UNIVERSITE NATIONALE DE COTE D'IVOIRE
ANNEE 1992
Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines
Département d'Histoire
~,
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.' t\\.,
Sous la Direction de :
Présent&gpar :
. Pr Simon Pierre M'Bra EKANZA
LATTE Egue Jean Michel
2
LES
MOTS
CL ES
Abidji
Grand-Bassam
Addah
Guerres
Activités
Huile de palme
Africains
Ivoire
Agriculture vivrière
Jack - Jack
Aïzi
Koueni
Alladian
Lodzukru
Anglais
Manilles
Avikam
Manufacturés
Assinie
Marché
Avagou
Maison de commerce
Baulé
Monnaie
Classes
Mutations
Commerçants
Oboru
Commerce
Odzukru
Confédération
Oléagineux
Cotonnades
Or
Cours
Poisson
Courtiers
Prix
Dabou
Productions
Dabuatchi
Produits
Débarcadères
Pouvoir
Développement
Sel
Dibrim
Société commerciale
Dibrimsj11
Trafic
Echanges
Traitants
Economie
Traités
Embuscade
Traite Négrière
Esclaves
Transacti ons
Esclavage
Tukpa
Européens
Tupka Egn
Eusru
Tyasalé
Exportation
Valeur
Factoreries
Verdier
Fluctuation
Vivriers
Français
Voiliers
Gage
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4
INTRODUCTION
Cet essai sur l'histoire du peuple Odzukru de 1830 à 1898 est dicté par deux raisons
essentielles. D'abord une raison subjective. Les Odzukru constituent un élément de l'ensemble
lagunaire, peuple vivant au Sud de la Côte d'Ivoire dont l'auteur est lui-même originaire. Il s'agit
de montrer l'évolution de cette population au XIXè siècle et de mettre l'accent sur les
bouleversements profonds que la société Odzukru a traversés au cours de ce siècle.
Ensuite une raison objective : cet essai est également motivé par le simple fait que
l'histoire de Lodzukru est inconnue dans son ensemble et qu'elle reste à écrire. En effet, les
études sur le pays Odzukru menées par les chercheurs (H. :ME:MEL Foté ; Marguerite Dupire et
Louis Boutiller, Jean-Marie Mangoueyi et Koby Assa etc ... ) ont porté essentiellement sur le
système politique et les organisations sociales. Au plan national, des études semblables ont été
consacrées aux' organisations sociales et économiques : des Bété (Denise Paulme
1962); des
Gouro (Claude Meillassoux 1964) et sur les Dida (E. Terray 1969). Or, aucune étude n'a encore
été consacrée à l'histoire économique de Lodzukru.
Confronté à des difficultés de sources et d'informations, nous avons procédé par
tâtonnement afin de parvenir à la connaissance de l'histoire de Lodzukru. Pour mieux cerner
cette histoire, nous avons choisi d'étudier les échanges commerciaux en pays Odzukru de 1830 à
1898.
Cette étude portera essentiellement sur les trois derniers quarts du XIXè siècle. Une telle
approche nous aidera à mieux appréhender les causes et les conséquences socio-économiques,
politiques et culturelles survenues dans la région.
La période qui s'étend de 1830 à 1898 correspond pour le peuple Odzukru à une p~riode
de brusques mutations dans les secteurs d'activités sous l'effet simultané de plusieurs facteurs
dont le principal fut le développement d'une économie de marché et modifie chez Lodzukru la
conception de la richesse. La notion d'épargne et d'accumulation en vue de la constitution de
fortunes personnelles ou lignagères se développe. Les échanges commerciaux ont pour but
essentiel de procurer à la population Odzuk.ru des produits de fabrication étrangère et des devises
en monnaies occidentales. Ainsi introduit, l'argent devient le moteur de la société Odzuk.ru.
La société Odzukru s'est formée entre les XYè et XIXè siècles, à la suite d'un brassage
de populations venues d'horizons divers. Les Odzukru seraient venus de l'Ouest, de l'Est et du
Nord(J)
(1) Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Décembre 1984 auprès de Mr. Sylvestre AFF!. parmi les Odzukru, les
populations des villages de Tiaha dans la Tribu de Bobor et Lokp dans la tribu de Lokp seraient venues de la
région de Tyassalé située au Nord de Lodzukru.
- Pendant la période de l'esclavage vers la fin du XIXe s. parmi les populations du nord: Sénoufo, beaucoup
vont imigrer dns le Lodzukru
5
Après sa mise en place et son unification ~ la fin du XVIIè début XVIIIè siècle~) le
peuple Odzukru s'approprie le territoire actuellement occupé par le Lodzukru en repoussant au-
delâde la rivière Anébi les Tchaman (Ebriéjs l'Est(2) et les Abidji au Nord (3).
Les Odzukru primitifsï" constitués par les Oboru appartenaient au grand groupe Krou
ou Magwé ~ui occupe1aujourd'hui .les régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest de la Cote
d'Ivoire. Le territoire occupé par les Odzukru dans leur foyer originel était très exigu et ils
étaient constamment en guerre contre leurs voisins du Nord les bété , Pour éviter les perpétuels
conflits fui les opposaient aux Bété les Odzukru entreprirent un exode en direction du Sud. Ils
traversèrent le Bandama appelé en Odzukru "Djita" et s'installèrent près de la rivière Ira(;) dans la
grande forêt de Cosr, Cet espace s'étend révélé insuffisant pour la culture ils s'engouffrèrent plus
tard dans la forêt/vers l'Est et occupèrent la partie septentrionale de la lagune Ebrié .
Les Odzukru choisissent la forêt pour être d l'abri de toute invasion extérieure. Le choix
de la forêt a été ainsi guidé par un souci stratégi~e. Le premier groupe constitué par les Oboru
serait installé dans le Lodzukru vers le XV è siècle(6~ Ce premier groupe sera rejoint deux siècles
plus tard, c'est- -dire au XVIIè siècle, par un groupe d'immigrants venus du village Alladian
d'Abreby(7~· Ce deuxième groupe, formé par les Aklodzu, est d'origine orientale. En effet,,;' la
suite de la destruction de l'Etat d'Adanse et de sa capitale Adansimanso sous les coups du roi
Denkyera, de nombreux peuples f)ui redoutent la captivité cpuittent le pays Akan en direction de
l'Ouest p. la recherche de zones de refuge. Parmi ces peuples 9ui émigrent du monde Akan se
trouvent les Alladian Ils s'installent, après un séjour bref dans le Sud-Est, sur la langue de sable
séparant la lagune Ebrié
1-
Enquête réalisée à Orgbaffle 28 Décembre 1984 auprès de Mr. Bénoît ESSOR LATTE.
2- Les frontières entre le Lod.zukru et le pays Tchaman ne sont pas encore définitivement établies. Les deux régions
se disputent une portion de terre se trouvant entre l'Agnebi et le village de N'gbraty.
.
- Unité de Lod.zukru réalisée au lendemain de l'arrivée des Aklodzu.
4- Bon fut le premier village Odzukru. Actuellement., c'est la capitale religieuse.
5- La rivière Ira se trouve dans la grande forêt de Cosr
6- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Aoùt 1998 auprès de Mr. Etienne GBOUGBO ESSIS.
7- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1984 auprès de Mr. Bénoit ESSOR LATTE.
6
et l'océan Atlantijue , Fuyant sans doute la traite négrière ,ui sévissait sur la côte des ~uél9uah et
dont les principaux centres d'embarfUement étaient Grand-Lahou Avagou et Addah une partie
de la population d'Abreby traversa la lagune Ebrié et se réfugea dans la partie septentrionale de
la forêt du côté Nord-Est. Aux Oboru et. Aklodzu s'ajoutent des vagues d'immigrants venus du
l
Nord précisément de la région de Tyasalé située au Nord de Lodzukru et des vagues d'esclaves
issues des pays Sénoufo
Dans ce territoire eu'ils occupent entre les fleuves Bandama èl'Ouest et la rivière Agneby
~l'Est, la forêt au Nord et la lagune Ebrié au Sud, les Odzukru sont la troisième couche de
population la mieux connue'] Les premières populations ;, occuper ce territoire et c:. être
identifiées furent des chasseurs cueilleurs d'ethnie inconnue mais fui auraient survécu dans la
région entre 3 000 et 1 500 avant J -C (I), Leur industrie de pierres taillées a été attestée dans
trois villages Odzukru, Orgbaff', Tukpa et Cosr.
Dans les amas de cœuillages de Tchotchoraf près du village de Gaty ont été trouvés des
poteries des saielettes humains et des bracelets de cuivre, Tous ces objets datés montrent qu'au
IVè après J -C
c'est- -dire dans l'antiaiité la région Odzukru était occupée par une population
~i serait des agriculteurs-pêcheurs ..
Enfin
les derniers ~ s'établir dans le Lodzukru sont les Odzukru . En effet, pour des
raisons multiples} guerres .recherche de surfaces cultivables, épidémies, de nombreuses vagues
d'immigrants venues de l'Ouest de l'Est et du Nord envahissent entre les XVè et XIXè siècle la
/
région Odzukru pour donner';:' la suite d'un brassage naissance; une" nation" Odzukru
Les premiers immigrants établis dans le Lodzukru entre les XVè et XVIIIè siècle
occupent les terres septentrionales où ils développent l'agriculture vivrière dominée par la culture
des tubercules (manioc et ignames) et de céréales (mil), La deuxième vague d'immigrants est
installée par les premiers occupants de Lodzukru agissant en f ualité de chef de terre sur la
bordure lagunaire, pour trois raisons (2)
- Pour défendre le territoire Odzukru contre les éventuels invasions par la lagune par~
Tchaman;'l'Est) par les Alladian au Sud et les Avikamll'Ouest
1- Raymond Mauny: Annales de l'Université d'Abidjan série histoire 1972.
2- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988 auprès de M. Etienne GBOUGBO ESSIS.
7
- Pour approvisionner en produits halieuti~es les populations de l'intérieur
- Pour assurer les échanges commerciaux entre les Odzukru et les populations de la Côte
Maritime.
Le territoire occupé par les Odzukru est partagé par deux unités végétales. La forêt et la
savane. L'origine de cette savane demeure encore inconnue, On donne comme cause principale
l'intensité de l'action humaine (défrichement cultures etc ) Or,toutes les traditions s'accordents-
dire pue cette savane existait dé~avant l'installation des Odzukru , L'origine de cette savane
serait alors liée ~des problèmes climatiaies
Après leur installation les Odzukru s'applijuent J;:, se doter d'organisations politico-
sociales, En effet les Odzukru sont organisés en démocratie villageoise et l'activité politiaie ne
l
dépassait guère le cadre du village et de la tribu, Mais les Odzukru sont organisés en huit (8)
.
.
tribus fUi sont des communautés politiaies de villages pourvues d'une unité économÏfle et
religieuse car possédant des terres et des eaux continentales, Ces tribus par le jeu des alliances
ont joué un rôle important pendant la période du" grand commerce" au XIXè siècle car chacune
d'elle assurait de façon rationnelle l'exploitation de ses palmeraies et alimentait en huile de palme
et en palmiste les marchés-débarcadères de son choix 1 Les huit (8) tribus se sont par la suite
regroupées en confédérations ~ Le Lodzukru est organisé en deux confédérations : Bobor et
Dibrirn ,
La confédération est la plus grande communauté polit~ue. Son rôle est principalement
stratégiyue. Il consiste ~ assurer par voie éconornisue et militaire..l'indépendance politiaie de la
société et maintenir son unité (l~ Ainsi pendant la période de la traite de l'huile de palme c'est-z
dire de 1830 t, 1898 avec l'Europe/ chacune des confédérations trouve dans des marchands
européens un instrument de sa politsce hégémonisie, Pour assurer cette hégémonie elles créent
sur le territoire des marchés-débarcadèrespue chacune d'elle anime par un approvisionnement en
produits vivriers et oléagineux (huile de palme palmiste), Le développement des activités
économipues repose essentiellement sur les structures familiales,
La société Odzukru s'insère dans une filiation bilatérale. Le Bossu (matriclan) et
l'Eb (patriclan). Dans le Bosu se rassemblent tous les descendants maternels en ligne
féminine, et l'Eb regroupe idéalement tous les descendants en ligne masculine. Ces deux
systèmes de parenté sont les fondements
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Décembre 1984 auprès de M. Bénoit ESSOR LATf'E,
juridiçues rpi vont dès les XVIè et XVIIè siècles'j! régir l'exploitation des palmeraies..Le Bosu
et l'Eb fui possèdent chacun des terres et des palmeraies sont les véritables animateurs et
organisateurs des échanges commerciaux entre les Odzukru et leurs voisins. Les échanges se font
~ base de troc pour résoudre le problème de monnaie et de communication, malgré, la diffusion de
la langue Odzukru dans tout le bassin occidental de l'Ebrié.
La langue Odzukru ou Modzukru a une origine 9ui s'identifie ë'. celle des premiers
occupants (Oboru) et dont les vagues d'immigrants feront siennes •Cette langue s'est enrichie au
fil du temps par des apports extérieurs. Considérée autrefois comme une langue particulière et
isolée des autres langues du groupe lagunaire fie Modzukru est parlé par les peuples voisins de
Lodzukru (Tchaman Abidji Aïzi Alladian Krobu). Cette langue devient pour les populations
du bassin occidental de l'Ebrié un instrument efficace pour le développement des échanges
commerciaux' entre les peuples' de la région. Devenu la langue des transactions commerciales le
Modzukru permet aux Odzukru de développer des échanges commerciaux avec leurs voisins en
particulier avec les Abidji et les Alladian .
Les échanges régionaux sont dominés par les produits agricoles (ignames mamoc mil et
taro) et des produits de cueillette (huile de palme et palmeraie). Ces produits échangés contre le
sel et le poisson de la côte Alladian contribuent 0.. l'établissement par les Odzukru dans la 2è
moitié du XVIlè siècle et surtout au XVIIlè siècle de relations commerciales avec les sociétés
techni~uement avancées des régions de savane et de forêt ~2)
Les échanges régionaux ont un seul objectif: permettre aux Odzukru moins évolués
techni~uement d'acférir des produits manufacturés (pagnes bijoux en or fusils) de la poudre
d'or et des esclaves (3) Le développement des échanges régionaux favorise dans le Lodzukru
dès la 2ê moitié du XVIIè début XVIIIè siècle la naissance des agricultueurs-traitants ~4)
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 2 Septembre 1987 auprès de M. Samuel SESS.
2- Dans la zone forestière les Odzukru ont très tôt établi des relations avec les Abidji.
J- Les premiers esclaves dans la Lodzukru ont été enregistrés aux XVIIlè siècle. Enquête réalisée à Orgbaff auprès
de SESS Samuel le 2 Septembre 1987.
4- Les échanges avaient lieu après la préparation des champs.
9
Initiés, dès les XVIIè et XVIIIè siècles, aux techni,ues des échanges commerciaux les
Odzukru n'ont pas eu de difficultés ci s'intéresser au commerce. En effet/ le commerce
international9ui prend le pas/au début du XIXè siècle.sur le commerce régional contribue aux
modifications des structures sociales dé Lodzukru , Ainsi 1 de simples producteurs de biens
agricoles et halieutipies1 les Odzukru instruits aux techni~ues des échanges commerciaux vont
se spécialiser dans le commerce entre la côte et l'Hinterland. Le groupe des traitants nés depuis le
cycle du set aux XVIIè - XVIIIè siècles1voit son cercle s'agrandir avec le cycle de l'huile de
palme, au XIXè siècle. Le sel (1) est/ aux XVIIè et XVIIIè siècles/ le principal produit
d'exportation de Lodzukru vers l'arrière pays et l'huile de palme le principal produit d'échange
avec la côte Alladian .
Les échanges commerciaux prati,ués,a~ cours des siècles, précédents en saisons mortes
deviennen~ lpartir du XIXè siècle / des activités lucratives au même titre 47ue l'agriculture et la
pêche
De nombreuses personnes s'y intéressent car le commerce est considéré comme l'activité
9Ui permet un enrichissement facile ~2) Du XVIIè au XIXè siècles; les échanges commerciaux
dans le Lodzukru, ont pour but de permettre ~ la population Odzukru d'aCfUérir des produits de
fabrication étrangère. Le désir d'aCflérir des produits manufacturés européens venant de la côte
Alladian et les esclaves Iles cotonnades et les bijoux en or, oblige les Odzukru ~ s'adonner aux
échanges commerciaux,
Les échanges commerciaux entre les XVIIIè siècle se déroulent sans heurt. Ils permettent
aux Odzukru de lier des amitiés avec leurs voisins, Mais, au XIXè siècle, les échanges
commerciaux sent émaillés de nombreuses crises suite aux tentatives des Français de faire main
basse sur la traite de l'huile de palme. Ainsi, face aux agressions et aux exactions des marchands
et marins français ,les Odzukru divisés depuis le XVIIIè siècle (3) vont s'unir vers la fin du XIXè
siècle afin de protéger la corporation des traitants et maintenir libre le commerce de l'huile de
palme avec la côte atlantiaie
1- Le sel est le produit qui va/aux XVIlè et VXIIIè siècles,dominer les échanges commerciaux entre le Lodzukru et
l'arrière pays.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984.
2-
La fondation de Dibrim se situerait vers la fin du XVIlè siècle au début XVIIIè siècle.
10
Pour le peuple Odzukru, l'huile de palme est depuis la 2è moitié du XVIIè siècle, le
principal produit d'échange avec la côte maritime. Au XIXè siècle/l'huile de palme demeure le
seul produit d'exportation de Lodzukru, Le sel et les produits manufacturés européens permettent
aux Odzukru d'établir, au. XVIlIè siècle/ des relations commerciales avec l'arrière pays- Il n'est
plus désormais fuestion de produire de l'huile de palme 1 le manioc, l'igname et le mil pour les
tr~er contre le sel et le poisson/mais produire pour s'offrir des produits manufacturés
européens et de l'argent __ Les échanges commerciaux dans une société Odzukrudominée par la
gérontocratie vont assurer la Promotion des jeunes
L'avènement de la monnaie dans le Lodzukru donne naissance ~ de nouvelles valeurs
sociales (~) La traite de l'huile de palme lfUi permet) au XIXè siècle 1aux Odzukru de participer au
commerce international est la continuité des échanges commerciaux débutés avec la côte
atlantiaie depuis la 2è moitié du XVIIè siècle. La seule différence ,ui apparat!1 au XIXè siècle}
est l'utilisation des manilles comme moyen de change
Après leur mise en place la constitution des systèmes socio-politltues et culturels et la
langue! les Odzukru entreprennent des conaiêtes et repoussent au déli des rivières Agneby et
Layu les Tchaman et l'Est et les Abidji au Nord, Les Abidji jouent dans le cadre des échanges
commerciaux entre le Lodzukru et les pays de savane au XVIlIè siècle 1 le rôle d'intermédiaires
1
Les pays Abidji et Krobu ont constitué pour le Lodzukru un réservoir important de main-
d'oeuvre serviles : les esclaves (2) Cette main-d'oeuvre servile venue du Nord contribue non
seulement ~ l'accroissement de la production des biens d'échange de Lodzukru en particulier
l'huile de palme mais donne un soufflez l'essor démographiaie du pays Odzukru.
Le territoire occupé par les Odzukru se divise en deux grandes unités végétales, La forêt
et la savane, L'origine de la savane reste encore un mystère, Selon certaines suppositions/
l'homme serait è-l'origine de sa formation et le principal artisan de la dégradation de la flore au
niveau de la rive Nord de la lagune Ebrié, Maiseuant j'nous.nous supposons rue
1- Aux XVIIè et XVIIIè siècles, les coquillages et les perles d'aigri ont été utilisés comme monnaie dans le
Lodzukru, mais l'utilisation était limitée.
2- Selon Bénoît ESSOH LATfE, les premiers esclaves d'origine Abidji seraient arrivés dans le Lod.zukru au XVIlIè
siècle. Cette arrivée se situerait avant l'institution du Low en pays Odzukru.
11
l'origine de cette savane résiderait dans les bouleversements clirnatiçues intervenus dans la
région pendant la période quaternaire (1). Dans la zone forestière, les üdzukru s'attellent ~
développer l'agriculture vivrière, Manioc; igname, taro, mil, Ils s'intéressent aussi c:.l'exploitation
des palmiers ci huile fUi très vite se répandent dans cette zone avec le défrichement des forêts
pnmaires ,
Le palmier;' huile est pour les üdzukru un arbre sacré, la source de vie, Îls est interdit et
tout homme sans raison valable de l'abattre. Depuis les XVIè et XVIIè siècles les üdzukru se
sont adonnés ~ la cueillette des régimes de palme et i la production de l'huile de palme fUi
deviendra le principal produit d'échange de Lodzukru avec son voisin Alladian •
fuant"'la zone couverte par la savane 1 elle a servi au développement de la culture des
céréales en particulier la culture du mil et des arachides 1de l'élevage Ovin et kovin •Ainsi,tous
ces produits constituent ~ partir de la 2è moitié du XVIlè siècle les principaux produits
d'exportation de Lodzukru en direction des pays Alladian et Abidji L'huile de palme est tro uée
sur les côtes Alladian contre le sel marin et les produits agricoles (farine de manioc attiéké et
mil) contre le poisson et surtout contre les morceaux de retUin et de thon J très appréciés par les
populations Ddzukru
Avec le sel et le poisson obtenus auprès des marchands Alladian / les üdzukru
développent un véritable commerce régional en direction des pays Abidji( Abê, Baoulé.Koueni et
Dida, Le développement des échanges commerciaux au plan régional est surtout lié aux besoins
des différentes populations,
64; pays üdzukru/ les°échanges commerciaux ont pour objectif essentie~la satisfaction
des besoins matériels de la population. Les échanges/au cours de la période XVIlè-XVIIIè
siècles/ne concernaient que les produits de luxe: sel poudre d'or, bijoux en or esclaves et
cotonnades (pagnes)
L'expérience aCfuise et les relations établies depuis la période des échanges régionaux
permettent aux üdzukru
de
participer
sans
difficulté 1 au XIXè
siècle1 au commerce
intemational-", La participation de Lodzukru aux échanges internationaux remonte depuis le
XVIlè siècle mais les contacts
1- L'action hwnaine ne peut pas expliquer l'existence de la savane en basse côte car le peuplement humain est faible.
2- Enquête réalisée le 22 Août 1988 à Dibrim.
12
avec les navires européens n'ont eu lieu que par l'intermédiaire des courtiers Alladian, Au cour~
de cette période, les produits d'échange entre le Lodzukru et les interlopes européens ont été
l'ivoire et les esclaves. Ainsi juSfU' ~ l'abolition de la traite négrière en 1815).. Vienne en
Autriche, les Odzukru vont aider les chasseurs d'esclaves Alladian et Avikarn, 4" approvisionner
les marchés d'esclaves de Grand-Lahou Addah et Avagou .
Les échanges commerciaux entre les Odzukru et leurs voisins de la côte maritime ont
toujours été florissants et prospères. Ces échanges connaissent leur apogée au XIXè siècle avec
le développement de la traite de l'huile de palme Cette nouvelle traite est une fois de plus
l'oeuvre de l'Europe
Pour approvisionner leurs industries en matières premières d'origine
végétale les européens ~nouveau fréaientent les côtes du golfe de Guinée et établissement des
r
relations commerciales avec les "princes" des régions visitées. Le désir de contrôler le trafic
commercial d'une région donnée amène certaines puissances européennes ;: y créer 'des
comptoirs.
L'ouverture du bassin Occidental de l'Ebrié et surtout de la région Odzukru aux
influences extérieures suite Q: l'exploration de la région en 1850 par les marins français 1 suivies
trois ans plus tard en 1853 de la construction du fort de Dabou/ fait du pays Odzukru le poste
relais du comptoir de Grand-Bassam, La signature de nombreux traités (traités entre le lieutenant
Bsulay et les villages de Tukpa et Dibrim en Octobre 1850, traités entre la France et Bodor en
Décembre 1886) entre certains villages Odzukru et les officiers de la marine française suivie de
l'accroissement de la production de l'huile de palme suscitent une migration des commerçants
Bambara, Sénégalais et Appoloniens dans le Lodzukru, Ces commerçants africains installés
Grand-Bassam, Dabou .Tupka et Grand-Lahou, certains ; leur propre compte et d'autres agents
des factoreries européennes, s'établissent dans les débarcadères-marchés où ils fondent des
fUartier d'allogènes loin des communautés Odzukru •Ces commerçants seront dans le Lodzukru
al'origine de certains bouleversements socio-religieux.Des mariages seront contractés entre les
traitants sénégalais et des filles Odzukru •Ils seront aussi'; l'origine de l'introduction de l'Islam
dans cette région restée "animiste" juSCjU'~ la fin du XIXè siècle
13
Mais les véritables mutations politico-économiaies et sociales ne se produisent dans le
Lodzukru fu'~la suite de l'implantation dans la région Odzukru des factoreries européennes
entre 1854 et 1864. Cette présence sera suivie en 1896 par l'installation des missionnaires
catholi ues
Dabou Ces missionnaires feront de Dabou le point de départ de la christianisation
du pays Odzukru du bassin occidental de l'Ebrié et de l'arrière pays
Pour mieux s'imposer dans la région Odzukru les Français procèdent;' d,es nominations
de chef supérieur et de chefs de village Ces nominations sont contraires ~la vie politijue de
Lodzukru où le pouvoir est exercé collégialement par les classes d'âge (1), La société Odzukru ne
connait pas de pouvoir centralisé. La vie politiaie repose sur les hommes libres répartis en
fonction de leur naissance dans les sept classes d'âge que compte le Lodzukru 2
C. ) Le pouvoir
dans les faits est entre les mains des hommes riches (Egbregbi)
Avant l'installation des maisons de commerce dans le pays Odzukru, l'essentiel des
échanges commerciaux de Lodzukru, depuis la 2è moitié du XVIlè siècle se faisait avec le pays
Alladian, Les courtiers Alladian grâce aux contacts avec les voiliers européens diffusent dans
tout le bassin occidental de l'Ebrié des manilles. Ces manilles sont utilisées comme monnaies
dans les transactions commerciales. Les différentes crises fui ont jalonné les échanges
commerciaux/ au XIXè siècle1et particulièrement la traite de l'huile de palme ont eu des effets
pervers sur le développement économ~e et social de Lodzukru.. Dépendant du commerce
international depuis l'avènement de la traite de l'huile de palme 1 l'économie Odzukru bat aux
pouls des fluctuations des cours du marché mondial ,
Tous ces points nous amènent i' nous poser un certain nombre de ;,uestions. La
participation de Lodzukru aux échanges internationaux est-elle un acte circonstanciel ou bien les
Odzukru s'y sont-ils préparés ? t'fuels.~.mt été les produits de ces échanges et les partenaires
commerciaux de Lodzukru ? Des structures commerciales existaient-elles icette époaie et yuels
étaient les moyens de change? Enfin quel a été l'impact des échanges commerciaux du XIXè
siècle sur la société Odzukru ?
1- Le Lodzukru compte sept classe d'âge: Abrimâ, M'Bédié, M'Bormâ, N'gbessi, Dodji, Sètê, ndjurmâ,
2- Les esclaves, citoyens Odzukru sont aussi membres des classes d'âge,
14
CADRE
GEOGRAPHIQUE
Le pays Odzukru présente des terrains accidentés avec de nombreux vallons alliant forêt
et savane Le relief est monotone Sa superficie s'étend sur 2 160 km2 entre 4°20 et 4°40 de
longitude Ouest et 5°15 et 5°30 de latitude Nord
Le pays Odzukru est limité au Nord par les pays Abidji et Krobu au Sud par le pays
Alladian
l'Est par le Tchaman (Ebrié)
l'Ouest par les Avikam et au Sud-Ouest par les Alzi
Ses frontières naturelles se composent: au Nord par une série de forêts classées: forêts classées
de Bakanu et de Tébo
au Sud par la lagune Ebrié
l'Ouest par le fleuve Bandama et
l'Est par
la rivière Layu
Le Lodzukru est situé dans le milieu subé uatoriel Il correspond au climat attiéen Les
températures y sont relativement constantes Les moyennes sont de l'ordre de 22° en Février
considéré comme le mois le plus chaud et de 19°5 en Août considéré comme le mois le plus
frais On enregistre par an entre 1700
2000 mm d'eau on distingue dans le Lodzukru deux
grandes saisons et deux saisons intermédiaires ui vont conditionner les activités économi ues
de Lodzukru
- Gbegbn : Grande saison sèche (Décembre-Mars) saison favorable pour les activités agricoles
- Nyam Essus : Grande saison des pluies (Avril-mi-Juillet) C'est la période des récoltes
- Fâpo : Petite saison sèche (mi-Juillet mi-Septembre) Période favorable
l'exploitation des
palmiers huile
- Mewidj : Petite saison des pluies (mi-Septembre mi-Décembre)
Le pays Odzukru est une région bien arrosée par des cours d'eau dont les plus importants
sont l'Agneby le Ira le Layu et l'Adjakmel Cette région est aussi bordée par la lagune Ebrié
Ces cours d'eau et la lagune Ebrié serviront de voies aux échanges commerciaux Le territoire
Odzukru se divise en deux unités végétales: la forêt et la savane La zone de savane en forme de
triangle parallèle la lagune occupe le Sud et le Centre Enfin la zone forestière sur le pourtour
en arc de cercle couvre tout le Nord
15
CADRE
HISTORIQUE
Notre cadre histori ue ui débute en 1830 constitue pour l'histoire commerciale et sociale
de Lodzukru une date importante Cette date mar ue le début de la participation de Lodzukru au
commerce international suivie en 1850 de l'exploration de la région par les marins français
Les Odzukru ont participé au côté des Alladian
la traite négrière mais cette activité
n'avait pas eu l'adhésion de la population
La participation de Lodzukru au commerce
international est
l'origine des mutations économi ues et sociales dans la région
suite au
développement d'une économie de traite et la diffusion des manilles sur la côte par les marchands
anglais Grande zone productrice d'huile de palme et port d'accès de l'hinterland le Lodzukru
.
.
attire les commerçant français Ceux-ci s'y installent dès 1853 après la signature des traités
d'amitié entre les marins français et un groupe de traitants de Dibrim capitale de la confédération
de Dibrim entre 1850 et 1853 (1)
L'établissement des factoreries françaises dans le pays Odzukru permet aux traitants
français d'acheter la production d'huile de Lodzukru de combattre le courtage Alladian et de
contrôler les trafics commerciaux entre la côte et les populations de l'intérieur Par des traités
Dibrim cède aux Français les territoires d'Okobu et de Dabuatchi Le territoire de Dabuatchi sert
la construction du Fort de Dabou en 1853 Ce Fort baptisé Fort "Ducos" sert de poste de police
et ensuite de comptoir fortifié La première action des Français est d'administrer le Lodzukru
Pour assurer leur hégémonie ils font alors table rase de toutes les structures socio-politi ues
existantes Ils procèdent
l'érection du village de Dibrim en capitale de Lodzukru et en la
nomination d'un traitant de Dibrim (Kêtekrê) comme chef supérieur des Odzukru Cette action
des Français suscite l'opposition de toute la population Odzukru Ainsi les Oboru groupe de
populations occupant la partie occidentale de Lodzukru refusent d'aliéner leur liberté et leur
indépendance pour uel ues vieux fusils et des morceaux d'étoffes Ils refusent également de
reconna tre l'autorité française u'ils combattront jus u'en 1898 date de leur soumission Au
cours de cette longue période on assiste au développement et
l'exploitation des palmeraies
principales
1- Deux traités ont été signés entre Français et les Dibrim Egn. Le premier traité a été signé le Il Octobre 1850 et le
second le 10 Octobre 185.
16
sources de revenu de Lodzukru et des produits agricoles Elle favorise aussi l'enrichissement de
Lodzukru et entra ne surtout la libération des üdzukru de la dépendance des Alladian Les
üdzukru vont ensuite s'affirmer comme la puissance économi ue et militaire de la région
L'année 1898 mar ue la fin de la résistance üboru et le début de la pacification de
Lodzukru C'est aussi la période ui mar ue le déclin du commerce de l'huile de palme avec la
chute périodi ue des prix de ce produit Cette crise économi ue entra ne un malaise profond
dans la société üdzukru et l'effondrement du courtage Alladian Toute la côte est 'désormais sous
le contrôle de la France Le pays üdzukru
partir de 1893 sert de tête de pont pour la con uête
coloniale de l'intérieur
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17
METHOLOGIE
Les réponses aux multiples uestions déj soulevées ont nécessité l'utilisation de deux
types de sources Les documents écrits et les sources orales L'utilisation de ces sources permet
d'appréhender dans tous ses contours le sujet traité Les comparaisons permettent de corriger ou
d'éliminer les erreurs ainsi. ue les contradictions et de faire ressortir les ualités et les points de
convergence Avant d'examiner le sujet dans ses différentes composantes nous avons consulté
de nombreux ouvrages de bibliographie afin de répertorier toutes les études et tous les travaux
portant sur le Lodzukru ou sur les peuples voisins Alladian Tchaman Abidji Avikam Krobu et
Abê
Ce premier travail a permis de recenser uel ues .études relatives
notre thème et
la
période concernée Il convient de signaler notre déception pour la rareté des documents et de la
ualité de l'existant Toutefois ce travail préalable a été très utile parce u'il nous a permis de
cerner les difficultés ue nous allons éventuellement rencontrer tout au long de cette étude Nous
avons pu dégager une liste d'ouvrages et noter u'il y a peu d'études consacrées
la Côte d'Ivoire
précoloniale
1- Les sources d'archives
Dans notre uête d'informations notre première action a été de nous rendre
la maison
des Archives Nationales de Côte d'Ivoire située en Abidjan au Plateau près de la Présidence de la
épubli ue Cette maison abrite les fonds d'archives de la Côte d'Ivoire depuis le début du XIXè
siècle Nous avons consulté les différents répertoires ayant un rapport avec notre sujet Après cet
~
examen nous avons retenu un certain nombre de séries BB
DD
EE
et les
microfilms
La série BB : c'est une série consacrée aux correspondances et rapports entre les
gouverneurs des colonies et le gouverneur général
La série EE : elle concerne les affaires politi ues et indigènes hormis les affaires
économi ues Elle a été fort utile En effet grâce
la série EE
nous avons pu avoir des
informations sur la traite de l'huile de palme dans la lagune Ebrié Les traités entre les Odzukru
et les représentants de la France les expéditions punitives des colonnes contre les villages
hostiles
la présence française dans l'Ebrié Grâce
cette série nous avons pu constater le
développement d'une économie de traite en pays Odzukru ainsi ue les tentatives
18
françaises de contrôler le trafic commercial de Lodzukru et en particulier celui de l'huile de
palme entre le Nord et le Sud Bien u'ayant un aspect de politi ue générale les différentes sous-
séries lEE 2EE contiennent aussi des informations sur les mouvements de l'économie dans la
région de l'Ebrié Les télégrammes et les rapports ui les composent sont très importants pour
l'étude de la période précoloniale surtout le XIXè siècle Mais nous avons aussi constaté la
disparition d'un certain nombre de dossiers ui avaient pu nous éclairer dans notre étude
La série DD : cette série concerne les affaires administratives Elle n'a pas été d'une
grande utilité pour notre étude Elle renferme très peu de dossiers sur notre période Mais les
uel ues dossiers compulsés nous ont donné de nombreux chiffres sur les recensements des
populations sur les pressions postérieures notre période et des informations sur les pressions de
l'administration française sur les Odzukru pour maintenir la liberté du c0!TImerce
La série: elle concerne les affaires économi ues financières et minières La sous-
série
ui nous a intéressé regroupe des documents économi ues et financiers L'examen
des documents nous a révélé la progression de la production de l'huile de palme et les efforts
fournis par les producteurs Elle est peu utile pour étude économi ue du XIXè siècle Mais elle
rassemble des informations précieuses sur la période du XXè siècle
La série: elle concerne l'agriculture Mais nous avons tenu
la compulser dans le but
de situer la production de l'huile de palme et son évolution c'est- -dire .sa croissance vers 1897 et
les moyens de production C'est une série ui nous a été d'une très grande utilité
Après les séries manuscrites nous avons aussi compulsé les microfilms 2Mi 2 3 4 Il
s'agit des documents (rapports et correspondances) intéressant la Côte d'Ivoire mais se trouvant
~
en France et au Sénégal Grâce
ces microfilms nous avons pu parcourir la période 1850 - 1900
Nous avons aussi obtenu des informations sur la vie politi ue économi ue et sociale des peuples
vivant autour de la lagune Ebrié
Après ces études nous avons établi 4 types de fiches sur les uelles nous avons noté:
Sur la fiche N° 1 : Des informations portant sur les différentes monnaies utilisées dans les
transactions commerciales ainsi ue les différents taux de change Ceci nous a permis de dégager
les monnaies fortes et les monnaies faibles et surtout de voir
uels moments elles ont été
utilisées
19
Sur la fiche n02 : Nous avons noté les différents partenaires économi ues de Lodzukru et
les produits échangés
Sur la fiche n03 : Avec les uel ues chiffres dont nous disposons nous avons élaboré un
tableau afin de rechercher se de 1830
1898 si la production de l'huile de palme dans le
Lodzukru avait connu une croissance
Sur la fiche n04 : La 4è fiche est la synthèse des trois premières Elle nous a permis de
situer la participation de Lodzukru aux échanges internationaux et leur impact sur la société
üdzukru
Après les archives nationales de Côte d'Ivoire nous nous sommes rendus en Août 1987
aux archives nationales du Sénégal section AüF Les archives nationales du Sénégal sont situées
au sous-sol de l'immeuble administratif Cet immeuble regroupe pres ue toutes les directions
centrales de l'administration sénégalaise A Dakar nous avons consulté le répertoire de la série G
: politi ue et administration générale ui comporte deux sous-séries 2g et 5g La sous-série 2G
concerne les affaires politi ues et militaires de la Côte d'Ivoire et la sous-série 5G les affaires
politi ues administratives et musulmanes de la colonie de Côte d'Ivoire
Les archives nationales du Sénégal ayant fait l'objet d'un classement méthodi ue nous
n'avons pas eu des difficultés
compulser les dossiers dont certains comportent plus de cent
(100) pièces
L'étude des sous-séries 2G et 5G nous a permis de retracer l'évolution des rapports entre
les populations révéraines de la lagune Ebrié et les Français depuis 1842 jus u'en 1898 Nous
avons recueilli
travers les 26 dossiers examinés des informations sur la situation politi ue et
économi ue de la région et surtout sur le développement de la traite de l'huile de palme Nous
avons recueilli des informations sur les installations des maisons et des sociétés commerciales
dans le bassin occidental de l'Ebrié Les maisons de commerce ont été le fer de lance de la
politi ue commerciale de la France en Côte d'Ivoire
L'utilisation pres u'exclusive des dépôts publics a de graves inconvénients
Si ces
archives
permettent d'avoir une
idée exacte et précise
de
l'organisation
politi ue
et
administrative elles ne donnent ue des renseignements incomplets Elles comportent des
lacunes des contradictions des insuffisances et restent empreintes d'un état colonial où souvent
le paternalisme rivalise avec le mépris En effet les documents écrits et les
20
sources d'archives sont pour la plupart rédigés par des témoins extérieurs aux groupes sociaux
étudiés et surtout ignorants leurs motivations Les informations portant sur le commerce (prix
volume réel du commerce et l'évolution économi ue) sont insuffisantes
2- Les sources orales
Elles constituent la deuxième source
ue nous avons utilisée dans la recherche des
informations en vue de l'élaboration de notre travail
C'est véritablement sur ces sources ue
repose cette étude
La société Odzukru comme la plupart des sociétés africaines est une société d'oralité
Tout ce ui révèle du passé est conservé par la mémoire collective et transmise par la parole de
générations en générations Ce sont les sources les plus importantes car elles sont nombreuses
Elles reflètent la pensée et la vision de la société étudiée
L'utilisation de ces sources orales avait pour but la collecte des informations non
contenues dans les documents écrits et de vérifier celles Ul sont rapportées par les fonds
d'archives sources imprimées et ouvrages Mais pour les périodes les plus reculées nous nous
en tenons seulement aux faits contenus dans les archives en faisanit appel
notre esprit criti ue
et de discernement car aucune mémoire humaine ne peut se rappeler avec exactitude de ce U1
s'est passé il y a trois voire uatre siècles
L'objectif étant d'étudier le commerce dans le Lodzukru de 1830
1898 nous avons
choisi compte tenu de leur étendue territoriale et dérnographi ue de l'importance économi ue et
histori ue de visiter les villages de Bobor Orgbaff Lokp Dibrim Turkpa Aklodze Cosr et
Mopoyem Lors de la rédaction de mémoire de ma trise nous avons eu
parcourir les villages de
Bobor Orgbaff Dibrim et Tukpa Le thème étudié aujourd'hui étant très important nous avons
jugé intéressant d'élargir notre champ d'investigations afin de mieux cerner la période de la mise
en place des premières structures d'échanges commerciaux Avec cet élargissement il s'agit
d'évaluer depuis la traite négrière jus u'en 1830
la part de Lodzukru dans les échanges
régionaux et comment ce trafic a-t-il évolué jus u'en 1898 Il convient de noter l'absence de
documentation écrite sur le Lodzukru et même le man ue d'informations précises relatives au
sujet traité sur la période 1830 - 1850
21
Avant de procéder l'en uête nous avons d'abord élaboré des fiches pour cha ue village
visité Pour un même village nous avons mis au point trois types de fiches La première fiche est
consacrée aux migrations et peuplement du village La deuxième fiche consacrée aux différentes
activités économi ues : agriculture pêche artisanat et commerce Sur la partie relative aux
échanges commerciaux nous avons noté les partenaires commerciaux de Lodzukru les produits
échangés les systèmes de change et les principales routes commerciales Enfin la troisième fiche
porte sur la société et la vie politi ue dans le Lodzukru Cette 3è fiche devait nous aider
percevoir d'abord les organisations socio-politi ues
ui ont favorisé l'épanouissement des
échanges et
uel niveau se sont situés les bouleversements socio-politi ues et culturels
la
suite des contacts entre les üdzukru leurs voisins et l'Europe
Les fiches soigneusement élaborées nous nous somm~s rendu dans les villages
Dans nos en uêtes nous nous sommes servis d'un magnétophone
cassette Ul ne
donnait pas toutes les garanties nécessaires pour un enregistrement fidèle Les en uêtes étaient
collectives mais aussi individuelles Nous avons appli ué l'entretien non direct et semi-direct
dans le but de laisser le soin
nos informateurs de dire tout ce u'ils savent sur la période
concernée même si cela n'a aucune relation avec le sujet Cette méthode permettait la collecte de
nombreuses informations et d'éviter la sélection Les entretiens se sont déroulés en présence des
personnes âges chefs de lignages et doyens de classes d'âge L'entretien collectif permettait de
recueillir les informations de plusieurs personnes
la fois Pour les personnes âgées ui ne
pouvaient se déplacer nous nous sommes rendus chez elles pour faire l'enregistrement Dans
certains cas
nous avons appli ué l'entretien direct en soumettant
nos informateurs un
uestionnaire Nous avons aussi rencontré seul certains informateurs pour faire la lumière sur des
,
points restés obscurs ou embarrassants et compromettants pour la communauté villageoise
certains lignages ou certains individus
Les en uêtes collectives comportent de nombreux obstacles car toutes les informations ne
sont pas livrées en public Souvent les informations données aux chercheurs en public sont
tron uées
Nous avons aussi rencontré les femmes ui constituent une véritable bibliothè ue pour la
reconstruction du passé obscur de l'Afri ue En effet dépositaires des histoires des lignages
elles sont également artisanes du développement économi ue et souvent responsable des
modifications des structures sociales
22
Les femmes ne participent pas aux activités politi ues mais elles les influencent par leurs
conseils Ainsi dans le Lodzukru nous avons rencontré des femmes ui ont joué un rôle de
premier ordre dans le commerce de poisson sel et huile de palme nous avons recueilli des
chansons sur les origines de Lodzukru le-s prouesses militaires la généalogie des lignages et sur
la vie politi ue Les femmes sont une source d'informations importantes et très appréciables
Elles sont moins réservées ue les hommes et exigent moins de récompenses Les chansons
(Selû
Alifret) livrent également des informations de grandes importances pour l'écriture de
l'histoire Odzukru elles permettent de remonter loin dans le temps
Nous avons rencontré plusieurs fois nos informateurs pour repréciser certains points Ul
paraissent obscurs Pour un même fait nous avons noté plusieurs versions parce ue seuls les
recoupements et les confrontations des versions pouvaient nous permettre de surmonter les
problèmes de déformation
de déperdition et de subjectivité
L'analyse des informations
permettait d'établir la véracité des faits
Pour parvenir un résultat satisfaisant et vrai dans une société d'oralité le chercheur doit
faire preuve de rigueur en faisant écran
sa propre sensibilité Il ne doit être guidé ue par la
recherche de la vérité
Menant des recherches dans une société sans statisti ue et pour avoir une idée du volume
des transactions commerciales et surtout de la production d'huile de palme premier produit
d'exportation de Lodzukru du début de la traite jus u'en 1898 nous nous sommes reportés aux
différents récipients ui avaient servi de mesure de capacité
LEL et N'GBA lE : LEL est un genre de calebasse dont la capacité varie entre 12 14 litres Or
dans un convoi de uinze (15) femmes chacune d'elles porte un panier contenant trois voire
uatre LEL Le N'gbarie est la mesure Il varie entre 1 5 2 litres Nous avons examiné uel ues
tonneaux pour nous rendre compte de la capacité d'une barri ue Nous avons également examiné
les moyens de production de l'huile de palme et effectué des visites dans les campements
(Gbrosset) ui autrefois étaient les lieux de production de l'huile de palme Nous avons examiné
les Fosses (Agbl Omou) ui avaient servi
la conservation des graines de palme Ce sont des
fosses de 1 5 m de profondeur et de 2
2 5 m de large pouvant contenir sans exagération 3
6
tonnes de graines de palme Il nous a été très facile d'examiner les produits des échanges
commerciaux dans le Lodzukru exemple : les manilles
enOdzukru "os ibr" les pagnes
(cotonnades) ue les Odzukru appellent "Django" "Kamitchè" et "soubou" et les bijoux en or
L'examen de ces produits permet de conna tre leur provenance
23
Enfin dans les échanges commerciaux il convient de noter le commerce des esclaves
ce
commerce a eu lieu entre les Odzukru et leurs voisins: Abidji Krobu et Abê Pour en savoir plus
et étudier les mécanismes de ce trafic nous avons
Orgbaff recensé sur des fiches des familles
prises au hasard Nous avons établi pour chacune d'elles l'arbre généalogi ue des membres afin
de conna tre leurs origines en utilisant la filiation et les patronymes Sur la première colonne
nous avons inscrit les noms d'origine Odzukru en remontant jus u' l'aïeule Sur la deuxième les
noms étrangers Dans notre classification nous avons trouvé des noms d'origines Sénoufo
Abidji Baoulé et des noms comme JarhE (souffrance Adu (esclave) AkarE Gbor (pauvreté)
Okoru Adiow (esclave femelle) etc
Mais ce travail était insuffisant pour nous permettre
d'affirmer u'il y a eu un commerce d'esclaves entre le Lodzukru et ses voisins du Nord C'est
pour uoi nous avons surtout étudié le statut social des membres des lignages Cette étude a
permis de distinguer deux groupes d'individus: les Ewis (nobles hommes libres) et les "Madu"
(esclaves) Le recensement effectué sur les fiches a permis de déduire sans ris ue de se tromper
u'il y a eu un commerce d'esclaves entre le Lodzukru et ses voisins surtout un commerce de
femmes De cette étude il ressort également ue les premiers esclaves
être achetés par les
Odzukrusont des femmes Pour les Odzukru c'est une urgence et une nécessité car il faut assurer
la continuité du matriclan par le renforcement de la population féminine en âge d'enfanter afin
d'éviter la rupture de la cha ne ui entra nerait la disparition du matrilignage
n développement commercial efficace exige une population importante pour subvenir
toutes les activités Ainsi nous avons cherché
conna tre la population Odzukru au XIXè siècle
Nous avons choisi des villages cibles ue nous avons classés en trois catégories
- La première catégorie regroupe les grandes agglomérations capables au cours d'une
cérémonie d'initiation de réunir soixante (60)
uatre vingt (80) récipiendaires
- La deuxième se compose de villages moyens pouvant initier au moins uarante (40)
récipiendaires
- Enfin la troisième regroupe tous les petits villages
Sur les trente (30) villages
ue compte le Lodzukru nous avons recensés sept (7)
agglomérations et cin villages moyens Ce premier travail a permis d'obtenir un résultat partiel
par la découverte de l'existence d'une croissance
24
démographique en pays Odzukru mais aussi de la lenteur de l'accroissement naturel
cause de
l'é uilibre existant entre la natalité et la mortalité Les femmes nous ont informé ue le taux de
mortalité infantile était élevé pour parvenir
un résultat concret nous avons mené une étude
comparative de la population Odzukru des années 1970 Cette population en 1990 était estimée
80 000 habitants et en 1970
50 000 habitants Ensuite nous avons cherché
conna tre si
l'accroissement naturel annuel était régulier Si en vingt (20) ans la population a augmenté de
trente mille (30 000) habitants soit une augmentation régulière annuelle de mille cin cent
(1 500) habitants le taux de croissance est alors de 1 8 % Ce ui nous permet de supposer u'en
1890 la population Odzukru était de trente uatre mille (34 000) habitants et en 1860 près de
vingt cin mille (25 000) habitants Cette population était pour la période moins suffisante pour
fournir une main-d'oeuvre importante pour l'agriculture et le commerce et constituer un marché
de consommation
Outre les sources d'archives et orales le vécu uotidien dont nous sommes les témoins
constituent des éléments essentiels pour la compréhension du sujet traité En effet bien ue les
faits évo ués se rapportent
un passé lointain les techni ues de production de l'huile de palme
et des palmistes n'ont par contre connu aucune évolution et transformation Aucune innovation
n'a été apportée dans la manière de produire
Des contraintes d'ordre professionnel et matériel ne nous ont pas permis d'étendre la
collecte des informations aux pays Alladian Abidji et Abê ui ont été depuis les XVIlè XVIIlè
et XIXè siècles les principaux partenaires économi ues de Lodzukru et
Tyasalé carrefour et
zone de contact entre les populations Odzukru et les populations de la zone de savane
Nous avons
réalisé
des cassettes (22)
sonores
ui constituent pour nous,
une
"bibliothè ue sonore" Mais nous avons surtout pris des notes afin de faciliter la transcription des-
textes Les notes constituent un des moyens efficaces pour réaliser une bonne en uête Elles vous
permettent de suivre la pensée de l'informateur et de vite déceler les mensonges et les erreurs
Au cours de nos en uêtes nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour faire
ressortir cette histoire lointaine dont les acteurs ont disparu
estitution difficile par les
personnes âgées "les vieux" de ce u'elles savent Elles refusent de répondre
nos uestions de
peur de perdre leur rôle
25
de "bibliothè ue" de la communauté et de sage L'histoire économi ue en général et l'histoire
commerciale en particulier ne signifie rien pour les Odzukru C'est avec difficulté
ue nos
informateurs acceptaient de nous rencontrer car ils ne tenaient pas se déranger pour une histoire
ui ne présentait aucun intérêt pour eux et pour leur société Lors u'ils acceptaient de parler ils
nous ramenaient aux travaux déj effectués sur le Lodzukru Ils nous recommandaient de nous
référer aux travaux du PrHA IS MENIEL Foté sur le système politi ue de Lodjoukrou Ils
préféraient surtout entretenir les chercheurs sur les hauts faits militaires les origines et le
peuplement de Lodzukru
Pour répondre
nos interrogations certains informateurs ont exigé des dons en nature ou
en espèce Il convient
ce sujet de souligner notre amère désillusion car en effet il existe trop
souvent .une disproportion entre les dons et la nature des informations fournies Nous avons été
confronté aux problèmes d'établissements d'une chronologie adé uate
Bien ue ce travail ait été possible grâce aux sources orales et d'archives nous avons
cependant eu recours aux ouvrages
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26
LE
PLAN
Le plan adopté pour cette étude souligne dans son développement la nécessité de montrer
comment avec une civilisation techni ue déficiente le pays üdzukru devient au XIXè siècle la
région la plus convoitée du bassin occidental de l'Ebrié par les puissances européennes Le
Lodzukru prospère grâce au développement des échanges commerciaux dès la 2è moitié du
XIXè siècle avec ses voisins et surtout
sa participation au commerce international par la traite
de l'huile de palme Il s'agit aussi de montrer l'évolution des échanges commerciaux en pays
üdzukru depuis
la 2è moitié du XVIlè siècle jus u' la fin du XIXè siècle d'étudier les
différentes étapes de. ces échanges et de rendre compte des bouleversements politi ues
o
économi ues sociaux et culturels ui se produisent dans le Lodzukru au cours de cette période
Sur uelle base les échanges ont-ils eu lieu? uel a été leur impact sur la société üdzukru ?
Dans la première partie il s'agira par une démarche histori ue et analyti ue de montrer
les origines des échanges commerciaux en pays üdzukru et d'en étudier l'évolution depuis la 2è
moitié du XVIlè siècle jus u'au XIXè siècle Ce ui nous permettra d'étudier les trafics ainsi ue
les niveaux d'échanges de recenser les produits et les partenaires économi ues de Lodzukru et
de voir l'apport des échanges régionaux dans l'évolution de la civilisation de Lodzukru et surtout
son influence sur le commerce international Il s'agit ainsi de voir si le pays üdzukru avait les
moyens (produits et hommes) et les infrastructures adé uates pour participer au XIXè siècle aux
échanges internationaux échanges dominés par la traite de l'huile de palme
La deuxième partie ui part de 1830
1870 période dominée par la traite de l'huile de
palme est pour les üdzukru une période importante Elle mar ue la participation de Lodzukru
au commerce international Cette deuxième partie comporte deux (2) sous parties D'abord la
période 1830 - 1850 Elle représente l'ère des voiliers c'est- -dire "des factoreries sur l'eau" Ce
commerce sur rade sera mar ué par la prépondérance des marins anglais
ui inondent les
"nations" côtières de leurs produits Grâce aux Alladian les üdzukru participent au commerce
international
uelles sont les fondements et les structures de ce commerce sur rade?
La période 1850
1870 est l'ère des blockhaus c'est- -dire de factoreries
terre Elle sera
surtout mar uée par les échanges directs entre producteurs üdzukru et agents des factoreries
Cette période est très importante pour la population
27
Odzukru parce u'elle mar ue véritablement la naissance d'une race de commerçants Odzukru
ui se spécialisent dans les échanges commerciaux l'indépendance économi ue de Lodzukru
vis- -vis des courtiers Alladian et le début du déclin des Anglais sur le littoral des ua uah
Cette deuxième période pose déj de façon analyti ue le problème d'une nouvelle économie Ici
il s'agira d'analyser les besoins nouveaux des puissances européennes de définir les moyens de
ce commerce les moyens de transport les moyens de change les agents de ce commerce et les
différents produits Comment les échanges au cours de cette période étaient-ils organisés?
La troisième partie ui part de 1870 1898 est mar uée par la main mise des Français sur
le Lodzukru après la soumission des foyers de résistance
la pénétration française
Cette
période mar uée par le retour effectif des Français en Côte d'ivoire et l'érection de ce comptoir
en colonie constitue la période de déclin pour le commerce de l'huilede palme Nous étudierons
l'hégémonie française dans le Lodzukru par un examen des structures et des moyens mis en place
par les Français pour contrôler les trafics commerciaux de Lodzukru et combattre le courtage
Alladian Enfin nous analyserons les échanges entre les Odzukru et leurs voisins ainsi ue les
principales routes commerciales
uel était l'apport des partenaires économi ues de Lodzukru
dans le développement du commerce international sous l'occupation française?
Dans la uatrième partie ui part de 1830
1898 il s'agira d'examiner au cours de cette
longue période l'impact des échanges internationaux sur la société Odzukru C'est au cours de
cette période ue grâce
la traite de l'huile de palme la région Odzukru fait son entrée dans
l'économie moderne Producteur d'huile de palme le Lodzukru par l'intermédiaire de certains
villages signe avec les représentants français en 1850 des traités (traités entre le Lieutenant
Baulay et les représentants des villages de Tukpa Dibrim et Kpass)
Ces traités placent le
L~dzukru sous la souveraineté française Dans le but de contrôler les trafics de l'huile de palme
du pays Odzukru les Français s'installent dans la Lodzukru La colonisation du pays Odzukru
par la France engendre des bouleversements politi ues économi ues sociaux et culturels Cette
présence entra ne pour le peuple Odzukru la perte de sa dignité Les Odzukru deviendront dès
lors de simples sujets français
En conclusion nous pouvons affirmer ue les échanges internationaux sont
l'origine des
changements intervenus dans le Lodzukru au XIXè siècle
Nous avons conscience des limites de notre travail
28
....
1 ERE PARTIE
lES ECHANGES
INTER ~ OI])ZUKRU ET REGIONAUX
29
Les échanges commerciaux comme activité économi ue n'étaient pas inconnus en pays
Odzukru car très tôt les Odzukru installés sur la rive Nord de la lagune Ebrié se livraient
des
échanges Mais cette activité économi ue jus u'au XIXè siècle date de la participation effective
de Lodzukru au commerce international par la traite de l'huile de palme avait occupé une place
secondaire par man ue de structures et d'agents d'échange Les populations Odzukru tiraient de
la nature ce dont elles avaient besoin Les activités dominantes étaient l'agriculture la cueillette
et la chasse A ces activités s'ajoutera au XVIllè - XIXè siècles la pêche en eaux continentale et
lagunaire La diversité des activités économi ues favorise alors le développement des échanges
internes entre les villages et les tribus Odzukru Les activités vont fournir aux Odzukru l'essentiel
de leurs produits d'échanges aux XVIlè XVIllè et XIXè siècles
Confrontés aux problèmes d'indigence techni ue et dans le·souci de satisfaire les besoins
de la population en produits manufacturés les Odzukru s'ouvrent
leurs voisins du Sud et du
Nord établissant avec eux de véritables relations commerciales Ces échanges commerciaux ui
favorisent le développement des échanges régionaux donnent naissance dans le Lodzukru
un
groupe
d'agriculteurs-traitants ui au XIXè siècle avec le développement des échanges
internationaux se spécialisent dans le commerce
L'existence d'un groupe de traitants capables de contrôler les trafics commerciaux de la
région et l'abondance des produits d'origine agricole'" (manioc igname mil) et de cueillette
(huile de palme et palmiste) permettent au pays Odzukru de participer sans grande difficulté aux
échanges internationaux Comment les échanges inter-Odzukru et régionaux sont-ils organisés?
uels sont les structures les produits et les moyens de change? uels sont les partenaires
commerciaux et Lodzukru au cours de cette période?
1- L'huile de palme depuis la 2è moitié du XVIlè siècle est le principal produit d'exportation de
Lodzukru vers la région maritime
30
If LES ECHANGES INTER-ODZUKRU
Les échanges entre tribus villages et clans Odzukru ont été les premières manifestations
du commerce en pays Odzukru Cet échange de système simple basé sur le troc était lié aux
produits agricoles et halieuti ues En fonction des produits naissent deux courants d'échange De
l'intérieur vers la côte lagunaire et de la côte lagunaire vers l'intérieur De l'intérieur partiront
vers la côte
les produits agricoles et de la côte remonteront vers l'intérieur les produits
halieuti ues
1 : Les Produits venant de l'intérieur
Le peuple Odzukru se subdivise en deux sous-groupes : les peuples de l'intérieur
(N'kpakpa af. Ejrl) ui habitent la grande forêt et les lagunaires (Midjnejn ejn)
habitant la
bordure Nord de la lagune Ebrié Cette division liée
la position géographi ue entra ne la
spécialisation dans les activités économi ues Les populations de l'intérieur se spécialisent dans
l'agriculture et ceux de la bordure lagunaire
la pêche et dans la 2è moitié du XVllè siècle au
commerce grâce au contact avec les Alladian
Les Odzukru avant leur installation dans le pays ui est le leur aujourd'hui ont été
précédés au néolithi ue et vers la fin de l'anti uité par des populations ui sembleraient avoir été
assimilées ou disparues (1) ne fois installés dans le Lodzukru au XVè siècle les Odzukru selon
Béno t ESSOH LATTE s'adonnent d'abord
la cueillette avant de développer l'agriculture
céréalière dominée par la culture du mil et plus tard des tubercules (2) Ils se nourrissent des fruits
ue leur offre la nature ainsi ue des racines Avec l'accroissement de la population suite
l'arrivée de nouveaux immigrants les femmes chargées d'assurer l'alimentation de la famille sont
obligées d'aller loin dans la forêt La promiscuité des villages oblige les femmes
aller très loin
chercher la nourriture Ce ui est souvent source de disette et de famine dans les communautés
villageoises C'est donc dans le but de mettre fin aux famines cause de nombreux décès ue les
Odzukru s'adonnent au développement de l'agriculture et
la domestication de plantes dont les
racines servaient déj d'aliments Cette volonté des Odzukru de ne plus dépendre de la nature
pour leur alimentation entra ne au côté de l'agriculture céréalière la naissance d'une agricul-
1- A Orgbaff, les populations du quartier Mablem affirment n'être venues de nulle part.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Juillet 1985 auprès de M. Bénoit ESSOR LATTE.
31
ture dominée par les tubercules La présence de la forêt permet un bon développement de cette
agriculture dont les éléments principaux sont l'igname le taro et surtout le manioc La présence
de la savane a surtout favorisé le développement de la culture du mil Cette culture était connue
par les Odzukru depuis les temps immémoriaux Mais le mil en basse côte aura des rendements
très faibles (1) et sera moins apprécié par les Odzukru ui se tournent plutôt vers l'agriculture de
tubercules C'est ce ue témoigne le récit recueilli auprès de M Béno t ESSOR LATTE
« Avant la connaissance du fer les Odzukru vivaient de cueillette et de chasse Très tôt le
matin les femmes dont la première mission était d'assurer les besoins des familles en nourriture
se rendaient dans la forêt
la recherche de fruits comestibles et de racines Lors ue certaines
plantes étaient déterrées elles portaient des tubercules ce fut aussi le cas des plantes grimpantes
Pour ne pas perdre ces produits les Odzukru eurent l'idée d'enfuir les boutures de manioc .les
morceaux d'igname et de taro dans le sol
Ils constatèrent
ue ces plantes avaient donné
naissance aux premiers produits ui sont le manioc l'igname et le taro Cela amena les Odzukru
cultiver ces nouvelles plantes»
L'avènement de l'agriculture dominée par les tubercules dans le Lodzukru est l'oeuvre des
Odzukru ui inaugurent ainsi la civilisation des tubercules Les femmes Odzukru développent
par la suite une industrie en transformant les tubercules de manioc en farine Ce ui a permis la
fabrication d'un aliment appelé en Odzukru "Egb" Les premiers défrichements des forêts ont été
l'origine du développement des palmiers
huile et de certains légumes Les produits vivriers
(igname taro manioc) ont été utilisés par les forestiers pour les échanges avec les populations de
la côte ui ne s'occupaient ue de la pêche
Avant d'analyser la nature des échanges entre les zones forestière et lagunaire nous
examinerons les origines des plantes les techni ues culturales et le mode de production
L'igname: L'igname est une plante tropicale monocotyledone vivace et grimpante
gros
tubercules faramineux consommés rôtis ou cuits
l'eau Cette plante selon nos informateurs
existait en pays Odzukru Elle fut domesti uée par les Odzukru depuis leur installation dans cette
région tous les villages Odzukru ne cultivaient pas l'igname seuls les villages
1- La force pluviométrie de la basse côte a été à l'origine du recul du mil dans le Lodzukru.
32
dusr d'Orgbaff de Lokp Gbadzn et assakp s'adonnent
cette culture ui bénéficiera d'un
apport extérieur avec l'introduction de nouvelles variétés suite
l'arrivée des immigrants Baoulé
ou Sénoufo'!"
Le manioc : est une plante dicotylodone de un
deux mètres de long cultivé dans les
régions tropicales Il développe de longs tubercules fusiformes
On distingue deux types de
manioc: les maniocs doux et les maniocs amers
Le manioc affirment mes informateurs est d'origine Odzukru C'est dans le Lodzukru
u'il a été domesti ué Il ne viendrait de nulle part Le manioc utilisé par les Odzukru n'est pas
originaire des Améri ues La domestication du manioc a été l'oeuvre d'une population ui était
la recherche d'aliments pour juguler les nombreuses famines et disettes Les Odzukru installés
dans la zone subé uatoriale avaient des difficultés . développer la culture du mil Les famines et
disettes sévissaient dans le Lodzukru et mettaient en danger la vie de toute la population Mais
c'est auprès des femmes de la côte maritime
ue les femmes Odzukru auraient appris les
techni ues de l'attiéké (2)
Plusieurs variétés de manioc se rencontrent dans le Lodzukru mais parmi toutes les
variétés seule la variété "N'kuku" peut se consommer sans subir de transformation Le manioc se
cultive tout le long de l'année car c'est la plante ui défie la sécheresse et s'adapte
tous les
climats C'est la culture reine dans le Lodzukru c'est- -dire la plus dominante
Les populations Odzukru se sont très vite rendues compte du danger ue représentait la
consommation du manioc sans transformation préalable car le manioc contient un poison appelé
le cyanure C'est pour uoi très tôt les femmes Odzukru ont développé une véritable industrie de
transformation du manioc en pâte (mâ)
en farine et enfin en attiéké (Egb) La procédé de
macération mis au point par les femmes ui utilisaient des moules comme pressoir a permis
l'élimination du cyanure Le manioc a permis aux femmes Odzukru de la zone forestière de
développ
er des échanges lagunaires mais aussi en direction du littoral Alladian
1- La culture de l'igname s'est développée dans le Lodzukru grâce à l'apport extérieur. Les Baoulé ont été à l'origine
de l'introduction dans le Lodzukru des variétés "Lekpi, Ligleb Ibr, EpiEm".
2- Les premières personnes à développer l'industrie de l'attiéké seraient les femmes Avikam
33
A ces deux premières plantes (igname et manioc) ui dominent l'agriculture Odzukru
s'ajoute la culture du taro ui est moins répandue dans le Lodzukru Le taro est utilisé pendant la
période de soudure c'est- -dire
l'intersaison
L'abondance des précipitations ui favorise la dégradation des sols et la présence des
racines empêchant une bonne germination des plantes ont amené les Odzukru
mettre en place
des techni ues culturales pour un meilleur développement des cultures
a : Les techni ues culturales
La préparation des terres pour les nouvelles cultures commence vers la fin de la petite
saison des pluies (Mewidz) précisément au cours du mois de Novembre Les terres vierges
appartiennent la communauté mais les parcelles ayant reçu des cultures et laissées en jachère
sont des propriétés privées appartenant aux personnes ui les avaient mises en valeur
Avant le défrichement de la parcelle tout paysan délimite la surface
défricher Il choisit
comme borne des grands arbres Les dessous de ces grands arbres étaient nettoyés et une partie
des écorces de ces arbres enlevées Le paysan avait aussi la possibilité d'attacher
l'entrée de la
parcelle précisément
un arbre un rameau de palmier
huile comme signe de l'occupation du
terrain Ce u'on appelle en Odzukru « Lok amak sawr Es» Les parcelles cultivées en pays
Odzukru au XIXè siècle étaient très réduites
Elles atteignaient moins d'un hectare
Les
défrichements étaient difficiles et pénibles parce u'avant la pénétration du fer dans le Lodzukru
les populations Odzukru note AFFI Sylvestre" utilisaient comme instruments agricoles des
fourches et des houes en bois des coupe-coupe et haches en silex L'introduction du fer et la
fabrication des outils en fer en particulier le "Ibn" (matchette) et la houe favorisent l'extension
,
des terrains cultivés (exploitations)
Malgré tout le courage et la volonté u'ils avaient la présence des ronces des lianes et
des grands arbres empêchaient les paysans Odzukru de créer de grands champs appelés en
Odzukru "Ogom" Nous analyserons plus loin l'origine du fer en pays Odzukru
1- Enquête réalisée à Orgbaffle 27 Décembre 1984 auprès de M. Sylvestre AFF!.
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34
Pour la création du champ le paysan nettoyait d'abord la surface délimitée Ensuite il
abattait les arbres et surtout les arbustes et les laissait sécher au moins pendant une semaine Les
feuilles séchées il choisissait un après-midi avant la tombée du crépuscule pour brûler la
parcelle en y mettant le feu Pour prévenir tout incendie le paysan créait une ceinture de sécurité
autour du champ Le lendemain accompagné de sa femme de ses enfants et de ses esclaves pour
ceux ui en disposaient (1) le paysan nettoyait la parcelle en la débarrassant des bois et brindilles
La surface ainsi préparée recevait plusieurs cultures On associait soit le manioc et l'igname ou
soit le manioc et le taro C'est la méthode par association Le plus souvent la parcelle recevait
une seule culture Les paysans Odzukru prati uaient la méthode par succession afin de conserver
la fertilité du sol Les cultures se faisaient par buttage C'est pour uoi le paysan Odzukru se
faisait aider par les membres de sa famille ou de sa classe d'âge
Les difficultés liées aux travaux champêtres et l'insuffisance de la main-d'oeuvre servile
obligent les Odzukru
créer un système d'entraide appelé en Odzukru "ful" Le système
"d' fui" est une coopérative d'entraide une communauté de travail ui regroupe des amis ou des
membres d'une même classe d'âge Les membres de cette coopérative de travail élaborent un
calendrier de travail Ainsi
tour de rôle chacun reçoit ses amis Celui ui reçoit offre un repas
et de la boisson surtout du vin de raphia Cette opération est répétée jus u' ce ue tous les
membres aient fini de labourer leurs champs Le système d'" ful" avait allégé le travail des
paysans Les surfaces étaient très réduites mais les rendements étaient élevés
cause de la
fertilité du sol Les paysans arrivaient
couvrir leurs besoins et disposer d'un surplus ui leur
permettait d'effectuer des échanges avec les populations de la côte lagunaire
Les buttes de manioc sont moins volumineuses par rapport
celles de l'igname
U1
atteignent parfois plus de cin uante (50) centimètres de hauteur Les boutures du manioc sont
découpées et mises dans les buttes Pour l'igname on utilise les anciens morceaux non détruits
par les vers et les insectes Des tuteurs sont adjoints aux buttes lors ue l'igname commence
germer
La récolte du manioc intervient au moins huit (8) mois après la mise en terre des boutures
alors ue celle de l'igname se fait seulement après six mois
1- Selon Bénoit ESSOR LATTE, avant la fm du XVIlè et début XIXè siècles, peu de gens seraient propriétaires
d'esclaves en pays Odzukru.
35
L'igname est le premier produit de la terre consommée par
les Odzukru
La
consommation des premiers produits de la terre et surtout de l'igname considérée comme
l'aliment des Dieux est subordonnée
un rituel appelé en Odzukru "Ern ok" Ce rituel de
purification introduit dans le Lodzukru par les fondateurs du village de assakp (1) est dirigé par
la tribu des Orgbaffu Ce rituel ui s'apparente
la fête des ignames en pays Anyé aurait été
introduit dans le Lodzukru vers le XVIIIè siècle par les Assakpu appartenant
la tribu Orgbaffu
L'étude des origines du peuple Odzukru nous a permis de classer le groupe Assakpu dans le
groupe venu de l'Est (2)
La migration des Assakpu en pays Odzukru est postérieure
celle des Oboru et des
Orgbaffu Les Orgbaffu affirment avoir recueilli trois hommes venant du Nord
Ces trois
hommes note. ESSOR LATTE Béno t auraient fui le village d'Aklodze
la suite du décès par
accident d'un enfant Ces trois hommes ui étaient des forgerons seraient les pères fondateurs de
assakp Tous ces éléments nous permettent de conclure ue le rituel "Ernok" est postérieur
l'installation des Odzukru dans le Lodzukru La première célébration de ce rituel a eu lieu
Orgbaff Ce rituel se serait déroulé au XVIIIè siècle avant la fondation du village de assakp (3)
Il consiste
offrir avant ue ne consomment les humains les prémisses en sacrifice aux Dieux
surtout au Dieu Suprême "Foniamba" créateur de l'univers et des hommes aux génies des eaux
et de la terre
Malgré la prédominance de l'igname et du manioc devenus les principales cultures de la
région Odzukru la première culture de Lodzukru et le premier aliment de la population Odzukru
a été le mil
La culture du mil
Les Odzukru
bénéficiant des conditions climati ues favorables et de deux unités
végétales : la forêt et la savane développent deux types d'agriculture L'agriculture céréalière
dominée par la culture du mil et plus tard l'arachide et l'agriculture base de tubercules
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1984 auprès de M. Bénoit ESSOH LATrE.
2- Enquête réalisée à Yassakp le 18 Août 1988. Cette enquête a été réalisée en public.
- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988.
36
La culture du mil était la plus ancienne culture de Lodzukru (1) Elle était connue par les
Odzukru avant leur installation dans le Lodzukru La galette de mil appelée en Odzukru "mâ'' et
la bouillie de mil étaient les principaux repas des Odzukru(2) Selon ESSOH LATTE Béno t
cette culture avait été introduite dans le Lodzukru par les Oboru
premiers occupants de la
région Les Oboru furent
l'origine du développement de la première civilisation agraire
base
de céréale Ainsi des villages Oboru la culture du mil se répandit dans tout le Lodzukru La
présence de la savane avait favorisé le développement de cette culture ui était incompatible
la
forêt Le mil était surtout cultivé dans les villages de Dibrim ou "Kibrirn" et Armabè
La culture du mil avait lieu dans la savane La parcelle délimitée le paysan la sarclait
Les enfants de moins de douze (12) ans s'occupaient du ramassage des herbes ui seront ensuite
brûlées Le terrain ainsi préparé recevait le mil Après les semailles le champ était confié aux
jeunes garçons de huit (8)
douze (12) ans ui devaient le surveiller contre les oiseaux jus u' la
récolte Ainsi la parcelle était traversée par trois (3)
uatre (4) cordes dans le sens de la
longueur et de la largeur A ces cordes étaient attachés des objets pouvant faire des bruits Tôt le
matin les garçonnets se rendent dans les champs avant u'ils ne soient envahis par les oiseaux
Lors ue les garçonnets voyaient les oiseaux arrivés ils tiraient sur les cordes et les bruits
éloignaient les oiseaux Les jeunes garçons construisaient sur une monticule de terre un petit
abri ce ui leur permettait d'être
l'ombre et d'avoir une bonne vue sur tout le champ Ils ne
rentraient au village u' la tombée de la nuit
Le mil semé au début de la saison sèche était récolté trois mois après La récolte ne
s'effectuait u'une seule fois par an Dans le souci de diversifier leur production agricole les
Odzukru développent aussi en forêt et en savane la culture de l'arachide
La culture de l'arachide
La culture des arachides dans le Lodzukru a une ongine extérieure Elle aurait été
introduite au XIXè siècle par une
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 2 Juillet 1987 auprès de M. Bénoît ESSOH LATTE.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 25 Août 1988 auprès de M. Bénoît ESSOH LATTE.
37
esclave (1)
Les arachides sont très appréciées par la population Odzukru Ce ui a permis
cette
culture de se répandre dans tout le Lodzukru Les arachides feront l'objet d'un véritable trafic
entre les zones productrices et les zones consommatrices La culture des arachides en pays
Odzukru se faisait en zone forestière et eri zone de savane
Les produits vivriers (manioc igname mil et les arachides) cultivés dans les zones de
l'intérieur ne sont pas seulement utilisés pour la consommation des producteurs mais seront
aussi utilisé pour les échanges avec les populations de la bordure lagunaire
La nature des échanges
L'essentiel du trafic entre le Nord et le sud est constitué de produits agricoles : manioc
igname mil. -arachides épices et surtout l'huile de palme L'huile. de palme premier produit
d'exportation de Lodzukru depuis la 2è moitié du XVIIè siècle devient au XIXè siècle
la
principale source de revenu de Lodzukru
Les animateurs de ces échanges inter-villages étaient les femmes Elles sont
l'origine du
développement des échanges commerciaux en pays Odzukru
Soucieuses de procurer une
alimentation saine aux membres de leurs familles les femmes allaient échanger avec les autres
femmes des villages voisins ce u'elles possédaient en surplus contre ce u'elles ne disposaient
ou ui existaient en uantités insuffisantes Les échanges en pays Odzukru avaient pour objectif
la satisfaction des besoins immédiats de la famille et de la communauté Ainsi toutes les fins de
semaine les femmes de la zone de l'intérieur en longue file chargées des produits de la terre
(tubercules pâte ou farine de manioc corbeille d'attiéké farine de mil igname et plus tard
arachides) se rendaient dans les villages de la bordure lagunaire pour échanger ces produits
~
contre les produits halieuti ues en particulier le poisson et les crustacés Les poissons frais une
deux grappes de gros poissons étaient échangés contre une corbeille d'attiéké
ne grappe était
composée de dix (10)
uinze (15) poissons Les crustacés (crabes et écrevisses) étaient mesurés
en calebasse Les femmes utilisaient comme mesure les calebasses moyennes Le système des
échanges était
base de troc Mais le produit ui alimentera et dominera les échanges inter-
villages et régionaux est l'huile de palme
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août auprès de Bénoît ESSOH LAITE. Cette esclave serait d'origine Tagouna.
38
L'huile de palme
L'huile de palme était la principale source de devises du peuple Odzukru A ce titre le
palmier huile constituait le symbole de la civilisation ui s'était façonnée au fil du temps autour
de cet arbre L'industrie de l'huile de palme fut le moteur du développement de la population
Toutes les transformations ui s'opèrent dans le Lodzukru au XIXè siècle sont leurs origines
dans l'huile de palme
Le palmier
huile comme l'igname était un arbre sacré
C'était l'arbre nourncier
spontanément jailli de la terre et distributeur de vie pour ce peuple ui utilisait ses fruits La vie
sociale et économi ue de Lodzukru était organisée autour du palmier
huile Comme précisé en
introduction le mode de production était lignager L'exploitation des palmeraies était organisée
autour des lignages ui sont propriétaires des palmeraies et des outils de production .
Les origines
Le palmier
huile en Odzukru "Arikn" existait partout sauf dans la zone de savane Les
peuplements de palmiers
huile avaient résulté des conditions naturelles favorables et des
facilités de reproduction par semi-naturels Les plus riches exploitations se rencontraient en
bordure des cours d'eau et des étangs Les peuplements de palmiers
huile étaient abondants
dans la région de Dabou sur la rive de la lagune Ebrié dans les forêts galeries et le long de la
vallée de l'Adjakmel affiuent de la rivière Aebi
ui prend sa source dans la région de sr et se
jette dans l'Aebi
Armébé en passant par Lokp
assakp Orgbaff Dibrim
Le développement des palmiers
huile dans le Lodzukru est lié au développement de
l'agriculture vivrière d'aùtosubsistance caractérisée par le défrichement continu des forêts situées
proximité des villages La prati ue de l'agriculture itinérante oblige les Odzukru cha ue année
créer de nouveaux champs Les récoltes terminées les anciens champs sont laissés en jachère
pour une période de trois ans
« Depuis leur installation dans le Lodzukru les Odzukru connaissaient l'exploitation des
palmiers
l'huile
ui étaient en nombre très réduits
Le peuplement et l'accroissement des
palmeraies s'étaient fait grâce
l'action humaine par suite du défrichement de la grande forêt et
également grâce aux oiseaux
39
qui avaient eux aussi répandu les graines dans les champs »(1). Cette information recueillie auprès
de M Bénoit ESSOH LATTE nous indi ue ue les peuplements de palmiers
huile sont
indirectement liés
l'action humaine Les anciens villages constituent aussi de grands foyers de
peuplement de palmiers
huile Le développement des palmeraies ui se situerait entre les XVIè
et XVIlè siècles a donné naissance différents types de propriétés
Les différents types de propriétés
« Les terres en pays Odzukru sont des propriétés collectives La terre est inaliénable
Mais les palmeraies sont des propriétés privées et appartiennent aux propriétaires des champs
Les palmeraies sont appelées en Odzukru "Sar"
Les palmeraies sont la propriété du Bosu ou de l'Eb ui sont les deux systèmes de parenté
et ui organisent la société Odzukru(2) »
Ces informations recueillies auprès de M ESSOH LATTE Béno t nous situent sur la
gestion des palmeraies
Les terres dans le Lodzukru appartiennent
la collectivité villageoise ui en est le
défenseur La terre est inaliénable mais les palmeraies ou "Sar" sont des propriétés privées
appartenant aux lignages: Bosu ou Eb ui ont été les premiers
mettre en valeur les parcelles de
terre Elles sont alors gérées par les lignages
La palmeraie constitue un patrimoine ue les ancêtres lèguent en héritage
leurs
descendants Ce patrimoine appartient aussi bien aux vivants u'aux morts ui ont pour mission
de le rendre plus fertile fécond et productif afin ue les vivants puissent accro tre le trésor du
Q
lignage Pour éviter tout conflit les palmeraies sont limitées soit par des sentiers des collines des
termitières ou même par des grands arbres
Chacune d'elle porte le nom du lignage ou de
l'ancêtre ui fut le premier
exploiter la palmeraie Le titre foncier est réglé par la coutume'V
1- Enquête réalisée à Orgbaff auprès de M. Bénoît ESSOH LATTE le 22 Août 1984.
2- Enquête réalisée auprès de M. Bénoît ESSOH LATfE le 22 Août 1984.
- Selon Sylvestre AFFI, la coutume définit pour chaque lignage ses droits et lui reconnaît les limites de ses
palmeraies (Sar). C'est elle qui garantit le titre de propriété privée au lignage.
40
L'étendue d'une palmeraie varie d'un lignage
un autre
l'intérieur d'un même village
un autre Les lignages dont les migrations sont récentes se retrouvent sans palmeraie ou "Sar"
Trois types de palmeraies se rencontrent dans le Lodzukru Il s'agit de "Likrmidz Sar ou
"Eb Sar" (propriété du patrilignage) " ow ok Sar" propriété du matrilignage et "Dedeku Sar"
propriété collective pour le seul cas du village de Dibrim
Les Odzukru s'insèrent dans une filiation bilatérale
n "Eb" patriclan ou patrilignage
regroupe idéalement tous les descendants en ligne masculine et au Bosu (matriclan ou
. matrilignage) où se rassemblent tous les descendants maternels en ligne féminine Ces deux
systèmes de parenté sont les fondements juridi ues ui vont régir l'exploitation des palmeraies
Ils constituent les bases fondamentales de la société Odzukru Ces deux systèmes de parenté vont
en' fonction des besoins des lignages exploiter les palmeraies
mais ils seront surtout les
principaux producteurs de l'huile de palme et les animateurs du commerce intérieur et régional
et plus tard des échanges commerciaux avec l'Europe La vie économi ue dans le Lodzukru
s'organise dans les lignages autour des Sar ou palmeraies ui sont les principales sources de
revenu de la population Le développement de l'industrie de l'huile de palme aura comme
incident pour le peuple Odzukru l'ouverture de Lodzukru sur l'extérieur
c'est- -dire la
participation de cette région aux
échanges régionaux et
internationaux
Ces échanges
commerciaux furent
l'origine des transformations
ui modifièrent les structures sociales
politi ues économi ues et culturelles du pays Odzukru
L'exploitation des palmeraies
Les systèmes de parenté le patrilignage et le matrilignage aspects fondamentaux du
système social de Lodzukru dominent le faire valoir des palmeraies ui sont exploitées en
fonction des besoins définis par la parenté et non en fonction des exigences de la production Au
début la production de l'huile de palme était limitée
la consommation local et aux échanges
avec la côte Mais on assistera
une évolution et
une rationalisation de la production avec
l'importance ue prendront les oléagineux dans les échanges entre le Lodzukru et le monde
extérieur La production aura pour ultime fin de maximiser le profit et d'entretenir les rapports
sociaux entre les membres d'une même famille La production aura comme finalité de procurer
aux lignages des revenus L'huile de palme devenant le principal produit d'échange de Lodzukru
41
L'exploitation des palmeraies se fait sous
la direction des chefs de lignage qui
déterminent au début de la saison, les besoins du lignage, contrôlent et organisent les grimpeurs
du lignage qu'ils soient issus de la filiation patrilinéaire ou matrilinéaire. Les grimpeurs
appartiennent à la tranche d'âge de dix huit (18) à cinquante (50) ans.
Les palmeraies des patriclans étaient exploitées par les descendants iSSUS d'un même
ancêtre. Elles étaient exploitées moyennant une redevance au chef du patriclan à la fin de la
saison. Ces redevances, avant les grandes transformations économiques du XIXè siècle, étaient
en nature. Mais à partir du XIXè siècle, elles étaient en espèces (manilles). Les exploitations des
patriclans sont les palmeraies issues des parcelles appartenant aux patrilignages ou un héritage
laissé par un ancêtre à ses descendants en ligne masculine. Elles résultent aussi des champs
communs créés par les membres d'un même patriclan (Eb )(1) Les palmiers qui se développent
par la suite deviennent propriété du patrilignage.
Les jeunes de dix huit (18) à vingt (20) ans qui sont encore sous l'autorité paternelle n'ont
le droit de disposer de leurs revenus. Les revenus de l'exploitation des palmeraies appartenant au
patrilignage (Eb) revenaient de droit au père qui l'utilise à de multiples fins: préparation de
l'initiation de son fils ; initiation intervenant à l'âge de vingt et un (21) ans ; agrandissement du
trésor familial; constitution d'une fortune personnelle; les revenus des exploitations intervenaient
également dans le paiement de la dot du fils et dans la préparation de son mariage. Le mariage
dans le Lodzukru intervenait à l'âge de dix huit (18) ans pour les homrnes'I'.
Tout jeune Odzukru âgé au moins de vingt et un (21) ans subit une initiation collective
avec les jeunes du même âge: le "Low". L'initiation de "Low" donne au jeune Odzukru le droit
d'intégrer le groupe des adultes et d'assumer des responsabilités dans son lignage, dans sa classe
d'âge et dans le village. Avec le Low, il quitte pour toujours le statut de femme. Le Low en pays
Odzukru est une éducation militaire et de civisme, une école de formation culturelle et une
épreuve économique pour le lignagev". C'est une initiation qui nécessite des frais
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août auprès de M. Sylvestre AFFI.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août auprès de M. Benoît ESSOH LATTE.
3- HARRIS MEMEL Foté. Svstème politique de Lodzukru P. 290.
42
financiers énormes. C'est pourquoi, lorsque le jeune garçon atteint l'âge de dix sept (17) ans, son
père lui demande de travailler afin de l'aider à couvrir tous les frais engendrés par l'initiation.
Lorsque le jeune homme avant la cérémonie de "l'Essafle" qui intervient à l'âge de vinq-cinq (25)
ans dispose lui-même de ses revenus, il est renié par le père après consultation des membres de
la famille paternelle. Le jeune garçon est confié à la garde de son oncle maternelle c'est-à-dire du
Bosu (matriclan).
Les palmeraies appartenant au matrilignage sont exploitées par les membres de ce
système social. Les palmeraies du matrilignage sont issues des palmiers à huile qui se sont
développés dans les champs créés en commun par les oncles, les soeurs et les neveux. Le chef du
matrilignage travaille dans les palmeraies avec tous les membres du lignage, ses fils et les
esclaves de la famille'<'.
L'exploitation des palmeraies du Bosu a pour but essentiel d'accroître le trésor du
matrilignage ou du matriclan. Les jeunes Odzukru quatre ou cinq ans après leur initiation de
"Low" quittaient l'autorité paternelle pour s'intégrer au matrilignage à la suite de la cérémonie de
1"'Essafle". A partir de ce moment, le jeune homme économiquement et socialement dépendra de
son oncle maternel dont il est l'héritier. Mais la résidence est patrilocale, c'est-à-dire que le jeune
homme réside dans la cours de son père. Il continuera aussi à exploiter les palmeraies de son
patrilignage et à subvenir aux besoins de son père lorsque ce dernier est un nécessiteux.
Les revenus de la palmeraie du Bosu sont gérés par le chef du lignage pour subvenir aux
besoins des membres du matrilignage ou matriclan. Les revenus étaient surtout utilisés pour
acheter des biens de prestige (or, pagne, et esclaves). Une partie de ces revenus était épargnée
pour la célébration des funérailles ou du rituel d'Agbadzi. Les besoins énormes des matrilignages
avaient favorisé une exploitation rationnelle des palmeraies, ce qui a eu un impact sur la
production de l'huile de palme.
1- Jean-Marie MANGO MAt"J"GOU YE1 : Parenté dominant et économie dans les sociétés lagunaires de Côte
d'Ivoire page 48.
43
l'huile de palme et dont les techni ues de production diffèrent d'une région
une autre en
fonction du calendrier et des instruments de production Ainsi pour la production de l'huile de
palme le peuple Odzukru dispose des techni ues ui lui sont propres
Le calendrier agricole
L'exploitation du palmier
huile peut se faire tout au long de l'année sauf pendant la
grande saison des pluies où l'arbre ruisselant augmente les ris ues de chute pouvant causer la
mort des grimpeurs pour le Odzukru la saison propice idéale pour la récolte des régimes de
palme est la petite saison sèche (Fampô) ui s'étend de mi-Juillet
mi-Septembre succédant
la
grande saison des pluies "am Es
s" La grande saison sèche "Gbegben" est uni uement
réservée aux activités agricoles c'est- -dire
la préparation des terrains devant abriter les cultures
vivrières Fampô est la grande période des spéculations des échanges commerciaux Au cours de
cette période les populations étant libérées de tous les travaux de champs pouvaient s'adonner
aux échanges La petite saison sèche est aussi la saison des récoltes De façon générale les
graines du palmier
huile parviennent
maturité en Fampô Mais pendant la grande saison
sèche les grimpeurs
ui avaient déj cultivé leurs parcelles pouvaient exploiter les palmeraies
de leurs familles La production étant destinée
la consommation locale La grande saison sèche
n'était pas propice aux spéculations pour la simple raison ue dans la région forestière cette
période est consacrée aux cultures agricoles devant fournir les produits d'échanges pour le
commerce inter-villages et régional
Les deux saisons pluvieuses "Nyam Essus" et "Mewidz" sont considérées comme des
saisons mortes pour les activités économi ues surtout pour les échanges commerciaux
La production de l'huile de palme était nulle parce ue pendant ces deux saisons de
pluies la grimpée était interdite Les fruits sont généralement verts et les arbres glissants Les
fruits ne mûrissent u'avec l'ensoleillement Ainsi les saisons sèches (Fampô et Gbegben) étaient
les seules indi uées pour une exploitation des palmeraies Dans les "Gbrossets" (campements)
créés pour la production de l'huile de palme les populations pendant les saisons de pluies
procédaient
des retenues d'eau dans des jarres ou dans des calebasses Les retenues d'eau sont
nécessaires afin de pouvoir servir en eau les campements situés pour la plupart loin des cours
d'eau
44
L'exploitation
Selon certains de mes informateurs l'exploitation des palmeraies dans beaucoup de
villages est précédée d'un rite sacrificatoire (1)
Nous résumons les informations recueillies auprès de M Béno t ESSOR LATTE
«Avant l'exploitation des palmiers
huile les différents lignages procèdent
des rites de
fertilisation des terres et des palmeraies afin d'accélérer la maturité des fruits Ce rite a lieu au
début de la petite saison sèche Le jour indi ué pour les sacrifices les membres des lignages se
rendent dans les palmeraies avec un chien bien ligoté Arrivé sur le lieu du sacrifice
le
sacrificateur se rend avec le chien sous les palmiers jumeaux Sous ces palmiers il dépose un
oeuf du mil et le chien Il lève les bras vers le ciel pour invo uer "Foniamba" le tout puissant le
couple "AF et s" ainsi ue les génies leur demandant d'accepter leur offrande afin de rendre la
récolte abondante de protéger les grimpeurs et leurs familles et d'apporter la paix et la prospérité
toute la communauté Après les prières le sacrificateur transperce le coeur du chien avec un
coutelas et asperge les palmiers jumeaux avec le sang de l'animal Ensuite il parcourt une grande
partie de la palmeraie en aspergeant les palmiers afin de les purifier et de les fertiliser Le tour
terminé le chien est enterré sous les palmiers jumeaux Les sacrifices ont lieu soit le "Li" soit le
"Lis" (2) Ainsi après ce rite les grimpeurs commencent la récolte»
Le palmier
huile est l'arbre sacré des Odzukru Dans l'esprit des populations Odzukru
cet arbre est un don des dieux (3) C'est pour uoi son exploitation est soumise
des rites de
purification et de fertilisation Fertilisation parce ue les grimpeurs ont besoin de fruits mûrs
L'huile de palme devient dès la 2è moitié du XVIlè siècle le principal produit de spéculation de
Lodzukru avec l'extérieur Elle est également la première source de revenus pour les lignages
ne année de mauvaise récolte est une année de crise une période d'effondrement des structures
socio-économi ues En pays Odzukru toutes les activités d'échange s'organisent autour des
produits de la terre et surtout de l'huile de palme La prospérité du pays dépend de
1· Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1986 auprès de M. Bénoît ESSOH LAT'TE.
2- Le "Li" et le "Lis" sont parmi les six jours que compte la semaine Od.zukru, les seuls consacrés aux sacrifices.
- Enquête réalisée à Orgbaff le 25 Décembre 1984 auprès de M. Bénoit ESSOH LAT'TE.
45
l'abondance de la production de l'huile de palme ne bonne récolte dans l'esprit des populations
est une oeuvre des dieux Les rites de purification et de maturation (fertilisation) ont pour but de
remercier les dieux et de les amener
faciliter la récolte et de protéger les grimpeurs Les
grimpeurs tenus de s'agripper aux arbres ont besoin d'être protégés des chutes ui pourraient
provenir de la rupture des ceintures de sécurité avec pour consé uence éventuelle la mort
Les instruments de cueillette
Les Odzukru se servaient pour la récolte et des grains de palme et pour la production de
l'huile de palme de plusieurs types d'instruments dont certains étaient en fer et d'autres en
produits végétaux
La ceinture de sécurité
La ceinture de sécurité en Odzukru "KPEB" est
base de lianes de rotin et de fibres de
palmier huile Cette ceinture est confectionnée par les personnes âgées afin de garantir toute la
sécurité Elle est en forme ovale et mesure 1 SOm de long Elle comporte deux parties ne partie
rugueuse ui permet aux grimpeurs de monter et une partie lisse sur la uelle s'adosse le grimpeur
lors de la grimpée
La corde est placée autour du palmier et le grimpeur se place dans la partie lisse de la
ceinture ui est plus large de telle sorte ue les pieds serrés il puisse grimper au palmier en
soulevant vers le haut la ceinture de sécurité
Le panier de ramassage
Le panier en Odzukru " lu" sert
ramasser les graines et les régimes de palmier
huile
Il est fabri ué en rotin Ce panier est également utilisé par les femmes Odzukru pour le transport
des produits tels ue le manioc l'igname etc
Les paniers sont confectionnés dans le Lodzukru
précisément
Aklodze Mais la grande partie des paniers utilisés dans le Lodzukru est importée
du pays Abidji
principal pourvoyeur de Lodzukru en produits artisanaux Les paniers ont
constitué avec les esclaves les toiles d'écorce et les nattes les produits de spéculation entre
l'Abidji et le Lodzukru l'artisanat étant très peu développé en pays Odzukru(l) Les paniers sont
de grandeurs différentes et les grands peuvent contenir au moins huit (8)
dix (10) régimes de
palme
1- Une grande partie des produits de l'artisanat utilisée dans le Lodzukru provenait du pays Abidji. En pays
Odzukru, seuls les Aklod.zu s'adonnaient à j'artisanat.
46
La machette (Ibn)
Le "Ibn" est une sorte de sabre utilisé par les Odzukru pour les activités agricoles et
comme arme pour leur sécurité et la défense de leur souveraineté territoriale Le "Ibn" a deux
parties
une manche sculptée en bois et une lame en fer Le "Ibn" dans sa structure ressemble
aux couteaux Koueni (Gouro)
Des problèmes se posent uant
l'origine du "Ibn" en pays Odzukru Cet objet est-il
produit dans le Lodzukru ? Nous nous posons ces interrogations afin d'élucider le problèmes des
origines du fer en pays Odzukru En effet la plupart des traditions ue nous avons recueillies ne
concordent pas pour expli uer les origines et le développement des techni ues du fer en pays
Odzukru Selon la tradition recueillie auprès de M Béno t ESSOR LATTE «le fer était connu
dans le Lodzukru depuis ue Li Low Lis Ligbis Litfotch et Letchu étaient descendus du ciel
Ils étaient descendus avec du fer C'est grâce
eux ue les techni ues du fer s'étaient répandues
dans le Lodzukru
Le travail du fer avait alors donné naissance
une corporation
les
"EWUSU,,(l)>>
Ce texte est de nature mythologi ue parce ue les personnages nommés représentent les
noms des six jours ue comportait la semaine Odzukru Cela signifierait ue depuis des siècles
les Odzukru connaissaient le fer et u'ils n'avaient pas eu besoin d'intermédiaire Or personne
dans le Lodzukru n'a conscience de l'existence d'un minerai de fer et la plupart des objets
fabri ués par les "Ewusu" étaient des imitations des articles importés des "régions du Nord et du
littoral Le groupe des Ewusu" n'était pas constitué en corps social particulier Tout individu
possédant en lui le génie de la techni ue pouvait par le travail s'intégrer au groupe "Ewusu" Ce
texte ne nous donne pas des informations sur la première personne ayant introduit ou inventé les
techni ues du fer en pays Odzukru
Selon la tradition recueillie auprès de M Etienne GBO GBO ESSIS « Les techni ues du
travail du fer seraient introduites dans le Lodzukru par les esclaves venus des régions de savane
Ce sont eux ui ont montré aux "Ewusu" les techni ues du travail du fer Avant leur rencontre
avec les populations des régions de savane les Odzukru vivaient de cueillette et de chasse Les
outils agricoles et les armes étaient en bois et en pierre»
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1986 auprès de M. Bénoît ESSOH LATTE.
47
Ce deuxième texte comme le premier ne nous donne pas suffisamment d'information Il
nous permet cependant de comprendre et de situer l'apport des esclaves dans le développement
et la propagation des techni ues du fer Mais le développement des techni ues du fer dans le
Lodzukru se situe loin dans le temps Or les esclaves originaires du Nord n'ont été introduits en
pays Odzukru u'au XIXè siècle
La propagation et la diffusion des techni ues du fer dans le Lodzukru ont une origine
extérieure Cette diffusion se serait faite entre la fin du XVIè et début XVIlè siècle Deux
sources nous permettent d'expli uer les origines de la propagation des techni ues du fer dans le
Lodzukru
La première voie de pénétration des techni ues du fer fut constituée par les migrations
C'est parmi les peuples venus s'installer dans le Lodzukru ue nous trouvons les premiers
forgerons Odzukru appelés "Ewusu" En effet certaines traditions recueillies Orgbaff affirment
ue les pères fondateurs de assakp étaient des forgerons'l? A Aklodze où ils s'étaient installés
avant d'émigrer Orgbaff ils travaillaient le fer
La deuxième voie de pénétration fut constituée par les échanges entre les Odzukru et
leurs voisins Avant le XVIIIè siècle où se sont élaborés les contacts entre le Lodzukru et le pays
Koueni les Odzukru avaient des contacts avec les Tchaman (Ebrié) installés depuis le XVIè
siècle sur la rive Nord de la lagune Ebrié et occupant le bassin central de la dite lagune L'essor
du travail du fer dans le Lodzukru fut alors possible grâce
l'existence de mines de fer dans le
pays Tchaman L'existence de ces mines de fer du Tchaman fut attestée par la marine française"
Selon les informations rapportées par les marins français les mines se situeraient non loin
de la côte lagunaire Il est néanmoins difficile avec ces informations de localiser avec précisions
le lieu d'extraction du fer L'existence de mines de fer dans le pays Tchaman a favorisé la
naissance d'une "industrie métallurgi ue" tout le long du bassin occidental de la lagune Ebrié (3)
1- Enquête réalisée à Orgbaffle 22 Août 1986 auprès de M. Bénoît ESSOR LATTE.
2- A. N. S. Fonds Ex. AOF série: 2 Mi 4
- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Juillet 1984 auprès de M. Bénoît ESSOR LATTE.
4/S
- "LIJRtJ~'est un long ciseau d'un mètre cin uante (1 50 m) de long ui sert couper
les régimes de palmiers
huile Il comprend deux parties: une manche en bois long d'un mètre
trente (1 30 m) et une lame de vingt centimètres (20 cm) de long et une largeur de six (6)
centimètres· C'est la lame ui sert
couper les régimes de palme
La récolte des régimes de palme
La cueillette des régimes de palmier huile se situe au cours de la petite saison sèche Le
programme d'exploitation des palmeraies est fixé par les chefs de lignages ui fournissent les
instruments de cueillette et organisent les grimpeurs en fonction de leurs âges et de leur
ualification
L'âge des grimpeurs se situe entre dix huit (18)
cin uante. (50) ans (1) Les grimpeurs
sont ensuite répartis par petits groupes sur les propriétés des lignages Dans le cas où le lignage
dispose d'une seule palmeraie le travail se fait en groupe sous le contrôle du délégué du chef de
lignage
Ceux ui ne disposent pas de palmeraies sont obligés de louer leur force de travail ou de
s'associer au familles dont le nombre de grimpeurs est insuffisant C'est pendant la période de
l'exploitation des palmeraies
ue toutes les familles essaient d'améliorer leurs fortunes
personnelles et les trésors familiaux
L'appartenance au groupe des grimpeurs re uiert des ualités ue doivent disposer les
hommes aux uels cette tâche est réservée
savoir: la ma tri se de soi la bonne santé et la
techni ue de grimper Ainsi les grimpeurs sont des techniciens des hommes forts aux reins
solides et aux membres (bras et jambes) robustes Ces ualités sont exigées de ces derniers parce
ue dans la région lagunaire
les peuplements comprennent des palmiers d'âges divers
inégalement répartis sur le terrain
L'âge des palmiers correspond
la rotation des cultures vivrières successives faites sur le
sol de la palmeraie Les palmiers mesurent en moyenne entre vingt (20)
uarante (40)
centimètres de diamètre et trente (30)
cin uante (50) mètres de hauteur"
uel ues palmiers
mesurent plus de soixante (60) mètres de long Les palmiers en pleine production sont ceux de
vingt (20) trente (30) mètres ui ont le tronc régulièrement débarrassé de palmes mortes
1- Enquête réalisée à Orgbaffle 28 Juillet 1984 auprès de M. Bénoit ESSOH LATTE.
2- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 22 Juillet 1984.
49
Les palmiers commencent
donner leurs premiers fruits dès l'âge de sept (7) ans Au
cours de cette période le régime ne pèse ue uel ues grammes Cha ue palmier produit en
moyenne plus de dix (10) régimes par an Et au stade de la maturité le poids des régimes varie
entre (10)
uinze (15) kilogrammes
La grimpée est une techni ue
ue tout jeune Odzukru doit apprendre dès l'âge de
uatorze (14) ans Elle consiste
grimper au palmier en se servant de la ceinture de sécurité Le
grimpeur tient le "Ibn" entre ses dents le ciseau
couper les régimes est placé dans une corde
ui lui ceint la hanche La ceinture de sécurité est placée autour du palmier
huile de telle sorte
ue les pieds serrent fortement l'arbre Le grimpeur s'élève en déplaçant sa ceinture de sécurité
puis ses mains et ses pieds dirigeant la ceinture fermée par une boucle Ainsi le grimpeur est
capable de grimper
n'importe uelle hauteur sans ris ue de tomber Arrivé
la frondaison il
nettoie le palmier huile en coupant les palmes avec le "Ibn" puis
l'aide du ciseau il coupe les
régimes mûrs u'il fait tomber A sa descente le grimpeur rassemble les régimes sous le palmier
de façon
faciliter le ramassage des régimes par les femmes
Le ramassage des régimes est généralement assuré par les épouses des grimpeurs ui se
font aider par les parents de sexe féminin (soeurs mères cousines nièces)
et aussi par les
femmes célibataires généralement des veuves dont le contrat est subordonné
une série
d'arrangement avec le chef du lignage des grimpeurs Il s'agit d'un contrat dont les modalités sont
fixées en conseil de famille A la clôture de la saison toutes les femmes reçoivent surtout les
épouses et les contractuelles une rétribution en nature et plus tard en argent pour la force du
travail u'elles ont eue
apporter Lors ue la récolte est bonne les femmes reçoivent au moins
une calebasse d'huile de palme Mais de façon générale la rétribution est liée au volume de la
production d'huile de p.alme Elle permet aux femmes célibataires d'assurer les consommations
uotidiennes en huile de palme mais lors ue la uantité est suffisante une partie est destinée
soit aux échanges extérieurs avec les populations de la bordure lagunaire soit utilisée pour la
fabrication du savon locale (kundu)
50
L'huile de palme était échangée contre du sel et du poisson Ces échanges permettaient
aux femmes de monter leur petit commerce de vente de poisson et de sel Le travail des femmes
consiste transporter des régimes au village des femmes réservés uni uement
la production de
1 huile de palme
Les régimes une fois transportés au village ou au campement sont coupés
l'aide du
"Ibn" par les hommes d'un âge avancé membres du lignage et ui n'appartiennent plus au groupe
des grimpeurs de façon
faciliter le triage des graines non comestibles des graines comestibles
de façon
ne pas rendre l'huile toxi ue En effet selon les traditions orales situant l'exploitation
des palmeraies dans le Lodzukru fin XVIè et début XVIlè siècle (1) on distingue trois fruits: les
fruits blancs (Legbel F) les fruits noirs (Legbel Ibr) et les fruits oranges verdâtres (Aregn)
Ce dernier fruit est non comestible parce. ue son huile est toxi ue Sa consommation entra ne
des céphalées de la nausée et des troubles digestifs Les arbres donnant cette variété étaient
abattus Lors ue par inattention un grimpeur récolte des régimes d'''aregn'' il les laisse pourrir
sous le palmier Ces régimes abandonnés servent d'informations de signes aux autres grimpeurs
Les campements ou "gbrossets" au début de l'exploitation des palmeraies étaient situé
l'intérieur des exploitations Ils étaient crées le plus souvent
proximité des points d'eau de façon
faciliter l'approvisionnement des grimpeurs en eaux Des cases y étaient construites pour servir
de logement aux grimpeurs ui y séjournaient deux
trois mois par an Mais au XIXè siècle où
l'huile de palme était devenue le principal produit de spéculation de Lodzukru les "gbrossets"
s'étaient transformés en véritable village pour certains grimpeurs ui y habitaient toute leur vie
Souvent des enfants parvenaient l'âge adulte sans avoir vu leur village d'origine (2) la vie était
agréable dans ces campements
proximité des uels se trouvaient les champs de manioc
d'igname de taro d'arachides et àe banane plantain
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Juillet 1984.
2- C'est au moment de leur initiation que certains enfants faisaient la connaissance pour la première fois de leur
village.
51
La préparation de l'huile de palme
Les noix triées étaient cuites dans de grosses marmites en argile pour la période UI
précédait 1850 puis dans des fûts coupés en deux pour la seconde moitié du XIXè siècle Les
noix préparées étaient ensuite conservées dans des fosses de 1 50
2 mètres de profondeur
garnies de feuil1es de banane plantain Les feuil1es de banane étaient couvertes d'une lotion
composée d'huile de palmeet de cendres Les noix étaient laissées dans cette fosse pendant trois
(3)
uatre(4)jours
La conservation avait pour effet de ramollir les noix afin d'augmenter la uantité d'huile
D'autres noix sans être préparées étaient déposées dans une fosse durant la même période afin de
les ramollir plus et de faciliter ainsi la cuisson Des noix fra chement récoltées étaient préparées
puis ajoutées celles conservées dans les fosses afin de rendre l'huile plus fluide
Les noix conservées dans les fosses et celle récemment préparées étaient mélangées pour
être pilées Le pilage se faisait dans de gros mortiers appelés en Odzukru "ogue" Ces mortiers
confectionnés pour la plupart
Aklodze varieraient entre dix (10)
uinze (15) dm3 La taille
des mortiers était fonction du volume de la production de l'huile de palme Elle devint plus
importante après la seconde moitié du XIXè siècle Les mortiers étaient aussi utilisés pour piler
le manioc
Le XIXè siècle est le siècle de 1 huile palme Elle est le principal produit d'échange de
Lodzukru au cours de cette période
Le pilage des graines consistait
séparer la pulpe de la noix de palmiste Lors ue la
récolte était importante les grimpeurs faisaient appel aux grimpeurs des autres lignages ou aux
parents lointains ui étaient récompensés en nourriture
Armés de plions conçus spécialement pour le pilage des graines et longs de 1 20
1 50 m
et de 6 cm de tour les hommes écrasaient les graines pour dégager les pulpes des noix Le pilage
terminé Je produit est laissé aux femmes pour le dépulpage Le pilage se fait au rythme de la
musi ue C'est une musi ue instrumentale Cette musi ue ui a donné naissance au rythme
"Legbel Edz" avait pour but d'inciter les pil1eurs
redoubler de courage et de les soutenir dans
leurs efforts(1)
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1986 auprès de M. Bénoît ESSOH LATTE.
3
NOTE
DE
REMERCIEMENT
Notre infinie gratitude et nos vifs remerciements s'adressent à tous ceux dont l'aide a rendu
possible la réalisation de ce travail.
Au professeur M'BRA EKANZA Simon - Pierre, notre Directeur de thèse. Notre dette à son
endroit est d'autant plus lourde que ce que nous avons appris en histoire, nous le lui devons, lui
qui a
guidé nos premiers pas dans le métier d'historien, depuis le mini-mémoire de licence
Jusqu'au doctorat IIIè cycle en passant par le mémoire de maîtrise.
Au Professeur HARRIS tvIHvIEL FOTE pour tous ses conseils.
A tous nos informateurs des villages de Bobor, Orgbaff, Dibrim, Tukpa, Cosr, Lokp et Yasakp,
en particulier à NIM. Gbougbo Essis, Etienne de Dibrim, Sess Samuel et Gornron Etienne
d'Orgbaff.
Aux feux ESSOH LATTE Bénoît et AFFI Sylvestre dOrgbaff ; c'est à vous que je dois ce
travail. Que DIEU Tout Puissant dans son Amour et sa Miséricorde infinie vous accueille dans
son paradis.
A mon frère LATTE EKOUDOU Pascal.
A mon cousin GNAMOULOW Basile.
A mes collègues BADO BALI Joseph
et N'GORAi\\[ Célestin du collège St Viateur.
A Mme ESSOH Joséphine, secrétaire à la Direction de
l'emplois et de la Réglementation du Travail.
A tous mes Amis, en particulier GNAGNE AGNIMELEDJE
Antoine et à tous mes Amis de la Jeune Chambre Economique
de Bouaké.
52
Le dépulpage est assuré par les femmes Il consiste
séparer les pulpes des noix de palmiste
Pour ce travail
les femmes se munissent d'ustensiles en bois en forme de cercle dont la
circonférence est de un mètre et la hauteur des bords de uinze (15)
vingt (20) centimètres
Elles séparent la pulpe de la noix en frappant les mélanges contre l'ustensile
Les noix sont ensuite rassemblées dans des jarres et les pulpes dans des écuelles en bois
puis des barri ues
partir du XIXè siècle
Pendant le pilage des graines
uel ues grimpeurs accompagnés de jeunes garçons se
rendent dans la forêt pour chercher le silex ui est utilisé pour rendre l'huile plus li uide
Au lendemain du pilage
les grimpeurs confectionnent de petits paniers appelés en
üdzukru «Tchiffi» Ils utilisent les nervures de palme Ces paniers servent
essorer les pulpes
Avant l'essorage des pulpes des bois de bonne ualité et fourchus sont' plantés A ces fourches
est ajouté un travers Ensuite deux récipients sont placés sous le travers au uel est suspendu un
"Tchiffi" Les grimpeurs font ensuite un feu dans le uel sont déposés les blocs de silex ou de
granite ui ont la propriété de rendre l'huile li uide et de faciliter l'essorage Les grimpeurs le
corps ruisselant de sueur et souvent le torse nu portant simplement un cache sexe appelé en
üdzukru "Abraku" prennent avec leurs mains poignée par poignée les pulpes bouillantes et les
déposent dans le "Tchiffi"
A l'aide d'un morceau de bois deux hommes essorent les pulpes jus ut ce u'il ne reste
plus une seule goutte Lors ue les grimpeurs constatent ue les fibres ne contiennent plus d'huile
ils versent alors de l'eau dans le "Tchiffi" pour laver les pulpes Cette opération est répétée
jus u' ce u'il n'y ait plus de pulpe
L'huile produite est mise dans de grosses calebasses appelées en üdzukru "LEL" Ces
calebasses peuvent contenir douze (12)
uinze (15) litres d'huile A partir du XIXè siècle ce
sont les barri ues ue les üdzukru utilisaient pour transporter leur huile Ces barri ues ont été
introduites dans le Lodzukru d'abord par les Anglais et plus tard par les Français" Elles
contenaient l'eau de vie(2)
1- A. N. S. : Section AOf série 5G25 pièce .
2- L'eau de vie: Il s'agit des alcools: Rhum et de Gin : A. N. S. Sélection AOf série 5G26 pièce
53
Les noix sont lavées à.grande eau et déposées derrière les cases formant des monticules
Elles servent de combustibles aux femmes
Mais plus tard
vers la fin du XIXè siècle
les
palmistes constituent une source de devises pour les femmes
Les li uides recueillis dans un second récipient après le lavage des noix et composé de
l'huile et de l'eau est laissé aux femmes Les femmes après de longues heures de préparation
recueillent l'huile
ui appara t
la surface de la marmite Cette huile n'est pas destinée
l'alimentation de la famille Elle est utilisée par les femmes pour fabri uer un savon local appelé
en Odzukru "Kundu" Ce savon est exporté vers la zone lagunaire où il est échangé contre le
poisson les crustacés ou contre le sel Le "Kundu" a constitué durant des siècles l'une des
principales sources de revenu des femmes-!'
