ou de pédérastie et de la dénégation de filiation légitime,
d'emprisonnement pendant trois mois au moins et deux ans au plus" (Cf. Patrant H., La
justice locale et lajustice musulmane en A.ü.F., Rufisque, 1957, pp. 163 et 169).
622 Jugement na 124.

289
le tribunal, par ces motifs, déclare dissous le mariage ayant existé
entre les nommés Mamadou B. et Marie623 .
Ces deux espèces sont à peu près identiques. La seconde comportant
seulement une petite différence par rapport à la première: elle donne une
définition simplifiée du délit de qadhf24.
Dans les deux cas, le juge s'est bOlné à dissoudre le mariage des
époux sans sanctionner les maris reconnus coupables d'imputation calonmieuse
de fornication. Il a cependant indiqué la règle de droit qui devrait normalement
s'appliquer en la matière. Il cite Abdourahmane Al Diaziri, l'auteur du "Livre
des Quatre Ecoles" (Al Fiqh Alal l\\1adhiaahib al ARbaa) et Aby Zeid, l'auteur
de la Rissala. De ce point de vue, son interprétation de la Loi Coranique est
correcte qui stipule que "ceux qui lancent des accusations contre des femmes
chastes sans produire par la suite quatre ténlOins, fouettez-les de quatre-vingts
623 Jugement nO 125.
624 Les juristes musulmans consacrent à cette définition des développement détaillés et
confus. Ils admettent qu'à l'origine le mot "qadhf' signifiait "lancer une pierre ou un objet
solide à quelqu'un". Puis, par la suite, le mot a revêtu le sens de "lancer par la langue" et est
passé dans le langage courant. Ainsi, Naabigha (un poète arabe qui vécut pendant la
Diahiliya) a dit: "Une blessure causée par la langue est comme une blessure causée par la
main (Djourhu Lissani Ka Djourhul Yadi). Aussi, pour repousser une offence de Qadhf, le
Poète Ibn Ahmar dira: "A cause d'un puits [disputé], il m'a lancé une chose dont mon père et
moi sommes absolwl1ent innoncents" (Cf. Saabon (M.A.), Rawaai AI Bayane, Ed. Beyrouth,
]982, t. Il, p. 55; v. également Al Qotorbi, 1. TI, p. 159).
En outre, d'après un Hadith: "Ibn Oumoya avait lancé (quadhafa) sa femme avec le nommé
Charik Ibn Sanlha (son complice).
Au plan juridique, "le Qadhfpour qui est pubère et sain d'esprit, consiste: 1°/ à s'adresser à
un musulman libre, en niant sa filiation, par rapport à son père ou à son aïeul - non à sa mère;
2°/ ou à lui imputer un acte de zina si de plus la victime pubère et sain d'esplit est chaste par
rapport à tout coït pour lequel le hadd est obligatoirement appliqué et alors qu'elle ait
l'organe nécessaire à cet effet, etc. (Cf. Khalil Ibn Ishaq, Abrégé de la Loi Musulmane selon
le rite d/Imam Malek, Trad. G.R. Bousquet, Paris, 1956, livre IV, p. 50).

290
coups de fouet et n'acceptez plus jamais leur témoignage et ceux-là sont les
pervers,,625.
Khalil enseIgne à cet égard : "on applique obligatoirement au
coupable, 80 coups de fouet à titre de hadd, une seule fois, même s'il a récidivé
sa calomnie à l'égard d'une ou plusieurs personnes, sauf si la récidive a lieu
après le châtiment; pour un esclave, le tarif est de la moitië26.
Il serait intéressant de noter au passage que la flagellation prévue par
la Loi Musulmane ne constituent pas une question ou une peine capitale
(fustuarium), comme ce fut le cas en droit romain627 .
En Droit Musulman, l'instrument de supplice doit être "un
instrument moyen entre un bâton et un fouet et ne doit pas faire trop de mal. En
infligeant ce châtiment au condamné le boulTeau ne devra pas trop lever sa
main jusqu'à la hauteur de sa tête. Aussi, d'après Imam Malek, le délinquant ne
devra-t-il être dépouillé de ses vêtements, sauf s'il s'agit d'une flagellation pour
628
crime de zina
.
625 Ces versets 4 et 5 de la Sourate 24 furent notamment révélés à la suite d'imputation
d'adultère dont AYcha, la femme du Prophète, avait été victime (Cf Ibn Djarir al Tabari cité
par Saaboni in Rawaai Al Bayane, Lib. Beyrouth, 1. Il, p. 57).
626 Khalil B. Ishaq, trad. G.H. Bousquet, Maisonneuve, 1956, livre IV, p. 50.
627 "Chez les romains, la flagellation était pratiquée d'une façon barbare: le délinquant était
dépouillé de ses vêtements, lié à un poteau ou à une colonne, jeté à terre et frappé par
plusieurs bourreaux jusqu'à ce que ceux-ci n'en puissent plus et que la chair du délinquant
pende en lambeaux sanglants... On se servait de verges dont la lanière de cuir était pourvue
souvent d'un aiguillon ou de plusieurs morceaux d'os disposés en chaîne et quelquefois, de
petites boules de plomb (. ..) et la droit romain ne fixait pas un nombre maximum de coups.
D'après Ciceron, Gaius Verres, gouvemeur de Sicile, a fait pratiquer la flagellation d'une
façon inhumaine "Moriere Virgis" (tu mourras sous les verges) cria-t-il un jour... (Cf
Blinzler (Joseph), Le procès de Jésus, Paris, 1961, p. 358).
628 Cf Sabiq (S.) Fiqh AI Swma, D.F. Beyrouth, 1983,1. n, p. 360.

291
L'autre aspect de notre justice qlÜ mérite d'être évoqué est J'abandon
de J'institution du Lian.
§ 2 - L'institution du lian tombée en désuétude
Le Han a été peu pratiqué dans la jurisprudence629 • Dans la plupart
des cas, les maris se contentent soit de calomnier leurs épouses, soit de
désavouer leur grossesse sans jamais recourir aux sennents d'anathème (A).
Aussi, la jurisprudence a-t-elle adopté une certaine souplesse au sujet de la
reconnaissance de paternité de J'enfant adultérin (B).
A - Désaveu de paternité sans anathème
On peut dire que notre jurisprudence a fini par adopter une position
qui s'est révélée bien favorable à la fois à la mère et à l'enfant. Cette position a
notamment consisté à abandonner le lian. Parce qu'en fait, il n'existe en Droit
Musulman qu'un seul moyen, le han qui permet de combattre la présomption
de paternité qui pèse sur le mari. Or, on vient de constater que la procédure du
lian n'a été utilisée qu'une seule fois dans notre jurisprudence, à notre
connaIssance.
En voici des exemples assez éloquents où la procédure de han a été
purement et simplement écartée.
D'abord, dans J'affaire Mamadou S. contre Amsatou N., le mari
déclare être resté plus de 13 mois absent et semble nier la paten1ité de l'enfant
né de sa femme le 30/0811960. Il prétend, notamment, que depuis 13 mois, il
629 N
ous n
' t
avons
"
rencon re qu un
1
seu cas de
"
pratIque de L"lan au S"
1
enega"

292
n'a pas eu conm1erce avec cette dernière. Par conséquent, il ne peut entretenir
l'enfant dont elle est accouchée.
La nommée Amsatou N. interrogée, déclare: "C'est bien Mamadou
S. qui est le père de l'enfant, il a été mis au courant de ma grossesse".
Le tribunal prit la décision suivante:
"Attendu que le nommé Mamadou S. ayant été condanmé par
détàut, a fait opposition dudit jugement ; Attendu qu'il nie la
paternité de l'enfant ~1.S. né de son mariage avec la nommée
Amsatou N. et refuse de prêter serment; Attendu que d'après la
Tohfa, dès que le mari sait que sa fenune est enceinte, il doit, s'il
croit que cette grossesse n'est pas de son oeuvre, prononcer sur le
champ l'anathème. A moins qu'il n'ait pour ce faire une excuse
légitime, le moindre retard lui enlève le droit de se plaindre et il sera
réputé le père de l'enfant. Et si, après avoir gardé le silence, il
voudrait ensuite prononcer l'anathème, il subira la peine édictée par
le Coran; Attendu que d'après la Tohfa, le mari qui garde le silence
quand la grossesse de sa femme est apparente, sera toujours puni et
ne pourra prononcer l'anathème; Par ces motifs, attribue la paternité
de l'enfant M.S. à Mamadou S. ; fixe l'entretien mensuel à 1000F
,,630
Il faut d'abord souligner qu'en l'espèce, le mari avait été condamné
dans un premier temps, mais la condamnation n'était pas encore définitive
-----~------
630 Jugement n° 126.

293
puisqu'en vertu de la loi, il avait la faculté de faire opposition; et il ne semble
pas que cette faculté soit prescrite par un délai quelconque, d'après la Tohfa631 .
Puis
dans
un
second
temps,
ce
man
se
voit
condamner
définitivement par le présent jugement qui fait droit à la requête de la femme
en lui attribuant la paternité de l'enfant.
Le serment d'anathème est écarté en l'espèce parce que le mari s'y est
refusé sans être nullement condamné par le tribunal. Or, la Loi Musulmane
stipule: "Celui qui accuse sa femme de fOD1ication sera emprisonné jusqu'à ce
qu'il prononce l'anathème. s'il s'y refuse, la peine légale est la conséquence
immédiate de ce refus,,632.
Ce mari devrait normalement, en vertu des textes, être emprisonné
pour avoir refusé de prêter sem1ent. Le Cadi devrait en outre le faire flageller
pour délit d'imputation calomnieuse de fornication.
Cela dit, il faut noter que les motifs du jugements sont surabondants,
encore que la sentence qui s'imposait, à savoir l'emprisonnement ou la
flagellation du mari, n'a nullement été envisagée par le Cadi.
Ensuite, dans l'affaire Dame Coura D. contre le SIeur S. Ali, la
demanderesse déclarait: "Mon mari m'a envoyé un soir auprès d'un parent et,
avant mon retour, il a déménagé ses bagages chez lui où il est allé vivre
tranquillement. Et il m'a appris plus tard qu'il avait divorcé avec moi. Et j'étais
631 Cf. Ibn Acim, Tohfa, Trad. L. Bercher, Alger, 1958, p. 256.
632 Il est bien évident qu'en l'espèce, le mati a calomnié sa femme dans la mesure où il nie la
paternité de l'enfant dont elle est enceinte. Et Ibn Acem enseigne que le mari nIa le droit de
prononcer l'anathème que pour désavouer une grossesse ou parce qu'il a vu sa femme
forniquer. Et il doit en outre, déclarer qu'il ya eu abstinence légale de sa part et si sa femme
a eu une fois ses menstrues, cela suffit comme preuve (Cf. Tohfa, vers 502 et 503).

294
en état de grossesse de 4 mois environ. Mon mari avec qui j'avais ainsi vécu
près de 5 mois m'avait ainsi abandonnée. Et quand il a été mis au courant de
mon accouchement d'une fille, 5 mois après, il n'a pas accepté d'être déclaré le
père de mon enfant qui ne peut en avoir d'autre. Je demande que le tribunal lui
en attribue la paternité, qu'il me paie mes frais d'entretien durant ma
grossesse" .
Le mari non comparant fit parvemr au Cadi un "mémoire de
défense" résumé comme suit : "Marié avec la dame Coura D. et ayant vécu
avec elle près de 5 mois, il a constaté son état de grossesse assez avancé et jugé
bon de l'abandonner pour qu'elle accouche un mois après, c'est-à-dire au bout
de 6 mois.
Cependant, les deux époux ne s'entendent pas sur les dates précises
de leur mariage et de leur divorce. Le mari déclare que le mariage a eu lieu le 5
février 1956 et le divorce le Jer mai de la même année. Tandis que la dame
illettrée prétend que le mariage et le divorce ont eu lieu respectivement le 1er
juin et le 20 février 1956.
Mais malgré les différences de dates évoquées par les deux époux, le
tribunal a retenu que la naissance se situe entre 7 mois et 15 jours et 7 mois et
21 jours environ après une vie commune de près de 4 mois.
Le tribunal après avoir examiné les pièces du dossier, a statué en ces
tennes:
« Attendu qu'après avoir constaté l'état de grossesse de son épouse,
sans rien dire, durant un mois, toute remarque ultérieure est
considérée comme une accusation honteuse et n'est plus recevable

295
car le silence pendant un mois est un aveu ; Attendu que d'après la
Tohfa, le mari qui garde le silence quand la grossesse de sa femme
est apparente, sera toujours puni, il ne pourra prononcer le han (vers
510 p. 275) ; Attendu d'autre part, que si la femme accouche 6 mois
entiers après la consommation du mariage, la paternité de l'enfant est
attribuée au père sans anathème car le délai minimum de grossesse
est de 6 mois; Par ces motifs, le tribunal déclare légitime l'enfant né
de la dame Coma D. le 20 septembre 1956 dont le père est l'ex-mari
S. Ali et condamne ce dernier à payer à la dame 5 mois de pension
alimentaire plus 35 mois de frais d'entretien pour l'enfant depuis sa
.
633
naIssance»
.
On constate qu'en l'espèce, le mari n'a pas imposé le lian à sa femme
dont il soupçonne l'état de grossesse assez précoce par rapport à la date du
mariage qu'il a avancée. En somme, le mari pense que cette grossesse ne peut
pas être de son oeuvre, étant entendu qu'il n'aurait vécu que 4 mois avec sa
femme depuis la conclusion du mariage. Mais le tribunal note que la naissance
de l'enfant litigieux se situe entre 7 mois et 15 jours et 7 mois et 21 jours,
environ après une vie commune de près de 4 mois. Ce qui ruine donc
carrément les prétentions du mari qui croit que la grossesse de sa femme serait
intervenue en-deçà du délai minimal requis, à savoir 6 mois, selon l'avis de
tous les savants. Par conséquent, il est débouté aux fins de sa requête, se voit
attribuer la paternité de l'enfant contesté et condamné à payer à la dame 5 mois
de pension alimentaire, plus 35 mois de frais d'entretien pour l'enfant depuis sa
naIssance.
Ce jugement est correct et conforme aux textes sauf que le mari n'a
pas été condamné au hadd, alors que son délit de qadhf est constant. Ne dit-on
633 Jugement nO 127. V. egalement jugement n° 18 précité.

296
pas que "le mari qui constate l'état de grossesse de sa femme sans rien dire,
durant un mois, toute remarque ultérieure faite de sa part est considérée comme
une accusation honteusell ?
Aussi, la Tohfa semble-t-elle imposer la procédure du han quand il
enseigne: 111e mari qui se tait alors que la grossesse de sa femme est apparente,
encourra en toutes circonstances, la peine légale et ne sera pas admis à
prononcer l'anathème (Tohfa, vers 514). Il ressort de ce texte d'Ibn Acem que
le mari doit désavouer l'enfant que porte sa femme à temps, par la procédure du
lian, dès l'instant qu'il constate que celui-ci n'est pas de son oeuvre. Sinon, il ne
sera plus fondé à le faire, par la suite, sous peine de subir la peine légale de la
calomnie.
Le lian est une institution coraniqué34, mais sa disparition à l'époque
actuelle de la pratique judiciaire demeure un fait constant.
De l'avis de certains juristes, le lian est bien évidemment une
institution qui ne correspond pas du tout aux notions modernes de procédure et
de preuve. Et c'est ainsi que son ll substitut naturel" - la preuve d'absence de
rapports physiques- fut introduit en Egypte en 1929. En conséquence, il fut
interdit aux tribunaux de la Charia d'accepter des requêtes discutables de
paternité lorsqu'il pouvait notamment être établi que la naissance de l'enfant en
question avait eu lieu plus d'un an, après les derniers rapports entre la mère et
le père635 .
634 Le donné scripturaire sur lequel repose le "Lian" (le serment d'anathème), le "Ila" (le
serment de continence) et le "Zihar" (l'assimilation incestueuse) est tellement important que
les légistes se sont sentis tenus de leur consacrer dans leurs ouvrages des développements
hors de proportion avec leur utilité pratique. En fait, il s'agit de règles tombées en
désuétude... (Cf De Bellefonds (YL.), Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t.
II, p. 374).
635 Cf. Coulson 1. Noël, Histoire du droit islamique, P.U.F., 1964, p. 170.

297
En outre l'abandon du lian procède d'un esprit de réalisme... et de
compréhension de la part des magistrats. Car il ne servirait à rien d'autoriser
l'anathème alors que, si l'une des parties s'y refuse, elle ne sera nullement
condamnée ou si, d'aventure, elle était sanctionnée, la sanction ne serait pas
exécutée.
Aussi, la jurisprudence a-t-elle fait montre de souplesse en matière
de reconnaissance de paternité de l'enfant adultérin.
B - La reconnaissance de l'enfant adultérin
Dans l'affaire Daouda Nd. contre Mbayang Nd., le Cadi a, en
quelque sorte, combiné la théorie de la reconnaissance (iqrar binasab) de
filiation et la présomption de lI alwalad Li Sahib al-Firach" qui ne peut être
combattue que par le lian.
En l'espèce, le sieur Daouda Nd. déclarait devant le Cadi : "J'ai
contracté mariage avec Mbayang Nd., il Y a environ 7 ans selon le rite
musulman à Linguère. Mon épouse profitant de mon voyage pour Matam,
voyage qui date de 4 ans a déserté Je domicile conjugal sans mon autorisation.
J
C'est après d'immenses sacrifices que j'ai pu découvrir qu'elle était à Saint-
Louis où elle travaillait en qualité de bonne. J'ai mis la main sur elle à Saint-
Louis à la suite d'une miraculeuse rencontre alors qu'elle partait vider des
ordures. J'ai alors tenté un arrangement avec elle, et elle m'a demandé de
l'argent et je lui en ai donné. Elle m'a signalé la naissance d'un enfant à la suite
de ses relations intimes avec un certain Sidy F.".

298
La défenderesse interrogée, répondit: "Mon mari Daouda Nd. ne
m'a pas divorcée quand il faisait savoir ses intentions de reprendre la vie
commune avec moi. J'ai d'ailleurs un enfant illégitime avec le nommé Sidy F.
Et le mari d'ajouter: l'enfant a été déclaré à l'état civil par l'amant de
sa mère à son nom de Sidy F. On m'a apprit également que mon épouse s'était
sans scrupule mariée avec le nommé .Massamba D. Malgré toutes les bêtises
qu'elle a commises, j'ai consenti à la reprendre et que la paternité de l'enfant
issu de ses relations illicites avec Sidy F. me soit attribuée.
Le tribunal trancha l'affaire de la manière suivante: "Attendu que le
nommé Daouda Nd. déclare qu'il a mis la main sur sa femme Mbayang Nd. qui
a déserté le domicile conjugal à Saint-Louis; attendu que la femme dit que son
mari ne l'a pas divorcée; attendu que le nommé Daouda Nd. demande
également que la paternité de l'enfant né de son mariage avec Mbayang Nd. lui
soit attribuée ; attendu que la patelnité d'un enfant né au cours d'un mariage
légal est attribué à l'épouse à moins qu'il n'y ait un anathème dans lequel cas, il
est fait appel au serment des deux époux; attendu que l'époux Daouda Nd.
accepte la paternité, l'anathème est exclu. Le tribunal ordonne à la dame
Mbayang Nd. à rejoindre le domicile conjugal sans délai; attribue à Daouda
Nd. la patelnité de l'enfant né de son mariage avec la darne Mbayang Nd. que
1
'S'd F
'
d "
l
'
,,6'6
e nomme 1 y . preten etre e pere -.
On peut dire que le Cadi a adopté dans le cas d'espèce la souplesse
de la Loi Musulmane en matière de reconnaissance de l'enfant adultérin. Il a
notamment établi la filiation de l'enfant adultérin a matre à l'égard du mari de
la femme en se basant -sans le dire expressément- sur la règle "al walad lil
Firach", c'est-à-dire "l'enfant est attaché au li t conjugal".

299
La souplesse de la Loi Musulmane s'explique ici par le fait que le
Cadi ne pouvait en aucun cas, invoquer le crime d'adultère que la nommée
Mbayang Nd., ainsi que ses deux complices, à savoir Sidy F. et Massamba D.
ont commis, pour rejeter la requête du mari légitime, le sieur Daouda Nd. qui
demande à sa faire attribuer la paternité de l'enfant né de sa femme.
En effet, 11 y a crime de zina bien avéré en l'espèce dans la mesure
où la défenderesse a reconnu elle-même que son mari Daouda Nd. ne l'avait
pas divorcé quand elle a eu un enfant avec le nommé Sidy F. et que, par
ailleurs, elle s'était remariée d'après les dires de Daouda Nd. avec le nommé
Massamba D., sans que son premier mariage légitime ne fût dissous.
Ainsi, "un enfant naturel au sens que l'on donne à cette expression
dans
les législations occidentales, peut très bien faire
l'objet d'une
reconnaissance en droit musulman. Il suffit que l'auteur de la reconnaissance
s'abstienne de déclarer qu'il s'agit d'un enfant de la zina, d'un enfant de la
fOTI1ication 11637.
Il faut cependant noter que la reconnaissance de l'enfant naturel
simple est strictement interdite par la Loi Musulmane. Du moins, si le père
avoue le caractère illégitime de la naissance, la reconnaissance serait
automatiquement invalidée638 .
C'est ainsi que dans l'affaire dame Fatou Nd. cl Amadou D. que nous
avons antérieurement citée, le Cadi disait: "Attendu que l'enfant est adultérin
636 Jugement nO i28.
637 De Bellefonds (YL.), Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t. ID, p. 53.
638 Ibid.

300
parce que né hors mariage; et que d'après Sidi Khali1, la reconnaissance d'un
enfant adultérin par le père est nulle aux yeux de la Loi Musulmane"639,
Il est vrai que dans le cas d'espèce, le tribunal a appliqué une règle
de la Loi Musulmane, à savoir "al-wala IiI Firache", c'est-à-dire l'enfant est
attaché au lit conjuga1640 , Mais il a violé une autre disposition de la loi qui dit
que l'enfant reconnu doit être de filiation inconnue". Autrement dit "l'enfant
que l'on veut reconnai'tre ne doit pas avoir filiation déjà connue". Il ne doit pas
non plus être un enfant désavoué par la procédure de lian ou un enfant
naturel ,,641.
Or il ressort des faits de l'espèce que l'enfant dont la filiation est
établie à l'égard du mari de la fennne a été déjà déclaré à l'état civil par l'amant
de cette dernière, à son propre nom.
Cette jurisprudence
a
l'avantage
d'être
très
"moderne"
ou
"modernisée" par rapport à celle rendue quelques années auparavant dans
642
l'affaire des dames Hamari et Aminata L.
,
Il reste que notre justice musulmane est d'une manière générale,
anachronique au sujet de la pratique des "tara" c'est-à-dire les concubines
esclaves,
639 Jugement n° 65 précité. Le Cadi a utilisé j'expression "enfant adultérin" par erreur. Il
aurait dû dire ""enfant naturel".
64û Cf. Chawkani, Nail Atar, cité par Chanbon (A. A. K.) in Comm. de la Moudawana
Marocaine, Rabat, 1987, t. I, p. 349.
641 Op. cit. p. 384. V. également De Bellefonds (Y.L.), Traité de Droit musulman comparé,
Mouton, 1965, t. ID, p. 40.
642 Jugements n° 118 et 119 précités.

301
CHAPITRE Hl
UNE JURISPRUDENCE ANACHRONIQUE AU SUJET DE LA
PRATIQUE DES "TARAS" (LES CONCUBINES ESCLAVES)
Le "concubinage légal" est expressément autorisé par la Loi
Musulmane. Mais cette institution qui porte le nom de "Tara" chez nous était
normalement appelée à disparaître depuis le premier siècle de l'Islam. Or, cette
pratique a la vie dure au Sénégal où "tout homme libre ou casté (forgeron,
cordonnier, tisserand, pêcheur, musicien ...) peut avoir une ou plusieurs
concubines: c'est la Tara, cette femme serve que l'on achète à ses maîtres,,643.
D'ailleurs, si l'on en croit Oumar Bâ, le mot "Tara" dérive de
"Taradé" qui signifie en Pular contoumer, faire le tour, abandonner la voie
normale" 644.
Dans l'entendement de bon nombre de Cadis classiques, la
permanence de la Loi Musulmane accordant à l'homme le droit d'avoir des
concubines ne fait l'ombre d'aucun doute (Section 1). Ces magistrats ignoraient
sans doute que "le coran a légiféré à propos de l'esclavage afin d'en limiter les
abus et de passer progressivement à sa dispantion par la convic6on morale et
religieuse et l'égalité naturelle de tous les hommes devant Dieu et devant sa
loi,,645. Aussi, est-il frappant de constater que ces mêmes magistrats ont
consacré une jurisprudence abondante à une institu60n qui était condamnée
depuis longtemps à disparaître (Section Il).
643 Bâ Oumar, La polygamie en Pays tOllcouleur, in At: Doc. n° 64/07/octobre 1962, p. 173.
644 Ibid.
645 Boissard (M.A.), Islam et Droit de l'Homme, Lib. des Libertés, 1984, p. 70.

302
SECTION 1 - LA PERMANENCE DU DROIT AUX CONCUBINES
11 faudrait d'emblée préciser que le concubinage musulman n'est pas
synonyme de concubinage adultérin admis en droit français. Mais à l'instar de
ce dernier, le "concubinage légal" musulman met l'accent sur l'élément matériel
(cum cubare : coucher avec) qui le caractérise en ce sens que l'homme peut à
tout moment avoir des rapports sexuels licites avec sa captive ("amatoune" ou
"annnat") .
Les deux pratiques sont par ailleurs différentes sur un autre point: le
concubinage musulman comporte une dimension sociale qui n'existe pas en
droit français: la concubine musulmane est une femme "serve" que l'on achète
ou qui provient des butins fournis par la guerre sainte. Aussi, le mari a-t-il le
droit de di sposer librement de la personne physique de sa captive (§ 1) qu'il
peut aliéner au profit d'un tiers (§ 2).
§ 1 - Le droit du mari de disposer de la personne physique de
sa "Tara" (concubine)
En vertu de la loi, l'homme a le droit d'avoir des relations sexuelles
avec sa captive (A) et l'obliger à le suivre (B).
A - Droit aux rapports intimes
La jurisprudence a littéralement interprété la Loi Musulmane qui
pennet à l'homme d'avoir des relations intimes avec sa concubine comme il
l'entend.

303
Le Tribunal de Saint-Louis en a d'abord décidé ainsi dans un
jugement en date du 30 septembre 1890. En l'espèce, le nommé Harouna T.
déclarait qu'il avait acheté une captive nommée Diallé K. dont il en avait fait
une épouse "sur son lit". Ils vécurent d'abord ensemble, disait-il, pendant plus
d'un an avant de s'installer à "Pontlébar", à côté de Saint-Louis, d'où la femme
partait chaque matin pour aller au marché. Mais un jour, elle déserta le
"domicile conjugal" et il la retrouva à Sor chez le nommé Biram S. et lui
intima, en vain, l'ordre de rentrer à la maison.
La parole ayant été donnée à la défenderesse, celle-ci répondit
qu'elle est effectivement la femme du nommé Harouna T., mais elle avait
demandé (et obtenu) une "patente de liberté" des "nazarans" (c'est-à-dire les
autorités coloniales).
Après avoir examiné l'affaire, le tribunal estima que la défenderesse
avait elle-même reconnu l'exactitude des déclarations du mari. "Or, selon la
doctrine des Fouqaha, l'aveu est plus important que le témoignage. Aussi,
Khalil enseigne-t-il qu'on accepte de l'individu pubère et sain d'esprit l'aveu
qu'il prononce en toute chose. Et l'homme a le droit d'avoir des relations
intimes avec sa captive comme il l'entend. La Mowata (sic) dit: "Quiconque
pamn vous n'a pas les moyens d'épouser des femmes libres (non esclaves),
croyantes, prendra des captives croyantes". Par ces motifs et textes, le tribunal
décida que la nommée Diallé K. est la captive de Barouna T. qui a le droit de
l'emmener où il veut; mais il ne devra pas la vendre et devra prendre soin de
leurs rapports selon le bon usage,,646
Ce jugement appelle quelques observations.
-

304
D'abord sur la fOffile, le Cadi a maladroitement écrit que : "le
nommé Rarouna T. a déclaré qu'il a acheté une esclave nommée Dialllé K.
dont il en a fait sa fenul1e". Le juge a voulu dire par là que cet homme, c'est-à-
dire, Rarouna T., a pris sa propre esclave comme épouse. D'ailleurs, c'est le
mot épouse qui est utilisé dans l'original du jugement écrit en arabe (Sawdja).
De plus, l'expression "sur son lit" ou "pour son lit" qu'il a employée renforce
cette idée. Or, on ne peut techniquement et valablement dire qu'un homme a
épousé sa propre esclave, parce que le mariage entre un patron et son esclave
est nul d'après la loi.
L'auteur de la Rissala enseigne à cet éeard que "l'homme musulman
ne peut épouser sa propre esclave, ni celle de son fils, mais il peut épouser celle
d
'
d
'
,,647
e son pere et e sa mere...
.
Imam Sahnun avait posé cette question à Ibn Qasim : "Un homme
libre a-t-il le doit d'épouser son affranchie contractuelle (mukatabatun) 7" Et ce
dernier lui répondit: "Non, cela ne lui est pas permis; Imam Malek a dit :
l'homme libre ne peut valablement épouser son esclave à laquelle on assimile
l'affranchie contractuelle,,648.
En outre, le Cadj a évoqué la Mouwata de Malek par erreur à la
place du Coran. C'est le verset 25, S. IV qu'il aurait dû plutôt citer, lequel dit
notamment: "Quiconque panni nous n'a pas les moyens pour épouser des
femmes libres et croyantes, prendra des captives croyantes".
646 Jugement nO 129.
647 Ibn Abi Zeid AI-Qayrawani, La Risala (Atharnaru Daani) D.F. s.d., p 452.
6 4 8 ·
.
Sahmm Moudawana al Kubra, D.F., s.d., 1. H, p. J63.

305
Ensuite, dans le fond, on peut dire que le jugement rendu est bien
conforme à la Loi Musulmane qui autorise le concubinage légal avec une
esclave (at-tasarit49.
Abi Said rapporte que le Prophète avait envoyé une expédition à
Awtas (un endroit se trouvant à côté de la Mecque) lors de la bataille de
Huneyn et plusieurs captives furent prises à cette occasion. Mais les
Compagnons de l'Envoyé d'Allah, craignant les maris mécréants de ces
dernières, n'osèrent pas coïter avec elles. Et Allah révéla le verset "Quiconque
parmi vous n'a pas les moyens pour épouser des femmes libres ...prendra des
captives". Ce verset venait ainsi de proclamer la licéité de la cohabitation sans
mariage de ces Compagnons avec lesdites captives à condition de les soumettre
d'abord à "Istibra,,65o.
Les versets coraniques autorisant le musulman à prendre une ou
1 .
.
b
651
P uSleurs captlves sont nom reux
.
Enfin, on peut dire que le Cadi a rendu une solution mitigée, voire
hésitante: il admet que la nonuné Diallé K. est la captive de Harouna T. qui a
le droit d'avoir comn1erce avec elle librement et peut l'emmener où il veut; et,
en même temps, il lui interdit de la vendre et de la maltraiter.
649 Cf. Ibn Qudama, Précis de Droit, Le Mugni, Trad. Laoust R, Beyrouth, 1950, p. 165.
650 Chekih (M. Ali Nasif), At Tadji Al Diami Lil Usul, D.F., 1986, t. n, p. 312.
Ce Hadith est en outre rapporté par Abu Daoud et Muslim.
651 Il est dit dans le Coran; "Si vous craignez de n'être pas juste avec celle-ci, alors une seule
ou des esclaves gue vous possédez (v. 3, S. IV) ; et pmmi les femmes, sauf si elles sont vos
esclaves en toute propriét~ (v. 24, même sourate). Si ce n'est avec leurs épouses ou les
esclaves qu'ils possèdent, car là vraiment on ne peut les blâmer(v. 6, S. 23) ; mariez les
célibataires d'entre vous et les gens de bien paroli vos esclaves hommes et femmes s'ils sont
besogneux. allah les rendra riches par sa grâce (V. 32 S. 24) ; 0 Prophète, nous t'avons rendu
licites les épouses à qui tu as donné leur mahr (dot), ce que tu as possédé légalement parmi
les captives... (V. 50, S. 33), il ne n'est plus pennis désomlais de prendre (d'autres] femmes ...
à l'exception des esclaves que tu possèdent ou les esclaves qu'ils possèdent, car dans ce cas,
ils ne sont pas blâmables (V. 30, S. 70).

306
En vertu de quelle loi il ne devrait pas la vendre alors qu'elle lui
appartient en toute propriété ? Est-elle devenue "Oum-El-walad" ou une
affranchie contractuelle? Ce qui nlest pas signalé en l'espèce.
Du reste, la recommandation faite au maître de ne pas maltraiter sa
captive n'est qu'un voeu, une considération d'ordre sentimental dont on ne tient
pas toujours compte en droit. Le Cadi a-t-il voulu, par là, soulager sa
conscience pour avoir remis en honneur une institution d'un autre temps qui
remet en question l'égalité naturel entre les hommes?
Sinon, ce sont les règles en vigueur en matière de propriété qui
doivent normalement s'appliquer ici. Quoi qu'on ait pu soutenir que "l'esclave
musulman n'a jamais été la "chose" du droit romain,,652.
Cette jurisprudence est constante si l'on en Juge par une autre
décision rendue sept ans après dans le procès en revendication de captives
ayant opposé le nommé Samba Nd. à ses prétendues esclaves Karantigué et
Sira K. En effet, Samba Nd. déclarait qu'il avait acheté ces deux femmes et en
avait fait ses "épouses". La nommée Karantigué invitée à répondre, reconnut
exactes les affirmations de ce dernier tandis que la dame Sira K. les rejeta
d'emblée. Samba Nd. invité à fournir la preuve justifiant son droit de
possession sur lesdites captives, cita deux témoins qui confirmèrent que la
nommé Sira K. est la concubine-esclave de ce dernier.
Le Cadi estima dès lors que "l'aveu est plus efficace que le
témoignage d'après les Foukahas de la doctrine malékite, et l'homme a le droit
d'avoir commerce librement avec sa captive. Aussi, la Mouwata (sic) enseigne-
t-elle que "quiconque panni vous n'a pas les moyens pour épouser des femmes

307
libres croyantes, eh bien, il prendra des captives croyantes" ; par ces motifs, le
tribunal décide que les nommées Karantigué et Sira K. sont deux femmes de
653
Samba Nd.
.
Ce jugement reprend les mêmes erreurs de forme que celui exposé
ci-dessus. Il attribue à la Mouwata de Malek le verset 25 de la Sourate IV et dit
que le sieur Samba Nd. a tàit de ses deux esclaves "ses épouses".
Dans le fond, ce jugement nous semble incohérent, dans la mesure
où il généralise l'aveu qui n'a été donné que par la nommé Karantigué en
l'opposant à Sira K. qui, quant à elle, ne reconnaît pas être la captive de Samba
Nd. Or, ce mode de preuve qu'est l'aveu, quelle que soit son efficacité en droit
malékite, ne doit engager que son auteur.
Néanmoins, la dénégation de Sira K. est anéantie par la déposition
de deux témoins cités en J'audience par le demandeur, lesquels ont attesté que
cette dernière, tout comme la nommée Karantigué, est la captive de Samba
Nd..
Ces captives étaient donc ainsi condamnées à rester attachées à leur
maître comme lajurispmdence l'a souvent décidé.
B - L'obligation pour la "tara" de suivre son maître
On constate que nos magistrats étaient souvent amenés par des
raisons qui tiennent soit à la coutume, à la morale tout court ou à des erreurs de
langage, à confondre mariage et concubinat légal.
652 Cf Boissard (M.A.), Islam et Droit de l'Homme, Lib. des Libertés, 1984, p. 70.

308
Par exemple, quand il leur répugnait de qualifier de "tara" ces
fellTI11es achetées par leur maître, ils les "considéraient" comme des épouses et
leur appliquaient un régime juridique hybride. Ils leur accordaient, en fait,
certains avantages du mariage tout en reconnaissant en même temps, le droit de
propriété que leur maître détenait encore sur elles.
Ainsi, dans l'affaire Fatima contre Hamady B. jugée le 17 septembre
1889, la femme prétendait que son mari lui portait préjudice et la maltraitait.
La parole ayant été donnée au mari, celui-ci répliqua que ce que cette fellTI11e a
déclaré est faux, car il l'a achetée quand elle fut toute jeune dans le but d'en
faire sa fellTI11e ; et il s'est toujours acquitté de ses devoirs envers elle.
Après avoü' examiné l'affaire, le tribunal exigea de la plaignante de
fournir ses preuves, "étant entendu que le préjudice ne peut être attesté que par
la preuve légale ou par la commune renonnnée". Mais elle en fut incapable, en
conséquence de quoi elle fut déboutée de sa requête et condamnée à réintégrer
son "domicile conjugal" ou, à défaut, à restituer au mari le prix par lequel il
l'avait achetée654 .
Cette affaire est pour le moins curieuse pour plusieurs raisons.
D'abord, la feInme se plaint du mauvaIS traitement dont elle se
déclare victime de la part du mari et celui-ci lui rétorque que ses allégations
sont fausses car elle a été achetée toute jeune pour être destinée au "lit",
comme on dit dans le jargon.
653 Jugement n° 130.
654 Jugement nO 13 J.

309
Cette réponse donnée par le mmi peut avoir une signification nette et
claire: la femme n'a aucune raison de se plaindre dans la mesure où elle ne peut
se prévaloir d'aucun droit à son égard. Ce n'est qu'une esclave après tout.
Ensuite, on nous dit dans l'espèce que lorsque cette femme eut atteint
l'âge mûr, l'homme, Hamady B., l'épousa et ne cessa de s'acquitter de ses
obligations vis-à-vis d'elle.
Or, il ne peut y avoir de manage dans le cas d'espèce ; par
conséquent, il ne peut en résulter aucun rapport d'obligation entre époux. Il n'a
été, en tout cas, précisé nulle part dans l'espèce que l'homme a d'abord
affranchi la femme avant de convoler en justes noces avec elle.
Aussi, de notre point de vue, quand le nommé Hamadi B. prétend
s'être acquitté de ses obligations vis-à-vis de sa captive qui est devenue son
"épouse", cela ne peut se comprendre que sous l'angle de la morale. Ce "mari"
veut certainement prouver par là qu'il subvient correctement aux besoins de sa
"femme" et la traite avec humanité.
Puis, le Cadi applique à la plaignante la théorie de "darar" de Malek
en estimant que "le préjudice ne peut être attesté que par la preuve légale ou la
commune renommée".
Or, cette doctrine ne régit que les rapports entre les époux libres à
l'exception des femmes de condition servile qui vivent sous un autre régime.
Enfin, le Cadi a condamné la plaignante à obéir à son mari ou, à
défaut, à lui rembourser son prix d'achat pour être libre.

310
Cette solution est pleine d'amalgame. La dot est ici assimilée au prix
d'achat de la captive dont elle subit le même sort et le même régime juridique.
Or, ce n'est pas aussi simple que le Cadi le pense : la procédure de
l'affranchissement n'est pas aussi simple que le khoul.
Cette jurisprudence devant laquelle de nombreux magistrats et
époux ont dû éprouver quelques états d'âme est pourtant demeurée constante
au siècle dernier. On se rappelle l'affaire du nommé Salem Would Samba qui
avait acheté une captive dont il fit "sa femme de lit". Le Cadi avait jugé que cet
homme était libre d'emmener sa fenm1e partout où bon lui semblera; car, "le
mari peut contraindre sa femme à le suivre de pays en pays,,6SS.
En effet, certains magistrats et époux ont dû normalement éprouver
quelque gêne face à cette curieuse jurisprudence; tout laisse en tout cas le
supposer si l'on en juge par le comportement des uns et des autres.
D'abord, les maris s'empressent toujours de prétendre qu'ils ont
épousé ces femmes qu'ils ont achetées ... Ils entendent apparemment moraliser
une pratique qui s'avère juridiquement et moralement répréhensible.
Aussi, est-il difficile de justifier ]'institutionde "tasari" (concubinage
légal) dont on sait qu'il n'en résulte, en plincipe, aucun lien de droit au profit de
la captive sauf si elle devenait "Oum-el-walad" (mère de l'enfant).
Ensuite, les Cadis, pour ce qui les concerne, devraient se sentir mal à
l'aise en adoptant cette jurisprudence qui constitue un tissu de contrastes avec
les principes élémentaires de la RjssaJa qui interdit le mariage entre le maître et
son esclave.

311
En effet, l'institution de "tasari" a trouvé un terrain favorable chez
nous. L'adhésion des populations à l'Islam aurait dû être un frein à l'extension
de l'esclavage.
Il en fut autrement. Les musulmans s'écartèrent des
prescriptions de la Loi Musulmane chaque fois que celle-ci était en porte-à-
faux avec leurs intérêts. Et au lieu d'assister à une extinction progressive de
"l'institution servile", on assista plutôt à son expansion.
L'Islam permettait à tout musulman qui le pouvait d'être polygame...
au-delà il était autorisé à prendre autant de concubines qu'il voulait parmi les
captives, à condition de les affranchir préalablement au mmiage656.
Les jeunes captives étaient dès l'âge de sept ans employées au
service domestique des femmes ou des concubines de leurs maîtres657.
Lorsque les patronnes allaient à la promenade, une jeune esclave
tenait un parasol au-dessus de leur tête, deux ou trois autres captives fermaient
6c g
la marche J •
Au demeurant, l'institution de tara est d'autant plus difficile à
légitimer qu'elle tire sa force de la coutume préislamique sénégalaise. La
capture semble en avoir été sa principale source. Or, de nos jours, il demeure
de plus en plus évident, du strict point de vue de l'Islam, que les moyens légaux
de l'esclavage sont bien rétrécis comme une "peau de chagrin".
Cependant, la plupart de nos magistrats qui ignorent l'évolution
historique accomplie par J'Islam continuent à admettre que tout musulman peut
655 J
t 0 69
,.,
ugemen n
preCIte.
656 Guèye Mbaye, Maître de Conf. Fac. Lettres, Dkr, L'impact de l'esclavage et de la traite
sur la Société Africaine (article inédit), p. 5.
657
.
.
. Op. CIl. p. 7.
658
.
. 0 p. CIl. p. 4.

