UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
L'ORDRE PUBLIC ECONOMIQUE
DANS UN PAYS EN DEVELOPPEMENT:
L'EXEMPLE DU SENEGAL
Thèse pour le Doctorat d'Etat en Droit
Présentée et soutenue publiquement
le 27 février 1998
r
Par
CONSE'l AFfn"cAINFr-MAlG-ACH;1\\
ALASSANE KANTE 1 POUR I.'F.NSEiGNEMENT SUPERIEUR:'
j C. t\\. M. E. S. -
OUAGADOUGOU
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Enregistré sous nofl.O. 2. .g. .7. 9.. i
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Président du jury: M.Joseph ISSA-SAYEGH , Professeur Agrégé aux
Universités de Nice et d'Abidjan
Suffragants:
-Mme Yolande.TANO, Professeur Agrégé à l'Université
d'Abidjan
-M.isaac Yankhoba NDIAYE, Maître de Conférences
Agrégé, Assesseur de la Faculté des Sciences Juridiques
et Politiques de Dakar
-M.Abdoulaye SAKHO, Maître de Conférences Agrégé
à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques,
Premier Vice-Président de la Commission Nationale de
la Concurrence du Sénégal.
...
J.
\\"
.. ~
La Faculté n'entend .donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les thèses ;
ces opinions doivent être considérées comme
propres à leurs auteurs
PRINCIPALES ABREVIATIONS UTILISEES DANS LA THESE
A.J.D.A.
Actualité juridique, droit administratif
Ann. Afr. ou A.A.
Annales Africaines
C.A.
Cour d'Appel
Casso civ.
Cour de Cassation, Chambre civile
Casso corn.
Cour de Cassation, Chambre commerciale
C.E.
Conseil d'Etat
C.F.
Code de la famille
C.O.A.
Code des Obligations de l'Administration
C.O.c.c.
Code des Obligations civiles et commerciales
CODESRIA
Conseil pour le développement de la Recherche
Economique et Sociale en Afrique
Civ.
Cour de Cassation, Chambre civile
Corn.
Cour de Cassation, Chambre commerciale
Comp.
Comparer à
CREDILA
Centre
de
Recherche,
d'Etude
et
de
Documentation
sur
les
Institutions
et
les
Législations Africaines
Crim.
Cour de Cassation, Chambre criminelle
C.S.
Cour suprême
D.
Recueil Dalloz
DocL
Doctrine
Dr. soc.
Revue de Droit social
D.S.
Recueil Dalloz - Sirey
Ed.
Edition
EDJA
Revue des Editions Juridiques Africaines
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
J.
Jurisprudence
JCP
Jurisclasseur périodique, Semaine juridique,
édition générale
J.O.R.S.
Journal Officiel de la République du Sénégal
J.O.S.
Journal Officiel du Sénégal
L.G.D.J.
Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence
LITEC
Librairies Techniques
Numéro
N.E.A.
Nouvelles Editions Africaines (Dakar, Abidjan,
Lomé)
P.
Page
P.U.F.
Presses Universitaires de France
Rec.
Recueil Lebon
Rev. Sén. dr. ou R.S.D.
Revue sénégalaise de droit
Rev. trim. dr. civ. ou R.T.D. civ.
Revue trimestrielle de droi t ci vil
Rev. trim. dr. corn. ou R.T.D. corn. :
Revue trimestrielle de droit commercial et de
droit économique
RIPAS
Revue
des
Institutions
politiques
et
administratives du Sénégal
T.
Tome
T.P.O.M.
Travail et Profession d'Outre-mer
Trib.
Tribunal
V.
Voir.
RESUME DE LA THESE
La Thèse portant sur l'ordre public économique a pour objet d'appréhender
l'un des concepts juridiques les plus significatifs et les plus aptes à assurer le
développement économiqu~et social d'un pays sous-développé comme le Sénégal:
il s'agit, en l'occurrence, du droit économique qui est une donnée essentielle de
toutes les politiques économiques actuelles. Pour ce faire, l'étude passe en revue
la synthèse des différents ordres publics dans diverses matières juridiques pour
aboutir subséquemment à la problématique suivante: l'ordre public économique
serait-il la résultante de l'ensemble de ces différents ordres publics ou a-t-il une
définition et une finalité propres?
Dans la perspective d'une réponse à la problématique posée, l'axe principal
de nos réflexions tient compte de l'économie et du droit économique. Ainsi, si
l'économie repose toujours sur une politique, il s'ajoute que ce sont les options
politiques qui lui impriment son caractère. On en déduit que ces orientations
politiques seront tantôt la direction, tantôt la protection. Ces deux préoccupations
pouvant être aussi distinctes qu'intimement liées.
,Cette idée directrice a sous-tendu le fil conducteur de nos réflexions pour
examiner l'accomplissement de cette double fo~ction de l'ordre public économique
dans un droit qui cherche à promouvoir le développement économique et social.
Enfin, la réponse majeure apportée à la problématique posée est que la
synthèse des résultats des travaux révéleront positivement que la distinçtion entre
l'ordre public de protection et l'ordre public de direction au sein de l'ordre public
économique constitue effectivement un objet scientifique d'étude et de réflexion.
A cet égard, la' réalisation d'un tel résultat a été rendue possible grâce à la prise
en compte de la double fonction de direction et de protection située dans le
contexte d'un pd)lS a.~ développement, comme le Sénégal dont la législation
économique actuelle s'inspire d'un libéralisme qui n'est pas sans danger pour les
acteurs économiques nationaux et les consommateurs.
INTRODiJCTI0N GENERALE
Le droit des obligations a été pendant longtemps dominé, surtout sous
l'influence des idéaux philosophiques d'égalité, de liberté et de justice de
l'époque de la Révolution française de 1789 repris par la Constitution de l'Etat
du Sénégal indépendante), par le principe de l'autonomie de la volonté qui
postulait la liberté et l'égalité des individus auxquels il était permis de s'engager
et de déterminer sans contrainte leurs obligations.
Or, cette suprématie du principe de l'autonomie de la volonté sera battue
en brèche grâce à la consécration légale de la notion d'ordre public qui agira
comme un frein à l'autonomie de la volonté(\\ En effet, s'il ne paraît pas
douteux que tous les individus naissent libres et égaux en droit, en vérité, il
faut bien se rendre compte que cette égalité et cette liberté correspondent
encore moins à une réalité concrète qu1à des idéaux juridiques et économiques
à réaliser. Dès lors, le système qui consiste à laisser le sort des obligations aux
seuls individus, en vertu du principe de l'autonomie de la volonté, peut revêtir
un danger de nature à soumettre les individus les plus faibles aux individus les
plus puissants. Face à cette menace, le droit a conçu un nouveau système qui
permet à l'ordre public de s'opposer à l'autonomie de la volonté dans la mesure
où ces concepts revêtent .des exigences contradictoires. C'est dans cette
perspective que l'on doit concevoir l'ordre public comme un ensemble de
C)
v. Préambule de la Constitution de la République du Sénégal (Loi nO 63-22 du 7 mars
1963), Editions RIPAS, février 1992, "Le peuple du Sénégal proclame solennellement son
indépendance et son attachement aux droits fondamentaux tels qu'ils sont définis dans la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et dans la Déclaration
Universelle du 10 décembre 1948".
e) v. article 42 du Code des Obligations civiles et commerciales (C.O.C.C.).
Liberté de contracter:
"Libres de contracter ou ne pas contracter, d'adopter toute espèce de clauses, de modalités,
les parties ne peuvent cependant porter atteinte par conventions particulières à l'ordre
public ou aux bonnes moeurs".
Comp. article 6 du Code civil français : "On ne peut déroger par des conventions
particulières auxllois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs".
2
dispositions juridiques qui ne sauraient être écartées par des volontés privées.
Et en fonction de l'origine de la détermination de cette impossibilité, cette
dernière peut prendre source de deux façons selon qu'elle est l'oeuvre de la loi
ou celle du juge.
D'abord, lorsqu'elle résulte expressément de la loi, on se trouvera face à
un ordre public législatif ou textuel. A cet égard, la vaste étendue de la
qualification de la détermination légale de l'ordre public peut s'autoriser
particulièrement de la rédaction de l'article 258 du Code des Obligations civiles
et commerciales (C.0.c.c.) qui délimite un domaine de l'ordre public en
apportant la précision suivant laquelle, même si "les dispositions de la
deuxième partie dudit Code sont supplétives de la volonté des contractants, ces
derniers ne peuvent adopter une convention contraire aux règles concernant les
contrats portant sur les immeubles immatriculés et fonds de commerce, les
baux à usage d'habitation ou à usage commercial, l'assurance ainsi que toute
disposition particulière expressément déclarée d'ordre pubJic".
De la même façon, l'ordre public peut émerger dans le droit des sociétés
dont certains mécanismes de constitution et de fonctionnement échappent à.la
détermination de la volonté des associés. Ainsi, en matière de constitution, on
relève, par exemple, qu'aucune société commerciale ne peut être constituée en
dehors des formes sociales déterminées par la loi(\\ c'est-à-dire les sociétés en
nom collectif; les sociétés en responsabilité limitée; les sociétés ,anonymes et
les sociétés à participation. De plus, leur création est soumise à l'obligation de
remplir des formalités strictes de publicité au Registre du Commerce et du
Crédit mobilier pour acquérir la qualité de personne moralee). De même, au
cours du fonctionnement desdites sociétés commerciales, la participation
obligatoire des associés aux pertes et aux bénéfices(\\ peut être comprise
C)
V. article 1080 du COCC.
e) V. articles 1087 et 1088 du COCC.
e) V. article 1105 du COCC.
3
comme l'exemple d'une disposition sociale impérative permettant de les
prémunir contre une clause léonine qui mettrait les pertes à la charge de
certains associés et les bénéfices en faveur d'autres associés.
Dans le même esprit, la détermination légale de l'ordre public peut
conduire, dans le domaine du mariage, à l'édiction de mesures formelles
régissant impérativement les rapports personnels entre époux et à l'égard de
leurs enfants. Ainsi, par exemple, dans les rapports personnels entre époux,
ceux-ci sont soumis à des devoirs réciproques, comme l'obligation de
cohabitation('),
l'obligation
de
fidélitée),
l'obligation
de
secours
et
d'assistancee). A l'inverse, certains devoirs particuliers incombent au seul mari
qui exerce la puissance maritale(4) et reçoit le privilège du choix de la
résidence du ménagee). Cette prééminence du mari sera également mise en
relief par J'exercice de la puissance paternelle sur les enfants légitimes durant le
mariage(6).
Ensuite, l'origine de la détermination de l'ordre public peut être l'oeuvre
du juge qui, dans sa mission prétorienne, peut être amené à découvrir des
principes essentiels destinés à assurer le bon fonctionnement des institutions
juridiques. Et, il semble qu'une telle fortune attendue de l'ordre public
proprement judiciaire puisse s'autoriser de la formulation de l'article 42 du
(1)
V. article 149 du Code de la famille.
e) v. l'article 150 du Code de la famille.
e) V. article 151 du Code de la famille.
(4)
V. article 152 du Code de la famille.
e) V. article 153 du Code de la famille.
(6)
V. article 277 alinéa 2 du Code de la famille.
4
COCCe)
qui
interdit
aux parties
de
porter
atteinte,
par
conventions
particulières, à l'ordre publice).
Aussi
bien,
qu'il
s'agisse
de
la détermination
légale ou
de
la
détermination jurisprudentielle de la notion d'ordre public, celle-ci traduit, au
fond, une attitude de rigueur que le droit exprime pour constituer une large
barrière à l'autonomie de la volonté. De la sorte, à la lumière des idées
précédentes,
il est permis d'affirmer que,
quel que soit son domaine
d'intervention, l'ordre public ne peut être que juridique.
Cette universalité juridique de la notion d'ordre public peut admettre
facilement, de nos jours, un objet économique dans la mesure où, à côté de
l'ordre public classique de nature politique, il est généralement conçu un ordre
public qui s'intéresse particulièrement à l'inégalité des rapports juridiques
découlant des relations à caractère économique. Ce faisant, de nouvelles
barrières seront dressées contre le principe de l'autonomi~ de la volonté en vue
de contrôler la répm1ition des richesses, la circulation des biens et services et
l'organisation de la production.
Dans cette optique, l'ordre public interviendra dans le contrat, soit pour
secourir la partie économiquement la plus faible, soit pour imprimer une
orientation de l'économie nationale par la prohibition, dans les contrats de droit
privé, de tout ce qui est de nature à fausser cette politique économique.
Dans le premier cas, la mission de l'ordre public peut se résumer soit à
la protection de certains individus comme les contractants et les tiers dans les
opérations relatives aux fonds de commerce, les incapables et les illettrés, soit
à la protection des catégories socio-professionnelles comme les travailleurs et
les locataires commerçants, soit enfin à la protection des consommateurs dont
c) Article 42 du cacc, texte précité, v. supra p. 1 de l'introduction de la thèse.
e) Ooct. V. Jean Pierre TaSl, Le droit des obligations au Sénégal, LGDJ Paris, NEA, 1981, n
0297, p. 113.
5
l'état de vulnérabilité économique les place, tous,
dans
une
situation
d'infériorité contractuelle de nature à ôter toute signification pratique au
principe de l'autonomie de la volonté.
Dans le second cas, la mission de l'ordre public permet d'offrir aux
pouvoirs publics les moyens de contrôler, sinon de conserver un droit de regard
sur la nature, l'objet ainsi que les mécanismes de fonctionnement et de
compétition au sein des activités économiques. A cet égard, la technique la plus
couramment employée consistera à instituer des mécanismes d'interdictions ou
d'autorisations et de déclarations préalables dont l'ampleur sera sm10ut
tributaire du contexte de la doctrine économique préconisée par les pouvoirs
publics.
Dans le même ordre d'idées, les mécanismes de compétition économique
n'échapperont pas aux fluctuations de la doctrine économique préconisée
puisqu'ils vont s'émanciper d'une situation de monopole pour s'adapter à celle
de la libre concurrence. Cette dernière va susciter l'adoption de nouvelles
règles
prohibant toutes
les
situations
de
domination
d'une
puissance
économique qui nécessitera la répression de délits économiques, tels que l'abus
de position dominante ou l'abus de dépendance économique, par une
Commission nationale de la Concurrence. Dans le même temps, pour éviter la
spirale de l'inflation, les pouvoirs publics vont actionner des leviers essentiels
de commande de l'économie nationale tels que les prix, la monnaie et le crédit
qui sont des facteurs de croissance, de stabilité et d'harmonisation du tissu
économique.
Aussi, de cette présentation liminaire qui ne prétend nullement à
l'exhaustivité, deux conséquences s'ensuivront: si l'ordre public ne peut être
que juridique, l'ordre public à objet économique aura besoin d'un support
juridique qui est le droit économique. Une telle affirmation constituant la base
de nos recherches sera mise en évidence en partant de la notion juridique
d'ordre public sur laquelle repose l'ordre public économique qui est le ciment
du droit économique.
6
L'ordre public fait partie des concepts nommés que le législateur
sénégalais s'est abstenu de définirC). Une telle attitude avait déjà suscité dans
la doctrine française une multiplicité de définitions aussi différentes que
variées, qu.e M'rv1~AURIEa soigneusemel1t relevées dans sa thèsee).
Ceci traduit, au demeurant, un certain malaise dans l'acception du terme
que l'auteur n'a pu dissiper en offrant de définir, en fin de compte, l'ordre
public comme le bon fonctionnement des institutions indispensables à la
collectivité(\\ En effet, la systématisation de l'approche de cet auteur a semblé
avoir méconnu le caractère essentiellement relatif du concept d'ordre public qui
postule un ensemble de principes, écrits ou non, qui sont, au moment même où
l'on raisonne,. considérés, dans un ordre juridique, comme fondamentaux et qui,
pour cette raison, imposent d'écarter l'effet non seulement de la volonté privée
mais aussi des lois étrangères(4). Plus récemment, une partie de la doctrineCS) a
semblé trouver des limites à cette définition dès lors qu'elle appréhende l'ordre
public en faisant précéder la force contraignante de cet el).semble de principes
et de valeurs à ce pouvoir qu'au~aientou ~~uraient pas les ,sujets de droit d~en
aménager les effets et la portée.
Cependant, cette objection soulevée par M. TERRE peut être sujette à
caution dans la mesure où la force contraignante de l'ensemble des principes et
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V. par exemple l'article 42 du Code des Übligati6ns civiles et cOnUnerciales (COCC)
précité. V. supra p. 1 de l'introduction de la d}èse: '1
En droit français, v. Philippe MALAURIE, L'ordre public et le contrat, Editions Matot
Braine, Reims, 1953. V. la liste des défmitions en appendice de la thèse de l'auteur, p. 261
et suivantes.
En droit français, V. Philippe MALAURIE, op. cit. V. introduction de la thèse de l'auteur.
En droit français, v. vocabulaire juridique.
Association Henri CAPITANT par Gérard
CORNU, P;UF. 1987, p. 549.
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En droit français, V. François TERRE, Rapport introductif au Colloque sur L'ordre public
',à la: fm dû xXe siècle avec la coordillatioiJ. de Thierry REVET;Editibns Dalloz, 1996, p.
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7
valeurs ne peut remplir efficacement son rôle d'éviction que simultanément
avec l'expression de la volonté contraire.
Au demeurant, c'est cette fonction d'éviction qui permettra d'édifier le
substrat de notre contribution à la définition de la notion d'ordre public. Dès
lors, l'ordre public peut s'autoriser d'un ensemble de dispositions internes et
internationales, révélées ou non, susceptibles d'être évincées par le législateur
ou le juge lorsqu'il apparaît qu'elles heurtent de front des principes jugés
essentiels pour l'équilibre entier de la société. Ainsi, cette systématisation de
l'ordre public permet de cerner le pouvoir reconnu au législateur ou au juge de
neutraliser l'application de toutes les normes juridiques incompatibles avec les
valeurs sociales jugées fondamentales. Au surplus, ces valeurs fondamentales
étant le reflet d'un état social existant, elles seront soumises constamment à une
variation commandée par les nécessités d'assurer le maintien d'une harmonie
sociale.
Si l'on retient cette contribution à la définition de l'ordre public, il faut
bien admettre que la multiplicité de ses domaines d'application spatiale et
temporelle sera susceptible de conduire à une démarche intellectuelle dont les
perspectives permettront d'élucider le premier élément composant notre sujet.
À cet égard, la notion d'ordre public sera susceptible d'une définition variable
et contingente selon les époques et les domaines où elle peut intervenir (ordre
public pénal, ordre public familial, ordre public social, ordre public procédural,
ordre public internationaL.) et qu'elle pourra concerner plusieurs matières
juridiques.
Concernant les époques et les domaines, il nous semble que ces deux
aspects peuvent être analysés de concert dans la mesure où il sera permis de
relever une interaction dialectique du facteur temporel avec le facteur matériel
permettant d'appréhender positivement la physionomie de la notion d'ordre
public qui est soumise, sans cesse, à une évolution. Pour ce faire, nous
partirons des matières juridiques considérées pour illustrer le caractère
essentiellement fluctuant de la définition de l'ordre public.
8
Abordant le premier domaine juridique choisi, c'est-à-dire Je droit pénal,
la particularité de son ordre public est qu'un consensus peut être facilement
trouvé dès lors qu'il est traditionnellement admis que son essence, à savoir la
prévention et la répression des infractions, fait que l'ordre public domine tout le
droit pénale).
Cependant, ce noyau dur de l'ordre public ne doit pas faire oublier que,
dans ce domaine, son recul s'observe là où un courant puissant porte à la
libéralisation, notamment sur l'application de la loi tendant à réprimer les
dépenses excessives à l'occasion des cérémonies familialese).
Sans doute, à cause du domaine d'application très intime de cette loi
(baptème, circoncision, communion solennelle, fiançailles, mariage, retour de
pèlerinage, décès)(\\ elle s'accommode difficilement, encore aujourd'hui, d'une
répression, même si elle paraissait être justifiée par des ~aisons d'ordre public
familial de direction ou de protection(4).
Une telle constatation du recul de l'ordre. public pénal peut être, en
outre, relevée à propos du sort réservé à la loi sur la répression du délit de
C)
En droit français, v. la 'communication de Mme Sylvie CIMAMONTI au Colloque sur le
thème: "L'ordre public à la fm du XXe siècle", précité. Sa communication porte sur
L'ordre public et le droit pénal, pp. 89 à 104 de l'ouvrage collectif. V. spéc. p. 89.
e) v. loi nO 67-04 du 24 février 1967 tendant à la répression des dépenses excessives à
l'occasion des cérémonies familiales, JORS du 1er mars 1967. Cette loi est toujours en
vIgueur.
e) Doct. V. Isaac Yankhoba NDIAYE, L'art de mal légiférer (propos irrévérencieux sur
certains textes de lois), Revue de l'Association Sénégalaise de Droit pénal, nO 2, juillet-
décembre 1995, p. 53.
(4)
Isaac Yankhoba NDIAYE, op. cit. p. 54.
9
l'enrichissement illiciteC) qui semble être abrogée "par désuétude", et de
l'allégement de la répression du détournement des deniers publics qui était un
ancien crime correctionnalisé en 1965er Au surplus, on relève que le juge
sénégalais prend parfois toute liberté pour octroyer le sursis dans des cas où la
loi le lui interdit formellemente).
Enfin, sans prétendre à l'exhaustivité, il est permis de faire remarquer
que le droit pénal fait place à des accords plus ou moins explicites, à des
amendes de composition(4), ce qui révèle, par contraste, l'existence, même en
son sein, de l'ordre public(5).
C)
V. loi nO 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l'enrichissement illicite, JaRS
nO 4846, numéro spécial, du vendredi 24 juillet 1981, pp. 713 et 714.
e) V. article 152 alinéa 1er du .Code pénal: "Tout agent civil ou militaire de l'Etat ou d'une
collectivité publique, qu'il soit ou non comptable public, toute personne revêtue d'un
mandat. public, tout dépositaire public et tout officier public ou ministériel qui aura
détourné ou soustrait ou tenté de détourner ou de soustraire des deniers publics ou privés
ou effets en tenant lieu, (... ) à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, sera puni d'un
emprisonnement de cinq à dix ans.
Comp. article 169 du. Code pénal français:
.
"Tout percepteur,tout commis à une perception, dépositaire ou comptable public qui aura
détourné ou soustr~it des denier~ publics ou privés, ou effets actifs en tenant lieu, ou des
pièces, titres, actes, effets mobiliers qui étaient entre ses mains en vertu de ses fonctions,
sera puni deJa réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans, si les choses détournées ou
soustraites sont d'une valeur au-dessus de 1000 F".
e) En effet, l'article 322 du Code pénal dispose qu'en cas de viol ou d'attentat à la pudeur, "il
ne pourra être prononcé le sursis à l'exécution de la peine".
Pourtant, une solution contra-legem fut adoptée, dans deux cas d'espèces, par le juge
d'appel qui a eu à infliger une condamnation de 2 ans avec sursis pour un viol (CA.
Dakar, 14 mai 1973, nO 257, affaire DIOP) et une peine de 15 jours avec sursis pour un
attentat à la pudeur sur une mineure de 13 ans (CA. Dakar, Il mars 1974, nO 116,
affaire SARR).
Doctrine, v. Elisabeth MICHELET, De lege ferenda, à propos des infractions contre les
moeurs, RIPAS n° Il, p. 1038 et suivantes.
(4)
V. article 512 et 513 du Code de Procédure pénale (C.P.P.).
Article 512 du CP.P. : "Avant toute citation devant le tribunal de simple police, le juge
dtidit tribunal saisi d'un procès-verbal constatant une contravention fait informer le
contrevenant de la faculté qu'il a de verser, à titre d'amende de composition, une somme
qui est fixée par le juge, conformément au mode de calcul déterminée par un décret".
10
Une telle ambivalence de la notion d'ordre public pourra être révélée
aussi par une approche du domaine juridique familiaL
Relativement à l'ordre public familial, on constate que, contrairement au
droit pénal, naguère réputé domaine par excellence de l'ordre public, le droit de
la famille régissant la vie familiale considérée comme le sanctuaire de la vie
privée aurait pu constituer un solide rempart à l'immixtion de l'ordre publiee).
Mais, du fait du rôle de pilier que la famille a toujours occupé dans la
société, l'Etat s'est, d'abord, beaucoup préoccupé de la direction des règles
gouvernant l'institution familiale dont l'agencement légal organisant les liens
matrimoniaux, filiaux ... ne pouvait être perturbé par des volontés contraires.
Ensuite, dans cette matière, on assiste, cependant, moins à un recul de
l'ordre public qu'à un changement d'orientation de la règle. d'ordre public qui est
marquée actuellement par un souci de protection de la vulnérabilité de l'époux
le plus faible ou de l'enfante). Du reste, c'est dans cette direction que s'oriente
toute notre législation protectrice en matière de défense des droits de la femme
mariée et de l'enfant naturel(\\
Article 513 du C.P.P. : "Si le contrevenant verse le montant de l'amende de composition
dans les conditions et délais prévus par ce décret, l'action publique est éteinte".
Adde : Décret nO 65-578 du 10 novembre 1965 relatif à l'amende de composition en
application des articles 512 et 513 du Code de procédure pénale qui est annexée au Code'
de Procédure pénale, Edition janvier 1986, Imprimerie Nationale - Rufisque, pp. 205 et
206.
e) En droit français, Doct. V. F. TERRE, op. cit. p. 8.
C)
En droit français, v. Alain BENABENT, L'ordre public en droit de la famille, in ouvrage
collectif L'ordre public à la fin du XXe siècle précité, p. 27.
e) En droit français, Alain BENABENT, op. cit. p. 30.
o V. sur l'ensemble de la question, Serge GUINCHARD, Réflexions critiques sur les grandes
orientations du Code sénégalais de la famille, Penant 1978, pp. 175 à 204, v. spéc. pp.
185 à 200.
11
S'agissant de la protection de la femme mariée, on sait, par exemple, que
la jouissance du plein exercice de sa capacité civile était considérablement
restreinte par le droit d'opposition du mari à l'exercice d'une profession par sa
femme(l) ..
Cependant, au moment où le législateur s'est aperçu que ces dispositions
sont contraires à la Convention de l'Organisation Internationale du Travail
(O.I.T.) ratifiée par le Sénégal sur la non discrimination entre les sexes en
matière d'emploie), il a purement et simplement procédé à l'abrogation de
l'article 154 du Code de la famille qui restreignait les conditions d'exercice
d'une profession par la femme mariée dans le but d'assurer sa pleine
émancipation professionnelle.
Relativement à la protection de l'enfant, l'ambivalence de la notion
d'ordre public peut être illustrée par la législation ep matière de filiation
naturelle. En effet, s'il est formellement interdit à l'enfant naturel de rechercher
judiciairement sa paternitée), conformément à une tradition islamique bien
établie, cette prohibition est tempérée, dans le même temps, par la possibilité
offerte à l'enfant naturel d'obtenir des aliments par l'exercice d'une action en
Adde : Maïrnouna KANE, La protection des droits de la femme et le maintien de la famille
sénégalaise, Rev. sén. dr. 1974, vol. 16, p. 33.
Mouhamadou Moctar MBACKE, De la protection de la femme et de l'enfant dans le Code
sénégalais de la famille, Rev. sén. dr. 1973, vol. 13, p. 31 et suivantes; R.S.D. 1975, vol.
17, p. 5 et suivantes.
C)
V. article 154 du Code de la famille aujourd'hui abrogé par la loi nO 89-01 du 17 février
1989 modifiant le Code de la famille, JORS nO 5276 du samedi 18 février 1989, p. 61 et
suivantes. Doct. V. Serge GUINCHARD, Droit patrimonial de la famille au Sénégal
(Régimes matrimoniaux - Libéralités - Successions), L.G.D.l. Paris, NEA, 1980, nO 160,
p.97.
e) v. exposé des motifs de la loi nO 89-01 précitée, p. 62.
,
.
..
e) V. article 196 du Code de la famille.
12
indication de paternité dont le résultat se limite à l'attribution d'une obligation
alimentaire à la charge du père indiquée).
En somme, à travers les exemples de la femme mariée et de l'enfant
naturel, on s'aperçoit que l'ordre public familial peut se ramener à une
protection mesurée des membres les plus vulnérables de la famille.
Un tel aspect protecteur sera révélé, avec plus ou moins de bonheur, par
l'ordre public social.
Au sens de l'ordre public social, il faut entendre le droit du travail et de
la sécurité socialee) qui regroupent un statut minimum interprofessionnel
garanti auquel les parties à un contrat individuel ou à une convention collective
ne peuvent déroger que dans un sens plus favorable aux salariés. Dans cette
perspective, il devient possible, par exemple, d'accorder aux travailleurs une
rémunération salariale plus importante que celle qui serait prévue par la grille
salariale d'une convention collective.
Cependant, l'ordre public social peut être confronté à une limite dans la
mesure où il n'est pas possible de déroger aux règles d'ordre public absolu. En
effet, selon la fonnule juste d'une doctrine spécialement autoriséeC\\ de telles
règles sont conçues tantôt comme étant objectivement et nécessairement les
plus favorables aux salariés (exclusion de l'arbitrage en matière de conflits
individuels ; tentative de conciliation obligatoire pour les litiges individuels ;
prohibition de l'introduction d'alcools dans l'entreprise, de l'emploi des jeunes
de moins de 14 ans, des femmes pendant la durée du congé de maternité... ) ou
comme organisant un ordre juridique intangible (compétence d'attribution des
tribunaux du travail ; prohibition de rompre l'égalité des créanciers entre eux
1
( )
V. articles 196 alinéa 2 et 215 du Code de la famille.
e) Joseph ISSA-SAYEGH, Le Droit du travail sénégalais, L.G.D.J., Paris, NEA, 1987. Du
même auteur, Le Droit de la sécurité sociale au Sénégal, NEAS, 1992.
e) Joseph ISSA-SAYEGH, Manuel de Droit du travail précité,nO 17, p. la.
13
ou avec les salariés par l'institution conventionnelle de privilèges supérieurs à
ceux consentis par la loi, seule celle-ci ayant le pouvoir de créer de telles
sûretés...).
A la lumière de cette éclairante construction doctrinale en matière de
droit social, on perçoit, à juste titre, l'intérêt et l'importance d'une conception
particulière de l'ordre public social qui se situe nettement dans le sens de la
protection des travailleurs face à des employeurs, et qui justifie le caractère
impératif des règles d'ordre public social qui ne souffrent de dérogations que
lorsqu'elles sont plus favorables aux salariése).
. Cependant, une telle conception de l'ordre public social paraît être
remise progressivement en cause dans la mesure où les réalités économiques
contemporaines suscitent un certain recul de l'ordre public social qui tend au
fléchissement de la protection des travailleurs. Ce dernier constat semble être
attesté, d'une part, par les assauts répétés à certaines di~positions essentielles
du Code du travail relatives à la suppression de certaines formalités
administratives en matière d'embauche et de licenciement et, d'autre part, par la
précarisation de l'emploi à travers les multiples dérogations apportées à la règle
selon laquelle aucun travailleur ne peut conclure avec la même entreprise plus
de deux contrats à durée déterminée, ni renouveler plus d'une fois un contrat à
durée déterminée dès lors que la méconnaissance d'une telle norme entraîne de
plein droit la conclusion d'un contrat à durée indéterminéee).
Ceci étant, comment les spécificités de l'ordre public se manifestent-
elles dans l'avant dernier domaine juridique choisi, à savoir la matière
procédurale ?
(1)
En droit français, Vocabulaire juridique précité, vis Ordre public social, p. 550.
e) V. article 35 alinéas 1 et 2 du Code du travail.
Docl. V. Isaac Yankhoba NDIAYE, Le contrat de travail à durée déterminée, demain
l'Emploi? Relations sociales nO 10, 1er trimestre 1997, p. 30 et suivantes.
14
En matière d'ordre public procédural, il est surtout reconnu au ministère
public le droit de recevoir communication de toutes les causes touchant à
l'ordre publiee).
Cependant, l'ordre public procédural semble marquer un recul dès lors
que, en matière d'arbitrage, toutes personnes peuvent compromettre sur les
droits dont elles ont la libre dispositione).
Au surplus, malgré l'interdiction qui pèse sur l'Etat et ses émanations de
compromettre, le juge sénégalaise) n'a pas manqué de lever cette interdiction
dans un cas d'espèce(4). Ceci continue la fluctuation du concept d'ordre public
que l'on peut également percevoir dans l'ordre juridique international.
C)
V. article 57 du Code de Procédure civile (C.P. civ.) : "Sont communiquées au Procureur
de la République les causes suivantes:
"1°_ Celles qui concernent l'ordre public (... )".
Doct. V. Pierre GULPHE, Le rôle du Ministère public en matière civile, Rev. sén. dr. 1968,
p.32.
()
v. article 795 du Code de Procédure civile.
e) Cour suprême du Sénégal, arrêt nO 46 du 3 juillet 1985, Etat du Sénégal cl Express
Navigation, Revue EDJA, juin 1987, p. 27.
(4)
Abdoulaye SAKHO et Ndiaw DIOUF, Etude sur l'ordre public et l'arbitrage: Aspects de
Droit économique et de Procédure civile (A propos de l'arrêt de la Cour suprême du 3
juillet 1985, Etat du Sénégal cl Express Navigation, Revue EDJA, juin 1987, pp. 3, 4 et
5.
Cette décision a été rendue à la suite d'un différend relatif à l'exécution d'une convention
d'établissement signée entre l'Etat et la Société Express-Navigation en vertu du Code des
Investissements. En effet, Express-Navigation, bénéficiaire de fait d'un monopole
d'exploitation sur le range méditerranée, réussit par la signature de la Convention à s'y
faire octroyer le droit de la totalité des 40 % des droits de trafic revenant au pavillon
sénégalais. Par la suite, le Ministère de l'Equipement accordera 10 % et 5 % de ces droits
à deux autres sociétés maritimes (la SIIMAR et laSOMARSEN). Estimant que cet acte
était
constitutif d'une
circonstance
aggravante
d'exploitation,
Express-Navigation
déclenche la procédure de règlement du litige par voie arbitrale prévue à l'article 27 de la
Convention d'établissement. La sentence lui donne raison ; l'Etat sera débouté de son
appel tendant à en faire prononcer la nullité pour violation de l'ordre public. La Cour
suprême (sur pourvoi de l'Etat) casse la décision des juges d'appel qui s'étaient aventurés
à statuer sur le fond du litige mais admet la recevabilité des voies de recours contre la
15
L'ordre public international correspond, en droit international privé, à un
mécanisme d'éviction de la loi étrangère applicable en vertu des règles de
conflit. En effet, lorsque les règles de conflit de droit international privé
désignent l'application d'une loi étrangère qui heurte de front les convictions du
for, l'ordre public peut intervenir pour évincer la norme étrangère désignée
pour lui substituer la règle du for(I). Ce mécanisme connu sous le nom de
l'exception d'ordre public en droit international privée) aura vocation à remplir
une fonction similaire en droit communautaire. Mais dans ce dernier cas,
l'éviction de la nonne se produit dans deux hypothèses symétriques. De ce fait,
tantôt, c'est le droit communautaire qui interdit l'application du droit national,
tantôt c'est le droit national qui fait obstacle aux dispositions communautaires.
Ainsi, si d'une manière générale, les nonnes communautaires, en vertu de leur
primauté sur les droits nationaux, ont naturellement vocation à évincer les
dispositions internes contrilÏr~s des Etats parties, on relève, dans le, même
temps, l'existence de certains textes tendant à la réalisation d'objectifs
fondamentaux de l'Union Européenne, qui prévoient qu'ils ne font pas obstacle
à l'application de nonnes nationales contraires à leurs dispositions dès lors que
ces dernières sont justifiées par "des raisons d'ordre public"(\\
sentence (les parties avaient renoncé à toutes voies de recours) et, la possibilité pour l'Etat
de compromettre en droit interne.
V. article &51 du Code de la famille (C.F.) : ordre public et fraude à la loi.
"La loi sénégalaise se substitue à la loi étrangère désignée comme compétente lorsque
.l'ordre pubpc sénégalais est en jeu, lorsque les parties ont, par une utilisation volontaire
des règles de conflit, intentionnellement rendu la loi sénégalaise incompétente".
"Un droit acquis à J'étranger ne peut avoir effet au Sénégal que s'il ne s'oppose pas à l'ordre
public".
En droit français, v. Rémy LIBCHABER, L'exception d'ordre public en droit international
privé, in ouvrage collectif L'ordre public à la fm du XXe siècle précité, pp. 65 à 81.
En droit français, v. Marie-Chantal BOUTARD LABARDE, L'ordre public en droit
communautaire in ouvrage collectif L'ordre public à la fm du XXe siècle, précité, p. 84.
Dans cette communication, l'auteur se réfère à certaines dispositions du traité de J'Union
Européenne qui sont. relatives aux grandes libertés de circulation : libre circulation des
marchandises, des personnes et des services.
Ainsi, "l'article 36. énonce que les dispositions, des articles 30 (interdiction des entraves aux
imp.ortations) et 34 (interdiction des entraves aux exportations) ne font pas obstacle aux
"\\ ~
"
.,
16
On le voit, la démarche intellectuelle consistant à choisir quelques
exemples de domaines juridiques où l'ordre public peut intervenir a révélé
positivement, d'une part, que la compréhension de sa définition obéit moins à
la nécessité de garantir l'existence de techniques juridiques figées qu'à
l'impérieux devoir d'assurer un agencement harmonieux de l'ordonnancement
juridique, c'est-à-dire à un état social existant à un moment donné d'après les
règles de droit s'imposant aux individus du groupement social considéré et les
situations juridiques qui s'y rattachente) et, d'autre part, qu'elle échappe
difficilement à la variation du temps. Au demeurant, ceci constitue un signe
positif permettant de dire que, malgré l'embarras suscité par la définition de la
notion d'ordre public, cette dernière peut être opérationnelle dans plusieurs
branches du droit, ce qui a été démontré pertinemment lors du Colloque sur
l'ordre public à la fin du XXe sièc1ee) où l'ordre public a été surtout
appréhendé dans le droit des personnes(\\ dans le droit de la famille(4), dans
interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des
raisons d'ordre public".
De même, "l'article 4S, texte qui pose le principe de la libre circulation des travailleurs
salariés, réserve "les limitations justifiées par des raisons d'ordre public".
"L'article 56 prévoit que les dispositions relatives à la libre circulation des personnes
morales et des travailleurs non salariés ne préjugent pas l'applicabilité des dispositions
législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les
ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public".
Enfm, "l'article 66 étend cette dernière réserve à la libre circulation des services".
C)
En droit français, v. Lexique des termes juridiques, Sème édition, Dalloz 1990, p. 349,
citant M. Léon DUGUlT, Droit constitutionnel, T. II, 2ème édition, p. 220.
e) En France, ce Colloque s'est tenu à Avignon, au Palais des Papes, le 7 octobre 1994, à
l'initiàtive du Laboratoire de Génétique juridique de la Faculté des Sciences juridiques,
politiques et économiques de l'Université d'Avignon. Ces renseignements sont puisés dans
l'avant-propos de l'ouvrage collectif publié aux éditions Dalloz en 1996.
e) V. Bernard BEIGNIER, L'ordre public et les personnes, in ouvrage collectifprécité, p. 13.
C)
V. Alain BENABENT, L'ordre public en droit de la famille, ID ouvrage collectif précité, p.
27.
17
les relations économiques(\\ dans le droit international privée), dans le droit
communautairee) et dans le droit pénal(4).
Nous venons de démontrer que malgré la relativité temporelle de ia
définition de l'ordre public dans différents domaines et matières juridiques, ce
concept ne peut être que juridique. Si nous poursuivons nos investigations vers
la deuxième composante de notre sujet, c'est-à-dire l'ordre public économique,
on se rendra compte que ce dernier aura besoin d'un support juridique qui est le
droit économique.
Le droit économique peut s'autoriser de la définition selon laquelle c'est
le droit de la concentration ou de la collectivisation des biens de production et
de l'organisation de l'économie par les pouvoirs publics ou privése). Une telle
analyse de M. FARJAT se propose alors de mettre en exergue les relations des
agents économiques, privés ou publics. Et comme le souligne, avec juste
raison, son auteur(6), elle permet également de dépasser, l'horizon limité du
droit formel par une appréhension des mutations fondamentales, de la
concentration capitaliste et l'intervention de l'Etat.
Dans la perspective de nos recherches visant à rattacher le droit
commercial au droit économique, on peut dire que le mérite essentiel de cette
(1)
V. Jacques MESTRE, L'ordre public dans les relations économiques in ouvrage collectif
précité, p. 33.
e) v. Rémy LIBCHABER, L'exception d'ordre public en droit international privé in ouvrage
collectif précité, p. 65.
e) V. Marie-Chantal BOUTARD LABARDE, L'ordre public en droit communautaire in
ouvrage collectif précité,p. 83.
(4)
V. Sylvie CIMAMONTI, L'ordre public et le droit pénal in ouvrage collectif précité, p. 89.
(5)
En droit français, v. Gérard FARJAT, Droit économique, P.U.F. Thémis, Collection dirigée
par Maurice DUVERGER, Edition février 1982, p. 18.
(6)
En droit français, v. Gérard FARJAT, op. cit. p. 28.
18
définition du droit économique pennet d'apporter une vision critique du droit
commercial dont l'analyse faisait abstraction des mutations économiques
résultant soit des interventions de la puissance publique dans l'économie
privée), soit de la place de l'entreprise, élément fondamental du droit
,
.
(2)
economlque
.
Néanmoins, les tenants de la primauté du droit commercial sur le droit
économique, à leur tour, reprochent à ce dernier de négliger certains aspects
que le premier pri.vilégie (les commerçants, les sociétés) et qui sont pourtant
essentiels à la vision critique que le droit économique se propose d'exercer sur
leur activitée)..
De ce débat, il ressort que, selon que l'on privilégie le droit économique
ou le droit commercial, l'un sera annexé par l'autre. Loin d'avoir la prétention
de trancher définitivement une âpre discussion doctrinale sur laquelle de
prestigieux auteurs se sont déjà exprimés(4), il nous para~t plus raisonnable de
lui apporter une solution en nous plaçant notamment dans la perspective de
notre thèse, à savoir l'ordre public économique. A cet égard, on sait qu'il a été
C)
En droit français, v. Fernand-Charles JEANTET, Aspects du droit économique in
Mélanges Joseph Hamel, Paris, Dalloz, 1961, Dix ans de Conférences d'agrégation, pp.
33 à 46.
Selon l'auteur, "après la leçon du dirigisme, on peut définir le droit économique comme
réunissant l'ensemble des règles juridiques ayant pour objet de donner aux pouvoirs
publics la possibilité d'agir
activement sur l'économie" (voir spéc. page 34 de la
contribution de l'auteur).
()
En droit français, v. Claude CHAMPAUD, Contribution à la défmition du droit
économique, Dalloz 1967, chronique pp. 216 à 220.
Selon l'auteur (page 217 de la contribution), c'est l'entreprise, unité de décision économique
et cellule de base du système économique et social servant de cadre à la civilisation
industrielle française, en son état actuel, qui se présente comme l'objet fondamental du
droit économique".
e) En droit français, v. par exemple Yves REINHA.R.O, Droit commercial. Actes de
Commerce, Commerçants, Fonds de commerce, 3ème édition, LITEC, 1993, nO 8, p. 7.
(4)
V. supra tous les éminents auteurs français qui ont pris position sur la question du primat
du droit économique sur le droit commercial et vice-versa.
19
pertinemment démontré, depuis la magistrale thèse de M. FARJATC), que ce
concept peut se concevoir comme l'ensemble des règles obligatoires dans les
rapports contractuels, relatives à l'organisation économique, aux rapports
sociaux et à l'économie interne des contrats. Cette définition posait déjà les
jalons du support d'une nouvelle branche du droit comportant ses sujets, son
objet, ses méthodes d'interprétation et son ordre juridique : le droit
économiquee) dont la vocation générale sera amplement confirmée par la
constatation que presque toutes les branches du droit, si ce n'est toutes,
présentent des couches de droit économique, ou sont marquées par des
évolutions qui sont rattachables au droit économique(\\
Si on admet cette vision juste de M. FARJAT, le droit commercial qui
est fondamentalement une matière à but économique devra être retenu parmi
les branches du droit économique auquel on tentera de rattacher notamment le
droit social, le droit civil et le droit public économique qui sont, tous, des
disciplines ayant pourtant une finalité propre et un ordre public spécifique. En
d'autres termes, quelles sont les relations d'appartenance de ces principales
composantes du droit économique avec leur tronc commun?
S'agissant du droit commercial qui se nourrit essentiellement de
l'économie(4), on peut dire que l'apport économique dans ce droit paraît si
C)
En droit français, Gérard FARJAT, L'ordre public économique, L.G.D.J., Paris, 1963, nO
30, p. 30.
e) V. Abdoulaye SAKHO et Ndiaw DIOUf, op. cit. p. 3.
e) En droit français, Gérard FARJAT, Manuel de Droit économique précité, p. 35.
(4)
Toutefois, le Code guinéen des activités économiques (article 2) issu de la loi
L/92/043/CTRN du 8/12/1992 propose une autre conception du droit commercial
puisqu'il
défmit
l'activité
économique
comme
"une
activité
de
production,
de
tr~nsformation, de d,istribution de biens et de prestations de services ou de certaines de ces
. fonctions indépendamment de la nature des biens· ou des services ou de la qualité ou du
statut de celui qui exerce cette activité". Comp. avec l'art. premier de la loi sénégalaise nO
94-69 du 22 août 1994 fIxant le régime d'exercice des activités économiques, JORS nO
5595 du 27 août 1994, p. 395 qui adopte une position identique.
20
banal que cette discipline peut constituer l'élément dominant du droit
économique auquel elle est souvent identifiée.
Cependant, à certains égards, le droit commercial résiste à l'annexion du
droit économique dans la mesure où il constitue encore une discipline dont les
spécificitésC) sont caractérisées par la rapidité, la sécurité et le crédit
nécessaires à la vie commerciale, et qui lui impriment une finalité propre. A cet
égard,
le
détachement
du
droit
commercial
du
droit
civil,
suivi
de
l'aménagement d'un régime juridique dérogatoire qui lui est applicable, peut
être compris comme le signe d'une protection des intérêts économiques des
personnes non commerçantes.
Ce dernier souci de protection se révélera avec plus de netteté lorsqu'on
envisage la relation d'appartenance avec le droit social.
Depuis longtemps, la discussion sur la question 4e l'appartenance du
droit social au droit économique avait suscité une vive polémiquee) qui n'est
pas
près
de
trouver
un
consensus(\\
En
effet,
malgré
le
caractère
essentiellement économique des relations instituées.par le droit social justifiant
son appartenance au droit économique, l'autonomie du droit social n'en
continue pas moins de s'affirmer grâce à la spécificité des rapports juridiques
de travail, laquelle se manifeste généralement dans presque tous les pays par
l'existence
d'une
juridiction
spéciale
du
travail(4)
qui
doit
veiller
scrupuleusement à la protection des intérêts économiques des salariés.
C)
En droit français, v. D. LEFEBVRE, La spécificité du droit commercial, Rev. trÏm. dr.
corn. 1976, p. 301.
e) Pour une synthèse de ce débat, v. en droit français, Gérard FARJAT, Manuel de Droit
économique précité, pp. 42 et 43.
C)
En droit français, v. Thierry REVET, Communication précitée, p. 48. En effet, selon
l'auteur, "ce débat sur l'appartenance ou la non-appartenance de l'ordre public social à
l'ordre public (en général) n'a pas été véritablement tranché jusqu'à aujourd'hui peut-être
parce qué les arguments avancés de part et d'autre sont tous assez solides".
(4)
En droit français, v. Gérard FARJAT, Manuel précité, p. 42.
21
Or, de nos jours, la jurisprudence préfigurant l'attitude du juge contre la
protection de l'emploie) semble avoir trouvé un terrain propice grâce au nouvel
environnement juridique gouvernant les relations du travail. On doit en déduire
de multiples facettes de l'ordre public social dont il faudra tenir compte dans le
cadre des relations entre le droit social et le droit économique qui peut
s'approprier aussi le droit civil.
L'annexion du droit civil par le droit économique peut apparaître avec la
commercialisation du droit civil qui participe d'un phénomène plus global que
la doctrinee) a appréhendé sous l'appellation des métamorphoses économiques
et sociales du droit civil. Toutefois~ cette appréhension du droit civil par le
droit économique peut résulter, ab initio, de l'interférence des deux droits
comme le démontrent ces deux exemples suivants.
C)
V. Isaac Ya~oba NDIAYE, Le juge contre la protection de l'emploi. Note sous l'arrêt de
la Cour d'Appel de Dakar nO 136 du 13 mars 1990, Revue EDlA, nO 20, juin 1992, p. 6
et suivantes.
En l'espèce, l'Office. des Habitations à Loyers Modérés (O.H.L.M.), en plus de son
personnel rattaché à son activité principale, avait à son service des salariés chargés de
l'entretien et du nettoiement des cités dont il est propriétaire. Le patrimoine mobilier et
immobilier de.ce service fut transféré à la Société Industrielle d'Aménagement Urbain du
Sénégal (SJ.A.S.), Société nouvelle dans laquelle l'O.H.L.M. était actionnaire. Estimant
n'avoir plus besoin de personnel d'entretien et de nettoiement, l'O.H.L.M. licencie les
salariés affectés à cette tâche.
Le Tribunal de Dakar, dans une décision en date du 29 août 1989, décide que les
licenciements sont justifiés. Devant la Cour d'Appel, c'est la solution contraire qui est
adoptée pour violation des articles 47 et 54 du Code du travail.
Par suite, faute de rapporter la preuve d'une autorisation de licenciement, la Société
O.H.L.M. a prononcé un licenciement déclaré abusif par le juge d'appel.
Or, on sait qu'une telle motivation est en contradiction avec la lettre et l'esprit de l'article 47
paragraphe 4, alinéa 1 du Code du travail qui dispose que "le licenciement qui serait
prononcé par l'employeur sans que l'autorisation préalable de l'Insp~tion du travail ait été
demandée, ou malgré le refus opposé par l'Inspecteur du travail, est nul et de nul effet".
e) En droit· français, v. René SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du
droit civil, ~'auj~urd'hui, Dalloz 1948, p. 5 et suivantes.
22
D'abord, l'individu qui acquiert un bien ou un service en vertu de
stipulations prérédigées et imposées par un professionnel adhérera à un contrat
de droit civil traditionnel qui n'en subira pas moins l'incidence d'un ordre privé
,
.
(1)
economlque
.
Ensuite, la passation d'un contrat ayant pour objet la constitution du
cadre juridique du droit économique par des pouvoirs privés économiques,
comme l'entente, peut aboutir à la création d'un ordre privé économiquee).
Enfin, la dernière discipline, que nous nous sommes proposé de
rattacher au droit économique, est le droit public économique dont le droit
administratif économique, à savoir l'ensemble des règles du droit privé et du
droit public s'appliquant à l'administration dans sa gestion des services publics,
industriels et commerciaux, constitue la principale branche qui peut révéler le
rôle des pouvoirs publics en matière économique par le biais des entreprises
publiques gérant des services publics industriels et c01nm~rciaux et des contrats
administratifs par lesquels les pouvoirs publics doteront les services publics les
moyens nécessaires à leur bon fonctionnement.
S'agissant des entreprises publiques, la décroissance de leur nombre au
profit de la promotion et du renforcement de l'initiative privée ne constituera,
au demeurant, qu'une nouvelle vision de l'Etat sur sa politique de participation
directe à la vie économique. Cet indice de changement du droit administratif
économique
se poursuit dans
de
larges
secteurs
économiques
où
la
déréglementation se substituera globalement à la politique des restrictions qui
seront, néanmoins, ponctuellement conservées pour des raisons économiques et
stratégiques.
S'agissant des contrats administratifs, ils inspirent surtout une idée de
négation du principe d'égalité entre les contractants puisque, pour l'essentiel,
C)
En droitfrançais, v. G. FARJAT, op. cit. p. 48.
(")
En droit français, G. FARJAT, op. cit. p. 48.
23
l'administration 'détient encore un pouvoir de direction sur le contrat
administratif dont l'illustration concrète sera apportée par l'exemple des
techniques de marchés publics. une telle vision de la fonction du contrat
administratif n'en traduit pas
moins une conception de l'ordre public
économique dans la mesure où la faiblesse économique des particuliers face au
pouvoir économique de l'Etat aurait pu les faire bénéficier des bonnes grâces
du législateur.
Par suite, même si le droit administratif conserve, pour l'essentiel, son
autonomie par son caractère essentiel de droit jurisprudentiel et de droit
engagé... qui le singularise au sein du droit public, il n'en revêt pas moins un
aspect économi9ue découlant des missions économiques spécifiques qui sont
assignées aux entreprises publiques et aux contrats administratifs, ce qui
permet de le ranger parmi les disciplines du droit économique.
En définitive, on le voit, l'appréhension de. la quintessence des
principales composantes du droit économique fait ressortir, non seulement, que
chacune de ces matières a sa propre finalité, malS aussi son propre ordre
public.
L'ordre public économique serait-il la résultante de l'ensemble de ces
différents ordres publics ou a-t-il une définition et une finalité propre?
C'est cette problématique capitale qui nous permettra de préciser dans
quelles perspectives s'inscrivent nos recherches. A cet égard, l'axe principal de
nos réflexions en guise de réponse à la problématique posée tiendra compte de
l'économie et du droit économique qui la sous-tend. Ainsi, si l'économie repose
toujours sur une politique, en outre, il faudra préciser que ce sont les options
politiques qui lui impriment son caractèreC). Comme par un effet de contagion
provenant de l'orientation économique générale, le droit économique sera alors
un droit' poiiiique, soùmis comme tel aux grandes fluctuations des principes
C)
A. SAKHO et Nd. DIOUF, op. cit. pA.
24
dont s'inspire la conduite des Etats(l). A cet égard, l'action des pouvoirs publics
se traduit concrètement par l'adoption de règles étatiques impératives qui
expriment constamment un double objectif qui prend en compte la direction de
la politique économique, financière et monétaire ainsi que le choix d'une
politique économique et sociale consistant à protéger des personnes en état de
vulnérabilité économique dans une relation contractuelle.
On en déduit que ces orientations politiques seront tantôt la direction,
tantôt la protection ; ces deux préoccupations pouvant être aussi distiI1ctes
qu'intimement liées.
Si on nous fait le crédit d'accepter ces éléments de définition de la
notion d'ordre public économique, celle-ci pourrait être conçue comme
l'ensemble des règles ayant pour objet d'assurer des fonctions de direction et de
protection en matière économique.
Comment l'accomplissement de cette double fonction de l'ordre public
économique constitue-t-il un facteur de progrès de l'ordre économique 7e). En
d'autres termes, quelles sont les implications de l'ordre public économique dans
un droit qui cherche à promouvoir le développement 7(\\
C)
En droit français, v. Fernand-Charles JEANTET, op. cit. p. 36.
CZ)
En droit français, v. Georges RIPERT, L'ordre économique et la liberté contractuelle, in
Recueil d'études sur les sources du droit en l'honneur de François GENY, Tome II, "Les
sources générales des systèmes juridiques actuels", Rec. Sirey, 1935, p. 347 et suivantes.
e>
Sur la notion de droit du développement, v. Roger GRANGER, Pour un droit du
développement dans les pays sous-développés, Mélanges Hamel, Paris, Dalloz 1961, Dix
ans de conférence d'agrégation, p. 47 et suivantes.
Jean CHABAS, Transformation du droit local et évolution économique, Annales Africaines
1962, volume 1, p. 151.
Roger DECOTTIGNIES, Réflexions sur le projet de Code sénégalais des Obligations,
Annales Africaines 1962, pp. 171 à 180, voir spéc. p. 172.
Etienrie LEROY, Droit et développement en Afrique noire francophone, après 1°années
d'indépendance politique, Rev. sén. dr. 1971, volume 9, p. 53.
Kéba MBAYE, Droit et développement en Afrique francophone de l'Ouest, Rev. sén. dr. n°
zéro-l, août 1967, 1ère année, p. 23 et suivantes.
25
Dans notre perspective, la pertinence de cette investigation se justifie
dans la mesure où l'aptitude du droit à promouvoir le développement ne peut
être admise sans une discussion préalable. A cet égard, il est permis de
confronter deux thèses selon que le droit est inapte ou apte à provoquer le
développement(1).
Dans
la
première
thèse,
l'inaptitude
du
droit
à
favoriser
le
développement s'appuie principalement sur l'argument selon
lequel
les
instruments
juridiques
destinés
à
promouvoir
le
développement
ne
correspondent pas toujours aux structures économiques et sociales qu'ils
doivent transfonner. La conséquence qui s'ensuit sera la négation du droit
économique comme facteur de développement économique et social.
A l'inverse, dans la seconde thèse, l'aptitude du droit à provoquer le
développement est
soutenue par
l'apparition
d'un
faisceau
de
normes
d'inspiration locale et d'institutions modernes destinées, d'une part, à se
substituer aux règles traditionnelles et, d'autre part, à façonner une conscience
collective nationale favorable à l'avènement d'un~ économie conçue dans la
perspective d'un développement économique et sociale).
A notre avis, cette discussion mérite d'être tranchée en faveur de la
reconnaissance
de
l'aptitude
du
droit
économique
à
promouvOIr
le
Guy A. KOUASSIGAN, Quelle est ma loi? Tradition et modernisme dans le droit privé de
la famille en Afrique noire francophone. Préface P. BOUREL, Collection du Centre de
Recherche, d'Etude et de Documentation sur les Institutions et les Législations Africaines
(C.R.E.D.I.L.A.), Editions A. Pédone, Paris, 1974, p. 178 et suivantes.
Amsatou SOW-SIDIBE, Le pluralisme juridique en Afrique (l'exemple du droit successoral
sénégalais), Bibliothèque Africaine et Malgache, L.G.DJ., Paris, 1991, p. 225 et
suivantes.
C) Pour une synthèse relativement récente de ce débat, V. Mme Amsatou SOW-SIDIBE, op. cit.,
p. 228 et suivantes.
e) v. G.A. KOUASSIGAN, op. cit., p. 185 et suiv. ; K. MBAYE, op. cit., p. 21 et suiv. ; R.
GRANGER, op. cit., p. 47 et suiv.
26
développement. En effet, l'idée de progrès économique et social, soubassement
du droit du développement, pennet d'appréhender positivement la double
fonction de direction et de protection de l'ordre public économique qui a connu
une fluctuation au h'fé des circonstances économiques ayant marqué la
philosophie du développement au Sénégal. Dans cette perspective, on note que
ces fluctuations concernent aussi bien la fonction de l'ordre public économique
de direction que celle de l'ordre public économique de protection.
S'agissant de l'ordre public économique de direction,
l'on
nous
concédera, dans cette phase de nos réflexions, de le concevoir comme
l'ensemble des règles ayant pour objet de régir l'environnement du tissu
économique.
Cette fonction
de
l'ordre public
économique
fut
d'abord
caractérisée par une intervention stricte de l'Etat sur les activités économiques
dans la période immédiatement postérieure à l'indépendance. Par suite, le rôle
du secteur privé dans l'économie sera considérablement ,amoindri pour laisser
la place à l'Etat qui agissait ou bien encadrait les activités économiques
nécessaires sur le développement.
Mais avec l'évolution économique actuelle. propice à la doctrine du
libéralisme réduisant de plus en plus l'intervention de l'Etat dans la vie
économique de tous les continents, le Sénégal n'aurait pu prospérer dans le
concert des nations modernes s'il n'avait pas entrepris une vaste réfonne visant
à libéraliser toutes les politiques publiques et économiques. Ceci était d'autant
plus indispensable q~e l'échec de la politique du tout public avait nécessité le
diagnostic de l'expertise des bailleurs de fonds, comme la Banque Mondiale
(B.M.) et le Fonds Monétaire International (F.M.I.), dont le concours financier
pour un développement économique durable sera subordonné à l'application
d'une doctrine économique substituant le secteur privé au rôle de l'Etat dans les
principales actions du développemente). De la sorte, ces bailleurs de fonds se
e) v: Mohamed Sa1ah Mohàmed MAHMüUD, Le principe de la liberté du commerce et de
l'industrie ,dans les pays en développement. Communication présentée au Colloque du,
Bicentenaire organisé par l'A.I.D.E. sur les principes de 1789 et le droit économique,
Paris - Bastille, 16-18 novembre 1989.
27
font juges de l'ordre public économique des Etats en voie de développement,
comme le Sénégal, qui n'en ont pas moins continué à intervenir ponctuellement
lorsque les intérêts économiques supérieurs du pays le commandaient.
Cette
dernière
politique
prônant
la
libéralisation
actuelle
du
développement marque la rupture avec la période d'étatisation dont le déclin de
l'apogée peut coïncider approximativement avec la moitié de la décennie
1980e).
Doit-on en déduire une césure linéaire de cette double période marquée
par la prééminence du rôle de l'Etat dans les activités de développement?
Cette question, outre qu'elle permettra d'offrir le plan de l'étude de la
notion d'ordre public économique de direction, apportera aussi un éclairage sur
les rapports entre l'ordre public économique de direction et les enjeux, voire les
exigences du développement dans la mesure où ce sçmt ces dernières qui
façonneront la physionomie de l'ordre public économique de direction.
A propos de cette communication, nous n'avons pas pu l'obtenir malgré une correspondance
adressée à son auteur à l'Université de NouakchottlMauritanie.
Aussi bien dans cette thèse, lorsque nous ferons allusion à cette communication, ce sera
essentiellement pour mettre en relief la démonstration de l'auteur contenue dans un article:
"L'abus de dépendance économique : une notion subversive", paru dans les Petites
Affiches nO 114 du 21 septembre 1990, p. 4 et qui souligne que "le libéralisme n'a
pratiquement plus de concurrent idéologique. L'évolution ne s'arrête pas au stade de
l'idéologie sociale, mais pénètre progressivement les institutions juridiques".
C'est ainsi que "l'idéologie libérale sort auréolée d'une nouvelle aura renforcée par la
conversion des pays de l'Est et celle des pays du Tiers-Monde".
Adde Rapport Banque Mondiale sur le Développement dans le monde". "De l'économie
planifiée à l'économie de marché", 1996, Chapitre 5", Les institutions juridiques et l'Etat
de droit, p. 107 et suivantes du Rapport.
C)
En effet, cette période se situe dans le contexte de la politique d'ajustement structurel global
où l'on a vu émerger les politiques libérales avec l'adoption de la Nouvelle Politique
Agricole (N.P.A.) en 1986 ; puis celle de la Nouvelle Politique Industrielle (N.P.I.) en
1987 ; puis l'adoption de la loi sur les privatisations en 1987 et 1995 ; et enfm
J'instauration des lois sur la libéralisation de l'économie à partir de 1994.
..
28
Relativement à l'ordre public économique de protection, l'on nous
créditera également de concevoir cette seconde fonction comme la partie de
l'ordre public économique constitué par un ensemble de règles ayant pour objet
de protéger la vulnérabilité de certains acteurs économiques et sociaux dans le
but d'assurer l'harmonie du tissu économique.
Cette fonction de l'ordre public économique marque son autonomie par
rapport à l'ordre public économique de direction dans la mesure où, non
seulement,
elle englobe le domaine spécial
constitué
par les
acteurs
économiques, les catégories socio-professionnelles et les consommateurs, mais
encore, elle procède par une sélection des acteurs économiques, des catégories
socio-professionnelles et les consommateurs dignes de protection en raison de
leur état de vulnérabilité économique.
Cependant, cette autonomie de l'ordre public économique de protection
.
~
'
s'estompe dans la mesure où ce dernier va connaître, à l'in.star de l'ordre public
économique de direction, une mutation dans la fonction de protection motivée
par le changement de politique économique qui aura des répercussions sur la
nature de certaines règles de protection.
Ainsi, une telle remarque permettra d'appréhender l'émergence de
nouvelles règles juridiques pouvant laisser penser à un fléchissement de la
protection d'un contractant faible, comme la catégorie des travailleurs, voire un
renversement de cap de la protection en faveur d'un contractant supposé
économiquement plus puissant, comme c'est le cas des assureurs. Dans tous les
cas, cette évolution récente permettra d'élucider et d'apprécier les orientations
actuelles de la notion d'ordre public économique dont il apparaîtra que la
contingence est largement conditionnée par la nécessité d'assurer l'harmonie et
la stabilité du tissu économique.
29
Au surplus, cette autonomie de l'ordre public économique de protection
paraît être remise en cause par une partie de la doctrinee) qui justifie la
dichotomie entre les deux catégories d'ordre public de direction et de protection
comme le résultat d'une oeuvre purement doctrinale. A l'appui de cette thèse,
on peut surtout faire valoir qu'il existe moins une différence de nature que de
degré entre ces deux catégories d'ordre public dans la mesure où le
commandement de l'ordre public économique de direction paraît s'exercer sur
une échelle bien plus grande que celle de l'ordre public économique de
protection qui, elle, choisit les acteurs économiques et sociaux nécessitant la
bienveillance et l'attention du législateur.
Cette fuite de l'autonomie de l'ordre public économique de protection a
même trouvé un refuge dans une partie de la doctrine françaisee) qui fera alors
remarquer qu'il est difficile de faire le départ entre l'ordre public de direction et
l'ordre public de protection.
Malgré tolit, il nous semble que cette difficulté ne saurait constituer un
faux départ dans la mesure où la distinction entre l'ordre public économique de
direction et l'ordre public économique de protection peut être soutenue aussi
bien au plan de la rigueur juridiquee) qu'à celui de la rigueur économique.
D'abord, dans le domaine strictement juridique, la distinction se conçoit
au regard du régime juridique, et singulièrement de l'importance de la sanction
civile de droit com,mun constituée par la nullité. A cet égard, il ne paraît faire
aucun doute que si la violation d'une prescription édictant des directives d'ordre
C)
Jean Pierre TOSI, le Droit des obligations sénégalais, L.G.D.J.-N.E.A., 1981, nO 307, p.
116.
()
En droit français, V. Gérard COUTURIER, L'ordre public de protection, heurs et malheurs
d'une vieille notion neuve, Etudes offertes à Jacques FLOUR, Répertoire du Notariat
Defrenois, nO 7, pp. 101 et 102.
e) En' droit français, v. Jacques MESTRE, Communication précitée in ouvrage collectif:
L'ordre public à la fin du XXe siècle précité, nO 3, p. 34.
30
public économique de direction est sanctionnée par la nullité absolue ; par
contre, la méconnaissance d'un commandement touchant à un ordre public
économique de protection est frappée d'une nullité relative.
Ensuite, dans le domaine économique, ladite distinction peut prospérer
facilement dès lors que l'économie peut être caractérisée par l'existence d'un
tissu économique dans lequel se meuvent des acteurs économiques. Par suite,
la recherche de l'harmonie du tissu économique et la protection subséquente de
la vulnérabilité de certains acteurs économiques aboutissent à l'instauration et à
la nécessité de faire appel aux fonctions de direction du cadre économique et
de protection de certains acteurs économiques ainsi que les consommateurs.
En somme, l'exploitation des ,résultats des rapports entre l'ordre public
économique et les questions de développement s'effectuera dans une approche
et une méthodologie relativement simples puisqu'elles tiendront compte, non
seulement, des deux phases respectives d'étatisation e~ de libéralisation du
développement économique,
mais
encore
et surtout,
elles
procéderont
principalement à l'étude de l'ordre public économique par l'analyse de sa
double fonction, c'est-à-dire la direction de l'activité économique et la
protection des acteurs économiques et sociaux. Cette méthodologie permettra,
en définitive, de conduire nos investigations qui s'appuieront, d'une part, sur les
rapports de développement entretenus par l'ordre public économique avec sa
fonction de direction (Première Partie) et, d'autre part, sur les mêmes relations
de développement entre l'ordre public économique avec sa fonction de
1
protection (Deuxième Partie).
31
PREMIERE PARTIE
L'ORDRE PUBLIC DE DIRECTION DANS UN PAYS
EN DEVELOPPEMENT
S'il Y a une évidence dans la notion d'ordre public économique de direction, c'est
certainement son évolution constante qui conditionne la physionomie de l'intervention des
pouvoirs publics.
Par
suite,
en
matière
économique,
l'action des pouvoirs publics
s'accommode partout des réalités d'une époque et des circonstances économiques.
Pour le cas du Sénégal qui n'échappe pas à cette évidence, l'ordre public économique
de direction est particulièrement caractérisé par une double phase marquée respectivement par
une intervention stricte de l'Etat sur les activités économiques, puis par un rôle d'arbitre dans
les activités économiques. Chaque phase a pu jouer un rôle sur la nature de la règle d'ordre
public économique qui a, d'abord, emprunté un caractère positif de commandement dans la
première phase d'étatisation du développement pour, ensuite, se muer en un ordre public
économique neutre d'abstention dans la seconde phase de libéralisation du développement.
Cependant, cette césure du temps n'est pas absolue dans la mesure où, dans toutes les
phases du développement, on retrouve des points de contact qui conduisent à penser que si
dans la phase d'étatisation du développement, les principes libéraux de l'économie n'étaient
pas contestés(1) ; dans la phase de libéralisation du développement, les mesures contre les
dérives d'un libéralisme peuvent être considérés comme une survivance du dirigisme
étatique(2). On doit admettre, par conséquent, que la mission de
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, L'ordre public économique, Thèse de doctorat d'Etat,
1961, L.G.D.J., Paris, 1963, n° 69, p. 63.
(2)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 33, p. 41 et n° 68, p. 63.
Selon l'auteur, "même à l'époque de la société libérale, les principes libéraux n'étaient
pas absolus".
32
commandement assignée aux pouvoirs publics sénégalais pouvait avoir pour objectif, non
seulement, de promouvoir une initiative privée nationale, mais aussi, que le rôle de
neutralité qu'ils assument par l'intermédiaire d'une Commission Nationale de la
Concurrence n'empêche pas que des mesures d'inspiration dirigiste puissent être prises
pour parer, notamment, à des situations de crise ou bien réprimer les délits économiques.
Malgré cette interférence temporelle de la notion d'ordre public économique de
direction, il nous paraît judicieux de lui consacrer une étude cloisonnée en deux étapes qui
tiennent compte d'une approche de la notion d'ordre public économique de direction dans
la phase d'étatisation, puis dans la phase de libéralisation. Ceci paraît d'autant plus
nécessaire que chaque période ayant marqué la notion d'ordre public économique de
direction correspond à une philosophie du développement qui épouse les contours d'une
doctrine économique du développement. En d'autres termes, la théorie du développement
a une connotation et une physionomie plus ou moins différe~tes selon l'importance du rôle
de l'Etat sénégalais dans les activités économiques. En somme, si la période marquée par
la prédominance d'un contrôle strict de l'Etat sur les activités économiques nécessite
l'étude de l'ordre public économique de direction dans une phase d'étatisation du
développement (Titre 1), l'époque coïncidant avec une diminution considérable du rôle
économique de l'Etat au profit de l'initiative privée mérite d'être placée sous l'angle de
l'ordre public économique de direction dans une phase de libéralisation de l'économie
(Titre II).
33
TITRE 1 -
L'ORDRE
PUBLIC
DE
DIRECTION
DANS
LA
PHASE
D'ETATISATION DU DEVELOPPEMENT
L'ordre public économique de direction correspond ici à la période où l'Etat du
;
Sénégal est au coeur du développement. Cette époque était surtout marquée par la fin
d'une très longue époque coloniale qui a entraîné une substitution de dirigeants nationaux
qui ont pris en charge le destin du pays. Cette mission paraissait d'autant plus urgente que
les principales activités économiques étaient détenues soit par le pouvoir colonial(l),
soit par des colons français ou européens venus s'installer sur le territoire du Sénégal.
Dans cette perspective, les pouvoirs publics sénégalais ont entrepris la promotion d'une
mission de développement qui a été surtout inspirée par la doctrine socialiste du
développement prônée par le Président SENGHOR. L'application de cette doctrine devait
conduire les pouvoirs publics, dans le domaine économique, à prendre en charge les
activités économiques naguère exercées par l'ancienne puissance coloniale française et à
faciliter la promotion d'une initiative privée nationale en vue de créer les conditions d'un
développement économique par des acteurs publics et privés nationaux. Il s'ensuit que,
dans les secteurs économiques où l'on pouvait constater une défaillance de l'initiative
privée nationale, l'Etat du Sénégal est directement intervenu pour exercer ladite activité
dans le cadre des Entreprises publiques. Au surplus, si l'Etat n'exerce pas une activité
économique, il n'en a pas moins jugé nécessaire de contrôler son accès. Par conséquent,
on peut dire que la période d'étatisation du développement était marquée, au Sénégal, par
une restriction à l'accès aux activités économiques qui devait consacrer une remise en
cause du principe de liberté d'entreprise (Chapitre 1). Cependant, cette négation de la
liberté d'entreprise devra utilement être complétée par une remise en cause du principe
d'égalité dans la mesure où il existe, non seulement, des activités économiques qui ne
peuvent être exercées que par des nationaux sénégalais, mais encore, une inégalité
contractuelle au profit de la puissance publique qui contracte avec d'autres acteurs
économiques. Il s'ensuit l'étude de la négation du principe d'égalité (Chapitre II).
(1)
J. MAILLOUX, Les origines du secteur public, Encyclopédie juridique de l'Afrique, Volume 7,
Droit des Entreprises, pp. 187 et 188.
34
CHAPITRE 1-
LA
NEGATION
DU
PRINCIPE
DE
LIBERTE
D'ENTREPRISE: LA RESTRICTION DE L'ACCES AUX
ACTIVITES ECONOMIQUES
La négation du pnnClpe de liberté d'entreprise correspond à une période de
direction de l'économie nationale par les pouvoirs publics sénégalais. Cette période était
surtout marquée par une restriction de l'accès aux activités économiques que l'on peut
concevoir comme l'ensemble des activités relatives au commerce, à l'industrie et à
l'artisanat correspondant alors aux secteurs importants de l'économie nationale(l). Par
conséquent, le domaine de cette définition explique que la négation du principe de liberté
d'entreprise puisse s'appliquer à un ensemble d'activités économiques; ce qui rejoint
l'assertion d'un auteur qui, appréciant les injonctions de l'ordre économique, faisait
notamment valoir "qu'elles se multiplient aujourd'hui à un point tel que peu d'activités y
échappent"(2).
Cependant, la négation du principe de liberté d'entreprise ne manquera pas de
susciter une interrogation au regard du princip"e de la liberté du commerce et de
l'industrie(3) dont l'importance est telle que la jurisprudence française y a découvert
un principe général du droit à valeur constitutionnelle(4). Aussi, il conviendra de se
(1)
La notion d' acti viré économique comprend également l'agriculture. Mais, à notre connaissance,
il n'existe aucune mesure restreignant l'accès aux activités agricoles au Sénégal.
(2)
Didier MAR11N, Droit civil et commercial sénégalais, NEA, 1982, Collection CI.F.P.B., n° 289,
p.74.
(3)
Sur la li!?erté du commerce et de l'industrie, V. en droit français: Yves REINHARD, Droit
commercial, 3ème édition, 1993, UTEC, pp. 63 et 64.
Ce principe a été institué par l'art. 7 de la loi des 2-17 mars 1791 dite Décret d'Allarde.
(4)
En droit français, v. CE. 28 octobre 1960, Martial de LABOULAYE, AlDA 1961, p. 20,
Conclusion HEUMANN ; CE. 9 janv. 1981, Soc. Claude publicité, D. 1981, I.R. p. 113,
observations DELVOLVE.
Sur la valeur constitutionnelle du principe général de la liberté du commerce et de l'industrie, V.
Conseil Constitutionnel, 5 janv. 1982, AlDA 1982, p. 85 ; 16 janv. 1982, AlDA 1982, pp. 202
et 209, note RIVERO ; D.1983, p. 169, note HANON.
35
demander pourquoi ce principe général de liberté du commerce et de l'industrie a été
superbement ignoré, pendant une période, au Sénégal.
S'il est établi que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie n'a jamais
été totalement remis en cause, selon une importante partie de la doctrine française(l),
il semble que sa méconnaissance partielle résulte alors de sa portée qui admet de notables
restrictions(2). Celles-ci sont particulièrement compréhensibles au Sénégal par les
impératifs d'un droit du développement qui conduisent les pouvoirs publics sénégalais, soit
à contrôler l'accès aux activités économiques par des formalités d'autorisations ou de
déclarations préalables (Section 1), soit à exercer directement une activité économique par
le biais des entreprises publiques. Dans ce dernier cas, la mission de développement
conférée aux entreprises publiques fait que le principe général de la liberté du commerce
et de l'industrie soit frappé d'une négation suprême qui s'exprime par un monopole dévolu
aux entreprises publiques (Section II).
SECTION 1 -
CONTROLE DE L'ACCES AUX ACTIVITES ECONOMIQUES
(AUTORISATION ET DECLARATION PREALABLE)
Le contrôle de l'accès aux activités économiques peut être conçu comme la
négation atténuée du principe de liberté d'entreprise dès lors qu'il suppose des restrictions
reposant sur la mise en oeuvre de mesures préventives telles que la déclaration ou
l'autorisation qui émanent de la puissance publique(3).
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, L'ordre public économique, Thèse de doctorat d'Etat, 1961,
LGDJ, Paris. 1963. n° 132, p. 104.
Paul DURAND. Les aspects juridiques du capitalisme. A propos d'un livre récent, Dr. soc., 1947,
p.9.
MÜRANGE. Réflexions sur la protection accordée par le juge administratif à la liberté du
commerce et de l'industrie, D. 1956. chrono p. 117.
(2)
En droit français, v. Yves REIN HARD, op. cit., n° 89, p. 64.
(3)
A. SAKHü, Les groupes de société et le droit, Thèse de doctorat d'Etat, 1993, pp. 120, 320 et
s.: En droit français, Yves REINHARD, op. cit. é 90, p. 65.
36
Le contrôle est surtout marqué par le fait qu'il permet encore d'afftrmer le principe
de la liberté du commerce et de l'industrie dans la mesure où l'initiative privée n'est pas
méconnue(l).
Cependant, il faut préciser que la prise en compte de cette initiative privée est
entourée de précautions permettant de garantir le contrôle à l'accès des activités
économiques. Il s'agit, par conséquent, de savoir dans quelle optique le contrôle des
pouvoirs publics a été institué en vue de restreindre l'accès aux activités économiques.
La notion d'activité économique pouvant avoir une acception très large comme la
loi n° 71-47 du 28 juillet 1971(2) l'autorise, il est permis alors de penser qu'à l'époque
de la phase d'étatisation du développement, le contrôle des pouvoirs publics pouvait
s'accommoder d'une réglementation générale de l'accès aux activités économiques (Sous-
Section 1). L'admission de cette réglementation générale ne doit pas faire oublier les
nombreuses
réglementations
spécifiques restreignant l'accès
à certaines
activités
économiques(3). Cependant, l'importance numérique de ces dernières commande la
sélection d'un cas concret de réglementation particulière, en l'occurrence l'acquisition d'un
bien économique comme la vente du fonds de commerce et de l'immeuble qui sont des
supports de l'activité économique. Ainsi, ce choix aura le double mérite de faire, d'une
part, l'économie de l'étude de toutes les autres réglementations spécifiques et de l'autre,
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, L'ordre public économique, Thèse de doctorat d'Etat, 1961,
LGDJ, Paris, 1963, n° 132, p. 104.
(2)
V. Loj n° 71-47 du 28 juillet 1971 soumettant à autorisation ou déclaration préalable l'exercice
de certaines professions industrielles, commerciales et artisanales, JORS n° 4180 du 12 août 1971,
p.775.
(3)
Quèlques exemples de réglementations spécifiques: V. exposé des motifs de la loi n° 94-67 du
22 août 1994 supprimant l'autorisation préalable à l'exercice de certaines activités économiques,
JORS n° 5595 du 27 août 1994, p. 393.
II ressort de l'exposé des motifs de cette loi que les professions de brocanteur, de courtier en
métaux précieux, de la publicité et de l'ouverture d'écoles de conduite automobile étaient soumises
à la procéduredeI'autorisation préalable.
37
de mettre en exergue l'importance du fonds de commerce et de l'immeuble qui constituent
une source importante de l'activité économique (Sous-Section II).
Sous-Section 1 -
REGLEMENTATION
GENERALE
DE
L'ACCES
AUX
ACTIVITES ECONOMIQUES
Cette idée de réglementation générale peut s'autoriser de la loi na 71-47 précitée
(articles 1er et 2) qui embrasse les activités économiques dans les domaines industriels,
commerciaux et artisanaux, en subordonnant leur accès à un régime de déclaration ou
d'autorisation préalable. Ces formalités étant édictées par les pouvoirs publics, on peut
penser qu'elles traduisent la préoccupation de l'autorité publique relativement à la nature
économique de l'activité exercée. Dans cette optique, il a été institué un contrôle préventif
des pouvoirs publics (1) dont la méconnaissance entraîne la réaction des pouvoirs publics
qui sanctionnent le défaut d'autorisation ou de déclaration préalable. Aussi, il convient de
compléter utilement le contrôle préventif par un contrôle réactif des pouvoirs publics (II).
1 - CONTROLE PREVENTIF DES POUVOIRS PUBLICS
La prévention consiste à prendre des mesures de contrôle préalables à l'accès aux
.
.
activités économiques. Selon le degré du contrôle qui peut être plus ou moins rigide,
l'accès à l'activité économique peut être soumis soit au régime de l'autorisation préalable
(A), soit à celui de la déclaration préalable (B).
A -
Soumission des activités économiques au régime de l'autorisation
préalable
L'autorisation préalable peut être comprise comme la permission accordée par une
autorité publique à une personne privée désirant exercer une activité économique.
38
Elle présente un intérêt pratique certain dans la mesure où elle a pour effet
d'exclure certaines personnes souhaitant se livrer à l'exercice d'une activité économique.
Au surplus, c'est même une condition préalable et sine qua non qui doit précéder le
démarrage de l'activité économique.
Ainsi, ce régime de l'autorisation préalable a largement permis aux pouvoirs publics
de restreindre la liberté d'établissement(l) relativement à l'exercice d'une activité
économique. Il s'ensuit que le principe de la restriction a admis un domaine
considérablement élargi pouvant englober tant l'exercice des professions commerciales,
industrielles et artisanales que l'accès aux activités de promotion, de transaction et en
gestion d'entreprises et de conseil juridique. Aussi bien, dans les domaines intéressant
notre perspective, nous nous évertuerons à démontrer que ces notables restrictions visaient
à atteindre, au moins, un double objectif qui se résume en une quête de rentabilité de
l'activité économique (a) et une moralisation des conditions d'accès aux activités
économiques (b).
a - La rentabilité de l'activité économique
Elle peut être comprise comme une finalité permettant d'agréer un projet
économique. Dans cette optique, la nécessité de réaliser un vaste tissu industriel,
commercial et artisanal, favorable à une création massive de richesses et d'emplois, sera
ressentie par les pouvoirs publics comme une contrainte de développement économique
et social. Par suite, un certain nombre d'informations concernant le projet économique
doivent être portées à la connaissance de la puissance publique(2). Cette opération est
réalisée grâce à la procédure de l'autorisation préalable qui permet ainsi de contrôler
l'accès aux activités commerciales, industrielles et artisanales. Il résulte de ce contrôle
qu'il confère aux représentants des pouvoirs publics le rôle d'apprécier l'opportunité de
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. p. 65.
(2)
Sur l'information préalable des pouvoirs publics, v. A. SAKHü, op. cit. p. 320 et suivantes.
39
la création ou non d'une acti vi té économique entrant dans le champ d'application de
l'autorisation préalable(l).
Si l'opportunité ou l'inopportunité de la création d'une activité économique relève
du pouvoir discrétionnaire de l'autorité publique, il semble, par contre, que l'exercice de
ce dernier soit soumis à un minimum de contrôle de légalité afin d'éviter tout risque
d'arbitraire. C'est dans cette perspective que l'exigence d'un dossier justificatif détaillant
la nature de l' acti vité, la localisation, le montant et la décomposition des investissements,
le nombre et la qualification des emplois prévus(2) peut être considérée comme un socle
légal minimal permettant au juge de l'excès de pouvoir de contrôler la décision
administrative.
Le socle légal minimal étant essentiellement constitué d'éléments d'information
relatifs à des critères de rentabilité économique, on peut, d~s lors, en conclure que ce sont
ces derniers qui jouent, dans notre perspective, le rôle décisif dans le processus décisionnel
devant aboutir non seulement à l'octroi ou au refus de l'autorisation par l'autorité
compétente mais encore à l'annulation ou à la 'confirmation de l'acte de l'autorité
administrative. Ceci paraît d'autant plus fondé que la nature d'une activité et le montant
des investissements sont susceptibles d'avoir un effet multiplicateur sur la situation de
l'emploi dont il fallait promouvoir le développement dans un contexte de sous-
industrialisation.
(1)
V. Annexes du décret n° 71-1103 du Il octobre 1971 précité. Annexe 1 : Liste des professions
commerciales et artisanales soumises à autorisation préalable : Entreprise de blanchisserie ;
Entreprise de récupération des ferrailles et métaux ferreux; Entreprise de nettoiement; Entreprise
de réparation mécanique automobile ; Entreprise de location de voiture ; Agence de douane,
t~ansitaire, commissionnaire en douane ; Courtage en assurance ; Agences immobilières ;
Avitailleur de navires et aéronefs; Exploitant de débits de boissons; Dépositaires de journaux et
bureau de tabacs ; Distributeur de films cinématographiques et exploitation de saJJes de cinéma
; Export-import ; Représentant de marques; Pharmacies et cliniques privées.
Annexe II : Gérance de station service; Entreprises de transports publics routiers de marchandises
et voyageurs et taxis ; Entreprise de commerce de détail et de demi-gros ; Entreprise de
commercialisation des produits du crû ; Entreprise de mareyage ; Entreprise de boucherie
ordinaire.
(2)
V. Art. 4 du décret n° 71-1103 du Il octobre 1971 précité.
40
Cette contrainte de l'industrialisation avait même été à l'origine de l'adoption de
la loi n° 81-61 du 24 novembre 1981(1) qui avait uniquement pour ambition de corriger
le formalisme excessif de sa précédente qui avait entravé le processus d'industrialisation
rapide du pays(2). Malheureusement, la ratio legis de la loi n° 81-61 précitée n'a pas
été fidèlement reproduite dans le corps du texte où seule la référence à un arrêté primatoral
a été substituée à une liste fixée par décret pour soumettre l'exercice de certaines
professions industrielles, commerciales et artisanales au régime de l'autorisation
préalable(3). Cette situation sera d'autant plus regrettable que le rectificatif de la loi n°
81-61 précitée(4) n'avait pas pris en compte le reproche fait au formalisme excessif de
l'ancien texte.
Tout compte fait, si l'on s'appuie sur l'objectif d'industrialisation assignée à la loi
n~ 81-61 in fine et pour lequell'effet attendu est le développement corrélatif de l'emploi,
on peut raisonnablement continuer à soutenir qu'il y a là toujours un facteur essentiel de
progrès économique qui est un moyen de rentabilité économique.
En définitive, on peut affirmer que la procédure de l'autorisation préalable permet
aux pouvoirs publics de jauger la rentabilité économique d'une activité industrielle,
commerciale et artisanale par le biais du contrôle de l'investissement destiné à
l'industrialisation, facteur de création d'emplois nécessaires au développement du pays.
(1)
Loi n° 81-61 du 24 novembre 1981 abrogeant la loi n° 71-47 du 28 juillet 1971, JORS n° 4869
du 12 décembre 1981, p. 1078.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 81-61 du 24 novembre 1981 précitée.
(3)
Comp. art. 1er loi n° 71-47 du 28 juillet 1971 précitée: "L'exercice des professions industrielles
et'celui des professions artisanales et commerciales dont la liste sera fixée par décret, sont soumis
à autorisation préalable" et art. 2 loi n° 81-61 du 24 novembre 1981 précitée: "L'exercice des
professions industrielles, artisanales ou commerciales visées par l'arrêté primatoral susmentionné
est soumis à autorisation préalable".
(4)
V. Rectificatif à l'article 1er de la loi n° 81-61 du 24 novembre 1981 soumettant à déclaration ou
à autorisation préalable l'exercice des professions industrielles, artisanales ou commerciales, JORS
du 9 janvier 1982, n° 4873, p. 17.
41
Cependant, malgré l'intérêt qui s'attache à l'objectif de rentabilité économique, ce
dernier n'avait pas fait perdre de vue l'exigence par les pouvoirs publics d'une bonne
moralité dans les conditions d'accès aux activités économiques.
b - La moralisation des conditions d'accès aux activités économiques
Cette idée de moralisation peut être soutenue à partir de l'accès aux activités
d'organisation, de transaction et de gestion immobilières, d'étude et de conseil en
organisation et en gestion d'entreprises et de conseil juridique(1).
Dans cette optique, l'institution du régime de l'autorisation préalable peut être
conçue comme un moyen d'information préalable de l'autorité publique qui cherche à
assainir les conditions d'accès à certaines activités économiques. Cette information
préalable permet ainsi à l'autorité publique d'obtenir des éléments de renseignements sur
les postulants qui doivent fournir un dossier attestant qu'ils, n'ont jamais fait l'objet d'une
condamnation non amnistiée à une peine d'emprisonnement, avec ou sans sursis(2) et
qu'ils remplissent des conditions d'aptitude et d'expérience professionnelle(3).
Au surplus, les postulants doivent constituer une garantie financière destinée à
couvrir leur responsabilité civile professionnelle(4).
Ce sont là autant de conditions requises pour l'obtention de la carte professionnelle
qui matérialise l'autorisation délivrée par les autorités compétentes. Dans cette perspective,
la procédure de l'autorisation préalable peut être comprise comme le moyen de contrôler
(1)
V. loi n° 82-07 du 30 juin 1982, JORS n° 4899 du 03 juillet 1982, p. 469 et décret n° 82-731 du
22 septembre 1982 relatif aux conditions d'accès à l'activité de promotion immobilière, JORS du
,20 novembre 1982, p.742.
(2)
, Article '7 de' la loi n° 82-07 du 22 septembre 1982, précitée, p. 742.
(3)
Article 9 de la loi n° 82-07 précitée, et article 4 alinéa 1er du décret n° 82-731 du 22 septembre
1982 précité.
(4)
Article IOde la loi n° 82-07 précitée et article 9 du décret n° 82-731 précité.
42
et de vérifier l'exactitude des informations auxquelles sont assujettis les postulants à un
certain nombre d'activités économiques pour l'exercice desquelles il avait été constaté une
absence de garantie de compétence, de sérieux et d'honnêteté nécessaire(l). Aussi, bien,
la correction de ces défauts de moralité nécessitait le contrôle strict des pouvoirs publics
relativement aux conditions d'accès de certaines professions dont l'exercice était soumis
au principe de l'autorisation préalable(2).
En conclusion, on peut dire que la procédure de l'autorisation préalable est un
moyen permettant de restreindre la liberté d'établissement relativement à l'exercice de
certaines activités économiques. De plus, cette procédure obéit essentiellement à des
motivations économiques tendant à promouvoir un sain développement économique du
pays.
En outre, on peut considérer l'autorisation préalable,comme la forme majeure du
contrôle des pouvoirs publics sur certaines activités économiques. Cependant, il faut
admettre que, souvent, cette forme majeure est convertie en forme mineure pour donner
naissance à la procédure de déclaration préalable à laquelle peut être soumis l'exercice des
activités économiques.
B -
Soumission des activités économiques au régime de la déclaration
préalable
Le régime de la déclaration préalable peut expressément s'autoriser de la loi n° 71-
47 du 28 juillet 1971 (Art. 2) qui soumet l'exercice de certaines professions industrielles,
artisanales et commerciales à cette formalité. C'est ainsi que son art. 2 dispose que "toutes
(1)
V~ exposé des motifs de la loi n° 82-07 précitée.
(2)
V. article 2 de la loi n° 82-07 précitée.
43
les professions énumérées et non soumises au principe de l'autorisation préalable"(l)
sont, de droit, assujetties à la procédure de la déclaration préalable.
Cette procédure de déclaration préalable traduit une souplesse du contrôle des
activités économiques par les pouvoirs publics, si bien que la doctrine française a pu y
voir, avec juste raison, le degré minimum de la restriction de la liberté(2). Il s'ensuit
que cette restriction peut être un moyen de contrôle minimal des pouvoirs publics sur la
nature des activités économiques dont on envisage la création ou l'extension(3).
Ceci paraît d'autant plus soutenable que le souci des pouvoirs publics était d'avoir
un droit de regard sur toutes les activités économiques, y compris celles pour lesquelles
ils n'accordaient pas la permission d'exercer.
Dans èette perspective, on peut penser que le rôle. économique que ces activités
productives sont appelées à remplir conduit les pouvoirs publics à assurer une meilleure
coordination des actions de développement de toutes les professions industrielles,
commerciales et artisanales, quel que soit leur régïme d'exercice(4).
En définitive, on peut dire que le régime de la déclaration préalable constitue
effectivement un factcur de restriction minimalc au principc de la liberté d' cntreprise qui
ne se justifie que par le souci d'une harmonisation de l'ensemble des activités
économiques indispensables pour le développement du pays. Aussi bien, les impératifs du
(1)
V. liste supra, p. 39, note 1.
(2)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cil. n° 90, p. 65.
(3)
V. article 2 du décret n° 71-1103 du Il octobre 1971 précité: "Au sens du présent décret,
l'exercice des professions industrielles concerne toute création ou extension d' acti vi tés industrielles
dépassant 30 % de la capacité existante de production et rentrant dans le cadre normal de ses
fabrications, ainsi que toute fusion d' acti vités industrielles existantes".
(4)
V. article 15 du décret n° 71-1103 du Il octobre 1971 précité: "Dans le but d'assurer une
meilleure coordination des actions de développement, l'exercice des professions artisanales et
commerciales non visées aux annexes 1 et II du présent décret est soumis à déclaration préalable".
44
développement économique et social ont conduit les pouvoirs publics sénégalais à contrôler
l'accès aux activités économiques. Ce contrôle est d'autant plus sévère que l'inobservation
des formalités d'autorisation ou de déclaration préalable était assortie de sanctions qui
supposent le contrôle réactif des pouvoirs publics.
II - CONTROLE REACTIF DES POUVOIRS PUBLICS
Ce contrôle traduit la réaction défavorable des pouvoirs publics qui ont aménagé
un arsenal répressif particulièrement sévère, composé de sanctions pénales (A) et de la
fermeture administrative d'établissement (B).
A - Les sanctions pénales
Elles constituent l'expression de la défense des intérêts publics face aux opérateurs
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économiques. Dans cette perspective, l'exercice sans autorisation préalable d'une
profession industrielle, commerciale ou artisanale est sanctionné par un emprisonnement
de 3 mois à 6 mois et une amende de 100.000 à 10.000.000 F(1).
Egaleinent, l'exercice par une personne, non titulaire de la carte professionnelle ou
ayant cessé de remplir les conditions auxquelles la délivrance est subordonnée pour
l'exercice des activités de promotion, de transaction et de gesLion immobilière, d'étude et
de conseil en organisation et en gestion d'entreprises et de conseil juridique, expose son
auteur à un emprisonnement de 2 mois à 2 ans et à une amende de 50.000 francs à
2.000.000 francs ou de l'une de ces deux peines(2).
(1)
V. article 5 de la loi n° 71-47 du 28 juillet 1971 précitée et article 18 du décret n° 71-1103 du
Il octobre 1971 précité.
(2)
V. article 16 alinéa 1 de la loi n° 82-07 précitée.
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B - La fermeture administrative d'établissement(l)
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(1)
Sur la fenneture administrati ve d'établissement, voir nos réflexions, infra Titre II de cette première
partie•. p. 212. et, suivantes.
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(2)
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précité.
46
de textes législatifs et réglementaires(l) conditionnant la validité de l'acte de vente du
fonds de commerce et de l'immeuble à une autorisation préalable (1).
Par suite, on se demandera comment on devra sanctionner l'absence de
l'autorisation préalable (Il).
1 -
AUTORISATION PREALABLE, CONDITION DE VALIDITE DE LA
VENTE DU FONDS DE COMMERCE ET DE L'IMMEUBLE
Les conditions de fond:. exigées par la loi pour la validité des contrats sont
également prévues pour la passation d'un contrat de vente d'un fonds de commerce et d'un
immeuble. Il s'ensuit nécessairement que cette dernière opération requiert le consentement
des parties, leur capacité à contracter, un objet déterminé et licite des prestations et une
cause licite du contrat et des obligations (articles 4? et suivants du COCC)(2).
Cependant, ces conditions légales peuvent ne pas suffire lorsque, du moins, les impératifs
de la direction de la vie économique conduisent les pouvoirs publics à aménager des
procédés de contrôle aussi bien dans la période précontractuelle que dans celle de la
conclusion du contrat(3). C'est dans cette perspective qu'il convient de situer le procédé
de l'autorisation préalable comme le moyen de contrôle de la puissance publique qui
précède la passation du contrat de vente de fonds de commerce et de l'immeuble.
Cette autorisation préalable, loin d'être générale, est plutôt spéciale puisqu'elle n'est
exigée que pour certains fonds de commerce et immeubles. A cet effet, les fonds de
(1)
V. loi n° 77-85 du 10 août 1977 soumettant à autorisation préalable certaines transacti.ons
immobilières, JaRS n° spécial.4586 du 12 septembre 1977, p. 1174 et son décret d'application
n° 77-754 du 20 septembre 1977, JaRS du 22 octobre 1977 ; Code COCC annoté, EDJA, avril
1994, pp. 171 et 172. Loi n° 77-64 du 26 mai 1977 modifiant l'article 392 du COCC, JaRS du
18 juin 1977, pp. 736 et 737.
(2)
V. Pierre BOUREL, La formation du contrat en droit sénégalais, Rey. sén. Dr., 1969, n° 6. p. 31.
(3)
En droit français, Y. Paul DURAND, Le rôle des agents de l'autorité publique dans la formation
du contrat, Rey. trim. dr. ciY., 1948. pp. 156 et 163.
- - - - - - - - - - - - -
47
commerce et immeubles susceptibles d'être soumis à la formalité de l'autorisation
préalable doivent atteindre une valeur dont le montant n'est pas inférieur à 10.000.000 de
francs; c'est ce qui résulte de l'interprétation a contrario de l'article 3 de la loi n° 77-85
précitée qui précise que l'autorisation n'est pas exigée si le montant de la transaction,
augmenté des charges, est inférieur à 10.000.000 francs. Il en découle que la cession à titre
onéreux prévue par la loi précitée (article 2) peut s'analyser en une opération de vente de
fonds de commerce ou d'immeuble devant être soumise à la procédure de l'autorisation
préalable.
Cette affirmation doit pouvoir être soutenue même si l'intitulé de la loi vise
expressément et exclusivement les transactions immobilières. En effet, puisque l'article 1er
de la loi cite expressément les opérations portant sur les immeubles ou les fonds de
commerce, on doit en déduire que les conditions de validité édictées par la loi s'appliquent
également à la vente 'de fonds de commerce dont la valeur n'est pas inférieure à
10.000.000 de francs.
Au surplus, le texte précité ne fait que confirmer l'assimilation de la vente du fonds
de commerce à la vente immobilière(l).
En somme, lorsque l'autorisation préalable s'ajoute aux conditions de fond du
contrat prévues par les articles 47 et suivants du COCC, elle doit être retenue comme une
condition supplémentaire qui est une partie intégrante des conditions de validité du contrat
conclu sous la condition suspensive de l'autorité administrative(2).
(1)
Doct. V. Jean CHABAS, La protection des créanciers dans la vente du fonds de commerce en
droit sénégalais, Rev. sén. dr., décembre 1967, na 2, p. 26.
Adde. Amadou FAYE, Le transfert de propriété dans la vente du fonds de commerce, Rev. intern.
de dr. afric., EDJA na 24, trimestriel, janvier-février-mars 1995, p. 23.
(2)
'DocL V. A. SAKHO, op. cil. p. 328.
48
Il s'ensuit que lorsque l'autorisation préalable sollicitée a été refusée par l'autorité
compétente, en l'occurrence, le Ministre des finances(l), l'acte de vente projetée
concernant le fonds de commerce ou l'immeuble soumis à cette formalité ne sera pas
formé. Ce qui aura, en définitive, pour conséquence d'exclure l'acquéreur qui ne pourra
pas acquérir un bien économique dont le support est le fonds de commerce ou l'immeuble,
ce qui constitue une restriction particulière à l'acquisition de biens économiques
fondamentaux pour l'exercice d'une activité économique.
Comment sanctionne-t-on la méconnaissance d'une telle autorisation préalable?
II - SANCTION DE L'ABSENCE DE L'AUTORISATION PREALABLE
La quintessence de la sanction est constituée par la nullité qui frappe l'acte de vente
du fonds de commerce ou de l'immeuble dont l'autorisatio.n préalable a été refusée par le
Ministre des finances(2). A cet égard, il a été jugé en droit sénégalais que cette règle
est une condition de fond dont la violation entraîne la nullité de la vente(3). Par suite,
on peut penser que la vente intervenue sans l'autorisation préalable est faite sous une
condition suspensive ou résolutoire. Relativement au caractère de la nullité, il est
remarquable de constater que les textes invoqués ne fournissent expressément aucune
précision. A ce propos, l'examen de la ratio legis des textes révèle que le but poursuivi
par la nullité est de diriger la politique économique(4) en vue de faciliter la
(1)
V. Articles 2 et 3 alinéa 3 du décret n077-754 du 20 septembre 1977 précité.
(2)
V. Article 4 alinéa 1 de la loi n° 77-85 du 10 août 1977 précitée et Article 3 alinéa 3 du décret
n° 77-754 précité.
(3)
V. dans ce sens Cour d'Appel de Dakar (chambre civile et commerciale) n° 95 du 31 janvier 1992
H.'YOUNIS e/S.G.B.S. et héritiers du feu Omaïs BADOUI.
Doet. V. A. Faye op: cit p. 23.
(4)
V. Amadou Faye op. cit. P. 23.
49
sénégalisation du commerce(l). Un tel argument massue permet de militer en faveur de
la nullité absolue dans la mesure où celle-ci vise à promouvoir, à grande échelle, une
initiative privée nationale dans un certain nombre de secteurs de l'activité économique.
En définitive, l'objectif majeur de la sénégalisation est un argument dirimant
permettant de retenir l'expression d'un ordre public économique de direction qui cherche
à exclure les étrangers de beaucoup de secteurs importants de l'économie nationale. D'où
la raison pour laquelle un mécanisme de contrôle a été institué par les pouvoirs publics par
le biais de l'autorisation préalable.
En conclusion, quel que soit le type de réglementation (générale ou particulière),
la formalité de l'autorisation ou de la déclaration préalable permet de constituer peu ou
prou un frein à l'accès à de nombreuses activités économiques ou à l'acquisition de
certains biens économiques comme le fonds de commerce et l'immeuble.
Au demeurant, c'est ce qui justifie le droit de regard exercé par les pouvoirs publics
sur l'ensemble des activités économiques dans le cas où l'Etat ne les exerçaient pas
directement. Dans cette dernière situation, la mission de contrôle des activités économiques
est radicalement transformée en une interdiction formelle(2) qui constitue alors la
négation suprême de la liberté d'entreprise qui s'exprime, au plan juridique, par le
monopole des entreprises publiques.
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 74-64 du 26 mai 1977
précitée.
(2)
En Droit français, v. Yves Reinhard op. cit n° 90 p. 66.
50
SECTION n - MONOPOLE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
Au lendemain de l'indépendance, l'État du Sénégal s'était essentiellement fixé une
mission de développement économique(l). Dans cette perspective, l'État a initié une
politique de participation directe à la vie des affaires(2) en mettant en place une
multitude d'entreprises publiques(3) dont la vocation était de satisfaire les besoins
économiques et sociaux de la population. Cette recherche de participation était d'autant
plus nécessaire et justifiée que le contexte postérieur à l'indépendance avait coïncidé avec
une défaillance, voire une inexistence de l'initiative privée nationale (4). Cette situation
a engendré la création d'entreprises publiques pour les besoins d'une administration du
développement. A cette fin, les entreprises publiques sont dotées d'une mission de service
public leur permettant de satisfaire l'intérêt général. Il s'ensuit l'attribution d'un monopole
(1)
V. Quelle démocratie pour le Sénégal? Ouvrage collectif Édition Sankoré p. 43.
(2)
V. En Droit français: Yves Reinhard Droit Commercial
Litec 3e édition n° 92 p. 68. Adde G.
Farjat l'ordre public économique thèse de doctorat d'État 1961 LGDJ Paris 1963 n° 91 p. 81.
(3)
Sur les entreprises publiques V. encyclopédie juridique de l'Afrique, volume 7 Droit des
entreprises.
Célestin MONTEIRO : Les entreprises publiques au Bénin,
thèse de doctorat de 3e cycle en
Droit, faculté de Droit d'Orléans 1982.
Adama GAYE: Le secteur public sénégalais, thèse de
doctorat d'Etat Dakar 1995.
V. Papa Amadou FALL et Pape Massène SECK : Etude sur la libéralisation et la privatisation au
Sénégal. Une approche par les grands monopoles et filières, Friedrich Ebert Stiftung (Fondation
Friedrich Ebert) Octobre 1995'p. 35. Selon ces auteurs, "Avant que le Sénégal n'entame en 1989,
l'exécution effective de son programme de privatisation (...), le secteur parapublic compt~t dans
les domainesproductif et commercial, 87 entreprises publiques à participation privée minoritaire,
7 sociétés nationales au capital détenu en totalité par l'État et 21 établissements publics à caractère
administratif'.
En droit français v. Elie ALFANDARI : Droit des affaires édition LITEC 1993 n° 96 p. 78.
(4)
Jean Françoi~ Pirus : La réforme du secteur parapublic : modalités et perspectives, publication
Bureau Organisation et Méthodes (B.O.M.), p. 8
Théodore HOLO : Réflexions sur la crise du secteur public au Bénin, communication au Colloque
de la Ripas, décembre 1989, article inédit.
51
d'activité et d'exploitation aux entreprises publiques créant, de ce fait, une situation qui
s'oppose radicalement à la doctrine de la libre concurrence(l).
Par conséquent le monopole constitue un instrument entre les mains de la puissance
étatique qui vise à éliminer toute velléité de compétition. Ce qui a pour effet de créer une
situation d'exception nécessitant d'une part, l'analyse des fondements et du domaine du
monopole (Sous-Section 1) et d'autre part, ses manifestations (Sous-Section II).
Sous-Section 1 -
FONDEMENTS
ET
DOMAINE
DU
MONOPOLE
DES
ENTREPRISES PUBLIQUES
Le monopole étant conçu comme une situation d'exception éliminant toute velléité
de concurrence et de compétition dans un vaste secteur de l'activité économique, il paraît
naturel de rechercher son support théorique et pratique. Ains.i, le premier axe de réDexion
soulève la question capitale de savoir ce qui justifie théoriquement le fondement du
monopole des entreprises publiques (1). La résolution de cette question nous conduira
subséquemment à envisager l'aspect pratique du monopole qui aura pour ambition de
mettre en exergue l'importance du domaine du monopole des entreprises publiques (II).
1 - FONDEMENT DU MONOPOLE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
L'examen des fondements du monopole révèle l'existence de causes relatives à des
considérations idéologiques et économiques. A ce propos, s'il ne paraît pas douteux que
le fondement économique est de nature à justifier pleinement le monopole des entreprises
publiques, en revanche, le fondement puisé dans l'idéologie ne peut être utilement retenu
qu'avec la combinaison des motifs économiques. C'est pourquoi devant une insuffisance
(1)
En -droit français. v. Yves Reinhard. op. cit n° 92 p. 67.