Cette longue énumération des produits a pour finalité de montrer ue dans le pays
Odzukru la production des biens avait deux buts essentiels
atteindre Le premier but était
d'assurer l'alimentation de la famille et le bien être du lignage et le second but était de créer des
biens pour les échanges avec les autres peuples Les échanges étaient le seul moyen pour le
peuple Odzukru d'ac uérir des produits dont il n'est pas soi-même producteur et compenser ainsi
son indigence techni ue C'est pour uoi très tôt les Odzukru se sont investis dans les échanges
avec les pays voisins Mais ces échanges commerciaux sont restés
leurs débuts très limités dans
l'espace parce u'ils ne concernaient ue le cadre ethni ue et u'ils portaient sur un genre de
produits : les produits alimentaires Les relations commerciales ne sont véritablement établies
ue dans la deuxième moitié du XVIlè siècle (2) et au XVIIIè siècle avec l'installation pres ue
définitive des populations et la création des routes commerciales permettant de relier les régions
Dépendant des Odzukru de l'intérieur en produits agricoles les populations lagunaires
développent les ressources dont elles sont productrices afin de créer une interdépendance
économi ue avec les populations de la région forestière Ainsi vont-elles s'adonner la pêche en
eaux continentales et en lagune
1- La petite industrie de "Kundu" continue aujourd'hui d'alimenter le petit commerce des femmes.
2- Les échanges commerciaux entre les pays Odzukru et Alladian ont débuté dans la deuxième moitié du XVIlè
siècle. Mais avant cene période, les Odzukru ont établi des relations commerciales avec les Tchaman à l'Est et les
Abidji au Nord.
54
21 Les produits de la côte lagunaire
Les premiers à. s'installer dans le Lodzukru sont des agriculteurs
ils s'installent
l'intérieur des terres
l'orée de la savane Entre les XVIIIè et XIXè siècles les différentes vagues
ui arrivent en pays Odzukru sont dirigées vers les rives de la lagune Ebrié Ainsi les Odzukru
éprouvent la nécessité et le besoin impérieux d'utiliser les ressources de la lagune afin d'assurer
leur approvisionnement en produits halieuti ues et d'accro tre les ressources ui constitueront
une partie des produits d'échange de Lodzukru avec ses voisins Suite
des problèmes politi ues
économi ues sociales et de sécurité des villages de l'intérieur éclateront pour donner naissance
des villages sur la côte lagunaire'!'
L'activité dominante des populations de la côte lagunaire est la pêche Ces populations
avaient pour mission d'assurer l'approvisionnement des populations de l'intérieur en produits
halieuti ues et surtout de veiller
leur sécurité contre les incursions de leurs voisins surtout les
"Tchaman,,(2)
Les Odzukru avaient ainsi
en fonction des étendues d'eau
développé plusieurs
techni ues de pêche La pêche se déroulait en lagune comme en rivière
uelles sont les
principales techni ues de pêche?
a) Les techni ues de pêche:
Plusieurs techni ues de pêche ont été développées dans le Lodzukru afin d'accro tre les
pnses Les techni ues utilisées dans les campements de pêche et dans les villages lagunaires
présentaient les mêmes méthodes Il s'agissait surtout de la pêche
- A la main
: Midz Ofr
- A la nasse
: Tumu ou tumâ
- Au tuyau de Bambou
------> gâgâ kpârnâ
- A l'épervier
------> asawa
- A l'épuisette
------> pjoru
- Par barrage
------> sôme
- Par empoisonnement
------> kpogig'n
- Au feu
------> alog'n
1- Pour son approvisionnement en poisson, le village de Gbadzn crée le débarcadère de Lidz Nanu.
2- GBOUGBO ESSIS Etienne: les villages de Gaty et Gbougbo ont été crées pour assurer la sécurité territoriale de
Dibrirn contre les "Tcharnan".
55
Plus tard au contact des Européens les Odzukru se sont initiés aux techni ues de la
pêche
l'hameçon Le nerf et l'hameçon utilisés dans la pêche
la ligne étaient importés
d'Europe et vendus aux populations par les maisons de commerce
Parmi toutes les techni ues citées plus haut seules trois d'entre elles étaient utilisées de
façon permanente par les pêcheurs Ce sont par ordre d'importance : la pêche
l'épervier
prati uée tout au long de l'année
ensuite la pêche
la nasse et enfin la pêche au barrage (sôme)
Cette dernière techni ue c'est- -dire la pêche au barrage fut la plus importante parce u'elle
permettait aux pêcheurs de faire de bonnes prises Les autres techni ues étaient aussi utilisées
mais de façon périodi ue
L'importance des prises dépendait surtout du calendrier et de
l'organisation de la pêche
b) Le calendrier de la pêche
La saison de pêche est très longue Elle commence de façon générale en Avril et prend fin
en Novembre Mais cette longue période halieuti ue diffère en fonction des étendues d'eau En
rivière
la pêche se déroule pendant la grande saison sèche Au cours de cette période
les
poissons recherchant la fra cheur et fuyant l'ensoleillement se rassemblent dans les zones où la
lumière solaire est difficilement pénétrable Ces zones sont ensuite repérées par les pêcheurs ui
font de bonnes prises avec l'épervier
Les pêcheurs préfèrent la saison sèche pour la pêche et rivière
cause des crues de la
saison pluvieuse ui détruisent les filets confectionnés avec les fibres de raphia'!'
En lagune la saison choisie par les pêcheurs est celle ui débute en Avril et ui prend fin
en Novembre La période ui part de Décembre
Mars est considérée comme une saison morte
pour la pêche Avec la chaleur et le réchauffement des eaux les poissons vont en profondeur
Les filets n'ont pas été confectionnés pour descendre plus en profondeur Par contre pendant la
saison pluvieuse les poissons remontent
la surface des eaux Ce ui permet aux pêcheurs de
faire de bonnes prises Le travail de la pêche nécessite comme la plupart des activités humaines
une organisation rationnelle
1- Les fibres de raphia avaient servi aux üdzukru à fabriquer des cordes. Elles étaient dures et résistantes.
56
c) L'organisation de la pêche
Les eaux appartiennent
la communauté villageoise Les baies les gorges et les grands
arbres servent de frontière entre deux villages pêcheurs
L'activité de pêche est
la fois collective et individuelle Mais cette activité est surtout
collective afin de garantir la sécurité des pêcheurs contre les naufrages et les atta ues des autres
pêcheurs
L'activité de la pêche est aussi subordonnée aux moyens de production U1 sont au
nombre de trois Le filet le harpon et la pirogue ui est l'élément essentiel Ces moyens de
production sont offerts aux jeunes pêcheurs par leurs pères mais
l'âge de vingt cin (25) ans
après la cérémonie. de "l'Essafle" au cours de la uelle ils sont remis
leurs parents maternels
Après cette cérémonie c'est la famille maternelle ui donne les moyens de production afin
d'assurer des entrées de devises au lignage Le poisson est après l'huile de palme l'une des
sources de revenu du pays üdzukru surtout pour les populations lagunaires
d) Les moyens de production
Les moyens de production sont au nombre de trois
mais deux d'entre eux seulement
méritent d'être considérés comme moyens de production car sans ces deux éléments il n'y a pas
de pêche
Il y a d'abord le filet dont nous distinguons trois types
Les filets
grandes mailles pour la pêche aux gros poissons comme les raies
les
capitaines et autres gros poissons A travers ce type de filet les Odzukru optent très tôt pour une
sélection des prises afin de ne pas appauvrir la faune a uati ue et désé uilibrer ainsi la nature
nourricière Les filets
grandes mailles sont utilisés pour la pêche en lagune et en rivière
les
moyennes: les tilapia et les machoirons et enfin les filets
petites mailles pour tous les types de
poisson Ce type de filet est utilisés pour la pêche aux crustacés et pour toutes les catégories de
poisson Les üdzukru adorent manger le jour de repos les petits poissons mais les filets
petites
mailles ne sont pas très appréciées par les pêcheurs parce uelles appauvrissent les fonds
fluviaux et lagunaires C'est pour uoi leur emploi est épisodi ue
57
Les filets sont confectionnés par des Odzukru
partir des fibres de raphia Mais ces filets
ont une résistance très faible La durée n'excède pas deux (2) saisons La maintenance est dirigée
par les personnes âgées
Ul
cha ue retour de pêche vérifient les filets et les réparent en cas de
dégât Les réparations et la confection de nouveaux filets sont rendues possibles grâce
l'abondance dans les régions marécageuses et en bordure des rivières des peuplements de
palmiers de raphia mais la possession d'un filet et d'un harpon ne conditionne pas la pêche Tout
pêcheur doit obligatoirement posséder une pirogue
La pirogue
La pirogue est le moyen de transport par excellence dans la région lagunaire C'est
l'élément essentiel de la pêche Sans pirogue aucune pêche ne peut avoir lieu On distingue dans
le Lodzukru trois types de pirogue
D'abord les pirogues de pêche de dimensions très réduites pouvant contenir au plus trois
(3) personnes Elles mesurent au moins entre six (6)
dix (10) mètres de long et entre soixante
dix (70)
uatre vingt (80) centimètres de large et soixante (60) centimètres de profondeur
Les pirogues de pêche se répartissent de la façon suivante: les pirogues
une pagaie
la
pêche
la ligne ensuite la pirogue
deux pagaies utilisée pour la pêche
l'épervier la pêche
l'harpon et la pêche
la ligne et enfin les pirogues
trois ou uatre pagaies utilisées pour la
pêche grands filets
A ces pirogues de dimensions modestes s'opposent les
pirogues de guerres sculptées
dans des troncs d'arbres gigantes ues : les fromagers On ne trouve au plus ue par village
lagunaire ue deux
trois spécimens'!' Ces pirogues mesurent vingt (20)
vingt cin (25)
mètres de long cent vingt (120) centimètres largeur et peuvent contenir près de trois cent (300)
personnes"
Entre les pirogues de pêche de dimensions modestes et les pirogues de guerre nous avons
les pirogues de dimensions moyennes destinées au commerce Ce type de pirogue était utilisé
très tôt par les populations lagunaires Odzukru pour le transport des cargaisons d'huile de palme
des palmistes et des autres produits vivriers vers les débarcadères Alladian
1- Enquête publique réalisée à Tukpa le 28 Août 1988.
2- Enquête publique réalisée à Dibrim le 2 Septembre 1988.
58
Ce type de pirogue mesure entre treize (13) 0. quinze (15) mètres de long et de un mètre
cin uante (1 50 m) deux (2) mètres de large et soixante-dix (70)à.quatre vingt (80) centimètres
de profondeur
La pirogue est un élément indispensable pour le pêcheur ui l'utilise tout le long de
l'année et par le traitant pour le transport des produits de commerce Ces pirogues doivent
résister
l'usure du temps et de l'eau
c'est pour uoi
les matériaux ui entrent dans sa
confection sont des essences de grandes résistances Ainsi plusieurs essences interviennent dans
la confection des pirogues pour les pirogues de pêche ce sont: le Sipo l'Acajou le Framiré et le
Niangon Les pirogues de guerre sont confectionnées
partir du fromager C'est l'un des arbres
les plus géants de la forêt é uatoriale
Les essences utilisées dans la confection des pirogues de pêche sont les mêmes pour les
pirogues destinées au commerce
Les Odzukru sont de grands utilisateurs de pirogues mais ils en confectionnent peu Dans
tout le pays Odzukru seul dans le village d'Aklodze ue l'on rencontre des sculpteurs de pirogue
De façon générale les Odzukru se font confectionner les pirogues par les Abê et Attié où se
rencontrent les meilleures essences'P
Les pêcheurs du village d'Armébé lançaient leur
commande auprès des sculpteurs du village d'Atindjé'j'
uant aux pêcheurs des villages situés
dans la zone occidentale du pays Odzukru leur commande était faite auprès des Alladian des
villages d'Addah et d'Avagour" En effet contrairement au pays Odzukru où les sculpteurs ne se
trouvaient ue dans le seul village d'Aklodze en pays Alladian cha uevillage et voire cha ue
matriclan ou matrilignage comptait des spécialistes en la matière On rencontre de nombreuses
personnes sachant confectionner les pirogues et les pagaies
La
confection d'une pirogue est subordonnée
des
rites religieux?
En
effet
l'autorisation ac uise l'artisan consulte un devin pour conna tre le jour propice pour le début des
travaux Il adresse ensuite aux divinités titulaires de la forêt des vœux de prospérité de santé et
de protection pour les é uipes engagées dans les différentes opérations de la confection Enfin un
cabri un mouton ou un poulet et des vivres frais surtout
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984 auprès de M. Sylvestre AFFI.
2- Enquête collective réalisée le 22 Juillet 1988 à Armébé.
- Enquête collective réalisée le 22 Septembre 1988 à Turkpa,
4- HARRIS J\\I1EJ\\I1EL Foté : l'esclave dans les sociétés lignagères de l'Afrique Noire. Exemple de la Côte d'Ivoire
Précoloniale. 1720 - 1920 page 26 .
59
du mil sont offerts
la divinité de la forêt afin u'elle exauce les voeux de l'artisan Ce n'est
u'après ce rite ue le travail de la confection commerce C'est un travail minutieux et lent(l)
Comme outil pour la confection de la pirogue les artisans Odzukru se servaient de hache de
coupe-coupe (machette) et de pics Tous ces objets sont selon Sylvestre AFFI importés des
régions du Nord Leur ac uisition se fait grâce aux contacts périodi ues avec les Koueni C'est
par la suite ue les artisans Odzukru (Ewusu) par imitation fabri uèrent ces objets
L'artisan dans le travail de confection n'est pas seul Il est aidé dans cette pénible tâche
par des jeunes gens ui ont la charge de ramener la pirogue au village Ils sont rémunérés par le
propriétaire de la pirogue ui leur orne une compensation en nature et plus tard en espèce A la
pirogue sont adjoints les accessoires nécessaires
la propulsion et
la sécurité-" Pagaie et
perche sont confectionnées dans les mêmes matériaux ue la pirogue et les écopes en bambou
ne fois le travail de polissage terminé la pirogue est après une libation dans la uelle les dieux
et les ancêtres sont invo ués afin u'ils protègent et apportent la prospérité aux utilisateurs mise
l'eau pour la pêche ou le commerce'i"
e) L'exploitation des eaux
Contrairement aux palmeraies
ui sont des propriétés privées appartenant SOIt au
patrilignage (Eb) soit au matrilignage ou matriclan (gn
Bosu) les eaux constituent un bien
collectif appartenant
toute la communauté villageoise ou tribale La pêche est une activité
collective mais le pêcheur peut aller seul
la pêche
Pour les populations lagunaires la pêche est la principale sources de revenu car les
produits de la pêche sont échangés contre l'huile de palme ou contre les produits vivriers C'est
pour uoi dès l'âge de cin (5)
six (6) ans le jeune garçon est initié aux différentes techni ues
de la pêche Les premières années de l'initiation ui peuvent durer au maximum six (6)
sept (7)
ans sont consacrées
l'observation L'enfant observe les gestes de ses a nés Au cours de cette
longue période d'apprentissage l'enfant s'initie
la nage et
la plongée parce u'un pêcheur doit
savoir nager et plonger ensuite
repérer les zones les plus profondes et
combattre la peur par
les pêches de nuit
1- HARRIS NIENIEL Foté. C.F. page 26
2- Enquête collective réalisée le 27 Décembre 1987 à Arrnébé.
- Enquête réalisée à Orgbaff le 29 Juillet 1984 auprès de M. Sylvestre AFF!.
60
Lors des pêches l'enfant est toujours placé au milieu entre celui ui dirige la pêche et le guideur
Dans cette position l'enfant accompli les tâches minimes celles ui consistent
vider l'eau
entrant dans la pirogue L'eau dans la pirogue empêche une bonne circulation de l'embarcation
L'enfant apprend également tenir une pagaie
pagailler et
pêcher la ligne Lors ue l'enfant
gagne en âge il change de position il se place en arrière de la pirogue et joue le rôle de guide A
l'âge de uinze (15)
dix huit (18) ans devenu ma tre dans l'art de pêcher le jeune garçon se
place devant C'est lui désormais ui dirige la pêche donne les indications et les orientations Il
se fait alors guider Pendant la période initiati ue le jeune garçon doit retenir trois éléments
importants D'abord savoir nager plonger pêcher et guider une pirogue Ensuite savoir se
repérer dans la nature la nuit avec les étoiles et conna tre les limites des eaux de son village afin
d'éviter
son village des conflits avec les villages voisins Enfin il doit repérer les zones où les
bandes (bans) de poisson ont l'habitude de se reposer C'est lors ue l'enfant a assimilé toutes ces
leçons u'il devient un bon pêcheur
Nous avons déj
mentionné plus haut
ue la pêche commence en Avril et prend fin en
Novembre Elle se déroule de jours comme de nuits Mais les pêcheurs préfèrent la journée de
peur de se perdre dans la nature ou de faire naufrage contre un tronc d'arbre Mais généralement
les filets sont placés entre dix sept (17) heures et vingt (20) heures dans le sens de la largeur
L'objectif recherché est de parvenir
capturer les bans de poisson ui sont en perpétuels
déplacements
Il s'agit surtout des tilapia
des saumons
des brochets
et des macho irons
L'importance des prises dépend de l'utilisation des différentes techni ues
Ainsi la pêche
l'épervier se fait par trois (3) personnes
n indicateur ui est le lanceur de l'épervier le guideur
ui a la charge de la diriger la pirogue et enfin un enfant chargé de vider l'eau de la pirogue La
particularité de la pêche
l'épervier c'est ue les pêcheurs suivent les poissons en déplacement
et repèrent les zones où ils se reposent La seconde techni ue c'est u' l'ouverture de la saison
les pêcheurs se subdivisent en sous-groupes Cha ue sous-groupe place des filets dans la lagune
surtout dans les bras et aussi dans les fleuves et rivières pendant la tombée de la nuit Pendant la
journée cha ue sous-groupe vérifie ses filets Les prises sont retirées et mises dans les pirogues
Pour ce type de pêche les pêcheurs se rendent généralement
des dizaines de kilomètres de
leurs campements Enfin la dernière techni ue utilisée est le barrage de bambou ui se. fait dans
les fleuves et rivières Cette technique appelée en Odzukru "Sôme" est l'une des spécialistes des
villages Anébi Gbugbo Gaty et Kpass
La "Sôme" est une grande technique ui permet aux Odzukru de faire de bonnes prises
La période de "Sôme" commence en Avril Les matériaux utilisés sont le bambou de raphia
(Kpoupo) les lianes et les fibres de graines de palme très appréciées par les poissons En effet
les pêcheurs répartis en sous-groupes font des barrages sur les fleuves rivières et dans les bras
61
de la lagune Ebrié Dans les barrages des ouvertures sont prévues communi uant directement
avec des cages Les poissons peuvent entrer dans les cages mais ne peuvent en ressortir ne fois
entrés les poissons sont prisonniers Les jours suivants les pêcheurs reviennent et les enlèvent
de l'eau Les poissons sont ensuite tués avant d'être versés dans la pirogue Pour une seule
journée les pêcheurs peuvent rentrer chez eux au moins avec deux pirogues pleines
Les
üdzukru utilisent aussi le système de piège avec les techni ues de "Tumâ" et de "Sow"
Le "Sow" est un barrage ui se fait
partir des nervures de palme et comportant des cages dans
les uelles les poissons entrent mais ne peuvent en ressortir Par rapport au "Sôrne" la techni ue
du "Sow" est moins importante Les prises
partir de cette techni ue sont moins abondantes
Cette techni ue est surtout utilisée dans les ruisseaux et les rivières moyennes Le "Tumâ"
(Nasse) est une cage confectionnée soit
partir de lianes et de nervures de palme ou soit en rotin
comportant une entrée fermée par une petite porte A l'intérieur de la cage sont déposées des
fibres ou des graines de palme pour attirer les poissons surtout les machoirons ui adorent les
graines de palme De l'extérieur le poisson peut pousser la porte et pénétrer
l'intérieur de la
cage mais une fois entrer il y reste prisonnier Ces différentes techni ues sont utilisées en
fonction des étendues d'eau Mais parmi les techni ues évo uées plus haut certaines ont été
empruntées aux Alladian et aux Aïzi(l) Pour ces populations la pêche constitue la première
activité économi ue et depuis la deuxième moitié du XVIlè siècle date de leur installation dans
le bassin occidental de la lagune Ebrié la pêche a été développée afin u'elle constituât pour ces
populations l'une des principales sources de revenu." Les produits de la pêche restent les
principaux articles d'échanges entre ces populations et leurs voisins üdzukru producteurs de
produits agricoles-"
1- Enquête publique réalisée à Gbougbo le 18 Août 1988.
2- La pêche est la principale activité économique du peuple Aïzi.
- Les üdzukru échangent les produits agricoles contre le poisson.
62
Les pêcheurs pour rentabiliser leur activité uittent généralement le village natal et vont
dans une autre région où ils créent des campements comprenant dix (l0)
vingt (20) cases Pour
certains pêcheurs ces campements sont devenus des habitations permanentes C'est le cas des
campements de "Layu" situé sur l'axe routier Dabou - Abidjan
entre les villages d'Anébi et de
Songon N'braty et Okobu aujourd'hui un uartier de Dabou Le uartier Okobu est situé sur la
route de Kpass Pour d'autres pêcheurs ce sont des maisons de fortune parce u' la fin de la
saison les pêcheurs retournent aux villages Les enfants nés dans les campements parviennent
l'âge adulte parfois sans avoir vu auparavant leurs villages d'origine
Au cours de la création des campements ui sont disséminés tout le long de la lagune
jus u' Cosr les pêcheurs offrent des sacrifices
la divinité de la localité en lui demandant la
prospérité la .santé et la protection ils lui offrent des produits vivriers généralement du mil de
l'huile de palme des ignames des oeufs du poulet et du vin de raphia
Les prises sont réparties entre les pêcheurs
leur retour de la pêche Les poissons sont
ensuite fumés et vendus par les épouses et les filles des pêcheurs La première prise du "Sôme"
est répartie entre tous les membres de la communauté villageoise ou du campement Cela donne
alors lieu
des réjouissances dans tout le village Les prises suivantes sont destinées aux
échanges commerciaux
La pêche se fait généralement torse nu
Les pêcheurs ne portent
u'un cache-sexe
(Abraku) confectionné
partir des toiles d'écorce (Likpekn) Les plus fortunés portent deux
trois bandes de tissu en coton importé des pays Koueni et Baulé
Les pêcheurs pauvres louent les pirogues et
la fin de la saison versent des redevances
en nature ou en espèce aux propriétaires de la pirogue Dans certains villages comme Tukpa et
Cosr par ce système
s'est constitué un groupe de "semi-armateurs" louant les moyens de
production un certain nombre de jeunes afin u'ils puissent s'occuper uni uement aux échanges
de l'huile de palme Souvent c'est le matrilignage ui offre les moyens de production
ses
membres ui doivent travailler pour l'enrichissement et la prospérité du lignage
La commercialisation du poisson se fait par les femmes Ainsi depuis le XVIIIè siècle
ont été crées des marchés d'échanges commerciaux entre les villages lagunaires et ceux de
l'intérieur Pour les villages situés dans la partie orientale du pays Odzukru le centre d'échange
était le village de Dibrim fondé au XVIlè siècle
la suite de l'éclatement du village de Bobor!'
1- HARRIS rvIENIEL Foté : système politique de Lodjoukrou page 189.
63
Ce marché était approvisionné en produits halieutiques par les femmes d'Anébi, Kpass, Armébé
et Gboubo(l). Le poisson était transporté dans des corbeilles appelées en Odzukru (Kokr)
fabriqués en rotin et pouvant contenir au minimum vingt (20) à trente (30) grappes de poisson.
Dans la partie occidentale, on notait la présence de plusieurs centres d'échanges commerciaux
dont les principaux étaient Mopoyem, Tukpa et Cosr. Les débarcadères de Kpâda et de Tsaha
étaient aussi des centres d'échanges mais de deuxième zone.
3/ Les échanges entre les villages Odzukru de la Côte Lagunaire et de l'intérieur
Les échanges commerciaux entre les villages de l'intérieur et de la côte étaient animés par
les femmes. Trois types de produits dominent les transactions commerciales entre les deux
zones. Il s'agit de l'huile de palme, des produits vivriers et le poisson.
L'huile de palme et les produits vivriers étaient fournis par les populations de l'intérieur.
L'huile de palme est transportée dans de grandes calebasses de douze (12) à quinze (15) litres.
Les vivres sont composés de pâte de manioc, de farine de manioc, de tubercule d'igname, de mil
et d'arachide. Les produits vivriers sont transportés dans des paniers confectionnés en rotin. Ces
produits sont échangés dans les débarcadères contre les poissons. Ces poissons échangés sont
soit frais, soit fumés et les espèces appréciées par les populations de l'intérieur sont les raies, les
machoirons, les saumons, les brochets, les capitaines et les tilapia ainsi que les crustacés.
Le système qui prévalait lors des transactions était le troc. Au XVIIIè siècle, une mesure
d'huile appelée en Odzukru "N'gbariE" et qui équivalait à la moitié d'un litre d'huile était
échangée contre une grappe de poisson (huit à dix poissons). Un litre d'huile de palme était,
selon Bénoît ESSOH LATTE, échangé contre deux à trois grappes de poisson ou contre la moitié
.d'une corbeille. Le panier de farine de manioc était échangé contre une corbeille de poisson. Un
panier d'igname était généralement échangé contre une corbeille de poisson. Mais vers la fin du
XVIIIè siècle et surtout au début du XIXè siècle, l'huile de palme, considérée comme un produit
de luxe, donc de grande importance ne sera échangée que contre le sel venant du pays Alladian.
-------------------------------------------------------------_..------------------------------------------------------------
1- Dibrim est la capitale de la tribu des Dibrim Egn formée de Dibrim, Kpass, Gat}, Armébé et
Gbougbo.
64
Au XVIIIè siècle, les échanges commerciaux dans le pays Odzukru obéissaient à une
volonté commune, celle d'assurer l'alimentation quotidienne de la population. L'économie au
cours de cette période n'avait aucun souci de thésaurisation et de constitution de richesses
familiales ou personnelles". C'est pourquoi les échanges n'intéressent qu'une petite minorité.
Dans la partie orientale du pays Odzukru, toutes les tribus situées dans cette zone
(Orgbaff, Lokp et Aklodze) apportent leur production à Dibrim, village relais entre la côte et
l'intérieur. Le village de Dibrim reçoit aussi les produits venant de la côte. Ce village joue déjà à
cette époque, le rôle de centre d'échange et d'entrepôt". Les personnes qui réceptionnent ces
produits ou chez lesquelles ils sont entreposés s'occupent des transactions commerciales et
reçoivent des commissions pour toute vente réalisée. Le montant de la commission, selon Bénoît
ESSOH LATTE, est fixé par les réceptionneurs. Ce montant dépend du volume total des
transactions de la journée ou de la semaine. Dans la panie orientale de Lodzukru, les échanges
avec les Alladian sont uniquement réservés aux traitants de Dibrim".
Dans la partie occidentale, on note trois principaux centres d'échanges: Mopoyem, Tukpa
et Cosr. Le centre d'échange de Mopoyem reçoit les produits venant de la tribu de Bobor, quant à
Tukpa, les marchandises en provenance des tribus de U sr et Gbadzn. En dehors de Dibrim où le
centre des échanges commerciaux est transféré à Okubu qui deviendra au XIXè siècle Dabou,
tous les autres centres deviennent avec la traite de l'huile de palme des pôles de développement
économique, surtout des centres du commerce import-export entre le Lodzukru et l'extérieur.
Dans les centres d'échanges commerciaux, tous les habitants ne sont pas des traitants.
Cette activité est réservée à un petit groupe d'individus. C'est donc ce petit groupe enrichi grâce
aux commissions qui se chargera d'animer, dès le XVIIIè siècle pour le compte de Lodzukru les
échanges commerciaux avec l'extérieur. Le pays Odzukru, avec une production agricole
diversifiée : huile de palme, produits vivriers, poisson s'ouvrira aux échanges inter-régionaux,
rompant ainsi avec son isolement. Cette ouverture sur l'extérieur lui permet alors de passer à une
seconde étape de sa vie économique.
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984 auprès de M. Bénoit ESSOH LATTE.
2- Enquête réalisée à Dibrim le 26 Août 1988 auprès de M. Etienne GBOUGBO ES SIS.
3- Les Dibrim Egn exerçaient le monopole sur les autres.
65
lI! LES ECHANGES INTER-REGIONAUX
Les relations commerciales entre le Lodzukru et ses VOISInS sont très anciennes Ces
relations datent depuis l'occupation de la région par les Odzukru Les relations entre les Odzukru
et leurs voisins ont été d'abord politi ues et culturelles caractérisées par les échanges
matrimoniaux et les nombreux conflits nés de l'occupation des SOIS(I) Le calme revenu dans la
région après les guerres d'installation est de courte durée La vie dans le Lodzukru est de
nouveau perturbée aux XVIIè et XVIIIè siècles par la traite négrière animée par les populations
de la côte maritime Alladian Avikam
Les razzias et les incursions opérés dans les villages provo uent au sein des populations
Odzukru désolation insécurité et migration On note également un isolement des populations les
unes des autres
Le déclin de la traite négrière annonce une ère nouvelle et définit les bases de nouvelles
relations économi ues surtout commerciales entre les diverses "nations" dont les économies sont
complémentaires Ainsi
partir de la deuxième moitié du XIXè siècle va se développer un
commerce régional florissant entre les Odzukru et leurs voisins du Sud du Nord et de l'Est
Sud: Alladian Aïzi
Avikam
Nord: Abidji Abê
Est: Tchaman
Ces échanges se sont aussi poursuivis avec certains peuples commerçants des régions de Savane
et de Forêt en particulier les Baulé et les Koueni (Gouro) Les Alladian
les Avikam
les
Tchaman et les Aïzi ui occupent les côtes maritimes et la partie septentrionale de la lagune
~
Ebrié seraient partis de la région actuelle du Ghana pour s'établir en Côte d'ivoire aux XVIè et
XVIIè siècles uant aux Abidji et Abê peuples d'Agriculteurs occupant la zone Forestière leur
établissement en Côte d'Ivoire se situerait également entre les XVIè et XVIIè siècle Enfin les
Baulé Principaux Clients et Fournisseurs des Odzukru de la one de Savane seraient partis de la
région centre du Ghana précisément du pays Ashantee pour s'établir en Côte d'Ivoire au XVIIIè
siècle L'importance des échanges régionaux se situe au niveau des produits leurs rôles dans les
diverses sociétés où ils sont consommés les partenaires commerciaux et les moyens de change
1- Pour le contrôle des territoires situés au delà de la rivière Anebi, les Odzukru se sont battus contre les Tchaman
de la tribu Songon.
66
Au cours de cette période ui précède la traite de l'huile de palme des couches de traitants font
leur apparition Leur rôle consistera
animer les échanges régionaux Le souci de ces traitants
est l'accumulation
uel est alors le volume de ces échanges ? uels sont les partenaires
commerciaux de Lodzukru et les princi paux produits échangés?
1) Les échanges commerciaux entre üdzukru et Alladian avant 1830
Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et le pays Alladian sont très anciens et
remontent depuis l'installation de ces populations dans le bassin occidental de la lagune Ebrié
L'établissement des échanges commerciaux entre ces deux "nations" se situerait vers la fin du
XVIlè siècle La principale cause des échanges entre ces deux peuples est
ue les deux
économies
caractérisées
par
l'auto-subsistance
alimentaire
sont
complémentaires
et
interdépendantes Cela était aussi lié la situation géographi ue de chacune des "régions"
En effet le pays Alladian est situé sur un cordon sablonneux (Langue de sable) entre l'océan
atlanti ue et la Lagune Ebrié au Nord Cette région est peu fertile au développement d'une
véritable agriculture vivrière Ainsi face
un sol peu propice
l'agriculture les Alladian vont se
détourner de l'agriculture et développer deux activités
ui feront la gloire de la "Nation"
Alladian Il s'agit de la pêche en mer et en lagune et surtout de l'industrie du sel le sel produit de
première nécessité pour les populations de l'intérieur Mais bien ue l'activité agricole ne fût pas
totalement absente du pays Alladian les Alladian pour couvrir leur besoin en produits vivriers
vont en importer chez les populations voisines situées sur la rive Nord de la lagune Ebrié et
surtout du pays üdzukru Dans le souci d'assurer uotidiennement leurs approvisionnements en
produits vivriers et en huile de palme les Alladian peuples isolés vont inaugurer avec leurs
voisins des échanges commerciaux Ainsi par la volonté des Alladian les Odzukru deviennent
des partenaires commerciaux des nations maritimes et participent aux échanges inter-régionaux
Mais uels sont les produits de ces échanges entre les pays üdzukru et Alladian ?
a) Les oroduits échangés
Dans les échanges commerciaux entre le Lodzukru et les pays Alladian cin (5) produits
se distinguent parmi la multitude Il s'agit de l'huile de palme des produits
---
vivriers agricoles du
poisson du sel et des esclaves Parmi ces cin produits deux viennent du pays Alladian : sel et
poisson et les trois autres du pays Odzukru : produits vivriers huile de palme et esclaves
67
Le sel : Ce produit provient et la côte maritime principalement du pays Alladian
L'industrie du sel est l'une des plus vielles activités économi ues de la côte maritime C'est une
activité ui occupe
la fois les hommes et les femmes'<'
Le sel est obtenu par évaporation de l'eau de mer Cette eau est bouillie dans des jarres en
terre glaise jus ut l'obtention des cristaux de sel Les cristaux obtenus après cuisson sont filtrés
dans des paniers en rotin jus u' ce u'ils deviennent purs C'est ce ue note Béno t ESSOH
LATTE
« Le sel du pays Odzukru provient de la côte où on l'obtient par évaporation de l'eau de
mer
uand il est suffisamment pur on le met dans de grands paniers tressés en forme de
bouteilles et on l'expédie
l'intérieur »(2)
Le sel produit en pays Alladian était transporté dans de grands paniers tressés en rotin
travers la lagune Ebrié dans des pirogues de commerce vers les pays Odzukru Tchaman et Aïzi
Le panier de transport (3) comparé aux paniers de préparation et de conservation tous tressés en
rotin ont un fond tapissé de feuilles d'une capacité d'environ dix (10)
uinze (15) litres Le
panier de transport
la forme d'une bouteille tandis ue le panier de préparation est grand et
haut
n porteur selon MEl\\IIEL Foté peut porter trois paniers appelés "N'djwê" en Alladian (4)
Le sel est un produit de luxe et indispensable pour les sociétés de la zone forestière non
productrice de sel marin Le sel dans le Lodzukru et dans les autres sociétés de l'intérieur joue
trois rôles
Il est utilisé dans l'alimentation
uotidienne spécialement pour assaisonner les
aliments
Il sert ensuite de monnaie dans les échanges et enfin
il constitue un élément
indispensable pour les compensations matrimoniales
Avant la diffusion du sel marin dans le Lodzukru souligne Sylvestre AFFI les Odzukru
utilisaient les cendres et la sève contenu dans la racine de feuille de fregnom pour donner une
saveur
leurs aliments et repas (5) Les Odzukru ont d'énormes difficultés pour s'approvisionner
en sel marin Ainsi pour la conservation de leurs aliments (poisson et viande) les Odzukru
procèdent par boucanage
1- A. N. C. t. Série lEE28 pièce 6.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 29 Août 1987 auprès de M. Bénoit ESSOH LATIT.
- HARRIS MEMEL Foté : L'esclave dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: exemple de la Côte d'Ivoire
précoloniale. 1720 - 1920 page 248..
4- HARRIS MEMEL Foté : L'esclave dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: exemple de la Côte d'Ivoire
précoloniale. 1720 - 1920 page 262.
5- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Août 1984 auprès de M. Sylvestre AFF!.
68
L'approvisionnement de Lodzukru en sel n'est pas suffisant La uantité exportée en pays
Odzukru est très faible La production du sel est difficile et nécessite de longues et pénibles
heures de travail Le Lodzukru n'est pas le seul client du pays Alladian Le sel Alladian est aussi
exporté vers les pays Aïzi et Tchaman et aussi vers les régions situées loin de la côte C'est ce
ue note Dapper dans son récit de voyage "Description des Côtes de Guinéens"
«Les habitants de Cap Lahou font grand trafic de robes de six (6) bandes u'ils vont
ac uérir chez leurs voisins ui sont plus éloignés de la côte et leur donne le sel en échanges»
Malgré le faible peuplement de Lodzukru au XVIIlè siècle la uantité de sel exportée en
pays Odzukru est loin de couvrir les besoins de la population Ce ui empêche une large
diffusion de cette denrée de première nécessité au sein de la population Souvent le sel exporté
dans le Lodzukru est réceptionné par les riches marchands des
uatre grands centres
cornmerciaux" Ce sont les riches marchands ui se chargent de la distribution du sel dans tout
le pays Les traitants exercent un monopole sur le commerce de ce produit très apprécié par toute
la population Le sel est tro ué contre l'huile de palme produit très apprécié par les Alladian
Selon Béno t ESSOH LATTE une calebasse d'huile serait échangée selon les saisons entre une
deux bouteilles de sel La vente du sel se fait sur mesure La moitié d'une petite calebasse coupée
longitudinalement et remplie de sel é uivaut selon les saisons
trois ou uatre litres d'huile de
palme Souvent lors ue la demande en sel est très élevée ue l'offre en huile de palme deux
calebasses d'huile sont échangées contre une bouteille de sel (2)
Dans le Lodzukru note Sylvestre AFF! de nombreuses familles restaient des mois sans
goûter
la saveur du sel (3) Les Alladian échangent de préférence le sel contre les produits de
luxe (huile de palme esclave) Mais le sel n'est pas le seul produit d'exportation du pays Alladian
vers le Lodzukru Les Alladian échangent aussi avec leurs voisins
le poisson
surtout les
poissons de mer tel ue les re uins et les thons Les échanges commerciaux entre le pays
Alladian et le pays Odzukru ne se limitent pas uni uement aux produits de luxe Bien ue le
peuple
Odzukru
aliait
aisément
agriculture
vivrière
et
la
pêche
il
bénéficiait
de
l'approvisionnement en produits halieuti ues de la part du pays Alladian
Les Alladian
fournissent aux Odzukru des poissons de lagune et de mer surtout les harengs les. thons les
carpes rouges et les re uins
Les Odzukru sont de grands consommateurs de re uin
Ils
l'apprécient surtout fumé Leurs voisins les Tchaman le préfèrent frais Pendant les grandes
1- Enquête publique réalisée à Orgbaff EDJEM AFR le 1 Septembre 198 .
2- Enquête réalisée à Dibrim auprès de M. Etienne GBOUGBO ESSIS le 22 Août 1988.
- Enquête publique réalisée à Orgbaff le 27 Août 1986.
69
cérémonies initiati ues de "Low" ou "Dediakp"
les exportations de re uin en pays Odzukru
doublent car au cours de cette période la consommation est multipliée par deux ou parfois par
trois (1) La corbeille de poisson est échangée contre les produits agricoles soit le manioc soit le
milou l'igname
Les femmes Odzukru échangent surtout les produits vivners contre les produits
halieuti ues
n gros panier "attiéké" est tro ué contre une corbeille de hareng ou de brochets
Les échanges ont surtout lieu
la fin de la semaine Le dernier jour de la semaine c'est par les
files indiennes ue les femmes des zones de l'intérieur se rendent très tôt
uatre (4) heures du
matin vers les débarcadères où les attendent les femmes Alladian ou Aizi Les échanges
deviennent plus importants pendant les trois mois ue dure l'initiation des jeunes garçons appelé
en Odzukru "Low"
Le Poisson
Le "Low" est une cérémonie initiati ue uni uement réservée aux jeunes garçons (2) Par
cette cérémonie initiati ue le jeune homme accède
l'âge adulte et participe
la gestion de la
communauté Cette cérémonie ui a lieu tous les deux ans est collective et mar ue
la fois pour
les jeunes garçons âgés de 21 23 ans une consécration de leur maturité physiologi ue et l'étape
ultime de leur ascension dans la vie active Le "Low" dans la société Odzukru est une éducation
militaire et de civisme Mais c'est aussi la fête des classes d'âge et la célébration dans une
certaine mesure de la richesse (3)
En effet
l'initiation de "Low" comporte deux étapes
importantes La première étape fondée sur l'idéal de beauté est consacrée au parade
travers le
village Au cours de cette période les jeunes récipiendaires sont vêtus des plus belles pièces de
pagne et des plus beaux bijoux de leurs lignages (4) La deuxième étape est centrée sur le
caractère militaire et civi ue de l'initiation fondée sur la valeur de la force (5) Cette deuxième
étape est d'origine étrangère Les Odzukru l'ont empruntée aux Tchaman Le "Low" selon les
traditions ue nous avons recueillies
Orgbaff et
Dibrim a été introduit dans le Lodzukru par
un ressortissant du village de Tukpa ui l'a vu dans un village Tchaman
Mais les traditions recueillies ne nous permettent pas de situer
uelle période cette
deuxième étape de "Low" a été introduite dans le Lodzukru En reprenant la tradition recueillie
par HA IS MEMEL Foté dans "le système politi ue de Lodzukru page 77" nous soulignons
1- Au cours des cérémonies initiatiques, toutes les offrandes se faisaient avec le requin. Les morceaux de requin
étaient mieux présentés par rapport aux autres poissons.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1986 auprès de M. Sylvestre AFFI.
- HARRIS MEMEL Foté : "Le système politique de Lodjoukrou" p. 291.
4- Les pagnes et les bijoux étaient importés des régions voisines par les Odzukru.
5- HARRIS MEMEL Foté c.r. page 291.
70
,\\ue Tukpa a été fondé par un ressortissant du village de Lokp
ui après l'assassinat de son
esclave s'était enfui du village pour échapper la sentence de la population
Or le village de Lokp est fondé par un certain Lokpo de Dibrim (1) Il sera rejoint uel ues
années plus tard par les Baulé ElomoE ui fonderont le uartier "Agnimanbou" de Lokp Les
ElomoE occupant la région de Tyasalé sont descendus vers la côte afin de contrôler les routes du
sel Ils sont battus par les Odzukru lors des conflits ui opposèrent les deux peuples
efusant de
rentrer chez eux certains restèrent dans le Lodzukru (2) La guerre entre les Baulé ElomoE et les
Odzukru se situe au XVIIIè siècle Ce ui nous amène aussi
avancer le XVIIIè siècle comme la
période où le "Low" a été introduit dans le Lodzukru Nous supposons en tenant compte de la
fondation des villages de Dibrim fin XVIlè siècle et de Lokp au XVIIlè siècle nous osons
affirmer ue le village de Turkpa comme les autres agglomérations lagunaires a été fondé au
XVIIIè· siècle Nous soulignons ue la première étape définit comme un idéal de beauté est une
création Odzukru et antérieure au XVIIIè siècle (3)
Le "Low" n'est pas seulement une école de formation po~t militaire mais il est
aussi la fête des classes d'âge Les jeunes récipiendaires au cours de la première étape font
travers le village des processions en grande toilette Cela nous fait noter le caractère économi ue
de cette initiation ui nécessité d'énormes ressources financières En effet les futurs initiés
offrent aux membres des classes d'âge a nés (4) déj initiés des paniers d'attiéké ainsi ue des
paniers de poisson surtout les poissons de mer et de préférence le re uin A cela s'ajoutent les
offrandes aux membres des deux lignages (patrilignage et matrilignage) Ce ui nécessite une
uantité importance de poissons La demande est très élevée parce ue le calendrier initiati ue
est le même pour les populations de la même tribu Les Orgbaffu les Dibrim Egn les Aklodzu
les Ocosru et les Olokpu organisent leurs initiations au cours des années pairs et les tribus de la
confédération de Bobor les années impairs (5)
1- HARRIS J\\t1EJ\\t1EL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 72
2- Enquête réalisée le 22 Août 1984 à Orgbaff auprès de M. Sylvestre AFF!.
- Bénoit ESSOH LATTE. Les femmes Odzukru avaient pris l'habitude de tresser leurs jeunes garçons. Des tètes
étaient organisées. La tradition qui en est suivi a donné naissance au Low.
4- Il existe sept classes d'âge en pays Odzukru.
5- Sauf, les tribus Orgbaffu et Aklodzu.
71
Au cours de cette période les récipiendaires sont nourris avec les poissons les plus succulents
Le nombre des villages organisant
la fois les initiations étant important la production Odzukru
en poisson était loin de couvrir les besoins du pays d'où une large importation du poisson des
pays Tchaman Avikam Aïzi et surtout Alladian Les Alladian et les Aïzi sont les principaux
fournisseurs de Lodzukru en produits halieuti ues
Les variétés de poisson les mieux indi uées pour les différentes cérémonies de l'initiation
sont les poissons ui peuvent être découpés en gros morceaux en particuliers le thon et le
re uin Le re uin coûte moins cher par rapport aux poissons de lagune Les morceaux de re uin
sont
la portée de tous les lignages Les morceaux faisandés sont appréciés par les membres des
classes d'âges supérieures ui souffrent souvent des problèmes de dents
Le poisson va constituer de tout temps l'un des principaux produits d'échange entre les
pays Odzukru et Alladian Le trafic commercial entre ces deux pays est très important Le
volume des échanges est très élevé parce
ue toutes les fins de semaine
des
uantités
importantes de produits vivriers venant de Lodzukru sont tro uées contre des
uantités
importantes de corbeilles de poissons La régularité des échanges crée une interdépendance
économi ue entre les pays Odzukru et Alladian
un autre produit entre également dans les échanges commerciaux entre le Lodzukru et
l'Alladian Ils s'agit des toiles confectionnées par les artisans Alladian
partir des fibres de
raphia Les Odzukru appellent ce type de tissu "On'n" Les fibres sont appelées en Odzukru
"Mor'n" Les artisans Alladian ne vendent en général ue deux morceaux Il est tro ué contre
'deux trois "Krou" (1) d'huile de palme Le port de "On'n" est uni uement réservé aux chefs de
lignages L'obtention de cette étoffe est difficile Les artisans Alladian selon Béno t ESSOH
LATTE le faisaient sur commande et puis les tisserands Alladian devaient d'abord satisfaire la
consommation locale avant de penser
l'exportation En pays Odzukru les pièces de "On'n" ont
selon Béno t ESSOH LATTE constitué les premiers trésors familiaux
Ces pièces d'étoffes
n'étaient pas détenues par tous les lignages La grande majorité de la population portait des toiles
d'écorces (2) appelées en Odzukru "Likpekn" Les toiles sont fabri uées
partir des morceaux
d'un arbre L'arbre abattu est découpé en morceaux
1- 1 Krou d'huile équivaut à 28 ou 0 litres. Le Krou est l'étalon de mesure en vigueur dans la
partie orientale.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1986 auprès de Bénoit ESSOH LATfE.
72
longs uel ue fois de 1 50 m Avec des gourdins les morceaux sont battus jus u' l'obtention
d'une toile
La toile est ensuite lavée puis séchée au soleil
Elle est alors utilisée pour la
confection des "Abraku" (cache-sexe) pour les hommes et des pagnes pour les femmes Du côté
des femmes le port d'une pièce "Likpekn" était uni uement réservé aux femmes Les jeunes
filles encore demoiselles avaient droit aux caches-sexe Selon SESS Samuel d'Orgbaff c'est
auprès des Abidji ue les Odzukru auraient appris
confectionner les toiles d'écorce (1) Tous nos
informateurs s'accordent
dire ue les techni ues du travail des toiles d'écorce n'étaient pas
Odzukru C'est auprès des Abidji ue les Odzukru s'approvisionnaient en toiles' d'écorce Cela
avait favorisé la naissance d'un courant commercial entre l'Abidji et le Lodzukru Les techni ues
du travail des toiles d'écorce sont d'origines extérieures Or toutes les populations forestières et
des zones de savane connaissent l'utilisation des arbres permettant la confection des toiles
d'écorce En nous fondant sur les traditions nous disons ue le peuple Odzukru vivait dans une
indigence techni ue et technologi ue pres ue totale Ce constat nous amène
nous poser la
uestion suivante
uels étaient les vêtements portés par les Odzukru avant l'établissement des
courants commerciaux avec le Nord et le littoral? Nous osons affirmer ue malgré son indigence
techni ue le peuple Odzukru savait confectionner les toiles d'écorce pour se protéger contre le
froid et des armes pour se défendre contre les animaux sauvages et Ies agressions extérieures
Grâce
sa position stratégi ue zone de transit entre la côte et la région de savane les Odzukru
recevaient une grande partie de leur consommation en produits finis de l'extérieur Cette position
de "privilégié" permet
Lodzukru d'avoir une ascendance sur les autres peuples lors ue
commence la traite de l'huile de palme ui annonce de façon unilatérale le déclin de la traite
négrière
b) La traite négrière
Dans leurs rapports commerciaux avec la côte principalement les Alladian les Odzukru
ne reconnaissent pas avoir participé
la traite négrièr~pendant des siècles va bouleverser
les structures socio-politi ues
économi ues et culturelles des nations maritimes de la côte
~
,
africaine
.
Les Odzukru n'ont jamais connu l'esclavage Leur participation
la traite négrière fut de
~
façon indirecte C'est ce?ssort des traditions ue nous avons recueillies auprès de MM
Sylvestre AFFI Béno t ESSOH LATTE et Etienne GBO GBO ESSIS En effet selon Sylvestre
AFF! : «les Odzukru n'ont jamais connu l'esclavage et participé la traite négrière
---
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 2 Août 1986 ..
73
Certains Odzukru face aux difficultés financières mettaient en gage auprès des riches
marchands Alladian leurs parents des jeunes garçons et des jeunes filles âgées de six (6)
huit
(8) ans» (1)
Les populations de Gbougbo reconnaissent
ue les Alladian prenaient de force les
vendeurs de poisson pour aller les vendre aux navires négriers (2) Mais la mémoire collective
Odzukru ne retient aucun épisode de la participation des Odzukru
la traite négrière Aucun de
nos informateurs ne reconna t la participation des Odzukru au commerce négrier Face
ce
silence plusieurs hypothèses s'énoncent La première hypothèse est u'aujourd'hui compte tenu
de son développement économi ue
social et culturel
reconna---
tre avoir vendu comme des
marchandises les siens serait une injure grave car dans la société Odzukru l'homme est sacré et
ne peut être vendu comme un objet C'est aussi une honte collective pour tout le peuple Odzukru
vu l'ascendanèe ue cette population aura sur ses voisins dans la deuxième moitié du XIXè siècle
avec la traite de l'huile de palme La deuxième hypothèse est ue si les Odzukru évo uent
difficilement la traite négrière c'est ue ce commerce n'a pas
-
eu un impact considérable sur la
société Odzukru afin de laisser des traces dans la mémoire collective Enfin
la troisième
hypothèse est
uoi les Odzukru attribuent-ils les nombreuses migrations internes entre les XV
~
è
=----=-
1-
et XVIlè siècles? Les Oboru constituent la population la plus ancienne de Lodzukru Ils seraient
les premiers émigrer dès le XV è siècle dans le Lodzukru Avant de se fixer définitivement dans
le territoire u'il occupe aujourd'hui les Oboru ont connu neuf (9) installations (3) c'est également
le cas des Armabu ui ont connu huit (8) installations
Comme a eu
le souligner HA IS MEMEL Foté dans son livre "le système politi ue
~.
~
de Lodzukru page 125 l'esclave était contemporain aux premières migrations en pays Odzukru
, L'analyse des traditions recueillies nous amène
affirmer ue les Odzukru comme la
c::::---
plupart de leurs voisins ont participé de gré ou de force
la traite négrière Les populations de
Gbougbo reconnaissent ue pendant la traite les Alladian conduits par un certain Mambé Dagri
capturaient les marchands de poisson Odzukru pour les vendre aux navires négriers en rade
Avagou et Addah La traite négrière était arrivée sur la côte des ua uah des cin et six bandes
par les populations Alladian et Avikam ui occupent cette région
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 24 Août 1984 auprès de M. Sylvestre AFFI.
2- Enquête réalisée à Gbougbo le 27 Septembre 1988.
- HARRIS MEMEL Foté : le svstème politique de Lodjoukrou p. 75
4- c.f. HARRIS ME:MEL Foté p. 4.
74
Ces deux peuples dès la deuxième moitié du XVIIè siècle étaient connus des Européens avec
les uels ils entretenaient des relations commerciales Les Alladian et les Avikam ont émigré du
Ghana
la suite du déclin du oyaume d Adansi au XVII suite
l'émergence du Denkyera
comme première puissance du monde Akan Le mépris la dictature et le totalitarisme des
Denkyera amenèrent les populations assujetties
émigrer vers l'Ouest Parmi ces populations se
trouvèrent les Alladian et les Avikam ui occupèrent la région du Sud baptisée côte des ua uah
ou Kwakwa par les européens (1) C'est d'un village Alladian Abreby ue partirent les fondateurs
d'Aklodze ou "Orgaff" La fondation du village d'Aklodzu ui formera après les Oboru la tribu
des Aklodze se situerait au milieu du XVIIè siècle'"
La traite négrière sur le territoire de l'actuelle Côte d'Ivoire s'était surtout développée sur
la côte orientale par les commerçants européensjjiiredoutaient les populations de la zone
comprise entre le cap des palmes et le cap des trois pointe~es Portugais dès le XVè siècle
avaient surnommé "côte des Mal gens ou côte des dents" cause du trafic important d'ivoires ui
s'y faisait Les navires européens avaient peur de s'approcher des côtes
---
occidentales Ils
~
c:-~c;..::oc=.:n:::.sl;.::·d:...:::é.:..:ra=i..:.e:..:.nt=-:..::le:..=s~p::..:o~p:.:::u:.=.:la:::..:t.=.:io::..:n=s----...:d=-'=-an~t=hr=-o:::.:p~o~p::..:h=a~ges
Seuls les commerçants hollandais s'y
aventuraient pour acheter des esclaves Les négriers dans cette région pra!i....!gient la "collecte" f)
La collecte des esclaves se faisait sur plusieurs points d'approvisionnement La région Ouest
fournissait aus~ivoires et des esclaves vendus sur les marchés de Grand Béreby Sassandra
Tabou et Fres~ais ces marchés étaient moins importants ue ceux de la côte orientale où
--
on rencontrait de grands marchés d'esclaves dont Addah Avagou du côté Alladian et Grand-
Lahou du côté Avikams-Grand-Lahou était considéré comme le premier port négrier de l'actuelle
Côte d'Ivoire
--
Certains historiens. avaient estimé ue durant les~tre siècles de la traite négrière
~
onze mille (Il 000) esclaves auraient été transportés des côtes ivoiriennes vers les Améri ues
----.
Parmi les ports d'embar uement de la partie orientale Avagou et Addah furent de grands
~
fournisseurs d'esclaves..Fallope (J) dans "la contribution de Grand-Lahou au peuplement Afro-
Caribéen :
---
Guedeloupe-Matini ue" a estimé ue 400 esclaves étaient exportés du port et ue la
~
~
~
fourniture totale des esclaves de la côte
1- c.f Delafosse, Essai de manuel de la langue Agni. Paris Larose 1900, cité par Marc Augé le rivage Alladian
mémoire d'Orstom n? 4 1969 p. .
2- HARRIS rvIErvIEL Foté : le svstème politique de Lodjoukrou p. 145.
- Josette Faloppe : "Contribution de Grand-Lahou au peuplement Afro-Caribéen" Guadeloupe-Martinique p. 1 .
75
ivoirienne était évaluée à 3.426 esclaves par an(l). Si nous considérons la deuxième moitié du
XVIIIè siècle, comme la période où la traite fut florissante et prospère sur la côte ivoirienne, c'est
que près de 171.300 esclaves auraient été exportés de la côte ivoirienne au cours des cinquante
(50) dernières années et vingt mille (20.000) esclaves provenaient du seul port d'Avagou. En
tenant toujours compte des chiffres avancés par Josette Fallope; trois cents (300) esclaves pour
le port de Grand-Lahou, nous estimons que près de quarante cinq mille (45.000) esclaves
auraient été exportés des ports négriers Quaquah vers les Amériques. Nous avons estimé les
exportations annuelles de Addah de l'ordre de deux cent (200). Nous estimons après analyse que
les chiffres avancés par Mme Fallope Josette sont très élevés car ces prélèvements auraient laissé
des traces profondes dans la mémoire collective des différents peuples bordant la côte maritime.
Or, la plupart des peuples que nous avons côtoyés semblent ignorer leur participation à ce trafic
commercial. Même si la mémoire humaine ne peut se rappeler avec exactitude, ce qui s'est passé
au cours des siècles, tout un peuple ne peut pas observer un silence sur quatre siècles de
mouvements commerciaux qui laissent l'amertume au sein des différents lignages. Malgré les
difficultés que nous avons à estimer la part de la côte des Quaquah et surtout du littoral Alladian
dans les exportations d'esclaves, les chiffres à notre possession ne nous permettent pas de
connaître le volume des exportations, nous disons que le commerce des esclaves fut très actif et
prépondérant sur la côte des Quaquah. Vu le nombre de bateaux qui la fréquentait au cours de la
deuxième moitié du XVIIIè siècle. Cette côte était fréquentée par les navires de toutes les
puissances européennes surtout hollandais et anglais". Johannes Postma avait souligné que vingt
(20) navires négriers hollandais avaient obtenu à Cap Lahou une moyenne de 135 esclaves par
bateau entre 1755 et 1770(3). Ce qui faisait 40.500 esclaves pour ces quinze (15) années.
La plupart des esclaves vendus aux négriers européens venaient de l'intérieur. Du côté de
Grand-Lahou et des petits ports envirorinants", les esclaves descendaient des régions éloignées
de la côte (5), précisément des pays Dida, Bété et des
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- Josette Fallope: contribution de Grand-Lahou au peuplement Afro-Caribéen : Guadeloupe-Martinique p. lol.
2- Paul Atger: la France en Côte d'Ivoire de 1843 à 1893 publication de l'Université de Dakar p . .:li.
3- Jones and A. Johnson cité par Josette Fallope dans contribution de Grand-Lahou au peuplement Afro-Carbéen Po
lol.
ol- Le pays Avikam comptait aussi deux petits ports négriers Groguida et petit Lahou.
5- Enquête réalisée à Dibrim le 23 Septembre 1987.
76
régions du centre. du côté d'Avagou et d'Addah, les esclaves provenaient aussi de l'intérieur
surtout des pays Odzukru, Tchaman et Aïzi (1). Mais les négriers Alladian redoutaient les
Tchaman qui étaient très belliqueux, , prêts pour la guerre. Les Tchaman étaient craints par tous
leurs voisins. Pour s'approvisionner en esclaves, les marchands de captifs Alladian opéraient par
razzias ou par enlèvements. En effet, les Alladian opéraient, surtout dans les campements de
pêche où les populations étaient moins nombreuses pour se défendre ou par embuscade sur les
routes pour enlever de force les enfants et les marchands de poissons afin de les livrer aux
négriers blancs (2) . Les interventions des marchands d'esclaves Alladian dans le Lodzukru
avaient créé un climat d'insécurité au sein de la population Odzukru. Les femmes étaient
accompagnées dans leurs expéditions commerciales par des hommes armés de lances et de fusils.
Les peuples Odzukru, Aïzi et Tchaman, ne furent pas les seuls fournisseurs d'esclaves aux
marchands d'esclaves. Les marchands Alladian se rendaient eux-mêmes dans la région du centre
pour échanger le sel et les produits manufacturés européens contre des esclaves. Dès le XVIlè
siècle, ils avaient établi des contacts commerciaux avec les populations des régions de savane.
C'est ce que rapporta Dapper. Dans description des côtes de Guinée, Amsterdam 1686, p. 32,
«ceux qui portent le sel remontent à l'intérieur pour le vendre. Dans les pays, ils rencontrent des
peuples blancs monter sur des mulets ou des ânes et qui ont pour armes des lances». A l'intérieur,
les Alladian s'étaient, au cours du XVIlè siècle, livrés au commerce de la cotonnade qu'ils
échangeaient contre le sel. C'est ce qu'écrit Dapper. «Les habitants de cap Lahou font un grand
trafic de robes de six bandes qu'ils vont acquérir chez leurs voisins qui sont plus éloignés de la
côte et leur donne le sel en échange». Ici, cap Lahou désigne toute la région des Quaquah
constituée des pays Avikam et Alladian. Dès la deuxième moitié du XVIlè siècle, les populations
de
ces deux
régions
s'étaient
spécialisées dans
le négoce.
Elles
étaient
devenues
les
intermédiaires entr~ les populations de l'intérieur et les interlopes européens. Les principaux
produits trafiqués dans les centres d'échange d'Addah et Avagou ainsi que de Grand-Lahou, dans
la deuxième moitié du XVIIè siècle, étaient essentiellement composés d'ivoires, de peaux
d'animaux et d'or. Ces produits, les Alladian les obtenaient par le système de troc. Le sel et
quelque fois les produits manufacturés étaient échangés contre les produits africains. Les
cotonnades obtenues à l'intérieur étaient ainsi échangées sur la côte contre l'ivoire ou la poudre
d'or. Une partie de ces cotonnades était exportée en pays Odzukru.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------..-
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988 auprès de M. Bénoit ESSOH LATl'E.
2- HARRIS rvŒMEL Foté, le système politique de Lodjoukrou p. 125.
3- Dapper : Description des côtes de Guinée, Amsterdam 1686 p. 32.
77
Les peaux d'animaux, les ivoires et l'or descendaient des régions de l'intérieur vers les
côtes. Les grands fournisseurs de ces produits étaient les Koueni, les Dida, les Abidji et les
Tchaman. Le peuple Odzukru avait, ~u cours des siècles, développé une civilisation agraire, mais
pas une civilisation de chasseur. Peu de gens se livraient à cette activité. La seule chasse qui
réunissait les Odzukru était la battue avec des filets confectionnés à partir des fibres de raphia.
La battue se faisait par patrilignage et concernait le petit gibier. La mémoire collective Odzukru
retient seulement que le fondateur de Dibrim, AmnEs était un grand chasseur d'éléphant.
L'esclave, co-fondateur du village de Cosr était aussi un grand chasseur (1). Dans les grandes
agglomérations: Orgbaff, Lokp, Yassakp, Usr, et Cosr on ne dénombrait tout au plus par village
qu'une dizaine de grands chasseurs (2). Dans les villages, les chasseurs en cas de guerre jouaient
le rôle d'éclaireurs et de généraux. Ils constituaient le groupe des tireurs d'élite. Au XVlIIè siècle,
les échanges entre la côte et l'intérieur fut dominé par les esclaves. Mais comment les esclaves
étaient-ils transportés jusqu'aux centres d'évacuation?
Le transport des esclaves
Pour le transport des esclaves, les trafiquants Alladian utilisaient des matériaux locaux
d'origine végétale, contrairement aux populations de l'intérieur qui utilisaient des entraves en
fer". L'entrave était confectionnée à partir d'un arbre équarri, de quarante (40) à soixante quinze
(75) centimètres de long. Dans le tronc, une fente était aménagée pour recevoir et bloquer le
pied. Ce qui réduisait alors les chances d'évasion. A ces entraves, étaient attachées des cordes de
rotin ou de raphia pour faciliter le déplacement des captifs (4). Les entraves servaient non
seulement pour les esclaves
mais aussi pour les personnes jugées dangereuses par la
communauté, en particulier les brigands et les voleurs. Les entraves' en Odzukru étaient appelées
Il Gban".
L'essence utilisée pour la confection de cet appareil était le parasolier qui est une
essence légère donc supportable par les esclaves. Le parasolier facilitait le déplacement des
esclaves. Mais certaines entraves étaient confectionnées en bois lourds et durs pour éviter tout
risque de rupture note ESSOH LATTE Bénoît (5)
----------------------------------------------------...----------------------------------------------------------------------
1- HARRlS i'vŒl'vŒL Foté : système politique de Lodjoukrou p. 77
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988 auprès de M. Bénoit ESSOH LATTE.
3- HARRlS l'vŒl'vŒL Foté : système politique de Lodjoukrou p. ï9
4- HARRlS l'vŒl'vŒL Foté. L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de le CI précolonia1e
1nO-1nO p. 253.
5- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988.
78
Lors de l'acheminement des esclaves ou des captifs, vers les entrepôts, situés pour la
plupart sur le littoral, les esclaves, en file indienne avaient les mains liées sur la' tête ou sur le
dos. Les mains étaient attachées souligne Bénoît ESSOH LATTE par un rotin spécial qui
annulait toute chance de rupture. Dans la traversée de la forêt, les trafiquants d'esclaves évitaient
les pistes et les sentiers très fréquentés par les populations ou situés à proximité des villages.
Toutes ces précautions étaient prises pour éviter les embuscades et les guet-apens qui se
traduisaient souvent par des massacres de part et d'autre.
Les trafiquants étaient armés de fusils de fabrication locale ou offerts par les négriers
blancs, des lances acquises lors des transactions commerciales avec les populations de l'intérieur
précisément avec les communautés mandé dont la civilisation technique et technologique était
plus avancée par rapport à celle des régions forestières (1). Les populations forestières entre les
XVIlè et XVIIIè siècles, vivaient pour la plupart dans une indigence technique. Elles avaient
plutôt développé une civilisation agraire de produits vivriers que manufacturière.
L'organisation du commerce des esclaves
Le commerce des esclaves nécessitait une organisation parce que cela exigeait d'abord
une main-d'oeuvre importante pour la chasse des esclaves et de la surveillance. Ensuite il fallait
un entrepôt pour abriter les esclaves avant leur évacuation vers les ports négriers d'Amérique du
Nord où ils étaient vendus aux planteurs américains. Enfin, le commerce des esclaves exigeait
une nourriture abondante. Ainsi, les esclaves étaient parqués dans les forêts situées à proximité
des points d'embarquement puisqu'il n'y avait pas de véritable port. Les planches de parasolier
servaient à la construction des palissades (2). Un seul sentier reliait le parc à esclaves à la forêt
Le parc à esclaves était toujours situé en dehors du village pour des problèmes de sécurité. il était
,
nuit et jour protégé par des surveillants bien armés. Les surveillants avaient pour mission de
défendre le parc ou l'entrepôt contre les attaques ou les raids des communautés villageoises. Sur
la côte des Quaquah se trouvaient de nombreux parcs disséminés à travers la forêt Tous les
points d'embarquement avaient au moins chacun un parc.
-------------------------------------------------------------------------------------------------_..-----_.._----------------
1- Les populations du Sud dès le XVIIIè siècle entretenaient des relations commerciales avec les Koueni et les
Malinké.
2- HARRIS MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères de l'Afrique Noire. Ex. de la C.r précoloniale.
1720-1920 page 258.
79
Les trafiquants africains d'un même village s'associaient pour créer un parc afin de réduire les
risques d'attaques des villageois et de pouvoir nourrir les esclaves. La création d'un parc commun
réduisait les frais d'entretien et facilitait la défense du parc contre les attaques extérieures.
Parmi les esclaves, tous n'étaient pas vendus aux négriers européens. Les vieillards
étaient massacrés, les plus jeunes, c'est-à-dire ceux qui avaient moins de quinze (15) ans étaient
vendus aux riches marchands Alladian pour servir de main-d'oeuvre et les adultes vendus aux
interlopes hollandais et anglais (1).
Depuis leur installation sur la frange littorale dans la deuxième moitié du XVIIè siècle(2),
les Alladian avaient établi des relations commerciales avec des interlopes européens surtout avec
les Hollandais et les Anglais. En effet, depuis la fin du XVlè siècle, les Hollandais étaient
devenus la première puissance maritime de l'Europe et avaient évincé dans le golfe de Guinée,
les Portugais, première puissance européenne à établir des relations commerciales avec les
nations africaines.
Au cours de la deuxième moitié du XYIlè siècle, on assistera au déclin du commerce de
l'or dans le golfe de Guinée. Toutes les compagnies commerciales dès la fin du XVIIè siècle
décidèrent alors de se consacrer à la traite des noirs, commerce florissant et prometteur.
L'esclave ou l'ivoire était échangé contre le sel, de vieux fusils à silex, de l'alcool et de la
pacotille'". Un esclave était échangé contre deux vieux fusils à silex.
Les armes de défense
Pour les razzias, les attaques surpnses et la surveillance des parcs à esclaves, les
trafiquants faisaient appels à deux types d'armes. On notait d'abord les armes blanches de combat
Q
ou de chasse et enfin les armes à feu.
Les armes blanches (couteaux, lances, flèches et arcs) étaient de fabrication indigène.
C'était l'oeuvre des forgerons locaux. En pays Alladian, ces armes étaient fabriquées par les
Etchichiebo (4). D'autres étaient importées de l'extérieur,
1- R.P. Godefroy loyer. Relation de vovage d'Issignv lï02 in P. Roussier l'Etablissement d'Issignv 168ï-lï02,
Paris, Larose 1935.
2- Marc Auge: Le rivage Alladian page 42.
3- Bouet Willaumez : commerce et traite des noirs aux côtes occidentales d'Afrique Paris 1948 p. l l O,
4- HARRIS NŒMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de la cr précoloniale
1nO-I920 p. 232.
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ARM ES: (suite)
-:
1 FUSILS DE TRAITE 18 è Siècle.
Source: Jehan MOUSNIER 1957 Journal de la Traite des Noirs
p81et91
2 . couteau de guerre
3.Poignard
guiguibre (Bete)
lib ré (Sete)
Wo (Kweni)
maora (Kweni)
4. Lance
li (Bete)
mirm (Odjukru)
ebis.n (1\\IIadié:ln)
80
précisément du pays Mandé où les populations depuis de longs siècles connaissaient l'usage du
fer ainsi que les techniques du travail du fer. Les populations de la côte maritime avaient très tôt
établi des relations commerciales avec les peuples de l'intérieur avec lesquels ils échangeaient les
produits bruts contre les produits manufacturés de l'artisanat local. C'est ce qu'écrivait Dapper
"les habitants de cap Lahou font grand trafic de robes de six bandes qu'ils vont acquérir chez
leurs voisins qui sont les plus éloignés de la côte et leur donnent du sel en échange (1). Ceux qui
portent du sel, remontent à l'intérieur pour le vendre dans le pays des Maures " ils rencontrent
des peuples blancs monter sur des mulets ou des ânes et qui ont pour armes des lances". Les
peuples de la côte maritime étaient de véritables négociants. Leur richesse et prospérité
provenaient essentiellement du négoce. Ils avaient des contacts commerciaux avec des
populations situées très loin de la côte. Chaque année, après la saison pluvieuse, les commerçants
de la côte organisaient des expéditions commerciales vers l'intérieur des terres où ils
échangeaient le sel marin et les produits manufacturés européens contre les produits de l'artisanat
des régions visitées et les esclaves. Au cours de ces expéditions commerciales, les populations
du littoral avaient aussi appris les techniques du travail de fer auprès des différentes populations
techniquement avancées. Dapper dans son texte parlait des contacts qu'avaient les commerçants
du sel et des blancs qui montaient des ânes et des mulets et qui avaient aussi des lances comme
armes.
La pointe des armes est toujours en fer ce qui montre la présence du fer dans toutes les
activités des sociétés des régions de savane. Pour la période des XVIlè et XVIIIè siècles, il était
impossible aux commerçants Alladian avec leurs charges de sel et toutes les difficultés du
voyage de se rendre jusqu'au pays des Maures pour y trafiquer. Dans cette région de l'Afrique,
depuis les IXè et XIlè siècles, il y a eu le développement de l'extraction du sel gemme dans les
mines de sel d'îdzil et de Theghazza. Cette région était aussi approvisionnée en sel marin par les
populations méditerranéennes. Les besoins en. sel de cette région étaient pourvus. Il était alors
supert1u pour les populations de la côte de traverser le désert du Sahara et de trafiquer avec les
Maures. Nous pensons plutôt que les marchands de la côte avaient sans doute des contacts avec
les populations peulh. Aujourd'hui nous ne disposons pas d'informations suffisantes pour
démontrer si les marchands de la côte des Quaquah avaient eu des contacts avec les Maures ou
les Peulh. Nous pensons que, vu l'éloignement entre les deux régions et la présence du Sahara
dont la traversée est très dangereuse et le temps que les marchands mettraient pour arriver
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- Dapper : Description des côtes de Guinée p. 32.
81
en Afrique du Nord le déplacement se faisant
pied sans bête de somme les blancs dont parlait
Dapper seraient des peulh ui avaient la même pigmentation ue les Maures Tout reste
vérifier Aux XVIlè et XVIIIè siècles les zones de contact entre les populations de la côte et
celle de l'intérieur des terres étaient d'abord le pays Koueni Tyasalé sur le Bandama
la limite
de la forêt et de la savane et plus tard au XIXè siècle Kotia Koffikro le principal marché
d'esclaves C'est peut-être dans le Mandé ue les négociants auraient rencontré les blancs de
Dapper Le Mandé était un grand carrefour où se rencontraient toutes les races De nombreux
arabo-berbères y vivaient depuis de longs siècles mais ils n'étaient pas majoritaires au sein de la
population
tel point de considérer la Mandé comme le pays des blancs Dapper lui-même
n'avait pas effectué des voyages
l'intérieur pour constater ue les partenaires commerciaux des
commerçants ua uah étaient de race blanche Nous osons affirmer ue les marchands de la côte
avaient peu de contacts avec les Arabo-berbères ui dominaient le trafic commercial entre la
Méditerranée et le Soudan
La matière première utilisée pour la fabrication des armes blanches avait une origine
étrangère Peu de traditions mentionnaient sur la côte l'existence de minerais de fer de techni ue
d'extraction et de fonte L'essentiel de cette matière première était constitué des barres de fer du
sombé Malinké ac uis au cours des échanges en pays Koueni et des barres de fer d'origine
européenne Les sombé étaient en barre de fer et mesuraient vingt uatre (24) centimètres Ils
servaient de monnaies pour les échanges dans les pays Mandé Le fer descendait sur la côte en
empruntant la vallée du Bandama
La région côtière n'était pas dépourvue de gisement de fer L'existence de mine de fer en
pays Tchaman a été non seulement attestée par les populations mais aussi au XIXè siècle par les
officiers de la marine française (1) Pour le pays Alladian les traditions recueillies par HA IS
:rvŒ:rvŒL Foté
"Bodo Ladja" évo ue l'existence de terre ferrugineuse' de la forêt d'Etanamanui
u'auraient exploitées les anciens forgerons Alladian (2)
L'existence de "race" de forgerons dans le pays Alladian n'est pas une simple allégation
mais une réalité parce ue depuis
1- A. N. S. Section AOF série 5628, p.6.
2- HARRIS MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de la C.I précoloniale
1720-1920 p. 245.
~ M~J Fof~/ Ii~~~s
ARMES
1 . Arc
2. Flèche en bambou
3 . Flèche en bambou
pulu ( Bete)
Biô (Bete)
(Niabwa)
bin (odjukru)
4. Couteau
5 . Couteau
Baka ( Bete)
Bre (Bete)
,.,.
82
la deuxième moitié du XVIlè siècle les forgerons Alladian fabri uaient des N'Bè anneau de
cuivre ou de fer ue portaient la cheville gauche les chefs de lignages certains vieillards et les
hauts dignitaires de la société Alladian comme signe de leur autorité Mais ces N'Bè appelés au
XIXè siècle manilles furent utilisées par les capitaines anglais comme moyen de change dans
leurs échanges commerciaux avec les traitants de la côte Tous les produits en fonte servaient
également de matières premières et permettaient la fabrication des instruments (outils) agricoles
et de chasse : des sabres d'abattis des pièges
éléphant des lances et des flèches Selon A
Ladurantie rapporté par MEMEL Foté ce sont les cultivateurs-guerriers ui apportaient eux-
mêmes la uantité de métal nécessaire cette fabrication (1)
Les trafi uants pour la chasse des esclaves et pour leur propre sécurité et défense
disposaient de 2 type.s d'armes D'abord les armes de jet dont nous distinguons trois variétés Les
flèches d'arcs ui pouvaient avoir la pointe en métal ou en bambou les sagaies ou lances d'un
mètre cin uante (1 50 m) environ de long se présentent en arme d'Hast avec un fer de lance de
près de vingt (20)
uinze (15) centimètres monté sur une longue hampe de bois soit en tige de
fer terminé
une extrémité par une manche courte et enfin le troisième sagaie par une pointe
étoile
Enfin la dernière arme de main utilisée était les couteaux de guerre et les poignards La
caractéristi ue de ces couteaux ou sabres c'est ue la lame est très longue (35
40 cm) et large
(4 6 cm) La manche était sculptée en bois ainsi ue la garde
L'introduction du deuxième type d'arme les armes
feu dans la région côtière avait une
source étrangère Avant le XIXè siècle période au cours de la uelle avec la traite de l'huile de
palme la côte ivoirienne surtout la partie orientale sera inondée de produits manufacturés
européens dont les armes
feu A ce sujet nous distinguons deux origines La première origine
est européenne En effet nous avons montré ue depuis la deuxième moitié du XVIlè siècle les
populations côtières et en particulier les Alladian avaient établi des relations commerciales avec
certains interlopes européens C'est ce ue note Dapper dans son récit de voyage «Description
des côtes de Guinéee" Parmi les produits échangés on note aussi du côté européen des armes
feu mais de ualité médiocre Il s'agit de fusils
silex
1- HARRIS ME.MEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de la C.I précoloniale
1720-1920 p. 245.
2- HARRIS MEMEL Foté. c.f. page 246.
- Dapper : Description des côtes de Guinée. Amsterdam 1686 p. 2.
83
La deuxième origine est soudanaise Ce sont les artisans soudanais UI auraient appris selon
Béno t ESSOR LATTE aux populations forestières en l'occurrence aux Koueni (Gouro) et plus
tard aux Baulé et aux populations côtières (Odzukru Alladian Tchaman) la fabrication des
armes
feu (1) Ces armes aux XVIlè et XVIIIè siècles fonctionnaient
l'aide de la poudre
canon en Odzukru "Afriya" avec pour projectiles des barres de fonte des cailloux extraits des
roches cristallines MEMEL Foté a identifié neuf (9) variétés de fusils ui circulaient parmi les
peuples de la forêt
Il s'agit en Odzukru de : "Andi"
"Kukugbê"
"Kekré". "Gueridjobo"
"Brêsign" (2) etc
Pour la traversée de la lagune séparant le Lodzukru et le pays Alladian les trafi uants
Alladian utilisaient les pirogues dimensions moyennes
2/ Le bilan des échanges entre le Lodzukru et le pays Alladian
Le bilan des échanges entre le Lodzukru et le pays Alladian est
l'avantage du monde
Alladian En effet très tôt le peuple Alladian s'est ouvert aux influences extérieures surtout
européennes grâce au commerce Cela s'est caractérisé au XVIlè siècle par l'établissement des
relations commerciales entre le peuple Alladian et certains interlopes européens surtout
hollandais Le commerce international et régional a permis ainsi au peuple Alladian de rectifier
et pallier aux insuffisances de la nature
égion sablonneuse donc peu propice
une activité
agricole
haute productivité car le sol étant très peu fertile On note aussi l'exiguïté du territoire
une langue de sable bordée au Nord par la lagune Ebrié et au Sud par l'Océan Atlanti ue Le
peuple Alladian ne doit son salut u' deux activités: les échanges commerciaux et la pêche On
assiste alors au développement de centre d'échange tels ue Addah et Avagou pour les périodes
XVIlè et XVIIlè siècles et au XIXè siècle .Arno uah (Jac ueville) et Bodo Ladja (Grand Jack)
On note également dans le pays Alladian dès la deuxième moitié du XVIlè siècle
une
spécialisation dans les activités économi ues Trois principales activités économi ues étaient
établies depuis la naissance souligne Dapper (3) Il s'agit de la pêche du commerce de cotonnade
et du commerce de cauris (co uillage) Les marchands Alladian étaient très habiles et honnêtes
C'est également ce ue
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 2 Août auprès de M. Benoit ESSOH LATTE.
2- HARRIS MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés 1ignagères d'Afrique Noire. Ex. de la CI précoloniale
1720-1920 p. 246.
- Dapper : Description des côtes de Guinée. Amsterdam 1686 p. 2.
84
rapporte Dapper dans "description des côtes de Guinée" « Lors u'ils viennent trafi uer avec les
vaisseaux marchands ui ont jeté l'ancre sur la côte ils mettent les mains dans l'eau et s'en font
distiller uel ues gouttes dans les yeux Ce ui est une sorte de serment par le uel ils veulent
donner
conna tre u'ils aimeraient mieux perdre la vue ue de tromper dans le commerce »
C'étaient aux XVIlè et XVIIIè siècles de véritables courtiers et non de simples mandataires des
capitaines européens
Cha ue marchand anglais
Américains Hollandais et Allemands
ui
mouillait au large des côtes Alladian avait affaire
un marchand Alladian ou
son successeur
lors ue ce dernier est décédé ou trop vieux pour s'occuper du commerce Les courtiers Alladian
se servaient de bracelets d'ivoire pour les signes de reconnaissance'! Ce signe avait instauré une
confiance récipro ue entre traitants Alladian et capitaines de navires européens Les capitaines
cédaient très souvent une partie de leur cargaison aux traitants avant de lever l'ancre pour aller
commercer dàns une autre localité car les Européens opéraient par cabotages en visitant tous les
points de la côte
la recherche de fret Des crédits étaient également accordés aux marchands
Alladian par les capitaines au long cours Les traitants européens se chargeaient de constituer des
stocks d'ivoires d'or d'esclaves et vers la fin du XVIIIè siècle de stocks d'huile de palme pour
les navires européens ui revenaient tous les ans
pendant la saison sèche
Les Européens
n'avaient pas de contacts avec les fournisseurs africains La saison commerciale ui commençait
en Novembre prenait fin au début du mois d'Avril avec les premières pluies annonçant la grande
saison pluvieuse (2)
Les courtiers Alladian possédaient de grands entrepôts dans l~ étaient entreposés
les produits locaux et ceux de la manufacture européenne
Ils possédaient également de
nombreux esclaves ui s'occupaient du transport des produits Les esclaves constituaient la main-
d'oeuvre Chacune des familles marchandes possédait son entrepôt et cha ue village son parc
~
esclaves (3)
L'évolution sociale et économi ue des populations situées sur la rive Nord de la lagune
Ebrié était étroitement liée
celle du pays Alladian L'économie Odzukru dès cette période était
dépendante
de
l'économie
Alladian
Le
Lodzukru
dépendait
étroitement
pour
son
approvisionnement en produits manufacturés
1- Marc Augé : le rivage Alladian. Organisation et évolution des villages Alladian mémoire d'Orstom p.42
2- Dapper : Description des côtes de Guinée p. 2.
- Addah et Avagou ainsi que Bodo et Ladja étaient les principaux centres d'embarquement des esclaves du pays
Alladian au XVIIIè siècle.
85
européens de la côte Le rayonnement économi ue du monde Alladian ne s'est pas limité sur la
côte mais il s'est étendu d'abord sur les régions situées sur la rive Nord de l'Ebrié et au-dei
dans les régions de savanes Les Odzukru avaient échangé l'huile de palme l'ivoire les produits
agricoles et les esclaves contre le poisson le sel et les produits manufacturés européens
Dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle les marchands Alladian avaient établi des
relations commerciales avec le peuple Baulé ui occupait la région du centre Ainsi
l'or
principale source de richesse des Baulé la cotonnade et les esclaves étaient échangés contre le
sel et les produits manufacturés européens (fusils tissus eaux de vie) Le sel jouera le rôle de
monnaie dans les transactions commerciales entre les différentes régions économi ues ue sont
l'Alladian le Lodzukru le Baulé et le Koueni'V
La prépondérance commerciale et surtout économi ue du monde Alladian au cours des
siècles
ui précédèrent
la traite de l'huile de palme n'avait pas détruit l'interdépendance
économi ue ui existait entre les zones forestières et la zone côtière On avait plutôt assisté
un
véritable renforcement des relations commerciales entre les différentes régions
Il fallait
d'importantes uantités de marchandises pour satisfaire les besoins des capitaines européens Ce
ui amena les marchands Alladian
entreprendre de longs voyages travers les zones forestières
la recherche de frets
Le pays Odzukru était le premier client et le premier fournisseur du pays Alladian vu le
volume des transactions entre les deux régions D'importantes uantités de produits circulaient de
Lodzukru vers l'Alladian et de l'Alladian vers le Lodzukru'<" Avant la deuxième moitié du XIXè
siècle où s'établissèrent des relations commerciales directes entre le Lodzukru et les traitants
français plus de la moitié de la production Odzukru d'huile de palme était drainée cha ue saison
vers le pays Alladian En retour le Lodzukru recevait le sel les perles d'aigri les co uillages et
les produits de la manufacture européenne Les contacts commerciaux entre le Lodzukru et
l'Alladian favorisent dans le pays Odzukru le développement de uatre centres commerciaux
dont trois situés en bordure de la lagune Ebrié (Mopoyem Tukpa Cosr) et le uatrième situé en
zone forestière
près de six (6) kilomètres de la côte lagunaire (Dibrim)
1- Enquête publique réalisée le 27 Août 1988 à Orgbaff, quartier Edjem Afr.
2- Enquête réalisée le 27 Août à Dibrirn auprès de M. Etienne GBOUBO ES SIS.
86
Le village de Dibrim avait sous son contrôle le point d'embar uement de Dabuachi et d Okoku
Mais les consé uences immédiates des échanges entre ces deux peuples voisins furent surtout
l'introduction dans
le Lodzukru des
produits manufacturés européens
Ce
ui entra na
d'importants bouleversements en pays Odzukru Les Odzukru se mirent alors
l'école de la
techni ue européenne afin de résoudre le problème de leur retard techni ue et technologi ue
L'introduction des produits manufacturés européens favorisa aussi le développement dans le
Lodzukru d'une race d'agriculteurs - commerçants Ce fut les agriculteurs - commerçants ui
diffusèrent le sel et les articles de traite dans les régions de l'intérieur et approvisionnèrent les
courtiers Alladian en produits locaux (huile de palme ivoire produits agricoles barre de fer
cotonnades
esclaves et bétail)
Les agriculteurs - commerçants devinrent les premiers
interlocuteurs des courtiers Alladian dans le Lodzukru'j"
3/ Les échanges entre le Lodzukru et les pays de l'intérieur
Les relations commerciales de Lodzukru n'ont pas seulement été établies avec les
Alladian En dehors du pays Alladian avec le uel
ils faisaient l'essentiel de leurs échanges
commerciaux les Odzukru ont eu aussi
établir de fructueux contacts commerciaux avec les
peuples de l'intérieur dont les Abidji les Abê les Koueni et les Baulé Grâce
ces échanges
commerciaux le peuple Odzukru réussit
sortir de son indigence techni ue et technologi ue et
élaborer ainsi une véritable civilisation originelle ui n'est ue la synthèse des civilisations des
peuples voisins
a) Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et l'Abidji
Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et l'Abidji sont très anciens Ces échanges
remontent selon ESSOR LATTE Béno t très loin dans le temps Ils datent depuis l'installation de
ces populations sur les territoires
--
u'ils occupent Cela nous situerait entre les XVIlè siècles(3).
Mais les grandes périodes d'intenses activités furent la fin du XVIlè et début XVIIIè siècle Le
développement de ces échanges faisait suite
la formation des peuples Odzukru et Abidji" Au
cours de cette
1- Dabuatchi et Okobu étaient des territoires sous le contrôle des Dibrim Egn.
2- Dans les principaux débarcadères de Lod.zukru on note la naissance de groupes de commerçants.
- Les Odzukru se seraient installés dans le Lod.zukru au XVè siècle.
4- Le Lodzukru et l'Abidji sont formés de populations venues à la fois de l'Ouest et l'Est.
87
période
les commerçants Odzukru
approvisionnés en sel
tissus et produits manufacturés
européens (fusils porcelaines barres de fer) par les courtiers Alladian décidèrent d'établir avec
leurs voisins du Nord de véritables relations commerciales et d'aller malgré les nombreuses
difficultés (insécurité
man ue de route
trajet long)
la con uête des autres espaces
économi ues
Le peuple Abidji occupe le territoire situé au Nord de Lodzukru La nation Abidji s'est
formée
la suite de brassage de nombreuses vagues d'immigrants venus pour les uns de l'Ouest
et pour d'autres de l'Est L'unité linguisti ue de ce peuple s'est constituée au cours des siècles
Les premières populations
occuper le territoire Abidj i seraient note Sylvestre AFF! d'origine
Kru Ce groupe composé d'Abidji d Oburu serait parti de leur foyer originel dans le pays Kru
la suite de nombreuses guerres intestines entre les différents sous-groupes ethni ues composants.
le grand groupe Kru occupant les régions du centre Ouest et du Sud-Ouest Ces différentes
vagues migratoires se situeraient entre la fin du XV è au début du XVIè siècles Le deuxième
groupe de population Abidji composé des Abidji-Ejimbé serait des proto-Akan Ce groupe serait
parti du foyer Akan depuis le XVIlè siècle
la suite de bouleversements politi ues intervenus
dans le monde Akan Les Abidji-Ejimbé seraient donc partis de leur foyer originel (monde Akan)
avec de nombreux peuples ui occupent aujourd'hui le Sud-Est et le Sud de la Côte d'Ivoirev"
Les Abidji comme la plupart des forestiers sont des agriculteurs L'activité économi ue
est dominée par l'agriculture d'auto-subsistance L'économie est
base lignagère Les Odzukru et
les Abidji ont la même structure économi ue c'est- -dire une économie dominée par l'agriculture
d'auto-consommation Ayant la même structure économi ue cela suppose u'il ne peut y avoir
d'échanges commerciaux entre les deux voisins
Malgré l'existence des mêmes conditions
géographi ues et de la réalisation des mêmes activités économi ues les Odzukru et les Abidji
ont une économie interdépendante
Depuis la deuxième moitié du XVIlè siècle
suite
l'établissement de relations commerciales entre les interlopes européens et les peuples côtiers la
diffusion des produits manufacturés européens dans les régions de l'intérieur crée chez les
peuples de l'intérieur des besoins nouveaux ui ne peuvent être satisfaits ue par les peules du
littoral Cette situation favorise alors l'établissement des relations commerciales entre les régions
côtières et celles de l'intérieur Ainsi éloignées des côtes les populations de l'intérieur seront les
principaux fournisseurs des régions côtières en produits d'exportation (esclaves IVOIres peaux
d'animaux or et produits végétaux)
1- Une grande partie des populations occupant les régions du Sud et du Sud-Est est originaire du pays Akan. Ce
groupe compose aujourd'hui le groupe lagunaire.
88
L'établissement des relations commerciales entre le Lodzukru et l'Abidji a été note SESS
Samuel
l'initiative des Odzukru
En effet
les Odzukru sont les premiers partenaires
économi ues des Alladian Le pays Odzukru effectuerait plus de la moitié de ses échanges avec
le pays Alladian Au fil du temps la demande Alladian devient plus importante et la production
agricole Odzukru est loin de satisfaire la demande des insulaires La production agricole est
variée mais cette production est loin de satisfaire les besoins de Lodzukru et de l'Alladian Dans
le domaine de l'artisanat
l'exception des populations d'Aklodze A on note un man ue d'esprit
industriel
Face
toutes ces difficultés
les Odzukru se sont
orientés vers
le centre
d'approvisionnement le plus proche c'est- -dire le pays Abidji La dernière raison de l'ouverture
des Odzukru sur le monde Abidji est ue pour les Odzukru le pays Abidji est une zone tampon
passage obligatoire pour toutes les nations ui souhaiteraient avoir des contacts commerciaux
'avec les pays Baulé et Koueni au XVIIIè siècle Le grand désir des Odzukru est de pouvoir
s'alimenter en produits du riche Koueni et Baulé et par cette voie entrer en contact avec les
nations mercantiles du Nord
Les produits échangés
Plusieurs produits entrent dans l'éventail des échanges commerciaux entre les Odzukru et
les Abidji Parmi tous les produits le sel et les esclaves ont été les plus importants Mais les
échanges portent aussi sur les produits halieuti ues agricoles sur les productions animales et sur
les produits manufacturés européens
Du pays Odzukru montaient vers le pays Abidj i le sel les produits halieuti ues et
manufacturés Du pays Abidji (paniers en rotin nattes) les toiles d'écorces les produits agricoles
(bananes) la viande boucanée des escargots et des esclaves Parmi les exportations de Lodzukru
vers l'Abidji seuls les produits halieuti ues constituent la véritable production des Odzukru
tous les autres produits proviennent du trafic commercial entre le Lodzukru et le pays Alladian
Le sel était transporté dans des paniers en rotin(2) cha ue traitant Odzukru en transportait
au moins trois
n panier faisait au minimum douze (12)
uinze (15) litres Les traitants les
plus riches
ui disposaient une main-d'oeuvre abondante
transportaient au cours de leurs
expéditions commerciales des uantités considérables Ces traitants se faisaient généralement
1- Enquête réalisée à Orgbaffle 27 Décembre 1986.
2- HARRIS MENIEL Foté. L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de la Côte d'I\\"oire
précoloniale D. 244.
89
accompagner par au moins deux ou trois de leurs esclaves De façon générale le sel exporté dans
le pays Abidji était de uantité infime pour couvrir les besoins de la population Le mode de
transport étant le portage cela ne favorisait pas le transport de uantités considérables Le
portage rendait les voyages pénibles et longs Il y avait aussi l'existence des zones marécageuses
u'il fallait traverser de même ue les marigots et les rivières ui constituaient des obstacles
majeurs du trafic entre la zone côtière et l'Hinterland Pour la traversée des rivières les traitants
s'ac uittaient d'un droit de péage auprès des populations riveraines Avant la deuxième moitié du
XVIIIè siècle note Béno t ESSOH LATTE (1) l'essentiel des cargaisons de sel venu du pays
Alladian était évacué dans l'Abidji par les traitants Odzukru Mais vers la fin du XVIIIè siècle
note Bénoit ESSOH LATTE les trois uarts des exportations de selseraient évacués vers les
pays Koueni et Baulé (2).
Le sel était un produit très recherché par les populations de l'intérieur car il jouait divers
rôles Le sel était
la fois dans l'alimentation la médecine la politi ue (rite de réconciliation)
l'économie (monnaie) et le social bien de prestige actes de compensation matrimoniale (3). Il était
débité en boule et en poudre Le sel a servi aux Odzukru
ac uérir des esclaves en pays Abidji
Les esclaves constituent le deuxième produit des échanges entre le Lodzukru et les
Abidji Ils représentent pour la population Odzukru une main-d'oeuvre servile un bien de
production Deux facteurs ont milité en faveur de la recherche des esclaves par les Odzukru Il
s'agit des facteurs économi ues et sociaux Le peuple Odzukru
partir du XVIlè siècle avait un
besoin en main-d'oeuvre pour mettre en valeur les palmerais Or la population Odzukru très
faible n'était pas en mesure de satisfaire en main-d'oeuvre lés besoins du pays Cette situation
oblige les Odzukru
s'adresser
leurs voisins du Nord ui n'éprouvent aucune difficulté
se
séparer de leurs progénitures L'arrivées des esclaves d'origine Abidji favorise un accroissement
de la population Odzukru ui selon Sylvestre AFF! était lent L'accroissement naturel dans cette
région était faible parce ue le taux de natalité était sensiblement égal au taux de
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Août 1984.
2- Dans la deuxième moitié du XVlIIè siècle, les traitants Odzukru ont jugé plus rentables, les échanges avec les
Baulé et les Koueni.
- HARRIS MEMEL Foté. L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de la Côte d'Ivoire
précoloniale 1720 - 1920 p. 258.
90
mortalité Les mariages étaient précoces et la fécondité importante Les hommes se mariaient
l'âge de dix sept (17) ans
dix huit (18) ans et les femmes entre uinze (15)
seize (16) ans
Dans son évolution la population Odzukru avait été confrontée
plusieurs obstacles Il s'agit des
épidémies de choléra de fièvre jaune et de variole
Nos informateurs nous ont signalé de
nombreux cas d'épidémie de fièvre jaune et de choléra" Aux épidémies s'ajoutent les famines
ui étaient fré uentes note Sylvestre AFFI(Z), Enfin la faiblesse démographi ue de Lodzukru était
aussi due
de nombreux cas de stérilité constatés chez les femmes
Selon Béno t ESSOH
LATTE la plupart des femmes mariées c'est- -dire dotées
ui uittaient le foyer conjugal pour
rejoindre un amant sans être divorcées passent le reste de leur vie sans conna tre la maternité
c'est- -dire sans concevoir" Tous ces éléments constituèrent des obstacles
l'accroissement de
la population Odzukru
Le deuxième facteur était social En effet les Odzukru ayant un régime démographi ue
évoluant en dents de scie avaient besoin de femmes étrangères pour assurer la continuité de leurs
lignages et empêcher ainsi la rupture des cha nes Les familles riches se rendent alors dès le
XVIIIè siècle en pays Abidji et Abê et plus tard au XIXè siècle dans le pays Krobu pour ac uérir
des esclaves L'esclave dans la société Odzukru était
la fois un bien de production et bien de
prestige
Lors des transactions les esclaves de sexe féminin c'est- -dire les femelles étaient
beaucoup plus recherchées par rapport aux hommes L'achat des femmes était jugé plus rentable
et avantageux Les femelles étaient utilisées
la fois comme main-d'oeuvre servile et agent de
reproduction Les femmes achetées dans les pays Abidji Abê et Krobu avaient un âge compris
entre uatorze (14) et seize (16) ans C'étaient alors des jeunes filles El1es étaient note Samuel
SESS accompagnées dans leur voyage en pays Odzukru par des jeunes garçons âgés de huit (8)
dix (10) ans Les garçonnets avaient pour mission d'aider leur parente
s'enfuir dans le cas où
el1e était l'objet de sévices et de mauvais traitement de la part du ma tre L'esclave femelle une
fois arrivée dans le Lodzukru épousait uel u'un du même lignage ue son ma tre ou bien
uel u'un d'un autre lignage mais résidant dans le village ue le ma tre L'esclave pouvait aussi
devenir une des concubines du ma tre L'esclave devient la nièce et la fille du ma tre Lors u'elle
épouse uel u'un d'un autre lignage ses enfants issus de ce mariage appartiennent au lignage
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Décembre 1984 auprès de M. Sylvestre AFF!.
2- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 26 Décembre 1984.
- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 26 Août 1987.
91
du maître de l'esclave L'éducation de l'esclave était confiée l'une des soeurs du ma tre ou un
membre du même lignage Les riches marchands Odzukru ui avaient besoin d'une main-
d'oeuvre servile achetaient des esclaves de sexe masculin dont l'âge selon Béno t ESSOH
LATTE variait entre treize (13) et uinze (15) ans
L'esclave de sexe féminin était plus coûteux ue l'esclave de sexe masculin'P Pour les
Odzukru l'achat d'un esclave de sexe féminin est un investissement rentable
court et
long
terme par rapport l'achat d'un homme dont la rentabilité n'est u' court terme La femme par
ses maternités procure alors 1ac uéreur une descendance ui constitue une main-d'oeuvre alors
ue l'homme n'offre ue sa force de travail pour un temps limité
Le grand centre des échanges commerciaux Abidji était Bécedi où se rencontraient la
plupart des traitants Odzukru ui se rendaient dans le Baulé La demande en esclave devenant
importante les traitants Odzukru recherchèrent de nouvelles sources d'approvisionnement Leurs
choix se portèrent sur les pays Baulé et Koueni avec les uels ils établirent des relations
commerciales
Au début du XVIIlè siècle les traitants Odzukru échangeaient un esclave de sexe féminin
centre trois bouteilles de sel soit uarante cin (45) litres et un esclave masculin deux bouteilles
soit trente (30) litres en raison de uinze (15) litres par bouteilles Les autres produits (poissons
produits manufacturés européens sauf les fusils) en provenance de Lodzukru étaient échangés
dans l'Abidji contre les toiles d'écorce les produits alimentaires (bananes plantain viande de
brousse séchée escargot) et les produits de l'artisanat"
Aucun accord n'était défini avant les échanges Tout dépendait de la loi de l'offre et de la
demande Les transactions donnaient souvent lieu entre traitants Odzukru et traitants Abidji de
longues heures de négociation Lors ue les produits demandés par les traitants Odzukru étaient
insuffisants ces derniers confiaient des produits
leurs hôtes Abidji ui se chargeaient par leur
dynamisme personnel de parcourir toute la région Abidji afin de se procurer des produits
demandés par les traitants Odzukru Nous développerons plus loin le système des hôtes ui fut
l'un des principaux facteurs ui favorisèrent et contribuèrent
l'épanouissement et au
développement des échanges commerciaux A l'origine de l'établissement de ce système d'hôte
souligne
1- L'esclave femelle cotait six (6) à huit (8) bouteilles de sel et le mâle quatre (4) à cinq (5) bouteilles.
2- Enquête collective réalisée à Orgbaff Edjem Afr le 22 Septembre 1987.
92
NfENfEL Foté HA~IS se trouve des réseaux d'alliances matrirnoniales'{' Ce système
fonctionnait selon le principe de l'échange diféré combiné ou non avec le principe de l'échange
direct
Les échanges commerciaux dans ces régions généralement sans marché se faisaient
souvent dans la cour de l'hôte Dans le cas des échanges entre Odzukru et Abidji c'est l'hôte
Abidji connaissant les besoins de son ami Odzukru ui se chargeait lui-même de mener les
négociations jus u' ce u'elles aboutissent aux échanges Le comportement des hôtes Abidji
était très apprécié par les Odzukru ui étaient confrontés aux problèmes de communication car
ne sachant pas prononcer un seul mot Abidji ou Baulé or les Abidji parlaient couramment le
Baulé et savaient prononcer
uel ues mots de la langue Modzukru
Les Abidji parlaient
également l'Agni et l'Abê Tous ces peuples entretenaient des relations commerciales avec les
Abidji Les facilités de communication. ue possédaient les traitants Abidji furent d'eux des
auxiliaires importants pour les traitants Odzukru C'était grâce
l'existence de cette race de hôtes
Abidji ue les Odzukru réussirent
entrer en communication avec les populations Koueni et
Baulé
Les échanges entre Odzukru et Abidji avant la grande traite de l'huile de palme étaient
base de troc On ne peut alors parler de commerce L'essentiel des échanges portait sur des
produits de luxe tels ue le sel et les esclaves Le niveau des échanges entre les deux pays était
inégal Il était l'avantage des Odzukru ui se présentaient comme les fournisseurs de l'Abidji en
produits manufacturés et considéraient l'Abidji comme une zone d'approvisionnement en
esclaves L'essor démographi ue enregistré par les Odzukru au début du XIXè siècle la mise en
valeur des palmeraies et l'essor commercial de Lodzukru sont
l'actif des hommes et des
femmes Abidji Le man ue de statisti ue ne nous permet pas d'apprécier le nombre d'esclaves
entrant annuellement en pays Odzukru ESSOH LATTE Béno t souligna u'avant la grande traite
de l'huile de palme toutes les familles ne possédaient pas d'esclaves
C'étaient seulement
uel ues familles ui se donnaient le luxe d'acheter des esclaves Il avance u'en moyenne par
an
uinze (15)
vingt (20) esclaves seraient vendus par les Abidji aux Odzukru (2). uant
AFFI Sylvestre il souligne ue la uantité des esclaves entrant dans le Lodzukru annuellement
était faible (3).
1- HARRIS MEl'v1EL Foté. L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de la Côte d'Ivoire
précoloniale 1720 - 1920 p. 266.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1984.
- Enquête réalisée à Orgbaffle 27 Décembre 1984.
2ÈME PAR T 1 E
HU: PAYS ODZUKRU DANS LES ECHANC5ES
COMMERCIAUX
AFRIQUE
~
EUROPE
(1830
-
1871)
93
C'est aussi grâce aux Abidj i ue les Odzukru étaient entrés en relation avec les Baulé et les
Koueni Ce ui entra ne le développement des échanges entre le Lodzukru et les régions de
savane
b) Les échanges entre le Lodzukru le Koueni et le Baulé
Par rapport aux courants commerciaux Nord-Sud c'est- -dire pays Odzukru et régions
côtières Alladian Avikam
Aïzi suivis des échanges Odzukru - Abidji
l'établissement des
relations commerciales entre le Lodzukru et les régions situées dans la zone préforestière et de la
savane est récent Il se situerait selon certains informateurs vers la fin du XVIlè siècle D'autres
avancent u'il se situe uel ues années après la fondation du village de Tyasalé Ce ue nous
retenons de toutes ces informations c'est u'un trafic commercial important a été établi entre le
Lodzukru et les régions du Centre et du Centre-Ouest Ces échanges ui 'se situeraient avant la
période de la grande traite de l'huile de palme ont été établis au cours de la deuxième moitié du
XVIIIè siècle L'examen de certaines pièces de cotonnades comme le "Djangô" et le "Kamitchê"
nous permettent de retenir cette période Les chefs de lignages détenteurs de ces objets nous ont
informés u'ils les avaient hérités de leurs ancêtres Certaines pièces ont été ac uises il y a trois
uatre générations Mais la grande période des échanges commerciaux entre ces régions se
situent dans la deuxième moitié du XIXè siècle période de la participation effective de Lodzukru
en tant ue partenaire économi ue au commerce international
Au XVIIIè siècle les échanges entre le Lodzukru et les régions du centre étaient
base
de troc Ils étaient essentiellement portés sur des produits de luxe provenant de l'artisanat
Malinké et Baulé Le volume des échanges était faible pour deux raisons il y avait d'abord la
distance ui séparait les deux régions et les productions ui n'étaient pas très suffisantes pour
couvrir les besoins des régions productrices et enfin ce type d'échange
base de troc exige ue
les objets échangés aient
peu près les mêmes valeurs or ces régions ont le même type
d'économie
même si les conditions géographi ues sont différentes
L'activité économi ue
dominante était l'agriculture d'auto-subsistance Les Odzukru ne pouvaient offrir
ces deux
régions ue le sel marin et les produits de la manufacture européenne
ui transitaient par le
Lodzukru
94
Les régions du Centre : les Koueni et Baulé certes ont une économie dominée par
l'agriculture d'auto-subsistance mais doubler d'une activité artisanale productrice de biens
d'é uipement et de biens de consommation (orfèvrerie confection d'étoffe travail du fer etc
)
La région Koueni (Guro) située dans la zone préforestière entre les fleuves Bandama et
Sassandra
l'Ouest de la région Baulé et au Sud de la région Malinké était une région
productrice de produits agricoles (féculents céréales) et artisanaux mais aussi une région de
transit par la uelle transitaient tous les produits de l'artisanat du monde Malinké
La région Koueni était un passage obligatoire pour tous les pays de la zone forestière U1
souhaitaient entrer en contact avec les Malinké Les relations commerciales entre les Koueni et
les Malinké s'étaient établies depuis de longs siècles Les contacts entre ces deux peuples ont été
établis grâce au commerce de la cola La cola était une marchandise plurifonctionnelle produite
dans la zone forestière La cola jouait un rôle social important'P un élément important des dots
des rites religieux et des actes thérapeuti ues
La cola produit de consommation alimentaire était appréciée par les populations de la
zone de savane pour son caractère tonifiant car contenant la caféine et la théobromie Ce produits
jouait également le rôle de monnaie entre les populations du Centre Ouest
La cola n'était pas produite dans la région Koueni mais dans les régions Bété et Gban où
elle abondait La cola était produite dans la zone forestière couvrant les territoires Bété et Gban
profitant de leur position géographi ue c'est- -dire zone tampon entre le pays Malinké et les
pays du Sud-forestier les Koueni vont s'imposer comme des intermédiaires incontournables pour
le commerce de la cola La cueillette le transport et le conditionnement de ce produit étaient
assurés par les femmes Bété ui s'occupaient de leur évacuation jus u'aux zones d'échange
S'inspirant du modèle Malinké le commerce de la cola avait donné naissance
des marchés ui
deviennent pour tous les acteurs des zones de rencontre et d'échange du riche artisanat Malinké
contre les produits de la zone forestière
Les commerçants Malinké précisément les Djula ui sont des négociants professionnels
faisaient descendre vers les marchés Koueni le bétail le sel gemme la cotonnade des annes
feu (poudre et fusils) du beurre de karité et des esclaves En retour les Koueni offraient la cola
recherchée dans les sociétés Malinké et accessoirement des produits vivriers (ignames riz farine
de maïs légumes et la banane plantain) Lors des échanges entre Koueni et Malinké un seul
produit jouait le rôle de monnaie
1- HARRIS MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Ex. de la
Côte d'Ivoire précoloniale 1720 - 1920 p. 225.
95
Il s'agit du sombé ui était confectionné par les forgerons Malinké La monnaie de sombé en
Koueni "Bans" était échangée en pa uets Cha ue pa uet contenait vingt (20) pièces ce ui
constituait l'unité de compte
Outre son rôle de monnaie le sombé jouait deux rôles essentiels dans la société Koueni
Il servait d'abord de matière première utilisée par des forgerons Koueni pour la fabrication des
outils agricoles (houe hache machette) et des armes (fusils flèche sagaie) Enfin il constituait
un élément de richesse car entrant dans le lot de compensation matrimoniale
Grâce aux échanges avec le Nord les Koueni développèrent en direction des régions du
Centre et du Sud forestier d'importants trafics commerciaux Le commerce de la cola permit au
pays Bété région productrice de ce produit rare d'entrée dans la mouvance du commerce
soudanais La seconde région a bénéficié du développement et du rayonnement commercial du
pays Koueni est le Baulé n important trafic se développa entre le Baulé et le Koueni Le trafic
entre les deux régions était essentiellement porté sur des produits de luxe: le sel 1or 1esclaves
du bétail et de la cotonnade
L'établissement des échanges commerciaux entre le Lodzukru et le pays Koueni avait
connu le jour par la volonté de la population Odzukru ui avec les sociétés du Nord souhaitait
par des échanges commerciaux et par des rapprochements résoudre son indigence techni ue et
technologi ue
L'artisanat en pays Odzukru était pres u'inexistant en dehors du village
d'Aklodze'<"
Les populations Koueni depuis de longs siècles connaissaient les techni ues du travail du
fer Grâce aux échanges commerciaux avec les Malinké les Koueni détenaient de nombreux
Q
produits recherchés par les Odzukru Il s'agit du bétail des esclaves des produits de l'artisanat
Malinké et surtout les barres de fer ue constituaient les sombé Le fer était une matière première
recherchée par le peuple Odzukru pour diverses raisons D'abord le peuple Odzukru avait besoin
de cette matière première pour moderniser les outils agricoles constitués de pièces en bois afin de
rendre l'agriculture Odzukru principale activité économi ue plus productive Constituant un
peuple d'agriculteurs-guerriers pour la défense de son territoire soumis aux pillages et aux razzias
des trafi uants d'esclaves Alladian et faisant l'objet de nombreuses atta ues surprises de ses
voisins de la tribu "Songon" le peuple Odzukru était dans l'obligation de s'adresser aux peuples
.du Nord pour son approvisionnement en armes Les premiers pagnes
1- Dans le village, on rencontrait quelques artisans.
2- Pays Odzukru, pauvre en ressources minières, mais pour leur approvisiormement en fer, les artisans Odzukru
(EWUSU) s'adressent aux pays des zones forestières et de savane.
96
utilisés dans le Lodzukru note GBOVGBO ESSIS Etienne seraient d'origine Koueni (1). Il
s'agissait surtout du "Django"
mais ces pagnes importés du Koueni étaient coûteux et
insuffisants pour couvrir les besoins de Lodzukru
Le peuple Odzukru au plan techni ue et technologi ue jus u'au XVIIIè siècle vivaient
de façon primitive Il vivait dans une indigence matérielle pres ue totale Les produits de la
manufacture européenneui transitaient par les régions du littoral maritime (Alladian et
Avikam) étaient insuffisants pour couvrir les besoins de Lodzukru
La principale tenue
vestimentaire était constituée de toile d'écorce appelée en Odzukru "Likpekn" Du XVè au début
du XIXè siècle
la toile d'écorce servait de tenue vestimentaire
la grande majorité de la
population Dans le souci de couvrir leurs besoins en produits manufacturés les Odzukru
multiplièrent . leurs sources d'approvisionnement
C'est ainsi
u'ils établirent des relations
commerciales avec le pays Baoulé
Le peuple Baulé composé de plusieurs tribus dont les ElomoE fut dans la zone de
savane le principal partenaire économi ue de Lodzukru d'abord dans la deuxième moitié du
XVIIIè siècle et surtout au XVXè siècle Les Baulé occupent le Centre de l'actuelle Côte d'Ivoire
entre les fleuves Bandama
l'Ouest et la Comoé et l'Est Les Baulé ui occupent
la fois une
partie de la zone forestière et la savane de la région centrale étaient de redoutables guerriers Ils
étaient partis du pays Ashantee
une date ui reste
préciser entre 1720 et 1750
la suite d'une
guerre dynasti ue après la mort d'Osseï Tutu Le royaume Ashantee était devenu la première
puissance militaire du monde Akan au lendemain de sa victoire sur le royaume Denkeyera lors
de la bataille de Feyasse en 1701 La succession au trône d'Osseï Tutu entra ne des uerelles
entre ses neveux Opoku aré et un certain Dakon ue certains historiens considéraient comme
le frère de "la reine Abia Pokou La dispute entre les deux prétendants au trône d'Osseï Tutu
dégénère en une bataille entre les deux camps et Dakon fut tué Abia Pokou sui soutenait Dakon
dans sa lutte pour la succession au trône d'Osseï Tutu pour éviter les pressailles d'Opokou aré
vain ueur et nouveau souverain de l'Ashantee émigre avec ses partisans vers l'Ouest
dans
l'actuelle Côte d'Ivoire les Baulé refoulent au Nord les Sénoufo dont ils annexent uel ues
villages (2).
1- Enquête réalisée à Dibrim le 27 Décembre 1988.
2- Les Baulé ont annexé de nombreux villages Tagouana.