312
disposer librement, en plus de son ou de ses épouses, d'une ou de plusieurs
captives qu'il peut même aliéner au profit d'un tiers.
§ 2- L'aliénabilité de la captive
Tout maître a le droit de transmettre ses esclaves à ses héritiers;
aussi peut-il en constituer une dot à sa future épouse (A) ou les donner en
mariage (B).
A - Captives en héritage en guise de dot
D'après la jurisprudence et la coutume locale, bon nombre de
femmes captives étaient susceptibles d'être recueillies en héritage ou offerts en
guise de dot659 .
On pourrait d'abord citer, à titre d'exemple, l'affaire Soutabab contre
Youga, jugée le 17 août 1893 à Saint-Louis. Il s'agit d'un litige qui avait pour
objet la propriété d'une captive et ses enfants revendiquée par chacune des
deux parties.
Satoubab prétendait que ces esclaves lui appartenaient, parce qu'ils
faisaient partie de l'héritage de sa mère. Le sieur Youga alléguait quant à lui,
qu'il les héritait du côté de son père. Après les avoir entendus, le cadi leur
demanda de rapporter leurs preuves, ce dont Satoubab fut incapable.
Par contre, le sieur Youga cita deux témoins qui confinnèrent ses
déclarations sous la foi de son serment prêté sur le Coran. Le tribunal décida,

313
dès lors, de lui attribuer lesdits esclaves, étant donné qu'il fut confirmé à ses
yeux "d'après les règles de propriété en vigueur en matière de patrimoine, que
ces esclaves faisaient notamment partie de l'héritage de son père. Le tribunal
acquit en outre, la certitude, d'après le témoignage de deux "adls", que ce
dernier est mort musulman,,660,
Ce jugement qui porte la marque de son temps est bien conforme à
la doctrine de Khalil qui assimile la captive à n'importe quelle chose (livres,
habits, etc.) dont on peut prouver la propriété par tous les modes de preuve
d ·
d ' 661
a mls en rOlt
.
Par exemple, « si le juge a mis la main sur un esclave marron, et que
quelqu'un le réclame: 1°) ayant un témoin adl ou : 2°) faisant la preuve par
commune renommée et demande à mettre en dépôt la valeur de cet esclave,
afin de partir avec lui vers un endroit où il pourra faire témoigner en sa faveur
que l'esclave est proprement le sien, il est obligatoire de le laisser faire, mais
non en dehors de ces deux preuves incomplètes, quand il demande le séquestre
de cet esclave pour aller se procurer des témoignages.. ».662,
On retient de là que le maître qui revendique un droit de propriété
sur un esclave dont le statut est contesté ou sur un esclave marron peut
solliciter et obtenir le concours de la justice pour peu qu'il soit en mesure de
fournir un début de preuve comme un simple témoin "adl" ou la preuve par la
commune renommée.
659 Khalil a notamment consacré la dot consistant en un esclave. Cf. Son § 130 du livre II, p.
57.
660 Jugement n° 132.
661 "Est mise sous séquestre une esclave dont le statut juridique est contesté, en tout cas; de
même, pour d'autres choses qu'elle, livres, habits, etc." (Cf. Khalil L. IV, p. 14).
662 Khalil, livre IV, p. 14.

314
Il en ressort également que le droit de propriété sur l'esclave peut
être prouvé par le témoignage, comme en a décidé exactement le juge dans le
cas d'espèce.
Il semble y avoir là une nette conformité entre la coutume locale et
la jurisprudence, dans la mesure où la catégorie d'esclaves dont il est ici
question fait notamment partie de celle qu'on appelle "les esclaves de case ou
de naissance qui étaient en principe tous nés dans la maison de leur maîtres,,663.
Il est un détail dans l'espèce citée qui mérite d'être souligné. Il s'agit
de la certitude acquise par témoins par le tribunal que le père du sieur Youga, à
qui appartenaient la captive et ses enfants, est mort musulman.
Cette procédure est parfaitement légale. Car le juge a voulu éviter
que le de cujus ne fût un apostat auquel cas il ne pourrait laisser de
.
664
succeSSIOn
.
Ensuite dans le litige survenu entre Mafal G. et dame Marem G., la
femme avait demandé Ille khoul". Le tribunal ordonna par conséquent au mari
de compter ce qu'il lui avait offert en guise de dot; et celui-ci énuméra une
captive et son enfant, une vache et son petit, dix tissus et 38 dh et déclara qu'il
663 Cf. G. Mbaye, Fac. Lettres, V.CA.D., op. cit. (art. inédit), p. 2.
664 La jurisprudence en a notamment décidé dans l'affaire concernant la demande de
jugement d'hérédité formulée par le sieur Bathi. P. pour son frère Bathi. 1. décédé à
Ziguinchor le 1er mai 1955.
Interrogé si son frère est mort musulman, le sieur Bathi P. répond qu'il est né musulman et
mort apostasié.
En conséquence de quoi, le tribunal décida: "Attendu qu'il résulte des débats que le sieur
Bahi I. est mort apostasié; attendu que d'après Khalil, les biens d'un musulman apostasié ne
doivent pas être hérités par ses parents, car celui-ci s'est exclu de la communauté
musulmane.
Par ces motifs, déboute le sieur Bathi P. de sa demande de jugement d'hérédité musulman,
dit que les biens du défunt appartielment au Trésor public ou à défaut à la Collectivité
Musulmane (cf. Arch. T.M.S., Affaire du 20/12/1957, R.1957).

315
consentirait au khoul dès que cette dot lui serait immédiatement restituée. Et la
femn1e présenta exactement à l'audience la dot décrite par le mari y compris
une captive et son enfant.
Le Cadi invita rassistance à vérifier si la captive présentée valait
celle qui avait été initialement remise à la femme lors de la conclusion du
mariage, et le public présent à l'audience déclara n'y avoir décelé aucun défaut
notable du point de vue de la Charia. Les gens ne manquèrent pas cependant de
lui notifier qu'il était mauvais de sa part d'accepter de prendre cette captive à la
place de l'autre. La restitution n'en fut pas moins effectuée et le khoul a eu bien
lieu665 .
Toujours chez les wolof, on peut remarquer l'existence de la dotation
en esclaves pratiquée par les damels666•
On se rappelle par exemple l'affaire Khar Aly, fille de l'ex-Bourba
(le roi) de Djolof qui avait déclaré, lors d'un procès, que son père avait disposé
de tout ce qu'elle avait reçu de son mari en guise de dot dont 10 captifs667•
Il est par ailleurs reconnu au maître le droit de marier sa captive.
B - Le droit du maître de marier sa captive
Il faut d'emblée reconnaître que les conditions matrimoniales de
l'esclave sont très sévères et très strictes en droit Malékite. Aussi, faut-il
665 Jugement n° t 33.
666 Niang (M.), Notes Af. N° 140, octobre 1973, p. 86.
667 Cf .
a 90
, . ,
. Jugement n
precJte.
Aussi, dans l'affaire Karar Fall, un descendant du Damel pom doter la soeur de son cousin
Diéri FaU qu'il avait épousée, avait enlevé les jeunes filles issues de ses esclaves de case. Sur
plainte du Connnandant, l'auteur fut accusé et traduit en justice.. Bull. IFAN, 1965, Mbaye
G. cité par Mamadou Niang, op. cit. p. 92.

316
admettre que Jes cas du mariage des esclaves conclus selon la Charia étaient
assez rares à travers lajurisprudence; et cela s'expliquerait certainement par le
fait que la plup3.1i des maîtres qui ignoraient les prescrpitions de la loi divine
en la matière, préféraient garder leurs captives pour eux-mêmes ou les
donnaient en mariage selon la coutume locale.
En effet, le Coran (S. 24, v. 32) dit: "Mariez les célibataires d'entre
vous et les gens de bien parmi vos esclaves hommes et femmes. S'ils sont
besogneux, Allah les rendra riches par sa grâce ... ".
Mais la pratique de l'esclavage étant une affaire d'intérêt matériel et
de délice pour le maître, rares étaient les hommes qui acceptaient de se séparer
de leurs captives par d'autre mode d'aliénation que la vente.
Le Coran interdit aux maîtres de contraindre leurs captives à la
668
prostitution
. Mais "beaucoup de petits propriétaires préféraient spéculer sur
la prostitution de leurs captives, car la dot qu'ils auraient empochée en les
mariant, aurait été vite dilapidée et il leur aurait fallu attendre un bon moment
pour tirer parti des enfants issus de ces mariages,,669.
Aussi, le Professeur Nlbaye Guèye a-t-il soutenu que "dans les zones
islamisées, les Cadis étaient chargés de la protection des esclaves victimes des
mauvais traitement de leurs maîtres,,670.
668 Le V. 33, S. 24 dispose: "Et dans votre recherche des profits passagers de la vie présente,
ne contraignez pas vos femmes esclaves à la prostitution, si elles veulent rester chastes. Si on
les y contraint, Allah leur accorde après qu'elles aient été contraintes, son pardon et sa
miséricorde" .
669 CF. G. Mbaye, Fac. Lettres, UCAD, op. cit. (art. inédit), p. 6.
670 0
.
15
p. CIt. p.
.

317
Il est vrai que, compte tenu de leur fonction, les Cadis étaient
chargés de protéger les esclaves opprimés par leurs maîtres. :Mais, la plupart de
ces magistrats attachés à la doctrine de Sidi Khalil étaient loin d'être de bons
recours pour les captives671 , comme on en jugera par l'exemple suivant:
Dans une affaire jugée le 04/0211892, le nommé Gora K. qui maria
sa captive au nommé Biram T lui avait signalé que cette femme avait une
autre soeur esclave à Djolof et lui avait pennis d'aller la racheter afin de
l'affranchir.
Après que cette captive eut été rachetée, elle se maria et eut un
enfant de ce mariage, mais elle décéda au cours d'un voyage vers le Baol en
laissant cet enfant.
C'est à ce moment là, que le sieur Gora T est venu ravir ledit enfant
à son père, en remplacement de sa soeur, la captive qu'il avait donnée en
mariage à Biram T, sous prétexte que celle-ci a réussi à obtenir une "patente
de liberté" grâce à la complicité de Biram T
Le sieur Gora K. invité à répondre, déclara au juge que c'est bien
Biram T. qui a pennis à sa captive qu'il lui a donnée en mariage d'être
affranchie par les autorités coloniales.
Le SIeur Biram T. réfuta ces accusations
malS le tribunal lui
demanda de montrer le papier prouvant que ladite esclave, c'est-à-dire sa
femme, était devenue libre.
671 Nous trouvons la doctrine de Khalil particulièrement "esclavagiste". Nous n'avons pas
besoin de citer des exemples ici. Il suffit de parcourir son "Abrégé" pour s'en convaincre.

318
Le Cadi entendait ainsi vérifier la date du document (ladite patente
de liberté) afin de voir s'il était ancien, ce qui prouverait que la responsabilité
du sieur Biram T. est dégagée; dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il était
récent, que c'est bien lui qui a contribué à l'affranchissement de sa femme qui
reste l'esclave d'autrui, auquel cas il serait tenu de sa valeur d'estimation.
Le sieur Biram T. répondit que le papier en question était à ce
moment à Louga et qu'il se chargerait de le présenter en justice dès qu'il l'aura
récupéré.
Le tribunal décida, par ailleurs, que la captive décédée et son enfant
étaient devenus des personnes libres que personne n'avait plus le droit
d'asservir après que la mère ait été rachetée672 .
Voilà une affaire d'une curiosité inouïe. Il s'agit d'un homme qui a
épousé une esclave dont le maître lui avait dit que cette femme a une autre
soeur captive qui vit sous la domination de son maître à Djolof. Et l'homme va
à sa recherche, la rachète à son maître. Puis la captive devenue libre se maria et
eut un enfant avant de mourir en laissant cet enfant.
Le sieur Gora K. en sa qualité de maître de la captive (la soeur de la
femme décédée) que cet homme a épousée surgit et enleva l'enfant en guise de
réprésailles sous prétexte que c'est Biram T. qui, de par sa complicité, a
procuré à sa captive une "patente de liberté". Par conséquent, en échange de
cette esclave qu'il a perdue par sa faute, il a décidé de prendre l'enfant issu de
sa soeur.
672 Jugement N° 134.

319
Le tribunal adopte une position ambiguë en n'acceptant d'engager la
responsabilité du sieur Biram T. que s'il lui était dûment prouvé que c'est lui
qui a contribué à l'affranchissement de sa femme en lui trouvant une patente de
liberté, auquel cas il seraÜ obligé de payer la valeur d'estimation de ladite
esclave à son maître. En clair, le tlibunal estime que le mari aurait tort de
contribuer à l'affranchissement de sa femme qui appartient à un tiers en vertu
du dominium. Il jugea néann10ins que la captive décédée, de même que son
enfant, était devenue libre en vertu du rachat dont elle avait fait l'objet.
Ce jugement soulève deux problèmes juridiques dont celui de la
responsabilité pénale encourue pour fait de "ghasb" (usurpation) et celui du
rapport entre le maître et le mari de sa captive.
D'abord, sur le premier problème, si l'on en juge d'après les faits de
l'espèce, le sieur Gora K. s'est rendu coupable du délit de "ghasb" pour avoir
usurpé un enfant d'autrui.
Le "ghasb" est légalement le ülÏt de s'emparer d'une "richesse" par la
force en commettant une h-ansgression du droit. Le coupable est puni à
l'arbitraire du juge673 .
L'usurpateur devient responsable par la prise de possession, de
même répond-il si meurt l'esclave usurpé ou s'il est mis à mort par talion674.
Or, en l'espèce, on constate que le Cadi n'a prononcé aucune peine
de "tazir" à l'encontre du coupable qui a tout simplement été condamné à
rendre l'enfant usurpé à son père.
673 Khalil, L. III, p. 100.
674 Ibid.

320
Ensuite, s'agissant des rapports entre la maître et le mari de sa
captive, la réglementation prévue par Khalil est stricte: l'esclave n'habite pas
avec son mari, sauf stipulation contraire, ou usage en ce sens; et il appartient à
son maître de voyager avec celle qui n'habite pas avec son mari, de s'opposer
aux rapports conjugaux jusqu'à ce qu'il ait pris possession de la dot, de
s'emparer de toute la dot même s'il tue cette esclave ou la vend dans une région
675
éloignée
.
Sur la question de savoir s'il est nécessaire que le maître constitue un
trousseau pour sa captive au moyen de la dot, il y a deux interprétations,
dl
'Kh 1'1676
apres
a ]
.
Aussi, Imam Layth a-t-il dit : "Ibn Saïd m'a écrit en disant: "si une
captive est répudiée enceinte, sa personne et le fruit de sa grossesse
appartiennent à son maître. J\\,1ais son entretien restera à la charge du mari
répudiateur"677.
Au total, il faut retenir de cette jurisprudence que la captive quoique
678
mariée, reste la propriété du maî'tre
.
675 Cf. Khalil L. II, p. 34.
Cette question avait été posée en ces tennes à Ibn Kasim : Si le maître vend sa captive dans
une région éloignée, en empêchant ainsi au mari de pouvoir coïter avec elle, la dot lui
reviendra-t-elle de droit, dans ce cas? Et Ibn Kasim répond : je n'ai pas entendu Imam
Malek se prononcer sur une telle question. Mais à mon avis, le maître aura toujours droits à
la dot sauf si le mari la répudie, auquel cas le maître aura droit à la moitié de la dot (Cf. La
Moudawana Al Kubra, T. II, p. 187).
676 Cf. Khalil, L. II, p. 34.
6-7
1
Cf. La Moudawana Al Kubra, T. II, p. 191.
Ce docteur de l'Islam, Imam Layth Ibn Sa'd né et mort en Egypte (713-793) est
unanimement rangé panni les premières autorités en matière de Fiqh. Ses biographes le
mettent souvent en parallèle avec Malek pour lui attribuer la prééminence en plusieurs
domaines (cf. Ency. 1. V, Ed. 86, p. 717).
678 La coutume lcoale adopte à peu près la même position, si l'on en croit le Professeur
Mbaye Guèye qui a, en outre, écrit: "Pour augmenter l'importance numérique de ce captial
humain, les propriétaires n'hésitaient pas à favoriser les unions de leurs captives avec des

321
Par conséquent, SI le man aliène la captive d'autrui, il devra en
répondre devant la justice.
C'est pour cette raison que la justice musulmane gui ignorait les
"patentes de liberte octroyées par les autorités coloniales, a voulu condamner
le nommé Biram T. si, toutefois, il était prouvé, à ses yeux, que celui-ci avait
effectivement contribué à l'affranchissement de l'esclave appartenant à autrui.
Les Cadis semblaient, du reste, très sourcilleux sur ces genres de questions que
les juristes désignent par le telme technique de "damane", c'est-à-dire garantie.
C'est ainsi que dans une aftàire relative au "damane" pour reprendre
la terminologie consacrée, un homme a été condamné à rembourser
l'équivalent d'une vache morte pour avoir tout simplement incité un berger à
conduire son troupeau, comme exactement, le sieur Hiram T. aurait incité sa
femme à se procurer une "patente de liberté".
Il s'agit de l'affaire Ali Alarba contre le nommé Maatouré ; le
premier ayant pOlté plainte contre le second en l'accusant d'avoir causé la mort
d'une de ses vaches qu'il avait confiées au berger nommé Mbaye, au "Pont
Khor". Parce que selon lui, c'est le nommé Maatouré qui avait notanunent dit
audit berger que le propriétaire du troupeau lui demandait de conduire les bêtes
à Ndar (Saint-Louis) alors que ce dernier n'avait pas donné cet ordre.
Le berger avait d'abord refusé en lui rétorquant que le propriétaire lui
avait plutôt demandé de l'attendre ici, au "Pont Khor". Mais le nommé
Maatouré avait insisté en lui répétant que c'est bien le propriétaire des vaches
personnes libres ou esclaves. Les enfants issus de ces relations leur appartenaient de droit
quel que fût le statut juridique de leur père. Toutefois, à Saint-Louis et à Gorée, les enfants
nés des rapports des captives avec les Européens ou des mulâtres, étaient souvent mis à
mort" (Cf. Professeur Mbaye Guèye, op. cit. (art. inédit), p. 4).

322
qui lui demandait de les conduire à Saint-Louis. Par conséquent, le berger
accepta de s'exécuter. Et suivant la volonté d'Allah, l'une des vaches s'abreuva
dans l'eau salée du fleuve et pélit.
Le défendeur, Maatouré, invité à répondre par le juge, nia les
accusations portées contre lui. Mais le demandeur, Ali Alarba, cita deux
témoins qui attestèrent que c'est bien le nommé Maatouré qui avait incité le
berger à conduire le troupeau vers Saint-Louis.
Le tribuna11rancha l'affaire en imputant le tort au sieur Maatouré qui
fut condamné à rembourser la valeur d'estimation de la vache morté79 •
Il est par ailleurs, frappant de constater que nos anCIens Cadis
ignoraient que l'Islanl avait légiféré dans le sens de la suppression progressive
de l'institution de l'esclavage.
679 Jugement nO 135.

323
SECTION H - LE MAINTIEN D'UNE INSTITllTION DEVENUE
ILL.EGALE
Les moralistes et juristes musulmans contemporains sont unanimes à
admettre que les sources de l'esclavage ont définitivement tari et que le "Coran
et le Prophète Mohamed se posèrent comme adversaires de l'esclavage et
visèrent à le supprimer par les dispositions juridiques et morales qu'ils
édictèrent (§ l).
Aussi,
de
nombreux
versets
coramques
incitent-ils
à
l'affranchissement des captifs. Malgré cela, les cas d'affranchissement sont
rarissimes (§ 2).
§ 1 - Le tarissement des sources de l'esclavage
Si on y regarde de près, toutes les pratiques de "Tara" découlant de
l'esclavage observées à travers la jurisprudence sont absolument illégales au
regard de l'Islam (A). Aussi, cette pratique a-t-elle posé problème aux autorités
coloniales qui n'abondaient pas toujours dans le même sens que les cadis (B).
A - Pratiques illégales
Il a été découvert deux cas de figure assez typiques qui, au moins,
donnent une idée sur la façon dont certaines concubines esclaves étaient
acqmses.
Le premier cas est celui de l'affaire Ahmad L. contre Binetou T.,
jugée le 29/08/1890.

324
En l'espèce, le nommé Ahmad L. prétendait qu'il avait acheté la
nommée Binetou T. contre un cheval et en avait fait sa concubine. Mais une
fois que cette femme est arrivée à Saint-Louis, elle refusa de lui obéir et alla
regagner ses proches.
Le femme interpellée par le Cadi, répondit qu'elle était de condition
libre depuis sa naissance et n'accepterait, par conséquent, d'être la concubine de
cet homme. Elle ajouta que c'est un homme originaire de Fouta, nommé Yoro
Baal qui l'avait volée et vendue à Ahmad L. contre un cheval.
Le tribunal après avoir entendu les parties, exigea de chacune d'elles
de rapporter la preuve de ses déclarations.
La défenderesse cita trois témoins qui déposèrent en sa faveur en
jugeant sur le Coran qu'elle a été volée toute jeune dans le village de Sali
Kandji, dans le Cercle du Rip.
Pour ces motifs, le tribunal la déclara libre et décida que si le nommé
Ahmad L. désirait récupérer son cheval, il n'avait qu'à s'en prendre au nommé
Yoro Baal qui lui avait vendu ladite femme, "car une personne libre à l'origine
ne peut être vendue d'après Khahl qui enseigne: "parmi les choses ne pouvant
faire l'objet de vente comme la personne libre", ajouta le Cadi qui précisa, en
outre, que "Ahmad L. peut demander la main de cette femme et l'épouser
régulièrement si elle était consentante moyennant une dot68ü.
Cette affaire montre que le rapt des enfants était un moyen idéal
parmI tant d'autres pour se procurer et vendre des "taras". Elle montre
également que l'achat des captives est admis par la jurisprudence car, Khalil

325
n'exclut que la vente des personnes libres "à l'origine", Or, qui n'est pas libre à
l'origine? Une célèbre tradition rapportée de Oumar ne dit-elle pas: Depuis
quand asservirez-vous les hommes qui sont naturellement nés libres" ?681.
Du strict point de vue de l'islam, la seule source légale de l'esclavage
est la capture faite au cours de la "Djihad" (guerre sainte). Aussi, faut-il, dans
ce cas, appeler la personne à l'islam avant de la réduire en esclavage, s'il le
682
refuse
. De plus, le statut juridique de l'esclave n'est que temporaire, car
appelé à disparaître à tout moment par le rachat et l'affranchissement.
La pratique historique admit l'achat d'esclaves dont le Coran ne fait
aucune mention -elle ne semble pas avoir existé sous le Prophète Mohamed et
ses quatre successeurs immédiats- et qui n'apparut que sous le règne des
683
Ommeyyades
.
Mais Khalil aut0l1se cette pratique à laquelle il consacre une
réglementation très stricte. En voici quelques exemples : Il est licite que
l'acheteur restitue la chose quand manque la qualité stipulée en vue de laquelle
il a eu l'intention de contracter, par exemple la défloration quand on a juré
684
qu'on ne coïterait qu'avec une déflorée, puis qu'on trouve l'esclave vierge
,
De même, il est licite d'annuler la vente pour vices rédhibitoires, par
exemple, quand l'esclave est borgne, mutilé, châtré, ou porté à la fornication et
680 Jugement n° 136.
681 La source de cette tradition nous échappe pour l'instant, mais elle est très célèbre et
exprimée
ainsi
en
arabe
: Mataa
Istabadtoumou
Naassa wa
quad waladathoum
oummouhatouhoum ahrarane ?".
682 Cf. Touffilanini Abd Salam, Ar-riq (lesc1avage), ed. Koweit, 1979, p. 34.
D'après Khalil, la capture détruit le mariage de deux conjoints "harbis" et le maître, après
lstibra, pourra avoir commerce avec la femme (Cf. Khalil, L. l, p. 215).
683 CF. Boisard M.A., "Les Droits de l'Homme", Islam et Droits de l'Homme, L. Lib., 1984,
p.71.

326
à boire du vin (...), le fait pour l'esclave mâle d'avoir des instincts éfféminés et
pour la servante des instincts mâles, le fait d'être issu d'une fornication encore
]'
l
. d
'1
. 685
que esc ave SOIt e VI pnx
.
Il est recommandé de se saisir de l'esclave fugitif, à qui connaît son
propriétaire. Si l'on s'est saisi de lui dans ces conditions, on le présentera à
l'Imam et le fugitif sera gardé par lui durant un an aux frais du Trésor; ensuite,
on le vend et on ne le laisse pas partir librement, contrairement aux
chameaux686.
Le second cas de figure à citer est celui de l'affaire Moussa S.,
tirailleur de 2e classe contre Penda Nd. en date du 2 septembre 1913.
Le nommé Moussa S. avait déclaré en justice que sa femme Penda
Nd. qu'il avait épousée il y a des années à Rufisque, s'était évadée de chez lui et
avait complètement disparu. Il prétendait avoir retrouvé cette femme entre les
mains du sergent indigène Mamadou K. et la réclamait.
La femme Penda Nd. intgerrogée, reconnut qu'elle fut bien l'épouse
de Moussa S. Mais elle s'était évadée quand elle s'est aperçue qu'elle a été
vendue par son mari à un autre tirailleur, un nommé Amadou C.. Arrivée à
Kayes, elle s'est mariée avec le sergent Mamaodu K. pour une dot de 120 F.
Invitée à foun1Ïr des témoins pour attester ses déclarations, elle dit qu'elle n'en
avait pas, mais "elle a entendu elle-même lorsque son mari la marchandait".
Le tribunal, après avoir entendu les deux aprties, ordonna à la dame
de rejoindre son premier mari ~10ussa S. car il estimait que le premier mariage
684 Khalil L .III, p. 22.
685 Ibid.

327
demeurait toujours
valable.
La femme
refusant d'obtempérer, préféra
rembourser à ce dernier la dot de ] 35 F qu'il lui avait offerte. Moussa S. invité
à fournir des témoins pour affimler qu'il avait donné] 35 F comme dot à Penda
Nd. s'exécuta. En conséquence de quoi le tribunal déclara:
"Attendu que d'après Khalil on ne permet pas un second mariage sur
une femme quand le premier qu'elle avait contracté n'est pas encore rompu;
Attendu que le mariage de Moussa S. et de Penda Nd. n'est pas rompu;
Attendu que la femme Penda Nd. a refusé de retourner chez le premier mari ;
le tribunal la condamne à rembourser la dot de 135 F que le sergent Mamadou
K. a payé le même jour,,687.
La solution rendue par le Cadi est l'expression même de la force de
la preuve testimoniale en droit musulman: d'abord, la femme qui prétend avoir
été vendue à un tiers a littéralement succombé sous le fardeau de la preuve, et
le mari n'est nullement inquiété faute de témoins. Ensuite, ce demier a pu s'en
sortir en citant des témoins qui ont confilmé qu'il avait constitué une dot de
135 F à la femme.
Le Cadi est soit vigilant ou misogyne.
Il est vigilant et inflexible pour avoir exigé de la défenderesse de
rapporter ses preuves -et c'est ce que la procédure exige d'ailleurs- quoique les
déclarations de cette dernière soient troublantes.
686 Op. cit. p. 156.
687 Jugement nO 137.

328
Il est misogyne pour avoir bâclé le procès. Il aurait pu, au moins,
exiger d'entendre le nommé Amadou C., l'autre tirailJeur accusé par la femme
de l'avoir achetée.
En tout état de cause, si les dires de la femme sont fondés, l'affaire
relève d'une pratique de "tara" qui ne dit pas son nom. Elle montre, en outre,
combien la condition de la tèmme mariée à l'époque était aléatoire: le nommé
Mamadou K. a "racheté" les droits du premier mari sur la femme. Il se
substitue à lui en lui remboursant sa dot pour se l'approprier avec, bien sûr, son
consentement.
Il faut, par ailleurs, préciser que la pratique des "tara" a posé
problème aux autorités coloniales qui ne l'apprciaient pas de la même manière
"
que les Cadis.
B - Le dilemme des autorités coloniales
Il Y avait un véritable conflit de loi au sujet de la pratique des
concubines-esclaves.
Les Cadis et les autorités coloniales ne parlaient pas du tout le même
langage à propos de ce phénomène. Les premiers admettaient l'esclavage688,
tandis que les seconds s'y étaient opposés sur le "territoire fiançais". Parce que
688
Le Cadi Baba Diakhoumba avait déclaré que Demba War avait pris 12 captifs à sa
famille (Cf. l'aff. dame Hamari, jugement n° 122 précité). Aussi, sur l'ordre de Lat-Dior,
le Cadi Majaxaaté Kala décréta-t-il licite la réduction en servitude des musulmans
disciplies de Ahmadou Cheikhou battu à Samba Sadio en 1875. (Cf. Prof. Mbaye Guèye,
op. cil. p. 15).

329
l'Europe des XVIIIe et XXe siècle avait atteint un stade de développement qui
en rendait la suppression économiquement possible,,689.
D'après le procès-verbal
de la Commission élargie chargée
d'examiner les titres et capacités de M. Ibra Aly au poste de Cadi de Toro en
date du 12 mai 1897, la question suivante avait été notamment posée au
candidat par le grand Cadi de Saint-Louis: "Samba Ndiaye avait acheté au
Soudan deux captives dont il avait fait ses femmes. Au bout d'un certain temps,
les deux femmes l'ont aband01mé et sont venues à Saint-Louis où elles ont
obtenu des patentes de liberté et ont contracté de nouvelles alliances. Samba
Nidaye est venu à Saint-Louis et a réclamé ses deux femmes. Quel jugement le
Cadi rendrait-il en pareil cas?
La réponse du candidat qui fut bien approuvée par le grand Cadi de
Saint-Louis fut la suivante: "Les deux femmes ont pu obtenir des patentes de
liberté, elles n'en sont pas nlOins les femmes de Samba Ndiaye et elles devront
lui être remises,,690.
Ceci prouve, s'il en était besoin, que notre justice musulmane
admettait la pratique de l'esclavage et ignorait les "patentes de liberté"
délivrées par les autorités coloniales de l'époque.
A cette époque, Saint-Louis faisait patie de ce qu'on appelait le "sol
libérateur" dans les limites duquel l'esclave fugitif avait le droit de demander
un jugement, en foi duquel lui était remise une "patente de liberté", document
attestant l'authenticité de l'acte libérateur prononcé par un tribunal civil. Le
689
Cf. Boisard M.A., Les droits de j'homme, Islam et Droits de l'Homme, Lib. Libertés,
1984, p. 74.
690 A rch. Nat., M. 243.

330
prononcé du jugement est publié dans le Moniteur du Sénégal et
691
Dépendances
.
Mieux encore, le
27 janvier
1904, le Gouverneur général de
l'A.O.F., sur proposition du Gouven1eur général, décida de supprimer les
"patentes de liberté" car la possession de ces documents semblerait indiquer
que ceux-là seuls qui l'ont obtenue sont reconnus libres moyennant des
conditions détenninées et que d'autres qui ne rempliraient pas les mêmes
conditions ou n'accompliraient pas les mêmes fonnalités, pourraient être
considérés comme maintenus à l'état de captivité avec le consentement de
l'autorité française,,692.
Dans une correspondance na 301 datée du 23 avril 1916, le Cadi de
Saint-Louis s'adressant au Directeur des Affaires Politiques, M. Louis, lui
rapportait ceci: « J'ai l'honneur de vous faire savoir que le nommé Mamaodu
Ould Mouhamadou de la tribu IRBAT s'est présenté devant nous déclarant que
son épouse (Tara) la nommée Mbarka avec laquelle il a eu un enfant, s'est
évadée de son campement durant son absence. Et elle est venue habiter Saint-
Louis. Aujourd'hui, il vient la chercher et la nommée Mbarka refuse de
l'accompagner ».
La dame, interrogée, dit qu'elle n'est pas la femme de Hamedou, elle
est seulement sa captive qui vivait avec lui, et même ils ont eu un enfant mort
au bout de 5 mois. Puisque conformément à la Loi Musulmane, cette femme
doit suivre son mari-maîtTe, qu'elle reconnaît elle-même, mais comme elle ne
691
Badji Mamadou, Droit naturel, Droit de l'Homme et esclavage dans le contexte socio-
historique sénégambienne du XVIIe s, à l'indépendance., Thèse d'Etat, Grenoble, 1998, p.
166.
692 0 p.
't
Cl ,p. 3?7
_ .

331
veut pas obéir et que tous deux dépendent de Dagana, nous vous les renvoyons
pour la suite à donner. Cadi Aynina Seck, Président du Tribunal Musulman,,693.
Dans une autre correspondance en date du 22/511902 adressée cette
fois-ci, par le Procureur général, Chef du Service judiciaire à Monsieur le
Directeur des Affaires Indigènes du Sénégal, il a été dit ceci: "Monsieur le
Directeur des Affaires Indigènes, vous avez bien voulu me consulter sur le cas
de la nommée Seinaba et d'une autre femme autrefois captives chez les Maures
et qui s'étant réfugiées sur Je territoire français, ont, conformément à la loi,
demandé et obtenu leur affranchissement. Vous me demandez notamment si
cet affranchissement n'a pas eu pour conséquence de rompre les mariages
contractés par ces femmes alors qu'elles étaient captives.
Cette question est certainement très délicate. J'estime cependant, en
ce qui me concerne, que la libération forcée et obligatoire de l'esclave qu
touche le sol français ne peut avoir pour effet de modifier son état civil et
d'annuler son mariage antérieur, si ce mariage a eu lieu régulièrement.
La femme Seinaba serait donc tenue, d'après le jugement du Cadi de
Saint-Louis qui reconnaît la validité de son mariage avec Birahim Ben
lVIbarack de réintégrer l'habitation de celui-ci, nonobstant l'affranchissement
qui lui a été accordé.
Mais, je me demande si le Cadi de Saint-Louis avait, en l'espèce, des
motifs suffisants pour prononcer l'existence du mariage alors surtout qu'il
s'agissait d'étrangers.
693 Arch. T.M.S., Let. N° 301, R.1916.

332
Il me demande, d'autre part, quelle peut être la valeur du dispositif
de son jugement aux termes duquel le premier mariage de Seinaba sera valable
et le second deviendra nul (ou inversement) suivant que cette femme pourra ou
non payer à Birahim un nombre déterminé de pièces de Guinée.
Il serait, je crois utile pour toutes ces raisons, de faire connaître à
Seinaba qu'elle peut, si elle le juge convenable, se pourvoir contre la décision
dont il s'agit confrmément aux dispositions du décret de 1857694.
Les correspondances citées reflètent les positions divergentes de la
justice cadiale et de l'Administration coloniale au sujet de l'affranchissement
des esclaves qui touchent le "sol français".
Dans la première concernant l'affaire Ahamedou OuI Mouhamadou.,
le Cadi invoque le droit de propriété du "mari-maître" sur sa captive. Cette
femme a beau fuire son campement et obtenir une "patente de liberté" à Saint-
Louis; elle n'en appartient pas moins à son maître et doit lui être remise,
d'après la Loi Musulmane.
Dans la seconde con-espondance relative à l'affaire Dame Seinaba, le
Procureur général n'a pu dissimuler son embalTas face à la décision rendue par
le Cadi.
Cette décision de justice ne nous est pas, hélas parvenue, mais il
ressort de la correspondance du magistrat français que cette captive, après
avoir obtenu sa ibération à Saint-Louis, a contracté un nouveau mariage, d'où
la question de savoir lequel de son premier et de son second mariage est
valable, lequel est annulable.

333
En outre, quand le Procureur général dit que "la femme Seinaba
serait donc tenue, d'après le jugement du Cadi de Saint-Louis, qui reconnaît la
validité de son mariage avec Birahim Ben Mbarack, de réintégrer l'habitation
de celui-ci nonobstant l'affranchissement qui lui a été accordé", on en
comprend encore, que la justice cadiale ne reconnaissait pas les "patentes de
liberté" ou les affranchissements octroyés par lajustice coloniale.
Que dire de ces différentes positions de lajustice musulmane et de la
justice coloniale?
A notre aVIS, les Cadis étaient quant même fondés en droit de
considérer que les liens servils qui unissent le maître à sa captive, ne sont pas
rompus par le fait de l'affranchissement obligatoire accordé à cette dernière par
la justice coloniale.
Parce qu'en Droit Musulman, c'est le maître -et rarement 1'Etat- qui a
le droit d'affranchir son esclave695 .
Cependant, il faut déplorer le dogmatisme, l'intransigeance et
l'absence d'esprit d'Idjtihad qui caractérisent notre jurisprudence musulmane au
sujet de la question des "taras". Aussi compte tenu du fait que la religion
musulmane, de par son esprit et sa lettre, énonce des dispositions pour la
suppression progressive de l'institution de l'esclavage, et aussi du fait que
l'Islam comporte une conviction morale et religieuse quant à l'égalité naturelle
de tous les hommes devant Allah et devant sa loi, nos cadis devraient-ils
normalement rivaliser d'ardeur et de
générosité sur la question de
l'affranchissement et de l'émanciation des concubines-esclaes.
694 ARch. Nat. M.247.

334
Or, les cas de libération des esclaves constatés dans la jurisprudence
sont assez rares pour ne pas dire nuls.
§ 2 - Cas d' affranhissement rarissimes
Il existe de rares cas de "Hq" (affranchissement) difficiles à qualifier
juridiquement (A), à quoi s'ajoute le fait que le statut juridique de la "Oumm-
EI-Walad" (la mère-concubine) prévu par les textes était rarement applicable
(B).
A - Tendance à l'émancipation ou banalisation de
l'esclavage?
Il a été constaté des actions envers les esclaves à travers la
jurisprudence et la coutume locale qui, à la limite, nous laissent perplexes.
On en citerait l'affaire mentionnée plus haut concernant les nommés
Biram T. et Gora K., affaire dans laquelle le Cadi estimait que la captive qui
avait déjà fait l'objet de rachat était devenue libre, de même que son enfant.
Or, il faut reconnaître que cette affaire de "Hq" (affranchissement)
est une des plus embrouillées qui soit.
Parce que tout d'abord, on ne sait pas exactement pour quel motif, le
nommé Biram T. avait fait le déplacement jusqu'à Djolof pour racheter ladite
captive à son maître, sinon que cette femme était tout simplement la soeur de
son épouse qui, elle-même, fut une captive de son état, comme cela a été déjà
695 Le Itg (l'affranchissement) n'est valable qu'émanant d'un affranchisseur père et saint
d'esprit, non interdit (cf Khalil, Livre IV, p.59).

335
exposé. Cet homme avait-il un motif suffisant pour demander la libération de
cette femme? Avait-il agi par altruisme? Ou était-il influencé par sa femme?
Car il n'était pas question, eu égard à la Charia et à la coutume, qu'il
pût épouser deux femmes esclaves qui sont soeurs696. C'est ce qui explique
d'ailleurs que cette femme fût mariée à un autre avec qui elle a eu un enfant
avant de décéder.
Ensuite, de manière générale, on a déjà constaté, pour des raisons
qui tiennent celiainement à la morale ou à la coutume tout court -histoire de se
donner bonne conscience- que certains maris déclaraient qu'ils avaient acheté
les femmes dont ils avaient fait des épouses. Or, on sait qu'on ne peut
légalement épouser sa captive avant de l'avoir affranchie. Ces femnles étaient-
elles donc libérées, "rachetées" avant d'être épousées?
On ne peut pas être vraiment plus clair sur cette question.
On sait, en tout cas, que l'affranchissement peut résulter de l'achat,
comme l'enseigne Khali1 : l'esclave est affranchi au nom du vendeur, si celui-
ci et l'acheteur ont mis conmle condition du "Hq" cette vente et cet achat" (Cf.
Khabl, L. IV, p. 59).
Il est vrai que tous les Cadis n'avaient pas la même attitude envers la
pratique de l'esclavage. Il yen avait parmi eux qui interprétaient littéralement
la doctrine de Khalil en enfonçant davantage les femmes esclaves.
696 Sur la question de l'interdiction de réunir deux soeurs, la Rissala d'Abou Zeid, enseigne:
"les rapports sexuels avec deux femmes esclaves qui sont soeurs sont interdits au maître. Si
le maître ayant eu des rapports sexuels avec l'une, désire en avoir avec l'autre, il devra se
prohiber à lui-même, la première, soit par voie de vente, soit par voie d'affranchissement.
(Cf. La Rissala, Athamarou Daani, p. 473, V. Coran également, S. IV, v. 23).

336
Ainsi, dans l'affaire de la nommée Khardia F. contre Sarr S., la
femme se plaignait que son "mari" n'assure pas son entretien et ne passe pas la
nuit chez elle. Le "mari" interrogé par le Cadi, répondit qu'il ne peut pas passer
la nuit chez elle parce qu'elle n'est qu'une concubine-esclave alors que sa co-
épouse est une femme libre et refuse de partager les nuits avec elle. Il ajouta
qu'il était fatigué de partager les nuits entre ses femmes et la répudia par la
triple formule.
Le Cadi prit acte de cette répudiation et déclara que la femme était
697
désormais dans sa période de Idda
.
Ce jugement, bien que très sévère à l'égard de la plaignante, est bien
conforme à la loi. La Risala d'Abou Zeid disposant à ce sujet que "le mari
devra traiter ses épouses avec égalité. Il leur doit les aliments et le logement.
Ses esclaves-femmes et ses concubines-mères ne sont pas comprises dans la
répartition des nuits,,698.
En revanche, d'autres Cadis nous semblent plus clairvoyants sur la
question de l'esclavage conune en témoigne l'affaire en date du 20/12/1962
concernant dame Penda B. dont la demande en annulation de son mariage
fondé sur le motif qu'elle est Peul libre alors que son mari est esclave, a été
rejetée par le juge.
Cette femme déclarait en substance: "Je demande le divorce contre
mon mari Fall M. Je suis une Peul libre alors qu'il est esclave".
69ï Jugement n° 138.
698 Cf. La Risala Athamarou Daani, p. 455.