Elie Alfandari : Droit des affaires op. cit n° 96 p. 78.
52
des fondements idéologiques (A), on se trouve face à la nécessité d'étudier les fondements
économiques· du monopole des entreprises publiques (B).
A - Fondements idéologiques du monopole des entreprises publiques
L'importance des fondements idéologiques repose au moins sur trois facteurs.
S'agissant du premier facteur que l'on peut rattacher à l'option idéologique, son
influence sur le développement des entreprises publiques avait révélé l'existence en
Afrique d'un double choix reposant alternativement sur la doctrine marxiste et la pensée
libérale de l'économie. Cependant, cette dichotomie idéologique n'était pas absolue
puisqu'un Etat comme le Sénégal s'était réclamé, dès l'indépendance, d'un socialisme
africain dont l'originalité s'explique par le fait qu'il s'écarte à la fois du libéralisme
classique et de l'économie entièrement étatisée(l) pour p~omouvoir son développement
économique(2). Il s'ensuit que l'originalité de l'idéologie sénégalaise devrait pouvoir
reposer sur une synthèse entre le socialisme et le capitalisme qui sont compatibles selon
la vision senghorienne du socialisme africain. Dans une telle conception, il paraît normal
qu'une série d'entreprises publiques puissent être créées pour se substituer à un espace
économique laissé vacant par la fin de la colonisation.
Le deuxième facteur idéologique peut être lié à la nécessité d'assurer
l'indépendance politique. Cette liaison permettra ainsi de comprendre la volonté des
pouvoirs publics sénégalais selon laquelle la plénitude de l'indépendance politique devait
prendre en considération une double réalité.
D'abord, du fait de la relation étroite entre l'indépendance politique et
.
.,
l'indépendance économique qui ne sauraient se concevoir isolément, les gouvernants
(1)
J. MAILLOUX, Le's origines du secteur public, Encyclopédie juridique de l'Afrique, Volume 7,
Droit des entreprises, p. 189.
(2)
J.P. TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, NENLGDJ, 1981, na 29, p. 21.
53
sénégalais ont tout de suite mi s l'accent sur le renforcement du pouvoir économique du
nouvel Etat dans l'espoir d'arriver très vite à l'indépendance économique et d'atteindre le
niveau de développement de l'ancien colonisateur(l).
Ensuite, devant l'échec de la politique de promotion d'une initiati ve privée nationale
dû à sa rareté, voire à son inexistence, l'Etat du Sénégal a pu jouer un rôle d'investisseur,
de preneur de risque unique, d'entrepreneur apte à promouvoir la réalisation des
infrastructures nécessaires. Cette démarche des pouvoirs publics sénégalais paraissait
d'autant
plus
fondée
que,
selon
le
mot
juste
de
Monsieur
MAILLOUX(Z),
"l'indépendance politique a peu de consistance si l'économie reste aux mains d'étrangers".
Enfin, le dernier facteur idéologique pouvant être retenu sera rattaché à une
motivation idéologique qui n'en a pas moins des implications économiques très
importantes. Ainsi, le départ des entreprises étrangères e~ la rareté, voire l'inexistence
d'une initiative privée nationale, avaient obligé les pouvoirs publics sénégalais à intervenir
en matière économique en vue de consolider l'indépendance politique. Il s' y ajoute que
le départ des entreprises étrangères a eu entre autres conséquences, la perte d'emplois pour
les nationaux sénégalais. Il résulte d'une telle situation que les pouvoirs publics sénégalais
devaient ménager des employeurs de dernier recours qui était, en l'occurrence, les
entreprises publiques; ce qui explique que ces dernières furent des sources importantes
de création d'emplois(3).
(1)
Abdoulaye SAKHO, Les groupes de sociétés et le droit. Contribution à la recherche sur la notion
de pouvoir en Droit privé. Thèse pour le Doctorat d'Etat, Dakar, 1993.
(2)
J. MAILLOUX, op. cit. p. 189.
(3)
Joseph ISSA-SAYEGH et Charles LAPEYRE, Essai d'une théorie générale des statuts des
personnels non fonctionnaires des secteurs public et para-public en droit sénégalais, Penant, 1980,
janv.-fév.-mars, n° 767, p. 8. Selon ces auteurs, "les pouvoirs publics... se sont lancés dans des
entreprises industrielles, commerciales, voire artisanales, souvent de grande envergure... devenant
ainsi, par le nombre des salariés qu'ils occupent, les employeurs les plus importants".
On peut également découvrir avec intérêts les chiffres des effectifs de quelques personnes morales
de droit public, à la"date du 31 décembre 1978, dans l'étude de ces auteurs à la page 8, note 10
(F. : fonctionnaires; N.F. : non fonctionnaires) ; RCFS : F. : 1307 ; N.F. : 1838 - SOTRAC : F.
: 3 ; N.F. 2055 - Port Autonome de Dakar: F. : 35 ; N.F. : 681 - OPT: F. : 1044 ; N.F. : 2019 -
54
En somme, l'analyse du dernier facteur idéologique révèle, en définitive, que
l'idéologie est un soubassement du monopole des entreprises publiques. Cependant, il
convient de préciser que l'influence du fondement idéologique ne peut se comprendre et
se justifier qu'à la lumière des préoccupations économiques. Ce qui rejoint l'assertion de
M. MAILLOUX selon laquelle "la recherche des causes de l'existence des secteurs publics
dans l'idéologie politique est assez décevante"(l). Cette déception pourra-t-elle être
soulagée par une recherche orientée vers les fondements économiques?
B - Fondements économiques du' monopole des entreprises publiques
Devant l'insuffisance du fondement idéologique du monopole des entreprises
publiques, il paraît souhaitable d'orienter la rét1exion vers son soubassement économique
qui devra fournir des éléments de réponse satisfaisants compte tenu de la mission de
développement assignée aux entreprises publiques. Cette rec,herche apparaît d'autant plus
fondée que la compréhension du fondement idéologique ne peut s'affranchir des
considérations économiques. Aussi bien, il résulte des fondements économiques que si la
faiblesse du pouvoir économique de l'Etat (a) a largement conditionné la multiplication
des entreprises publiques, celle-ci n'avait d'autre but que la recherche de l'indépendance
économique du Sénégal (b).
O.H.L.M. : F. : 10 ; N.F. : 428 - SAED : F. : 8 ; N.F. : 1020 - ONCAD : F. : 5 ; N.F. : 2292 -
SORANO : F. : 3 ; N.F. : 207 - ORTS : F. : 5 ; N.F. : 524 - BNDS : F. : 0 ; N.F. : 275 - SNT
: F. 1 ; N.F. : 69 - ISRA : F. :5 ; N.F. : 1093.
(1)
J. MAILLOUX, op. cit. p. 189.
55
a - La faiblesse du pouvoir économique de l'Etat(l)
Le pouvoir économique d'un Etat peut être conçu comme un de ses moyens
d'action, le substrat qui lui assure la détention de biens de production à côté de ses
prérogatives de souveraineté(2).
Ces moyens d'action étaient si limités pour l'Etat du Sénégal ayant accédé à
l'indépendance politique en 1960 que ses gouvernants ont tout de suite mis l'accent sur
le renforcement du pouvoir économique du nouvel Etat(3). En effet, dans un contexte
naguère caractérisé par la domination économique coloniale, seul l'Etat nouvellement
indépendant est susceptible d'infléchir le processus d'accumulation en fonction d'objectifs
nationaux ou bien en prenant le contrôle, partiellement ou totalement, des centres
institutionnels de décision dirigés par des agents économiques étrangers ou bien en se
substituant à eux dans l'accomplissement de l'une ou de l'autre de leurs fonctions(4).
Il s'ensuit que l'Etat du Sénégal s'approprie une partie de l'appareil de production,
ce qui explique le très fort taux de présence du secteur public dans l'économie
nationale(S). Dans cette perspective, les entreprises publiques représentaient un mode
d'appropriation très important de l'appareil collectif de production, ce qui constitue une
affirmation
de
la souveraineté de l'Etat(6) qui
cherche
ainsi
à conquérir son
indépendance économique sans laquelle il n'est point de développement.
(1)
Sur le pouvoir économique de l'Etat moderne, v. en droit français
G. FARJAT, Droit
économique, P.U.F., 1982, p. 415.
(2)
En Droit français, v. G. FARJAT, op. cit., ibidem.
(3)
A. SAKHO, op. cit. p. 333.
(4)
Guy ROCHETEAU, Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique: le cas du
Sénégal, ORSTOM/Karthala, 1982, p. 21.
(5)
A. SAKHO, op. cit. p. 333.
(6)
J. MAILLOUX, op.cit. p. 191.
56
b - La recherche de l'indépendance économique
L'obtention de l'indépendance économique serait vaine si un nouvel Etat
politiquement indépendant ne parvenait pas à s'émanciper de la dépendance économique
étroite du reste du monde. Il s'ensuit que l'Etat devra trouver les moyens en vue
d'atteindre l'indépendance économique dont l'importance est telle qu'elle vise à
promouvoir le développement(l). Cette contrainte du développement avait conduit M.
MAILLOUX à affirmer, avec juste raison, que c'est dans cette démarche qu'il faut
rechercher la cause essentielle de la création de vastes secteurs parapublics(2).
E
n
effet, c'est dans cette optique que la substitution de l'Etat du Sénégal à l'ancienne
puissance coloniale française devait le conduire à contrôler toutes les activités économiques
génératrices de richesses et contribuant à l'amélioration des indicateurs macro-économiques
tels que le produit national brut (PNB), le revenu national (R.N.), le produit intérieur brut
(PIB)(3).
Cela paraît d'autant plus efficace pour la formation de l'économie nationale que la
valeur économique des richesses était comptabilisée dans l'économie métropolitaine
française. Aussi bien, l'Etat du Sénégal disposant seul des moyens à cette tin, a entrepris
un mouvement de création d'entreprises publiques chargées d'un rôle d'instrument majeur
(1)
Sur la recherche de l'indépendance économique en vue du développement, v. J. MAILLOUX, op.
cil. p. 189.
(2)
J. MAILLOUX, op. cil. p. 189.
(3)
Il ressort du tableau des entreprises publiques en Afrique noire francophone dressé par M. J.
MAILLOUX, dans son iràvail précité, des données chiffrées de l'importance économique des
entreprises publiques au Sénégal. Ainsi, le PNB (millions de dollars) : 1830 - PNB/Habitant
(dollars) : 340 - Nombre d'entreprises: 109 - Nombre/PNB : 0,06 - Nombre/PNB/Habilant : 0,32.
Adde: V. l'étude préCitée réalisée par Papa Amadou FALL et Pape Massène SECK, p. 35. Selon
ces auteurs, avant le programme de privatisation, "le secteur parapublic recevait 29 % de la totalité
des investissements faits dans le pays, concentrait 17 % des emplois (...). Le capital détenu par
l'Etat dans ce secteur est, à l'époque, passé de 109 milliards de francs CFA en 1982 à 218
milliards en 1987. Ce qui a porté sa participation dans l'ensemble des entreprises publiques de
61 %à 71 %.
57
dans la transformation de l'économie(l), ce qui constitue le premier ordre de mission
classique des entreprises publiques.
Par la suite, cette mission a été largement accrue par une politique de
nationalisation et de création d'entreprises publiques. Ainsi, la nationalisation de secteurs
clefs de l'économie recherchait la limitation des importations de produits réalisables
localement et la sécurité des approvisionnements nécessaires aux infrastructures(2)
tandis que la création d'entreprises publiques répondait à un souci de rationalisation de
l'occupation de l'espace économique en vue de lutter contre les disparités entre la Capitale
et le reste du pays. Pour rendre compte de cette réalité économique, il est permis de la
concevoir comme le début de la mise en place d'une administration du développement qui
marque l'impact du rôle de l'Etat sur l'économie(3).
En définitive, le rôle économique de l'Etat est une ~aison satisfaisante permettant
d'affirmer que le véritable fondement justificatif du monopole des entreprises publiques
doit être trouvé dans les considérations économiques. Aussi bien, la détention par l'Etat
de biens de production n'étant pas neutre(4), il s'ebsuit que, pour l'exemple du nouvel
Etat du Sénégal, l'absence de neutralité que constatait justement M. FARJAT, peut
utilement être justifiée par les impératifs du développement national suite au départ du
colonisateur français. A cet effet, le nombre d'entreprises publiques retenu par Mme Fatou
SOW dans sa magistrale communication(5) est assez évocateur non, seulement, de la
(1)
J. MAILLOUX. op. cil. p. 188.
(2)
J. MAILLOUX. op. cit.p. 190.
(3)
V. communicatjon de Madame Fatou SOW dans l'ouvrage collectif Quelle démocratie pour le
Sénégal, Editions SANKORE, p. 45. Dans cette contribution, l'auteur cite un ensemble
d'établissements publics et de sociétés d'économie mixte qui ont été créés à tour de bras pour le
développement: BNDS ; OCNONCAD/SONAR ; SAED ; SODEVA ; SOMIVAC ; S.T.N.,
SODAGRI; SODESP; SODEFITEX ; SOFISEDIT; SAPCO ; BUD-SEN ; C.S.S. ; SISCOMA
; SIES ; SONAFOR...
(4)
En droit .français, v. G. FARJAT, Droit économique, PUF, p. 145.
(5)
V. supra, note 3.
58
volonté des pouvoirs publics sénégalais de promouvoir le développement économique,
mais encore, du désir d'assurer l'extension du secteur du monopole des entreprises
publiques que l'on peut retrouver dans tous les domaines de l'économie nationale.
II - DOMAINE DU MONOPOLE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
L'étude du domaine du monopole des entreprises publiques conduit à rechercher
les secteurs économiques dans lesquels il est permis de trouver la présence monopolistique
des entreprises publiques. A ce sujet, on note une présence significative du secteur public
dans tous les domaines de la vie économique. Cependant, il s'agira moins de procéder à
une étude spécifique de chaque entreprise publique que de regrouper toutes les entreprises
publiques en fonction des centres d'intérêt. L'adoption de cette méthodologie d'approche
révèle que le domaine du monopole des entreprises publiques recouvre, d'une part, les
grands services publics industriels et commerciaux (A) et, de l'autre, certains secteurs de
l'économie nationale (B).
A - Le monopole des grands services publics industriels et commerciaux
Ces services peuvent être conçus comme des activités permettant à l'Etat d'assumer
des missions d'intérêt général dans les domaines industriels et commerciaux(1).
La notion de service public revêt une importance telle qu'elle a fait l'objet d'une
systématisation par la doctrine dite "l'école du service public" érigée sous la houlette du
doyen Léon DUGUIT(2). Cette importance découle du fait qu'à côté des missions
(1)
Comp. définition A. BOCKEL, Droit administratif, NEA, 1978, p. 58. L'auteur définit le service
public comme étant toute activité d'une personne publique visant à satisfaire un besoin d'intérêt
général.
(2)
A. BOCKEL, op. cit. p. 59.
59
traditionnelles de la puissance publique(l), il existe désormais une nouvelle mlSSlOn
consistant à fournir des prestations aux populations. Ainsi, dans un contexte marqué par
le départ du colonisateur français, on comprend, dès lors, que la substitution de dirigeants
devait avoir pour corollaire la prise en charge d'un ensemble de prestations auxquelles
devaient légitimement prétendre les populations sénégalaises émancipées de la tutelle
coloniale. Pour atteindre cet objectif, il a fallu procéder à la nationalisation des grands
services publics industriels et commerciaux dans le but d'affirmer la souveraineté de
l
l'Etat(2). C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre ;la nationalisation de
secteurs clefs comme le Port de Dakar, les Postes et Télécommunications, la
Radiodiffusion, les Chemins de Fer, la distribution de l'eau et de l'électricité...
En définitive, l'importance et le caractère stratégique des secteurs nationalisés ont
suscité la présence du monopole étatique dans un vaste secteur économique qui ne
s'explique et ne se justifie, selon la formule de M. ~AILLOUX(3), que "par un
mimétisme de l'ancienne puissance coloniale(4) et par l'affirmation de la souveraineté
de l'Etat". Mais, s'il est établi que l'institution d'un monopole aux entreprises publiques
des grands services industriels et commerciaux répond à un souci de mimétisme, peut-on
en dire autant lorsqu'il s'agit de monopoliser les secteurs de l'économie nationale?
(1)
Ce sont les actes régaliens comme l'administration de la justice, la perception des impôts, la levée
des iroupes...
G. FARJAT, op. cit. p. 145.
(2)
J. MAILLOUX, op. cit. p. 19I.
(3)
J. MAILLOUX, op. cit. p. 19I.
(4)
Sur le mimétisme, v. Guy KOUASSIGAN, Quelle est ma loi? Tradition et modernisme dans le
droit privé de la famille en Afrique noire francophone, Editions A. PEDONE, Collection
CREDILA, p; 178.
60
B - Le monopole des secteurs de l'économie nationale
Devant le constat selon lequel le secteur public est représenté partout, il apparaît
plus commode d'envisager l'étude du monopole des entreprises publiques en fonction des
centres d'intérêt de l'économie nationale qui regroupent traditionnellement trois domaines
qui sont respectivement le secteur agricole (a), le secteur industriel (b) et le secteur des
services (c).
a - Le monopole dans le secteur agricole
Le monopole se traduit dans ce secteur par l'aménagement de sociétés de
développement. A cet effet, la création de ces sociétés obéissait surtout au souci
d'encadrement de l'activité agricole qui occupe la majorité de la population active(l).
L'application de cette politique de création de sociétés d'encadrement agricole était
soutenue par la croyance que l'on pouvait promouvoir le d~veloppement essentiellement
avec des législations et des institutions(2).
Dans cette optique, une administration du développement a été conçue par les
pouvoirs publics sénégalais qui ont ainsi créé des établissements publics et des sociétés
d'économie mixte dans tous les secteurs géographiques et agricoles du pays. Le réceptacle
et le socle de cette administration du développement, en matière agricole, furent
l'entreprise publique qui avait pour vocation d'encadrer le monde paysan en matière de
production, de distribution et de commercialisation agricole. Cette assistance des pouvoirs
publics en faveur des agriculteurs était d'autant plus compréhensible que ces derniers
constituent une force productive importante dans la lutte contre la dépendance alimentaire.
Il s'ensuit, qu'à l'indépendance en 1960, tous les plans de diversification agricoles élaborés
pour le Sénégal tendaient à faire pousser les céréales, les fruits et légumes, le sucre, les
(1)
J. MAILLOUX, op. cit. p. 193.
(2)
V. communication de Mme Fatou SOW dans J'ouvrage collectif QueJJe démocratie pour le
Sénégal ?, op. cit. p. 46.
61
fourrages(l). Or, le succès de ces plans était largement conditionné par l'implantation
de sociétés de promotion, d'intervention et de développement qui avaient pour mission
principale d'assurer des opérations intégrées associant les cultures de subsistance aux
cultures de rapport(2). Dans cette perspective, l'on a pu noter le développement
d'entreprises publiques d'encadrement agricole disposant d'un monopole d'activité dans
le secteur de l'agriculture (SAED, SODEVA, SOMIVAC, SODEFITEX, BUD-SENEGAL,
CSS, SISCOMA, SIES, SONAFOR, OCAfONCAD/SONAR...), de la pêche (SOSAP) et
de l'élevage (SODESP).
En définitive, le rôle du monopole des entreprises dans le secteur agricole est moins
de se substituer à l'initiative paysanne que d'assurer les conditions d'un encadrement dans
un secteur vital de l'économie nationale en gestation et dont l'épanouissement méritait un
coup de fouet de la part des nouveaux dirigeants sénégalais qui se sont substitués au départ
des colonisateurs français qui avait également eu des. répercussions dans le secteur
industriel.
b - Le monopole dans le secteur Industriel
Ce monopole paraît être la suite logique de la fin de la colonisation marquée par
la quasi-inexistence d'un secteur industriel dans les colonies. Cependant, cette affirmation
doit être relativisée dans la mesure où dans certaines zones coloniales(3), on pouvait
noter quelques implantations industrielles. Ainsi, par l'intermédiaire de Dakar, la colonie
du Sénégal a pu bénéficier de multiples infrastructures industrielles héritées de la
colonisation. Mais cette situation privilégiée n'a pas empêché les pouvoirs publics
sénégalais de valoriser au maximum sur place les ressources alimentaires, textiles... dans
(1)
René DUMONT, L'Afrique étranglée, Editions du Seuil, 1980 et 1982, Nouvelle édition politique,
p.206.
(2)
René DUMONT, op. cit., ibidem.
(3)
C'est le cas de Dakar, Kinshasa, Abidjan, Douala, Lumumbashi, Keidia...
62
le but de substituer les produits locaux aux importations(l). Ainsi, la création d'un vaste
secteur industriel par les pouvoirs publics pouvaient alors s'accommoder d'un monopole
naturel(2) justifié par deux facteurs.
Le premier est lié à l'infime importance d'un secteur industriel en gestation dont
la lourdeur des investissements est telle que seuls les pouvoirs publics pouvaient les
prendre en charge. C'est dans ce contexte qu'il faut situer la création de la SOCOCIM
(cimenterie), de la Société des Phosphates de Taiba, de la Société Pétrolière S.A.R., de
Dakar-Marine...
Le second facteur est relatif à l'inexistence et à la défaillance d'une initiative privée
nationale qui fait que, dans une telle situation, les pouvoirs publics se voient obliger
d'assurer certaines prestations sociales aux populations. Une telle mission a été accomplie
aussi grâce à une présence importante d'entreprises publiques dans les cimenteries,
l'industrie
chimique,
la production
(raffineries)
et
la
distribution
des
produits
pétroliers(3).
La combinaison de ces deux facteurs fait, en définitive, que le rôle des entreprises
publiques s'accroît dans le secteur industriel où le monopole naturel de leurs activités allait
de soi. Une telle affirmation peut-elle être soutenue à propos du monopole des entreprises
publiques offrant des services?
c - Le monopole dans le secteur des services
Le secteur des services peut être retenu, dans notre perspective, comme le domaine
culturel et social où l'entreprise publique exerce un monopole. Ce domaine est surtout
caractérisé par sa contribution relativement faible dans la part du revenu national. Pourtant,
(1)
J. MAILLOUX, op. cit. p. 192.
(2)
J.F. PIRUS, op. cit. p. 9.
(3)
J. MAILLOUX, op. cit. p. 193.
63
le secteur public n'a pas manqué d'y étendre ses activités. Aussi, devra-t-on se demander:
"pourquoi un tel paradoxe" ?
S'il est économiquement aisé de voir un vrai paradoxe lié à la non rentabilité
macro-économique, on peut, par contre, douter de l'existence du paradoxe lorsque, du
moins, on apprécie l'intervention du secteur public par rapport à sa finalité culturelle et
sociale. En effet, il semble que l'existence des entreprises publiques dans le secteur des
services répond plutôt à un souci de lutter contre la carence d'une initiative privée
nationale, ce qui a justifié l'intervention de la puissance publique.
Au surplus, il convient de mettre davantage l'accent sur le volet culturel considéré
comme un chantier prioritaire dans la politique culturelle du Président SENGHOR. Ainsi,
l'implantation d'entreprises publiques intervenant dans le domaine culturel pouvait être
comprise comme une suite normale de la traduction concr~te de la pensée culturelle du
Président SENGHOR. Dès lors, on peut dire que cette doctrine culturelle senghorienne a
largement soutenu, du moins, inspiré l'implantation d'industries culturelles comme la
Manufacture d'Arts Décoratifs de Thiès, le Théâtre National Daniel SORANO, la SIDEC. ..
Bien que l'objet de ces entreprises publiques soit culturel, il n'empêche qu'elles
devaient promouvoir, sinon impulser le développement économique de la nation. Cette
affirmation peut surtout s'autoriser de la pensée de M. SENGHOR qui a toujours accordé
le primat au développement culturel sur le développement économique. Ainsi, on peut, en
définitive, dire que le monopole attribué aux entreprises dans le secteur des services se
justifie pleinement par la combinaison des impératifs du développement en matière sociale,
culturelle et économique.
Au terme de cette étude relative aux fondements et aux domaines du monopole des
entreprises publiques, on peut non seulement affirmer qu'il obéissait à des fondements
idéologiques et/ou économiques, mais encore qu'il s'exprimait concrètement dans tous les
secteurs de l'économie nationale. Mais cette étude est loin de rendre compte de la globalité
64
de la réalité du monopole. Aussi, il conviendra d'envisager utilement le dynamisme des
entreprises publiques par l'examen des manifestations du monopole des entreprises
publiques.
Sous-Section II -
MANIFESTATIONS DU MONOPOLE DES ENTREPRISES
PUBLIQUES
L'entreprise publique n'est pas une création ex nihilo. Comme toute entreprise, elle
obéit à des formalités de constitution et de fonctionnement qui peuvent être souples ou
rigides en fonction de la nature privée ou publique de l'entité à créer.
Dans tous les cas, la loi intervient soit pour définir le cadre juridique(1) soit pour
fixer ledit cadre lorsqu'il s'agit des entreprises publiques. C'est dire toute l'importance
primordiale de la loi qui se réserve un droit de regard ~ur n'importe qu'elle activité
d'entreprise. Cette affirmation paraît d'autant plus fondée que la création et le
fonctionnement d'une entreprise publique relèvent presqu'entièrement de l'autorité de la
loi(2). Il en découle que cette dernière intervient non seulement pour réglementer la
constitution des entreprises publiques mais encore pour soumettre leur fonctionnement à
un régime juridique spécifique marqué par un contrôle strict de l'Etat(3). Dès lors, le
monopole des entreprises publiques se manifeste, d'une part, par leur forme (1) et, d'autre
part, par leur régime juridique (II).
(1)
Cas des sociétés commerciales. V. loi n° 85-40 du 29 juillet 1985, 4ème Partie COCC, JaRS n°
5096, p. 553 et s.
(2)
V. loi n° 90-07 du 26 juin 1990 relative à l'organisation et au contrôle des entreprises du secteur
parapublic et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier
de la puissance publique, JaRS n° 5358 du 7 juillet 1990, p. 325 et s.
(3)
En, droit franç~s, v. RIPERT et ROBLOT, Droit commercial, L.G.DJ.• Tome I, 1989, n° 1684
et s., l3ème édition, p. 1184.
Yves REINHARD, op. cit. n° 256, p. 205.
65
1 -
QUANT A LA FORME (REGLEMENTATION IMPERA TIVE DE LA
CONSTITUTION DES ENTREPRISES PUBLIQUES)
La constitution des entreprises publiques revêt une importance telle que c'est la loi,
expression de la volonté générale, qui intervient généralement pour la réglementer.
S'agissant de la loi, il est permis de distinguer différentes catégories selon l'autorité dont
elle émane. Ainsi, on peut retrouver des lois constitutionnelles, parlementaires,
référendaires... introduisant du coup une hiérarchie des normes. Cette hiérarchie a contribué
à asseoir une pyramide au sommet de laquelle on retrouve la Constitution qui détermine
et organise les pouvoirs de toutes les institutions de la République ainsi que les différents
rapports qu'elles entretiennent. Ce faisant, tous les pouvoirs de la République puisent leur
légitimité dans la Constitution qui dispose, par ailleurs, en son article 6 que "la loi fIxe les
règles concernant :
- La création des établissements publics.
- Les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du
secteur public au secteur privé". Cette disposition a été reprise, en substance, par la loi de
1990 relative à l'organisation des entreprises publiques (art. 3 et 4) dans la mesure où le
texte législatif précise que la création des Etablissements publics à caractère industriel et
commercial (EPIC) et des sociétés nationales est autorisée par la loi.
Cette loi (art. 2), en définissant le secteur parapublic et en précisant sa composition,
énumère les Etablissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), les
Sociétés nationales et les Sociétés anonymes à participation publique majoritaire. Cette
dernière catégorie étant régie par le, droit commun des sociétés commerciales, elle échappe,
de jure, à la règle qui veut que la création d'une entreprise publique soit autorisée par la
loi. Cette exception peut être, au demeurant, fragile puisque le texte relatif à l'organisation
du secteur parapublic (art. 7 alinéa 2) dispose que les règles de création, d'organisation et
de fonctionnement des sociétés anonymes à participation publique majoritaire peuvent être
66
modifiées par des dispositions particulières de nature législative. Cette dernière remarque
est de nature à conforter l'idée selon laquelle il existe des Constantes (A) dans la
constitution des entreprises publiques dont la création obéit à la règle de l'autorisation
législative qui s'applique impérativement aux Etablissements publics à caractère industriel
et commercial (EPIC) et aux sociétés nationales, et de manière incertaine aux sociétés
anonymes à participation publique majoritaire.
Cependant,
malgré
les
différences
constatées
au
niveau
de
la
création
monopolistique de la loi, toutes les entreprises publiques définies dans le texte portant sur
l'organisation du secteur parapublic (art. 2) trouvent leur dénominateur commun dans le
fait que c'est la loi qui leur attribue toujours un monopole d'exploitation.
Enfin, la nécessité de cerner la globalité du phénomène des entreprises publiques
apporte un intérêt supplémentaire à l'étude de la structure d~ ces entités dont la multitude
et la dissémination requièrent que soient étudiées les variantes(l)B).
A - Les Constantes
Il est acquis que la création des Etablissements publics à caractère industriel et
commercial (EPIC) et des Sociétés nationales est soumise au principe de l'autorisation
législative. Il s'agit de voir, à présent, dans quelle mesure cette dernière intervient dans la
constitution impérative d'une entreprise publique (a).
Au surplus, la mission de service public que l'entreprise publique est appelée à
remplir a conduit les pouvoirs publics à lui conférer un monopole légal d'activité et
d'exploitation. L'étude d'ensemble de ce monopole paraît périlleuse en raison de
l'importance du nombre d'entreprises publiques dont l'exclusivité d'activité est tantôt
incluse dans les statuts,· tantôt octroyée par des lois prises isolément. C'est dire la
(1)
J.c. GAUTRON et B. ZUBER, "Les entreprises publiques et semi-publiques du Sénégal" in Les
entreprises publiques en Afdque Noire, Tome J, p. 1 et s.
67
nécessité, pour une recherche qui se veut, certes, ambitieuse mais tout de même limitée,
de choisir quelques exemples d'entreprises publiques pour analyser l'attribution législative
du monopole (b).
a - Créàtion législative de l'entreprise publique
Cette création peut s'autoriser expressément de la Constitution sénégalaise (art. 56)
et de la loi de 1990 portant sur l'organisation du secteur parapublic (art. 3 et 4) qui
s'accordent à dire que la création des Etablissements publics à caractère industriel et
commercial (EPIC) et des Sociétés nationales est autorisée par la loi.
Relativement à la création de l'établissement public à caractère industriel et
commercial (EPIC), la Constitution sénégalaise (art. 56) se borne à préciser seulement
qu'elle est autorisée par la loi. Dès lors, il a été suggéré par la doctrine(l) de considérer
que, dans le silence de la Constitution, on devrait considére~ que la compétence législative
devrait s'appliquer à toutes les règles constitutives de l'établissement public à caractère
industriel et commercial. Dans cette perspective, l'adoption d'un statut des entreprises
publiques(2),
comme
constituant
le
droit
commun
qui
permet
d'assurer
une
uniformisation en matière de création d'entreprises publiques(3), a permis de combler
le silence de la Constitution que constatait M. BOCKEL(4). Il s'ensuit que toutes les
règles relatives à la création de l'entité publique sont régies par un statut législatif qui
constitue la charte de la création de toutes les entreprises publiques, par l'unification qu'il
réalise.
(1)
A. BOCKEL, Droit Administratif, NEA, 1978, p. 336.
(2)
V. loi du 10 août 1977 remplacée par la loi n° 87-19 du 3 août 1987 remplacée à son tour par la
loi n° 90-07 du 26 juin 1990 relative à l'organisation et au contrôle des entreprises du secteur
parapublic, JORS n° 5358 du 7 juillet 1990, p. 325 et suiv.
(3)
Demba SY, Chronique générale de Droit public économique, Annales Africaines 1990-1991, p.
210.
'
(4)
A. BOCKEL, op. cil. p. 336.
68
Abordant le volet des Sociétés nationales, il résulte de la Constitution sénégalaise
(art. 56) que la création d'entreprises par le procédé de la nationalisation ou par celui du
transfert du secteur public au secteur privé se réalise par le biais de la loi. Cette disposition
soulève nettement deux ordres de questions si bien qu'il semble plus judicieux de réserver
le problème du transfert de propriété du secteur public au secteur privé dans la partie de
notre étude consacrée aux privatisations qui ont cours dans la phase de libéralisation du
développement.
Quant aux nationalisations, leur définition a été rattachée à des raisons d'intérêt
public(1).
En
effet,
pour des
considérations
liées
à des objectifs stratégiques,
économiques ou sociales, l'Etat peut juger utile de procéder à la nationalisation de certains
secteurs économiques. Cet acte a des conséquences d'autant plus graves qu'il a pour effet
de déposséder certaines personnes de leurs biens. Aussi bien, seule la volonté souveraine
incarnée par le législateur peut y autoriser l'Etat(2). Et même dans ce cas, une juste et
préalable indemnité devra être allouée à la partie expropriée au terme de l'art. 12 de la
Constitution sénégalaise.
En somme, on peut dire que l'instrument législatif est un puissant moyen qui
permet à l'Etat de résoudre la question de la propriété des entreprises publiques qui
constituent un moteur incontestable du développement. Cependant, il convient de souligner
que le texte portant sur l'organisation du secteur parapublic (art. 7 alinéa 2) précise que
la création des sociétés anonymes à participation publique majoritaire reste régie par le
droit commun des sociétés commerciales. Ce qui constitue une exception à la règle selon
laquelle les entreprises publiques sont créées par la loi.
(1)
En droit français, v. RIPERT et ROBLOT, op. cil. nO 1703, p. 1194.
(2)
Exemples: quelques Sociétés nationales (S.N.) : S.N. du Port Autonome de Dakar (JaRS du 12
septembre 1987, p. 651) ; S.N. HLM (JaRS du 27 février 1988, p. 135) ; S.N. LONASE (JaRS
27 février 1988, p. 131) ; S.N. Chemins de Fer du Sénégal (Loi n° 89-34, JaRS n° 5315 du
samedi 28 octobre 1989, p. 417).
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cH. n° 92, p. 68.
69
Au demeurant, cette exception se justifie pleinement par le fait que même à
l'époque dirigiste du développement, une concession était accordée à l'initiative privée.
Cette concession peut apparaître mineure dans la mesure où, pour leurs règles de création,
d'organisation et de fonctionnement, les sociétés anonymes à participation publique
majoritaire peuvent être soumises à des dispositions particulières législatives. Ce qui peut
se déduire de la loi organisant le secteur parapublic (art. 15) qui vise le Conseil
d'administration de ces sociétés publiques.
Le domaine visé par ces dispositions particulières, permet d'affirmer, en définitive,
qu'aucune société anonyme à participation publique majoritaire n'est soumise à
l'approbation de la loi pour sa création. Ce qui entre en contradiction avec l'affirmation
de la doctrine française(l) selon laquelle il a été nécessaire de recourir à là loi pour
créer des sociétés d'économie mixte.
Malgré cette spécificité des sociétés anonymes à participation publique majoritaire,
la mission de service public qui leur est dévolue peut être de nature à leur conférer un
monopole d'exploitation. Dans une telle situation, il n'est pas alors douteux que seule la
loi est habilitée à le faire puisque c'est elle qui régit les mécanismes de la concurrence.
Ce faisant, il s'agira de montrer qu'à travers l'attribution d'un monopole à l'entreprise
publique de quelque nature que ce soit,la loi cherche à annihiler toute vélléité de
concurrence et de compétition.
b - Attribution législative du monopole à l'entreprise publique
Pour permettre aux entreprises publiques de mieux atteindre leurs objectifs de
développement économique et social, il est apparu nécessaire de les doter d'un monopole
d'exploitation. Pour ce faire, l'intervention législative était d'autant plus souhaitable que
le monopole créait une situation d'exception. Pour asseoir le monopole, deux techniques
sont généralement utilisées.
(1)
En France, v. RIPERT et ROBLOT, op. cit. na 1694, p. 1190.
70
La première consiste à attribuer le monopole dans l'acte de création de l'entreprise
publique. Cette technique peut être illustrée par l'exemple des sociétés nationales
auxquelles il est concédé un monopole d'exploitation de certaines activités.
Ainsi, si nous prenons l'exemple particulier de la Société Nationale LüNASE créée
par la loi n° 87-43 du 28 décembre 1987(1), le texte (art. 2) précise que la Société
Nationale LüNASE est concessionnaire de l'exploitation du monopole appartenant à l'Etat
en matière de loteries, jeux et pronostics. De ce fait, c'est la loi qui donne à la LüNASE
le monopole exclusif de l'organisation de toutes les formes de loteries, jeux ou pronostics.
La deuxième technique consiste à attribuer le monopole à l'entreprise publique à
partir d'une loi prise isolément. Cette situation concerne alors les sociétés anonymes à
participation publique majoritaire dont la quasi-totalité des actions étaient détenues par
l'Etat du Sénégal(2). Cette détention majoritaire d'actions semble même suffire pour
accorder le monopole étatique pour certaines activités(3).
Pour illustrer notre propos, il semble que la création de la SIDEC(4) offre un
exemple typique. En effet, le gouvernement sénégalais fit adopter la loi n° 74-12 du 22
avril 1974(5) réservant à l'Etat le monopole de l'importation et de la distribution des
films cinématographiques. Par suite, la structure d'accueil créée à cet effet fut la
SIDEC(6).
(1)
Loi n° 87-43 du 28 décembre 1987, JORS 1988 n° 5220, pp. 131 et 132.
(2)
V. exposé des motifs loi n° 87-45 du 28 décembre 1987 portant libéralisation de la collecte et de
.Ia commercialisation des cuirs,peaux et phanères bruts, JORS 1988, n° 5220, p. 135.
(3)
V. exposé des motifs, loi n° 87-45 du 28 décembre 1988, op. ciL, ibidem.
(4)
SIDEC : Société Sénégalaise d'Importation, de Distribution et d'Exploitation Cinématographique,
S.A. d'économie mixte au capital initial de 10.000.000 F CFA.
(5)
Loi n° 74-12 du 22 avril 1974 réservant à l'Etat le monopole de l'importation et de la distribution
des films cinématographiques, JORS du Il mai 1974.
(6)
V. Note interne sur la SIDEC, p. 1.
71
Cette attribution justifiée par des raisons culturelles a été doublée d'un second
monopole justifié, cette fois-ci, par des raisons économiques liées au développement du
système vidéo-cassettes au Sénégal ayant entraîné des importations parallèles de films
préjudiciables aux activités de la SIDEC(l).
Pour pallier cet inconvénient, le gouvernement du Sénégal a fait voter la loi n° 85-
22 du 25 février 1985(2) concédant à la SIDEC le monopole de l'importation à des fins
commerciales des supports enregistrés pour la reproduction de l'image et du son en
télévision.
En définitive, les entreprises publiques ayant pour vocation de gérer un service
public, donc l'intérêt général, il paraissait logique de leur concéder une situation de
monopole de droit. Pour ce faire, seule la loi pouvait non seulement instituer cette
situation, mais encore y mettre fin(3).
En conclusion, on peut affirmer que la situation d'exception créée par le monopole
des entreprises publiques faisant échec au principe de la libre concurrence justifie que
seule l'autorité législative puisse créer l'entreprise publique et la doter d'un monopole
d'exploitation.
Cependant, le fait que la société anonyme à participation publique majoritaire soit
régie par le droit commun des sociétés commerciales, échappant du coup à la règle de
l'autorisation législative, doit être compris comme une exception à la règle. Du reste, cette
exception ne s'explique et ne se justifie que parce que, même dans la phase d'étatisation
du développement, les principes n'étaient pas d'une rigueur absolue.
(1)
V.
exposé des
motifs
loi
n°
85-22 du
25
février
1985 organisant l'importation la
commercialisation et la distribution commerciale des supports enregistrés pour la reproduction de
l'image et du son en télévision, JORS du 9 mars 1985, p. 142.
(2)
V. loi n° 85-22 du 25 février 1985, précitée.
(3)
V. art. 1er loi n° 87-45 du 28 décembre 1987, pr~citée.
72
Cette affirmation peut-elle être soutenue relativement à la typologie des entreprises
publiques?
Pour répondre à cette question, il apparaît utile d'analyser les variantes des
entreprises pu bliques.
B - Les Variantes: typologie des entreprises publiques
Pour typer les entreprises publiques au Sénégal, la loi nO 87-19 du 3 août 1987 a
~récisé les contours du secteur parapublic tout en introduisant la notion générique
"d'entreprises du secteur parapublic"(l). Ces entreprises du secteur parapublic sont
nombreuses et variées. Au Sénégal, on distingue deux catégories d'entreprises du secteur
parapublic qui présentent des différences de structures qui ont des incidences au plan
juridique. C'est ainsi que l'on relève principalement l'exi~tence d'établissements publics
et de sociétés publiques. Il s'agira alors de montrer qu'au-delà des différences
d'appellation, ces deux entités publiques présentent quelques particularités fondamentales
liées essentiellement aux moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs qui leur sont
assignés.
Dans le domaine particulier des Etablissements publics,
seule l'étude de
l'Etablissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) sera abordée étant
entendu que les Etablissements publics à caractère administratif et les Etablissements
pu blics à caractère professionnel naguère prévus par l'art. 8 de la loi du 10 août 1977 sont
désormais exclus du champ d'application de la loi nO 87-19 du 3 août 1987(2). Cette
dernière n'a désormais retenu que les Etablissements publics à caractère industriel et
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 87-19 du 3 août 1987. JORS n° 5188 du 15 août 1987. p. 611.
(2)
Demba SY. op. cit. p. 210.
73
commercial (EPIC) qui, en matière d'intervention dans la vie économique, jouent le rôle
fondamental dans la gestion du service industriel et commercial(l).
En somme, dans le cadre de l'étude de la typologie des Entreprises publiques, nous
ne retiendrons, dans la catégorie des Etablissements publics, que les Etablissements publics
à caractère industriel et commercial (EPIC). Cette démarche paraît d'autant plus fondée
que l'actuel texte en vigueur(2) confIrme dans ses principales orientations(3) la
composition du secteur parapublic qui cite les Etablissements publics à caractère industriel
et commercial (EPIC), les Sociétés nationales et les Sociétés anonymes à participation
publique majoritaire.
Au surplus,le texte actuel en vigueur (art. 3) ayant prévu deux catégories d'entités
publiques, il conviendra d'étudier d'une part les Etablissements publics à caractère
industriel et commercial (EPIC) et de l'autre les Sociétés publiques (b).
a -
Les Etablissements publics à caractère industriel et commercial
(EPIe)
La loi du 26 juin 1990 précitée (art. 3 alinéa 1er) les définit comme des personnes
morales de droit public spécialisées, dotées d'un patrimoine propre et de l'autonomie
financière et ne bénéficiant d'aucun apport privé à leurs fonds de dotation. En clair, il
s'agit de personnes publiques(4) qui constituent des démembrements de l'Etat.
L'exclusion de l'apport privé aux fonds de dotation des Etablissements publics à
caractère industriel et commercial (EPIC) permet de penser que seul un financement public
(1)
A. BOCKEL, op. cit. p. 333.
(2)
Loi na 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
(3)
V. exposé des motifs loi na 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
(4)
A. BOCKEL, op. cit. p. 331.
4il
_xw
74
est possible. Celui-ci se réalise à travers la dotation du budget de fonctionnement qui
relève d'un budget annexe rattaché au budget général.
Le budget étant un instrument de politique économique, on peut dire alors que le
financement du budget de fonctionnement des Etablissements publics à caractère industriel
et commercial (EPIC) constitue un moyen eftïcace pour les pouvoirs publics d'atteindre
certains objectifs de développement par une intervention en matière industrielle,
commerciale, scientifique, culturelle ou sociale(l)
b - Les sociétés publiques
Elles sont constituées par deux catégories que prévoit la loi n° 90-07 du 26 juin
1990 précitée qui retient les sociétés nationales (art. 4) et les sociétés anonymes à
participation publique majoritaire (art. 6). Par conséquent, la démarche consistera ici à
suivre la distinction opérée par la loi pour traiter, tour à ~our, les sociétés publiques.
b.l - La première catégorie énumérée est représentée par les sociétés
nationales qui sont des sociétés par actions de droit pri vé dont le capital est intégralement
souscrit par l'Etat, et le cas échéant, par d'autres personnes morales de droit public(2)
Cette définition permet de rapprocher les Sociétés nationales des Etablissements
publics à caractère industriel et commercial (EPIC) dans la mesure où, dans tous les cas,
les fonds de ces deux structures sont entièrement d'origine publique. Cependant, il existe
une différence fondamentale justifiée par la nature publique de l'Etablissement public à
caractère industriel et commercial (EPIC)(3) qui s'oppose radicalement à la nature
pri vée de la société nationale.
(1)
V. aIÛcle 3 alinéa 2 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990, précitée.
(2)
V.'aIÛcle 4 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990, précitée.
(3)
A. BOeKEL, op. cit. p. 331.
75
L'évolution· des sociétés nationales a connu une certaine fortune dans le tissu
juridique sénégalais. Disparue depuis 1966 au profit soit de l'Etablissement public, soit de
la société d'économie mixte, elle a fait sa réapparition dans le droit sénégalais par la loi
du 10 août 1977(1). Depuis cette date, elle a été maintenue, jusqu'à nos jours, pour
permettre à l'Etat de remplir certains objectifs de développement économique et social.
Pour ce faire, il a même été procédé à l'attribution d'un monopole public à certaines
sociétés nationales intervenant dans des secteurs névralgiques comme l'eau, l'énergie, le
téléphone... Ce qui traduit le souci des pouvoirs publics sénégalais de satisfaire
correctemen t l' approvisionnemen t du marché in téri eur.
b.2 - La deuxième catégorie énumérée par la loi est la Société anonyme à
participation publique majoritaire conçue comme une société dans laquelle une ou plusieurs
personnes publiques possèdent directement ou indirectement au moins 50 % du capital
social(2).
La notion de Société anonyme à participation publique majoritaire a également
connu une évolution dont le point de départ a commencé avec la fameuse loi du 10 août
1977 qui parlait de société d'économie mixte (art. 5) qui s'est transformée ensuite à la
faveur de la loi n° 87-19 du 3 août 1987 précitée, en Société d'économie mixte à
participation publique majoritaire. Le point culminant de l'évolution du concept est marqué
par une harmonisation avec le droit des sociétés commerciales dans la mesure où la loi na
90-07 du 26 juin 1990 précitée (art. 6) parle désormais de société anonyme à participation
publique majoritaire régie par le cace.
Il convient de souligner que cette catégorie de sociétés avait particulièrement
caractérisé l'époque dirigiste du développement puisqu'on pouvait noter une création tous
(1)
Sur cette évolution, v. A. BOeKEL, op. cit. p. 344.
Adde J. ISSA-SAYEGH, La liquidation des entreprises publiques en droit sénégalais, Revue
Juridique Africaine, 1990, n° 3, p. 11.
(2)
V. article 6 alinéa 2 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990, précitée.
76
azimuts de sociétés d'économie mixte dans le but de promouvoir le développement par
l'encadrement du monde rural considéré comme le pilier du progrès(l).
Cette politique de création de sociétés d'économie mixte traduisait ainsi la volonté
des pouvoirs publics selon laquelle la sortie du sous-développement devait passer par les
performances du secteur primaire.
En définitive, la conclusion que l'on peut tirer de l'existence des sociétés publiques
est qu'elles sont constituées, non seulement, selon des structures empruntées au droit
commercial(Z), mais encore et surtout, qu'elles constituent une manifestation indubitable
de
l'Etat
actionnaire(3)
agissant
dans
les
secteurs
économiques(4),
industriels,
commerciaux, scientifiques, culturels ou sociaux. Pour ce faire, l'Etat détient des actions
qu'il souscrit entièrement ou partiellement selon qu'il s'agit de société nationale ou de
société anonyme à participation publique majoritaire.
Cette dernière étant considérée comme un compromis entre le libéralisme et le
socialisme d'Etat(5), on peut alors réaffirmer le résultat selon lequel, même à l'époque
dirigiste du développement, une concession était laissée à l'initiative privée(6).
Nous venons ainsi de montrer que le monopole des entreprises publiques se
manifeste quant à leur forme. Il s'agit de l'apprécier, à présent, dans sa structure la plus
dynamique à savoir son fonctionnement et sa protection. Ce qui nécessite l'étude de la
manifestation du monopole quant au régime juridique des entreprises publiques.
(1)
V. communication de Mme Fatou SOW, op. cit. p. 46.
(2)
A. BOCKEL, op. cit. p. 343.
(3)
En droit français, v. RIPERT et ROBLOT, op. cit. n° 1695, p. 1191.
(4)
A. BOCKEL, op. cit. p. 344.
(5)
En droit français, v. RIPERT et ROBLOT, op. cit. n° 1693, p. 1189.
(6)
V. supra, p. 69.
77
II - QUANT AU REGIME JURIDIQUE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
L'existence du monopole des entreprises publiques se manifeste quant au régime
juridique par un contrôle strict de leur gestion par les pouvoirs publics (A) et par la
sanction de la violation du monopole (B).
A -
Contrôle strict de la gestion des entreprises publiques par les pouvoirs
publics
Le contrôle des pouvoirs publics se manifeste essentiellement dans le domaine du
fonctionnement des entreprises publiques. Aussi bien, pour assurer le contrôle des
entreprises du secteur parapublic, l'Etat a institué un contrôle a priori consistant à avoir
un droit de regard sur la désignation des dirigeants (a), puis un contrôle a posteriori visant
à contrôler la gestion desdits dirigeants (b).
Il s'agira alors de montrer que ce double contrôle traduit la volonté de l'Etat de
diriger strictement l'orientation de la politique de l'entreprise qui est un moteur du
développement économique et social du pays.
a - Contrôle de la désignation des dirigeants
Contrairement au mode de désignation des dirigeants des entreprises privées qui
sont élus par les associés, le choix des dirigeants des entreprises publiques fait l'objet de
dispositions législatives rigoureusement commandées par le souci d'exercer un contrôle sur
les personnes désignées pour gérer des fonds publics. Ces dirigeants sont regroupés au sein
d'un Conseil d'Administration qui est l'organe principal de direction à la tête duquel se
trouve un Président. Ce dernier est élu, selon la loi nO 90-07(1), sur proposition du
Président de la République qui doit avoir le dernier mot pour le choix du principal
dirigeant. En effet, l'expérience pratique montre que le choix du Président de la
(1)
Voir article 17 de la loi n° 90-07 du 20 juin 1990, précitée.
78
République est toujours plébiscité par des parodies d'élection au sem du Conseil
d'Administration dont la composition reflète fidèlement le désir de direction des pouvoirs
publics.
Le choix du Président de la République n'étant jamais neutre, on peut dire que,
partout dans le monde, ses grandes options sont toujours orientées par des critères
politiques(l).
Ainsi que le fait remarquer, avec jute raison, M. HaLO, il est permis d'ajouter
qu'au Sénégal, le choix du Président du Conseil d'Administration et de ses collaborateurs
obéit en particulier à une récompense sous forme de primes pour services rendus non à la
nation mais bien plus au parti au pouvoir. Ce critère politique est d'autant plus fondé
qu'au lendemain de la première entrée du principal parti d'opposition (P.D.S.)(2) dans
le gouvernement, certains membres de cette formation politigue avaient été cooptés au sein
de Conseils d'Administration de sociétés publiques s'ils n'avaient pas été tout simplement
désignés pour les présider.
Contrairement au mode de choix du Président du Conseil d'Administration dont il
est établi qu'il s'effectue par élection, celui du Directeur se fait par décret sur proposition
du Conseil d'Administration(3). Ce simple choix par décret le place naturellement sous
le contrôle du pouvoir hiérarchique central(4).
(1)
Théodore HaLO, op. cit. p. 6.
(2)
P.O.S. : Parti Démocratique Sénégalais créé en 1974.
(3)
V. art. 19 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
(4)
Voir à ce sujet, A. BOeKEL, op. cit. p. 252 et suivantes.
79
Enfin, dans le souci de renforcer le contrôle des Conseils d'Administration des
entreprises pu~liques, il est donné la possibilité pour l'Etat de nommer deux membres pour
leur expérience professionnelle(l).
En somme, on peut retenir qu'aucune nomination ou désignation des dirigeants
n'échappe à la volonté de l'Etat qui cherche à diriger effectivement l'entreprise
publique(2). Cette recherche effrénée de direction fait que, d'une part, les dirigeants
sont choisis ou nommés par l'exécutif et de l'autre, ils sont révoqués et licenciés de la
même façon par la puissance publique; et cela en vertu du principe du parallélisme des
formes.
Au fond, il apparaît que la clef de voûte de ce système est de parvenir à obtenir des
dirigeants choisis qu'ils appliquent la politique économique de l'Etat dans le secteur des
entreprises publiques, et singulièrement dans le domaine de la gestion qui doit être
également contrôlée.
b - Contrôle de la gestion des dirigeants
L'entreprise publique étant constituée entièrement ou majoritairement par des
deniers publics, il devient alors normal que sa gestion soit soumise à la sanction des corps
de contrôle de l'Etat que sont le Contrôle financier, l'Inspection générale d'Etat et la
Commission de Vérification des Comptes et de Contrôle des Etablissements publics(3).
Ce souci de protection des finances publiques est d'autant plus accentuée que le contrôle
s'exerce même sur toutes les personnes morales de droit privé dès lors qu'elles bénéficient
du concours financier de la puissance publique, notamment sous la forme d'avantages en
nature ou en espèces(4).
(1)
V. art. 9 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
(2)
En droit français, v. RIPERT ct R013LOT, op. cit. n° 1699, p. 1192.
(3)
Demba SY, op. cit. p. 210.
(4)
V. art. 47 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
80
Si fondamentalement les corps de contrôle de l'Etat sont sensiblement restés les
mêmes(l), quelques innovations ont été apportées au niveau des modalités du
contrôle(2)· dans la mesure où la loi nO 90-07(3) supprime tout contrôle a priori. Dans
cette perspective, la nouvelle loi est venue restreindre considérablement le domaine des
exceptions(4) contenues dans l'ancienne loi n° 87-19 du 3 août 1987 qui prévoyait des
formalités préalables d'approbation pour certains actes de gestion. Il s'ensuit que la seule
exception qui pourra désormais faire échec à la dispense du contrôle a priori reste les
délibérations des Conseils d'Administration prévues à l'art. 23 de la loi nO 90-07 du 26
juin 1990 précitée soumettant à l'approbation par le Président de la République de toutes
les délibérations ou décisions tendant à attribuer des primes ou gratifications annuelles au
personnel des entreprises publiques.
Il semble que ce léger assouplissement du contrôle est destiné à responsabiliser
davantage les dirigeants de l'entreprise publique qui ne r~ssortissent désormais qu'à un
régime de contrôle a posteriori, plus simple et mieux organisé(5).
En définitive, la réforme des modalités du contrôle doit avoir pour effet, selon M.
Demba SY(6), de rendre plus flexible une gestion nouvelle dans le cadre d'une politique
de réorganisation des entreprises du secteur parapublic. Aussi bien, cette réorganisation a
nécessité un cadre institutionnel propre à insuffler un dynamisme nouveau et à améliorer
(1)
En effet, la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée (art. 37) remplace le Groupe d'Etudes sur le
Secteur parapublic (G.E.S.P.) par le Comité consultatif du Secteur parapublic.
(2)
Demba SV, op. cit. p. 210.
(3)
V. article 29 de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990, précitée.
(4)
Ce domaine est constitué par les articles 17 dernier alinéa, 18. 33, 34 et 58 de la loi n° 87-19 du
03 août 1987 précitée.
(5)
V. exposé des moUfs ·de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
(6)
Demba SV, op. cit p. 209.
81
le
potentiel
de production
des
entreprises publiques(l).
Mais
au-delà de cette
amélioration, ce dernier est particulièrement protégé par l'interdiction de la violation du
monopole des entreprises publiques qui est sanctionnée.
B - Sanction de la violation du monopole
Pour mieux asseoir le monopole conféré aux entreprises publiques, il aurait fallu
aménager une sanction. Cependant, il faut constater le fait que les textes brillaient par leur
silence dans la mesure où ils se contentaient de préciser uniquement que le monopole de
telle activité ou tel service était conféré à certaines entreprises publiques. Dès lors, il paraît
normal de rechercher la sanction la plus adéquate pour réprimer la violation du monopole.
Cette recherche est d'autant plus nécessaire et justifiée que le monopole constitue une
antithèse de la libre concurrence.
Le monopole étant institué par la loi, il conviendra de faire remarquer que toute
concurrence à l'activité de l'entreprise publique doit être considérée comme illégale. C'est
la raison pour laquelle, nous envisagerons l'étude de la concurrence illégale Ca).
De plus, l'étude de la sanction pose une question intrinsèque à l'entreprise publique
dès lors qu'elle peut se retrouver dans une situation de position dominante. Dans une telle
hypothèse, même si· elle abuse de cette situation de domination, elle demeure toujours à
l'abri de la sanction. Par conséquent, il apparaît nécessaire de rechercher les fondements
justificatifs d'une absence de sanction de l'abus de position dominante Cb).
a - La concurrence illégale contre les entreprises publiques
La particularité de la sanction de concurrence illégale réside dans le fait qu'elle
atteint toute personne physique ou morale qui violerait une situation de monopole en
faisant concurrence à une entreprise publique.
(1)
V. exposé des motifs de la loi na 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
82
A défaut de précision législative ou jurisprudentielle, seule une recherche sur
l'iplportance de la nature de la sanction permet de fournir des éléments de précision. A ce
sujet, notre tâche première consistera à dégager les spécificités de la concurrence illégale
par rapport à la notion de concurrence déloyale qui paraît voisine. Par suite, une
contribution sera tentée en vue de proposer des mesures appropriées à la concurrence
illégale.
Relativement à la concurrence déloyale(l), trois conditions cumulatives sont
généralement requises sur le fondement de la théorie de la responsabilité civile
délictuelle(2) qui fait alors appel à la faute(3), au préjudice et au lien de causalité.
Il s'ensuit que la réunion des dits éléments constitutifs appelle une sanction spécifique(4)
qui tient compte de la nature du délit. Par conséquent, il s'agira d'étudier les éléments de
différence et les points de contact du délit civil de concurrence déloyale avec la
concurrence illégale. Cette recherche aura d'autant plus ~e mérite qu'elle permet de
dégager les bribes des éléments qui pourraient constituer la notion de concurrence illégale
contre les entreprises publiques.
Concrètement, s'il est fait appel à la notion de faute, l'on se rend compte que la
différence entre la concurrence illégale et la concurrence délo~ale tient moins à la
définition de la faute(S) qu'à sa consistance. Ainsi, si en matière de concurrence
(1)
Sur cette question, v. en droit français, A, PIROVANa, Dalloz, Rép. Corn. Vis Concurrence
déloyale, n° 186 et s.
(2)
V. art. 118 COCC : "Est responsable celui qui, par sa faute, cause un dommage à autrui".
Doctrine: J.P. TOSI, op. cit. p. 177 et s.
En droit français, v. Alain SERIAUX, Droit des Obligations, Collection Droit fondamental, P.U.F.,
1992, p. 305 et s.
(3)
Sur la persistance de la faute, v. Amsatou SOW SIDIBE, Quelques réflexions à propos d~un arrêt.
de la c.A, de Dakar du 18 janvier 1988 - Faute du commettant et abus de fonction du préposé,
A,A, 1989-1990-1991, p. 239.
(4)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 144, p. 108.
(5)
V. supra, note 2.
83
illégale, la faute consiste simplement à violer les prescriptions de la loi, par contre dans
la concurrence déloyale, la consistance de la faute se manifeste par des actes illégaux de
concurrence, c'est-à-dire contraires aux bons usages du commerce(l).
De plus, la référence au lien de causalité permet de dire que si ce dernier est un
élément constitutif de la concurrence déloyale, il apparaît que cette exigence constitutive
ne saurait avoir droit de cité dans le cadre de la sanction de la concurrence illégale qui
contrevient à un texte précis(2). Cette différence devient encore plus nette lorsque l'on
sait que la concurrence déloyale ayant pour effet principal d'entraîner un trouble, il s'agira
alors de le faire cesser(3).
En somme, la consistance de la faute dans les notions de concurrence déloyale et
de concurrence illégale, puis l'absence de l'élément lien de causalité dans la concurrence
illégale permettent d'affIrmer que ces deux notions sont d~stinctes.
Cette distinction conduit d'ailleurs à envisager une sanction appropriée à la
concurrence illégale. Dans cette perspective, il nous paraît que la sanction civile, ou
administrative paraisse plus adéquate pour la défense de la violation du monopole. En
effet, dans le cas de la sanction ci vile, elle pourrait être constituée par la nullité ou la
dissolution qui frapperaient, à titre d'exemple, toute société constituée avec un objet social
qui contreviendrait à un monopole d'activité ou de service attribué à une entreprise
publique.
(1)
En droit sénégalais: voir par exemple jugement Tribunal Régional de Dakar, 25 mai 1991
(Violation d'une clause de non rétablissement insérée dans la vente d'un fonds constitué
essentiel1ement de livres).
En droit français: v. Corn. 19 juillet 1971 (imitation du concurrent), D.1971, p. 691 ; Corn. 19
juillet 1976 (imitation du concurrent), JCP 1976.11 n° 18507 ; v. les arrêts Société SURMELEC
cl Sté BENDIX (dénigrement), JCP 1959, na 11334 ; TGI Boulogne (désorganisation de
l'entreprise), Rev. Idm. Dr. corn. 1977, p. 321, obs. CHAVANNE et AZEMA.
(2)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cil. na 137, p. 104.
(3)
Yves REINHARD, op. cil. na 144, p. 108.
84
S'agissant plus particulièrement de la nullité, celle-ci devrait même être absolue,
voire d'ordre public afin d'empêcher la régularisation de la société constituée en violation
du monopole (art. 274 COCC)(l).
Pour ce qui est de la sanction administrative, elle est constituée par la fermeture
administrative d'établissement(2). L'opportunité de cette sanction se justifie ici en raison
du lien ombilical qui existe entre l'Etat et les entreprises publiques. Aussi, il paraît logique
d'attribuer à ces dernières un pouvoir de contrainte sur les particuliers par une mise en
oeuvre des prérogatives de puissance publique(3).
En définitive, l'adoption de sanctions civiles comme la nullité et la dissolution ou
de mesures administratives comme la fermeture d'établissement sera un moyen sûr
permettant de protéger efficacement les entreprises publiques contre la concurrence
illégale.
Ce souci de protection des entreprises publiques contre les particuliers doit avoir
pour corollaire logique la sanction des premières, lorsque, du moins, elle nuisent aux
intérêts des derniers en abusant d'une position dominante.
Pourtant, cette logique n'a pas été respectée. Aussi, convient-il d'examiner les
raisons d'une absence de sanction de l'abus de position dominante par l'entreprise
publique?
(1)
Art. 274 éoee : Monopole: "Lorsque la loi réserve à certaines personnes la vente ou l'achat de
biens ou de denrées. tout contrat contraire aux dispositions légales est frappé de nullité absolue".
(2)
V. supra p. 45 et infra p. 212 •.
(3)
A. BOeKEL, op. cit. p. 340.
85
b -
L'absence de sanction de l'abus de position dominante par
l'entreprise publique
La position dominante peut revêtir, de nos jours, deux aspects fondés
respectivement sur la détention d'une part de marché importante ou bien sur l'existence
de relations contractuelles le plus souvent de dépendance(l). Cette situation de
domination n'est pas nocive en soi puisqu'elle n'est condamnable que lorsqu'elle entrave
le fonctionnement normal du marché(2).
Au plan conceptuel, l'abus de position dominante diffère de l'abus de droit par
l'origine de la sanction. En effet, si la première théorie trouve directement son origine dans
la loi(3), la seconde, par contre, a trouvé fortune dans la jurisprudence française(4)
avant sa consécration législative par l'art. 122 du COCC(5). C'est pourquoi, la doctrine
française a proposé, avec juste raison, que l'abus de droit était l'une des plus remarquables
créations de la jurisprudence française(6).
Par suite, en France, malgré la différence de soubassement textuel entre l'abus de
position dominante et l'abus de droit, il faut reconnaltre que le critère de sanction de la
position dominante demeure l'abus de droit dans la mesure où il s'agit moins de réprimer
(1)
En droit français, v. ,Yves REINHARD, citant M. G. FARJAT in Droit économique. op. cit. n°
112. p. 85. Sur J' abus de position dominante, v. infra. Titre II de cette première partie. p. 236.
(2)
Yves REINHARD, op. cit. Ibidem.
(3)
V. art. 27 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux
économique. JaRS n° 5595, p.386.Comp. art. 8 ordonnance française du 1er décembre 1986
modifiant et remplaçant l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sur les prix.
(4)
Voir à ce sujet, en droit français, G. FARJAT, L'ordre public économique, Thèse de doctorat
d'Etat. 1961, L.G.D.J., Paris. 1963, n° 229, p. 177.
(5)
Art. 122 COCC : Abus de droit: "commet une faute par abus de droit celui qui use de son droit
dans la seule intention de nuire à autrui, ou qui en fait un usage contraire à sa destination".
Doct. v. J.P. TOSI, op. cit. n° 591 et s., p. 213.
(6)
En droit français, v. P. DURAND, Traité de Droit du travail. tome II, p. 867. Références citées
dans la thèse de M. G. FARJAT, op. cit.n° 229, p. 177.
86
l'exercice d'un droit lié à une position dominante que l'abus apporté à l'exercice dudit
droit. Il en découle que si l'abus de position dominante n'est pas justifié,une répression
pourra intervenir(l). Or, pour faire échec à cette répression, la licéité de la domination
résulte soit de l'existence d'un texte, soit de la participation au développement du progrès
technique(2).
Cette analyse du droit français peut être transposée au Sénégal où, jusqu'à une
période relativement récente, rien ne permettait de sanctionner l'abus de position
dominante(3) malgré le fait que certaines entreprises publiques disposant d'un monopole
occupaient une position dominante sur le marché intérieur sénégalais. En effet,
l'importance des entreprises publiques considérées comme des moteurs du développement
économique et social(4) était telle que leur monopole législatif et même naturel(5)
s'opposait à une limitation de quelque nature que ce soit. Au surplus, le contrôle
contemporain de la concurrence découlant de la création d'une Commission nationale de
la concurrence(6) ne se justifiait nullement dans une économie caractérisée par une
vision dirigiste du développement.
(1)
V. ordonnance française de 1986 (arL 10) sur les ententes et position dominante, op. cit., .
(2)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 113, p. 86.
(3)
En effet, la loi n° 65-25 du 4 mars 1965 sur les prix et les infractions à la législation économique,
JaRS du 3 avril 1965, pp. 368 à 393, ne prévoyait aucune sanction de l'abus de position
dominante.
(4)
J.e. GAUTRON et B. ZUBER, "Les entreprises publiques et semi-pubHques du Sénégal" in Les
entreprises publiques en Afrique Noire, Tome I, p. 1 ct s.
(5)
Jean François PIRUS, op. cit. p. 9.
(6)
V. Infra Titre l, nos développements sur la Commission nationale de la Concurrence, p.
186 et
suivantes.
87
En définitive, il paraissait logique que la loi n° 65-25 du 4 mars 1965(1) qui
régissait les mécanismes de la concurrence ne prévît aucune espèce de sanction d'un abus
de position dominante.
En conclusion, l'étude de la forme et du régime juridique des entreprises publiques
a révélé que ce sont des moyens d'expression du monopole du secteur public conçu dans
l'optique d'une administration du développement.
Cependant, ce monopole est en train de perdre de nos jours son exclusivité. Pour
l'essentiel, cette perte est justifiée par une bilan négatif du tout public qui a connu un
échec essentiellement lié à une mauvaise gestion de la chose publique qui a eu une
répercussion négative sur les résultats de la plupart des entreprises publiques(2). Ce qui
constitue une raison majeure justifiant certaines mesurcs(3) destinées au renforcement
de l'initiative privée.
(1)
Loi n~ 65-25 du 4 mars 1965 sur les prix et les infractions à la législation économique, JaRS du
3 avril 1965, pp. 386 à 393. Cette loi a été abrogée et remplacée par la loi actuelle na 94-63 du
22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique, JORS N° 5595 du '27 août
1994, p. 384 et suivantes.
(2)
V. communication de Mme Fatou SOW, op. cit.
(3)
Ce sont les privatisations et la liquidation d'entreprises publiques.
En Infra: nous reviendrons plus en détail sur l'ensemble de ces mesures destinées au renforcement
de l'initiative privée, p.
140 et suivantes.
88
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
La négation du principe de liberté d'entreprise est une réalité dans la phase
d'étatisation du développement dans la mesure où elle a permis de contrôler l'accès des
acti vités économiques que les pouvoirs publics n'exerçaient pas directement. Il résulte de
ce contrôle des pouvoirs publics que la restriction de l'accès aux activités économiques
était plus ou moins totale selon qu'ils exerçaient ou non lesdites activités.
L'importance des activités économiques contrôlées ou exercées par les pouvoirs
publics est un facteur déterminant permettant d'affIrmer que c'est un moyen pour eux
d'encadrer, de promouvoir et de coordonner les actions économiques de développement
indispensables pour un jeune Etat fraîchement parvenu à l'indépendance politique. Pour
ce faire, il paraît indispensable de conquérir les voies d'une indépendance économique sans
laquelle l'indépendance politique ne serait qu'apparente et formelle.
Cependant, l'on ne peut s'empêcher de formuler quelques observations liées à
l'évolution économique contemporaine qui a fondamentalement bouleversé la vision
dirigiste du développement. Ainsi, de nos jours, on constate que non seulement la plupart
des mesures d'autorisation et de déclaration ont disparu mais encore que le monopole des
entreprises publiques est en train de voler en éclats suite au phénomène de la privatisation.
En effet, suite aux exigences des bailleurs de fonds qui prônent une nouvelle vision du
développement, une série de mesures ont été adoptées dans le sens de la libéralisation de
l'économie. Dans cette optique, toutes ces mesures devront avoir des répercussions sur les
textes organisant l'économie nationale.
Cela a-t-il enlevé, pour autant, l'intérêt de l'étude de la restriction de l'accès aux
activités économiques dans la phase dirigiste du développement? Nous répondons par la
négative puisque cette étude "historique" permet, non seulement, d'éclairer le droit
économique actuel, mais encore et surtout, elle permet de mieux comprendre les mesures
d'inspiration dirigiste qui ont été conservées, telles que des mesures contre les dérives de
89
la libéralisation. Ce qui confirme l'idée de départ selon laquelle l'évolution du processus
du développement ne se réfère jamais à une doctrine économique de manière absolue.
Ceci étant, la conservation de l'intérêt de l'étude de la négation du principe de
liberté d'entreprise devra utilement être complétée par la négation du principe d'égalité qui
constitue le second pilier fondamental de l'ordre public économique de direction dans la
phase d'étatisation du développement au Sénégal.
90
CHAPITRE II - LA NEGATION DU PRINCIPE D'EGALITE
La négation du principe d'égalité correspond à une situation qui pr~vilégie des
acteurs économiques au détriment des autres. A cet effet, la remise en cause du principe
d'égalité que la situation engendre intervient non seulement au niveau des personnes mais
également à celui des actes juridiques. Par suite, on peut dire que la négation du principe
d'égalité admet des domaines ratio ne personae et ratione materiae.
Dans le domaine ratione personae, la constatation selon laquelle certaines activités
économiques ne peuvent être exercées que par les nationaux sénégalais est assez
significative de la négation du principe d'égalité des acteurs économiques.
Dans le domaine ratio ne materiae, cette négation du principe d'égalité intervient
surtout en matière contractuelle. En effet, l'importance et la mission de service public
,
.
assignées à l'Etat justifient qu'il lui soit accordé un privilège découlant de l'exercice de
ses activités au cours duquel il peut être amené à passer des contrats avec d'autres acteurs
économiques.
En somme, le problème sera de savoir si l'on analyse cette remise en cause du
principe d'égalité dans les domaines ratione personae et ratio ne materiae, que constate-t-
on?
On se rend compte alors que la remise en cause du principe d'égalité dans ces deux
domaines a suscité, non seulement, la négation de l'égalité des acteurs économiques par
une réservation de certaines activités aux nationaux sénégalais (Section 1), mais encore,
la négation de l'égalité contractuelle classique entre les acteurs économiques (Section II).
91
SECTION 1-
LA NEGATION DU PRINCIPE D'EGALITE DES ACTEURS
ECONOMIQUES
(ACTIVITES
RESERVEES
AUX
NATIONAUX)
La négation du principe d'égalité des acteurs économiques consiste à réserver
l'exercice de certaines activités économiques à des nationaux sénégalais. Il s'ensuit que
les étrangers sont, de principe, exclus de l'exercice de ces activités économiques.
Cependant, cette exclusion n'est pas générale dans la mesure où le principe de la
réciprocité législative a conduit les pouvoirs publics sénégalais à garan tir l'accès
d'étrangers à ces activités économiques lorsque, du moins, le gouvernement duquel
relèvent ces étrangers accordent un privilège identique aux ressortissants sénégalais(l).
Ce principe de la réciprocité législative est surtout inspiré par un souci de protection
internationale des ressortissants sénégalais; de ce fait, il ne r~ntre pas dans le domaine de
notre perspective. Par suite, dans le domaine interne, l'exclusion de tous les étrangers dont
l'Etat n'accorde pas la réciprocité aux ressortissants sénégalais et l'octroi d'un principe
exclusif d'accès à ces derniers doivent être considérés comme une négation du principe
d'égalité des acteurs économiques. Il résulte, notamment, de cette exclusion toute une série
d'activités économiques auxquelles ne peuvent prétendre que les nationaux sénégalais.
Une telle démarche s'expliquait par le souci d'assurer une participation des
nationaux sénégalais dans des secteurs pratiquement monopolisés par des étrangers. C'est
ainsi que l'objectif clairement poursuivi par les pouvoirs publics était de permettre
l'accroissement de la présence des nationaux sénégalais dans des secteurs d'activités en
croissance rapide(2). C'est dans cette optique que la nationalité sénégalaise fut exigée
non seulement comme condition d'accès à une activité économique (Sous-Section 1), mais
(1)
V. art. 4-1 ° de la loi n° 82-07 du 30 juin 1982 relati ve aux acti vités de promotion, de transaction
et de gestion immobilières, d'étude et de conseil en organisation et en gestion d'entreprises et de
conseil juridique, JORS n° 4899 du 3 juillet 1982, p. 469.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 82-07 du 30 jui n 1982 préci tée.
92
encore comme un moyen permettant de contrôler une activité économique (Sous-Section
II).
Sous-Section 1 -
EXIGENCE
DE
LA
NATIONALITE
SENEGALAISE,
CONDITION D'ACCES A UNE ACTIVITE ECONOMIQUE
L'exigence de la nationalité sénégalaise concerne aussi bien les personnes physiques
que les personnes morales désirant accéder à une activité économique. A cet effet,
l'exigence de la nationalité sénégalaise comme condition d'accès à des activités de
promotion, de transaction et de gestion immobilière, d'étude et de conseil en organisation
et en gestion d'entreprise et de conseil juridique(l) est assez caractéristique de la
volonté des pouvoirs publics de promouvoir une initiative privée nationale dans un vaste
secteur d'activités économiques. Cette politique de promotion visant les acteurs
économiques désirant s'installer individuellement ou collectivement, il s'ensuit que
l'exigence de la nationalité sénégalaise, comme condition d'accès à une activité
économique, s'applique aussi bien aux personnes physiques (1) qu'aux personnes morales
(II).
1 - QUANT AUX PERSONNES PHYS:B:QUES
Les personnes physiques sont des sujets de droit qui aspirent à s'installer
individuellement pour l'exercice de l'une des professions énumérées dans la loi n° 82-07
précitée. Pour ce faire, elles doivent justifier de l'obtention d'une carte professionnelle
délivrée par le Ministre du Commerce après avis du Ministre chargé de l' Habitat(2). La
(1)
V. supra. p.
91 note 1.
(2)
V. article 2 alinéa 2 du décret n° 82-731 du 22 septembre 1982 relatif aux conditions d'accès à
l'activité de promotion immobilière, JORS n° 4919 du 20 novembre 1982, p. 742.
93
délivrance de cette carte professionnelle obéit à plusieurs conditions strictes(l),
notamment celle de la production d'un certificat de nationalité sénégalaise.
Toutefois, il faut préciser que ce certificat de nationalité ne doit contenir aucune
restriction des droits attachés à la nationalité sénégalaise. Dans le cas contraire, les
personnes physiques fraîchement naturalisées pourront être privées, notamment, du droit
d'exercer une profession pour laquelle la nationalité sénégalaise ou une autorisation
ministérielle préalable est exigée(2).
En somme, on peut dire que sous réserve de la situation des personnes physiques
fraîchement naturalisées, l'exigence de la nationalité sénégalaise comme condition d'accès
à une activité économique constitue la marque d'une préférence nationale destinée à
exclure les étrangers. Il s'ensuit qu'elle contribue à nier le principe de l'égalité d'accès des
acteurs économiques dans un certain nombre de professions.
Lorsque ces dernières sont exercées collectivement, cela n'a pas empêché que la
nationali té sénégalaise soit exigée.
II - QUANT AUX PERSONNES MORALES
L'exigence de la nationalité sénégalaise pour l'exercice collectif d'une activité
économique se conçoit dans la mesure où le cadre de l'activité peut être une entreprise
(1)
V. article 4 de la loi n° 82-07 du 30 juin 1982 précitée. Ces conditions strictes sont: être âgé de
25 ans au moins; présenter les qualifications requises par la réglementation concernant l'activité
exercée; justifier d'une garantie financière; ne pas être frappé d'une incompatibilité ou d'une
incapacité ou d'une interdiction.
(2)
V. article 16 - 1°) de la loi n° 61-10 du 7 mars 1961 portant sur la nationalité sénégalaise, JORS
du 15 mars 1961. Cette loi a été modifiée ou complétée par :
- la loi n° 67-17 du 28 février 1977, JORS du 17 avril 1967,
- la loi n° 70-27 du 27 juin 1970, JORS du 18 juillet 1970,
. - là loi n° 79-01 du 4 janvier 1979, JORS du 6 janvier. 1979,
- la loi n° 84-10 du 4 janvier 1984, JORS du 12 janvier 1984,
- la loi n° 89-42 du 26 décembre 1989, JORS du 10 février 1990.
94
privée(l). Dans ce cas, l'exercice de l'activité économique s'effectue dans le cadre
d'une personne morale détenant un capital social, qui peut être défini comme la somme
des apports "valorisés"(2).
A cet égard, toute personne morale doit justifier que 35 % au moins du capital
social sont détenus par des nationaux sénégalais(3). Au surplus, la détention d'un capital
social autorise à penser que les personnes morales sont représentées par des sociétés
constituées soit sous forme de sociétés à responsabilité limitée(4), soit sous forme de
sociétés anonymes(5).
Dans tous les cas de figure, il est requis des personnes morales que tous leurs
représentants
légaux
ou
statutaires
remplissent
la
condition
de
la
nationalité
sénégalaise(6) pour que la carte professionnelle puisse être délivrée au nom des
personnes morales désirant exercer l'une des activités économiques prévues par la loi.
Mais, au fond, qu'est-ce qui fonde l'importance et la spécificité de ces activités
économiques au point de nier leur accès aux étrarigers ?
Il nous semble que, pour l'essentiel, ces activités économiques constituent des voies
d'accès pour faire occuper des emplois, en particulier par des diplômés de l'enseignement
supérieur. En effet; devant le constat selon lequel l' essentiel de ces activités économiques
(1)
V. article 4 de la loi n° 82-07 du 30 juin 1982 précitée; article 3 alinéa 1 et article 4 du décret
n° 82-731 du 22 septembre 1982 précité.
(2)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, Droit des affaires, LITEC, 1993, n° 309, p. 219. Selon
l'auteur, "cette somme des apports "valorisés" est destiné à faire face aux frais de premier
établissement, ainsi que des premières années de fonctionnement des sociétés".
(3)
V. article 20 de la loi n° 82-07 précitée.
(4)
Sociétés à responsabilité limitée (SARL) régies par les articles 1181 à 1286 du COCc.
(5)
Sociétés anonymes (S.A.) régies par les articles 1237 à 1441 du COCc.
(6)
V. article 5 alinéa 1 de la loi n° 82-07 précitée.
95
étaien t exercées par des personnes de nationalité étrangère, il paraissai t normal de
promouvoir une initiative privée nationale à une époque où le pays regorgeait de diplômés
nationaux aptes à se substituer à un savoir-faire étranger. Il s'ensuivit que la loi n° 82-07
précitée peut être considérée comme un instrument d'accompagnement de l' "opération
maîtrisard"(1) déclenchée à un moment où les pouvoirs publics sénégalais souhaitaient
accroître la présence des nationaux dans des secteurs d'activités où la multiplication des
cabinets spécialisés était en croissance rapide(2).
En définitive, on peut dire que l'exigence de la nationalité sénégalaise, comme
condition d'accès à une activité économique peut s'expliquer et se justifier à la lumière
d'un droit du développement qui cherche à promouvoir l'emploi en donnant la préférence
aux nationaux. C'est ainsi que l'on peut comprendre, dans les secteurs économiques
intéressant notre perspective, que certaines activités économiques soient entièrement
réservées aux nationaux sénégalais dont l'autre volet ~e la politique de promotion a
consisté à leur conférer des moyens de contrôle de l'activité économique.
Sous-Section II·
EXIGENCE DE LA NATIONALITE SENEGALAISE, MOYEN
DE CONTROLE D'UNE ACTIVITE ECONOMIQUE
Le contrôle s'adresse uniquement à l'exercice collectif d'une activité économique.
En effet, dans cette situation, il est possible que certains nationaux sénégalais soient
associés à des personnes de nationalité étrangère dont l'Etat accorde la réciprocité
législative aux ressortissants sénégalais. Si une telle hypothèse se réalise, les pouvoirs
publics sénégalais ont institué, en outre, un taux minimal de 35 % du capital social de
l'entreprise qui doit être forcément détenu par les associés de nationali té sénégalaise(3).
(1)
C'est une opération initiée par le Gouvernement du Sénégal pour faire faœ à la crise de l'emploi
des diplômés de l'Enseignement supérieur dans les années 80.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 82-07 précitée.
(3)
V. article 20 de la loi nO 82-07 précitée.
96
Aussi bien, une telle obligation correspondant à un souci de contrôle du capital social de
l'entreprise par les nationaux (I), on peut en déduire l'idée d'une recherche de pouvoir de
direction par les nationaux (II).
1 -
CONTROLE DU CAPITAL SOCIAL DE L'ENTREPRISE PAR LES
NATIONAUX SENEGALAIS
La fixation d'un taux minimal de 35 % du capital social d'une entreprise privée
obéit à des nécessités de contrôle dans la mesure où certaines décisions, comme celles
portant modification des statuts, ne peuvent être adoptées qu'à une majorité qualifiée
impliquant, au moins, les 3/4 des voix. Dans cette perspective, elle répond à la nécessité
d'un contrôle du capital social de l'entreprise par les nationaux sénégalais (A).
Cependant, compte tenu du fait que la majorité simple peut être obtenue à partir du
seuil de 50 %, il est permis de penser que, pour toutes les décisions ne requérant pas la
majorité qualifiée, le contrôle du capital social par les nationaux sénégalais paraît
insuffisant (B).
A -
Nécessité d'un contrôle du capital social de l'entreprise par les
nationaux sénégalais
La nécessité du contrôle du capital social de l'entreprise par les nationaux
sénégalais découle encore une fois du fait que la plupart des activités économiques prévues
par la loi na 82-07 précitée étaient exercées par des personnes de nationalité étrangère si
bien qu'il est apparu indispensable d'accroître la présence des nationaux dans ces secteurs
d'activités économiques. Dans cette perspective, on sait également que lorsque les
nationaux sénégalais s'installent dans l'exercice de ces activités économiques en
collaboration avec des étrangers dans le cadre d'une entreprise privée, un minimum de
35% du capital social de cette dernière doit être détenu par des personnes de nationalité
sénégalaise. Ce souci de nationalisation d'une importante partie du capital social est si
97
ardent que la règle instituant un minimum de 35 % du capital social est rétroactive
puisqu'elle s'applique non seulement aux nouveaux cabinets à créer mais aussi aux
cabinets d'affaires déjà existants(l).
Compte tenu des diverses formes de sociétés susceptibles d'abriter un capital social
au Sénégal(2), il serait intéressant de voir, pour chaque cas, dans quelle mesure la règle
instituant un minimum de 35 % du capital social au profit des nationaux sénégalais peut
leur conférer un contrôle efficace dans la gestion des affaires sociales.
La réponse à cette question nécessitera, tour à tour, l'examen de l'efficacité du
contrôle du capital social dans la société à responsabilité limitée (a) puis dans la société
anonyme Cb).
a -
Contrôle du capital social dans la société à responsabilité limitée
(SARL)
La nécessité du contrôle du capital social dans cette forme de société s'explique par
le fait que la prise de certaines décisions collectives extraordinaires, telles que les
modifications des statuts, requiert une fOlie majorité représentant, au moins, les trois quarts
du capital social(3). S'agit-il d'une minorité de blocage?
En tout cas, il convient de montrer que la règle instituant une détention du taux
minimal de 35 % du capital social par les personnes de nationalité sénégalaise peut remplir
la fonction de minorité de blocage. En effet, la minorité de blocage doit pouvoir jouer
lorsque c'est la modification des statuts de la société à responsabilité limitée qui est
envisagée(4). Dans cette perspective, une telle décision ne pourra être adoptée que
(1)
V. articles 19 et 20 de la loi n° 82-07 précitée.
(2)
V. supra p. 94. JI s'agit de la société à responsabilité limitée (SARL) et de la société anonyme
(SA).
(3)
V. article 1229 alinéa 1 du COCc.
(4)
V. art. 1228 du COCc.
98
lorsqu'elle est prise par les associés représentant, au moins, les trois quarts du capital
social(l).
L'importance d'une telle règle peut découler du rôle des statuts qui régissent l'acte
constitutif de
la
société(2)
et,
subséquemment,
la
répartition
du
pouvoir dans
l'organigramme de la société(3). De ce fait, il paraît normal que tout acte poursuivant
la modification de la répartition du
pouvoir, dans la société, puisse faire l'objet d'un
contrôle. En l'espèce, le contrôle prend la forme d'une minorité de blocage dans la mesure
où l'institution de la règle octroyant un capital minimal de 35 % aux associés sénégalais
est susceptible, par le jeu d'un calcul mathématique(4), de permettre à ces derniers de
s'opposer à une éventuelle modification des statuts.
Cette opposition s'impose, non seulement, aux associés étrangers, mais encore, aux
associés sénégalais. Ainsi, le caractère absolu de la législ'.ltion relative à la modification
des statuts peut s'autoriser de la règle en vertu de laquelle toute clause contraire est
réputée non écrite(S)
(1)
V. article 1229 alinéa 1 du COCC précité.
(2)
V. article 1187 du COCc.
(3)
Sur la notion de pouvoir, v. A. SAKHO, Les groupes de société et le droit (contribution à la
recherche sur la notion de pouvoir en Droit privé), Thèse de doctorat d'Etat, Dakar, 1993.
Adde en droit français, v. Emmanuel GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, Thèse, Paris II,
édition 1985.
(4)
En effet, si on convertit le taux de 3/4 en pourcentage, cela donne un résullat de 75 % qui
pourront être neutralisés par un taux de 35 %.
(5)
V. article 1229 du COCc.
99
Au surplus, cette règle corrobore l'assertion de Paul DURAND selon laquelle "le
droit des sociétés comporte trop de règles d'ordre public"(l). Il s'y ajoute que cette
règle d'ordre public est essentiellement de nature économique(2).
En définitive, on peut affirmer que la minorité de blocage est une technique qui
permet de contrôler le capital social puisqu'elle a pour finalité d'empêcher la prise de
l'importante décision relative à la modification des statuts et, par suite, de la répartition
du pouvoir dans la société à responsabilité limitée.
Cette affirmation peut-elle être soutenue à propos de la société anonyme?
b - Contrôle du capital social dans la société anonyme (S.A.)(3)
A l'instar de la société à responsabilité limitée, le contrôle du capital social dans
la société anonyme s'effectue par la minorité de blocage qui est une prérogative des
assemblées générales extraordinaires dans cette dernière société. Dans cette perspective,
leur compétence particulière et exclusive s'entend légalement, et d'une façon générale, de
la moditication des statuts dans toutes leurs dispositions(4). Il s'ensuit que cette
compétence des assemblées générales extraordinaires est d'ordre public puisque la volonté
des associés ne peut, en aucune manière, adopter une clause contraire qui sera réputée non
écritc(5).
(1)
En droit français: v. Paul DURAND, Le rôle des agents de l'autorité publique dans la formation
du contrat, Rev. triOl. dr. civ., 1948, p. 160.
(2)
A. SAKHO, op. cil. p. 120.
(3)
Sur les sociétés anonymes, v. Moussa SAMB, Droit des affaires. Sociétés anonymes et procédures
collectives d'apurement du passif. Editions Cheikh Anta DIOP, Presses Universitaires de Dakar
(P.U.D.), mai 1996.
(4)
Didier MARTIN, Droit civil et commercial sénégalais, NEA, 1982, Collection du Centre
international de formation de la Profession bancaire, n° 707, p. 171.
(5)
V. article 1307 alinéa 1 du COCc.
100
Cette prérogative de la minorité de blocage s'exprime surtout à travers la règle
instituant une majorité des deux tiers des voix nécessaire à l'adoption de la modification
des statuts(l).
L'importance des statuts a été déjà précédemment soulignée(2). Il s'agit, à
présent, de voir dans quelle mesure la règle instituant la détention d'un taux minimal de
35 % au profit des nationaux sénégalais, dans le capital social des sociétés anonymes, est
de nature à assurer un contrôle dudit capital social. Dans cette optique, une analyse
mathématique des différents taux(3) révèle que les associés sénégalais sont en mesure
d'avoir une prise de contrôle dans le capital de la société anonyme. Encore qu'ils soient
minoritaires, cela n'empêche pas qu'ils puissent s'opposer à une décision fondamentale
intéressant la vie de la société. Ce qui fait, en définitive, que la règle instituant une
détention d'un taux minimum de 35 % du capital social au profit des nationaux sénégalais
est suffisante et, surtout, rendue nécessaire par la minorité de blocage qu'elle confère à ces
derniers qui contrôlent, de ce fait, le capital social de la société anonyme.
Encore que le chiffre de 35 % ne soit qu'un seuil minimal de contrôle susceptible
d'être dépassé(4), il se révèle insuffisant au regard de la règle de la majorité simple
postulant 50 % pour la prise de toutes les décisions ordinaires.
(1)
V. article 1307 dernier alinéa du COCc.
(2)
V. supra p. 98.
(3)
Par exemple, si on prend un capital de 100 %, les 2/3 dudit capital représentent 66,666 % pour
atteindre la majorité requise pour modifier les statuts de la société anonyme. Il en résulte qu'un
taux de 35 % est suffisant pour contrecarrer la décision. Ce qui constitue une minorité de blocage.
(4)
V. exposé des motifs de la loi n° 82-07 du 30 juin 1982 précitée. "Le projet de loi prévoit... que
35 % au moins du capital social des cabinets d'affaires existant devront être détenus par des
personnes physiques ou morales de nationalité sénégalaise".
101
B - Insuffisance du contrôle du capital social par les nationaux sénégalais
La règle instituant le privilège de la détention d'au moins 35 % du capital social
au bénéfice des associés sénégalais ne permet pas d'assurer un contrôle efficace du capital
social lorsque, du moins, la prise de décision concerne des affaires sociales relevant de la
gestion courante. Ces dernières étant généralement soumises à la règle de la majorité
simple, il en résultera une insuffisance du contrôle du capital social aussi bien dans la
société à responsabilité limitée (a) que dans la société anonyme (b).
a -
Insuffisance du contrôle du capital social dans la société à
responsabilité limitée
Lorsqu'ils ne sont pas gérants dans la société à responsabilité limitée, les associés
n'en ont pas moins des droits(l) dont le principal est la participation à la réunion en
assemblée(2). Dans cette perspective, lorsque l' ordre ~u jour de la réunion appelle
l'examen d'une décision collective ordinaire(3), son adoption est subordonnée à la règle
de la majorité simple qui implique l'accord de plusieurs associés représentant plus de la
moitié du capital social(4).
(1)
Sur cette question, v. en droit français: Charles CHOUKROUN, Les droits des associés non
gérants dans les sociétés à responsabilité limitée, Bibliothèque de droit privé, Tome III, Paris,
1957.
(2)
V. art. 1216 et suivants du COCc.
(3)
V. art. 1223 COCC : Définition (Décisions collectives ordinaires) : "Les décisions collectives
ordinaires sont celles qui ont pour but de statuer sur les comptes de l'exercice écoulé, d'autoriser
la gérance à effectuer, les opérations subordonnées dans les statuts à l'accord préalable des
associés, de procéder à la nomination et au remplacement des gérants et, le cas échéant, des
commissaires aux comptes, d'approuver les conventions intervenues entre la société et l'un des
gérants ou associés et, plus généralement, de statuer sur toutes les questions qui n'entraînent pas
modification des statuts".
(4)
V. art. 1224 COCC alinéa 1.
102
L'obtention d'une telle majorité simple paraît d'autant plus aisée que chaque associé
dispose d'un nombre de voix égal à celui des parts sociales qu'il possède(1). La force
d'une telle règle peut se mesurer au degré de la sanction de sa méconnaissance dans la
mesure où elle est une règle fondamentale insusceptible de dérogation statutaire dans la
société à responsabilité limitée(2). Il s'ensuit que toute clause contraire sera réputée non
écrite(3).
En définitive, l'application de la règle de la majorité simple pour la prise des
décisions collectives ordinaires ayant pour effet de les faire adopter grâce à plus de 50 %
du capital social dans la société à responsabilité limitée, l'on se rend compte,
subséquemment, de l'insuffisance de la règle instituant une détention du taux minimal de
35 % du capital social devant être détenu par les associés de nationalité sénégalaise.
S'agissant alors d'une société anonyme, ne peut-on pas aboutir à une conclusion
identique?
b - Insuffisance du contrôle du capital social dans la société anonyme
Cette insuffisance provient de la règle accordant des pouvoirs à l'assemblée
ordinaire dont les compétences s'étendent à toutes les décisions autres que celles dévolues
à l'assemblée extraordinaire(4). Il s'ensuit que pour les décisions ordinaires(5) pour
(1)
V. art. 1221 alinéa 1 COCc.
(2)
Didier MARTIN. op. cit.n° 770, p. 184.
(3)
V. art. 1221 alinéa 5 du COCc.
(4)
V. supra p. 99.
(5)
V. à ce sujet, D. MARTIN, op. cit.n° 705, p. 170 et n° 706, p. 171.
Selon l'auteur, "l'assemblée générale ordinaire désigne les administrateurs et les commissaires aux
comptes ; elle peut les révoquer.
En outre, elle fixe leurs droits à rémunération. Elle est aussi chargée de contrôler les comptes
sociaux et cQrrélativement d'en affecter les résultats bénéficiaires éventuels...
Elle délibère sur tous les points soumis, par les statuts, à son examen (ex. : autorisation
d'emprunt).
103
lesquelles il est attribué compétence exclusive à l'assemblée ordinaire, cette dernière statue
à la majorité des voix exprimées(1).
Par suite, la règle instituant une telle majorité simple permet de dépasser largement
le taux minimal de 35 % du capital social devant être détenu nécessairement par les
nationaux sénégalais dans les sociétés anonymes entrant dans notre perspective.
En somme, un important volet de la vie sociale va ainsi échapper au contrôle des
associés sénégalais dans la mesure où la fraction minimale du capital social, détenue par
eux, est insuffisante pour contrôler le capital social.
En conclusion, l'efficacité du contrôle du capital social par les nationaux sénégalais,
dans les entreprises rentrant dans notre perspective, dépend de la nature de la décision
1
collective à prendre. Ainsi, notre étude vient de révéle: que si ce contrôle est efficace,
lorsqu'il s'agit d'adopter une décision collective extraordinaire nécessitant généralement
une majorité qualifiée ; par contre, il devient insuffisant lorsque l'ordre du jour de la
réunion appelle l'examen d'une décision collective ordinaire concrétisée par une majorité
simple des voix.
Par conséquent, ce qu'il eût fallu faire, c'eût été de porter le montant minimal de
la fraction du capital, devant être nécessairement détenue par les nationaux sénégalais, à
50 %, ce qui aurait été plus efficace dans le contrôle du capital social tant pour la prise
d'une décision extraordinaire que pour l'adoption d'une décision collective ordinaire.
Enfin, "1'assemb1ée générale ordinaire a compétence pour se prononcer sur une question pratique
très importante: les conventions justiciables de l'article 40 de la loi du 24 juillet 1867 (actuel
article 1263 COCC)".
Sur cette dernière question, v. observations A. SAKHO sous Cour d'Appel de Dakar, VAN LUL
cl IPAFRIC,n° 271 du 23 juin 1978 in Revue EDlA, n° 7, novembre 1987, pp. 12,à 17.
(1)
V. art. 1309 alinéa 3 COCc.
104
De surcroît, cela aurait ffileux reflété l'idée de la recherche d'un pouvoir de
direction par les nationaux sénégalais légalement promus à la gérance de la société.
II -
RECHERCHE D'UN POUVOIR DE DIRECTION PAR LES NATIONAUX
SENEGALAIS(l)
La recherche d'un pouvoir de direction par les nationaux peut être conçue comme
la politique visant à placer les associés sénégalais au coeur des centres de décision des
cabinets d'affaire. Cette quête paraît d'autant plus compréhensible que des nationaux
sénégalais peuvent être associés avec des personnes jouissant du bénéfice de la réciprocité
législative pour l'exercice d'activités économiques au Sénégal. Dans cette optique, la
volonté étatique consistant à promouvoir une direction nationale des cabinets d'affaires
rejoint la préoccupation du Président SENGHOR selon laquelle il faut préconiser la
sénégalisation des postes de direction(2). Cette politique ~e promotion s'exprime dans
les cabinets d'affaires, entrant dans notre perspective, à deux égards.
D'abord, au niveau de la direction de l'entité'sociétaire, lorsqu'elle est assurée par
un gérant ou un mandataire, ceux-ci sont astreints à l'exigence de la nationalité
sénégalaise(3).
Ensuite, au niveau de la direction de certaines annexes de l'entreprise comme
l'établissement, la succursale, l'agence de bureau, les associés assumant cette mission
doivent également satisfaire à l'exigence de la nationalité sénégalaise(4).
(1)
Sur la recherche d'un pouvoir de direction, v. en droit français, RJPERT et ROB LOT, L.G.DJ.,
Tome J, 13ème édition, n° 1699, p. 1192.
(2)
Voir Rapport de politique générale au 7ème Congrès de l'Union Progressiste Sénégalaise (U.P.S.)
du 27 au 30 décembre 1969.
(3)
Voir articles 4 et 5 de la loi nO 87-07 du 30 juin 1982 précitée et article 8 alinéa 4 du décret n°
82-731 du 22 septembre 1982 précité.
(4)
V. art. 4.1 et article 5 alinéa 2 de la loi n° 82-07 précitée.
105
En définitive, on peut dire que l'exigence de la nationalité sénégalaise est un moyen
qui permet d'assurer un pouvoir de direction par les nationaux dans la mesure où, dans
tous les schémas d'entreprise (entreprise unitaire ou divisée en annexe), les associés de
nationalité sénégalaise doivent être choisis comme dirigeants.
En conclusion, nous venons de démontrer que l'exigence de la nationalité
sénégalaise, comme condition d'accès à une activité économique, puis comme moyen de
contrôle d'une activité économique, est un facteur de négation du principe de l'égalité des
acteurs économiques, ce qui apporte une réponse positive à notre problématique de départ,
à savoir que la négation du principe d'égalité admet effectivement un domaine l'atione
personae. Il s'y ajoute que la négation du principe d'égalité des acteurs économiques est
inspirée par un souci de nationalisation d'importants secteurs économiques.
Cette politique de promotion d'une initiative pri~éc nationale s'explique et se
justifie, alors, au nom des impératifs d'un ordre public économique qui cherche à orienter
et à diriger l'activité économique par des nationaux. Il s'ensuit que seuls les nationaux
peuvent accéder à certaines acti vités économiques et en contrôler l'exercice.
La nécessité de diriger l'activité économique a revêtu des exigences telles que la
négation du principe d'égalité est intervenue dans le domaine des actes juridiques. Ainsi,
lorsque l'Etat entretient des relations d'affaires avec un autre partenaire, il s'agira de
montrer que la technique du contrat administratif est un élément de remise en cause
fondamentale du principe classique de l'égalité contractuelle.
SECTION II - LA NEGATION DU PRINCIPE D'EGALiTE CONTRACTUELLE
Cette négation du principe d'égalité découle de la participation d'une personne
publique (Etat, collectivités locales, établissements publics) à l'activité contractuelle. Ce
qui donne naissance à un contrat passé par une personne publique ou pour son compte et
soumis à la compétence et au droit administratifs soit par disposition expresse de la loi,
105
En définitive, on peut dire que l'exigence de la nationalité sénégalaise est un moyen
qui permet d'assurer un pouvoir de direction par les nationaux dans la mesure où, dans
tous les schémas d'entreprise (entreprise unitaire ou divisée en annexe), les associés de
nationalité sénégalaise doivent être choisis comme dirigeants.
En conclusion, nous venons de démontrer que l'exigence de la nationalité
sénégalaise, comme condition d'accès à une activité économique, puis comme moyen de
contrôle d'une activité économique, est un facteur de négation du principe de l'égalité des
acteurs économiques, ce qui apporte une réponse positive à notre problématique de départ,
à savoir que la négation du principe d'égalité admet effectivement un domaine ratione
personae. Il s' y ajoute que la négation du principe d'égalité des acteurs économiques est
inspirée par un souci de nationalisation d'importants secteurs économiques.
Cette politique de promotion d'une initiative pri~ée nationale s'explique et se
justifie, alors, au nom des impératifs d'un ordre public économique qui cherche à orienter
et à diriger l'activité économique par des nationaux. Il s'ensuit que seuls les nationaux
peuvent accéder à certaines activités économiques et en contrôler l'exercice.
La nécessité de diriger l'activité économique a revêtu des exigences telles que la
négation du principe d'égalité est intervenue dans le domaine des actes juridiques. Ainsi,
lorsque l'Etat entretient des relations d'affaires avec un autre partenaire, il s'agira de
montrer que la technique du contrat administratif est un élément de remise en cause
fondamentale du principe classique de l'égalité contractuelle.
SECTION II - LA NEGATION DU PRINCIPE D'EGALITE CONTRACTUELLE
Cette négation du principe d'égalité découle de la participation d'une personne
publique (Etat, collectivités locales, établissements publics) à l'activité contractuelle. Ce
qui donne naissance à un contrat passé par une personne publique ou pour son compte et
soumis à la compétence et au droit administratifs soit par disposition expresse de la loi,
107
Cette dérogation est sous-tendue par un principe fondamental qui est celui de la continuité
du service public qui explique la négation du principe de l'égalité contractuelle tel qu'il
résultait de la conception classique de l'autonomie de la volonté(l) régissant la matière
des contrats(2). C'est dans cette perspective que nous allons essayer de voir si
l'intervention de l'administration publique dans l'activité contractuelle n'est pas un facteur
de négation du principe d'égalité contractuelle. Si oui, la négation du principe d'égalité
contractuelle n'est-elle pas soutenue, en outre, par des motifs impérieux d'ordre public
économique au service du développement?
La réponse à cette double interrogation tient compte de l'existence, au plan
normatif, de règles inspirées par des prérogatives de puissance publique(3) qui
entraînent, du coup, une nouvelle approche des techniques contractuelles employées par
l'administration dans le cadre de ses rapports avec ses partenaires. Dans cette optique, la
constatation selon laquelle l'administration bénéficie essentiellement d'un pouvoir de
direction du contrat est assez significative de la négation de l'égalité contractuelle qui
emprunte, alors, un caractère total (Sous-Section 1).
Cependant, un tel pouvoir de direction sera assoupli dans la mesure où le législateur
veille particulièrement à la préservation des droits du cocontractant de l'administration qui
pourra solliciter ct obtenir une compensation financière. Cet assouplissement du pouvoir
(1)
Sur cette question. v. Jean Pierre TOS!, Droit des Obligations au Sénégal. NEA-LGDJ. 1981. p.
46.
En droit français. E. GOUNOT, Le principe de l'autonomie de la volonté en droit privé, Thèse,
Dijon. 1912, p. 419.
(2)
Voir dans ce sens. Cour d'Appel de Dakar na 41 du 19 janvier 1979, Société Blanchisserie du
Cygne contre Pierre HOUGET.
(3)
V. article 14 du COA : "Est exorbitante du droit commun la clause inspirée par les nécessités
particulières qu'impose la réalisation de l'intérêt général poursuivi par le service public".
Article 15 dU CGA : Critère du caractère exorbitant de la clause.
Alinéa ler : "il résulte de la rupture de l'égalité contractuelle au profil de l'un des contractants".
Alinéa 3 : "il résulte de l'inclusion d'une règle spécifique du régime juridique des contrats
adntinistrati fs".
,_.a.~.S\\dilJ.4%..a~:u:
108
de direction du contrat fait donc que la négation de l'égalité contractuelle présente
également un caractère partiel (Sous-Section II).
Sous-Section 1 - NEGATION TOTALE DE L'EGALITE CONTRACTUELLE
Le caractère total de la négation de l'égalité contractuelle découle des principes
généraux gouvernant la matière des contrats administratifs qui sont essentiellement
caractérisés par un pouvoir de direction de l'administration. Un tel pouvoir de direction
sera concrètement mis en relief à travers l'exemple des techniques de marchés publics dont
le choix se justifie non seulement par leur importance numérique(1) mais encore et
SUltout par le fait que la matière fait l'objet d'une réglementation minutieuse et
partic ul ière(2).
En somme, il s'agira d'étudier ces principes généraux ~t leur application particulière
dans la négation totale de l'égalité contractuelle selon les trois phases classiques du contrat
administratif, à savoir sa passation (1), son exécution (II) et sa cessation (III).
1 - PHASE DE PASSATION DU CONTRAT ADMINISTRATIF
La formation du contrat administratif obéit rigoureusement à un formalisme justifié
par le fai t que l'autorité administrati ve engage juridiquement et fi nancièrement la personne
publique. Aussi bien, les stipulations du contrat sont définies par l'administration à travers
des cahiers de charges auxquels le contractant de l'administration est tenu de se soumettre.
Cette soumission a pour conséquence de créer des contrats d'adhésion(3) constituant
(1)
A. BOeKEL, op. cit. p. ]90.
(2)
V. supra. p. 106 note 5.
(3)
A. BOeKEL, op. cit. p. 202.
109
une forme de contrat dirigé(l), ce qUI constitue une remIse en cause du principe
d'égalité contractuelle que l'on peut constater essentiellement dans les principes généraux
qui gouvernent cette phase de passation du contrat administratif CA).
Au surplus, un tel déséquilibre pourra être constaté à travers le cas particulier de
la passation des marchés publics (B).
