Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
LE DROIT INTERNA TIONAL PRIVE SENEGALAIS DES
SUCCESSIONS
Thèse pour le Doctorat d'Etat en droit
Présentée et soutenue publiquement le 29 Mai 1999
par:
M. Roch C. G03houf DAVID
ill:!.rY :
Président:
M. Abdel- Kader BaYE
(Professeur, Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques
et Politiques de Dakar)
Suffragants:
M. Vincent HEUZE
(Professeur agrégé de droit privé et de sciences
criminelles - Université Paris 1..; Panthéon Sorbonne
Directeur de thèse)
Mme Béatrice BOURDELOIS
(Professeur agrégée - Université Havre)
Mme Marie GaRE
(Professeur agrégée- Université Paris 5)
::.~~~~~---~------~._-.
. CONSEIL AFRICAIN ET MALGACHE:
Mme Arnsatou SOW - SIDIBE
POUR L'ENSEIGNEMENT SUPERiEUr.
(Agrégée des Facultés de droit - Université Dakar)
,1
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C. A. M. E. S. ~ OUAGJ\\DOUGOU l
Arrivé@·,·,·····#·O·tj··q--·r;·;·il
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La Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université Cheikh
Anta DIOP de Dakar, n'entend donner aucune improbation ni approbation
aux opinions émises dans cette thèse. Elles doivent être considérées
comme propres à leurs auteurs.

REMERCIEMENTS
******
Aucun travail ne s'accomplit dans la solitude. C'est
pourquoi il est d'usage de remercier. Mais cela me paraît trop banal par
rapport à la qualité des liens qui 111 'unissent à tous ceux dont je suis
redevable.
Cher
Directeur de
thèse,
vous
avez,
malgré vos
multiples occupations, accepté de diriger mes recherches. Vous n'avez
ménagé aucun effort pour m'accorder toute l'assistance nécessaire.
Trouvez ici l'expression de ma profonde gratitude.
Honorables membres du jury, les mots me manquent
pour vous exprimer mes sentiments " merci d'avoir accepté de consacrer
. , . .
<;
un peu de votre temps à l'appréciation de ce modeste travail " votre
disponibilité me va droit au coeur.
Eminents éducateurs, chers parents, précieux amis,
loyaux informateurs, chers étudiants, pour vos conseils, votre soutien,
votre confiance, votre sympathie, votre dévouement, vos prières, cette
thèse - la mienne, la votre - est certainement encore une expression
maladroite et partielle de ce que nous avons vécu et de la route qu'il faut
toujours poursuivre par une remise en cause perpétuelle de toutes les
connaissances mêmes celles que l'on croit déjà acquises, inébranlables.
Vous le savez, certaines choses se disent mieux dans le
silence.

ABREVIATIONS
An.Af:
Annales africaines.
Aserj :
Association sénégalaise d'études et de recherches
juridiques.
BGB:
Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch von
Deutschland).
Cass:
Cassation.
C.F. :
Code de la famille.
Cf 011 cf :
Confère
ch:
Chambre.
Chr:
Chronique.
CIV:
civil ou civile.
Clunet:
Journal de droit international privé.
COCC:
Code des obligations civiles et commerciales.
Cod. civ. fr :
Code civil français.
concl :
Conclusions.
Credila:
Centre de recherche sur le développement des
institutions législatives africaines.
cnm:
Cour de cassation, chambre criminelle.

D:
Dalloz.
DP:
Dalloz périodique.
éd:
Edition.
fasc:
Fascicule.
GP:
Gazette du palais.
Ibid:
Ibidem.
infra:
Renvoi à un passage plus loin.
JCP:
Jurisclasseur périodique.
1.0 :
Joumal officiel.
Just. paix:
Justice de' paix. -
LODJ.:
Librairie générale de droit et de jurisprudence.
Obs:
- "Observations.
p.
Page ou pages.
RCADI:
Recueil des cours de l'Académie de droit international
Rép defr :
Répertoire du notariat Defrénois.
Req. :
Chambre des requêtes de la Cour de cassation.
Rev. crit. :
Revue critique de droit international privé.
Rev. sen. dr. pen:
Revue sénégalaise de droit pénal.
Rev. trim. dr. civ. : Revue trimestrielle de droit civil.

RIDC:
Revue international de droit comparé.
RJPIC:
Revue
juridique
et
politique
indépendance
et
coopération.
S:
Sirey.
supra:
Renvoi à un passage antérieur.
Tou t:
Tome.
TPI:
Tribunal de première instance.
Trib:
Tribunal.
Vol:
Volume.

INTRODUCTION

La décolonisation et son corollaire l'indépendance ont
donné naissance en Afrique à des Etats dotés des attributs de la modernité
et directement impliqués dans les relations internationales. Du coup
certaines mutations se sont produites dans les rapports juridiques de droit
privé. D'abord on relève la substitution du conflit international du type
colonial au conflit international de lois du type classique dans les relations
entre l'ordre juridique de l' ancienne métropole et celui des nouveaux Etats
indépendants. Ensuite on rapporte la transformation du conflit coutumier
interpersonnel ayant prévalu jusque là en conflit international de lois du
fait de l'avènement de nouvelles nationalités. Désormais, les relations ne
sont
plus
exclusivement
envisagées
par
rapport
à la
puissance
colonisatrice. Elles vont se diversifier et intéresser toute la communauté
internationale. Pour les réguler, les Etats Africains indépendants vont
... ,",
recourir ·à des instruments juridiques, la plupart, inspirés du droit de la
métropole. Une.reuvre législative a été entreprise ici et là 1 afin, non
seulement demettre en place un: cadre juridique approprié, mais aussi dans
. "
' _..
,', - 'I-T-
Jo,
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- ';..~:.'- ~ --. . . .
" -
le but. d'assurer et de promouvoir le développement de la Nation par le
.. droit2.t!~.:droit international privé à cet égard,a été I'un.de ces instruments.
1
Il n'est pas possible ici de répertorier tous les textes promulgués par tous les Etats africains
tout de suite après leur accession à l'indépendance. En matière de conflit de lois, on peut
néanmoins rapporter les lois congolaise du 29 mai 1962, nigérienne du 16 mars 1962,
centrafricaine du 21 mai 1962 ; les ordonnances sénégalaise du 14 novembre 1960, tchadienne
du 21 mars 1967, etc.
2
Sur l'aptitude du droit à promouvoir le développement, deux thèses s'affrontent. Suivant la
première, hostile au droit du développement (cf: Magib Benchikh, "Le droit international du
sous développement", Paris Berger Levrault 1978 ; Serge Sur, Jean Combacau, H. Thierry et
Ch. Vallee, "Droit international public", Monchrestien Précis Domat 1986), le droit est inapte à
stimuler le développement pour deux raisons. D'abord on fait valoir que le droit doit être en
harmonie avec le développement économique et social du groupe qu'il régit. Or dans les pays
moins nantis estime-t-on, il y a une inadéquation entre instruments juridiques et structures
économiques et sociales. Ensuite on soutient que dans la pratique, les règles sont trop
étrangères aux données sociales. Aussi demeurent-elles des lois de fantaisie. Suivant la seconde
thèse (Moharned Bedioui, "Pour un nouvel ordre écor.cmique international". Paris Unesco
1978; R. J. Dupuy, "Communauté international et disparité du développement", RCA.D.l.
tome 165 ; Amsatou Sow Sidibé, "Le pluralisme juridique en Afrique, l'exemple du droit
successoral sénégalais", Paris LGDJ 1991), la mutation globale profonde de la société,
synonyme de développement, ne peut se concevoir, se réaliser que par un système juridique.

juridiques auquel on a cu recours:'. Conscient de la légitimité et de l'inlc:rèt
a
intégrer
harmonieusement
la
communauté
internationale,
l'Etat
sénégalais s'est alors doté dinsti.utions et de règles de droit "flirtant" avec
Sans pour autant, prendre pour linstant parti, il ~'aut au prealable resoudre deux questions
essentielles à savoir: que doit-on entendre par les expressions modernité et développement '!
Ensuite dans quelle mesure le droit peut-il promouvoir le développement ? La tendance
générale consiste surtout à raisonner à partir de trois éléments: ]'économie, la science et la
technique. Ainsi par référence à ces trois données, on classe avec promptitude les Etats
africains au Sud du Sahara dans la catégorie des pays les moins avancés, des pays dits en
développement. Aussi peut-on déjà affirmer qu'ils ne sont pas modernes. Dans une certaines
mesure cela semble se vérifier car à comparer la France au Sénégal sur le plan des
infrastructures, du bien-être et du mieux-être des populations, le rossé est grand. Néanmoins
cela ne justifie point une affirmation du genre, le Sénégal n'est pas une Nation moderne, dans
la mesure où la société a progressé dans nombre de domaines depuis des années. C'est vouloir
dire que la notion de développement doit s'entendre comme un processus, une évolution.
D'ailleurs les pays dits aujourd'hui développés ne se sont pas faits du jour au lendemain. ris ont
connu un progrès qui d'ailleurs ne s'arrête pas. Ainsi compris on se demande alors le l'ole que
Joue le droit dans le développement d'une Nation? Il faut faire remarquer que depuis cet adage
ancien "ubi socieias ibijus", le droit a toujours manifesté sa présence dans toutes les sociétés el
a toujours évolué avec le temps et les mœurs. Aujourd'hui encore le droit se soucie de
lavancée de l'informatique et de la télématique, de l'insémination artificielle. du prélèvement
d'organes, du clonage etc. li n'est pas neutre par rapport aux bouleversements économiques,
aux avancées spectaculaires de la SCIence et de la technique quand bien nième, il réagit un peu
tard. Dans les pays africains on a affirmé que certains législateurs ont imposé des droits
détachés complètement des réalités sociales et sans ancrage sociologique: ce qui freine le
développement de l'Etat-Nation. D'autres, au contraire, ont élaboré un droit intelligent un droit
:',.,c': de
cClJ.1mromis qui R,~~;ld;eJ;J. compte cen~il),es r~ê,Et~s.. sociales et qui serait-xie nature il ..
'. ,. pro~\\'o-ù\\'oir le développement. A' notre a'h;;l;i~térkdü debat rie se situe pas dans] 'opposition
entre droit étranger imposé et droit de compromis. Il est ailleurs, dans l'aptitude du droit à
provoquer des changements dans les structures mentales et les habitudes sociales. Au sortir des
Indépendances, les Etats africains one pouvaie];1t~cpîus créer-.un nouveau droit complètement
étranger au droit métropolitain; même le retour aux coutumes tout simplement n'était plus
envisageable. Francescakis soulignait avec une certaine affection que" nos Etats n'ont pas ici à
construire de toutes pièces un système nouveau à leur propre usage, mais bien à s'intégrer de
manière satisfaisante à un système déjà existant, ce système étant de nature international ». [Ph.
Francescakis, "Problèmes de droit international privé de l'Afrique noire indépendante",
RCADJ., tome 112-1964-2, p. 348]. Si le droit de la métropole est reconduit par certains
législateurs, en quoi freine-t-il le développement? Peut-être est-il trop étranger l soit. Mais il
est indéniable qu'il peut être d'un apport considérable pour Je développement. A cet égard, il
faut plutôt chercher à mettre l'accent sur son évolution à travers les réformes successives à
entreprendre afin qu'il cesse d'être ce qu'il est, pour devenir ce qui est souhaitable. Dans ces
conditions, on ne peut plus alors se méprendre sur son aptitude à promouvoir le développement.
, Le droit international privé est d'abord un héritage. li faisait déjà partie de l'ordre juridique
des Etats sous l'empire de la colonisation. Les conflits à l'époque portaient essentiellement sur
le statut personnel et ont été de caractère interne. L'existence de ces contlits trouve sa source
dans l'impuissance du législateur colonial <1 imposer son droit ponant sur les rapports
~~·.:trimoni2."~:: et extrapa.rimoniaux cc la famille. :_3 résis.arce des populations <,'_,:'JChlOnes <.':
été si virulente que le colonisateur a dû recourir à deux principes contradictoires dans sa
politique législative: le principe du respect des institutions précoloniale s et celui du respect du

le progrès et la modernite". Ce qui suggere que Je droit C~;l lié au
développement économique et social et à l'intensification des relations
internationales). En effet, on comprendrait mal la création au Sénégal par
des investisseurs étrangers, d'une entreprise de droit privé représentant le
dernier état du progrès (dors qu'aucune structure, aucun "réceptacle"
juridique approprié n'existe à cet effet pour la régir. L'œuvre législative
s'avère inéluctable et la codification du droit international privé n'est que
légitime. Celle-ci remonte <:1 la loi n° 72-61 du 12 juin 1972 portant Code
de la famille" dans sa dernière partie relative aux conflits de lois dans
l'espace. Au nombre des dispositions réglementant ces conflits, on
rapporte celles qui forment la trame de nos recherches et que nous
intitulons dans son ensemble :« le droit international privé sénégalais des
successions ».
Le thème peut paraître ;3 premiere lecture d'un intérêt
négligeable, pour au moins deux raisons. La première est tirée de l'état de
distingués ouvrages ont déjà tenté de tisser la «toile de Pénélope » que
constitue ·les succeèsionsren: droit -international privé". Après tant de
droit souverain des autorités coloniales à légiférer pour les colonies. Cf: F. Gonidec, "Droit
d'outre mer", torne l , Paris Dornat Monte hrestien 1958-1960, p. 126 et 422.
4 Le droit de la famille en est une illustration. A travers les règles édictées par le législateur on
constate un parfait dosage des institutions par la prise en compte, du droit moderne, du droit
musulman issu du rite malékite et du droit traditionnel (réglementation de la dol, de la
polygamie).
5 La mise en place de l'Organisation pour lHarmonisation en Afrique du Droit des Affaires
(O.B.A.D.A) participe bien à notre avis. de la réglementation de ces relations internationales.
6 J.O.R.S. du 12 août 1972, p. 1295. Le Code a été modifié et complète par les lois n" 74-31 du
18juiHet 1974, n" 79-31 du 24 janvier 1979 et n° 89-01 du 17 Janvier 1989.
7 cf : F. BOULANGER, "Etude comparative du droit
international privé des successions en
France et en Allemagne", LGDJ
1964 ; "Les successions internationales : problèmes
conrernpora iris", Paris 1981.
Fl;,EYRlA, Lei appiicabl. (lIIX suc"
-sions mobilières en (', ·,it international privé, ~:" -rnaxime
"inobilia sequuutur personam", thèse Lille 1946.
1. HERON, "Le morcellement des successions internationales", Paris 1986.
M. GORE, "L'administration des successions en droit international privé français", thèse Paris
1990. Cette liste n'est qu'indicative.

doctrines autorisées, l'étude du droit international privé sénégalais des
successions apparaît superflue voire inutile. La seconde raison trouve son
fondement dans les travaux de certains auteurs sur les successions en droit
internes. Nous arrivons trop tard dans une discipline ayant déjà livré tous
ses enseignements. C'est à la conclusion que convie la lecture de l'objet de
nos recherches.
Mais, à Y voir de près, le thème suscite bien quelque intérêt.
D'abord nous faisons remarquer que les raisons évoquées plus haut,
quoique pertinentes, sont toutes réfutables. En effet et en premier lieu,
l'étude des successions en droit interne n-a-que-peu-d-impact-surcellc-que
nous aurons à entreprendre au plan international. En effet le droit interne
ne sera visité qu'après sa désignation, comme droit applicable, en vertu de
la règle de cont1it empruntée au droit international privé du for ou étranger.
. En second lieu, les règles adoptées par le législateur en droit international
privé sénégalais des successions, ne sont pas les mêmes que celles
analyséesàlalumière de la-jurisprudence, et"dç>Ja-:;doc-tïÎne, eri-France-èt->
ailleurs, quand bien même les préoccupations dans ces divers ordres
juridiques seraient les' mêmes. Au demeurant le-droit international privé'
sénégalais des successions n'a jamais, par lui-même, été étudié. Aussi la
référence
à la doctrine
française
sur
la question
des
successions
internationales, ne doit-elle pas conduire à la négation de l'étude de l'objet
de nos recherches. En fait, nous nous interrogerons sur l'opportunité d'une
exacte transposition des analyses faites en France en droit sénégalais. Cette
transposition pourrait même être redoutée dans nombre de domaines.
Cependant compte tenu des solutions complexes et incomplètes que le
"L
législateur
sénégalais
a
adoptées, - le
recours
à
une
transposition
8 Cf : A. S. SIDIBE, "Le pluralisme successoral en droit sénégalais", thèse Paris
1987, Le
pluralisme juridique en Afrique: l'exemple du droit successoral sénégalais, Paris LGDJ 1991.

"intelligente" pourrait être d'une grande utilité dans la résolution des
difficultés d'interprétation qu'elles soulèvent.
L'étude du thème s'impose d'autant plus car à l'examen de
la jurisprudence, aucun enseignement ne nous permet de dégager le sens
des textes pris par le législateur. Les décisions des cours et tribunaux
rendues sur le sujet sont quasiment inexistantes. Tant mieux, estime-t-on
« dans la mesure où l'absence d'un carcan trop lourd que constituerait un
système de solutions jurisprudentielles rigide est plus favorable à une
approche libre et éclairée des problèmes de droit international privé non
-----=---encore--n%solus--par--les--juges et législateurs africains» 9. L'absence de
jurisprudence en la matière, n'est pas que regrettable. Elle est même, est-
on tenté de dire, préférable car les quelques rares décisions que l'on trouve,
dénotent chez les magistrats, alors que le conflit de lois a été bien ciblé,
une précipitation dans le raisonnement, ce qui rend presque inexploitable
les solutions dégagées.
- ..
(
- ' . ' .. . c Ô r -
, ......
-,- C~~C'droitint~~~j~éii~g~laisréglement~':;'è~~~c minutie" la
question des successions et la tentation est bien forte de vouloir transposer
'-"
.
': ..:~
.:'.-:...~~. ~ .. ~
" ' , - '
cette réglementation au plan international!'. BARTIN ne voyait-il pas dans
le droit international, «la projection des institutions du droit interne par
9
Cf: A. K. BOYE, "Le statut personnel dans le droit international privé des pays africains au
sud du Sahara", RCADI 1993, tome 238, p. 261. Pour cet auteur, ce que nous approuvons
pleinement, le manque inquiétant de décisions jurisprudentielles soulève de sérieuses questions
à propos de la participation de l'Afrique noire aux relations privées internationales
10 Cette réglementation interne ne doit pas occulter une difficulté de taille liée au caractère
complexe des règles. L'impression en les étudiant est qu'on traverse un labyrinthe. Les règles
viséer ici sont celles réglementées par-le Code de la famille. Toutefois on peut y intégrer les
règles successorales applicables sur les terres du domaine national ( décret na 72-1228 du 17
Octobre 1972 relatif aux conditions d' -ffectation .c:. de désaffectation des terres du '2omaine
national, décret complétant la loi du 17 Juin 1964 sur le système foncier).
11
"La transposition ne signifie pas la reproduction pure et simple mais implique l'adaptation
qui ne prive pas d'effet le point de départ du raisonnement ''. cf: H. BATIFFOL " Observations
sur certaines transpositions en droit international privé Il in Mélanges Firsching 1985, p. 1.

des règles relatives à leur application dans l'espace» 12 7, Une réponse
affirmative à cette question justifierait pleinement la démarche adoptée par
le législateur sénégalais et constituerait une excuse valable aux multiples
critiques adressées aux formulations maladroites, aux annonces inexactes
et aux incohérences des règles de conflit retenues dans la rédaction de
certains textes 13•
Le droit international privé est fondamentalement présenté
comme « un droit de classement »14. Suivant cette analyse, les conflits de
lois sont traités comme des conflits de compétences des législateurs
nati onaux15 parce qu'il s'agit touj ours de fixer-l es-limites-des-lois·;,,-ba-·règle-·-----
de conflit est ainsi l'instrument de répartition des compétences législatives.
Mais avec l'abandon de la référence au conflit de souveraineté, cette
conception a perdu du terrain. Elle est vivement critiquée. Désormais on
fait valoir la fonction régulatrice de la règle de conflit. On affirme à ce
sujet
que
le
droit
international
privé
n'est
autre
chose
qu'une
....
...;-~.'
. ,"
.::~ ~ /".
réglementation spéciale, édictée par chacun des législateursnationauxpour
résoudre les litiges nés des rapports individuels présentant un élément
d'extranéité": M. AGO écrit en abondant dans ce sens 'qu'il ne faut pas
«oublier que les rapports de la vie humaine et réelle ne présentent pas
dans leur essence, un lien inné avec l'un ou l'autre des ordres juridiques. Il
s'agit de rapports de fait, qui prennent un caractère juridique seulement
lorsqu'ils sont considérés juridiquement par un ordre juridique déterminé,
Un tel ordre juridique pourra se servir de certaines caractéristiques
12 cf : BARTIN, "Principes de droit international privé", Paris Domat-Montchrestien, 1930-
1935.
13 cf: infra p.
Z,iz...
14 cf: NIBOYtr~, "Traité .;.c droit inte. ,\\"tional privé", T 3, 1944 n? 844.
15 cf : P. MAYER, "Droit international privé et droit international public sous l'angle de la
notion de compétence", Rev. crit. 1979, p. 1 et s.
16 cf : AGO, "Téoria deI dirirto internazionale privato" adde, "Règles générales des conflits de
lois", RCADI, 1936, T 58, p. 243.

particulières que les rapports mêmes présentent, pour établir une certaine
relation, un certain rattachement parmi ces rapports et un droit étranger
déterminé. Mais ce rattachement est l'œuvre de l'ordre juridique qui se
propose de régler le rapport en question (...). En d'autres termes, le lien
entre le rapport de fait et un ordre juridique quelconque n'est pas une
particularité propre du rapport, mais c'est une qualité qui dérive pour lui de
l'ordre juridique qui s'en propose le règlement» 17. La mission désormais
régulatrice de la règle de conflit s'attache alors à accorder à la relation
internationale un traitement approprié. Il s'ensuit que si l'élément
d'extranéité qui affecte le rapport est pris en compte par le législateur
__._...
-----~~-~-~----_._--~.
_-_._-~
national, ce dernier opte dans ces conditions pour la méthode des conflits
de lois.
En général, trois méthodes de résolution des conflits de lois
s'offrent au législateur". La première consiste à «refuser par principe
toute prise en considération de l'élément d'extranéité contenu dans la
.~.
....
'
::, -.
-
'." :-
....
.situation litigieuse li. Ainsi il est.fait directement application-des règles
substantielles ou matérielles du droifinterne, La seconde tend à créer à
coté du droit interne, un droit matériel' spécialement adapté aux situations
«uniformément identifiées par l'élément d'extranéité qui les affecte ».
Enfin la troisième est celle de la méthode des conflits de lois, la plus
«répandue en raison non pas de ce qu'elle s'imposerait d'elle même, mais
parce qu'elle se révèle la plus satisfaisante »19.
A priori, c'est en fait, cette troisième méthode qu'a choisie
le législateur sénégalais en droit international privé. D'abord, quoiqu'on
puisse en discuter la valeur, il classe les successions dans-une catégorie de' ,
17 cf: AGO, Cours précité, p. 279 et s.
\\8 cf: :V. HEUZE, "La réglementation française des contrats internationaux; Etude critique de
méthodes", Paris Joly 1990, p.100.
19 cf: HEUZE, op. cit., p. 101.

rattachement donné (statut personnel). Ensuite à partir du rattachement
retenu, il désigne la loi applicable (la loi nationale). Toutefois, le processus
ainsi décrit, n'aboutit pas forcément à l'application de la loi interne
sénégalaise. En effet, l'opération peut conduire, du fait du caractère
bilatéral de la règle de conflit, à la désignation d'une loi étrangère. Mais en
définitive, le rapport de droit en cause sera tranché par l'application des
. règles substantielles internes du for ou d'un ordre juridique étranger".
Le droit international privé sénégalais des successions
s'entend alors comme une réglementation non substantielle des questions
successorales. Il est seulement interne par ses sourees:;---intemational-par-------------
son objet. En fait, il désigne toujours" en vertu de la règle de conflit du
for, un ordre juridique positif susceptible de résoudre les questions
successorales.
Le droit international privé sénégalais des successions est
certainement empreint d'un discours sur la mort du fait de l'utilisation. de
'-','_-' I'cxpression « succession », Celle=ci évoque à elle"-s~ule, unensemble 'de
faits consécutifs à un événement tragique: la mort. Le thème de succession
dérive du latin « succedere » qui signifie « venir à la place de, remplacer ».
De cette définition une double idée apparaît : celle de substitution et celle
de continuation. On cherche en effet, à remplacer le de cujus afin d'assurer
la permanence d'un certain héritage. L'instant de mort déclenche de ce fait
la problématique du prolongement, du remplacement du défunt dans ses
droits et obligations.
A l'évidence, la société autant que la personne, à travers ce
,.
processus de substitution, se voudraient immortelles. Et pourtant, il reste _
20 Les règles matérielles d'une Convention internationale peuvent également s'appliquer (par
exemple la nouvelle Convention de la Haye sur la loi applicable aux successions in Rev. crit,
1989, p. 249).

15
que malgré les énergies qui se mobilisent pour la repousser, l'obnubiler ou
la supprimer, la mort est omnipotente. « Aucune démarche scientifique ne
parvient à maîtriser ce rien, ce presque rien qui se dérobe tant sur le plan
des critères que de la définition »22. La mort et le mourir que chaque
individu porte en soi perturbent bien des fois, l'affectivité et la raison. La
mort peut surprendre n'importe où et n'importe quand, le Sénégalais
domicilié à l'étranger, l'étranger vivant au Sénégal.
Enregistrant donc le phénomène, le droit sénégalais en
appréhende les conséquencesê'dans le temps et dans l'espace. Au décès de
son-tirulaire,--le--patrimoine-est-transmis à ses ayants droit. ZACHARIAE,
élaborant la théorie du patrimoine écrit : «le patrimoine d'une personne
est l'universalité juridique de tous les objets extérieurs qui appartiennent à
cette personne »24. Cette théorie a été reprise en France par les auteurs

, ~.

• ~
.

< '
-
• •
'
. •
AUBRY et RAU25 quivont ensuite, la préciser en insistant- sur l'idée que la
21 Sauf lorsqu'on fait intervenir les lois de police.
22 Cf: L. V:'THOMA:S, "Mort et pouvoir'i.Pâyot Paris'1978,p. 9---"-'~
23
Le droit des
successions n'appréhende pas toutes--Iessuites de la mort. Certaines
conséquences extrapatrimoniales et patrimoniales, selon une certaine doctrine, lui échappent. Il
en est ainsi des droits de Ia personnalité, des droits d' autorité.parentale.xies droits à .caractère
essentiellement viager ( l'usufruit). cf: M. GRIMALDI", Droit civil, les successions", Litec, 3e
éd 1995, p. 56 ss. Contra cependant, infra p.
24 cf: Zachariae, "Le droit civil français" traduit de l'allemand sur la 5e édition par Nast et Ch.
Verge, 5e vol 1853-1860 édition Durand, cité par S. Guinchard in "Le droit patrimonial de la
famille au Sénégal", LGDJ 1980, p.28
25 cf: Aubry et Rau, "Droit civil français" t. 9 § 573 et s. Selon la conception de ces auteurs, le
patrimoine est "l'émanation de la personnalité et l'expression de la puissance juridique dont
une personne se trouve investie comme telle". De cette affirmation, quatre conséquences
peuvent être relevées. D'abord seules les personnes peuvent avoir un patrimoine. Ensuite toute
personne a nécessairement un patrimoine; le patrimoine reste lié à la personne aussi longtemps
que dure la personnalité, il est donc intransmissible entre vifs. Enfin une personne n'a qu'un
patrimoine. Cette théorie a été vivement critiquée par les auteurs modernes en l'occurrence
Brinz (Pandekten.iI, par. 59 et s.) et Bekker (Zur Lehre Vom Retchtssubject : Gensuss und
Verfügung.) en Allemagne, L. Duguit ( Traité de Droit constitutionnel, tome 3, la Théorie
générale de l'Etat, 2e éd., Paris 1923, p. 309 et s.) en France. On lui reproche de lier le'
. - patrimoine à la personnalité et d'exiger l'unité et l'indivisibilité du patrimoine. Pour ces
auteurs, la destination ou la finalité -loit constituer un facteur de regr'.::c:pement dt~ droits et
obligations d'une personne fonnant alors un autre patrimoine. Le fondement du patrimoine
(ensembles des droits et obligations d'une personne ayant une valeur économique) n'est pas
J
dans la personne mais dans le but. De là résulte des conséquences diamétralement opposées à
celles qui découlent de la théorie classique. Une personne peut être à la tête de plusieurs

16
personne et le patrimoine sont intimement liés. Le second étant le support
de la première. Mais du fait de l'emprise qu'ils exercent l'un sur l'autre, on
devrait établir l'équation suivante: décès de la personne, disparition du
patrimoine. Le patrimoine est donc condamné à disparaître au décès de son
titulaire. Heureusement il n'en est rien. Le défunt de son vivant a pu
contracter des dettes vis à vis de certaines personnes. Celles-ci, les
créanciers du défunt, faute d'avoir pris des garanties spécifiques sur les
biens de leur débiteur soit, par ignorance soit, par négligence, ne pourront
exercer leurs droits que sur l'ensemble du patrimoine. Si le patrimoine,
gage général des créanciers, disparaissait à la mort de son titulaire, on
imagine
un
peu
les
désagréments
qu'elles
auraient
à subir,
les
conséquences d'une pareille situation sur la sécurité des transactions. Par
conséquent, il faut trouver le moyen de pallier cette situation . Le
patrimoine va alors survivre, il va même acquérir une certaineautonomie,
le temps qu'une structure appropriée soit mise en place afin d'assurer sa
transmission;
L'histoire nous enseigne qu'à l'époque féodale l'ensemble-----
des biens- du défunt se dispersaient, répartis entre ses proches. Dans les
coutumes africaines une telle conception a aussi été relevée. Les coutumes
africaines" étaient hostiles à toute idée de décadence des biens du défunt.
.
Toutes les sociétés ont cherché et cherchent encore ainsi à éviter la rupture
que provoque la mort entre la personne et son patrimoine par la mise en
patrimoines distincts affectés à des destinations particulières; les patrimoines spéciaux peuvent
être transmis à titre universel, l'acquéreur recueillant l'actif et le passif; une personne peut
créer une fondation en détachant une masse de biens et en l'affectant à l'œuvre ainsi créée. En
dépit de la pertinence des objections de ces auteurs; la théorie classique demeure la base du
droit positif sénégalais.
Toutefois quelques cas d'application de la théorie moderne
d'affectation du patrimomevont identifiés. Ainsi lorsque 1'héritier accepte la succession sous
bénéfice d'inventaire (article 428 du C.F.) ou lorsque les créanciers successoraux exercent le
privilège de la séparation des patrimoines (article 422 du C.F.).
26 Par exemple chez les Lébous et chez les Sérères, les biens sont transmis suivant le lignage et
cette règle coutumière persiste encore malgré son éviction du Code de la famille.

17
œuvre d'un prolongement de la personne du défunt au delà du temps. On
est davantage saisi par cette idée de continuation, dans la définition que
donne le Petit Robert du thème succession: « transmission du patrimoine
laissé par une personne décédée (l'auteur) à une ou plusieurs personnes
vivantes (les ayants cause) ». Mais la question fondamentale qui se pose
est de savoir, comment, par delà le temps, se transmet dans l'espace le
patrimoine du défunt - le Sénégalais décédé domicilié à l'étranger,
l'étranger décédé domicilié dans le for" , l'étranger décédé domicilié à
l'étranger mais possédant des biens sur le territoire sénégalais - alors que,
par ailleurs, ses biens sont dispersés sur plusieurs territoires? C'est la
- - - " - - - _.._-_._-----_._------
question que nous tenterons de résoudre à partir du commentaire des
dispositions prévues par le législateur sénégalais à ce sujet dans le Code de
la famille.
. :-,-
"
'"
La transmission des biens d'une personne décédée, s'opère
par l'effet de la loi. On parle alors de succession ab intestat Elle peut
.r. .
- ~"".:
.."~.
également se réaliser par la volonté du défunt. Dans. cc cas,,-.Ofi est en
présence d'une succession testamentaire. Il arrive aussique le futur défunt
de son vivant dispose de ses biens par contrat Il s 'agit dans cette·
hypothèse de la succession planifiée. L'examen de la question dans
l'espace, se prête à plusieurs rattachements : statut personnel, statut des
biens, statut des biens de la famille etc. Al' évidence, le choix du
législateur sénégalais se porte sur la règle de conflit. L'article 841 alinéa 3
du Code de la famille pose le principe selon lequel les successions sont
soumises aux règles de la loi nationale. L'idée de l'application d'une loi
unique à l'ensemble des biens du défunt à laquelle nous adhérons, se
révèle aussitôt et rejoint ainsi l'opinion déjà émise par certains auteurs
quant à la détermination de la loi applicable aux successions.
27 Il peut aussi s'agir d'un Etranger domicilié hors du Sénégal mais qui y possède certains

18
28
SCHAEPNER
montrant le lien entre le droit -inteme et les
règles de conflit, reconnut très tôt la nécessité d'appliquer une loi unique à
l'ensemble de la succession. Il prépara ainsi la voie à SAVIGNY29 qui,
raisonnant à partir de la personne comme le centre de toute relation
juridique, donna de l'expression «succession », une définition assez
remarquable. Par succession, il entend: « l'extension de la puissance et de
la volonté de l'homme au delà des termes de la vie ». Il rappela, à l'instar
de
3o
WOLp
et contrairement à la méthode territorialiste suivie par
DUMOULIN et d' ARGENTRE3 l , que les lois
sur la succession vise la
personne à titre principal, les biens, à titre accessoire. La personne e~t au
centre de toute relation juridique, non la chose affirme-t-il. Au plan
international, il sera le premier à avoir développé une notion unitaire du
patrimoine. Il a été ensuite soutenu par MANCINI32 et ses disciples. On
observe chez ces auteurs la volonté et le désir de mettre fin à l'émiettement
successoral. Leur position s'explique par le
fait que le droit des
suc-cessions 'est avant tout commandé par des considérations familiales .
. --_....-...• -.-
...-....-....--.
.
...
~-
LAURENT écrit d'ailleurs à ce sujet que «le droit des successions est le
prolongement pécuniaire des rapports de parenté et d'alliance »33. Il ajoute
ensuite que «le sang ne change pas d'après la situation des biens ...
déclarer personnel le droit de la famille et réel le droit des successions
serait une contradiction dans les termes »34.
biens.
28
cf : SCHAEFFNER : Entwicklung des internationalen Privatrechts, Francfurt- am-Main,
1841 p.165, cité par F. BOULANGER, "Etude comparative......", thèse précitée, p 42.
29 La doctrine de Savigny a été celle qui a surtout inspiré les auteurs Aubry et Rau dans la
-;'
transposition de la théorie de l 'unicité du patrimoine au plan interne. Cf : Savigny cité par F.
BOULANGER, "Etude comparative ...", op. cit. p. 42.
30 cf; F. BOUL\\NGER, ibid pA3
31 cf: F. BOULANGER, ibid, pA3.
32 cf: F. BOULANGER, op., cit., pA3.
33 cf: F. LAURENT: "Le droit civil international", tome 6,1881, p. 226.
34 cf: F. LAURENT, op. cit., p. 246.

19
Séduites par cette démarche intellectuelle,' nombre de
législations" appliquent à l'ensemble de la succession, quelle que soit la
situation des biens, une loi unique dont le critère de désignation repose soit
sur la nationalité soit sur le domicile du de cujus. D'autres" au contraire,
optent pour le morcellement successoral. La succession est alors divisée en
deux masses; d'un côté, la masse mobilièresoumise à la loi du domicile
ou à la loi nationale du défunt et de l'autre, la masse immobilière régie par
la lex rei sitae.
Cette divergence dans la réglementation des questions
relatives aux suecessions-··internationales---est---amplifiée en raison de
l'opposition des divers droits internes sur la dévolution, la transmission,
l'administration et le partage de la succession. En fait cette « cacophonie
.juridique »37 que l'on indexe trop souvent, plonge ses. racines au plus
profond des conceptions que chaque législation se fait de ses institutions
en droit interne. Pour les unes, c'est le modèle de la succession aux biens
qui prévaut ; pour les autres, c'est celui de la succession à la personne.,...:
Deux modèles de succession opposés malgré l'identité des fonctionsqu'ils
.... assurent. Pour le règlement de la succession, le modèle de la-succession: à
la personne privilégie la transmission directe tandis que celui de la
succession aux biens met plutôt l'accent sur l'obligation de liquider avant
de
partager.
Dans
ces
conditions,
l'effort
de
rapprochement
et
d'harmonisation estime-t-on, semble dès lors irréalisable".
35 cf : Code civil égyptien de 1948, Code civil syrien du 15 juin 1949, article 2 du décret
tunisien du 12 juillet 1956 relatifs aux conflits interpersonnels étendu en 1957 aux conflits
internationaux, etc.
36 cf: les droits du ~:"enya, du Centrafrique, de la Côte. (~'Ivoire etc
37
L'expression est de F. BOULANGER qui évoque les divisions entre pays admettant le
dualisme et pays tenants de l'unité.
,/
38 cf : cependant, "La nouvelle Convention de la Haye sur la loi applicable aux successions"
Rev. crit. 1989, p. 249.

20
A la vérité, en raison de la souveraineté dont jouissent les
Etats, chaque législateur règle comme il l'entend les conflits qui se
présentent ou qui ont un point de contact avec l'ordre juridique dont il
relève. En cela la réglementation interne des relations internationales en
droit comparé n'est pas toujours concordantes. A titre d'illustration on
peut rapporter la différence entre la législation sénégalaise et le droit
français sur la détermination de la loi applicable aux successions
internationales.
Le
droit
international
privé
français
adopte
le
morcellement de la succession alors que son homologue sénégalais
emprunte la voie de l'unité successorale. Cette différence n'est point alors
un mal en soi.
S'appuyant sur la tradition personnaliste négro-africaine et
le modèle de succession à la personne, le législateur sénégalais soumet
.
_ .
'~_'.
J
. ' , .
- .

.
. '
.
.
.
l'ensemble de la succession à la compétence de principe de la loi nationale.
L'article 841 alinéa 3 du Code de la famille est l'argument de texte. Il
dispose eneffet que .« sont soumises aux règles de la loi nationale, les
règles relatives à l'état, à la capacité des personnes, aux régimes
matrimoniaux et aux successions, suivant les distinctions et sous les
réserves indiquées aux articles ci-après ».
Cette réglementation aurait peut être suffi et alors, il
reviendrait à la jurisprudence" de poursuivre l'effort de construction.
Hélas non, le législateur a préféré procéder à une énumération des
questions successorales relevant exclusivement de la compétence de la loi
nationale à savoir: la dévolution successorale, la transmission de l'actif et
du passif en empruntant ainsi la voie d'une réglementation détaillée.
Mieux 011 pire, il est allé plus loin en .ioumettant d'autres questions exclues
/
39
Le droit des conflits internationaux de lois demeure un droit d'inspiration d'origine
jurisprudentielle dans le système français contrairement au système sénégalais.

21
du domaine de la loi nationale, à la compétence d'une part, de la loi du lieu
d'ouverture de la succession et, d'autre part à celle de la loi de situation
des immeubles et fonds de commerce. On s'en rend compte à la simple
lecture des articles 847 alinéa 2 et 847 alinéa 3 du Code de la famille. Le
premier dispose que «sont régies par la loi du lieu d'ouverture de la
succession, les opérations concernant l'option successorale, la mise en
possession des héritiers, l'indivision successorale, le partage de l'actif et le
règlement du passif». Le second énonce qu'en « cas de succession portant
sur des immeubles et fonds de commerce, la transmission de la propriété
de ceux-ci est régie par la loi de leur situation ».
La
première
conclusion
à laquelle
convie
l'analyse
sommaire de ces dispositions peut se résumer de la. façon suivante: le
rais_?nnement du législateur sénégalais est en termes de pn1]clpe et
d'exceptions.
~- -~-, -
.. ··Mais en procédant à l'énumération des matières relevant les "'",-
unes, de la-compétence de la loi nationale, les autres, des compétences de
la loi du lieu d'ouverture de la succession et de la loi de situation des
immeubles
et fonds
de commerce,
le
législateur vient
dissoudre
malheureusement le principe de solution dans les exceptions supposées
confirmer l'existence du principe lui même.
La cause est dans l'ambiguïté entretenue dans le classement
des opérations formant la structure du droit des successions. Cette
ambiguïté s'observe à propos du contenu de la catégorie « transmission de
l'actif et du passif» soumise normalement à la compétence de la loi
nationale. Ce «contenant» pour ainsi s'exprimer, va dévoiler son
« contenu» dans l'une des exceptions prévues. Il s'agit de l'application
des dispositions de l'article 847 alinéa 2 du C.F. qui énumèrent les

22
questions soumises à la loi du lieu d'ouverture de la succession : l'option
successorale, la mise en possession des héritiers, l'indivision successorale.
Or la logique voudrait que ce « contenu» relève de la même loi que son
« contenant ». De redoutables questions de qualification en perspective.
Que faut-il conclure, double réglementation ou maladresse dans la
réglementation?
D'ores et déjà, ce qui paraît condamnable, c'est la méthode
de classement et d'énumération des opérations successorales. En affirmant
la compétence d'une loi, il faut mettre au moins le juge en mesure d'en
connaître le champ d'application. NIBOYET disait déjà de« ceux qui
affirmaient la compétence abstraite d'une loi dans une certaine matière
sans en déterminer l'étendue, qu'ils fabriquaient des (mannequins en
baudruche) »40. Cette critique est, tout à fait celle que l'on pourrait adresser

"
. . _ _ .w

- -
- ' .
. _ .
'
' - . ·'w ••
:
.,_:,,"
~_..
_"
_
• • • "
' .
au législateur -, sénégalais. Lë classement 'des matières est" maladroit.
L'énumération, s'il faut aussi en dire un mot, ne repose pas sur des critères
adéquats. Elle est ausurplus non exhaustive, En effet rien n'a été dit sur la
date, les causes et le 'lieu d'ouverture de la succession, les conditions
requises pour succéder, la pétition d'hérédité, la preuve de la qualité
d'héritier, l'administration de la succession; des questions omises par le
législateur et qui pourtant ne peuvent évidemment être négligées. Ce qui
paraît encore plus surprenant, c'est la solution donnée à la question de la
détermination de la parenté préalable à la dévolution successorale. Pour le
législateur sénégalais elle relève de la compétence des lois de police", En
somme on remarque tout simplement, l'inadéquation des critères de
désignation et de classement des matières successorales.
40 cf: J. P. NIBOYET, Traité, tome 3 n? 877, p. 75.
41 Il en est de même de l'alliance et de J'absence; cf: article 841, alinéa 2 3ème et 4ème tirets
du c.r.

24
à rendre les relations familiales plus faciles et plus stables, croit-on que la
bonne voie soit celle de la dislocation de leur régime juridique »45. Cette
interrogation du Doyen BATIFFOL résume bien l'embarras de l'interprète
devant la réglementation sénégalaise du droit des conflits de lois en
matière successorale.
On ne peut négliger le fait que les successions sont une
synthèse du droit des biens et du droit de la famille. On ne peut encore
moins les réduire ni au statut personnel ni au statut réel. Aucun des deux
comme le souligne Mme GORE « n'est à lui seul capable de rendre compte
de la
dimension
autant
économique
que
familiale
du
droit
des
successions »46.
L'application d'une loi unique à la lecture d'une certaine
doctrine". est presque irréalisable'Jvlais à notre__avis on.doit pouvoir faire". __
bénéficier la catégorie succession d'une place spécifique parmi les autres
catégories du for à défaut de pouvoir la rattacher au statut personnel avec
•.. .
.. - ~.
toutes les conséquences qui en découlent, Al' évidence, c'est la réalité de
la notion du patrimoine qu'il faudra appréhender. Le patrimoine du défunt
reste l'élément fondamental. En tant qu'universalité de droit c'est-à-dire
un actif et un passif inséparable l'un de l'autre, le patrimoine est un facteur
de cohésion des droits et des obligations, et constitue l'essence du
règlement
successoral.
Cette
essence
ajoutée
d'une
part,
à
l'interdépendance de la notion de patrimoine et de la personne, d'autre
part, à la conception africaine de l'héritage, serait ruinée si au plan
intemationall'actifne répond plus du passif et si l'intérêt familial n'est pas
44 cf: P. BOlJREL, "Le nouveau droit international privé sénégalais de la famille", Rev. sen. dr.
1973; p. 25.
45 cf: H. BATIFFOL, "Préface à la thèse de 1. Fadlallah", p. VI et VII.
46 cf : Marie GORE, "L'administration des successions en droit international privé français"
thèse Paris 1990 p. 254.
47 cf: F. BOULANGER, op. cit., p. 220 qui parle de l'unité successorale et ses illusions.

pns en compte. La corrélation entre droits et obligations formant le
patrimoine d'une personne, doit pouvoir conduire à la recherche d'une loi
unique devant donner au règlement successoral, un traitement homogène et
cohérent.
L'opportunité d'une solution de principe correctement
identifiée impose de reconsidérer les différentes étapes du processus
successoral.
Ainsi nos réflexions tourneront autour de deux axes à savoir
d'une part, la détermination de la loi successorale applicable (Première
.
-
-~,-,._"----~-,--_.,--,-----,--"._---,----,-,,.-
Partie) et d'autre part, le domaine de la loi successorale (Deuxième
Partie) .
.... -
~---........

PREMIERE PARTIE
CONFLITS DE LOIS ET DETERMINATION DE LA LOI
SUCCESSORALE

28
CHAPITRE 1
LE DROIT COMPARE ET SES ENSEIGNEMENTS.
La première question que le droit international privé ait à
résoudre à la suite du décès d'une personne, est la détermination de la loi
ayant vocation à régir la succession de l'intéressé en général. En supposant
que le patrimoine du défunt ne se désagrège pas à la mort de son titulaire,
on doit pouvoir trouver un mécanisme permettant d'assurer la pérennité des
droits et obligations de nature pécuniaire qui le compose:-unsysfème-qui------------
garantit la transmission de l'ensemble à des personnes légalement appelées
ou désignées par le de cujus de son vivant.
Quelle que soit la loi désignée, une loi-étrangère ou la loidu
for, celle-ci comporte en son sein des règles plus ou moins appropriées qui
viennent fixer le sort du patrimoine du défunt. Mais l'intervention de la loi
applicable n'est pas le fait du -hasard ; elle dépend de la règle de conflit
laquelle est mise en œuvre par référence à l'élément d'extranéité qui affecte
l'objet du rapport de droit concerné, ici, la transmission de la succession
du défunt.
C'est par rapport à cet élément d'extranéité que s'effectuera
en définitive, le rattachement du rapport concerné à la loi du for ou à une
loi étrangère. Le constat que l'on fait est que les législateurs n'adoptent pas
toujours les mêmes règles de conflit. Chacun protège orgueilleusement sa
souveraineté.
De la sorte, les reponses
la transmission successorale ne
à
sont pas toujours concordantes ; elles sont presque de tout temps

29
conflictuelles. C'est pourquoi, au plan international, la détermination de la
loi successorale reste une question controversée (Section 1). Il en est ainsi
parce que les conceptions du for qui influent sur le choix de la loi
applicable (Section II), ne sont pas formulées sur la base de principes
identiques.
SECTION 1:
LA LOI SUCCESSORALE EN DROIT
INTERNATIONAL PRIVE COMPARE.
«La
vérité
juridique
des
successions
internationales
demeure voilée », écrit 1. HERO~9. Les auteurs et les spécialistes de la
matière en effet, ne s'accordent pas sur les règles qu'il convient de lui
appliquer. L'examen du droit comparé révèle deux pôles entre lesquels se
dispersent les règles de conflit des différents pays à la surface du globe.
D'un côté, le pôle constitué par le morcellement de la
succession en deux masses distinctes: la masse mobilière et la masse
immobilière. La première est soumise, soit à la loi du domicile du défunt
par le truchement d'une localisation fictive en ce lieu de tous ses biens
meubles, soit à la loi nationale. La seconde, quant à elle, est régie par la lex
rei sitae. Compte tenu de ce morcellement, il y aura autant de lois
applicables que de masses localisées sur le territoire d'Etats différents.
De l'autre côté, le pôle constitué par l'unité successorale
par application d'une loi unique à l'ensemble de la succession, la loi
nationale ou la loi du domicile.
Morcellement de la succession ou unité successorale? C'est
le «dilemme »50 qui se présente aux législateurs en droit comparé et qu'il
faudra résoudre (Paragraphe 1) ; après quci, il s'agira de se prononcer sur
49 1. HERON, "Le morcellement des successions internationales", op. cit., p. 1.
50 F. BOULANGER, "Successions internationales .....", op. cit., p.38 et 46

30
le choix encore à faire entre la compétence de la loi nationale et celle de la
loi du domicile (Paragraphe II).
PARAGRAPHE 1 :
MORCELLEMENT OU UNITE SUCCESSORALE.
La constitution des deux pôles (unitaire et dualiste) ne s'est
pas produite de la même façon. Alors que le dualisme successoral trouve
son origine dans la jurisprudence, l'unité en revanche tire sa source des
travaux de la doctrine.
Le dualisme successoral est caractérisé par le morcellement
de la succession. On distingue à côté des biens meubles soumis.à.la-zex
. _
ultimi domicili, ce qui en fait n'est qu'une application fictive de la lex rei
sitae, les biens immeubles régis par la loi du lieu de leur situation. Cette
réglementation remonte en France aux conflits de statuts. On a longtemps
attribué la distinction à la seule influence des glossateurs, puis des post-
glossateurs de l'école Italienne. Les glossateurs ont en effet élaboré
plusieurs catégories que sontrprocédure, personnes, choses; contrat et
délit. Bartole" en partant de cette classification pose la règle que les
successions, soit, appartiennent aux règles sur les personnes et dans cette
hypothèse, on applique la loi qui gouverne le statut des personnes, soit,
ressortissent des choses et dans ce cas, on applique la loi qui gouverne les
choses. Les post-glossateurs ont ensuite tenté d'appliquer la loi réelle.
BALDE puis Alexander d'IMOLA52 posent le principe selon lequel les
meubles sont soumis à la même loi que leur propriétaire, c'est-à-dire la loi
du domicile.
L'influence de l'école italienne ne peut être entièrement
écartée. Mais la distinction des meubles et nes immeubles s'est surtout
51 cf : A. LAINE, "Introduction au droit international privé contenant une étude théorique et
critique des statuts et rapports de cette théorie avec le Code civil", Paris 1892, p. 158.

31
faite à la suite de la renaissance en France de la succession testamentaire. Il
fallait répondre à des besoins pratiques immédiats: assurer la validité des
testaments et faciliter le règlement successoral. Une distinction entre la
forme et le fond du testament était alors faite. En conséquence le risque
était de constater l'annulation de certains testaments pour vice de forme.
En effet une application rigoureuse de la loi de situation supposait que le
testament fût conforme en la forme comme au fond à cette loi. Cela
n'arrangeait pas l'Eglise qui était souvent bénéficiaire de legs. Une brèche
fut alors faite dans le système territorialiste.
------------------------
Une disposition est valable conformément à la loi du lieu où
elle a été prise même si quant au fond elle contrevient à la loi de situation
du bien". Par la suite, des difficultés ont surgi notamment à propos du
règlement successoral, particulièrement en ce qui concerne le règlement du
passif et le recours de l 'héritier qui a payé plus que sa part. On admet alors,
afin de localiser les biens meubles, que ceux-ci sont fictivement concentrés
au domicile du défunt. Ainsi les meubles supportent les dettes qui s'y
rattachent. Mieux encore les biens meubles contribuent au règlement du
passif quelle que soit leur situation".
La distinction des meubles et des immeubles quant à la loi
applicable a été consacrée par la jurisprudence. La clé de voûte du droit
positif français est constituée par les arrêts de la Cour de Cassation de
1925 et de 193955• La haute juridiction dans l'arrêt de 1939 "Labedan"
énonce que «d'après l'ancienne règle, toujours subsistante, les meubles
héréditaires sont réputés exister au lieu d'ouverture de la succession et
52 cf: FREYRIA, "Loi applicable aux successions mobilières ...", op. cit., p.6Ü
53 Cela résulte d 'un arrêt du :-arlement de Paris du ?1 Sept 13Lll rapporté par TIMEAL, "La
coutume, source de droit privé", Cours Doctorat 1958-1959 cité par F. BOULANGER, "Etude
comparative ... ", op. cit., p. 29.
54 cf: F. BOULANGER, "Etude comparative ...", op. cit., p. 29.

32
qu'en conséquence leur dévolution est régie par la loi du dernier domicile
du défunt». Le mérite de cet arrêt est d'avoir renoué avec la tradition et
essayé à la suite, de préciser le fondement de la maxime "mobilia
sequuntur personam". Les successions mobilières sont régies par la loi du
dernier domicile du défunt parce que « les meubles sont réputés exister au
lieu
d'ouverture ».
L'avantage
d'une
telle
affirmation
repose
sur
l'unification du système de la loi applicable aux
successions tant
mobilières qu'immobilières. Mais cette conception présente néanmoins
l'inconvénient de reposer sur une fiction. Les meubles sont supposés
localisés au domicile du défunt abstraction faite de leur situation effective.
La
situation
pouvait
être
expliquée
autrement
que
par
un
tel
« travestissement juridique ». Pour le Doyen BATIFFOL, la succession obéit
à la loi du domicile parce qu'elle est « toute entière la conséquence du fait
j~rid!que que constitue le décès »56
...
Des arguments d'ordre technique ont surtout été avancés en
faveur de la distinction des meubles et 'des immeubles. De ..primeabord,
.-;.~._'
c'est le lien étroit qu'entretient la succession immobilièreavec le droit des
biens notamment le régime de la propriété, et les exigences de la publicité
foncière. On évoque ensuite la coïncidence entre les compétences
judiciaire et législative pour la commodité du règlement successoral. Cela
peut être justifié par le fait que les tribunaux du lieu de situation des
immeubles s'estiment souvent compétents pour les actes de juridiction
contentieuse ou gracieuse portant sur les immeubles. Dès lors si la loi
applicable est celle du lieu de situation des immeubles, compétence
juridictionnelle et compétence législative se trouvent forcément réunies.
55 Ch. Reg. 7 juillet 197'\\ D.H 1925 611 arrêt "Vorodidy". Casso ch. ci". 1·9 juin 1939. D. 1939.
1. 97. note L.P, arrêt "Labedan".
56 cf: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité, tome 2, n0637. L'argumentation est basée sur
l'idée gue la succession résulte du décès qui constitue un fait juridique. Aussi faut-il soumettre

33
Ainsi si une succession est ouverte à l'étranger et que des immeubles sis en
France en dépendent, la dévolution successorale des immeubles français
échappe
en
principe
à
la
connaissance
des
tribunaux
étrangers.
Réciproquement si la succession est ouverte en France alors qu'elle
comporte des biens immeubles sis à l'étranger, il résulte d'un arrêt de
principe du 5 juillet 1933 que « la dévolution successorale des immeubles
sis en pays étranger échappe en principe à la loi française et à la
connaissance des tribunaux français ».57
Les arguments évoqués ci-dessus sont toutefois réfutables.
D'une part, il faut faire remarquer-que-la-!ex--rei-sitaea-déjàprévalu pour le
régime des biens sans aucune distinction entre biens mobiliers et biens
immobiliers. D'autre part, la publicité jadis réservée aux immeubles
s'étend de nos j ours aux transferts à cause de mort de certains biens
meubles irnmatriculés. On évoque également les règles' 'sur l'attribution' -
préférentielle des' articles 832 et suivants du Code civil français, (article
.. '::,','\\,,
f1.16~·du Code "dc' la.famillej.iLestextes français" à l'origine; visaient les
exploitations
agricoles
donc
dësimmeubles.
Mais
aujourd'hui
ils
s'appliquent
aUSSI
.aux
entreprises
commerciales,
industrielles
ou
artisanales", des notions qui englobent nécessairement des biens meubles.
Au total, même si la dualité législative est maintenue, un règlement
juridictionnel unitaire de la succession n'est pas exclu. Enfin la distinction
des meubles et immeubles s'adapte mal aux systèmes pluri-législatifs dans
lesquels la
loi
applicable
dépend
essentiellement de
la
confession
la succession à la loi de ce fait juridique. Mais il faut observer que si la succession a sa source
dans le décès, elle n'est pas que cela. cf, les objections de J. HERON, infra p.
J} Casso civ. 5 juillet·-1933. D.P. -1934. 1. ~33, note E. Silz. En iespèce, il ~~'agissait de -la
succession d'un Hindou décédé domicilié à Pondichéry et possédant des immeubles dans l'Inde
Anglaise de l'époque.
58 Décret-loi du 17 juin 1938.
59 Loi n? 82 - 596 du 10 juillet 1982 J.O. (R.F) 13 juillet 1982.

34
religieuse de l'individu; d'où le rejet par ces systèmes (certains pays du
Proche-Orient et de l'Afrique) de la distinction.
Les Etats qui à l'opposé ont choisi un rattachement unitaire,
l'ont fait sous l'influence des travaux de SAVIGNY et de MANCINI, de
farouches défenseurs de l'idée d'une soumission des successions à une loi
unique. Le pôle de l'unité successorale provient surtout d'une rupture. Les
pays qui l'adoptent ont dans le passé suivi la règle traditionnelle avant de
s'en écarter en raison des cri tiques formulées à l'encontre de la distinction
des meubles et des immeubles pourtant consacrée par la jurisprudence.
Le changement de la règle de conflit estime-t-on, s'est
produit dans le cadre d'une codification du droit international60.
En somme, on retiendra que la tradition jurisprudentielle
'~ milite en "faveur du morcellement tandis que T'unité 'tirE'sa source des' -.,- .-
travaux de la doctrine. L'ampleur de la divergence entre systèmes fidèles. à
.. '"
. ,::!'\\.:;:- ,~Ja, dualité successorale-et .ceux ,teNants de l'unité estdifficile .àappréhender
à l'échelle mondiale. La divergence est réelle mais elle ne doit pas être
exagérée. Elle a une portée relative.
En premier lieu, la soumission des successions à une loi
unique ne se présente que rarement à l'état pur. En effet, les règles de
conflit qui proclament l'unité successorale, accordent une place au
morcellement. Le droit international privé sénégalais en est une parfaite
illustration. A côté du principe de soumission de la catégorie "succession"
à la loi nationale, le législateur sénégalais a également prévu l'application
60 cf: J. HERON, "Le morcellement des successions internationales .... ", op, cit., p. 3. L'auteur
nuance ses affirmations en soutenant, par ailleurs, que certains Etats dépourvus de tradition
internationaliste ont néanmoins adopté la règle traditionnelle, et que les Etats du Tiers Monde
ont souvent repris les règles suivies par les puissances colonisatrices.

35
de la loi d'ouverture et de la lex rei sitae à certaines questions
successorales".
En second lieu, l'interférence des conflit de systèmes, pour
ne prendre que l'hypothèse du renvoi, fausse quelque peu les contrastes de
base.
Au total, la dualité et l'unité ne constituent que des points
extrêmes. Toutes les règles de conflits n'y adhèrent pas, de nombreuses
positions intermédiaires combinent unité et dualité'".
Le noyau central des tenants -du -morcellement,- quant à la
seule dévolution, est représenté par les Etats de tradition anglaise. En
dehors de la France dans l'Europe occidentale, la dualité successorale est
maintenue par les jurisprudences belge et luxembourgeoise. En Afrique
Noire; "le
maintien
de "T'influence" anglaisé - eCfrançaîse - explique
probablement la perpétuation de la distinction dans certains Etats comme
..
' .
. ,
.
..
. .~
la -Côte d'Ivoire, le Gabon, le.Ghana, etc. (soumission des immeubles-à la
lex rei sitae et les meubles à la loi du domicile du défunt).
Si pour les immeubles, le choix de la loi applicable ne pose
guère de difficulté, il en va autrement pour les meubles. Ces derniers
peuvent relever soit de la compétence de la loi du domicile soit de celle de
la loi nationale. Ce qui démontre qu'un autre choix reste à faire.
Chez les tenants de l'unité, cette dichotomie se ressent
également. Les législateurs sont partagés entre l'application de la loi
nationale et celle du domicile du défunt pour l'ensemble de la succession.
,
61 Conformément aux dispositions des articles 841alinéa 3, 847 alinéas 1,2,3, du Code de la
famille.
62 Le droit international privé sénégalais des successions en un exemple.

36
A
l'évidence,
la
divergence
entre
unité
et
dualité
successorales cache une autre problématique: l'option entre la loi nationale
et la loi du domicile.
PARAGRAPHE II:
L'OPTION ENTRE LA LOI NATIONALE ET LA
LOI DU DOMICILE.
Qu'il ait choisi la voie du morcellement ou celle de l'unité
successorale, le législateur, quel qu'il soit, doit encore opérer un choix
entre la loi du domicile et la loi nationale du défunt. Il en est ainsi car on
suppose la mise à l'écart de la loi de situation des biens dont l'application,
du moins la désignation, paraît simple. Ce faisant, on doit rechercher sur
quelle base s'opère le regroupement, et de quelle manière peut-on désigner
une autre loi pour régir la succession. Il se pose essentiellement un
problème de technique juridique de personnalisation ou de localisation de
... "
.. la succession. Soit on considère que la succession est indissociable de
1'état des personnes, auquel cas on applique la loi nationale ou la loi du
_ 1
.. " .
domicile - le domicile ·tradlilsirit parfois un raÙache'ment' au-·s'fatut
personnel - ; soit on estime primordiale la localisation des biens du défunt
par une concentration de ses intérêts à son domicile et dans cette
hypothèse, la loi du domicile reçoit application.
Les raisons qui militent en faveur de la mise en œuvre de
l'une ou l'autre option résident surtout dans la politique poursuivie par le
législateur. Ce qui fait que pour tel système juridique, la loi du domicile est
plus apte à régir la question successorale que la loi nationale au contraire
adoptée par tel autre système juridique et vice versa. Encore que l'adoption
de I'unenentraîne pas forcément l'exclusion de I'autre'",
63 cf: LEREBOURGS-PIGE01\\TNIERE : "Précis du droit international privé", 8" édition par Y.
LOUSSOUARN, n? 337 et s.

37
La loi du domicile du défunt a été bâtie sur les arguments
de SAVIGNY64 • Aussi bien pour la succession ab intestat que testamentaire,
l'éminent juriste montre le lien entre la compétence judiciaire et la
compétence législative. Ainsi les créanciers du de cujus pourront exercer
leurs
actions
au
lieu
d'ouverture
de
la
succession
sans
craindre
l'application d'une loi autre que celle du domicile du de cujus. Cette
proposition n'est valable qu'à condition que le domicile soit déterminé".
Dès que cette question est résolue, la compétence judiciaire des autorités
du domicile apparaît alors préférable à celle des autorités nationales.
Pour le même auteur, la-Ioi-du-domicileva-un -titre .. à
s'appliquer en raison du choix librement fait par le de cujus, de fixer son
domicile au lieu où sont concentrés sa vie privée et le centre de ses
affaires.
L'explication
était
surtout
valable
pour
les
successions
testamentaires. Elle ne saurait être étendue aux successions ab intestat.
Mais pour écarter cette obj ection, l'auteur estime que la succession ab
intestat n' est-ni-moinsni plus qu'un "testament présumé". ,~.~.!.
" .
....':.-~, :
,
, .
La position de SAVIGNY, affirme-t-onëvrejoint celle du
publiciste ROCCO. Pour ce
dernier, «la loi du
domicile doit être
compétente parce que l'homme par la confirmation qu'il fait à sa majorité
de la loi du domicile d'origine ou par le choix d'un autre domicile montre
qu'il veut se soumettre aux lois du pays où il s'établit »67.
Ces affirmations rejoignent bien une certaine conception africaine
traditionnelle de l'autorité de la loi. Dans la société africaine, on estime
.64 cf : SAVIGNY cité par F. BOULANGER, "Etude comparative du droit international privé
des successions...", op. cit., p. 45.
.
65 La question de la détermination ù'_~ domicile est résolue piusloin. cf: infra. p.
66 cf: F. BOULANGER, "Les successions internationales ....... ", op. cit., p. 47.
67 cf: "De l'usage et de l'autorité de la loi" cité dans M. Popovilyeff, Du rapport à la succession
des libéralités en droit civil français et européen et au point de vue du droit international privé,
Paris, 1897, p. 412. in F. BOULANGER, op. cit., p. 47.

38
que lorsqu'on s'établit dans un lieu étranger et que l'on constate qu'en ce
lieu, tous les habitants ont les oreilles percées, on se fait également percer
les oreilles'". L'enseignement que l'on en tire est que l'on cherche à se
conformer aux lois et aux règles en vigueur dans le lieu d'établissement
afin de vivre en harmonie et en paix avec les habitants dudit lieu. Dans ces
conditions, l'étranger n'en est plus un. Il devient un membre de la
communauté car l'ayant voulu en raison de son comportement et de sa
volonté. S'identifier aux autochtones, vivre et mourir chez eux sinon
maintenant chez lui.
Cette analyse devrait au demeurant conduire à la prise en
compte de la volonté du défunt comme élément de rattachement en matière
successorale. La succession du défunt devrait être ainsi soumise à la loi
tacitement choisie par ce dernier. En effet, on comprendrait mal que le de
cujus ait, de son vivant, voulu intégrer un milieu donné en établissant son
":. ":domicile dans ce milieu et dans le même temps, ait accepté que sa
,~ê.:~:;"".,
:t!:,~::s~',.,. succession soitréglementée par une loi dont .la détermination dépendrait: de
certains facteurs entièrement inconnus de lui ou dont l'importance lui
.'..
.échappe. En définitive, une loi qui ne serait pas la loi dudit milieu. C'est
pourquoi, par hypothèse, on peut supposer que la loi applicable à la
succession du défunt est la loi choisie par celui-ci; mais à condition que le
choix de la loi applicable soit confirmé par la fixation du domicile. Dès
lors sa détermination se fera par référence à la volonté du défunt. Celle-ci
étant tacitement exprimée à travers le comportement ostensible de vivre en
harmonie avec les gens du milieu où il s'est établi, en adoptant leur
manière d'agir, de faire voire de penser. La loi applicable en ce lieu est, de
ce fait, la loi voulue par le de cujus et qui régirait sa succession. C'est la
loi du milieu, la loi du domicile. Alors si, a priori, la loi du domicile peut
68 C'est un proverbe béninois,

39
ainsi vemr régir la succession du défunt dans 1'hypothèse d'une
manifestation tacite de volonté, il doit être a fortiori accordé au défunt la
.liberté de choisir expressément la loi applicable à laquelle sera soumise sa
succession. Une liberté de choix il est vrai, réduite à la seule application de
la loi du domicile. De là on induirait l'admission sans équivoque de la
professio juris limitée'".
Les
arguments développés en
doctrine en
faveur
de
l'application de la loi du domicile sont nombreux et pertinents. Mais, il
reste une difficulté de taille à surmonter car la formation du domicile
participe d'un élément intentionnel qu'il faut--encore-rechercher;-Tout-------·
compte fait, peu de systèmes législatifs optent pour l'application de la loi
du domicile à l'ensemble de la succession. Leur choix est touj ours tempéré
voire combiné avec le maintien de la compétence de la loi de situation des
biens. L'incertitude de la notion de domicile" pousse d'autres systèmes' à
opter pour l'application de la loi nationale qui offre plus de prévisibilité
.. ·-.car, même si le' de- cujus.a changé de nationalitéentre-ternps.sii est-rare
qu'il ait renié sa nationalité d'origine contrairement à un changement de
domicile qui implique la perte du domicile d' origine.-
L'option entre la loi du domicile et la loi nationale est
souvent fonction de la conception que l'on se fait en droit interne du
rapport en cause. En ce qui concerne les successions, les modèles adoptés
contribuent à fixer le choix du législateur entre ces deux types de loi.
69 la question ,de la professio juris sera discutée plus loin, cf infra p.
70 cf: FRANCESCAKIS : "Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé
actuel", Trav. corn. fr. dr. int. priv., 1962 - 1964, P 291.

40
SECTION Il:
MODELES DE SUCCESSION EN DROIT INTERl~E
COMPARE.
Les raisons qui conduisent les législateurs à adopter, soit la
loi nationale, soit la loi du domicile, sont déduites de l'examen des droits
internes. Chaque ordre juridique recherche avec des mécanismes qui lui
sont propres ou empruntés ailleurs la continuité successorale. A cet égard
au morcellement de la succession va correspondre dans une large mesure
un. modèle
de
succession
aux
biens
(Paragraphe 1) ; à l'unité
successorale, un modèle de la succession à la personne (Paragraphe II).
Ces deux modèles présentent toutefois une originalité et ne peuvent se
réduire l'un à l'autre (Paragraphe III).
PARAGRAPHE 1: LA SUCCESSION AUX BIENS.
C'est une· institution particulière basée sur une VISIOn
pratique etpragmatiquedes normes à l'image des droits anglo-saxons dans
·-;!e~guels eJl~ prend-sa source.. Err.effet, la common law procède d'une
approche remarquablement opposée au mode de fabrication de la norme
dans<les systèmes du type
romano-germanique.
Dans ces derniers
systèmes, il existe une catégorisation définie a priori. La démarche
pragmatique des droits anglo-saxons rejaillit forcément sur le modèle de
succession aux biens. Dès le départ, l'objet de la transmission successorale
à savoir les biens, est connu". L'histoire nous apprend que dans la société
féodale anglaise, les sujets de droit que sont les particuliers, ne peuvent
avoir sur une terre des attributs complets d'un droit de propriété, un droit
'exclusif, absolu, total et perpétuel". Seul le Souverain du Royaume
71 cf: R. DAVID: "Le droit anglais", Pt;? 1965, p. ::00 et s; B. l'TfCHOL.t\\S::''Le langage des
biens dans la common law", Arch. phil. drt. t. 24, 1979, les biens et les choses p. 62.
72 cf: art. 544 du Code civil français. Théoriquement le droit de propriété a un caractère absolu,
mais ce droit a subi des restrictions d'ordre légal (expropriations pour cause d'utilité publique,
réquisition, servitude d'alignement des façades etc.), d'ordre jurisprudentiel (la théorie de

41
dispose de telles prérogatives. Le droit dont jouit l'individu, sur une terre
encore appelé « estate » n'est en fait qu'un pouvoir de gestion, les biens
étant toujours considérés comme appartenant à la Couronne". L'individu
ne jouit que d'une « tenure» qui est un mode de détention dont le contenu
s'apprécie en fonction de la durée plus ou moins longue de la possession".
Les biens se présentent non comme objet de propriété, mais comme sujet
de «tenure ». Les prérogatives de l'individu s'analysent alors comme un
titre à la détention des biens.
Ceux-ci se suffisent à eux-mêmes,
indépendamment de la personne de leur détenteur.
Les conséquences au plan de la transmission.successorale.i
ne surprennent guère. Les biens et les dettes avant ou après le décès sont
toujours appréhendés isolément et distinctement. Une procédure de
liquidation au décès du titulaire du patrimoine est mise en place afin de
'parer à la vacance des biens. En l'absence d'héritiers présomptifs les biens
retournent à la Couronne. C'est l'autorité judiciaire qui prend les biens en
charge et.qui.nommera ensuite un administrateur (personal repnesentativei.. L
:',":
l'abus du droit de propriété qui est une application par les juridictions des principes-de la
responsabilité civile, la responsabilité pour inconvénients anormaux du voisinage) et d'ordre
conventionnel (le cas par exemple, du donataire qui accepte la donation qui lui est consentie ,
mais qui est affectée d'une clause d'inaliénabilité en vertu de laquelle il s'engage à conserver le
bien visé).
73 Il faut ici rapprocher cette conception des biens en droit anglo-saxon de celle qui a prévalu
dans le droit négro-africain relativement aux tenures foncières considérées comme appartenant
à la famille ' en tant que communauté unitaire. Dans le droit négro-africain, la terre ne pouvait
pas faire l'objet d'une appropriation privée. Elle était seulement l'objet d'un usage ou d'une
gestion confiée à certaines personnes notamment aux hommes (par exemple dans les
successions lignagères, l'administration des biens est transmise à l'aîné qui doit alors continuer
la gestion dans l'intérêt commun de la famille). En 1964 lors d'une allocution, le Président
Senghor déclarait que « la Terre-Mère est conçue comme une personne morale, un génie avec
lequel le conducteur du peuple a conclu une
alliance pour l'usage, c'est-à-dire pour
l'exploitation du sol. Le droit éminent de l'usage de la Terre appartient au Roi; dans le village,
;.'
c'est le maître du sol qui "affecte à chaque famille un lot correspondant à ses besoins, ces
affectations peuvent être révisés selon les nécessités culturales de l'évolution de la famille. »
Sur la -conception de la propriété dans la' tradition négro-africaine, cf : K, .Mbaye, "Droit et
,)
développement en Afrique francophone de l'ouest", Rev. sen. dr. 1957, n? 1. A. Verdier,
1
"Problèmes fonciers sénégalais", Penant 1965 p. 271.
74 cf: M. GORE : "L'administration des successions en droit international privé français", thèse
prée. p. 18.

43
recueillis. Ils sont tenus "intra vires"!". Le créancier héréditaire qui se fait
connaître tardivement par exemple, ne poursuivra que le bien grevé de la
charge et non l'héritier bénéficiaire afin de prétendre recouvrer sa créance.
Les dettes se répartissent, de ce fait, entre les différents éléments de l'actif
et non entre les successeurs universels. Le principe de l'affectation de
l'actif au passif qui traduit l'universalité de droit qu'est le patrimoine se
trouve quand même respecté. Toutefois on peut douter de la transmission
du patrimoine du défunt à ses ayants droit puisque ces derniers ne
recueillent que l'actif net 77.
En réalité, la procédure mise en place par la succession aux
biens est assimilable à l' insti tution du trust qui peut revêtir un caractère
testamentaire
ou
légal.
Dans
l'un
ou
l'autre
cas,
le
« personal
representative» institué comme trustee assure la liquidation de la
succession de sorte que les droits des bénéficiaires se trouvent protégés et
garantis par un engagement éventuel de sa responsabilité .
i'"
:-1

,
1
••
1.1 .:Jo:;. ~._.~
'.'~.
•__......... ,
.....
Ainsisommairement décrite, le modèle de la succession aux
biens véhicule des...règles et des principes qui contrastent avec ceux qui
gouvernent la transmission successorale dans les législations marquées par
la succession à la personne.
PARAGRAPHE II :
LA SUCCESSION A LA PERSONNE.
La transmission successorale y est à la fois directe et
immédiate. Le successeur continue la personne du défunt dès le jour du
décès de sorte que le patrimoine du de cujus lui est transmis activement et
passivement. L'origine de cette fiction juridique se trouve dans le droit
76 C'est également la ccnception dt: droit classique musulman, cf: infrc p.
77 On peut soutenir néanmoins que l'actif net constitue également un patrimoine dont le passif,
en termes comptables, est nul. En réalité l'actif net est le solde entre l'actif brut et le passif

44
romain avec l'organisation du système de copropriété familiale. Ce fut une
modalité du droit de propriété découlant de la pluralité des titulaires du
droit sur la chose. Les membres de la famille" qui sont concernés ont
chacun une quote-part. Le bien indivis lui même est soumis à une gestion
confiée au pater. Lorsque celui-ci vient à décéder, la transmission de la
succession ne pose généralement pas de problème. Le nouveau titulaire du
patrimoine familial se trouve simplement confirmé dans ses droits latents.
Ce système ressemble, sans se confondre, à celui observé
dans les successions coutumières africaines. On y distingue deux sortes de
biens: les biens individuels qui sont transmis à la descendancede.Ieurs.i.. .
titulaires, et les biens collectifs, ceux du lignage et qui sont les plus
importants. Dans le lignage patrilinéaire, les biens (la terre notamment)
passent aux fils, ensuite aux descendants des fils. Dans le lignage
matrilinéaire', ils passent aux neveux et ainsi de suite. L'ordre de
'succession dans les coutumes africaines est fondé sur la nécessité d'une
.;.'J.'.!Ïé!.n..s.micsiondes biens aux générations futures. Une sorte .dc perpétuation.
de l'état de la société. En cela on retrouve le même fondement que l'ancien
··~-;:~êiroit français: assurer la pérennité du patrimoine familial afin que les
générations futures puissent en bénéficier.
L'ancien droit français ayant ensuite disparu du fait de
l'avènement de l'Etat, il a fallu recourir à un mécanisme juridique pour
perpétuer la transmission des biens par voie directe aux successibles. Un
principe sera élaboré, véhiculant l'idée selon laquelle lorsque le pater
meurt intestatus, ses enfants sont considérés comme continuant sa
brut. C'est en quelque sorte un reliquat de patrimoine. Au départ, de la liquidation de la
succession, il existait un patrimoine; mais à l'arrivée, il n'en reste qu'une part.
78 Les membres encore appelés «gentes» se considèrent comme descendant d'un ancêtre
commun.