337
La parole ayant été donnée au mari, celui-ci répliqua: "je suis marié
avec Penda B. depuis quatTe ans et je suis esclave; je ne le conteste pas.Ma
femme était très bien au courant avant le mariage et elle a accepté d'être ma
femme".
Pour trancher l'affaire, le tribunal plit la décision suivante:
«Attendu qu'il résulte des débats que la dame Penda B. demande le
divorce contre son mari et déclare que ce dernier est esclave ;
attendu que Penda B. n'avait fait état de tout cela au moment de la
célébration du mariage alors qu'elle était au courant de la condition
servile du mari; attendu qu'il n'y a pas lieu de rompre le mariage
conformément au livre de "Kashifoul Khouma", p. 66 vol. 2; par ces
motifs, déboute la femme Penda B. de sa demande de divorce,,699.
On doit conclure de ce jugement que le rejet de la requête de la
plaignante ne s'explique pas seulement par la non application de la théorie des
vices rédhibitoires. Il ne s'explique pas non plus par la non prise en compte de
l'institution de la "Kafa'a" c'est-à-dire la mésalliance.
Car, s'agissant de la théorie des vices permettant de faire rompre le
manage, l'auteur de la Tohfa enseigne quIllon décide ainsi que le conjoint
pourra renvoyer son conjoint quand il constatera que sa filiation est illégitime
ou qu'il est esc1ave,,700.
A ce vers, il faut ajouter la précision suivante: "alors que la filiation
légitime ou la liberté avaient été stipulées au contrat". Mais ici, on estime que
699 Jugement n° 139.
700 Ibn Acem, Tohfa al-Hukam, trad. L. Bercher, Alger, 1959, vers 487, p. 75.

338
la coutume locale vaut stipulatin. Donc en cas de contestation et en l'absence
de clause expresse, on se réfère à la coutume urf701 .
Il est donc bien évident que si, en l'espèce, le Cadi s'était référé à la
doctrine d'Ibn Acem, ou, à défaut, au "urf', aucune fin de non recevoir n'aurait
été opposé à la requête de la dame. Il aurait plutôt résilié le mariage en
question702.
Ce rejet ne s'explique pas non plus par la non application de
l'institution de la Kafa'a.
La Kafa'a est la parité de la condition sociale et religieuse des époux.
C'est le principe en vertu duquel la femme ne doit épouser qu'un homme d'une
condition au moins égale à la sienne; et il va de soi que la condition servile du
mari quand la femme est de condition libre, mais aussi le fait qu'en
l'occurrence, le mari soit un affranchi, sont constitutifS de l'inégalité des
conditions703 .
Le rejet de la requête de la plaignante s'expliquerait plutôt ici par le
fait que le Cadi n'a voulu tenir aucun compte de la pratique de l'esclavage. Il
auait certainement estimé que la requête de la femn1e Penda B. manque de base
sérieuse, étant fondée sur la revendication de parité de la condition sociale.
701 0
.
3 4
p. cIt. p.
1 .
702 On connaît déjà la position des "urfs" de Saint-Louis sur la question de l'esclavage.
703 Cf. De Bellefonds (YL.), Traité de Droit musulman comparé, Mouton, 1965, t. n,pp.
171, 172 et 177.

339
Aussi, l'époque du jugement (1962) est trop "récente" pour qu'un
Cadi comme Majhetar Samb qui en est l'auteur, pût tenir compte du
phénomène de l'esclavage704
Ce
jugement
constituerait
donc
une
tendance
favorable
à
l'émancipation des esclaves, quand on sait notamment que le statut juridique de
la Oumm-El-Walad (la mère-concubine) était rarement applicable.
B - Le sort peu envié de la Oumm-EI-Walad
Nous n'avons pas malheureusement rencontré au cours de notre
recherches, des décisions de justice concernant exclusivement l'Oummm-EI-
Walad. Cela est certainement dû au fait qu'à l'épouqe où l'esclavage se
pratiquait chez nous, les cas d'affranchissement étaient rares705. Or le cas de
l'Oumm-EI-Walad n'est intéressant à étudier qu'à cause de "son statut de faveur
qui la rend inaliénable et lui vaut la liberté à la mort du maître "706.
Cependant, si nous nous référons à deux cas antérieurement citées,
force nous sera de constater que la situation faite à l'Oumm-EI-Walad était loin
d'être satisfaisante.
704 D'après l'entretien que nous avons eu à Saint-Louis en sept. 1997 avec le fils de ce
magistrat, le Professeur Djibril Samb, Directeur de l'IFAN, le Cadi Majhetar Samb "n'était
~as conservateur dans aucun domaine. Il citait même l'exemple d'une femme qui était juge".
05 "Le gouvernement de la Restauration qui cherchait sans heurter les susceptibilités locales,
à prohiber l'esclavage dans les colonies françaises, demanda au gouvernement du Sénégal de
recueillir l'avis de la population sur la question. Le projet donna lieu à un débat animé au
sein du "Conseil privé" de Saint-Louis. Le maire de la ville, porte-parole des traitants,
déclara inopportlme la mesure protégée, la
jugeant dangereuse pour les esclaves eux-
mêmes. Selon lui, "elle diminuerait l'universelle bienveillance dont les maîtres étaient animés
pour leur captifs" (cf. Badji Mamadou, Droit naturel, droit de l'homme et esclavage dans le
contexte socio-historique sénégan1bien, Thèse d'Etat, Grenoble, 1998, p. 156).

340
Le premier cas est l'affaire jugée le 08/08/1904 concernant dame
Aminata F. où la femme -rappelons-le pour mémoire- déclarait que son mari
l'avait affranchie depuis sept ans, et ils ont eu deux enfants. Elle ajouta que son
mari ne lui donne pas la nourriture et sollicita par conséquent le divorce. Le
mari accepta d'accorder le divorce, mais à condition d'avoir la garde des
enfants. Et la femme consentit à renoncer à son droit à la garde des enfants en
707
échange d'un divorce négocié
.
Nous aVIOns déjà noté sous ce jugement que la procédure était
illégale et ne devrait pas êtTe adoptée par le juge. Elle est d'autant plus injuste
et inhumaine que la transaction a eu lieu entre un mari-maître et une Oumm-
EI-Walad qu'il a fait chanter.
Le second cas est l'affaire de la "Tara" nommée Mbarka, ci-dessus
exposée. Cette captive disait qu'elle avait déjà eu son enfant avec son maître.
Malgré tout, si l'on en juge par la correspondance envoyée par le Cadi de Saint-
Louis au Directeur des Affaires Politiques de Saint-Louis M. Louis, cette
femme étai t loin d'être au bout de sa peine.
Or, la situation de l'Oumn1-EI-Walad requiert beaucoup d'attention
et une très grande bienveillance de la part du maître.
Aussi, l'enfant dont la naissance confère à l'Ournm-EI-Walad ce
privilège est-il légitime et bénéficie exactement de mêmes droits que ceux
issus du "nikah,,70s car, "considérant la liberté comme le statut nonnal et
706 Cf. Professeur Bernard Durand, Histoire comparative des Institutions, NEA, 1983, P.
193.
707 Cf. Jugement nO 51 précité.
708 Cf) Le Doyen F. Paul Blanc et A. Lourde, La filiation servile et le statut d'Oumm-El-
Walad en Droit Malékite (s.d.) en Cour d'impression dans la Revue du Monde Musulman, p.
8.

341
l'esclavage comn1e le statut d'exception, le droit musulman déclare libre
l'enfant né de l'homme libre et de la fen1lTIe esclave, de même que l'enfant
trouvé,,709.
Il serait intéressant de noter le conflit qu'il y avait là entre la coutume
locale, la Loi Musulmane et les dispositions de la loi française. "Celles-ci
affirmaient que le statut de la mère ne pouvait en rien influer sur celui de son
enfant qui suivait la condition de son père. Dès lors, pour les Européens, il
suffisait de naître d'un père blanc pour être immédiatement libre alors que chez
les Afiicains en matière de servitude, l'enfant héritait de la condition de la
mère,,7IO. Chez les ouolofs, l'enfant né d'un père libre et d'une captive est
qualifiée de "Gor Bene Tank" (libre d'un seul pied).
Oumar Bâ estime, cependant, que les enfants des "Taras" (les
concubines-esclaves) sont des enfants du triomphe: les illustres Samory, des
Ministres, Emir Bakar, les chefs de Provinces Kane, les officiers Wane, ne
sont-ils pas ou enfant d'épouses de soumission légendaire ou simplement nés
de "tara" ?711.
Il convient de conclure, au tenne de cette dernière partie, que la
justice cadiale qui n'a prospéré qu'en matière de statut personnel, ne permettait
qu'une protection bien limitée des droits des « épouses battues ».
Cette justice était marquée au siècle dernier par la fréquence des
procès concernant les violences faites aux femmes. Or, les juges n'ont joué
dans ce domaine que le rôle d'arbitre. Ils se bornaient le plus souvent à
709 Professeur Bernard Durand, Histoire comparative des Institutitions, NEA, 1983, p. 193.
7\\0 Cf. Professeur Mbaye Guèye, L'impact de l'esclavage et de la traite sur la société
africaine (article inédit), p. 5.
71! Bâ Oumar, Polygamie en Pays toucouleur, in Af. Doc. nO 64/0711962, p. 173.

342
moraliser les rapports entre les époux en rappelant que la correction que le
mari a le droit d'infliger à sa femme ne doit pas être excessive..
Il faut reconnaître que les cadis n'accordaient que peu d'intérêt à ces
questions. Ils trouvaient naturel et nornml que les femmes indociles fussent
corrigées comme des enfants par leur mari. Cependant, certaines épouses
battues étaient autorisées à réclamer des dommages et intérêts à leur mari.
Mais c'est au mépris de la Loi Coranique que de tels compromis étaient
réalisés par les juges.
En ce qui concerne la répression du crime de fornication, force est
de reconnaître que les cadis avaient des compétences très réduites. Le droit
colonial ne leur permettait pas de sanctionner ce crime conformément à la Loi
Coranique..
Quatorze siècles se sont écoulés depuis que la peine de lapidation
pour clime de zina a été édictée par l'islam. Or, il n'a jal11ais été possible
depuis lors de compter plus de quatorze « cas de lapidation officiels» à travers
le monde musulman. Peut-on, dès lors, proposer l'abolition de cette peine à
cause de sa sévérité ou parce que tout simplement la preuve du zina est
difficile, voire impossible à établir?
Cette question paraît embarrassante. Il est, en fait, difficile de
demander la suppression de la peine de mort pour crime de zina car cela irait à
l'encontre de l' orthodoxi e mus ulmane.

343
Il est encore 11lusoire de proposer son rétablissement compte tenu du
fait que notre droit positifne prévoit l'application du Droit Musulman qu'en
matière de statut personnel, plus précisément en matière de succession.
Il reste que le maintien théorique des peines dites de la Charia dans
les manuels de Fiqh est dissuasi f La peine de lapidation pour crime de zina est
susceptible de terrifier les fornicateurs. Elle pourrait tant soit peu protéger
l'institution du mariage.
" h .
~DR_""

344
CONCLUSION GENERALE

345
Les juges musulmans étaient prompts à défendre les droits
élémentaires des épouses consistant dans l'entretien, la cohabitation et la garde
de l'enfant. Ils garantissaient leur droit à la nourriture plus qu'ils ne les
protégeaient elles-mêmes contre les mauvais traitements dont elles étaient
souvent victimes de la part de leur mari. Ils appliquaient à la lettre la loi
musulmane qui oblige le mari à pourvoir à l'entretien de sa femme à partir du
moment où elle est mise à sa disposition.
C'est la loi du "taslim" ou de "l'ihtibasse", c'est-à-dire la remise de la
femme à son mari qui explique en partie l'intérêt porté par les juges à la nafaqa
(l'entretien) due à l'épouse. Car, il demeure tout à fait nonnal, du point de vue
des cadis, que la femme qui vit sous la garde de son mari et qui ne peut assurer
elle-même ses propres moyens de subsistance, soit nourrie, vêtue et logée; tout
comme on a l'obligation d'assurer la nafaqa de son esclave et de son animal.
Sinon, "si le maître est trop avare ou pauvre pour lui assurer sa nourriture, l'un
ou l'autre doit être vendu". Pareillement, si le mari est avare ou indigent au
point de ne pouvoir fournir à sa femme des vivres en quantité suffisante, le
cadi lui ordonnera de la répudier si elle en fait la demande.
La cohabitation est assimilée à la nafaqa. On estime que le défaut de
cohabitation est plus difficile à supporter par la conjointe que le manque de
nourriture. Par conséquent, si la femme soutient qu'elle éprouve un préjudice
du fait de l'abstinence du mari, le juge lui accordera le divorce.
Mais il est facile de constater l'inefficacité de l'intervention du juge
dans un pareil domaine. Parce que "les relations conjugales dépendent du désir
et du penchant du mari".
P;.4J .... J

346
La garde de l'enfant est une prérogative féminine. Elle est accordée
en priorité à la mère et aux proches parentes en raison des sentiments de
dévouement et d'affection qu'elles portent à l'enfant. Mais la titulaire n'en tire
aucun profit. Elle n'a, par exemple, aucun pouvoir sur le patrimoine de l'enfant,
quand celui-ci à des ressources personnelles. Il ne lui est pas non plus permis
de faire voyager l'eniànt ou de le soustraire à l'influence de son père ou de son
"wali" (tuteur légal). La mère gardienne ne peut ,à la limite, qu'élever l'enfant
et le surveiller.
A Y regarder de près, la "hadana" n'est qu'une tâche domestique
confiée à la femme.
Un autre ti'ait distinctif de cette jurisprudence est la pratique des
"taras" (les concubines esclaves) consacrée par les Cadis. Les maîtres avaient
le droit de coïter librement avec leurs captives tout comme ils pouvaient les
vendre.
Cette jurisprudence basée sur la doctrine esclavagiste de Khalil est
fondamentalement illégale au regard de l'islam. Aussi, la distinction faite entre
épouses libres et épouses esclaves entraîne-t-elle une ambiguïté au détriment
des femmes. On n'était pas en fait loin de considérer toutes les épouses comme
des esclaves!
Cette justice peut-elle être d'actualité ? Le droit musulman doit
évoluer sur beaucoup de questions. En l'occurrence, la jurisprudence qui
valorise les droits vitaux de l'épouse comme la nourriture, les vêtements, la
cohabitation, etc.. , doit être dépassée. L'argument développée par certains
théologiens selon lequel la nafaqa ne constitue pas une source d'inégalité dans
les relations entre époux compte tenu du partage des rôles dans le couple n'est

347
plus défendable. Cette théorie repose sur l'idée que c'est l'homme qui doit
l'entretien à sa femme, laquelle supporte à son tour les peints de la grossesse,
de la naissance et de l'allaitement des enfants.
Cette conception du mariage doit être dépassée. De nos jours, bon
nombre de femmes travaillant dans les bureaux, dans les usines et dans le
commerce, ont autant de charges, sinon plus que les hommes. Par conséquent,
il est normal de relativiser l'imp0l1ance accordée à l'entretien de l'épouse.
Le quantum de la nafaqa doit dépendre des ressources de la femme.
A la lirrute, les deux époux doivent contribuer aux charges du mariage à
proportion de leurs facultés respectives. En outre, l'attachement du juge
musulman au dogme de la suprématie maritale ne laisse pas de paraître étrange
aux yeux du juriste modeme.
Les Ulémas doivent "rouvrir la porte de l'Idjtihad" sur cette question.
Le principe de la puissance maritale doit être revisité. L'autorité maritale fait
pm1ie des catégories de droits appartenant à l'être humain (haq adarniyi) au
sujet desquels il est permis de transiger ou de renoncer, contrairement au droit
d'Allah (haq illahi) qui reste immuable. Par conséquent, "la puissance maritale"
peut être remplacée par l'autorité parentale qui doit être exercée par les deux
époux dans l'intérêt commun du ménage et des enfants. D'autant plus que le
privilège de masculinité prévu par le Coran ne confère jamais au mari le droit
de nuire à sa femme.
Le "talaq" (la répudiation unilatérale) appartient à un autre âge. Il
convient de le remplacer par le divorce judiciaire qui constitue le mode de
dissolution du mariage le moins mauvais.

348
Le droit musulman gagnerait surtout à réviser sa position sur des
questions récunentes comme la "wilaya" matrimoniale (la tutelle), la
polygamie, l'inégalité successorale entre les sexes et l'application des peines
dites de la Charia.
L'institution de la "wilaya" doit être ouverte aux femmes. La femme
doit pouvoir choisir librement son mati et conclure son propre mariage et,
éventuellement, celui de sa fille, sans préjudice de la loi coranique.
Faut-il interdire ou limiter la polygamie? Cette question est au coeur
d'un vaste débat qui a eu cours au Sénégal en 1996 concernant le projet de loi
visant la limitation de la polygamie à deux épouses.
Ce projet selnble voué à l'échec parce qu'il paraît irréaliste et
prématuré. Si d'aventure cette loi était votée, elle serait complètement ignorée
par les Sénégalais qui continueraient à célébrer des mariages polygamiques
non constatés ni déclarés devant l'officier d'état civil. Aussi, faut-il remarquer
que le Sénégal n'a pas encore atteint le degré "d'occidentalisation" d'un pays
comme la Tunisie qui a apporté des réformes audacieuses en prohibant la
polygamie.
Il serait plus judicieux de faire contrôler la pratique de la polygamie
par le Cadi au lieu de la supprimer ou de la "limiter à deux épouses".
Il doit être enjoint au mari qui désirerait prendre d'autres femmes de
prouver d'abord au juge qu'il a effectivement les moyens de les entretenir
convenablement, même si le quantum de la nafaqa doit dépendre des
ressources de la conjointe comme cela a été précisé plus haut.

349
Une retouche du système successoral musulman est sans doute
délicate mais pas nécessairement illégale au regard des textes. Il est bien
permis, dans certains cas, d'attribuer à la femme une part successorale double
de celui l'homme à égalité de rang. C'est le cas par exemple entre frères et
soeurs utérins et lorsque joue "l'associative" entre gelmains et utérins
(Moushtaraka). De même, il existe un cas peu connu en droit successoral
musulman qui illustre cette situation. Il s'agit du cas dit "El Gharawine" qui
suppose qu'une personne mariée meurt en laissant outre son conjoint, son père
et sa mère. Si le conjoint survivant est le mari, il reçoit une part égale à 1/2, soit
3/6; la mère 113, soit 2/6 et le père le reliquat, soit 116.
On constate que la part qui échoit au père ne vaut que la moitié de
celle de la mère.
Cette solution qui avantage trop la femme est contestée par certains
Oulémas mais elle est admise par d'autres dont Ibn Abbas qui se fonde sur le
verset Il de la Sourate IV. Cela signifie donc que l'exercice de la raison
humaine dans la détermination des quotes-parts de succession est possible et
qu'en modifiant le système successoral de l'Arabie préislanlique, le Prophète
avait fait un premier pas vers le rééquilibrage entre hommes et femmes. Mais
en "gelant" ses positions sous couvel1 de volonté diviine, les traditionnistes
religieux (ou patriarcaux) ont étroitement fenné les progrès espérés.
Concernant l'application des peines de la Charia, notre sentiment est
qu'il est actuellement difficile, sinon impossible, de rétablir les peines de
lapidation et de flagellation qui furent d'ailleurs, rarement appliquées du temps
du Prophète. Au besoin, ces peines peuvent être remplacées par des
subterfuges légaux (hiyal) qUI consisteraient, par exemple, à infliger au

350
fornicateur ou à la fonlicatrice, une amende ou une peine de Tazir quelconque
en remplacement des sanctions édictées par la loi.
En définitive, notTe sentiment est que la condition déplorable des
épouses constatée dans la jurispmdence n'est pas toujours imputable à la loi
coranique; l'interprétation erronée des juges y a plutôt joué un rôle, inspirés
davantage sans doute par les traditions sociales d'un système patriarcal et
agnatique.
Les Oulémas et les praticiens du droit musulman doivent jeter un
nouveau regard sur le système matrimonial musulman qui fait bon marché des
intérêts de l'épouse. Le mariage doit cesser d'être considéré comme un simple
contrat privé, d'acquisition de femme, révocable au gré du mari.
Le droit musulman doit maintenant prendre en considération les
aspirations des nombreuses femmes qui réclament le droit à l'instruction, à la
formation professionnelle, le droit d'être rémunérées pour leur travail, au même
titre que les hommes, le droit à l'espacement des naissances, le droit d'exercer
une activité sociale, politique, culturelle, etc. Ces droits doivent être accordés
aux femmes dans la limite de la loi coranique qui a proclamé l'égalité de
principe de l'homme et de la fennne.
Les apologistes musulmans répètent à satiété les versets coraniques
qui disent que les hommes doivent se comporter convenablement envers leurs
femmes qui ont des droits équivalents à leurs obligations (S. IV, v. 19 et S. II,
v. 228). Ivlais une chose est de proclamer les droits de la femme, autre chose
est de les respecter.

35]
Une législation ne peut valoir que par l'application qui en est faite et
la manière dont elle est reçue par ses destinataires.
La plupart des pays musulmans dont le Sénégal ont ratifié la
Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes. Aussi, dans beaucoup de pays dits
musulmans, la loi garantit à ]a femme dans tous les domaines, des droits égaux
à ceux de l'homme.
Mais l'égalité proclamée est restée un voeux pieux. La décennie
1976-1985 a été proclamée "Décennie des Nations-unies pour la femme", De
même, certaines institutions spécialisées comme ]'O.I.T. et l'UNESCO, ont
contribué à créer un état d'esprit et une morale internationale favorable aux
droits de la femme.
Malgré les discours et une meilleure reconnaissance de leurs droits,
les femmes continuent à se mobiliser à travers le monde musulman pour
dénoncer les injustices et l'exclusion dont elles prétendent être victimes de la
part des hommes.
Il reste beaucoup
à faire en matière des droits de l'épouse
musulmane et il serait regrettable que la vision de nos anciens cadis reste
celle d'un pays moderne.

352
ANNEXES DES JUGEMENTS

353
JUGEMENT N° 1
A.N.S. M.242
Affaire Khar Aly, fille de l'ex-Bourba Aly Boury cl son mari Mouhamadou Abdoul,
détenu politique au Gabon en date du 22 juillet 1893.
Louange à Allah, l'unique Seigneur,
L'épouse d'un prisonnier ou celle dont le mari se trouve dans un pays
fétichiste est de tenue de rester sous le joug conjugal si son entretien continue. Dans le cas
contraire, elle peut divorcer et le divorce dans ce cas est préférable attendu qu'il est à
craindre qu'elle ne soit pas fidèle, parce que la non cohabitation est plus dure pour la
femme que le manque d'entretien.
Si elle entend rester séparée de son mali sans entretien de sa part pendant
toute sa captivité, elle reste la propriété du mari.
Mais si elle ne fait qu'abandonner son droit sur la cohabitation, elle peut plus
tard divorcer.
Il est dit au sujet de celui qui a disparu qu'il y a quatre catégories de cette
espèce et quatre conditions.
La femme d'un home qui a disparu pourra porter son affaire devant le juge ou
devant un chef quelconque. Il est dit ensuite qu'on donnera un délai de 4 ans pour la
femme. La vie d'un prisonnier ou d'un homme qui se trouve dans un pays fétichiste
d'après les savants est estimée de différentes manières. D'après quelques-uns, c'est 70 ans
et pour d'autres 80 ans, mais sous réserve de l'entretien non interrompu de la femme ou à
la condition que celle-ci ne porte son affaire devant le Cadi et qu'elle soit consentante de
rester sous la dépendance de son mari jusqu'à ce qu'elle ait des preuves celiaines sur
l'inexistence de son mari.
Si le prisolli1ier ou le disparu n'a pas de biens pour pouvoir entretenir sa
femme jusqu'au délai fixé, le divorce immédiat sera prononcé par le Cadi ou le chef
compétent.
Egalement, la femme d'un homme non aisé peut divorcer si les biens de celui-
ci ne peuvent suffire à son entretien pendant le délai fixé. Dans ce cas, ce sera avant
l'expiration du délai avant que les biens ne soient épuisés, et cela d'après les livres
Moyassar et celui de Kharchi ; surtout s'il est prouvé qu'il y a préjudice pour la femme.
La femme Khar Valla (Aly), fille de Aly Bouri, épouse de Mouhamadou
Abdoul ayant déclaré ne pouvoir rester sous la domination de son mari, a porté le cas
devant notre juridiction en optant pour le divorce.
En conséquence et pour ce motif, nous déclarons divorcée de son mari, Khar
Aly dont le mari détenu politique des français est interné au pays étranger.
Bounmna Sidy (Un Cadi du Cayor)

354
JUGEMENT N° 2
A.T.M.S. R.1895
Affaire Dame Diamba Seck cl Malick F
Aujourd'hui, Je 7 mai 1895, nous, Cadi Suppléant Ahmad Ndiaye et le greffier
Samba Fall, avons siégé au Tribunal Musulman de Saint-Louis afin de trancher le litige
survenu entre la nommée Diamba Seck et son épouse Malick F. déclaré absent depuis 3
ans.
La femme se plaint que son mari est parti sans lui laisser ni nourritures nj
vêtements et prétend qu'il ne lui a même pas écrit.
Après avoir entendu ses prétentions, nous lui avons demandé de nous indiquer
le lieu où son mari était censé se trouver et elle nous répondit qu'il était à "Lakha Khaye".
Attendu que le mari se trouvait dans un endroit bien connu, nous lui
adressâmes une dépêche en guise d'ldhar (interpellation).
Attendu que la femme d'un mari absent, se trouvant dans un endroit connu ne
peut être déclarée séparée de ce dernier sans que celui-ci n'en soit d'abord averti par Idhar.
Attendu que le mari nous répondit, en nous disant qu'il ne dispose d'aucune
ressource et qu'il était prêt à accepter le verdict de notre juridiction.
Attendu que la femme a préféré le divorce.
Par conséquence, nous l'avons déclarée séparée de son mari, après avoir
accordé à ce denier un délai de deux mois en nous basant sur la doctrine des Foukahas et
sur les enseignements d'Ibn Acem qui écrit que "l'épouse du mari non présent, lorsqu'elle
aspire à être séparée de ce dernier, se verra assigner un délai d'un mois". Et la même
sanction s'applique au mari incapable d'habiller sa femme.
Le Cadi

355
JUGEMENTN° 3
A.T.M.S. R.1880
Affaire Dame Ramata Ousmane cl Abdoul Dia.
Aujourd'hui, le 30 mars 1880, nous, Cadi Ndiaye SaIT et le greffier El H.
Omar Ndiaye, avons siégé au Tribunal Musulman de Saint-Lous à l'effet d'examiner
l'affaire opposant la nommée Ramata Ousmane à son mari Abdoul Dia.
La dame a déclaré devant nous que son mari est absent depuis sept ans sans
lui laisser la nourriture et sans même écrire.
Nous lui avons alors demandé de rapporter la preuve de ses déclarations et
elle s'exécuta en citant un nommé Makhouma Seck comme témoin. Ensuite, nous lui
avons déféré le serment rituel imposé par la loi et elle s'exécuta également.
En conséquence de quoi, nous prononçons le divorce en sa faveur.
Le Cadi

356
JUGEMENT N° 4
A.T.M.S. R1895
Fatou Ndiaye cl Alunad Diallo
Aujourd'hui 2010211895, nous, Cadi Ndiaye Sarr et le greffier, avons siégé au
Tribunal Musulman de Saint-Louis afin de juger le litige survenu entre le nommé Ahmad
Diallo et son épouse Fatou Ndiaye. Cette dernière ayant déclaré devant nous que son mari
l'a abandonnée sans nourriture ni habillement depuis 4 mois alors qu'elle allaite un enfant.
Le mari invité à répondre, déclara qu'il voulait emmener sa femme à son
domicile conjugal. Il nous parut que c'est le mari qui a eu tort en laissant sa femme
pendant 4 mois sans entretien.
En conséquence, nous le condamnons à lui payer des habits afin qu'elle puise
rejoindre son domicile conjugal. Il accepta notre verdict mais s'absenta de nouveau
quelque temps : puis, il revint et tenta d'emmener sa femme chez lui sans avoir, au
préalable, exécuté la décision du tribunal.
La plaignante nous ressaisit accompagnée de ses parents en réclamant son
entretien.
Le mari fut de nouveau convoqué, et un délai de paiement lui fut assigné en
vam.
Attendu que le mari est indigent;
Attendu que Khalil a dit que la femme a droit au divorce lorsque son mari est
incapable de lui assurer son entretien présent et non d'acquitter ce qui est dû pour le passé,
nous le condamnons à répudier sa femme et à assurer la nourriture de l'enfant issu de leur
manage.
Le Cadi:

357
JUGEMENT N° 5
A.T.M.S. R.1934
Mati Diallo cl Khalilou D.
Aujourd'hui 24 mai 1934, nous, Amadou Ndiaye Hanne, Cadi suppléant,
avons siégé au Tribunal Musulman de Saint-Louis afin de trancher le litige survenu entre
la nommée Mari Diallo et Khalilou D.
La parole ayant été donnée à la femme, celle-ci déclare que son mari est resté
6 mois sans l'entretenir et malgré cela, il s'est marié avec une autre femme. "Mon oncle
lui a réclamé l'entretien mais il s'est contenté de lui répondre qu'il ne peut pas.
C'est
pourquoi, je m'adresse aujourd'hui à la justice", ajouta-t-elle.
Sur interpellation du tribunal, le mari déclare que la femme n'a pas à se
plaindre du manque d'entretien. Elle s'est fâché contre lui à cause de son nouveau
mariage. Le Cadi demanda au mari les raisons pour lesquelles il s'est marié avec une autre
alors qu'il n'est pas en mesure de subvenir au besoin de sa première femme. Khalilou D.
déclare: "Ma femme avait une amie qui s'est toujours montrée gentille envers moi. J'allais
chez elle au su et au vu de ma femme. Or, il m'est arrivé un jour d'avoir des rapports
sexuels avec elle, ses parents ont déclaré à la suite que je devais la marier. C'est ce que j'ai
fait.
Sur interpellation du tribunal, le mari déclare qu'il ne refuse pas d'entretenir sa
femme, mais les temps sont durs actuellement pour lui qui n'est qu'un réparateur de
bicyclettes. Et le Cadi fait remarquer au mari que son nouveau mariage est illicite.
Le Cadi ouï les parties;
Attendu que Khalilou Diop ne refuse pas d'entretenir sa femme. Que les
moments sont durs pour lui; le tribunal le condamne à donner à sa femme un boubou, un
pagne et un mouchoir dans un délai de deux jours.
Le Cadi
(Signature)

358
JUGEMENT N° 6
A.T.M.S. R.1935
Dame Thiané Fall cl Ousmane Ndiaye
L'an 1935 et le 02 mai, par-devant nous Bou El Magdad Aynina Seck, Cadi de
Saint-Louis, assisté du greffier siégeant en audience publique à l'effet d'examiner et de
juger l'affaire pendante entre la nommée Thiané Fall et son mari Ousmane Ndiaye, tous
demeurant à Saint-Louis.
La parole ayant été donnée à la femme, celle-ci déclara que son mari ne
subvient pas à ses besoins ; que depuis 18 mois, il ne travaille pas. Elle réclame en
conséquence sa nOUlTÏture.
Invité à répondre, le mari déclare qu'au moment de son mariage, il avait un
emploi. Après
15 jours, il a été licencié. TI est parti à Dakar et durant son séjour dans
cette ville, la femme l'a injurié dans ses lettres et a demandé le divorce. Arrivé à Saint-
Louis, il a trouvé la femme chez sa grand-mère et ses parents lui réclament le cadeau,
alors qu'il ne travaille pas.
Sur interpellation, le mari déclare qu'il ne travaille pas jusqu'à présent, mais
demande un délai pour nourrir et entretenir sa femme.
Le tribunal ouï les parties et après avoir délibéré, a rendu le jugement suivant:
Attendu qu'il résulte des débats que la nommé Thiané Fall réclame à son mari
Ousmane Nidaye et sa nourriture et son entretien;
Attendu que le mari ne travaille pas, mais que la nourriture de la femme lui
incombe, qu'il a demandé un délai pour satisfaire sa femme.
Par ce motif, accorde au nommé Ousmane Ndiaye un délai d'un mois pour
subvenir à l'entretien et à la nourriture de sa femme.
Le Cadi.

359
JUGEMENT N° 7
A.T.M.S. R1935
Fatou Fall cl Abdou Sylla
L'an 1935 et le 30 mars, par-devant nous, Amadou Ndiaye Ann suppléant du
Cadi, Président du Tribunal
Musulman de Saint-Louis assisté du greffier Seck Amat,
siégeant en audience publique, à l'effet de juger l'affaire pendante entre le nommé Abdou
Sylla et sa femme Fatou Diop ; la parole ayant été donnée à la plaignante, celle-ci a
déclaré qu'elle a été abandonnée par son mari depuis plus d'un an et qu'elle demande à la
justice de statuer sur son sort.
Le tribunal avait déjà accordé au mari un délai d'un mois pour améliorer la
situation de sa femme. De même, il a été accordé à celle-ci le même délai à l'expiration
duquel, elle est venue prêter semlent pour confirmer sa déclaration et pour choisir entre le
mariage et le divorce.
Attendu que d'après la Loi Musulmane, quand la femme se plaint du manque
d'entretien de la part de son mari absent et demande à être séparée de lui, on lui impose un
délai à l'expiration duquel, la répudiation lui est accordée à condition qu'elle prête serment
Attendu que la femme a prêter serment et a confinué son manque d'entretien
depuis longtemps et qu'elle a préféré le divorce;
Par ce motif, le tribunal déclare dissous le mariage ayant existé entre le sieur
Abdou Sylla et danle Fatou Fall.
Le Cadi

360
JUGEl\\'IENT N° 8
A.N.S.
M.242
Marième Mbengue cl Mbaye Diop
Le Tribunal Musulman de Dakar séant au Palais de Justice de ladite ville, a,
en son audience publique et ordinaire du samedi 24 octobre 1908, rendu le jugement dont
la teneur suit dans la cause entre la dame Marième Mbengue ,citoyenne musulmane,
ménagère demeurant et domiciliée à Yoff au quartier Tongor, demanderesse comparant à
l'audience en personne, d'une part.
Et le sieur Mbaye Diop, citoyen musulman, cultivateur, domicilié à Yoff,
quartier Ndeinatte, défendeur, comparant à l'audience en personne, d'autre part.
A l'audience de ce jour, l'affaire ayant été utilement appelée, la dame Marième
Mbengue a déclaré que le sieur Mbaye Diop l'avait, suivant le rite musulman, prise pour
femme moyennant une dot de 300 F sur laquelle elle reçut la somme de 125 F en
acompte.
Que durant quatre ans, son mari a, sans motif, refusé de lui fournir la
nourriture et l'habillement ; que lui ayant vainement réclamé ce qu'il devait de ce fait,
force lui est de s'adresser à la justice pour vaincre sa mauvaise volonté.
Interpellé, le sieur Mbaye Diop a reCOlIDU avoir épousé la dame Marième
Mbengue moyennant la dot de 300 F. Mais a prétendu avoir versé un acompte de 125 F
comme le soutient la dame Marième Mbengue.
Le Cadi donne alors au défendeur un délai d'une huitaine pour produire des
témoins pouvant certifier le versement de l'acompte de 125 F.
Le sieur Mbaye Diop a ensuite déclaré que sa femme s'est deux ans durant
refusée de partager sa couche, que pour cette raison, il ne lui devait, pendant ce laps de
temps, ni la nourriture ni l'habillement. La dame Marième Mbengue a nié les faits et a
prétendu que sa mère ayant mis son mari en demeure d'élever une case en paille sur un petit
espace de terre qu'elle avait mis à sa disposition, le sieur Mbaye Diop s'y était refusé.
Le sieur NIbaye Diop ayant contredit ses paroles, sur invitation du Cadi, jura sur
le Coran avoir dit la vérité en déclarant que sa femme avait refusé de partager sa couche
durant deux ans, de sorte que la dame Marième Mbengue n'a pas à prétendre à la nourriture
et à l'habillement pendant cette période.
Ladite dame a enfin déclaré que son mari ayant quitté Dakar, l'avait privée
pendant deux autres années de la nourriture et de l'habillement.
Le sieur Mbaye Diop ayant reconnu avoir eu tort en agissant ainsi, le Cadi a
séance tenante rendu le jugement suivant:

361
Le tIibunal,
Ouï la dame Millième Mbengue, demanderesse;
Ouï le sieur Mbaye Diop, défendeur ;
D'après Abil Assane, deuxième volume de Quifayatou l'alibi Rabani n° 48 : "Le
mari qui fait une absence de courte ou longue durée" doit à sa femme et la nourriture et
l'habillement" .
Ordonne le sieur Mbaye Diop à verser à la dame Marième Mbengue la somme
de 360 F représentant la valeur de la nourriture et de Phabillement qu'il aurait dû lui donner
pendant les deux années qu'il s'est absenté.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par le Tribunal Musulman de Dakar.
Guibril Diagne,
Cadi, Président et
Assane Ndoye, le Greffier
(Signature)

362
ARRETN°9
A.N.S. M. 242
Mbaye Diop cl Marième Mbengue
La Cour d'Appel de l'A.O.F. séant à Dakar en son audience du vendredi 04
décembre 1808 a rendu l'arrêt dont suit la teneur :
Entre le nommé Mbaye Diop, indigène musulman, d'une part, et la dame
Marième Mbengue, indigène musulmane, d'autre part ;
Par acte au Greffe du Tribunal Musulman de Dakar en date du 25 octobre 1808,
le sieur Mbaye Diop a déclaré interjeter appel d'un jugement du Tribunal Musulman de
Dakar en date du 24 du même mois qui l'a condamné à verser à la danle Marième Mbengue,
son épouse, la somme de 360 F représentant la valeur de la nourriture et de l'habillement
qu'il aurait dù lui verser pendant les 2 années qu'il s'est absenté.
Après délibération de la Cour, le Président a prononcé l'arrêt suivant:
Considérant que depuis le jugement dont est appel et avant que ce jugement ne
soit définitif, Marième Mbengue a contracté une nouvelle union ainsi qu'elle le reconnaît à
l'audience;
Que dès lors, il y a lieu de prononcer le divorce d'entre les époux aux torts
exclusifs de la femme;
Considérant, d'autre part, que le juge a condamné J'appelant à payer à l'intimée
une somme de 360 F pour frais de nourriture et d'entretien pendant un certain nombre
d'années;
Mais considérant que la femme Marième Mbengue n'a pas rempli ses devoirs
d'épouse; qu'elle n'habite pas avec son mari. Que dès lors, il ya lieu d'infirmer, de ce chef, le
jugement dont est appel;
Par ces motifs, prononce le divorce d'entre les époux Mbaye Diop et Marième
Mbengue aux torts exclusifs de la femme.
Condamne ceI1e-ci à rembourser à l'appelant la somme de 125 F donnée par
celui en acompte sur la dot...
Dit que l'intimée n'a droit à aucune indemnité de nourriture et d'entretien.
Décharge, en conséquence, l'appelant de la condamnation en 360 F prononcée
de ce chef par le juge.
Ainsi fait, jugé publiquement par la Cour d'Appe\\.
Le Président de la Cour
(Signature)

363
JUGEMENT N° 10
A.T.M.S. R-1966
Dame Thiendougou D. cl Cheikh T.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique tenue le
02/0211966 à l'effet d'examiner le litige concernant les nommés Thiendougou D. et Cheikh
T. (...).
A l'appel de la cause, à ladite audience, la demanderesse a déclaré: "je porte
plainte contre mon mari, Cheikh T. pour les faits suivants. "Dans le courant de l'année 1963,
mon mari m'a abandonnée sans s'occuper de mon entretien. Depuis cette date, je suis obligée
de travailler pour subvenir à mes besoins. Le geste de mon mari est dû à ce qu'en 1963, il
avait profité de mon absence pour coucher avec ma soeur N.C. A la suite de ces faits, les
parents de la jellile fille l'ont obligé à payer un dédommagement de 50.000 F ; pour parer à
cette honte, j'ai payé la somme à sa place. C'est ainsi que mon mari, pris de honte et de haine,
m'a abandonnée".
Le défendeur qui n'a pas nié les faits, répond: "J'avais abandonné ma femme
parce qu'elle refuse de coucher avec moi et de s'occuper de mon ménage. Je la divorce à
partir de ce jour et je veux qu'elle quitte ma maison.
Attendu qu'il résulte des débats que la nommée Thiendougou D., après avoir été
victime de sévices de la part de son mari Cheikh T., vient d'être répudiée en pleine audience
par celui-ci;
Attendu que Cheikh T. reconnaît n'avoir pas assuré l'entretien de sa femme
durant 4 ans;
Attendu que d'après Khalil, l'entretien arriéré est considéré comme une dette que
le mari doit obligatoirement payer;
Attendu que d'après la Tohfa, vers 628, la fixation de la pension alimentaire est
laissée à l'appréciation du Cadi;
Vu la situation de Cheikh T., il y a lieu de fixer à 120.000 F l'entretien arriéré dû
pendant 4 ans, soit 2.000 F par mois. Le tribunal prend acte de la répudiation prononcée par
le mari et ordolme à la femme d'observer le délai de viduité légal.
Le Cadi Majhtar Samb

364
JUGEMENT N° Il
A.T.M.S. R1959
Mamadou S. cl Maïmouna L.
L'an 1959 et le 13/06,
Par-devant nous Samb Majhtar, suppléant du Cadi Président du Tribunal
Musulman de Saint-Louis assisté du Greffier ad-hoc, Diaw Adama... , avons siégé à l'effet
d'examiner la plainte fonnulée par le sieur Mamadou S., commerçant, demeurant à Thiès, de
passage à Saint-Louis, contre son épouse Maïmouna L.
Interpellé, le demandeur déclar que son épouse s'est révoltée sous prétexte
qu'elle est malade et ne peut, de ce fait, supporter ses lourdes charges matrimoniales. Il dit,
en outre, que le jour de leur mariage, il a déboursé 500 F pour avance sur la dot de 2.500 F,
lui acheté un lit valant 8.000 F et des médicaments sur ordonnance à 1.850 F. Et à la
demande de la femme, il n'a pas trouvé d'inconvénient de lui accorder deux mois de repos.
Et pour qu'elle se soumette à nouveau à ses devoirs matrimoniaux, il a dû lui faire cadeau de
2.000F ; et arrivé tard de voyage par l'autorail de minuit, on lui a refusé l'accès à la maison,
malgré l'intervention de l'oncle de son épouse.
La défenderesse précise qu'avant de conclure le mariage, ses parents avaient fait
remarquer à son mari que son état de santé exigeait des soins et beaucoup de patience. Sans
l'acceptation de cette condition, le mariage n'aurait pas eu lieu. N'en ayant donc pas tenu
compte, il a voulu me soumettre à la cadence de quatre rapports par nuit, ce que je ne puis
matériellement supporter et, malgré les conseils de ma mère, je me soustraite à la vie
commune. Je maintiens ma demande de divorce.
Le tribunal ouï les parties a rendu le jugement suivant:
Attendu que toutes les sommes données avant le mariage en vue d'obtenir la
main de la jeune fille ne sauraient être remboursées, de même que les sommes
volontairement données aux parents;
Par ces motifs, le tribunal dissout le mariage ayant existé entre le sieur
Mamadou S. et la dame Mal'mouna L. ; condamne celle-ci à rembourser l'avance de cinq
cent (500) F sur la dote et à remettre le lit au sieur Mamaodu S.
Le Cadi

365
JUGEMENT N° 12
A.T.M.S. R.1958
Dame Saly T. cl S. Alioune
L'an mille neuf cent cinquante huit et le trois mai, par- devant nous Samb
Majhtar, suppléant du Cadi Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du
Greffier Assane Sarr, siégeant en audience publique à l'effet d'examiner et juger la plainte
formulée par la dame Saly T. contre son mari Aboune S.
La parole ayant été donnée à la dame, celle-ci déclare que son mari l'avait
autorisée à rejoindre Dakar avec sa mère malade afin de la soigner, mais depuis son retour à
Saint-Louis, voilà 16 mois, elle n'a reçu aucun entretien de sa part ; elle demande alors
purement et simplement le divorce et réclame des entretiens arriérés.
Le mari convoqué plusieurs fois par le tribunal n'a jamais voulu se présenter.
Le tribunal ouï la demanderesse et après en avoir délibéré, a rendu le jugement
suivant:
Attendu que d'après Khalil, la femme qui abandonne le toit conjugal perd tous
ses droits d'entretien à la condition qu'elle refuse de le rejoindre après l'invitation du Cadi.
Attendu que d'après le même auteur, lorsque l'une des parties refuse de se
présenter, malgré la convocation à lui adressée par le juge, le jugement est rendu comme si
elle était présente et sans appel;
Attendu que d'après Kha1il, ]a femme peut obtenir le divorce contre le mari
lorsqu'elle est l'objet de sévices de la part de son mari (manque d'entretien, mauvais
traitement, manque de cohabitation) ;
Attendu que d'après la Tohfa, la nourriture arriérée est une dette due par le mari
considérée comme d'autres dettes.
Déclare dissous le mariage ayant existé entre S. Alioune et Saly T.
Condamne le sieur S. Alioune à payer à la dame Saly T. 16 mois d'entretien
arriéré à raison de 2.500 F par mois, soit 40.000 F.
Ordonne à la dame d'entrer immédiatement dans sa idda.
Le Cadi.