A - Les principes généraux
Ils sont essentiellement caractérisés par l'aménagement de règles strictes en vue de
l'élaboration de la procédure de choix du cocontractant de l'administration Ca) et de la
sanction de la violation des conditions d'engagement de la volonté
administrati ve (b).
a - Procédure de choix du cocontractant de l'administration
La formation du contrat administratif est assez caractéristique de la négation totale
de l' égali té contractuelle justifiée par le caractère exorbitant des clause-types(2). En
effet, malgré l'existence d'un accord de volonté qui postule l'expression d'un
consentement du cocontractant de l'administration(3), celui-ci n'a, du fait de la
rédaction unilatérale des clauses du contrat, le loisir que d'accepter ou de refuser de
signer(4) les différentes modalités de passation que sont l'adjudication publique(S),
l'appel d'offres(6) et le marché de gré à gré(7).
(1)
V. en droit français, Louis JOSSERAND, Le contrat dirigé, Dalloz Hebdomadaire, 1933,
Chronique p. 89.
(2)
V. article 15 alinéas 1 et 3 du COA : ce texte est reproduit à la page 107 note 3.
(3)
V. article 42 du COA.
(4)
A. BOCKEL, op. cit. p. 202.
(5)
V. article 24 ct suivants du COA.
(6)
V. article 35 du COA.
110
Dans tous ces cas, la procédure de choix du cocontractant de l'administration traduit
un pouvoir de direction du contrat que l'on peut percevoir également dans la sanction de
la violation des conditions d'engagement de la volonté administrative.
b -
Sanction de la violation des conditions d'engagement de la
volonté administrative
Elle est caractérisée surtout par la nullité du contrat administratif(l). Aussi bien,
cette sanction peut porter atteinte aux droits du partenaire de l'administration si, de bonne
foi, il a conclu un contrat irrégulier par suite d'une eneur imputable à l'administration:
dès lors que cette dernière invoque cette erreur, ce qu'elle peut faire à tout moment, le
juge est obligé de constater la nullité du contrat, et par suite d'admettre l' absence de tout
engagement ou de toute responsabilité contractuelle de la personne publique(2).
Dans tous les cas, il s'ensuit un déséquilibre contractuel que l'on peut percevoir
surtout, avec plus de netteté, à travers les cahiers de charges qui fixent les conditions
générales et particulières du marché public(3).
B - Application particulière aux marchés publics
Certes, la formation du contrat de marché public fait intervenir également
l'expression d'un consentement du co-contractant de l'administration dans les différentes
modalités de passation que sont l'adjudication publique ou restreinte ou sur coefficient;
(7)
V. article 36 du COA.
(1)
V. articles 18, 22 et 47 du COA.
Pour une application, V. Cour d'Appel de Dakar, 24 mars 1972, Etat du Sénégal cl BERRAZ,
Rec. ASERJ, 1972, l, p. 21 et Annales Africaines 1975, p. 62.
Doct. V. A. BOCKEL, Des contrats des personnes publiques et les règles de la comptabilité
publique, Ann. Afric. 1974, p. 43.
(2)
Doct. V. A. BOCKEL, Manuel précité, p. 197.
(3)
A. BOCKEL, op. cit. p. 202.
III
l'appel d'offres et l'entente directe. Cependant, il est remarquable de constater que, dans
tous
les
cas,
la négation
de l'égalité contractuelle demeure consommée entre
l'administration et son cocontractant qui n'a d'autre solution que de soumissionner des
offres devant répondre aux conditions fixées par les cahiers des charges qui contiennent,
la plupart du temps, des dispositions réglementaires(l). Il en résulte que tous les
concurrents sont obligés d'accepter les conditions générales qu'on peut assimiler à un
statut(2) ayant pour objet de faciliter la réglementation par voie administrative de
véritables contrats de droit civil ou de droit commercial(3).
En définitive, on peut dire que, dans la phase de passation du contrat administratif,
la négation de l'égalité contractuelle entre l'administration et son cocontractant peut revêtir
un caractère total dans la mesure où ce dernier reste soumis à un pouvoir de direction du
contrat ayant pour objet la dotation de moyens nécessaires au fonctionnement du service
public en vue de la satisfaction des besoins économiques et sociaux de la population.
Cette idée de pouvoir de direction du contrat peut-elle soutenir la négation de
l'égalité contractuelle dans la phase de l'exécution du contrat administratif?
II - PHASE DE L'EXECUTION DU CONTRAT ADMINISTRATIF
La négation de l'égalité contractuelle sera mise en exergue, au cours de celte phase,
par une étude des principes généraux qui gouvernent l'exécution du contrat administratif
(A) dont il convient de voir une application particulière par l'exemple des techniques de
marchés publics (B).
(1)
V. article 44 du décret n° 82-690 du 7 septembre 1982 précité.
(2)
En droit français, v. G. FARJAT, L'ordre public économique, LGDJ, Paris, 1963, n° 244, p. 194.
(3)
En droit français, v. Jacques LEAUTE, Les contrats-types, Rev. trim. dr. civ., 1953, p. 431.
112
A - Les principes généraux
La règle selon laquelle le contrat légalement formé crée entre les parties un lien
irrévocable n'a jamais été contestée. Une telle règle a été d'abord formulée par le droit
français (article 1134 du Code civil) et sera, par la suite, reprise par le législateur
sénégalais (article 96 du COCC). De ce principe législatif, il résulte naturellement que
l'économie du contrat ne saurait être bouleversée par la volonté d'un seul contractant(l).
Or, en fait de contrat administratif, il en est autrement, puisque les nécessités du
service public, par suite de l'intérêt général, ont conduit la jurisprudence administrative
française(2), relayée par le législateur sénégalais à adopter, dans le Code des
Obligations de l'Administration, un ensemble de règles dérogatoires au droit commun des
contrats.
Ce
qui
a
conféré
une
autonomie
au
régime
juridique
du
contrat
administratif(3). Cette autonomie s'est traduite, encor~ aujourd'hui, au plan de la
négation totale de l'égalité contractuelle, par la reconnaissance à l'administration d'un droit
de révision unilatérale du contrat (a) qui lui confère le pouvoir de modifier le contrat sans
le consentement de son partenaire(4) qui n'en est pas moins tenu de se conformer à la
volonté de l'administration(S). Il s'ensuit une sujétion imposée au partenaire de
(1)
G. RIVES, Théorie générale des Obligations en droit sénégalais, Rev. sén. de dr., 1969, n° 6, pp.
33 et suiv.
(2)
En droit français, v. C.E. 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du Gaz de Deville-Les-Rouen,
Rec. p. 5 ; C.E. 12 mai 1933, Compagnie générale des Eaux, Rec. p. 508 ; C.E. 21 mars 1910,
Compagnie générale des Tramways, Rec. p. 216 : S. 1911.11, p. 1, note HAURIOU ; D.1912.III,
p.49.
(3)
Voir la célèbre affaire BLANCO, T.c' 9 février 1873, GAJA n° J.
Doel. V. A. BOCKEL, op. cil. p. 211.
(4)
En droit français,
v.
A.
De LAUBADERE, Du pouvoir de l'administration d'imposer
unilatéralement des changements aux dispositions des contrats administratifs, Revue de Droit
public, 1954, p. 36.
(5)
En droit français, v. Louis JOSSERAND, Le contrat dirigé, Dalloz Hebdomadaire, 1933,
Chronique, p. 89.
Adde Jacques LEAUTE, Les contrats types, Revue trimestrielle de Droit civil, 1953, pp. 429 à
460, voir spéc. p. 431, n° 3.
113
l'administration qui s'applique aussi à travers l'existence d'un droit de contrainte au profit
de l'administration. En effet, cette dernière peut obliger son cocontractant à poursuivre ses
obligations malgré la survenance d'événements qui auraient pu suspendre, sinon mettre fin
aux obligations des parties dans le droit commun des obligations. D'où la reconnaissance
d'un droit de contrainte à l'administration (b).
a -
Reconnaissance d'un droit de révision unilatérale du contrat au
profit de l'administration
Le droit de révision du contrat est posé dans son principe par l'art. 97 du Code des
Obligations civiles et commerciales (COCC) qui dispose que "le contrat ne peut être révisé
que du consentement mutuel des parties ou pour les causes prévues par la loi".
Il découle de cette règle que le juge ne peut modifier le montant des obligations
créés par un contrat civil ou commercial(l).
Cette règle plus que séculaire, a été affirmée de manière constante(2) par une
jurisprudence inaugurée depuis la célèbre affaire du Canal de Craponne(3). Mais cela
n'a pas empêché que la règle ait suscité une réserve en doctrine. Ainsi, si M. TOSI ne
conteste pas le fondement théorique de la règle qui repose sur la stabilité du contrat, par
contre, il n'a pas manqué de souligner son caractère malheureux(4). Un tel caractère
malheureux paraît être pris en compte par M. SERIAUX qui soulève une objection relative
(1)
J.P. TOSI, op. cil. n° 411, p. 148.
(2)
En droit français, v. civ. 6 juin 1921, D.P.I, p. 73 ; S.1921.1, p. 193 ; Com. 18 janvier 1950,
0.1950, p. 227 ; Com. 18 décembre 1979, Bull. civ. IV, n° 339.
(3)
En droit français, v. civ. 6 mars 1876, D.P. 1876.1., p. 193 ; S.1876.1, p. 161.
Voir dans le même sens, Civ. 9 janv. 1856, 3 arrêts, D.P. 1856.1, p. 100 - Contrats de
remplacement militaire rendus plus onéreux par la survenance de la guerre de Crimée.
(4)
J.P. TOSl, op. ciL, ibidem.
114
à l'aspect aigu de la règle pour les contrats dont l'exécutioG s'étend sur une longue
durée(1).
Cependant, l'objection de M. SERIAUX ne l'a pas conduit, à l'instar de M. TOSI,
à proposer une révision judiciaire du contrat pour imprévision qui serait souvent un moyen
de sauver le contrat, de détourner la partie pour qui, il est devenu trop onéreux, de le
dénoncer unilatéralement(2).
En effet, M. SERIAUX a plutôt adopté, sans ambages, la solution de la loi
contractuelle qui doit être maintenue à tout prix(3). Il s'ensuit le rejet de la solution qui
consisterait à reconnaître aux pouvoirs publics la possibilité de conférer aux juges un
pouvoir général de révision des conventions manifestement déséquilibrées(4).
Une telle solution adoptée par M. SERIAUX emport~ notre adhésion pour la raison
essentielle qu'elle permet d'assurer la stabilité du contrat(5) sans laquelle ce dernier sera
soumis au caprice de la volonté des contractants.
L'analyse des règles relatives au droit de révision unilatérale du contrat a vocation
à s'appliquer au contrat administratif dans la mesure où ce dernier est régi pour certaines
de ses règles(6), par le droit conunun des contrats.
(1)
En droit français, v. Alain SERIAUX, Droit de Obligations, PUF, Collection Droit Fondamental,
1992. n° 46, p. 171.
(2)
J.P. TOSI, op. cit., n° 414, p. 148.
(3)
En droit français, v. A. SERIAUX, op. cit. nO 411, p. 148.
(4)
A. SERI AUX, op. cit. n° 46, p. 173.
(5)
A. SERIAUX, op. cit. nO 46, p. 173.
(6)
Ce sont les règles de passation du contrat telles que l'objet, la cause... , v. A. BOCKEL, op. cit.,
pp. 192 et 210.
115
La référence aux règles du droit commun des contrats révèle l'existence de causes
prévues par la loi pour permettre la révision du contrat (art. 97 COCC). A cet égard, il
convient de montrer que la loi portant sur le Code de l'Administration (COA) constitue
l'une des exceptions permettant la révision unilatérale du contrat par l'administration
lorsque, du moins, l'accord de volonté passé entre l'administration et son partenaire rentre
dans le champ de qualification du contrat administratif(1). Dans cette perspective,
l'administration peut, en dehors de toute disposition légale et contractuelle, modifier les
stipulations d'un contrat (art. 109 COA).
L'importance de cette règle est telle qu'un auteur a pu affirmer, avec juste raison,
qu'elle permet à l'administration de modifier unilatéralement les engagements souscrits
tout en mettant directement en cause le caractère obligatoire du contrat et le principe
d'immutabilité, pièces essentielles de la théorie générale des contrats(2). Une telle
dérogation au droit commun des contrats ne peut-elle pa~ être justifiée par des raisons
économiques ?
Si l'on tient compte des objectifs visant à satisfaire les besoins économiques et
sociaux de la population, on peut penser qu'une pareille mission des pouvoirs publics doit
être compatible avec un pouvoir de direction du contrat. Aussi, lorsque les hesoins du
public se sont modifiés soit par la quantité(3) soit par la qualité(4), l'administration
(1)
En effet "il peut se faire que l'administration (...) se place volontairement dans les conditions du
public, soit en passant un de ces contrats de droit commun d'un type nettement déterminé par le
Code ci vil C..), soit en effectuant une de ces opérations courantes que les particuliers font
journellement (...)".
V. en droit français, conclusions ROMIEU sous l'arrêt TERRIER du 6 février 1903, Sirey,
1903.3., p. 25.
(2)
A. BOCKEL, op. cit. pp. 213 et 214.
(3)
Il apparaît que lorsque les besoins de la population s'accroissent, l'administration peut modifier
les stipulations contractuelles. Tel est le cas lorsque l'administration prescrit à son partenaire
d'augmenter le nombre convenu de rames de tramways comple tenu de l'évolution des besoins
publics: en droil français, v. c.E. 22 ITIars 1910, Cie générale des Tramways, Rec. 216,
Conclusion BLUM; S. 1911.3.1, concl. BLUM, nOle HAURJOU; 0.19/2.3, p. 49. concl. BLUM
; R.D.P. 1910, p. 270, nole JEZE ; GAJA n° 25.
116
doit pouvoir adapter le contrat aux nouvelles eXlgences du servlce ou bien modifier
unilatéralement le contrat. En effet, l'administration étant le creuset de l'intérêt général,
elle ne saurait sOe désintéresser de la gestion d'un service public bien qu'elle soit confiée
à un partenaire privé. L'implication de l'administration sera d'autant plus nécessaire dans
un droit du développement que toutes les règles élaborées à cette fin constituent des
instruments au service du développement économique et social.
En définitive, on peut dire que le pouvoir d'adqpter le contrat aux exigences du
service public et le pouvoir de modifier unilatéralement le contrat sont des manifestations
positives de la reconnaissance d'un droit de révision unilatérale du contrat par
l'administration qui constitue alors, un régime dérogatoire au principe de l'interdiction de
1a révision du contrat posé par l'art. 97 COCc.
Au surplus, cette dérogation est sous-tendue valable!Dent par des motifs impérieux
d'ordre public économique au service d'un droit du développement. Une telle affirmation
peut-elle être soutenue dans l'hypothèse où l'administration exerce un droit de contrainte
sur son partenaire?
b - Reconnaissance d'un droit de contrainte à l'administration
Pour mieux faire ressortir l'autonomie du droit administratif, il est fait appel à des
solutions particulières lorsque des difficultés surviennent lors de l'exécution du contrat
liant une personne publique à son partenaire. La solution essentielle est celle qui tient
compte des
nécessités du
service public pour contraindre le cocontractant de
l'administration qui ne saurait, alors, se libérer normalement de ses engagements, suite à
un événement émanant de l'autorité administrative ou indépendante de sa volonté(l).
(4)
La modification par la qualité peut résulter du progrès technique. Dans ce cas, l'administration
peut demander à son partenaire d'adapter ses prestations à un changement technique. Voir à ce
sujet la condamnation d'un cocontractant de l'administration ayant refusé d'adapter ses prestations
de gaz inadaptées suite au développement de l'usage de l'électricité: en droit français, v. C.E. 10
janvier 1902, Cie nouvelle du Gaz de Deville-Les Rouen précité, pllLnote..2
(1)
. A. BOCKEL, op. cil. p. 217.
117
Parmi ces événements, le fait du prince(l), la théorie de l'imprévision(2) et
la théorie des sujétions imprévues constituent ce qu'il est convenu de désigner par
l'influence des fai ts nouveaux sur le contrat administratif(3). Il s'agira de voir, alors,
dans quelle mesure ces solutions particulières du droit administratif ont permis de nier le
principe de l'égalité contractuelle. A cet égard, la réponse à cette question révèle
l'existence d'une constante qui se dégage à travers la reconnaissance d'un droit de
contrainte de l'administration sur son contractant qui est tenu de poursuivre l'exécution du
contrat(4) et aux effets du bouleversement de l'imprévision sur le contrat(5).
En revanche, ]' admission de l'obligation de poursuivre l'exécution du contrat paraît
trouver un appui.1égal en dehors de l'art. 117 du CGA qui ne concerne pas la théorie du
fait du prince(6). En effet, du silence des textes qui se bornent à préciser que le
cocontractant a droit à une indemnité couvrant l'intégralité du préjudice subi(7), on peut
en déduire que, c'est parce qu'il est obligé de poursuivre .l'exécution du contrat qu'il est
accordé au cocontractant de l'administration une indemnité compensatrice.
L'influence de faits nouveaux sur le contrat administratif paraît participer d'une idée
de direction du contrat dans la mesure où elle permet à l'administration de fïxer des
(1)
V. art. 113 à 116 du COA.
Selon M. BOCKEL, "c'est une expression imagée introduite par la doctrine pour couvrir les
situations nouvelles résultant d'une intervention administrative extracontractuelle, c'est-à-dire
exercée en dehors des stipulations contenues, et modifiant les conditions d'exécution du contrat",
v. A. BOCKEL, op. cil. p. 218.
(2)
Sur cette question, v. en droit français, R. AUBERT, L'imprévision dans les concessions de
service public, 1926. Adde De SOTO, Imprévision et économie dirigée, lCP 1950.1, p. 817 ; A.
BOCKEL, op. cil., pp. 220 à 222.
(3)
A. BOCKEL, op. cit. p. 217 et suiv.
(4)
V. arl. 117 du CO A.
(5)
V. art. 127 du COA.
(6)
A. BOCKEL, op. cil. p. 220.
(7)
V. articles 113, 115 et 116 du COA.
118
injonctions à son cocontractant qui est tenu de poursuivre l'exécution du contrat. Cette
obligation se justifie certainement par le souci d'assurer la continuité du service public
auquel collabore le partenaire de l'administration.
En effet, la discontinuité du service public pouvant constituer lin obstacle à la
satisfaction des besoins économiques et sociaux de la population, il devient normal que les
principes classiques d'égalité régissant la matière des contrats soient remis en cause
lorsque, du moins, les intérêts publics sont en jeu. Il s'ensuit que l'influence des faits
nouveaux sur l'exécution du contrat administratif est un facteur de négation de l'égalité
contractuelle que l'on peut surtout constater à travers l'unilatéralité de la règle contenue
dans l'art. 117 du COA ; ce qui rejoint, finalement, l'assertion de M. FARJAT selon
laquelle la règle d'ordre public économique est souvent ouvertement partisane(l). Ce
caractère unilatéral explique, en outre, une volonté de direction du contral par les pouvoirs
publics sénégalais dans leur entreprise de promotion d'un ~roit du développement où les
théories du fait du prince et de l'imprévision doivent occuper une place essentielle(2).
En définitive, l'influence des faits nouveaux sur l'exécution du contrat administratif
aboutit à la reconnaissance d'un droit de contrainte à l'administration qui dispose ainsi
d'un pouvoir de direction d'un contrat dont le but poursuivi est la satisfaction des besoins
économiques et sociaux de la population dont on cherche à promouvoir le développemenl.
Il s'agit, à présent, d'étudier cette négation du principe d'égalilé contractuelle en
l'appliquant par l'illustration de l'exemple des marchés publics.
(1)
En droit français, v. Gérard FARJAT, L'ordre public économique, Thèse, LGDJ, Paris, 1963" n°
108, p. 91.
(2)
Jean ARCHAMBAUD, Contribution à J'étude de problèmes spécifiques du droit sénégalais des
marchés de travaux publics, Thèse de doctorat d'Etat soutenue à Dakar en 1977, p. 144. Selon
J'auteur, "Les théories du fait du prince et de l'imprévision sont mues en Afrique par des
impératifs liés au développement".
119
B - Application particulière aux marchés publics
Dans la phase de l'exécution du marché public, il apparaît que c'est l'exigence de
garanties financières et techniques(l) qui marque essentiellement la négation du principe
d'égalité contractuelle entre l'administration et son cocontractant. Comment une telle
i
1
affirmation peuit-elle être mise en évidence ?
S'il n'est pas douteux que les garanties financières et techniques visent à obtenir
une bonne exécution du marché public, par contre, elles ne manquent pas de susciter
quelques réflexions eu égard aux marchés de travaux civils qui, eux, sont soumis à un
régime juridique différent. A cet égard, le coeur de la réflexion est transplanté au niveau
de l'exigence d'un "cautionnement définitif" destiné à garantir la bonne exécution du
marché et le recouvrement des sommes dont le titulaire d'un marché public serait
débiteur(2).
Il s'agira, donc, de mettre en évidence cet aspect de la question dans l'analyse,
d'une part, de l'exigence des garanties financières (a) et, d'autre part, des garanties
techniques (b).
a - La garantie financière principale pour l'autorité publique est constituée
par l'exigence d'un cautionnement dans les marchés de travaux publics puisque c'est ce
dernier qui lui permet de s'assurer de la bonne exécution du marché public.
Pour atteindre le même objectif, c'est-à-dire la bonne exécution du contrat, dans les
marchés de travaux civils où il n'est pas expressément prévu de cautionnement, il convient
(1)
V. articles 79 et 100 du décret n° 82-690 du 7 septembre 1982 précité.
(2)
V. article 80 alinéa 1er du décret n° 82-690 précité.
120
d'engager une action sur le fondement de la responsabilité contractuelle(l). C'est dans
cette perspective que la recherche d'une bonne exécution du contrat d'entreprise de travaux
immobiliers est surtout sanctionnée par la responsabilité des architectes et entrepreneurs
qui répondent des fautes professionnelles et contractuelles commises dans la préparation
et l'exécution des travaux immobiliers qui leur sont confiés par leurs clients(2). Par
conséquent, la garantie offerte au client, dans un contrat d'entreprise privé, en l'occurrence
le contrat d'entreprise de travaux immobiliers, n'intervient qu'après l'exécution des travaux
par le biais d'une mise en jeu de la responsabilité ci vile des architectes et
entrepreneurs(3). Il s'ensuit que dans les marchés des travaux publics, l'exigence du
cautionnement qui ne peut être inclus qu'à titre supplétif dans un contrat civil est une
prérogative exorbitante du droit commun commandée par la nécessité de prendre en
compte des incidences économiques de la réglementation(4), ce qui constitue, en
définitive, un facteur de négation de l'égalité contractuelle qui se traduit, en l'occurrence,
par un pouvoir de direction économique du contrat par le~ pouvoirs publics. Ce pouvoir
de direction est d'autant plus renforcé que, pour être admis aux adjudications ou aux
appels d'offres, les soumissionnaires sont tenus de fournir ledit cautionnement(5).
b - Relativement à l'exigence de garantie technique des fournitures, on la
détermine en fonction de la nature et de la durée de la garantie technique(6). Il s'agit
(1)
En droit français, v. A. SERIAUX, Droit des Obligations, PUF, Collection Droit Fondamental,
1ère édition, janvier 1992, p. 217 et suiv.
(2)
V. art. 449 alinéa 1er du COCc.
(3)
V. art. 449 du COCc.
(4)
V. Rapport de présentation du décret n° 82-690 du 7 septembre 1982 précité, p. 611.
(5)
V. article 79 alinéa 1er du décret n° 82-690 précité.
A cet égard, il nous paraît que l'article 79 alinéa 1 du décret précité aurait gagné davantage en
cohérence s'il avait été placé dans le titre réservé à la passation des marchés qui est conditionnée
par la fourniture dudit cautionnement définitif.
(6)
V. article 100 du décret n° 82-690 précité.
121
là de la reprise d'une garantie classique intervenant soit dans les contrats civils(l), soit
dans les contrats commerciaux(l) et qui s'autorise surtout de la notion de vices cachés
qui s'apprécie différemment selon que le débiteur de l'obligation est un professionnel ou
non(3).
Dans l'exécution des marchés publics, l'appréciation des vices se fait selon des
critères assez sévères dans la mesure où l'administration ne sélectionne que des
entrepreneurs et fournisseurs agréés(4) qui ont, par conséquent, une certaine expérience
du marché tout en possédant des capacités financières et techniques.
Le souci de limiter la sélection à des entrepreneurs et fournisseurs agréés répond
à la préoccupation du renforcement de la qualité de la prestation du service public qui a
vocation à satisfaire les besoins économiques et sociaux de la population. Ce qui explique
que la sévérité du critère de la garantie exigée du cocontr~ctant de l'administration qui se
trouve, de ce fait, soumis à un pouvoir de direction du contrat par l'administration.
En définitive, la négation de l'égalité contractuelle se constate dans la phase de
l'exécution du contrat adI1Ùnistratif à travers le pouvoir de direction du contrat par
l'administration dans sa mission de satisfaction des besoins économiques et sociaux de la
population.
(1)
V. article 436 alinéa 2 du COCC : "Tenu de la même garantie que le vendeur, l'entrepreneur est
également responsable de la bonne qualité de matériaux fournis, d'apr~s la nature de l'ouvrage
entrepris".
(2)
En droit français, v. Casso corn. 18 janvier 1972, lCP Edition G. 1972.11, n° 17072 ; Paris, 30 juin
1964, lCP 1965. II, n° 14058.
(3)
En droit français, v. Casso corn., 18 janvier 1972 précitée jugé, en l' espèce,que "l'usage selon
lequel l'acheteur d'un bois non débité prend le risque de tous les défauts pouvant être découverts
au sciage, ne reçoit application qu'entre professionnels".
(4)
V. article 21 du décret n° 82-690 précité.
122
Une telle conclusion peut-elle être tirée au moment de la cessation du contrat
administratif?
III - PHASE DE CESSATION DU CONTRAT ADMINISTRATIF
Le caractère total de la négation de l'égalité contractuelle peut être révélé dans cette
phase, non seulement, par l'analyse des principes généraux qui régissent la cessation des
contrats administratifs (A), mais encore, par l'examen d'un cas concret qui est celui de la
cessation des marchés publics (B).
A - Les principes généraux
Le dénouement du contrat peut intervenir pour plusieurs causes(l) ayant toutes
pour dénominateur commun de mettre fin à l'exécution des obligations nées de l'acte
juridique.
Dans le droit commun des contrats, le principe de l'interdiction de la révision ou
de la résiliation du contrat ne peut être mis en échec que du consentement mutuel des
parties ou par les causes prévues par la loi (art. 97 COCC). Il en résulte que le principe
de l'interdiction sus-énoncé admet quelques atténuations parmi lesquelles les contrats
administratifs qui peuvent prendre fin soit par accord des parties, soit par disparition de
l'objet(2), soit par force majeure, soit enfin par suite de son annulation par le juge(3).
Ces atténuations paraissent si évidentes qu'elles ne méritent pas de longs commentaires
puisque les solutions sont conformes à celles posées par le droit privé.
(1)
Voir à ce sujet, J.P. TOSI, op. cit. n° 414, p. 149 et suiv.
(2)
Voir dan ce sens, Cour d'Appel de Dakar, Société BOURGI-Transit contre Société PEYRISSAC-
Sénégal, n° 291 du 22 juin 1979.
Il ressort des motifs de cet arrêt que "la disparition de ]' objet stipulé dans un contrat entraîne la
résiliation de cette convention".
(3)
A. BOCKEL, op. cit. p. 223.
123
Quid quand la résiliation est intervenue du fait de la volonté de l'autorité
administrative? N'est-ce pas là l'une des causes prévues par l'article 97 du COCC ? Est-
ee également l'une des manifestations de la négation de l'égalité contractuelle si l'on sait,
surtout, que par définition, cette prérogative reste essentiellement l'apanage de
l'administration bien que son cocontractant puisse avoir de justes motifs pour invoquer la
résiliation ?
Cet ensemble d'interrogations nous conduira à la proposition suivant laquelle s'il
est reconnu un droit de rupture unilatérale au profit de l'administration Ca), il semble que
le même droit reconnu à son cocontractant soit enfermé dans des conditions telles qu'il n'a
que très peu de chances de voir aboutir son action. D'où l'admission conditionnelle d'un
droit de rupture au cocontractant de l'administration Cb).
a -
Reconnaissance d'un droit de rupture unilatérale au profit de
l'administration
La reconnaissance de ce droit de rupture unilatérale découle des prérogatives de
puissance publique accordées à l'administration qui peut prononcer unilatéralement soit une
résiliation-sanction, soit une résiliation dans l'intérêt du service(1). Dans ce dernier cas,
la résiliation dans l'intérêt du service demeure concevable même si le cocontractant de
l'administration n'a commis aucune faute(2).
11 s'ensuit que la règle contenue dans l'art. 137 du COA revêt un caractère
unilatéral marqué par une rupture totale et voulue dans les rapports entre l'administration
et son partenaire.
(1)
A. nOCKEL; op; cit. p. 224.
(2)
V. art. 137 du COA : Résiliation administrative sans faute. "L'administration peut, nonobstant les
clauses conventionnelles, résilier les contrats devenus inutiles ou inadaptés compte tenu des
nécessités du service public, sous réserve d'indemnisaûon du cocontractant".
Jurisp. : V. en droit français: c.E. 20 janvier 1905. Compagnie générale des Eaux, Rec. p. 56,
Conclusions ROMIEU; C.E. 10 mai 1963. Société La Prospérité fermière, Rec. p. 289 ; C.E. 13
juillet 1968, Société des Etabts SERFATI - Cone\\. BERNARD, AlDA 1968, p. 582.
124
Une telle remarque paraît valablement pouvoir être soutenue dans l' hypothèse d'une
résiliation sanction dans la mesure où, lorsque c'est le cocontractant de l'administration
qui est défaillant, l'administration n'a point besoin de recourir au juge pour sanctionner
le défaillant(l). De ce fait, l'administration joue un rôle concurrent avec le juge du
contrat qui a une compétence de principe pour prononcer la résolution judiciaire (art. 105
COCC).
Le caractère unilatéral d'un tel droit de rupture apparaît également dans le cas où
c'est l'administration qui est défaillante. En effet, cette défaillance aurait pu permettre au
partenaire de l'administration soit d'invoquer l'exception d'inexécution (art. 104 COCC),
soit d'obtenir la résolution du contrat sur le fondement de l'inexécution ou de la mauvaise
exécution des obligations par l'autre partie (art. 105 COCC).
Or, dans le premier cas, il est interdit, en matière adl:ninistrative, de suspendre les
prestations dans la mesure où le cocontractant est, malgré tout, tenu de poursuivre ses
obligations (art. 73 COA). Ce qui fait dire à M. BOCKEL, avec juste raison, que
l'''exceptio
non
adimpleti
contractus"
du
droit' privé
ne
vaut
pas
en
matière
administrati ve(2).
(1)
V. art. 135 du eOA - Résiliation administrative.
"L'administration contractante peut prononcer la résiliation du contrat par une décision unilatérale
lorsque ce pouvoir lui est accordé par des dispositions légales ou des stipulations contractuelles".
Art. 136 eOA - Résiliation administrative pour faute.
"Le pouvoir de résiliation du contrat par décision unilatérale appartient à l'administration
contractante en dehors de toute stipulation conventionnelle pour sanctionner les manquements
graves du cocontractant à ses obligations".
Voir dans ce sens, Tribunal de Dakar du 09 novembre 1968, S.A.B.T.P. (à propos du retard d'un
entrepreneur chargé de la construction de classes) ou e.s. 30 juillet 1974, Oeuvre Française de
l'Enfance (à propos de la résiliation d'une convention administrative destinée à donner à bail,
moyennant un loyer réduit, un terrain du domaine à une oeuvre, à charge pour cette dernière d'y
entretenir un foyer d'enfants).
(2)
A. BOeKEL, op. cit. p. 224.
125
Dans le second cas, c'est-à-dire, la résolution du contrat, la possibilité est, certes,
reconnue au cocontractant de l'administration d'initier une procédure de rupture dans le
cadre du contentieux de pleine juridiction. Mais les pouvoirs du juge saisi y sont d'autant
plus limités que le cocontractant de l'administration n'a pratiquement aucune chance pour
infléchir la volonté de l' administration(l).
En définitive, le droit de rupture unilatérale ainsi conféré à l'administration est un
moyen lui permettant, non seulement, de sanctionner, concurremment avec le juge du
contrat, son cocontractant défaillant, mais aussi, de se passer des contrats devenus inutiles
ou inadaptés pour les besoins du service public. De telles prérogatives exorbitantes du droit
commun sont en contradiction avec le principe de l'égalité, supposé être l'âme du contrat,
dans la mesure où seul un partenaire, en l'occurrence, l'administration, peut faire un usage
efficace des techniques du droit de rupture unilatérale dans la phase de dénouement du
contrat. De telles prérogatives exorbitantes du droit commuI? sont marquées du sceau du
dirigisme contractuel dans la mesure où aucune clause conventionnelle contraire n'est
permise (art. 137 COA), et où, au surplus, on permet à un contractant de sanctionner son
partenaire. Il s'y ajoute que, la prise en compte des nécessités du service public, destiné
à satisfaire les besoins économiques et sociaux de la population, permet au moins de
penser, que nous avons là la manifestation d'un dirigisme contractuel de nature
économique qui justifie la négation du principe d'égalité contractuelle dans la phase de
dénouement du contrat.
Bien qu'un tel droit de rupture soit prévu pour le cocontractant de l'administration,
cela ne permet pas de rétablir l'équilibre contractuel rompu.
(1)
Voir infra : nos développements sur l'admission conditionnelle d'un droit de rupture au
cocontractant de l'administration p. 126.
126
b •
Admission conditionnelle d'un droit de rupture au cocontractant
de l'administration
Cette admission conditionnelle aurait pu trouver sa place dans nos développements
consacrés à la négation partielle de l'égalité contractuelle(l) dans la mesure où une
possibilité est reconnue au cocontractan t de l'administration de se délier de ses
engagements.
Cependant, si nous avons jugé utile de lui accorder une place dans la rubrique de
la négation totale de l'égalité contractuelle, c'est parce que, au fond, avec le contentieux
de pleine juridiction, on s'aperçoit que le cocontractant de l'administration trouvera peu
de chance d'obtenir le dénouement du contrat. En effet, l'office du juge administratif
n'étant pas très étendu en raison de la séparation des fonctions administratives et
judiciaires qui lui interdit de s'immiscer dans la gestion administrative(2), l'on se
demandera finalement ce qui reste de la pertinence d'u? recours à pareil système de
procédure.
Certes, le juge du contrat, en l'occurrence le tribunal régional (art. 139 COA)
pourra
toujours
prononcer
des
condamnations
au
profit
du
cocontractant
de
l'administration; mais dans le même temps, il ne disposera pas de moyens juridiques pour
faire exécuter sa sentence (art. 74 COA).
L'importance de cette dernière disposition est telle qu'elle préfigurait déjà la règle
selon laquelle il n'y a pas d'exécution forcée contre l'Etat, les collectivités locales, les
établissements publics et les sociétés nationales, ni contre les sociétés d'économie mixte
dont l'objet est l'exploitation d'une concession de service public(3).
(1)
V. infra, p.131.La négation partielle de l'égalité contractuelle.
(2)
V. A. BOeKEL, op. cil. p. 226.
Adde en droit français, Joelle LEFOULON, Le problème de la compétence du juge du contrat en
matière administrative, AlDA, 1976, p. 396.
(3)
V. article 194 alinéa 2 du eoee (loi n° 85-08 du 15 février 1985).
127
Néanmoins, il convient de remarquer que la règle énoncée par l'article 194 alinéa
2 du COCC présente une particularité par rapport aux dispositions de l'article 74 du COA
qui exclut expressément le procédé de l'astreinte à l'encontre de la partie administrative.
En effet, une telle particularité paraît être prise en considération par le juge sénégalais qui
a affirmé que "les juridictions peuvent fixer une astreinte contre l'établissement public, la
société nationale ou la société d'économie mixte(l) sans toutefois, précise-t-i1, pouvoir
substituer un tiers au concessionnaire défaillant(2). Par suite, on peut penser que, en
l'espèce, la possibilité de prononcer l'astreinte se justifie par la nature privée des
opérations contractuelles.
Au surplus, dans le contentieux administratif symbolisé notamment par la limitation
des pouvoirs du juge, le principe de la séparation des fonctions administratives et
judiciaires lui interdit de s'immiscer dans la gestion administrative(3). Il s'ensuit que
les techniques classiques du droit privé ayant pour objet d'obtenir une exécution
forcée(4), ne sauraient avoir droit de cité dans le droit des contrats de l'administration,
ce qui peut constituer une entrave à une garantie juridique véritable des affaires(5).
En somme, malgré la possibilité offerte au cocontractant de l'administration de
demander le dénouement du contrat administratif, on se rend compte que, non seulement
et contrairement à l'administration, il ne peut le faire qu'en saisissant un juge, mais encore,
(1)
Voir dans cc sens, Cour d'Appel de Dakar, 30 novembre 1984, RAHAL contre SENELEC,
sommaire rapporté dans le COCC annoté, Editions EDlA, avril 1994, p. 97.
(2)
Dans ce sens, v. Cour d'Appel de Dakar, 7 juin 1985, RAHAL contre SENELEC, sommaire
rapporté dans le COCC annoté, Editions EDlA, avril 1994, p. 97.
(3)
A. BOCKEL, op. cit. p. 226.
(4)
Sur l'exécution forcée, v. J.P. TOSI, op. cit. n° 867 et suivants, p. 315.
(5)
V. à ce sujet, Me Doudou NDOYE, Garantie juridique véritable des affaires, LEX n° 437 du
vendredi 4 octobre 1996, pp.. 1 et 2.
Selon l'auteur, "un grand nombre d'entreprises publiques encadrent presque toute l'économie, la
pénètrent· profondément. Elles constituent souvent des passages ou dès contractants obligés :
SONATEL ; SDE ; LONASE ; Chemins de fer, etc. Ces sociétés peuvent vous devoir de l'argent,
être condamnées par les tribunaux etTefuser de vous payer: vous n'avez aucun recours".
128
et surtout, que même s'il obtient gain de cause, il n'obtiendra l'exécution de la sentence
qu'avec la bénédiction de l'administration. Par suite, pour tous les contrats avec
l'administration ayant un lien avec le service public, il est conféré une prééminence à
l'administration qui exerce ainsi un pouvoir de direction sur le contrat qui le lie à son
cocontractant. Au surplus, le fait que le contrat administratif a pour finalité principale de
satisfaire les besoins économiques et sociaux des usagers du service public, il est permis
alors de penser que la nature de l'ordre public qui sous-tend ce pouvoir de direction du
contrat obéit à des impératifs économiques au service du développement social de la
population. Par conséquent, on peut affirmer que, loin d'être un facteur d'équilibre
contractuel, l'admission conditionnelle d'un droit de rupture du cocontractant de
l'administration doit être comprise comme un facteur négationniste total de l'égalité
contractuelle entre l'administration et son partenaire.
COmlnent se manifeste ce déséquilibre contractuel ~ans la phase de cessation des
marchés publics ?
B - Application particulière aux marchés publics
La cessation des marchés publics peut être conçue comme une étape qui correspond
au dénouement du contrat administratif au cours duquel il est, non seulement, accordé un
pouvoir de résiliation unilatérale à l'administration, mais encore, il est permis à l'autorité
publique
d'infliger
des
mesures
coercitives
à l'encontre
du
cocontractant
de
l'administration. S'agit-il, là encore, de la manifestation d'un pouvoir de direction de
l'administration sur le contrat? Une réponse affirmative à cette interrogation doit pouvoir
s'autoriser, d'une part, de la technique de résiliation des marchés publics (a) et, d'autre
part, de la technique des mesures coercitives (a).
a - La résiliation des marchés publics
Elle permet à l'administration d'ordonner la cessation des travaux, fournitures ou
services ou bien de donner des ordres de service sous la menace d'une sanction de
129
résiliation immédiate et sans préavis(l). Il s'ensuit qu'une telle prérogative confère un
pouvoir de direction du contrat à l'administration qui est placée ainsi dans une position
assez confortable de supériorité par rapport à son cocontractant(2).
Au delà de la résiliation, des mesures coercitives ont été prévues. Traduisent-elles
le point culminant de la négation de l'égalité contractuelle entre l'administration et son
cocontractant?
b - Les mesures coercitives
La sévérité de ces mesures coercitives est particulièrement marquée par la
possibilité
pour
l'administration
d'infliger
des
pénalités
pour
retard
à
son
cocon tractant(3).
Ces pénalités pour retard peuvent soit accompagner la résiliation d'un marché
.
,
public(4), soit être prises isolément; et dans ce dernier cas, ce sont des mesures visant
à sanctionner un retard intervenu dans l'exécution du marché. A cette fin, tout marché doit
obligatoirement prévoir une clause de pénalité pou"r retardeS) que l'administration peut,
en principe, mettre en oeuvre sans mise en demeure préalable sur la simple confrontation
de la date d'expiration des délais contractuels d'exécution et de la date de réception(6).
Dans cette optique, l'on comprend que la technique de la clause de pénalité pour retard
puisse être considérée comme un moyen qui permet de préserver les deniers publics. Ceci
(1)
V. articles 101 et 102 du décret n° 82-690 du 7 septembre 1982 précité.
(2)
V. infra p.131. Cette affirmation devra être cependant relativisée dans l'étude de la négation
partielle.
(3)
Cependant, il convient de souligner utilement l'existence de primes pour avance (article 108 du
décret n° 82-690 précité) qui sont d'autant plus concevables que le rôle de ]' administration est de
sanctionner positivement et négativement.
(4)
V. article 102 a) 1°) du décret n° 82-690 précité.
(5)
V. article 106 alinéa 1 du décret précité.
(6)
V. article 107 alinéa 1 du décret précité.
130
paraît d'autant plus soutenable que, dans le souci de procéder plus facilement au
recouvrement du montant des pénalités infligées au titulaire du marché, la somme doit
venir en atténuation de la dépense(l) ; ce qui constitue, du reste, un mécanisme de
compensation qui suppose que soit rapportée la preuve de l'existence de deux dettes de
sommes d'argent(2).
En définitive, on peut dire que la clause de pénalité pour retard marque le point
culminant de la négation
totale de l'égalité contractuelle entre l'administration et son
cocontractant dans la mesure où elle est exclusivement à la disposition de l'administration
qui en définit ses conditions de mise en oeuvre et ses conditions d'application d'une
manière telle qu'elle permet de limiter les incidences économiques de la réglementation
des marchés publics(3).
En conclusion, la négation totale de l'égalité contractuelle est une réalité, dans la
phase de cessation du contrat administratif, qui peut être vérifiée aussi bien à partir des
principes généraux gouvernant cette étape dudit contrat que de l'exemple des marchés
publics. Ce qui constitue la marque d'un dirigisme contractuel qui puise sa source dans des
considérations économiques et sociales.
Quid lorsqu'il est accordé surtout une contrepartie financière au cocontractant de
l'administration? N'est-ce pas là une interrogation permettant d'affirmer, en outre, que la
négation de l'égalité contractuelle peut revêtir un caractère partiel ?
(1)
V. article 107 alinéa 2 du décret précité.
(2)
V~ articles 215, 216 et 217 du COCc.
Pour une application de la règle, v. Cour d'Appel de Dakar, n° 254 du 14 décembre 1973,
sommaire rapporté dans le Code des Obligations civiles et commerciales (COCC) annoté, Editions
EDJA, avril 1994, p. 104.
(3)
V. Rapport de présentation du décret n° 82-690 précité, p. 611.
131
Sous-Section II - NEGATION PARTIELLE DE L'EGALITE CONTRACTUELLE
Par suite des techniques contractuelles étudiées, l'on s'est aperçu que l'action de
l'administration peut contribuer à faire naître de nouvelles obligations à la charge de son
cocontractant. Dès lors, il devient nécessaire et juste d'accorder une contrepartie financière
au cocontractant de l'administration dans le but d'assurer un rééquilibrage des rapports
contractuels. L'allocation d'une telle contrepartie aboutit à conférer, à la négation de
l'égalité contractuelle, un caractère partiel qui sera examiné à la lumière des principes
généraux gouvernant le contrat administratif (I) et de son application particulière aux
marchés publics (II).
1 - LES PRINCIPES GENERAUX
On sait qu'en matière de conclusion du contrat ad~inistratif, le cocontractant de
l'administration conserve toujours la liberté d'exprimer ou non son adhésion(l).
Cependant, le rétablissement de l'équilibre économique du contrat est révélé surtout grâce
à la préservation des intérêts du cocontractant qui a eu à assumer, selon l'expression de
la doctrine(2) des "obligations nouvelles". Ainsi à travers toutes les techniques
contractuelles débouchant sur un accroissement unilatéral des obligations du cocontractant
de l'administration, la constante qui demeure est que ce dernier pourra toujours prétendre
à une indemnisation. Une telle situation aboutit à faire naître un droit à l'équation
financière à son profit(3). Un tel droit ayant pour finalité d'assurer un équilibrage des
rapports contractuels(4), il s'ensuit que la négation de l'égalité contractuelle n'est plus
totale puisque les intérêts économiques du cocontractant de l'administration sont préservés
(1)
V. supra. p. 110.
(2)
V. J. ARCHAMBAUO, op. cil. p. 159.
(3)
Voir à ce sujet, en droit français, Conclusions Léon BLUM sous c.E. 21 mars 1910, Compagnie
générale des Tramways, Rec. p. 216 ; 0.1912.3, p. 49.
(4)
A. BOCKEL, op. cit. p. 217.
132
par une contrepartie financière découlant de la mise en Jeu de la responsabilité
contractuelle(l).
Mais que penser d'une pareille indemnisation? La réponse à une telle question
devra être nuancée dans la mesure où si l'indemnisation du cocontractant de
l'administration est louable dans son principe, force sera de reconnaître, qu'en pratique,
on assiste à un leurre, celui d'avoir fait exécuter une partie d'obligation à laquelle le
cocontractant de l'administration n'a probablement pas préalablement souscrit.
S'agissant des marchés publics, les spécificités de ces contrats révèlent d'autres
manifestations de la négation partielle de l'égalité contractuelle.
II - APPLICATION PARTICULIERE AUX MARCHES PUBLICS
Le caractère partiel de la négation de l'égalité contractuelle apparaît concrètement
dans les trois phases du contrat de marché public, à savoir sa passation (A), son exécution
(B) et sa cessation (C).
A - La passation des marchés publics
Dans les différentes modalités de passation des marchés publics que sont
l'adjudication publique ou restreinte ou sur coefficient, l'appel d'offres et l'entente directe,
on sait que, pour l'essentiel, tous les concurrents sont tenus d'accepter les conditions
générales du marché qu'on a pu assimiler à un statut(2).
(1)
V. articles 94 et suivants du COA.
(2)
V.supra. p. 111.
133
En fait de statut, il semble difficile, malgré la formule générale du décret n° 82-
690(1), de retenir sans réserve cette idée à propos des marchés par entente directe qui
constitue, alors, la modalité qui confirme la négation partielle de l'égalité contractuelle.
Ceci paraît d'autant plus soutenable que, dans les marchés par entente directe,
l'administration est tenue de choisir son cocontractant qui aura ainsi le privilège de
négocier directement avec son partenaire dans trois hypothèses.
D'abord, le privilège peut être accordé lorsqu'il n'existe qu'un seul fournisseur de
l'objet ou de la prestation nécessaire à l'administration(2). Cette condition, de bon sens,
se justifie alors par une situation de monopole qui oblige l'administration à s'entendre
directement avec son partenaire.
Ensuite, l'entente peut intervenir lorsqu'après deux appels à la concurrence, aucune
offre n'est présentée(3). Dans ce cas, l'administrati.on sera habilitée à choisir
directement son cocontractant avec lequel elle est tenue de négocier.
Enfin, des raisons impérieuses tenant à la 'défense nationale peuvent justifier le
choix direct du cocontractant de l'administration(4).
Toutes ces hypothèses justifiant une procédure dérogatoire sont néanmoins soumises
à la formalité de l'approbation préalable par la Commission nationale des contrats de
(1)
V. article 44 alinéa 1er du décret n° 82-690 du 7 septembre 1982 précité. "Les cahiers des clauses
et conditions générales fixant les dispositions administratives applicables à tous les marchés de
fournitures, de travaux ou de services; ces calliers sont approuvés par décret".
(2)
V. article 39 alinéa 1er du décret n° 82-690 précité.
(3)
V. article 39 alinéa 2 du décret n° 82-690 précité.
(4)
V. article 39 alinéa 3 du décret n° 82-690 précité.
134
l'administration(l) qui établira un compte rendu annuel détaillé des marchés qui sera
adressé au Premier Ministre(2).
En définitive, encore qu'il existe une formalité préalable d'approbation du marché
par entente directe, on peut dire que ce dernier est assez révélateur de la négation partielle
dans la passation du marché public dont il convient d'examiner le rétablissement de
l'égalité contractuelle dans la phase de son exécution.
B - L'exécution des marchés publics
Dans la phase de l'exécution des marchés publics, l'autorité publique cherche non
seulement à rétablir un certain équilibre rompu par un bouleversement de l'économie du
contrat Ca) mais encore à assouplir l'exigence des garanties techniques Cb).
a - S'agissant du rétablissement de l'équilibre contractuel, il est fait une
exception à la règle de la non variabilité des prix du marché qui sont, en règle générale,
fermes et non révisables(3). Il s'ensuit qu'une clause contractuelle pourra être
valablement insérée pour faire échec à la règle de la non variabilité des prix des marchés
publics dont la durée d'exécution ne doit, toutefois, pas dépasser six mois(4). Une telle
possibilité offerte à l'administration cherche alors à rétablir un équilibre contractuel rompu
suite au bouleversement de l'économie du contrat.
b - Relati vement à l'exigence des garanties techniq ues, il est prévu un
assouplissement qui prend en compte des causes d'exonération comme la faute de
(1)
V. article 39 alinéa 5 du décret n° 82-690 précité.
(2)
V. article 39 alinéa 6 du décret n° 82-690 précité.
(3)
V. article 45 alinéa 2 du décret n° 82-690 précité.
(4)
V. article 45 alinéa 2 du décret n° 82-690 précité.
135
l'administration ou la force majeure qui permettront au titulaire du marché public de se
libérer valablement de son obligation de garantie technique(l).
Dans tous ces deux cas, on assiste alors à un rétablissement de l'équilibre
contractuel qui contribue à conférer un caractère partiel à la négation de l'égalité
contractuelle entre l'administration et son cocontractant. Ce dernier souci est également
pris en compte au moment de la cessation des marchés publics.
C - Cessation des marchés publics
Le pouvoir de direction des marchés publics conféré à l'administration peut être
assoupli à deux égards.
D'abord, dans le cadre des mesures coercitives(2), la résiliation administrative
ne pourra intervenir qu'après une mise en demeure restée vaine(3).
Au surplus, l'assouplissement de ce pouvoir de direction de l'administration peut
être commandé par des motifs économiques qui peuvent justifier une résiliation sans
indemnité de la part de l'administration ou de son cocontractant lorsque, du moins, ils ont
entraîné une variation de prix du marché ou de la partie restant à exécuter du marché
supérieure à 20 %(4).
Ensuite, il est prévu, à titre exceptionnel, la possibilité pour le cocontractant de
l'administration de rompre unilatéralement le marché public lorsqu'il sc présente une
(1)
V. article 100 du décret n° 82-690 précité.
(2)
V. supra p. 129.
(3)
V. artiCle 102 a) 1°) du décret n° 82-690 précité.
(4)
V. article 105 du décret n° 82-690 du 7 septembre 1982 précité.
136
situation au cours de laquelle l'administration prescrit l'ajournement des travaux pour plus
d'une année(l).
On le voit, cette soumission du cocontractant de l'administration à l'autorité
publique, outre qu'elle se justifie par un pouvoir de direction du contrat, n'a pas fait
oublier la prise en compte des intérêts économiques du cocontractant dans la mesure où
l'allocation d'une indemnité, consécutive à la résiliation du marché public, peut lui être
allouée. Il n'est que de songer à l'indemnité accordée dans tous les cas concernant la
cessation ou l'ajournement de l'exécution du marché.
En définitive, le caractère partiel de la négation de l'égalité contractuelle entre
l'administration et son partenaire se constate, non seulement, au plan des principes
généraux gouvernant le contrat administratif, mais encore, au plan d'une application
particulière par l'exemple des marchés publics.
(1)
V. article 101 alinéa 2 du décret n° 82-690 précité.
__ .us::
137
CONCLUSION DU CHAPITRE II
La négation du principe d'égalité est certainement une réalité pouvant constituer
le second volet de l'ordre public de direction dans la phase d'étatisation du développement.
Au surplus, cette phase se poursuit, encore aujourd'hui, en ce qui concerne la négation de
ce principe. Cette affirmation peut être, sans conteste, vérifiée à partir de l'inégalité des
acteurs économiques par le biais d'activités économiques exclusivement réservées aux
nationaux sénégalais et par la situation d'inégalité contractuelle entre les personnes
publiques et leurs contractants avec lesquelles elles peuvent entretenir des relations
d'affaires. Dans cette perspective, nos analyses ont abouti à la conclusion que la négation
du principe d'égalité englobe effectivement un domaine ratio ne personae (la négation du
principe d'égalité des acteurs économiques) et un domaine ralione materiae (la négation
du principe d'égalité contractuelle). Il s'en est suivi l'expression d'un ordre public
économique de direction conçu pour la promotion d'une ~nitiative privée nationale et la
satisfaction des besoins économiques et sociaux des usagers du service public.
Cependant, l'on ne peut s'empêcher de formuler une observation relative à la
signification actuelle de l'ordre public économique de direction, ne serait-ce que parce que
la négation du principe d'égalité est en train de s'effriter, voire disparaître partiellement.
A cet égard, on peut relever utilement le fait que le régime d'exercice de toutes les
activités économiques est soumis non plus au principe de la formalité de l'autorisation
préalable mais bien plus à celui de la liberté d'exercice. Une telle constatation permet, au
moins, de soutenir l'idée selon laquelle il existe, de nos jours, un changement de cap de
la notion d'ordre public économique de direction qui s'inspire de la doctrine libérale. D'où
la nécessité d'examiner l'ensemble de cette nouvelle physionomie de l'ordre public
économique de direction dans la phase actuelle de libéralisation de l'économie.
138
TITRE II
L'ORDRE PUBLIC ECONOMIQUE DANS LA PHASE DE LIBERALISATION
DE L'ECONOMIE: LA DEFENSE DE LA LOI DU MARCHE
La phase de libéralisation de l'économie correspond à la période où l'Etat ne se
présente plus comme le principal acteur du développement. Dans cette optique, l'Etat a
entrepris une politique visant le renforcement de l'initiative privée destinée à se substituer
au rôle traditionnel des pouvoirs publics.
Une telle orientation économique rejoint, du reste, les injonctions des bailleurs de
fonds dont le credo est la défense de la loi du marché(l).
En application des injonctions des bailleurs de fonds; l'Etat a donc adopté une série
de mesures permettant une meilleure implication des opérateurs privés dans les actions de
développement. Par suite, ces mesures seront analysées dans l'optique d'un renforcement
de l'initiative privée (Chapitre 1).
Cette concession de l'Etat aux injonctions des bailleurs de fonds ne l'a pas
cependant conduit à se désintéresser du nouvel environnement économique marqué par
la prééminence du secteur privé dans la mesiure où on sait qu'aucun Etat n'accepte de
cautionner des faits et actes susceptibles d'avoir des répercussions négatives sur son
(1)
V. Rapport Banque Mondiale sur le développement dans le monde de 1996 intitulé: De
l'économie planifiée à l'économie de marché. V. "Les institutions juridiques et l'Etat de droit",
p. 105 e't ï;. Adde' Mohamed Salah Mahmoud, Le principe de la liberté du commerce et de
l'industrie dans les pays en développement, Communication présentée au Colloque du Bicentenaire
organisé par l'A.I.O.E. sur Les principes de 1789 et le Droit économique, Paris - Bastille, 16-18
novembre 1989.
139
économie(l). Une telle observation explique, au demeurant, la substance des mesures
préventives et réactives des pouvoirs publics en vue de faire obstacle aux dérives
inévitables d'une libéralisation caractérisée par la loi du marché qui postule la loi du plus
fort. C'est sous cet éclairage que nous examinerons les mesures de sauvegarde contre les
déri ves d'une libéralisation (Chapitre II).
(1)
A. SAKHO, Les groupes de société$et le droit (Contribution à la recherche sur la notion de
pouvoir en droit privé), Thèse de doctorat, Dakar, 1993, p. 120.
_s
140
CHAPITRE 1-
MESLJRES
DESTINEES
AU
RENFORCEMENT
DE
L'INITIATIVE PRIVEE
Ces mesures constituent, pour l'essentiel, une réponse à l'échec de l'administration
du développement mise en place dans la phase d'étatisation du développement(l).
Au plan des résultats économiques, cette administration du développement a été
marquée, entre autres, par un bilan financier largement déficitaire et par une mauvaise
gestion. Dans ces conditions, toutes les politiques publiques(2) vont être soumises à
ajustement structurel avec l'appui des bailleurs de fonds qui prônent L1ne nouvelle
approche du cadre juridique favorable au développement du secteur privé(3). Dans cette
perspective, pour aider les pays en voie de développement plongés dans un marasme
économique, les bailleurs de fonds ont subordonné leur participation financière à la prise
de mesures conformes à la vision libérale du développement de l'économie. Concrètement,
il s'est agi de confier un rôle prépondérant au secteur privé par l'aménagement d'un cadre
juridique propice à son épanouissement(4).
Le problème sera de voir par quels mécanismes juridiques l'initiative privée a été
renforcée.
(1)
V. Marc DEBENE, "Administration du développement et désengagement de l'Etat", Colloque
RIPAS n° 17, oct.-déc. 1987, pp. 309-330 Thème: "L'administration et le développement", 3ème
Colloque, déc. 1987.
(2)
"Les politiques publiques au Sénégal", 7ème Colloque RIPAS, déc. 1991.
(3)
Rapport Banque Mondiale sur le développement dans le monde de 1996 intitulé De l'économie
planifiée à l'économie de marché. V. "Les institutions juridiques et l'Etat de droit", p. 105 et s.,
v. sp. p. 107.
(4)
V. exposé des motifs de la lài n° 93-07 du 10 février 1993 modifiant la loi n° 85-40 du 29 juillet
1985 portant 4ème partie du Code des Obligations civiles et commerciales (COCC) sur les
Sociétés commerciales, JaRS n° 5512 du 13 mars 1993, p. 69.
141
La question paraît d'autànt plus importante que le cadre juridique est constitué
essentiellement par des mesures d'accompagnement, de promotion de politiques
économiques concoctées
de l'extérieur dont le souci est moins de tenir compte des
réalités nationales que de parvenir à une rationalité économique.
Au surplus, ces mesures pouvant revêtir un caractère double en fonction du
domaine concerné, il conviendra d'envisager, d'une part, les mesures de promotion de
l'initiative privée collective (Section 1) et, d'autre part, les mesures de promotion de
l'initiative privée individuelle (Section II).
SECTION 1-
MESURES DE PROMOTION DE L'INITIATIVE PRIVEE
COLLECTIVE
La particularité de ces mesures de promotion provient du fait que c'est une
collectivité qui est visée. La nature de cette dernière peut être aussi bien privée que
publique.
Dans le premier cas, la collectivité désigne alors les sociétés commerciales régies
par la loi na 85-40 du 29 juillet 1985(1).
Le contexte du sous-développement justifie largement le besoin de capitaux
étrangers(2) pour la fourniture desquels les investisseurs étrangers ont sollicité et obtenu
des pouvoirs publics la souplesse dans la création de sociétés de droit privé. Au plan
(1)
Cette loi a été modifiée par la loi nO 93-07 du 10 février 1993 précitée.
(2)
A. Mathurin DIOP, "L'insertion des entreprises privées dans l'effort de développement",
RJ.P.I.C., 1978, p. 265 et s.
Sur l'ensemble.de la questio,n, v. A. SAKHO, Les groupes de sociétés et le droit (Contribution
à la recherche sur la notion de pouvoir en droit privé), Thèse Doctorat d'Etat, Dakar, 1993, p. 334.
Vis La politique libérale des incitations à l'investissement étranger.
142
juridique, la satisfaction de cette exigence des bailleurs de fonds s'est traduite surtout par
un allégement des formalités de constitution des sociétés commerciales (Sous-Section 1).
Dans le second cas, la collectivité désigne les entreprises publiques qui avaient
surtout pour vocation de gérer des secteurs industriels et commerciaux(1).
La réforme de ces entreprises publiques, dans l'optique d'une libéralisation de
l'économie, fait que l'Etat devait impérativement se désengager des secteurs énumérés
pour lui permettre de mieux se consacrer à d'autres tâches prioritaires comme l'éducation,
la santé, la défense et la sécurité... Pour ce faire, la nécessité s'est fait sentir de recourir
à d'autres acteurs du développement.
Pour accompagner cette étape du désengagement étatique(2), la technique a
consisté à liquider ou bien à privatiser les entreprises publiqües dans le cadre du processus
de démantèlement du portefeuille de l'Etat (Sous-Section II).
Sous-Section 1 -
ALLEGEMENT DES FORMALITES DE CONSTITUTION
DES SOCIETES COMMERCIALES
Cet allégement résulte des modifications apportées à la loi portant sur les sociétés
commerciales par la loi n° 93-07(3) qui a innové, en la matière, dans le domaine
(1)
V. supra, 1ère Partie, Titre l, Chapitre II, p. 50 et
suivantes.
(2)
Sur cette question, v. Jean-François PIRUS, "La réforme du secteur parapublic : modalités et
perspectives, Publications Bureau Organisation et Méthode (BOM), p. 9 et s.
(3)
V. loi n° 93-07 du 10 février 1993 modifiant la loi n° 85-40 du 29 juillet 1985 portant 4ème partie
du COCC sur les sociétés commerciales, JORS n° 5512 du 13 mars 1993, p. 69 et son décret
d'application n° 93-153 du 24 février 1993, JORS n° 5525 du samedi 15 juin 1993, pp. 163 à 185.
V. également l'avant-projet d'acte uniforme sur les sociétés commerciales pris en vertu du traité
de l'O.H.A.D.A. Article 10 alinéa 1 de l'avant-projet: "Les statuts doivent être établis soit par
acte sous seing privé, soi par acte authentique".
143
principal qui est relatif à la rédaction des statuts de toutes les sociétés commerciales qui
peut désormais se faire par acte sous-seings privés(l). Cet article apporte une réforme
majeure dans la mesure où la rédaction des statuts des sociétés commerciales était
l'apanage du seul notaire sous l'empire de l'ancienne loi. Désormais, avec la fin du
monopole des notaires, les fondateurs pourront obtenir la simplification des formalités de
constitution en saisissant notamment des centres de formalités chargés de centraliser en
un lieu unique l'ensemble des démarches nécessaires à la création d'entreprises(2).
Une telle politique participe de la rénovation du statut des sociétés commerciales
dans le cadre de l'harmonisation du droit des sociétés(3). Ce qui fait dire à un
auteur(4), avec juste raison, que l' harmonisation constitue, incontestablement, l'occasion
d'une simplification des règles de création et de fonctionnement des sociétés. Dans cette
perspective, l'harmonisation du droit des sociétés obéit essentiellement à une politique
d'allégement de leurs formalités de constitution qui pourraït être un facteur d'attraction
des capitaux tant nationaux qu'étrangers(5). De tels investissements pourront être
considérés comme les emplois du futur dans la mesure où la multiplication des sociétés
commerciales est un facteur générateur d'emplois.
Au surplus, cet allégement des formalités de constitution pourra constituer un
instrument de lutte contre le développement d'un secteur économique informel qui est une
source d'évasion fiscale importante.
(1)
V. article 1085 du cacc (rédaction issue de la loi na 93-07 du 10 février 1993 précitée).
(2)
V. en droit français, Yves REINHARD, Droit commercial, LITEC, 1993, na 251, p. 203.
Adde Yves CHAPUT, Droit des sociétés, PUF, 1ère édition, 1993, na 175, pp. 91 et 92.
(3)
Joseph ISSA-SAYEGH, L'intégration juridique des Etats africains de la Zone franc, p. 39, à
paraître Penant 1997.
(4)
Mactar SAKHa, Le domaine du traité d'harmonisation, Rev. intern. de dr. afric., EDJA na 22,
juil.-août-sept,1994, p. 26
(5)
V. Rapport Banque Mondiale 1996 précité, p. 109.
. ,'\\ ;
144
Pour toutes ces raisons, la politique d'allégement des formalités de constitution des
sociétés commerciales doit être approuvée puisqu'elle pourra permettre de drainer
d'importants capitaux qui jouent un rôle essentiel dans la vie des affaires d'un pays en
voie de développement comme le Sénégal.
Peut-on en dire autant pour la politique de démantèlement du portefeuille de l'Etat?
Sous-Section n -
PROCESSUS DE DEMANTELEMENT DU PORTEFEUILLE
DE L'ETAT: LA LIQUIDATION ET LES PRIVATISATIONS
DES ENTREPRISES PUBLIQUES
L'importance du portefeuille d'un Etat est telle que son démantèlement ne peut se
faire du jour au lendemain. Au Sénégal, cette action a été amorcée par la liquidation
d'entreprises publiques ainsi que par deux vagues de privatisations successives portant,
tour à tour, sur les entreprises publiques déficitaires, puis sur les entreprises publiques
stratégiques et rentables. De ce fait, une telle oeuvre a nécessité un long processus
stratégique et institutionnel qui a emprunté une double forme constituée soit par la
liquidation des entreprises publiques (1), soit par la privatisation des entreprises publiques
(II).
1 -
LA LIQUIDATION DES ENTREPRISES PUBLIQUES
Cette liquidation peut être comprise comme l'ensemble des opérations de
réalisation de l'actif et d'apurement du passif constituant le patrimoine des entreprises
publiques(l). Il
est maintenant acquis que l'inexistence de texte précis en
la
(1)
Cette définition a été proposée par M. Joseph ISSA-SA YEGH in La liquidation des entreprises
publiques en droit sénégalais, Rev. jur. afr. 1990-3, Presses Universitaires du Cameroun, p. 8.
145
matière(l) devait conduire les pouvoirs publics sénégalais à adopter une législation
nouvelle et uniforme qui devra désormais s'appliquer aux liquidations d'entreprises
pu bliques(2).
Au Sénégal, bien que cette technique ne soit pas largement utilisée(3), il
conviendra cependant de l'envisager essentiellement à la lumière du dépérissement
progressif des sociétés d'encadrement(4) du monde rural pour lesquelles l'Etat, en
application de la Nouvelle Politique Agricole (N .P.A.), a défini une nouvelle orientation
au terme de laquelle les agriculteurs sont désormais considérés comme aptes à se prendre
en charge pour gérer toutes les activités de production, de distribution et de
commercialisation du monde rural.
Dans cette perspective, il fallait encourager la création de nouvelles entités pouvant
se substituer aux moyens mis en oeuvre pour assurer l'"intervention de l'Etat. Cette
substitution à la mission traditionnelle des pouvoirs publics s'est traduite par la politique
de création de micro-projets ruraux dans le cadre d~un regroupement d'un ensemble de
moyens humains et matériels. C'est dans cette optique que la loi sur les sociétés
(1)
Cependant, on pouvait noter l'existence du décret n° 75-261 du 10 mars 1975 fixant les modalités
de la liquidation des établissements publics, JaRS n° 4411 du 22 mars 1975, p. 284.
(2)
V. loi n° 84-64 du 16 août 1984 , JaRS n° 5023 du 1er septembre 1984, p. 584, abrogeant le
décret n° 75-261 du 10 mars 1975 précité. Adde décret d'application n° 84-992 du Il septembre
1984, JaRS n° 5028 du 6 octobre 1984, p. 655. Doct. v. J. ISSA-SAYEGH, op. cit.
(3)
Cependant, il est permis de relever quelques exemples de liquidation d'entreprises publiques:
arrêté n° 14396 du 20 octobre 1987 prononçant la clôture de la liquidation de la Société Nationale
d'Approvisionnement, JaRS N° 5204 du 5 décembre 1987, p. 760 ; arrêté n° 14395 du 20 octobre
1987 portant dissolution de la Société sénégalaise d'Edition (S.S.E.) et la Société d'Etudes, de
Gestion et d'Investissement, JaRS n° 5204 du 5 décembre 1987 ; loi n° 73-34 du 9 juin 1973
portant dissolution de la SODAIGA (Société de Développement agricole et industriel de la
Casamance, EPIC créée par la loi n° 68 du 14 juin 1968), JaRS du 30 juin ,1973.1, p. 1324 ; loi
portant dissolution de la Caisse de Péréquation et de Soutien des Prix à paraftre. Doct. v. Demba
SY, Droit public économique, Chronique générale, Annales Africaines 1989-1990-1991, p. 214.
(4)
Jean F. PIRUS, op. cit. p. 09.
146
commerciales(l) a favorisé la création de groupements d'intérêt économique (GIE) par
la souplesse de leur création(2).
Ainsi, deux ou plusieurs personnes physiques ou morales peuvent constituer entre
elles, pour une durée déterminée, un groupement d'intérêt économique en vue de mettre
en oeuvre tous les moyens propres à faciliter ou à développer l'activité économique de
ses membres, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité (article 1473 du
COCC).
De cette définition, il apparaît formellement que le groupement d'intérêt
économique n'a pas pour objet de réaliser des bénéfices comme c'est le cas pour une
société civile ou commerciale.
Or, il se révèle, de plus en plus, que l'objet du groupement d'intérêt économique
(OIE) est dévié dans la pratique puisque cette structure regroupant des agriculteurs réalise
des profits comme n'importe quelle société commerciale. Par suite, une telle déviation de
l'objet du GIE est contraire à l'esprit de la politique des pouvoirs publics sénégalais
désirant faciliter, d'une part, l'encadrement de micro-projets(3) et, de l'autre, visant à
apporter un soutien efficace aux actions de développement, de toute nature, susceptibles
d'être entreprises dans tous les secteurs économiques(4).
(1)
V. loi n° 85-40 du 29 juillet 1985 précitée: articles 1473 à 1488 du COCc.
(2)
"Qu'est-ce qu'un GIE et comment le constituer ?", Publications Chambre de Commerce,
d'Industrie et d'Agriculture de Dakar, Série pratique des Publications du Service des Etudes, na
9 de la Série, p. 5.
(3)
V. exposé des motifs de la loi n° 85-40 du 29 juillet 1985 précitée.
(4)
Telle est la conviction de la Chambre de Commerce, d'Industrie et l'Agriculture de Dakar in
Qu'est-ce qu'un G.I.E. et comment le constituer? Publication précitée, p. 5.
147
En somme, dans les domaines entrant dans notre perspective, c'est-à-dire le
dépérissement des sociétés d'encadrement du monde rural, on peut affirmer que le recours
à d'autres acteurs du développement, en l'occurrence les agriculteurs, s'est effectué par
la substitution de groupements d'intérêt économique (GIE) à la mission traditionnelle
d'encadrement du monde rural par l'Etat.
Par suite, encore que l'objet du groupement d'intérêt économique (GIE) soit dévié
dans la pratique par une recherche de profits, on peut affirmer que la technique de
liquidation des entreprises publiques peut être conçue également comme une politique de
promotion d'une initiative privée collective qui a aussi trouvé fortune dans les
privatisations.
II - LES PRIVATISATIONS DES ENTREPRISES PUBLIQUES
La conduite de la politique de privatisation des entreprises publiques participe de
la Nouvelle Politique Industrielle (N.P.I.) dont le rôle est le désengagement de l'Etat des
secteurs industriels et commerciaux(l).
(1)
Jean-F. PIRUS, op. cit. p. 9 et s.
Sur l'ensemble de la question, v. Papa Amadou FALL et Pape Massène SECK, Libéralisation et
privatisation au Sénégal - Une approche par les grands monopoles et filières, Etude réalisée en
octobre 1995 pour le compte de la Fondation Friedrich EBERT.
148
Malgré un certain scepticisme qui a entouré cette opération de privatisation(l),
elle n'en a pas moins poursuivi son évolution amorcée depuis l'adoption de la loin° 87-23
du 18 août 1987(2) qui définit le cadre législatif de base.
Cette loi fut pnse en application de l'article 56 alinéa 2 de la Constitution
sénégalaise qui précise que les règles de transfert de propriété d'entreprises du secteur
public au secteur privé sont fixées par la loi(3). D'où la nécessité de relever un défi
stratégique, juridique et institutionnel(4). Dans cette optique, la conduite des opérations
de privatisations a suscité la mise en place de différentes structures(5) en vue
(1)
Demba SY, op. cil. p. 214.
En effet, l'auteur pense que la cession des actions de l'Etat pose de nombreux problèmes qu'il est
difficile à résoudre: y a-t-il l'environnement structurel, économique et institutionnel adéquat? N'y
a-t-il pas des difficultés à trouver des acheteurs? N'y a-t-il pas des risques à remettre l'économie
entre les mains d'étrangers?
(2)
Loi n° 87-23 du 18 août 1987, n° 5192 du 12 septembre 1987. Commentaire de cette loi, v.
CAVERIVIERE, La privatisation des entreprises publiques au Sénégal, Revue Congolaise de Droit
n° 718, janvier-déc. 1990, p. 102.
Adde loi n° 95-05 du 5 janvier 1995 complétant l'annexe à la loi n° 87-23 du 18 août 1987 sur
la privatisation, JORS n° 5617 du 21 janvier 1995, p. 52.
Erratum à la loi n° 95-05 du 5 janvier 1995 publiée au JORS n° 5617 du 21 janvier 1995, p. 52
in JORS n° 5627 du 25 mars 1995.
(3)
V. exposé des motifs de la loi nO 87-23 du 18 août 1987 précitée.
(4)
V. Pierre QUISLAIN, "Les privatisations. Un défi stratégique, juridique et institutionnel". De
Boeck Université Bruxelles, CoIlection DroitlEconomie, 1995.
(5)
V. décret n° 87-1476 du 27 nov. 1987 portant organisation et fonctionnement de la Commission
spéciale de suivi du désengagement de l'Etat, JORS du 12 déc. 1987, p. 769 ; décret n° 87-1477
portant attribution de la Délégation à la réforme du secteur parapublic. Mêmes références, p. 770
; décret n° 88-232 du 4 mars 1988 portant organisation de la procédure d'offre publique de vente
de cession de titres de l'Etat, JORS 23 avril 1988, p. 266.
149
d'atteindre les objectifs(l) visés par la mise en vente d'une partie du portefeuille de
l'Etat(2).
L'objectif qui nous paraît primordial, dans notre perspective, demeure celui de
l'encouragement à l'accès des petits épargnants au capital qui se réalise, dans le cadre de
la privatisation du capital, par une cession partielle ou totale des actions de l'Etat dans les
sociétés publiques anonymes(3).
Dans tous les cas de ceSSiOn, il est surtout fait appel à une initiative privée
nationale(4) ; ce qui aura pour effet de transformer fondamentalement la structure de
l'entité étatique qui sera, par conséquent, presqu'entièrement soumise aux règles du droit
commercial des sociétés.
Il s'agira, alors, de montrer que si la cession totale dès actions de l'Etat au secteur
privé entraîne nécessairement le choix de l'une des formes de sociétés commerciales
prévues par la loi sur les sociétés commerciales; en revanche, la cession partielle ne peut
s'accommoder que d'un type de société, à savoir la société anonyme, puisque l'exposé des
motifs de la loi sur les privatisations ne vise que les entreprises d'économie mixte. Il
s'ensuit, qu'en cas de cession totale, les associés ne pourront adopter que l'une des formes
de sociétés prévues par l'article 1080 COCC qui énumère la société en nom collecti f, la
société à responsabilité limitée (SARL), la société anonyme (SA) et la société en
participation. L'adoption de l'une des formes de ces sociétés commerciales est si
(1)
Ce sont: l'autonomie et la responsabilisation effective des gestionnaires, la mobilisation et
l'orientation de l'épargne publique et privée vers des investissements productifs; la suppression
ou réduction notable des subventions versées au secteur public et parapublic ; et l'encouragement
à l'accès au capital des petits épargnants.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 87-23 du 18 août 1987 précitée.
(3)
V. art. 1er de la loi n087-23 du 18 août 1987 précitée et la liste des entreprises annexées à la loL
(4)
V. exposé des motifs de la loi n° 87-23 du 18 août 1987 précitée.
150
impérative qu'aucune société commerciale ne peut être constituée au Sénégal, en dehors
de ces formes sociales déterminées(l).
En revanche, dans le cas d'une cession partielle, on relève que l'Etat conserve une
partie des actions, ce qui a pour effet de maintenir la forme nécessaire et obligatoire de
la société anonyme(2).
Seulement, une telle situation ne manquera pas de susciter des difficultés surtout
dans l' hypothèse où la participation publique n'atteint guère 50 % du capital social. Ceci
est d'autant plus imaginable que la loi portant privatisation (art. 1er) se borne seulement
à préciser que la cession peut être partielle. Par conséquent, rien n'interdit à l'Etat de
céder plus de 50 % de ses actions.
Or, si une telle hypothèse se réalise, doit-on encore cfasser la nouvelle société dans
la catégorie de la société anonyme à participation publique majoritaire prévue par la loi
n° 90-07 ?(3). Ou bien encore, doit-on considérer que la nouvelle société doit
juridiquement échapper aux organes étatiques de contrôle ?(4).
La réponse à la première question doit être évidemment négative puisque la
classification retenue par cette dernière loi (art. 2) parle clairement de société anonyme
à participation publique majoritaire pour laquelle il est précisé, en outre (article 6 alinéa
(1)
V. art. 1080 alinéa 2 COCc.
(2)
En effet, lorsque la participation de l'Etat est partielle dans une société publique anonyme, cette
dernière ne pourra emprunter que la forme de société anonyme à participation publique majoritaire
ou bien à participation publique minoritaire.
(3)
V. loi n° 90-07 du 26 juin 1990 relative à l'organisation et au contrôle des entreprises du secteur
parapublic... JaRS n° 5358 du 7 juillet 1990, p. 325 et suivantes.
(4)
Les organes de contrôle prévus par la loi n° 90-07 in fine sont: l'Inspection générale d'Etat, le
Contrôle financier el la Commission de vérification des comptes et de contrôle des Entreprises
. publiques.
151
1er) que ce sont des sociétés où "la ou les personnes publiques possèdent directement ou
indirectement au moins 50 % du capital social".
Pour répondre à la seconde question, la référence au même texte de loi (article 48)
révèle l'existence de la catégorie de société anonyme à participation publique minoritaire,
laquelle est conçue comme une société de droit sénégalais dans laquelle la participation
publique directe ou indirecte de l'Etat est inférieure à 50 % du capital social. Par
conséquent, on relève, de par la loi, que cette forme de société est alors soumise au
contrôle de certains organes au titre du contrôle des personnes morales de droit privé
bénéficiant du concours financier de la puissance publique et des sociétés anonymes à
participation publique minoritaire(l).
La réponse nette à la seconde question est donc négative dans la mesure où nous
venons de démontrer que la société anonyme à participatiàn publique minoritaire peut être
soumise à des organes étatiques de contrôle tels que l'Inspection générale d'Etat(Z) ou
le Contrôle financier(3).
On le voit donc, la privatisation des entreprises publiques fait intervenir d'autres
acteurs du développement, soit en les mettant aux côtés de la puissance publique, soit en
leur confiant entièrement la direction de secteurs économiques importants.
Mais, s'il est acquis que la politique de privatisation est un puissant moyen
permettant l'éclosion de sociétés de droit commercial et constitue, de ce fait, un cadre
propice à l'épanouissement d'une initiative privée nationale et étrangère justifiée par une
(1)
V. Titre 4ème de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
(2)
V. article 49 alinéa 1er de la loi n° 90-07 du 26 juin 1990 précitée.
(3)
V. art. 31 à 33 de la même loi, mêmes références.
152
insuffisance de ressources disponibles(l), que penser alors des résultats concrets de la
privatisatio~ au moment où nous écrivons ces lignes?
Ces résultats concrets seront appréciés par rapport, d'une part, aux intérêts de la
puissance publique et, d'autre part, au rôle joué par les repreneurs.
S'agissant des intérêts de la puissance publique, la privatisation des entreprises
publiques a été une importante source de financement de l'Etat. Ainsi, on note que la
première vague de privatisation, celle de la première génération, a rapporté une vingtaine
de milliards de francs CFA (dont la moitié sur la SOCOCIM). De plus, celle de la
deuxième génération qui concerne les entreprises dites stratégiques comme la SONEES,
la SONATEL, la SONACOS et la SENELEC sera beaucoup plus substantielle au plan
financier(2).
Concernant les repreneurs, il ressort de l'aveu du chef de la Cellule de gestion et
de contrôle du portefeuille de l'Etat que la première vague de privatisations n'a pas été
un succès total(3).
En définitive, on peut dire, qu'à l'heure actuelle, le bilan de la privatisation doit
être mitigé. En effet, même dans l' hypothèse où la privatisation peut être saluée comme
un franc succès, l'on peut raisonnablement se poser la question de savoir si, en l'absence
d'une bourse des valeurs, les actions publiques ont été cédées à leur juste prix. C'est dire
(1)
A. Mathurin DIOP, "L'insertion des entreprises privées dans l'effort de développement au
Sénégal", R.I.P.Le., 1978, p. 265.
(2)
Ces renseignements sont fournis par le quotidien gouvernemental Le Soleil du samedi 8 et
dimanche 9 juin 1996, p. 6.
Selon cette source, 22 entreprises ont été privatisées dans la première génération et Il ont été
liquidées.
(3)
C'est ce qui ressort de l'interview publiée dans Le Soleil du mardi 12 mars 1996, p. 7 où il a été
noté des problèmes au sujet de la privatisation de la SERAS et de la SIDEe.
153
qu'en suggérant la politique de privatisation des entreprises publiques, les bailleurs de
fonds n'ont pas pris en compte la nécessité préalable et indispensable d'une bourse des
valeurs qui est pourtant un instrument essentiel de la politique de privatisation.
C'est la preuve que les politiques économiques concoctées de l'extérieur ne
prennent pas toujours en compte les réalités nationales des Etats. Alors, d'où viendra la
solution? Elle semble arriver très prochainement grâce à des études qui sont en cours
pour la mise en place d'une bourse des valeurs(l) ou bien à la concrétisation du traité
de l'harmonisation du droit des affaires en Afrique que, pourtant, des villes comme
Abidjan, n'ont pas attendue. Quel bel exemple !
Nous venons ainsi de démontrer que l'allégement des formalités de constitution des
sociétés commerciales et le processus de démantèlement du portefeuille de l'Etat par le
biais de la privatisation et de la liquidation d'entreprises publiques constituent des mesures
de promotion de l'initiative privée collective. Il reste, à présent, à envisager le train des
mesures qui a pour ambition de promouvoir l'initiative privée individuelle.
SECTION 11-
MESURES DE PROMOTION DE L'INITIATIVE PRIVEE
INDIVIDUELLE
Ces mesures reposent sur la politique des pouvoirs publics sénégalais consistant à
mettre sur place les conditions d'une meilleure implication des opérateurs privés
sénégalais dans le tissu économique national.
(1)
V. interview du Soleil du mardi 12 mars 1996, p. 7. C'est une révélation du chef de la Cellule de
gestion et de contrôle du portefeuille de l'Etat.
154
Le contexte de libéralisation dans lequel s'inscrit cette volonté étatique nécessite
alors l'établissement d'un cadre juridique favorable au développement du secteur
privé(l) auquel appartiennent les opérateurs privés sénégalais en activité ou en herbe.
Dans cette optique, il y a eu surtout une levée des contraintes administratives par la
suppression de l'autorisation et de la déclaration préalables dans l'exercice des activités
économiques (Sous-Section 1) et la libéralisation de l'exportation et de l'importation des
produits (Sous-Section II).
Sous-Section 1 -
LA SUPPRESSION DE L'AUTORISATION ET DE LA
DECLARATION PREALABLES DANS L'EXERCICE DES
ACTIVITES ECONOMIQUES
La suppression de ces formalités administratives découle du nouveau régime
d'exercice des activités économiques en vue de faciliter leur accès au plus grand nombre
de postulants.
Dans cette perspective, le socle législatif de cette suppression constitué par la loi
na 94-69 du 22 août 1994(2) a mis fin aux formalités d'autorisations ou de déclarations
préalables naguère exigées pour l'exercice de professions industrielles, artisanales ou
(1)
V. Rapport Banque Mondiale sur le développement dans le monde 1996 intitulé De l'économie
planifiée à l'économie de marché, p. 107.
Une telle nécessité avait été déjà prise en compte par les pouvoirs publics sénégalais qui notaient
déjà que "lors des concertations avec les opérateurs économiques, il avait été constaté
particulièrement un déphasage entre l'évolution du tissu économique et son environnement
juridique qu'il fallait améliorer".
Sur cette question v. exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 sur les prix, la
concurrence et le contentieux économique, JORS N° 5595 du 7 août 1994.
Adde Mohamed Salah Mohamed, Le principe de la liberté du commerce et de l'industrie dans lès
pays en développement, communication présentée au Colloque du Bicentenaire organisée par
I;A.LD.É: sur les principes de 1789 et le Droit économique, Paris-Bastille, 16-18 novembre 1989.
(2)
V. loi n° 94-69 du 22 août 1944 fixant le régime d'exercice des activités économiques, JORS n°
5595, p. 395.
155
commerciales(l) ou bien pour l'exercice des activités de promotion, de transaction et
de gestion immobilière, d'étude et conseil en organisation et en gestion d'entreprises et
de conseil juridique(2). En effet, cette loi (art. 2) précise formellement que les activités
économiques s'exercent en principe librement, et la conséquence qui s'ensuit est que c'est
le régime de la liberté qui gouverne désormais l'exercice de toutes les activités
économiques.
Mais que recouvre cette notion d'activités économiques?
L'importance d'une telle notion a été perçue par le législateur de 1994(3) qui,
à travers l'art. 1er de la loi n° 94-69 du 22 août 1994 précitée, définit l'activité
économique "comme une activité de production, de transformation, de distribution de
biens et de prestations de services ou de certaines de ces fonctions indépendamment de
la nature des biens ou des services ou de la qualité ou du' statut de celui qui exerce cette
activité".
C'est là assurément une formule assez large pouvant être retenue dans tous les cas
où la finalité de l'activité économique est de réaliser des bénéfices ou des économies.
Il s'ensuit que la suppression des formalités administratives va s'appliquer à un
ensemble d'activités qui ignorent désormais le clivage classique d'activités civiles ou
commerciales. En effet, l'unique critère retenu par la loi (art. 1er) est que l'activité
exercée se rapporte à l'économie du pays ; peu lui importe sa nature civile ou
commerciale. Ceci a été même corroboré subséquemment par le texte (article 1er alinéa
(1)
Loi n° 81-61 du 24 novembre 1981, JORS n° 4869 du 12 décembre 1981, p. 1078.
(2)
Loi n° 82-07 du 30 juin 1982, JORS n° 4899, du 3 juillet 1982, p. 469.
(3)
En effet, c'est la première fois, à notre connaissance, que la notion d'activité économique a été
définie par le législateur sénégalais.
156
2) qui énumère, à titre indicatif, dans le champ d'application du texte, des activités qui
se rattachent au commerce, comme l'activité commerciale, industrielle, bancaire ou
financière et des activités se rapportant à la vie civile, comme l'activité intellectuelle.
Donc, pour les raisons tenant à cette méconnaissance de la distinction traditionnelle
entre activités civiles et économiques, on peut dire que le nouveau régime de liberté
d'exercice des activités économiques se rattache au mouvement moderne qui considère les
activités économiques dans leur ensemble sans distinguer entre les activités civiles et
commerciales(l).
En définitive, la suppression des formalités administratives va s'appliquer à un
vaste secteur d'activités économiques permettant ainsi de faciliter l'accès des opérateurs
privés à des actions de développement. Il s'ensuit que cette mesure correspond à un souci
de relancer non seulement l'investissement mais encore et surtout à créer de nouveaux
emplois(2).
Comme on le voit, l'abandon des restrictions administratives, dans la phase de
libéralisation du développement, est un instrument de politique publique qui cherche à
mettre en harmonie le tissu économique avec un nouvel environnement juridique(3).
Ce qui rejoint, en somme, l'assertion de M. FARJAT selon laquelle "le contrôle de
(1)
Comp. le Code guinéen des activités économiques (art. 2) en est un exemple.
Art. 2 du Code des activités économiques de Guinée (loi n° U92/043 CTRN du 08 décembre
1992. "L'activité économique est une activité de production, de transfonnation, de distribution de
biens et de prestations de services ou de certaines de ces fonctions indépendamment de la nature
des biens ou des services ou de la qualité du statut de celui qui exerce cette activité".
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-67 du 22 août 1994 supprimant l'autorisation préalable à
l'exercice de certaines activités économiques (article unique), JORS n° 5595 du 27 août 1994.
(3)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
157
l'administration est toujours l'expression d'une politique et non la consécration d'un
principe intangible"(1).
Il s'y ajoute que la pertinence d'une telle affirmation a été démontrée par l'éminent
auteur Abdoulaye SAKHO(Z) qui soutient que cette observation de M. FARJAT est
valable pour le Sénégal où le libéralisme ambiant conduit à la réglementation
(administrative) à la désuétude.
La même constatation peut-elle être soutenue à propos de la politique de
libéralisation des filières du commerce?
Sous-Section II -
LA
LIBERALISATION
DE
L'EXPORTATION
ET
DE
L'IMPORTATION DES PRODUITS
La politique de libéralisation vise, ici, à rendre plus fluide la circulation des
marchandises dans le commerce avec l'extérieur. Dans cette optique, les autorités
administratives ont décidé d'abolir les restrictions administratives prises sous forme
d'autorisation préalable ou de déclaration préalable(3). Il s'ensuit une intervention des
pouvoirs publics sénégalais sur les deux plateaux de la balance commerciale que sont
l'exportation et l'importation.
(1)
En droit français. v. G. FARJAT, Droit économique, PUF, p. 560.
(2)
A. SAKHO. Les groupes de sociétés et le droit (Contribution à la recherche sur la notion de
pouvoir en droit privé). Thèse de doctorat d'Etat. Dakar, 1993. p. 121.
(3)
V. Rapport de présentation du décret n° 94-668 du 30 juin 1994 portant libéralisation de certains
produits à I·e~portation. JaRS n° 5595 du 27 août 1994.
Adde Rapport de présentation du décret n° 94-668 du même jour portant libéralisation de certains
produits à l'importation. Mêmes références.
158
Dans le premier cas, le décret supprimant les autorisations administratives à
l'exportation de certains produits qu'il précise(1) permet de conférer un nouveau régime
marqué du sceau de la liberté d'exportation.
Au surplus, pour les formalités administratives nécessitant un coût financier pour
leur confection et un délai important de procédure pour leur mise en oeuvre, leur abolition
rendra moins onéreux les coûts d'exportation et plus rapide le mouvement des
marchandises et des capitaux. Par suite, ceci contribuera positivement, non seulement, à
mettre en place un environnement juridique favorable à l'émergence des pôles axés sur
l'exportation, mais encore, à améliorer la compétitivité des exportations.
Une telle orientation des autorités administratives doit pOUVOIr, en définitive,
stimuler une initiative privée individuelle dans la mesure où la liste des produits désignés
à l'annexe du décret de libéralisation de l'exportation montre bien qu'il s'agit d'une
catégorie socio-professionnelle, en l'occurrence les paysans et le bijoutiers qui bénéficie
de cette mesure de liberté à l'exportation.
Le choix d'une telle catégorie socio-professionnelle paraît être motivé, en dehors
de son importance numérique incontestable, par une politique de promotion des produits
du secteur agricole à l'extérieur.
Relativement à l'importation
des
produits,
l'autorité
administrative s'est
pareillement préoccupée de la suppression du régime des autorisations ou déclarations
préalables à l'importation devenues pour la plupart sans objet dès lors que la dévaluation
(1)
Désignation des produits : céréales, arachides de bouche non grillées en coque, arachides de
bouches non grillées décortiquées, perles fines, pierre, gemmes et similaires ouvrages en métaux
précieux, bijouterie de fantaisie.
159
intervenue le 12 janvier 1994 constitue, en principe, un moyen de protection efficace de
l'économie nationale contre les importations(l).
Le domaine d'application de la suppression des autorisations administratives à
l'importation a été d'abord limité à une multitude de produits désignés à l'annexe du
décret na 94-669 du 30 juin 1994(2)
Seulement, avec la bénédiction de la politique de libéralisation devenue un
processus irréversible au Sénégal, le domaine d'application de la suppression des
autorisations administratives à l'importation est appelé à s'accroître, de plus en plus, dès
lors que l'autorité administrative se détermine toujours en fonction du contexte et de
l'opportunité au moment d'agir. Dans cette perspective, l'acceptation de la pression des
opérateurs commerçants sénégalais a conduit le gouvernement à libéraliser les filières
d'importation du sucre(3) et du riz qui sont des dènrées stratégiques de première
nécessité.
En définitive, la libéralisation de l'exportation des produits peut être considérée
comme un moyen permettant de promouvoir une initiative privée individuelle par une
participation massive facilitée par l'abolition des formalités administratives
(1)
V. Rapport de présentation du décret n° 94-669 du 30 juin 1994 précité.
(2)
V. Annexe du décret visé.
(3)
Cela n'a été possible que grâce à la révision de la Convention qui liait l'Etat du Sénégal à la
Compagnie Sucrière Sénégalaise (C.S.S.) en instituant au profit de cette dernière un monopole
privé d'exploitation et d'importation du sucre qui est devenue incompatible avec les principes de
la libé~a1isation. Par ailleurs, la libéralisation de cette filière. d'importation du sucre est
considérablement limitée, .voire anéantie par le maintien d'une protection tarifaire désignée
banalement "surtaxe à l'importation".
160
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
Il est maintenant acquis que la politique de libéralisation de l'économie est un
facteur décisif de renforcement de l'initiative privée, qu'elle soit collective ou individuelle..
Ce renforcement peut être surtout constaté à travers la place prépondérante qui est
désormais accordée aux opérateurs privés dans les actions de développement grâce au
nouvel environnement juridique marqué par l'établissement d'un cadre juridique favorable
au développement du secteur privé(l).
Au surplus, cela a été vérifié, avec certitude, à travers les mesures d'allégement des
formalités de constitution des sociétés commerciales, les mesures de privatisations et de
liquidations des entreprises publiques et les mesures de suppression des autorisations
administratives relatives d'une part, au régime d'exercice' des activités économiques et,
d'autre part, à la libéralisation de l'exportation et de l'importation des produits.
Cependant, il faut se garder de la tentation consistant à dire que les mesures de
renforcement de l'initiative privée constituent une porte ouverte à toutes les permissions.
En effet, comme nous l'avons proposé dans notre problématique de dép art(2) , cela ne
saurait être le cas dans la mesure où le libéralisme n'est pas incompatible avec des
mesures d'inspiration dirigiste. Il s'ensuit que, dans un contexte de libéralisation
économique dont le corollaire est maintenant la doctrine de la libre concurrence(3), il
(1)
V. Rapport Banque Mondiale sur le développement dans le monde 1996 intitulé De l'économie
planifiée à l'économie de marché, p. 107.
(2)
V. supra p.32- Introduction de la première Partie de cette thèse.
(3)
C'est ce qui ressort de l'exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 sur les prix, la
concurrence et le contentieux économique, JORS n° 5595 du samedi 27 août 1994, p. 384. En
l'occurrence, il y ·est; clairement précisé que "le libre jeu de la concurrence est un pendant du
libéralisme" .
Adde Rapport Banque Mondiale précité, pp. 111 et 112.
161
doit être pris des garde-fous que nous systématisons par le concept de mesures de
sauvegarde contre les dérives d'une libéralisation qui constitueront le second axe de nos
réflexions sur l'ordre public économique de direction dans la phase de libéralisation du
développement.
162
CHAPITRE fi -
MESURES DE SAUVEGARDE CONTRE LES DERIVES
D'UNE LffiERALISATION
Du fait qu.'aucun Etat n'accepte de cautionner des actes et faits susceptibles d'avoir
des répercussions négatives sur son économie(l), il en résulte que les pouvoirs publics
se réservent, toujours, un droit de regard dans le jeu des acteurs économiques; et cela se
vérifie même dans un contexte de libéralisation de l'économie. Il s'ensuit l'instauration
de m~canismes de contrôle destinés à pallier les dérives d'un libéralisme triomphant qui
n'est pas exempt de risques de dérapages(2). D'où la nécessité de la prise de mesures
législatives de contrôle qui sont d'autant plus compréhensibles qu'entre le fort et le faible,
c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui libère, selon la fameuse formule de
LACORDAIRE.
Une première série de mesures peut résulter de' la loi n° 94-63 du 22 août
1994(3) qui, en son article 1er, dispose, entre autres, qu'elle tend à prévenir toute
pratiq ue anticoncurrentielle, à assurer la loyauté, et la régularité des transactions et,
notamment, la transparence des prix, la lutte contre les pratiques restrictives et la hausse
des prix. A cette fin, il a été institué un arbitre, en l'occurrence la Commission nationale
de la concurrence qui est chargée de contrôler le libre jeu de la concurrence considéré
comme un pendant du libéralisme(4).
(1)
V. A. SAKHO, Les groupes de sociétés et le droit (Contribution à la recherche sur la notion de
pouvoir en droit privé), Thèse de doctorat d'Etat, Dakar, 1993, p. 120.
(2)
V. Quotidien gouvernemental Le Soleil du lundi 20 février 1995, pp. 1 et 2 - Commerce :
nouvelles règles du jeu. Ainsi que le souligne le quotidien, "la libéralisation plus poussée de
l'économie nationale comporte des risques de dérapages sur le marché local avec l' éUlique du
"laisser faire. laisser aller" qui est souvent faussée dans la pratique par des agissements
anticoncurrentiels... ".
(3)
Loi n° 94-63 du 22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique, JaRS
n° 5595 du samedi 27. août 1994, p. 384.
(4)
V. Exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
163
Dans ce mouvement, on peut également retenir d'autres mesures législatives
comme le maintien de la formalité de l'autorisation préalable(1) ou bien la défense de
la production nationale contre les pratiques commerciales illicites(2), lorsque, du moins,
elles sont motivées par la sauvegarde de l'intérêt général c'est-à-dire, en l'occurrence, les
intérêts économiques supérieurs de la nation.
Enfin, dans le domaine spécifique de la réglementation de la monnaie et du crédit,
les pouvoirs publics ont institué une politique tendant à prévenir des opérations néfastes
à l'économie nationale. Dans cette perspecti ve, les opérations usuraires et les taux d'intérêt
excessifs pourront être réprimés(3).
En somme, il s'agira de montrer, qu'au-delà de la diversité des matières passées
en revue, il existe une constante qui est celle de la lutte contre les dérives d'une
libéralisatïon de l'économie du développement par l'institution d'un contrôle (Section 1).
Ce contrôle ne pouvant être efficace que s'il peut conduire à des sanctions, l'étude
de ces dernières paraît naturellement s'imposer. A cet égard, la mise en oeuvre de
l'effectivité des sanctions nécessite d'envisager dans un second axe de réflexion la
question du régime juridique du contrôle (Section II).
(1)
V. loi n° 94-63 du 22 août 1994 fixant le régime d'exercice des activités économiques, JaRS n°
5595, p. 395.
(2)
V.. loi n° 94-68 du 22 août 1994 relative aux mesures de sauvegarde de la production nationale
contre les pratiques commerciales illicites, JaRS n° 5595, pp. 394 et 395.
(3)
V. loi n° 94-66 du 22 aoOt 1994 abrogeant et remplaçant l'article 541 du Code des Obligations
civiles et commerciales (COCC) et modifiant la loi n° 81-25 du 25 juin 1981 relative à la
répression des opérations usuraires et aux taux d'intérêt, JaRS n° 5595, pp. 392 et 393.
164
SECTION 1 - L'INSTITUTION D'UN CONTRÔLE
L'institution d'un contrôle passe par deux modalités qui font appel, d'une part, au
rôle des pouvoirs publics et, de l'autre, à celui d'une Commission nationale de la
concurrence.
Le contrôle exercé par les pouvoirs publics peut être conçu comme un droit de
regard sur les acti vités économiques dans la mesure où aucun Etat n'accepte de cautionner
des actes et faits susceptibles d'avoir des répercussions négatives sur son économie(l).
De ce point de vue, ce contrôle demeure classique dès lors qu'il n'intervient que lorsque
l'intérêt général le justifie(2), c'est-à-dire lorsqu'il y a des impératifs tenant à l'ordre
public économique(3). Par conséquent, le problème sera de rechercher les cas où des
motifs d'ordre public économique justifient le contrôle exercé par les pouvoirs publics
(Sous-Section 1).
Relativement au contrôle exercé par la Commission nationale de la concurrence,
la nouveauté qu'elle constitue(4) justifie non seulement l'examen de sa composition et
ses règles de fonctionnement mais encore et surtout ses compétences qui consistent
fondamentalement à arbitrer le libre jeu de la concurrence(5). D'où la nécessité de
l'étude du contrôle exercé par la Commission nationale de la concurrence (Sous-Section
II).
(1)
A. SAKHO, op. cit. p. 120.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-69 du 22 août 1994 fixant le régime d'exercice des activités
économiques, JORS n° 5595 du 27 août 1994, p. 395.
(3)
A. SAKHO, op. cit. p. 120.
(4)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
(5)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
165
Sous-Section 1 - CONTRÔLE EXERCE PAR LES POUVOIRS PUBLICS
La nature du contrôle exercé par les pouvoirs publics(l) s'exerce dans une
multitude de domaines(2). Ces domaines divers et variés peuvent cependant être
répartis sélon des procédés qui tiennent compte des spécificités des différentes matières
soumises à contrôle.
Ainsi, s'agissant des prix, de la monnaie et du crédit,le maintien ponctuel de la
réglementation traduit une volonté des pouvoirs publics de garder un droit de regard sur
ces instruments qui constituent des éléments importants de la politique économique
générale.
Au surplus, ce droit de regard des pouvoirs publics s'est mué en une technique de
contrôle préalable sur la nature d'une activité économique lorsque l'intérêt économique
du pays le justifie.
Enfin, dans le souci de défendre la production nationale dans le jeu du commerce
international, les pouvoirs publics ont pris des mesures restrictives à l'encontre de
certaines importations étrangères.
En somme, il s'agira de montrer que si toutes ces politiques sont commandées par
une philosophie commune de direction de l'économie nationale, il est certain, par contre,
qu'elles n'obéissent pas toujours aux mêmes justifications dans la recherche d'un remède
aux excès d'un libéralisme triomphant. C'est pourquoi nous envisagerons, tour à tour, la
réglementation des prix à la consommation (1), la réglementation de la monnaie et du coût
(1)
Sur cette question, v. en droit français Elie ALFANDARI, Droit des Affaires, éditions LITEC,
1993, p. 85 et s. et p. 203 et s.
(2)
V. supra. Introduction du Chapitre avec les références des textes trailant des matières soumises
à contrôle; pp. 162 et 163.
166
du crédit (II), le contrôle préalable sur la nature d'une activité économique (III) et, enfin,
la restriction des importations étrangères (IV).
1-
LA REGLEMENTATION PARTICULIERE DES PRIX A LA
CONSOMMATION
L'admission de la réglementation du régime des prix au sein de l'ordre public
économique ne fait aucune difficulté(l). Il s'agit cependant de voir si cette assertion
de Mme P. LEMOYNE FORGES soutenue dans un contexte d'économie dirigée a
toujours valeur de principe dans un espace marqué par le libéralisme. En effet, depuis
l'adoption de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée, le régime de la fixation des prix
des biens, produits et services (article 2) est désormais déterminé par le jeu de la
concurrence. Par suite, cette disposition bouleverse fondamentalement le régime juridique
antérieur(2) qui faisait de la détermination libre des prix ùne exception.
De plus, de nos jours, il n'est retenu que deux exceptions pour faire échec au
principe de la liberté des prix.
La mise en oeuvre de ces exceptions aboutissant à une fixation particulière des
prix, la doctrine française a avancé, avec juste raison,la notion de réglementation
particulière des prix(3) qui intervient alors dans deux circonstances économiques et
sociales qui peuvent s'autoriser de la double exception retenue par les pouvoirs publics.
(1)
En droit français, v. Mme P. LEMOYNE FORGES, Ordre public et réglementation des prix, Rev.
trim. dr. corn., 1976,: pp. 415 à 447, cf. spéc. p. 418.
Adde Ph. MALAURIE, L'ordre public et le contrat, n° 78 et s. ; René SAVATIER, L'ordre public
"économique, Dalloz, 1965~ Chronique p. 37 et s.
(2)
V. loi n° 65-25 du 4 mars 1965 sur les prix et les infractions à la législation économique, JaRS
du 3 avril 1965, p. 386. Cette loi est aujourd'hui abrogée.
(3)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, op. cit. n° 107, p. 87.
167
La première exception retenue par la loi (art. 42) constitue une renonciation pure
et simple au régime libéral dans la mesure où les pouvoirs publics peuvent, de manière
permanente, fixer le prix de certains biens, produits et services par voie législative ou
réglementaire.
A cette fln, il est permis de penser que les pouvoirs publics cherchent à lutter,
d'une part, contre l'inflation qui est une mesure de politique économique ct, de l'autre,
à assurer une politique d'uniformisation des prix dans un certain nombre de secteurs
sociaux importants de la population.
L'autre exception au principe de la liberté des prix peut s'autoriser des dispositions
de l'article 43 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée. En effet, cet article marque son
autonomie par rapport à l'article 42 du même texte dès lors que des mesures temporaires
contre les hausses excessives des prix peuvent être prises n'onobstant les dispositions de
l'article 42.
Plus précisément; les mesures préconisées à l'article 43 du texte de loi ont,
contrairement à celle de l'article 42, une durée inscrite dans le temps puisqu'elles ne
peuvent excéder deux mois renouvelables une fois(l).
De plus, ce sont des mesures spéciales car elles ne concernent qu'un secteur
déterminé placé, par conséquent, sous la responsabilité du Ministre du Commerce.
Enfin, ces mesures doivent être motivées par une situation de calamité ou de crise,
par des circonstances exceptionnelles ou par une situation du marché manifestement
anormale. Cette précision traduit la volonté manifeste des pouvoirs publics de faire face
(1)
Contra: en France, la durée ne peut excéder 6 mois. Sur cette question, v. Elie ALFANDARI, op.
cit. n° 106, p. 86.
168
à une situation exceptionnelle de crise(l) pour procéder à une fixation autoritaire(2)
des prix dans un contexte pourtant marqué par le principe de la libre détermination du prix
des biens, des produits et des services.
En définitive, on peut affirmer, en réponse à notre problématique de départ, qu'une
réglementation des prix à la consommation n'est pas incompatible avec un contexte de
libéralisation de l'économie. Ceci paraît d'autant plus net qu'il est indispensable de dresser
des garde-fous dans la mesure où l'ennemi de la liberté peut être l'excès de l'exercice de
la même liberté. Sous cerapport, le contrôle ponctuel des pouvoirs publics en matière de
politique de fixation des prix à la consommation se justifie pleinement.
Peut-on soutenir la même affirmation en matière de monnaie et de crédit qui sont
des matières également réglementées?
II - LA REGLEMENTATION DE LA MONNAIE ET DU CREDIT
La monnaie et le crédit étant des instruments fondamentaux pour le développement
de l'économie nationale, il est normal que leur réglementation n'échappe pas aux pouvoirs
publics.
Cette réglementation se résume dans le concept d'ordre public monétaire qu'une
large partie de la doctrine française admet(3).
\\
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, L'ordre public économique, LGDJ, 1963, Introduction, n° 9, p.
16.