45
personne. Ceux-ci étaient heredes sui ou heredes domestici". Cette idée,
pour expliquer la persistance du patrimoine du de cujus, a été étendue à
tous les héritiers.
Le droit français a opté pour le système de la succession à
la personne et la jurisprudence l'a consacré, mais surtout, en a précisé la
portée. Le principe de la continuation de la personne du défunt par le
successeur a été posé afin de consacrer l'obligation ultra vires. Cette
obligation résulte, en ce qui concerne le droit français, de l'article 724 du
Code civil qui dispose que « les héritiers ont l'obligation d'acquitter toutes
---~----_._..._..-. les charges de la succession ». Trois justifications ont été avancées au
soutien de cette solution.
D'abord
une
justification
d'ordre
familial.
Ainsi
l'obligation illimitée aux' dettes se justifie par la solidarité familiale: La
famille est un groupe unissant toutes les générations passées et présentes.
A cet égard .Ia.. solidarité familiale· exige que ses représentants défendent
lL:T._\\
'-:,_~;~,~
_'
.,"
-'.<
~.~'~.~:'<;.1'
.. !}.\\".d>-
.
l'honneur de la famille en. payant les dettes laissées' par ceux qui ont
disparu. Ainsi en payant, on...honore la signature du défunt ; c'est là l'un
des fondements de l'héritage".
L'héritage se justifie ensuite par le souci de la bonne
exploitation des biens. C'est une justification d'ordre économique fondée
essentiellement sur le développement du crédit et sa sécurité. En effet, il
est économiquement bon que les créanciers recouvrent leurs créances. A
l'évidence, l'obligation "ultra vires" augmente leur chance de recevoir leur
dû. La garantie des créanciers étant étendue à l'actif personnel du
...
successeur, ils peuvent saisir non seulement les biens du défunt, mais
79 cf: MAZEAUD: "Leçons de droit civil", Tome 1 p. 382 n? 308

46
.,..
encore les biens dont le successeur était propriétaire lors du décès, et ce
même bien avant cet événement douloureux.
Enfin, une troisième justification d'ordre juridique qui met
l'accent sur la corrélation entre l'étendue des pouvoirs du successeur qui,
dès le décès, a la pleine maîtrise de l'actif et qui agit comme un
propriétaire et l'étendue de sa responsabilité.
A l'encontre de ces justifications, des objections ont été
soulevées. On fait valoir que l'idée de la continuation de la personne du
défunt, est contraire à la notion de justice dans la mesure où l'on fait
supporter aux successeurs, des dettes à l'origine desquelles rien ne laissait
supposer leur quelconque engagement. Les générations futures se trouvent
engagées dans des rapports de droit, auxquels elles n'ont jamais été
parties".
1. HERON fait remarquer, ce que nous approuvons, que SI
« lesenfants.prennentla place.des parents, cette réalité sociologique: ne
justifie plus de nos jours que le fils d'un agriculteur devienne tout
80 J. FLOUR et H. SOULEAU, n? 247. Cette situation est très caractéristique de ce qu'est la
famille dans la société africaine en particulier dans la société sénégalaise où l'on privilégie les
rapports du groupe, la cohésion de la communauté familiale.
81 On considère que ces générations sont des penitus extranei, des tiers complètement étrangers
au rapport de droit. Mais qu'un contrat puisse créer des droits à leur profit n'a rien de choquant.
Par la technique de la stipulation pour autrui, les héritiers peuvent se voir engagés dans des
rapports où ils ne sont pas intervenus mais pour lesquels ils ont acquiescé. En droit français, la
Cour de cassation a décidé que « la stipulation pour autrui n'exclut pas, dans le cas
d'acceptation par le bénéficiaire, qu'il soit tenu de certaines obligations» : Casso civ., 8
décembre 1987, BulLciv.,n° 343 ; D.1989, somm. 233, obs, J. L. Aubert; Rev. trim. dr.civ.
1988.532. La stipulation pour autrui ne saurait toutefois être constituée exclusivement de
charges que. le tiers pourrait assumer s'il le souhaite. Un auteur a suggéré l'idée d'une
stipulation de contrat pour autrui. Cf: D. R. MARTIN, "La stipulation pour autrui", D. 1994,
ch. 145. Si lenotion est reconnue, en pourrait ,~;re que ce :;';li est stipulé pour autrui..ce n'est
pas une dette mais le bénéfice d'un contrat. A notre avis, si en droit sénégalais nous estimons
que la réserve héréditaire (obligatoire) a été instituée au profit de certains héritiers on doit
pouvoir également accepter l'idée qu'ils puissent supporter naturellement quelques obligations
contractées par le défunt. La notion de réserve serait ainsi liée à l'idée de solidarité familiale.

47
naturellement agriculteur »82. On retiendra à juste titre que la transmission
successorale d'un bien rural ne fera pas nécessairement de l'héritier un
agriculteur. Sur le plan affectif, il estime que « les sentiments légitimes qui
poussent les personnes à s'attacher à certaines choses, ne relèvent pas en
eux mêmes du droit successoral ou du moins ne doivent pas être récupérés
par le droit des successions »83, Poursuivant sa démonstration l'auteur fait
remarquer que du vivant de la personne, son patrimoine reçoit des
impulsions qui rendent compte des fluctuations qu'il subit. Le patrimoine
constitue ainsi un ensemble essentiellement mouvant. Mais au décès de
son titulaire, les impulsions cessent. Le patrimoine devient statique. Les
obligations et droits qui le composent se trouvent figés de sorte que, ce
qu'appréhendera
le
droit
successoral,
c'est
le
«cadavre
d'un
patrimoine »84. Ainsi le partage une fois intervenu, les héritiers ne
reçoivent-ils que tel o~ tel bien sur lequel ils ont désormais un droit de
propriété exclusif et non un patrimoine. Il écrit que « les biens du défunt
,
~
constituent simplement un
ensemble ou
une
masse _de -biens
qui
-
_.,
" ~:l~" ,..'
. _
')I_"'~.i·
.:' . •, :r-:::._
proviennent de ce qui fut un patrimoine et qu'il faut réinsérer dans un autre
patrimoine »85.
La lecture que l'on fait du principe de la continuation de
personne, à en croire le même auteur, est inexacte et incohérente. Il conclut
que, poussé à l'extrême, le principe de la continuation du défunt par
l'héritier, se révèle une fiction ayant un caractère artificiel". Sur ce point,
82 cf : J. HERON, "Le morcellement des successions ...", C p - cit., p. 34.
83 cf: J. HERON, " Le morcellement des succesions ..", op. cit., p.33.
84 cf: J. HERON, op. cit. p. 36.
85 cf: J. HERON, op. cit. p. 36.
86 cf: 1. HERON, op. cit. p. 51 et s.

48
la démonstration de M. HERON n'emporte pas ladhésion'" et en tout cas,
ne paraît pouvoir se concilier avec la conception africaine de la famille.
La famille africaine est surtout marquée par son aspect
communautaire. « Le monde africain noir se caractérise par le sentiment de
coopération dont le fondement d'ordre sacral se traduit en ouoloff par
l'adage "Nit, nit ay garaban" : "l'homme est le remède de I'homme" »88.
Trois considérations expliquent cette volonté de vivre ensemble.
La première d'ordre philosophique se traduit par les devoirs
de l'individu à l'égard du groupe. C'est ce devoir" qui va expliquer la
transmission de certains biens lignagers à certains membres du groupe à
leur majorité.
La seconde représente l'attachement des individus à leur
famille d'origine. Enfin la troisième, dérive de la nécessité d'assurer la
continuité du groupe". Compte tenu de ce qui précède, l 'héritier qUI
continue la personne dudéfunt ne fait que-respecter cette continuité.. ' ... ,.
En fait, l'idée .de la continuation de la personne du défunt
n'est pas étrangère aux coutumes africaines. Elle y avait une connotation
très forte. Dans la coutume Leboue par exemple, n'importe quel membre
de la famille et même ne portant pas le patronyme qui sert à désigner les
membres de cette famille peut prendre et prend souvent l'engagement de
payer les créanciers du défunt alors même qu'il ne reçoit en retour aucun
élément de l'actif du patrimoine du de cujus. Lorsque dans la société
africaine traditionnelle l'héritier paie les dettes du défunt, c'est parce qu'il
87
En ce sens Y. L:".QUEITÈ, "Ensembles législatifs et droit international 'privé des
successions", Trav. corn. fr. dr. int. priv, 1983-84, p. 167.
88 cf: A. S. SIDIBE, "le pluralisme successoral.;", op. cit., p. 175.
89 cf: infra p. 50.
90 cf: A. S. SIDIBE, op.cit., p. 175.

se sent solidaire. Cette solidarité est une règle sociale à valeur morale?'
fondamentale ancrée dans les mœurs africaines. La famille africaine est si
solidaire qu'un membre donné, soucieux d'honorer la signature du défunt
et de protéger l'honneur de la communauté familiale n'hésitera pas à
. entretenir cette solidarité entre générations. L'obligation alimentaire, entre
frères et sœurs germains, consanguins ou utérins, instituée par l'article 263
du Code de la famille révèle bien cette solidarité, alors qu'il s'agit là d'un
domaine complètement étranger aux successions.
En conclusion, comment faut-il comprendre le principe de
--·--·-----·····la continuation de la personne du défunt? A cette question on répond en
faisant remarquer que ce que l'on veut surtout éviter, c'est la rupture que
provoquerait la mort du titulaire du patrimoine et par là même, remédier à
la désagrégation de l'ensemble des biens et obligations du de cujus. Selon
la ·spécificité des" successlo'n's' 'dans là 'rnentâlité africaine, cela''apparaît
assez justifié.
, ,
...
':~;'
- ....,., .
En Afrique noire, les successions constituent une matière
. très sensible où. se côtoient des règles . sociales et religieuses très
récurrentes". En dépit de la diversité des règles observées dans les
différentes coutumes, des traits fondamentaux dominent la matière. Trois
principes permettent de mettre en exergue la conception africaine des
successions. Suivant le premier, la succession est avant tout un mode de
transmission de fonctions et non de biens. L'héritier à qui les biens sont
transmis ne devient pas propriétaire de ceux-ci. Ces biens sont seulement
destinés à le placer dans les fonctions politiques, sociales et religieuses
qu'exerçait le défunt de son vivant. Selon le second principe, les biens
transmis sont toujours des biens du lignage, des biens collectifs sur
91 cf: S. GUINCHARD, "Droit patrimonial de la famille ... ", op. cit, p. 543
92 cf: A. K. BüYE, cours précité, p. 387.

50
lesquels on ne peut exercer une appropriation privée. Enfin suivant le
dernier principe, l 'héritier bénéficiaire de la transmission des biens, n'est
qu'un simple gestionnaire agissant au nom et pour le compte du groupe.
Dans
les
coutumes
négro-africaines,
on
estime
davantage
que
la
transmission des biens s'opère très souvent du vivant du cessionnaire. Elle
a lieu « à cause de vie »93. « La succession n'a pas lieu à cause de mort du
prédécesseur, mais à cause de la majorité du successeur »94. Cette opinion
n'est pas unanimement partagée". A notre avis, si elle se vérifie dans
certaines coutumes, elle ne peut être étendue à toutes les coutumes. Du
moins, elle peut être expliquée à partir de l'organisation de la parenté
négro-africaine. Ainsi l'attribution d'un élément du patrimoine lignager à
un membre" du groupe, à sa majorité, peut bien s'analyser comme
l'accomplissement d'un devoir familial envers le bénéficiaire. Ce devoir
serait si naturel. si;' spontané; 'si important pour la survie et la cohésion du
groupe, qu'il n'est pointbesoin d'attendre le décès du chef de famille.
Maislorsque-le-décès.du pater .arrive immanquablement, il déclenche alors
quasiment la problématique delatransmission des biens individuels d'une
.part, et celle de la. transmission de la gestion des biens collectifs d'autre
part.
93 cf : R. VERDIER, "L'ancien droit et le nouveau droit foncier de l'Afrique Noire face au
développement" in le droit de la terre en Afrique au Sud du Sahara, Paris, Maisonneuve, Larose
1971, p. 73. M. ALLIOT, "Le droit des successions dans les Etats africains francophones",
Rapport au t congrès LD.E.F., Revue juridique et politique indépendance et coopération 1972,
p. 858 et s.
94 cf: M. ALLIaT, ibid, p. 859.
95 cf: J. OBLE, "Le droit des successions en Côte d'Ivoire: tradition et modernisme", NEA
. Abidjan-Dakar 1984, ·p.43. L'auteur fait valoir que l'opération qui consiste à attribuer des
quotes parts des biens lignagers à un membre du groupe, trouve son équivalent dans
I'institution de la dot en droit français. Il e~~ cependant délicat de .ransposer des concept-
connus en Occident dans les droits africains: Cf: A. S. SIDIBE, "Le pluralisme juridique ....",
op. cit., p. 188.
96 L'attribution a toujours lieu en faveur des fils, des neveux, des frères donc en faveur des
hommes.

Ce qui fait l'essence des successions négro-africaines, c'est
l'idée de perpétuation du groupe. Mais cette idée a subi une mutation du
fait de la transformation des structures coutumières à cause de l'évolution
des mœurs et les ruptures imposées par la colonisation. De l'idée de
perpétuation du groupe familial on est passé à celle de continuation de la
personne du défunt par 1'héritier. Il apparaît alors un lien entre le défunt et
l'héritier que l'on ne saurait ignorer. Ce lien à la fois philosophique,
religieux et social, se traduit sur le plan juridique par l'idée de continuation
de la personne du défunt par l'héritier.
------- ....--.--..---.-.--------..- Ce-principe s'entend alors comme une fiction permettant la
perpétuation du patrimoine au-delà de la mort de son titulaire par le
recours à un lien continu entre ce dernier et ses ayants-droit.
Certes les conséquences liées au principe de la continuation
de la personne du défunt sont assez graves. Mais elles ne doivent pas être
exagérées. D'ailleurs elles peuvent être atténuées dans la pratique. On-
:.r': ,
envisage alors au plan légal, l 'hypothèse où l'hériti~;·â~cepttïa succession
sous bénéfice d'inventaire. Dans ce cas il se soustrait à l'obligation "ultra
vires successionis", Il se comporte comme un simple gestionnaire à la tête
de deux patrimoines distincts. La confusion des patrimoines est ainsi
écartée.
De la même façon, la distinction des patrimoines peut être
entretenue par les créanciers du défunt qui, par le privilège de la séparation
des patrimoines, éviteront que 1'héritier enclin à la prodigalité, ne dilapide
les biens du de cujus au risque de compromettre leur chance d'être
désintéressés. Par conséquent l'héritier ne peut plus être tenu de payer les
dettes au-delà des émoluments qu'il reçoit.

Succession aux biens et succession à la personne expliquent
ainsi très bien le choix de la règle de conflit. La succession aux biens
correspond au pôle dualiste qui privilégie le morcellement successoral, la
succession à la personne, le pôle unitaire. Quoi qu'il en soit, ces deux
modèles de succession sont une réponse à une même question: celle de la
transmission de l'ensemble des droits et obligations du défunt aux héritiers
désignés. Toutefois, cette réponse ne saurait expliquer l'archétype unique
de toute succession car l'identité de fonction qu'ils assurent s'impose à
travers des techniques différentes. Pour faire court, nous dirons volontiers
que de par leur originalité, les deux modèles de successions sont
irréductibles l'un à l'autre.
PARAGRAPHE III:
ORIGINALITE
ET
IRREDUCTIBILITE
DES
MODELES DE SUCCESSION.
Selon J. HERON dans sa thèse, ii existe un archétype de
toute. succession puisq~~'. malgré une apparente diversité, des.."solutions de
principe"
similaires' sont
adoptées 'par
chaque
système -juridique
relativement à la transmission du patrimoine du défunt. Il fonde sa théorie
sur la corrélation entre droit de propriété et droit des' successions et en
amve à la conclusion que toute succession, même celle construite sur
l'idée de la continuation de la personne, est fondamentalement une
succession aux biens. Il met l'accent sur la prise en compte de la spécificité
des biens et l'obligation "intra vires 1/ pour le règlement des dettes. La
continuation de la personne du défunt par ses héritiers n'est qu'une
«caricature macabre de la piété filiale» 97, résume-t-il. Pour l'auteur il n'y
a pas transfert de patrimoine au décès de son titulaire mais plutôt
97ef : J. HERON, op.eit., p. 43

l'insertion
des
biens
rendus
vacants par
le
décès
dans un
autre
patrimoine":
Si séduisantes qu'elles puissent paraître, les affirmations de
J. HERON n'emportent pas une totale adhésion de la doctrine".
La dépendance logique du
phénomène successoral, à
l'égard de la propriété privée, paraît inexacte. Le droit des successions
n'est pas uniquement associé au concept de propriété comme en témoigne
la conception des biens collectifs dans les coutumes africaincs'P''La
propriété privée ne saurait être le seul fondement de l'héritage abstraction
-..--_
-
-..
---'-'-~"'-"--"-"- ~-
"
. ~.- •..•... "-.
,.-
faite de la continuité familiale qui conforte en retour cette propriété. On
n'est alors nullement surpris lorsque le psychanalyste tire ces conclusions
fort utiles pour nos propos: « derrière la prise de possession des biens, se
dissimule en fait une quête d'identité de l'héritier, un rapport de personne à
personne pour tout dire» 10\\. Le deuil et la succession sont l' occasion de
reconstituer le lien qui unit le défunt à l'héritier. Cette affirmation est un
...... -v ' ".,
:~;_,.~.~ . ~..•'" ~
: . "~"
. ~~:~
." ....
;
'.
.
....
~ :: 1°f=--
argument qui vient encore appuyer l'idée que les successions coutumières
ne sont pas que des successions à cause de vie.
Certaines traditions dans les coutumes africaines (exemple
de l'ethnie Fon du sud du Bénin) sont fort signifiantes à propos du lien
entre le défunt et l'héritier. C'est l'hypothèse du pardon posthume
consistant pour les membres de la collectivité, lors d'une cérémonie
98 cf: J. HERON, op.cit., p. 49
99 cf: Y. LEQUETTE, "Ensembles législatifs ... ", op.cit., p. 167
100 Les biens du
lignage font l'objet d'une emprise collective excluant toute appropriation
privée par certains individus. Ces biens constituent une richesse capitale, assurent la-survie du
groupe. En définitive, ils sont inaliénables. Dans le cadre du droit français on retiendra qu'à
I'époque féodale, la terre qui était Jo: support d~ groupement féodal n' était pas 1j~: objet de
pleine propriété. Elle était concédée par le seigneur à un tenancier. Sur la société féodale, cf: E.
CHENON, "Histoire générale du droit français public et privé des origines à 1815", t. II, n?
369, p. 147 ..
101 cf: E. TOUBIANA, "L'héritage et sa psychopathologie", PUF, 1988, p. 31.

spéciale et avant l'inhumation du mort, de demander à ce dernier de
reconstituer le lien qui l'unit à son ou ses fils
qu'il avait reniés
verbalement alors qu'il était vivant et d'oublier les offenses à lui faites par
le ou les concernés!",
En
fait,
chaque
modèle
de
succession ne peut être
suffisamment compris que si les mécanismes sur lesquels repose la
transmission successorale, ont été "démontés" et analysés en fonction de la
spécificité de chaque système. La succession aux biens, convient-il encore
de le souligner, se révèle assez pragmatique notamment par l'absence de
confusion des patrimoines et l'obligation de liquider avant de partager.
Cette absence de confusion soustrait ainsi l'héritier à l'obligation "ultra
vires successionis", Par contre dans une succession à la personne on
s'attache surtout à l'étendue de l'obligation au passif de l'héritier.
L 'héritier acquiert les biens, droits et dettes du défunt au moment même du
décès. De là, du fait de la confusion des patrimoines,' il est tenu du passif
"ultra: vires' hereditatis ": L' acceptation sous bénéfice: .d'inventaire ne ..peut
alors à elle seule justifier une assimilation de la succession à la personne à
. la succession aux-biens. Succession aux biens- et succession à -la personne
ne se situent pas au même plan en ce qui concerne les mécanismes et les
techniques utilisés. Les méthodes ne sont pas les mêmes et les termes de
comparaison ne coïncident pas forcément. L'élément primordial pour l'une
102 L'importance du lien entre le défunt et l'héritier s'explique également à travers le deuil dans
certaines coutumes au sud du Benin. En effet, dans ces coutumes , le conjoint survivant (la
femme) est tenu d'observer une « période de sacrifice» qui varie d'une ethnie à une autre mais
qui souvent ne dépasse pas un an. Au cours de cette période, afin de montrer aux membres de la
famille qu'elle est demeurée attachée au défunt, la femme s'abstient de toute sortie, ne porte
que des vêtements de couleur noire, ne se tresse pas ni ne se coiffe etc. En revanche,..les
membres de la famille pourvoient à tous ses besoins. Cette tradition n'a pas entièrement
disparu. Eileest seulement modernisée pour tenir compte des droiude la fenune en ce qL:Î
concerne l'exercice à'une activité rémunérée. La période est souvent ramenée à trois jours ou
trois semaines, Cette tradition peut être rapprochée du veuvage par respect du délai de viduité
en droit moderne mais elle s'en éloigne car elle n'a pas pour but d'éviter l'incertitude relative à
la paternité comme dans la législation actuelle.

55
réside dans l'administration alors que l'autre privilégie la dévolution. On
peut sans se tromper convenir avec y. LEQUETTE que « combiner les règles
de transmission empruntées à chacun des systèmes risque dès lors de
conduire à la méconnaissance des équilibres fondamentaux. On ne saurait
par exemple, décider que la personne a des pouvoirs illimités et en même
temps affirmer qu'elle n'est tenue que dans la limite de l'actifrecueilli »103 ..
Aux pouvoirs illimités, responsabilité illimitée!". Il faut alors s'interdire
de réduire toute succession à un seul archétype. Mais tout compte fait,
,
« une
problématique
commune
a
l'ensemble
des
systèmes
successoraux »105 existe et révèle une identité des fonctions assurées par
les modèles de successions. Aucun modèle en fait n'existe à l'état pur.
Tous ont en vue la résolution de problèmes communs \\06 que pose la mort
d'une personne quoique les règles pour y parvenir soient divergentes.
L'essentiel de la problématique repose sur l'équilibre entre
l'étendue des pouvoirs sur les biens et celle de la responsabilité aux dettes .
'~'.
Cette "architecturev'I" de la transmission-de la succession exprimée en: Ge·
.. ,.

' 0 '
qui concerne la succession à la personne, se vérifie également danslë
modèle de succession aux biens. En ce qUI concerne ce dernier, la'-
confusion des patrimoines est prohibée et pourtant l'éventualité d'une
confusion de fait n'est pas à exclure. Ce qui rétablit l'engagement de
l'héritier sur ses biens personnels, sauf s'il établit un inventaire afin de se
soustraire à l'obligation ultra vires. A cet égard, on peut évoquer
l'évolution de l'Union Probate Code108 avec un amendement de 1982
103 cf: Y. LEQUETTE, op.cit., p.166.
104 cf: R. FLOUR, "Le passif successoral", Cours de Doctorat: les cours de droit 1956-1957,
p.340.
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106 cf: H. BATIFFOL, note sous Casso crim. 4 juin 1941, S. 19441. 133.
107 cf: B. ANCE L, note sous Casso civ. 1ère, 19 juillet 1976, Rev. crit. 1978, p.345.
108 Code uniforme des homologations, modèle de législation que 15 Etats ont adopté aux Etats
Unis.

relatif à la mise en place d'un régime de transmission successorale directe.
La qualité de "successeur universel" suivant la réforme est subordonnée à
la responsabilité personnelle des héritiers ab intestat ou des légataires
universels. L'engagement sinon l'obligation assumée par eux, est étendu et
s'apparente aux devoirs qui pèsent sur tout héritier investi directement des
droits et actions du de cujus. La succession aux biens est ainsi altérée dans
son principe.
Cet état de fait est également caractéristique dans le mode
de succession à la personne. L'acceptation sous bénéfice d'inventaire
prévient la confusion des patrimoines. Ainsi les créanciers du de cujus ne
peuvent plus poursuivre personnellement l'héritier acceptant bénéficiaire.
Leur droit de gage ne s'exercera que sur la masse de l 'hérédité isolée des
biens de l'héritier. Il reste que l'héritier bénéficiaire subit une certaine
contrainte
: il
doit
rendre
compte
de
sa
gestion
aux
créanciers
successoraux. La réalisation des ventes aux enchères par exemple- se fait
" sous l'autorité de la justice, La violation de cette formalité-entraîne -la
déchéance du bénéfice d'inventaire. La responsabilité illimitée de l'héritier
sera alors rétablie. L'héritier bénéficiaire est à la tête de deux patrimoines
distincts. Le sien et celui du défunt. On retrouve par conséquent la
conception moderne du patrimoine c'est-à-dire la théorie du patrimoine
d'affectation. Or cette institution rappelle les mécanismes de la common
law.
En définitive, affirmer que l'idée de patrimoine est absente
de l'hérédité c'est remettre en cause le fait que les biens du de cujus soient
affectés à la satisfaction de l'ensemble de ses créanciers, ce qui traduit la
définition du patrimoine, Par ailleurs l'impulsion ne la volonté du défunt
continue à se faire ressentir lorsque ce dernier a procédé par testament,
testament-partage ou donation-partage au règlement d'ensemble de la

57
succession 109. Qu'il s'agisse de la succession à la personne ou de la
succession aux biens, ce qui est transmis aux héritiers, c'est le patrimoine
du défunt.
La vérité n'est pas dans
l'opposition entre les deux
conceptions
dominantes
(succession
aux
biens
et
succession à la
personne). Elle est dans une solution moyenne car aucun modèle de
succession n'existe à l'état pur. Ledroi t comparé fait clairement apparaître
que
les
systèmes
organisant
l'équilibre
des
intérêts
infléchissent
nécessairement leur position. Quoi qu'il en soit, l'opposition paraît
s'imposerauplanthéorique~toutcommeau plan pratique. Mais au chapitre
des conflits de lois, elle permet de donner une explication au choix de la
loi applicable comme en témoigne l'exemple du droit sénégalais.
109 cf: Y LEQUEITE, "Ensembles législatifs ...", op. cit, p. 168.

58
CHAPITRE II
LA LOI APPLICABLE A LA SUCCESSION AB INTESTAT EN
DROIT SENEGALAIS.
L'examen du droit comparé a révélé que les règles de
conflit existant dans l'ordre international ne sont pas identiques. Certains
pays ont opté pour le morcellement de la succession. D'autres, pour l'unité
successorale. Les lois applicables à la succession sont du coup aussi
multiples que divergentes. Cela s'explique pourtant car chaque système
juridique a sa propre conception interne des
successions, ce qui
conditionne, dans une large mesure le choix de la règle de conflit. Pour les
.··~r ':,· ..uns, c'est-le modèle de la succession aux biens qui prévaut. Pour-les autres,.
c'est celui dela succession à la personne. Pour d'autres encore, c'est une
synthèseentre ces deux modèles dominants. Le droit sénégalais n',éch~rppe·
pas à la règle. Il adopte un modèle de succession qu'il s'avère utile
d'examiner à présent (Section 1) afin d'en tirer toutes les conséquences sur
le choix de la règle de conflit, notamment le rattachement de la succession
au statut personnel' (Section II). On constate alors, qu'à côté de la
compétence de la loi personnelle (Section III), il existe
d'autres
compétences concurrentes (application de la loi du lieu d'ouverture de la
succession et de la loi de situation des immeubles et fonds de commerce)
(Section IV). De cette multiplicité de lois applicables, il faut pouvoir
dégager la solution de principe (Section V).

59
SECTION 1:
MODELE DE SUCCESSION ET CHOIX DE LA
REGLE DE CONFLIT EN DROIT SENEGALAIS.
Le
droit
interne
sénégalais
connaît
deux types
de
successionsIl O•. Il s'agit des successions de droit commun et des
successions de droit musulman. Les unes sont inspirées par la tradition
romano-germanique, dominée par le modèle de succession à la personne.
Les autres, influencées par le rite malékite pour lequel prévaut le modèle
de succession aux biens. La référence à cette diversité de sources rend mal
aisée la détermination du modèle de succession adopté par le législateur
(Paragraphe 1). Néanmoins il faut trouver le moyen de résoudre la
contradiction (Paragraphe II).
PARAGRAPHE 1 :
LA
CONTRADICTION
RESULTANT
DE
LA
REFERENCE
AUX
DROITS
FRANCAIS' ET
MUSULMAN QUANT AU CHOIX DU MODELE
DE SUCCESSION.
L'origine des successions de droit commun se trouve dans
le système successoral adopté par les rédacteurs du Code civil français
pour lesquels l'idée dominante réside dans la continuation de la personne
..
du défunt, idée tirée du très ancien droit romain. Le législateur sénégalais
dans le Code de la famille a repris dans son ensemble le système de 1804
110 Cette double réglementation conduit à soutenir que le droit successoral est un droit pluraliste
(cf: A. S. SIDIBE, "Le pluralisme juridique en Afrique: l'exemple du droit successoral
sénégalais" Paris LGDJ 1991), contrairement à M. K. BOYE qui estime "qu'on ne saurait
parler, sans commettre une méprise, de pluralisme juridique lorsque dans le cadre d'un Etat
donné le droit des personnes et de la famille fait l'objet d'une réglementation juridique
applicable à tous". Il ajoute que "quand, dans le cadre de cette réglementation uniforme, il
existe un jeu d'option en faveur de telle ou telle institution ou de tel ou tel corps de règles, il est
indiscutable que l'exercice de l'option est permis par la même loi qui uniformise le droit
applicable. Ainsi conclut-il, «il n'y a donc pluralisme juridique que quand le droit est
plurilégislatif (ce qui ne signifie pas obligatoirement que l'origine des règles soit la loi au sens
formel) » ; cf : A. K. BOYE, "Le statut personnel dans le droit international privé des pays
africains au sud du sahara: Conception et solutions des conflits de lois, le poids de la tradition
négro-africaine personnaliste". Rec. Cours Académie Haye, tome 238. 1993, p. 249. et. s.
L_-

60
avec des améliorations telles par exemple le sort du conjoint survivant qui
succède en pleine copropriété!".
J
t - _
..
~
~
~.
La transmission de la succession de droit commun repose
donc sur le principe de la continuation de la personne du défunt par ses
héritiers. Pourtant ce principe n'est exprimé nulle part dans le Code de la
famille encore moins dans le Code civil français dont s'inspire le
législateur sénégalais. En revanche les conséquences attachées à ce
principe ont retenu l'attention des rédacteurs. Elles apparaissent clairement
à la lecture des dispositions des articles 877 du Code civil et 407 du Code
de la famille. Ce qui laisse supposer l'adoption implicite de l'idée de
continuation de la personne du défunt par l'héritier. Tout au moins en cas
d'acceptation pure et simple, cette idée paraît s'imposer et n'a nullement
"besoin d'être réaffirmée.
" .'"'
" , -, /' ' ,
Aux termes de l'article 407 alinéa 2 du C.F., «les titres
exécutoires contre le défunt sont pareillement exécutoirescontre 1'héritier
"
.:-.
personnellement ; néanmoins, les créanciers ne peuvent en poursuivre
l'exécution que huit jours après la signification de ces titres à la personne
ou au domicile de l'héritier ». Réplique exacte de l'article 877 du Code
civil français, le texte de l'article 407 alinéa 2 du C.F. illustre bien le
principe de la continuation de la personne du défunt par le successeur.
Mais malencontreusement les rédacteurs du Code de la famille l'ont placé
dans un article attribuant la saisine aux héritiers ab intestat'":
Le législateur lie le problème du passif à l'attribution de la
saisine comme en témoignent les dispositions de l'alinéa 1 du même article
407 du C.F. Le texte dispose que: «les héritiers légitimes, les héritiers
III cf: Article 407 alinéa 1 du Code de la famille qui met le conjoint surviant au même rang que
les héritiers légitimes et naturels,
112 cf: S. GUINCHARD, "Droit patrimonial de la famille ... ", op. cit., p. 543.

61
naturels et le conjoint survivant sont saisis de plein droit des biens, droits
et actions du défunt sous l'obligation d'acquitter toutes les charges de la
.: successicn». A,:lâ lecture de ces dispositions, on a déjà une idée du choix
. du législateur sénégalais, un choix qui trouve-sa pleine justification dans-
les travaux préparatoires du Code civil français auxquels on a recours. On
se réfère notamment à l'article 877 dont on tire l'origine du principe de la
continuation du défunt par l'héritier.
En effet, à l'examen de ces travaux préparatoires, on relève
des expressions du genre « l 'héritier représente la personne du défunt .,. »,
« ... contre l'héritier personnellement parce qu'il est l'image du défunt ».
Ces phrases sont assez éloquentes en ce qui concerne l'adoption du
principe de la continuation du défunt par 1'héritier, et par voie de
. ' , -v
_
'. conséquence, ,le choix, du modèle de succession à la-personne. Ainsi, par ce
. principe s'explique aisément l'exécution des titres exécutoires sur les biens
personnels des successeurs par les créanciers héréditaires, dès l'ouverture
de la succession, sous réserve de respecter le délai de huit jours comme en
témoignent les dispositions de l'article 877 du Code civil.
Le législateur sénégalais, en reprenant textuellement les
dispositions de l'article 877 du Code civil, adopte par ce fait le même
modèle de succession que le droit français. C'est la conclusion à laquelle
convie donc le rapprochement des articles 877 du Code civil et 407 alinéa
1 du Code de la famille.
Particulièrement pour le Sénégal, l'idée de continuation de
la personne du défunt telle qu'elle se dégage des successions de droit
commun, se justifie encore davantage par la solidarité familiale qui a
toujours prévalu dans la société. Mais, l'adoption dans l'ordre juridique
sénégalais, à côté du droit commun des successions, d'un droit musulman

62
des successions, remet en cause le modèle de succession à la personne et
relance encore le débat sur le choix du modèle de succession que l'on croit
déjà fixé.. Cela s'explique par le fait que dans le droit musulmanoeiassiquc, -;.'
l'héritier ne succède pas à la personne du défunt, mais aux biens.
-"'{,;o;
.,-....
En droit classique musulman, toute ouverture de succession
donne lieu à une liquidation obligatoire. Les héritiers ne recueillent la
succession qu'après l'apurement de la situation du défunt. Les obligations,
en droit musulman, sont personnelles et non transmissibles. La liquidation
de la succession s'opère comme une liquidation de failli te 113. Elle consiste
dans l'établissement de l'actif brut et l'acquittement des charges. De ces
opérations, il se dégage un actif net qui sera ensuite l'objet de partage entre
les héritiers. Par le partage, s'opère un transfert de propriété! 14. En somme,
la liquidation dela succession est effectuée par un exécuteur.testamentaire . ''lJ';.~
~ ..
ou un curateur désigné, soit par les héritiers, soi t par le tribunal,
L'exécuteur testamentaire ou le curateur administre donc les biens, rédige
l'inventaire, règle le passif, exécute les legs et s'il Y a un reliquat, le remet
aux héritiers. L'exécuteur testamentaire ou le curateur en droit musulman,
le " personal representative" ou " l' executor " dans la common law jouent
les mêmes rôles dans ces deux systèmes juridiques. Cela confirme l'idée
que le droit musulman adopte bien un modèle de succession aux biens.
La référence simultanée aux modèles de succession à la
personne (le droit commun des successions) et aux biens ( le droit
musulman des successions) rend mal aisé le choix de la règle de conflit
souvent déduite du modèle de succession adopté en droit interne. Si l'on
admet les deux modèles ci-dessus, le choix de la règle de 'conflit serait
113 cf: L. MILLIOT, "Introduction à l'étude du droit musulman", Recueil Sirey 1953, p. 483.
114 Dans le rite hanéfite, le partage est toujours translatif de propriété. Dans le rite malékite en
revanche, on fait une distinction selon que le partage est conventionnel ou légal. Seul le partage

63
double. Aussi pourrait-il entraîner un phénomène de neutralisation d'une
règle par une autre à défaut de déboucher sur une complexité de lois. Le
législateur sénégalais, conscient de ces difficultés, adopte une attitude qui - ..
ne.laisse pasdedoute sur l'option faite en faveur du modèle de succession
à la personne.
PARAGRAPHE Il :
LA RESOLUTION DE LA CONTRADICTION.
Aux termes de l'article 645 alinéa 1 du Code de la famille,
« les héritiers sont présumés accepter sous bénéfice d'inventaire sans avoir
à souscrire aucune déclaration au greffe, mais à condition de procéder à
l'inventaire prévu par l'article 429, dans le délai de quatre mois à compter
du décès ».
:b',article 645 alinéa 1 du Code de la famille pose ainsi une
présomption d'acceptation
sous bénéfice
d'inventaire,
au
profit de
l'héritier d'une succession musulmane, sans que celui-ci ait besoin de-
souscrire une déclaration au greffe du tribunal. Il bénéficie d'une dispense,
contrairement à son homologue dans le droit commun des successions!"
compte tenu du contenu de l'article 396 du même Code qui énonce que
« les dispositions du. présent.titre.s'appliquent à toutes les successions ab
intestat dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux dispositions
prévues au titre III du présent livre ».
Le texte de l'article 645 alinéa 1 du C.F. pose une condition
l'obligation pour 1'héritier de procéder à un inventaire dans les quatre
mois du décès. L'inobservation de cette condition entraîne la déchéance du
bénéfice d'inventaire. Dans ce cas, l'héritier est alors considéré d'une
conventionnel est translatif de propriété. Le partage légal, quant à lui, est seulement déclaratif
~!
de propriété, cf: L. MILLIOT, op. cit., p. 487.
l _

64
manière irréfragable comme ayant accepté purement et simplement. En
d'autres tenues, l'héritier sera tenu "ultra vires". Il paiera donc les dettes
;·au:-delà dela force de la succession. Or cette institution.él'acceptation sous-
bénéfice
d'inventaire) est
totalement Inconnue
du
droit musulman
. classique. Aussi un auteur a-t-il écrit qu'il·« ne s'agit plus du droit
successoral musulman,
mais
d'un droit sénégalais des
successions
musulmanes »116. Ces constatations appellent deux observations et une
justification.
La première observation se résume comme suit : le
législateur sénégalais, suivant les dispositions de l'article 645 du C.F.,
ramène
la succession musulmane à une
succession sous bénéfice
d'inventaire.
. ~ , "'.
. • ~ t •
La seconde se fonde sur le fait qu'une acceptation,même
assortie d'un bénéfice d'inventaire, demeure une acceptation. Ce n'est pas
une renonciation sous la condition résolutoire que la-Iiquidation laisse'
apparaître un reliquat d'actif. Aussi le successeur bénéficiaire est-il
propriétaire de l'actif successoral. A proprement parler il n'est donc pas un
administrateur.
La justification est que la présomption d'acceptation sous
bénéfice d'inventaire correspond, sans doute comme le souligne un auteur,
« à un souci de sécurité juridique »117. Le législateur utilise une institution
du droit commun parce que les techniques qu'elle véhicule, correspondent
en l'occurrence à l'esprit du droit musulman, notamment en matière
successorale avec l'obligation de liquider avant de partager. Il faut peut-
115 Suivant les dispositions de l'article 428 du C.F., « la déclaration de 1'héritier qui entend ne
prendre cette qualité que sous bénéfice d'inventaire doit être inscrite au greffe du tribunal dans
le ressort duquel la succession s'est ouverte ».
116 cf: S. GUINCHARD," Le droit patrimonial de la famille au Sénégal ", op. cit., p. 567.
117 cf: S. GUINCHARD, "Le droit patrimonial de la famille au Sénégal", op. cit. p.568.

65
être ajouter que le recours à cette institution de droit commun, pour
réglementer un aspect du droit musulman, participe de l'idée que le droit
~"'"',:'T'
sénégalais est de caractère laïc. On ajoutera particuiièrementque se faisant,
.;.l'CO"
« les auteurs du Code de la famille ont essayé de.trouver le juste milieu
entre la conception conservatrice prônant un retour à la pure tradition
musulmane et une conception moderniste convaincue de la nécessité de
vivre son siècle »118.
Eu égard à la réglementation de l'article 645 du C.F., on
peut affirmer que dans les successions de droit musulman, le législateur
sénégalais a entendu maintenir le principe de la continuation de la
personne du défunt. Plus encore, en ce qui concerne le moment de la
transmission de la succession, les rédacteurs du Code de la famille ont
. .::'
, ':..:. posé pour-les successions musulmanes, les mêmes règles applicables aux
successions de droit commun: une transmission immédiate commençant
au jour du décès (article 407 alinéa 1er du C.F.y 19. Or la question de la
transmission immédiate est liée à l'obligation "ultra vires successionis",
signe caractéristique du principe de la continuation de la personne du
défunt par l'héritier.
En
somme,
le droit interne sénégalais opte
pour la
succession à la personne et l'institution de l'acceptation sous bénéfice
d'inventaire ne remet pas en cause cette option. La succession à la
personne peut bien s'accompagner d'une réglementation du passif par
l'acceptation sous bénéfice d'inventaire. Cela n'induit pas pour autant une
mise en œuvre du modèle de succession aux biens. L'institution de
\\18 cf: A. S. SIDIBE, Thèse précitée, p. 161.
119 En droit musulman classique on distingue selon que la succession est grèvée de dettes ou
non. Les auteurs musulmans sont divisés sur les solutions à donner lorsqu'il y a des dettes. On
rencontre deux écoles: les chafeites et les malékites. Selon les auteurs chafeïtes la succession
est transmise au jour du décès. En revanche selon les auteurs malékites, la succession n'est

66
l'acceptation sous bénéfice d'inventaire conforte au demeurant la solution
interne sénégalaise (option en faveur du modèle de succession à la
personne) et nous permet d'expliquer au plan international le rattachement
de la succession au statut personnel.
SECTION II:
LE R4.TTACHEMENT DE LA SUCCESSION AU
STATUT PERSONNEL.
Le droit international privé sénégalais fidèle au système
juridique hérité de la période coloniale réglemente la matière des
successions en rattachant celle-ci au statut personnel dont le domaine
mérite d'être précisé (Paragraphe 1) et apprécié (Paragraphe II).
PARAGRAPHE 1 :
LA CONCEPTION DU ST ATUT PERSONNEL EN
DROIT INTERNATIONAL PRIVE SENEGALAIS.
Le statut personnel est généralement défini par la doctrine
comme
"l'ensemble
des
règles juridiques
concernant
l'état
et
la
capacité"!" ou encore comme "l'ensemble des qualités juridiques qui
caractérisent la personne dans la société civile"!". Dans le langage du droit
international privé, le statut personnel a un sens bien déterminé. C'est « la
loi qui suit l'individu à travers ses déplacements, qui s'applique à lui avec
permanence bien qu'il change de lieu; d'activités. Cette loi régit l'état de
sa personne, sa filiation, son mariage, son divorce et aussi sa capacité »122.
De telles définitions constituent la compréhension de base que l'on peut se
transmise que dans la mesure où les biens ne sont pas grèvés de dettes. Lorsque la succession
n'a pas de dettes, la transmission a lieu aujour du décès et sur ce point l'accord est unanime.
120 cf: Lexique de termes juridiques, 8' édition Dalloz, p. 463.
121 cf: B. AUDIT, "le caractère fonctionnel de la règle de conflit (sur la "la crise" des conflits
de lois)", Rec. des cours tome 186 (1984 III), p. 279.
122 cf: H. BATIFFüL et P .. LAGARDE, traité, n0217 .376 et s ; cf: H. BATIFFüL, "La loi
personnelle", cours de doctorat Paris 1966, p. 67.

67
faire du statut personnel, correspondant à la conception classique ou, si
l'on préfère, restrictive consacrée par beaucoup de systèmes juridiques.
Le terme de statut personnel est apparu en Italie du Nord
dans le langage du droit savant du Moyen-Age. Le concept a été affirmé
aussi bien d'ailleurs par la jurisprudence et les actes de la pratique!" que
par la glose de la doctrine des romanistes l24. Le statut personnel, dans la
mentalité des romanistes français et des post-glossateurs, était un statut
d'allégeance. Les post-glossateurs considéraient le statut personnel sous
l'angle
de
la
souveraineté,
ce
qui
lui
donnait
une
signification
essentiellement
publiciste.
Selon
1'heureuse
formule
de
MEIJERS,
«l'élément personnel dans cette conception ne se trouve pas dans un droit
personnel qu'on peut invoquer partout, mais dans une obligation d'obéir
qui suit le sujet en tous lieux »125.
La conception du statut personnel a évolué dans l'espace et ...
- .. ~. dans le temps. Dans l'espace parce qu'elle a été amenée à se diffuser dans
d'autres cadres géographiques. Dans le temps parce que son fondement a
connu une mutation en raison de la transformation progressive des mœurs
et des idées.
Le point de départ de l'évolution du concept se situe au l ô"
siècle avec DUMüULIN contrairement à d'ARGENTRE dont la doctrine
consiste à faire de la réalité le principe: toutes les coutumes sont réelles et
la personnali té l'exception. Dès qu'un statut personnel se trouve en contact
avec le droit des biens, il est en vérité réel et son effet limité au territoire
123 Arrêt du parlement de 1263 qui s'est référé à la coutume du domicile pour déterminer si un
individu est serf et à quelles infériorités il doit être soumis (Olim t1 p. 183 n? 13 cité par P.c.
1
TIMBAL: "la coutume" cours de doctorat Paris 1958, 1959.
f
(
124 cf : E.M. MEIJERS, "1 'histoire des principes fondamentaux de droit international privé à
partir du Moyen-Age", Rec. Cours Haye 1934, tome III, p. 547.
125 cf: E.M. MEIJERS, op.cit, p. 629.

68
où se situe le bien. Pour d'ARGENTRE, le statut personnel se cantonne à
l'état des personnes et aux règles relatives à la capacité dans la mesure où
celles-ci n'ont aucune incidence patrimoniale.
Tout le
système de
DUMOULIN repose sur la fonction de la relation juridique. Le statut
personnel, chez DUMOULIN, n'est plus une exception. Ce qui apparaît
important c'est l'intérêt de la personne, celui qui continue à prévaloir
quoique l'individu soit sorti de son détroit coutumier. DUMOULIN met
l'accent
sur l'idée
d'autonomie
de
la
personne
et
partant,
l'idée
d'autonomie de sa volonté!". C'est dans cette optique qu'il a préconisé
l'effet extraterritorial de la coutume de Paris pour régir les biens des époux
de Ganay situés dans le lyonnais':". Insidieusement, il a rattaché le régime
matrimonial au statut personnel qui, le cas échéant, est choisi librement par
les parties. Une telle conception est évidemment révolutionnaire par
rapport 'à la conception publiciste du statut personnel évoquée plus haut.
En somme le système de DlJMOULIN va montrer une préférence certaine
pour la loi personnelle c'est-à-dire la loi du domicile d'origine.
Une
telle
tendance
va
s'accentuer
avec
la
réaction
personnaliste favorable à l'expansion de la loi nationale sous l'impulsion
de MANCINI 128 au 1ge siècle. La Cour de Paris dans un arrêt du 13 juin
1814 "Busqueta" 129 renforça cette tendance en consacrant le rattachement
126 L'exigence de la stabilité et de la permanence caractérise les problèmes d'état et de famille,
donc du statut personnel. Aussi ce dernier ne saurait dépendre du choix de l'intéressé.
12i
Caroli Molinaei Opera, Paris 1681 t.2 Consilium, L III, p. 965 in. Grands Arrêts de la
jurisprudence de droit international privé, 3e éd? 1998, p.117. On fait remarquer que, le
problème des rapports pécuniaires du ménage n'est pas celui de la condition juridique des biens
; il est celui de la collaboration des époux, de la coordination de leurs activités et intérêts
pécuniaires.
L'explication a ainsi,
l'avantage de
libérer de
l' emprise du
statut réel.
DUlvIOULIN affirma que l'absence de contrat exprès laissait place à un contrat tacite ou
présumé. Ainsi il ébaucha l'analyse contractuelle et volontariste du régime matrimonial légal.
123 cf: Clunet 1874. 221.
129 Cour de Paris 13 juin 1814 S. 1814,2.393 ; Grands arrêts de la jurisprudence de drt. int.
priv. 3e éd". 1998, p. 1.

69
du statut personnel à la loi nationale et en assurant du coup la bilatéralité
de la règle de conflit!".
En
réalité,
l'affirmation
de
la
loi
applicable
(loi
personnelle) a précédé la définition du domaine du statutpersonnel 131• En
Europe, la notion de statut personnel dont les origines remontent au
Moyen-Age avec la théorie des statuts sert à désigner exclusivement l'état
et la capacité, les seules institutions soumises à la loi personnelle.
Mais telle qu'appréhendée, elle rend imparfaitement compte
du degré d'interaction et d'imbrication du droit des personnes et des
relations familiales en Afrique noire et dans les pays du monde musulman.
C'est dire que le fondement de la conception du statut personnel en
Afrique noire n'est pas le même que celui énoncé dans les systèmes
européens.
En Afrique noire, le statut personnel a .un domaine
\\
beaucoup plus vaste!" que celui qui est observé en Europe. Il englobe non
seulement l'état, la capacité, le mariage mais encore la filiation, l'adoption,
les régimes matrimoniaux, les successions et même les donations. C'est à
__ ._... _..__ . __ partirde.cette définition qu'on a pu conclure à une tendance globalisante
de la conception du statut personnel, à une hypertrophie du domaine du
statut personnel 133. Le fondement d'une telle tendance doit être recherché
130 cf: infra. p. 97.
DI cf: B. AUDIT, cours précité, p. 271 et s.
132 Dans la conception extensive du statut personnel, la personne est envisagée autant bien dans
sa singularité dans la société civile que dans le faisceau de relations familiales. La conception
extensive du statut personnel se présente sous deux variantes. La première est dite limitée, la
seconde illimitée pouvant encore être qualifiée d'unitaire ou globale. cf : A. K. BaYE, "Le
statut personnel dans le droit international privé des pays africains au sud du sahara", Rec cours
Haye, tome 238, 1993, p. 315.
133 cf: A. K. BaYE, Cours précité, p. 316 et s.

ïO
moins dans la politique législative'< que dans la tradition personnaliste
négro-africaine.
La tradition personnaliste négro-africaine prend son ancrage
à partir « des pratiques sociales et juridiques des peuples négro-africains
tant dans leurs rapports réciproques que dans ce qu'ils nouent avec les
étrangers »135. Le personnalisme négro-africain n'est pas né dans le cadre
de l'Etat-Nation et n'a pas revêtu par sa forme une élaboration théorique
systématique au
contraire de son homologue, tel
qu'il
dérive des
enseignements de MANCINI et de PILLET et sous-tendu par l'argument
pratique depuis
I36
RODENBURG
: « la nécessité d'assurer la permanence du
statut personnel entendu de manière très restrictive ». En Afrique noire, le
personnalisme était considéré comme un principe de vie qui nullement
,.
"l'"
n'avait besoin.d.être.théorisé. Il se résume entièrementdansla formule « le
droit de vivre selon sa propre loi ou coutume »137 « reconnu comme un
droit .subjectif par, les souverains africains et par les différents groupes
ethniques avant la pénétration coloniale» 138.
Malgré la coexistence de tribus régies par des coutumes
différentes et la pénétration de l'islam et du christianisme en Afrique noire,
le personnalisme africain a toujours prévalu. L'islam en particulier a su
pacifiquement, composer avec lui. Il en fut ainsi car les préceptes religieux
musulmans présentaient des affinités avec la culture négro-africaine au
point qu'on a pu remarquer «que certaines croyances et pratiques
134 cf: A. K. BOYE, Cours précité, p. 320.
135 cf: A. K. BOYE, Cours précité, p. 280.
136 cité par A. K. BOYE, cours précité, p. 280.
137 La formule est empruntée à MEIJERS que cite A. K. BOYE, cours précité, p. 280.
133 cf : A. K. BOYE, op. cit., p. 280. Cette conception du statut personnel explique bien la
résistance pendant la période coloniale et la persistance du personnaliste negro-africain après
les indépendances.

71
musulmanes se sont africanisées, que des coutumes africaines se sont
islamisées» 139.
La domination coloniale avec les déstabilisations politiques,
":1.
juridiques et sociales des sociétés africaines n'ont pu également avoir
raison de la tradition personnaliste négro-africaine dont l'essence est
révélée par la conviction que «celui qui renonce à sa loi personnelle
abandonne un peu de soi même, il commet une trahison envers l'entité
intellectuelle formée par tous ceux qui sont unis par cette même loi »140.
Cette conviction a été déjà observée et exprimée par MEHERS dans
l'Europe du Moyen-Age. Elle est parfaitement transposable en Afrique
Noire. Dans ces conditions on comprend aisément sa résistance pendant la
période coloniale et sa persistance après les indépendances. De même on
.comprend l'échec qu'a connu la notion de.renonciation au staruupcrsonnel
instituée par le droit colonial tant cette notion était en contradiction avec la
perception qu'avait l'Africain de son statut personnel. Une perception
africaine que l'on retrouve dans la société sénégalaise.
Le législateur sénégalais, fidèle à la tradition personnaliste
négro-africain a adopté lors de la rédaction du Code de la famille, une
_.__._-_.
-_.. -- ._._._ .. - --- .. ---
--~-.~-'.-
conception extensive du statut personnel!". En effet, l'article 841 alinéa 3
du C.F. dispose que : «sont soumises aux règles de la loi nationale les
règles relatives à l'état, à la capacité des personnes, aux régimes
matrimoniaux et aux successions suivant les distinctions et sous les
réserves indiquées aux articles ci-après ». A la lecture de ce texte,
139 R. L. MOREAU, "Africains musulmans", Paris Présence Africaine et INADES - édition
1982, p. 234 cité par A. K. BaYE op.cit., p. 282.
140 MEIJERS op.cit p. 552.
141 En dehors du cas sénégalais on peut citer le droit burundais (article 2 du Code des personnes
1
et de la famille (loi du 15 janvier 1980) le droit burkinabé (article 1013 du Code des personnes
r
.1
et de la famille du Burkina Faso; le droit togolais (article 703 alinéa 3 du Code des personnes
et de la famille du Togo) ; le droit congolais (article 820 alinéa 3 du Code consolais de la
fami Ile) etc...
-

72
transparaissent d'une part, de façon certaine, une conception large et
unitaire du statut personnel ; et d'autre part, la compétence de la loi
nationale-pour régir l'ensemble du statut personnel. Cependant.reu égard
aux réserves et distinctions exprimées. dans le même texte in fine, il est
,,-permis de douter du caractère globalisant de la conception du statut
personnel et surtout de sa pertinence car certains rapports de famille
risquent d'être soustraits de la compétence de la loi nationale. Or la
logique aurait voulu que le statut personnel dans sa conception extensive
relevât d'une seule loi, la loi nationale. Mais suivant les dispositions de
l'article 841 alinéa 3 du C.F., in fine, une tel raisonnement ne peut plus être
de rigueur.
En tout cas, le législateur sénégalais, par les dispositions de
l'article 841 alinéa 3 du C.F., n'a fait qu'exprimer une réalité purement
africaine car les successions et les régimes matrimoniaux, pour ne citer que
ceux-ci.ji'ont jamais été séparés des droits de la famille dans les coutumes
malheureusement évincées!" lors de l'élaboration du Code de la famille.
Par ailleurs la société sénégalaise reste une société attachée à une religion
musulmane dominante!", Or selon la tradition personnaliste musulmane, le
patrimoine, objet de la transmission successorale, est inclus dans-le-statut->.. ·_·
personnel. Par conséquent, si l'on admet que la transmission de la
\\42 Certaines coutumes ancestrales demeurent vivaces dans certaines couches de la population
notamment chez les Sérères où on pratique encore la succession matrilinéaire ; il en est de
mème chez les Lébous de la région du Cap-Vert pour une catégorie de biens, notamment la
terre. Cf: A. S. SIDIBE , "Le pluralisme juridique.... ", op. cit., p. 171. Le tribunal de première
instance de Dakar dans une décision du 3 Mars 1976, "Affaire Ibrahima SECK cl Amadou
SECK" s'est élevé contre la pratique de certaines personnes qui consiste à s'approprier une
terre au détriment des autres membres du lignage; C'est dire que les règles de dévolution
coutumière ne sont pas toujours écartées. Contra- Justice de paix de Dakar: décision n° 200 du
7 AYTil 1975, Succession de Feu N'Gane CISSE (incompétence de la juridiction dans le cadre
d'une demande de jugement d'hérédité dans
une succession dévolue selon les règles
coutumières).
143 Ces propos ne doivent nullement ètre interprétés comme un choix politique fait en faveur
d'un Etat islamique car la constitution sénégalaise en son article 1er proclame bien que la
République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale.

-
73
succession définit la transmission du patrimoine du défunt, alors forcément
les successions elles-mêmes sont une partie intégrante du statut personnel.
D6, cette. considération, doit-on alors approuver, chez le législateur :i:.
sénégalais, la démarche qui consiste à rattacher les successions au' statut
personnel. Autrement dit le rattachement des successions au statut
personnel est-il adéquat?
PARAGRAPHE II :
CRITIQUE DU RATTACHEMENT DES
SUCCESSIONS AU STATUT PERSONNEL.
En droit international privé la détermination de la loi
applicable aux successions obéit d'abord à une opération préliminaire
consistant à qualifier. En fait il s'agit de désigner la catégorie à laquelle
peuvent être
rattachées
les
successions
pour ensuite
en tirer les
conséquences du-point de vue du droit applicable. Lessuccessions en droit
international privé sénégalais n'échappent pas à la règle. A la différence du
, .droit français où elles constituent une catégorie à part, les successions sont
en revanche, en droit sénégalais, rattachées au statut personnel, d'où la
compétence supposée de la loi personnelle.
Remarquons, cependant, que la localisation des rapports de
droit relevant du statut personnel, s'effectue en fonction de la personne.
Ainsi dans le statut personnel, tous les rapports juridiques gravitent autour
de la personne. La mort de l'individu ne fait pas disparaître entièrement et
immédiatement la personnalité de l'intéressé. Le mort fait encore planer
son « ombre» sur ses biens, sur sa succession pendant toute la période que
durera le règlement de celle-ci. Cela est d'autant plus vrai qu'en Afrique
dit-on: « les morts ne sont pas morts; ils sont dans l'eau qui dort, ils sont
dans l'eau qui coule» 144. Ils sont partout. Dans certaines coutumes, le
)
!
144 cf: Birago DIOP. Cette idée explique bien dans certaines coutumes (Adja, Fon, Mina, Pédah
du Sud du Bénin), les cérémonies qui consistent à représenter dans un lieu spécialement réservé

. -
74
défunt, et plus encore s'il est un homme d'âge et le chef du groupe, est
conçu comme éminemment "vivant". Il peut arriver, ainsi notamment chez
~·.;-:.--les Diolas, que .Ie mort préside ses propres funérailles, somptueusement
vêtu et assis en majesté donnant l'impression d'être vivant!".
Mais pris individuellement, la personne du défunt s'efface
dans les coutumes africaines derrière l'organisation, la transmission et la
protection des biens de la famille. En d'autres termes, plus que l'individu,
c'est la famille qui compte. Ainsi dans la transmission de la succession
d'une personne décédée, on cherche évidemment à assurer la permanence
de la famille. La conception même de cette famille africaine est telle que
. malgré la pénétration des institutions occidentales, la famille est encore
loin d'être vouée à la désintégration complète. La messe de « requiem pour
la famille africaine »146 n'est pas encore dite.
Le droit, en réglementant les successions, règle du même
: coupla transmission des biens d'une personne décédée aux membres de sa
famille en organisant la protection des intérêts pécuniaires des héritiers
entre eux et à l'égard des tiers. On constate ainsi que la personne du défunt
le défunt par une sorte de statue en fer (Assin). Périodiquement les membres de la famille
viennent se recueillir en ce lieu en faisant des offrandes au défunt pour implorer sa bénédiction
et pour rappeler sa présence parmi les vivants. Dans certaines autres coutumes ( chez les nagots
et les yorubas du Bénin et du Nigeria ), les défunts sont représentés dans le monde des vivants
par des vêtements appelés "Egun" c'est-à-dire "revenant" dont ils se serviront lors des
cérémonies pour se faire voir des vivants. Seuls les initiés peuvent toucher à ses vêtements,
mais jamais en public. Pour converser avec une personne vivante ou s'approcher de celle-ci, les
initiés interposent un bâton. entre la personne et le mort (Egun). Toujours pour abonder dans le
même sens il faut ajouter la fête (Houetanou) célébrée entre le mois de février et celui de mars,
avant la grande saison des pluies, pour conjurer les mânes des ancêtres pour la nouvelle année.
Cette fête symbolise également l'affection des vivants pour les morts et la communion avec les
disparus.
1-15 Le cas n'est pas rare et s'observe également dans certaines régions de l'Afrique. Il persiste
encore dans certains groupes familiaux.
1-16 La formule est empruntée au Doyen DECOTTIGNIES, "Requiem pour la famille africaine"
An. af. 1965, p. 252. Il faut néanmoins reconnaître que si au plan sociologique, l'idée de
famille étendue qui caractérise la société négro-africaine est encore vivace, au plan juridique et
travers les codifications du droit de la famille en revanche, la tendance est à la consécration de
la famille nucléaire.

75
s'efface au profit du groupe familial. Par conséquent faut-il toujours
maintenir le rattachement des successions au statut personnel? Pourquoi
n'envisagerait-on pas une catégorie de rattachement propre à mettre en :-:
évidence cette relation familiale: et qui comprendrait les successions: la
catégorie "statut des biens de la famille" ?
A-
HYPOTHESE DU RATTACHEMENT DES SUCCESSIONS AU
STATUT DES BIENS DE LA FAMILLE.
En considérant la famille et non plus l'individu comme
l'élément primordial,
dans
la
recherche
de
la
loi
applicable
aux
successions, on envisagerait tout naturellement l'existence de la catégorie
"statut des biens de la famille"!", La loi applicable à cette catégorie de
rattachement se présente sous deux volets .
.En premier lieu, on tient compte de la situation des biens de
la famille et alors on applique la loi de situation des biens. Mais la
compétence de cette loi compromettrait l'unité successorale si d'aventure
les biens étaient dispersés sur le territoire d'Etats différents. Dans ce cas il
y aura une multiplicité de lois applicables; or notre objectif est d'arriver à
un règlement unitaire de la succession. En conséquence, il faut écarter
l'application de la loi de situation des biens de la famille. On peut
également imaginer l'application de la loi du domicile par une localisation
fictive des biens au domicile de la famille ( siège de la famille).
En second lieu, abstraction faite du statut des biens, et en
tenant compte du fondement du droit successoral qui se retrouve alors dans
la famille on songe à soumettre la succession de l'un des membres du
147 cf: S. GUINCHARD, "Le droit patrimonial de la famille .... ", op. cit., p . 14. Il faut faire
remarquer que le l'auteur n'a envisagé la notion de statut des biens de la famille que dans
l'ordre interne donc n'avait pas en vue l'assimilation de cette notion à une catégorie de
rattachement pour ensuite en tirer des conséquences dans l'ordre international.

76
groupe familial à la compétence de la loi de la famille. Cependant cette
hypothèse ne pourra se vérifier que si au préalable, certaines difficultés ont
été résolues, L'une d'entre elles et la principale d'ailleurs, consiste dans la
détermination, du moins, dans l'identification de cette loi, la loi, de la
famille.
On pourrait d'abord, en considérant que le défunt et tous les
autres membres possèdent la même nationalité, retenir l'application de la
loi personnelle du de cujus 148. Dans le cas contraire, le choix de la loi
personnelle du défunt serait inapproprié car de tous les membres de la
famille, le défunt est le seul qui ne puisse plus impulser une dynamique
aux biens héréditaires. Aussi, retenir sa loi personnelle c'est-à-dire sa loi
nationale qui alors ne correspondrait plus à celle de la famille, serait
méconnaître
l'idée
que
la
personne
du
défunt
s'efface, .derrière C"";"',ii:'
l'organisation du groupe familial. Par ailleurs, cette loi pourrait se révéler
, moins soucieuse de la protection des intérêts de la famille alors que ces
mêmes intérêts auraient connu un meilleur sort avec l'application de la loi
du siège de la famille par exemple.
On pense ensuite, à prendre en compte la volonté du de
" - ._O_·_L _ _
.
.... _..<.-." ..---..... ----.-.---.-... -
cujus laquelle, à défaut d'être expresse, pourrait être déduite de son
comportement révélant le maintien du lien familial voire sa préservation.
Mais à proprement parler, cette volonté n'est pas déterminante pour
l'identification de la loi de la famille. A l'évidence, elle ne serait qu'un
indice susceptible de révéler le siège de la famille. On s'en rend un peu
compte à travers l'exemple suivant: un Sénégalais ne réside à l'étranger ni
avec sa femme ni avec ses enfants, lesquels en effet sont restés au Sénégal
dans sa famille dont les charges et dépenses sont supportées par lui. L'idée
est que le fait qu'il vive à l'étranger et qu'il y décède fortuitement,

77
n'influence en rien la détermination du siège de sa famille. La famille étant
restée au Sénégal, son siège s'y trouve naturellement. Au demeurant le fait
d'appartenir .à une famille suffit pour.fonder l'application de la loi de la
famille. Néanmoins on pourrait tenir compte du siège de la famille pour
déterminer la loi du pays à laquelle se rattache alors la famille du de cujus.
Mais il faudra encore s'entendre sur la notion même de
famille. C'est la seconde difficulté à résoudre. La famille peut se définir
juridiquement comme" un groupe de personnes qui sont reliées entre elles
par des liens fondés sur le mariage et la filiation ,,149. Cette conception
classique
de
la
famille
qUI
comprend
les
relations
juridiques
interindividuelles nées du mariage et de la filiation ne peut expliquer la
dimension sociologique de la famille africaine. Il en est de même de la
.conception sociétaire qui voit dans la famille une société.restreinte dont les
membres doivent tendre à la fin de l'ensemble, à savoir la procréation.
Egalement on exclut la conception alimentaire qui comprend un individu
et les personnes à sa charge.
Dans la société négro-africaine la parenté est conçue de
façon large. Elle est à la fois sociale et religieuse. C'est "le lien
particulièrement fort et chaleureux de ceux qui vivent ensemble, la
communauté de vie "150. La famille negro-africaine est si étendue qu'elle
comprend toutes les personnes y compris les serviteurs, soumises à la
même autorité. A proprement parler la famille rassemble un nombre de
personnes numériquement important,
que
fonne
une
entité sociale,
économique, voire juridique dans laquelle l'autorité est concentrée entre
les mains du chef de famille, seul pleinement capable et responsable vis à
1
148 cf: 1. HERON, "Le morcellement successoral,", op. cit., p. 104.
• J
,
149 cf: A. BENABENT, "Droit civil", La famille 7< éd Litec 1995, p. 3.
150 cf : M. ALLIOT, "Droit des successions dans les Etats d'Afrique Noire francophone" op.
cit., p. 860.

78
vis de l'extérieur. La parenté africaine n'est pas exclusivement biologique.
Elle" s'étend aux individus intégrés dans la société par hospitalité, par
alliance, par domination, pal respect à 'un totem "151.
D'un point de vue juridique, l'existence de la famille est
universellement
reconnue
et
produit
maints
effets 152.
Mais
la
reconnaissance du groupe familial n'a pas été jusqu'à lui conférer la
personnalité juridique ni en droit français, ni en droit sénégalais 153. Et
pourtant,
le groupement familial
malgré l'absence
de
personnalité
constitue aujourd'hui une réalité. L'importance sociale et économique de
la famille est telle qu'on pourrait se demander s'il n'est peut-être pas
opportun de lui permettre d'être propriétaire de biens, titulaire de droits et
d'obligations!". Pour l'instant, cette réalité n'est pas encore entrée dans la
·.i;;
sphère du droit. Aussi retoume-t-on à l'individu dont le décès constitue un
151 cf: A. S. SIDIBE, "le pluralisme juridique ... " op. cit., p. 190.
152 Il suffit par exemple de projeter la question au plan économique pour apprécier le rôle joué
..
par les entreprises familiales dans le développement de la Nation surtout en' Europe. Eh
.",- ~
Afrique, les entreprises familiales sont sacrifiées aux gestionnaires venus d'ailleurs et les
législateurs africains ne leur consacrent aucune loi ou disposition pour les renforcer cf :
"L'avenir est aux entreprises familiales" in Jeune Afrique économie n? 239 du 14 Avril 1997.
p.42.
153 Le refus d'octroyer la personnalité juridique à la famille apparaît clairement à travers une
décision du tribunal de 1ère instance de Dakar, 22 mars 1924. Rec. DA.R..:E~IREJ224JJLp~_JltQ
cité par A. S. SIDIBE, "le pluralisme juridique ... " op. cit, p. 186, Le tribunal a en effet, refusé
la personnalité juridique à la communauté léboue du Cap-Vert, en ne reconnaissant pas le droit,
pour le chef de la communauté, de faire, au nom de celle-ci, opposition à une réquisition
d'immatriculation.
154
Ce serait la consécration d'une certaine doctrine [Doudou THIAM "De l'avenir des
institutions coutumiéres en Afrique Noire" in Presences Africaines vol. N° 6 1949 p. 45 ; G. A.
KüUASSIGAN, "L'homme et la terre", ed o Berger - LevrauJt 1966 p. 185. A. S. SIDIBE, "Le
pluralisme juridique ..." op. cit., p. 186] qui affirme la personnalité juridique de la famille
africaine prenant le contre pied de la thèse contraire (cf: G. Malengreau cité par Guy. A.
Kouassigan, "l'homme et la terre", op. cit. p. 97 ; R. Decottignies, "Personnalité morale en
Afrique" Ann. af.1958 p, 11.) qui fait valoir qu'il manque aux collectivités familiales exerçant
des droits sur la terre, un élément essentiel, l'élément subjectif: la volonté d'accomplir une
finalité commune. De même estime-t-on les pouvoirs du chef de famille se rapprochent de ceux
du pater familias exerçant des prérogatives individuelles en droit romain. La thèse qui soutient
la personnalité juridique de la famille, se fonde sur trois arguments. D'abord, l'existence d'une
volonté permanente expliquant la notion de solidarité dans la cellule négro-africaine. Ensuite,
1
/
le refus d'assimiler le chef de famille au pater familias du droit romain. L'un exerce une
fonction sociale, l'autre bénéficie de droits propres. Enfin, la jouissance d'une autonomie de
direction par la famille négro-africaine.

79
fait juridique susceptible de fournir,
également, une
réponse à la
détermination de la loi applicable aux successions.
B - HYPOTHESE DE R<\\TTACHE MENT DES SUCCESSIONS
A LA LOI DES FAITS JURIDIQUES.
Suivant les principes dégagés par SAVIGNY, il convient
de chercher pour chaque institution juridique le lieu où elle a son siège. En
matière de succession, c'est le décès qui constitue le fait juridique duquel
résulte la question de la transmission du patrimoine du de cujus.
Légitimement il faut soumettre la succession à la loi du lieu de ce fait
juridique notamment la loi du domicile car le plus souvent c'est au
domicile que s'ouvre la succession, du moins c'est au domicile que se font
sentir les effets juridiques de la disparition.
, ..': On a pu objecter à cette thèse que le décès peut se produire" -' J
.en dehors du domicile du défunt mais à cela, on répond que le décès, au
cours dun voyage par exemple, est un fait accidentel dont on ne peut tenir
compte. Ce qui, en revanche, importe, c'est la conséquence juridique qu'on
doit attacher à une telle disparition.
La thèse du rattachement de la succession à la loi des faits
juridiques, rencontre un large écho dans la doctnne!". Elle ne peut
cependant être entièrement approuvée'" car elle suppose l'application de
deux règles de conflits à une institution unique, la succession. En effet les
auteurs réservent l'application de la loi du domicile ou loi des faits
juridiques à la succession mobilière et abandonnent la succession
immobilière à la tex rei sitae. Fondamentalement on reproche à cette thèse
155 cf: H. BATTIFOL et P. LAGARDE, "Droit international privé, 7è éd Paris 1981-83, n° 637.
FREYRIA, "La loi applicable aux successions mobilières ...", op. cit, p. 260 ; B. ANCEL, "Les
confli ts de qualification à l'épreuve de la donation entre époux", Paris 1977, p. 550 et s.
156 cf:J. HERON, thèse cit., p. 106 et 107.

80
de ne pas tenir compte des règles essentielles du droit des successions. La
succession, c'est la transmission du patrimoine du défunt (conception du
droit sénégalais), et nor: celle de ses biens. Seule; la première idée sous-
tend la thèse précitée mais face à celle-ci il faut pouvoir- localiser: le
patrimoine, une difficulté non encore résolue. Le patrimoine est une notion
abstraite qui demeure en dehors de l'espace puisque indivisible, il ne se
laisse pas nécessairement situer concrètement. Sur ce point, la thèse du
rattachement de la succession à la loi des faits juridiques manque de
fondement. Par contre si l'on affirme que la transmission de la succession
est une transmission des biens du défunt, la disparition ne produit plus
alors ses effets au domicile du de cujus mais plutôt au lieu de situation des
biens. Ainsi, la loi des faits juridiques assimilée à la loi du domicile se
révélerait inopérante. A la vérité c'est le recours à la personne qui fonde
l'unité du patrimoine. Les biens ne sont pas neutres-mais n' existent qu'à"
l'égard de leur maître. C'est pourquoi le maintien du rattachement des
successions au statut personnel en droit sénégalais 'doit êtreapprouvé"
C-
LE MAINTIEN DU RATTACHEMENT DES SUCCESSIONS
AU STATUT PERSONNEL.
Le rattachement en droit .intèrùàtionalprivédéIasucccssion
au statut personnel quoique critiquable se justifie logiquement. En effet,
reflet des mœurs et du tempérament africain, le rattachement adopté par le
législateur sénégalais ne peut être taxé d'une reproduction pure et simple
des règles du système français dont on s'inspire pourtant dans une large
mesure. On ne peut ignorer les différences parfois radicales qu'expriment
l'originalité et la spécificité de chaque système juridique. Sur cette base on
ne peut dénier au législateur sénégalais le droit de choisir le rattachement
\\
.. (
qui convient le mieux à la politique législative et à la protection des
,./
!
valeurs africaines héritées du passé. Aucun système juridique ne peut faire

81
fi de ses antécédents encore moins de son histoire. Certaines solutions
actuelles du droit sénégalais plongent leurs racines dans le passé.
L'histoire-offre aux juristes uu fonds irremplaçable dobservations et
d'expériences. Le rôle que joue l'histoire dans la-compréhension du droit
.." ~-';
est indéniable et il n'est pas encore démontré que l'histoire a cessé d'être
indispensable aux juristes et aux législateurs appelés à réglementer les faits
sociaux. C'est peut-être l'expression « statut personnel» pour désigner à la
fois des matières relatives aux droits patrimoniaux et extra-patrimoniaux
qui déroute quelque peu!". Et pourtant elle n'est que la mise en relief de la
personne d'autant plus qu'on ne peut justifier l'existence du patrimoine
sans sujet. Toutefois n'y voir, à travers le rattachement de la succession,
rien que la personne, c'est ignorer le rôle que joue la périphérie - la
personne étant le centre - c'est-à-dire les droits ou plutôt les rapports qui
..~:·, ..--eux aussi interviennent dans le choix du rattachement. En effet, dans .les
autres catégories de rattachement, la personne est également visée. Qu'il
s'agisse du statut réel, des faits juridiques ouactes juridiques pour rie citer .,.
que ceux-là, la personne concourt aussi de façon directe ou médiate à la
réalisation des droits relativement à ces catégories. C'est surtout la
spécificité de la succession dans la mentalité négro-africaine et le poids de
la tradition personnaliste négro-africaine qui expliquent le rattachement au
statut personnel. Il faut éviter la désagrégation du patrimoine objet de la
succession par un lien continu entre le défunt et l 'héritier. Cela permet
157
La distinction droits patrimoniaux - droits extra-patrimoniaux fondée sur la valeur
économique du droit et ayant pour conséquence le regroupement des droits évaluables en
argent dans la catégorie des droits patrimoniaux et la classification des autres droits n'ayant
aucun contenu pécuniaire en eux-mêmes, dans la catégorie des droits extra-patrimoniaux, est
inexacte selon MM. MAZEAUD cf, "Introduction à l'Etude du Droit", ge éd Montchrestien,
Paris 1989, p. 223, n° 158. Ces auteurs soutiennent que tous les droits quels qu'ils soient
s'intègrent dans le patrimoine. Or c'est justement celui-ci qui sera transmis aux héritiers au
.' i
décès de son titulaire. Si nous suivons ces auteurs dans leur raisonnement, le rattachement de la
succession au statut personnel se justifie encore une fois car le support du patrimoine, c'est la
personne.

82
surtout de protéger les droits des créanciers et des héritiers eux-mêmes.
C'est légitime dans la tradition africaine.
Ainsi, relativement à l'option du législateur sénégalais à
• r~
_
.., ....
savoir : rattachement de la succession au statut personnel, la compétence
de la loi personnelle devient alors une évidence.
SECTION III :
COMPETENCE
DE
LA
LOI
PERSONNELLE
:
CONSEQUENCE
DU
RATTACHEMENT
DES
SUCCESSIONS AU STATUT PERSONNEL.
La loi applicable au statut personnel est celle qui présente
un lien direct avec la personne: c'est la loi personnelle. Suivant les
législations, elle est soit représentée par la loi du domicile du défunt ou de
la résidence assortie d'une certaine durée, soit désignée par la loi nationale.
Le législateur sénégalais opte pour la loi nationale, C'est la logique.
(Paragraphe 1). Mais dans certaines hypothèses cette loi mérite davantage
d'être précisée (Paragraphe 11).
PARAGRAPHE 1:
LE CHOIX DE LA LOI NATIONALE: LA
LOGIQUE.
Le Code deIa familleen son article 841 alinéa 3 dispose
que « sont soumises aux règles de la loi nationale les règles relatives à
l'état, à la capacité des personnes aux régimes matrimoniaux et aux
successions, suivant les distinctions et sous réserves indiquées aux articles
ci-après »158. Le texte ci-dessus ne fait nullement allusion aux termes de
153 Pour le rattachement de
la succession à la loi personne Ile sous réserve de l'application
d'autres lois en dehors du droit sénégalais, voir les articles 714 à 717 du Code togolais des
personnes et de la famille; les articles 825 à 826 du Code congolais de la famille; les articles
1043 à 1047 du Code burkinabé des personnes et de la famille; l'article 4 de la loi burundaise;
\\
, ,
les articles 10 et Il du Code des transactions civiles soudanais. Les droits gabonais et kényan
/
-'
consacrent des solutions les mêmes solutions et se départissent de la tradition personnaliste.
Dans ces droits, la succession mobilière est soumise à la loi du domicile et la succession
immobilière à la lex rei sitae.

83
« loi personnelle ». Seules les expressions «loi nationale» y figurent et
démontrent aisément l'assimilation déjà évoquée plus haut!". Pour le
législateur sénégalais, la loi personnelle est équivalente à la loi nationales.
LÇl. loi du-sdomicile retenue, dans les mêmes, conditions par -dautres
systèmes juridiques, est logiquement écartée. Plusieurs raisons .militent en
faveur de ce choix judicieux.
Au premier rang, on fait valoir le rôle qu'est susceptible de
Jouer
la
nationalité
au
plan politique.
En
effet
à
la
sortie
des
indépendances, la nationalité a été l'une des institutions capables d'assurer
au Sénégal une cohésion nationale indispensable au développement de la
nation, de la société sénégalaise dans sa mentalité et dans ses structures.
On aurait pu comprendre l'idée de MANCINI I60 selon laquelle «la loi
nationale est adaptée au tempérament des sujets ipour lesquels elle. est
conçue car les lois, reflet des mœurs, de la race et des traditions nationales,
conviennent naturellement aux nationaux pour qui elles sont faites ». Mais
cette affirmation perd une grande partie de sa valeur dans le cas des Etats
nouvellement indépendants. L'idée de MANCINI a connu de succès parce
que la Nation a préexisté à la naissance de l'Etat. En Afrique par contre,
_. c'est .l'Etat.nouveau.quientend imposer l'idée de Nation. Les données
sociologiques ne sont pas les mêmes. Justement, cette idée a été vivement
combattue par LEREBOlJRGS-PIGEONNIERE 161 qui fait remarquer que "la
nationalité n'implique pas toujours chez les sujets d'un même Etat des
qualités objectives communes". Il ajoute que «les modalités des lois sont
en partie imputables aux mouvements d'opinion dans un parti, aux
préoccupations des gouvernants ; les mœurs variables des sujets s'en
accommodent chacun suivant ses tendances ».
159 cf: supra p. al..
160 Sur les idées de MANCINI, cf: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, op. cit., n? 230.