366
JUGElVIENT N° 13
A.T.M.S. R.1959
Le Sieur Amadou Mb. cl Aminata N.
L'an 1959 et le 13/06. Par-devant nous, Samb Majhtar, suppléant du Cadi
Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du greffier (...).
Ont comparu le sieur Amadou Mb. et la dame Aminata N., son épouse,
défenderesse.
Par lettTe en date du 29 mai 1958, le sieur Amadou Mb. avait fonnulé une
plainte contre la dame Aminata N., son épouse, pour refus de rejoindre le domicile conjugal
et demande le divorce.
S'étant acquitté de tous ses devoirs envers elle, le man réclame que cette
dernière rejoigne enfin le domicile conjugal...
Interpellée, la dame Aminata N. déclare qu'elle n'a jamais accepté de se marier
avec le sieur Amadou Mb. ; que son père l'a obligée à l'épouser. C'est sous la contrainte que
le mariage a été consommé. Leurs rapports au nombre de 6 environ, sont marqués par la
discussion et des batailles. Chaque fois le mari use de la force à son égard avant d'obtenir
satisfaction. Son mari lui procure tout ce dont elle a besoin: argent, vêtements, parures, etc.,
mais elle ne peut pas l'aimer.
Le mari, à son tour, réplique et a dit que sa femme a 20 ans et leur mariage a
durée trois ans sans que cette dernière ait exprimé le désir d'en mettre fin.
Le tribunal ouï les parties, vu les pièces du dossier, statue en ces tennes :
Si réellement, la jeun fille n'était pas consentante, il n'y avait pas de raison de
célébrer le mariage;
C'était un grand tort pour les parents d'obliger leur fille à consommer le mariage
Attendu qu'une fois le mariage consommé, la femme n'a plus le droit de refuser
de suivre son mari ;
Considérant que le refus de rejoindre le domicile conjugal sans motif valable est
une rébellion;
Attendu qu'en cas de rébellion ouverte, la femme doit rembourser intégralement,
même plus, toutes les dépenses effectuées par son mari à ce sujet;
Par ce motif, condanme la dame Aminata N. à rejoindre le domicile conjugal ou
à rembourser à son mari la somme de 141.807 F C0llU11e elle l'a reçue.
Le Cadi

367
JVGEMENTN° 14
A.T.M.S. R1965
Dame Anta T. cl Saer G.
Le TribW1al Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique du
16/06/1965 tenue pour régler le litige concemant les nommés Anta T. et Saer G. 5...).
Le tribW1al ouï les parties et après en avoir délibéré, a rendu le jugement suivant
Attendu que l'entretien arriéré peut être considéré comme une dette que le mari
doit obligatoirement payer;
Attendu que d'après la Tohfa vers 628, la fixation de la pension alimentaire est
laissée à l'appréciation du Cadi;
Attendu que la femme peut obtenir divorce contre son mari lorsqu'elle est l'objet
de ses sévices (manque d'entretien, manque de cohabitation, manque de rapports sexuels) ;
Attendu que d'après Imam Malek, quand tille femme en état de grossesse
abandonne le domicile conjugal sans le consentement de son mari, cette femme quoique
rebelle, a droit à l'entretien à partir du jour de son départ jusqu'à son accouchement, et que si
elle avait emmené les enfants, ceux-ci restent à la charge du père;
Par ces motifs le tribunal déclare dissous le mariage ayant existé entre Anta T. et
Saer G. ; condamne ce dernier à payer à Anta T. ses frais d'entretien.
Ordonne à cette dernière à observer le délai de viduité (idda).
Le Cadi.

368
JUGEMENT N° 15
A.T.M.S. R.188ü
Dame Gansiri Diop cl Massamba
Aujourd'hui, le 07/12/1880, nous, Cadi Tafsir Ndiaye Sarr et le Greffier, avons
siégé au Tribunal Musulman de Saint-Louis à l'effet de juger le litige survenu entre les
nommés Gansiri Diop et Massamba.
La première a porté plainte contre son mari en déclarant qu'il s'est montré
incapable de l'entretenir. Ce dernier, interpellé, a confirmé son indigence. Nous lui avons
alors accordé un délai de deux mois à l'expiration duquel la femme est revenue nous dire que
son mari ne s'est toujours pas acquitté de son obligation vis-à-vis d'elle. Nous convoquons de
nouveau le mai, mais après l'examen de sa situation, il nous paraît qu'il est indigent. Par
conséquent, nous accordons à la plaignante le choix entre le maintien de son mari et le
divorce, et elle a préféré te divorce.
D'après l'abrégé de Khalil, la femme a le droit de demander et d'obtenir le
divorce si son mari est incapable d'assurer sa nourriture présente, compte tenu du préjudice
que cela entraîne pour elle.
Aussi, ne peut-on obliger la femme à livrer sa "marchandise" sans contrepartie,
parce que la Nafaqa est l'équivalent de l"'Istimtaa", c'est-à-dire le plaisir sexuel.
Par aiHeurs, Lakhmy citant Ashab, estime que te mari incapable d'habiHer sa
femme, encourt la même condamnation.
Le Cadi

369
JUGEMENT N° 16
A.T.M.S. R.1887
Affaire dame Codou D. cl Yatama D.
Aujourd'hui, le 29/05/1887, nous, Cadi Ndiaye Sarr et le Greffier, avons tenu
une audience publique au Tribunal Musulman de Saint-Louis à l'effet de juger le litige
survenu entre les époux Yatma Diop et Dame Codou D. ; la femme a porté plainte contre
son mari prétendant que celui-ci la maltraite. Ce dernier interpellé, a nié ses allégations et
prétend à son tour que c'est elle qui désobéit à ses ordres.
Nous avons alors exigé de la plaignante d'apporter ses preuves, car le "darar"
(préjudice) ne doit pas être établi sur la simple déclaration de la femme. Il doit plutôt être
dûment prouvé ou établi par la commune renommée, comme l'a dit Ibn Acem : "la preuve
des sévices se fait par témoin ou par commune renommée".
La plaignante, ne pouvant apporter la preuve de ses déclarations, a proposé de se
séparer de son mali par le khoul, en lui restituant la dot qu'elle avait reçue. Et le mari a
accepté sa proposition.
Par conséquent, nous avons prononcé la dissolution de leur mariage. Mais la
femme étant enceinte, le mari est condamné à assurer son entretien, car le Coran dit: "Et si
elles sont enceintes, pourvoyez à leurs besoins jusqu'à ce qu'elles aient accouché ; puis si
elles allaitent [l'enfant né de vousJdonnez- leur leur salaire.
L'Abrégé de Khalil dit également: "la répudiée "baïne" enceinte, a droit à la
Nafaqa et aux vêtements depuis le début de sa grossesse.
Attendu qu'il est stipulé dans la Moukhtassal' qu'il est obligatoire que le père
assure l'entretien de l'enfant mâle jusqu'à ce qu'il soit pubère, raisonnable et en mesure de
gagner sa vie et celui de la fille jusqu'à la consommation de son union avec son mari ;
Le mali s'engage alors à verser mensuellement deux dirhams à la femme
enceinte et à ses enfants.
Le Cadi

370
JUGEMENT N° 17
A.T.M.S. R.1899
Dame Koura K. cl Mar H.
Aujourd'hui, le 14/05/1899, la nommé Koura K. a porté plainte devant nous
prétendant que son mari Mar H. a refusé de lui assurer sa nourriture qu'elle réclame.
Le mari interrogé, a dit qu'il avait "suspendu le divorce au tabac de sa femme" et
puisque cette dernière a fumé du tabac en sa présence, le divorce est automatiquement
consommé".
Nous lui avons alors demandé s'il entendait prononcer une répudiation "baïne"
ou une répudiation révocable, et il nous confirma qu'il avait prononcé une répudiation
"baïne).
Par conséquent, nous le condamnons à compléter le reliquat (Kali) de la dot
s'élevant à 80 dirhams. La dot avait été fixée lors de la conclusion du mariage à 160 dh et il
en avait déjà avancé 80 dh seulement, c'est-à-dire, la moitié, en invoquant son indigence.
Etant donné que cette femme est actuellement en état de grossesse, nous
condanmons le mari à l'entretenir conformément à la doctrine de la Moukhtassar qui dit que
la femme répudiée "baïne", quand elle est enceinte, bénéficie de la Nafaqa de grossesse ainsi
que le droit aux vêtements depuis le début de sa grosse.
Le Cadi

371
JUGEMENT N° 18
A.T.M.S. R.1959
Affaire Ndèye N.D. cl Sieur Bâ Baïdy
L'an 1959 et le 30 septembre, par-devant nous, Samb Majhtar, Cadi, Président
du Tribunal Musulman de Saint-Louis assisté du greffier siégeant en audience publique à
l'effet d'examiner et de juger la plainte fonnulée par Ndèye N.D. demeurant à Louga,
demanderesse, contre son mari Bâ Bay, commerçant à Louga.
La demanderesse comparante déclare : "Depuis trois ans environ, que je suis
mariée avec le sieur Bâ Baïdy, il n'a cessé de faire organiser des prières pour avoir un enfant.
Vers le mois d'octobre 1958, ma santé s'ébranle et prise de malaises persistants, il me soumet
à un sérieux traitement. Un jour, le 28 octobre 1958 exactement, le médecin reconnaît mon
état de grossesse de deux mois environ. Cette nouvelle au lieu de produire un heureux effet
auprès de mon mari, lui fait adopter une attitude de désespoir qu'il exprime en ces termes:
Cette grossesse n'est pas de mon oeuvre, car je ne fais pas d'enfant; ainsi, il a cessé de
cohabiter avec moi et ne m'a plus entretenue. Je sollicite l'intervention de la justice pour qu'il
sache que l'enfant de sexe masculin prénommé Zal est bien de lui et ne conteste plus le nom
qu'il porte.
Je réclame mes frais d'entretien dont il m'a volontairement privée depuis 11
mois. Ainsi que la mise à ma disposition de 5 génisses constituant ma dot principale dont la
livraison a toujours été remise à plus tard...
Le mari comparant, a répondu: "Depuis notre mariage en 1956, caque fois que
nous étions aux prises, je lui répétais les reproches que ne cessaient de me faire mes parents
de m'être uni à une femme qui ne me procure ni enfant ni bonheur. Le 12/08/1958, elle m'a
refusé des rapports trois jours durant alors que ses règles venaient de cesser. Notre vie
commune interrompue durant un mois et trois jours n'a recommencé que le 15 septembre
1958. Vous vous rendez compte de ma surprise de voir mettre à mon profit une grossesse de
deux mois environ après UJl mois et treize jours de vie commune précédée d'une interruption
d'un mois et trois jours et les règles. Je refuse donc jusqu'à la preuve contraire.
Le tribunal ouï les parties, vu les pièces du dossier, et après en avoir délibéré, a
rendu le jugement suivant:
Attendu que d'après Attab (Volume V, marge, p. 136), lorsqu'un mari contestant
l'état de grossesse de son épouse ne formule aucune remarque après un mois, toute
intervention ultérieure est considérée comme une accusation honteuse inecevaable.
Attendu que dès que le mari sait que sa femme est enceinte, il doit s'il croit que
cette grossesse n'est pas son oeuvre, prononcer sur le champ l'anathème, à moins qu'il n'ait
pour se taire une excuse légitime, le moindre retard lui enlève le droit de se plaindre et il sera
réputé le père de l'enfant.
Et si après avoir gardé le silence, il voulait ensuite prononcer l'anathème, il
subirait la peine édictée par le Coran.

372
Attendu que la femme en état de grossesse peut réclamer en outre, ses frais
d'entretien et d'habillement jusqu'à son accouchement (Toha, vers 61-311).
Considérant que d'après Khalil, lorsque l'homme paraît avoir les moyens, la
femme peut toujours réclamer le reliquat de la dot.
Considérant que le mari demande à la femme de rejoindre le domicile conjugal
et que la femme accepte de vivre avec son mari;
Le tribunal déclare légitime l'enfant Zal issu du mariage existant et maintenu du
sieur Baïdy avec la dame Ndèye N.D.
Condamne ce dernier à payer à son épouse les frais d'entretien arriéré du 1er
novembre 1958 au demier septembre 1959, soit Il mois à raison de 300 F par jours ou 9.000
F par mois ; le condamne également à mettre les cinq génisses à la disposition de la dame
Ndèye N.D. ; ordonne celle-ci de rejoindre le domicile conjugal.
Le Cadi
JUGEMENT N° 19
A.T.M.S. R.1878
Dame Katy cl Oumar Anne
Aujourd'hui le 12/0211878, nous, le Cadi Ndiaye Sarr et le greffier avons tenu
une audience publique au Tlibunal Musulman de Saint-Louis à l'effet d'examiner le litige
survenu entre dame Katy et son mari Oumar Anne. La première a déclaré que son mari lui
porte préjudice en la frappant, en l'injuriant et refusant de la noumr. Et, elle n'est plus en
mesure de continuer à cohabiter avec lui dans cette condition.
Le mari interpellé, a tout nié et a ajouté que c'est plutôt elle qui l'a insulté et il lui
a rendu l'insulte. Nous leur avons demandé de prouver leurs déclarations respectives, ce que
le mari s'est montré incapable de faire sous prétexte que ses témoins étaient absents. Il nous
parut alors évident que le "darar" et les injures invoquées par la femme étaient constantes.
Khalil dit que la femme a droit au divorce en cas de sévices répétés même si la
preuve de la répudiation n'est pas rapportée. Et il nous est évident que leur union n'est pas
dans leur intérêt à cause de leurs querelles et disputes sempiternelles. Par conséquent, nous
prononçons le divorce entre eux. La femme est dans sa idda et le mari est condamné à
entretenir les enfants. Il aura le droit de les récupérer le jour où la femme se remariera. La
Nafaqa de ses enfants incombe au père
Le Cadi

373
JUGEMENT N° 20
A.T.M.S. R.1886
Sieur Sangoulé cl Dame Nianga
Aujourd'hui, Je 22106/1886, nous, Cadi Ndiaye Sarr et Je greffier El H. O. Nd.,
avons siégé au Tribunal Musulman de Saint-Louis afin d'exanliner l'affaire survenue entre
Sangoulé et sa femme Nianga S. Le maI; a porté son affaire devant nous en déclarant que sa
femme a abandonné le domicile conjugal et lui a désobéi. Il a essayé de la ramener à la
maison en vain. Nous avons fait convoquer la femme et lui avons demandé les raisons pour
lesquelles elle a abandonné le domicile cOl~ugal. Elle nous dit qu'elle ne retournerait plus au
domicile conjugal tant qu'elle aura son âme dans son corps et préférerait plutôt racheter sa
liberté par le khoul, même si elle doit donner les cheveux de sa tête. Nous lui avons
également demandé de nous dire si elle était victime d'un quelconque préjudice et elle nous
répondit que son mari la bat et l'injurie. Nous exigeons qu'elle nous en apporte les preuves et
elle n'a pu le faire. Nous demandons au mari s'il acceptait que sa femme se rachète par le
khouJ en lui restituant sa dot, celui-ci nous répond que si vraiment la femme est décidée de
rompre, il est prêt à la libérer sans lui réclamer quoi que ce soit. Mais étant donné qu'ils ont
trois enfants de leur mariage, le père est condamné à les entretenir chaque mois et ce, jusqu'à
la fin du délai consacré à leur garde et à leur Nafaqa.

374
JUGEMENT N° 21
AT.M.S. R.I887
Ibrahim a cl Khar Makhouna
Aujourd'hui, le 23/03/1887, nous Cadi Ndiaye Sarr et le greffier, avons tenu une
audience publique au Tribunal Musulman de Saint-Louis à l'effet de juger le litige ayant
opposé le sieur Thrahima T. à sa femme Khar Makhouna.
Le mari a déclaré devant nous que sa femme a abandonné le domicile conjugal à
la suite d'une dispute au cours de laquelle il l'a battue.
La femme interpellée a prétendu que son abandon de domicile conjugal est
motivé par le fait que son mari la bat et la menace, et elle a peur.
Après l'avoir écouté, il nous parut évident que c'est le mari qui a tort.
Par conséquent, nos l'avons rappelé à l'ordre afin qu'il ne répète pas de tels actes
qui entraînent le divorce.
Ibn Salamone dit que le fait de battre modérément sa femme, si elle le mérite,
n'est pas mal, si on connaît le motif de la correction.
Aussi, avons-nous ordonné à la femme de retourner à son domicile conjugal,
mais elle a rcfusé en disant qu'elle ne veut que le divorce.
Le mari a déclaré à sont tour que si la femme ne lui réclame pas le kali de sa dot,
eUe n'a qu'à choisir enire le divorce et le maintien du lien conjugal.
La plaignante ayant préféré le divorce, nous déclarons dissous leur mariage.
Mais étant donné que de ce mariage sont issus deux enfants, nous condamnons le mari à le
nourrir à raison de 2 dh, 5 par mois.
Le Cadi

375
JUGEMENT N° 22
A.T.M.S. Rl891
Dame Al'cha Bâ cl Mbarick Ndiaye
Aujourd'hui, le 31/03/1891, nous, Cadi Ndiaye Sarr, assisté du greffeier Maky
Karé, avons siégé à l'effet de juger le litige survenu entre le sieur Mbarick Ndiaye et sa
femme Aïcha Bâ. Cette dernière a porté plainte devant notre juridiction en déclarant être
victime de sévices de la part de son mari, mais elle ne peut nullement en apporter la preuve,
comme cela est exigé par les docteurs de la loi en matière de préjudice; elle s'est résolue
alors à demander le divorce par le khoul.
Le mari mis en demeure de choisir entre le divorce gratuit et le khoul, décida de
faire don de tout à la femme à cause des enfants.
Par conséquent, leur mariage est dissous mais puisque trois enfants sont issus de
cette union, le mari est condamné à les nourrir à raison de 4 dh, 5 par mois.
Le Cadi

376
JUGElVIENT N° 23
A.T.M.S. R1894
Mariama Fal1 cl Ahmed DIOP
Aujourd'hui, 24 février 1894, le Cadi Ndiaye Sarr et le greffier ont siégé à l'effet
d'examiner le litige survenu entre Ahmed Diop et sa femme Mariama FaU. Cette dernière a
déclaré que son mari lui fait tort en la frappant, en l'inj miant et lui causant d'autres mauvais
traitements.
Le mari invité à répondre, dit que le préjudice invoqué par sa femme est bien
constant car celle-ci désobéit à ses ordres et n'est pas docile et qu'elle est une mauvaise
fenune.
Après que chaque partie ait terminé d'exposer ses arguments, nous avons
examiné l'affaire et il nous paraît évident que cette union est anormale car le mariage doit
être fondé sur le respect mutuel.
Par conséquent, nous avons prononcé le divorce entre les époux sans aucune
réclamation réciproque de leur part. Mais étant donné que la femme allaite un enfant, le mari
est condamné à payer le prix de la nouniture et de la garde de celui-ci jusqu'à son terme,
c'est-à-dire, soit par le remariage de la femme ou par tout autre motif susceptible de mettre
fin au droit de garde de l'enfant.

377
JUGEJ\\tIENT N° 24
A.T.M.S. - R.1962
Thioro Guèye c/Tthiam A.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique du 7 mars
1962 tenue pour le litige survenu entre la nommée Thioro Guèye contre son ex-mari Thiam
A.
A l'appel de la cause à ladite audience, la demanderesse a déclaré en personne:
"divorcée d'avec Thiam A. en septembre 1961, je réclame J'entretien qu'il me devait, je suis
en état de grossesse de six mois. J'ai déposé un certificat médical au tribunal car mon ancien
mari niait ce fait" .
Le demandeur a répliqué pour repousser les prétentions de la demanderesse en
déclarant : "je n'ai pas répudié la femme, je ne savais pas non plus qu'elle était en état de
grossesse". Mais le notable El H. Mawa, interrogé, a déclaré que le mari a bel et bien divorcé
sa femme parce qu'il est venu chez lui pour notifier à la femme sa répudiation. Et le nommé
Ousseynou Ndiaye, l'oncle de la femme, a été mis au courant par El H. Mawa. Voulant
soulever la contradiction, le nommé Thiam A. a été mis en demeure de prêter serment pour
repousser les déclarations faites contre lui. Le défendeur s'étant dérobé au serment, accepte
donc toutes les déclarations relatives à la répudiation et à l'entretien qu'il reste devoir (sic).
Le tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le jugement
suivant:
Attendu qu'il est établi par les débats que le nommé Thiam A. a répudié sa
femme Thioro Guèye en état de grossesse depuis six mois;
Attendu que d'après Khali1, la femme répudiée en état de grossesse a droit à
l'entretien;
Attendu que d'après le même auteur, l'entretien aniéré est considéré comme une
dette que le mari doit obligatoirement payer;
Attendu que d'après la Tohfa vers 628, la fixation de la pension alimentaire est
laissée à l'appréciation du Cadi;
Vu que le mari exerce un métier à son propre compte;
Par ces motifs, le tribunal le condamne à verser mensuellement à la nommée
Thioro Guèye (divorcée en état de grossesse) la somme de 2.500 F jusqu'à son
accouchement; le condamne à lui payer la somme de 15.000 F à titre d'entreÙen arriéré dû à
la femme durant leur mariage.
Le Cadi

378
JUGl\\IENT N° 25
AT.M.S. R.1962
Awa Sam cl Hamat N.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis, siégeant en audience publique du 28
mars 1962, tenue pour le litige survenu entre la nommée Awa Sam demeurant à Richard-
Toll (Rosso-Sénégal), de passage à Saint-Louis et son mari Hamat N.
A l'appel de la cause à ladite audience, la demanderesse a déclaré: "Mon
mariage avec Hamat Ndao dure depuis 6 ans, mais voilà deux ans qu'il m'a abandonnée en
m'enlevant notre enfant Demba Ndao âgé de 5 ans; et je demande mes entretiens arriérés
pour reprendre avec mon mari.
Le défendeur a répliqué: "En effet, j'ai abandonné ma femme depuis deux ans,
mais je ne gagne que 8.500 F et je dois payer ma nouniture et mon loyer. Je demande au
tribunal de m'accorder un délai pour faire un effort, compte tenu de mes faibles moyens;
Sur l'interpellation, les parties acceptent le principe d'une réconciliation.
Le tribunal, après en avoir délibéré confomlément à la loi, a statué en ces termes
Attendu qu'il est établi par les débats que la nommée Awa Sam réclame à son
mari Hamat Ndao, l'entretien arriéré pendant deux ans;
Attendu que le mari reconnaît les faits qui lui sont reprochés et ajoute que sa
situation et ses faibles moyens ne lui ont pas pemlis de subvenir aux besoins de sa famille;
Attendu que l'entretien arriéré est considéré comme une dette que le mari doit
payer d'après Sidi K.ha1il ;
Attendu que d'après la Tohfa vers 628, la fixation de la pension alimentaire est
laissée à l'appréciation du Cadi;
Condamne le mari à verser à sa femme la somme de 36.000 F représentant
l'entretien arriéré dû pendant deux ans à raison de 150 F par moi comme base de calcul;
Dit qu'il donnera à la femme un cadeau de conciliation fixé à 10.000 F dans un
délai de 3 mois;
Dit également que dans le laps de temps, il versera l'entretien mensuel de la
femme fixé à 2.500 F.
Le Cadi

379
JUGEMENT N° 26
A. T.M.S. R1896
Coura Guèye cl Malick Diop
Aujourd'hui, le 03/12/1896, (... )
La dame Coura Guèye a comparu devant nous et a déclaré que son époux s'est absenté
pendant 9 ans sans lui laisser de vivres pouvant l'aider à attendre. Et elle réclame le paiement
de cette nourriture.
Le mati invité à répondre, a dit que le nombre des années pendant lesquelles il
s'est absenté ne fait pas 9 ans ; c'est 7 ans seulement et des fois il lui envoyait des vivres. Puis
nous avons calculé 15 F par mois pendant 3 ans, ce qui a donné un total de 540 F dus à la
femme au titre de son entretien. Le sieur Malick Diop, ne possédant pas ladite somme dans
l'immédiat, est considéré comme ayant contracté une dette envers elle.
Ibn Fatihoune a dit dans l'ouvrage: "Fil Wassahikhil Majmouaati" : "Si l'on sait
ce que le mari a rapporté de son voyage, on l'oblige à payer à sa femme les vivres dus
suivant l'estimation de ses ressources et d'après ce que l'on croit devoir être donné à la
femme. C'est alors une dette dont la femme peut poursuivre le paiement auprès de son mari
lorsque celui-ci est de retour".
Par conséquent, nous avons condamné le sieur Malick Diop à fournir à sa
femme ses vivres joumaliers.
Le Cadi

380
JUGEMENT N° 27
AT.M.S. R.1897
Malick Diop cl Coura Guèye
Aujourd'hui, le 9 janvier 1897 de Jésus Christ, le Cadi Bécaye Bâ et son
secrétaire Samba FaU siégeant au Tribunal Musulman pour examiner ce qui s'est passé entre
Malick Diop et Coura Guèye sa femme. Ledit Malick Diop a déclaré devant nous que sa dite
femme a refusé obstinément les relations conjugales; elle n'écoute plus ses paroles et ne lui
accorde rien de ce qui dénote une union conjugale. Nous avons invité la femme à répondre;
elle répondit que son mari ne veut pas la nourrir comme il est de coutume entre eux
auparavant. Elle ajoute que si le mari croit avoir quelque chose à lui réclamer, il peut le
compter.
Après que chacun a donné son argument, nous nous sommes efforcés de faire en
sorte que la femme retourne chez son mari et que ce dernier la nourrisse comme il convient.
Malick Diop dit qu'i1lui donnerait un franc par jour. La femme refusa, disant qu'elle veut le
divorce pas autre chose. Alors le mari compta sa dot et celle-ci se monta à une somme de
600 F. La femme présenta ses 600 F au tribunal. Nous en primes 540 F et les donnâmes à la
femme pour la nourriture que son lllali lui devait pendant les 3 ans d'absence qu'il ne l'avait
pas nourrie.
C'est ainsi que le divorce est prononcé entre eux.
Abou Mouhamad a dit dans sa Rissala que la femme peut se racheter de son
mari par sa dot, que celle-ci soit grande ou petite, pourvu qu'il n'y ait pas de préjudice, et
dans le présent cas, il n'y a pas de préjudice.
Dieu, qu'il soit exalté, a dit dans le Coran, il n'y a pas de pêché pour les deux
époux pour qu'ils se rachètent.
La femme est actuellement dans son idda.
Le Cadi de Saint-Louis
BécayeBâ
(Signature)

381
ARRETN°28
A.T.M.S. R.1897
Malick Diop cl Coura Guèye
Conseil d'Appel Musulman - Audience du 1er mai 1897.
Le Conseil,
OU]' le sieur Malick Diop en ses dires, moyens et explications, appelant;
Ouï la dame Coura Guèye, en ses dires, moyens et explications, intimée,
représentée par le sieur Alassane Niang, son frère.
Après en avoir délibéré, jugeant publiquement, contradictoirement, en matière
civile et en dernier ressort ;
Attendu que par acte passé au Greffe du Tribunal Musulman en date du dix-huit
janvier dernier, Malick Diop a inteTjeté appel d'lm jugement rendu le neuf (09) du même
mois entre lui et sa femme Coura Guèye ;
Attendu que l'appelant soutient que c'est à tort que le premier juge a ordonné le
prélèvement d'une somme de 540 F sur la dot de 600 F que lui devait sa femme ; qu'il
allègue de plus qu'il avait versé en octobre 1896 une somme de 400 F à cette dernière pour
son entretien et 100 F à sa belle-mère; que, enfm, sa femme doit lui faire la remise des
meubles qu'il avait apportés dans le domicile conjugal lors du mariage; il demande en
conséquence que sa femme soit condamnée:
10 _ à lui payer la somme de 600 F, montant intégral de la dot;
20 _ celle de 500 F versée en octobre;
3°_ à lui faire la remise des meubles;
Attendu qu'il résulte des déclarations faites à l'audience du tribunal d'appel par le
sieur Alassane Niang, frère de l'intimée et ayant mandat de la représenter, que la somme de
540 F prélevée sur la dot l'a été en exécution d'un jugement rendu le 03 décembre dernier;
que la somme de 400 F a été réellement versée, mais qu'elle avait été remise pour les besoins
du ménage à raison d'un franc par jour; que Malick Diop de retour à Saint-Louis en mai
1896, vécu avec sa femme jusqu'en décembre dernier, soit pendant 08 mois; qu'il est dû, par
conséquent, de ce chef, une somme de 240 F qui doit être déduite de celle de 400 F ; que les
meubles dont l'appelant demande la remise sont à sa disposition et qu'on est prêt à les lui
rendre; que la somme de 100 F a été lil dont fait par Malick à sa belle-mère en récompense
des soins assidus que lui avait prodigués cette dernière pendant une maladie qu'il avait faite;
Attendu que l'appelant reconnaît l'exactitude des déclarations faites par le
mandataire de sa femme, mais persiste néamnoins dans ses déclarations.

382
l - En ce qui conceme la somme de 540 F
Attendu que par jugement contradictoire du Tribunal Musulman de Saint-Louis
en date du 03 décembre dernier, dont copie dûment certifiée par le Cadi est jointe au dossier,
Malick Diop a été ordonné à payer à sa femme la somme de 540 F représentant la valeur de
vivres qu'il devait à celle-ci pendant 03 amlées par lui passées à l'étranger; que ce jugement
dont appel n'a pas été interyeté est aujourd'hui définitif; que par conséquent, quant à cette
somme, il y a chose jugée et il n'y a pas lieu de s'occuper de ce fait.
II - En ce qui concerne la somme de 400 F :
Attendu que cette somme a servi à l'entretien du ménage du mois de mai au mois
de décembre 1896, soit pendant 08 mois; qu'il était convenu que 30 F devaient être prélevés
chaque mois pour cet entretien, ce qui pour 08 mois donne un total de 240 F ; qu'il ne reste
donc plus en la possession de l'intimée qu'une somme de 160 F dont elle doit le
remboursement.
III - En ce qui concerna la somme de 100 F :
Attendu que l'appelant reconnaît lui-même qu'il en avait fait don à sa belle-mère;
que, de plus, cette dernière n'est pas en cause dans l'espèce.
IV - En ce qui concerne les meubles
Attendu que Coura Guèye reconnaît le bien-fondé de la demande de Malick
Diop et se déclare prête à lui faire la remise desdits meubles;
Par ces motifs:
Reçoit l'appel attendu qu'il est régulier;
Au fond:
Confirme le jugement dont est appel en ce qui concerne le divorce prononcé
entre les parties;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la somme de 540 F attendu qu'il y a chose jugée;
Ordonne Coura Guèye à payer à Malick Diop: 1°_ la somme de 60 F, solde
restant dû sur la dot qui lui avait été contractée par son mari; 2°_ celle de 160 F reliquat de
la somme de 400 F versée pour l'entretien du ménage.
Ordonne la restitution des meubles apportés par Malick Diop dans le domicile
conjugal lors du ménage.
Déboute ce dernier du surplus de sa demande.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par le Conseil Supérieur d'Appel
Musulman séant à Saint-Louis en son audience ordinaire du 01 mai 1897.
(Signature)

383
JUGEMENT N° 29
A.T.M.S. R.1935
Dame Malado Y. cl Seydou A.
L'an Mil neuf cent trente cinq et le neuf mars,
Par-devant nous, Amadou Ndiaye Anne suppléant du Cadi Président du
Tribunal Musulman Assisté du Greffier Seck Amat siégeant en audience publique à l'effet
d'examiner et de juger l'affaire pendante entre le sieur Seydou A. et sa femme Malado Y.
La parole ayant été donnée à la plaignante, celle-ci déclare qu'elle a été
abandonnée par son mari depuis 13 mois et qu'elle demande à la justice de statuer sur son
sort.
Cette affaire a déjà fait l'objet de plusieurs lettres notamment celle n° 2 du
3010111935 par laquelle il a été accordé au mari un délai d'un mois pour entretenir sa femme
régulièrement. De même, il a été accordé à la femme le même délai à l'expiration duquel elle
est venue prêter serment pour confirmer son manque d'entretien et pour choisir entre le
mariage et le divorce;
Le tribunal ouï la plaignante et vu les lettres nO 2 du 3010111935 et 31 du
09/0211935;
Attendu que d'après la Loi Musulmane, quand une femme se plaint du manque
d'entretien de la part de son mari absent et demande à être séparée de lui, on lui impose un
délai à l'expiration duquel la répudiation a lieu à condition qu'elle prête serment car elle a le
droit d'option;
Attendu que d'après Sidi Khalil, ce genre de délai varie suivant la conscience du
juge et l'état où se trouve la femme;
Attendu que la femme a prêté le serment prescrit pour confirmer son manque
d'entretien depuis 09 mois et qu'elle a opté pour le divorce;
Par ces motifs ; déclare dissous aux torts et dépens du mari, le mariage ayant
existé entre le sieur Seydou A. et la nommé Malado Y ;
Ordonne à cet dernière de rentrer dans sa Idda (la retraite légale).
Le Cadi

384
JUGEMENT N° 30
A.T.M.S. R.1935
Dame Rama D. cl Samba D.
L'an Mil neuf cent trente cinq et le sept septembre,
Par~devant nous, Amadou Bou El Mogdad dit Aynina Seck, Cadi Président du
Tribunal Musulman, assisté de El H. Samba Fall, siégeant en audience publique à l'effet
d'examiner et de juger l'affaire pendante entre la nommé Rama D. et son mari Samba D.
La parole ayant été dOilllée à la plaignante, celle-ci déclare qu'elle a été
abandonnée par son mari depuis un an et qu'elle demande à la justice de statuer sur son sort.
Cette affaire a déjà fait l'objet de notre lettre nO 167 du 05/07/1935 par laquelle
le tribunal avait accordé au mari un délai d'un mois pour entretenir régulièrement sa femme,
de même qu'il a accordé à celle-ci le même délai à l'expiration duquel elle est venue prêter
serment pour confirmer sa déclaration;
Le tribunal ouï la plaignante et vu la lettre précitée;
Attendu que d'après la Loi Musulmane, quand une femme se plaint du manque
d'entretien de la part de son mari absent et demande à être séparée de lui, on lui impose un
délai à l'expiration duquel la répudiation a lieu, à condition qu'elle prête serment, car elle a le
droit d'option;
Attendu que d'après Sidi Khalil, cc genre de délai varie suivant la conscience du
juge et l'état où se trouve la femme;
Attendu que la fen'une a prêté le sennent prescrit pour confirmer son manque
d'entretien depuis un an ;
Par ces textes et motifs;
Déclare dissous aux torts et dépens du mari, le mariage ayant existé entre le
sieur Samba D. et la dame Rama D. ; ordonne à celle-ci de rentrer dans sa Idda (retrait
légale).
Le Cadi

385
JUGEMENT N° 31
A.T.M.S. R.1935
Dame AYssatou G. cl Papa M.
Par-devant nous, Amadou Bou El Mogdad dit Aynina Seck, Cadi Président du
Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du greffier El H. Samba Fall, siégeant en
audience publique à l'effet d'examiner et de juger l'affaire pendante entre la nommée
Aïssatou G. et son mari Papa M.
La parole ayant été donnée à la plaignante, celle-ci déclare qu'elle a été
abandonnée par son mari depuis le deux (2) avril 1932 et qu'elle demande à la justice de
statuer sur son sort.
Cette affaire a déjà fait l'objet de plusieurs lettres notamment celle n° 187 du 29
août 1935 par laquelle le tribunal avait accordé au mari un délai de 15 jours pour entretenir
régulièrement sa femme. De même, il a été accordé à celle-ci le même délai à l'expiration
duquel elle est venue prêter sennent et présenter les témoins Amadou Tine âgé de 55 ans et
Ousseynou Diagne âgé de 54 ans.
Le tribunal ouï la plaignante et vu la lettre n° 187 du 29 août 1935.
Attendu que d'après ]a Loi Musulmane quand une femme se plaint de manque
d'entretien de la part de son mari absent et demande à être séparée de lui, on lui impose un
délai à l'expiration duquel ]a répudiation lui est accordée, à condition qu'elle prête sennent,
car elle a le droit d'option;
Attendu que la femme a prêté le sennent prescrit pour continner son manque
d'entretien depuis le 2 août 1932 ;
Par ces motifs;
Déclare dissous aux torts et dépens du mari le mariage ayant existé entre le sieur
Papa Mari Nguère et la dame Aïssatou Guèye.
Le Cadi

386
JUGEMENT N° 32
A.T.M.S. R.1935
Epoux Martin S. et Khady S.
L'an Mil neuf cent trente cinq et le douze janvier;
Par-devant nous, Amadou Ndiaye Anne suppléant du Cadi Président du
Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du Greffier Seck Amat, siégeant en audience
publique à l'effet d'examiner et de juger l'affaire pendante entre la nommée Khady S. et son
mari Martin Sylla, tous deux demeurant à Saint-Louis.
La parole ayant été donnée à la plaignante, celle-ci déclare : je me suis mariée
avec le nommé Martin Sylla. A l'heure actuelle, je ne peux plus continuer le mariage et voici
les 1.000 francs de dot qu'il avait versés".
Invité à répondre, le défendeur déclare: "Je refuse d'accorder à ma tèmme la
liberté, car je continue le mariage".
Sur interpellation du tribunal, les parties persistent dans leurs déclarations.
Le Cadi fait remarquer que cette affaire a déjà fait l'objet de la lettre n° 87 du
13/10/34, par laquelle le nonuné Martin S., alors commerçant à Conakry, a été invité à
entretenir sa femme qu'il avait abandonnée depuis 2 ans malgré les quatre enfants issus de
leur union.
Par la même lettre, un délai d'un mois lui a était accordé pour améliorer la
situation de sa fenune, passé lequel délai un jugement devait intervenir en faveur de celle-ci.
A l'expiration du délai, le mari n'avait tàit aucun signe de vie et le tribunal
conformément à la procédure musulmane suivie en pareils cas, avait invité la femme à prêter
le serment pour confirmer sa déclaration quant au manque de nourriture et d'entretien et
ensuite pour choisir entre le mariage et le divorce.
La nommée Khady S. n'avait pas voulu prêter le serment prescrit, préférant
attendre l'arrivée de son mari pour lui rembourser la dot, quitte à être libre.
Le tribunal ouï les deux parties et après en avoir délibéré a rendu le jugement
suivant.
Attendu que le nommé Martin Sylla a abandonné sa femme Khady S. pendant 2
ans;
Attendu que celle-ci ne pouvant plus continuer le mariage, a remboursé la dot;
Attendu que d'après Saadou Ghounous", la fenune qui ne désire plus continuer
le mariage peut rembourser la dot pour avoir sa liberté;

387
Attendu que d'après "Rouhoul Bayane" commentaire du Coran, cette façon
d'agir est acceptable;
Considérant que le nommé Martin S. a eu quatre enfants mineurs avec la
nommée Khady S. ;
Par ces textes et motifs;
Déclare dissout le mariage ayant existé entre le sieur Martin Sylla et la dame
KhadyS. ;
Ordonne à la fenmle de rentrer dans sa Idda, retraite légale;
Condamne le nommé Ma...'tin Sylla à pourvoir mensuellement à la nourriture de
ses 4 enfants qui resteront sous la garde de leur mère jusqu'à leur majorité.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement à Saint-Louis du Sénégal les jours,
mois et an que dessus.
Le Greffier
Le Suppléant
El Hadji Samba Fall
(Signature)

388
ARRET N° 33
Cour d'Appel de Dakar
Arrêt du 2 août 1935
Affaire musulmane
Martin S. cl Khady S.
Considérant que la dame Khady S. se prétendant abandonnée par son mari le
sieur Martin S. qui la laissait sans moyens d'existence, a fait convoquer ce dernier devant le
Tribunal Musulman de Saint-Louis afin d'entendre prononcer le divorce; que, par jugement
en date du 12 janvier 1935 dont est appel, le tribunal a fait droit à sa demande, a déclaré
dissous le mariage ayant existé entre les parties; a ordonné que la femme entrerait dans sa
idda, a condanmé Martin S. à pourvoir mensuellement à la nourriture de ses quatre enfants
qui resteraient sous la garde de leur mère jusqu'à leur majorité.
Considérant que pour se prononcer ainsi, le Tribunal Musulman de Saint-Louis
a, en fait, constaté que Martin S. a abandonné sa femme Khady S. pendant 2 ans ; que celle-
ci ne voulant plus vivre avec son mari a remboursé la dot et en droit, à fait application de
Sandoun Thounons et des commentaires de Rouhoui Bayana ;
Considérant en droit que les citations faites par le premier juge, les susdits
ouvrages sont sans intérêt dans la cause, ces ouvrages n'étant pas d'application plus spéciale
dans le rite malékite que dans les rites qui sont ignorés en AO.F. ; que la seule doctrine qui
puisse être invoquée en AOF est celle des auteurs du rite malékite;
Considérant que le premier juge déclare que par lettre du Cadi de Saint-Louis
DU 13 NOVEMBRE 1934, Martin S., alors commerçant à Conakry, a été invité à entretenir
sa femme et qu'un délai lui était accordé pour améliorer la situation de sa femme; passé
lequel délai un jugement devait intervenir en faveur de celle-ci; qu'à expiration de ce délai,
le mari n'avait donné aucun signe de vie; que le Tribunal avait invité la femme à prêter le
serment pour confiImer sa déclaration quant au manque de nourriture et d'entretien et de
choisir entre le mariage et le divorce...
Que la dame Khady S. n'avait pas voulu prêter le serment, préférant attendre
l'arrivée du mari pour lui rembourser sa dot et être libre.
Mais considérant que rien n'établit que S. ait effectivement reçu la lettre du Cadi
de Saint-Louis du 13 nov. 1934, lui impartissant un délai d'un mois qu'il nie formellement
avoir reçu cette lettre;
Que d'autre part, il justifie avoir, bien qu'étant sans travail à Conakry, envoyé à
sa femme quelques petites sommes d'argent, dans la mesure de ses moyens; qu'il lui
demande à continuer le mariage et s'engage à remplir à l'égard de sa femme les obligations
qui lui incombent; que c'est le cas de faire application des règles énoncées aux vers 630 et
suivants de la Tohfa d'Ibn Acem en
impartissant au mari un délai passé lequel la
répudiation lui sera ordonnée ou le divorce prononcé.