Au Sénégal, il n'est que de penser à la détermination autoritaire du prix du kilogramme de riz à
220 F CFA.
(2)
G. FARJAT, op. cil. n° 22 et 23, pp. 31 et 32.
(3)
En droit français, v. G. FARJAT, op. ciLn° 182 et s., p. 143 et s. ; Elie ALFANDARI, op. cit. n°
194, p. 148 ; Marcel FREJAVILLE, "Les clauses d'échelle mobile", Dalloz, 1952, pp. 30 à 34,
Chronique, v. spéc. p. 30; René SAVATIER, op. cit. Il précise notamment que "l'ordre public
169
De nos jours, le concept d'ordre public monétaire est en train de connaître une
extension liée au contact des échanges avec l'extérieur. C'est ainsi qu'à côté du principe
du nominalisme et du contrôle de la clause d'échelle mobile découverts par la
jurisprudence française(l), on observe également des mesures relatives au contrôle du
coût du crédit et aux changes.
Il s'agira, dès lors, de montrer qu'au-delà de ce train de mesures, il y a une
philosophie commune de direction de l'économie nationale par les pouvoirs publics
sénégalais.
Pour ce faire, il conviendra d'analyser, tour à tour, le train de mesures relatives à
la réglementation de la monnaie CA), puis celui relatif au coût du crédit (B).
A - La réglementation de la monnaie
La réglementation de la monnaie repose. essentiellement sur des mesures
préventives relatives aux tluctuations de sa valeur et à son introduction dans les relations
économiques financières avec l'étranger. A cet égard, des considérations économiques
vont conduire les pouvoirs publics à passer de la consécration légale du principe du
nominalisme monétaire au contrôle de la validité de la clause d'échelle mobile Ca), puis
à éprouver la nécessité d'une réglementation des changes Cb).
économique se trouve dans les dispositions annexes à la législation monétaire".
(1)
G. FARJAT, op. cil. n° 182, p. 143.
170
a -
De la consécration légale du principe du nominalisme monétaire
au contrôle de la validité des clauses monétaires
L'existence d'un pouvoir monétaire de l'Etat(l) lui a certainement permis de
déterminer
l'unité
de
compte(2).
Mais
au-delà,
cette
détermination
conduit
à
l'application du principe du nominalisme monétaire qui peut être conçu comme une
fiction(3) dans la mesure où, quelle que soit la baisse du pouvoir d'achat de la
monnaie, un franc restera toujours égal à un franc(4). La conséquence d'une telle
situation est que l'obligation sera toujours la somme numérique énoncée au contrat(S).
Une telle conséquence a été retenue par le législateur sénégalais qui a expressément
consacré ce principe à travers l'article 535 du Code des Obligations civiles et
commerciales (COCC)(6) qui traite du contrat de prêt(7).
Si le principe du nominalisme reste une règle d' àr difficilement contestable, des
difficultés pratiques ont cependant conduit le législateur sénégalais à autoriser les
particuliers à inclure des clauses monétaires.
(1)
V. Doudou NDOYE dans sa préface à l'ouvrage réalisé par A. SAKlIO sur La réglementation des
changes au Sénégal, Editions EDJA, Collection Documentation juridique africaine, Dakar,
novembre 1993.
Adde en droit français, v. P. HEBRAUD, L'or, le franc et les clauses monétaires, Dalloz, 1948,
pp. 137 à 140, v. spéc. p. 139 IV.
(2)
P. HEBRAUD, op. cit., ibidem.
(3)
V. J. ISSA-SAYEGH, Les fictions en Droit privé, Thèse, Dakar, 1968.
(4)
J.P. TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, NEA - LGDJ, Paris, 1981, n° 843, p. 309.
(5)
En droH français, v. P. HEBRAUD, op. cH. p. 139.
(6)
Article 535 du COCC - Restitution:
"L'emprunteur doit restituer les choses prêtées soit en nature, soit par équivalent, quelle que soit
l'augmentation ou la diminution de leur prix.
Lorsqu'il restitue par équivalent, il en doit la même quantité et qualité".
(7)
J.P. TOSI, op. ciL. n° 843, p. 309.
171
Cette nécessité paraissait d'autant plus justifiée qu'en raison de la dépréciation
monétaire, il fallait permettre aux contractants de se lier pour une certaine durée en
aménageant leurs relations(l).
Mais compte tenu du danger que pouvait comporter une telle autorisation, il a été
jugé indispensable de réglementer les clauses monétaires relatives au paiement des dettes
de sommes d'argent(2). A cet égard, la distinction proposée par le législateur
sénégalais(3) entre le paiement international et le paiement interne permettra
d'examiner, tour à tour, les conditions de validité des clauses monétaires dans les
paiements internationaux (a.l) et dans les paiements internes (a.2).
a.1-
Conditions de validité des clauses monétaires dans les paiements
internationaux
S'il ne paraît pas douteux que le caractère international conditionne largement la
validité de la clause payable en or ou en monnaie étrangère dans nos échanges
commerciaux avec l'extérieur(4), l'on ne peut s'empêcher de se demander face à une
absence de définition légale de la notion de paiement internationa1(S) ce que recouvre,
au fond, ce concept.
Toujours, en pareille occurrence, la jurisprudence, en vertu de son pouvoir
prétorien, a tenté une construction lorsque, du moins, elle est saisie. Ce fut le cas, en
(1)
En droit français, v. Marcel FREJAVILLE, op. cil. p. 31.
Adde TRASBOT, Dévaluation et contrats de Droit privé, Mélanges RIPERT, Tome 2, p. 168.
(2)
V. articles 183à 186 COCe.
(3)
V. articles 183 à 186 COCe.
(4)
V. art. 183 et art. 185 COCe.
(5)
Sur la notion de paiement international, v. en droit français, Philippe MALAURIE et L. AYNES,
Les contrats spéciaux, CUJAS. 1989, n° 896.
172
France, où elle a eu à rendre la solution selon laquelle pour qu'il y ait un paiement
international, peu importe la nationalité des parties, il faut et il suffit qu'il y ait transfert
de biens ou de fonds d'un pays à un autre(l). C'est-à-dire, comme le précisera plus
tard la haute juridiction française(2), "des opérat~s se traduisant par un double
mouvement de marchandises ou de valeurs de la France vers un pays étranger ou de celui-
ci vers la France".
Certes, une pareille interprétation a été déjà adoptée en droit sénégalais(3).
Celle-ci paraît d'autant plus soutenable que la prise en compte de la nationalité des parties
aurait eu pour conséquence de considérer des paiements comme internationaux alors qu'ils
sont, en réalité, internes. Pour s'en convaincre, il n'est que de choisir l'exemple de
personnes de nationalité différente qui effectuent, dans une opération interne, des
règlements de dettes de sommes d'argent au sein d'un même Etat. Il reste évident que
cette opération ne pourra être qualifiée, par le juge, que càmme un paiement interne(4).
Au surplus, l'admission du caractère international du paiement doit également
prendre en considération le fait que la zone internationale est celle qui se situe en dehors
de la zone franc pour apprécier les conditions de validité de la clause payable en or ou
en monnaie étrangère.
A ce sujet, la faveur du législateur sénégalais en matière de reconnaissance de la
validité de ces clauses demeure sans équivoque dans la mesure où elles sont déclarées
(1)
En droit français, v. Civ. 17 mai 1927, D.P. 1928.1, p. 25. Conclusions MAlTER, note H.
CAPITANT, S.l927.J, p. 289, note P. ESMEIN.
(2)
En droit français, v. Corn. 4 novembre 1958, Dalloz, 1959, p. 361, note Philippe MALAURIE.
(3)
V. J.P. TOSI, op.ciL n° 845, p. 310.
(4)
En droit français: sur le pouvoir de qualification du contrat par le juge, voir par exemple Crim.
22 février 1941, D.C. 1941, p. 71, Rapport NAST.
173
licites(l). Et il nous semble que cette reconnaissance législative peut reposer sur une
nécessité du commerce international(2) dès lors que les Etats n'ont pas forcément la
même monnaie légale.
En définitive, les pouvoirs publics n'autorisent la validité des clauses monétaires,
autres que la monnaie légale nationale, dans les échanges commerciaux internationaux,
que dans la mesure où elle est compatible avec les nécessités du commerce international.
Mais si nous quittons le domaine international pour le domaine interne, que
constate-t-on ?
a.2-
Conditions de validité des clauses monétaires dans les paiements
internes
Dans le domaine interne, il est clairement précisé' que les paiements ne peuvent
s'effectuer qu'en francs CFA (art. 183 COCC). La netteté d'une telle règle ne signifie
pourtant pas qu'aucune clause n'est possible ; la règle traduit seulement la volonté du
législateur de fixer autoritairement un élément du contrat qui est, en l'espèce, le franc
utilisable. Dès lors, il faut convenir que cette volonté législative laisse place à une certaine
liberté des parties qui pourront inclure, par exemple, des clauses visant à pallier les
inconvénients d'une dépréciation monétaire. Parmi ces clauses, nous retiendrons la clause
d'échelle mobile. Celle-ci peut se concevoir comme une clause ayant essentiellement pour
but d'opérer un réajustement automatique du prix de biens ou de services afin de tenir
compte de leur valeur marchande, elle-même due à l'érosion monétaire(3). Il s'ensuit
(1)
V. art. 183 et art. 185 du COCC précité.
(2)
C'est la solution retenue par la jurisprudence française. V. dans ce sens, Civ. 1ère 13 mai 1985.
Bull. civ. l, n° 146 ; Civ. 1er. 15 juin 1983, J.c.P. 1984.11, n° 20123. note J. Ph. LEVY.
(3)
En droit français: v. A. SERIA UX, Droit des Obligations, PUF, 1ère édition, janvier 1992, p. 129.
Adde Bruno BOCCARA, "Définir l'indexation", JCP 1985.1, n° 3187.
174
que les risques d'effet inflationniste ont conduit le législateur sénégalais à subordonner
sa validité à de strictes conditions fixées par les articles 186 et 537 du COCC(I).
Si, de nos jours, la validité de la clause d'échelle mobile a été reconnue, il convient
de faire remarquer cependant qu'il ya longtemps eu une incertitude qui a subsisté sur sa
valeur(2). Par suite, on pouvait noter une divergence de fond entre une jurisprudence
plus ou moins hésitante(3) et une doctrine qui admettait facilement la validité de la
clause dès lors qu'elle se préoccupait de se prémunir contre les conséquences de la
dépréciation monétaire(4). Par conséquent, malgré le fait que la validité ou la nullité
de la clause d'échelle mobile soit une création prétorienne(S), la jurisprudence française
ne l'avait pourtant pas accueillie avec beaucoup de faveur dans la mesure où seules étaient
considérées comme efficaces les clauses qui ont simplement pour but d'adapter les
prestations au cours de la monnaie, de suivre cette dépréciation sans la précipiter(6).
Cette étroitesse de l'interprétation jurisprudentielle française semble être partagée par le
législateur sénégalais qui exige surtout que l'indice de référence dans la clause d'échelle
mobile soit en relation directe avec l'économie du contrat (art. 186 COCC). Au surplus,
l'indice choisi ne doit pas dépendre de la volonté de l'une des parties car cela aboutira à
rendre le prix ineertain(7). Il résulte donc de la règle énoncée dans l'article 186 du
(1)
lP. TOSI, op. cit. n° 847, p. 310, note 9.
(2)
En droit français, v. Marcel FREJAVILLE, op. cil. pp. 31 à 34.
Sur les prudences que doit observer un praticien rédigeant un acte contenant des clauses d'échelle
mobile, v. Pierre AZARD, "L'instabilité monétaire et la notion d'équivalence dans le contrat", JCP
1953, n° 1092.
(3)
Sur l'ensemble de cette question, en droit français, v. M. FREJAVILLE, op. cit. p. 31.
(4)
En droit français, v. Marcel FREJAVILLE, op. cil. p. 31 ; Pierre AZARD, op. cit. n° 3.
(5)
Endroit français, v. G. FARJAT,op. ciLn° 182, p. 143.
(6)
M. FREJAVILLE, op. cit. p. 31.
(7)
Pour une application jurisprudentielle en droit français, v. Civ. 16 juillet 1974, Dalloz, 1974, p.
681, note Philippe MALAURIE.
175
COCC qu'il est possible de déclarer illicites des indices généraux choisis par les parties
ou bien encore des indices particuliers mais non reliés à l'économie du contrat. Ce qui
suppose en définitive que, même si les particuliers peuvent prévoir des clauses permettant
de "corriger" la rigidité du principe du nominalisme monétaire, ils n'en demeurent pas
moins soumis au contrôle des pouvoirs publics justifié par le fait que les premiers agissent
directement sur la valeur de la monnaie par le biais de l'échelle mobile(1).
Sans doute, n'est-cc pas là la raIson qui fait dire à la doctrine française, et
singulièrement FREJAVILLE, avec juste raison, que "le critérium de l'efficacité de la
validité des clauses monétaires ne peut être recherché que dans des considérations
touchant à l'ordre public économique et monétaire(2).·
b - Nécessité d'une réglementation des changes
La nécessité d'une réglementation des changes 's'est traduite au Sénégal par
l'adoption de l'ordonnance n° 94-28 du 28 février 1994 organisant les relations financières
avec l'étranger(3) qui constitue le siège légal principal de la matière.
Selon l'article premier de l'ordonnance, les relations financières entre la République
du Sénégal et l'étranger sont libres. Cependant, précise le texte (article premier alinéa
1er), le Président de la République peut, par décret, apporter à cette liberté toutes les
,
restrictions compatibles avec les engagements internationaux souscrits par l'Etat. C'est
dans cette perspective que le gouvernement du Sénégal a déjà pris trois décrets ayant pour
(1)
En droit français, v. P. HEBRAUD, op. cit.
(2)
En droit français,_ v. M. FREJAVILLE, op. cit.
Adde René ROBLOT, "Les répercussions de la réglementation française des changes sur la
formation et l'exécution des obligations, Rev. Dr. soc., 1954, pp. 129 à 137, v. spéc. p. 130.
(3)
Cette ordonnance est publiée à la Revue de l'Association Sénégalaise de Droit Pénal, na 2, de
juilJet-décembrç 1995,. Partie Législation, p. 97 et s. Elle modifie et remplace la loi na 67-33 du
30 juin 1967 portant sur le même objet. Cette dernière loi avait également modifié et remplacé
ceBe du n° 63-39 du 10 juin 1963.
176
objet de réglementer certaines opérations financières avec l'étranger(l) ainsi que
certaines opérations d'investissements et d'emprunts avec l'étranger(2).
Il s'ensuit, selon la proposition d'une doctrine autorisée, que la réglementation des
changes
repose
sur
une
base
légale
couplée
d'une
multitude
de
textes
gouvernementaux(3). Ces textes du gouvernement ont vocation à s'appliquer à un vaste
domaine de restrictions chaque fois que ce sont des intérêts nationaux qui sont en cause
(article 1er alinéa 2 de l'ordonnance). Une telle interprétation sera même renforcée par la
teneur de l'ordonnance (article 1er alinéa 3) qui, en faisant usage de l'adverbe
"notamment" pour énumérer les matières soumises à restriction(4), entend donner un
caractère extensible à la disposition visée.
(1)
V. décret n° 68-1324 du 19 décembre 1968 et décret n° 69-1126 du 17 octobre 1969. Ces 2
décrets sont publiés dans l'ouvrage précité de A. SAKHO sur La réglementation des changes au
Sénégal,pp. 16 et 23.
(2)
V. décret n° 69-1133 du 21 octobre 1969. Ce décret est publié dans le même ouvrage de A.
SAKHO, p. 26 et s.
(3)
Doudou NDOYE, Préface du même ouvrage de A. SAKHO.
Adde A. SAKHO, Thèse précitée, pp. 121 à 123.
En droit français, v. René ROB LOT, op. cil. pp. 129 à 137.
(4)
Ce sont:
1°_ soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle:
a -
les opérations de change, les mouvements de capitaux et règlements de toute
nature entre la République du Sénégal et l'étranger;
b -
la constitution, le changement de consistance et la liquidation des avoirs
sénégalais à l'étranger;
c -
la constitution et la liquidation des investissements au Sénégal;
d -
l'importation ou l'exportation de l'or ainsi que tous autres mouvements matériels
de valeurs entre la République du Sénégal et l'étranger;
2°_
prescrire le rapatriement des créances sur l'étranger nées de l'exportation de marchandises,
de la rémunération de services et, d'une manière générale de toute opératjon effectuée par
un résident avec un non résident;
3°_
habiliter les intermédiaires agréés pour réaliser des opérations avec J'étranger ou au
Sénégal entre un résident et un non-résident ;
4°_
réglementer les conditions financières d'exécution des opérations avec l'étranger.
177
La nature particulière des opérations, pouvant être soumises à restriction pour des
raisons liées à la défense des intérêts nationaux, revêt un caractère essentiellement
économique et monétaire. Par suite, ces opérations peuvent être considérées comme des
actes essentiels et vitaux pour l'économie du pays compte tenu de l'importance des
mouvements de valeurs sur la balance des paiements extérieurs qui est un indicateur
décisif pour la santé macro-économique du pays. A cette fin, l'ordonnance de 1994
précitée (art. 8) a institué une obligation pesant sur les personnes physiques ou morales,
publiques ou privées qui doivent rendre compte à la Banque Centrale des Etats de
l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), chargée de l'établissement de la balance des paiements
extérieurs, de toutes opérations effectuées avec les pays autres que le Sénégal.
Cette mission confiée nouvellement à la Banque Centrale(l) paraît soustraire une
partie des prérogatives du Ministre des Finances qui est le principal responsable chargé
de l'exécution de la politique économique de l'Etat.
A la vérité, on constate que le Ministre des Finances continue à remplir un rôle,
dans l'établissement de la balance des paiements, dans le cadre d'un "Comité de la
balance des paiements" institué par la nouvelle ordonnance na 94-28 du 28 février 1994
précitée (art. 10) qui lui réserve la présidence.
De plus, les compétences en matière économique du Ministre des Finances peuvent
toujours s'exercer en application des mesures qui lui sont confiées par les textes. C'est
dans cette perspective que furent pris successivement l'arrêté relatif à certaines opérations
(1)
En effet, sous l'empire de la loi n° 67-33 du 30 juin 1967 aujourd'hui abrogée (art. Il), cette
mission était dévolue au Ministre des Finances. Mais dans le souci d'assurer une harmonisation
des 'politiques éconorniques' et monétàires au sein des Etats de l'Union Economique et Monétaire
de l'Ouest Africain (U.E.M.O.A) dont fait partie l'Etat du Sénégal, beaucoup de compétences en
matière économique et monétaire des Etats membres sont désormais confiées à la Banque
Centrale. '
178
financières avec l'étranger(l) et la circulaire rèlative à la délivrance des allocations en
devises
et au
contrôle
douanier
des
moyens
de
paiement
transportés
par les
voyageurs(2). Cette dernière opération spéciale résulte des recommandations de l'Union
Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) qui a décidé de suspendre à compter
du 2 août 1993 le rachat des billets émis par la Banque Centrale et exportés hors du
territoire des pays africains membres de la zone franc(3). Cette suspension constitue
une restriction qui paraissait d'autant plus opportune qu'avec les rumeurs persistantes sur
une dévaluation finalement intervenue le 12 janvier 1994, les Etats membres de l'UEMOA
avaient particulièrement souffert du manque de liquidités financières dû à un transfert
massif et illégal de billets C.F.A.
En définitive, on peut dire que cet ensemble de mesures de nature surtout
administrative répond à la nécessité d'une réglementation des changes dans la mesure où
le but à atteindre demeure le contrôle des flux des échanges de marchandises et de
capitaux dans les relations financières avec l'extérieur, c'est-à-dire la défense des intérêts
économiques nationaux qui sont vitaux pour le Sénégal.
Cette idée de contrôle peut être aussi retrouvée dans un domaine qui recouvre une
autre forme de mobilisation de la monnaie qui concerne le crédit dont le coût est soumis
à la réglementation des pouvoirs publics.
(1)
V. arrêté ministériel n° 505 M.F.D.F.E.T. du 10 janvier 1969 publié dans l'ouvrage précité de A.
SAKHO, p. 19.
(2)
V. Circulaire n° 169 du Il août 1993, M.E.F., publiée dans le même ouvrage, p. 31.
(3)
A. SAKHO, La réglementation des changes au Sénégal, ouvrage précité, p. 8.
179
B - La réglementation du coût du crédit
Cette réglementation apparaît comme le second volet de l'action étatique qUI
cherche à conduire la politique du crédit. Celle-ci peut revêtir plusieurs aspects(l) dont
le plus significatif paraît être l'interdiction des opérations usuraires et le taux d'intérêt
illégal(2) dont l'objet porte sur des mesures relatives au coût du crédit(3). Ce coût
du crédit fait intervenir les pouvoirs publics qui, non seulement, fixent le taux d'intérêt
légal, mais encore, répriment le délit d'usure.
Dans la politique de fixation du taux d'intérêt, l'intervention des pouvoirs publics
paraît être motivée par la règle selon laquelle les parties fixent conventionnellement le
taux d'intérêt (art. 541 alinéa 2 COCC), ce qui confère un rôle éminent à l'accord de
volonté des parties(4).
Néanmoins, cette fixation conventionnelle est restée enfermée dans des limites
légales pour ce qui concerne le taux effectif global d'intérêt conventionnel qui ne peut
ainsi dépasser le taux d'escompte de la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest
(1)
Y. loi n° 90-06 du 26 juin 1990 portant réglementation bancaire, JORS du 28 juillet 1990
modifiant et remplaçant la loi n° 76-52 du 9 avril 1976 ayant le même objet, JORS du 15 mai
1976, p. 772.
Adde décret n° 68~948 du 31 août 1968 fixant la liste des personnes habilitées à viser les contrats
de prêt d'argent à intérêt et celle des établissements dispensés des formalités prévues à l'article
542 du COCC, JORS du 14 septembre 1968 ; Code des Obligations civiles et commerciales
annoté (COCC annoté), Editions EDJA, Dakar, avril 1994, p. 230 et s.
Y. loi n° 94-66 du 22 août 1994 relative à la répression des opérations usuraires et aux taux
d'intérêt, JORS n° 5595.
(2)
Y. loi n° 9466 du 2Z aoOU994abrogeantet remplaçant l'article 541 du COCC et modifiant la
loi n° 81-25 du 25 juin 1981 relative à la répression des opérations usuraires et aux taux d'intérêt,
JORS n° 5595, pp. 392 et 393.
(3)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, op. cil. p. 151, paragraphe 2.
(4)
En droit français, voir dans ce sens, Civ. 2 mai 1990, Dalloz, 1991, p. 41, note GAYALDA; JCP
1991, n° 21655, note STOUFFLET ; Corn. 9 juin 1992, n° 21892, Conclusions CORTI.
180
(BCEAO) en vigueur à la date de conclusion du prêt (article 541 alinéa 2 du COCC
nouvelle rédaction)(l) .
. .
La substitution de la Banque Centrale aux banques commerciales et établissements
financiers agréés dans le nouveau texte(2) répond à la nécessité d'une harmonisation
de la politique communautaire du crédit puisque depuis le 2 octobre 1989, les autorités
monétaires de l'UMOA n'instituent désormais qu'un seul taux d'escompte valable en
matière civile aussi bien que commerciale(3).
Quant aux modalités techniques de calcul du taux effectif global, elles font appel
à des conditions fixées par le décret (art. 541 alinéa 3 du COCC). A cet effet, l'allusion
à un décret paraît maladroitement formulée puisque la rédaction du texte nouveau conduit
à penser qu'un décret avait été visé auparavant.
Or, ni les dispositions de l'article 541 alinéa 3, ni l'exposé des motifs de la loi ne
fournissent aucun élément de précision à ce sujet. Par conséquent, il paraît plus logique
de se référer à un décret pour une meilleure rédaction des conditions de calcul du taux
effectif global(4). Ce faisant, l'on comprendra mieux les conditions de restriction
(1)
Article 541 COCc. - Taux d'intérêt:
Alinéa 2 : "En toute matière, le taux effectif global d'intérêt conventionnel, à peine de nullité
absolue de la stipulation, ne peut dépasser le double du taux d'escompte de la Banque Centrale
des Etats de l'Afrique de l'Ouest, en vigueur à la date de conclusion du prêt" ;
Alinéa 3 : "Le taux effectif global est calculé dans des conditions fixées par le décret en tenant
compte des frais, commissions et rémunérations de toute nature, même justifiées par des débours
réels ou versés à des tiers et, s'il y a lieu, des modalités d'amortissement échelonné du prêt".
(2)
En effet, dans l'ancienne rédaction du texte de l'article 541 du COCC, le calcul du taux effectif
moyen pratiqué s'effectuait par référence aux banques commerciales et établissements de crédit
agréés.
(3)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-66 du 22 août 1994 précitée.
(4)
Voir à ce sujet, les réflexions pertinentes de M. Isaac Yankhoba NDIAYE, "L'art de mal légiférer
(propos irrévérencieux sur certains textes de lois), Revue de l'Association Sénégalaise de Droit
Pénal, n° 2, juillet-décembre 1995, pp. 53 à 62. L'auteur souligne l'embarras de l'interprète face
181
apportées à la volonté des particuliers dans la détermination du taux d'intérêt légal qui
constitue un moyen de contrôle des pouvoirs publics sur une forme de mobilisation de la
monnaie, à savoir le crédit dont la politique d'encadrement est un facteur de croissance
pour l'économie nationale.
De ce point de vue, on peut dire, en définitive, que les restrictions apportées à la
volonté des individus dans la détermination du taux d'intérêt légal constituent un contrôle
préventif des pouvoirs puhlics sur un facteur monétaire de développement de l'économie
nationale.
Un tel contrôle préventif a été jugé indispensable pour l'exercice d'activités
économiques.
Hl -
CONTRÔLE PREALABLE SUR LA NATURE D'UNE ACTIVITE
ECONOMIQUE(1)
Le
contrôle
préventif sur
la
nature
d'une
activité
économique
découle
expressément, au Sénégal, de la loi nO 94-69 du 22 août 1994(2) qui dispose (art. 2)
que "les activités économiques s'exercent librement sauf dans le cas où pour des raisons
de sauvegarde de l'intérêt général, l'autorisation de la puissance publique est requise". Par
suite, il résulte de cette disposition que seul l'intérêt général peut faire échec au régime
libéral d'exercice des activités économiques.
au contenu, dans la forme et dans le fond, de certains textes. Il ajoute en outre que "l'occasion
nous a été donnée de constater, ici et là, des incertitudes, des maladresses et des incohérences dans
la rédaction des lois".
(1)
V. sur cette question, en droit français, Elie ALFANDARI, op.cit. na 286, p. 206.
(2)
Loi na 94-69 du 22 août 1994 fixant le régime d'exercice des activités économiques, JORS na
5595 du 27 août 1994, p. 395.
182
Nous avons déjà eu l'occasion de démontrer le vaste champ d'application de la
règle permettant l'exercice libre d'une activité économique qui s'autorise du caractère
extensible de la définition proposée par le législateur(l). Il s'agit, à présent, de voir ce
que recouvre la nolion d'intérêt général comme pouvant faire échec à l'exercice libre
d'une activité économique. Cette recherche paraît d'autant plus intéressante que la non
précision de la notion d'intérêt général parle texte de loi nécessite qu'elle soit élucidée en
tenant compte de la ratio legis. A cet égard, pour donner un contenu plus concret à la
notion d'intérêt général, il paraît utile d'en dégager son critère d'appréciation. Ce faisant,
il ne paraît fairc aucun doute que le critère essentiel demeure économique. Une tclle
interprétation doit pouvoir être retenue à la lumière de la matière visée qui reste
fondamentalement économique(2). Aussi bien, les pouvoirs publics auront la latitude
d'interdire une large gamme d'activités économiques dès lors qu'elles heurtent de front
les intérêts économiques essentiels du pays.
En définitive, lorsque le contrôle des pouvoirs publics sur la nature d'une activité
économique révèle que son exercice peut entraîner des conséquences néfastes pour
l'économie du pays, les autorités publiques peuvent, en vertu de la loi, soit prononcer la
fermeture administrative d'établissement (art. 6 de la loi), soit prononcer des pénalités
sous forme d'amende de 10.000 à 10.000.000 de francs assortie d'une astreinte en
régularisation ou cessation d'activité (articles 7 et 8 de la loi).
La prise en compte des intérêts économiques du pays a enfin conduit les pouvoirs
publics, dans le cadre de leur politique de contrôle, à restreindre certaines importations
étrangères.
(1)
V. supra pp. 155 et 156.
(2)
A en juger par l'intitulé même de la loi n° 94-69 du 22 août 1994 qui traite du régime d'exercice
des acti vités économiques.
183
IV - RESTRICTION DES IMPORTATIONS ETRANGERES
S'il estétabli que, de manière générale, les Etats n'ont pas qualité pour régler les
rapports de commerce international(l), il ne paraît plus douteux que c'est parce que
ceux-ci excèdent les limites de leur souveraineté(2).
Mais lorsqu'un Etat est un acteur du jeu du commerce international qui gagne, de
plus en plus, de place dans les relations entre les Etats à la faveur de la mondialisation
de l'économie, rien ne l'empêche de veiller scrupuleusement à la défense de ses intérêts
économiques malgré l'existence des fameux accords du GATT(3) ayant pour objet de
favoriser les échanges commerciaux par l'allégement, sinon la suppression des tarifs
douaniers entre les pays signataires.
Cependant, l'inégalité du niveau de développement entre les Etats est telle que les
règles du jeu du commerce international peuvent être faussées par une politique de
dumping ou de subvention qui ont pour effet d'abaisser sensiblement le coût des facteurs
de production ou d'exportation qui seront de nature à concurrencer très sérieusement la
production nationale d'un Etat importateur. Dans le but de pallier ces inconvénients, les
(1)
DAVID, Le droit du commerce international. Réflexions d'un comparatiste sur le droit
international privé. Economica, 1987, p. 2.
(2)
Vincent HEUZE, La vente internationale de marchandises, droit uniforme, GLN, Joly, éditions
1992, n° 8 p. 11.
(3)
GATT: Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce qui est la traduction française du
GATT. De nos jours, cet accord du GATT est devenu désuet après la signature de "l'Acte final
de l'Uruguay-Round", le 15 avril 1994, à Marrakech (Royaume du Maroc) suivie de la création
le 1er janvier 1995 de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui consacre la mise en
oeuvre d'un nouvel ordre international du commerce.
V. Etude Papa Amadou FALL et Pape Massène SECK précitée, p. 3.
Adde: Acte final de l'Uruguay Round: résumé in Forum du Commerce international, 111994, pp.
4à21.
Pour l'essentiel, cet acte final de l'Uruguay Round maintient les restrictions des importations
étrangères issues des accords du GATI.
184
accords de l'Uruguay Round (article 6) ont prévu des mesures de sauvegarde des intérêts
nationaux des Etats. En application de ce texte, le législateur sénégalais a établi une loi
visant à défendre la production nationale contre les pratiques commerciales illicites(l)
qui constitue une mesure essentielle de restriction des importations étrangères.
Le domaine des pratiques commerciales visé par la loi interne (article 1) est
constitué par des importations qui causent ou menacent de causer un préjudice grave à une
production nationale établie ou qui retardent sensiblement la création d'une production
nationale. Une telle disposition vise à garantir une production nationale dans la mesure
où la norme permet de restreindre en amont comme en aval les importations. Par suite,
en amont, une simple menace suffit pour prendre des mesures de restrictions contre les
importations étrangères, et, en aval, ces restrictions s'appliquent lorsque lesdites
importations sont de nature à retarder sensiblement la création d'une production nationale.
Donc, en amont comme en aval, les importations étrangères peuvent être soumises
soit à un droit compensateur (article ler-l de la loi), soit à un droit antidumping (article
ler-2 de la loi).
Le droit compensateur représente les taxes douanières qui s'appliquent lorsqu'il est
établi que le produit importé bénéficie directement ou indirectement d'une prime ou d'une
subvention à la fabrication, à la production ou à l'exportation dans le pays d'origine; ce
qui constitue une protection tarifaire au bénéfice de la production nationale.
S'agissant du droit antidumping, il est fait référence, cette fois-ci, au critère du prix
d'importation qui est inférieur à sa valeur normale (article ler-2 de la loi). Le même texte
apporte un élément supplémentaire de référence puisque (article ler-2), la valeur normale
s'apprécie, en présence comme en l'absence d'un prix inférieur au prix comparable
(1)
V. loi n° 94-68 du 22 aoOt 1994 relative aux mesures de sauvegarde de la production nationale
contre les pratiques commerciales illicites, JORS n° 5595, pp. 394 et 395.
185
pratiqué, au cours d'opérations commerciales normales; c'est-à-dire, le prix qui aurait été
pratiqué en l'absence d'un dumping appliqué au prix d'un produit similaire destiné à la
consommation dans le pays exportateur (article 2-1 de la loi) ou bien le prix du produit
exporté apprécié en fonction d'un pays tiers ou du pays d'origine. Si dans les pays tiers,
le prix inférieur de comparaison s'obtient par rapport à des opérations commerciales
normales (art. 2-2 alinéa 2 de la loi), tl convient tout de même d'ajouter que, dans le cas
du pays d'origine, il importe de préciser l'existence d'un supplément raisonnable pour les
frais de vente et de bénéfice (article 2-2 alinéa 3 de la loi).
Mais plus caractéristique est la mise en oeuvre de toutes ces mesures pour laquelle
le législateur précise, dans l'article 3 de la loi, que le montant des droits compensateurs
ou antidumping est calculé de façon à faire cesser le préjudice. La nature d'un tel
préjudice demeure économique dès lors qu'il résulte d'un manque financier pour
l'économie nationale que l'on peut percevoir à traver"s l'institution des droits perçus
comme en matière de douane (article 1er dernier alinéa de la loi) pour faire cesser un
préjudice causé à une production nationale.
En définitive, la perception de tels droits doit avoir un effet dissuasif permettant
de
restreindre
considérablement
certaines
importations
découlant
de
pratiques
commerciales illicites. Ce faisant, ils permettent aux pouvoirs publics de promouvoir la
production nationale qui constituait un indicateur macro-économique important du Produit
National Brut (P.N.B.) avant l'adoption du nouvel indice humain de développement
économique par la communauté internationale.
Nous venons ainsi de montrer le rôle des pouvoirs publics en matière de contrôle
contre les dérives d'une libéralisation de l'économie grâce aux différentes mesures
d'inspiration dirigiste.
186
Néanmoins, la libéralisation poussée de l'économie a conduit les pouvoirs publics
à confier une partie de cette mission de contrôle à une Commission nationale de la
Concurrence pour arbitrer, cette fois-ci, le libre jeu de la concurrence.
Qu'est ce con trôle exercé par la Commission nationale de la Concurrence ?
C'est ce que nous essayerons de voir dans une deuxième sous-section.
Sous-Section II -
CONTRÔLE EXERCE PAR LA COMMISSION NATIONALE
DE LA CONCURRENCE
La Commission nationale de la Concurrence qui est une création juridique nouvelle
dans l'arsenal législatif sénégalais est issue de la loi
0
11
94-63(1) qui lui assigne
principalement un rôle d'arbitre du libre jeu de la concurrence.
La nouveauté d'une telle institution justifie largement que soient précisés sa
composition(2), son mode de fonctionnement(3) et ses compétences(4) ainsi que
les mesures qu'elle peut être amenée à prendre dans le cadre de sa mission d'expertise et
d'arbitrage du marché(S). A cet égard, les compétences dévolues à la Commission
nationale de la Concurrence en matière administrative et juridictionnelle permet de lui
conférer la qualité d'une autorité administrative indépendante(6).
(1)
V. loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
(2)
Articles 3 et 4 de la loi précitée.
(3)
Articles 6, 7 et 8 de la loi précitée.
(4)
Articles 9 et 10 de la loi précitée.
(5)
V. exposé des motifs 'de la loi précitée.
(6)
En droit français, V. Babaly SAIL, Contribution à l'étude des autorités administratives
indépendantes, Thèse de doctorat en droit, Poitiers, mai 1990, pp. 185 à 193.
187
Relativement
au
domaine
du
contrôle
s'exerçant
sur
les
pratiques
anticoncurrentielles(l),
il
s'appuie
essentiellement
sur
les
compétences
de
la
Commission qui retient deux volets(2).
Le premier chef de compétences résulte de la règle selon laquelle la Commission
nationale de la Concurrence connaît de toutes les affaires relatives aux pratiques
anticoncurrentielles définies dans ladite loi (article 9 alinéa 1er). Une telle formulation
assez
large
permet
alors
de
penser que
les
affaires
relatives
aux
pratiques
anticoncurrentielles sont désormais soustraites de la compétence des juridictions classiques
au profit d'une Commission dont la composition fait songer au système de l'échevinage
dans les juridictions(3).
De plus, on relève un souci d'assurer une composition nationale qui est alors
chargée d'arbitrer surtout des affaires spécialisées(4).
Enfin, un autre chef de compétences se justifie par le rôle de consultation dévolu
à la Commission qui doit donner obligatoirement son avis sur tout projet de texte
réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet:
1°_ de soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des
restrictions ;
(1)
En droit, français, v. Yves REINHARD, Droit commercial, LITEC, 1993, n° 96, p. 73.
(2)
V. article 9 de la loi précitée.
(3)
V. article 3-2 et 3 combinés avec l'article 7 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée qui traite
de la spécialité technique.
(4)
V. article 7 de la loi précitée.
188
2°_ d'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de
ventes" (article 9 alinéa 2 de la loi).
Cette rédaction de la loi confère un rôle législatif eUou réglementaire à la
Commission qui pourra, non seulement, contrôler l'exercice de certaines activités
économiques à travers des restrictions à l'exercice d'une profession ou l'accès à un
marché (article 9 alinéa 2), mais aussi, participer à la réglementation des prix par son avis
sur l'imposition des pratiques uniformes (article 9 alinéa 2.2), puis participer à la
protection des consommateurs(l) par l'imposition de conditions de vente (article 9
alinéa 2.2).
Pour atteindre les objectifs que la loi a assignés à la Commission nationale de la
Concurrence, on relève que la loi a mis à la disposition de celle-ci différents moyens
juridiques consistant à mettre fin, notamment, aux pratiques anticoncurrentielles. Il s'ensuit
que la mission de contrôle de la Commission sera davantage mise en exergue dans un
processus visant à l'application d'une sanction que nous examinerons dans le cadre de
l'étude du régime juridique du contrôle exercé aussi bien par les pouvoirs publics que par
la Commission nationale de la Concurrence.
SECTION II - LE REGIME JURIDIQUE DU CONTRÔLE
Le contrôle institué ne peut être efficace que s'il est assorti de sanctions. Cela est
d'autant plus compréhensible que la sanction constitue un élément de définition de la règle
de droit. En fait de sanction, il est possible de procéder à une classification qui tient
compte de l'origine de la mesure. Ainsi, on peut distinguer, pour l'essentiel, trois
catégories constituées par les sanctions civiles, administratives et pénales.
(1)
Yoir infra Hème Partie: L'ordre public de protection. y is La protection des consommateurs. Jl. 400
et suivantes.
189
Si cette classification a le mérite de la simplicité, elle pèche cependant par deux
défauts.
D'abord, elle ne rend pas compte de la complexité de certains actes auxquels
peuvent s'appliquer de multiples sanctions de catégories différentes.
Ensuite, elle ne permet pas de mettre en exergue des techniques de sanction qui
traitent des actes de nature différente.
Alors, une nouvelle méthode sera proposée dans le but de rendre compte, non
seulement, de la globalité du phénomène, mais aussi et surtout, de la complexité du
problème. Cette nouvelle approche tient essentiellement compte de la césure du temps
entre les époques dirigiste et libérale du développement. Ce faisant, l'on a pu remarquer
que des mesures comme la nullité, la fermeture' administrative d'établissement,
l'interdiction professionnelle et la répression des infractions à la législation économique
ont toujours été prévues quelle que soit la période du développement. L'ancienneté de ces
sanctions de l'ordre public économique de direction mérite que l'on puisse les désigner
sous l'expression banale de sanctions classiques (Sous-Section 1).
Naturel1e'!1ent, la notion de sanction classique permet de dire a contrario qu'il
existe des sanctions plus modernes. Ceci est d'autant plus fondé qu'à la faveur de la
libéralisation, beaucoup de sanctions ont été introduites dans le tissu législatif sénégalais,
et qui ont été laissées à l'appréciation de la commission nationale de la Concurrence.
C'est donc le lieu d'explorer ces nouvelles techniques de sanctions spécifiques que nous
choisissons de traiter sous une rubrique intitulée tout aussi banalement "sanctions
modernes'" (Sous-Section II).
190
Sous-Section 1 - LES SANCTIONS CLASSIQUES
Ce sont des sanctions qui ont, de tout temps, existé dans l'arsenal législatif
sénégalais. Parmi elles, la nullité a été conçue comme étant la sanction de droit commun
en matière d'ordre public économique(l). Dès lors, quelques développements méritent
d'être consacrés à cette technique de nullité.
Par ailleurs, on remarque que, dans certaines situations, ce sont des mesures
répressives qui ont été adoptées. Par conséquent, en dehors de la nullité, le juge sénégalais
pourra également réprimer des délits économiques relatifs à la fermeture administrative
d'établissement et aux interdictions professionnelles qui constituent, au demeurant, des
mesures qui accompagnent certaines infractions à la réglementation des prix qui ont
toujours fait l'objet de sanctions pénales expressément prévues depuis la loi n° 65-25 du
4 mars 1965(2). Il s'y ajoute, enfin, que la réglementation de la monnaie fait l'objet
de sanction pénale, comme en matière de contrôle de change, depuis la loi n° 67-33 du
30 juin 1967 relative aux relations financières avec l'étranger(3).
En conséquence de ce qui précède, il apparaît utile d'étudier, tour à tour, la nullité
de l'illicite (1) et la répression des délits économiques (II).
(1)
Sur les nullités, v. en droit français, JAPIOT, Des nullités en matière d'actes juridiques, Paris,
1909.
(2)
Loi n° 65-25 du 4 mars 1965 précitée (Elle est aujourd'hui abrogée).
(3)
Loi n° 67-33 du 30 juin 1967 précitée (Elle est également abrogée).
191
1 - LA NULLITE DE L'ILLICITE
La nullité constituant la sanction d'une règle légale peut être conçue comme un
moyen concret d'assurer le. respect de la 10i(1). Ce respect de la loi devant intervenir
aussi bien dans l'expression de la nullité elle-même que dans ses conséquences, il a
semblé plus accommodant, pour la doctrine française(2) d'utiliser le terme d'illicéité
pour invoquer, d'une façon large, la nullité.
Cette illicéité admet un domaine (A) qui pourra être exploré par certains auteurs
désireux de la dénoncer (B). Cette opération passe par l'exercice d'une action dont
l'aboutissement devra entraîner des conséquences sur l'illicéité (C).
Enfin, l'on notera que ces conséquences ont une portée relative justifiée par le fait
que l'ordre public économique s'accommode très fac'ilement d'une possibilité de
régularisation, ce qui entraîne la nécessité de l'étude de la portée de l'annulation (D).
A - Domaine de l'illicite
Il concerne surtout les hypothèses où la nullité peut être prononcée. A cet égard,
c'est le juge qui détient, pour l'essentiel, le pouvoir en matière d'annulation. Ce faisant,
l'étude de la nullité de l'illicite prononcée par le juge (a) permettra, dans le même temps,
d'examiner son rôle dans l'appréciation de l'illicite en matière d'ordre public économique
de direction.
(1)
En droit français, G. FA~UAT, L'ordre public économique, LGDJ 1963, na 384, p. 314.
(2)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. p. 313 et suiv. ; Mme P. LEMOYNE De FORGES, Op.
eit. pp. 415 à 447 ; René SAVATIER, op. cil. pp. 37 à 44 ; P. KAYSER, Les nullités d'ordre
public, Rev. trim. dr. civ., 1933, p. 115 el s.
192
Par ailleurs, l'on s'intéressera également au cas où la nullité est décidée
souverainement par le législateur.
En effet, dans une telle hypothèse, le rôle du juge se bornant seulement à constater
une nullité déjà consommée, nous étudierons la technique de l'illicéité de plein droit (b).
a - Ltillicéité prononcée par le juge
En présence d'une clause ou d'une convention qui heurte de front les impératifs
de l'ordre public économique de direction, le juge dispose de prérogatives importantes qui
lui confèrent le pouvoir de les annuler. Le domaine d'intervention du juge qui a pour
mission de veiller au respect des règles établies pour la direction de l'économie permet
de dire que la nullité qu'il prononce subséquemment est d'ordre public(l).
Ce rôle du juge paraît singulièrement compliqué dans la mesure où, dans certaines
situations, il reste confronté à une absence de texte justifiée par le fait qu'il serait
prétentieux de codifier tous les cas de nullité d'ordre public. Cette situation se complique
davantage à cause de la règle selon laquelle il n'y a pas de nullité sans texte.
Donc, s'il n'est pas douteux qu'en présence de texte prévoyant un cas de nullité,
le juge n'a d'autre choix que de s'y soumettre (a.!), par contre, il est permis de
s'interroger sur les cas de nullité sans texte en nous demandant notamment comment le
juge doit s'y prendre (a.2).
a.l - La présence d'un texte qui prévoit un cas de nullité susceptible d'être
prononcée par le juge ne semble pas recueillir la faveur du législateur sénégalais.
(1)
En droit français. v. G. FARJAT, op. cit. ; P. KAYSER, op. cit.
193
Cependant, il est permis de relever au moins deux cas de nullité expresse dans les
domaines de la réglementation du taux d'intérêt (article 541 du COCC) et des
changes(l).
Il est acquis que la rareté des cas de nullité prévus en matière de change se justifie
par le fait que cette réglementation contient très peu de prescriptions relatives aux
relations privées entre vendeur et acheteur, créancier et débiteur(2).
De la même façon, la faiblesse, voire l'inexistence de cas de nullité en matière de
taux d'intérêt illégal paraît être justifiée par un accord secret des parties en relation
d'affaires qui décident de s'accommoder d'une telle situation illégale(3).
Pour toutes ces raisons, il est permis de penser, en définitive, que le juge sénégalais
aura peu de chances de connaître des espèces de nullité exprès se en matière d'ordre public
économique de direction.
Mais qu'en est-il en l'absence de texte prescrivant l'annulation d'une prescription
d'ordre public de direction?
a.2 - En l'absence de texte, il est normal que le juge fasse oeuvre de
jurisprudence pour ne pas commettre un déni de justice. Cela paraît d'autant plus
admissible qu'il appartient, en l'occurrence, à la jurisprudence de dire si la règle est
d'ordre public(4).
(1)
Voir article 7 alinéa 2 de l'arrêté ministériel n° 505 MFDFEI du 10 janvier 1969 précité.
En effet, cette disposition prévoit la possibilité d'une annulation pour les opérations qui ont donné
lieu à un crédit en compte étranger en francs.
(2)
En droit français. G. FARJAT, op. cit. n° 578. p. 465.
(3)
En droit français, R. SAV ATIER, op. cit. p. 42.
(4)
En droit français, v. P. KAYSER, op. cit. p. 1120.
194
Cette situation s'est révélée de façon assez caractéristique en matière de
réglementation des changes(l) et de législation sur les prix(2) au point qu'il a été
proposé de se référer, avec juste raison, au droit commun des nullités(3).
1°) En l'absence de texte réservant un cas de nullité expresse en matière de
réglementation qes changes, la jurisprudence française n'a pas manqué de faire une
construction dont le fondement repose sur l'argument selon lequel les dispositions relatives
à cette réglementation sont "des prescriptions impératives et d'ordre public".
Dans cette perspecti ve, il se dégage de cette construction jurisprudentielle française
que les conventions soumises à autorisation' préalable "sont, à défaut d'une telle
autorisation, illicites et que leur nullité ne peut être couverte ni par la tolérance de
l'administration, ni par la volonté des parties"(4).
Une telle formule jurisprudentielle milite en faveur de la nullité absolue qui, en
l'absence de jurisprudence sénégalaise similaire à notre connaissance, pourra utilement
inspirer le juge sénégalais dans sa mission de défense de l'ordre public économique de
direction qui n'est pas incompatible avec la nullité absolue.
(1)
En droit français, v. A. SERIAUX, op. cit. p. 128.
(2)
En droit français. v. Mme LEMOYNE De FORGES, op. cit. p. 418. R. SA VATIER. op. cit.. p.
42.
(3)
En droit français. v. Mme LEMOYNE De FORGES. op. cit. p. 419 ; G. FARJAT. op. cit. p. 309.
C'est la même solution qui a été retenue par la doctrine sénégalaise en matière de nullité sans
texte en droit des sociétés.
Sur cette question. V. A SAKHO, Thèse précitée, p. 330.
(4)
En droit français, v. Corn. 9 mai 1983, Dalloz 1983, p. 204, note GAILLARD, JCP 1984.11 n°
20045, note J.P. ECK; Corn. 17 janvier 1972, Bull. Ci\\'. IV n° 20 et sur renvoi, Reims, 23 janvier
1975, D.P. 1976, p. 83, note Ph. MALAURIE ; Corn. 18 octobre 1976, JCP 1979.11, n° 19120.
note T. HERON.
195
D'ailleurs, c'est ce que nous essayerons de démontrer en matière de réglementation
des prix.
2°) S'il est établi, selon une jurisprudence française constante, que la sanction
normale d'une prescription relative à la législation des prix reste la nullité absolue(l),
l'on peut raisonnablement se demander cependant si une nullité absolue coïndde
nécessajr~mentavec une nullité d'ordre public(2).
La question paraît d'autant plus pertinente qu'il existe des règles d'ordre public qui
n'en sont pas moins sanctionnées par une nullité relative(3). Donc, toute recherche dans
cette direction tracée doit préalablement prendre en compte la question de savoir ce qu'est
le pouvoir du juge face à ce multiple choix introduit par les différents caractères de la
nullité(4) dans la mesure où il est des cas où les auteurs de la dénonciation peuvent
s'abstenir de soulever un cas de nullité(5). Dans ce càs, le juge ne sera autorisé à
soulever d'office la nullité que s'il existe un moyen d'ordre public(6).
(1)
En droit français, v. Poitiers, 30 juillet 1941, G.P. 1941.1, p. 211 ; Casso Req. 9 décembre 1946,
G.P. 1947.1, p. 62; Rennes, 14 janvier 1947, G.P. 1947.1, p.105 ; Corn. 25 octobre 1949, S.1950.l,
p. 64 ; JCP 1949.II, n° 5225 ; Civ. 1er 17 décembre 1959, Dalloz 1960, p. 294, Sirey 1960, p.
177.
(2)
En droit français, v. Mme LEMOYNE De FORGES, op. cit. pp. 419 et 429.
(3)
Y. infra, 2ème Partie. y is La rubrique Protection des incapables, p. 252 et suivantes.
(4)
J.P. TOSI, op. cit. p. 132 et s.
(5)
Yoir dans ce sens, en droit français, Casso 29 novembre 1950, G.P. 1951.1, p. 80.
En l'espèce, il a été jugé que lorsqu'une sentence arbitrale a tenu pour valable la vente d'un
produit dont le prix était taxé et que l'acheteur, à l'appui de son opposition à l'ordonnance
d'exequatur, a prétendu que la vente avait été conclue à un prix illicite, c'est à tort que le juge
du fond, pour rejeter cette opposition, se fonde sur ce que l'acheteur n'avait pas poursuivi la
nullité du contrat devant la juridiction compétente.
(6)
En droit français, v. MIMIN, Les moyens d'ordre public et l'office du juge, JCP 1946.1, p. 542.
196
Cependant, une telle règle semble avoir été méconnue par le juge sénégalais
statuant sur une demande en expulsion initiée contre les héritiers de Feu Moda MBA YB
par la Fédération Nationale des Associations Culturelles Musulmanes du Sénégal
(F.N .A.C.M.S.)(l).
En l'espèce, la F.N.A.C.M.S. qui se présentait comme propriétaire d'un immeuble
occupé par le sieur Moda MBA YB, l'assignait en expulsion. La F.N.A.C.M.S. précisait
avoir acheté l'immeuble des mains du Crédit Foncier Immobilier venant aux droits et
obligations du Crédit Foncier de l'Ouest Africain.
Mais ce dernier, aux dires de Moda MBAYE, lui aurait consenti en 1960 une
promesse de vente ferme sur ce même immeuble. Moda MBA YE étant décédé en cours
de procédure, ses héritiers reprenaient l'instance, voyaient dans l'acte passé en 1960 une
promesse synallagmatique de vente et offraient de payer le prix, et soutenaient que la
vente consentie en 1964 à la F.N.A.C.M.S. était en conséquence nulle et se prétendaient
locataires ayant droit au maintien dans les lieux.
Il ressort de l'exposé des prétentions des parties que le juge d'appel devait
eXaITÙner la question de savoir, d'une part, si la demande d'expulsion initiée contre les
héritiers du de cujus pouvait être accueillie favorablement et, de l'autre, si la demande des
héritiers du de cujus dirigée contre le Crédit Foncier et Immobilier tendant à faire dire que
celui-ci leur avait vendu l'immeuble dont ils se trouvent expulsés est fondée.
En réponse à la question de droit relative à notre perspective, c'est-à-dire la
possibilité pour les héritiers du de cujus d'exciper de la nullité absolue (selon le juge
d'appel) qui n'avait pas été soulevée par les parties à l'acte, le juge en a profité pour
rappeler un principe selon lequel "la nullité d'ordre public, devant les juridictions civiles
(1)
C.A. Dakar, n° 87 du 20 mars 1970. Consort MBAYE cl FNACMS et Crédit Foncier, arrêt
reproduit dans le COCC annoté, Editions EDJA, Dakar, avril 1994, pp. 367 à 373.
197
de l'ordre judiciaire, ne peut être invoquée que par une personne justifiant d'un intérêt
juridique susceptible d'ouvrir une action en justice".
Or, en l'espèce, ce n'est pas le cas des héritiers du de cujus qui n'ont pu établir
l'existence d'un droit réel ou de créance sur l'immeuble litigieux, ce qui a pour effet de
les priver d'un intérêt pour agir en nullité absolue. Il s'en suit que c'est à bon droit que
le juge d'appel de Dakar a repoussé l'action en nullité des héritiers du de cujus qui n'ont
pu établir ni l'existence d'un intérêt personnel direct, ni la qualité pour faire prononcer
la nullité sollicitée.
De plus, il convient de préciser que ce raisonnement du juge d'appel se conjugue
au
conditionnel
puisqu'il
apparaît
constant
que
l'inexistence
d'une
promesse
synallagmatique de vente entre le Crédit Foncier et le de cujus ne pouvait faire échec à
la vente consentie en 1964 à l'association.
Cependant, cette décision rendue par la Cour d'Appel de Dakar peut être
critiquable dans la mesure où elle ne peut admettre, sans se contredire, la distinction d'une
nullité absolue avec une nullité d'ordre public et en tirer la conséquence que la nullité
d'ordre public ne peut être invoquée, selon l'expression même de la Cour, que "par une
personne justifiant d'un intérêt juridique susceptible d'ouvrir une action en justice". En
effet, l'admission du caractère d'ordre public de la nullité soulevée dans l'espèce aurait
pu conduire également le juge d'appel à soulever d'office la cause de nullité(l).
(1)
Voir dans ce sens, A. SAKHO et Ndiaw DIOUF, Ordre public et arbitrage, Revue EDJA, n° 2,
juin 1987.
Adde observations A. SAKHO sous c.A. Dakar, n° 271 du 23 juin 1978 (VAN LUL cl
IPAFRIC), EDJA n° 7, novembre 1987, pp. 12 à 17.
198
En tout cas, il nous paraît qu'une telle jurisprudence reste difficilemen t transposable
en matière de réglementation des prix où il est acquis que la violation d'une règle y
afférente peut constituer un moyen d'ordre public(1).
Si les conséquences des développements de Mme LEMOYNES De FORGES(2)
ont abouti à une reconnaissance d'un moyen d'ordre public, c'est parce que son
argumentation repose sur la jurisprudence administrative française du Conseil d'Etat(3).
Alors, l'absence de jurisprudence similaire, à notre connaissance, complique
davantage la tâche du juriste sénégalais.
Cependant, tout laisse croire que le juge sénégalais ne manquera pas volontiers de
soulever d'office une cause de nullité afférente à la réglementation des prix devenue
particulièrement sensible depuis qu'elle a échappé, pour 1\\essentiel, à la fixation par les
pouvoirs publics. Cela paraît d'autant plus certain que le juge sénégalais évoluant dans un
contexte de sous-développement, aura des réflexes qui le conduiront inéluctablement à
considérer la défense des questions sensibles comme entrant dans un cadre d'ordre public
économique(4).
(1)
En droit français, voir les intéressants développements de Mme LEMOYNE De FORGES, article
précité, pp. 425 à 429.
(2)
Voir note précédente.
(3)
En droit français, v. C.E. 24 mai 1969, Marc VARNIER, rec. p. 261.
En l'espèce, il a été jugé que "l'entreprise V. ne pouvait ignorer l'arrêté du 17 février 1954
prononçant le blocage des prix el le caractère d'ordre public de cette réglementation".
(4)
En droit français, v. R. SAVATIER, op. ci t. p. 41. Voir notamment les réflexions de l'auteur sur
le caractère empirique de ]'ordre public.
Adde MALAURIE, thèse précitée. Selon cet auteur, il y a des différences d'esprit entre le
législateur et le juge. Le juge obéit inconsciemment aux sentiments du milieu auquel il appartient.
: "
199
b - L'ilIicéité de plein droit
Ce mode typique de nullité est notamment prévu par l'article 25 de la loi na 94-63
du 22 août 1994 précitée; ce qui lui confère un caractère exprès.
La formulation de l'expression "de plein droit" peut signifier que le rôle du juge
est moins de prononcer la nullité que de la constater comme étant une situation illégale
déjà consommée et que les auteurs de la dénonciation ne feront qu'invoquer(l).
Si cette situation vise plus spécifiquement une entente, c'est à la condition qu'elle
soit nocive(2). Mais cette nullité conditionnelle se heurte aux difficultés liées à
l'établissement du critère d'une bonne et d'une mauvaise entente(3). A cet égard, le
droit des ententes étant intimement rattaché à celui plus global de la concurrence, on peut
penser que l'avis que pourtàit apporter la Commission nationale de la Concurrence, en
vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi (article 9) pour dégager les critères
d'une mauvaise ou d'une bonne entente, pourrait s'appuyer sur la finalité de l'entente. Il
s'ensuit qu'une entente qui porterait atteinte aux principes de la libre concurrence pourrait
être déclarée illicite; et le cas échéant, ladite entente serait bénéfique.
La Commission nationale de la Concurrence aura d'autant plus l'occasion de rendre
cet avis que la loi (article 25 alinéa 2) autorise un cercle élargi de personnes (les parties
et les tiers) pouvant dénoncer l'entente illicite(4).
(1)
R. SA VA11ER, op. cil. p. 42.
(2)
R. SAVA11ER, op. ciL, ibidem.
(3)
En droit français, v. P. BARBRY et R. PLAISANT, Libre concurrence et ententes industrielles
(Décret du 9 août 1953), Dalloz 1954, pp. 67 à 74, spéc. p. 72.
(4)
En droit français, v. G. FARJAT, op. ciLn° 392, p. 320 ; R. SA VATIER, op. cil. p. 42.
200
Mais, si la dénonciation entraîne normalement la saisine d'un juge, il faut tout de
même reconnaître que cette dernière ne doit demeurer qu'une faculté dans la mesure où
le rôle de la juridiction se limitera, en l'espèce, à la constatation de l'entente illicite(l).
Cette dénonciation étant essentiellement l'oeuvre des particuliers, il convient
maintenant d'analyser leur rôle dans la nullité de l'illicite.
B • Les auteurs de la dénonciation de l'illicite
La qualité d'auteur peut être attribuée sans conteste aux parties à l'acte qui ont
contribué à la formation du lien contractuel. Il s'y ajoute que l'ordre public se proposant
d'assurer un certain équilibre contractuel et même social, il est normal que le cercle
d'auteurs pouvant invoquer une cause de nullité d'ordre public soit considérablement
élargi(2). Dès lors, il paraît plus juste de comprendrè parmi les auteurs de la
dénonciation, outre les parties (a), les tiers (b) et enfin le ministère public (c).
a • Les parties
Ce sont les contractants eux-mêmes qui peuvent avoir un intérêt évident à invoquer
une cause de nullité qui nuit à leurs intérêts économiques(3). Seulement, contrairement
à la règle classique qui veut que le droit de critique ne puisse être réclamé que par la
partie victime, on permet, à cause des exigences de l'ordre public économique, à l'auteur
même de la violation de demander la nullité(4).
(1)
Paul BARBRY et Robert PLAISANT, op. cit. p. 74.
(2)
En droit français, v. G. FARlAT, op. cH. n° 392, p. 320.
(3)
En droit français, v. P. BARBRY et R. PLAISANT, op. cit. p. 74 ; R. SAVATIER, op. cit. p. 42.
(4)
En droit français, v. par exemple, Montpellier, 12 novembre 1947, lCP 1948, n° 4239, note
CARBONNIER.
Doel. V. Elie ALFANDARI, op. cil. n° 108, p. 87.
201
Cette solution paraît être également admise dans le domaine de la réglementation
des changes où le droit d'agir en nullité appartient même au contractant de mauvaise
foi(l). Ce droit d'agir accordé au contractant de mauvaise foi et à l'auteur même de
la violation ne fait que confIrmer la tendance jurisprudentielle française consistant à
accueillir le maximum de personnes qui, tout en dénonçant des actes qui heurtent de front
l'ordre public économique, collaborent ainsi avec le juge qui pourra mieux assurer
efficacement sa mission de défense de l'ordre public économique.
Il semble qu'en accordant une action aux tiers, le législateur sénégalais a entendu
partager ce souci de la jurisprudence française.
b • Les tiers
Ce sont tous ceux qui sont étrangers au lien contractuel lors de sa formation.
Dans certaines situations -rares cependant-, le législateur sénégalais leur accorde
le droit de critique d'un acte passé en violation de l'ordre public économique. C'est
notamment le cas en matière de législation des ententes où il leur est formellement
reconnu le droit d'agir en nullité(2).
L'admission d'un intérêt susceptible d'être invoqué par les tiers ne paraît pas
douteuse(3). Cette possibilité semble être justifiée par le fait qu'il faut accorder le droit
de critique à tous afin de multiplier les chances de dénonciation de l'illicéité(4). Face
à cet aléa de voir ou de ne pas voir les parties dénoncer une nullité de plein droit, le
remède a consisté alors à accorder concurremment ce droit de critique aux tiers qui
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. p. 341, note 118 ; R. ROBLOT, op. cit. pp. 129 à 137.
(2)
V. article 25 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994, JORS n° 5595 du samedi 27 août 1994, p. 384.
(3)
En droit français, v. P. BARBRY et R. PLAISANT, op. cit. p. 74.
(4)
En droit français, v.G. FARJAT, op. cit. n° 392, p. 320.
202
pourront avoir intérêt à saisir le juge pour faire constater la nullité d'une convention qui
tend à supprimer le libre jeu de la concurrence.
Un tel remède contribue, en définitive, à renforcer la volonté des pouvoirs publics
de parvenir à la généralisation de la lutte contre les manquements aux règles relatives aux
ententes. Et, il nous semble, en outre, que c'est ce souci de généralisation qui doit
conduire facilement à l'admission du droit d'agir du ministère public.
c - Le droit d'agir du ministère public
En matière économique, ce droit d'agir du ministère public n'est prévu par aucun
texte. Sans doute, cette situation s'explique certainement par le rôle secondaire de
l'intervention du ministère public en matière civile(l). Cependant, son intervention est
autorisée grâce à certaines règles de procédure nécessitant la présence du ministère
public(2). Parmi ces règles de procédure, les nécessités de' l'ordre public occupent une
place de choix qui justifie que le ministère public puisse, en tant que partie principale ou
partie jointe, dénoncer l'illicéité(3). Cette affirmation paraît d'autant plus fondée que
lorsque le législateur ouvre la possibilité aux tiers de réclamer le droit de critique, il a
entendu, a fortiori, reconnaître ce même droit au ministère public qui est le représentant
naturel de la société, voire le gardien de l'ordre public(4) dont la méconnaissance
entraîne subséquem~ent des conséquences.
(1)
V. Pierre GULPHE, Le rôle du ministère public en matière civile, Rev. sén. de. 1968, p. 32.
(2)
V. article 57 1° du Code Procédure civile sénégalais:
"Sont communiqués au Procureur de la République, les causes suivantes:
1°) cellesqui concernent l'ordre public, l'Etat, les communes, les établissements publics, les dons
.' et legs au profit des pauvres ;".
(3)
P. GULPHE, op. cit. p. 38.
Adde en droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 434 à 437, pp. 347 à 352.
(4)
,P. GULPHE, op. cit. p. 38.
203
C - Conséquences de la nullité de l'illicite
Lorsque l'action intentée par les auteurs de la dénonciation est couronnée de
succès, le rôle du juge consistera à extirper la partie de l'acte qui méconnaît les
prescriptions de l'ordre public économique. Cette opération du juge consistant à retirer le
vice peut être située dans le cadre d'un acte d'anéantissement. A cet égard, si le principe
reste l'anéantissement de la clause, c'est-à-dire la partie de l'acte qui méconnaît les règles
d'ordre public (a), il est, par contre, des cas où la gravité de l'illicite est telle que le juge
n'a d'autre choix que de prononcer la disparition de l'acte entier (b).
a - L'anéantissement de la clause contraire
L'anéantissement de la clause contraire aura pour effet de sauver le contrat. En
effet, il est maintenant acquis que l'ordre public économique ne vise pas à la disparition
des opérations d'échanges mais plutôt à les diriger(l). Il 's'ensuit que le but poursuivi
par l'ordre public économique est de limiter considérablement l'ouverture des vannes de
la nullité. C'est dans cet esprit que le juge qui anéantit une clause contraire lui substituera
une clause plus conforme aux nécessités de l'ordre public économique(2). Une pareille
nécessité avait déjà conduit le juge français statuant en matière de contrat de vente à
rétablir le juste prix au lieu de supprimer la vente(3). Ce souci de protection du lien
contractuel(4) semble être partagé par le législateur sénégalais lorsqu'il déclare la
nullité absolue du taux effectif global d'intérêt conventionnel qui ne frappe que la
(1)
A. SAKHO, Thèse précitée, p. 455.
En droit français, v. G. RIPERT, Le régime démocratique et le droit civil moderne, n° 146 ; G.
FARJAT, op. cil. n° 469, p. 370.
(2)
En droit français, v. G.FARJAT. op. cil. n° 470, p. 371 ; R. SAVATIER. op. cil. pA2.
(3)
En droit français, v. Trib. Corn. Bordeaux, 7 mars 1964, G.P. 1964.II ; Nancy, 29 octobre 1948,
Dalloz 1949, p. 274 ; Angers, 2 avril 1952, JCP 1952.II, n° 6953.
(4)
Sur celte question, Y. en droit français, Mme PANCRAZI épouse TIAN (Marie Eve), La protection
judiciaire du lien contractuel. Référence : Micro-fiche MAG 94 Aix 3/2028 à la Bibliothèque
CUJAS de Paris.
204
stipulation contraire (nouvel article 541 du COCC)(l). Cette position législative est en
conformité avec l'opinion doctrinale qui propose le maintien du contrat dans lequel la
stipulation d'intérêts s'insère(2) par le biais de la réfaction de la clause dans laquelle
est incluse ladite stipulation 'en matière de taux effectif global d'intérêt conventionnel.
Ce maintien du contrat de prêt par le biais de la réfaction
de la clause doit
conduire le juge à rétablir le taux légal au lieu de procéder à l'annulation totale de
l'opération de crédit qui peut être particulièrement préjudiciable aux opérateurs
économiques en relation d'affaires avec les banques ou les établissements de crédit.
Cependant; ce pouvoir du juge est limité dans la mesure où s'il peut refaire le
contrat en ramenant le taux d'intérêt au taux légal, ce dernier ne peut dépasser le taux
plafond autorisé(3).
La réfaction du contrat a été également considéré comme un élément de protection
judiciaire du lien contractuel dans le domaine de la nullité de la clause d'indexation
illicite(4). En effet, s'il est vrai que l'orientation actuelle de la jurisprudence française
penche en faveur d'une possibilité de réfaction de la clause d'indexation illicite(S) ; il
(1)
Doct. V. J.P. TOSI, op. cit. p. 99, note 37.
(2)
J.P. TOSI, op. cit. ibidem.
En droit français, v. Mme PANCRAZI épouse TIAN (Marie Eve), op. cit. pp. 158 à 164.
(3)
Voir dans ce sens, en droit français, Paris. 21 décembre 1989, Dalloz 1989 I.R. p. 34.
(4)
En droit français, v. Mme PANCRAZI épouse TIAN (Marie Eve), op. cit. p. 149 et s., n° 166 et
s.
(5)
En droit français, voir dans ce sens, Casso civ. 16 juillet 1974 (à propos d'une clause d'indexation
co~binant à la fois un indice licite et des indices illicites), 0.1974, p. 681 et s., observations
MÂLAURIE.
Casso civ. 22 juillet 1987, Bull. III n° 151. En l'espèce, il a été jugé que le juge pouvait sauver
la clause d'indexation sans qu'il soit nécessaire de prétendre trouver l'indice de remplacement
dans la volonté des parties.
205
faut, tout de même, préciser que, naguère, lorsque les juges français acceptaient de
maintenir un contrat amputé de l'un de ses éléments, ils répugnaient à ajouter au contenu
contractuel(l).
Cependant, malgré l'objection pertinente de la doctrine française justifiée par "le
risque engendré par des purifications judiciaires"(2), il convient d'approuver la voie qui
ouvre largement le sauvetage judiciaire du contrat dans la mesure où c'est le point de vue
de la jurisprudence moderne française(3) et de la doctrine à la fois la plus récente(4)
et la plus autorisée qui faisait notamment savoir que l'ordre public économique répugne
à l'annulation totale(5).
A défaut de jurisprudence sénégalaise similaire aussi bien en matière de réfaction
de la clause d'intérêt conventionnel que de la clause d'indexation illicite, il nous paraît
que le juge sénégalais pourra, en définitive, utilement s'inspirer de la jurisprudence
française actuelle pour apprécier les conséquences de la nullité partielle de l'illicite en
anéantissant une clause contraire aux impératifs d'un ordre public économique de direction
dont les exigences imposent à la fois la suppression de l'élément vicié et la substitution
d'un élément valable à l'élément vicié(6) sans menacer la stabilité de l'ordre juridique
et économique général.
(1)
Mme PANCRAZI épouse TIAN (Marie Eve), op. cit. nO 172, p. 153.
(2)
En droit français, v. F.X. TESTU, note sous Casso corn. 27 mars 1990, Dalloz 1991, p. 289.
(3)
Voir p.
204 note 5.
(4)
En droit français, V. Mme PANCRAZI, épouse TIAN (Marie Eve), op. cit. nO 168 et nO 170, pp.
151 et 152.
(5)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 469 et 470, pp. 370 ct 371 ; G. RIPERT, op. cit. n°
146. Droit sénégalais, v. A. SAKHO, Thèse précitée, p. 455.
(6)
Mme PANCRAZI épouse TIAN (Marie Eve), op. cit. n° 163 ct s., p. 147 cl s., n° 171 el s., p. 152
et s.
206
Mais lorsque la nullité totale paraît s'imposer, comment doit s'y prendre le juge?
b - L'annulation totale
Elle a un effet radical qui fait disparaître l'acte de la scène juridique. Cette
technique d'annulation totale a connu une fortune dans la jurisprudence de la Cour de
Cassation
française
statuant
en
matière
de
réglementation
de
prix(l).
Cette
jurisprudence constante ne fait que se conformer à la thèse classique des nullités
absolues(2).
Mais si on écarte la théorie des nullités absolues, on doit admettre qu'une telle
jurisprudence va à l'encontre de l'ordre public économique(3) dont la méconnaissance
doit être sanctionnée par une nullité d'ordre public. Dans ce mouvement, on peut se
demander dans quels cas une nullité d'ordre public peut justifier une annulation totale.
Il n'est pas douteux que lorsque la condition qui a été déterminante de la volonté
des parties est illégale (article 66 du COCC), le juge n'a d'autre choix que d'annuler
totalement l'accord de volonté. Cette solution a été admise par la Chambre commerciale
de la Cour de Cassation française qui a censuré pour violation de l'article 1134 du Code
civil, la décision d'une Cour d'Appel qui avait refusé d'étendre la nullité de la clause
d'indexation au contrat de location-gérance qui la contenait, au mépris de la stipulation
qui précisait que toutes les clauses de la convention étaient de rigueur et que chacune
d'elles devait être considérée comme déterminante de l'accord de volonté des
parties(4).
(1)
V. Req. 9 décembre 1949, G.r. 1947.1, p. 62 ; Corn. 25 octobre 1949, S.1950.l, p. 64,; Civ. 17
décembre 1959, 0.1960, p. 294. Toutes ces décisions ont été déjà citées. V. supra. p. 195 note 1.
(2)
En droit français, v. R. SAVATIER, op. cit. p. 42.
(3)
En droit français, v. R. SAVATIER, op. cit., ibidem.
(4)
En droit français, v.Com. 27 mars 1990, Dalloz 1991, p. 289, note TESTU.
207
De surcroît la Cour de Cassation française abandonne l'appréciation du caractère
déterminant de l'accord de volonté des parties au pouvoir souverain du juge de fond(l).
La nullité totale doit être aussi admise, par référence à la structure des éléments
constituant la substance du contrat, s'il apparaît que l'objet ou la cause ont été viciés
(articles 73, 74 et 76 du COCC).
Cependant, il a été soutenu que l'annulation totale sera exceptionnelle car l'objet
du contrat sera assez rarement illicite(2).
Il nous semble que cette opinion mérite d'être relati visée en droit sénégalais où il
est permis de prononcer l'annulation du contrat en se référant à son objet qui, non
,
seulement ne doit pas heurter les limites apportées à la liberté contractuelle (art. 73 du
COCC) mais aussi doit être dans le commerce pour ce qui 'est de l'objet de l'obligation
(article 74 alinéa 1er du COCC).
Malgré cette réserve au demeurant sans grande importance, il faut convenir avec
M. FARJAT que c'est la nullité totale en raison de l'illicéité de la cause qui se réfère à
l'ordre public comme critère d'annulation du contrat(3). A cet égard, celui qui a
exécuté un contrat contraire aux bonnes moeurs ne peut par conséquent obtenir la
répétition de sa prestation (article 93 du COCC).
(1)
En droit français, v. Civ. 13 février 1969, JCP 1969.11, n° 15942, note J. Ph. LEVY.
(2)
En droit français, G. FARJAT, op. cit. 474, p. 375.
(3)
V. article 7.6 ;du CPCC,: Cause du contrat: "Le contrat est nul pour cause immorale ou illicite
lorsque le motif déterminant de la volonté des parties est contraire à l'ordre public ou aux bonnes
, moeurs".
208
L'analyse de cette disposition contenue dans l'article 93 du COCC invite
certainement à penser qu'il y a là l'expression d'un ordre public de direction morale(l).
Mais ne peut-on pas y VOIr également un certain ordre public de direction
économique?
La question paraît d'autant plus opportune que, selon le mot de M. FARJAT, il
n'existe pas dans le droit français, comme dans l'opinion publique de turpitude
économique(2), ce qui conduit l'éminent auteur à ajouter que le seul rôle que peut jouer
l'adage "nemo auditur..." est de paralyser l'application d'une règle d'ordre public
économique, mais au nom de la morale traditionnelle(3).
Si une telle interprétation juste de M. FARJAT se concevait à l'époque de la
rédaction de sa thèse (1961), elle paraît être dépassée de n'os jours, au Sénégal. En effet,
il apparaît de plus en plus qu'il est fait appel à la morale économique au nom de laquelle
il doi t être permis à la Commission nationale de la Concurrence de réprimer beaucoup de
comportements économiques immoraux. Urx telle possibilité semble être admise par la
formule selon laquelle le libre jeu de la concurrence doit être sain et 10yal(4). Il
s'ensuit que l'insanité du libre jeu de la concurrence pourrait être interprétée comme un
comportement immoral en matière économique.
En définitive, il semble que rien n'empêche le juge sénégalais de faire application
de la règle "nemo auditur. .. " en matière d'ordre public économique.
(1)
G. FARJAT, op. cit. n° 521, p, 416.
(2)
En droit français, G. FARJAT, op. cit. n° 519, p. 415.
(3)
. En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 521, p. 416.
(4)
V. art. 23 alinéa 1er de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
209
Si on reconnaît ce pouvoir au juge, comme nous le préconisons, on se rend bien
compte que cet élargissement du pouvoir du juge se heurtera toujours à des obstacles liés
au fait que l'annulation pourra souvent être empêchée par l'administration, d'où l'étude
de la portée de la nullité de l'illicite.
D - Portée de la nullité de l'illicite
La volonté de maintenir à tout prix le contrat se constate à travers la possibilité de
régularisation accordée à l'administration. Ce qui constitue un obstacle à la nullité de
l'illicite. A cet égard, l'exemple typique qui illustre fort opportunément cette technique
de régularisation paraît être constituée par la législation des changes où l'office des
changes accorde volontiers une autorisation sollicitée tardivement ; quitte à exiger le
paiement des pénalités encourues(l), ce qui confirme la démonstration de RüBLüT
selon laquelle la nullité absolue frappant les opérations non autorisées serait susceptible
d'être couverte dans certains cas(2).
Qu'en est-il du droit sénégalais?
Dans notre droit, il apparaît qu'il existe, au moins, un cas de nullité expresse(3).
Dès lors, on peut soutenir que, dans toutes les autres hypothèses, la nullité n'est applicable
qu'en vertu de la théorie de la nullité sans texte qui permet de mettre fin à l'illicite. Mais
il s'y ajoute que cette théorie de la nullité paraît être sérieusement concurrencée par le fait
que la réglementation des changes se compose presque exclusivement de mesures
administratives ou répressives(4) ; ce qui justifie que l'administration puisse accorder
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 545, p. 435.
(2)
En droit français, v. R. RüBLüT, article précité.
(3)
V. article 7 de l'arrêté n° 505 MFDFEI du 10 janvier 1967 précitée.
(4)
V. G. FARJAT citant RüBLüT dans sa thèse précitée, n° 578, p. 465.
210
une autorisation sollicitée tardivement en vue de la régularisation d'un contrat passé sans
l'autorisation de l'office des changes(l).
Au Sénégal, une telle possibilité doit être accordée au Ministère des Finances qui
tient lieu d'office des changes puisqu'il résulte des textes relatifs à la législation des
changes(Z) que c'est cette structure ministérielle qui accorde les autorisations. Au
soutien de cet argument, il a surtout été démontré que l'administration délivre des
autorisations a posteriori dès lors qu'un investissement se révèle bénéfique pour les
intérêts publics par la suite(3). Ces intérêts publics se rattachent alors à des avantages
économiques justifiant que la nullité de l'illicite soit, en définitive, passée sous silence;
ce qui réduit la portée de la nullité de l'illicite.
En conclusion, on peut affirmer que la théorie de la nullité absolue voire d'ordre
public est une réalité au service d'un ordre public économique de direction dans la mesure
où nous avons pu découvrir qu'elle privilégie la voie de la nullité partielle, soit par
l'anéantissement de la seule clause contraire, soit par une possibilité de régularisation. Il
nous semble que cette construction théorique vise alors un seul et même but :
l'épanouissement du lien contractuel indispensable à la vie des affaires.
Il est acquis que ce lien contractuel fait l'objet d'une protection, en droit français,
par le juge(4). Mais quid du juge sénégalais?
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit n° 578, p. 465.
(Z)
V. supra, p. 175. Nécessité d'une réglementation des changes. Tous les textes visés
sont déjà cités dans ce paragraphe.
(3)
A. SAKHO, op. cil. p. 331.
(4)
En droit français, V. Mme PANCRAZI épouse TIAN (Marie Eve), op. cit.
211
En réponse à cette question, notre déception a été grande faute d'avoir trouvé des
solutions rendues par nos juges.
Ont-ils été saisis à propos des affaires entrant dans la perspective de nos
investigations ?
Si oui, les décisions rendues par eux sont-elles publiées ou bien classées dans les
greffes?
Voici autant de questions qui soulèvent le délicat problème de la communication
des décisions de justice.
En tout cas, un passage au greffe du Tribunal régional nous a permis de constater
que, même à la source de l'information judiciaire, les rés'ultats sont décevants.
Tout de même, malgré ces insuffisances, nous pensons avoir contribué, grâce à la
théorie de la nullité en matière d'ordre public économique de direction, à quelques
indications que le juge sénégalais pourrait prendre en considération.
En attendant la réalisation de ce souhait, il convient d'examiner la série des
sanctions répressives classiques qui accompagnent souvent la réglementation économique.
II - LA REPRESSION DES DELITS ECONOMIQUES
Cette répression a toujours figuré dans l'arsenal législatif sénégalais relativ,ement
aux matières économiques soumises au contrôle des pouvoirs publics. Dans la mesure où
elle accompagne quelquefois la nullité de l'illicite, elle contribue alors à renforcer le
régime juridique du contrôle en matière de fermeture administrative d'établissement et les
interdictions professionnelles (A), de réglementation des prix et des fraudes (B), de
212
réglementation de la monnaie et du crédit CC). Il s'y ajoute qu'en matière économique,
l'àdmission largè de la technique de la transaction mérite d'être étudiée comme un
obstacle à la répression CD).
A -
Là fermeture administrative d'établissement et les interdictions
professionnelles
Ces sanctions demeurent classiques dès lors qu'elles avaient été déjà prévues par
la loi n° 65-25 du 4 mars 1965 sur les prix et les infractions à la législation
économique(1) qui fut abrogée et remplacée par celle du 22 août 1994 sur les prix, la
concurrence et le contentieux économique(2) qui maintient les mêmes sanctions en
apportant cependant quelques innovations.
Le domaine d'application des sanctions s'appliquant respectivement à un
établissement (a) et aux personnes Cb) ; leur étude séparée paraît donc s'imposer.
a - La fermeture administrative d'établissement
Selon MERLE et VITU, la fermeture d'établissement consiste à retirer de la vie
commerciale ou publique un établissement qui a été le théâtre, l'instrument ou l'occasion
de certaines activités dangereuses pour l'ordre public(3). Il ressort de cette définition
que les nécessités de l'ordre public peuvent justifier la sanction de fermeture
d'établissement.
(1)
V. JORS 1965 du 3 avril 1965, pp. 386 à 393.
(2)
V. JORS du samedi 27 août 1994, nO 5595, p. 384.
(3)
En droit français, v. MERLE et VITU, Traité de droit criminel, T.I, 5ème édition,
CUJAS, 1984, p. 736.
213
L'absence d'une réglementation d'ensemble en la matière avait conduit le
législateur sénégalais à adopter différents textes en vue d'ordonner la fermeture
d'établissements particuliers(1). A cet égard, la loi n° 65-25 du 4 mars 1965 précitée
fut saluée comme étant le texte le plus complet(2). Donc l'on ne pourra que regretter
le fait que le texte de 1994 ayant pris la succession de celui de 1965 soit allé en-deça du
précédent dans la mesure où la nouvelle loi (art. 70) ne prévoit la mesure de fermeture
d'établissement que pour les infractions à la pratique de prix illicites (article 67 alinéa 1er
de la loi).
L'autre lacune, et non des moindres, est que la nouvelle loi ne s'intéresse plus aux
conséquences
des
mesures
de
fermeture
d'établissement
et
aux
interdictions
professionnelles (art. 70). En effet, dans son ancienne formulation, il était précisé que
lorsque la fermeture temporaire n'excédait pas 3 mois, il était fait obligation au délinquant
ou à l'entreprise de continuer de payer à son personnel' les salaires, indemnités et
rémunérations de toute nature auxquels il avait droit jusqu'alors(3). Si une telle
formulation claire n'a suscité aucun débat, cela n'a pas été le cas lorsque la fermeture est
d'une durée supérieure à 3 mois mais inférieur à 2 ans. Dans cette dernière situation, la
loi (art. 59) prévoyait qu'il appartenait au jugement qui a ordonné la fermeture de régler
la situation du personnel de l'entreprise conformément aux dispositions du Code du
travail.
(1)
Sur cette question, v. Isaac Yankhoba NDIA YE, "Les vicissitudes de l'entreprise
et le sort de l'emploi", Thèse, Dakar, 1988, p. 167, n° 119.
(2)
Isaac Yankhoba NDIA YE, op. cil. p. 168.
(3)
V. article 59 alinéa 3 de la loi n° 65-25 précitée.
214
Si une référence aux dispositions du Code du travail a réuni l'accord d'éminents
auteurs comme M. Joseph ISSA-SA YEGH(l) et M. Isaac Yankhoba NDIA YE(2)
sur le fait que le Code du travail n'a rien prévu à ce propos, des divergences subsistent
encore, même aujourd'hui(3) sur la recherche d'un essai de solution à apporter à ce
faux ren~oi: Les divergences sont d'autant plus profondes que les solutions proposées sont
diamétralement opposées. Ainsi, si M. ISSA-SA YEGH propose la rupture du contrat de
travail du fait de l'employeur(4), à l'opposé, M. NDIA YE soutient la thèse de la
suspension du contrat de travail(5).
La persistance de cette controverse doctrinale nous conduit à adopter un point de
vue sous le contrôle du législateur ou de la jurisprudence qui seront seuls habilités à
trancher définitivement cette question. A cel égard, il nous paraîl que, au plan des
principes généraux du droit, la thèse de M. NDlA YE est plus propice que la doctrine de
M. ISSA-SAYEGH puisque, dans la perspective où nous nous situons, c'est-à-dire l'ordre
public économique, il nous a été donné l'occasion de vérifier qu'il se propose de
rechercher le contrat(6). Il s'ensuit que la stabilité du contrat de travail doit pouvoir
assurer une certaine stabilité de l'emploi, selon l'expression de M. NDIA YE(7).
(1)
Joseph ISSA-SAYEGH, Le droit du travail sénégalais, L.G.DJ., NEA, 1987, n°
208, p. 564.
(2)
Isaac Y. NDIA YE, op. cit. p. 169.
(3)
En effet, M. Isaac Y. NDIAYE rappelle la controverse dans un récent article ilL' art
de mal légiférer (propos irrévérencieux sur certains textes de lois)", Revue de
l'Association Sénégalaise de Droit Pénal, juillet-décembre 1995, n° 2, p. 55, note
10.
(4)
1. ISSA-SA YEGH, op. cit. n° 1208, p. 564.
(5)
Isaac Y. NDIA YE, Thèse précitée, pp. 169 et 170.
(6)
Voir supra, nos développements sur la nullité de l'illicite p. 191 et suivantes.
(7)
Isaac Y. NDIA YE, op. cit. p. 169.
215
Comme il est permis de le constater, la sanction de la fermeture administrative
d'établissement a suscité des difficultés d'interprétation, encore qu'elles soient aplanies
par le nouveau texte en vigueur qui ne se préoccupe plus des conséquences de la sanction,
elles se poseront avec plus de rigueur à défaut d'un texte complet, c'est-à-dire celui de
la loi n° 65-25 du 4 mars 1965 précitée pourtant adoptée comme un laboratoire à une
éventuelle
réglementation
d'ensemble
d'autres
hypothèses
de
fermeture
d'établissements(1).
En tout cas, nous pensons avoir contribué, en définitive, de manière modeste, à une
éventuelle solution de lege ferenda relative aux conséquences de la mesure répressive de
fermeture administrative d'établissement.
b - Les Interdictions professionnelles
Elles constituent un aspect des sanctions classiques dont les conséquences avaient
été précisées tant en ce qui concerne la profession du condamné E.1) que sa propriété(2).
1°) Dans le premier cas, il est interdit au délinquant toute possibilité d'emploi à
quelque titre que ce soit, dans l'établissement qu'il exploitait, même s'il l'a vendu, loué
ou mis en gérance. La sévérité de l'interdiction fait qu'elle s'étend aussi à l'établissement
qui serait exploité par son conjoint même séparé(3).
(1)
Isaac Y. NDlA YB, op. cit. p. 168.
En effet, on peut relever que, même dans la phase de libéralisation du
développement, la mesure de fermeture adminis trative d'établissement est
maintenue dans certaines hypothèses. Voir dans ce sens, la loi n° 94-69 du 22 août
1994 fixant le régime d'exercice des activités économiques précitée (article 6) :
"L'autorité
compétente
peut
prononcer
la
fermeture
administrative
des
établissements fonctionnant sans autorisation -préalable lorsqu'ils sont soumis à un
tel régime".
(2)
V. article 59 alinéa 5 combiné avec l'article 60 de la loi n° 65-25 abrogée.
(3)
V. art. 59 alinéa 5 de la loi n° 65-25 précitée.
216
On a pu dire de l'interdiction qu'elle se propose d'éliminer du monde du commerce
certaines personnes qui ne présentent pas les garanties de moralité nécessaires(1). Cette
absence de moralité explique l'unanimité de la jurisprudence et de la doctrine en matière
de répression qui doit être sévère(2).
Dans cette perspective, il a été jugé, en France, que l'interdiction est
automatiquement attachée au jugement de condamnation et le tribunal n'a pas à le
prononcer expressément(3). Au surplus, la doctrine française(4) considère que, dans
le silence de la décision, l'interdiction est perpétuelle, sauf relèvement ultérieureS).
L'appréciation de la rigueur de cette sanction conduit à penser qu'elle se justifiait
pleinement dans un contexte marqué par la direction d'une économie en voie de
développement. Par conséquent, il semble que l'abandon de cette mesure d'interdiction
professionnelle pourrait être interprété comme le signe d'un assouplissement des règles
en matière économique qui épouse les contours d'un libéralisme.
2°) Dans le second cas, c'est-à-dire la propriété du condamné, l'ancienne loi n° 65-
25 du 4 mars 1965 retenait que la vente aux enchères du fonds peut être ordonnée selon
une procédure qu'elle définit. Cette dernière est celle d'une vente forcée qui avait pour
effet d'exproprier le titulaire du fonds.
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. nO 279, p. 225.
(2)
Yves REINHARD, op. cit., ibidem.
(3)
Voir dans ce sens, Crim. 29 février 1956, Dalloz 1956, p. 321.
(4)
HAMEL, LAGARDE, JAUFFRET.
(5)
En droit français, v. Gabriel ROUJOU De BOUBEE, Le nouveau régime des
interdictions professionnelles, Dalloz 1973, Chronique, p. 275.
217
Cet inconvénient majeur et redoutable avait conduit le législateur sénégalais à
réserver tout spécialement l'hypothèse où le condamné n'était pas propriétaire du fonds.
Dans ce cas, le juge pouvait autoriser le véritable propriétaire à reprendre le fonds
nonobstant toutes conventions et quelle que soit la durée de la fermeture et de
l'interdiction prononcée(l).
L'on notera, du reste, qu'à l'instar de l'interdiction professionnelle, toutes ces
mesures particulières de spoliation sont aujourd'hui abandonnées. Qu'est-ce qui peut donc
justifier cet abandon?
A notre avis, la réponse simple se situe ici encore dans la prise en compte d'un
nouvel environnement sodo-économique dominé par le libéralisme qui garantit
indubitablement la propriété privée(2).
Cependant, il est permis de constater que la mesure d'interdiction professionnelle
a été maintenue dans le domaine particulier qui concerne la réglementation des changes.
A cet égard, l'ordonnance n° 94-29 du 28 février 1994 relative au contentieux des
infractions
au
contrôle
des
changes(3)
prévoit
des
peines
accessoires
et
complémentaires
qui
se
résument
essentiellement
à
des
mesures
d'incapacités
professionnelles à l'égard des personnes condamnées pour infraction au contrôle des
changes. Dans cette perspective, l'ordonnance (article 23) prévoit l'incapacité d'exercer
les fonctions d'agent de change. Il s'y ajoute que les personnes condamnées pourront
(1)
V. article 60 alinéas 3 et 4 de la loi n° 65-25 précitée.
(2)
V. Rapport Banque Mondiale sur le développement dans le monde 1996 intitulé
De l'économie planifiée à l'économie de marché, p. 107.
(3)
Référence, v. Revue de l'Association Sénégalaise de Droit Pénal, n° 2, juillet-
décembre 1995, Partie Législation, p. 102 et s.
218
(article 24) en outre être déclarées incapables, pour une durée n'excédant pas cinq ans,
de diriger, administrer ou gérer :
- toute banque ou agence de banque;
- tout établissement financier et agence d'établissement financier;
- une ou plusieurs catégories déterminées d'établissements financiers et les agences
de ces catégories d'établissements.
Cette disposition contenue dans l'article 24 de l'ordonnance constitue des mesures
sévères d'interdictions professionnelles qui sont renforcées par la règle selon laquelle (art.
24.2 de l'ordonnance) l'interdiction de diriger, administrer ou gérer un établissement
emporte de plein droit interdiction d'exercer à titre personnel les activités de cet
établissement.
De prime abord, on pourrait voir dans la sévérité de ces mesures d'interdictions
professionnelles le signe d'une opposition entre son abandon dans certains domaines et
son maintien rigoureux dans d'autres.
A la vérité, ce n'est qu'une opposition de façade dans la mesure où la sévérité de
l'interdiction professionnelle en matière de change, dans un contexte de libéralisation, se
justifie pleinement par la nécessité pour les pouvoirs publics d'avoir un droit de regard
sur l'économie. Ce qui confirme, en définitive, notre propos de départ, dans l'introduction
de cette première partie, selon lequel le libéralisme n'est pas incompatible avec des
mesures d'inspiration dirigiste(l).
Par suite, on doit maintenir, même dans un contexte libéral, des mesures
répressives qui s'appliquent, en outre, à la réglementation des prix et des fraudes.
(1)
V. supra, Introduction de la première Partie de cette thèse p. 31.
219
B -
La réglementation des infractions à la réglementation des prix et des
fraudes
Elle découle de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée qui a prévu un ensemble
de délits économiques se rapportant aux prix et aux fraudes. Par suite, l'inobservation de
la réglementation des prix tombe essentiellement dans la qualification d'infraction de
pratiques de prix illicite (art 45 et 46 de la loi) auxquelles on peut ajouter des infractions
assimilées (art. 47) et des délits incidents (art. 48).
De plus, il est prévu l'infraction de fraude qui trouve son siège légal dans l'article
67 alinéa 2 du même texte.
L'analyse de ces délits économiques mérite l'étude de leurs éléments constitutifs
à travers leur incrimination que la loi a pris soin de réglementer minutieusement (a). Par
suite, l'on s'intéressera aux sanctions prévues (b).
a - Les incriminations
Les infractions assimilées à la pratique de prix illicite et les délits incidents à
l'infraction de prix illicite étant intimement rattachées à l'infraction de base de pratiques
de prix illicite, c'est à cette dernière qu'il conviendra de se référer surtout pour dégager
les éléments constitutifs de l'incrimination.
L'infraction de pratiques de prix illicite est prévue par la loi nO 94-63 du 22 août
1994 (articles 45 et 46) qui précise respectivement la définition de la notion de prix
illicites et la qualification de pratiques de prix illicites.
Dans la définition du prix illicite, il est surtout fait référence à la fixation du prix
par l'autorité administrative qui peut choisir un prix plafond ou un prix plancher de
référence en application des articles 42 et 43 qui constituent les exceptions au principe de
220
la liberté des prix(I). En outre, il suffit que le pnx soit supérieur au pnx plafond
(article 45 alinéa 2).
Pour que l'infraction soit conslituée, son élément matériel doit reposer (article 46)
sur des opérations comme la vente ou l'offre de vente, l'achat ou l'offre d'achat, les
prestations de services, les offres de prestations de services et les demandes de prestations
de service.
Enfin, on relève que s'il est parfois fait appel à l'élément moral pour caractériser
l'infraction intentionnelle(2), dans les cas les plus nombreux, l'absence de l'élément
moral fait que nous sommes purement et simplement dans le domaine des infractions
matérielles. Ceci paraît d'autant plus soutenable que ces dernières sont relatives à des
prescriptions
édictées
par
l'autorité
administrative
puisque
l'inobservation
des
règlements(3) constitue une faute même en l'absence d'Imprudence ou de négligence
à cause de l'adage nul n'est censé ignorer la loi(4).
La deuxième catégorie d'infractions semble être constituée par la fraude. En effet,
l'énumération légale des faits pouvant constituer les manoeuvres frauduleuses, c'est-à-dire
la non tenue d'une comptabilité, la falsification d'écriture, la dissimulation de pièces
comptables, la tenue de comptabilité occultes, l'établissement de fausses factures, la
(1)
V. supra, pp. 167 et 168.
(2)
En effet, c'est le cas des dispositions de l'article 46 alinéas 2 et 4 de la loi na 94-
63 du 22 août 1994 qui emploient l'adverbe "sciemment".
(3)
Pour une application en droit français, v. Paris, 20 décembre 1971, Revue Sciences
criminelles, 1972, p. 610, observations LEVASSEUR (cas d'une circulaire).
(4)
En droit français, v. J. PRADEL, Droit Pénal Général, 8e édition, 1992, Editions
CUJAS, na 438, p. 447.
221
remise ou la perception de soultes occultes (article 67 alinéa 2 de la loi) peut faire penser
à l'existence d'une infraction distincte de celle de pratiques de prix illicite.
Or, en réalité, il apparaît que les manoeuvres frauduleuses ne seront guère que des
faits qui sont des circonstances de nature à aggraver les sanctions applicables aux
infractions de pratiques de prix illicite. Une telle interprétation s'autorise expressément de
la rédaction de l'article 67 alinéa ler de la loi qui dispose que "les infractions prévues aux
articles 46 et 47 sont punies d'une amende de 25.000 à 5.000.000 de francs. En cas de
manoeuvres frauduleuses, une peine de 3 mois à 3 ans d'emprisonnement peut être
prononcée".
b - Sanction répressive applicable
Elle est caractérisée par sa particulière sévérité puisque, ainsi que nous avons pu
déjà le constater(l), l'infraction de pratiques de prix illicite est punie d'une amende de
25.000 à 5.000.000 de francs. En cas de manoeuvres frauduleuses, une peine de 3 mois
à 3 ans d'emprisonnement peut être prononcée. Il s'y ajoute que la loi (articles 55 et s.)
prévoit la possibilité d'une saisie de marchandises.
La lourdeur de la sanction traduit la volonté des pouvoirs publics d'orienter une
politique de détermination des prix qui est un élément important de la politique
économique(2).
Une telle vision n'a pas été détournée par le contexte de libéralisation du
développement économique qui doit pouvoir s'accommoder d'un contrôle, si minime soit-
il, des pouvoirs publics dont le principal instrument de réaction est la voie répressive.
(1)
V. supra ibidem.
(2)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, op. cit. n° 104, p. 85.
222
Cependant, un tel objectif n'est pas encore atteint, de nos jours, principalement à
cause du fait que les commerçants continuent d'imposer leur loi faute d'une application
de la loi en matière de réglementation des prix(l).
Après avoir étudié la répression applicable à un instrument de politique
économique, à savoirles prix, il reste, à présent, à voir la répression applicable à d'autres
instruments non moins capitaux pour l'économie, en l'occurrence la réglementation de la
monnaie et du coût du crédit.
c - La répression de la réglementation de la monnaie et du coût du crédit
Le domaine de la répression concerne surtout la réglementation des changes Ca) et
des opérations usuraires en matière de crédit(b) où un certain nombre de délits
économiques peuvent être constatés.
a - La répression de la réglementation des changes
En matière de change, il est permis de relever, aux termes de l'ordonnance n° 94-
29 du 28 février 1994 relative au contentieux des infractions au contrôle des changes(2)
deux infractions relatives respectivement au contrôle des changes au Sénégal (article 2
(1)
V. Quotidien Wal Fadjri L'Aurore du lundi 7 octobre 1996" n° 1367, p. 5.
Libéralisation du marché. L'échec d'une politique mal appliquée.
(2)
Référence. Cette ordonnance est publiée à la revue de l'Association Sénégalaise
de Droit Pénal, n° 2, juillet-décembre 1995 - Partie Législation, pp. 102 à 110.
Cette ordonnance abroge et remplace la loi n° 67-33 du 30 juin 1967 précitée. De
plus,
après
avoir supprimé
l'infraction
relative
aux mesures
permettant
l'établissement de la balance des paiements extérieurs de la République du Sénégal
(art. Il et 12 alinéa 1er de la loi n° 67-33 abrogée), elle introduit, à la faveur de
l'harmonisation de la politique monétaire de l'UEMüA, une infraction au contrôle
des changes établies par un autre Etat membre de l'UEMüA. L'étude de cette
dernière infraction n'entre pas dans notre perspective dans la mesure où nous nous
situons dans un cadre strictement interne au Sénégal.
223
alinéa 3.1) et au contrôle des changes établies par un autre Etat membre de l'UMOA dans
le respect de ses engagements internationaux (article 2 alinéa 3.2).
La notion d'infraction au contrôle des changes peut être conçue comme un moyen
de contrôle réactif des pouvoirs publics dans la mesure où sa définition laisse apparaître
que l'inobservation des formalités prescrites, en application à l'exception au principe de
la liberté des relations financières entre la République du Sénégal et l'étranger, constitue
une infraction. Une telle conception résulte directement de l'ordonnance (article '3) qui
considère comme infraction au contrôle des changes toute violation des mesures prises en
application de l'article premier, soit en ne respectant pas les obligations de déclaration ou
rapatriemenl, soit cn n'observant pas les procédures prescrites ou les formalités exigées,
soit en ne se munissant pas des autorisations requises ou ne satisfaisant pas aux conditions
dont ces autorisations sont assorties(l).
Au plan de la procédure, il est fait renvoi aux règles applicables aux infractions à
la législation douanière (article 4 de l'ordonnance) ; ce qui confère un vaste pouvoir
d'investigation aux agents chargés de constater les infractions(2) qui peuvent, à cette
fin, effectuer certaines visites domiciliaires (article 6 de l' ordonnance). De plus, le
Ministère des Finances joue un rôle important dans la procédure(3) dans la mesure où
(1)
V. supra pp. 176 et 177.
(2)
Ces agents sont:
1- les agents des douanes ;
2- les autres agents assermentés du Ministère des Finances désignés par le
Ministre;
3- les officiers de police judiciaire;
4- les agents de la Banque Centrale désignés par le Ministère de l'Economie, des
Finances et du Plan, sur proposition du Gouverneur de la BCEAO.
(3)
En effet, nous serons amenés à voir ce rôle du Ministre qui intervient en matière
de transaction, v. infra, p. 226 et suivantes.
224
les infractions ne peuvent être poursuivies, selon l'ordonnance (article 13 alinéa 1) que
sur la plainte du Ministre des Finances ou son représentant.
Au plan de la répression, l'infraction à la réglementation des changes est
caractérisée par une particulière sévérité qui se dégage des peines principales (articles 19
à 22 de l'ordonnance) et des peines accessoires et complémentaires (articles 23 à 26 de
l' ordonnance). Dans cette optique, les tribunaux correctionnels qui sont compétents en la
matière (art. 29.1 de l'ordonnance) peuvent prononcer une peine d'emprisonnement d'un
an à cinq ans(I), la confiscation du corps du délit et des moyens de transport utilisés
pour la fraude et une amende égale au minimum au montant et au maximum au quintuple
de la somme ou la valeur sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction (art.
19.1 de l' ordonnance).
La répression de la tentative, en l'espèce, apporte un argument dirimant à la
sévérité du législateur qui prévoit en outre le doublement du taux des pénalités en cas de
récidive (articles 21.1 et 21.2).
Au
surplus,
le juge correctionnel
peut prononcer certaines
interdictions
professionnelles (article 24 de l' ordonnance)(2).
En somme, on peut dire de cet arsenal répressif, qu'il confirme, au fond, la formule
consacrée par M. le Professeur Gérard FARJAT qui faisait observer que "la
réglementation des changes se compose presque exclusivement de mesures administratives
(1)
On note que par rapport à l'ancienne loi nO 67-33 du 30 juin 1967 (articles 12
alinéa 1) qui prévoyait une sanction pécuniaire d'amende qui pouvait osciller entre
20.000 à 500.000 francs; la loi nouvelle a considérablement renforcé les pénalités.
(2)
V. supra, pp. 217 et 218.
225
ou répressives(l). Il s'y ajoute que toutes ces mesures répressives visent à contrôler et
à moraliser le secteur des échanges commerciaux internationaux ; ce qui contribue
positivement à la défense de la politique monétaire qui déploie également son champ
d'application en matière de crédit.
b - La répression de la réglementation du coût du crédit
La lutte contre le fléau de l'usure(2) a conduit les pouvoirs publics à instituer
un délit qui est consommé par le fait de prêter à un taux global excédant, à la date de
conclusion du prêt, le double du taux d'escompte de la Banque Centrale. Cette infraction
trouve son siège légal dans la loi n° 94-66 du 22 août 1994(3) qui dispose en la
matière (article 1er) que le doublement du taux de référence constitué par le taux
d'escompte de la Banque Centrale entraîne le délit d'usure puni d'un emprisonnement de
2 mois à 2 ans et d'une amende de 100.000 à 5.000.000 F pouvant être portée au
quintuple des intérêts excessifs stipulés ou de l'une de ces' deux peines.
La sévérité d'une telle sanction peut être .constatée en cas de récidive où le
maximum de la peine est portée à 5 ans d'emprisonnement et à 15.000.000 F d'amende
(article 3 alinéa 3 de la loi).
Le domaine d'application de la sanction a été étendu à un autre contrat de crédit
qui concerne les ventes à tempérament(4). Une telle extension se justifie alors par le
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 578, p. 465.
(2)
Sur l'usure, v. KODJO M.Z., L'usure en droit africain et français comparés, Thèse,
Paris I, 1974.
(3)
V. loi nO 94-66 du 22 août 1994 abrogeant et remplaçant l'art. 541 du COCC et
modifiant la loi n° 81-25 du 25-06-1981 relative à la répression des opérations
usuraires et aux taux d'intérêt, JORS n° 5595 du samedi 27 août 1994, p. 392 et
suivantes.
(4)
V. article 1er alinéa 4 de la loi n° 94-66 du 22 août 1994 précitée.
226
fait que dans les ventes à tempérament, les paiements s'échelonnent sur plusieurs périodes.
D'où la nécessité d'une réglementation particulière(l) pour ce type de vente caractérisé
par un octroi de crédit remboursable à plus ou moins long terme.
En définitive, l'on constate qu'à travers la répression de l'usure, les pouvoirs
publics cherchent à assainir le crédit qui constitue un élément essentiel de politique
économique en matière de financement et surtout d'investissement. De ce fait, la sévérité
de la répression de l'usure, considérée surtout comme un fléau dans un pays en voie de
développement, mérite d'être approuvée.
Cependant, cette sévérité de la répression des délits économiques paraît être
largement tempérée par l'admission de la technique de la transaction largement pratiquée.
D - Les obstacles à la répression liés à la technique de la transaction
La transaction peut être comprise comme un mode non juridictionnel de règlement
des litiges(2).
La particularité des infractions strictement économiques fait qu'elles admettent
largement la procédure de la transaction(3).
(1)
V. loi n° 74-97 du 18 juillet 1974 autorisant la réglementation de la vente à
tempérament de certains meubles corporels, JaRS du 26 août 1974, p. 1374.
Décret n° 78-819 du 28 juillet 1978 fixant les conditions de la vente à
tempérament de certains meubles corporels, COCC annoté, Editions EDJA, Dakar,
avril 1994, pp. 158 à 161.
(2)
V. E. MICHELET, La conciliation dans la procédure sénégalaise, Penant, 1980, p.
135 et suiv.
(3)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 621, p. 506.
Adde René SAVATIER, op. cit. p. 42.