84
Il faut également ajouter que si l'appartenance à une
communauté religieuse ou ethnique a toujours servi de critère de
';; détermination de.la loi personnelle sur le plau du règlements des conflits
j:l1ternes, .cette idée est désormais inopérante. Depuis-I'avèneruent des
indépendances, les conflits internes ont perdu de leur ampleur. De plus
l'unification du droit interne par la codification du droit de la famille a
définitivement scellé le sort de ces conflits.
En seconde lieu, on invoque la stabilité de la nationalité. On
fait valoir que la nationalité permet mieux que le domicile d'assurer le
caractère permanent que doivent revêtir les
lois relatives au statut
-personnel. Les successions étant rattachées au statut personnel, la loi
nationale se reconnaît ainsi à juste titre, compétente.
:.~ .. Enfin, en troisième lieu, on met l'accent sur la certitude de, ~~.<,:
' ! -, , •
la nationalité par-rapport aux difficultés que fait naître l'identification du
.domicile. La -nationalité est relativement aisée
déterminer car son -
- à
attribution, son acquisition et sa perte font l'objet de règles légales assez
précises. D'ailleurs les individus changent moins de nationalité que de
domicile. Ce dernier en effet, est facile à déplacer. Il est soumis à la
volonté de l'individu et apparaît vulnérable à la fraude. L'existence en
Afrique du nomadisme et de la polygamie rend davantage incertaine la
détermination du domicile'v'.
161 Cité par Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL," Droit international privé", Précis Dalloz, se
édition 1996, p.162.
16~ Si, pour le nomadisme l'incertitude peut être grande dans la mesure où l'individu déplace
trop souvent son domicile entre plusieurs Etats (hypothèse des personnes qui pratiquent la
transhumance), dans le cas de la polygamie, elle est de portée limitée. En effet que l'individu
/:
ait deux femmes résidant dans des endroits séparés sur le même territoire d'un Etat, il est sans
importance que le polygame soit domicilié chez l'une ou chez l'autre. L'essentiel c'est de
pouvoir dire qu'il a un domicile dans cet Etat.

85
La nationalité n'est cependant, d'aucune pertinence pour les
Etats modernes dont les limites territoriales ont été artificiellement fixées
par le colonisateur Sans aucun égard pour la réalité sociologique vécue par
les, peuples,
lesquels· évidemment ont
été
éparpillés
sur
plusieurs"~
territoires. Les nationalités ainsi issues de l'indépendance ne reflètent ni
plus ni moins la volonté du colonisateur de maintenir son règne par la
division. Au lendemain des indépendances, les Etats nouveaux ont
maintenu
les
découpages
territoriaux
opérés
par
les
puissances
colonisatrices. Or que constate-t-on ? Une même ethnie se retrouve
divisée'" entre deux, trois voire plusieurs pays. La preuve peut être tirée
de l'exemple peul. Cette communauté est partagée entre plusieurs Etats
(Bénin, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée etc.). On peut
rapporter également le cas des ethnies hutu et tutsi dispersées sur les
. territoires mandais, burundaiset .congolais -(ex Zaïre). Ce découpage se
révèle un obstacle majeur à l'instauration d'une véritable nationalité dans
le cas du Sénégal-par exemple. On a ·encore en mémoire les' conflits
ethniques qui ont abouti à des guerres civiles dans nombres de pays
africains'?' et dont les causes endogènes se trouvent dans le découpage
artificiel opéré par les puissances colonisatrices. Ces conflits remettent
.. ,'- ...._.-' --.' ..._---_ .. --._-. ..- - _....- .--_..-----_.. " .._..•.-
aujourd'hui en cause la notion de nationalité et en revanche soulèvent la
question de la citoyenneté. En somme, la nationalité sert-elle encore à
quelque chose? Sinon comment faudra-t-il alors l'appréhender dans le cas
du droit sénégalais?
La nationalité sénégalaise envisagée comme un concept
anthropologique, n'est ni plus ni moins que la résultante de toutes les
communautés représentées par les différentes ethnies situées sur le
163 La division n'est pas forcément artificielle. Elle est parfois le fruit de l'histoire avec
les
guerres et le nomadisme.

86
territoire du Sénégal. De la nationalité ainsi définie, les Peuls, les Sèrères,
les Diolas, les Ouollofs, les Sarakholés etc., malgré leur appartenance à des
groupes ethniques différents seront mus considérés comme relevant de la
,nationalité sénégalaise du moment qu'ils .pourront être .localisés sur le
territoire sénégalais. C'est dire que selon le cas, une ethnie pourra 'être-
rattachée à une nationalité ou à une autre, ce qui n'exclut pas chez un
individu de ce groupe ethnique de bénéficier d'une pluralité de nationalité
pour peu qu'il puisse justifier de son appartenance à la communauté
ethnique partagée entre plusieurs Etats. On voit ainsi l'importance de la
notion de nationalité. Elle sert à harmoniser. Afin d'éviter un clivage
ethnique, la nationalité va cimenter les dissensions et rassembler autour
d'une notion commune une multitude de gens d'appartenance ethnique
différente. Dans ces conditions la nationalité sénégalaise au sortir des
indépendances se réduit à une aspiration politique commune.iMais, elle-
représente aujourd'hui "une mentalité, un état économique et social que la
législation reflète jusqu'à un certain point''!".
. .' i"
La certitude de la notion de nationalité est indéniable. Alors
que le domicile de la personne est plus difficile à déterminer en raison de
son caractère parfois pluriel, ce qui fait naître des incertitudes à ce sujet, la
nationalité par contre se révèle relativement aisée à déterminer car son
attribution et sa perte font l'objet de règles assez précises. Mais la portée
de l'argument ne doit pas être exagérée!" compte tenu de la multiplication
des cas de double nationalité. Mais quoi qu'il en soit, la nationalité
164 On
peut citer la guerre du Biaffra et tout récemment les conflits libériens, burundais,
rwandais et zaïrois (Congo démocratique).
\\65 H. BATIFFOL, " Traité de Droit international privé ", op. cit., n" 381.
166 On pourrait sur un plan pratique, évoquer la preuve de la nationalité aussi facile à établir
/
lorsqu'on tient compte du mauvais fonctionnement des services de l'état civil. Dans ces
conditions, un Gambien ou un Guinéen peul peut bien prouver qu'il est sénégalais juste en se
procurant un acte d'état civil délivré avec la complicité d'un agent de l'administration
comportant des noms communs, comme on le rencontre, au Sénégal et dans son pays d'origine.

87
apparaît plus stable et plus certaine et, assure mieux que le domicile la
continuité du traitement juridique de la personne. Aussi retenue en tant
qu'élément de ra-ttachemeni en matière de -statut .. personnel, ne s'en
étonnerait-on
guère.
Cela. explique
dans
une
·certaine· mesure
.
l'empressement du législateur lorsqu'il soumet le statut personnel à la loi
nationale.
Le choix de la loi nationale compétente en matière de statut
personnel est conforme à la solution donnée depuis l'indépendance par
certaines juridictions167 et fidèle à la tradition des pays de statut personnel.
Par ailleurs, ce choix a été déjà consacré par la convention d'établissement
du 22 juin 1960 passée entre la France et la Fédération du Mali applicable
au Sénégal en vertu de l'échange des lettres du 16 et 19 septembre 1960168•
En ., effet l'article 7· de la convention soumet expressément le statut
personnel à la loi nationale des parties. Si la compétence de la loi nationale
s'impose ainsi en matière de statut personnel et en droit international privé
.
.
sénégalais des successions, c'est parce que la loi nationale participe bien à
la fois
au
maintien
de la construction jurisprudentielle avant les
indépendances et au réalisme de la politique poursuivie par l'Etat
..sénégalais.qui.étend le champ d'application de la loi sénégalaise à tous les
ressortissants notamment expatriés dont les revenus sont en majeure partie
investis au Sénégal, stimulant dans une certaine mesure l'économie
nationale. Tout compte fait, en continuant à s'interroger sur la pertinence
du choix de la loi nationale s'agissant des successions, il faut dire, vu tout
ce qui précède, que l'application de la loi nationale mérite quand même
d'être retenue. Il reste toutefois certaines hypothèses dans lesquelles la loi
nationale doit encore être précisée.
16i cf: notamment en matière de succession: Cour d'Appel de Dakar, 21 Nov, 1969, Rev. Sen
de droit 1970 n? 7, p. 72, note P. BOUREL. Justice de paix de Dakar 28 mai 1980.
16s c f : Rev . crit. 1962, p. 175,

88
PARAGRAPHE II :
DETERMINATION
DE
LA
LOI
NATIONALE:
QUELQUES PRECISIONS EN MA TIERE
SUCCESSORALE.
Deux séries d'hypothèses sont envisagées relativement-à
l'objet de nos recherches. D'abord le cas du défunt apatride (A) et ensuite
celui du de cujus possédant deux ou plusieurs nationalités (B).
A-
CAS DU DEFUNT APATRIDE.
Il se peut qu'une succession soit ouverte sur le territoire
sénégalais sans que l'on puisse relier le de cujus à un Etat dont il serait le
ressortissant. Il s'agit du défunt apatride, ne possédant aucune nationalité.
Le droit international privé sénégalais a résolu la question de manière
générale. Elle peut néanmoins être transposée dans le domaine des'
..
. '
-.
,",.
,.,"-"
. .successions. La solution adoptée est la compétence dela .loi du domicile ou«"
de la résidence. Ceci découle des dispositions de l'article 849'alinéa 3 du
Code de la famille. Ce texte dispose que « l' apatride-est régi par la 10Ï"'du·
domicile et, à défaut de domicile par celle de la résidence et à défaut de
résidence par la loi sénégalaise ». La doctrine et la jurisprudence sont
unammes en ce qui concerne le rattachement principal qu'est le
• • - -

- - -
• • ~ • • • -
••• - . , . -
>- • • ~~.-_ •• "
domicile!". Le législateur sénégalais a repris dans l'article 849 alinéa 3 du
Code de la famille ce rattachement. Cependant il est allé plus loin en
retenant un rattachement subsidiaire, en cas de défaillance du domicile
constitué par la résidence de l'apatride et, à défaut de la résidence, la
compétence de la {ex[ori.
Ainsi la question de la détermination de la loi personnelle
de l'apatride se trouve résolue sans que l'on puisse y ajouter encore autre
!
169 cf: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité, n0387 ; P. MAYER, Précic, n0865 et s ; Casso
/
civ. 13 avril 1932, S.1932.1.361, note Audinet, D.P. 1932.1.89, note Basdevant, Rev. crit.

89
chose de déterminant même lorsqu'on suppose que l'apatride est en même
temps un réfugié. L'application de l'article 849 alinéa 3 demeure requise.
Toutefois
on
peut
s'arrêter
un
instant
et
envisager
1'hypothèse ·du défunt réfugié. Ici le législateur sénégalais est resté muet.
Aussi ferons-nous appel à la solution admise en droit comparé. En
supposant que le réfugié possède une nationalité - il a gardé sa nationalité
d'origine - on fera régir sa succession par application de la loi personnelle
c'est-à-dire sa loi nationale. Deux justifications peuvent être données.
Au plan juridique d'abord le silence gardé par le législateur
sénégalais laisse envisager la compétence quasi certaine de la loi nationale
par application des dispositions de l'article 841 paragraphe 3.
. , \\
.;' Au
plan
sociologique
ensuite,' les
événements
qut
surviennent et qui obligent une personne à acquérir le statut de réfugié
peuvent cesser voire disparaître. Ainsi pour le réfugié qui a conservé sa
nationalité d'origine on présumera qu'il a toujours appartenu à la
communauté nationale de laquelle il s'était momentanément détaché pour
des raisons de sécurité et de survie. Il s'agit là d'une présomption pouvant
....................... néanmoins être combattue si la preuve de la renonciation à la nationalité
d'origine est rapportée ou si les circonstances sont telles que le défunt n'a
plus jamais entendu conserver cette nationalité. Dès lors la compétence de
la loi nationale doit être écartée au profit de la loi du domicile.
Il faut faire remarquer que la compétence de la loi nationale
va à l'encontre de la tendance internationale qui préconise l'application de
la loi du pays où le réfugié a son domicile compte tenu du fait que bien
qu'ayant conservé sa nationalité d'origine, le réfugié ne jouit plus de la
j
1932.549, concl. Matter; Casso civ., 25 juin 1974, Rev. crit. 1974.678, note Ponsard; Clunet
1975.330, note Deby-Gérard.

90
protection diplomatique de son Etat d'allégeance. En effet, le réfugié,
politique ou autre peut nourrir quelques craintes quant à l'application de sa
loi nationale surtout lorsque l'autorité exécutive en place-dans son Etat
d'origine doit ou est appelée àjouer un rôle dans la mise en œuvre de la loi
nationale. En somme et quel que soit le rattachement retenu (domicile,
résidence ou nationalité), la loi désignée relèverait soit de l'ordre juridique
sénégalais ou d'un système juridique étranger. Cette alternative est au
contraire brisée lorsqu'on évoque la situation du défunt binational.
B-
CAS DU DEFUNT AYANT PLUSIEURS NATIONALITES.
La réglementation en la matière se situe dans un cadre
général. Elle est fondée sur l'application du texte de l'article 849 du C.F.
en ses alinéas 1er et 2e • En vertu des dispositions de l'alinéa 1er «le
sénégalais..est soumis à la loi nationale, même s'il est, considéré-par un :,~.;,;;,
autre Etat comme ayant une autre nationalité »170. Les dispositions dudit
texte révèle ni plus ni moins la règle de la primauté de la nationalité du-for.... ,::_;~~.
que l'on pourrait énoncer comme suit: «lorsqu'un individu a plusieurs
nationalités dont la nationalité sénégalaise, cette dernière seule est prise en
considération par les juridictions sénégalaises ». Transposée dans le
domaine des
successions,
la solution aboutit à soumettre donc la
succession d'une personne décédée ayant une double nationalité dont l'une
est sénégalaise, à loi du for : la loi sénégalaise.
170 Le texte résout le problème du conflit de nationalités. En l'occurence le conflit positif car il
)
y a cumul de nationalités. (L'Etat sénégalais de même que l'Etat Etranger considèrent
l'individu comme leur national.) Contrairement à l'hypothèse dans laquelle aucun Etat ne
revendique un individu comme son national. Auquel cas il y a conflit négatif.

91
En droit français, la règle a été énoncée à plusieurs reprises
par la Cour de Cassation française!". Depuis l'arrêt « Kasapyan »172, elle a
:~., ;:'~ été affin-née dans des conditions qui ne prêtent plus à aucune équivoque. -
.
l'
-_
La jurisprudence sénégalaise a eu également l'occasion de
se prononcer en des termes qui ne surprennent point. La Justice de Paix de
Dakar dans l'affaire "Abdourahmane CORREA"173 énonce que "attendu
qu'il est constant, en fait que Abdourahmane CORREA avait la nationalité
(sénégalaise et française) ; qu'en l'espèce c'est le Code sénégalais de la
famille qui doit s'appliquer et la circonstance que le défunt est décédé en
France n'a aucune influence sur l'aptitude de la loi sénégalaise à
s'appliquer".
Mais la primauté ainsi reconnue à la nationalité du for a été
qi~tiquéeI7~.;.On fait valoir que «exprimant une allégeance politique, la ....
nationalité repose sur une présomption d'appartenance à la collectivité
. ,.' étatique; Au cas, où plusieurs présomptions se contrediraient; pourquoi ne
:j
pas rechercher celle qui correspond le mieux à la réalité »175, Il est alors
proposé de remplacer le principe de la primauté de la nationalité du for par
celui de la primauté de la nationalité effective!":
Mais se prononcer en ce sens, c'est oublier, comme
l'affirment certains auteurs, que «le juge ne peut se mettre en opposition
avec le pouvoir dont il tient sa mission et sans lequel il n'a aucune
171 Civ. 13 nov. 1951, Rev. crit. 1952, p. 323 ; Civ. 1er avril 1952, Rev, jur. et pol. de l'union fr.
1952, p. 308, note Jean FOYER.
172 Casso 1ère ch. civ., 17 juin 1968, Rev. crit 1969.59, note BatiffoL
173 Justice de Paix de Dakar, 28 Mai 1980.
cf: Egalement Tribunal de Première Instance de Dakar, 6 Mai 1967, Clunet 1972, p. 343, note
p~ BOUREL (décision rendue avant l'entrée en vigueur du code de la famille).
174 cf: J. P. LABORDE, "La pluralité du point de rattachement dans l'application de la règle de
conflit", Thèse Bordeaux 1981 multigr.
(
,
175 cf: B. ANCEL et Y. LEQUETTE, "Grands Arrêts ... ", op. cit., p. 365.
176 cf : J.P. LABORDE, op. cit., p.590.

92
qualité» 177. Ainsi, le juge français ne peut écarter la loi française sous
prétexte qu'elle n'est pas effective. Dans le cas échéant ce serait, comme le
soutient un auteur!", d'une certaine façon.vintroduire un cas 'de perte-de
nationalité non prévu par le législateur. Conformément.aux dispositions de
l'article premier de la Convention de la Haye du 12 Avril 1930 concernant
certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité : « Il
appartient à chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont ses
nationaux ».
Compte tenu de cette règle, on est en droit d'affirmer que
seul le législateur sénégalais est compétent pour dire qui est Sénégalais ou
qui ne l'est pas. Aussi, ce n'est pas parce que l'individu est également le
national d'un autre Etat, qu'il faudra automatiquement lui dénier le droit
de .continuer à se prévaloir de la nationalité- sénégalaise. Il demeure
sénégalais et cela suffit. Dans ces
conditions, lorsqu'une situation
juridique se présente et exige pour sa résolution la prise en compte de la
.
. ,-
.
.
nationalité de l'individu, la primauté de la loi sénégalaise sur la loi
étrangère, est d'abord une solution réaliste. Alors, la règle de la primauté
de la nationalité du for ne manque-t-elle pas d'attraits. Elle est d'ailleurs
connue de la quasi-totalité des droits positifs. Mais en.dépit·de--son···- .....-.
universalité, la règle rencontre des résistances, lesquelles sont apparues
comme
un
utile
moyen
d'assouplir
le
principe
de
l'application
systématique de la nationalité du for.
La solution consiste à régler le conflit de nationalités, au
. cas par cas, en recherchant la « fonction que remplit la nationalité dans
/
177 cf: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité 1. J, n? 78.
178 cf: DERRUPE, "La nationalité étrangère devant le juge français", Rev. crit. 1959.231.

93
l' hypothèse considérée» 179. Elle est illustrée par les décisions rendues dans
l'affaire "Dujaque''. En l'espèce, le litige mettait aux prises deux époux au
.sujet de .le garde de leur enfant mineur. Les deux conjoints de nationalité
polonaise, s'étaient mariés en Pologne et étaient venus .s'installer en
France où ils se naturalisèrent français sans perdre leur nationalité
-
d'origine. Séparés, le mari était resté en France, la femme au contraire
retourna en Pologne avec l'enfant également double national. Par un
jugement de divorce prononcé en France, la garde de l'enfant avait été
confiée au père. Quelque temps après, à la demande de la mère, un
jugement polonais attribuait la garde de l'enfant à celle-ci. L'exequatur en
France de ce jugement polonais fut alors sollicité par la mère. La Cour
d'appel de Paris par une décision du 18 Juin 1985 18°, accorda l'exequatur
sur le fondement de la Convention Franco-polonaise du 5 Avril 1967 en
::; ~;-~'
considérant-que « si pour l'application directe de la règle de; conflit de lois
donnant compétence à la loi nationale, le juge français ne doit prendre en
'--COl1~idération que la loi française sur la nationalité, il en va' autrement
lorsque la juridiction française est appelée à se prononcer sur l'effet en
France d'une décision étrangère qui, pour la mise en œuvre d'une telle
règle de conflit, a procédé - comme l'eût fait le juge français à l'égard de
sa propre loi - en ne tenant compte que de la nationalité attribuée à la partie
concernée par la loi locale ». Sur pourvoi, la Cour de Cassation rendit un
arrêt de rejet!". La solution rendue au conflit de nationalité par la haute
juridiction « n'est plus dictée par un principe général abstrait» notamment
celui de la primauté de la nationalité du for. Dans l'attendu de principe:
« Mais attendu tout d'abord que les juges du fond ont à bon droit fait
179 cf: P. LAGARDE, "Vers une approche fonctionnelle du conflit positif de nationalité: à
propos notamment de l'arrêt DUJAQUE de la 1ère Chambre civile du 22 Juillet 1987", Rey, crit.
1988, p. 43.
180 Paris
18 Juin 1985, Rev. crit. 1986. 699, note Jodlowski ; Clunet 1986. 726, note J P.
Laborde. D. 1985, IR, p.499, obs . Audit.
131 Civ. 1ère 22 Juillet 1987, Rev. crit. 1988 et chr. P. LAGARDE.

94
application de la Convention Franco-polonaise du 5 Avril 1967, bien qu'au
regard de la loi française, toutes les parties en cause fussent françaises ;
qu'en effet, l'esprit de cette Convention étant de régler l'ensemble ries
rapports juridiques de caractère international en matière de droit des
personnes et de droit de famille, il convient de la faire jouer dès lors que le
litige concerne des personnes qui ont la nationalité polonaise même si elles
ont aussi la nationalité française », la Cour, par référence à « l'esprit» de
la convention, justifie une solution spécifique du conflit de nationalités'".
S'agissant de l'exequatur en France du jugement polonais, la cour décide
que «c'est aussi avec raison que les juges d'appel ont estimé que la
juridiction étrangère était en droit, pour déterminer la loi applicable (...), de
prendre en considération, comme l'eût fait le juge français dans le cas où il
aurait été saisi, la nationalité qui était attribuée à l'enfant par la loi locale, à
savoir, en l'espèce, laloi polonaise ».
. .: ~
Considérée initialement avec réserve par la doctrine!",
l'approche fonctionnelle du conflit positif de nationalités a été ainsi
appréciée favorablement par la jurisprudence. Mais quoi qu'il en soit, elle
apparaît plutôt comme «une règle revêtant la forme d'une exception au
principe de la primauté de la nationalité du for »184. Audemeurant-si-elle
permet de répondre à certains besoins spécifiques, «encore faudrait-il,
pour que la sécurité juridique soit sauvegardée, que les contours de cette
exception soient suffisamment définis »185.
L'approche fonctionnaliste, en l'état actuel du droit positif
français, est marginalisée comme en témoignent les décisions!" qui sont
182 cf: P. LAGARDE, art. précité, p. 43.
183 cf: H. BATIFFOL, note Rev. crit. 1970, p. 120.
18~ cf: B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Grands arrêts précités p. 368.
185 cf: B. ANCEL et Y. LEQUETTE, Grands arrêts précités p. 368.
186 Civ. 1ère 17 mai 1993, Clunet 1994, p. 115, note Y. LEQUETTE ; TGI Paris 30 sept. 1993
Clunet 1994, p. 115.

95
restées en retrait par rapport à la jurisprudence Dujaque. A défaut
d'inspirer le juge sénégalais dans le règlement des conflits positifs de
, nationalités, elle ressuscite au demeurant le principe de la primauté de-in
loi nationale du for. De toute évidence, le juge sénégalais fait prévaloir la.;
loi du for lorsqu'il constate que le de cujus possède la nationalité-
sénégalaise sans chercher à savoir si celle-ci est effective. L'exemple
suivant illustre bien ces propos. Un français ayant acquis la nationalité
sénégalaise est domicilié en Guinée où il décède ab intestat alors qu'il n'a
aucun bien situé sur le territoire sénégalais. Si le juge sénégalais!" était
saisi, il retiendrait la solution dégagée à l'article 849 alinéa 1 du C.F. :
compétence de la loi sénégalaise. On fonde
alors la solution sur
l'application de la loi du for dans une affaire sans point de contact suffisant
avec le Sénégal. C'est là une solution, à notre avis, quasi automatique _et
..,'-
qui, pourrait même s'avérer inadéquate eu égard.àla .réglementatiorrque .: .:,.
l'on voudrait convenable, en ce qui concerne la transmission de la
.. , succession du de cujus. On aurait pu, par une certaine analyse de la règle
. "ê
de conflit, chercher à déterminer la nationalité effective du défunt. Du
point de vue du conflit de lois le juge ne serait plus lié par la règle de la
primauté de la loi du for entendue au sens du droit public.
M. MAYER, à la question de savoir" entre plusieurs lois qui
ont vocation à s'appliquer, quelle est, celle que le tribunal doit choisir? "
répond, qu'il faut" se fier à la localisation de la question de droit "188. Une
2eme espèce note Y. LEQUETTE, Civ, 1ère 9 nov. 1993, Rev. crit, 1994, p. 644, note Kercklove ;
TGI Paris 13 mai 1992, Clunet 1994, note H. J. LUCAS.
187 Si au contraire, on saisit le juge français, les chances d'application de la loi sénégalaise en
tant que loi nationale du défunt sont quasi nulles. En effet le droit français soumet la succession
mobilière à la loi guinéenne et la succession immobilière à la loi de situation des immeubles.
Ce qu'il faut néanmoins reconnaître c'est que la règle de conflit s'impose au juge au sens du
droit public et la loi sénégalaise reste celle qui est mieux connue du juge du for. Ainsi compte
tenu de la règle de conflit de l'article 849 alinéa l du C.F. il n'est pas possible d'écarter
l'application de la loi sénégalaise (loi nationale du défunt).
188 cf: P. MAYER, Précis, n0313.

96
réponse dont on pourrait bien s'inspirer afin de remédier dans certains cas
au caractère trop mécanique de la règle de conflit de l'article 849 alinéa 1
du C.F. Apparemment cette solution joue dans un sens unique par>
référence à l'article 18 du Codesénégalais de la nationalité; Autrement dit
lorsque
l'étranger acquiert la nationalité
sénégalaise,
la règle
est
d'application systématique contrairement à l'hypothèse dans laquelle le
Sénégalais acquiert une nationalité étrangère volontairement. Selon les
dispositions de l'article 18 dudit Code, il perd la nationalité sénégalaise.
Mais la perte de celle-ci n'est pas automatique. Elle est subordonnée à une
autorisation décrétale. Toutefois l'autorisation n'est plus requise à l'égard
de certaines personnes à savoir:
- les exemptés du service militaire.
- les titulaires d'uneréfonne définitive.
- tous les hommes, même insoumis, après l'âge où ils sont
totalement dégagés des obligations du service militaire
conformément à la loi sur le recrutement de l'année.
Dans de telles hypothèses le conflit de nationalités n'existe
plus et la nationalité qu'il faudra retenir c'est-la--nationaliténouvelle-:-"0f-la--
volonté du législateur est de faire régir les sénégalais par leur loi nationale
autant qu'il est possible. C'est pourquoi nous pensons que le texte de
l'article 18 du Code de la nationalité peut être délibérément ignoré par le
juge qui ne fera aucun effort pour rechercher si l'intéressé a perdu la
nationalité sénégalaise, mais se bornera tout naturellement à présumer la
conservation de cette nationalité.
C'est pourquoi, la critique de la solution retenue en matière
de cumul de nationalités en droit sénégalais, surtout lorsque l'une d'entre

97
elles est sénégalaise, doit être approuvée. On regrettera en conséquence la
primauté de la loi nationale sénégalaise, car il est bien des hypothèses!"
dans lesquelles .elle aurait pu s'effacer au profit de 'la'. loi nationale
étrangère, jugée plus effective par rapport à la relation envisagée.Dn
pourrait peut-être parler d'une entorse!" au caractère bilatéral qui est
attaché à la règle de conflit. On entend par là le fait pour la règle de conflit
de désigner en tant que loi applicable, la loi étrangère ou la lex fori. Ce qui
importe c'est la constatation des liens significatifs et objectifs développés
par la matière par rapport à l'ordre juridique positif désigné. La règle de
conflit bilatéralisée ne privilégie ni la loi du for ni la loi étrangère d'où la
neutralité
supposée
de
celle-ci.
Les
possibilités
de
rattachements
unilatéraux
ont
été
en
général
exclus
tant
en
législation
qu'en
jurisprudence française.
En présence de personnes ayant plusieurs .nationalités et
lorsque l'une d'entre elles était française, le juge français fait prévaloir la
nationalité du for. La solution est connue et au surplus se justifie. Mais il
est hypothèses dans lesquelles sa "dictature" surprend comme en
témoigne l'espèce soumis à la Cour de cassation ayant été l'objet d'une
décision!" en date du 13 octobre 1992. Dans le cas d'espèce, une femme
de nationalité sénégalaise domiciliée en France avait saisi les juridictions
françaises d'une demande en divorce contre son mari également de
189 cf: Exemple supra p. 143.
190 Au vrai, ce n'est pas un abandon du bilatéralisme. La règle de confli t de l'article 849 alinéa
1er du Code de la famille donne la préférence à la loi nationale sénégalaise parce que le critère
de rattachement n'est plus unique. Mais faut-il, dès que le critère devient multiple se rabattre
exclusivement sur la lex fori sans mener de raisonnement pouvant conduire à déceler le critère
de rattachement le plus adéquat et impliquant aussi bien l'application de la loi étrangère que
celle de la lex fori. Il y a dans les dispositions de l'article 849 alinéa 1er du C.F., une absence
d 'humilité législative qui, malgré tout, se justifie au plan politique par le caractère souverain de
l'Etat sénégalais et au plan juridique par le droit pour lui de dire qui est national sénégalais ou
/
qui ne l'est pas. Et enfin, par sa détermination à assurer et maintenir une cohésion nationale.
191 Casso civ. 13 oct. 1992, Rev. crit. 1993, p. 41, note P. LAGARDE; Clunet 1993, p. 97, note
y. LEQUETTE ; Penant 1995, p. 230, note 1. G. MALINGA.

98
nationalité sénégalaise, mais aussi naturalisé français et domicilié au
Sénégal. Les deux époux n'étant ni tous les deux français ni tous les deux
domiciliés C~1 France, le Tribunal de Grande Instance de Rouen saisi, se
déclara compétent SHr le fondement de l 'article 15 du Code -civil et .','
appliqua la loi française. La Cour d'appel de Rouen confirma à son tour la
décision des premiers juges. Un pourvoi en cassation avait alors été
introduit par le mari qui reprocha à la cour d'appel, d'avoir violé d'une
part l'article 310 du Code civil et, d'autre part, les principes régissant les
conflits de nationalités imposant au juge français de tenir compte de la
nationalité étrangère du Français, quand sa fonction est de déterminer si la
loi étrangère accepte sa compétence. Pour la Cour de cassation il fallait
rechercher si une loi étrangère se reconnaissait compétente et dans la
négative, appliquer la loi française. En l'espèce, l~ Cour a déclaré
applicable la loi. française et par conséquent a rejeté le pourvoi. Pourtant
dans le cas d'espèce, ·la cassation s'imposait dans la mesure où la loi
applicable .cn principe était la loi sénégalaise. En effet, et aux termes de
l'article 843 alinéa 4 du Code de la famille ( texte inspiré de la .
jurisprudence Rivière - Tarwid)"? "le divorce ou la séparation de corps
sont régis par la loi nationale des époux lorsqu'elle leur est commune et,
en cas de nationalité différente, par la loi du pays où ils ont leur domicile
lors de la présentation de la demande ; à défaut de preuve de domicile
commun, par la loi de la juridiction saisie ". Ce texte conduisait de toute
évidence à l'application de la loi sénégalaise. Les deux époux étaient l'un
et l'autre sénégalais. L'article 849 du même Code dispose par ailleurs que
" le sénégalais est soumis à sa loi nationale, même s'il est considéré par un
autre Etat comme ayant une autre nationalité ''.
191 Casso civ, 1ère, 17 avril 1953, Arrèt Rivière, Clunet 1953.860, note Plaisant; Rev. crit.1953.
412, note Batiffol. Casso civ. l, 15 mai 1961, Arrèt Tarwid, Clunet 1961. 734, note Goldman ;
Rev, crit. 1961. 547, note Batiffo1; 0.1961.437, note G. Holleaux.

99
Manifestement le raisonnement de la Cour de cassation
reposait sur une erreur, une dénaturation de la loi sénégalaise qui se
reconnaissait compétente en l' espèce, Lés magistrats curieusement avaient
relevé que larègle de conflit sénégalaise renvoyait.en l'espèce, à la loi d e !
la juridiction saisie c'est-à-dire la loi française. La méthode unilatéraliste .
suivie étonne carà plusieurs reprises il a été souligné que l'unilatéralisme
est exclusif du renvoi 193. Un auteur estime à juste titre que cette décision
est déconcertante et qu'il faut se garder de lui attribuer une portée qu'elle
n'a pas. " Il faut donc l'oublier "194.
Cette décision maladroite, pour peu qu'elle explique la
méthode conflictuelle adoptée par le législateur sénégalais en matière de
conflits de nationalités (article 849 alinéa 1 du code de la famille), ne doit
pas être exagérée. Elle est intervenue dans: un . domaine étranger ·aux
successions. Toutefois lorsqu'on la transpose ici, elle .conduit le juge
. sénégalais à faire prévaloir la compétence de la. loi sénégalaise, loi
nationale du défunt. Certes, il est vrai que la loi hi mieux connue du juge
c'est la lex lori, la loi sénégalaise. Mais en l'appliquant coûte que coûte,
elle n'offre certainement pas plus de prévisibilité et de garantie. A notre
avis le juge sénégalais doit rechercher la nationalité effective ou active. La
primauté de la loi sénégalaise ne saurait être un compromis étant entendu
même qu'en droit international public, la règle de la nationalité effective a
été depuis consacrée dans le cadre de la protection diplomatique des
citoyens victimes de dommages à l'étranger!". En le reprenant ici, en
matière de succession on constate l'existence d'une relation harmonieuse
193 J. FOYER, "Requiem pour le renvoi", Trav. corn.
fr. dr. int. priv 1980-81, p. 105 ; Y.
LOUSSOUARN, "Pour qu'il y ait renvoi il faut qu'il y ait d'abord envoi", Trav. corn. fr. dr. int.
priv. 1980-81, p. 124.
194Cf: P. LAGARDE, Rev. crit. 1993, p. 43 s.
(
195 cf : Sur l'effectivité de la nationalité; nouvelle requête Belgique / Espagne 5 fev.
1970.
RACIl 1970.

100
entre le droit international privé et le droit international public!". C'est
pourquoi il importe de revoir le texte de l'article 849 alinéa 1 du Code de
18. familleet d'approuver pleinement les dispositions de l'alinéa 2 du même
texte aux..tennes cdesquels "lorsqu'une personne ne possède pas la;
nationalité sénégalaise, seule est prise en considération la nationalité
qu'elle 'possède en fait, compte tenu de sa résidence, du siège de ses
affaires, de ses attaches familiales". Suivant le texte de l'article 849 alinéa
2 du C.F., on fait prévaloir ni plus, ni moins, le principe de la nationalité
effective ou active!". On en déduit que, lorsque le de cujus possède deux
nationalités étrangères, le texte va recevoir application. Le juge cherchera
en fait à déterminer la nationalité effective de l'intéressé. La loi nationale
du de cujus alors compétente et, régulièrement désignée pour régir la
succession en droit international privé sénégalais, aurait réalisé une unité ., ..-_......-".
-- .
de règlement de la succession si le législateur n'avait pas aussi opté pour
':J
d'autres compétences concurrentes, en choisissant ainsi
la voie du
morcellement. -
SECTION IV:
DES AUTRES COMPETENCES.
L'analyse des textes sénégalais démontre qu'à côté de
---_. - -_._---_..
l'application de principe de laloi'rlatiorià]e~'-- il est également prévu
respectivement aux alinéas deux et trois de l'article 847 du Code de la
famille, la compétence de la loi du lieu d'ouverture de la succession et
196 Cf: P. MAYER, "Droit international privé et droit international public sous l'angle de la
compétence", Rev.crit. 1979, p. 1 à 29 et s ; P, LALIVE, Droit public étranger et droit
international privé, Trav corn fr dr int priv 1973-1975,215. cf: P. Lagarde in Rev. crit, 1988, p.
34, note n? 13
19;
La primauté de la nationalité effective en cas de conflit entre nationalités étrangères, avant
de s'imposer, a d'abord fait l'objet d'une controverse, Pillet proposait l'application de la
nationalité la plus ancienne considérée alors comme un droit acquis. Quant à Valéry, la
prépondérance devait être donnée à la nationalité la plus récente envisagée comme la plus
réaliste. Il semble que la primauté de la nationalité effective s'est imposée dans la doctrine
française avec Jacques MAURY, "Du conflit de nationalités et en particulier du conflit de deux
nationalités étrangères devant les autorités et les juridictions françaises" in La technique et les

101
celle de la loi du lieu de situation des immeubles ou fonds de commerce
prévues, deux autres compétences qui viennent obscurcir la compréhension
de 12~ réglementation. A priori, l'adopti..:m de la loi du domicile est
illogique. Certes, le domicile ,. traduit aussi parfois, tout comme' la
nationalité, un rattachement au statut personnel. Mais puisque l'option a
été déjà faite en faveur de la loi nationale, il n'y a plus de toute évidence
place pour la loi du domicile. Quant à la loi de situation des immeubles et
fonds de commerce, on se rendra compte qu'elle n'investit qu'un domaine
résiduel.
PARAGRAPHE 1 :
COMPETENCE DE LA LOI DU LIEU
D'OUVERTURE DE LA SUCCESSION:
L'ILLOGISME.
«.Sont régies par la loi du lieu .d' ouverture-de la .succession i:
les opérations concernant l'option successorale, la. mise en possession des
héritiers, l'indivision successorale, le partage de I'actifet le règlement du
passif'» dispose l' article 847, alinéa.Z du Code de la famille. Le texte ainsi
rédigé ne livre pas les critères de désignation du lieu d'ouverture. Aucun
autre texte d'ailleurs n'apporte une réponse à cette lacune. C'est-à-dire
qu'il faudra rechercher, interpréter ce que recouvrent les expressions lieu
d'ouverture de la succession (B). Mais avant il est important de préciser la
loi même qui livre les critères de désignation du lieu d'ouverture de la
succession (A). La préférence est à la lex fori.
principes du droit public, Mélanges G. Scelle 1950 . T. I, p. 365 395 .cf: P. LAGARDE in Rev.
crit. 1988, p. 34, note n? 13.

102
A-
METHODE D'IDENTIFICATION DE LA LOI DU LIEU
D'OUVERTURE DE LA SUCCESSION: LA
QUALIFICATION LEGE FOR!.
Le juge sénégalais est saisi de la succession" d'un Ivoirien
domicilié au Sénégal. En vertu des dispositions de l'article 841 du Code de
la famille, la loi nationale du de cujus, loi ivoirienne est désignée comme
la loi compétente pour régir la succession. On aurait pu s'arrêter là, mais le
législateur sénégalais estime que pour certaines opérations successorales
(cf. Article 847, alinéa 2), la loi nationale est écartée au profit de la loi du
lieu d'ouverture. Mais aucun texte ne livre au juge le critère de désignation
de cette loi, la jurisprudence, moins encore. Suivant quelle législation
faudra-t-il alors déterminer le lieu d'ouverture de la succession? En
l'espèce s'agit-il de la loi nationale du défunt, loi ivoirienne ou de la loi
sénégalaise, loi du for ? C 'est une 'question
. --. ~.
c- de:
qualification 198 -et
d'identification de la norme applicable. Ce sont néanmoins là deux aspects
d'une même opération.
Le problème de la qualification a fait l'objet d'une
littérature très abondante. Les termes du débat sont connus. Le juge du for
saisi d'un litige comportant des éléments d' extranéitédoir-au préalable--·-------.
qualifier afin de classer la question de droit soulevée dans une catégorie de
rattachement
donnée
pour
ensuite,
en
déduire
la
loi
applicable.
Précisément la recherche de la loi applicable est dominée par la
configuration originale du problème de qualification.
Mais
doit-on
qualifier suivant le droit du for ou suivant le droit étranger avec lequel le
litige présente des rapports certains? La réponse à cette question conduisait
certains auteurs à prôner la qualification lege fori tandis que d'autres
soutenaient la qualification lege causae. La doctrine italienne, tirant les
198 cf: infra p. 10~.

103
conséquences du fait que la règle de conflit n'est qu'un instrument
permettant de réglementer les relations privées internationales, reconnut
que la qualification ne pouvait être demandée qu'à la loi du for. En
Allemagne par contre, on adopta une solution diamétralement opposée. La
loi qualifiante est la loi étrangère applicable!". Le droit allemand retient
ainsi la qualification lege causae.
La doctrine française contemporaine identifie l'objet de la
qualification à une question de droieoo ou à un projer'?' se situant entre le
fait et la règle. Le projet consiste dans le rapport qu'établit le plaideur
entre « l'objet et l'allégation-accident, lésion d'un intérêt, qualité de tiers -
et l'objet de la prétention - obligation de donner réparation - »202. Détaché
des faits, le projet procède comme la règle de droit « d'une évaluation de la
situation de fait, mais au contraire de celle-ci, il est l'œuvre d'un
particulier »203 . Toutefois, on estime que le recours à une disposition
substantielle pour appuyer une prétention ne présume nullement de la
légitimité du projer?', La règle de droit n'a qu'une fonction descriptive du
projer'". Elle sert seulement à préciser la nature de la demande; donc, ne
constitue pas l'élément caractéristique de l'objet de la qualification.
La définition de l'objet de la qualification a le mérite
d'éviter les impasses auxquelles conduit la qualification des règles. En
effet celle-ci oblige pour résoudre le conflit de qualifications, à tenir
199 Sur le résumé des doctrines italienne et allemande, cf: H. MUIR WATT, "La fonction de la
règle de conflit de lois", thèse dactyl, Paris II 1986, p. 232 et s.
200 cf: P. MAYER, "La distinction entre règles et décisions en droit international privé" Paris
1973 n? 90, Précis Droit international privé, n° 154 et s.
20\\ cf: B. ANCEL, "L'objet de la qualification », Clunet 1980, p. 227 et s.
202
cf : B. ANCEL, " Les conflits de qualification à l'épreuve de la donation entre époux"
Dalloz 1977, p.224.
203 cf: B. ANCEL, ibid, p. 239.
204 cf: B. ANCEL, thèse précitée, n? 614, p .. 558.
205 cf: P. MAYER, La distinction entre règles et décisions en droit international privé, Paris
1973, n° 96.

104
compte du contexte dans lequel s'inscrivent les règles et qui leur assigne
un sens. Dans ces conditions, on n'échappe pas aux cumuls et lacunes en
raison de la pluralité ides structures systématiques desvdivers ordres
concernés206. Aussi verra-t-on dans la qualification du projet le moyen de
rétablir l'unicité de l'objet de laqualification et d'éviter les inconvénients
auxquels conduit la qualification des règles.
Le règlement du conflit ne peut donc aboutir à un résultat
satisfaisant que s'il y a compatibilité de vue entre les conceptions du for et
celles du droit étranger. Or la règle de conflit bilatérale a pour fonction de
permettre un règlement harmonieux du litige international. Il s'ensuit
nécessairement une prise en compte des règles étrangères par leur insertion
dans l'ordre juridique du for. Celui-ci conserve alors le monopole de la
compréhension comme de l'extension de la catégorie àlaquelle on peut
rattacher la question de droit ou le projet. Mais pour réaliser la conciliation
entre les dispositions étrangères et le droit international du for, la
qualification lege lori apparaît comme une méthode appropriée. La
qualification lege lori permet de « mesurer les limites de tolérance des
institutions portées par le droit étranger »207. Elle joue ainsi « un rôle
comparable- à", celui-- de-l'ordre
public,
mais
au
niveau
des
rattachements »208.
En droit comparé africain, seul le législateur soudanais a
pris position sans équivoque en consacrant la qualification lege fori. Selon
l'article 10 de la loi soudanaise de 1984, lorsqu'il naît un conflit entre
diverses lois dans un procès déterminé, seule la loi du for est compétente
pour qualifier la catégorie à laquelle appartient le rapport de droit, en vue
d'indiquer la loi applicable.
206 cf: M, GORE, thèse précitée, p. 116,
207 cf: A. K. BOYE, Cours précité, p.362.

105
Le
recours
aux
définitions
du
for,
au
début
du
raisonnement, apparaît comme une nécessité. En conséquence, pour la
qualification de « départ », 1(:: juge ne peut recourir qu'à sa propre loi. En
.effet c'est-parmi les règles de conflit du for qu'il doit-identifier celle qui
est applicable, celle dont les définitions correspondent à la question
soulevée. En cela la qualification «primaire» inévitable, s'effectue Lege
lori. Comment peut-on, en réalité, demander cette qualification à la loi
étrangère alors qu'on ignore si elle est applicable ou non? Tant que la
qualification n'est pas donnée, le juge ne peut raisonner que selon sa
propre loi. L'argument est à peu près imparable. En France, tout le mérite
revenait à BARTIN qui a su développer la théorie de la qualification « Lege
lori ». Pour cet auteur, il est indiscutable que le sens d'une règle du for ne
peut être demandé qu'àla loi du for. C'est cette loi du for qui détermine
l'extension des catégories dont elle use. Ainsi èt suivant l'exemple du
testament fait par un Hollandais en France'?", si la règle de conflit du for
soumet les formes d'un acte à la loi du lieu de sa- corrclusion; il faut alors
préciser le sens de "forme" pour savoir si la forme du testament olographe
y entre ou non. Depuis lors, la qualification Lege lori a prévalu.
En-droit-français-la question-de la détermination du lieu
d'ouverture de la succession est depuis longtemps, résolue grâce' à la
qualification Lege lori. La solution connaît une application constante?". La
détermination du lieu d'ouverture s'effectue d'après la loi du juge saisi. La
justification découle de l'obligation faite au juge d'appliquer les règles de
conflit du for dans la première étape de sa démarche. A ce stade, il lui est
interdit de demander la définition du lieu d'ouverture à la loi étrangère car
celle-ci n'a encore aucun titre à s'appliquer.
208 cf: A. K. BOYE, ibid _
209 cf: Casso civ. 25 août 1847 . D. 1847. L 275.

106
En droit international privé sénégalais le problème reste
entier. Mais en l'absence de sources législative et jurisprudentielle, la
réponse française peut bien être transposée par le juge sénégalais nOE pas
par pur conformisme mais parce que d'une part, le droit français hérité de
la colonisation constitue bien une source d'inspiration du droit sénégalais,
et que d'autre part, la qualification lege fon dans les droits attachés à la
tradition personnaliste, est conçue comme la seule solution logique et
nécessaireê"?".
La doctrine dominante ne se trompe guère sur la question
de la qualification. Elle considère que pour classer des situations juridiques
on raisonne à partir des concepts du for. La clé de répartition est presque
universellement donnée par la lex fori. C'est pourquoi nous considérons
.comme..fondamentalIe principe qu'en règle générale la loi définit elle-
même les termes qu'elle utilise. Dans cette perspective si le législateur
édicte, que .pour. ce!t~1Ïnes"qp'ér~tions, la loi du lieu d'ouverture..de la
.. ~ .. l 'l;*
' .
' . . .
-
, .J.. '_
,,_

, 1 .
. •
.• •
succession est
compétente, c'est au même législateur qu'il faudra
s'adresser pour demander la qualification du lieu d'ouverture de la
succession. Somme toute cette qualification dépendra alors de la loi
sénégalaise et puisque le droit français inspire le droit sénégalais, on ne
s'étonnera point que le juge sénégalais reprenne la qualification lege fori
qui
d'ailleurs est presque universellement admise. Le
choix de la
qualification est inséparable de la règle de conflit. Au total on interrogera
210 cf: Casso civ. 22. juin 1955. D. 1957 p. 176 ; Rev. crit. 1955, p. 723 ; Paris 10.janvier. 1970,
GP 1970 I. 313; Rev. crit. 1971, p. 518.
211 cf: A. K. BOYE, Cours précité, p. 361.
212 Abandonner la qualification à la loi étrangère c'est accepter une démission, une abdication
de la fonction régulatrice de la règle de conflit bilatérale. Il est vrai que les catégories de
rattachement sont élaborées en fonction des concepts de base du droit interne et dans cette
optique, on peut craindre que le for ne trouvant pas d'équivalence entre l'institution du droit
interne et celle du droit étranger, n'ignore cette dernière. Toutefois, la qualification lege [ori
n'est pas une qualification systématique. El1e favorise bien souvent l'accueil des institutions
étrangères. La conception très large du statut personnel permet au surplus d'éviter les conflits
de qualifications.

107
la loi sénégalaise afin qu'elle livre la définition du lieu d'ouverture de la
succession,
B-
LE LIEU D'OUVERTURE DE LA SUCCESSION: LE
DER1~IER DOMICILE DU DEFUNT.
Aux termes de l'article 397 alinéa 2 du Code de la famille,
« la succession s'ouvre au dernier domicile du défunt ». L'assimilation ou
du moins la coïncidence entre lieu d'ouverture de la succession et dernier
domicile du défunt apparaît clairement à la lecture du texte précité. Ce
point de vue du législateur sénégalais n'étonne pas. Il est dans le droit fil
des affirmations de M. BOUREL213 qui estime que le lieu d'ouverture de la
succession coïncidci" avec le domicile du défunt. As' en tenir là, on pose
encore plus de questions qu'on en résout. En effet que signifient les
vocablesvdernier domicilei ou simplemènt'ique recouvre I'èxpression
"domicile". La question mérite d'être posée car le droit international privé
des successions aenvue non pas la transmission des successions de droit
interne mais des
successions affectées d'un ou plusieurs éléments
d'extranéité (nationalité, situation des biens sur des territoires d'Etats
différents). Compte tenu de cette finalité, on est en droit de supposer qu'il
ne s'agitplus'·làdü--dOi1ï.iCile'--ihterne du défunt mais du domicile
international de celui-ci. Cependant le domicile international, est d'abord
et forcément un domicile interne. En l'exprimant ainsi on ne se méprend
point sur l'affirmation selon laquelle le droit international privé est interne
par sa source. On comprend alors l'importance et la nécessité de préciser la
méthode de détermination du concept de domicile (b). Mais il faudra avant
s'entendre sur son caractère interne ou international (a).
213 P. BOUREL in Encyclopédie Juridique de l'Afrique tome I, p. 443.
2I-l Le lieu d'ouverture de la succession entendu comme le dernier domicile du de cujus n'est
pas exclusif de toute autre détermination. Il ne saurait "toujours" coïncider avec le domicile

108
a) La nature du domicile.
En droit international privé, le domicile a des fonctions fort
r
,. ".
diverses. C'est ainsi qu'on parle de domicile matrimonial, de domicile
.. ,
fiscal,
de domicile localisant la compétence judiciaire, de domicile
successoral etc. Nous nous limiterons exclusivement à ce dernier, en tant
que point de rattachement international du statut personnel et, précisément
en droit international privé sénégalais, en tant que concept déterminant le
lieu d'ouverture de la succession. D'après l'article 24 II du Code civil
Suisse, le lieu où la personne réside « est considéré comme son domicile ...
lorsqu'elle a quitté son domicile à l'étranger et n'en a pas acquis un
nouveau en Suisse ». Cette disposition du droit Suisse institue un véritable
domicile international, par rapport aux législations2 15 écrites qui ont défini
,le domicile et qui n'ont pas eu en vue.des.rapports internationaux de droit
privé mais, qui l'ont fait pourrégler dans. l'intérêt de l'autorité, des tiers ou
de la personne elle-même, les effets. du domicile endroit interne. De ces
propos, s'infère l'idée selon laquelle le domicile successoral interne ne
recouvre pas la même notion que le domicile successoral international.
D'une manière générale le terme de domicile international remonte à la
première édition du Traité de NIBOYET en 19382 16• L'illustre juriste
français n'avait nullement en vue, en utilisant ces expressions, un concept
de domicile unifié sur le plan international. Il écrivait à cette époque que
« en l'absence d'une coutume internationale établie ou de traités
surtout lorsqu'on prend en compte la localisation des biens de la succession. Le domicile
n'aurait plus aucun rôle à jouer du moins dans la détermination du droit applicable.
215 Droit français art. 102 du Code civil; Droit allemand paragraphe 7 et s. du BOB.
Droit sénégalais: articles 12 (détermination du domicile de façon générale), 13 et 14 du Code
de la famille
216 cf: NTBOYET, Traité de droit international privé, 1ère éd? 1938, tome 1 n" 509. Pour éviter
toute équivoque sur l'expression utilisée, l'auteur va, dans la seconde édition de son Traité, y
renoncer. Ce sera ensuite sous les écrits de FRAJ"-l'CESCAKIS, "les avatars du concept de
domicile dans le droit international privé actuel", (Trav. corn. fr. drt. int. priv. 1962-64, p. 291
et s. ), que l'expression renaîtra.

1. ' ;
,
'!
109
diplomatiques, le domicile comme la nationalité sont des notions encore
propres au droit national de chaque Etat, et pour lesquelles celui-ci
conserve son entière liberté». Néanmoins par ces expressions NIBOYET
envisageait simplement un concept de domicile en vue des rapports
internationaux par opposition au domicile défini en tenant compte des
seuls rapports de droit purement interne. « Le domicile international est le
domicile dont le champ territorial est déterminé par les limites d'un Etat,
par rapport à ce qui est extérieur à cet Etat »217. On oppose ainsi le
domicile international, suivant la définition ci-dessus, au domicile interne
lequel se rapporte à toute délimitation interne à l'ordre juridique considéré.
En droit français, il existe une tendance à s'inspirer des articles 102 et
suivants du Code civil pour la détermination du domicile international!".
L'article 110 du Code civil dispose que « le lieu où la succession s'ouvrira
sera déterminé par le domicile ». L'article 397 alinéa 2 du Code sénégalais
de la famille indique quant à lui, que la succession s'ouvre au lieu du
dernier domicile. La différence dans les deux formulations ne masque pas
cependant, la critique que l'on peut adresser à la méthode consistant à
s'inspirer
de
ces
textes
pour
identifier
le
domicile
successoral
international. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'à travers
ces
dispositions, il s'agit d'une localisation interne qui ne préjuge en rien le
\\
problème de la loi applicable à la succession, du moins à certaines
opérations successorales, telle l'option successorale en droit sénégalais.
Même en appliquant les dispositions réglementant le domicile interne, la
jurisprudence française se révèle hésitante. On peut rapporter à cet effet
trois décisions qui illustrent bien ces propos.
217 Bernard SHNEIDER, "le domicile international", Thèse université de NEUCHATEL 1973,
p. 11.
:
218 cf: infra p. ,,'\\ i.

110
D'abord, la succession Chachaty'l", affaire dans laquelle le
tribunal civil de la Seine a déclaré domicilié en France le sieur Chachaty,
.citoyen turc qui y avait passé les vingt - huit dernières années de .sa vie et y
avait exercé
une
importante activité
économique,
tout en - gardant
apparemment l'intention de finir ses jours en Turquie. "
Ensuite la succession Agopiani", espèce dans laquelle la
Cour d'appel de Paris a considéré que le de cujus était domicilié en
Egypte, alors que par application des articles 102 et suivants du Code civil
français, elle aurait été conduite à se replier sur la loi française. L'arrêt
note que le sieur Agopian qui avait longtemps résidé en France avait pu,
« par ses dépenses fastueuses de mondain oisif. .., donner l'apparence d'un
étranger devenu parisien par adoption ». Le de cujus avait gardé dans son
.:i .:
pays.-l'Egypte, l'essentiel de sa fortune-et avait conservé-avec lui 'des ',:,il):
attaches personnelles profondes. En tenant· compte de. ses aspirations
personnelles et de ses intérêts matériels, on. aboutissait de manière
concordante à l'application de la loi égyptienne. Mais manifestement le
domicile réel du de cujus était en France au sens de l'article 102 du Code
civil.
Enfin la succession Rougeron'" , affaire dans laquelle la
Cour de cassation a adopté la même attitude que la Cour de Paris dans
l'arrêt Agopian et n'a pas tenu compte du fait que le de cujus avait passé
les deux dernières années de sa vie en Suisse. Elle a retenu la compétence
de la loi américaine, loi nationale du de cujus. Et pourtant dans cette même
219 Trib. civ. Seine 1952, "affaire Chachaty", Rey. crit. 1952, p. 494, note FREYRlA.
220 Paris 1946. Rey. crit. 1947, p. 136, note BATIFFüL.
221 Casso c iv. 1963, Rey, crit 1965, p. 366.

III
affaire un tribunal helvétique avait déclaré Rougeron domicilié en
Suisse222.
-t
Les exemples rapportés ci-dessus, montrent que le concept
de domicile en droit interne '(articlef'(n et suivants du Code civil français;
article 12 et suivants du Code de la famille) n'est pas exactement
transposable en droit international. L'idée d'intégration à un milieu
soutenue par certains auteursi" pour qualifier le domicile international ne
résiste pas face à cette attitude jurisprudentielle. On constate en définitive
que le domicile international dépend notamment de la nationalité du de
cujus
et
de
l'emplacement
des
biens
successoraux.
Le
domicile
international joue un rôle différent de celui qui est dévolu au domicile
interne. En droit interne, le domicile est une « institution de police civile
permettant de trouver efficacement la personne »224, « la localisation d'une
personne à Un .endroitdéterminé. du territoire, une sorte de conscription
civile destinée. à faire régner l'ordre: interne »2~~. En droit international
privé, l'utilisation du domicile n'est ni dictée par des
raisons de
commodité
(centralisation
en
un
endroit
de
l'administration d'une
succession) ni par le besoin de publicité (mariage dans la commune où l'un
des fiancés est domicilié) ni par la présomption de présence permanente de
la personne. Le domicile international successoral a pour fonction
principale, le rattachement de
la succession ou certaines questions
successorales à un ordre juridique et par conséquent, la détermination de la
loi applicable. Le domicile interne n'implique aucune conséquence de ce
m Cour de justice civile de Genève 1958. S.J. 1959, p. 589.
223 E. RABEL, "The conflicts of laws A comparative study", 2e éd, tome 1 Ann Arbor Michigan
1958
p. 172. E. FRANKENSTEIN, "Projet d'un Code européen de droit international privé"
Bibliothecana Visseriana, Leidan 1950, art. 56 et s.
22~ MALAURIE, "Domicile", in Répertoire de droit international publié sous la direction de Ph.
FRA1'\\lCESCAKIS. Paris 1968, tome l, p. 636, n? 3.
225 Levy-Ulmann cité par FRANCESCAKIS, Rev. crit. 1949, p. 563.

112
genre. Le domicile international n'est donc pas une institution de police
civile. Il convient dans cette optique de rechercher non pas le lieu où le de
rcujus est censé avoir demeuré, mais où il a demeuré en-fait, où ila eu non' .
pas son siège légal mais son centre affectif?". Tout ceci ne.doit absolument
pas empêcher la réglementation voire la détermination du domicile
successoral international à partir des normes internes.
b) Détermination du domicile successoral.
Aux termes de l'article 12 du Code de la famille, « la
personne est domiciliée au lieu de son principal établissement et, pour son
activité professionnelle, au lieu où elle exerce celle-ci. De plus, la personne
peut avoir une ou plusieurs résidences là où elle a d'autres centres
d'intérêt ».
Les formules utilisées indiquentoù se trouvent le domicile
et la résidence, .mais elles ne définissent pas ces termes. Dans le langage
populaire, le domicile est considéré comme un lieu, une maison par
exemple. Mais d'après une conception juridique, le domicile n'est pas un
lieu mais un rapport entre une personne et un lieu. Aussi le domicile se
1·-·--···-----·······-·················· .situe-t-ilen-un-lieu mais n'est pas le lieu lui-même. L'article 12 du Code
de la famille ne fait que préciser les éléments pouvant être pris en compte
pour la détermination de ce lieu. Le domicile se crée par la réunion d'un
élément objectif et d'un élément subjectif. D'une manière générale, « le
domicile est l'attache à la fois psychologique et matérielle d'une personne
avec un lieu déterminé »227. Au surplus, le domicile a un caractère fictif.
Cela apparaît bien sous la plume de certains auteurs. Le domicile est pour
COLIN et CAPITANT « la demeure que la personne est censée avoir aux
226 Tout ceci est sans doute vrai si le domicile exprime le statut personnel (par concurrence avec
le critère de la nationalité) mais non, s'il se rapporte au statut réel impliquant alors une
localisation fictive des meubles, là, où le de cujus a en fait manifesté son pouvoir sur les biens.

113
yeux de la loi »228. Pour DAYANT, c'est le « lieu où l'individu est réputé
présent.. .. »229. En droit sénégalais, les critères de détermination du
domicile sont vagueset-imprécis. Que faut-il entendre par le lieu du
,principaL~tablissement de la-personne ? Le lieu.du principal établissement,
c'est le centre des affaires, de l'activité, des intérêts privés et familiaux de
la personne. Lorsque la personne exerce une activité, le lieu d'exercice de
cette activité sera considéré comme son domicile. Lorsqu'elle exerce des
activités diverses,' en plusieurs endroits, la personne n'a pas pour autant
plusieurs domiciles, elle n'en a qu'uni": celui indiqué par le lieu de la
principale activité professionnelle.
A s' en tenir-au texte de l'article 12 du Code de la famille, le
domicile se détermine à partir des critères matériels. En principe,
l',i)1dj~i~~J~st l11aitr~,~q~li:déçi<:lçr:du.ji~l! auquel-il. sera, .rattaché, C'est
i ,
pourquoi.la. 1ocalisation .de la personne opérée-selon-le droit commun est
généralement qualifiée, decdomicile vo19n-~(;l'ire'.=)Cependant· en droit
#
,~

sénégalais-Ta vo'lonté de l'intéressé'ne'joue qu'un rôle très effacé?". Le
législateur sénégalais ne l'a pas retenue expressément. Le mérite de
l'ignorance de l'élément intentionnel dans la détermination du domicile
consiste dans la prévisibilité pour les tiers et dans la facilité pour le juge
227 cf: FRANCESCAKIS : " Les avatars du concept de domicile ...... ", op. cit., p. 300.
228 cf: COLIN et CAPITANT cités par B. SCHNEIDER, " Le domicile international", op. cit.,
p. 138.
'
'
229 cf: R. DAYANT, Domicile (droit international privé) in Juriclasseur civil, fasc 543 A. n° 1.
230 Pour les rédacteurs du Code civil, le domicile est unique (article 102 ). Cette conception du
domicile traduit le lien étroit entre le domicile et le patrimoine. Chaque personne a un
patrimoine comme elle a nécessairement un domicile.
231
En droit français la détermination du domicile tient compte des critères matériel et
intentionnel. L'intention de la personne est prise en compte dans le cas de changement de
domicile cf : Article 103 du Code civil. L'intention doit être expresse. Mais à défaut d'une
déclaration expresse, la preuve de l'intention dépendra des circonstances. cf : Article 104 et
105. En droit sénégalais il est vrai, le législateur n'a pas retenu expressément l'élément
psychologique. Toutefois une certaine interprétation des dispositions de l'article 12 du C.F.
peut conduire à soutenir l'idée que implicitement la volonté de l'individu intervient dans la
fixation du domicile. En effet le choix du lieu du principal établissement est d'abord volontaire
avant d'être matériel.

114
d'identifier le domicile de l'individu. Ainsi on épargne à l'interprète la
tâche fastidieuse d'une recherche hypothétique d'une volonté non déclarée.
Le domicile est situé au lieu du principal établissement, le lieu d'exercice
de la profession. A défaut, la résidence ou 1'habitation, suffit ainsi aux
yeux des rédacteurs du Code.
La jurisprudence a eu à se prononcer sur la détermination
du domicile. Elle a décidé que le lieu du principal établissement c'est le
lieu où la personne exerce ses activités professionnelles, vit la majeure
partie de l'année et est imposé sur les revenus232. De toute façon, la
détermination
du
domicile
est
une
question
de
fait
relevant
de
l'appréciation souveraine des juges du fond 233• Apparemment en droit
sénégalais, il n'y a pas de difficulté majeure car à défaut de pouvoir
déterminer le domicile du de cujus, sa résidence actuelle en produira les
effets. Mais dans 1'hypothèse où le défunt possède plusieurs résidences,
par analogie avec le principe de détermination du domicile, on retiendra la
résidence principale; et à défaut de résidence, 1'habitation en produira les
effets ( article 14 du Code de la famille).
Si le juge arrive par exemple, à fixer le domicile du défunt à
Dakar, on conviendra alors que ce dernier a un domicile international au
Sénégal. Il importe peu que le de cujus ait plusieurs établissements dans
divers endroits du Sénégal. La compétence de la loi sénégalaise (loi du
domicile) n'est pas remise en cause à propos de la question successorale
envisagée. Toutefois si l'Etat sur le territoire duquel on situe le centre de
la vie et des relations du défunt a "un système juridique non unifié234,
quelques hésitations peuvent naître à propos du choix du domicile si le de
132 C.S arrêt n? Il du 27 mars
1971 - Epoux Walthert, Revue EDlA-Dakar n" 15 du 25 mai
1990 ; Cour d'appel de Dakar 13 Mars 1974, Penant 1974, p.
m Civ. 1ère, 12 Févr. 1980, Bull. civ. 1 n? 50; 22 Nov. 1989, ibid. I, n? 359. La jurisprudence est
constante à ce sujet.

115
CUJUS a plusieurs
établissements. Mais à la vérité on s'en tiendra à
l'établissement principal.
En définitive, la détermination du domicile. international
successoral, doit s'opérer indépendamment, dans une certaine mesure, du
domicile interne. C'est ce qu'enseigne la doctrine anglaise':". Pour le
juriste anglais, « it's not necessary to show in what part of the country he
had his permanent home ». Le domicile recouvre tout le territoire d'un
country, soit d'un ensemble géographique soumis à un seul corps de droit
privé. En droit anglais, on dit que le domicile est le Il home ", Lord
CRANWORTH écrit à ce sujet que «by domicile, we mean home, the
permanent home, and ifyou do not understand your permanent home, J'm
afraid that no illustrations drawn from foreign writers will help you to it
En France, cette opinion est représentée par FRANCESCAKlS
et
"'
, .....
NIBOYET237. Ce dernier, de façon implicite, soutenait le même point de
vue. Il faisait remarquer que le domicile interne se situe à un endroit très
précis du territoire d'un pays mais que « le domicile international n'a pas
besoin d'entrer dans tous ces détails. Le domicile est en France ou dans un
pays étranger »238.
En somme la détermination du domicile d'une personne est
une opération concrète qui ne se fonde que sur des faits. De l'analyse des.
circonstances on déduit l'emplacement du domicile. On examinera où la
personne se trouve en général, où elle a sa famille, quels rapports elle a
234 Exemple du système juridique américain.
235 cf: DICEY MORRIS "Conflict oflaws, 8e éd, Londres 1967, p. 79.
236 cf: Lord CRANWORTH cité par B. SCHNEIDER, op cit., p. 130
237 cf : FRANCESCAKIS, "Les
avatars du concept de domicile ..... ", op. cit., p. 303 ; 1. P.
NIBOYET, "Le domicile dans le projet de la commission de réforme du Code civil", Trav.
com. fr. drt. int. priv 1948 - 1952, p. 67.
233 cf :NIBOYET, ibid, p. 67.

116
avec celle-ci, où elle travaille, le genre d'activité qu'elle exerce. En ce qui
concerne le de cujus, le dernier domicile par opposition au premier ou
'; plutôt aux anciens domiciles, point de rattachement de 'la règle de conflit .
de l 'article .847 alinéa 2 du Code de la famille, est indiqué parI' ordre
juridique. auquel est empruntée cette règle, c'est-à-dire l'ordre juridique
sénégalais. Il reste que le juge sénégalais peut fixer le dernier domicile du
défunt dans un pays de la common law. Un Sénégalais domicilié à Londres
y décède ab intestat. Dans cette hypothèse, le juge du for doit-il tenir
compte du concept de domicile tel qu'il est défini selon le système
anglais? C'est une question de renvoi que nous étudierons plus loirr'". S'il
réceptionne ce concept, celui-ci évidemment ne recouvre pas les mêmes
notions en droit privé sénégalais. En droit anglais le domicile se caractérise
par une stabilité parfois supérieure à la nationalité/". Le juge anglais
estime qu'un individu anglais a un domicile d'origine en raison de sa
naissance, Ce domicile d'origine ne pourra faire place au domicile
volontaire que dans des conditions très difficiles' à' remplir. . D'abord:
justifier d'un établissement permanent en un lieu, ensuite prouver
l'intention quasi indéfinie de ne jamais quitter ce lieu. La preuve de ces
éléments est à la charge de ceux qui veulent établir l'existence d'un
domicile de choix?". Selon le système anglais les déplacements de la
personne dans plusieurs pays ne justifient pas une modification, un
changement de domicile d'origine notamment. De la sorte, le juge anglais
toujours soucieux d'appliquer le droit anglais et de préserver la volonté du
de cujus à travers les dispositions testamentaires, retient plus souvent le
domicile successoral d' origine?".
239 cf: infra p. 172..
2.0 cf: F. BOULANGER, op. cit. p. 67.
2.1 cf: F. BOULANGER, Successions internationales ..... , op. cit., p. 68 et s.
2.2 cf: Jurisprudence citée par F. BOULANGER, op. cit., p. 70 et s.

117
Ainsi, si le juge sénégalais est saisi, il appliquera le droit
anglais. Par hypothèse, il ne tient pas compte du concept de domicile
-,.
anglais. Mais-si le juge anglais était saisi relativement à la dévolution
:.:successorale des biens d'un Sénégalais domicilié en Angleterre, il fera
régir celle-ci par la loi sénégalaise. Deux réponses à une même questiorr'"
que évidemment le renvoi peut éviter. De toute façon, on ne voit pas très
bien comment concilier la compétence de la loi du domicile avec celle de
la loi nationale dans la mesure où, les opérations soumises à la loi du
domicile concurrencent ouvertement celles régies par la loi nationale". La
compétence de la loi du domicile en droit sénégalais doit être prise avec
réserves si elle n'est pas tout simplement condarrmable. Il en est de même,
mais dans une moindre mesure, de la compétence de la loi de situation des
immeubles et fonds de commerce.
PARAGRAPHE.IJ :
COMPETENCE DE LA LOI DE SITUATION DES
IMMEUBLES ET FONDS DE COMMERCE: UNE
COMPETENCE RESIDUELLE.
La présence de biens immobiliers sur le territoire d'un Etat
accentue le dépeçage déjà infligé à la matière successorale. En effet en
supposant l'existence d'une-pluralité de -biens immobiliers situés sur le
territoire d'Etats différents, on peut bien imaginer le nombre plus ou moins
grand de lois
susceptibles de s'appliquer à l'ensemble des biens
immobiliers car le régime successoral des immeubles a des liens étroits
avec l'état économique et social du pays de situation. La loi locale ou loi
de
situation
des
immeubles
s'impose
impérativement
et
presque
universcllemcnr'". Pour s'en rendre compte il suffit de relever les
impératifs de scellés et formalités d'inventaires imposés par le Code de
W
La mise en œuvre du renvoi peut cependant atténuer ce morcellement, cf: supra p.
244 cf: infra p. 1'88.

118
procédure civile sénégalais. Ces mesures ne paraissent s'exercer que là où
se situent les biens immobiliers du défunt.
Le fondement du rattachement des biens immobiliers et
fonds de commerce à la lex rei situe est tiré des dispositions de l'article
847 alinéa 3 du Code de la famille. Le texte énonce que «en cas de
succession portant sur
des
immeubles et
fonds
de
commerce,
la
transmission de la propriété de ceux-ci est régie par la loi de leur
situation », La règle ne vise pas uniquement les immeubles, elle est encore
étendue aux fonds de commcrce/", Le législateur sénégalais consacre ainsi
en matière successorale immobilière une solution comparable mais non
identique à celle retenue en droit français. Alors qu'en droit français il
s'agit de la dévolution successorale des biens immeubles?", en droit
sénégalais en revanche il est question de -latransrnission de la propriété des
...< ..
immeubles et fonds de commerce.
Cette différence est assez significative' tout au moins au
chapi tre
des
expressions ou
formules
employées.
Al' évidence le
législateur sénégalais s'est fourvoyé sur l'expression transmission car en
voulant, éviter le reproche qu'on lui ferait d'avoir recopié in extenso des
dispositions législatives ou des jurisprudences bien établies en France, il a
cru remplacer le terme de dévolution par celui de rransmissiorr'". Les deux
expressions dévolution et transmission peuvent paraître proches car
véhiculant une idée de transfert. Mais· techniquement ils sont assez
245 La loi de situation de l'immeuble peut toutefois renvoyer à la loi du domicile ou à la loi
nationale du défunt.
246
La règle de conflit sénégalais tient ainsi compte des propositions faites par la doctrine
française (cf: BOULANGER, thèse, op cit, p. 228 ; NIBOYET in thèse précitée) sur
l'élargissement de la catégorie "immeuble" en traitant comme immeuble le fonds de commerce.
247 cf: Arrêt Bendeddouche Casso 1ère ch. civ 3.01. 1980 a ainsi rappelé que la loi française régit
la dévolution successorale des immeubles sis en France "par application de l'art. 3 du Code
civil français".
248 La même erreur ou confusion sera encore évoquée plus loin dans la rédaction de l'article 847
alinéa 1 du Code de la famille cf: infra: Critique de l'expression transmission, p.

119
différents pour être identifiés l'un à l'autre. Au sens technique la
dévolution exprime le transfert de l'hérédité aux successibles':". Ici, la
question se pose de savoir qui recueille; le patrimoine du de cujus; Les
règles de dévolution désignent ceux qui sont appelés à recueillir les droits
du de cujus. La transmission quant à elle évoque comment le patrimoine
-
est transmis aux successibles. Là, les règles de transmission indiquent
comment ces droits sont transmis. Le droit sénégalais et le droit français en
ce qui concerne, les successions portant sur des immeubles ne consacrent
pas les mêmes règles. Le droit sénégalais est-il sur ce point original par
rapport à son homologue français ? Il faut se garder de toute réponse
précipi tée250.
Quoi qu'il en soit, la soumission des immeubles et fonds de
commerce à la lexrei sitae consacre une concordance -entre la compétence: c-
du tribunal du lieu de situation des biens et la loi de situation de ces
mêmes biens. Par ailleurs, les créanciers locaux sont ainsi assurés de ..
recouvrer leurs créances sans aller chercher à saisir un juge étranger pour
une hypothétique application d'une loi étrangère. Toutefois, avant la
détermination de la Lex situs, il faut au préalable procéder à une opération
...._. __.. _ ... de__qualification. La solution du problème réside dans la qualification lege
fori'", La localisation du fonds de commerce peut être obtenue lorsque ce
fonds comporte un certain nombre d'éléments dont le plus important est la
clientèle. En tenant compte du lieu où cette clientèle entre en contact avec
le commerçant c'est-à-dire le lieu d'exploitation de l'activité commerciale,
le siège du fonds de commerce, il est bien possible d'affirmer que la loi de
ce lieu constitue la lex rei sitae. Par conséquent, la détermination du
régime des droits réels et les modes d'acquisition relatifs à ce fonds
249 cf: Lexique des termes juridiques, 8e éd", Dalloz 1990, p. 185.
250
f
. f
II
.
c : ln ra
e partie p. 2.10.
251 cf ; supra P.106.

120
relèveraient de cette loi. Par contre s'il faudra prendre en compte les
éléments variés qui le composent, le fonds de commerce ne peut plus être
soumisà un régime unique. Cela entraînerait un morcellement entre les
masses de biens qui composent le fonds de commerce.
La stabilité géographique des fonds de commerce et leur
importance pécuniaire font douter de l'opportunité de les soumettre à la lex
ultimi domicili. En droit français, la proposition de soumettre le fonds de
commerce à la lex rei sitae et non à la loi du domicile trouve son origine
dans les projets de codification du droit international priveS2• Cependant il
est revenu à M. 1. Héron le mérite d'avoir justifié le rattachement proposé.
La démonstration de l'auteur se présente sur trois points. D'abord l'auteur
met l'accent sur la fixité du fonds de commerce. Ainsi, « avant et surtout
après, le décès, le fonds de commerce reste soumis quant- à sa nature' .," '.--
juridique, à sa composition, à son statut légal et quant aux -droits qui
portent S4r lui, à la même loi, la loi du siège de l' exploi tation »253. C'est
cette fixité qui justifie le rattachement de la transmission successorale du
fonds de commerce. Ensuite il fait valoir que le rattachement à la lex rei
sitae provient de la diversité des législations en matière de fonds de
commerce. Dans certains pays le fonds de commerce- comprend---des-
éléments immobiliers. Alors en supposant que le défunt domicilié en
France laisse un fonds de commerce situé à l'étranger, l'application
mécanique de la loi du domicile entraînerait son éclatement et en réalité sa
destruction puisque le fonds serait soumis à la loi française à l'exception
des éléments immobiliers qui seraient régis par la lex rei sitae. Enfin il se
réfère aux règles d'attribution préférentielle des fonds de commerce pour
tirer la conclusion selon laquelle « l'existence de telles règles montre la
252 cf : Projet de codification rédigé en 1939, Rev. crit.
1946. 346 et Projet de codification
rédigé en 1967, Rev.crit. 1970. 844. Certains auteurs l'ont aussi avancée, cf : Niboyet, note
sous l'arrêt Labedan prée. H. Batiffol et p. Lagarde, T 2, n° 638, note 5.