389
JUGEMENT N° 34
A.T.M.S. R.1895
Dame Sakhabané cl Momar Diack
Aujourd'hui, Il novembre 1895, nous Bécaye Bâ, Cadi de la ville de Saint-
Louis et Samba FaU, Greffier du Tribunal séant à ladite ville, avons siégé audit tribunal à
l'effet d'examiner et juger une plainte portée par la nommée Sakhabané contre son mari
Momar Diack.
Au mois d'octobre dernier, la nommée Sakhabané est venue exposer à notre
tribunal les torts de son mari envers elle et s'est plainte qu'il ne lui a donné pendant sept à
huit ans, ni vivres ni vêtements en quantité suffisante ainsi que le veut la Loi Musulmane;
que non content de cela, il a fait enlever de sa chan1bre tous les meubles qu'il lui avait
donnés ne lui laissant qu'un logement nu ; qu'il a accordé la préférence sur elle à ses autres
femmes; qu'enfin, le préjudice qu'il lui a porté est de la nature de ceux qu'une femme ne
peut supporter et qu'il n'a cessé de médire d'elle dans toutes les occasions.
En présence de ces déclarations, avons, le 27 octobre dernier, envoye a
Monsieur Momar Diack un agent l'invitant à comparaître devant notre tribunal à l'effet
d'entendre la plainte de sa femme et d'y répondre. Ledit sieur a opposé refus à notre appel et
bien qu'il fût présent à Saint-Louis, n'a pas comparu depuis le 27 octobre, date de l'appel,
jusqu'à ce jour, expiration du délai à lui accordé pour comparaître.
En conséquence, et vu que l'ouvrage intitulé Tohtà Al Hukam dit: "Lorsque le
plaignant et le prévenu se trouvent dans la même ville, le Cadi envoie un émissaire au
dernier pour l'inviter à comparaître sous peine de se voir condamner par défaut". Que celui
intitulé Moukhtasar Khalil dit: "Si le prévenu est absent de la ville où siège le Cadi, mais ne
s'en trouve qu'à courte distance, celui-ci peut lui envoyer un émissaire ou un appel écrit
revêtu de son timbre".
Que le Saint Coran dit: "que ceux qui sont appelés à comparaître devant la Loi
de Dieu disent nous avons entendu et nous obéissons".
Que la Tohfa dit encore: "Quiconque a reçu j'appel du Cadi et ne s'y est pas
rendu verra l'affaire jugé en dernier ressort en s'appuyant sur la déposition du plaignant et de
ses témoins, et dans ce cas, une comparution du prévenu et de la production de témoins par
lui ultérieurement au jugement sont de nul effet.
Avans, en vertu de ces textes, jugé que la nommée Sakhabané s'est plainte à
raison, et l'avons invitée à produire ses témoins. Elle a, alors, introduit les sieurs Ibrahima
Sylla, Alé Fall et Madiop Bouki, tous trois fort honorables, qui ont déposé avoir maintes et
maintes fois entendu dire que Momar Diack ne cessait de porter préjudice à sa femme dans
ses droits d'épouse.
Khalil a dit
"Un préjudice quel qu'il soit, grand ou petit, est toujours un
préjudice" .

390
D'après l'ouvrage intitulé Al Acimiyya, le préjudice porté par un homme à sa
femme prend corps dès que celle-ci peut produire des témoins ou que la rumeur publique le
redit.
D'après l'ouvrage intitulé "Totaï", le préjudice porté par un mari à sa femme
prend corps dès que des témoins, soit oculaires, soit par ouï dire, en ont témoigné.
La question est pendante de savoir si ces derniers doivent, ou non, prêter
sennent. Mais tous sont d'accord que lorsqu'un seul témoin, par ouï dire, est appelé à déposer
dans une affaire, il doit prêter serment.
D'après (l'ouvrage intitulé) Khourchi, si une femme peut produire des témoins
attestant le préjudice par elle éprouvé, le divorce lui est pennis ; elle a néanmoins la faculté
de se prononcer pour ou contre le divorce. Dans te premier cas, elle doit en faire une simple
déclaration. Dans le second cas, le Cadi doit réplimander le mari avant de les renvoyer.
En conséquence, nous avons demandé à la nommée Sakhabané quelle était sa
décision?
Et sur sa demande, l'avons déclarée divorcée de son mari.
Bécaye Bâ, Cadi
et Samba Fall, le Grefiier

391
ARRET N° 35
A.T.M.S. R.1896
Momar Diack cl Dame Sakhabané
Conseil d'Appel Musulman, Audience du 24/02/1896.
Le Conseil,
Ouï les parties en cause,
Après en avoir délibéré,
Jugeant en matière civile et en dernier ressort.
En la fonne,
Considérant que l'appel dont s'agit est régulier, le reçoit;
Sur les d{fférents moyens de nullité du jugement dont est appel proposé par
Momar Diack ;
Considérant que pour faire déclarer nul et de nul effet le jugement du Il
novembre 1895, l'appelant soulève différents moyens qu'il échet d'examiner;
1°1 En ce qui concerne la citation d'avoir à comparaître devant le Tribunal
Musulman;
Considérant en Droit Musulman qu'aucun texte ne réglemente les [onnalités
auxquelles se trouve assujettie la citation d'avoir à comparaître devant le Cadi ; que celle-ci
n'ayant d'autre objet que d'avertir la personne citée des faits qui lui sont imputés pour fournir
ses explications, un simple avertissement d'avoir à comparaître devant le Cadi satisfait
amplement au vœu de la loi pour être régulièrement appelé devant le tribunal;
Considérant, en fait, qu'il est constaté dans le jugement dont est appel que sur la
requête de la dame intimée, le Cadi a envoyé à l'appelant le 27 octobre dernier un agent pour
l'inviter à comparaître devant le Tribunal Musulman à )'etIet d'entendre la plainte de sa
femme et d'y répondre et que cet avertissement vaut citation au terme de la loi;
2°/ En ce qui concerne la question de savoir si après cet avertissement, le Cadi
devait conclure de la non-comparution de Mornar Diack à un refus formel de se présenter
devant lui et statuer par défaut;
Considérant que sur ce point, la Loi Musulmane est forn1elle et que la non-
comparution implique un refus de satisfaire à la citation, d'où nécessité pour le juge de
statuer sur les conclusions du plaignant et les dépositions de ses témoins ;

392
Considérant que le Cadi après avoir régulièrement averti Momar Diack de la
plainte déposée contre lui et avoir constaté sa non-comparution ainsi que cela ressort du
jugement dont s'agit a pu valablement adjuger à la dame intimée le dispositif de ses
conclusions;
En ce qui concerne l'irrégularité de l'audition des témoins qui auraient été
entendus sans prestation de serment "
Considérant qu'en droit Malékite, le tribunal a le pouvoir de dispenser du
serment les témoins d'une honorabilité et d'une impartialité notoires;
Que dès lors, le Tribunal Musulman en constatant l'honorabilité des témoins
produits par la dame intimée et en les dispensant du sennent, n'a commis aucune violation
pouvant entraîner la nullité des témoignages entendus;
Au fond;
Considérant que le défaut d'entretien est une cause de divorce;
Considérant que le premier juge a constaté que la dame intimée était fondée dans
sa demande et que, d'autre part, l'appelant ne fournit aucune preuve contraire et adoptant les
motifs du jugement dont est appel;
Par ces motifs;
Déclare le sieur Momar Diack mal fondé en ses explications et fins de non
recevoir et l'en déboute;
Et statuant au fond;
COllfim1e purement et simplement le jugement dont est appel;
Ainsi fait, jugé et prononcé publique par le Conseil d'Appel séant à Saint-Louis
en son audience du 24/0211896.

393
JUGEMENT N° 36
A.T.M.S. R. 1896
Maïmouna Seck cl Ahmad Sakho
Aujourd'hui, le 18-12-1896, par-devant nous, Cadi Bécaye Bâ, assisté du greffier
Samba Fall, avons siégé au Tribunal Musulman de Saint-Louis, à l'effet de juger l'affaire
survenue entre la nommée Maïmouna Seck et son mari Ahmad Sakho, la femme a déclaré
que son mari n'a pas eu de rapports intimes avec elle au cours de leur première nuit et de plus
il l'accuse de u'être pas vierge.
Le mari interpellé, a répondu que la femme l'a accusé d'être impuissant et a
propagé la nouvelle, d'où sa riposte: il l'accuse à son tour de ne pas être vierge. Nous lui
avons demandé de dire s'il a vraiment eu des relations intimes avec elle et il dit non. Nous
demandons le pourquoi à la dame, celle-ci répond qu'elle ne s'y refuse pas en tout cas et elle
ajoute que si le mari veut avoir des rapports avec elle, il n'a qu'à venir avec des témoins.
Nous avons alors dit à celui-ci: "avez-vous entendu ce qu'a dit votre épouse ?", il répondit
oui mais il ajoute qu'il ne peut présentement répondre à l'appel de sa femme sur-le-champ. il
nous paraît dès lors évident qu'il était impuissant.
Par conséquent, nous lui accordons un délai d'un an afin qu'il traverse les quatre
saisons de l'année. Nous le condamnons ensuite à entretenir sa femme pendant ledit délai
comme l'enseigne le livre intitulé Aqrab Al Massalik, lequel dit que le délai à accorder au
mari impuissant libre est un an ; tandis qu'au mari impuissant esclave, on n'en accordera que
la moitié.
Le Cadi

394
JUGEMENT N° 37
A.T.M.S. R.1888
Fatimata Thioye cl Mandiaye Lébou
Aujourd'hui, 14 septembre 1889 (...) ;
Le tribunal s'est réuni à l'effet d'examiner et de juger l'affaire pendante entre le
nonuné Mandiaye Lébou et sa femme Fatimata Thioye déclarée encore vierge. Le père de
cette dernière a intenté une action devant nous prétendant que le mariage de sa fille n'a
toujours pas encore été consommé. Le mari interpellé a avoué qu'il ne peut à présent
accomplir le coït, mais qu'il ne s'est jamais senti impuissant. Après avoir entendu les
prétentions des parties et vu que le mali a lui-même implicitement avoué son impuissance,
par conséquent, nous décidons de lui assigner un délai comme l'a bien dit Abou
Mouhammad dans sa Rissala : "à l'impuissant, on accorde un délai d'un an", dans le but de le
voir traverser les quatre saisons de l'année.
Le Cadi
JUGEM.ENT N° 38
A.T.M.S. R.1898
Alkhafiza cl Koumba Râ
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis a prononcé le divorce entre le nommé
Alkhafiza le matelot et Koumba son épouse. AUCLU1 délai n'a été accordé au mari qui a
publiquement avoué son impuissance sexuelle. La femme a, quant à elle, renoncé à réclamer
le reliquat de sa dot estimée à 30 dh. Les deux époux sont séparés ; la fenune est
actuellement dans son idda (retraite légale).
Le Cadi

395
ARRETN° 39
COUR D'APPEL DE DAKAR
Arrêt du 6 décembre 1935
Femme Aïssatou W. cl Elimane Y.
Considérant qu'Ehmane Y. a, en appel, comme en première instance, dénié
formellement qu'il était impuissant et s'est offert à adrnjnistrer, conformément à la coutume
musulmane, la preuve de sa vin lité;
Considérant que c'est à tort que le Cadi de Rufisque a prononcé au bénéfice du
mari un sursis d'un an avant de statuer sur la demande de la femme; que ce sursis n'aurait été
justifié, confomlément à la coutume coranique, que si le mari, faisant l'aveu de son
impuissance sexuelle, avait déclaré son intention de se tàire soigner et demande un délai
pour ce traitement; que bien au contraire, le mari a, en l'espèce, affimlé la fausseté des
allégations de la femme, et prétend n'être pas impuissant;
Considérant que, dans ces conditions et conformément à la coutume coranique
locale, il incombait au Cadi d'ordonner au mari de faire, dès à présent, la preuve de ses dires
par un des "modes prévus par la coutume" : le congrès des matrones, le beurre rouge ou le
serment;
Considérant que la Cour estime que le troisième mode est préférable. (
?)
JUGEMENT N° 40
A.T.M.S. R.1894
Dame Magate cl Sieur Ankam
Aujourd'hui, le 11-02-1894, par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr assisté du
Greffier Samba FaU, avons siégé afin de juger l'affaire pendante entre le sieur Ankam et son
épouse Magate qui ont porté leur litige devant nous. La femme prétend que son mari est
atteint d'impuissance sexuelle parce qu'elle est restée auprès de lui quelques mois sans que
celui-ci ne puisse coïter avec elle.
Le mari interpellé, a nié les déclarations de la femme et a affirmé qu'il a bel et
bien accompli le coït avec ellc comme le ferait tout mari avec sa femme.
Après avoir entendu les paliies, il nous a paru nécessaire de les introduire dans
une chambre et de leur préparer une natte. NOliS défiâmes alors le mari à accomplir le coït
avec sa femme s'il en était capable comme il le prétendait. C'est en ce moment là qu'il se
résolut à abandonner ses prétentions et à avouer son impuissance sexuelle.
Par conséquent, nous le condanmons à compléter la dot due à sa femme.
Le Cadi

396
JUGEMENT N° 41
A.T.M.S. R.1894
Sada G. cl Dame Haly D.
Aujourd'hui, le 17-02-1894, par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr, assisté du
Greffier Samba Fall, avons siégé au Tribunal Musulman de Saint-Louis à l'effet de juger
l'affaire survenue entre le nommé Sada Gaye et son épouse Haly Diop. Les deux époux ont
p011é leur affaire devant nous ; le mari exigeant que ses beaux-parents lui remettent sa
femme ; la femme prétendant au contraire, avoir été bien remise au mari qui n'a pu
accomplir le coït avec elle.
Après avoir entendu les déclarations des parties, il s nous a paru évident que la
fenune accusait le mali d'être impuissant. Nous avons interpellé ce dernier qui a nié les
accusations de sa femme et a prétendu être bien capable de coïter. Nous avons ordonné aux
deux époux de rentrer dans une chambre avec des témoins à l'affût, et ils ont accepté. Mais
lorsqu'ils sont rentrés dans la chambre, la femme a refusé de se coucher, ce qui nous a fait
comprendre que ses accusations ne sont pas fondées. Nous l'avons condamné par
conséquent, soit à restituer la dot au mari, soit à regagner le domicile conjugal.
Le Cadi
JUGEMENT N° 42
A.T.M.S. R.1959
Mme Ndiaye cl Mbagnick B.
L'an 1959 et le cinq décembre, par-devant nous Samb Majhtar, suppléant du
Cadi Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis assisté du Greffier ad hoc Diaw
Adama, avons siégé en audience publique à l'effet d'examiner la plainte fommlée par la
dame Ndiaye contre son mari Mbagnick B., gérant de "Sécco" à Kaolack.
La plaignante a déclaré : "mes parents ont invité mon mari Mbagnick B. à
consommer notre mariage. Il est venu ici hier avant la Tabaski pour les noces. Nous avons
eu l'occasion de rester ensemble plusieurs jours et il n'a accompli Lille seule fois un rapport
intime correctement. Il emploie la main pOlIT me chatouiller. Il déclare qu'il a le "khala",
sorte d'émotion qui empêche l'érection et l'acte sexuel... Attribuant à mes gris-gris la cause
de ses difficultés, il me les a tous enlevés avec ma pennission... Ayant encore déclaré que je
n'ai pas consenti aux rapports, mon frère, pour m'ôter toute résistance, m'a tellement battue
que j'en suis devenue malade. Mon mari prétexta ensuite que je n'étais pas vierge avant
d'avouer qu'il était impuissant et me supplia de ne pas le déshonorer et de confIrmer que
nous avons enfin des rapp0l1s. n m'a alors offert le lendemain le cadeau d'usage (valise
d'effets de toute sorte, 10.000 F, etc.). Pour moi, malgré le magnifique présent, l'essentiel

397
n'est pas encore fait. Je demande le divorce parce que je ne puis rester sans mari et encore
moins de m'unir pour la vie avec un homme pour la fonne.
Le défendeur non comparant ni représenté malgré quatre convocations au
tribunal, déclara qu'il a eu durant une semaine deux rapports avec sa femme qui n'est pas
vierge. Il demanda une expertise médicale pour confirmer sa déclaration. Il réclama son
épouse au domicile conjugal, un an de délai pour essai et proposa de tout perdre si, à l'issue
de cette période, il ne pouvait la satisfaire.
Convoqué plusieurs fois en vain, il finit par accepter le divorce en déclarant dans
une lettre: "Je tiens à faire comprendre que je n'ai aucune épouse à Saint-Louis, je n'ai que
mon argent, c'est-à-dire le remboursement de la dot".
Le tribunal, ouï la demanderesse, vu les pièces du dossier, après avoir délibéré, a
rendu le jugement suivant:
Attendu que d'après la Tohfa (vers 462), si l'infinnité du mari est l'impuissance
ou la lèpre et qu'il soit cité devant le Cadi, le magistrat lui accordera le délai d'tme année
entière. Et il faut que le mari l'accepte, s'il nie les déclarations de sa femme, il faut un
sennent pour les réfuter. S'il prête sem1ent, on lui dOlme sa femme; s'il refuse, le mariage est
dissout;
Attendu que d'après S. Kha1il, la totalité de la dot est due par suite de l'acte
sexuel ou du refus par le mari de consommer le mariage;
Le tribunal maintient le divorce prononcé par le sieur Mbagnick B.
dit
qu'aucun remboursement ne sera effectué;
Condamne le sieur Mbagnick B. à payer à la dame Faguèye la somme de 21.000
F pour frais d'entretien durant 7 mois.
Le Cadi

398
~TUGEMENT N° 43
A.T.M.S. R.1958
Aïssatou C. cl Gaye L.
L'all 1958 et le 03 mars, par-devant nous Samb Majhtar, suppléant du Cadi,
Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du Greffier Assane SaIT, à l'effet
d'examiner et de juger la plainte formulée par la dame Aïssatou C. contre son mari Gaye L.
cultivateur demeurant à Mékhé.
La parole ayant été donnée à la dame, celle-ci a déclaré: "voilà quatre ans que
mon mari ne s'occupe pas de moi . .T'ai besoin d'être à côté de mon mari. Je peux rester sans
mari. Je ne réclame aucun arrérage,je demande purement et simplement le divorce",
Le tribunal ouï la demanderesse, vu la correspondance relative à ce sujet et après
en avoir délibéré, a rendu le jugement suivant.
Attendu qu'il résulte des débats que la dame Aj'ssatou C. se plaint du manque de
rapports sexuels avec son mali dw-ant quatre ans;
Attendu qu'eUe déclare que ce manque de rapports peut avoir de mauvaises
conséquences;
Attendu que d'après la Tohfa, la femme, si elle est l'objet de sévices, peut obtenir
sa liberté sans aucun remboursement de sa part et le mari est obligé dans ce cas de lui payer
sa dot.
Attendu que la danse Aïssatou C. a opté pow-le divorce;
Le tribunal déclare dissout le mariage ayant existé entre les époux; ordonne à la
dame d'entrer dans sa idda.
Le Cadi

399
JUGE~IENT N° 44
A.T.M.S. R. 1960
Dame Fatma S. cl Demba D.
Par-devant nous Sanlb Majhtar, Cadi de Saint-Louis et le Greffier Diaw Adama,
avons siégé à l'audience du 24-2-1960 à l'effet d'examiner la plainte de la dame Fatma S.
demeurant à Saint-Louis contre son époux Demba D.
La demanderesse comparant déclare que son époux ex-militaire est allé en
Guinée depuis février 1957 à la mort de son fière dont il a hérité des femmes. « Etant restée
des années à ma charge, il m'a abandonnée pendant que j'étais enceinte d'un mois environ.
Depuis son départ, soit environ 36 mois, il n'a pas écrit. Je suis une simple femme et ne puis
rester sans cohabitation ni entretien. Je réclame 36 mois d'arriérés d'entretien et la dissolution
du mariage».
Le tribunal, ouï la demanderesse, vu les pièces du dossier, a rendu le jugement
suivant:
Attendu que la femme peut demander et obtenir le divorce contre son mari sans
rembourser la dot lorsqu'elle est l'objet de sévices, mauvais traitements, manque de rapports
sexuels;
Attendu que pour tout ce qui touche à la pension alimentaire, la fixation est
laissée à l'appréciation du juge;
Attendu que le juge fixe la pension alimentaire à 2.000 F par mois;
Par ces motifs, le tribunal dissout le mariage ayant existé entre le sieur Demba
D. et la dame Fatma S.
Le Cadi

400
JUGEMENT 0 45
A.T.M.S. R.1970
Dame Salma D. cl Diakhaté Y.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique du 26 nov.
1970 concernant le litige survenu entre la nommée Salma D. et son mari Diakhaté Y. ; à
l'appel de la cause, la demanderesse déclare en personne: "Depuis 4 ans, mon mari Diakhaté
y. est parti à destination inconnue me laissant deux enfants dont l'un est décédé depuis
l'année dernière; je suis jeune, je ne peux rester sans rapports sexuels, je demande que le
tribunal m'accorde le divorce pour sévices".
Sur quoi, le tribunal après avoir délibéré, conformément à la loi, a statué en ces
termes:
Attendu qu'il est étabii par les débats que la nommée Salma D. déclare que
depuis 4 ans, son mari est parti à destination inconnue lui laissant 2 enfants dont l'lm est
décédé;
Attendu que la dame Salma D. déclare qu'elle est jeune et ne peut rester sans
rapports sexuels, demande qne le tribunal lui accorde le divorce pour sévices;
Attendu que la dame Salma D. a foumi 2 témoins qui peuvent appuyer ses
déclarations;
Attendu que d'après Khalil, la femme peut obtenir le divorce contre son mari
lorsqu'elle est l'objet de ses sévices (manque d'entretien, manque de cohabitation et manque
de rapports sexuels) ;
Attendu que la plaignante est l'objet de tous ces sévices de la part de son mari ;
Par ces motifs, statuant par défaut, le tribunal déclare dissout le mariage ayant
existé entre Salma D. et Diakhaté Y. ; ordonne à celle-ci d'observer le délai de retraite légale
(ldda).
Le Cadi

401
JUGEMENT N° 46
A.T.M.S. R.1972
Dame Khady L. cl Talla S.
Par-devant nous, Cadi, Président Samb Majhtar, assisté du greffier, avons siégé
à l'audience du 15-3-72 à l'effet d'examiner la plainte de la nommée Khad L. contre son mari
Talla S.
A l'appel de la cause, la demanderesse a déclaré : "Depuis 30 mois, mon mari
Talla S. n'a pas assuré mon entretien et durant 3 mois, mon mari n'a plus voulu se mettre en
rapports avec moi. Quand je me couche avec lui sur le même lit, il faisait des gestes jusqu'à
me faire tomber par telTe. Le mari interpellé, déclare qu'il n'avait pas refusé le rapport sexuel
avec sa femme mais c'est elle qui avait abandonné le domicile conjugal malgré qu'il lui avait
remi s un cadeau de conciliation.
Attendu qu'il est établi par les débats que la nommée Khady L. déclare que
depuis 30 mois, son mari n'a pas assuré son entretien ni celui de ses enfants;
Attendu que la femme déclare que si elle couche avec son mari sur le même lit,
celui-ci la fait tomber par terre;
Attendu que la nommée Khady L. dit que c'est par mauvais traitements qu'elle
avait abandonné le domicile conjugal;
Attendu que la mère de la plaignante dit qu'une fois, son beau-fils était de
passage chez elle mais sa fille Khady L. lui avait signalé qu'il n'y avait aucun rapport sexuel
entre eux;
Par ces motifs, le tribunal condamne Talla S. à payer à sa femme Khady L. la
somme de 30.000 F représentant l'entretien dû pendant 30 mois.
Donne un délai de 2 mois au mari Talla S. pour que sa femme Khady L. regagne
le domicile conjugal.
Le Cadi

402
JUGEMENT N° 47
A.T.M.S. R.1931
Dame Mou1aye L. cl Papa L.
L'an 1937et le 7 juillet, par-devant nous Amadou Ndiaye Hanne, suppléant du
Cadi Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du Greffier El Hadj Demba
FaIl siégeant en audience publique à l'effet d'examiner et de juger l'affaire pendante entre la
dame Moulaye L. et son mari Papa L..
La parole ayant été donnée à la plaignante, celle-ci déclare : "Depuis quelque
temps, mon mari m'a privée de mon entretien et de mes 2 nuits malgré plusieurs démarches
et il n'a pas voulu changer de conduite. C'est pour ce motif que je viens m'adresser à la
justice. Le lTIari interrogé, déclare: "Dans les lTIois passés, je donnais à ma femme 50 kg de
riz avec une certaine SOlrmle d'argent pour aIler au marché, mais après avoir pris mon repas,
j'ai eu mal au vente et à la suite d'une simple observation, eIle m'a manifesté le désir d'aIler
voir sa mère et à cet effet, elle m'a demandé de lui faire ses préparatifs; c'est sur ce point où
nous étions d'accord.
Le tribunal ouï les 2 parties et après avoir délibéré a rendu le jugement suivant:
Attendu que d'après la Loi Musulmane, le mari doit entretenir sa femme suivant
ses moyens et la traiter au même pied d'égalité avec ses rivales;
Attendu que d'après la Loi Musulmane, la femme doit obéir à son mari ;
Attendu que la femme demande son entretien et les nuits auxquelles eIle a droit;
Le tribunal condanme le mari à donner à sa felmne son entretien ainsi que les
nuits auxquel1es elle a droit; ordonlle à la femme de suivre son mari et à satisfaire à tous ses
devoirs conjugaux.
Le Cadi

403
JUGEl\\fENT N° 48
A.T.M.S. R.l804
Dame Mmy Sy cl Gallo
Aujourd'hui, le 02/02/1804, par-devant nous le Cadi de Saint-Louis et ses
environnements dépendant du gouvernement français;
La nommée Mary Sy, la fille de Bathie Sy a porté plainte contre son mari Gallo;
elle déclare que depuis un an, elle ne voit pas son mari ni le jour ni la nuit et il n'assure pas
son entretien; elle ne pOUlTait donc plus, dit-·elle, cohabiter avec lui dans ces conditions.
Le mari interrogé, invoque son indigence. Et nous avons demandé quand est-ce
qu'il pourra assurer à sa femme sa Nafaqa et il nous dit que ]'un de ses femmes est en train de
lui vendre une charge de pirogue en bois au quartier Guet Ndar. Nous ordonnons de partager
ce bois entre ses deux épouses et il refuse, ce qui confirme alors les déclarations de sa
femme.
Par conséquent, nous lui accordons un mois de délai pour nourrir son épouse et
lui accorder ses tours de nuit ou, à défàut, de la répudier. Il déclare que le choix (Al Khiyal)
entre le divorce et le maintien du mariage est laissé à sa femme. Cette dernière a choisi le
divorce, et nous le lui avons accordé.
Le cadi
JUGEMENT N° 49
A.T.M.S. R.l887
Fatou Gaye cl Maïssa Ndiaye
Aujourd'hui, le 04 novembre 1887, par-devant nous, Cadi Ndiaye SaIT assisté du
Greffier El H. Omar Ndiaye, avons jugé à l'effet d'examiner le litige survenu entre la
nommée Fatou Gaye qui a porté plainte contre son mari Maïssa Ndiaye déclarant que celui-
ci a cessé de passer la nuit chez elle et de la nourrir depuis trois mois.
Le mari interrogé, répond que les plaintes de sa femme au sujet de sa Nafaqa
sont fondées parce que cela est dû à son indigence. Par contre, le fait qu'il passe désonnais
exclusivement la nuit chez sa rivale eST dû à sa mauvaise langue et il évite qu'il y ait une
altercation entre eux.
Après avoir examiné l'affaire, nous nous sommes rendu compte que c'est le mari
qui a en tort pour avoir privé sa femme des nuits auxquelles elle a droit.
Nous leur proposons de se réconcilier et ordonnons au mari de payer la
nourriture présente, ce qu'il a accepté; mais la femme a demandé le divorçe sans condition,
c'est-à-dire sans restitution de dot, ni réclamation de kali (reliquat de la dot) de sa part ; le
mari a accepté cette condition; et le mariage est dissout.
Le Cadi

404
JUGEMENT N° 50
A.T.M.S. R.1932
Dame Mbénaye cl Sieur Touré
L'an 1932 et le 3 novembre;
Par-devant nous, Amadou Ndiaye Hanne, Cadi Président du Tribunal Musulman
de Saint-Louis assisté du Greffier El H. Demba FaU siégeant en audience publique à l'effet
de juger J'affaire pendante enh'e la dame Mbénaye contre son époux Touré.
La parole ayant été dOlmée à la plaignante, celle-ci dit que son mari à qui elle a
même présenté des excuses, l'a abandonnée et est resté chez sa rivale malgré qu'elle est en
état de grossesse. Elle réclame ses nuits et son entretien.
Le mari interrogé, dit qu'il est malade et préfère rester chez lui.
Le tribunal ouï les paI1ies, a rendu le jugement suivant:
Attendu que la Loi Musulmane permet que quand le mari a plusieurs femmes et
tombe malade, il a droit de rester dans la chambre de celle qui s'intéresse le plus à sa santé et
qui lui donne plus de soins;
Par ces motifs, le tribunal ordonne au sieur Touré de rester chez sa première
femme pendant sa maladie et d'assurer J'entretien de Mbénaye.
Le Cadi

405
,JUGEMENT N° 51
A.T.M.S. R.1904
Aminata Fall cl Yatma Fal1
L'an 1964 et le OS août, par-devant nous, Cadi Aynina Seck et le Greffier avons
siégé à l'effet de juger le litige survenu entre la nommée Aminata Fal1 et Yatma Fal1.
La parole ayant été dOlmée à la plaignante, cel1e-ci déclare que son mari Yatma
Fall l'a affranchie voilà 7 ans passés, et ils ont deux enfants de leur mariage. Le plus petit est
sevré depuis l'année dernière et depuis le mois de mai jusqu'à aujourd'hui il ne lui a pas
donné la nourriture ni les vêtements. Elle demande le divorce. La parole ayant été donnée à
Yatma Fall, celui-ci déclare avoir accepté le divorce à condition que les deux enfants restent
sous sa garde. La mère accepté également à lui remettre les enfants.
Le tribunal ouï les parties et après en avoir délibéré a rendu le jugement suivant:
(...) Ordonne à la femme Aminata Fall d'entrer dans sa Idda (retraite légale) et
ordonne au mali Yatma Fall de prendre les enfants.
Le Cadi
Cour d'Appel de Dakar
Arrêt du 18 janvier 1934
Affaire Musulmane
Demba Bâ cl Marie Diop
Adoptant les motifs du premier juge et considérant que c'est à tort que l'appelant
prétend avoir droit à la garde de l'enfant issu du mariage aujourd'hui dissout par le divorce
par consentement mutuel prononcé sur l'initiative de la femme.
Qu'il n'existe dans la coutume suivie tant à Saint-Louis qu'à Dakar et confonne
sur ce point à la loi coranique du lite malékite, aucune différence entre les effets de la
répudiation de la ferrmle par le mmi et ceux de la dissolution du mariage par consentement
mutuel, sur la garde de l'enfant en bas âge, laquel1e est confiée à la mère tant qu'il n'existe
pas chez celle-ci des causes d'incapacité.

406
Cour d'Appel de Dakar
AlTêt du 03 mai 1929
Affaire Musulmane
Attendu, en effet, qu'il est de règle en droit musulman qu'à la suite du divorce ou
du veuvage, le droit de garde (Hadana) revient à la mère et dure jusqu'à la puberté du garçon
ou pis, jusqu'au mariage consommé de la fille; quand la mère meurt ou se remarie, ce droit
passe à la grand-mère maternelle puis à la tante maternelle (cf. KhaliJ, MaIiage et
répudiation, p_ 2182).
JUGEMENT N° 54
A.T.M.S. R.1878
Aujourd'hui le 09/11/1878 ;
Ce litige est survenu entre les nommés Almlad Diémé et Marian1 Kah. Le
premier a fonnulé sa plainte déclarant que son fi-ère Babacar Philipe avait épousé la dame
précitée et a eu avec elle un enfant nommé Ahmad B., mais après son décès, il a réclamé
l'enfant à sa mère qui a refusé de le lui remettre.
La parole ayant été dOlmée à la dame, celle-ci déclare que cela est vrai, mais je
réclame d'abord ma dot et tant qu'on ne me l'aura pas donnée, je ne remettrai pas l'enfant.
Nous lui avons posé la question de savoir si son défunt mari avait laissé de
l'argent et elle nous répond par la négative. Nous avons dès lors estimé que la dot devrait
nonnalement provenir des biens du mari, mais puisque ce dernier est mort indigent, son
paiement n'incombe pas à ses frères.
En revanche, le droit de garde d'un garçon revient à son père, puis, à son défaut,
à son frère comme l'enseignent les Fouqahas.
Par conséquent, nous avons ordoIDlé à la dame de remettre cet enfant au sieur
Ahmad Diémé, le frère de son mari.
Le Cadi

407
JUGEMENT N° 55
A.T.M.S. R.l88l
Par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr, Cadi du Tribunal Musulman de Saint-Louis,
assisté du Greffier Atmane Bâ, avons siégé en audience publique afin de juger le litige
survenu entre les nommés Gnagna Soumata et Sofi Kerane au sujet de la garde d'une fille
répondant également au nom de Gnagna Soumata. Celle-ci est la fille du frère de Sofi
Kerane et de la dame Youm Diagne.
Après avoir examiné les prétentions des parties, il nous est apparu que cette
enfant née hors mariage ne doit être rattachée qu'à sa mère, car l'enfant naturel n'hérite pas de
son père.
Par conséquent, le tribunal décide de la confier à sa grand-mère Gnagna
Soumata dont elle porte le nom, car même si elle était légitime, sa grand-mère serait préférée
à sa tante paternelle pour sa garde a fortiOli quand elle n'est qu'illégitime.
Le Cadi
JUGEMENT N° 56
A.T.M.S. R.1897
Dame Fatma Fall réclamant la succession
de Ndoumbé Ndaffa
Ce 2311211897, la nommée Fatma Fall représentée par son frère Demba
Ngnagna a saisi notre juridiction en réclamant l'héritage de sa cousine dame Ndoumbé
Ndaffa qui a laissé une maison à Saint-Louis.
Après avoir examiné l'affaire, il nous est apparu que la nommée Fatma Fall
n'hérite pas légalement de Ndoumbé Ndaffa parce que sa mère et celle de Ndoumbé Ndaffa
ont la même mère, et elle fait partie des Dhaoul Arham (...).
Par conséquent, le tribunal déboute le nommé Demba Gnagna, le mandataire de
Fatma Fall de sa requête.
Le Cadi

408
Le Conseil Supérieur d'Appel Musulman institué par décret du 20 mai 1857 en
son audience publique du 3 décembre 1898 a rendu la décision suivante:
A12pel du Sieur Demba Gnagna
Le Conseil
Ouï le sieur Demba Gnagna pour la dame Fatma FaU par l'organe de leur
défenseur M. François Carpot, avocat conseil dans ses dires, moyens et explications;
Vu les pièces du procès;
Après en avoir délibéré, jugeant publiquement en matière sociale et en dernier
ressort ;
En la forme:
Considérant que l'appel est régulier, le reçoit;
En ce qui touche le droit du Cadi de statuer par jugement:
Considérant 1es explications données à l'audience par Demba Gnagna,
mandataire de sa mère Fatma Fall, il résulte qu'il s'est présenté devant le Cadi pour réclamer
au nom de sa mère, la succession de Dame Ndoumbé Ndaffa ; que le Cadi après avoir
entendu les moyens invoqués à l'appui de la demande a rendu un jugement par lequel il
déclarait que la nommée Fatma Fa]] n'était pas héritière, ne pouvait recueillir la succession
de Ndoumbé Ndaffa;
Considérant que le Cadi, en rendant un jugement n'a pas outrepassé ses pouvoirs
et n'a commis aucune nullité ; que, en droit musulman, aucun texte ne défend au Cadi de
trancher par jugement les affaires qui lui sont soumises, qu'il y ait ou non contestation.
En ce qui touche la succession réclamée par Fatma FaU:
Considérant que d'après la Loi Musulmane en vigueur dans la Colonie (rite
malékite), peuvent seules hériter dans la ligne féminine: la mère, la femme, puis la fille et la
fille du fils, puis la soeur (voir art. 1644 de la Tohfa d'Abu Acem), que Fatma FaU étant la
cousine de Ndoumbé Ndaffa, ne pouvait recueillir la succession de cette dernière puisqu'elle
n'est Ras classée au ranR.des successibles;
Par ces motifs, et dit que le Cadi a statué régulièrement; confirme le jugement
dont est appel.
OrdOlme qu'il s01iira son plein et entier eftèt.

409
Ainsi, fait, jugé et prononcé publiquement par le Conseil Supérieur d'Appel
Musulman séant à Saint-Louis eu son audience ordinaire du trois décembre mille huit cent
quatre-vingt dix huit (1898) à laquelle siégeaient:
MM.
Chaudié,
Inspecteur Général
des
Colonies,
Gouvemeur
Général de l'Afrique Occidentale Française, Officier de la
Légion d'Honneur ;
Président Dorry, Président de la Cour d'Appel;
Auby Lecomte, Directeur des Affaires Indigène;
Ndiaye Sarr Tamsir et Souleymane Diop Greffier ad hoc.
Signé:
et le Greffier Souleymane Diop
ARRET N° 58
Chambre Musulmane
Arrêt du 7/06/1938
(...) Considérant que la coutume musulmane applicable tant à Saint-Louis qu'à
Dakar n'impose la garde des enfants à un parent déterminé de la branche maternelle que si le
père réside dans la même localité que ce parent;
Considérant d'autre part que si même Magatte SaIl réside à Saint-Louis et
qu'ainsi, la garde de la mineure appartient légalement à la grand-tante maternelle, cette garde
peut être suivant la coutume enlevée à cette dernière, à la demande du père, si elle est trop
âgée pour l'assurer convenablement ou si elle est atteinte d'une affection contagieuse; que si
la Cour doit admettre, subsidiairement, l'appelant à faire la preuve de ces faits (... ).