227
Une telle affirmation peut être vérifiée surtout dans le domaine de la réglementation
des prix et des fraudes où la loi régissant la matière prévoit expressément la possibilité
d'une transaction (article 61 alinéa 2), et dans le domaine de la réglementation des
changes où l' ordonnance de 1994 réprimant les infractions au contrôle des changes (article
15) autorise le Ministre des Finances ou son représentant à transiger.
En matière d'infraction à la réglementation des prix et des fraudes, la réalisation
de la transaction empêche que le Procureur puisse être saisi; c'est ce qui résulte de la
règle (article 64 de la loi na 94-63 du 22 août précitée) selon laquelle la réalisation
définitive de la transaction éteint l'action publique.
La procédure de la transaction semble être l'apanage des autorités administratives
compétentes qui peuvent alors en accorder le bénéfice (article 64 alinéa 2 de la loi
précitée). Une telle affirmation se vérifie, en outre, dans le domaine des infractions au
,
contrôle des changes où l'ordonnance de 1994 (article 15 alinéa 2) prévoit que lorsque le
Ministre des Finances, en l'occurrence, la première autorité administrative chargée
d'exécuter la politique économique, ou son représentant, accorde le bénéfice de la
transaction, celle-ci éteint l'action publique.
Une telle situation permet donc de conférer une part importante à l'administration
,
dans la neutralisation de la sanction pénale. Ainsi que le souligne, fort opportunément, la
doctrine française(l), son importance a été telle que la transaction constitue le droit
commun en matière de droit pénal économique.
Appréciant l'importance d'une telle procédure, on peut faire remarquer, cependant,
que s'il est loisible d'approuver la transaction comme une technique permettant de faire
obstacle à la répression et d'éviter, dans le même temps, les inconvénients d'un procès,
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cil. na 587, pp. 472 et 473.
228
l'approbation mérite au fond de susciter quelques réserves. En effet, la technique de la
transaction peut contribuer à anéantir la rigueur des sanctions pénales dans la mesure où
son octroi relève, d'une certaine manière, du pouvoir discrétionnaire de l'autorité
administrative(l). Il s'ensuit que si la transaction n'est pas entourée de toutes les
garanties nécessaires, rien n'empêche l' autori té administrati ve de brader les intérêts
économiques du pays en acceptant un arrangement qui va à l'encontre des intérêts publics.
Dans cette perspective, il convient d'approuver le législateur sénégalais qui, pour éviter
cet inconvénient majeur, a enfermé l'octroi de la transaction dans des conditions
réglementaires déterminant la procédure de réalisation ainsi que les modalités de
versement (article 64 alinéas 1 et 2 de la loi et article 17 de l'ordonnance).
En somme, la répression des délits économiques constitue un moyen réactif des
pouvoirs publics visant à sanctionner la commission d'infractions particulièrement
nuisibles à l'économie nationale ; ce qui justifie la sévérité de la répression qui est
cependant tempérée par l'existence d'obstacles liés à la technique de la transaction. Dans
cette dernière situation, c'est également la nécessité de préserver des intérêts économiques
essentiels qui fonde son utilité dans la mesure où il est acquis que l'administration procède
souvent par transactions et délivre des autorisations dès lors qu'un investissement se révèle
bénéfique pour les intérêts publics par la suite(2).
En définitive, l'analyse d'ensemble des sanctions classiques a révélé une constante
qui est la permanence du lien contractuel qui ne disparaît qu'exceptionnellement. Aussi
bien, il apparaît que, ni la réfaction de la clause contraire, ni le prononcé d'une sanction
répressi ve, encore moins la transaction, ne font pas disparaître l'activité contractuelle dont
l~ développement et l'épanouissement sont un signe de vitalité de la vie des affaires.
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. na 587, pp. 472 et 473.
(2)
A. SAKHO, op. cil. p. 331.
229
Avecl'évolution contemporaine de la vie des affaires dominée par le libre jeu de
la .concurrence, l'on note l'avènement de nouveaux délits économiques qu'il convient, à
présent, d'examiner dans une seconde rubrique intitulée "Sanctions modernes".
Sous-Section II - LES SANCTiONS "MODERNES"
Ces sanctions sont dites "modernes" puisqu'elles sont introduites récemment par
la loi n° 94-63 du 22 août 1994(1) qui donne compétence à la nouvelle Commission
nationale de la Concurrence pour réprimer les pratiques anticoncurrentielles(2).
Certes, même si c'est un rôle d'arbitre qui est assigné à ladite Commissio~(3),
cela ne doit pas· l'empêcher de prononcer des sanctions dans la mesure où la neutralité qui
doit êt.re le credo de n'importe quel arbitre n'est pas incompatible avec la fonction de
répression. Il s'ensuit que la Commission nationale de la Concurrence peut, dans le cadre
de ses compétences, ordonner la cessation des pratiques anticoncurrentielles sous la
menace d'une sanction d'amende de 100.000 francs. CFA à 20.000.000 de francs CFA
(article 13 de la loi) lorsque ces dernières constituent des pratiques tendant à faire obstacle
à l'évolution positive des lois du marché (art.. 23 alinéa 2 de la loi).
Ces infractions revêtent, soit un caractère individuel, soit un caractère collectif
1
(article 23 alinéa 3 de la loi) si bien que cette distinction légale dans la répression des
nouveaux délits économiques mérite d'être prise en compte (1).
Mais dans la répression de ces nouveaux délits économiques, l'existence quasi-
systématique de faits justificatifs fait qu'il existe des obstacles à la répression (II).
(1)
Références, JORS n° 5595 du samedi 27 août 1994.
(2)
V. supra, pp. 186 et 187.
(3)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
230
1 - LA REPRESSION DES NOUVEAUX DELITS ECONOMIQUES
Elle concerne, d'une part, les pratiques anticoncurrentielles collectives (A) et,
d'autre part, les pratiques anticoncurrentielles individuelles (B). Cependant, la singularité
de l'abus de posi tion dominante et de dépendance économiq ue fai t qu'une étude
particulière doit lui être consacrée (C).
A - La répression des pratiques anticoncurrentielles collectives
Les pratiques anticoncurrentielles collectives sont essentiellement relatives au délit
d'entente dont le caractère nocif apparaît à travers divers procédés comme toute action,
convention, coalition, entente expresse ou tacite qui tendraient à faire obstacle à
l'abaissement des prix de revient, de vente ou de revente ou à favoriser la hausse ou la
baisse artificielle des prix (article 24 de la loi)(l). Ces actes sont caractéristiques d'une
entente illicite dont le caractère collectif nécessite une action concertée qui suppose une
pluralité de partenaires(2). L'existence d'une pluralité de partenaires justifie le caractère
collectif de ces pratiques anticoncurrentielles dans la mesure où ceux-ci cherchent à
empêcher, sinon restreindre ou bien fausser le libre jeu de la concurrence (art. 23 de la
loi) qui doit être le même pour tous les opérateurs économiques qui appliquent des prix.
Et l'action concerté~ relative au progrès technique est prohibée dans les mêmes conditions
prévues par la disposition précitée puisque l'emploi de certaines techniques éprouvées peut
être de nature à justifier une baisse de prix(3).
(1)
Sur les ententes, v. en droit français, Yves GUYON, Droit des affaires, Tome I,
Droit commercial général et sociétés, 6ème édition, Economica, 1991, nO 877-1 et
suivants, p. 870 et suivants.
(2)
En droit· français, v. Yves REINHARD, op. cit. nO 102, p. 79 ; P. LAURENT,
Dalloz 1971, chronique p. 307 ; L. VOGEL, JCP 11991, Edition E I, p. 96.
(3)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 105, pp. 80 èt 81.
231
En définitive, l'entente nocive constitue le pilier des pratiques anticoncurrentielles
collectives dont la prohibition législative mérite d'être approuvée dans un contexte de libre
jeu de la concurrence, et cela même si, par ailleurs, le l~gislateur sénégalais a inclus de
manière redondante, dans le domaine de la prohibition, la limitation de l'exercice de la
libre concurrence (article 24 alinéa 5 de la loi). En effet, la précision inutile, voire
superfétatoire apportée dans cette dernière disposition ne fait que reprendre, de manière
partielle, les prescriptions déjà contenues dans l'article 24 alinéa 1er de la loi na 94-63
précitée(l).
B - La répression des pratiques anticoncurrentielles individuelles
Le respect du libre jeu de la concurrence se manifeste ici à travers une prohibition
qui peut revêtir trois aspects qui ont pour dénominateur commun une opération de vente.
Il convient, par suite, d'analyser, tour à tour, le délit de refùs de vente (a), l'interdiction
de pratiques de conditions discriminatoires en matière de vente (b), puis l'interdiction des
prix imposés et de la revente à perte (c).
a - Interdiction du refus de vente
Le refus de vente est inte.rdit à des opérateurs économiques comme le producteur,
le commerçant et l'industriel agissant de manière isolée ou en groupe(2) (article 26
alinéa 1 de la loi). Ces agissements constituent alors une infraction au sens de l'article 23
alinéa 2 de la loi na 94-63 précitée. Pour que l'infraction soit consommée, il faut et il
(1)
V. Texte : "sont prohibées sous réserve des dispositions législatives et
réglementaires particulières, toute action (...) ayant pour objet ou pouvant avoir
pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence
(...)" .
(2)
L'action groupée précisée dans la définition de l'infraction est essentiellement
critiquable dans la mesure où les pratiques anticoncurrentielles deviennent, alors,
collectives. Il s'ensuit que la précision de la notion de groupe devient superfétatoire
dans la définition légale proposée par le législateur sénégalais.
232
suffit de refuser de satisfaire des demandes émanant d'acheteurs professionnels ou
occasionnels qui désirent acquérir des produits ou même des services(l).
Au surplus, la nature pénale du délit est conHrmée par l'article 26 alinéa 4 de la
loi qui prévoit que le retrait de la plainte par la partie lésée ne lie pas l'administration.
Relativement à la répression du délit de refus de vente, la Commission nationale
de la Concurrence, compétente en la matière, pourra appliquer toutes les mesures
énumérées aux articles 12 à 22 de la loi précitée(2).
b -
Interdiction des pratiques des conditions discriminatoires en
matière de vente
L'interdiction découle de la loi (art. 2) qui précise les éléments constitutifs de
l'infraction des pratiques des conditions discriminatoires eh matière de vente. Pour que
l'infraction soit consommée, il faut que les conditions discriminatoires ne soient pas
justifiées par des différences de prix de revient de,la fourniture ou du service (art. 28
alinéa 1 de la loi).
A l'instar du refus de vente, l'interdiction s'applique au producteur, commerçant,
industriel isolé ou en groupe(3) qui peuvent accorder des avantages à certains clients,
rompant du coup le principe d'égalité qui caractérise le jeu de la libre concurrence(4).
(1)
En droit français, v. dans ce sens, Corn. 20 mars 1990, Dalloz 1990, p. 278.
Conclusions JEOL (cas d'un distributeur qui refuse de fournir un film à un
exploitant).
.
.
(2)
V. Infra, pp. 241 et suivantes.
(3)
Pour la critique de cette définition, v. nos observations, supra p. 231 note 2.
(4)
V. à,ç,e sujet, Quotidien ,Le Soleil du lundi 20 février 1995, p. 2. Concurrence sur
le marché intérieur. Les règles du jeu reprécisées. En effet, le prin'cipe d'égalité
postule, selon le quotidien, que "toute réduction accordée à un client doit
233
A cette fin, les assujettis sont tenus de communiquer toutes les informations relatives aux
prix et aux conditions générales de vente à tout revendeur qui en fait la demande (article
28 alinéa 3 de la loi).
L'intérêt d'une telle disposition a été très justement perçu par la doctrine
française(l) qui fait observer que cette règle permet à l'acquéreur de vérifier l'absence
de mesures discriminatoires.
A défaut d'une absence de mesures discriminatoires, il est prévu des sanctions pour
lesquelles il convient de se reporter tout simplement à celles qui sont prévues pour le refus
de vente(2).
c -
Interdictions des prix imposés et de la revente à perte
interdictions des pratiques commerciales illicites
Ces interdictions concernent le dernier aspect des pratiques anticoncurrentielles
individuelles. Par suite, nous suivrons la distinction proposée par le législateur sénégalais
qui prévoit respectivement l'interdiction des prix imposés (article 29 de la loi) et
l'interdiction de la revente à perte (article 30 de la loi). En effet, malgré la qualification
de pratiques de prix illicites retenue par une doctrine française autorisée pour étudier ces
infractions(3), il nous semble que ces dernières présentent des singularités par rapport
aux pratiques de prix illicites prévues dans le cadre de la réglementation particulière sur
les prix(4).
nécessairement l'être à tau t autre ".
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 218, p. 98.
(2)
V. supra, p. 231 et suivdntes.
(3)
Yves REINHARD, op. cil. n° 129 et s., p. 99 et s.
(4)
V. supra, p. 166 et suivantes.
234
Ainsi, il apparaît que si l'interdiction des prix imposés et de la revente à perte sont
de la compétence de la Commission nationale de la Concurrence, en revanche, les
pratiques de prix illicites prévues dans le cadre de la réglementation particulière des prix
sont sanctionnées, au Sénégal, par les pouvoirs publics(l). Donc la prudence commande
d'étudier séparément ces pratiques commerciales illicites que sont l'interdiction des prix
imposées et la revente à perte.
1 - L'interdiction de la pratique commerciale de prix imposés s'applique à tout
producteur, commerçant, industriel qui ne doivent ni maintenir, ni imposer un caractère
minimum aux prix des produits de prestations de services ou aux marges commerciales
(article 29 de la loi).
Le procédé utilisé consiste en l'utilisation de tarifs ou barèmes qui ont pour effet
d'imposer un prix minimum au préjudice du consommateur qui ne pourra plus bénéficier
d'un prix en-deça du prix minimum imposé. Cet inconvénient majeur conduit, en
définitive, à l'approbation de l'interdiction de cette pratique commerciale illicite.
2 - L'interdiction de la pratique commerciale de revente à perte s'applique à une
opération de revente de tout produit à un prix inférieur à son prix de revient (article 30
de la loi). Doit-on en déduire que la revente d'un service à perte est possible? Il nous
semble que la rép?nse doit être positive dans la mesure où rien ne s'y oppose.
Au surplus, ne pourrait-on pas s'étonner que le législateur s'intéresse à la perte
dans le chiffre d'affaires d'un opérateur économique ?
La question paraît d'autant plus utile que cette question de pure gestion ne devrait
. ,
.
pas relever de l'attention du législateur dont le rôle doit se limiter à l'arbitr~ge du libre
(1)
V. supra,
p.
212,
nos
développements
sur la
fermeture
administrative
d'établissement.
235
jeu de la concurrence. Par conséquent, il conviendra de procéder à des investigations
relatives aux motifs qui ont guidé le législateur à s'intéresser à un domaine qui n'est pas
traditionnellement le sien. A cet égard, il nous paraît que l'objectif poursuivi par le
législateur participe du souci de moraliser le secteur marchand de la distribution des
produits. Ceci paraît d'autant plus justifié que la revente à perte est une politique de
dumping qui a parfois permis à une entreprise de consentir un sacrifice sur certains
produits dans l'espoir d'attirer la clientèle et de l'inciter à acquérir d'autres produits à des
conditions moins avantageuses(1). Il s'ensuit qu'une telle situation est alors de nature
à introduire la déloyauté dans la concurrence; ce qui constitue, en définitive, un argument
dirimant de désapprobation.
c -
La répression particulière de l'abus de position dominante et de la
dépendance économique
Si la prohibition de l'abus de position dominante et de la dépendance économique
repose sur un acte commun d'exploitation abusive, la prise en compte de leurs éléments
constitutifs montre que ce sont, en réalité, deux infractions distinctes. Une telle affirmation
peut s'autoriser de la loi na 94-63 du 22 août 1994 précitée qui définit, d'une part, la
position dominante (article 27 alinéa 1) comme l'exploitation abusive par une entreprise
ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie
substantielle de celui-ci et, d'autre part, la dépendance économique (article 27 alinéa 2)
comme l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de
dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou
fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente.
L'étude de l'abus de position dominante et de la dépendance économique peut
;,
revêtir de multiples intérêts.
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. na 130, p. 99.
236
D'abord, elle revêt une particularité certaine justifiée par sa méconnaissance dans
la phase d'étatisation du développement où il n'y avait aucune possibilité légale de
sanctionner le monopole des entreprises publiques(l). C'est pourquoi, son introduction,
dans l'époque de la libéralisation du développement, constitue une des innovations
majeures de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée qui situe cette infraction dans la
rubrique des pratiques anticoncurrentielles individuelles(2).
Ensuite, le second intérêt réside dans l'étude de la sanction de l'abus de position
dominante et de dépendance économique qui permettra de faire l'économie des sanctions
des autres pratiques individuelles dans la mesure où, dans tous les cas, la répression est
identique.
Donc avant d'examiner les sanctions applicables à l'abus de position dominante et
de dépendance économique (c), il convient, au préalable, de voir les éléments
caractéristiques de l'abus de position dominante (a), puis les éléments caractéristiques de
l'abus de dépendance économique (b).
a - Eléments caractéristiques de l'abus de position dominante
Les éléments constitutifs de l'infraction se rétèrent à une position dominante sur
le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci (article 27 de la loi précitée). De
cette définition légale, il apparaît que la domination économique s'apprécie au regard du
seul marché intérieur(3). Il s'ensuit que le domaine d'application de la règle sus-
énoncée exclut le marché extérieur qui, du reste, n'entre pas dans notre perspective.
(1)
V. supra p. 50 et suivantes.
(2)
A cet égard, nous avons déjà formulé une réserve à propasdu terme groupe qui ne
justifie plus une pratique individuelle. Cette réserve reste toujours valable. V. supra
p. 231 note 2.
(3)
Voir en droit français, Yves REINHARD, op. cil. n° 113, p. 86.
237
Si l'on ne retient, donc, uniquement que le marché intérieur, on relève de par la
loi précitée, que celui-ci est susceptible de fractionnement dans la mesure où même une
domination exercée sur une partie substantielle est condamnable. Un tel caractère
substantiel peut être déduit de l'existence d'un marché local ou régional(l).
Selon la loi précitée, la prohibition s'applique à une entreprise ou un groupe
d'entreprises. En l'absence d'une précision sur la nature desdites entreprises, on peut
admettre que la prohibition puisse atteindre les entreprises publiques qui sont soumises
au droit de la concurrence dès lors qu'elles fournissent des biens et services sur le
marché(2).
Ceci paraît d'autant plus soutenable que c'est ce critère de fournitures de biens et
de services qui explique que toutes sortes d'entreprises publiques ou privées puissent
tomber sous le coup de l'abus de position dominante(3).'
L'indifférence du caractère public ou privé des entreprises permet ainsi de contrôler
notamment les activités économiques des géantes entreprises publiques pour lesquelles il
n'existait, à l'époque d'étatisation du développement, aucun moyen juridique pour
sanctionner leur abus de position dominante.
En définitive, cette réglementation nouvelle en matière d'abus de position
dominante ne peut qu'être saluée puisqu'elle vise à assainir la concurrence entre toutes
les entreprises, quelle que soit leur nature, ayant une importance économique inégale.
(1)
Voir dans ce sens, la décision rendue par le Conseil français de la Concurrence en
date du 18 novembre 1987, BOCC, 1987, p. 345.
(2)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, op. CÜ. na 96, p. 78.
(3)
En droit français, voir par exemple, Trib. des conflits, 4 novembre 1992, Dalloz,
1992; I.R.' p. 43 (soumission d'un groupement d'achats public au droit de la
concurrence).
238
Ainsi que l'affirme fort opportunément le Quotidien gouvernemental(l), la position
dominante fait qu'il y a un acteur incontournable qui impose sa volonté, ses normes et ses
prix grâce à des manoeuvres qui contribuent à verrouiller le marché à son profit(2).
b - Eléments caractéristiques de l'abus de dépendance économique
Les éléments constitutifs de l'infraction se réfèrent à l'état de dépendance
économique dans lequel se trouve, à l'égard d'une entreprise ou d'un groupe
d'entreprises(3), une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution
équi valente(4).
Placé dans le droit de la concurrence, l'abus de dépendance économique poursuit
un but de moralisation et de rééquilibrage des relations économiques. Dans cette optique,
son rattachement à l'ordre public économique ne paraît faire aucun douteeS).
A cet égard, l'abus de dépendance économique remplissant une double fonction de
direction de la concurrence et de protection des act~urs économiques, il peut être analysé
tant du point de vue de l'ordre public économique de direction que de l'ordre public
économique de protection(6).
(1)
V. Le Soleil du lundi 20 février 1995, p. 2.
(2)
V. Le Soleil du lundi 20 février 1995 précité.
(3)
Voir supra, nos observations relatives à la critique de l'emploi du terme groupe à
propos des pratiques anticoncurrentielles individuelles.
(4)
V. article 27 alinéa 2 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
(5)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, Droit des affaires, LITEC, 1993, n° 86 et
87,p.71.
(6)
L'abus de dépendance économique sera analysé au sein de l'ordre public
économique de protection dans la deuxième partie de cette thèse. Vis La protection
du locataire-gérant de fonds de commerce.
239
La notion d'abus de dépendance économique a connu une certaine fortune dans la
doctrine française, ce qui marque l'intérêt qu'elle a suscité depuis sa reconnaissance légale
par l'article 8.2 de l'ordonnance française du 1er décembre 1986. Cette importance peut
être, au moins; perçue à la lumière de la qualification de la notion. Ainsi, l'avènement de
la notion d'abus de dépendance économique a conduit un éminent auteur à affirmer que
celle-ci est un ferment révolutionnaire(l). En outre, d'autres auteurs se sont demandé
si la notion n'était pas subversive, c'est-à-dire un instrument autonome et efficace(2)
ou bien encore si ce n'était pas tout simplement une notion originale justifiée par le fait
qu'il est fait référence à la situation de l'entreprise dominée, victime de l'abus(3).
Cependant, l'intérêt ayant suscité l'adjonction d'une épithète à la notion d'abus de
dépendance économique ne doit pas faire perdre de vue son caractère essentiel qui repose
sur la notion de domination caractérisée par un état de subordination d'une entreprise
dominée qui entretient des relations de clientèle ou de fournisseur avec l'entreprise
dominante. Par suite, selon l'expression de M. FARJAT cité par M. Yves REINHARD,
"ces relations créent l'existence de relations c;ontractuelles
le plus
souvent de
dépendance"(4). De plus, il convient de préciser que si ces relations contractuelles ne
sont pas répréhensibles en elles-mêmes, elles ne doivent pas cependant dégénérer en
abuseS).
(1)
En droit français, v. Jacques MESTRE, Jurisprudence française en matière de droit
civil, Rev. trim. dr . civ., 1989, p. 58.
(2)
En droit français, v. A. PIROVANO et M'SALAH, L'abus de dépendance
économique, une notion subversive? Petites Affiches, 21 septembre 1990, p. 4.
(3)
Elie ALFANDARI, op. cit. n° 87, p. 71 ; A. PIROVANO et M' SALAH, op. cit.,
ibidem.
(4)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 112, p. 85.
(5)
Yves REINHARD, op. cit. n° 114, p. 86.
En droit français toujou'rs, v. J.c. JEANTET, L'exploitation abusive de l'état de
dépendance économique, Petites Affiches, 28 mars 1988, p. 32.
240
L'abus peut résulter d'une position de force vis-à-vis d'un partenaire commercial
dépourvu d'alternative, et donc en état de dépendance économique(l). Il s'ensuit que
la domination économique est appréciée par référence au degré de subordination
économique dans lequel se trouve un acteur économique par rapport à un autre(2).
Telle est la solution admise par la Cour d'Appel de Versailles, en France,
lorsqu'elle considère que "le concessionnaire de Renault confronté à des contrats de
concession de faible durée, contenant des clauses de sauvegarde que Renault pouvait
invoquer au moindre péril, lié par une spécialisation prolongée depuis des années, ne
pouvait songer, de surcroît en période de crise, à solliciter d'autres constructeurs; qu'il
était en situation de dépendance économique totale et que rien, dans le droit positif de la
concession à cette époque, ne lui permettait d'organiser une résistance"(3). Une telle
motivation paraît être approuvée par la jurisprudence de la Cour de Cassation française
lorsqu'elle prend en compte la possibilité ou l'impossibilité pour un distributeur d'obtenir
d'autres fournisseurs des produits équivalents à des conditions identiques(4).
Adde Yves GUYON, op. cit. n° 896-7 et suiv., p. 897 et suiv. Catherine ROBIN,
L'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, Les Petites Affiches,
28 juillet 1990, p. 15.
,
(1)
En droit français, v. NOVELLA et FERRIER, Liberté des prix et nouveau droit de
la concurrence, Edition Lamy, 1987, p. 58.
(2)
En droit français, v. A. PIETRANCOSTA, Les hypercentrales au regard du droit
de la concurrence, Les Petites Affiches du 18 août 1988, p. 21.
Adde Michel GLAIS, L'état de dépendance économique au sens de l'article 8 de
l'ordonnance du 1er décembre 1986 : analyse économique, Gaz. Pal. du 15 juin
1989, p. 290.
(3)
En droit français, v. Versailles, 9 mars 1989, Renault cl SADA, Grands arrêts du
Droit des affaires, Dalloz 1995 sous la direction de Jacques MESTRE, Emmanuel
PUTMAN et Dominique VIDAL, p. 290 et s.
(4)
En droit français, v. Corn. 12 octobre 1993, JCP, Edition G, 1993, Pan. 1348.
241
La solution rendue par la Cour de Versailles mérite d'être approuvée car la
précarité du contrat et la position privilégiée de Renault face à son partenaire faisaient de
ce dernier à la fois un fournisseur exclusif et un conseiller en gestion dont les conseils
ressemblent fort à des ordres(1).
Au surplus, ce nouvel enfant terrible du droit de la concurrence(2) qui est la
notion d'abus de dépendance économique est appelé à jouer un important rôle puisqu'il
entre dans un mouvement qui s'inscrit dans une logique juridique contemporaine qui tend
à rééquilibrer les rapports juridiques entre partenaires économiques inégaux et qui ont pris
conscience qu'entre professionnels aussi les contrats conclus peuvent être des contrats
d'adhésion(3).
Sous ce rapport, la notion d'abus de dépendance économique est appelée, en
définitive, à jouer un rôle important dans le droit de la" libre concurrence qui est en
gestation au Sénégal.
Ce rôle sera davarltage mis en exergue par les possibilités de sanctions applicables
aussi bien à l'abus de dépendance économique et de position dominante qu'à toutes les
autres infractions aux pratiques anticoncurrentielles.
c - Sanctions applicables
Dans les cas où des faits répréhensibles relatifs aux pratiques anticoncurrentielles
sont constatés, la Commission nationale de la Concurrence peut, soit ordonner aux
(1)
En droit français, v. Serge FARNOCHIA, note sous Versailles, 9 mars 1989,
Renault cl SADA précitée.
(2)
Nous empruntons cette expression à M. PIROVANO et M. M' SALAH, op. cit. p.
9.
(3)
En droit français, v. Serge FARNOCHIA, note sous Versailles, 9 mars 1989,
Renault cl SADA précitée.
242
intéressés d'y mettre fin dans un délai, soit infliger une sanction pécuniaire d'amendes
applicables en cas d'inexécution des injonctions (article 1er alinéas 1 et 2 de la loi). Le
montant de l'amende est compris entre 100.000 et 20.000.000 de francs.
Le mode de recouvrement des amendes confère à l'administration des prérogatives
essentielles de puissance publique dès lors que les amendes sont recouvrées avec les
mêmes sûretés que les créances fiscales (art. 15 de la loi), c'est-à-dire les impositions de
toutes natures dues à l'Etat; ce qui signifie alors que l'administration doit être en mesure
d'utiliser toutes les voies de recouvrement sans s'y faire autoriser préalablement par un
tribunal. Dans cette perspective, l'administration est en mesure d'opérer directement une
saisie ou bien d'adresser aux tiers un avis à tiers détenteur(l).
Dans ce dernier cas, un privilège spécial est conféré à l'administration qui peut
alors s'adresser directement au débiteur de son débiteur pour obtenir le versement de sa
créance.
Mais ces voies de recouvremen t ne peuvent être utilisées qu'en l'absence de faits
justificatifs qui font disparaître les infractions de pratiques anticoncurrentielles.
II -
L'EXISTENCE
DE
FAITS
JUSTIFICATIFS,
OBSTACLES
A
LA
REPRESSION(2)
L'existence de faits justificatifs fait échec à l'établissement de la qualification
pénale et constitue de ce fait un obstacle à la répression des pratiques anticoncurrentielles.
A cet égard, c'est la loi qui organise les mécanismes concurrentiels qui apporte dans le
(l)
Sur cette question, en droit français, v. Maurice COZIAN, L'avis à tiers détenteur
en matière de privilège du trésor, Rev. trimest. dr. corn., 1967, p. 61.
(2)
Sur cette question, v. en droit français, Jean PRADEL, Droit Pénal Général, 8ème
édition, 1992, Editions CUJAS, p. 317, Section I. Les faits justificatifs, obstacles
à l'établissement de la qualification.
243
même temps des limites (articles 24 alinéa 1, 26 alinéa 2, 28 alinéa 3, 31 et surtout
Il )(1). Il s'ensuit que la loi peut faire échec à la répression de ces nouveaux délits
économiques lorsque, du moins, ils ne portent pas atteinte au principe du libre jeu de la
concurrence qui doit être sain et loyal.
Dans cette perspective, si une entente n'est pas nocive, encore qu'une frontière
définitive séparant une entente bonne ou mauvaise soit difficile(2), la loi (article 24
alinéa 1) s'abstient de réprimer. De la même façon, elle s'abstient de le faire lorsque, en
matière de refus de vente, les demandes présentent un caractère anormal (article 26 alinéa
2 de la loi). Mais selon quel critère devra-t-on apprécier le caractère anormal d'une
demande? A défaut de règle précise, il nous semble que le critère le plus satisfaisant
demeure l'appréciation du juge. A cet égard, le caractère anormal de la demande paraît
être lié aussi bièn à la quantité, à la qualité qu'à l'indisponibilité matérielle, voire
juridique.
S'agissant de la quantité, il peut s'agir d'une demande portant sur une quantité
anormalement importante ou au contraire exceptionnellement réduite. Tel est le cas, en
droit français, d'une commande excessive de produits pétroliers au cours de la guerre
israélo-arabe où, en l'espèce, le juge a estimé que le vendeur peut opposer à l'acquéreur
un refus en toute impunité(3).
Ce refus demeure valable en cas d'anormalité de la demande relative à la qualité.
En effet, dans le domaine de la commercialisation des produits de luxe, ou d'une haute
(1)
En effet, l'article Il dispose que "la Commission examine si les pratiques dont elle
est saisie sont prohibées par la présente loi ou peuvent se trouver justifiées en vertu
de celle-ci".
(2)
V. supra, p. 199.
(3)
En droit français, v. Crim. 6 janvier 1981, Bull. n° 2, p. 3 ; Rev trim. dr. corn.,
1982, p. 111, observations HEMARD.
244
technicité requérant de la part du distributeur une compétence particulière, les exigences
du vendeur et le refus de vente qu'il oppose au demandeur, sont légitimes, en droit
français, dès lors qu'elles sont exigées de tous les revendeurs et n'offrent aucun caractère
discriminatoire(l).
Enfin, relativement à l'impossibilité juridique, le refus de vente se justifie
pleinement puisqu'une demande de produit peut être frappée d'une interdiction par les
pouvoirs publics(2).
En matière de pratiques commerciales illicites, le législateur sénégalais a également
apporté des faits justificatifs à l'interdiction de la revente à perte (article 31 de la loi). Ces
exceptions se conçoivent aisément par le fait qu'elles ne sont pas de nature à fausser
également le libre jeu de la concurrence. Dans ce domaine particulier, la démarche
.
--
pragmatique adoptée par le législateur permet de penser qu'e le souci est de tenir compte
de la nature périssable des produits ou des mutations commerciales ou techniques de
l'activité commerciale ou bien enfin de certaines yentes promotionnelles qui sont des
circonstances de nature à justifier toutes les reventes à perte.
En définitive, l'existence de faits justificatifs constitue positivement un obstacle à
la répression des pratiques anticoncurrentielles collectives et individuelles. Au surplus, cet
,
obstacle ne s'explique et ne se justifie pleinement que parce que ces faits ne portent pas
atteinte au principe du libre jeu de la concurrence. Une telle conclusion mérite d'être
retenue même si, pour certaines infractions comme le délit d'entente illicite, il est souvent
diffici le de repérer l'élément répréhensible.
(1)
En droit français, v. Paris, 16 janvier 1988, G.P. du 12 juin 1988 (cas d'un produit
de luxe).
(2)
Au Sénégal, cela peut être le cas lorsque l'autorité publique retire une autorisation
de mise sur le marché (A.M.M.) d'un produit pharmaceutique.
245
Conclusion du Chapitre II
Les mesures de sauvegarde contre les dérives d'une libéralisation de l'économie
constituent une réalité de l'ordre public économique de direction qui justifie l'institution
d'un contrôle préventif des règles du jeu de l'économie de marché dont l'inobservation
mérite l'application de sanctions. Dans cette perspective, c'est le souci de défendre le libre
jeu de la concurrence qui justifie l'existence de toutes les "sanctions modernes". A cet
égard, la compétence attribuée à une Commission nationale de la Concurrence pour
arbitrer les conflits en matière de concurrence, permet de dire qu'elle aura une importante
mission à accomplir. Par suite, nous pensons avoir contribué modestemenl à fournir des
éléments de réflexions et de solutions que cette nouvelle autorité administrative
indépendante pourrait prendre en considération dans sa fonction de répression des
nouveaux délits économiques.
Au surplus, ce régime juridique du contrôle sera renforcé par le maintien des
sanctions classiques si bien qu'il aura pleinement vocation à assurer l'effectivité du
contrôle préventif institué par les pouvoirs publics qui cherchent à éviter, autant que
possible, la disparition des opérations économiques.
En somme, cet arsenal de mesures de sauvegarde contre les dérives d'une
,
libéralisation confirme le constat d'un éminent auteur(l) qui faisait observer, avec juste
raison, qu'aucun Etat n'accepte de cautionner des actes el faits susceptibles d'avoir des
répercussions négatives sur son économie.
(1)
A. SAKHü, Thèse précitée, p. 120.
246
Conclusion du Titre TI de la Première Partie
Nos investigations ont permis de constater que la politique de défense de la loi du
marché, sous la houlette des bailleurs de fonds, a eu un écho favorable au Sénégal où le
triomphe du secteur privé comme moteur de l'économie nationale, a trouvé un cadre
juridique propice à son renforcement grâce à la libéralisation des voies d'accès aux
activités économiques.
Au surplus, la conservation du contrôle préventif et réactif des pouvoirs publics
pour éradiquer les excès de la loi du marché, permet de contrecarrer efficacement les
dérives d'une libéralisation.
247
Conclusion de la 1ère Partie
Nos investigations sur la notion d'ordre public de direction économique ont permis
de vérifier la certitude selon laquelle c'est un concept vivant dont la teneur varie en
fonction de la philosophie du développement. En d'autres termes, ce sont les impératifs
de l'orientation du
développement économique qui conditionnent largement la
physionomie de la notion d'ordre public économique de direction. Telle est la conclusion
que l'on peut tirer des interactions entre la notion d'ordre public économique et le cadre
économique.
A présent, il s'agit d'étudier les rapports entre la notion d'ordre public économique
et les acteurs économiques et sociaux du développement. Pour ce faire, nous
entreprendrons l'examen de la seconde fonction de l'ordre public économique qui est la
protection des acteurs économiques et sociaux.
248
DEUXIEME PARTIE
L'ORDRE PUBLIC DE PROTECTION
DANS UN PAYS EN DEVELOPPEMENT
La nécessité de protéger certains contractants peut découler du constat suivant
lequel, du fait de l'inégalité des acteurs économiques, le contrat ne doit plus être laissé à
la seule volonté des particuliers. Aussi bien, il a paru indispensable de protéger
directement la partie faible contre la partie la plus puissante, en faisant jouer positivement
un rôle à la règle de droit. Dans cette optique, la règle de droit protège aussi bien un
contractant pris individuellement qu'une catégorie de contractants envisagée collectivement.
D'abord, dans le cas où le contractant est pris individuellement, il s'agira de
montrer que la prise en compte de ses intérêts économiques a conduit à une protection de
sa vulnérabilité pouvant être liée soit à son incapacité, soit à sa situation d'illettré, soit
enfin à la nécessité de sauvegarder son droit de créance. En d'autres termes, toutes ces
contraintes économiques sont de nature à provoquer la réaction de l'ordre public pour
assurer la protection d'un contractant pris individuellement (Titre 1).
Ensuite, cette finalité assignée à la règle de droit peut apparaître également dans
la protection d'une catégorie de contractants dans la mesure où, à bien des égards, il est
permis de relever des normes destinées à assurer la protection d'intérêts économiques
collectifs. C'est dans cette perspective que nous situerons la protection accordée à certaines
catégories de personnes, comme les travailleurs, les locataires, les assureurs et les
consommateurs, dans le cadre de la protection des intérêts catégoriels.
Cependant, cette protection catégorielle, et non moins parcellaire, ne saurait épuiser
tous les contours de la notion d'ordre public économique de protection qui est, par
définition, fluctuante. C'est ainsi que ce concept est en train d'évoluer surtout vers la
protection de la partie économiquement plus puissante au détriment de la partie la
./
249
plus faible. Une telle évolution peut notamment être constatée dans le contrat
d'assurance où, sur bien des points, on peut relever une volonté non équivoque du
législateur communautaire du Code CIMA(l), de prendre parti en faveur des
assureurs dont la branche automobile était menacée de disparition suite à un système
d'indemnisation qui était particulièrement bienveillant à l'endroit des assurés. Il
s'ensuit que cette évolution du tissu économique mérite également d'être prise en
compte dans le rôle de protection de l'ordre public économique en matière de
protection catégorielle (Titre II).
(1)
Code CIMA : Code des Etats membres de la Conférence interafricaine des marchés
d'assurance entré en vigueur au Sénégal en février 1995.
250
TITRE 1
ORDRE PUBLIC DE PROTECTION ET PROTECTION INDIVIDUELLE
De prime abord, on pourrait relever le signe d'une opposition entre le concept
d'ordre public de protection et celui de protection individuelle dès lors que, si le
premier a pour objet la protection de l'intérêt général, par contre, le second a pour
objet la protection d'un intérêt privé.
Cependant, une telle opposition perd définitivement sa pertinence lorsque l'on
met en relation les deux concepts en s'interrogeant notamment sur la question de
savoir dans quelle mesure l'ordre public contribue à assurer la protection des intérêts
économiques d'un individu pris isolément.
En effet, u~telle question mérite d'autant plus d'être soulevée que l'inégalité
des acteurs économiques peut être de nature à entraîner soit une vulnérabilité juridique,
soit une vulnérabilité économique que l'on constatera dans les activités contractuelles
où sont impliqués des individus comme l'incapable, l'illettré, l'acheteur ou le locataire-
gérant de fonds de commerce, ainsi que certains créanciers du fonds.
Dans la recherche de solution à la question préalablement posée, nous tenterons
ainsi de montrer que la prise en compte de la vulnérabilité juridique et/ou économique
d'un contractant ou d'un tiers a imposé non seulement le choix des personnes à
protéger (Chapitre 1) mais encore le choix des moyens de protection à mettre en oeuvre
(Chapitre II).
251
CHAPITRE 1 - CHOIX DES PERSONNES A PROTEGER
Ce choix concerne un acteur économique intervenant dans le tissu économique
où le principal instrument de relation, à savoir le contrat, est caractérisé par des
rapports de domination. En effet, du fait que les relations économiques mettent
généralement en présence des personnes d'inégale importance pouvant entraîner, d'une
part, la vulnérabilité de certains contractants et, d'autre part, celle des tiers dont les
intérêts économiques peuvent être menacés dans certaines situations, l'ordre public est
venu au secours de ces acteurs économiques. Cette intervention est d'autant plus
nécessaire que l'étroitesse des rapports entre les acteurs économiques et le cadre
économique fait que les premiers se meuvent dans un ensemble dont ils sont partie
intégrante. Il s'ensuit que leur état de vulnérabilité peut entraîner le risque d'un
désordre du tissu économique néfaste pour l'équilibre général de l'économie.
La recherche de cet équilibre du tissu économique a alors conduit les défenseurs
de l'ordre public à opérer un choix dont les principales orientations en matière de
protection individuelle, sont guidées, d'une part, par la protection des contractants
(Section 1) et, de l'autre, par la protection des tiers (Section II).
SECTION 1 - LES CONTRACTANTS VULNERABLES
La prise en compte de la qualité d'un contractant montre que si ce n'était pas
la bienveillance du législateur, certaines personnes seraient exclues de l'activité
juridique tandis que les intérêts économiques d'autres acteurs seraient, en plus,
menacés en raison de leur vulnérabilité. Un tel constat pouvant aller à l'encontre de
l'épanouissement du cadre contractuel, les orientations du législateur ont consisté, dans
ce domaine, à prendre en considération un double inconvénient relatif, d'une part, à
la vulnérabilité juridique (Sous-Section 1) et de l'autre, à la vulnérabilité économique
d'un contractant (Sous-Section II).
252
Sous-Section 1 - LA VULNERABILITE JURIDIQUE
La vulnérabilité juridique conduit à l'édiction de mesures de protection qui
s'expriment essentiellement par des mesures d'exclusion ou bien des mesures
classiques d'assistance s'adressant, de manière spécifique, aux personnes incapables
et aux personnes illettrées.
S'agissant des incapables, à défaut de leur exclusion, il apparaît que, chaque
fois qu'il leur est permis d'agir dans l'activité économique pour accomplir certains
actes dont ils ne peuvent forcément mesurer la gravité, il leur est adjoint une autre
personne qui a pour mission de veiller particulièrement à leurs intérêts économiques.
Relativement aux illettrés, si leur état de vulnérabilité lié à l'analphabétisme
explique la certification des actes qu'ils passent(l), cette 'dernière formalité requiert
alors la présence d'autres personnes pour les assister.
Comment fonctionnent ces mécanismes juridiques d'exclusion ou d'assistance?
Quelle finalité poursuivent-ils?
La réponse à cette double interrogation nous conduira à examiner, tour à tour,
,
la vulnérabilité juridique des incapables (1) et des illettrés (II).
1 - LES INCAPABLES
La notion d'incapacité(2) peut prêter à équivoque dans la mesure où elle
pourrait signifier une exclusion de droit entraînant du coup la totale mise à l'écart des
incapables du circuit économique. Dans un souci de clarification, le législateur
sénégalais s' est ~mp'ressé de préciser le contenu exact du concept en faisant valoir que
(1)
J. ISSA-SAYEGtI, La certification des actes des personnes qui ne savent ou ne peuvent signer
(Droit sénégalais), Penant, janv.-mai 1991, n° 80S, p. III et suivantes.
(2)
En droit français, v. Roger HOUIN, Les incapacités, Rev. trim. dr. civ., 1947, p. 385.
253
toute personne peut contracter(l). Cette disposition a eu donc le mérite d'ériger la
capacité en règle et subséquemment, l'incapacité devra rester l'exception en matière
de contrat(2). Par suite, une large ouverture est accordée aux personnes incapables
qui peuvent accomplir seules de nombreux actes. Dans cette perspective, la prise en
compte de la qualité d'agent de production et d'agent de consommation a conduit à la
tolérance qui permet aux incapables d'accomplir les actes de la vie courante par le
biais des contrats d'usage, les actes conservatoires, l'exercice d'une profession salariée
et des actes relatifs à l'état des personnes(3). Cette interprétation rejoint la position
de M. ISSA-SA YEGH(4) qui voit dans les dispositions du texte précité une règle
de portée générale concernant tous les incapables.
La force du principe contenu dans l'article 57 du COCC a été telle qu'il a été
réaffirmé par l'art. 659 du Code de la famille qui reprend sensiblemen t les mêmes
disposilions(5).
Il s'ensuit que l'étude de la théorie des incapacités fait appel essentiellement à
deux oeuvres législatives majeures que sont le Code des Obligations civiles et
commerciales (COCC) et le Code de la famille (CF)(6).
Au Sénégal, malgré une formulation expresse de la règle érigeant la capacité
comme une condition autonome de validité des actes juridiques, cela n'a pas empêché
(1)
v. article 57 du Code des Obligations civiles et commerciales (COCC)
(2)
Article 57 COCC : renvoi aux règles sur la capacité des personnes: "Toute personne peut
contracter, si elle n'en est pas déclarée incapable par la loi".
(3)
v. article 274 alinéa 2 du Code de la famille.
(4)
J. ISSA-SAYEGH, Droit du travail sénégalais, LGDJ-NEA, 1987, n° 911, p. 432.
(5)
Article 659 du Code de la famille: Principe. "Toutes personnes peuvent disposer et recevoir,
soit par donation entre vifs, soit par testament à l'exception de celles qui en sont déclarées
incapables par la loi".
(6)
COCC et CF sont des abréviations que nous adoptons pour résumer le Code des Obligations
civiles et commerciales et le Code de la famille.
254
une critique de la doctrine(l). Cette dernière repose sur l'argument selon lequel il
existe une relation étroite entre la capacité et la théorie du consentement(2). De ce
fait, la doctrine(3) admet facilement que l'absence présumée du consentement peut
être déduite par le procédé de l'incapacité. Il en résulte que les seules conditions de
validité des actes juridiques sont, d'une part, une volonté saine et libre et, d'autre part,
un objet et une cause licites(4).
Cependant, lorsque l'on prétend lier l'exposé et l'étude des incapacités à celle
du droit des personnes et de la famille, en excluant le domaine des contrats comme le
fait M. TaSI(5), cette démarche nous paraît critiquable. A cet égard, la conception
étroite de M. TaSI ne permet pas de rendre compte de la globalité du phénomène des
incapacités qui devraient tout aussi s'accommoder de l'étude des contrats, ne serait-ce
qu'à titre supplétif. Il nous semble, au demeurant, que c'est cette dernière considération
qui devrait donner un sens aux propos de M. TaSI lorsqu'il affirme que "la nullité du
contrat peut être prononcée pour incapacité d'un des contractants (en vertu de l'art. 86
caCC)"(6).
Pour l'instant, il convient, dans le cadre de notre perspective, de se limiter au
droit des personnes qui illustre la protection de la vulnérabilité juridique des incapables
dans la vie économique et sociale. A ce propos, il convient de montrer que dans
l'hypothèse où l'incapacité est constatée, le remède juridique a consisté soit à asseoir
surtout des mécanismes de représentation, soit à exclure purement et simplement les
(1)
Sur l'ensemble de la question, v. J.P. TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, LGDJ-NEA,
1981; n° 204, p. 85.
(2)
G. RIVES, Théorie générale des Obligations au Sénégal, Rev. sén. dr. n° la, 1971, p. 18.
(3)
J.P. TOSI, op. cit. n° 204, p. 85 ; G. RIVES, op. cil., ibidem. ; adde en droit français, R.
HOUIN, op. cit., p. 385
(4)
J.P. TOSI, op. cit., ibidem.
(5)
J.P. TOSI, op. cit., ibidem.
(6)
J.P. TOSI, op. cit. n° 205, p. 85. V. infra, Vis Choix des moyens de protection.
255
personnes incapables. C'est ce qui apparaît à travers, d'une part, la protection du
mineur incapable (A) et, de l'autre, la protection des majeurs incapables (B).
A - Protection du mineur incapable
La considération liée à l'âge demeure la raison principale qUi fonde la
protection du mineur (art. 276 C.F.).
Pour donner la mesure de la vulnérabilité du mineur, le législateur sénégalais
a simplement procédé par une fiction(l). Ce recours était d'autant plus indispensable
que, a priori, aucune étude scientifique n'a permis de dégager un seuil uniforme d'âge
à partir duquel la minorité pouvait s'imposer.
Au surplus, l'âge de la minorité peut être relatif selàn les matières concernées
puisqu'il apparaît qu'il varie selon qu'il s'agit de la majorité civile(2), de la majorité
pénale(3), voire de la majorité électorale.
S'agissant de la majorité civile, la raison essentielle qui milite en faveur de la
protection du mineur est son manque d'expérience puisqu'il ne peut accomplir seul
certains actes lorsqu'il n'est pas émancipé(4).
Cependant, cette règle souffre deux exceptions.
(1)
Sur les fictions en droit privé, v. J. ISSA-SAYEGH, Thèse de doctorat, Dakar, 1968.
(2)
L'article 276Ç.F. fil,(e la majorité civile à 21 ans.
(3)
Les articles 52 et 53 du Code pénal fixent la majorité pénale ente 13 et 18 ans.
(4)
Didier MARTIN, Droit civil et commercial sénégalais, NEA, 1982, Collection du Centre
International de Formation de la Profession Bancaire, n° 66 et 67, p. 22. Adde J.P. TOS!, op.
cit. n° 215, pp. 87 ct 88.
256
La première découle expressément de l'article 274 alinéa 2 c.F. qui est de
portée générale puisqu'il concerne tous les incapables(l). Ainsi, il doit être
expressément permis
au
mineur d'accomplir
les contrats
d'usage,
les actes
conservatoires, l'exercice d'une profession et les actes relatifs à l'état des personnes.
L'autre exception découle de l'interprétation de l'art. 275 alinéa 2 C.F.(2).
De ce fait, dans les hypothèses énumérées par la disposition précitée, le mineur est
habilité seul à agir en nullité si bien qu'il se dégage de la règle une exception
implicite.
De manière générale, on distingue deux catégories d'incapacité que sont
l'incapacité de jouissance et l'incapacité d'exercice; cette dernière étant considérée
comme l'incapacité de droit commun. Toutes ces incapacités se retrouvent dans la
protection de l'inexpérience du mineur dont la vulnérabilité peut être constatée tant
dans la vie civile (b) que dans la vie économique (a) où il peut prétendre agir.
a - Dans la vie économique, la vulnérabilité juridique du mineur a
nécessité, d'une part, son exclusion de l'activité commerciale et, d'autre part, la prise
de précautions pour son insertion dans le reste du circuit économique.
En matière commerciale, il est généralement admis que l'exercice du commerce
est soumis, entre autres conditions, à l'exigence de la capacité(3). Cette dernière
restriction se justifie alors par le fait que l'exercice d'une profession commerciale est
interdit au mineur en raison des risques inhérents au commercee4). Par conséquent,
(1)
V. supra, p. 253 ct note 4.
(2)
Article 275 alinéa 2 C.F. : Sanctions des incapacités. "Le mineur ne peut faire prononcer la
. nullité (relative) que' s'il est lésé. La lésion n'est cependant pas nécessaire pour l'annulation
des actes irréguliers en la forme".
(3)
D. MARTIN, op. cit. n° 544 à 546, pp. 133 et 134. Adde en droit français, v. Yves
REINHARD, Droit commercial, LITEe, 1993, 3e édition, n° 275, p. 222.
(4)
En droit français, v. A. WEIL et F. TERRE, Droit civil, Les Personnes. La Famille. Les
Incapacités, Précis Dalloz, 5ème édition, n° 855, p. 850.
257
on assiste à l'exclusion du mineur de la vie commerciale dans la mesure où qu'il soit
émancipé ou non, le mineur ne peut ni accomplir un acte de commerce au sens de
l'article 2 de la loi n° 76-60(1), ni acquérir la qualité de commerçant; ce qui doit
avoir pour effet de le soustraire à l'application des procédures collectives.
En somme, dans le domaine commercial, l'exclusion du mineur repose sur la
nature de l'incapacité de jouissance qui est telle qu'aucun mécanisme de représentation
n'est possible.
Cependant, le souci d'insérer le mineur dans beaucoup d'activités économiques
a souvent conduit le législateur à déroger à la règle fixant le seuil légal de la minorité
à 21 ans, tout en aménageant certaines précautions. Dans cette optique, les pouvoirs
publics ont apporté une série de dérogations permettant au mineur de conclure
valablement un contrat de travail (2). Il s'ensuit que, lorsque le mineur n'a pas
encore atteint l'âge de 14 ans, il pourra être employé dans une entreprise avec
l'autorisation du Ministre du Travail. Et, à partir de cet âge, le mineur pourra engager
librement ses services, choisir une profession ou adhérer à un groupement sans
autorisation, représentation ou assistance de son représentant légal ou de son tuteur
(article 274 alinéa 2 du Code de la famille).
(1)
V. article 2 de la loi n° 76-60 du 2 juin 1976 abrogeant et remplaçant l'article 632 du Code
de commerce, JORS n° 4511 du 16 août 1976, p. 1263 et suivantes.
"La loi répute actes de commerce ;
"Tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés
et mis en oeuvre;
.
"Toutes opérations d'intermédiaire pour l'achat, la souscription ou la vente d'immeubles, de
fonds de commerce, d'actions ou parts de sociétés immobilières ;
"Toute entreprise de location de meubles ;
"Toute entreprise de manufactures, de commission, de transport par terre ou par eau ;
"Toute entreprise de fournitures, d'agence, de bureaux d'affaires, établissements de vente à
l'encan, de spectacles publics;
"Toute opération de change, banque et courtage ;
"Toutes obligations entre négociants, marchands et banquiers;
"Entre toutes personnes, les lettres de change".
(2)
Doct: V. 1. ISSA-SAYEGH, Manuel précité, n° 910, p. 432.
258
Toutefois, comme le précise M. ISSA-SA YEGH(l), le mmeur doit se
conformer aux dispositions qui régissent ces matières.
En définitive, l'insertion du mineur dans le circuit économique peut être
constatée à travers les règles du travail qui dérogent à l'incapacité du mmeur par
l'abaissement considérable du seuil de la minorité civile.
b - S'agissant de la vie civile, le remède à l'incapacité du mineur a
consisté, d'une part, à prévoir des mécanismes juridiques d'assistance pour le mineur
non émancipé et inapte à faire valoir un droit par lui-même(2) et, d'autre part, à
utiliser la technique de l'émancipation qui a pour objet d'élever une personne encore
mineure par son âge, à la condition civile d'un lmajeur"(3).
D'abord, la prise en compte de l'inaptitude du mineur fait que ce dernier
bénéficie d'un administrateur légal(4)
ou d'un tuteur(S) qui le représenteront
dans tous les actes que le mineur ne peut accomplir seul. Cette assistance a pour but
d'adjoindre d'autres personnes expérimentées au mineur qui ne peut toujours apprécier
la gravité et la portée de ses engagements. Ce qui aura pour inconvénient de placer le
mineur dans une situation inconfortable de vulnérabilité.
(1)
En effet, selon M. Joseph ISSA-SAYEGH, op. cit. p. 432 note (5 bis). "Cependant, aucun
enfant âgé de 12 à 14 ans ne peut être employé sans l'autorisation expresse de ses parents ou
de son tuteur, sauf s'il travaille dans le même établissement que ceux-ci et à leur côté: art.
3 Arrêté local n° 3723.1.T. du 22 juin 1954 portant dérogation à l'âge d'adntission à l'emploi,
JOS du 1er juillet 1954. En outre, l'Inspecteur du travail peut retirer l'autorisation d'employer
un enfant dé moins de quatorze ans s'il est affecté à des travaux non proportionnés à ses
forces (art. 4 du même arrêté).
(2)
J.P. TOSI, op. cit. n° 207, p. 86. Adde D. MARTIN, op. cit. n° 70, p. 23.
(3)
D. MARTIN, op. cit. n° 67, p. 22.
(4)
V. articles 300 à 304 du Code de la famille.
(5)
V. article 305 et suivants du Code de la famille.
259
Ensuite, relativement à l'émancipation, elle s'attache automatiquement au
mineur qui a contracté valablement un mariage(l). A défaut d'un mariage,
l'émancipation ne peut intervenir, pour le mineur ayant atteint l'âge de 18 ans, que par
un acte volontaire émanant du père, la mère ou le Conseil de famille(2).
Lorsque l'émancipation du mineur est obtenue, ce dernier sera introduit dans
la vie active puisque, par définition, il sera investi de tous les droits et obligations du
majeur. Il s'ensuit que le mineur émancipé pourra accomplir tous les actes de la vie
civile. Ainsi, il aura, à titre d'exemples, la possibilité de gérer ses revenus ou ses
biens, refuser tout contrôle de ses activités ; se faire ouvrir toute sorte de compte
bancaire(3).
En définitive, la protection du mineur s'accommode d'un ensemble de règles
ayant pour finalité, soit de l'exclure d'un secteur du tissu économique, soit de l'insérer
dans d'autres circuits économiques et sociaux, avec un certain nombre de précautions
prises par les pouvoirs publics. Ces dernières pourront être vérifiées également à
propos des règles organisant la protection des majeurs incapables.
B - Protection des majeurs incapables
L'incapacité des personnes majeures repose sur deux fondements. Ainsi, la
privation peut intervenir soit à titre de sanction quand un majeur est condamné à une
peine afflictive ou infamante, soit à titre de protection lorsque le majeur ne peut gérer
lui-même ses biens, en raison de la déficience de ses facultés mentales ou de son état
(1)
V. article 335 alinéa 1 du Code de la famille.
(2)
V. article 335 alinéa 2 du même Code.
(3)
D. MARTIN, op. cil. nO 67, p. 23.
Toutefois, l'auteur apporte une limite importante à la capacité civile du mineur émancipé. En
.. effet, lice dernier doit, pour se marier ou se donner en adoption, observer les mêmes règles que
le mineur non émancipé.
260
physique(l). Il s'ensuit que l'on peut retenir un fondement répressif et un fondement
civiliste à l'incapacité des majeurs.
Mais pour les besoins de notre étude, nous ne retiendrons que l'aspect civiliste
dans la mesure où la notion de sanction évoquée plus haut conduit inéluctablement à
des considérations répressives qui ne sauraient avoir droit de cité dans cette rubrique.
Au Sénégal, le Code de la famille a expressément résolu le sort des majeurs
incapables en aménageant trois régimes de protection que sont la mise sous protection
de la justice, la tutelle et la curatelle(2).
Notre propos visera à examiner l'application de ces régimes de protection à la
manière commerciale Ca) et à la matière civile Cb).
a - L'application de ces régimes de protection est caractérisée par
l'exclusion des incapables majeurs de la vie commerciale qui pourrait être frappée par
les causes prévues par l'article 342 C.F.(3). Ceci paraît d'autant plus justifié que ces
causes peuvent intervenir à l'occasion de l'exercice d'un commerce(4). Dans une
telle hypothèse, on se rend compte que la référence aux règles du droit civil, en
matière de représentation, n'est pas toujours adaptée au cas où un commerçant fait
l'objet de ces mesures(5). Une telle inadaptation des règles du droit civil se justifie,
à notre avis, par l'argument selon lequel la procédure d'assistance s'accommode
difficilement des impératifs de la vie commerciale qui exige la rapidité et la lucidité.
(1)
J.P. TOSI, op. cil. n° 207, p. 86 ; D. MARTIN, op. cil. n° 70, p. 23.
(2)
V. articles 345 à 365 du Code de la famille.
Docl. V. Ndiaw DIOUF et Isaac Yankhoba NDIAYE, Introduction générale. Personnes.
Famille, Jurisclasseur civil, Législation comparée - SENEGAL, Fascicule 1, édition 1995, n°
1 à 23, n° 124 et s.
(3)
C'est l'altération durable des facultés mentales due par une maladie, une infirmité ou un
affaiblissement causé par 1; âge.
(4)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cil. n° 276, p. 223.
(5)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cil. n° 276, p. 223.
261
Une telle remarque semble être prise en compte par le législateur sénégalais(l) qui
ne prévoit de représentation que dans la vie civile. Par suite, on assiste à l'exclusion
des majeurs incapables dans la vie économique.
b - Mais lorsqu'on leur permet d'agir dans la vie civile, le mécanisme
d'assistance et dé représentaLion paraît être une constante qui peut prendre llne forme
plus ou moins achevée selon le régime de protection. Aussi bien, on note que si une
certaine souplesse apparaît dans la mise sous protection de la justice et l'institution de
la curatelle, il est permis cependant de constater que la tutelle constitue le régime le
plus complet de protection(2). Une telle vérité se conçoit aisément puisque
l'intéressé a besoin d'être représenté d'une manière permanente pour le gouvernement
de sa personne ou la gestion de ses intérêts(3).
Dans tous les cas de protection, il est reconnu au jugè un pouvoir d'appréciation
qui lui permet de renoncer à ouvrir une tutelle ou une administration légale dans
certaines situations(4).
Tel sera le cas si, par application des règles sur le régime matrimonial, il peut
être pourvu aux intérêts de la personne protégée par une habilitation judiciaire délivrée
à son conjoint(5).
En fait de représentation, la technique est également retenue pour la curatelle
à la notable exception près que l'assistance n'est pas toujours obligatoire (article 329
(1)
V. article 350 alinéa 1 et article 359 du C.F.
(2)
J.P. TOSI, op. cit. n° 220, p. 90 ; D. MARTIN, op. cit. n° 86. p. 27.
(3)
J.P. TOSI, op. cit., ibidem.
(4)
Ndiaw DIOUF et I.Y. NDIAYE, op. cit. n° 130.
(5)
Voir dans ce sens, Ordonnance - Justice de paix Dakar, 04 février 1976, Rép. CREDILA,
1977, Vol. Il, p. 225.
Doct. V. Ndiaw DIOUF et I.Y. NDIAYE, op. cit. n° 130.
262
C.F.)(l). Une telle règle a trouvé un écho dans la jurisprudence sénégalai9loù il est,
toutefois, admis qu'en cas de refus d'assistance du curateur, le majeur peut demander
une autorisation supplétive au juge des tutelles(2).
Quant à la mise sous protection de la justice, elle se présente comme une
protection temporaire justifiée par l'internement ou les soins à domicile pour le malade
interné(3). Cette situation fait qu'en pratique, le majeur interné ne peut se permettre
d'accomplir seul les actes pour l'administration de ses biens (art. 345 alinéa 1 C.F.).
Pour donner plus de vigueur à la règle précitée, on fait présumer l'absence de
consentement chez le majeur placé sous protection de justice agissant seul (art. 345
alinéa 2 c.F.). Une telle présompton supportant la preuve contraire, elle devient
simple(4).
Le mécanisme de protection du majeur interné et 'placé sous protection de
j~stice a conduit le législateur sénégalais à prévoir deux institutions de représentation.
D'abord, la première se rapporte à la désignation d'un curateur d'office qui
administre les biens de l'incapable tout en rendant compte de sa gestion conformément
aux articles 691 alinéa 2, 698, 715 et 728 du Code de Procédure civile(5).
L'examen des dispositions du Code de Procédure civile révèle qu'elles sont
relatives au Titre 8 intitulé "De l'administration des succes~ns et biens vacants" alors
que la protection d'un majeur placé sous protection de justice devrait logiquement
exclure l'ouverture d'une succession qui ne se conçoit que pour une personne décédée
(1)
J.P. TOSI, op. cit. n° 220, p. 90; Nd. DIOUF et I.Y. NDIAYE, op. cit. n° 137.
(2)
Voir dans ce sens, Trib. prem. Inst. Dakar, 15 janvier 1974, Rép. CREDILA, 1977, Vol. l, p.
15 bis.
(3)
D. MARTIN, op. cit. n° 85, p. 27 ; J.P. TOSI, op. ciL n° 220, p. 89.
(4)
J.P. TOST, op. ciL, ibidem.
(5)
V. art. 346 du C.F.
263
ou présumée telle. Au surplus, il paraît inadmissible de se référer à des biens vacants
qui n'ont pas de maître alors que l'on sait, dans le cas qui nous occupe, que les biens
ont certainement un maître qui se trouve être frappé par une interdiction d'exercer des
actes sur eux. On en conclut qu'il y a là un mauvais renvoi du législateur du Code de
la famille qui invoque à tort les dispositions précitées du Code de Procédure civile. A
cet égard, il nous semble que le législateur gagnerait en clarté et en cohérence s'il se
réfèrait aux règles relatives à l'institution du mandat puisqu'en vérité, la mission
confiée au curateur d'office ne diffère pas fondamentalement de celle que doit
accomplir un mandataire qui rend compte de sa gestion.
Ensuite, la seconde institution de représentation se rapporte à la désignation par
le juge d'un mandataire chargé d'administrer les biens de l'incapable et d'exécuter ses
obligations conformément aux articles 463 à 467 du COCC traitant des obligations du
mandataire(l).
Le renvoi à l'institution du mandat permet .de songer à un mécanisme de
représentation pour lequel l'article 458 du COCC(2) se réfère aux règles de la partie
générale du même Code, c'est-à-dire les articles 48 à 56 du Code. Par suite, le
représentant agissant au nom du représenté, les droits et obligations dérivant du contrat
passé par le représentant naissent directement dans la personne du représenté (article
51 du COCC).
En définitive, la protection de la vulnérabilité juridique des personnes incapables
se constate aussi bien dans la vie économique que dans la vie sociale. De ce fait, deux
conséquences s'ensuivent.
(1)
V. art. 347 du c.F..
(2)
V. article 458 du COCC : Domaine d'application des règles du mandat. "Les règles de la
partie générale du présent Code relatives à la représentation régissent les rapports entre le tiers
contractant et le mandataire ou le mandant".
263
ou présumée telle. Au surplus, il paraît inadmissible de se référer à des biens vacants
qui n'ont pas de maître alors que l'on sait, dans le cas qui nous occupe, que les biens
ont certainement un maître qui se trouve être frappé par une interdiction d'exercer des
actes sur eux. On en conclut qu'il y a là un mauvais renvoi du législateur du Code de
la famille qui invoque à tort les dispositions précitées du Code de Procédure civile. A
cet égard, il nous semble que le législateur gagnerait en clarté et en cohérence s'il se
,
réfèrait aux règles relatives à l'institution du mandat puisqu'en vérité, la mission
confiée au curateur d'office ne diffère pas fondamentalement de celle que doit
accomplir un mandataire qui rend compte de sa gestion.
Ensuite, la seconde institution de représentation se rapporte à la désignation par
le juge d'un mandataire chargé d'administrer les biens de l'incapable et d'exécuter ses
obligations conformément aux articles 463 à 467 du COCC traitant des obligations du
mandataire(l).
Le renvoi à l'institution du mandat permet de songer à un mécanisme de
représentation pour lequel l'article 458 du COCC(2) se réfère aux règles de la partie
générale du même Code, c'esL-à-dire les articles 48 à 56 du Code. Par suite, le
représentant agissant au nom du représenté, les droits et obligations dérivant du contrat
passé par le représen,tant naissent directement dans la personne du représenté (article
51 du COCC).
En définitive, la protection de la vulnérabilité juridique des personnes incapables
se constate aussi bien dans la vie économique que dans la vie sociale. De ce fait, deux
conséquences s'ensuivent.
(1)
v. art.' 347 du C.F..
(2)
V. article 458 du COCC : Domaine d'application des règles du mandat. "Les règles de la
partie gén~raJe du présent Code relatives à la représentation régissent les rapports entre le tiers
contractant et le mandataire ou le mandant".
265
Le concept d'illettrisme ne signifie nullement la situation d'une personne
incapable au sens de l'article 273 du Code de la famille(l) dès lors qu'elle aurait
pu pleinement exercer son aptitude à participer au commerce juridique si elle n'avait
pas été frappée par ce handicap lié à l'instruction(2).
A
bien
des égards,
la relativité
de
la
notion
d'illettrisme
doit être
soulignée(3). En particulier, au Sénégal, la prise en considération des dispositions
constitutionnelles(4) fait qu'une importante partie de la population rurale éprouve
d'énormes difficultés à passer des actes sous signatures privées qui, lorsque l'objet de
la convention excède 20.000 F, demeurent soumis, en matière civile, à un régime strict
de preuve écrite(5).
Pour pallier, semble-t-il, la rigidité de cette règle, le législateur a pris une
disposition permettant d'assurer la participation de certains acteurs économiques à
l'édification de certains actes(6).
Le mécanisme de cette participation consiste en l'assistance par deux témoins
lettrés qui certifient, dans l'écrit, leur identité et leur présence; et attestent en outre
que la nature et les effets de l'acte ont été précisés à l'illettré (article 20 du COCC).
(1)
Article 273 c.F. - Définition. "Sont frappées d'une incapacité d'exercice les personnes
auxquelles la loi enlève l'aptitude à participer au commerce juridique pour les protéger contre
leur inexpérience ou la défaillance de leurs facultés intellectuelles".
(2)
Cependant, le Pr. ISSA-SAYEGH paraît situer le texte de l'art. 20 COCC dans le droit des
incapacités, voir dans ce sens art. précité, n° 5, p. 112.
(3)
En effet, on peut noter au Sénégal, qu'une importante partie des populations "illettrées" peut
s'exprimer, par écrit, soit en arabe, soit en langues nationales.
(4)
v. article 1er Constitution (loi n° 78-60 du 28 décembre 1978) qui dispose "la langue officielle
de la Répu blique du Sénégal est le Français".
(5)
Pour une applicatlon de l'article 14 COCC, v. Trib. prem. Inst. Dakar, n° 357 du 1er mars
1969, Ousseynou SYLLA cl Amara DIALLO, Rev. sén. dr. 1969, pp. 79 à 89. En l'espèce,
il a été jugé qu"'un contrat étant un acte juridique est soumis en matjère civile à la règle de
la préconstitution de la preuve précisée par l'art. 14 du COCC".
(6)
V. article 20 du COCC précitée.
266
Les difficultés soulevées par cette disposition ont été déjà retracées dans une
savante étude exhaustive(l).
Pour notre part, il s'agira moins de revenir sur ces difficultés que d'envisager
l'aspect protecteur de l'article 20 du COCC qui se manifeste essentiellement par une
procédure d'assistance qui requiert, d'une part, l'étude des personnes en cause qui se
révèlent être l'illettré et ses deux témoins (A) et, de l'autre, la nature des actes devant
être précisés à l'illettré (B).
A - Malgré la relativité du concept d'illettrisme, il est permis de classer les
illettrés selon qu'ils savent signer ou non.
Lorsqu'ils savent signer et qu'ils accomplissent cette formalité, les illettrés
peuvent être soumis à certaines conséquences(2).
Mais lorsque l'illettré ne sait ni signer, ni. écrire, on se trouve alors dans
l'hypothèse parfaite et incontestable où il est fait nécessairement appel à l'assistance
de deux témoins lettrés (article 20 du COCC). nl'e5sort de cette disposition que peu
importe les liens qui unissent les témoins à la partie illettrée; l'essentiel étant que ces
individus soient des personnes lettrées(3). Toutefois, la jurisprudence enseigne qu'il
ne suffit pas de mentionner dans l'acte la présence de deux témoins, mais encore
(1)
J. ISSA-SAYEGH, op. cit.
(2)
En droit français: La signature peut consister dans l'apposition du prénom (Civ. 24 juin 1952,
JCP 1952.11 n° 7179, note Voirin) mais elle doit être manuscrite et ne pas se limiter à une
croix (Civ. 20 janv. 1987, Dalloz, p. 128) ; ni à des empreintes digitales (Civ. 15 mai 1934,
D.P. 1934.1, p. 113, note E.P.). Sur l'ensemble de la question, v. la pénétrante étude de M.
ISSA-SAYEGH, op. cil. p. 119, note 25.
(3)
Contra J. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 33, p. 121. Selon l'éminent auteur, la présence du mari
et de la femme dans un même acte sous-seing privé (soit aux côtés d'une seule des parties,
soit chacun aux côtés d'une partie illettrée) n'est pas souhaitable.
267
faudrait-il que l'écrit fasse apparaître que les témoins sont tous deux lettrés et qu'ils
y ont certifié leur identité(l).
S'agissant de l'exigence de la pluralité qui peut s'autoriser du nombre de deux
individus lettrés, il semble qu'elle marque la volonté du législateur de donner plus de
force et de vigueur au témoignage. C'est la leçon que semble retenir le juge dans
l'affaire précitée relative à une opération de vente où le juge précise que les deux
lettrés doivent certifier l'identité et la présence des vendeurs dans l'acte(2) dont il
convient à présent de préciser la nature.
B - Les actes devant être précisés à l'illettré sont communément admis comme
pouvant être des actes sous seing privé(3). Ce faisant, ses effets devront être
précisés également à l'illettré qui pourra ainsi contester le contenu de l'acte. Tel fut
le cas d'un acte d'aval signé par un illettré qui conteste fe contenu de cet acte(4).
Dans cette espèce la Haute Juridiction s'est fondée, pour retenir la validité de
l'engagement de l'avaliste, sur. un faisceau d'indices. A ce propos, la Cour a retenu
que la partie illettrée avait un minimum de pratiques bancaires et ne pouvait ignorer
que sa présence aux côtés de son frère serait inutile s'il ne s'était pas agi de se porter
garant.
Au surplus, l'argument décisif de la Cour a consisté à retenir, à la suite d'une
enquête et du témoignage circonstancié du fondé de pouvoir de la banque, qu'il existait
(1)
V. dans un sens sommaire, arrêt n° 145 du 15.2.1985 publié dans le COCC annoté, Editions
EDJ A, Dakar, avril 1994, p. 34.
(2)
V. sommaire décision arrêt n° 145 du 15.2.1985 précitée.
(3)
En effet, selon M. ISSA-SAYEGH, si l'art. 20 du COCC ne concernait que les actes notariés,
sa nouvelle rédaction permettrait de l'étendre aux actes sous seing privé. En tout cas, c'est la
solution admise par le droit du travail depuis son origine, en 1961 où il a été jugé en
application de l'art. 115 alinéa 2 Code du travail "qu'est inopposable au travailleur illettré le
bulletin de paie qui n'a pas été signé par deux témoins lettrés ayant assisté au paiement", Voir
dans ce sens, Cour d'Appel Dakar n° 188 du 27 avril 1977, Saër FAYE cl SOGEMAS.
(4)
C.A. Arrêt n° 247 du 29.12.1972, sommaire rapporté dans le COCC annoté, Editions EDJA,
Dakar, avril 1994, p. 34.
268
en l'espèce des présomptions concordantes et précises lui permettant de conclure que
l'avaliste connaissait l'étendue de son engagement lorsqu'il a signé l'acte d'aval en
cause.
La leçon que l'on peut tirer de cette appréciation du juge d'appel est que
lorsque la double obligation pesant sur les témoins a été correctement satisfaite,
l'illettré ainsi assif$tpeut mesurer toute l'étendue et les conséquences de son
engagement.
En conclusion, on peut affirmer que le remède juridique à la vulnérabilité
juridique des illettrés a consisté en une protection particulière acordée grâce à un
mécanisme d'assistance par deux témoins lettrés. Par suite, cette technique pourra
permettre d'assurer la participation de certaines personnes défavorisées par le défaut
d'instruction à la vie économique. Une telle pratique' législative mérite d'être
approuvée pour plusieurs raisons.
D'abord, elle permet à l'illettré de faire l'économie d'inévitables frais de notaire
et d'enregistrement(l).
Ensuite, la raison supplémentaire qui milite en faveur de son approbation est
liée à l'introduction du formalisme qui fait que, de plus en plus, beaucoup de contrats
sont subordonnés, pour leur validité ou leur opposabilité, à des formalités écrites
rigoureuses.
Nous venons ainsi de montrer que la vulnérabilité juridique des incapables et
des illettrés est protégée dans l'intérêt des individus et de l'économie du pays grâce
à des mécanismes juridiques d~exclusion et/ou d'assistance. II convient à présent de
(1)
E. Allan FARNSWORTH, op. cit. p. 85. Selon l'auteur, "en droit français, une partie illettrée
incapable de signer un contrat, doit passer contrat devant notaire. Au surplus, le Code
sénégalais va plus loin que le texte malgache qui envisage uniquement la passation du contrat
devant une autorité administrative parallèlement à l'authentification par notaire".
269
poursuivre la réflexion autour du second inconvénient pouvant concerner les
contractants, c'est-à-dire la vulnérabilité économique.
Sous-Section II - LA VULNERABILITE ECONOMIQUE
La vulnérabilité économique peut être surtout liée aux opérations relatives à
l'acquisitiàn et à l'activité du fonds de commerce qui peuvent présenter des dangers
de nature à porter atteinte aux intérêts des opérateurs du fonds.
Comment une telle vulnérabilité économique se présente-t-elle dans ces deux
cas?
Dans
le
premier cas,
à savoir l'acquisition du
fonds
de commerce,
l'inconvénient majeur peut être rattaché, d'une part, à l'indisponibilité juridique du
fonds qui pouvait servir de garantie à des créanciers et, d'autre part, à la dissimulation
de la valeur économique réelle du fonds aux potentiels acquéreurs.
Dans le second cas, c'est-à-dire l'activité du fonds de commerce qui peut
entraîner sa mise en location-gérance, il apparaît que la dissociation de l'exploitation
de la propriété du fonds, conséquence de cette dernière opération, peut revêtir un
danger tel que le locataire-gérant peut être souvent placé sous la dépendance
économique du bailleur dudit fonds qui peut être tenté d'abuser de cette situation de
domination.
Dans ces conditions, il devient alors normal que la vulnérabilité économique de
ces deux agents économiques puisse nécessiter, d'une part, la protection de l'acheteur
de fonds de commerce (I) et, d'autre part, la protection du locataire-gérant du fonds
de commerce (II).
270
1 - L'ACHETEUR DE FONDS DE COMMERCE
La protection de l'acheteur de fonds de commerce semble trouver un consensus
autour de l'Idée selon laquelle la règle contenue dans l'article 397 du COCC(l) est
destinée à l'éclairer sur la valeur réelle de son acquisition(2). De ce consensus, il
se dégage une obligation de renseignement qui pèse, non seulement, sur le vendeur
mais encore,. et surtout, bénéficie à l'acquéreur. Par suite, si le vendeur du fonds de
commerce a l'obligation d'informer l'acheteur sur certains éléments du fonds, on doit
en déduire que l'acquéreur bénéficie alors de cette obligation qui le protégera par
information(3).
Une telle protection répond ainsi à la nécessité de prendre en compte ia valeur
économique du fonds de commerce qui, en raison du rôle qu'il peut jouer comme
instrument de crédit entre commerçants(4), peut, dans le 'même temps, constituer un
danger lorsque, du moins, il est grevé de dettes.
(1)
Article 397 du COCC : Rédaction de l'écrit:
"Tout acte de cession ou de promesse synallagmatique de cession amiable de fonds de
commerce authentique ou sous seings privés doit contenir les énonciations suivantes, failes par
le vendeur :
1°) le nom du vendeur et son numéro d'immatriculation au registre du commerce ;
2°) s'il y a lieu, le nom du précédent propriétaire, la date et la nature de son acte d'acquisition
et le prix de cette acquisition pour les éléments incorporels, les marchandises et le matériel
3°) l'état des privilèges et nantissements grevant le fonds;
4°) le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au cours de chacune des trois dernières années
d'exploitation, ou depuis son acquisition s'il ne l'a pas exploité depuis plus de trois ans ;
5°) les bénéfices commerciaux réalisés pendant le même temps;
6°) le bail, sa date, sa durée, le nom et l'adresse du bailleur et du cédant s'il y a lieu;
r) le prix;
8°) la situation et les éléments du fonds vendu;
9°) la mention d'enregistrement de l'acte de cession".
(2)
Jean CHABAS, La protection des créanciers dans la vente du fonds de commerce en droit
sénégalais, Rev. sén. dr., 1967, n02, p. 29. Didier MARTIN, op. cit. n° 584, p. 144.
En droit français: G. FARJAT, L'ordre public économique, Thèse, LGDJ, 1963, n° 65, p. 60.
(3)
G. FARJAT, op~ cit. n° 248, p. 197 et n° 357, p. 291.
,.
(4)
Jean CHABAS, op. cit. p. 24.
271
Si fondamentalement le mécanisme de fonctionnement d'une telle obligation de
renseignement, en droit sénégalais, ne présente pas de différence majeure avec le droit
français, par contre, au niveau du résultat de l'action, le droit sénégalais revêt une
particularité qui le distingue nettement de son homologue français. En effet,
contrairement au droit français qui accorde une action en nullité à l'aquéreur du fonds
de commerce(l), le mécanisme de protection par information est résolu au Sénégal
soit par une action en garantie des vices cachés et des déclarations du vendeur, soit par
une action en garantie d'éviction totale contre le vendeur(2).
Dans le premier cas, l'action en garantie repose sur la notion de garantie des
vices cachés et des déclarations du vendeur qui est une garantie commune à tous les
contrats de vente. Il s'ensuit que, dans le domaine particulier de la vente du fonds de
commerce, la garantie des vices cachés joue lorsque ces vices sont de nature à
diminuer la clientèle, et subséquemment la valeur du fonds de commerce. Ces vices
cachés sont représentés par les mentions obligatoires inscrites dans l'acte de vente et
qui affecteraient substantiellement la qualité du fonds de commerce(3). Ce qui
traduit l'existence d'un lien entre les déclarations du vendeur et les vices cachés
nécessitant pour l'acquéreur le devoir de se renseigner(4). Toutefois, le juge conserve
un pouvoir d'appréciation sur la présomption de connaissance du vice(5) et la
gravité des vices(6).
(1)
Jean CHABAS, op. cit. pp. 30 et 31.
(2)
Amadou FAYE, Le transfert de propriété dans la vente du fonds de commerce, Rev. inter. de
dr. afric., EDJA n° 24, Trimestriel, janv.-févr.-mars 1995, pp. 25 et 26.
(3)
Jean CHABAS, op. cil. p. 31.
(4)
V. en droit français, Patrick JOURDAIN, Le devoir de "se" renseigner (Contribution à l'étude
de l'obligation de renseignemenl), Rec. Dalloz-Sirey, Chr. XXV, p. 139.
(5)
Voir dans ce sens, Cour d'Appel de Dakar, n° 45 du 23 décembre 1973, Albassit cl LY. En
l'espèce, il a été jugé que "le magistrat peut apprécier si, par référence aux normes usuelles
admises en matière de vente d'un matériel d'occasion, l'acquéreur aurait contracté s'il avait
connu le vice".
(6)
c.A. Dakar, n° 16 du 22 janvier 1965, ColonolO cl Etat français (Application à la vente d'un
véhicule dont le châssis était cassé sous l'empire de l'article 1641 du Code civil).
272
Lorsque l'existence des vices cachés est établie, cela entraîne la mise en·oeuvre
de la protection de l'acquéreur qui s'exprime par l'action en garantie qui est enfermée
dans un délai très bref en tenant compte de la nature du vice et des usages du lieu où
la vente a été faite (art. 300 du COCC)(l). Le succès de l'action entraîne soit la
restitution de la chose et la ristourne du prix, soit la réduction du prix de vente (art.
298 du COCC).
Cependant, en matière de vente de fonds de commerce, on s'écarte de ces effets
de la garantie de droit commun en matière de vente puisqu'elle prend une allure
particulière dans l'article 418 du COCC qui semble réduire les conséquences de cette
action en garantie en une réduction du prix(2). Dans cette perspective, si l'acquéreur
découvre l'existence d'un vice caché soit qu'il y ait erreur dolosive ou erreur, il ne
peut pas obtenir l'annulation du contrat comme le prévoit la règle commune de l'article
298 du COCC(3).
En somme, on se rend positivement compte que le mécanisme de protection par
information est essentiellement résolu, au Sénégal, par une action en garantie dans la
mesure où l'acquéreur a la certitude, dès la tanscription de son titre, que son droit ne
pourra plus faire l'objet d'aucune contestation.
(1)
Pour une application, v. c.A. Dakar, n° 45 du 23 décembre 1973, ALBASSIT cl LY précitée.
En l'espèce, il a été jugé que" faute par le Code des Obligations de préciser le sens et la durée
du délai, il appartient au juge, selon l'usage des lieux, les circonstances et les difficultés de
l'acquéreur à connaître" les vices cachés, le soin de déterminer le délai selon le cas de
l'espèce".
(2)
V. article 418 du COCc.
(3)
V. article 298 du COCC : Effets de la garantie:
"Lorsque la chose présente un vice caché, l'acheteur a le choix de rendre la chose et s'en faire
restituer le prix, ou de la garder moyennant restitution d'une partie du prix fixé soit à
l'amiable, soit à dire d'expert, soit par le juge si les parties ne se sont point entendues".
Doel. V. J.P. TOSI, op. cil. n° 367, p. 134.
273
Cependant, en cas de contestation résultant d'une non inscription du droit de
l'acquéreur du fonds au Registre du commerce et de la vente dudit fonds à un nouvel
acquéreur ayant fait inscrire son droit, comment protège-t-on le premier acquéreur?
Dans cette hypothèse, face à l'impossibilité où se trouve le premier acquéreur
de contester un droit définitivement entré dans le patrimoine du second acquéreur par
l'effet de l'inscription, il aura tout intérêt à intenter une action personnelle sur le
fondement de la garantie d'éviction totale que lui doit le vendeur qui pourra être
condamné à restituer le prix (article 292 du COCC)(l).
On le voit, même si l'acquéreur du fonds de commerce est protégé par une
action en garantie d'éviction totale, son moyen de protection principal repose
essentiellement sur l'action en garantie des vices cachés qui a surtout pour effet de
sauver les transactions relati ves aux fonds de commerce. Sous ce rapport, cette dernière
solution particulière du droit sénégalais mérite d'être approuvée à un double point de
vue.
D'abord, il apparaît que l'inscription requise par l'acquéreur (art. 417 du
COCC) le rend propriétaire (art. 418 du COCC). L'accomplissement de la formalité
prévue dans le premier texte lui permet de vérifier préalablement la valeur juridique
du fonds de commerce relativement au point de savoir s'il est purgé de tout privilège
ou nantissement (art. 397-3°- du COCC). Il s'ensuit que le droit de propriété ainsi
acquis par l'acquéreur devient inattaquable et, qu'au surplus, le législateur ne pouvait
admettre que la vente du fonds de commerce pût être annulée(2).
Ensuite, même si l'acquéreur est maintenu à tout prix dans son titre de
propriété, on peut soulever l'objection relative à l'existence des vices cachés qui
(1)
Doct. V. A. FAYE, op. cit. p. 26.
Selon l'auteur, "ce texte ne donne pas une solution unifonne. Il distingue entre la situation de
l'acquéreur de bonne foi et celIe de l'acquéreur de mauvaise foi".
(2)
Jean CHABAS, op. cit. p. 31.
274
diminuent la valeur économique de l'acquisition. Cependant, l'acquéreur pourra
toujours combattre cette insuffisance en exerçant une action en garantie qui devra
normalement aboutir au rétablissement du prix réel du fonds de commerce.
En somme, les mécanismes de protection d'un acheteur de fonds de commerce
sont assurés grâce à un formalisme rigoureux destiné à l'éclairer sur la valeur juridique
et économique de son acquisition. Un tel formalisme justifie valablement que la qualité
de propriétaire de l'acquéreur ne puisse lui conférer qu'une action en réduction de prix.
A la lumière de ce ,qui précède, on se rend positivement compte que le
législateur souhaite ardemment le maintien des transactions sur le fonds de comme~e~J
bien économique par excellence. A cet égard, celles-ci doivent être réalisées suivant
une méthode qui s'inspire des règles applicables aux mutations foncières(1) pour
des raisons économiques et juridiques évidentes.
Ce souci de protection de l'opération de vente du fonds de commerce s'étend
également à sa gérance par la prise en compte de la vulnérabilité économique du
locataire-gérant.
II - LE LOCATAIRE-GERANT DU FONDS DE COMMERCE
La nécessité d'assurer la protection du locataire-gérant du fonds de commerce
peut apparaître dans la mesure où ce commerçant peut se situer en état de dépendance
économique(2). Ainsi, le propriétaire du fonds de commerce, en même temps qu'il
donne en location ce dernier, peut consentir des avantages tels que prêts d'argent ou
de fournitures ; mais en contrepartie de ces prestations, le loueur du fonds de
commerce est généralement bénéficiaire d'une exclusivité d'approvisionnement(3).
(1)
Amadou FAYE, op. cil. p. 23.
(2)
Sur l'ensemble de l'abus de dépendance économique, v. supra, 1ère Partie, Titre II. yis Abus
de dépendance économique, p. 233 et suivantes.
(3)
En droit français, v. Yves REINHARD, Droit commercial, LITEe, 1993, n° 388, p. 298.
275
Il s'ensuit que, en sa qualité de commerçant, le gérant libre peut être sous la
domination économique du bailleur. Une pareille dépendance économique peut être
concrètem~nt relevée au sujet des formes modernes de distribution dans la mesure où
le fonds de commerce peut appartenir à de puissantes entreprises qui créent ainsi sur
toute l'étendue d'un territoire un réseau de points de vente qu'elles soumettent à une
discipline identique, en matière de méthodes commerciales, de prix, d'agencement du
fonds et des installations...(l).
Dans ces conditions, le locataire-gérant dont la qualité de commerçant
indépendant lui confère une indépendance juridique, ne peut refuser de satisfaire à ses
exigem;es dès lors que son sort est lié au renouvellement de son contrat(2). Un tel
état le place dans un état de vulnérabilité économique que le législateur a cherché à
corriger de deux manières.
D'abord, il soumet la validité de toutes les clauses d'exclusivité de vente ou
d'achat à l'approbation de l'autorité administrative(3) qui se trouve être, en
l'occurrence, le Ministre du Commerce(4). Dans cette optique, le Ministre du
Commerce ne peut accorder l'autorisation requise que lorsque le contrat d'exclusivité
(1)
En droit français, v. Georges l. VIRASSAMY, Les contrats de dépendance. Essai sur les
activités professionnelles exercées dans une dépendance économique, L.G.DJ., Paris, 1986,
n° 173, p. 122.
(2)
En droit français, v. Georges l. VIRASSAMY, op. cit. n° 173, pp. 122 et 123.
(3)
V. article 275 du COCC : Clauses d'exclusivité de vente ou d'achat:
"La clause par laquelle un commerçant s'engage à se fournir exclusivement chez un
fournisseur est valable à condition qu'elle soit approuvée par l'autorité administrative
"compétente".
"La clause par laquelle un fournisseur s'engage à ne vendre ses produits qu'à certains
commerçants exclusivement est licite à condition qu'elle soit approuvée par l'autorité
administrative compétente".
Pour une application, v. c.À. Dakar, nO 485 du 20 juillet 1984, SIFAOUI cl SAT. En l'espèce,
il a été jugé qu'un commerçant non bénéficiaire d'un contrat d'exclusivité ne peut reprocher
à son vendeur la vente d'une marchandise identique à ses concurrents. V. sommaire dans le
COCC annoté, Editions EDlA, avril "1994, p. 128.
(4)
V. artieie 2du décrèt n° 70-1335 du 7 décembre 1970 réglementant les contrats d'exclusivité
de .vente ou d'achat publié dans le COCC annoté, Editions EDlA, avril 1994, pp. 128, 129 à
132.
276
présente, non seulement, des intérêts pour l'économie nationale (article 4-1°-, 3°_ et
4°- du décret précité)(l), mais encore, ne porte pas atteinte à la liberté du
distributeur de fixer le prix du produit (article 4-2°- du décret précité).
Ensuite, face à la nécessité de redéfinir les principes du libre jeu de la
concurrence, le législateur est récemment intervenu en prohibant l'état de dépendance
économique, c'est-à-dire, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe
d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard,
une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente(2).
Une telle disposition qui consacre un nouveau principe général du droit
économique, selon lequel, la puissance économique ne doit pas abuser de la situation
de dépendance dans laquelle se trouve à son égard un partenaire économique plus
faible(3), doit pouvoir régir subséquemment les rapports entre le locataire-gérant et
son cocontractant puisqu'il peut être dans une situation de subordination économique
totale, vis-à-vis de son partenaire privilégié, le privant d'une solution équivalente(4).
(1)
Article 4 du. décret précité: "Les contrats d'exclusivité ne peuvent être approuvés qu'aux
conditions suivantes:
1°_ "s'ils ont pour but d'améliorer et d'étendre les débouchés de la production ou d'assurer
le développement du progrès économique par la spécialisation et la rationalisation des circuits
de distribution" ;
3°_ "s'ils précisent clairement la zone dans laquelle s'appliquera l'exclusivité; en outre, pour
les contrats d'exclusivité unilatérale de vente, même à l'intérieur de la zone d'exclusivité, le
fournisseur demeure tenu de vendre ses produits à tous les commerçants possédant les moyens
et les qualifications techniques indispensables à une parfaite commercialisation des produits
concernés" ;
4°_ s'ils ne sont pas, en fait, déterminés par la seule volonté de limiter systématiquement la
concurrence et de nuire aux droits et intérêts légitimes des tiers".
(2)
V. article 27.2 de la loi n° 94-63 du 22 aoOt 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux
économique abrogeant et remplaçant la loi n° 65-25 du 4 mars 1965, JORS n° 5595 du 22
aoOt 1994, p. 384 et suivantes; v. supra, 1ère Partie, Titre Il de la thèse.
(3)
En droit français, v. Antoine PIROVANO et Mahmoud M. SALAH, L'abus de dépendance
économique: une notion subversive? Les Petites Affiches, nO 114, p. 04 et suiv., n° 115, p.
04 et suiv. ; voir spéc. n° 115, p. 10.
(4)
Voir supra p.
275.
277
En définitive, la requalification du contrat du locataire-gérant de fonds de
commerce a permis de révéler des points de vulnérabilité économique qui n'ont point
échappé au législateur qui, dans un souci de contrôle de l'équilibre contractuel(l),
protège ce commerçant, d'une part, par un contrôle de la validité des clauses
d'exclusivité de vente ou d'achat et, d'autre part, par la prohibition de l'abus de
dépendance économique.
S'il est acquis que certains contractants sont dignes de protection du fait de leur
vulnérabilité économique, il apparaît en outre que cette protection s'étend, dans
certains cas, à la vulnérabilité économique des tiers.
SECTION II • LES TIERS VULNERABLES
La protection des tiers répond au souci de sauvegarder les droits de certaines
personnes qui ont la qualité de tiers par rapport à des opérations contractuelles. Aussi
bien, la qualité de partie par rapport à un contractant leur confère un droit de créance
qui paraît être mise en péril par la nature clandestine de certaines opérations sur le
fonds de commerce qui constitue, pour eux, un précieux gage.
Mais c'est surtout en leur qualité de tiers que les créanciers bénéficient de la
protection accordée par le législateur. En effet, s'il est établi que l'acte de disposition
ou de jouissance interpelle au premier chef les contractarJts, il apparaît en outre que
des tiers peuvent avoir un intérêt à tout ce qui a trait à la situation juridique du fonds.
C'est pourquoi, il a paru nécessaire d'entourer de toutes les précautions et garanties
les opérations portant aussi bien sur l'acte de vente du fonds de commerce que sur
celles portant sur sa location-gérance ou son apport en société. Ainsi, il s'agira de
(1)
V. Abdoulaye SAKHO, Les groupes de sociétés et le droit (Contribution à la recherche sur
la notion de pouvoir en droit privé), Thèse de doctorat d'Etat, Dakar, 1993, p. 227.
Adde en droit français, v. THREAD et BOURGEON, Dépendance économique et droit de la
concurrence, JCP, Edition E, Supplément n° 2, 1987. Ces auteurs sont cités par M. A. SAKHO
dans sa thèse, à la page 227. En effet, selon M. SAKHO, "ces auteurs estiment que la notion
de dépendance économique doit permettre de rééquilibrer les relations entre commerçants".
278
montrer que si, dans le premier cas, la protection des créanciers se justifie par le risque
de diminution de leur gage lors de la vente du fonds de commerce (Sous-Section 1),
dans le second cas, elle est motivée par le risque d'un changement de débiteur (Sous-
Section II).
Sous-Section 1 - LES CREANCIERS MENACES PAR LA DIMINUTION DE
LEUR GAGE LORS DE LA VENTE DU FONDS DE
COMMERCE
La menace constituée par le risque de diminution du gage des créanciers lors
de la vente du fonds de commerce a conduit le législateur à leur accorder deux moyens
de droit que sont : l'opposition au règlement du prix de cession du fonds de
commerce(l) et le droit de surenchère(2).
Dans quelle mesure ces moyens de droit constituent-ils des mécanismes de
protection en faveur des créanciers lors de la vente du fonds de commerce?
La réponse à cette question nous conduira à examiner tour à tour l'opposition
au règlement du prix de cession du fonds de commerce (1) et le droit de surenchère
des créanciers (II).
(1)
V. art. 405 alinéa 1 du COCC : Créanciers bénéficiaires:
"Les créanciers chirographaires du vendeur peuvent faire opposition au transfert de la propriété
du fonds et exercer un droit de surenchère en cas d'insuffisance du prix".
.
(2)
V. art. 405 alinéa 1 du COCC précité.
Adde Doct. V. Jean CHABAS, op. cit. pp. 36 et 37. D. MARTIN, op. cit. n° 580, p. 143.
Amadou FAYE, op. cit. p. 16 et suivantes.
279
1· L'OPPOSITION AU REGLEMENT DU PRIX DE CESSION DU FONDS DE
COMMERCE
Le danger représenté par le fait que le vendeur élimine un bien important de son
patrimoine en aliénant le fonds de .commerce(l) a conduit le législateur à accorder
un droit d'opposition aux créanciers chirographaires qui n'ont principalement de
garantie commune que le patrimoine de leur débiteur(2). Cette nécessité est d'autant
plus ressentie qu'il peut exister d'autres créanciers privilégiés qui, du fait de leur
inscription sur le fonds ou le matériel, n'ont pas à faire opposition en raison de leur
droi t de préférence qui leur permet d'être désintéressés, avant tout autre créancier, sur
la totalité de leur créance(3).
Par suite, la prise en compte du risque de diminution du gage des créanciers
chirographaires a conduit le législateur à organiser des forrrialités de publicité relatives
à l'acte de vente du fonds de commerce qui doit apparaître dans un journal d'annonces
légales(4) et dans le Journal Officiel(5) tout en précisant le délai du droit
d'opposition(6) et les formes de l'opposition(7). Cette large publicité permet
d'informer une importante partie des créanciers chirographaires qui pourront ainsi
exercer leur droit d' oppositon qui a pour effet de rendre indisponible aussi bien le
transfert de la propriété du fonds que son prix de cession (article 405 du COCC). Ce
,
qui fait, en définitive, que l'opposition au règlement du prix de cession du fonds de
commerce par les créanciers chirographaires du vendeur constitue un moyen de
protection.
(1)
Jean CHABAS. op. cit. p. 33.
(2)
V. article 200 du COCC.
(3)
V. article 405 alinéa 2 du COCc.
(4)
V. article 400 du COCc.
(5)
V. article 401 du COCc.
(6)
V. article 406 du COCc.
(7)
V. article 407 du COCC.
280
Lorsque cette protection prend la forme d'un droit de surenchère, elle devient
l'apanage de toutes les créanciers privilégiés ou non.
II - LE DROIT DE SURENCHERE DES CREANCIERS
Le droit de surenchère constitue le second moyen de protection pouvant être
revendiqué par les créanciers privilégiés ou non, sur le fondement de l'article 405
alinéa 2 du COCC(l).
Cependant, pour qu'ils puissent utilement exercer cette prérogative, ils doivent
préalablement consigner au greffe du tribunal le montant du prix augmenté d'un
sixième(2). Une telle formalité comporte un avantage puisqu'elle donne aux
créanciers la quasi-certitude que le fonds de commerce sera vendu à son juste
prix(3).
Au surplus, la vente du fonds de commerce au juste prix contribuera à renforcer
les garanties financières des créanciers sur le fonds de commerce qui constitue pour
eux un gage essentiel. Ceci paraît d'autant plus certain que, même dans le cas où il y
aurait un conflit entre les droits de l'Etat désirant lutter contre les fraudes fiscales et
le créancier surenchérisseur, il est donné priorité à ce dernier(4).
(1)
Article 405 alinéa 2 COCC :
"Les créanciers nantis ou inscrits sur le fonds de commerce ou sur le matériel, en raison de
leur droit de préférence, n'ont pas à faire opposition sur le paiement du prix mais dispose
également du droit de surenchère". Ce texte doit être combiné avec l'article 405 alinéa 1er du
COCC qui traite des créanciers chirographaires (texte précité, p.
,note).
(2)
V. article 411 du COCc.
(3)
Jean CHABAS, op. cit. p. 39.
(4)
V. article 411 alinéa 3 du COCC : Conditions d'exercice (du droit de surenchère) :
"Cette surenchère prime le droit de préemption de l'Etat qui aurait pu être exercé pendant le
délai prévu à l'article 398".
Selon ce dernier texte, ce délai se situe avant l'inscription au registre du commerce au nom
de l'acheteur.
281
Le souci de protéger les intérêts économiques des créanciers s'est même étendu
à l'hypothèse d'une vente à crédit du fonds de commerce dans la mesure où le
législateur leur accorde différents modes de consignation(l). Ces modes de
consignation ont surtout pour vocation à s'appliquer sur les billets de fonds qUl
représentent tout ou partie du prix et qui seront déposés entre les mains d'un tiers
désigné par le juge, la portion exigible du prix et le surplus au fur et à mesure de son
exigibilité(2).
En somme, dans tous les cas (vente au comptant ou à crédit du fonds de
commerce), la bienveillance du législateur s'adresse aux créanciers du vendeur par une
protection de leur vulnérabilité justifiée par le risque de diminution de leur droit de
gage. Il s'ensuit un renforcement du droit de gage que l'on peut également percevoir
à travers le risque de changement de débiteur qui intervient dans les opérations
relatives à la location-gérance et à l'apport en société du fonds de commerce.
Sous-Section II - LES CREANCIERS MENACES PAR LE CHANGEMENT DE
DEBITEUR
La location-gérance et l'apport en société du fonds de commerce pouvant être
conçus comme des opérations consistant à confier généralement sa gestion et son
1
exploitation à d'autres commerçants, celles-ci auront pour effet de soustraire la valeur
économique du fonds de commerce à son propriétaire si bien qu'elles peuven t se
révéler dangereuses pour les créanciers du bailleur ou de l'apporteur de fonds.
Dans le premier cas, la menace s'autorise de la mise en péril des créances par
un changement d'exploitant tandis que, dans le second cas, l'inconvénient paraît être
(1)
Article 414 alinéa 1 du COCC : Divers modes de consignation:
"Après mutation, au registre du commerce, à défaut de distribution amiable et sur la
sommation de tout créancier dans les 15 jours francs qui la suivent, l'acquéreur doit consigner
entre les mains du .tiers désigné par le juge la portion exigible du prix et le surplus au fur et
à mesure de son exigibilité".
(2)
V. article 414 alinéa 1 du COCC précité.
283
Lorsque la double condition relative, d'une part, à la compromission du
recouvrement des dettes du bailleur et, d'autre part, à la relation des dettes avec
l'exploitation du fonds de commerce est réunie suite à la mauvaise gestion du nouvel
exploitant, le juge pourra prononcer l'exigibilité immédiate de la dette du bailleur qui
bénéficie, de la sorte, d'un moyen de protection de son droit de créance menacé par
un changement de débiteur..
Une telle menace peut être aussi perçue lorsque le fonds de commerce fait
l'objet d'un apport en société.
II - LES CREANCIERS DE L'APPORTEUR DE FONDS DE COMMERCE EN
SOCIETE
L'apport du' fonds de commerce en société peut' être conçu comme une
opération consistant à faire fructifier le capital d'une société en constitution ou déjà
existante (article 430 du COCC).
Lorsqu'un tel transfert est réalisé, cela peut entraîner le déplacement d'un
important mouvement de valeurs préjudiciable au gage des créanciers de l'apporteur.
Pour éviter cet inconvénient, le législateur a, non seulement, soumis ce transfert
à des formalités de publicité(l), mais encore, et surtout, il a accordé aux créanciers
chirographaires une action en responsabilité solidaire contre le débiteur principal et la
société(2).
(1)
V. Article 432 du COCC: Protection des droits des créanciers:
Ali néa 1 :" Dans les 10 jours de la dernière en date des publications prévues à l'article 400,
tout créancier non inscrit de l'associé apporteur fera connaître au greffe du tribunal où 'est tenu
le registre du commerce où est inscrit le fonds, sa qualité de créancier et la somme qui lui est
due".
(2)
V. Article 432 du cacc : Alinéa 2 :
"A défaut par les associés ou l'un d'eux de former dans la quinzaine suivante une demande
en annulation de la société ou de l'apport, ou si l'annulation n'est pas prononcée, la société
est tenue, solidairement avec le débiteur principal, au paiement du passif'.
284
La nécessité d'assurer une protection aux créanciers chirographaires peut être
d'au tant plus ressentie qu'il apparaît, à la lumière de la première disposition(l)
combinée avec l'article 405 du COCC(2) qu'il existe d'autres créanciers bénéficiant
d'un droit de préférence en vertu de leur inscription sur le fonds de commerce.
Le mécanisme de protection des créanciers chirographaires est alors déclenché
à partir d'une formalité d'inscription auprès du greffier pour que celui-ci puisse retenir
leur qualité de créancier et la somme qui leur est due(3).
Cette formalité d'inscription paraît d'autant plus eftïcace qu'elle permet, dans
le même temps, d'informer les associés de l'apporteur du fonds de commerce qui sont,
à leur tour, protégés dans la mesure où le législateur leur permet de demander
l'annulation de la société ou de l'apport(4) qui conduit à la reprise des engagements
par les associés(5). Cependant, cette dernière protection concernant les associés est
limitée par le fait qu'ils doivent agir dans un bref délai évalué à 15 jours.
Par contre, plus caractéristique est la protection accordée aux créanciers de
l'apporteur du fonds de commerce en société dans le cas où la société n'est pas
annulée. Ainsi, lorsqu'une telle situation se présente, le législateur autorise
expressément les créanciers de l'apporteur à engager la responsabilité solidaire de la
société avec le débiteur principal qui seront tenus au paiement des dettes(6). Un tel
mécanisme solidaire tient compte du facteur de changement de débiteur dû à l'apport
(1)
V. article 432 alinéa 1 du COCC précité.
(2)
V. supra, L'opposition au règlement du prix de cession du fonds de commerce (Voir
notamment p.279 note 3).
(3)
V. article 432 alinéa 1 du COCC précité.
(4)
V. art. 432 alinéa 2 du COCC précité.
(5)
En droit français: sur cette question, v. Yves CHAPUT, Droit des sociétés, Collection Droit
Fondamental, PUF, 1ère édition, juillet 1993, n° 88 et sillv., p. 52 et s.
(6)
V. article 432 alinéa 2 du COCC précité.
285
en société du fonds de commerce. Par suite, il contribue, en définitive, à renforcer la
protection des créanciers de l'apporteur du fonds de commerce qui pourront ainsi
s'adresser indifféremment au débiteur principal ou à la société.
286
Conclusion du Chapitre 1
Il est possible d'affIrmer que c'est l'état de vulnérabilité juridique et
économique qui justifie la protection individuelle des contractants et des tiers
puisqu'une telle conclusion peut être désormais tirée à l'appui des règles organisant la
protection des incapables, des illettrés, de l'acheteur ou du locataire-gérant du fonds
de commerce, et des créanciers du fonds.
S'agissant de l'état de vulnérabilité juridique, encore qu'il soit certain que les
moyens mis en oeuvre soient aptes à assurer la protection des personnes bénéficiaires,
il convient de préciser en outre que le résultat obtenu vise surtout à assurer la défense
de leurs intérêts économiques.
S'agissant de l'état de vulnérabilité économique lié àux opérations sur le fonds
de commerce, nous sommes parvenus, grâce à l'examen des règles organisant la
protection des parties et des tiers, à la certitude suivant laquelle c'est l'importance
économique et/ou juridique de ce précieux bien qui justifie le choix des personnes à
protéger.
Mais est-il suffIsant de choisir seulement des personnes à protéger lorsque l'on
,
tend à la plénitude de l'ordre public économique ?