97
Ils refoulent également
l'Ouest les Koueni sur la rive droite du Bandama et annexent toute la
région Centre Ils soumettent de nombreuses populations ui sont assimilées (1). Les Baulé fixent
leur capitale
Sakassou et créent au Sud du bas Bandama la ville de Tyasalé ui sera un grand
centre commercial et stratégi ue (2). Située sur la rive droite du Bandama Tyasalé fut le point de
convergence des voies de communication de terre et d'eau
Cette ville peuplée d'Asrin et
d'ElomoE fut au XIXè siècle le centre commercial le plus important de l'hinterland car zone de
transit carrefour important zone de contact entre le Nord et le Sud centre d'un commerce actif
entre les populations du Nord et de la zone côtière
Comme la plupart des sociétés africaines l'économie du pays Baulé est une économie
lignagère dominée par l'agriculture de d'auto-subsistance (igname)
Mais
cela s'ajoute
l'extraction de l'or ~t les métiers
tisser En effet le Baulé est une région productrice de coton
matière ui entre dans la confection des pièces d'étoffes Il permettait la fabrication des files
servant
confectionner les étoffes Dans le Baulé le coton poussait
l'état naturel L'existence
de cette matière première avait donné naissance
une race de tisserands Les pièces d'étoffes du
Baulé étaient très appréciées par les populations des régions lagunaires et maritimes Depuis de
longs siècles
les Baulé travaillaient le coton Mais très occupés
travailler la terre et
rechercher les mines d'or la confection des étoffes dans certains villages sera plutôt assurée par
des Malinké Les Malinké ne furent pas
l'origine de l'introduction du métier
tisser dans le
Baulé Les populations Baulé auraient appris auprès de leurs voisins du Nord les différentes
techni ues du travail du fer
Les Baulé grâce aux caravanes ui descendaient des pays Sénoufo et des barres de fer
reçues du pays Koueni fabri uaient des outils agricoles pour l'exploitation des terres Cela avait
donné naissance un groupe de forgerons mals la grande industrie du pays Baulé était le travail
de l'or
En plus des métiers
tisser les Baulé étaient de grands orfèvres Ils étaient de grands
producteurs d'or le métal précieux Le pays Baulé recelait d'importantes mines d'or surtout la
région du Sud-Est Baulé L'abondance de cette matière première de première importance a fait
du pays Baulé un partenaire
1- Les Baulé ont assimilé de nombreuses populations. C'est le cas des Asrin à Tyasalé.
2- Sékou BAl\\I1BA : Tyasalé et la migration Baulé - Asabou In Godo Godo LH.A.A.A. page 4- 5 n08 1982
99
économte des sociétés forestières et lagunaires La présence de l'or avait permis aux orfèvres
Baulé de faire de l'orfèvrerie une des principales activités du pays Baulé Les Baulé extrayaient
des pépites et de la poudre d'or ui entraient dans la confection des bijoux et des bracelets La
poudre d'or dans les régions du
Centre du Sud-Est et de l'Est servait de monnaie Dans le
Lodzukru c'est pour uoi tous les Odzukru ui voulaient en posséder étaient donc obligés de se
rendre dans le Baulé
Les échanges entre le Lodzukru et le Baulé avaient été possible grâce aux besoins
u'avaient les populations Baulé
s'approvisionner en sel marin exporté de la côte Le sel était
un bien de consommation un bien de prestige et un moyen de change
Les échanges commerciaux entre le Lodzukru le Baulé et le Koueni portaient sur des
produits de luxe comme nous l'avons souligné plus haut Du pays Odzukru montaient vers les
pays Koueni et le Baulé le sel et les produits de la manufacture européenne (armes
feu eaux
de vie) Du Baulé et du Koueni descendaient vers la côte les outils agricoles (matchette houe
hache) les barres de fer les cotonnades (pagnes) Les pagnes étaient confectionnés partir du fil
de coton Ils étaient de couleur blanche ou bleue(l). Les pagnes Baulé avaient une particularité Ils
étaient toujours de couleur bleue Ces pagnes avaient des dimensions très réduites Ils mesuraient
deux (2) mètres de long et un mètre cin uante (1 50) de large On notait plusieurs variétés Le
"Djangô" de couleur bleue le Kamitchê de couleur blanche et le Sobu Selon ESSOH LATTE
Béno t les premiers pagnes
être introduits dans le pays Odzukru proviendraient du pays
Koueni Los outils agricoles en fer proviendraient également du Koueni Mais nos différentes
analyses nous permettent de conclure ue les Odzukru avant d'entrer en contacts avec les Koueni
connaissaient le fer grâce
l'intermédiaire des Tchaman et des Alladian Aux pagnes barres de
fer outils agricoles s'ajoutèrent les bijoux et la poudre"d'or les esclaves et la perle d'aigri(2).
Dans le Baulé les traitants Odzukru préféraient acheter les esclaves mâles pour couvrir
les besoins en main-d'oeuvre ui constituait un véritable obstacle
l'exploitation des palmeraies
principales sources de revenu de Lodzukru
1 - Les anciennes pièces de ces pagnes que nous avons vérifiées à Orgbaff, Yassakp et à Lokp sont toutes de
couleurs blanche ou bleue.
2 - La perle d'aigri servait en pays üdzukru de monnaie. L'étalon de mesure était un gobelet de noix de coco.
Les esclavestfli entraient dans les échanges entre les Odzukru et les Baulé notait AFF! Sylvestre
étaient âgés de treize (13)
uinze (15) ans Il s'agissait souvent de jeunes Sénoufo Djimini et
Tagouana arrachés de force
leurs parents par les guerriers Baulé
uel uefois les Sénoufo
venaient en vendre aux Baulé Les Baulé en achetaient aussi aux Sénoufo parce ue les captifs
(prisonniers) des guerres tribales étaient tués et leurs têtes servaient de trophées de guerre'l! Les
vain ueurs faisaient peu de prisonniers pour éviter d'éventuel1es révoltes
Le commerce
d'esclaves devient très florissant en 1850 entre les deux communautés lors ue l'esclave devient
une véritable monnaie de change Cela donnera naissance
un véritable mouvement commercial
Sud-Nord L'esclavage en pays Odzukru jouait deux rôles C'était un bien de production et un
bien de prestige C'est ce ue note ESSOH LATTE Béno t « le commerce des esclaves entre le
Lodzukru et le Baulé existait depuis de longs siècles
les esclaves de sexe masculin étaient
achetés très jèunes entre treize (13) et uinze (15) ans Ils constituaient la main-d'oeuvre Les
esclaves adultes au décès de leurs ma tres étaient imolés ou enterrés vivants Ils devaient
accompagner leurs ma tres dans l'au-dei pour le servir C'était des biens de production et de
prestige»
L'esclavage était un bien de production parce u'il était utilisé pour l'exploitation des
palmeraies et des plantations de manioc et d'igname Il jouait le rôle de bête de somme comme
porteur de marchandises auprès des traitants lors des expéditions commerciales Il était chargé de
créer les plantations devant abriter les produits vivriers Par son travail l'ac uéreur devait
accro tre sa fortune personnelle Bien de prestige parce ue les possesseurs d'esclaves étaient des
hommes distingués Au XIXè siècle avec la traite de l'huile de palme la possession d'un esclave
devient obligatoire pour la célébration du rituel d'Agbadzi en pays Odzukru
Les Odzukru dans le Baulé achetaient aussi les perles d'Aigri appelées en Odzukru "Sat"
Les peries d'Aigri dans le Lodzukru assumaient trois fonctions Elles servaient
confectionner
des colliers donc élément de richesse de monnaie lors des transactions et constituaient une
compensation matrimoniale parce ue tout fiancé avant son mariage offrait
la famille de sa
fiancée une mesure de noix de coco L'introduction des peries d'Aigri dans le Lodzukru se
situerait au XVIIIè siècle Les origines sont très diverses Certains de mes informateurs notent
ue les perles d'Aigri étaient venues par mer Les populations du littoral maritime furent les
premières
introduire les perles d'Aigri dans le Lodzukru D'autres affirment ue les perles
d'Aigri seraient venues du Nord
1- CA. N. C. 1.) Série lEE28 pièces 4.
101
Nous notons deux origines possibles pour l'introduction des perles d'Agri en pays Odzukru En
effet les premiers
introduire les perles d'Aigri de couleurs rouge ou bleu-foncé furent les
populations côtières Les perles d'Aigri étaient importées d'Europe et des Côtes du Bénin(l)· Elles
étaient échangées sur la côte de l'or et des ua uah contre l'ivoire l'or et les épices Depuis les
XVè et XVIIIè siècles les populations côtières connaissaient l'usage de ces perles d'Aigri(2). La
deuxième voie d'introduction des perles d'Aigri dans le Lodzukru fut le Nord Ces perles d'Aigri
furent introduites par les Dyula ui descendaient sur le littoral
la recherche du sel marin
Bien esthéti ue social et économi ue le trafic de perles d'Aigri entre le Lodzukru et le
Baulé a été important surtout au XIXè siècle En pays Baulé note HA 15 MEMEL Foté des
perles d'Aigri ont été extraites de sépultures locales d'origine
ce ui expli ue souligne HA 15
MEMEL Foté l'existence de traditions ui attribuent aux perles d'Aigri une source divine(3). Cela
atteste l'utilisation très ancienne de ces perles dans la région du centre Les Baulé ignorent la
provenance de ces perles d'Aigri Cela expli ue u'ils ne sont pas les premières populations
occuper la région Cela atteste également l'ancienneté des relations commerciales entre les
populations du Nord et les anciennes populations occupant la région du Centre Ces perles
seraient venues du Nord Elles furent introduites dans la région du Centre par les populations
Malinké ui depuis les XV è et XVIè siècles étaient en contact avec les populations des régions
du Centre et de la forêt Les Malinké parcouraient tous les territoires de l'actuelle Côte d'Ivoire
la recherche de l'or
du sel et de la cola Depuis de longs siècles
ils étaient en relation
commerciale avec les marchands de la côte méditerranéenne
Les échanges commerciaux entre le Lodzukru le Baulé et le Koueni portaient sur de
petites uantités Ils ne s'agissaient pas d'un échange portant sur des uantités considérables
parce ue les distances étaient importantes plus de cent (100) kilomètres
1- HARRIS MEl\\tŒL Foté : L'esclavage dans les sociétés Jignagères d'Afrique Noire: Ex. de la Côte d1voire
précoloniale 1720 - 1920 p. 257.
2- Marc Augé : le rivage Alladian : organisation et évolution des villages Al1adian mémoires d'Orstom page 42.
- HARRIS MEl\\tŒL Foté : L'esclavage dans la société lignagère d'Afrique Noire : Ex. de la Côte d'Ivoire
précoloniale 1720 • 1920 p. 257.
102
Le voyage se faisait
pied et durait des semaines!" Le seul moyen de transport était le portage
Le manteau forestier constituait également un handicap
la circulation des personnes Les
traitants Odzukru voyageaient en groupes et formaient ainsi une sorte de caravane Chacune de
ces caravanes note AFFI Sylvestre comprenait en moyenne une trentaine de personnes Les
caravanes étaient constituées de traitants et d'esclaves chargés du portage
Il s'agit 1 de
caravanes moyennes puis u'au début de la saison commerciale Novembre-Décembre on notait
au moins une uarantaine de personnes pour une caravane'Î" La saison commerciale pour toutes
les régions débutait en Novembre et prenait fin au début du mois d'Avril avec les premières
pluies annonçant la grande saison des pluvieuses Sur les douze (12) mois ue comptait une
année seulement cin
(5) mois étaient consacrés aux activités commerciales Malgré cette
longue période le volume des échanges était très faible
cause du man ue de produits
d'échange Les populations n'échangeaient ue le surplus de leurs productions Pour le Lodzukru
le volume des échanges avec les régions de l'intérieur dépendait du volume des échanges avec le
monde Alladian et surtout du volume du sel marin Cela expli ue ue les activités commerciales
de Lodzukru avant la traite de l'huile de palme
étaient subordonnées aux trafics avec les
Alladian
Le cadre des échanges
Au XVIIIè siècle et au début du XIXè siècle
les échanges commerciaux entre
le
Lodzukru le Baulé et le Koueni n'étaient pas directs Ils se faisaient par personne interposée
C'étaient les Abidji
ui étaient chargés des transactions commerciales entre les Odzukru les
Baulé et le Koueni Les échanges étaient directs c'est
dire d'homme
homme entre des gens
ui se connaissaient Les traitants Odzukru accompagnés de leurs esclaves ui leur servaient de
.
porteurs se rendaient dans le pays Abidji et plus particulièrement Bécédi où ils étaient reçus par
des hôtes Les hôtes étaient chargés de les héberger de les nourrir et de les conduire pour ceux
ui le désirent dans le Baulé Sud précisément
Tyassalé où avaient lieu les rencontres entre les
traitants du Sud les commerçants soudanais et les populations du centre Souvent les Abidji se
rendaient seuls
Tyasalé car connaissant les usages et les moeurs et parlant la langue de cette
région Ils s'y rendaient avec les recommandations de leurs hôtes sur les types de produits ue
souhaitaient ac uérir les traitants Odzukru Au cours de cette période les Odzukru
1- Le voyage allé et retour de Lodzukru à Tyasalé durait en moyenne trois semaines.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Août 1986
103
avaient un besoin impérieux des produits ue nous avons cités plus haut: la plupart des produits
q,ui entraient dans le cadre de ces échanges étaient
la fois des biens d'usage courant et des biens
de prestige Certains de ces produits étaient l'expression de la richesse et de la puissance Il s'agit
des fusils de l'or des esclaves des boeufs et des pagnes
Les boeufs étaient consommés au cours des grandes occasions telles ue les funérailles
Les boeufs étaient immolés lors des funérailles d'un grand traitant ou d'un haut dignitaire Cela
témoignait de la grandeur du lignage du défunt L'immolation des boeufs était l'expression de
l'hommage rendu au défunt
Les pagnes Koueni et Baulé remplaçaient lors des grandes
cérémonies les éternelles toiles d'écorce "Likpekn" Jus u' l'avènement de la traite de l'huile de
palme toutes les familles Odzukru note ESSOH LATTE Béno t ne disposaient pas de pagnes en
coton importés des pays Koueni et Baulé Dans le Lodzukru ces pagnes confectionnés
partir
du coton étaient aussi rares ue l'or Jus u' l'épo ue du "grand commerce" seules uatre
cin
sur près d'une cin uantaine de lignages ui composaient la société d'Orgbaff possédaient les
uatre ou les six ualités de ces pagnes note AFFI Sylvestre'?
Les produits importés des régions de l'intérieur n'étaient pas seulement consommés par
les populations Odzukru mais ils alimentaient aussi les trafics commerciaux entre le Lodzukru et
le pays A zi et entre le Lodzukru et le pays Tchaman Les produits venus de la côte et des
régions de l'intérieur dans la société Odzukru entraient aussi dans la composition des cadeaux et
des dons faits aux amis Parmi ces produits certains tenaient une place éminente dans la
catégorie des bien matrimoniaux (perles d'Aigri perles pagnes poudre d'or etc )
Les échanges entre les sociétés de l'intérieur et de la côte se faisaient dans le cadre des
alliances et relations personnelles Les échanges n'intéressaient u'un petit groupe d'individus
ayant au cours des années fait une accumulation des produits alimentaire le trafic inter-régional
A l'intérieur comme sur la côte il n'existait pas de grand marché sauf Tyasalé ui jouait le rôle
de village-marché C'était la zone de contact pour les marchands du Nord et ceux du Sud Au
XIXè siècle Tyasalé devient la principale pla ue tournante du commerce entre la côte et les
régions de l'intérieur Cette ville était le passage obligatoire pour tous les marchands u'ils soient
de la côte ou de l'intérieur
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984
104
Malgré le fait
ue les produits importés alimentent le commerce entre les sociétés
lagunaires et maritimes les échanges entre les Odzukru Baulé et les Koueni obéissaient
une
ligne Il s'agissait d'un système d'échanges spécifi ues et cha ue produit conservait
travers les
échanges une destination spécifi ue Ces produits étaient considérés comme des biens entrant
dans la constitution des fortunes des lignages C'était le cas de l'or de l'ivoire des boeufs et des
pagnes ui jouaient le rôle de biens de prestige pour les chefs de lignages
4/ Le système d'échange
Les échanges internes et externes de Lodzukru empruntaient des formes variées du
simple troc
un système de mesures de valeur caractérisé par la convertibilité de la poudre d'or
et du sel
Les systèmes d'échange interne
Les échanges inter-villages Odzukru obéissaient
deux systèmes d'échange D'abord le
troc et un système de mesures et valeurs caractérisées par les perles d'Aigri et les co uillages
appelés en Odzukru (Araj) Le troc était le système d'échange le plus utilisé par les différentes
populations
ce système s'appli uait surtout aux produits alimentaires Le panier de manioc était
échangé contre la corbeille de poissons Dans ce système d'échange les femmes étaient les agents
actifs parce u'elles étaient les premiers utilisateurs de ce système au cours de leurs transactions
Les femmes étaient aussi les premières animatrices du commerce inter-villages De leurs
déplacements de villages en villages de tribus en tribus résultaient les convois d'huile
ui
alimentaient les échanges entre Odzukru et Alladian Les échanges ont entra né vers la fin du
XVIIIè siècle la naissance des débarcadères-marchés sur tout le long des fleuves et de la lagune
o
Ebrié Ce ui facilita la participation de Lodzukru
l'économie de marché
partir du XIXè
siècle
Au cours de la période ui précède la deuxième moitié du XIXè siècle la monnaie n'était
pas absente dans les échanges commerciaux entre le Lodzukru et ses voisins De nombreux
objets auxXVIlè et XVIIIè siècles jouaient le rôle de monnaie Il s'agissait d'abord des
co uillages appelés en Odzukru "Ara
ou Araj,,(l). Ces co uillages utilisés par les Odzukru
avaient une
1- HARRIS MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Ex. de la Côte d'Ivoire
précoloniale 1720-1920 page 257.
....
105
provenance maritime Les Odzukru soulignent ue ces co uillages ont été introduits sur leur
territoire par leurs voisins de la côte maritime (Alladian Avikam) Les nations maritimes
(Alladian Avikam) ne sont pas des nations productrices de co uillages Les objets ui ont servi
aux échanges dans la région du littoral ont été introduits dans la région maritime de même ue
les cauris par les navires marchands européens (Hollandais Danois Anglais et Allemands) Au
XVIIè siècle selon AFFI Sylvestre les co uillages étaient utilisés comme moyens de change
pour les produits de luxe(l) Mais les co uillages ne semblent pas avoir beaucoup trop mar ués
la mémoire collective Odzukru Cela expli ue
ue son utilisation dans les transactions
commerciales fut de courte durée Par contre les perles d'Aigri ui les remplacèrent avaient servi
aux échanges entre le Lodzukru et ses voisins jus u'au début du XIXè siècle(2). Les perles d'Aigri
avaient perdu leur fonction de moyen de change u'avec l'avènement des manilles au XIXè
siècle Elles ne conservèrent au XIXè siècle ue leur fonction esthéti ue(3). Les perles d'Aigri
note ESSOR LATTE Béno t étaient utilisées dans les transactions entre Odzukru et les
populations de la zone de savane
Les perles d'Aigri avaient permis aux Odzukru d'acheter auprès de leurs voisins du Nord
et du Sud des boeufs des esclaves et des produits de l'artisanat Malinké ou Koueni Avant leur
utilisation par les populations lagunaires comme monnaie les perles d'Aigri avaient déj cours
depuis le XVIIè siècle chez les populations maritimes
l'exemple des Eotilés(4) Certaines
sociétés comme les Alladian et les Odzukru avaient très tôt admis des échanges
partir des
monnaies surtout ue les produits échangés n'avaient pas la même é uivalence Les produits
n'étaient pas échangés par unité mais par lots Par contre les Koueni même au XIXè siècle avec
"le grand commerce" maintinrent le système d'échange base de troc lors des échanges avec les
traitants de la côte maritimev"
Les perles d'Aigri avaient précédé dans le Lodzukru les manilles Elles avaient constitué
la deuxième monnaie connue par
1- Le système d'échange en vigueur dans les transactions entre la côte et l'intérieur étaient le troc.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août auprès de Mr. Bénoît ESSOH LATŒ.
- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Septembre 1987.
4- HARRIS MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire : Ex. de la Côte d'Ivoire
précoloniale 1720-1920 page 259.
5- A. N. C. 1 : série lEE 2 (1) page 4.
106
les Odzukru Les échanges entre les Odzukru et leurs voisins obéissaient
deux systèmes de
change
Le commerce entre le Lodzukru et ses voisin obéissaient
deux systèmes d'échange Le
troc et le système monétaire Le troc était le système utilisé dans les transaction par la grande
majorité des populations Ce système d'échange intéressait les produits agricoles c'est- -dire tous
les produits entrant dans la catégorie des biens courants Le second système d'échange est le
système monétaire Les co uillages et les perles d'Aigri au cours de la période XVIlè - X\\tlIIè
siècles avaient servi de monnaie pour les transactions dans le Lodzukru Les perles d'Aigri furent
utilisées
la fois par les Odzukru et leurs voisins de la côte maritime" Les co uillages et les
perles d'Aigri servaient dans les échanges des produits de luxe c'est- -dire les produits classés
dans la catégorie des biens de prestige
Les perles d'Aigri et les co uillages étaient
comptabilisables et convertibles Les co uillages étaient comptabilisables et convertibles Les
co uillages étaient échangés en pa uets de vingt (20)(2). L'unité de compte des perles d'Aigri était
une mesure de noix de coco ou de chimpanzé
Les perles d'Aigri servaient non seulement aux échanges commerciaux mais au règlement
de la dot C'est ce ue souligne ESSOR LATTE Béno t
«Avant l'introduction des manilles par les Alladian dans le Lodzukru
les Odzukru
avaient leurs monnaies Il s'agissait des co uillages (Araï) et des perles d'Aigri (sat) Ces produits
étaient importés de la côte et des régions de l'intérieur Les perles d'Aigri servaient dans les
transactions commerciales et au règlement de la dot Pour la dot les parents de la jeune fille
(fiancée) exigeaient une mesure de perles d'Aigri Pour les transactions avec le côte et les régions
de l'intérieur la uantité des perles
changer était fixée en fonction de la valeur des produits
échanger Elles étaient utilisées pour l'achat des produits de luxe : pagnes boeufs esclaves
poudre d'or et produits manufacturés européens Les co uillages
ui précédèrent les perles
d'Aigri étaient échangés en pa uets de vingt (20)>>
La société Odzukru au plan techni ue accusait un grand retard On notait l'absence de
forge et de métiers tisser pouvant favoriser la transformation des produits de base en
1- Marc Augé : le rivage Al1adian. Organisation et évolution des villages Al1adian. Mémoires d'Orstom 1969 page
'+5.
- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1987.
107
produits finis La consommation de Lodzukru en produits artisanaux était liée
la production des
sociétés du Nord techni uement avancées Mais cette indigence techni ue n'avait pas empêché
vers la fin du XVIlè siècle et au début du XVlllè siècles le développement d'une économie
monétaire malgré son caractère embryonnaire L'apparition des co uillages (Araï) et des perles
d'Aigri (sat) avait régularisé les échanges entre le Lodzukru et ses nombreux partenaires
économi ues
Le développement de l'économie monétaire permit alors de distinguer dans
les
transactions commerciales les échanges
base de troc et les échanges
base de monnaie La
monnaie était utilisée dans les échanges avec la côte puis ue les perles d'Aigri avaient cours dans
cette région L'existence de cette monnaie n'excluait pas l'utilisation du troc Le Lodzukru
utilisait aussi .les perles d'Aigri dans ses transactions avec I.e Baulé sud Mais dans le Baulé la
monnaie ui avait cours était la poudre d'or Enfin les échanges entre le Lodzukru le Koueni
l'Abidji et l'Aïzi se faisaient essentiellement
base de troc Mais au XIXè siècle les échanges
entre le Lodzukru et les pays Abidji et Aïzi se feront avec les manilles Les échanges avec le
pays Koueni se feront toujours par troc
Les échanges entre le Lodzukru et ses partenaires économi ues avaient porté sur le
petites uantités Le moyen de transport privilégié était le portage ui ne permettait pas le
drainage de grandes
uantités de produits des centres de production vers les centres de
consommation La faiblesse de la uantité de produits importés d'une région
une autre était liée
aux obstacles rencontrés sur les voies de communication
5 : Les principales routes commerciales
Très tôt les Odzukru peuple forestier avec une économie dominée par la production de
l'huile de palme et la culture des vivriers avaient établi des relations commerciales avec .de
nombreux peuples de la forêt et de la côte maritime Cette ouverture de Lodzukru aux autres
peuples n'avait pu être possible ue grâce
l'existence de nombreuses voies de communication
tant lagunaires fluviales ue routières Le niveau des échanges commerciaux entre le Lodzukru
et les autres régions était lié
la ualité de communication car d'elles dépendaient le drainage
des produits d'une région vers une autre
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1985 auprès de Mr. Bénoit ESSOR LATTE.
108
a : Les voies lagunaires
La voie lagunaire était la plus ancienne voie de communication entre le pays Odzukru et
la côte maritime La lagune Ebrié sépare les pays Odzukru et Alladian Très tôt cette lagune
avait servi de voie de migration aux populations Odzukru d'Aklodze venues d'Abreby et aux
Orgbaffu Edzem Egn venus d'Amès Kpâdâ du pays Avikam Elle avait aussi servi de voie de
migration aux populations A zi et Tchaman Elle favorisa aussi des échanges matrimoniaux et
culturels entre les peuples de la rive Nord et les peuples de la rive sud (1).
La lagune Ebrié a joué un rôle important dans les transactions commerciales entre le
Lodzukru et ses voisins Alladian Avikam et Aïzi C'était la voie de communication la plus
importante Elle permet le drainage de Lodzukru vers les côtes maritimes des cargaisons d'huile
de palme et les 'produits de l'agriculture vivrière Odzukru
produits échangés dans les
débarcadères - marchés contre le sel le poisson et les produits de la manufacture européenne Le
mode de transport étant la pirogue cela permit alors d'échanger entre la rive Nord et la rive sud
de l'Ebrié des uantités importantes de produits Au XIXè siècle l'essentiel du trafic de l'huile de
palme de Lodzukru se fera travers la lagune Ebrié Enfin vers fin XIXè siècle
furent crées sur
les rives Nord et sud de la lagune des débarcadères - marchésv" ui devinrent les principaux
centre d'échanges entre le Nord le sud Du côté Odzukru il s'agit de Dabuatchi Mopoyem
Tukpa et Cosr Du côté Alladian il s'agit d'Avagou Emo uah Bodo Ladja Adjakuté Aboru et
Addah Comme l'a souligné Foté MEMEL dans "l'esclave dans les sociétés lignagères d'Afri ue
Noire "Du côté Alladian les débarcadères - marchés étaient de véritables hameaux hébergeant
les délégations des lignages des autres villages trafi uant avec eux Or du côté Odzukru les
débarcadères - marchés ou Nanu étaient de simples espaces naturels dégagés de la brousse et
protégés "des grands vents du large par des baies Les Nanu n'avaient connu leurs véritables
animations u'au XIXè siècle avec la traite de l'huile de palme
Le trafic entre les débarcadères Alladian et les débarcadères Odzukru était assez
important vu la uantité d'huile de palme de produits vivriers échangés contre les paniers de sel
les corbeilles de poissons et des produits de la manufacture européenne Malgré j'intensité du
trafic etle volume des échanges les débarcadères ne méritaient pas le nom des ports lagunaires
cause de leur man ue d'é uipement
1- HARRIS MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: exemple de la Côte d'Ivoire
précoloniale 1720-1920 page 251.
109
Cela n'avait empêché les différentes régions d'améliorer et d'accroître le volume de leurs
échanges, échanges lagunaires soutenus aussi par les échanges fluviaux. Enfin la voie lagunaire
servira, dans la 2e moitié du XIXè siècle, de voie d'exploitation des régions Nord de la lagune
aux mains de la station navale française.
b : Les voies fluviales
Pendant la période qui précéda la traite de l'huile de palme, les deux principaux fleuves
de Lodzukru, ira du côté ouest et l'Aeby ne servirent qu'à un degré moins aux échanges inter-
villages - üdzukru qu'aux échanges inter régionaux. Les seuls à pouvoir utiliser l'Aeby comme
voie de navigation au XVIIlè siècle et au début du XIXè siècle, furent les populations d'Aklodze
A et B et les riverains du fleuve qui sont Armebê et Aeby. Mais au cours de la 2è moitié du
XIXè siècle furent érigés sur le fleuve' Aeby deux (2) débarcadères "Yampi nanu" par un .
ressortissant d'Aklodze A du nom "d'Erekp Akmêdz" dit Yampi'!', le second, "Boboï nanu" crée
par kabi Awiyo d'Aklodze B. Ce débarcadère était sise à l'embouchure du fleuve. Ils permirent
alors aux Aklodzu de commercer directement avec les Alladian en contournant les traitants de
Dibrim qui s'étaient imposés comme intermédiaires entre les populations de l'intérieur,
productrices d'huile de palme et les courtiers Alladian. Le fleuve Aeby, navigable en toute
saison, fut l'une des principales voies d'échange entre les Aklodzu et les populations Abê et
même Agni au XIXè siècle. Mais en dehors des voies d'eau par lesquelles se faisaient l'essentiel
des échanges de Lodzukru, de nombreuses pistes avaient au XVIIlè siècle relié le Lodzukru aux
différentes régions de l'intérieur.
c : Les voies terrestres
Les voies terrestres, plus nombreuses mais moins importantes au XVIIIè siècle étaient
complémentaires aux voies lagunaires et fluviales. Elles reliaient entre el1es les vil1ages
üdzukru, des vil1ages de l'intérieur aux vil1ages lagunaires d'une part, et la société üdzukru aux
différentes sociétés avec lesquelles el1es entretenaient des échanges commerciaux. Les voies
terrestres reliant les vil1ages üdzukru avaient permis le drainage des productions d'huile de
palme et des vivriers vers les débarcadères. C'était de ces voies que remontaient vers l'intérieur
les produits de la côte tels que le sel, les poissons et les tissus importés d'Europe.' Les voies
terrestres étaient très défectueuses. Le territoire üdzukru était recouvert au Nord
1- HARRIS MEMEL Foté. L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique. page 253.
110
par
une
forêt
épaisse
sans
aucune
éclaircie
et
sans
clairière.
Les
pistes
étaient
presqu'impraticables pendant la saison des pluies. Les étangs, les marigots, et les ruisseaux
étaient souvent en crues en saison des pluies. Cela rendait les traversées difficiles et dangereuses.
On assista à de fréquentes noyades du côté des marchandes de poisson. Pendant la saison
pluvieuse, les échanges entre les diverses sociétés étaient au ralenti
Les nombreux obstacles
naturels réduisaient la saison commerciale à cinq (S) mois". Mais les obstacles naturels et
l'insécurité sur les routes n'avaient pas empêché les Odzukru de se rendre dans les pays de
l'intérieur dans le but d'échanger le sel contre les produits artisanaux et l'or des sociétés de
l'intérieur techniquement avancées. Les échanges portaient sur de petites quantités à cause du
portage qui ne favorisait pas le drainage de grandes quantités de produits. Les expéditions
commerciales se faisaient par groupes. Pour leur propre sécurité les voyageurs (traitants) étaient
armés de sabres et souvent de sagaies. Le fourreau des sabres était en cuir fabriqué en pays
Baulé. Les longs voyages comportant d'énormes risques puisque pouvant durer plusieurs
semaines étaient uniquement réserves aux hommes valides. Les traitants étaient accompagnés de
leurs esclaves. Aux femmes étaient réservées les échanges inter-villages.·
Au XVIIè et au XVIIIè siècles, deux principales voies terrestres reliaient le Lodzukru aux
pays de l'intérieur. Ces deux voies qui traversaient le pays Abidji aboutissaient à Tyassalé, point
de contact entre les zones forestières et de savane. Tyassalé était l'aboutissement des caravanes
du Nord. C'était le premier marché de l'intérieur. Déjà au XVIIIè siècle, Tyassalé jouait le rôle
d'un débarcadère fluvial et d'entrepôt pour tous les produits entrant dans les échanges
commerciaux entre les régions lagunaires, maritimes, forestières et de savane. Les deux voies qui
permirent aux Odzukru de participer aux deux courants commerciaux Sud-Nord; Nord-Sud,
favorisèrent aussi des "échanges matrimoniaux et culturels entre les différentes sociétés en
contact. Les échanges furent plus intenses au XIXè siècle avec les rencontres fréquentes entre les
différents traitants.
1) - La première voie terrestre appelée voie Nord reliait le pays Odzukru aux pays Abidji et
Baulé.
a) - Dibrim - Orgbaff - Yassakp - Lokp - Awiya - Bécédi - Binao - Tyassalé.
b) - Bobor - Usr - Awiya -Bécedi - Binao -Tyassalé.
c) - Cosr - Gbadzn - Usr - Awiya - Bécédi - Binao - Tyassalé.
1- Les échanges commerciaux n'avaient lieu que pendant les saisons cèches.
III
2) - La voie terrestre occidentale reliait à la fois le Lodzukru aux pays Dida et Baulé (1).
a) - Bobor - Bone - Tukpa - cosr - Tamabo - Tyassalé.
b) - Dibrim - Orgbaff - Yassakp - Lokp - Gbadjn - Cosr - Tamabo - Tyassalé.
La particularité de ces voies terrestres, était qu'elles aboutissaient à un débarcadère et
reliaient tous les grands centres de productions d'huile de palme et les grandes agglomérations de
Lodzukru à un débarcadère. Parmi ces deux voies, la plus importante était la voie terrestre du
Nord qui en 1897, sous la colonisation française fut l'objet d'un véritable tracé afin de relier
Dabou, grand centre commercial de la côte lagunaire et avant port de Grand-Bassam à Tyassalé,
principal centre commercial de l'intérieur. Dabou était au XIXè siècle, le centre commercial où
aboutissaient toutes les caravanes venant des régions de l'intérieur et passant par Tyassalé. Cette
voie du Nord fut aussi utilisée en 1893 par le capitaine Marchand pour conquérir Tyassalé et
soumettre sa population". A la fonction commerciale de la voie septentrionale fut adjointe sous
la colonisation française la fonction militaire.
Aux voies terrestres Nord et ouest, il faut ajouter la voie Nord-Est, peu fréquentée par les
traitants Odzukru au XVIIIè siècle. Mais au XIXè siècle elle fut utilisée par les Odzukru pour
entrer en contact avec les Agni par l'intermédiaire des Abè(3). La voie du Nord-Est reliait le
Lodzukru aux pays Krobu et Abê (4)
- Dibrim - Aklodze - Atopê (Mbru) - Guessidjê - Offowdjê - Rimakindjê. Sur cette voie
Nord-Est étaient drainés vers le pays Odzukru des esclaves de sexe féminin échangés contre les
produits de traite et surtout contre le sel. Les Odzukru appelaient ces esclaves "Egyow".
Les voies terrestres malgré leurs mauvais états quasi permanents avaient favorisé le
contact entre le Lodzukru et ses voisins. Ces contacts qui n'avaient pas seulement un caractère
commercial s'étaient aussi situés au niveau social et culturel.
1- HARRIS MENlEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: ex. : de la C. 1 précoloniale
page 254.
2- A. N. C. 1. Série lEE32 (1)
3- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988 auprès de M: Samuel SESS.
4- c.f. HARRIS MENlEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: ex. : de la C. 1
précoloniale page 255.
--
---------
- -
112
C'était au cours d'un voyage dans un village Tchaman pour y faire le commerce de poisson que
Kutesan, une femme du village de Mopoyem, de la tribu des Oboru y introduisait dans le
Lodzukru, au XVIIIè siècle, le rite de Dédiakp'!'. Le Dédiakp est une initiation des jeunes filles
qui a lieu entre quatorze et quinze ans. Ce rituel était fondamental pour toutes les jeunes filles
qui aspiraient au mariage. Aucun mariage ne se contractait avant le Dédiakp. Contrairement au
Low, initiation des jeunes garçons qui était une épreuve d'endurance et de civisme, le Dédiakp
était plutôt une épreuve économique.
Le Low est célébré collectivement tous les deux ans pour les "tribus" de la confédération
de Dibrim et deux et quatre ans pour les tribus de la confédération de Bobor. Le Dédiakp est
célébré individuellement chaque année sans calendrier précis. Nous étudierons plus loin toutes
ces organisations sociales.
Une tradition notait que «Au village de Mopoyem, un polygame avait deux épouses. il
voulu les mettre à l'épreuve. Il leur proposa des activités. L'une d'elle, Kutesan choisit de se
rendre dans le village Tchaman pour y faire le commerce de poisson; C'était lors de son séjour
dans le pays·Tchaman qu'elle apprécia l'initiation des jeunes filles et en introduisit le rituel en
pays Odzukru». Ce rituel était célébré dans le Lodzukru avant le "grand commerce" de l'huile de
palme.
Il ne s'agit pas dans cette partie d'étudier le rituel de Dédiakp mais de montrer que grâce
aux échanges commerciaux le Lodzukru s'était enrichi au plan culturel et social des organisations
sociales étrangères qui lui avaient permis d'élaborer à partir d'une synthèse une civilisation
Odzukru.
Le volume des échanges nous l'avons souligné plus haut était assez faible. Mais les
échanges entre les différentes régions avaient créé de nouveaux liens économiques entre ces
différentes zones, c'est à dire une interdépendance économique. On note une hégémonie des
régions maritimes sur les régions de l'intérieur. Les populations côtières étaient en contact de
façon périodique avec les navires européens fournisseurs de biens d'équipement, d'eau de vie et
d'étoffes. Elles étaient aussi productrices de bien de prestige tel que le sel ; Cela permit aux
nations côtières d'exercer leurs influences sur les peuples de l'intérieur. Cela explique malgré
l'interdépendance économique, la dépendance de l'économie Odzukru de l'économie Alladian.
Les économies Abidji et Krobu étaient dépendantes de l'économie Odzukru.
1- Pascal LATTE EKOUDOU "Le Dédiakp" mémoire de maîtrise en sociologie. 1972 page 19.
113
Au XVIIIè siècle, les échanges commerciaux avaient entraîné pour le Lodzukru des
mutations sociales et économiques qui devinrent plus profondes avec la traite de l'huile de palme.
Les mutations économiques n'intéressent pas seulement le Lodzukru mais aussi les autres
régions. En effet, aux traditionnels produits d'échanges représentes par le sel, l'or, l'huile de
palme, les esclaves et les produits agricoles s'ajoutèrent à partir du XIXè siècle, de nouveaux
produits importés d'Europe et d'Amérique par les navires marchands, Anglais, Français,
Allemands et Américains'". Au cours de cette période des échanges internationaux, dominés sur
la côte des Quaquah par la traite de l'huile de palme, les Africains, habitués aux échanges
simples, vont s'orienter vers de véritables échanges commerciaux caractérisés par l'avènement de
nombreux produits, de nouveaux acteurs économiques et le tout soutenu par des monnaies
convertibles.
Les échanges commerciaux de la 2è moitié du XVIIè siècle au début du XIXè siècle ont
été à l'avantage des peuples maritimes qui ont fait du courtage l'une des principales sources de
devises et la principale voie pour accéder à la richesse. Les échanges commerciaux favorisaient
l'accumulation et facilitaient les entrées d'argent. Les peuples de la côte maritime servaient
d'intermédiaires entre les peuples fournisseurs de biens d'exportation (échanges) recherchés par
l'Europe. Au XIXè siècle le produit recherché par l'Europe était l'huile de palme. Le Lodzukru
était une grande région productrice de cette matière première. Il était le principal fournisseur du
pays Alladian en huile de palme. Cela explique la participation de Lodzukru aux échanges
internationaux, échanges qui auront un impact considérable sur l'évolution de Lodzukru au XIXè
siècle.
Quelle était la place de Lodzukru dans les échanges internationaux et quelles étaient les
principales conséquences sur la société Odzukru ?
2- A partir du XIXè siècle, plusieurs monnaies avaient cours sur le littoral oriental : Sud-Est.
L'acquêt et au sud: Les manilles. Ces monnaies étaient convertibles et leurs parités connues par
tous les marchands.
-1- A. N. C. l série 1BB6 pièce 7.
114
TABLEAU ES ECHANGES Cül\\,'1ME CAUX ENT E LE Lü ZUK U
ET SES PA TENA ES ECüNüM QUES
====================
1- Echanges commerciaux entre le Lodzukru et le pays Alladian
Les produits exportés
ALLADIAN
LODZUKRU
- Sel
- Huile de palme
- Produits de la manufacture européenne (fusils
- Produits agricoles (igname mamoc mil
uincaillerie)
légumes)
- Etoffe en raphia
- Toiles d'écorce
- Etoffe en coton et laine
- Esclaves
- Poissons (mer - lagune)
- Boeufs
- Co uillages
- Moutons
- Perles d'Aigri
- Chèvres
- Fer
- Boeufs - Moutons
2/ Echanges commerciaux entre le Lodzukru et les pavs Abidji
ABIDJI
LODZUKRU
- Esclaves
- Sel
- Toiles d'écorce
- Etoffes de raphia
- Produits alimentaires (produits agricoles
- Manufacturés européens
viande de brousse séchée escargots séchés)
- Poissons
- Nattes
a
- Co uillages
- Perles d'Aigri
3/ Echanges entre le Lodzukru - Baulé et le Koueni au XVIIIè siècle
LODZUKRU
BAULE - KOUENI
- Sel
- Produits de l'artisanat Baulé et Koueni
- Produits de la manufacture européenne
(étoffes
- Eau de vie
ou pagnes outils agricoles)
- Fusils
- Bijoux en or
- Poudre d'or
- Bétail (moutons chèvres boeufs)
- Ceinture en cuir
Source: AN C l
lEE 122(1)
1EE 122(3)
116
Les relations commerciales entre l'Afrique et l'Europe sont très anciennes. Elles datent de
l'antiquité. Mais pour les régions du golfe de Guinée, les relations commerciales avec l'Europe ne
se sont établies qu'au XVè siècle grâce aux navigateurs portugais qui furent les premiers à longer
les côtes du golfe de Guinée à la recherche des épices, de l'or et plus tard des esclaves essaimant
partout des forts. Les échanges entre le golfe de Guinée et I(Europe sont devenus très fréquents
surtout aux XVIlè et Xv'lllè siècles avec les traites de l'or et des Noirs. Au cours de ces périodes
le continent africain a été le théâtre d'importants bouleversements sociaux, politiques et
économiques qui l'ont affecté toute sa profondeur.
Les régions les plus affectées sont les régions maritimes qui ont été les grands
bénéficiaires de ces contacts. Sur le littoral ivoirien, la région la plus en contact avec l'Europe
était comprise entre le cap Appolonien et le cap Lahou.
Les échanges commerciaux établis avec les navires européens étaient à l'avantage des
populations maritime au dépend des régions de l'intérieur, principales fournitrices des produits de
traite. Le pays Odzukru, comme la plupart des régions de l'intérieur fournissait au pays Alladian
les principaux produits de traite. Au cours des siècles qui ont précédé le XIXè siècle, le
Lodzukru n'a pas été intégré au commerce international parce que les effets de ce commerce sur
la société Odzukru étaient négligeables.
Mais de 1830 à 1870, la participation de Lodzukru, grand producteur de matière première
d'origine agricole (huile de palme, palmiste) depuis des siècles aux échanges internationaux
devient effective avec la traite de l'huile de palme qui remplace la traite des noirs. Sous la notion
d'échanges internationaux (commerce international) nous considérons les structures et les
infrastructures économiques ainsi que les différents systèmes d'échanges pour l'animation et le
développement du commerce international qui aura un impact profond sur la société Odzukru
0
dans tout son ensemble mais aussi sur les partenaires économiques de Lodzukru, suite à
l'introduction de nouveaux produits de traite. Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et
l'Europe dominés par la traite de l'huile de palme avaient connu plusieurs mouvements et des
étapes.
- 1830 marque le début de la traite de l'huile de palme sur la côte des Quaquah par les navires
anglais.
- 1871 marque le déclin du svstème des blockhaus dans le Lodzukru et le retrait de la garnison
française de Dabou.
117
1 : LES CONTACTS AFRIQUE - EUROPE APRES L'ABOLITION DE LA TRAITE
NEGRIERE
Depuis la période antique, et ce par la volonté de l'Europe, des échanges commerciaux
s'établissent entre les deux continents, au grand bénéfice des marchands européens. Ces échanges
commerciaux ont donné naissance à deux courants commerciaux Nord-Sud; Sud-Nord. Ils
étaient dominés au cours des XVIIè et XVIIIè siècles par deux produits : or et esclaves auquel
s'est ajouté le luxueux commerce des épices et de la gomme.
La traite négrière, débutée au XVIè siècle est abolie au XIXè siècle (1). Mais cette
abolition n'entraîne pas la rupture des relations commerciales entre les deus vieux continents.
Ainsi au XIXè siècle, une nouvelle traite liée au désir de l'Europe de poursuivre ces échanges
avec l'Afrique voit le jour: la traite de l'huile de palme. Cette traite intéresse non seulement le
littoral ivoirien et surtout la région üdzukru, mais tout le golfe de Guinée, de la Casamence au
sud du Cameroun.
1 : Les besoins nouveaux de l'Europe
Les échanges commerciaux entre les régions comprises entre le cap appolonien et le cap
Lahou remontent à la 2è moitié du XVIIè siècle.
Depuis cette période, des relations
commerciales avaient été établies entre les populations de la côte maritimes et les interlopes
européens.
De nombreux produits attiraient vers ces côtes ivoiriennes des navires européens. Toutes
les nationalités étaient presque représentées. Il s'agit de l'or, de l'ivoire et des épices. L'or de cette
partie du golfe de Guinée était très pur et recherché par les marchands de métal précieux. La
pureté de l'or vendu dans le Sud-Est de l'actuelle Côte d'Ivoire atteignait 95 % (2). L'or du Sud-
Est était très apprécié par les commerçants européens. Cet or échangé ou vendu sous forme de
poudre d'or ou de lingot provenant des peuple situés à l'intérieur des terres et qui n'avaient jamais
eu le contact avec les européens (3). Souvent, les traitants de la côte, à l'exemple des Essouma et
des Alladian, se rendaient eux-mêmes à
1- Marc Augé : le rivage Alladian : organisation et évolution des villages Alladian page 24. 1969
2- A. N. C. 1. lEE14 pièce 4
3- A. N. C. 1. lEE14 pièce 5
118
l'intérieur, dans les zones de production pour chercher le produit rare. C'est par caravane que l'or
descendait des régions de l'intérieur vers la côte. Quand à l'ivoire, il était très abondant dans la
région occupée depuis la 2è moitié du XVIIè siècle par les populations Alladian et Avikam.
L'Hinterland de ces deux régions était très étendu et vaste. On y rencontrait d'importants
d'éléphants. La présence des éléphants et le commerce des ivoires avaient donné naissance à une
race de chasseurs d'éléphant. Les pays Koueni et Dida qui constituaient l'hinterland du pays
Avikam fournissaient à cette population de courtiers des défenses d'éléphant. Les chasseurs
Koueni et Dida opéraient par des pièges. Ces pièges étaient constitués de trous souvent très
profonds de un mètre cinquante (l,50 m) et large au moins de deux mètres. Ils comportaient une
masse en fer large au moins de soixante à quatre vingt centimètres avec une lame tranchante et
reliée au tronc par une corde. Les Koueni faisaient descendre les ivoires à Grand-Lahou en
longeant le Bandama. Le Bandama est le seul fleuve ayant son bassin en Côte d'Ivoire. Il prend
sa source au Nord dans la région de Boundiali dans le pays Sénoufo. Il se jette dans l'océan
atlantique à Kpandadon.
Les courtiers Alladian recevaient les défenses d'éléphant des populations Odzukru et
Tchaman. Mais la production de ces deux régions étaient loin de couvrir les besoins des navires
européens. C'est pourquoi, les traitants Alladian, avec leurs charges de sel, se rendaient dans les
régions de l'intérieur à la recherche des défenses d'éléphant et d'autres produits.
Les
défenses
d'éléphant
servent
aux
populations
africaines
à confectionner des
instruments musicaux sont utilisés lors des grandes cérémonies par les esclaves pour chanter les
louanges de leurs maîtres. Les olifants sont aussi utilisés comme instruments à vents pour
accompagner les batteurs des tambours lors des funérailles ou à l'occasion des fêtes de
réjouissance. Les Odzukru utilisaient aussi les dents des éléphants pour se confectienner des
colliers.
Au commerce de l'ivoire, il faut ajouter le commerce des esclaves qui se faisait dans une
proportion très limitée par rapport à la côte des esclaves (1)
1- Christian Fallacroix : origine et formation de la Côte d'Ivoire. Annales de l'université
d'Abidjan année 1972 série l histoire.
119
Les esclaves provenaient, aussi de l'intérieur du pays. Mais compte tenu de la faiblesse
démographique des régions du sud, la lutte pour l'acquisition des esclaves avait eu des
conséquences sur les populations et le les réflexes de défenses avaient provoqué de nombreux
mouvements migratoires en direction de la région forestière.
En fonction des produits, or, ivoire et esclaves, on note une spécialisation des populations
maritimes dans les transactions commerciales avec l'Europe. La région Avikam :- Alladian était
spécialisée dans le commerce des ivoires et des esclaves qu'elle obtenait par le système de troc.
Les ivoires étaient, surtout dans le pays Koueni, échangés contre le sel, considéré comme un
produit aristocratique, parce que rare (1). Seuls, les aristocrates et les hommes riches, précise
ESSOH LATTE Bénoît d'Orgbaff en possédaient. Un paquet de dix défenses d'éléphant était
échangé contre une bouteille ou un panier de sel contenant au maximum quinze (15) litres.
Pendant les périodes de fortes productions, un panier de sel de quinze litres est échangé contre
une vingtaine de défenses d'éléphant. Mais la confection des paquets dépend de la grandeur et de
la grosseur des défenses. Le pays Koueni n'admet que le système d'échange c'est à dire le troc
alors que les autres populations, surtout celles des régions du sud et du centre utilisent la
monnaie (2). En fait, dans les régions du sud et du centre, les populations dans leurs transactions
se servent de deux systèmes d'échange : le troc pour les produits courants et la monnaie
(coquillage, perles d'aigri, poudre d'or) pour les produits de luxe. Les Odzukru vendent aux
courtiers Alladian les esclaves, les défenses d'éléphant et les peaux d'animaux. Avant l'apparition
des manilles, les monnaies en cours dans les régions lagunaires et maritimes étaient d'abord les
coquillages, les cauris et les perles d'aigri. Les courtiers Alladian étaient depuis la 2è moitié du
XVIlè siècle en relations commerciales avec les interlopes européens. La côte des Quaquah était
surtout fréquentée par les interlopes hollandais et les navires de Hambourg.
Les coquillages, les cauris et les perles d'aigri sont les premières monnaies utilisées par
les populations du sud. Les cauris ont été importés des Iles Maldives entre les XVè et XVlè
siècles par les Portugais qui sont les premiers Européens à entrer en contacts commerciaux avec
les populations de la côte maritime. Les perles d'aigri ont aussi une origine étrangère.
1- A. N. C. 1. série lO.C.I. 1898
2- Les Koueni utilisaient le "Sombé" comme monnaie dans leurs transactions commerciales avec
les sociétés du Nord.
Elles ont été utilisées comme moyen de change dans la 2è moitié du XVIIè siècle. Elles servaient
de monnaie dans les transactions commerciales de la région du littoral. Les perles d'Aigri avaient
une vocation régionale. Elles étaient utilisées à la fois par les Alladian et les üdzukru. Dans la 2è
moitié du XVIIè siècle, elles représentaient la principale monnaie du bassin occidental de la
lagune Ebrié. Depuis la 2è moitié du XVIIè siècle, les courtiers Alladian et Avikam avaient
établi des contacts commerciaux avec les interlopes européens qui fréquentaient de Novembre à
Mars, la côte des Quaquah. La saison commerciale commençait en Novembre et prenait fin avec
le début des premières pluies annonçant la grande saison des pluies.
Les échanges commerciaux au cours de cette période étaient dominés par les navires
hollandais qui pratiquaient le système de collecte entre les différents points d'échange. Pour un
changement, les navires européens passaient au moins une année sur les rades des villages
Quaquah.
Les Essouma, principaux courtiers de la côte orientale recevaient l'or des populations de
l'intérieur, généralement du pays Abouré. Lorsqu'ils étaient en rupture de stock, ils se rendaient
eux-mêmes chargées de sel et de produits européens dans les pays Brong (Gyaman) et Ashanti
pour échanger ces produits contre les esclaves et l'or. Ce commerce entre le Sud-Est et le Nord-
Est avait donné naissance à l'un des courants commerciaux de la période précoloniale. Il s'agit du
courant commercial Sud-Nord qui reliait alors la partie est et le Sud-Est de l'actuelle Côte
d'Ivoire. L'existence de ce courant commercial permit le rattachement de la région est au
commerce international. Le fleuve Comoé qui prend sa source dans la région de Banfora et qui
se jette dans l'océan atlantique à l'embouchure de Grand-Bassam était utilisé comme principale
voie fluviale pour les échanges entre la zone maritime et les zones d: l'intérieur. Les échanges de
la région orientale dominés par l'or et dans une moindre mesure par les esclaves vont entraîner le
rayonnement des centres d'échange de Grand-Bassam, d'Assinie et de Bondoukou.
Cette région orientale, baptisée côte de l'or, (1), qui s'étendait de Grand-Bassam à Accra
dans l'actuel Ghana était, note le Père Godefroy Loyer "la partie la plus fréquentée par les
navires européens de tout le Golfe de Guinée (2). Cette région, dans sa partie ghanéenne était
sous le contrôle des navires hollandais qui se livraient à la fois au commerce d'or et d'esclaves.
1- R.P. Godefroy: Relation de voyage d'lssigny 1702 in P. Roussier "l'établissement d'lssigny
1687 - 1702
2- RP. Godefroy c.f p. 89
Le commerce de l'or dans cette région est en baisse et il est aussitôt remplacé par la traite
des Noirs.
Quant à la partie ivoirienne, le sel et l'or étaient l'objet d'importants trafics. Mais cela ne
signifie pas que la traite des noirs était absente dans la région. De nombreux marchés d'esclaves
jalonnaient la région comprise entre le Cap Appolonien et le centre commercial de Grand-Lahou.
Cette région est fréquentée par de nombreux navires européens qui opèrent par "collecte" pour
acheter les esclaves (1). A la différence de la partie ivoirienne, la partie ghanéenne de la côte de
l'or, depuis le XVè siècle précisément en 1482, abritent des forts fortifiés (2) qui jouaient aussi le
rôle de comptoirs.
Ainsi,. sur la côte qui s'étend du Cap appolonéen à Grand-Lahou, pour ne considérer que
la région qui nous intéresse, l'or et l'ivoire au XVIlè siècle et l'esclave aux XVIIIè siècle étaient
échangés contre les produits de la manufacture européenne, aux valeurs inférieures. L'or, les
ivoires et les esclaves étaient troqués contre de vieux fusils, des étoffes, eau
de vie (gin,
barriques de rhum) ou contre la verroterie..
Un esclave était alors vendu contre une marchandise valant 140 à 150 F (6). Et il
s'agissait d'esclaves dont l'âge était compris entre quinze (15) à vingt (20) ans (3). Les esclaves
achetés à bas prix sur les côtes africaines étaient revendus à des prix exorbitants en Amérique.
Sur la côte des Quaquah, les échanges entre les courtiers Africains et les navires
européens obéissaient au système de troc. Par contre, sur la côte de l'or, les échanges entre les
courtiers de cette région et les capitaines des navires européens obéissaient à deux systèmes de
change. le trq,c et un système monétaire. L'unité monétaire était l'acquêt d'or. L'acquêt équivalait
à 5,60 F (4) et avait cours dans les régions en relations commerciales avec les sociétés du Sud-
Est. L'acquêt d'or dans les comptoirs hollandais et Anglais installés sur la côte de l'or
s'échangeait à : 1 acquêt d'or = 4,45 F (5).
1- Josette Fallope: contribution de Gd-Lahou au peuplement Afro-Carbéen page 13.
2- A.N.S. section AOF série SG22 pA
3- Les navires portugais ont été les premiers à fréquenter les côtes africaines.
4- Bouet Willaumez : commerce et traite des Noirs aux côtes occidentales d'Afrique page 142.
5- Bouet Willaumez c.f page 142
6- Bouet Willaumez : c.f page 130
122
Les échanges commerciaux entre l'Europe et la côte de l'or étaient inégaux. Cette
inégalité permettait aux capitaines européens de réaliser d'importants bénéfices au détriment des
populations africaines. Les rivalités entre les puissances européennes en côte de l'or favorisèrent
vers la fin du XVIIIè siècle, le développement des échanges commerciaux dans cette région. Ces
échanges se poursuivront au XIXè siècle et seront dominés par la traite de l'or. A l'or s'ajoute
aussi la recherche des esclaves (1). Mais en 1815, au congrès de vienne en Autriche, les Etats
européens mettent fin au trafic ignoble et inhumain qui était la traite des Noirs. Cette traite, au
cours de quatre (2) siècles, avait occasionné la déportation en Amérique de plusieurs millions de
Noirs (3). Pour la Côte d'Ivoire, les exportations avaient concerné, au cours de ces quatre siècles,
des dizaines de mil1iers de personnes.
Par rapport à la côte de l'or (actuel Ghana) et à la côte des esclaves (actuel Bénin) le
commerce des esclaves en Côte d'Ivoire était moins prospère. Le territoire ivoirien était sous-
peuplé car victime des grandes épidémies de fièvre jaune, de variole et de choléra. Ces épidémies
occasionnaient de nombreux décès parmi les populations (4).
Avec l'interdiction de la traite des nègres, l'Europe se voit suppnmer l'une de ses
principales sources de devises. Le Golfe de Guinée apparaît alors aux Européens comme l'une
des sources principales de la prospérité. Les relations commerciales reprennent alors entre les
Nations de cette région et l'Europe. Les Hol1andais et les Anglais jouissent dans cette région
d'importants privilèges. Ils créent des comptoirs pour mieux contrôler les trafics commerciaux et
y instaurer le monopole.
Le commerce de l'or et des ivoires et surtout la traite des Noirs permettent dès lors aux
puissances européennes d'amasser des richesses fabuleuses et
aux
marchands de faire
d'importantes accumulations de capitaux. La suppression de la traite négrière ëst ressentie par les
marchands européens comme la disparition de l'Eldorado. L'Europe avait besoin de l'Afrique
pour accroître sa richesse et approvisionner son industrie moderne qui voit le jour au cours de la
2e moitié du XIXè siècle. Face à tous ces problèmes, les marchands européens éprouvent une
fois encore le
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------1-
Bouet
Willaumez c.r. page 143
2- Gb-Basam a été l'un des principaux points d'embarquement d'esclaves du littoral oriental de
l'actuelle Côte d'Ivoire.
3- Certains auteurs affirment que plus de onze (11) millions de Noirs ont été déportés en
Amérique
4- A.N.S. section AOF série 5G28 P. 12
123
désir de rétablir les contacts commerciaux avec le golfe de Guinée. La solution est trouvée dans
le commerce de produits végétaux, en particulier les oléagineux qui abondaient dans le golfe de
Guinée.
2 : Recherche de nouveaux produits de substitution à la traite négrière
Au congrès de Vienne en 1815, de commun accord, les puissances occidentales avaient aboli la
traite des Noirs. Mais cela n'empêcha pas les marchands de continuer de façon illicite leur
commerce et avec l'accord des rois africains à approvisionner les planteurs américains en
esclaves (1).
Un contrôle de tous les navires en provenance de l'Afrique et en mouvement pour
l'Europe ou de l'Amérique fut demandé par tous les Etats signataires de la charte qui abolit
l'ignoble commerce, faisant des africains au sud du Sahara, des marchandises ayant les mêmes
valeurs que les cargaisons d'.alcool ou les fusils de marque tower d'origine danoise.
Le contrôle des eaux maritimes africaines était alors confié à la marine royale anglaise
qui depuis le XVIIIè siècle était devenu la première puissance maritime du monde (2). La marine
anglaise avait sur tous les océans du monde surplante la marine hollandaise qui, au XVIlè siècle
avait réussi à se hisser au rang de première puissance maritime du monde au détriment de la
marine royale portugaise. Le commerce dans le golfe de Guinée depuis la 2è moitié du XVIlè
siècle étaient dominé par les Hollandais qui avaient occupé les forts construits par les portugais.
Ces forts abritaient des comptoirs où s'échangeaient produits africains et européens. Le
commerce mondial était dominé par la marine hollandaise mais au XVIIIè siècle, les Hollandais
cédèrent à leur tour la première place aux anglais qui devinrent non seulement première
puissance commerciale mais aussi la première flotte de guerre du monde. Cela permit aux
anglais d'étendre leur domination sur tous les océans du monde. Ils contrôlaient tous les navires
mais aussi le trafic commercial
A vienne était confié à la marine anglaise le droit de perquisition et de fouille de tous les
navires marchands en provenance d'Afrique, La flotte anglaise avait eu de la communauté
internationale le pouvoir de mettre en place les
1- L'esclavage prit fin au Brésil qu'en 1888
2- A.N.e.! série lDD2 P. 4
moyens de répression contre tous ceux qui violeraient la convention de Vienne et de lutter
efficacement contre la poursuite de ce commerce. Ainsi des croiseurs furent disposés devant les
foyers de traite pour s'emparer des navires négriers, qui malgré l'abolition officielle de la traite,
venaient chercher des cargaisons d'esclaves pour les transporter en Amérique. Ce système de
croisière avait réussi au début à faire baisser le trafic, mais face aux nouveaux bateaux
américains très rapides, la marine anglaise s'était trouvée incompétente à faire cesser
complètement la traite. Alors il fut adjoint à la flotte anglaises, la marine française pour la lutte
anti-esciavagiste (1). La flotte française fut associée à la flotte anglaise non pas seulement pour
la lutte anti-esclavagiste mais pour éviter que désormais les navires français ne fussent pas
contrôlés par une force militaire internationale (2). Ainsi pour l'efficacité de la surveillance, les
anglais préconisèrent le partage territorial de l'Afrique de l'ouest, principale région fournitrice
d'esclaves. Le partage territorial entraîne il10rs la baisse sensible du trafic des noirs africains,
malgré que les marchands d'esclaves noirs aient décidé de rechercher dans le golfe de Guinée des .
travailleurs libres pour les envoyer dans les plantations d'Amérique du Nord et du Sud. La
marine française était basée au Sénégal précisément à Gorée et contrôlait l'Afrique occidentale
septentrionale. Face au contrôle qu'ils ne pouvaient contourner que difficilement, les marchands
européens, en particulier les Anglais cherchaient alors une nouvelle source de profit et la
trouvèrent dans le commerce de l'huile de palme, produit végétal abondant en Afrique
occidentale, de la Casamance jusqu'au sud du Cameroun où le palmier à huile se rencontre en
densité très forte. En bordure du littoral maritime se développa une véritable civilisation avec
l'huile de palme. Cela explique la naissance dans le pays Odzukru de l'industrie de l'huile de
palme qui devient la principale source de devise de la population.
La production de l'huile de palme était une activité très ancienne dans le golfe de Guinée.
Cette production était déjà très importante dans la région du Delta du Niger (3). Sur le littoral
ivoirien, les Odzukru furent les seuls à s'intéresser à la production de l'huile de palme.
Les marchands anglais qui furent les premiers, à ramener en Europe les premières
cargaisons d'huile de palme
1- Christian Fallacroix : origine de la formation de la Côle d'Ivoire dans:
2- A.N.C.I IDD2 Pièce 5
3- Schnapper : La politi,.gue et Je commerce français dans le golfe de Guinée 1830-1871 page 119
125
réussirent à convaincre les Etats côtiers africains à cesser la traite des Noirs et à s'intéresser à la
production de l'huile de palme. Les Etats côtiers africains qui eurent au cours de la période de la
traite des contacts avec les navires-marchands européens trouvèrent dans le commerce de l'huile
de palme, un moyen pour rétablir de nouveaux contacts commerciaux avec l'Europe et accroître
par cette occasion les trésors familiaux et les fortunes personnelles en stagnation depuis
l'abolition de la traite des Noirs. Les régions déjà productrices d'huile de palme comme le
Lodzukru s'y intéressèrent et firent de ce produit, leur principale source de revenu, un moyen de
promouvoir les activités commerciales, mais surtout, une bonne occasion pour participer au
commerce international.
a : Recherche de matières premières pour la jeune industrie européenne
Le commerce des Noirs qui débuta au XVlè siècle et prit fin au début du XIXè siècle de
•
façon officielle, permit aux marchands négriers européens et américains de faire de forte
accumulation. Au cours de cette période, l'Europe avait accumulé beaucoup de richesse. La traite
des Noirs, abolit au congrès de Vienne en 1815, fit place à la grande révolution industrielle qui
bouleversera toute l'Europe aux plans économique et social. La révolution industrielle en Europe
était la conséquence directe des progrès scientifiques et techniques commencés en Angleterre
depuis la fin du XVIIlè siècle. L'existence des sources d'énergie comme le charbon pour le
fonctionnement des machines constitua une motivation pour la création des entreprises
industrielles. Durant quatre siècles de traite des Noirs, les compagnies commerciales et les
marchands européens avaient accumulé des capitaux énormes qui furent investis dans l'industrie.
L'Europe possédait des capitaux et des sources d'énergie mais elle avait besoin de
matières premières d'origines végétales et minérales pour alimenter les industries. La recherche
de matières premières obligea les compagnies commerciales et les commerçants européens à
reprendre les échanges commerciaux avec les Etats côtiers du golfe de Guinée avec lesquels ils
avaient eu d'importants contacts lors des siècles derniers. Dans le golfe de Guinée, le produit
végétal qui retint l'attention des marchands anglais était l'huile de palme, produite abondamment
dans cette région. Les grands centres de production d'huile de palme étaient les régions du Delta
du Niger, la côte du Bénin, la région de Ouidah (l) et l'actuelle
1- Schnapper : La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-1871 page 120
126
Côte d'Ivoire précisement les régions situées sur la rive Nord de la lagune Ebrié. Les marchands
anglais furent les initiateurs de la traite de l'huile de palme dans le golfe de Guinée.
L'abolition de la traite des noirs n'avait pas sonner le glas des échanges entre l'Afrique
Noire et l'Europe. Les échanges de produits de luxe: Or, Ivoire, auxquels, s'ajoutent les bois de
teinture, avaient repris leur cours normal. Mais ce commerce de produits de luxe était très peu
rentable au XIXè siècle pour les commerçants (1). Il entraînait surtout des pertes énormes parce
que le fret était élevé et les produits comme l'or et l'ivoire ne trouvaient pas de preneur parce que
trop cher. C'est ce que nota schnapper.
«Quant à l'or, c'était la grande production de la région de Grand-Bassam, Assinie, et, à
l'Est de la côte dominée par les Danois, les Anglais et les Hollandais. Les postes français étaient
en marge de la grande zone productrice. C'est peut-être cette situation qui explique les plaintes
des commerçants contre ce commerce. Sans doute l'or vendu en poudre à Assinie était l'un des
plus beaux et des plus purs de la côte de l'or, mais son prix était très élvevé>>.
Or le palmier à huile se rencontrait partout sur le littoral. C'est un produit végétal et son
huile était produite depuis des siècles par les populations de l'intérieur qui l'utilisaient dans leurs
transactions commerciales avec la côte maritime. En Afrique, l'huole de palme, avait trois
fonctions. La pr~mière fonction et de loin la plus importante était la fonction alimentaire. Elle
entrait dans la préparation des mets. La seconde fonction, c'est qu'elle entrait dans la fabrication
d'un savon local de couleur noirâtre et enfin, elle était utilisée par les femmes dans la préparation
de nombreux produits cosmétiques tels que le "Satché" "Amnmun" sur le littoral ivoirien où le
beurre de karité était inconnu. La seule huile qui servait à la préparation des pommades était
l'huile de palme. La quantité utilisée était très faible. La pommade d'huile de palme était surtout
e
consommée par les femmes en allaitement. Selon la tradition Odzukru toute les femmes après
son accouchement devait se reposer au moins quatre mois. Au cours de cette période de repos,
ses activités principales consisteront à manger au moins quatre fois par jour afin de grossir et de
se laver au moins six fois par jour parce qu'à tout instant son corps avec l'huile doit être
ruisselant et scintillant.
1- Schnapper: La politique el le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-1871 page 120
127
En Europe, l'huile de palme, n'était pas inconnue. Les premières, cargaisons étaient
arrivées en Europe au XVlè siècle. Sa première utilisation dans l'industrie commença à la fin du
XVlIIè siècle. Mais c'est au XIXè siècle que ses qualités avaient été reconnues dans toute
l'Europe.
L'huile de palme est de couleur rougeâtre. La consistance est très épaisse. Elle était
obtenue après trituration des graines Sa production nécessitait une main-d'oeuvre importante. Au
fur des siècles, les Africains avaient mis au point des méthodes qui leur permettaient de recueillir
l'huile contenue dans les fibres. Cette huile était certes acide, mais de bonne qualité car ne
constituant aucun danger pour l'alimentation humaine. En Europe, l'huile de palme était utilisée
dans l'industrie et non dans l'alimentation. Elle trouva sa première utilisation dans l'industrie de
la savonnerie où elle détrôna la graisse animale. Cela mit fin au massacre des boeufs.
Le commerce de l'huile de palme connut alors un véritable développement. Les premiers
chargements qui, au début du siècle atteignirent un millier de tonnes dans les grands ports
anglais tel Liverpool connurent une forte augmentation (croissance) (1). On passa alors de 1.000
T à près de 42.000 T en 1850. Les anglais, jusqu'en 1850 étaient les seuls à s'intéresser au
commerce de l'huile de palme parce qu'en plus de la savonnerie, ils avaient réussi à trouver à
l'huile de palme au autre utilisé. Elle était utilisée dans la fabrication des bougies stéarines et
comme lubrifiant par les compagnies de chemin de fer (2). Elle sera aussi frettent utilisée de
l'éclairage domestique et entrera également comme alliage dans la fabrication du fer blanc.
Les Anglais avaient alors réussi à imposer l'huile de palme comme un produit stratégique
compte tenu de son utilisation
diverse dans J'industrie. De fortes quantités d'huile de palme
troquées sur les plages d'Afrique contre les produits de la manufactures européennes permirent
aux anglais de réaliser d'importants profits car l'huile de palme, recherchée dans les diverses
industries coûtait excessivement cher sur les marchés de Liverpool et de Bristol (3). Les
importations d'huiles africaines
1- Sclmapper : La politique et le commerce Francais dans le golfe de Guinée 1830-1871 page
119
2- D'après Dike : trade and politique
3- Sclmapper: La politique et le commerce Francais dans le golfe de Guinée 1838-1871 page
121
128
représentaient en 1856, la somme considérable de 2.000.000 livres sterling (1). En France,
l'utilisation de l'huile de palme comme matières premières industrielles n'intervint qu'en 1853. La
pénétration de l'huile de palme sur le marché française fut très tardive parce qu'il n'y avait pas de
débouché industriel pour cette huile africaine, Les industries de savonneries françaises utilisaient
depuis des décennies des huiles d'olive et d'arachide. L'huile d'olive est produite par les
agriculteurs français et les industriels et l'état français se devaient de protéger cette source de
devises des paysans français. Les Français recevaient aussi depuis 1830, l'huile d'arachide du
Sénégal précisément de l'Ile de Gorée où ils s'étaient installés depuis le XVIIè siècle.
Les consommateurs français étaient très conservateurs et refusaient d'acheter les premiers
savons à huile de palme de couleur jaune qui avaient été mis en vente sur le marché. Ils
préféraient les savons traditionnels fabriqués aux huiles de colza, de lins, de suif et d'olive alors
que ces huiles par rapport à l'huile de palme étaient très chers et peu rentables pour les côtes
d'Afrique et surtout sur le littoral ivoirien, était achetée à 300 F la tonne (1.000 kg) et vendue à
Marseille pour le même tonnage entre 1.000 et 1.100 F (2). Cela permettait, après déduction des
charges de transport et du fret, aux marchands de réaliser d'énormes bénéfices. En France, c'est
dans la région de Marseille que l'huile de palme d'origine africaine fut utilisée dans la fabrication
de savon. En dehors de Marseille, l'huile de palme était utilisée en association avec les huiles
locales surtout l'huile d'olive. La concurrence entre les deux huiles étant évitée, cela permit aux
commerçants français de s'intéresser au commerce de l'huile de palme. L'intérêt des Français
pour les huiles végétales, originaires d'Afrique Tropicale ne sera important que lorsqu'en 1852,
un savant français du n<?m de Rougier (3) mit au point à Marseille un procédé pour fabriquer un
savon blanc, plus mousseux que le savon blanc, plus mousseux que le savon d'olive marbré et
peu mousseux. Les huiles utilisées dans la fabrication du savon étaient les huiles de palmistes et
de coprah dont les premières cargaisons arrivèrent en Europe, précisément en France en 1852
(4).
1- Schnapper: La politique et le commerce Français dans le golfe de Guinée 1838-1871 page
122
2- Sclmapper : La politique et le commerce Français dans le golfe de Guinée 1838-1871 page
126
3- Sclmapper : Ibid 126
4- Schnapper : Ibid page 127
129
L'huile de 'palme ne fera sa percée dans l'industrie alimentaire qu'en 1860 où elle est
utilisée, en Angleterre dans la fabrication de la magasine (1). La propagande faite au début du
XIXè siècle en Europe pour montrer l'acidité des huiles originaires d'Afrique dans le but de
décourager les industriels européens qui avaient un penchant pour ces huiles moins coûteuses
afin de protéger le marché des oléagineux fut de courte durée. Avec son utilisation dans diverses
industries, moins coûteux, à l'importation, l'huile de palme qui devint un produit très rentable
pour les commerçants et industriels européens détrôna alors la première place aux huiles
traditionnelles européennes. Cet oléagineux intéressa non seulement tous les milieux industriels
européens mais aussi les producteurs africains. Cela favorisa la naissance d'une nouvelle traite
entre l'Europe et l'Afrique Noire. Cette nouvelle traite sera encore une fois de plus au bénéfice
des marchands européens mais à l'intérieur des sociétés africaines, elle sera à l'origine
d'importantes mutations socio-économiques et politiques. Dans la Côte d'Ivoire actuelle, les
régions Odzukru et Alladian furent les premières à être touchées par les bouleversements.
b : Naissance d'une nouvelle traite
Les échanges commerciaux entre l'Afrique et l'Europe à grandes échelles avaient toujours
fait l'objet d'une traite car toutes les conditions étaient seulement fixées par l'Europe. Ces traites
instituées par la volonté des européens avaient au cours des siècles derniers concernés trois
produits plus ou moins stratégiques pour les périodes données. Ces trois produits qui avaient
dominé les transactions commerciales entre l'Europe et l'Afrique étaient l'or, les esclaves et
l'huile de palme. L'or avait dominé les échanges commerciaux entre les deux continents au
XVIIè siècle ensuite, ce fut le tour des esclaves.
Durant quatre siècles XVlè - XIXè siècles), les esclaves d'origine africaine alimentèrent
les trafics commerciaux entre l'Europe, l'Amérique, et l'Afrique Noire. Le siècle culminant de ce
trafic est le XVIIIè siècle où toutes les puissances européennes se sont intéressées à ce commerce
à cause des importants bénéfices réalisés. Enfin, l'abolition de la traite des Noirs a favorisé
l'avènement de la traite de l'huile de palme. Cette nouvelle traite a vu le jour grâce à la volonté
des négociations anglais qui, après l'abolition de la traite négrière, recherchaient de nouvelles
sources de profit pour rentabiliser leur négoce; Ces échanges à grande échelle faits au profit des
européens ont créé entre les deux continents une interdépendance économique. L'Europe a
toujours eu besoin de l'Afrique pour son approvisionnement en matières premières (métaux
précieux, ivoires) produits végétaux: épices, gommes, huiles. L'Afrique Noire a ainsi servi de
source de prospérité et d'enrichissement à l'Europe. C'est pourquoi, les Européens vont essayer à
grande échelle. L'Afrique Noire, surtout l'Afrique forestière, vivant dans une situation technique
et technologique encore très archaïque, s'est créé une dépendance à l'égard des produits de la
130
manufacture européenne qui sont d'ailleurs de qualité médiocre et peu importants pour le
développement des différentes régions.
La traite de l'huile, qui domine les échanges commerciaux entre l'Europe et l'Afrique au
XIXè siècle, a connu un essor rapide à partir des années 1830. Cette traite par rapport aux traites
précédentes entraîne d'importants bouleversements pour le pays ODZUKRU, champs de notre
étude. Cela se traduit par un développement de l'économie monétaire et permet alors de passer
des échanges primitifs à base de troc à un échange moderne soutenu par des monnaies
convertibles et comptabilisantes (2). Cela renforce alors l'interdépendance économique entre
l'Afrique et l'Europe; des milliers de tonnes d'huile de palme, de palmiste et de coprah, achetées
à des prix dérisoires aux producteurs africains sont transportées des côtes africaines vers les ports
européens; Ces échanges sont aussi à l'avantage des négociants européens qui sont les seuls à
fixer les prix. La fixation des prix ne tenait jamais compte de l'effort fourni par les producteurs
africains. Malgré le pillage, le vol, l'Afrique avait besoin pour son épanouissement de s'ouvrir à
l'Europe. C'est pourquoi, malgré toutes les difficultés que comportaient cette nouvelle traite,
l'Afrique n'hésita pas à accueillir favorablement les initiatives des négociants anglais.
3 : La situation économique des pays côtiers africains après l'abolition de la traite négrière
La traite des noirs a créé au cours des siècles une dépendance des régions côtières à
l'égard de l'Europe. L'abolition de cette traite provoque dans la région des Quaquah et dans celles
de l'arrière pays ayant des contacts commerciaux avec les nations mercantiles de la côte
(Alladian - Avikam) un marasme économique. Ce marasme économique entraîne chez la plupart
des peuples d'importants bouleversements sociaux et économiques qui se traduisent par un net
ralentissement des échanges régionaux dus en partie aux produits de la manufacture européenne
et à l'appauvrissement d'un grand nombre de traitants.
1- Sclmapper : La politique et le commerce Francais dans le golfe de Guinée 1830-1871 page 127
2- Au XIXè siècle, sur le littoral ivoirien deux monnaies avaient cours: l'Acquit et les manilles.
]JI
La naissance de la traite de l'huile de palme au XIXè siècle permet alors de dénouer cette
situation de crise aiguë. Les échanges entre l'Europe et le littoral ivoirien sont d'une extrême
importance pour les peuples de cette région qui ont besoin des produits européens pour
;
entreprendre des échanges avec les populations de l'intérieur afin de s'approvisionner en produits
artisanaux venant pour la plupart des régions de savane. Les commerçants européens ont mission
d'approvisionner le littoral en biens d'équipement et de consommation courante. Mais e façon
indirecte, ils participent au transfert de technologie entre l'Afrique et l'Europe, les fusils
européens étant reproduits par les armuriers africains (1). On note alors un progrès de l'artisanat
en Afrique avec l'effort accompli par les artisans africains pour reproduire et confectionner les
biens manufacturés européens. La traite de l'huile de palme favorise alors la reprise des échanges
régionaux et l'interpénétration des peuples. Elle crée une forte dépendance du littoral ivoirien à
l'égard des produits européens, des habitudes ayant été prises.
a : Désir de posséder des produits européens
Les populations africains en général et les populations du sud de l'actuelle Côte d'Ivoire
en particulier s'étaient habituées, depuis la 2è moitié du XVIIè siècle à la consommation des
produits manufacturés européens. Ces produits européens alimentaient le trafic Sud-Nord mais
entraient dans la constitution des trésors familiaux et jouaient aussi le rôle de biens de prestige.
•
C'est le cas des fusils à pierre qui constituaient des biens de prestige chez le peuple Odzukru.
L'achat d'un fusil" donne lieu à une cérémonie.
Les fusils sont le plus souvent détenus par les Chefs de lignages. Cela renforce leur
autorité. C'est aussi le cas des vases en porcelaine et des étoffes qu'on rencontre sur le littoral
seulement chez les courtiers et chez les chefs de lignage; ces produits européens ont été intégrés
à la civilisation des populations maritimes. Avant le XIXè siècle, seuls l'or, les esclaves et
l'ivoire permettaient aux populations du littoral maritime et celles des régions de l'intérieur
d'acquérir les marchandises européennes. Or peu de gens produisaient l'or qui est le premier
produit d'échange de la région du Sud-Est. La collecte d'ivoire est difficile car la chasse à
l'éléphant est une activité dangereuse et réunir une grande quantité d'ivoires nécessite de longues
années de chasse. Cela exige aussi que le marchand de la côte ait de nombreux points
d'approvisionnement. Or dans cette société où l'activité économique la plus importante est
l'agriculture, une infime partie seulement de la population s'adonne à la chasse.
En pays Odzukru, la chasse n'est pas considérée comme une activité lucrative c'est à dire
économique, pouvant permettre à l'individu d'améliorer sa condition de vie. Peu de gens se sont
spécialisés dans la chasse qui a plutôt un caractère héroïque car celui qui arrivait à tuer un
éléphant, une panthère ou un buffle faisait son entrée dans l'histoire. Son nom est chanté et il
132
devenait une référence pour les générations futures. Certaines personnes se sont néanmoins
o
spécialisées à la chasse à l'éléphant.
La chasse collective (Ormr) aux grands filets qui constitue un élément de la civilisation
Odzukru participe à la solidarité entre les membres d'un même patrilignage.
Le seul produit qui permettait aux populations côtières d'acquérir les produits européens
étaient les esclaves. Les populations des côtes Quaquah très dépendantes de l'Europe en produits
manufacturés n'ont éprouvé aucune difficulté à participer à la traite des noirs. Les courtiers de
cette région trouvent dans cette traite une occasion d'accroître leur puissance et leur fortune.
C'est ce que note Bouet Willaumez dans "commerce et traite des noirs aux côtes occidentales
d'Afrique".
«Les esclaves noirs, achetés par les négriers proviennent de. captures auxquelles donnent
lieu les razzias des chefs nègres, les plus belliqueux ou plus puissants. Dès qu'un chef nègre
manque de boisson, de tabac, d'étoffes pour ses femmes ou pour ses guerriers, il tombe à
l'improviste sur ses voisins les plus faibles et vend les prisonniers en échange des marchandises,
souvent les traitants les excitent à alimenter leurs odieux trafics (1»>.
Souvent, ce sont les chefs de famille, désireux d'acquérir les produits européens qUI
vendent certains membres de leurs familles aux courtiers de la côte. Au cours de cette période
toutes les personnes jugés capables de porter ombrage et discrédit au lignage sont vendues. Il
s'agit surtout des comportement qui sont dans la société ODZUKRU passible de peine capitale
ou de mort.
«Les familles livrent et vendent elles mêmes les membres les plus faibles dont elles se
composent - jeune femme vendue par son frère en échange d'un fusil (2).»
Les esclaves venus le plus souvent de l'intérieur c'est à dire des profondeurs de la forêt
(pays Abidji et Odzukru) pour
1- Bouet Willaumez : le commerce et traite des Noirsaux côtes occidentales d'Arrigue page 195.
2- Bouet Willaumez c.r. page 195
133
les débarcadères négriers du pays Alladian et des pays BauJé, Dida et Koueni pour le port négrier
de Grand-Lahou (1) sont échangés contre un fusil, un sabre, une matchette, des étoffes et de
l'alcool. Les esclaves âgés de 20 à 25 ans qu'ils soient hommes ou femmes étaient vendus à des
prix élevés (Bouet Willaumez avance la somme de 140 ou 150 f le prix d'un esclave âgé de
moins de tente (30) (2). Le système d'échange qui a prévalu au cours de cette période était le
troc. Les 140 ou 150 f représentent la valeur totale des marchandises. Un esclave est échangé
contre des marchandises d'une valeur de 140 ou 150 f Ces prix (valeurs) proposés par Bouet
Willaumez pour la côte des Quaquah semble très élevés et nous situent vers la fin de la traite.
Les populations de cette région; non productrices d'or, sont animés par le désir d'acquérir les
•
articles européen auxquels elles se sont habituées depuis la deuxième moitié du XVIIè siècle. Le
commerce des Noirs dans la région du Sud-Est n'a pas été très dense, mais constant.
Ce sont les guerres Baulé dans la deuxième moitié du XVIIlè siècle qui ont alimenté,
pour une période donnée le marché de Grand-Lahou. En effet, Tyasalé principal entrepôt du pays
Baulé et zone de transit entre la région de savane et la région de forêt est reliée à Grand-Lahou
par une voie naturelle, le Bandama. Ainsi, tous produits Baulé à destination de la mer transitaient
par le village de Tyasalé.
Sur la côte des Quaquah (Alladian - Avikam) l'offre est moins élevée que la demande. De
nombreux navires négriers se présentaient devant cette côte pour une faible quantité d'esclaves.
On note au cours de la deuxième moitié du XVIIlè siècle, près de 3 500 esclaves vendus sur cette
côte. Les esclaves de cette région sont de taille moyenne (1,60 à 1,75 m) mais très robustes,
trapus et moins grands en opposition à ceux de la zone sahélienne qui sont de grande taille. De
nombreux centres d'échange situés le long du golfe de Guinée alimentaient le trafic odieux.
Les produits manufacturés européens obtenus par Je troc permettaient aux traitants des
régions de la côte d'alimenter en nouveaux produits, les trafics commerciaux Sud-Nord. Ces
traitants face aux capitaines européens échangeaient un esclave contre un fusil tandis qu'à
l'intérieur du pays, ces mêmes
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- EKANZA Simon Pierre: les mutations d'une société rurale les Agni du Moronou l8è siècle
1939. page 280.
2- Bouet Willaumez : le commerce ct traite des Noirs aux côtes occidentales d'Afrique page.
195.
134
. !'
traitants troquaient un fusil contre deux à trois esclaves (l). Cela leur permet de réaliser à la fin
de la saison commerciale d'importants bénéfices. Mais, dans la première moitié du XIXè siècle,
la présence ou le passage des croiseurs Anglais et Français près des centres d'échanges ont mis
fin au trafic odieux entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. La présence des croiseurs a privé les
populations de la région de Quaquah et surtout les courtiers de leur principale source de profit
(2). La fin du commerce des Noirs engendre dans la région des Quaquah le marasme
économique; car peu de navires s'arrêtaient dans les eaux territoriales de la région des Quaquah,
faute de produits d'échange.
La traite de l'huile de palme, inaugurée par les marchands Anglais au début du XIXè
siècl,e a été ressentie par les marchands de la côte comme un souffie nouveau, une occasion pour
mettre fin au marasme, surtout que l'hinterland comporte d'importants peuplements .de palmier à
huile.
b) Ralentissement des échanges entre les pays Africains
L'essentiel des échanges commerciaux entre la côte et les régions de l'intérieur de
l'actuelle Côte d'Ivoire est dominée par une série de produits. De la côte montaient le sel et les
produits manufacturés européens. De l'intérieur du pays, descendaient vers les régions lagunaires
et maritimes, les produits artisanaux des sociétés du Nord, qui sont techniquement avancées,
l'ivoire, l'or et les esclaves. Il s'agit des outils agricoles de la cotonnade, de la poudre d'or ou de
l'or en lingot, des sabres, du cuir etc...
L'existence de ces trafics Sud-Nord, Nord-Sud a créé, malgré l'homogénéité des
structures économiques, une interdépendance économique entre les pays de mêmes structures
économiques. C'est le cas des pays Odzukru et Abidji. Les courtiers du Sud ont essentiellement
besoin pour les échanges avec les interlopes européens de la descente massive et régulière des
•
cargaisons d'esclaves, d'ivoires et d'or (poudre, lingots) et reçoivent en retour des navires
marchands européens, de l'alcool, des armes à feu, des étoffes, de la quincaillerie et souvent du
sel. Tous ces produits alimentent les trafics. commerciaux Sud-Nord et participent au
développement technique et économique des différentes régions liées à ce trafic.
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988 auprès de M. SESS Samuel.
2- Bouet Willaumez : le commerce des Noirs aux côtes occidentales d'Afrique page 195.
\\35 .
Les grands bénéficiaires de ces échanges sont les pays maritimes, où se sont constituées
des corporations de courtiers. Le rayonnement de ces côtes maritimes, rejaillissait par extension,
sur les régions limitrophes aux régions maritimes. Mais la prospérité des régions maritimes était
surtout liée à la présence régulière, des navires européens en rade. Chaque capitaine de navire
européen avait affaire à un courtier Alladian ou Avikam ou à son successeur. Le bracelet d'ivoire
sert de signe de reconnaissance (1). Le commerce entre les navires européens et les populations
du golfe de Guinée a fait le bonheur des courtiers africains qui ont réalisé d'importants bénéfices
à chaque saison commerciale au détriment des sociétés de l'intérieur qui ignoraient les structures
et les modalités des échanges avec l'Europe.
L'absence de navire en bordure des villages du littoral annonçait déjà une année difficile
non seulement pour les courtiers mais aussi pour les autres populations de l'intérieur parce que
cela entraînait la baisse des échanges commerciaux entre les différentes régions. L'absence de
produits d'échange après l'abolition de la traite négrière au XIXè siècle a entraîné des crises qui
ont jalonné les échanges entre les côtes maritimes et l'Europe.
Les guerres entre les nations européennes au XVIllè siècle ont entraîné la baisse des
échanges commerciaux entre le Sud et le Nord parce que peu de navires européens mouillaient
les côtes maritimes africaines (2). Au cours de cette période, les courtiers du littoral
n'échangeaient que le sel produit
par l'industrie local contre les esclaves, l'or et l'ivoire de
l'intérieur. Les marchandises venues de l'intérieur restaient dans des entrepôts faute de navires.
C'étaient souvent le cas des cargaisons d'esclaves enfermés dans les barracons situés à l'intérieur
non loin des côtes. La baisse des échanges entre la côte et l'intérieur a entraîné la paupérisation
des populations de l'arrière pays qui ne reçoivent plus de produits manufacturés européens. On
assiste au ralentissement des échanges parce qu'avec l'absence des navires européens sur les
plages du golfe de Guinée, les courtiers du littoral manquaient de produits d'échange. Malgré les
difficultés d'approvisionnement les traitants Odzukru ont réussi à maintenir les échanges avec les
pays de la savane sauf que le volume des échanges est en-dessous du niveau de la deuxième
moitié du XVIIè siècle. Le début du XVIIIè siècle
1- Marc Augé : le rivage Alladian, organisation et évolution des villages Alladian, mémoire
d'Orstom page 42.
2- Dapper : Description des côtes de Guinée. Amsterdam 1686 p.33.
136
est considéré par les Odzukru comme une période pour les échanges commerciaux. La côte
n'offre plus à l'arrière-pays des produits manufacturés très diversifiés. Les navires qui
réussissaient à mouiller aux côtes des villages n'offrent pour les échanges que des produits moins
appréciés par les populations. Cela entraîne comme conséquence la baisse des activités des
courtiers de la côte. Les populations de l'hinterland sont aussi privées de certains produits
européens.
La fin des guerres européennes est marquée sur le littoral par une reprise des échanges
commerciaux entre la Quaquah et l'Europe. La première puissance à reprendre les échanges
•
commerciaux et à mouiller les côtes du littoral ivoirien au cours de la 2è moitié du XVIIlè siècle
est l'Angleterre. Les navires anglais sont presque les seuls à mouiller au large des villages. Ils
commercent tout le long de la côte, jouant le rôle de "factoreries sur l'eau".
Les esclaves et l'or ont constitué les principaux produits de cet échange. La reprise des
échanges entre la côte et le Nord est marquée, au niveau des échanges interafricains par
l'intensification des trafics Sud-Nord, Nord-Sud. Mais par rapport au XVIIè siècle, le volume des
échanges, au XVIIlè siècle est faible. Le commerce ne devient véritablement intense qu'après
l'abolition de la traite
des noirs. La confiance et la sécurité instaurées favorisent le
développement des échanges commerciaux entre les nations.
L'abolition de la traite des Noirs a mis fin aux influences politiques des populations de la
zone maritime sur celles des régions de l'arrière pays. Elle a aussi tari les sources de revenu des
courtiers de la côte.
Le volume des échanges, déjà très faible devient presque nul. Les populations de la côte
maritime éprouvent alors, sans les marchandises européennes, des difficultés à se procurer des
produits des régions de savane (or, pagnes, boeufs etc ...).
Mais l'avènement de la traite de l'huile de palme annonce la fin des difficultés pour les
populations africaines et le développement économique et social des nations productrices d'huile
de palme. Par la volonté des Européens et surtout des Français, le pays Odzukru s'affranchit de la
domination économique du pays Alladian sous laquelle il a été maintenu depuis de longs siècles.
La traite de l'huile de palme constitue pour le Lodzukru et pour toutes les régions du
littoral et de l'intérieur une nouvelle ère économique. Cette nouvelle ère économique se
caractérise pour le Lodzukru par de nombreuses mutations socio-économiques, culturelles et
surtout politiques.
La traite négrière a eu peu d'influence sur les populations de la côte des Quaquah. Il n'en
est pas de même pour la traite de l'huile de palme dont l'impact est ressenti chez tous les peuples
ayant pris part aux échanges. Les influences de cette nouvelle traite qui commence dans la 3è
décennie du XIXè siècle ne se limitent pas seulement sur la côte et ses environs mais s'étendent à
l'intérieur des terres c'est à dire dans les profondeurs de la forêt et de la savane. A la différence
de la traite négrière dont les échanges sont les monopoles des rois et de leurs entourages c'est-à-
dire réservés à l'aristocratie, les activités commerciales pendant la période de la traite de l'huile
sont libérales. Toutes les populations sont invitées à participer aux échanges. Dans le Lodzukru,
la première condition exigée pour participer au commerce est de posséder une palmeraie, être
entreprenant et surtout courageux.
La liberté accordée à tout individu de participer comme acteur aux échanges
commerciaux favorise l'enrichissement des populations à des degrés divers mais aussi à une large
diffusion des produits européens dans toutes les régions, même les plus éloignées.
La plupart de mes informateurs ont noté que pendant la traite de l'huile de palme, des
traitants Odzukru se sont rendus dans les pays Koueni mais aussi dans le pays Malinké où ils
échangeaient les produits européens et le sel contre les produits artisanaux de ces régions. La
traite de l'huile de palme à laquelle ont pris part toutes les populations en quête de ressources et
de devises entraîne du coup de nombreux bouleversements dans les structures sociales
économiques et politiques. Elle est divisée en deux étapes dominées chacune par une puissance
européenne.
II: LES GRANDES ETAPES DU NOUVEAU COMMERCE ENTRE L'AFRIQUE ET
L'EUROPE
Les nouvelles relations
commerciales entre l'Afrique et l'Europe au lendemain de
l'abolition de la traite des Noirs sont exclusivement dominées comme aux siècles derniers par un
seul produit: l'huile de palme. Le palmier à huile se rencontre en effet en abondance dans. les
régions côtières.
Le commerce de l'huile de palme qui se développe sur le littoral et ses environs et en
particulier dans le Lodzukru à partir de la 3è décennie
du XIXè siècle a connu un
développement par étapes qui obéit aux transformations des anciennes structures d'échanges, à la
création et à l'amélioration des infrastructures commerciales de la région.
La première étape de cet échange appelée commerce sur les voiliers ou sur rade est
dominée par les Anglais, avec qui, la complicité des courtiers Alladian exercent un véritable
monopole sur le littoral.
i
1.
La deuxième étape appelée commerce dans les "blockhaus" ou période de commerce
direct est considérée comme l'ère de la domination française, au cours de cette période politisent
les échanges commerciaux et étendent leur domination non seulement sur les zones productrices
.
d'huile de palme mais aussi sur toutes les régions par la signature de nombreux traités. Cette
mainmise française sur les échanges commerciaux de la régions du Sud-Est se traduit par la
colonisation de toutes les régions prenant une part active à ces échanges.
1 : Le commerce sur les voiliers (1830-1854)
La période du commerce sur les voiliers pour le Lodzukru s'étend de 1830 à 1854. La
date de 1830 marque le début de la traite de l'huile de palme et l'arrivée de fortes cargaisons
d'huile en Angleterre. La date de 1854 est caractérisée par la création de la première factorerie
par la maison de commerce Régis à Dabou. Cela entraîne la participation de Lodzukru au
commerce direct. C'est la fin de l'utilisation des intermédiaires.
Cette première période est dominée par les Anglais qui inondent le littoral de leurs
marchandises. La période du commerce sur les voiliers est aussi caractérisée par le monopole
exercé sur le littoral par un groupe de courtiers Alladian qui contrôlaient tout le trafic
commercial entre la côte et les zones de production (1). Cette période se traduit dans le Lodzukru
par la création des premières infrastructures pour le développement du commerce et
l'amélioration de celles qui existaient déjà. La participation de Lodzukru à cette première étape
s'est faite par l'intermédiaire des Alladian.
1 - Dans le pays Alladian, dix familles exercent le courtage.
139
a : L'organisation des échanges commerciaux
Les échanges effectués dans les "factoreries sur l'eau" (1) ont une organisation très
simple. Toutes les nationalités européennes commerçaient avec les populations de la côte et du
littoral de l'actuelle Côte d'Ivoire, mais les transactions commerciales étaient dominées par les
navires anglais qui faisaient sur la côte des Quaquah le commerce traditionnel de l'ivoire, l'huile
de palme et de l'or sur la côte de l'or.
La saison commerciale commence en Novembre et prend fin au début du mois d'Avril.
Les échanges commerciaux ont mis en contact les courtiers africains et les capitaines des navires
européens. Mais l'organisation du commerce est différente d'une nation mercantile à une autre.
Sur la côte des Quaquah et précisément chez les Alladian, l'organisation du commerce est
très perfectionnée. Le négoce n'intéresse qu'une dizaine de personnes qui se sont organisées en
cartel afin de défendre leur activité. Le courtage dans la région Alladian est héréditaire et se
transmet de l'oncle maternel à neveu utérin. Le système de parenté dominant dans le pays
Alladian est le matrilignage qui fait du neveu l'héritier légitime de l'oncle au détriment du fils.
Depuis la 2è moitié du XVllè siècle parmi la population Alladian, certaines personnes ont fait du
négoce et surtout du courtage l'une de leurs principales activités économiques. Ce qui leur a
permis d'accumu~er d'importantes richesses profitant de la situation géographique qui leur permet
d'être en contact à la fois avec les peuples de la forêt, producteurs de biens d'échange par le biais
de la lagune Ebrié et avec les navires européens par l'océan atlantique, les Alladian dominent les
transactions commerciales dans le bassin occidental de la lagune Ebrié. Depuis de longs siècles,
grâce aux commerces de l'ivoire et des esclaves, les courtiers Alladian se sont frottés aux
commerçants hollandais et anglais (2). Au XIXè siècle, les relations commerciales se sont
établies de façon exclusive avec les bateaux anglais venant de Bristol et de Liverpool. Chaque
capitaine de navire est en relation suivie avec un courtier Alladian qu'il connaît bien. Les
courtiers reçoivent de la part des capitaines des navires, des produits manufacturés. Ces produits
permettent alors aux courtiers Alladian d'acheter l'huile de palme dans les villages Odzukru et
Tchaman, précisément dans les campements de
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1 - Il s'agit des navires dont des ponts servaient de marché.
2 - Les Anglais s'intéressent surtout au commerce de l'huile de palme.
140
productions en offrant en plus du prix fixé par les courtiers eux-mêmes, des primes qui ont pour
objectifs d'écarter les éventuels concurrents. Les échanges entre Odzukru et Alladian sont basés
sur la confiance réciproque. La tricherie et la duperie sont proscrites. Les échanges obéissent
donc à une longue chaîne de "confiance" depuis le producteur Odzukru jusqu'au capitaine.
Chaque courtier Alladian dans les centres d'échanges de Lodzukru (Dabuatchi,
Mopoyem, Tukpa et Cosr) a des mandataires qui se chargent de recueillir dans leurs zones l'huile
de palme et palmistes apportés par les producteurs Odzukru. Les Dibrim Egn qui contrôlent le
débarcadère de Dabuatchi ou Okobu reçoivent l'huile de palme et les palmistes provenant des
groupes de populations Orgbaffu, Aklodzu et Olokpu. Mopoyem, le débarcadère-marché des
Oboru reçoit l'huile provenant des villages orientaux du groupe de population Bobor, Tukpa
reçoit l'huile des Ewsru et le débarcadère de Cors plus à l'ouest, reçoit les productions des
Ocosru et des Agbadznu. Dans les centres d'échanges Odzukru, les mandataires sont peu
nombreux. Dans le village Odzukru de Dibrim, nous avons dénombré qu'une dizaine de
personnes.
Producteur ---------> mandataire ----------> courtiers ------------> navire
Les courtiers Alladian ont constitué un petit groupe très uni et solidaire (3). lis étaient très
influents. Cela leur avait permis de s'opposer à toutes les tentatives de contrôle du trafic
commercial de l'Ebrié par les Français (4). Habitués dès la 2è moitié du XVlIè siècle à
l'utilisation des perles d'aigri et de coquillages comme moyens de paiement dans les transactions
D
avec leurs voisins de la rive Nord de l'Ebrié, les courtiers Alladian n'ont eu aucune difficulté à
accepter l'usage des manilles introduites par les Anglais en 1854 (5) dans la région des Quaquah.
Les courtiers Alladian sont à l'origine de la diffusion des manilles dans le pays Quaquah et
auprès des
1 - Marc Augé : Le rivage AlJadian : organisation et évolution des villages Alladian page 42.
2 - Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-1871 page
131.
3 - Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-1871 page
132.
4 - AN.C.I : Série !BB3 pièce 4
5 - AN.S. : section AOF série 5G24 année 1854 pièce 6
141
populations avec lesquelles ils entretiennent depuis de long siècles des relations commerciales.
L'utilisation des manilles comme moyen de paiement dans les transactions commerciales ne
sonne pas à la fin du système de troc, mais elle donne un caractère moderne et universel aux
échanges dans la région. Les prix des produits sont fixés et connus par tous. Cela permet aux
producteurs de calculer leur gain en fonction du volume de production.
Les manilles sont comptabilisantes et convertibles. Les courtiers Alladian et les
producteurs Odzukru forment un bloc. Cela favorise le développement de la traite de l'huile de
palme dans le bassin occidental de l'Ebrié. Mais cette organisation que nous avons décrite dans la
région des Quaquah est différente de celle de la région d'Assinie qui est aussi l'opposé de
l'organisation commerciale de la région de Grand-Bassam.
L'organisation commerciale est à l'image des structures économiques et politiques des
différentes régions. A cela s'ajoutent les produits d'échanges qui impriment un caractère
particulier aux relations commerciales. Dans la région de la côte de l'or, les organisations
commerciales sont différentes des unes des autres (1). Tout est lié à l'organisation politique. Les
échanges commerciaux sont contrôlés lorsqu'on se trouve dans un Etat centralisé et libre dans les
sociétés à démocratie villageoise.
La région d'Assinie est une des provinces du royaume Sanwhi. Dans cette région où le
courtage est depuis de longs siècles, l'une des principales sources de devises des populations, les
échanges commerciaux sont dirigés et contrôlés par le roi du Sanwhi qui réside à la capitale,
Krinjabo, située plus à l'intérieur (3). Pour notre période, c'est le roi Amon N'DoulTou III qui
contrôle les activités commerciales à Assinie sont centralisées. Des structures étatiques
réglementent la profession du courtage et les activités commerciales. Les rois du Sanwhi ont
toujours eu une mainmise totale sur les activités commerciales.
1 - A.N.S. : Section AOF série 5G24 année 1854 pièce 6
2 - Schnappcr : la poliLique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
132
3 - Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
133.
142
o
Or dans la région de Grand-Bassarn, deuxième centre commercial de la côte de J'or avec
Assinie, le commerce est moins organisé. Les activités commerciales sont libérales (1). En
dehors de la traditionnelle industrie de sel, la principale activité économique des populations du
village de Grand-Bassam est le courtage. Le courtage intéressait une grande majorité de la
population. Les européens, de passage dans la région ont avancé le chiffre de 2000, c'est à dire la
population de tous ceux qui s'adonnaientt au courtage (2). Mais le chiffre de deux (2) mille nous
parait très fantaisiste pour deux raisons. D'abord, la population de deux mille (2000) habitants est
élevée pour le village de Grand-Bassam surtout qu'au cours de ces périodes les épidémies telles
que la fièvre jaune et la variole sévissaient dans la région faisant de nombreuses victimes. Ce qui
ralentit la croissance démographique. Enfin, il apparaît aussi impossible que les habitants de tout
un village s'adonnent à une même activité. Généralement sur le littoral Sud-Est, le courtage,
compte tenu de ses nombreux risques est uniquement réservé aux hommes. Or un village est
composé de femmes, d'hommes et d'enfants. Cela nous amène à dire qu'à Grand-Bassam, le
courtage intéressait une grande partie de la population (hommes) mais pas toute la population
parce que les Bassamois pratiquaient aussi la pêche en lagune et en mer comme toutes les
populations côtières. Ils sont de grands marchands de poisson et de grands producteurs de sel
mann.
Les courtiers sur la côte orientale sont les véritables moteurs du développement des
échanges commerciaux entre les populations africaines productrices d'huile de palme et d'or et
les commerçants européens. Ils parcouraient des centaines de kilomètres à l'intérieur des zones
de forêt et de savane à la recherche de produits de traite. Ce sont aussi les véritables auxiliaires
des capitaines de navires. Le système de crédit instauré par les anglais (3) ont favorisé sur la côte
des Quaquah et surtout dans le Lodzukru le développement de la traite de l'huile de palme. Le
système de crédit a surtout permis aux courtiers Alladian, principaux animateurs des échanges
commerciaux dans le bassin occidental de l'Ebrié, de réaliser d'importants bénéfices sur les
Odzukru et de s'imposer comme les seuls interlocuteurs entre la côte et les régions de l'intérieur.
1 - AN.C.l : Série IEE 122 (2) année 1850 pièce 6
2 - ANS. : section AOF. Série 5 G25
3 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
133.
143
Les échanges commerciaux fondés sur la base de la confiance réciproque, ont reçu
l'adhésion des populations grâce à la diversité et surtout à la qualité des produits échangés contre
l'huile de palme. La qualité des produits européens surtout anglais est la principale garantie pour
la réussite des affaires et dans l'établissement des relations commerciales entre producteurs et
acheteurs. Les Anglais, ayant très tôt compris que les Africains accordaient plus d'importance à
la qualité des marchandises offraient dans leurs transactions des produits de bonne qualité. Cela
leur a permis de s'imposer sur la côte de l'or de l'actuelle Côte d'Ivoire dans la première moitié du
XIXè siècle.
Les commerçants anglais de n'ont de contact avec les producteurs des articles de traite.
C'est pourquoi, en se basant sur la confiance, ils laissent aux courtiers africains, une bonne partie
de leurs marchandises ; cela permet aux courtier africains de collecter les produits pour leurs
clients (1).
Lesprodu~simportés :
Les produits importés au XIXè siècle, pendant la traite de l'huile de palme n'ont pas varié
par rapport aux produits qui ont alimenté la traite des Noirs. Comme l'a souligné Harris MEMEL
Foté (2) dans "L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire Exemple de la Côte
d'Ivoire - précoloniale 1720 - 1920" : Ce sont les mêmes produits du XVIlIè siècle qui étaient
utilisés pour la traite de l'huile de palme. Les seules différences se sont situées au niveau du
volume qui était sensiblement important par rapport aux siècles derniers à cause de la demande
devenue importante et de la qualité des produits qui a connu une légère amélioration, les
africains étant devenus très exigeants. Les Africains dans les échanges commerciaux avec les
navires marchands européens n'acceptent que les produits de bonne qualité.
Au cours des siècles passés, les échanges se limitaient aux environs du littoral maritime
mais au XIXè siècle, ils s'étaient étendus aux régions de l'intérieur d'où descendaient par
caravanes les produits de traite (huile de palme, palmistes, ivoires, or, peaux d'animaux etc...).
L'extension des échanges favorise la participation de nombreuses populations au commerce du
XIXè siècle.
1 - Atger P: La France en Côte d'Ivoire: 50 ans d'hésitations politiques ct commerciales page
153
2 - MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: exemple de
la Côte d'Ivoire précoloniale 1720 - 1920 page 245.
144
L'acquisition périodique des produits de traite a aussi favorisé chez certains peuples tels
que les Odzukru, la naissance d'une couche de traitants qui aide les courtiers Alladian à dominer
le courtage dans la bassin occidental de l'Ebrié (1). Les traitants Odzukru servaient
d'intermédiaires entre les producteurs d'huile de palme et les courtiers Alladian qui n'avaient
jamais eu de contact avec les populations Odzukru. Les collectes de produits sont toujours
réalisées par les intermédiaires. Les traitants Odzukru, enrichis par les échanges avec les
populations de la côte, drainent de façon permanente vers les régions Abidji, Abê, Koueni et
Baulé les produits manufacturés européens.
Dans la multitude de produits qui alimentaient la traite entre l'Afrique et l'Europe au
.
XIXè siècle, parmi les articles importés, quatre types de produits étaient les plus recherchés
parce que très appréciés par les populations africaines. Il s'agit des fusils, de la poudre à canon,
des tissus et de l'eau de vie (alcool).
Les fusils étaient un objet de prestige et de sécurité. Leur acquisition conférait à
l'acquéreur des honneurs et de la grandeur. Ils étaient surtout utilisés pour la défense du territoire
villageois, tribal ou national contre les agressions extérieures et pour maintenir J'inviolabilité de
la souveraineté et de l'indépendance de la nation. La puissance d'une nation, d'un pays se résume
à la population des porteurs de fusils (2). Le pays Odzukru est organisé en huit (8) tribus qui sont
constamment en guerre entre elles (3). L'achat des armes à feu est aussi pour les Odzukru un
besoin impérieux. Ils ont besoin de ces armes pour maintenir libre la navigation sur la lagune
Ebrié et surtout pour garantir la sécurité de leur frontière orientale contre leurs belliqueux
voisins, les Tchaman (4). Les populations Odzukru ont aussi besoin des fusils pour chasser les
éléphants et se défendre contre les fauves telles que les panthères qui s'attaquent aux hommes et
aux bergers (5). La vente des armes à feu avait permis d'augmenter la production de l'ivoire (6).
Mais les Odzukru au cours des échanges avaient peu de possibilités dans
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------1
Les
courtiers Alladian étaient très habiles et intelligents.
2 - AN.C.I : série 1 BB6 année 1890 pièce 8.
3 - Enquête collective réalisée le 22 Septembre 1988 à Orgbaff Edjem Afr.
4 - Enquête réalisée à Dibrim le 28 Août 1988 auprès de Mr. Etienne GBOUGBO ESSIS.
5 - Enquête réalisée à Orgbaff le 17 Août 1988 auprès de Mr. Benoît ESSOH LATTE.
6 - Schnappcr : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
115.
J45
le choix des fusils car il y avait peu de modèles. On note sur la côte des productions anglaises et
des productions danoises(1). Six (6) modèles de fusils sont vendus sur le littoral Alladian. Parmi
ces modèles, un seul était beaucoup plus apprécié par les populations de la région côtière et de
l'intérieur. Il s'agit du long-dane ou dane-gun, de fabrication anglaise (2).
En plus du long-dane anglais, il y a les fusils à silex d'origine et de fabrication française
(3) moins cher par rapport aux fusils anglais (4). Les fusils de fabrication française sont à
meilleur marché et beaucoup plus répandu dans le Lodzukru. Mais comme l'a souligné SESS
Samuel d'Orgbaff (5), les Odzukru ont une grande préférence pour les produits anglais qui sont
de bonne qualité. Ils se sont dès le début du XIXè siècle, habitués aux articles anglais. Les
produits anglais sont de qualités supérieures grâce à la poudre à canon fournie par les navires
anglais en mouillage au large des villages Alladian, les Odzukru ont réussi à maintenir intact
leurs frontières.
La poudre à canon est avec le fusil l'un des produits les plus recherchés par les
populations Odzukru. Son achat, selon ESSOH LATTE Benoît se fait individuellement, mais
aussi par la collectivité villageoise qui a besoin de constituer des stocks pour la défense du
territoire national en cas d'agression (6). Un village ou une tribu sans poudre à canon est une
communauté sans défense. La poudre à canon vendue sur la côte Alladian a diverses origines.
Elle est de fabrication anglaise, américaine, belge et française. Mais les poudres anglaises, belges
et américaines sont plus prisées par rapport à la poudre française q~i est de qualité inférieure,
médiocre et contenant moins de salpêtre et plus de charbon que ses homologues, belge et
américain.
La poudre d'origine anglaise est de bonne qualité et moins chère. Elle est vendue à 1,15 f
en 1841 tandis que la poudre française de qualité inférieure se vend pour la même
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1 - Schnapper c.f page 115
2 - Schnapper c.f page 116
3 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée: 1838 - 1871 page
116
4 - Schnapper C.f page 117
5 - Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1987.
6 - Enquête publique réalisée à OrgbaffEdjem Afr Je 22 Août 1987.
146
quantité à 1,45 F (1). La poudre française a un aspect pulvérulent et est livrée dans des
conditions moins bonnes (2). Livrée dans des barils de bois blanc, la poudre française arrive à la
plage mouillée, donc dangereuse pour les utilisateurs.
En plus des armes à feu, produits très précieux pour la sécurité des populations surtout.
féminines. En pays Odzukru, les femmes sont les plus grandes consommatrices de tissus. On
note aussi une diversité au niveau des tissus. Les femmes Odzukru ont une préférence pour les
tissus anglais, de bonnes qualités avec des motifs et des coloris différents. La qualité des tissus
vendus a permis aux commerçants anglais de dominer unilatéralement de 1830 à 1854 la traite de
l'huile de palme sur le littoral Alladian. Les anglais, grâce à leur puissante industrie textile ont
réussi à s'adapter aux goûts des consommateurs africains (3).
Pour le peuple Odzukru, l'achat des tissus anglais avec leur double largeur présente un
double avantage. Il permet de réserver les cotonnades acquises lors des échanges avec les Koueni
et Baulé pour les cérémonies initiatiques telles que le "Law" et le "Dediakp" et le rituel
d'Agbadzi.
Très souple et ne présentant aucun risque de détérioration après lavage, les tissus de traite
permettent d'habiller au moins pour une saison, une grande partie des membres du lignage. Les
tissus e traite ont aussi constitué pour les traitants ODZUKRU un produit d'exportation vers les
régions de l'intérieur. Les tissus français sur la côte Alladian sont moins appréciés par rapport
aux tissus anglais. La mévente des tissus français se situe au niveau de la qualité et des prix qui
font d'eux des produits de luxe pour les consommateurs africains (5).