410
JUGEMENT N° 59
A.T.M.S. R.1886
Dame Yacine cl Dame Fassal
Par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr, assisté du Greffier siégeant en audience
publique à l'effet de juger le litige ayant opposé la nommée Yacine à la dame Fassal au sujet
de la garde de la petite orpheline nommée Touti.
La nommée Yacine déclare que c'est à elle que revient la garde de cette enfant;
tandis que darne Fassal prétend que ce droit lui revient, parce qu'elle est la sœur germaine du
père de ladite enfant.
La nommée Yacine soutenant à son tour qu'elle est la soeur du père de ladite
enfant.
Le tribunal après avoir examiné l'atIaire, en conclut que le droit de garde
revendiqué par les deux soeurs n'appartient à aucune d'elle parce que d'une part la parenté de
dame Yacine par rapport à l'enfant est très éloignée. D'autre part, la dame Fassal qui aurait
dû avoir le droit de garde compte tenu de ses proches liens avec l'enfant, est à ce moment
mariée.
Par conséquent, le tribunal confie « l'affaire» de ladite enfant à la dame Fassal.
Le Cadi
JUGEMENT N° 60
A.T.M.S. R.1897
Sieur Médoune Diop cl Zeynabou Guèye
Ce 24/0811897, le nommé Médoune Diop a déclaré devant notre juridiction qu'il
voulait voyager avec son neveu Maguette Guèye mais sa mère Zeynabou Guèye s'y est
opposée. Après avoir examiné le litige, nous avons conclu que la nommée Zeynabou n'avait
plus le droit de revendiquer la garde de cet enfant étant dOlmé qu'elle s'est remariée; de plus,
le fait que l'enfant dont elle réclame la garde ne vit plus dans lm même endroit que son oncle
lui fait perdre ce droit comme l'enseigne Ibn Acem en disant: "lorsque le tuteur de l'enfant
soumis au droit de garde part avec celui-ci pour émigrer et se fixer dans un endroit, celui-ci
rend caduc le droit de la gardielme".
Par conséquent, le tribunal décide d'enlever le droit de garde à la mère de
l'enfant pour le confier à son oncle jusqu'à sa majorité.
Le Cadi

411
JUGEMENT N° 61
A.T.M.S. R.1971
Papa M. cl Dame Ndao
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique du
13/0611971 (...) entre le nommé Papa M. et la nommée Ndao.
Toutes les parties en cause ayant été valablement convoquées. A l'appel de la
cause, le demandeur en personne a déclaré : Mandataire de Papa M., je viens réclamer les
enfants Fatou D. et Abdoulaye D. issus de l'tmion légitime de Papa M. et de la danle Ndao.
La défenderesse a répliqué en disant : « je suis en effet remariée, les enfants
étant chez leur grand-mère, je ne fais aucune difficulté pour les remettre à leur père» ;
Sur quoi, le tribunal après en avoir délibéré conformément à la loi, a statué en
ces temles :
Attendu qu'il est établi par les débats que le nommé Papa M. réclame la garde
des enfants issus de son union légitime avec la dame Ndao étant donné son affectation à
Dakar et le remariage de cette dernière;
Attendu que, d'ailleurs, la dame Ndao ne fait aucune difficulté à remettre les
enfants à leur père;
Attendu que d'après la Tohfa vers 663, pour que la femme ait le droit de garde, il
faut qu'eUe n'ait pas de mari à moins que l'époux ne soit un aïeul de l'enfant;
Pour ces motifs, déclare que les enfants susnommés seront remis à partir de ce
jour à leur père Papa M. qui doit les avoir sous sa garde.
Dit, en conséquence, que les prestations familiales perçues jusqu'ici par la darne
Ndao concemant les enfants en cause seront désormais mandatées à leur père à Dakar.
Le Cadi

412
JUGEMENT N° 62
A.T.M.S. R.1962
Sieur Khaly S. cl Aïssatou R
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique tenue le
07/0211962 (...) entre la nommée Aïssatou B. et le sieur Khaly S. ;
Attendu qu'il résulte des débats que le nommé Khaly S. réclame la garde des
enfants issus de son union légitime avec la nommée Aïssatou R divorcée au mois d'août
1960 ;
Attendu qu'il soutient que cette femme qui s'adonne à l'alcool est indigne pour
surveiller l'éducation des enfants en cause;
Attendu que d'après S. Khalil, la déchéance de la hadana pour cause d'indignité
ou d'inobservation des conditions requises par la ioi doit être prouvée par le demandeur;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que la nommée Aïssatou Rest
souvent ivre même dans la rue;
Attendu qu'elle a avoué les fait qui lui sont reprochés, mais prétend avoir
abandonné ses mauvaises habitudes depuis quelques jours seulement;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de donner crédit quelconque aux déclarations de
Aïssatou R;
Attcpdu que d'après Essalick de l'Imam Malek, p. 115, une femme folle, une
fenune volage et légère, l'ivrognesse et femme d'une très mauvaise conduite répandue ne
peuvent assurer la garde d'un enfant, pas plus qu'une femme dont la maison est un lieu de
rendez-vous pour les libertins et les vauriens;
Par ces motifs, le tribunal dit que tous les enfants de Khaly S. avec dame
Ai'ssatou R seront remis à leur père excepté le jeune S. qui n'a que 24 mois.
Le Cadi

4]3
JUGEMENT N° 63
,
1
A.T.M.S. R.1880
Sieur Moundaye cl Bonavel
1
1
<Ce 12/07/1880, nous, Cadi Bou El Mogdad et le greffier sommes réunis en
audience publique à l'effet de juger le litige survenu entre les nommés Moundaye et Bonavel
au sujet de Id garde de l'enfant Samba Doune.
1
1
*ous leur avons d'abord demandé de dire par quelle loi ils entendent être jugés
et ils nous ont répondu qu'ils préfèrent la Loi Musulmane.
1
ie nommé Moundaye déclare avoir le droit de garde sur l'enfant en cause dont il
se dit être IJ père. Tandis que le nommé Bonavel qui prétend être son oncle, réclame le
même droit. II dit que l'enfant est né hors mariage.
1
1
tprès avoir entendu les deux parties, nous avons décidé que l'enfant naturel doit
être rattaché là sa mère, et son père n'a aucun droit à se faire prévaloir à son égard.
1
Le Cadi
i
1
JUGEMENT N° 64
i
1
1
A.T.M.S. R.1949
Dame Ngouye F. cl Sieur Seck
1
t-'an 1949 et le 11/05, par-devant nous, El Hadj Ngary Ndiaye... assisté du
greffier, afi~ d'examiner et de juger le litige survenu entre la nommée Ngouya F. et le sieur
Seck à propqs de la garde de leurs enfants dont une fille née hors mariage.
1
te tribunal ouï les parties, a rendu le jugement suivant:
!
.{\\ttendu que d'après S. Khalil, le droit de garde sur l'enfant appartient à la mère
ou, à défaut,[à la grand-mère ou à la tante maternel1e ;
1
f\\ttendu que la dame Ngouye F. est la grand-mère matemelle des enfants;
lttendu qu'il résulte de l'examen des bulletins de naissance de la fille M. Secka
1
et du Certifiçat de maIiage de ses parents, que cette dernière est née hors mariage;
1
kttendu que d'après Khalil, la reconnaissance de l'enfant naturel par le père est
1
nulle aux yeux de la Loi Musulmane;
1
0 rdonne le sieur Seck à remettre les enfants à leur tante maternelle.
Le Cadi
1
,
1
1
1
i
1

414
JUGEMENT N° 65
A.T.M.S. R.1947
Fatou A. cl Amadou D.
L'an 1947 et le 22 novembre, par-devant nous, El H. Ngary Ndiaye, ...
La nommée Fatou A. a fonnulé une plainte devant nous en réclamant l'enfant
qu'elle prétend avoir eu hors mariage avec le nommé Amadou D. et qui le lui a ravi.
Le tribunal, ouï les deux parties et après en avoir délibéré:
Attendu que d'après Tabsiratoul Houkam, lorsque l'une des parties refuse de se
présenter et qu'elle soit sur place et malgré la convocation à lui adressée par le juge, le
jugement est rendu comme si elle était présente et sans appel;
Attendu que d'après la parole du Prophète, "l'enfant adultère appartient à la mère
seule, et au père la pierre" ;
Attendu que l'enfant est adultérin parce que hors mariage et que d'après Khalil,
la reconnaissance d'un enfant adultérin par le père est nulle aux yeux de la Loi Musulmane;
ordonne au sieur Amadou D. de rendre à la dame Fatou A. son enfant naturel qu'il lui a ravi.
Le Cadi

415
JUGEMENT ND 66
A.T.M.S. R.1932
Sieur Demba G. cl Fatou D.
L'an 1932 et le 26/07 ;
Par-devant nous, Amadou Ndiaye Ranne (...) à l'effet d'examiner l'affaire
pendante entre le sieur Demba G. et son épouse Fatou D.
La parole ayant été donnée au plaignant, celui-ci déclare : "j'entretiens ma
femme comme il faut, elle n'a rien à se plaindre. Mais tous les matins, lorsque je vais
travailler, elle quitte le domicile conjugal pour ne revenir qu'au soir. Malgré plusieurs
observations que je lui ai faites, elle continue ses sorties. C'est pour ces motifs que je viens
demander l'intervention de la justice".
La femme interrogée, déclare: "Ma mère est malade et elle n'a que moi pour la
soigner, c'est pourquoi je vais tous les matins la voir et passer la journée avec elle".
Le tribunal ouï les parties:
Attendu que d'après la Loi Musulmane, la femme ne doit quitter son domicile
qu'après l'autorisation de son mari ;
Attendu qu'il résulte de l'interrogatoire que la dame Fatou D. a l'habitude de
quitter le domicile conjugal pendant l'absence de son mari.
Condamne la dame Fatou D. à rester dans la chambre où l'a logée son mari et à
ne plus sortir sans son autorisation.
Le Cadi

416
JUGEMENT N° 67
A.T.M.S. R.l889
Yoro D. cl Dame Safi Nd.
Aujourd'hui le ler/OI/1889, le Cadi Ndiaye Sarr et le greffier avons tenu une
audience publique à l'effet d'examiner l'affaire concernant le nommé Yoro D. et sa femme
Safi Nd.
Le mari déclare avoir, à maintes reprises, demandé à sa femme de voyager avec
lui à Walo pour rejoindre son domicile conjugal et elle refuse.
La dame invitée à répondre, déclare qu'elle a peur du mauvais traitement que son
mari pourrait lui réserver s'il l'emmenait à son domicile conjugal.
Nous lui assurons qu'un mari est mIe personne sùre jusqu'à preuve du contraire,
et il a le droit de contraindre sa femme à le suivre.
La femme dit que si elle n'a pas le choix, elle préfère rembourser la dot et être
libre.
Par conséquent, nous la condamnons à restÜuer la dot, à la suite de quoi elle est
déclarée séparée de son mari.
Le Cadi
- - - - _ . - - -
JUGEMENT N° 68
A.T.M.S. R.1897
Ahmad Mbodj cl Dame C.L. Diouf
Aujourd'hui, le Cadi Ndiaye SaIT et le greffier avons tenu une audience publique
à l'effet de juger le litige concernant les nommés Ahmad Mbodj et c.L. Diouf. Le mari a
déclaré vouloir voyager avec sa tèmme, mais celle-ci refuse de quitter sa mère et de le
suivre. Cette dernière interrogée, prétend qu'elle redoute le mauvais traÜement de son mari.
Attendu que la Moudawana de Malek dit que le mari a le droit de voyager avec
sa femme d'un pays à l'autre selon son bon vouloir et que, même si la femme refuse en
réclamant d'abord sa dot, elle sera toujours tenue d'accompagner son mari qui la lui payera
plus tard comme une dette.
Par conséquent, nous condamnons la dame C.L. Diouf à suiVTe son mari qui ne
lui pOltera pas préjudice.
Le Cadi

417
JUGEMENT N° 69
A.T.M.S. R. 1898
Le sieur Salem Would Samba cl Son esclave
Aujourd'hui le ]010711898.
Il a été attesté devant notre juridiction par des témoins que le sieur Salem Wou1d
Samba a acheté une esclave dont il a fait sa femme en leur présence dans le village de
Keheidi.
Par conséquent, nous jugeons qu'il a le droit d'emmener cette femme partout où
il voudra, fût-ce contre son gré.
Le Cadi
JUGEMENT N° 70
A.T.M.S. R.1912
Dame Lawbé cl Amadou W.
Le 15 novembre 1912, par-devant nous, Soule)'111ane Seck, Cadi Président du
Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du Greffier Samba Fall siégeant en audience
publique à l'effet d'examiner et de juger le litige pendant entre la nommée P. Lawbé et son
mari Amadou W., cultivateur.
La femme a déclaré qu'elle réclamait la nourriture que son mari lui doit. Le mari
invité à répondre, a dit qu'il n'a jamais refusé de dOlmer la nourriture à sa femme, mais c'est
elle qui a refusé de venir habiter avec lui, malgré qu'il lui a donné 50 F. La femme a répondu
que ces 50 F font partie de sa dot; le mari l'a nié et prétend qu'il les lui avait donnés pour la
nourriture (... ).
Vu le texte de la Moudawana, le mari peut contraindre sa femme à le suivre.
Par conséquent, le tribunal ordonne à la femme de suivre son mari et celui-ci de
donner à sa femme de quoi faire ses préparatifs, soit 50 F.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement à Saint-Louis, les jour, mois et an que
dessus.
Le Cadi

418
JUGEMENT N° 71
A.T.M.S. R.1912
Dame Bougouma cl Amadou S.
Le 18e jour du mois de novembre 1912, par-devant nous, Souleymane Seck
Cadi Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis, assisté du Greffier Samba Fall,
siégeant en audience publique à l'effet de juger l'affaire pendante entre dame Bougouma
N. et sieur Amadou S ..
La femme a déclaré qu'elle réclamait à son mari la nourriture. Le mari invité à
répondre, dit que depuis quelque temps, il n'a plus de relations sexuelles avec sa femme
qui les lui refuse tous les jours. C'est ce que la femme a nié.
Nous avons ordomlé au mari de jurer et, au moment où il voulait remplir cette
formalité, la femme est intervenue en disant de ne pas le faire. Son mari a ajouté qu'il ne
pouvait plus rester avec sa femme à l'endroit où ils sont actuellement et qu'il demandait à
sa femme de le suivre.
Le tribunal se basant sur la Moudawana qui dit que le mari peut contraindre sa
femme à le suivre, ordonne à la femme de suivre son mari, mais sous la condition que
celui-ci lui assure la nourriture.
JUEMENT N° 72
A.T.M.S.
R.1886
Dame Sakojou Nd. cl Guedj D.
Aujourd'hui le 7 mai 1886, nous, Cadi Ndiaye Sarr ... , avons siégé afin
d'examiner le litige concernant les époux Guedj D. et Sakojou Nd..
La femme prétend qu'elle n'a pas reçu sa nourriture et son habillement. La
parole ayant été donnée au mari, celui-ci déplore le mauvais traitement dont il prétend
être victime de la part du fils de sa femme, et craint que cela dégénère en conflit entre
eux. C'est pour cette raison, a-t-il ajouté, qu'il n'a accordé à sa femme ni nourriture ni
"tour" (nawba) dans le partage des nuits (Qasm).
Après avoir examiné l'affaire, nous nous sommes rendu compte que c'est le
fils de la femme qui a provoqué le litige. Aussi, avons-nous ordonné à sa mère de
l'éloigner de la maison car, d'après l'Abrégé de Khalil, il appartient au mari de refuser
d'habiter avec l'enfant d'un autre lit de sa femme. La plaignante en étant avertie a
demandé le divorce qui lui est accordé par le mari sans condition.
Le Cadi

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JYGEMENT N° 73
A.T.M.S.
R.1913
Dame Tabaski D. cl Benjelloun A.
Par-devant nous, Cadi Aynina Seck (... ) s'est présentée la nommée Tabaski
D. déclarant qu'elle a été insultée par son beau-fils Benjelloun A. Elle prétend qu'elle a été
seulement voir sa fille pour se rendre compte de sa situation. Elle demande l'intervention
de la justice.
Le Sieur Benjelloun A. déclare n'avoir pas insulté cette dame, mais il ne veut
pas qu'elle vienne SOUVf.':nt che:;~ lui sans son autorisation.
La femme invitée 3 citer des témoins pouvant attester ses dires, répond qu'elle
n'en a pas.
Attendu que d'aprè:~, Khalil, la loi permet aux parents de visiter leurs enfants
vivant auprès de leur mari une fois par semaine (le vendredi) ;
.A.ttendu que la plainte de la tèmme n'est pas fondée faute de témoins, le
tribunal J'en débout,~, mais l'autorise à voir sa fille une fois par semaine accompagnée
d'une femme digne de confiance, si le mari le juge nécessaire.
Le Cadi

420
.lUCEMENT N° 74
A.T.M.S. R.1913
Abdoul S. cl Dame Awa T.
L'an 1913 et le 13 septembre,
Par-devant nous Aynina Seck, Cadi Président du Tribunal Musulman de
Saint-Louis (... ).
Le sieur Abdoul S. désirant rentrer chez lui dans le Fouta Kanel, demande à
emmener sa femme Awa T.. Cette dernière invitée à répondre, dit qu'elle ne peut pas
partir avec son mari, car celui-ci l'a toujours brutalisée et elle a peur que les mauvais
traitements de la part de son mari continuent une fois qu'elle sera dans le Fouta.
Le mari interrogé sur cette accusation, dit qu'il ne l'a jamais frappée,
seulement il désire l'emmener pour la corriger de certains méfaits.
Le tribunal invite Awa 1. à fournir des témoins pour attester ses déclarations,
et elle présente la témoins qui ont tous déclaré avoir vu Abdoul S. brutaliser sa femme
Awa T. et l'entendre dire en la frappant: "je me vengerai de ta peau".
Mais aucun témoin n'a pu dire pour quel motif ce mauvais traitement a été
appliqué par Abdoul S. contre sa femme.
Abdoul S. invité à répondre sur ce dont il est accusé, dit que sa femme avait
toujours des relations illégales avec d'autres personnes ; et il a trouvé des preuves très
précises en présentant des lettres d'amour que la femme échangeait avec quelqu'un à
Dakar.
Le tribunal ouï les parties et après en avoir délibéré, a rendu le jugement
suivant:
Attendu que Awa T. ne peut pas fournir des témoins pouvant attester qu'elle a
été frappée à tort par son mari ;
Attendu que si une femme se plaint d'avoir été frappée par son mari et qu'elle
ne peut pas fournir des témoins et que le mari dit que c'est par correction qu'il l'a frappée,
c'est le dire du mari qui fait foi, d'après Mouyassar, un commentaire de Khalil ;
Attendu que d'après les preuves palpables, Abdoul S. ne faisait que corriger sa
femme pour sa mauvaise conduite;
Attendu que d'après la Moudawana, l'homme peut contraindre sa femme à le
suivre partout où il veut;
Attendu que Abdoul S. est dans son droit; déboute Awa T. de sa plainte et
l'invite à suivre son mari;

421
. Attendu qtL< Awa T. proteste à suivre !,Jll :!lari et demande le .divorce p~
compensat~on ave~ un déh~ de 7 mois pour remboUff:er L dot ,de 285 F, ce qUi e~taccepte
p~r le man ; le tnbunal decJa,~ dissout le mari?b';;: entH les epoux et ordonne a la dame
d entrer dans sa idda.
Le Cadi
JUGMENT N° 75
A.T.M.S. R. 1889
Dame Nianga cl Masé'mba Nd.
Aujourd'hui, le 25 oct(,bîe 1889, le Cadi Ndiaye Sarr e le greffier, avons
siégé à l'effet de juger le litige concernant les nommés Dame Nianga et ,\\1assamba Nd.
La première nommée a prétendu que son mari 1'<1 répudiée \\~t sortie de chez
lui.
Le sieur Massamba Nd. interrogé, l1eclare que sa femme lui déso béit, sort sans
son autorisation et dispute avec ses ~pprentis.
Nous lu! demandons alors de rapporter la preuve de sa déclaratio.ll et il cite
des témoins qui se contentent de déclarer: "le mari a dû un jour se plaindre de vant nous
de la mauvaise conduite de sa femme à son égard sans que nous n'ayons assisté .1 aucune
scène de ménage".
Mais étant donné que la femme persiste à nier les prétentions du mari, nous
avons estimé qu'il était impossible de les réconcilier. Aussi, avons-nous appI1>lué
l'Idjtihad en leur partageant la dot qui était fixée à 160 dh lors de la conclusion du marial ~e
; et puisqu'un "nakd" en esclave estimé à 55 dh plus 8 dh en espèces avaient été déj/l
renlia :? J~ femme, il ne restait de la dot qu'un "kali" de 77 dh à payer par le mari.
Et nous le condamnons à payer cette somme à la femme.
Le Cadi

422
JUGEMENT N° 76
A.T.M.S. R.190S
Dame Koura S. cl Fama K.
Aujourd'hui, le 09/01/1908, le Cadi Ahmad Ndiaye et le greffier avons tenu une
audience publique à l'effet de juger l'affaire concernant les nommés dame Koura S. et Fama
K.
La plaignante a déclaré que son mari la bat souvent et la maltraite.
Le mari interrogé, a déclaré qu'il n'a pas porté préjudice à sa femme mais que
c'est elle qui est indocile et sort sans son autorisation.
Nous exigeons de la plaignante de prouver ses déclarations, et elle se montre
incapable de le faire, nous tentons, dès lors, de la réconcilier avec son mari avant de lui
intimer l'ordre de rejoindre son domicile conjugal à condition de nous ressaisir si, à l'avenir,
le mari ne se comportait pas bien à son égard.
La femme ayant refusé d'obtempérer, est mise en demeure de réintégrer son
domicile ou, à défaut, de restituer la dot au mari.
Le Cadi

423
JUGEMENT N° 77
A.T.M.S. R.1947
Dame Rokhaya B. cl Amadou B.
L'an 1947 et le 10 septembre;
Par-devant nous El H. Ngary Ndiaye, Cadi Président du Tribunal Musulman de
Saint-Louis, assisté du Greffier Bâ Amadou, siégeant en audience publique à l'effet
d'examiner et de juger l'affaire pendante entre la dame Rokhaya B. et son mari Amadou B.
La parole ayant été donnée à la femme, celle-ci déclare: "mon mari me frappe
souvent, c'est pourquoi je ne peux plus continuer le mariage".
Interrogé, le mari déclare: "Nous nous sommes battus trois fois parce que je lui
défendais les mauvaises fréquentations et elle me répondait que je ne peux pas l'empêcher de
f,
faire ce qu'elle veut, ce qui m'a obligé à la corriger. Mais malgré tout, je ne veux que
""
'
.,.'.
continuer le mariage et pour cela, j'accepte de lui donner un cadeau de réconciliation de 500
F".
Le tribunal ouï les parties et après en avoir délibéré, a rendu le jugement suivant:
Attendu qu'il résulte des débats qu'il n'y a que querelle de ménage entre les
époux;
Attendu que le mari recOlmaît avoir corrigé sa femme mais accepte de lui faire
un cadeau de réconciliation pour continuer le mariage;
Attendu que d'après S. Khalil : "Le mari dont la femme se montre désobéissante,
commence par lui donner des avertissements puis la repousse de son lit et enfin lui donne
des coups s'il croit que l'effet en puisse être utile".
Par ces motifs et ce texte;
Ordonne à la femme de suivre son mari et de lui obéir. Ordonne au mari de se
conduire convenablement vis-à-vis de sa femme.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement à Saint-Louis, les jour, mois et an que
dessus.
Le Cadi

424
JUGEMENT N° 78
A.T.M.S. R. 1971
Dame a.D. cl B.S.S.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique du 1er/12/
1971 tenue sous la présidence de M. Majhtar Samb, dans l'affaire concernant la nommée
a.o. et le sieur B.S.S.
Toutes les parties en cause ayant été valablement convoquées pour ladite
audience. A l'appel de la cause, la demanderesse a, en perSOIme déclaré: "Je porte plainte
contre mon mari B.S.S. qui, au cours de notre mariage, employait des moyens illicites pour
se servir de moi. Il m'enchaînait au pied du lit et ne me détachait que pendant qu'il me
donnait à manger ou se mettait en contact sexuel avec moi. C'est ma co-épouse H. qui était
partie à la police pour signaler le geste de mon mari à mon égard; je ne peux plus continuer
à vivre avec ce mari ; je demande que le triblU1al m'accorde le divorce".
Le mari interpellé, a nié les prétentions de la femme en disant: "elle n'a jamais
été enchaînée; mais j'avais acheté une chaîne pour lui faire peur. C'est le Commissaire de
police qui m'avait dit d'enchaîner ma femme ; de ce fait, elle n'abandonnerait plus le
domicile conjugal et les arrangerait d'un côté de mes recherches. Je ne suis pas d'accord sur
le divorce qu'elle sollicite.
La co-épouse interrogée, confirma les déclarations de sa rivale. Elle déclare que
leur mari B.S.S. avait remis 10.000 F à chacun des 4 personnes qui avaient capturé sa
femme. Elle ajoute, en décrivant la scène : "Comme les eniants curieux s'intéressent à
contempler les pallies génitales nues de la femme qui pleurait, je dis à mon mari : on n'a pas
à déshonorer une femme de la sorte".
Le tribunal, après avoir délibérer conformément à la loi, a statué en ces termes:
Attendu qu'il est établi par les débats que la nommée a.D. déclare qu'elle porte
plainte contre son mari qui, au cours de leur mariage, employait des moyens illicites pour se
servir d'elle... et l'enchaînait au pied du lit et ne la déchaînait qu'au moment où il lui donnait à
manger ou se mettait en rapport sexuel avec elle;
Attendu que le mari déclare que sa femme n'a jamais été enchaînée; mais il
avait acheté une chaîne pour lui faire peur (...) et c'est le Conunissaire de police qui lui avait
dit d'enchaîner sa femme;
Attendu que la dame H., l'épouse de B.S.S. déclare que le samedi 13 mars 1971,
dans la nuit, son mari et plusieurs hommes sont débarqués de trois taxis emmenant sa co-
épouse a.D. toute nue;
Attendu que d'après Khalil, la femme peut obtenir le divorce contre son mari
lorsqu'elle est l'objet de sévices, (manque d'entretien, manque de cohabitation, manque de
rapports sexuels) ;
Attendu que la nommée a.D. est l'objet de tous ces sévices;

425
Attendu que d'après le "livre de Quatre Ecoles" l p. 393, quand l'animosité règne
entre les époux et devient intense, de sorte qu'ils transgressent la loi divine, dans ce cas, leur
séparation est nécessaire avec ou sans leur consentement;
Attendu qu'il y a lieu de prononcer le divorce dans leur intérêt;
Le tribunal déclare dissout le mariage ayant existé entre lesdits époux pour
sévices; ordonne à la dame d'observer le délai de retraite légale (Idda).
Le Cadi
JUGEMENT N° 79
A.T.M.S. R.1935
Sieur Ndiaye S. cl Fatou M.
L'an 1935 et le 29 septembre;
Par-devant nous, Amadou Bou El Mogdad dit Aynina Seck (...) à l'effet de juger
l'affaire pendante entre le nommé Ndiaye S. boucher et sa femme Fatou M.
La parole ayant été donnée au plaignant, celui-ci déclare : "Ma femme m'avait
demandé une permission d'un mois pour venir à Thiès. Elle est restée 13 mois malgré mes
appels. Je viens m'adresser à la justice pour reprendre ma femme".
Invitée à répondre, la femme déclare : "J'étais avec mon mari mais il me
maltraitait, me frappait, m'insultait. Maintenant je ne peux plus vivre avec lui, et je désire
obtenir ma liberté".
Sur interpellation, le mari déclare qu'il a dépensé pour la femme 600 F de
"Ou'arougar" (frais divers) et 100 F sur la dot et déclare qu'il en avait donné un bracelet
valant 1800 F.
Le tribunal:
Attendu que d'après la Loi Musulmane, la femme peut obtenir le divorce par
compensation en rendant au mari la dot et les "coutumes conditionnelles" qu'elle avait reçues
de lui;
Attendu que la dame Fatou M. n'a pas versé la somme de 535 F représentant la
dot et les "coutumes" ;
Par ces motifs et textes, condanme la dame Fatou M. à verser à son mari Ndiaye
S. la somme de 535 F pour avoir sa liberté.
Le Cadi

426
JUGEl\\1ENT N° 80
A.T.M.S. R.1892
Omar D. cl Hawa D.
Aujourd'hui, le 24/03/1892, nous Cadi Ndiaye Sarr et le greffier avons tenu une
audience publique à l'effet d'examiner l'affaire concernant les nonunés Omar D. et Hawa D..
Le premier a déclaré que sa fenune a abandonné le domicile conjugal et ne lui
obéit plus depuis quelques mois. Cette dernière interpellée, a répondu que son mari l'a
d'ailleurs déjà répudiée, ce que celui-ci a complètement nié.
Après avoir examiné l'affaire, nous avons exigé de la dame d'apporter la preuve
de ses allégations et elle cite des hommes qui se montrent incapables de prouver ses
déclarations qui restent vaines aux yeux de la loi.
Par conséquent, nous lui intimons l'ordre de rejoindre son domicile conjugal;
mais son père, présent à l'audience, nous dit, sans être démenti par le mari, que le mariage de
sa fille a été conclu par sa mère sans son accord.
Nous avons, dès lors, décidé que ce mariage contracté sans la présence du "wali"
(tuteur) est nul d'une nullité absolue d'après les enseignements de Khalil.
Le Cadi
JUGEMENT N° 81
A.T.M.S. R.1892
Sieur Ndiabou cl Sieur Samba D.
Aujourd'hui, le 8/02/1892, par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr et le Greffier
Maki Kare avons tenu une audience publique à l'effet de juger le litige survenu entre les
nonunés Ndiabou et Samba D. Le nommé Ndiabou a déclaré qu'après avoir demandé et
obtenu la main de la nommée Walid F., la nièce du sieur Samba D., elle devait le rejoindre
pour la célébration de leur mariage. Mais quand elle est venue chez lui, elle a refusé d'y
rester et repartit aussitôt auprès de son oncle Samba D. ; lorsqu'il a interrogé ce dernier sur
cette affaire, il lui a fait comprendre qu'il a violé la condition qu'il lui avait fixée, à savoir que
sa nièce serait sa première épouse (Awo). Or, quand celle-ci est partie rejoindre son domicile
conjugal, elle a été surpris d'y avoir trouvé une autre femme à sa place. Le non-respect de
cette condition par le mari a été donc interprété par le sieur Samba D. comme une
répudiation prononcée contre sa nièce, ce qui l'a amené à la marier à un autre sans avoir
remboursé la dot à Ndiabou.
Nous avons, dès lors, estimé que la condition fixée par ce tuteur est nulle et non
avenue d'après Ibn Acem qui enseigne: "Les clauses contraires à la nature du contrat de
mariage ne sauraientt être stipulées valablement; quant aux autres, elles sont admises si les
parties s'y soumettent de leur plein gré".
Par ce motif, le sieur Samba D. est condamné à restituer sa dot au mari, le sieur
Ndiabou.
Le Cadi

427
JUGEMENT N° 82
A.T.M.S. R.l874
Sieur Noh cl Sieur Baka D.
Ce 12/0111874, par-devant nous, Cadi Ndiaye Hann et le greffier réunis en
audience publique à l'effet de juger le litige ayant opposé le nommé Noh au sieur Baka D., le
tuteur matrimonial de sa femme.
Le sieur Noh a déclaré qu'il voulait en fait emmener sa femme à son domicile
conjugal, mais ses parents s'y sont opposés et veulent qu'elle reste encore quelque temps
auprès d'eux à cause de son jeune âge.
Après avoir examiné l'affaire, nous nous sommes rendu compte que le délai
requis pour conduire une nouvelle mariée à son domicile conjugal est d'un an.
Etant donné que la fille est déjà restée 8 mois chez ses parents depuis la
conclusion du mariage, nous avons ordOlmé au man de la laisser encore pendant 4 mois chez
ces derniers afin de compléter le délai normal.
Le Cadi

428
JUGEMENT N° 83
A.T.M.S. R.1885
Sieur Momar D. cl Fatou F.
Aujourd'hui, le 14/01/1885, par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr et le greffier
avons tenu une audience publique à l'effet de juger l'affaire concernant les époux Momar D.
et Fatou F.
Le sieur Momar D. déclare que sa femme a refusé de le suivre pour se rendre à
l'endroit où il fait son commerce.
La parole ayant été donnée à la femme, celle-ci répond que son refus de suivre
son mari est motivé par deux raisons. D'abord celui-ci la frappe, ensuite, il est polygame et
elle a déjà beaucoup voyagé avec lui depuis trois ans. C'est à ses autres femmes de faire leur
tour.
Nous lui avons alors demandé de prouver ses allégations, et elle s'est montrée
incapable de le faire. Sur l'instant même, son oncle, présent à l'audience exhibe son certificat
de mariage où sont mentionnées les clauses dont le mari avait, lui-même, accepté l'insertion
dans le contrat du mariage, lesquelles clauses stipulent clairement que le mari n'aurait jamais
le droit de voyager avec deux femmes en même temps, mais emmènera chacune d'elles à son
tour.
Par conséquent, nous avons estimé que ces conditions sont bien valables et que,
même si elles n'étaient pas stipulées dans le contrat, elles n'en resteraient pas moins légales
parce qu'elles sont consacrées par le "urf' (la coutume), comme tout mari doit être en mesure
de le savoir.
Le "Miyaar" rapporte à ce sujet un "fetwa" du savant Ibn Rochd à qui on avait
posé la question suivante : "Qu'est-ce qu'on doit valablement écrire dans les clauses
matrimoniales et ce demier de répondre: "Toute condition consacrée" en la matière par les
"urf' devra être tenue pour valable".
Nous avons, dès lors, considéré que cette condition comme toute autre
assimilable ne fait pas partie de celles entraînant la nullité du mariage comme l'enseigne, du
reste, Ibn Acem : "Les clauses contraires à la nature du mariage ne sauraient être stipulées
valablement ; quant aux autres, elles sont admises si les parties s'y soumettent de leur plein
gré". L'expression "quant aux autres" signifie les clauses qui demeurent compatibles avec la
fin du mariage, comme par exemple, le droit que pourrait se réserver la femme d'imposer à
son mari de rester monogame, de ne pas la déplacer de chez elle ou de ne pas prendre de
concubines, etc.
Par ces motifs, nous condamnons le mari à se conformer à ses engagements.
Le cadi

429
JUGEMENT N° 84
A.T.M.S. R.197l
Aly D. 1Dame Fadiop M.
Le Tribunal Musulman siégeant en audience publique du 24 mars 1971 sous la
présidence du Cadi Majhtar Samb (...) entre le nommé Aly D. cl la nommée Fadiop M.
A l'appel de la cause à ladite audience, le demandeur a déclaré: "Je porte plainte
contre la dame Fadiop M., grand-mère maternelle de ma fille Seynabou. Celle-ci a eu
l'autorité de donner la main de ma fille sans mon consentement. On m'avait bien informé
qu'on devait donner la main de Seynabou mais je ne voulais pas. Maintenant, je demande au
tribunal si j'ai l'autorité sur ma fille ou non".
La dame Fadiop M. régulièrement convoquée ne s'est pas présentée à l'audience
et n'a désigné aucun mandataire.
Le tribunal :
Attendu qu'il est établi par les débats que le nommé Aly D. déclare qu'il porte
plainte contre la dame Fadiop M., grand-mère maternelle de sa fille Seynabou ;
Attendu que le nommé Aly D. déclare que la dame Fadiop M. a eu l'autorité de
donner sa fille Seynabou en mariage sans son consentement;
Attendu que la nommée Seynabou entendue sur rendez-vous, déclare qu'elle
aime son fiancé et même si son père arrive à rompre leur union, elle le suivrait et serait à sa
disposition;
Par ces motifs, le tribtmal maintient le mariage de la danle Seynabou.
Le Cadi

430
JUGEMENT N° 85
A.T.M.S. R.1961
Dame Marème D. cl D. Saliou
Le Tribunal Musulman siégeant en audience publique du 21/0611961 sous la
présidence du Cadi Samb Majhtar (...) entre Marème D. et son mari D. Saliou.
(...) La demanderesse a déclaré: "Depuis août 1960, je me suis adressée au
tribunal pour demander le divorce car je ne peux continuer le mariage avec Saliou D .. Etant
jeune, mes parents ont procédé au mariage mais je ne l'ai jamais aimé. Je préfère mourir
plutôt que de continuer notre union. En plus, mon mari déclare que j'ai un amant, mais je ne
connais pas l'homme dont il parle. Nous avons quatre enfants mais malgré tout, je demande
le divorce".
Le Tribunal (...) :
Attendu que par requête en date du 10 août 1960, la nommée Marème D. a saisi
le tribunal pour demander le divorce d'avec son mari D. Saliou, prétendant être donnée en
mariage à l'âge de 13 ans sans son consentement;
Attendu qu'il est évident qu'il n'y a plus d'harmonie dans le mariage, les époux
étant en désaccord complet et vivant séparés depuis plus de deux ans;
Attendu que cette situation ne peut plus durer et que d'après la Rissala d'Ibn Aby
Zeid, la femme peut obtenir le divorce en remboursant la dot;
Attendu que l'absence du mari au procès ne permet pas de régler la question de
la dot;
Déclare dissout le mariage ayant existé entre le sieur D. Saliou et Marème D.
Ordonne à la femme d'observer la retraite légale.
Le Cadi

431
JUGEMENT N° 86
A.T.M.S. R.1958
Dame Ndoumbé T. cl Sieur Ndiaw Mb.
L'an 1958 et le 25/06/1958, par-devant nous, Samb Majhtar, Cadi suppléant du
Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis assisté du Greffier Sarr Assane, siégeant en
audience publique à l'effet d'examiner la plainte formulée par la dame Ndoumbé T. contre
son mari Ndiaw Mb.
(...) La parole ayant été donnée à la dame, celle-ci a déclaré: "J'ai discuté avec
mon mari et il m'a frappée et m'a divorcée devant les témoins Mbaye S. âgé de 32 ans, Gora
S. âgé de 37 ans et Mbaye M.. Mainenant, mon mari nie le divorce qu'il a prononcé entre
nous deux".
Invité à répondre, le sieur Ndiaw Mb. déclare qu'il n'a pas divorcé sa fenune et
que ses allégations sont fausses.
Le tribunal ouï les parties et après avoir délibéré, a rendu le jugement suivant:
Attendu que les témoins déclare que le sieur Ndiaw Mb. a divorcé sa femme
devant eux;
Attendu que d'après S. Khalil, pour qu'il y ait divorce valable, il faut deux
témoins de sexe masculin;
Attendu que la formule de divorce est prononcée devant les témoins cités.
Par ces motifs, maintient le divorce prononcé en février 1957 par le sieur Ndiaw
NIb.; dit que la femme est libre depuis la fin de la période de le retraite légale.
Le Cadi
JUGEMENT N° 87
A.T.M.S. R.1895
L'affaire Samba Nd.
Ce 25/7/1895, par-devant nous, Cadi Bécaye Bâ...
Le nommé Samba Nd. après avoir répudié sa femme devant les témoins Djibril,
Abdoulaye N. et Yatma K. lui a remboursé au cours de l'audience même 30 db représentant
le kali de sa dot.
Le Cadi

432
JUGEMENT N° 88
A.T.M.S. R.1895
L'affaire Ali D.
Ce 1er août 1895,
Par-devant nous, Cadi Bécaye Bâ...
Le nommé Ali D. a confirmé devant nous qu'il versera un dh par mois sur le kali
de 60 dh dû à la dame Mariam a répudiée à titre définitif.
Le Cadi
JUGEMENT N° 89
A.T.M.S. R.1895
L'affaire Gallo
Aujourd'hui le 17/10/1895 ;
Par-devant nous, Cadi Bécaye Bâ...
Nous avons condamné le sieur Gallo à compléter la dot due à la dame Soukeyna
qu'il a répudiée dans sa correspondance du 13/10/1895. Il s'agit d'un kali évalué à 60 dh.
Nous le recommandons avec le nommé Natako D. qui se trouve à Dakar afin qu'il le lui
verse intégralement.
Le Cadi

433
JUGEMENT N° 90
A.N.S. M.242
Dame Nancy Dado cl Khar Aly
L'an 1897 et le 29 novembre,
Nous Cadi de Saint-Louis, réuni au Tribunal Musulman dans le but de juger le
différend qui a surgi entre la nommée Nancy Dado, ancienne femme d'Aly Boury (Bourba
Djoloff) et Khar Aly, fille de ce dernier, relativement à une certaine quantité de bijoux en
or (2 colliers et 2 bracelets) que Khar Aly gardait comme étant à elle et que son adversaire
revendiquait comme sa propriété.
Nancy interrogée sur cette affaire prétendu qu'Aly Boury lui avait prêté ces
bijoux pour sa fille Khar Aly qui se préparait à aller dans le Fouta et que, c'était à titre de
prêt qu'elle avait consenti à donner les bijoux demandés.
Cette déposition entendue, nous invitâmes Khar Aly à répondre. Elle déclara
en effet qu'elle avait reçu de son père lesdits bijoux à titre de cadeau d'usage au moment
où elle allait rejoindre son mari et qu'elle ne savait plus si cet or lui avait été prêté; elle
ajouta qu'Aly Boury (son père), de son côté, avait disposé de tout ce qu'elle avait reçu de
son mari (10 captifs).
Ces dépositions attentivement entendues et exammees, nous demandons à
Nancy Dado de fournir ses preuves; elle fournit 2 témoins Coura Bassine et Benta Seck
qui prêtèrent sennent sur le Coran en notre présence. Ces témoins confirmèrent les dires
de Nancy qui fit le même serment tel que la Loi Musulmane l'exigeait d'elle.
Vu le dire d'Ibn Rouchdi exigeant le serment de tout individu fonnulant une
réclamation quelconque contre un mort ;
Considérant d'autre part que celui auquel on prête des objets en est toujours
responsable quand même ces objets seraient perdus selon Khalil ;
Considérant que Abou Mouhamed dit que le témoingnage des femmes est
accepté lorsqu'il s'agit des biens;
Que d'après les quatre Khalifes, un témoin de sexe masculin et un serment ou
deux témoins de sexe féminin et un serment suffisent à toute preuve;
Condamne la nommée Khar Aly à rendre à Nancy les bijoux réclamés.
Le Cadi

434
ARRET N° 91
A.N.S. M.242
Dame Nancy Dado cl Khar Aly
Le Conseil d'Appel Musulman, le 14/01/1898 ;
Ouï Khar Aly en ses dires, moyens et explications, intimée;
Considérant que par jugement du Tribunal Musulman de Saint-Louis en date
du 29 novembre 1897, Khar Aly a été condamnée à remettre à Nancy Dado divers bijoux
qui lui avaient été donnés par son père; que par déclaration faite au greffe dudit tribunal
le Il décembre dernier, Khar Aly a interjeté appel du jugement sus-énoncé.
En la forme, considérant que l'appel est régulier, le reçoit.
Au fond, considérant que des explications verbales fournies à l'audience par
l'appelante, il résulte que les bijoux lui avaient été donnés par son père Aly Boury en
1890 à l'occasion de son mariage ; qu'elle ne les avait plus en sa possession ; qu'elle
ignorait que les bijoux n'étaient pas la propriété de son père. Que ces déclarations faites
en la présence de Nancy Dado n'ont pas été contestés par elle;
Considérant que s'il a été établi devant le 1er juge que les bijoux étaient la
propriété de Nancy Dado qui ne les avait remis à Aly Boury qu'à titre de prêt à usage, ce
dernier seul est responsable du détournement qu'il a commis;
Considérant que si celui qui a perdu ou auquel il a été volé quelque chose peut
le revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol contre celui dans
les mains duquel il l'a trouvé, cette revendication ne lui est pas ouverte en cas de simple
abus de confiance;
Considérant d'ailleurs qu'il s'est écoulé plus de 3 ans depuis que la donation a
été faite par Aly Boury à Khar Aly ; que les bijoux ne se trouvent plus en la possession de
celle-ci; que c'est donc à t011 qu'elle a été condamnée personnellement à remettre des
bijoux qu'elle avait reçus de bonne foi et qu'elle ne détient plus;
Par ces motifs:
Infinne le jugement dont est appel; décharge en conséquence Khar Aly de la
condamnation prononcée contre elle (... ).