Nous ne le pensons pas puisqu'en l'absence de moyens de protection, la
protection ratione personae risque de devenir fragile. D'où la nécessité de compléter
le choix des personnes à protéger par un autre choix concernant les moyens de
protection.
287
CHAPITRE II - CHOIX DES MOYENS DE PROTECTION
Pour assurer l'effectivité de la protection accordée à la vulnérabilité des
contractants et des tiers, le contrat de même que les obligations qu'il peut générer,
doivent être soumis à des moyens de contrôle. Ces moyens de contrôle sont marqués
à la fois par un caractère préventif et un caractère réactif.
D'abord, le contrôle préventif aura recours à un ensemble de mesures
autori taires telles que l'interdiction, l'autorisation, l'information préalable et la publicité
qui ont surtout pour but d'introduire un formalisme de protection dans les contrats qui
font l' 0 bjet d'une surveillance de la part du législateur.
Ensuite, le contrôle réactif s'attaque aux effets de l'obligation découlant du
contrat dont l'accomplissement peut nuire aux intérêts des contractants et des tiers. De
ce fait, on permet à ces derniers de réagir postérieurement soit pour solliciter
l'anéantissement de l'obligation, soit sa réduction, soit enfin son inopposabili lé. L'on
découvrira, chemin faisant, que cette réaction postérieure par la réduction ou
l'inopposabilité de l'obligation ayant pour objet de neutraliser partiellement celle-ci,
aura pour conséquence majeure directe de sauver le lien contractuel qui est un facteur
d'épanouissement du tissu économique.
Et il semble que la technique de l'anéantissement de l'obligation ne soit pas
incompatible avec ce dernier objectif dans la mesure où le caractère relatif de la nullité
prévue(l) doit pouvoir facilement s'accommoder d'une possibilité de régularisation.
Par quels mécanismes le contrôle préventif et le contrôle réactif s'expriment-ils
en matière de protection de la vulnérabilité des acteurs économiques?
(1)
V. article 275 alinéa 1 du Code de la famiIle : sanction des incapacités:
"L'acte passé contrairement aux règles de protection des incapables est frappé de nullité
relative... ".
288
La réponse à cette interrogation permet d'affirmer que si le contrôle préventif
s'exprime par une protection a priori (Section 1) ; par contre, le contrôle réactif doit
s'analyser en une protection a posteriori (Section II).
SECTION 1 . PROTECTION A PRIORI
La protection a priori consiste à prendre des mesures autoritaires nécessitant
généralement l'utilisation d'un formalisme rigoureux de protection.
Le degré de l'autorité contenue dans ces mesures peut varier notamment en
fonction de la nature des actes et de la qualité d'un contractant.
D'abord, la prise en compte de la nature des actes fait appel, en matière de
protection des incapables, à deux techniques que sont l'intèrdiction et l'autorisation.
A cet égard, le formalisme de l'interdiction s'opposant purement et simplement à la
passation d'un acte fait qu'il est plus rigoureux que celui de l'autorisation qui
subordonne seulement sa passation à l'accord de l'autorité publique.
Ensuite, la prise en compte de la qualité d'un contractant fait en outre que celui-
ci peut être protégé 'par la technique de l'information préalable ou de la publicité.
Ainsi, dans le premier cas, l'information préalable consistera seulement à informer un
contractant, en l'occurrence, l'acheteur de fonds de commerce, tandis que, dans le
second cas la publicité sera surtout destinée à renseigner les tiers qui n'en ont pas
moins la qualité de contractant vis-à-vis d'une partie à l'acte.
Tout compte fait, quelles que soient la nature de l'acte ou la qualité d'un
contractant, l'intérêt qui nous paraît primordial, c'est la recherche du but de tous ces
formalismes protecteurs. Dans cette optique, il conviendra de le mettre en exergue en
analysant successivement l'interdiction (Sous-Section 1), l'autorisation (Sous-Section
II), l'information préalable (Sous-Section III) et enfin la publicité (Sous-Section IV).
289
Sous-Section 1 - L'INTERDICTION
L'interdiction peut être conçue comme un moyen visant à empêcher la passation
d'un acte juridique qui nuit aux intérêts économiques des personnes incapables. Dans
cet ordre d'idées, elle peut découler de l'article 330 du Code de la famille qui dispose
que "le tuteur et le subrogé tuteur ne peuvent ni acheter les biens du mineur, ni
accepter la cession d'aucun droit contre le pupille".
Le domaine de cette interdiction touchant le tuteur doit pOUVOIr en outre
s'étendre à l'administrateur légal dans la mesure où les actes interdits au tuteur le sont
également à l'administrateur légal(1).
Relati vement aux actes, il est permis de relever deUx catégories qui font l'objet
d'une interdiction (article 330 c.F.), et dans tous les cas, ces actes apparaissent comme
les plus dangereux pour lesquels aucune garantie n'a été jugœ suffisamment
protectrice(2).
D'abord, la première catégorie est représentée par l'interdiction d'achat des
biens des incapables qui paraît surtout être commandée par la nécessité d'éviter le
contrat avec soi-même. En effet, lorsqu'une telle situation se produit, le représentant
de l'incapable agit avec deux qualités différentes comme représentant d'autrui et en
son nom personncl(3).
Ensuite, la deuxième catégorie d'actes est constituée par l'interdiction d'accepter
la cession d'aucun droit contre le pupille. Dans ce cas, à défaut de précision sur la
(1)
V. article 302 alinéa 3 du Code de la famille:
"Les actes interdits· au tuteur le sont également à l'administrateur légal".
(2)
En droit français, v. A. WEIL, Droit civil. Les Personnes - La Famille - Les Incapacités,
Précis Dalloz, 1993, 5ème édition, n° 855, p. 849.
(3)
J;:n droit français, v. Jean CARBONNIER, Droit civil 4. Les Obligations, 13ème édition, 1988,
Collection Thémis, PUF n° 55, p. 228.
290
nature des droits incessibles, on peut raisonnablement penser que l'interdiction aura
vocation à s'appliquer chaque fois que les intérêts économiques du pupille sont mis
en cause.
Au surplus, il est permis de penser que la protection édictée par l'article 330
du Code de la famille qui contient cette règle étant de portée générale, elle doit
pouvoir s'appliquer non seulement à une pluralité de personnes mais encore à une
pluralité d'actes. Par suite, on peut dire que la technique de l'interdiction constitue
positivement la mesure la plus restrictive permettant de sauvegarder l'intégrité du
patrimoine des incapables.
Un tel souci de protection peut être relevé à propos d'autres opérations. Mais
dans ces cas, on note un assouplissement de la technique de protection qui prend alors
la forme d'une autorisation.
Sous-Section Il - L'AUTORISATION
L'autorisation peut être surtout comprise comme un moyen permettant au juge
des tutelles d'exercer le contrôle dévolu aux pouvoirs publics sur l'accomplissement
de certains actes confiés aux organes de la gestion tutélaire.
La technique de l'autorisation prend racine dans l'article 302 du Code de la
famille qui soumet à l'autorisation du juge des tutelles des actes comme la vente de
gré à gré, l'apport en société d'un immeuble ou d'un fonds de commerce appartenant
au mineur, la renonciation pour le mineur à un droit et l'accord à un partage amiable.
S'il n'est point douteux que ce contrôle s'applique à l'administrateur légal et
au tuteur légal du mineur(l), on doit, au surplus, admettre que son domaine
d'application s'étend au majeur en tutelle par renvoi de l'article 353 alinéa 1 du Code
(1) V. articles 302 et 329 du Code de la famille.
291
de la famille qui dispose expressément que "sont applicables à la tutelle des majeurs
les règles prescrites par le chapitre 3 du Titre 1 du présent livre sur la tutelle des
mineurs". Il s'ensuit que la nature des actes visés autorise à penser que ce sont des
actes graves qui peuvent avoir des conséquences pécuniaires aussi bien sur le
patrimoine des majeurs incapables que sur celui du mineur une fois que celui-ci
atteindra la majorité civile. La gravité des actes se justifie par le fait que ce sont des
actes de disposition qui nécessitent alors des restrictions par le biais de la procédure
de l'autorisation du juge des tutelles. Dans cette optique, la technique de l'autorisation
aura vocation à s'exercer chaque fois qu'il s'agit d'actes d'aliénation, c'est-à-dire de
transmission de droits(1) mais encore de renonciation à un droit. Dans ce dernier
cas, la jurisprudence française enseigne que "l'acte par lequel les parents de la victime
d'un viol ont déclaré d'un commun accord renoncer à toute indemnité en réparation
du préjudice subi par leur fille moyennant le versement d'une certaine somme d'argent,
constitue une renonciation à un droit dont la validité est subordonnée à l'autorisation
du juge des tutelles"(2).
De telles restrictions frappant l'administrateur légal ont des raisons de
s'appliquer aux administrateurs d'une tutelle puisque ce sont des actes de disposition
qui sont, par analogie, visés par l'autorisation édictée par l'article 329 alinéa 2 du
Code de la famille(3). Dans cette hypothèse, cette fois-ci, il appartient, soit au juge
(1)
J.P. TOSI, op. cit. n° 211, p. 87.
(2)
Voir dans ce sens, en droit français, Casso ch. mixte, 29 janvier 1971, Dalloz 1971, p. 301,
Conclusion LINDON; note 1. HAUSER et E. ABITBOL; JCP 197 1. II, n° 16718 ; Rev. trim.
dr. civ., 1971, p. 816, observations NERSON.
Comp. Reims, 23 octobre 1975, Dalloz 1976, sommaire p. 40 : incompétence du tribunal de
grande instance pour homologuer ou entériner une transaction passée cntre le père de la
. victime d'un accident de la circulation et la Compagnie d'assurances, même si l'acte est
qualifié de protocole d'accord.
Doct. V. Louis BARBIER, L'administrateur légal pur et simple peut-il transiger sans
autorisation du juge des tutelles? Gaz. Pal., 1971,II, Doctrine p. 382.
(3)
Ces actes sont: "la renonciation à une succession ou l'acceptation pure et simple de celle-ci
; l'acceptation d'une donation ou d'un legs particulier grevés d'une charge; le partage de
biens appartenant indivisément au mineur, une décision du juge des tutelles ou une
délibération particulière du conseil de famille pouvant imposer le partage judiciaire; l'exercice
en demande ou en défense des actions relatives à des droits qui ne sont pas patrimoniaux;
293
L'indication de telles mentions obligatoires devant nécessairement intervenir
,
-
préalablement à l'acte de cession définitive constaté par l'inscription au registre du
commerce faite par le greffier, elle constitue alors un moyen de protection a priori de
la vulnérabilité économique et juridique de l'acquéreur de fonds de commerce.
Cette idée de protection peut s'étendre aux tiers à un contrat. Mais dans ce
dernier cas, le législateur a choisi la technique de la publicité qu'il convient d'étudier.
Sous-Section IV - LA PUBLICITE
On peut concevoir la publicité comme la technique destinée à porter
, préalablement à la connaissance des tiers des opérations relatives à certains contrats.
A cet égard, cette technique a été largement prévue pour les opérations relatives au
fonds de commerce où un ensemble de règles ont été aménagées en vue d'assurer la
protection des créanciers en cas de vente ou de location-gérance dudit fonds. Une telle
protection vise surtout à sauvegarder les droits de créance des tiers intéressés à
l'activité du fonds de commerce. Il s'ensuit que, pour que ces derniers puissent
utilement intervenir, il faut que certaines informations capitales relatives au fonds de
commerce puissent être portées à leur connaissance. Cela paraît d'autant plus
indispensable que le s,uccès des prétentions des créanciers est largement conditionné
soit par la publication de l'acte de mutation du fonds de commerce(1), soit par la
publication des apports en société du fonds(2).
En somme, il s'agira de vérifier la certitude des démonstrations précédentes à
travers, d'une part, la publicité de l'acte de vente du fonds de commerce (1) et, d'autre
part, la publicité de l'apport du fonds de commerce en société (II).
(1)
V. articles 399 et suivants du cace.
(2)
V. articles 430 à 432 du cace.
293
L'indication de telles mentions obligatoires devant nécessairement intervenir
préalablement à l'acte de cession définitive constaté par l'inscription au registre du
commerce faite par Je greffier, elle constitue alors un moyen de protection a priori de
la vulnérabilité économique et juridique de l'acquéreur de fonds de commerce.
Cette idée de protection peut s'étendre aux tiers à un contrat. Mais dans ce
dernier cas, le législateur a choisi la technique de la publicité qu'il convient d'étudier.
Sous-Section IV - LA PUBLICITE
On peut concevoir la publicité comme la technique destinée à porter
préalablement à la connaissance des tiers des opérations relatives à certains contrats.
A cet égard, cette technique a été largement prévue pour les opérations relatives au
fonds de commerce où un ensemble de règles ont été aménagées en vue d'assurer la
protection des créanciers en cas de vente ou de location-gérance dudit fonds. Une telle
protection vise surtout à sauvegarder les droits de créance des tiers intéressés à
l'activité du fonds de commerce. Il s'ensuit que, pour que ces derniers puissent
utilement intervenir, il faut que certaines informations capitales relatives au fonds de
commerce puissent être portées à leur connaissance. Cela paraît d'autant plus
indispensable que le s,uccès des prétentions des créanciers est largement conditionné
soit par la publication de l'acte de mutation du fonds de commerce(1), soit par la
publication des apports en société du fonds(2).
En somme, il s'agira de vérifier la certitude des démonstrations précédentes à
travers, d'une part, la publicité de l'acte de vente du fonds de commerce (1) et, d'autre
part, la publicité de l'apport du fonds de commerce en société (II).
(1)
V. articles 399 et suivants du cace.
(2)
V. articles 430 à 432 du cace.
295
qui seront, par conséquent, en mesure de connaître l'existence du contrat de vente et
les conditions dans lesquelles il a été conclu(!).
Cependant, il convient de relever que l'efficacité de ces mesures publicitaires
de protection pourrait être limitée à cause de la règle selon laquelle la vente de fonds
de commerce se forme et se prouve librement(2).
Le problème n'avait pas échappé à M. CHABAS qui faisait remarquer, avec
juste raison, que la mesure de publicité est un acte qui ne peut s'effectuer que parce
qu'un écrit aura été préalablement aménagé(3).
Aussi bien, la conciliation de l'article 395 alinéa 1 du COCC et l'article 399 du
COCC précité avait conduit l'éminent auteur à proposer la résolution de la difficulté
par l'interprétation du premier texte comme consacrant plutôt une promesse de vente
qui ne deviendrait vente qu'après l'inscription de la mutation de propriété au registre
du commerce du nouveau propriétaire après radiation de l'inscription du vendcur(4).
Une telle interprétation doctrinale s'appuie essentiellement sur la règle selon laquelle
c'est l'inscription, acte écrit, qui confère à l'acquéreur après publication au registre du
commerce, un droit inattaquable sur le fonds de commerce (article 395 et 396 du
COCC).
Au demeurant, dans un souci de cohérence, il nous paraît souhaitable de lege
ferenda de procéder au toilettage de l'article 395 alinéa 1 du COCC qui demeure
(1)
Voir dans ce sens, Trib. régional de Dakar, 25 mai 1991, HACHEM cl M'HAMDI, Rev.
EDJA, n° 21, pp. 13 à 18 :
"Attendu que les formalités de publicité ont été uniquement organisées dans l'intérêt des
créanciers du vendeur, qu'elles visent à protéger contre les cessions clandestines".
Doel. v. Jean CHABAS, op.cit. p. 36 ; Amadou FAYE, op. cH. pp. 15 et 16.
(2)
V. article 395 alinéa 1 du COCc.
(3)
Jean CHABAS, op. cil. p. 27.
(4)
V. article 396 du COCc.
Doel. V. Jean CHABAS, op. cit. p. 28.
296
superfétatoire eu égard à l'article 382 du COCC qui, définisant l'avant-contrat, a pris
soin de régir d'emblée la promesse synallagmatique de contrat de vente de fonds de
commerce(l) à laquelle M. CHABAS se réfère pour certainement justifier le
maintien de l'article 395 alinéa 1 du COCC précité.
La conclusion attendue de cette proposition de lege ferenda est que le législateur
sénégalais y gagnerait plus en clarté et en cohérence dans le domaine de la protection
de l'acte de vente du fonds de commerce qui concerne plus spécifiquement, dans notre
perspective, celle des créanciers. A cette fin, pourquoi ne pas concevoir un nouvel
article 395 du COCC rédigé en ces termes:
Article 395 du COCC : Publicité de la vente.
"La vente de fonds de commerce se forme et se prouve par un acte écrit,
enregistré, publié et qui doit être inscrit au Registre du commerce".
En attendant une telle réforme, il convient d'examiner le second volet de la
protection des tiers en cas d'apport en société du fonds de commerce.
II - LA PUBLICITE DE L'APPORT DE FONDS DE COMMERCE EN
SOCIETE
Encore qu'il nous soit donné l'occasion de démontrer que l'inconvénient majeur
de l'apport de fonds de commerce en société est d'entraîner un déplacement
d'importants mouvements de valeurs préjudiciables aux créanciers de l'apporteur(2),
il paraît utile de préciser en outre que la protection de ces créanciers peut être assurée
grâce à des formalités de publicité qui permettront d'informer les tiers, et
subséquemment, de réagir pour défendre leurs intérêts économiques. Dans cette
(1)
Article 382 du COCC : Avant contrat:
"L'acte par lequel les parties s'engage, l'une à céder, l'autre à acquérir un droit sur
l'immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat.
Elle oblige l'une et l'autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l'inscription du
transfert du droit à la conservation de la propriété foncière".
(2)
V. supra, p.
lln et suivantes.
297
perspective, le législateur s'est soucié de la protection par information des droits des
créanciers dans la mesure où tout créancier non inscrit de l'associé apporteur pourra
faire connaître, dans les dix jours de la dernière en date des publications prévues à
l'article 400 du COCC(l), sa qualité de créancier et la somme qui lui est due(2).
La réalisation de ces formalités de pu blicité doit avoir pour effet de renseigner
les créanciers sur la situation de leur droit de gage et, de ce fait, elles pourront
contribuer efficacement à renforcer les garanties du créancier non inscrit lorsqu'il
engagera la responsabilité solidaire du débiteur principal avec la société.
Nous venons ainsi de montrer que les mécanismes de protection a priori d'un
contractant ou d'un tiers se déroulent dans le premier cas, soit par l'interdiction, soit
par l'autorisation, soit enfin par l'information préalable, et dans le second cas, par la
publicité.
Au surplus, il convient de remarquer que, si par extraordinaire, ces techniques
de proteciton n'ont pas pu être mises en oeuvre, le législateur vicnt toujours au secours
des personnes qu'il protègc en leur accordant des moyens de protection a posteriori
que nous examinons à présent.
(1)
V. article 400 du COCC : Annonces légales.
Alinéa 1 : "Dans un délai de 15 jours francs à compter de sa date la convention est publiée
à la diligence de l'acquéreur, sous .forrne d'extraits ou d'avis dans un journal habilité à
recevoir des annonces légales et paraissant dans le lieu où le vendeur est inscrit au registre du
commerce".
Alinéa 3 : "La publication sera renouvelée du huitième au seizième jours après la première
insertion".
(2)
V. article 432 alinéa 1 du COCc.
298
SECTION II - PROTECTION A POSTERIORI
La protection a posteriori marque la réaction postérieure des contractants et des
tiers qui pourront ainsi neutraliser l'obligation découlant du contrat portant atteinte à
leurs intérêts.
Comment s'opère alors ce mécanisme de protection?
Le choix du mécanisme de protection dépendra ici de la qualité des personnes
à protéger. Ainsi, il apparaît que si les contractants peuvent demander soit
l' anéantissemen t de l'obligation (Sous-Section 1), soit la réduction de l'obligation
(Sous-Section II) ; par contre, les tiers, eux, en dehors des cas de nullité absolue, ne
peuvent que solliciter l'inopposabilité de l'obligation (Sous-Section III).
Sous-Section 1 - L'ANEANTISSEMENT DE L'OBLIGATION
L'anéantissement de l'obligation peut résulter de l'article 275 alinéa 1 du Code
de la famille(l). De ce fait, il peut être conçu comme une technique visant à
neutraliser un acte passé contrairement aux règles de protection des incapables.
A cet égard, la combinaison du texte précité avec l'article 86 du COCC(2)
permet de retenir des causes de nullité comme les vices du consentement, l'absence
de cause, les incapacités de protection et la lésion, si bien qu'il en découlera la
nécessité d'étudier les causes justifiant l'anéantissement de l'obligation (1). Par suite,
(1)
V. article 275 alinéa 1 du Code de la famille: Sanctions des incapacités.
"L'acte passé contrairement aux règles de protection des incapables est frappé de nullité
relative suivant les dispositions des articles 86, 92 et 95 du Code des Obligations civiles et
commerciales" .
(2)
V. article 86 du COCC : Nullité relative.
"La nullité relative résulte de l'inobservation des règles destinées à assurer la protection d'un
intérêt privé, telles que les dispositions concernant les vices du consentement, l'absence de
cause, les incapacités de protection et la lésion".
299
nous nous intéresserons aux résultats produits par cette annulation en évoquant les
conséquences de l'anéantissement de l'obligation (II).
1 - LES CAUSES JUSTIFIANT L'ANEANTISSEMENT DE L'OBLIGATION
Ces causes concernent particulièrement, d'une part, les représentants des
incapables qui peuvent méconnaître l'interdiction ou l'autorisation de passer des actes
qu'on leur impose(l) et, d'autre part, la personne même de l'incapable dans le cas
où il est habilité à passer seul des actes.
Dans le dernier cas, le souci d'assurer l'effectivité de la protection des
incapables a conduit le législateur à leur conférer les moyens de protection du droit
commun tels que les vices du consentement et l'absence de cause pouvant être
invoqués par n'importe quel contractant (article 86 du CaCe).
Il s'y ajoute que la situation particulière du mineur a été prise en compte dans
la mesure où celui-ci peut faire prononcer la nullité relative si un acte en cause lui a
été préjudiciable (art. 275 alinéa 1 Cf). Toutefois, il faut préciser que cette lésion n'est
pas nécessaire pour l'annulation des actes irréguliers pour vice de forme (art. 275
alinéa 2 Cf).
Dans l'hypothèse où la lésion est constatée, elle n'ouvre droit, en principe, à
aucune action dans la mesure où il est de l'essence des affaires que tout contrat peut
procurer aux acteurs économiques de bonnes ou de mauvaises raisons de s'estimer
lésés(2).
Cependant, la dérogation accordée au mineur pouvant agir sur le fondement de
la lésion doit être comprise comme une raison supplémentaire de protection de sa
(1)
V. supra, Choix des moyens de protection a priori.
(2)
D. MARTIN, op. cit. n° 275, p. 70.
300
vulnérabilité juridique et économique que le législateur prend en compte. A cet égard,
il précise que le mineur ne peut faire prononcer une nullité relative que s'il est lésé,
c'est-à-dire, s'il subit un déséquilibre des prestations promises au moment de la
formation du contrat (article 75 du COCC).
Un tel déséquilibre doit s'apprécier en fonction de critères de rentabilité
économique car, comme le souligne avec pertinence, M. MARTIN(l), "il est
courant que, dans une opération juridique concrétisée par un contrat, le bien qui en
forme l'enjeu soit surévalué ou sous-estimé, aux dépens d'une partie (exemple: tel
bien est vendu trop bon marché ou acheté trop cher)".
Au surplus, il faut préciser, dans cet ordre d'idées, que le mineur n'aura intérêt
à agir en nullié que lorsque l'objet de l'opération lui porte un préjudice de nature
économique.
Tout compte fait, lorsque l'une de ces causes peut être valablement soulevée par
l'incapable qui s'en prévaut, il s'ensuivra l'anéantissement de l'acte dont il convient
d'examiner les conséquences.
II - CONSEQUENCES DE L'ANEANTISSElVIENT DE L'OBLIGATION
,
Le caractère relatif de la nullité édictée par le législateur (article 86 du COCC)
permet de dire que l'anéantissement de l'obligation aura des conséquences aussi bien
sur les personnes pouvant agir (A) que sur les actes dont l'annulation est requise (B).
(1)
D. MARTIN, op. ciL, nO 275 p. 70.
301
A - Conséquences liées aux personnes pouvant agir
Du fait de l'admission quasi-unanime du caractère relatif de la nullité(l)
résultant expressément des dispositions en vigueur(2), lorsqu'une telle cause de
nullité est invoquée par l'incapable, il paraît normal et logique de lui accorder, dans
le même temps, une possibilité de confirmation offerte par l'article 88 du
COCC(3).
Pourtant, il apparaît à la lumière de l'art. 275 alinéa 1 du Code de la famille
précité qu'une' telle possibilité n'est pas envisagée pour l'incapable.
Une telle option législative est-elle délibérée? Ou encore résulte-t-elle d'une
omission comme c'est souvent le cas ?(4).
A la vérité, si on s'appuie sur l'article 362 du Code de la famille précisant le
régime de l'action en nullité de l'acte passé par le majeur en curatelle, l'on se rend
positivement compte qu'il est non seulement fait référence à l'article 87 du COCC
relatif à la prescription, mais encore et surtout qu'une faculté d'approbation est ouverte
(1)
En droit français, v. A. WEIL et F. TERRE, op. cit. n° 875, p. 866 ; Yves REINHARD, op.
cit. n° 275, p. 222.
Contra: J.P. TOSI, op. cit. n° 208, p. 86. En effet, cet auteur ne paraît même pas s'intéresser
à cette question puisque, selon lui, "les incapacités de protection sont des présomptions de vice
du consentement".
Pour une application de la relativité du caractère de la nullité édictée dans l'article 275 c.P.,
v. C.A. Dakar, n° 265 du 20 mai 1983, El H. D. DIOP, C/A. NGOM, Revue EDJA, sept.-oct.
1987, p. 17 et suiv. En l'espèce, il a été jugé que: "il résulte des articles 275 et suivants du
Code de la famille que la nullité dont s'agit ne pourrait s'agir que d'une nullité relative; qu'en
conséquence, cette règle de protection des mineurs ne peut être invoquée que par le seul
intéressé actuellement majeur".
(2)
V. article 275 alinéa 1 du Code de la famille précité.
(3)
J.P. TOSI, op. cit. n° 339, p. 126.
(4)
Sur cette question, v. Isaac Y. NDIAYE, L'art de mal légiférer, Rev. Ass. sén. de dr. pén. n°
2, juillet-décembre 1995, p. 53 et suiv.
302
au curateur(l). De <cette règle, on peut déduire que le curateur peut confirmer l'acte
irrégulier dans le~ conditions précisées par l'article 88 du COCC(2). Par suite, on
peut dire, à la lumière de l'article 362 du CF précité, que l'énumération des
dispositions contenues dans l'article 275 alinéa 1 CF n'est faite qu'à titre
indicatif(3). Ce qui rejoint, en définitive, l'interprétation juste de M. TaS!.
Si, par extraordinaire, cela n'avait pas été la volonté du législateur, on pourrait
penser que ce dernier a péché par la méthode suivie de l'énumération qui laisse
généralement de côté des dispositions essentielles.
Dans tous les cas, une reformulation de l'article 275 alinéa 1 du CF s'impose
en ces termes: Article 275 : Sanction des incapacités:
"L'acte passé contrairement aux règles de protection des incapables est
frappé de nullité relative suivant les dispositions de la partie générale du
Code des Obligations civiles et commerciales".
De ce fait, on pourrait corriger la mauvaise rédaction de la disposition précitée
par une référence, non plus à l'énumération limitative de certaines dispositions, mais
(1)
V. article 362 alinéa 2 du Code de la famille: Annulation:
"L'action en nullité s'éteint dans le délai prévu à l'article 87 du COCC, ou même avant
l'expiration de ce délai par l'approbation que le curateur a pu donner à l'acte".
(2)
V. article 88 du COCC : Confirmation:
"L'acte: entaché de n~lIité relative peut être confirmé expressément ou tacitement par la
personne qui pouvait en demander l'annulation. La confirmation doit avoir lieu en
connaissance de cause et apr~s la cessation des vices. La conftrm'ation fait disparaître
rétroactivement le vice originaire, sans préjudice du droit des tiers".
DOCL En droit français, v, Gérard COUTURIER, La confirmation des actes nuls, Bibliothèque
de droit privé, T. 121, LGDJ, 1972, Préface Jacques FLOUR.
(3)
En tout cas, le juge sénégalais n'a pas manqué de se référer à l'article 87 du COCC (pourtant
non visé par l'énumération de l'article 275 CF) pour retenir la prescription de l'action en
nullité dès lors que "le neveu qui est étudiant en langue arabe et connaît donc les arcanes du
droit musulman se prévaut sans restriction aucune de l'achat fait à son profit par son oncle",
voir dans ce sens, c.A. Dakar, n° 265 du 20 mai 1983 précité.
303
bien plus à l'ensemble du corpus législatif relatif à la nullité relative qui produit aussi
des effets sur les actes.
B - Conséquences liées aux actes
Au Sénégal, le législateur a cru devoir se limiter aux conséquences de l'acte
annulé puisqu'il fait expressément référence à la restitution par l'incapable(l) et au
maintien du contrat résultant de la mise en jeu de la responsabilité(2).
La restitution peut être conçue comme la mesure logique qUI accompagne
l'anéantissement d'un contrat faute duquel les prestations doivent être intégralement
remboursées(3) .
La nécessité de prendre en compte la protection accordée à l'incapable a conduit
le législateur à adopter la règle suivant laquelle "l'incapable n'est tenu à restitution que
dans la mesure de son enrichissement"(4). Une telle règle paraît être justifiée par
le fait que si l'on imposait à l'incapable, pour obtenir la restitution de ce qu'il a reçu,
de rendre, soit en nature, soit par équivalent, ce qu'il a reçu, la protection que la loi
a voulu lui accorder serait pratiquement illusoire(5). Au surplus, la règle posée par
l'article 92 du COCC mérite d'être approuvée puisqu'elle doit inviter à plus de
prudence le cocontractant de l'incapable qui pourrait être ainsi privé d'une partie de
(1)
V. article 92 du COCC : Restitution par l'incapable:
"L'incapable est tenu à restitution dans la mesure de son enrichissement".
(2)
V. article 95 du COCC : Responsabilité entraînant maintien du contrat:
"Lorsque la nullité résulte de la faute de l'une des parties, celle-ci ne peut demander
l'annulation du contrat. Cependant, la simple déclaration de capacité ne constitue pas la faute
permettant le mai'"!tien du contrat".
(3)
V. article 91 du COCc.
(4)
V. article 92 du COCC précité.
(5)
En droit français, v. A. WEIL et F. TERRE, op. cit. n° 332, p. 345.
304
ses prestations si l'incapable les a gaspillées ou dilapidées(l). Ceci paraît d'autant
plus certain que c'est à celui qui demande la restitution de la chose remise à l'incapable de
prouver que la chose a tourné à son profit(2).
Relativem~n( 'au maintien du contrat découlant de la mise en jeu de la
responsabilité, lorsque la nullité résulte de la faute de l'une des parties, celle-ci ne peut
demander l'annulation
du
contrat(3).
Cette disposition
demeure
une réserve
classique qui s'applique à tous les contractants; l'essentiel est qu'on ne peut pas se
réfugier derrière sa propre faute pour invoquer la nullité d'un contrat. Une telle réserve
paraît d'autant plus logique que l'on peut facilement imaginer un contractant qui
invoque sa propre irnrnoralité(4) pour imposer la nullité à celui qui était de bonne
foieS).
En définitive, on perçoit, à la lumière de la ratio legis de l'article 92 du COCC,
un souci de protection de l'incapable qui a conduit le législateur à chercher à sauver,
à tout prix, le lien contractuel noué par les incapables.
Cette dernière remarque peut être perçue avec plus de netteté dans le cadre de
la réduction de l'obligation.
(1)
J.P. TOSI, op. cit. na 375, p. 137.
(2)
En droit français, v. par exemple, Civ. 26 novembre 1861, D.P. 1861, l, p. 490.
. Comp~ Req. 23 février' 1891, D.P. 1892.1. p. 29, sur le pouvoir souverain d'appréciation du
juge du fond.
(3)
V. article 95 du COCc.
(4)
En droit français. v. E. POISSON-DROCOURT, Les restitutions entre les parties consécutives
à l'annulation d'un contrat, Dalloz-Sirey, 1983, pp. 85 à 90, voir spéc. na 17, p. 87.
(5)
J.~~ TOSI, op. cit. na 349. p. 128.
Adde En droit français. v. A. WEIL et F. TERRE, op. cit. na 334, p. 346.
305
Sous-Section n . LA REDUCTION DE L'OBLIGATION
Malgré le contenu restrictif de l'article 275 alinéa 1 du CF qui ne retient comme
sanction que la nullité, il convient aussi d'étudier la réduction qui constitue une
sanction particulière caractérisée par le fait que, contrairement à la nullité qui vise à
anéantir l'acte juridique, elle a pour effet de s'attaquer à l'excès dans un acte
juridique(l) qui devra donc subsister, ne serait-ce que partiellement.
C'est ce que nous tenterons de montrer à travers, d'une part, la réduction de
l'obligation contractée par le mineur (1) et, d'autre part, la réduction de l'obligation
contractée par le majeur incapable (II).
1 - LA REDUCTION DE L'OBLIGATION CONTRACTEE PAR LE MINEUR
INCAPABLE
Cette réduction de l'obligation prend la forme d'une rescision pour lésion(2).
Malgré une approche pouvant laisser penser que l'annulation du contrat
s'assimile à sa rescision en matière de lésion(3), il nous semble qu'une telle
assimilation s'est faite contra legem puisque l'article 75 du COCC précité prévoit
respectivement ces deux sanctions(4). Il s'ensuit que lorsque le mineur est lésé, il
peut solliciter altemati vement l'anéantissement de l' obligation(5) ou bien sa rescision
(1)
V. article 364 du Code de la famille.
(2)
V. article 75 du cacc : La lésion:
"La lésion résultant du déséquilibre des prestations promises dans le contrat au moment de sa
formation n'entraîne la nullité ou rescision du contrat qu'en vertu d'une disposition expresse
de la loi".
(3)
J.P. TaSI, op. cit. n° 252, p. 99. Selon l'auteur, "la lésion entraîne l'annulation du contrat par
le juge, sa rescision".
(4)
J.P. TaSI, op. cit. n° 252, p. 100. Donc, l'auteur rectifie ainsi ses propos obscurs (voir note
2).
(5)
V. supra p. 298 et suivantes.
306
_en vertu d'une disposition expresse de la loi. Cette disposition législative
spéciale san~tionnant la lésion du mineur repose indubitablement sur le fondement
textuel de l'article 275 du Code de la famille(l) qui ne consacre que cette hypothèse
de lésion(2).
Le fondement protecteur de la technique de la rescision pour lésion peut être
perçu à la lumière des règles de formation du contrat dont les conditions de validité
relatives à l'objet du contrat(3) ne s'intéressent pas, en principe, au problème de
déséquilibre de l'objet des prestations.
Cependant, dans un souci de protection du mineur, il est fait échec à ce principe
par une prise en compte du déséquilibre de l'objet des prestations au détriment de ce
contractant.
Par suite, l'interventIon du législateur a consisté à retenir une sanction de
rescision du contrat pour lésion qui permet au juge de refaire le contrat en procédant
notamment à sa modification qui prend la forme d'une réduction des obligations du
mineur(4). Dans cette optique, en application de l'article 75 du COCC précité, le
(1)
Article 275 du Code de la famille: Sanctions des incapacités :
"L'acte passé contrairement aux règles de protection des incapables est frappé de nullité
relative suivant les dispositions des articles 86, 92 et 95 du cacC".
"Le mineur ne peut faire prononcer une telle nullité que s'il est lésé. La lésion n'est cependant
pas nécessaire pour l'annulation des actes irréguliers en la forme".
"Le représentant légal du mineur ne peut invoquer la lésion pour faire prononcer la nullité
d'un acte régulièrement passé dans]' exercice de ses fonctions".
(2)
J.P. TaSI, op. cil. n° 245, p. 97.
(3)
·Article47 du cacc: Enumération des conditions de validité du contrat:
"Sont requis pour la validité du contrat:
1 - Le consentement des parties.
2 " La capacité de contracter.
3 - Un objet déterminé et licite, formant la matière du contrat et des obligations.
4 - Une cause licite pour le contrat et les obligations qui en résultent".
(4)
Voir dans ce sens, en droit français, Paris, 10 juin 1964, JCP 1965.11, n° 13980 (Cas de
rescision du contrat d'enregistrement de ,disques que Johnny HALLYDAY avait, à l'âge de
16 ans, conclu avec la société Vogue à des conditions désavantageuses pour lui).
307
juge doit se placer objectivement du point de vue du résultat du déséquilibre
économique du contrat pour rétablir l'équilibre des prestations au profit du mineur. Ce
qui fait, en définitive, que la rescision pour lésion est une technique permettant de
réduire l'obligation contractée par un mineur dont on cherche à protéger les intérêts
économiques. Cette effet réducteur de l'obligation peut être également perçu lorsqu'il
s'agit du contrat passépar un majeur incapable.
II - LA REDUCTION DE L'OBLIGATION CONTRACTEE PAR LE MAJEUR
INCAPABLE
Elle est prévue par l'article 364 alinéa 1 du Code de la famille qui attribue une
action en réduction dont il précise notamment les cas d'ouverture et les conditions
d'exercice. Ainsi, aux termes de cette disposition, il apparaît que "dans les cas où
l'assistance du curateur n'était pas requise par la loi, les' actes que le majeur en
curatelle a pu faire seul peuvent être réduits en cas d'excès". Le caractère excessif de
l'acte a été précisé par la jurisprudence française qui a eu à retenir que l'excès peut
résulter d'une disproportion entre l'engagement et les revenus de l'incapable(1) ou
bien encore d'une disproportion entre le prix payé et la valeur de la chose(2).
Pour l'appréciation du déséquilibre de l'objet du contrat, l'alinéa 2 de l'article
1
364 précité montre la voie à suivre par le tribunal dans la mesure où celui-ci prendra
en considération la fortune de la personne protégée,la bonne ou mauvaise foi de ceux
qui auront traité avec elle, l'utilité ou l'inutilité de l'opération. Une telle formule
permet de penser que le tribunal disposera d'un large pouvoir d'appréciation de l'excès
de l'acte passé par l~ majeur incapable. Dans cette optique, le caractère utile ou inutile
semble constituer l'élément prépondérant d'appréciation dans la mesure où,
contrairement .à la lésion qui
suppose un
déséquilibre entre les avantages
réciproquement stipulés dans un cO,ntrat, la réduction pour excès se caractérise par
(1)
En droit français, voir dans ce sens, Req. 7 juillet 1902, D.P. 1902.1, p. 422.
(2)
Civ. 1er, 7 juin 1966, Dalloz 1966, p. 629, Rapp. ANCEL, lCP 1967.11, n° 15049, note
PLANCQUEEL ; Grands Arrêts lurispr. Civ. Dalloz, lOème édition, p. 716.
308
l'inutilité d'une dépense ou par une disproportion entre une dépense et les ressources
de la personne protégée(l). A cet égard, la réduction pour excès peut être conçue
comme une technique permettant au juge de protéger, d'une part, le majeur incapable
contre lui-même et, d'autre part, le majeur incapable contre les tiers.
, Par rapport à la protection contre l'incapable lui-même, lorsque celui-ci
engagera une dépense, le juge devra tenir compte de ses possibilités financières réelles
tirées de sa fortune pour aprpécier l'utilité ou non des sommes engagées.
Par rapport maintenant aux tiers, l'orientation donnée par le législateur au juge
consiste à prendre en compte leur bonne ou mauvaise foi. De ce fait, s'il se révèle que
le tiers est de mauvaise foi, question de fait laissée à la libre appréciation du juge,
celui-ci devra mesurer les conséquences de l'acte sur la fortune de l'incapable majeur
pour apprécier l'utilité ou l'inutilité de l'opération. Le cas'échéant, le contractant de
bonne foi ne subira pas l'action en réduction de l'acte excessif.
En somme, il est permis de constater que l'appréciation du juge prend en
compte aussi bien une démarche objective par l'analyse de l'utilité ou de l'inutilité de
l'opération, qu'une démarche subjective par l'examen de la bonne ou mauvaise foi. Ce
faisant, il pourra, d~ns un souci de protection de l'incapable majeur, réduire la partie
excessive d'un acte qui porte atteinte aux intérêts économiques de ce dernier. Il
s'ensuit que, dans le cas où l'action en réduction aboutit à la nullité partielle(2), on
peut dire qu'elle consacre un cas de nullité partielle pour déséquilibre de l'objet du
contrat(3).
(1)
En droit français, v. A. WEIL et F. 1ERRE, op. cit. n° 926, p. 917.
(2)
En effet, ]'~.tiçm en, r~ductio.n n~ peu,t .pastoujours aboutir à une réduction, à une nullité
partielle; il en est ainsi lorsque l'opération porte sur une chose non divisible; exemples:
achat d'un bijou de prix, location d'un appartement de luxe; l'action en réduction aboutit
alors nécessairement à une annulation totale.
Sur cette question, v. en droit frànçais, A. WEIL et F. TERRE, op. cit. n° 926, p. 917.
(3)
J.P. TOSI, op. cit. n° 251, p. 99.
309
Cependant, dans certaines situations, encore que l'acte puisse subsister
entièrement, cela n'empêche pas la protection d'un tiers par le biais de l'inopposabilité
de l'obligation.
Sous-Section III - L'INOPPOSABILITE DE L'OBLIGATION
Cette technique de protection concerne les personnes qui peuvent avoir un
intérêt au bon déroulement des opérations relatives au fonds de commerce. A cet
égard, l'opération essentielle concerne le transfert de propriété du fonds de commerce
dont la valeur économique constitue un élément important du gage des créanciers. De
ce fait, dans un souci de protection des créanciers et de l'acquéreur du fonds, le
législateur déclare inopposable, d'une part, le défaut de publicité de la vente du fonds
de commerce (1) et, d'autre part, le défaut de publicité du contrat de location-gérance
(II).
1 - S'agissant de l'inopposabilité de la vente du fonds de commerce, elle constitue une
sanction de l'inobservation des formalités de publicité destinées à renseigner les
créanciers de l'existence de la vente afin qu'ils puissent utilement sauvegarder leurs
droits(l). Une telle mesure pourra d'autant plus être mise en oeuvre facilement que
l'acquéreur d'un \\onds de commerce a tout intérêt à respecter les formalités
publicitaires qui conditionnent la recevabilité de sa demande de mutation de propriété
(article 396 alinéa 1 du COCC). Par suite, ces formalités de publicité peuvent être
comprises comme un moyen de protection des créanciers du fonds dans la mesure où
(1)
Voir dans 'èe sens, Trib. rég. de Dakar, 25 mai 1991, HACHEM cl M'HAMDI, Revue EDJA,
n° 21, pp. 13 à 18. En l'espèce, il a été jugé que "les formalités de publicité ont été
uniquement organisées dans l'intérêt des créanciers du vendeur; qu'elles visent à protéger
: contre lesc;essions clandestines".
V. supra, Chapitre II, nos réflexions sur la publicité de la vente d'un fonds de commerce à la
page 294 etsuiyantes.
Doct. V. Amadçm FAYE, Le transfert de propriété dans la vente du fonds de commerce, Rev.
intern. de dr. afric., EDJA n° 24, 1995, p. 16.
310
ce n'est que par ce biais qu'ils pourront exercer utilement leur droit d'opposition et de
surenchère du sixième(l).
Il - Concernant l'inopposabilité de la location-gérance, elle peut être conçue comme
une technique de protection découlant de l'article 634 du COCC qui dispose que la
location-gérance est opposable à l'acquéreur du fonds de commerce à la condition que
la publicité au registre du commerce ait été régulièrement faite.
Parfois, au cours du déroulement du contrat de location-gérance, le bailleur qui
a conservé ·la propriété du fonds de commerce peut être tenté de la vendre. Cette
opération aura pour effet, non seulement de permettre à l'acquéreur de pouvoir
prétendre légitimement au versement des redevances liées à l'exploitation du fonds,
mais encore et surtout, d'introduire l'acquéreur dans le lien contractuel puisqu'il se
substitue au vendeur qui a mis en location-gérance le fonds de commerce.
Dans ce dernier cas, l'opération peut comporter des dangers notamment ceux
consistant à faire supporter des dettes du bailleur à l'acquéreur du fonds. Il s'ensuit
que lorsque la mise en gérance compromet le recouvrement des dettes du bailleur
"
afférentes à l'exploitation du fonds, les créanciers du bailleur, malgré l'entrée de
l'acquéreur du fonds de commerce dans le lien contractuel, ne pourront s'adresser
qu'au bailleur lorsque le contrat de location-gérance n'est pas publié(2). Ce qui
entraîne, en définitive, une protection de l'acquéreur du fonds de commerce puisque
l'absence de publicité de la location-gérance fait que ce contrat lui est inopposable.
(1)
V. supra. Chapitre l, p.
279 ct ~u ivantes.
(2)
V.' article 634 du c6cc précité.
311
Conclusion du Chapitre II
Les moyens de protection a priori et a posteriori peuvent désormais être
considérés comme des moyens de contrôle préventif et de contrôle réactif. A cet égard,
nous avons acquis la certitude que, si dans le domaine du contrôle préventif, ce sont
l'interdiction, l'autorisation, l'information préalable et la publicité qui rendent compte
de cette réalité; par contre, dans le domaine du contrôle réactif, c'est plutôt l'analyse
de l'anéantissement de l'obligation ou de sa réduction ou en bien encore de son
inopposabilité qui a permis d'aboutir à la même conclusion.
Alors, si l'on combine le choix de ces moyens de protection avec celui des
personnes à protéger, la combinaison ne nous permet-eie pas de mieux percevoir les
relations entre l'ordre public économique de protection et la protection individuelle?
312
Conclusion du Titre 1
Outre la démonstration de la compatibilité de la protection individuelle avec le
concept d'ordre public économique de protection, nous avons pu acquérir désormais
la certitude que l'ordre public de protection constitue positivement une réalité destinée
à lutter contre la vulnérabilité juridique et/ou économique d'un contractant ou d'un
tiers. Pour ce faire, le rôle assigné à la règle de droit a consisté à sélectionner, d'une
part, des personnes dignes de protection et, d'autre part, des moyens susceptibles
d'assurer l' effectivité de cette protection.
Cependant, dans certaines situations, et non des moindres, nécessitant la
protection d'intérêts catégoriels, cette protection individuelle se meut en une protection
collective nécessitant alors l'examen de l'ordre public de protection et la protection
catégorielle.
313
TITRE II
ORDRE PUBLIC DE PROTECTION ET PROTECTION CATEGORIELLE
Lorsque l'ordre public assure une protection catégorielle, il aura alors vocation
à régir un vaste secteur d'activités économiques et sociales où on peut retrouver les
travailleurs, les locataires, les assureurs et les consommateurs dont l'état de
vulnérabilité économique préjudiciable à l'épanouissement du tissu économique
national nécessite une protection.
Très souvent, ce peut être une catégorie sociale exerçant une activité
professionnelle comme c'est le cas des travailleurs et des locataires commerçants qui,
du fait de leur insertion dans le tissu économique national et de leur rôle dans le
développement économique et social, méritent une protection essentielle.
Pour les mêmes raisons, cette protection entoure également le secteur de la
consommation qui regroupe alors toutes les catégories de consommateurs des biens et
services.
Cependant, il est permis de relever que, sur bien des points, l'ordre public, du
fait des mutations économiques, a fondamentalement changé de cap de protection
comme en témoignent le droit du travail et le droit des assurances. Ce changement de
cap n'en traduit pas moins une nouvelle physionomie de la notion d'ordre public
économique qui est, par définition, fluctuante. Ainsi, on s'apercevra, chemin faisant,
que si l'ordre public économique est de nature à faire fléchir la protection des
travailleurs, il est en train, par contre, de modifier le pôle de protection dans le
nouveau droit des assurances où l'on constate que, malgré une inégalité économique
favorable aux assureurs, les nécessités économiques président souvent à leur protection
au détriment des assurés.
314
Malgré cette évolution inhérente à toute notion fluctuante, on s'apercevra, tout
de même, qu'en dehors du droit des assurances, l'ordre public économique n'a pas
failli à sa mission traditionnelle de protection de la partie faible contre la partie
économiquement la plus puissante.
Cette faiblesse étant essentiellement liée à la vulnérabilité économique, il s'agira
principalement de s'interroger d'abord sur les raisons et la manière dont cette dernière
est protégée par l'ordre public économique, et ensuite subsidiairement sur les cas de
limitation de cette protection.
En somme, pourquoi et comment la vulnérabilité économique de ces agents
économiques est-elle protégéc par l'ordre public économiquc ?
Si oui, la protection accordée n'admet-elle pas de liinites ?
Lorsque la réponse à cette double question concerne un secteur socio-
professionnel, elle interpellera l'examen des règles de protection d'une catégorie socio-
professionnelle (Sous-Titre 1). Cette catégorie socio-professionnelle pouvant intéresser
un secteur économique particulier où le pôle de protection est fondamentalement
modifié ; une tclle modification justifie l'étude de la protection sectorielle des
assureurs (Sous-Titre II).
Enfin, quand la protection intéresse un vaste secteur social, elle suscitera
l'examen des règles de protection des consommateurs (Sous-Titre III).
315
SOUS-TITRE 1 . PROTECTION D'UNE CATEGORIE SOCIO-
PROFESSIONNELLE
La protection d'une catégorie socio-professionnelle concerne aussi bien le
secteur des travailleurs que celui des locataires commerçants qui sont unis par leurs
fonctions de production dans une activité économique déterminée.
Dans la protection des travailleurs, s'il n'est pas douteux que l'ordre public
économique cherche traditionnellement une protection de l'intérêt exclusif des
travailleurs(l), il convient de préciser, à la lumière de l'évolution du tissu
économique, qu'il existe des variations dans le secteur du nouveau droit du travail qui
a entraîné un fléchissement de la protection des travailleurs. Il s'ensuit une
manifestation ponctuelle d'une nouvelle orientation d'un droit du travail en crise qui
doit être également prise en compte dans la protection des 'travailleurs (Chapitre 1).
En matière de protection des loc1{aires commerçants, le fondement peut être
trouvé dans la nécessité de corriger l'inégalité découlant de la détention des locaux par
des bailleurs qui sont face à des candidats désirant les louer. Ceci paraît d'autant plus
nécessaire qu'un désir de spéculation peut facilement habiter des bailleurs privilégiés
par la loi de l'offre et de la demande qui leur est particulièrement favorable. Il s'ensuit
que, face au danger que peut représenter la rupture du bail commercial préjudiciable
à l'activité professionnelle des locataires commerçants, la correction de ce déséquilibre
devra entaîner la protection de ces commerçants ne disposant pas de locaux
commerciaux propres (Chapitre II).
(1)
Joseph ISSA-SAYEGH, Droit du travail, LGDJ-NEA, 1987, n° 17 et 18, pp. 9 et 10.
316
CHAPITRE 1 - PROTECTION DES TRAVAILLEURS
La protection des travailleurs revêt une importance telle que les règles du droit
du travail sont conçues comme un droit protecteur et partisan(l). Ce dernier concept
peut s'englober dans un vocable plus expressif, c'est-à-dire l'ordre public social(2),
qui désigne alors l'arsenal des règles impératives édictées dans l'intérêt exclusif des
travailleurs.
Cependant, selon une certaine ,approche, ce concept d'ordre public social n'a
pas pour seul soubassement les règles du droit du travail dans la mesure où il peut
comprendre une acception plus large qui englobe égvkment les règles visant les
locataires mais aussi les consommateurs(3).
Mais plus critique est l'opinion qui réfute l'appartenance de l'ordre public social
à l'ordre public économique(4).
Malgré ces divergences, un point semble être acquis en doctrine où il est
facilement admis que la plupart des règles du droit du travail revêtent un caractère
ct' ordre public(5) si bien qu'elles constituent à des degrés divers des mesures de
protection de la part~e faible, le salarié, contre la partie forte, l'employeur(6).
(1)
Joseph ISSA-SAYEGH, Droit du travail sénégalais, LGDJ-NEA, 1987, n° 7, p. 7.
(2)
J. ISSA-SAYEGH, op. cit. p. 10, note 10.
En droit français, v. G. FARJAT, L'ordre public économique, LGDJ, 1963, p. 34. Alain
SERIAUX, Droit des obligations, PUF, 1ère édition, janvier 1992, pp. 134 à 139.
(3)
A SERIAUX, op. cit., ibidem.
(4)
En droit français, v. René SAVATlER, L'ordre public économique, Dalloz, 1965, p. 37. Adde
Mme P. LEMOYNE FORGES, Ordre public et réglementation des prix, Rev. trim. dr. corn.,
1976, pp. 415 à 447. Dans cet article, J'auteur renvoie sur ce point à la chronique précitée de
M, René SAVATII~R.
(5)
Jean Pierre TOS!, Droit des obligations au Sénégal, LGDJ/NEA, 1981, n° 305, p. 115. Adde
J. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 17 et s., pp. 09 et 10.
(6)
En droit français, v. A. SERIAUX, op. ciL, p. 134.
Jacques GlIESTIN, L'utile et le juste, Archives de philosophie du droit, p. 38.
317
Il s'agit de montrer que, contrairement à ce qu'une partie de la doctrine(l)
a pu avancer, les mesures de protection des travailleurs visent essentiellement une
finalité économique.
Pour atteindre cet objectif, la technique a surtout consisté à garantir un statut
minimum interprofessionnel aux travailleurs (Section 1), puis à sanctionner la violation
de ce statut minimum interprofessionnel (Section II).
Par ailleurs, l'évolution actuelle des règles du droit du travail montre que le
caractère partisan de la protection des travailleurs est, sur bien des points, en train de
s'effriter. S'il est vrai que cette évolution rentre dans le cadre du dynamisme du droit
du
travail(2), il
faut,
en plus, convenir qu'elle est le résultat d'une crise
économique(3). Il s'ensuit que le fléchissement de la protection des travailleurs
(Section III) ne peut pas se comprendre en dehors des considérations économiques.
SECTION 1 - AMENAGEMENT D'UN STATUT MINIMUM
INTERPROFESSIONNEL GARANTI
Cet aménagement prend en compte un ensemble de mesures destinées à
protéger l'intérêt d~s travailleurs. Ces mesures paraissent d'autant plus souhaitables que
les travailleurs constituent des animateurs principaux chargés d'impulser le moteur du
développement économique et social.
L'importance de la mission qui leur est assignée est telle que les règles de
protection érigées en leur faveur revêtent un particularisme(4) dès lors que le trait
(1)
René SAVATIER, op. cit. p. 37.
(2)
J. ISSA-SAYEGH, op. cit. p. 14.
(3)
En droit français, v. Michèle VOISSET, Droit du travail et crise, Rev. dr.-soc., 1980, p. 287.
(4)
En droit français, v. Paul DURAND~Le particularisme du droit du travail, Rev. dr. soc., 1945,
p.298.
Adde G.' FARJAT, op. cit. n° 85, p. 85 et n° 312, p. 251.
318
marquant de ces règles est qu'elles varient toujours en fonction des intérêts exclusifs
des travaileurs.
C'est la raison pour laquelle si, en matière d'ordre public, il est de principe que
le,but poursuivi est de nature à interdire que la volonté des individus puisse déroger
à la règle(l), il est cependant fait échec à ce principe lorsque, du moins, l'intérêt
des travailleurs le justifie.
En somme, on peut dire que la protection des travailleurs revêt un double aspect
justifié par le fait qu'il est tantôt possible de déroger au statut minimum (Sous-Section
1), tantôt impossible de déroger audit statut (Sous-Section II).
Sous-Section 1 - DEROGATIONS POSSIBLES AU STATUT
La possibilité de déroger au statut minimum entraîne l'adoption de toutes les
mesures allant dans le sens le plus favorable aux salariés(2) dans le cadre du contrat
individuel de travail et de la convention collective. C'est alors reconnaître, selon une
,
't
formule consacrée par la docrine(3) "qu'on ne peut accorder moins, mais on peut
accorder plus que la loi".
Ce critère doctrinal semble résumer tout seul le critère de dérogabilité du statut
qui s'appuie alors sur l'intérêt exclusif des travailleurs. Mais au fond, que recouvre ce
critère? Comment le met-on en oeuvre?
(1)
J.P. TOSI, op. cit. n° 305, p. 116. AddeEn droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 17, p.
28 et n° 610, p. 494.
(2)
,En droit français. v. Louis ROZES, Remarques sur l'ordre public en droit du travail, Rev. dr.
soc.• 1977, p. 313.
(3)
J. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 17, p. 10.
319
La réponse à la première question sera rendue particulièrement délicate à partir
du moment où, à côté de certains cas qui ne présentent pas de difficultés(l), l'on
a pu relever quelques situations où l'intérêt des salariés n'est pas facile à
déterminer(2).
Les difficultés paraissent encore pl us nettes lorsqu'il s'agira de repérer la
disposition la plus favorable aux salariés.
Pour résoudre ces dernières difficultés, il semble que l'ébauche de solution
passe par les règles d'interprétation des contrats de droit privé(3) et des conventions
collecti ves(4).
Relativement au contenu du critère de la disposition la plus favorable aux
travailleurs, il nous semble qu'une réponse satisfaisante ne pàurrait être tirée que d'une
(1)
C.S. n° 32 du 7 mars 1986. C.S.S. cl J. DIA, Revue EDJA n° 3/4,1987, p. 17. Observations
A. SAKHO. En l'espèce, il a été retenu que "dans les conditions sociales actuelles, la
convention qui fixe un âge d'admission à la retraite plus élevé est plus favorable aux
travailleurs" .
Comp. en droit français: voir par exemple: une durée du travail plus réduite; un salaire ou
des primes supérieures; des congés payés plus importants; des indemnités de rupture d'un
chiffre plus élevé.
Sur l'ensemble de la question v. Louis ROZES, op. ciL. n° 8, p. 314.
(2)
V. sur cette question, en droit français, Louis ROZES, op. cit. n° 9, p. 314. En effet, selon
l'auteur, "une disposition peut être à la fois favorable au salarié et défavorable pour lui selon
les cas ; ainsi, il fait remarquer que le raccourcissement de la durée du délai-congé pouvait
être plus favorable en ce qu'il permet au salarié de quitter plus rapidement son travail, mais
donne à l'employeur de droit de s'en débarrasser plus rapidement". A cet égard, il renvoie à
l'ouvrage de M. DESPAX, Les conventions collectives, Dalloz, p. 71, n° 49.
(3)
Isaac Yankhoba NDIAYE, L'office du juge dans l'interprétation du contrat, note sous C.S. 30
novembre 1988, Héritiers Pathé NDOYE cl COTOA et C.A. Dakar n° 209 du 6 avril 1984,
SENECARS-Service cl SGHTS, Revue de l'Association Sénégalaise de Droit Pénal, n° 1, p.
48 et s.
(4)
Moussa SAMB, L'interprétation des conventions collectives dans les Etats d'Afrique noire
. francophone, Rev. EDJA, 1987, pp. 9 à 11.
Adde J. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 338 à 343, pp. 148 et 149.
320
casuistique dans la mesure où la disposition la plus avantageuse est essentiellement
caractérisée par son relativisme(l).
Si la disposition la plus favorable a pu être expressément dégagée dans la
jurisprudence française(2) et sénégalaise(3), il faut reconnaître que, dans ce
dernier pays, son identification a pu également être faite à partir d'une interprétation
a contrario d'une disposition moins favorable qui a été utilement rejetée par le juge au
motif que "même si la convention collective est antérieure au Code du travail, ses
dispositions moins favorables aux travailleurs que celles contenues dans le Code ne
sont pas applicables(4). Ce rejet permet de dire que si la convention collective avait
été plus favorable au salarié, le juge sénégalais l'aurait admise a contrario.
S'agissant des règles d'interprétation permettant de repérer la disposition la plus
favorable aux travailleurs, il convient de se référer aux normes du droit commun
relatives à l'interprétation des contrats de droit privé, et cela quand bien même
l'interprétation porte sur une convention collective(5). A cet égard, les difficultés
naissant de l'interprétation d'une convention colledrve peuvent trouver une issue
favorable à partir de la règle suivant laquelle "si toute autre interprétation se révèle
(1)
En droit français, v. Louis ROZES, op. cit. n° 8 et 9, p. 314.
(2)
Voir par exemple le calcul du préavis, Soc. 16 décembre 1964, Bull. civ. IV,n° 849, p. 702.
(3)
C.S. n° 73 du 1er mars 1987, COLAS cl Jumois. En l'espèce, il a été jugé que "si le régime
auquel le travailleur. est. affilié fixe. l'âge de la retraite à 60 ans, celui-ci s'applique
contractuellement en lieu et place du droit commun de 55 ans. Il s'ensuit que le licenciement
à 55 ans pour cause de retraite devient abusif'.
(4)
c.A. Dakar, Ch. soc., arrêt n° 193 du 23 avril 1969, Abdou DIOP cl Société des Transports
en commun du Sine-Saloum. En l'espèce, il a été jugé que "même si la convention collective
est antérieure au Code du travail, ses dispositions moins favorables aux travail1eurs que celles
contenues dans le Code ne sont pas applicables". Doct. 1. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 277,
note 27, p. 127.
(5)
Contra: Moussa SAMB, op. cit.
321
impossible, les stipulations du contrat sont réputées faites en faveur de celui qUI
s'oblige (article 103 du COCC)(l).
Cette règle a conduit un auteur(2), en se fondant sur la nature essentiellement
contractuelle de la convention collective, à proposer, avec juste raison, que cette
dernière ne devrait pas être interprétée dans un sens favorable au salarié seulement
mais aussi à l'employeur.
Cependant, encore que la convention collective ne contienne surtout que les
engagements de l'employeur comme l'a soutenu l'éminent auteur(3), il nous semble
que le caractère protecteur et partisan du droit du travail peut conduire à une autre
interprétation(4) justifiée par le fléchissement des règles du droit commun(S).
Ceci paraît d'autant plus souhaitable que le problème soulevé est susceptible de se
poser en pratique. En effet, dans l'hypothèse où l'employeur, dans le .cadre de la
signature d'une convention collective, prend des engagements plus favorables que ceux
consentis par la loi aux salariés, doit-on considérer en cas d'impossibilité
d'interprétaion au sens de l'article 103 du COCC précité, que les stipulations de la
convention collective sont réputées faites en faveur de l'employeur et ainsi refuser la
faveur aux salariés ?
(1)
Cette règle a été rappelée par la Cour d'Appel, n° 221 du 19 octobre 1973.
(2)
Moussa SAMB. op. cit. p. 11.
(3)
Moussa SAMB. op. cit. p. Il. '
(4)
En effet. M. SAMB pense que la règle doit être interprétée en faveur de l'employeur dans le
mesure où "la convention collective contient surtout les engagements de l'employeur". Voir
article précité. ibidem.
(5)
Joseph ISSA-SAYEGH. op. cit. n° 19 et s.• p. 10.
322
Une réponse affirmative conduirait à faire échec à la finalité de la protection
qUI ne pourrait être obtenue que par la prise en compte des intérêts des
travailleurs(l).
Il s'ensuit que, chaque fois que des difficultés d'interprétation surgissent, il
convient, avant tout, de s'interroger sur la prise en compte de l'intérêt exclusif des
travailleurs· par le principe d'ordre public de l'interprétation favorable(2) qui doit
pouvoir valablement supplanter les règles d'interprétation classique.
Cette dérogation aux règles classiques d'interprétation se justifie alors par la
recherche d'un équilibre rompu du fait de l'inégalité économique constatée entre un
.
.- '
employeur qui détient les moyens de produclion el la communauté des salariés qui ne
dispose que de sa force de travail.
En définitive, on peut dire que la possibilité de déroger au statut minimum se
justifie par la protection des intérêts économiques exclusifs des travailleurs. Ce même
souci de protection fait que, dans certaines situations très préoccupantes, il est
absolument interdit de déroger au statut.
Sous-Section n - DEROGATIONS IMPOSSmLES AU STATUT
Cette impossibilité de déroger au statut minimum interprofessionnel procède
d'un ordre public absolu(3). Cet absolutisme explique que les travailleurs sont non
seulement protégés contre leurs employeurs mais encore contre eux-mêmes. Ainsi, il
est permis de relever une série de règles conçues, selon Monsieur ISSA-SA YEGH,
(1)
Tel est le sens de la solution dégagée dans c.A. Dakar, Ch. soc., arrêt n° 193 du 23 avril
1969, Abdou DIOP cl Société des Transports en commun du Sine Saloum, précitée.
(2)
En droit français, v. Louis ROZES, op. ciL, p. 311. Adde CAMERLYNCK, L'autonomie du
droit du travail (la prescription abrégée de la créance de salaire), Dalloz, 1956, Chronique, p.
26.
.
(3)
1. ISSA-SAYEGH, op. cit. p. 10.
323
comme étant objectivement et nécessairement les plus favorables aux salariés(l) ou
comme orgqhisant un ordre juridique intangible(2).
Cette
conception
doctrinale
est également
largement
partagée
par
la
jurisprudence sénégalaise dont l'orientation penche de manière non équivoque vers la
protection des intérêts des travailleurs. Dans cette optique, on peut dire que la
jurisprudence sur le congé de maternité constitue un exemple édifiant de la protection
unilatérale accordée aux travailleurs en ce sens que, si le droit de la femme de rompre
son contrat de travail sans préavis, ni indemnité pour cause de grossesse est d'ordre
public(3) ; par contre, il est absolument interdit de réduire le délai du congé de
maternité(4). Il s'ensuit que l'employeur ne peut enjoindre à son employé de
regagner son poste avant l'expiration du délai total de 14 semaines prévu par l'article
138 alinéa 2 du Code du travail(5).
Cette jurisprudence protégeant les travailleurs contre leurs employeurs devrait
tout aussi l'être contre eux-mêmes, encore que sur ce point, une jurisprudence
(1)
Pour ces règles, v. J. ISSA-SAYEGH, op. cil. p. 10 : exclusion de l'arbitrage en matière de
conflits individuels ; tentative de conciliation obligatoire pour les litiges individuels ;
prohibition de l'introduction d'alcools dans l'entreprise, de l'emploi des jeunes de moins de
14 ans, des femmes pendant la durée de maternité...).
(2)
Pour ces règles, v. J. ISSA-SAYEGH, op. cil. n° 17, p. 10. L'auteur cite la compétence
d'attribution des tribunaux du travail, la prohibition de rompre l'égalité des créanciers entre
eux ou avec les salariés par l'institution conventionnelle de privilèges supérieurs à ceux
consentis par la loi, seule celle-cl ayant le pouvoir de créer de telles sûretés...
(3)
C.S. 16 mai 1973, TPOM n° 360 p. 7954 ; Rép. CREDILA, Vol. III, p. 105.
(4)
C.S. 2ème Section, 28 avril 1971, Rec. ASERJ n° 2, p. 43 ; TPOM n° 312, p. 6913. En
l'espèce, il a été jugé que "le délai de 8 'semaines postérieures à l'accouchement ne saurait être
réduit, même dans le cas où une fausse appréciation de la date présumée de l'accouchement
aurait conduit la femme à suspendre son contrat plus de 6 semaines avant la date de celui-ci,
de telle sorte ql1e !~s..deux périodes de suspension, antérieure et postérieure à l'accouchement,
excéderaient, au total; 14 semaines".
(5)
Voir article 138 alinéa 2 du Code du travail: "A l'occasion de son accouchement, et sans que
.'cette interruption de service puisse être considérée comme une cause de rupture du contrat,
toutq femme ale droit de suspendre son travail pendant 14 semaines consécutives, dont 8
. sem'aines postérieures à la délivrance". .
324
étrangère puisse laisser croire que les travailleurs peuvent valablement renoncer à
certains de leurs droits sur leurs salaires(l).
Cette jurisprudence isolée paraît avoir une certaine conception de l'ordre public
auquel elle se réfère du reste. En effet, il apparaît à la lumière de la jurisprudence
béninoise que l'ordre public, en matière de salaire se mesure à l'aune du SMIG(2)
si bien que le travailleur en question ayant perçu une rémunération au moins égale au
SMIG ne pouvait se sentir lésé.
Cependant, il faut noter que cette conception particulière de l'ordre pubic social
adoptée par la Haute Juridiction béninoise n'est pas un modèle de protection des
travailleurs dans la mesure où la réglementation sur les salaires appartenant à l'ordre
public absolu et intangible(3) ; il eût fallu rétablir ce travailleur dans tous ses droits,
y compris ceux auxquels il est considéré comme ayant tacitement renoncé(4).
Du reste, c'est ce qui semble étayer la critique du commentateur anonyme de
cette jurisprudence de la Cour suprême du Bénin quand il affirme qu'elle n'est pas
toujours suivie dans les autres Etats qui estiment que le travailleur ne peut pas
renoncer aux droits qu'il tient de son contrat de travail(5).
(1)
C.S. Dahomey (actuel Bénin), 19 novembre 1968, TPOM na 267 du 2 novembre 1969. Il a
été jugé, en l'espèce, que "Nonobstant le caractère d'ordre pubic de la réglementation relative
aux salaires, le travailleur est considéré comme ayant tacitement renoncé à faire valoir ses
droits s'il a, pendant l'exéctuion du contrat, donné mois pour mois un accord à ('application
du barème proposé et s'il a perçu une rémunération au moins égale au SMIG".
(2)
SMIG: Salaire minimum interprofessionnel garanti.
(3)
1. ISSA-SAYEGH, op. cit. na 1139, p. 538. Selon l'auteur, "la protection de la créance de
salaire est assurée d'une part contre l'employeur, d'autre part, contre les tiers".
(4)
Voir les motifs de la décision de la C.S. Bénin, 19 novembre 1968, précitée.
V. art. 115 alinéa 7 du Code du travail sénégalais: "Ne sera pas opposable au travailleur la
mention pour solde de tout compte ou toute mention équivalente souscrite par lui, soit au
cours de l'exécution, soit après la résiliatiion de son contrat de travail, et par laquelle le
travailleur renonce à tout ou partie des droits qu'il tient de son contrat de travail".
(5)
Note anonyme sous C.S. Bénin, 19 novembre 1968, précitée.
325
Cette renonciation ayant pour effet une perte de revenus pour les travailleurs,
on devrait l'interdire en tout état de cause afin de défendre leus intérêts économiques
même contre eux-mêmes.
Dans le même ordre d'idées, l'ordre juridique intangible prévoit des règles
rigides en matière de conciliation en droit du travail. A cet égard, dans l'exercice de
la mission de conciliation que la loi assigne à l'Inspecteur du travail (articles 211 et
suivants du Code du travail) et au Président du Tribunal du travail (articles 216 et
suivants du Code du travail)(l), il leur est fait obligation d'éviter que la conciliation
porte gravement atteinte aux intérêts des travailleurs(2). L'accomplissement d'une
telle mission pouvant déboucher sur la fin du litige opposant les travailleurs aux
employeurs(3), on comprend dès lors que le souci du législateur soit, en ce moment,
la sauvegarde de tous les intérêts économiques des travailleurs.
Pour réaliser un tel objectif, le conciliateur aura, d'une part, l'obligation de ne
pas entériner un accord portant atteinte à des droits incontestables des travailleurs(4)
ct, d'autre part, la possibilité de refuser d'entériner un accord qui lui semble léser
gravement les intérêts des travailleurs eu égard à une estimation raisonnable des droits
fondés sur de sérieuses présomptions(5).
(1)
Doct. v. Joseph ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 509,p. 242 et nO 559, p. 267.
Du même auteur, v. La conciliation devant l'Inspection du travail en matière de conflits
individuels, Penant, 1979, p. 385 et suivantes.
(2)
Joseph ISSA-SAYEGH, Manuel précité, n° 509, p. 242.
(3)
Voir dans ce sens, Casso soc. 9 juin 1993, Compagnie Sucrière Sénégalaise cl CISS Momath
et autres, arrêt n° 76, in Bull. des arrêts de la Cour de Cassation (Ch. Soc.), n° 39, Année
judiciaire 1992-1993, n° 2, septembre 1996, p. 62 et suiv.
(4)
V. article 211 alinéa 9 du Code du travail.
(5)
V. article 211 alinéa 10 du Code du travail.
.: ':
326
Dans le preITIler cas, SI l'atteinte aux droits incontestables(l) provient du
salarié, lui-même, par un acte de renonc~ation pure et simple, ou bien si elle émane,
cette fois-ci, de l'employeur par l'offre d'un montant inférieur à celui auquel le salarié
peut prétendre, le conciliateur devra refuser de cautionner de tels accords.
Dans le second cas, il s'agit pour le conciliateur, de refuser d'entériner un
accord qui lui semble léser gravement les intérêts économiques des travailleurs.
On le voit, le rôle du conciliateur se résume principalement à une protection
partisane des intérêts économiques des travailleurs. Ce qui participe de l'expression
d'un ordre public absolu auquel il est impossible de déroger.
En définitive, on peut dire que l'impossibilité de déroger au statut minimum a
pour soubassement la protection des intérêts économiqùes des travailleurs qui
s'exprime à travers un ordre public absolu qui procède d'un statut dont l'effectivité
peut être garantie grâce à des moyens de défense.
SECTION n - MOYENS DE DEFENSE DU STATUT MINIMUM
La défense du statut minimum appelle un ensemble de mesures civiles et
répressi ves visant à faire échec à l'expression de la volonté con traire à la finalité de
protection de l'ordre public social.
D'abord, en matière civile, la principale série de mesures est constituée par
l'anéantissement de la clause prohibée(2) qui consacre au fond une approche de la
théorie des nullités. A cet égard, les particularités de l'ordre public économique auquel
(1) .
Sur la notion de droits incontestables, v. J. ISSA-SAYEGH, Manuel précité. n° 510, p. 242.
En effet, selon l'auteur, "un droit incontestable serait un droit dont le principe est reconnu par
la loi, la convention collective, le contrat individuel ou l'employeur, sans aucune ambiguïté
possible (élément de droit) et dont les conditions d'octroi (éléments de fait) sont toutes réunies
par le salarié".
(2)
J. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 18, p. 10.
327
appartient l'ordre public social(l) aboutissent, encore une fois, à une démarche
originale consistant non plus à anéantir le contrat intégralement, mais bien plutôt un
seul de ses éléments(2).
C'est dire que les considérations de l'ordre public économique constituent, en
matière sociale, la base de la sanction de l'anéantissement de la clause contraire (Sous-
Section 1).
Cette sanction civile doit être complétée par l'inopposabilité de la clause
contraire dans la mesure où, en matière de paiement des salaires dûs aux travailleurs,
l'inobservation des règles est moins sanctionnée par la nullité que par l'inopposabilité
de la' clause pour solde de tous comptes (Sous-Section II).
Ensuite, il est permis de noter que, dans certaines situations, c'est une mesure
pénale qui accompagne la sanction civile(3). Cette association permet de penser que
la mesure répressive est certainement destinée à aggraver la sanction de l'auteur qui
violerait ou enfreindrait la disposition d'ordre public. Dans cette optique, un constat
s'impose: celui de la rigueur de la répression pénale qui peut être telle qu'elle est
susceptible d'atteindre la personne du chef d'entreprise aloks qu'il a l'obligation de
fournir du travail 'aux employés. C'est ainsi que nous serons amenés à envisager cette
étude particulière dans la répression pénale (Sous-Section III) étant entendu que la
rigueur de la sanction pénale revêt un inconvénient majeur pouvant justifier une
proposition de révision de l'orientation actuelle du droit pénal du travail.
(1)
V. supra, Introduction du Chapitre. p. 316 et suivantes.
(2)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. p. 370, n° 380, p. 311, n° 469 et suiv.
G. RIPERT, L'ordre économique et la Uberté contractuelle, Etudes Geny, 1935, Tome 2, p.
347.
Adde G. COUTURIER, L'ordre public de protection, heurs et malheurs d'une vieille notion
neuve, Etude Rour, Répertoire du notariat Defrenois, p. 104.
Mme PANCRAZI épouse TIAN (Marie Eve), La protection judiciaire du lien contractuel,
Référence sur Micro-fiche MAG 94 Aix 3120 28 Bibliothèque CUJAS, Paris, p. 98.
(3)
Joseph ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 18, p. 10.
328
Sous-Section 1 - ANEANTISSEMENT DE LA CLAUSE CONTRAIRE
Il consiste à extirper de l'acte juridique la clause qui serait conclue
contrairement aux règles de protection des travailleurs.
Appliquée au contrat de travail, cette méthode doit avoir pour effet de le lai$er
subsister. Il semble que cet effet doit être retenu quand bien même la clause contraire
violant les dispositions d'ordre public serait substantielle. Ce qui constitue une
exception au droit commun de la nullité(l). Ceci paraît être justifié par une
démarche originale du droit du travail qui, lorsqu'il est confronté à un cas
;
'
l
'
•
1
d'anéantissement d'une clause contraire à des dispositions d'ordre public, prévoit
quelquefois une substitution d' obligations(2) qui doit avoir pour effet de rétablir
,
. ,
l'intégralité du contrat de travail auquel il manquait une clause essentielle. Dès lors,
on peut penser que cette solution originale cherche à pallier les inconvénients de
l'anéantissement total du contrat de travail qui peut entraîner une perte d'emploi.
Cependant, il convient de souligner que, bien souvent, il est difficile de
contourner les difficultés résultant de l'anéantissement total du contrat de travail
lorsque, du moins, la disposition méconnue concerne l'expression d'un ordre public
.
,
social absolu. A c~ sujet, un exemple typique peut être tiré du contrat de travail qui
serait conclu par un mineur de moins de 14 ans en violation de l'article 140 du Code
du travail(3). Dans ce cas, la sanction la plus appropriée paraît être la nullité du
contrat conclu par ce mineur de moins de 14 ans(4).
(1)
V. infra, Protection des consommateurs (le locataire des locaux à usage d'habitation).
(2)
Endroit français, v. Loujs ROZES, op. cit. nO 2, p. 312. G. FARJAT, Thèse précitée, n° 470,
pp. 370 et 371.
(3)
V. article 140 alinéa 1 du Code du travail : "Les enfants ne peuvent être employés dans
aucune entreprise, même comme apprentis avant l'âge de 14 ans, sauf dérogation édictée par
le Ministre du Travail, compte tenu des circonstances locales et les tâches qui peuvent leur être
demandées" .
(4)
En droit français, v. Civ. 28 juin 1932, Sirey 1932.1, p. 302. En l'espèce, la Cour a prononcé
"la nullité du contrat de travail passé entre un employeur avec un enfant de moins de 14 ans
329
Il faut reconnaître, cependant, que malgré la nullité du contrat qui peut faire
échec à la recherche de la finalité de l'emploi, les multiples facettes de l'ordre public
économique ont permis de maintenir certains effets au contrat annulé dans le but de
défendre les intérêts économiques des travailleurs. Pour ce faire, la théorie de la
relation de fait pourrait être considérée comme une voie autorisée permettant de
considérer le contrat de travail annulé comme une relation de travail(l) même si une
réserve paraît être soutenue par M. FARJAT qui faisait observer notamment que
malgré les arguments convaincants avancés par une partie de la doctrine, la notion de
relation de fait n'a pas réussi, sauf consécration législative exceptionnelle, à s'imposer
dans le droit français(2). Ainsi, la théorie de la relation de fait permettra au juge de
procéder par un raisonnement par fiction pour parvenir à donner vie juridique au
contrat de travail annulé(3) afin de pouvoir lui appliquer les conséquences utiles.
En définitive, on peut dire que l'anéantissement de' la clause contraire a pour
finalité la protection de l'emploi des travailleurs. Au surplus, cette finalité économique
de la protection des travailleurs n'est pas démentie même dans les cas où
l'anéantissement total de l'acte paraît s'imposer.
et a rejeté les prétentions du père au bénéfice de la législation sur les accidents du travail en
faveur de son fils".
(1)
J. ISSA-SAYEGH, La fiction et le droit, Ann. Afric., 1968, n° 31, p. 84.
(2)
G. FARJAT, Thèse précitée, n° 325, p. 262.
(3)
J. ISSA-~A YEGH, op. cit., ibidem.
Comp. en droit français, v. Thierry REVET, L'ordre public dans les relations de travail in
Ouvrage collectif, Vordre public à la 'fin du XXe siècle, Dalloz 1996, p. 55.
L'auteur montre que "le contrat de travail conclu avec un étranger non muni des autorisations
d'entrée'ou de traVail étaitfrappé de nullité absolue.
.Cependant, depuis. 1981, le Code du travail neutralise grandement les conséquences de cette
sanction. En effet, l'étranger irrégulièrement employé est assimilé à un salarié irrégulièrement
embauché pour l'application des obligations patronales en matière de réglementation du travail
(art. L 341-6-1 du, Code du travail), il a droit au paiement des salaires et accessoires prévus
par les dispositions en vigueur ou les stipulations du contrat de travail (article L 341-6-1 al.
2.1 du Code du travail) ; en cas de rupture de la relation de travail, il bénéficie soit des
indemnités légales ou contractuelles de préavis, de fin de contrat, de licenciement (...)".
330
Si ces objectifs économiques sont atteints par la nullité, que penser alors de
l'inopposabilité de la clause pour solde de tous comptes?
Sous-Section II - INOPPOSABILITE DE LA CLAUSE POUR SOLDE DE TOUS
COMPTES(l)
Cette inopposabilité peut être conçue comme un moyen de protection des
travailleurs contre une pratique patronale courante qui exigeait d'un salarié, mal
informé et pressé, la signature immédiate d'un reçu pour solde de tous comptes valant
renonciation définitive à toute contestation ultérieure (article 115 du Code du
travail)(2). Aussi, la validité du reçu pour solde de tous comptes esl enfermée dans
des conditions de protection très strictes dans la mesure où elle ne devient opposable
au salarié que lorsqu'elle est approuvée soit par l'Inspecteur du travail(3), soit par
le Président du Tribunal du travail(4).
A défaut de cette formalité d'approbation par l'autorité publique, la mention
pour solde de tous comptes ou toute mention équivalente souscrite par le travailleur,
soit au cours de l'exécution, soit après la résiliation de son contrat de travail, ne lui
sera pas opposable(S). Il s'ensuit que la mention pour solde de tous comptes
(1)
Voir à ce sujet, en droit français, Albert CHAVANNE, Les quittances pour solde de tous
comptes, lCP 1949, n° 776.
En droit sénégalais, Babacar KEBE, La protection de la créance de salaire en droit du travail
sénégalais, Rev. sén. dr. n° 12, 1973, p. 263 et suiv.
(2)
Doct. l. ISSA-SAYEGH, Manuel précité, n° 1292, pp. 594 et 959.
(3)
V. article 211 du Code du travail.
(4)
V. article 219 du Code du travail.
(5)
V. article 211 alinéa 7 du Code du travail.
~o,!r~~~ ._~p,I?)i~atjo}1q~,.F~tte règl~, Y: T,rib. du trav. Dakar, 13 juin 1966, TPOM n° 214, p.
4748: Il été jugé, en l'espèce, que "la simple formule "reçu à titre transactionnel la somme
de ... " ne peut s'analyser en une transaction, mais en un reçu pour solde de tout compte
inopposable au travailleur".
Doct. V. Martin KIRSCH, Le droit du travail africain (Afrique francophone au Sud du
Sahara), Tome 1. Contrat de travail. Convention collective, Préface de Pierre LAMPUE,
Travail et Profession d'Outre-mer, 1975, p. 182.
331
n'équivaut pas à la renonciation d'un droit et qu'elle peut parfaitement être opposée
à l'employeur duquel le travailleur peut exiger toutes les créances ayant leur cause
dans le contrat de travail au moment de son départ de l'entreprise(l). Par suite, on
peut affirmer, en définitive, que l'inopposabilité de la clause pour solde de tous
comptes doit être considérée comme un précieux moyen de protection des intérêts
économiques des travailleurs.
Si les intérêts économiques des travailleurs sont obtenus par les sanctions civiles
comme la nullité et l'inopposabilité de la clause pour solde de tous comptes, peut-on
en déduire qu'ils pourront plus facilement l'être par le biais d'une répression pénale
considérée comme une sanction d'un degré bien plus élevé?
Sous-Section nI - REPRESSION PENALE
S'il est acquis que de nombreuses règles du droit du travail sont sanctionnées
pénalement(2), cependant, notre propos visera moins à étudier tout l'arsenal
répressif prévu qu'à envisager les incidences de ce dispositif répressif sur la protection
des travailleurs.
S'il n'est pas, douteux que la répression pénale cherche à renforcer la protection
des travailleurs(3), il est, par contre, permis d' hésiter lorsque, du moins elle atteint
la personne du chef d'entreprise. Dans ce dernier cas, il est des hypothèses où même
si la règle répressive cherche à protéger les intérêts des travailleurs, elle est susceptible
de produire un effet contraire; c'est notamment le cas lorsque la répression pénale
(1)
J. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 1292.
Voir nos réflexions à propos de la décison de la C.S. du Bénin du 19 novembre 1968, précitée,
supra- p. 324.
(2)
V. par exemple décret n° 62-017 PC/MFPT du 22 janvier 1962 fixant l'échelle des peines de
simple police àpplicabies aux auteurs de contraventions aux dispositions du Code du travail
et des règlements prévus pour son application, JORS n° 3506 du 10 février 1962, pp. 208 et
209.
(3)
J. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 18, p. 10.
332
débouche sur une privation de la liberté de la personne du chef d'entreprise(l).
Cette dernière situation pourrait constituer un sérieux écueil à la protection des
travailleurs qui pourraient voir leur contrat de travail suspendu du fait de leur
employeur(2). Cette suspension du contrat de travail pourrait entraîner, dans
certaines situations, comme la fermeture d'établissement d'une durée de plus de deux
ans(3), une perte de salaires et de revenus correspondants en cas de détention
préventi ve(4).
Au surplus, même dans les cas les moins graves caractérisés par l'application
d'une mesure d'amendes(S), la multiplication de ces dernières est de nature à grever
considérablement le passif de
l'entreprise
grâce
au
mécanisme
du
cumul
d'infractions(6).
Au plan de l'acquittement de ces amendes, le fait que les sommes soient
prélevées, non dans le patrimoine du chef d'entreprise mais plutôt dans le patrimoine
de l'entreprise, pourrait constituer un sérieux obstacle à la prospérité de l'outil de
.
,
production, entraînant, du coup, un licenciement pour motif économique, source de
perte d'emplois.
En raison de tous ces effets néfastes à la protection des intérêts économiq ues
des travailleurs, il paraît souhaitable de réviser l'orientation actuelle du droit pénal du
travail qui devrait prendre en compte les inconvénients de la répression.
(1)
Y. art. 248, 249, 251 et 252 du Code du travail.
(2)
Supra, 1ère Partie de la thèse: nos réflexions sur la fermeture d'établissement p. 212 et suivantes.
(3)
Y. note précédente.
(4)
J. ISSA-SAYEGH, op. cil. n° 1237, p. 573.
(5)
Y. décret n° 62-017 du 22 janvier 1962 précité.
(6)
En droit français, Répertoire Droit pénal et de procédure pénale, 2ème éd. Tome l, y o Travail,
n° 777 à 784, Dalloz 1981.
333
Cette suggestion nous paraît s'imposer malgré l'ineffectivité du droit pénal du
travail(l) qui fait qu'il est rarissime qu'une sanction pénale soit prononcée à cause
des 'mécnaismes non juridictionnels de règlements des litiges qui sont largement
pratiqués au Sénégal(2).
Ceci paraît d'autant plus fondé que rien n'empêche le juge de prononcer des
pénalités qui sont toujours en vigueur.
En définitive, la prise en compte de cette suggestion devrait avoir pour effet de
renforcer la protection des intérêts économiques des travailleurs qui pourraient
énormément souffrir de l'application d'une sanction pénale qui est paradoxalement
conçue en leur faveur.
A défaut, l'effet contraire de la protection entraînèra un fléchissement de la
protection des travailleurs que nous constatons de nos jours, en raison du changement
de contexte économique.
SECTION III - FLECHISSEMENT DE LA PROTECTION DES
TRA VAILLEURS
S'il est acquis que le fléchissement de la protection des travailleurs répond à
un souci d'harmonisation des codes du travail africains(3), il faut bien se rendre
(1)
En droit français, v. Jean Claude JAVILLIER, Ambivalence, effectivité et adéquation du droit
pénal du travail: quelques réflexions en guise d'introduction, Rev. dr. soc., 1975, p. 375.
(2)
Elizabeth MICHELET, La conciliation dans la procédure sénégalaise, Penant, 1980, p. 135 et
s.
Adde Joseph ISSA-SAYEGH, La conciliation devant l'inspection du travail en matière de
conflits' individuèls, Annales Africainès, 1978, p. Il et suiv. ; Penant, 1978, p. 385 et suiv.
(3)
Joseph ISSA-SAYEGH, L'intégration juridique des Etats africains de la Zone franc. A paraître
au Penant de 1997.
Adde Isaac Yankhoba NDIAYE, "L'harmonisation du droit des affaires: enjeux, défis et
perspectives pour le monde du travail", in Relations sociales, n° 10, 1997, spécial "Journées
du monde du travail", pp. 14 à 16.
334
compte, en outre, qu'il découle d'un constat de crise économique(l) ayant entraîné
un ajustement des règles du droit du travail dans le contexte d'un nouvel espace
économique caractérisé par la doctrine du libéralisme(2). En effet, du fait des
relations que le droit du travail entretient étroitement avec les règles de l'économie,
il devient normal qu'il s'adapte aux fluctuations de l'économie dont les lois priment
sur la règle de droit(3) ; ce qui a permis une neutralisation ou une flexibilisation du
droit du travail(4). Dans cette perspective, l'oeuvre d'adaptation des règles du droit
du travail à la doctrine de libéralisation de l'économie a entraîné un assouplissement
du caractère protecteur de ce droit au détriment des travailleurs. A cet égard, notre
propos visera essentiellement à apporter une contribution à ce fléchissement de la
protection des travailleurs(5) qui peut se manifester soit par une révision indirecte
des dispositions du Code du travail par le biais du Code des Investissements (Sous-
Section I), soit par une révision directe des règles du droit du travail (Sous-Section II).
(1)
En droit français, v. Michèle VOISSET, Droit du travail et crise, Rev. dr. soc., 1980, p. 287.
(2)
Moussa SAMB, Ajustement structurel et réforme du droit du travail, Groupe national de travail
CODESRIA, PAGD, juin 1992, p. 11.
(3)
En droit français, Contra Raymond MARTIN, Loi économique et règle de droit, Dalloz, Sirey,
1990, Chf., p. 259 et suiv. L'auteur adopte une position nuancée qui accorde le primat au droit
sur l'écono'mie.
(4)
Isaac Yankhoba NDIAYE et Moussa SAMB, Neutralisation ou f1exibilisation du droit du
travail sénégalais : de l'ajustement économique à l'ajustement juridique, in "Ajustement
stucturel et emploi", ouvrage col1ectif publié par le CODESRIA, p. 103 et suivantes. 1997.
(5)
En effet, pour une étude complète de la question, v. l'analyse pénétrante de MM. NDlAYE
et SAMB,·op. cit., p. 103 et suivantes.
335
Sous-Section 1 - REVISION
INDIRECTE
DU
DROIT
DU 'IRA VAIL
A
TRA VERS LE
CODE
DES
INVESTISSEMENTS
: LA
PRECARISA'fION DE L'EMPLOI (ARTICLE 35 DU CODE
DU TRAVAIL)
Cette révision indirecte du droit du travail participe d'une politique des pouvoirs
publics sénégalais visant à garantir la flexibilité de l'emploi(l).
Malgré l'importance des études consacrées au concept de flexibilité(2) et le
caractère protéiforme du concept qui a suscité une clarification de la notion au
Sénégal(3), il faut bien se rendre compte que l'expression de flexibilité de l'emploi
traduit, au fond, une seule et même réalité qui pourrait se résumer à l'adaptation des
règles du droit du travail au contexte économique. A cet égard, ce dernier a ét~ surtout
marqué, ces récentes années, par une rareté des ressources financières ayant justifié le
recours aux bailleurs de fonds dont le concours devait contribuer à financer l'emploi
par le biai s de l'en treprise.
L'intervention de ces institutions internationales a été subordonnée, avec juste
raison, à l'exigence de garanties qui se résumaient à des mesures d'accompagnement
à leurs contributions financières. Il s'ensuit qu'elles pourront se faire juges de la
,
politique éconoinique des pays et de leur ordre public.
Dans le domaine de l'emploi, la mesure essentielle d'accompagnement paraît
être l'exigence de la garantie de la flexibilité de l'emploi qui devait impérativement
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 89-31 du 12 octobre 1989 portant modification des articles
12, 22, 23 et 25 du Code des Investissements, JORS du 21 octobre 1989, p. 409.
(2)
En droit français, v. Bernard BOVBLI, A propos de la flexibilité de l'emploi: vers la fin du
droit du travail ?, Rev. dr. soc., 1985, p. 239.
G. LYON-CAEN, La bataille truquée de la flexibilité, Rev. dr. soc., 1985, p. 801.
(3)
Moussa SAMB, op. cil., pp. 2 et 3. En particulier, l'auteur fait observer que c'est la flexibilité
d'adaptation qui doit être retenue au Sénégal dès lors "qu'elle se limite à consacrer une
déiégulation partielle en matière d'emploi".
336
passer par une révision du Code du travail. A ce sujet, devant l'impossibilité de trouver
un consensus social à cause de la fronde syndicale, les pouvoirs publics ont trouvé le
moyen de contourner l'ancien article 35 du Code du travail qui était la règle par
laquelle l'Etat entendait assurer la protection et la permanence de l'emploi(!). Ce
qui semble se ref1éter dans la jurisprudence sénégalaise où la norme posée par ledit
texte a trouvé un important écho(2).
Le moyen de contournement a été réalisé grâce à la réforme apportée par la loi
n° 89-31 (3) dont la disposition essentielle assimile les travailleurs recrutés lors de
l'agrément d'une société aux travailleurs engagés en complément d'effectifs en vue
d'exécuter certains travaux nés d'un surcroît d'activité (art. 35-4°- Code du travail).
Dans cette optique, il est permis de constater un fléchissement de la protection des
travailleurs intervenant au moment du recrutement comme celui du licenciement.
Dans le premier cas, il s'est agi de contourner l'article 35 du Code du travail
précité en permettant aux entreprises agréées par le Code des Investissements de
(1)
Moussa SAMB, op. cit. p. 8.
Adde Isaac Yankhoba NDIAYE, "Le contrat de travail à durée déterminée: demain, l'emploi
? Relations Sociales' n° '10, 1997, Spécial "Journées du monde du travail", p. 33 et suiv.
(2)
Trib. trav. Dakar, 8 mai 1964, TPOM n° 151 du 16 octobre 1964, p. 335. Jugé enl'espèce
qu"'il résulte de l'art. 35 du Code du travail qu'un contrat de travail à durée déterminée qui
continue au-delà de la date prévue pour son expiration sans avoir été renouvelé ou sans qu'un
nouveau contrat de travail à durée déterminée ait été conclu, devient un contrat de travail à
durée i ndétermi née" .
Adde Trib. du trav. Dakar, 12 janvier 1965, TPOM n° 181, p. 4005. "Lorsque les parties
concluent un trois~ème contrat à durée déterminée suite à un contrat de même nature
renouvelé, ce contrat, en dépit de la qualification donnée par les parties, ne peut s'analyser
qu'en un contrat à durée indéterminée. Il ne peut dès lors être mis fin que pour un motif
légitime".
Même solution "lorsque le contrat n'a pas été constaté par écrit, et dans ce cas, l'employeur
est tenu de respectyr le ~~lai de préav!~ (Cour d'Appel, 28 janvier 1981, TPOM n° 618, p. 49).
Idem, en l'absence de renouvellement' ou de conclusion d'un contrat de même nature et
lorsque le salarié a continué à travailler au-delà du terme initialement prévu (Trib. trav. Dakar,
5 mai 1962, TPOM n° 102, p. 2244 ; 6 février 1963, TPOM n° 129, p. 2862 ; 30 juin 1964,
TPOM n° 156, p. 3457).
(3)
V. loi n° 89-31 du 12 octobre 1989 précitée.
337
conclure avec les travaileurs concernés des contrats à durée déterminée pendant une
période limite de cinq ans (5) ans(l).
Dans le second cas, à savoir le moment du licenciement, le fléchissement de la
protection des travailleurs peut découler de l'article 1er du décret n° 89-1265 du 12
octobre 1989(2) portant application de la loi précitée puisque cette disposition
réglementaire "fait dérogation à l'application de la législation du travail actuellement
en vigueur en matière de licenciement pour motif économique".
Dans tous les cas, c'est à une précarisation de l'emploi à laquelle nous assistons
dans la mesure où, cette nouvelle loi fait échec à la finalité de protection de l'emploi
incarnée aussi bien par l'ancienne rédaction de l'article 35 du Code du travail(3)
que par la procédure instituée par l'article 47 pargraphes 3 et suivants qui a, au moins,
le mérite d'exclure l'arbitraire de l'employeur(4).
En somme, on peut penser que la parade ayant consisté à réviser indirectement
le Code du travail a été réussie grâce à la modification du Code des investissements
qui a permis de précariser l'emploi de certains travailleurs.
Une telle prél;tique paraît d'autant plus condamnable qu'elle heurte de front le
principe de la répartition constitutionnelle des domaines de la loi et du règlement dont
la hiérarchie des normes interdit que le règlement puisse déroger à un principe
fondamental qui relève exclusivement de la matière législative.
(1)
Demba SY, Droit public économique, Ann. Afr. 1989-90-91, p. 203.
(2)
V. décret n° 89-1265 du 12 octobre 1989, JORS du 2 décembre 1989, p. 463.
(3)
Moussa SAMB, op. cil. p. 8.
(4)
Isaac Y. NDIAYE et Moussa SAMB, op. cit. p. 109.
338
Or, c'est ce que l'article 1er du décret n° 89-1265 précité semble admettre en
permettant aux employeurs bénéficiaires de la dérogation de ne plus solliciter une
autorisation administrative avant tout licenciement pour moif éconornique(l).
En définitive, on peut dire qu'en créant les conditions d'installation des
investisseurs(2), les pouvoirs publics ont, non seulement, commis une hérésie
juridique, mais-encore et surtout ont contribué à précariser l'emploi des travailleurs par
un contournement de leurs règles de protection prévues par le Code du travail.
Une telle précarisation pourrait être également discutée à propos de la révision
directe des lois régissant la protection des travailleurs.
Sous-Section II - LA REVISION DIRECTE DU CODE DU TRAVAIL
La révision directe du Code du travail ayant entraîné le fléchissement de la
protection des travailleurs a été concrétisée, d'une part, par la réforme de l'article 199
du Code qui a supprimé le monopole public de placement du service de la main
d'oeuvre et, d'autre part, par la modification de l'article 47 du même Code qui a aboli
l'autorisation administrative de licenciement pour motif économique.
Ce changement de démarche caractérisé par une révision directe des dispositions
des lois du travail protégeant les travailleurs permet de se demander, au fond, ce qui
a pu inciter les pouvoirs publics à assouplir nettement les normes de leur législation
sociale en matière d'emploi(3).
(1)
Isaac Y. NDIAYE et Moussa SAMB, op. cit.. p.~ 109.
(2)
A. Mathurin DIOP, L'insertion des entreprises privées ans l'effort de développement au
Sénégal, Rev. jur. pol. Indép. et Coop., 1978, p. 266.
(3)
Moussa- SAMB, op. cit. p. 08.
339
La réponse à cette interrogation conduira à analyser, tour à tour, la suppression
de l'autorisation préalable d'embaucher (I) et la suppression de l'autorisation
administrative de licenciement pour motif économique (II).
1 - LA SUPPRESSION DE L'AUTORISATION PREALABLE D'EMBAUCHER
"
Cette suppression résulte de l'innovation apportée par la loi n° 87-20 du 18 août
1987(1) réformant l'article 199 du Code du travail dont le nouveau dispositif met
fin au monopole public du placement de la main-d'oeuvre puisqu'il permet, désormais,
au chef d'entreprise, concurremment avec le service du placement, de recruter
directement un travailleur.
Cette suppression du monopole public de placement, naguère accordé au Service
public de la main-d'oeuvre, n'est-elle pas de nature à fairè fléchir la protection d'une
catégorie de travailleurs?
Une réponse positive à cette interrogation doit tenir compte de la nature
administrati ve du service de la main d'oeuvre qui l'oblige à recevoir et à appliquer des
instructions
ou
des
directives
nécessaires
à
son
bon
fonctionnement
et
à
l'accomplissement, de sa mission.
En cette qualité, le service administratif ne pouvait méconnaître l'existence de
directives administratives et politiques prescrivant aux entreprises privées installées au
Sénégal de faire occuper les emplois par des Sénégalais(2). En effet, en application
de ces directives, lorsque le service administratif de la main d'oeuvre était saisi de
(1)
Loi n° 87-20 du 18 août 1987 modifiant certaines dispositions du Code du travail, JORS N°
5193 du 19 septembre 1987, p. 657.
(2)
Ces directives ont été rappelées par la C.S. (2ème Section) dans l'arrêt n° 30 du 18 mai 1985
rendu à propos de l'affaire TRAORE cl Manutention Africaine.
Adde Cass, soc. n° 63 du 28 avril 1993, LC.S. cl Bonhonne RAYMOND, Bulletin des' Arrêts
de la Cour de Cassation, n° 2, septembre 1996 (Année judiciaire 1992-1993), p. 50.
340
demandes d'emplois émanant de nationaux sénégalais et de postulants étrangers, il était
tenu de présenter, prioritairement, aux entreprises privées les candidatures sénégalaises.
Mais avec la suppression du monopole public de placement, outre l'allégement
des formalités administratives qu'elle devra entraîner en matière d'embauche(l), elle
contribuera à lever certains obstacles relatifs à la restriction de l'utilisation de la main
d'oeuvre étrangère susceptible d'être recrutée sans l'autorisation du service de la main-
d'oeuvre.
Or, une telle dérogation accordée au chef d'entreprise est de nature à porter
préjudice aux intérêts de la main d'oeuvre nationale qui peut être en compétition avec
la main- d'oeuvre étrangère. De ce fait, une telle compétition aboutit négativement au
fléchissement de la protection de la main-d'oeuvre nationale.
Cependant, au plan des principes juridiques rigoureux, l'on ne peut
qu'approuver la législation consistant à permettre au chef d'entreprise, de recruter
directement le travailleur pour, au moins, deux raisons.
D'abord, la solution est conforme à la position jurisprudentielle, en matière
sociale, qui condamne la discrimination fondée sur la sénégalisation des emplois(2).
Ensuite, elle se situe dans la lignée d'une doctrine particulièrement avisée qui
soutient que la restriction d'emploi des étrangers se justifie moins en raison de la
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 87-20 précitée.
(2)
Voir dans ce sens, c.A. 22 décembre 1982, TPOM n° 623, p. 172. Il a été jugé en l'espèce
que "la résiliation du contrat de travail fondée sur une sénégalisation est irrégulière et revêt
un caractère discriminatoire".
Voir dans le même sens, Casso civ. n° 63 du 28 avril 1993, LC.S. cl Bonhomme RAYMOND,
Bull. Arr. de la Cour de Cass., Chambre sociale, (Année judiciaire 1992-1993), n° 2,
septembre 1996, pp. 50 et 51. .E;:n l'espèce, il a été jugé que: "en l'absence de textes
aménageant le licenciement de travailleurs étrangers pour sénégalisation, c'est à bon droit que
la Cour ct' Appel à pu déclarer qu'en l'état actuel de la législation, les dispositions de l'art. 20
de la Constitution (...) interdisant LouLe discrimination en matière d'emploi, s'imposent à l'Etat
comme aux employeurs",
.
341
nationalité des travailleurs à cause des nombreuses conventions internationales
bilatérales et multilatétllbs sur la non discrimination et la liberté de circulation et
d'établissement des personnes(l).
Nous venons ainsi de démontrer que, malgré le fait que la suppression de
l'autorisation préalable d'embaucher constitue un moyen de fléchissement de la
protection des travailleurs nationaux, elle doit être approuvée dans la mesure où elle
s'attaque à la discrimination entre tous les travailleurs au moment de leur recrutement.
Mais, lorsque, cette fois-ci, les travailleurs sont déjà insérés dans l'activité de
production, et que cette dernière connaît des turbulences économiques, ils étaient
particulièrement protégés par l'ancien article 47 du Code du travail qui avait institué
une procédure administrative en matière de licenciement pour motif économique.
Sa suppression récente n'est-elle pas de nature à entraîner le fléchissement de
la protection des travailleurs concernés?
II -
LA SUPPRESSION DE L'AUTORISATION ADMINISTRATIVE DE
LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE
Cette suppression résulte directement de la réforme de l'article 47 du Code du
travail qui a abandonné l'autorisation administrative de licenciement pour motif
économique(2).
Qu'est-ce qui a pu pousser le gouvernement à supprimer cette autorisation
administrative de licenciement pour motif économique?
(1)
Doct. v. Joseph ISSA-SAYEGH, article précité, p. 7. En effet, l'auteur signale utilement, à ce
propos, l'existence sur le plan régional du Traité de l'UEMOA (Union Economique et
Monétaire de l'Afrique de l'Ouest) qui a pour objectifs de créer entre les membres un marché
commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux...
(article 4C) (sic), p. 17.
(2)
V. loi n° 94-80 du' 8 décembre 1994, JORS du 17 décembre 1994, p. 542.
342
Dans quelle mesure cette suppression a-t-elle eu des répercussions négatives sur
la protection des travailleurs?
Ces interrogations paraissent d'autant plus fondées qu'avec les passions
suscitées par le dernier projet de réforme du Code du travail, le gouvernement n'avait
pàs les coudées franches pour finaliser ledit projet(l). Il s'ensuit la question de
,
,
'
savoir: qu'est-ce qui a pu déterminer la volonté de réforme des pouvoirs publics dans
le domaine du licenciement pour motif économique?
Du fait que toute réforme est censée être porteuse d'idées novatrices et
génératrices de progrès, il convient alors d'examiner les innovations apportées par la
suppression de l'autorisation administrative de licenciement pour motif économique
CA).
Ce faisant, un accent sera mis sur la suppression de cette autorisation
administrative naguère considérée comme la pièce maîtresse de la procédure de
licenciement pour motif économique(2).
Par ailleurs, la passion voire la fracture que pourrait susciter toute réforme en
matière sociale(3) ,nous conduira à analyser les points de vue différents, voire
divergents des partenaires sociaux et de la doctrine qui n'ont pas manqué de fournir
des arguments plus ou moins pertinents.
(1)
Moussa SAMB, op. cil. p. 4.
(2)
J., ISSA-SAYEGH, Manuel précité, n° 1366, p. 630.
Adde Isaac Yankhoba NDIAYE, Le licenciement pour motif économique, Rev. de l'Ass. sén.
de dr. pén. n° 1, p. 12 et s. En effet, selon cet auteur, "L'article 47 du Code du travail
organisait une procédure particulière tant pour la protection des travailleurs que pour
l'équilibre général de l'emploi".
(3)
Demba SY, op. cil. p. 203. En effet, cette fracture a été constatée lors de l'examen de la loi
n° 89-31 du 12 octobre 1989 précitée. Selon l'auteur, "la loi fut adoptée dans un climat tendu
après des débats houleux à l'Assemblée nationale (les députés du Parti Socialiste membres de
la CNTS avaient d'ailleurs 'refusé de voter le texte)".
.
343
C'est le lieu de faire un bilan provisoire(l) de cette discussion à travers la
question de l'opportunité de la réforme du licenciement pour motif économique (B).