Les tissus français sont de qualité moyenne. Ils sont trop lourds et contiennent peu de
motifs. Les fabricants français, contrairement aux anglais n'ont pas eu pour souci de faire le jeu
des consommateurs africains c'est à dire, s'adapter à leur goût. Jusqu'en 1854 et même au delà de
cette date,
1 - Schnappcr : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée de 1838 à 1871 page
116
2 - Ibid 115
3 - Ibid 116
4 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
114
5 - Marc Augé : le rivage Alladian page 43
147
L'influence commerciale française dans la région Odzukru est presque nulle, car malgré les
pressions politiques et militaires, les consommateurs Odzukru préféraient les marchandises
anglaises et les courtiers Alladian ont maintenu leur alliance avec les Capitaines des navires
anglais.
Les traités conclus les 2 et 7 Février 1843 (1) entre les hauts dignitaires des villages
Alladian de Omoquah, de Bodo Ladja et Mf. Vernet n'ont pas permis aux navires marchands
:'
:J
Français de s'imposer sur le littoral Alladian où les courtiers depuis 1830 se sont spécialisés dans
le commerce de l'huile de palme.
Le tissu est un produit de prestige dans le Lodzukru. La qualité et les motifs du tissu
permettent de distinguer les individus. Les tissus sont très consommés dans le Lodzukru car les
Odzukru les utilisent pour les inhumations. Les funérailles donnent aussi lieu à une grande
consommation d'alcool.
Les alcools ont aussi constitué pendant les traites, un produit très prisé par les
populations. Les Odzukru avaient une tradition de consommation d'alcool. Les initiations de
"Low" de "Dédiakp" ,et le rituel d"'Agbadzi" sont des occasions au cours desquelles les
populations se livraient à une grande consommation de l'alcool.
L'alcool traditionnel est obtenu après fermentation pendant deux à cinq jours du vin du
rônier ou du palmier de raphia. li est interdit dans le Lodzukru d'abattre les palmiers à huile et
d'en extraire le vin. L'introduction vers la fin du XVIIlè siècle (2) dans le Lodzukru des barils de
Rhum et de Gin a permis de préserver les palmiers de raphia de la destruction.
Les nervures de palme du raphia étaient utilisées pour la construction des cases dont les
toits sont en feuilles de raphia tissées. Les nervures du palmier de raphia sont un produit
stratégique pour le Lodzukru car elles constituent les matériaux de base pour la construction des
cases (3). On rencontre un fort peuplement de palmiers à raphia dans les régions de mangroves.
Le Rhum et le Gin ont modifié les pratiques dans le Lodzukru. Ils remplacent dans la
constitution des dots, les calebasses de vin de raphia que le fiancé doit fournir de façon régulière
à ses futurs beaux-parents. La consommation d'alcool importés est un signe de prestige pour les
Odzukru. On ne trouve de l'eau de vie que chez les riches. Selon ESSOH LATTE Bénoît, les
traitants Odzukru ont pris l'habitude de prendre
1- Augé : le rivage Alladian p. 43.
2- Enquête collective réalisée à OrgbaffEdzem Afr le 28 Août 1987.
.
3- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988 auprès de Me GBOUGBO ESSIS Eti~lme.
148
au réveil tous les matins un ou deux verres de gin avant de sortir (l). Il s reçoivent leurs étrangers
en leur offrant du rhum ou de gin. Le rhum et le gin vendus sur les plages Alladian sont contenus
dans des barils de chênes solidement attachés dans du fer. Un ruban de fer entoure le tonnelet.
L'alcool est aussi vendu dans des dames-jeannes de dix (l0) litres. Outre les armes à feu, les
fusils et l'alcool (rhum et gin) et les tissus, considérés comme les principaux produits de traite, il
y a la quincaillerie et le tabac, la verroterie, du savon, du sel, des armes blanches et la poudre de
toilette.
Le
tabac
est
d'origine
américaine.
Les
marchandises
européennes
et
le
sel
traditionnellement produit sur la côte alimentent les échanges commerciaux entre la côte et les
régions de l'intérieur. Les produits européens, pour la plupart, connus par les populations du
golfe de Guinée depuis la traite négrière contribuent à modifier chez les Odzukru de nombreuses
pratiques sociales. Le tabac d'origine américaine plus aromatisé est beaucoup apprécié dans le
Lodzukru surtout chez les adultes. Le tabac, appelé en Odzukru "Asra" n'est pas inconnu dans le
Lodzukru. Les Odzukru depuis leur installation sur le territoire gui est le leur aujourd'hui,
connaissent l'usage du tabac. Domestiqué depuis le XVIIè siècle, la plante solamacée, haute de
1,20 à 1,40 m à feuilles larges et épaisses, est plantée par la population. Selon ESSOH LATTE
Benoît, la culture du tabac se fait pendant la grande saison sèche. C'est par buttage que les
paysans plantent ce tabac. Le terrain destiné à cette culture ne reçoit que le tabac. Arrivée à
maturité, le tabac est coupé et séché. Les feuilles attachées en paquets de huit (8) à dix (10) sont
mélangées aux cendres de la peau de banane et écrasées jusqu'à l'obtention d'une poudre de
couleur marron. La poudre de tabac est prisée et chiquée. Les feuilles quant à elles sont roulées
dans les peaux sèches du bananier et fumées. Nous avons mentionné plus haut que le tabac n'est
pas une plante inconnue dans le Lodzukru. Avec l'introduction du tabac américain dans le
Lodzukru, les Odzukru ont arrêté la production du tabac local moins aromatisé pour ne
consommer que le tabac importé. Ils ont porté leur préférence sur le tabac importé à cause de son
arôme.
La plupart des sources que nous avons consultées ont montré que les produits importés
tout le long du XIXè siècle n'ont pas connu de variation. Nous avons constaté la prépondérance
de trois produits: armes à feu, tissu, et alcools. Nous reprenons le tableau des produits importés
au XIXè siècle proposés par Harris MEMEL Foté dans "L'esclavage dans les sociétés lignagères
d'Afrique Noire. Exemple de la Côte d'Ivoire précoloniale 1720 - 1920 page 234.
1- Enquête réalisée à OrgbalT le 30 Août 1988 auprès de M. Benoît ESSOH LATTE.
149
Bouet Willaumez 1848
H. Hecquard 1855
A Verdier 1897
- Tissus
- Tabac
- Tissu
- Poudre à canon
- Coton
- Poudre
- Alcools
- Poudre à canon
- Fusils
- Verroteries
- Fusils
- Alcools
- Tabac
- Tissus
- Tabac
- Sucre
- Verroteries
- Coutelleries
- Coutelleries
- Liqueurs
- Armes blanches
- fusils
- Métaux
- Fer en barre
- Coutellerie
- Chaudronnerie
- Sel
- Sel
- Porcelaine
- Savon
- Verroterie
- Porcelaine
Source : Harris MEMEL Foté
La plupart des produits utilisés pendant la traite de l'huile de palme provenaient des
industries européennes. On note une supériorité des produits anglais par rapport aux autres
produits. Les tentatives françaises amorcées sur le littoral oriental de l'actuelle Côte d'Ivoire dans
la quatrième décennie du XIXè siècle se sont soldées par un échec. L'établissement de comptoir
à Assinie à partir de 1843 n'a pas empêché les Anglais d'être prépondérants et influents dans la
région. L'échec français résulte du fait que leurs produits sont de qualité médiocre. Les Anglais
ayant la première et la plus puissante industrie de l'Europe et connaissant les besoins des
•
populations africaines offrent à celles-ci une gamme importante de produits de bonne qualité et
essaient surtout de ne pas tromper les consommateurs africains sur la qualité des produits. Tous
ces produits européens et américains sont échangés contre les traditionnels produits (ivoire, or)
qui ont alimenté au cours des XVIIè et XVIIIè siècles les échanges entre l'Europe et l'Afrique.
Mais au XIXè siècle, les échanges se font avec l'huile de palme.
Les produits exportés
Le XIXè siècle a été baptisé l'ère de l'huile de palme parce que cette huile de couleur
rougeâtre, obtenue après trituration des pulpes de graines de palme va dominer les échanges
commerciaux entre l'Europe et l'Afrique au lendemain de l'abolition de la traite des Noirs. Au
cours de cette période, l'huile de palme est le principal produit d'échange de la région Alladian
(1). Les ivoires et les esclaves aux siècles derniers ont dominé les échanges entre la région des
Quaquah et l'Europe. La production Alladian d'ivoire est trop faible pour alimenter un véritable
trafic commercial. Il faut alors pénétrer en profondeur de la forêt, entrer en contact avec les
1 JV
populations de ces régions afin de constituer un stock raisonnable pour les échanges
commerciaux. Cela demande un temps énorme et exige du courage et beaucoup de travail. Or
l'huile de palme est à portée de la main. Elle est produite en grande quantité sur les rives Nord et
la lagune Ebrié dans les pays Odzukru et Tchaman. Mais le grand producteur de l'huile de palme
est le pays Odzukru qui alimente chaque saison en milliers de tonnes d'huile, les centres
d'échanges Alladian. Une fois par semaine note Ai Sylvestre, les courtiers Alladian se rendent
dans les débarcadères ODZUKRU pour échanger l'huile de palme contre les produits importés
d'Europe (2). L'huile de palme a fait du pays Alladian une région riche et prospère.
La production de l'huile de palme en pays Odzukru se situe après la création des champs
devant abriter les cultures vivrières. L'économie Odzukru est dominée par l'agriculture d'auto
consommation. L'industrie de l'huile de palme malgré, la place prépondérante de l'agriculture
vivrière dans l'économie Odzukru est la principale source de revenu des populations Odzukru car
elle est le premier produit d'échange de Lodzukru. Les progrès réalisés par le peuple Odzukru
depuis le XIXè siècle sont liés au commerce de l'huile de palme. Les Alladian notent AI
Sylvestre, de leur existence n'ont jamais produit un seul litre d'huile de palme. Pour leur
approvisionnement, ils dépendent des populations de la rive Nord de l'Ebrié surtout de la
population Odzukru.
Les Odzukru ont été informés de la naissance d'une nouvelle traite sur la côte par les
marchandes de poisson qui se rendaient presque toutes les semaines en pays Alladian pour
s'approvisionner en sel et en poisson. Elles ont constaté sur les plages Alladian la présence de
navires marchands anglais qui sont différents des navires négriers. Ces navires faisaient le
commerce de l'huile de palme. Selon AFFI Sylvestre, les marchands anglais auraient demandé à
rentrer en contact dès le début de la traite avec les régions productrices, mais leur demande a
1 - AN.s. : section AOF série 5 G23 pièce 6
2 - Enquêteréalisée à Orgbaff le 26 décembre 1984auprès de M. Sylvestre AFF!.
151
rencontré l'opposition des courtiers Alladian qui voyaient en cela leur déclin. Les courtiers
Alladian ont joué aux intermédiaires entre les producteurs de la rive Nord et les navires
marchands anglais. Cela leur a permis de réaliser au détriment des populations de la rive Nord
d'importants profits. La traite de l'huile de palme est la base de la prospérité et de la richesse du
peuple Alladian.
Au début de l'ouverture de la saison commerciale note ESSOH LATTE Benoît, les
courtiers (1) Alladian se rendaient dans les villages et les campement Odzukru pour inciter les
populations à accroître la production d'huile. Ils leur offraient des cadeaux pour faire la
réservation de la production. Souvent la production était achetée d'avance. Aussi, depuis le début
de la traite, près des trois quarts de la quantité d'huile de palme exportés des débarcadères
Alladian vers l'Europe et surtout vers l'Angleterre provenaient du pays Odzukru.
« Ce sont ces forêts (sur la rive Nord de la lagune) qui fournissaient cette énorme
quantité d'huile de palme que les Anglais et les Américains nous enlèvent chaque année. Jack-
Jack, Lahou et Dabou sont au centre de cette production (2) ...».
Les Alladian n'ont jamais été producteurs d'huile de palme. Ils furent plutôt pêcheurs et
habiles commerçants (3). Mais le courtage est exercé par une infime partie de la population
Alladian. La pêche en mer et l'industrie de sel sont les principales activités économiques de ce
peuple. Dabou, campement des Dibrim Egn devient en 1853 le principal centre commercial de la
région orientale de Lodzukru. Mais depuis les siècles précédents, ce campement joue pour
Dibrim et ses voisins le rôle de débarcadère. C'est alors au débarcadère d'Okobu et de Dabuatchi
que l'huile en provenance des tribus Dibrim Egn, Aklodzu, Orgbaffu et Olokpu est drainée vers
les débarcadères Alladian.
La traite de J'huile de palme dans le Lodzukru a donné naissance à de nombreux
campements pour une meilleure exploitation des palmeraies et de débarcadères pour une
meilleure évacuation de l'huile de palme vers les côtes Alladian.
1- Enquête réalisée à Orgbaff auprès de M. ESSOH LATTE Benoît le 23 Août 1984.
2- A.N.S. Section AOF série 5 G23 pièce 6.
3- Les courtiers Al1adian étaient les plus intelligents ct les plus habiles de la région Sud-Est.
]52
Si l'huile de palme dans la première moitié du XIXè siècle a été le principal produit de
traite, nous tenons à souligner que pour cette période, il faut aussi ajouter les palmistes dont les
transactions commerciales sont assurées par les femmes, les traditionnels produits de traite
(ivoire et or) économique. C'est le poumon de l'activité économique. La richesse et la prospérité
d'un homme dépendent de l'intelligence, du courage et de l'habilité de sa femme dans les
échanges commerciaux. C'est la femme qui vend les produits agricoles et transporte l'huile vers
les centres d'échange. Les ressources des ventes d'huile et des autres produits sont destinées au
trésor familial et non distribuées entre les membres. A la fin de la saison commerciale, les
femmes reçoivent de leurs époux des cadeaux. Les femmes ont aussi la charge de pourvoir la
famille en alimentation (nourriture) et de s'occuper elles-mêmes de leur habillement. C'est
pourquoi, elles exercent presque toutes un petit commerce. Elles sont soit marchandes de
poisson, de farine de manioc ou d'huile de palme. Elles· ont alors réussi à développer un
commerce intérieur florissant à se constituer des fortunes personnelles. Le commerce de
palmistes est l'une des bases de la prospérité des femmes Odzukru. Les palmistes ont été
auparavant utilisés comme comestibles. Mais vers 1850, ils sont utilisés comme produit
d'échange. Le palmiste donne une huile à l'acide l'aurique blanche qui est utilisée pour la
première fois vers 1853 (1) dans l'industrie européenne.
Les palmistes ont été depuis de longues dates connus dans le Lodzukru. Mais ils n'ont
jamais fait l'objet de transaction commerciale dans le pays Odzukru. Seules les femmes s'en
servent pour préparer des produits cosmétiques et les utilisent aussi comme combustible. C'est
pourquoi, derrière les cases et les campements de production, les noix de palmistes forment des
monticules. Malgré leur utilisation dans les échanges commerciaux les palmistes ont eu peu
d'influence dans les transactions commerciales de Lodzukru. Le concassage des noix de palmiste
se fait pendant la grande saison des pluies considérée comme une saison morte pour les activités
économique en général et pour les échanges commerciaux en particulier.
Après la trituration, les femmes aidées de leurs enfants (fillettes) et des esclaves lavent les
noix qui sont ensuite séchées. A l'approche de la saison pluvieuse, les noix sont rassemblées et
mises dans l'un des coins de la case. Pour le concassage des noix, les femmes Odzukru se servent
d'un grand bloc de granite ou de silex, long de cinquante (50) à soixante
o
----------_..------------------------..__.._----------------------------------------..__..---.._---------------------------------
1- Schnapper: la polilique elle commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
lli·
153
(60) centimètres, de trente (30) à quarante (40) centimètres de large et de six (6) à huit (8)
centimètres de hauteur. Les femmes Odzukru ont une préférence pour le granite à cause de sa
solidité et des facilités qu'elles ont pour rendre les surfaces planes. Le bloc est utilisé toute la vie.
Souvent, il constitue une part de l'héritage que les mères laissent à leurs filles. Les femmes se
servent aussi d'un autre bloc mais de dimensions réduites. Ce bloc à la forme d'une boule est
utilisé à casser les noix. Le concassage des noix est une opération pénible, difficile, longue et
souvent dangereuse. De nombreuses femmes pendant le concassage des noix de palmiste note
ESSOH LATTE Benoît ont eu l'oeil crevé. Elles s'écrasent souvent les doigts et se blessent au
visage avec la coque. Les femmes mettent plus de trois mois pour concasser et trier les noix.
Pour le triage, toute la maisonnée est mobilisée: homme, enfants, femme etc ...
Le commerce de palmiste est très vite abandonné dans le Lodzukru à cause à cause de
son manque de rentabilité et des nombreuses infirmités que le concassage occasionne dans le
milieu des femmes. tes palmistes ne sont pas un produit de luxe comme l'huile de palme. Les
prix ne sont pas incitatifs pour les femmes Odzukru (l) vu l'effort" qu'elles fournissent. Or les
autres populations de la côte, malgré la faiblesse du prix d'achat proposé par les navires anglais
et la maison Régis, qui dès 1844, établi des factoreries à Grand-Bassam continuaient le trafic des
palmistes. Cela leur a permis alors de multiplier les sources de revenu. Mais les Odzukru, malgré
la conscience qu'ils ont que le prix d'achat de l'huile de palme pourrait connaître une baisse,
s'adonnent uniquement à cette industrie. La production de l'huile de palme demeure la seule
source de revenu de Lodzukru. Les Odzukru sont les plus grands producteurs de toute la côte
rvoinenne.
Avant 1852, pour la population Odzukru, la politique qui consiste à accroître uniquement
la production de l'huile de palme a porté ses fruits et des résultats très encourageants. En effet,
les populations du bassin oriental de la lagune Ebrié et au-delà portent peu d'importance au trafic
de l'huile de palme. Elles s'occupent plutôt de leur traditionnel commerce d'or, d'ivoire et de sel.
Le sel est la seule industrie des populations de Grand-Bassam qui vivent du courtage (2). Le sel
est obtenu par évaporation de l'eau de mer après cuisson. Les cristaux sont ensuite recueillis puis
mis dans des bouteilles de rotin et exporter dans l'arrière-pays chez les Abouré et les Agni pour
être échangés contre l'or et l'ivoire très abondants dans ces régions.
1 - Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984 auprès de M. Benoît ESSOH LATTE
2 - AN.C.I : série lEE28 pièce 4
154
«La seule industrie de Grand-Bassam qui lui soit propre est la confection du sel. Grand-
Bassam ainsi que quelques autres villages de l'Ebrié et d'Ackba possèdent sur le littoral des cases
à sel et échangent ce sel avec l'intérieur pour l'ivoire et l'or (1) ».
Le commerce de l'or pour les Odzukru est presque nul. La poudre d'or ou les bijoux
(colliers) que certains échangent avec les Alladian contre les armes à feu (fusils, poudre à canon,
proviennent du pays Baulé (2).
Pour les Odzukru, le commerce de l'or n'est pas rentable parce qu'ils n'en sont pas
producteurs. Aucune mine d'or n'existe dans le Lodzukru, c'est pourquoi, ils ont fait du
commerce de l'huile de palme, leur première source de développement économique et social. La
faible production d'huile de palme de la région de Grand-Bassam et de tout le littoral Est oblige
les navires anglais à mouiller plus au large des plages des villages Alladian. Plus de vingt (20)
.
.
navires européens et surtout anglais pendant les cinq à six mois que dure la saison commerciale
mouillaient au large des côtes des villages Alladian pour acheter l'huile ou l'échanger contre les
marchandises européennes.
«Les navires qui viennent habituellement traiter dans ces parages reviendront en
décembre et en janvier pour l'ouverture de la campagne de traite, ils sont au nombre de vingt et
leur tonnage est de 500 tonneaux. Ils appartiennent à de fortes maisons de Bristol et de
Liverpool. Avant de rentrer en Angleterre avec son complet chargement, chaque navire est tenu
de faire une expédition d'huile par la voie de paquebot de Liverpool qui s'arrêtent au Lahou et au
Jack-jack, à chacun de leur voyage d'aller et retour».
Toute la production d'huile de Lodzukru est livrée aux courtiers Alladian qui la vende aux
navires anglais. Les Jack-jack sont les Alladian. La présence des navires anglais dans les eaux du
pays Alladian fait qu'il ne restait jamais de stocks invendus dans le Lodzukru. Cela favorise la
croissance de la production d'huile et engendre surtout la prospérité économique non seulement
sur le littoral Alladian mais aussi dans le Lodzukru. Cette prospérité amène les üdzukru à refuser
la multiplication de leurs sources de revenu. Les üdzukru se procuraient de l'ivoire avec les
peuples de l'intérieur non plus
1 - AN.S : section AOF série 523 pièce 8
2 - Enquête publique réalisée à Orgbaff le 23 Septembre 1988.
3 - AN.S : Section AOF Série 5 G23.
155
pour les échanges contre des produits européens mais pour en constituer des fortunes
personnelles et des trésors familiaux. Les défenses d'éléphant dans le Lodzukru sont utilisées
pour fabriquer des cors ou des olifants. Les olifants, joués par les esclaves, accompagnent tout
Odzukru qui par le rituel d'Agbadzi intègre la société des riches. Cette société des riches se
différencie des esclaves, des femmes et des enfants. La production de l'huile de palme, très
abondante dans le Lodzukru renforce la prépondérance et la mainmise des Alladian dans leurs
rôle de courtier. Ils contrôlent les activités commerciales de la région comprise entre le cap
Lahou et le village de Péquiny-Bassam (Petit-Bassam). Sur tous les peuples du bassin occidental
de l'Ebrié, les courtiers Alladian étendent leur domination économique. Ils dominaient aussi
toutes les transactions commerciales entre les régions de l'intérieur et de la côte atlantique. Mais
vers la fin de la 1ère moitié du XIXè siècle, avec la présence des français dans la lagune Ebrié ils
sont obligés de composer avec les populations de l'arrière-pays dont certaines personnes,
enrichies par leur rôle de mandataire se constituent en courtiers. C'est le cas de certains traitants
des villages de Tukpa et de Dibrim, qui, à partir de 1853 deviennent de véritables rivaux pour les
Alladian.
Naissance d'une couche de traitants africains
Pour le littoral de l'actuelle Côte d'Ivoire, le courtage n'est pas né avec le commerce de
l'huile de palme. C'est une activité économique né depuis la 2è moitié du XVI1è siècle et liée au
commerce de sel? de l'or, des ivoires et des peaux d'animaux entre l'Afrique et l'Europe.
Au cours de cette période, les populations de la côte maritime se sont interposées comme
les seuls interlocuteurs et intermédiaires entre les populations des régions de l'intérieur
fournisseurs des produits de traite.et les navires européens et américains, acheteurs de produits
tropicaux et de métal précieux. Sur le littoral oriental de la Côte d'Ivoire, le courtage s'est
développé grâce à la volonté des capitaines Hollandais et Anglais qui cherchaient sur la côte des
représentants. Les représentants qui bénéficient de la confiance des capitaines des navires
européens devaient à partir des stocks de produits que leur cédaient les capitaines des navires
européens faire des collectes de produits africains et en constituer des stocks pour le voyage de
l'année suivante (1). Chaque marchand anglais et américain qui
1 - Schnapper: La politique el le commerce français sans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
132.
156
mouillaient le large des villages Alladian avaient à faire à un courtier Alladian ou à. son
successeur. Des bracelets d'ivoire sur lesquels sont inscrits le nom du capitaine servent de signe
de reconnaissance. Chacun des courtiers Alladian ou son successeur portait un bracelet qui le
différenciait des autres courtiers (1). Le bracelet qui sert de moyen d'identification à instauré une
véritable confiance entre les courtiers Alladian et les capitaines des navires européens. Ainsi
grâce à ce système de crédit qui leur permet de disposer d'un stock important de produits
importés au moins tout le long de l'année, les courtiers Alladian depuis la 2è moitié du XVIIè
siècle dominent les trafics commerciaux dans la région Ouest de l'Ebrié. Dans la partie orientale,
le courtage est dominé par les Bassamois (appoloniens) et les Assiniens (essouma). Ces deux
peuples sont de grands producteurs de sel marin.
Le commerce de sel avec les régions de l'intérieur a entraîné la prospérité des courtiers
qui se sont imposés par la suite comme les seuls intermédiaires entre la côte et l'intérieur. Depuis
de longs siècles les courtiers de la côte dirigeaient et orientaient le négoce entre le côte et les
régions de l'intérieur. Au fil du temps, le courtage s'est imposé comme la principale activité
économique des populations côtières surtout dans la région de Grand-Bassarn. Ne pouvant eux-
mêmes fournir les produits de traite, les courtiers de la côte se rendaient dans les régions
forestières pour collecter les produits. Les courtiers Alladian visitaient pendant la saison
commerciale une fois par semaine les débarcadères Odzukru pour acheter l'huile, la poudre d'or
et l'ivoire qu'ils revendaient aux navires européens. Cela leur permettait de réaliser d'importants
profits et les courtiers étaient les plus riches parmi les populations africaines.
Les courtiers Alladian étaient de véritables professionnels du négoce entre la côte et les
régions de l'intérieur.
Ils étaient les seuls à prendre contacts avec les producteurs de la rive Nord de l'Ebrié. Ils
sont intelligents, rusés et très habiles. Mais, ils n'essayaient jamais de tromper leurs clients, avec
les stocks que leur confient les capitaines, ils réalisent d'importants bénéfices en plus des
commissions qu'ils reçoivent. (3)
1- Marc Augé : le rivage Alladian page 43.
2- AN.S. : section AOF série 5 G23.
3- Schnapper: la politique et le commerce Francais dans le Golfe de Guinée 1838-1871. Page 134
157
Mais au XYlllè siècle, pendant la traite négrière, le courtage a connu une véritable crise.
La traite des Noirs était plutôt dirigée par les rois et les princes qui possédaient une armée ou urie
cohorte de guerriers. La collecte des esclaves se faisait par le système des razzias qui consistait à
attaquer par surprise un campement ou à capturer des passants sans défense.
Avec le climat d'insécurité qui régnait dans toutes les régions suite aux razzias, aux
incendies et pillages des villages, les échanges interfoliages ont connu leur plus bas niveau. Les
femmes, principales animatrices du commerce interfoliages , refusaient de sortir du territoire
communautaire. Cela a entraîné la plupart des régions dans une conjoncture économique difficile
parce que les échanges inter-régionaux subissaient une baisse du trafic.
L'appauvrissement des populations est lié à la baisse de la production agricole et aux
.
.
migrations des différents peuples suite à l'insécurité qui régnait dans toutes les régions. La traite
négrière entraîne alors le déchirement des peuples, l'éclatement des familles et des clans. Cette
traite engendre la désolation et la tristesse. Au cours de cette période, les échanges entre les
régions atteignent leur plus bas niveau. Le XVlllè siècle est pour le pays Odzukru, un siècle de
tristesse, de désastre économique malgré le maintien des échanges commerciaux avec les pays
Koueni, Abè, Abidji et plus tard Baulé (1).
Par contre, le XIXè siècle est considéré comme l'ère de la renaissance du commerce. En
effet, en plus des anciennes nations de courtiers et avec le développement de la traite de l'huile
de palme d'autres nations, telle la nation Odzukru, ce sont elles aussi intéressées à la formation
du courtage. Les courtiers du XIXè siècle sont très riches (2). Leur richesse a deux origines. La
première accumulation s'est faite pour les Alladian pendant le commerce du sel et de poisson.
Ces produits sont échangés contre l'huile de palme et les produits vivriers. Avec l'établissement
des relations commerciales avec les populations des régions de savane et de forêt, le sel est
échangé contre l'or, les cotonnades, l'ivoire et les esclaves (3).
Les produits recueillis dans les régions de l'intérieur sont vendus aux interlopes
européens. Ainsi les échanges avec les navires européens ont permis aux courtiers Alladian de
constituer
1 - A.N.S : section AOF série 5 G25
2 - A.N.C.I : Série 18B6 page 4.
3 - Harris MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés ligll(1gères d'Afrique Noire: exemple de
la C.I précoloniale 1720 - 1920 page 236.
158
d'importantes fortunes qui sont utilisées au XIXè siècle par leurs descendants. Cela a permis
alors la poursuite de la profession de courtier. La deuxième accumulation réside dans l'épargne
personnelle réalisée par les courtiers à la suite des commissions qu'ils recevaient après la
livraison des produits aux navires européens et aux importants profits réalisés lors des
transactions commerciales avec les populations de l'arrière-pays.
Les courtiers Alladian, pendant les saisons de fortes productions d'huile de palme
arrivaient à obtenir des Odzukru des barriques d'huile gratuitement (1). Chacun d'eux en recevait
au moins cinq à dix barriques. Certains de mes informateurs avancent même qu'ils enlevaient sur
chaque barrique au moins deux (2) à cinq (5) litres d'huile (2). Les courtiers Alladian fréquentent
une fois par semaine les débarcadères Odzukru. Cela facilite le drainage des produits Odzukru
vers les plages Alladian.
Les courtiers dans les villages et régions sont d'importants personnages. Ils sont riches.et
prospères. Un courtier Alladian comptait sans peine vingt mille (20.000) francs en espèce (3). Ils
vivaient dans de somptueuses maisons de cinq (5) à (6) pièces avec des vérandas alors que le
reste de la population vivait pour la plupart dans des maisons d'une seule pièce (4). Ces maisons
étaient soit en torchis (terre rouge) soit en bambou (5). Ils possédaient de nombreux esclaves qui
les accompagnaient lors des voyages réserves aux grandes transactions commerciales. C'est ce
que note Fleuriot de Langle dans un rapport adressé au Ministre de la marine en 1868.
«L'un des traitants des Jack-Jacks Numba était venu à Debremou pour faire ses achats.
Dans ces occasions, les traitants étaient un grand luxe, arrivent avec un train considérable
d'esclaves musiciens, femmes couvertes d'or, eux-mêmes sont couverts de bagues et de bijoux et
ils se tiennent autour d'eux une vraie foire (6) ...».
1 - Enquête réalisée à OrgbalT le 22 septembre 1988auprès de M. Etienne GOMRON.
2 - Enquête publique réaliséeà OrgbalT le 23 septembre 1988.
3 - A.N.C.I : Série IBB6
4 - A.N.S : section AOf série 5G23
5 - A.N.S : section AOf série 5G28 pièce 4
6 - Schnapper: La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
131.
159
Les esclaves sont chargés après le marchandage de l'évacuation des produits vers les
entrepôts. Les courtiers sont très influents dans leurs communautés. Ce sont eux qui dirigent
dans le fait la vie politique de leurs régions. La politique est subordonnée à la situation
économique des courtiers sont plus la plupart des polygames. Ils ont de nombreuses femmes et
certains, note ESSOH LATTE Benoît, en possèdent jusqu'à dix (1). Le nombre important
d'épouses est un signe de noblesse, surtout que la dot d'une seule femme équivaut entre 3000 à
4000 manilles soit entre 150 à 200 paquets de manilles (2). Un paquet de manilles équivaut à 20
manilles et un paquet de manilles équivaut à 4 F. Ce qui est une véritable fortune. Cela montre
aussi la puissance économique et sociale des courtiers.
Les courtiers, nous l'avons signalé plus haut, sont des personnages influents au plan
politique. En effet, très amoureux de leur indépendance et de leur liberté refusaient toute alliance
politique avec les puissances européennes, alliance qui risquait d'apporter un préjudice à leur
entreprise commerciale. C'est ce qui ressort d'un rapport adressé en 1852 par le commandant du
poste de Grand-Bassam au commandant de la station navale, stationnée à Gorée au Sénégal.
«Le traité que vous m'avez envoyé n'a pas été signé parce que les courtiers de la côte ne
veulent aucun établissement européen chez eux, voulant conserver la faculté de commercer avec
tous (3»>.
Les courtiers de la côte refusent le système de monopole qUI serait une entrave au
libéralisme économique et surtout commercial en vigueur depuis de longues années. Le
libéralisme commercial est à l'origine du succès économique des populations e la côte. La libre
entreprise permet aux personnes plus entreprenantes et ingénieuses de réussir dans le domaine
économique. Les courtiers dominaient la vie politique. Riches, ils étaient aussi de très grands
orateurs et étaient très écoutés par les populations (4).
1 - Enquête réalisée à Orgbaff le 22 août 1988.
2 - Enquête collective réalisée à Dibrim le septembre 1988.
3 - A.N.S : section AOF série 5 G25 page 6
4 - A.N.C.I : Série lEE 152 page 8.
160
Ayant besoin de la paix dans toutes les régions pour le bon développement des
transactions commerciales, [es courtiers intervenaient comme arbitres afin de mettre fin aux
conflits opposants deux communautés. Les conflits entraînaient le ralentissement des activités
commerciales. En effet, la guerre entre deux communautés ou deux tribus était un préjudice aux
activités commerciales parce qu'elle entraînait le ralentissement de la production de l'huile. Une
guerre prolongée entre deux tribus entraîne une crise économique dans toutes les régions. On
assiste alors à la baisse de toutes les activités économiques. L'huile n'étant plus produite, aucune
transaction commerciale ne pouvait se faire dans la région. Les courtiers Alladian note ESSOH
LATTE Benoît, intervenaient souvent dans les affaires politiques de Lodzukru surtout en cas de
conflit pour imposer la paix aux tribus en guerre (1). Les traitants Odzukru, surtout ceux du
village de Tukpa, deuxième centre commercial de Lodzukru, après Dabou intervenaient partout
où il y avait conflit afin de protéger leurs trafics commerciaux. C'est ce que note le Commandant
du poste de Dabou en 1856 dans un de ses rapports au Commandant du comptoir de Grand-
Bassam.
«Je n'eus pas le bonheur d'y trouver les principaux chefs. Ils étaient partis depuis deux
jours pour arranger un différend qui existe entre deux villages de l'intérieur. Le village éloigné
porte ordinairement son huile à Tukpa, mais comme il est en guerre contre un village
intermédiaire cel~i-ci l'empêche naturellement de passer. Les traitants de Tupka voyant diminuer
leurs bénéfices sont allés avec les principaux chefs palabrer pour arranger cette affaire, cela
durera pensent-ils 20 à 25 jours...» (2).
Les traitants africains qu'ils soient de Lodzukru, du pays Alladian ou de Grand-Bassam
ont conscience que la guerre est un vrai obstacle à l'épanouissement des activités commerciales.
Cela démontre une fois de plus que les traitants africains ne sont pas de simples mandataires des
capitaines européens. Ils offrent des rémunérations afin d'avoir la confiance des producteurs et de
combattre toute idée de méfiance et tout conflit. Ils apprenaient aussi à gérer les stocks qui leur
sont confiés par les capitaines européens. Mais il arrive que parmi les courtiers, certains soient
n
débiteurs des capitaines des navires européens alors ils donnent en guise de gage un de leurs fils
ou un neveu c'est-à-dire le fils à leur soeur. L'enfant n'est ramené d'Europe qu'après paiement de
la dette.
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988.
2- AN.S : Section AOF série 5 G29 pièce Il.
161
En pays Al1adian et Odzukru de nombreux jeunes garçons ont été déportés comme otages en
Angleterre et en France (l). Ce système d'otage montre la sincérité des courtiers et surtout leur
souci de ne jamais tromper les clients dans les transactions commerciales. Ils étaient honnêtes
dans les affaires. lis avaient le souci du gain mais n'essayaient jamais de tromper les producteurs
africains en leur offrant de produits avariés (2) et de médiocre qualité.
Une duperie découverte entraîne la perte de la confiance et la chute du courtier. C'est
pourquoi les courtiers Alladian et plus tard les traitants Odzukru ont refusé toutes alliances
commerciales avec les navires français qui, avant la création des comptoirs, mouillaient comme
leurs homologues anglais les plages du littoral Alladian, Bassamois et Asinien. Les produits
français étaient avariés et de mauvaises qualités. Les fusils proposés par les traitants français
étaient rouillés et la poudre à canon avariée et mouillée (3). Cela explique l'échec des traitants
français dans les régions de la lagune Ebrié. Les traitants français ont le sentiment que les
africains sont toujours sauvages et qu'ils se rueraient sur toute marchandise venant' de l'Europe.
Mais ils furent surpris face à l'intelligence et à l'exigence des producteurs africains de biens
d'échanges et par les courtiers.
L'utilisation de produits avariés ou de mauvaises qualités par un courtier Alladian ou
Odzukru dans ses transactions commerciales avec les producteurs entraîne la ruine du courtier
car cela est considéré par les producteurs d'huile de palme et d'autres produits d'échange comme
un acte de duperie et de haute trahison. Le courtier perd toute la confiance placée en lui. Or sans
la confiance aucun courtier ne peut exercer sa profession. La profession du courtage est
subordonnée à la confiance mutuelle qui existe entre courtiers et producteurs. Une duperie ou
trahison est souvent à l'origine des conflits entre les villages de producteurs et les villages de
courtiers. En effet, les Oboru, note AI Sylvestre ne toléraient pas qu'ils fussent trompés par les
courtiers d'Addah. Les Oboru sont les principaux fournisseurs d'Addah en produits de traite.
Lorsqu'une erreur est constatée dans la livraison des produits surtout la poudre à canon, les
Oboru envahissent le village d'Addah ou prennent en otage les courtiers;
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------1 - A.N.S
Section AOF série 5 G28.
2 - Le commerce français fut moins prospère dans le Sud-Est parce que les marchandises
d'origine française étaient avariées et de mauvaises qualités.
3 - A.N.S : Section AOF série 5 G28 pièce G.
162 ,
la profession du courtage requiert l'intelligence l'habilité, la ruse, la confiance et surtout
l'honnêteté.
En pays Odzukru, la profession du courtage est aussi ancienne et remonte loin dans le
temps mais c'est au X1Xè siècle avec la traite de l'huile de palme qu'elle a connu un véritable
développement. Au cours des siècles précédents le XIXè siècle, les activités commerciales
étaient exercées par une faible proportion de la population. Les Odzukru s'adonnaient plutôt à
l'agriculture d'auto subsistance. Les échanges inter-villages et régionaux existaient ; pour les
premiers, ils portaient sur les produits vivriers et les seconds sur les produits de luxe (or,
esclaves, ivoires et pagnes et le sel).
Dans tous les villages, on rencontrait des traitants mais c'est dans les villages-
débarcadères et surtout à Dibrim et à Tukpa qu'on rencontrait la plus forte population de
courtiers du pays Odzukru. A Dibrim les traitants les plus importants sont : ADOU SESS,
ADJESSI, BEDIAKOU, AFO, KETEKRE et THIAMEL. Ces traitants exerçaient sur leurs
compatriotes une véritable influence économique et politique. Ils sont à l'origine de la signature
de deux traités entre les Dibrirnsjn et les Français (1).
Les traitants Odzukru sont moins riches que les courtiers Alladian. Ils sont les véritables
animateurs du commerce dans le Lodzukru. Mais à la différence des Alladian, ils ne se rendaient
jamais dans les centres de production pour acheter ou réserver l'huile. Ils reçoivent dans leurs
villages respectifs l'huile produite par les populations des villages de l'intérieur. Ces traitants
Odzukru qui contrôlent les débarcadères situés sur leurs territoires exercent un véritable
monopole sur les trafics de l'huile de palme. Ils sont les seuls à commercer avec les courtiers
Alladian. Le contact entre les populations de l'intérieur productrices d'huile de palme et les
courtiers Alladian est interdit. Les villages qui passent outre cette mesure pour faire des échanges
directs avec les courtiers Alladian étaient interdits de tous contacts avec les villages
débarcadères. Les producteurs d'huile de palme de ces villages sont interdits de pénétrer sur le
territoire du débarcadère et de vendre leur huile. Cela entraîne dans les villages d'OrgbafT et
d'Aklodze qui sont constamment en conflits avec Dibrim Egn la mévente d'importants stocks
d'huile. Mais cette situation a entraîné aussi le ralentissement
1 - Deux traités furent signés entre les Dibrim Egn et les Français. Le premier traité signé en
Octobre 1850 et le deuxième traité Octobre 1853.
163
des échanges dans le débarcadère de Dabuatchi. Elle est surtout à l'origine de la création après
1854 de nombreux petits débarcadères dans le Lodzukru. L'objectif est de permettre aux
populations de l'intérieur d'échapper à la tutelle des Dibrim Egn et des Tukpa Egn. Parmi les
Débarcadères de Lodzukru, les plus importants ont été Dabuatchi, Mopoyem, Tukpa et Cosr. Les
traitants Odzukru recevaient des crédits de la part des courtiers Alladian. Ce qui leur
permettaient d'acheter l'huile. Le crédit est annuel. Il est soit en nature, soit en espèces.
b) Les Odzukru et le commerce sur les voiliers
Le commerce Odzukru entre les XVIIè et XVIIIè siècles est par rapport à l'agriculture
d'auto-subsistance, une activité économique secondaire. L'économie Odzukru est essentiellement
dominée par l'agriculture d'auto-subsistance et l'industrie de l'huile de palme.
Mais la
prépondérance de l'agriculture n'a pas empêché les échanges commerciaux entre le Lodzukru et
ses voisins. Un important réseau commercial s'est alors développé entre les Odzukru et les pays
Alladian, Avikam pour le Sud et les pays Abê, Abidji, Baulé et Koueni pour le Nord, permettant
ainsi le drainage des produits du Sud vers le Nord et les produits du Nord vers le Sud. Le volume
des échanges étant très faible, cela a donné à ce commerce un caractère luxueux. Tous les
produits alimentant ce commerce régional étaient considérés comme des produits de luxe,
limitant ainsi leur diffusion massive au sein des différentes populations. Ces échanges
commerciaux entre le Lodzukru et ses partenaires n'ont été possibles que grâce à l'existence
d'infrastructures et de moyens de communication.
Mais au XIXè siècle, considéré comme le siècle des mutations dans le Lodzukru, le
commerce dans cette région a connu un prodigieux développement. Ce développement a obéit à
deux raisons : d'abord, la croissance du volume des produits importés et exportés et
l'amélioration des infrastructures de production ainsi que l'augmentation de la production d'huile
de palme et le désir de certains Odzukru de prendre en main la destinée commerciale de leur
.
région. Tous ces éléments ont permis aux Odzukru malgré leur manque de contact avec les
commerçants anglais de participer activement et efficacement au développement du commerce
sur voiliers.
Naissance de débarcadères
L'avènement des débarcadères dans le Lodzukru est très ancien. La naissance des
débarcadères est liée aux échanges entre le Lodzukru et les pays Alladian et Avikam. Leur
développement s'est fait au XVIIè siècle avec la création par les Odzukru de villages en bordure
de la lagune Ebrié. Trois raisons ont obligé les Odzukru installés depuis le XVè siècle à
l'intérieur des terres à fonder des villages sur la côte lagunaire (1). Il s'agit d'assurer la défense et
la sécurité de Lodzukru contre les invasions et incursions de leurs voisins, Tchaman, Alladian et
Aïzi, ensuite d'assurer quotidiennement l'approvisionnement de la population Odzukru en
164
produits halieutiques et enfin de favoriser des échanges commerciaux entre les Odzukru et les.
populations de la Côte Atlantique, qui, dès la deuxième moitié du XVllè siècle, ont établis des
échanges commerciaux avec les navires européens (2).
Les débarcadères appelés en Odzukru "Nanu" au singulier et "Manu" au pluriel sont les
plus importants débouchés naturels des huit tribus (Sebol) composant le Lodzukru. Ce sont aussi
les principaux centre d'échanges commerciaux de Lodzukru avec la côte maritime. Chacune des
tribus de Lodzukru a son débarcadère qui sert de port d'embarquement et de débarquement des
produits halieutiques, agricoles : de l'huile de palme et des produits de traites pour les centre
commerciaux de l'intérieur ou en direction de la Côte Atlantique. Les débarcadères servent aussi
de zone de contact entre les pêcheurs, Aïzi. Alladian et les marchandes de poisson Odzukru.
La plupart des débarcadères sont très distants des villages dont ils dépendent. En effet,
"Kpass Nanu" débarcadère du village de Kpass est situé à deux (2) kilomètres du village de
Kpass, Dabuatchi ou Okobu, qui au cours de la deuxième moitié du XIXè siècle donnera
naissance à la ville de Dabou est situé à six (6) kilomètres du village de Dibrim, capitale de la
tribu des Dibrim Egn et de la confédération de Dibrim ; enfin le débarcadère de Mopoyem est
situé à une longue distance de Bodor, capitale de la tribu des Oboru et de la confédération de
Bodor. Parmi ces débouchés naturels qui sont les débarcadères, certains ont été créés en bordure
de la rivière Ayebi, permettant l'évacuation rapide des produits de la tribu des Aklodzu vers la
côte lagunaire. Il s'agit de Yampi Nanu fondé par un ressortissant d'Aklodze A et Boboï Nanu
appartenant à Kabi Awiyo d'Aklodze B (3). Selon Harris MEMEL Foté, le premier est sise sur le
fleuve dans la forêt de Legb et le second à l'embouche du fleuve (4).
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------1-
Enquête
réalisée le 22 Août 1988 à Dibrim auprès de Mr. Etienne GBOUGBO ESSlS.
2- Marc Augé : le rivage Alladian 1969 page 42.
3- Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans la société lignagère d'Afrique Noire: Ex. de la Côte
d'Ivoire précoloniale 1720-1920. page 251.
4- C. F. Harris MEMEL Foté page 251.
1
1
165
Les débarcadères, avant la deuxième moitié du XIXè siècle n'étaient pas habités par les
Odzukru sauf Mopoyem et Lidz Nanu qui relevaient de l'autorité de deux villages situés à
l'intérieur des terres.
Les débarcadères sont reliés aux villages ou aux campements de production d'huile de
palme
et des autres produits par de nombreux sentiers qui permettaient aux hommes et aux
femmes d'apporter leurs produits. Les échanges dans les débarcadères ne relevaient d'aucune
organisation particulière, et la sécurité était assurée par la population dont il dépendait. C'est la
classe d'âge des Lab Es El qui est chargée du maintien de la sécurité dans les débarcadères.
Les débarcadères, depuis les XVIlè et XVlIIè siècles sont avec la Côte Atlantique, les
principaux points d'échanges de Lodzukru. Ils jouaient à la fois le rôle de marché et de port
d'évacuation. La défense et la sécurité de ces lieux d'échanges étaient assurées par le village ou la
tribu dont ils dépendaient. La plupart des tribus ayant une ouverture sur la lagune Ebrié ou sur la
rivière Aébi ont un débarcadère sauf les tribus enclavées situées à l'intérieur des terres, il s'agit
des Orgbaffu, Olokpu et Eusru. Les populations de ces tribus évacuent leurs produits, pour les
Eusru par "Tukpa Nanu" et les OrgbafTu et Olokpu par Okobu.
Les débarcadères sont de simples espaces naturelles dégagées de brousse, avec une
infrastructure simple, aucun aménagement technique et n'accueillant que des pirogues. Malgré la
simplicité des infrastructures, les débarcadères ont servi de centres d'évacuation des produits
Odzukru ; huile de palme, produits agricoles et esclaves vers les pays Alladian, Avikam et Aïzi.
C'est aussi par les débarcadères que les Odzukru recevaient les produits manufacturés européens
: armes à feu, étoffes, eau de vie (alcool), tabacs, sel etc ... vers la fin du XIXè siècle. Ces
débarcadères tenaient aussi lieu de marchés parce que là s'effectuait une grande partie des
transactions commerciales. La quasi totalité du trafic commercial de Lodzukru entre les XVIIè et
XVlIIè siècles note ESSOH LATTE Benoît s'est faite dans les débarcadères (1). Au XIXè siècle,
ils deviennent les principaux marchés de Lodzukru. Au cours de cette période, la plupart des
débarcadères sont habitués par les commerçants Bambara et Sénégalais attirés dans le Lodzukru
par le "boom" de l'huile de palme (2).
1 - Enquête réalisée à OrgbafT le 22 Août 1988auprès de Mr. Benoît ESSOH LATTE.
2 - A.N.S : Section AOF série 5 G29 page 6
166
Mais certains courtiers ou traitants préféraient se rendre dans les villages pour troquer ou
acheter les produits. En se rendant dans les villages ou dans les campements de production
d'huile de palme, les traitants achetaient des quantités de barriques d'huile à un très bas prix, ce
qui leur procure d'importants bénéfices, mais ils sont confrontés au problème de transport. En
effet, l'évacuation de l'huile de palme ou des produits agricoles de Lodzukru vers la côte
maritime se fait par les débarcadères. Les principaux débarcadères étaient "Dabuatchi, Tukpa
Nanu, Mopoyem et Cosr Nanu".
Au lendemain de la découverte de la lagune Ebrié, suivi de son exploration en 1850 par la
marine française et de l'installation de nombreuses maisons e commerce dans les grands centres
de production de l'Ebrié, la plupart des débarcadères de Lodzukru étaient habités par les sous-
traitants Sénégalais, Bambara, et Kroomen qui sont au service des factoreries françaises et
anglaises.
Vers la fin du XIXè siècle, la population de Dabuatchi a connu une forte augmentation
avec l'établissement dans ce débarcadère de colonies appoloniennes que les Odzukru appellent
"Osoko Egn". Les appoloniens au XIXè siècle ont fondé en dehors de Grand-Bassam deux
grandes colonies, principalement à Dabou et Grand-Lahou. Dans ces deux régions, ils se sont
établis dans les débarcadères le long des plages. Selon ESSOH LATTE Benoît, leurs cases
étaient en bambou, couvertes de feuilles de raphia. Ils avaient comme principale activité
économique le commerce. Les appoloniens ont été attirés dans le Lodzukru par le boom de
l'huile de palme qui a fait de Lodzukru, le premier pôle économique du littoral oriental au XIXè
siècle. Les Appoloniens se sont spécialisés dans le courtage. Ils faisaient la liaison entre la côte
et les centres commerciaux de l'intérieur. A Dabou comme à Grand-Lahou, ils étaient devenus
les principaux concurrents des maisons de commerces européennes (1).
Les débarcadères dans le Lodzukru ont aussi joué le rôle d'entrepôts. L'huile de palme et
les palmistes sont entreposés dans de grandes cases en bambou et couvertes de feuilles de raphia.
Ces entrepôts au cours de la 2è moitié du XIXè siècle pouvaient abriter plus d'une centaine de
barriques (2). Chacune des factoreries installées dans les débarcadères possédait un ou deux
entrepôts (3).
1 - AN.C.I : série lEE32 (1) pièce 6.
2 - AN.C.I : série tEEl (14) 1853 pièce 6
3 - AN.C.I: série lEE 122 (3) 189G pièce (j
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168
Parmi les débarcadères de Lodzukru, quatre avaient joué un rôle de premier plan dans le
développement des échanges commerciaux de Lodzukru avec la côte atlantique. 11 s'agit de
Dabuatchi (Dabou) qui, en 1853 abritera le Fort Ducos, construit sur la rive Nord de la lagune
•
Ebrié par les Français pour empêcher les producteurs Odzukru de commercer avec les courtiers
Alladian. Ce débarcadère en 1896 devient après l'érection de la Côte d'Ivoire le 10 mars 1893
une colonie de plein exercice chef lieu de cercle et le premier centre commercial de Lodzukru, de
Mopoyem, de Tukpa principal centre commercial de la partie occidentale de Lodzukru et enfin
de Cosr, par lequel le Lodzukru est relié aux pays Avikam et Dida. Les débarcadères sont des
pôles de commerce régionaux. En effet, le débarcadère de Dabuatchi recevait les produits des
tribus de la partie orientale de Lodzukru (Aklodzu, Dibrim Egn, Olokpu, et OrgbafTu). Mais les
Orgbaffu et les Aklodzu compte tenu des conflits perpétuels qui les opposaient aux Dibrim Egn
et des commissions très élevées perçues par les traitants de Dibrim apportaient leurs huiles à
Tukpa et à Mopoyem. Les Aklodzu ont fondé deux débarcadères fluviaux sur l'Aebi car la
distance séparant les villages Aklodze et les débarcadères 'de Tukpa et de Mopoyem est
importante. Près de vingt kilomètres séparent Aklodze à Tukpa Nanu. Le débarcadère de
Mopoyem reçoit les productions de la tribu Oboru sauf les villages de Tukpa, et de Kpadâ.
Tukpa est approvisionné par les Eusru et les villages occidentaux de la tribu Oboru (Tukpa -
Kpadâ).
Enfin le débarcadère de Cosr plus à l'ouest reçoit la production de deux tribus. Cosr et
Gbadzn. En 1898, du débarcadère de Cosr ont été exportés plus de 1000 ponchons d'huile et au
cours de cette période plus de 8000 ponchons d'huile ont été transportés des débarcadères de
Lodzukru vers le port de Grand-Bassam, capitale de la Côte d'Ivoire (1). Par le débarcadère de
Cosr, les Odzukru étaient en contacts commerciaux avec les Avikam, les Dida, les Baulé et les
Koueni. C'est par Cosr que le fer qui descendait le long du fleuve Bandama est diffusé dans le
Lodzukru (2). La fondation de Cosr se situerait vers le XVIIlè siècle et le Lodzukru n'a pas
attendu cette période pour connaître les techniques du travail du fer. Les techniques du travail du
fer. Les techniques du travail du fer étaient connues dans le Lodzukru avant cette période mais la
diffusion du métal dans le pays Odzukru est postérieure au XVIIlè siècle et c'est par l'ouest que
le métal entrait dans le Lodzukru (3).
-----------------------.-------------------------------------------------------------------------------------------------1 - A.N.C.1 :
série lEE 122 (3) page 4
2 - Enquête collective réalisée à OrgbalT le 2 Septembre 1988
3 - Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984auprès de M. Sylvestre AFF!.
169
Des produits Koueni et Dida arrivaient à Cors en transitant par Grand-Lahou. Dans la 2è
moitié du XIXè siècle les débarcadères de Lodzukru se sont spécialisés dans l'import-export.
L'entrée dans les débarcadères n'est pas soumis à un droit de péage. Mais les traitants
Odzukru pour protéger leur activité évitaient tout contact entre les producteurs d'huile de palme
et les courtiers Alladian ou des agents de factoreries européennes. les produits sont réceptionnés
dans les villages avant qu'ils ne soient transférés vers les débarcadères. Les producteurs d'huile
de palme d'Orgbaff et de Yassakp affirment n'avoir jamais eu de contact avec les courtiers
Alladian. Ils vendaient leur huile aux traitants de Dibrim qui servaient d'intermédiaires entre les
producteurs des tribus orientales et les courtiers Alladian ou agents des factoreries européennes.
Aucune police n'est chargée d'assurer la sécurité des débarcadères mais en cas de trouble,
la classe d'âge des "Lab Es El" du village fondateur chargée de la sécurité du village et de la
tribu, intervenait pour imposer l'ordre (1).
Les transactions se font dans la gaieté et dans le calme. Souvent, les négociations se
déroulaient des semaines auparavant avant que les produits ne fussent livrés (2). Les populations
des villages ayant sous leur contrôle un débarcadère vendaient aussi leur huile aux traitants de
leur village qui ont des liens d'amitié avec les courtiers Alladian ou agents des factoreries
.
européennes et connaissant les cours des produits. Mais les populations avaient la possibilité de
vendre directement leurs produits aux courtiers Alladian sans passer les intermédiaires. Malgré
l'existence de cette possibilité, le négoce dans le Lodzukru est réservé à une minorité d'individus.
A Dibrim, Tukpa, Cors et Bobor, cette activité est exercée par un petit groupe de personnes qui
s'est spécialisé dans le rôle d'intermédiaire entre les producteurs Odzukru et les maisons de
commerce. Les populations Odzukru ne vendaient pas directement leurs produits aux courtiers
Alladian. Ils ont toujours recours au service des traitants Odzukru. Ces traitants exerçaient sur le
reste de la population Odzukru un monopole commercial. Ce monopole exercé par Dibrim et
Tukpa a entraîné la prospérité économique et accru l'influence politique de ces deux villages sur
les autres. Le succès des échanges dans ces deux villages a donné à Dibrim et à Tukpa l'aspect de
communauté commerçante
La richesse de ses habitants pousse souvent Tukpa à se rebeller
\\- Le vol n'a jamais été constaté dans les débarcadères.
2- A.N.C.I. : IEE122 (3).
170
contre l'autorité de Bobor, capitale de la tribu des Oboru et de la confédération de Bobor dont est
membre Tukpa (l). Mais Dibrim et, Tukpa n'ont as été les seuls à bénéficier de la richesse
découlant de la vente de l'huile de palme. Tous les villages Odzukru ont connu la prospérité et la
richesse surtout avec l'augmentation de la production de l'huile de palme. Cette augmentation est
constaté dans tous les villages.
Accroissement de la production de l'huile de palme
L'économie ODZUKRU est dominée par l'agriculture d'auto consommation. Il s'agit de la
culture des vivriers et de la production de palmiers à huile. L'agriculture ODZUKRU a pour
mission de satisfaire les besoins de la population en alimentation (nourriture). C'est lorsqu'il y a
un surplus qu'il est utilisé pour les échanges. Jusqu'au XIXè siècle la notion d'accumulation
n'était pas intégrée à la philosophie économique de Lodzukru. La vie économique est guidée par
la satisfaction des besoins de la communauté. Les échanges ont eu, avant la fin du XVlIIè siècle,
pour but d'aider la population à acquérir les biens dont elle a besoin. Les échanges commerciaux
constituaient une compensation.
Mais parmi les produits de Lodzukru, l'huile de palme a très tôt eu une vocation
commerciale. En effet, ce produit est de tout temps le principal article d'échange de Lodzukru
avec la côte atlantique. Produite pour la consommation locale, l'huile de palme participe aux
transactions commerciales entre le Lodzukru et les nations commerçantes de la côte maritime.
L'huile de palme permet aux Odzukru d'acquérir auprès des Alladian et des Avikam, le sel,
produit de luxe de la région forestière et des marchandises européennes. Le sel marin obtenu
grâce au commerce avec la côte servait de produit d'échange aux Odzukru dans leurs transactions
avec les populations Koueni, Abê, Abidji, et plus tard avec les population Baulé. Jusqu'à la fin
du XVIIlè siècle, le sel marin a été le principal produit d'échange entre la côte maritime et
l'intérieur du pays. Dans les régions forestières et de savane, le sel est un produit de luxe. Il est
aussi utilisé comme monnaie dans les transactions commerciales. Pour le Lodzukru, c'est le
•
premier produit d'échange avec les régions de l'intérieur, fournisseurs de produits. artisanaux :
(cotonnades, toiles d'écorce, bijoux en or, outils agricoles en fer etc ...).
Mais, à partir de la 3è décennie du XIXè siècle, l'huile de palme devient avec le concours
des négociants anglais le produit commercial de la région comprise entre le Tchaman et
l'Avikam, c'est-à-dire de tout le bassin occidental de l'Ebrié. Avec le développement de la traite,
il devient le Premier produit d'exportation de la nouvelle colonie (l).
L'huile de palme a été de tout le temps, le principal produit d'exportation de Lodzukru. Ce
produit a toujours occupé la première place dans les échanges de cette région. Mais le seul
changement qu'on a noté c'est que les Odzukru, ayant vite compris la nécessité de mettre l'accent
sur la production de l'huile de palme ont fait des efforts pour accroître et améliorer la production.
17\\
Ce nouveau comportement de la population Odzukru se traduit par une exploitation régulière des
palmeraies. Des campements de production ont été alors crées à l'intérieur des palmeraies très
éloignées du village. Certaines palmeraies étaient situées à des dizaines de kilomètres des
villages. Les aller et retour épuisaient les grimpeurs. Cela a eu une influence énorme sur la
production. C'est pourquoi les familles ont permis la création des campements qui servaient aussi
de résidence aux grimpeurs. Dans la nouvelle politique de production de l'huile de palme, ce qui
était considéré comme une fausse note a été le manque d'entretien des palmeraies. L'existence
des lianes a constitué un obstacle a une amélioration quantitative de la production. Le manque
d'entretien rendait aussi le travail de la cueillette très difficile et pénible. Pour aller d'une palmier
à un autre, le grimpeur est obligé de se créer un passage. Souvent des régimes de palmes se
perdaient dans les broussailles note KAMBRE MEMEL de Dibrim (2). Sur six (6) à sept (7)
régimes de palme coupés, un à deux (2) se perdaient. Cela constitue des pertes énormes pour les
grimpeurs (3).
Mais, ces pertes n'ont pas empêché la production d'huile de palme de connaître une
croissance. Avant la traite de l'huile de palme, le volume moyen de production d'huile de palme
par famille variait entre quatre vingt seize (96) litres et cent trente .(130) litres. Au début de la
traite, il est porté à près de deux cents (200) litres et plus tard à près de six cents (600) litres par
famille. A Orgbaff, chef lieu de la tribu des Orgbaffu, certaines familles, note ESSOH LATTE
Benoît, produisaient à la fin de chaque saison trois (3) à quatre (4) "DU" d'huile de palme (4). Le
"DU" est l'unité· de compte de Lodzukru. 1 DU équivaut à 400 : 1 Du = 400. Cela montre
l'importance de la
1- A.N.S. : section AOF, série 5 G25 pièce R
2- Enquête réalisée à Dibrim auprès de M. KAMBRE MEMEL le 22 Août 1988.
3- Le ramassage des régimes est assuré par les femmes. La présence des bestioles telles que les
abeilles les empêchent de chercher.
172
production et signifie que des familles atteignaient mille deux cent (1200) litres à mille six cents
(1600) litres par an. Les chiffres avancés sont peut-être exagérés compte tenu du caractère
archaïque des moyens de production. Mais nous notons simplement que les paysans faisaient un
effort pour accroître la production d'huile qui est la principale source de revenu de Lodzukru.
Lorsqu'une famille parvenait a atteindre au cours d'une saison un à deux "Du", cela est salué par
des tonnerres d'applaudissements et de cris. C'est tout un exploit. Lorsque l'une d'entre elle
parvenait à atteindre une (1) tonne, la nouvelle se répandait dans tout le village et des soirées
artistiques étaient organisées en l'honneur des héros. On voyait déjà la fortune qu'amasserait cette
famille après la vente de l'huile de palme.
Pendant les saisons mortes ; grande saison sèche et grande saison pluvieuse, les
grimpeurs exploitaient les palmeraies pour leur compte afin de se procurer des objets de traite;
Ainsi, le volume de production connaît un accroissement important. Cette croissance étant liée
aux besoins' des familles et la communauté en armes à feu. Les familles ont besoin de vendre
l'huile de palme dans le but de se constituer des trésors familiaux et des fortunes personnelles. La
terre étant souvent cause de conflits, les villages Odzukru de ce fait avaient besoin d'armes à feu
pour assurer la sécurité et la défense de leurs territoires. Le désir de posséder les fusils et la
poudre à canon amène les communautés Odzukru à accroître leur production.
Les armes à feu sont importées par les navires anglais, américains et plus tard français.
Nous disons que' la croissance de la production de l'huile de palme de 1830 à 1854 est liée aux
besoins des communautés villageoises d'accroître leurs moyens de défense de sécurité et au désir
des lignages d'augmenter par les échanges leurs fortunes et leur prestige. pour la période
concernant le commerce sur les voiliers, il serait très difficile de fournir des statistiques exactes
ou de faire des estimations. Nous osons après analyse souligner qu'au cours de la période 1830 à
1854, la production d'huile de palme de Lodzukru a connu une croissance. Cela s'explique par la
présence au cours de la saison commerciale, de nombreux navires anglais et français au large des
côtes maritimes Alladian. On a dénombré plus d'une douzaine de navires européens qui
mouillaient chaque année entre Novembre et Avril la côte maritime Alladian (1).
La société Odzukru est composée de plusieurs matricIans. En effet, dans les grandes
agglomérations comme Orgbaff, Lokp, Yassakp, Usr, et Dibrim, on dénombre six (6) à dix (10)
matriclans. Chacun des matricIans est composé de plusieurs matrilignages ou en Odzukru
"Ugun", huit (8) à douze (12)
----------------------------------------------------------------------------_.._--------------------,,-----------------------
1- A. N. S. : Section A.O.f. série 5g26 p. 8
173
matrilignages composent lin matriclan. La plupart des matrilignages disposent de deux à trois
palmeraies dont ils organisent l'exploitation.
L'étude de la production lignagère ne permet pas de déterminer de façon exacte la
production annuel1e de chaque matrilignage parce qu'il faut ici tenir compte de la part de la
production consacrée à la consommation locale, les pertes des régimes de palme lors des récoltes
et de l'huile de palme pendant le transport des calebasses et des barriques vers les débarcadères.
Pendant le transport des barriques dans des pirogues vers les navires, des pertes énormes étaient
enregistrées. C'est ce que note le commandant du comptoir de Grand-Bassam en 1850. "Car
l'huile de palme se passant par les barres de la côte et dans les calebasses, ils en perdent
beaucoup et ont aussi beaucoup de peine à l'envoyer» (1).
En plus des pertes et de la quantité destinée à la consommation locale s'ajoute l'huile de
.
.
mauvaise qualité qui n'est pas co~mercialisée mais utilisée pour allumer les torches ou utilisée
dans la fabrication du savon locale.
Pour la période 1850, voici ce que note le commandant de poste de Grand-Bassam dans
une de ses correspondances au commandant de Gorée en 1852.
«C'est dans la rivière d'Ebrié que ce beau végétal est le plus exploité. L'huile est faite
non seulement par les villages qui sont sur les bords de l'eau mais y arrive encore de fort loin
dans l'intérieur. J'évalue environ 1.200.000 kg la quantité d'huile produite dans l'Ebrié (2»>.
Ce texte indique que la production d'huile de palme est très importante dans la partie
occidentale de l'Ebrié et précisément dans le pays Odzukru. La production dans cette région est
en pleine croissance depuis le début de la traite. L'huile de palme était utilisée dans plusieurs
activités: d'abord dans l'alimentation, ensuite comme produit cosmétique parce qu'elle entre dans
la fabrication des savons et des pommades pour les femmes (satchè). Les Alladian chaque année
en importaient des quantités énormes. L'huile de palme, en dehors, de l'alimentation et de son
utilisation dans la fabrication des produits cosmétiques n'a plus d'autres débouchés mais au XfXè
siècle, el1e
1- A. N. S. : Section AOF série 5 G23 pièce 8 portant sur l'exploitation du lac de l'Ebrié en 1850.
2- A. N. S. : Section AOF série 5 G23 année 1852 pièce 10
174
devient le premier produit d'échange entre le golfe de Guinée et l'Europe. Devenue un produit
d'échange international, la production d'huile de palme connut une véritable croissance. Les
productions ont été doublées au niveau des lignages. L'existence d'un troisième débouché qui est
l'Europe incite les Odzukru à produire plus.
En estimant en 1852 à 1200 T, la quantité d'huile de palme exportée des côtes Alladian
vers l'Europe, nous disons que cela est peu et ne reflète pas véritablement la quantité d'huile de
palme exportée des plages Alladian vers l'Europe. Pour connaître la quantité d'huile exportée
chaque année des côtes Alladian vers l'Europe, il faut multiplier par 2 la quantité estimée par le
commandant de Grand-Bassam. Cela nous donne 2400 Tonne, la quantité d'huile de palme
exportée vers l'Europe. Mais la production réelle de la côte occidentale de l'Ebrié pourrait être
estimée à trois mille (3000) tonnes si nous considérons la part destinée à la consommation
domestique. Les Alladian commercent avec les Odzukru et les Tchaman. Mais ils effectuent les
213 de leurs transactions avec les Odzukru, cela suppose que les exportations d'huile de palme de
Lodzukru sont au cours de la période 1830 - 1854, de 1600 T. Les exportations d'huile de palme
dans l'Ebrié étaient croissantes. En effet, en 1885, 5000 T d'huile ont été exportées des côtes
Alladian vers l'Europe. La preuve de la croissance des exportations est la présence de plus de
vingt (20) navires anglais au large des côtes Alladian. Les navires anglais ne troquaient rien
d'autres que l'huile de palme.
«Les navires qui viennent habituellement traiter dans ses parages reviendront en
Décembre et en Janvier pour l'ouverture de la campagne. Ils sont au nombre de vingt (20) et Jeur
tonnage est de 500 tonneaux. Ils appartiennent à de fortes maisons de Bristol et de Liverpool.
Avant de rentrer en Angleterre avec son complet chargement, chaque navire est tenu de faire une
expédition de 200 tonneaux d'huile par voie de paquebots de Liverpool qui s'arrêtent au Lahou et
au Jack-Jack, à chacun de leurs voyages aller et retour».
En 1885, le commandant particulier des établissements Français de la côte de l'or a
estimé dans un de ses rapports au secrétaire d'Etat de la marine et des colonies à 5000 T, la
quantité d'huile exportée des côtes Alladian vers les ports européens. Nous notons aussi qu'au
cours de l'année 1852, la maison Régis installée à Grand-Bassam avait exporté vers J'Angleterre
plus de 1500 bordelaises d'huile de palme. Ce qui faisait 337,5 T. Plus de la moitié de cette
cargaison provenait du bassin occidental de l'Ebrié.
1- Marc Augé. Le rivage Alladian p.46
] 75
En ] 850, les Français après l'exploration du bassin occidental de l'Ebrié ont signé des
traités d'amitié et de commerce avec un grand nombre e village Odzukru (l), et en particulier
avec Dibrim. Depuis la signature de ce traité qui accorde à la France la pleine souveraineté sur
Lodzukru se sont établis des échanges commerciaux entre les populations orientales de Lodzukru
et les traitants Français. Mais l'essentiel du commerce Odzukru se faisait avec les Anglais par
l'intermédiaire des courtiers Alladian qui depuis de longs siècles dominent les activités
commerciales du bassin occidental de l'Ebrié. Jusqu'en 1854, l'influence commerciale française
dans le bassin occidental de l'Ebrié était presqu'inexistante. Le monopole du commerce est
exercé par les Alladian auxquels les populations Odzukru sont restées fidèles. Les marchandises
françaises sont de mauvaise qualité. Elles sont très souvent avariées alors que les produits anglais
étaient toujours de bonne qualité. Les commerçants français pensaient s'enrichir en côte de l'or
sans investir. Les populations de la partie occidentale de .Lodzukru, conduites par les Oboru ont
refusé toutes transactions commerciales avec les agents des factoreries françaises qui se sont
installées à Dabou après la construction du fort en ] 853 (2).
Malgré le refus des Oboru de commercer avec les commerçant français à cause de la
mauvaise qualité de leurs articles, les agents de la maison Régis ont néanmoins réussi à charger
en 1852 de dix (10) navires (3). Cela explique que la production d'huile de palme était très
importante dans le Lodzukru.
«L'année 1852 a été productrice. Trois navires sont entrés en rivière, deux sortis, le
dernier, aujourd'hui, le "Bon Père" jaugeant ] 50 tonneaux. dix (10) navires se sont présentés sur
rade, chargés pour la Factorerie Régis. Elle a envoyé en France environ 1200 onces d'or 1500
bordelaises d'huile de palme. Au cours de cette même année, deux navires avaient chargé pour la
Factorerie Renard une soixantaine de tonneaux d'huile de palme soit 13,5 T».
La production d'huile de palme de Lodzukru est croissance. Cela a permis aux Odzukru
d'avoir des relations commerciales non seulement avec les populations de la côte maritime mais
aussi avec celles de l'hinterland. Plusieurs raisons expliquent cette crçissance.
1- A. N. S. : Section AOF série 5 G32 pièce 12.
2- A. N. S. : Section AOF série 5 G30 pièce 12 année 1853.
176
La première raison est que le peuplement de palmier à huile était dense dans cette région
surtout le long de la vallée du ruisseau Adjakmel qui prend sa source à Usr traverse les villages
de Lokp, Yassakp, Orgbaff et Dibrim avant de se jeter dans la rivière Aebi. C'est le long de cette
vallée qu'ont été crées les plus importants campements de production d'huile de palme. En
dehors de cette région de forts peuplements, les peuplements de palmiers à huile se rencontraient
aussi dans les forêts galeries bordant la rive Nord de la lagune Ebrié. Les peuplements sont aussi
importants dans les premiers villages abandonnés et dans les jachères. La deuxième raison est
que l'huile de palme est le seul produit d'échange de Lodzukru avec l'Europe par l'intermédiaire
des Alladian.
Les Odzukru ont un grand besoin de produits européens surtout le sel, les armes à feu, les
étoffes (tissus), l'eau de vie et le tabac. Ces produits européens et le sel leur permettait de faire
des échanges avec les populations Abidji, Abê, Koueni et Baulé auprès desquelles, ils
acquerèrent l'or, les cotonnades, les boeufs et surtout les esclaves. Les Odzukru ont énormément
besoin de main-d'oeuvre pour mieux exploiter leurs palmeraies (Sar). Une partie des produits
entraient dans la constitution des trésors familiaux et des biens de prestige. L'achat d'un fusil note
ESSOH LATTE Benoît donnait cours à l'organisation d'une cérémonie (2). Les produits obtenus
dans les échanges avec l'hinterland entrent pour une part très infinie dans le développement du
commerce régional. Les produits de l'intérieur sont pour la plupart considérés connue des
produits de prestige donc non vendus. Enfin, la production d'huile de palme est liée à l'existence
d'importants débouchés en Europe. D'abord l'Angleterre, initiatrice de cette traite et dont les
navires visitaient périodiquement les côtes africaines, ensuite ce marché connaît une extension
avec l'intérêt que les industriels français portaient à l'huile de palme à partir de la 2è moitié du
X1Xè siècle. Toutes ces raisons incitent les Odzukru à produire plus dans le souci d'acquérir
grâce aux échanges les produits qu'ils ne fabriquent pas. La production de l'huile de palme est en
constante progression mais cela pose le problème de transport du produit vers les débarcadères.
1- A. N. S. : Section AOF. Série 5 G23
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1987 auprès de M. Benoît ESSOH LATTE.
Les moyens de transport
Ce n'est pas du superflu que de parier de moyen de transport en zone forestière ou le
problème de déplacement est très difficile
à cause de l'existence de nombreux obstacles tels les branchages et. les racines qui obstruait les
sentiers, les marigots et marécages et empêchent toutes possibilités de communication entre les
régions. Les récipients qui servaient au transport de l'huile de palme au XIXè siècle ont connu de
légers progrès avec l'introduction des barriques, des estagnons, des ponchons et des gallons. Les
moyens de transport ont aussi connu un progrès avec l'utilisation, au cours de la 2è moitié du
XIXè siècle, des vapeurs et des chalands pour la collecte des produits. Mais pour les Odzukru,
deux moyens de transport ont servi à l'évacuation de l'huile de palme vers les centres d'échange.
Le portage
C'est le moyen de transport idéal des zones forestières dépourvues de bête de somme. Le
transport des produits surtout de l'huile de palme vers les débarcadères se faisaient dans de
grandes calebasses sont le contenu variait entre quatorze (14), vingt (20) à trente (30) litres. Ces
calebasses sont disposées dans des paniers en rotin qui peuvent en contenir deux à trois. Ce sont
des charges trèslourdes et Schnapper parIe de quarante (40) à cinquante (50) kilogrammes de
charges sur la tête des négresses qui ne fléchissaient pas d'un pouce (1).
Le transport des produits tels les poissons, les produits agricoles et l'huile de palme est
assuré par les femmes,' les jeunes filles et les esclaves femelles du matrilignage et aussi par les
jeunes garçons de dix (10) à dix huit (18) ans qui n'ont pas encore leur majorité pour intégrer la
classe des adultes. L'huile est portée sur la tête ct dans le pays üDZUKRU, c'est une injure de
voir un homme porter sur la tête une quelconque charge. Le départ vers les centres d'échange se
faisant très tôt le matin, après le dernier chant des coqs c'est à dire vers quatre heures du matin.
Les porteurs formaient une file indienne à la tête de laquelle se trouvait un homme portant une
torche allumée. A la queue de la file se trouvait également un autre homme portant lui aussi une
torche allumée. Les deux hommes étaient chacun armé d'un fusil et d'un sabre à la ceinture. Ils
sont chargés d'assurer la sécurité et la défense des porteurs contre les bandits et les animaux
sauvages. Lorsque la distance à parcourir est importante les hommes sont au nombre de quatre
(4) à cinq (5). Le poids des charges à porter est lié à l'âge de l'individu c'est ainsi que les femmes
adultes portaient des charges de cinquante (50) à soixante (60) kilos. Elles portaient dans un
panier en rotin deux à trois calebasses de
1- Schnapper: La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée de 1838 à 1871 page
216.
178
vingt cinq (25) à trente (30) litres. Quant aux jeunes garçons, ils portaient des charges moyennes
de vingt-cinq (25) à trente (30) kilogrammes.
Les distances à parcourir étaient importantes et portaient sur plusieurs kilomètres. Les
Orgbaffu parcouraient trois (3) kilomètres pour se rendre à Dibrim et les Olokpu six kilomètres
pour atteindre le même village. Quant à Dibrim Egn, ils parcouraient six kilomètres pour
atteindre le débarcadère de Dabuatchi. Les populations des tribus Orgbaffu, Aklodze et des
Olokpu du côté oriental n'ont pas de contact avec les courtiers Alladian. Ce privilège n'est
accordé qu'aux traitants de Dibrim. Il est aussi interdit aux ressortissants des tribus de l'intérieur
de fréquenter les débarcadères. Les Dibrim Egn et les Tukpa Egn exerçaient un monopole sur les
autres tribus. Les ressortissants des tribus de l'intérieur refusaient de fréquenter les débarcadères
de peur d'être vendus aux courtiers Alladian comme esclaves par les traitants de Dibrim ou de
Tukpa (1).
Des sentiers relient entre eux les villages/ les débarcadères et les campements. Mais ces
sentiers sont très étroits. Ils ne faisaient pas l'objet d'une entretien sauf au moment de la création
de nouvelle exploitations (champs). La largeur des sentiers note AI Sylvestre atteint à peine
soixante (60) centimètres. Le déplacement se faisait à travers les sous-bois. Les enfants non
habitués à ces longues distances rentraient le soir au village avec des ampoules aux pieds.
Malgré les conditions difficiles de transport, les débarcadères de Lodzukru étaient
régulièrement fréquentés par les courtiers Alladian. En effet, à la fin de chaque semaine se tenait
dans les débarcadères une sorte de marché. Les courtiers Alladian s'y rendaient avec leurs
esclaves pour acheter l'huile de palme. Les femmes échangeaient ce jour là entre elles des
produits agricoles contre le poisson. Les populations des tribus de l'intérieur ne se rendaient
jamais dans les débarcadères. Elles vendaient leurs productions aux traitants des villages ayant
sous leur contrôle les débarcadères. Les traitants de ces villages sont les seuls à commercer avec
les courtiers Alladian.
Les traitants Odzukru des villages de Dibrim, Mopoyem, Tukpa et Cosr entretenaient des
relations très amicales et cordiales avec les courtiers Alladian qui visitaient une fois par semaine
les débarcadères de Lodzukru. Ces traitants reçoivent de la part des courtiers Alladian des
produits qu'ils sont chargés
1- Enquête réalisée à OrgbaIT le 25 Juillet 1985 auprès de M. Sylvestre AFFl.
de placer auprès des producteurs de l'intérieur. Cette pratique qui a pour but de rechercher la
sympathie et l'amitié des producteurs a plus été utilisée pendant la période du commerce dans les
blockhaus. Le système de crédit et de prime institué par les courtiers Alladian dans le but
d'inciter les Odzukru à produire plus, engendre une dépendance des producteurs Odzukru à
l'égard des courtiers Alladian. Cela a eu pour conséquence le contrôle par les courtiers Alladiau
du trafic commercial entre le haut Ebrié et la côte maritime.
L'huile de palme, des centres de productions vers les centres d'échange est transportée
dans les calebasses ou "LeI" en Odzukru. Dans les débarcadères, elle est renversée dans des
barriques, dans des ponchons ou dans des estagnons. Les barriques qui sont en bois ont une
capacité de deux cents vingt-cinq (225) litres. Les estagnons sont en aluminium. Le transport des
produits (marchandises) à travers la lagune Ebrié se fait par pirogue.
La pirogue
La pirogue est une embarcation en bois. Elle est taillée dans un tronc d'arbre. On
distingue trois types de pirogue : Les pirogues de pêche, les pirogues de commerce, et enfin les
pirogues de guerre. La pirogue est le moyen de transport par excellence utilisée par les Odzukru
pour évacuer leurs produits vers le pays Alladian. C'est aussi le moyen de transport privilégié des
populations insulaires. Les pays Odzukru et Alladian sont séparés par la lagune Ebrié, qui
impose à ces deux peuples la pirogue comme le seul mode de transport.Lla pirogue permet aux
populations lagunaires et maritimes d'évacuer leurs productions vers les centres de distribution.
En effet, depuis les XVIIè et XVIIlè siècles la pirogue est utilisée par les Alladian pour
transporter vers les pays Odzukru et Ahizi, le sel et les produits halieutiques. Ils ramenaient
grâce aux pirogues vers les côtes Alladian des pays Odzukru, ivoire, huile de palme, produits
agricoles et esclaves. C'est à la pirogue qu'on doit le développement des échanges commerciaux
entre le pays Alladian et la rive Nord de la lagune Ebrié. Elle a aussi permis aux Alladian de
vaincre leur isolement et de devenir les meilleurs courtiers de toute la côte de l'or.
Nous avons annoncé plus haut qu'il y a trois types de pirogues. La pirogue de pêche de
dimension réduite, pouvant supporter trois à quatre pagayeurs, ensuite la pirogue de guerre de
dimension très grande pouvant supporter une centaine de personnes. Cette pirogue appelée en
Odzukru "Fatchwè" (1) est
1- MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Ex: de la Côte
d'Ivoire précoloniale p. 244.
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UNE PIROGUE DE TRAITANT
Source: C.Dreyfus 1898 : 257
Fig. 6
180
sculptée dans des troncs d'arbres gigantesques surtout le baobab ou le fromager. Les pirogues de
guerre mesurant vingt-six (26) à trente (30) mètres peuvent contenir environ trois cent (300)
personnes. Chacun des villages du littoral maritime ou lagunaire possède au moins un spécimen
de cette pirogue. Certains hommes riches, en dehors de ce qui appartenait à toute la communauté
villageoise, possédaient leur propre Fatchwè. C'est le cas du roi AT AKEBLE, connu sous le nom
de Peter, grand courtier du village de Grand-Bassam. Mais de façon générale, la pirogue de
guerre est un patrimoine appartenant à la communauté villageoise.
Entre les pirogues de pêche et les pirogues de guerre nous avons les pirogues de
dimensions moyennes destinées au commerce. Les pirogues de commerce peuvent contenir au
moins une dizaine de pagayeurs et mesurent près de vingt (20) mètres de long et l,50 mètre de
large et soixante dix (70) centimètres de profondeur. Les pirogues de commerce très rapides,
permettant de relier les régions de production et les zones d'échanges sont sculptées dans les
essences spéciales. Quatre (4) essences interviennent dans la confection' de ces pirogues. Il s'agit
du sipo, l'acajou, le Framiré et le Niangon. Les pirogues ont le même modèle et ce modèle est
d'origine Kru. Les Odzukru et les Aliadian nomment ces pirogues, pirogues de Grêgbrê,
appellation qui s'applique à toutes les populations se trouvant à l'Ouest du Bandama jusqu'au
fleuve cavally.
Le modèle est d'origine Kru mais la confection des pirogues est faite par les populations
elles-mêmes. En pays Alladian, dans chacune des matrilignages, on rencontre au moins un
•
sculpteur de pirogue, tandis que dans le Lodzukru, seul le village d'Aklodze A en confectionne.
Par rapport aux Alladian, l'utilisation des pirogues par les Odzukru, est faible. Les Alladian ont
une longue tradition de l'utilisation de ces moyens de transport car se trouvant sur une langue de
terre et entourés de part et d'autre par l'océan atlantique au Sud et par la langue Ebrié au Nord.
Installés sur ce territoire les Alladian ont développé la pêche maritime et lagunaire ainsi que les
échanges commerciaux. Ainsi le cadre géographique et les activités économiques ont imposé aux
Alladian d'utiliser les pirogues comme moyen de transport alors que les Odzukru installés sur la
rive Nord de la lagune ont plutôt privilégié le portage. Ce n'est qu'au XVIllè siècle, avec la
fondation des nouveaux villages au bord de la lagune Ebrié que l'utilisation des pirogues s'est
répandue dans le Lodzukru.
Les pirogues de commerce ont servi au transport des barriques d'huile vers les
débarcadères. Elles ont surtout servi à la collecte des barriques d'huile de débarcadères en
débarcadères et leur transport vers les entrepôts situés sur la côte maritime. Les entrepôts sont
construits en bambou de raphia (Kpûkpo en Odzukru) ou banco. Ils sont recouverts de feuilles de
raphia. Ces entrepôts servaient de magasin pour les produits locaux et les marchandises de traite.
A Bodo Ladja (Grand-Jacques) les entrepôts de Digré et de Nimba ont fait l'admiration de
Fleuriot de Langle (l).
PS i
La quantité de barriques à transporter par une pirogue de commerce dépendait de la
distance à parcourir. Pour les courtes distances, le nombre de barriques transportées est élevé, au
plus trois (3). Ce fut le cas entre les pays Alladian et Odzukru. Entre ces deux régions il y a aussi
possibilité pour les pirogues de faire plusieurs tours et le travail des rameurs est facilité par la
faible distance. Par contre, pour les longues distances, la quantité de barriques transportée est
réduite au moins à une (1) barrique. Ce fut le cas entre les courtiers Alladian et les producteurs
Tchaman.
Avec les pirogues, les courtiers Alladian mettaient deux (2) jours pour atteindre Grand-
Bassam où ils allaient s'approvisionner en or et en cotonnades (2). Les courtiers Alladian grâce
aux pirogues visitaient une fois par semaine les débarcadères ODZUKRU pour échanger l'huile
.
de palme, les palmistes et les produits tropicaux contre le sel et les produits de traite. Elles ne
sont pas seulement utilisées pour faire la liaison entre la rive Nord et la rive Sud, mais aussi pour
le transport des produits tropicaux vers les navires anglais. Avant l'introduction des. barriques,
c'est dans les calebasses que les courtiers acheminaient l'huile de palme vers les navires. Ils
subissaient d'énormes pertes à cause de la barre. Les calebasses résistent difficilement à la barre
et à peine la moitié de la cargaison arrivait à destination. Souvent les pirogues se renversaient,
c'est pourquoi pour la traversée de la barre, on a recours aux pagayeurs qui ont une longue
expérience. L'utilisation des barriques a permis alors de résister à la barre et de réduire les pertes.
C'est
ce
qu'écrit
le
commandant
du
comptoir
de
Grand-Bassam
dans
l'une
de
ses
correspondances au commandant de la station navale à Gorée.
«Car l'huile de palme se passant par les barres de la côte et dans les calebasses, ils en
perdent beaucoup et ont aussi beaucoup de peine à l'envoyer (3) ...»
1- Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Exemple: de
la Côte d'Ivoire précoloniale 1720-1920 page 241.
2- A. N. C. 1. : Série 1 BB6 pièce 7
3- A. N. S. : Section AOf série 5 G 25 pièce 10 année 1952
L'huile qui arrivait à franchir la barre est alors échangée contre les produits européens.
L'huile (étalon) de mesure utilisée sur la côte des Quaquah est le "Krou". Le "Krou" équivaut à
vingt huit (28) ou à trente (30) litres d'huile (1).
Trajet de l'huile de palme et des palmistes
Villages de production----------------------------> débarcadères----------------------------------------->
(embarquement)
•
------------------------- ------------>centres de commerce---------------------------->navires angl ais
Alladian (entrepôts)
ou autres européens
L'huile de palme provenant de Lodzukru est exploitée vers les centres commerciaux
Alladian (Addah, pour les Odzukru de l'Ouest et Bodo Ladja et Amoquah pour les Odzukru de
l'Est). Au cours de cette traite, l'économie monétaire qui avait disparu de Lodzukru avec la traite
négrière venait de faire son apparition avec l'introduction dans la région des Quaquah, d'une
monnaie par les Anglais, appelée "Manille". On assiste alors à un timide développement' de
l'économie monétaire parce que les populations ont d'énormes difficultés à rompre avec le
système de troc auquel elles se sont habituées.
Timide développement d'une économie monétaire
Le commerce dans le Lodzukru et même dans les régions voisines, depuis l'avènement de
la traite négrière s'est reposé essentiellement sur le système de troc sauf dans la région du Sud-
Est où les populations, grandes productrices d'or, utilisaient la poudre d'or comme monnaie. Les
échanges sont fonction des besoins des lignages ou de la communauté villageoise. Mais au cours
de la traite de l'huile de palme au XIXè siècle la monnaie réapparaît dans la région des Quaquah
et devient un élément régulateur des échanges entre les régions côtières et l'intérieur du pays et
entre la côte et l'Europe. Mais l'introduction de la monnaie métallique n'élimine pas pour autant
le troc et on assiste alors à la coexistence dans le Lodzukru de deux systèmes de change.
Le système de troc
Le commerce dans le haut Ebrié n'a pas toujours été dominé par le système de troc. Dès
la deuxième moitié du XVIIè siècle, de nombreux objets ont été utilisés par les différentes
1- A. N. S. : Section AOF Série 5 G 25 pièce 10 année 1952.
2- Schnapper: La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée de 1838 à 1871 page
116.
]83
populations comme monnaie lors des échanges avec les populations de l'intérieur. 11 s'agit des
perles d'aigri, des coquillages, du sel et de la poudre d'or. Mais ces objets, rares et d'origines
extérieures pour la plupart n'ont pas permis le développement d'une véritable économie
monétaire.
Le fait que ces monnaies utilisées seulement pour les grandes transactions commerciales,
leur faible circulation au sein des différentes populations utilisatrices et la force thésaurisation
parce que considérées comme objet de prestige, empêchent une véritable vie monétaire. Cela a
permis surtout le développement du troc qui est de tout temps, le système d'échange utilisée par
les populations pour acquérir les produits de leur choix. Nous osons dire que, parler uniquement
de troc dans les transactions commerciales du haut Ebrié, c'est avoir une vue simpliste de la
forme des échanges dans cette région. En effet, depuis de longs siècles, les populations de ces
régions ont institué des étalons de valeurs qu'elles utilisaient dans leurs échanges avec l'Europe.
De' nombreux étalons de mesure existaient et pour la région qui nous intéresse, il s'agit du
"Krou". Le système de troc a connu un développement pendant la traite des Noirs. Au cours de
cette période, il devient le seul mode d'échange entre les populations et le seul système de change
utilisé lors des transactions commerciales. Ainsi, le troc est la forme économique primitive qui
consiste en un échange direct ou indirect de marchandises de diverses nations. Il est connu par
toutes les sociétés et utilisé dans les échanges entre l'Afrique et l'Europe. Ce système repose sur
une longue période de marchandage et surtout sur la qualité des produits à changer et sur la
confiance mutuelle des échangeurs.
Grâce à ce système, les courtiers Alladian échangeaient l'huile de palme, les palmistes et
l'ivoire contre les marchandises européennes. Les courtiers Alladian, au cours des échanges avec
les populations de l'intérieur, disposaient les marchandises en fonction de leurs valeurs et
qualités, cela correspondant aux goûts et aux besoins des locaux. Les capitaines au long cours,
sur les navires qui servaient de marché utilisaient la même technique dans le but d'impressionner
les courtiers Alladian. Les produits sont disposés par rangées. Ainsi à la première rangée, on a
les moins bons et à la fin, les produits de grandes valeurs tels que les fusils (1). Grâce à cette
pratique, les courtiers et les négociants européens s'efforçaient d'obtenir avec leurs marchandises,
les produits tropicaux à moindre frais, ce
1- Schnapper: La politique et le commerce francais dans le golfe de Guinée de 1838 à 1871 page
112.
184
ce qui leur permet de réaliser d'importants bénéfices.
Le troc est le système d'échange le plus ancien et utilisé par les Odzukru. Les Odzukru
ont utilisé plusieurs monnaies entre les XVlè et XVllIè siècles. D'abord, ce sont les coquillages
appelés en Odzukru "Aray", venus de la côte maritime; ensuite les perles d'aigri (sat) de couleurs
rouge ou bleu-foncé de briaire. Mais ces monnaies, comme nous avons eu à le souligner plus
haut, ont connu une vie très brève et servi aux grandes transactions commerciales ou utilisées
dans la dot. La mesure d'une noix de coco de perles d'aigri est le prix d'une dot. Et ce n'est pas
toutes les familles qui disposent de ces produits de grandes valeurs. Avec le troc, les Odzukru
échangent l'huile de palme et les produits agricoles contre le sel et les produits halieutiques. Les
courtiers Alladian, une fois par semaine avec leurs pirogues, visitaient les débarcadères. Ils se
rendaient aussi dans les villages de collecte de produits ou entrepôts de Lodzukru. Là, ils
échangent le sel ou les produits manufacturés européens contre l'huile de palme, qui pour
l'époque est le principal produit d'exportation du bassin occidental de la iagune Ebrié. A partir de
1830, l'économie de Lodzukru reposera essentiellement sur les exportations de l'huile de palme.
Les méthodes du troc
. Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et le pays Alladian se font selon des
méthodes très précises. Les producteurs Odzukru n'ont pas de contact avec les courtiers Alladian.
Ils livraient leur huile aux traitants des villages contrôlant un débarcadère. Les Odzukru sont les
seuls à échanger ou à trafiquer avec les courtiers Alladian qui se rendaient dans les débarcadères
accompagnés de leurs esclaves. Les négociants Alladian, dans les centres d'échange Odzukru
faisaient ouvrir les calebasses ou les barriques afin de vérifier le produit. Ils goûtaient l'huile de
palme en plongeant l'index droit dans la calebasse ou le tonneau et le portaient à la bouche afin
de se rendre compte de la qualité du produit. Seuls les produits de bonne qualité sont retenus. Le
reste est mis de côté. La vérification peut prendre des heures. Elle fait ensuite place au
marchandage qui peut aussi durer des heures voire des jours jusqu'il la conclusion d'un accord.
Le marchandage a toujours lieu entre les courtiers Alladian et les concessionnaires Odzukru. En
effet, les producteurs de l'intérieur confiaient leurs produits aux traitants de Dibrim, Tukpa,
Mopoyem et Cosr moyennant une commission d'abord en nature et ensuite en nature et ensuite
en espèce. Le marchandage se faisait en fonction des normes universellement connues. Les
populations connaissent le nombre de mètres d'étoffes ou la quantité de fusils ou de tabac
qu'elles pouvaient obtenir à partir d'une quantité donnée d'huile de palme. C'est à dire d'une
barrique, d'un tonnelet ou d'un Krou.
Le "Krou" dans la région du haut Ebrié est le principal étalon de mesure. C'est autour de
cette mesure que se faisaient toutes les transactions. Au cours des transactions, le vol et la
supercherie étaient proscrits. Le courtier qui se rendait coupable de ce forfait est chassé de la
région et ses biens confisaués (J). Les échanoes renosent essentiellement sur b rrlt1fi~n('p
185
mutuelle. D'ailleurs pour empêcher toute supercherie, de nombreux pactes (Sinm en Odzukru)
lient producteurs et acheteurs. Chez les Odzukru, on note le pacte de la boisson d'eau douce et le
pacte de la ronde (2). La boisson d'eau douce sert d'ordalie dans la recherche de la vérité.
Souvent on donnait à boire de l'eau salée ou pimentée. De nombreuses sanctions sont prévues
pour les commerçants qui se rendaient coupables de délits et de fraude. Les commerçants
indélicats devaient disparaître par la diarrhée, la noyade ou par une inondation. La plupart des
sanctions tendent à la destruction totale du couple ou du fraudeur. Cela a éliminé presque la
fraude dans les échanges.
Les courtiers Alladian au cours des transactions commerciales avec les capitaines des
navires se faisaient distiller quelques gouttes d'eau salée dans les yeux (3) ce qui est une sorte de
o
pacte par lequel, le courtier jurait de perdre la vue s'il venait à frauder. Ce pacte, comme l'a
souligné Harris MEMEL Foté dans "l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire,
exemple de la Côte d'Ivoire précoloniale 1720-1920" est un pacte muet, connu depuis le XVIIè
siècle par les populations côtières. Ces populations l'ont imposé aux interlopes européens et aux
capitaines de long cours sous peine de perdre leur trafic. Ce pacte d'alliance a un caractère
d'intimidation, puisque l'usage de l'eau de mer ne signifie pas que la mer a un caractère divin et
nous citons Harris MEMEL Foté.
« L'usage de l'eau de mer ne signifie pas que la mer avait un pouvoir divin ou qu'elle
s'identifiait à une déesse. Cette eau constitue d'abord un matériau qui entre comme boisson dans
d'autres pactes. Ensuite, elle est pour les vaisseaux marchands un lieu ou un objet de travail sur
lequel s'exerce la pêche sporadique pendant les longues traversées. Enfin et
-------------------------------.-------------------------------------------------------------------------------------------- J -
Enquête
réalisée à Orgbaff le 22 Août 1987 auprès de Mr. Benoît ESSOH LATTE.
2 - Harris MEMEL Foté : L'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex. de la Côte
d'Ivoire précolonialc 1720-1920 page 476.
3 - Dapper : Description des côtes de Guinée par 34.
186
surtout, l'océan est vécu comme un sanctuaire, habitat des dieux, auxquels les peuples adressent
des offrandes et des prières. A ce dernier titre, il devient le médium de multiples sanctions que
les divinités sont censées infliger aux parjures; Naufrages, folie, cécité, selon que la poignée
d'eau sacramentelle a coulé sur la tête, sur le front ou dans les yeux. Le pacte et l'amitié que cet
usage de l'eau de mer instaurait, restaient ponctuelles, valables le temps d'un échange,
renouvelables et renouvelés à chaque rencontre » (l).
A la suite des nombreux pactes d'alliance qui éliminent de façon radicale les parjures et
les fraudes, de nombreuses chaînes d'échanges liaient les courtiers Alladian, les producteurs
d'huile et les sous-traitants Odzukru. Selon P. CHREY la chaîne d'échange est système de lien à
la fois personnels et lignagers qui reliaient sur le territoire d'une formation à l'autre, des
camarades d'échange et qui assuraient de façon régulière mais dissymétrique l'échange différé
entre lignages forts d'une région à l'autre ».
Des chaînes d'échange semblables ont existé d'abord entre les Odzukru et les Alladian et
ensuite entre les Odzukru et les populations des zones forestières et de savane : Abidji, Abê,
Koueni et Baulé. L'établissement des chaînes d'amitié entre les Odzukru et les populations du
Nord, selon mes informateurs, se situerait vers la fin du XVIllè siècle.
Les réseaux d'alliances matrimoniales sont à l'origine de ces chaînes d'amitié, mais ces
alliances se fondaient aussi sur le hasard des amitiés personnelles. Ainsi, de nombreux réseaux
.
,
d'alliances matrimoniales ont été à l'origine des chaînes d'amitié entre Odzukru et Abidji. Mais
les chaînes d'amitié entre Odzukru et Koueni et Odzukru et Baulé se sont fondées sur le hasard.
Les Abidji, intermédiaires entre ces peuples et les Odzukru ont été les grands artisans de
l'établissement de ces chaînes d'amitié entre le Lodzukru et ces pays de l'hinterland. ADIE
BONY d'Emoquah en pays Alladian qui a dominé le courtage dans le haut Ebrié a eu de
nombreux camarades dans les villages Odzukru. ADIE BONY était très riche et très influent
dans tout le bassin occidental de l'Ebrié.
Les chaînes d'amitié ont été le principal instrument qui a donné aux courtiers africains
une suprématie sur les courtiers européens, surtout sur les français au cours de la 2è moitié
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 1
-
H:lrris
MEMEL folé : L'esclavage dans les sociélés Iignagères d'Afrique Noire: Ex. de la Côle d'Ivoire précoloniale 1720 -
1920 page 278.
187
du XIXè siècle. Elles ont donné plus de poids au système de troc. En effet, le système de troc
.
était le seul système d'échange qui prévalait dans le haut Ebrié, depuis la disparition au XVIIIè
siècle des anciennes monnaies. Ce système a été le plus utilisé au cours de la période baptisée «
commerce sur rade ». Dans le haut Ebrié, les principaux animateurs des échanges au cours de
cette période sont les courtiers Alladian qui ont une longue tradition de commerce avec les
européens. Les courtiers Aliadian contrôlent la production d'huile de palme de toute la région du
haut Ebrié, depuis le Tchaman jusqu'au pays Odzukru. Au cours de cette période les courtiers
Alladian ont été les seuls à s'intéresser au commerce de J'huile de palme tandis que les courtiers
de Grand-Bassam et d'Assinie s'occupaient uniquement du commerce d'or qu'ils recevaient sous
forme de pépites ou de poudre d'or de l'intérieur du pays, précisément des pays Abouré, Agni et
Ashantee. Les Alladian étant les seuls à faire le trafic de J'huile de palme imposent leur
domination aux producteurs. Ils sont les seuls à commercer avec les navires européens. Plusieurs
techniques d'échange ont été mises au point pour faciliter les transactions commerciales. Les
courtiers Alladian dans leurs relations commerciales avec les Odzukru et les Tchaman
pratiquaient le système d'échange différé. Ce système consiste à déposer sur une longue période
des avances auprès des traitants Odzukru et Tchaman et à de nouvelles avances pour l'huile qui
sera livrée plus tard. La possession de l'huile de palme, dans la cour de l'hôte, donnait lieu à une
ambiance de fête. Souvent les courtiers Alladian laissaient aux traitants Odzukru et Tchaman
d'importants stocks de marchandises européennes et du sel qui leur permettaient de sillonner
toute la région pour acheter l'huile. Des primes étaient aussi accordées aux traitants et aux
producteurs pour les inciter au travail. Les courtiers ne se rendaient dans les centre de commerce
Odzukru que lorsque les traitants ont eu en leur possession la quantité d'huile demandée.
Les courtiers Alladian accordaient aussi des crédits aux traitants Odzukru. Ce système de
crédit permettait aux courtiers AJJadian de faire pression sur les traitants Odzukru. Les traitants
qui n'arrivaient pas à recouvrir leurs crédits donnaient en gage au courtier Aliadian un de leurs
descendants. Cela a permis de constater dans les lignages Alladian la présence de nombreux
descendants d'origine Odzukru. La personne mise en
gage ne rentrait au village qu'après le
remboursement du crédit dans le cas contraire elle demeurait esclave du courtier (1).
Au cours des échanges commerciaux entre producteurs et traitants Odzukru, l'on
pratiquait à la fois le système différé
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- Enquête publique réalisée à OrgbaIT le 22 Août 1987.
188
et Je système direct. Chaque lignage de l'intérieur a dans les centres d'échange de Lodzukru son
traitant à qui il confie toute la production à vendre moyennant une commission. La commission
est à l'origine de la richesse et de la fortune de la plupart des traitants üdzukru.
Les courtiers Alladian ont sous leurs ordres de nombreux esclaves qui s'occupent de
toutes les tâches domestiques. Dans le 2è moitié du XIXè siècle, ils ont eu recours aux services
des Kroumens qui sont devenus les principaux ouvriers de cette période précapitaliste. Les
Kroumens sont surtout chargés de conduire à travers la barre les cargaisons d'huile de palme
jusqu'aux bateaux ancrés au large. Les Kroumens utilisés aussi pour d'autres services, étaient
considérés comme les meilleurs pagayeurs de la région.
Les courtiers Alladian réalisaient d'importants bénéfices sur les différents prix (1). La
force des courtiers Alladian résidait dans le fait que, les capitaines au long cours avaient une
confiance absolue en eux.
..
Les échanges sur le littoral nécessitent de la part des capitaines au long cours une
patience et surtout une confiance absolue aux courtiers Alladian (africains) qui jouaient, sur la
côte des Quaquah, le rôle de relais entre les producteurs d'huile de palme situés dans la région du
haut Ebrié et les capitaines des navires. Pour remplir un bateau, cela nécessitait un mouillage
prolongé devant chaque point de la côte (2). Les capitaines pratiquaient le système de collecte de
produits. Les échanges se faisaient sur le pont des navires car les capitaines ne descendaient
jamais de leurs bateaux. Cela était à la grande joie des courtiers africains en général et Alladian
en particulier qui tenaient à conserver leur indépendance. L'indépendance demeure la principale
source de bénéfice pour eux et conforte leur influence et domination sur les producteurs qui n'ont
aucun contact avec les négociants anglais.
Dans les régions des Quaquah et du haut Ebrié, les courtiers Alladian ont été les
principaux animateurs du "commerce sur rade". Les premiers navires à mouiller au large des
côtes Quaquah au début du XIXè siècle sont les Anglais. Ainsi sur la côte orientale de l'actuelle
Côte d'Ivoire, du Cap Appolonien, au Cap Lahou, les populations dans leur grande majorité
parlaient l'anglais. Ce qui démontre une présence très ancienne des anglais sur les côtes
africaines et surtout la présence pour le
1- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
132.
2- c.f Sclmapper page 128.
189
commerce avec les navires anglais. Les capitaines anglais ne descendaient jamais de leurs
navires. Et comme les échanges ne s'opéraient pas immédiatement, les capitaines cédaient aux
courtiers Alladian une partie de leurs stocks. Ainsi avec ces stocks les courtiers Alladian se
rendaient à l'intérieur souvent loin de la côte pour recueillir les produits demandés. A la date
fixée, le courtier Alladian s'engage à fournir au navire, des produits africains qui seraient
l'équivalent du stock de marchandises manufacturées qu'il a reçu. Les capitaines des navires
accordent aussi aux courtiers africains des crédits constitués de stocks de marchandises
manufacturés. Lorsqu'au délai fixé, le courtier n'arrivait pas à rembourser son emprunt, il donnait
comme otage son propre fils ou un de ses neveux (2). Ces enfants, déportés en Angleterre, sont
confiés aux armateurs pour leur éducation. Les commerçants pour pouvoir remplir leurs navires
sont alors en relation d'affaires avec plusieurs courtiers de la côte à qui ils réservaient leurs
produits (3). Mais les commerçants respectaient la liberté et l'indépendance des courtiers
africains qui ont donc la possibilité de commercer avec plusieurs commerçants à la fois (4). Les
courtiers africains sont aussi en rapport avec les commerçants de leur choix. Cela est à l'origine
du développement de la traite sur la côte. Les affrontements armés sont ainsi vaincus par l'amitié
et la fraternité qui existaient entre courtiers africains et commerçants européens.
Le système de crédit comme l'a souligné Schnapper exige beaucoup de prudence et
d'adresse de la' part des
capitaines. Le crédit n'était accordé qu'aux courtiers dont ils
connaissaient la solvabilité. Souvent des conflits naissent entre deux capitaines, créanciers d'un
même courtier.
Le commerce sur rade est pratiqué par tous les villages du littoral d'Assinie à Grand-
e
Lahou. De nombreux lignages se sont spécialisés dans le courtage qui leur permettait de réaliser
d'importants bénéficies à la fin de chaque saison. Les échanges entre courtiers africains et
commerçants européens se faisaient à bord des navires (5). Il constitue une garantie, une sécurité
-----------------------------------------------------------------------------------------------------...--------------------
1- A. N. S. : Section AOF série 5 G25 année 1852 pièce 8
2- Paul Atger: la France en Côte d'Ivoire 50 ans d'hésitation politique et commerciale.
3- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
134.
4- c. f. Schnapper page 135.
5- A. N. S. : Section AOF série 5 G26 année 1852 pièce 12 année 1853 page 12.
190
pour les commerçants européens qui redoutent non seulement le pillage et le vol des populations
côtières mais aussi l'insalubrité des plages, souvent infectées d'insectes.
Le navire sert de comptoirs. Les marchandises de grande valeur (étoffes, fusils, poudre à
canon, l'ivoire et l'or (1) sont exposées sur le pont. Ces produits sont toujours en arrière, à l'avant
où se trouvent les pacotilles de traite à utiliser dans les transactions de peu de valeur (2). Un coup
de canon annonce l'ouverture de la traite. Cela exprime le désir, la volonté des commerçants
européens de commercer avec les courtiers africains. Les courtiers Alladian, avec leurs pirogues
pleines de marchandises traversent la barre et montent à bord du navire. Pendant cet instant les
pagayeurs regagnent la plage en attendant la fin des transactions (3). A bord, le courtier visite les
marchandises afin de se rendre compte qu'elles ne sont pas avariées ou dépréciées par le voyage.
Seuls les produits de bonne qualité font l'objet de marchandage. La vérification terminée,
commencent les marchandages qui peuvent durer plusieurs heures et même toute la journée.
L'échange ne s'opérait pas immédiatement lorsqu'on parvenait à un accord parce que les courtiers
Alladian possédaient rarement la quantité de produits à échanger. Ils se les procurent auprès de
leurs compatriotes au prix d'un nouveau marchandage. Les courtiers qui disposent déjà un stock
considérable, une fois l'affaire conclue, retourne à la plage afin d'y apporter la quantité
demandée. Le capitaine servi, le courtier redescend avec les marchandises européennes. A cet
instant précis, le courtier Alladian est le seul à endosser la responsabilité des pertes occasionnées
lors du passage de la barre.
Les courtiers échangent leurs stocks constitués de marchandises européennes contre
l'huile de palme, l'ivoire et l'or. Les échanges obéissent aux mêmes règles. Ne sont retenus que
les produits de bonnes qualités. En effet, sur les marchés de Dabuatchi, de Tukpa et de
Mopoyem, un fusil de fabrication anglaise ou un rouleau d'étoffes en particulier les "indiennes"
très recherchées par les Africains est échangé contre une barrique d'huile. Une barrique = 225
litres. Quant aux produits de peu de valeur, exemple le tonneau de rhum, la quincaillerie, le gin,
le tabac, les verres et les assiettes en porcelaine sont échangés contre deux (2) à quatre (4) Krou
d'huile. Le troc permettait aux populations de l'intérieur d'acquérir les objets européens dont elles
ont besoin. Mais pour les courtiers Alladian,
---------------------------------------------_.._------------------------------------------------------------------------
1- Paul Atger: la France en Côte d'Ivoire 50 ans d'hésitation politique ct commerciale page 136.
2- c. f. Paul Atger page 136
3- c. f. Paul Atger page 137
191
le stockage et la conservation des oléagineux et de certains produits européens sont pénibles et
difficiles à cause du manque de moyen de maintenir en bon état les produits qui se décomposent
très rapidement sous l'effet de l'humidité ou de la chaleur. Les risques d'incendies angoissent
aussi souvent les courtiers car les entrepôts étaient en bambou de raphia et la toiture en feuilles
de raphia.
Avec le système de troc, l'obtention des produits était difficile et ne tenait pas compte de
la valeur des produits à échanger mais de l'habilité du courtier dans le marchandage (1). C'est
pourquoi, les Anglais pour les nécessités du commerce, pour donner de véritables valeurs aux
produits et un caractère moderne aux échanges dans la région Quaquah instaurèrent les manilles
pour servir de monnaie dans toutes les transactions. La diffusion des manilles par les Anglais
sera à l'origine du développement d'une économie monétaire dans toute la région côtière et dans
le haut Ebrié.
L'apparition des manilles
Le peuple Odzukru avait eu connaissance de l'utilisation des manilles comme monnaie
grâce aux contacts commerciaux privilégiés qu'il avait avec les Alladian. L'introduction des
manilles dans le Lodzukru s'était faite vers 1854 (2).
L'origine des manilles est africaine. Depuis le XVlIè siècle, au cours de son voyage en
Afrique, Dapper a remarqué que les dignitaires de la côte portaient un anneau à la cheville droite.
Le port de la manille est le signe de l'autorité. Marc Augé qui a travaillé sur la société Alladian a
souligné que les forgerons Alladian ont inventé et fabriqué les première manilles (3) appelées en
Odzukru et en Alladian "Nbè". mais pour la nécessité du commerce, les manilles déjà connues
par les populations de la côte ont été imposées par les Anglais en 1854 comme monnaie. Cela a
amené les populations de la côte à faire la différence entre le "Aku N'bè et le "Holé Nbè" (4).
Aku, de son nom "Gra Akou", originaire du village de Bodo Ladja (Grand-Jacques)
1- Enquête réalisée à OrgbafTle 25 Juillet 1985 auprès de M. Sylvestre AFFI.
2- A.N.S. : Section AOF série 5G27 année 1855 pièce 8.
3- Marc Augé : le rivage alladian page 42.
4- Harris MEMEL Foté : l'esclave dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: exemple de la
Côle précoloniale 1720 - 1920 p.
192
est le dernier forgeron Alladian avant l'arrivée des européens. C'est de son ouvrage note MEMEL
Foté Harris que les européens, en particulier les Anglais se seraient inspirés pour reproduire les
manilles. Holé, nom du premier européen qui avait eu le courage de débarquer sur le littoral
Alladian.
Les prenuers contacts entre Alladian et Européens se sont produits au cours de la
deuxième moitié du XVIIè siècle. Depuis cette période les manilles sont connues comme objet
de parure et non comme monnaie par les populations du littoral. Le "Aku N'bê" fabrique par les
forgerons Alladian est en fer. Au cours des échanges commerciaux avec les interlopes européens,
le système qui prévalait était le troc. Les perles d'aigri et les coquillages entraient très peu dans
les échanges entre les Africains et les européens. Les manilles introduites par les Anglais sont en
laiton.
Les traditions que nous avons recueillies ont attesté l'existence de gisements de fer en
pays Alladian. Les Alladian, d'habiles courtiers, ont connaissance du travail du fer grâce aux
contacts qu'ils ont avec les peuples de toutes les régions: forêt et savane. Des régions forestières
et de savane seraient descendues une partie du fer utilisée par les forgerons Alladian. Le fer,
empruntait le long du fleuve Bandama jusqu'à Grand-Lahou et là il était diffusé dans toute la
région. On rencontre aussi en pays Alladian de nombreuses pièces de fer en forme de tige de
vingt quatre (24) centimètres de long environ, fabriquées dans les régions de savane. Ce tige
appelé "Sombéest utilisé comme monnaie par les sociétés Malinké et Koueni. Dans les sociétés
à économie de marché, l'utilisation de la monnaie est très ancienne. La première activité
économique des Mandé est le commerce.
Dans la région du littoral oriental, la monnaie la mieux connue dès le XVIIlè siècle est
l'acquêt qui équivaut à deux (2) grammes d'or. Cette monnaie a cours chez les populations Akan
qui sont de grand producteurs d'or. Acquêt est en poudre d'or.