121
volonté du législateur d'accorder au bien un traitement particulier, compte
tenu de son rôle spécifique dans l'économie »254.
Une fois que la question de la qualification des immeubles
et fonds de commerce est résolue, le choix de la loi applicable devient
chose aisée. En droit sénégalais la compétence de la lex rei sitae
n'étonne255 pas. Mais à y voir de près, cette compétence relativement aux
deux catégories de biens visés (fonds de commerce et immeubles) par
l'article 847 alinéa 3 du Code de la famille, sous les expressions "de
transmission de la propriété de ceux-ci" utilisées, à notre avis, apparaît en
premier lieu comme une compétence résiduelle256. En second lieu, elle se
révèle être une exception au principe de solution sur lequel il faut
néanmoins revenir, du moins encore identifier.
SECTION V:
nE LA SOLUTION DÉ PRINCIPE.
Le droit international privé sénégalais adopte pour la
détermination de la loi applicable à la succession ab intestat trois règles de
conflit dont l'analyse aboutit à la compétence d'au moins trois différentes
lois. Il s'agit de la loi nationale du de cujus, de la loi du lieu d'ouverture de
__
_
_lasJJccession et de la loi de situation des immeubles et fonds de commerce.
Parmi cette pluralité de solutions, découvrir un principe de solution ne
relève plus de la logique juridique (Paragraphe 1). Toutefois on peut
légitimement se demander si le législateur, au-delà de la lettre des textes
applicables (articles 841 alinéa 3, 847 alinéas l, 2 et 3 du Code de la
253 cf: 1. Heron, thèse précitée p. 205
254 cf: 1. HERON. op. cit. p. 205.
255 L'assimilation des fonds de commerce aux immeubles marque nettement j'identité de la loi
applicable: la lex rei sitae.
256 La loi du lieu de situation des
fonds de commerce et immeubles ne s'applique qu'à la
transmission de ces biens, une opération purement technique sur laquelle nous y reviendrons
plus loin; cf: infra p.

122
famille, n'a pas, malgré tout, entendu consacrer une solution de principe
(Paragraphe II).
PARAGRAPHE 1 :
DIFFICULTES D'IDENTIFICATION DU
PRINCIPE DE SOLUTION.
La lecture des dispositions de l'article 841, alinéa 3 du
Code de 'la famille se prête favorablement à l'identification de la solution
de principe. En effet, l'article susvisé dispose que: «sont soumises aux
règles de la loi nationale, les règles relatives à l'état, à la capacité des
personnes, aux régimes matrimoniaux et aux successions, suivant les
distinctions et sous les réserves indiquées aux articles ci-après ». Ledit
texte, in fine, fait ressortir des expressions ("distinctions" et "réserves") qui
fort bien laissent supposer l'admission d'un principe. Ce principe de
...... r-:
solution s'analyserait alors en l'application de là loi nationale" à"'la
succession. Cette affirmation est d'autant plus plausible que le Sénégal est
, . un Etat attaché à la tradition personnaliste. Le rattachement de l'ensemble-
de la succession à la loi nationale du de cujus, loi gouvernant l'état des
personnes se trouve ainsi justifié. Dès lors on peut établir le raisonnement
dialectique du moins syllogistique suivant. Les successions sont rattachées
au statut personnel. Or celui-ci est régi par la loi personnelle (loinatioh-ale-----------
en droit sénégalais). Donc les successions sont soumises à la compétence
de la loi personnelle du défunt: la loi nationale du défunt. La solution de
principe à savoir, la compétence de la loi nationale, est vraisemblablement
toute trouvée. Mais en envisageant la notion de statut personnel dans un
sens extrêmement vaste'"? et en soumettant tout ce qui y ressortit à la loi
nationale, on ne peut plus sous l'angle d'une argumentation objective et de
lege ferenda, rechercher un critère de rattachement satisfaisant à lui seul
257 cf: supra p.66 (On y inclut l'admissibilité du divorce, la puissance paternelle, les obligations
alimentaires, les régimes matrimoniaux, les successions etc.).

123
pour tous les domaines de cet ensemble si disparate. Les successions déjà
quant à elles ont un statut mixte. Elles relèvent aussi bien du statut des
biens, que du statut, personnel. L'idée de fond nous paraît être que l e · ·
principe de rattachement des successions à la loi nationale n'est pas aussi
évident qu'on le croît. Le principe est même battu en brèche par les textes
censés apporter les exceptions.
D'une manière générale, les successions font appel d'une
part à la question de la dévolution, d'autre part à celle de la transmission et
enfin à celle de la liquidation de l'actif et du passif. Ces trois matières
entretiennent entre elles des relations qui conditionnent à la fin, le
règlement de la succession. Mais la première relève exclusivement de la loi
nationale. La seconde est régie par la loi du lieu d'ouverture de la
.. succession, par la.loi .nationale et par la/ex rei sitae. Enfin la troisième est
soumise à la loi .du lieu d'ouverture de la succession. Pour s'en rendre
.
. '
compte il .suffit .de lire les dispositions de l'article 847, alinéas l et 2 du
Code de la famille.
Alinéa
1er
« les questions relatives à la dévolution successorale
concernant la désignation des successeurs, l'ordre dans lequel ils sont
'appelés, la transmission de l'actif et du passif à chacun d'eux, sont régies
par la loi nationale du défunt ».
Alinéa 2e : « sont régies par la loi du lieu d'ouverture de la succession, les
opérations concernant l'option successorale, la mise en possession des
héritiers, l'indivision successorale, le partage de l'actif et le règlement du
passif ».
On remarque que le législateur utilise un langage double
pour une même catégorie de matière. Il soumet les opérations indiquées à
l'alinéa 2 de l'article 847 à la compétence de la loi du lieu d'ouverture et

124
dans le même temps, il fait régir par la loi nationale ces mêmes opérations
mais regroupées cette fois-ci sous le vocable de « transmission de l'actif et
du passif». Il ya sans doute une explication à donner à cet amaigame258•
Retenons pour l'instant qu'un principe s'applique à défaut
d'exceptions. C'est une hypothèse d'école. Mais lorsque les exceptions
apparaissent, le principe ne s'impose plus. Il est naturellement écarté ou
tout au moins partiellement exclu. Les exceptions doivent cependant être
interprétées restrictivement (exceptio est strictissimae interpretationis).
Une règle exceptionnelle qu'on étendrait par analogie deviendrait règle de
principci". La solution de principe en droit international sénégalais, c'est
la compétence de la loi nationale pour ne retenir que la transmission de
l'actif et du passif donc du patrimoine, en un mot de la transmission de la
succession.vlvlais pour cette même transmission, par -énumération des
L:
questions qu'elle regroupe, le législateur impose l'application de la loi du
lieu d'ouverture. Le principe devient alors une exception si ce n'est le
contraire. On en déduit alors l'inexistence d'un principe de solution. La
recherche d'un principe de solution en matière successorale, à défaut de
vouloir se contenter du rattachement des successions au statut personnel,
est vouée à l'échec. La loi nationale n'est plus la solution-de principe-car
elle est ouvertement concurrencée par la loi du lieu d'ouverture de la
succession et par la loi du lieu de situation des immeubles et fonds de
commerce. Cette rivalité suppose tout bonnement une égalité de rang ou
tout au moins une égalité de compétence âprement disputée.
153 cf: infra p. n? ZU.
259 La jurisprudence n'a pas toujours appliqué cette directive. Le principe est parfois restreint
par une interprétation large des exceptions. Ainsi la prohibition de la stipulation pour autrui
(article 1119 du Code civil a été tournée par une interprétation hardie des exceptions prévues à
l'article 1121 du même Code.

125
PARAGRAPHE Il:
REFORl"lULATION DE LA SOLUTION DE
PRINCIPE.
Une solution de principe, quoi qu'il en soit, doit être
retenue. Compte tenu de la tradition personnaliste négro-africaine adoptée
4".·
' .
par le droit sénég-alais et révélée par I'histoirczso d'une part et, en raison de
la volonté de l'Etat sénégalais d'imposer l'application de la loi sénégalaise
à tout individu possédant la nationalité du for même s'il est considéré par
un autre Etat comme son national, on ne voit pas comment on pourrait
substituer la loi du domicile à la loi nationale et l'ériger en solution de
principe. La loi nationale reste et demeure celle applicable à la succession
du défunt en droit international privé sénégalais (article 841 du C.F.).
Une réforme semble s'imposer. Elle tendra à restituer à la
compétence de la loi nationale, lés matières qui lui ont été dérobées et qui
ont été soumises à la compétence de la loi du lieu d'ouverture de la
- succession. -Deux Iois différentes ne peuvent venir régir une même matière.
En d'autres termes, la compétence de la loi du lieu d'ouverture doit être
supprimée sinon être confinée dans un domaine résiduel. Au demeurant,
les réserves et distinctions apparues à l'article 841 du Code de la famille in
fine concerneront la transmission des immeubles et fonds de commerce.
Elles s'apprécieront également par rapport à d'autres questions telles que le
droit de prélèvement ou le lien de parenté. On est davantage confortée dans
une telle démarche car à l'analyse de la succession planifiée on se rendra
davantage compte de l'importance de cette solution de principe : la
compétence de la loi nationale.
260 cf: supra p. 66.

126
CHAPITRE III
LA LOI APPLICABLE A LA SUCCESSION PI.ANIFIEE.
Dans la succession ab intestat, la dévolution successorale
s'opère légalement. Les biens du de cujus sont attribués à ses héritiers
appelés suivant un ordre déterminé, les uns excluant les autres. La
particularité réside ici dans l'absence de volonté du défunt quant à la
transmission de ses biens pour le temps qui suivra après sa mort. Par
contre dans une succession testamentaire, le défunt de son vivant a
exprimé ses dernières volontés à travers un acte juridique, le testament,
quant à la disposition de ses biens. Toutefois dans ce cas, le testateur ne
·1 -
peutpas disposer de la totalité des biens. Seule: laquotité disponiblepeut
revenir aux légataires, les héritiers réservataires ne pouvant être privés de
succession,
A l'instar de la succession ab intestat, il faut également
déterminer la loi applicable pour régir la succession testamentaire.
L'examen des textes législatifs montre une.e~t~I?:sion d~ }.~_r~gl~ de.. conflit
telle qu'elle s'exprime à travers l'article 847 du Code de la famille. C'est
en fait une reprise des dispositions relatives aux successions ab intestat
(article 847 du C.F.) qui ressort de la lecture de l'article 848 alinéa 2 du
Code de la famille. Il s'agit ainsi de dispositions applicables aux questions
de fond (section 1) attachées au testament, puisque la forme fait déjà
l'objet d'une réglementation particulière (section II).

127
SECTION 1:
DEPENDANCE
DE
LA
SUCCESSION
TESTANIENTMRE
PAR
RAPPORT
A
LA
SUCCESSION AB INTESTAT.
C'est une dépendance qui s ' observe et qUI constitue la
conséquence directe de l'identité des rattachements par l'extension des
règles de conflit de la succession ab intestat à la succession testamentaire
(Paragraphe 1). C'est le caractère impératif attaché à certaines questions
qui impose cette extension de la réglementation qu'on pourrait qualifier
d'ordre
public.
Néanmoins
on
pourrait
bien
envisager
quelques
atténuations (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1:
EXTENSION DES REGLES DE CONFLIT DE LA
. u
SUCCESSION AB INTESTAT.
Le testament est un acte juridique unilatéral par lequel une
persol1I1e, le testateur exprime ses dernières volontés et dispose de ses .. .r,
biens pour le temps qui suivra sa mort?". Il sert ainsi comme un procédé de
transmission de la succession. Mais également, il est défini comme un acte
juridique. Pris sous ce second angle, il doit être soumis aux conditions de
validité de toute manifestation de volonté. L'interprétation de cette volonté
et les effets qui s'y rattacheront peuvent relever de la même loi, une loi
unique. Mais également l'interprétation et les effets peuvent être régis par
deux lois différentes.
Par hypothèse, le testateur aura tendance à privilégier une
réglementation uni taire pour l'ensemble de la succession. En effet une
certaine logique « volontariste» et un souci de prévisibilité voudraient
261 cf: Lexique de termes juridiques, se éd, p. 876.

128
qu'une même loi commande l'ensemble de la dévolution successorale/".
Ceci étant surtout valable pour les successions modestes. La loi unique
... serait soit la loi nationale soit la loi du -dornicile ·(loi étrangère si 'un
établissement prolongé permettait d'en connaître les signes particuliers).
Ainsi un Sénégalais qui voudra. prendre des dispositions de dernière
volonté sur sa résidence secondaire française se référera instinctivement à
sa loi nationale (celle qu'il croit légitimement applicable en raison de sa
nationalité) et ignorera les obstacles locaux auxquels pourrait se heurter sa
volonté. Mais la loi française (loi de situation) ne peut être méconnue
même si son application n'est que résiduelle.
En prévoyant une identité de rattachement en ce qUI
concerne la succession testamentaire et la succession ab intestat, le droit
positif se défie de toute fraude et se soucie de la protection.des intérêts de
.,'
la famille. « La crainte qu'inspire un choix illimité du testateur comme en
matière de contrat, d'une lei sans rapport avec ses attaches économiques et
familiales »263 justifie ces propos. L'identité des rattachements apparaît
d'abord à la lecture de l'article 848, alinéa 2 du C.F. qui dispose que: «la
dévolution successorale par testament s'opère conformément à la loi
nationale du défunt. Le règlement deJasuccessionestrégi. par la loi du
lieu d'ouverture de la succession ». Ensuite à travers les dispositions de
l'article 847, alinéas 1 et 2 du Code de la famille. L'alinéa premier énonce
que: «les questions relatives à la dévolution successorale concernant la
désignation des successeurs, l'ordre dans lequel ils sont appelés, la
transmission de l'actif à chacun d'eux, sont régis par la loi nationale du
défunt ». Quant au second alinéa, il est précisé que: « sont régies par la loi
du lieu d'ouverture de la succession les opérations concernant l'option
1
262 cf: F. BOULANGER, "successions internationales ...", op cit., Paris 1981, p. 177.
263 cf :F. BOULANGER, "les successions internationales ... ", op cit., p. 178.

129
successorale, la mise en possession des héritiers, l'indivision successorale,
le partage de l'actif et le règlement du passif ».
C'est compte tenu de lamême crainte exprimée plus haut
que l'es Etats attachés à la liberté de tester (Grande-Bretagne et les Etats-
. Unis dans une large mesure) ne prévoient pas de rattachements distincts en
ce qui concerne la succession ab intestat et la succession testamentaire. En
réalité, il paraît logique de laisser à la loi qui régit la succession ab intestat,
et non au droit du for, le soin de dire dans quelle mesure la volonté du de
cujus peut influer sur la dévolution.
Il faut faire remarquer qu'en matière successorale, la
volonté
du
testateur revêt
un
caractère particulier en raison
des
conséquences qu'elle produit sur les biens et à l'égard des héritiers
.réservataires. Al' opposé de celle qui s'exprime dans un acte ordinaire.Ta
volonté qui se manifeste dans le testament mérite plus de protection. En
effet et d'un côté, le testateur peut être tenté, de déshériter ses proches en
léguant tous ses biens à des tiers, ou de priver les héritiers réservataires de
la protection offerte à eux par la loi sénégalaisei". D'un autre côté la
volonté exprimée du testateur peut n'être que le résultat d'une série de
facteurs extérieurs dont il n'a point la maîtrise. On songe naturellement
aux pressions, aux captations et autres manœuvres dolosives susceptibles
de fausser le jeu de l'expression libre et consciente de la volonté du
testateur. Aussi la volonté testamentaire tout comme celle qui s'exprime
dans tout acte juridique, doit-elle, non seulement, être exempte de vices
(article 658 du C.F.) mais encore, elle ne doit s'assigner aucune fin illicite
et immorale. Mais par rapport au testament, ces conditions doivent être
appréciées avec sévérité. A cet sujet, il avait été proposé en droit français
de faire appel à l'ordre public à l'encontre des droits trop laxistes. Mais

130
dans la pratique, on n'en a fait qu'un usage modéré. L'éviction de la loi
successorale n'intervient que très rarement. C'est ainsi que dans l'affaire
"Scotto'T", la Cour d'appel de: Paris a validé le legs fait par un Italien
.xiomiciliè en France à sa maîtresse et à l'enfant adultérin adopté.
Le législateur sénégalais, en ce qui concerne le droit
matériel interne, a édicté de nombreuses règles impératives afin d'encadrer
la volonté du testateur. On peut citer certaines incapacités de recevoir à
titre gratuit des tuteurs (article 672 du C.F.). En droit comparé, à ce sujet,
les rattachements les plus variés ont été proposés : loi de la tutelle pour
l'incapacité de recevoir du tuteur, loi personnelle du gratifié ou même loi
de police. On cite également la limitation de la quotité disponible (articles
649 du C.F., 504 du C.F.), l'incapacité générale d'exercice, de disposer à
titre gratuit de l'époux marié sous le régime -communautaire (article 391
alinéa 1 du C.F .). En réalité ces prohibitions ont été édictées pour mettre le
testateur à l'abri de certaines pressions et éviter aux héritiers d'apporter la
preuve que le testament n'est pas l'œuvre d'une volonté libre. Et comme
l'exprime si bien F. BOULANGER266, le fondement de ces prohibitions est
bien successoral, d'où la compétence de la loi successorale .
. "_.
Le rattachement en matière de succession testamentaire a
donc un caractère impératif. Ce caractère a été affirmé en droit français, de
façon implicite mais très clairement, par la jurisprudence dans l'affaire
Caronï", Il a été jugé «qu'en retenant la manipulation d'une règle de
conflit comportant deux éléments de rattachement, manipulation consistant
par
une
série
d'opérations
harmonisées,
à modifier
l'élément
de
264 cf: articles. 565, 504 du Code de la famille.
265 Affaire "Scotto cl Veuve Leone" Paris 6 Juin
1973, JCP 1974. II. 17694, note G. Builliard.
On a estimé que le legs fait à la maîtresse était le témoignage de l'attachement que le défunt lui
portait.
266 cf: F. BOULANGER, "Les successions internationales ...", op cit., p.

131
rattachement constitué à l'origine par la nature immobilière du bien situé
en France, devenu ensuite bien meuble, afin d'écarter l'application de la
:;.)oi successorale: française prévoyant une réserve, une cour d'appela ainsi'
caractérisé· l'existence de la fraude qui tient en échec le principe de
l'autonomie de la volonté ». En suivant le raisonnement de la- haute
juridiction, on peut affirmer que la loi d'autonomie aurait pu s'appliquer
s'il n'était pas révélé dans l'espèce une fraude. Ainsi le testament en tant
qu'acte juridique, et à ce titre, pourrait être régi par la loi choisie par le de
cujus. Hélas cette interprétation ne peut valoir dans les domaines où la loi
successorale impérative est présente. On ne saurait, comme l'a fait la Cour
de Paris dans une décision déjà ancienne/'", en user dans des matières aussi
impératives que la réserve. Par contre pour les matières qui ne sont pas
impérativement réglées par la loi successorale, le testateur a plus ou moins
une liberté de choix; On touche alors aux problèmes d'interprétation du
testament.
La Cour de Paris dans l'affaire de la Fondation Potocki'ï" a
su distinguer entre matières «impératives» et «facultatives », Elle a
affirmé que « les testaments sont, quant au fond régis en principe par la loi
sous l'empire de laquelle leurs auteurs ont entendu se placer; cette loi ne
peut toutefois recevoir application si elle se heurte à des lois impératives
qui ont une portée générale et s'imposent à tous» ; « en revanche, c'est à
la loi d'autonomie qu'il convient de se référer, lorsque la matière est
abandonnée à la volonté du testateur par la loi successorale ». On ne peut
267 Aix en Provence 9 mars
1982, Rev. crit. 1983, note DR OZ ; Casso civ. 1ère 20 mars 1985,
Rev. crit. 1986, p. 66 note Y. LEQUETIE ; lCP 1986. II. 20630, note F. BOULANGER, p.179.
268 Cour de Paris 2 mars 1938, C1unet 1938, p. 544. Elle a énoncé que « l'ignorance de Wanb1att
relativement à la réserve de sa fille et au droit de propriété de sa veuve sur la moitié des biens
existants à son décès ne saurait entraîner la nullité du testament, tout portant à croire que, s'il
avait su que sa capacité testamentaire était limitée, il n'en n'aurait pas moins attribué à ses
parents la quotité dont il pouvait disposer ».
269 Trib civ Seine 1ère ch 26 février 1958, Clunet 1959, p. 430, note A.P ; Cour de Paris 16 mai
1960, lCP 1960, 11763, note Ch. GA VAL DA.

132
exprimer plus nettement le rôle subsidiaire de la volonté du testateur. C'est
donc la loi successorale qui définit le domaine de la liberté. C'est elle qui
régit le testament et !ion la loi dautonomie.
.'
On peut donc concevoir que, pour les matières facultatives
comme l'interprétation à donner de certaines clauses du testament ou leur
révocation, le testateur ait une liberté de choix; ce qui dépend non de la
règle de conflit du for mais de la loi successorale. Mais il semble normal
d'exiger une volonté clairement exprimée, ou, à tout le moins, des indices
non équivoques, dans les matières abandonnées à la liberté du tcstateur'".
Ainsi on évitera une interprétation hypothétique qui ferait appel à une
volonté inexistante. Dans un arrêt (arrêt Bingery:", la Cour d'appel de
Paris a repoussé l'appel à la volonté hypothétique du testateur pour la
révocation d'une disposition testamentaire. La Cour de cassation l'a
approuvée de ne pas avoir fait dépendre l'intention de révoquer le
testament « de la seule présomption légale de volonté édictée par la loi
argentine ». En l'espèce la dame Zubiaurre, d'origine argentine et
naturalisée française, avait, par un premier testament, institué comme
légataire universelle l'Œuvre des apprentis orphelins d'Auteuil. Ensuite
par un second testament elle entendait réaliser un legs au profit d'une
œuvre de bienfaisance argentine. Le neveu de la défunte, évincé par le
testament , soutint que la testatrice avait entendu placer son second
testament sous l'empire de la loi argentine. Tout portait à supposer une
pareille volonté en raison de l'existence d'un certain nombre d'indices
notamment le dépôt du testament au consulat d'Argentine à Paris. Or en
droit argentin, un testament postérieur en date, même portant sur un simple
legs particulier, révoque le testament antérieur.
J
270 cf: F. BOULANGER, "Etude comparative ...", op. cit., p. 93.

133
Si en droit sénégalais, l'identité de rattachement de la
succession
testamentaire
et
de
la
succession
légale
découle
des
_dispositions du Code de la famille (articles 847, alinéas 1 et 2,.848, alinéa
2), en droit français en revanche, elle est l'œuvre de la jurisprudence. La
Cour _de cassation dans l'arrêt « Labedan »272 a affirmé clairement le
pnncipe. En l'espèce, Jean Labedan, de nationalité espagnole, avait
disposé de toute sa succession, par testament passé à Bayonne, en faveur
de sa femme. Mort dans cette même ville, en décembre 1931, il laissait une
héritière réservataire, sa mère. Celle-ci décéda elle-même peu de temps
après à Hendaye. Le règlement de la succession n'ayant pas encore été
entamé, Alfred Labedan, frère du défunt, demanda la nullité du legs
universel; il s'appuyait sur l'article 814 du Code civil espagnol aux termes
duquel une constitution de légataire universel est nulle, s'il n'a pas été fait
mention des réservataires en ligne directe; En J'espèce seule la succession
- -..;...
mobilière faisait l'objet de contestation. Le tribunal de-Bayonne trancha le
conflit de lois en, faveur de la loi espagnoleetprononça la nullité du legs.
. ........ ,
La Cour de Pau en revanche affirma la validité du testament aux motifs
que l'article 814 du Code civil espagnol devait être rattaché à la matière
successorale qui obéit à la loi du dernier domicile et non à la loi nationale
du de cujus ( le domicile du défunt au sens juridique attaché à ce terme par
l'article 102 du Code civil français, pour la Cour d'appel, était en France
suite à l'abrogation par l'article 13 de la loi du 10 août 1927 de
l'admission à domicile concernant les étrangers ). La Cour de cassation,
approuvant la Cour d'appel, déclara finalement que la dévolution de la
succession mobilière était régie par la loi du dernier domicile du défunt. Or
cette loi est celle applicable à la succession mobilière ab intestat. Elle
271 Cour d'appel de Paris, 29 mai 1948, Rev. crit. 1950, p. 197, note G.R.D., J.c.P. 1950,5241,
note J. Lisbonne et sur pourvoi, Casso civ, 13 novembre 1951, Rev. crit. 1952, p. 323, C1unet
1953 p. 662.

134
revient ainsi régir la dévolution testamentaire dans le cas d'espèce, car
c'est au regard de cette loi que fut appréciée la validité du testament.
L'identité des rattachements était ainsi consacrée.
-Quoi qu'il en soit, il est unanimement admis que les règles
de conflits adoptées en matière de succession ab intestat sont étendues à la
succession testamentaire. Le législateur sénégalais dans ce domaine reste
fidèle aux enseignements du droit comparé notamment ceux révélés par la
prospection de la jurisprudence française.
La doctrine273 invoque à l'appui de cette affirmation
classique (le principe de l'identité des rattachements et la dépendance de la
succession testamentaire par rapport à la succession ab intestat), des
arguments tirés de l'histoire. Ainsi M. F. BOULANGER274 soutient que: « à
l' époque médiévale le développement de la succession testamentaire
imposa une dérogation au strict principe de la « réalité» ; le rattachement
.-
unitaire en .droit allemand s'explique par' l'idée qu'il ne peut y avoir
qu'une loi pour régir l'ensemble de la succession selon la volonté du
défunt »275. Il ajoute aussi que « on peut faire valoir qu'il est rationnel de
soumettre à la même règle les successions ab intestat et testamentaire: une
..
...
~
protection plus ou moins efficace est ainsi assurée, de manière impérative,
aux proches parents du défunt (réserve ou légitime, nécessité du rapport
etc.) ».
272 Cass civ 19 juin 1939, D.P. 1939. 1. 97, note 1. P ; S. 1940 1. 49, note NIBOYET ; Rev. crit.
1939, p. 481 note NIBOYET.
173c f : H.
BATIFFOL et P. LAGARDE, "Traité de Dip" tome 2 n? 639 ; H. LEWALD,
"Questions de droit international privé des successions" Rec cours de la Haye 1925, tome IV, p.
106.
mcf: F. BOULANGER, "Etude comparative ...", précité, p. 92.
275 En droit français, le choix d'une loi qui conduirait à éliminer la règle de rattachement telle
qu'elle ressort de l'examen de la succession ab intestat, n'est pas encore admis.

135
En définitive la volonté du testateur ne peut faire échec à la
compétence de la loi successorale. Mais on peut se demander néanmoins si
le .testateur ne peut pas déroger à la règle de confii t successorale compte
tenu de l'évolution de la question en droit comparé.
PARAGRAPHE II :
LES DEROGATIONS A LA REGLE DE CONFLIT
SUCCESSORALE AB INTESTAT.
En
droit
sénégalais,
aucune
disposition
législative
n'envisage la question de la dérogabilité à la règle de conflit en matière de
dévolution successorale par testamenr'". Et pourtant elle a un intérêt.
D'ailleurs, en droit comparé elle suscite quelques débats qui ne laisseront
sûrement pas passif le juge du for supposé sénégalais. A cet effet, on
évoquera successivement le conflit mobile et la professio juris.
A-
LE CONFLIT MOBILE EN DROIT SUCCESSORAL.
Le conflit mobile dont on doit l'appellation à Bartin surgit
lorsqu'une situation juridique se prolongeant dans le temps, se trouve par
suite d'une modification de son élément de rattachement sur lequel la règle
de
conflit
fonde
la
désignation
de
la
loi
applicable,
sourruse
successivement à des lois différentes. Le conflit mobile se distingue des
conflits de lois dans le temps. Alors que les seconds affectent des lois dont
les modifications sont dues à la volonté du législateur, le premier en
revanche
est
provoqué
par
le déplacement de
la circonstance
de
rattachement par la volonté des individus. De cette distinction on peut
rapporter les deux exemples suivants relativement aux successions.
Le premier se rapporte à la modification des règles de fond
ou des rattachements conflictuels depuis l'époque de la rédaction du
276 Evidemment, il est question des règles de fond car pour les règles de forme,
le testateur a
une liberté de choix. cf: infra p.1S2..

136
testament sans qu'il y ait eu changement de nationalité ou de domicile.
Dans ce cas, il s'agit de conflit de lois dans le temps ou conflit de droit
, .' transitoire. Le second concerne le changement de nationalité ou 'le
.déplacement de domicile par le de cujus après la rédaction du testament.
Dans ces deux cas, les prévisions du testateur seront déjouées si les règles
en vigueur au moment de la confection du testament, auxquelles il s'était
fié, ont changé par suite d'une modification des rattachements ou sont
contredites par celles du nouveau domicile ou de la nouvelle nationalité.
Une analogie existe entre conflit mobile et conflit de droit transitoire,
puisque dans l'un et dans l'autre, le juge est appelé à choisir entre deux
lois : la loi ancienne ou la loi nouvelle. Les solutions proposées pour
résoudre les cas de conflit mobile, compte tenu de l'analogie ci-dessus
évoquée, ont donné lieu à une importante controverse doctrinale. Deux
thèses ont été surtout développées .
. .Selon la première!", il faut exclure l'application immédiate
de la loi nouvelle, c'est-à-dire la loi du nouveau rattachement. Il y aura
donc survie de la loi ancienne. C'est l'application du principe de la non-
rétroactivité tel qu'il se dégage de la résolution des conflits de lois dans le
tempsen.droit interne. Ainsi devrait-on voir dans le testament, un acte
juridique dont la validité et l'interprétation dépendraient de la loi en
vigueur au moment de sa confection. S'agissant des formalités auxquelles
devra être soumis la confection du testament, la solution paraît s'imposer.
La validité du testament est appréciée au regard de la loi contemporaine de
sa rédaction. Donc, on se réfère à la législation en vigueur au moment de la
277
Cette thèse a été soutenue par PILLET et BARTIN. Ces auteurs sont arrivés au même
résultat mais à partir d'arguments différents, PILLET explique la survie de l'ancien
f
rattachement par respect aux droits acquis, Quant à BARTIN, il met l'accent sur le maintien de
la stabilité des institutions dans les relations internationales. BARTIN tranchait le conflit dans
chaque cas d'après l'analyse de l'institution en tenant compte du besoin plus ou moins grand
d'unité entre les effets à venir et la situation originaire. Pour lui, ce besoin est plus grand dans
le commerce international.

137
confection de l'acte. Un changement postérieur de législation ignoré du
testateur ne doit pas entraîner la nullité du testament. Mais s'agissant des
règles de fond, on estime que la transposi tion de la - solution' paraît:"
douteuse/" parce que le changement de nationalité ou de domicile apparaît
parfois dicté par des préoccupations de fraude. Quoi qu'il en soit, la thèse ·
de la survie de la loi ancienne quelle que soit l'argumentation qui la
supporte (respect international des droits acquis, invoqué par PILLET ou
stabilité des institutions soutenue par BARTIN), n'est pas unanimement
admise. « Elle a pour conséquence de figer la situation juridique en la
maintenant sous l'empire d'une loi désignée en fonction d'un rattachement
révolu »279 .
Suivant la seconde thèse, il est préconisé l'application au
conflit mobile des règles du droit transitoire interne: avec des· adaptations
nécessaires s'il le faut. Cette thèse trouve sa justification dans les
similitudes qui existent entre les conflits de lois dans le temps du droit'
interne et les conflits mobiles du droit international prive8ü• En droit
interne, l'effet immédiat de la loi nouvelle se justifie par le souci d'unité
de législation, de sécurité juridique. Au surplus, la loi nouvelle est censée
introduire un certain progrès. En droit international, cette présomption est
transposable.
Comme
l'estiment
certains
auteurs,
ces
mêmes
préoccupations se retrouvent également dans l'ordre international où elles
« imposent l'emprise de la loi de l'Etat actuellement compétent sur les
effets à venir d'une situation formée sous l'autorité de la loi d'un autre
278 cf: F. BOULANGER, "Les successions internationales ...", op. cit., p. 202.
279 cf : Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, " Droit international privé", Précis Dalloz se éd
1996, p.249
280 Sur la question du conflit de lois dans le temps, cf: CH. GA V ALDA, "Les conflits de lois
dans le temps en droit international privé", Paris 1955 ; P. ROUBIER, "Le droit transitoire", 2e
éd Paris 1960; J.HERON, "L'application dans le temps des règles de conflit", Rev. crit. 1987,
p.305 ; J. HERON, "Etude structurale de l'application de la loi dans le temps", Rev. trim. dr.
civ. 1985, p. 277

139
L'immeuble avait disparu du patrimoine du sieur Caron; par contre il était
représenté par des parts de sociétés, valeurs mobilières appelées à
dépendre de .la loi américaine et non plus de la loi française,' ·loi de
situation dudit immeuble. Et pourtant le Sieur Caron continuait à utiliser
+ .
cet immeuble comme une résidence sur la Côte d'Azur. Après le décès du
sieur Caron, ses enfants attaquèrent l'opération ci-dessus décrite. La Cour
d'Appel d'Aix en Provence puis la Cour de cassation sanctionnent la
fraude à la 10i284 après avoir analysé le mécanisme frauduleux/" comme
tendant à priver les héritiers réservataires de la protection de la loi
française. La Cour d'Appel de Paris'" statuant sur renvoi a annulé la
donation faite au couple en question en se référant à deux décisions
intervenues aux îles vierges au domicile du de cujus et prononçant
justement
l'annulation
du
testament
et
du
trust
pour manœuvres
captatoires.
En droit privé sénégalais, le changement de nationalité par
le défunt ne peut pas faire obstacle à l'application de la loi sénégalaise. En
effet l'article 849, alinéa 1 du C.F. soumet le Sénégalais à la loi nationale,
même s'il est considéré par un autre Etat comme ayant une autre
nationalité. Cette.règle pourra néanmoins recevoir une exception dans le
cas où le défunt a renié la nationalité sénégalaise.
En ce qui concerne le changement de domicile, le conflit
mobile peut se révéler assez fréquent. En effet en soumettant certaines
questions successorales à la loi du lieu d'ouverture de la succession"? - loi
du lieu du domicile du défunt en général - le juge peut arriver à désigner
284 Louis Lucas, "La fraude à la loi étrangère", Rev. crit 1962.
/
285 En l'espèce, il s'agissait indirectement d'un changement de rattachement. Le sieur Caron a
tenté de modifier la nature immobilière du bien ce qui a entraîné par voie de conséquence
l'application d'un autre rattachement.
286 Audience solennelle 1ère ch. 23 janvier 1990, Clunet 1990, p. 994, note NIBOYET. HOEGY.
287 cf: Article 847 alinéa du C.F. infra p.318.

140
une loi étrangère en fonction bien sûr du domicile étranger du défunt. Or
en manipulant cet élément de rattachement qu'est le domicile, le défunt
peut chercher à exhéréder ses proches par une fraude à la loi sénégalaise
protectrice des intérêts des héritiers. L'hypothèse reste pour l'instant
théorique étant donné qu'en droit international privé sénégalais, la loi
applicable aux questions de fond que soulève le testament est la loi
nationale et non la loi du domicile. Les droits des réservataires seront
toujours garantis par application de la loi nationale malgré le changement
de domicile. Mieux encore le déplacement précipité du domicile en vue de
modifier la loi applicable se relèverait sans intérêt dans certains cas. Ainsi
lorsque le domicile est transféré du territoire sénégalais sur le territoire
anglais où la notion de réserve n'est pas connue, une telle situation ne
produira aucun effet. En effet, si le juge sénégalais, après avoir déterminé
la.loi anglaise comme loi compétente, tient ensuite compte du concept du
domicile tel qu'il est conçu en droit anglais", il aboutirait non plus à
l'application.du droit anglais substantiel ou matériel mais plutôt à celle du
droit sénégalais car le droit anglais soumet la succession à la loi du
domicile d'origine, qui s'apparente à la loi nationale'". De la même façon
le déplacement du domicile opéré du Sénégal vers les Etats-Unis n'aura
_. _. _._ .. ...-
~
que peu d'intérêt car ici également la méthode flexible américaine de la
recherche de la loi la plus appropriée/", éliminera grandement les risques
de fraude à la loi.
288 cf :~v?ra p. 1\\ Z.
289 cf: ellp ra p 1t~.On arrive en fait à ce résultat par le jeu du renvoi.
Le droit anglais désigné va également renvoyer à la loi sénégalaise et en vertu des dispositions
/
de l'article 852 du C.F. le juge sénégalais appliquera la loi du for. cf: supra p.
290 La détermination de la loi applicable se fonde sur le regroupement des points de contact.
Mais la théorie américaine de la proper law ne se contente pas d'une analyse quantitative des
différents points de rattachement. Elle préfère une analyse qualitative et conduit le juge à porter
un jugement de valeur sur les mérites respectifs des rattachements.

141
Faut-il en définitive, exclure tout conflit mobile en matière
successorale et relativement aux règles de fond applicables au testament en
droit international privé sénégalais ? Une réponse affirmative s'impose.
lorsque le conflit mobile existe indépendamment de toute fraude. Même
combiné à une fraude quand bien même il serait examiné, ce qui apparaîtra
déterminant dans la démarche du juge c'est moins la sanction du conflit
mobile que celle de la fraude constatée. Ainsi au chapitre de la fraude, tout
dépendra de l'interprétation de la volonté du de cujus par rapport à la règle
impérative qu'il entend éluder par une manipulation d'un élément de
rattachement. Là, indiscutablement il est question d'une fraude mais non
d'un conflit mobile.
La notion de réserve n'est pas connue de tous les systèmes
juridiques. La quotité. de la réserve n'estpas non-plus la même dans les
pays qui admettent la réserve. Par rapport à cette notion, le conflit mobile
peut être révélateur à'une fraude à la loi. Alors pour atténuer ces
problèmes de fraude et de conflit mobile, on pourrait prendre en compte la
volonté du testateur circonscrite dans des limites raisonnables.
B-
LA PRISE EN COMPTE DE LA VOLONTE DU TESTATEUR:
'LAPROBLEMATIQUE DE LA PROFESSIO JURIS.
L'interrogation n'est pas sans intérêt. Avant les héritiers, le
premier intéressé par la réalisation d'un règlement cohérent de sa
succession est le défunt lui-même. En vue d'aplanir à l'avance les
discordes et répartir ses biens selon ses affections et selon sa volonté, la
«professio juris » constitue pour le de cujus un outil privilégié, une
structure de certitude?". En effet elle offre au de cujus la faculté de
,
j
291 P. LAGARDE, "Le principe de proximité", Rec cours La Haye 1986, tome 196, p. 116.

142
soumettre à un ordre juridique donné sa succession, pour une appréciation
cohérente voire unique de ses dernières volontés.
Par «professio juris », on entend ainsi «la possibilité
qu'aurait un testateur d'échapper aux règles légales de succession et de se
référer au système avec lequel ses intérêts présenteraient le lien le plus
étroit »292. Cette définition, à notre avis n'est pas trop pertinente puisque la
professio juris est une option. Partant de là, le testateur peut désigner le
droit applicable qu'il pense capable de protéger ses intérêts; pas forcément
celui qui présente un lien étroit avec ces intérêts. Il n'est donc pas
opportun de lui confier le soin de choisir entre les seules lois présentant un
lien sérieux avec la situation considérée. Ainsi on peut être plus ou moins
libéral. Mais aller jusqu'à abandonner au testateur une totale liberté, c'est
aller un peu loin dans le sacrifice des intérêts des .réservataires.
_ ~ ••• f
1: t"
La question de la professio juris est périodiquement"
"'., débattue et le·. droit des
successions
fait régulièrement i l'objet ' de·<--
propositions favorables à la prise en considération en droit international de
la volonté du de cujus'?', La tendance s'inscrit dans
un courant
contemporain favorable à l'autonomie de la volonté en droit international
privé des successions.
Une partie de la doctrine contempcraine" soutient que la
professio juris effectuée dans des limites précises, pourrait faciliter
grandement les relations privées internationales. Elle doit permettre au
testateur d'échapper aux règles impératives de la
loi successorale
zn F. BOULANGER ,"Successions internationales", op. cit., p. 208.
293
Récemment le projet de résolution de l'Institut du Droit International réuni au Caire a
)
préconisé de laisser au testateur une option entre la loi nationale et la loi du domicile. cf :
Annuaire de l'Institut du Droit Intemationalle Caire 1987, vol 62 ,tome 1. Rapport définitif et
projet de résolution par Y LOUSSOUAfu'\\f, p. 295 et spéc, p. 341 et la note n? 45.
294 cf: G. DROZ, "Regards sur le droit international privé comparé", Cours Académie de la
Haye 1991 tome IV, p. 243

143
objectivement applicable selon la règle de conflit du for, au profit d'une
autre loi. Elle réduirait la fraude à la loi, si l'on tient compte d'une
localisation matérielle de la succession, On ne permettra alors au de cujus,
de ne choisir qu'entre les seules lois présentant un- lien sérieux avec la
situation considérée. Dès lors, la localisation concrète de la situation exige
la mise à l'écart du rattachement traditionnel et oblige à examiner la
compatibilité du rattachement volontaire avec la catégorie successorale. A
l'évidence, les rattachements impératifs traditionnels peuvent se révéler
artificiels dans certaines hypothèses. Que dire par exemple de l'application
de la loi sénégalaise à un Guinéen naturalisé sénégalais mais n'ayant aucun
bien situé au Sénégal, en vertu des dispositions de l'article 849 du Code de
la famille? De la même façon, que conclure de la soumission à la loi
sénégalaise de la succession d'un Sénégalais alors définitivement détaché
de son .pays d'origine ?N'y a-t-il pas alors une place pour la professio
juris ? Permettre alors au testateur d'opérer un choix entre les lois qui
entretiennent-un lien étroit avec la situation juridique considérée ne serait
pas exagéré. Incontestablement, la marge de manœuvre du de cujus est
faible. De la sorte, le testateur n'aura plus le loisir de comparer les droits
en présence et de ne choisir que celui qui le mieux, lui permet de réaliser
. . . . .
ses désirs. Il choisit plutôt àla suite de cette comparaison, le droit qui en
même temps entretient avec la relation juridique un lien sérieux et qui est
compatible
avec
la
réalisation
de
son
projet.
L'impérativité
du
rattachement à caractère artificiel doit laisser le champ libre à la professio
juris. A ce titre on fait valoir que la professio juris constitue un instrument
d'une localisation de la succession fondée sur l'idée de proximité/". On
295 cf: P. LAGARDE, "Le principe de proximité dans le droit international contemporain", Rec.
/
Cours Haye, tome 196 1988, p. 117. Le choix de la loi du domicile apparaît alors adéquat et fait
ressortir le fondement de la règle de conflit exprimé à partir de la notion de patrimoine. La
succession s'ouvre généralement au domicile même si le décès se produit ailleurs. C'est
également au domicile du défunt que se font sentir les conséquences du décès. En tant que tel,
le domicile constitue bien le siège du patrimoine.

144
pourrait davantage soutenir que le choix de la loi applicable joue plutôt ici
le rôle proche de celui d'une clause d'exception.
A l'appui de la professio juris et à l'instar des solutions
relatives aux
régimes matrimoniaux en
droit français,
on invoque
l'assimilation de la succession ab intestat à un testament tacite. A défaut de
toute manifestation expresse de volonté, on présume que le défunt a porté
son choix sur les rattachements légaux par comparaison avec la matière
des régimes matrimoniaux, matière dans laquelle, à défaut d'un choix
explicitei'", on procède à la localisation des intérêts matériels des époux
afin de soumettre le régime matrimonial à la loi compétente. Dans cette
conception à défaut de manifestation expresse, par voie testamentaire ou
contractuelle, le de cujus est présumé avoir porté son choix sur les
rattachements du dernier domicile pour les meubles et sur la loi de leur
situation pour les immeubles. Cependant le recours à l'idée d'une volonté
tacite dans le cadre des régimes matrimoniaux _est depuis longtemps
écarté?", Au demeurant l'assimilation de la succession ab intestat à un
testament tacite est une position extrême/'". Ce qu'il faut d'ailleurs faire
remarquer c'est qu'entre les successions et les régimes matrimoniaux
l'analogie ne doit pas être poussée à l'extrême. En réalité, les deux notions
ne recouvrent pas la même réalité et déjà à ce sujet, l'admission de la
professio juris est critiquable.
296 La volonté des époux ne détermine qu'indirectement le régime matrimonial. Cette volonté
ne choisit pas davantage le droit applicable ; elle porte sur une localisation des intérêts du
ménage. Le domicile matrimonial conservant son rôle présomptif. Cf: Casso civ, 4 juin 1935,
"Zelcer", Grands arrêts. juris fr dr. int. priv, n° 13.
297 cf: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité, tome II, n? 620 ; Casso civ.
9 octobre 1991,
Rev. crit. 1992.479 note G. KHAIRALLAH; lC.P. 1992, éd? N. II. 177.
298 En droit sénégalais une telle conception est inconcevable pour deux raisons. La première se
fonde sur ce que les régimes matrimoniaux et les successions relèvent de la même catégorie (
/
statut personnel) donc sont soumis à une même loi, la loi nationale cf: article 841, alinéa 3 du
Code de la famille. La seconde qui en fait n'est que la conséquence de la première, conduit à
l'exclusion de la détermination de la volonté tacite des époux pour la localisation de leurs
intérêts en vue de la détermination de la loi applicable; elle est déjà connue. Sa désignation ne
dépend pas de la volonté des époux.

145
En effet en choisissant la loi applicable à leur contrat de
mariage, les époux ne disposent pour l'avenir, que de leurs propres intérêts
tandis qu'en matière successorale, le testateur «dispose unilatéralement
des droits d'autrui »299 même si l'on doit considérer qu'il ne s'agit que de
simples expectatives pour les héritiers tant que la succession n'est pas
ouverte. Dans ces conditions, dès l'instant où le testateur se place dans
l'orbite successorale il ne peut disposer à sa guise des droits des héritiers
réservataires.
Ainsi
on
réaffirme la
soumission
du
testament aux
dispositions impératives'?" de la loi successorale compétente. La raison
d'une telle démarche se déduit également des fondements du droit des
successions adoptés par le droit sénégalais où l'on fait prévaloir une
conception morale et familiale de la transmission héréditaire. De ce fait, le
législateur situe au premier plan la succession ab intestat qui prime alors
sur la succession testamentaire. Par conséquent, on ne peut que conclure à
l'exclusion de l'autonomie de la volonté du testateur dans l'ordre
international. La liberté de tester si elle vaut dans l'ordre interne, c'est
seulement parce que la loi confère à la volonté en matière successorale,
une efficacité qui n'est d'ailleurs pas sans limite. Dès lors, on ne peut
approuver sans réserve que la liberté de choisir la loi applicable soit une
simple projection sur le plan international de la liberté de tester reconnue
en droit interne. Inversement, on ne peut ignorer l'extranéite qui affecte les
successions internationales. Mais en toute rigueur, le droit international
devrait servir uniquement à identifier ceux à qui cette liberté est donnée'?'.
En revanche, elle n'a pas à abandonner au de cujus la liberté de choisir la
loi qui le laisse procéder à la répartition de ses biens conformément à ses
voeux. Autrement dit ce serait trahir la finalité même du droit international
/
299
F., RIGAUX, Commentaire des résolutions adoptées par le T" congrès de l'union
internationale du Notariat Latin, Bruxelles, septembre 1963, Rev. crit., 1964, p. 168 sp 170.
300 Les prescriptions impératives ne se limitent pas à la seule réserve héréditaire.

146
: le respect de la diversité des conceptions auxquelles donnent lieu à
travers le monde les notions de justice et d'utilité sociale que le droit
matériel ont, de leur côté, pour objet de garantir?".
En ce qui concerne l'admission limitée de la professio juris
on peut davantage hésiter.. Dans ce cas, la volonté du testateur ne peut
s'exercer
que
de
façon
résiduelle,
sous
réserve
des
dispositions
impératives. Il convient de rappeler que les règles impératives apportent
des restrictions à la liberté testamentaire. Ce sont les règles successorales
et elles seules qui organisent la liberté de disposer du de cujus pour le
temps où l'individu ne sera plus et qui donc rendent efficace une volonté
qui n'existe plus. Dans cette optique, l'admission de la professio juris se
présente comme une démarche contradictoire avec le droit des successions,
où la liberté de disposer résulte principalement de la loi. On peut alors
partager l'opinion de Mille GORE, lorsqu'elle voit dans l'admission de la
professio juris « une inadéquation entre la catégorie et le rattachement, de
nature à porter préjudice à la structure même de la règle de conflit »303.
Devant faciliter une unification de la loi applicable lorsque
le patrimoine du défunt est réparti entre plusieurs pays comme le
prétendent les défenseurs de la professio juris limitée, celle-ci, toutefois,
peut se révéler comme un instrument de dépeçage du patrimoine
héréditaire et conduire à un résultat que l'on voudrait pourtant éviter au
départ. En effet, si le testateur peut ne désigner la loi d'un Etat que pour
régir une partie de son patrimoine comme 1'y autorise par exemple l'article
6 de la Convention de la Haye du 20 octobre 1988 sur la loi applicable aux
successions à: cause de mort, le règlement unitaire de la succession est
/
301 cf: M. GORE,iDe la mode dans les successions internationales: contre les prétentions de la
professio juris, Mel. LOUSSOUARN, 1994, p. 193.
302 cf: V. HEUZE[ article précité.
303 cf: M. GORE,I"L'administration des successions .... ", op. cit. pA07.
i
i
1
!
,

147
forcément rompue. En effet, le de CUJUS est en mesure d'exercer des
options multiples, des choix multiples qui certes respectent les dispositions
impératives de la loi normalement applicable en vertu, soit du rattachement
de principe prévu à l'article 3, soit d'une professio juris conforme à
l'article 5304• Mais de toute évidence le choix limité à certains biens
conduit le testateur à prévoir une Il incorporation matérielle 11305 de
dispositions étrangères, compatibles a,:,ec les prescriptions impératives de
la loi applicable à titre principal.
On affirme par ailleurs que dans certains cas, la professio
juris semble être conçue comme un remède à la difficulté que l'on éprouve
à proposer un rattachement objectif incontestable pour une situation
donnée. Seulement, puisque la volonté ne sert qu'à résoudre une hésitation,
elle ne peut être efficace que dans la mesure où la loi choisie est l'une de
celles entre lesquelles les circonstances de l'espèce permettent d 'hésiter''".
Mais que décider, lorsque le testateur se méprend sur la teneur de la loi
choisie. Par exemple lorsqu'il lègue l'intégralité de ses biens à sa
maîtresse, alors que la loi qu'il a choisie institue une réserve aux profits de
ses descendants Pour parer à toutes ces critiques et interrogations, les
défenseurs de l'admission de la professio juris continuent de multiplier les
arguments.
, En particulier ils insistent sur l'idée que la professio juris
est le moyen ide rattacher la succession à l'Etat auquel elle est le plus
r
étroitement liee. Quoi qu 'ilen soit, le droit comparé laisse apparaître des
1
manifestation~ de la professio juris
/
304 cf: infra p. -145,.
305
cf : P. LAG~E, "La nouvelle Convention de la Haye sur la loi applicable aux
successions", Rev; crit. 1989.263.
306 cf: V. HEUZE! La volonté en droit international, (texte de la conférence donnée le 17 février
1998 à l 'institut ?v~ichel Villey pour la culture juridique et la philosophie du droit. A paraître).
1
.
i

148
On rapporte le cas du droit burkinabé qui confère à la
volonté du testateur, un rôle dans la désignation du droit applicable en
matière successorale. En vertu de l'article 1044 du Code des personnes et
de la famille : «une personne peut désigner la loi d'un Etat pour régir
l'ensemble de sa succession. Cette désignation ne prend effet que si cette
personne au moment de son décès, possédait la nationalité de cet Etat ou y
avait son domicile ». Cette règle permet ainsi grâce à une professio juris
d'échapper aux règles de conflit de l'article 1043 dudit Code. Le champ
d'application de la loi désignée est soit réduit ou étendu conformément à
l'article 1044, alinéa 6 qui dispose que « la désignation d'une loi régit sauf
précision contraire du défunt, l'ensemble de sa succession, que le défunt
soit décédé ab intestat ou qu'il ait disposé à cause de mort de tout ou partie
de ses biens ».
Dans ce même registre, on peut citer le droit Suisse comme
étant celui qui consacre à la question de la professio juris, une place de
choix''". En effet, l'origine de la consécration de la professio juris se
trouve dans l'article 22 alinéa 2 de la loi du 25 juin 1891 (L.R.D.C) qui,
soumettant la succession à la loi du dernier domicile du défunt, réservait la
possibilité pour le testateur de se référer à la loi de son canton. Ledit texte,
adapté aux rapports internationaux offrait à l'étranger ayant son domicile
en Suisse, de soumettre sa succession par testament ou pacte successoral à
sa loi nationa11e. Cette option est confirmée par l'article 90 alinéa 2 de la loi
fédérale sur l~ droit international privé (L.DJ.P), du 18 décembre 1987308.
307 On peut citer ékalement le droit italien qui recemment est venu consacrer la professio juris
/
limitée.
!
308 Le texte de la Iri est publ ié à la Revue critique de droit international privé 1988, p. 409 et s.
Voir également A. VON OVERBECK, "Le droit des personnes, de la famille des régimes
matrimoniaux et des successions dans la nouvelle loi fédérale Suisse sur le droit international
privé, Rev. crit., 1988, p. 237 spéc n? 58.

;49
La désignation de la loi nationale n'est cependant effective,
qu'à condition que le testateur possède cette nationalité tant au moment de
la confection de l'acte qu'au jour de son décès. La nouvelle loi de 1988
parallèlement offre aux Suisses domiciliés à l'étranger de soumettre
l'ensemble de leur succession ou les parts situées en Suisse à la
compétence des autorités Suisses (article 87, alinéa 2), ce qui emporte
l'applicabilité du droit suisse. Cependant le disposant peut réserver
l'application de la loi de son dernier domicile étranger (article 91, alinéa 2)
auquel cas il en sera tenu compte. Néanmoins le disposant peut toujours
bénéficier de la compétence du juge suisse sans être soumis au régime
contraignant protégeant les héritiers réservataires en droit Suisse'?".
L'ampleur
des
règles
impératives
en
droit
SUIsse
relativement à la transmission de la succession, pour ne citer que la
réserve, contraste bien avec l'admission de la professio juris. Le droit
interne ne laisse pas présager la possibilité d'une professio juris et pourtant
elle est désormais acquise au plan international. On peut ainsi douter que le
droit international privé doive refléter les rôles respectifs de chaque
modèle de succession. On constate encore que les pays de la common law
1
qui font prédominer en droit interne, la succession testamentaire ne
1
1
retiennent pas pour autant une admission totale de l'autonomie de la
1
i
volonté du testateur projetée au plan international. La projection du droit
1
interne dans l[ordre international passe par une nécessaire adaptation et la
i
détermination: du rattachement adéquat n'est pas directement fonction des
;
structures du droit interne?".
1
309 La réserve est des:Y4 pour un descendant, de la moitié pour le père ou la mère (article 471 du
Code civil suisse). Pour le conjoint Y4 en présence de descendants et 3/8 si le défunt laisse ses
père et mère ou ses frères et sœurs.
310 cf: H. BATIFFOL in Mélanges Firshing 1985, p. 1 et s. Y. LOUSSOUARN, "L'évolution
de la règle de conflit de lois", Trav. com. fr. dr. int. priv. 1988, p. 79 et sp. p. 85.

150
Compte
tenu
de
la
spécificité
des
successions
internationales, l 'optio juris est «en mesure de réaliser une localisation
appropriée de la relation successorale »311. C'est dans le droit fil d'une telle
opinion que la Convention de la Haye sur la loi applicable aux successions
à cause de mort (précitée), a prévu en son article 5 paragraphe 1 que, « une
personne peut désigner la loi d'un Etat déterminé pour régir l'ensemble de
sa succession. La désignation ne prend effet que si cette personne au
moment de la désignation ou au moment du décès, possédait la nationalité
de cet Etat ou y avait sa résidence »312. A la lecture du texte, on en déduit,
une admission partielle car le testateur ne peut opter qu'entre sa loi
nationale et la loi de sa résidence habituelle. En donnant la possibilité au
. testateur de choisir la loi de sa résidence habituelle, la Convention
introduit cependant un inconvénient majeur. Le testateur peut toujours
chercher à échapper à toute contrainte en établissant une résidence
habituelle dans un pays favorable à la liberté testamentaire. Ce serait un
cas de fraude à la loi. Heureusement, il a été prévu une réserve dont la mise
en œuvre aboutit à la mise à l'écart de l'autonomie de la volonté du
!
testateur dans! l'ordre international. L 'optio juris est écartée lorsque le de
1
cujus Il au mqment de son décès ne possédait pas ou ne possédait plus la
nationalité d~ l'Etat dont la loi a été désignée, ou n'y avait plus sa
i
résidence habituelle, mais possédait la nationalité de l'Etat qui a fait la
réserve et y aJait sa résidence habituelle Il (article 24 § l-C). Dans le même
i
esprit, il a été prévu une autre réserve permettant d'écarter l 'optio juris
lorsque le choix de la loi applicable prive «totalement ou dans une
proportion très importante, le conjoint ou l'enfant du défunt, d'attribution
de nature successorale ou familiale auxquelles il aurait droit selon les
.1
1
,
,1
3IICf : M. GORE, "L'administration des successions...." op. cit, p 393. Cette opinion sera
néanmoins réfutée par l'auteur qui ne l'avait alors émise que par hypothèse.
312
Voir le texte de la Convention in Rev. crit 1988. 807 ; P. LAGARDE, "La nouvelle
Convention de la Haye sur la loi applicable aux successions", Rev. crit. 1989.249.

151
règles impératives de la loi de l'Etat ayant fait la réserve: le conjoint et
l'enfant possédant la nationalité de l'Etat ayant fait cette réserve ou y
résidant habituellement »313.
Le droit positif français n'offre pas au de cujus une liberté
testamentaire
totale
en
droit
international
privé.
Les
successions
testamentaires sont soumises quant au fond, à la loi applicable à la
succession ab intestat. La solution est affirmée par la doctrine, de même
par la jurisprudence'!". En conséquence, la liberté n'est accordée au
testateur qu'en ce qui concerne les points sur lesquels la loi successorale
ne comporte aucune prescription impérative.
Le législateur sénégalais dans le sillage du droit français
cantonne la liberté du testateur aux seules règles non impératives. Mais la
consécration de la professio juris par le droit sénégalais, ne serait pas un
mauvais choix, Bien sûr, on ne se méprend pas sur le fait que, laisser le de
!
cujus libre de choisir la loi applicable à sa succession, c'est le laisser
réaliser ses Joeux relativement à l'organisation de celle-ci. Une telle
1
situation est généralement favorable aux gratifiés, tant que les libéralités
,
sont exemptes de charges. Parallèlement, elle se réalise au détriment des
i
1
solidarités familiales, Il reste quand même d'autres voies pour protéger le
testateur contre le risque d'une défaillance de sa volonté et assurer la
protection des intérêts des membres de la famille et des tiers. C'est
essentiellement à l'ordre public et aux lois de police?" que l'on confie
cette mission. Pour l'instant, le juge sénégalais ne se sent pas encore
concerné par l'admission de la professio juris. Le juge ne peut donc pour
/(
313 cf: Article 24 paragraphe 1-D
314 cf: supra p. -12.7.
315 Des développements seront consacrés à ces deux notions plus loin. cf: p. 2.40.

152
le moment?", ni se référer à la Convention de la Haye du 1er Août 1989 sur
la loi applicable aux successions à cause de mort, ni «autoriser» le de
cujus à s'y conformer pour le règlement unitaire de sa succession. La
question peut toutefois être soulevée en cas de renvoi. Mais le renvoi au
premier degré étant expressément prévu par le Code de la famille (article
852), celui-ci ne jouera alors qu'en faveur du droit sénégalais qui encore
une fois n'a pas intégré la Convention dans l'ordre interne. En toute
rigueur cette Convention sera écartée. Il en serait autrement si le renvoi au
second degré avait été prévu. A supposer même que le testateur se soit
référé à cette: Convention ou ait respecté les règles impératives relatives
,
aux questions de fond du testament conformément à la loi applicable, il
i
faut encore a~ préalable se prononcer sur la validité quant à la forme du
,
même acte.
!
SECTION H: !
FORME DU TESTAMENT ET LOI APPLICABLE
!
,
/
.t
316 La Convention n'ayant pas été ratifiée par le sénégal, la question de son application ne peut
même pas se poser. Cf: article 77 de la Constitution sénégalaise.

153
PARAGRAPHE 1 :
CONTROVERSE RELATIVE A LA FORME DES
TESTAMENTS.
Selon une tradition constante, la forme du testament est
régie par une loi propre. L'origine d~ cette tradition se confond avec celle
de la règle « locus regit actum ». La jurisprudence française pendant tout le
Ig e siècle a maintenu avec fermeté le principe selon lequel le testament est
valable s'il est conforme à la loi du lieu où il a été rédigé. C'est
l'application ide l'adage locus regit actum auquel on a conféré pendant
longtemps un caractère obligatoire'!'. dans son application au testament.
Mais à l'obligation d'utiliser une forme solennelle ou authentique dans tel
pays s'oppos~ la faculté de s'en tenir à une forme privée, olographe voire
i
mystique dans tel autre. Sur le plan des conflits de lois, la problématique a
1
i
porté sur la possibilité d'appliquer la loi du lieu de rédaction du testament
même à l'encbntre des dispositions impératives imposées par d'autres lois
1
ou par la 101 successorale. Ainsi en droit anglais un testament devait
satisfaire aux règles de forme de la loi du lieu de situation lorsqu'il portait
sur un immeuble alors que, lorsqu'il portait sur des meubles, la
compétence de la loi du domicile s'imposair'". Ailleurs et dans d'autres
systèmes on applique la loi nationale au moment de la rédaction de
l'acte'!".
En somme le caractère obligatoire de la règle de conflit a
fini par être écorché. Le débat a rebondi et a été mis en lumière par le
317 Cf: LAINE," Introduction au droit international privé ", t. 1., p. 456 et s. L'auteur, menant
une offensive contre le caractère obligatoire conféré à la règle, a fait valoir qu'un véritable
. contresens historique avait fait perdre à la maxime locus regit actum le caractère facultatif
qu'elle avait revêtu à l'origine. Il soutient que la règle avait été conçue pour faciliter la
;
conclusion des actes, en raison de l'impossibilité ou de l'incommodité qu'il y a souvent à
1
observer une autre loi que la loi locale. Aussi, lorsqu'on considère cette règle comme
obligatoire, c'est aller à l'encontre derlidée de faveur qui l'anime et donc en méconnaître la
signification véritable.
318 cf: Refin OICEY and MûRIS op. cit. p. 1012 pour le droit anglais.
319 Exemple des systèmes juridiques espagnols et portugais.

154
conflit de qualifications. En France, la qualification de la règle est
intervenue à propos du testament olographe du Hollandaisê''', L'article 922
du Code civil néerlandais faisait avant son abrogation, interdiction à tout
Néerlandais de tester où qu'il se trouve en la forrne olographe. Un
Néerlandais rédige un tel testament en France. Pour la Cour de cassation,
le problème J'est donc posé de savoir si le caractère olographe était une
:
1

question de forme ou une question de capacité donc une question de fond.
l
'
!
La jurisprudepce affirma, pour appliquer la loi du lieu de rédaction, « que
les lois sur lajforme du testament ne touchent pas à la capacité du testateur
,
i
mais seulement aux solennités extérieures qui doivent accompagner sa
i
volonté »321. L'autonomie ainsi acquise des règles de forme à l'égard du
1
.,
statut personnel n'empêcha pas ensuite la Cour de cassation de donner à la
i
1
règle locus regit actum un caractère facultatif. Par le célèbre arrêt Viditz, la
Haute juridiction française a décidé que, la règle locus regit actum « est
simplement facultative en ce qui concerne les testaments privés, qu'elle a
été admise pour faciliter les actes accomplis soit par les Français à
l'étranger, soit par les étrangers en France et qu'elle n'a d'autre effet que
d'accorder au testateur un droit d'option entre les formes admises par sa
loi nationale et celles qui sont exigées par la loi du lieu où il se trouve »322.
Posée pour la commodité des parties, la règle locus regit
actum ne doit pas se retourner contre celles-ci. Cela explique très bien le
caractère facultatif qui lui est conféré. Aussi pour en mesurer l'ampleur, il
a été proposé d'ouvrir très largement l'option car les règles de forme
320 Casso civ 25 août 1847, D. 1847 r. 275.
321 Casso civ 25 août 1947, "Quartin", S. 1847.1. 712. Dans le même sens Orléans 3 août 1859,
"Simon Whall", DP 1859 II 158, conclusions contraires Gueffier S. 1860 II 37. Aix, Il juillet
1881, Clunet 1882. P. 426 S. 1883 II, p. 249 note Labbé ; Trib civ Seine 21 juillet 1883,
!
"Duloup", Clunet 1884, p. 405.
322 Casso civ. 20 juillet 1909, Rev. crit. 1911. 'l. 185, note Politis ; Clunet 1909. 1097 Concl.
Baudouin. Rev. crit. 1909. 900. Le caractère facultatif vaut aussi bien pour les conventions que
pour les actes juridiques unilatéraux cf: Casso C,:V. 28 mai 1963, arrêt "Charlie Chaplin", Rev.
crit. 1963. 1004, note Goldman., J. C. P.. 1963. II. 13347, note Malaurie; D. 1963.677.

155
importent peu par elles-mêmes. Le seul intérêt des parties ou du testateur
est de passer un acte valable. Dans cette optique on estime qu'on y
parvient mieux par l'application de la loi que les parties ont librement
choisie que par la loi locale. En conséquence, on a soutenu la soumission
~
des règles deiforme et de fond à l'autonomie de la volonté. La règle locus
regit actum se réduit alors à la présomption que les parties se sont référées
à la loi 10cale~23.
1
1
i
i
! Ces considérations n'ont pas cependant fait l'unanimité
i
dans la doctrine, D'abord la liberté accordée aux parties ou au testateur ne
favorise véritablement pas la validité de l'acte. Que penser lorsque les
parties ont mal apprécié les exigences de la loi choisie? Ensuite, c'est
ignorer le rôle que joue les règles de forme qui loin de constituer des
entraves arbitraires aux relations juridiques, protègent fort bien les intérêts
des parties.
Abondant dans ce sens, M. V. DELAPüRTE324 mais tout en
critiquant le rattachement du testament à la loi du lieu de rédaction de
l'acte, estime pour sa part que la solution ainsi retenue (la loi du lieu de
rédaction du testament) aurait pu être considérée comme une réponse
subsidiaire à la détermination de la loi applicable au testament. L'auteur
propose un rattachement principal. Selon la thèse qu'il développe, la forme
doit être rattachée à l'institution dont elle est l'accessoire. Cela conduit à
soumettre le testament à la loi successorale car, estime-t-il, la forme de
l'acte juridique trouve ses raisons d'être dans les exigences de fond qui
relèvent
de
cette
loi.
D'ailleurs
la
loi
régissant
l'acte
au
fond
habituellement connue des parties, du testateur et de leurs conseils offre
j
/."
323 cf: MALAUIUE, " F0ll11C des actes, la règle locus regit actum ", J. Cl. dr. int. prv., fasc.
551- B. n? 162.
324 cf: V. DELAPüRTE, "Recherches sur la forme des actes juridiques en droit international
privé", thèse Paris 1974.

=
156
des avantages de commodité évidents, tout en supprimant de difficiles
,
problèmes d~ qualification et d'adaptatiorr'" M. V. DEI,-APORTE justifie
cette positioJ à partir du fait que trop souvent on ignore le rôle qu'est
censé jouer lA forme. Il écrit à ce sujet que « la forme d'un acte juridique,
i
1
loin de représenter un simple caprice du législateur, établi ou du moins
i
.
utilisé en fa~eur des plaideurs de mauvaise foi, dépend étroitement du
régime de fohd de cet acte »326. La forme de l'acte à en croire le même
i
auteur, est destinée à protéger le consentement de l'auteur de l'acte327 -
parfois, mais pas toujours ajouterait-on -. L'auteur démontre d'une part,
que les actes juridiques se rapportant au droit de la famille sont tous
formalistes : le mariage, la donation, la reconnaissance d'enfant etc.
D'autre part en matière patrimoniale, on constate, poursuit-il, que de
nombreux actes juridiques unilatéraux sont subordonnés à l'observation de
formes sans lesquelles ils sont dénués de valeur". La manifestation de
volonté expresse est de surcroît exigée pour certains actes!". Il en est ainsi
de la solidarité, de la délégation parfaite, du cautionnement et de la
subrogation.
L'auteur met alors l'accent sur les buts visés et les intérêts
protégés par les différentes formes pour arriver à la conclusion selon
laquelle les différentes législations sur la forme des testaments convergent
toutes vers un seul et même but. En effet, soutient-il, dans tous les pays, le
testament est un acte solennel et il n'existe pas de législation qui considère
l'acte par lequel une personne dispose de ses biens après sa mort comme
325 cf: Y. LEQUETTE et B. ANCEL, grands arrêts op. cit. p. 31 O.t
326 cf: V. DELAPORTE, op. cit., p. 14.
327 L'auteur concède en affirmant que le formalisme peut parfois contrarier plutôt que protéger
la volonté. C'est pourquoi il pense que le législateur interne doit aménager un formalisme
simple et bien approprié aux résultats visés cf: V. DELAPORTE, op. cit., p. 462.
328 cf: V. DELAPORTE, op cit, p. 15.
329 La solidarité (art. 234 du COCC). La délégation parfaite (art. 256 du COCC). La subrogation
(article 249 du COCC). Le cautionnement (article 835 du COCC).

15ï
i
un acte de ivolonté ordinaire. Le testateur, dans tous les systèmes
,
juridiques, es~ protégé contre les suggestions et les captations. Les mêmes
,
préoccupations font que la solennité du testament ne peut être démentie
i
nulle part. Pour l'auteur, « les règles de forme visent toujours le même but
, 1
qui est d'ass~rer la spontanéité du consentement, et leur variété exprime
l
'
1
seulement des moyens différents pour atteindre ce but »330. Ainsi se justifie
et « s'explique alors le principe du rattachement autonome : la loi du fond
ne souffre pas de l'abandon de ses règles de forme, puisque le même but
peut être réalisé par les formes différentes d'une autre loi »331.
Au total, il faut dire qu'il ne s'agit pas uniquement de
prévenir les risques de captation par le rattachement de la forme du
testament à la loi qui régit le fond. Mais également il s'agit de faire
obstacle à toute recherche divinatoire de la volonté réelle du de cujus par le
Juge.
La Convention de la Haye du 5 octobre 1961332 sur les
conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires et la
Convention de Washington du 28 octobre 1973333 portant loi uniforme sur
la forme d'un testamentintemational, ont fini par aplanir les difficultés.
Elles ont entraîné du coup une unificatiorr'" des règles matérielles. La
Convention de la Haye de 1961 a prévu huit rattachements permettant
d'assurer la validité de la forme des testaments établis dans l'ordre
330 cf: V. DELAPORTE, op. cit, p. 460
331 cf: V. DELAPORTE, op. cit, p. 460
332 cf: P. LAGARDE in Rev. crit. 1989, p. 249.
333 cf: M.REVILLARD, "L'entrée en vigueur de la Convention de Washington du 28 octobre
1973 portant loi uniforme sur la forme d'un testament international", Clunet 1995, p. 585. La
Convention de Washington prévoit en son article l, " qu'un testament est valable, en ce qui
/
concerne la forme quels que soient le lieu où il a été fait, la situation du bien, la nationalité, le
domicile ou la résidence du testateur, s'il est fait dans les formes du testament international,
conformément aux dispositionsde la loi uniforme ".
334 cf: M. REVILLARD, L'entrée en vigueur de la Convention de Washington du 28 octobre
1973 portant loi uniforme sur la forme d'un testament international, Clunet 1995, p. 585.

158
.
intemational.] Elle retient aussi bien la nationalité, le domicile ou la
i
résidence au imoment de la confection du testament. La Convention de
i
Washington lest allée plus loin, en prévoyant une certaine forme de
testament susceptible d'être admise par la loi interne de tous les pays.
C'est le testament intemationall" pouvant être utilisé dans l'ordre interne
comme dans l'ordre international. Il est fait par écrit ( article 3-1) mais il
n'est pas nécessairement écrit à la main par le testateur. Il peut être
dactylographié et être écrit en une langue quelconque (article 3-3). Il
nécessite la présence de deux témoins et d'une personne habilitée à
instrumenter. En présence de ceux-ci le testateur signe son testament ou
confirme sa signature s'il l'a déjà signé précédemment. Le testateur peut
cependant désigner une autre personne qui signera en son nom. Si le
testateur est incapable de signer, il en est indiqué la cause à la personne
habilitée à instrumenter qui la consigne sur le document. Les témoins et la
personne habilitée doivent apposer leur signature sur le testament en
présence .du testateur. Les conditions énumérées ci-dessus sont exigées à
peine de nullité. D'autres, par contre en dépit de leur inobservation sont
dépourvues de sanctions. Il s'agit de l'emplacement de la signature, la date
du testament et le numérotage des pages ( articles 6 et 7).
Au plan international, et en ce qui concerne, les conflits de
lois en matière de forme des testaments, l'unification est désormais
acquise. Mais pour l'instant, le juge sénégal ais, à défaut d'instruments de
ratification devant conduire à l'application de ces Conventions, s'en remet
aux règles de conflit du for.
335
L'appellation de testament international doit être comprise comme s'imposant à toute
situation internationale. Elle exclut donc l'utilisation interne. Et pourtant, le testament
international vient s'ajouter aux testaments déjà connus en droit interne. L'appellation paraît
ainsi critiquable

159
PARAGRAPHE Il
LA SOLUTION SENEGALAISE EN MATIERE DE
FORME DES TESTAMENTS.
En droit sénégalais, la forme du testament obéit à la loi du
lieu de sa rédaction mais elle peut également être soumise à toute autre loi
expressément choisie par le testateur ( article 848, alinéa 1 du C. F.). Le
libéralisme du texte que nous avons déjà évoqué conduit à laisser au
testateur une autonomie illimitée. Le texte va trop loin.
D'une part, le testateur peut se référer à l'une des formes
autorisées par la loi du lieu de rédaction de l'acte, quand bien même celle
qui aurait été retenue, est ignorée du for. D'autre part l'interprétation du
texte laisse envisager un éventail très large quant au choix de la loi
applicable. En effet, le testateur est libre de choisir n'importe quelle loi. Il
suffit qu'il l'exprime de manière explicite. Ainsi par application des
dispositions de l'article 848 alinéa 1 du C.F., on retrouve notamment les
différents rattachements proposés par la Convention de la Haye de 1961 à
savoir: domicile, nationalité, loi de situation des immeubles etc. Pour le
juge sénégalais, aucune difficulté ne peut naître dans la détermination du
droit applicable, du moins en présence d'une manifestation expresse de
volonté de la part du testateur. Il faut faire remarquer qu'un choix large,
synonyme d'un choix illimité est, cependant, de nature à conduire à des
hypothèses au départ inimaginables. Ainsi
le de cujus peut opter
expressément pour une loi qui n'entretient aucun rapport, ni avec la
situation de ses biens, ni avec sa nationalité, ni avec son domicile ou sa
résidence habituelle. Dans une telle hypothèse, on peut vraisemblablement
penser à une perversion de la liberté accordée par le législateur, et partant
regretter la réglementation de l'article 848, alinéa 1 du C.F. qui laisse en
fait le Droit à la convenance du testateur. Face à ce choix, le juge se trouve
doublement li;é. D'abord par le texte qu'il se doit de respecter, tant son

160
contenu est assez clair':". Ensuite par le choix du testateur. Il est clair, le
choix est illimité pourvu que la loi de référence qui au demeurant peut
n'avoir aucun titre sérieux à s'appliquer, existe quelque part sur la planète.
En toute rigueur, lorsque le défunt exprime sa volonté en faveur de
l'application d'un droit quelconque, tant qu'il n'est pas démontré que ce
droit doit être exclu, soit parce qu'il n'est pas encore entré en vigueur au
moment de la rédaction du testament, soit parce qu'il est purement et
simplement inexistant, ce choix s'impose au juge.
Suivant même les termes de l'article 848 alinéa 1 du C.F.,
le choix exprès d'une loi quelconque pour régir la forme du testament
constitue une exception au principe de l'application de la loi du lieu de
rédaction de l'acte. Si cette exception ne peut pas ne peut pas être mise en
œuvre, parce que le testateur n'a pas exprimé son choix, toute solution
fondée sur une recherche de la volonté tacite est exclue. L'exception n'a
plus de raison d'être suite au silence gardé par le testateur. La règle locus
regit actum s'impose. La tâche dujuge est considérablement simplifiée car
ce dernier sait aisément quelle loi il va consulter afin de déterminer la
forme observable et la sanction de son inobservation. Ainsi, lorsque le
testateur n'a pas observé lors de la confection de l'acte, la forme ou l'une
des formes prescrites par la loi du lieu de rédaction, on ne peut que
logiquement conclure à la nullité du testament. Une pareille solution est de
toute évidence regrettable tant que le testateur n'a pas contrevenu aux
dispositions impératives de la loi successorale. Mais comme on l'a
justement fait remarquer suite aux observations de DELAPüRTE, les règles
de formes quelle que soit la loi de référence, concourent au même résultat.
En conséquence le testament pourrait être validée, mais à condition que le
1
testateur ait eu recours soit à l'une 'des formes autorisées par sa loi
336 La maxime "ubi lex non distinguit, nec nos .distinguere debemus". ( il n'y a pas lieu de
1
_i_

161
nationale ou la loi régissant le fond c'est-à-dire la loi successorale. Cette
solution s'inspire d'une décision rendue par la Cour de cassation (arrêt
1
Chaplinv'" et en pratique résout la question de savoir comment doit
s'effectuer le choix entre les différentes lois. La Haute juridiction, en
interprétant le sens de la règle locus regit actum, a ouvert en l'espèce aux
parties une option entre la loi du lieu de passation de l'acte, la loi nationale
,.
de son auteur et la loi 'régissant le fond; La solution se révèle précieuse car
,
. .
elle apporte des précisions quant aux limites dans lesquelles s'exerce la
liberté des intéressés. Peut-on alors, la transposer en droit sénégalais?
A notre avis, la lettre voire l'esprit du texte de l'article 848, alinéa 1 du
Code de la famille est assez explicite et dans l'éventail assez large des lois
applicables, la solution française y trouve bien une place. Elle sera au
demeurant étendue. Quoi qu'il en soit, le risque de voir, avec le choix
illimité consacré par les rédacteurs du Code de la famille, le testateur
disposer de ses biens sous l'effet d'une captation par exemple est minimisé
en raison de la protection du consentement assurée d'une façon ou d'une
autre à travers les règles de forme presque universellement admises.
Au total, la règle « locus regit actum » n'a pas en droit international privé
sénégalais une signification particulière. C'est toujours le caractère
facultatif que l'on retrouve, renforcé par une liberté très grande accordée
au testateur quant au choix de la loi. applicable. Au demeurant on est en
droit de se demander si, sous l'apparence d'une règle de conflit, ne se
camoufle pas: une règle matérielle de faveur à la validité d'un acte - du
!
\\
;
testament en I'occurrence -, r~gle s'éloignant du principe de la neutralité
distinguer lorsqu~ la loi ne distingue pas) pourrait bien ici, recevoir une application.
337 Casso civ. 28 mai 1963. D. 1963. 677, note Biitiffol ; JCP 1963 II 13347, note Malaurie ;
Clunet 1963.1004, note Goldman; Rev. crit. 1964.513, note Loussouarn.
!
't:
,
,

'162
tant l'éventail des lois susceptibles de s'appliquer est largement ouverr'".
A notre avis, la règle de conflit de l'article 848, alinéa l du C.F. se donne
pour but de valider le testament confectionné selon la convenance du
testateur quelle que soit la loi choisie. Dans ces conditions, elle ne se borne
plus à découvrir le rattachement qui convient à la validité en la forme du
. ,
.
testament, mais s'assigne pour objectif, la consécration d'un résultat
...
. .
,
matériel, l'efficacité de l'acte que le de cujus a entendu réaliser. Pour seule
condition, elle exige que la forme suivie soit autorisée par la loi choisie. La
règle de conflit n'est plus neutre.
SECTION III: L'ANTICIPATION SUCCESSORALE.
L'anticipation successorale, pour emprunter les expressions
au Professeur PATARlN339, se définit comme: « les moyens par lesquels
une personne entend régler de concert avec ses héritiers le sort de ses biens
à son décès »340. A la différence du testament, œuvre qui révèle une
manifestation unilatérale de volonté, l'anticipation successorale, à travers
. les procédés utilisés, traduit la rencontre de deux volontés. A cheval sur le
droit des successions et sur le droit des obligations, elle pose quelques
problèmes qu'on abordera en étudiant l'institution contractuelle et le
testament conjonctif.
PARAGRAPHE 1 :
L'INSTITUTION CONTRACTUELLE EN DROIT
SENEGALAIS.
: / l ' "
! L'institution contractuelle encore appelée donation de biens
!
'i"
à venir, est u~ contrat par lequel une personne, l'instituant, promet à une
/
338 cf: Y. LOUSSOUARN, "La règlede conflit est-elle une règle neutre" ? Trav. corn. fr. dr.
int. priv. 1980, p. !53
.
.
339
cf : J. PATARIN, "L'anticipation successorale dans les contrats et les actes non
testamentaires consenties par le de cujus", Cours Doctorat Paris 1973 - 1974.
340 cf: F. BOULANGER, "Successions internationales", op. cit, p. 217.
1
,

163
autre, l'institué, de lui laisser à sa mort, tout ou partie de sa successiorr'".
Ainsi définie,' l'institution contractuelle constitue un pacte sur succession
future. Sur ce point le droit sénégalais diffère profondément du droit
français. En droit interne sénégalais le législateur ne pose pas d'une façon
solennelle le i principe de prohibition des pactes sur succession future
!
.1
affirmé avec force par les articles 791, 1130, alinéa 2, 1600 etc. du Code
civil français'[". C'est une conception totalement différente qui y prévaut.
Une distinctioin est faite entre les pactes sur la succession d'un tiers et ceux
sur sa propre succession. Les premiers sont proscrits en vertu des
dispositions de l'article 499 alinéa 1 du C.F. « Sont interdits toutes
stipulations ayant pour objet d'attribuer un droit privatif ou de renoncer à
un droit sur la succession non ouverte d'un tiers ». Les seconds sont
autorisés selon les termes de l'article 499 alinéa 2 « Sont permis les pactes
sur sa succession ouverte ou non de l'un des contractants ».
La prohibition de l'article 499, alinéa 1 du Code de la
famille trouve son fondement dans l'idée qu'il faut éviter les «pactes
d'oiseaux de proie» par lesquels certains héritiers en quête de ressources
céderaient à vil prix les droits éventuels qu'ils auraient sur une succession
à des usuriers":'. L'interdiction faite quant aux pactes sur la succession
d'un tiers ne vaut que du vivant du tiers. Autrement dit les conventions
passées après le décès sont valables. Aussi les successeurs ont-ils alors le
droit de céder leurs droits à un cohéritier ou à un tiers, après l'ouverture de
341 cf: lexique de termes juriques, se éd, p. 279.
342
En
droit
français
l'institution
des
successeurs
par
contrat
n'est
pas
autorisée
;
exceptionnellement dans le cadre d'un contrat de mariage ou d'un contrat entre époux la
prohibition tombe.
343
Dans la société sénégalaise et selon une certaine pratique, certains individus acceptent
facilement des prêts consentis par certains usuriers à des taux exorbitants et de ce fait se
,/
dépouillent presque entièrement du contenu de leur patrimoine. C'est si courant· en fait, qu'on
se demande si la majorité de la classe moyenne ne vit pas au dessus de ses moyens tant
l'endettement est de principe. Pire, la dette dans nombre de cas n'est jamais affectée à des
projets productifs. La prohibition de l'article 499, alinéa 1 du Code de la famille constitue alors
une règle protectrice.