A -
Innovations de la suppression de l'autorisation administrative de
licenciement pour motif économique
La suppression de l'autorisation administrative préalable a pour effet principal
d'assouplir le licenciement pour motif économique puisqu'il n'est accordé dorénavant
à l'inspection du travail qu'un rôle de conseil. Par suite, ce nouveau régime juridique
du licenciement pour motif économique comporte l'avantage de permettre de faire
l'économie d'une procédure très longue et excessive qui peut conduire à une perte
collective d'emploi, notamment lorsqu'il aboutit à la fermeture d'entreprjSes(2).
Il semble que cet inconvénient majeur ait déterrriiné les pouvoirs publics à
imposer la réforme urgente des règles du licenciement pour motif économique(3)
en rompant, au besoin, le pacte social avec les syndicats.
S'il est clair que cette option gouvernementale participe d'une politique de plein
emploi(4), il s'y ajoute que celle-ci doit se réaliser non seulement par la création
de nouveaux emplois mais encore et surtout par la consolidation de ceux déjà
existants(5). A cet égard, on peut dire en définitive, que la réforme de l'article 47
(1)
V. Quotidien Wal Fadjri - L'Aurore du vendredi 25 octobre 1996, n° 1383 - Code du travail
: Le bilan, un an après. Les coups voilés de l'article 47, pp. 1 et 6.
(2)
Moussa SAMB, op. cit. p. 15.
(3)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-80 du 8 décembre 1994 précitée.
Alinéa 2 de l'exposé des motifs: "... beaucoup d'employeurs renonçaient à créer des emplois
nouveaux. Par ailleurs, la durée de la procédure administrative de licenciement conduirait trop
souvent des entreprises en difficultés à la fermeture complète. Dans le cadre de la priorité à
l'emploi, il est 9Pportun de modifier 'ce dispositif pour favoriser au maximum la création
d'emplois".
(4)
J. ISSA-SAYEGH, Manuel précité, n° 1418 à 1421, p. 650.
(5)
Sur les deux manières de comprendre la promotion de l'emploi, V. Isaac Yankhoba NDIAYE,
op.cit. p. 12.
344
du Code du travail ne s'explique et ne se justifie que parce qu'elle est bonne pour
l'emploi(l). Une telle appréciation des pouvoirs publics étant loin d'être partagée
par tout le monde, il convient alors d'examiner la question de l'opportunité de cette
réforme.
B -
Opportunité de la suppression de l'autorisation administrative de
licenciement pour motif économique
La question de l'opportunité de la suppression de l'autorisation administrative
de licenciement pour motif économique traduit à la fois le réconfort et le malaise que
la réforme a suscités. A ce propos, différentes thèses ont été soutenues en fonction de
la création ou de la sauvegarde de l'outil de travail ou même de la déprotection des
travailleurs.
Il s'agira de montrer que, malgré la pertinence des propositions avancées, la
réforme a pour finalité essentielle la déprotection des travailleurs.
La première thèse reposant sur la création d'emplois a été soutenue par les
pouvoirs publics. Elle s'appuie essentiellement sur la préservation des emplois menacés
par une longue pr~cédure administrative et judiciaire qui conduit les employeurs à
préférer une cessation d'activité moins coûteuse plutôt que de recourir à une procédure
de licenciement pour motif économique(2).
Or, il apparaît que malgré la pertinence de cet argument massue, ce dernier n'a
pu convaincre, d'ailleurs, toute la représentation nationale, même au sein de sa frange
majoritaire(3).
(1)
Du moins, c'est ce que laisse entendre le gouvernement à travers l'alinéa 2 de l'exposé des
motifs de la loi n° 94-80 du 8 décembre 1994 précitée.
(2)
Moussa SAMB, op. cit. p. 15.
(3)
En effet, au moment du vote de la loi n° 94-80 précitée, certains députés du parti au pouvoir,
s'ils n'ont pas simplement refusé de se prononcer favorablement, ont néanmoins fait observer
345
Quant à la deuxième thèse, elle paraît reposer sur la sauvegarde de l'outil de
production et concerne de ce fait le patronat qui voit, à travers cette réforme, la
restauration d'un véritable pouvoir de gestion de l'entreprise(l).
Ceci est d'autant plus compréhensible que la gestion antérieure paraissait être
entravée par l'intervention d'une autorité administrative représentée par l'inspection du
travail qui avait un droit de regard sur la direction de l'entreprise, du moins, lorsqu'une
question relative au licenciement pour motif économique était en jeu.
Cependant, la satisfaction du patronat paraît surtout être justifiée dans la mesure
où les inconvénients d'une cessation collective d'activité pourront être évités dès lors
que l'employeur restera désormais le seul maître du jeu du fait que le nouveau rôle
dévolu aux institutions comme le collège des délégués et l'inspection du travail se
limite à une consultation(2).
Si cette thèse est porteuse de véritables idées fécondes, elle n'en demeure pas
moins critiquable dans la mesure où la restauration du pouvoir de gestion du chef
d'entreprise pourrait ouvrir la porte à tous les abus en matière de licenciement pour
motif économique. D'où la nécessité d'examiner la dernière thèse.
que les investissemens extérieurs escomptés se faisaient toujours désirer.
(1)
Voir dans ce sens, c.A. Dakar, 21 février 1968, TPOM n° 262 du 2 août 1969,; pp. 5796 et
5797. Jugé qu'''i1 est de jurisprudence constante que l'employeur est seul juge de la
'réo'iganisatiion qu'il croit utile d'opérer dans son entreprise, mais doit y procéder en observant
les règles posées par l'article 47 du Code du travail".
Comp. Trib. trav. Tananarive, 25 mai 1963, TPOM n° 137 du 2 mars 1964, p. 3042.
Législation, v. article L 66 du projet de Code du travail qui en fait une disposition légale
permettant à l'employeur un ajustement par lui-même, du statut de salarié aux changements
professionnels, aux nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et à la conjoncture
économique.
Sur la question, v. Isaac Y. NDIAYE et Moussa SAMB, op. cit. p. 118.
(2)
Isaac Y. NDIAYB, op. cit. pp. 17 et 18.
346
Celle-ci repose sur la déprotection des travailleurs si bien que leurs syndicats
ne pouvaient que déplorer la suppression de l'autorisation administrative de
licenciement considérée comme la pièce maîtresse de leur protection(l).
Certes, à l'encontre de cette thèse, une étude statistique rapportée par M.
SAMB(2) a montré que 80 % des demandes de licenciement sont autorisées par
l'Inspecteur du travail; ce qui entre en opposition avec les objectifs de la procédure
naguère instituée par l'ancien article 47 du Code du travail qui l'avait prévue pour
éviter autant que possible les licenciements ou bien à en limiter les conséquences(3).
(1)
Moussa SAMB, op. cit. p. 15.
(2)
Moussa SAMB, op. cit. p. 15.
(3)
Joseph ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 1338, p. 619.
Pourtant, malgré la suppression de cette procédure de l'autorisation administrative, le bilan,
un an après du nouvel article 47 du Code du travail, semble être satisfaisant au plan de la
politique de l'emploi. Du moins, c'est ce qui apparaît à travers le Quotidien Wal Fadjri précité
(page 6) où on peut notamment, relever que selon la Direction du travail, "la situation
prévalant depuis 1995,première année de l'application de cet article 47 nouveau dénote un
maintien conséquent des emplois créés".
De cette situation; la Direction en conclut qu"'il est pennis, à la lumière des données
disponibles, d'affirmer que l'article 47 nouveau du Code du travail n'a pas fait l'objet d'une
utilisation importante, encore moins abusive" (sic).
Voir à ce propos Babacar DIAKHATE, L'article 47 du Code du travail: facteur de paix
sociale ou de discorde dans l'entreprise, Relations Sociales n° 10, 1997, Spécial "Journées du
monde du travail", pp. 9 à 13 ; voir spéc. le tableau de comparaison de quelques années
d'application de l'article 47 du Code du travail à la page 12.
Année
1993
1994
1995
1996
Nombre de demandes
ou dossiers
39
54
41
8
Nombre de travailleurs
concernés
. 252
319
236
37
Suites réservées
· 24 autorisations
· 97 autorisations
11 cas de
2 cas de
· 6 rejets
· 110 rejets
règlements amiables
désistements
· 9 règlements
· 6 reconversions
amiables
· 27 désistements
(désistements,
départs négociés)
347
Malgré cette réserve tirée des secondes études statistiques, on peut affirmer le
contraire en disant que la suppression de l'autorisation administrative doit être
considérée, en définitive, comme un moyen de fléchissement de la protection des
travailleurs dans la mesure où la réforme ampute une étape et une procédure destinées
à assurer la protection des travailleurs ainsi que l'équilibre général de l'emploi. Par
suite, le fléchissement de la protection des travailleurs qu'entraînera l'amputation de
la procédure, rejaillira, tôt ou tard, sur la politique générale de l'emploi qui pourrait
énormément en souffrir.
348
Conclusion du Chapitre 1
On peut affirmer que la protection des travailleurs revêt, désormais, un double
aspect. Ainsi, dans la phase d'élaboration du droit du travail, la protection entière des
travàilleurs se justifiaient par le contexte dirigiste de l'économie du développement qui
avait entraîné, de fait, la rigidité des règles de protection.
Pour l'essentiel, si cette protection subsiste encore(l), on ne peut manquer
d'ajouter qu'elle subit, de plus en plus, une agression dictée par la conduite de
nouvelles politiques économiques d'inspiration libérale(2). C'est reconnaître, par
conséquent, que le droit du travail est un droit dynamique qui épouse nécessairement
les contours de l' évol ution économique à laquelle il est ombilicalemen t lié.
Même si cette liaison du droit à l'économie peut être 'constatée dans le droit du
bail commercial, il convient, tout de même, de préciser que la protection des locataires
commerçants, autre catégorie socio-professionnelle, est réalisée surtout par la
surveillance de la rupture du bail commercial.
(1)
Isaac Y. NDIAYE et Moussa SAMB, op. cit. Introduction de leur article.
En droit français, Thierry REVET, L'ordre public dans les relations de travail, in ouvrage
COllectif, L'ordre public à la fin du XXe siècle, Dalloz, 1996, p. 63.
(2)
V. Joseph ISSA-SAYEGH, art. précité, p. 6.
349
CHAPITRE n - PROTECTION DES LOCATAIRES COMMERCANTS
La protection de cette catégorie socio-professionnelle peut être située dans le
contexte général marqué du sceau de la rareté des locaux commerciaux qui a eu pour
corollaire d'instaurer une certaine inégalité entre les locataires commerçants non
propriétaires des locaux abritant leur fonds de commerce et les bailleurs. Une telle
inégalité résulte de la loi de l'offre et de la demande si bien qu'il est apparu crucial de
rétablir le déséquilibre issu du nombre infime de locaux à louer par rapport au nombre
sans cesse croissant d'opérateurs économiques désirant louer les locaux en qualité de
preneurs. Dans ces conditions, les locataires commerçants peuvent se retrouver dans une
situation particulière de vulnérabilité si l'on permet aux bailleurs de mettre fin facilement
au contrat de location le liant aux preneurs.
En effet, un tel système permettant de résilier aisément le bail des locataires
commerçants peut se révéler néfaste, voire dangereux dans la mesure où le commerçant
fait des investissements, des efforts commerciaux pour retenir une clientèle, dont il risque
d'être brusquement privé par la rupture du contrat qui va l'obliger à déménager en
d'autres lieux(l). Il s'ensuit que, pour éviter de tels inconvénients, les pouvoirs publics
sénégalais ont jugé indispensable de réglementer strictement le dénouement du bail
commercial.
Au-delà de cette réglementation minutieuse de la rupture du bail commercial, quelle
est la finalité visée en matière de protection des locataires commerçants?
Cette catégorie socio-professionnelle exerçant une activité économique qui ne
saurait s'épanouir positivement sans un cadre stable, il nous semble que c'est la recherche
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, Droit commercial, 3ème édition, LITEC, 1993, nO 481,
p.346.
350
de l'harmonie du tissu économique qui a poussé les pouvoirs publics à contrôler la
cessation du bail commercial à travers la réglementation minutieuse du droit au
renouvellement du bail commercial (Section 1) dont la méconnaissance conduit à
l'application de sanctions à l'encontre des bailleurs (Section II).
SECTION 1-
CESSATION DU BAIL COMMERCIAL (REGLEMENTATION
MINUTIEUSE DU DROIT AU RENOUVELLEMENT DU
BAIL COMMERCIAL)
De manière générale, la réglementation du bail commercial, et singulièrement son
renouvellement, relève d'une fixation, presqu'entièrement autoritaire, par les pouvoirs
publics, si bien que pour désigner l'importance de la protection accordée au bail
commercial, la doctrine française n'a pas manqué d'y voir l'expression d'un statut(l).
En fait de statut, une série de mesures a été adoptée par le législateur sénégalais
en vue d'assurer la protection de la propriété commerciale à travers le bail qui constitue
un des éléments essentiels du fonds de commerce(2) pour ne pas dire, tout simplement,
le premier élément principal.
Une telle position privilégiée de la propriété commerciale en fera, du reste, une
condition d'obtention du droit au renouvellement (Sous-Section 1) dont l'analyse
controversée mérite l'étude de ses fondements justificatifs avant sa rillse en mouvement
(Sous-Section II).
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. p. 346.
(2)
En effet, on peut retenir d'autres éléments essentiels du fonds de commerce comme la clientèle.
Voir à ce sujet, en droit français; Pierre COLLOMB, La clientèle du fonds de commerce, Rev.
trim. dr. corn. 1979, p. l.
351
Sous-Section 1 -
CONDITION
D'OBTENTION
DU
DROIT
AU
RENOUVELLEMENT: LA PROPRIETE COMMERCIALE
La condition préalable et essentielle permettant aux locataires commerçants
d'obtenir un droit au renouvellement fait appel à la notion de propriété commerciale que
la doctrine(l) considère, à juste titre, comme l'apport fondamental de toute législation
relative aux baux commerciaux. Par suite, on peut dire que la propriété commerciale est
au coeur de la protection du bail commercial où il convient de situer sa place et son
importance dans la protection des locataires commerçants.
Si la propriété commerciale résulte du contrat que passe un commerçant avec le
propriétaire des locaux dans lesquels il exploite son fonds de commerce, il convient de
préciser que sa mise en oeuvre obéissait à certaines conditions tenant soit au bail(2) qui
peut être à durée indéterminée ou à durée déterminée(3); sùit au preneur, c'est-à-dire
les locataires(4) ; les sous-locataires et les cessionnaires(5) et les personnes morales
de droit public(6) ; soit enfin à l'exploitation du fonds qui peut varier selon une durée
de 3 ans à 4 ans(7).
(1)
Didier MARTIN, Droit civil et commercial sénégalais, Collection CIFPB, NEA, 1982, n° 565, p.
140.
(2)
Voir dans ce sens, Trib. Inst. Dakar, n° 622 du 26 mars 1977, Rev. sén. dL n° spécial sur les
baux, janvier 1982, n° 24, p. 94. En l'espèce, il a été jugé que "n'a pas droit à la propriété
commerciale le preneur qui, ayant loué des locaux à usage d'habitation, y a édifié un restaurant,
sans prouver qu'il a eu l'autorisation de son bailleur".
(3)
V. article 589-1°- et 2°_ du COCc.
(4)
V. article 589 1°_ du COCc.
(5)
V. article 590 du COCc.
(6)
V. article 591 du COCc.
(7)
V. article 589 du COCc.
352
Ces conditions cumulatives ont été, pour l'essentiel, conservées par la nouvelle
législation en matière de baux commerciaux dans le cadre du traité créant l'organisation
pour l'harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA)(I) qui a néanmoins
apporté quelques innovations relatives notamment à la qualité du preneur qui peut exercer
une profession libérale, à l'unification de la nature du bail en méconnaissant la distinction
entre bail à durée indéterminée et bail à durée déterminée tout en réduisant, enfin, en tout
état de cause, la durée minimale d'exploitation à deux ans(2).
C'est lorsque la propriété commerciale aura rempli ces conditions légales que sa
mise en oeuvre pourra permettre de protéger l'éviction du commerçant qui peut subir une
perte de clientèle.
Ce problème a été posé en droit français(3) sous l'angle de l'équation du droit
au bail qui a alors deux termes : le renou~ellement du bail ou bien le paiement d'une
indemnité d'éviction.
Le premier terme de cette équation juridique soulève le problème de la stabilité des
locaux qui abritent le fonds du preneur qui n'est pas propriétaire de l'immeuble dans
lequel est établi son fonds(4).
(1)
Ce traité a été signé le 19 octobre 1993 lors du Sommet de la Francophonie à l'Ile Maurice (Port
Louis).
(2)
Sur la réforme des baux commerciaux et du fonds de commerce, v. J. ISSA-SAYEGH,
L'intégration juridique des Etats africains de la Zone franc, à paraître au Penant de 1997, voir
spéc. p. 40 de l'article.
(3)
En droit français, v. G. FARJAT, L'ordre public économique, LGDJ 1963, n° 315, p. 255.
(4)
Didier MARTIN, op. cil. n° 564, p. 140.
353
Pour résoudre ce problème, un véritable droit au renouvellement(l) a été conféré
au preneur qui pourra ainsi provoquer la relation contractuelle, selon l'expression juste
consacrée par M. FARJAT(2). Cette provocation paraît d'autant plus fondée qu'il
s'agira d'inciter le bailleur à accorder une prolongation de la durée de location(3).
Le second terme de l'équation renvoie à la notion d'indemnité d'éviction qui peut
être considérée comme une mesure à laquelle le preneur peut prétendre si le bailleur
refuse de renouveler le bail du commerçant, si bien qu'elle peut être comprise comme une
compensation assortissant l'échec du droit au renouvellement.
En définitive, on constate, dans tous les cas (refus ou renouvellement du bail
commercial), que c'est la notion de propriété commerciale qui joue le rôle catalyseur en
matière de protection des locataires commerçants lorsqu'ils sont amenés à mettre en
oeuvre leur droit au renouvellement dont la nature controversée justifie qu'il soit, en outre,
précisé.
Sous-Section fi -
FONDEMENTS JUSTIFICATIFS ET MISE EN OEUVRE DU
DROIT AU RENOUVELLEMENT DU BAIL COMMERCIAL
La notion de droit au renouvellement a connu une fortune diverse dans la doctrine
française
qui,
analysant
ses
soubassements,
lui
apporte
tantôt
un
fondement
juridique(4), tantôt un fondement économique ou social(5).
(1)
V. article 603 et suivants du COCc.
(2)
G. FARJAT, op. cit. p. 255.
(3)
Voir dans ce sens, Trib. rég. ~I.c. Dakar, 14 mai 1988, Rev. EDJA, n° 13, p. 16. Jugé que "la
demande de renouvellement par exploit tacitement acceptée donne droit à la reconduction
obligatoire pour 3 ans".
(4)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. p. 255.
(5)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. ciL n° 481, p. 346.
354
Qu'en est-il en droit sénégalais? N'y existe-t-il pas des raisons spécifiques qui
viennent s'ajouter ou contredire celles qui ont été employées pour justifier le
soubassement de la théorie du droit au renouvellement en France?
D'où l'intérêt de l'étude de la question des fondements justificatifs du droit au
renouvellement (I).
Par ailleurs, on note qu'une procédure très minutieuse a été décrite pour mettre en
oeuvre ce droit au renouvellement(l). C'est dire toute l'importance accordée à cette
phase du contrat de bail puisque nous sommes ici en présence de l'un des rares cas où le
législateur se préoccupe particulièrement du dénouement du lien contractuel(2). Une
telle importance capitale justifie l'étude de la mise en oeuvre du droit au renouvellement
du bail commercial (II).
1 -
FONDEMENTS JUSTIFICATIFS DU DROIT AU RENOUVELLEMENT DU
BAIL COMMERCIAL
Si les fondements économiques et SOCIaUX ont été largement précisés par la
doctrine(3), les fondements juridiques, eux, par contre, n'ont semble-t-il pas eu la
faveur des commentateurs. C'est pourquoi, il nous paraît nécessaire de nous référer à la
magistrale thèse de M. FARJAT qui s'est proposé d'analyser les fondements juridiques
du droit au renouvellement.
(1)
V. articles 603 et suivants du cacc précité.
(2)
En effet, l'exemple de la rupture du contrat de travail peut être aussi utilement retenu.
(3)
Didier MARTIN, op. cit. n° 564, p. 140 ; en droit français, v. G. FARJAT, op. cit. p.255 ; Yves
REINHARD, op. cit. n0481, p. 346 et n° 511, p. 360.
355
L'éminent auteur soutient qu'en 1926, date de la création de la propriété
commerciale, c'est par la notion d'abus de droit que l'on légitimait le droit au
renouvellement du locataire commerçant(1).
Cependant, cette justification du droit au renouvellement par le concept d'abus de
droit paraît excessive dans la mesure où le bailleur ne fait qu'exercer un droit
discrétionnaire accordé suite à une option ouverte par la loi qui accordera probablement,
selon le mot de M. REINHARD, un droit pécuniaire lorsque le renouvellement n'est pas
obtenu(2).
Ainsi, il est permis de dire que, sur le plan du résultat, l'abus de droit et le droit
au renouvellement ne parviennent pas au même but dès lors que si le premier est
sanctionné principalement par une allocation de dommages-intérêts en vertu des règles sur
la responsabilité civile, le second, par contre, est garanti par l'octroi d'une indemnité
d'éviction.
A côté de l'abus de droit, un autre fondement du droit au renouvellement peut,
nous semble-t-il, reposer positivement sur la notion de propriété commerciale à laquelle
une partie de la doctrine assimile le droit au renouvellement(3), et cette assimilation
pourrait être retenue, quand bien même, le terme de "propriété" paraît être un concept
galvaudé(4).
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 200, p. 159.
(2)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 511, p. 360.
(3)
Voir par exemple Didier MARTIN, op. cit. n° 565, p. 140.
(4)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 511, p. 360. Selon l'auteur: "le terme
propriété, s'il est évocateur, n'en est pas moins inexact".
356
Malgré les pertinentes réserves de la doctrine, il nous paraît que le concept de
propriété puisse jouer un rôle dans la justification du fondement du droit au
renouvellement par la propriété commerciale. En effet, s'il est permis d'épouser l'opinion
de M. REINHARD selon laquelle le locataire n'a qu'un droit personnel contre le
propriétaire(l), on doit cependant ajouter et préciser que le droit du locataire peut être
aussi conçu comme un droit de jouissance résultant du démembrement de la propriété du
bailleur(2). C'est pourquoi M. REINHARD ne pouvait, sans se contredire, fonder la
suite de son analyse sur deux droits dont l'un, c'est-à-dire le droit de propriété
immobilière, a cédé de façon importante devant le droit de l'exploitant(3).
Si ce conflit des deux droits a été positivement, et avec juste raison, résolu en
faveur de la protection du droit de l'exploitant commerçant(4), il faut, en plus, convenir
que c'est cette idée de protection qui a suscité l'intervention des pouvoirs publics(5).
En effet, il nous semble que le droit au renouvellement peut être considéré comme
un biais par lequel les pouvoirs publics veulent parvenir à rétablir l'équilibre contractuel
entre les bailleurs et les locataires commerçants par une compensation de l'inégalité entre
un droit de propriété et un droit de jouissance qui en dépend.
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit., n~ 511 p. 360.
(2)
Malgré l'opinion contraire soutenue par M. Kuadjo Cyrille JOHNSON dans son article
L'indemnité d'éviction en droit sénégalais, Penant, 1990, n° 802, p. 53 et suiv. Voir spéc. p. 54,
n° 4.
(3)
. En droit français, v. Yves REINHARD, op. ciL, ibidem.
(4)
D. MARTIN, op.ciL n° 564, p. 140. Adde en droit français, v. Yves REINHARD, op. ciL, ibidem.
(5)
D. MARTIN, op. cil. n° 565, p. 140.
357
En définitive, on peut dire que c'est la théorie de la propriété commerciale qui doit
être retenue pour justifier le fondement du droit au renouvellement qui doit être mis en
oeuvre selon des règles particulières.
II • MISE EN OEUVRE DU DROIT AU RENOUVELLEMENT DU BAIL
COMMERCIAL
Elle résulte de la technique de la résiliation unilatérale du contrat par le bailleur
qUi est tenu de donner congé au preneur par un acte extra-judiciaire à peine de
nullité(l).
Cet acte d'huissier, outre qu'il doit contenir certaines mentions obligatoires par la
reproduction intégrale des articles 594 et 609 du COCC(2) déclenche dans le même
(1)
V. article 592 du COCC.
Doct. V. J.P. TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, LGDJINEA, 1981, n° 305, p. 115.
(2)
Article 594 du COCC - Congé :
"En cas de congé, le preneur qui veut obtenir le renouvellement de son bail doit en faire la
demande avant l'expiration du congé. Le preneur qui désire être remboursé des constructions et
aménagements qu'il a réalisés dans l'immeuble avec l'autorisation du bailleur, doit en faire la
demande avant l'expiration du congé par notification faite audit bailleur, ou à l'une des personnes
indiquées à l'article 595, accompagnée des pièces justificatives des dépenses faites et de
l'autorisation donnée. Cette notification doit, à peine d'irrecevabilité, reproduire les termes de
l'article 597 alinéas 4, 5 et 6".
Article 609 du COCC - Montant de l'indemnité d'éviction:
"Pour calculer le montant de l'indemnité d'éviction, il est fait addition du montant des bénéfices
réels ou forfaitaires déclarés par le preneur au Service des Contributions pour les 3 exercices qui
précèdent l'année en cours au jour de la demande de renouvellement. Lorsque les bénéfices réels
ou forfaitaires déclarés par le preneur sont réalisés par une entreprise qui exerce son activité dans
plusieurs locaux di.fférents dont certains seulement ont fait l'objet du refus de renouvellement du
bail ouvrant droit àl'inctemnité, une expertise dégagera la part de bénéfices imputable au local
faisant l'objet de la procédure.
. "L'indemnité d'évietion est égale auxdeux-tiers de cette somme majorée du coût des constructions
et aménagerpyr1ts effectués ~vec l' auto~isation du bailleur".
"Lorsque le locataire a formulé la demande de renouvellement avant l'expiration de la première
période triennale du bail à durée déterminée, il est fait addition du montant des bénéfices réels ou
forfaitaires déclarés pendant les 2 premiers exercices et l'indemnité d'éviction est égale à cette
.
.
358
temps la procédure,de demande de renouvellement effectuée par le preneur commerçant
(articles 596 et suivants du COCC).
Il est vrai que cette description schématique de la mise en oeuvre du droit au
renouvellement cache mal le détail minutieux de la réglementation en la matière(l).
Cependant, l'on ne peut manquer de se demander pourquoi le législateur s'est préoccupé,
jusque dans ses moindres détails, de la rupture du bail commercial. En d'autres termes,
somme majorée du coat des constructions et aménagements effectués avec l'autorisation du
bailleur".
"Quand le locataire n'a pas encore acquis le droit au renouvellement de son bail, l'indemnité
d'éviction est égale au coat des constructions et aménagements qu'il a effectué avec l'autorisation
du bailleur".
"L'ordonnance fixant l'indemnité d'éviction est signifiée à l'adversaire par la plus diligente des
parties".
"A peine de nullité de l'acte, l'exploit de signification porte reprod.uction littérale des termes de
l'article 610 du COCC".
(1)
Voir par exemple: Article 596 du COCC - Forme et teneur de la demande de renouvellement:
La demande de renouvellement du bail devra, à peine d'irrecevabilité:
1°_ être présentée par acte extra-judiciaire;
2°_ comporter notification d'une attestation de l'Inspecteur des Contributions du lieu de situation
de l'immeuble indiquant le montant,des bénéfices nets déclarés à ses services par le preneur pour
les 3 exercices précédant l'année en cours, ou le taux d'évaluation forfaitaire retenu pour cette
même période lorsque le preneur est soumis à ce régime, si la demande est formulée avant
l'expiration de la première période triennale du bail à durée déterminée, l'attestation porte sur les
deux exercices précédant l'année en cours;
3°_ Reproduire les tennes de l'article 597 alinéas l, 2 et 3.
Art. 597 du COCC - Réponse du bailleur:
"Dans les deux mois de la signification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, par acte
extra-judiciaire, faire connaJtre au preneur s'il refuse le renouvellement.
A défaut d'avoir fait conncuÛ'e ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le
principe du renouvellement du bail précédent".
"L'exploit de notification de la réponse du bailleur doit contenir reproduction des termes de
l'article 598".
"Dans les deux mois de la signification qui lui est faite en application des dispositions de l'article
594 alinéa 2, le bailleur doit, par acte extra-judiciaire, faire connaître au preneur s'il refuse de le
rembourser des constructions et ouvrages".
"A défaut d'avoir fait conncuÛ'e ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté
de payer l'intégralité de la somme demandée".
"L'exploit de notification de la réponse du bailleur doit contenir reproduction des termes de
l'article 598".
359
quelle est la finalité poursuivie par le législateur sénégalais à travers cette réglementation
minutieuse du droit au renouvellement?
La question mérite d'autant pus d'être posée que cette réglementation particulière
va à l'encontre d'une tradition juridique qui laisse généralement le soin aux parties de
mettre fin à leurs rapports contractuels.
Il nous semble qu'en dérogeant à la tradition juridique, le législateur a entendu
protéger, à tout prix, la catégorie des locataires commerçants qui souhaitent maintenir leur
exploitation dans un endroit où ils ont pu rallier leur clientèle(l). Pour cela, il
apparaissait utile de créer les conditions légales qui devaient inciter le propriétaire des
locaux commerciaux à contracter à l'expiration de l'ancien bail, un nouveau bail(2).
Cette politique législative est d'autant plus impérieuse qu'à côté des inconvénients
liés à une perte de clientèle que peut subir le locataire commerçant suite à une rupture
brusque de son contrat qui va l'obliger à déménager en d'autres lieux(3), il y a, en
outre, le risque de voir le tissu économique se déliter suite à l'éviction du commerçant.
Mieux, une telle situation a fait dire, avec juste raison, à un auteur, que la solution
du défaut de renouvellement du bail serait choquante(4).
A notre avis, il convient d'approuver toutes ces raisons justificatives dans la mesure
où l'on s'est aperçu, au Sénégal plus qu'ailleurs si on compare à d'autres pays
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 77-61 du 26 mai 1977 modifiant le COCC, JaRS du 18 juin
1977; p. 734.
(2)
En droit français, V. G. FARJAT, op. cil. n° 315, p. 255.
(3)
En droit français v. Yves REINHARD, op. cH. n° 481, p. 345.
(4)
D. MARTIN, op. cit. n° ,564, p. 140.
360
comparables, que la rareté des locaux rend précisément la vulnérabilité des locataires
commerçants encore plus grande si bien que le preneur est apparu comme un sujet de
droit à protéger.
En définitive, cet argument combiné aux efforts de construction de la doctrine
permettent de justifier amplement la dérogation à la règle classiq ue qui veut qu'on ne
puisse être lié éternellement à quelqu'un dès lors que le contrat peut toujours prendre fin
par la volonté unilatérale(l) de l'une ou de l'autre partie. Au surplus, le bailleur se
présentant comme fournisseur de la jouissance d'un bien et faisant partie d'un circuit
économique, il est normal qu'on l'oblige à suivre les règles qui entourent le droit au
renouvellement du bail. A cet égard, si la rupture est du fait du bailleur qui refuse le
renouvellement du bail, son attitude sera alors sanctionnée par l'allocation d'une indemnité
d'éviction.
SECTION II • SANCTION DU DROIT AU RENOUVELLEMENT PAR
L'INDEMNITE D'EVICTION
La finalité de protection recherchée par le législateur n'aurait pas été atteinte si,
après avoir reconnu un droit au renouvellement au preneur commerçant, il ne l'assortissait
pas de sanctions. C'est la raison pour laquelle il était prévu l'allocation d'une indemnité
(1)
J.P. TOSI, op. cil. n° 415, 418, 419 et 420, pp. 149 et 150.
Adde J. ISSA-SAYEGH, Droit du travail sénégalais, LGDJINEA, 1987, n° 1304, p. 600. Selon
ces auteurs, "le principe qui gouverne la rupture des contrats à durée indéterminée est celui de la
résili ation unil atérale".
361
d'éviction(l) et, dans certaines situations de crise, le maintien autoritaire dans les lieux
au mépris du congé éventuellement délivré par le bailleur(2).
Depuis cette abrogation, l'indemnité d'éviction est restée le seul moyen de
protection du preneur commerçant qui cherche à mettre en oeuvre son droit au
renouvellement.
Dans l'analyse de sa nature juridique, l'indemnité d'éviction a connu une certaine
fortune en doctrine. Ainsi, après un rejet quasi unanime de la qualification de dommages-
intérêts(3), la doctrine s'est penchée sur la notion d'exploitation sur laquelle repose la
définition de M. JOHNSON selon laquelle l'indemnité d'éviction serait "une somme
théoriquement représentative des possibilités de profit qui vont dorénavant échapper au
preneur évincé"(4).
(1)
V. article 609 du COCc.
(2)
V. article 586-1 du COCc.
Cette disposition ne figure plus dans la loi n° 84-12 du 4 janvier 1984 modifiant le COCC, JORS
n° 4984 du 12 janvier 1984, p. 14. Sur la défunte institution du maintien dans les lieux, v. D.
MARTIN, op. cit. n° 573, p. 142.
En droit français, v.'Robert DESIRY, Réflexions sur la nature juridique du droit au maintien dans
les lieux institué par la loi du 1er septembre 1948, Dalloz, 1954, pp. 163 à 170.
(3)
Voir dans ce sens, Kuadjo Cyrille JOHNSON, op. cit. n° 6, p. 55.
En droit fTançais, v. Jean Francis OVERSTAKE, l'Indemnité d'éviction, Rev. trim. dr. corn., 1968,
p.529.
Contra: Me Gilbert DANON dans sa communication au colloque sur la législation sénégalaise
à la lumière de la pratique sur le louage dans la législation sénégalaise, n° spécial, R.S.D. n° 12,
1973, p. 53.
Selon lui, "la législation prévue anciennement par le décret n° 52-765 était manifestement
beaucoup plus équitable puisqu'elle avait pour effet de laisser au juge des loyers commerciaux le
soin de fixer l'indemnité d'éviction, en précisant que celle-ci devait réparer le préjudice réel
souffert par le locataire évincé".
(4)
Kuadjo Cyrille JOHNSON, op. cit. n° 9, p. 57.
362
Si nous avons cru nécessaire de préciser la notion d'indemnité d'éviction, ce n'est
point pour nous étendre sur un concept qui paraît largement débattu par la doctrine(l)
mais bien plus pour voir quelle influence sa nature juridique exercera sur le régime de
protection des locataires commerçants. En d'autres termes, l'on se demandera dans quelle
mesure l'indemnité d'éviction est de nature à assurer la protection des locataires
commerçants.
Notre contribution à la réponse à cette question ne fera qu'étayer des solutions
proposées par la doctrine et qu'il convient d'actualiser à la lumière des impératifs de
l' harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Certes, il paraît di fficile de trouver un fondement protecteur à l'indemnité
d'éviction autre que celui portant sur le droit au renouvellement(2). A cet égard,
lorsqu'il n'est pas prouvé une cause légitime de refus de renouvellement,soit que le
bailleur n'établit pas que le locataire commerçant n'a pas su exploiter suffisamment le
fonds(3) ; soit que le bailleur ou ses ayants-cause, après avoir exercé leur droit de
reprise des lieux, ne les ont pas exploités personnellement(4); soit enfin que le bailleur
ayant exercé ledit droit de reprise pour reconstruction, n'a pas respecté les conditions de
(1)
V. supra p.
361 note 3.
(2)
Sur cette question, v. Kuadjo Cyrille JOHNSON, op. cit. n° 5, p. 55. En effet, selon l'auteur,
"c'est plutôt le droit au renouvellement du bail, et ce droit va au-delà du simple droit au bail, car,
pour en bénéficier, il faut au préalable certaines conditions, notamment la condition de durée
d'exploitation".
(3)
V. article 612 du COCe.
(4)
V. article 592 alinéa 3-2°- du COCe.
363
forme et de fond posées par l'article 613 alinéa 1er du COCC(l), des conséquences
s'ensuivront.
Ainsi, outre la nullité du congé servi par le bailleur, dans les cas où cette formalité
est prévue, le propriétaire de l'immeuble sera tenu de verser une indemnité d'éviction au
preneur commerçant(2). Cette dernière conséquence paraît d'autant plus concevable que
ces causes illégitimes constituent des restrictions au droit de résiliation du bailleur dont
l'attitude peut être interprétée comme un refus de renouvellement.
Une telle conséquence a fait dire à M. JOHNSON, avec juste raison, que ce n'est
pas le locataire individu qui est protégé en tant que tel, mais le locataire exploitant et en
fonction des résultats de son exploitation(3). Il s'ensuit que l'éviction des locataires
commerçants ne peut se comprendre et se justifier que parce qu'il fait partie du tissu
économique national. Dans cette optique, il est attribué aux locataires commerçants un
montant d'indemnité qui est égal en principe à la somme des 3 dernières années de
bénéfices réels ou forfaitaires multiplié par 2/3, plus le coût des constructions et des
aménagements reconnus et effectués avec l'accord du bailleur(4).
(1)
Article 613 alinéa 1°_ du COCC - Reprise pour reconstruction:
"Le propriétaire devra donner au locataire par acte extra-judiciaire, un préavis d'une année
comportant à peine de nullité, les indications suivantes: la nature et la description des travaux
projetés; la référence complète du permis de construire; le nom, le cas échéant, de l'architecte
et celui de l'entreprise suivant ct exécutant les travaux; l'engagement du bailleur de ne pas faire
occuper les lieux à quelque titre que ce soit, sauf pour gardiennage du chantier, depuis le
déguerpissement du locataire jusqu'à la réception de l'immeuble construit ; la reproduction
intégrale du présent article".
(2)
, V. Kuadjo Cyrille JOHNSON, op. cil. p. 7 I.
(3)
Kuadjo Cyrille JOHNSON, op. cil. n° 4, p. 54.
(4)
V. article 609 du COCC précité.
364
Cependant, il convient de préciser que le régime juridique actuel de l'indemnité
d'éviction a été revu, dans une perspective libérale, puisque désormais son montant est
fixé d'accord partie ou bien par le juge qui tient compte, pour cela, du montant du chiffre
d'affaires, des investissements réalisés par le locataire et de la situation géographique des
lieux loués(l) ; ce qui constitue un retour partiel à la législation antérieure de 1952 que
souhaitait, du reste, Maître DANüN(2).
Tout compte fait, on peut faire observer que l'esprit de l'indemnité d'éviction
demeure toujours la protection du preneur commerçant puisqu' elle cherche à compenser
le déficit des résultats de l'exploitation du locataire dont l'activité économique doit se
dérouler dans un cadre stable.
Par conséquent, l'indemnité d'éviction, en droit sénégalais, peut être considérée
comme un puissant moyen de protection de tous les secteurs économiques que les
pouvoirs publics cherchent à promouvoir en leur conférant un rôle fondamental dans le
développement économique(3).
(1)
Doct. V. J. ISSA-SAYEGH, article précité, p. 40.
(2)
V. supra p.
361 note 3.
(3)
V. exposé des motifs de la loi n° 84-12 du 4 janvier 1984 précitée.
Rapport du projet de loi relative à la partie générale du COCC, JORS du lundi 22 juillet 1963,
n°. 74, p. 755.
Rapport du projet de loi n° 65-53 portant 2ème partie du COCC : Les contrats spéciaux, JORS
du lundi 4 juillet 1966. Débats parlementaires de l'Assemblée nationale, n° 132, p. 2019.
Doct. V. Kuadj0 Cyrille JOHNSON, op. cit. p. 61.
365
Conclusion du Chapitre II
Il est acquis que la réglementation minutieuse de la cessation du bail commercial
par le droit au renouvellement et la sanction de ce droit au renouvellement par l'indemnité
d'éviction constituent deux termes d'une équation juridique qui permettent de résoudre la
question de la protection des locataires commerçants. A cet égard, on peut affirmer avec
certitude que la réglementation de la rupture du contrat de bail commercial permet ainsi
au preneur de bénéficier de conditions idoines pour assurer la pérennité de son
exploitation; ce qui confère une stabilité à l'exploitation commerciale qui est d'autant
plus souhaitable que son emplacement constitue, non seulement, un moyen commode de
rallier et de conserver une clientèle qui est une source de revenus pour les commerçants,
mais encore et surtout, un moyen d'assurer l' harmonie, la sérénité et la pérennité du tissu
économique national.
366
Conclusion du Sous-Titre 1
Dans tous les cas où l'ordre public économique intervient pour protéger une
catégorie socio-professionnelle en qualité de travailleurs ou de locataires commerçants, la
finalité de la règle de protection cherche surtout à assurer un cadre harmonieux de
développement social et économique.
Cet objectif justifie, en définitive, la contingence de la notion d'ordre public de
protection qui épouse la physionomie de l'économie; puisque c'est cette dernière qui
conditionne tous les autres secteurs qui lui sont reliés. Ce qui justifie, du reste, la
poursuite de nos investigations dans le domaine du droit des assurances où les nouvelles
règles d'indemnisation en matière d'accidents de la circulation de véhicules terrestres à
moteur tendent vers une protection sectorielle des assureurs.
367
SOUS-TITRE II
PROTECTION SECTORIELLE DES ASSUREURS
Ce titre peut paraître provocateur. Cependant, il traduit une physionomie de la
notion d'ordre public qui épouse alors les contours de l'évolution d'une situation
économique. En effet, la finalité de l'ordre public étant la protection de la partie faible
dans le contrat(l), l'on se rend compte que cette acception de M. TOSI s'accommode
mal de la situation qui protège les assureurs que l'on peut supposer comme étant les
partenaires économiquement les plus puissants dans le contrat d'assurance. Dès lors, on
peut dire que la protection des assureurs traduit un certain malaise dans la définition
classique de la notion d'ordre public économique dont l'évolution a entraîné soit un
fléchissement dans la protection de la partie la plus faible dans le contrat(2), soit un
?
changement de cap qui a renversé le pôle de protection, comme c'est le cas dans le
nouveau droit des assurances.
Au Sénégal, ce changement de direction dans la protection peut être constaté par
le biais du Code des Etats membres de la Conférence interafricaine des marchés
d'assurance (Code CIMA)(3), notamment dans sa partie consacrée à l'indemnisation
des victimes d'accidents de la circulation, dont il a été soutenu, avec juste raison, qu'il
(1)
J.P. TOST, Droit des Obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, n° 305, p. 115.
(2)
V. supra, Sous-titre 1 - Chapitre 1 - Section III - Fléchissement de la protection des travailleurs,
p. 333 et suivantes.
(3)
Code CIMA regroupant les Etats suivants: Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo,
Côte d'Ivoire, Gabon, Niger, Sénégal, Tchad, Togo. Ce Code est entré en vigueur au Sénégal, en
février 1995.
368
consacre
ùne conception
restrictive par l'énumération
limitative
des
préjudices
réparables(l). Une telle conception restrictive a eu pour effet l'adoption par le Code
CIMA d'un système de barèmisation dans la réparation des préjudices subis par les
victimes d'accidents de la circulation.
L'adoption d'un tel système de barèmisation par le Code CIMA soulève, au moins,
deux problèmes juridiques majeurs qui ne manquent pas de susciter des interrogations
pour un juriste destiné à recevoir un droit communautaire dans sa législation nationale.
D'abord, il résulte de l'adoption des nouvelles dispositions communautaires que
le système de réparation privilégié est celui qui s'appuie sur une méthode de calcul. Aussi
bien, on peut se demander si cette méthode de calcul n'est pas de nature à remettre
fondamentalement en cause le principe de la réparation intégrale du préjudice décidé par
l'article 134 du Code des Obligations civiles et commerciàles CCOCC).
Ensuite, il apparaît que l'application des dispositions communautaires sur la
réparation des préjudices subis par les victimes d'accidents de la circulation aboutira à
laisser peu de marge de manoeuvre au juge devant trancher, au fond, le litige.
S'il est certain que la réponse à la première interrogation est positive puisque la
1
certitude est, au surplus, révélée par l'adoption d'un système de limitation des préjudices
indemnisables par l'assureur; par contre, la réponse à la seconde interrogation paraît
(1)
V. Article 257 Code CIMA : "Les seuls préjudices susceptibles d'être indemnisés sont ceux
mentionnés aux articles 258 à 266".
Doct. V. CODJOVI Jean-Julien, "La réparation des préjudices corporels dans le Code CIMA",
Communication sur -le thème "L'assurance africaine face à son nouvel environnement
réglementaire", FANAF, XVIIe A.G. annuelle, Abidjan, février 1993.
Àdde Joseph ISSA-SA YEGH, L'intégration juridique des Etats africains de la Zone franc, à
paraître au Penant. Voir spéc., paragraphes III et suivants: L'unification du droit des assurances
dans le cadre de la CIMA.
369
nuancée dans la mesure où des arguments ont été soutenus tant en faveur de la limitation
que de la préservation du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond.
L'examen de ces différentes positions nous permettra d'apprécier la pertinence des
thèses avancées tout en montrant que celles qui reposent sur la limitation du pouvoir
souverain d'appréciation du juge du fond peuvent être sujettes à caution. Pour cela, il
conviendra de critiquer le système institué par le Code CIMA tendant à limiter les
préjudices indemnisables par les assureurs.
Le nouveau système d'indemnisation étant essentiellement critiquable, il mérite
alors qu'on lui apporte quelques corrections. Dans cette perspective, l'élargissement des
conditions d'engagement de la garantie des assureurs par la diminution des causes
d'exonération dans l'optique du renforcement des droits des victimes d'accidents de la
circulation, dans la phase de réparation du préjudice, doiven't être considérés comme des
corrections du système de limitation des préjudices indemnisables par les assureurs.
En somme, toutes ces observations préliminaires seront prises en compte à partir
de l'idée de la déformation des principes généraux de la responsabilité civile à laquelle
nous assistons dans le nouveau droit des assurances, en matière d'accidents de la
circulation, où il convient de mettre en évidence aussi bien l'adoption d'un système de
limitation des préjudices indemnisables par les assureurs (Chapitre 1) que la correction du
système de limitation des préjudices indemnisables par les assureurs (Chapitre II).
370
CHAPITRE 1-
ADOPTION
D'UN
SYSTEME
DE
LIMITATION
DES
PREJUDICES INDEMNISABLES PAR LES ASSUREURS(l)
L'adoption par le Code CIMA de dispositions relatives à la réparation des
préjudices corporels conduit à créer un nouveau droit à l'indemnisation qui tient compte
des possibilités financières des compagnies d'assurances dont la survie de la branche
automobile était menacée(2). Dans ce contexte, il apparaît, dès lors, que c'est la
sauvegarde d'un secteur économique représenté par la branche des véhicules terrestres à
moteur de l'assurance qui a présidé à la protection des assureurs. Si une telle protection
va logiquement à l'encontre de certains intérêts économiques des victimes, elle doit alors
constituer un curieux paradoxe qui n'en traduit pas moins une certaine orientation nouvelle
de la notion d'ordre public économique(3).
Cette nouvelle orientation prend les contours d'une barèmisation dont il a été
soutenu qu'elle met en échec le système d'une réparation intégrale décidée auparavant
souverainement par le juge(4).
Cette méthode de la barèmisation déforme alors le vieux principe de la réparation
intégrale dans la mesure où elle s'applique, dans le nouveau droit des assurances en
matière d'accidents de la circulation, à tous les chefs de préj udices indemnisables par les
(1)
Sur l'ensemble de la question, v. en droit français, Max LEROY, L'évaluation du préjudice
corporel, LITEC, 13ème édition, 1996.
(2)
CODJOVI Jean-Julien, "La réparation des préjudices corporels dans le Code CIMA",
Communication sur le thème L'Assurance africaine face à son nouvel environnement
réglementaire, FANAF, XVIIe A.G. annuelle, Abidjan, février 1993, p. 7 de la communication.
(3)
V. supra - Introduction du Sous-Titre II, p. 367.
(4)
CODJOVI Jean-Julien, op. cit. p. 3.
Adde en droit français, v. Alain SERIAUX, Droit des Obligations, PUF, 1ère édition, 1992, n°
142, pp. 484 et 490.
371
assureurs. Il s'ensuit qu'eite visera aussi bien les préjudices subis par la victime directe
(Section i) que ceux subis par les ayants-droit de la victime (Section II). Dans tous les
cas, il conviendra de montrer que cette déformation du principe général de la réparation
intégrale est essentiellement critiquable (Section III).
SECTION 1 - DES PREJUDICES SUBIS PAR LA VICTIME DIRECTE
La notion de victime directe a été employée par le Code CIMA(l) sans la
définir. Cette absence de définition fait que l'on peut penser qu'elle fait référence à toute
personne qui a personnellement et directement souffert du dommage si l'on s'appuie sur
les règles du droit commun de la responsabilité civile prévues par le Code des obligations
civiles et commerciales (COCC)(2).
La précision paraît d'autant plus fondée que, dans certaines situations où l'on
constate le décès de la victime directe, ce sont d'autres personnes que sont ses ayants-droit
qui ont qualité pour agir(3).
C'est dire que dans l' hypothèse où la victime directe subit un préjudice, elle sera
obligée d'invoquer au moins un des cas de préjudices susceptibles d'être indemnisés
(article 257 du Code CIMA) pour le succès de ses prétentions.
(1)
V. Section VII - Chapitre IV - Livre II du Code CIMA.
(2)
V. article125 du GOCC - Caractère du dommage :
"Le dommage peut être actuel ou futur. II doit toujours être certain et direct".
V. article 127 du COCC - Dommage direct:
"Le dommage est direct lorsqu'il découle de la faute. sans qu'aucun fait postérieur ait concouru
à sa réalisation".
(3)
V. Section VIII - Chapitre IV - Titre 1 - Livre II du Code CIMA. V. infra, p. 381 et suivantes.
372
Au surplus, même en cas de succès des prétentions, le système de la barèmisation
fait obstacle au principe de la réparation intégrale. Une telle affirmation pourra être
vérifiée lorsque la victime directe intente une action en remboursement de frais (Sous-
Section 1) ou sur le fondement d'une incapacité (Sous-Section II) ou bien sur la base du
préjudice subi du fait de l'assistance d'une tierce personne (Sous-Section III), ou bien
encore, sur le motif du préjudice de carrière (Sous-Section IV).
SOUS-SECTION 1 - REMBOURSEMENT DES FRAIS
L'expression "frais de toutes natures" utilisée par l'article 258 du Code CIMA
permet de penser que n'importe quels frais engagés par la victime directe peut faire l'objet
de remboursement; l'essentiel est que les frais engagés soient en relation avec les soins
médicaux occasionnés par un accident de la circulation. Ainsi, il est permis de retenir, à
titre d'illustration, les frais médicaux, pharmaceutiques, chirurgicaux, d'hospitalisation, de
prothèse, d'optique, de cure(1) qui peuvent être pris en compte même après la
consolidation lorsque, du moins, ils sont raisonnables et indispensables au maintien de
l'état de santé de la victime directe(2).
Quant au remboursement des frais médicaux qui était caractérisé par le principe du
remboursement intégral(3), l'on se rend compte que le législateur communautaire a
(1)
CODJOVI Jean-Julien, communication précitée, p. 19.
(2)
V. article 258 alinéa 3 du Code CIMA.
(3)
Pour une application du principe de remboursement intégral, v. C. Appel de Dakar, n° 9 du 15
janvier 1971, SAET cl LEYE et Foncière. En l'espèce, il a été jugé que "en cas de blessure, la
réparation du préjudice doit couvrir aussi le remboursement de tous (souligné par nous) les frais
médicaux et de transport".
373
dorénavant dérogé à ce principe en imposant une limite dans la mesure où leurs coûts ne
sauraient excéder deux fois le tarif des hôpitaux publics(l).
Malgré cette innovation apportée par cette disposition communautaire, l'on ne peut
s'empêcher de formuler deux réserves à son encontre.
La première réserve peut être tirée de l'hypothèse où le montant des coûts engagés
par la victime directe excède deux fois le tarif des hôpitaux publics. Encore que la
sanction puisse être le refus de remboursement de l'excédent par la Compagnie
d'assurances, on peut penser que cette solution pourrait être inique, voire choquante pour
une victime dont l'état de santé pourra nécessiter valablement des frais qui excèdent le
barème prévu par le texte communautaire.
La seconde réserve peut être, ensuite, tirée de l'insuffisance de la référence à
l'hôpital public pour l'évaluation des coûts de remboursement. Ceci paraît d'autant plus
critiquable qu'il se développe parallèlement, au Sénégal, un secteur hospitalier privé qui
pratique des tarifs beaucoup plus importants que ceux des hôpitaux publics.
Tout compte fait, la limitation des remboursements des frais à la victime directe
ne peut s'expliquer, se comprendre et se justifier que par une protection des assureurs dont
,
une branche de leur profession était menacée de disparition du fait du déséquilibre
constaté entre les primes perçues et le montant des sommes allouées aux victimes(2).
Au demeurant, ces raisons économiques ne sont pas absentes si l'on examine les
préjudices résultant d'une incapacité.
(1)
V. article 257 alinéa 2 du Code CIMA.
(2)
CODJOVI Jean-Julien, communication précitée, p. 3.
374
Sous-Section II - DES PREJUDICES RESULTANT D'UNE INCAPACITE
L'incapacité peut être définie comme une situation qui empêche la victime d'un
accident de ne plus pouvoir se livrer à ses activités habituelles ou bien à la condamner à
une infirmité permanente(l).
De cette définition de CODJOVI, on peut retenir deux situations prises en compte
par le Code CIMA qui a pris soin de distinguer une incapacité temporaire (article 259
dudit Code) et une incapacité permanente (article 260 du même Code).
Il conviendra de distinguer, à l'instar du Code CIMA, les deux catégories
d'incapacité, étant entendu qu'elles sont toutes caractérisées par un système de limitation
qui ne paraît révéler qu'une idée de protection des assureurs qui se dessine lorsqu'une
action en indemnisation est fondée, non seulement, sur l'incapacité temporaire (1), mais
encore, sur l'incapacité permanente (II).
1 - INCAPACITE TEMPORAIRE
On la fait coïncider généralement avec la période de soins(2). En effet, une telle
période correspond à un moment où le malade est obligé de suspendre ses activités et cela
1
même s'il n'est pas admis à l'hôpital. Cette suspension d'activités, si brève soit-elle, peut
être de nature à occasionner des pertes de revenus pour la victime d'un accident de la
circulation. Aussi bien, il est prévu une indemnisation si la durée de l'incapacité
temporaire fixée par expertise médicale dépasse huit jours(3) .
(1)
CODJOVI Jean-Julien, communication précitée, pp. 20 et 21.
(2)
CODJOVI Jean-Julien, op. cit. p. 20.
(3)
V. article 259 alinéa 1 du Code CIMA.
375
A la lumière de cet article 259 alinéa 1 du Code CIMA, on ne peut
raisonnablement manquer de se demander ce qu'il adviendra si la durée fixée par l'expert
médical se révèle inférieure à huit jours.
Dans ce cas, on note, avec regret, que le législateur communautaire ne prévoit
aucune possibilité d'indemnisation.
Mais plus caractéristique est la critique de fond qui s'autorise de la règle suivant
laquelle l'indemnité mensuelle ne peut excéder trois fois le SMIG annuel(l). En effet,
ce mode de calcul affecte gravement la liberté de manoeuvre du juge qui ne jouira plus
de la plénitude de son pouvoir souverain d'appréciation.
Une telle privation du pouvoir d'appréciation du juge entraîne subséquemment une
limitation importante du montant de l'indemnisation que le magistrat pourrait allouer à une
victime incapable temporaire. Autrement dit, ce plafonnement de l'indemnisation accordée
par le juge n'est, en définitive, qu'un moyen de protection des assureurs de la branche
automobile. Si le même souci se dégage dans le cas d'une incapacité permanente, on ne
peut manquer d'être encore plus perplexe face à une barèmisation de l'indemnisation dans
une situation irrémédiablement comprise que constitue l'infirmité permanente.
II - INCAPACITE PERMANENTE
Elle constitue la forme la plus achevée de l'incapacité dans la mesure où elle
s'inscrit durablement dans le temps aussi longtemps que l'individu incapable reste en vie.
Pour cette raison, une attention particulière mérite d'être portée à l' endroi t de ces
personnes irrémédiablement victimes du sort. C'est dans cette optique qu'il faut situer
l'intervention du législateur communautaire qui n'en a pas moins procédé à un système
(1)
v. article 259 alinéa 3 du Code CIMA.
376
de barèmisation qui reflète davantage le souci de protéger les assureurs
soit dans
l'indemnité du 'préjudice économique (A), soit dans l'indemnisation du préjudice
physiologique (B).
A - L'indemnisation du préjudice physiologique
Elle vise à compenser une réduction de capacité physique dont l'évaluation
médicale faite par l'expert(l) s'opère en fonction d'un barème médical de référence qui
varie de 0 à 100 %(2). Cette volonté de référence du législateur communautaire à un
barème paraît d'autant plus soutenue que, même dans le cas où il y a désaccord entre les
assureurs et les victimes dans un délai d'un an à compter de l'accident, il impose le calcul
de l'indemnité suivant une échelle de valeur de points fondée sur le SMIG annuel(3).
(1)
Sur l'expertise médicale, v. en droit français, Yvonne LAMBERT-FAIVRE, Droit des Assurances,
Précis Dalloz, 9ème édition, 1995. n° 826, p. 642. Selon l'auteur, "La preuve du dommage est
apportée par l'expertise médicale qui a pour objet d'apporter une "évaluation médicale des
préjudices".
(2)
V. article 260 a, 2°_ du Code CIMA.
(3)
V. article 260 a, 3°_ du Code CIMA.
Exemple de calcul en application de l'article 260, a, 3°_ du Code CIMA traitant du préjudice
physiologique.
Cet exemple prend pour base de calcul 3 victimes en se référant au tableau annexé au texte
précité.
- La première victime est âgée de 15 ans avec 20 % d'incapacité.
- La deuxième victime est âgée de 10 ans avec 6 % d'incapacité.
- La troisième victime est âgée de 35 ans ave 60 % d'incapacité.
1°) Pour la première victime âgée de 15 ans, elle se situe dans la 2ème colonne du tableau, c'est-
à-dire la tranche d'âge comprise entre 15 à 19 ans. Ce qui lui donne 16 % du SMIG annuel pour
la valeur d'un point.
SMIG annuel est obtenu à partir du SMIG mensuel x 12.
Le SMIG mensuel étant égal au Sénégal à 36.423 F. La valeur du point s'obtient ainsi: 36.423
x 12 = 437.076.
Donc 16 % du SMIG annuel =437.076 x 16 % = 69.932,16.
Par conséquent, l'indemnisation de l'incapacité du préjudice physiologique (I.P.P.) de la première
victime = 69.932,16 x 20 = 1.398.640 F.
2°) Pour la deuxième victime: valeur du point = 6 % du SMIG annuel.
Ce qui fait 437.076 x 6 % = 26.224,56.
377
L'appréciation d'un tel système d'indemnisation permet de penser qu'il a
l'inconvénient majeur de la quantification de la douleur physique. Il s'ensuit que
l'indemnisation du préjudice physiologique ne peut plus faire l'objet d'une question
d'espèce susceptible d'être traitée, au cas par cas, par les juges du fond qui sont, pour
ainsi dire, liés par les propositions d'indemnisation de l'expert, faute d'une qualification
technique appropriée.
Au surplus, l'imperfection du système d'indemnisation peu t être soulignée à l'égard
d'une répartition qui tient essentiellement compte de l'âge, négligeant du coup
l'importance et l'intensité du préjudice physiologique.
C'est ainsi que le taux d'incapacité permanente de 100 % ne peut être attribuée que
lorsque l'individu appartient à une tranche d'âge déterminée(l), ce qui contribue à
instituer une discrimination.
B - L'indemnisation du préjudice économique
Elle demeure soumise à une restriction puisque le préjudice économique n'est
indemnisé que lorsque la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente d'au
moins 50 % (2).
I.P.P. = 26.224,56 x 6 = 157.347,36 F.
30) Pour la troisième victime: valeur du point = 15 % du SMIG annuel.
Ce qui fait 437.076 x 15 % = 65.561,4.
I.P.P. = 65.561,4 x 60 = 3.933.684 F.
(1)
V. Tableau annexé à l'article 260 a) du Code CIMA. Exemple: le taux d'incapacité pennanente
de 91 à 100 % a donné une valeur de 29 points pour une personne de moins de 15 ans et une
valeur de 24 points pour une personne âgée ente 15 à 19 ans.
(2)
V. article 260 b alinéa 1 du Code CIMA.
Dans l'exemple choisi, supra, p. 376 note 3, seule la troisième victime ayant plus de 50 %
d'incapacité pourra prétendre au préjudice économique dans la limite des 7 % du montant du
SMIG annuel.
378
L'interprétation a contrario de cette disposition permet de penser que si le taux
n'excède pas 50 %, la victime ne pourra prétendre qu'au remboursement des frais
médicaux (article 258 du texte communautaire) et aux frais liés à l'incapacité temporaire
(article 259 dudit texte)(l).
Au surplus, la dernière raison pouvant fonder la restriction se juslifie dans le
plafonnement systématique de l'indemnité qui reste égale, en tout état de cause, à sept fois
le montant du SMIG annuel du pays où s'est produit l'accident(2).
Ce dernier argument de fond suscite également une réserve dans la mesure où le
lien entre le SMIG du lieu de l'accident et l'indemnisation est critiquable si la victime
réside dans un pays autre où le SMIG est plus élevé.
En définitive, un tel système d'indemnisation contribue à la protection des
assureurs de la branche automobile dans la mesure où le montant des indemnisations
qu'ils devront désormais supporter sera considérablement amoindri par un SMIG annuel
particulièrement faible dans un pays en développement, comme le Sénégal, où l'on devra
se demander ce que coûte dorénavant l'assistance d'une tierce personne.
Sous-Section m - DES PREJUDICES RESULTANT DE L'ASSISTANCE D'UNE
TIERCE PERSONNE
Ce chef de préjudice est lié à l'incapacité permanente(3) , et sa spécificité vient
du fait que l'état de l'incapable permanent est tel qu'il a besoin de l'assistance d'une
(1)
V. supra, pp.
372 et 374.
(2)
V. article 260-b dernier alinéa du Code CIMA.
(3)
V. article 261 alinéa 1 du Code CIMA.
379
tierce personne pour le seconder. Cetle assistance n'étant pas toujours philanthropique, il
convenait alors d'allouer une indemnisation à la victime afin de lui permettre de faire face
aux frais de cette assistance. Pour cela, il est prévu deux conditions.
La première n'autorise l'assistance d'une tierce personne que si le taux d'incapacité
permanente est, au moins, égale à 80 % selon le barème indiqué dans l' article 260 du
Code CIMA(l).
Cette limitation du taux d'incapacité permanente permet de penser que si ledit taux
est inférieur à 80 %, la victime d'un accident de la circulation ne peut pas prétendre à IJne
indemnisation pour un préjudice résultant de l'assistance d'une tierce personne.
La seconde condition paraît logique dès lors que la mesure d'assistance fait l'objet
d'une prescription médicale expresse confirmée par expertise(2). Dans tous les cas où
l'assistance d'une tierce personne est reconnue, l'indemnité allouée est plafonnée à 25 %
de l'indemnité fixée pour l'incapacité permanente, c'est-à-dire celle prévue pour la
réparation du préjudice physiologique(3). Ce plafonnement indique, en définitive, la
volonté claire du législateur communautaire de limiter le montant d'une indemnisation au
profit des assureurs. Il s'ensuit un souci de protection des assureurs qui apparaît aussi en
cas de réparation d'un préjudice de carrière.
(1)
V. article 261 alinéa 1 du Code CIMA.
(2)
V. article 261 alinéa 2 du Code CIMA.
(3)
V. article 261 alinéa 3 du Code CIMA.
380
Sous-Section IV - DES PREJlJDICES DE CARRIERE
A partir du moment où ce sont les intérêts économiques d'une carrière qui sont en
jeu, on peut penser que ces chefs de préjudice peuvent concerner aussi bien les personnes
qui sont déjà dans la vie active(l) que celles qui sont à la recherche d'une carrière
(texte précité). Dans un cas comme dans l'autre, certaines limitations sont apportées.
D'abord, l'indemnité à allouer à un élève ou un étudiant est plafonnée à 12 mois
de bourse officielle du pays du lieu de l'accident(2). Un tel système devient surtout
critiquable dans la mesure où toutes les victimes ressortissantes des pays membres de la
CIMA appartiennent à des Etats qui n'ont pas forcément un taux de bourse uniforme du
fait d'un niveau de développement économique variable en fonction des pays membres.
Au surplus, le Code CIMA semble ne pas se soucier d'éventuelles victimes appartenant
à d'autres Etats non membres du traité, et dont le taux de 'bourses officielles peut même
dépasser les salaires les plus élevés de la fonction publique des Etats membres de la
CIMA.
Ensuite, l'indemnité pour perte de carrière subie par une personne déjà engagée
dans la vie active est plafonnée à 6 mois de revenus calculés dans les conditions de
l'incapacité temporaire(3). Il s'ensuit que l'indemnité pour perte de carrière ne peut être
due si la durée de l'incapacité fixée par expertise médicale n'atteint pas huit jours, et le
(1)
V. article 263 alinéa 1 du Code CIMA.
(2)
V. article 263 alinéa 2 du Code CIMA.
(3)
V. article 263 alinéa 3 du Code CIMA.
381
cas échéant, l' indemnité mensuelle allouée ne pourra pas excéder trois fois le SMIG
annuel(l).
En somme, dans tous les cas de préjudices de carrière, on note un plafonnement
des indemnisations q~i, dans le souci de protéger les assureurs, porte atteinte, non
seulement, au pouvoir souverain d'appréciation du juge, mais encore et surtout, au
principe de la réparation intégrale du préjudice posé par l'article 134 du Code des
Obligations civiles et commerciales CCOCC).
En conclusion, on peut dire que dans tous les cas où les assureurs sont face à des
victimes directes d'accidents de la circulation ayant subi des préjudices, il est procédé soit
à une limitation ou plafonnement ou bien à une barèmisation de l'indemnisation qui
reflètent nettement un souci de protection des assureurs qui est, a fortiori, mis en évidence
dans les cas où ce sont les ayants-droit de la victime qui subissent des préjudices.
SECTION fi - DES PREJUDICES SUBIS PAR LES AYANTS-DROIT DE LA
VICTIME
Les ayants-droit peuvent être considérés comme ceux qui entretiennent avec la
victime des relations de parenté selon des degrés qui prennent en compte le conjoint, les
enfants mineurs, les enfants majeurs, les ascendants, les frères et soeurs(2).
(1)
Voir supra p.375.• Nos réflexions critiques à propos de la réparation du préjudice résultant de
l'incapacité temporaire.
(2)
V. article 266 du Code CIMA.
382
En cas de décès de la victime principale, il paraît alors normal qu'un droit à
réparation soit ouvert au profit de ces ayants-droit qui peuvent être privés soit d'un soutien
matériel, soit d'un soutien moral(l).
Concrètement, ce droit à réparation se traduira par l'octroi d'une indemnisation
obéissant à la règle du plafonnement qui s'applique tant à l'occasion d'un préjudice
matériel (Sous-Section I) que celle d'un préjudice moral (Sous-Section II).
Sous-Section 1 - PREJUDICE MATERIEL
Il s'explique par le fait qu'il s'agit soit de rembourser des frais occasionnés par un
décès (1), soit de faire face à la prise en charge de certains membres de la famille pouvant
invoquer le bénéfice du préjudice économique (II).
1 - FRAIS FUNERAIRES
Ce sont des frais qui sont en relation avec le décès de la victime d'un accident de
la circulation. Ils sont multiples dès lors qu'ils peuvent engendrer différentes phases
comprenant la levée du corps, le sacrifice du quarantième jour, l'inhumation, les sacrifices
du troisième, voire huitième jour pour les victimes de confession musulmane.
,
A moins que la jurisprudence ne vienne restreindre cette conception extensive de
la notion de frais funéraires, on peut penser que les ayants-droit de la victime pourront
prétendre au remboursement de tous les frais funéraires ainsi retenus(2).
(1)
Abdoul Wahab BERTHE, Les conditions de réparation du dommage par ricochet en droit
sénégalais, Rev. sen. dr., n° 33, avril-mai-juin 1984, p. 9 et suiv.
(2)
V. article 264 du Code CIMA.
383
De plus, l'action en remboursement de frais devra être accordée à tous les ayants-
droit, sans restriction aucune, dès lors qu'ils ont participé à un titre quelconque aux
dépenses occasionnées par ces frais funéraires.
Cependant, même en cas de succès de l'action, le juge ne peut pas accorder un
montant qui dépasse le SMIG annuel(l).
Même si l'on doit approuver cette solution conforme à la ratio legis de la loi
limitant certaines dépenses à l'occasion des cérémonies familiales(2), l'on ne peut
s'empêcher de penser qu'elle cherche, en outre, à protéger les assureurs par une limitation
de leur contribution financière qui peut être constatée également en cas de préjudice
économique.
II - PREJUDICE ECONOMIQUE DES AYANTS-DROIT DE LA VICTIME
La réparation de ce préjudice vise à allouer un capital aux seuls conjoints et enfants
à charge(3).
Si par conjoints, il n'est pas douteux qu'il faut comprendre des personnes unies par
les liens du mariage qui leur contèrent la qualité d'époux ou d'épouse, il semble, par
contre, que la situation des foyers polygamiques regroupant une pluralité de conjoints soit
prise en considération(4).
(1)
V. article 264 du Code CIMA précité.
(2)
V. loi n° 67-07 du 24 février 1967 tendant à réprimer les dépenses excessives à l'occasion des
cérémonies familiales, JORS du 1er mars 1967.
(3)
V. article 265 alinéa 1 du Code CIMA.
(4)
V. article 265 du Code CIMA précité.
384
S'agissant des enfants à charge, ce sont normalement ceux en âge de minorité.
Cependant, il semble que rien ne permette d'exclure les enfants majeurs à charge étant
entendu que c'est une pratique très courante en Afrique et, en particulier, au Sénégal.
Dans l'attribution d'un capital à ces ayants-droit, un souci d'équité semble avoir
guidé l'orientation du législateur communautaire qui a ainsi forgé une clé légale de
répartition des revenus du défunt, entre les conjoints et les enfants, s'effectuant d'une
manière égale à l'intérieur de chacun des groupes bénéficiaires(l).
Malgré ce souci d'équité et d'égalité entre tous les ayants-droit de la victime, on
ne peut manquer de regretter le plafonnement de l'indemnité globale allouée qui ne peut
excéder 60 fois le montant du SMIG annuel du pays où s'est produit l'accident(2).
Ceci paraît d'autant plus regrettable qu'il existe ùn niveau variable du SMIG en
fonction des pays. Ainsi que nous le soulignions, ce système d'indemnisation permet aux
assureurs de supporter dorénavant un montant considérablement amoindri par un SMIG
annuel particulièrement faible dans un pays en développement(3). De ce fait, il
contribue, en définitive, à renforcer la protection des assureurs qui sont également tenus
de réparer un chef de préjudice moral des ayants-droits de la victime décédée.
Sous-Section II - PREJUDICE MORAL
La réparation de ce préjudice a permis d'augmenter le nombre de personnes
bénéficiaires pouvant prétendre à l'indemnisation. En effet, en sus des conjoints et des
(1)
V. article 265 alinéa 5 du Code CIMA.
(2)
V. article 265 dernier alinéa du Code CIMA.
(3)
V. supra p. 378.
385
enfants à charge, on peut également retenir les enfants majeurs, les ascendants, les frères
et soeurs(l). Dès lors, le cercle des victimes par ricochet(2) a été considérablement
élargi.
Au
surplus,
contrairement à la doctrine(3) et à la jurisprudence(4) qui
retenaient une présomption de préjudice moral, le législateur communautaire semble
consacrer la nouvelle tendance jurisprudentielle tendant vers l'élargissement du cercle des
personnes pouvant prétendre à la réparation du préjudice moral par ricochet(5).
Malgré la double limitation de l'indemnisation, due, d'une part, au montant qui ne
peut excéder 300 % du SMIG annuel en cas de pluralité d'épouses survivantes(6) et,
de l'autre, à une réduction proportionnelle lorsque le cumul des indemnités dépasse de 15
fois le SMIG annuel(7), la consécration du principe de l'élargissement du cercle des
bénéficiaires de l'indemnisation mérite d'être approuvée' puisqu'elle permet de limiter la
protection des assureurs(8).
(1)
V. article 266 du Code CIMA.
(2)
lP. TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, n° 614, p. 223.
AW. BERTHE, op. cit. p. 9 et s.
CODJOVI Jean-Julien, op. cit. p. 17.
En droit français, ,v. Yvonne LAMBERT-FAIVRE, op. cit. n° 774, p. 590.
(3)
lP. TOSI, op. cit. n° 609, p. 221. L'auteur conteste le principe même de l'indemnisation du
préjudice moral.
(4)
C.A. Dakar n° 69 du 5 février 1982, inédit à notre connaissance.
(5)
AW. BERTHE, op. cit. p. 14.
(6)
V. article 266 alinéa 3 du Code CIMA
(7)
V. article 266 alinéa 4 du Code CIMA.
(8)
V. infra, Chapitre II. En effet, l'objet de ce second chapitre est de montrer l'assouplissement de
la protection des assureurs par une correction du système de limitation des préjudices
indemnisables.
386
Cependant, la limitation consentie par le législateur communautaire permet de
penser qu'il entend surtout protéger les assureurs dès lors que le montant de
l'indemnisation, susceptible d'être mis à leur charge, sera considérablement rétréci par la
faiblesse du SMIG annuel dans un pays en développement, comme le Sénégal, où
l'application de l'instrument juridique communautaire ne manquera pas de soulever des
problèmes relatifs surtout au pouvoir du juge face à une charte communautaire qui institue
une barèmisation du montant de l'indemnisation.
SECTION nI-
CRITIQUES DU SYSTEME DE LA LIMITATION DES
PREJUDICES INDEMNISABLES PAR LES ASSUREURS
Si le système de la limitation des préjudices indemnisables par les assureurs doit
avoir pour finalité la pérennisation louable et souhaitable d'une branche d'assurances mal
en point(l), il suscite cependant la critique majeure seloh laquelle il enlève tout pouvoir
d'appréciation au juge du fond(2).
Le problème demeure de savoir, alors, laquelle choisir entre ces deux alternatives
qui recèlent des exigences contradictoires.
L'adoption de la première alternative conduira à mettre sous le boisseau les enjeux
économiques au profit de l'affirmation du pouvoir souverain d'appréciation du juge du
fond. A cet égard, il convient de rappeler que cette solution n'a été retenue ni par le
(1)
, CODJOVI Jean-Julien, op. cit. p. 7.
Adde Henri MARGEAT, L'assurance automobile et la réparation des préjudices corporels,
Communication àl'A.G. FANAF, XVIIe A.G. annuelle, Abidjan. février 1993. p. 5
(2)
Henri MARGEAT, op.cit. p. 31.
387
législateur
communautaire
ni
par
les
réflexions
d'une
doctrine
spécialement
autorisée{l).
Si, de manière générale, il se dégage des commentaires qu'il faut sauver
impérativement un secteur économique très important, il s'y ajoute que le pouvoir
souverain d'appréciation du juge du fond a été rudement mis à l'épreuve par l'exemple
fourni à travers la mise en application de la loi française du 31 décembre 1991 qui n'a
pas abouti à l'équité dans l'indemnisation des victimes(2).
La seconde alternative, elle, consiste à rétablir le pouvoir souverain d'appréciation
du juge au risque de mettre en péril le secteur important que constitue la branche
automobile de l'assurance. Dans ce cas, les tares du système sont révélés par les écarts
dans l'indemnisation qui varient en fonction des juges et des tribunaux(3) que le
législateur communautaire a, justement, cherchés à corriger en instituant des barèmes de
référence.
Face à cette double alternative, le choix qui nous paraît le plus judicieux est la
solution actuelle qui a consisté à limiter le pouvoir d'appréciation du juge du fond(4)
(1)
CODJOVI Jean-Ju,lien, op. cit. p. 7.
(2)
Voir à ce sujet en droit français, Henri MARGEAT, op. cit. p. 3. Selon l'auteur, "cette loi
achèvera de convaincre que le principe de la "souveraineté" d'appréciation ne permet guère
d'aboutir à l'équité dans l'indemnisation. Il s'agit en l'occurrence de l'indemnisation des
transfusés et des hémophiles victimes de contamination par le virus H.I.V.".
(3)
Henri MARGEAT, op. cil. p. 3 ; en droit français, v. Yvonne LAMBERT-FAIVRE, op. cil. n°
832, p. 577 de la 8ème édition.
(4)
Sur le pouvoir d'appréciation du juge du fond, v. C.S. n° 7 du 10 février 1993, Nationale et
SOCOCIM cl HAJJAR. "Le juge du fond est souverain dans la détermination du préjudice et que
les déclarations fiscales dont l'article 134 du COCC prescrit de tenir compte ne sont qu'un des
éléments d'appréciation de la répartition dont la force probante échappe à la Cour suprême".
Casso (civ. et corn.), 2 février 1994, Momar Sow DIOP cl MSAT et El Hadj Moussa FAYE, Bull.
arr. Cour de Casso sénég. 93/94 n° 49, p. 59. En l'espèce. il a été jugé que "l'évaluation du
388
en matière d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation. Ceci paraît d'autant
plus soutenable que cette solution nouvelle cherche à sauvegarder un important secteur
des assurances.
Cependant, on ne peut manquer de souligner une double objection contre le
nouveau système adopté.
D'abord, la première objection se justifie pleinement par le fait que le législateur
communautaire du Code CIMA semble réduire le juge à un automate chargé de distribuer
des indemnisations aux victimes d'accidents de la circulation alors que celles-ci
présentent, individuellement, des spécificités.
Ensuite, la seconde objection peut être tirée du système de barèmisation adopté par
le législateur communautaire qui semble se soucier, moins de la réparation intégrale du
dommage (article 134 du COCC) qui est un principe ayant trouvé un important écho dans
la jurisprudence
sénégalaise(l),
que
d'assurer
une
harmonisation
du
système
d'indemnisation.
préjudice, le montant et la forme de la réparation relève de l'appréciation souveraine des juges du
fond",
Casso (civ. et corn.), 4 mai 1994, Kiné SOW cl Bougouma FALL et MSAT, Bull. précité n° 98,
p. 117. 11 a été jugé que "l'existence des éléments constitutifs du préjudice et le quantum des
dommages sont souverainement appréciés par les juges du fond".
(1)
Voir par exemple :
C.S. n° 7 du 10 février 1973, Nationale et SOCOCIM cl HAJJAR précitée.
c.A. Dakar n° 196 du 6 avril 1984, AGS cl Marame NDlAYE et autres. "A défaut de réparation
intégrale "restitutio in integrum", le principe de la réparation par équivalence peut être
appliquée.. ," ,
Même solution pour c.A. Dakar n° 219 du 12 avril 1984, AGS cl Ndiouga DIOP. En l'espèce,
la Cour d'Appel applique une forme de réparation fondée sur l'article 133 du COCC "le préjudice
est en principe réparé par équivalence en allouant à la victime des dommages et intérêts",
389
En tout cas, sur ce point précis, les législations africaines se sont mal inspirées de
leur source traditionnelle de comparaison française où le principe général de la réparation
intégrale des dommages corporels est toujours maintenu(1).
(1)
En droit français; v. Yvonile LAMBERT-FAIVRE, op. cit. n° 777, p. 530 de la 8ème édition.
Selon l'auteur, "c'est la loi du 5 juillet 1985 dite loi BADINTER qui pose le principe général de
1a réparation intégrale des dommages corporels".
Adde Alain SERIAUX, Droit des Obligations, PUF, édition 1992, n° 142, p. 484.
Max LE ROY, L'évaluation du préjudice corporel, LITEC, 13ème édition, 1996, pp. 5 et 6.
390
Conclusion du Chapitre 1
L'adoption d'un système de limitation des préjudices indemnisables par les
assureurs permet de confirmer, d'une certaine façon, la relativité de la finalité de la
protection de l'ordre public économique. En effet, il est établi avec certitude que, non
seulement, la barèmisation du montant du préjudice subi par les victimes d'accidents de
la circulation porte atteinte au principe général de la réparation intégrale (article 134 du
Code des obligations civiles et commerciales), mais encore, qu'elle est un signe qui révèle
que la notion d'ordre public économique est en train de changer radicalement de cap de
protection. Pourtant, ce sont toujours des motifs économiques qui ont été avancés pour
justifier cette évolution paradoxale. Tout de même, ne faudrait-il pas tirer sur la sonnette
d'alarme en vue d'éviter une éventuelle négligence des droits des victimes d'accidents de
la circulation ?
L'ébauche de solution à cette dernière interrogation nécessite alors l'étude de la
correction du système de limitation des préjudices indemnisables par les assureurs.
391
CHAPITRE II -
CORRECTION
DU
SYSTEME
DE
LIMITATION
DES
PREJUDICES INDEMNISABLES PAR LES ASSUREURS
La correction du système de limitation des préjudices indemnisables par les
assureurs découle de la nécessité de prendre en compte les intérêts des victimes
d'accidents de la circulation causéS par un véhicule terrestre à moteur. Elle apparaît
d'autant plus souhaitable que, après avoir limité, dans tous les cas, le montant des
indemnisations dues aux victimes par une remise en cause du principe général de la
réparation intégrale, le nouveau droit des assurances, dans un souci d'équité, devait élargir
les conditions d'engagement de la garantie des assureurs. A cet égard, ce nouveau droit
a pareillement déformé fondamentalement les principes classiques de la responsabilité
civile en matière d'engagement de la garantie des assureurs.
Cette seconde déformation des principes classiques de la responsabilité civile
permet-elle de rétablir l'équilibre rompu suite à la limitation des préjudices indemnisables
par les assureurs?
C'est à cette question que nous consacrerons nos investigations en cherchant à
démontrer qu'une réponse positive peut s'autoriser d'une diminution des causes
d'exonération des assureurs.
Traditionnellement, les assureurs pouvaient se fonder sur l'article 139 alinéa 2 du
COCC(I) pour échapper à leur garantie financière en invoquant soit une cause de force
majeure, soit le fait d'un tiers, soit enfin la faute de la victime qui constituent alors des
causes d'exonération en matière de responsabilité du fait des animaux et du fait des
(1)
Article 139 du COCC : Etablissement de la responsabilité et cause d'exonération.
Alinéa 2 : "La responsabilité peut disparaître ou être atténuée par la force majeure, le fait d'un
tiers ou la faute de la victime".
392
choses. Une telle situation avait pour corollaire de débouter facilement l'action de la
victime d'un accident de la circulation s'adressant à l'assureur d'un véhicule. Ceci était,
au surplus, davantage facilité par les juges qui avaient tendance à étendre, de plus en plus,
les causes d'exonération et les moyens de défense susceptibles de réduire la dette de
réparation et, par conséquent, d'amputer l'indemnisation des victimes par l'assureur(l).
Conscient de tels inconvénients pour la victime, le nouveau droit des assurances
a considérablement diminué les causes d'exonération pouvant être invoqués par les
assureurs puisque, en dehors de la faute personnelle de la victime conducteur ou non
conducteur pouvant faire disparaître valablement la garantie des assureurs(2), ces
derniers ne pourront plus opposer à la victime une cause d'exonération liée soit à la force
majeure, soit à un fait d'un tiers (article 226 du Code CIMA)(3).
Dans quelle mesure l'exclusion de ces faits exonératoires contribue-t-elle à corriger
l'adoption d'un système de limitation des préjudices indemnisables par les assureurs?
C'est ce que nous essayerons de démontrer à travers, d'une part, l'inopposabilité
de la force majeure invoquée par les assureurs (Section 1) et, d'autre part, l'inopposabilité
du fait d'un tiers invoquée par les assureurs (Section II).
(1)
CODJOVI Jean-Julien,
"La réparation des
préjudices corporels dans
le Code CIMA",
communication sur le thème : "L'assurance africaine face à son nouvel environnement
réglementaire", FANAF, XVIIe A.G. Annuelle, Abidjan, février 1993, p. 4.
(2)
CODJOVI Jean-Julien, op. cit. p. 15 et suiv.
Comp. en droit français, Civ. 2e, 28 juin 1989, Bull. civ. II, n° 136. Doct. V. A. SERIAUX. Droit
des Obligations, PUF, 1ère édition, 1992, n° 130, p. 443.
(3)
Article 226 du Code CIMA - Inopposabilité de la force majeure et du fait du tiers:
"Les victimes, y compris les conducteurs ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait
d'un tiers par le conducteur ou le gardien d'un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques
ou semi-remorques".
393
SECTION 1- INOPPOSABILITE DE LA FORCE MAJEURE INVOQUEE PAR
LES ASSUREURS
Le principe de l'inopposabilité de la force majeure est régi, dans le nouveau droit
des assurances, par l'article 226 du Code CIMA précité. Cette inopposabilité constitue une
originalité par rapport au droit commun de la responsabilité civile du fait des choses(l)
dans la mesure où, même dans le cas où la preuve d'un événement imprévisible,
irrésistible et extérieur constitutif de force majeure(2) est rapportée, l'assureur n'aura
plus la possibilité de se prévaloir de ces faits exonératoires(3). De ce fait, on peut noter
que cette nouvelle disposition en matière d'assurance neutralise cette cause d'exonération
susceptible d'être opposée aux victimes pour exclure ou limiter leur droit à réparation.
A la suite de cette neutralisation, le nouveau droit des assurances issu du Code
CIMA privilégie alors le rôle de l'implication du véhicu'le qui doit avoir joué un rôle dans
la survenance de l'accident et de la réalisation du préjudice(4). Il s'ensuit qu'un tel état
de fait fait reposer le fondement de la responsabilité du gardien responsable sur la notion
de faute prouvée.
(1)
V. supra. p. 391.
(2)
En droit français, v. Civ. 2e, 13 octobre 1971, D. 1972, J. p. 75.
(3)
Voir dans ce sens, c.A. Dakar n° 229 du 19 avril 1984, SECK cl SETE (Pour l'appréciation du
cas fortuit ou de tout autre événement exonératoire, il faut toujours se référer aux circonstances
de la cause).
C.S. n° 44 du 19 juin 1976, ROUKOZ DIAB cl CISSOKO (les juges du fond doivent relever dans
leurs décisions tous les éléments de fait susceptibles d'influencer sur la reconnaissance de la force
majeure, pour permettre à la Cour suprême d'exercer son contrôle).
Ces deux sommaires de jurisprudence sont rapportés dans le Code COCC, édition EDlA, Dakar,
avril 1994, p. 78.
(4)
CODJOVI Jean-Julien, op. cil. p. 13.
Adde en droit français, v. F. CHABAS, Notion et rôle de l'implication du véhicule au sens de la
loi du 5 juillet 1985, G.P. 1986.1, doctrine p. 64.
Max LE ROY. L'évaluation du préjudice corporel, LITEC, 13ème édition, 1996, n° 279, p. 151.
394
Cette situation étant de nature à rendre moins certaine la protection des victimes,
il nous semble qu'une autre conception excluant la relation de causalité et faisant
présumer la garantie de l'assureur aurait été Pus protectrice pour ces victimes. C'est dans
ce sens que, en application de la loi française du 5 juillet 1985 dite loi BADINTER(l),
la jurisprudence contemporaine de ce pays s'oriente en soutenant que l'action en
indemnisation est fondée sur la seule implication dans l'accident de l'un quelconque des
conducteurs de véhicules terrestres à moteur qui peuvent même être condamnés in solidum
à réparation, sans qu'il soit nécessaire d'établir que c'est ce véhicule qui a causé le
dommage, ni a fortiori que le conducteur en était le gardien au sens de l'article 1384
alinéa du Code civil ou qu'il était en faute(2).
Par suite, si le fait que l'accident doit avoir été causé par le véhicule assuré peut
permettre d'établir la garantie de l'assureur, il nous semble que c'est la notion
d'implication du véhicule qui est plus efficace pour fonder les prétentions d'une victime
d'accident de la circulation à des indemnisations qui seront, en tout état de cause,
plafonnées(3) .
Tout compte fait, on peut dire qu'en décidant que l'assureur du conducteur ne peut
plus opposer à la victime la force majeure, le nouveau droit des assurances a entendu
corriger le plafonnement des indemnisations par l'inopposabilité de la force majeure qui
,
peut être comprise comme un moyen juridique destiné à faciliter les conditions
(1)
En droit français, v. loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration et à l'accélération des procédures
d'indemnisation.
(2)
V. en droit français, v. Civ. 2e, 4 mai 1987, Bull. civ. II, n° 87.
.EnI'espèce, il a été jugé que "l'indemnisation d'une victime d'un accident de la circulation dans
lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de
la loi du 5 juillet 1985, à l'exclusion de celle des articles 1382 et suivants du Code civil".
Docl. V. A. SERIAUX, op. cit. n° 130, p. 450.
(3)
V. supra, Introduction du Chapitre l, pp. 370 et 371.
395
d'engagement de la garantie des assureurs que l'on peut également percevoir à travers le
fait d'un tiers.
SECTION II - INOPPOSABILITE DU FAIT D'UN TIERS INVOQUE PAR LES
ASSUREURS
Le principe de l'inopposabilité du fait d'un tiers résulte de l'article 227 du Code
CIMA précité qui semble dissocier la force majeure du fait d'un tiers.
De prime abord, on serait tenté d'adhérer à cette distinction dans la mesure où, si
la force majeure est conçue comme un événement naturel, par contre, le fait d'un tiers se
définit comme un événement humain qui diminue ou atténue la responsabilité de
l'assureur(l). A cet égard, la jurisprudence sénégalaise a semblé adopter ladite
distinction lorsqu'elle décide, en application de l'article 139 alinéa 2 du COCC précité,
que l'intervention d'un tiers est susceptible d'affecter la responsabilité même si la victime
est indemne de toute participation personnelle au fait quasi-délictuel(2).
Cependant,
une
telle distinction
perd
sa pertinence dans
la mesure
où,
fondamentalement, la prise en compte du fait d'un tiers ne sc conçoit que lorsqu'elle
remplit les conditions constitutives de la force majeure(3). C'est d'ailleurs dans cette
direction que la doctrine(4) et la jurisprudence(5) françaises
semblent s'orienter
(1)
En droit français, v. A. SERIAUX, op. cit. p. 446.
(2)
Voir dans ce sens, c.A. Dakar n° 4 du 8 janvier 1971, Badara SALL cl NDIAYE et CGA.
(3)
J.P. TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, n° 706, p. 255.
(4)
Voir notamment en droit français, A. SERIAUX, op. cit., ibidem.
(5)
Voir par exemple, Civ. 2e, 13 mars 1985, Bull. civ. II n° 67 (Insuffisance d'un motif d'ordre
g~néral tel que la survenance en agglomération et à un carrefour non protégé par des feux de
signalisation d'un usager qui, venant de la gauche, s'est comporté de manière fautive). En
396
lorsqu'elle définit la force majeure comme tout événement (naturel ou humain) présentant
les caractères d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité. Il en résulte, selon M.
SERIAUX(l) que l'emploi des termes "force majeure" et "fait d'un tiers" est totalement
dépassé. Toutefois, il faut préciser que cette affirmation de M. SERIAUX doit être
nuancée puisque le départ des termes "force majeure" et "fait d'un tiers" peut se concevoir
lorsqu'il s'agit du fait d'un tiers non revêtu des caractères de la force majeure(2).
Si on accepte cette nuance, il faut reconnaître que, même s'il est établi la preuve
du fait d'un tiers revêtu des caractères de la force majeure, on doit pouvoir tirer les
mêmes conséquences que celles concernant la preuve de la force majeure, à savoir que
ce fait du tiers devient surtout inopposable à la victime. Par suite, cette dernière bénéficie
ainsi de la correction apportée par le nouveau droit des assurances au plafonnement des
indemnisations par une souplesse des conditions d'engagement de la garantie des
assureurs. A cet égard, il devient acquis que le nouveau droit des assurances issu du Code
CIMA assure une protection des victimes d'accidents de la circulation.
l'espèce, il a été jugé que ce moyen ne constitue pas pour un automobiliste un événement
imprévisible et irrésistible.
Comp. Civ. 2e, 13 octobre 1971 précité.
(1)
En droit français, v. A. SERIAUX, op. cit. n° 130, note 261, p. 446.
(2)
Sur cette question, v. Jean Pierre TOSI, op. cit. nO 706, p. 254. Selon l'auteur, "lorsque le fait du
tiers est prévisible ou évitable, il devient non constitutif de force majeure".
397
Conclusion du Chapitre II
Nous venons ainsi d'acquérir la certitude que la correction du système de limitation
des préjudices indemnisables par les assureurs est positivement un moyen permettant de
rétablir la rupture du déséquilibre résultant de l'adoption du système de limitation desdits
préjudices grâce à une déformation des principes classiques de la responsabilité civile. A
cet égard, la diminution des causes d'exonération des assureurs a révélé que les conditions
d'engagement de la garantie des assureurs ont été considérablement élargies par
l'inopposabilité à la victime de la force majeure ou du fait d'un tiers.
Par suite, peut-on toujours soutenir la place du pôle de protection en faveur des
assureurs?
398
Conclusion du Sous-Titre II
Autant la déformation des principes classiques de la responsabilité civile justifie
l'adoption d'un système de limitation des préjudices indemnisables par les assureurs,
autant elle apporte un fondement justificatif à la correction dudit système adopté. Par
suite, on peut affirmer que la compréhension de la protection sectorielle des assureurs ne
peut s'affranchir de cette double exigence.
Mais n'y a-t-il pas là une contradiction?
En vérité, en fait de contradiction, il n'en est point puisque l'intitulé de protection
des assureurs traduit une certaine évolution de la notion d'ordre public économique de
protection qui est en train de changer de cap.
L'autre raison qui nous fait penser qu'il n'y a pas de contradiction, c'est que, au
fond, les règles de protection des assureurs doivent être comprises, en réalité, comme des
paliers permettant de sauver l'important secteur économique de l'assurance automobile
menacé de disparition alors qu'il est essentiel pour le tissu économique national dans le
développement économique et social.
Cette double raison a suscité, par conséquent, notre curiosité de savoir comment,
par le biais de l'exemple de la protection des assureurs, on pouvait obtenir la survie d'un
secteur particulier de l'économie nationale.
y
aura-t-il d'autres secteurs qUI vont suivre le sort du nouveau droit des
assurances? En d'autres termes, le dynamisme et la mutation constante du tissu
économique national favoriseront-ils l'émergence d'autres secteurs économiques dignes
de protection?
399
Ce sont là autant d'interrogations qui ouvrent des pistes de réflexion méritant d'être
explorées à l'avenir.
En tout cas, pour l'heure, une chose paraît certaine: ces interrogations perdent leur
pertinence dans le droit des consommateurs qui font, au contraire, l'objet d'une
bienveillante attention du législateur qui les protège contre les producteurs et distributeurs
qui sont des opérateurs économiques particulièrement puissants.
400
SOUS-TITRE HI
PROTECTION DES CONSOMMATEllRS
Si l'idée de protection des intérêts des consommateurs prend racme dans la
multiplication des contrats d'adhésion caractérisés par les rapports inégalitaires qu'ils
instituent(l),
son
épanouissement
a conduit
à l'élargissement du
concept
de
consommateurs pour lequel une approche restrictive n'a pas permis d'englober tous les
individus dignes de protection. En effet, cette approche classique excluait les
professionnels dans la mesure où seul celui qui concluait un contrat de consommation
pour ses besoins personnels pouvait se prévaloir de la qualité de consommateur(2).
Or, il apparaît, de nos JOurs, que l'exclusion des professionnels peut paraître
excessive puisqu'ils peuvent, en cette qualité, négocier un contrat dans la perspective du
droit de la consommation et se placer dans la situation' d'une personne dépourvue de
qualification technique qui les place dans une position d'infériorité contractuelle. Ainsi,
la prise en compte de cette réalité économique a conduit la jurisprudence française(3)
et la doctrine de ce pays(4) à réserver, de manière générale, "la protection de tout
acquéreur à partir du moment où le défaut de compétence professionnelle le place dans
une situation d'ignorance comme n'importe quel autre consommateur".
(1)
V. en droit français, Jean-Pierre PIZZIO, L'introduction de la notion de consommateur en droit
français, Dalloz 1982, p. 91 et s. chronique XIV, voir spéc. p. 96 n° 16.
(2)
En droit français, voir dans ce sens, Civ. ler,I5 avril 1986, Dalloz 1986, I.R. p. 393, observations
AUBERT.
(3)
Civ. 1er, 20 octobre 1992 et 6 janvier 1993, JCP 1993, Edition G, II, n° 22007, note Gilles
PAJSANT.
(4)
En droit français, v. Gilles PAJSANT, Essai sur la notion de consommateur en droit positif:
Réflexions sur un arrêt du 25 mai 1992 de la première Chambre civile de la Cour de Cassation,
JCP 1993, Edition G, J, n° 3655.
Jean CALAIS-AULOY, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 1992, 3ème édition, n° 203.
Jean Pierre PIZZIO, op. cit. n° 17, p. 96.
401
Cette dernière formule visant à assurer une justice contractuelle de masse devra
déboucher sur une protection de tous les consommateurs, quelle que soit la catégorie à
laquelle ils appartiennent. D'où la nécessité d'étudier la protection générale des
consommateurs (Chapitre 1).
Cependant, la prise en compte de la vulnérabilité économique particulière de
certains consommateurs de biens et services suscite la sélection de règles assurant la
protection de deux sous-catégories de consommateurs.
Il est vrai qu'un tel choix peut paraître arbitraire dans la mesure où il n'épuise pas
tous les contours de la protection particulière des nombreuses sous-catégories de
consommateurs(l ).
Malgré tout, cet arbitraire se conçoit aisément si l'ori. sait que, pour une étude qui
se veut, certes, ambitieuse mais, tout de même limitée, il convient de trier sur le volet
quelques sous-catégories particulières de consommateurs.
Par suite, nous exammerons les règles spécifiques concernant, d'une part,
l'emprunteur et, d'autre part, le locataire des locaux à usage ct 'habitation sous l'éclairage
de la protection des consommateurs de certains biens et services (Chapitre II).
(1)
Sur l'ensemble de cette question, v. en droit français, Jean CALAIS-AULOY, op. cit.
Adde sur la protection du consommateur d'assurances, v. Yvonne LAMBERT-FAIVRE. Droit des
assurances, Précis Dalloz, 1995, 9ème édition, pp. 102 à 146.
402
CHAPITRE 1 - PROTECTION GENERALE DES CONSOMMATEURS
Il est permis de relever la présence, en matière de droit de la concurrence surtout,
de nombreuses règles qui, encore qu'elles ne soient pas prises dans l'optique d'une
protection directe des consommateurs, peuvent avoir, tout de même, des conséquences
positives sur la protection générale de ceux-ci(1).
Si l'on excepte ces règles, comment assure-t-on directement la protection des
consommateurs ?
Face au constat de l'absence de règles d'ensemble codifiées et portant sur le droit
de la consommation(2), la technique juridique de protection directe des consommateurs
emprunte, alors, les règles classiques du droit commun régies par le Code des Obligations
civiles et commerciales (COCC). Par suite, les incidences' desdites règles sur la protection
des consommateurs vont susciter une double interrogation.
Ces techniques classiques suffisent-elles à assurer la protection directe des
consommateurs ?
Dans le cas contraire, n'est-il pas nécessaire de promouvoir d'autres techniques
modernes de protection directe des consommateurs ?
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le
contentieux économique, JORS N° 5595 du 27 août 1994, p. 384.
V. supra 1ère partie, Titre II, nos réflexions sur les règles du droit de la concurrence.
Doct. En droit français, v. Gérard CAS et Didier FERRIER, Traité de droit de la consommation,
PUF, 1ère édition, 1986, n° 5 et 6, pp. 4 et 5 ; Denise NGUYEN TIlANH-BOURGEAIS. Les
contrats entre professionnels et consommateurs et la portée de l'ordre public dans les lois
Scrivener du 10 janvier 1978 et du 9 juillet 1979. Dalloz-Sirey, 1984, chronique XVI, pp. 91 à
96. voir spéc. nO 3, p. 91
(2)
Ce qui n'est.pas le cas en droit français: v. Le nouveau Code de la consommation, la loi du 18
janvier 1992 et la directive du 5 avril 1993 sur les clauses abusives.
403
En somme, si l'on rapporte cette double interrogation à la problématique de défense
des consommateurs, il faut admettre que, pour la protection directe des consommateurs,
ces techniques classiques se révéleront insuffisantes (Section 1) et que l'on devra en
déduire, subséquemment, la nécessité d'adopter certaines techniques modernes de
protection (Section II).
SECTION 1 - INSUFFISANCE DES TECHNIQUES CLASSIQUES DE
PROTECTION
Une telle insuffisance peut découler de l'impuissance de la théorie des vices du
consentement, à savoir l'erreur, le dol et la violence (art. 61 DU COCC) et de son
corollaire, c'est-à-dire l'annulation du contrat (article 84 du COCC)(l) à assurer la
protection des consommateurs. Il s'ensuit la question de savoir pourquoi ces techniques
classiques sont devenues insuffisantes pour assurer la protection des consommateurs.
Pour argumenter la réponse à cette interrogation, notre propos visera à examiner
les raisons de cette insuffisance, d'une part, dans le domaine des techniques de protection
où l'on rencontre les vices du consentement (1) et, d'autre part, dans le domaine de la
sanction classique caractérisée par la nullité (II).
1 -
INSUFFiSANCE
DANS
LE
DOMAINE
DES
TECHNIQUES
DE
PROTECTION (LES VICES DU CONSENTEMENT)
Régis par le droit commun des contrats, les vices du consentement sont
limitativement énumérés par la loi (article 61 du COCC) qui retient respectivement
l'erreur, le dol et la violence. Dans tous les cas, il apparaît que les vices du consentement
(1)
V. article 84 du COCC : Des nullités :
"L'inobservation d'une des conditions de formation du contrat entraîne sa nullité".
404
se révèlent insuffisants pour assurer l'efficacité de la protection des consommateurs. Une
telle lacune se justifie, alors, par la nature des conventions pour lesquelles les conditions
sont unilatéralement rédigées, voire imposées par des professionnels. Dans cette
perspective, lorsque le consommateur désire adhérer à ces conventions, il aura toute liberté
pour étudier minutieusement le détail des stipulations qu'elles contiennent, si bien qu'il
ne pourra se plaindre d'avoir été trompé sur l'étendue de ses obligations, ni contraint
d'apposer sa signature(l). Dans ces conditions, on le voit, il n'y a presque pas place
pour invoquer un cas de vice d'erreur ou de dol ou bien encore de violence. Ce qui fait,
en définitive, que la théorie des vices du consentement devient insuffisante en matière de
protection des consommateurs.
Si, par extraordinaire, les consommateurs parviennent à faire jouer positivement un
rôle à la théorie des vices du consentement, entraînant du coup l'annulation du contrat
d'adhésion, on doit, de la même façon, admettre qu'un tel effet anéantissant un contrat
désirable en soi pour les consommateurs pourrait se retourner contre eux. Il s'ensuit que,
dans le domaine de la sanction, l'annulation du contrat passé pourrait également se révéler
insuffisante.
II - INSUFFISANCE DANS LE DOMAINE DE LA SANCTION (LA NULLITE)
Cette insuffisance découle de la sanction de l'annulation du contrat qui constitue,
traditionnellement, une mesure curative des vices du consentement (article 84 du COCC
précité). Par suite de cette annulation, chaque partie devant restituer, en principe, les
prestations échangées réciproquement ; le professionnel pourra reprendre la chose ou
mettre fin au service conféré au consommateur qui devra, à son tour, récupérer la
contrepartie financière versée.
(1)
V. en droit français, Yves REINHARD, Droit commercial, LITEC, 1993, 3ème édition, n° 152,
p. 115.
405
Or, pour un consommateur désirant acquérir des biens ou services en vue de la
satisfaction de ses besoins personnels ou professionnels, la solution de l'annulation peut
paraître choquante, surtout lorsqu'il ne dispose pas de solution équivalente. Ce qui fait,
en définitive, que l'annulation du contrat pourrait produire un effet contraire puisque la
protection qu'elle réserve, traditionnellement, risque de se retourner, paradoxalement,
contre le consommateur. Dans ces conditions, l'inefficacité de la technique de l'annulation
du contrat, combinée avec l'impuissance de la théorie des vices du consentement, devra
être de nature à suggérer la nécessité d'autres techniques plus modernes en matière de
protection des consommateurs.
SECTION 11-
NECESSITE
DES
TECHNIQUES
MODERNES
DE
PROTECTION (L'INFORMATION PREALABLE)
Cette nécessité s'explique par la prise en compte dù sauvetage du lien contractuel
qui peut être obtenu grâce à des techniques modernes comme l'information préalable.
Dans le souci d'assurer la permanence du lien contractuel, cette méthode va
permettre, grâce à l'incrimination de certains procédés normalisés, de meUre les
consommateurs dans les meilleures conditions pour contracter en toute connaissance de
cause.
Dans quelle mesure ces techniques modernes peuvent-elles se substituer
efficacement à l'insuffisance des techniques classiques de protection ?
Si la réponse à cette question part de l'idée de protection qui anime toutes ces
techniques modernes permettant d'équilibrer les rapports entre les professionnels et les
consommateurs, elle. ne pourra pas faire abstraction de la réalité juridique sénégalaise
406
actuelle qui révèle la présence de la technique de l'information préalable qui va orienter
le champ de nos investigations.
L'avènement de cette technique moderne a surtout coïncidé avec le contexte actuel
de libéralisation de l'économie marqué du sceau des mécanismes d'un nouveau droit de
la concurrence dont le credo, c'est-à-dire le jeu qui laisse libre cours aux lois du marché,
risque d'être préjudiciable aux consommateurs affaiblis par un pouvoir d'achat
considérablement érodé suite à un changement de pari té monétaire intervenu le 12 janvier
1994.
Dans ces conditions, la situation des consommateurs, en état de faiblesse
économique face à des producteurs et distributeurs, conduira le législateur sénégalais à
organiser une information commerciale dont la finalité se traduit par une obligation
d'information au profit des consommateurs(l) (Sous-Seètion 1).
La prise en compte de cette obligation d'information aboutit ainsi à une véritable
réglementation pénale économique des contrats commerciaux dans lesquelles interviennent
les consommateurs(2).
Mais, au-delà du contrat, il faut bien concevoir un autre système de protection qui
,
s'appuie, cette fois-ci, sur les méthodes commerciales(3). A cette fin, le but à atteindre
sera de ne pas inciter les consommateurs à l'achat par des promesses fictives et illusoires.
(1)
V. le Titre II intitulé "De l'information commerciale" de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
(2)
V. en droit français, Yves REINHARD, op. cit. p. 112 et suiv.
Jean Pierre PIZZIO, op. cit. n° 7, p. 93.
Jean CALAIS-AULOY, Les ventes agressives, Dalloz 1970, chronique p. 37 et suiv.
(3)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. p. 119 el suiv.
407
Il s'agit, par conséquent, de rechercher de meilleures conditions de vente (Sous-Section
II).
Sous-Section 1 - L'OBLIGATION D'INFORMATION DES CONSOMMATEURS
La nécessité de garantir le pouvoir d'achat des consommateurs et leur liberté de
choix entre les produits et services offerts a conduit les pouvoirs publics à adopter une
quantité de règles protectrices(l). Par suite, ces règles auront pour trait commun de
porter à la connaissance des consommateurs certaines informations relatives aux prix.
Dans cette optique, la violation desdites règles va entraîner, non seulement, la qualification
d'infractions à la publicité des prix (1), mais aussi l'application de sanctions répressives
(II).