La manille est un alliage de cuivre et d'étain en forme de "fer à cheval. Elle pèse cent
quarante (140) grammes environ (1). La manille équivaut à vingt (20) ou trente (30) centimes de
livre sterling (2). Les manilles sont échangées.
1- A. N. C. 1. : Série 18B6
2- Sclmapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
126.
193
Les manilles ont été introduites dans la région des Quaquah par les Anglais. Mais leur
diffusion dans les sociétés du haut Ebrié a été l'oeuvre des courtiers Alladian.
Rôle des manilles dans les échanges
L'utilisation des manilles comme monnaie dans le Lodzukru est très tardive. Les
premières monnaies connues de cette société sont d'abord les coquillages "Aray" et ensuite les
perles d'aigri. La diffusion de toutes ces monnaies est très limitée de sorte que très peu de gens se
rappellent leur rôle dans les échanges commerciaux. Dans la société Odzukru, les perles d'aigri
ont été plus utilisées dans les échanges matrimoniaux que dans les transactions commerciales.
Elles n'intervenaient que dans l'achat des produits de prestige et de luxe tel que l'esclave. En
effet, un esclave de sexe masculin est vendu à une mesure de noix de coco de perles d'aigri et
l'esclave femelle de un et demie (1,50) à deux (2) mesures de noix de coco de perles d'aigri (1).
Mais les échanges commerciaux dans le Lodzukru sont à base de troc. Les perles d'aigri et les
autres monnaies n'intervenaient que pour les échanges avec l'extérieur et pour le versement de la
dot. Le prix à payer note ESSOH LATTE Benoît est très élevé parce que très tôt les Odzukru ont
compris que la femme est le principal agent économique, l'artisan de la prospérité et de la
richesse de son époux. Sans elle, les graines et l'huile de palme ne seraient jamais transportées.
La dot est d'une mesure de noix de coco de perles d'aigri. Seuls les hommes riches dotent leurs
épouses (2).
Les Odzukru, depuis leur installation au XVè siècle jusqu'au XIXè siècle n'ont jamais été
à l'origine de la création d'un monnaie pour les échanges commerciaux. Toutes les monnaies qui
ont eu cours en pays Odzukru sont l'oeuvre des populations voisines. L'introduction des manilles,
monnaies convertibles et comptabilisantes dans le Lodzukru est l'oeuvre des Alladian qui ont
besoin des Odzukru pour le développement de leurs activités commerciales. Ce qui est important
chez l'Odzukru, c'est sa grande capacité d'adaptation et son ouverture aux influences extérieures.
Mais les Odzukru ne faisaient siens que ce qui peut conduire au progrès et au développement du
peuple Odzukru. Cette ouverture a permis aux Odzukru de palier leur indigence technique et
technologique. Une partie des éléments culturels de Lodzukru est d'origine extérieure et la
civilisation Odzukru est une synthèse des civilisations des sociétés voisines. Cela a
1- Enquête réalisée à Orgbaff auprès de Mr. ESSOH LATTE Benoît le 17 Août 1988.
2- Enquête réalisée le ] 7 Août] 988 à Orgbaff auprès de Mr. Benoît ESSOH LATTE.
194
alors permis aux Odzukru de bâtir une société homogène et d'avoir l'une des brillantes
civilisations de la zone méridionale de l'actuelle Côte d'Ivoire, malgré qu'économiquement ils
soient pendant de longs siècles sous la domination, c'est-à-dire dépendants du peuple Alladian.
Le peuple Alladian, très tôt, a su profiter au cours au cours des siècles passés de sa situation
géographique. il s'est grâce aux différents plans d'eau: lagune Ebrié et océan atlantique, ouvert
sur l'extérieur. Les Alladian sont en relations commerciales avec plusieurs populations à la fois.
Cela a ainsi favorisé l'établissement des relations commerciales précoces avec les navires
européens (1).
La diffusion des manilles dans toute la région du haut Ebrié et sur la côte maritime est
l'oeuvre des courtiers Alladian qui imposent aux différentes populations, les manilles dans les
échanges commerciaux, surtout pour l'achat de l'huile de palme. Cela donne une valeur réelle aux
produits vendus. Les manilles sont convertibles et comptabilisantes. Elles sont échangées en
paquet de vingt (20). L'introduction des manilles a donné un nouvel élan aux échanges
commerciaux et permis de dissiper le doute que les populations avaient sur la valeur réelle des
marchandises européennes. On retrouve des manilles dans des régions où la plupart des
transactions se font en poudre d'or (2).
L'utilisation des manilles comme monnaie dans le Lodzukru ne s'est pas fait sans
difficulté (2). En effet, au début, les producteurs d'huile de palme ont manifesté leur hostilité face
a
à l'utilisation des manilles dans les transactions commerciales parce que dans cette société, les
manilles sont portés à la cheville droite par les chefs de lignages, les patriarches et par les
membres des classes d'âge des gouvernants comme symbole de leur autorité. Ce peuple a
manifesté son hostilité et sa réticence parce qu'il est habitué à avoir ce dont il a besoin par le troc.
Mais, après quelques moments d'hésitation, les manilles sont acceptées par les Odzukru. Cela
n'élimine pas pour autant le troc.
L'introduction de la monnaie modifie la structure des activités commerciales et crée par
conséquent un nouveau type de société en pays ODZUKRU et un nouveau types de
comportement chez
1- C'est dès la 2è moitié du XVllè siècle que les premières relations commerciales entre AIladian
et européens furent établies.
2- Des pièces de manilles furent retrouvées dans les pays Abê ct Agni qui depuis des siècles
utilisaient/a poudre d'or dans les transactions commerciales.
J
;\\
195
cette population qui ne pourra désormais acquérir un fusil, un tonnelet de gin et de rhum ou des
rouleaux d'étoffes par
le troc.
L'utilisation des
manilles entraîne l'accumulation et
la
thésaurisation car aucune structure n'existe pour recueillir les manilles non utilisées. Chacun des
lignages fait un effort pour constituer une épargne. Les Odzukru, note ESSOH LATTE Bénoît
opèrent par prévision. A l'ouverture de la saison commerciale chaque lignage fait une projection
de ses recettes et de toutes ses dépenses. Cela oblige les différents lignages à tenir une véritable
comptabilité et à épargner.
La population Odzukru s'est inclinée face au développement de ce nouveau type de
comportement économique imposé depuis l'Angleterre. Les marchandises européennes très
prisées par les Odzukru sont depuis 1854 achetées avec les manil1es. Les marchandises sont
vendues en fonction de leur qualité qui leur conférait une valeur fixée en manil1es. Mais les prix
des produits ne sont pas fixés de commun accord par les producteurs et les consommateurs. Ils
sont seulement fixés par les acheteurs qui sont' en même temps, les fournisseurs des produits
manufacturés européens. Les prix sont donc fixés par les commerçants européens et par les
courtiers africains. L'acheteur des produits tropicaux détient le monopole des prix. C'est en
fonction de on profit que l'acheteur fixe le prix. Ainsi dans les débarcadères de Lodzukru le prix
du Krou d'huile de palme est fixé à cinquante (50) manilles. Ce même Krou d'huile est vendu sur
le littoral à soixante (60) manilles. Cela a permis aux courtiers Alladian de réaliser des bénéfices
importants. Sur chaque barrique d'huile vendue, le courtier Alladian réalise un bénéfice de quatre
vingt (80) manil1es. Quant aux traitants Odzukru qui ont la charge de réceptionner l'huile de
palme venant des villages de l'intérieur, ils prélevaient sur chaque barrique une commission de
huit (8) manilles (1).
Les courtiers Alladian sont les seuls à acheter l'huile de palme produite dans le bassin
occidental de l'Ebrié. Ils contrôlaient tout le trafic commercial de toute la région. Malgré les
importants bénéfices qu'ils réalisaient après chaque vente, parmi les courtiers Alladian, certains
s'étaient fortement endettés auprès des capitaines anglais (2).
Les manilles deviennent très précieuses dans le Lodzukru avec le développement de
l'économie monétaire. Elles étaient thésaurisées et n'étaient utilisées que très faiblement dans les
transactions entre Lodzukru et l'extérieur. Mais les paquets de manil1es
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------.._---------
1- A. N. C. I. : Série tEE 122 (4) pièce 12
2- A. N. C. I. : Série tEE 122 page 8
196
étaient exhibées Jors de la célébration du rituel d'Agbadzi et utilisées pour l'initiation de Low.
Elles étaient aussi utilisées lors des transactions commerciales avec les mondes Alladian, Abidji
et Abê.
Les traitants Odzukru sont à l'origine de la diffusion des manilles dans les pays Abidji,
Abê et Anyi surtout dans le pays Anyi morofuê. Toutes ces populations reconnaissent avoir
connu les manilles grâce aux ODZUKRU. Mais la diffusion des manilles dans la région de
Tyasalé a été à la fois l'oeuvre des courtiers, Alladian, Avikam et des traitants Odzukru. Les
manilles servaient à acquérir toutes sortes de marchandises et de biens. Des parités ont été
établies entre la manille et les autres monnaies ayant cours dans la partie orientale et dans la
partie centrale de l'actuelle Côte d'Ivoire
l'or et le franc français introduit sur le côte depuis
1843 par les Français.
acquêt = 2 g d'or
acquêt = 12 francs
1
acquêt = 60 manilles ou 3 paquets de manilles
paquet de manilles = 4 francs
paquet =20 manilles
1
franc = 2,5 manilles ===> 3 manilles
gramme d'or = 3 francs
Les transactions des pays Odzukru et Alladian nous offrent l'occasion de comprendre les
équivalences de cette période. Des parités ont été établies entre les différentes monnaies ayant
cours sur la côte et à l'intérieur du pays pendant la 2è moitié du XIXè siècle.
Chez les Odzukru
Chez les Alladian
1 baril de poudre = 60 manilles
1 boeuf = 400 manilles
1 fusil = 240 manilles
] vache = 1200 manilies
1 tonnelet d'eau de vie = 1200 manilles
1 pagne = 60 manilles
1 esclave femelle = 1200 manilles
1 Krou = 40 manilles
1 esclave mâle = 800 manilles
1 pagne = 60 manilles
197
DOT
En pays Odzukru
En pays Alladian
40 à 80 paquets de 20 soit 800 à 1600 manilles
20 à 25 paquets de 20 soit 400 à 500 manilles
Les manilles sont comme les autres monnaies (or, fusil, Sombé etc.) un équivalent
général permettant l'acquisition de toutes sortes de biens. Elles favorisent aussi en association
avec d'autres marchandises d'honorer toutes les prestations sociales.•
La diffusion des manilles s'est limitée à la côte maritime et dans les régions où les
courtiers Alladian exerçaient une véritable influence commerciale à cause des difficultés de
transport. Les manilles étaient attachées en paquet de vingt (20). Or une manille équivaut à cent
quarante grammes. Ce qui signifie qu'un paquet de manilles vaut deux kilogrammes huit cents
grammes (2,8 kg). Cela est transportable pour un traitant. Mais pour les grandes transactions
commerciales, par exemple, pour les achats de fusils, d'esclaves ou d'huile ou d'huile de palme,
les traitants avaient besoin d'une importante quantité de manilles. Cela oblige les traitants à faire
appel à d'autres personnes pour le transport des manilles. Généralement, ce sont les esclaves qui
étaient chargés du transport. Mais souvent, les traitants font aussi appel au service des femmes
pour les courtes distances. Les manilles sont transportées dans les paniers en rotin. pour les
longues distances, note AI Sylvestre, la charge à porter équivalait trente (30) à quarante (40)
kilogrammes. Ce' qui donnerait une charge de quinze à dix huit paquets.
Les difficultés de transport ont été un frein à la diffusion des manilles dans les autres
centres économiques. A cela, s'ajoute la thésaurisation effectuée par les populations. Cela limitait
la quantité de manilles en circulation. Les difficultés de transport et la thésaurisation ont favorisé
le maintien du troc. Il est utilisé pour les transactions de peu de valeur. Malgré l'existence de la
monnaie le peuple Odzukru continuait d'échanger avec les Abidji, le sel contre la viande de
brousse, les bananes, les toiles d'écorce et les nattes de raphia. Les marchandes de poisson
Odzukru, principales animatrices du commerce intérieur, échangeaient une grappe de poisson
contre deux à trois régimes de banane.
Le système monétaire Odzukru avait connu plusieurs modifications. En effet, du XVIIè
au XVIIlè siècles, il est fondé sur les coquillages (Araï), les cauris (Srigbi) les perles d'aigri (sat)
et au XIXè siècle sur les manilles. L'unité de compte est le "DU" qui équivaut à quatre cents
(400) manilles. 1 DU = 400, 1 DU = 400 manilles au XIXè siècle. Ainsi les esclaves étaient
vendus aux prix suivants:
Mâle = 2 DU ==> 800 manilles
Femelle = 3 DU ==> 1200 manilles.
· 198
Le commerce dans le haut Ebrié est à l'avantage des courtiers Alladian qui exerçaient une
véritable mainmise sur les activités économiques et monétaires de toute la région. Cela a entraîné
l'enrichissement et la prospérité de la société Alladian et surtout des membres de la corporation
des courtiers.
c : Enrichissement et prépondérance des Alladian
La croissance de la production de l'huile de palme a entraîné non seulement l'essor et la
prospérité de Lodzukru mais surtout du pays Alladian. Le commerce de l'huile a favorisé
l'enrichissement des populations d'Emoquah (Jacqueville) et de Bodo-Ladja (Grand-Jacques) qui
ont pris le relais de Addah et de Avagou, principaux centres du commerce négrier du littoral
Alladian.
Les courtiers Alladian, au nombre d'une dizaine de personnes, CI) dominaient toutes les
transactions commerciales du haut Ebrié. Ils contrôlaient les productions d'huile de palme et de
palmistes ainsi que les trafics commerciaux des pays Tchaman et Odzukru. Les courtiers du
littoral Alladian sont organisés en cartel, ce qui leur a permis d'éliminer entre eux la concurrence.
La parfaite organisation, l'entente et la connaissance du milieu ont permis aux courtiers de contre
balancer la concurrence européenne, surtout française et de demeurer les principaux partenaires
économiques et clients des populations du haut Ebrié. Bien organisés, ils se sont imposés comme
les seuls intermédiaires entre producteurs africains des produits tropicaux et les navires
européens. ils étaient les plus riches parmi les populations du bassin occidental de l'Ebrié. Des
contacts privilégiés ont été établis entre les courtiers Alladian et Bassamois. Les Alladian
mettaient deux jours pour se rendre en pirogue à Grand-Bassam où ils se procuraient la poudre et
les pépites d'or, ainsi que les bijoux en or et les cotonnades. Les bijoux en or sont ensuite
revendus à des prix exorbitants aux Odzukru. Les courtiers Alladian remontaient aussi jusqu'au
pays Baulé, précisément à Tyasalé pour échanger les produits de la côte contre ceux de
l'intérieur. Le pays Baulé était la région convoitée par toutes les puissances commerciales du
littoral, non pas pour ses cotonnades qui étaient de bonnes qualités et pour son or, mais pour ses
esclaves (2). En effet le plus important marché d'esclaves du XIXè siècle se trouvait en zone de
savane en pays Baulé. Vers la fin du XIXè siècle, le marché d'esclave de Kadio-Koffikro sera le
plus important de toute l'actuelle Côte d'Ivoire. Sur les marchés Baulé, les esclaves étaient
vendus à vil prix (3).
1- Schnapper : c. f. page: 132
2- A. N. C. I. : Série lEE 28 (1) pièce 8
3- A. N. C. I. : Série lEE 28 (2) pièce 7
199
En 1852, l'ensemble des exportations du pays est estimé à plus de 2400 T. Cela a permis aux
courtiers Alladian de réaliser des recettes de trois cents (300.000) à trois cents cinquante mille
(350.000) francs, soit six cents soixante quinze mille pièces de manilles. Ce qui équivaut à
33.500 paquets de manilles. Cet important bénéfice est réparti entre les traitants qui constituent
un groupe social très puissant. Ce groupe dirige les activités économiques et la vie économique.
Les courtiers Alladian sont les principaux créanciers de toute les populations du haut
Ebrié. ils sont les principaux banquiers des familles Odzukru qui, pour les funérailles, le
paiement de la dot ou la célébration du rituel d'Agbadzi mettaient en gage leurs descendants,
souvent les neveux ou les nièces, de préférence les jeunes filles pour une somme de 1600 à 2500
manilles (1). Lorsque le crédit est remboursé, le jeune garçon ou la jeune fille regagnait sa
famille dans le Lodzukru. Généralement, l'emprunt n'est pas remboursé et la jeune fille ou le
jeune garçon âgé de moins de dix ans demeurait chez son acquéreur jusqu'à son mariage. Ses
descendants appartiennent à la famille du riche commerçant Alladian. Les descendants ont le
rang d'esclaves. On rencontre aujourd'hui dans les familles Alladian de nombreux segments
d'origine Odzukru (2).
Les marchands Alladian sont très riches. Leur richesse est composée de stocks de
manilles, des pagnes achetés en pays Baulé, Koueni, et appolonien ainsi que de la poudre d'or et
des bijoux en or. Ils possédaient aussi de nombreux esclaves achetés en pays Baulé et vivaient
dans de somptueuses maisons de plusieurs pièces (3). ces maisons, entourées d'une palissade,
sont en bambou et le toit en feuilles de raphia. Dans cette société Alladian, l'esclave et le fusil
sont des biens prestige. Leur achat donnait à des cérémonies (4). Les courtiers ont de nombreuses
épouses. Certains d'entre eux en avaient jusqu'à douze (12). Les femmes aidaient leurs époux
dans les activités commerciales. Elles sont surtout chargées du transport de l'huile de palme et de
la cuisson du sel ainsi que de son transport.
1- Enquête réalisée à Orgbaffle 25 Juillet 1983 auprès de M. Sylvestre AI.
2- Nous avons rencontré au cours de nos enquêtes de nombreuses personnesde mères ou de
grand-mères Odzuk.ru mais qui ignorenttout de leurs mères.
3- A. N. S. : SectionAOF série 5 G 28, 1856 page 18
4- Marc Augé : le rivage Alladianpage 56
200
Le pays Alladian, première puissance économique du bassin occidental de l'Ebrié a
imposé aux autres pays sa domination économique. Le rivage Alladian est pour les populations
de l'intérieur la seule voie de communication avec les navires européens. Le désir des peuples de
l'intérieur tels que les Odzukru de posséder des produits manufacturés européens a créé une
dépendance de ces populations à l'égard des Alladian.
L'économie Odzukru est une économie d'auto-subsistance, dominée par l'agriculture
vivrière et la production d'huile de palme. C'est une économie lignagère dont l'objectif est la
satisfaction des besoins du lignage et par extension de la communauté. Dans cette société
Odzukru, la production artisanale est faible et presqu'inexistante. Seul dans le village d'Aklodze
A, on note l'existence d'une vie artisanale. La vie technique de Lodzukru reposait essentiellement
sur les importations de productions étrangères.
Le pays Odzukru est un grand marché de consommation de produits artisanaux. Mais les
importations des pays Koueni, Baulé et Abidji sont loin de satisfaire les besoins de la population
Odzukru, c'est pourquoi, les Odzukru se sont tournés vers la côte où les importations étaient
importantes et les produits variés. Dans leur quête, les Odzukru ont rencontré l'interposition des
Alladian qui empêchent tout contact, toute communication entre les peuples de l'intérieur et les
commerçants européens. Ils sont ainsi amenés à commercer avec les navires européens qui
mouillaient au large de leur côte. A partir de 1830, ils se sont spécialisés dans le commerce de
l'huile de palme, principale source de devises de la population Odzukru. Ainsi grâce aux
courtiers Alladian, les Odzukru réussissent à développer au XIXè siècle une économie basée
essentiellement sur l'exportation de l'huile de palme. C'est l'économie de l'huile de palme qui fera
de Lodzukru l'une des régions prospères de la côte. Des rapports privilégiés ont été établis entre
Odzukru et Alladian, mais on note dans ces rapports la domination des Alladian sur les Odzukru.
d) Rapports Odzukru - Alladian avant l'installation des Français dans le Lodzukru en 1854.
Les Odzukru et les Alladian, avant l'installation des Français dans le Lodzukru ont eu des
rapports très privilégiés. Les Alladian étaient les seuls à visiter ou ù fréquenter les débarcadères
de Lodzukru et à acheter l'huile de palme, les palmistes et les autres biens d'échanges produits
dans cette région. Les relations de bon voisinage entre ces deux peuples sont très anciennes et
datent de la deuxième moitié du XVIIè siècle, période de l'installation des Alladian sur le cordon
sablonneux séparant la lagune Ebrié au Nord et de l'Océan Atlantique au Sud.
Les premiers contacts entre ces deux populations ont été des contacts commerciaux. Les
économies de ces deux peuples étant complémentaires, il naît alors une interdépendance
économique. Les Odzukru exhortaient vers le pays AlJadian huile de palme, palmistes, esclaves
et les produits agricoles. Ils importaient de la côte Alladian : le sol, le poisson, les produits de
e
201
l'artisanat Alladian et les produits manufacturés obtenus grâce aux échanges avec les interlopes
européens.
Pendant la traite de l'huile de palme, les rapports entre les deux peuples ont connu un
renforcement et une évolution. En effet, les courtiers Alladian ont besoin de la production d'huile
de palme de Lodzukru pour maintenir et préserver les bonnes relations commerciales qu'ils ont
établies avec les navires anglais. Les Anglais ont été la première puissance européenne à
s'intéresser à la traite de l'huile de palme dans le golfe de Guinée. lis sont les initiateurs de ce
commerce qui, de nouveau, permettra l'établissement de nouveaux liens économiques entre
l'Afrique et l'Europe. Quant aux Odzukru, ils ont besoin de vendre leur production d'oléagineux
afin d'acquérir les produits manufacturés européens. L'ouverture de Lodzukru sur l'extérieur
passe nécessairement par le pays Alladian car tout ce que le Lodzukru échangeait avec l'extérieur
venait du littoral Alladian.
La dépendance technique et
commerciale de Lodzukru à l'égard du pays Alladian a
entraîné une domination des riches courtiers Alladian sur le peuple Odzukru. Les Alladian
étaient les principaux fournisseurs et clients de Lodzukru. C'était donc les animateurs du
commerce en pays Odzukru. Les Odzukru note AI Sylvestre ne vendaient qu'aux Alladian (1).
Entre les deux peuples régnait une confiance. Les Alladian étaient. craints et respectés par les
populations du haut Ebrié. Ils étaient considérés, note ESSOH LATTE Bénoît, comme les
seigneurs du bassin occidental de l'Ebrié. Mais tous les Alladian n'étaient pas riches sauf ceux
qui depuis de longues dates exerçaient le métier du courtier, c'est-à-dire une activité mercantile
ou qui ont hérité de leurs parents.
La traite de l'huile de palme, au XIXè siècle, a permis à de nombreuses familles Alladian
de s'enrichir ou d'accroître leurs ressources. Pour accroître les ressources des lignages et surtout
les trésors personnels, les riches marchands Alladian ont besoin de bras. La population Alladian
est très faible. Elle atteint à peine dix mille (10.000) habitants. Pour l'animation de la traite, il
fallait alors des hommes pour s'occuper de la collecte et du transport (huile de palme, palmistes)
d'où la recherche d'une main-d'oeuvre servile d'origine étrangère.
---------.._-------_... -----------------------------------------------------------------------------------------------------..-
1- Enquête collective réalisée le 27 Décembre 1984 à OrgbalT.
202
Ainsi de nombreux mariage ont été contractés entre les Alladian et de nombreuses femmes
Odzukru. Certaines de ces femmes étaient depuis l'âge de dix (10) à douze (12) ans placés en
gagc (aoba) par leurs parents maternels. Le père qui appartient à un autre matrilignage n'a qU'UII
droit redouté de malédiction sur ses enfants en pays Odzukru. Les membres d'un lignage qui
réussissaient à placer en gage leurs enfants auprès des riches commerçants AlJadian, note Al
Sylvestre étaient considérés comme les plus intelligents par la population Odzukru. Les Alladian
ont exercé sur la population Odzukru jusqu'en 1854 (1), date de l'institution du commerce direct
dans le haut Ebrié une domination économique et sociale sur le Lodzukru. Jusqu'en 1854, date de
l'instauration dans le haut Ebrié du commerce direct entre les producteurs de l'huile de palme et
les agents des factoreries françaises, le développement économique de Lodzukru est strictement
lié à celui du pays Alladian (2). Les rapports entre ces deux peuples, malgré l'interdépendance
économique n'étaient pas égalitaires, mais 'il s'agissait de rapports de dominant à dominer. Les
Alladian exerçaient une main-mise sur la vie économique de Lodzukru et les velléités
d'indépendance des Oburu n'ont pas permis aux Odzukru de sortir de leur dépendance (3).
Les femmes Odzukru en pays Alladian n'ont pas le même statut social que les femmes
Alladian. Elles ont un statut social inférieur. Elles travaillaient pour leurs maris qui étaient en
même temps leurs acquéreurs. Le mari acquéreur tenait lieu à la fois de parente paternelle et de
parente maternelle.
Les descendants des femmes Odzukru dotées ont droit à l'héritage dans 1'''Ocioko''
matrilignage de leur père faute d'héritage de 1"'Ocioko Proo" (4). Les femmes Odzukru mises en
gage ont le même statut social que les captifs appelés en Alladian "Owo Owo" (5) "homme de
l'ombre". Les descendants des femmes mises en gage ont le même statut social que les
descendants d'une captive. Ils n'ont pas droit à l'héritage. Ce qui différencie les personnes mises
en gage et le captif c'est que les premières peuvent être rachetées. Le statut social en pays
Alladian se transmet par la femme et seule une femme libre pouvait arracher ses descendants
d'un statut inférieur (6).
l- A.N.S. : Section AOF série 5 G26 1854 pièce 6.
2- A.N.S. : Section AOF série 5 G26 1854 pièce 12.
3- A.N.S. : Série tEE 122 (4) p. 8.
4- Marc Augé : le rivage Alladian page 143.
5- Marc Augé : le rivage Alladian page 142.
6- c.r. Marc Augé page 143.
203
Malgré la domination qu'ils exerçaient sur le peuple Odzukru, les commerçants Alladian,
par leurs génies mercantiles ont favorisé dans le Lodzukru le développement d'une économie
monétaire et d'une économie prospère mais surtout l'essor des débarcadères de Dabuatchi
(Okobu) et de Tukpa (1). Le succès économique enregistré au XIXè siècle donne un nouvel élan
aux échanges commerciaux entre le Lodzukru et les pays de l'intérieur.
e) Echanges entre Lodzukru et les pays de l'intérieur
Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et les peuples de l'intérieur sont très
anciens et remontent loin dans le temps. Les relations commerciales se sont très tôt établies et le
XVlIIè siècle est l'époque de l'établissement de véritables échanges commerciaux entre le
Lodzukru et les peuples des régions forestières et de savane. Le cofnmerce de l'intérieur a, à ses
débuts, souffert du manque de produits. Les longues distances séparant les différentes régions et
les. faibles moyens de transport empêchaient une véritable circulation des produits d'une région à
une autre. Ce commerce, compte tenu de la sélection des produits et de la faible quantité
exportée, a un caractère de commerce de luxe. Il ne favorisait pas une consommation de masse.
L'essentiel des échanges se faisait à base de troc. Quatre (4) produits ont dominé, avant le XIXè
siècle, les échanges entre le Lodzukru et les pays de l'intérieur. Il s'agit du sel, considéré comme
le principal produit de la côte. Le sel montait de la côte vers les régions de l'intérieur où il est
essentiellement vendu aux aristocrates et aux riches (1). Les trois autres produits venaient des
régions de l'intérieur. Il s'agit de l'or (poudre d'or et bijoux) du pays Baulé, les pagnes
(cotonnades) des pays Baulé et Koueni et les esclaves du Baulé et des pays Abê, Abidji (2). A
ces quatre principaux produits s'ajoutent les perles d'aigri, les toiles d'écorce et les produits de
consommation courante. Mais au XIXè siècle, avec le boom de l'huile de palme, le commerce
entre le Sud et l'intérieur connaît un nouvel élan et devient prospère bien qu'il conserve son
caractère luxueux.
Les échanges à moyennes et à longues distances de produits de luxe
Les échanges entre le Lodzukru et les régions de l'intérieur portaient sur de longues
distances. Cent (100) kilomètres séparent le centre commercial de Dabuatchi et Tyasalé,
1- Le sel en pays Baulé n'était vendu qu'aux aristocrates.
2- Les premiers esclaves de Lodzukru étaient originaires des pays Abidji et Abê.
204
Bandama appelé en Odzukru "Djita". Par le Bandama, navigable au Sud en bonne saison Tyasalé
devient un port fluvial. Ce centre économique est relié à la côte par le Bandama. Dans la
deuxième moitié du XIXè siècle, de nombreuses compagnies commerciales européennes
utiliseront des vapeurs pour faire monter les produits européens jusqu'à Tyasalé (l). Ce village
est aussi au carrefour des axes routiers Nord-Sud et Est-Ouest (2).
Par leur organisation spatiale et politique, les ElomoE contrôlaient à la fois la rivière N'zi,
voie de contact avec les autres groupes Baulé et Je fleuve Bandama, principale voie de passage
entre le Nord et le Sud. Le Bandama est navigable en toute saison sur 65 kilomètres jusqu'au
village d'Ahouen. Ainsi grâce à ce fleuve, les ElomoE ont établi des relations commerciales avec
la côte et aussi avec le pays Koueni, zone de transit des produits venant des pays Malinké et
Bambara (3).
Les ElomoE ont une organisation politique qui leur permet de contrôler toute la région.
Leur génie a permis non seulement la soumission des Asrin mais aussi des Akrowufwè,
Akpatifwè et Mandu (4). Au XIXè siècle de nombreux groupes de populations vont se greffer
aux ElomoE et Tyasalé à le visage d'un village cosmopolite. Tyasalé est divisé en plusieurs
quartiers. Le Nord le quartier militaire, siège du matriclan wandjé et résidence des lignages
composant le gros des guerriers armés et le Sud, Centre Administratif et résidence royale et de
prêtes du Dieu Tyassa (4).
Î
La population des deux villages: Tyasalé sur la rive gauche et Niamvué sur la rive droite
est, au XIXè siècle, estimée à deux mille (2.000) habitants dont six cents (600) guerriers armés
de fusils de pierre (5). L'organisation politico-militaire des ElomoE inspirait la peur à toutes les
populations, qui sont obligées de passer par Tyasalé pour échanger leurs produits. Cette situation
a permis alors aux EmoloE d'étendre leur hégémonie sur le reste de la région et de contrôler les
trafics commerciaux vers le Sud et vers le Nord.
1- A.N.Cr. : Série lEE 28 (1) 1896.
2- Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Ex. de la Côte
d'Ivoire 1720 - 1920 page 228
3- A.N.Cr. : Série lEE 32 (1) pièce 12 - 1896.
4- c.f Harris MEMEL Foté page 228.
5- A.N.CI. : Série lEE 32 (1).
205
Tyasalé devient le principal entre commercial du centre parce que ce village est
l'aboutissement des axes terrestres du Nord et du Sud. Tous les produits venant des régions
Malinké et Koueni aboutissaient à Tyasalé. Dans la deuxième moitié du XIXè siècle, une voie
relie Tyasalé à Kong (1). Cela favorise le drainage des produits des régions Nord et Nord-Est
vers Tyasalé. Ce centre commercial recevait aussi de la côte le sel et les produits manufacturés
européens.
Le rayonnement commercial de Tyasalé a favorisé dans la deuxième moitié du XIXè
siècle, l'installation de succursales de maisons de commerce établies depuis le début de la traite
de l'huile de palme à Grand-Bassarn, Assinie et Dabou. Les succursales sont alimentées en
produits de traite par des chaloupes à vapeur qui remontaient le Bandama jusqu'à Broubo. Le
reste du trajet jusqu'à Tyasalé est fait en pirogue.
Les maisons de commerce installées à Tyasalé comprenaient la compagnie française de
Kong, (C.F.K.) ; Reyder et Cie, Honding et Cie et Dutheil de la Rochère (2). Il s'agit des
compagnies commerciales anglaises et françaises. Elles se sont établies à Tyasalé pour acheter
surtout le caoutchouc (3).
De nombreuses maison de commerce appartenant aux africains étaient aussi installées à
Tyasalé. C'est l'oeuvre des marchands sénégalais et surtout des Appoloniens (nom désignant les
commerçants venus de la côte), considérés comme "les juifs de la côte" (4). Les commerçants
africains livraient une véritable concurrence aux agents des factoreries européennes.
ils
vendaient essentiellement du sel, des tissus, de l'alcool et achetaient le caoutchouc qui descendait
des pays Koueni et de Kong et l'huile de palme.
Parmi les marchandes africains, un certain Dongan, originaire de Grand-Bassam a eu une
activité commerciale prospère. Il possédait dans tous les grands centres commerciaux, une
succursale. Il possédait une chaloupe pour la collecte et le transport des produits de traite. Il
livrait une sérieuse concurrence aux maisons de commerce européennes.
1- A. N. C. 1. : Série lEE 28 (2) pièce 12.
2- A. N. C. 1. : Série lEE 28 (2) 1903. (24 feuilles) pièce 8.
3- A. N. C. 1. : Série lEE 28 (2) 1903 page 12.
4- A. N. C. 1.: Série lEE 28 (2) 1903 pièce 14.
206
De nombreux traitants Odzukru se rendaient périodiquement à Tyasalé et dans les pays
Yowré et Koueni pour les échanges avec les autres populations. La plupart des traitants Odzukru
qui se rendaient à Tyasalé et dans les autres régions sont surtout originaires des villages de
Dibrim et de Tukpa. Mais le voyage dans la région du centre nécessitait une préparation
particul ière.
L'organisation du voyage
Les commerçants Odzukru ont conscience des dangers de la route. C'est pourquoi tout
voyage à travers la forêt et la savane nécessitait un équipement matériel et une protection
métaphysique (1). Les voyages vers le pays Baulé et Abê se font en groupes c'est à dire en
caravane. Une caravane réunit des traitants de plusieurs villages et peut comprendre vingt à
trente personnes. Les traitants sont accompagnés au cours des expéditions commerciales par
leurs esclaves. Les esclaves portaient les produits à vendre et les paquets de manilles qui
serviront à faire des achats. Tout voyage serait précédé selon AFFI Sylvestre d'une préparation.
Les commerçants Odzukru s'approvisionnent en produits de traite auprès des courtiers
Alladian et des factoreries européennes qui se sont installées dans les débarcadères de Lodzukru
dans la 2è moitié du XIXè siècle. Ensuite par des émissaires, ils s'informaient sur les cours des
produits à Tyasalé et dans les autres centres commerciaux de l'intérieur. Ils s'informaient surtout
sur les cours des esclaves qui étaient différents d'un marché à un autre. L'esclave est très
précieux dans le Lodzukru. C'est à la fois un agent économique et un objet de prestige. C'est la
chose du maître. Tout ce que l'esclave possède appartient à son acquéreur.
Le troisième élément des préparatifs est la défense des commerçants. Les commerçants
Odzukru avaient recours à deux types de défense. Il y a d'abord les armes à feu et les armes
blanches. Les armes blanches pour la plupart en fer provenaient du pays Koueni. Elles étaient de
fabrication Malinké et les fourreaux étaient en cuir. Ils portaient aussi des armes à feu, achetés
aux navires européens. Tous les traitants portaient chacun une arme sauf les esclaves chargés de
porter les bagages. Les commerçants Odzukru note Al Sylvestre étaient convaincus qu'à quinze
ou à vingt personnes, ils pouvaient enrayer une attaque de fauves ou de bandits.
1- Harris MEMEL Folé : l'esclavage dans les sociélés lignagères d'Afrique Noire: Exemple de la
Côle d'Ivoire précoloniale 1720 - 1920 page 245.
207
Mais ils étaient très méfiants de leurs esclaves. Ces derniers constituaient la troupe la plus
importante des caravanes. on note deux à trois esclaves par traitant. les esclaves ne portaient pas
d'arme parce que les commerçants avaient peur d'une révolte.
A cela s'ajoutent les pouvoirs métaphysiques qui permettaient aux commerçants de
prévenir une attaque de la neutraliser ou de provoquer eux-mêmes l'attaque.
Les commerçants, au cours de leurs voyages redoutaient trois types de dangers
susceptibles de détruire leurs marchandises (1). Les dangers d'ordre physique caractérisés par les
crues des fleuves qui empêchaient toute traversé les pluies, les tornades et les naufrages. Ensuite
les dangers d'ordre animal, attaques des bêtes fauves et enfin les dangers d'ordre humain. Là, les
dangers sont caractérisés par les vols, les attaques surprises etc ... Tous ces dangers pour les
.
.
traitants sont des signes de menaces invisibles. Ils sont, note SESS Samuel, interprétés comme
une action maléfique des sorciers ou une disgrâce des ancêtres.
Pour les commerçants, la neutralisation de ces dangers signifie l'existence de pouvoir dit
naturel (2). La neutralisation se fait en fonction de la nature du danger. La défense se traduit
surtout par une métamorphose en être différent, ou par l'apaisement de l'agressivité ennemi. C'est
pourquoi, même ceux qui ne disposent pas de pouvoir, supposé naturel, ont recours à leurs
fétiches personnels appelés "Bassa" ou "Kabra". Les traitants Odzukru selon ESSOH LATTE
Benoît acquéraient ces pouvoirs auprès des populations Baulé et Agni. ESSOH LATTE Bénoît
souligne aussi que de nombreux négociants Odzukru se rendaient en pays Abidji, Attié, Agni et
Baulé à la recherche des fétiches protecteurs. Les traitants recherchaient ces pouvoirs non
seulement pour se protéger contre toute sorte de dangers au cours de leurs différentes expéditions
commerciales mais surtout pour se protéger contre les actes maléfiques des sorciers qui sont le
plus souvent jaloux de leur réussite sociale et économique. tous ces. moyens de défense réunis,
les traitants Odzukru pouvaient alors entreprendre leurs voyages vers le Baulé, le Koueni, l'Abê
et l'Abidji.
1- Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Exemple de la
Côte d'Ivoire précolonialc 1720 - 1920 page 247.
2- c.f Harris MEMEL Foté page 248.
208
Mais avant toute expédition, les négociants offraient des sacrifices aux Dieux de leurs
lignages afin de s'assurer de leur grâce. Les négociants avant toute expédition ont recours à
d'autres pouvoirs, celui de capter la chance. Le pouvoir de capter la chance, appelé en Odzukru
"Sos dede", s'obtenait par un traitement médico - religieux (1). ]] s'agissait surtout de lotion que
les traitants enduisaient sur leurs corps. Cette lotion doit procurer au corps une bonne odeur et
offrir une douce saveur. Elle doit attirer vers le commerçant la chance. C'est ce qu'écrit MEMEL
Foté Harris. «Cette acquisition s'obtient par un traitement médico-religieux du corps (Sos dede
en Odzukru) lequel doit exhaler une bonne "odeur" et offrir une douce "saveur". Lorsqu'elles
sont positives, cette odeur et cette saveur attirent vers la personne, captent et retiennent les
bienfaits de la vie en général, tel l'amour et les bienfaits du commerce en particulier :
.
marchandises de valeur, esclaves de qualité, meilleurs prix (2»>.
C'est lorsque tous ces éléments de protection sont réunis que les négociants Odzukru
entreprennent leurs expéditions commerciales. Les voyages aller et retour 'de façon générale
durent plusieurs semaines, voire des mois. Cette durée est aussi liée aux échanges. En effet
lorsque les produits sont sur place, le temps mis est court. Les échanges commerciaux entre le
Lodzukru et les pays de l'intérieur au XIXè siècle obéissent à la même organisation qu'au XVIllè
siècle. Les échanges portent sur des produits de luxe et sur de faibles quantités.
Les produits échangés
Les produits d'exportation de Lodzukru
Au XIXè siècle, le courant commercial Sud-Nord qui a souffert du manque de produits
dans le 2è moitié du XVIIlè siècle connaît un regain d'activités avec la disparition de la traite des
Noirs et l'arrivée des marchandises européennes sur la côte. La disparition des razzias ont ramené
la paix dans les villages et la confiance parmi les populations. On nole aussi Je désir des
populations de reprendre les activités commerciales, seul facteur de progrès social. Ainsi, de
Lodzukru, approvisionné par les traitants Alladian en marchandises européennes partaient vers
les centres commerciaux de l'intérieur, surtout vers Tyasalé, des armes à feu (fusils, poudre à
canon), des étoffes (tissus), de l'eau de vie (gin, rhum), du tabac et de la quincaillerie.
-.._----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------_...
1- Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Exemple de la
Côte d'Ivoire précoloniale 1720 - 1920 page 248.
2· c.r. Harris MEMEL Foté page 249.
209
A ces produits importés s'ajoute le sel qui, depuis la 2è moitié du XVIIè siècle, a constitué le
principal produit d'échange entre la côte et les régions de l'intérieur. La préparation du sel était la
principale industrie des populations du littoral. Au XYlllè siècle, le sel servait à la fois de bien
de consommation, de monnaie et de bien de prestige.
Le sel est la grande denrée d'échange dans les régions de l'intérieur. Il fait l'objet d'un
grand commerce dans le Baulé et est le principal produit d'échange de Tyasalé. Le prix du sei est
variable d'une région à une autre. Ce produit vendu en bouteille coûte sur la côte par exemple à
Grand-Lahou dix (10) manilles soit 2 F. A Tyasalé, le panier est vendu à 23 manilles soit 4,5 F, à
Kadio Koffikro, 30 manilles soit 6 F et enfin à Kong à 50 manilles soit 10 F (1). Le sel est cher
lorsqu'on s'éloignait de la côte, il devenait un produit rare et est alors réservé à l'aristocratie (2).
Le sel dans le Baulé avait une grande valeur et seuls les chefs en avaient suffisamment pour en
assaisonner régulièrement leurs aliments. le reste de la population utilisait les centres pour
assaisonner ses aliments (3). Le sel servait aussi de monnaie de change dans les pays Koueni.
Trois bouteilles de sel étaient échangées contre un pagne (cotonnade).
La verroterie intervenait peu dans les transactions commerciales parce que dans les
régions de l'intérieur surtout en région de savane, s'était développé une grande industrie de
fabrication de céramique. Ainsi dans le Baulé, la verroterie a eu peu de valeur. Elle est presque
nulle. Ne sont utilisées que les cauris venues du Sud qui servaient à la fois d'ornement aux
D
femmes et de monnaie (4) lors des transactions commerciales avec les marchands Malinké,
Sénoufo et Bambara qui descendaient dans le Baulé pour y vendre des tissus, des armes à feu,
des esclaves et pour acheter les produits de la manufacture européenne venant du Sud et le sel
(5).
Les Dyula venues par caravanes des centres commerciaux de Kong, de Marabadiassa, du
Djimini, ainsi que les Haoussa,
rencontraient souvent les marchands de la côte, appelés
communément "Appoloniens". Sur les marchés Baulé, pour l'achat d'esclaves. Sur le marché de
Kadio Koffikro, l'esclave coûtait moins cher par rapport à Tyasalé où l'offre est plus élevée à
cause de la forte demande. Les populations de la côte ont
1- AN.C.I. : série J.O.c.I. année 1898 p. 38
2- AN.C.I. : série J.O.c.I. 1898 p. 38
3- De nombreuses populations utilisaient les cendres pour donner une saveur à leurs préparations
(aliments).
4- AN.C.I. : série lEE 28 (2) pièce Il
5- AN.C.I. : série lEE 28 (2) pièce 5
210
un besoin pressant d'esclaves c'est pourquoi elles encouragent les importations. L'alcool
d'importation dans les zones forestières est très apprécié par les populations. Surtout le gin
importé d'Angleterre et d'Allemagne (1)) et qui est adopté par les Anyi comme une boisson
nationale. Dans le pays Anyi situé à l'Est de l'actuelle Côte d'Ivoire, le gin a remplacé dans les
grandes cérémonies et lors des libations, les traditionnels vin de raphia et de vin de rônier. Dans
le Baulé, le gin a remplacé chez les aristocratiques du centre et de l'Est, le vin de rônier. Le gin
intervenait dans toutes les cérémonies officielles, c'est la principale boisson des cours royales.
Plusieurs tonneaux de gin sont alors exportés vers les régions Anyi. Le prix du tonnelet de gin
variait d'une région à une autre. Les cours de ce produit obéissaient à la loi de l'offre et de la
demande.
Le gin, très apprécié, permet aux traitants Odzukru se rendant dans le pays Anyi avec les
tonnelets de cette boisson de réaliser d'importants bénéfices. Les échanges sont faits à base de
monnaie (manilles) et de troc. Mais avec le Koueni, 'les échanges étaient toujours à base de troc
(2).
Bien que le système monétaire des pays Baulé et Anyi soit à base de poudre d'or (acquêt),
les traitants Odzukru, au cours de leurs expéditions commerciales ont introduit dans ces pays, les
manilles, principale monnaie de la côte. AI Sylvestre affirme que l'introduction des manilles dans
les pays Anyi Morofwé serait l'oeuvre des traitants Odzukru. Les négociants de Tukpa, Dibrim,
/
1
Mopoyem et Cosr étaient en contact avec de nombreux peuples. Cela leur a permis de diversifier
leurs fournisseurs et clients. Mais le commerce des alcools constituait un fret peu important par
rapport au commerce d'armes à feu (fusils et poudre à canon).
Le commerce d'armes à feu est une activité très rentable pour les négociations Odzukru.
Les armes à feu sont très recherchées par les populations Baulé qui constituent une aristocratie
militaire et par les Koueni qui sont de très grands chasseurs. Les fusils vendus dans les pays
Baulé et Koueni sont d'origines belge et anglaise. Mais dans la 2e moitié du XIXè siècle, les
fusils les plus répandus dans les régions précitées sont de fabrication belge. Les fusils vendus
étaient à pierre avec une crosse courte, peint en rouge (3). Le canon était très long. Ces fusils
venaient de la côte et transitaient par Tyasalé.
1 - AN.C.I : Section AOF série 5G26 p. 8
2 - AN.C.I : Série lEE28 (2) p. 8
3 - AN.C.I : Série tEE 28 (2) p. 12
211
Ils coûtent à Tyasalé entre 250 à 300 manilles soit 50 à 60 F l'unité (1).
Les populations du Centre et de la partie Nord du Centre Ouest ont une longue tradition
de l'utilisation des fusils. Elles reçoivent des fusils de leurs voisins du Nord et ces fusils
transitaient par le pays Koueni (Gouro). Ces fusils sont de fabrication Malinké et Sénoufo. Les
forgerons Malinké, installés dans le Koueni et dans le Baulé ont appris aux populations de ces
deux pays, la fabrication et la réparation des fusils (2). Ainsi de nombreuses forges ont vu le jour
dans ces régions. Les Odzukru, au cours de leurs déplacements dans ces deux régions ont appris
à travailler le fer et à fabriquer les armes blanches et à réparer les fusils (3). Ils ont aussi appris à
travailler l'or auprès des orfèvres Baulé(4). Le Baulé est une grande région productrice d'or. On
trouve d'importants gisements d'or à Kokoumbo et dans le Yowrê. Le matériel en fer utilisé dans
le Baulé provient des caravanes Bambara et Malinké, des exportations du pays Koueni et de la
production des forgerons Sénoufo et Malinké installés dans la région.
La poudre à canon est très appréciée par les différentes populations parce qu'elle donne
aux projectiles (barre de fonte, pierre, grains de riz etc ...) une certaine efficacité. Autrefois, pour
la détonation, les populations utilisaient un mélange de poudre qui rendait moins efficace l'arme
à feu; avec la poudre à canon, le fusil s'impose dans toutes les sociétés comme l'arme la plus
redoutable. Dans les pays Koueni et Baulé où les relations commerciales sont très importantes
avec les Odzukru, la poudre à canon est un produit de consommation courante surtout dans le
Baulé où elle est utilisée lors de toutes les manifestations de réjouissances et des funérailles (6).
Il n'y a pas de tète dans un village Baulé où l'on n'épuise pas deux à trois barils de poudre à
canon (7). La poudre à canon est pour les populations un produit stratégique. Elle est recherchée
pour la défense et la sécurité du territoire. Tous les villages au cours de la campagne
commerciale en constituaient des stocks (8). Les aristocraties militaires comme les Baulé
constituaient des stocks pour les futures campagnes militaires.
-------------------------------------------------------------------------------------------------..-----------------------1 - A.N.S
section AOF série 5G27.
2 - A.N.C.I : série lEE28 (1) p. 7
3 - Enquête réalisée à OrgbafT le 22 septembre 1987.
4 - Enquête réalisée à Orgbaff le 22 septembre 1987auprès de M. Samuel SESS.
5 - AN.C.I : série lEE28 (1)
6 - AN.CI : série lEE28 (1)
7 -
8 - A.N.S : Section AOr. Série 5G26 année 1854 pièce 8
212
Les populations de l'intérieur font d'importantes commandes aux négociants de la côte.
Chaque village en fait la réservation (1). toutes les sociétés sont grandes consommatrices de
poudre à canon. Ce produit est transporté dans des barils. Il s'agit des tonnelets en bois et chacun
des porteurs au cours des voyages n'a qu'un seul barils. La poudre vendue à l'intérieur est
d'origine anglaise; Mais dans la 2è moitié du XIXè siècle les populations utiliseront la poudre
d'origine française qui est de qualité médiocre (2). La poudre française est avariée et souvent
mouillée. Les populations sont très attachées à la poudre anglaise à cause de sa bonne qualité.
Le barils de poudre à canon vendu sur le marché de Tyasalé est à 105 manilles soit 21 F
et à Kadio Koffikro à 125 manilles soit 25 F (3). une fois qu'on s'éloigne de la côte, les produits
comme le sel et la poudre à canon voient leurs prix augmentés parce que l'offre devient très
faible par rapport à la demande.
Les négociants Odzukru vendent aux populations de l'intérieur, les produits européens,
mais en retour, ils achètent les produits de l'artisanat Baulé, Koueniet Malinké pour pallier aux
déficiences de l'artisanat Odzukru.
Les produits importés en pays Odzukru
Les expéditions commerciales des négociants Odzukru, dans les pays de l'intérieur, n'ont
pas essentiellement pour but de vendre ou de faire connaître les produits de la manufacture
européenne aux 'différentes populations situées loin de la côte, mais d'échanger les produits de
l'intérieur et d'acheter les esclaves. Les échanges avec les populations de l'intérieur ont aussi pour
but de combler par les achats de produits artisanaux l'indigence technique des Odzukru. Ainsi,
plusieurs produits sont importés des régions de l'intérieur vers le Lodzukru.
Ces importations sont constituées de pagnes (cotonnades), de la poudre d'or et des bijoux
en or, des esclaves et de nombreux produits de consommation courante (matchette, produits
alimentaires, etc...). Grâce à la volonté de réussir, les traitants Odzukru deviennent comme les
autres agents économiques de la côte, les principaux animateurs du trafic
1- A.N.S. : Section AOF série 5G28 année 1856 pièce 13
2- A.N.S, : Section AOF série 5G28 année 1856 pièce 13
3- A.N.CI. : JO.C.I. 1898 page 38
213
commercial entre le Sud et le Nord. Certaines régions, telle l'Abidji sont sous domination
économique OOZUKRU. Le pays Abidji économiquement dépend de Lodzukru son voisin du
Sud. Cette région, située à près de soixante dix (70) kilomètres de la côte maritime est restée
pendant très longtemps un réservoir de main-d'oeuvre (1) et le fournisseur de produits
alimentaires pour le Lodzukru.
Les produits importés des régions de l'intérieur ont constitué pour la plupart des produits
de prestige (2). Ils entraient dans la constitution des trésors des lignages et des matriclans. Une
faible quantité de ces produits est revendue. Les produits artisanaux de l'intérieur auraient un
coût très élevé note Al Sylvestre car les besoins des populations des zones lagunaires et
maritimes sont importants. Les besoins sont immenses mais les importations très limitées.
Parmi les traitants, les plus habiles parvenaient à avoir un fret important. Avant
l'expédition, les négociants Odzukru s'assuraient auprès de leurs hôtes que leurs demandes.
étaient satisfaites. Comme au XVIIlè siècle, ce sont les hôtes qui dirigent les négociants et
prennent tous les contacts. Avant l'arrivée des négociants, note SESS Samuel, les sous-traitants
Koueni, Baulé ou Abidji, en fonction de la commande de leurs amis de la côte, font des
réservations moyennant des primes aux différents producteurs. Les commandes se font un an à
l'avance avant l'ouverture de la saison commerciale. La stratégie des réservations permet aux
traitants de déjouer la concurrence. Les produits tels les esclaves, la poudre d'or, les boeufs et les
pagnes sont très demandés par les populations Odzukru. Par ordre d'importance, il y a d'abord les
esclaves, ensuite l'or, et les tissus (cotonnades) et enfin les boeufs et les produits alimentaires.
ESCLAVES : produits très importants pour le Lodzukru à cause des divers fonctions qu'ils
assuraient. L'esclave dans le Lodzukru est un agent économique, un agent démographique et
social. Au plan culturel, ils sont d'un apport important pour l'épanouissement de la culture
Odzukru. Les sources d'approvisionnement en esclave de Lodzukru étaient très diversifiées.
Trois régions fournissaient en esclaves le Lodzukru. Il s'agissait des pays Abidji et Abê, voisin
de Lodzukru et du pays Baulé. Pour tous les négociants de la côte, le principal
1- Les premiers esclaves de Lodzukru seraient originaires du pays Abidji, ce fut d'abord les
femmes.
2- L'or et les pagnes étaient des produits très recherchés par les lignages Odzukru.
214
marché d'esclaves se trouve dans le pays Baulé, en contact avec les populations du Nord où
l'esclavage et la vente des esclaves sont une activité économique ancestrale.
Très tôt, les Odzukru auraient eu, note ESSOH LATTE Bénoît un besoin pressant en
main-d'oeuvre servile pour l'exploitation des palmeraies qui sont la principale source de revenu
des lignages (1). En effet, les lignages manquent de main-d'oeuvre et ils n'arrivent pas à exploiter
de façon efficiente les palmeraies. C'est pourquoi, ils se sont adressés au pays Abidji. Les Abidji
du point de vue démographie ne sont pas plus peuplés que les Odzukru. La population
ODZUKRU représente selon nos informateurs de cinq (5) fois la population Abidji (2), mais la
situation économique très difficile dans laquelle ils se trouvent oblige les Abidji à vendre des
esclaves aux Odzukru. Les difficultés et la dépendance économique sont à l'origine de ce
commerce d'esclaves entre Abidji et le Lodzukru car l'économie Abidji à l'époque reposait
essentiellement sur les produits agricoles (vivriers). Seule la vente des esclaves constitue une
source de revenu pour les lignages.
Les premiers contingents d'esclaves à arriver dans le Lodzukru seraient des jeunes filles
Abidji. En achetant les femmes, les Odzukru ont pour souci d'accroître la population des
matrilignages. Avant l'utilisation des manilles comme monnaie dans les échanges, les Odzukru
obtenaient les esclaves en les échangeant contre des fusils, du sel et des étoffes. Avec
l'avènement des manilles le prix des esclaves était fixé en fonction des sexes (3). Le prix des
0;-
femmes est très élevé. Elles étaient vendues à 3 DU soit 1200 manilles ou 60 paquets de manilles
soit 240 F et les mâles à 2 DU soit 800 manilles ou 40 paquets. Ce qui équivaut à 160 F. Les
femelles sont vendues à des prix exorbitants parce qu'elles accomplissent une double fonction.
Elles sont d'abord des agents économiques parce qu'elles participent aux activités économiques
du lignage de son acquéreur. Par leur travail, elles doivent favoriser l'accroissement de la
richesse des lignages respectifs. Tout ce qu'elles possèdent, appartiennent à leurs acquéreurs.
Enfin, elles ont aussi pour mission de procréer afin d'assurer la continuité du lignage et du
matriclan et de fournir de nouveaux bras à leurs maîtres. L'acquéreur a un droit de vie ou de mort
sur ses esclaves. Les Odzukru obtenaient aussi les femmes Abidji
1- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 22 Août 1988.
2- Selon les sources d'informations qui sont en notre possession, les Abidji appelés aussi Ari
étaient au nombre de près de 6000 habitants. lOD (21).
3- Les femmes étaient vendues à des prix exorbitants
215
par le mariage après le versement d'une forte dot constituée de sel et de produits importés. Quant
à l'homme, il n'était qu'un agent économique.
Le mâle s'articule à accroître la fortune personnelle de son acquéreur par le travail.
L'acquéreur fait pour lui office de maître et d'oncle maternel (1). L'esclave mâle a la possibilité
de prendre pour épouse, une femme libre dans le lignage de son acquéreur ou dans un autre
lignage. Quant à la femelle elle peut épouser son acquéreur, un homme du même lignage que son
maître ou quelqu'un d'un autre lignage. Mais ces descendants ont l'acquéreur comme grand-père
et oncle maternel. Ils appartiennent au matrilignage de l'acquéreur de leur mère.
Les esclaves n'ont pas les mêmes droits que les hommes libres. C'est la chose du maître.
Les récalcitrants sont immolés ou inhumés vivants pour aller servir leur maître défunt dans l'au-
delà (2).
Les Odzukru acquéraient aussi les esclaves par le gage (AOBA). Les sous-traitants Abidji
qui n'arrivaient pas à fournir l'équivalent des produits reçus des négociants mettaient en gage un
membre de leur famille en guise de reconnaissance de la dette. Souvent, les personnes mises en
gage ne sont pas requises et elles demeuraient membres de la famille de l'acquéreur ou du
négociant. La faiblesse de la démographie Abidji n'a pas permis de satisfaire les besoins de
Lodzukru en esclaves. C'est pourquoi les Odzukru se sont orientés vers les marchés Abê appelés
en Odzukru "egu", Krobu (oru) et le Baulé.
Le commerce entre le Lodzukru et le pays Abê "Egu" est essentiellement dominé par le
commerce des esclaves. Les Odzukru exportaient le sel et les produits manufacturés européens et
en retour achetaient des esclaves surtout des jeunes filles (3). Ces esclaves femelles sont vendues
à 1200 manilles. Les esclaves d'origine Abê ne sont pas très appréciés par les Odzukru pour deux
raisons. Elles sont pour une grande majorité stériles et elles ont un caractère très dur. Les
Odzukru disent qu'elles ont une pierre à la place du coeur. La plupart des Odzukru sont méfiants
à l'égard des femmes Abê. Malgré ce comportement et ce caractère repoussant des femmes Abê
les Odzukru continuaient à
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1987 auprès de Mr. Benoît ESSOH LATIE.
2- Les Odzukru croient en l'existence d'une vic après la mort. Il s'agit de la même vie que sur la
terre.
3- Le commerce des esclaves entre le Lodzukru et les Abê portait essentiellement sur les
femmes.
216
commercer avec le sporulations Abê. Dans les matriclans Odzukru, certains lignages ou
segments sont issus des femmes Abê surtout du village de Mbru où les populations parlent
couramment le Odzukru (1). Les Odzukru s'approvisionnaient aussi en main-d'oeuvre servile
auprès des populations Krobu qu'ils appellent "Oru". Le commerce avec les Krobu portait
essentiellement sur les femmes. Par le mariage aussi, les Odzukru s'acquéraient des femmes
étrangères (2). Les esclaves femelles procuraient à leurs acquéreurs une main-d'oeuvre servile.
Car leurs descendants (enfants) étaient propriétés du maître. Les de;cendants d'esclaves ne sont
jamais revendus. La possession d'une forte population d'esclaves est dans Lodzukru synonyme
de richesse, de prospérité. Car tous les lignages n'en possédaient pas.
Les esclaves fécondes sont animés de leurs acquéreurs et des membres du lignage de ces
derniers. Quant aux stériles elles sont mal animées parce qu'elles constituent un mauvais
investissement pour les acquéreurs. Les esclaves femelles stériles ont une vieillesse difficile
parce qu'elles n'ont personne pour s'occuper d'elles.
Au XIXè siècle, avec la traite de l'huile de palme, l'achat d'un esclave devient obligatoire
dans le Lodzukru. Selon ESSOR LATTE Benoît, tout homme, avant la célébration du rituel
d'Agbadzi qui lui donnait le droit d'appartenir à la société des riches devraient acheter pour sa
soeur une esclave femelle (3). L'esclave est pour le Lodzukru un produit de prestige. Son
acquisition est synonyme de réussite sociale.
Vers la fin du XIXè siècle, les esclaves deviennent à bon marché avec la descente des
esclaves des régions du Nord (4). Les Odzukru se rendaient comme la plupart des traitants de la
côte dans le Baulé où les esclaves étaient vendus à des prix très bas. Les esclaves étaient vendus
à des prix très bas surtout sur le marché de Kadio Koffikro. Ce produit donne alors lieu à un
important mouvement commercial entre la côte et le Baulé. Les esclaves vendus dans le Baulé
provenaient des pays Sénoufo, Djimini et Tagbana. Ils sont pour la plupart des captifs des Sofas
de Samory. Dans le Baulé, les Sofas les échangent en lots contre les produits agricoles, la poudre
d'or, les moutons et contre la poudre à canon (5). En période de famine, les Sofas
1- Le Modzukru est la langue des Odzukru
2- Les riches négociants Odzukru épousaient aussi des femmes Dida.
3- Enquête réalisée à OrgbalT le 28 Décembre 1984
4- Les guerres Samoryennes ont drainé vers le Baulé une quantité considérable d'esclaves.
5- A. N. C. 1. : série lEE (1) 1896 p. 12
217
de Samory échangeaient les esclaves contre des poulets ou du manioc sec. En effet, pendant la
période de famine, Samory a échangé un esclave contre une chèvre et ses Sofas un esclave contre
trois poulets (1).
Dans les régions de savane, le prix des esclaves était très abordable et toute personne
pouvait en acquérir? Par contre, dans les régions forestières, le coût d'un esclave est très élevé à
cause de la demande qui est très forte. Toutes les sociétés de la côte connaissent un déficit
démographique et ont besoin de main-d'oeuvres serviles et d'esclaves pour assurer la continuité
de leurs lignages. Ainsi sur le marché d'esclaves de la région du centre, l'esclave est vendu à 300
manilles soit 60 F (2). Dans la région forestière, précisément à Tyasalé le prix d'un esclave est
multiplié par deux ou trois: c'est-à-dire 800 à 1200 manilles, soit 160 à 240 F.
Dans le Baulé, le cours des esclaves étaie en fonction des périodes. En effet, pendant les
guerres ou les périodes de troubles, où la .population des captifs est importante le prix d'achat
d'un esclave varie entre 150 à 200 manilles. Mais pendant les périodes de stabilité politique et de
croissance économique le cours des esclaves est très élevé (3).
Parmi les marchands Odzukru certains avaient vers la fin du XIXè siècle près de
cinquante (50) à soixante (60) esclaves tous sexes confondus. L'esclave coûte une fortune. La
femelle 1200 manilles soit 240 F et le mâle 800 manilles soit 160 F. Ce qui représente les
économies de trois à quatre années de travail. La réussite sociale est aussi subordonnée dans le
Lodzukru à la possession de cotonnades (pagnes), produits non fabriqués par les Odzukru et qui
sont toujours importés de l'extérieur.
- Les cotonnades ou pagnes
Les Odzukru n'ont jamais connu le métier à tisser. Avant, l'établissement des relations
commerciales avec les peuples de l'intérieur techniquement avancés, (Malinké, Koueni etc ...), les
Odzukru portaient des toiles d'écorces appelées en ODZUKRU "Likpekn"). Aucun tisserand note
SESS Samuel, n'existait dans le Lodzukru.
1- A.N.CI. : série lEE28 (1) 1896 page 14
2- A.N.CI. : série lO.CI. année 1898. p. 36
3- A.N.CI. : série lEE28 (1) 1896 page 13
218
Les Odzukru se confectionnaient les toiles d'écorces mais en importaient aussi du pays
Abidji. Ils se faisaient aussi confectionner des pagnes en fibres de raphia par les Dida.
L'établissement des relations commerciales avec les Baulé et les Koueni a permis aux
Odzukru de posséder des pièces de cotonnades, confectionnées avec du coton. Les Odzukru ne
possèdent ni la matière première, ni la technique pour se confectionner des cotonnades.
La plupart des pagnes (cotonnades) portés dans le Lodzukru proviennent des pays Baulé
et surtout
du Koueni (Gouro). La confection des pagnes et l'orfèvrerie sont les principales
activités industrielles des Baulé surtout les populations Baulé, situées dans la partie Nord et en
contact avec les populations Mandé et Sénoufo ; la teinture et le tissage sont la grande activité
industrielle de cette région. C'est le cas des Ouarebo ou agoua qui se sont spécialisé dans le
tissage et la confection des pagnes (1). Les Baulé possèdent les matières premières: d'abord le
.
coton très répandu dans la région et qui pousse à l'état naturel. Les Tisserands Baulé utilisaient
aussi des feuilles et des écorces d'arbres pour obtenir la teinture. Les Tisserands Baulé utilisaient
les feuilles du "calama" qui donnaient une teinture jaune (2), teinture qui résistait au lavage et à
la pluie.
Possédant les matières premières, les Baulé ont eu à développer les techniques du métier
à tisser auprès dé leurs voisins Sénoufo et Malinké qui se sont au XIXè siècle, installés dans les
grands centres économiques de la région. La plupart des immigrés Sénoufo et Malinké ont fuit,
au XIXè siècle, les troubles qui sévissaient dans leurs régions et surtout les troupes de Samory
(3). En effet, ils se sont installés dans le Baulé pour échapper à la captivité. Certains, parmi ces
immigrés, s'étaient installés dans le Baulé depuis XVIIlè siècle (4). Parmi les Tisserands
étrangers, ceux qui se sont installés à Kadio Koffikro ont développé le métier à tisser dans ce
village. On note, aux XIXè siècle, l'existence de trente métiers à tisser à Kadio Koffikro (5).
La confection d'un pagne est un travail pénible et difficile. Les Tisserands confectionnent
d'abord des bandes d'étoffes de même longueur et de même largeur. Ces bandes
1 - AN.C.I : série J.O.c.1. 1898. page 12
2 - AN.C.I : série IEE (1) 1896 pièce 10
3 - AN.C.I : série lEE28 (1)
4 - AN.C.I : série lEE28 (1)
5 - AN.C.I : série lEE28 (1)
219
permettaient alors de confectionner des pagnes d'une extrême rareté, difficile à se procurer mais
de bonne qualité (1). Il fallait à un Tisserand, plusieurs semaines pour confectionner un pagne.
Certains d'entre eux mettaient six (6) à huit (8) mois ou plus pour confectionner un pagne. Le
coût des pagnes est alors élevé et non accessible à toutes les bourses. Cela obligeait les diverses
populations à porter les toiles d'écorces.
On note plusieurs variétés de pagne. Les plus célèbres sont: le "Dzango", le "Sopui" et le
"Kamitché". A ces trois pagnes, s'ajoutent le "Sobu" (2). Le "Dzango" et le Kamitché" sont
d'origine Koueni et le "Spui" confectionné par les Tisserands Baulé. Ces différents types de
pagnes ont seulement deux couleurs. Le bleu d'indigo et la couleur naturelle du coton, c'est-à-
dire le blanc. On établit une différence entre ces pagnes grâce à leurs dimensions, à l'épaisseur du
tissu et grâce aux différents motifs. Les pagnes sont ornés de divers dessins géométriques. Il y a
des raies et de nombreuses figues géométriques. Les différents motifs sont des langages, c'est-à-
dire des expressions. Le "Dzango" est uniquement réservé aux hommes et le "Sopui" aux
femmes (3).
Dans le pays Baulé, au XIXè siècle, le grand centre de production de cotonnades (pagnes)
est le Warebo (4), la région actuelle de Sakassou (5). Dans cette région, les pagnes étaient moins
chers. le morceal;l de "Sopui" est échangé contre des perles d'aigri et coûtait entre 8 à 1a manilles
(6) soit 1,50 à 2 F. Mais ce même morceau de "Sopui", sur le marché de Tyasalé est vendu à 60
manilles soit 12 F. Sur la côte, le même morceau de "Sopui" est souvent échangé contre un fusil
ou contre un baril de poudre à canon (7).
Les pagnes confectionnés dans le pays Koueni et Baulé sont appréciés de tous. Ils sont de
loin les meilleurs par rapport aux tissus européens, surtout français qui étaient de mauvaise
qualité. Les productions de pagnes des régions Baulé et Koueni ne sont pas seulement vendus
aux populations des régions côtières. Elles sont aussi exportées vers les pays Djimini, Tagwana
et Bambara (8).
1 - AN.C.I : Série lEE28 (1) pièce Il.
2 - AN.C.I : Série lEE28 (1).
3 - AN.C.I : Série J.O.C.I. 1898. p. 38.
4 - AN.C.I : Série J.O.C.I. 1898. p. 38.
5 - Sakassou était la capitale du peuple Baulé.
6 - AN.C.I : Série J.O.C.I. 1898. p. 38.
7 - AN.C.I : Série J.O.c.I. 1898. p. 37.
8 - Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Ex : de la
C. 1. précoloniale 1720 - 1920 p. 260.
220
En pays Odzukru, les pagnes sont des produits de prestige. Leur acquisition est synonyme
de richesse, de réussite sociale. Leur achat est presqu'obligatoire. Tout matrilignage ou lignage
devait avoir une partie de son trésor constituée de pagnes. C'est pourquoi à la fin de chaque
saison, le chef du lignage devait faire l'effort d'acheter au moins un pagne.
Le pagne, dans la société Odzukru est d'une très grande utilité. Le port du pagne, surtout
le pagne de qualité est obligatoire pour les hommes et les femmes lors des grandes cérémonies
d'initiation tels que le "Low" (initiation pour les jeunes garçons) et le "Dediakp" (initiation pour
les jeunes filles) et au cours de la célébration du rituel d"'Agbadzi" qui consacre le succès social
d'un individu et permet au récipiendaire d'accéder à la "société des riches". Les pagnes servaient
aussi à enterrer les morts. Au moins cinq (5) à sept (7) pagnes sont utilisés pour l'inhumation des
défunts (1). Les pagnes servaient de cercueil. Cela fait de Lodzukru, l'un des principaux
consommateurs de pagnes aux XIIIè et XIXè siècles.
Les premiers pagnes à pénétrer dans le Lodzukru, note ESSOH LATTE Bénoît, seraient
d'origine Koueni. Les pagnes sont échangés contre le sel ou contre les produits manufacturés
européens. Il s'agit du "Dzango" et du Kamitchè". Très peu de lignage dans le Lodzukru en
possèdent au moins quatre (4) pièces parce que pour les populations, les pagnes sont chers.
Aucun lignage n'aurait réussi selon ESSOH LATTE Benoît à posséder trente (30) à quarante (40)
pièces. Les pagnes sont aussi importés en pays Odzukru grâce à l'action des commerçants
...
Bambara et Dyula. Les pagnes venant du pays Koueni sont très appréciés par les populations
parce qu'ils sont très bien tissés et moins lourds.
Les lignages ne disposent pas d'une grande quantité de pagnes à cause de la faible
production et des prix très élevés. C'est pourquoi dans le Lodzukru, à l'occasion des cérémonies
d"'Agbadzi" et de "Dediakp", les différents lignages d'un même matriclan sont obligés de faire
jouer la solidarité en se soutenant et en s'entraidant. Tous les lignages (matrilignages) apportaient
ceux qu'ils possèdent pour l'habillement des récipiendaires. Cela permet d'éviter un déshonneur
au matrilignage en tete. Lorsqu'il y a déshonneur, cela rejaillit sur l'ensemble du matriclan, A
Orgbaff, lors du rituel d"'Agbadzi", l"'apatam" qui sert d'abri aux membres de la société des
riches est couvert de pagnes. Pour couvrir l"'apatam", on rassemblait les pagnes de tout le
matriclan. Lorsque cela est insuffisant. On s'adressait aux ramifications se trouvant dans les
villages voisins.
1- Enquête réalisée à OrgbafT le 28 Décembre 1984.
221
C'est le cas également des pièces d'or qui sont des produits recherchés par les populations
Odzukru. Les pièces d'or pendant la cérémonie d"'Agbadzi" font l'objet d'une exposition.
- Les produits en or
Les produits en or ont été l'objet d'un important commerce entre le Baulé et le Lodzukru.
Les Odzukru, note AI Sylvestre depuis leur installation sur le territoire qui est le leur aujourd'hui,
n'ont jamais parlé de l'existence de mines d'or ni des techniques du travail de l'or. Le terme
"Sika" qui désigne l'or, est emprunté à la langue Baulé. Tous les pr?duits en or consommés par
les Odzukru ont deux origines. La première source d'approvisionnement est la côte Est,
précisément le pays Appolonien qui reçoit la poudre d'or et les pépites d'or des régions de
'.
l'intérieur. Les populations de la région de Grand-Bassam travaillaient l'or. Elles connaissent
depuis de longues dates les techniques du travail
de ce
métal.
La
deuxième source
d'approvisionnement de Lodzukru est le pays Baulé où d'importantes mines d'or existaient dans
le Yowrè, le N'gban précisément à Kokoumbo et dans le pays Aïtou.
Les populations du Yowrè et du N'gban surtout celles de Kokoumbo sont de grands
spécialistes du travail de l'or. La principale activité de ces deux régions est l'orfèvrerie. Les
.-
populations exploitaient le métal précieux dans les mines à ciel ouvert. Ces mines ont sept (7) à
,
douze (12) mètres de profondeur. La forme d'or la plus répandue était la poudre d'or. Mais, on
trouvait dans les mines des pépites d'or.
Avec des moules en cire, les orfèvres Baulé et Appoloniens fabriquaient de nombreuses
pièces d'or appelées bijoux. Il s'agit des colliers, des anneaux, des "coiffes", des cannes et de
nombreux ornements. Les cannes, les chasse-mouches, les coutelas,
et les "coiffes" sont
recouverts de feuilles d'or. Grâce aux moules, les orfèvres parviennent à représenter les animaux,
les végétaux et toutes les scènes de la vie quotidienne. Les bijoux, appelés en Odzukru "Myobe"
sont vendus sur la côte des Quaquah et dans la région du Haut Ebrié à des prix très exorbitants.
Seuls les riches négociants et les grands lignages parvenaient en acheter. Les bijoux en or
coûtaient de véritables fortunes. Le prix des grands colliers est presque l'équivalent du prix d'une
esclave femelle. Certains de nos informateurs ont avancé les prix de 2.000 à 2.500 manilles soit
400 à 500 F. Nous pensons que les prix avancés sont très élevés et que les bijoux en or auraient
coûté moins cher que les esclaves surtout les femelles. Selon SESS Samuel, les prix des produits
en or étaient différents. Les prix sont fixés en fonction des pièces. Parmi ces pièces, les grands
colliers qui font souvent soixante dix (70) à quatre vingt (80) centimètres et les cannes coûtaient
plus chers. Le prix des pièces rares serait de 750 à 1.000 manilles (1). Il existe des pièces pour
toutes les bourses. Les bracelets, les anneaux et les petits colliers sont vendus aux populations à
222
des prix abordables. Cela a permis à chaque lignage de posséder un trésor constitué de bijoux en
or.
Dans les pays Baulé et Agni, la poudre d'or est la principale monnaie. Elle équivaut à 3 F
le gramme (2). Tous les villages Baulé et Agni possèdent des balances à peser l'or et les
échanges dans ces régions sont faits jusqu'à vingt (20) centimes. producteurs d'or, ces
populations ont une longue tradition de l'utilisation de la poudre d'or comme monnaie. Malgré le
fait que le système monétaire des Agni - Baulé soit fondé sur l'or, les populations de la côte,
grâce à leur puissance économique ont réussi à introduire les manilles dans ces deux régions (3).
Les Odzukru avaient acquéri la poudre d'or grâce aux échanges avec les Baulé, les Agni
et les Koueni. Les échanges entre les Odzukru et les Koueni n'obéissent à aucun système
monétaire, sauf au troc (4). Les fusils, la poudre à canon et le sel sont échangés contre l'or, les
pagnes et les esclaves.
Malgré sa cherté, l'or est très apprécié par les populations. Les femmes et les hommes
lors des cérémonies portaient toujours un ornement en or. le fait de porter un collier, un anneau
ou un bracelet en or dans le Lodzukru est synonyme de richesse, du succès social. Les sources
d'approvisionnement en or de Lodzukru sont très diverses, mais la consommation des Odzukru
des produits en or est faible à cause du prix élevé de vente très élevé de ces produits. En effet,
dans le Lodzukru, à l'occasion des grandes cérémonies, les lignages
d'un même matriclan
réunissent tout ce qu'ils possèdent afin d'habiller leurs récipieridaires. Souvent lorsque la quantité
de pièces d'or est insuffisante, le matrilignage concerné fait appel à ses ramifications qui se
trouvent dans les villages voisins. Ainsi à Orgbaff, capitale de la tribu des Orgbaffu, pour éviter
la honte et le déshonneur que peuvent engendrer sur un matrilignage et par extension sur un
matriclan la sobriété de l'habillement d'un récipiendaire, les différents matrilignages de ce village
par affinités se sont regroupés en deux matriclans dans le but de pouvoir s'assister en cas de
nécessité. Il s'agit des "Mongou Lael".
1- Enquête collective réalisée à OrgbaIf le 22 Septembre 1988
2 - AN.C.I : Série lEE28 (1) pièces 8
3 - AN.C.I : Série lEE28 (1)
4 - AN.C.I : Série lEE28 (1)
223
et de "Djako Lae1". Ce regroupement a permis aux membres d'un même matriclan d'élaborer un
calendrier pour la célébration du rituel d"'Agbadzi et du "Dadiakp". Tous les matrilignages et
matriclans sont tenus de respecter scrupuleusement le calendrier. C'est au cours des cérémonies
d'''Agbadzi'' et du "Dédiakp" que les matrilignages dans le Lodzukru exposent leurs richesses qui
consacrent leurs succès économiques et sociaux.
Le XIXèsiècle dans le Lodzukru était caractérisé par le boom de l'huile de palme. Le
"Krou" d'huile était vendu à 50 manilles. La quantité de monnaie en circulation était faible et
cela constituait un frein au commerce intérieur et extérieur. Pour les populations, le prix d'achat
de l'huile de palme était dérisoire. Il n'était pas incitatif. Or, les produits européens étaient vendus
à des prix très élevés. Les ressources des lignages étaient très faibles. Rares étaient les lignages
qui parvenaient à la fin de la saison à obtenir 1.200 à 1.500 manilles (1). Les Odzukru
thésaurisaient les manilles et refusaient de les utiliser pour les achats. Malgré toutes les
difficultés, les échanges commerciaux entre le Lodzukru et les pays de l'intérieur étaient intenses
et prospères parce que les deux économies étaient devenues complémentaires. Tous les lignages
faisaient l'effort d'acheter un ornement et un bijoux en or.
Au contact des Appoloniens et des Baulé, certains Odzukru apprirent le travail de l'or.
.
Dans de nombreux villages Odzukru et surtout à Dibrim, des orfèvreries avaient été créées. Les
orfèvres Odzukru recevaient les matières premières des pays Koueni, Appolonien et Baulé. Les
Odzukru revenaient aussi des régions de l'intérieur du bétail.
- Le bétail
Le peuple Odzukru était un grand consommateur de bétail. Il recevait des régions de
l'intérieur des bovins, des caprins. et des ovins. Le bétail était surtout consommé lors des
funérailles et des grandes cérémonies. Au cours des funérailles d'un gouvernant "Eb Ebu" et des
hommes et femmes riches, deux à quatre boeufs étaient tués. Ces boeufs étaient tués pour deux
raisons. D'abord pour rendre un hommage et un honneur au défunt et ensuite pour nourrir tous
ceux qui viendraient assister aux obsèques. Par ce geste, le lignage du défunt devait montrer à
toute la communauté sa puissance économique et la grandeur du défunt. Au XIXè siècle, selon
ESSOH LATTE Benoît, cette pratique
1- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988 auprès de Mr. Etienne GBOUGBO ESS1S.
224
serait devenue obligatoire. Les Odzukru se rendaient dans le Baulé ou dans le pays Alladian pour
acheter des boeufs. Approvisionné en gros bétail par les peuples du Nord et favorisé par la
présence de la savane, l'élevage des bovins et surtout des ovins et caprins était pratiqué dans le
Baulé. Dans cette région, les boeufs étaient de belles tailles et très solides (1). La plupart des
villages Baulé avaient leurs ranchs, mais dans la réalité, les boeufs n'étaient jamais dans les
parcs. Ils erraient dans la nature. Le prix des boeufs était fixé en fonction de la taille. Les prix
variaient entre 240 et 360 manilles soit 42 à 72 F un canon était échangé contre deux à trois
barils de poudre à canon. Le boeuf en pays Odzukru coûtait environ 500 à 600 manilles soit 100
à 120 F. Les boeufs du pays Baulé étaient résistants aux mouches tsé-tsé.
Les difficultés du transport du bétail avaient obligé les Odzukru à développer l'élevage
dans leur région. Cela permit de réduire les importations. L'élevage dans le Lodzukru se faisait
dans la savane. Le Lodzukru est couvert par deux unités végétales: la forêt et la savane: la
première servait à l'agriculture des tubercules (féculents) et la seconde à la culture des céréales
(mil) et à l'élevage. La race développée dans le Lodzukru était de taille moyenne, solide et
résistante aux mouches tsé-tsé. Mais cette activité ne fut pas très prospère parce que les
populations accordaient peu d'importance au bétail. Il n'y avait aucun suivi, pas d'encadrement et
de soin, et la surveillance était confiée aux enfants. Les Odzukru étaient animés par la volonté de
développer l'élevage des bovins de mettre fin aux innombrables voyages en pays Baulé et
Alladian. Mais ils n'étaient pas éleveurs. Chaque village Odzukru possédait un ranch dans lequel
tous les paysans rassemblaient leur bétail. Chaque bête portait un signe particulier qui la
différenciait des autres bêtes. Mais la destruction des cultures amenait les différentes
communautés villageoises à ordonner leurs massacres.
Dans le Baulé, les chèvres étaient échangées contre trois bouteilles de sel ou vendues à
67,5 manilles (2) soit 13,6 F et le mouton contre trois à cinq bouteilles de sel ou vendu à 67,5 ou
112,5 manilles soit 13,6 à 22,5 F. En pays Odzukru, les différents lignages avaient tenté de
développer l'élevage du petit bétail mais les mauvaises conditions climatiques (forte humidité), la
présence des mouches tsé-tsé, et le manque de suivi et d'encadrement des troupeaux avaient
empêché le développement de cette activité. Le Lodzukru, avec cet échec, demeura pour son
approvisionnement en bétail dépendant du Baulé et du pays Alladian.
1 - AN.C.I : Série J.O.c.l. 1898.
2 - AN.C.I : Série lO.C.I. 1898.
225
Les échanges avec les régions de l'intérieur avaient permis aux Odzukru de combler une
partie de leurs besoins en produits industriels et surtout de pallier à leur indigence technologique
et technique. C'était auprès des Koueni que les Odzukru auraient appris les techniques du travail
du fer. Les échanges entre le Lodzukru et les régions de l'intérieur obéissaient au système du troc
et au système moderne avec l'initiation des manilles et de la poudre d'or. Jusqu'à Tyasalé et au-
delà, note SESS Samuel, les échanges se faisaient à base de manilles. Cela démontre la puissance
des commerçants de la côte. Jusqu'à Tyasalé, les échanges commerciaux étaient dominés par les
manilles. Au-delà de Tyasalé s'étendait en principe le domaine de la poudre d'or. il s'agit des
pays Agni - Baulé, Abê et du Sud-Est de l'actuelle Côte d'Ivoire. Des parités avaient été établies
entre ces deux monnaies convertibles et comptabilisantes.
1 gramme de poudre d'or équivalait à 9 manilles
1 gramme d'or = 9 manilles
La parité entre les monnaies et le troc avaient été à la base du développement des
échanges et du renforcement des relations commerciales entre le Lodzukru et les pays de
l'intérieur. La nature et l'organisation des échanges commerciaux avaient permis dans la
deuxième moitié du XIXè siècle, le développement d'une véritable économique monétaire.
Toutes les grands transactions commerciales de Lodzukru se faisaient essentiellement à
base de manilles. La zone manille s'étendait essentiellement sur la côte-Ouest et couvrait les
régions comprises entre le Tchaman et le pays Krou (1). Mais avec la puissance économique et le
savoir-faire des négociants de la côte, l'aire manilles s'était étendue jusqu'au Baulé Sud. On
.
retrouva aussi des manilles dans le pays Agni surtout dans le Morofuwé. Seul le pays Koueni, en
contacts commerciaux, depuis de Morofuwé. Seul le pays Koueni, en contacts commerciaux,
depuis de longues dates avec les populations de la côte, échappa à la pénétration et à la
domination des manilles.
Les échanges commerciaux entre la côte et le Koueni obéissaient au système de troc. Le
système monétaire qui prévalait dans le Koueni à cette période était à base de Sombé. Les Sombé
étaient des barres de fer d'une longueur de vingt quatre (24) centimètres. Ces barres de fer étaient
utilisées comme monnaie par les Malinké et les Koueni. Les Koueni entretenaient depuis de
longs siècles des contacts commerciaux avec les Malinké qui constituaient l'une des sociétés les
plus avancées de l'époque.
-----------------.._------------------------------------_..---------------------_.._--------------------------------... _--------
1- A. N. S. : Section Côte d'Ivoire. Série 2GI (28) page 8.
226
L'essentiel des produits d'échange du pays Koueni était importé des régions Malinké. C'était 'par
le pays Koueni que transitaient les produits venant du Nord à destination des régions forestières
et de la côte. Cette région servait aussi de zone de transit aux produits forestiers à destination du
Nord. Ce fut le cas de la cola, produit très apprécié par les sociétés du Nord. la cola dans ces
sociétés jouait un rôle social considérable. Cette noix était utilisés pendant le paiement de la dot
et au cours des rites religieux (l).
La noix de la cola était le principal produit d'exportation des populations des régions
forestières du Centre-Ouest et du Sud-Ouest. Dans ces régions, surtout dans le Centre-Ouest, la
cola servait de monnaie (pays Bété). Cette monnaie était convertible et comptabilisable. La zone
de dominance de la monnaie - cola se limitait dans les régions forestières du Centre-Ouest,
précisément dans les pays Bété et Dida. Grâce à ce produit de cueillette, les populations
forestières eurent des contacts avec les sociétés techniquement avancées du Nord. Les sociétés
. côtières ne connurent pas l'utilisation de la cola comme monnaie.
L'utilisation des manilles, à partir de la deuxième moitié du XIXè siècle, comme monnaie
avait donné un élan nouveau aux transactions commerciales. Cela avait alors permis à Lodzukru
de passer d'une économie lignagère à une économie de type moderne. Cette économie était
soutenue par un système monétaire, mis en place par les Anglais pour régulariser les cours de
l'huile de palme et des autres produits. Le système monétaire de la côte (SMC) avait cours dans
plusieurs régions de la côte-Ouest. Ce système avait été mis en place pour normaliser les prix des
différents produits dans toutes les régions de la côte. Cela permit alors d'empêcher la fixation
fantaisiste des prix des produits de traite. Ce système avait alors permis aux négociants de la côte
de contrôler et de suivre les cours des produits.
Les manilles avaient connu leur apogée sous l'ère anglaise, mais sous l'ère française, les
manilles furent contrebalancées par l'institution du franc français. Le franc nous situe alors dans
une nouvelle ère de domination. Il s'agit de la domination des français. Les Français avaient alors
inauguré une nouvelle méthode commerciale dans toutes les régions où ils étaient présents.
1 - Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Ex : de la
C. 1. précoloniale 1720 - 1920 page 225.
227
C'était la méthode du commerce direct dont le principal objectif était l'élimination des négociants
africains et le contrôle de tout le trafic commercial. Celte méthode inaugura alors la deuxième
étape de la traite de l'huile de palme, baptisée «Blockhaus»
c'est-à-dire, commerce à l'intérieur
des maisons fortifiées.
2/ Le commerce dans les blockhaus (1854 - 1870)
La période du commerce dans les blockhaus, fut considérée comme la période du
commerce direct entre les producteurs africains de produits de traite (huile de palme, or, ivoire,
peaux d'animaux etc ...) et les acheteurs représentés par les agents des factoreries européennes.
Cette période fut baptisée ère française parce que les Français furent à l'origine des échanges
directs entre producteurs africains et agents des factoreries sans la participation des courtiers
africains. Cette étape des échanges commerciaux Afrique-Europe fut marquée par la domination
française et une élimination progressive des anciennes sociétés de. courtage. Depuis ] 842, les
Français s'étaient installés sur la côte Sud-Est baptisée côte de l'or, précisément à Grand-Bassam
et à Assinie. De cette région, ils lancèrent des expéditions commerciales en direction des autres
régions.
La période du commerce dans les "blockhaus" fut marquée par la politisation des
échanges commerciaux sur le littoral oriental, du Cap Appolonien au Cap Lahou. Pour le peuple
Odzukru, les premiers contacts avec la France eurent lieu depuis 1850. Mais ce fut en 1854 que
r:
les échanges commerciaux s'établissèrent dans la région. Dans cette partie de notre étude, notre
objectif est de montrer les différentes modifications qui interviendront dans le littoral oriental au
plan politique, économique, social et culturel sous l'ère française. Cette période qui ne signifiait
pas la fin de la présence anglaise sur la côte annonçait néanmoins en prélude le rôle que la
France aura à jouer dans cette région riche en produits oléagineux et en or et surtout de préciser
ses intentions politiques réelles c'est-à-dire la colonisation de la région.
a) Présence française sur la Côte Orientale - 1842.
La présence française sur la Côte Orientale se situe en 1842. Mais c'était la deuxième fois
que les Français s'établissaient dans la partie Sud-Est de l'actuelle Côte d'Ivoire. La première
tentative eut lieu vers la fin du XVIIè siècle dans la région d'Assinie, mais ce fut un échec pour
les
1- A.N.S. : Section Aor 5G31 année 1859 page 3.
228
Français qui se retirèrent en 1703. Depuis cette date les Français n'eurent aucune tentative
d'installation sur la côte Sud-Est jusqu'en 1838 (1). Le gouvernement français et les milieux
d'affaires s'étaient, tout au long du XV111è siècle, désintéressés du golfe de Guinée jusqu'en
1837. Les milieux d'affaires ne trouvèrent aucune raison, aucun intérêt à entreprendre des
expéditions commerciales dans le golfe de Guinée. Les seuls points de présence française était le
Sénégal où les commerçants français s'étaient établis depuis le XVIIè siècle pour y faire le
commerce de la gomme et de l'arachide. Les principaux établissements français du Sénégal
étaient à St Louis et à l'Ile de Gorée. Depuis la fin de la traite des Noirs, la France avait installé à
Gorée une station navale chargée de la répression des navires négriers qui cautionnaient la traite
malgré son abolition officielle dans la partie septentrionale du golfe de Guinée, la partie
méridionale étant sous surveillance anglaise.
Après la signature à Vienne, en Autriche en 1815 de la charte qui abolit la traite négrière,
la France, sur sa demande, fut associée à l'Angleterre pour la lutte anti-esclavagiste sur les
océans, surtout pour fouiller et contrôler les navires reliant, l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Les
Français acceptaient mal le contrôle de leur navire par la flotte anglaise qui assumait le rôle de
gendarmes sur les mers depuis l'effacement des Hollandais vers la fin du XVlIIè siècle. Aussi, à
la demande française, les deux puissances européennes se partagèrent le territoire africain pour
er-
un meilleur contrôle des navires en provenance d'Afrique. Au cours de cette période la
surveillance française se limitait dans la partie comprise entre la Gambie et St Louis. La marine
française s'aventurait rarement à aller au-delà de la Gambie et à plus forte raison dans le golfe de
Guinée.
La région du golfe de Guinée était très mal connue par les française surtout que les
navires marchands s'y rendaient de façon exceptionnelle pour faire le troc (2). Les différents
rapports et informations rapportés par les capitaines lors des expéditions dans le golfe de Guinée
étaient gardés jalousement secrets par les armateurs (3).
1- Schnapper: la poliligue elle commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 27.
2- Schnapper : la politique elle commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 15.
3- c. f. Schnapper page 22.
229
Sur la Côte Orientale de l'actuelle Côte d'ivoire, les seuls européens à manifester leur
présence étaient les Anglais qui, depuis la fin de la traite négrière, commerçaient avec les
populations de la côte. La présence anglaise était très manifesté sur le côte et dans les régions
environnantes. La langue anglaise était la principale langue utilisée lors des transactions
commerciales et le shilling et le yeard furent utilisés par les populations africaines comme
monnaie et unité de mesure (1). Les Anglais inondèrent la région orientale jusqu'à Grand-Lahou
de leurs produits manufacturés. Cela permit à l'Angleterre d'établir avec les populations de la
côte, de véritables relations commerciales basées sur le respect mutuel et la confiance. Les
Anglais n'eurent-jamais l'idée et le soucis de se fixer sur la côte orientale. Les rapports entre les
populations côtières et les commerçants anglais se limitaient aux échanges commerciaux.
Depuis la fin de la traite négrière, la France s'intéressa de façon particulière au golfe de
Guinée. Ainsi une expédition fut organisée en direction du Sud avec la Malouine en 1838 (2).
Les rapports de l'expédition furent concluants et la France décida alors de s'installer pour une
deuxième fois sur la Côte Orientale, précisément à Assinie et à Grand-Bassam. L'établissement
des français en côte de l'or fut marqué par la signature de traités en Juillet 1843.
Etablissement des Français à Grand-Bassam et à Assinie depuis 1842
rr-
Le commerce français, en Afrique Occidentale au XIXè siècle, se limite au cabotage et à
quelques expéditions commerciales en direction du Sud. A partir de 1837, il Y a un regain
d'intérêt de la France pour le golfe de Guinée. Un voyage est alors organisé avec le Malouine.
L'objectif de cette expédition est d'explorer les régions du golfe de Guinée pour des besoins
commerciaux (1). L'intérêt de la France pour le golfe de Guinée s'explique par le fait qu'au
XVIIlè siècle, la France avait quitté les Amériques et s'était tournée vers l'Afrique du Nord (2)
1
.
où elle s'y installe pour fonder des colonies.
L'intérêt de la France pour le golfe de Guinée est l'oeuvre de deux hommes, un chirurgien
et un officier de la marine qui s'intéressent au commerce dans les régions du Sud. Il s'agit de
Victor Calvé, plusieurs fois élu président de la Compagnie Galon au Sénégal et Bouet
Willaumez, officier de la marine, nommé
1- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 16
2- H. DJABATE: le sanwi un royaume de la Côte d'Jvoire 1701 - 190J page 812
230
Commandant de la canonnière-brick la Malouine et qui devient plus tard Commandant de la
\\
Station navale et gouverneur du Sénégal (l). Ces deux hommes convaincus des avantages
énormes qui peut réaliser le commerce français dans le golfe de Guinée attirent l'attention du
gouvernement français et des chambres de commerce, surtout de Bordeaux (2) sur la nécessité
pour la France de s'intéresser à l'Afrique Noire et à ses produits tropicaux qui semble-t-il peuvent
trouver un écho favorable sur les marchés français (3). Ces deux hommes proposent au
gouvernement français la création de points d'appui qui deviendraient plus tard des comptoirs
pour le commerce et la navigation et des stations maritimes qui serviraient d'appui au commerce
français à travers le monde. C'est dans le but de réaliser ce grand projet et de convaincre le
ministère de la marine française et les milieux d'affaires français qu'une expédition est décidée en
1838 (4).
Le commandement de l'expédition est confié à Bouet Willaumez et au capitaine Broquant
désigné par la chambre de commerce de Bordeaux, Broquant, semble-t-il avait une grande
connaissance de la côte africaine pour l'avoir visitée plusieurs fois. De Novembre] 838 en 1839,
Bouet Willaumez et Broquant, à bord de la canonnière-brick la Malouine explorent le golfe de
Guinée jusqu'au Gabon. Au cours de cette expédition de reconnaissance, la Malouine reçoit de la
part du commandant de la station navale basée à Gorée, Montagniée de la Roque, l'ordre de
traquer, de pourchasser et d'arraisonner les navires négriers qui continuent la traite malgré
l'abolition. Après leur expédition, Bouet Willaumez et Broquant concluent sur la nécessité pour
.,.
la France de s'installer dans le golfe de Guinée qui recèle d'importantes richesses végétales et
minérales et surtout de combattre l'hégémonie anglaise dans la région. Le commerce dans cette
région était sous la domination des Anglais qui étaient présents dans le Delta du Niger et en côte
de l'or. Bouet Willaumez propose lors des stratégies pour permettre à la France de contrebalancer
l'hégémonie anglaise. pour lui, la France doit lutter contre le désir de l'Angleterre d'étendre sa
domination commerciale et sa puissance par la création de forts fortifiés sur le long de la côte du
golfe de Guinée.
1- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 16.
2- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 16.
3- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871
4- Schnappcr : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 16.
5- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 16.
231
La France en aucun cas ne doit se laisser devancer par l'Angleterre pour des raisons de prestige
international et d'honneur national (1).
Depuis le début du XIXè siècle, la France et l'Angleterre s'affrontent pour le contrôle de
la planète. En effet, au XVIllè siècle, la France avait été évincée d'Amérique par les Anglais.
Selon Bouet Willaumez, la France par tous les moyens devrait supplanter l'Angleterre en Afrique
surtout que les Anglais envisagent fonder de nouveaux centres commerciaux fortifiés dans le
golfe de Guinée. Pour y réussir la France devrait développer un commerce licite avec l'Afrique
Noire. Il faut pour cela la disparition de la traite des Noirs encore vivante dans certaines régions
du golfe de Guinée où malgré son abolition, l'esclavage demeure toujours la principale ressource
et le principal produit d'échange commercial.
Dans son ensemble, le rapport commercial de Bouet Willaumez et de Broquant est moins
convaincant et intéresse peu les milieux commerciaux français; mais pour des raisons d'honneur
et de prestige, la France, qui ne souhaite pas laisser l'Angleterre occuper toute la région du golfe
de Guinée se décide en 1842 à fonder des comptoirs fortifiés sur tout le long du golfe de Guinée
(2). La fondation des comptoirs est alors confiée à Bouet Willaumez comme commandant en
chef de la station navale. Ainsi, à partir de 1842, des traités sont conclus entre Bouet ou ses
représentants et les chefs des villages de Grand-Bassam et d'Assinie (3). Ces traités donnent à la
~-
France la possibilité de s'installer sur la terre-ferme et d'installer des comptoirs. Les traités
conclus entre les officiers de la marine française et les chefs locaux de Grand-Bassam et
d'Assinie sont à la fois des traités de protection et de vente de terrain. Mais ils accordent à la
France plus de privilèges commerciaux que les autres puissances commerciales européennes, car
les populations sont tenues de ne commercer qu'avec la France.
Le choix des endroits où doivent être construits les comptoirs est confié à Fleuriot de
Langue, lieutenant de Vaisseau. Fleuriot de Langle, brillant officier de la marine française quitte,
avec la Malouine, l'Ile de Gorée le 23 Mai 1843
1- Schnapper: la politique eUe commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 27.
2- Schnapper: la politique et le commerce français dans Je golfe de Guinée 1838 - 1871 page 29.
3- A. N. C. I. : Série lEE 122 (2).
232
et arrive le 26 Juin 1843 (1). Le 3 J~iJ]et 1843, il accueille la division chargée de la construction
du comptoir (2). Trois points sont choisis pour la fondation des comptoirs fortifiés. Il s'agit de
Garraway, Assinie et Gabon. Mais, convaincu d'une expédition militaire anglaise sur la côte de
l'or et peut-être sur Assinie, Bouet Willaumez détourne sur Grand-Bassam l'expédition prévue
sur Garraway (3), village situé à quelques kilomètres d'Assinie. C'est un village de courtiers.
Dans cette localité, l'activité et environs recèlent d'importants gisements d'or. L'or de cette région
est le meilleur. Assinie est aussi un débouché des caravanes du Nord. Ce village était sous
l'administration de Krinjabo, capitale du Royaume Agni Sanwhi.
Grand-Bassam, situé dans le Sud-Est, au bord de l'Océan Atlantique était un Etat
autonomie de courtiers dans les années 1840. Ce village, peuplé de deux mille (2.000) habitants
(4), a une position stratégique confortable qui facilite les échanges commerciaux avec l'extérieur.
Grand-Bassam est aussi le principal débouché des régions de l'intérieur et assure le contrôle des
débouchés du fleuve Cornoé "Akba", des lagunes Aghien et Potou. Il est aussi la principale zone
de contact entre les commerçants des régions de l'intérieur et ceux des régions de la côte (5).
Grand-Bassam, principal centre commercial du Sud-Est, exerce son influence sur les populations
environnantes dont les Tchaman, les Ngbato et les Abouré. Enfin, (ce village) il contrôle aussi
les voies de passage par lesquelles le fleuve Comoé et les
-
~
différentes lagunes communiquent
. .
avec l'Océan Atlantique. Grand-Bassam est don$>-W1 centre commercial de première importance.
très tôt, il a établi des relations commerciales avec les interlopes européens et les caravanes du
Nord, en particulier les Bambara qui descendaient sur la côte maritime pour s'approvisionner en
sel marin et en produits manufacturés européens. Par sa position stratégique, le village de Grand-
Bassam était prêt à jouer au XIXè siècle, un rôle politique et économique sous la présence
française.
1- Schnappcr : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 1G.
2- c. f. Sclmapper : p. 31.
3- A.N.C.I. : Série 2EE7 p. 8.
4- A.N.C.l. : Série 2EE4 p. 7.
5- Recherche d'llile capitale: Grand-Bassam, Bingerville, Abidjan.
233
Assinie est aussi un village côtier. Il est situé sur la côte, dans la partie Sud-Est. La
population assinienne vivait du courtage. Contrairement à Grand-Bassarn qui était un Etat
autonome, Assinie dépendait de Krinjabo, capitale du Royaume Sanwhi. Assinie fut annexée par
les Agni Sanwhi qui ont émigré du Ghana vers la fin du XVIIè siècle. Le village d'Assinie est le
point de contact privilégiés entre les régions de l'intérieur d'où descendent la poudre et les
pépites d'or, l'ivoire et les esclaves et la côte d'où partent les produits manufacturés européens et
le set marin (1). C'est aussi le principal débouché des caravanes en provenance des pays
Ashantee et du Nord. Comme Grand-Bassarn, Assinie est dès tors prédisposé à jouer un rôle
économique surtout commercial de premiers plans.
Les villages de Grand-Bassam et d'Assinie sont des centres commerciaux traditionnels.
très tôt, les courtiers de ces villages ont. eu des contacts avec les navires européens. Au XIXè.
siècle, ces deux villages deviennent très rayonnants économiquement. le choix de Grand-Bassam
et d'Assinie furent d'une grande portée politique et économique. C'est pourquoi, les officiers de la
marine française stationnée à Gorée au Sénégal se dépêchent de conclure des traités avec les
chefs de ces deux villages afin de faire obstacle à l'extension anglaise vers ces deux régions.
La signature des traités
L'établissement des français dans le Sud-Est du littoral ivoirien, en 1842, est précédé de
la signature de traité entre les chefs locaux et le représentant du gouvernement français. La
signature des traités entre les populations d'Assinie et de Grand-Bassarn et la France est l'oeuvre
des officiers de la marine française, le lieutenant de Vaisseau A. Fleuriot de Langle et Philippe
Kerhallet (2).
Dans le souci de devancer les Anglais dans la région de la côte de l'or et se référant aux
. rapports du capitaine Broquant, désignant la région d'Assinie-Grand-Bassam comme la plus
.riche de tut le golfe de Guinée, Je commandant de la station navale envoie en éclaireur vers le
Sud, deux navires, la Malouine et l'Alouette. La mission principale de ces deux expéditions
dirigées conjointement par les lieutenants de Vaisseau A. Fleuriot de Langle et Philippe
Kerhallet est la signature de conventions avec
1- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 37.
2- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 37.
234
les chefs locaux, en vue de la concession de terrain pour l'édification des Forts. Ainsi, parti de
Gorée le 23 Mai 1843 avec le Malouine, Fleuriot de Langle, accompagné du lieutenant Parent,
directeur du Génie du Sénégal qui a lui, pour mission d'étudier les emplacements où seront
construits les forts, arrive le 22 Juin 1843 au large des côtes du village d'Assinie (1), en pleine
mauvaise saison. C'est-à-dire en saison pluvieuse. A cause de la barre qui était très mauvaise, A.
Fleuriot de Langle et ses compagnons attendent sur rade jusqu'au 4 Juillet 1843. A Fleuriot de
Langle signe avec le chef du village d'Assinie Aigri (2) et ses notables, la première convention
entre la France et Assinie. Ce traité d'amitié fut ratifié par Amon N'Douffou, neveu et successeur
du roi Attac1a, roi de Krinjabo, capital du royaume Sanwhi. C'est Amon N'Douffou, délégué du
roi Attac1a qui signe, en 1843, le premier traité entre la France et le Royaume Sanwhi. par cette
convention, le royaume Sanwhi, se place sous la protection de la France et concède à cette
dernière un terrain pour la construction d'un blockhaus. La France quant à elle s'engage à verser
à l'autorité locale, une coutume annuelle dont le montant est fixé par elle-même (3).
L'expédition sur Grand-Bassam, dirigée par le Lieutenant de Vaisseau Philippe Kerhallet
quitte Gorée le 25 Juillet 1843 avec l'Alouette et d'autres navires chargés de matériels et arrive à
Grand-Bassarn le 17 Août 1743. Le Lieutenant Philippe Kerhallet, chef de l'expédition signe
avec le "Roi Peter", de son vrai nom Attekeblé, régent de Grand-Bassam, une convention qui
place Grand-Bassarn sous la protection de la France et concède à cette dernière, un terrain pour
la construction d'un fort (4). Une coutume annuelle est fixée par la France en guise de
dédommagement. le montant de la coutume diffère d'une région à une autre et dépend surtout de
l'autorité du chef local. la fixation de la coutume étant du ressort de l'autorité française signataire
de la convention. Le montant est fixé entre 100 à 1.000 F. C'est seulement le roi Amon
N'Douffou, roi du Sanwhi qui a bénéficié d'une coutume dont le montant est égale à 1.000 F (1).
Pour les autres souverains africains, la coutume est inférieure à 1.000 F. Les coutumes sont
versées en nature.
1- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 31.
2- H. Diabaté : le Sanwhi. un royaume Akan de la Côte d'ivoire 1701 - 1901 p. 886.
3- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 32.
4- A.N.C.I. : Fonds Ex. AOF : Grand-Bassam fondation d'un comptoir Grand-Bassam ou fort
Nemours Doc 5G16.
235
La France ne prend officiellement possession de Grand-Bassam que le 28 Septembre
1843. Pour les présents destinés aux chefs de Grand-Bassam, Attekeblé et son second Waker,
Philippe Kerhallet achète à un navire anglais, les cadeaux qu'il a jugsé utile d'offrir aux chefs
parce que, ce qu'il a apporté de Gorée était rouillé et avarié.
«Des cadeaux sont promis en échange. Ils sont effectivement apportés l'année suivante.
mais lorsque l'équipage ouvre les caisses au large de Bassam, on s'aperçoit que les objets chargés
en France à cette fin sont pour la plupart inutilisables. Les uns sont avariés, les autres sont de
trop médiocre qualité pour être décemment offert. Les français se précipitèrent alors vers les
vaisseaux anglais le plus proche afin d'y acheter des marchandises de remplacement. C'est donc
avec des produits anglais que la France paie sa première installation à Grand-Bassam (1).
Les textes des différents traités sont rédigés par les officiers de la marine française et
libellés en français. Ces textes sont incompréhensibles pour les chefs africains qui pensent avoir
signé seulement avec la France des accords commerciaux et voir des traités de protectorat. Les
chefs africains n'ont jamais eu l'idée d'abandonner une quelconque parcelle de leur autorité et
souveraineté. la plupart des textes des différentes conventions étaient confus pour eux. Ces textes
sont rédigés dans une langue inaccessible et incompréhensible pour eux. Cela pose alors
d'énormes problèmes d'interprétation.
«Le Roi Krinjabo et les chefs du pays se rangent sous la souveraineté de la France à
laquelle ils remettent la possession pleine et entière de tout leur territoire (2»>. Ce texte est un
extrait du traité conclu en Juillet 1843 entre Amon N'Douffou et Fleuriot de Langle.
L'interprétation différente des articles du traité fut le point essentiel des conflits entre
militaires français et chefs africains. En effet, les différentes conventions signées en Juillet en
Côte de l'or, donnent à la France le droit d'arborer le pavillon français et d'y exercer sa pleine
souveraineté. Le territoire étant français, cela lui donne le droit de l'exclusivité commerciale dans
la région au détriment des autres
1- A.N.CI. : Microfilm Gd-Bassam: Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fon Nemours.
Doc G 16 Bobine 28.
2- A.N.CI. : Doe G16 Bobine 38.
236
puissances commerciales européennes bien que ces produits fussent de mauvaise qualité. Les
produits français vendus en côte de l'or étaient de mauvaise qualité et avariés. Les français
nourrissent dès 1843 l'idée de créer dans le golfe de Guinée des colonies dont l'objectif principal
serait
l'exploitation des ressources des différents territoires ou régions placés sous la
souveraineté française. L'interprétation que les chefs africains donnèrent aux différents traités fut
très différente de celle des autorités françaises. Comme nous l'avons déjà souligné plus haut, les
traités furent rédigés en français, langue non parlée par les Africains (l).
Pour les populations africaines, ces conventions ont été signées dans un but purement
commercial. Les soucis des africains étaient de diversifier les partenaires (commerciaux) dans le
seul but de développer les échanges commerciaux leur principale source de revenus. Ils n'avaient
jamais eu l'idée d'aliéner une quelconque parcelle de leur liberté nationale et internationale ou
.
d'accorder l'exclusivité commerciale à une quelconque puissance européenne. C'est dans cette
confusion que la France s'installe vers la fin de 1843, de façon officielle dans les forts Némours
et Joinville. La présence de la France dans le Sud-Est est l'événement de la politisation des
échanges commerciaux. Cette ère est surtout marquée par de nombreux conflits entre les navires
français et les populations africaines.
La construction des blockhaus
La France, afin de devancer la progression de l'Angleterre vers l'Ouest et surtout de lutter
contre l'influence anglaise dans la région du Sud-Est, décide la prise de possession des territoires
par une implantation, Suite aux conventions signées avec les chefs locaux de Grand-Bassam et
d'Assinie, la France matérialise sa présence dans le golfe de Guinée par la construction de forts.
Ces forts devraient obéir à une vocation à la fois militaire (défense et contrôle) et commerciale,
c'est-à-dire des débouchés afin de faciliter la pénétration à l'intérieur des terres et le drainage des
produits de ces régions vers les installations françaises et de protéger les traitants français,
1- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 32.
237
Les forts d'Assinie et de Grand-Bassam fondés dans la deuxième moitié de l'année 1843
sont construits sur les terrains permettant de commander, de contrôler l'entrée dans les rivières et
fleuves et de protéger Je débarquement des marchandises européennes. Les blockhaus de la côte
de l'or sont construits sur le cordon sablonneux qui sépare la lagune Ebrié et l'Océan Atlantique
(1). Avec le crédit de cent cinquante (150.000) francs par fort accordé par le roi Louis Philippe,
les blockhaus sont construits provisoirement sur la plage avec des matériaux locaux (2). Ils sont
en bois. Ils comportent plusieurs bâtiments, les uns servant de dortoirs aux membres de la
garnison française et les autres de factoreries et d'entrepôts pour les éventuels commerçants
français. Les bâtiments dont certains serviront de factoreries (boutiques) sont protégées par une
grande palissade en bois. La protection des blockhaus est assurée par des pièces d'artillerie (3).
Les comptoirs de la côte de l'or sont placés sous l'autorité des commandes de poste, sans
expérience. Ceux-ci dépendent du gouvernement du Sénégal. Mais les comptoirs du golfe de
Guinée sont placés sous l'autorité directe du commandant particulier de Gorée qui doit adresser
un rapport sur la situation et l'évolution des comptoirs au gouverneur du Sénégal se trouvant à St
Louis (4). La proximité des forts d'Assinie et de Grand-Bassam permet aux français de contrôler
théoriquement les échanges commerciaux dans la région de la côte de l'or.
A travers la fondation des blockhaus, les Français inaugurent un nouveau type de
commerce sur le littoral oriental. Il s'agit des échanges directs entre producteurs de biens
tropicaux et les commerçants européens, surtout français sans la participation des courtiers
africains. Par cette nouvelle politique commerciale, les Français espèrent réduire et
contrebalancer l'influence anglaise très importante dans la région orientale et se passer des
services des intermédiaires africains qui, depuis de longs siècles, ont fait du courtage leur
principale activité économique.
1- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 44.
2- c. f. Schnapper p. 43.
3- A.N.S. : Section AOf Série 5G30 p.6
4- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 46.
238
L'influence française sur Je littoral ivoirien au cours des années 1840 est théorique et
réduite à peu de choses. Malgré les traités conclus avec les chefs locaux, c'est-à-dire celui de
Grand-Bassam, et le délégué du roi de Krinjabo, la France ne réussit pas à contrebalancer la
présence anglaise dans la côte de l'or. la présence anglaise sur la côte du Sud-Est est partout
visible. En effet, le régent de Grand-Bassam, Attekeblé porte un prénom anglais "Peter". Son
second, chef du deuxième quartier porte aussi un nom anglais "Walker". La langue anglaise est
la langue des affaires. Elle est utilisée les transactions commerciales. L'étalon de mesure en
vigueur dans toute la région est le yard. Le shilling est aussi utilisé comme monnaie dans les
transactions commerciales au côté de l'acquêt (1). L'acquêt est l'étalon monétaire de la région. Il
équivaut à deux grammes d'or (2). Ainsi un (1) acquêt = 2 grammes d'or.
1 acquêt = 6 F car 1 g d'or = 3 F.