164
la succession. Un second fondement à la prohibition des pactes sur
succession future se retrouve dans la protection de certains successibles à
l'intérieur de la famille contre leurs parents. Mais dans la mesure où le
législateur permet à l'un des contractants de passer une convention afin
d'aménager ses droits successoraux au profit de ses frères, ce second
fondement ne se justifie plus.
L'institution contractuelle se réalise en droit sénégalais à
travers les donations de biens à venir. Par donation de biens à venir on
entend la donation de biens laissés au décès ou la donation de biens dont le
donateur n'est pas encore propriétaire au jour de la donation, mais qui lui
appartiendront plus tard. Comme son nom l'indique, c'est une institution
de successeur: par contrat validée par l'article 499, alinéa 2 du Code de la
farnille?". Le :texte se démarque de l'article 943 du Code civil français qui
au contraire: prohibe les
donations de biens à venir. L'institution
contractuelle suscite dans l'ordre international quelques débats et pose la
question de hi détermination de la loi applicable. La question a un intérêt
particulier du! fait de la diversité des procédés utilisés en droit comparé
!
pour désigner: le même concept: le contrat successoral. En droit suisse les
i
:
!
,
.
contrats successoraux sont largement admis. Mais ils sont soumis à des
conditions d'authenticité?". En droit allemand, ils se présentent comme
des dispositions irrévocables auxquelles il ne peut être mis fin que par
accord mutuell". Dans le système anglais la réalité du phénomène est
344 Le texte dispose que, " Sont permis les pactes sur la succession ouverte ou non de l'un des
contractants". Mal rédigé, le texte l'est forcément car on ne peut pas imaginer comment l'un
l
,
des contractants pourrait passer une convention sur sa succession ouverte alors que l'ouverture
/
de cette succession suppose qu'il soit mort. Ce qu'il faudra retenir dans ce texte, c'est le second
r
aspect de la phrase; le pacte sur la succession non ouverte est autorisé s'il s'agit de la
succession de l'un des contractants.
345 cf: F. BOULANGER, op. cit., p. 221.
346 (§ 2290 - 2292) du B.G.B

165
appréhendée à travers les techniques de désignation des successeurs telle la
formule du « settlement » par contrat de mariage.
Suivant la variété des procédés, faut-il soumettre le contrat
successoral à une loi unique ? Doit-on privilégier l'aspect contractuel,
successoral ou matrimonial, pour y parvenir? La réponse n'est pas simple.
En droit
français,
et en ce qui
concerne les pactes
successoraux exceptionnellement autorisés que sont, les donations de biens
à venir par contrat de mariage, on a cru voir dans la qualification
matrimoniale, le rattachement pouvant conduire à l'application d'une loi
unique. Mais elle est apparue peu appropriée '" car le régime matrimonial
auquel on rattache ainsi le contrat successoral, règle le sort des effets
1
pécuniaires des époux pendant le mariage alors que la donation révocable
par prédecès du disposant, ne produit ses effets qu'au décès du disposant.
L'institué n'a jusque là qu'un droit éventuel, une simple expectative. Entre
l'institution contractuelle et le régime matrimonial l'identité est difficile à
établir. C'est pourquoi la jurisprudence a proposé une autre qualification
dans l'affaire «Garcia de la Palmira ». Elle voit dans les pactes
successoraux une incapacité de caractère personnel. Aussi fera-t-on
prévaloir la loi personnelle de l'incapable pour décider de la validité ou
non de l'institution contractuelle. En l'espèce, il était question d'une
donation insérée dans le contrat de mariage de la fille du Comte de la
Palmira à Rome. Suivant cette donation, le Comte lui garantissait par
préciput le quart des biens à son décès. Selon le droit spécial espagnol,
1
l'acte était n~l car il était interdit de gratifier les filles par contrat de
mariage. Pour; la Cour de Paris:", pareille disposition ne pouvait recevoir
347 cf: G. Droz, "Prudentes réflexions sur la loi applicable aux donations entre époux en droit
international privé français", Journal Notaires 1978. 54. 215, pp 637 ; Fadlallah, "La famille
légitime en droit international privé", thèse Paris 1977, n? 280.
348 Paris 12 mars 1881, Clunet 1881.355 ; 0.18812.137.

166
effet ni en France ni en Espagne. Mais en réalité, c'était une prohibition
tenant beaucoup plus au mode de disposer qu'à la personne. Toutefois, la
Cour de cassation sauva la disposition au regard de la masse immobilière
française afin de remédier à la discrimination qu'entraînait la nullité de
l'acte à l'encontre de la fille. Elle assimila la disposition à l'institution
-,
contractuelle de l'article 1082 du Code civil au motif que «tout ce qui
touche à la transmission de biens est .régi par le statut réel français »349.
Cette position a ensuite évolué. La Cour de Paris dans un arrêt (Panelli et
GorafJatto)350, valida la donation à cause de mort consentie par un mari
italien à sa femme française. L'ensemble de la succession tant mobilière
qu'immobilière relevait de la loi française, le mari étant décédé domicilié
en France. Elle souligna que la donation de biens à venir « portait atteinte à
la dévolution successorale telle qu'elle est opérée par la loi, mais elle
trouve ses limites dans certaines règles successorales impérativement
prescrites ... ayant pour objet les biens que le donateur laissera à son
décès ». C'est la qualification successorale qui a ainsi prévalu à travers la
démarche du juge du fond. Mais elle a été critiquée.
On fait valoir d'abord que la validité de l'acte dépendait de
la formule de la loi applicable. Bonne à l'égard de la masse immobilière
française, elle ne le serait plus si la loi applicable à la masse mobilière
formulait une condamnation radicale. Ensuite on estime qu'avec le conflit
mobile, l'acte qui initialement était valable conformément à la loi
contemporaine de sa formation et à laquelle les parties se seraient
soumises, deviendrait caduque ou nul en cas de changement postérieur de
,domicile.
Observons
toutefois
que
si
l'institution
contractuelle
se
rapproche des donations ordinaires par les règles sur la révocabilité, elle en
diffère par les effets lors du décès. 'Dans ces conditions, elle produit
349Cass. civ., 2 avr:iI1884, Clunet 1885,77; S. 1886.1.12L
,
1

167
nécessairement des conséquences successorales. Elle ne peut pas être
considérée comme une simple conséquence du mariage. En effet, l'institué,
après le décès de l'instituant, bénéficiera des options et sera soumis aux
règles sur le passif qui sont celles d'un légataire universel?". C'est bien là
une conséquence successorale: qu'on ne saurait ignorer. Seulement, s'il
faut distinguer entre la loi successorale mobilière et la loi successorale
immobilière, la validité de l'institution contractuelle s'en trouverait
menacée si l'une de ces lois formule une condamnation radicale du
procédé. Si l'on s'en tient au principe de la soumission de l'institution
contractuelle à la loi successorale, on ne peut conclure qu'à l'application
cumulative des lois en présence, ce qui entraînerait l'invalidité du procédé
dans le cas d'un dépassement du disponible. Aussi faudra-t-il faire place à
un libre choix des parties pour d'autres formules de prévision successorale
et, pourquoi pas, évoquer la soumission de l'institution contractuelle à la
loi d'autonomie. La jurisprudence récente'V paraît favorable à une telle
solution. Mai~ en toute rigueur, cette liberté de choix ne peut être totale et
entière.
La .loi successorale
normalement
applicable
ne
peut pas
i
abandonner à! la volonté des parties les matières qui font l'objet d'une
!
,
réglernentation impérative.
350 Paris, 20 février 1964, Rey. crit. 1977.508, note G. Légier.
351 Cour de Paris, 20 février 1964. D. 1965.26 note E. SALLE de la MARNIERRE.
352 Paris, 19 mai 1964, JCP 1965. II. 13991, note Voirin ; Clunet 1965.403, note B.G. Casso
civ., 31 janvier 1967, Bull. civ. 1967.1.29, note Patarin.

168
En droit sénégalais, à la lecture des articles 848, alinéas 3, 4
et 5 du Code de la famille, on croit déceler la réponse à la détermination de
la loi applicable à l'institution contractuelle, bien que ces textes ne traitent
que de la donation sans aucune autre précision. En vertu de l'alinéa 3, la
donation est régie quant à la forme par la loi du lieu où l'acte est intervenu
mais elle peut être faite conformément à toute autre loi expressément
choisie par les parties. Les effets de la donation sont, selon l'alinéa 4 du
même article, dans le silence de l'acte, régis par la loi du lieu d'exécution
de la libéralité. Suivant l'alinéa 5, la quotité disponible et le droit à réserve
des héritiers se déterminent selon la loi nationale du défunt. Le mode et
l'ordre de réduction sont régis par la loi du lieu d'ouverture de la
succession.
En vertu des dispositions des articles 711 et 712 du Code de
la famille, la donation entraîne un dessaisissement du bien donné par le
donateur du vivant de celui-ci. En principe, la donation est irrévocable
sauf, pour les causes limitativement énumérées à savoir: inexécution des
charges ou conditions sous lesquelles la donation a été faite; ingratitude
du donatairef" ; survenance d'enfant ( article 704 du C.F.). L'institution
contractuelle réalisée à travers la donation de biens à venir, quant à elle
produit des effets qu'il faut apprécier avant et après le décès de l'instituant
Avant la disparition de l'instituant, l'institution par contrat se rapproche de
la donation sur deux points. D'un côté, l'institué a un droit éventuel sur les
biens, ce qui .l'autorise à prendre des mesures conservatoires. De l'autre
l'institution est irrévocable ad nutum à titre gratuit ( les biens promis ne
peuvent plus: être l'objet de' libéralités ). Au décès de l'instituant, on
applique les règles des donations pour tout ce qui concerne le rapport
1
d'égalité. C'est dire que si l'institution contractuelle excède la quotité

169
disponible, elle fera l'objet d'une demande en réduction par l'héritier
réservataire. Comme les donations qui sont réduites après les legs, la
;
réduction de I'mstitution contractuelle intervient aussi après les legs. De
part les effets qu'ils produisent et étant entendu par ailleurs que le
législateur soumet l'institution contractuelle en général aux mêmes
conditions de fond et de forme que celles de toute donation, vouloir
assimiler les deux institutions afin d'étendre à l'institution contractuelle la
. règle de conflit applicable à la donation apparaît logique. De surcroît, la
donation et l'institution contractuelle sont tous deux des contrats qui par
certains côtés entretiennent un lien avec la succession.
Puisque que les textes précités ne distinguent pas et que
l'institution contractuelle se rapproche de la donation ordinaire, on peut
admettre que la forme de l'institution contractuelle soit soumise à la règle
locus regit actum. Toutefois l'acte peut être confectionné conformément à
toute autre loi choisie par les parties (article 848, alinéa 3 du C.F.).
Cette interprétation a ainsi l'avantage de résoudre la
question de la détermination de la loi applicable aux pactes successoraux
autorisés par le législateur sénégalais et que l'on projette ainsi dans l'ordre
international. C'est dire alors qu'en droit international privé sénégalais, et
en l'absence de toute source jurisprudentielle, le procédé de dévolution,
aménagé à travers l'institution contractuelle, reste soumis à la loi
successorale relativement aux questions de fond par extension des règles
de dévolution ab intestat (loi nationale du défunt) et à la loi choisie par les
parties ou à la loi du lieu de rédaction de l'acte en ce qui concerne les
questions de forme.
353 La donation faite en vue du mariage n'est cependant pas révocable pour cause d'ingratitude (
article 704 du C.F.).

170
PARAGRAPHE II :
LES TESTAMENTS CONJONCTIFS ET LE DROIT
INTERNATIONAL PRIVE SENEGALAIS.
« Le testament est dit conjonctif ou conjoint lorsque deux
ou plusieurs personnes testent dans le même acte, au profit d'un tiers ou
réciproquement les unes au profit des autres »354. Cette forme est prohibée
par les dispositions de l'article 968 du Code civil françaisl". Le fondement
de cette
prohibition réside dans
la crainte qu'il n'y ait un lien
d'interdépendance intellectuel entre les testateurs, spécialement entre
. époux de sorte que chaque gratification serait la cause de l'autre. Cette
interdiction n'a pas été reproduite dans le droit sénégalais de manière
,
expresse. Néanmoins, on peut estimer à travers l'institution des formes
i
énumérées et; exigées à peine de nullité (la forme mystique, la forme
olographe et ile testament par acte public: article 716 du Code de la
~
famille), par lune interprétation restrictive, qu'aucune place ne peut être
faite au testament conjonctif. Mais théoriquement la possibilité d'adopter
une pareille forme existe puisqu'on peut se référer à la loi du lieu de
rédaction de l'acte et choisir l'une des formes autorisées en ce lieu. En
admettant la qualification de forme, on peut affirmer que deux époux de
nationalité sénégalaise domiciliés à Francfort, conformément au droit
allcmand''" qui reconnaît la validité du testament conjonctif, peuvent
choisir de tester en la forme conjonctive. Alors en supposant que le juge
sénégalais soit saisi pour se prononcer sur la validité de l'acte, la décision
354 cf: Lexique de termes juridiques, 8e éd, p. 476.
355
En droit français la prohibition du testament conjonctif relève des conditions de forme
soumises selon l'article l " de la Convention de la Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de
lois en matière de forme des dispositions testamentaires (Décret n" 67-1122 du 2 déc. 1967).
Cette convention se substitue entièrement aux règles française de conflits de lois sur la forme
des testaments. Sur l'application aux testaments conjonctifs cf: Trib. gr. inst. 24 avr. 1980 Rev.
crit. 1982. 684, note Batiffol.
356 Le Code civil allemand valide le testament simple rédigé par un époux et qui peut prendre le
caractère
de
testament
conjoint
si
l'autre
époux
exprime
des
intentions
similaires.
L'observation d'une forme authentique est cependant exigée (§ 2265 et s.)

171
qu'il rendra ne doit pas étonner. En principe, la prohibition du droit interne
sénégalais n'entraînerait pas la remise en cause de la validité de ce
testament, dès l'instant où l'on verrait dans la question de la qualification
que soulève dans l'ordre international ce procédé, une règle de forme par
application des dispositions de l'article 848, alinéa 1 du C.F. Donc l'acte
sera validé. La Convention de la Haye du octobre 1961 sur les conflits de
lois en matière de forme des dispositions testamentaire prévoit en son
article 3 que les pactes successoraux constitués par des testaments
conjonctifs suivent les règles de forme des testaments ordinaires. Un
argument de plus pour soutenir la validité du testament conjonctif dans
l'exemple ci-dessus. En revanche, si l'on considère qu'il s'agit d'une règle
de fond, on appliquera la loi successorale ou la loi personnelle du défunt
(si l'on y voit une question de capacité), La prohibition retrouvera droit de
cité. La loi successorale et la loi personnelle des testateurs étant identiques
en droit sénégalais, la nullité de l'acte serait une évidence. Cependant cette
qualification de fond apparaîtrait à notre avis inutile car, en retenant la
qualification de forme, on assure déjà la protection des intérêts des proches
parents des testateurs comme l'aurait fait la loi successorale ou la loi
personnelle. En effet, les règles sur la réserve ne peuvent pas être éludées
par le qualificatif de forme. En tout cas dans une telle hypothèse, ce n'est
pas la forme ~u' on doit sanctionner mais plutôt la violation des règles de
fond liées au testament. Le caractère successoral du procédé en toute
rigueur ne peut être ignoré. Toutefois ce caractère ne souffre pas de
l'abandon de la question de validité du testament conjonctif à la
qualification de forme.

172
CHAPITRE IV
CONFLITS DE SYSTE:lVIES EN DROIT SUCCESSORAL.
SENEGALAIS.
Le survol de la question de la détermination de la loi
applicable à la succession en droit international privé sénégalais, nous a
permis de cerner les solutions apportées par le législateur. La mise en
œuvre de la règle de conflit débouche soit sur l'application de la loi du for,
soit sur celle de la loi étrangère. En réalité il est souvent question de faire
régir, alors, le rapport de droit par le. droit positif interne (sénégalais ou
étranger). Le conflit se trouve évacué, tranché. Mais parfois et même
souvent, au lieu d'appliquer directement le droit interne étranger dans ses
dispositions substantielles, on interroge d'abord la règle de conflit
étrangère qui, à son tour, au lieu de confirmer l'application de ces mêmes
dispositions
substantielles,
va
désigner
une
seconde
fois
le
droit
applicable, ce dernier pouvant être le droit du premier juge saisi ou un
droit tiers. On décrit ce phénomène en disant que la règle de conflit de la
loi désignée renvoie à la loi du for ( renvoi au premier degré) ou à une loi
tierce ( renvoi au second degré, troisième ...).
L'étude
du
droit
comparé
a
montré
clairement
les
divergences qui existaient dans le choix de la loi successorale. De même,
ces divergences surgissent entre les règles de conflit que chaque système
juridique adopte et entraînent des problèmes de répartition résolus en vertu
du principe de la qualification lege lori, principalement par l'application
du droit international privé sénégalais. Nous n'y reviendrons pas. Mais à
côté des conflits de qualifications engendrés par la différence des contenus

173
-------------_._---------------------
des catégories, il est d'autres ~onflits35! notamment ceux qui naissent de la
divergence des points de rattachement, lorsque chaque système donne
compétence à l'autre, et qu'on désigné sous le nom de conflits négatifs de
rattachements.
Ces
conflits. se distinguent des
conflits positifs de
rattachements. Ces derniers se présentent lorsque le for déclare sa loi
.
\\,
compétente, en vertu d'une circonstance quelconque de rattachement ( loi
nationale loi du domicile, loi réelle, loi du for en tant que loi de police)
alors qu'une loi étrangère, également en raison d'une circonstance
quelconque de rattachement qu'elle retient, se déclare aussi applicable
pour régir la question successorale donnée. Les conflits négatifs de
rattachements ont été mis en évidence en droit français par l'affaire
Forgoî": Il s'agit du procédé du renvoi que nous avons évoqué tantôt et
que nous allons examiner dans le cadre du droit successoral sénégalais
(Section 1). Mais par rapport au personnalisme négro-africain il nous
faudra encore apprécier le fonctionnement de la règle de renvoi (Section
II).
357 On peut évoquer par exemple le conflit positif de rattachements qui se présente lorsque le
juge sénégalais déclare sa loi compétente, parce que le défunt est sénégalais ou a son domicile
au Sénégal ou encore possède un immeuble sur le territoire sénégalais ou mieux lorsque la loi
sénégalaise s'impose à titre de loi de police (article 841 du C.F.). La loi étrangère également,
en raison d'une circonstance quelconque de rattachement, se déclare aussi applicable pour régir
la succession. L'exemple suivant illustre bien ces propos. Un Allemand naturalisé sénégalais
. décède au Sénégal où il est domicilié. Il possède en outre, un immeuble sis à Dakar. Sa
succession revêt incontestablement un caractère international. Alors, si le juge sénégalais est
saisi, il soumettra la succession du défunt à la loi sénégalaise en tant que loi successorale en
vertu d'une part, de l'application des dispositions' de l'article 841 alinéa 3 du C.F.(compétence
de la loi nationale) ; et d'autre part en raison du principe de la primauté de la loi du for en cas
de conflit positif de nationalités (conformément aux dispositions de l'article 849 alinéa 1 du
C.F.). La loi nationale s'impose également au titre de loi de situation de l'immeuble
(application des dispositions de l'article 847 alinéa 3 du C.F.). Mais à propos de la même
succession, la loi allemande se déclare également compétente pour régir l'ensemble des biens
en raison de la nationalité allemande du de cujus.
358 Civ. 24 juin 1878, S. 1878. 1. 429, D. 1879. 1. 56 ; Clunet 1879. 285 ; Req. 22 février 1882.
S. 1882.1. 393, note Labbé ; D. 1882 1. 301.

174
SECTION 1
LE
RENVOI
EN
DROIT
SUCCESSORAL
SENEGALAIS.
Le conflit négatif de rattachement se présente lorsque la
règle de conflit sénégalaise ayant désigné une loi étrangère pour régir la
. succession, la règle de conflit de la loi ainsi désignée donne compétence à
la loi sénéga~aise à partir de laquelle le raisonnement a été admis. Par
exemple, le droit sénégalais donne compétence en matière de transmission
de la propriété des immeubles relevant de la succession, à la loi étrangère
de situation des immeubles d'un Sénégalais domicilié au Sénégal, la loi
autrichienne de situation des immeubles renvoie, pour employer le terme
!
consacré, à l~ loi nationale du défunt. Le conflit est dit négatif car la loi
,
autrichienne désignée refuse la compétence et la retourne à la loi
sénégalaise laquelle on le sait ne s'attribue pas compétence. Le mécanisme
ainsi décrit est connu sous le nom de renvoi au premier degré. Une
situation plus complexe se présente très fréquemment, lorsque la règle
désignée par la règle de conflit sénégalaise désigne à son tour, une loi
tierce qui accepte sa compétence ou qui même la transmet à une quatrième
loi qui éventuellement l'accepte. C'est le renvoi au second ou au troisième
degré pouvant déboucher parfois sur un retour à la loi du for.
La question du renvoi est un problème classique, consistant
sur le plan logique, à mettre sur le même pied des systèmes en présence de
sorte que ce qui est envoi pour l'un est renvoi pour l'autre. En droit
français la question du conflit négatif de rattachements à été l'occasion
d'une subtile dialectique entre la doctrine et la jurisprudence. L'origine
jurisprudentielle du renvoi remonte aux arrêts de la Cour de cassation du
24 juin 1878 et du 22 Février 1882 rendus l'un et l'autre dans l'affaire

175
Forgo'l", En J'espèce, Forgo, enfant naturel bavarois s'est installé en
France depuis l'âge de 5 ans. II y mourut à 63 ans laissant une importante
succession mobilière. Pour seuls parents successibles, il n'y avait que des
collatéraux ordinaires dont les prétentions se heurtèrent à celles de
l'administration des Domaines. Selon le droit bavarois, les collatéraux
héritaient alors que selon le droit français ils sont exclus de la succession.
II fallait déterminer le droit applicable à la succession. La Cour d'appel de
Pau considéra, pour déterminer la loi applicable, que le défunt avait un
domicile de fait en France et, rattachant la succession mobilière au dernier
domicile du de cujus, désigna alors le droit français comme droit
compétent. La Cour de cassation censura sa décision au motif que seul le
domicile de droit autorisé conformément à l'article 13 du Code civil
pouvait fonder la compétence de la loi française. La Cour de Bordeaux sur
renvoi, retenant que le domicile du défunt'" était resté en Bavière,
appliqua le droit bavarois. Un second pourvoi fut introduit devant la Haute
juridiction. L'administration des Domaines soutenait que la succession
devait être régie par la loi française car d'après le droit bavarois le
domicile légal en matière de succession était au lieu de la résidence
habituelle. La Cour énonça que «suivant la loi bavaroise, on doit
appliquer, en! matière de statut personnel, la loi du domicile ou de la
i
résidence habituelle, et, en matière de statut réel, la loi de la situation des
!
biens meubles ou immeubles; qu'ainsi, dans l'espèce, sans qu'il y ait lieu
de rechercher si, d'après la loi bavaroise la matière des successions ab
intestat dépend du statut personnel ou du statut réel, la loi française était
seule applicable ». Constatant que les dispositions du droit bavarois
désigné par la loi française dans cette affaire Forgo, donnaient compétence
au droit français, la Cour de cassation, en l'espèce, l'appliqua sans autre
359 Casso civ., 24 juin 1878, D.P. 1878.1. ; Casso req., 22 février 1882, D.P.1882.I.393, note
Labbé.

176
explication. L'explication qui a pu être donnée à cette solution se fondait
sur ce que juridiquement, il était impossible de faire jouer les règles
matérielles d'un Etat étranger contre la volonté de celui-ci; il Y aurait
atteinte à la souveraineté de .cet Etat361• La doctrine française répliqua à
cette
argumentation.
Elle
fit
valoir
que
l'indivisibilité
des
règles
matérielles d'un Etat et des normes de conflit qui sous-tend la thèse
précédente était directement contredite par l'existence de règles de conflit
bilatérales par lesquelles le législateur ne se contente pas de délimiter le
domaine dans l'espace du droit français mais exprime l'opinion qu'il se
fait du meilleur aménagement de ces souverainctés'". Elle soutint ainsi
que, en abandonnant à la règle de conflit étrangère le soin de déterminer la
loi applicable, ce serait abdiquer la souveraineté du for. Dès que le conflit
est tranché par les dispositions de droit international privé français, il n'y a
plus place pour celles du droit étranger'?', A l'évidence, la justification du
renvoi et son contraire ont été développés à partir de la notion de
souveraineté qui cependant est inapte à fonder les solutions des conflits de
systèmes selon que l'on le considère du point de vue du droit étranger ou
celui du droit du for. Les auteurs hostiles au renvoi ajoutent que si la règle
de conflit française désigne le droit étranger dans son ensemble, il doit en
aller de même de la règle de conflit étrangère à l'égard du droit français.
C'est l'argument du cercle vicieux relayé par toute une série d'images
qu'on a qualifiées sous les expressions de «jeu de tennis international» ou
de « cabinet des miroirs ». Mais malgré les critiques, la Cour de cassation
réaffirma avec solennité le principe du renvoi. Elle énonça dans une affaire
360 Le défunt n'avait pas obtenu à l'époque l'autorisation de fixer son domicile en France
361 Westlake, Traité de droit international privé, SC éd, trad. Goulé, 1914, p.38, cité in Grands
arrêts ..., op. cit., p.54.
362 BARTIN, De I'impossibilité d'arriver à la suppression définitive des conflits de lois, in
Etudes de droit international privé 1898 p. 146 ; PILLET, Traité pratique, t. I, n? 251, p. 526,
cités in Grands arrêts de jurisprudence de droit international privé, 3e éd, op. cil. p.. 55;.
363 BARTIN, op. cit., p. 146.

rn
voisine de l'affaire Forgo que « la loi française de droit international privé
ne souffre d 'aucune manière du renvoi qui est fait à la loi interne française
par la loi du droit international privé étranger, qu'il n'y a qu'avantage à ce
que tout conflit se trouve ainsi supprimé et à ce que la loi française régisse
d'après ses propres vues des intérêts qui naissent sur son territoire »364.
L'argument utilisé par la Haute juridiction est, estime-t-on « empreint de
réalisme: le renvoi au premier degré permet au juge d'appliquer sa propre
loi »365. Dans la pratique, c'est un grand soulagement pour un notaire
sénégalais d'apprendre qu'il peut liquider une succession internationale
selon la loi qu'il connaît le mieux, la loi sénégalaise, que d'avoir à établir
la teneur d'une loi étrangère à l'aide de témoignages, de certificats de
coutume etc. Il va s'en tenir à la loi du for parce que la loi étrangère
normalement applicable renvoie au
droit sénégalais qui
accepte sa
compétence.
En droit international privé sénégalais le législateur a
expressément opté pour le renvoi au premier degré, du moins c'est
l'interprétation que l'on peut tirer des dispositions de l'article 853 du C.F.
«Si la loi étrangère applicable renvoie à la loi sénégalaise, il est fait
application de celle-ci »366. Mais lorsque les deux systèmes en présence
admettent le renvoi au premier degré, le conflit négatif de systèmes se
transforme en conflit positif'?", Dans le cas du Français domicilié au
Sénégal et dont la succession mobilière est examinée par le juge français, il
y a acceptation du renvoi de la loi du domicile sénégalais à la loi nationale
française. Si en revanche, la situation est examinée par le juge sénégalais,
il y a également acceptation du renvoi de la loi nationale à la loi du
364 Req. 9 mars 1910, Soulié, D.P. 1912.1. 262, rapp. Denis, S. 1913. 1. 105 note E. A; Clunet
1910.888, Rev. crit. 1910.870.
.11>5 cr: B. Ancel et Y. Lequelle, Grands arrêts ...... op. cit., p.58.
Job C'est la même solution qu'adoptent les droits togolais (article 727 du Code des personnes et
de la famille) et congolais (article 830 du Code de la famille).

178
domicile. Chaque for appliquera sa loi et la succession nsque d'être
scindée entre les deux pays. Le renvoi qui est considéré alors comme une
coordination des systèmes juridiquesr", risque de devenir une cause
d'affrontement. Par contre lorsque le' pays d'envoi admet le renvoi alors
que le pays de renvoi l'ignore, on considérera comme compétente dans les
deux pays la loi interne du pays d'envoi. Tout paraîtra aller pour le mieux,
la coordination étant alors assurée. Ainsi dans le cas d'un Italien domicilié
au Sénégal, la loi italienne va renvoyer à la loi du domicile du défunt, la loi
!
sénégalaise qui acceptera le renvoi alors que le système italien n'acceptera
i
pas le renvoi de la loi du domicile à la loi nationale italienne.
: Le renvoi au' premier degré est largement accepté en droit
positif comparé. Pour M. VON OVERBECK le renvoi au premier degré à la
i
loi du for e:st un renvoi «égoïste ». L'auteur concède toutefois que
«l'application de la loi du for facilite bien des choses sinon pour les
justiciables, du moins pour ceux qui rendent la justice ou y concourent»
369. Si en droit sénégalais on peut relever expressément l'acceptation du
renvoi au premier degré par le for, aucun texte en revanche ne se prononce
sur le renvoi au second degré. Faut-il alors l'exclure? Il faut faire
367 supra p. 173.
368 On a souligné que la solution retenue dans l'affaire Soulié est bénéfique pour l'homogénéité
de l'ordre juridique du for et la Cour estime, suivant les motifs déterminants de sa décision, que
cette homogénéité de la loi interne est plus importante que celle des règles de conflit. Relevant
les insuffisances des décisions de la Cour, Lerebourgs-Pigeonnière (Observation sur la question
du renvoi, Clunet 1924. 877 et 878. Y. Loussouarn, L'œuvre de Lerebourgs-Pigeonnière,
Clunet 1954. 904) soutient que la diversité des systèmes de droit international privé est un
élément dont le droit international privé français ne saurait faire abstraction. A la suite de cette
argumentation, trois propositions doctrinales divergentes ont vu le jour. La première affirme le
principe du renvoi règlement subsidiaire ( modification par le for de la conception du
rattachement et à y découvrir un règlement subsidiaire du fait du refus de l'offre opposé par le
droit international privé étranger). La seconde, le principe du renvoi coordination en vue de
l'harmonisation des différents systèmes de droit international privé (Batiffol et Lagarde Traité
t. 1. n? 304). Enfin la troisième développée par Niboyet et qui consiste à résoudre le conflit
négatif par l'appel à la notion d'ordre public. L'ordre public s'oppose alors à ce qu'un rapport
de droit soit apatride. Aussi doit-on faire un retour systématique à la lex fori (Niboyet, Traité de
droit international privé français, t. 3 p. 471 et s).

179
remarquer que l'interprétation de l'article 853 du C.F. aboutit logiquement
à l' excl usion du renvoi au second voire au troisième degré. Il en est ainsi
sinon ce serait méconnaître la source d'inspiration de ce texte, c'est-à-dire
la solution jurisprudentielle consacrée par l'arrêt Soulié à la suite de l'arrêt

Forgo en droit français. Cette inspiration est cependant restée incomplète
car le système français admet ·également le renvoi au second degré. Le
principe du renvoi au second degré a été d'abord exprimé dans l'arrêt "De
Marchi'i!". La Cour en l'espèce affirmait que, « le caractère en principe
obligatoire du renvoi fait par la loi nationale d'un étranger à la législation
successorale d'un autre Etat pouvant être le cas échéant la législation
française ». La
formule
était suffisamment explicite en faveur
de
l'admission du renvoi au second degré. Les réaffirmations ultérieures du
principe par la jurisprudence ont été entachées d'une certaine équivoque'?'
en raison des particularités propres à chaque espèce. Il n'en demeure pas
moins vrai que le renvoi au second degré est aujourd'hui solidement
implanté dans le droit positif français. S'inspirant du droit français, il reste
au législateur! sénégalais d'aller au bout de l'inspiration en prévoyant, par
une réforme, le jeu du renvoi tout au moins sans précision de degré. On ne
peut pas, sous prétexte que la détermination du contenu d'une seconde loi
voire d'une troisième est fastidieuse, ne concevoir le renvoi comme un
simple instrument"? permettant au tribunal du for de revenir à la loi
36') cf: A. Von. Overbeck, "Les questions générales du droit international privé à la lumière des
codifications et projets récents", RCADI, tome. 176. 1982 - III, pp. 135 s.
370 cf: Casso civ. 7 mars 1938, Rev. crit.1938.472, note Batiffol ; Grands arrêts ...., op. cit., p.
125).
371 Par là suite la Haute juridiction dans les arrêts "Patina" (Cass. civ. 15 mai 1963, Rev. crit.
1964.532, note P. Lagarde; Clunet 1963. 1016, note Malaurie) et "Moatti" (Cass civ, 15 juin
1982, Rev. crit.l983.300, note Bischoff ; Clunet 1983. 595, note Lehmann), allait encore
relever le principe quand bien même ces décision" étaient ambiguës. En effet dans la première
espèce, il n'y avait pas à proprement parler de renvoi au second degré mais une prise en compte
des dispositions substantielles d'une loi tierce par la loi étrangère désignée. Dans la seconde, le
renvoi au second degré était bien en cause mais il était assorti d'une condition de nature
substantielle: la validation du mariage par une loi tierce.
372 cf: P. BOUREL in Encyclopédie juridique de 1[Afrique, tome l, p.441.

180
sénégalaise surtout dans le statut personnel conçu de manière large. On
peut bien se limiter au renvoi au second degré, et, au cas où la loi tierce
refuserai t sa compétence, afin ct' évi ter urie cascade de désignations, s'en
tenir à la loi interne du for désignée par la règle de conflit sénégalaise'?'.
Mieux l'admission du renvoi sans précision de degré peut être assortie
d'une clause de neutralisation comme à l'image de la solution retenue par
le droi t burkinabé aux articles 1005 et 1006 du Code des personnes et de la
famille. Le premier texte dispose que « en matière de statut personnel, il
est fait application des règles de conflit de lois désignées par les
dispositions du présent chapitre dans les conditions fixées ci-après:
- Si les règles de conflit de lois du droit désigné par les dispositions du
présent chapitre renvoient au droit burkinabé, les règles matérielles du
droit burkinabé doivent être appliquées.
- Si les règles de conflit de lois du droit désigné par les dispositions du
présent chapitre désignent le droit d'un autre Etat et que celui -ci retient sa
compétence, les règles matérielles de ce droit doivent être appliquées. Si le
droit désigné par les règles de conflit de lois du droit désigné par les
dispositions du présent chapitre ne retient pas sa compétence, il est fait
application des règles de conflit de lois énoncées au présent chapitre ».
Le second texte précise à son tour que « les dispositions de l'article qui
précède ne reçoivent pas application si la loi étrangère a été désignée par
l'intéressé dans les cas où cette désignation est permise et dans les
situations où le renvoi irait à l'encontre du but de validité, d'efficacité, de
373
Une autre solution d'ail1eurs proposée par certains auteurs ( H. BATIFFOL et P.
LAGARDE, Traité, tome i, n0308 et D. HOLLEAUX, J. FOYER, G. De la PRADELLE, n?
513), consistant à s'en remettre au système de droit international privé désigné par la règle de
conflit du for, ne nous convainc pas dans la mesure où, elle conduit toujours à la cascade de
désignations. Toutefois il faut reconnaître que le renvoi ne sera jamais indéfini. Une quatrième
ou une cinquième loi finira par accepter l'offre 'qui lui est faite. Une question de droit ne peut
pas être l'objet d'un nombre illimité de qualifications et de rattachements.
,

181
légitimité d'un acte ou d'un état poursuivi par la règle de conflit de lois.
Les dispositions qui précèdent sont également exclues, pour les obligations
visées à l'article 1041 du présent chapitre »374. Cette solution serait d'une
grande utilité pour un fonctionnement harmonieux du jeu du renvoi.
SECTION JI :
LE FONCTIONNEMENT DU RENVOI.
Les cas de renvoi d'une loi étrangère à la loi sénégalaise
sont appelés à se produire fréquemment dans la mesure où de nombreux
étrangers sont installés au Sénégal. La loi sénégalaise, loi du domicile,
acceptera souvent le renvoi qui lui est fait par leur loi personnelle étant
donné que le renvoi au premier degré est admis. Mais le fonctionnement
du renvoi risque de rencontrer certains obstacles résultant d'une part du
caractère pluraliste du droit successoral interne (Paragraphe 1) et d'autre
part du personnalisme négro-africain (Paragraphe II).
PARAGRAPHE 1:
LE FONCTIONNEMENT DU RENVOI DANS LE
CADRE DU PLURALISME SUCCESSORAL.
La doctrine la plus autorisée justifie l'admission du renvoi
en droit international privé français par l'idée d'un règlement harmonieux
du conflit de lois, un moyen de coordonner les règles de conflit en les
appliquant toutes et en respectant les désignations qu'elles proposent.
Certes, on peut douter du bien-fondé de l'admission lorsque la loi
étrangère et la loi du for, loi bénéficiaire du renvoi, appartiennent à des
systèmes juridiques différents ou lorsque le statut personnel du défunt
passe de l'empire d'un droit occidental à celui du droit sénégalais dans
lequel on distingue deux types de droit successoral. Dans ce dernier cas le
renvoi risque, de jouer un rôle perturbateur. En supposant que la loi
nationale française du de cujus renvoieà la loi sénégalaise du domicile en
374 cf: observations faites par M. A. K. BOYE, cours précité p. 370.

182
matière successorale mobilière, le juge sénégalais saisi doit d'abord, pour
trancher, résoudre la question de la. détermination du droit successoral
interne applicable au de cujus. En principe, il n'y a pas de raison de ne pas
faire application du droit commun des successions parce que d'une part, il
est assez proche du droit français, d'autre part, le statut personnel d'un
français ne saurait échapper à sa loi nationale parce qu'il a changé de
domicile. Mais exceptionnellement la question demeure dans 1'hypothèse
où le français est un musulman. Que décidera alors le juge? A notre avis,
par une pure application des solutions de droit sénégalais ( application des
dispositions de l'article 571 du C.F.), le juge recourra au droit musulman
des successions. Mais une telle solution doit être nuancée. Si le texte de
l'article 571 du C.F. doit s'appliquer à un français musulman domicilié au
Sénégal, seule la volonté de l'individu conditionnera la mise en œuvre du
droit musulman des successions. A défaut d'une volonté expresse, on
revient à l'application du droit commun des successions. En d'autres
termes on exclura d'office toute recherche de la volonté implicite du
défunt. Celle-ci n'est ni concevable ni envisageable pour deux raisons. La
première, en toute vraisemblance, trouve sa justification dans le fait qu'il
ne se présentera que très rarement une situation dans laquelle un Français
opterait pour le droit sénégalais des successions musulmanes. Alors, lui
imposer ce droit en tenant compte de sa volonté implicite déduite de son
comportement, ce serait un peu exagéré. La seconde met directement en
cause le rattachement des successions au statut personnel en raison du
poids de la tradition personnaliste négro-africaine.
PARAGRAPHE II :
LE FONCTIONNEMENT DU RENVOI DANS LE
CADRE DU PERSONNALISME AFRICAIN.
En droit international privé sénégalais, les successions
relèvent de la .catégorie statut personnel alors
qu'en France, elles

183
constituent une catégorie à p~rt où les biens mobiliers sont distingués des
biens immobiliers. Les uns soumis à la loi du domicile du défunt, les autres
à la lex rei sitae. Le législateur ne s'est pas seulement contenté de poser
dans le Code de la famille une règle de conflit qui soumet le statut des
étrangers à leur loi nationale. Il l'a en outre assortie de règles légales de
qualifications en prenant soin de définir le statut personnel comme on l'a
vu, selon une conception large. Cette hypertrophie du domaine du statut
personnel conduit à se demander s'il est légitime voire nécessaire d'y faire
jouer le renvoi? Ne faut-il pas considérer la règle de conflit qui soumet le
statut personnel à la loi nationale comme exclusive de tout renvoi? Par
conséquent, envisager que la loi nationale sénégalaise puisse décliner sa
,
compétence en matière de statut personnel d'un étranger? La réponse à la
1
question trouve sa solution dans les dispositions de l'article 852 du Code
de la famille ': principe du renvoi mais dont l'application est réduite au
renvoi au premier degré. Autrement dit, lorsque la loi étrangère renvoie à
la loi sénégalaise en matière de statut personnel, il sera fait application de
cette dernière. Mais il faut faire remarquer que dans les relations entre le
système sénégalais et le système français par exemple, la conception du
statut personnel n'est pas la même. En tenant compte de cette divergence,
l'admission du renvoi constituerait à n'en point douter un élément
perturbateur pour la coordination des ordres juridiques. En effet le renvoi
au premier degré conduira plus que jamais le juge sénégalais à appliquer la
loi du for, ce que dément la conception personnaliste à laquelle est attaché
le droit sénégalais. L'étroite dépendance qu'exprime la loi personnelle
entre le contenu du droit interne et la règle de conflit et la persistance de
certaines structures familiales invitent à une exclusion du principe du
renvoi en matière de statut personnel. On estime néanmoins que pour
certaines questions particulières, le jeu du renvoi peut bien se concevoir'P,
375 cf: A. K. BOYE, cours précité p. 372.

184
ce qui dans une certaine mesure, contribuera à la mise en œuvre de la loi
successorale

185
DEUXIEME PARTIE
DOMAINE DE LA LOI SUCCESSORALE.
1

186
Il est désormais établi que le choix de la loi applicable est
imposé par un certain nombre de facteurs, de paramètres parmi lesquels on
cite le modèle de succession en droit .nteme et dans une moindre mesure la
politique poursuivie par le législateur sénégalais. La structure du droit des
1
successions confirmera davantage ce choix, et dans cette perspective, il
conviendra de vérifier si la corrélation entre l'actif et le passif qui
caractérise le patrimoine, objet de la succession n'est pas remise en cause.
A cet égard la mise en œuvre de la loi successorale impose de reconsidérer
les différentes étapes devant mener à une préservation, dans toute la
mesure du possible de la cohérence du patrimoine. D'une part l'étape de la
dévolution successorale (Chapitre 1), ensuite celle de la transmission de
l'actif et du passif (Chapitres II et HI). Enfin le règlement et le partage de
la succession (Chapitre IV).
,
1
~ ,

187
CHAPITRE 1
LA DEVOLUTION SUCCESSORALE.
Il s'agit ici de déterminer qui recueill e la succession.
Autrement dit, la question se pose de savoir quelles sont les personnes
appelées à succéder. C'est en principe la loi successorale qui en décide. En
effet la logique voudrait qu'une même loi gouverne l'ensemble des
questions relevant de la matière successorale, ide l'ouverture de la
;
succession jusqu'à la répartition finale des lots ou plus exactement et de
façon technique jusqu'à la répartition de l'actif net.] Malheureusement c'est
là, une vision trop rigide et abstraite des problèmes, On est obligé de tenir
i
compte d'autres lois soit pour des questions de qualification internationale
soit pour la détermination de concepts préalables. Telle semble être la
démarche du législateur sénégalais qui soumet un certain nombre de
questions relatives à la dévolution successorale à la loi nationale du de
cujus. En effet l'article 847 alinéa 1 du Code de la famille dispose que
«les questions relatives à la dévolution successorale concernant la
désignation des successeurs, l'ordre dans lequel ils sont appelés, la
transmission de l'actif et du passif à chacun d'entre eux, sont régies par la
loi
nationale
du
défunt »,
Cette
énumération
dont
procèdent
les
dispositions du texte de l'article 847, alinéa l " n'est pas exhaustive. Elle
est au surplus incohérente. On comprend très mal la place de la
transmission de
l'actif et
du passif sous la rubrique
«dévolution
successorale» et on n'explique pas pourquoi les causes, date et lieu
d'ouverture de la succession, l'aptitude à hériter ont été passés sous
;'
silence. C'est pour cette raison que nous examinerons dans une première
section
les
questions
limitativement
énumérées
relativement
à
la

188
dévolution successorale et dans une deuxième section la lacune du texte de
l'article 847, alinéa l du Code de la famille.
SECTION 1:
L'ENUMERATION DONNEE PAR L'ARTICLE 847,
ALINEA 1 DU C.F.
A la lecture du texte de l'article 847, alinéa l, les questions
apparaissent au nombre de trois. D'abord la désignation des successeurs
(Paragraphe 1). Ensuite l'ordre légal de succession (Paragraphe II) et
enfin la transmission de Tactif et du passif à chacun des héritiers
(Paragraphe lU).
PARAGRAPHE 1 :
LA DESIGNATION DES SUCCESSEURS.
On appelle successeurs, les bénéficiaires de la succession.
Ce sont ceux qui recueillent le patrimoine du défunt ou une fraction de
celui-ci. Il s'agit des héritiers ab intestat, des légataires et des institués
contractuels. Les premiers sont désignés par la loi en dehors de la volonté
du de cujus. Les seconds et les derniers, respectivement à travers un
testament et par l'institution contractuelle. Pour le législateur sénégalais, la
désignation des successeurs relève de la loi nationale du défunt. Il en est
ainsi des héritiers ab intestat suivant les termes de l'article 847 alinéa 1 du
C.F. Cette règle applicable aux successions ab intestat est étendue aux
successions testamentaires en vertu des dispositions de l'article 848, alinéa
2 du Code de la famille. On retient donc que ceux qui sont appelés à la
succession du défunt sont ceux qui sont expressément indiqués par le
législateur. En droit international privé sénégalais on invoque l'article 407,
alinéa premier du C.F. bien que ce texte traite de la saisine des héritiers. Il
dispose que « les héritiers légitimes" les héritiers naturels et le conjoint
survivant sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt,
sous l'obligation d'acquitter toutes les charges de la succession ». En fait

189
le texte vise trois catégories d 'héritiers que vient préciser l'article 515 du
même Code. Selon les dispositions de ce texte, «les successions sont
dévolues aux enfants et descendants du défunt, à ses ascendants, à ses
parents collatéraux et à son conjoint survivant ... ». Les dispositions des
articles 407,
515 du Code de la famille, pour la désignation des
successeurs, s'appliquent uniquement aux successions ab intestat de droit
commun.
Elles
sont
exclues,
lorsqu'on
évoque
les
successions
musulmanes. En effet suivant les termes de l'article 572 du Code de la
famille « les successions prévues par l'article 571 sont dévolues à deux
ordres d'héritiers: les héritiers légitimaires et les héritiers universels ou
acebs ». La définition de l'héritier légitimaire est donnée à l'article 573 du
même Code. Par l'héritier Iégitirnaire, on entend celui à qui la loi assigne
une part déterminée, appelé légitime, à prendre dans la succession. Les
héritiers légitimaires sont classés selon le sexe. Suivant le sexe masculin
on distingue le père, l'ascendant paternel, le frère utérin, le mari survivant.
Suivant le sexe féminin, on retient la fille, la fille du fils, la fille du petit
fils né d'un fils, la mère, l'aïeule maternelle ou paternelle quel que soit son
degré, la sœur consanguine, germaine, utérine, la veuve.
Les acebs quant à eux se divisent en trois catégories.
D'abord les acebs par eux-mêmes. Ce sont des parents du défunt, de sexe
masculin dont le lien avec ce dernier n'est interrompu par aucune
génération. Ils comprennent les descendants, le pète, les autres ascendants
i
et les frères germains et consanguins, les oncles germains et consanguins
et leurs descendants. Ensuite il y a les acebs par! un autre. Ce sont des
successibles qui n'acquièrent cette qualité d'aceb .que lorsqu'ils viennent
en concurrence avec un héritier aceb par lui même de la même classe, du
même degré et du même lien. Ce sont toujours des femmes, fille ou fille du
fils, sœur germaine et sœur consanguine en concurrence respectivement

190
soit avec un fils soit avec un petit fils, soit avec un frère germain, soit enfin
avec un frère consanguin. Enfin on cite les acebs avec un autre. Il s'agit de
la sœur germaine et de la sœur consanguine du défunt en concurrence avec
une ou plusieurs filles ou petites filles du de cujus alors qu'il n'existe pas
de frère du même lien venant à la succession.
On le voit, les héritiers désignés par la loi sénégalaise, loi
nationale du de cujus sont en définitive ceux indiqués par le droit interne
sénégalais (l 'hypothèse étant l'application de la loi sénégalaise). Cela se
justifie aisément car le droit international privé traditionnel ne résout pas
directcmcnr'" la question de droit mais se borne à déterminer la loi
susceptible de fournir la réponse matérielle à la dite question. Compte tenu
de cette observation il faudra choisir entre le droit commun des
i
!
successions et le droit interne musulman des successions. Le conflit
international de lois est ainsi doublé d'un conflit interne portant
i
implicitement sur le statut confessionne1377 du de: cujus. A la lecture du
texte de l'article 571 du Code de la famille, il est question de la
376 Il faut souligner qu'en revanche le droit international privé matériel consistant en des règles
matérielles spécialement destinées 'lUX relations internationales concurrence le procédé
traditionnel de règlement des conflits de lois. Il fournit directement la réponse à la question de
droit. On peut indiquer à titre d'exemple le traité d'unification du droit de la vente
internationale de marchandises (voir par exemple la Convention de Genève du 17 février 1983
sur la représentation en matière de vente internationale de marchandises ou encore la
Convention de New York du 14 juin 1974 sur la prescription en matière de vente internationale
et son protocole du Il avril 1980).
sn Nous le pensons car 1'hypothèse suivant laquelle un chrétien opterait pour le droit musulman
des successions serait rarissime. De même un musulman n'opterait quasiment jamais pour le
droit commun des successions. Toutefois, I'impossible n'existe pas car on pourrait bien
imaginer des scenarii dans lesquels un chrétien choisirait le droit musulman et un musulman le
droit commun. Fondamentalement ce n'est pas un conflit de confessions; mais à bien y penser,
c'en est indirectement un. En effet à défaut d'un choix exprès du vivant du de cujus, le
comportement dont on déduira la volonté du défunt est un comportement de musulman révélé
par des indices à savoir, l'appartenance à la communauté musulmane, l'attitude face aux
préceptes de l'islam, les actes relatifs au mariage, à la filiation etc. Il a été jugé que l'adoption
non ambiguë durant toute sa vie du comportement du musulman est suffisante pour appliquer à
la succession du de cujus les règles édictées par les articles 571 cf: Just. Paix Dakar 19. dec.
1977, RJS Credila, 1982 vol. III, p. 355. Pour un musulman qui décède sans avoir opté,
instinctivement on cherchera à déceler à travers son comportement sa volonté implicite. Alors
que pour un chrétien, cette recherche n'effleurera même pas l'esprit dujuge.

191
manifestation ou non de la volonté du de cujus en faveur de l'un ou l'autre
système successoral. Des dispositions de l'article 571 du Code de la
famille, il ressort que les successions de droit musulman s'appliquent aux
personnes qui de leur vivant, ont expressément ou par leur comportement,
indiscutablement manifesté leur volonté de voir leur héritage dévolu selon
les règles de droit musulmarr'". Lorsque le défunt de son vivant n'a pas
expressément opté, il appartient au juge de déduire de son comportement
sa volonté de voir sa succession régie par le droit musulman des
successions. Pour la Cour de cassation (ex Cour suprême) « la volonté doit
apparaître d'un ensemble de faits sérieux, libres et éclairés accomplis par
le de cujus de son vivant, observables objectivement »379. C'est donc une
.
!
question de fait dont l'appréciation repose sur un cbtain nombre d'indices
révélés au juge. Le juge n'est cependant nullement lié par ces indices qui
,
forment la trame des présomptions de fait. C'est pourquoi et chaque fois
que le de cujus n'aura pas opté expressément pour le droit musulman des
successions et lorsqu'il subsiste un doute sur son comportement, il doit
être fait application des règles des successions ab intestat du droit
commurr'":
Par désignation des successeurs il faut donc entendre la
détermination des personnes, parentes du défunt pouvant recueillir la
J78 Il existe toute une littérature juridique sur ce texte. cf : à cet sujet: A. M. DIOP, "La
dévolution successorale musulmane dans le code de la famille". Rev. jur. Pol 1972, pp. 79 et s ;
S. GUINCHARD, "Le critère d'application des successions musulmanes", Rev. sen. dr. 1978,
n? 23, pp. 87 et s ; note sous trib. 1ère inst. Dakar 13 février 1979. Lampue, "Débats sur la
communication de A. M. DIOP", Rev. jur. pol. précité. L'opposition "successions de droit
commun et successions de droit musulman" n'est apparemment suffisante et la notion de droit
commun n'est pas seulement quantitative; voir A. SOW SIDIBE, "Le pluralisme juridique en
Afrique (l'exemple du droit sénégalais)" L.G.D.J Paris 1991 p. 241 à 268. Il faut faire
remarquer comme le suggère un auteur [ M. 1. Y. NDIAYE, in Rev. sen. dr. pen., n? 2 juill-dec
1995, p. 49], que « le texte suscite des difficultés exégétiques et laisse croire qu'il est un
véritable camaïeu juridique selon l'expression empruntée au professeur H. BLAISE à propos de
l'article L 122-22 du Code du Trav. Français », Rev. dr. social 1985, p. 161 ".
379 cf: Cour suprême 22 juillet 1981, Pénant 1983, n? 780, p. 223, note Lampué.
380 cf: T.P.! Dakar 13 février 1979, inédit.

192
succession de ce dernier. Cela ressort de la compétence de la loi nationale
qu'il s'agisse des successions ab intestat ou des sucbessions testamentaires.
Mais en ce qui concerne ces dernières, il faut ajouter que la désignation des
légataires à côté des héritiers réservataires qu'on ne'peut exhéréder n'a rien
;
de particulier en ce sens que le testateur qui n'a fait l'objet d'aucune
i
captation peut léguer ces biens à qui il veut. L~ seule exception qu'il
faudra néanmoins apporter est tirée des incapacités de recevoir relatives à
certaines personnes''" et à juste titre la loi compétente pour en juger n'est
pas la loi du légataire mais bien la loi nationale du de cujus. Il est tout à
fait justifié que la désignation des successeurs obéisse aux règles édictées à
cet effet par la loi nationale du de cujus. Le statut personnel du défunt
conditionne ainsi la dispersion des biens de la succession, biens que ne
peuvent recueillir que ceux appelés à le faire en vertu de la loi nationale
gouvernant ce statut. C'est, là encore, une suite logique du rattachement
des successions au statut personnel et subséquemment la désignation de la
loi nationale. Mais, on peut se demander, au demeurant, si la désignation
des successeurs concerne indistinctement la succession mobilière et la
succession immobilièreé".
La
distinction
succession
mobilière
succession
immobilière telle qu'elle est introduite en droit français et qui fait dépendre
la désignation des héritiers des lois successorales respectivement mobilière
et immobilière, n'intervient pas en droit sénégalais. La première raison est
tirée du silence gardé par le législateur sur cette distinction. Ensuite, une
deuxième raison, un argument de texte dont la provenance est assez
perceptible à travers la lecture des dispositions de l'article 847, alinéa 3 du
C.F .. En effet, ledit texte ne prévoit que la transmission de la propriété des
immeubles et fonds de commerce aux héritiers, une opération purement
381 cf: supra p. 1~O.

193
technique qui n'a rien à voir avec la dévolution contrairement au droit
français en matière de succession immobilière'ë'. A l'évidence, le
législateur sénégalais, par la réglementation prévue à l'article 847, alinéa 3
du C.F. a voulu ainsi traiter la question de la désignation des successeurs
sans opérer une distinction entre la succession mobilière et la succession
immobilière.
Au contraire des légataires qUI peuvent ne pas être des
parents du de cujus, tous les autres successeurs qu'il s'agisse des
successions de droit commun ou du droit musulman des successions,
entretiennent un lien de parenté plus ou moins proche avec le défunt.
Cependant ils ne sont pas tous assurés de recueillir une part de la
succession. Les uns peuvent exclure les autres, ce qui nous renvoie à
l'ordre légal de succession.
PARAGRAPHE II :
L'ORDRE LEGAL DE SUCCESSION.
La règle de conflit du for en matière de dévolution
successorale peut désigner une loi étrangère comme elle peut également
indiquer la compétence de la loi sénégalaise. Mais que la loi désignée soit
la loi nationale,
une loi étrangère ou la loi du for, on constate que les
successeurs désignés par l'une ou par l'autre ne viennent pas tous en même
temps à la succession du défunt. Il existe un ordre « d'appel» dans toutes
les législations, ordre en vertu duquel est établie une sorte de hiérarchie.
Les droits des successeurs vont ainsi varier en fonction de cet ordre"
382 cf: infra p.
383 En droit français, c'est la loi de situation des immeubles qui ;commande la désignation des
v
successeurs, appelés à exercer des droits sur lesdits immeubles situés sur le territoire français.
384 Certains législations n'ont pas recueilli la distinction en ordre et en degré. C'est par exemple
le cas du droit allemand qui pose plutôt le principe de la parentèle. Le de cujus et ses
descendants constituent chacun avec sa descendance une parentèle et chaque parentèle exclut la
parentèle supérieure. Si ce système aboutit à de larges convergences avec le système français, il
s'en éloigne sur certains points. Ainsi en Allemagne, le père ou la mère du défunt exclut les

194
auquel il faut ajouter les principes de la dévolution selon la proximité en
degré, de la fente et de la représentation tout ceci relativement aux
successions de droit commun alors que les successions musulmanes par
rapport aux mêmes règles, se révéleront assez particulières.
A-
LES PRINCIPES DE REPARTITION EN DROIT INTERNE
SENEGALAIS..
1°)
Le droit commun sénégalais des successions répartit les
héritiers en quatre ordres.
En premier lieu, arrivent les descendants (enfants, petits
enfants, arrière petits enfants). En seconde lieu,
on retrouve deux
catégories de personnes qualifiées toutes les deux de privilégiées parce
qu'elles viennent avant certains autres parents du de cujus. Ce sont les
ascendants privilégiés (père et mère
du défuryt) et les collatéraux
privilégiés (les frères et sœurs du défunt et leur descendance), En troisième
1
position, viennent les ascendants ordinaires (grand-père, grand-mère du
défunt etc.). Enfin en quatrième lieu, on cite les' collatéraux ordinaires
(oncles, tantes, cousins, cousines du défunt jusqu'ail 6e degré" seulement
en vertu des dispositions de l'article 256 du C.F.). Selon la hiérarchie ainsi
i
établie, chaque ordre est exclu par le précédent. et exclut lui-même le
suivant. Ainsi lorsque le défunt laisse à la fois comme héritiers, ses enfants
et ses ascendants, (père et mère) seuls les premiers viendront à sa
succession et recueilleront la totalité des biens de la succession. Mais le
partage ne se fera en définitive selon l'ordre ainsi considéré (ordre des
descendants) qu'au regard de la dévolution en degré. A degré égal, on
partage par tête (article 520, alinéa 2, 523, alinéas 2, 3, 4, 525 alinéas, 2 et
r
frères et sœurs du de cujus alors que tel n'est pas le cas en droit français et en droit commun
sénégalais des successions.
1

195
3, 526, alinéa 2 du Code de la famille). Le parent le plus proche en degré
exclut automatiquement les. suivants. Le degré correspond à un intervalle
entre deux générations. En ligne directe, on compte les intervalles entre les
personnes considérées. Ainsi entre le père et le fils il y a un degré, entre le
petit-fils et le grand-père, deux degrés etc. En ligne collatérale le calcul du
degré se fait en additionnant les intervalles. On part de l'une des personnes
considérées en comptant les intervalles jusqu'à l'auteur commun et on
continue l'addition en redescendant jusqu'à l'autre personne.
La dévolution selon la proximité en degré sera ensuite
atténuée par les principes de la fente et de la représentation. Par le principe
de la fente, le législateur sénégalais entend faire régner l'égalité entre les
lignes paternelle et maternelle en donnant la moitié de la succession à
chacune des deux. La fente ne joue pas dans l'ordre des descendants. Dans
les autres ordres, son application n'est cependant pas tigoureuse'".
La représentation quant à elle, a pour objet d'éviter
certaines situations choquantes voire injustes si l'on appliquait tels quels
les principes de la répartition en ordre et de la proximité en degré. Si le
défunt laisse un fils et deux petits-fils issus d'un second fils prédécédé, par
la représentation, les deux petits-fils viendront à la place de leur géniteur
prédécédé (articles 521, 523). La représentation est une fiction et tout se
passe comme si la personne prédécédé avait survécu. Le domaine de la
représentation est cependant exceptionnel. La représentation n'est admise
que dans deux hypothèses. D'abord au profit des descendants du de cujus
(article 521 du C.F.), ensuite au profit des descendants des frères et sœurs
du de cujus (article 523 du C.F.).. Elle ne joue que dans les successions ab
intestat et ce jusqu'à l'infini.
385 Exceptionnellement, les collatéraux peuvent succéder jusqu'au 12e degré lorsque le défunt
est frappé par la loi d'une incapacité de tester (article 527 du C.F.).

196
Pour que la représentation puisse produire des effets, il faut
que le représenté soit décédé au jour de l'ouverture de la succession. Au
décès, on assimile l'absence déclarée ou même simplement présumée
(article 522 alinéa,· 2). L'indignité du représenté (vivant ou décédé)
n'exclut pas
les
représentants
(article
522).
Seulement lorsque le
représenté est encore vivant, il est déchu des pouvoirs d'administration sur
1
les biens dévolus à ses descendants. Lorsque la représentation a lieu, le
,
partage se fait par souche et non pas par tête (article 520, alinéa 2 et 521,
alinéa 2 du C.F.).
2°)
Dans les successions de droit musulman, la dévolution repose
sur cinq principes marqués par une idée principale : assurer une
,
prédominance aux héritiers de sexe masculin conformément à la
1
tradition coranique. C'est le privilège de la masculinité.
Suivant le premier principe, certains parents ont vocation à
recueillir la totalité de la succession. Ce sont les acebs, parents de sexe
masculin et parents par les mâles. Ils sont classés en plusieurs catégories"?
équivalentes des ordres des successions de droit commun.
Viennent ensuite et c'est le second principe, ceux qUI se
voient réserver une part fixe dans la succession quoi qu'il arrive: ce sont
les légitimairesê". L'article 573 du C.F. distingue trois groupes. D'abord
les parents de sexe masculin qui sont acebs par eux-mêmes mais qui sont
exclus par un héritier de classe préférable (exemple du père qui est exclu
par le fils). Ensuite les parents de sexe masculin qui ne sont pas parents par
le sang du défunt mais que la loi entend protéger: c'est le mari survivant.
386 cf: S. GUINCHARD, "Le droit patrimonial de la famille" L.G.DJ 1980, p. 427, n? 951.
387 Il Y a d'abord les acebs par eux-mêmes, ensuite les acebs par un autre et enfin les acebs avec
un autre cf: supra p. (cf, articles 577 et 633 et s du C.F.).
388 cf: supra p.
.En droit musulman classique, on les appelle encore les "héritiers à fard" c'est-
à-dire ceux qui ont droit à une quote-part de la succession: (le fard).

197
: :
Enfin, il Y a les parents de sexe féminin (la fille, la fille du fils, la fille du
petit-fils né d'un fils, la mère, l'aïeule maternelle, ou paternelle, la sœur
germaine, consanguine ou utérine, laveuve).
Le troisième principe repose, d'une part, sur le cumul de
qualité d'aceb et de légitimaire et d'autre part sur la possibilité de changer
de qualité. Les qualités d'hériter légitimaire et aceb ne sont alors ni
incompatibles ni définitives. Le changement de qualité peut se faire dans
les deux sens.· Un aceb par lui-même peut ainsi devenir légitimaire
(exemple précité du fils qui exclut le père). Inversement un légitimaire
peut devenir ~ceb par un autre ou avec un autre.
Suivant le quatrième principe le mâle prend la part double
de la femme lorsqu'ils se retrouvent à égalité de classe, de degré et de lien
i
de parenté. 11\\ s'agit d'assurer la prééminence des mâles conformément à la
i
tradition coranique'f",
i Enfin et selon le cinquième pnncrpe, la succession sera
dévolue à un troisième ordre d'héritier qui en pratique ne succède que
rarement. Ce sont les parents par les femmes.
En définitive la répartition dans le droit musulman des
successions tourne autour de trois ordres: celui des héritiers universels ou
acebs, celui des héritiers légitimaires et enfin celui des héritiers parents par
les femmes. Cette répartition est elle-même influencée par le sexe.
Entre les ordres, les règles de répartition s'énoncent comme
suit: d'une part les héritiers parents par les femmes ; d'autre part les
héritiers légitimaires et les acebs succèdent les uns à la suite des autres'?".
389
Le principe de masculinité auquel on fait ainsi référence entre en contradiction avec le
principe constitutionnel d'égalité.
wo cf: S. GUINCHARD, Le droit patrimonial de la famille, op., cit., p. 461

198
A l'intérieur de l'ordre des légitimaires, les droits des
~
héritiers vont varier, en fonction du nombre et de la qualité des héritiers et
en tenant également compte des changements' de qualité?"
et des
exclusions. Selon les cas, ces droits sont des deux tiers, de la moitié, du
tiers, du quart, du sixième et du huitième de la succession. (article 602 et
suivants du C.F.).
A l'intérieur de l'ordre des acebs, il faut distinguer les
classes'" auxquelles appartiennent les héritiers; chaque classe excluant les
suivantes et étant elle-même exclue par les précédentes. Dans chaque
classe l'aceb le plus proche en degré du de cujus exclut les autres acebs
d'un degré plus éloigné. Mais à égalité de degré on tient compte de la force
du lien de parenté. Enfin à égalité de degré et de lien de parenté, on
applique le privilège de masculinité. L'importance du sexe dans la
dévolution des successions musulmanes est telle que le législateur a prévu
le cas de l'héritier hermaphrodite (article 597). Dans cette hypothèse s'il
n'est pas possible de déterminer If: sexe prédominant par expertise, alors
l'héritier recevra la moitié de ce à quoi il aurait droit s'il était du sexe
masculin augmenté de la moitié de ce qui lui reviendrait s'il était de sexe
féminin.
B-
MISE EN ŒUVRE DES PRINCIPES DE REPARTITION.
On examinera en particulier les droits du conjoint survivant,
de l'enfant naturel en raison de la spécificité de la réglementation les
concernant. A défaut de successibles ou en présence d'héritiers renonçants,
l'Etat recueille la succession et devient en quelque sorte un "héritier".
Aussi faut-il dans de pareils cas analyser ses droits.
391 Nous avons déjà évoqué la possibilité pour un légitimaire de changer de qualité et de devenir
aceb et vice versa. cf: supra p. ~%.
392 cf: supra p. -\\ 9~ .

199
a) Les droits successoraux du conjoint survivant.
Préalablement à l'octroi de droits successoraux au conjoint
survivant, comme à propos de l'établissement du lien de parenté, la
question d'un mariage valable doit être résolue'?'. Par conjoint survivant,
on entend celui des deux époux qui survit au décès de l'autre et qui tire sa
vocation
successorale
d'un
manage
valable,
monogarmque
ou
polygamique. Il peut ainsi s'agir de la veuve comme du veuf. La situation
du conjoint survivant en droit sénégalais est meilleure que celle de son
homologue en droit français. Une analyse du droit interne sénégalais
amène à lui accorder la qualité d'héritier'?" analogue à celle des enfants. En
effet le conjoint survivant est réservataire, ce qui fait qu'il ne peut être
déshérité à la différence de ce qui se passe en droit français. En droit
commun des successions, le conjoint survivant a droit à la totalité de la
succession (article 532 du C.F.) en l'absence de descendants légitimes et
de parents au degré successible. En présence d'enfants légitimes ou de
descendants de ceux-ci, il prend une part d'enfant légitime le moins
prenant sans que celle-ci puisse être supérieure au quart de la succession
(article 530 du C.F.). En cas de pluralité de conjoints survivants'?", cette
part est attribuée par tête, autrement dit, divisée en autant de quote-part
393 cf: infra p. 235.
394 Pourtant une décision de la justice de Paix de Dakar en date du 12 juin 1975, Rec. Credila,
tome 2, n? 128, p. 292 a admis l'exclusion- de la veuve en se fondant sur la confession
musulmane En l'espèce la succession du défunt était dévolue selon les règles du droit
sénégalais des successions musulmanes. Le défunt polygame de' son vivant, avait laissé deux
épouses et quatre enfants dont l'un avait fait l'objet d'une :reconnaissance en vertu des
dispositions de l'article 193 du C.F .. L'une de ses épouses était catholique et c'est précisément
celle-ci qui a été exclue aux motifs, selon la juridiction, que j"en droit musulman, un non
musulman ne peut hériter d'un musulman et vice versa" et que suivant le texte de l'article 574
du C.F. elle n'est pas la veuve visée par le législateur. Cette décision a été critiquée car elle ri 'a
fait que dénaturer le texte de l'article susvisé. La qualité dei veuve ne dépend pas de la
confession mais plutôt du décès du mari. Cette discrimination de saurait être admise en droit
interne encore moins en droit international privé où l'ordre public international se fera ressentir
avec intensité.
:
395 Ceci est possible du fait de l'admission de la polygamie en droit interne sénégalais.

200
qu'il y a de conjoints survivants'" contrairement à la lettre du texte de
l'article 530 du C.F. qui semble retenir le quart à chacun d'eux alors qu'à
l'article 529 du C.F., la part fixée par le législateur dans chaque hypothèse
est partagée par tête. Enfin lorsque le conjoint survivant se trouve en
concours avec des ascendants et des collatéraux en l'absence de
descendants légitimes, il prend la moitié de la succession (article 531 du
C.F.).
A côté de ses différents droits successoraux, le conjoint
survivant, en l'occurrence la veuve, bénéficie d'une pension alimentaire et
d'un droit à logement qui cessent cependant lorsqu'elle se remarie (cf
article, 262 alinéa 2).
En droit musulman, le veuf a droit à une légitime égale à la
moitié de la succession lorsque la femme
décède sans descendant
successible (article 603 du C.F.). Dans le cas contraire cette part va
:
i
équivaloir au quart de la succession (article 608 du C.F.). La veuve quant à
i
elle reçoit le quart de la succession lorsque le défunt ne laisse aucun
descendant successible. Dans l'hypothèse contraire, c'est le huitième. En
cas de pluralité de veuves, la part attribuée par la loi dans chaque
hypothèse sera partagée entre elles par tête.
Les droits du conjoint survivant sont les mêmes que l'on
soit en présence d'enfants légitimes, adoptés ou naturels sous réserve du
jeu de l'article 534 du C.F. en ce qui concerne ces derniers.
~I
396 La Cour de cassation française dans un arrêt du 3 janvier 1980, Rev.crit.
1980, p. 331,
relativement à la dévolution de la succession d'un algérien décédé ayant laissé ses deux
femmes et des enfants légitimes, dévolution soumise à la loi française, ne s'est pas prononcée
sur la question de savoir si les deux épouses venant en concours devaient se partager le ~
usufruit accordé par l'article 767 du Code civil.

- ''?PIS:
201
b) les droits successoraux de l'enfant naturel.
En raison de la dualité du droit successoral sénégalais, les
droits de l'enfant naturel seront également envisagés à deux niveaux.
En premier lieu il s'agit de voir le sort que réserve le droit
commun des successions aux enfants naturels?", rti, pour prétendre à des
:
droits successoraux vis à vis de son père, l' enfant naturel doit avoir été
reconnu par ce dernier. Il en est ainsi parce que l~ recherche de paternité
naturelle en droit sénégalais est interdite (article 196 du C.F.). Seule est
;,
autorisée à titre exceptionnel l'action d'un enfant 'tenant à faire constater
1
judiciairement une reconnaissance implicite. C'est ce qui ressort des
,
dispositions de l'article 211 du C.F. Cette reconnaissance implicite est
déduite du comportement du prétendu père lorsque ce dernier a procédé ou
fait
procéder
au
baptême
ou
a
donné
un
prénom
à
l'enfant
(article 215, 218). On le voit, la capacité successorale de l'enfant naturel
dépend ainsi de l'établissement officiel de sa filiation. Le cas échéant il ne
pourra succéder qu'à l'auteur de la reconnaissance et c'est ce qu'il faudra
conclure a priori?". Hélas «lorsqu'il s'agit d'un enfant né hors mariage, .
l'auteur de la reconnaissance qui était engagé dans les liens du mariage au
moment de la reconnaissance doit, pour qu'elle produise son plein effet,
justifier de l'acquiescement de son ou de ses épouses» (article 534,
alinéa 1 du C.F.). Les droits de l'enfant naturel se trouvent virtuellement
menacés. Si le père (le de cujus) n'a pas obtenu «l'acquiescement de son
épouse ou de ses épouses, l'enfant naturel né hors mariage n'aura droit
qu'à la moitié de la part successorale d'un enfant légitime» (article 534 du
397 Sont concernés non seulement les enfants naturels simples mais aussi les enfants naturels
adultérins et incestueux. Pour ces derniers, il suffit que leur filiation soit officiellement établie.
Cf: article 195 du c.r.
398
Par l'assimilation des enfants naturels aux enfants légitimes et par application des
dispositions de l'article 533 du c.P., les enfants naturels viennent à la succession de leur père
ou de leur mère dans les mêmes conditions que les enfants légitimes.