1 - INFRACTIONS A LA PUBLICITE DES PRIX
De nos jours, ces infractions trouvent essentiellement leur siège légal dans la loi
n° 94-63 (article 33)(2) qui énumère la publicité des prix, l'affichage, le marquage,
l'étiquetage, la communication des barèmes de prix et des conditions générales de vente
ou tout autre procédé approprié.
Pourtant, malgré cette énumération de divers procédés pouvant laisser croire à
l'existence d'infractions distinctes, il semble que tous ces moyens permettant d'informer
les consommateurs puissent être assimilés à une infraction unique qui est celle de la
publicité des prix. Une telle interprétation peut, alors, s'autoriser de la loi visée qui précise
que "constituent des infractions aux règles de publicité des prix toute violation des
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 94-63 du 22 aoOt 1994 précitée.
(2)
.. L<t.loi n~ 94-63 du 22 aoOt1994 précitée qui avait été précédée de la loi n° 65-25 du 4 mars 1965
sur les prix et les infractions à la législation économique (article 12) abrogée.
408
dispositions organisant l'affichage, le marquage, l'étiquetage et la communication des
barèmes (article 34).
Pour cerner ces infractions, il convient de se référer à leur définition légale. A cet
égard, l'on note particulièrement que ces infractions demeurent des délits économiques
matériels puisqu'il s'agit uniquement, en l'occurrence, de faire respecter des dispositions
réglementaires organisant l'affichage, le marquage, l'étiquetage et la communication des
barèmes. Il s'ensuit l'inexistence, au Sénégal, d'une obligation générale d'information sur
les produits et services comparables à celle de la France(l).
Ces dispositions réglementaires traduisent ainsi la volonté des pouvoirs publics de
faire en sorte que les consommateurs puissent contracter, en toute connaissance de cause,
avec un partenaire sur qui pèse l'obligation de publier certaines informations précieuses
relatives aux prix et aux conditions juridiques du contrat. Ce qui peut se concevoir
aisément dès lors que les consommateurs évoluent désormais dans un contexte marqué par
l'inégalité économique croissante entre distributeurs et acquéreurs de richesses suite à
l'établissement
de
nouvelles
règles
marquées
par
la
doctrine
libérale
du
développement(2) qui privilégie, du reste, la voie répressive en matière de violation des
normes protégeant les consommateurs.
(1)
Comp. en droit français, v. article 28 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la
concurrence et à la liberté des prix: "Tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit,
par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le
consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle et les
conditions particulières de la vente, selon des modalités fixées par arrêtés du Ministre chargé de
l'Economie, après consultation du Conseil national de la Consommation".
Doct. Yves REINHARD, op. cit. n° 150, p. 114.
(2)
V. Quotidien gouvernemental Le Soleil du lundi 20 février 1995 "Concurrence sur le marché
intérieur: les règles du jeu repréci sées", p. 2.
409
II - SANCTION REPRESSIVE APPLICABLE
Elle est essentiellement constituée d'amendes dont le montant, au terme de la loi
n° 94-63(1) peut être compris entre 10.000 à 500.000 Francs CFA.
Si le taux de la répression relève du pouvoir souverain du législateur et, de ce fait,
n'appelle pas de commentaire particulier, il faut bien voir, cependant, que la procédure
prévue pour assurer l'efficacité de la sanction peut susciter quelques réserves. A ce
propos, l'invocation de la procédure d'astreinte dans l'article 34 de la loi in fine paraît
inappropriée puisque l'astreinte est une technique juridique employée surtout en matière
civile, dans le but de contraindre indirectement le débiteur à s'acquitter du montant de sa
dette(2). Dès lors, pour pousser l'auteur d'une infraction, en matière de publicité des
prix, à s'acquitter du montant de sa condamnation pécuniaire pénale, il eûl fallu plutôt
utiliser la notion de contrainte par corps qui est l'expression la plus adéquate pour
désigner la contrainte en matière pénale(3).
Cette proposition paraît d'autant plus soutenable que le législateur sénégalais a
entendu, en la matière, se situer dans une perspective pénaliste qui ne souffre d'aucune
(1)
V. article 34 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
(2)
Jean Pierre TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, n° 882 et suiv., p. 32 ;
G. RIVES, Théorie générale des obligations en droit sénégalais, Rev. sén. dr. n° 44, p. 57.
Voir dans ce sens, Trib. 1ère inst. de Dakar, n° 283 du 18 février 1978, Rev. sén. dr.. janvier
1982, n° 24. p. 148. Jugé que "la tendance générale de la jurisprudence comme de la doctrine
moderne est de voir dans l'astreinte une véritable peine civile, une mesure de contrainte
entièrement, distincte des dommages-intérêts et qui n'a pas pour objet de compenser un préjudice".
En droit français, v. A. SERIAUX, Droit des obligations, PUF, 1992, op. cil. n° 184, p. 602.
(3)
V. articles 460, 710 à 720 du Code de Procédure pénale.
Doct. En droit français, v. A. SERIAUX, op. cil. n° 184, p. 602. En effet, selon l'auteur, "aucune
dette civile ne saurait donner lieu à contrainte par corps qui Ile subsiste que pour les amendes
pénales".
410
ambiguïté à la lumière des infractions prévues et de la nature de la sanction qui les
accompagne.
L'adoption de cette proposition permettra d'élucider plus clairement le mécanisme
de protection des consommateurs qui s'exprime, en outre, par des méthodes commerciales
qui ont pour ambition d'assurer les meilleures conditions de vente.
Sous-Section II - LA RECHERCHE DE MEILLEURES CONDITIONS DE VENTE
De nos jours, l'information commerciale peut être considérée comme une précieuse
méthode qui peut facilement conduire les consommateurs à adhérer à un produit ou à un
service.
Cependant, il convient de faire remarquer qu'eUe est également susceptible de
receler un danger pour les consommateurs qui ne sont pas toujours en mesure de vérifier
la véracité du message véhiculé par l'information commerciale.
Cette situation pouvant avoir, très souvent, pour conséquence d'induire en erreur
les consommateurs désirant acquérir des produits ou services, les pouvoirs publics ont
décidé d'incriminer la publication de fausses informations(l) dans le but affirmé
d'assurer de meilleures conditions de vente(2). A ce sujet, la volonté des pouvoirs
publics s'est traduite concrètement par l'institution d'une obligation qui est faite aux
(1)
V. article 35 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
(2)
V. article 32 de la loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée :
"Pour garantir le pouvoir d'achat des consommateurs et leur liberté de choix entre les produits et
services offerts, il est fait obligation aux opérateurs économiques, d'avoir une attitude loyale vis-à-
vis d'eux, notamment par une, communication correcte des conditions de vente mais aussi et
surtout par une bonne information sur les prix pratiqués".
411
opérateurs économiques d'avoir une attitude loyale vis-à-vis des consommateurs. Ce qui
suppose que ceux qui mettent des produits et services à la disposition des consommateurs
doivent, dans le même temps, fournir à ces potentiels acquéreurs des éléments
d'appréciation qui leur permettront d'acquérir lesdits produits et services en toute
connaissance de cause.
S'il est permis de relever que, par ailleurs, les règles protégeant les consommateurs
s'expriment, de plus en plus, par les dispositions classiques du droit civil(l), on doit noter,
par contre, au Sénégal, que c'est la voie répressive qui a été, encore une fois, privilégiée
de manière exclusive. Aussi bien, on doit raisonnablement se poser la question de savoir
quelles sont les incidences des règles répressives sur la protection des consommateurs
sénégalais pour lesquels on doit trouver de meilleures conditions de vente.
De plus, l'approche de droit comparé nous conduira à envisager les spécificités
dans l'émergence d'un jeune droit de la consommation dans un pays en développement,
en examinant notamment les fondements de l'arsenal répressif au Sénégal.
Pour atteindre ce double objectif, il conviendra d'analyser les incriminations
prévues par la loi n° 94-63 précitée. Par suite, les éléments d'appréciation seront fournis,
d'une part, par l'interdiction de fausses publications d'informations sur les prix (I) et,
d'autre part, par l'interdiction de la publicité mensongère (II).
(1)
Par exemple, le droit français prévoit des dispositions civiles et répressives dans le Code de la
Consommation issu de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 complétée par les lois récentes (v. supra
p. 402 note 2).
Doct. V. Yves REINHARD, op. cit. n° 158, p. 119. Elie ALFANDARI, Droit des affaires, LITEC,
1993, n° 534, p. 409.
412
1 - INTERDICTION DE FAUSSES PUBLICATIONS D'INFORMATIONS SUR LES
PRIX
Cette interdiction cherche à contraindre les opérateurs économiques à porter à la
connaissance des consommateurs la sincérité des informations relatives aux prix des
denrées et services à la consommation. Dans cette optique, l'article 35 de la loi n° 94-
63(1) prévoit deux éléments pouvant caractériser l'infraction de fausses publications
d'informations sur les prix à travers le procédé unique de la publication qui peut être
conçu comme le fait de révéler une information à la connaissance des consommateurs.
Si le procédé de la publication constitue un trait d'union des infractions de fausses
publications d'informations, les qualifications retenues permettent de révéler des
différences qui conduisent à opérer des distinctions comme nous y invite le texte
incriminateur.
A - La première qualification retenant une publication qui s'effectue d'une manière
quelconque, il est alors permis d'adopter une conception assez large du procédé utilisable.
Une telle interprétation s'autorise expressément de la rédaction du premier alinéa de
l'article 35 de la loi précitée qui définit, dans le même temps, le corps de l'infraction à
la lumière de sa structure tripartite, à savoir l'élément légal, l'élément matériel et
l'élément moral dont il convient de préciser, à présent, les deux derniers.
L'élément matériel de l'infraction est constitué chaque fois qu'il y a une
publication d'informations inexactes sur les prix (article 35 1.a) de la lo~ Dans cette
(1)
V. loi n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
413
optique, la publicité doit porter sur les prix nets réellement pratiqués, tels que le
consommateur aura à les payer(l).
La relation unissant les informations inexactes au pnx permet de penser que
l'élément matériel ainsi défini apporte une précision supplémentaire à l'article 34 du
même texte organisant les infractions aux règles de publicité des prix destinées à assurer
une communication correcte des conditions de vente au profit des consommateurs(2). Il
s'ensuit que l'infraction entrant dans notre perspective, est destinée à protéger les
consommateurs.
Cependant, il faut bien voir, au passage, que le texte de l'article 35.l.a de la loi
in fine, en se référant aux fins de précision de l'élément matériel de l'infraction, à l'article
3 du même texte de loi traitant de la Commission nationale de la Concurrence, a procédé
à un renvoi malheureux dans la mesure où il paraît plus logique et plus cohérent de faire
plutôt appel à l'article 33 du même texte qui précise les règles d'informations
commerciales(3).
Enfin, les opérateurs économiques ne consommeront l'infraction visant à porter à
la connaissance des consommateurs des informations sincères sur les prix que lorsque leur
intention est caractérisée par la conscience de l'inexactitude de l'information publiée, à
en juger par l'usage de l'adverbe "sciemment" (article 35.l.a) de la loi).
(1)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, op. cit. n° 110, p. 88.
(2)
V. supra. p. 407 et suivantes.
(3)
V supra. p. 407 et suivantes.
414
B • Par ailleurs, l'analyse des qualifications retenues doit être complétée par une
autre série d'infractions dont les éléments moral et matériel ont été dégagés par l'article
35.2 de la loi précitée).
Si l'élément moral, ici, peut être déduit, de manière simple, de la mauvaise foi
justifiant la nature intentionnelle des infractions, il faut bien voir, cependant, que l'élément
matériel mérite quelques précisions nécessitées par la formule employée par le texte
d' incrimination(1).
Comparativement à la première série d'infractions, on peut dire ici que l'élément
matériel a été considérablement élargi dans la mesure où il se réfère non seulement aux
prix(Z) mais encore à des informations de toute nature ; l'essentiel est qu'elles soient
en relation avec les conditions du marché, d'une part, et, de l'autre, qu'elles soient
susceptibles de troubler la politique des prix ou de l'approvisionnement(3).
On le voit, l'analyse de toutes les infractions relatives à l'interdiction de fausses
publications d'informations sur les prix révèle que la volonté des pouvoirs publics est de
faire en sorte que les consommateurs soient protégés par une obtention de meilleures
conditions de vente des produits et services à la consommation. Ceci paraît d'autant plus
louable qu'il s'agit de garantir le pouvoir d'achat des consommateurs et leur liberté de
,
choix entre produits et services offerts (article 32 de la loi précitée). Dans cette optique,
les mécanismes et supports, permettant aux consommateurs d'apprécier la valeur d'un
produit ou d'un service, seront réglementés par l'interdiction de la publicité mensongère.
(1)
V. art. 35.2 de la loi nO 94-63 du 22 août 1994 précitée.
Ce texte retient "des infonnations de toute nature touchant aux conditions actuelles ou futures des
marchés locaux ou autres".
(2)
Ce qui est bien un élément de similitude. V. supra. p.
413.
(3)
Voir pour ces deux conditions, les articles 35.2 et 35.l.b de la loi nO 94-63 du 22 août 1994
précitée.
415
II - INTERDICTION DE LA PUBLICITE MENSONGERE
Cette interdiction obéit à la nécessité d'assurer la sincérité des informations
données au client par une obligation de renseignement se situant dans la période
précontractuelle(l). Le non respect d'une telle obligation fait que l'assujetti peut tomber
sous le coup de l'infraction de publicité mensongère(2).
En France, la notion d'infraction de publicité mensongère légalement consacrée
depuis le 02 juillet 1963 a subi une évolution dont la dernière étape a été marquée par la
suppression
de
l'élément
intentionnel
du
délit et
l'élargissement
du
domaine
matériel (3).
Le rappel de cette évolution en droit français permet de comprendre la législation
sénégalaise qui a repris, en la matière, le texte intégral de l'article 44.1 de la loi française
du 27 décembre 1973 (dite loi Royer)(4). Aussi bien, cette reproduction fidèle et
intégrale du texte ne peut manquer de susciter quelques interrogations en raison du fait
que le texte français transposé au
Sénégal n'a pas fail l'unanimité dans la sphère
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. na 158, p. 119.
(2)
V. article 35 alinéa' 1 (2-) de la loi na 94-63 du 22 août 1994 précitée, qui incrimine ce nouveau
délit économique:
"Est qualifiée de fausses publications d'informations, le fait par quiconque de :
Alinéa 2 "Assurer une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations,
indications ou prestations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portant sur un
ou plusieurs des éléments ci-après: existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur
en principes utiles, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication, propriétés, prix et
conditions de vente de biens et services qui font l'objet de la publicité, conditions de leur
utilisation, motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de services, portée des engagements
pris par l'annonceur, identité, qualités ou aptitude du fabricant, des revendeurs, promoteurs ou
prestataires" .
(3)
Yves REINHARD, op. cit. na 159, p. 120.
(4)
Comp. avec l'article 35.2 de la loi sénégalaise na 94-63 du 22 août 1994 précitée.
415
II - INTERDICTION DE LA PUBLICITE MENSONGERE
Cette interdiction obéit à la nécessité d'assurer la sincérité des informations
données au client par une obligation de renseignement se situant dans la période
précontractuelle(l). Le non respect d'une telle obligation fait que l'assujetti peut tomber
sous le coup de l'infraction de publicité mensongère(2).
En France, la notion d'infraction de publicité mensongère légalement consacrée
depuis le 02 juillet 1963 a subi une évolution dont la dernière étape a été marquée par la
suppressIOn
de
l'élémerlt
intentionnel
du
délit
et
l'élargissement
du
domaine
matériel(3).
Le rappel de cette évolution en droit français permet de comprendre la législation
sénégalaise qui a repris, en la matière, le texte intégral de 'l'article 44.1 de la loi française
du 27 décembre 1973 (dite loi Royer)(4). Aussi bien, cette reproduction fidèle et
intégrale du texte ne peut manquer de susciter quelques interrogations en raison du fait
que le texte français transposé au
Sénégal n'a pas fait l'unanimité dans la sphère
(1)
En droit français, v. Yves REINHARD, op. cit. n° 158, p. 119.
(2)
V. article 35 alinéa 1 (2-) de la loi nO 94-63 du 22 août 1994 précitée, qui incrimine ce nouveau
délit économique:
"Est qualifiée de fausses publications d'informations, le fait par quiconque de :
Alinéa 2 "Assurer une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations,
indications ou prestations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portant sur un
ou plusieurs des éléments ci-après: existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur
en principes utiles, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication, propriétés, prix et
conditions de vente de biens et services qui font l'objet de la publicité, conditions de leur
utilisation, motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de services, portée des engagements
pris par l'annonceur, identité, qualités ou aptitude du fabricant, des revendeurs, promoteurs ou
prestataires" .
(3)
Yves REINHARD, op. cit. n° 159, p. 120.
(4)
Comp. avec l'article 35.2 de la loi sénégalaise n° 94-63 du 22 août 1994 précitée.
416
d'inspiration où la définition de l'élément intentionnel de la publicité mensongère a suscité
une controverse dans la jurisprudence et la doctrine françaises(1). A cet égard, la
suppression de l'exigence de la mauvaise foi qui figurait dans l'incrimination du texte
français avait conduit à des interprétations tendant à la modification ou non de
l'infraction(2).
Ainsi, l'admission de la modification de l'infraction avait conduit une partie de la
doctrine française(3) relayée par la jurisprudence(4) à proposer ou à admettre que
l'infraction de publicité mensongère soit devenue un délit matériel.
Par contre, le rejet de la modification de l'infraction devait pousser une autre partie
de la doctrine française(5) à prôner le maintien de l'élément psychologique de
l'infraction qui devait demeurer toujours intentionnelle. Cette opinion a aussi pu trouver
un écho favorable dans la jurisprudence française qui eut à exiger la preuve de }' intention
de l'annonceur(6). Une telle exigence de la preuve de l'intention devait amener une
doctrine particulièrement autorisée à affirmer "qu'on ne peut faire abstraction de la volonté
de l'auteur puisque la publicité trompeuse n'est pas encore devenue un délit objectif(7).
(1)
Sur l'ensemble de la question, v. en droit français, Elie ALFANDARI, op. cit. n° 543, p. 415.
(2)
En droit français, v. Yves REINHARD, op.cit. n° 161, p. 122.
(3)
En droit français, v. Jean CALAIS-AULOY, La loi Royer et les consommateurs, Dalloz 1974,
chronique p. 91.
(4)
Voir dans ce sens, Crim. 4 décembre 1978, D.1979 I.R., p. 180. Observations Roujou De
BOUBEE.
(5)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, op. cit. n° 543, p. 415.
(6)
Crim. 4 mars 1976, G.P. 1976.1, p. 417, note DOLL.
Crim.5 novembre 1977, D.1977, p. 502. Note PIROVANO.
(7)
En droit français, v. Elie ALFANDARI, op. ciL, ibidem.
417
La vivacité de cette controverse a finalement conduit la Cour de Cassation
française à trancher la délicate question en prenant nettement position en faveur du délit
matériel(l) .
Cependant, malgré cette définition de haute portée judiciaire de la Haute juridiction
française, il est permis encore de noter des réticences au sein de la doctrine
française(2) .
Par ailleurs, il semble qu'en adoptant le point de vue du délit matériel, la Haute
juridiction se situe dans la lignée de la protection des consommateurs qui pourront ainsi
plus facilement engager la responsabilité pénale des auteurs fautifs. Il s'y ajoute qu'au
Sénégal, en adoptant sans ambages le point de vue de la Cour de Cassation française, les
pouvoirs publics ont entendu protéger, de manière plus efficace, les intérêts des
consommateurs.
Cela paraît d'autant plus fondé que les exigences contenues dans l'article 35.2 de
la loi sénégalaise précitée cherchent, entre autres objectifs, à obtenir une communication
correcte des conditions de vente qui doit s'effectuer par le biais d'une publicité.
En conclusion, on peut dire qu'en privilégiant uniquement la voie répressive, cette
démarche des pouvoirs publics sénégalais devient assez caractéristique d'un pays en voie
de développement qui cherche à protéger, à tout prix, le pouvoir d'achat des
consommateurs en leur garantissant de meilleures conditions de vente par la technique de
l'information préalable. Au surplus, l'autre argument pouvant fonder la prééminence de
la voie répressive se justifie, en l'espèce, par un droit de la consommation en gestation,
(1)
Crim. 4 décembre 1978 précitée. Selon la Cour de Cassation française, "la commission du seul
élément matériel suffit à consommer l'infraction".
(2)
En droit français, v. E. ALFANDARI, op. cit. n° 543, p. 415.
418
dans un pays sous-développé, qui aura généralement tendance à croire que les mesures
autoritaires sont plus efficientes pour assurer la protection d'une catégorie de contractants
particulièrement vulnérables.
Qu'à cela ne tienne! De toute façon, la protection des consommateurs peut bien
s'accommoder de l'arsenal répressif qui l'accompagne dans la mesure où il se révèle
particulièrement dissuasif. Ceci paraît d'autant plus fondé que la consommation fait partie
des préoccupations fondamentales d'un pays en développement où le pouvoir d'achat est
particulièrement faible. Donc ce n'est que service rendu aux consommateurs lorsque les
pouvoirs publics, par le biais de la technique moderne de l'information préalable,
cherchent à assurer les conditions d'une information loyale et les meilleures conditions
de vente des consommateurs qui se meuvent dans un nouveau contexte économique
marqué du sceau du libéralisme qui justifie alors le renforcement de leur protection au
lendemain de la dévaluation.
419
Conclusion du Chapitre 1
Il devient acquis que les techniques classiques comme la théorie des vices du
consentement et son corollaire, c'est-à-dire la nullité, sont insuffisantes pour assurer la
protection du lien contractuel dans la mesure où ils aboutissent à la disparition du contrat
qui est pourtant un moyen commode permettant aux consommateurs d'acquérir des biens
et services indispensables à leur usage personnel ou professionnel.
C'est pourquoi nous avons éprouvé le besoin de mettre en évidence la valeur des
techniques modernes de protection comme l'information préalable qui se révèle être une
voie propice au sauvetage du lien contractuel. Aussi, la fécondité de la technique de
l'information préalable justifie qu'elle puisse jouer positivement un rôle essentiel dans un
contexte économique marqué du sceau de la libéralisation économique.
En attendant la concrétisation de ce voeu, il conviendra d'examiner les techniques
de protection accordée à quelques sous-catégories de consommateurs.
420
CHAPITRE II - PROTECTION DES CONSOMMATEURS DE CERTAINS BIENS
ET SERVICES
L'étendue vaste de la protection des consommateurs de certains biens et services
est telle que nous avons jugé nécessaire de limiter le choix à deux sous-catégories que
sont les emprunteurs et les locataires des locaux à usage d'habitation(l) qui utilisent
des biens qui leur sont servis respectivement par des prêteurs ou des bailleurs.
S'il ne fait aucun doute que les emprunteurs de sommes d'argent doivent être
rangés dans la catégorie des consommateurs, comme l'au torise expressément l'article 540
du COCC qui permet de stipuler des intérêts pour prêt de consommation, par contre, rien
ne justifie a priori l'appartenance des locataires des locaux à usage d'habitation à ce
groupe. Dans ce dernier cas, il semble même que cette catégorie doit être située dans le
cadre des contrats spéciaux, c'est-à-dire le droit spécial dès obligations(2).
Cependant, cette dernière solution ne permet pas de rendre compte positivement
de l'évolution actuelle qui révèle que les rapports entre bailleurs et locataires se
transforment dans la plupart des cas, en relations entre profanes (locataires) et
professionnels (bailleurs) qui sont caractéristiques du droit de la consommation. Il s'ensuit,
selon l'expression d'une doctrine spécialement autorisée(3), que l'étude des rapports
,
entre bailleurs et locataires relève du droit de la consommation.
(1)
V. supra p.
401.
(2)
V. loi n° 66-70 du 13 juillet 1966 portant sur la deuxième partie du Code des Obligations civiles
et commerciales (COCe) : "Des contrats spéciaux" (articles 567 à 583).
(3)
En droit français, v. Jean CALAIS-AULOY, Droit de la Consommation, Précis Dalloz, 1992,
3ème édition, n° 348, p. 327, note 1.
421
Par suite,. si on souscrit à cette construction doctrinale française, l'analyse des
mécanismes de protection des consommateurs de certains biens et services sera conduite
en examinant, tour à tour, la protection des emprunteurs (Section 1) et la protection des
locataires des locaux à usage d'habitation (Section II).
SECTION 1 - PROTECTION DES EMPRUNTEURS
Cette protection concerne une sous-catégorie de consommateurs dont la mauvaise
situation financière peut les obliger à anticiper sur des ressources auxquelles elle peut
prétendre plus tard pour satisfaire ses besoins de consommation(l).
Mais compte tenu du double danger lié à une telle opération, c'est-à-dire, d'abord,
la tentation d'emprunter dans des conditions particulièrement défavorables et d'accepter
les exigences léonines du bailleur de fonds et, ensuite, de la tentation permanente que
constitue l'appel au crédit pour tous ceux qui résistent mal à la facilité de vivre au-dessus
de leurs moyens(2), les pouvoirs publics sont intervenus, non seulement, pour encadrer
le montant du prêt (Sous-Section 1), mais encore, pour encadrer le taux d'intérêt du prêt
(Sous-Section II).
Sous-Section 1 - ENCADREMENT DU MONTANT DU PRET
,
Cet encadrement du montant du prêt participe d'une politique des pouvoirs publics
visant à éviter un endettement excessif de certains travailleurs pouvant prétendre à un
crédit de sommes d'argent alloué par leurs employeurs.
(1)
En droit français : sur l'ensemble de la question, v. Didier MARTIN. La défense du
consommateur à èrédit (Commentaire de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978), Rèv. trim. dr.com.. '
1977. p. 619 et s.
(2)
Didier MARTIN, Droit civil el commercial sénégalais, Collection CIFPB, NEA Abidjan-Dakar-
Lomé. n° 907. p. 212.
422
Dans cette perspective, la loi intervient pour limiter le montant du prêt, soit en
fonction de la quotité cessible ou saisissable du salaire(l), soit en fonction d'un
pourcentage des fonds propres effectifs de l'emprunteur(2).
S'il est acquis que le remboursement de ces prêts par prélèvement sur les salaires
ne peut se réaliser que par cession volontaire de salaire ou par saisie-arrêt(3), encore
que des décisions rendues par certaines juridictions puissent malencontreusement laisser
croire le contraire(4), on peut, malgré tout, se demander quelle est la finalité que
poursuivent ces règles de protection de la créance de salaire(5).
(1)
V. article 381 du Code de Procédure civile qui détermine la quotité cessible et la quotité
saisissable mensuelles.
A compléter avec l'article 571-1 du même Code qui définit les fractions saisissables. Ainsi, elle
est de 10 % jusqu'à 20.000 frs ; 20 % de 20.001 à 30.000 frs ; 3.0 % de 30.001 à 100.000 frs ;40
% de 100.001 à 200.000 frs ; 100 % au-delà de 200.000 frs. Si la saisie ou la cession a pour objet
d'()btenir le paiement des frais d'hôpital ou de clinique, ou de garantir ou d'obtenir le
remboursement des emprunts contractés pour aider à la construction, à l'achat ou à l'amélioration
d'un local à.usage d'habitation principale et si la quotité précitée est insuffisante, le salaire peut,
en outre; être saisi ou cédé pour une portion supplémentaire mensuelle de : 10 % jusqu'à 20.000
frs ; 20 % de 20.001 à 30.000 frs par mois; 30 % de 30.001 à 100.000 frs ; 40 % de 100.001
à 200.000 francs par mois.
Doct. V. Joseph ISSA-SAYEGH, Droit du travail sénégalais, LGDJ-NEA, 1987, n° 1147, p. 540,
note (125).
(2)
V. article 35 de la loi n° 90-06 du 26 juin 1990 portant réglementation bancaire, JORS n° 5361
du 28 juillet 1990.11, p. 366.
(3)
Voir dans ce sens, Trib. trav. Dakar, 10 février 1969, TPOM n° 264, p. 5948.
Doct. V. Joseph ISSA-SAYEGH. op. cit. n° 1147, p. 540 note (125).
(4)
Trib. trav. Dakar, 22 juillet 1971, TPOM n° 351, p. 7761. En l'espèce, il a été jugé "qu'il est de
jurisprudence constante que les avances faites au travailleur pour des fêtes religieuses peuvent être
prélevées par l'employeur sur le salaire du travail".
Même solution: Comp. Trib. trav. Dakar, Il juillet 1966, TPOM n° 273, p. 6049 et II juillet
1969, TPOM n° 306, p. 6777 qui s'est déclaré incompétent pour connaître du remboursement des
avances qui n'avaient pas été consenties devant les autorités désignées par la loi.
Doct. V. Joseph ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 1147, p. 540, note (125 bis).
(5)
Babacar KEBE, La protection de la créance de salaire en droit du travail sénégalais, Rev. sén. dr.
n° 12, 1973, p. 263.
423
Si on admet que le remboursement de ces prêts est généralement garanti par le
traitement salarial des travailleurs ayant utilisé un crédit de sommes d'argent, on s'aperçoit
également que la mobilisation des fonds destinés au recouvrement de ces dettes obéit à
une détermination légale de la quotité cessible ou saisissable empêchant les employeurs
de procéder à des retenues supérieures à la fraction correspondant au salaire mensuel
effectivement versé aux salariés. Une telle restriction au pouvoir de l'employeur doit alors
s'analyser en un moyen de protection de la créance de salaire qui doit, à notre avis,
s'exercer quand bien même l'employeur accepte de consentir aux travailleurs un prêt qui
excède largement le barème légal prévu.
En définitive, on peut dire que l'encadrement du montant du prêt est un instrument
de politique économique qui permet positivement de protéger certaines catégories de
consommateurs de crédits, comme les travailleurs, dans la mesure où la loi cantonne le
montant du prêt.
Dans le même mouvement, la loi veille également au prêt d'argent assorti, cette
fois-ci, d'un taux d'intérêt nécessitant pareillement un encadrement.
Sous-Section TI - ENCADREMENT DU TAUX D'INTERET DU PRET
On sait que l'objectif de l'assainissement du circuit économique monétaire a déjà
conduit les pouvoirs publics à encadrer le taux d'intérêt par une réglementation du coût
du crédit(l). Cette fois-ci, il s'agit de voir comment un tel encadrement du taux
d'intérêt a eu des répercussions positives sur la protection des consommateurs de crédits.
(1)
V. supra, 1ère Partie, Titre II, paragraphe traitant de la réglementation du coût du crédit p. 179 et ..
suivantes.
424
Pour cela, on s'apercevra que les impératifs économiques du plafonnement du taux
d'intérêt du prêt de consommation ont suscité d'une part, un contrôle préventif des
pouvoirs publics (I) et, d'autre part, un contrôle réactif (II).
1 - CONTROLE PREVENTIF DES POUVOIRS PUBLICS
Ce contrôle intervient au moment de la conclusion du prêt où, après avoir autorisé
les parties à fixer conventionnellement le taux d'intérêt (article 541 alinéa 1 du
COCC)(I), les pouvoirs publics ont cependant précisé que ce dernier ne peut dépasser
un taux maximal défini par la Banque Centrale(2).
A ce stade, le contrôle public sera d'autant plus conforté que la formation du
contrat de prêt de deniers assorti d'une stipulation d'intérêts est subordonnée à un
formalisme rigoureux nécessitant l'écrit de l'acte et son visa dans les cas précisés par le
décret n° 68-948(3) par un notaire ou un fonctionnaire habilité à cet effet(4).
Dans cette optique, l'intervention des pOUV01rs publics cherche à prémunir les
consommateurs de crédits contre les dangers que M. MARTIN avait, à juste titre,
(1)
Pour une application de cette règle, v. en droit français, Civ. 2 mai 1990, Dalloz 1991, p. 41, note
GAV ALDA; JCP 1991, n° 21665, note STOUFR...ET.
Corn. 9 juin 1992, JCP 1992, n° 21.892, conclusions CORTI.
(2)
V. supra 1ère Partie, Titre II, paragraphe traitant de la réglementation du coût du crédit, p. 179 et
suivantes.
(3)
Décret n° 68-948 du 31 août 1968 fixant la liste des personnes habilitées à viser les contrats de
prêt d'argent à intérêt et celle des établissements dispensés des formalités prévues à l'article 542
du COCC, JORS du 14 septembre 1968.
(4)
V. article 542 du COCc.
Doel. v. A. SAKHO et A. FAYE: Observations sous Trib. rég. Dakar, 21 mai 1988 (SGBS cl H.
YOUNIS), Revue EDJA, 1988, n° 11 et 12, p. 34.
425
signalés(l). En d'autres termes, on peut dire, en définitive, que le plafonnement du taux
d'intérêt du prêt de consommation est un moyen de contrôle préventif des pouvoirs
pu blics permettant d'assurer la défense des consommateurs de crédits qui s'exprime, en
outre, avec plus de vigueur, par la réaction de la puissance publique.
II - CONTROLE REACTIF DES POUVOIRS PUBLICS
L'inobservation des prescriptions relatives au plafonnement du taux d'intérêt
maximal entraîne la réaction des pouvoirs publics par l'anéantissement de la stipulation
d'intérêts (A) sans préjudice de l'application de sanctions pénales (B).
A - Anéantissement de la stipulation d'intérêts
Il résulte de l'article 542 alinéa 3 du COCC qui" dispose que "toute stipulation
d'intérêts, dans le prêt d'argent, qui n'est pas constatée par l'écrit visé dans les conditions
prévues à l'alinéa 1er est nulle de nullité absolue".
A la lecture de cette disposition, il faut bien se rendre compte que la réaction des
pouvoirs publics s'adresse, moins au contrat de prêt en tant que tel, qu'à la seule
stipulation illégale d'intérêts(2).
Il reste entendu que cet anéantissement de la stipulation illégale d'intérêts aura pour
effet d'amputer le contrat de prêt d'un élément essentiel puisque ce dernier est stipulé
avec intérêt(3) ; ce qui aurait pu même annuler intégralement l'acte.
(1)
V. Didier MARTIN, ouvrage précité, n° 907, p. 212.
(2)
Jean Pierre TaS!, Droit des Obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, p. 99, note 37.
(3)
V. article 542 alinéa 1 du COCc.
426
Cependant, cette effet serait préjudiciable aux consommateurs dont la satisfaction
du besoin de crédit permettra d'assouvir des besoins personnels ou professionnels. C'est
pourquoi, dans un souci de protection des consommateurs de crédits, il convient de sauver
le contrat en faisant de sorte que le taux soit ramené au taux légal(l).
Dans la perspecti ve de la protection de cette sous-catégorie de consommateurs, la
jurisprudence française ajoute même que le prêteur, dans ce cas, perd en plus le bénéfice
des clauses d'indexation sur les intérêts(2).
En définitive, en annulant la seule stipulation d'intérêt illégal et en lui substituant
un taux d'intérêt légal, on obtient ainsi un contrat de prêt équilibré qui permettra la
protection des consommateurs de crédits qui pourront, par conséquent, satisfaire leurs
besoins d'argent.
Cette protection peut également s'exprimer par la voie répressive où l'on note des
sanctions pénales.
B - Les sanctions pénales
Elles frappent tout prêteur dont les agissements délictueux rentrent dans la
1
qualification du délit d'usure(3), c'est-à-dire celui qui prête à un taux effectif global
(1)
Voir en droit français, Elie ALFANDARI, Droit des affaires, LITEC, Edition 1993, n° 202, p.
152.
Dans le sens contraire de la solution préconisée par M. ALFANDARI, v. Paris, 21 décembre 1989,
Dalloz 1989.I.R. qui ramène le taux au plafond autorisé.
(2)
En droit français, v. dans ce sens Civ. 22 juillet 1986, JCP 1986.IV, p. 302.
Sur les clauses d'indexation, v. La première partie, Titre II de la thèse, p. 179 et suivantes.
(3)
. V. loi n° 94-66 du 22 août 1994 abrogeant et remplaçant l'article 541 du COCC et modifiant la
loi n° 81-25 du 25 juin 1981 relative à la répression des opérations usuraires et au taux d'intérêt
(article 2 de la loi), JaRS n° 5595 du 27 août 1994, p. 393.
427
excédant, à la date de conclusion du prêt, le double du taux d'escompte de la Banque
Centrale(l). A cet égard, les pénalités que la loi prévoit, à savoir un emprisonnement
de 2 mois à 2 ans et une amende de 10.000 à 5.000.000 de francs pouvant être portée au
quintuple, se révèlent particulièrement dissuasives pour le prêteur. Ce qui traduit, en
définitive, un souci de protection des consommateurs de crédits.
En définitive, on note que la protection des emprunteurs qui sont des
consommateurs de crédits est réalisée grâce à la technique de l'encadrement du prêt
concernant aussi bien son montant que son taux d'intérêt. Par suite, ce moyen permet
d'éviter un endettement excessif de l'utilisateur du crédit qui court le risque, d'une part,
d'être soumis aux conditions draconiennes des fournisseurs de crédit et, d'autre part, de
ne pas résister à la tentation de solliciter constamment des crédits pouvant déboucher sur
une spirale d'endettement qui peut lui être fatale.
La prise en compte de tous ces inconvénients fait que, en somme, la protection des
emprunteurs obéit à des motivations liées à des considérations économiques qui peuvent
également expliquer la protection dont jouissent les locataires des locaux à usage
d'habitation.
SECTION II - PROTECTION DES LOCATAIRES DES LOCAUX A USAGE
1
D'HABITATION
Dans la protection des locataires des locaux à usage d'habitation, le but poursuivi
par les pouvoirs publics cherchant à corriger le déséquilibre résultant du nombre infime
de locaux à louer par rapport au nombre sans cesse croissant de simples citoyens désirant
(1)
Sur le doublement du taux d'escompte de la Banque Centrale, v. supra 1ère partie, Titre II,
paragraphe sur la réglementation du coat du crédit.
428
les occuper en qualité de locataires, on se demandera subséquemment comment le
législateur a procédé pour résoudre ce problème.
La réponse à cette interrogation révélera que la méthode législative a consisté, non
seulement, à déterminer impérativement les éléments essentiels du contenu du contrat de
bail (Sous-Section 1), mais encore, à réglementer les conditions de cessation dudit contrat
(Sous-Section II).
Sous-Section 1 -
LA FIXATiON IMPERATIVE DU CONTENU DU BAIL A
USAGE D'HABITATION
Cette fixation impérative du contenu du bail d'habitation vise, d'une part, la durée
du bail et, de l'autre, le montant du loyer.
Dans le premier cas, cette détermination autoritaire concerne le bail à durée
déterminée qui ne peut être inférieur à 3 ans (article 571 du COCC).
Dans le second cas, on note que, même si le loyer est dans une certaine mesure
laissé à la libre appréciation des contractants, ceux-ci doivent néanmoins se soumettre à
la réglementation de la surface corrigée qui se réfère à une évaluation ~aite de la valeur
de l'immeuble.
Il s'agit alors de voir dans quelle mesure cette fixation impérative du contenu du
bail d'habitation peut traduire l'expression de la protection des locataires civils.
Pour cela, il conviendra d'analyser, tour à tour, la fixation d'une durée minimale
du bail à usage d'habitation (1), puis la fixation du montant du loyer (II) dont les non
respects sont ci vilement et pénalement sanctionnés (III).
429
1 -
FIXATION
D'UNE
DUREE
MINIMALE
DU
BAIL
A
USAGE
D'HABITATION
La fixation de la durée du bail à usage d'habitation s'inscrit dans la durée normale
de n'importe quel contrat qui produit des effets dans le temps. C'est ainsi que le bail peut
être soit à durée déterminée, soit à durée indéterminée.
C'est dans le bail à durée déterminée qu'il est surtout remarquable de constater que
les contractants ne peuvent pas conclure un contrat d'une durée inférieure à 3 années
(article 571 alinéa 2 du COCC).
A la lecture de cette disposition, il est permis de penser que l'objectif recherché
est la stabilité du logement qui peut être obtenue en enfermant les contractants dans une
durée légale minimale(l). De plus, ce sentiment peut être renforcé par la technique du
renouvellement par tacite reconduction pour des périodes triennales (articles 571 du
COCC).
Cependant, cette durée minimale peut susciter quelques difficultés d'interprétation
justifiées par le fait que le caractère de la règle d'ordre public n'a pas été précisé par
l'article 569 du COCC qui s'est seulement contenté de déclarer les dispositions sur les
baux à usage d'habitation d'ordre public.
A cet égard, le problème n'avait pas échappé à la doctrine française, singulièrement
M. FARJAT(2) qui proposa que si le législateur cherche à protéger une partie dans le
(1)
En droit français, Y. Gérard FARJAT, L'ordre public économique, LGDJ, 1963, n° 309, p. 250.
Adde Jean, CALAIS-AULOY, Droit de la consommaOon, Précis Dalloz, 1992, 3ème édition, n°
359. p. 335.
(2)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cil. n° 615, 616 et 617, p. 498 et suiy.
430
contrat, cette dernière devrait pouvoir être en mesure de renoncer à la protection si elle
ne lui convient pas. Ainsi, cette possibilité de renonciation devrait conférer un caractère
relatif à la protection des locataires.
Une telle position se justifie simplement au regard du droit sénégalais dans la
mesure où une doctrine spécialement autorisée(l) conclut que la nouvelle législation
sur les baux à usage d'habitation(2) a fortement inspiré la loi française du 6 juillet 1989
tendant à améliorer les rapports locatifs dont il a été soutenu qu'elle vise à accorder aux
locataires la mobilité la plus totale(3). Il s'ensuit que la fixation d'une durée minimale
du bail, encore qu'elle soit un moyen de protection des locataires, doit pouvoir faire
l'objet d'une renonciation valable s'il ne convient pas aux preneurs dont on cherche
également à préserver le pouvoir de location par une fixation du montant du loyer.
II· FIXATION DU MONTANT DU LOYER
La fixation du montant du loyer du bail à usage d'habitation est, de nos jours, régie
par le nouvel article 572 du eoee issu de la loi n° 77-62(4) qui en détermine le mode
de fixation en se référant à l'évaluation faite de la valeur de l'immeuble.
(1)
Me Doudou NDOYE, Le bail à usage d'habitation au Sénégal, Editions Juridiques Africaines,
Dakar, aoOt 1991, p. 49.
(2)
V. loi n° 84-12 du 4 janvier 1984 modifiant le COCC, JaRS n° 4984 du 12 janvier 1984, p. 14.
(3)
En droit français, v. Jean CALAIS-AU LaY, op. cit. n° 360, p. 336.
(4)
V. loi nO 77-62 du 26 mai 1977 relative à la fixation à titre transitoire du montant du loyer des
locaux à usage d'habitation, JaRS du 18 juin 1977, p. 735.
431
Cette fixation est le résultat d'une évolution amorcée depuis le décret colonial du
30 juin 1952(1) et qui devait aboutir à une réglementation uniforme s'appliquant aussi
bien aux baux à durée déterminée qu'à ceux de durée indéterminée(2). A cet effet,
l'uniformisation avait consisté à aligner la fixation du montant du loyer du bail à durée
déterminée sur celle du bail à durée indéterminée (ancien article 578 du COCC abrogée).
Si le résultat de cette uniformisation est certainement l'adoption du nouvel article
572 du COCC, il convient de souligner que les modalités d'application de la loi furent
renvoyées à des décrets.
A cet égard, trois décrets furent adoptés pour réglementer respectivement le
montant du loyer des locaux à usage d'habitation(3), les éléments de calcul du loyer
à usage d'habitation(4) et la valeur des terrains nus(5).
(1)
V. décret du 30 juin 1952 portant réglementation des loyers en Afrique occidentale française,
Rufisque, Imprimerie du Gouvernement Général, 1952 (articles 4 et suivants dudit décret).
(2)
En effet, il résulte de l'exposé des motifs de la loi n° 77-61 du 26 mai 1977 modifiant le COCC,
JORS du 18 juin 1977, p. 734 que celle-ci admettait une distinction fondamentale qui introduisait
la fixation libre pour les baux à durée déterminée et la réglementation pour l'autre catégorie.
(3)
V. décret n° 77-527 du 23 juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d'habitation.
Ce décret est publié dans l'ouvrage de Me Doudou NDOYE, Le bail à usage d'habitation au
Sénégal, Editions EDJA, Dakar, août 1991, p. 77.
Ce décret a été modifié sur certai ns points. V. décret n° 81-609 du 17 juin 1981 abrogeant et
remplaçant les articles 6, 7 alinéas 2 et 12 du décret n° 77-527 du 23 juin 1977 relatif au montant
du loyer des locaux à usage d'habitation, JORS du 5 septembre 1981, p. 829.
En application de l'article 13 de cette réglementation disposant que la valeur locati ve ne peut être
révisée gu' à l'expiration d'une période de 3 ans, il a été jugé par la Cour suprême dans un arrêt
n° 168 du 27 décembre 1989, NDIAYE cl CF! que "la restriction triennale appliquée aux
augmentations du loyer ne concerne que les locaux à usage d'habitation et ne peut être évoquée
par un locataire commercial".
(4)
V. décret n° 81-683 du 7 juillet 1981 fixant les éléments de calcul du loyer des locaux à usage
d'habitation.
Ce décret est publié dans le même ouvrage de Me D. NDOYE précité, p. 83 et suiv.
Sur le pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond en matière de conclusions d'expertise sur
le mode de calcul de la valeur locative d'un immeuble: rejet d'un pourvoi qui reprochait à un
~Yri"" d'àppf.I,aIWl(l plt"'~d.t2 11'.:}VOÎt- t'e'pohd.u fjU'dCl ~ri(lf aGIe) l10h c:ypliC.c1h·I1f\\c/ui4u~
432
Mais auparavant, l'urgence de l'application de la loi na 77-61 précitée avait fait
sentir la nécessité de fixer à titre provisoire(l), le montant du loyer de tout le local à
usage d' habitation le jour même de l'adoption du texte. A cet égard, cette loi d'application
transitoire avait pris soin de distinguer deux périodes (articles 1er et 2 de la loi) ainsi que
deux types de locaux (articles 3 et 4 de la loi).
A - La première période sera particulièrement marquée par une protection des
locataires justifiée, selon l'exposé des motifs de la loi, par une période de crise qu'elle
situe entre le 1er janvier 1976 et la date de mise en vigueur de la loi. Pour ce faire, il a
été procédé à un gel du prix des loyers (article 1er de la loi).
La référence à la date du 1er janvier 1976 antérieure à l'adoption du texte
d'application transitoire permet de penser qu'il a un effet rétroactif. Ceci paraît être
corroboré par la référence au prix pratiqué à la date du' 31 décembre 1975 pendant
laquelle le prix du loyer ne pouvait être modifié.
L'interdiction de modifier le prix du loyer dans un contexte de crise qui est
toujours favorable à l'inflation(2) est un moyen de protection des locataires.
d'abattement pour ancienneté et, d'autre part, d'avoir violé les articles 20, 26 et 27 du décret n°
81-863 exigeant l'affectation du coefficient d'entretien et de vétusté de 0,8, le coefficient pour
manque d'ascenseur alors que c'est à tort que le coefficient et majoration pour distribution
permanente a été appliqué, C. Casso n° 35, Robert SALEME cl Marie W AGGEH et autres, 5
janvier 1994 (Ch. civ. et corn.), Bull. arr. de la Cour de Casso du Sénégal, Année judiciaire
1993/1994.
(5)
V. décret n° 88-074 du 18 janvier 1988 fixant la valeur des terrains nus, JORS du 23 décembre
1990. (Cette note vient après la note 4 de la page 431 de la thèse).
(1)
C'est ce qui apparaît dans l'intitulé même de la loi et de l'exposé des motifs.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 77-61 du 26 mai 1977 précitée.
433
Cependant, il convient de noter que cette protection a été mal assurée lorsque le
législateur sénégalais décidait que les loyers d'un montant supérieur, déjà acquittés par les
locataires, restent définitivement acquis aux bailleurs (article 1 alinéa 2 de la loi). En effet,
même s'il apparaît que la règle se justifiait par le désir d'éviter de revenir sur des
solutions acquises en faveur de locataires qui, en acceptant de payer des augmentations,
ont participé à la spéculation(l), cette justification nous paraît contestable dans la
mesure où lorsqu'il est établi que certains locataires ont participé à la spéculation, il n'est
pas, par contre, douteux que ladite spéculation devait tourner au profit de certains
bailleurs. Par conséquent, ce qu'il eût fallu faire, c'était de procéder à la restitution du
trop perçu aux locataires que la loi entendait protéger.
B - Relativement à la seconde période, on peut dire qu'elle correspondait à la date
d'entrée en vigueur de la loi qui s'étend jusqu'à l'entrœen vigueur des dispositions
relatives au montant du loyer des locaux à usage d'habitation. Et il semble qu'on puisse
même le situer dans l'époque de la fin de la crise(2). A cet égard, il est préconisé la
référence aux prix pratiqués à la date du 31 décembre 1975 mais majoré ainsi qu'il suit
(article 2 de la loi) :
- 15 % pour les locaux construits postérieurement au 1er janvier 1966 ;
- 10 % pour les locaux construits antérieurement au 1er janvier 1966.
Il s'ensuit que la référence aux prix pratiqués s'appuyait sur le critère de
l'ancienneté ou de la nouveauté de l'immeuble. Seulement, il apparaît que le caractère
simple du critère ne rend pas compte de sa certitude lorsque, du moins, il se propose de
(1)
V. exposé des motifs de la loi n° 77-62 du 26 mai 1977 précitée.
(2)
En effet, il résulle expressément de l'exposé des motifs de la loi n° 77-62 du 26 mai 1977 précitée
que "la première période va du 1er janvier 1976. date du début de la crise, jusqu'à la date de mise
en vigueur de la loi". Ainsi, on peut penser que, du moment que les prix des loyers sont gelés
pendant la période de crise et qu'ils ne le sont plus après ladite période, c'est parce que la crise
a été neutralisée dans la seconde période.
434
lutter contre la pratique des prix excessifs participant gravement à une augmentation
injustifiée du coût de la vie(l). Donc, le critère légal de la nouveauté ou de l'ancienneté
ne pouvait rendre objectivement compte de la valeur d'un immeuble.
Pour qu'il en soit ainsi, il eût fallu tenir compte de critères plus objectifs tels que
le coût de la construction ou bien le coût de la vie.
L'avantage de ces critères proposés aurait permis de mieux situer la valeur actuelle
de ces immeubles dans la mesure où ils varient en fonction des mécanismes de régulation
du marché.
Il semble même que ces mécanismes de régulation du marché constituaient la
meilleure façon de protection des locataires par la lutte contre la pratique des prix
excessifs participant à une augmentation injustifiée du coût de la vie(Z).
La seconde branche de la distinction est constituée par les locaux pour lesquels si
la loi a pris soin de réglementer ceux qui étaient déjà loués, elle n'a pas manqué de
réserver un sort particulier à ceux qui ne l'étaient pas encore à sa date de mise en vigueur.
La particularité du sort réservé à la seconde catégorie de locaux réside dans le fait
qu'une marge de manoeuvre était accordée aux parties qui avaient alors toute latitude pour
spéculer dès lors que le montant du loyer était provisoirement fixée par la convention des
parties(3). A ce sujet, cette détermination conventionnelle du montant du loyer ne
(1)
V. exposé des motifs de la loi nO 77-62 du 26 mai 1977 précitée.
(2)
V. exposé des motifs des lois n° 77-61 et n° 77-62 du 26 mai 1977 précitées.
(3)
V. ancien article 575 du COCC : Loyer:
"Le loyer. librement fixé par la convention des parties, ne peut être modifié pendant toute la durée
du bail".
435
cadrait pas avec les objectifs avoués du législateur sénégalais de lutter contre la
spéculation sur les prix du loyer(l).
Malgré le fait que cette faiblesse soit légèrement corrigée par une possible
intervention du juge des loyers qui pouvait statuer compte tenu des circonstances de la
cause(2). On peut dire qu'il y avait, à travers cette disposition, un petit retour en arrière
dans la mesure où, en accordant une marge de manoeuvre, si minime soit-elle, aux parties,
le législateur sénégalais ne faisait que revenir, consciemment ou non, à une tradition
juridique qui admettait la fixation libre du loyer d'un bail à durée déterminée par la
convention des parties(3). Et, de ce fait, on peut affirmer que la disposition législative
ne permettait pas de rendre pleinement compte de la protection accordée aux locataires
sur ce point précis.
En revanche, l'examen d'ensemble du tissu législatif relatif à la détermination du
loyer dans le bail à usage d'habitation autorise à penser que sa fixation autoritaire répond
à un souci de protection des locataires. A l'appui de cette affirmation, on peut faire valoir
plusieurs arguments.
(1)
Ces objectifs ont été notamment retracés dans l'exposé des motifs de la loi n° 77-61 du 26 mai
1977 précitée.
(2)
v. article 3 al. 2 de la loi n° 77-62 précitée.
(3)
C'est ce qui résulte expressément de l'exposé des motifs de la loi n° 77-61 du 26 mai 1977
précitée: "L'article 572 du cacc établit une distinction fondamentale dans les baux à usage
d'habitation, entre ceux qui sont conclus pour une durée détenninée et ceux qui sont conclus pour
une durée indéterminée. Ce texte, dont les dispositions sont précisées par les articles 575 et 578,
dispose que le prix du loyer est librement fixée par les parties pour la première catégorie de baux,
tandis qu'il est réglementé pour la seconde".
436
Ainsi, s'il a été proposé en doctrine que la protection des locataires se justifiait par
le souci de ménager la partie économiquement la plus faible(l), il faut en outre
convenir que le législateur sénégalais n'a pas lui-même manqué de prendre fait et cause
pour les locataires afin de leur assurer un cadre de vie stable qui répond à leurs
possibilités financières(2).
L'intervention législative paraissait d'autant plus opportune qu'elle correspondait
à un contexte marqué par la crise du logement où l'inégalité pouvait être telle que, si on
appliquait la loi de l'offre et de la demande, les potentiels locataires risqueraient de subir
le diktat des propriétaires cssentiellement mus par un désir de spéculation.
Pourtant, malgré cet objectif, nous avons pu découvrir par le biais d'un auteur(3)
quc la réglcmcntation sur le prix du loyer n' cst guère respectée à la lumière de la pratique,
ce qui signifierait que les bailleurs et les locataires s'accommodent d'une situation
pourtant manifestcment contrairc à la loi.
Mais, en réalité, cette affirmation platoniquc de ce demi cr auteur doit être
relativisée dans la mesure où nous avons acquis la certitude, aujourd'hui, que la loi sur
la surface corrigée est bel et bien appliquée comme en témoigne, du reste, une récente
jurisprudence rendue par la nouvelle Cour de Cassation du Sénégal(4) ainsi que
l'arsenal législatif de protection des locataires qui aménagc, dans le même temps, certaines
sanctions qu'il convient d'étudier.
(1)
J.P. TOSI, Droit des Obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, n° 305, p. 115.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des
locaux à usage d'habitation, JORS 1981, p. 658.
(3)
J.P. TOSI, op. cil. n° 90, p. 49.
(4)
V. dans ce sens, C. casso n° 35, Robert SALEME cl Marie WAGGEH et autres, 5 janvier 1994,
Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation (Année judiciaire 1993/1994), p. 40.
437
III - LES SANCTIONS AMENAGEES
Elles empruntent ici la VOle civile et la VOle répressive qui concernent
respectivement la durée du bail d'habitation à durée déterminée et le montant du loyer
dudit bail. Ainsi, sur le plan civil, l'article 4 de la loi nO 77-61 du 26 mai 1977 précitée
modifiant le COCC dispose que "toute stipulation contractuelle contraire aux dispositions
de la loi et des textes pris pour son application est nulle".
Si cette disposition visant seulement une stipulation doit avoir pour conséquence
de laisser subsister le contrat de bail d'habitation, ne peut-on pas y voir une façon de
protéger les locataires ?
Par ailleurs, on note que les pouvoirs publics ont cru devoir intervenir au plan
répressif par le biais de la loi n° 81-21(1). Il s'agira alors de montrer que cette
intervention traduit une double préoccupation. Ainsi, si la première préoccupation avouée
est la défense de l'économie nationale(l) par l'institution d'un délit économique, il
semble que l'objectif inavoué pourrait être la protection des locataires puisqu'il se révélera
à travers l'analyse des infractions prévues par la loi n° 81-21 précitée qu'il s'agit de
défendre leur pouvoir de location.
L'ensemble de ces considérations précédentes nous conduira naturellement à
examiner, d'une part, les sanctions civiles (A) et, de l'autre, les sanctions pénales (B).
(1)
V. la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 précitée.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 précitée.
438
A - Les Sanctions civiles
Elles sont surtout constituées par la nullité de la stipulation contraire(l) qui doit
avoir pour effet de laisser subsister le contrat. En d'autres termes, contrairement à l'effet
normal de la nullité qui est la disparition totale de l'acte, le législateur a plutôt préféré
s'attaquer à un seul élément du contrat. Cette préférence législative ne traduit-elle pas, au
fond, une idée de protection des locataires ?
Si tel est le cas, on doit subséquemment envisager la question du caractère de la
nullité édictée dans l'article 4 de la loi n° 77-61 du 26 mai 1977 précitée qui n'a rien
précisé à ce sujet.
Le premier aspect de la question n'avait pas échappé à la doctrine française,
singulièrement M. FARJAT(2) qui propose que "chaque'fois qu'un texte d'ordre public
économique a prévu la nullité d'un élément du contrat, quels que soient les termes utilisés,
qu'elle qu'ait été la volonté des parties, il convient d'annuler ce seul élément".
Cette proposition de la doctrine française semble être retenue par le législateur
sénégalais qui prononce, avec juste raison, la nullité de la seule stipulation contractuelle
contraire (article 4 de la loi précitée). En effet, la solution paraît d'autant plus soutenable
que lorsque la nullité aboutit à l'anéantissement du bail, cela peut aller à l'encontre des
intérêts des locataires qui seront ainsi privés d'un moyen de logement.
(1)
V. article 4 de la loi n° 77-61 du 22 mai 1977 précitée.
(2)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cil. N° 482, p. 382.
Adde Mme PANCQ.AZI, La protection judiciaire du lien contractuel, Référence sur Micro fiche
MAG 94 Aix 3/201$ Bibliothèque CUJAS de Paris, p. 98.
439
Relativement à l'imprécision du caractère de la nullité de la stipulation contraire,
une réponse tranchée à ce problème paraît difficile à apporter faute de précision
législati ve.
Cependant, l'examen de la ratio legis de la loi n° 77-6] in fine permet de pencher
en faveur de la nullité absolue de la stipulation contraire justifiée surtout par la lutte
contre les prix excessifs participant gravement à une augmentation injustifiée du coût de
la vie. Il s'ensuit donc une protection de l'intérêt général des locataires qui doit être
défendue par la nullité absolue.
Toutefois, il faut noter que cette protection de l'intérêt général paraît mieux être
assurée par les sanctions pénales.
B - Les sanctions pénales
Ces sanctions sont surtout constituées par la loi n° 81-21 du 25 juin] 981 (1) qui
est le siège légal de la matière.
Du fait que la loi englobe une série d'infractions et de sanctions destinées à.lutter
contre l'augmentation au-delà de toute limite raisonnable, du prix des loyers des locaux
à usage d'habitation(2), il est permis de penser qu'elle constitue la base d'un droit
pénal du louage qui détermine avec soin, outre les éléments constitutifs des infractions,
la répression infligée selon une procédure particulière. Par conséquent, l'analyse des
(1)
V. loi n° 81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage
d'habitation. JaRS 1981, pp. 658 à 661 et le décret n° 81-1834 du 25 octobre 1981 portant
application de la loi n° 81-21 précitée publié dans l'ouvrage de Me Doudou NDOYE précité, p.
'177 et suiv.
(2)
V. exposé des motifs de la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 précitée.
440
infractions ainsi que la procédure employée pour la répression retiendront successivement
notre attention.
a - Abordant la définition des infractions, on peut en retenir trois catégories
qui sont alors censées protéger particulièrement les locataires. Ainsi quand la loi exige la
remise à tout locataire d'un décompte fixant la valeur de la surface corrigée du local
donné à bail (article 4) ou bien incrimine toute personne exigeant, recevant ou versant un
loyer d'un taux supérieur à celui définitivement fixé par le juge des loyers (article 7), elle
ne paraît chercher à atteindre d'autre but que de protéger, dans le contrat, la partie la plus
faible qui se trouve être, en l'occurrence, le locataire.
Cependant, doit-on en conclure que, seulement, est exprimé un ordre de protection?
La question ainsi soulevée est d'autant plus intéressante que c'est une disposition
répressive qui assure la protection des locataires. En effet, M. FARJAT n'a pas manqué,
à ce sujet, de mettre l'accent sur l'importance primordiale du droit pénal dans un système
d'économie dirigée où les règles de droit pénal empruntent nécessairement la marque d'un
dirigisme étatique(l).
Ici encore, cette vision juste de M. FARJAT semble être partagée par le législateur
1
sénégalais qui a éprouvé un réel besoin d'intervention des pouvoirs publics pour une
remise en ordre rapide dans le secteur des baux à usage d'habitation(2). C'est dire
qu'au Sénégal, on peut noter à travers la loi n° 81-21 précitée une manifestation de
(1)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 579, p. 466, note 6.
(2)
V. exposé des motifs de la loi nO 81-21 du 25 juin 1981 précitée.
441
l'existence de la qualité des deux catégories d'ordre public de direction et de
protection(l).
b - Relati vement à la répression, outre le rôle assigné à l'administration dans
la poursuite des infractions (article 10 de la loi), il est prévu également une procédure de
transaction (articles 4 et 5 de la loi) pour laquelle il a été soutenu, en France, qu'elle
constituait le droit commun en matière de droit pénal économique(2).
Cependant, lorsque cette procédure échoue, elle peut ouvrir la voie à l'application
de pénalités puisqu'on peut relever, entre autres sanctions, sans prétendre à l'exhaustivité,
une amende de 20.000 à 200.000 F applicable au bailleur qui n'a pas rerrus à son locataire
un décompte du loyer (article 4 de la loi), un emprisonnement de 2 à 6 mois applicable
au bailleur convaincu d'avoir excédé le prix maximum de location (article 5 de la loi).
Par suite, la répression complétant naturellement l'incrimination, elle doit pouvoir
remplir la même fonction que l'infraction, c'est-à-dire assurer la protection des locataires
qui doit également jouer au moment de la cessation du contrat de bail.
Sous-Section II - LA CESSATION DU BAIL A USAGE D'HABITATION
On sait maintenant que dans les rapports caractérisés par l'inégalité contractuelle,
la cessation du contrat constitue, pour l'essentiel, un point particulièrement vulnérable du
(1)
Voir à ce sujet, en droit français, sur la difficulté qu'il y a à faire la distinction entre les règles
de l'ordre public de direction et les règles de l'ordre public de protection.
G. FARJAT, op. ciL. n° 156, p. 118.
Gérard COUTURIER, L'ordre public de protection, heurs et malheurs d'une vieille notion neuve,
Etudes offertes à Jacques FLOUR, Répertoire du notariat Defrenois, n° 7, p. 102 et note 33.
(2)
En droit français, v. G. FARJAT, op. cit. n° 587, p. 472.
442
partenaire en situation de faiblesse économique(l). Dès lors, il devient impérieux, de
plus en plus, de contrôler les motifs de la rupture du contrat qui doit obéir à un
formalisme rigoureux. Dans cette optique, la situation d'infériorité contractuelle des
locataires civils a nécessité une protection qui s'exerce, d'une part, par des restrictions du
droit de résiliation des bailleurs(2), notamment au niveau des conditions d'exercice du
droit de reprise (1) et, d'autre part, par l'application de sanctions qui frappent l'exercice
illégal du droit de reprise (II).
1 -
RESTRICTIONS
DU
DROIT
DE
RESILIATION
DU
BAILLEUR
(CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE REPRISE)
Ces restrictions concernent essentiellement le bailleur désirant exercer son droit de
reprise d'un bail à durée déterminée ou d'un bail à durée indéterminée (article 583 du
COCC) dans la mesure où il est tenu, non seulement, à l'obligation de motiver la rupture
du bail, mais encore, à l'exigence du respect de longues formalités préalables de rupture.
Dans quelle mesure ces obligations mises à la charge du bailleur sont-elles de
nature à protéger les locataires?
L'analyse de la réponse à cette question révélera que, dans tous les cas (bail à
durée déterminée ou bail à durée indéterminée), cette législation, en matière de rupture du
bail, est particulièrement favorable aux locataires dans la mesure où contrairement aux
bailleurs, ils ne sont pas tenus de motiver la rupture de leur contrat de bail, d'une part et,
(1)
Voir nos réflexions sur la cessation du bail commercial, p. 350 et suivantes.
Sur l'ensemble de cette question, v. en droit français, Georges J. VIRASSAMY, Les contrats de
dépendance. Essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance économique.
LGDJ, Paris, 1986.
(2)
Doudou NDOYE, De la résiliation du contrat de louage de chose en droit sénégalais, Rev. sén.
dr., décembre 1974, n° 16, p. 21 et suivantes.
443
de rautre, dans l'exercice dudit droit de IUpture, les formalités préalables d'avertissement
sont relativement écourtées. Par suite, nous étudierons l'exigence de justes motifs à la
rupture du bail (A) et l'exigence de formalités préalables de rupture (B).
A - Exigence de justes motifs à la rupture du bail
Le bailleur désirant exercer son droit de reprise, dans un contrat de bail à durée
déterminée ou de bail à durée indéterminée, est tenu de motiver la rupture du bail. Ainsi,
si dans le bail à durée déterminée, l'obligation de motivation n'apparaît qu'au moment du
refus de renouvellement du bail par tacite reconduction (article 574 alinéa 2 du CaCC),
par contre, dans le bail à durée indéterminée, il semble qu'elle puisse intervenir à
n'importe quelle période où le bailleur signifie son intention de mettre fin au contrat
puisque, dans ce dernier cas, la durée du bail n'est pas exactement précisée.
Dans tous les cas, le droit de reprise du bailleur sera soumis à des restrictions
légales(l) puisque les motifs justificatifs qu'il peut fournir ne concernent que
l'occupation personnelle ou la démolition pour reconstruction.
S'agissant de la justification de l'occupation personnelle, elle oblige le bailleur ou
ses parents à habiter effectivement, dans un délai de trois mois, les locaux libérés par les
locataires (articles 574, 576 et 583 du CaCC).
Quant à la justification de la démolition pour reconstruction, elle oblige le bailleur
à commencer les travaux dans le délai de 3 mois suivant le jour de l'éviction des
locataires. A cette fin, le bailleur ne peut faire occuper les lieux, à quelque titre que ce
soit, sauf pour gardiennage du chantier, jusqu'à réception de l'immeuble construit (articles
574 alinéa 4 et 583 du CaCC).
(1)
V. article 583 du COCc.
444
On le voit, le bailleur ne peut résilier n'importe commènt le contrat de bail
puisqu'il doit fournir de justes motifs légaux pour le faire. Et il semble que cette
législation soit inspirée par un souci de protection des locataires dans la mesure où ces
derniers n'ont aucune raison à fournir pour justifier, du moins, la rupture d'un bail à durée
indéterminée(1).
Dans cette perspective, on peut dire, en définitive, que l'exigence de justes motifs
légaux imposés au bailleur désirant rompre le bail constitue un moyen de protection des
locataires qui est renforcé également grâce à l'existence de règles gouvernant les
formalités préalables de rupture.
B - Exigence de formalités préalables de rupture
Quelle que soit la durée du bail (déterminée ou indéterminée), le droit de résiliation
du bailleur est considérablement restreint par l'exigence de formalités préalables de
rupture qui l'oblige à servir un congé de préavis par acte extra-judiciaire dont la durée
s'étend sur 6 mois (articles 574 alinéa 2 et 576 alinéa 3 du COCC)(2).
(1)
V. article 576 du COCC : fin du bail à durée indéterntinée :
Alinéa 1 : "Le preneur peut mettre fin au bail par un préavis de congé donné à deux mois servi
au bailleur par acte extra-judiciaire".
Docl. V. Me Doudou NDOYE, Le bail à usage d'habitation au Sénégal, Editions EDJA, Dakar,
août 1991, p. 36.
Comp. en droit français, Paris, 12 juin 1987, D. 1987.IR p. 171.
Docl. V. Jean CALAIS-AULOY, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 1992, 3ème édition,
n° 360, p. 336.
(2)
V. article 574 du COCC : Fin du bail à durée déterntinée :
Alinéa 2 : "Seul le bailleur personne physique peut refuser le renouvellement du bail lorsqu'il
décide de reprendre les lieux pour les habiter lui-même ou les faire habiter par son conjoint, ses
ascendants, ses descendants en ligne directe ou ceux de son conjoint, en notifiant le préavis du
refus de renouvellement servi, à peine de nullité, six mois avant l'expiration de la période
triennale en cours".
Article 576 du COCC : Fin du bail à durée indéterminée :
Alinéa 3 : "Le bailleur peut mettre fin au bail par un préavis de congé donné à six mois servi au
preneur par acte extra-judiciaire dans les cas énumérés à l'article 574 et sous les mêmes conditions
445
Une telle restriction légale paraît être justifiée par l'octroi d'un délai plus ou moins
long permettant aux locataires de pouvoir se reloger ailleurs. Dans cette optique, il devient
normal que les règles de courtoisie obligent les bailleurs à avertir les locataires de leur
intention de reprendre leurs locaux selon des formalités d'huissier qui offrent toutes les
garanties de sécurité juridique en raison du caractère authentique de l'acte dressé par
l'officier public.
Même si une telle règle de bonne conduite est exigée des locataires qui doivent,
de ce fait, donner, dans le cas du bail à durée indéterminée (article 576 alinéa l du
COCC) un préavis de congé minimum de 2 mois par acte extra-judiciaire, on constate,
tout de même, que ce délai est plus court que celui imposé aux bailleurs. Ce qui
contribue, en définitive, à instaurer une inégalité juridique dans les rapports contractuels
qui ne se justifie que par un souci de protection des locataires pour lesquels le législateur
a voulu accorder la mobilité la plus totale(l).
En conclusion, on peut dire que les restrictions légales du droit de résiliation du
bailleur se révèlent, à la lumière de l'exigence d'une motivation de son droit de rupture
et de la durée des formalités préalables de rupture, comme des moyens de protection des
locataires. Une telle option paraît encore plus accentuée par l'exercice illégal du droit de
reprise du bailleur qui sera sanctionné.
de fond et de fonne".
(1)
En droit français, v. Jean CALAIS-AULOY, op. cit. n° 360. p. 336.
446
II - SANCTIONS DE L'EXERCICE ILLEGAL DU DROIT DE REPRISE
Ces sanctions qui touchent les restrictions du droit de résiliation des bailleurs
aboutissent soit à maintenir les locataires dans les lieux (A) soit à leur allouer un montant
pécuniaire (B).
A - Maintien des locataires dans les lieux
Il découle de l'annulation qui frappe l'inobservation des formalités imposées aux
bailleurs exerçant leur droit de reprise puisque le congé irrégulier en la forme doit être
purement et simplement déclaré nul (article 574 alinéas 3 et 4 et article 576 alinéas 2 et
3 du COCC(l).
(1)
V. article 574 du COCC : Fin du bail à durée déterminée :
Alinéa 3 : "Le préavis délivré par le bailleur personne physique ou société civile assimilée, doit,
à peine de nullité, indiquer:
10) l'identité complète de la personne au profit de laquelle le droit de reprise est exercé;
20 ) son lien de parenté avec le bailleur;
3D) son adresse actuelle;
40 ) la reproduction intégrale des dispositions de l'article 583 :
Alinéa 4 : "Le bailleur, qu'il soit ou non une personne physique, peut également refuser le
renouvellement du bail lorsqu'il décide de reprendre les lieux pour les démolir et les reconstruire,
en notifiant le préavis de refus de renouvellement, servi, à peine de nullité, six mois avant
l'expiriltion de la période triennale en cours.
En ce cas, le préavis doit, à peine de nullité, indiquer:
ID) la nature et la description des travaux projetés;
20 ) la référence complète du permis de construire;
3D) le nom,le cas échéant, de l'architecte et celui de l'entreprise suivant et exécutant les travaux
40 ) l'engagement du bailleur de ne pas faire occuper les lieux, à quelque titre que ce soit, sauf
pour gardiennage du chantier, depuis le déguerpissement du locataire jusqu'à la réception de
l'immeuble reconstruit ;
50) reproduire intégralement les dispositions de l'article 583".
Article 576 du COCC : Fin du bail à durée indéterminée :
Alinéa 2 : "Seul le bailleur personne physique ou la société civile constituée exclusivement entre
parents et alliés jusqu'au 4ème degré peuvent donner préavis de congé à six mois au preneur
lorsqu'ils décident d'exercer leur droit de reprise en faveur de l'un des bénéficiaires énoncés à
l'alinéa 2 de l'article 574. A peine de nullité, le congé délivré doit contenir toutes les indications
énumérées à l'alinéa 3 de l'article 574",
447
De cette annulation, deux conséquences s'ensuivront relativement au sort des
locataires qui seront, en tout état de cause, maintenus dans les lieux(l).
D'abord, si le bail triennal comprend une clause de reconduction tacite par période
triennale, le bail devrait normalement être reconduit pour une nouvelle période de 3 ans.
Ensuite, si le bail comprend une clause de reconduction sans précision d'une
nouvelle période triennale, la jurisprudence considère que le bail à durée déterminée est
reconduit tacitement pour une durée indéterminée(2).
On doit même ajouter une troisième conséquence relative, cette fois-ci, à la nullité
du congé servi pour un bail à durée indéterminée qui justifiera la poursuite de son
exécution.
De la sorte, on obtient comme résultat, dans tous les cas, que le contrat de bail se
poursuivra de plein droit en faveur des locataires qui pourront, du reste, facilement établir
la preuve de la défaillance du bailleur à satisfaire cette obligation pour user du droit de
reprise puisqu'on leur permet de la rapporter par tous moyens (article 583 alinéa 3 du
COCC). Dans ces conditions, le maintien dans les lieux découlant d'un vice de procédure
constitue un moyen de protection des locataires.
Alinéa 3 : "Le bailleur peut mettre fin au bail par un préavis de congé donné six mois servi au
preneur par acte extra-judiciaire dans les cas énumérés à l'article 574 et sous les mêmes conditions
de fond et de forme".
Doct. Me Doudou NDOYE, op. cil. p. 36 et suiv.
(1)
Me Doudou NDOYE. op. cil. p. 42.
(2)
Voir dans ce sens, Trib. prem. inst. Dakar. n° 6031 du 22 novembre 1980, DAHER cl HACHEM,
Rev. sén. dr. 1982, n° 26, p. 99. Jugé que "le bail à durée déterminée est reconduit tacitement
pour une durée indéterminée, en l'absence d'un congé donné 6 mois avant son expiration en vertu
des articles 562 alinéa 1 et 590 alinéa 2 du COCC".
448
Cette protection doit pouvoir subsister même lorsque l'acte de procédure remplit
toutes les conditions légales permettant d'évincer les locataires puisque, dans ce cas, un
montant pécuniaire devra leur être versé.
B - Allocation d'un montant pécuniaire
Elle consiste principalement à accorder une indemnité forfaitaire égale à 24
mensualités de loyer calculées au dernier taux payé par les locataires évincés (article 583
alinéas 2 et 5 du COCC).
Cependant, l'allocation de dommages-intérêts compensatoires prévue par le texte
précité n'est accordée qu'aux locataires dont l'éviction a causé soit un dommage matériel,
soit un dommage moral(l).
En définitive, on peut dire que la question de la protection des locataires civils à
travers les règles gouvernant la cessation du bail à usage d'habitation devient une certitude
révélée par les restrictions apportées au droit de résiliation du bailleur et par la sanction
de l'exercice illégal du droit de reprise.
De la sorte, si on combine cette phase de la protection avec celle qui concerne la
formation du contrat de bail d'habitation, on se rend positivement compte que le
déséquilibre économique résultant du nombre infime de locaux à louer par rapport au
nombre sans cesse croissant de simples citoyens désirant les occuper en qualité de
locataires, a été corrigé par le législateur qui a pris soin d'assurer les conditions d'une
(1)
Pour le dommage moral, voir dans ce sens jugement Trib. prem. inst. de Dakar, n° 283 du 18
février 1978, sieur Ng6né FAYE cl SICAP, Rev. sén. dr., janvier 1982, n° 24, Numéro spécial
consacré au "louage", p. 148. En l'espèce, le juge a condamné la SICAP à verser des dommages-
intérêts en réparation du préjudice moral souffert du fait d'une mesure d'expulsion injustifiée.
449
stabilisation du logement et de la vie des foyers afin de les soustraire à l'incertitude des
spéculations(l).
Une telle intervention du législateur sera d'autant plus bénéfique que, selon la
formule pertinente d'une doctrine spécialement avisée(2), "les rapports entre les
bailleurs et les locataires se transforment aujourd' hui en des relations concernant des
professionnels (bailleurs) et des profanes (consommateurs)" nécessitant, du coup, des
normes sectorielles de protection des sous-catégories de consommateurs dont il convient
maintenant de tirer les enseignements généraux.
(1)
Me Doudou NDOYE, op. cit. p. 3.
(2)
En droit français, v. Jean CALAIS-AULOY, op. cit. n° 348, p. 327.
450
Conclusion du Chapitre II
Le résultat principal que l'on a pu obtenir de la protection sectorielle des sous-
catégories de consommateurs de certains biens et services, en l'occurrence les emprunteurs
et les locataires des locaux à usage d'habitation, est que leur situation de vulnérabilité
économique et sociale a conduit le législateur à adopter des règles spécifiques permettant
de rétablir l'équilibre contractuel entre des partenaires d'inégale importance économique.
Ce qui participe de l'expression d'un ordre public économique de protection dont les
motivations essentielles sont guidées par la recherche de l'harmonie du tissu économique
qui risque de se déliter tant que certains contractants particulièrement puissants pourront
imposer leur diktat à d'autres mo.ins bien armés.
Cette dernière considération ne peut-elle être retenue pour tirer la leçon générale
en matière de protection de toutes les catégories de consàmmateurs ?
451
Conclusion du Sous-Titre In
S'il Y a une idée constante qui se dégage des règles de protection de tous les
consommateurs, c'est certainement celle qui cherche à rétablir l'équilibre contractuel tout
en sauvant le lien contractuel où ils sont impliqués. Il s'ensuit que les consommateurs
désirant acquérir des biens et services indispensables à leur usage personnel ou
professionnel pourront ainsi satisfaire leurs besoins économiques et sociaux grâce à des
opérations contractuelles qu'ils vont passer dans les meilleures conditions de sécurité
juridique. De la sorte, on acquiert finalement la certitude selon laquelle toutes les règles
assurant la protection des consommateurs ne s'expliquent et ne se justifient que parce que
cette catégorie sociale se meut dans le cadre d'un tissu économique dont l'harmonie est
indispensable à l'épanouissement des échanges nécessaires, non seulement, à la
satisfaction des besoins économiques et sociaux des consommateurs, mais également, à
la croissance de l'activité de production et de distribution "des produits et services.
45:2
Conclusion du Titre II
Les relations entre l'ordre public de protection et la protection catégorielle ont permis
de révéler l'existence de normes de protection s'appliquant à un ensemble de domaines
économiques que nous avons pu scinder en catégories suivant qu'il s'agit de la défense d'un
secteur socio-professionnel (les travailleurs et les locataires commerçants) ou d'un secteur
économique particulier (les assureurs) ou bien encore du secteur de la consommation (les
consommateurs).
Dans tous ces cas, nous nous sommes évertués à montrer que, chaque fois que l'ordre
public économique intervient pour protéger la vulnérabilité des acteurs économiques et
sociaux, la finalité sous-jacen'te est la recherche de l'harmonie du tissu économique sans
laquelle aucun développement soutenable et durable n'est possible. Cet argument s~r.~ d'autant
pus conforté que notre législation protectrice en matière d'ordre public économique est mue
par des impératifs d'un pays en développement qui doit, par conséquent, s'adapter rapidement
à toutes les mutations économiques. C'est ainsi que l'évolution de la notion d'ordre public
économique vers la déprotection ponctuelle des travailleurs et des victimes d'accidents de la
circulation, à laquelle nous assistons présentement, n'est guère qu'une réponse à un problème
de crise économique pouvant entraîner, d'une part, des pertes massives d'emplois et, d'autre
part, la disparition d'un secteur économique, en l'occurrence la branche automobile des
assurances en matière d'accidents de la circulation.
En somme, on peut dire que l'ordre public de protection s'autorise d'un ensemble de
normes plus ou moins contingentes, évoluant en fonction de la physionomie du tissu
économique qui conditionne largement la nature des règles de protection s'adressant aux
acteurs économiques et sociaux chargés de promouvoir le développement économique et
social.
453
Conclusion de la deuxième Partie
Après avoir posé, dans un premier temps, des règles destinées à l'encadrement du
tissu économique, l'ordre public économique est intervenu, par la suite, pour dresser des
garde-fous contre les acteurs économiques susceptibles de le menacer de l'intérieur.
De telles considérations tirées des nécessités du développement résument, au
demeurant, le rôle de la notion d'ordre public économique dont les contingences se
révèlent au grand jour à la lumière de la situation économique du moment justifiant
largement qu'il puisse même protéger des contractants supposés économiquement plus
puissants (cas des assureurs) lorsque les impératifs du développement économique et
social plaident dans ce sens.
Finalement, si l'on tient compte de l'ensemble des 'acteurs économiques et sociaux
bénéficiant de la protection du législateur, on se rend positivement compte que l'ordre
public de protection, dans le domaine économique, devient plus précisément un ensemble
de normes plus ou moins contingentes, évoluant en fonction de la physionomie du tissu
économique qui conditionne largement la nature des règles de protection s'adressant,
individuellement ou collectivement, aux acteurs économiques et sociaux chargés de
promouvoir le développement économique et social.
,
454 '.
CONCLUSION GENERALE
Malgré la pertinence d'une opposition doctrinale(l) réfutant le départ entre l'ordre
public de direction et l'ordre public de protection, la synthèse et les résultats de nos travaux
ont pu révéler positivement que la distinction entre ces deux catégories d'ordre public
constitue effectivement un objet scientifique d'étude et de réflexion. A cet égard, la réalisation
d'un tel résultat a été rendue possible grâce à la prise en compte de la double fonction de
direction et de protection située dans le contexte d'un pays en développement, comme le
Sénégal dont la législation économique actuelle s'inspire d'un libéralisme qui n'est pas sans
danger pour les acteurs économiques nationaux et les consommateurs.
S'agissant de la première fonction, à savoir l'ordre public économique de direction,
ce dernier a été surtout marqué par des règles d'accès aux activités plus ou moins rigides selon
les phases du développement. Ainsi dans la période dt étatisation, l'accès et l'exercice des
activités économiques faisaient l'objet d'une restriction et d'un contrôle préalable mettant en
exergue la prééminence du rôle de l'Etat dans les actions de développement.
Par contre, dans la phase actuelle du développement, cette primauté étatique qui laissait
peu de place à l'initiative privée est en train d'être réduite à la portion congrue à la faveur
d'un contexte dominé par le' libéralisme économique contemporain qui fait désormais du
secteur privé le moteur du développement(2). Par suite, l'écho favorable de ce libéralisme
,
a permis de lever l'essentiel des contraintes administratives et juridiques dans l'optique d'un
renforcement de l'initiative privée.
(1)
Jean Pierre TOSI, Le Droit des Obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, n° 307, p.
116.
(2)
V. Rapport Banque Mondiale sur Le développement dans le monde, 1996, p. 107 et suiv.
45 ~
Relativement à la seconde fonction, c'est-à-dire l'ordre public économique de
protection, son analyse a positivement révélé que, quelle que soit l'époque du développement
où on le place, il a eu surtout pour vocation de juguler les dangers économiques auxquels les
acteurs économiques et les consommateurs risquent d'être confrontés. Au demeurant, c'est
cette même préoccupation de nature économique qui permet de comprendre les métamorphoses
actuelles de la fonction de protection de l'ordre public économique motivées par les mutations
d'une politique économique qui ont eu des répercussions sur l'orientation de certaines règles
classiques de protection. A ce propos, à la lumière de nos investigations et de nos
démonstrations, il est apparu certain que l'avènement de nouvelles règles juridiques permettant
de conclure, d'une part, au fléchissement ponctuel de la protection au détriment des
travailleurs et, d'autre part, à un renversement de cap de protection au profit des assureurs
trouvent leurs fondements justificatifs dans les mutations du tissu économique national.
En somme, pour toutes ces raisons permettant d'assurer l'harmonie, la stabilité, la
sérénité du tissu économique et, par voie de conséquence, l'équilibre national tout entier, on
peut affirmer que l'ordre public économique sénégalais s'inscrit, de tout temps, dans la
mouvance d'un impératif du développement et constitue à cet égard une notion et un facteur
de progrès et donc de croissance économique.
456
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470
TABLE DES MATlERES
INTRODUCTION GENERALE
1
PREMIERE PARTIE - L'ORDRE PUBLIC DE DIRECTION DANS
31
1
UN PAYS EN DEVELOPPEMENT
TITRE l - L'ORDRE PUBLIC DE DIRECTION DANS LA PHASE
D'ETATISATION DU DEVELOPPEMENT
33
CHAPITRE l - LA NEGATION DU PRINCIPE DE LIBERTE
D'ENTREPRISE: LA RESTRICTION DE L'ACCES
AUX ACTIVITES ECONOMIQUES
34
SECTION l - CONTROLE DE L'ACCES AUX ACTIVITES
ECONOMIQUES (AUTORISATION ET DECLARATION
PREALABLE)
35
Sous-Section l - REGLEMENTATION GENERALE DE L'ACCES
AUX ACTIVITES ECONOMIQUES
37
l - CONTROLE PREVENTIF DES POUVOIRS PUBLICS
37
A -
Soumission des activités économiques au régime de
l'autorisation préalable
37
a -
La rentabilité de l'activité économique
38
b -
,La moralisation des conditions d'accès aux activités
économiques
41
B -
Soumission des activités économiques au régime de la
déclaration préalable
42
II - CONTROLE REACTIF DES POUVOIRS PUBLICS
44
A - Les sanctions pénales
44
B - La fermeture administrative d'établissement
45
471
Sous-Section II - REGLEMENTATION PARTICULIERE DE L'ACQUISITION
DE BIENS ECONOMIQUES (LA VENTE DU FONDS DE COMMERCE
ET DE L'IMMEUBLE)
45
1 - AUTORISATION PREALABLE, CONDITION DE VALIDITE
DE LA VENTE DU FONDS DE COMMERCE ET DE L'IMMEUBLE
45
II - SANCTION DE L'ABSENCE DE L'AUTORISATION PREALABLE
48
SECTION II - MONOPOLE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
50
Sous-Section 1 - FONDEMENTS ET DOMAINE DU MONOPOLE
DES ENTREPRISES PUBLIQUES
51
l - FONDEMENT DU MONOPOLE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
51
A - Fondements idéologiques du monopole des entreprises publiques
52
B - Fondements économiques du monopole des entreprises publiques
54
a - La faiblesse du pouvoir économique de l'Etat
55
b - La recherche de l'indépendance économique
56
II - DOMAINE DU MONOPOLE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
58
A -
Le monopole des grands services publics industriels et commerciaux
58
B - Le monopole des secteurs de l'économie nationale
60
a - Le· monoi)Qle dans le secteur agricole
60
b - Le monopole dans le secteur industriel
61
c - Le monopole dans le secteur des services
62
Sous-Section II - MANIFESTATIONS DU MONOPOLE DES
ENTREPRISES PUBLIQUES
60
1 - QUANT A LA FORME (REGLEMENTATION IMPERATIVE
DE LA CONSTITUTION DES ENTREPRISES PUBLIQUES)
65
A - Les Constantes
66
a -
Créàtion législative de l'entreprise publique
67
b -
Attribution législative du monopole à l'entreprise publique
69
472
B - Les Variantes: typologie des entreprises publiques
72
a -
Les Etablissements publics à caractère industriel et
commercial (EPIC)
73
b - Les sociétés publiques
74
II - QUANT AU REGIME JURIDIQUE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
77
A -
Contrôle strict de la gestion des entreprises publiques par
les pouvoirs publics
77
a - Contrôle de la désignation des dirigeants
77
b - Contrôle de la gestion des dirigeants
79
B - Sanction de la violation du monopole
81
a -
La concurrence illégale contre les entreprises publiques
81
b -
L'absence de sanction de l'abus de position dominante
par l'entreprise publique
85
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
88
CHAPITRE II - LA NEGATION DU PRINCIPE D'EGALITE
90
SECTION 1 - LA NEGATION DU PRINCIPE D'EGALITE
DES ACTEURS ECONOMIQUES (ACTIVITES RESERVEES
AUX NATIONAUX)
91
Sous-Section 1 - EXIGENCE DE LA NATIONALITE SENEGALAISE,
CONDITION D'ACCES A UNE ACTIVITE ECONOMIQUE
92
1 - QUANT AUX PERSONNES PHYSIQUES
92
II - QUANT AUX PERSONNES MORALES
93
Sous-Section II - EXIGENCE DE LA NATIONALITE SENEGALAISE,
MOYEN DE CONTROLE D'UNE ACTIVITE ECONOMIQUE
95
1 - CONTROLE DU CAPITAL SOCIAL DE L'ENTREPRISE
PAR LES NATIONAUX SENEGALAIS
96
A -
Nécessité d'un contrôle du capital social de l'entreprise
par les nationaux sénégalais
96
473
a -
Contrôle du capital social dans la société à responsabilité
limitée (SARL)
97
b -
Contrôle du capital social dans la société anonyme (S.A.)
99
B -
Insuffisance du contrôle du capital social par les nationaux
sénégalais
101
a -
Insuffisance du contrôle du capital social dans la
société à responsabilité limitée
101
b -
Insuffisance du contrôle du capital social dans la
société anonyme
102
II - RECHERCHE D'UN POUVOIR DE DIRECTION PAR LES
NATIONAUX SENEGALAIS
104
SECTION II - LA NEGATION DU PRINCIPE D'EGALITE CONTRACTUELLE 105
Sous-Section l - NEGATION TOTALE DE L'EGALITE CONTRACTUELLE
108
l - PHASE DE PASSATION DU CONTRAT ADMINISTRATIF
108
A - Les principes généraux
109
a -
Procédure de choix du cocontractant de l'administration
109
b -
Sanction de la violation des conditions d' engagemen t
de la volonté administrative
110
B - Application particulière aux marchés publics
110
II - PHASE DE L'EXECUTION DU CONTRAT ADMINISTRATIF
III
A - Les principes généraux
112
a -
Reconnaissance d'un droit de révision unilatérale du
contrat au profit de l'administration
116
b -
Reconnaissance d'un droit de contrainte
à l'administration
116
B - Application particulière aux marchés publics
119
III - PHASE DE CESSATION DU CONTRAT ADMINISTRATIF
122
A - Les principes généraux
122
474
a -
Reconnaissance d'un droit de rupture unilatérale
au profit de l'administration
123
b -
Admission conditionnelle d'un droit de rupture
au cocontractant de l'administration
126
B - Application particulière aux marchés publics
128
a - La résiliation des marchés publics
128
b - Les mesures coercitives
129
Sous-Section II - NEGATION PARTIELLE DE L'EGALITE CONTRACTUELLE 131
1 - LES PRINCIPES GENERAUX
131
II - APPLICATION PARTICULIERE AUX MARCHES PUBLICS
132
A - La passation des marchés publics
132
B - L'exécution des marchés publics
134
C - La cessation des marchés publics
135
Conclusion du Chapitre Il
137
TITRE II - L'ORDRE PUBIC ECONOMIQUE DANS LA PHASE DE
LIBERALISATION DE L'ECONOMIE: LA DEFENSE DE LA
LOI DU MARCHE
138
CHAPITRE 1 - MESURES DESTINEES AU RENFORCEMENT DE
L'INITIATIVE PRIVEE
140
SECTION 1 - MESURES DE PROMOTION DE L'INITIATIVE
PRIVEE COLLECTIVE
141
Sous-Section 1 - ALLEGEMENT DES FORMALITES DE CONSTITUTION
DES SOCIETES COMMERCIALES
142
Sous-Section II - PROCESSUS DE DEMANTELEMENT DU PORTEFEUILLE
DE L'ETAT : LA LIQUIDATION ET LES PRIVATISATIONS DES
ENTREPRISES PUBLIQUES
144
1 - LA LIQUIDATION DES ENTREPRISES PUBLIQUES
144
475
II - LES PRIVATISATIONS DES ENTREPRISES PUBLIQUES
147 .
SECTION II - MESURES DE PROMOTION DE L'INITIATIVE
PRIVEE INDIVIDUELLE
153
Sous-Section 1 - LA SUPPRESSION DE L'AUTORISATION
ET DE LA DECLARATION PREALABLES DANS L'EXERCICE DES
ACTIVITES ECONOMIQUES
154
Sous-Section II - LA LIBERALISATION DE L'EXPORTATION
ET DE L'IMPORTATION DES PRODUITS
157
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
160
CHAPITRE II - MESURES DE SAUVEGARDE CONTRE LES DERIVES
D'UNE LIBERALISATION
162
SECTION 1 - L'INSTITUTION D'UN CONTROLE
164
Sous-Section 1 - CONTROLE EXERCE PAR LES POUVOIRS PUBLICS
165
1 - LA REGLEMENTATION PARTICULIERE DES PRIX A LA
CONSOMMATION
166
II - LA REGLEMENTATION DE LA MONNAIE ET DU CREDIT
168
A - La réglementation de la monnaie
169
a -
De la consécration légale du principe du nominalisme
monétaire au contrôle de la validité des clauses monétaires
170
a.l-
Conditions de validité des clauses monétaires dans les
paiements internationaux
171
a.2-
Conditions de validité des clauses monétaires dans les
paiements internes
173
b - Nécessité d'une réglementation des changes
175
B - La réglementation du coût du crédit
179
III - CONTROLE PREALABLE SUR LA NATURE D'UNE ACTIVITE
ECONOMIQUE
181
IV - RESTRICTION DES IMPORTATIONS ETRANGERES
183
476
Sous-Section II - CONTROLE EXERCE PAR LA COMMISSION NATIONALE
DE LA CONCURRENCE
186
SECTION II - LE REGIME JURIDIQUE DU CONTROLE
188
Sous-Section 1 - LES SANCTIONS CLASSIQUES
190
1 - LA NULLITE DE L'ILLICITE
191
A - Domaine de l'illicite
191
a - L'illicéité prononcée par le juge
192
b - L'illicéité de plein droit
199
B - Les auteurs de la dénonciation de l'illicite
200
a - Les parties
200
b - Les tiers
201
c - Le droit d'agir du ministère public
202
C - Conséquences de la nullité de l'illicite
203
a - L'anéantissement de la clause contraire
203
b - L'annulation totale
206
D - Portée de la nullité de l'illicite
209
II - LA REPRESSION DES DELITS ECONOMIQUES
211
A -
La fermeture administrative d'établissement
et les interdictions professionnelles
212
a - La fermeture administrative d'établissement
212
b - Les interdictions professionnelles
215
B -
La réglementation des infractions à la réglementation
des prix et des fraudes
219
a - Les incriminations
219
b - Sanction répressive applicable
221
C -
La répression de la réglementation de la monnaie
et du coût du crédit
222
477
a - La répression de la réglementation des changes
222
b - La répression de la réglementation du coût du crédit
225
D -
Les obstacles à la répression liés à la technique
de la transaction
226
Sous-Section II - LES SANCTIONS "MODERNES"
229
1 - LA REPRESSION DES NOUVEAUX DELITS ECONOMIQUES
230
A - La répression des pratiques anticoncurrentielles collectives
230
B -
La répression des pratiques anticoncurrentielles individuelles
231
a -
Interdiction du refus de vente
231
b -
Interdiction des pratiques des conditions discriminatoires
en matière de vente
232
c -
Interdictions des prix imposés et de la revente à perte :
interdictions des pratiques commerciales illicites
233
C -
La répression particulière de l'abus de position dominante
et de la dépendance économique
235
a -
Eléments caractéristiques de l'abus de position dominante
236
b -
Eléments caractéristiques de l'abus de dépendance
économique
238
c -
Sanctions applicables
241
II - L'EXISTENCE DE FAITS JUSTIFICATIFS, OBSTACLES A LA
REPRESSION
242
Conclusion du Chapitre II
245
Conclusion du Titre II de la Première Partie
246
Conclusion de la 1ère Partie
247
DEUXIEME PARTIE - L'ORDRE PUBLIC DE PROTECTION DANS
UN PAYS
EN DEVELOPPEMENT
248
TITRE 1 - ORDRE PUBLIC DE PROTECTION ET PROTECTION
INDIVIDUELLE
250
CHAPITRE 1 - CHOIX DES PERSONNES A PROTEGER
251
SECTION 1 - LES CONTRACTANTS VULNERABLES
251
478
Sous-Section I - LA VULNERABILITE JURIDIQUE
252
I - LES INCAPABLES
252
A - Protection du mineur incapable
255
B - Protection des majeurs incapables
259
II - PROTECTION DES ILLETTRES
264
Sous-Section II - LA VULNERABILITE ECONOMIQUE
264
I - L'ACHETEUR DE FONDS DE COMMERCE
270
II - LE LOCATAIRE-GERANT DU FONDS DE COMMERCE
274
SECTION II - LES TIERS VULNERABLES
277
Sous-Section I - LES CREANCIERS MENACES PAR LA DIMINUTION DE
LEUR GAGE LORS DE LA VENTE DU FONDS DE COMMERCE
278
I - L'OPPOSITION AU REGLEMENT DU PRIX DE CESSION DU FONDS
DE COMMERCE
279
II - LE DROIT DE SURENCHERE DES CREANCIERS
280
Sous-Section II - LES CREANCIERS MENACES PAR LE CHANGEMENT
DE DEBITEUR
281
I - LES CREANCIERS DANS LA LOCATION-GERANCE DU FONDS
DE COMMERCE
282
II - LES CREANCIERS DE L' APPQ~TEUR DE FONDS DE
COMMERCE EN SOCIETE
283
Conclusion du Chapitre I
286
CHAPITRE II - CHOIX DES MOYENS DE PROTECTION
287
SECTIONI - PROTECTION A PRIORI
288
Sous-Section I - L'INTERDICTION
289
479
Sous-Section II - L'AUTORISATION
290
Sous-Section III - L'INFORMATION PREALABLE
292
Sous-Section IV - LA PUBLICITE
293
1 - LA PUBLICITE DE LA VENTE D'UN FONDS DE COMMERCE
294
II - LA PUBLICITE DE L'APPORT DE FONDS DE COMMERCE EN SOCIETE 296
SECTION II - PROTECTION A POSTERIORI
298
Sous-Section 1 - L'ANEANTISSEMENT DE L'OBLIGATION
298
1 - LES CAUSES JUSTIFIANT L'ANEANTISSEMENT DE L'OBLIGATION
299
II - CONSEQUENCES DE L'ANEANTISSEMENT DE L'OBLIGATION
300
A - Conséquences liées aux personnes pouvant agir
301
B - Conséquences liées aux actes
303
Sous-Section II - LA REDUCTION DE L'OBLIGATION
305
1 - LA REDUCTION DE L'OBLIGATION CONTRACTEE PAR LE
MINEUR INCAPABLE
305
II - LA REDUCTION DE L'OBLIGATION CONTRACTEE PAR
LE MAJEUR INCAPABLE
307
Sous-Section III - L'INOPPOSABILITE DE L'OBLIGATION
309
Conclusion du Chapitre II
311
Conclusion du Titre 1
312
TITRE II - ORDRE PUBLIC DE PROTECTION ET PROTECTION
CATEGORIELLE
313
SOUS-TITRE 1 - PROTECTION D'UNE CATEGORIE SOCIO-
PROFESSIONNELLE
315
CHAPITRE 1 - PROTECTION DES TRAVAILLEURS
316
480
SECTION 1 - AMENAGENIENT D'UN STATUT MINIMUM
INTERPROFESSIONNEL GARANTI
317
Sous-Section 1 - DEROGATIONS POSSIBLES AU STATUT
318
Sous-Section II - DEROGATIONS IMPOSSIBLES AU STATUT
322
SECTION II - MOYENS DE DEFENSE DU STATUT MINIMUM
326
Sous-Section 1 - ANEANTISSEMENT DE LA CLAUSE CONTRAIRE
328
Sous-Section II - INOPPOSABILITE DE LA CLAUSE POUR SOLDE
DE TOUS COMPTES
330
Sous-Section III - REPRESSION PENALE
331
SECTION 111- FLECHISSEMENT DE LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS 333
Sous-Section 1 - REVISION INDIRECTE DU DROIT DU TRAVAIL
A TRAVERS LE CODE DES INVESTISSEMENTS : LA .
PRECARISATION DE L'EMPLOI (ARTICLE 35 DU CODE DU TRAVAIL)
335
Sous-Section II - LA REVISION DIRECTE DU CODE DU TRAVAIL
338
1 - LA SUPPRESSION DE L'AUTORISATION PREALABLE D'EMBAUCHER
339
II - LA SUPPRESSION DE L'AUTORISATION ADMINISTRATIVE
DE LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE
341
A -
Innovations de la suppression de l'autorisation administrative
de licenciement pour motif économique
343
B -
Opportunité de la suppression de l'autorisation administrative
de licenciement pour motif économique
344
Conclusion du Chapitre 1
348
CHAPITRE II - PROTECTION DES LOCATAIRES COMMERCANTS
349
SECTION 1 - CESSATION DU BAIL COMMERCIAL
(REGLEMENTATION MINUTIEUSE DU DROIT AU RENOUVELLEMENT
DU BAIL COMMERCIAL) .
350
481
Sous-Section 1 -CONDITION D'OBTENTION DU DROIT AU
RENOUVELLEMENT: LA PROPRIETE COMMERCIALE
351
Sous-Section II - FONDEMENTS JUSTIFICATIFS ET MISE EN OEUVRE
DU DROIT AU RENOUVELLEMENT DU BAIL COMMERCIAL
353
1 - FONDEMENTS JUSTIFICATIFS DU DROIT AU RENOUVELLEMENT
DU BAIL COMMERCIAL
354
II - MISE EN OEUVRE DU DROIT AU RENOUVELLEMENT
DU BAIL COMMERCIAL
357
SECTION II - SANCTION DU DROIT AU RENOUVELLEMENT PAR
L'INDEMNITE D'EVICTION
360
Conclusion du Chapitre II
365
Conclusion du Sous-Titre 1
366
SOUS-TITRE II - PROTECTION SECTORIELLE DES ASSUREURS
367
CHAPITRE 1 - ADOPTION D'UN SYSTEME DE LIMITATION DES
PREJUDICES INDEMNISABLES PAR LES ASSUREURS
370
SECTION 1 - DES PREJUDICES SUBIS PAR LA VICTIME DIRECTE
371
SOUS-SECTION 1 - REMBOURSEMENT DES FRAIS
372
SOUS-SECTION II - DES PREJUDICES RESULTANT D'UNE INCAPACITE
374
1 - INCAPACITE TEMPORAIRE
374
II - INCAPACITE PERMANENTE
375
A - L'indemnisation du préjudice physiologique
376
B - L'indemnisation du préjudice économique
377
. Sous-Section III -DES PREJUDICES RESULTANT DE L'ASSISTANCE
D'UNE TIERCE PERSONNE
378
Sous-Section IV - DES PREJUDICES DE CARRIERE
380
482
SECTION II - DES PREJUDICES SUBIS PAR LES AYANTS-DROIT
DE LA VICTIME
381
Sous-Section 1 - PREJUDICE MATERIEL
382
1 - FRAIS FUNERAIRES
382
II - PREJUDICE ECONOMIQUE DES AYANTS-DROIT DE LA VICTIME
383
Sous-Section II - PREJUDICE MORAL
384
SECTION III - CRITIQUES DU SYSTEME DE LA LIMITATION DES
PREJUDICES INDEMISABLES PAR LES ASSUREURS
386
Conclusion du Chapitre 1
390
CHAPITRE II - CORRECTION DU SYSTEME DE LIMITATION DES
PREJUDICES INDEMNISABLES PAR LES ASSUREURS
391
SECTION 1 - INOPPOSABILITE DE LA FORCE MAJEURE INVOQUEE
PAR LES ASSUREURS
393
SECTION II - INOPPOSABILITE DU FAIT D'UN TIERS INVOQUE
PAR LES ASSUREURS
395
Conclusion du Chapitre II
397
Conclusion du Sous-Titre II
398
SOUS-TITRE III - PROTECTION DES CONSOMMATEURS
400
CHAPITRE 1 - PROTECTION GENERALE DES CONSOMMATEURS
402
SECTION
1
-
INSUFFISANCE
DES
TECHNIQUES
CLASSIQUES
DE
PROTECTION
403
1 - INSUFFISANCE DANS LE DOMAINE DES TECHNIQUES DE
PROTECTION (LES VICES DU CONSENTEMENT)
403
Il - INSUFFISANCE DANS LE DOMAINE DE LA SANCTION (LA NULLITE) 404
SECTION II - NECESSITE DES TECHNIQUES MODERNES DE
PROTECTION (L'INFORMATION PREALABLE)
405
483
Sous-Section 1 - L'OBLIGATION D'INFORMATION DES CONSOMMATEURS 407
1 - INFRACTIONS A LA PUBLICITE DES PRIX
407
Il - SANCTION REPRESSIVE APPLICABLE
409
Sous-Section II - LA RECHERCHE DE MEILLEURES CONDITIONS
DE VENTE
410
1 - INTERDICTION DE FAUSSES PUBLICATIONS D'INFORMATIONS
SUR LES PRIX
412
Il - INTERDICTION DE LA PUBLICITE MENSONGERE
415
Conclusion du Chapitre 1
419
CHAPITRE Il - PROTECTION DES CONSOMMATEURS DE CERTAINS
BIENS ET SERVICES
420
SECTION 1 - PROTECTION DES EMPRUNTEURS
421
Sous-Section 1 - ENCADREMENT DU MONTANT DU pRET
421
Sous-Section II - ENCADREMENT DU TAUX D'INTERET DU PRET
423
1 - CONTROLE PREVENTIF DES POUVOIRS PUBLICS
425
II - CONTROLE REACTIF DES POUVOIRS PUBLICS
425
A - Anéantissement de la stipulation d'intérêts
425
B - Les sanctions pénales
426
SECTION II - PROTECTION DES LOCATAIRES DES LOCAUX
A USAGE D'HABITATION
427
Sous-Section 1 - LA FIXATION IMPERATIVE DU CONTENU DU BAIL
A USAGE D'HABITATION
428
1 - FIXATION D'UNE DUREE MINIMALE DU BAIL A USAGE
D'HABITATION
429
II - FIXATION DU MONTANT DU LOYER
430
484
III - LES SANCTIONS AMENAGEES
437
A - Les Sanctions civiles
438
B - Les sanctions pénales
439
Sous-Section II - LA CESSATION DU BAIL A USAGE D'HABITATION
441
1 - RESTRICTIONS DU DROIT DE RESILIATION DU BAILLEUR
(CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE REPRISE)
442
A - Exigence de justes motifs à la rupture du bail
443
B - Exigence de formalités préalables de rupture
444
II - SANCTIONS DE L'EXERCICE ILLEGAL DU DROIT DE REPRISE
446
A - Maintien des locataires dans les lieux
446
B - Allocation d'un montant pécuniaire
448
Conclusion du Chapitre II
450
Conclusion du Sous-Titre III
451
Conclusion du Titre II
452
Conclusion de la deuxième Partie
453
CONCLUSION GENERALE
454
BIBLIOGRAPHIE
456
Table des Matières
470
I~