435
JUGEl\\'1ENT N° 92
A.T.M.S. R.1908
Samba D. cl Aïcha S.
Aujourd'hui, 14/06/1908, nous Cadi Bécaye Bâ, assisté du greffier ( ... ) réunis
à j'effet de juger le litige concernant le tirailleur Samba D. et la nommée Aïcha S.
Le premier prétend avoir remis' 30 dh et une boucle d'oreille pesant 3
grammes d'or à la dame.
Nous lui avons demandé de prouver ses allégations et il en est incapable. Par
conséquent, nous avons déféré le selmel11 rituel à la dame qui a juré sur le Coran que
celui-ci ne lui a rien remis.
Par ce motifs, elle est déclarée libre de toute réclamation de la part du
demandeur.
Le Cadi
JUGEl\\tlENT N° 93
A. T.M.S. R.1889
Sieur Gallo cl Dame Diawa D.
Ce 1010611889, par-devant nous Cadi Ndiaye SaIT ... le litige concerne les
époux Gallo, le policier et Diawa D.
Le mari déclare vouloir reprendre la vie commune avec sa femme qui le
refuse sous prétexte qu'elle a été déjà répudiée à titre définitif par ce dernier. Mais en fait
de preuve, elle ne cite que des épouses qui attestent l'avoir entendu dire que son mari
l'avait déclarée haram (illicite) pour lui.
Par conséquent, nous décidons que la répudiation ne peut être valablement
prouvée qne par deux témoins de sexe masculin.
Le Cadi

436
JUGEMENT N° 94
A.T.M.S. R.1909
Dame Diama L. cl Malick S.
Ce 29 ... ? .. 1909, par-devant nous, Cadi Bécaye Bâ (... ) réuni pour le litige
concernant les époux Malick S. et Diama L.
La femme déclare que son mari l'a répudiée.
Ce dernier interrogé, dit qu'il était malade et pensait que la répudiation
prononcée par un malade n'est pas valable.
Nous avons exigé de la femme d'apporter ses preuves et elle cite deux témoins
de sexe masculin qui ont déposé avoir entendu le mari prononcer la répudiation de sa
propre bouche.
Par conséquent, nous jugeons que cette répudiation est le fait du mari comme
cela a été bien prouvé par deux témoins de sexe masculin.
Sur la question de la maladie invoquée par le défendeur, la Tohfa enseigne
que la répudiation prononcée par le malade est bien valide.
Le Cadi
JUGElV!ENT N° 95
A.T.M.S. R.1885
La succession de la dame Hanta W.
Ce 17/02/1885, par-devant nous, Cadi Ndiaye SaIT, assisté du greffier, avons
tenu une audience publique à l'effet de régler la succession de la nommée Hanta W.
évaluée à 961,50 F qui a laissé comme héritiers son mari, Fara D., sa fille Rokhaya et son
père Marne Samba.
Le mari reçoit 1/4, soit 240,37 F; la fille prend la 112, soit 480,75 F et le père
prend le 1116 et le reste soit 240,38 F.
Puis la fille décède avant le partage en laissant comme seul héritier son père
précité Fara D.
Le Cadi

437
JUGEMENT N° 96
AT.M.S. R.1885
La succession de la dame Fatoumata Nd.
Aujourd'hui le 21/0611885, nous Cadi Ndiaye Sarr, assisté du greffier,
sommes réunis à l'effet de régler la succession de la dame Fatoumata Nd., évaluée à 1045
F. Celle-ci a laissé comme héritiers sa mère Fily, son mari Demba K. et trois filles
Khaày D., Fama D. et Marie D. Elle a en outre laissé un fils nommé Samba K.
Le mari reçoit son 1/4, soit 261,2 F, la mère 1/6, soit 130,62 F et le reliquat
est partagé entre les enfants à raison de 130,62 F pour chaque fille et 261,24 F pour le
garçon.
Le Cadi
JUGEMENT N° 97
A. T.M. S. R.1886
La succession de Omar S.
Aujourd'hui le 7/01/1886, par-devant nous Cadi Ndiaye Sarr (... ) réuni pour
régler la succession du sieur Omar S. évalué à 541,20 F. Celui-ci a laissé comme héritiers
deux fils : Mbeur D. et Salif D. et deux épouses: Marie D. et Yaba D.
Les deux épouses se partagent le 1/8 à égalité, soit 33,86 F pour chacune. Puis
les deux fils le reliquat, soit 237,04 F. pour chacun.
Le Cadi

438
JUGEMENT N° 98
A.T.M.S.
R.1891
La succession du sieur Malan D.
Ce 26 octobre 1891, par-devant nous Cadi Ndiaye Sarr ( ... ) à l'effet de régler
la succession du sieur Malan D. qui a laissé 463,65 F, deux épouses: Hawa D. et Koumba
S. ; deux garçons: Omar D. et Mouhamed D. et une fille Hafsa D.
Les deux épouses ont droit au 1/8 soit 57,70 F et le reliquat est réparti entre
ses enfants conformément aux recommandations du Saint-Coran: au garçon le double de
la part de la fille; soit 162,28 F pour chaque garçon et 81,14 F pour la fille.
Puis avant le partage, Mouhamed décède en laissant com.tlle héritiers sa mère
Koumba S., son frère consanguin Omar D. et sa sœur consanguine Hafsa D. qui se
partagent son héritage de la manière suivante: la mère prend 1/6 soit 27,04 F et le reliquat
135,24 F réparti entre Omar D. et Hafsa D., à raison de 90,16 F pour le garçon et 45,08 F
pour la fille.
Le Cadi
JUGEMENT N° 99
A.T.M.S. R.1892
La succession du sieur Sildior
Ce 23/0211892, nous Cadi Ndiaye SaIT ( ... ) à l'effet de régler la succession du
sieur Sildior évaluée à 4625,15 F.
Le défunt a laissé trois épouses : Khar Yalla, Zeinab et Aïcha Lala. Il a, en
outre, laissé deux filles: Haram F. et Maryatou.
Les trois épouses se partagent le 1/8 à égalité, soit 192,71 F pour chacune et
les deux filles le reliquat, soit 2023,50 F pour chacune.
Le Cadi

439
JUGEMENT N° 100
A.T.M.S. R.1892
Demba S. cl Ramata L.
Ce 23/04/1892, nous Cadi Ndiaye Sarr et le greffier (...) à l'effet de juger le litige
concernant le tirailleur Demba S. et sa femme Ramata L.
Le premier se plaint que sa fenune a abandonné le domicile conjugal. Cette
dernière interrogée a répliqué qu'elle a bien quitté le domicile conjugal parce que son mari
l'avait assommée d'un coup de bâton qui lui avait fait perdre cOImaissance deux heures
durant, et les « Nazaran » l'ont arrêté pendant deux mois.
Etant donné les tOIts du mari, l'option est accordée à la femme entre le maintien
du mariage et la séparation et elle a opté pour le divorce. Nous le lui accordons.
Le Cadi
JUGEMENT N° 101
A.T.M.S. R.1892
Sieur Mbaye D. cl Déguène N.
Ce 1/07/1892,
Par-devant nous Cadi Ndiaye Sarr (...), à l'effet de juger le litige concernant les
nommés Mbaye D. et Déguène N.
Le premier prétend que sa femme a abandonné le domicile conjugal et malgré
qu'il lui a envoyé des émissaires afin de la ranlener à son foyer, elle refuse d'obtempérer à sa
demande.
La femme interrogée par le Cadi dit qu'elle a abandonné le domicile conjugal
parce que son mari la maltraite et la bat ; elle nous a effectivement montré les traces des
sévices sur son dos.
Nous avons dès lors estimé que les coups étaient exagérés et que le droit de
correction ne permet jamais au mari de défigurer sa femme ou de lui rompre les os.
(....) Par conséquent, nous déclarons son mariage dissout en nous fondant sur les
enseignements de Khalil et d'Ibn Acem.

440
JUGEMENT N° 102
AT.M.S. R. 1894
Tirailleur Toumané S. cl Mariame Nd.
Ce 22/06/1894, nous Cadi Ahmad Ndiaye assisté du greffier (....)
Le tirailleur Toumané S. a déclaré que sa femme Mariame Nd. a abandonné le
domicile conjugal et a refusé de le réintégrer malgré ses sollicitations.
La femme interpellée a répliqué qu'elle a fuit le domicile conj ugal parce que son
mari l'a violemment battue.
Nous avons, nous-mêmes, constaté les traces des sévices sur son dos qu'elle
nous a montré. Par conséquent, le mari est réprimandé et averti qu'en cas de récidive de sa
part l'option (al khiyar) serait accordée à sa femme de rester ou de rompre le mariage. Puis
l'ordre est donnée à la femme de regagner le domicile conjugal; mais elle a, en définitive,
préféré la procédure de khol en restituant les 8 dh qu'elle avait reçus de son mari en guise de
dot. Elle est à présent définitivement séparée de son mari.
Le Cadi
JUGEMENT N° 103
AT.M.S. R.1891
Dame Sira cl Tirailleur Mamadou D.
Ce 23/05/1 891, par-devant nous Cadi Ndiaye Sarr (...)
La nommée Sira a déclaré que son mari le tirailleur Mamadou D. lui porte
préjudice (...) ; le mari a lui-même avoué avoir battu sa femme qui, selon lui, l'a offensé.
Par conséquent, nous avons prononcé le divorce entre eux pour cause de
préjudice à compter de ce jour.
Le Cadi

441
JUGEMENT N° 104
A.T.M.S. R.1962
Dame Lena S. cl Souleye D.
Ce 31 octobre 1962, nous Cadi Majhtar Samb avons rendu le jugement suivant
entre la nommée Lena S. et son mari Souleye D.
(...) La demanderesse a déclaré : "Je m'adresse à la justice pour obtenir le
divorce, car mon mari me maltraite souvent. Je suis obligée d'abandonner le domicile
conjugal pour la troisième fois. Dans la nuit du 7 au 8 juin dernier, il m'a donné des coups et
m'a blessée à tel point que j'ai perdu connaissance ; ma mère m'a transportée à l'hôpital.
J'ajoute qu'il me traite aussi d'adultère",
(...) Nous déclarons dissous le mariage ayant existé entre lesdits époux en nous
basant sur Khalil qui enseigne que: « la femme peut obtenir le divorce contre son mari sans
remboursement de la dot lorsqu'elle est victime de sévices, mauvais traitements manque de
rapports sexuels ».
Le Cadi

442
JUGEMENT N° 105
A.T.M.S. R.1887
Dame Mbodji B. cl Momar D.
Ce 7/04/1887, nous Cadi Ndiaye Sarr, avons rendu le jugement suivant
concernant le litige survenu entre la nommée Mbodji B. et son mari Momar D.
La femme se plaint d'avoir subi de nombreux préjudices de la part de son mari.
D'abord après avoir examiné l'affaire, nous en concluons qu'il n'y a pas lieu de
tenir compte des plaintes de la femme qui ne constituent pas une cause de divorce étant
donné que le litige en question a été déjà réglé au cours d'une précédente audience de
réconciliation.
Ensuite, il faut retenir que le préjudice justifiant le divorce est bien connu d'après
les livres de "Foukahas". Le "Acimiya" dit: la preuve des sévices se fait par témoins ou par
commune renommée. Le Moukhtassar stipule que la femme a droit au divorce quand bien
même aucune preuve n'aurait attesté que le préjudice qu'elle a subi ne s'est pas répété.
Le premier consiste dans un acte d'illicite comme le fait d'abandonner sa femme
sans raison valablement, de la frapper ou de l'insulter.
En insultant son père, lui dire, par exemple, "fille de chien" ou "fille de
mécréant" ou "fille de personne maudite", Khalil ajoute que le mari peut sermonner sa
femme qui se montre indocile et cela consiste à lui adresser des paroles adoucissantes
susceptibles de la ramener à l'obéissance.
Et le mari a le droit, s'il ne peut abandOImer sa femme, de la frapper de manière
légère sans lui rompre les os. Il lui est interdit de lui donner des coups violents, fut-ce
l'unique solution pour la rendre docile, auquel cas elle aurait droit au divorce, et le mari se
verrait appliquer une peine de talion. D'après Nafravi, toute femme qui désobéit à son mari
devait être sermonnée ou isolée, le cas échéant, par son mari et si elle ne revient pas à de
meilleurs sentiments à son égard, il lui appartiendra de la frapper modérément s'il croit que
cela pourra être utile et on le croira sur parole s'il déclare l'avoir frappée pour la corriger
comme on croirait un maître qui déclarerait avoir battu son esclave pour les mêmes raisons,
car Allah Le Très Haut a confié les femmes aux hommes comme les esclaves sont confiés
aux maîtres (... ).
Le Cadi

443
JUGEMENT N° 106
A. T.M.S. R.1888
Ce 24-01-1888, nous Cadi Ndiaye Sarr assisté du greffier, avons tenu une
audience publique à l'effet de juger le litige concernant le nommé Diallo et M. et Dame
Sadio F. Le frère de cette dernière a déclaré que sa soeur est victime de sévices de la part de
son mari Diallo M. qui l'a blessée à tel point qu'elle ne peut pas marcher.
Ce dernier interrogé, nie les déclarations du plaignant, mais reconnaît qu'une
altercation a eu lieu entre lui et la femme la veille et qu'il l'a même blessée.
Nous avons, dès lors, exigé du plaignant de rapporter la preuve de sa déclaration
et il a cité deux témoins qui ont confirmé ses dires.
Par conséquent, nous avons accordé à la femme la faculté d'opter soit pour le
maintien soit pour la rupture du lien conjugal. Elle a préféré le divorce et le mari est
condamné à lui compléter la dot.
Le Cadi
JUGEMENT N° 107
A.T.M.S. R.1889
Dame Marie D. cl Massar S.
Ce 24-01-1889,
Nous Cadi Ndiaye Sarr avons tenu une audience publique à l'effet de juger le
litige concernant les époux Massar S. et Marie D.
La femme a déclaré que son époux l'ayant déjà répudiée lui doit le reliquat de sa
dot.
Le mari interrogé, reconnaît les déclarations de la femme mais ajoute qu'il l'a
répudiée à cause de sa mauvaise conduite et elle l'a même frappé et déchiré son vêtement.
La femme a répliqué que c'est lui qui l'avait frappé le premier et mordu le doigt.
Nous avons pris acte de la répudiation prononcée par le mari et l'avons
condamnée à compléter la dot due à la femme.
Le Cadi

444
JUGEMENT N° 108
AT.M.S. R.1913
Mariama B. cl le tirailleur Baba K.
Ce 20-09-1913, par-devant nous Aynina Seck (...) la nommée Mariama B. se
plaint que son mari, le tirailleur Baba K., l'a brutalisée à tel point qu'il l'a blessée sur la figure
sous prétexte qu'elle a refusé de lui rendre un franc de l'argent devant servir de nourriture au
ménage.
Le mari invité à répondre déclare reconnaître avoir frappé sa femme mais dit
que celle-ci s'est permis de l'insulter et non seulement lui avoir refusé un franc. Mais
lorsqu'on lui demande de rapporter la preuve de sa déclaration, il dit qu'il n'en a pas.
Le tribunal :
(...) Attendu que l'homme ne devait pas chercher à reprendre à la femme une
partie de l'argent qui devait servir de nourriture au ménage;
Attendu que à c'est tort que cet homme a frappé brutalement sa femme au point
de la saigner;
Attendu que conformément à la Loi Coranique, une femme brutalisée à tort par
son mari a droit de lui réclamer une indemnité avant de retourner au domicile conjugal;
Attendu que le mari accepte d'indemniser sa femme d'une somme de 75 F par prêt (sic) ;
Ordonne à la femme Mariama B. de rallier la demeure conjugale et au mari de changer de
conduite vis-à-vis d'elle.
Le Cadi

445
JUGEMENT N° 109
A.T.M.S. R.1913
Dame Fatou K. cl Diarra D.
L'an 1913 et le 16e jour du mois de mars. Par-devant nous Souleymane Seck
(...).
La nommée Fatou K. a articulé sa plainte à l'encontre du nommé Diarra D., son
mari: « Le nommé Diarra m'a épousé d'abord une première fois; il m'a battue, puis deux
fois, trois et quatre fois; alors son père jugeant plus prudent m'a chassée de la maison
conjugale pour éviter tout accident que pourrait entraîner cette discorde. Dans cet exil depuis
IDl an, mon mari refuse toujours d'assurer mon entretien".
Le mari invité à fournir ses moyens de défense, les a ainsi exposés : "je
reconnais toutes les déclarations de mon épouse, mais j'ajoute que si je suis resté un an sans
assure sa subsistance c'est parce que je l'a répudiée depuis avril 1912".
La cause ainsi instruite, le tribunal a rendu le jugement suivant:
Attendu que le mari peut à son gré divorcer son épouse;
Par ces motifs accepte valable 1a répudiation des époux Diarra D. et Fatou K.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement à Saint-Louis, les jour, mois et an que
dessus.
\\
Le Cadi

446
JUGEMENT N° 110
A.T.M.S. R 1888
Ce 30-01-1888, nous Cadi Ndiaye Sarr assisté du greffier avons tenu une
audience publique à l'effet de juger le litige concernant les époux Samba T. et Rose Nd.
La femme se plaint que son mari Samba T. l'a frappée avec un bâton qui lui a
fait enfler les doigts.
Le mari interrogé, répond qu'il l'a battue parce que elle est indocile.
Nous estimons que c'est le mari qui a tort.
Par conséquent, nous accordons une option à la darne qui a préféré le divorce.
D'abord Khalil enseigne qu'en cas de "darar" manifeste, la femme a droit au
divorce même s'il n'y a aucune preuve attestant la répétition du préjudice. Ensuite Ibn Acem
dit que si le mari bat modérément sa femme pour un moti f légitime, il n'aurait aucun tort, si
on connaît notamment les raisons pour lesquelles il l'a bat (...).
Le Cadi
JUGEMENT N° 111
A.T.M.S. R.1913
Counlba Nd. cl Paté S.
L'an 1913 et le quatre août, par-devant nous Aynina Seck assisté du greffier (...).
La nommée Coumba Nd. se plaint que son mari Paté S. la brutalise sans motif et
elle demande que la justice lui soit rendue. Le mari interrogé, déclare qu'il l'avait bien
frappée mais c'est parce qu'elle avait refusé de faire le salon. La fenmle invitée à fournir des
témoins, répond qu'elle n'en a pas.
Le tribunal ouï les déclarations des deux parties et après avoir délibéré: attendu
que d'après Khalil, il faut des témoins oculaires pour attester des brutalités ou à défaut des
témoins qui auraient entendu cette brutalité par la rumeur publique;
Attendu que "Mouyassar" dit que si l'homme déclare que c'est pour corriger sa
femme qu'il l'a frappée et que la femme dit qu'elle n'a été frappée que par brutalité et non par
correction, la déclaration de l'homme en ce cas est considérée comme eXacte.
Déboute la femme Coumba D. de sa plainte et l'invite à rallier la demeure
conjugale.

447
JUGEMENT N° 112
Sieur Hamadou M. cl Dame Khar Y.
Ce 03/08/1880 par-devant nous cadi Bou El Mogdad assisté du greffier avons
tenu une audience publique à l'effet de juger le litige concernant la nommée Khar Valla. Et le
sieur Hamad M.
Le mari prétend que sa femme a abandonné le domicile conjugal. Cette dernière
déclare à son tour qu'elle a été victime de sévices de la part du mari qui, selon elle, l'a bat
constan1ll1ent, mais invitée à rapporter la preuve de ses déclarations, elle dit en être
incapable; par conséquent elle a envisagé de se racheter par le khoul. Mais nous l'avons en
fin de compte réconciliée avec son époux.
Les deux conjoints ont alors repris la vie commune.
JUGEMENT N° 113
A.T.M.S. R.1880
Dame Bobo S. cl Sieur Kamb.
Ce 27 avril 1880 par-devant nous le Cadi Bou El Mogdad assisté du greffier
avons siégé à l'effet de juger le litige survenu entre le sieur Kamb et sur sa femme Bobo S.
Cette dernière se plaint que son mari lui porte préjudice en la frappant et en
l'insultant.
Le mari interrogé, a reconnu exacts les dires de la femme. Par conséquent les
torts causés à cette dernière sont bien constants ; mais étant donné qu'elle préfère reprendre
la vie commune avec son époux, nous les avons réconciliés.
Le Cadi

448
JUGEMENT N° 114
A.T.M.S. R.1889
Dame Mariame T. cl Sieur Ngoné N.
Ce 07/09/1889, par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr, assisté du greffier, avons
tenu une audience publique à l'effet de juger l'affaire ayant opposé le nommé N. Ngonen à sa
femme Mariame T. Cette dernière prétend que son mari la maltraite, la frappe et sa belle-
mère l'insulte également; par conséquent, il lui est impossible de continuer le mariage.
Le mari invité à répondre, dit qu'il l'a frappée parce qu'elle s'est querellée avec sa
mère et l'a injuriée. Après avoir examiné la plainte des parties, il s'est avéré que le maintien
de leur union aboutirait à des conséquences graves.
Ainsi, nous avons prononcé la dissolution de leur mariage.
Le Cadi
JUGEMENT N° 115
A.T.M.S. R.1889
Dame Ndikou cl Babacar
Ce 08-07-1889,
Par devant nous Cadi Ndiaye Sarr (...) la nommée Ndikou déclare être victime
de plusieurs préjudices de la part de son mari Babacar qui n'assure pas sa nourriture et, de
plus, la maltraite. Ce dernier interrogé a nié les déclarations de sa femme et prétend que c'est
elle qui refuse de lui obéir.
Nous trouvons que le maintien de cette union est devenu impossible parce que
cette affaire a été déjà jugée trois fois devant notre juridiction.
Par conséquent, nous déclarons dissous le mariage ayant existé entre les époux.
Le Cadi

449
JUGEMENT N° 116
A.T.R.K. R.1951
Dame Seynabou D. cl Idrissa T.
Ce 10-08-1951,
Nous Bâ AbdouJaye, Président du Tribunal Coutumier de la Subdivision de
Nioro du Rip de coutume islamisée (...) dans la cause de la nommée Seynabou D. cl son
mari, le nommé Idrissa T.. La femme a ainsi exposé sa demande: "Je suis mariée avec le
nommé Idrissa T. demeurant à Guinée depuis 1946. Depuis lors, il n'a cessé de me faire des
brusqueries. Nous avons fait quatre querelles, quatre blessures graves. La première, j'ai
perdu une dent, la deuxième un doigt, la troisième une blessure mortelle qui m'a mise au lit
durant trois mois et la quatrième une oreille perdue. Ne pouvant plus vivre avec cet homme,
j'ai jugé nécessaire de lui régler sa dot pour me sauver de lui.
La parole ayant été donnée au défendeur, celui-ci dit : "Je reconnais avoir battu
ma femme à plusieurs reprises et l'avoir blessée une seule fois, parce qu'elle s'était
cramponnée à mon sexe voulant me tuer. N'empêche que je sollicite toujours votre accord, et
pour cela, je consens à lui faire un cadeau. Dans le cas contraire, je demande la restitution
intégrale de ma dot qui se monte à 3.150 Fil.
Le Tribunal:
Attendu que dame Seynabou D. demande le divorce avec son mari. Attendu que
les époux se battent toujours et se blessent grièvement...
Par ces motifs, prononce le divorce aux torts et gIiefs de l'un et l'autre époux .
Ordonne le remboursement de la dot (3150) au mari.
Le Cadi

450
JUGEMENT N°ll7
A.T.M.S. R.1913
Affaire Mamour N. cl le sieur S.F.
Ce 20-02-1913, par-devant nous Sou1eymane Seck (...), à l'effet d'examiner la
plainte fonnulée par le sieur Mamour N. contre le sieur S.F. greffier titulaire du Tribunal
Musulman de Saint-Louis.
Le demandeur a déclaré: "J'ai appelé S.F. devant le tribunal parce qu'il s'est
rendu coupable à différentes reprises envers moi des faits suivants:
1°_ J'ai surpris en 1907 S.F. en flagrant délit d'adultère avec ma femme dans ma
chambre.
2°_ Peu de jours après cet événement, S.F. est venu frapper à ma porte alors que
j'étais dans la chambre. Quand j'ai ouvert la porte, S.F., me voyant, murmura ces mots:
"Comment, vous êtes déjà couché 7". Puis il se retira. "Pour quelles raisons as-tu ouvert la
porte à ce sorcier 7", me demanda ma femme. Parce qu'il te fait la cour, lui répondis-je.
3°_ Ma servante Khady est venue un jour me dire que S.F. passe la nuit avec ma
femme Khady toutes les fois que je suis absent.
4°_ S.F. a réussi à me séparer de ma femme et s'est marié avec elle avant
l'expiration de la retraite légale".
La parole ayant été donnée au défendeur, celui-ci a exposé ses moyens de
défense: "Tout ce qu'à dit Mamour N. est faux. Je suis marié avec Khady après l'expiration
de sa retraite légale".
Mamour N. invité à produire une preuve testimoniale à l'appui de son
affirmation a déclaré qu'il ne peut fownir aucun témoin, mais que la véracité de son
affirmation ne peut être contredite parce que la vie que menait S.F. et sa femme était tout à
fait notoire et publique.
La cause ainsi instruite, le tribunal a rendu le jugement suivant:
Vu le jugement rendu le 19-08-1907 par le Cadi Bécaye Bâ sur un différend
survenu entre les époux Mamour N. alors que la darne Khady refusait de suivre en voyage
son mari Mamour N.. Vu le jugement de divorce par compensation prononcé le 19
septembre 1912 entre lesdits époux par le Tribunal Musulman de Saint-Louis;
Attendu qu'il n'appert au texte d'aucun de ces deux jugements que Mamour N.
ait en aucun moment, fait état de l'intervention de S.F. dans les différends qui ont surgi entre
sa femme et lui;

451
Attendu d'autre palt, que jamais le sieur Mamour N. n'a saisi le Tribunal
Musulman d'une plainte tendant à incriminer S.F. d'avoir des relations coupables ou
blâmables avec sa femme pendant le temps qu'a duré son union avec elle.
Attendu que Mamour N. invité à administrer la preuve par témoignage de
l'accusation par lui portée contre S.F., a déclaré ne pouvoir le faire;
Attendu que, d'après Khalil, la preuve du crime de stupre est acquise par
témoignage concomitant de quatre témoins de sexe masculin qui auraient vu le même fait
dans le même moment;
Attendu que d'après le même auteur, le mari encourt la peine Jégale si, après le
divorce définitif et l'achèvement de la période de retraite légale, il prétend avoir vu J'adultère;
c'est de même un simple châtiment arbitraire qui est infligé au mari déclarant, sans preuve,
avoir trouvé sa femme coucher avec un homme sans couverture, tandis que pareille
imputation dirigée contre une femme étrangère lui vaudra la peine légale de la diffamation;
Attendu que d'après le même auteur, la durée de la retraite légale est de trois
périodes inter-menstruelles de pureté et que le minimum de la durée de ces périodes est d'un
mois et demi;
Attendu que d'après Khalil, autant que possible, il est ajouté foi à la simple
affinnation de la femme sans serment pour tout ce qui a trait à l'achèvement de la période de
retraite par menstruation;
Attendu que, toujours d'après cet auteur, une "idda" de trois mois est imposée à
la femme qui n'a encore eu de menstrues ou qui désespère de ne plus en avoir; que l'Idda de
la femme enceinte cesse par l'expulsion complète du produit de sa grossesse, fut-ce même
une mole.
Par ces motifs, le tribunal déclare le sieur Mamour N. mal fondé en sa plainte;
l'en déboute; renvoie S.F. des fins de sa plainte contre lui.
Le Cadi

452
JUGEMENT N° 118
A.T.M.S. R.1890
L'affaire dame Hamari cl Bounama S.
Ce 30 janvier 1890, par-devant nous Cadi Ndiaye Sarr assisté du Greffier Omar
Ndiaye, avons siégé à l'effet de juger le litige survenu entre la nommée Hamari et M.
Bounama S.
La première a adressé une plainte au directeur M. Toutain dénonçant l'injustice
que M. Bounama S. lui a fait subir en confisquant ses biens suite à une condamnation à une
peine de hadd prononcée contre elle par le Cadi de Tivaouane, Baba Diakhoumpa.
Le directeur, M. Toutain, nous a chargé de rééexaminer cette affaire; nous
avons d'abord entendu la version de la plaignante avant d'interroger le Cadi Baba
Diakhoumpa au sujet de cette sentence. Celui-ci prétend que la femme avait contracté un
nouveau mariage alors que sa première union n'avait pas été dissoute, d'où le motif de sa
condamnation à la peine de hadd pour crime de zÎna.
La plaignante a répliqué que son premier mari l'avait répudiée et qu'elle avait
observé sa retraite légale avant de se remarier. Nous l'avons dès lors invité à apporter la
preuve de sa déclaration et à comparaître à la prochaine audience avec M. Bounama S.. Ce
dernier interrogé sur les raisons qui l'avaient amené à ordonner la saisie des biens de la
dame, nous a répondu qu'il avait désigné un cadi qui lui a infligé cette peine.
Le premier mari de la dame ayant confirmé l'avoir déjà répudiée, il nous paraît
évident que son second mariage est valable et le jugement prononcé contre elle par le cadi
est dénué de tout fondement légal. Aussi le prononcé d'une peine pécuniaire en guise de
"Tazir" est-il illégal en vertu de l'Ijma.
Par conséquent, nous condamnons M. Bounama S. à restituer tous ses biens à la
plaignante et à lui rembourser ses frais de déplacement à l'aller comme au retour.
Le Cadi

453
JUGEMENT N° 119
A.T.M.S. R.1932
L'affaire Mayoro P. cl Dame Aminata L.
L'an 1932 e le 31 mai, par-devant nous Amadou Ndiaye Bann suppléant du Cadi
(...), assisté du greffier (...) à l'effet d'examiner et de juger l'affaire pendante entre le sieur
Mayoro P. et dame Aminata L.
La parole ayant été dOlmée au sieur Mayoro P., celui-ci a dit: "En janvier 1924,
j'ai épousé à Saint-Louis la nommée Aminata Loo Dans le courant du mois de février suivant,
je suis parti en voyage au Soudan laissant ma femme chez ses parents.
Dans le courant de l'année 1926, je reçus du Cadi de Saint-Louis une lettre par
laquelle ma femme demandait le divorce contre la dot que je lui avais versée. N'ayant pas
compris le geste de la femme, car je lui envoyais régulièrement son entretien, je répondais au
Cadi que je refusais la demande de la femme et que je serai heureux de savoir les raisons
pour lesquelles elle voulait divorcer. En réponse à ma lettre, le Cadi me fit savoir qne malgré
mon refus de céder au désir exprimé par ma femme, le divorce lui sera prononcé. Quelque
temps après, j'appris que la femme avait accouché. Harcelé par une avalanche de lettres,
j'acceptais la demande de divorce. Je déclare que je ne suis pas le père de l'enfant".
Invitée à répondre, la femme déclare: "Mayoro P. est bien le père de l'enfant. Le
jour qu'il m'a mariée jusqu'à son départ, nous avons cohabité et même au cours de la dernière
nuit qu'il a passée à Saint-Louis, nous nous sommes mis en relations intimes. Je ressentis les
symptômes de la grossesse à son dépaIi au point que j'étais obligée d'aller me faire ausculter
par le docteur. Sa mère fut avisée de mon accouchement".
Le sieur Mayoro P. invité à prêter serment quatre fois dans la formule consacrée,
et en cinquième fois invoque la malédiction de dieu s'il a menti, accepte de s'exécuter.
TaI1dis que la femme Aminata L. s'y est refusée.
Le tribunal : Attendu que d'après Dassoukhi, le DIRDIR, commentaire de
Khalil, lorsque le mari à son retour d'un voyage trouve au domicile conjugal un ou plusieurs
enfants dont on lui attribue la paternité, il lui faut, pour écarter la présomption de paternité,
prêter serment dans la fonnule consacrée par le Coran et en cinquième lieu appeler sur lui la
malédiction d'Allah s'il a menti.
Attendu que d'après la Tohfa, la femme prête serment quatre fois pour éviter la
peine et repousser l'accusation. La Se fois, elle appelle sur elle la colère divine si son mari a
dit vrai;
Attendu que d'après le commentaire de la Rissala, si la femme refuse de prêter
serment, elle sera condamnée à la peine de lapidation;
Attendu que le sieur Mayoro P. a prêté le serment prescrit et que la femme s'y
est refusée ;

454
Par ces textes et par ces motifs, déclare qu'à partir de ce jour la paternité de la
fille N. ne sera pas attribuée à Mayoro L. et que la peine de lapidation est infligée à la dame
AminataL.
Le Cadi
Cour d'Appel de Dakar
Arrêt du 13 janvier 1933
Matière Musulmane
Dame Aminata L. cl Mayoro P.
Considérant que rien dans la Loi Coranique ou dans la coutume n'interdit une
action en désaveu de paternité, même plus de cinq années après la naissance de l'enfant si
cette action est intentée dans un bref délai à compter de la connaissance par le père de la
naissance de l'enfant;
Qu'en fait, la dame Aminata L. a prétendu devant le tribunal que l'accouchement
de sa fille N. avait été portée à la connaissance de la mère de Mayoro P. sans d'ailleurs
indiquer la date ;
Que devant la Cour, elle a soutenu que le prétendu père avait été mis au courant
de cette naissance dès qu'elle avait eu lieu;
Considérant que la défenderesse qui invoque la tardiveté de l'action doit prouver
le fait dont elle prétend faire découler cette tardiveté;
Que ses allégations sont en l'état du dossier dénuées de preuve e qu'il importe,
pour la solution du litige, d'autoriser la dame Aminaia L. à rapporter la preuve des faits
qu'elle prétend retenir à l'appui de son exception.

455
ARRETN° 121
Cour d'Appel de Dakar
Arrêt du 25 juillet 1941
Dame Aminata L. cl Mayoro P.
Considérant que par l'arrêt en date du 13 janvier 1933 de la Cour de céans,
Aminata L. a été reçue appelante d'un jugement du Tribunal Musulman de Saint-Louis rendu
le 31 mai 1932 entre elle et Mayoro P., son mari, décidant que la paternité de la fille N. ne
sera plus attribuée audit Mayoro P. et infligeant à la dame coupable la peine de la lapidation;
que la Cour, avant dire droit au fond et par défaut, a autorisé l'appelante à rapporter la preuve
que le mari avait eu effectivement connaissance de la naissance de l'enfant, dans un temps
qui a précédé de plus d'un mois le désaveu de Mayoro P.
Mayoro P. opposant demande à la Cour de rétracter l'arrêt de défaut, et de
déclarer Aminata L. déchue du droit de poursuivre l'enquête qu'elle a négligée pendant plus
de huit ans, et de confirmer le jugement attaqué.
Considérant, sans examiner les autres moyens proposés tendant à la nullité du
jugement, que d'après la coutume musulmane du Sénégal, Mayoro P. était tenu, à peine de
forclusion, de formuler le désaveu dans un délai maximum de sept jours après la naissance
de l'enfant ou la connaissance par lui de l'accouchement; que telle est la doctrine de l'arrêt
dont est opposition, conformément aux coutumes coraniques locales; qu'aux telmes de cet
arrêt, la présomption de paternité du mari s'impose pour tout enfant né pendant une période
de cinq ans à dater de la cohabitation, sauf la possibilité du désaveu dans le délai étroit
imparti par la Loi Coranique;
Or, Considérant qu'il résulte du dossier et des débats, notamment d'une lettre en
date, à Gao, du 25 septembre 1926 adressée par Mayoro P. au Cadi de Saint-Louis, que le
mari était à cette date infom1é de l'accouchement de sa femme ; que dès lors, l'enquête
autorisée par l'arrêt dont est opposition est inutile;
Considérant que c'est six ans après avoir connu l'accouchement de sa femme
légitime, donc hors des délais légaux, que Mayoro P. a cru devoir désavouer en justice
l'enfant né d'Aminata L. pendant le mariage ; qu'à tort, le tribunal, au mépris des
prescriptions de la Loi Coranique, a admis le mari à prêter les serments rituels et a accueilli
l'action en désaveu; que le jugement attaqué doit être annulé de ce chef.

456
JUGEMENT N° 122
A.T.M.S. R.1913
Affaire Aïssa S. cl Aldiouma S.
Ce 07/10/1913, par-devant nous Cadi Aynina Seck (...) dans le litige survenu
entre la nommée Aïssa S. et Aldiouma S., la femme se plaint qu'elle a été abandonnée par
son mari qui a cessé de la nourrir et de l'entretenir. Pour cette raison, elle demande le
divorce.
Aldiouma S. invité à répondre, déclare qu'il n'a jamais abandonné sa femme;
que c'est plutôt elle qui a quitté la demeure conjugale et s'est même permis d'avoir des
rapports avec d'autres personnes jusqu'à en avoir un enfant.
Le tribunal, vu les déclarations des parties et après en avoir délibéré, a rendu le
jugement suivant :
Attendu que la femme a quitté le domicile conjugal et en se livrant à de pareils
actes;
Attendu que d'après Khalil, une femme apte à la cohabitation a droit à une
nourriture et aux vêtements (...) ;
Par ces motifs, condamne la femme à rejoindre le domicile conjugal et à changer
de comportement à l'égard due mari.
Le Cadi

457
JUGEMENT N° 123
Archives du Tribunal Régional de Kaolack
JUGEMENT du lundi 07 décembre 1936
Tribunal du 1er degré de Kaolack
sous la présidence de Wak San, notable ouoloff
(coutume islamisée)
Affaire Rokhaya D. cl Massiré F.
La nommée Rokhaya D. a saisi le uibunal de céans par requête écrite au
Commandant du Cercle contre le nommé Massiré F. et a ainsi exposé sa demande: "je viens
demander la confirmation de la répudiation dont je suis l'objet de la part de mon mari
Massiré F. au début du ramadan] 936".
La parole ayant été donnée au défendeur, celui-ci a répondu: "je n'ai pas répudié
ma femme, je reconnais seulement avoir sorti ses bagages hors de ma case car la femme
m'avait insulté dans ]a personne de mes parents" (...).
Les parties entendues, il a été procédé à l'audition des témoins. Le premier
témoin de coutume ouo1ofI islamisée, a déclaré: "Massiré F. est venu me trouver dans mon
carré et dire: j'ai répudié ma femme Rokhaya D. car je l'ai surprise sous la lampe, dans la
rue, en train de causer avec deux hommes. Je n'ai plus confiance en elle et je l'ai mise à la
porte pour toujours".
Le tribunal :
Attendu que le mari conteste en partie les déclarations de la femme mais
reconnaît avoir jeté les bagages de cette dernière hors de la case conjugale et en avoir rendu
compte au chef du quartier;
Par ce motif, constate l'existence du divorce par répudiation prononcée entre le
nommé Massiré F. et Rokhaya D. vers le 17-1] -1936 ; précise que la nommée Rokhaya D.
observera le délai de viduité de trois mois..
Le tribunal

458
JUGEMENT N° 124
A.T.M.S. R.1961
Affaire dame F.F. Ndiaye cl Fall B.
Le 20-12-1961, le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience
publique sous la présidence de Amadou Majhtar Samb, afin de régler le litige survenu entre
la nommée F.F. Ndiaye et son mari Fall B.
A l'appel de la cause, la demanderesse a déclaré: "je porte plainte contre mon
mari Fall B. qui m'a abandonnée avec mon enfant. Durant notre mariage, il n'a jamais cessé
de me traiter d'adultère, et il est venu me taquiner disant que j'ai couché avec un homme dans
la chambre. Dans ces conditions, je ne peux plus vivre avec lui".
Le mari a répliqué: "en effet, je l'ai traitée d'adultère car je l'ai trouvé une fois
couchée avec un homme dans sa chambre. Je voulais battre cet homme mais eHe m'a poussé
en me frappant".
Le mari déclare en outre qu'il ne peut fournir des témoins en ce qui concerne les
accusations d'adultère portées à l'égard de sa fenune.
Après en avoir délibéré, le tribunal a rendu le jugement suivant:
Attendu que le mari déclare qu'il traite sa femme d'adultère parce qu'il l'a trouvée
couchée avec un homme dans sa chambre;
Attendu que le mari déclare qu'il ne peut pas fournir des témoins en ce qui
concerne les accusations portées à l'égard de sa femme;
Attendu que d'après le Livre des Quatre Ecoles, lorsque la chasteté d'une femme
libre est menacée par son mari, on doit dissoudre le mariage et que d'après la Rissala,
l'homme libre coupable d'imputations calomnieuses est légalement passible de 80 coups de
fouets.
Par ces motifs, le tribunal déclare dissous le mariage ayant existé entre les
nommés F.F. Ndiaye et Fall B.
Le Cadi

459
JUGEMENT N° 125
A.T.M.S. R.1962
Affaire Marie D. cl Mamadou B.
Le 07 mars 1962, le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience
publique sous la présidence de Amadou Majhtar Samb.
A l'appel de la cause, la nommée Marie D. a déclaré en personne: "je me suis
adressée au tribunal pour demander ma liberté car mon mari me maltraite. Il me traite
d'adultère et déclare en outre que j'ai une maladie vénérienne".
Le mari a répliqué: "je l'ai frappée car je l'avais trouvée avec un honune". Mais
déclare être incapable de fournir la moindre preuve concernant la conduite de sa femme (00')'
Attendu que la demanderesse se plaint des accusations calomnieuses concernant
sa chasteté et que le mari n'a jamais foumi les preuves exigées en pareil cas;
Attendu que d'après le Livre des Quatre Ecoles volume IV, lorsque la chasteté
d'une femme a été menacée par mari, on doit dissoudre le mariage et que par ailleurs, d'après
la Rissala page 194, l'homme libre coupable d'imputations calomnieuses est légalement
passible de 80 coups de fouets ; l'imputation calomnieuse s'entend de l'accusation de
fornication ou de pédérastie et de dénégation de filiation légitime.
Le tribunal:
Par ces motifs, déclare dissout le manage ayant existé entre les nommés
Mamadou B. et Marie D.
Le Cadi