202
C.F.), qu'il soit (l'enfant naturel) en concours avec des enfants légitimes
ou, à défaut de ceux-ci, en concours avec les autres héritiers du de cujus
(article 513 à 530 du C.F.). On a fait valoir à l'appui de cette solution qu'il
faut protéger, dans le cas des enfants adultérins, la famille légitime contre
le fruit des amants adultères; et dans celui des enfants naturels simples,
l'épouse qui n'aurait pas connaissance en se mariant de l'existence d'un
enfant naturel de son mari. Toutefois, au plan du droit international privé,
la solution doit être critiquée. Elle est injuste. Alors qu'il n'a jamais
demandé à venir au monde, l'enfant naturel devient responsable des
agissements de son père. C'est pourquoi certains ont pu penser à
l'émergence d'une responsabilité bien singulière: celle de l'enfant du fait
de son père?". L'abrogation du texte est plus que souhaitable au nom du
principe supérieur de l'égalité entre tous les enfants du Code de la famille
et l'avènement de la Convention de New-York sur les droits de l'enfant du
20 Novembre 19894°°.
En second lieu il s'avère également utile d'apprécier les
droits successoraux de l'enfant naturel dans le droit sénégalais des
successions musulmanes. Ici le sort de l'enfant paraît meilleur que dans les
successions de droit commun. En principe, et en vertu des dispositions de
l'article 642 du C.F., l'enfant naturel ne peut succéder qu'à sa mère et aux
parents de celle-ci. Ainsi, même lorsqu'il est reconnu par son père il ne
peut pas succéder à l'auteur de la reconnaissance dans le cadre des
successions musulmanes (cf article 220 alinéa 2). Néanmoins comme le
précise le même texte (article 220 du C.F.) in fine, « il est réputé légataire
d'une part égale à celle à laquelle il aurait pu prétendre s'il avait été
v
légitime ». L'enfant naturel ainsi visé par l'article 220 du C.F. est un
399 cf: Ndiaw DIOUF et Isaac Y. ND lA YE. Jurisclasseur de Droit comparé 1996, (législation
(Sénégal) Régimes matrimoniaux, Successions libéralités), Fasc 2, p. 14.

203
légataire de plein droit. Toutefois cette présomption légale dont il bénéficie
peut-être anéantie par la volonté contraire du de cujus. En effet ce dernier
peut bien l'exclure totalement ou partiellement de sa succession en prenant
une disposition écrite pour y parvenir (article 220 du C.F.). A l'évidence
l'enfant naturel n'est pas réservataire et ne bénéficie pas de l'attribution
préférentielle. Il n'a droit qu'à une part qui reste cependant égale à celle
d'un enfant légitime?". Mais quoi qu'il en soit, sa situation de légataire
reste. avantageuser" par rapport à celle de son homologue dans les
successions ab intestat de droit commun en l'absence d'acquiescement de
l'épouse ou des épouses de l'auteur de la reconnaissance.
En droit comparé, les droits de l'enfant naturel varient aussi
d'une législation à une autre. Ces droits dans leur quantum sont déterminés
par la loi nationale du de cujus conformément aux dispositions de l'article
847 alinéa 1 du C.F. Autrement dit la loi nationale du successible (enfant
légitime naturel ou adoptif) ne joue pas pour la détermination de l'étendue
de ses droits. Mais il faudra néanmoins réserver le cas où l'enfant
sénégalais recevrait par application de la loi étrangère, une part inférieure à
celle que lui reconnaît la loi sénégalaise. Dans cette hypothèse, il pourra
exercer un prélèvement sur les biens successoraux situés au Sénégal en
vertu des dispositions de l'article 409 du Code de la famille qui n'est en
fait que la reprise textuelle de la réglementation française sur la question.
1
En effet, le texte de l'article 409 du C.F. énonce que, « dans le cas du
!
partage d'une même
succession entre des
c6héritiers étrangers et
,
sénégalais, ceux-ci prélèveront sur les biens situés ia u Sénégal une portion
400 Convention ratifiée par la loi n° 90-21 du 26 juin 1990 JORS n° 5363 du Il Août 1990, p.
379.
:
401 TPI Dakar 3 juillet 1973, Annales africaÏ1~es 1974, n° 4, p. 140. Rev. sen. dr. 1974, n? 15, p.
139, note Mademba SY; Justice. Paix Dakar 14 février 1977, credila III 1982, p. 357.
402 cf: A. S. SIDIBE, "Pluralisme successoral.;", op. cit., p. 74 ets.

204
égale à la valeur des biens situés en pays étrangers dont ils seraient exclus
à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales ».
Le droit de prélèvement constitue une exception à la
compétence de principe de la loi successorale. Il apparaît comm.e un
privilège de nationalité':"
au
profit des
cohéritiers
sénégalais.
Ce
prélèvement tend à dédommager ceux-ci de ce que les biens situés à
l'étranger leur ont été ôtés en vertu de la loi successorale étrangère
déclarée applicable?". En droit français le droit au prélèvement est prévu .
par l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 abrogeant les articles 726 et 912
du Code civil, relatifs au droit d'aubaine et de détraction, et qui dispose
que « dans le cas de partage d'une même succession entre des cohéritiers
étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une
!
portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient
exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales ».
La doctrine française dans la majorité a adressé de vives
critiques au droit de prélèvement. Et pourtant, il a reçu constamment de la
part de la jurisprudence nombre d'applications. La jurisprudence a donné
au texte une interprétation large quant aux copditions d'exercice du
prélèvement. Des personnes appelées à bénéficier de ce droit, on exclut les
étrangers. Toujours dans le sens de cette interprétation extensive, les
tribunaux admettent que les héritiers français sont habilités à prélever
indifféremment contre les cohéritiers français ou contre les successibles
étrangers. Mieux, les biens dont la dévolution est régie par une loi
étrangère, et sur lesquels s'exerce ce droit peuvent être situés en France ou
403
En droit français, la doctrine dominante considère ce privilège comme archaïque et
exhorbitant. cf: BATIFFOL ET LAGARDE, traité, op. cit., n0649 ; PONSARD, note Rev. crit.
1972 . 603 ; P. MAYER, Droit international privé, n? 812. B. ANCEL, note sous TGI Bayonne
15 février 1977, Rev. crit. 1978.489. DROZ, note Rey. crit. 1973.322. Contra cependant, Y.
LEQUETTE, note Rev. crit. 1985.525.

205
à l' étranger'?", Destiné à garantir la protection des héritiers français lésés
par loi étrangère, le droit au prélèvement tend surtout à assurer le respect
de la réserve. Alors même que c'est la règle de conflit du for qui désigne la
.
,
loi étrangère, on se rend compte que de 1'interprétation extensive donnée
au texte par la jurisprudence française, le droit au prélèvement conduit à
l'exclusion de la méthode conflictuelle, du moins perturbe, à n'en point
douter, la solution du conflit de lois. C'est à juste titre qu'on le présente
comme une exception à l'application de la loi successorale.
Le prélèvement nationaliste tel qu'il est connu en droit
français et repris par le droit sénégalais doit être distingué du prélèvement
compensatoirei". Alors que dans le premier, il s'agit de faire prévaloir la
loi du for, au profit de certains héritiers, à l'encontre de la loi normalement
compétente qui leur attribue moins de droit, dans le second en revanche, le
prélèvement joue au profit de tout ayant-droit qui est lésé par l'application
d'une loi que ne désigne pas la règle de conflit du for, mais qui est
appliquée
ou qui risque
de l'être
effectivement à l'étranger.
Le
prélèvement compensatoire vise un but différent de celui poursuivi par le
prélèvement nationaliste à savoir, l'exclusion de la loi étrangère désignée
par la règle de conflit du for. Il tend au respect de l'efficacité de la règle de
conflit du for. Le droit burkinabé l'a consacré à travers les dispositions de
l'article 1045 du Code des .personnes et de la famille. Le texte prévoit que
dans le cas de partage d'une succession comportant des biens situés partie
au Burkina, partie à l'étranger, les cohéritiers qui se trouveraient exclus à
404 Sur cette condition, cf: Rcq 21 mars 1855 D.P. 18561. 137. S. 1. 274. Paris 24 nov 1983 -12
juill 1984, Rev. crit. 1985 514, note Y. LEQUETTE.
405 cf: Trib. civ. Seine 16 décembre 1950, Rev. crit. 1951, 302.
406 Sur la distinction des deux notions, cf: G. DROZ, note sous Cass civ l er février 1972, Rev.
crit. 1973 .320 ; Cours général de droit international privé: Regards sur le droit international
privé comparé, RCADI, 1991, p.302 et s. PONSARD, note sous TGI 7 octobre 1971, Clunet
1972. 597 ; (une décision dans laquelle sc mêlait à la fois prélèvement compensatoire et
prélèvement nationaliste).

206
i
quelque titre que ce soit sur les biens situés en pays étrangers prélèveront
une portion égale sur les biens situés au Burkina Faso. On le voit, le texte
ne vise pas exclusivement les cohéritiers burkinabé. Ce n'est plus alors
exclusivement un droit de prélèvement nationaliste qui est en cause mais
surtout un prélèvement compensatoire. De lege ferenda, les dispositions du
droit burkinabé sur le prélèvement compensatoire pourraient utilement
inspirer le législateur sénégalais.
c) Les droits de l'Etat.
L'article 448 du C.F. dispose que «les successions des
personnes décédées sans laisser d'exécuteur testamentaire ou dont les
ayants droit ne sont pas présents ou représentés ou ont renoncé, sont
administrées, liquidées et remises aux Domaines par le curateur aux
successions et biens vacants dans les conditions fixées par le Code de
procédure civile 2ème partie livre II titre VIII ». Cette réglementation, selon
les rédacteurs du Code de la famille, tend à prévenir le désordre
qu'entraînerait l'existence de biens vacants et sans maître. Ainsi l'Etat
devient un successible, recueillant les biens du défunt en l'absence de
parent proche. Mais cette aptitude de l'Etat à recueillir la succession du de
cujus, soulève la question de la nature juridique de ses droits. Deux
conceptions peuvent être relevées.
Selon la première thèse, l'Etat exerce un droit régalien en
vertu duquel il a toujours un droit de regard sur la liquidation des
successions régulièrement dévolues aux parents du défunt tant par
l'importance des taxes variables qu'il perçoit à cet effet, et surtout tant par
le souci d'assurer la sécurité et l'ordre dans la société. Aussi recueille-t-il
tous les biens de la succession à défaut de successibles parents du défunt,

-
207
quel que soit le fondement' qu'on assigne au droit de succession:
consécration du droit de propriété ou concession de l'Etat.
Selon la seconde thèse on penche vers l'assimilation de
l'Etat à un héritier ordinaire. Les auteurs classiques'"" qui ont affirmé une
telle opinion ont insisté sur le caractère universel de la succession et se
sont appuyés sur une décision de la Cour de Paris de 1890. En l'espèce la
Cour avait fait profiter l'Etat de la police d'assurance contractée par le
défunt au profit de ses héritiers. La transposition de cette deuxième thèse
en dépit de ses attraits, ne peut trouver un ancrage dans le contexte
africain. En effet, cette conception s'éloigne complètement de la réalité
négro-parentale telle qu'elle est ancrée dans les traditions africaines.
Au plan sociologique, on ne voit pas le lien qui unit l'Etat à
la famille du défunt, et qui confirmerait l'idée selon laquelle l'héritier
continue la personne du défunt avec les conséquences juridiques qui en
découlent notamment le caractère direct et immédiat de la transmission, et,
subséquemment, l'obligation pour l'héritier d'acquitter toutes les charges
de la succession. De plus, il faut faire remarquer que certes, il a existé très
tôt en Afrique noire des empires, des royautés socialement organisés et
dotés d'une souveraineté comparable à celle qui est conférée à l'Etat
moderne. Mais ces formations étaient surtout caractérisées par une sorte de
collectivisme socialt'" quasiment absent dans l'Etat moderne. Dans ces
formations,
les
peuples
négro-africains
avaient
une
vision
assez
particulière de la place de l'homme et des différen~s groupes sociaux dans
i
la société. L'individu, le clan, la tribu, la famille patriarcale ou matriarcale
,
1
407 J. MAURY, H. VIALLETON, Traité de 'droit civil de PLANIOL et RIPERT, tome IV, n?
155 - 156.
:
408 cf: C. A. DIOP, "L'unité culturelle de l'Afrique noire", Paris Présence africaine 1982, 2e éd,
p.185.
.

208
constituaient une unité culturelle"?" alors qu'aujourd'hui l'Etat moderne et
l'individu forment au contraire une diversité'!".
Au plan juridique et selon les
termes du législateur
sénégalais (article 408, alinéa 1 du C.F.), l'Etat n'est tenu des dettes du
défunt que jusqu'à concurrence de l'actif recueilli dans la succession.
L'Etat dans ces conditions .ri'est point un héritier ordinaire. D'ailleurs il ne
devient propriétaire des biens de la succession qu'après avoir sollicité et
obtenu l'envoi en possession alors que les héritiers parents du défunt sont
saisis de plein droit.
La double analyse de la nature des droits successoraux de
l'Etat au plan international, pose une question de qualification. Si l'on
considère que les droits de l'Etat sont des droits régaliens, des prérogatives
,
1
de puissance publique, ces droits vont alors dépendre de la loi de l'Etat sur
i
le territoire duquel se situent les biens du défunt. Par contre si l'on admet,
i
à l'instar du droit allemand ou du droit suisse, qu'il s'agit des droits
i
successoraux (l'Etat étant alors un héritier ordinaire), ces droits seront
soumis à la loi successorale.
C'est la première qualification'!" qui prévaut en droit
français, de même qu'en droit sénégalais. Mais: la difficulté majeure à
409 cf: C. A. DIOP, ibid, p. 53 et ss,
410 Hier, dans ces sociétés coutumières on se souciait de l'intégration de l'individu dans le
groupe par la mise à sa disposition de certains biens collectifs dont il n'a que la gestion. Ainsi
on constate que c'est le groupe qui va vers l'individu. Dans les sociétés modernes avec la
naissance de l'Etat c'est plutôt l'individu qui "court" après celui-ci. N'a-t-on pas l'habitude
d'entendre ces propos : "ne demander pas ,.::e que votre pays peut faire pour vous mais
demander plutôt ce que vous pouvez faire pour votre pays". C'est du patriotisme mais c'est
assez éloquent.
411 La jurisprudence a très tôt décidé qu'un bien immobilier dépendant d'une succession en
déshérence, qu'il soit mobilier ou immobilier, ne peut être dévolu qu'à l'Etat de la situation
effective. Casso Req. 28 juin 1852, S. 1852.1.537 ; D.1854.1.l54. Contra cependant Casso
Belgique 26 mars 1952, Rev. cd. :1953.132, note LOUSSOUARN ; Clunet 1954.453, note
Hennebicq. En droit français la seconde qualification a néanmoins quelques défenseurs. cf: P.
LAGARDE, "Successions", Rep. dr. int., n° 117.

209
résoudre, réside dans la vocation de l'Etat sénégalais à hériter des biens du
défunt à défaut de successible, vocation qui se heurte à la prétention
concurrente de l'Etat de la situation des biens. Si les deux ordres juridiques
;
ont la même conception des droits de l'Etat, la question sera vite résolue
car l'Etat sénégalais revendiquerait la propriété des biens situés sur son
territoire, l'Etat étranger, celle des biens situés sur le sien?". En revanche
si l'un des Etats est attaché à la conception d'appropriation de biens
vacants sur son territoire et l'autre à une conception de l'Etat héritier, il
sera très délicat d'apporter une réponse satisfaisante. Pour le moment elle
ne peut qu'être alternative. Ou on s'en remet à la qualification étrangère
comme en droit anglais, ou c'est la qualification du for qu'il faudra retenir
et l'Etat sénégalais en toute hypothèse s'appropriera les biens y compris
ceux situés à l'étranger avec néanmoins la soumission de ces biens
étrangers au fisc étranger.
PARAGRAPHE III:
LA TR,\\NSMISSION DE L'ACTIF ET DU PASSIF.
Elle appelle également la compétence de la loi nationale en
vertu des dispositions de l'article 847, alinéa premier du Code de la
famille. Mais l'interprète devient embarrassé à la lecture du second alinéa
du même texte qui dispose à son tour, que « sont régies par la loi du lieu
d'ouverture
de
la
succession
les
opérations
concernant
l'option
successorale, la mise en possession des héritiers, l'indivision successorale,
le partage de l'actif et le règlement du passif ». Le législateur sénégalais
soumet à une seconde loi des matières qui relèvent de la catégorie
«transmission de la succession ». L'expression utilisée par le droit
sénégalais apparaît imprécise et ambiguë (A). Il faudra cependant lui
1
/
V
donner un sens, lui restituer son contenu (B).
412 Cela se fera ainsi sur la base de la réciprocité.

210
A-
CRITIQUE
DE
L'EXPRESSION
« TRANSMISSION
DE
L'ACTIF ET DU PASSIF ».
Les opérations concernant l'option successorale, la mise en
possession des héritiers, l'indivision successorale, le partage de l'actif et le
règlement du passif, sont régies par la loi du lieu d'ouverture de la
succession conformément à l'article 847 alinéa 2 du C.F .. Or, ces
opérations énumérées par le législateur font partie intégrante de la
catégorie «transmission de la succession ». Pourquoi alors cette double
réglementation pour le
«contenant»
qu'est
la
transmission
de
Ja
succession et le contenu représenté par les opérations ci-dessus citées.
Manifestement le législateur sénégalais s'est trompé de formulation.
L'expression transmission de l'actif et du passif utilisée à l'alinéa premier
de J'article 847 du C.F., procède sans doute d'une confusion dans l'esprit
des rédacteurs du Code entre deux notions à savoir: la dévolution et la
transmission''!'. On aurait pu penser que voulant éviter une répétition de la
formule "dévolution successorale", le législateur a tenté de lui substituer
un synonyme approximatif comme l'aurait fait un profane. Il suffit alors de
recourir au Petit Robert pour s'en rendre compte. En effet, la transmission
y est définie comme « l'action de transmettre légalement », la dévolution
quant à elle y exprime « la transmission d'un bien, d'un droit d'une
personne à une autre en vertu de la loi». Al' évidence, la tentation est
grande, de vouloir assimiler dévolution et transmission et l'adjonction de
l'adjectif successoral n'y changera rien. Les deux termes, suivant les
définitions ci-dessus sont assez proches et indiquent l'idée de faire passer
quelque chose d'un patrimoine à un autre"!", Mais à bien y réfléchir cette
pseudo-substitution entre dévolution et transmission n'éclaire pas sur le
sens à donner à la formulation consacrée par le !législateur. Elle laisse
413 cf: supra p. Ha.

-
-
211
encore songeur l'interprète. En tout cas, si confusion il y a, elle ne saurait
être excusée car « la matière du droit impose un certain recul par rapport
au langage profane, faute de quoi l'expression du juridique en termes
élémentaires est de nature à le compromettre et à nuire à sa prévisibilité
donc à sa sécurité »415. Le droit a son langage que le législateur ne peut
méconnaître. Mais si tel est le penchant du législateur sénégalais il vaut
mieux lui conseiller de ne pas le comprendre et par conséquent de se
renseigner'!", que croire qu'il comprend et se tromper.
La notion de transmission en droit s'oppose à la dévolution.
Au sens large, la transmission de la succession englobe d'une part, les
questions relatives les unes, à la saisine"? et à l'option successorale, les
autres, à la sanction de la transmission et à la vacance de la succession ;
d'autre part, elle regroupe celles intéressant la liquidation et le partage de
l'hérédité. A suivre M. BOUREL418 dans ses critiques, ce n'est pas cette
qualification large que le législateur a entendue. adopter parce que les
rédacteurs du Code de la famille, par énumération des opérations telles que
;
l'option successorale, la mise en possession des héritiers, le règlement du
passif, ont choisi de procéder par élimination. Ainsi les questions qui ne
rentrent pas dans la catégorie transmission de la sùccession à proprement
parler, sont soumises à la loi nationale et pourraient valoir comme support
à la formulation «transmission de l'actif et du passif ». Mais il reste
414 cf: supra p. 11 a.
415 cf: F. TERRE, "Introduction générale au droit", Précis Dalloz 4 e édition 1998 p. 370, n?
368.
416 Il semble que la partie du Code de la famil1e consacrée au droit international privé, n'a pas
fait l'objet d'un examen attentif et qu'aucun débat ne lui a été réservé aux différents stades de
la procédure d'élaboration du Code. Cf: P. BOUREL in Rev. sen. dr. 1973, note Il. Cela ne
justifie pas pour autant ces confusions de langage.
417 cf: infra. poo 2.5'4 .
418 cf: P. BOUREL, "Le nouveau droit international privé sénégalais" in Rev. sen. drt. 1973, n?
13, p. 25.

212
encore à les identifier et à fonder leur classement sur une analyse cohérente
et sur des critères adéquats.
B-
LE CONTENU DE LA CATEGORIE TRANSMISSiON DE
L'ACTIF ET DU PASSIF: VERS UNE INTERPRETATION.
Le professeur BOUREL419 à la suite de sa critique sur
l'expression transmission de l'actif et du passif apparue à l'alinéa 1cr de
l'article 847 du Code de la famille, estime « qu'on cherchera vainement à
déterminer les questions qui relèvent de la loi natipnale du défunt» selon
le texte de l'article 847, alinéa 1 du C.F .. On' comprend par là que.
l'expression transmission de l' actif et du passif adoptée à l'alinéa 1cr du
texte précité n'a aucun contenu voire aucun sens parce que les opérations
qui traditionnellement constituent cette rubrique sont soumises à une autre
1
loi, la loi du lieu d'ouverture de la succession. Néanmoins l'auteur
interprète ces textes (article 847, premier alinéa et second alinéa du C.F.)
comme ayant voulu simplement soumettre à la loi nationale le principe
même de la transmission de la succession et son objet. Mais conclut-il,
cela paraît vider ce principe presque totalement de sa substance et lui ôte
toute utilitév".
M. S. GUINCHARD421 en revanche estime, contrairement à M.
P. BOUREL, que l'expression transmission de l'actif et du passif telle
qu'elle est utilisée n'est point entièrement vide de sens. L'auteur affirme
que les questions non énumérées telles que la détermination des parts
héréditaires,
la
saisine
des
héritiers,
l'administration
des
biens
successoraux,
l'obligation
des
héritiers aux dettes et aux legs, la
liquidation et la réalisation de l'actif, le rapport des dons et des legs et des
1
1
,1
419 P. BOUREL, op. cit., p. 25 et s.
420 P. BOUREL, op cit, p. 25.
421 S. GUINCHARD, "Le droit patrimonial de la famille au Sénégal", L.G.D.J 1980, p. 60.

213
dettes, constituent la trame de ce que le législateur sénégalais appelle « la
i
transmission de l'actif et du passif» à chaque héritîer. Cette interprétation,
il est vrai, al' avantage de donner un contenu à cette expression donc un
sens aux écrits des rédacteurs du Code. Mais une question se pose,
pourquoi alors avoir prévu deux lois différentes,' l'une, la loi nationale,
l'autre, la loi du lieu d'ouverture de la succession - hormis l'hypothèse où
ces deux lois seraient identiques - à une même matière en dissociant son
contenu? Ce qui revient à soumettre une partie de cette matière à la loi
nationale et l'autre à la loi du lieu d'ouverture de la succession. Si telle est
l'option du législateur, le risque est alors grand de voir se réaliser une
atteinte accentuée au règlement unitairef" de la succession. C'est pourquoi
l'auteur conclut au caractère néfaste et inutile de la distinction introduite
par les alinéas 1 et 2 de l'article 847 dans la notion de transmission de
l'actif et du passif.
Malgré les critiques adressées à la formulation légale par
MM. BOUREL et GUINCHARD, la distinction, introduite par le législateur
sénégalais dans la rédaction de l'article 847, alinéa 1cr du Code de la
famille, a priori, a vraisemblablement une justification. Celle-ci doit être
recherchée dans les textes réglementant les successions en droit interne,
dans les dispositions générales applicables sans distinction aux successions
musulmanes. Pour le législateur le droit international privé, avant tout
selon l'idée consacrée par BARTIN, est la projection des institutions de
droit interne au plan international. C'est cette vision qui explique d'ailleurs
qu'à la fin du Code de la famille, soient ajoutés des textes de droit
international privé. Dans ces conditions, pour comprendre la démarche des
rédacteurs du Code, on se reportera au chapitre III du livre VII relatif aux
successions
ab
intestat.
Les
rédacteurs
du
Code
l'ont
intitulé
:
422 cf: infra p.
31~ .

214
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
« transmission de l'actif et du passif». Au chapitre suivant, ils posent les
règles relatives à l'option successorale. En examinant donc le chapitre III,
on s' aperçoi t que «la transmission de l'actif et du passif» héréditaires
englobe trois questions, ou plutôt trois opérations: la saisine d'une part,
l'envoi en possession de l'Etat d'autre part, le droit de prélèvement enfin.
La transposition de ces mêmes opérations à l'article 847, alinéa 1 du Code
de la famille, permet de donner un contenu à la formule « transmission de
l'actif et du passif », Par conséquent, on peut alors comprendre, quand bien
même la répartition des questions ne serait pas logique, le sens que le
législateur sénégalais a entendu conférer à la formulation « transmission de
l'actifet du passif»,
Mais comprendre ne signifie pas justifier. La façon de
résoudre les questions internationales d'ordre privé, en droit sénégalais,
apparaît trop mécanique, Cette méthode n'est pas praticable en droit
international privé. Pourquoi par exemple, faire dépendre l'envoi en
possession de l'Etat de la loi nationale du défunt puisque cette matière
relève de la catégorie transmission de
l'actif et
du
passif.
C'est
inconcevable. On ne peut pas demander à la loi française d'ordonner
l'envoi en possession de l'Etat sénégalais à propos de la succession d'un
Français domicilié au Mali, Une projection du droit interne ne signifie pas
une transposition systématique. Il faut parfois une adaptationr" compte
tenu de la spécificité en l'occurrence des successions internationales?", En
définitive que faut-il conclure? Le législateur, par sa technique particulière
de transposition dans l'ordre international, des matières relatives au livre
VII, Chapitre III du Code de la famille, introduit une «ambiguïté
juridique» et en même temps un « vide juridique ».
~/
423 cf: supra p. 150.

215
D'abord une ambiguïté juridique car la réglementation est
telle que l'on ne comprend pas pourquoi, deux loi s différentes, la loi du
lieu d'ouverture de la succession et la loi nationale, viennent régir des
questions présentant une synergie certaine et assurant la cohésion de la
catégorie "succession" elle-même. Faut-il dissocier la mise en possession
des héritiers de la notionde saisine surtout dans un modèle de succession
attaché à l'idée de continuation de la personne du défunt par les héritiers?
Absolument pas. La saisine a pour effet essentiel 1'habilitation à prendre
possession
de
l'hérédité.
La
saisine
permet
d'abord
à l'héritier
d'appréhender matériellement les biens ; de « se sentir chez lui dans la
succession, d'en faire sa chose, de prendre contact avec elle sans
interposition de personne ou d'obstacles »425. Dans ces conditions, on ne
peut pas soumettre le principe ( la saisine) à la loi nationale, et ses effets
(la mise en possession des héritiers) à la loi du heu d'ouverture de la
succession. Si tel est le cas, cela reviendrait à distinguer entre saisine et
mise en possession alors que toutes deux, elles ne forment qu'une seule et
même institution. En supposant que la loi nationale! connaisse de la saisine
et que la loi du lieu d'ouverture ignore la mise en p:ossession, le règlement
de la succession s'en trouve automatiquement menacé.
Un vide juridique, ensuite, dans la mesure où à vouloir
rechercher de manière logique le contenu de la catégorie" transmission de
l'actif et du passif', on aboutit forcément à une interprétation hasardeuse,
hypothétique. En effet on cherchera à en déterminer le contenu à partir du
contenant sans pour autant savoir ce que représente ce contenant lui-même.
Apparemment la formule "transmission de l'actif et du passif' ne signifie
v
424 Nous avions déjà évoqué le cas du droit suisse.
En droit interne suisse, rien ne laissait
présager une quelconque admission de la professio juris et pourtant en droit international cela a
été consacré. Cf: supra p. 150.
425 cf: H. VIALLETON,"La place de la saisine dans le système dévolutif français actuel" in
Mélanges Roubier t.2, p. 284.

216
plus rien. C'est pourquoi, d'ores et déjà on émet le voeu que le législateur
apporte plus de soins et de précision à ses écrits, dans les normes qu'il
édicte au risque de nous suggérer qu'il a « l'art de mal légiférer »426. La
précision serait d'abord dans le sens d'une indication des matières que
recouvre la formule «transmission de l'actif et du passif». Elle serait
ensuite
dans
l'hypothèse d'une
substitution de
cette
formule
aux
expressions "transmission de la succession" purement et simplement. Enfin
elle reviendrait par voie de conséquence à remettre ten cause la compétence
1
de la loi du lieu d'ouverture de la succession: à la supprimer.
SECTION II:
LA NON EXHAUSTIVITE DE L'ENUMERATION DE
L'ARTICl,E 847, ALiNEA 1 DU C.F.
J
La liste des questions relatives à la dévolution successorale
telle qu'elle est établie par le législateur sénégalais à travers les
dispositions de l'article 847, alinéa 1 du C.F. n'est pas exhaustive. Elle
comporte des lacunes. En effet rien n'est dit sur les causes, le lieu et le
moment d'ouverture?" de la succession. De même les conditions requises
pour succéder ne figurent pas dans l'énumération donnée par le texte
(article 847, alinéa 1). Aussi allons-nous, dès à présent, nous interroger sur
le sort de ces matières et plus particulièrement sur le sort du moment
d'ouverture de la succession.
PARAGRAPHE 1 :
MOMENT D'OUVERTURE DE LA SUCCESSION
D'emblée il faut dire que les matières à savoir, les causes?",
la date et le moment d'ouverture de la succession relèvent de la
4261. Y. NDIAYE", L'art de mal légiférer" (propos irrévérencieux sur certains textes de lois),
Rev. sen. drt. pen. juillet - décembre 1995, p. 53 et s.
427 La détermination du lieu d'ouverture de la succession étant déjà résolue, cf: supra p.
428 La succession s'ouvre par la mort et par la déclaration judiciaire du décès en cas d'absence
ou de disparition (art. 397, alinéa 1 du C.F.). Une autre cause comme la mort civile serait
écartée par l'ordre public sénégalais.

217
compétence de principe de la loi successorale. Mais on doit néanmoins
tenir compte d'autres lois susceptibles d'intervenir pour la résolution des
problèmes.
A-
Détermination en fonction de la mort biologique.
Le décès d'une personne marque la fin de la VIe, la
cessation définitive de toutes les fonctions corporelles'?". C'est un fait
juridique et à cet effet, la détermination du moment du décès peut se
rattacher à la loi du lieu de la survenance de ce fait. Le décès peut
également se rattacher à la loi du domicile du défunt ou à toute autre loi.
Mais raisonnablement, pour en connaître la date, afin d'en tirer les
conséquences successorales, il faut interroger la loi locale du décès car,
c'est en ce lieu qu'il pourra en principe, être attesté de la fin de la vie de
l'individu. C'est dire qu'on écartera la loi successorale d'une part et
d'autre part la loi personnelle des héritiers. Connaître la date du décès,
c'est résoudre la question du moment d'ouverture de la succession.
L'importance de cette démarche réside dans le fait que la connaissance de
la date du décès permet de savoir si les successeurs à ce moment, sont
capables de succéder au défunt. Cette date va fixer le début de
lindivision''". Par ailleurs, à partir de celle-ci on pourra également
connaître la loi applicable dans le temps à raison des mesures transitoires
en droit interne. Aucun texte sénégalais ne dit expressément que la
succession s'ouvre à la date du décès. Mais on ne doit pas se méprendre
sur cette absence de réglementation car elle ne fait aucun doute. La preuve
du décès et celle de sa date résulte de l'acte de décès lequel doit être dressé
au lieu du décès. Cependant on constate souvent que le lieu du décès ne
429 Suivant la définition médico-légale, le critère de la mort réside dans la cessation complète de
l'activité cérébrale, attestée par deux electro-encéphalogrammes à· vingt-quatre heures
d'intervalle.
430 cf: infra p. 'COG.

218
coïncide pas toujours avec le lieu d'inhumation du défunt de sorte que la
possibilité d'établir un acte de décès en ce lieu d'inhumation avec la date
déclarée à ce sujet, reste ouverte. Aussi la date qu'on aurait pu consigner
au lieu du décès pourrait diverger de celle qui aurait été déclarée au lieu
d'inhumation. En définitive ne faudra-t-il pas plutôt voir dans la
détermination de la date du décès une question de preuve soumise à la lex
fori? Quoi qu'il en soit la résolution de cette question apparaît cependant
délicate dans l'hypothèse où deux ou plusieurs personnes appelées à se
succéder, périssent ensemble dans un même événement. C'est la question
classique des comourants. De par le monde, les législations sont
divergentes à ce sujet. Les droits allemand, suisse et italien écartent les
vieilles présomptions du code civil français (articles 721 et 722 du Code
civil)?" que le législateur sénégalais a tenté d'améliorer car elles sont
arbitraires et injustes. L'article 398 du C.F. pose deux règles lorsque
plusieurs personnes successibles les unes des autres, périssent dans le
même événement ou dans des événements concomitants. Selon la première
règle, la preuve de l'ordre des décès peut être administrée par tous moyens.
Suivant la seconde, à défaut de cette preuve, elles sont présumées décéder
au même instant et la succession de chacune d'elles est dévolue aux
héritiers ou aux légataires qui auraient été appelés à la succession à défaut
de ceux qui ont trouvé la mort dans l'événement. Cette réglementation
sénégalaise qui trouve son inspiration dans la solution recommandée par la
doctrine et la commission de réforme du code civil français, à la suite des
critiques adressées aux présomptions des articles 7~ 1 et 722 du Code civil,
!
431 Ces articles déterminent arbitrairement la chronologie des décès en fonction de l'âge et du
1
sexe des comourants. Ainsi si ceux-ci ont tous moins de quinze ans, le plus âgé avoir survécu.
S'ils ont tous plus de soixante ans, le plus jeune est censé avoir ~urvécu. S'ils ont tous plus de
quinze ans et moins de soixante ans, le plus jeune est censé avoir survécu. Cependant s'il y a
une différence d'âge, entre eux, de moins d'un an et s'ils sont de sexe différent, l'homme est
censé avoir survécu à la femme, si l'un a moins de quinze ans Ct l'autre plus de soixante, le
premier est censé avoir survécu. Ce système artificiel ne permet pas de résoudre tous les cas.

219
est conforme aux réponses apportées par les droits allemand (§ 20 BGB),
suisse (article 32) et italien (article 4). On suppose suivant ces législations,
que les personnes ont péri simultanément dans l'événement. En revanche
le droit anglais (Property Act de 1925) retient que le plus jeune est censé
avoir survécu au plus âgé sauf dans le cas du conjoint survivant''".
Ces divergences s'agissant de la question de savoir si une
personne a pu survivre à l'autre démontrent l'inefficacité de la loi
successorale notamment lorsque les successions des comourants relèvent
de lois différentes dont les règles ne sont pas identiques. Il semble dans ces
conditions, que la loi applicable est la loi personnelle de celui qui est
appelé à la succcssiorr'". Cette loi, soutient-on, a plus de titre à
s'appliquer.
M.
FRAGISTAS434
propose quant à lui
une application
cumulative de la loi personnelle de 1'héritier et de celle du défunt afin de
savoir si
ce
dernier a pu
mourir avant les
héritiers.
Le
«Code
Bustamente », en son article 9, dispose à ce sujet que « les présomptions
de survie ou de mort simultanée en cas de défaut de preuve se règlent
d'après la loi personnelle de chacun des prédécédés pour autant qu'il s'agit
de la succession de l'autre ».
Somme toute l'application de la loi successorale ou des lois
successorales ne résout pas efficacement la question au vu des solutions
retenues en droit comparé et au plan international. C'est pour cela que
nous estimons pour notre part que le législateur sénégalais peut bien se
référer à l'application de la loi personnelle des héritiers au cas où la loi ou
v
m cf : P. LAVILLE et Jacques BERSOUX, "Dévolution légale, ne congrès des Notaires de
France" Deauville, 1975 p. 63.
.
433 cf: F. BOULANGER, "Successions internationales" op. cit., p. 99.
434
cf : FRAGISrAS, Chr. "Die Kornmorientenvermutungen im internationalen Privatrecht
Festschrift Laun Hambourg" in F. BOULANGER, "Successions internationales...", op. cit, p.
99.

220
les lois successorales normalement applicables sont divergentes sur la
questionl".
B-
Détermination en fonction des notions d'absence et de
disparition.
La situation de l'absent ou du disparu mérite également
quelques réflexions dans la mesure où le disparu ou l'absent peut être
déclaré décédé après un certain délai et dans pareil cas, il faut se prononcer
sur le moment de l'ouverture de la succession. Au plan international, il
paraît souhaitable qu'une seule loi s'applique au régime de l'absence
comme aux conséquences d'un jugement déclaratif de décès. On ne peut
en effet concevoir qu'une même personne soit réputée vivante en un lieu et
morte en un autre. L'intérêt d'une réponse unique':", trouve encore ici, sa
cause dans la divergence des législations. Pour ne retenir que les droits
1
sénégalais et anglais en guise de comparaison, on peut rappeler que dans le
droit de la common law, une personne absente est: réputée morte dans un
délai de sept ans à compter du jour où elle a cessé de donner de ses
i1
nouvellest" ; tandis qu'en droit sénégalais, ce délai est de dix ans (article
23 du C.F.). En droit international privé, entre! la loi personnelle de
l'absent et la loi successorale, l'hésitation est permise. Mais en droit·
,i
sénégalais puisque aucune différence n'existe entre la loi personnelle et la
loi successorale, les deux étant identiques en vertu du principe de la
soumission des successions à la loi personnelle du défunt, l'hésitation
s'estompe. Aussi pensons-nous que,
par rapport aux conséquences
successorales et non successorales que produit l'absence, une réponse
unique
est
alors
largement assurée par la
compétence de
la loi
435 Le recours à la Lexlori ne serait alors point excessif si à défaut des lois personnel1es, les lois
successorales aboutissaient à des résultats contradictoires.
436 cf: Pierre FAYON in Répert Dallez, n? 10-12, mot "absence".
437 cf: Chr. Fragistas, op. cit., p. 99.

221
successorale. Mais la solution adoptée par le législateur sénégalais est tout
autre. Elle consiste à ériger les règles sur la disparition telles qu'elles ont
été prévues en droit interne, en lois de police. Elle a été "qualifiée de
surprenante à la lumière du système de la déclaration d'absence et de
disparition retenu en droit intcme'":". Non seulement elle contredit la
philosophie personnaliste qui fonde les solutions de conflit de lois en
matière de statut personnel mais encore, elle ne tient pas compte du régime
de l'absence tant aucune distinction n'est faite entre la période de
présomption d'absence, la période de l'absence déclarée et celle de la
déclaration de décès. La maladresse du législateur sénégalais trouve son
origine dans la confusion qu'il a entretenue entre compétence judiciaire et
compétence législative.
En droit interne sénégalais on attribue compétence au juge
du dernier domicile ou de la résidence de l'absent (article 22, alinéa 1 du
C.F.). Il en est de même en matière de disparition concernant un étranger
ou un apatride. L'article 24 du C.F. en son alinéa 2 dispose que la
déclaration de décès du disparu peut être judiciairement prononcée
lorsqu'il s'agit « de tout étranger ou apatride disparu, soit sur le territoire
sénégalais, soit à bord d'un bâtiment ou aéronef sénégalais, soit même à
l'étranger s'il avait son domicile ou sa résidence au Sénégal ». La
compétence judiciaire et partant législative se trouvent sûrement réunies
lorsque le Sénégalais disparaît au Sénégal ou hors du Sénégal. Par
hypothèse, on suppose que le dernier domicile du disparu ou sa dernière
résidence est situé sur le territoire sénégalais. Dans ce cas, la loi nationale
du disparu (loi sénégalaise) coïncidera donc avec celle du juge saisi, le
I f
juge du dernier domicile (le juge sénégalais). Prenant alors prétexte sur
,/
l'idée de faire coïncider la compétence judiciaire avec la compétence
m cf: A.K. BOYE , cours précité, pAü8.

222
législative, les rédacteurs du Code de la famille projettent le droit interne
dans l'ordre international et érige la solution du droit interne en règles de
,
police comme en témoignent les dispositions de l'article 841, alinéa 2
troisième tiret du C.F.
,
,
Cette maladroite solution sénégalaise est déduite d'une
vieille thèse! soutenue par certains auteurs qui
affirment que
«la
déclaration d 'absence affecte l'existence même de l'absent et non l'état des
;
personnes, parce que de deux choses l'une: soit la personne absente ou
disparue est décédée et dans un tel cas le décès a fait disparaître son état et
sa capacité, soit cette personne est encore vivante mais le fait de son
absence ou de sa disparition constitue un obstacle pour elle d'exercer
pleinement toutes les prérogatives qui s'attachent à son état et à sa
capacité »439. La Cour de cassation dans une décision"? restée isolée, a
épousé cette thèse. Elle a énoncé en l'espèce que l'absence devrait être
analysée comme «une mesure provisoire dans l'intérêt de l'absent et de
ses héritiers », que dès lors «l'article 15 du Code civil doit s'appliquer
aussi bien aux étrangers qu'aux français» Les rédacteurs du Code de la
famille ont cru voir dans cette décision, l'application des dispositions de
l'article 15 comme exprimant une règle de police. Ils l'ont adopté dans les
dispositions de l'article 841, alinéa 2 troisième tiret. Cette attitude est
doublement critiquable?".
D'abord le législateur fait une fausse interprétation de la
jurisprudence française car l'adoption de cette thèse conduisait à faire régir
les biens du disparu ou de l'absent par la loi réelle, loi successorale. En
effet, les mesures provisoires prises dans l'intérêt du disparu lui-même et
r
/
4.19 cf: A. K. BOYE, cours précité renvoyant à la thèse de cette doctrine dans, WEISS,"Traité
pratique et théorique de droit international privé", 1. 3. 2 éd 1907-1913, pp. 292 et s.
440 Casso civ. 27 décembre 1897, DP.1901AO.
4-lI cf: supra p .. 2."l.. .

223
dans celui de ses héritiers n'ont véritablement d'importance que là où se
situent ses biens.
Ensuite, on ne saurait évidemment excuser cette maladresse
du législateur dans la mesure où, dans la rédaction de l'article 853442,
alinéa 2 du Code de la famille, il s'inspire des dispositions de ce même
texte (article 15 du Code civil) sachant qu'il est relatif à la compétence
internationale des tribunaux français et qu'il pose une simple règle de
compétence juridictionnelle.
En somme, pour protéger les biens de
l'absent ou du disparu dans le for, on aurait pu retenir l'application des
règles relatives aux mesures provisoires imposées par l'urgence et non
recourir aux lois de police qu'on ne saurait de principe rattacher à la
méthode conflictucllct",
PARAGRAPHE II: LES CONDITIONS REQUISES POUR SUCCEDER.
En droit matériel sénégalais, l'aptitude à recueillir la succession
;
,d'une personne décédée est, au préalable, subordonnée à la condition pour
le successible, d'avoir une existence certaine à l'instant du décès.
Autrement dit, le successible doit être doté de la personnalité juridique.
Mais par rapport à cette condition, il faudra toutefois envisager le sort de
certaines personnes qui, au moment du décès, n'avaient pas encore en
toute rigueur la personnalité juridique mais qui pourraient avoir un intérêt
442 En effet, l'alinéa 1 du texte dispose que,
"les tribunaux sénégalais sont compétents pour
connaître de toute action dans laquelle le demandeur ou le défendeur a la nationalité
sénégalaise au jour de l'introduction de l'instance" .. Cependant, cette règle reçoit exception
lorsque la décision rendue doit être exécutée à l'étranger ou lorsque les parties renoncent à ce
privilège. "Les tribunaux sénégalais sont également compétents dans les litiges entre étrangers
(
r:
lorsque le défendeur est domicilié au Sénégal ou lorsque l'élément de rattachement auquel se
réfèrent les articles 34 et 36 du Code de procédure civile pour donner compétence à un tribunal
déterminé se trouve situé au Sénégal" précise l'alinéa 2. Il s'agit de règles exorbitantes du droit
commun de la compétence, d'un privilège de juridiction qui tire son origine des dispositions
des articles 14 et 15 du Code civil français.
443 cf: infra poo 2.40.

224
à venir à la succession. La conception à l'époque du décès?" est au coeur
de la problématique. Dès qu'elle est résolue, il importe encore de savoir si
le successible dont l'existence est certaine au moment du décès est digne
d'hériter.
A -
LA CONCEPTION A L'EPOQUE DU DECES.
Nous examinerons successivement le cas des personnes
physiques et celui
des personnes morales, en particulier celui des
fondations.
a) Le cas des personnes physiques.
La réponse à ce niveau est relativement simple. Le droit
sénégalais exige, en vertu des dispositions de l'article 399, alinéa 2 du
C.F., qu'à l'époque du décès, l'héritier soit au moins conçu?". Le texte
précité, libellé en ces termes «l'enfant simplement conçu peut succéder
s'il naît vivant », peut être interprété dans le sens que si l'enfant, par la
suite, ne naît pas vivant, il n'aura aucun droit dans la succession de ses
parents. Qu'il ait eu le temps de vivre quelques heures, suffit pour lui
attribuer une part dans la succession, une part qu'il transmettra ensuite à
autrui.
. La nécessité d'exister à l'époque du décès, pose également
le problème de l'absent. A ce sujet, le législateur sénégalais est resté
curieusement muet mais en revanche, il a cru utile de se préoccuper de la
situation inverse, de la succession de l'absent?". Son silence doit donc être
444 C'est la solution en droit sénégalais supposée être la loi successorale.
445 La date de la conception est déterminée par application de la présomption légale de durée de
la grossesse. cf : article 399, alinéa 3 du C.F. La date de la conception est fixée de manière
irréfragable entre le 180e et 300e jour qui précède la naissance.
446 cf: article 23 du C.F. in fine.

225
interprété comme signifiant que l'absent ne peut pas hériter puisque son
existence certaine ne peut être démontrée.
La question relative à l'existence du successible relève de la
loi successorale. Autrement dit, si la loi successorale est une loi étrangère,
c'est elle qui doit être consultée et qui doit livrer la réponse à la question
de savoir si 1'héritier simplement conçu peut venir à la succession ou non.
C'est l'enseignement que l'on tire d'une décision rendue par la Cour de
Paris!", Constant que le droit soviétique, loi successorale applicable
ignorait la représentation, les juges du fond avaient débouté les petites
filles adoptives du compositeur russe Bellaief et qui venaient à la
succession de leur grand-père. En l'espèce, elles réclamaient la nullité des
legs faits par leur grand-père à une fondation qu'il avait créée. Or à
l'époque du décès, elles faisaient encore l'objet d'une adoption qui n'était
pas encore définitive. La Cour de Paris en déduisait qu'elles auraient dû
être conçues au moment du décès. De façon incidente, se déduit une
assimilation de la demande d'adoption à la conception d'un enfant à
naître':". De toute évidence, l'enfant dont l'adoption n'a pas encore fait
l'objet d'une requête officielle n'a pas encore une existence certaine et ne
peut hériter?". Il en est de même, si le prétendu adoptant est décédé avant
d'avoir accompli les formalités de dépôt de la requête d'adoption. Pas
d'existence juridique certaine, pas de droits successoraux. La même
conclusion est tout aussi transposable aux personnes morales.
447 Cour de Paris 9 avril 1938, Clunet 1938.1038.
·148 En France, une question parlementaire a été posée dans ces termes relativement aux droits
successoraux de l'enfant déjà adopté par la femme d'un couple installé à l'étranger avant de se
fixer sur le territoire français. Le mari avait fait une demande d'adoption plénière mais était
décédé avant d'avoir déposé officiellement la requête. Pouvait-on alors assimiler la demande
d'adoption à la conception d'un enfant à naître? La réponse est négative si la loi successorale
est la loi française ( article 355 du Code civil, l'adoption produit ses effets qu'à compter du jour
du dépôt de la requête) cf: Question n° 1141, Joum. notaires 1979, p. 103.
449 Les dispositions de l'article 240, alinéa 1 du C.F. sont aussi
assez éloquentes à ce sujet.
"L'adoption produit ses effets à compter dujour du dépôt de la requête en adoption ".

226
b) Le cas des personnes morales
l'exemple de la
fondation.
Si le défunt au lieu de prévoir la dévolution de ses biens à
des parents ou à des tiers, décide de les affecter par testament à la création
1
d'une œuvre nationale ou étrangère, il faut également poser ici la condition
de l'existence juridique de la personne moralev", La résolution de la
question revêt un aspect particulier. L'exécution même du testament
suscite des difficultés complexes en raison des divergences importantes
observées en droit comparé. En Allemagne par exemple, la nécessité d'une
autorisation administrative, bien que nécessaire, n'exclut toutefois pas la
création d'une fondation et sa régularité sur le plan juridique alors même
que cette autorisation n'a été donnée qu'après la mort du testateur (§80 et
84 du BGB). Le droit suisse quant àlui admet la constitution de fondation
de famille ou ecclésiastique sans autorisation préalable. On affirme dans
ces législations que" la surveillance des autorités sur le fonctionnement de
la fondation n'a d'autre but que le respect de la volonté du testateur et de la
destination "451. La création d'une fondation nécessite toujours une
affectation de biens dans un but d'intérêt général dans un but non lucratif
donc charitable ou désintéressé. On sait qu'en droit interne, il persiste une
méfiance vis à vis des biens de mainmortev". Les obstacles à la création
d'une fondation tiennent d'une part à l'impossibilité d'existence d'un
patrimoine sans son support qu'est la personnalité et d'autre part à
l'exigence de l'article 399 du C.F. (article 906 du Code civil français) sur
450 L'article 668 du C.F. ne dispose-t-il pas que "ne peuvent aucunement recevoir à titre gratuit
les personnes qui ne sont ni déterminées ni déterminables. Aussi ne peut-on pas assimiler à une
personne déterminée une fondation qui Il' a pas d' existence juridique".
451 F. BOULANGER, "Successions internationales", op.cit, p.193 ; A. CLOSTRE, "Les trusts:
comparaison avec le régime français des libéralités et succession", thèse (dactyl), Paris 1972,
pp. 180 et s.
452 Cette règle remonte à un ordonnance de DAGUESSEAU de 1749, cf, F. BOULANGER, op.
cit., p. 192.

227
l'existence certaine à l'époque du décès. La personnalité juridique peut
être conférée aux fondations par un décret du gouvernement qui vaut
également reconnaissance d'utilité publique (article 17 de la loi n? 95-11
du 7 avril 1995 instituant la Fondation d'utilité publique au Sénégal)453. Si
une personne veut de son vivant fonder une œuvre, elle attendra que le
décret soit pris, avant d'affecter les biens à l'œuvre. Ainsi il lui est
impossible de procéder par testament puisque pour recevoir valablement
un legs, une personne doit exister au moment du décès du testateur. En
droit français, alors que les tribunaux administratifs utilisent la fiction de la
rétroactivité et font remonter les effets du décret au jour du décès du
testateur, les tribunaux judiciaires en revanche considèrent que le legs fait
à une œuvre dépourvue de la personnalité est nul. Suivant les dispositions
de l'article 19 de la loi 95-11 du 7 avril 1995, "la fondation existe et a la
personnalité juridique à compter de la date de publication au journal
officiel du' décret lui accordant le statut d'établissement reconnu d'utilité
publique". Ert droit sénégalais, doit donc être prononcée la nullité des legs
faits à une fondation qui n'est pas encore dotée de la personnalité
juridique. Pour tourner cette interdiction, donc éluder la thèse classique qui
lie le patrimoine à la personnalité, le testateur fera un legs à une tierce
personne, chargée d'obtenir le décret de reconnaissance de l'existence
juridique de la fondation, et de remettre ensuite à cette œuvre les biens
légués. En droit sénégalais l'article 667, alinéas 4 et 5 du C.F. autorise les
créations de fondation directement par une donation ou un legs. Telle est
également la substance de la loi 95·11 du 17 avril 1995 en ses articles 7 et
454.
15
Dans l'interprétation de ces textes, des distinctions s'imposent entre,
453 JORS n? 5638 du 10 Juin 1995.
454 L'alinéa 1 du texte dispose que" lors de la création, le (s) fondateur (s) doivent apporter, à la
fondation, une dotation initiale suffisante pour lui permettre de remplir sa mission, d'assurer
son fonctionnement et son indépendance, et dl'; garantir sa pérennité ; cette dotation est
également appelée patrimoine d'affectation ".

228
d'un côté, la création d'une fondation et d'un autre, l'aptitude de l'œuvre
déjà existante à bénéficier des legs et la survie de l'institutiont".
Concernant la création d'une fondation, une interprétation
bienveillante du testament permettrait de valider l'opération si le testateur
avait
désigné
des
légataires
ou
exécuteurs
testamentaires
comme
intermédiaires pour la réalisation de l'œuvre. D'une part, on soumettrait la
forme de l'opération à la loi du lieu de création de l'œuvre. D'autre part, le
fond, dans la mesure où il emporte nombre de conséquences successorales,
serait régi par la loi successorale. Ainsi si un Sénégalais créait un
établissement
d'utilité
publique
dans
un
pays

l'autorisation
. gouvernementale est exigée, il devra se soumettre à cette règle. Mais que
faudra-t-il penser si la loi successorale impose" la conception" au moment
du décès alors que la loi étrangère du lieu de création de l'œuvre n'exige
pas l'autorisation administrative? La validité et la régularité de l'œuvre
seront-elles remises en cause par la loi successorale ? On peut bien
admettre que la loi successorale compétente puisse s'effacer devant la loi
de création de l'œuvre pour faire preuve d'un certain libéralisme. Mais on
comprendrait mal la raison qui pousserait un ,Sénégalais domicilié au
Sénégal et qui irait créer une fondation en Suisse si ce n'est pour éluder la
loi sénégalaise sur l'autorisation gouvernementale':" en matière de création
d'une fondation.
Quant à l'aptitude d'une fondation déjà existante, à
.recueillir les biens de la succession, il faut retenir que la personne morale
bénéficiaire doit avoir la capacité de recevoir. A la question de savoir si les
455 cf: H. SOULEAU, "L'acte de fondation en droit français", thèse Paris 1969 ; H. PAITHE,
"La création des fondations autonomes en droit positif français", thèse Grenoble 1939 .
456 Conformément à l'article 667 alinéa 5 du C.F.

230
respect de l'objet poursuivi par l'œuvre. Autrement dit, si le legs fait, tend
à entraîner la modification de la fondation reconnue d'utilité publique, un
décret modificatif est requis conformément à l'article 18 de la loi instituant
la fondation au Sénégal. Cependant, cette exigence de la loi sénégalaise ne
s'appliquera que si la loi sénégalaise a été désignée comme la loi
successorale applicable. Cette règle est confirmée par les dispositions de
l'article 667 alinéa 5 du Code de la famille. En effet il est précisé que
«toutefois la libéralité ne devient définitive que si la fondation est
reconnue d'utilité publique par décret et reçoit l'autorisation d'accepter ».
Enfin, au cours de la vie de la fondation, divers événements peuvent
survenir pour mettre en péril cette œuvre et justifier la demande de
révocation' des legs. Ce qu'il faut retenir ici, c'est la protection de la
volonté du testateur. Cette volonté sous-tend la création de l'œuvre et sa
. survie. Dans la mesure où les biens légués l'ont été sur la quotité
disponible compte tenu de la présence des réservataires du de cujus, la
disparition de la fondation n'entraînerait pas la conséquence que les biens
doivent revenir aux héritiers. S'il y a disparition de l'œuvre, ce sera au
profit d'une œuvre poursuivant le même but ou un but similaire ou
connexe ou à un établissement analogue ( cf article 42, alinéa 2 et 3 de la
loi 95-11 du 7 avri 1 1995tG2•
. Une décision du tribunal de Seinet'", affaire « Potocki », a
su bien régler le problème en se référant à la loi d'autonomie et au rôle de
la volonté du testateur sur une éventuelle disparition de la fondation. En
l'espèce la survie de la fondation créée par M. Potocki a été mise en péril
462 "L'actif net résultant de la liquidation est attribué à une autre fondation ou à une association
reconnue d'utilité publique à but similaire ou connexe, ou à un établissement analogue dans les
conditions fixées par décret" (alinéa 2). « En aucun cas, les biens de la fondations y compris le
patrimoine d'affectation ne pourront faire retour sous une forme ou sous une autre aux
fondateurs ou à leurs parents ou alliés" (alinéa 3).
463
Trib Seine, 26 février 1958, Clunet 1959. 430, note PONSARD; G.P 1958 A. 325,
conclusions SOULEAU.

231
par une loi polonaise du 24 avril 1952 sur les nationalisations. La
fondation avait en effet son siège en Pologne et ainsi le sort des immeubles
français dépendant d'elle était remis en question. Aussi une cousine
germaine dude cujus, la Princesse Sapilha, les revendiqua-t-elle comme
héritière. Elle fut déboutée. Le sort de la masse française ne devait pas être
remis en cause par un acte étranger. La Cour d'appel nomma un
.
1
administrateur français des biens de la fondation. Le pourvoi qui plus tard
fut introduit, fut rejeté.
B -
L'ABSENCE D'INDIGNITE DU SUCCESSIBLE.
L'indignité successorale exprime un interdit élémentaire?".
L'indignité dans son principe traduit la sanction infligée aux personnes qui
ont accompli des faits particulièrement graves à l'égard du défunt, à ceux
qui se sont mal conduit envers le de cujus. A ce titre, elle apparaît comme
une mesure de défense d'une certaine morale. L'indignité se définit
comme « une déchéance qui prive un héritier de son droit à la succession
en raison des torts qu'il a eus envers le défunt »465. La nature juridique de
l'indignité est controversée. La doctrine et la jurisprudence y voient une
peine privée'". On l'analyse aussi comme une incapacité de jouissance. De
la nature juridique de l'indignité il ressort deux conséquences. D'abord, en
tant que peine privée, elle ne produit son effet d'exclusion que dans les
rapports entre le de cujus et 1'héritier présomptif ayant commis une faute à
son endroit. Elle est strictement personnelle. L'indignité est dite relative.
Ensuite en tant que déchéance, elle suppose pour être efficace que celui
464 cf: J. MORALES, « De l'indignité dans le projet de réforme des successions », Les petites
affiches, 18 avril 1997, n? 47.
465 cf: J. MORALES, op. cit, p.1 O.
466 cf: F. TERRE et Y. LEQUETTE, « Les successions, les libéralités », 2e édition 1988, n047.;
1. FLOUR et SOULEAU," Les successions ", ]e édition 1991, n? 26. ; Casso civ., 18 décembre
1984, G.P. 1985,2,221, obs. M. GRIMALDI.

232
qu'elle frappe ne puisse en aucune façon bénéficier de la succession dont il
est exclut. L'indignité comme les incapacités est de droit étroit.
Le Code de la famille en ses articles 400 et 401 énumère les
cas
d'indignité?".
Le
législateur
sénégalais
distingue
deux
causes
d'indignité: l'indignité de plein droit contre «celui qui a été condamné en
tant qu'auteur, coauteur ou complice, pour avoir volontairement donné la
mort ou tenté de donner la mort ou porté des coups mortels au défunt»
(article 400 du C.F.) et l'indignité facultative. L'indignité facultative est
prononcée par le juge contre «celui qui s'est rendu coupable envers le
défunt de sévices, délits ou injures graves» ou contre «celui qui a
gravement porté atteinte à l'honneur, à la considération ou aux intérêts
patrimoniaux du défunt ou de la famille ». En la matière, le juge dispose
d'un pouvoir d'appréciation quant à la réalité des faits allégués.
Par rapport au droit français qui adopte une attitude
restrictive dans la mesure où seuls les faits très graves comme une
condamnation pour attentat à la vie du défunt ou une accusation capitale
,
jugée calomnieuse, sont susceptibles d'entraîner l'exclusion de l'héritier
fautif de la succession du défunt) le droit sénégalais, dans les causes qu'il
retient, apparaît plus large. Une partie de la doctrine française a dénoncé de
lege ferenda l'archaïsme des cas énumérés à l'article 727 du Code civil.
Elle soutient que l'indignité successorale souffre d'un paradoxe. Elle est à
la fois limitée en ce sens qu'elle est relative, et trop étendue parce que sa
portée déborde par le jeu de la représentation successorale. Le projet de
réforme des successions retient diverses hypothèses où un héritier aura
voulu attenter à la vie du défunt, directement ou indirectement ou nuire à
467
La notion d'indignité est proche de celle d'ingratitude par les effets qu'elles produisent
toutes deux. L'indignité certes ne concerne que les héritiers ab intestat, l'ingratitude, les
légataires. Mais l'une et l'autre entraînent la privation du successible de tout droit dans la
succession du défunt envers lequel il s'est rendu coupable.

233
sa probité (faux témoignage dans une procédure crirninellert", D'autres
cas d'indignité comme le refus d'aliments envers le défunt'î", les pressions
sur la volonté du défunt et captation testamentairef", l'adultère avec le
conjoint du défunt" 1, retenus par d'autres systèmes juridiques peuvent
bien inspirer les législateurs français et sénégalais.
L'application de la loi successorale aux causes d'indignité
est reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence. Pourtant certains
auteursf" estiment qu'au nom de l'ordre public, la loi successorale
normalement
compétente
pourrait
être
écartée.
L'argument
qu'ils
développent, tient compte de l'attitude restrictive adoptée par le droit
français. Mais cette solution paraît exagérée car si la succession relève
d'une loi étrangère, ce n'est pas à la loi du for de déterminer les causes
d'exclusion mais plutôt à la loi étrangère. Le rôle que l'on voudrait faire
jouer à l'ordre public par l'intervention de la loi du for ne se justifierait
pas. D'ailleurs, en quoi l'ordre public serait-il atteint si l'on retient telle ou
telle autre cause d'indignité adoptée par la loi étrangère? Il faut être digne
de recueillir les biens du défunt. Ainsi certains actes tel que l'adultère avec
le
conjoint
du
défunt"?
ne
paraissent
pas
excusables
estime
M.
BOULANGER474 . Mais comme le propose ce dernier, exceptionnellement
cette cause d'exclusion tenant à l'adultère du conjoint pourrait relever de la
loi du divorce. De là s'infère l'idée que pour certaines questions, la loi
successorale abandonne sa compétence. Cela ne se dément pas et l'examen
468 cf: J. MORALES, op. cit, p.lO.
469 Droits mexicain et yougoslave.
470 Droits allemand, espagnol et grec.
471 Droits espagnol et autrichien.
472 cf: P. LAGARDE, Répert. droit international .n? 103, mot « succession ».
473 Ce n'est pas une cause d'exclusion prévue par le droit sénégalais. On pourrait néanmoins se
poser la question: de savoir si dans les causes facultatives, le juge ne le retiendrait pas par
exemple comme une injure grave. En tout cas cette cause a été évoquée par R. Laville et J.
Bersoux, 72e Congrès des Notaires de France, p. 92 cités par F. BOULANGER, op. cit., p.102.
Mais suivant une certaine morale africaine, ce cas ne serait pas du tout exagéré.
474 F. BOULANGER, " Successions internationales ..;" op. cit., p. 102.

234
des matières' successorales omises par le législateur sénégalais confirme
cette idée.
A la suite de l'analyse des
questions relatives à la
dévolution successorale non énumérées par le Code de la famille, une
conclusion s'impose. Le silence gardé par le texte de l'article 847, alinéa 1
du Code de la famille, indique que le législateur sénégalais n'a pas entendu
dresser une liste exhaustive et que l'énumération n'est qu'indicative. Ainsi
appartiendra-t-il aux tribunaux par une interprétation extensive, de la
compléter en retenant sans désemparer la compétence de la loi nationale du
défunt?". Mais une telle interprétation serait, en toute vraisemblance, de
nature à ajouter au texte. En effet, toutes les questions omises ne relèvent
pas de la loi successorale. Il en est ainsi du lieu d'ouverture de la
succession, de la question des comourants. Il faut parfois tenir compte de
la loi personnelle des héritiers ou de la loi du domicile du défunt.
Théoriquement, l'interprétation extensive du domaine de l'article 847 du
C.F., ne saurait être retenue. Mais alors, elle constitue un obstacle à un
règlement unitaire de la succession. De toute façon, l'interprétation
restrictive n'est ni souhaitable ni praticable compte tenu du but poursuivi.
En somme, moins qu'un problème d'interprétation, il se pose surtout une
question de valeur d'une réglementation, celle de l'article 847 du Code de
la famille. L' œuvre législati ve est restée incomplète, aussi incomplète que
maladroite. Elle mérite d'être réexaminée par les rédacteurs du Code dans
le sens de son affinement et de son extension. Aussi en oeuvrant, devront-
ils encore repenser la question préalable de la détermination du lien de
parenté, question à laquelle seront consacrées quelques réflexions.
475 L'avantage d'une telle interprétation confirme le choix de la loi nationale en tant que loi
successorale et solution de principe en droit international privé sénégalais; cf: supra p..

235
SECTION III :
LA
QUESTION
DE
LA
DETERMINATION
PREALABLE DE LA PARENTE.
.",-
La loi nationale du défunt en droit international privé
sénégalais désigne les héritiers susceptibles de recueillir les biens de la
succession et fixe le quantum des droits successoraux. Mais il peut arriver
que la qualité d'héritier soit contestée à un successible de sorte que
,
l'établissement du lien de parenté devienne une question qu'il faudra
résoudre avant toute transmission de la succession. Plusieurs lois peuvent
régir la· sucgession du défunt : loi nationale du défunt, loi du lieu
d'ouverture de la succession, loi de situation des immeubles et fonds de
commerce selon le droit international privé sénégalais. Mais aucune d'elle
ne se prononce sur l'établissement de la qualité d'héritier. En fait on se
déporte d'un problème de succession dans une question de filiation pure.
Une disposition particulière et surprenante (article 841 du C.F.) classe la
matière dans la catégorie des lois de policc" donc, réglemente a priori la
question de la parenté et se démarque nettement de la solution adoptée en
France.
En droit français, il a été admis dans un arrêt célèbre?"
«Ponnoucannamale »478 que l'établissement du lien de parenté était
soumis à la loi successorale. En l'espèce, le litige mettait aux prises un
enfant légitime et
un enfant adoptif, relativement à la dévolution
d'immeubles sis en Cochinchine mais soumis à la loi française. Lors de la
réalisation de l'adoption, le défunt avait déjà un enfant légitime. Les deux
enfants étaient l'un et l'autre de nationalité indienne. La loi française
476 cf: infra p.2.38.
m
Célèbre de par les critiques dont il a été I'cbjet à travers l'exubérance de la doctrine en
raison de l'ambiguïté de sa rédaction.
478
Req. 21 avril 1931, Rev. crit. 1932.526, rapport Pilon, note NIBüYET ; BARTIN ,
. "Adoption et transmission héréditaire", Clunet 1932.5 ; BATIFFÜL, "Statut personnel et statut
réel deux arrêts", JCP 1932, p. 597.

236
applicable à la dévolution de la succession assimilait l'enfant adoptif à un
enfant légitime mais elle prohibait l'adoption d'un enfant en présence
d'enfant légitime. Mais au regard du droit indien, cette prohibition
n'existait pas. L'adoption était alors valable selon la législation indienne.
La Cour refusa à l'enfant adoptif toute vocation à la succession au motif
que «d'après l'article 3, alinéa 2 du Code civil, les immeubles situés en
France même ceux possédés par des étrangers sont soumis à la loi
française; qu'il s'ensuit que la dévolution héréditaire en est réglée par
cette loi quel que soit le statut personnel du de cujus ou des héritiers ». On
en déduit que le statut successoral absorbe le statut personnel en la matière.
L'incertitude, relative à la positivité de la solution, a prévalu pendant
longtemps et ce, jusqu'à un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris'?" qui
se prononça pour l'application de la loi personnelle. La Cour de cassation
elle même, dans un arrêt du 17 décembre 1951 480 confirma la délimitation
du statut personnel et du statut successoral. Mais il fallut attendre l'arrêt
Bendeddouche'" pour voir la Haute juridiction, dissiper toutes les
interrogations qu'elle avait fait naître dans l'arrêt Ponnoucannamale. Elle
énonce de manière assez claire que « si la loi française régit la dévolution
successorale ides immeubles sis en France, la qualité de conjoint et
i
I'établissernent de la parenté pour le jeu de la dévolution successorale
relèvent de la loi personnelle ». En délimitant assez nettement la frontière
de la loi successorale et de la loi personnelle, la Cour de cassation entérine
les enseignements de la doctrine?" et ajoute une pierre angulaire à la
construction du droit international privé français. La question de la
détermination du lien de parenté illustre en effet ce qu'une frange de la
doctrine appelait la théorie des questions préalables. Elle ne se pose pas de
479 Arrêt "Loriol", Paris, 10 juillet 1946 , Rev. crit. 1947. 143, note BA TIFFOL.
480 Arrêt "Rezk", Casso civ., 17 décembre 1951, G.P 1952.1, n? 16-18.
481 Casso civ. 1ère ch, 3 janvier 1980, Rev. crit. 1980.331, note Batiffol ; Clunet 1980.327, note
Simon-Dépitre ; D.1980.549,note Poisson-Drocourt.

237
façon autonome en l'occurrence, mais en tant qu'élément nécessaire à la
solution de la question principale, la question successorale. Alors pour
résoudre la question, certains auteursf" ont préconisé l'application d'une
directive propre consistant dans la désignation de la loi applicable à la
question préalable non pas par la règle de conflit du for mais par la règle
de conflit du système juridique désigné pour régir la question principale. A
l'appui de ce raisonnement, on a fait valoir que, déterminer le droit
applicable à la question préalable en consultant la règle de conflit du for,
c'était risquer de «dénaturer le droit étranger applicable à la question
principale »484. Mais les inconvénients d'un tel raisonnement ne sont pas
négligeables. La solution donnée à la question préalable est susceptible de
varier selon le contexte dans lequel elle se pose. Ainsi la question de la
validité de l'adoption par exemple pourrait recevoir différentes réponses
selon qu'elle se pose à titre principal ou en tant que question préalable
d'un problème successoral ou d'un problème d'aliments. Or le statut d'une
personne, pour suivre l'opinion de Franceskakist" est unique et ne doit pas
varier d'une espèce à une autre. Quoi qu'il en soit, la théorie des questions
préalables n'est pas accueillie par la jurisprudence. La Cour de cassation
française, en décidant dans un arrêt récent «Djenangi »486 que «s'il
appartenait à la loi successorale de désigner les personnes appelées à la
succession et de dire notamment si le conjoint figure parmi elles et pour
quelle part, il ne lui appartient pas de dire si une personne a la qualité de
conjoint, ni de définir selon quelle loi doit être appréciée cette qualité»,
482 BATIFFOL, Traité 1ère éd o , 1949, n? 658.
483 Wengler "Die Vorfrage im Kollisronrecht" Zeitschrift für auslândisches und internationales
Privatrecht, 1934.:148. "Nouvelles réflexions sur les questions préalables", Rev. crit. 1960, p.
165, P. LAGARDE, "La règle de conflit applicable aux questions préalables", Rev. crit. 1960.
459; P. Louis Lucas "Qualification et répartition", Rev. crit. 1957.158.
484 P. LAGARDE "La règle de conflit applicable aux questions préalables", Rev. crit. 1960, p.
470.
.
485 P. FRANCESKAK1S in "La pensée des autres en droit international privé", p. 216.
486 Civ.
1ère 22 avril 1986, Clunet 1986.1025, note A. SfNAY CYTERMAN; .TCP 1987 II 20
878, note AGOSTfNI ; Rev. crit. 1988.302, note .T.M. BISCHOFF.
,

238
confirrne sa position relativement à la délimitation de la frontière du statut
personnel et du statut successoral. En droit français il est désormais acquis
que la question du lien de parenté relève de la loi personnelle. En revanche
en droit sénégalais la solution retenue est discutable.
PARAGRAPHE 1 :
LA SOLUTION SENEGALAISE.
:En droit international privé sénégalais, le législateur range
dans la catégorie des lois de police et de sûreté, la parenté et l'alliance. En
!
effet l'article 841 du C.F. dispose en son alinéa 2 que « les lois de police et
i
de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire sénégalais. Il en est
ainsi notamment des dispositions du présent Code relatives:
- !à l'organisation de l'état civil,
1
-
-!à la détermination du domicile pour l'attribution de la
compétence judiciaire,
à l'absence et à la disparition,
1
- à 1'obligation alimentaire, la parenté, l'alliance,
,
,',
à la protection de la personne et des biens des incapables,
à toutes les mesures provisoires imposées par l'urgence ».
Il résulte de ce texte que la question de la parenté ne relève pas de
la compétence de la loi successorale. C'est une question qui est soumise à
la loi du for en tant que loi de police toutes les fois que l'individu auquel
elle se rattache a son domicile sur le territoire sénégalais. Le texte
engendre un inconvénient majeur. Il conduit à soustraire entièrement le
statut personnel des étrangers habitant le territoire sénégalais de la
compétence de leur loi nationale. La conséquence qu'on en tire, par
rapport à l'établissement de la parenté, est celle-ci. Si le juge sénégalais est
saisi du règlement de la succession d'un étranger domicilié à Dakar par

239
exemple, il appliquera une loi étrangère, la loi nationale du de cujus
comme solution de principe relativement à la détermination de la loi
applicable à la succession en vertu des dispositions de l'article 841, alinéa
3 du C.F. Cette loi également compétente en ce qui concerne la dévolution
successorale, indiquera quels sont les héritiers appelés à recueillir les
biens. Le juge par la suite, pour l'établissement du lien de parenté
nécessaire à la dévolution successorale, retiendra la compétence de la loi
sénégalaise en tant que loi de police et de sûreté. La solution est
inacceptablei". Il est contradictoire: de rattacher la succession au statut des
personnel et la soumettre à la loi nationale du de cujus et ensuite de
retrancher de ce statut un secteur important les rapports de famille. S'il y a
une loi apte à trancher la question de l'établissement du lien de parenté,
c'est, soit la loi personnelle, soit la loi successorale à suivre la
jurisprudence française dans l'arrêt «Ponnoucannamale », La parenté et
l'alliance ne peuvent pas relever des lois de police ou de sûreté.
Néanmoins si tel est le voeu du législateur sénégalais, la loi sénégalaise
n'interviendrait que de façon subsidiaire au titre soit de l'urgence ou de
l'ordre public soit de loi d'application immédiatei", le principe demeurant
de la compétence de la loi nationale. Cette compréhension est cependant
critiquable.
487 Le texte doit être abrogé et la solution, en conséquence, abandonnée.
488 cf: P. BOUREL, " Le nouveau droit international privé sénégalais de la famille" Rev. sen.
drt. 1973, n? 13, p! 10. Loi de police et loi d'application immédiate, existe-t-il une différence?
On n'y reviendra un peu plus loin.
; .

240
_ '
: 1
PARAGRAPHE JI :
CRITIQUE DE LA SOLUTION.
La subsidiarité évoquée ci-dessus étonne en ce sens qu'elle
est incompatible avec la notion de l'ordre public en droit international
!
1
privé et avec lk théorie des lois d'application immédiate
!
1
,
A-
.i Incompatibilité avec la notion d'ordre public en droit
,
"
. '
: international privé.
Ne s'agit-il pas toujours, lorsque l'on se réfère à la notion
d'ordre public comme à celle de lois de police, d'assurer la protection de
l'ordre juridique du for contre l'intrusion d'éléments étrangers qui seraient
incompatibles avec lui?489. Cette question atteste la confusion parfois
entretenue sur ces deux notions, et témoigne aussi d'un manque de
terminologie propre, satisfaisante. La doctrine naturellement tend à
ramener l'ordre public à des notions connues dans le but de pOUVOIr
l'identifier. Les' lois de police sont présentées comme une espèce
d'exception d'ordre public a priori en ce qu'elles récusent par avance une
éventuelle mise en œuvre du droit étranger. En raison de l'antériorité des
ordres juridiques étatiques par rapport à l'ordre international, on estime
,
que « les relations internationales s'insérant normalement dans le contexte
du droit interne - et devant s'y insérer sans perturbation - l'ordre interne
doit être admis en priorité à faire prévaloir sur les lois étrangères ceux de
ses éléments qui mettent en cause sa cohésion »490. Parce que appartenant à
l'ordre interne qui prime l'ordre international, les lois de police opéreraient
alors une rupture avec 1'hypothèse d'une communauté juridique'?' souvent
~g? Cf: V. HEUZE, "La réglementation française des contrats intemationaux", éd GLN 1990,
p.179.
.
~90 cf : I-I. BATIFFOL et Ph. FRANCESCAKIS, "L'arrêt Boil de la Cour internationale de
Justice et sa contribution à la théorie du droit intemational privé", Rev. crit. 1958.259.
~91 cf: SAVIGNY, op. cit. § 348, p. 40. L'auteur mettait l'accent sur l'idée que les dispositions
de droit privé émanant des divers ordres juridiques sont interchangeables, que les solutions
matérielles de la lex fori et des lois étrangères sont équivalentes ; ce qui laissait supposer

241
évoquée. En cela la loi de police s'apparente - matériellement - à
l'exception d'ordre public - laquelle réagit aussi à une semblable rupture -
mais celle-là .imputée à l'ordre juridique étranger et donc logiquement
perçue après que la règle de conflit a opéré?". La jurisprudence française
aussi, ne fait pas la différence entre l'exception d'ordre public international
et les lois de police. Très fréquemment, elle qualifie certaines dispositions
substantielles .de règles d'ordre public pour les appliquer immédiatement
au litige sans tenir compte de la teneur de la loi étrangère normalement
compétentet'".,
L'idée
généralement
développée
est
que
lorsqu'une
disposition est d'ordre public, l'application de la loi du for s'impose et
conduit à écarter la loi étrangère normalement applicable. L'exception
d'ordre public se fonde sur le caractère inadmissible de la loi étrangère. La
tentative qui consiste alors à assimiler les lois de police aux lois d'ordre
public revient à obscurcir davantage la notion même d'ordre public.
L'ordre public tel qu'il est conçu en droit interne n'explique pas cette
assimilation. En droit interne ona pris I'habitude d'appeler par lois d'ordre
public les lois impératives. Cette définition doit cependant être relativisée
car si toutes les lois d'ordre public sont forcément des lois impératives,
toutes les lois impératives en -revanche ne sont pas d'ordre public?". Mais
l'existence d'une communauté juridique. Mais lorsqu'il s'est agi de fonder le procédé des lois
de police dans l'histoire, l'auteur a déclaré que ces lois «ont toutes ce caractère commun
d'anomalie [en ce ] que ... elles échappent à cette communauté de droit en général si tant
désirable ».
.
49~ cf: P. LAGARDE, "Recherches sur l'ordre public en droit international privé", op. cit. n" 86
et s..
493 cf: Casso soc., 9 décembre 1954, Rev. crit.
1956.462 ; Casso soc., 9 décembre 1960, JCP.
1961. II.l2029; Paris, 3 juin 1961, Clunet.1961.974; Casso civ., 14 novembre 1972, Bull. civ.,
1 n" 238, p.207 ; Casso civ., 13 décembre 1972, Rev. crit. 1974.93, note Jacques Foyer; Casso
civ. 29 janvier 1975, Rev. crit. 1975.633, note Drakidis ; Paris, 15 mai 1975, Rev. crit.
1976.690, note Batiffol. La liste des décisions n'est pas exhaustive.
494
Les lois impératives s'imposent en toute circonstances et on ne peut pas en écarter
l'application. Cependant les règles impératives peuvent laisser place à des dispenses, à des
tempéraments, ou à des dérogations émanant de diverses autorités. Ainsi par exemple bien que
le loi interdise la mariage entre proches parents, il est possible d'écarter cet empêchement par

242
par une certaine analogie, on a été conduit à considérer comme lois d'ordre
public
en
droit
international
privé,
celles
qui
ne
supportent pas
l'application de la loi étrangère de même que les lois d'ordre public en
droit interne ne supportent pas les conventions contraires. Aussi considère-
t-on qu'il y a identité entre les lois d'ordre public en droit interne et en
droit international privé. Loin de nier une relation entre ces deux notions,
elles ont toutefois des contours différents. Une disposition d'ordre public
interne peut ne pas être considérée comme d'ordre public international. A
ce sujet, on peut relever l'exemple des dispositions d'ordre public interne
de l'article 534 du C.F.( cas des enfants nés hors mariage dont les droits
successoraux sont réduits SI lauteur de la reconnaissance n'a pas justifié
de l'acquiescement de son ou ses épouses). Ce sont là, des dispositions qui
ne peuvent pas être d'ordre public international. En revanche une
disposition d'ordre public international est forcément d'ordre public
interne. En effet, on ne pourra 'pas comprendre qu'une disposition ne
présentant en droit interne qu'un caractère supplétif puisse être d'ordre
"
public international. On soutient à cet effet que, lorsqu'on considère un
pnncipe comme fondamental le premier souci doit être en effet de le
traduire en droit interne, en une loi impérative 495 et non en droit
international privé. L'ordre public en droit international privé est souvent
un réflexe d'auto défense d'un système juridique. L'ordre public ici est un
une décision du Président de la République. Les lois d'ordre public, il est vrai, sont des lois
impératives. Mais elles ont la particularité contrairement aux lois impératives d'être dotées
d'un caractère contraignant plus accusé. Ainsi par exemple en matière de conflit de lois dans le
temps, le caractère d'ordre public d'une loi nouvelle met habituellement obstacle àla survie de
la loi ancienne. E~ parlant de lois d'ordre public, il faut encore distinguer entre l'ordre public
de protection et L'ordre public de direction, justifié par la définition même du domaine de
l'ordre public. L'ordre public de protection a pour objet de protéger, de défendre un intérêt
privé. L'ordre public de direction est édicté dans l'intérêt général, au besoin contre les intérêts
privés. Aujourd'hui la doctrine moderne utilise l'ordre public social (catégorie renfermant toute
la législation du droit du travail: durée des congés payés, salaire minimum, durée de travail ;les
lois de protection des consommateurs, de baux d'habitation etc. ) et l'ordre public économique
pour toujours opposer l'ordre public de protection à l'ordre public de direction.
495Cf: y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Précis, n° 249, p.284.