1 acquêt ou 5,60 F
un fusil de marque Tower, de fabrication danoise coûtait 2,5 acquêt, soit 14 F. Le cours réel d'un
acquêt au cours des années 1840 était de 5,60 F.
L'influence anglaise s'étend jusqu'à l'intérieur du contient grâce au concours des courtiers
africains. Les produits anglais sont très largement diffusés et appréciés par les populations
africaines parce qu'étant de bonne qualité. La qualité des produits ânglais constitue un obstacle
important au développement du commerce français dans la région comprise entre le Cap Lahou
et le Cap AppoJonien.
Le développement du commerce français dans Je Sud-Est après la construction des
blockhaus est J'oeuvre d'une famille marseillaise. Les Régis, qui, depuis de longues années,
commercent dans le golfe de Guinée (3). Les frères Régis soutiennent le commandant Bouet
Willaumez dans sa lutte avec les chambres de commerce françaises pour faire accepter son projet
de création de forts dans le golfe de Guinée afin d'empêcher les Anglais d'occuper et de faire
main-basse, seuls sur tout Je golfe de Guinée. Les blockhaus dont la sécurité doit être assurée par
une garnison militaire de vingt cinq (25) hommes (4) sont édifiés.
1- Bouet Willaumez : commerce et traite des Noirs aux côtés occidentales d'Afrique p. 140.
2- c. f. Harris MEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire. Ex : la Cr.
p.260.
3- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 28.
4- Schnapper : p. 26.
239
pour jouer le rôle de moteur du développement commercial français dans le golfe de Guinée. lis
servent de base de pénétration française à l'intérieur du continent. Les forts sont dotés, pour la
sécurité et la défense des factoreries, des entrepôts et des agents commerciaux, d'une pièce
d'artillerie légère et d'une réserve de munitions et d'armes (1). Le commerce est alors soutenu par
la politique, l'objectif des autorités françaises étant de chasser les Anglais sur les rades de la côte
de l'or (2).
Après la construction des blockhaus, et l'installation des militaires français sur la côte de
l'or, le première maison de commerce française à s'y établir, est la maisons Régis (3). Avec la
maison Régis installée dans le fort Nemours à Grand-Bassam commerce de façon timide le
développement du commerce français dans la région du littoral oriental. Les français, représentés
par la maison Régis, inaugurent alors le commerce direct avec les producteurs africains. Les
agents de la factorerie Régis, soutenus par la garnison de la station navale, commercent dans tout
le bassin oriental dela lagune Ebrié, achetant de l'huile et vendant aux populations les produits
français. Les échanges se font sans l'intervention des courtiers africains qui, depuis de longs
siècles, étaient les intermédiaires entre les navires européens et les Africains. Par cette nouvelle
politique commerciale, les Français pensent détruire l'influence des courtiers africains sur tout le
littoral et ainsi, éliminer la prépondérance des commerçants anglais très forte dans le golfe de
Guinée et asseoir leur hégémonie dans la région (4).
La nouvelle politique commerciale consiste à inciter les populations africaines à aller
commercer dans les blockhaus à l'intérieur desquels se trouvent les factoreries qui vendaient tous
les produits de traite. Les Régis s'intéressent à tous les produits tropicaux surtout à l'huile de
palme qu'ils exhortent en Angleterre où elle a de nombreux débouchés, surtout dans l'industrie.
La région du Sud-Est est une région productrice d'or. Les centres commerciaux de Grand-
Bassam et d'Assinie reçoivent les
1- c. f. Schnapper p. 30.
2- A.N.S. : Section AOF série 5G29.
3- A.N.S. : Section AOF série 5G29 p.8.
4- A.N.S. : Section AOF série 5G28.
240
produit venant de l'intérieur c'est-à-dire du pays profond (1). Grand-Bassam est le principal
débouché des populations de l'intérieur en particulier des Abouré, situées à l'Est, des Tchaman à
l'Ouest, des N'gbato et des Akyé au Nord (2). Assinie reçoit les produits de son hinterland et
surtout du pays Ashanti (3) avec lequel il est relié par une voie caravanière. Ces deux
débarcadères recevaient de l'or, principal produit d'exportation de la région (4), des ivoires, des
peaux d'animaux et de l'huile de palme. Du côté de Grand-Bassam, en plus du commerce de l'or
et du sel, l'huile de palme est aussi l'un des produits d'échange de la région. Cette huile provient
surtout du pays Tchaman et l'or du pays Abouré (5).
Tous les produits qui descendent de l'intérieur du continent le sont par les courtiers. Le
courtage, activité économie très ancienne, n'est ni contemporain à la traite négrière ni à la traite
de l'huile de palme. Depuis la deuxième moitié du XVllè siècle, les populations côtières
d'Afrique exercent le courtage. Elles jouent le rôle d'intermédiaire entre les populations de
l'intérieur du contient et les capitaines au long cours (6). Les courtiers africains étaient très
organisés. Certains parmi eux étaient très influents et très riches. C'est le cas de Attekeblé de
Grand-Bassam, connu sous le nom du roi Peter. Attekeblé était riche et possédait une pirogue de
guerre. C'était le premier parmi les traitants de Grand-Bassam.
Au cous des années qui suivirent la construction des Forts Nemours (Grand-Bassam) et
Joinville (Assinie), la France malgré toute sa volonté de faire échec au commerce anglais en côte
de l'or, ne réussit pas à élaborer une véritable politique commerciale pour le Sud-Est de l'actuelle
Côte d'ivoire. La France n'est représentée que par la maison Régis qui installe deux factoreries
très mal équipées, dirigées par Une seule personne, Mr. Donard, à Grand-Bassam et à Assinie.
Mr. Donard, responsable de la maison Régis en côte de l'or fait la navette entre Grand-Bassam et
Assinie.
1- AN.S. : Fonds Ex. AOF Grand-Bassani fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort
Nemours Doc 5G 16.
2- AN.S. : Fonds Ex. AOF série 5G 16.
3- AN.S. : Fonds Ex. AOF série 5G 16.
4- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page 45.
5- AN.S. : Fonds Ex. AOF Grand-Bassam fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort
Nemours Doc 5G 16.
6- AN.S. : Section AOF Série 5G 29.
241
«II quitte fréquemment l'une pour l'autre et par là, beaucoup d'évasions de traites dont
profitent toujours les Anglais, représentés sur cette partie de la côte par 2 ou 3 navires (1 »>.
Depuis la signature des traités entre les chefs locaux et les officiers de la marine
française, en 1843, la France avait pris possession de la région de la côte de l'or. Ceci leur donne
dès lors le droit d'exercer sa domination politique sur toute la région. La France s'impose aux
nations côtières par la force. Elle profite de sa supériorité technique au plan militaire pour dicter
aux différentes populations ses lots et la politique qu'elle pense mener dans la région de la côte
de l'or (2). mais au plan commercial, l'influence française est nulle pour plusieurs raisons.
D'abord, les Français, en instituant le système des échanges directs entre producteurs et acheteurs
rencontrent l'hostilité des courtiers africains qui se voient priver de leur principale source de
revenu. les échanges directs, supprimant le rôle des courtiers dans les transactions commerciales
signifient aussi le tarissement des sources de revenu et de la richesse des courtiers et la fin du
monopole qu'ils exercent sur les peuples de l'intérieur. Les courtiers de la côte maritime
s'opposent à ce système et refusent de faire des échanges avec le facteur de la maison Régis,
Donard.
.
La région du littoral se spécialise dans le commerce de l'or et du sel. L'essentiel de ses
échanges avec les navires européens se fait avec l'or et elle exporte dans les régions de l'intérieur,
le sel et les articles de la manufacture européenne. C'est au commerce de l'or que s'intéresse la
maison Régis (3), or les courtiers de Grand-Bassam, compte tenu de leur position géographique
et des relations privilégiées établies depuis de longs siècles avec les peuples de l'intérieur,
producteurs d'or, contrôlaient le commerce du métal précieux. La maison Régis investit peu de
capitaux en côte de l'or. Et malgré la faiblesse de ses moyens, elle cherche par la fraude et l'appui
de la marine française à réaliser d'énormes bénéfices. C'est ce qui ressort du rapport du
commandant du comptoir de Grand-Bassam, au commandant de la station navale à Gorée.
1- A.N.S. : Fonds Ex. AOF: Microfilm: Gd-Bassam Fondation du Fort Nemours ou Gd-Bassain
Doc. 5G 16.
2- A.N.S. : Section AOF Série 5G 29.
3- A.N.S. : Fonds Ex. AOF: Microfilm: Gd-Bassam Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou
Fort Nemours. Doc. 5G 16 bobine 38.
242
«Les activités commerciales de la maison Régis étaient médiocres. pas assez de
moyens, mais souhaitait réaliser d'énormes bénéfices».
D'autres part, les produits français sont médiocres, de mauvaises qualités, mais chers. En
effet, la plupart des produits français surtout ceux fabriqués avec l'acier connaissent la rouille ou
sont avariés. Les populations préfèrent les produits anglais. Enfin, les commerçants français
pensent utiliser la supercherie pour écouler leurs mauvais produits et se faire d'énormes
bénéfices. Ils sont surpris par l'attitude des courtiers africains, qui refusent tout échange avec les
Français. Les fusils français vendus sur le littoral, étaient rouillées donc de mauvaise qualité par
rapport aux fusils anglais (1). En plus, les commerçants français ne disposent pas de produits
traditionnellement échangés sur la côte, en particulier, les pièces d'étoffes importées d'Angleterre
(2) et appelées "Guinée bleues" et très appréciées par les populations africaines (3). Ces pièces
d'étoffes avaient été introduites sur la côte par les Anglais qui avaient réussi à avoir la confiance
des africains par la qualité de leurs produits et de leur prestation.
Les produits bien que de mauvaise qualité, sont vendus à des prix très élevés. C'était le
cas de la poudre à canon, vendue souvent mouillée aux africains (4). Malgré cela les Français
cherchent à les vendre aux africains par la duperie. Les populations africaines voient dans ce
comportement des français une volonté d'exploitation, de mépris et de vol. C'est pourquoi les
grands courtiers comme Peter (Attekeblé) s'opposent au développement du commerce français
dans la région de la côte de l'or.
Le commerce français en côte de l'or, malgré la présence des deux Forts Nemours et
Joinville est moins actif par rapport au commerce anglais. L'institution des échanges directs dans
cette région ne permet pas aux français d'éliminer la concurrence anglaise encore très vive en
côte de l'or. Les Anglais continuent à pratiquer le long de la côte le troc sous voile (5). Les
produits anglais de meilleure qualité, appréciés par les
1- AN.S. : Section AOF Série 5G 27.
2- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfede Guinée 1838 - 1871 page Il.
3- AN.C.I. : FondsEx. AOF : Gd-Bassam Fondation du comptoirde Gd-Bassam ou Fort
Nemours. Doc. 5G 16.
4- AN.C.I. : Série2EE 4 (1) p. 12
5- AN.C.I. : Fonfs Ex. AOF : Microfilm Gd-Bassam : Fondation du comptoir ou Fort Nemours
Doc 5G 16.
243
populations africaines sont vendus à des prix très bas. Ceci leur donne un avantage important sur
les Français. Malgré leur effort de prendre contact avec les monarques des régions de J'intérieur,
les Français ne parviennent pas à écouler Jeurs produits au-delà de la côte et ainsi éliminer leurs
farouches concurrents: les courtiers de Grand-Bassarn. Le commerce anglais bien que limité à la
côte, demeure le plus important dans les deux bassins de la lagune Ebrié (1).
Les français, après l'échec des tentatives tendant à éliminer le courtage africain en côte de
l'or, se convainquent qu'ils ne peuvent supprimer les courtiers africains. Les courtiers africains
sont approvisionnés en produits de traite par les Anglais. Depuis des siècles, ils connaissent les
goûts des populations africaines et les marchandises européennes appréciées par elles. C'est
pourquoi, la maison Régis se tourne vers l'Ouest pour y faire le commerce de l'huile de palme.
L'huile de palme était produite en quantité importante à l'Ouest et au Nord de Grand-
Bassam dans les villages Tchaman et N'gbato. Les courtiers Bassamois ne faisaient pas de trafic
d'huile de palme, ils ne s'adonnaient qu'au commerce de l'or (2).
L'envoi de chaloupe dans le bassin occidental de l'Ebrié fut précédé d'une expédition
militaire dirigée par Mr. Baudin, capitaine de corvette et commandant, en 1843, le poste de
Grand-Bassam (3). Baudin, dans son rapport, insiste sur la richesse en or des villages Tchaman
traversés. Cet or, selon lui était sous forme de poudre et sous forme de bijoux, c'est-à-dire de l'or
travaillé. Ainsi, pour Baudin, la région ouest est la zone où les traitants français réaliseraient
d'importants bénéfices à causes de la richesse de la région. Jusqu'en 1853, les Français ne portent
aucun intérêt au commerce de l'huile de palme. Le commerce en côte de l'or est dominé par le
commerce de l'or: l'huile de palme n'ayant pas de débouché en France. Nous reproduisons ici un
extrait du rapport du commandant Baudin au commandant de la station navale de Gorée.
1- Yayat d'Alépé Hubert : une économie coloniale de transition la Côte d'ivoire de 1R9J Ù 1919
thcse de Je cycle p. 122.
2- A.N.S. : Section AüF Série 5G 26 P. 8.
J- AN.C.I. : Fonds Ex. AüF: Gd-Bassam Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort
Nemours. Doc. 5G 16. Microlilm.
144
«L'isolement dans lequel vivent ces peuplades, les difficultés qu'ils éprouvent à se
procurer les objets de traite de premières nécessités; d'énormes quantités d'or qu'ils possèdent,
soit à l'Etat de fétiche, soit de poudre; tous ces faits observés m'ont donné l'espoir que ce point
pourrait être celui où nos premiers traitants réaliseraient le plus facilement de bénéfices (1»>.
Le terme fétiche dans ce texte désigne les bijoux en or que possèdent les Africains.
Baudin et la plus part des européens les trouvent grossiers, mal travaillés.
Les courtiers de Grand-Bassam recevaient de la poudre d'or et des pépites d'or, de leurs
voisins les Abouré. L'or utilisé dans le pays Tchaman ne provient pas de ladite région mais du
village de Grand-Bassam. En effet, en plus de l'industrie du sel, les Bassamois se sont aussi
spécialisés dans l'industrie de l'or. L'or fondu et débarrassé de ses impuretés est utilisé pour la
fabrication des bijoux, c'est-à-dire des objets de parure : colliers, anneaux, bracelets, chasse-
mouches, cannes etc... tous ces produits sont ensuite exportés dans le bassin occidental de
l'Ebrié. La poudre d'or servait de monnaie.
Les activités principales de l'Ebrié sont la production de l'huile de palme et la pêche en
lagune. En effet, sur la rive Nord de l'Ebrié se rencontrent d'importants peuplements de palmiers
à huile. Baudin n'insiste pas sur ce point parce que l'huile de palme n'intéresse guère le
commerce français dans le golfe de Guinée (2). La mission de Baudin consiste à faire un
recensement de toutes les possibilités commerciales de la côte de l'or et des territoires situés au-
delà. C'est donc par manque de frets, que les Français par la maison Régis se lancent dans le
commerce de l'huile de palme. Ainsi l'agent de la maison Régis parcourt la lagune pour acheter
de l'huile de palme. Cette huile est exportée en Angleterre.
Le commerce direct rencontre à ces débuts l'enthousiasme des africains, surtout des
producteurs de l'intérieur. Les Africains de l'intérieur sont convaincus qu'avec ce système, ils
peuvent s'affranchir de la domination des courtiers de la côte et réaliser ainsi d'importants
bénéfices, après la vente de leurs produits. Mais cet enthousiasme est de courte durée et fait
place
1- A.N.C.I. : Fonds Ex. AOF : Gd-Bassam. Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou du Fort
Nemours. Doc. 5G 16. Microfilm.
2- A.N.S. : Section AOF Série 5G 26 P. 12.
245
à la déception du côté des africains. En effet, les échanges sont inégaux. Les produits français
échangés contre l'huile de palme sont tous de qualité médiocre et chers. Les agents des
factoreries françaises sont animés par le souci de réaliser des bénéfices en vendant des articles de
mauvaise qualité aux africains qu'ils appellent avec mépris "Naturels" ou "Peuplades".
«Les naturels sont généralement grands d'une figure agréable et d'un beau noir luisant
(1»>.
Dans l'Ebrié, les agents des factoreries françaises espéraient exercer librement leur
commerce sans rencontrer une quelconque opposition. Mais ils rencontrent une forte opposition,
toutefois cette opposition n'est pas d'ordre économique mais politique (2). En effet, on note de
nombreux incidents entre français et africains (3). Cela entraîne l'impopularité des français dans
le bassin occidental de l'Ebrié. Les villages Tchaman, situés en bordure de la lagune Ebrié,
.exigent de toutes les embarcations qui traversent leur région, le paiement des droits de passage
parce que les Tchaman n'étaient pas liés aux traités conclus en 1843 entre les officiers de la
marine française et les chefs locaux de Grand-Bassam et de Krinjabo, capitale du royaume
Sanwhi. C'est pourquoi, le village d'Abata, village Tchaman, situé à quelques kilomètres à
l'Ouest de Grand-Bassam, exige aux chaloupes de la factorerie Régis le droit de passage sur la
lagune (4). Le refus des agents de la factorerie Régis de satisfaire les exigences des villageois
d'Abata oblige ces derniers à raisonner les chaloupes de Régis. Les Français prennent alors
prétexte de cet incident et attaquent le village d'Abata afin de maintenir libre les voies d'échange
et de mettre fin au paiement des droits de passage dans la région de l'Ebrié. La population
Tchaman d'Abata se révolte contre ce qu'elle considère comme une immixtion des Français dans
les affaires intérieures. Cette réaction entraîne un conflit armé français et Tchaman. Cette guerre
paralyse le commerce français qui, timidement, se développait dans l'Ebrié (5).
1· AN.C.r. : Fonds Ex. AOF : Gd-Bassam. Fondation du comptoir de Gd-Bassani ou du Fort
Nemours. Doc. SG 16
2- AN.S. : Section AOF Série SG 27 P. 12.
3- AN.S. : Section AOF Série SG 28 P. 10.
4- AN.S. : Section AOF Série SG 28 P. 10.
S- AN.S. : Section AOF Série SG 26 P. 8.
246
Le développement du commerce français dans l'Ebrié occidentale rencontre aussi
l'opposition des sociétés de courtiers qui gardent jalousement les voies d'échanges commerciales
entre la côte et l'intérieur. Par cette opposition, les courtiers de la côte essaient de protéger leurs
principales sources de revenu. La concurrence des factoreries françaises soutenues par l'armée
française est considérée par les courtiers comme synonyme d'appauvrissement. Malgré les
difficultés rencontrées par la maison Régis dans la région de l'Ebrié et en côte de l'or, le
ministère de la marine française a foi en la prospérité du commerce française dans le golfe de
Guinée (1) et surtout en côte de l'or. C'est fort de cette conviction qu'il donne l'ordre au
commandant de la station navale de favoriser et de faciliter l'installation des factoreries
françaises dans le golfe de Guinée, en 1845, à Grand-Bassam et à Assinie (2), la maison Isnard
crée dans chacun de ces centre commerciaux une factorerie (3). Le choix de ces deux centres
commerciaux est motivé par la présence de la garnison de vingt cinq (25) personnes chargées de
veuillez sur la sécurité des traitants français. De nombreuses sous-factoreries sont alors créées
entre Grand-Bassam et Assinie. Elles ont pour mission de collecter les produits tropicaux,
d'ébranler le joug des courtiers africains et de faciliter les échanges commerciaux directs entre
producteurs africains et traitants français.
L'établissement des factoreries et des sous-factoreries en côte de l'or est subordonnée au
paiement de coutumes en nature à la fin de chaque année aux chefs africains. Les coutumes
comprennent un lot de marchandises diverses (4) : sabres, vêtements, alcools, (Gin, Rhum)
verroterie et du tabac. La présence quasi-permanente des traitants français en côte de l'or, suscite
chez les courtiers africains, haine, crainte et hostilité.
Hostilité des traitants africains au commerce français
Depuis la deuxième moitié de l'année 1843, à la suite des traités conclus avec certains
chefs locaux de la côte de l'or, les Français se sont installés sur le littoral oriental, précisément à
Grand-Bassam et à Assinie où ils fondent des factoreries et sous-factoreries. Grand-Bassam et
Assinie étaient d'importants débouchés pour les caravanes de l'intérieur.
------_...._-----------------------------------------------------_..---------------------------------------------------------
1- A.N.S. : Section AüF Série 5G 26 P. 12.
2- A.N.S. : Section AüF Série 5G 27 P. 13.
3- A.N.C.I. : Série tEEl (4).
4- Idem (lEEl (4) ).
24
Les populations côtières, depuis la deuxième moitié du XVIIè siècle, font du courtage
leur principale activité économique en plus des industries du sel, de l'or et de la pêche. Le
courtage est la principale source de revenu des populations qui depuis longtemps servent
d'intermédiaires entre les populations de la côte et les navires européens. En côte de l'or, les
courtiers Bassamois sont en contact permanent avec les peuples de l'intérieur auxquels, ils
achètent l'or, l'ivoire et les esclaves, avant de les revendre à des prix très élevés aux navires
européens. Cette opération leur permet de réaliser d'importants bénéfices. C'est ce que note
Willaumez dans "commerce et traite des Noirs aux côtes occidentales d'Afrique" p. 151.
«Les courtiers Bassamois préfèrent les opérations de courtage. Ils remontent les divers
affiuents, vendent les marchandises à un prix exorbitant pour l'or en poudre et en lingot, soit aux
indigènes, soit apporté aux points d'arrêt des caravanes».
Les Français en s'installant sur le littoral ont un seul objectif, contrôler les grands centres
de production de l'or et conclure des accords commerciaux avec les producteurs des régions de
l'intérieur. Sans la participation des courtiers de la côte qui continuent de troquer avec les navires
anglais, mouillés au large des côtes. Les Français dans leurs tentatives pensaient utiliser à leur
service, les courtiers africains mais très vite, ils se rendent compte que la première règle du
courtage est la liberté et l'indépendance dans les affaires. Les courtiers africains qui ont des liens
très étroites avec les capitaines des navires anglais sont intelligents, rusés, habiles et très
exigeants. Ils sont très attachés à leur indépendance et refusent tout contact entre les producteurs
africains et les commerçants européens (l).
Cherchant par tout les moyens à réaliser leurs objecti fs, les Français se décident à se
passer de l'aide des courtiers africains. Ainsi, soutenus par les agents des factoreries, malgré la
mauvaise qualité de leurs articles, empruntant les voies fluviales, se rendent à quelques
kilomètres à l'intérieur (2) des terres où ils établissent des relations commerciales directes avec
les africains. La pénétration française se situait à moins de cinquante (50) kilomètres de la côte.
Se jouant de la sensibilité des africains, ils leur proposent des
1- AN.C.l. : Série lEEl (4) p.5
2- A.N.C.!. : Série lEEl (7).
248
prix inférieurs à ceux proposer par les courtiers africains pour les produits européens (1). Cette
pratique des Français rencontre l'enthousiasme et l'adhésion des populations de l'intérieur, qui
depuis longtemps, cherchent un moyen pour sortir de la tutelle des courtiers de la côte. Par le jeu
des prix, les commerçants français réussissent à conquérir les producteurs africains qui avaient
alors oublié les bonnes relations qui les liaient aux courtiers de la côte depuis de longs siècles
(2). Mais, cette nouvelle politique commerciale française sera dans son ensemble un demi-succès
pour les commerçants français. En effet, ce nouveau type de relation commerciale est bien
accueilli au début par les populations qui s'empressent d'apporter leurs produits aux traitants
français. pour les africains, cette nouvelle politique commerciale est le seul moyen qui leur
permet d'acquérir les produits manufacturés européens à bas prix (3). Ainsi les premières
expéditions commerciales françaises à l'intérieur des terres sont fructueuses. Les agents des
factoreries reçoivent un bon accueil de la part des africains auxquels ils proposent des prix
d'achat nettement supérieur à ceux des coutiers africains (4). Au cours d'un voyage dans la région
située à l'Ouest de Grand-Bassam précisément en pays Tchaman, en 1849, les français achètent
deux cents (200) bordelaises d'huile de palme dans deux villages. Ensuite, après quatre voyages
dans deux villages, ils achètent cent quatre vingt quatre (184) barriques d'huile de palme et une
douzaine d'once d'or (S). Une barrique est un tonneau d'une capacité de deux cent vingt quatre
(224) litres. Cela signifie qu'en deux jours de traite, les commerçants français ont acheté 32,4 T
d'huile de palme. Cela explique l'importance de la production d'huile de palme, de la région
Tchaman. L'huile. de palme, dans cette région était achetée par les courtiers Alladian, qui dès la
fin de la traite négrière s'étaient spécialisés dans la traite de l'huile de palme.
Les Français sont bien accueillis dans la partie Ouest de la lagune Ebrié où les
populations considèrent la venue des commerçants français comme le seul moyen de diversifier
leurs partenaires commerciaux, de pouvoir vendre leur production d'huile de palme, seule source
de revenu de la région et de briser le monopole qu'exercent sur elles les courtiers Alladian. Mais,
très vite, les Africains se rendent compte de la supercherie des Français. En effet, les
commerçants français vendent aux populations des produits avariés, de mauvaise qualité et
cherchent à imposer leur monopole sur toute la région en interdisant
1- AN.C.I. : Série lEE1 (4) pA
2- AN.C.I. : Série lEE1 (6) p. 2
3- AN.S. : Section AOF Série 5G 26 P. 13.
4- AN.CI. : Série lEE1 (6)
5- AN.CI. : Série lEE1 (6).
249
aux Africains de commercer avec les autres puissances européennes. La poudre à canon vendue
dans le pays Tchaman par les Français est de mauvaise qualité et souvent mouillée (1). Toutes
ces violations des règles des échanges commerciaux en vigueur dans la région entraînent chez les
populations africaines, le mécontentement et la révolte.
Les Français, dès 1843, échouent sur le littoral oriental parce qu'en s'installant en côte de
l'or, ils s'étaient fixés deux objectifs principaux: contrôler la production de l'or dont la région est
l'une des grandes productrices du golfe de Guinée et empêcher les Anglais d'occuper et d'inonder
de leurs produits toute la région. La rivalité franco-anglaise sera alors transférée en golfe de
Guinée. Mais les Français en côte de l'or rencontrent l'opposition et l'hostilité des courtiers de
Grand-Bassam qui refusent de céder la direction des échanges commerciaux de la région aux
européens. Les Français, maîtres des activités commerciales de la région, cela conduirait à la
ruine des courtiers qui ne vivent que de cette activité. Contrairement au pays Tchaman où les
Français reçoivent un accueil favorable dans les premiers jours (2), dans les régions productrices
d'or, les Français sont mal vus à cause de la mauvaise qualité de leurs produits et de leur tentative
de monopoliser le commerce de la région (3). Les populations acceptent de faire des échanges
avec les Français à condition de conserver leur liberté et leur indépendance de commercer avec
tout courtier de leur choix. Malgré cette mise en garde des Africains, les Français décident une
expédition dans la région située au Nord d'Assinie. Le but de cette expédition était d'explorer les
cours des fleuves Comoé et Tanoé d'où descendaient l'or et l'ivoire (4).
La création de deux comptoirs sur la côte à Grand-Bassam et à Assinie ne modifie pas de
la région de la côte de l'or. le trafic reste toujours sous le contrôle des courtiers de la côte. malgré
ces voyages à l'intérieur du continent, la factorerie Régis ne parvient à traiter que vingt mille
francs (20.000 F) d'or en 1849 (5), alors qu'au cours de la même période, plus de huit cent mille
francs (800.000 F) d'or
1- AN.S. : Section AOF Série 5G25 p. 8.
2- AN.S. : Section AOF Série 5G25 année 1852 pièce 7.
3- AN.C.!. : Série tEE 1 (5) pA
4- AN.S. : Section AOF Série 5G25 (1852) pièce 7.
5- AN.C.!. : Grand-Bassam Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort Nemours Doc 5G 16
Microfilm.
250
furent traité dans la région (1). L'or de la côte est vendu aux puissances commerciales
européennes, autres que la France. L'or de la côte de l'or, très apprécié par les commerçants
européens à cause de sa pureté (95 %), est échangé contre les produits de l'industrie européenne.
Ensuite les produits de l'industrie européenne sont revendus aux Africains des régions de
l'intérieur à des prix élevés. Ces échanges permettent aux courtiers de réaliser à la fin de chaque
saison commerciale d'importants bénéfices. C'est pourquoi les courtiers, grands bénéficiaires des
échanges commerciaux entre l'Afrique et l'Europe se décident à s'occuper à tout tentative de
contrôle du commerce par les Français. Ils sont hostiles à tout commerce direct entre les
producteurs africains et les commerçants européens car tout contact direct entre producteurs et
acheteurs, entraînerait la ruine de leur activité.
La présence française sur le littoral oriental est émaillée et jalonnée de nombreux
incidents (2). Plusieurs guerres opposeront les Français aux diverses populations africaines qui
unies au plan culturel et ethnique sont cependant morcelées en petits Etats au plan politique (3) .
.
L'organisation politique la plus importante est la tribu (4).
L'année 1849, est une année troublée pour la garnison française de la côte de l'or. Les
français depuis leur installation sur le littoral oriental passent pour les seuls maîtres de la région.
pour les marins français, la côte de l'or est un protectorat. Ils ont du mépris pour les africains
qu'ils considèrent comme les semi-sauvages (5) auxquels ils défendent tout commerce avec les
autres puissances européennes. or pour les Africains, les traités signés avec les Français en 1843
n'ont qu'un seul but, celui de permettre aux Français de s'installer librement sur leurs territoires,
de construire des blockhaus et d'y faire du commerce comme les autres puissances européennes,
moyennant le paiement d'une coutume en nature ou en espèce à la fin de chaque année. Mais les
Français violent les différentes conventions qui les lient aux Africains en déployant la force
grâce à leur armes perfectionnées dans le but d'intimider les Africains afin de ne plus jamais
verser les coutumes et exercer un contrôle sur les principales voies commerciales parce que le
1- Bouet Willaumez: Commerce et traite des Noirs aux côtés occidentales d'Afrique page 142.
2- AN.C.I. : Série lEEl (5) p.2
3- AN.C.I. : Série lEEl (4) p.6
4- On note l'existence des Etats centralisés comme Royaume Sanwhi
5- AN.C.I. : Série lEEl (5) p.3
251
commerce Français dans la région connaît un développement difficile. C'est le marasme. Ainsi, à
la suite de l'attaque d'une embarcation française dans la Comoé par les habitants du village
d'Ayahou, les Français attaquent le village d'Ayahou et une guerre éclate entre Abouré et
Français.
Les Abouré, autrefois désignés sous le nom de AKA occupent la région comprise entre le
fleuve Comoé et la lagune Aby. Les Abouré possédaient de grandes agglomérations qui étaient
des points de contact entre les populations de l'intérieur et de la côte. C'étaient les principaux
fournisseurs des Bassamois en or et en ivoire. Le village d'Ayahou avait une position stratégique.
Il était protégé par une forêt dense qui rendait son accès inaccessible. Ce village était bâti sur un
terrain situé à deux cents (200) mètres de la rive gauche du fleuve Comoé. Les cases étaient
construites en torchis (terre rouge) et les toits couverts de feuilles de raphia (1).
Les forces en présence. sont inégales. le village d'Ayahou aligne près de mille (1.000)
guerriers, armées de longs fusils. Ces fusils sont surtout destinés à la chasse à l'éléphant. Ils ne
possèdent comme munitions que quelques barils de poudre à canon et des morceaux de barre de
fer, de fonte et des pierres ramassés dans le lits des différents ruisseaux et rivières qui se jettent
dans le fleuve Comoé (2). Les Abouré sont des cultivateurs et non des guerriers de profession.
Mais lorsque la sécurité et l'intégrité territoriale de la nation ou du village sont menacées, la
population se mobilise afin de défendre sa liberté et son indépendance. Il n'existait pas d'armée
de métier dans 'cette région. Les Français, de leur côté engage deux cent cinquante (250)
personnes, c'est-à-dire des marins bien armés et trois navires de guerres. Les canonnières
"caïman", "Adam" et "Pénélope" (3). La garnison de la côte de l'or reçoit un important renfort du
Sénégal de près de deux cents (200) marins afin de bien mener cette- expédition punitive car une
défaite française aurait des conséquences négatives sur la présence française dans tout le golfe de
Guinée (5).
La guerre contre les Abouré d'Ayahou ne fut pas une ballade de santé pour les troupes
françaises dirigées par le capitaine de Vaisseau Bouet Willaumez, commandant de la station
--------.._----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- A.N.S. : Section AOF Série 5G22 année 1849 p. 6.
2- AN.Cr.: Série lEEl (5) p.12
3- A.N.S. : Section AOF Série 5G22 (1849) p. 5.
4- AN.S. : Section AOF Série 5G22 p. 17.
5- AN.Cr. : Série lEEl (5) p.lO.
252
navale. Les Français rencontrent une véritable résistance, bien organisée. Les Français ne
réussissent à vaincre les Ayahou qu'en incendiant le village. Mais, ils perdent soixante quinze
(75) personnes et ont de nombreux blessés (1). Avant l'intervention des Français, les populations
convaincues que les marins Français réagiraient par une attaque surprise, avaient depuis
plusieurs jours évacué vers les autres villages Abouré, enfants, vieillards, femmes et biens
matériels. Tout ce qu'ils possédaient de précieux avaient été enlevés' du village (2). Il ne reste au
village que les hommes capables de défendre l'indépendance et la liberté du peuple Ayahou.
Depuis la guerre entre les Français et les Tchaman d'Abata les populations de la côte orientale
étaient sur leur défensive car les Français avaient instauré une politique répressive pour
s'imposer. La guerre d'Ayahou paralyse alors pendant quelques mois le commerce français en
côte de l'or (3). Malgré la victoire des marins français, les voies fluviales, principales voies de
pénétration de l'intérieur furent fermées au commerce et aux embarcations françaises.
Du côté de Grand-Bassam, de nombreux conflits éclatent et ternissent les relations entre
les Bassamois et les commerçants français. Avec la fondation du comptoir sur la côte en 1843,
on assiste à une légère modification de la structure commerciale de la région car il y a désormais
possibilité pour les populations de l'intérieur de venir vendre directement à la factorerie sans
recourir au service des courtiers. Les courtiers Bassamois sont hostiles à tout changement.
L'établissement des relations directes entre le comptoir français et les populations de l'intérieur
suscite en eux mécontentement et hostilité parce que la présence française diminuerait leur
bénéfice. C'est pourquoi, les courtiers Bassamois conduits par leur chef, Attekeblé alias Peter,
accusent les Français de détruire leur commerce. Les Français s'immiscent aussi dans les affaires
intérieures des populations. Ils empêchent les propriétaires d'esclaves de punir leurs captifs (4).
Ils affranchissent certains des esclaves qu'ils réussissent à racheter.
Dans son rapport au Ministère de la marine, le gouvernement du Sénégal fait état du refus
des courtiers Bassamois de commercer avec les commerçants français.
1- AN.S. : Section AüF Série 5G22 pièce 25.
2- AN.S. : Section AüF Série 5G22 pièce 22. - 1849.
3- AN.C.I.: Série lEEl (4) p.8
4- A.N.S. : Section AüF Série 5G23 p. 8.
253
«Notre établissement de Grand-Bassam est en bonne relation avec les populations
voisines. Mr le Ministre, cependant le chef Peter, n'arrive pas encore à des meilleures
dispositions à notre égard. Il ne pardonne pas à nos traitants de lui enlever le courtage qu'il
exerçait sur le commerce du littoral et se venge en se montrant favorable aux échanges avec les
navires anglais».
Les courtiers africains manifestent leur hostilité en s'en prenant dans les rivières aux
embarcations françaises afin d'empêcher les commerçants français d'établir des relations
commerciales avec les régions de l'intérieur. le fleuve Comoé et les rivières demeurent les
principales voies naturelles des caravanes des régions du Nord. En effet, le fleuve Comoé,
chemin naturel relie Grand-Bassam aux centre commerciaux des régions de l'intérieur. C'est la
principale voie de l'or, de l'ivoire et du sel. C'est surtout le chemin emprunté par les caravanes
descendant des pays de Kong, Andoh, Djimini et du Diamala (1).
Les courtiers de Bassam étaient depuis très longtemps en contact avec ces différents
peuples. Leur courtage reposait essentiellement sur le commerce de -l'or et d'ivoire. lis accordent
peu d'importance au commerce de l'huile de palme malgré les offres alléchantes faites par les
commerçants anglais. Parmi les peuples de la côte, seuls les Alladian surnommés par les
Européens "Jack Jack" se sont spécialisés dans le commerce de l'huile de palme. Le commerce
de l'huile de palme du bassin occidental de l'Ebrié était depuis l'ouverture de la traite sous le
contrôle des courriers Alladian. pour aller chercher l'or dans le bassin oriental de l'Ebrié, il leur
fallait deux jours de voyage en pirogue. pour se rendre également dans les villages orientaux du
pays Tchaman, par exemple à Abata, N'pouto, etc... les courtiers Alladian avaient besoin d'une
bonne escorte de guerriers et du temps. Le voyage aller et retour durait quatre jours. or au Nord
du pays Alladian,
se trouvait la plus grande région productrice d'huile de palme (2). Cela
empêchait alors les courtiers Alladian de visiter fréquemment les villages Tchaman de la partie
orientale; ce qui explique la joie des français lorsqu'il réussirent à acheter en quatre jour, 34,S T
d'huile de palme dans deux villages. L'huile dans cette région ne trouvait pas d'acheteur.
Les Français se sont donc lancés dans le commerce de l'huile de palme ayant échoué dans
leur tentative de briser le courtage des Bassamois, de contrôler les voies commerciales et le
commerce de l'or et d'étendre leur monopole sur tout la région de la côte de l'or.
1- A.N.C.I. : Série lBB6 p.14
2- A.N.S. : Section AüF série 5G23 p. 9.
254
Ainsi pour fructifier leur entreprise commerciale, les Français tentent d'étendre leur
influence à l'Ouest de Grand-Bassam dans le pays Tchaman. Ils ne pensent pas rencontrer de
concurrents dans la région. Les populations de la partie orientale du pays Tchaman étaient avant
l'arrivée des Français sous la domination des courtiers de Grand-Bassam qui troquaient les
produits manufacturés européens contre l'or. Depuis le début des années 1840, les villages
Tchaman de la partie orientale étaient en guerre contre les villages du littoral (1). Les Tchaman
d'Aghien étaient aussi en guerre contre les N'gbato. De part et d'autre, des têtes furent coupées.
Cette tension paralyse les activités commerciales dans les villages Tchaman qui s'étaient
mobilisés pour apporter leur soutien au village d'Agbhien (2). La guerre contre les peuples du
littoral empêche les Tchaman d'entrer en possession des produits de la manufacture européenne
qui transitaient par la côte.
L'arrivée des commerçants français dans la région orientale du pays Ebrié est ressentie
par les populations comme une libération de la tutelle et de la domination des peuples de la côte
car désormais elles pourront aller commercer librement au blockhaus ou à bord des navires
européens. L'absence de concurrent dans la partie orienta.le du pays Ebrié permet alors aux
Français de contrôler pour quelques temps le commerce de l'huile de palme de la région. Les
premières expéditions commerciales françaises à l'Ouest de Grand-Bassam sont très fructueuses.
En effet comme indiqué, ils réussissent en quatre jours, l'exploit d'acheter dans deux villages
34,5 T d'huile de palme. Cela montre la richesse de la région en produits oléagineux.
Les Français, face à la richesse que renferme la lagune Ebrié, et dans le souci de contrôler
toutes les voies fluviales et lagunaires pouvant permettre le drainage des produits de l'intérieur
vers la côte, décident alors d'explorer toutes les voies d'eau (lagunes et rivières) situées à l'Est et
à l'Ouest du centre commercial de Grand-Bassam. Cette exploration a aussi pour but de trouver
de nouveaux débouchés, afin d'assurer une communication directe entre l'hinterland et la côte et
briser ainsi le joung des courtiers africains.
-----------------------.----------------..--------.-... ------------------------------------------------..--------------------
1- A.N.S. : Section AOF série SG22 p. 6.
2- A.N.C.I. : Grand-Bassam Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort Nemours Doc SG16.
255
Pour les explorations, un calendrier est alors établi et l'année 1850 est retenue comme
l'année des explorations. Au cours de l'année 1850, les français entreprennent d'abord,
l'exploration des fleuves et rivières situés à l'Est de Grand-Bassam. A l'aide de l'Aviso "Guet
Ndar", un vapeur de la marine française, Bouet Willaumez, gouverneur du poste de Grand-
Bassam explore le Tanoé dont il ignore l'embouchure. Le Tanoé est le fleuve sacré des Agni-
Sanwhi, situé à la frontière ivoiro-ghanéenne dans le Sud-Est (1). Ce fleuve était une voie de
communication très importante, une voie "caravanière" reliant le pays Ashanti à Assinie (2). Ce
fleuve favorisant le drainage des produits à l'intérieur vers le débarcadère l'Assinie. Les
Hollandais au XVIIè siècle et les Anglais au XIXè siècle avaient déjà souligné l'importance du
Tanoé comme principale voie commerciale reliant les régions productrices d'or et d'ivoire aux
centres commerciaux de la droite. L'ouverture du Tanoé au commerce devait permettre aux
traitants français de pénétrer plus à' l'intérieur et d'établir des relations commerciales avec les
peuples de cette zone. Dans la même année, le fleuve Comoé et la lagune furent explorés et
couverts au commerce (3).
Les explorations des voies d'eau ouvrent une nouvelle ère au commerce de la côte de l'or.
Les Français, à partir de 1850, trouvent le moyen de commercer directement avec les populations
de l'intérieur en se passant des services des courtiers de la côte (4). Les voies d'eau servent à la
fois de voies de 'communication et de voies de pénétration à l'intérieur surtout dans une région
forestière où il était très difficile de créer des pistes. Les Français profitent de l'ouverture de ces
fleuves et lagune au commerce pour faire connaître leurs produits et étendre leur influence à
l'intérieur.
Face à la concurrence des commerçants français soutenus par l'administration et protéger
par l'armée (marine), les courtiers Bassamois élaborent un stratagème pour détruire le commerce
français. Ils acceptent de diffuser à la fois les produits français qui sont de mauvaise qualité et les
produits anglais de bonne qualité et appellent les diverses populations à faire leur choix. Cette
stratégie a pour but d'amener les diverses populations de l'intérieur à renoncer à la consommation
des produits français. Depuis l'installation des comptoirs à
--------------------------_.._---------------------------------------------------_.._---------------------------------------
1- AN.C.I. : Série lEE1 (7) p.l
2- AN.C.I. : Série lEE1 (7) p.7
3- AN.S. : Section AOF série 5G23 p.8
4- AN.C.I. : Série lEE1 (5)
256
Grand-Bassam et à Assinie, le courtage était menacé de disparition, ce qui entraînerait aussi
l'élimination du commerce anglais sur la côte orientale. Les courtiers africains cherchent des
voies face à cette menace, un moyen pour faire échec au commerce français (1). La présence des
factoreries et des sous-factoreries appauvrissement les populations.
Les Français, théoriquement avaient sous leur contrôle, la région de la côte de l'or, grande
région productrice d'or. Par la création des deux postes militaires à Grand-Bassam et à Assinie,
ils essaient d'étendre leur influence sur toute la côte orientale et arrêter la progression vers
l'Ouest des anglais qui se trouvaient en Gold Coast (2). L'occupation de la côte de l'or par les
Français se fait par la force des armes. En effet, malgré les consignes et les recommandations de
neutralité, de prudence et d'abstention exigés aux marins français, ces derniers sèment la terreur
dans la population et commettent contre les peuples maladresses, abus et exactions de toute sorte
(3). Les conventions conclues en 1843 avec les différentes populations ne sont pas respectées. La
côte de l'or devient alors un véritable protectorat français. Toutes les révoltes sont réprimées
sévèrement et les villages des rebelles incendiés (4). Pour des fautes mineures, de fortes amendes
et châtiments sont infligés aux populations. Au plan commercial, le stratagème des courtiers
Bassamois atteint son objectif. En effet, l'influence commerciale française en côte de l'or devient
nulle car les populations de l'intérieur et de la côte étaient restées fidèles aux produits anglais, qui
de loin, étaient les meilleurs. Les courtiers Bassamois continuent leur campagne anti-produits
français car la présence du comptoir français sur leur territoire apparaît comme un obstacle au
développement de leur courtage.
La présence française en côte de l'or n'est pas seulement contestée par les courtiers mais
aussi par l'ensemble des peuples de la région. Malgré la brutalité exercée sur eux par les marins,
ils souhaitent tous, le départ des Français.
Les marins et les commerçants français avaient du mépris pour les populations africaines
et pour leurs institutions politiques et sociales. Ils considéraient les africains comme des sous-
hommes, des semi-sauvages, des hommes sans dignité (5).
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
r- AN.C.I. : Série lEE} (7).
2- AN.S. : Section AOF série 5G22 p.5
3- AN.C.I. : Série lEE} (6) p.6
4- AN.C.l. : Série lEE} (5) p.8
5- AN.C.l. : Série lEE} (9) p.6
257
Face à cette attitude ceux-ci réagissent en refusant de se laisser traiter de sauvages et de sous-
hommes. En effet, les Africains avaient toujours été jaloux de leur dignité et de leur honneur.
C'est pourquoi, ils se sont opposés à l'établissement de relations frat-ernelles avec les marins, qui
sont pour la plupart sans expérience (1). C'est au poste de Grand-Bassam que certains marins
commencent leur service militaire. Jeunes, sans expérience, ils sont convaincus que la force peut
résoudre tous les problèmes. Malheureusement, elle ne suscite que l'hostilité des populations
africaines à l'égard des français. C'est ce qui ressort d'un rapport sur la situation politique à
Grand-Bassam en 1850.
«L'insuccès français au niveau politique réside dans le fait que les français ne traitent
pas avec respect et égard les rois ou chefs des régions dans lesquelles ils se sont installés. Ils les
traitent sans-façon. Comme les Noirs tiennent toujours à leur dignité, ils refusent donc de
coopérer avec les Français (2»>.
La présence française, au cours des sept premières années en côte de l'or, est un échec
total au plan politique et commercial. Toutes les tentatives d'occupation du territoire rencontrent
donc l'hostilité des populations. Celles-ci refusent de reconnaître la souveraineté de la France sur
leurs territoires. Théoriquement, la côte de l'or était devenue par la force des armes, un
protectorat français mais dans les faits, cette région n'était pas sous contrôle de la France. Les
tentatives d'occupation et du contrôle de la côte de l'or entraine surtout la paralysie du commerce
français dans la région (3).
Le problème de la souveraineté de la France sur la région du Sud-Est et le refus de la
domination de la France sur la région par les populations africaines ont dès le début posé le
problème de l'interprétation des traités. Ainsi, pour une même région, plusieurs traités furent
conclus (4). Les Africains tenaient aux respects de leurs institutions, de leur liberté et surtout de
leur indépendance. C'est pourquoi, ils s'opposent à toute tentative d'aliénation.
«Les courtiers Noirs avaient l'audace de fouler aux pieds nos couleurs et leurs substituer
des couleurs étrangères (5»>.
1- AN.C.r. : Série lEEl (9) pA.
2- AN.C.I. : Série lEEl (9)
3- AN.S. : Section AOF série 5G22 p.8
4- AN.C.I. : Série lEEl (9) p.6
5- AN.S. : Section AOF série 5G22 p.6
258
Les populations africaines de la côte de l'or étaient hostiles au système commercial
français qui tentait à instaurer le monopole des commerçants français dans toute la région. Le
commerce était une entreprise libérale, soumise aux lois de la concurrence. Les courtiers
africains avaient toujours respecté la concurrence surtout à Grand-Bassam où on comptait
plusieurs centaines de courtiers (1). Le refus des français de respecter les Us et coutumes de la
région et leur désir manifeste de tout contrôler furent à l'origine des nombreux conflits auxquels
fut soumise la côte de l'or. Les marins français des comptoirs de Grand-bassam et d'Assinie, pour
permettre aux commerçants français de pouvoir commercer librement avec les populations tant à
l'intérieur que sur la côte pratiquement la politique d'intimidation (2). Les traitants français au
cours de leurs expéditions commerciales se font toujours accompagner par les marins et les
bâtiments de guerre (3). C'est alors sous la ménace des bâtiments de guerre (canonnières) prêts à
envoyer des charges dans les villages, le commerce perd son charme d'activité libérale. La
présence des marins .au côté des commerçants français montre bien les difficultés du commerce
français sur la côte.
«Le commerce français à Grand-Bassam se faisait sous les ménaces de réprésailles en
.
présence d'un bâtiment (4»>.
Malgré l'utilisation de la méthode d'intimidation lors des expéditions commerciales des
commerçants français et la création des factoreries et sous-factoreries sur tout le long de la côte,
les populations africaines continuent de commercer avec les navires anglais mouillant au large
des côtes. Aucun traité ne liait les aficains aux capitaines de navires, mais il existait entre eux la
confiance et le respect des liens qui les unissaient depuis de longues années. Les Africains
malgré les menaces de représailles des bâtiments de guerre français restent fidèles aux capitaines
anglais (5).
Les Français épuisent toutes les méthodes pacifistes et coercitives afin de rendre leur
commerce en côte de l'or, rentable et bénéfique, mais une fois de plus c'est un échec. Deux
raisons essentielles expliquent cet échec de parcous qu'on peut aussi considérer de temporaire.
D'abord, par rapport aux produits anglais les produits français sont de qualité médiocre.
1- AN.CI. : Série lEEl (9) p.6
2- AN.CI. : Section AOF série 5G22 p.5
3- AN.C.I. : Série lEEl (9) p.6
4- AN.S. : Section AOF série 5G22 p.6
5- AN.CI. : Fonds Ex. AOF Gd-Bassam Fondation du comptoir de Gb-Bassam ou Fort
Nemours: Doc. 5G16 Microfilm.
259
Malgré ce handicap et les faibles investissements, les commerçants français cherchent à réaliser
d'importants bénéfices par le contrôle de tous les trafics commerciaux de la côte de l'or. Enfin,
politiquement, les marins français méprisent les Africains, bafouant leurs institutions et dignité,
faisant régner, par les expéditions punitives, la terreur dans la région. Ils se comportent comme
des conquérants (1). Tous ces comportements sont désapprouvés par les Africains qui s'opposent
à toute annexion de leur territoires par les Français.
Face aux déboires que connaît le commerce français en côte de l'or, en 1851, le lieutenant
de Vaisseau, Bouet Willaumez, gouverneur de Grand-Bassam, décide alors de rendre visite à
Attekeblé, Peter des textes français, dont le village est à deux portées de canon du "blockhaus"
pour redéfinir les nouvelles relations entre la France et la côte de l'or. Refusant de se voir infliger
une amande dont la pratique était courante avec les Français, Attekeblé et son peuple reçoivent
comme il est de tradition en Afrique avec tous les honneurs, le délégué de la France. Les
Bassamois, pour montrer aux français qu'ils ne sont pas des sous-hommes et des sauvages se
drapent dans leurs plus beaux habits, faits de cotonnades et de bijoux en or (2). lis font alors au
capitaine de Vaisseau Bouet Willaumez, gouverneur de Grand-Bassam, l'étalage de leur richesse
et celle du pays. Cette démonstration de richesse avait pour seul but de faire savoir au capitaine
Bouet que les activités économiques et la vie politique de toute la région étaient sous le contrôle
des courtiers. Par conséquent, les Français devraient s'entendre, négocier avec les courtiers et les
traiter avec respect. Aucun accord ne pouvait être conclu sur la côte sans la participation des
courtiers qui, part tous les moyens, protègent leurs activités (3).
«Refus des chefs du littoral de se faire traiter par les Français comme des sous-hommes.
C'est pourquoi, lors des visites, ils ne manquent pas de montrer aux européens leurs richesses et
leur imposer une négociation sur des bases égalitaires»
(4).
Le capitaine de Vaisseau Bouet Willaumez est' reçu par Attekeblé avec tout un
cérémonial digne à l'Afrique (5). Cet accueil chaleureux, malgré l'existence de conflits, est la
D
preuve que les Africains sont très attachés au protocole, signe du respect et de l'égalité entre les
individus. Cette visite est
1- AN.C.I. : Série lEE] (9) p.?
2- AN.S. : Section AüF série 5G23 p.8
3- AN.C.I. : Série lEEl (9) p.?
4- AN.S. : Section AüF série 5G23 p.?
5- A.N.S. : Section AüF série 5G22 p.6
260
l'occasion où Attékéblé étale aux yeux de Bouet Willaumez, toute sa richesse, signe de sa
puissance. C'est aussi l'occasion de la normalisation des relations entre Français et courtiers
Bassamois (1). Les résultats essentiels de cette rencontre sont les suivants : Du côté des
Bassamois, Attékéblé et ses amis courtiers acceptent de traiter (commercer) avec les Français,
mais cet accord n'empêche pas les peuples Bassamois de continuer, si l'occasion se présente, a
commercer avec les navires anglais (2). Du côté français, on se décide à traiter avec respect la
population de Grand-Bassam et à éviter de s'immiscer dans les affaires intérieures de ce village.
«II m'a reçu avec l'apparat que lui permettent ses ressources et déployant un cérémonial
qui indique que les chefs de ces pays-ci tiennent beaucoup plus aux formes et aux convenances
•
que ne le pensent généralement les Européens, les Français surtout, habitués à les traiter sans
façon dont le résultat a été de changer en ennemis des hommes qui alors avaient montré les
dispositions les plus bienveillantes...»(3). C'est ce qu'a noté Bouet Willaumez dans un de ses
rapports au gouverneur du Sénégal.
Cette normalisation des relations entre courtiers Bassamois et Français entraîne un léger
essor du commerce Français en côte de l'or. Cette normalisation est aussi suivie par l'installation
de nouvelles factoreries françaises sur la côte, à l'exemple de Renard et Demiagou Pecquet (4).
Ceci donne un souffie nouveau au commerce français. Le commerce français, avant 1850, était
entre les mains de la maison Régis qui détenait le monopole (5). Cette maison avait le monopole
exclusif même au détriment des navires français se présentant à la barre et ne disposant pas de
factorerie sur la côte (7).
La maison Régis était la première maison de commerce à s'installer sur la côte orientale et
la seule à détenir une véritable factorerie. C'est pourquoi, elle refusait toute concurrence avec les
autres maisons de commerce. Mais l'installation de nouvelles maisons de commerce en côte de
l'or oblige les autorités du poste de Grand-Bassam à favoriser la concurrence entre les factoreries
afin de rendre le commerce français en côte de l'or compétitif L'instauration de la
-----------------------------.._------------------------------------------------------------------------------------------ ..
I-AN.CI.: Série IEEI (9)p.7.
2- AN.S. : Seclion AOF série 5G23 p.8
3- AN.S. : Section AOF série 5G23 p.6
4- AN.C.I. : Série lEEl (9) p.7.
5- AN.S. : Section AOF série 15G25 p.8
6- AN.CI. : Série lEEl (7) p.8.
7- AN.C.I. : Série lEEI (9) p.6.
261
concurrence entre les maisons de commerce françaises et dans toute la région devait entraîner la
baisse du prix de vente des produits français et permettre aux commerçants d'acquérir pour les
échanges des objets de premières qualités (1).
La croissance du nombre des factoreries françaises en côte de l'or, oblige le gouverneur
du poste de Grand-Bassam à rechercher de nouvelles sources d'approvisionnement et des
débouchés pour le ravitaillement des factoreries, en produits de traite et briser le monopole des
courtiers Bassamois encore grandissant dans la région. Au lieu de s'intéresser à la zone située à
l'Est de Grand-Bassam, où des explorations en 1849 et en 1850 avaient été entreprises, dans le
Tanoé, le Comoé et la Lagune Abi, pour faciliter les transactions commerciales entre Je comptoir
de Grand-Bassam et les régions de l'intérieur productrices d'or et d'ivoire, les Français portent
leur choix sur la zone située à l'Ouest du poste de Grand-Bassam. Malgré le soutien de
l'administration et l'intimidation des populations par l'armée, les commerçants français ne
réussissent pas à s'imposer dans la région et à réduire l'influence anglaise. En 1850, la région
orientale paraît échapper à l'influence commerciale française, c'est pourquoi les autorités
françaises décident d'explorer l'Ouest.
Les Français entreprennent alors l'exploration de la lagune Ebrié qu'ils avaient au début
considéré comm~ un lac. En 1849, lors d'une expédition dans le bassin occidental de l'Ebrié, les
Français se rendent compte de la richesse de cette région en prod'uits oléagineux (2). Près de
quarante (40) tonnes d'huile de palme furent achetées en deux jours dans deux villages. Les
objectifs de cette expédition vers J'Ouest étaient les suivants:
- recenser les richesses, et les possibilités commerciales de la région occidentale;
- permettre aux Français d'étendre leurs activités commerciales vers l'Ouest et se mettre
en relations directes avec les nombreux villages riverains de la lagune Ebrié, producteurs d'huile
de palme. Cette région était considérée comme l'une des plus riches de la côte en oléagineux;
- s'emparer, enfin, du trafic commercial de la partie occidentale de la lagune Ebrié et
enlever aux populations du littoral, en particulier aux Alladian le courtage, qui depuis la 2è
moitié du XVIIè siècle (3), constituait une partie des sources de revenus de ce peuple.
1- A.N.S. : Section AOF série 5G23 p.12
2- A.N.S. : Section AOF série 5G22 p.12
3- Marc Augé : le rivage Alladiall p.42
': 262
«Le principal but de mon voyage étant de m'assurer suivant vos instructions si la
direction des cours de l'Ebrié permettrait de prendre à revers tous les villages Jack-Jack,
peuplage excessivement commerçante et de chercher la sortie de ce cours du côté de Cap Lahou
(1»>. C'est ce que note Bouet Willaumez dans un de ses rapports a~ gouverneur du Sénégal.
Autour de la lagune Ebrié vivent de nombreux peuples : les Ngbato, les Tchaman, les
Odzukru, les Ahizi et les Alladian. Les principales sources de revenus de ces populations étaient
la production de l'huile de palme et la pêche. Les productions d'huile de palme provenaient
essentiellement des pays Odzukru et Tchaman situés sur la rive Nord de la lagune Ebrié. Ces
produits étaient commercialisés par les Alladian. Le peuple Alladian depuis le XVIlè siècle
occupait la lagune de terre qui séparait l'océan Atlantique et la lagune Ebrié. La population
Alladian formait une véritable "nation" mercantile qui, depuis la 2è moitié du XVlIè siècle (2),
dominait et contrôlait tous les trafics commerciaux du bassin occidental de I'Ebrié.
Les Alladian avaient une mainmise sur les activités commerciales des pays Tchaman et
Odzukru. Les échanges commerciaux entre ces populations du haut Ebrié et les navires
européens se faisaient depuis la 2è moitié du XVIIè siècle par l'intermédiaire des courtiers
Alladian (3). Les Ngbato quant à eux commerçaient plus avec les coutiers de Grand-Bassam.
L'expédition vers l'Ouest visait donc à détruire le courtage et la domination qu'exercent les
Alladian dans le haut Ebrié.
Eh 1850, grâce au Vapeur "Guet N'Dar" qui avait, auparavant, permis l'exploration des
fleuves Tanoé, Comoé et Aby les Français entreprennent alors d'explorer la lagune Ebrié.
L'exploration de l'Ebrié et tentative française de contrôler le commerce de l'huile de palme.
Le cours d'eau situé à l'Ouest du village de Grand-Bassam n'est ni un fleuve ni un lac
mais une lagune qui s'étend sur plus d'une centaine de kilomètres. Les nombreux peuples qui
vivaient autour de cette lagune étaient économiquement dépendants les uns des autres. Mais les
peuples de la rive Nord étaient économiquement beaucoup plus dépendants des populations de la
côte: Les Alladian et N'Zima appelés aussi Appoloniens. Les peuples de la rive Nord étaient
pour la plupart, producteurs de biens d'échange que commercialisent les peuples du Sud c'est-à-
dire de la côte. Les populations de la côte maritime depuis la
---_.._------------------------------_.._---------------_..._----------------------------------------,,---..----------------.._--
1- A.N.C.r. : série lEEI (9) p.8
2- Marc Augé : le rivage alladian p.42
3- Marc Augé : le rivage alladian pA2
: 263
2è moitié du XYIIè siècle se spécialisent dans le négoce (1). De Décembre à Avril, considérée
comme la période commerciale, les populations de la côte commercent avec les interlopes
européens (2). Elles s'intéressent d'abord, au commerce de l'or, des ivoires et des peaux
d'animaux. Au XYlIIè siècle, l'essentiel du commerce portera sur les esclaves. Ainsi, les villages
de la côte maritime deviennent des centres de collecte et des entrepôts d'esclaves (3). Certains de
ces villages jouent aussi le rôle de "ports négriers" où les esclaves sont exportés vers les
Amériques. Mais au XIXè siècle, elles s'intéressent aux commerces de l'huile de palme et de l'or.
La région de l'Ebrié, du point de vue économique et surtout commercial, était une région
très riche. On y rencontrait un des plus importants peuplements de palmier à huile de la région
du golfe de Guinée. Cela entraîne dans la région, le développement de l'industrie de l'huile de
palme. L'industrie de l'huile de palme n'est pas née avec la traite de l'huile de palme. C'était une
industrie très ancienne qui a pris de l'essor sous la traite aux XIXè siècle.
La région Ouest de l'Ebrié demeure au XIXè siècle, le seul espoir des Français qui
devaient donner un sens à leur présence en côte de l'or. Malheureusement, ils subissent un échec
dans la partie orientale de la côte de l'or lorsqu'ils tentent de contrôler le trafic de l'or de toute la
région en éliminant les courtiers. Ils rencontrent alors l'hostilité des courtiers de la côte conduits
par Attékéblé (Peter), qui, par tous les moyens défendent leurs activités, le courtage, principal
source de revenu. Ayant échoué à l'Est, face à la détermination des courtiers Bassamois, les
Français cherchent alors à faire main basse sur tout la région occidentale de l'Ebrié afin de
contrôler le commerce de l'huile de palme. Le contrôle du bassin occidental de l'Ebrié permettrait
ainsi aux Français de prendre à revers la plus importante nation commerçante du littoral : Le
peuple alladian, de contrebalancer leur puissance et surtout de mette fin à la présence des navires
anglais sur la côte et de stopper leur avancée vers l'Ouest. La région de l'Ebrié devait servir de
débouchés et de marchés pour le commerce français (4).
Avant l'exploration de l'Ouest, les Français ignoraient l'existence de la région de l'Ebrié et
surtout son importance économique (5). En s'installant en côte de l'or, l'objectif
1- Père Godefroy Loyer: l'établissement d'Issiny Larose 1935 Paris p. 110
2- Marc Augé : le rivage alladian Orstom pA2
3- Marc Augé : le rivage alladian p.43
4- A.N.CI. : Série lEE! (9) p.6.
5- A.N.S. : Section AOF série 5G25 p.6
264
des Français est de prendre possession de toute la région afin d'arrêter une éventuelle progression
des Anglais, déjà installés en Gold Coast, vers l'est et contrôler ainsi l'économie de toute la
région dont le trafic de l'or est la principale activité (1).
L'huile de palme n'avait pas de débouchés en France, sauf en Angleterre. Il faut attendre
1853, avant que J'huile de palme ne pénètre sur le marché français (2). C'est compte tenu du
manque de débouchés et de l'échec subi à l'Est que les Français s'intéressent à la région Ouest de
l'Ebrié et au commerce de l'huile de palme. Les courtiers Bassamois ne commercent avec les
comptoirs français que pendant la période morte (3), c'est-à-dire en saison pluvieuse où il y a
rarement de navires anglais sur rade. Ils achètent alors aux Français leurs marchandises afin de
les exporter à l'intérieur du pays. Par cette stratégie les courtiers Bassamois essaient d'empêcher
les commerçants français d'entrer en contact avec
les populations de l'intérieur.
Cette
intervention permettait aux courtiers de la côte de demeurer les seuls intermédiaires entre les
populations et des navires européens.
Les principaux clients des factoreries françaises sont le; Bambara qui descendent
périodiquement en caravanes sur la côte pour échanger leurs produits contre les produits
manufacturés et le sel (4). Les marchands Bambara descendent sur le littoral, souvent sans
marchandises pour n'acheter que le sel ou les produits manufacturés européens (5).
Le 29 Septembre 1850, grâce à l'Aviso N'Guet N'Dar (6) le lieutenant Baudin entreprend
l'exploration de l'Ebrié. Au cours de cette exploration, les Français découvrent les pays Tchaman
et Odzukru. Le Lodzukru est la première région productrice d'huile de palme de l'Ebrié. La
production d'huile de palme est l'une des plus anciennes activités industrielles des Odzukru et les
palmeraies sont la principale richesse des lignages. L'huile produite dans le Lodzukru est
exportée vers le pays Alladian. Dans le souci de réaliser leurs objectifs qui consistent à contrôler
la production de l'huile de palme et le trafic commercial de l'Ebrié, de contrebalancer la
suprématie des courtiers Alladian dans l'Ebrié et d'empêcher les Anglais de s'établir sur le littoral
ivoirien, l'exploration de la lagune Ebrié fut de la signature des traités d'amitié entre
1- AN.CI. : Série IEEI (9)
2- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 132
3- AN.s. : Section AOF série 5G26 p.8
4- AN. S. : Section AOF série 5G23 p.12
5-ldem
6- A.N.C.I. : série IEEI (Il) pièce 15
265
Les autorités françaises et les villages riverains. Cela permet alors de placer toute la région sous
la souveraineté française. Tous les traités accordent à la France le monopole commercial et
défendent aux ressortissants des villages, signataires de ces conventions de commercer avec les
puissances autres que la France (1).
L'extension de l'application des traités à toutes les régions et la mauvaise interprétation
des textes engendrent de nombreux conflits dans la région. En effet, les diverses populations
refusent d'aliéner leur liberté et indépendance. Les traités signés entre les peuples riverains et les
officiers français sont des traités de protectorat qui laissent entrevoir le dessein de la France de
coloniser cette région de mieux exploiter ses richesses (2).
Les Anglais rachètent aux Danois leurs comptoirs de la Gold Coast. ils installent des
comptoirs le longs des côtes africaines. Par cette politique, ils pensent s'établir à Whidah au
Dahomey, ancienne côte des esclaves (3). Whidah était l'un des principaux postes négriers du
Golfe de Guinée. Les Français, inquiets, renforcent la sécurité du poste de Grand-Bassam parce
qu'ils craignent que les Anglais ne viennent hisser leur pavillon à Grand-Bassarn et ne
deviennent les seuls maîtres du golfe de Guinée.
La fortification de Grand-Bassam permet aux français d'étendre leurs a.ctivités vers
l'Ouest, de se mettre ainsi en relations directes avec les villages et peuples producteurs d'huile de
palme situés sur le rivage Nord de la lagune Ebrié et d'établir un courant commercial Est-Ouest
afin de drainer vers Grand-Bassam toutes les productions d'huile de palme.
Grâce aux expéditions dans l'Ebrié, les Français explorent tout le bassin occidental de la
lagune Ebrié jusqu'à Grand-Lahou. Les Français prennent alors contact avec tous les peuples de
la région et surtout de contrôler le pays Quaquah spécialisé dans le commerce de l'huile de
palme. Les Français nourrissent aussi le désir de faire du comptoir de Grand-Bassam, le premier
centre commercial de la côte (4). Tous les produits devaient être drainés vers ce centre.
•
L'avantage de l'Ebrié est que cette lagune est navigable en toute saison et cette région est très
riche en produits oléagineux. Les activités commerciales sont alors très rentables.
1- AN.Cl. : série lEE1 (11) p.9
2- AN.CI. : série IEEl (9) p.8
3- AN.CI. : série lEEl (I I) p.8
4- AN.CI. : série lEEl (11) p.8
266
L'exploration de l'Ebrié en Septembre fait place en Octobre 1850 à de nombreuses
expéditions commerciales dans la zone des oléagineux. Les traitants Français réussissent à
troquer de nombreuses barriques d'huile (1). Ils refusent d'utiliser dans les transactions la
monnaie de manille qui avait cours dans cette région de l'Ebrié (2). Les Français satisfaits de
leurs activités en Ebrié occidentale, pensent déjà à une victoire sur les Anglais (3). Les premiers
contacts avec la population de .l'Ebrié semblent leur donner confiance puisqu'ils sont convaincus,
après les premiers échanges, que les populations sont acquises à leur cause.
«La situation commerciale est satisfaisante. les voyage en rivière se succèdent avec
rapidité et la factorerie Régis a déjà un chargement d'huile de palme en magasin. La moyenne
des chargements d'huile de palme est de 15 barriques par jour (3»>.
Depuis 1850, le commerce français en côte de l'or et dans le bassin occidental de l'Ebrié
est représenté par de nombreuses maisons dont les plus importantes sont les maisons Régis,
installées à Grand-Bassam et Assinie depuis 1844, les maisons Isnard et Renard et Demiagou
Lecquet. Les commerçants français au cours de leurs expéditions en rivière et lagune se font
accompagner par les Avisos et Geôlettes. Ces Vapeurs servaient aussi à transporter l'huile à
Grand -Bassam.
«A partir du 16 Novembre 1850, la geôlette le Marigot sera mise à tour de rôle à la
disposition des deux factoreries établies aux comptoirs de Grand-Bassam (4»>.
La durée du voyage dans I'Ebrié est de quarante jours et de vingt jours dans les rivières.
En parlant de durée, il faut tenir compte. du temps de débarquement et d'embarquement. Les
Vapeurs servant au transport des produits de traite vers le comptoir de Grand-Bassam étaient
mus au charbon. C'est pourquoi, à chaque escale, les marins descendaient sur les plages pour
chercher du bois mort.
Les Français dans I'Ebrié occidentale grâce aux nombreuses expéditions commerciales
qu'ils y effectuent, ne réussissent pas pour autant à ébranler le courtage alladian et à contrôler le
trafic commercial de la région. les Anglais, non plus ne sont pas inquiétés et submergés par les
commerçants
--------.._-----------------------------------------------------------------------------------------------.._---------------
1- AN.S. : Section AOF série SG23 p.8
2- AN.S. : Section AOF série SG23 p.3
3- AN.CI. : série lEE1 (11) p.6
4- AN.S. : Section AOF série SG23 pA
267
Français. Les Anglais, présents sur les rades depuis 1830, n'avaient jamais songé s'installer en
Côte d'Ivoire car il était déjà en Gold Coast.
Les Français rencontrent l'opposition des courtiers Altadian qui refusent tout contact
entre les traitants Français et les producteurs d'huile de palme. les commerçants Français dans la
région de l'Ebrié subissent la concurrence des courtiers Alladian qui étaient les meilleurs de la
côte orientale, les plus habiles et les mieux organisés (1). Le courtage dans le pays alladian est
l'une des plus anciennes activités économiques de la région. Elle est née vers la 2è moitié du
XYllè siècle (2). La position stratégique du pays alladian avait, au cours des siècles, favorisé le
développement de cette activité. La région alladian était le passage obligatoire de tous les
produits venant des rives Nord de l'Ebrié à destination de l'Europe. Ainsi, grâce à cette activité,
les Alladian étendent leut domination économique sur les peuples situés sur la rive Nord de la
lagune Ebrié.
Dans leur lutte contre les Français, les Alladian bénéficient toujours du soutien et de la
confiance (fidélité) des producteurs de la rive Nord de l'Ebrié. Malgré les menaces de représailles
(3), de déportation des responsables, (4) les lourdes amandes et les autres châtiments, les peuples
de la rive Nord continuent de fournir de l'huile de palme aux Alladian qui à leur tours,
approvisionnent les navires anglais. la lutte entre courtiers Alladian et les commerçants Français
donne naissance dans l'Ebrié à deux types de commerce. D'abord, le commerce hors barre
dominé par les' Anglais et le commerce dans les comptoirs contrôlés par les Français. le
commerce hors barre était le plus ancien et le mieux soutenu par le courtiers Africains.
Le commerce français dans la région de l'Ebrié occidentale était loin d'être un demi-
succès malgré l'optimiste et la confiance des autorités du poste de Grand-Bassam. Les traitants
Français, dans leur désir d'avoir le contrôle exclusif de tout le trafic commercial des deux bassins
de l'Ebrié se heurtent à une véritable résistance des courtiers de la côte qui tiennent à conserver la
liberté et l'indépendance de leurs activités. Les peuples de la côte avaient toujours été hostiles à
la monopolisation des activités commerciales. Tous les peuples de l'intérieur, même deux que les
Français considèrent comme acquis
1- AN.S. : Section AOF série SG28 p.l3
2- Marc Augé : le rivage alladian pA2
3- AN.C.I. : Série lEE1 (11) p.6.
4- AN.S. : Section Côte d'Ivoire série 2G1 p.8
à leur cause souhaitent le maintien de la concurrence et surtout de l'indépendance et de la liberté
du commerce, seul garant de l'essor commercial et de la prospérité de toute la région. Sur la côte
orientale, les Français entrent en contact avec plusieurs groupes de populations dont les
comportements et les agissements sont différents, mais les objectifs de ces populations sont les
mêmes, ceux de garantir et de préserver partout les moyens, la liberté commerciale dans tous les
deux bassins de l'Ebrié (1).
Présentation des populations du bassin occidental de l'Ebrié
Le bassin occidental de la lagune se subdivise en deux sous-régions : le haut Ebrié et le
bas Ebrié. Les conditions climatiques sont homogènes. C'est le climat subéquatorial, influencé
par la présence de l'océan Atlantique. la température moyenne annuelle est toujours supérieure à
22°c. La végétation dominante est la forêt dense mais dans le haut Ebrié c'est à dire de la région
de Dabou jusqu'à Grand-Lahou, la végétation présente un caractère particulier. La savane et la
forêt cohabitent ne bordure de la lagune.
Le peuplement du bassin occidental de l'Ebrié est très ancien. Déjà au néolithique, cette
région était occupée par des populations qui, aujourd'hui, ont été assimilées ou disparues. De
nombreux objets-témoins avaient été trouvés à Orgbaff, Co sr et Tukpa (2). Des fouilles
archéologiques avaient montré l'existence d'une importante industrie d'amats coquillés dans le
village de Son~on Dagbé, de la tribu des Songon (3). Un bracelet en cuivre avait été aussi
découvert au cours des fouilles archéologiques entreprises dans le village de Gat y, un village
Odzukru. La datation de ce bracelet avait permis de remonter jusqu'au IV è siècle. Elle avait
montré qu'à cette période la région de Gat y était occupée par une population très ancienne. Nous
notons que déjà au néolithique, le bassin occidental de l'Ebrié était peuplé. Ce peuplement s'était
poursuivi jusqu'au IVè siècle et même aux XVè et XVIIè siècles où cette région devient le
territoire d'accueil de nombreuses vagues d'émigrants. Certaines populations sont considérées
comme faisant partie de ce peuplement très ancien. Il s'agirait par exemple des Brékegnon qui
auraient été assimilés vers le XVIè siècle par les Tchaman venus de J'Est, la population du
quartier Mablem, du village Odzukru d'Orgbaff qui affirme n'être venue de nulle part (4).
1- A.N.S. : section AüF série 5025 p.8
2- Harris MEMEL Folé : le système politique de Lodjoukrou
3- Songon Dagbé est l'un des cinq villages qui composent la tribu Tchaman des Songon.
4- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 118
269
Aujourd'hui, plusieurs groupes de populations se partagent le bassin occidental de l'Ebrié. 11
s'agit des Akyé, Ngbato, Tchaman, Odzukru, des Aïzi, des Alladian et des Avikam. Tous ces
peuples se sont établis à des périodes différentes sur tout le pourtour de l'Ebrié. Parmi ces
peuples, qui se sont installés entre les XVè et XVIIè siècles, les premiers furent les Odzukru
principalement le rameau Oboru comprenant le village de Bon, Bobor et Dibrim (1).
LES ODZUKRU.
Du peuplement Odzukru, nous distinguons plusieurs vagues migratoires. Mais nous
retenons pour cette étude, les deux plus anciens mouvements. Il s'agit de la migration Oboru et
de la migration Aklodzu.
Parmi les Odzukru, les premiers à s'établir et à occuper le Lodzukru sont les Oboru. les
Odzukru-Oboru viennent de l'Ouest. Ils émigrent de la région du Centre-Ouest à la suite d'une
guerre contre leurs voisins, les Bété (2). Les Odzukru, alors peu nombreux, quittent le territoire
qu'ils occupent depuis leur départ du foyer originel. Ils se dirigent vers le Sud,
traversent le
, fleuve Bandama (Djita en Odzukru) et s'installent sur la rive Nord de la lagune Ebrié. Devenus
très nombreux avec l'arrivée de nouvelle immigrant, les Oboru se scindent en deux villages,
Bobor et bon. Des querelles instestines entre les Oboru du village de Bobor entraînent une
nouvelle scission au sein de population. L'éclatement de Bobor donne naissance à un autre
village, Dibrim (3). Les traditions que nous avons recueillies sur les origines et la migration des
Odzukru-Oboru nous permettent de considérer le XVè siècle, comme la date de l'établissement
des premiers Odzukru sur le territoire qui deviendra plus tard, le pays odzukru.
Les Oboru sont suivis deux siècles plus tard au XVIIè siècle par les Aklodzu. En effet, les
Aklodzu, partis du village alladian d'Abreby, traversent en pirogue I~ lagune Ebrié et s'installent
dans la partie Nord-Est de Lodzukru. Cette migration se situe après l'installation des Alladian sur
la langue de terre séparant l'océan atlantique et la lagune Ebrié. Aux Obori et aux Aklodzu se
succèdent d'autres groupes venus pour les uns de l'Ouest, et les autres, de l'Est et du Nord. Le
peuple Odzukru
I- Dibrim a été fondé à la suite de l'éclatement de Bobor.
2- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. I4I
3- Ibid. Page I4I
270
est le résultat d'un brassage de populations qui se sont retrouvées à des périodes différentes sur le
même territoire. Deux grands groupes dominent la population odzukru : Les Occidentaux et les
Orientaux. L'unité de la population établie, le peuple Odzukru se dote d'institutions politiques et
sociales que nous étudierons plus loin.
Les üdzukru sont constitués de huit tribus regroupées en deux confédérations: Bobor et
Dibrim. Les Odzukru n'ont jamais connu de pouvoir centralisé. L'instance dirigeante du pouvoir
est l'assemblée du village ou de quartier. Mais l'animation du pouvoir est confiée aux sept (7)
classes d'âge dans lesquelles tout Odzukru participe à la vie politique et sociale de son village.
Les femmes, les enfants et les esclaves sont exclus de l'exercice du pouvoir, mais les esclaves,
membres des classes d'âge participent à la défendre et au maintien de la sécurité du pays. La vie
politique se limitait au territoire de la tribu.
«Les Odzukru sont trop amoureux de leur indépendance pour n'avoir jamais voulu
accepter ou créer un pouvoir fort capable d'imposer une loi, il n'y a donc pas de chef de village
(1»>. C'est ce qui ressort du rapport d'un officier de la marine française en tournée dans l'Ebrié.
La tribu formée d'un ensemble de villages. Elles a à sa tête une capitale. Les tribus sont
autonomes. La confédération de Bobar, la plus importante est composée de cinq tribus Oboru,
OrgbafTu, Eusru, Aklodzu et Agbadznu. Quand à la confédération de Dibrim elle se compose de
trois tribus. Dibrim Ejn, Olokpu et Armabu. A ce groupe s'ajoute le village autonome de Cosr.
Les confédérations dont les capitales étaient Bobor et Dibrim avaient pour but de maintenir
J'unité et l'indépendance du territoire et de l'ethnie (2) et de défendre le pays contre les agressions
extérieures. Mais la capitale religieuse des Odzukru demeure Bon, premier village de Lodzukru
fondé par les Oboru.
La population Odzukru au XIXè siècle était de plus de 25.000 habitants. Les textes
français ont estimé cette même population en 1855 à trente mille (30.000) habitants (3). Cette
population paraît moins importante. En efTet, au cours de cette période, sur trente villages qui
composent le Lodzukru on ne comptait que cinq agglomérations importantes. Orgbaff, Usr,
Yssakp, Dibrim et Lokp. Chacun de ces villages avait une
1- A.N.C.I. : Série IEE 152 (1) pièce Il
2- Harris MEMEL Foté : ~stème politique de Lodjoukrou p. 153
3- A.N.S. : section AOf série 5G30 p.6
27J
une population supérieure à 1.500 habitants (1). Cette population avait fait de Lodzukru un
marché de consommation mais surtout un avait fait de Lodzukru un marché de consommation
mais surtout un réservoir de main-d'oeuvre pour la mise en valeur rationnelle des palmerais et le
transport des produits. A cette population s'ajoutent aussi les saisonniers Abidji, Abê et Baulé qui
descendent dans le Lodzukru pour travailler dans les palmeraies (2).
Les Odzukru sont d'essence agriculteurs. C'est un peuple très attaché à la terre; certains
auteurs les désignent comme des agriculteurs-guerriers (2). Le peuple Odzukru est très amoureux
de sa liberté et de son indépendance. Il refuse toutes aliénations et dominations extérieures. Les
principales activités économiques de la région sont l'agriculture vivrière, la pêche en lagune et en
rivière et surtout l'industrie de l'huile de palme. Le développement de cette dernière activité
entraîne la naissance des débarcadères par lesquels l'huile de palme est exportée vers les centres
commerciaux alladian et qui fait de Lodzukru l'un des principaux centres économiques de la rive
Nord de l'Ebrié. Le Lodzukru, dans tout le bassin occidental de l'Ebrié, au XIXè siècle est le
première région productrice d'huile de palme (3). Cela favorise alors très tôt l'établissement des
relations commerciales entre le Lodzukru et le pays alladian. L'économie est lignagère et tous les
moyens de production appartiennent aux lignages. Au plan social, le Lodzukru est organisé en un
double système de parenté: le patrilignage et le matrilignage. Mais le système de parenté le plus
important qui règle la vie de Lodzukru est la matrilignage, cela permet alors à Lodzukru de
s'apparenter aux autres groupes ethniques de la région de l'Ebrié.
Les Tchaman :
La population Tchaman, située à l'Est de Lodzukru, aurait occupé dès le XVlè siècle Je
territoire compris entre Grand-Bassam et le bassin de la rivière Anebi. Venus de l'Est au XVlè
siècle, les Tchaman s'installent sur la rive Nord de l'Ebrié essaimant de nombreux villages. Ils
assimilent les Brekegnon qui occupaient depuis la période néolithique le Nord de l'Ebrié. Les
Tchaman sont regroupés en neuf tribus autonomes ou «Goto»
(4). Il s'agit des Kwè, Bidjan,
Nonkwa, Songon, Bobo, Dyapo, Bya, Niangon et Yopougon.
1- A.N.C.I. : série 5DD 1. De 1904 avait donné résultat pour le Lodzukru 3000 habitants
2- Simon Pierre EKANZA : Les mutations d'une société rurale. Les Agni du Moronou 18è-
1939- p. 495
3- A.N.S. : section AOF série 5G30 P. 8
4- Jean Noël LOUCOU : Histoire de Côte d'Ivoire: Formation des peuples p. 132
5- Jean Noël LOUCOU : Histoire de Côte d'Ivoire: Formation des peuples p. 143
272
Les Tchaman, comme leurs voisins de l'Ouest les Odzukru, sont organisés en démocratie
villageoise central. Le pouvoir est détenu par l'assemblée de village ou de tribu. Mais la vie
politique est confiée aux quatre classes d'âge qui sont les Dugbô, les Tsagba, les Bleswe et les
Nyando. La vie politique est surtout influencée et dominée par les hommes riches du village ou
de la tribu. Le plus ancien village Tchaman est Akandzé, de la tribu Kwê (1). Les Kwê forment
la plus importante tribu.
Le pays Tchaman, dans la 2è moitié du XIXè siècle avait une population de plus de
cinquante mille (50.000) habitants (2). Cette estimation est peut être, exagérée parce que le
recensement de 1904 avait donné le même résultat (3). Ce qui supposerait que pendant près de
cinquante (50) ans, la population Tchaman n'avait pas connu de croissance et qu'elle était
stationnaire. Abata, Danga et Anono étaient les plus importantes agglomérations.
Contrairement à leurs voisins de l'Ouest qui ne prennent les armes que lorsque leur
indépendance et sécurité sont menacées, les Tchaman sont un peuple guerrier et craints par tous
leurs voisins.
Les initiations dans ce groupe avaient pour but de former militairement l'individu afin
qu'il soit près à défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale de son village ou de sa tribu.
C'est auprès des Tchaman que les Odzukru ont emprunté la deuxième phase de l'initiation de
Low. Ils étaient très belliqueux (4) et pouvaient réunir au minimum une armée de cinq mille
(5000) hommes portant tous des fusils ou des lances (5). Dans la région de l'Ebrié, tous les
adolescents de sexe masculin, ayant au moins vingt-un ans faisaient partie du groupe des
guerners.
Les Tchaman sont des agriculteurs-pêcheurs. Leurs principales activités économiques
sont l'agriculture vivrière, la pêche en lagune et la production de l'huile de palme. A ces activités
s'ajoutent un important commerce de poisson entre les Tchaman et les régions de l'intérieur,
commerce de poisson dominé par les femmes, et un secteur artisanal également florissant portant
surtout sur le travail du fer, du cuivre et du bois. Dans ce domaine, les Tchaman étaient
considérés comme les plus ingénieux des territoires sous contrôle français (6).
1- Monographie des cercles: tribu Ebrié AN.C.I.
2- AN.S. : section AOF série 5G30 P. 8
3- AN.C.I. : série 5DDl.
4- Enquête réalisée le 22 Septembre 1988 à Dibrim auprès de MT Etienne GBOUGBO ESSIS.
5- AN.S. : section AOF série 5G30 P. 12
6- Ibid 5G30 P. 15
273
Grâce à l'huile de palme, les Tchaman sont en relations commerciales avec le pays
alladian par lequel transitent les produits manufacturés européens.
La société Tchaman est régie par un système de parenté, le.matrilignage. La population
Tchaman se subdivise en sept matriclans qui sont Lokoua, Gadouma, Abromado et Diouma (1).
Ces sept matriclans composent la société Tchaman. Le mode de production est lignager. Tous les
moyens de production appartiennent au lignage.
Les Tchaman, compte tenu de leur caractère belliqueux, étaient hostiles à toute présence
étrangère sur leur territoire. Ce pays recelait d'importants gisements de fer. Ce qui avait alors
favorisé la naissance d'une activité métallurgique. Les produits de l'artisanat Tchaman étaient
exportés vers l'Ouest et surtout vers le Nord-Est en pays Attié - Ngbato.
Les Akyé et Ngbato d'Alépé
La région d'Alépé au Nord du centre commercial de Grand-Bassam est occupée par les
Gwa ou Ngbato et les Ati ou Akyé. Ces deux peuples seraient venus de l'Est, précisément du
pays Akan. Ces deux peuples, fuyant la captivité à la suite des querelles intestines, émigrent vers
les XVIè et XVIIè siècles (2) du pays Akan et s'installent dans la zone de la forêt dense où les
arbres et les lianes rendaient la pénétration difficile.
Les peuples Gwa et Ati (Sud), comme leurs voisins de l'Ouest sont regroupés en tribus.
Ils sont organisés en démocratie villageoise. L'assemblée de village ou de tribu est uniquement
confiée aux hommes répartis dans les classes d'âge. Les classes d'âge sont au nombre de quatre
(3). La population de cette région était estimée en 1855, à trente cinq mille (35.000) habitants (4)
par les textes français. Cela était possible si nous considérons à la fois les populations Akyé au
Nord et au Sud les populations Ngbato. Or les textes français ne parlent que des Akyé et des
Ngbato d'Alépé. Cela nous amène à dire que l'estimation semble exagérée. En effet, les
recensements de la population de la colonie donnent en 1921, comme résultats: Peuple Ngbato
3442
1- Monographie des cercles. Tribu Ebrié Archives Nationales de Côte d'Ivoire.
2- Tous les documents que nous avons eus à consultersituent les migrations des Proto-Akan
entre les XVIèet XVIIè siècles.
3- Les classesd'âge dans le pays Ngbato portent les mêmes nomsque dans le pays Tchaman.
4- A.N.e.!. : série 5DD7 : P. 4 recensement effectué en 1921.
•
274
habitants et peuple Akyé 30.000 habitants (1). Les trente mille habitants constituent la population
totale de tout le pays Akyé, dont les grands centres étaient Memni, Anyama et Alépé. Nous
avons estimé à douze mille habitants (2), la population totale de la région d'Alépé. la population
de l'Akyé Sud ne concernait pas uniquement Alépé mais aussi la région d'Anyama. Le pays
Ngbato comptait dix villages et Alépé était à la fois le centre commercial des populations Akyé
et Ngbato. Les grandes agglomérations du pays Ngbato étaient Alépé et Monga.
Les populations de la région d'Alépé (Akyé et Ngbato) sont des agriculteurs. Le mode de
production est lignager. L'agriculture est dominée par l'agriculture d'auto-consommation. La
pêche se fait dans la Comoé. La région d'Alépé était une zone de transit pour tous les produits
manufacturés venant de la côte pour l'arrière pays. Par Alépé, transitait pour Grand-Bassarn l'or
venant du pays Bettié. Béttié, grand centre de production d'or est, situé dans la zone forestière au
Nord d'Alépé. Le commerce de l'or entre l'arrière pays et la côte favorise la naissance d'une
couche de traitants Alépéens troquant uniquement l'or. Dans cette région, l'or est le principal
produit d'échange. Ce produit descend vers la côte en longeant la Cornoé qui est la principale
voie de communication et d'échange entre l'arrière pays et la côte.
L'industrie de l'huile de palme n'était pas connue par les populations d'Alépé, malgré
l'existence d'un important peuplement de palmiers à huile. La production d'huile de palme dans
cette région ne débute qu'après 1853 sous la pression des autorités françaises (3) qui avaient
installé dans cette région une factorerie pour y troquer l'or (4). C'est auprès des l'chaman que les
Ngbato et les Akyé d'Alépé apprennent les techniques de production de l'huile de palme. On
estime, après 1853, la production d'huile de palme de la région d'Alépé à cent barriques par mois.
Cela fait un total de 22,5 tonnes (5). Ceci nous donne pour les cinq mois que dure la saison
commerciale une production totale de 112,5 tonnes. Toute la production d'huile de palme de la
région d'Alépé est uniquement achetée par les traitants français qui ne rencontrent aucune
concurrence comme dans le bassin occidental de l'Ebrié (6).
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------_..-----
1- AN.C.I. : série 5DD7.
2- AN.C.l. : série 5DD7.
3- AN.S. : section AOF série 5G28 P. 6
4- AN.S. : section AOF série 5G30 P. 8
5- A.N.S. : section AOF série 5G30 P. 3
6- A.N.S. : section AOF série 5G31
275
Les courtiers de Grand-Bassarn accordaient peu d'intérêt au commerce de l'huile de
palme. Dans toute la région de l'Ebrié, seuls les Alladian avaient fait de l'huile de palme, le
principal produit de leur négoce.
Dans la région d'Alépé, on y rencontre d'importants troupeaux de boeufs et de moutons
(1). Malgré la présence de la mouche tsé-tsé et du manque d'herbe, les populations développent
l'élevage. Les boeufs et les moutons ne font pas l'objet d'une transaction commercial. Les boeufs
et les moutons ne sont utilisés qu'au cours de la célébration des funérailles des chefs de lignages
et des hommes riches. Ils sont aussi utilisés pour les sacrifices aux dieux ou pour la célébration
des grandes festivités.
La vie sociale est dominée par le matrilignage. C'est par la ligne maternelle que s'établit
la parenté. La succession se fait d'oncle maternel au neveu. L'observation de ces règles permet
alors aux Ngbato d'être au grand-groupe AKAN.
LES ALLADIAN
Ce sont les Jack-Jack des textes européens. Les Alladian occupent la langue de terre
séparant la lagune Ebrié à l'océan Atlantique depuis Abreby jusqu'à Addah. Depuis le XVlIè
siècle les Alladian se sont installés sur cette langue de terre sablonneuse, située au Sud de la
lagune Ebrié. Partis du pays AKAN vers le XVIIè siècle, les Alladian arrivent dans la région su
Sud-Est de l'actuelle Côte d'Ivoire où ils sont accueillis par les Ehotilé (2). Mais ils sont chassés
de la côte de l'or où ils se livraient au courtage. Les Alladian quittent alors le Sud-Est et viennent
s'installer sur le site actuel.
Les Alladian sont organisés démocratie villageoise. Pas de pouvoir central. Le pouvoir
•
politique est entre les mains des hommes riches, surtout des courtiers qui depuis la 2è moitié du
XVIlè siècle, s'étaient enrichis par le commerce (3). Le peuple alladian est organisé en tribus
regroupant plusieurs villages. Contrairement à leurs voisins du Nord chez lesquels le pouvoir
politique était confié au classe d'âge, chez les Alladian, chaque village a un chef, assisté d'un
conseil d'anciens ou notables. Ce sont avec les principaux responsables des villages que Mr
Vernet signe en 1843 plusieurs traités d'amitié entre la France et le pays Alladian (4). Le 2
Février 1843, Vernet représentant
1- A.N.S. : section AOF série 5G30 P. 8
2- Jean Noël LOUCOU : Histoire de la Côte d'Ivoire Formation des peuples page 133
3- Marc Augé : le rivage Alladian page 43
4- Marc Augé : le rivage Alladian page 43
276
de la France signe des traités avec les chefs de Bodo Ladja capitale religieuse des Alladian et
d'Emoquah, devenu le principal centre commercial du monde Alladian au XIXè siècle. Par ces
traités, les Alladian s'engagent à concéder à la France, la souveraineté du pays pleine et entière
(1 ).
Deux activités dominent la vie économique du monde alladian. La pêche en Mer et en
lagune et le commerce. Les produits de la pêche sont échangés contre les produits agricoles
venant du haut Ebrié. Depuis plusieurs siècles, s'est développé sur les plages maritimes alladian,
une industrie de sel qui donne naissance à un échange commercial entre le Sud et le Nord. Les
Alladian étaient les principaux fournisseurs des populations du haut Ebrié et de l'arrière pays en
sel. Cet échange entre le côte et l'intérieur du pays engendre un courant commercial: Sud-Nord.
Les Alladian, depuis la 2è moitié du XVIIè siècle font du commerce, leur principale
activité économique. Mais le négoce n'est exercé que par une infinie partie de la population. La
grande majorité de la population se livre à la pêche qui est aussi, une des sources de devises de la
société aIIadian. De très habiles négociants, les courtiers Alladian contrôlent tout le trafic
commercial du haut Ebrié. Dès la 2è moitié du XVIIè siècle, ils s'imposent dans le bassin
occidental de l'Ebrié comme les seuls intermédiaires entre les populations de l'intérieur et les
interlopes européens. Les différentes traites commerciales (or, ivoire, hommes noirs) qui se
déroulent sur la côte favorisent l'enrichissement d'un grand nombre de lignage alladian. La
richesse de sa population et la prospérité du pays permettent au monde alladian d'étendre sa
domination économique et politique sur les peuples du haut Ebrié.
Les courtiers Alladian exercent le métier du courtage avec professionnalisme. Ils sont
bien organisés et solidaires. Ils opposent leur refus à toutes les tentatives des Français de
contrôler le commerce de l'huile de palme du bassin occidental de l'Ebrié dont le pays üdzukru
est le principal centre de production de la région (2).
La population alladian est estimée par les textes européens, au XIXè siècle, à douze mille
(12.000) habitants (3). Mais cette estimation, au XIXè siècle semble très élevés parce que pour le
même peuple, le recensement de 1921, nous donne une population de 10.800 habitants (4). Si
nous retenons les douze
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- Marc Augé : le rivage Alladian page 438
2- AN.S. : section AüF série 5G29 P. 6
3- AN.S. : section AüF série 5G30 P. 8
4- AN.C.I. : série 5DD7 recen. 1921.
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1
277
mille des textes européens, cela signifierait que la population alladian est décroissante. Or, toute
population est croissante. Nous avons estimé la population Alladian entre 7000 et 8000 habitants.
La population Alladian, au XIXè siècle, était importante et suffisante pour s'occuper à la fois des
échanges commerciaux, de la pêche et de la production du sel. Grâce à cette population, les
Alladian contrôlent la production de l'huile de palme et le commerce du bassin occidental de
l'Ebrié.
Près de dix lignages (familles) alladian contrôlaient tout le trafic de l'Ebrié. L'exercice du
courtage est héréditaire. La succession se fait de l'oncle maternel au neveu. Les Alladian sont
organisés comme les autres Akan en système matrilinéaire. les grandes Agglomérations Alladian
étaient Avagou, Addah, Bodo Ladja, Emoquah et Abreby.
C'est avec ces peuples morcelés politiquement que les Français, à partir de 1850, essaient
de conclure des traités d'amitié dans le but d'occuper territorialement la région et de contrôler
toutes les activités économiques, surtout le commerce de l'huile de palme contrôlé depuis le
début de la traite par les courtiers Alladian. Les relations commerciales qui unissent les Alladian
aux peuples de la rive Nord ont été établies depuis la 2è moitié du XVIlè siècle. La confiance, la
fidélité et l'amitié s'instaurent alors entre producteurs et acheteurs. Et c'est, cette amitié que les
autorités du poste français de Grand-Bassam tentent de détruire afin de contrôler la production
d'huile de palme et le commerce de tout le bassin occidental de l'Ebrié.
Avant l'exploration de la lagune Ebrié, le bassin occidental de l'Ebrié était inconnu des
Français, ainsi que sa fabuleuse richesse. C'est par un heureux hasard que les Français
découvrent cette région (1) qui est le grand centre de l'industrie de l'huile de palme.
La production de l'huile de palme dans le Lodzukru connaît une croissance avec
l'avènement de la traite, inaugurée par les Anglais dans la 3è décennie du XIXè siècle. Cette
traite de l'huile de palme, à partir de 1830, remplace le commerce inhumain et ignoble qu'était la
traite négrière. La traite négrière qui, durant quatre siècles, dépeuple l'Afrique, est la principale
cause des migrations et des changements de foyers des populations africaines entre les XVIIè et
XIXè siècles.
L'industrie de l'huile de palme n'est pas née avec la traite de l'huile de palme. C'est une
ancienne activité économique. Mais elle ne connaît son essor qu'avec la traite au XIXè siècle.
Depuis 1843, date de leur installation en côte de
-_.._-_.._--_...--...-----------------------------....._-----....------------------------_...-----..--..--..-------------.._...-------_.._---
1- A.N.CI. : série lEEI (9) pièce 7
278
l'or, les Français, dans leurs tentatives de contrôler le trafic de l'huile de palme rencontrent
l'hostilité des courtiers Bassamois et des Abouré.
Les Abourés sont désignés par les textes européens sous le nom d'Aka et leur région
Akapless. En effet, le premier roi Abouré est Aka Ahoba né vers le XVIè siècle. C'est lui qui
conduisit la migration Abouré jusque dans la région de la côte de l'or (1). très tôt, les Abouré
entrent en relation commerciale avec les navires anglais qui mouillent aux larges de leurs côtes.
Nombreux sont, parmi les Abouré, ceux qui parlent couramment l'anglais, devenu la langue des
affaires, c'est à dire des échanges commerciaux (2). Sur la côte maritime et dans l'Ebrié, les
Français sont étonnés de l'aisance avec laquelle les courtiers africains parlent l'anglais et
conversent avec les capitaines des navires anglais ou américains.
Depuis leur installation en côte de l'or, le commerce français est en difficulté. Les
activités commerciales sont très réduites et restreintes. Les traitants Français subissent une
farouche concurrence formée par la coalition - courtiers Bassamois - capitaines des navires
anglais. Les Africains sont hostiles au développement des échanges directs matérialisés par la
présence des factoreries et des comptoirs en côte de l'or. Les courtiers africains exigent aussi la
liberté des échanges commerciaux, car les traitants français tentent d'imposer leur monopole dans
la région. Face .aux difficultés qu'ils rencontrent à l'Est les Français cherchent de nouveaux
débouchés qu'ils trouvent à l'Ouest, dans la région de l'Ebrié avec l'huile de palme (3).
L'exploration de la lagune Ebrié se fait de façon pacifique, aucun incident n'est déploré
depuis le pays Tchaman jusqu'en pays Odzukru. Les explorateurs Français se rendent seulement
compte de la richesse inestimable de cette région qui recèle de l'or et surtout de l'huile de palme.
Sur tout le long de l'étendue de la rive Nord de la lagune Ebrié, les populations produisent de
l'huile de palme. Mais le grand centre de production de ce végétal qui constituera pendant près
d'un siècle, l'essentiel des échanges entre la côte des Quaquah et l'Europe demeure le pays
Odzukru considéré comme le coeur de la production de l'huile de palme. Dans le Lodzukru,
l'industrie de l'huile de palme favorise le développement d'une civilisation appelée "la
civilisation de l'huile de palme". Les palmeraies (sar) constituaient la principale richesse de
Lodzukru. La vente
1- Jean Noël LOUCOU : Histoire de la Côte d'Ivoire. Formation des peuples page 137.
2- AN.S. : section AOF série 5G29 P. 8
3- AN.S. : section AOF série 5G26 P. 8
· 279
de l'huile de palme était la seule source de revenu du peuple Odzukru. C'est donc autour de ce
produit que les Odzukru bâtissent leur développement. Les deux tiers (2/3) des exportations
d'huile de palme de la côte des Quaquah (1) proviennent du pays Odzukru.
La production d'huile de palme du bassin occidental de l'Ebrié, depuis l'ouverture de la
traite, est pleine croissance (2). L'huile de palme est le seul produit qui permet aux populations
du haut Ebrié de participer au commerce international et d'acquérir les produits manufacturés
européens et le sel du littoral. Toute la production de cette région est dirigée vers le pays
al1adian. Les courtiers Alladian, depuis le début du XIXè siècle, se spécialisent dans le
commerce de l'huile de palme. Ils contrôlent les transactions commerciales de l'Ebrié ouest
depuis Piguiny-Bassam (Petit Bassam) jusqu'à Cosr (3), dernier village Odzukru et empêchent
les populations de la rive Nord de l'Ebrié de prendre contact avec les navires européens. Les
capitaines des navires anglais respectent scrupuleusement cet accord tacite qu'ils ont conclu avec
les courtiers de la côte. Ils ont aussi peur des épidémies qui sévissent dans cette région et surtout
de l'insalubrité des plages (4).
Les Odzukru sont seulement convaincus que l'huile de palme était au coeur d'une
importante transaction commerciale entre les Anglais et les Alladian. Ils avaient tant désiré
rencontrer ces hommes à la couleur blanche, venus de loin dans de grandes barques, suivant
seulement le cours de la grande eau (Océan Atlantique) pour discuter du prix d'achat de l'huile de
palme. Aucune possibilité ne leur est offerte par les courtiers Alladian qui voient dans ce désir
des Odzukru une véritable menace pour leur négoce. Le contact entre producteurs d'huile de
palme et les capitaines des navires ruinerait le commerce des Alladian et sonnerait surtout le glas
du courtage sur la côte. Ils faut alors par tous les moyens empêcher l'établissement des contacts
directs entre producteurs et acheteurs (consommateurs) européens.
La politique des Français, d'établir ou d'instaurer le commerce direct entre producteurs
africains de produits de traite et les traitants Français par l'entremise des comptoirs et de
factoreries gagne la sympathie et l'agrément d'une partie de
1- A.N.S. : section AOF série 5G27 P. 6
2- A.N.S. : section AOF série 5G28 P. 8
3- A.N.C.I. : Fonds Ex AOF : Grand-Bassam, Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort
Nemours Doc 5G 16.
•
4- A.N.S. : section AOF série 5G27 P. 21
280
La population du haut ébrié parce que cette politique la libérerait de la domination des
courtiers Alladians et Bassamois.
Les populations Tchamans, en particulier, celle de la tribu Kwê ou Akoué étaient
constamment en guerre contre les populations du littoral atlantique, surtout contre les
Appoloniens et les Abourés de la région de Grand-Bassam (I). Ces guerres paralysaient les
activités commerciales du pays Tchaman et empêchaient les courtiers de Grand-Bassam de
fournir les produits de traites aux
l'chaman. Or les l'chaman, pour la défense
de leur
territoire et pour garantir leur indépendance et leur souveraineté nationale avaient besoin de
fusils et de la poudre de traite. L'artisanat africain éprouvait d'énorme difficultés à fabriquer
ces produits, surtout la poudre à canon (2). Cette action des Français devaient donc permettre
aux peuples de l'intérieur de sortir de leur isolement et surtout de s'affranchir de la tutelle des
courtiers de la côte car ils avaient désormais la possibilité de
trafiquer avec les traitants
européens sans le concours des coutiers. Tous ces faits avaient donné espoir aux Français qui
pensaient, dans le bassin occidental
de l'Ebrié, réaliser d'importants bénéfices avec les
populations (3), C'est pourquoi, tout au long de leurs expéditions dans la région de l'Ebrié
ouest, ils signèrent dans les grands
centres d'échanges, des traités d'amitié.
Dans le
Lodzukru, grand centre de l'industrie de l'huile de palme, de nombreux traités furent signés
entre les officiers Français et les populations des villages -
débarcadères de Lodzukru.
Dibrim, Bobor, Tukpa et Cosr.
c) La signature des traités
Le commerce Français en côte de l'or malgré la création des comptoirs et des
factoreries à Grand-Bassam et à Assinie et de l'appui des militaires du poste est un échec. Les
nombreux traités conclu avec les courtiers Bassamois rencontrent de nombreuses difficultés
dans leurs applications. De 1843 à 1850, le commerce Français en côte de l'or est à un bas
niveau. Les courtiers Bassamois s'opposent aux Français et essaient de protéger leur activité.
Le soutien des militaires des forts Nemours et Joinville ne permet pas aux Français de
contrebalancer le courtage Africain et surtout d'éliminer
1- AN.C.I. : Grand-Bassarn. Fondation du comptoir de Gd-Bassarn ou Fort Nemours
Doc. 5G616 Microfilm.
2- AN. S.: Section Aar: série 5 G28 p. 12
3- AN.S : Fonds E. AOF : Gd-Bassam Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort
Nemours Doc. 5G16 Microfilm.
281
l'influence anglais dans la région. C'est pourquoi, en 1850, après l'exploitation de la lagune
ébrié, ils décident alors de porter leur effort commercial dans le bassin occidental de l' I~brié
ou ils trouvent un débouché: l'huile de palme.
•
Les Anglais sont à l'origine de la traite de l'huile de palme. Ils se spécialisent dans le
golf de guinée, dans le négoce de ce produit. Depuis la Casamance jusqu'aux deltas du Niger
(1) ,les Anglais contrôlent le commerce de l'huile de palme. Sur la côte de l'actuelle Côte-
d'Ivoire, le grand centre d'exportation de l'huile de palme était la région des Quaquah. Le
trafic de l'huile de palme de cette région Quaquah était sous le contrôle des Alladian, seul
intermédiaires entre les Anglais et les populations de l'arrière pays. C'est pour empêcher le
trafic entre l'arrière pays et les navires Anglais que les Français décident de s'établir dans le
haut Ebrié. L'établissement dans cette région aurait pour objectif de permettre aux Français de
contrôler le trafic de l'huile de palme. Les Français comprennent très vite gue la mainmise sur
les régions productrices devait être précédée de la signature des traités avec tous les
responsables des villages situés en bordure de la lagune Ebrié. (2)
Au lendemain de J'exploration de l'Ebrié, de nombreux traités sont signés entre les
représentants des villages situés en bordure de la lagune Ebrié et les officiers de la marine
française. Ce sont des traités d'amitié par lesquels, les populations africaines concèdent à la
France, une partie de leur territoire pour fonder des comptoirs et y faire du commerce. Les
populations abandonne également leur souveraineté externe et s'engagent à ne commercer
gu' avec les traitants Français. Ces traités créent alors une situation de monopole pour les
traitants Français.
Les différentes conventions, conclues entre toutes les parties contractantes, dans leurs
formes ne sont pas homogènes parce que les traités sont rédigés par des officiers de la marines
gui ignorent les finesses du droit international.
Une grande confusion apparaît entre les
termes souveraineté et propriété de la terre
(3). Les causes des traités sont cependant les
mêmes. 11 s'agit de l'abandon de la souveraineté du territoire par les populations. Ainsi, en
1850,
de la signature du premier traité entre la France et Dibrim,
les Dibrim
Egn,
représentés par ADOU SESS et THTAM MEL, concèdent à la France la pleine souveraineté
1- A.N.S: section AOF série 5G29 p. ]0
2- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-] 871
page 59
3- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-] 87]
page 59
282
de leur territoire et s'engagent à ne commercer qu'avec la France
(1). La France à
son tour promet au village de Dibrim sa protection contre les agressions extérieures et
des cadeaux
(2). Mais le non respect de celte convention entraîne des conflits armés
entre les Dibrim Egn et les Français. En effet, les traitants de Dibrim tenaient à
maintenir libre le trafic commercial dans la région età commercer avec toutes les
puissances européennes
(3);
Avant la signature des traités entre les villages de l'Ebrié et le lieutenant Boulay, Mr
Vernet,
au nom de la France conclut en févrierl843 des traités avec les principales
agglomérations du pays Alladian comme indiqué Les clause s des différents traités sont les
mêmes, mais la seule différence réside dans le fait que par ces traités les Français cherchent
un moyen pour obliger les courtiers Alladian à ne trafiquer qu'avec leurs traitants. En effet,
la rupture entre les courtiers Anglais et les courtiers Alladian devrait
engendrer comme
conséquence la ruine du commerce anglais sur la côte des Quaquah. Le 21 mai 1843, les
Français réussissent aussi à conclure de nouvelles conventions avec
les Alladian.
Conventions qui leur permettent de fonder ou d'installer des bureaux de douanes dans le pays
alladian
(4). Les Français prennent alors toutes les dispositions pour contrôler le commerce
de la côte des Quaquah.
La conclusion des différents traités fait naître chez les Français plus de confiance
mais,
il se pose le problème de l'application. En effet, les courtiers AJladian ne sont pas
prêts à laisser à la France le monopole du commerce dans tout l' Ebrié ainsi que le contrôle des
régions productrices de l 'huile de palme. La mainmise française sur le commerce du bassin
occidental aurait des conséquences économiques graves sur la société Alladian.
L'économie Alladian repose essentiellement sur la pêche et le courtage.
Le
commerce est exercé en toute liberté et en toute indépendance. Au cours de XVflIe siècle?
les Alladian et les Avikam de Grana-Lahou constituent les principaux fournisseurs des navires
négriers en esclaves.
Situé sur la côte des Quaquah, le village de Cap-Lahou est le grand
centre d'embarquement d'esclaves de la côte Ivoirienne. L'abolition de la traite des noirs au
début du XIXe siècle entraîne aussitôt la naissance de la traite de l'huile de palme. Les
traitants Alladian sont là aussi, les premiers à se charger de l'approvisionnement des navires
européens en mouillage au large des côtes Quaquah.
]-AN.S : section AaF série 5G32 p. 6
2-AN.S section AaF série 5G29 p. 12
3-AN.S : section AüF série 5G33 p. 8
4-Marc Augé : le rivage alladian page 43
283
Grâce à la position stratégique de leur pays, les Allaclian réussissent par leur habileté
et leur intelligence à s'interposer entre les producteurs et les acheteurs et imposer leurs lois
aux deux parties.
Ils parviennent surtout à bénéficier cie la confiance des capitaines Anglais,
en particulier,
avec lesquels ils sont liés par un serment
(1).
D'important crédits sont
accordés par les capitaines des navires anglais aux courtiers allaclian
qui, à leur tour,
se
rendent dans les foyers de productions de l'huile de palme pour faire des placements.
Les
différents placements leur donnent la possibilité de réserver les productions. Cette démarche
permet aux courtiers de réaliser d'important bénéfices.
Dans la société Alladian, organisée en démocratie villageoise, sans pouvoir central, la
richesse était le seul moyen qui permettait à l'individu d'acquérir la puissance et le prestige.
Les activités économiques des différentes populations de la côte orientale étaient subordonnée
à la recherche continuelle de l' honneur, du prestige et de la puissance". Le seul facteur qui
permettait d'atteindre
cet objectif est la paix.
Le commerce ne pouvait
se faire ou se
développer pendant les périodes de conflits car la guerre est un élément paralysant des
activités économiques en général et commerciales en particulier. Cela explique pourquoi dès
1843,
les Alladian
s'empressent de conclure des traités d'amitié avec les officiers de la
marine française.
Le désir des Français de contrôler seuls le commerce du haut Ebrié,
et de la région
des Quaquah et de faire main basse sur le pays Odzukru,
cœur de l'industrie de l'huile de
palme est à l'origine des conflits armés entre Français et Africains,
conflits qui paralyseront
les activités commerciales de toute la région de l 'Ebrié.
Les chapelets de traités d'amitié
conclu entre 1843 'et 1888 ne permettent pas d'éviter les affrontements entre Français et
populations Africaines.
0: L'ouverture sur la lagune Ebrié et essor de la région Odzukru.
L'exploitation
de
l'Ebrié
en
septembre
1850
par
les
Français
entraîne
le
désenclavement
de la région ouest de l'Ebrié dont différentes les populations,
depuis la
2eme
moitié du XVIIe siècle,
subissaient dans le domaine commercial,
la domination des
courtiers Alladian.
Les différentes révoltes et guerres
(2)
qui s'ensuivent, ne contribuent
pas à l'affranchissement des peuples de l'intérieur de la tutelle des peuples de la côte
maritime.
1-Dapper: descriRtion de côtes de guinée p. 32
2-Nos informateurs nous avaient signalé plusieurs conflits armés entre Odzukru et Alladian.
284
Les peuples de la côte sont les seuls à avoir des contacts commerciaux avec les navires
europeens en mouillage au large des côtes. Les sociétés forestières dont la civilisation
technique est encore primitive sont obligés de passer nécessairement par des populations de la
côte pour acquérir les produits manufacturés européens.