460
JUGEMENT N° 126
A.T.M.s. R.1963
Mamadou S. cl Amsatou N.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique du 8-05-
1963, sous la présidence de M. Majhtar Samb (...).
Le sieur Marnadou S. déclare qu'il est resté plus de 13 mois absent et semble
nier la paternité de l'enfant né de sa femme Amsatou N. le 3010811960. Il dit fonnel1ement
que depuis 13 mois il n'a pas de rapport avec sa femme. Par conséquent, il refuse d'assurer
l'entretien de son enfant.
La nommée Amsatou D. interrogée, répond que c'est bien Marnadou S. qui est le
père de l'enfant. Il a été mis au courant de ma grossesse, dit-elle (... ).
Par ce motifs, le tribunal déclare:
Attendu que le nommé Marnadou S. ayant été condamné par défaut, a fait
opposition dudit jugement;
Attendu qu'il nie la patemité de l'enfant M.S. né de son mariage avec la nommée
Amsatou N. et refuse de prêter sem1ent ;
Attendu que d'après la Tohfa, dès que le mari sait que sa femme est enceinte et
qu'il croit que cette grossesse n'est pas de son œuvre, il doit prononcer sur le champ
l'anathème, à moins qu'il n'ait, pour ce faire, une excuse légitime ; le moindre retard lui
enlève le droit de se plaindre et il sera réputé le père de l'enfant. Et si après avoir gardé le
silence, il voudrait ensuite prononcer l'anathème, il subirait la peine édictée par le Coran ;
Attendu que d'après la Tohfa, le mari qui garde le silence quand la grossesse de
sa femme est apparente, sera toujours puni et il ne pourra prononcer l'anathème.
Attribue la paternité de l'enfant au père et fixe son entretien mensuel à 1.000 F.
Le Cadi

461
JUGEMENT N° 127
A.T.M.S. R.1959
Dame Coura D. cl S. Ali
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis siégeant en audience publique du 29-07-
1959.
(...) La nommée Coura D. a déclaré: "Mon mari m'a envoyée un soir auprès d'un
parent, et avant mon retour, il a déménagé ses bagages chez lui où il est allé vivre
tranquillement. Et il m'a appris plus tard qu'il avait divorcé avec moi; et j'étais en état de
grossesse de 4 mois environ. Mon mari avec qui j'avais vécu près de 5 mois, m'avait ainsi
abandonnée. Et quand il a été mis au courant de mon accouchement d'une fille, 5 mois après,
il n'a pas accepté d'être déclaré le père de mon enfant qui ne peut en avoir d'autre. Je
demande que le tribunal lui en attribue la paternité, qu'il me paie mes frais d'entretien durant
ma grossesse".
Le mari S. Ali, non comparant, a fait parvenir un mémoire de défense résumé
comme suit: Marié avec la dame Coura D. et ayant vécu avec elle près de 5 mois, il a
constaté son état de grossesse assez avancé et jugé bon de l'abandonner pour qu'elle
accouche un mois après, c'est-à-dire au bout de 6 mois.
Cependant, le sieur S. Ali déclare que leur mariage a eu lieu le 05 février 1956 et
le divorce le 1er mai 1956. Tandis que la dame illettrée affirme comme date de mariage et de
divorce le 20 février et le 1er juin 1956.
Malgré la différence de date, la naissance se situe entre 7 mois et 15 jours et 7
mois 21 jours environ après une vie commune de près de 4 mois.
Le tribunal ouï la demanderesse, le demandeur ne s'étant pas présenté, malgré 4
convocations (...).
Attendu qu'après avoir constaté l'état de grossesse de son épouse, sans rien dire,
durant un mois, toute remarque ultérieure est considérée comme accusation honteuse et n'est
plus recevable car le silence pendant un mois est un aveu;
Attendu que d'après la Tohfa, le mari qui garde le silence quand la grossesse de
sa femme est apparente, sera toujours puni et il ne pourra prononcer le "lian" (vers 510 p.
275) ; Attendu d'autre part que si la femme accouche 56 mois entiers après la consommation
du mariage, la paternité de l'enfant est attribuée au près sans anathème, car le délai minimum
de grossesse est de 6 mois.
Par ce motif, le tribunal déclare légitime l'enfant né de la dame Coura D. le 20
septembre 1956 dont le père est l'ex-mari S. Ali et condamne ce dernier à payer à la dame 5
mois de pension alimentaire plus 35 mois de frais d'entretien pour l'enfant depuis sa
naIssance.
Le Cadi

462
JUGEMENT N° 128
A.T.M.S. R.1970
Affaire Daouda Nd. cl Mbayang Nd.
Le Tribunal Musulman de Saint-Louis, siégeant sous la présidence du Cadi
Majhtar Sarnb à l'audience publique du 16-12-1970 (...) à l'effet de trancher le litige
concernant le nommé Daouda Nd. contre son épouse Mbayang Nd.
A l'appel de la cause, le demandeur a déclaré: "J'ai contracté mariage avec
Mbayang Nd., il y a environ 7 ans selon le rite musulman à Linguère. Mon épouse profitant
de mon voyage pour Matam, voyage qui date de 4 ans, a déserté le domicile conjugal sans
mon autorisation. C'est après d'immenses sacrifices que j'ai pu découvrir qu'elle était à Saint-
Louis où elle travaillait en qualité de bonne. J'ai mis la main sur elle à Saint-Louis à la suite
d'une miraculeuse rencontre alors qu'elle partait pour vider des ordures. J'ai alors tenté un
arrangement avec elle et elle m'a demandé de l'argent et je lui ai donné. Elle m'a signalé la
naissance d'un enfant à la suite de ses relations intimes avec un certain Sidy F.".
La défenderesse interrogée, a répondu "mon mari Daouda Nd. ne m'a pas
divorcé quand il me faisait savoir ses intentions de reprendre la vie commune avec moi. J'ai
d'ailleurs un enfant illégitime avec le nommé Sidy F. lt •
Et le mari de reprendre : "l'enfant a été déclaré à l'état civil par l'amant de sa
mère à son nom de Sidy F. On m'a applis également que mon épouse s'était sans scrupule
mariée avec le nommé Massarnba D .. Malgré toutes les bêtises qu'elle a commises, j'ai
consenti à la reprendre et que la paternité de l'enfant issu de ses relations illicites avec Sidy
F. me soit attribuée".
Le tribunal, après avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le jugement
suivant:
Attendu que le nommé Daouda Nd. déclare qu'il a mis la main sur sa femme
Mbayang Nd. qui a déserté le domicile conjugal à Saint-Louis;
Attendu que la femme dit que son mari ne l'a pas divorcée;
Attendu que le nommé Daouda Nd. demande également que la paternité de
l'enfant né de son mariage avec Mbayang lui soit attribuée;
Attendu que la paternité d'un enfant né au cours d'un mariage légal est attribuée
à l'époux, à moins qu'il n'y ait un anathème, dans lequel cas, il est fait appel au serment des
deux époux;
Attendu que l'époux Daouda Nd. accepte la paternité, l'anathème est exclu.
Le tribunal ordonne à la dame 1\\1bayang D. de rejoindre le domicile conjugal
sans délai; attribue à Daouda Nd. la paternité de l'enfant né de son mariage avec la dame
Mbayang Nd. que le nommé Sidy F. prétend être le père.
Le cadi

463
JUGEMENT N° 129
A.T.M.S. R.1890
Affaire Harouna T. cl Diallé K.
Aujourd'hui le 30 septembre 1890, le nommé Harouna T. a déclaré qu'il a acheté
une esclave nommée Diallé K. dont il en a fait une épouse "sur son lit". Il prétend qu'ils ont
d'abord vécu ensemble pendant plus d'un an avant de s'installer au "Pont Lébar" à côté de
Saint-Louis, d'où la femme partait chaque matin pour aller au marché. Mais un jour, elle a
déserté le domicile conjugal et il l'a retrouvée à Sor chez le nommé Biram S. et lui a intimé
en vain l'ordre de rentrer à la maison.
La parole ayant été donnée à la défenderesse, celle-ci a répondu qu'elle est
effectivement la femme du nommé Barouna T., mais elle avait demandé et obtenu une
"patente de liberté" des "nazarans" (c'est-à-dire les autorités coloniales).
Après avoir examiné l'affaire, nous avons trouvé que la défenderesse a elle-
même reconnu l'exactitude des affirmations du mari. Or, selon la doctrine des Fouqahas,
l'aveu est plus important que le témoignage. Aussi, Khahl enseigne-t-il qu'on accepte de
l'individu pubère et sain d'esprit, l'aveu qu'il prononce en toute chose. Et l'homme a le droit
d'avoir des relations intimes avec ses captives comme il l'entend. La Mouwata (sic) dit:
"quiconque parmi vous n'a pas les moyens pour épouser des femmes libres (non esclaves)
croyantes, prendra des captives croyantes".
Par ces motifs et textes, le tribunal décide que la nommée Diallé K. est la captive
de Barouna T. qui a le droit de l'emmener où il veut; mais il ne devra pas la vendre et devra
prendre soin de leurs rapports selon le bon usage.
Le Cadi

464
JUGEMENT N° 130
A.T.M.S. R.] 897
Affaire Samba Nd. cl Karantigué et Sira K.
Aujourd'hui, le 071 ?/1897, le nommé Samba Nd. s'est présenté devant nous
déclarant qu'il a acheté deux femmes esclaves nommées Karantigué et Sira K. et a fait d'elles
ses épouses.
La nommé Karantigué invitée à répondre, a reconnu exactes les affinnations du
plaignant. Tandis que Sira K. les a rejetées.
Nous avons alors demandé à Samba Nd. de rapporter ses preuves par rapport à
la dénégation de Sira K. et il a cité deux témoins qui ont confirmé que Sira K. est la
concubine esclave de Samba Nd.
Nous avons, dès lors, estimé que l'aveu est supérieur au témoignage d'après
l'avis des Fouqahas de la doctrine malékite, et l'homme a le droit de cohabiter avec son
esclave comme il l'entend.
Aussi Mouwata (sic) enseigne-t-elle que "quiconque parmi vous n'a pas les
moyens pour épouser des femmes libres croyantes, eh bien, il prendra des captives
croyantes".
Par ces motifs, le tribunal déclare que les nommées Karantigué et Sira K. sont
deux femmes de Sanlba Nd.
Le Cadi

465
JUGEMENT N° 131
A.T.M.S. R.1889
Affaire Fatima cl Harndy B.
Aujourd'hui le 17 septembre 1889, par-devant nous Cadi Ndiaye Sarr, assisté du
greffier (...) à l'effet de trancher le litige survenu entre la nommée Fatima et son mari Hamdy
B.
La femme prétend que son mari lui porte préjudice et la maltraite. Ce dernier
interrogé, dit que ce que sa femme déclare est faux car il a l'a achetée quand elle fut toute
jeune dans le but d'en faire sa femme et il s'est toujours acquitté de ses devoirs envers elle.
Après avoir examiné l'affaire, nous avons exigé de la plaignante de fournir ses
preuves étant entendu que le préjudice ne peut être attesté que par la preuve légale ou par la
commune renommée mais elle s'est montrée incapable de le faire.
Par conséquent, nous avons rejeté sa requête et l'avons condamné à réintégrer
son domicile conjugal ou, à défaut, à restituer au mari le prix par lequel il l'avait achetée.
Le Cadi
JUGEMENT N° 132
A.T.M.S. R.1893
Affaire Youga cl Satoubab
Aujourd'hui, le 17 août 1893, par-devant nous, Cadi Ndiaye SalT, assisté du
greffier, avons siégé afin de trancher le litige survenu entre les nommés Youga et Satoubab.
Le litige porte sur la propriété d'esclaves, une femme et ses enfants revendiqués par chacune
des deux parties. Satoubab prétend que ces esclaves lui appartiennent parce que faisant partie
de l'héritage de sa mère. Tandis que le sieur Youga allègue qu'il avait hérité ces esclaves du
côté de son père.
Après les avoirs entendus, nous leur avons demandé de fournir leurs preuves, ce
dont Satoubab s'est montré incapable; par contre, le nomnlé Youga a cité deux témoins qui
ont confirmé ses déclarations sous la foi de son serment prêté sur le Coran.
Par conséquent, nous avons décidé de lui attribuer lesdits esclaves, étant entendu
qu'il est confinné d'après les règles de propriété en vigueur en matière de patrimoine, que ces
esclaves font notamment partie de l'héritage de son père. En outre, il demeure certain pour
nous, d'après le témoignage des deux "adls" rapportés que le père du sieur Youga est mort
musulman.
Le Cadi

466
JUGEMENT N° 133
A.T.M.S. R.1891
Affaire Marem G. cl Mafal G.
Aujourd'hui, le 13 octobre 1891, par-devant-nous, Cadi Ndiaye Sarr, assisté du
greffier, avons siégé au Tribunal Musulman à l'effet de juger le litige survenu entre le sieur
Mafal G. et la dame Marem G.
La femme sollicitant le Khoul, nous avons demandé au mari de compter ce qu'il
lui avait donné en guise de dot. Et celui-ci a énuméré une captive et son enfant, une vache et
son petit, dix tissus et 38 dh et a déclaré qu'il consentirait au Khoul dès que cette dot lui
serait immédiatement restituée.
Et la femme a présenté à l'audience la dot ainsi décrite par le mari, y compris
une captive et son enfant. Nous avons dès lors invité l'assistance à vérifier si la captive
présentée vaut celle qui avait été initialement remise à la femme lors de la conclusion du
mariage; et le public de déclarer n'y avoir décelé aucun défaut notable du point de vue de la
charia.
Cependant, on lui a fait notifier qu'il est mauvais de sa part d'accepter d'échanger
la présente captive contre l'autre. La dot est quand même restituée au mari et le Khoul est
prononcé.
Le Cadi

467
JUGEMENT N° 134
AT.M.S. R.l892
Aujourd'hui, le 4 février l892, par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr, assisté du
greffier, avons siégé à l'effet de juger l'affaire concernant les nommés Gora K. et Biram T.
Le nommé Gora K. qui a marié sa captive au nommé Biram T., lui avait signalé
que cette femme à une autre soeur esclave à Djolof et lui avait permis d'aller la racheter afin
de j'affranchir. Après que cette captive eut été rachetée, elle se maria et a eu un enfant de ce
mariage mais elle décéda au cours d'un voyage qu'elle devait effectuer vers le Djolof en
laissant cet enfant. C'est alors que le sieur Gora K. est venu ravir ledit enfant à son père en
échange de la captive qu'il avait donnée en mariage à Biram T. sous prétexte que celle-ci a
réussi à obtenir une "patente de liberté grâce à la complicité de ce dernier. Le sieur Gora K.,
invité à répondre, nous a déclaré que c'est bien Biranl T. qui a pemüs à sa captive qu'il lui
avait donnée en mariage d'être affranchie par les autorités coloniales.
Le sieur Biram T. a réfuté ces accusations ; nous l'avons néanmoins invité à
montrer le papier attestant que ladite esclave, c'est-à-dire sa femme, est devenue libre. Notre
intention est de vérifier la date du document afin de voir s'il était ancien ou récent. Au cas où
ce papier s'avérerait ancien, cela prouverait que la responsabilité du sieur Biram T. est
dégagée; dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il était récent, cela signifierait que c'est bien lui
qui a contribué à l'affranchissement de sa femme qui reste l'esclave d'autrui, auquel cas il
serait tenu de sa valeur d'estimation.
Le sieur Biram T. nous a répondu que le papier en question est en ce moment à
Louga et qu'il se chargerait de nous le présenter dès qu'il l'aura récupéré.
Nous décidons que la captive décédée ainsi que son enfant étaient devenus libres
et que personne n'avait plus le droit de les asservir après que la mère ait été rachetée. Et le
sieur Gora K. est condanmé à rendre l'enfant à son père.

468
JUGElVIENT N° 135
A.T.M.S. R.1889
Sieur Ah Alarba cl Sieur Maatouré
Aujourd'hui le 0910511889, par-devant nous, Cadi Ndiaye Sarr et le greffer
avons siégé à l'effet de trancher le litige survenu entre les nommés Ali Alarba et Maatouré.
Le premier a porté plainte contre le second en l'accusant d'avoir causé la mort
d'une de ses vaches qu'il avait confiées au berger nommé Mbaye, au "Pont Khor". Parce que,
selon lui, c'est le nommé Maatouré qui avait notamment dit au berger suscité que le
propriétaire du troupeau lui demandait de conduire les bêtes à Ndar (Saint-Louis) alors que
ce dernier n'avait pas donné cet ordre.
Le berger avait d'abord refusé en déclarant au sieur Maatouré que le propriétaire
du troupeau avait plutôt demandé de l'attendre au "Pont Khor". Mais le nommé Maatouré
avait insisté en lui répétant que c'est bien le propriétaire des vaches qui lui demandait de les
conduire à Saint-Louis. Par conséquent, le berger accepta de s'exécuter et Dieu a voulu que
l'une des vaches s'abreuva dans l'eau salée du fleuve et périt.
Le défendeur Maatouré invité à répondre a nié les accusations portées contre lui.
Mais le sieur Ali Alarbil. a cité deux témoins qui ont attesté que c'est bien le
nommé Maatouré qui a incité le berger à conduire le troupeau vers Saint-Louis.
Par conséquent, le tribunal juge que c'est le sieur Maatouré qui a tort et le
condamne à rembourser la valeur d'estimation de la vache morte.
Le Cadi

469
JUGEMENT N° 136
A.T.M.S. R.1890
Sieur Ahmad L. cl Bintou T.
Aujourd'hui, le 29108/1890, le nommé Ahmad L. s'est présenté devant nous en
déclarant qu'il a acheté la nommée Bintou T. contre un cheval et en a fait sa concubine. Mais
lorsqu'elle est arrivée à Saint-Louis, elle a refusé de lui obéir et a regagné ses proches en
ville.
La femme interpellée, a répondu qu'elle est de condition libre depuis sa
naissance et n'accepterait pas d'être la concubine de cet homme. Elle a ajouté que c'est un
homme originaire de Fouta nommé Yoro Baal qui l'avait volée et vendue à Ahmad L. contre
un cheval.
Après avoir examiné l'affaire, nous avons exigé des parties de rapporter la
preuve de leurs déclarations.
La défenderesse a cité trois témoins qui ont déposé en sa faveur en jurant sur le
Coran qu'elle a été volée toute jeune dans le village de Sali Kandji dans le cercle du Rip.
Par ce motif, le tribunal la déclare libre.
Décide que le nommé Ahmad L., s'il désire récupérer son cheval, n'a qu'à s'en
prendre au nommé Yoro Baal qui lui avait vendu ladite femme. Car une personne libre à
l'origine ne peut être vendue d'après Khalil qui enseigne par ailleurs: "parrni les choses ne
pouvant faire l'objet de vente conm1e la persorme libre...".
En outre, le sieur Ahmad peut demander la main de cette femme et l'épouser
régulièrement si elle est consentante, moyennant lIne dot.
Le Cadi

470
JUGEMENT N° 137
A.T.M.S. R.1913
Sieur Moussa S. tirailleur cl Dame Penda Nd.
L'an 1913 et le 2 septembre,
Nous Aynina Seck, Président du Tribunal Musulman de Saint-Louis assisté du
greffier siégeant en audience publique à l'effet de juger l'affaire pendante entre le nommé
Moussa S., tirailleur de 2e classe contre sa femme Penda Nd., tous deux demeurant à Saint-
Louis.
Moussa S. déclare que sa femme Penda Nd. qu'il avait épousée il y a des années
à Rufisque, s'est évadée de chez lui et a complètement disparu. Actuellement, il l'a retrouvée
entre les mains du sergent indigène Mamadou K. et la réclame.
La femme Penda Nd. interrogée, reconnaît qu'elle était la femme de Moussa S.
mais elle s'est évadée quand elle s'est rendu compte qu'elle a été vendue par son mari à un
autre tirailleur, un nommé Amadou C.. Et arrivée à Kayes, elle s'est mariée avec le sergent
Mamadou K. pour une dot de 120 F. La femme invitée à fournir des témoins, pour attester
ses dires, déclare qu'elle n'en a pas, mais affi~e qu'elle a entendu elle-même son mari
lorsqu'il la marchandait.
La femme Penda Nd. refusant de retourner chez le premier mari, accepte de lui
rembourser la dot de 135 F qu'il lui avait donnée.
Moussa S. invité à fournir des témoins pour attester qu'il avait donné 135 Fen
guise de dot à la dame Penda Nd., s'est exécuté.
Attendu que d'après Khalil, on ne permet pas un second mariage sur une femme
si le premier n'est pas encore rompu;
Attendu que le mariage Moussa S. et de Penda Nd. n'est pas rompu;
Attendu que la dame Penda Nd. a refusé de retoumer chez le premier mari ;
Par ces motifs, le tribunal condanme la dame Penda Nd. à rembourser la dot de
135 F que le sergent Mamadou K. a payé le même jour.
Le tribunal

471
JUGEMENT N° 138
A.T.M.S. R.1896
Dame Khardia cl Sieur Sarr S.
Aujourd'hui, le 25/01/1896, par-devant nous, Cadi Bécaye Bâ, assisté du greffier
(...) le litige concerne les époux Sarr S. et Khadia F.
La femme prétend que son mari n'assure pas son entretien et ne passe pas la nuit
chez elle.
Le mari invité à répondre, dit qu'il ne peut pas passer la nuit chez elle parce
qu'elle n'est qu'une concubine-esclave et sa co-épouse qui est femme libre, refuser de
partager les nuits avec elle.
Il ajoute qu'il est aujourd'hui fatigué de partager les nuits entre ses femmes et l'a
répudiée par la triple formule.
Cette femme est aujourd'hui dans sa Idda.
Le Cadi
JUGEMENT N° ] 39
A.T.M.S. - R. 1962
Dame Penda B. cl Fal1 M.
Ce 20/12/1962,
Le Tribunal Musulman siégeant en audience publique sous la présidence du
Cadi Majhtar Samb (... ).
A l'appel de la cause, la demanderesse déclare: «Je demande le divorce
contre mon mari Fal1 M. Je suis une Peul libre alors qu'il est esclave ... ».
La parole ayant été donnée au mari, celui-ci a répliqué: «je suis marié avec
Penda B. depuis quatre ans et je suis esclave; je ne le conteste pas. Ma femme était très
bien au courant avant le mariage et elle a accepté d'être ma femme ».
(...) Attendu qu'il résulte des débats que la dame Penda B. demande le
divorce contre son mari et déclare que ce dernier est esclave; attendu que Penda B.
n'avait pas fait état de tout cela alors qu'el1e était au courant de la condition servile du
mari; attendu qu'il n'y a pas lieu de rompre le mariage conformément au livre de
« Kashifoul Khouma », p. 66, vol. 2.
Par ce motif, déboute la femme Penda B. de sa demande de divorce.
Le Cadi

472
ANNEXE DES DOCUMENTS

473
DOCUMENT N° l
A.T.M.S.
R.1890
Objet: Correspondance adressée par le Cadi Bécaye Bâ à son homologue
Aliou Ndiaye du village de Sabé à propos de l'application de la
coutume par le juge.
Ce 25-06-1890 ;
Louange à ALLAH qui recommande de juger selon la vérité. Que la prière et
la paix d'Allah soient sur celui qui a combattu pour la vérité. Puisse la prière et la paix
régner sur notre Maître et Seigneur, le Prophète Mouhamed, l'apôtre de tout homme rouge
et noir (sic).
C'est de la part du plus pauvre des serviteurs qui compte sur la Grâce de son
glorieux Seigneur.
L'objet de ma lettre est de répondre à vos deux correspondances que j'ai bien
reçues, lues et comprises.
Vous me posez la question de savoir si on doit juger d'après la coutume. Je
vous réponds que vous pouvez appliquer la coutume si le cas le nécessite car le but de la
Charia est d'écarter le mal et de réa liser le bien.
ALLAH a dit : «appliquez la coutume (uri) », c'est-à-dire jugez d'après elle.
Al Quaraafi et Ibn Rushd ont dit dans le livre intitulé «Nor al Baçar », un commentaire
de Khalil : "Les décisions de justice marchent avec les us et coutumes".
Cheikh Mayaara a dit : "le juge doit se conformer à la pratique (l'amal) de son
pays. S'il s'en écarte, les gens douteront de lui". Cependant, la coutume invoquée doit être
bien constante.

474
Sachez que si les coutumes d'un pays changent, tous les chapitres du Fiqh qui
en dépendent changeront à leur tour avec elles. Il est dit dans le « Nor al Baçar» : "si
quelqu'un nous vient d'une contrée dont les coutumes sont différentes des nôtres, nous ne
lui donnerons qu'un avis juridique conforme à ses propres coutumes et non pas aux
nôtres.
WASALAM
Le Cadi

475
DOCUMENT N° 2
A,T.M,S.
R.1916
Objet: Correspondance adressée par le Cadi Aynina Seck au tuteur d'un époux
au sujet d'une injustice faite à sa femme712 ,
Ce 03 octobre 1916 ;
Le but de cette correspondance est de porter à votre connaissance que la
nommée Khadija, la femme de Omar Ndiaye s'est présentée devant notre juridiction
déclarant que son mari n'a pas voulu lui accorder son tour dans le partage des nuits. Il
passe deux nuits chez elle et reste quatre nuits chez sa rivale, ce qui est contraire à la
charia et constitue un préjudice pour elle.
Par ailleurs, cette femme dit qu'elle ne quittera pas la demeure de son mari
tant que celui-ci ne lui rendrait pas ses deux bracelets de chevilles qu'il lui a pris contre
son gré et qui font partie de sa dot.
Nous vous prions de bien vouloir nous répondre pour nous infonner de ce qui
s'est réellement passé entre les deux époux.
Dites également au mari Omar Nidaye que cette affaire ne sera pas
uniquement réglée par voie de correspondance. Je le convoquerais d'urgence s'il ne rend
pas à sa femme lesdits bracelets qu'il lui a pris contre son gré .. ,
Le Cadi
712 Ce tuteur s'appelle Ousmane DIOP,

476
ANNEXE DES JUGEMENTS EN ARABE

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- M. 8
- M. 79
Justice Illdigèl1c, IZl'giclllCI1!alillll, dccrc( dl! 1() nu\\'. 1<)(); ( Il)() I-ll)(}~)
....
- M. 241
Triblll1é1l1X 1\\1111SlIlnl<lllS, Principes ( 1~(m-l \\) 1S)
.. M.242
Conseil d';\\ppd MlISl!ll11élll; ;\\I1;,ircs ( 1X<) ..\\-1 <)()())
- M. 24]
Triblll1,11IX MUSlIllllill1S • Dllssicrs pcrsOl1l1l'ls (ks c,ldis ( 1Sl)(}-I ()O::)
- M. 24<1
'l'r'ilHlIlilll\\ l'vltlsullll,lI1S, PêrSOlllll'is (1 ()Oil-I 1) 1S)
- M. 245
TriblllHlll\\ MliSllllll(\\IIS, PCrSOl\\ll('[S, IZl~Vlll'î\\llllll ( 1(JO':;·l <) 1.:;)
Triblillilll\\ MliSlIlll1illl< ;\\gissell\\l:ll\\', dl! (',!di (k 1):11\\:\\1 (;l!ihril 1)1,\\( ;NI·
(1 ()O~.-I () 10)
- M. 2117
TrilHlllilll\\ I\\/ltislilI11'1I1S. h)l1l'j Î,Hlill'Il\\l'lll ( 1(JO (··Il) 1·1)
B - Archiv('s TribullaIDcllarh'.IlH'lltal dl' Dall.ar, Dossiers COllr tl'Appd <1('1',0\\.0.1<'. U~J)5.:
11)45)
c - Archives Trihllllai Musulmall de Sai\\ll-I .ouis (llJOX-1972}
/1 - ()UVI~AGI<:S GI~NEI~AlIX
Id., Morale de l'Islam cl SOli étilique se\\lIdk, iV/aisllIlIIL'lIve., 1()(),\\,
Duclos (M.), Précis éléI11CI1!<lirc de Droit Î\\'llIStill11îlll, 1\\1!~cr, 1t).\\{)
[)lIr;ll1~l (13.), [)mÎI l'v1l1slII111,11l, [)mi! sllcœssllr,l!, ! ,iICC, l')()j
Id, Ilisioirc COlllP;lIi1livc dcs II1SlillIIÎOI1S, NI'::\\, I<)~';;
Charles (It), I,e D['oil MliSlIll1lilll, 1).ll,I;, l 'he)
('1\\011:11;1 (Clt.), I)['()il l\\/1!lslI!mlil, 1);t1lp/, )\\)'!().
COI.Of\\.'1l ':i( (1\\.), 1huil Î\\'ll1Slill\\l;\\I1, hl 1.;) Pl)llt'. I\\;d');ll,:~ \\i)1 1%; 1'1 1\\)(,\\:

~J L(;
GOLD7.IIIFR (1.), Elude sur les tradiiÎof)s isl,lI11iqucs, i\\/LliS()llIll'lIVC, l ')~\\1
l "jollsl (II.), I.e prl'cis d'lllIl ()U()(!;llllil, IkvllHllh, f<J')()
l ,ill,lll! de Iklkl()Jld~ ('y'), Tr,lÎtl; de 1)rllil i\\ItISlIlll1illl l'()ll1P<l!l' l'Il'; vul, ! .i1 IlilYl', i<J(le:,
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MJU ,10'1' cl 1:,1> nl.I\\Ne, Illlrodlll'lj,,)J1 ;\\ 1\\"llllll' dll 1)!\\1Ï1 f'dIISlllillill1,21' l~d, Sill'\\'.
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Scllachl (,1. ),1 ':squisse d'lllle hisloire dl! 1),'oit rvltlsldll];\\ll, I.i"! (), il'lll;IiL', 1<J5(\\
Id., Inlroduction all Droil Î\\'ll1Sllln1:lll, l,il)! Oi'ielll,llc, 1IJ.').j
Telll11hi (M.), Tr,liIL~ ck sllL'ccssioll IllllSllilll,llll' d'ilpll\\: k' Illl' !\\ l:tk-kil'
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MalirilHnic, 1():jè>
En lallglle Arahe
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Djesri 1\\. K.,;\\I j.'jqh all'vlildld1ih "rhill, I.e Cili!l\\ Il)SS, 1 .1.
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III - 'l'RA VA lIX SP'::CIALlSFS
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B - Arlicl('.'1
i\\rkolll1C M., De l'Idjlih;\\(j il la critique lit' L, rilisolli"lill11iqllc, IU)."'.I), 1 \\111, Î llni",
1(m(), il 7:\\.
Ben ÂChOlll', Droit illlclll<l1 iC)I)(\\I, [)n;i\\ ÎlliLTI1C l~l \\)rt\\il 111L1~;1dlll;lI1, HI) S P, 1 .\\ Ill.
TUllis, ! ()ii(), P I~.

Cardal1i CI1111lcri, I,i] C011(CI)liOI1 cl 1;1 1)\\:l1ÎQIIC dll 1)j()i: illil'IIl:1 1. iUll:Il IlIIVl' l'Il ISI;III).
I(CDI., IC)'!7, 1 ()(), pp SIO··,S·ll
Chérif Khadija, l,cs lill:IŒlS SOCÎ;Ill\\ ciJilurcls dd;1\\l)li~;;1111 1;\\ klllille l'Il 1ll:llil'll' lks
sllccessiolls, IU}SY, ( \\111, Tunis, /C)X(), pp.Wl·:\\:2
Ikll1<lnl [)ur;1I1tl, 1)l'Oil r-..·lIISlilllléll\\ cl JlII'iSpnlcklll'l' dcs ('om."; SlIPll;llll'.,> d'/\\!' Nuire (;1/\\
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I)]':LMFT c., l'],,cc de Iii Loi Islilll1iqll\\' d;IIIS le s)'.'>I(:111l' SlHIC!:1I1;li,;. ,\\1" (\\)llIl'I\\1I 1() N"
I)(), IC)(JO,p 10.
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Diouf' Ndimv ct
Isaac Yililkhoba
Ndi,IYC,
Régimes
11llitrillllH1i;1lI\\,
SU«(.CSSiUI1S,
1_ibéralités, Juriscl., 1C)C)(), P 20,
Diouf SCydOll, Contl'ïlliltioll Ù I\\~tudc des causes d'implill\\liltiull du lllOil i\\'Llk'klll' l'Il
I\\.O.F., FOllllittioll TClllillli Zilgl1OU:1I1 (Tullis), 1()cJ'?, P 12.
Id., Viol(~ll('.C C()!ljli~,;lk ct Dl'Oil MUSldlll,lIl, ('oll()(IIIl.' SOIIS-I-l~gil)ll~11 sur IL' SI;llul dl' 1;1
kllllllc Cil Isl,lI11, Dilbr, 1\\ ml 1 1c)C)8, p 17 (,Ill. illl"dil)
Ciallahi S., Droit de la Il~11ll11e, .'>I;ltU( de !'IH1lnIl1l~ . 1.;1 qlll~~;li()ll 1\\1)~'p, 1 \\111, ÎlJlli~;,
1C)XC), Il 1).
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Cilll·:VI': MhilYC, l,'il11P;]l'.! dl' l'escI;IV;I!~l~ l'I 1iL' 1;1 \\I,lill' Slll 1" :;(l('il'll" ;tiilt';lilll'. l'Ï:dl
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Id., La Jusliee indigèe, lilctellr de 1<1 tl;IIlSll)l:I11iltÎOIl lk ];] So('.il:k I(lC;llL~, l'lish-J I( ':,\\1). P
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GUÎnchard S., r,C juge cl l'Ilérilicr, I)CI1illll, 1(n C), pp. 1-'11-1 (d
llcdi I)llllk,\\I, l ,'IS/;1111, k Pmpllèlc cl les Il~l1l111CS, J. 1\\1' f\\'l:l!-',. N" (,O. l')SO. 1) l,'
.Ii\\ouida G., [.c Coeie du s{"(lIl persollllei tunisien, sYl1lho!L' tic 1't"lll;llll'ip,llioil ck 1;1
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529
TABLE DES MATIERES
PREMIERE PARTIE - LA RECONNAISSANCE DE DROITS
ELEMENTAIRES A LA FEMME MARIEE
22
CHAPITRE 1 - LA DROIT DE L'EPOUSE A L'ENTRETIEN
25
SECTION 1 - L'ENTRETIEN DE LA CONJOINTE ET DE LA REPUDIEE
ENCEINTE
26
§ 1 - Difficultés liées au fonctionnement de la Nafaqa
26
A - La rupture de la vie commune entre les deux époux
27
B - L'indigence ou la mauvaise volonté du mari à assurer la Nafaqa
33
§ 2 - Mesures de sauvegarde en faveur de la répudiée enceinte et de
l'enfant
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45
A - La Nafaqa de la répudiée enceinte
45
B - L'obligation alimentaire à la charge du père
52
SECTION II - LA SANCTION GRADUELLE DU NON-PAIEMENT
DE LA NAFAQA
61
§ 1 - L'arrérage de la Nafaqa : la revanche des épouses
62
A - Une souveraine appréciation des arriérés de la Nafaqa à l'avantage des
épouses
63
B - Créance de Nafaqa contre l'obligation de restituer la dot
65
§ 2 - Divorce judiciaire pour non-paiement de Nafaqa
68
A - La prudence des cadis: serment et délai
69
B - La rupture du lien conjugal sur la requête de l'épouse
74
CHAPITRE II - LE DROIT DE L'EPOUSE AUX RAPPORTS INTIMES
80
SECTION 1 - L'IMPUISSANCE SEXUELLE DU MARI ET LE DROIT
DE L'EPOUSE A LA CONSOMMATION DU MARIAGE
81
§ 1 - Difficulté liée à la preuve de l'impuissance
8.1
A - L'octroi d'un an de délai
82
B - La "confrontation intime" des époux
88
§ 2 - Protection des avantages matériels de l'épouse
91
A - Le paiement des frais d'entretien dus à l'épouse
91
B - Le maintien du bénéfice de la dot
96
SECTION JI - LA DIFFICILE GARANTIE DU DROIT DE L'EPOUSE
AUX RAPPORTS IN1'IMES
99
§ 1 - Préjudice résultant de « manque de rapports intimes »
99
A - La consistance du préjudice
100
B - La sanction du préjudice
102
§ 2 - Difficulté de l'exercice des "droits sexuels" dans le cadre de la
polyganlie
104
A - L'obligation d'équité dans le "Qasam"
105
B - L'impossible égalité quant au coït
111
CHAPITRE III - LA GARDE DE L'EN:FANT : DROIT OU TACHE
DOMESTIQUE CONFIEE A LA FEMME?
1]6
SECTION 1 - LE DROIT DE GARDE CONSIDERE COMME UNE
PREROGATIVE FEMININE
117
§ 1 - L'octroi du droit de garde en priorité à la mère de l'enfant.
117
A - La mère, principale titulaire de la Hadana
H8
B - La garde dévolue à l'oncle: une prérogative de masculinité?
121
§ 2 - La primauté de la ligne maternelle
123
A - Priorité accordée aux ascendantes de la mère et aux tantes

530
maternelles
123
B - Une curieuse valorisation des Dhaoul Arbam en matière de garde
d 'enfant
126
SECTION II - LE CONTROLE DES CONDITIONS DE CAPACITE A
L'EXERCICE DE LA HADANA
129
§ 1 - Les causes d'incapacité à l'exercice de la Hadana
129
A -l,a déchéance pour cause de mariage
129
B - Les mauvaises mœurs de la mère gardienne
134
§ 2 - La sévérité de la jurisprudence au sujet de la garde de l'enfant
naturel
137
Ile PARTIE - LE MAINTIEN D'UN REGIME DE DEPENDANCE
CONJUGALE EN DU MARI
144
CHAPITRE 1 - LE DROIT DU MARI DE FIXER LE DOMICILE
CONJUGALET DE CONTROLER SA FEMME
147
SECTION II - LA DETERMINATION DU DOMICILE CONJUGAL:
UNE PREROGATIVE MARIT ALE
148
§ 1 - L'assujettissement de la femme au mari..
148
A - L'obligation pour la femme de rester dans son foyer
148
B - L'obligation pour la femme de suivre son mari
153
§ 2 - Une jurisprudence en défaveur de l'épouse
156
A - Discrimination envers l'épouse ?
156
B - La prise en considération de la position sociale de l'épouse dans la
détermination du domicile
160
SECTION II - LE DROIT DU MARI DE CONTROLER SA FEMME.
164
§ 1 - Le contrôle des visites et correspondances
164
A - Le contrôle des visites
165
B - Le contrôle de la correspondance
168
§ 2 - Contrôle des déplacements
172
A - Le droit de regard du mari
172
B - La complicité des Cadis: la mourassala
179
CHAPITRE II - LA DIMINUTION DE LA CAPACITE JURIDIQUE DE
L'EPOUSE
186
SECTION 1 - L'INCAPACITE DE LA FEMME DE CONCLURE ET DE
ROMPRE SON PROPRE MARIAGE
186
§ 1 - L'obligation de présence du wali de la femme au contrat de mariage 186
A - L'exercice de la wilaya: une prérogative masculine
187
B - Une jurisprudence ambiguë en matière de "Jabre"
196
§ 2 - Un droit de répudiation discrétionnaire reconnu au mari..
201
A - Absence de garantie contre les répudiations impulsives
201
B - Mauvaise garantie des droits de la répudiée
205
SECTION II - INEGALITE ENTRE EPOUX EN MATIERE DE PREUVE
TESTIMONIALE ET DE DROIT SUCCESSORAL
209
§ 1 - La capacité limitée de l'épouse en matière de preuve
209
A - La validité du témoignage de la femme en matière de biens
210
B - L'inefficacité du témoignage de l'épouse en matière de mariage et de
répudiation
e • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
214
111 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
§ 2 - L'inégalité des droits successoraux entre époux
217
HIe PARTIE - L'AGGRAVATION DE LA CONDITION DE LA FEMME
MA.RIEE PAR LES JUGES
226
CHAPITRE 1 - UNE JURISPRUDENCE PEU SOUCIEUSE DES DROITS

531
DES EPO'USES BATTIJES
228
SECTION 1 - SEViCES EXERCES CONTRE LES EPOUSES
228
§ 1 - Epouses battues ou assimilées aux esclaves
228
A - Les épouses battues
229
B - L'assimilation de la femme à l'esclave
232 "
§ 2 - Limites du droit de correction maritale
235
SECTION II - MAUVAISE PROTECTION DES DROITS DES EPOUSES
BATTUES
241
§ 1 - La difficile preuve des sévices
241
A - Le fardeau de la preuve testimoniale
241
B - Préférence accordée aux dires du mari.
244
§ 2 - Timides sanctions contre les coupables
247
A - La réconciliation des époux
247
B - La rupture du mariage
250
CHAPITRE II - UNE JURISPRUDENCE AMBIGUE EN MATIERE DE
CRIME DE ZINA (FORNICATION)
255
SECTION 1 - INTERPRETATION RIGORISTE DES TEXTES
255
§ 1 - La rigidité de la preuve du zina
255
A - Une preuve quasi impossible
256
B - Assimilation du remariage en période d'Idda à un crime de zina
263
§ 2 - Une parodie de justice
269
A - Une peine de hadd fictive
270
B- Un "lian" illégal
274
SECTION II - SOLUTION REALISTE EN MATIERE DE "ZINA" ET DU
"QADHF"
280
§ 1 - Banalisation du Zina et du Qadhf
280
A - DépénaHsation de fait du Zina et du Qadhf
281
B - L'impunité des coupables
287
§ 2 - L'institution du Han tombée en désuétude
291
A - Désaveu de paternité sans anathème
291
B - La reconnaissance de l'enfant adultérin
297
CHAPITRE III - UNE JURISPRUDENCE ANACHRONIQUE AU SUJET
DE LA PRATIQUEDES "TARAS" (LES CONCUBINES
ESCLAVES)
301
SECTION 1 - LA PERMANENCE DU DROIT AUX CONCUBINES
302
§ 1 - Le droit du mari de disposer de la personne physique de sa "Tara"
(concubine)
302
c • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
A - Droit aux rapports intimes
302
B - L'obligation pour la "tara" de suivre son maître
307
§ 2- L'aliénabilité de la captive
312
A - Captives en héritage en guise de dot
312
B - Le droit du maÎtre de marier sa captive
31 5
SECTION II - LE MAINTIEN D'UNE INSTITUTION DEVENl.TE
ILLEGAl..,;E
323
§ 1 - Le tarissement des sources de l'esclavage
323
A - Pratiques illégales
323
B - Le dilemme des autorités coloniales
328
§ 2 - Cas d'affranhissement rarissimes
334
A - Tendance à l'émancipation ou banalisation de l'esclavage?
334
B - Le sort peu envié de la Oumm-EI-Walad
339

532
CONCLUSION GENERALE
344
ANNEXE DES JUGEMENTS
352
ANNEXE DES DOCUMENTS
472
ANNEXE DES JUGEMENTS EN ARABE
476
INDEXE DES JUGEMENTS
517
BŒL!o GRAPHIE
523