243
procédé d'éviction de la loi étrangère lorsque telle ou telle desrègles qui la
composent heurtent trop les, fondements, les conceptions du for. Son
intervention suppose donc J'abord .une désignation de la loi étrangère par
la règle de conflit. En ce qui concerne, au contraire, la loi de police, la loi
étrangère n'ajamais été désignée. La loi de police fait échec à l'application
même de la règle de conflit. D'une part, l'ordre public vise à assurer le
respect de certains principes généraux. D'autre part, il assure l'efficacité
d'une certaine politique que le législateur du for estime bon de mener et
que la loi étrangère pourrait entraver. Le critère de distinction entre l'ordre
public et les lois de police apparaît nettement. A l'ordre public, on affecte
la défense des grands principes et aux lois de police, celle des politiques
législatives nationales. Cette présentation ne séduit pas entièrement une
certaine doctrine qui laisse entendre que « l'exception d'ordre public
international constitue un rempart suffisant pour assurer la protection des
orientations législatives du for. Il n'est donc pas justifié de préconiser
l'application systématique des règles substantielles de celui-ci »496. Quoi
qu'on en pense, il faut ajouter que les règles sur la parenté et l'alliance
posées à l'article 841 du Code de la famille, ne peuvent être considérées
comme des lois d'ordre public au sens du droit international privé puisque
leur application exclut a priori la désignation de la loi étrangère, a fortiori
l'examen de la teneur de la loi étrangère. Alors que l'exception d'ordre
public entraîne la mise à l'écart du droit étranger après sa consultation,
parce qu'il heurte les conceptions du for ou est de nature à nuire à la
politique législative du for, leslois de police, en revanche, obéissent à une
autre logique. Elles s'imposent parce que l'on veut faire prévaloir les
solutions du for. Peu importe le droit étranger, la lex Jori doit s'appliquer.
L'application iimmédiate des règles qui mettent en œuvre une certaine
politique ou qui sont nécessaire à l'organisation politique, sociale ou
496 cf: V. HEUZE, op. cit., p. 183.

244
économique, n'autorise pas à ~aire la confusion entre « impérativité interne
et
impérativité
internationale »4P7." Lois
de
police
et
ordre
public
international se distinguent. A suivre M. HEUZE dans ses écrits, la méthode
des lois de police et celle de l'ordre public international « correspondent à
,
deux façons :d'assurer la prééminence des conceptions du for dans la
réglementation
des
relations
internationales »498.
La
première
est
maximaliste :: elle interdit toute intervention du droit étranger. La seconde
1
est minimaliste : elle se borne à filtrer le droit étranger normalement
;
compétent en 'écartant les dispositions qui lui paraissent inadmissibles.
B-
Incompatibilité avec la théorie des lois d'application
immédiate.
Le rattachement de la parenté aux lois d'application
immédiate n'est non plus pas défendable car il est toujours infecté de la
confusion entre impérativité interne et impérativité internationale et
l'assimilation des lois de police aux lois d'application immédiate n'y
changera rien. Encore que ces deux dernières notions ne soient pas
fondamentalement distinctes l'une de l'autre. Les lois de police en tant que
procédé singulier de réglementation des relations internationales sont
« "d'application immédiate" parce que "leur compétence" ne dépend pas
de la règle de conflit qui gouverne la matière en cause »499. Pour les
partisans des lois de police, il s'agit d'une véritable méthode. Les lois de
police résultent du droit international privé du for. Elles s'appliquent à une
question donnée sur laquelle le for revendique sa compétence en fonction
du critère spatial de compétence dont chacune est assortie. La méthode des
497 cf: B. GOLDMAN, in Trav. corn. fr. drt. int. priv. 1966 - 1967, p. 173.
498 cf: V. HEUZE, op. cit., P 184, n? 390 ..
499 cf: V. HEUZE, "La réglementation française des contrats internationaux ... » op. cit., p.l72

245
lois de police se définit ainsi comme un unilatéralisme partiel'?" pouvant
être utilisé concurremment avec la méthode bilatérale. Mais si d'un point
de vue technique la présentation paraît a priori défendable'?' elle se révèle
fragile dans sa mise en œuvre parce qu'il faut pouvoir identifier les lois de
i
police avec !une précision suffisante, ce qui suppose au préalable
l'admission de leur existence. Ph. FRANCESCAKIS enseignait que les lois
d'application [immédiate sont des lois « dont l'observation est nécessaire
,
pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du
1
pays »502. Ayant pour objet le règlement des rapports d'intérêts privés et,
pour fonction de leur apporter les solutions matérielles, elles postulent
l'exigence d'une certaine organisation sociale qu'impose le législateur.
Aussi les intérêts sociaux peuvent-ils apparaître si importants qu'ils sont
pris en charge par l'organisation étatique et deviennent même matière à
police?", Mais les lois de police édictées dans l'intérêt des personnes
privées quoique émanant de l'Etat, doivent être distinguées des règles de
droit public. Les unes sont « organisatrices de la société dont l'Etat a la
charge », les autres sont «relatives à l'auto-organisation de l'Etat lui
même »504. Manifestement les lois de police s'emploient à pourvoir à un
intérêt propre de l'ordre juridique mais également elles ont pour mission
de résoudre une opposition d'intérêts privés. Cette dualité de fonction
s'observe dans toutes les règles de droit privé qu'il s'agisse de celles qui
sont de police ou de celles qui ne le sont pas. L'identification des lois de
police apparaît alors déjà difficile.
500
cf : Ph. FRANCESCAKIS, "Quelques précisions sur les lois d'application immédiate et
leurs rapport avec les règles de conflit de lois", Rev. crit. 1966, p. 16.
501 cf: V. HEUZE ibid, p. 172.
502 Ph. FRANCESCAKIS, " y
a t-il du nouveau en matière d'ordre public ", Trav. corn. fr. dr.
int. priv. 1966- 1969, p. 165.
503
Ph. FRANCESCAKIS, "Quelques précisions sur les lois d'application immédiate et leur
rapports avec les règles de conflit", Rev. crit. 1966, p. 13.
504 cf: P. MAYER, "Les lois de police étrangères", Clunet 1981, p ..3ûS.

246
La doctrine française a proposé trois critères, à savoir: les
critères fonctionnel, rationnel et formel pour tenter d'identifier les lois de
police et pour résoudre la question de savoir si elles constituent ou non une
méthode spécifique du droit international privé. Sans chercher à revenir sur
la valeur respective de ces trois critères, il s'est avéré qu'aucun critère ne
soit révélé satisfaisant et précis. On en déduit que « la qualification de loi
de police ne peut résulter que d'un examen concret de chaque disposition
législative »505. L'incertitude subsiste. Mais qu'on en pense, il demeure la
question de savoir ce qui justifie la décision du législateur de prescrire
l'application de telle catégorie de règles de droit interne se rapportant à
une situation juridique donnée pourtant affectée d'un élément d'extranéité,
sans tenir compte du droit normalement applicable selon la règle de conflit
bilatérale qui aurait dû être mise en œuvre.
En somme l'identification des lois de police pose surtout
une question de terminologie. Mais à la vérité, il s'agit de savoir pourquoi
telle règle doit être impérativement appliquée à une relation privée interne
et à caractère international justifiant en définitive la soumission de la
question de la.parenté à la loi de police locale.
· « Les lois de police proprement dites sont des règles du
droit interne conçues pour les relations privées entièrement localisées dans
l'ordre juridique interne, mais dont l'application est prescrite aux relations
privées internationales se rattachant à cet ordre juridique pour des raisons
de
maintien i estimé
nécessaire
de
l'ordre
social
économique
ou
institutionnel que l'application des règles étrangères pourrait rompre »506.
Ainsi comprise, la définition de la notion de lois de police ou lois
d'application immédiate condu;it à affirmer que la nécessité de sauvegarder
sos cf: Y. LOUSSOUARN et P. BOlJIŒL; op. cit. n? 126 - 132.
S06 cf: A. K. BOYE, cours précité, p. 403.

247
l'ordre social interne, un intérêt primordial, est telle que le droit interne
sénégalais ne peut pas abandonner 'la question de la parenté à une loi
étrangère. L'impérialisme de la loi de police locale peut alors se justifier.
Mais dans le cas de la parenté et de l'aIl iance, on ne voit pas comment
.
'
.
l'ordre interne pourrait être mis à mal si la définition de la question est
donnée par la loi nationale de l'étranger domicilié au Sénégal. Si une loi
est capable de définir les liens de parenté avec le défunt, c'est bien la loi
nationale du défunt. De même si l'on doit se prononcer sur la validité du
manage du conjoint survivant, il n'appartient pas à la loi du for d'en
décider. Comment le juge du for peut-il apprécier au regard de la loi
sénégalaise, les conditions de régularité d'un mariage célébré en France
par exemple, par deux époux français et qui sont venus s'installer par la
suite au Sénégal? La loi sénégalaise peut toutefois intervenir par le jeu de
l'exception d'ordre public si les effets du mariage ou si l'un de ces effets
heurte les conceptions du for. Mais alors, il ne s'agit plus de l'application
d'une loi de police. S'il apparaît légitime d'appliquer les règles nouvelles
du Code de la famille sur l'alliance et la parenté par rapport à celles en
vigueur dans les coutumes, à tous ceux qui résident sur le territoire
national, il paraît également utile de déterminer le domaine exact de ces
règles internes car le contentieux portant sur la parenté et l'alliance en fait
ne se présente jamais à l'état pur. Il se pose souvent à l'occasion d'une
question principale comme en l'occurrence celle des successions. Le droit
interne ne définit que la position de chaque personne à l'intérieur de la
,
famille. Il précise dans quelles conditions tel individu doit être considéré
comme parenf en ligne directe, en ligne collatérale ou comme allié. Au
surplus, élever la question de la parenté au rang de lois de police
reviendrait ni! plus ni moins à écarter les règles de conflit applicables en
matière de filiation.

248
. Au demeurant, pourquoi cette solution (article 841, alinéa 2
du C.f.), si, pour le législateur sénégalais, la parenté suivant les cas, peut
être légitime; naturelle ou adoptive,' ~t s'il a pris le soin lui-même de
légiférer sur 'ces cas au plan international à travers des dispositions?"
manifestement contradictoires? N'y a-t-il pas une double réglementation
sur la question de la filiation qui du reste est une question de parenté à
l'état pur?
c-
Interférence de la solution avec la règle de conflit en
matière de filiation.
L'article 844, alinéa 1 du C.f. dispose que, « la filiation
légitime et la légitimation sont régies par la loi qui gouverne les effets du
mariage. La filiation naturelle est régie par la loi nationale de la mère et, en
cas de reconnaissance, par celle du père ».
A l'alinéa 2 du même texte, il est précisé que, « en cas de nationalité
différente de l'enfant et de ses parents prétendus, la loi applicable est celle
de l'enfant »508.
L'interprétation logique'?" que l'on devrait donner à l'alinéa
se résume de la manière suivante :la première règle de conflit (filiation
507 cf: P. BOUREL,"Le nouveau droit international privé sénégalais", op. cit, p. 14.
50S
La contradiction entre ces deux dispositions est évident~. Elle résulte de l'application
cumulative à la même matière de deux lois différentes
509 Mais cette interprétation est détruite à la lecture de l'alinéa 2. Pourtant déjà résolu dans
l'alinéa premier, le législateur envisage de nouveau le cas de nationalité différente des parties
en faisant prévaloir la loi de l'enfant. Certes, on aurait pu comprendre qu'en parlant de filiation
naturelle, les rédacteurs du Code, restés très attachés à l'institution du mariage, ne puissent pas
rattacher cette question à la loi des effets du mariage, dans une hypothèse où il n'y jamais eu de
mariage. Dans ces conditions il fallait trouver une règle de conflit spéciale adaptée à cette
hypothèse. Mais en résolvant la question de cette façon, le législateur en parlant de "parents
prétendus" dans le second alinéa du texte, ignore que dans la filiation légitime ces "prétendus
parents" sont également mis en cause qu'il s'agisse du désaveu de paternité, de la réclamation
ou de la contestation de filiation légitime ou de toute autre action tendant à l'établissement de
la filiation naturelle. C'est dire que toutes les actions en justice relatives à la filiation relèvent
formellement de l'alinéa 2 sans distinction pour les deux ordres de filiation. On a pu faire
valoir que « les contradictions relevées entre les deux premiers alinéas de l'article 844 du C.F.

249
légitime) donne compétence il la loi nationale commune des parties et en
cas de nationalités différentes, indirectement, à la loi du domicile ou à
celle du for; .la seconde (filiation naturelle) se réfère expressément à une
loi unique; soit celle du père, soit celle de la mère.
: Au regard de cette réglementation sommairement rappelée,
la soumission de la parenté aux lois de police donc à la loi nationale
;
sénégalaise pour toutes les personnes habitant le territoire sénégalais doit
1
,
être comprise 'autrement. Il s'agit plutôt de faire régir par la loi sénégalaise
!
les moyens de preuve et les modes d'exercice des actions relativement à
l'établissement du lien de parenté. Mais cela soulève une autre question,
celle de la preuve de la qualité d'héritier sur le plan international. A cet
égard, si la loi successorale est la loi sénégalaise, aucune difficulté ne peut
surgir. L'admissibilité des moyens de preuve et leur force probante seront
déterminées par la loi du juge saisi, donc, la loi du for. L'héritier étranger
qui entend alors exercer ses pouvoirs d'administrateur sur les biens situés
au Sénégal, en vertu de l'investiture légale et automatique reconnue par le
droit sénégalais, devra satisfaire aux exigences de preuve du for. Par contre
si la loi successorale est une loi étrangère, doit-on lui imposer les seuls
mode de preuve admis par le droit sénégalais? Le juge du for ne peut-il
pas se contenter de la production d'une attestation d'un officier public,
d'un simple acte de notoriété ou d'un intitulé d'inventaire souvent utilisés
au plan international pour servir de preuve de la qualité d'héritier? C'est
résultent d'un amendement apporté à l'avant projet du Code de la famille ».( cf: P. BOUREL
op. cit., p. 12.). En effet, l'article 844 de l'avant projet disposait que «l'établissement de la
filiation, les moyens de preuve admissibles et les modes d'exercice de l'action relèvent de la loi
nationale », A l'alinéa 2 on précisait que «en cas de nationalité différente de l'enfant et de ses
parents prétendus, la loi applicable est celle de l'enfant». Mais l'alinéa premier a été modifié
suite à un amendement qui soumettait à la loi du domicile commun les effets du mariage sur la
personne des époux, lorsque ceux ci sont de nationalité différente. C'est donc par simple oubli
que le deuxième alinéa de l'article 844 du Code de la famille a été maintenu. cf: P. BOUREL,
ibid, p. 12. qui estime à justre titre que le contenu de ce texte doit donc être modifié :
abrogation des dispositions des alinéas 2 et 3 et adoption d'une règle de conflit mobile relative
à la compétence de la loi nationale de la mère ou du père en matière de filiation naturelle.

250
une difficulté qu'il faudra résoudre. Pour notre part, nous pensons qu'il
serait souhaitable que les modes de preuve de la qualité d'héritier admis
par la loi successorale soient accueillis par le juge du for. En l'état actuel
du droit international privé sénégalais, une telle concession n'est pas
exclue car, aux termes des dispositions de l'article 842, alinéa 2 du C.F.,
l'admissibilité des moyens de preuve de l'état des personnes et leur force
probante sont déterminées par la loi du tribunal saisi, sauf au plaideur à
invoquer la loi du lieu où l'acte ou le fait juridique est intervenu. Mais en
admettant ainsi, que l'héritier puisse invoquer la loi du lieu où a été dressé
l'acte de notoriété, on oublie en retour la question de la parenté soumise à
la loi du for en tant que loi de police. En d'autres termes on se demande ce
que deviennent les lois de police. Il est certain qu'elles ne peuvent pas être
éclipsées par la question de l'admissibilité des modes de preuve et de leur
force probante. L'interprétation est loin d'être satisfaisante.
Il faut reconnaître que la tâche du juge n'est pas du tout
aisée. Celui-ci est confronté à un problème de choix entre les règles de
conflit de lois en matière de filiation dont la mise en œuvre peuvent
déboucher sur l'application d'une loi étrangère, et les lois de police en
matière de parenté qui
prescrivent l'application de la loi du for.
Logiquement: les lois de police s'imposent en raison de leur caractère
contraignant. Aussi le juge est-il tenu de les appliquer. Mais alors, est-on
tenté de dire que les règles de contlit en matière de filiation sont quasiment
i
inutiles et qu'elles peuvent être ignorées. Et pourtant elles sont, à plus d'un
titre,
importantes. Les
contradictions qu'elles recèlent peuvent être
résolues. Il suffit de réformer les textes pour les mettre en harmonie. Cela
\\
ne sera que bénéfique pour le droit international privé sénégalais. Exceptée
la question des modes de preuve, la réglementation de la parenté et de
l'alliance doit être comprise autrement.

251
PARAGRAPHE III: ESSAI DE COMPREHENSION DE LA SOLUTION.
La parenté soulève trois ordres de questions. Celles de la
nature de la parenté, de la source de la parenté et du degré de parenté.
S'attaquant à la source de la parenté, les rédacteurs du Code de la famille
ont cherché à bouleverser les conceptions concernant les rapports de
famille et de parenté. Ils ont été animés par l'idée que la grande famille
africaine constitue un frein au développement. C'est pourquoi il est apparu
sans doute nécessaire de rompre avec la conception traditionnelle (aspect
communautaire) incarnée par les coutumes et d'imposer une conception
moderne, semble-t-il, apte à promouvoir le développement. Pour justifier
les effets (effets indirects par la médiation d'institutions qui concourent au
développement) de la réglementation de la parenté et de l'alliance sur la
politique de développement économique et social, on a fait valoir que" le
nombre indéfini de parents, dans la grande famille africaine, peut accroître
celui des ayants-droit d'une personne, et partant, compromettre l'équilibre
financier de la Caisse de Sécurité sociale, des compagnies d'assurance, et
de
toutes
les
institutions
qui
viennent
au
secours
des
familles
nécessiteuses "510.. De plus on estime que ce nombre infini fait souvent
ajourner la liquidation des successions ce qui rend improductifs les biens
héréditaires''!', Mais si ces raisons peuvent justifier le parti pris du
législateur elles restent toutefois insuffisantes. Autrement dit il importe
encore de déterminer le domaine exact d'intervention des règles de police
en matière de parenté et d'alliance. A ce sujet, 'M. A. K. BOYE affirme à
,
juste titre que" les règles de police......n'interviendront dans ces matières
que pour définir la position exacte de certaines personnes par rapport à
!
d'autres, à l'i~térieur de la famille c'est à dire pour préciser quelles sont les
510 cf: Ab-el- Kader BOYE, "les mariages mixtes en droit international privé sénégalais", NEA
1981, p. 108, n? 172.
511 cf: Ab-el-K. BOYE, op. cit. ibid.

252
personnes qui doivent être considérées comme parents en ligne directe, en
ligne collatérale, ou comme alliés ; elles définissent aussi le degré de la
parenté "512. A notre avis, une telle compréhension convainc plus lorsqu'il
s'agit de fixer le degré de parenté. Mais alors n'est-il pas préférable de
faire intervenir l'ordre public à l'encontre des lois étrangères qui seraient
trop laxistes dans la définition du degré de parenté? A cet effet, point n'est
alors besoin d'une réglementation spéciale de la matière. Les dispositions
de l'article 851, alinéa 1 du C.F. qui énoncent que " la loi sénégalaise se
substitue à la loi étrangère désignée comme compétente lorsque l'ordre
public sénégalais est en jeu, lorsque les parties ont, par une utilisation
volontaire des règles de conflit, intentionnellement rendu la loi sénégalaise
incompétente ", suffisent pour trancher la question de la parenté relevant
d'une loi étrangère. La question d'une reforme réapparaît. Si l'on veut
assurer une transmission cohérente de la succession, il faut éviter une
dislocation des questions successorales.
512 cf: A. K. BOYE, "les mariages mixtes ..... ", op. cit. p. 109.

253
CHAPITRE II
LA TRANSMISSION DE L'ACTIF.
• Les règles de dévolution désignent ceux qui sont appelés à
1
recueillir les droits du défunt. Elles sont dominées par la « radiographie»
i
de la structure familiale avec la détermination du quantum à attribuer à
i
1
chaque successible. Mais elles n'indiquent pas comment ces droits sont
transmis. C'est cette transmission qu'il convient à présent d'étudier. M.
BOULANGER écrivait en 1962, dans sa thèse: «A partir des questions de
transmission successorale, on pénètre dans les terres mal explorées du droit
international »513. Une telle affirmation doit être, aujourd'hui, relativisée.
En effet la doctrine et la jurisprudence françaises ont largement contribué à
la résolution des problèmes techniques et concrets tournés vers le droit des
biens et des obligations que pose la transmission de la succession. Le droit
français tout comme le droit sénégalais admettent que le transfert de
propriété s'opère de plein droit au profit des successibles. C'est la question
de la saisine, autrement dit celle de l'appréhension de l'actif que nous
examinerons dans une première section. Mais il peut arriver que la remise
des biens aux héritiers soit contestée et à cet effet il faudra savoir à quel
titre l' exécuteur testamentaire peut appréhender les biens et exercer les
droits du de cujus. Lorsque la transmission s'opère de plein droit - la loi
successorale applicable la prévoit - encore faut-il que l'héritier tacitement
ou explicitement fasse un choix pour l'appréhension et la gestion de la
succession. L'option successorale (section II) apparaît ainsi comme une
phase essentielle dans la transmission de la succession du défunt.
513
F. BOULANGER, "Etude comparative du droit international privé des successions en
France et en Allemagne", Paris L.G.D.l 1964, p. 149.

254
SECTION 1:
L'APPREHENSION DE L'ACTIF.
Le droit interne sénégalais, fidèle au pnncipe de la
continuation de la personne du défunt'!" par ses héritiers, ne connaît
aucune rupture au moment du décès, qu'il s'agisse du droit commun des
successions,
inspiré du droit français,
ou
du droit sénégalais des
successions musulmanes se référant au rite malékite. Cette affirmation,
notamment par rapport aux successions musulmanes, trouve sa raison
d'être, sa justification dans le titre premier consacré aux dispositions
générales communes aux deux types de succession en droit sénégalais et
qui véhicule le principe de la transmission immédiate en l'absence de toute
autre disposition contraire et expresse du Code de la famille. Aucune
formalité n'est nécessaire car le principe est celui de l'acquisition de plano
par les héritiers des droits du défunt. Cette transmission immédiate résulte
du décès proprement dit et il n'est point distingué entre successeurs à titre
universel ou à titre particulier. Cependant si les successeurs deviennent
immédiatement, dès le jour du décès, titulaires des prérogatives du de
cujus, ils ne bénéficient pas pour autant de l'exercice de plein droit de
leurs pouvoirs sur les biens transmis. Certains, en raison de la qualité de
leur titre successoral, doivent obtenir une autorisation judiciaire. Les
autres, dans la mesure où ils tiennent leur vocation d'une disposition
testamentaire" sont tenus de demander la délivrance de leur legs aux
héritiers ab intestat. L'exercice des droits du défunt, ainsi, ne se transmet
pas nécessairement de plano. Certaines formalités restent au préalable
obligatoires. Par ailleurs le de cujus peut avoir de son vivant désigné un
exécuteur testamentaire pour assurer le respect de ses dernières volontés.
Dans ces conditions, celui-ci a pu être investi de certaines prérogatives lui
!
permettant dlassurner dans une large mesure la transmission de la
514 cf: supra p. 66.

255
succession. La transmission de la successron recouvre des modalités
variées au plan interne. Au plan international, la question ne reçoit pas une
réponse identique cohérente et homogène en raison de la divergence selon
les législations, des mécanismes de transmission. En droit international
privé sénégalais en particulier, l'adoption d'une pluralité de lois pour régir
la succession pose encore plus de problème qu'elle n'en résout, lorsqu'on
évoque d'une part, la mise en possession des héritiers (Paragraphe 1) et
d'autre part, l'exercice des droits et actions du défunt (Paragraphe II).
PARAGRAPHE 1:
LA MISE EN POSSESSION DES HERITIERS.
Les
différentes
solutions
apportées
aux
modalités
d'appréhension de l'actif procèdent d'une distinction entre successeurs
saisis ou non. Ainsi la saisine apparaît comme une pièce maîtresse dans le
processus successoral. Elle est liée à la place qu'occupe l 'héritier et permet
de maintenir à l'écart, jusqu'à ample information, les ayants droit dont le
. titre appelle une vérification. Elle joue un rôle de police juridique515 afin
d'assurer la conservation de la propriété qu'exige un déroulement régulier
des opérations successorales. La loi règle avec précision l'attribution de la
saisine?". Mais elle ne la définit pas. Cependant d'une façon générale, elle
peut se définir comme
«l'habilitation légale, reconnue à certains
successeurs à; l'effet d'exercer les droits et actions du défunt, sans avoir
besoin d'accomplir aucun~ formalité préalable »517. Fonction de la
vraisemblance du titre successoral,' la saisine s'avère un instrument
indispensable à la préservation du patrimoine transmis aux héritiers". Dès
515
VIALLETON, "La place de la saisine dans le système dévolutif français", Mélanges
ROUBIER 1961, tome 11, p. n? 542.
516 cf: article 407 :du C.F.
517 RlPERTet BOULANGER, Traité de droit civil d'après le Traité de PLANIOL, tome IV, n?
2221 ; F. TERR~ Y. LEQUETTE, précis n? 672, "le pouvoir de se comporter de pIano en
possesseur de l'hérédité" ; PLANIOL et RlPERT, Traité pratique de droit civil français tome
IV par MAURY ~t VIALLETON, L'investiture légale de la possession de l'hérédité.
518 M. GORE "L'administration des successions" op cit, p. 156.

256
lors la spécificité de la saisine au plan interne impose une analyse
particulière de la loi qui la régira au plan international.
: Autour de la qualification successorale de la saisine en droit
international privé, les points de vue des uns et des autres'" semblent
converger de manière à dissiper les controverses doctrinales basées sur une
analyse territorialiste qui a longtemps prévalu. En effet était seule
considérée la loi de la situation des biens pour régir les questions affectant
. la transmission de la propriété et de la possession. La prise de possession
du patrimoine héréditaire était jugée dépendante de la protection des droits
des tiers, droits que l'on avait voulu surtout sauvegarder en invoquant
l'application de la loi de situation':". Certains auteurs':" ont cependant
cherché à dissocier les effets de la saisine en distinguant la mise en
.
.:
possession d'une part et l'exercice des droits et actions du défunt d'autre
part, l'une étant soumise à la tex rei sitae, l'autre gouverné par la loi
successorale. Ces différentes' solutions n'expliquaient pas du reste la
justification du choix de la loi réelle. Elles étaient ainsi confrontées à la
difficulté de déterminer dans quelle mesure la transmission de l'actif était
assimilable au statut réel. C'est à l'évidence la raison pour laquelle elles
sont abandonnées au profit de l'application de la loi successorale qui, au
surplus, restitue à la transmission successorale sa véritable nature. La
soumission à la loi successorale de la mise en possession des biens
519 NIBOYET : Droit international privé français tome IV n? 1349 p. 864. WEISS, Traité de
droit international privé tome IV p. 584. H. BATIFFOL et P. LAGARDE Traité tome II n? 657.
y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, Précis n? 434 ; P. MAYER, Droit international privé,
Précis n? 826 ; D. HOLLEAUX, J. FOYER, G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE: Droit
international privé n? 1344. Y. LOUSSOUARN, "L'administration des successions en droit
international privé", Clunet 1970. 251 ; G. DROZ, "Saisine héréditaire et administration de la
succession en droit international privé français et comparé", Rev. crit. 1970.183 ; "Problèmes
de transmission et de partage des successions en droit international privé", trav. corn. fr. dr. int.
priv. 1960-1962, p. 68 et s.
520 La jurisprudence ct la pratique bancaire sont plutôt favorables à la loi de la succession, cf:
supra p.
521 PILLET, Traité pratique de droit international privé Paris Grenoble 1903 tome II p. 387 n?
586. H. BATIFFOL, note sous Casso Req. 19 nov. 1914. 19421. 129.

257
héréditaires et l'exercice des droits et actions du défunt, en résumé la
saisine pour désigner ces différentes opérations, résulte de la fonction
même de cette institution. La qualification successorale antérieurement
adoptée par les juges du fond", a été ensuite confirmée par la haute
juridiction dans un arrêt du' 22 décembre 1970 523, une décision assez
probante eu égard aux arrêtsprécédentsl" rendus par la même juridiction.
En l'espèce deux personnes se prétendant légataires universels en vertu
d'un testament déposé aux Etats-Unis, cherchaient à s'opposer à l'entrée
en possession, des biens mobiliers laissés par le défunt décédé domicilié à
Paris, par la fille naturelle reconnue du de cujus, héritière réservataire qui,
selon la loi française, était saisie de plein droit. La Cour de cassation
énonce «que la dévolution de la succession de caractère mobilier se
trouvait régie par la loi française, de sorte que dame Werry Hultz (l'enfant
naturel) était fondée à demander à appréhender les biens connus de la
succession qui sont de nature mobilière ».
Deux observations ont été faites à la suite de cette décision.
D'abord la situation effective des biens mobiliers n'a pas été précisée par
l'arrêt et il n'a été fait aucune référence à la lex rei sitae. Ce qui du reste
démontre malgré le silence de la Cour, une prise de position ferme sur
l'application de la loi successorale, donc une affirmation claire du
rattachement successoral, autonome par rapport au statut réel de la
saisine525• Ensuite la formule retenue est révélatrice du lien entre la
désignation des héritiers et l'attribution de la saisine. Ainsi existe-t-il une
522 Paris 13 mars
1850 S. 1851.2.791, concl av gen Portier. Trib. ci Y. Seine 20 avril 1898,
C1unet 1898.765.8 décembre 1924, Rey. crit. 1925.76, note NIBOYET. Trib civ Seine 18 nov.
1936, Clunet 1937.768. T.G.I. Paris 28 fév, 1968, Rey. crit. 1970.261 ; 1er juillet 1972, Rey.
crit. 1974. Som. 735.
523 Casso civ. 1ère 22 décembre 1970 "Bonnevide cl Werry de Hultz", Rey. crit. 1972.467, note
PONSARD.
524 Reg. 28juin 1852. S. 1852. 1.537. Cass, Reg. 9 mars 1853 S. 1853.1.270.
525 cf: A. PONSARD, note prée, Rey. crit. 1972, p. 471

25~
unité rationnelle liant dévolution et transmission et qui justifie, à en juger
par la décision, en ce qui concerne la prise de possession des biens
héréditaires, la soumission de l'une et de l'autre à la même loi 526•
Cette justification, estime-t-on?", « porte en elle-même son
extension à d'autres mécanismes que la saisine ». « Déterminant l'aptitude
à appréhender le patrimoine successoral, la loi
successorale régit
également l'envoi en possession et la délivrance des legs, tout comme elle
gouverne les conditions tenant à la vérification de la régularité du titre.
C'est donc l'ensemble des questions affectant la prise de possession des
biens qui relève de la loi successorale ». En droit international français, la
solution a le mérite d'apporter une réponse homogène à la qualification de
l'appréhension de l'actif. Toutefois compte tenu du morcellement de la
règle de conflit, ce sont deux lois, en droit français, qui gouverneront la
prise de possession des biens de la masse mobilière étant entendu que la loi
successorale elle-même,
compte
tenu
de
la
nature
mobilière
ou
immobilière des biens, est scindée en loi successorale mobilière et en loi
successorale immobilière. Il y a alors
un danger pour l'unité de
l'administration de la succession. Le même danger apparaît également
mais de façon plus accusé en droit international privé sénégalais à
l'analyse des dispositions de l'article 847 en ses alinéas l, 2 et 3 du C.F ..
Toutefois il se pose en des termes différents de ceux qui sont relevés en
droit français.' En droit sénégalais, trois différentes lois viennent régir une
même masse. alors qu'en droit français il s'agit de deux lois qui
revendiquent: leur compétence sur deux masses différentes. En droit
international privé sénégalais, on note d'une part, l'application de la loi
nationale du défunt en ce qui concerne la transmission de l'actif et du
,
.
passif consid9rant alors que la mise en possession en relève (article 847,
526 cf: M. GORE, "L'administration des successions", op. cit., p. 158.

259
alinéa 1 du C.F.), d'autre part, la loi du lieu d'ouverture de la succession
relativement, une seconde fois, à la mise en possession des héritiers
conformément à l'article 847, alinéa 2 et enfin, la loi de situation (tex rei
si/ae) lorsqu'il s'agit de la transmission de la propriété des immeubles et
fonds de commerce (article 847, alinéa 3 du C.F.).
Deux observations méritent d'être faites à ce sujet. La
première se rapporte à la mise en œuvre de la loi nationale et de la loi du
lieu d'ouverture de la succession pour une même opération: la saisine des
héritiers. Il y a forcément, dans le cas où ces deux lois sont différentes, un
conflit positif'" pouvant entraîner des solutions diamétralement opposées
si l'une de ces lois adopte le principe de la transmission de 1'hérédité aux
successibles dès le jour du décès, l'autre une formalité préalable à
l'appréhension des biens du défunt.' C'est encore le lieu de regretter
formellement la double réglementation en matière de transmission de
1'hérédité. Explicitement la contradiction est flagrante. Elle se traduit par
la création d'un système basé sur des exceptions. Le prétendu principe de
solutiorr'" quant au choix de la règle de conflit en matière successorale en
droit international privé sénégalais devenant lui même une exception.
Pour des raisons tenant au maintien de la tradition
personnaliste négro-africaine, une seule loi doit gouverner la succession du
de cujus: sa loi nationale. Elle déterminera la vocation successorale des
héritiers, l'ordre dans lequel ils sont appelés, la transmission de l'actif et
du passif à chacun d'eux et pourquoi pas le règlement de la succession
jusqu'au partage. Cette solution a le mérite de rattacher effectivement la
!
succession au ~tatut personnel comme le législateur sénégalais le proclame
527 cf: M. GORE, op. cit., p. 159
528 cf: supra p. 173.
529 cf: supra ~,12.5'.

260
à l'article 841 alinéa 3 du C.F .. La compétence de la loi du lieu d'ouverture
;
de la succession apparaît inutile. '
La deuxième observation, concerne la transmission de la
propriété des immeubles et fonds', de commerce. Certes, on ne peut
démentir l'attraction qu'exerce la lex rei sitae sur les biens immeubles et
;
fonds de commerce pour des raisonsliées à la protection des droits des
créanciers, et surtout l'avantage d'une coïncidence entre compétence
législative et compétence juridictionnelle. Mais
telles
qu'elles sont
libellées, les dispositions de l'article 847, alinéa 3 du C.F., « en cas de
succession portant sur des immeubles et des fonds de commerce, la
transmission de la propriété de ceux-ci est régie par la loi de leur
situation », dans leur analyse par rapport à la saisine des héritiers
conduisent à trois interprétations possibles.
D'une part, il doit s'agir des modalités techniques" de
transmission de la propriété, ce qui exclut la mise en possession de
1'héritier elle-même puisque celle-ci est déjà soumise à la loi nationale du
défunt. Autrement dit, la désignation des héritiers ; l'appréhension des
biens par ceux-ci sont soumises à la loi successorale (la loi nationale du de
cujus), les modalités techniques de transmission de la propriété des
immeubles, en revanche relèvent de la lex rei sitae. Comme illustration, on
peut retenir l'exemple suivant. Un Sénégalais domicilié en Côte d'Ivoire
décède en laissant un immeuble sis à Paris. Le juge français soumettra la
530 Par modalités techniques, nous entendons le régime de transmission des biens notamment
les formalités afférentes au transfert de propriété mortis causa des immeubles et fonds de
commerce, Selon les dispositions des articles 21. et 130 du décret du 26 Juillet 1932 relatif au
système d'organisation de la propriété immobilière privée, tous les actes tendant à constituer,
transmettre, modifier ou éteindre un droit réel, ne produisent effet, tant à l'égard des tiers
qu'entre les parties elles-mêmes, .qu'à dater de leur inscription sur les livres fonciers.
L'inscription est nécessaire pour rendre opposable aux tiers l'investiture de l 'héritier sur les
immeubles du défunt. Cette inscription a lieu à la conservation foncière dans le ressort de
laquelle est situé l'immeuble.

61
désignation des héritiers, leurs parts héréditaires et leur saisine à la loi
française du lieu de situation de J'immeuble'?' alors que le juge sénégalais
ne retiendra la compétence de la loi française que pour les modalités
techniques de.transmission de la propriété de l'immeuble. Le mérite d'une
telle interprétation réside dans la reconnaissance d'une seule masse de
~
biensr".
'
: D'autre part, il peut s'agir, lorsque le législateur utilise la
1
formule «jransmission de la propriété des immeubles et fonds de
commerce », Cie la dévolution des biens immeubles et fonds de commerce
pour rejoindre ainsi son homologue français. De la sorte l'appréhension de
l'actif en ce qui concerne les biens immeubles et fonds de commerce ne
relèvera pas de la même loi que l'appréhension de l'actif lorsque l'on se
réfère aux autres biens qui ne peuvent d'ailleurs être que mobiliers. La
, .
conséquence qui en découle est le morcellement de la succession
;
contrairement au principe de l'unité de la succession adopté initialement.
On distinguera alors forcément entre la succession mobilière et la
succession immobilière. Mais compte tenu des termes même de l'alinéa 1
de l'article 847 du C.F. qui soumet déjà à la loi nationale du défunt la
dévolution successorale, une telle interprétation est vouée à l'échec.
Enfin il peut être question lorsque le législateur sénégalais
emploie les expressions transmission de la propriété des immeubles et
fonds de commerce, du principe de l'acquisition des droits du de cujus et
de celui de leur exercice mais cette fois, envisagés au regard de la masse
immobilière. La loi de situation des immeubles doit alors être consultée
pour savoir comment le successeur devient titulaire des droits qui lui sont
531 La dévolution successorale des immeubles est régie par la loi du lieu de leur situation (Civ 5
juillet 1933, OP 19341. 133, note Silz), la saisine des héritiers (Civ. I h e 22 dec. 1970, Rev. crit.
1972 467, note A. PONSARD précité).
532 cf: supra poo
493,

262
dévolus par la loi nationale du défunt et comment il peut les exercer. Cette
interprétation remet en cause le règlement unitaire de la succession. Mais à
bien y penser peut-on ignorer .la compétence de la lex situs ? Evidemment
non quand bien même cette compétence se réduirait à un domaine résidue1.
,
En réalité, cette interprétation conduit à introduire une distinction entre
i
succession mobilière et succession immobilière, ce que dément l'article
841, alinéa 3 du C.F ..
PARAGRAPHE II:
L'EXERCICE
DES
DROITS
ET
ACTIONS
DU
DEFUNT
,
i La qualification successorale de la qualité pour agir au nom
du défunt a été
primitivement consacrée en
France dans l'affaire
« Szlapka »533 pour une succession mobilière. Cette qualification a été
réaffirmée par la Cour de cassation française en présence d'une succession
immobilière dans cette fois-ci l'affaire «Eishabi »534. La solution n'est
donc pas contestée. Au surplus elle a reçu nombre d'application. Ainsi en
ce qui concerne la détermination de la qualité pour agir tant activement
que passivemenf'" qu'il s'agisse d'une action exercée à titre principal ou
de la reprise d'une action d'exequatur'". La finalité successorale de
l'exercice des droits et actions du défunt a été également rappelée de façon
implicite, dans l'appréciation de l'effet à donner à un jugement étranger
nommant un administrateur de succession':" Progressivement a été même
affirmée la qualification successorale de l'action des exécuteurs et trustees
533 Casso crim., 4 juin 1941 DC 1942 J. 4, note Nast ; JCP 1942 II. 2017, note MAURY; S.
1944.1133, note H. BATIIFOL.
534 Casso civ. 1ère, 22juin 1954, Rev crit 1955.123, note Y. LOUSSOUARN.
535 Paris, 8 juin 1958, Clunet 1959. 846, note G. DROZ. Casso civ., 3 juin 1969. Rev. crit. 1971.
745, note HOLLEAUX (pour la qualité pour agir d'une fondation). Casso civ. 1ère 25 octobre
1972, Clunet 1974. 135, note G. DROZ pour ia qualité d'un administrateur judiciaire.
536 Paris, 4 juillet 1958, Clunet 1959. 1122, note A. PONSARD .
. 537 Casso civ., 6 juin 1967 "Shapiro", Clunet 1967: '890, note J. D. BREDIN ; Rev. crit. 1969.75,
note J. DEPREZ.

26Z·
nommés par le testateur':". Au total, la solution du droit positif français est
bien connue et son fondement apparaît clairement : respecter la cohésion
1
de l'ensemble que constitue l'organisation de la dévolution successorale
avec la transmission de l'actif?", Parsa motivation, la Cour de cassation
française dans l'arrêt Szlakpa, met en évidence l'articulation fonctionnelle
entre le principe de dévolution et la détermination des personnes habilitées
à se substituer dans les droits et actions du défunt. Elle énonce que, « en
matière de succession mobilière, la dévolution des meubles héréditaires et
les institutions qui se rattachent à la dévolution sont régies par la loi du
lieu de l'ouverture de la succession »,. Ainsi se comprend la qualification
successorale de l'action en responsabilité délictuelle exercée par le public
trustee au nom de la succession du défunt contre l'auteur du délit dans
l'espèce.
Dévolution
successorale
et
transmission
successorale
entretiennent une
relation
étroite
que
révèle
le
fondement
de
la
qualification successorale du droit d'agir au nom du défunt. La fonction
successorale de la transmission de l'actif apparaît si évidente que la Cour
de cassation l'a réitérée dans l'affaire «Edo Hermann »540. En l'espèce une
instance avait été engagée par une testatrice aux fins de résolution d'un
contrat qui la liait à une maison d'édition. Elle avait dans son testament
désigné des exécuteurs et trustees lesquels ont été confirmés par un
tribunal new-yorkais. Ceux-ci reprirent l'instance d'appel introduite par la
testatrice peu 'avant son décès. Les trustees étaient chargés de dégager
l'actif net de' la succession et de l'affecter ensuite à la fondation P.
Lounsberry. ta question posée était celle de la recevabilité de la reprise
par les trustees de l'action en rés~lution du contrat. La Cour, en retenant
un rattachement identique, soumet la désignation et les pouvoirs des
538 Casso civ. 1ère, 3;novembre 1983 "éd'Herman", Clunet 1985. 115, note B. ANCEL; Rev. crit.
1984. 336, note Ml REVILLARD.
539 cf : M. GORE, "L'administration des successions", op. cit., p.
170. Ce fondement a été
révélé par l'arrêt "Szlapka" précité qui a rejeté le dépeçage de la matière.

exécuteurs testamentaires et l'institution du trust à la loi successorale. Un
rattachement autonome du trust a été d'emblée exclu. Ce rejet, estime-t-
on 541,« témoigne à lui seul, de la puissance d'attraction de la loi
successorale sur le trust lorsque ce dernier doit s'insérer dans le réseau du
droit des successions comme dans le cas d'espèce où la nature du projet se
ramenait à la vocation héréditaire à l'actif net fondée sur la constitution du
trust.
Contrairement à la jurisprudence antérieure qui
cherchait à
transposer l'institution anglo-américaine (le trust) dans les concepts
connus du droit français", la Cour de cassation innove dans le cas
d'espèce, rejetant l'analyse technique de l'institution qui a longtemps
prévalu et qui était exigée pour son incorporation dans les catégories du
for. Désormais c'est l'analyse fonctionnelle de l'institution qui prévaut.
Devant assurer, en l'espèce le fonctionnement de la dévolution, le trust
s'insère naturellement dans la catégorie successorale. Ce faisant, la
décision marque une évolution dans la reconnaissance de l'institution du
trust. Précisément la traduction du trust dans les concepts du droit français
à laquelle l'arrêt Szlapka s'était livré traduisait une distorsion résultant de
la qualification des règles. En raison de sa spécificité le trust ne se fond
pas aisément dans la structure des pays de civil law. La qualification de
l'exercice des droits et actions du défunt s'effectue antérieurement par un
indice rationnel qui est indifférent au choix de la loi successorale.
« L'opération, recouvre une règle de fonctionnement qui détermine
l'étendue et non le contenu de la règle de conflit »543. Elle rejoint ainsi
540 Arrêt précité supra p. 26?l.
541Cf: M. GORE, '[L'administration des successions.... ", op. cit., p. 171 et s.
542Cf: G. DROZ et M. REVILLARD, jur. cl. dr. int., fasc. 557-B, n? 96 et s.
543 cf: M. GORE, op. cit. p. 172.

265
celle qUI a été adoptée récemment pour la construction de la loi de
. I'actiorr'".
'. La démarche fonctionnelle retient comme loi définissant la
,
condition de :recevabilité litigieuse, celle qui régit l'institution pour le
fonctionnemeht de laquelle cette condition a été posée". Ainsi on soumet
l'exercice des! droits et actions du défunt et en cela la qualité pour agir de
la personne substituée dans les actions d'autrui à la loi de l'institution. La
qualification successorale de la transmission des actions du défunt prend
toute sa signification par rapport aux solutions qui reconnaissent l' extra-
territorialité des pouvoirs d'appréhension sur le patrimoine héréditaire.
Ainsi, c'est en s'appuyant sur la loi successorale qu'est admise l'extension
de la mission de l'administrateur successoral". En définitive, on retiendra
que c'est la structure du droit des successions qui commande la
quali fication successorale de la saisine, de l'envoi en possession ou de la
délivrance des legs. De même l'applicabilité de la loi successorale
s'impose pour la mise en possession des héritiers comme le dispose
l'article 847, alinéa 2 du Code de la famille pour revenir au droit
international privé sénégalais. L'exercice des droits et actions du défunt
relève de la même qualification. Cependant on se demande si le législateur
n'a pas entendu s'inspirer du droit français en gardant le silence sur la
classification de cette matière. Mais dans la mesure où il va falloir
déterminer la loi applicable, l'inspiration doit s'arrêter à l'affirmation de la
compétence de la loi successorale pour régir la matière, celle-ci étant la loi
nationale du défunt, en raison de la soumission de la transmission de l'actif
544 cf: M. L. NIBOYET - HOEGY, "L'action en justice dans les rapports internationaux de
droit privé", Economica 1986, n? 120 et s.
545
f M GORE "L' d
. .
.
"
.
173
C : .
, a rmrnstrauon ... ,op. ctt., p.
.
546 cf: Casso civ., 25 octobre 1972 "Tristan", Clunet 1974. 135, note G. DROZ ; Casso civ., 22
avril 1981 "Fondation Eckensberger", Rev. crit. 1983.645, note B. ANCEL ; JCP 1982 II
19920, note F. BOULANGER.
.

266
et du passif à la loi nationale du de cuj~s, conformément aux dispositions
de l'article 847, alinéa l du Code de la famille.
SECTION II:
L'OPTION SUèCESSORALE.
Le droit sénégalais pose le principe de la transmission de
plein droit du patrimoine du défunt aux 'héritiers (article 407 du Code de la
famille). Mais ceux-ci ne sont pas contraints d'accepter. Ils peuvent opter.
L'option successorale est la faculté ouverte par la loi permettant aux
héritiers (héritiers ab intestat ou légataires universels) de choisir entre
plusieurs
partis
: l'acceptation
pure
et
simple
de
la
succession,
l'acceptation sous bénéfice d'inventaire ou la renonciation (article 410 du
C.F.)547, Ces trois différents partis sont prévus respectivement aux sections
deux, trois et quatre du chapitre IV intitulés de l'option des héritiers du
livre VII du Code de la famille. Par les conséquences qu'elle entraîne à
l'égard du passif successoral, l'option successorale intéresse au premier
chef les créanciers. Dans ces conditions il serait difficile d'éliminer la loi
de situation des biens et de ne retenir que la loi successorale. L'option
successorale soulève trois questions principales : celle de la forme de
l'option, celle des règles de fond et enfin celle relative à l'option de
l'héritier incapable.
Concernant la première, c'est-à-dire la forme de l'option,
on peut suggérer l'application de l'adage locus regit actum:", La forme de
l'option peut alors porter sur la loi locale ou la loi successorale. Mais à
notre avis, il paraît plus judicieux de confier la forme de l'option à la loi
successorale. La raison d'une telle affirmation réside dans l'objectif
successoral poursuivi. L'option est de nature à entraîner, selon les cas, une
547 Ce sont les mêmes partis que l'on retrouve à l'examen du droit français qui d'ailleurs est
l'une des sources d'inspiration du droit sénégalais', La seconde source étant le droit musulman
classique (rite malékite).

267
certaine responsabilité de 1'héritier que la loi locale ignorerait ou tout
simplement banaliserait. Alors pour assurer la protection des intérêts de
1'héritier, il serait préférable de ne point distinguer entre la forme et le
fond. Les deux relèveraient tous de la loi successorale applicable.
Quant à la seconde,
c'est-à-dire les
règles de fond
applicables à l'option, on admet, en suivant la thèse de MAURY et
549
VIALLETON
, qu'un choix global
doit être fait au dernier domicile du
défunt. Cette solution correspond à un double point de vue à la position du
droit sénégalais. En effet sur le plan de la compétence juridictionnelle,
1'option est exercée au greffe du tribunal dans le ressort duquel la
succession est ouverte, c'est-à-dire devant le tribunal du domicile du
défunt. Sur le plan de la compétence législative, l'option successorale est
régie par la IQi nationale en vertu des dispositions de l'article 841, alinéa 3
du Code de la famille. Or selon le législateur, l'option est également
,
soumise à la loi du lieu d'ouverture de la succession (représentée par la loi
du domicile du de cujus) suivant des dispositions de l'article 847, alinéa 2
,
'
du C.F. On i ne peut accepter une telle concurrence au demeurant
regrettable, à moins que l'on veuille faire de la compétence de la loi du
domicile une exception et chercher à faire coïncider compétence législative
et compétence judiciaire. Mais cela ne saurait se justifier car, encore une
fois, la compétence judiciaire du lieu du domicile au plan interne
n'emporte pas automatiquement compétence juridictionnelle au plan
international.
Par ailleurs le législateur n'introduit pas une distinction
entre loi successorale mobilière et loi successorale immobilière. Alors pour
peu qu'on interprète l'article 847, alinéa 3 du C.F., comme soumettant les
548 cf: supra p. fS3.
549 cf: J. MAlJRY, H. VIALLETON, t. 4, op. cit., n? 245.

268
modalités techniques de transfert de la propriété des biens immeubles et
fonds de commerce relevant de la succession à la lex rei sitae, l'option
demeure unique et est régie par la loi nationale du défunt. Autrement dit,
l'option qui doit être souscrite sur les biens immeubles et fonds de
commerce reste toujours régie par la loi successorale. Néanmoins pour ces
mêmes formalités, la compétence de la lex rei sitae est à peu près
inéluctable. Elle pourrait même être admise pour la sauvegarde des droits
des tiers et des créanciers.
L'option de l'héritier, qu'il s'agisse de l'acceptation pure et
simple, de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire ou de la renonciation,
relève de la compétence de la loi nationale. Il en est surtout ainsi de
l'option expresse de l'héritier. Mais s'agissant de l'option tacite ou forcée
dans les deux hypothèses où l 'héritier sera considéré comme ayant accepté
purement et simplement (disposition de la part héréditaire ou l'aliénation
de biens de la succession (article 419 du C~F.) recel d'effets de la
succession article 421 du C.F.) l'hésitation est permise, En effet, il y a là
surtout une interprétation de la volonté de l 'héritier dans le cas de
l'acceptation tacite et qui relève du domaine de la loi successorale,
normalement .la loi nationale du défunt en vertu des dispositions de
l'article 841, alinéa 3 du C.F. On peut, peut-être douter de l'application de
la loi successorale dans le cas de l'acceptation forcée résultant du recel
d'effets550• Le.recel en droit sénégalais est un délit pénal'?' et pour protéger
les cohéritiers victimes d'un tel acte, la loi sénégalaise devrait donc être
d'application territoriale. Le recel successoral emporte aussi, en dehors de
la sanction p~nale, des conséquences civiles. On peut alors l'envisager
!
comme un délit civil devant également relever de la compétence de la loi
550
La Cour d'appel de Paris a fait application de la loi successorale au recel de biens
successoraux. cf: Paris, 22 mars 1991, Rev.crit.1992.298, note M. GORE.
551 cf: article 430 du Code pénal sénégalais

269
sénégalaise en tant que loi d'application immédiate afin d'assurer la
protection des cohéritiers dont les droits dépendent du droit sénégalais.
Mais puisque le recel poursuit surtout un objectif successoral l'application
de la loi successorale apparaît; aussi envisageable.
Enfin quant à la troisième question, c'est-à-dire l'option de
1'héritier mineur, la frontière doit être tracée entre la loi personnelle de ce
dernier, la loi du for et la loi successorale. En droit sénégalais, la loi
sénégalaise s'impose en tant que loi de police et de sûreté si le mineur est
domicilié au Sénégal (cf article 841, alinéa 2 du C.F.) en raison d'une part,
de l'incapacité qui frappe le mineur et d'autre part des conséquences
parfois assez graves liées à l'option. Mais à défaut d'avoir un domicile sur
le territoire sénégalais, l'option de l'héritier mineur de même que les
formalités habil itantes doivent être soumises à la loi successorale. Cette
solution contraste un peu avec une décision rendue en droit français par le
tribunal d'instance de Lille".
Dans le cas d'espèce, un ressortissant français décède en
France en laissant quatre enfants incapables dont trois mineurs. Il avait
institué aussi des légataires. Tous les héritiers avaient la nationalité
française. La succession était constituée d'immeubles dispersés sur les
territoires
français,
espagnol
et
belge.
Trois
masses
de
biens,
juridiquement, étaient en cause. Par application de la règle de conflit
française, les immeubles sis en France étaient soumis à la lex rei sitae.
Mais la présence de plusieurs héritiers incapables résidant en France,
nécessitait l'autorisation ou l'homologation de divers actes, impliqués par
l'ouverture de la succession, dont l'autorisation à donner au représentant
du mineur afin d'accepter purement et simplement ou à vendre les biens.
Le tribunal devait ainsi déterminer la loi applicable à l'option du mineur

270
héritier en établissant la frontière entre la loi personnelle du mineur et la
loi successorale. Etait alors concernée, la dévolution des immeubles sis en
Belgique. La décision du tribunal de Lille soumet l'option à la loi
successorale.iles formalités habilitantes à la loi personnelle du mineur. Elle
;
reste singulière car elle rompt, il est vrai, la cohérence de la protection du
,
mineur héritier en admettant la dualité de compétence législative. Or les
i
formalités et! les termes de l'option sont interdépendantes. Il faut donc
envisager la globalité de la cohérence de la protection du mineur. Aussi
une seule loi devait s'imposer: la loi successorale. En effet à en croire un
auteur", «la protection du mineur n'est nécessaire que par rapport au
projet successoral qu'elle formule, lequel est fondé sur l'attribution d'un
pouvoir auquel
se joint une responsabilité corrélative. De fait, la
consolidation du titre de 1'héritier mineur par son option, par delà la simple
question de capacité, répond à une fonction proprement successorale» 554.
L'option est susceptible de mettre en cause la condition du
mineur si elle n'est pas entourée de garanties spécifiques et efficaces. Il
paraît inutile d'imposer la loi personnelle du mineur si celle-ci n'édicte
aucune protection alors que dans le même temps la loi successorale prévoit
une obligation ultra vires. Il vaut mieux donc laisser la loi successorale
décider des terrnes de l'option. Significative à l'égard de la transmission de
l' acti f, l'option successorale l'est également au regard de la transmission
du passif.
552 TI. LILLE, (juge des tutelles) 28 mars 1980, Rev. crit. 1981. 289, note Y. LEQUETTE.
553C f : M. GORE, "L'administration des successions", op. cit., p. 167.
554
f M GORE "L' d ..
.
d
. " .
6
C : .
,
a rmrnstration es successions.... , op. cit., P 1 7.

271
CHAPITRE HI
LA TRANSMISSION DU PASSIF.
En tant qu'universalité juridique c'est-à-dire un actif et un
passif inséparables l'un de l'autre, le patrimoine se transmet aux héritiers
tant activement que passivement. A priori et compte tenu de la compétence
générale de la loi successorale, la transmission de l'actif et la transmission
du passif y ressortissent. L'affirmation est d'autant plus vraie qu'elle a été
vérifiée à l'égard de la premièrev". L'attraction de la loi successorale à
l'égard du passif n'est cependant pas négligeable. La succession au passif
n'est rien d'autre que l'autre face du même fait juridique que constitue le
transfert du p~trimoine mortis causa. La corrélation entre l'actif et le passif
,
du patrimoine invite même à une réponse unique. Toutefois la qualification
successorale de la transmission du passif méri te que l'on s'y attarde afin
,
d'en dégager; toute la signification en distinguant entre l'obligation aux
1
dettes (section 1) et la contribution aux dettes (section II).
SECTION 1:
L'OBLIGA.TION AUX DETTES.
L'héritier appelé à la succession doit opter. L'option en
droit international privé sénégalais relève de la compétence de la loi
nationale du défunt. L'option se divise en deux choix distincts: l'héritier
peut accepter ou renoncer à recueillir les biens que la loi ou le testament
l'appelle à recevoir. S'il fait le premier choix, il doit indiquer s'il s'agit
d'une acceptation générale c'est-à-dire pure et simple ou s'il s'agit d'une
acceptation sous bénéfice d'inventaire. L'acceptation de l'héritier, liée à
l'idée de continuation de la personne du défunt porte à croire qu'en
555 cf: supra Chapitre précédent.r 2S3

272
principe l'obligation qui pesait sur le défunt pèse de la même façon sur son
héritier et l'oblige indéfiniment. En réalité la loi offre à l'héritier de limiter
cette obligation. Ainsi en acceptant sous bénéfice d'inventaire, l'héri tier
échappe aux poursuites que les créanciers du défunt pourraient exercer
contre lui notamment sur ses biens personnels. En revanche en optant pour
une acceptation pure et simple, l'héritier voit ses pouvoirs s'étendre sur les
biens de la succession de façon illimitée, correspondant subséquemment à
une obligation illimitée. En somme l'ampleur des poursuites exercées par
les créanciers dépendent de l'étendue des pouvoirs de gestion que l'héritier
a sur les biens successoraux. En droit français, l'application de la loi
successorale à l'obligation aux dettes a été posée par la Cour de cassation
dans l'affaire Mebtouche'"'. En l'espèce, un Algérien décède alors qu'il est
domicilié en France où il possède un fonds de commerce. Ses créanciers
demandent avant le partage, la vente du fonds. Leur prétention a été
accueillie sur le fondement de l'application du principe de l'indivisibilité
du gage héréditaire dont l'origine remonte à la jurisprudence Frécon'", La
Cour énonce que, « la succession mobilière de Mebtouche, et par suite
l'étendue de, l'obligation des héritiers au passif comme le droit de
poursuite des créanciers sur le fonds de commerce dépendant de la
succession, étaient régies par la loi française ». La solution, à savoir, la
compétence reconnue à la loi successorale ne peut être qu'approuvée. En
effet si l'on soumet l'option à la loi successorale alors que cette option
définit la condition juridique de l'héritier, laquelle option commandera par
,
la suite l'étendue de son obligation, il serait tout à fait logique que
,
556 Casso civ., 1ère 19 juillet 1976. Rev. crit. 1978.338, note B. ANCEL.
557
Casso Req., 24 décembre 1912, D.P.1915.1. 45 S. 1914. 1. 201. Grands Arrêts de la
jurisprudence civile ge éd, n" 226 p. 961. Cet arrêt affirme gue les créanciers héréditaires
peuvent, tant gue la succession n'a pas été partagée et nonobstant le principe de la division de
plein droit des dettes entre les cohéritiers, poursuivre le payement de l'intégralité de leurs
créances sur la masse indivise, le gage dont ils jouissaient du vivant de leur débiteur continuant,
même après son décès et jusqu'au partage, de subsister d'une manière indivisible sur l'hérédité
. toute entière.

273
l'obligation aux dettes de 1'héritier relève de la même loi successorale.
Ainsi associerait-on sur la base de l'équilibre qui fonde le droit des
successions, la transmission des dettes aux prérogatives sur les biens
héréditaires. Le principe selon lequel « aux pouvoirs illimités correspond
une responsabilité illimitée» reçoit en la matière une juste application.
L'identité de la qualification-successorale repose de la sorte sur l'étroite
dépendance entre les droits des héritiers et les droits des créanciers. En
effet l'obligation « ultra vires» résulte de la maîtrise quasi totale du gage
des
créanciers
héréditaires.
Inversement
l'obligation « intra vires»
découle de l'absence de confusion des patrimoines dans 1'hypothèse d'une
acceptation sous bénéfice d'inventaire ; « la vocation passive à la
succession »558 est alors une conséquence logique de la vocation active
héréditaire conclut-on, pour mettre en exergue le lien entre les principes de
la dévolution et les règles relatives à l'engagement des successeurs'?".
Au total, l'étendue de l'engagement du successeur dépend
des prérogatives de ce dernier sur les biens de la succession. De la même
façon on associe à l'obligation « ultra vires» de 1'héritier le principe de la
division des dettes'?". Ce qui fait que lorsqu'il y a une pluralité d'héritiers,
l'obligation « ultra vires» sera contrebalancée par le fractionnement de la
poursuite des créanciers. On comprend dans ces conditions pourquoi il est
proposé de faire régir la division des dettes par la loi successorale.
L'obligation
aux
dettes
relève
de
la
qualification
successorale. Or cette obligation emporte éventuellement comme corol1aire
la division des dettes. Par conséquent et afin de ne pas rompre l'équilibre
558Cf: NIBOYET, Traité, tome IV, n? 1366, p. 910.
559 cf: M. GORE, op, cit., p. 213.
560 (Principe posé par l'article 1220 du Code civil français). En vertu de ce principe, l'obligation
du débiteur décédé se divise de plein droitentre ses héritiers. En conséquence, lorsque la dette
est solidaire, bien; qu'elle conserve ce caractère 'à I'égard de l'hérédité, chacun des héritiers ne
;
,

274
entre l'étendue de la responsabilité et la division des dettes, la même
qualification, à savoir la qualification successorale, doit être maintenue à
l'égard de la 'division des dettes. « Accessoire de l'obligation ultra vires, la
division des dettes suit donc le sort du principal dans sa soumission à la loi
successorale ». La même qualification gouverne les exceptions au principe
,
de la division des dettes prévues à l'article 1221 du Code civil français.
f
On a fait valoir que «l'indivisibilité du gage héréditaire
,
n'est pas n6cessairement liée à l'indivision »561. «Aussi l'absence de
fractionnement de la poursuite ne résulte-t-elle pas de la nature indivise du
bien sur lequel s'exerce la poursuite mais plutôt de l'absence de mise en
cause de l'obligation ultra' vires du successeur »562. Au demeurant la non
division de la dette est étroitement liée à la mise en œuvre des principes de
la dévolution en droit français, ce qui justifie la qualification successorale
et l'exclusion de la loi de situation des biens563•
La loi successorale écarte donc la lex rei sitae malgré les
arguments pertinents tirés à la fois de l'unité du statut réel et de la
protection des biens. De la même façon, elle exclut la loi de l'obligation
qui pourrait prétendre continuer à régir, après le décès, les rapports entre le
créancier et ses nouveaux débiteurs, c'est-à-dire les héritiers. Avec la loi
de l'obligation, il est vrai, le créancier n'aura pas à redouter l'application
de dispositions (obligation intra vires, brève prescription) qu'il n'aura pas
prévues.
Mais
incontestablement,
au
décès
du
débiteur,
la
faculté
d'assumer la charge de la dette est immédiatement prise en compte par la
loi successorale. De plus le patrimoine du défunt gage des créanciers est
recueillant qu'une part de la succession n'est tenu que jusqu'à concurrence de cette part; cf:
civ. 2janvier 1924 D.P 1924.1.14; Civ. 1ère 10 Mai 1988, Bull. l, n? 140, p. 97.
561 cf: B. ANCEL, note précitée sous "Mebtouche", Rev. crit. 1978.347.
562 cf: M. GORE, op. cit., p. 215.
563 La tex rei sitae reste compétente concernant la saisissabilité et la mise en œuvre de la saisie,
cr: H. BATIFrOL et P. LAGARDE, Traité, n? 540.

275
composé d'un actif et d'un passif inséparables l'un de l'autre. Cette
corrélation est ainsi, seule, en mesure de sauvegarder les droits des
créanciers. Au demeurant on trouve dans les dispositions successorales,
qu'il s'agisse de l'indivisibilité du gage héréditaire ou de la séparation des
patrimoines'?', des moyens pour garantir les créanciers contre une
insolvabilité de 1'héritier. Aussi la compétence de la loi successorale ne
peut
qu'être
approuvée
s'agissant
des
modalités
qui
assurent
la
conservation et la sauvegarde des droits des créanciers. Toutefois la loi de
l'obligation ne peut être totalement ignorée car les caractères, le contenu,
la transmissibilité et la prescription de I'obligationf" demeurent définis par
elle.
Si la qualification successorale apparaît fondée à l'égard de
l'indivisibilité du gage héréditaire, semblable conclusion mérite d'être
1
1
nuancée au regard de la séparation des patrimoines qui donne aux
créanciers successoraux un droit de suite et de préférence. Or ces
privilèges relèvent plus de l'étude du droit des biens. Aussi peuvent-ils
expliquer l'application de la tex rei sitae au détriment de la loi
successorale. La doctriner" s'accorde pour reconnaître l'application
simultanée de la loi successorale et de la loi réelle. Le principe même de la
séparation des
patrimoines
est
le
cas
échéant énoncé par la loi
successorale. Mais la mise en œuvre des conséquences pratiques du
principe revient à la loi réelle. Le cumul de ces deux lois, si elles ne
concourent pas à consacrer le même traitement, risque d'entraîner une
paralysie des mécanismes. En effet, dès lors que la loi réelle ignore la
séparation des patrimoines tandis que la loi successorale l'organise, le
564 Article 878 du Code civil français, article 422 du Code de la famille.
565 cf : M. L. NIBOYET - HOEGY, "L'action en justice dans les rapports internationaux de
droit privé", Economica 1986, n? 374 et s ; Paris, 21 décembre 1966, Rev.crit.1967.722, note H.
BATIFFOL.

276
fonctionnement même de linstitution s'en trouve paralysé. L'application
cumulative'f" de la lex successionis et de la lex rei sitae à une même
question de droit aboutit ainsi à une impasse et traduit nettement une
méconnaissance de la cohérence de la transmission successorale. Il n'est
certes pas inconcevable en ce qui concerne la séparation des patrimoines,
de soumettre le principe même à la loi successorale et de faire régir la mise
en œuvre du principe par la loi réelle. Mais étant une garantie spécifique
offerte aux créanciers héréditaires, le privilège de la séparation des
patrimoines relève nécessairement de la loi successorale. On ne saurait
même privilégier la loi réelle dont la mise en œuvre ne s'impose que si le
principe a été dès l'abord posé. De surcroît, cela impliquerait une
hiérarchie entre le principe et les effets de la séparation des patrimoines.
Or s'il fallait établir cette hiérarchie, elle ne s'impose pas dans le sens
effets-principe mais plutôt dans le sens contraire c'est-à-dire principe-
effets.
La qualification successorale de la transmission du passif
résulte surtout du maintien de l'universalité du patrimoine. En droit
français, une telle démarche pourrait être remise en cause par la pluralité
des masses. Chacune des lois applicables respectivement à chacune des
masses peut prétendre régir la vocation héréditaire et l'obligation de
l'héritier à la totalité des dettes. Faut-il alors dans ce cas, contraindre les
créanciers héréditaires à diviser leurs poursuites entre les différentes
masses? On relève ainsi la portée limitée de l'arrêt Mebtouche. La cour
n'a pas eu à envisager l'hypothèse où plusieurs lois pourraient régir les
biens du de cujus. Aussi la doctrine dominante s'accorde-t-elle à
566Cf : H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité n? 659, p. 429 ; P. MAYER, Précis, n? 826 ;
Rep. Dall. int., VO Successions, n? 162.
567 La démarche fondée sur le cumul des règles de conflit a été vivement critiquée. Le cumul
résulte plus profondément d'une qualification inadaptée; cf : G. Khairallah, "Les sûretés
mobilières en droit international privé", Economica 1984, n? 33 et s.

277
reconnaître au créancier le droit de poursuivre l'intégralité de sa créance
sur une seule masse de son choix'". Empirique avant tout, cette solution a
reçu une justification théorique par M. HERON569 dont l'analyse a eu le
mérite de résoudre les difficultés que pose l'obligation aux dettes en cas de
pluralité de masses successorales. L'auteur, empruntant les méthodes
élaborées par le droit international privé, en l'occurrence la méthode
conflictuelle, pose la question suivante: « quelle loi permettra au créancier
de poursuivre le recouvrement de sa créance sur les diverses masses de
biens, alors que, précisément, il existe autant de lois successorales que de
masses de biens, et qu'aucune d'elles ne peut prétendre régir l'ensemble,
mais au contraire ne régit qu'un morceau de l'ensemble »570. Chantre du
morcellement successoral, l'auteur estime que celui-ci est parfaitement
viable dès l'instant où la frontière entre la loi successorale et la loi de la
créance est tracée. A cette dernière, il fait jouer un rôle important voire
exclusif. Aussi affirme-t-il que c'est la loi de l'obligation qui va donner le
droit au créancier de poursuivre l'ensemble des biens où qu'ils se trouvent.
La pluralité des lois successorales importe peu puisque seule la loi de la
créance, loi unique, régit le droit de poursuite du créancier. La loi
successorale quant à elle ne gouverne que la mise en œuvre du caractère
contraignant fixé par la loi de la créance (indivisibilité du gage héréditaire,
division des dettes par exemple). Par conséquent c'est l'obligation elle
même qui fonde le droit de poursuite du créancier avant ou après le décès
du débiteur.. La thèse de M. 1. HERON apporte une réponse assez
convaincante à la recherche de la loi qui va décider du sort du patrimoine,
568Cf : H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité, n? 659 ; Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL,
Précis n? 343 ; P. MAYER, Précis, n? 823 ; Y. LOUSSOUARN, "L'administration des
successions en droit international privé", Clunet 1970.251. La jurisprudence adhère dans
l'ensemble à cette solution cf: Tribunal civ. Seine 6juin 1894, Clunet 1895.123; D.P 1896.2.
357 ; Grenoble 31 mars 1908, Rev. crit. 1909. 609 ; Trib. civ. 1ère instance, Papeete 7 mars
1975, Rev. crit. 1976.674, note B. ANCEL.
569 cf: J. HERON, op. cit., n? 312.
570 cf: J. HERON, ibid, n? 312.

278
gage général des créanciers. Le recours à la méthode conflictuelle par
l'auteur aboutit ainsi à l'application d'une loi unique, la loi de la créance à
partir d'un critère unique de rattachement, l'affectation de l'actifau passif.
Mais s'agissant de dégager un critère de rattachement
unique qui rende compte de J'universalité du patrimoine, le choix de la loi
de la créance apparaît à notre avis un peu excessif. S'il faut retenir une loi
unique, n'est-ce pas celle qui révèle le plus la localisation des biens du
défunt; la loi du domicile?". En effet c'est au domicile du défunt que sont
localisés naturellement les éléments du patrimoine. Ainsi pourrait-on
comprendre le rattachement du règlement du passif à la loi du lieu
d'ouverture de la succession comme le prévoit le législateur sénégalais.
Mais il faut encore le dire, les rédacteurs du Code de la famille ont opté
expressément pour un rattachement du patrimoine en fonction de la
personne et c'est pour cette raison que les successions ont été classées dans
la catégorie statut personnel avec pour conséquence l'application de la loi
nationale. Lorsque l'on affirme alors la compétence de la loi nationale, il
n'y a plus de place pour la loi du domicile. On ne peut pas soumettre la
dévolution successorale à la loi nationale et l'option successorale à la loi
du domicile. Par ailleurs, le droit sénégalais ne distingue pas entre
succession mobilière et succession immobilière. En conséquence, la
pluralité des lois est inutile. Si une loi unique doit s'appliquer, c'est la loi
nationale tant à l'égard de l'obligation aux dettes qu'à l'égard de la
contribution aux dettes.
571
On rejoint ainsi P. VOUMARD, "Des conflits de lois en matière de transmission et de
paiement des dettes héréditaires specialement en droit suisse, français, anglais" Lausanne 1940,
p. 139. L'auteur commence par constater qu'en droit français la quasi-totalité des dettes sont
mobilières. Dès lors il estime que la loi qui gouverne la dévolution des biens doit également
régir celle des dettes. Et puisque les meubles sont dévolus selon la règle "mobilia sequuntur
personam" les dettes doivent elles aussi suivre la loi du domicile.

279
SECTION II:
LA CONTRIBUTION AUX DETTES.
En vertu des dispositions de l'article 493 du Code de la
famille: «lorsque la succession est dévolue à plusieurs héritiers, chacun
d'eux n'est tenu au paiement des dettes et charges de la succession qu'en
proportion de sa part héréditaire, sauf les exceptions prévues à l'article
suivant ». De principe, 1'héritier qui ne peut prétendre à aucune part dans
la succession ne peut être tenu de payer quelque dette ou quelque charge
que ce soit. En réalité c'est sa vocation successorale qui détermine sa
contribution à la dette. Incontestablement, puisqu'il s'agit de déterminer la
part du passif que chacun doit supporter, il faut à priori indiquer la loi qui
gouverne la vocation héréditaire. Or celle-ci relève de la loi successorale.
Aussi doit-on soumettre la contribution aux dettes à cette même loi. La
contribution aux dettes exige ainsi la même qualification que la vocation
héréditaire. Elle s'intègre à la dévolutiorr"
et il revient à la loi
successorale de fixer la charge définitive du passif entre les successeursi".
Une telle affirmation se vérifie quel que soit le système successoral
considéré'?".
Il reste néanmoins à s'interroger sur les recours exercés par
les héritiers lorsque leurs titres sont soumis à des lois successorales
différentes. En droit international privé sénégalais, une telle situation est
quasiment impensable car la 10i successorale ici est unique et la succession
indivisible. Mais la question demeure si l'on veut suivre le législateur dans
la réglementation complexe qu'il a adoptée si l'on devait considérer que
les biens immobiliers et fonds de commerce relèvent, quant à leur
dévolution - dévolution et transmission signifieraient pour les rédacteurs
572 cf: B. ANCEL, note sous l'arrêt "Mebtouche", Rev. crit. 1978.343
573 cf: G. DROZ et M. REVILLARD, Jur. Class. dr. int. fasc. 557. A, n° 225.
574 cf: M. GORE, op. cit., p. 229.