Le peuple Odzukru, au plan commercial, est sous la dépendance du pays Allandian
d'où vient l'essentiel de sa consommation en produits manufacturés.
L'ouverture de la région occidentale de l'Ebrié au trafic commercial international et
surtout la reconnaissance du pays Odzukru comme le principal centre de production de l'huile
de palme de tout l'Ebrié font de L'odzukru, après Grand-Bassani et Assinie pour leur or, la
deuxième région convoitée par les forces Françaises (1). Tout les négociants défendent la
liberté commerciale du pays Odzukru. La concurrence qui s'y installe entraîne l'essor
économique de Lodzukru.
E : pénetration Françaisee dans le Lodzukru
Les premiers contacts entre les Odzukru et les européens se situent le Il octobre 1850
(2), l'orsque le Commandant Boulay, parti de Grand-Bassani à bord de l'Aviso "Guet N'dar"
foule le sol du débarcadère d'Okubu (3). L'arrivée des Français dans le Lodzukru entraîne
d'importants bouleversement économique et politique dans la région. Au plan économique, les
Odzukru on désormais la possibilité de commercer et de diversifier leurs partenaires
commerciaux, seul moyen pour eux de s'affranchir de la dépendance des Alladian. La
concurrence entre les différents de Lodzukru a automatiquement un effet sur la hausse du prix
de l'huile de palme. Au plan politique, la présence des français dans le Lodzukru est jalonnée
de nombreux conflits. Le Lodzukru pert, après la signature des traités avec la France, son
indépendance politique et devient un protectorat des structures politique avec l'avènement des
chefs de village (4). Les chefs de villages sont désignés pour jouer le rôle de courroie de
transmission entre les populations et l'administration Française (5). Mais dans les villages de
l'intérieur qui n'avaient encore reçu la visite de militaires Français, la vie politique est animée
par la classe d'âge et dirigée par
1- A.N.S: section AOF série 5G28 p. 6
2- A.N.S: section AüF série 5G32 p. 2
3- Okobu est l'un des quatre principaux débarcadères de Lodzukru
4- A.N. S : section Aof série 5G29 p. 8
5- Les chefs de village dans le Lodzukru étaient choisis parmis les riches traitants.
285
]- La classe d'age des Eb Ebu et des Odzroffi (1 ) . A la suite de la signature des
premiers traités, la partie orientale de lodzukru est alors placée sous tutelle Française .
La présence des français, entraîne au cours des années 1850 une évolution en dents de
scie du commerce dans le Lodzukru car les Oboru , population de la partie occidentale
s'opposent à tout contact entre Français et Odzukru . la signature de nombreux traités
entre Odzukru et Français ne put apporter la paix dans la région ( 2 ) .
La signature des traités entre Odzukru et Français (1850-1887 )
Le Lodzukru et la France concluent une série de traités.
Ces différentes conventions sont complétées et renouvelées lorsque le besoin se fait sentir ( 3)
De 1850 à 1887 les Français concluent de nombreux traités avec les villages débarcadères
de Lodzukru situés en bordure de la lagune Ebrié et avec les courtiers Alladian installés sur le
cordon sablonneux séparant l'océan Atlantique à la lagune Ebrié .
A travers les différentes conventions, les Français cherchent à s'assurer de l'exclusivité
du commerce de l'intérieur donc le trafic était très important, à contrôler le pays Odzukru qui
était le centre de l'industrie de l'huile de palme et à empêcher les courtiers Alladian de se
rendre dans le pays Odzukru pour y faire du commerce .
Le traité signé par les Dibrim Egn le Il octobre 1850 est étendu au reste des villages de
l'intérieur. les villages Odzukru sont liés entre eux lorsqu'ils dépendent de la même tribu ( 4 )
Au cours du mois d'octobre 1850, plusieurs traités sont signés entre les populations de Dibrim
de Tukpâ et les Français ( 5 ) .
,
"
La première convention est signée entre la Françe , représentée par le lieutenant Boulay
et le village de Dibrim représentés par ses plus riches traitants qui dominaient à cette époque
la vie politique. Il s'agit de Adou SESS, de TI-HAM MEL et de YED . Par ce traité, tout le
Lodzukru, du village Aeby au village de cosr , c'est à dire de l'Est à l'Ouest, est placé sous
1- Le pouvoir politique dans le Lodzukru est entre les mains des Eb Ebu et des Adzoffi.
2-AN.S : section AOF série 5G25 p; 8
3-AN.S : section AOF série 5G28 p 7
4-Les Odzukru sont organisés en huit tribus.
5-AN.S : section AOF série 5G32 pièce 8
La souveraineté de la Françe . Le Lodzukru devient alors un protectorat Français . Mais
l'ensemble des villages Odzukru , surtout les Oboru , refuse de reconnaître la souveraineté
De la Françe sur le Lodzukru
et considère ce traité comme la "vente" de Lodzukru par
Dibrim à la France ( 1 )
Nous reproduisons quelques articles du traité 11 octobre 1850 ( 2 )
Article t : La souveraineté du territoire du chef MEL , situé dans la baie de Dabou est
concédée pleine et entière aux Français
Article II: Le chef s'engage à toujours bien recevoir les Français qui viendront dans la
rivière soit pour traiter, soit pour autre motif. 11 leur portera aide et secours
autant qu'il pourra le faire et favorisera du mieux qu'il pourra la traite de l'huile
de palme et autres produits du pays avec les traitants Français.
Un second traité est signé le même jour entre ADOU SESS et le lieutenant Boulay.
Par ce traité, ADOU SESS cède à la France le territoire d'Okobu ou Dabuatchi qui est le
pricipal débarcadère des Odzukru orientaux . C'est par Okobu que les tribus OIokpu ,
Orgbaffu , Aklodzu et Dibrim Ejn exportent leurs cargaisons d'huile de palme vers les centres
d'embarquement du pays Alladian . Okobu abrite d'importants peuplements de palmiers à
huile et un campement ou séjournent les paysans et leurs familles . Ainsi par ce traité , la
France vient de se voir confier le contrôle d'un des plus importants centres commerciaux de
Lodzukru . Des cadeaux sont offerts à ADOU SEEE et à la population de Dibrim (3 )
Au lendemain de la signature des deux traités entre Dibrim et Boulay , ce dernier se
,
rend à Kpass , village, situé à deux kilomètres d' Okobu,
précisément le 12 octobre 1850 ,
ou il signe avec Niansué et Yago , représentant la population de Kpass , un traité d'amitié (4 ).
Ainsi Je village de Kpass , en imitant Dibrim se place sous la souveraineté de la France et perd
Alors son indépendance. Avant la signature des traites d'amitié avec les Odzukru orientaux,
le lieutenant Boulay prend la précaution de conclure une convention, le 4 octobre 1850 avec
la population.
1-Enquête réalisée à Orgbaff le 27 décembre 1988 auprès de Mr Bénoit ESSOH LATTE.
2-AN.S : section AOr série SG32
3-AN.S : section AOr série SG32 p. 8
4-AN.S: section AOr série 5G32 p. 9
287
de Tukpa représentée par deux de ces plus riches traitants : Niansué et Matafué. D'autres
conventions complètent ce traité par lequel Tukpa, par la voie de ses représentants, s'engage à
toujours bien recevoir les Français qui seraient de passage dans la région (1).
En multipliant les traités d'amitié avec les populations situées en bordures de la lagune
Ebrié, les Français veulent s'assurer du contrôle exclusif du commerce dans tout le bassin
occidental de l'Ebrié. La signature de traités d'amitié ou de protectorat avec Dibrim et Tukpa
permet alors à la France de contrôler théoriquement les plus importants centres d"échange de
Lodzukru. Le lieutenant Boulay est relayé par le lieutenant Martin des Vallières qui signe le 7
Mai 1852, un traité avec les üboru de Tiaha, traité par lequel le village de Tiaha reconnaît la
souveraineté pleine et entière de la France sur son territoire (2).
Nous reproduisons deux articles de la convention signée entre Boulay et la population
de Tukpa le 4 octobre 1850.
Article 1 : La souveraineté du territoire du chef Niansué situé dans le marigot de Topa est
concédée pleine et entière aux Français. Les Français auront donc seuls le droit
d'y arborer leurs couleurs, le chef Niansué se rangeant complètement sous la
protection de la France .
. Article III : Le chef Niansué s'engage toujours à bien recevoir les Français qui viendront dans
la rivière soit pour traiter, soit pour un autre motif. 11 leur portera aide et secours
autant qu'il pourra la traite de l'huile de palme et autres produits du pays avec les
traitants (3).
Analyses
Cette convention entre Tukpa et la France a été rédigée sur place. La forme de ce traité
en est l'illustration. Les représentants de Tukpa ont signé le traité sans en avoir pris
connaissance comme toute convention, une lecture rapide a été faite en français, ce qui n'a pas
permis aux populations de comprendre et de saisir la portée de l'acte qu'elles posaient.
l-AN.S : section AOF série 5G32
2-A.N.S : section AüF série 5G32 p. 8
3-A.N.S : section AüF série 5G32.
288
Les traités, de façon générale, ont posé des problèmes d'interprétation. Ces problèmes
sont alors à l'origine des nombreuses guerres qui ont émaillé les relations Odzukru-Français.
Le refus des populations de respecter les clauses de ces traités se fera sentir dans les échanges
commerciaux entre le Lodzukru et la France.
Sur quatre traités conclus, en octobre 1850, par le lieutenant Boulay au nom de la
France, un seul a posé de réels problèmes à la France. Les trois autres ont connu des
conséquences limités au plan politique et commercial. Mais le traité conclu par ADOU SESS,
THIAM NlEL et YED le Il octobre 1850, au nom de tout le Lodzukru à Okobu est lourd de
conséquence. En effet, par cette convention, le Lodzukru devient un protectorat Français et
perd ainsi sa souveraineté internationale.
L'essentiel du trafic de Lodzukru, en tenant compte des clauses de la convention, doit
se faire uniquement avec les traitants dont il doit assurer la protection contre les dangers
possibles.
Ce traité qui consacre la fin de l'indépendance ct de la liberté de Lodzukru est conclu
sans la participation des responsables de Lodzukru. En effet, au moment de la signature, c'est
la classe d'âge des Nigbessi qui est au pouvoir mais la vie politique est dirigée et animée par
les classes d'âge cadettes: Bodji et Sètè. Chacune des nuit tribus qui composent le Lodzukru
aurait envoyé ses délégués à la signature de cette convention. Un tel évènement aurait donné
lieu à d'importantes manifestations de réjouissances. Ce traité qui engage tout le Lodzukru
aurait dû être signé à Bobor, capitale de Lodzukru ou à Bon premier village de cette
population. Malheureusement, la convention fut conclu clandestinement à Okoubu, par trois
jeunes gens: ADOU SESS de la classe d'âge des Abrma et Tl'HAM MEL et YED de la classe
d'âge des Mbédié.
11 convient de noter les difficultés de compréhension des textes par les représentants de
Oibrin pendant la signature du traité et le "flou" que comportait ce traité. En eITet, les articles
du textes sont rédigés en français, langue dont ADOU SESS, THJAM MEL et YED
ignoraient l'existence. L'interprète chargé de traduire le texte aux représentants de Dibrim
parle à peine le français et ignore totalement le modzukru. Le texte rédigé sans la participation
des Odzukru est parsemé de points d'ombre. Ces différents points d'ombre ont monté la non
validité du traité qui n'engage pas tout le Lodzukru mais Dibrim et ses dépendances. Pour la
population de Dibim, les différents traités signés avec la France ne sont que des accords de
coopération commerciale entre le Lodzukru et la France et qu'ils ne doivent
289
en aucun cas entraîner chez les Odzukru la perte de la liberté et de la souveraineté externe (1).
Les Odzukru dans leur grande majorité condamnent les traités et s'opposent à leur application
dans le Lodzukru (2). La cession des territoires n'est pas assorti de dédommagement surtout
r
que dans le Lodzukru, la terre n'est pas un bien marchandable. La terre est propriété collective
qui appartient à la fois aux vivants et aux morts. Toute vente de terre est interdite. La violation
des frontières du territoire ou des limites d'un terrain est considéré comme un acte de guerre
(3). Les autorités françaises de Grand-Bassam ne se décident à verser aucune coutume aux
villages signataires des différents traités. Les représentants des différentes localités après
ratification des textes ne reçoivent que des cadeaux. Il s'agit des marchandises usuelles et
habituelles: vieux fusils, tissus, alcool et poudre à canon.
La signature de ces conventions ne fait l'objet ni d'un débat en assemblée de village ni
d'un débat en assemblée de tribu. Ces conventions sont l'œuvre personnelle des traitants qui
trouvent là une occasion pour bénéficier de l'appui des autorités françaises et accroître leur
richesse et influence dans les villages. Les Dibrim Egn tiennent aussi à s'appuyer sur les
Français pour ravir le rôle de leader sheap de Lodzukru aux Oboru avec lesquels ils sont en
compétition depuis de longs siècles. Depuis l'éclatement du village de Bobor vers la fin du
XVIIe siècle (4), éclatement qui donna naissance au village de Dibrim et la division de
Lodzukru en deux confédérations dès le XVIIIe siècle, une compétition s'était alors engagée
entre les deux villages frères devenus ennemis. Chacun de ces deux villages étant
.respectivement capitales des confédérations de Bobor et de Dibrim tenait à jouer le rôle de
première puissance régionale.
Pour la signature du traité entre Dibrim et la France, nous diffusons un extrait des
témoignages que nous avons reçu à Orgbaff auprès de Mr AFFI Sylvestre et à Dibrim
auprès de Mr GBOUGBO ESSrS Etienne.
-Tradition selon AFFI Syvestre d'Orgbaff
« Dabou ou Okobu est un territoire des Dibrim Egn. Okobu était à la fois un campement de
pêche et de production d'huile de palme et un important débarcadère par lequel les
1-Enquête réalisée à Dibrim le 28 août 1988 auprès de Mr Etienne GBOUGBO ESSIS.
2-A.N.S : section AOF série 5G25 p. 6
3-A.N.S I : série lEE 152 (1) p. 6
4-Harris MEMEL Foté : le système politique de lodjoukrou p. 208
290
guerre (3). Les autorités françaises de Grand-Bassam ne se décident à verser aucune coutume
aux villages signataires des différents traités. Les représentants des différentes localités après
ratification des textes ne reçoivent que des cadeaux. Il s'agit des marchandises usuelles et
habituelles: vieux fusils, tissus, alcool et poudre à canon.
La signature de ces conventions ne fait l'objet ni d'un débat en assemblée de village ni
d'un débat en assemblée de tribu. Ces conventions sont l'oeuvre personnelle des traitants qui
trouvent là une occasion pour bénéficier de l'appui des autorités françaises et accroître leur
richesse et influence dans les villages. Les Dibrim Egn tiennent aussi à s'appuyer sur les Français
pour ravir le rôle de leader sheap de Lodzukru aux Oboru avec lesquels ils sont en compétition
depuis de longs siècles. Depuis l'éclatement du village de Bobor vers la fin du XVIlè siècle (4),
éclatement qui donna naissance au village de Dibrim et la division de Lodzukru en deux
confédérations dès le XVlllè siècle, une compétition s'était alors engagée entre les deux villages
frères devenus ennemis. Chacun de ces deux villages étant respectivement capitales des
confédérations de Bobor et de Dibrim tenait à jouer le rôle de première puissance régionale.
Pour la signature du traité entre Dibrim et la France, nous diffusons un extrait des
témoignages que nous avons reçu à Orgbaff auprès de Mr AI Sylvestre et à Dibrim auprès de Mr
GBOUGBO ESSIS Etienne.
- Tradition selon AI Sylvestre d'Orgbaff
«Dabou ou Okobu est un territoire des Dibrim Egn. Okobu-était à la fois un campement
de pêche et de production d'huile de palme et un important débarcadère par lequel les
--------------------------------------------------------------------------------..-- ....,;.-------------------------------------
1- Enquête réalisée à Dibrim le 28 Août 1988 auprès de Mr Etienne GBOUGBO ESSIS.
2- A. N. S. : section AOF série 5 G25 P.G
3- A. N. C. 1. : série tEE 152 (1) P.9
4- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou P.208
291
Odzukru orientaux exportaient l'huile de palme vers le pays Alladian. Nombreux étaient les
paysans de Dibrim qui vivaient avec leurs familles dans ce campement situé à six kilomètres du
village de Dibrim.
Lorsque les Français débarquent pour la première rois à Okobu, c'était dans l'après-midi,
moment réservé par les paysans pour piler les graines du palmier à huile. L'expédition française
dirigée par le lieutenant Boulay vit un campement d'où sortait la fumée. C'était le campement de
THIAM Mel, un riche paysan. THIAM Mel était l'un des hommes influents de Dibrim car très
riche. Le pilage des graines se faisait toujours aux sons de la musique. La musique avait pour
mission d'exhorter les pilleurs, les soutenir et créer une atmosphère de détente. Mais lorsque les
batteurs virent les Français, accompagnés de quelques soldats sénégalais, TI-IIAM Mel et ses
hommes se dispersèrent dans la brousse laissant sur place les mortiers, les pilons et les graines.
.
Les Français réussirent à se saisir de son voisin qui n'eut pas le temps de s'enfuir et signèrent
avec lui un traité qui place tout le Lodzukru sous la dépendance de la France (1»>.
Tradition recueillie auprès de Mr GBOUGBO ESSIS Etienne de Dibrim
«Lorsque l'homme blanc arriva pour la première fois dans le Lodzukru, c'était la classe
d'âge des Sètè qui était au pouvoir. L'homme blanc, depuis de longs siècles était en contact avec
les Alladian installés sur la côte maritime. Les blancs et les Alladian entretenaient des relations
commerciales.I,.,es Odzukru commerçaient avec leurs voisins du Sud, les Alladian et les deux
peuples entretenaient de bonnes relations. Les Odzukru fournissaient au peuple Alladian des
produits vivriers et de l'huile de palme. En retour, ils recevaient des Alladian, du sel, du poisson,
des toiles d'écorce et les produits de la manufacture européenne.
L'huile était transportée dans des calebasses et la traversée de la lagune se faisait dans des
pirogues. Les Alladian se rendaient eux-mêmes dans les débarcadères de Lodzukru pour acheter
l'huile de palme. Cette huile était par la suite vendue aux commerçants européens. Lorsque les
Européens, surtout les anglais cherchèrent à connaître les techniques de production de l'huile de
palme, les Alladian refusèrent d'y répondre. Un jour, des blancs, partis de Grand-Bassam dans un
vapeur, suivirent le cours de la lagune Ebrié et arrivent par hasard à Okobu ou ils virent de la
fumée. Les blancs conclurent alors que dans cette région, il y avait une présence humaine.
Okobu était un campement
1- Enquête réal isée à Orgbaff auprès de MI AISy 1vestre le 28 Décembre 1984.
292
appartenant aux populations de Dibrim. De nombreuses familles de paysans y résidaient pour
exploiter les palmeraies. Le vapeur accosta au débarcadère et ses occupants descendirent. Ils
s'approchèrent du campement afin de prendre contact avec les paysans.
Ce jour là, les habitants du campement s'étaient regroupés pour piler les graines. Mais
lorsqu'ils virent les blancs, les paysans se dispersèrent dans la brousse pensant à une invasion des
génies de la lagune. De leur vivant, ces paysans n'avaient jamais vu l'homme blanc. Arrivée au
campement, les Français ne virent personne, sauf les mortiers qui contenaient les fibres de
graines de palme et les barriques d'huile de palme. Parmi les paysans qui s'étaient enfuits,
certains se rendirent au village pour demander du renfort car leur campement était envahi par des
inconnus. A l'arrivée du rendort, les blancs et leurs compagnons étaient déjà partis. Quelques
semaines après, les blancs revinrent à Okobu, cette fois, ils étaient accompagnés par un groupe
de miliciens sénégalais et bambara. A la vue des Noirs accompagnants les blancs, les paysans
d'Okobu conclurent que les blancs n'étaient pas des génies et prirent courage pour accueillir les
étrangers. Auparavant, la population de Dibrim s'était concertée pour faire périr les blancs, si ces
derniers revenaient pour une seconde fois dans leur campement. Mais, comme il est de coutume
dans le Lodzukru, les blancs furent accueillis en amis. Des messages furent envoyés au village
pour appeler les responsables du village. Le chef de la délégation française, à la vue des
barriques d'huile 'de palme et des graines interrogea les Dibrim Egn pour s'assurer qu'ils étaient
les producteurs. Les Dibrim Egn répondirent par l'affirmatif et l'un d'entre eux, prit sa ceinture de
sécurité, son ciseau et grimpa un palmier. Il fit descendre des régimes de palme. Les blancs
apprécièrent ce geste et signèrent un traité d'amitié avec les Dibrim Egn. la signature du traité fut
suivie d'échange de cadeaux...(l).
Des traités semblables à ceux conclus par les Dibrim Egn et les Tukpa Egn ont été aussi
conclus au cours de la même période par le lieutenant Boulay et les représentants des villages
Tchaman (Abata, Niangon, Lokoua) et des villages Alladian (Emoquah, Bodo Ladja) (2). Ces
traités placent ces différents villages sous la souveraineté de la. France et engagent leurs
populations à cesser tout commerce avec les Anglais et à ne commercer qu'avec les traitants
français.
1- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988 auprès de ML Etienne GBOUGBO ESSIS.
2- A.N.S. : Section AOF série 5G32 p.8.
293
En 1853, trois ans après la conclusion de la première convention, un nouveau traité, celui
dont nous avons copie, est signé, entre le représentant de la France, Mr Baudin, commandant de
la station des côtes occidentales d'Afrique, Inspecteur général des comptoirs du golfe de Guinée
et les représentants de Dibrirn ADOU Sess, I3édiakou, Adjessi et kétékré. Les Dibrim Egn, par cc
traité cèdent encore aux Français le territoire d'Okobu pour la construction d'un fort.
~!
Pour preuve de sa loyauté et de sa fidélité, AD OU Sess donne au représentant de la
France un de ses fils. L'enfant est envoyé à l'école à Gorée au Sénégal (1). Pour de nombreux
historiens, l'enfant laissé par ADOU aux Français est un otage car les autorités françaises doutent
de sa sincérité et de sa loyauté car malgré la signature des traités, les Dibrim Egn continuent à
commercer avec les Anglais par l'intermédiaire des Alladian. Or ADOU n'y était pas obligé. Par
ce geste, il veut faire comprendre à la délégation française que l'acte qu'il vient de poser avec les
autres est sincère et sacré. La parole et la confiance sont insuffisantes pour traduire les véritables
sentiments d'ADOU Sess et de la population de Dibrim. Le don de l'enfant est la preuve que la
population de Dibrim est prête à respecter fidèlement les clauses du traité. A la suite de la
signature du traité, ADOU Sess reçoit des Français des cadeaux qu'il refuse de partager avec les
autres cosignataires (2).
a- texte du traité conclu entre la France et les chefs de Dibrim pour une cession de territoire. 10
Octobre 1853 (3).
"Les chefs de Debremou, capitale du pays de Dabou, voulant donner à la France, une
preuve de leur désir d'établir entre les deux peuples de bonnes et amicales relations. Voulant en
même temps encourager les traitants à venir commercer dans le pays, ont concédé à la France en
toute propriété les terres nécessaires à l'établissement d'un comptoir fortifié et des emplacements
pour les factoreries qu'on voudrait créer autour du poste.
En échange de ce bon procédé, le commandant en chef du corps expéditionnaire de
Grand-Bassam, commandant de la station des côtes occidentales d'Afrique, Inspecteur général
des comptoirs du golfe de Guinée, assisté de Mr. le chef de Bataillon Colomb, commandant la
colonne d'infanterie, Lefer de la Motte, commandant la colonne des marins; Potestas, chef d'Etat
Major de l'expédition, Faidherbe, capitaine du génie; Beurriée,
1- A.N.S. : section AOF série 5G29 p.8
2- A.N.S. : section AOF série 5G29
3- Declerq : recueil des traités de France 1850 - 1880 T.6
294
comrrussarre d'armée, s'est engagé au nom du gouvernement Français à faire respecter les
propriétés des habitants du pays, faire rendre à tous bonne justice en cas de conflit, et à protéger
à l'occasion tous ceux qui viendraient à être obligés de chercher un refuge dans les environs du
fort français, en cas de guerre avec les pays voisins. pour preuve de Jeur bon vouloir, ils donnent
en otage au commandant en chefun de leurs enfants".
Fait en rade de Dabou, les jours, mois et an que dessus.
Signé:
L
Faidherbe
Commandant Lefer de
L : Poestas
la Motte
M : Baudin
Le Beurriée.
Marques des chefs de
Dibrim
ADOU Sess
Bédiakou.
b - Analyse
Cette convention conclue entre Baudin et les Traitants de Dibrirn : ADOU Sess et
Bédiakou, représentant la communauté villageoise de Dibrim est exceptionnelle dans sa forme.
Contrairement aux textes des premiers traités signés en Octobre 1850 entre les représentants de
Dibrim et de la France, le texte de la convention du 10 Octobre 1853 ne comporte aucun article.
C'est un texte compact par lequel ADOU Sess et Bédiakou, au nom de la population de Dibrim
s'engagent à concéder à la France une partie de leur territoire, précisément Okobou pour édifier
un fort qui abriterait des factoreries. Les Français attendent ainsi établir avec les Odzukru des
relations d'amitié par le truchement des relations commerciales afin de contrôler les grands
centres de production d'huile de palme, le trafic commercial du haut Ebrié et empêcher que les
Anglais ne s'établissent à Grand-Lahou. En retour, les Français s'engagent à respecter la liberté et
l'indépendance des populations, ainsi que leurs propriétés, c'est à dire les palmeraies se trouvant
aux environs de la surface concédé à la France. En cas de conflit, -le fort servirait de refuge aux
populations de Dibrim. La France s'engage à ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures de
Dibrim et à ne pas intervenir à ses côtés en cas de guerre contre un village voisin. La France dans
le Lodzukru opte pour la neutralité et la prudence afin d'être l'amie de tous. Mais elle est prête à
apporter son concours pour l'arbitrage des conflits. Ce qui, de façon subtile, signifie que le
295
village de Dibrim et sa dépendance ainsi que tout le pays Odzukru sont placés sous la
souveraineté de la France. Les marins français sont dans les seules autorités à rendre justice et à
arbitrer les conflits dans la région.
Ce traité reste muet sur de nombreux points qui porteront ombrages aux relations entre
Dibrim et les Français. Il ne fait aucune mention dans ce texte du commerce entre Dibrim et la
1)
France et des relations que les Dibrim Egn pouvaient avoir avec une population quelconque de
leur choix qu'elle soit Odzukru ou européenne. tous ces points d'ombre montrent que ce traité de
1853 est un rappel des deux premières conventions signés entre les Dibrim Egn et les Français en
Octobre 1850.
Le texte de la convention dans son ensemble n'est pas exploité et prête à confusion. Cette
confusion engendrera chez toutes les parties contractantes des interprétations erronées qui seront
à l'origine des guerres entre Odzukru et Français (1). Pour les Odzukru de Dibrim, la cession d'un
terrain pour la construction d'un fort et de ses bâtiments annexes ne signifiait pas l'abandon de la
souveraineté nationale. Depuis leur installation dans le haut Ebrié au XVè siècle, les Odzukru
n'avaient jamais connu la domination d'une puissance étrangère. C'était un peuple qui avait
toujours vécu libre et indépendant.
Les deux représentants de Dibrim qui signèrent le traité du 10 Octobre 1853, étaient de
riches traitants et non des chefs. Puissants, influents et riches, surtout ADOU Sess (2), ils
conclurent, au nom de la communauté villageoise de Dibrim, un traité qui leur permettait de
s'affranchir de la tutelle et de la domination des courtiers Alladian et de réaliser, en commerçant
directement avec les Français, d'importants bénéfices.
Le traité d'Octobre 1853, liant Dibrim et la France n'engageait que la tribu des Dibrim
Egn et non tout le Lodzukru. Dibrim à cette époque n'était pas la capitale de Lodzukru comme le
soulignait le texte de la convention, mais la capitale de la tribu des Dibrim Egn et de la
confédération de Dibrim. II n'y avait pas de différence ou de distinction à établir entre Odzukru
et les Boubouriens des textes européens (3) parce que les Boubouriens qui sont les Oboru,
première tribu à s'établir dans le Lodzukru, ne formaient pas un peuple distinct par rapport à
l'ensemble de la population Odzukru. Les Oboru sont des Odzukru et occupent une grande partie
de la région occidentale de Lodzukru.
Nous avons déjà souligné plus haut que Bobor et Dibrim ont un même ancêtre. C'est à la
suite de l'éclatement du village de Bobor vers la fin du XVIIè siècle que le village de Dibrim
s'est créé.
-----------...---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- AN.S. : section AOF série 5G27 p.6
2- AN.S. : Fonds ex AOF: série lMi 40 Microfilm
3- AN.S. : section AOF série 5G30.
·296 '
La lutte pour le leaderscheap de Lodzukru entre les deux villages entraîne au XYIIIè siècle la
création de deux confédérations en pays Odzukru. Le Lodzukru est formé de huit tribus ou Sebol
en odzukru. Ces tribus sont réparties aux seins de deux confédérations dont les capitaines étaient
Bobor et Dibrim.
La confédération de Bodor, la plus importante regroupait cinq tribus : les Oboru, les
"
Orgbaffu, les Eusru, les Agbadznu et les Aklodzu. Quant à la confédération de Dibrim, elle
comprenait les Dibrim Egn, les Olokpu et les Armabu. A ce groupe s'ajoutait le village de Cosr
qui formait une entité autonome mais qui n'avait pas le rang de tribu.
Le terme de chef utilisé dans le texte du traité était impropre pour le pays Odzukru à cette
époque. En effet, en pays Odzukru, il n'a jamais existé de pouvoir central (1). Les odzukru sont
.
organisés en démocratie viliageoise. Le pouvoir est collégial et réparti entre les sept classes d'âge
: Abrmà, Mbédjé, M'Bromà, Ngbessi, Bodjol, Sètè et Njurma. Pendant la signature du traité, a
Dibrim, c'était la classe d'âge des Obodjlu qui venait d'être consacrée "Eb Ebu", c'est à dire·
dépositaire et garant du pouvoir politique dans le Lodzukru. C'est la classe d'âge des
gouvernements. Le sacre de cette classe d'âge avait eu lieu en 1851. Mais le pouvoir réel c'est à
dire exécutif était détenu par les Sètè. Les débats en assemblée de village étaient surtout
influencés par les traitants à cause de leur richesse. La vie politique dans les faits était dominée
dans le Lodzukru par les traitants (2).
Le pouvoir politique, en pays Odzukru, avait évolué de la séniocratie à la gérontocratie
avec l'essor démographique que connaît les différents villages. La séniocratie était un système
qui s'appliquait à un communauté assez réduite. La vie politique était alors dominée par les chefs
de lignages et les hommes les plus âgés. C'était un pouvoir associé à la fonction religieuse parce
que dans la société Odzukru, le pouvoir religieux est exercé par les personnes âgées, qu'on
considère proches des ancêtres et des dieux. Elles sont en contacts permanents avec les bâtisseurs
et les fondateurs de la communauté, qui sont les génies et les ancêtres. La gérontocratie, quant à
elle, était un système politique qui s'appliquait à une population imposante. Le pouvoir qui était,
autrefois, lignager, était exercé par un groupe d'individus représenté par les classes d'âge (3). La
gérontocratie est aussi le gouvernement des vieux. C'est le pouvoir exercé par les plus âgés. Mais
à la différence de la séniocratie, c'est un pouvoir collégial.
1- A.N.C.I : série lEE 152 (1)
2- Harris MEMELFoté : le système politique de Lodjukrou p.107
3- MEMEL Foté Harris: le système politique de Lodjukrou p.108
.. 297
Le traité du 10 Octobre 1853 qui rajeunit celui conclu en Octobre 1850 entre le lieutenant
Boulay, délégué de la France et les représentants de la communauté de Dibrim, est pour les
Dibrim Egn, une belle occasion pour s'appuyer sur les Français afin d'étendre leur hégémonie et
suprématie sur le Lodzukru et en particulier sur la tribu des Oboru avec laquelle, ils se disputent
depuis le début du XVllè siècle (1), le rôle de leaderscheap de Lodzukru.
Les Odzukru, en particulier les Oboru, refusent d'aliéner leur souveraineté externe et de
mettre fin à leurs échanges commerciaux avec les Alladian avec lesquels ils entretiennent depuis
la deuxième moitié du XVIIè siècle des relations commerciales. Les échanges finissent par créer
entre les deux peuples des liens d'amitié, de solidarité, de fraternité et la confiance mutuelle (2).
Face à cette intimité qui les lient aux Alladian depuis de longs siècles, les Oboru et les autres
tribus Odzukru se trouvent dans l'obligation de ne jamais rompre leurs échanges commerciaux
avec les Alladian.
Les Oboru, hostiles aux traités par lesquels les Français tentent de s'approprier le
commerce du bassin occidental de l'Ebrié et d'éliminer toute concurrence sur la côte des
Quaquah s'opposent à l'application des clauses des conventions à tout le Lodzukru. Ils s'opposent
aussi à toutes les tentatives des Français de contrôler la production de l'huile de palme de
Lodzukru. Mais face aux traités, on assiste à une réaction contradictoire des tribus de Lodzukru.
Ils contribuent à la division de Lodzukru en deux groupes rivaux. Bobor et Dibrim. Les tribus de
la confédération de Dibrim, par solidarité à leur leader acceptent la souveraineté de la France sur
leurs territoires respectifs et s'engagent à ne commercer qu'avec les commerçants français (3).
Les Oboru, opposés à la présence française dans le Lodzukru, deviennent dans la
deuxième moitié du XIXè siècle, les principaux défenseurs de l'intégrité territoriale, de la
souveraineté et de l'indépendance politique du pays Odzukru. Tout au long du XIXè siècle, on
assiste à une opposition armée entre Français et Oboru (4). Les Oboru se mettent en guerre en
1852, 1855 et 1867 contre les Français afin de les empêcher d'étendre leur influence en dehors du
.
périmètre du fort Ducos et du territoire de Dabuatchi.
1- Enquête réalisée à Orgba1T le 22 Juillet 1986 auprès de Mr Bénoît ESSOH LATTE.
2- AN.S. : section AOF série 5G29 p.8
3- AN.S. : Fonds ex AOF : série 5G27 p.6
4- AN.S. : section AOF série 5G27 p.6.
298
Les projets français se trouvent ainsi contrariés par l'hostilité des üboru. C'est pourquoi
pour briser les velléités d'indépendance de ceux qu'il appelle les "rebelles" (1), le commandant
du poste de Dabou, le capitaine Durban, premier responsable du poste de Dabou dont la mission
est de pacifier le Lodzukru, décide en 1855, une expédition punitive contre les üboru. Mais, c'est
malheureusement pour les Français un échec cuisant dont l'écho ou la nouvelle se répand dans
les deux bassins de l'Ebrié (2). Les Français, au cours de cette expédition perdent huit soldats.
Face à cet échec, les Français
décident de nouveau de punir les üboru en asphyxiant leur
commerce avec les Alladian par un blocus. Tous les vapeurs de commerce sont interdits dans la
baie de Bobor (3) . L'aviso le "Diamant" est chargé de surveiller l'entrée de la baie de Bobor et
au respect du blocus en interdisant tout trafic dans cette région et en empêchant surtout les
piroguiers Alladian de se rendre au débarcadère de Mopoyem pour les échanges. Le "Diamant"
reçoit l'ordre de tirer sur toute embarcation qui ferait mouvement vers Mopoyem.
Les objectifs de ce blocus sont d'abord d'isoler les üboru de l'ensemble des üdzukru, d'empêcher
les courtiers Alladian de commercer avec eux, ensuite d'enlever aux üboru leur indépendance et
liberté et enfin de contrôler la région occidentale de Lodzukru encore sous l'influence des üboru
(4). par ces
mesures, les Français pensent obliger les Oboru à reconnaître la souveraineté des
Français sur l'ensemble du territoire Odzukru et à conclure avec eux un traité d'amitié et de paix,
qui n'est en réalité qu'un traité de subordination, de protectorat. Toutes ces mesures n'aboutissent
pas à un résult~ts positif. Les trois mois de blocus se soldent par un échec car rien n'ébranle les
üboru qui résistent au blocus. Pour contourner ce nouvel échec, les autorités françaises de
Dabou demandent aux üboru de fournir huit hommes pour remplacer les soldats qu'ils ont tués.
Mais les üboru restent inébranlables. Ainsi pour contraindre les Oboru à se soumettre, les
Français organisent, en 1863, une nouvelle expédition punitive. Cette expédition connaît un
échec. Le corps expéditionnaire est pris dans un guet apens, dans la baie de Tiaha où les Français
ont treize soldats tués (5). A cette époque, les üboru étaient capables d'aligner près de
1 - A. N. S : section AOF série 5G29 P. 8
2 - A. N. S : section AOF série 5G27 P. 7
3 - A. N. S : Fonds Ex AOF série Microfilm, 2M14 : n" 25, du 1er mars 1856, dépêche de
Mouléon au Ministère AiS blocus de la baie de Bouboury.
4 - Ibid.
5 - AN.S. section AOF série 5G28P. 8
299
mille guerriers, portant chacun un fusil de marque tower (1). Ils étaient approvisionnés en poudre
à canon
et en produits de la manufacture européenne par les courtiers Alladian du village
d'Addah (2) qui avaient la possibilité de contourner par l'ouest les bâtiments de guerre français
sillonnant périodiquement la lagune. A la suite de ce second affrontement, une amende est
infligée parles autorités françaises aux Oboru qui doivent payer cinq cent Krou d'huile (3). Ce
qui fait 15.000 Kilogrammes soit 15 tonnes.
Les relations entre Oboru et Français, jusqu'au départ officiel de ces derniers de la côte
de l'or en janvier 1871, sont émaillées d'incidents. Les Oboru sont toujours, malgré les pressions
militaires et économiques des autorités du poste de Dabou, restés hostiles à la présence française
dans le Lodzukru. Les Français pour les obliger à payer les cinq cents krous d'huile prennent au
cours d'une expédition sur la lagune Ebrié, du côté occidental, en otage, un des riches traitants
de Tiaha, village faisant partie de la tribu des Oboru (4). Mais les Oboru refuseront
d'entreprendre toute négociation avec les autorités française. Tous ces conflits vont alors
entraîner la baisse des activités commerciales françaises dans l'Ebrié occidentale.
Face à cette baisse de leurs activités commerciales due à l'hostilité des Oboru et à la
présence continue des courtiers Alladian dans les débarcadères du haut Ebrié, les Français se
décident avec le concours des Dibrim Ejn à brûler le village de Bobor. Les Oboru, informés
avant l'arrivée du corps expéditionnaire français, prennent soin d'évacuer tout le village (5).
L'hégémonie française est ainsi contestée dans le Lodzukru. Les Français, malgré les
mesures d'intimidation, de répression et des alliances ne réussissent pas à s'imposer dans le
Lodzukru où ils rencontrent une opposition très organisée dirigée par les Oboru. C'est pourquoi,
pour pourvoir contrôler les activités économiques et toute la région Odzukru malgré l'hostilité
des Oboru, de nouvelles conventions sont conclues entre Français et Odzukru (6). Ces
conventions viennent alors rajeunir et réactualiser les premières conclues en 1850 et 1853 au
lendemain de l'exploration du bassin occidental de l'Ebrié.
1 - AN.S. : section AOF série 5G28 P.8
2 - AN.S. : section AOF série 5G29 P.6
3 - A.N.S. : section AOF série 5G27 P. 8
4 - AN.S. : section AOF série 5G27
5 - Les Français avaient demandé aux Oboru pour la paix dans la région de payer 15 T. d'huile,
20 boeufs et 20 moutons.
6 - A.N.S. : section AOF série 5G33 P.8
300
Ainsi le 9 Décembre 1886, la France signe son 3ème traité avec Dibrim, les 10 Décembre 1886,
le second traité avec Tukpa et le Il Décembre 1886, le premier traité avec Bobor. La signature
de ce traité entre la France et Bobor s'explique par le fait qu'en 1864, les Oboru, surpris, sont
battus par un corps expéditionnaire Français dirigé par le lieutenant Noël et qu'en 1882, une
grande partie des villages de la tribu des Oboru dont Bobor, Tukpa ont été brûlés par les troupes
françaises soutenues par les Dibrim Egn et les Alladian d'Emoquah (1). Les Oboru au cours des
années 1880, montrent quelques signes d'épuisement dans cette guerre d'usure qui les oppose aux
Français, aux Dibrim Egn et aux Alladian (2). La signature du traité de 1886 par les Oboru est un
repli tactique, une trêve qui permet le renouvellement des équipements (achats de fusils, et de
poudre à canon) et la réorganisation de la lutte.
Les traités sont ratifiés en octobre 1887 par l'Assemblée Nationale Française. Selon les
termes de ces traités, les villages signataires concèdent la souveraineté pleine et entière de leurs
territoires et dépendances à la France et l'autorisent à arborer son pavillon (3). Les différents
traités imposés aux populations riveraines de Lodzukru ne seront respectés que par les Dibrim
Egn et les Tukpa Egn dont l'appui de l'administration est nécessaire aux traitants pour y faire
prospérer leurs activités commerciales et accroître leur influence dans la vie politique de leur
village. Mais quant aux Oboru, ils s'opposent farouchement à l'occupation de leur territoire par
une puissance étrangère et à l'aliénation de leur liberté et de leur indépendance. Malgré le traité
de 1886, les Français hésitent à s'aventurer dans la région contrôlée par les Oboru parce que
convaincus que le traité ne peu amener les Oboru à se placer sous la dépendance de la France
comme les Dibrim Egn. Grâce au traité de 1850, réactualisé en octobre 1853, les Français
obtiennent alors le droit de construire sur la rive Nord de la lagune Ebrié un fort
pour la
surveillance de la région et le développement du commerce français.
La construction du fort de Dabou ou Fort Ducos: 1853
Le commerce français en côte d'or est un échec. Malgré toutes les mesures de répressions
et d'intimidations prises par l'administration, le contrôle du commerce de l'or et de l'huile de
palme échappe aux traitants français qui subissent la concurrence des courtiers. Les tentatives
des commerçantsfFrançais de commercer directement avec les Africains échouent parce que les
produits français sont de mauvaise qualité.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1- AN.C.l : série lEE 122 (1) p.8
2- AN. C.I : série lEE 102 (2) p.1O
3- AN.C.I : section AOF série 5G28 p. 12 p.8
301
Le commerce de la côte de l'or reste entre les mains des courtiers N'zima (Appoloniens) Abouré
et Essouma. Les populations de la côte maritime de la côte de l'or sont hostiles aux Français qui,
avec la construction des Forts sur le littoral, tentent de leur enlever le courtage par
l'établissement des contacts avec les régions de l'arrière pays, productrices de biens de traite (1).
Le refus des populations de commercer avec les commerçants français et les tensions
dans la région obligent les autorités françaises, bien qu'animés par le souci de rentabiliser leurs
activités commerciales, à créer un nouveau centre commercial dans le bassin occidental de
l'Ebrié pour servir non seulement de port de relais à Grand-Bassam (2), mais surtout de tête de
pont à la conquête de l'arrière pays. Ainsi pour garantir la sécurité des traitants et de leurs
activités commerciales, les Français décident alors de construire un fort dans le bassin occidental
de l'Ebrié, principalement en pays Odzukru, premier centre de production de l'huile de palme.
e : Les raisons de la construction du Fort de Dabou
En prenant la décision de construire en Septembre 1853, un blockhaus à l'intérieur des
terres et principalement dans la région Odzukru, coeur de l'économie de l'huile de palme, les
Français sont animés par plusieurs raisons. En effet, à travers l'établissemenl d'un block
blockhaus dans le haut Ebrié, les Français sont déterminés à empêcher tout trafic commercial
entre les pays situés sur la rive (Nord) septentrionale de l'Ebrié et le pays Alladian par lequel
l'huile de palme ,transite vers les navires anglais en mouillage au large des côtes Quaquah (3). Par
le contrôle du commerce de la rive Nord, les Français pensent réaliser leur vieux rêve qui
consiste à détruire le courtage des Alladian, de chasser les Anglais du littoral des Quaquah et
d'exercer leur monopole sur le commerce de toute la région occidentale de l'Ebrié. La
construction d'un blockhaus à l'intérieur des terres devait aussi permettre aux commerçants
Français de trafiquer directement avec les producteurs Odzukru et Tchaman par le truchement
des factoreries qui seront créées à l'intérieur des Forts. Le Fort permettrait d'assurer la sécurité
des traitants Français dans la région de l'Ebrié où les populations semblent ombrageuses,
belliqueuses et toujours en guerre les unes contre les autres (4).
1 - AN.C.I : série IEE1 (14) p.6
2 - A.N.S. : section AOF série 5G29 P.l3
3 - AN.S. : section AOF série 5G27 P. 15
4 - AN.S. : Fonds Ex AOF : Gd-Bassani Fondation du comptoir de Gd-Bassam ou Fort Nemours
Doc. 5G16 (Microfilm).
302
Les Français sont aussr convamcus qu'en 1853, la région de l'Ebrié occidentale, en
particulier le pays Odzukru, n'est pas affectée par l'épidémie de la fièvre jaune qui sévit depuis
des mois dans la région de Grand-Bassam. La fièvre jaune était redoutée par les Français car elle
faisait de nombreuses victimes parmi la population française du fort (1). Il s'agit aussi d'obliger
par la dissuasion et l'intimidation les populations Odzukru à rompre leur commerce avec les
.
courtiers Alladian. Enfin le fort sur la rive septentrionale devrait servir de poste de surveillance
de la lagune Ebrié sur laquelle circulent deux Aviso (2). Les canonnières Guet N'dar et le Grand-
Bassam sillonnaient tous les quinze jours sur la lagune Ebrié pour maintenir la sécurité et
empêcher tout trafic vers le pays Alladian. Pour la construction du blockhaus, les Français ont le
choix entre deux sites, tous situés sur la rive Nord de l'Ebrié. Abata et Dabuatchi (Okobou ou
Dabou) (3).
Le choix du site de Dabou
Pour la construction du blockhaus sur la rive Nord de l'Ebrié, les Français, après les
différentes missions d'exploration de 1850 et de 1853 (4), avait le choix entre deux sites: Abata
et Dabou.
Le site d'Abata
Le premier site proposé pour la construction du fort dans le haut Ebrié est l'Ile Leydet,
,;
située à quelques dizaines de mètres du village d'Abata. Cette île qui porte le nom d'un médecin
"
français, décédé de la fièvre jaune en 1850 (5), au cours d'une mission d'exploration dirigée par
le lieutenant Boulay était inhabitée. Elle est longue de près d'un kilomètre mais avec une largeur
réduite.
Le village d'Abata seulement situé à quelques kilomètres du poste de Grand-Bassam. La
construction du fort dans cette localité n'aurait pas permis aux Français de réaliser leur rêve qui
est d'empêcher tout trafic commercial entre les Alladian, habitant de la langue de terre séparant
l'océan atlantique et la lagune Ebrié et les populations Odzukru et Tchaman situées sur la rive
septentrionale de la lagune dans la partie ouest de l'Ebrié. Le Lodzukru est à deux jours de
navigation de Grand-Bassam en pirogue.
1 - AN.S. : section AOF série 5G31 P.17
2 - AN.S. : sectionAOF série 5G31 P.18
3 - A.N.S. : sectionAOF série 5G33 série 22
4 - AN.S. : section AOF série 5G31 P.8
5 - AN.C.I: série lEEI (4) p.6
303
L'île Leydet se trouve aussi dans une localité où les populations depuis 1849, date de leur
premier cont1it, sont hostiles aux Français. En effet, en 1853, un bataillon français venu du
Sénégal et qui se rendait en mission d'exploration à Grand-Lahou s'était heurté à une armée des
Tchaman d'Abata qui réclamait le droit de péage à tous les navires français qui traversent le
territoire d'Abata (1). Une autre rai son est que la bais d'Abata comporte une zone accidentée et
boisée pouvant servir de point de rassemblement aux populations pour s'opposer à un
débarquement ou attaquer constamment le blockhaus. Ce qui placerait le fort dans une situation
d'insécurité permanente et entraînerait des conséquences néfastes sur le développement du
commerce français dans la région (2).
La construction d'un fort à Abata n'aurait pas permis aux Français de contrebalancer dans
l'Ebrié occidentale, les AlIadian, principaux interlocuteurs entre les populations de l'arrière pays
et les navires anglais. C'était par leur intermédiaire que les Anglais absorbaient toute la
production de l'huile de palme de l'Ebrié et dominait ainsi le commerce de la région des
Quaquah. Enfin, un fort construit à Abata, près de Grand-Bassam n'aurait pas permis aux soldats
français de veiller effectivement sur la sécurité des traitants Français se rendant dans les villages
pour commercer. C'est compte tenu de tous ces éléments défavorables à l'établissement d'un fort
à Abata que les Français optent pour Dabuatchi qui prendra plus tard le nom de Dabou.
Le site de Dabou
r·
i
Okobu ou Dabou est situé à six kilomètres du village de Dibrim dans le pays Odzukru.
Dabou est situé à l'Ouest et se trouve près de cent kilomètres de Grand-Bassam. Le site choisi
par Boualy et ses amis, depuis 1850, se trouve sur la terre ferme (3). C'est un site magnifique,
avec la présence d'une baie. Ce site permettait aux Français d'avoir une large vue sur tous les
mouvements des embarcations sur la lagune Ebrié.
Depuis Octobre 1850, le territoire de Dabuatchi avait été cédé par ADOU Sess aux
Français lors de la signature du traité entre ce dernier et le lieutenant Boulay. Ce traité de
l - A.N.S. : section AOF série 5G31 P.8
2 - A.N.S. : section AOF série 5G31 P.6
3 - A.N.S. : section AOF série 5G31 P.II
~O'1
concession fut réactualisé en Octobre 1853 entre ADOU SESS et le commandant Baudin (1).
Contrairement aux Tchaman d'Abata qui sont hostiles à la construction d'un blockhaus sur leur
territoire, les Odzukru de la tribu des Dibrim Egn accueillent avec joie l'idée de l'établissement
d'un blockhaus à Dabuatchi. Les populations de Dibrirn, pour montrer leur enthousiasme et leur
approbation au projet, arborent dans leurs villages le drapeau français (2). C'est aussi pour ces
populations la seule manière de témoigner leur amitié à la France. Le hissement du pavillon
français dans tous les villages de la tribu des Dibrim Egn est la preuve que Dibrim était français
(3).
La sécurité des traitants français est selon les autorités françaises de la station navale de
Gorée garantie parce que les Odzukru orientaux sont moins belliqueux que leurs voisins
Tchaman. Ils sont surtout préoccupés par le développement de leur commerce, la seule activité
économique qui leur permet d'acquérir les manilles et les produits manufacturés européens (4).
Selon toujours les autorités françaises, les Odzukn.i orientaux quoique braves sont de la mauvaise
poudre et de mauvais projectiles et ne savent pas se servir de leurs armes (5). Cela montre que
les risques d'un affrontement armé dans la région sont presque nuls.
Le blockhaus construit sur la terre ferme à l'avantage de permettre aux Français de
contraindre les Alladian par les armes à abandonner leur relation commerciale avec les Odzukru
et les Ebrié, ce qui entraînerait la ruine de tout le commerce anglais dans la région des Quaquah.
Par cette nouvelle' stratégie, les Français sont convaincus de contrôler tout le commerce du bassin
occidental de l'Ebrié et de l'arrière pays. L'ordre serait maintenu par la présence d'une garnison.
Or, si le fort est construit sur l'Ile Leydet, les Alladian continueraient sans inquiétude leur
courtage et concurrenceraient les traitants français (6).
t) La construction du Fort de Dabou
Les travaux de la construction du Fort de Dabou commencent le 6 Octobre 1853 et
prennent fin le 16 Octobre de la même année (7). Les travaux qui durent dix jours sont dirigés
par le capitaine de génie Faidherbe. Les travaux de terrassement du
1 - AN.S. : section AOF série 5G32 P.6
2 - AN.S. : section AOF série 5G31 P.8
3 - Ibid p.9
4 - Ibid p.9
5 - Ibid p.10
6 - A.N.S. : section AOF série 5G30 p.8
7 - AN.S. : sectionAOF série 5G31 p.10
305
territoire devant abriter le blockhaus sont l'oeuvre d'un bataillon venu de Grand-Bassam. La
construction du fort se fait dans la hâte. Elle coûte à la France deux mille (2.000) francs (1). Les
ouvriers du chantier reçoivent chacun 1 franc par jour (2). Les matériaux utilisés pour la
construction du fort sont des matériaux locaux. Il s'agit du bambou de chine et des feuilles de
raphia. Les feuilles de raphia servent à couvrir le toit (3).
Le fort est construit à la bâte pour les raisons suivantes : D'abord les commerçants
Français subissent dans l'Ebrié occidentale une farouche concurrence des courtiers Alladian qui
sont très habiles et intelligents. Le commerce français est alors en difficulté. Ensuite, les Français
sont soumis aux attaques perpétuelles des Tchaman d'Abata qui réclament un droit de péage à
tous les vapeurs circulant sur la lagune. C'est pour satisfaire la demande des traitants qui
sollicitent la construction d'un fort le plus vite possible dans l'Ebrié occidentale pour garantir leur
sécurité que les autorités françaises se précipitent dans la construction du fort.
Le fort de Dabou ou fort Ducos sera rénové en 1855. Jusqu'à cette date, le fort de Dabou
est très mal équipé et ne comporte aucune pièce d'artillerie. Le block blockhaus, construit en
bambou et recouvert de feuilles de raphia compte plusieurs bâtiments dont certains font office de
garnison et les autres de factoreries.
Le centre de Dabou avait été crée selon le plan français pour être le premier centre
commercial de la France dans l'arrière pays. Le fort de Dabou est approvisionné en vivres par le
poste de Grand-Bassam (4).
En 1855, compte tenu de l'état de délabrement dans lequel se trouve le fort, les français
dans le but de permettre à cet établissement de jouer pleinement son rôle entreprennent des
travaux de rénovation et d'agrandissement. Des matériaux solides et modernes en particulier des
briques et des pierres taillées sont utilisées. Le bois de la charpente est importé de Gorée, au
Sénégal. Des bâtiments annexes sont alors construits (5). Le bâtiment est à étage et la sécurité du
block blockhaus renforcée par la présence de deux pièces d'artillerie.
1 - A.N.S. : section AOF série SG28 p.8
2 - AN.S. : section AOF série SG28 p.6
3 - AN.S. : section AOF série SG31 p.8
4 - A.N.S. : section AOF série SG27 p.12
S - A.N.S. : section AOF série SG31 p.8
306
La sécurité du fort sera renforcée pour parer aux incendies et aux attaques incessantes des
Oboru. Depuis la construction du for~ Ducos, les relations entre Oboru et Français se détériorent
profondément. Les Odzukru étaient hostiles à la création de factoreries sur la terre ferme et aux
désirs français d'empêcher toutes relations commerciales entre les Alladian et les Odzukru. Les
Alladian étaient les premiers clients des Odzukru pour l'huile de palme et les premiers
fournisseurs de Lodzukru en sel et en produits manufacturés européens. Les relations
commerciales entre le Lodzukru et le pays aliadian avaient été établies depuis la 2è moitié du
XVIIè siècle et les courtiers Alladian étaient les principaux créanciers des Odzukru.
Le premier responsable du fort de Dabou baptisé fort Ducos est le capitaine Durban. Il est
remplacé en 1856 par le lieutenant Gindre (1). La garnison du fort Ducos comprend trente six
(36) militaires dont un officier (capitaine de poste, un chirurgien, huit (8) soldats blancs et vingt
six (26) noirs. Le plus gradé parmi les noirs est un caporal. Les soldats sont employés cinq jours
sur sept au travail manuel et deux jours pour l'instruction pratique, c'est à dire al'art militaire.
Les soldats Noirs dorment à même le sol sur des nattes et les Blancs à l'étage sur des lits
(2). La plupart des soldats noirs sont originaires du Soudan et du Sénégal. A quelques mètres du
fort, les soldats noirs créent des plantations de manioc pour varier leur alimentation qui sont
essentiellement composée de paille de riz et d'igname. Ils font aussi de l'élevage bovin et caprin.
Les boeufs dans la région Odzukru coûtent plus de cinquante francs et les caprins entre douze à
vingt francs. Un jardin botanique est crée. Il sert de jardin. d'expérimentation aux plantes
tropicales (2).
Les populations Odzukru et Alladian refusent de vendre leurs boeufs aux Français qui
prenaient un repas de viande fraîche le Dimanche et le reste de la semaine, de la viande salée (3).
Le poisson frais est vendu à des prix exorbitants aux européens qui se trouvent dans
l'impossibilité de l'acquérir (4).
A l'intérieur du blockhaus se trouvent des bâtiments réservés aux factoreries. La première
maison de commerce à s'y établir dans le Lodzukru est la maison Régis de Marseille (5). En
effet, Régis promoteur de la construction du blockhaus à
1 - A.N.S. : section AOf série SG29 p.IS
2 - A.N.S. : section AOF série SG29 p.8
3 - AN.S. : section AOf série SG28 p.13
4 - A.N.S. : section AOF série SG31 p.8
S - AN.C.l. : série tEE 1 (9) p.8
307
l'intérieur du pays établit en 1854 une factorerie à Dabou et en confie la gestion à un agent (1).
Le commerce français qui, durant les années 1850 - 1852, avait connu un léger essor tombe dans
un marasme total à partir de 1855. Le commerce français, dès 1854 avait montré ses signes de
faiblesse. La plupart des maisons de commerce installées sur le littoral et surtout à Dabou avaient
fait faillite. Les Français échouent sur le littoral et précisément dans "le Lodzukru pour les raisons
suivantes. D'abord, nous notons le fait que les salaires, versés par Régis à ses agents sont
dérisoires et ne constituent pas une source de motivations pour les agents. L'insuffisance du
salaire amenait les employés des maisons de commerce à négliger le travail. 11 y avait aussi la
mauvaise gestion des factoreries. Le personnel n'avait pas reçu une formation de gestionnaire
pour gérer les factoreries. Enfin nous avons la mauvaise qualité des produits français. La plupart
des produits français étaient avariés. La poudre à canon, très appréciée par les populations
africaines était souvent vendue mouillée et les fusils rouillés. Les Français, dans la région de
l'Ebrié ne vendaient qu'une seule qualité de tissu. li s'agit d'un tissu de couleur rouge (2) que les
populations n'appréciaient pas.
La dégradation des rapports entre Oboru et Français dès 1853 et le refus des Odzukru de
vendre leur huile à la factorerie française amènent Régis à fermer en 1854 sa factorerie et à
retirer l'agent qui en assurait la gérance. Régis quitte surtout Dabou parce qu'il n'arrive pas à
supporter la concurrence des courtiers Alladian qui contrôlent grâce à l'appui des Oboru et des
Tchaman les % ~u trafic de l'huile de palme de la rive Nord de l'Ebrié (3). Les Alladian, grâce à
la qualité des produits anglais et des relations privilégiées qu'ils ont avec les populations de la
rive Nord contrôlent les principaux débarcadères du pays Odzukru (4).
Les populations, de la rive Nord de l'Ebrié, très attachées à la liberté commerciale
refusent toute transaction commerciale avec les Français qui utilisent la force pour assujettir et
contraindre les peuples riverains de la lagune Ebrié à commercer avec les traitants Français qui
vendent des articles avariés et médiocres. Les conflits entre populations africaines et françaises
constituent aussi un frein au commerce français. En effet, à la suite de l'arraisonnement d'une
chaloupe appartenant à la maison Régis par les Tchamandu village de Danga en 1854, les
Français répliquent par une répression sévère contre les Tchaman. Les dignitaires Tchaman faits
prisonniers sont déportés au Gabon
1 - AN.C.I. : série lEE1 (11) P. 4
2 - AN.S.
: Section AOF série SG29 P. Il
3 - AN.CI. : Série lEEl (9) à P. 6
4 - AN.S.
: Section AOF série SG31
308
où ils meurent et les villages incendiés (1). La répression est alors considérée par les Français
comme le seul moyen pour garantir la sécurité des commerçants français, faire prospérer les
activités commerciales et imposer la paix dans la région.
Elle
permet aussi de juguler et de
briser les activités des courtiers africains (2). Mais, les amendes infligées aux populations et les
répressions
deviennent les principaux obstacles au développement et
au rayonnement du
commerce français dans l'Ebrié. Toutes les batailles tournent autour de la diminution de la
production de l'huile de palme. Ce qui provoque alors des conséquences énormes sur le trafic
commercial de la région (3).
Dans la région du littoral Sud-Est, les Bassamois et les Essouma ne sont pas les seuls à
•
concurrencer les traitants français. On note aussi la présence des courtiers Bambara qui se sont
établis dans la région de Grand-Bassam depuis le début du XIXè siècle (4). Les Bambara étaient
les principaux concurrents
des Français pour le commerce de l'huile de palme. En effet, ils
étaient en contacts permanents avec les populations N'Gbato de la région d'Alépé et les Tchaman
d'Abata, d'Akouédo et de M'Pouto (5). C'est pour éliminer toute concurrence dans la région de
Grand-Bassarn que les français expulsent de Grand-Bassam tous les courtiers étrangers qui, au
lieu de regagner l'arrière pays, vont s'installer dans le Lodzukru où avait débuté depuis 1850 un
commerce direct entre Odzukru et traitants français.
h) Commerce direct entre français et Odzukru
Le commerce direct entre les Odzukru et les traitants français avait commencé depuis
l'exploration de la lagune Ebrié en 1850 et la signature de traité d'amitié entre Boulay
représentant du gouvernement et les représentants des villages de Tukpa et de Dibrim. Les
traités donnent alors la possibilité aux chaloupes de sillonner sous la surveillance des navires de
guerre la lagune Ebrié. Les chaloupes stationnent en rade afin de permettre aux commerçants de
prendre contact avec les populations africaines. Cela permet aux commerçants
d'acheter
d'importantes quantités d'huile de palme. La traite de l'huile de palme dure en moyenne cinq
mois et les vapeurs fréquentent une fois par semaine les principaux débarcadères de Lodzukru,
dont Tukpa, Dabuatchi, Mopoyem et Cors (5).
1 - AN.S
: Section AOF série SG29 P. 6
2 - AN.S
: Section AOF série SG31 P.8
,.
3 - AN.S
: Section AOF série SG29 P. 12
1
4 - AN.C.I : Série lEEl (7) P. 6
S - AN.S
: Section AOF série SG31 P.6
6 - AN.S
: Section AOF série SG29 P. ]4
309
Avant l'achat de vapeurs privés par les maisons de commerce, ce sont les bâtiments de
guerre qui sont affectés aux traitants français pour le transport des barriques d'huile de palme
vers le comptoir de Grand-Bassam.
De 1850 à 1853, Je commerce français connaît lIlI léger essor. Les traitants français dans
certaines zones, telle Dabuatchi, réussissent à enlever le courtage aux Alladian (1). Le jeu de la
concurrence instauré dans la région depuis l'arrivée des français sont à l'avantage des producteurs
Odzukru qui s'affranchissent de la tutelle des Alladian. Cette concurrence
entraîne aussi la
hausse des prix de l'huile de palme pour une courte période (2). Aussi, le Krou d'huile de palme
qui, au cours des années 1840 était à quarante manilles, passe à soixante manilles en 1852 (3).
Au cours de cette période, le courtage alladian est ébranlé et sa suprématie remise en
cause dans le bassin occidental de l'Ebrié. Sous les menacés de représailles (incendie de village,
amendes) les Dibrim Egn acceptent de porter leur huile à la factorerie de Dabou. Le commerce
direct permet aux Odzukru d'obtenir leur indépendance économique. En effet, depuis la 2ème
moitié du XVllè siècle, les üdzukru étaient, au plan économique dépendants des AlJadian qui
contrôlaient le trafic commercial depuis la côte jusqu'à l'intérieur du pays. Grâce à leur position
géographique, les Alladian s'étaient interposés comme les seuls interlocuteurs entre les capitaines
des navires européens et les populations africaines. Mais au plan politique,
les üdzukru et les
Alladian étaient indépendants.
Au cours de cette période où les Français réussissent à faire jeu égal avec les courtiers
Alladian, la production de l'huile de palme connaît une légère hausse. Les marchés secondaires
de Boboï Nanu, Kpânâ Nanu et Niddz Nunu sont régulièrement approvisionnés. Souvent, les
traitants français n'arrivent pas à acheter tous le stock présenté à la vente parceque manquant de
barriques et de chaloupes pour exporter l'huile de palme à Grand-Bassam, principal port du
littoral.
Les pôles de développement commercial qui étaient Grand-Bassarn et Assinie pour les
Français, se déplacent non pas dans la région des Quaquah mais dans le Lodzukru, principal
centre de l'économie de l'huile de palme (4)
1 - AN.S : section AOF série 5G35 P.8
2 - AN.S : section AOF série 5G25 P. 11
3 - AN.S : section AOF série 5G28 P.8
4 - AN.S : section AOF série 5G27 P.8
310
Les Français, en s'installant sur la côte de l'or depuis 1843, n'avaient pas réussi à contrôler
le commerce de l'or et d'ivoire de la région. Les guerres, les amendes et les tentatives de
pénétration dans l'arrière pays pour établir le contact avec les populations n'avaient pas permis de
briser la corporation des courtiers Alladian, Bassamois et détruire leurs activités. La présence
française en côte de l'or, au plan commercial fut un échec. En effet, les nombreuses guerres, les
répressions et les amendes n'avaient favorisé que l'éloignement constant des populations
africaines des Français.
La haine s'était développée chez les Africains qui refusent de vendre leurs marchandises
aux comptoirs français surtout que les produits vendus étaient chers, mais aussi avariés et de
.. mauvaises qualités. C'est l'échec en côte de l'or qui oblige alors les Français à porter leur effort
sur le pays Odzukru afin de contrôler le trafic de l'huile de palme. Mais les postes de Grand-
Bassam et d'Assinie restent maintenus afin d'empêcher les Anglais à venir s'établir dans la région
(1). La découverte de' Lodzukru ne met pas fin au commerce dans le Sud-Est du littoral. Les
. traitants français soutenus par les militaires de la station navale continuent de lutter contre les
Essouma d'Assinie et les N'Zima (Appoloniens) de Grand-Bassam.
Dans le Lodzukru, les Français continuent la même politique qu'à Grand-Bassam. Cette
politique consiste à installer dans les débarcadères des factoreries où les populations africaines
viendraient échanger leurs marchandises contre les produits manufacturés. Les avantages
de
cette nouvelle 'politique sont de trois ordres. D'abord, il yale fait que les factoreries possèdent
des magasins de stockage de produits manufacturés ensuite, ce stock permet d'éviter les saisons
mortes rendant les échanges permanents et enfin cette politique oblige les paysans africains à
accroître la production. Tous ces avantages constituent l'une des causes de l'établissement d'un
block blockhaus dans le Lodzukru en 1853 (2).
La croissance constante de la production dans le Lodzukru et l'essor commercial de ce
produit dans le bassin occidental de l'Ebrié, oblige les maisons de commerce françaises installées
à Grand-Bassam et à Assinie à ouvrir des factoreries à Dabou et à Tukpa (3). La maison Régis de
Marseille (1853-1854) et la maison Isnard et Demiagou Pecquet de Calois (1856-1857) (4)
1 - AN.C.r : série lEE1 (11) P. 6
2 - AN.S.
: section AOF série 5G26 P. Il
3 - A.N.S.
: section AOF série 5G25 P.8
4 - AN.S.
: section AOF série 5G28
3] 1
Les Odzukru de Dibrim, intermédiaires entre les Odzukru orientaux et les Français sont
les seuls à se rendre à la factorerie de Dabuatchi pour vendre de l'huile de palme. Par ce contact,
ils donnent le nom "Brogos" pour désigner localement le "Blockhaus". Les échanges entre les
Français et les Turkpa Egn se font sur rade. Les traitants de Tukpa transportent dans des pirogues
les barriques d'huile jusqu'au navire à vapeur qui se trouve
à quelques dizaine de mètre du
rivage. Les navires à vapeur n'accostent pas au bord du rivage à cause du sable qui peut détruire
la machine. Les Français ont surtout peur d'être assaillis par les guerriers Odzukru qui se cachent
dans les feuillages. Les navires à vapeurs français ont été l'objet de plusieurs attaques des
populations africaines surtout des Tchaman (1) . 1849, 1857,1863, et ayssu des Odzukru : 1855,
1863,1867 et 1869.
Les bâtiments de guerre situés à une distance à quelques dizaines de mètres de la plage
permettent de maintenir au respect les assaillants.
La présence des Français dans le Lodzukru oblige les
Alladian, peuples vivant
essentiellement des échanges commerciaux à renouveler leurs alliances avec les Oboru. Hostiles
à la construction d'un block blockhaus dans le Lodzukru. Les Oboru voient à travers le block
blockhaus le symbole de l'aliénation de la liberté et de l'indépendance des Odzukru. C'est
pourquoi, ils refusent tout trafic commercial avec les Français. Le débarcadère de Mopoyem,
principal centre d'échange des Oboru, est ainsi interdit aux traitants Français. A
Tukpa et à
Dibrim où les populations avaient, dès 1850, signé des traités d'amitié avec les Français, les
Alladian étaient concurrencés par les traitants Français. Le débarcadère de Dabou demeure donc
le principal débouché de tous les villages Odzukru situés dans la zone orientale. Le trafic
commercial de cette région reste sous la domination des Dibrim Egn qui sont les seuls à
commercer avec les Alladian ou les traitants Français (2). Les différents responsables français
qui dirigent le poste de Dabou convoquent souvent à Dabou les principaux traitant de Dibrim
pour leur demander d'inviter leurs compatriotes à venir commercer au block blockhaus (3). Les
entretiens entre responsables du poste de Dabou et les traitants de Dibrim sont toujours
accompagnés de cadeaux (4).
1 - A.N.C.I : série lEEl (lI)
2- A.N.S.
: section AOF série 5G3l P.6
3 - idem P.6
4 - AN.S. : section AOF série 5G30 P.8
312
Les commandants du poste de Dabou reçoivent surtoutO'\\DOU Sess, Bédiakou et Kétèkrè
(1). Les Français pensent s'appuyer sur ces trois traitants pour étendre leur hégémonie dans tout
le Lodzukru. Mais dans leurs tentatives, les Français rencontrent l'opposition de ADOU Sess qui
est hostile à tout action tendant à aliéner la liberté et la souveraineté des Odzukru. Il accepte de
commercer avec les Français mais pas sous la contrainte. ADOU Sess est considéré comme le
plus riche des traitants de Dibrim. Il possédait des quantités importantes de poudre d'or (2) et de
fusils. Les Français le considéraient avec Bédiakou comme les seuls interlocuteurs de la
population de Dibrim (3). Mais les populations de Dibrim étaient hostiles à ADOU Sess qui avait
gardé pour lui seulles cadeaux offerts aux Dibrim Egn par Baudin après la signature du traité de
1853 (4) bien que ces présents soient destinés à toute la communauté de Dibrim. Les Français en
s'installant à Dabou ont pour objectifs de contrôler le trafic commercial et la production d'huile
de palme de Lodzukru mais, leurs actions se limitent dans la région orientale, car la partie
occidentale est sous le contrôle des Oboru hostiles à l'établissement d'une factorerie dans le
territoire de Lodzukru.
Les Français, pour obliger les Oboru à commercer avec eux et
pour maintenir libre la
circulation sur la lagune Ebrié, entreprennent des expéditions punitives contre les Oboru en
1855, 1857, 1863 et 1867. Mais les expéditions françaises se soldent par des échecs foudroyants.
Ils eurent huit soldats tués en 1855 et treize en 1863. L'échec de ces expéditions montre
l'invincibilité
des guerriers Oboru. Mais pour contraindre toute la population du bassin
L
occidental de l'Ebrié au calme, les Français décident un blocus contre les Oboru et empêchent
aussi tout
trafic avec cette population. Un bâtiment de guerre, le "Marigot" doté d'une
canonnière est stationné en permanence à Mopoyem dans la baie de Bobor. Ce blocus isole la
population Oboru du monde extérieur. Les Français pour atteindre cet objectif à savoir isoler les
Oboru et empêcher tout trafic commercial entre cette population et les Alladian, réactualisent en
1855, les traités signés en 1843 et en 1844 avec les principaux centres commerciaux du pays
Alladian (5). Mais, toutes les sanctions économiques et militaires ne réussissent pas à ébranler
les Oboru qui restent indifférents aux entreprises françaises.
1 - AN.S: section AOF série SG33
2 - AN.S: section AOF série SG31 P.6
3 - A.N.S: section AOF série SG31 P.8
4 - AN.S: section AOF série SG32 P.3
5 - A.N.S: section AOF série SG28 P.8
313
Les Oboru sont ravitaillés en poudre à canon et en produits manufacturés par les Eusru,
principaux fournisseurs de Tupka en huile de palme et par les traitants de Addah. Le village de
Tupka fait partie de la tribu des Oboru. Mais compte tenu de leurs activités économiques
dominées par le commerce et par le respect de la convention du 10 Octobre ] 850, les Tupka Egn
sont les seuls à ne pas participer aux escarmouches ayant opposé les Oboru aux Français entre
] 850 à 1870. Les habitants du village de Tupka ont préféré aliéner leur souveraineté
internationale pour développer leur activités commerciales. Les Français, au cours de leurs
différents conflits avec les Oboru recherchent les bons offices des Tupka Egn qui observent la
neutralité afin de parvenir à la signature d'un traité d'amitié et de paix avec les Oboru. Mais cette
tentative ne connaît pas un aboutissement heureux à cause de l'intransigeance du commandant du
poste de Dabou qui exige des Oboru, le remplacement des huit soldats tués en 1855 et le
paiement d'une amende de cent krous d'huile, 20 boeufs et 20 moutons. Le blocus entraîne
surtoutle gel des activités françaises dans le pays odzukru.
Les relations commerciales entre les producteurs Odzukru et les traitants Français se
détériorent. Cette situation plonge le commerce français dans un marasme total. Les Odzukru
refusent de vendre leur huile aux Français qui supportaient mal la concurrence des courtiers
Alladian. Les principales maisons de commerce établies à Dabou font entre 1854 et 1857 faillites
et ferment leurs factoreries de Dabou. Dans la 2è moitié de l'année 1853, la maisons Régis faisait
l
soixante quinze barriques en cinq jours et la maison Isnard une barrique en 1857 (1). Les
populations Odzukru protestent contre la diminution des prix décidée par le commandant du
poste sans les avoir consultés.
Les Dibrim Egn, fidèles alliés des Français refusent de vendre leur huile à la factorerie à
quarante cinq manilles le Krou. Ils vendent leur production aux courtiers Alladian au
débarcadère de Kpass en contournant le block blockhaus. Les transactions se font souvent la nuit
au moment où les soldats sont au repos. Les Alladian offrent dans les débarcadères en 1854
soixante manilles pour le Krou au lieu de quarante cinq manilles proposées par le commandant
du poste de Dabou pour la même quantité (2).
Les Français, malgré les plaintes des populations africaines continuent à vendre des
produits avariés, médiocres et leurs factoreries sont constamment vides. La seule marchandise
que les populations trouvent en permanence est un tissu de couleur rouge. Ainsi le manque de
produits dans les factoreries
------------------------..._-------------------------------------------...----------------------------------------------------
1 - AN.S: section AOF série 5G30 P. 8
2 - AN.S: section AOF série 5G31 P.12
3]4
oblige les Odzukru à continuer à échanger avec les navires anglais par l'intermédiaire des
courtiers Al1adian. Cela constitue un frein au développement du commerce français dans le
bassin occidental de l'Ebrié.
«D'abord, je crois réellement que la factorerie ne fait pas les concession qu'elle devait
.
,
faire et ensuite qu'el1e débite des marchandises avariées ou fraudées. Déjà plusieurs fois, les gens
de Debrimou m'avaient dit devant les agents eux-mêmes que la poudre était en poussière et qu'ils
n'en voulaient plus acheter (l »>.
C'est ce que note en 1856 le commandant du poste de Dabou dans un rapport adressé au
commandant de la station navale sur la situation commerciale de la France dans l'Ebrié.
Le commerce français dans le bassin occidental de l'Ebrié devient dès 1854 presque nul.
La cause principale qui engendre la baisse continue du commerce français est les différentes
guerres entre les soldats français et les populations africaines. Les guerres dans la région de
l'Ebrié Nord sont toujours suivies d'un arrêt partiel de la production et du refus des populations
de commercer avec les traitants français. Les guerriers de la rive Nord sont aussi les principaux
grimpeurs. Une campagne militaire était toujours suivie d'un long temps de repos (2). Les
courtiers Alladian profitaient alors des erreurs des commandants du poste de Dabou pour
contrôler toute la production d'huile de palme de l'Ebrié occidental. Le commandant Durban note
dans un de ses rapports au commandant de la station navale de Gorée en 1854 ceci:
L
«Les affaires commerciales ne sont pas bril1antes. Il ne se traite que peu d'huile dans le
haut de la lagune Ebrié et à Dabou. Voilà la conséquence d'une guerre longue et acharnée. La
paix se fait bien vite mais la confiance est longue à renaître etc ...» (3).
Pour protester contre les guerres et les amendes qui leur sont infligées les populations
s'abstiennent de vendre leurs produits aux traitants Français qui passent des mois sans acheter
une seule barrique d'huile. Or avant les conflits, il se tenait à Dabou toutes les semaines un
marché où les traitants Français réussissaient à acheter trente cinq à quarante barriques en deux
ou trois jours (4).
1 - A.N.S: section AOF série 5G29 P.8
2 - AN.S: section AOF série 5G28 P.12
3 - A.N.S: section AOF série 5G29 P.6
4 - AN.S: section AOF série 5G27 P.8
315
La baisse des activités commerciales engendrée par le premier conflit entre les Oboru et
les Français au cours de l'année 1854 entraîne la fermeture de la factorerie Régis à Dabou.
Pendant la saison commerciale de 1854, la factorerie Régis de Dabou ne parvient à traiter qu'une
douzaine de barriques, or la saison dure cinq mois. Elle commence en Novembre et prend fin en
Mars. mais en période de sécheresse, la saison commerciale s'entend jusqu'à huit mois (1). Ce
~.
sont avec les précipitations qui tombent sur le littoral en Avril que prend fin le temps de la
production d'huile de palme et les activités commerciales.
L'attitude des agents de la factorerie Régis à Dabou sera à l'origine des conflits armés
entre Odzukru et Français. Ces facteurs concevaient mal que les Odzukru aient des échanges
avec les Alladian. Pour eux, tous les échanges des populations africaines devaient se faire avec la
factorerie Régis. C'est pourquoi, les Odzukru, hostiles à cette politique de monopole qui enlève
toute liberté et indépendance au commerce décrètent un ambargo contre la factorerie Régis pour
protester conte le mauvais comportement de ses agents. Aucune barrique d'huile n'est vendue à
cette factorerie malgré l'intervention du commandant du poste de Dabou. Tous les Odzukru,
mêmes les Dibrim Egn, alliés des Français respectent l'embargo décidé contre la factorerie Régis.
L'embagor ne fut levé qu'après la fermeture de la factorerie de Dabou. 'Le départ de Régis
entraîne un léger essor du commerce français dans l'Ebrié. Cette reprise des activités
commerciales françaises dans le Lodzukru est aussi due à une trêve entre les Oboru et les
Français. En effet, les représentants de la classe d'âge au pouvoir chez les Oboru (2) se rendent
L
au poste de Dabou pour négocier la paix avec le commandant du poste et obtenir la libération
d'une femme et d'un enfant, enlevés par les soldats français (3). Les deux otages des Français ne
sont libérés de la prison dans laquelle ils se trouvent qu'après le paiement par les Oboru de cent
quinze (115) krous d'huile de palme (4). Par le jeu des amandes élevées, les autorités françaises
pensent contraindre les Africains à commercer avec les traitants français. Cela ruinerait les
navires anglais qui n'auraient plus d'huile à acheter.
1- Enquête réalisée à OrgbafT le 22 Août 1987 auprès de Mr Bénoît ESSOH LATTE.
2- En 1854, c'étaient les Obodjlu qui dirigeaient la vie politique dans le Lodzukru. Mais le
pouvoir dans le fait était exercé par leurs cadets, les Sètè.
3- A.N.S. : section AOF série 5G27 p.8
4- A.N.S. : section AOF série 5G27 p.8
316,
La présence ou l'arrivée d'un navire anglais dans les eaux territoriales alladian est
annoncée par des coups de canon. Le lendemain, les Oboru font descendre l'huile vers les
débarcadères alladian. Les Français, par le blocus de 1856, tentent d'asphyxier l'économie Oboru
en empêchant la population de commercer avec l'extérieur et les villages riverains de la baie de
se livrer à la pêche, une des principales activités économiques des Odzukru.
A partir de 1854, les Français cherchent à s'imposer aux Odzukru par la politique de la
répression et de la terreur, mais c'est encore un échec. En effet, malgré le blocus de la baie de
Bobor, les Français ne réussissent pas à contraindre les Oboru à signer un traité de paix et à
commercer avec eux. Les Français contribuent plutôt à détruire leur image dans le haut Ebrié et à
créer des climats de tensions dans la région. Pour les populations Odzukru les Français sont
synonymes de barbarie et de servitude. Leur présence dans le Lodzukru entre 1850 et 1870
constitue un frein au développement du commerce. Elle entraîne une récession générale de toutes
les activités commerciales et partant de là de toute l'économie. Les Français sont à l'origine de
leur propre échec dans le Lodzukru.
i : Les causes du désastre commercial Français dans l'Ebrié
Le commerce français dans le Lodzukru de 1854 à 1870 est un véritable échec. malgré la
construction du block blockhaus pour empêcher toute échange entre le Nord et le sud de l'Ebrié
et briser ainsi le courtage alladian, principal fournisseur des navires anglais en produits de traite,
L
surtout l'huile de palme, les Français ne réussissent pas à dominer le trafic commercial de l'Ebrié.
toutes les méthodes et stratégies utilisées par les Français ne donnent que des résultats faibles et
limités.
La méthode diplomatique caractérisée par la signature de traités de paix et d'amitié avec
les villages riverains, suivie quelques années plus tard de l'occupation territoriale et de la
politique de la force caractérisée par les blocus, les bombardements quotidiens des villages en
révolte, les amendes infligées aux populations ainsi que les enlèvements ne permettent pas aux
Français de s'imposer véritablement dans le Lodzukru et de contrôler le trafic commercial de la
région. les contacts permanents initiés par les commandants du poste de Dabou pour instaurer
une amitié avec les traitants de Dibrim et de Tupka afin de créer un climat de paix dans la région
et de bénéficier de la confiance et du soutien des traitants Odzukru se soldent aussi par un échec
à cause de l'inexpérience des responsables français (1).
1- A.N.S. : section AOF série 5G29 P.12
317
Toutes les méthodes initiées, surtout la politique de la terreur par la force des armes, ne
contribuent qu'à isoler les Français en particulier les traitants. Le commerce français n'a jamais
prospéré dans le bassin occidental de l'Ebrié pour plusieurs raisons. Elles peuvent être
regroupées en deux: politiques et économiques.
Les raisons politiques
Les difficultés du commerce français dans le Lodzukru sont d'abord dues au fait que la
direction du poste de Dabou était confiée à de jeunes officiers qui commettaient beaucoup de
maladresses et d'exactions dans leurs rapports avec les africains. Les conseils de prudence
donnés par les différents gouverneurs qui se succèdent à la tête du Sénégal ne sont jamais
observés (1). La prudence et la loyauté étaient les recommandations faites aux commandants de
poste envers les populations africaines. Ils devaient chercher à établir la paix afin de favoriser
l'essor du commerce et n'utiliser le déploiement de la force qu'après une minutieuse enquête (2).
Le recours à la force ne devrait être possible qu'après épuisement de toutes les solutions de paix.
La négociation devrait être plus privilégiée que le recours à la répression. Mais,
les
commandants de poste font abstractions de toutes ces recommandations et n'agissent que selon
leurs sensibilités et leurs humeurs du jour (3). C'est ce que note l'inspecteur de la station navale
de Gorée dans un de ses rapports adressés au Ministre de la Marine.
«Le commandant et la direction des comptoirs sont souvent donnés à de jeunes
lieutenants ou sous-lieutenants qui viennent y faire leur noviciat d'officiers et du service colonial
et sont relevés à l'époque où ils commencent à faire connaissance avec les localités. Ils
conduisent leurs affaires d'après leurs manières de voir. Ils agissent différemment les uns des
autres envers des chefs indigènes, leur supprimant les coutumes ou les frappant d'un impôt
suivant leur bon plaisir»
(4).
Les soldats français dans le Lodzukru, sur ordre du commandant du poste se rendent
coupables d'enlèvements de femmes et d'enfants (5). Ces enlèvements sont considérés par les
populations Odzukru comme une offense, des actes de provocation pouvant conduire à la guerre.
Les rapports entre Français et
1- Sclmapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p.67.
2- ibid.
3- AN.S. : Section AOF série 5031 p.15
4- AN. S. : Section AOF série 5031
5- A.N.S. : Section AOF série 5G27
318
populations africaines sont très tendus. En effet, on dénombre plusieurs oppositions armées entre
Oboru et Français et de nombreux villages sont brûlés au cours de ces guerres par les Français.
La conséquence majeure de toute cette politique basée sur la force est la baisse des activités
commerciales, les conflits entraînent inéluctablement la diminution de la production de l'huile de
palme.
Des sanctions, ailant des amendes infligées aux populations refusant de commercer avec
les français ou coupables de délit de révolte au blocus sont données aux populations africaines.
ML Durban, commandant du poste de Dabou de 1853 à 1856 inflige aux Oboru en 1855, une
amende de cinq cents mesures (krous) d'huile de palme. Mais la sanction n'est pas exécutée par
les Oboru qui refusent de se soumettre aux Français. Toutes les mesures et sanctions ont
constitué un frein au développement du commerce français dans le bassin occidental de l'Ebrié.
Les traitants ont besoin de paix pour faire prospérer leurs activités commerciales. Or, les guerres
ne font entraîner le blocage ou la rupture des approvisionnements en huile de palme. En effet, le
blocus de la baie de Bobor en 1856 entraîne le déclin des maisons de commerce françaises
installées à Dabou. Les populations refusent de vendre leurs huile aux factoreries pour protester
contre le stationnement permanent de la cononnière le "Marigot" à proximité du débarcadère de
Mopoyem. Les Odzukru de la région orientale contournent le blockhaus pour transporter leurs
produits au débarcadère de Kpass où ils sont vendus aux Alladian.
Dans les villages débarcadères, les traitants français, soutenus par les soldats de la station
navale sont à l'origine des nombreuses exactions (1). Les produits tropicaux sont enlevés sans
être payés (2). Parmi les traitants français, certains ont des attitudes provocatrices. Ils affichent
un mépris à l'égard des populations africaines. A travers la signature des traités, les autorités
françaises demandent aux Odzukru de ne plus commercer avec les Alladian. Mais les Odzukru,
très attachés aux principes démocratiques et à la liberté commerciale, refusent d'exécuter leurs
ordres. Les Oboru, malgré les pressions maintiennent leurs échanges commerciaux avec la côte.
Le commerce dans le Lodzukru a toujours été une activité libérale et les Odzukru ont un mépris
pour le monopole commercial.
Les raisons économiques
Les difficultés commerciales françaises dans le Lodzukru résultent du fait que depuis de
longs siècles, les populations Odzukru étaient habituées aux produits anglais,
------------------------------..._----------------------------------------------------------------------------_..._------------
] - A.N.S. : Section AüF série SG27 p.8
2- A.N.S. : Section AüF série SG28 p.l2
3]9
moins cher et de bonnes qualités alors que les produits français étaient de mauvaises qualités.
Les traitants français pratiquaient aussi la fraude qui était un acte condamné et interdit dans le
bassin occidental de l'Ebrié, et avaient perdu la confiance de ces populations. Les échanges
commerciaux sur la côte maritime et dans la région septentrionale de l'Ebrié avaient pour base la
confiance et l'honnêteté. Les traitants français vendaient aux populations qui se perdaient à la
factorerie pour les échanges, des fusils rouillés et de la mauvaise poudre à canon (1). Le volume
des échanges entre les Français et les Odzukru était faible, les factoreries manquaient de produits
et étaient constamment vides. Les traitants ne trouvaient jamais ce dont ils avaient besoin (2).
Les traitants Odzukru préféraient commercer avec les Alladian. En effet, ils avaient la
possibilité de faire des choix avec les Alladian qui offraient une variété de produits. Le
commerce français était moins rémunérateur pour les populations. Les traitants français avaient
pensé réaliser malgré la médiocrité de leurs produits des bénéfices énormes aux détriments de la
population Odzukru. Malgré les pressions des autorités du poste de Dabou, les Odzukru s'étaient
abstenus de faire descendre leur huile au block blockhaus parce que le commerce n'est pas une
activité dont la finalité est de faire plaisir à l'autre. C'était la mise au point que fit Bédiatou,
traitant du village de Dibrim dans une correspondance adressée au commandant du poste de
Dabou, le 20 Avril 1856.
«Que veux tu que nous venions faire chez toi? Tu n'as ni rhum ni marchandise et il
nous faut t'apporter ici notre huile. Les Jack-jack viennent la prendre chez nous et nous
fournisseur tous les objets que nous leurs demandons. Juge toi-même la différence (3»>.
Les courtiers Alladian sont depuis de longues dates les créanciers des familles Odzukru.
Les emprunts sont remboursés après la vente de l'huile de palme alors que les maisons de
commerce française refusent tout crédit aux producteurs d'huile de palme Odzukru et Tchaman
(4). Les populations ont acquis des habitudes qui leur étaient difficiles à modifier. Les Odzukru
se sont endettés auprès des coutiers. Cela les oblige à commercer avec les traitants de la côte. Les
courtiers Alladian se sont aussi endettés auprès des capitaines anglais qui détiennent en otage en
Angleterre leurs enfants. Les Alladian qui sont
1- AN.S. : section AOF série 5G31 p.8
2- Ibid p.l3
3- AN.S. : section AOF série 5G29 p.8
4- AN.S. : section AOF série 5G28 p.8
320
préoccupés par le remboursement de leur emprunt ne voient aucune raison qui les obligerait à
laisser le monopole du commerce de l'Ebrié aux Français (1).
Les factoreries françaises refusent d'utiliser les manilles comme monnaie dans les
transactions commerciales. Les Français ont tenté d'imposer aux populations le franc ou de
troquer avec elles.
Les fortes amendes infligées aux populations constituent une entrave aux activités
commerciales. En effet, les populations, par le système des amendes sont dépouillées de toutes
leurs ressources et se retrouvent dans l'impossibilité d'acheter les produits manufacturés.
Pour permettre à la France de s'imposer comme la seule puissance dans le Lodzukru, de
nombreuses solutions sont proposées. Ainsi, la première solution préconisée est le remplacement
des matériels vétustes du blockhaus. Il est aussi demandé aux autorités de la station navale de
passer de nouveaux traités avec les populations de la région du littoral d'Assinie à Lahou afin de
créer une véritable colonie française homogène et fonder ensuite des sociétés par action pour
donner un nouvel élan au commerce français.
Les autorités françaises, pour traduire toutes les recommandations dans les faits, signent
le 23 Mai 1857 avec les populations de Grand-Lahou un traité qui place la région sous la
souveraineté de la France. Grand-Lahou devient un protectorat français. Cela permet alors à la
France d'occuper territorialement toute la région comprise entre le Cap Lahou et le Cap
Appolonien (2). Sur la côte de l'actuelle Côte d'Ivoire, Grand-Lahou fut le premier port négrier
d'où de nombreux esclaves sont déportés en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Grand-
Lahou était aussi une région riche en or et en huile de palme. Les Français, dans cette région ont
la possibilité de commercer ou de recevoir les produits de l'intérieur par le fleuve Bandama qui
est navigable en toute saison sur une distance de soixante cinq (65) kilomètres. Mais à Grand-
Lahou, les Français sont confrontés à la concurrence des courtiers Avikam. Le commerce de sel
et de poisson avec les populations de l'arrière pays est la principale activité commerciale de la
région. Le débarcadère de Grand-Lahou était le principal débouché des populations Koueni,
Dida et Baulé ElomoE qui l'approvisionnaient en produits tropicaux: huile de palme, ivoire et or
(3).
1- Paul Atger: les Francais en Côte d'Ivoire 50 ans d'hésitations politiques et commerciales
p.152.
2- A.N.S. : Section AOF série 5G30 p.12
3- Paul Atger: les Français en Côte d'Ivoire 50 ans d'hésitations politiques et commerciales
p.142.
321
Toutes les décisions prises dans le but de relancer le commerce français ne seront pas
appliquées parce que les chambres de commerce de France ont supprimé les subventions qu'elles
accordaient aux colonies et demandé à celles-ci de recueillir sur place les ressources nécessaires
pour la confection du budget local. Une commission est alors pour étudier les différentes
possibilités et voies pouvant permettre aux colonies de se prendre en charge. Elle propose alors
une taxe obligatoire de 3 % sur les importations et exportations faites par les navires étrangers en
mouillage devant les villages de la côte de l'or (1). Ainsi, en côte de l'or, les régions où les
Français se sont établis ou signés des traités d'amitié deviennent des semi-colonies (2). Des
postes de douane sont installés sur tout le long de la côte de l'or. Tous les principaux centres
commerciaux du littoral abritent chacun un poste de douane. Les postes de douane reçoivent
pour mission de permettre aux militaires français de recueillir par le biais des taxes, des fonds
afin de se confectionner un budget pour leur sécurité mais aussi empêcher l'entrée des produits
anglais en côte de l'or. Cette nouvelle politique commerciale met en cause la volonté de la France
de favoriser le libre échange dans l'Ebrié et en côte de l'or.
La France, sur la côte et à l'intérieur du pays, possédait trois forts. Les deux premiers
avaient
été construits en 1843 et le troisième dix ans après, c'est-à-dire en 1853. Ces forts
avaient une mission défensive, celle d'assurer la sécurité des ressortissants français en côte de l'or
et empêcher toute occupation de la région par l'Angleterre et garantir la souveraineté de la France
dans les différentes régions. Ils renfermaient chacun trente cinq (35) personnes. Les forts étaient
sous la direction des officiers de marine ou d'infanterie de marine. Ils étaient très jeunes et
dépourvus d'expérience et de prudence nécessaire à l'exercice de leur fonction (3).
Les commandants de poste, dans la recherche de ressources pour l'élaboration du budget
local, infligent arbitrairement aux populations de fortes amendes. Chaque commandant agit selon
son humeur du jour et sa volonté. Aucun texte ne réglemente les sanctions. Les amendes
s'élèvent à 75.000 F mais en cas de conflits armés (guerre) elles peuvent atteindre 300.000 F (4).
------------------------------------------------------------------------.._----------------------------------------...-_..._---
1- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871p.208.
2- A.N.S. : Section AOF série 5G29 p.6
3- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871p.208.
4- A.N.C.!. : série 2EE7 p.8.
322
Le fonctionnement des forts ne connaît aucune difficulté avec la suppression des
subventions. En effet, les sommes recueillies grâce aux amendes permettent de couvrir les
besoins du fort, la subvention allouée au fort Ducos depuis sa création en 1853 ne dépassait
guère 50.000 (1) par an.
La France entreprend aussi des négociations avec l'Angleterre dans le but de lui céder les
comptoirs de la côte de l'or en échange de la Gambie sous contrôle Anglais. En effet, le capitaine
du génie Faidherbe nourrissait le rêve de créer un empire qui réunirait en un seul ensemble les
régions du Sahel en partant du Sénégal. Cette idée de fonder un empire colonial français au Sahel
échoue parce que, malgré la présence des traitants français en Gambie et la prospérité des
régions de Grand-Bassam et d'Assinie, régions riches en or, les anglais refusent de céder la
Gambie car ils n'ont nullement l'intention de s'installer en côte de l'or.
Après le retrait des maisons de commerce Régis et Renard de la côte de l'or et de l'Ebrié
vers la fin des années 1850, de nouvelles maisons de commerce françaises s'installent en côte de
l'or pour réunir là ou leurs prédécesseurs ont échoué. Il s'agit de la maison P. Marchand-Frère et
CH-Huyssens de Dunkerque qui s'établissent à Grand-Bassam en pleine épidémie de fièvre jaune
en 1862 (2) afin de s'occuper du négoce de l'huilede palme.
Les agents de ces différentes maisons de commerce décident de changer les mesures en
vigueur dans la région et réclament 32 à 34 litres pour un "Krou" d'huile au lieu de 28 litres.
Durant les trois années qu'ils passent en côte de l'or, ils ne réussissent à acheter que deux cent
soixante (260) barriques d'huile de palme. Ils font donc faillite et abandonnent Grand-Bassam en
1864. Parmi les traitants d'origine française, seul Verdier échappe à la tempête. En effet, en
1863, Verdier, représentant d'une maison de commerce hollandaise s'installe à Grand-Bassam. Il
s'associe à son frère qui était le représentant de la maison P.V March et Cie de la Rochelle à
Assinie. Les activités commerciales de ces deux frères connaissent la prospérité en Côte d'Ivoire
en 1868. La compagnie commerciale des Verdier demeure la seule survivante de toutes les
maisons commerciales française qui ont cherché, avec de faibles investissements, à faire fortune
en côte de l'or et dans l'Ebrié (4). Les Verdier contrôlent le trafic commercial de la région
d'Alépé d'où descendent d'importantes quantités d'huile de palme.
1- A.N.S. : Section AOF série 5G29 p.l2
2- Schnapper: la politique et le commerce fmnçais dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 159
3- Schnapper p. 205
4- Schnappcr p. 208
323
Ils sont aussi les premiers Français à établir des relations commerciales avec les courtiers
Alladian, qui, depuis la baisse du prix de l'huile de palme sur les marchés d'Angleterre sont en
conflits avec les marchands anglais (1).
Les marchands anglais, dans le souci de réduire les dépenses et dans l'impossibilité de
continuer à faire des crédits comme dans le passé aux courtiers Alladian émettent le souhait de
voir leurs agents traiter directement avec les producteurs d'huile de palme. Mais les courtiers
Alladian refusent tout contact entre Anglais et Odzukru qui ruinerait leur activité. La tension qui
s'ensuit oblige les Alladian à se reprocher des Français et à conclure avec ces derniers de
nouveaux traités de paix et d'amitié (2). Ainsi, pour la première fois, les AIJadian acceptent de
traiter avec les maisons de commerce françaises (3). Les Alladian, en se comportant en
professionnels du négoce se sont rapprochés de la France dans le but de sauver leurs activités. Le
rapprochement ne signifiait pas que les Alladian étaient des agents au service des maisons de
commerce françaises, ils avaient leur liberté et leur indépendance.
De façon générale, toutes les maisons de commerce françaises qui se sont établies en côte
de l'or et dans l'Ebrié entre 1844 et 1863 ont fait faillite parce qu'elles avaient manqué de
capitaux, les produits étaient de mauvaises qualités, avariés et très coûteux et les Africains
n'achetaient chez elles que ce qu'ils ne trouvaient pas chez les courtiers Africains. Les traitants
français qui ignorent toutes les règles du commerce dans le golfe de Guinée cherchent à réaliser
d'importants bénéfices avec de faibles investissements. Toutes les maisons de commerce
françaises vont abandonner la côte de l'or et l'Ebrié occidentale pour cause de faillite sauf la
compagnie Verdier. Mais les garnisons sont maintenues pour matérialiser la présence et
l'occupation territoriale provisoire de la côte de l'or par la France et protéger les traitants Français
qui viendraient traiter dans la région. Ce n'est qu'en 1871, à la suite de la défaite de l'armée
française à Sédan face à l'armée prussienne que la France est obligée d'abandonner pour une
seconde fois la côte de l'or où elle rêvait de créer une colonie (4).
1- Schnapper : c.f P.20G
2- A.N.S. : section AOF série 5G33 P.12
3- Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-1871 P. 208
4- Les Français se sont installés pour la première fois en côte de l'or au XVIlè siècle.
5- Schnapper: la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-1871 P. 253
324
Les autorités françaises, dès 1869, envisagent réduire les dépenses des comptoirs qu'elles.
jugent très élevées, le commerce français dans ces régions étant très peu rentable. La situation
financière de façon générale se révèle précaire avec le début de la guerre franco-prussienne,
guerre qui se termine par la défaite de la France à Sédan en 1870. Face aux difficultés
financières, le gouvernement français ordonne en Novembre 1870 l'évacuation des postes
fortifiés de la côte de l'or (Grand-Bassam, Assinie) et de l'Ebrié (Dabou) sans abandonner,
cependant, la souveraineté de la France sur ces régions. Souveraineté reconnue par les nombreux
traités signés entre 1843 et 1868. L'évacuation de la France de la côte de l'or est partielle. Les
bâtiments français sont loués à deux maisons de commerce : Verdier et Swanzy qui se partagent
en zone d'influence la côte de l'or pour une exploitation rationnelle de la région et éviter toute
concurrence (1).
Pour obliger les différents chefs locaux de la région du littoral à arborer le pavillon
français, les coutumes annuelles des différentes régions sont doublées. Ainsi la coutume annuelle
du roi de Krinjabo Amon Ndouffou qui était de trois mille (3000) francs passe à six mille (6000)
francs. La France, malgré ses difficultés financières a tenu à relever les coutumes afin que la
souveraineté de la France soit toujours reconnue et respectée (2). Cela devrait empêcher les chefs
africains à conclure des traités avec d'autres puissances occidentales car les Français nourrissent
l'idée de revenir en Côte de l'or une fois les problèmes financiers réglés. A travers la hausse des
coutumes, la France invite les autorités africaines à protéger et à garantir la sécurité des traitants
français dans leurs régions respectives. L'évacuation de la côte de l'or commencée en Novembre
1870, ne prend fin que le 24 janvier 1871.
L'échec des français dans l'Ebrié n'affecte pas les activités commerciales de Lodzukru
dont l'essentiel du trafic commercial se fait avec les navires anglais par l'intermédiaire des
courtiers Alladian. Malgré la baisse du prix de l'huile de palme sur les marchés anglais, au cours
des années 1860, suite à l'arrivée sur le marché des huiles minérales et végétales, la production
d'huile de palme continue sa croissance et le commerce dans le Lodzukru se porte mieux. Le
conflit
entre
courtiers
Alladian
et
traitants
Anglais
n'eut
qu'un
léger
incident
sur
l'approvisionnement de Lodzukru en produits manufacturés. Le départ des Français de Dabou en
janvier 1871 est accueilli avec soulagement par les populations Odzukru surtout Oboru qui de
---------------------------------------------------------------------------------------------.------------------------------
1 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 P. 253
2 ~ Schnapper : P. 253
325
1852 à1867 s'étaient opposés farouchement à toute tentative française de faire main-base sur le
Lodzukru et son huile de palme.
Le traité signé en 1866 entre le lieutenant Noël, commandant du comptoir de Grand-
Bassam représentant la France et les délégués de la classe d'âge des Sétè représentant toute la
tribu des Oboru, n'est pour ces derniers qu'un repli tactique afin d'instaurer dans la région la paix,
favoriser les échanges avec le monde alladian et surtout s'organiser en vue de mieux se défendre
contre les Français car les Oboru ne sont pas prêts à céder une parcelle de leur territoire à la
France. Le commandant du comptoir de Grand-Bassam avait réussi à brûler pour la première
fois le village de Bobor, capital de la tribu des Oboru et de la confédération de Bobor grâce au
soutien des Dibrim Egn qui avaient servi de guides aux troupes françaises. Bobor était le
symbole de l'indépendance de Lodzukru. C'est pourquoi il s'est refusé à se placer sous la
souveraineté de la France afin de préserver l'indépendance
de tout le Lodzukru. C'est par
surprise et de nuit que Noël et sa troupe, aidés de guerriers Dibrim Egn, infligent à Bobor sa
première défaite (1). Les Dibrim Egn, dans une correspondance, avaient informé le commandant
de Grand-Bassam que les Oboru ne déposeraient les armes que si le village de Bobor est détruit
(2). Le commerce de l'huile de palme a amené la prospérité dans la région odzukru et surtout
dans les villages-débarcadères dont Tukpa et Dibrim.
j : Essor des villages de Tukpa et Dibrim
Le pays Odzukru, principal centre de production de l'huile de palme connaît aux XJXè
siècle une véritable prospérité. Le commerce de l'huile de palme entraîne l'enrichissement de la
population Odzukru et favorise le développement des villages-débarcadères de Tukpa et de
Dibrim en particulier. Les populations de ces deux villages produisaient l'huile de palme, mais la
particularité était que parmi elles, certaines personnes s'étaient intéressées à l'activité de
commerçant et jouaient le rôle d'intermédiaire entre l'intérieur du pays odzukru et les courtiers
de la côte maritime. Les populations des villages de Dibrim et de Tukpa contrôlent aussi les
marchés d'huile de palme de Dabuatchi et de Tukpa qui sont les principaux débouchés des
villages de l'intérieur (3)
1 - A. N. S : Section AOF Série 5G29 P.
2 - A. N. S : Section AOF Série 5G29 P. 12
3 - A. N. S : Section AOF Série 5G29 P. 8
326
Les Dibrimsjn , situés dans la partie orientale de Lodzukru à six kilomètres de la côte de
la lagune Ebrié sont les seuls à commercer avec les Alladian. Ils reçoivent pendant la saison
commerciale, presque toutes les semaines, des caravanes d'huile de palme en provenance des
tribus orientales: OrgbafTu, Olokpu, Aklodzu et Dibrim Egn. Les traitants Dibrim Egn prélèvent
sur chaque barrique vendue note ESSOH
LATTE Bénoît (1), une commission de huit (8)
manilles. Ils refusent aussi tout contact
entre les populations de l'intérieur et les courtiers
Alladian. Les traitants Dibrim Egn revendent aux populations de l'intérieur note AI Sylvestre (2),
les marchandises européennes à des prix exorbitants. Cette situation oblige souvent les Olopku
et les Orgbaffu à aller vendre leurs produits au débarcadère de Mopoyem. Le refus des Dibrim
Egn de permettre le contact entre les Odzukru de l'intérieur et les courtiers Alladian amène les
Aklodzu dans la 2e moitié du XIXè siècle à créer deux débarcadères sur la rive gauche de la
rivière Aebi. Le plus important de ces deux débarcadères était Boboî-Nanu à l'embouchure de la
rivière Aebi. Les courtiers Alladians'y rendent une fois par semaine pour les trafics.
Le débarcadère de Tukpa reçoit quant à lui les produits des tribus Eusru et Oboru. Les
populations des villages-débarcadères ne pratiquent pas tous le métier de courtier ou de
revendeur. Le courtage n'est exercé que par quelques personnes riches qui jouent aussi le rôle de
"banquier" dans la tribu. Les traitants Odzukru sont pour la plupart amis aux courtiers Alladian
qui leur accordent d'importants crédits faits de marchandises européennes et de sel (3).
Tukpa et Dibrim deviennent donc grâce
à leur situation géographique favorable et à
l'esprit d'entreprenariat de leurs populations de véritables "villages commerçants" de Lodzukru.
L'huile est stockée dans les cases qui servent d'entrepôt. Elle est ensuite vendue aux courtiers
Alladian. Les échanges ont lieu dans les villages et non aux débarcadères. C'est lorsqu'au niveau
du prix d'achat les deux parties parviennent à un accord que l'huile est alors transportée au
débarcadère.
Parmi les débarcadères de Lodzukru, celui de Tukpa connaît une plus forte activité
économique. En effet, le débarcadère de Tukpa est le plus fréquenté de tous. Plusieurs raisons
expliquent la prépondérance de Tukpa. Pendant la guerre de "l'huile de palme" entre les Oboru et
les soldats français,
----------------------------------------------------------------------------------------------------_.._--------------------
1 - Enquête réalisée à Orgbaff auprès de Mr Bénoit ESSOH LATlE le 12 Août 1984
2 - Enquête réalisée auprès de Mr Sylvestre AI à OrgbafTle 28 Décembre 1983.
3 - A. N. C. 1 : série lEEI22/2 P.6
327
Les Tukpa Egn , membres de la tribu des Oburu se sont désolidarisés de l'ensemble des Oboru.
lis ont refusé de prendre les armes contre les Français afin de protéger les échanges de la région.
Au cours de cette période de tensions, le débarcadère de Mopoyem connaît une baisse des
activités commerciales et est peu fréquenté par les courtiers d'abord pour l'insécurité qui y règne
et ensuite le refus des Français de voir s'opérer des échanges entre les Oboru et le reste du
monde. Les Français entre 1854 et 1856, décident un blocus dans la baie de Bobor pour
empêcher toutes transactions commerciales entre les Aliadian et les Oboru et obliger ainsi ces
derniers à négocier un traité de paix et d'amitié et reconnaître la souveraineté de la France sur
leur territoire.
Le débarcadère Dabuatchi est également peu fréquenté par les courtiers Alladian. En
effet, avant l'établissement du block blockhaus et du déclenchement de la guerre, il se tenait à
Dabou toutes les semaines un marché où les traitants réussissent à acheter au moins quatre vingt
(80) à cent (100) barriques d'huile de palme. Mais depuis la construction du fort Ducos de Dabou
qui fut à l'origine des guerres dans le Lodzukru, le commerce
à Dabou et surtout à Dibrim
connaît une chute. Les tribus Orgbaffu, Olokpu et Aklodzu, par solidarité refusent de faire
descendre leur huile à Dabuatchi ou à Dibrim. Ils protestent ainsi contre les mauvais pratiqués
par les agents des factoreries et contre le désir de la France de placer le Lodzukru sous sa tutelle.
Les traitants Alladian refusent de se rendre à Mopoyem par peur de représailles des
marins (1). A Mopoyem et à Dabou c'est la récession au niveau commercial. Durant toute cette
longue période de crise, les productions d'huile de palme de Lodzukru occidental et oriental sont
transportées à Tukpa dont le débarcadère est plus fréquenté par les courtiers Alladian et les
navires de commerce français. La guerre de l'huile de palme entraîne une hausse des prix. La
demande étant devenue plus forte que l'offre. Tukpa devient alors le principal marché visité et
animé par les traitants. Ainsi toutes les semaines, pendant les saisons commerciales, les traitants
réussissent à acheter au moins deux à trois cents barriques d'huile de palme. Les Tukpa Egn
commercent à la fois avec les traitants français et les courtiers Alladian. Les navires marchands
stationnent pendant au moins un mois à Tukpda (2) . Cette présence longue dans les eaux
territoriales de Tukpa leur permet d'acheter d'importantes quantité d'huile de palme.
1 - A. N. S: Section AOF série 5G28 P. 9
2 - A. N. S: Section AOF série 5G28 P. 10
328
La prospérité de Tukpa avait suscité de la part des Français un intérêt particulier. En
effet, ils projettent même le transfert des factoreries Régis et Isnard à Tukpa et la construction
d'un block blockhaus dans la région (1). Malgré la guerre de l'huile de palme entre Oboru et
Français, la production d'huile de palme de Lodzukru est toujours croissante.
Chaque année, plus de sept à huit mille barriques d'huile de palme sont transportées des
débarcadères Odzukru vers les plages AIJadian et vers Grand-Bassam (2) . Mais plus de 2/3 de
la production Odzukru sont exportées vers le pays Alladian où mouillent les navires alladian.
Le commerce dans la baie de Tukpa est très florissant. Ce qui fait de Tukpa le premier
centre commercial de Lodzukru avant la colonisation. Dès lors, on dénombre dans le village de
Tukpa un grand nombre de riches traitants dont l'un des plus célèbres se nomme Yansué qui
signe le 10 Octobre 1850 au nom de Tukpa un traité de paix et d'amitié avec la France. Ce traité
qui est le premier conclu entre un village Odzukru et la France place le village de Tukpa sous la
souveraineté de la France et accorde aux traitants français le droit de commercer dans cette zone
qui est le principal entrepôt d'huile de palme de Lodzukru.
Dès cette période les populations de Tukpa , compte tenu du poids économique de leur
village et surtout de son rôle premier dans le commerce de l'huile de palme, manifestent leur
indépendance vis à vis de Bobor. Elles refusent de répondre à l'appel lancer par toute la tribu des
Oboru invitant ses membres à cesser tout échange commercial avec les Français. Les velléités
d'indépendance manifestes des Tukpasjn sera à l'origine de la guerre entre Bobor et Tukpa, en
1850 (3). Cette guerre entraîne la baisse des activités commerciales dans le débarcadère de
Tukpa principal marché d'huile de palme du bassin occidental de l'Ebrié et surtout du haut Ebrié
avant la colonisation de la Côte d'Ivoire par la France.
Les débarcadères de Dabou et de Cosr sont moins florissants que Tukpa. A Cosr sont
exportés vers Grand-Bassam et les débarcadères alladian près de mille cinq cents barriques
d'huile par an (4). Quant à Mopoyem, jusqu'en 1870, il restera le moins fonctionnel à cause du
blocus de 1854 - 1856 et des guerres incessantes entre les marins Français et les Oboru.
1 - A. N. S : Section AOF série 5G27 P. 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G29 P. ] 2
3 - A. N. S : Section AOF série 5G29 P. 12
4 - A. N. S : Section AOF série 5G29 P. ]2
329
Les exportations du seul débarcadère de Tukpa sont estimées vers 1864 à près de huit cents mille
(800. 000) francs (1). Le
premier fournisseur de Tukpa est la tribu des Eusru. Les recettes
d'exportation de l'ensemble des débarcadères de Lodzukru sont évaluées à près d'un million cinq
cents mille francs (1. 500. 000 F) (3).
Le commerce dans le Lodzukru connaît un souille nouveau à partir de 1860. En effet,
plusieurs faits favorisent le développement du trafic commercial du pays Odzukru. D'abord, il
s'agit de la trêve de la guerre de l'huile de palme entre Oboru et français. Cette guerre qui avait
duré près de dix (10) ans sera suivie deux ans plus tard c'est-à-dire en 1866 de la signature du
premier traité entre Oboru et les Français, traité qui place théoriquement la tribu Oboru sous la
souveraineté française. Le second fait est, en 1868, la signature en Europe, par Napoléon, du
traité libre échangiste autorisant les navires étrangers à commercer dans les ports français. Les
dispositions de ce traité mettant fin au régime de l'exclusifs commercial ou au monopole sont
applicables aux comptoirs français du golfe de Guinée. Elles permettent alors aux commerçants
étrangers de s'installer en Côte de l'or et d'y fonder des factoreries (4). C'est le cas de la factorerie
Swanzy, une maison anglaise qui, très habilement réussit à monopoliser c'est-à-dire à contrôler le
trafic commercial de la côte de l'or. C'est avec la même habilité que Swanzy implante des sous-
factoreries dans la région Ouest de l'Ebrié.