280
du Code de, la famille la même chose'?'- de la loi de leur situation.
L'intérêt de 'tels recours faut-il, le rappeler, réside dans l'idée de rétablir
l'égalité entre les héritiers, égalité rompue par la poursuite d'un créancier
sur une seule masse pour la totalité de la dette. En principe chaque masse
de biens a vocation à régir la transmission des dettes et charges. Aussi,
l'héritier obligé au delà de la part contributive fixée par la loi qui lui
confère son jtitre, trouve-t-ildans cette même loi, un recours contre ses
!
cohéritiers. Mais des difficultés surgissent, surtout lorsque le recours est
,
exercée à l'encontre d'une masse, soumise à une loi qui méconnaît toute
règle de contribution. On cite, en effet les systèmes qui adoptent le
principe de la succession aux biens. Or selon ces systèmes l 'héritier ne
recueille que l'actif. Dans cette hypothèse le recours risque d'aboutir à une
impasse. Et pourtant l'enjeu du recours n'est plus à souligner puisqu'il est
surtout question de rétablir l'égalité entre les héritiers.
«La stricte articulation
de la transmission et de la
dévolution »576 commande qu'une seule loi régisse et contribution aux
dettes et recours exercés par les héritiers. C'est justement la démonstration
pertinente que fait à ce sujet M. J. HERON en droit international privé
français. L'auteur577 met l'accent sur la position commune à tous les
héritiers, les ayants-droit du défunt, au regard de la contribution aux dettes.
La répartition du passif touche au caractère d'ensemble de la succession et
explique pourquoi l'unité de la succession doit être privilégiée. Mais sur
d'autres points, l'auteur retient les liens étroits qu'entretiennent le droit
successoral et le droit des biens pour faire prévaloir le morcellement
successoral. Il propose, pour gouverner la contribution aux dettes quel que
soit lelieu de situation des biens, la proportion dans laquelle l'héritier doit
m cf: supra p. 2.10.
576 cf: B. ANCEL, note precitée sous Mebtouche, Rev. crit. 1978. 350
577 cf: M. J. HERON, thèse précitée, n? 360 et s.

281
supporter la charge de la dette acquittée par les cohéritiers appelés aux
1
autres masses'?", l'application de la loi du domicile. Aussi cette loi va-t-
elle décider du «principe même du recours comme du choix de ses
,
modalités, selon que la contribution s'opère en proportion de l'émolument
reçu ou de la vocation héréditaire »579. Par conséquent lorsque la loi du
domicile est par exemple la loi sénégalaise et que l'héritier qui a reçu un
immeuble hypothéqué a pu désintéresser les créanciers, cet héritier pourra
en vertu des dispositions de l'article 497 du Code de la famille (article 815
du Code civil français) exercer un recours contre ses cohéritiers. Il importe
peu, dans ces conditions, que le recours soit ignoré ou refusé par la loi
successorale qui appelle d'autres héritiers". Le choix de la loi du domicile
présente des avantages certains. On remarque toujours une coïncidence de
cette loi avec la loi du lieu d'ouverture de la succcssicrr'" et par ricochet
avec la compétence du tribunal de ce lieu. La loi du domicile en outre,
dans la mesure où les créanciers traitent le plus souvent avec la personne à
son domicile, en tant que loi de l' obligation''" régira selon «toute
vraisemblance la majorité des créances contre la succession »583. Le choix
de la loi du domicile avec les coïncidences ci-dessus rappelées met en
évidence, il est vrai, la localisation du patrimoine. C'est au domicile que
sont localisés les intérêts tant patrimoniaux que extrapatrimoniaux du
défunt considéré comme débiteur à certains égards. Le choix de la loi du
domicile pour régir la transmission du passif ne va pas sans poser quelques
difficultés techniques dans la mise en œuvre de la solution du fait de la
divergence des systèmes de transmission successorale. Lorsque la loi du
domicile est celle d'un système de succession aux biens, système qui
578 cf: M. 1. HERON, thèse précitée, n? 390 et s.
579 cf: M. GORE, thèse précitée p. 230 et s.
580 cf:
M. GORE, thèse précitée p. 231.
581 cf: article 397 du Code de la famille.
582 L'accent est mis sur les obligations contractuelles notamment.

282
méconnaît les complexités de la transmission du passif, l'impasse apparaît
aussitôt. En effet on ne peut dégager de ces systèmes une règle
substantielle de contribution aux dettes'" ; c'est pourquoi, pour remédier à
cet obstacle d' ordre technique, M. J. HERON propose une « légère et facile
adaptation »585. Un recours serait ouvert toutes les fois que le morcellement
conduit à méconnaître les règles implicites de contribution. A titre
d'exemple, l'auteur déduit de l'ordre de paiement des dettes imposées au
représentant successoral, une règle de contribution aux dettes.
Cette proposition soulève cependant des objections. D'une
part, Mille GORE estime que «l'existence même de règles implicites de
contribution
laisse
sceptique »580.
D'autre
part
affirme-t-elle,
en
«admettant même que de telles règles puissent être reconnues, elles
émergeraient plutôt des dispositions qui réglementent le paiement des
dettes révélées, une fois l'actif net transféré aux bénéficiaires ». Toutefois
l'auteur concède que l'obstacle tient moins à l'application de la loi du
domicile à la contribution aux dettes, qu'à la difficulté d'articuler des
systèmes juridiques véhiculant des modèles de succession différents voire
contraires. Aussi conclut-elle que l'impasse ne saurait mettre en cause le
bien fondé de la solution proposée (l'application de la loi du domicile).
La solution ainsi retenue en droit français par la doctrinet"
et confirmée par la jurisprudence" conforte à l'évidence la position du
législateur sénégalais qui a su, par anticipation dirait-on, faire gouverner le
règlement du passif (article 847, alinéa 2 du C.F.) par la loi du lieu
d'ouverture de la succession. Hélas l'unicité de règlement de la succession
583 cf:
M. GORE, thèse précitée; p. 23 l ,
584 cf:
J. HERON, thèse précitée 'no 3g2.
585 cf:
1. HERON, ibid.p. l.% 1I~ ~'l"l•.
586
f M" GORE hê
, . ,
23?
C : .
,t ese précitée, p.
_.
587 cf:
J. HERON, thèse précitée
588 Trib.civ. Papeete 7 mars 1975 précité.

283
demeure toujours compromise d'autant plus que la vocation successorale
dont dépendent l'obligation aux dettes et la contribution aux dettes, relève
quant à elle, de la loi nationale du défunt. Par ailleurs la transmission de
l'actif et du passif régie par la même loi (loi nationale) telle qu'elle
apparaît à la lecture des dispositions de l'article 847, alinéa 1 du C.F. laisse
encore perplexe l'interprète. Si entre la transmission du passif et le
!
règlement du: passif, du point de vue de la terminologie juridique, une
,
différence peut être opérée, il reste que du point de vue des fonctions qu'ils
assurent, il existe entre eux une étroite dépendance. En transmettant le
,
passif on co~pte régler aussi le sort de ce même passif. Pour y parvenir la
compétence d;'une loi unique est préférable.
!
,
;
;
l L'unicité de législation en ce qui concerne la transmission
du passif révèle bien la prise en compte par le droit international privé de
la notion de patrimoine. Mais plutôt que la loi du domicile, la loi nationale
du de cujus est tout aussi en mesure de régir la transmission de l'actif et du
passif, ce que confirme de plus, les dispositions de l'article 847, alinéa 1
du C. F. En effet, le patrinioine peut également être l'objet d'une
localisation en fonction de la personne et dans ce cas, peu importe la
situation des biens de l'intéressé. Au surplus cette technique confirme la
consécration de la théorie classique du patrimoine qui lie le patrimoine à la
personnalité et qui demeure la base du droit positif sénégalais.
Au total il se confirme, à l'instar de la transmission de
l'actif, une identité de solution concernant la transmission du passif:
l'application de la loi successorale. En effet, à la transmission de l'actif, on
rattache nécessairement la transmission du passif. Dans ces conditions, une
réponse unique s'avère fondamentale et prouverait de façon significative,
l'affectation de l'actif au passif, signe visible de l'universalité de droit qui
caractérise le patrimoine. Mais cette unité serait autant respectée si, plutôt

284
que la loi du domicile on appliquait la loi nationale. Il reste toutefois à
vérifier si cette unité est consolidée au regard du règlement et du partage
de la succession.
1

285
CHAPITRE IV
LE REGLEMENT ET~E PARTAGE DE LA SUCCESSION.
A la différence des droits anglo-américains prévoyant
l'intervention
d'un
intermédiaire
exécuteur
testamentaire
ou
administrateur désigné - entre la masse héréditaire et les héritiers,
intermédiaire chargé de remettre à ces derniers l'actif net, les droits
français et sénégalais posent le principe de la transmission directe et
immédiate de la succession aux héritiers avec l'obligation pour ceux-ci
d'en acquitter les charges, par le seul fait du décès de leur auteur. Mais la
pluralité d'héritiers va entraîner la formation, entre les successibles, d'une
masse indivise dont les modalités et la durée varient d'une législatiorr'" à
une autre. Mais quelle qu'en soit la durée, l'indivision sera appelée à
disparaître par le biais de l'attribution des parts individuelles. Ainsi, par le
jeu du partage, la masse indivise va se "désintégrer". Le de cujus a-t-il fait
des libéralités au-delà du disponible, a-t-il voulu porter atteinte à l'égalité
entre héritiers ? La détermination de la masse partageable tiendra alors
compte de tout cela. On exigera par conséquent le rapport de l'héritier
avantagé, la réduction des libéralités pour assurer le respect de la réserve
héréditaire. Plusieurs rattachements semblent s'imposer: application de la
loi de situation des biens ou de la loi de la libéralité. Mais a priori le débat
est déjà tranché par le législateur sénégalais. Le choix de la loi nationale
,
du de cujus ne fait pas de, doute, Il reste peut-être à justifier une telle
option. Il faudra toutefois s'interroger quelle que soit la nature du partage
,
(section II), sur cette phase préalable au cours de laquelle certaines
589 cf: M. FERlD; Cours la Haye 1974, pp. 135 s ; pour un examen comparatif des régimes de
l'indivision.
!
.

286
opérations sont effectuées afin de déterminer la masse indivise et d'en
fixer le régime (section 1) quoique la position du droit sénégalais à ce sujet
apparaisse nettement mais
maladroitement à travers la lecture des
dispositions de l'article 847, alinéa 2 du C.F. En somme un règlement
d'ensemble de la succession est pour le moins envisageable.
SECTION r .
LE REGIME DE L'INDIVISION.
«L'indivision
est
la
situation
juridique
née
de
la
concurrence de droits, de même nature, exercés sur un même bien ou une
même masse de biens par des personnes différentes, sans qu'il y ait
division matérielle de leurs parts »590. Deux conceptions sont développées
pour déterminer la nature de l'indivision. Soit on considère que le droit de
chaque indivisaire porte sur une quote-part de chacun des biens indivis
auquel cas on est conduit à considérer le partage comme un acte
translatif?", C'est l'analyse du droit romain et la solution adoptée en droit
allemand et suisse'". Soit on considère que le droit de chaque indivisaire
porte sur une quote-part de la masse indivise de sorte qu'il s'exerce sur
tous les biens sans se fixer sur aucun. Dans ce cas on évoque l'effet
déclaratif du 'partage'?', chaque indivisaire étant l'ayant cause direct du
défunt. Cette conception est celle: des droits français et sénégalais. Elle a
pour intérêt d'assurer l'égalité du partage alors que la première conception
i
1
menace au contraire l'égalité du partage car ,chaque indivisaire étant
l'ayant cause .de son copartageant, ce.qui fait qu'il subit les conséquences
i
des actes de celui-ci.
590 Lexique de termes juridiques, 8e éd, p. 270
591 Si par exemple le de cujus laisse un immeuble et une voiture dans sa succession et qu'il y a
deux héritiers, chacun des deux sera propriétaire de la moitié de l'immeuble et de la moitié du
véhicule.
592 §2032 et s. BGB (droit allemand), articles 648 et 653 du Code civil suisse.
593 En reprenant J'exemple à la note précédente, chaque héritier est propriétaire de la moitié de
l'ensemble constitué par l'immeuble et le véhicule.

:
J'
287
Avatar de la propriété collective?", l'indivision semble
difficilement échapper à la compétence de la tex rei sitae. Il en est ainsi du
fait de l'emprise exercée par la loi réelle sur le droit des biens et de
1
l'influence primitive qu'elle a eue en matière de transmission successorale.
En droit français l'application systématique de la loi de situation des biens
a été proposée par
595
BARTIN
tant pour le contenu que pour le régime de
Fmdivisionê'", la loi successorale n'occupant alors qu'une place résiduelle.
Les arguments avancés en l'occurrence, tiennent surtout aux liens entre
l'indivision et l'organisation de la propriété?", A côté de cette analyse
traditionnelle, on fait valoir une justification supplémentaire tirée de la
réforme du 31 décembre 1976 sur l'Indivision'?". Aux caractères précaire
et inorganisé ayant longtemps prévalu, le législateur français en 1976 a
substitué les caractères prolongé et organisé, faisant ainsi de l'indivision
une « institution» dotée d'une charte complète'?". S'inscrivant alors dans
la durée, l'indivision ne peut que difficilement échapper à la loi réelle pour
l'ensemble dès questions qu'elle soulèves". Au regard de la gestion de
5'14 P. CATALA, "L'indivision", Rép. not. defr. 1979, art. 31874.
595 BARTIN, "Principes de droit international privé", Paris 1931.35 III § 429.
596 R. DENNERY~ "Le partage en droit international privé", Paris 1935, p. 51 et s ; NIBOYET,
"Traité" IV, n° 1156; MAURY et VIALLETON, n? 500 et s ; H. BATIFFOL et P. LAGARDE,
Traité n° 665 ; P.:BOUREL et Y. LOUSSOUARN, Précis n° 435 ; J. HERON, thèse précitée,
spec n° 152.
.
597 Dans la conception du législateur français de
1804, toute indivision doit être temporaire
donc inorganisée. iMais une loi du 31 décembre 1976 a profondément remanié le système.
598 L'indivision était traité par le Code civil avec défaveur en raisons de ses
inconvénients
économiques. En effet la diversité des droits portant sur une même masse de biens était un frein
aux initiatives individuelles et à une gestion active. cf : 1. FLOUR et H. SOULEAU,
Successions, op. cit., n° 336. L'indivision successorale était en outre considérée comme
temporaire donc devant disparaître avec l'effet déclaratif du partage. Il a été jugé inutile de
l'organiser alors que la pratique a longtemps révélé l'existence d'indivisions prolongées ayant
créé d'énormes difficultés. La jurisprudence a alors tenté de remédier à cette inorganisation.
Elle a considéré l'indivision comme une masse autonome distincte du patrimoine de chacun des
cohéritiers. Son administration a été alors facilitée. Le législateur français par la loi du
31.dec.1976 a opéré une réforme et a organisé minutieusement la matière dans son ensemble.
599 cf: M. DAGOT, "L'indivision", JCP .1977. 1. 32172 ; G. MORIN, "Bref aperçu de la loi du
31 dec 1976 relative à l'organisation de l'indivision", Rep. Not. Défr. 1977 ,art. 31510 et 31514
; P. CATALA, "L'indivision", Rep. Not. Defr. 1979, art. 31874.
600 cf: P. LAGARDE, Traité, n° 665 ; P. BOURE( Précis, n° 435 ; P. MAYER, Précis, n0826 ;
J. HERON, thèse précitée, n° 152.

288
l'actif,
l'importance
des
pOUVOIrs
des
coindivisaires
Impose
de
reconsidérer la compétence de la tex rei sitae. La composition de
,
1'indivision?", sa durée et son administration bref, son régime juridique
relève de la tex rei sitae. Mais en dépit du soutien doctrinal quasi unanime
dont elle bénéficie, la qualification réelle de l'indivision reste critiquable.
En effet, l'objection majeure, à l'examen, réside dans l'idée d'autonomie
de la masse indivise projetée dans l'ordre international. On sait qu'en droit
interne cette idée est avancée pour justifier la composition tant active que
passive de l'indivision. On y voit un véritable patrimoine dotée d'une
autonomie perceptible tant à l'égard de l'actif que du passif. La
conservation de l'actif est assurée par le jeu de la subrogation réelle?". A
l'égard du passif, l'autonomie de la masse indivise s'exprime à travers le
fait que le patrimoine indivis constitue le gage général indivisible des
créanciers hé~éditairesjusqu'au partage. Si en droit interne on voit le signe
d'un véritable patrimoine dans la masse indivise fondé sur l'affectation de
l'actif au passif, en droit international par contre l'idée reste suggestive. Le
:
"
morcellement! de la succession en droit français oblige à faire un choix
60\\
Suivant la doctrine, on peut affirmer que la masse indivise comprend toute la fortune
existante au décès, les biens rapportés à la masse successorale, ceux qui sont subrogés au
patrimoine héréditaire et les fruits et intérêts produits par l'avoir successoral. Cf: F. TERRE et
Y. LEQUETTE, "Les successions, les libéralités'L'op ; cit n0706 et s ; MAZEAUD, BRETON,
"Les successions, libéralités" op cit, n? 1601-1602..
602 En droit interne la substitution d'une chose à une autre n'entraîne pas une différenciation
dans le régime juridique applicable. L'objet ou-la chose obéit au même régime juridique que
l'élément qu'il
remplace.
En
matière d'indivision,
la subrogation par les
risques de
modification qu'elle engendre dans la consistance des biens indivis est bien de nature à
soulever quelques interrogations. En effet en droit international privé, la substitution d'une
chose à une autre dans un état juridique donné est susceptible d'affecter la qualification
,
primitivement adoptée pour la désignation de la" loi applicable, Les répercussions du jeu de la
subrogation sur la masse indivise ne sont donc pas négligeables. (L'aliénation d'un immeuble
au Sénégal peut financer l'acquisition d'un immeuble étranger. L'immeuble peut aussi être
remplacé par le prix ou la créance du prix de vente considéré alors comme un meuble). Dans
cette dernière hypothèse faut-il maintenir la compétence originaire de la loi successorale
immobilière?
Les solutions en droit positif français sont unanimes: le bien nouveau introduit à la place du
bien aliéné dans la masse de ce dernier sera dévolu et partagé selon la loi applicable à ladite
masse (cf: Paris 31 décembre 1889, OP 1891. 2. 41, note de BOECK, Casso civ. ,14 mars 1961,

289
entre la loi applicable aux meubles et la loi compétente pour régir les
immeubles. Dans ces conditions le domaine de la tex rei sitae s'en trouve
forcément réduit. L'idée en droit interne, que la masse indivise constitue
un véritable patrimoine, est remise en cause au plan international.
Le droit des successions est le terrain de rencontre du droit
des biens et du droit de la famille : finalité familiale et dimension
économique coexistent et rien ne justifie dans cette conjonction le
privilège accordé à la tex rei sitae au détriment de la loi successorale. Or si
l'on peut à proprement parler invoquer la notion d'indivision successorale,
c'est parce qu'un phénomène, le décès, entraînant du coup l'ouverture de
la succession, l'a déclenchée.
Au regard du droit international privé sénégalais on n'est
guère surpris par les dispositions maladroites de; l'article 847, alinéa 2 du
Code de la famille aux termes clesquels, l'indivision est régie par la loi du
lieu d'ouverture de la succession. En droit français on estime que la
compétence de la loi du domicile a le mérite de traduire en droit
international privé, le respect des liaisons primordiales entre la finalité
économique et la dimension familiale.
L'indivision exige dès
lors
l'application de la loi successorale qui en droit français est représentée par
la loi du domicile pour la succession mobilière. Mais si cette solution se
,
justifie à l'égard de cet ordre juridique, elle ne s'impose pas en revanche
en droit sénégalais où la loi successorale est la loi nationale. Cette
qualification successorale se vérifiera par rapport à la durée de l'indivision
(Paragraphe 1) et aussi relativement à la gestion de la masse indivise
(Paragraphe II).
Rev. crit. 1961. 774, note H. BATIFFOL). Cette solution a un intérêt pratique. En effet elle
déjoue toute tentative de fraude.

290
PARAGRAPHE 1 :
LA DUREEpE L'INDIVISION.
En droit français,· l'accord est unanime au sem de la
doctrine. Les auteursî'" affirment que le maintien ou la cessation de
l'indivision relève exclusivement de la compétence de la tex rei sitae. Mais
l'examen de la jurisprudence, fait à partir de certaines décisions anciennes
rendues à l'occasion de litiges portant sur des immeubles, ne rend pas
entièrement compte du bien fondé de la solution doctrinale. En effet, les
décisions
prononcécs''?"
procèdent
d'une
confusion
entre
la
loi
successorale et la loi réelle. Dès lors la qualification réelle n'apparaît pas
certaine. Aussi faut-il rechercher à dégager la loi appropriée apte à régir la
durée de l'indivision. En écartant à priori la tex rei sitae, on s'oriente vers
la loi successorale dont l'application nous paraît s'imposer pour les raisons
que nous évoquerons ci-dessous.
Le droit interne sénégalais s'inspirant de son homologue
français, fait également ressortir l'équilibre qui est établi entre le droit de
provoquer le partage et la stabilité de l'indivision. Le Code de la famille en
,
son article 449 énonce que « nul ne peut être contraint à demeurer dans
l'indivision et le partage peut toujours être provoqué ». Ce droit au partage
est également affirmé dans les dispositions de l'article 815 du Code civil
français. Ces textes (article 449 du C.F. et 815 du Code civil français) font
.
coexister le droit au partage avec le droit à l'indivision. En principe
i
l'indivision prend fin après le partage; Néanmoins des dérogations sont
i
i
apportées à la règle. En effet l'indivision peut-être maintenue soit par
convention des coindivisaires, soit par décision judiciaire (article 462 du
603 BARTIN, "Principes de droit international privé", op. cit, ,§ 430 ; NIBOYET, Traité IV, n?
1156 II, P 235. H. BATIFFOL P. LAGARDE, Traité, n? 665 ; J. HERON, Thèse précitée, n?
163.
604 Trib Seine 12 Mai
1891, Clunet 1892.487 ; Trib Seine 25 mai 1936.875 ; Trib Lyon 20
février 1957. 303, note Charrier. Il est vrai que ce ne sont que des décisions des tribunaux
inférieurs dont on peut contester ou préjuger la portée.

291
C.F.). La convention peut être à durée déterminée égale à cinq ans (article
450, alinéa 1 du C.F.) ou à durée indéterminée. Dans le second cas, la
convention peut être expresse. Elle peut également résulter d'un accord
tacite (article 451, alinéa 1 du C.F. Le maintien de l'indivision se justifie
pour plusieurs raisons.
D'abord, par le SOUCI de protéger telle ou telle catégorie
d'indivisaire, par exemple le mineur qui peut avoir intérêt à attendre la
majorité pour participer au partage. L'intérêt du groupe peut être ensuite
pris en compte. Enfin on estime qu'au Sénégal, une prolongation de
l'indivision présente un avantage particulier par rapport à la survivance des
successions lignagères qui posent encore le problème de la gestion des
. biens communautairesî'", Quoi qu'il en soit, un partage intempestif et
inopportun es~ souvent évité à travers le maintien de l'indivision.
:La balance tenue entre le droit à l'indivision et le droit au
partager" doit dès lors être prise en compte dans la recherche de la loi
applicable.
L~ qualification successorale apparaît dés l'abord plus
appropriée ca~ elle traduit mieux que la loi réelle la conciliation entre le
droit à l'indivision et celui au partage. Cette qualification, pour gouverner
la durée de l'indivision, se justifie quelle que soit l 'hypothèse envisagée:
que le maintien de l'indivision soit conventionnellement l'œuvre des
coindivisaires ou qu'il soit la conséquence d'une décision judiciaire.
A-
MAINTIEN DE L'INDIVISION PAR CONVENTION.
Les coindivisaires, en vertu des dispositions des articles
450, 451 du Code de la famille, peuvent conclure une convention
d'indivision à durée déterminée ou indéterminée. Cette convention fixera
605 cf: A. S. SIDIBE,"Le pluralisme successoral... », op. cit., p.554.
606
f P CArrALA "L" d' . . "
.
°3
c
:
.
, I n IVISlOn , Op.CIt., n
1.

292
la durée de sursis et organisera la gestion de la masse indivise. La loi limite
cependant la durée pour laquelle les intéressés entendent se lier. A durée
déterminée, l~ convention ne peut excéder cinq ans. Elle peut être
renouvelée et 'le partage ne peut alors être provoqué avant le délai stipulé
que pour motif légitime. La convention à durée indéterminée reste quant à
elle, à la merci d'une demande en partage à tout moment à condition qu'il
n'y ait pas mauvaise foi, ni contretemps ou que le partage provoqué ne soit
pas contraire aux usages (article 451, alinéa 2 du C.F.). Dans l'une ou
l'autre hypothèse de maintien conventionnel de l'indivision, le législateur
entend maintenir l'équilibre entre le droit au partage et le droit à
l'indivision. Derrière cet équilibre se profile le respect des règles de la
dévolution successorales". Ce sont ces règles qui fondent les restrictions
apportées à la durée de l'indivision et qui justifient également l'exclusion
de la possibilité de maintenir l'indivision par testament. Conformément
aux dispositions des articles 450, 451 du C.F., le droit de provoquer le
partage ne peut être retardé que par convention ou par jugement.
Implicitement ces textes de lois écartent le maintien testamentaire de
l'indivision. La portée d'une telle exclusion est d'abord générale. Il en est
ainsi lorsque le testateur entend imposer le maintien de l'indivision sans
limitation de durée?". La solution doit être approuvée car, autoriser le
testateur à agir de la sorte, c'est méconnaître les dispositions de l'article
449 du C.F. (article 815 du Code civil français), c'est admettre que l'on
puisse retarder indéfiniment le partage. Les intérêts des indivisaires
comme de l'hérédité risqueraient d'être sacrifiés. De fait les règles de la
dévolution légale seront ainsi aisément contournées.
607 cf: M. GORE, thése prée., p. 203.
608 La jurisprudence française a eu à se prononcer plusieurs fois dans ce sens cf: Req. 25 nov.
1940 DH. 20 ; civ. 29 juin 1933 ; DB 1933.477 ; Rev. trim. dr. civ. 1933, p. 1246 ; civ. 5
janvier 1977. D. 1977. IR, p. 173.

293
La portée est ensuite limitée quant il s'agit d'une clause
testamentaire qui impose l~ .maintien de l'indivision pour une durée
déterminée. En principe une interprétation restrictive des textes (article
449 du C.F., article 815 du Code civil français) devrait conduire à exclure
également une telle clause, toujours pour répondre au souci de consolider
~ , 1
les règles
de la dévolution légale.
Néanmoins quelques autcurs'i"
t
reconnaissent certains tempéraments à l'interdiction de principe. Ainsi la
clause imposant le maintien dans l'indivision pour un temps limité est
valable dans la limite des droits des héritiers réservataires'i'". On estime
que «bien qu'en contradiction avec les termes mêmes de l'article 815 du
Code civil français (article 449 du C.F.), la solution doit pouvoir être
admise dès lors qu'elle se concilie avec l'esprit, désormais favorable à
l'indivision de la loi de 1976 »611.
A travers la question du maintien testamentaire dans
l'indivision, on aperçoit une confirmation de la qualification successorale
pour décider de la durée de l'indivision. En effet, plus qu'un objectif
économique, c'est plutôt «la prééminence du droit à la concrétisation de la
dévolution par le partage »612 qui s'exprime à travers la réglementation de
l'indivision. Aussi la loi d'autonomie ne peut qu'être écartée car seuls sont
déterminants
les
principes
qui
gouvernent
la
dévolution.
La
lex
successionis ne peut être méconnue si l'on à coeur le respect des principes
dévolutifs. De même la lex rei sitae se trouve reléguée au second plan.
La loi successorale étrangère désignée, lorsqu'elle prescrit
une durée plus importante que celle connue en droit sénégalais peut être
609 cf : Civ. 17 juillet 1963, JCP 1964 II, note VOIRIN ; également VOIRIN, JCP 1963 II
13201. AUBRY et RAU, Cours de droit civil français, 1. X. §. 622.
610 Civ. 29 décembre 1953. D. 1953.327; lCP 1954. II. 7919; note BLIN.
611Cf: M. GORE, thèse précitée, p. 204. L'argument, par transposition peut bien valoir en droit
sénégalais car les: dispositions sur l'indivision en droit sénégalais s'inspirent largement de
celles admises en droit français.

294
confrontée à la réaction de l'ordre public. Mais on retiendra que dès
l'instant où le droit sénégalais admet le renouvellement des conventions
d'indivision, il n'est pas exclu que l'on aboutisse à une indivision
supérieure à cinq ans voire dépassant la durée prescrite par la loi étrangère.
Dans ces conditions la réaction de l'ordre public ne se justifie plus. La
qualification successorale pour régir la durée de l'indivision s'étend
également aux conventions d'indivision. Elle s'impose encore, lorsqu'il est
question du maintien de l'indivision par décision judiciaire.
B-
LE MAINTIEN DE L'INDIVISION PAR JUGEMENT.
L'indivision
imposée
par
décision
judiciaire
présente
plusieurs modalités. La loi?!' prévoit (article 462 du C.F.) le maintien dans
l'indivision
de
l'entreprise
commerciale,
industrielle,
artisanale
ou
agricole, des parts sociales dans une telle entreprise, de l'immeuble ou
partie d'immeuble servant effectivement d'habitation au défunt et à son
conjoint ou du droit au bail des locaux servant effectivement d'habitation.
Ces dispositions répondent à des finalités propres mais remplissent des
fonctions dont la cohérence suggère une qualification successorale. En
effet le maintien de l'indivision par jugement peut être dicté par des
objectifs spécifiquement successoraux ou seulement accessoires d'une
attribution préférentielle qu'il prépare?".
: a) Les objectifs spécifiquement successoraux.
Le droit des successions interpelle à la fois le droit des
biens et le droit de la famille. Ainsi dans les successions, on relève
612cr: M. GORE, ibid, p.2ü4 qui cite M. NEVOT.
613 En droit français, il s'agit du maintien dans l'indivision des exploitations agricoles, du local
d'habitation ou à usage professionnel (article 815 alinéa 1 du Code civil français) du sursis au
partage pour deux ans (article 815 alinéa 2 du Code civil français) enfin de l'attribution
éliminatoire d'une quote-part indivise (article 815 alinéa 3 du Code civil français.).
6\\4 cf: M. GORE, op cit, p. 193.

295
ensemble,
des
considérations
familiales
et
des
considérations
économiques. Ni les unes ni les autres ne doivent être minimisées dans la
mise en œuvre des modalités de l'indivision prononcée par jugement.
Cependant, à y voir de plus près, les données familiales, quoique
insuffisantes apparaissent assez clairement lorsqu'on évoque la dévolution
légale. En effet quelles que soient les raisons économiques que l'on
pourrait faire valoir, les biens du de cujus ne sont pas de principe'"
dévolus à des étrangers mais plutôt aux membres de sa famille. Ce sont par
exemple les principes de la dévolution légale qui justifient la protection
particulière accordée à certains membres de la famille tels que les enfants
mineurs ou le, conjoint survivant. C'est pour conforter un tel point de vue
qu'un auteur a pu voir dans la faculté offerte par l'article 815, alinéa 1 du
Code civil français, aux enfants mineurs et ail conjoint survivant, d'obtenir
le maintien .forcé dans
l'indivision du
logement d'habitation, « le
!
. perfectionnement de la dévolution légale qui ne tient pas compte de l'âge
des intéressés :»616.
i Confrontée aux considérations économiques, la valeur de la
qualification 'successorale n'est pas altérée. En effet par nature, la
qualification successorale ne méconnaît pas les objectifs économiques
qu'inspirent les dispositions relatives au maintien de l'indivision par
jugement. « Il n'y a rien de surprenant à ce que la finalité, tant économique
que familiale du maintien dans l'indivision, puisse assurer l'efficacité des
règles de la dévolution à laquelle tend ce maintien »617.
,
615 Le de cujus peut très bien en droit sénégalais et par testament léguer une partie de ses biens à
une personne étrangère à la famille.
616Cf: M. MEVOT, thèse précit, p. 256.
617 cf: M. GORE, thèse précit, p.194.

296
. b)
Les
objectifs
accessoires
à
une
attribution
préférentielle
i Les objectifs spécifiquement successoraux que révèlent les
dispositions assurant le maintien de l'indivision sont aussi préparatoires à
i
l'attribution préférentielle d'un bien indivis à un successible?". Les
partisans'"" de la tex rel sitae pour la durée de l'indivision, concèdent à la
loi successorale cette attribution dont elle relève. Primitivement cantonnée
aux seuls immeubles, l'attribution préférentielle a été depuis étendue aux
meubles?". L'assouplissement des conditions de mise en œuvre de cette
institution en a permis une utilisation fréquente. La jurisprudence par
ailleurs en a accru le domaine d'application?". L'attribution préférentielle
dérogeant aux principes classiques du partage répond à une double
considération: économique d'abord en ce qu'elle évite le démantèlement
de l'unité de production dont le règlement successoral risque d'entraîner la
désintégration
et
l'éparpillement
des
éléments
familiale
ensuite
puisqu'elle concrétise le souci de maintenir les conditions antérieures au
décès de certains hériticrs'v'. Ces considérations sont telles que prises
isolément, l'une ou l'autre ne suffit pas à fonder l'institution dans son
ensemble'v'. Par conséquent on ne peut se satisfaire d'un parti pris en
faveur de l'une ou l'autre considération. Aussi cela rejaillit-il sur le choix
de la qualification et obscurcit la recherche.
618 cf: M. GORE, thèse précitée p. 192.
619 cf: H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité, n? 664.
620 En droit français l'extension résulte des lois du 19 dec 1961 et du 4 juillet 1980 pour le
fonds de commerce, le droit au bail du local d'habitation et les objets mobiliers à usage
professionnel, du 10 juillet 1982 pour l'exploitation sous forme sociale, du 29 nov 1966 (article
24) à l'égard des parts de sociétés civiles professionnelles.
621 L'extension de l'institution aux indivisions conventionnelles ; Casso civ. 17 oct 1984, Rev.
trim. dr. civ. 1985. 598.
622Cf: M. GORE, thèse précitée, p. 196.
623 Pour une affirmation du courant duraliste en jurisprudence: Casso civ. 7 juin 1950 D. 1950.
413, note LENOAN; Casso civ. 15 nov. 1966, Bull. civ. 1, n? 511.

297
Le recours à la méthode des lois de police a été d'abord
préconisé. M. MAYER range dans la catégorie des lois de police
l'attribution préférentielle car estime-t-il, le respect des lois de police
« importe non seulement aux particuliers qu'elles visent directement, mais
à une collectivité plus large »624. Ainsi la loi successorale étrangère ne
saurait s'opposer à la faculté de réclamer le bénéfice de l'attribution
préférentielle concernant une' unité économique exploitée dans le for.
L'attribution préférentielle, il est vrai, permet d'éviter le démantèlement de
l'unité de production. Elle assure ainsi la protection des intérêts de la
collectivité. Aussi peut-on exiger justement l'application territoriale des
dispositions qui la régissent quelle que soit la loi désignée pour régler la
situation. Mais on ne peut de même négliger les intérêts privés en cause car
l'attribution préférentielle participe aussi à l'égalité successorale. Aussi les
intérêts des héritiers doivent-ils être protégés. Ces intérêts représentent des
droits purement privés qui n'ont rien de public et n'intéressent point à
première vue la collectivité. La solution qui consiste alors à recourir aux
lois de police doit être écartée, d'autant plus qu'il est malaisé voire
arbitraire de déceler dans les règles un objectif de police ou des intérêts
privés. Les dispositions qui réglementent l'attribution préférentielle sont
de surcroît supplétives. Elles ne s'appliquent pas automatiquement. Ce
n'est qu'en l'absence de volonté contraire du défunt ou de ses héritiers que
la faculté de réclamer le bénéfice de l'attribution préférentielle est
accordée. Encore faut-il que le futur bénéficiaire manifeste son intention
de voir s'exercer cette modalité exceptionnelle du partage c'est-à-dire
l'attribution préférentielle. En réalité cette institution n'est pas d'ordre
,)
,
publier". Les seules considérations économiques ne peuvent justifier donc
la qualification de loi de police. De plus, et c'est encore une autre
624Cf: P. MAYER ,"Les lois de police étrangères", Clunet 1981 p. 277 et s.
625Cf: F. TERRE et Y. LEQUETTE, Précis, n" 938.

298
objection au recours à la méthode des
lois de police en matière
d'attribution préférentielle, cette qualification aboutit inévitablement à une
réponse fragmentaire car elle ne s'attache qu'à prendre en compte la
singularité des biens. Le traitement homogène du patrimoine héréditaire,
du coup, est mal assuré. Aussi seule la méthode conflictuelle permet-elle
d'y remédier, d'offrir à la relation successorale internationale un traitement
approprié.
La qualification successorale en revanche proposée par la
doctrine ne convainc pas entièrement. Aux yeux des partisans d'une telle
thèse, ce sont les considérations familiales qui permettent de rattacher
l'institution à la catégorie successorale. Pourquoi alors privilégier cet
argument
familial
au
détriment
de
celui
qui
tient
compte
des
considérations économiques. La seule prise en considération des buts
pourSUIVIS ne saurait d'avantage convaincre, au risque d'impliquer un
dépeçage de l'institution. La fonction de
l'attribution préférentielle
dépasse les seules considérations familiales ou économiques. L'attribution
préférentielle .s'attache à déterminer la dévolution d'un bien spécifique en
l'absence de (volonté contraire du de cujus. En pareil cas, ce bien est
attribué à celui à qui il peut être utile. Lorsque le défunt exclut par
. testament le bénéfice de l'attribution préférentielle d'un bien, cela révèle
encore une fois la fonction successorale de l'institution. De surcroît, c'est
,
au regard de la loi successorale qu'est apprécié le poids de la volonté du de
i
cujus sur l 'attribution préférentiellef". C'est pourquoi on ne saurait rejeter
;
l'utilité de l'attribution préférentielle dans le contexte successoral. En
j/
i
réalité on estimef" que si l'attribution préférentielle relève bien de la
catégorie successorale, c'est parce qu'elle affecte simultanément deux
626 cf: M. GORE, thèse précitée, p. 200.
627 cf: M. GORE, thèse précitée, p. 201.

299
pnncipes successoraux
celui de l'égalité et celui de l'unité de la
succession,
Le premier, gouvernant la dévolution, appelle à juste titre la
qualification successorale de l'attribution préférentielle. En effet cette
institution tend à remédier aux inconvénients de la stricte égalité en nature.
Ainsi le copartageant à qui la totalité du bien ou l'ensemble des éléments
composant une unité est attribué est tenu de verser une soulte aux autres.
Dans une telle hypothèse, l'égalité est établie mais en valeur. La fonction
successorale remplie par l'institution justifie donc son rattachement à la
catégorie
successorale.
Cette
qualification
successorale
trouve
une
nouvelle application dans le domaine de la gestion de la masse indivise.
PARAGRAPHE II :
LA GESTION DES BIENS INDIVIS.
En la matière la teneur des règles prescrites est liée au
caractère provisoire ou non de l'état de l'indivision. Au caractère précaire
et inorganisé de l'indivision, la loi a substitué le caractère durable et
organisé. Plus l'indivision sc prolonge plus il apparaît indispensable de la
doter
d'un
régime
cohérent
fixant
les
droits
et
obligations
des
coindi visaires et capables d'en assurer la gestion et d'en garantir la
stabilité.
Le choix de la loi applicable à la gestion des biens indivis
compte tenu du caractère durable de l'indivision, fait apparaître les
hésitations déjà rencontrées autour de l'option entre la lex successionis et
la lex rei sitae'"'. L'éviction de la loi réelle peut paraître illusoire tant qu'il
(1
;
n'est pas démontré que la loi successorale puisse assumer la protection des
intérêts des tiers. En effet la loi réelle, du fait de la survie de l'indivision,
est mieux apte à assurer cette protection des droits des tiers qui ont

300
contracté ou qui contractent avec un ou plusieurs indivisaires. Mais a
priori, il n'est pas exclu que la lex successionis puisse jouer le même rôle
et confirmer ainsi son applicabilité à l'ensemble du régime de l'indivision.
En
premier lieu,
il est
des
opérations qui
relèvent
incontestablement de la compétence de la loi successorale. Il en va ainsi de
la désignation des personnes habilitées à administrer la succession. Si la
détermination des indivisaires coïncide avec la désignation des héritiers, la
compétence
de
la
lex successionis
est
confirmée.
Cependant
les
indivisaires peuvent céder leurs droits à des tiers et de ce fait une
modification de la situation antérieure des indivisaires pourrait soulever
quelques difficultés. On a soutenu qu'il est difficilement concevable que
« la gestion des biens indivis puisse être durablement soumise à une loi
étrangère: le crédit des tiers risquerait trop d'en souffrir »629 Evidemment
la protection des tiers passe par l'application de la loi à laquelle ils se sont
fiés et sur laquelle ils se sont engagés. Mais il reste que cette éventualité ne
,
condamne pas' pour autant l'application de la loi successorale car par
diverses
techniques à savoir le droit de préemption et le retrait
successoral?", ila finalité sociale de l'institution par rapport aux moyens
i
utilisés est toujours réalisée. Toutefois l'argument doit être nuancé. En
effet si le droit de préemption ou le retrait successoral n'est pas exercé, on
618 cf: supra p. 117. s .
619 cf: J. HERON, op. cit. n? 154, p. 123.
630 Ainsi grâce au droit de préemption, tout coindivisaire en proposant, de racheter la part de
l'héritier, cédant au même prix et conditions qui ont été notifiées à travers l'acte extra-
judidicaire rendu obligatoire pour la cession d'une quote part de la masse indivise, peut faire
échec à la cession consentie à un étranger à l' indi vision. Ainsi est préservée la dévolution de la
masse indivise rien qu'aux héritiers du défunt (cf, art 456, al 3 du C.F.). Le retrait successoral
en droit français est destiné à éviter aux familles, "qu'on associe des étrangers que la cupidité
ou l'envie de nuire aient pu seules les déterminer à devenir cessionnaire".
La Cour de cassation s'est prononcée en faveur de la loi successorale dans le cas d'un Maltais
mort à Constantine où il laissait des immeubles, mais sans jamais avoir été admis à domicile en
France. Deux de ses héritiers après avoir cédè leurs droits successifs ont entendu opérer un
retrait. La cour énonçait que le retrait «était inhérent à la qualité d'héritier» ; «la loi qui
régissait la transmission était aussi celle qui réglait l'exercice de ce droit », Cf: Casso civ., 8
mars 1909, Rev. crit. 1909.893.

301
s'explique mal que les tiers puissent se voir imposer pour la gestion de
l'indivision les règles de la loi successorale qu'ils ignorent. Par conséquent
cela
ne
justifie
plus
entièrement
l'extension
de
la
qualification
successorale. (Mais quoi qu'il en soit, la cession des droits d'un indivisaire
à un tiers ne saurait remettre en cause la compétence de la loi successorale,
i
comme nous ~e verrons plus loin.
!
En second lieu la compétence de la lex successionis
s'applique naturellement aussi aux pouvoirs des indivisaires. Remarquons
que l'appréciation de l'étendue de ces pouvoirs est indissociable du
règlement successoral d'ensemble dans la mesure où la nature de la règle
de qualification dégagée pour la saisine ou l'exercice des droits du
défunt'r" y trouve une nouvelle application. En effet l'attribution de la
saisine n'a de sens que si elle emporte ses effets possessoires: exercice
effectif des droits de l'héritier sur la succession. La désignation des
personnes habilitées à administrer la masse indivise ne peut être dissociée
de l'étendue des pouvoirs qui leur sont conférés. L'intégration de
l'administration de la masse indivise à la catégorie successorale en est la
conséquence.
Si la compétence de la loi successorale ne se discute pas, il
est néanmoins des interrogations qui subsistent au regard des droits des
tiers qui contractent avec un ou plusieurs indivisaires. La gestion de la
masse indivise n'est plus alors neutre lorsque des droits indivis ont été
cédés à des tiers. L'emprise de la loi réelle reprend ainsi du terrain. Les
tiers, en effet, s'étaient naturellement engagés en fonction de la protection
que leur assurait la loi de situation de la masse indivise en vigueur au
moment de la conclusion de leur contrat.
Faut-il alors ignorer la
compétence de la lex rei sitae? En toute rigueur, la réponse est négative.

302
Pour appuyer une telle affirmation, on peut convemr avec le Doyen
Batiffol que « un contrat est un ensemble psychologique et économique :
1
le dissocier en autant de lois quil engendre d'obligations diversement
localisées serait le type de morcellements contraires à l'application
rationnelle d'une loi quelconque »632. La compétence de la lex rei sitae est
quasiment inéluctable. Et pourtant c'est la qualification successorale qui
semble s'imposer.
D'abord lorsqu'un acte est accompli avec l'accord unanime
de tous les indivisaires, l'acte est indiscutablement opposable aux tiers.
Aussi pour fonder la solution affirmative ci-dessus, l'application de la loi
réelle ne s'impose pas. Il en est ainsi parce que l'ensemble des systèmes de
droit comparé en matière d'indivision et quel que soit le principe retenu ici
et là, s'accorde pour valider les actes accomplis à l'unanimité des
indivisaires. Autrement dit l'application de la loi réelle ou de la loi
successorale étrangère aboutirait à la même protection des droits des tiers.
L'application de la loi successorale ne ruine donc pas les intérêts des tiers.
Ensuite, l'acte dont il s'agit peut être accompli par un seul
indivisaire et à ce propos les divergences considérables que révèle le droit
comparé pour ce qui est de l'étendue des; pouvoirs conférés aux
indivisairesv", incitent à réflexion. Toutefois .1'articulation des divers
ordres n'est pas impossible. D'ailleurs l'inopposabilité de l'acte accompli
par un seul indivisaire est consacrée de façon générale par la loi réelle et
par la loi successorale'i". Dans ces conditions là' ~pmpétence de la loi
successorale ne ruinerait pas la gestion de la masse indivise que l'on
631 cf: supra p. 2E11...
632 cf: H. BATIFFOL, Traité, n? 268.
633
M. FERID : "Le rattachement autonome de la transmission successorale en droit
international privé", Rec. Cours la Haye 1974, t. '142, p. 135 et s.

303
voudrait régie par la loi réelle. Par ailleurs la compétence de la lex
successionis ne suscite pas plus de difficulté que la loi réelle qui en outre
méconnaîtrait les ensembles législatifs?".
La compétence de la loi successorale confirme somme toute
la cohérence de la chaîne successorale à l'ensemble du régime de
l'indivision. En cela , on ne peut qu'approuver la sourmsston de
l'indivision à la loi du lieu d'ouverture de la succession en droit
sénégalais. Ce qui dans une certaine mesure confirmerait les propos de M.
F. BOULANGER qui estime que «la seule loi du domicile du défunt
paraîtrait
plus
appropriée
pour
régir
l'ensemble
des
questions
d'indivision» 636. Néanmoins il propose de corriger cette compétence, dans
le cas de cession par un indivisaire de ses droits, par l'application de la loi
du contrat et par une compétence exceptionnelle de la loi de situation des
biens qui interviendrait pour se prononcer sur un éventuel accroissement
de la masse indivise ou la subrogation d'un bien au cours de l'indivision.
La compétence de la loi successorale entendue en droit sénégalais comme
celle de la loi du lieu d'ouverture de la succession (loi du domicile du
défunt), est donc textuellement acquise en ce qui concerne le régime de
l'indivision. Celle-ci régit la mise en possession des héritiers en quelque
sorte la saisine. Cette loi assure ainsi une identité de traitement des
questions qui
présentent entre elles des
liens étroits.
Cette même
i
compétence sera étendue au partage de la succession. Mais d'un autre côté,
cela relance le débat sur l'identification de la loi successorale en droit
sénégalais. La loi du domicile est compétente en droit français pour les
i
successions mobilières. C'est la loi successorale. Qu'elle soit approuvée
634
En droit sénégalais toute cession par un indivisaire soit à un coindivisaire soit à une
personne étrangère à l'indivision doit pour être opposable aux autres co-indivisaires et au
gérant, leur être signifiée ou acceptée par eux (article 458 du C.F. o •
635 cf: M. NEVOT, thèse citée par M. GORE, p. 209.
636 F. BOULANGER, "Successions internationales", op. cit., p. 300.

304
pour régir l'indivision, ne signifie pas qu'elle puisse être transposée
aveuglément en droit sénégalais même si les deux droits internes se
rapprochent l'un de l'autre sur certaines questions. Ou bien on confirme
l'existence
en
droit
international privé
sénégalais
de
deux
lois
successorales. Mais alors, il nous reviendrait évidemment de refuser toute
reformulation de la solution de principe malheureusement. Ou bien on
maintient le principe de solution et, dans ce cas, proposer la suppression de
la réglementation prévue à l'article 847, alinéa 2 du C.F. Il faut choisir et à
notre avis, ce choix est tout simple. La loi successorale en droit sénégalais,
c'est la loi nationale. C'est donc elle qui va régir le régime de l'indivision
et le partage de la succession.
SECTION II:
LE PARTAGE DE LA SUCCESSION.
Les expressions « partage de la succession» n'ont pas été
. utilisées expressément par le législateur en droit sénégalais. A l'article
. 847, alinéa 2.du C.F. seul est visé le partage de l'actif. Cette formule est
néanmoins complétée par « le règlement du passif» une autre formule qui
rétablit le partage de la succession proprement dit. Le partage met un terme
à 1'indivision et consacre par sa réalisation la désintégration du patrimoine
du défunt. Il permet en effet à chaque héritier de réaliser son droit à une
portion de 1'hérédité. Mais avant cette phase ultime il faudra reconstituer la
masse à parta~er (Paragraphe 1) pour ensuite se prononcer sur la nature
même du partage (Paragraphe II).
PARAGRAPHE 1: LA RECONSTITllTION DE LA MASSE PARTAGEABLE.
De son vivant, le défunt a pu, par testament, avantager l'un
de ses héritiers en lui faisant une libéralité. Cela se produit souvent et
aucune disposition ne l'interdit sauf au de cujus de respecter les limites
prévues afin de ne pas exhéréder entièrement les successibles. Il s'agit

305
notamment du respect de la réserve héréditaire. Evidemment, en conférant
un avantage à un héritier, le de cujus remet en quelque sorte en cause le
principe de l;'égalité successorale. Aussi les autres héritiers peuvent-ils
exiger le rapport de la libéralité à la succession. En fait on se pose la
question de savoir si cette libéralité a un caractère préciputaire ou constitue
i
un avancement d'hoirie.
Les indivisaires tiennent leurs droits de la loi successorale
dont on a pu montrer l'extension au régime de lindivision?". C'est dire
que la loi successorale s'applique aux rapports des donations aux fins de
reconstitution de la masse partageable. Mais on ne saurait toutefois ignorer
le fait que le rapport suppose l'existence d'une libéralité antérieure, d'où la
tendance à invoquer la compétence de la loi de la donation. A l'appui de
cette thèse on invoque les solutions qui ont prévalu à propos des conflits
de lois dans le temps?". Elles n'ont pas reçu l'accord unanime et la
j urisprudence française ne s'est pas non plus engagée sur cette voie639. Par
ailleurs l'idée selon laquelle le rapport se révèle comme un moyen de
protection familiale visant la capacité de l'auteur au jour de la libéralité
aux fins de consacrer la compétence de la loi personnelle du défunt''", n'a
pas non plus, animé la jurisprudence, L'objectif essentiel du rapport est
plutôt de maintenir l'égalité entre héritiers et sur ce point il est donc
successoral. Dans ces conditions la compétence de la loi successorale ne
peut être démentie. Aussi par rapport au droit international privé sénégalais
la réponse à la reconstitution de la masse partageable se révèle-t-elle moins
complexe. En effet en droit français la distinction entre loi successorale
mobilière et loi successorale immobilière ne facilite guère les choses et le
~ i
637Cf: supra. p. z.~&.
638 cf: supra p.
H5.
639 Sur ce point cf: MAURY et VIALLETON, op cit, n? 623.
MUcr: L. BOYER, Rev. crit. 1949, p. 230.

306
rapport en
tant que
tel ne
pourra que
difficilement échapper au
fractionnement du règlement successoral?".
Mais en droit sénégalais dans la mesure où le législateur ne
distingue pas entre loi successorale immobilière et loi successorale
mobilière, de même aucune distinction ne sera faite dans la reconstitution
de la masse partageable. C'est dire que le rapport ne sera envisagé que
relativement à la succession toute entière même s'il doit concerner un bien
meuble ou immeuble. Il en sera de même lorsqu'on évoquera la réduction
des libéralités.
Mais en réalité, la difficulté n'est pas résolue pour autant.
Elle est seulement déplacée car le législateur a adopté et c'est encore le
moment de le souligner, deux lois successorales (la loi du lieu d'ouverture
de la succession et la loi nationale du défunt; la loi du lieu de situation des
immeubles et fonds de commerce n'intervient que pour les modalités
techniques de transfert de propriété). Cette double réglementation revient
encore au niveau des dispositions de l'article 848 du C.F.
: L'alinéa 5 de ce texte dispose que « la quotité disponible et
le droit à réserve des héritiers se déterminent selon la loi nationale du
défunt. Le mode et l'ordre de réduction des libéralités sont régis par la loi
du lieu d'ouv6rture de la succession ». Selon le texte, pour la réduction des
libéralités c'est la loi du lieu d'ouverture qui reçoit application. Par contre
relativement ~u rapport rien n'a été prévu. Mais en suivant une certaine
logique qui voudrait que le rapport intervienne pour rétablir l'égalité
successorale, on appliquerait sans se tromper la loi nationale du de cujus
afin de sanctionner les donations déguisées et les libéralités faites en
méconnaissance du droit à réserve des héritiers. En effet le rapport tend à
641 cf: F. BOULANGER, "Les successions internationales ...", op. cit., p. 303.

307
une reconstitution abstraite de la masse pour maintenir l'égalité. A ce titre
c'est un objectif successoral éminemment lié à la dévolution. Ainsi tout
comme la dévolution, il serait soumis à la compétence de la loi nationale
du défunt en droit international privé sénégalais.
En somme deux lois à savoir, la loi nationale et la loi du
lieu d'ouverture de la succession gouvernent la reconstitution de la masse
,
partageable. La première régit le rapport, la seconde, le mode et l'ordre de
réduction des libéralités. Mais tout cet édifice ~'écroule lorsque la loi du
domicile ignore par exemple le rapport. On ne peut dès lors accepter de
f
soumettre à deux lois différentes une seule et même institution et suivant la
i
mise en œUVf;e de cette institution, faire régir le principe, ici, le rapport par
la loi nationale et ses effets, là, le mode et l'ordre de réduction par la loi du
domicile. Un règlement cohérent capable de préserver la transmission de la
succession, exclut un tel résultat. Rapport d'une part, mode et ordre de
réduction des
libéralités d'autre part,
doivent alors
relever de la
compétence de la loi nationale, la loi successorale.
PARAGRAPHE II:
LA FORME DU PARTAGE.
Le passage de l'indivision à l'attribution privative de part
successorale, peut entraîner la modification de la nature des droits des
cohéritiers. Selon les idées reçues de BARTIN et développées par NIBOYET,
elle serait de la compétence de la loi de situation des biens?". Mais ces
idées ne tenaient pas compte de la dépendance étroite entre dévolution et
partage et dans ces conditions, c'était oublier que « le partage concrétise
les règles de dévolution qui gouvernent la masse
1)
»643.
A propos de
!
l'indivision nous avons démontré combien il est indispensable de retenir la
642C f : F. BOULANGER, Les successions internationales ..., op. cit., p. 306; NIBOYET, Droit
international privé français, t. IV, n? 1373 et s.
MJcf: P. LAGARDE, Répert. Droit international, mot,"Partage", p. 1-3

308
compétence de la loi successorale compte tenu de la conception?" qu'avait
le législateur, 'de l'organisation de l'indivision et de son prolongement et
surtout, des rapports entre les ayants droit du défunt. A vrai dire, le partage
suppose
une: composition
des
lots,
réalisée
par
des
spécialistes
(commissaires! priseurs, notaires), un tirage au sort et une homologation
par les tribunaux. Dans ces conditions, la compétence du tribunal de
i
situation des biens - pour ici revenir à la coïncidence entre compétence
. législative et compétence juridictionnelle - aboutirait dans sa mise en
œuvre (réalisation des opérations de partage) à un règlement successoral
morcelé. En effet suivant cette solution (compétence de la loi du lieu de
situation des biens et compétence des tribunaux de ce même lieu), la
distinction succession mobilière - succession immobilière est aussitôt
réintroduite. Or en droit international privé sénégalais une telle distinction
a été déjà rejetée?".
D'ailleurs la solution retenue par le législateur sénégalais
nous paraît assez opportune'r" quand bien même elle procéderait d'une
confusion
entre' le
règlement
successoral
interne
et
le
règlement
successoral international. En fait en retenant la compétence de la loi du
lieu d'ouverture de la succession pour le partage de l'actif (article 847
alinéa 2 du C.F.), le législateur entretient la cohésion entre l'indivision et
le partage. Les deux opérations relèvent en effet de la même loi. C'est dire
qu'il est fait abstraction de la situation des biens meubles ou immeubles. Il
n'y a qu'une masse fictivement localisée au domicile du défunt (lieu
d'ouverture de la succession). La compétence des tribunaux du lieu du
,:
domicile du défunt apparaît alors 'assez protectrice d'un règlement
d'ensemble des questions successorales.
644 cf: supra p.
2.90.
645 cf: supra p.
"en.
646 Ces propos ne doivent pas faire croire à l'abandon de la compétence de la loi nationale.

309
Le texte de l'article 847, alinéa 2 du C.F. ne fait aucune
distinction lorsqu'il vise le partage de l'actif. Or celui-ci revêt deux formes
à savoir : judiciaire et amiable. En droit interne ces deux formes sont
respectivement prévues et réglementées par les articles 470 et 464 du C.F.
Faut-il alors, puisque le texte garde le silence sur la forme du partage en
droit international privé, bannir la distinction et n'appliquer que la loi du
lieu d'ouverture de la succession au partage amiable et au partage
judiciaire? De prime abord, la réponse est affirmative car il n'est point
question de distinguer là où la loi n'a pas distingué. Par conséquent qu'il
s'agisse du partage amiable ou du partage judiciaire, le texte de l'article
847, alinéa 2 du C.F. reçoit application tant pour les questions de fond que
pour celles de forme. M. DENNERy647 ne soutenait-il pas dans sa thèse
qu'en matière de partage, les parties tiennent leurs droits et leurs devoirs
de la loi applicable à la dévolution, fustigeant ainsi toute transposition des
principes relatifs aux contrats en matière de partage. En décider autrement
serait synonyme d'une liberté accordée aux copartageants d'éluder les
règles relatives à la répartition de la succession.
Néanmoins on pourrait concéder aux héritiers une certaine
liberté pour ce qui est exclusivement de la forme amiable du partage. L'on
appliquerait à cet effet la règle « locus regit actum » et on s'en limiterait là.
Quoiqu'il en soit il revient à la loi du domicile du défunt de
dire si la forme judiciaire ou amiable peut être retenue. La présence
d'héritier mineur dont la loi nationale pourrait éventuellement prohiber le
recours à la forme amiable ne remettrait point en cause la compétence
exclusive de la: loi du heu d'ouverture de la succession.
,
647 cf : R. DENN~RY, "Le partage en droit international privé français: conflits de lois et
conflits de jurictions. Paris 1935. p. 24
!

310
Il reste que si la distinction partage judiciaire, partage
amiable peut être faite, elle aura nécessairement une répercussion sur la
garantie au profit des cohéritiers que constitue la rescision pour lésion du
partage. L'action elle-même relève de la compétence de la loi successorale.
Quant à l'autre garantie du partage qu'est le privilège du copartageant,
portant sur des immeubles, la loi successorale se reconnaît également
compétente.
Enfin s'agissant du
recel
successoral,
l'hésitation est
permise. Soit on le considère comme un délit. Auquel cas la réparation
serait soumise à la loi du lieu ou le délit a été commis soit comme un désir
de la loi successorale de prévenir certains détournements d 'héritiers envers
les copartageants. Ce n'est toutefois pas inéluctable car l'objectif poursuivi
par la sanction du recel, l'égalité entre les héritiers, est éminemment
successoral. Au cas échéant la loi successorale s'appliquerait. Mais faut-il
encore que sa désignation et sa mise en œuvre soient encadrées par des
règles bien formulées, gage d'un règlement d'ensemble de la succession.

311
CONCLUSION

312
Parvenus au term~ de ce voyage! sur le flot tumultueux des
questions soulevées par le règlement des successions internationales en
droit sénégalais, il est tout à fait légitime de tirer la conclusion que
l'élaboration: d'une règle de rattachement pour les successions en raison
des différents aspects que présente la matière, n'est pas chose facile. Le
droit des successions repose avant tout sur un devoir familial, il est lié à
l' organisation de la famille, à la conception de la famille. Mais aussi, il
intéresse les [tiers dont les intérêts doivent être protégés. Par ailleurs il est
au confluent de plusieurs droits dont il assure la synthèse. Sous ces divers
aspects, l'unité de la succession rencontre des difficultés non négligeables.
Le choix d'une règle de conflit alors capable d'assurer un règlement
cohérent de l'héritage, relève pour le législateur sénégalais d'une aporie.
Aussi a-t-il été conduit à retenir la compétence d'au moins trois lois pour
régir la matière. Mais aujourd'hui, il est plus que temps pour lui de revenir
sur les errements du passé afin de ne plus continuer à "entrer dans l'avenir
à reculons". L'intensification des relations internationales impose plus que
jamais une transformation de la règle de droit international privé, mieux
son adaptation. L'édification d'un Etat-Nation moderne par la recherche de
solutions aux multiples problèmes économiques et sociaux ne peut se
réaliser si la mise en place et le perfectionnement des règles juridiques sont
renvoyés aux calendes grecques. Une solution convenable du conflit
international conditionne donc un règlement harmonieux des relations
internationales et en même temps insuffle au développement de la Nation
un élan considérable. Le système sénégalais de réglementation des
successions
internationales
doit
être
revu.
Fondamentalement,
un
règlement unitaire et cohérent de la succession n'est pas impossible. Tout
dépend de la méthode adoptée à cet effet.

313
En matière successorale, la prise en compte de la notion de
patrimoine qui, d'une part, a une connotation à la fois collective et
individuelle et, d'autre part, constitue le gage des créanciers, permet d'y
parvenir à travers le caractère synthétique de la règle de conflit et sa force
d'expansion.
Déjà, et c'est rassurant, le patrimoine du défunt ne disparaît
pas à sa mort. A l'opposé de la biologie, la mort n'est pas, au regard du
droi t, une rupture. Le patrimoine du défunt est appréhendé dans le temps et
dans 1'espace par la règle de conflit. Tout d'abord ce sont les conceptions
du droit interne qui déterminent le choix de la règle de conflit. Mais
également certains paramètres à savoir la structure du droit des successions
et 1'histoire viennent renforcer ce choix. Attaché au personnalisme négro-
africain dont.la permanence a résisté au temps, le droit sénégalais se doit
i
de réhabiliter: cette règle de conflit unitaire qui rattache les successions au
1
1
statut personnel. Confirmer la compétence de la loi nationale en la matière
,
1
et, éviter ainsi;' de prêter le flan au combat retardateur des partisans de la
loi du domicile qui multiplient les objections. A vrai dire, si l'on considère
les résultats d'ensemble, on s'aperçoit que la loi nationale est plus en
harmonie avec les données spécifiques du droit international privé africain
en général, le droit international privé sénégalais en particulier. Appliquée
aux successions internationales, elle, ne fait que refléter une conception
purement africaine de l'héritage dans la société sénégalaise et satisfait
aussi l'intérêt politique prépondérant de l'Etat sénégalais.
Un
règlement d'ensemble
de
la
succession
en droit
/
international
privé
est
bien
envisageable.
Toutefois
une
condition
fondamentale s'impose car une unité du règlement est tributaire d'une
unité de loi applicable. Or la méthode conflictuelle est seule en mesure de
traduire cette préoccupation. C'est pourquoi la règle de conflit, si elle veut

314
préserver la cohésion du patrimoine héréditaire doit être réexaminée.
D'abord, la règle de conflit doit traduire sans équivoque l'attachement du
droit sénégalais à la tradition personnalisme négro-africain. Ensuite, pour
une mise en œuvre efficace de celle-ci, d'une manière générale, c'est tout
un ensemble de dispositions du droit international privé qui doivent être
revues afin de corriger opportunément les errements, les incohérences et
. les lacunes. Les réformes qui s'imposent ont été déjà évoquées. Nous y
i .
reviendrons pour une synthèse.
: 1°) Le maintien de la loi nationale pour régir la succession
conformément à l'article 841, alinéa 3 avec la suppression des distinctions
et réserves apparues à la fin du texte. S'il s'avère indispensable d'écarter la
i
compétence ide la loi nationale, les textes suivants suffiront pour en
attester.
2°) La reformulation de l'article 847, alinéa premier dans
les
termes suivants
: Les
questions relatives à la dévolution, la
transmission, la liquidation et le partage de la succession sont régies par la
loi nationale du défunt. Ce texte vient confirmer le principe de la
soumission de la succession àla loi nationale du défunt.
3°) La suppression pure et simple de la compétence de la loi
du lieu d'ouverture de la succession aux alinéas 2 de l'article 847, 2 et 5 de
l'article 848 du Code de la famille.
4°) En ce qui concerne les immeubles et fonds
de
commerce, on les considérera toujours comme soumis à la loi du lieu de
i
leur situation. L'expression" transmission" qui apparaît dans le texte de
l'article 847 alinéa 3 du Code de la famille exprimerait alors les modalités
techniques de transfert de propriété des biens immeubles et fonds de
commerce.

315
5°) L'admission du renvoi sans précision de degré assortie
ou non d'une clause de neutralisation.
6°) L'exclusion du domaine de compétence des lois de
police des matières suivantes : l'absence, la disparition, la parenté et
l'alliance.
7°) Le toilettage des textes sur le conflit de lois en matière
de filiation.
8°) Prévoir à la place du prélèvement nationaliste, le
prélèvement compensatoire.
Le droit international privé sénégalais ne pourra pleinement
assurer la permanence de la succession dans le temps et dans l'espace que
si le législateur accepte de réformer.
Le droit international privé sénégalais des successions
gagnerait à remédier à la rupture entre l'élaboration de la règle de conflit et
l'articulation systématique du droit interne. Portalis rappelait que, « il faut
laisser le bien, si l'on est en doute du mieux ». En droit international privé
sénégalais, on n'a pas encore le bien. Il faudra s'y atteler d'abord et ensuite
on pourra envisager le mieux.

316
Annexe
Extraits des dispositions du Code de la famille.
Article 841.
Les droits résultants du présent Code sont exercés suivant
les dispositions de la loi sénégalaise ou d'une loi étrangère dans les
rapports ayant un élément de rattachement avec le système juridique
étranger.
Les lois de pol ice et de sûreté obligent tous ceux qut
habitent le territoire sénégalais. Il en est ainsi notamment des dispositions
du présent Code relatives:
- à l'organisation de l'état civil;
- à la détermination du domicile pour l'attribution de la
compétence judiciaire;
- à l'absence et à la disparition;
- à l'obligation alimentaire, la parenté et l'alliance;
- à la protection de la personne et des biens des incapables;
- à toutes les ~esures provisoires imposées par l'urgence.
: Sont soumises aux règles de la loi nationale les règles
relatives à l'état, à la capacité des personnes, aux régimes matrimoniaux et
aux successions, suivant les distinctions et sous les réserves indiquées aux
!
1
articles ci-après

317
Article 842.
Relèvent de la loi nationale les dispositions relatives au
nom et à la protection de celui-ci, à l'objet et à la charge de la preuve en
matière d'état des personnes.
L'admissibilité des
moyens de preuve de l'état des
personnes et leur force probante sont déterminées par la loi du tribunal
saisi, sauf au plaideur à invoquer la loi du lieu ou le fait juridique est
intervenu.
Article 844.
:La filiation légitime et la légitimation sont régies par la loi
1
qui gouverne leseffets du mariage. La filiation naturelle est régie par la loi
,
nationale de laimère et, en cas de reconnaissance, par celle du père.
[En cas de nationalité différente de l'enfant et de ses parents
prétendus, la loi applicable est celle de l'enfant.
En cas de changement de nationalité de l'enfant devant
résulter de l'établissement de sa filiation, celui-ci peut se placer au
moment qui lui est le plus favorable pour déterminer la loi applicable.
Les conditions de l'adoption exigées de l'adoptant et de
l'adopté sont régies par leur loi nationale respective. Ils doivent satisfaire
aux conditions établies par l'une et l'autre loi lorsqu'elle les concerne tous
les deux.
Lorsque l'adoption est demandée par deux époux, les
conditions exigées des adoptants sont régies par la loi qui gouverne les
effets du mariage.

318
Les effets de l'adoption sont régis par la loi nationale de
l'adoptant et, lorsqu'elle a été consentie par deux époux par la loi qui
gouverne les effets du mariage.
Article 847.
'Les
questions
relatives
à la
dévolution
successorale
concernant la! désignation des successeurs, l'ordre dans lequel ils sont
appelés, la transmission de l'actif et du passif à chacun d'entre eux, sont
!
régies par la loi nationale du défunt.
. ;
!
iSont régies par la loi du lieu d'ouverture de la succession
1
les opérations iconcernant l'option successorale, la mise en possession des
1
héri tiers, l' indi vision successorale, le partage de l'actif et le règlement du
passif.
En cas de succession portant sur des immeubles et des
fonds de commerce, la transmission de la propriété de ceux-ci est régie par
la loi de leur situation.
Article 848.
Le testament est régi quant à sa forme par la loi du lieu où il
a été rédigé, mais il peut également être établi conformément à toute autre
loi expressément choisie par le testateur.
La
dévolution
successorale
par
testament
s'opère
conformément à la loi nationale du défunt. Le règlement de la succession
est régi par la loi du lieu d'ouverture de la succession.
La donation est régie quant à la forme par la loi où l'acte est
intervenu mais elle peut être faite conformément à toute autre loi
expressément choisie par les parties.

319
Les effets de la donation sont, dans le silence de l'acte,
régis par la loi du lieu d'exécution de la libéralité.
La quotité disponible et le droit à réserve des héritiers se
déterminent selon la loi nationale du défunt. Le mode et l'ordre de
réduction des libéralités sont régis par la loi du lieu d'ouverture de la
succession,
Article 849.
Le Sénégalais est soumis à sa loi 'nationale, même s'il est
considéré par un autre Etat comme ayant une autre nationalité.
Lorsqu'une
personne
ne
possède
pas
la
nationalité
sénégalaise, seule est prise en considération la nationalité qu'elle possède
en fait, compte tenu de sa résidence, du siège de ses affaires, de ses
attaches familiales.
L'apatride est régi par la loi du domicile et, à défaut de
domicile, par celle de la résidence, et à défaut de résidence, par la loi
sénégalaise.
Article 852.
Si la loi étrangère applicable renvoie à la loi sénégalaise il
est fait application de celle-ci.
Article 853.
Les tribunaux sénégalais sont compétents pour connaître de
toute action dans laquelle le .demandeur ou le défendeur a la nationalité
sénégalaise au jour de l'introduction de l'instance. Il est fait exception à
cette règle lorsque le jugement rendu s'exécutera nécessairement à
i
1
t
;
!

320
l'étranger ou lorsque les parties renoncent au privilège de juridiction que
leur accorde la loi. Le tribunal territorialement compétent est déterminé par
les règles sénégalaises de compétence territoriale.
Les tribunaux sénégalais sont également compétents dans
les litiges entre étrangers lorsque le défendeur est domicilié au Sénégal ou
lorsque l'élément de rattachement auquel se réfèrent les articles 34 à 36 du
Code de procédure civile pour donner compétence à un tribunal déterminé
se trouve situé au Sénégal.
Le tout sous réserve des règles relatives aux immunités des
agents diplomatiques, des souverains et Etats étrangers et des traités
concernant la compétence judiciaire.
Article 854.
Les jugements étrangers n'ont force exécutoires au Sénégal
que s'ils ont été revêtus de l'exequatur conformément aux articles 788 et
suivants du Code de procédure civile et sous réserve des traités
d'assistance judiciaire et autres conventions diplomatiques.
Cependant, les jugements rendus par un tribunal étranger
relativement à l'état et à la capacité des personnes, produisent leurs effets
au Sénégal indépendamment de toute décision d'exequatur, sauf dans le
cas où ces jugements doivent donner lieu à des actes d'exécution.

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1
octobre
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uniforme
sur
la
forme
d'un
testament
:
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i

332
TABLE DES MATIERES
* *~: :... *'* ** *** ** *
INTRODUCTION
~
7
1ère PARTIE: CONFLITS DE LOIS ET DETERMINATION DE LA LOI
SUCCESSORALE. .
.
CHAPITRE 1 : Le droit comparé et ses enseignements
Z.1
Section 1 : La loi successorale en droit international privé comparé
Z~
Paragraphe 1 : Morcellement ou unité successorale
3.0
Paragraphe II : L'option entre la loi nationale et la loi du domicile
3.6
Section 11 : Modèles de succession en droit interne comparé
!lO
Paragraphe 1 : La succession aux biens
40
Paragraphe II : La succession à la personne
,
,43.
Paragraphe HI : Originalité et irréductibilité
des modèles de succession
~2.
CHAPITRE II : La loi applicable à la succession ab intestat en droit
sénégalais
~
~8

333
Section 1 : Modèle de succession et choix de la règle de conflit en droit
r
r
l '
~9
senega aIs
't'..
Paragraphe 1 : La contradiction résultant de la référence aux droits
français et musulman quant au choix du modèle de succession
59
Paragraphe II : La résolution de la contradiction
~3 .
Section II : Le rattachement de la succession au statut personnel..
66
Paragraphe 1 : La conception du statut personnel en droit international
. ,
, ,
l '
~6
prIve senega aIS
w
Paragraphe II : Critique du rattachement des successions au statut
personnel
7.3
A) Hypothèse du rattachement des successions au statut des biens de
la famille
1$
B) Hypothèse du rattachement des successions à la loi des faits
juridiques;
7.9
C) Le maintien du rattachement des successions au statut personnel. .. ~O
Section III : Compétence de principe de la loi personnelle : conséquence
' .
Bl
du rattachement des successions au statut personnel.
.
i
1
Paragraphe 1 :: Le choix de la loi nationale: la logique
82.
1
i
1
Paragraphe IIi: Détermination de la loi nationale: quelques précisions en
.,
1
ae
matière successora e
9
.
A) Cas du défunt apatride
66.

334
B) Cas du défunt ayant plusieurs nationalités
J~O.
Sect'IOn I V '• Des autres
' .
competences
100.
Paragraphe 1 : Compétence de la loi du lieu d'ouverture de la succession:
1'illogisme
101
A) Méthode d'identification de la loi du lieu d'ouverturede la
.
1
l' fi
.
1
C '
-102.
succession : a qua 1 rcation egeron
.
B) Le lieu d'ouverture de la succession : le dernier domicile du
défunt.
,
1.07
a) La nature du domicile
1.08.
b) Détermination du domicile successoral..
112.
Paragraphe II : Compétence de la loi de situation des immeubles et fonds
de
' .
commerce .une
. '
competence êsid
rest ueIl
117
e.............................................. .
Section V : De' la solution de principe
121
Paragraphe 1 : Difficultés dans l'identification de la solution de principe. . 12l
Paragraphe n!: Reformulation de la solution de principe
1.Z5
j
CHAPITRE III : La loi applicable à la succession planifiée en droit
sénégalais
126
Section 1 : Dépendance de la succession testamentaire par rapport à la
succession ab intestat.
.127

335
Paragraphe 1 : Extension des règles de conflit de la succession ab
intestat.. :
,
1i.7
Paragraphe n : Les dérogations à la règle de conflit successorale ab
.
:
1 15
Intestat. ..:
.."
i
A) Le conflit mobile en matière successorale
1.35.
B) La prise en compte de la volonté du testateur : La problématique
,
d 1 "
fi
. . ."
" 1·1
e a pro eSSIO juns
:1..,
Section II :Forme du testament et loi applicable
1~2.
Paragraphe 1 : Controverse relative à la forme des testaments
1~3
Paragraphe II : La solution sénégalaise en matière de forme des
testaments
:1$9.
Section III : L'anticipation successorale
1~l
Paragraphe 1 : L'institution contractuelle en droit sénégalais
1.6l
Paragraphe II : Les testaments conjonctifs et le droit international privé
sénégalais
..
t70.
CHAPITRE IV : Conflits de systèmes en droit successoral sénégalais. .....17l
Section 1 ~ Le renvoi en droit successoral sénégalais
174
Section II : Le fonctionnement du renvoi
181

336
i
Paragraphe Ii: Le fonctionnement du renvoi dans le cadre du pluralisme
successorial
1.8
Paragraphe II : Le fonctionnement du renvoi dans le cadre du
personnal isme africain
JaL
Hème PARTIE: LE DOMAINE DE LA LOI SUCCESSORALE
.186
CHAPITRE 1 : La dévolution successorale
187
Section 1 : L'énumération donnée à l'article 847 alinéa du C.F
188
Paragraphe 1 : La désignation des successeurs
18a.
Paragraphe II : L'ordre légal de succession
193.
A) L
. .
d
194
r


es principes e repartltlün................................................................
.
B) Mise en œuvre des principes
198
a) Les droits du conjoint survivant
199.
b) Les droits de l'enfant naturel
201
c) Les droits de l' Etat.
llJ(,
Paragraphe HI: La transmission de l'actif et du passif.
~09
A) Critique de l'expression "transmission de 1'actif et du passif' . .......f~D
B) Le contenu de la catégorie "transmission de l'actif et du passif' :
.
, .
91'
vers une une mterprétanon
~
.

338
CHAPITRE II : La transmission de l' acti f.
~53
Section 1: L'appréhension de 1'actif.
Z54
P
h 1
L
·
.
d
héri
Z5S
aragrap e
:
a mise en possession
es
énners
.
Paragraphe II : L'exercice des droits et actions du défunt..
~6l.
Section II : L'option successorale
~66.
CHAPITRE lU : La transmission du passif.
Z?f
Section 1 : L'obligation aux dettes
Z71
Section II : La contribution aux dettes
~79
CHAPITRE IV : Le règlement et le partage de la succession
~B5
S
.
1 . L
, .
d l" d' . .
ZB6
ection
.
e regIme
e
In IVISIOn.
.
P
1 L d
'
dl"
d' . .
290
aragraphe .:
a uree
e
In ivisron
..
A) M .:.
d l" d' . . .
291
am~len
e
m IV1SIOn par convention
..
B)M ' :'
d l'indivi
.
amuen
e
In IVISlon par jugcment..
294
..
1°) Les objectifs spécifiquement successoraux;
294
2°) Les 0 bi
"f:
. ,
ibuti
jecti s accessoires a une attn ution
'~'
. Il
preterentie e
296
..
!
P
h II'·1 L
.
d
bi
. d' .
299
aragrap e
:
a gestion
es
lens in lVlS
.
Section II : Le partage de la succession
~04

339
Paragraphe 1 : La reconstitution de la masse partageable
)04
Paragraphe II : La forme du partage
301
Conclusion
3.11..
Annexe
316
Bibliographie
oZ1.