Dans le but de lutter efficacement contre les courtiers africains de la côte maritime,
Swanzy fonde tout le long du littoral et dans les grands centres économiques du haut Ebrié des
sous-factoreries. Ainsi en 1872, elle installe une sous-factorerie à Tukpa. La maison Sawanzy
envoie régulièrement ses navires à vapeurs dans l'Ebrié. Elle réussit de façon très habile à gagner
la sympathie des différentes populations en leur offrant des présents c'est-à-dire des cadeaux (5).
La prospérité de Lodzukru s'est traduite par une forte thésaurisation des manilles et par la
construction de belles maisons. L'enrichissement de la population, l'existence de matières
premières
(huile
de
palme,
palmiste)
et
l'existence
des
débarcadères
permettant
la
communication avec l'extérieur avaient
-----------------......_----_.._-----..------------------------------------------------------------------------------------------
1 - A. N. S : Section AOF Série 5G28 P. 12
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (7) P. 12
3 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (7)
4 - A. N. S. : Section AOF 5G33 P. 2
5 - Paul Atger: la France en C. 1 50 ans d'hésitations politiques et commerciales P. 162.
330
favorisé la naissance d'une véritable couche de traitants Odzukru qUI se charge d'animer les
échanges commerciaux dans le Lodzukru.
k: Naissance d'une couche de traitants Odzukru
Les activités commerciales dans le Lodzukru n'avaient pas débuté avec la traite de l'huile
de palme. Les Odzukru, depuis leur instal1ation au XYè siècle sur le territoire qu'ils occupent
aujourd'hui, avaient réussi à développer un échange Inter-villages, échanges limités uniquement
aux produits agricole. Le volume des échanges au cours de cette période était très faible car il
intéressait une faible population.
Les échanges commerciaux de Lodzukru très limités au cours des XYè et XYè siècles
connaissent aux XYIIè et XYITlè siècles, sous la direction de leurs voisins du sud, les Alladian,
un léger développement. Par l'intermédiaire des courtiers Alladian, les Odzukru participent au
commerce international d'abord au XYllè siècle avec la traite de l'ivoire et au XYIIIè siècle avec
la traite négrière. A cette dernière traite, la participation de Lodzukru est passive. Durant ces
périodes, l'essentiel des échanges commerciaux de Lodzukru se fait avec le monde Alladian qui
reste de loin son premier client et son premier fournisseur en marchandises européennes et en
sel. Le commerce entre ces deux régions est dominé par l'huile de palme et le sel.
Les Alladian qui depuis la 2e moitié du XVIIè siècle font du commerce, l'une de leurs
principales sources de revenu ont, dans le Lodzukru, des fournisseurs qui jouent le rôle
d'intermédiaires. Ces derniers se chargent de recueil1ir ou de "collecter" l'huile apportée par les
populations de l'intérieur du pays. Mais, dans le Lodzukru, les activités commerciales avec la
traite de l'huile de palme étaient dominées par les marchandes de poisson qui parcouraient les
différentes régions de l'Ebrié pour vendre aux populations leurs marchandises.
L'activité première des Odzukru demeure l'agriculture et l'industrie de l'huile de palme.
Les
productions agricoles importantes, vers la fin du XVIIIè siècle, favorisent l'établissement
d'échanges modernes entre le Lodzukru et le pays alladian. Le système de change est dominé par
le troc. Le sel obtenu grâce au commerce avec les Alladian permet aux Odzukru d'établir des
relations commerciales avec les populations de sud et surtout avec les Abidji et les Abê. Ainsi
grâce aux échanges avec les régions du sud et du Nord, les Odzukru réussissent à combler leurs
besoins en produits manufacturés.
La couche de traitants Odzukru n'était pas apparue au XIXè siècle, mais, c'est au cours de
cette période qu'elle émerge grâce au commerce de l'huile de palme. Déjà, dans le 2è moitié du
XVIIè siècle, les Odzukru sont en contacts commerciaux avec tous leurs voisins du Nord et du
sud. Les échanges commerciaux favorisent alors apparition d'une couche de traitants qui est
chargée de servir d'intermédiaires entre les Odzukru et leurs voisins.
33]
L'avènement de la traite de l'huile de palme qui remplace le commerce des noirs accentue
les relations commerciales entre la côte et le Lodzukru principal producteur de l'huile palme. Le
Lodzukru, sollicité dès la 3è décennie du XIXè siècle, par les Alladian devient l'épicentre du
commerce de l'huile de palme. Le développement des échanges entre le Lodzukru et le pays
Alladian et l'intérêt que l'Europe apporte à l'huile de palme entraînent l'avènement d'une race de
traitants dans les villages-débarcadères.
Ces traitants du XIXè siècle se spécialisent dans le
commerce de l'huile de palme. Ils sont autonomes et ne dépendent pas des courtiers de la côtes.
Les traitants Odzukru exercent une double activité. Ils pratiquent à la fois l'agriculture et
le commerce. L'avènement des courtiers dans le Lodzukru fut de toujours l'oeuvre des courtiers
Alladian qui avaient besoin d'intermédiaires Odzukru pour prendre contact avec les producteurs
et collecter les produits. Les courtiers Alladian qui ne peuvent pas se rendre dans les
campements pour prendre contact avec les producteurs d'huile de palme avaient besoin
. d'intermédiaires. C'est pourquoi ils suscitent parmi les populations des villages-débarcadères des
vocations. Mais l'exercice du métier de métier de traitants exigeait une fortune au préalable. Or,
au cours de cette période, note AI Sylvestre, parmi la population Odzukru, peu de personnes
avaient les moyens
nécessaires pour s'adonner aux échanges commerciaux (1). En effet, au
cours des siècles qui précédèrent la traite de l'huile de palme, les activités économiques n'avaient
pas eu comme finalité la recherche d'une accumulation en vue d'une amélioration et d'un
élargissement des activités commerciales. Les activités économiques reposaient essentiellement
sur la satisfaction des besoins quotidiens du lignage et de la communauté. Malgré les échanges
avec le Nord au XVIIIè siècle, les Odzukru disposaient de peu de ressources pour faire du
commerce l'une de leurs principales activités économiques.
Les premiers traitants Odzukru sont des personnes ayant des liens de parenté et d'amitié
avec les courtiers Alladian. Ce sont ces derniers qui acceptent de consentir aux traitants
1 - Enquête réalisé à Orgbaff le 22 juillet 1984 auprès de Mc Sylvestre AFF!.
332
Odzukru, le crédit nécessaire pour constituer le capital de départ (l).
Le commerce dans le Lodzukru n'est pas réservé à une élite ou à une classe dirigeante
quelconque. Tous
les hommes et femmes qui acceptent le risque sont libres d'exercer les
l,
activités commerciales. Entre le XVUlè siècle et le début du XIXè siècle, peu d'odzukru
s'intéressent au commerce. Mais à partir du XIXè siècle, on assiste à une éclosion de traitants.
Toutes les personnes, qui dans les centres d'échanges réussissent à faire une accumulation se
lancent dans le commerce pour faire fructifier leurs fortunes. Mais, parmi les traitants Odzukru
certains seront célèbres. Ils jouent un rôle politique de premier plan. Ils assurent des fonctions
politiques et administratives et sont les premiers interlocuteurs des Européens. Ils s'agit du côté
de Dibrim de ADOU Sess, Bédiakou, Adjessi, Afo, THIAM Mel et Kétékrè. Du côté de Bobor,
nous avons Youssess et Lath. Youssess domine pendant longtemps la vie politique de la tribu
Oboru. Enfin à Tukpa Matafoué et Niansué. Dans la 2e moitié du XIXè siècle, les courtiers
Odzukru devenu s très riches se comportent en vrais professionnels. Grâce à leur courage et à
leur abnégation, les traitants odzukru réussissent à monopoliser les rôles de courtiers entre les
compatriotes, les Alladian et les Français. Ils sont très riches et disposent d'une importante main-
d'oeuvre composée d'esclave ct de descendants. Ils possèdent des entrepôts dans lesquels sont
conservés les produits.
Les courtiers Odzukru habitent dans des maisons confortables et sont les principaux
fournisseurs des Alladian et des Français en huile de palme. Les traitants Odzukru sont souvent
des chefs de lignage. Leurs fortune se composent d'esclaves, de manilles, de bijoux et de poudre
en or et de cotonnades (pagnes). Mais parmi ces traitants, nombreux sont ceux qui se sont
endettés auprès des courtiers Atladian (1) qui, à l'ouverture de chaque nouvelle campagne,
accordent des crédits aux intermédiaires Odzukru.
Les traitants Odzukru tiennent éloignés les producteurs d'huile de palme de l'intérieur
pour éviter tout contact direct entre tes producteurs et tes courtiers Alladian ou Français, afin de
maintenir et protéger leur rôle d'intermédiaire, activités qui tes rendaient indispensables dans les
échanges entre l'intérieur et la côte. Cette activité leur procure d'importants bénéfices avec les
commissions prélevées sur les barriques vendues(l). Ils influencent la vie politique de Lodzukru
et sont en cas de conflits armés, les premiers à imposer aux villages
1 - Sur chaque barrique d'huile vendue, les courtiers Odzukru prélevaient une commission de 8
manilles.
333
belligérants le cesser le feu, surtout lorsque les conflits ont des incidents directs sur les activités
commerciales.
C'est ce qut ressort d'une correspondance du chef de poste de Grand-Bassam au
gouverneur du Sénégal.
« Je me rendis le 8 à Tupka, mais je n'avais pas la chance de trouver les principaux
chefs. Ils étaient partis depuis deux jours pour arranger un différend entre deux villages de
l'intérieur. Le village le plus éloigné du poste apportant ordinairement son huile à Tukpa. Il est
en guerre contre un village intermédiaire, celui-ci l'empêche naturellement de
passer. Les
traitants de Tupka, voyant diminuer leurs bénéfices sont allés avec les principaux chefs palabrer
et arranger cette affaire. Cela durera pense-t-il vingt cinq jours (1).
Dans la plupart des villages débarcadères, sous la colonisation française, les fonctions
politiques et administratives 'sont assumées par les plus influents des traitants qui ont de très bon
rapports avec les différents commandants de poste de Dabou. Les premiers chefs de village dans
le Lodzukru seront désignés parmi les traitants. C'est le cas de Youssess à Bobor, ADOU Sess,
Bédiakou, Adjessi et Kètèkrè à Dibrim et Matafoué à Tupk. Ainsi, grâce au soutien de
l'administration coloniale et à leur puissance économique, les traitants Odzukru s'imposent aux
populations de leurs villages et animent la vie politique.
Les traitants Odzukru évitent dans leurs relations avec les Français de se laisser
influencer par les responsables des comptoirs. Le début de toute nouvelle campagne de l'huile est
précédée à Dabou par de longues journées de négociations entre les traitants Odzukru et les
responsables des factoreries installer dans le Lodzukru dans le but de parvenir à un accord
permettant la fixation de nouveaux prix (2). Lorsque les deux parties ne parviennent pas à un
accord, le trafic commercial avec les factoreries françaises et étrangères installées dans le
Lodzukru surtout à Dabou est gelé. Les traitants interdisent alors la vent de l'huile de palme aux
maisons de commerce jusqu'à ce que les prix soient relevés; Les odzukru empêchent tout trafic
avec les Européens lorsque les prix sont moins rémunérateurs parce qu'ils ont la possibilité de
vendre l'huile aux courtiers Alladian qui leur offrent des prix très avantageux (3).
1 - A. N. S : Fonds Ex AOF: série Microfilm 5G29
2 - A. N. C. 1 : série lEE 122/2 P. 12
3 - A. N. S : Section AOF série 5G29 P. 8
334
L'indépendance et
la facilité
de
mouvement
des
traitants
Odzukru obligent les
responsables du comptoir de Grand-Bassam à utiliser la force pour contraindre les intermédiaires
Odzukru à commercer avec les factoreries françaises. Ainsi les bâtiments de guerre français tels
le "Diamant" et le "Marigot" sont présents ou sillonnent la lagune Ebrié pour empêcher toute
transaction commerciale entre les pays odzukru et Alladian. Le but recherché par les Français,
c'est de briser l'élan des courtiers odzukru et ensuite d'asphyxier le ,commerce entre les Alladian
et les Anglais (1). Mais les échanges entre odzukru et Alladian, se font la nuit, loin de portée des
canons des bâtiments de guerre. Les traitants utilisent des torches et des pirogues pour
transporter les barriques d'huile de palme des débarcadères odzukru vers les débarcadères
alladian.
Les traitants Odzukru seront donc les moteurs du développement commercial de
Lodzukru. En quelques années, ils apprennent à connaître à la fois la joie et le désespoir du dur
métier de négoce. Mais, comparés aux courtiers Alladian, ils ont encore du chemin à faire. Tout
le trafic commercial de la région occidentale de l'Ebrié est dominé par les courtiers Alladian,
pour lesquels le courtage est une profession.
1: Suprématie des traitants Alladian
la croissance de la production de l'huile de palme dans le Lodzukru favorise l'essor des
villages de Emoquah (Jacqueville ou half Jacques) et de Bodo Ladja (Grand Jacques ou Jack-
Jack). Les Alladian, qui depuis la 2e moitié du XVIIè siècle avaient fait du négoce leur principal
activité économique dominent le trafic commercial de la région des Quaquah. Ils contrôlent le
commerce de tout le bassin occidental de l'Ebrié. Après le commerce du sel qui fut à l'origine de
leur fortune, au XIXè siècle, les courtiers Alladian concentrent leurs efforts sur le négoce de
l'huile de palme. Soutenus par les Odzukru de la partie occidentale, les courtiers Alladian
réussissent, par leur intelligence leur habileté et par leur savoir faire, à faire échec aux traitants
Européens qui avaient fondé sur la rive Nord de l'Ebrié, précisément dans le débarcadère de
Dubuatchi des factoreries.
Malgré la présence constante des canonnières de la marine française dans la lagune Ebrié
afin d'empêcher tout contact entre les populations des rives Nord et du sud, les courtiers Alladian
se rendent une fois par semaine dans les débarcadères de Boboî Nanu, Kpass, Cosr et Tukpa afin
de commercer avec les traitants Odzukru.
l - A. N. S : Section AOF série 5G29 P. 8
335
Pendant les saisons commerciales, les courtiers Alladian font descendre vers les côtes
Alladian plus de six (6.000) barriques d'huile de palme soit 1350 tonnes. La barrique étant
vendue à 250 F sur la côte, ces ventes permettent aux courtiers Alladian de réaliser une recette
d'exportation de 1.500.000 Frs (1). Tous ces revenus sont repartis entre les courtiers rassemblés
en un groupe de dix (l0) familles (2).
Les courtiers Alladian étaient les mieux organisés et les plus riches de la côte orientale.
Ils s'étaient opposés avec acharnement à toute tentative française de détruire leur courtage par la
construction d'un blockhaus dans le Lodzukru. Ils vivaient dans de belles maisons confortables
meublées avec de beaux fauteuils en rotin et de belles glaces (3).
Les commerçants Alladian sont les principaux créanciers des familles et des lignages
Odzukru qui, pour la célébration du rituel d'Agbadzi, pour l'achat d'un boeuf et surtout pour la
célébration des funérailles,
leur empruntent de l'argent en mettant en gage pour une somme
variant entre 1600 à 5000 manilles un de leurs enfants surtout les jeunes filles. Lorsque l'emprunt
est remboursé, la jeune fille ou le jeune garçon regagne sa famille ou son lignage, mais souvent,
compte tenu des difficultés financières, car ce ne sont pas toutes les familles qui disposent de
palmeraies, l'emprunt n'est pas remboursé et la jeune fille devient alors propriété du riche
marchand Alladian. C'est ce que les Alladian appellent" Aoba yii ui" (4). Les descendants de la
femme mise en gage appartiennent dès lors au riche marchand. Ils acquièrent le même statut
social que les enfants d'une esclave. Les enfants d'une femme mise en gage dans le pays Alladian
n'a pas droit à l'héritage. On rencontre dans les lignages Alladian des segments dont l'aïeule a
une origine Odzukru. Dans nos enquêtes, nous avons rencontré des hommes et des femmes qui
nous ont affirmé l'origine Odzukru de leur arrière-grand-mère ou de leur mère. Les contacts sont
rompus entre descendant des femmes mises en gage et les lignages de leurs mères ou ancêtres se
trouvant dans le Lodzukru.
La vie politique dans le pays Alladian est également dominée par les courtiers. Ce sont
les commerçants qui dans le but de préserver leur courtage, signent avec les Français de
nombreux traités de paix et d'amitié. Le premier traité entre Alladian et
1 - Paul Atger: les fmnçais en C. 1 50 ans d'hésitations politiques et commerciales P. 280
2 - Schnapper : la politique ct le commcrce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 P. 243
3 - A. N. S : Section AOf série 5G30 P. 12
4 - Marc Augé : le rivage AIIadian P. 143
336
Français est conclu en février 1843 (1). Tous les principaux
centres commerciaux du pays
Alladian signent des traités. Toutes les conventions sont réactualisées à partir de 1850 (2). Elles
concèdent, toutes, la pleine souveraineté du pays Alladian à la France et interdisent tout trafic
commercial d'abord entre les Alladian et les Odzukru Oboru. En effet les Oboru, depuis la
signature du premier traité en octobre 1850 entre Tukpa et la France, s'étaient opposés au
contrôle de Lodzukru par la France. C'est pourquoi, dès cette période, ils se rebellent.
Mais, le courtage Al1adian va connaître quelques difficultés au cours des années 1860 avec la
baisse des prix. Il est ébranlé avec l'arrivée sur le marché de Londres et de Liverpool des Juifs
originaires de la Russie et par les agents de la factorerie Swanzy installée à Grand-Bassam. Les
agents de la factorerie Swanzy profitent du manque de produits manufacturés chez les Alladian
pour conquérir toutes les régions restées fidèles aux transactions commerciales avec les Alladian.
Les courtiers Alladian , malgré les difficultés des années 1860 - 1870, pratiquent le commerce
avec adresse et intelligence. Ils sont à l'origine du développement économique de la plupart des
régions situées sur la rive Nord de l'Ebrié. Ils offrent aux producteurs d'huile de palme Tchaman
et Odzukru des prix très rémunérateurs par rapport aux Français. Ils achètent le Krou d'huile sur
les marchés de Dabou, Tukpa, Mopoyem et Coss à soixante (60) manilles alors que pour la
même mesure les Français en offraient quarante cinq (45) manilles (3).
L'essor économique des populations Alladian et puis Odzukru n'est possible que grâce
aux meilleurs prix pratiqués depuis le début de la traite en 1830.
11 Les prix de l'huile de palme
Avant l'introduction des manilles sur la côte en 1854 par les Anglais, les échanges
commerciaux dans le bassin occidental de l'Ebrié étaient à base de troc. Les produits comme l'or,
l'ivoire et les esclaves étaient échangés contre le sel et les produits manufacturés européens.
Contrairement aux autres produits, pour l'huile de palme, les échanges se faisaient à base du
Krou qui est l'étalon de mesure. Le Krou d'huile de palme sur les marchés Odzukru était vendu
en 1852 à 60 manilles et la barrique à 450 manilles. Ces prix proposés par les courtiers Al1adian
seront à l'origine du développement des échanges.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------.._---------
1 - Marc Augé : Le rivage A11adian P. 42
2 - A. N. S : Section AOF série 5G32 P. 8
3 - A. N. S : Section AOF série 5G29.
337
commerciaux dans la région. Ils constituaient l'élément incitateur à une forte production. Ainsi à
partir de 1852, la région occidentale de l'Ebrié en général et le Lodzukru en particu1ier connaîtra
une forte production d'huile de palme.
Les prix deviennent aussi pendant la traite de l'huile de palme un élément de compétition.
En effet à partir de 1850, le Lodzukru sera exploré par les Français qui manifesteront ensuite leur
volonté de contrôler le trafic commercial entre le Lodzukru et le pays Alladian et drainer ainsi
toute la production de l'huile de palme du bassin occidental de l'Ebrié vers le comptoir de Grand-
Bassam. C'est pourquoi en 1853, ils construisent à Dabou un blockhaus mais les prix pratiqués
par les maisons de commerce françaises dans le Lodzukru soit quarante cinq (45) manilles le
Krou d'huile sont nettement inférieur à ceux proposés par les Alladian. La fixation des prix de
l'huile de palme à Dabou faisait, au début de chaque nouvelle campagne, l'objet de plusieurs
journées de négociations entre les traitants üdzukru de Dibrim et les responsables du poste de
Dabou (1).
L'échec du commerce français à Dabou est donc lié à une mauvaise politique de prix et à
la mauvaise qualité des produits français. Grâce aux meilleurs prix offerts aux paysans et à la
bonne qualité des produits anglais, les traitants alladian réussissent à s'imposer dans le Lodzukru
aux traitants français.
L'arrivée sur le marché européen des juifs en provenance de la Russie et plus tard la
découverte du pétrole et de son utilisation dans l'éclairage public entraînent pour quelques années
l'effondrement des cours de l'huile de palme. Les premières chutes interviennent en 1856, mais
très vite, l'utilisation diversifiée de l'huile de palme dans l'industrie cosmétique et de la
fabrication de l'huile de graissage provoque la remontée des prix. Ainsi, les prix du Krou d'huile
descendu jusqu'à quarante (40) manilles en 1856, remonte en 1860 à soixante (60) manilles.
Mais la chute des prix n'affecte nullement la production. Au contraire, elle favorise
J'augmentation de la production afin de compenser les pertes en dévises. Mais après 1870, la
fixation des prix de l'huile de palme se fait dans une véritable anarchie. L'instabilité des prix
devient plus prononcée avec le troisième retour des français en Côte d'Ivoire (2) . Auparavant les
factoreries françaises installées à Dabou , avant leur départ de Lodzukru avaient suggéré au
commandant du comptoir de Grand-Bassam le retour au système de troc (3), système qui
1 - Les Alladian offraient aux paysans de la rive Nord 60 manilles pour le Krou d'huile de palme.
2 - Paul Atger: les Français en C. 1 : 50 ans d'hésitations politiques et commerciales P. 152
3 - A. N. S : Section AOF série 5G29.
338
serait profitable à leur commerce. Dans l'esprit des responsables des maisons de commerce, le
troc devrait favoriser une meilleure exploitation des "naturels" üdzukru parceque les produits
avariés, de mauvaise qualité seraient échangés contre d'importantes quantités d'huile de palme.
Ceci permettrait à ces maisons de commerce de réaliser d'importants bénéfices surtout que sur le
marché de Marseille, l'huile de palme était vendue à 1.100 F la tonne (1).
m) Les animateurs de la traite
Le commerce de l'huile de palme dans le Lodzukru était animé à la fois par les coutiers
Alladian et par les facteurs des maisons de commerce françaises dont la plupart, pour des raisons
de sécurité, étaient installées à Grand-Bassam, principal comptoir français en côte de l'or.
Les premières sociétés commerciales à s'installer en côte de l'or furent des sociétés
privées familiales. Les années 1840 sont la principale période où les Français, après, la signature
de traités de paix avec les responsables africains, créèrent des établissements commerciaux sur le
littoral. La première maison de commerce à fonder une factorerie en côte de l'or est la maison
Régis. C'est en 1844 que Régis fonde des factoreries à Grand-Bassam et à Assinie. Etant le
pionnier de l'établissement des maisons de commerce en côte de l'or, Régis cherche à contrôler le
commerce de l'or et d'ivoire de la région. L'or de la côte de l'or était reconnu sur le marché
international comme le meilleur. Sa pureté atteignait 95 %. La maison Régis tente aussi de
contrôler le trafic commercial de la côte de l'or, mais à ce niveau, Régis rencontre la concurrence
des courtiers de Grand-Bassam conduits par un de leurs chefs, Attekeblé (Peter) des textes
français. Régis échoue alors dans sa tentative de faire main-basse sur le commerce de la côte de
l'or et de transformer les courtiers Bassamois en de simples intermédiaires, travaillants pour son
compte (2).
En 1850, après l'exploration du bassin occidental de la lagune Ebrié par le capitaine de
Corvette Bouet Willaumez, la France décide la construction du Blockhaus dans le pays üdzukru
afin d'empêcher tout commerce entre les rives Nord de l'Ebrié et la côte maritime où mouillaient
les navires anglais. La construction du Blockhaus favorise en 1854 l'ouverture d'une succursale à
Dabou par Régis. Cette maison sera rejointe en 1856 par la maison Isnard et l'heureux de Havre.
Toutes ces maisons en
1 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 P. 148
2 - A. N. S : Section AOf série 5G27 P. 12.
339
ouvrant des succursales à Dabou dans l'enceinte du blockhaus, s'établissent en concurrentes de la
maison Régis qui tient à exercer le monopole en côte de l'or. Mais les maisons de commerce
françaises échouent dans leur tentative de contrôler le commerce de Lodzukru face à
l'intelligence et à l'adresse des courtiers Alladian.
Les courtiers Alladian avaient une longue tradition du courtage. La corporation des
courtiers Alladian était la mieux organisée du littoral. Face à la concurrence de ces courtiers
toutes les maisons de commerce installées à Dabou avant 1860, vont faire faillite et quittent le
Lodzukru.
Une factorerie est à la fois un entrepôt pour les produits et une marchandise pour les
articles à vendre aux africains. C'est aussi un magasin de vente en gros et en détail. Tous les
produits importés sont pour la plupart vendus dans ces magasins : armes à feu, alcools, tissus,
quincaillerie, sel, tabac et pacotilles. Les factoreries étaient dirigées par des facteurs d'origine
européenne, aidés dans leurs fonctions par des sous-agents d'origine africaine. Il s'agit pour les
factoreries installées à Dabou et en côte de l'or par des Kroomen. Les Africains travaillant
comme agents dans les factoreries européennes sont très mal rémunérés (1). Ils ne reçoivent pas
de salaire en argent mais sont rémunérés en nature (2). Les Kroomen des factoreries sont nourris
avec deux ignames par jour. Leur alimentation est à base de céréales et de féculents : igname et
riz. Les sous-traitants d'origine africaine sont très mal traités par les compagnies commerciales
(3). On trouve également des Kroomen au service des traitants Alladian. Ils sont chargés du
transport des barriques d'huile de palme vers les navires anglais. Grâce à leur habileté, ils
réussissent à franchir la barre sans grande difficulté.
Les maisons de commerce s'étaient dotées pour le transport des produits vers Grand-
Bassam et pour la liaison des principaux débarcadères, de navires marchands de faible tirant
d'eau. Les navires marchands, protégés par des canonnières de la marine française sillonnaient la
lagune Ebrié et mouillaient une fois par semaine les côtes lagunaires Odzukru (4).
L'huile de palme devient, à partir de 1853, une matière première pour l'industrie de
transformation française. Régis achète le brevet qu'il utilise dans une usine à Marseille pour la
1 - A. N. S : Section AOF série 5G29 p. 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G28 p. 8
3 - A. N. S : Section AOF série 5G30 p. 12
4 - Schnapper: la politique et le commerce dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 126
340
fabrication du savon. L'huile de palme achetée à 350 F la tonne à Grand-Bassam est vendue entre
1100 et 1200 F par tonne à Marseille en 1852 (1). Avant cette période, le commerce de l'huile de
palme était moins rémunérateur en France parce qu'elle n'avait pas de débouché. Les premiers
essais effectués dans la savonnerie avaient donné la production d'un savon jaune de mauvaise
qualité. Ce n'est qu'en 1853 , après la mise au point d'un procédé de blanchissement du savon
fabriqué avec l'huile de palme par l'ingénieur Rougier que la demande d'huile de palme s'accroît
en France (2).
Pour l'approvisionnement de son usine, Régis se propose d'acheter toute la production
d'huile de palme du pays Odzukru, mais ils rencontrent l'opposition des Odzukru et des courtiers
Alladian. En effet, Régis offre un prix d'achat très faible (bas) par rapport au prix offert par les
courtiers Alladian. Face à l'opposition des Odzukru Oboru et des courtiers Alladian, Régis quitte
le Lodzukru pour aller s'établir à Alépé où il est seul à acheter l'huile de palme (3). La principale
monnaie utilisée dans la région d'Alépé est acquêt, monnaie en vigueur en côte de l'or et dans le
pays Agni.
Les populations de la région d'Alépé étaient depuis de longues dates en relations
commerciales avec les courtiers de Grand-Bassam qui les approvisionnaient en produits
manufacturés. Alépé était la tête de pont pour la conquête du pays Bettié. Le Bettié est une
région riche en or et en ivoire. Depuis son établissement dans la région d'Alépé, Régis reste la
seule maison de commerce à s'intéresser au commerce de l'huile de palme en pays Ayè et
M'gbatto parce que les courtiers Bassamois ne s'intéressaient qu'au trafic de l'or et de poisson.
Au cours des années 1850, la liaison (communication) entre le Lodzukru et Grand-
Bassam connaît une nette amélioration grâce à l'avènement des navires marchands. On assiste
alors à une révolution des transports entre les deux bassins de l'ébrié. L'utilisation des navires
facilite l'approvisionnement des centres commerciaux en produits manufacturés.
n) Les moyens de transport
Depuis 1830, date du début de la traite de l'huile de palme, la production des oléagineux
dans le bassin occidental de l'Ebrié ne cesse d'augmenter. Les européens avaient besoin
d'approvisionner régulièrement leurs factoreries afin de satisfaire les besoins des africains.
1 - Schnapper : la politique et le commerce dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 128
2 - Schnapper : c.f p. 126
3 - A. N. S : Section AOF série 5G3ü p. 8.
341
Les premiers moyens de transport, les pirogues ne permettent pas le transport d'une
grande quantité de produits. Les voyages en pirogues sont longs et pénibles. La durée du voyage
de Dabou à Grand-Bassam est de deux jours en aller et deux jours pour le retour. Ainsi, après
l'exploration de l'Ebrié en 1850, les maisons de commerce françaises se dotent de navires-
marchands. L'objectif assigné à ces navires est le transport des produits de l'Ebrié vers le centre
commercial de Grand-Bassam.
Les navires marchands sont plus perfectionnés et plus rapides que les pirogues. Certains
d'entre eux jaugent entre 150 à 300 tonneaux (1). Ce sont des navires à faible tirant d'eau qui
peuvent être utilisés pour la navigation en lagune et sur les fleuves (2). Tl s'agit dans l'ensemble
de vapeurs qui sont mus en charbon. Le charbon de bois sert de source d'énergie à l'alimentation
du moteur. C'est pourquoi, lors des sorties, les membres de l'équipage du navire descendent à
terre pour acheter ou ramasser du bois mort.
Avant l'achat des navires marchands, les maisons de commerce utilisaient les vapeurs et
les géolettes de la station navale de la marine française pour le transport de leurs cargaisons vers
Grand-Bassam (3). C'est de Grand-Bassam que Régis acheminait ses marchandises vers les ports
de Liverpool, de Bristol et de Marseille (4).
Dans le but de contrôler la production de l'huile de palme en pleine croissance et de faire
main-basse sur le trafic commercial de la région de l'Ebrié, les maisons de commerce se dotent à
partir de 1854 de navires marchands (5). La première maison de commerce à acheter son propre
navire est la maison Régis (6). Cette maison s'offre un vapeur et une géolette : l'Adèle et l'Argus.
Ces navires sont destinés au transport des marchandises vers Grand-Bassam. Les navires
permettent aux agents des factoreries de relier le plus rapidement les principaux débarcadères. La
maison Isnard se dote aussi d'une géolette et d'une chaloupe. Une fois par semaine, ces navires
marchands mouillent les eaux des principaux débarcadères de Lodzukru. Craignant le sable qui
constitue un danger permanent pour le moteur, les navires restent en rade. Ils ne sont reliés à la
terre ferme que par des pirogues (7).
1 - A. N. S : Section AOF série 5G28 p. 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G29 p. ]2
3 - A. N. S : Section AOf Série 5G28 p.13
4 - A. N. S : Section AOF Série 5G27 p. 8
5 - A. N. S : Section AOF Série 5G29
6 - A. N. S : Section AOF Série 5G31 p. 6
7 - A. N. S : Section AOF Série 5G29 p. 8
342
De 1854 à 1870, plusieurs navires marchands circulent avec les canonnières sur la lagune
Ebrié. Il s'agit de 1"'Adèle", 1'''Argus'', 1"'Amitié", "Etincelle" et "Honorine" etc ... Ces géolettes et
vapeurs sont dirigés par un capitaine, secondé par un mécanicien. L'équipage varie entre 10 à 15
personnes y les facteurs. Les navires marchands jouent aussi le rôle de magasins et de marchés
flottants (1). Ils passent au moins vingt quatre jours devant un débarcadère pour les transactions
commerciales. C'est-à-dire pour acheter l'huile de palme ou l'or (2).
Les barriques d'huile de palme sont chargées dans les pirogues qui assurent la liaison
entre les navires et les plages. Les Kroomen qui jouent le rôle de matelot sur les navires
s'occupent du transbordement des barriques. En cas de conflit, les navires marchands servent
aussi, au transport de troupes.
Malgré l'utilisation des navires marchands et le concours de la manne française, les
traitants français ne réussissent pas à ébranler les courtiers Alladian et à organiser à leur profit le
commerce de l'or et de l'huile de palme du bassin occidental de l'Ebrié. Les maisons de
commerce investissent énormément dans le transport afin d'améliorer le trafic commercial de la
côte de l'or, mais elles sont mal préparées à accepter les réalités amères du commerce dans les
régions africaines. Sans grand effort, les traitants français pensent réaliser d'importants bénéfices.
Les promoteurs du commerce français dans la partie orientale sont désemparés face à
l'intelligence et à l'adresse avec lesquelles les courtiers Alladian et Bassamois s'occupent de leur
négoce.
Les Français, à la suite des innombrables traités de paix conclus avec les responsables de
la zone côtière se croient en territoire conquis. Malheureusement, ils rencontrent l'hostilité des
africains qui tiennent à leur liberté. Déjà dans le Lodzukru, dès 1853, les üboru avaient
manifesté leur hostilité à l'égard des Français qui tentaient de faire main-basse sur le trafic
commercial de Lodzukru. Les üboru étaient aussi opposés à toute idée de monopole du
commerce et défendaient l'indépendance du commerce.
Les échanges commerciaux dans le Lodzukru reposent essentiellement sur la libre
entreprise et sur le libre échange. Tout lignage qui dispose d'homme et de capital nécessaire peut
entreprendre le commerce.
Les échanges commerciaux sont considérés comme la principale
activité économique permettant un
l - A. N. S : Section AOF série SG28 p. 6
2 - A. N. S : Section AOF série SG30 p. 8
343
enrichissement rapide. Les Odzukru sont convaincus que la main mise française sur le commerce
du haut Ebrié entraînerait la ruine de l'économie de Lodzukru (l). Cela provoquerait un
déséquilibre de la société. Les Odzukru cessent alors de célébrer le rituel d'Agbadzi et du
Dédiakp par manque de moyens financiers. Le contrôle de la production de l'huile de palme du
pays Odzukru et des régions limitrophes entraînerait inéluctablement l'effondrement du courtage
Alladian et l'asphyxie de l'économie de toute la région occidentale de l'Ebrié.
Le refus des Oboru de coopérer avec les traitants français entraîne l'échec de la présence
française dans le Lodzukru. De 1853 à 1871, la paix dans le Lodzukru sera constamment
perturbée à cause des conflits périodiques (2) entre Oboru et Français. Ces guerres entraînent un
véritable désordre dans le Lodzukru au plan politique. En effet, elles constituent un obstacle à
l'unité du pays. On assiste surtout à des affrontements entre tribus Odzukru (3). Le reproche fait
par les Oboru aux
Dibrim Egn de soutenir les Français dans leurs tentatives de confisquer
l'indépendance et la liberté du peuple Odzukru se termine par un affrontement entre les deux
tribus. La population de Tukpa très compromise avec les Français sera exclue pour une longue
période note AFFI Sylvestre (4) de toutes les assemblées de la tribu des Oboru. Mais les guerres
n'ont pas empêché les Odzukru de continuer la production de l'huile et d'accroître le volume de
leurs échanges avec les Alladian et les populations de la zone forestière et de la région de savane.
Les échanges vers la région de savane et de la zone forestière connaissent une
d'amélioration. En effet, le commerce entre le Lodzukru et l'arrière pays croit en volume malgré
le fait que les moyens de transport soient primitifs. Il n'existait pas de véritables routes. Les
traitants n'empruntent que les sentiers souvent obstrués par les arbres et les lianes. Le système de
transport en vigueur est le portage qui empêche le transport d'une grande quantité de produits.
Les échanges entre le Lodzukru et les régions de l'arrière pays vont augmenter pour
plusieurs raisons. Les marchandises venant de l'arrière pays entrent dans la constitution de biens
de prestige pour Je peuple Odzukru comme en pays Alladian. Ces produits constituent l'essentiel
de la richesse des Odzukru. Ensuite avec l'intérieur, on assiste à une
1 - A. N. C. 1 : Série IEE 122 (II4) p. 12
2 - A. N. S : Section AOF série 5G29 p. 9
3 - A. N. C. 1 : Série IEE 122 (II2) p. 9
4 - Enquête réalisée à OrgbalT le 27 Décembre 1984 auprès de Mr Sylvestre AFF!.
344
diversification des produits échangés. Ce commerce avec ces régions est rentable et avantageux
pour les Odzukru qui avaient lin grand besoin d'esclave. Enfin, pour maîtriser et contrôler le
trafic commercial du bassin occidental de l'Ebrié, les courtiers Alladian acceptent de diminuer le
prix de vente des produits manufacturés importés et d'augmenter le prix d'achat du Krou de
l'hu ile de palme (1). Avec ce relèvement des prix les traitants Odzukru disposent désormais
d'importantes quantités de produits manufacturés européens qui leur permettent d'entreprendre
des expéditions commerciales en pays Baulé, Koueni et Abê (2). Les traitants Odzukru se
rendent dans le Koueni et le Baulé en caravane. Ils transportent toujours du sel et des produits
manufacturés. A Tyasalé, principal centre commercial du Baulé sud, ils rencontrent des
Soudanais avec lesquels ils échangent les produits manufacturés européens (fusils et poudre à
canon) et sel contre les esclaves, les cotonnades et les outils agricoles. Ils se rendent aussi dans la
région de Tournodi et à Bozi dans le Yowrè pour acheter l'or (3). Les plus courageux des
traitants se rendent à Bouaflé pour échanger le sel et les marchandises européennes contre les
esclaves, les cotonnades (pagnes) et l'ivoire (4). Les échanges commerciaux entre les Koueni et
les Odzukru sont toujours à base de troc. En effet, il n'existe pas de parité entre les manilles
Odzukru et le Sombé Koueni. Cette dernière monnaie semblerait être non convertible. Or les
monnaies de la zone côtière et de l'Est sont toutes convertibles entre elles. Ce qui constitue un
élément incitateur pour le développement des relations commerciales entre les différentes
régions .
.Les populations de l'arrière pays n'avaient aucun contact avec les Européens. Même les
Français qui avaient cherché à établir des relations directes avec les peuples de l'hinterland
n'avaient pas réussi
à instaurer un contact avec les peuples situés à plus de cinquante (50)
kilomètres de la côte. Ce sont donc les courtiers de la côte qui approvisionnent les régions en
produits de traite surtout en armes à feu, sel et alcool. En retour, les traitants Odzukru achètent
de l'or, des esclaves et des pagnes. Les Odzukru avaient un grand besoin d'esclaves pour agrandir
en population leurs lignages et l'exploitation des palmeraies et des champs de vivriers. Les
esclaves, en pays Odzukru servent de main-d'œuvre, et leur acquisition constitue la réussite
sociale pour tout Odzukru. Ces esclaves sont d'origine soudanaise, Abè et Abidji sont
généralement des femmes et ceux venant du Soudan, en majorité des hommes(4). La poudre d'or
servait à constituer le trésor du
1 - A. N. S : Section AOF série 5G29 p. 8
2 - A. N. C. 1 : Série IEE 122 (1) p. 12
. 3 - A. N. C. 1 : Série IEE 28 (1) p. 12
4 - A. N. C. 1 : Série IEE 28 (1) p. 7.
345
lignage et comme monnaie dans les échanges commerciaux avec les Abê (1).
Les esclaves dans le Lodzukru ne sonL pas considérés comme des objets. Mais ils sont
propriété de leur maîtres et n'ont aucune possibilité d'affranchissement c'est-à-dire de changer de
statut social. L'esclave s'occupe de tous les travaux agricoles de son acquéreur. Par son travail, il
contribue à accroître la fortune de son maître et surtout du lignage. L'esclave n'est pas la
propriété d'un individu mais un bien appartenant au lignage. Les esclaves travaillent surtout dans
les palmeraies. Les femelles épousent des hommes libres du lignage de leur acquéreur. Les
enfants issus de ce mariage sont des hommes libres parceque nés dans le Lodzukru mais n'ont
pas droit à l'héritage. Ils n'ont pas le même statut social que les enfants issus d'une union entre un
homme et une femme d'origine Odzukru. Les esclaves indisciplinés et récalcitrants sont immolés
lors de certaines cérémonies, où à la mort de leur maître pour aller le servir dans au-delà. Pour
les Odzukru, la vie continue après la mort. La mort, selon ESSOH LATTE Bénoît entraînerait
pas dans au-delà le changement du statut social (2). Si vous avez été pauvre ou riche sur terre,
dans au-delà vous conservez votre condition sociale.
Les Français ayant échoué en pays Odzukru évacuent en Janvier 1871 (3). Mais cette
évacuation est temporaire parce que les Français, avant de quitter le littoral oriental de la côte
d'Ivoire, prennent soin de nommer un résident général de France à Assinie en la personne de
Verdier (4). Verdier est chargé de veuiller sur les intérêts de la France et d'assurer la sécurité des
commerçants français exerçants en côte de l'or. Mais quelques années après leur évacuation, les
Français reviennent de nouveau, cette fois, pour coloniser les régions du littoral et y contrôler
ainsi tous les pôles économiques. Le but des Français est de s'y établir définitivement. C'est
pourquoi, ils tenteront de faire main basse sur la région Odzukru, grande productrice d'huile de
palme et de contrôler ainsi, les trafics commerciaux et la production des oléagineux de la région.
1 - A. N. C. 1 : Série lEE28 (2) p. 8
2 - Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1984
3 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 282
4 - A. N. S : Section AOF série SG38 p. 8.
346
3è PARTIE
MAINMISE FRANCAIS SUR
LE COMMERCE DES OLEAGINEUX
(1871 - 1898)
347
Le commerce français dans le Lodzukru de 1854 à 1870 fut un cuisant échec. Malgré la
signature des nombreux traités avec les responsables des villages riverains et la pression de la
marine, les Français n'ont réussi à s'imposer et à contrôler le commerce de la région Odzukru. En
quittant en Janvier 1871, la côte de l'or, les Français ont aussi évacué le poste de Dabou. Mais ils
avaient l'espoir d'y revenir. Ainsi les Français revenus en côte de l'or vers le fin du XIXè siècle
entreprennent la reconquête de Lodzukru non seulement pour contrôler le commerce des
oléagineux de la région mais pour s'y établir définitivement.
Cette période qui est la suite de la phase 1843 - 1871 caractérisée par la politisation du
commerce et le désir des Français de transformer les courtiers africains en agents des factoreries
françaises, se distingue par un renforcement des moyens administratifs et coercitifs en vue de la
colonisation de cette région.
Cette partie de l'étude qui s'étend sur près de trente ans permettra d'analyser les moyens
utilisés par la France pour la colonisation de Lodzukru, la réaction des Odzukru face à ces
nouvelles données politiques et surtout l'impact du retour des Français sur le commerce de la
région.
1 :
TENTATIVES FRANCAISES DE CONTROLER LES ECHANGES COMMERCIAUX
DE LODZUKRU
Le contrôle du trafic commercial de Lodzukru et de la plupart des régions où ils se sont
établis ont échappé aux autorités militaires françaises chargées de l'administration des comptoirs.
Ce manque de contrôle entraîne alors l'échec de la politique d'implantation dans les régions de
fortes activités économiques et commerciales tel le Lodzukru. Ainsi pour éviter de nouveaux
échecs, les Français élaborent d'importantes mesures politiques et administratives. Ces mesures
politiques consistent à faire obstacle à toute tentative d'expansion des autres puissances
européennes surtout anglaises vers l'Est et le Sud-Ouest (1). Les mesures administratives ont pour
objectifs de favoriser le développement du commerce dans la colonie et d'éliminer le courtage des
Africains. Ces nouvelles mesures se caractérisent par l'érection du centre commercial de Dabou
en 1896 en chef lieu de cercle et de l'instauration des droits de douane en côte de l'or. Au cours
des années 1880, Treich-Laplène signe de nombreux traités d'amitié avec les rois de la région
orientale de l'actuelle Côte d'Ivoire. Cela a permis à la France d'étendre sa souveraineté sur une
grande partie du territoire de l'intérieur et d'établir des relations commerciales avec les grands
centres commerciaux de l'arrière-pays.
1- A.N.S. : section AOF série 5G35.
348
l : Erection de Dabou en chef lieu de cercle (189Q)
Au lendemain de la guerre Franco-Prussienne de
1870 et le coût très élevé de
l'administration des comptoirs situés dans le golfe de Guinée, les Français décident d'évacuer tous
les établissements d'Afrique. Ce qui est réalisé en Janvier 1871. Mais les Français, avant leur
départ de la côte de l'or, ont signé un bail (1) de cinq ans avec la maison londonienne swanzy et
Verdier de la Rochelle toutes les deux appelées à jouer un rôle capital à Assinie et à Grand-
Bassam (2).
Verdier, français d'origine, mais travaillant pour le compte d'une maison hollandaise est
nommé, après le départ des marins, Résidant de France à Assinie et à Grand-Bassam en 1878 (3).
Il est placé sous l'autorité de l'Amiral commandant en chef de la division navale de l'Atlantique
sud. Verdier est tenu d'informer l'amiral ou son adjoint de tous les faits et incidents. Mais ses
fonctions de Résidant ne lui donnaient aucune attribution diplomatique et il ne devait intervenir
dans aucune négociation officielle. Le 22 Juillet 1886, Verdier est nommé lieutenant gouverneur
de la de la "colonie" de Côte de l'or avec résidence à Grand-Bassam (4).
Verdier, dans ses fonctions de résidant de France en Côte de l'or est chargé de veiller sur
les intérêts de la France dans la région, d'assurer la sécurité des négociants établis dans les
localités et de la garde du drapeau français et de renforcer la présence des Français en côte de l'or
parce que le départ des Français du littoral oriental est un retrait provisoire (5).
Pour une bonne gestion de l'administration de la Côte de l'or, le ministère de la marine
française accorde à Verdier une subvention de 6.000 F par an. Cette somme est destinée à la
création d'une police "indigène" et d'une milice composée d'anciens soldats coloniaux surtout de
Bambara et de Sénégalais et d'esclaves rachetés aux riches traitants Odzukru et Bassamois (7).
C'est à Dibrim que Verdier a acheté un bon contingent d'esclaves mâles au prix de 1.000 à 1.500
F l'unité soit 5.000 à 7.500 manilles (8). Les commandements de la police et de la milice sont
confiés à des sous-officiers africains ayant servi dans
l - A. N. S : section AOF série 5G35 page 8
2 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 page
213
3 - A. N. S : Section AOF série 5G34
4 - A. N. S : Section AOF série 5G36
5 - A. N. S : Section AOF série 5G34 page 8
6 - A. N. S : Section AOF série 5G36 page 12
7 - A. N. S : Section AOF série 5G35 page 6
8 - A. N. S : Section AOF série 5G28 page 12
349
l'armée coloniale et connaissant parfaitement les régions de la côte de l'or, des Quaquah et de la
rive Nord du haut Ebrié. Le solde annuel de ces agents de sécurité était de six cent (600) francs.
Les deux commandants bénéficiaient aussi de la gratuité de logement et de nourriture.
Verdier, dans ses fonctions de résidant de France en côte de l'or, est aussi chargé de verser
annuellement une coutume aux chefs locaux, amis de la France. Il s'agit là des chefs avec lesquels
la France a conclu dans le passé des traités. Les coutumes accordées aux responsables africains
étaient différentes d'une région à une autre (l). Les coutumes versées aux rois du Sanie, capitale
Krinjabo sont plus élevées que celles allouées aux chefs de Grand-Bassam et du pays Odzukru
(2). La coutume accordée annuellement au roi du Sanwhi est de 6.000 F et celle des responsables
de Grand-Bassam 500 F et du pays Odzukru 100 F.
Les coutumes versées par la France aux responsables de Dibrim constituent un
dédommagement aux paysans qui ont accepté en 1853 de céder leurs palmeraies de Dabuatchi à
la France. Ce territoire concédé par les paysans de Dibrim a permis en 1853 la construction du
fort "Ducos" à Dabou. Le territoire du fort Ducos a été généralement concédé par les Dibrim Egn
aux Français.
Les coutumes sont payées de moitié tous les six mois aux rois et aux chefs dont la liste est
correctement établie par le commandant supérieur de Gorée. Ne bénéficiaient de ces coutumes
que les rois ou les chefs soumis à l'autorité française (3). malgré les précautions prises avant leur
départ, les Français n'étaient pas sûrs d'avoir établi leurs autorités en côte de l'or. En pays
Odzukru, précisément dans la partie occidentale, sous contrôle des Oboru, l'autorité des français
n'a jamais été établie. Les Oboru ont depuis 1850, date de la signature des premiers traités entre
Tukpa, Dibrim et la France, refusé de reconnaître la souveraineté et la domination de la France
sur le Lodzukru.
Au lendemain du congrès de Berlin où les Etats européens ont décidé la colonisation de
l'Afrique, les Français reviennent pour la 3è fois en côte de l'or. De nombreux traités reviennent
de protectorat ont été signés en 1886 entre la France et les villages débarcadères Odzukru (4). Il
s'agit du rajeunissement des traités conclus au cours des années 1850 et 1860. Ils ont
] - A. N. S : Section AOF série 5G36 page 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G35 page 4
3 - A. N. S : Section AOF série 5G35 pièce 8
4 - A. N. C. 1: Série lEE 122 (3) pièce 8.
350
pour objectif de renforcer l'autorité et la domination de la France sur tout le Lodzukru y compris
la tribu Oboru (1). Cette troisième categorie de traités a été conclue à la même période, c'est à
dire du 9 au Il Décembre 1886 et ratifiée au début du mois d'octobre 1887 (2).
Les Français en concluant ces nouveaux traités ont pour objectifs de renforcer leur
autorité dans la région orientale de Lodzukru et d'étendre leur souveraineté dans la partie
occidentale sous tutelle des Oboru et de permettre surtout aux traitants Français d'aller
commencer dans la zone ouest. Mais ces nouvelles conventions sont aussi rejetées comme les
premières par les Oboru. Les Oboru ont toujours été hostiles à une domination étrangère sur le
pays Odzukru.
Les premiers traités signés entre 1850 et 1860 entre les Odzukru et les représentants de la
France et plaçant le Lodzukru sous la domination politique et économique de la France ont été
contestés et rejetés par les Oboru. La construction du fort de Dabou avec sa garnison de trente
cinq (35) militaires au lieu de vingt cinq (25) comme dans les autres forts n'a malheureusement
pas permis aux Français de soumettre tout le pays Odzukru. De 1854 à 1870, le Lodzukru était
une région troublée où régnait une psychose de peur permanente. En 1854, les Oboru ont mis en
échec, dans une embuscade à la baie de Mopoyem une colonne de soldats français, huit soldats
. ont été tués (3). En 1863, une autre colonne française, composée de "tirailleurs" sénégalais
descendant au village de Tiaha pour obliger les populations à commencer avec les traitants
Français ont été massacrés dans une embuscade par les guerriers Oboru cachés dans les feuillages
(4).Treize soldats ont été tués. Le massacre des soldats des colonnes françaises dans la partie
occidentale de Lodzukru instaure un climat de guerre permanent entre les Oboru et les Français.
Quatre ans plus tard, après le massacre de la baie de Tiaha, les Oboru attaquent de nouveau le
poste de Dabou, massacrent tous les occupants, une vingtaine (20) de personnes et décapitent
Lelache, responsable du jardin botanique de Dabou. Lelache a été scalpé, son cheval tué a eu la
queue coupée (5). La chevelure et la barbe de Lelache ainsi que la queue de son cheval sont
considérés par les Oboru comme un trophée de guerre. Ce trophée est exhibé par les Oboru lors
des grands défilés appelés en Odzukru (Jaj). Ce trophée est le symbole de la puissance militaire
des Oboru qui refusent toute subordination de Lodzukru à une puissance étrangère. L'expédition
de Dabou est pour les Oboru une réplique
1 - A. N. C. 1: Série 1EE122 (3) pièce Il
2 - A. N. C. 1: 1EE122 (1) page 6
3 - A. N. C. 1: Série 1EE122 (1) pièce 8
4 - A. N. C. 1: Série lEE122 (2/7) p. 6
351
à l'intervention du lieutenant Noël à Bobor en 1864. Au cours de cette expédition française, les
Oboru surpris par les troupes françaises venues de Grand-Bassarn ont eu leur village incendié
(1). Ils ont été alors obligés designer un traité de paix par lequel Bobor et ses dépenses
reconnaissaient la souveraineté de la France sur le Lodzukru.
Par la guerre, les Oboru et toute la population Odzukru, hormis les Dibrim Egn et les
Tupka Egn, tenaient à
affirmer leur volonté de vivre libres et indépendants sans pression
extérieure et de maintenir libre les trafics commerciaux de la région Odzukru. La résistance des
Oboru à la colonisation française était une lutte pour la dignité, la liberté et l'honneur.
Malgré la signature de nouveaux traités en 1886, le Lodzukru demeure toujours une
région sous tension. Ces traités n'apportent aucune modification dans le comportement des Oboru
à l'égard des français. Les positions sont restées inchangées. Les Français qui pensaient régler le
'problème Oboru de façon pacifique échouent de nouveau. Les Oboru n'étaient pas intransigeants,
mais ils refusaient d'aliéner leur liberté et de laisser la France assurer le contrôle du commerce
dans le Lodzukru. Les Odzukru, depuis le XVIIlè siècle, jouaient le rôle d'intermédiaires entre les
régions de savane et de la côte. Au XIXè siècle, le Lodzukru devient le coeur de la traite de
l'huile de palme de la côte de l'or. Ils ont alors bâti leurs fortunes et développé leur région grâce
'aux échanges commerciaux. Dans le Lodzukru, les activités commerciales n'ont jamais été
placées sous l'autorité ou la domination d'un individu ou d'une puissance. Les activités
commerciales sont exercées librement. Tout individu qui possédait les qualités d'entrepreneur et
un capital était libre de s'adonner au commerce. Le commerce placé sous l'autorité de
l'administration française, selon les Oboru entraînerait la ruine de Lodzukru.
Les Oboru ont aussi refusé d'apporter leur soutien et caution aux différents traités, qui
selon eux, sont imposés par les Français et signés sous la contrainte et la menace des armes (2).
Pour ces populations, la terre est une propriété collective qui appartient à la fois aux vivants et
aux morts. C'est un bien inaliénable qu'on ne peut vendre sous aucun prétexte. Il est donc du
devoir des vivants de défendre la terre de leurs ancêtres (3). Elle constitue un héritage que les
vivants doivent léguer à leurs descendants. Toute violation d'une portion du territoire national est
considérée comme un acte de guerre.
1 - A. N. C. 1: Série 1EE122 (1) pièce 6
2 - A. N. C. l : Série 1EE122 (2) pièce 6
3 - Enquête collective réalisée à Dibrim le 22 août 1988.
352
Face à la détermination et au refus des Oboru de reconnaître la souveraineté complète de
la France sur le Lodzukru, les Français inaugurent l'ère de la conquête violente. La période
pacifique caractérisée par les traités fait place à la conquête. Le Lodzukru devient un théâtre
d'opérations militaires, une région de nouveau embrasée. Jusqu'à la défaite partielle des Oboru en
1898, le pays Odzukru a été le siège de la violence.
En 1889, sous l'ordre de Treich-Laplène, résidant de France à Grand-Bassam en
remplacement de Verdier, le poste de Jacqueville crée en 1886 pour contrôler les activités
commerciales de la région Quaquah est transféré à Dabou (1). Le poste de Dabou devait servir de
tête de pont pour la conquête et l'établissement des relations commerciales entre la France et les
régions de l'arrière-pays parce que les français n'ont aucun contact avec les peuples situés à plus
de cinquante kilomètres de la côte (2). Il devait aussi permettre aux français de faire main basse
sur la production de l'huile de palme de Lodzukru et de contrôler le trafic commercial de la
région, trafic commercial jusque là dominé par les voiliers anglais par l'intermédiaire des
courtiers Alladian.
La région d'Assinie où les Français ont réussi à s'imposer grâce aux traités signés en 1843
avec le roi Amon N'DoufTou, produisait une faible quantité d'huile de palme. La zone convoitée
dans la région de la côte de l'or était le pays Odzukru. De cette région sont drainées vers les
villages Alladian chaque année plus six mille (6000) barriques d'huile de palme. Le commerce
français en côte de l'or est peu rentable surtout que les courtiers Bassamois et les Oboru
empêchent les commerçants français d'entrer en contact avec les peuples de l'arrière-pays (3).
Ainsi Oactave Péan, chef du poste de Jacqueville s'installe dans les bâtiments du fort de Dabou
;-
qui sont aménagés (4).
Au lendemain de sa prise de fonction à Dabou, Octave Péan, avec une compagnie de
miliciens bien armés, venus du Sénégal et de Grand-Bassam attaque tous les villages situés à
proximité du débarcadère de Dabou (Dibrim, Kpass, M'gaty, Gbougbo, Armèbé et Aebi). Il
inflige à chaque village une amende de 50.000 manilles soit 10.000 F (5). Cette attaque surprise,
opérée de nuit a pour but de contraindre les populations à ne commercer qu'avec les traitants
français et de servir d'avertissement aux Dibrim Egn pour toute alliance avec les Oboru. Les
Français, au cours de leur conquête de Lodzukru, ont commis de
1 - A. N. S : Section AOF série 5G36 pièce 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G38 pièce 6
3 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) page 8
4 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1/2) p. 13
5 - A. N. S : Section AOF série 5G38 pièce 8.
353
nombreuses exactions ct atrocités (1). lis massacraient dans les villages lors des attaques
surprises de nuits, les vieillards et les enfants qui ne pouvaient s'enfuir dans la forêt.
De 1882 à 1889, près de dix (10) villages Odzukru ont été brûlés et détruits par les
colonnes de l'armée coloniale française (2). Il s'agit des villages de Bobor, Kpada, Tiaha,
Mopoyem, Tukpa, Dibrim, Gaty, Kpass, Aebi, Gbougbo et Armèbè. Mais lorsque les populations
sont informées par leurs espions appelés en Odzukru "Akretchu" de l'imminence d'une expédition
militaire française contre leurs villages, elles prenaient soins d'évacuer les villages. Les femmes,
les enfants et les vieillards sont évacués dans les pays Ahizi et Avikam (4). Certaines personnes
évacuaient leurs familles dans les pays Dida et Abidji. Seuls les hommes valides, en état de porter
une arme restaient au village, mais cachés dans les sous bois et les feuillages.
Les espions Odzukru se rendaient tous les jours à Dabou ou à Jacqueville où ils ont réussi
à lier amitié avec quelques membres du personnel du poste. C'est grâce à eux que les Oboru sont
informés des préparatifs et des mouvements de l'armée coloniale française.
Les interventions sporadiques des colonnes françaises et les fortes amendes infligées aux
populations sont loin d'imposer une autorité française dans le Lodzukru. Les Français ne
. réussissent pas à remporter une nette victoire sur les Odzukru
qui refusent la domination
française.
Les Français en venant pour une troisième fois en côte de l'or sont animés par l'idée
d'ériger cette région riche en matières premières végétales et minières en une colonie française.
La côte de l'or et les région environnantes jusqu'en 1893 avaient le statut de semi-colonie
française parce que la souveraineté de la France ne se limitait qu'au littoral. La domination
française de cette région n'était que superficielle.
En 1883, a été créée une commission internationale franco-anglaise chargée de régler le
problème du tracé des frontières des "protectorats" Anglais et Français de la côte de l'or. Mais
celte commission internationale échoue parce qu'elle ne parvient pas à résoudre le problème de la
délimitation de la frontière entre la côte de l'or et la Gold-Coast. L'hégémonies
1 - A. N. C. 1: série lEE122 (1/3) p. 6
2 - A. N. C. 1 : série IEE122 (1/2)
3 - A. N. C. I : série 1BB6 pièce 6
4 - Enquête réalisée à Orgbaffle 22 août 1984 auprès de Monsieur Benoît ESSOH LATTE.
S - A. N. C. 1: lEE122 (1) p. 6
354
française sur la région d'Assinie et environs était encore superficielle. Les populations de cette
région (Essouma) et les N'Zima ( Appoloniens) entretenaient de bonnes relations commerciales'
avec les commerçants et douaniers anglais établis dans les village frontaliers. Ils informaient les
douaniers anglais sur la situation commerciale française à Assinie et à Grand-Bassarn. Les
relations, à la frontière orientale au début des années 1880, étaient très confuses.
En 1887, Verdier et ses hommes, décident de pénétrer dans l'arrière-pays et de relier la
côte et l'intérieur afin d'étendre plus loin l'autorité de la France et agrandir l'aire commerciale
française et ouvrir de nouveaux axes pour le bon développement du commerce français. La
France depuis quarante ans qu'elle s'est installée sur le littoral n'a pas réussi à établir des relations
commerciales avec les populations des régions forestières de savane. Les courtiers de la côte de
l'or, Bassamois et a Abouré ont opposé un refus catégorique à l'établissement de relations
commerciales directes entre les commerçants européens et les peuples de l'intérieur, fournisseurs
de produits d'échange: or, ivoire, huile de palme, peaux d'animaux et bois de teinture.
Verdier a aussi reçu la mission d'empêcher la progression anglaise dans la région orientale
et de créer une route commerciale reliant la côte maritime au bassin du Niger et surtout d'établir
des relations commerciales entre Grand-Bassam et Kong, principal centre commercial du Soudan
.(3). L'établissement de cette route commerciale devait permettre aux Soudanais de faire
descendre leurs produits sur la côte et de s'approvisionner en produits manufacturés européens
(armes à feu, tissus, fer, verroterie, tabac etc...). Elle devait aussi entraîner l'effondrement du
courant commercial Nord-Sud car tous les trafics commerciaux devraient converger vers la côte
maritime principalement vers Grand-Bassam, village choisi par les Français pour devenir le
premier centre économique de la future colonie.
Pour résoudre tous ces problèmes, Verdier envoie en mission auprès des rois de la région
Est, son agent, Treich-Laplène, nommé résident délégué de France à Assinie (4). Treich-Laplène
a reçu l'ordre de signer des traités d'amitié et de paix avec le monarque des régions traversées et
devait s'inspirer du modèle corrigé transmis par le Secrétaire d'Etat aux colonies par
l'intermédiaire du Lieutenant Jean-Bayo (S). Cette mission a
1 - AN.S : section AOF série 5G38 pièce 8
2 - AN.S : section AOF série 5G3S pièce 4
3 - AN.S : section AOF série SG34 pièce 8
4 - AN.S : section AOF série 5G34 pièce 8
5 - AN.S : section AOF série SG36 pièce 6
355
conduit Treich-Laplène jusqu'à Bondoukou au coeur du royaume Gyaman (Brong). Il a signé
avec les monarques des traités de paix et d'amitié, traités qui placent ces régions sous la
souveraineté de la France et empêche ainsi toute progression d'anglaise vers la partie orientale.
Une coutume en signe d'amitié et de la générosité de la France est accordée aux monarques qui
ont accepté de reconnaître l'autorité de la France. Elles étaient versées annuellement aux rois.
Les montants des coutumes étaient différents d'une région à une autre. Ainsi les coutumes versées
aux rois de Bettié et de Ndenyè s'élevaient à mille (1.000) F et celle du roi d'Alangoua à 500 F
(1).
Les différents traités interdisaient aux rois de la région Est, faisant frontière avec la Gold
Coast, de conclure une autre convention avec une quelconque puissance étrangère (2). Tous les
royaumes de l'Est ont alors accepté d'aliéner leur souveraineté extérieure. La France a alors réussi
à barrer la route à l'Angleterre dans
son expansion vers l'ouest. Ayant désormais sous son
contrôle, la côte et l'intérieur du pays, la France décide d'ériger la côte d'Ivoire en colonie
autonome. Ainsi, le 10 mars 1893 la Côte d'Ivoire, qui depuis le troisième retour des Français,
dépendait de la rivière du sud, est proclamée colonie autonome. Le comptoir de Grand-Bassam,
compte tenu de sa situation géographique est choisi comme capital de la nouvelle colonie, à
l'embouchure du fleuve Comoé qu'on pouvait remonter jusqu'à Kong. Grand-Bassarn est aussi la
tête de ligne du télégraphe qui reliait les postes douaniers du littoral (3). Trois ans après Grand-
Bassam, le débarcadère de Dabou, devenu en 1889, chef de poste, est érigé en 1896, chef lieu de
cercle.
Ainsi en 1897, le cercle de Dabou regroupait les populations suivantes: les Tchaman
situés à l'est de Dabou formant une communauté de cinquante mille habitants (4), les Alladian au
sud, occupant la langue de terre sablonneuse séparant l'océan atlantique et la lagune Ebrié, les
Avikam à l'ouest, les Ahizi dans le Sud-Ouest, les Abidji au Nord et les Odzukru au centre. Mais
l'influence française dans le pays Abidji était très limitée.
Les différentes sociétés composant le chef lieu de cercle de Dabou étaient des sociétés
sans états. Elles étaient sans pouvoir central. Il s'agit pour la plupart de démocraties villageoises
sauf en pays Alladian ou certains riches commerçants ont pris le titre de roi. C'est le cas de Boney
à Emoquah (half-Jack). Les populations du cercle de Dabou ont des
1 - A. N. S : section AOF série 5G38 pièce 8
2 - A. N. S : section AOF série 5G38 p. 12
3 - A. N. C. 1 : série 1EE122 (1) p. 8
4 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838-1871 page 282
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organisations socio-politiques et économiques similaires. Au plan politique, elles sont régies par
le système des classes d'âge (1). Le système social dominant de la région est le matrilignage sauf
chez les Abidji où le patrilignage est le système dominant et les Odzukru régis à la fois par un
système bivalent: le matrilignage et le patrilignage avec une prédominance matrilinéaire. Les
activités économiques dominantes sont l'agriculture des vivriers, la production d'huile de palme,
la pêche et la chasse. Mais les Alladian sont avec les Avikam d'excellents commerçants dont
certaines familles ou lignages se sont enrichies pendant les traites négrières et de l'huile de
palme.
En 1896, toutes ces populations semblaient être soumises à l'autorité française sauf les
Odzukru. Mais parmi les Odzukru, en 1897, on distinguait deux groupes: les populations de la
partie orientale représentée par les Dibrim Egn étaient partiellement soumises. Elles abritaient sur
son territoire le chef lieu de cercle et faisaient plus de commerce avec les factoreries
européennes. Les Dibrim Egn tentaient souvent d'utiliser ou de profiter de la présence de
l'administration coloniale sur leur territoire pour étendre leur hégémonie et influence sur les
autres tribus Odzukru (2). Les populations de la partie occidentale sont représentées par les
Oboru que les Français malgré les nombreuses expéditions militaires n'arrivaient pas à soumettre
comme les autres. Les Oboru sont toujours hostiles à la présence d'une puissance étrangère dans
le Lodzukru (3). Les tensions entre Français et Oboru étaient à l'avantage des Dibrim Egn qui
bénéficiaient de la sollicitude des français. C'est pourquoi par des manoeuvres très habiles, ils
opposaient les Français contre les Oboru (4). L'érection de Dabou en chef lieu de cercle répond à
trois préoccupations. Les échanges commerciaux de la nouvelle colonie reposent essentiellement
sur les exportations d'huile de palme. C'est pourquoi les Français décident de conquérir le
Lodzukru par les armes afin qu'il serve de tête de pont aux troupes françaises pour la conquête
des régions Abidji et Baulé sud, surtout Tyasalé. La conquête de Tyasalé devrait permettre aux
Français de contrôler l'une des plus importantes voies commerciales de l'intérieur afin de
diversifier les produits d'exportation. Tyasalé, situé sur le Bandama, appelé en Odzukru "Djita"
est le principal centre commercial de l'arrière pays. Tous les axes commerciaux débouchent sur
Tyasalé qui sert de point de passage obligatoire depuis plusieurs siècles aux commerçants
soudanais descendant en caravanes sur la côte pour offrir leurs produits aux navires européens
(4).
1 - A. N. C. 1 : série lEE122 (1) dossier relatif à l'affaire de Bouboury 1896 - 1897.
2 - A. N. C. 1 : série lEE122 (1) p.12
3 - Ibid.
4 - (S.P) M'BRA Ekanza. Les mutations d'une société rurale. Les Agni de Moronou. 18è siècle-
1939. Page 182
357
C'est de Dabou que partaient en 1893 les colonnes françaises dirigées par les capitaines
Marchand et Manet pour conquérir Tyasalé et relier la côte à la région soudanaise afin de faciliter
le drainage des produits des régions forestières et de savane vers la côte.
2 : Soumettre la région Odzukru
Les Français par la diplomatie et la force des armes ont réussi à établir leur souveraineté
sur la région de la côte de l'or. Leur autorité sur cette région est effective et ne souffre d'aucune
contestation. Le commerce de la région est aussi sous leur domination. Dans l'esprit des Français,
la région de la côte de l'or devrait servir de tête de pont pour la conquête du reste du pays. En
dehors de la côte de l'or et de la région des Quaquah où l'autorité française est effective et les
populations soumises grâce à la répression de l'armée coloniale française, dans la partie
occidentale de Lodzukru, les Français sont confrontés à une opposition bien organisée des Oboru.
En effet, depuis près d'un demi-siècle, les Oboru refusent de reconnaître l'autorité de la France
sur le Lodzukru, principal pôle économique de la colonie et de cesser tout échange commercial
avec les courtiers Alladian. Or la région Odzukru est une région stratégique au plan politique et
économique. C'est la principale porte d'accès des régions de l'intérieur c'est à dire du Nord et du
centre et le coeur
de l'industrie de l'huile de palme. Les ressources de la nouvelle colonie
reposent essentiellement sur les exportations des produits oléagineux.
A Tyasalé, l'expédition française est mal accueillie par les populations qui refusent tout
contrôle de la région par la France. Les populations voient en cette conquête le déclin de leurs
activités commerciales parce que la présence des Français dans la région entraînera l'abolition du
droit de péage exigé à tous les commerçants qui traversent le village de Tyasalé. Ces droits de
péage constituent une source de revenu pour la famille royale.
Malgré l'opposition de six cents (600) guerriers armés de fusils à silex (1), la région de
Tyasalé est soumise à la France. Un traité par lequel la population de Tyasalé reconnaît la
souveraineté de la France sur leur territoire est signé en 1893. En signe de soumission , le roi
Eky, au nom de la population de Tyasalé a versé aux Français cent (100) onces d'or soit 17016 F
(2). La population de TyasaJé s'est aussi engagé à remettre à l'administration française de côte
d'Ivoire quatre (4) otages, tous fils de chef dont N'Guessan, un des fils du roi Eky comme
1 - A. N. C. 1: série 1EE122 (2) P. 12
2 - A. N. C. 1 : série 2EE7 (1) p. 10
358
garantie de la sincérité de leur soumission (1). Elle a aussi remis aux autorités françaises du poste
de Grand-Lahou, les dépouillés des feus voiture et papillon tués dans une embuscade et devenues
des fétiches de guerre, afin qu'une sépulture leur soit donnée sur la terre de la France. Les
Français avaient promis à la population la liberté commerciale entre les différentes régions et
surtout avec les traitants européens.
3 : Contrôler le commerce de l'huile de palme
La France considérait les territoires comme ses possessions. Cela lui donnait en théorie le
droit de contrôler les ressources économiques des différentes régions et d'approvisionner en
matières premières d'origines végétales l'industrie métropolitaine. En effet, en érigeant le
débarcadère de Dabou en chef lieu de cercle, les Français avaient un objectif, celui d'utiliser ce
centre administrativo-commercial pour contrôler la production et le commerce de l'huile de palme
dominés depuis le début de la traite par les courtiers Alladian. L'huile de palme est le principal
produit d'exportation et la première source de revenu de la colonie de la côte d'Ivoire.
Après le départ des Français du fort de Dabou en janvier 1871, les centres commerciaux
de Mopoyem, Dabou et Tukpa ont été occupés par des maisons de commerce Swanzy et Verdier.
Ces deux maisons de commerce avaient en 1872 établi des sous-factoreries dans les débarcadères
de Tupka et de Mopoyem. Ces deux maisons pour l'efficacité de leur activité se sont dotées de
flottilles c'est à dire de navires marchands. Les navires marchands sillonnaient toutes les
semaines les villages débarcadères même les plus reculés. Ces chaloupes facilitaient le transport
de l'huile de palme vers le port de Grand-Bassam qui jouait le rôle économique de la Côte
d'Ivoire. Verdier a en permanence à Tukpa une chaloupe baptisée "Palmier". Cette chaloupe
reliait une fois par semaine Tukpa et Grand-Bassam (2). Les courtiers Alladian et les traitants
européens se livraient à une concurrence sans merci dans les débarcadères Odzukru. Ainsi en
1873 - 1874, l'agent de Swanzy parvient par les dons qu'il faisait aux différentes populations à
ébranler le monopole des courtiers Alladian dans l'Ebrié.
Leigton, le responsable de la maison Swanzy accordait des crédits aux courtiers de Grand-
Bassam. Ce qui lui a permis de les dominer. Il réussissait à aligner lui seul, 40 baleinières, une
chaland de 90 T et un petit vapeur de 30 tonnes (3).
1 - A. N. C. 1 : série 2EE7 (1) P 10
2 - A. N. C. 1 : section AüF. Série 5G34
3 - Paul Atger: la France en Côte d'Ivoire: 50 ans d'hésitations politiques et commerciales p. 186
359
La factorerie Swanzy a réussi à ébranler le monopole des courtiers Alladian parce qu'en
1865, on assiste à une tension entre les capitaines Anglais et les Alladian. Les courtiers qui
refusaient le contact entre les marchands anglais et les producteurs d'huile de palme de la rive
Nord ne recevaient plus de marchandises européennes comme dans le passé. Ainsi en 1866 , les
courtiers Alladian ont perdu leur monopole dans l'ébrié occidentale et leur influence sur les
peuples de la rive Nord. Ils ont surtout perdu le marché du pays Tchaman qu'ils contrôlaient
autrefois. Avant 1866, les débarcadères de Piquiny-Bassarn, de Niangon et de Yopougon étaient
sous le contrôle des courtiers Alladian qui achetaient la presque totalité de la production d'huile
de palme du Tchaman (1). Mais en 1871, la production d'huile de palme de la partie Est de J'Ebrié
passe sous le contrôle des européens. Seuls les producteurs Odzukru sont restés fidèles aux
courtiers Alladian auxquels ils vendaient la quasi totalité de leurs productions (2). Mais refusant
de voir se dégrader leur principale activité économique, suite à la basse des prix de l'huile de
palme sur les marchés internationaux de Londres, de Bristol et de Liverpool et à la crise de l'huile
de palme engendrée par l'arrivée sur le marché des huiles végétales et minérales d'origine
américaine et russe, les producteurs Odzukru et les courtiers Alladian ont accepté de commercer
pour le temps que durerait la crise avec les factoreries Swanzy et Verdier.
Verdier, premier responsable politique français de la côte de l'or au cours des années 1880
va utiliser sa fonction officielle pour faire prospérer ses affaires (4). Mais malgré le léger déclin
de leurs activités entre 1865 - 1870, suite à l'effondrement des cours de l'huile de palme, le
commerce de l'huile de palme dans le haut Ebrié et sur la côte des Quaquah (Alladian - Avikam)
demeure toujours sous la domination des voiliers anglais parce que les courtiers Alladian ont sous
leur contrôle, le pays Odzukru, principal centre de production de l'huile de palme.
Malgré la création de poste de douanes dans les grands centres commerciaux de la côte
maritime pour empêcher tout échange commercial entre les courtiers africains et les navires
anglais et le soutien de l'administration française aux commerçants français,
1 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 209
2 - Ibrid. page 209
3 - A. N. C. 1 : série lEE 122 (2) page 8
4 - Harris Iv.lEMEL Foté : l'esclavage dans les sociétés lignagères d'Afrique Noire: Ex. de la c.I.
précoloniale 1720 - 1920 p. 231.
360
les voiliers anglais, grâce à l'habilité, à l'adresse et à l'intelligence des courtiers Alladian et
Avikam, contrôlaient plus de 50 % du trafic commercial de la côte de l'or (1).
En 1893, la colonisation de la Côte d'Ivoire devient officielle et effective, mais la France
n'était pas totalement maîtresse de la situation, certaines régions échappaient à son contrôle, à
cause de l'existence de nombreux foyers de révolte et surtout des troubles politiques des pays
Avikam et üdzukru (2). Malgré la signature d'un traité de paix et d'amitié entre les représentants
de la tribu üboru et le lieutenant Bayol, représentant la France en Décembre 1886, les üboru
n'ont pas modifié leur comportement à l'égard
des Français. Ils demeurent hostiles à tout
rapprochement entre les üdzukru et les français. Avec l'érection de la Côte d'Ivoire en colonie,
les français ont pensé réalisé leur principal rêve, celui de contrôler les grands axes commerciaux
et les régions productrices de matières premières indispensable au développement de l'industrie
française. La nouvelle colonie devrait aussi trouver ses propres ressources pour confectionner son
budget. Elle devrait donc s'autofinancer.
Les exportations de la Côte d'Ivoire vers l'Europe au cours des années 1880 sont estimées
à quatre (4) millions de francs par an (3). La part du pays Alladian dans ces exportations était
plus de deux (2) millions de francs. En ajoutant les exportations faites sous la contrebande, on
.pouvait alors estimer à plus de trois (3) millions, les recettes d'exportation du pays AlIadian. Cela
montre que cette région est le principal pôle économique de la colonie de Côte d'Ivoire. Malgré
l'établissement des postes de douane à Jacqueville (Half Jacques) en 1886 (4) et le soutien de
l'administration coloniale aux traitants européens pour briser la corporation des courtiers
AlIadian, les négociants du pays Alladian contrôlaient le trafic commercial du bassin occidental
de l'ébrié et continuaient à fournir en huile de palme les navires anglais et américains qui
mouillaient les côtes Quaquah. Les courtiers Alladian qui souffraient de la concurrence des
firmes européennes n'étaient jamais en rupture de stock.. Ils sont toujours approvisionnés par les
producteurs Odzukru, qui malgré les pressions de l'administration coloniale continuaient de
drainer vers les plages Alladian, la quasi totalité de leur production. La force des courtiers
Alladian réside dans la fidélité des üdzukru et le refus de ces derniers de changer de partenaires
commerciaux.
1 - A. N. S : Section AüF série 5G34 p. 3
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 9
3 - A. N. S : Section AüF série 5G35 p. 8
4 - A. N. S : Section AüF série 5G35 p. 5.
361
L'objectif principal de l'administration coloniale française était de réduire les exportations
de la côte Alladian et drainer l'essentiel de la production vers Grand-Bassam. Ainsi, en érigeant le
débarcadère de Dabou qui n'était qu'un campement en chef lieu de cercle, les autorités françaises
de la colonie de Côte d'Ivoire espéraient contrôler la production et le commerce de l'huile de
palme était jusqu'à la fin des années 1890, le principal produit d'exportation et la première source
de revenu de la Côte d'Ivoire. C'est pourquoi, les français essayaient d'empêcher tout commerce
entre üdzukru et Alladian afin d'éliminer la présence anglaise sur le littoral.
4/ Eliminer la présence anglaise sur le littoral
En réoccupant pour la troisième fois le territoire de Côte d'Ivoire, l'un des objectifs de
l'administration française consiste à éliminer par tous les moyens la présence anglaise sur les
rades Alladian afin de s'assurer le contrôle de tout le trafic des oléagineux (huile de palme et
palmistes) des régions üdzukru et Tchaman. Le commerce anglais sur les côtes ivoiriennes, en
déclin au cours des années 1860, a connu une reprise à partir de 1880 grâce à une remontée des
prix sur les marchés anglais et aux nombreuses exactions commises parles traitants français. Les
exactions et les abus commis par les traitants français restaient impunis car l'administration
française soutenait les traitants qui cherchaient à réaliser d'importants bénéfices avec de faibles
. moyens.
Le commerce dans le pays Quaquah était sous le contrôle des caprtames anglais et
américains qui continuaient d'approvisionner les courtiers Alladian en produits manufacturés de
bonnes qualités et à bon prix. Cela a permis aux courtiers Alladian de réaliser à la concurrence
des sociétés commerciales françaises et d'approvisionner le Lodzukru son principal fournisseur
en produits manufacturés européens. Les üdzukru avaient plus de préférence pour les produits
anglais que français. Les produits français souvent proposés lors des transactions commerciales
aux populations africaines n'étaient pas de bonnes qualités. Les produits français proposés aux
üdzukru étaient de mauvaises qualités et moins appréciés par les consommateurs africains et
surtout par les producteurs d'huile de palme.
Les üdzukru ne sont pas habitués à consommer les produits français qui sont vendus
souvent avariés. La poudre à canon est vendue aux paysans mouillée (1). L'influence des
1 - A. N. S : Section AüF série 5G29 p. 8.
362
courtiers Alladian sur les échanges commerciaux de Lodzukru
réside dans le fait que les
commerçants de la côte des Quaquah, bénéficiant du soutien et de l'aide des capitaines anglais,
offraient aux producteurs d'huile de palme des prix très rémunérateurs et avantageux. Pendant la
crise de l'huile de palme, les courtiers Alladian ont offert pour le krou d'huile quarante (40)
manilles tandis que les maisons de commerce ont donné trente (30) (1). Les produits qu'ils
présentaient aux paysans étaient toujours de bonne qualité. Ce qui a maintenu la confiance
existant entre producteurs Odzukru et courtiers Alladian.
Les français ont commis une très grave erreur en essayant au lendemain de l'érection de
la Côte d'Ivoire en colonie autonome de supprimer les manilles qui sont utilisées comme monnaie
dans la région du haut Ebrié et dans le pays Quaquah. L'utilisation des manilles dans les
transactions commerciales de ces deux régions est le symbole de la présence des anglais sur la
côte ouest.
En décidant la suppression des manilles sur le territoire de la Côte d'Ivoire, les français
tiennent à mettre fin à l'indépendance et à la liberté des populations des régions où cette monnaie
a cours car la monnaie est le signe de la souveraineté d'un pays, d'un peuple. Les manilles ont été
remplacées par le franc, la monnaie du colonisateurs, de la nouvelle puissance. Le franc est alors
imposé pour toutes les transactions commerciales, mais les populations Odzukru vont s'opposer à
son utilisation dans les échanges commerciaux. En fait, les Odzukru se sont opposés à l'utilisation
du franc dans les transactions commerciales pour deux raisons.
- La première raison est qu'en acceptant le franc comme monnaie, cela signifie la perte de
l'indépendance économique et financière de Lodzukru et la pleine souveraineté de la France sur le
haut Ebrié.
- La deuxième raison est que les principaux traitants de Lodzukru ont thésaurisé une part
importante de leurs avoirs en manilles et la plus grande partie des trésors des lignages est
constituée de manilles. Or la France, en proposant le franc à ses nouvelles colonies afin de
contrôler leurs économies et les flux financiers et orienter les politiques commerciales n'a rien
prévu pour dédommager les paysans. Dans sa recherche de la paix, elle aurait dû racheter toutes
les manilles et remettre aux populations des francs. Si les populations Alladian, Avikam,
Tchaman et Odzukru avaient accepté l'ordonnance française supprimant les manilles (2). Cela
aurait entraîné la ruine des économie de toute la région du bassin occidental de l'Ebrié.
1 - A. N. C. l : Série 1EE 122 p. 6
2 - A. N. S : Section AOF série 5G36.
363
C'est pourquoi les Odzukru se sont opposés à son application (1). Malgré les pressions de
l'administration coloniale française, les populations ont continué à utiliser les manilles(2). Malgré
le poste douanier qu'ils ont installé à Jacqueville pour contrôler les exportations et les
importations de la côte Quaquah vers l'Angleterre et les Américains et surtout mettre fin à
l'influence des voiliers anglais sur les côtes Alladian et Avikam, les français ne parviennent pas à
éliminer la présence anglaise en côte de l'or et à exercer leur mainmise et monopole sur les
activités commerciales de la région. La reprise du commerce anglais en côte de l'or est aussi liée
à l'impopularité, à la brutalité et à la cruauté de la police et de l'armée coloniale ainsi que de
l'administration française qui infligeait aux populations de lourdes amendes comme sanctions et
châtiments.
Les traitants européens qui pendant la crise de l'huile de palme ont été solliciter par les
différentes populations sont mal accueillis dans les villages par des diverses communautés.
L'administration coloniale
française animé par le souci de piller 'Ies populations africaines
tolérait les exactions et les abus des traitants européens et surtout de français qui prenaient des
marchandises sans les payer (3). Leur mépris a entraîné la baisse des activités commerciales
françaises. Ainsi pour favoriser la reprise du commerce français en Côte d'Ivoire J'administration
coloniale française a organisé dans la région de l'Ebrié des séances de discussion avec les
différentes populations afin de parvenir à l'instauration d'un climat de paix parce que pour elle, la
paix est le préalable à tout développement économique (4). Soucieuse de l'avenir commercial de
la colonie, les autorités françaises ont invité les commerçants européens à plus de compréhension
et d'attente avec les populations africaines. Un appel a été lancé par le gouvernement de la
colonie au responsable de l'armée coloniale pour plus de modération, de patience et de
conciliation à l'égard des Noirs. Mais le rapprochement préconisé par l'administration centrale a
eu un écho défavorable auprès des responsables de l'armée qui ont continué la conquête, seul
moyen, selon eux d'imposer la souveraineté de la France à toutes les régions (5).
La souveraineté de la France sur Lodzukru était théorique et non effective. Les français
avaient réussi par les traités à étendre leur hégémonie dans la partie orientale du pays Odzukru
mais la partie occidentale échappait à leur contrôle.
-~----------------------------------------------------------------------------------------------~-----l - J\\. N. S :
Section J\\OF série 5G38
2 - A N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 8
3 ~ A N. C. 1 : Série IBB6 p. 8
4 - A N. S : Section J\\OF série 5G39 p. 8
5 - A N. S : Section J\\OF série 5G35 p. 3.
364
C'est pourquoi, ils décident d'aller à la conquête de la tribu Oboru afin de pacifier tout le
Lodzukru et contrôler ainsi les activités économiques de cette région.
5 : Expédition française contre les Oboru
De nombreuses guerres ont émaillé les relations entre Oboru et Français. Pendant près
d'un demi-siècle, les Oboru par les armes vont s'opposer à la domination et à la mainmise de la
France sur le pays Odzukru. Ils ont défendu avec courage l'indépendance de Lodzukru.
Le Lodzukru, depuis la réalisation de son unité vers fin XVIIè siècle début XVllIè siècle
(1) n'a jamais connu la domination d'une puissance étrangère. Les Odzukru ont toujours vécu
dans la liberté, l'indépendance et la paix. Les tentatives des Baulé Elomoin au début du XVllIè
siècle pour le contrôle de la route du sel, qui partait du pays Alladian pour aboutir au Soudan, en
traversant les pays Odzukru, Abidji et Baulé ont échoué (2). Les Baulé Elomoin ont été battus par
les Odzukru lors de la bataille décisive dans la savane de Gbadzn (3). Une partie de l'armée
Elomoin décide après la bataille de rester dans le Lodzukru et fonde dans le village de Lokp le
quartier Ayimanbou. Ayimanbou serait la déformation de la phrase "Ayim ma ba" qui signifierait
en Baulé "on viendra demain". Les Odzukru ont toujours défendu leur indépendance et intégrité
.territoriale face aux agressions extérieures. C'est un peuple très jaloux de son indépendance et de
sa liberté (4).
La première guerre entre Oboru et colonies françaises a eu lieu en 1854. En effet au cours
de cette année, une colonie française qui descendait au village de Bobor pour punir la population
"rebelle" a eu huit (8) soldats tués. La France pour se venger de ses morts et de son échec décide
un blocus contre les Oboru. L'entrée de la baie de Mopoyem est gardée pendant trois ans par la
canonnière le "marigot" interdisant ainsi toute communication entre les Oboru et l'extérieur.
L'objectif de ce blocus est d'asphyxié économiquement les Oboru et de les obliger à reconnaître
la souveraineté de la France sur la partie occidentale de Lodzukru. Mais les Oboru n'ont pas
pendant ces trois ans modifié leur comportement à l'égard des Français car ils étaient
approvisionnés en produits manufacturés européens surtout en poudre à canon par les courtiers
Alladian du village
1 - Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodzukru p. 142
2 - Enquête réalisée à Orgbaff le 28 décembre 1984 auprès de M. Sylvestre AFFI.
3 - Enquête réalisée à Orgbaff auprès de M. ESSOH LATTE Benoît le 28 août 1986.
4 - Enquête réalisée à Lokp le 20 septembre 1987.
5 - A. N. S : Fonds Ex AOF : microfilm IM40.
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Dabou
Camp des
365
d'Addah et par les tribu Eusru et Orgbaffu. Le deuxième conflit qui se déroule en 1863, est une
fois encore meurtrier pour les français
qui ont perdu quinze soldats. Treize (13) tirailleurs
sénégalais de l'armée coloniale, un officier français et le chef de poste de Dabou qui se rendaient
au village de Tiaha pour châtier les populations hostiles à tout commerce avec les traitants
français ont tous été tués et ont eu la tête tranchée.
Les Oboru procédaient
par embuscade, une tactique de guerre très populaire dans la
région. Il s'agit d'une forme de "guérilla". La guerre de mouvement est inconnue par les Odzukru
qui opèrent souvent par surprise. C'est par le système des guets-apens que les guerriers Oboru
venaient à bout des troupes coloniales. Quatre ans plus tard, c'est à dire en 1867, Lelache,
responsable du jardin botanique du fort de Dabou et une vingtaine de personnes dont des soldats
et des commerçants européens
Cl) ont été massacrés par les Oboru au cours d'une attaque
surprise du fort. Lelache a été scalpé et sa barbe et sa chevelure sont considérées par les Oboru
comme des trophées de guerre. Les Oboru s'énorgueillaient dans le Lodzukru d'être les seuls à
pouvoir tuer des blancs et à boire dans leurs crânes. Les Français sont devenus la terreur des
populations à cause des nombreuses châtiments qui leur infligeaient, les troupes françaises ne
faisant pas la différence entre groupes soumis et insoumis.
Les défaites répétées de l'armée coloniale française ont contribué à démystifier le blanc
qui est considéré par la croyance populaire Odzukru
comme un génie appelé en Odzukru
"Elmis". Pour les Odzukru les génies sont tous blancs.
Les affrontements entre Oboru et Français au cours de l'année 1898 ont été les plus
meurtriers pour les deux parties. Les Oboru étaient nombreux et pleins d'ardeur guerrière (2). La
seule tribu de Bobor en excluant le village de Tukpa pouvait réunir près de mille deux cents
(1.200) guerriers tous armés de fusils de modèle "Tower" (3). Mais avec la participation des
volontaires Orgbaffu et Eusru, Bobor pouvait aligner trois mille (3.000) guerriers (4). La tribu
Eusru pouvait aligner pour la défense de son territoire au moins mille (1.000) à mille cinq cents
(1.500) guerriers et la tribu Orgbaffu deux mille (2.000). Toute la confédération de Bobor en cas
de conflit pouvait réunir près de six mille (6.000) guerriers.
1 - A. N. C. I : série lEE122 (1) pièce 6
2 - Joseph COYU. La Côte d'Ivoire chrétienne page 50
3 - A. N. S : Section AOF série 5G35 p. 6
4 - Enquête réalisée à Orgbaffle 27 décembre 1984 auprès de M. Benoît ESSOH LATTE.
366
La décennie 1890 a été pour le Lodzukru, une décennie troublée par de nombreuses
guerres. En effet, en 1891, le chef de poste de Dabou, Pean Octave, assurant aussi les fonctions
de résidant général par intérim de la France en Côte de l'or entreprend une expédition punitive
contre les Dibrim Egn, AIliés privilégiés des français dans le Lodzukru. Depuis 1850, date de la
signature des premiers traités entre le Lodzukru et la France, les Dibrim Egn qui recherchaient un
appui extérieur pour étendre leur hégémonie sur les Oboru, leur ennemis de toujours, ont accepté
de placer le Lodzukru sous la domination de la France. Parmi les traitants Odzukru de Dibrim, on
comptait de nombreux amis des français. Adou Sess, Bediakou, Adjessi, Kètèkrè 1 et II
et
Thiamel. Ils sont tous des agents français dans le Lodzukru. Entre Dibrim et la France, c'était la
paix et l'amitié (1). Les Dibrim Egn, malgré la mauvaise qualité des marchandises françaises
commerçaient avec les factoreries instaIlées dans le blockhaus. Ils étaient les premiers
fournisseurs des factoreries françaises en huile de palme dans le Lodzukru . Mais en 1891, on
assiste à une dégradation des relations entre Français de Dibrim Egn. En effet Octave Pean exige
de chaque village de la tribu quelque soit sa population de fournir dix (la) personnes et quarante
(40) pour Dibrim dont dix (10) pour chacun de ses quatre quartiers, pour les corvées de Dabou.
Les représentants des différents villages devaient servir de main-d'oeuvre pour la restauration de
l'ancien fort de Dabou abritant le siège du résidant général de France en côte de l'or (2). Mais les
Dibrim Egn refusent de fournir des manoeuvres pour deux raisons. D'abord le travail n'est pas
. rémunéré et ensuite, ils trouvaient cela humiliant car dans le Lodzukru les corvées sont réservées
aux esclaves (3). Face à ce refus collectif de toute la tribu des Dibrim Egn, Pean Octave et sa
troupe envahissent par surprise tous les villages de la tribu, situés tous dans un rayon de trois
kilomètres autour du poste. Tous les villages de la tribu sont incendiés. Le chef de poste leur
inflige une lourde rançon d'une valeur de cinquante mille (50.000) manilles soit dix
mille
(10.000) F.
La population de Dibrim est surprise de cette attaque car elle n'a jamais imaginé qu'eIle
serait l'objet d'une agression de la part des Français compte tenu des bonnes relations d'amitié qui
les liaient. Cette agression entraîne alors
au cours des cinq premières années la baisse des
activités commerciales à Dabou. Le commerce a été très florissant à Dabou au cours des années
1880. Ce qui a permis au commerçants français de réaliser d'importants bénéfices et de
contrebalancer le courtage Alladian dans la région de Dabou.
1 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (112) p. 6
2 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) p. 6
3 - A. N. C. 1 : Série 1BB5 pièce 7
367
Les Dibrim Egn, au lendemain de l'attaque des troupes de Octave Pean sont en général
déçus de l'autoritarisme des français et leur tendance à utiliser la force armée pour résoudre les
r
problèmes. La guerre de 1891 entraîne au sein de la classe dirigeante de la tribu des Dibrim Egn
et surtout chez les traitants une divergence de point de vue face à la nouvelle politique à adopter à
l'égard des français (1). Deux thèses s'affrontent. La première soutenue par les traitants Adjessi,
Yebremery et Afo préconisent la rupture des alliances avec la France et le rapprochement entre
Bobor et Dibrim et la création d'une ligue commerciale pour protester contre la baisse des prix (2)
des produits agricoles et de cueillette. La deuxième tendance soutenue par Kètèkrè et Thiamel
souhaitent le maintien des relations avec les français. Fort de leur appui et de leur attachement à
la France, Kètèkrè est nommé en 1897 chef supérieur des Odzukru l
Thiamel, chef de Dabou.
Ces nominations constituent une récompense pour les deux traitants pour leur fidélité et leur
attachement à la France. Les relations entre la France et la tribu de Dibrim rompues en 1891 n'ont
été rétablies qu'en Avril 1896. Les Dibrim Egn, réconcilies avec la France ont été à l'origine de la
soumission des Oboru (3).
Le 23 Avril 1896, à la grande surprise générale, tous les chefs de la tribu de Bobor
conduits par Youssess, chef du village de Bobor et âgé d'une soixantaine d'années sont arrivés à
Dabou pour se soumettre à l'administration du cercie de Dabou, représentant le gouvernement de
la colonie (4). Depuis 1850, c'est la première fois que les Oboru reconnaissent la souveraineté de
la France sur le Lodzukru.
C'est ce que note l'administrateur du cercie de Dabou.
« Depuis la fondation de la colonie, jamais ces chefs n'avaient voulu se présenter à
Dabou, ni reconnaître notre autorité (5) ».
Le 27 Août 1896, les Oboru, en signe de sounussion ont remis à l'administrateur la
chevelure et la barbe de Lelache, chef jardinier de Dabou ainsi qu'un fusil de deux coups dont
celui-ci était porteur (6). Les responsables de la tribu de Bobor,
------------------------------------------------------------------------------------------------------1 - A. ~. C.
1 : Série 1BB5 pièce 8
"1:
2 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (25) p. 3
3 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (25) p. 5
4 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (26).
5 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série ~G 1 (25) p. 6
6 - A. N. C. I : Série 1BB3 p. 6.
368
Dès le 15 Août 1895, sur les conseils des Dibrim Egn et de Bony, le plus riche des
traitants Alladian et roi d'Emoquah se sont rendus à Grand-Bassam pour implorer la clémence du
gouverneur de la colonie et se réconcilier avec la France. Au cours de cette visite à Grand-
Bassam, les Oboru ont demandé au gouverneur en signe de leur sincérité et de soumission de
nommer à Bobor, capitale de la tribu des Oboru un commis aux affaires indigènes et d'y établir
un garnison de miliciens. Ils ont aussi demandé le retour de Mo, un traitant de Dibrim, déporté au
Congo en 1895 (1). Afo était très hostile aux traitants européens qui commettaient des exactions
dans les villages Odzukru..
Les traitants français enlevaient dans les débarcadères de Lodzukru des femmes et
prenaient en otage des enfants (2). Les traitant européens auteurs de ces délits étaient raretés puis
relaxés. Souvent, ils étaient condamnés à payer une amende qui s'élevait quelque fois à 100 F
soit 500 manilles (3).
Afo est accusé par ses détracteurs d'avoir assassiné" en sorcellerie: Kètèkrè, grand traitant
de Dibrim, ami inconditionnel des français et chef supérieur des Odzukru. Kètèkrè a été nommé
pour sa loyauté et son attachement à la France. Afin de prévenir à la paix avec la tribut Oboru, le
gouvernement de la colonie de Cote d'Ivoire a ordonné le retour de Afo au pays, mais Afo était
.décédé dans sa captivité au Congo, précisément à la prison de Njolé.
La soumission des Oboru entraîne au cours de l'année 1895 le développement du
commerce français dans le Lodzukru et surtout dans les villages débarcadères. Les activités
commerciales deviennent florissantes et les maisons de commerce européennes réalisent
d'importantes bénéfices. La détente entre Oboru et français entraîne l'essor des activités
économiques des deux rives de la lagune Ebrié et de l'arrière pays. Le tracé de la route Dabou -
Tyasalé en 1898 a permis le drainage des produits des régions de savane vers Dabou et facilite
surtout la descente des caravanes du Nord vers la cote (4) . Les traitants africains installent eux
aussi des factoreries à Dabou qui devient après Grand-Bassam, capitale de la colonie, le
deuxième pole économique de la Cote d'Ivoire. Dabou était l'avant port de Grand-Bassam car ce
centre commercial est relié à tous les grands centres économiques de forêt et de savane (5)
1- AN.S. : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (25) pièce 5
2- AN.C.I. : Série 1BB3 pièce 4
3- AN. S. : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (25) pièce 2
4- A.N.C.I. : 1EE 122 (2) p.6
5- A.N.S. : Série 1EE 122 (1) p.2
369
Le rapprochement entre Oboru et français n'a duré que deux ans parce qu'au cours du 2è
semestre de l'année 1898, les Oboru se sont révoltés contre les français.
Plusieurs faits sont à
l'origine de cette rupture. L'administrateur du cercle a lancé, en 1898, un appel à tous les villages
Odzukru leur demandant de fournir des porteurs à la colonne Monteil qui se rendait en
exploration dans les régions du centre en zone de savane. Chacune des huit (8) tributs de
Lodzukru devait fournir ses soixante dix (70)
porteurs. Dibrim s'est empressé de fournir ses
soixante dix (70) porteurs mais quant aux Oboru, ils ont répondu à l'administrateur du cercle de
Dabou
Mr Voisin
qu'ils n'étaient pas les esclaves des blancs (1). Les Oboru reprochaient à
l'administrateur Voisin d'être à l'origine de la baisse des prix de l'huile de palme dans le bassin
occidental de l'Ebrié et de favoriser la hausse des prix de vente des marchandises européennes.
La baisse du prix de l'huile de palme entraîne la dégradation du pouvoir d'achat des populations
Odzukru. Mais elle favorise l'accroissement des bénéfices des commerçants européens.
Les Oboru ont alors compris que la présence française dans le Lodzukru était synonyme
de pillage et d'exploitation des ressources de la région. Les agents des factoreries françaises
malgré les recommandations et les consignes de l'administrateur du cercle de Dabou et les
protestations des populations Odzukru continuaient à prendre en otage les femmes et les enfants
des tributs de l'intérieur qui se rendaient dans les débarcadères pour y vendre de l'huile de palme.
Aucune sanction n'était prise en l'encontre des agents des factoreries. En avril 1898, les notables
des villages de Bobor, Kpâdâ et Tiaha qui se sont rendus à Dabou pour y rencontrer le chef de
poste ont été arrêtés et emprisonnés. Ils ont passés trois jours et n'ont été relaxés qu'après le
paiement d'une rançon de ] .500 paquets de manilles soit 6.000 F (2).
L'incarcération des notables est ressentie et considérée par toute la tribut Oboru comme
une provocation, un affront qui ne pourra être lavé que si les français étaient chassés et expulsés
du territoire de Lodzukru. Du côté des français, le refus des Oboru de fournir des porteurs est un
acte d'insubordination qu'il faut réprimer sévèrement afin que ['exemple ne soit pas suivi par les
autres populations de l'Ebrié presque tous les jours en effervescence. C'est pourquoi, le colone!
Monteil décide à [a tête d'une colonne, une expédition punitive contre le village de Bobor et ses
dépendances.
1- AN.C.I. : série ]EE ]22 (I) pièce 6
2- AN.s. : section Côte d'ivoire série 2G] (28) pièce 8
3- AN.C.I. : série lEE 122 (1) pièce 6
370
Mais l'attaque est reportée car Monteil a reçu la veille un télégramme lui annonçant la prise se la
ville commerciale de Kong par Samory. Il se porte alors au secours de Kong pour la libérer de
l'invasion des Sofa de Samory.
Les tributs de la confédération de Bobor (Aklodze, Orgbaff, Gbadzn, Usr, et Bobor)
réunis à Bobor , capitale de la confédération décident d'aller en guerre contre les français afin de
les expulser de Lodzukru. Pour la confédération de Bobor, la guerre était le seul moyen pour les
Odzukru de chasser les français de son pays et de recouvrer la liberté et son indépendance
confisquée depuis 1853.
En 1896, les Oboru, en reconnaissant l'autorité de la France sur tout le Lodzukru ont fait
un repli stratégique dont l'objectif est de favoriser le rapprochement entre les Odzukru et les
commerçants français afin de se procurer de la poudre à canon dont la vente est réglementée par
l'administration française. Les Oboru ont mis à profit cette période de pais, de collaboration pour
se préparer à la guerre afin de chasser et d'expulser militaires, commerçants et administrateurs
français de Lodzukru et de châtier les Alladian de Jacqueline (Emoquah) qui les ont trahis (2) .
En effet,
sous la conduite du courtier Bonny, les traitants d'Emoquah (Half-Jacques) se sont
soumis à l'administration française et ont refusé
d'accorder des crédits aux Oboru et de leur
vendre des armes à feu (3).Les traitants d'Emoquah avaient alors pris partie pour les français en
refusant de soutenir les Oboru qui luttaient pour la liberté et l'indépendance du commerce dans le
bassin occidental de l'Ebrié. Les Oboru s'étaient promis de punir Bonny et ses amis en brûlant
leur village (4) . Pendant la trêve, la liberté a été alors accordée aux traitants européens de
parcourir la partie occidentale de Lodzukru, d'y acheter l'huile de palme et les palmistes et d'y
vendre les articles importés, la partie orientale étant depuis 1850, soumise à la France.
Durant près d'un demi-siècle d'intenses activités commerciales, les Oboru et les Eusdru,
les deux tributs hostiles à la présence française en pays Odzukru, avaient accumulé grâce au
commerce de l'huile de palme des fortunes considérables qui leur permettaient de s'enorgueillir.
Les Oboru de façon générale et les Eusru en particulier refusaient de répondre aux
convocations du chef de poste de Dabou, d'exécuter les ordres de l'administrateur de cercle, de
fournir des manoeuvres pour les corvées à Dabou et de se référer
1- AN.C.r. : série lEE 122 (1) pièce 8
2- AN.C.I. : série lEE 122 (1) pièce 4
3- AN.C.r. : série lEE 122 (1) pièce 6
4- AN.C.I. : série lEE 122 (2) pièce 6
371
pour le règlement des litiges à la justice européenne qui, depuis 1897, a cours à Dabou. Le chef
de poste et l'administrateur du cercle de Dabou, aidés de quatre africains choisis parmi les grands
traitants rendaient justice. Une fois par semaine, le chef du poste de Dabou, aidé de quatre
assesseurs, choisissait un jour pour présider à un tribunal indigène au cours duquel les conflits
entre villages. Les clans et les lignages sont jugés. Les Abidji, les Ahizi, les Brignans, les
Tchaman et les Odzukru se rendaient à Dabou pour se faire juger (1). Jusqu'en 1898, l'autorité
française sur la partie occidentale de Lodzukru était superficielle car les populations de cette
région étaient en Etat de guerre.
La guerre entre Oboru et Français
La guerre de septembre 1898 entre Français et Oboru a été atroce pour les deux groupes.
Les Oboru, au cours de cette bataille décisive ont aligné mille cinq cents guerriers. En effet, en
pays Odzukru, tous les hommes initiés étaient tenus d'aller en guerre pour défendre
l'indépendance et l'intégrité territoriale de leur village. Il n'existait pas d'armée de métier. La
défense du territoire national est assurée par des hommes valides, les malades et les personnes
âgées en étaient exclus. Mais seuls les hommes possédant un fusil et une ceinture à munitions
pouvaient aller en guerre. Les fusils utilisés par les Odzukru étaient d'origine anglaise, danoise, et
soudanaise et aussi de fabrication locale (3). Les ceintures d'origine Baulé étaient en cuir fermées
par un couvercle et divisées entre quinze à vingt compartiments chacun portant un petit flacon
d'une charge de poudre (4). Les fusils étaient en pierre.
En 1898, par rapport aux autres années où ils étaient approvisionnés en poudre à canon,
les Oboru étaient sous-équipés et mal préparés car ils manquaient de munitions. En effet, au cours
de cette période, l'administration coloniale a interdit aux factoreries européennes la vente des
armes à feu (fusil et poudre à canon) sur tout le territoire de Lodzukru afin de prévenir toute
révolte (5).
Pour se rendre au combat, les Odzukru portaient un cache-sexe appelé en Odzukru
"Abraku" fait de deux à trois bandes d'étoffe et un fétiche protecteur. Le départ en guerre est
précédé d'un sacrifice au génie protecteur du village ou de la
1 - A. N. C. I : Série lEE122 (2) pièce 8
2 - A. N. C. I : Série lEE 122 (7) pièce 7
3 - A. N. C. l : Série lEE122 (4) pièce 3
4 - A. N. C. I : Série IMi 40 microfilm.
5 - A. N. C. l : Série 1. O. C. l année 1898
372
capitale de la tribu afin qu'il épargne ses protégés de la mort et leur assure la victoire. Chacune
des familles préparaient pour ses combattants un fétiche appelé en Odzukru "Bansa" ou "cabra".
Le fétiche protecteur est placé sous un boisseau ou un mortier sur lequel s'asseyait la mère ou la
soeur jusqu'au retour du combat. Elle ne devait pas boire. Toute violation de ces deux interdits
entraînait automatiquement selon les "anciens" la mort du protégé (1). Les guerriers pour leur
protection ont recours à leur parents parce qu'ils étaient convaincus qu'ils ne seraient jamais trahis
or avec l'épouse, les risques d'une
trahison sont très grands. Les combattants faisaient plus
confiance en leur mère qu'à leurs épouses.
Certains guerriers, avant de se rendre au combat se badigeonnaient le corps de terre noire
et se peignaient la figure de poudre de charbon. Ils sont armés d'un fusil et d'un large coutelas.
Les fusils étaient chargés avec des morceaux de plomb, de silex et de fer coupés à angles aigus.
Cela avait la particularité de rendre les blessures fortes et difficiles à guérir. Ils étaient exhortés
au combat par les tambours parleurs et par des olifants. Les Odzukru ne faisaient jamais de
prisonnier. Les captifs avaient la tête tranchée.
En février 1898, au cours d'une expédition punitive contre Usr, allié de Bobor, les français
ont été mis en échec. Ils ont perdu cinquante
quatre (54)
personnes (2). Les officiers qui
.dirigeaient l'expédition ont eu la tête tranchée et leurs corps laissés aux vautours. Les Français ont
échoué parce que les Eusru et les Oboru avaient une longue pratique de la guerre d'embuscade
(3).
Les populations creusaient des fosses de 2 à 4 mètres de profondeur et de 2 mètres de
large. Des ronces et des épines sont placées à l'intérieur des fosses. Ensuite, elles étaient
recouvertes de feuilles de banane. Sur ces feuilles, elles répandaient du sable, puis des feuilles
mortes. Certains guerriers se cachaient dans les feuillages pour attendre le passage des colonnes
françaises.
Les Oboru et leurs amis étaient toujours informés des mouvements des troupes françaises.
Cela leur permettaient d'évacuer leurs affaires dans les sous bois ou dans les villages Avikam..
L'entrée des villages est barricadée pour empêcher l'occupation du village par les soldats français.
Les troupes
1 - Enquête collective réalisée le 12 Août 1985 à Orgbaff au quartier Edjem Afr.
2 - A. N. C. l : Série lEE122 (7) pièce 8
3 - Enquête collective réalisée à Dibrim le 22 août 1988.
373
françaises, lorsqu'elles réussissaient à pénétrer dans les villages, les incendiaient. Ainsi au cours
du mois d'avril 1898, la plupart des villages de la tribu de Bobor ont été incendiés et détruits.
Mais les populations n'éprouvaient aucune difficulté à reconstruire leurs villages età bâtir de
nouvelles cases dont les toits sont en feuilles de raphia tissées.
Lors d'une expédition punitive dans l'Ebrié occidentale par le "Diamant", une canonnière
appartenant à la station navale française, stationnée à Gorée, deux français Eudes, agent
commercial, d'une des factoreries établies à Grand-Bassam et Voas, mécanicien du diamant et
quelques miliciens qui se rendaient dans le village de kpàdà pour châtier les populations accusées
de piller les embarcations des traitants européens et refusant toute transaction commerciale avec
les européens sont massacrés dans une embuscade au débarcadère de kpàdà (1). Les guerriers
Oboru cachés dans les feuillages se sont rués sur les européens qui marchaient en tête de la
colonne (2), chacun d'eux portait un fusil à répétition. Les Oboru ont été déjà informés par leur
service de renseignements de l'imminence d'une expédition punitive contre eux.
Face à ce nouvel échec, l'administrateur du cercle de Dabou, voisin a demandé au
gouverneur de la colonie, l'envoi de cinq cents (500) hommes de troupe pour une expédition
punitive contre le village de Bobor afin de briser la résistance et les velléités d'indépendance des
Oboru. La résistance des Oboru compromettait la souveraineté française non seulement dans le
Lodzukru mais dans tout le bassin occidental de l'Ebrié. Les autorités politiques et
administratives françaises de la côte d'Ivoire étaient convaincues que seuls des soldats de métiers
pourraient venir à bout des Oboru qui, depuis 1850, refusaient toute soumission à la France.
L'armée coloniale de la Côte d'Ivoire a bénéficié de renfort d'un détachement de tirailleurs
Sénégalais venu du Sénégal (3). Tout le détachement fort de cinq cents (500) soldats est placé
sous les ordres du capitaine Gallet. A cette troupe régulière s'ajoutent cent quatre vingt dix (190)
guerriers de Dibrim, tous porteurs d'un fusil (4). Il s'agissait du soutien de Kètèkrè II, chef
"supérieur" des Odzukru, à la France pour son oeuvre de pacification. On note aussi la
participation des guerriers Alladian, principalement des ressortissants du village d'Half Jack
(Emoquah), fournis par Bonny, nommé par les Français, chef supérieur des Alladian et des
guerriers Abidji et Ahizi. La plupart des guerriers de Dibrim
1 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (4) pièce 5
2 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (4) pièce 8
3 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) pièce 6
4 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) pièce 6
374
françaises, lorsqu'elles réussissaient à pénétrer dans les villages, les incendiaient. Ainsi au cours
du mois d'avril 1898, la plupart des villages de la tribu de Bobor ont été incendiés et détruits.
Mais les populations n'éprouvaient aucune difficulté à reconstruire leurs villages et à bâtir de
nouvelles cases dont les toits sont en feuilles de raphia tissées.
Lors d'une expédition punitive dans l'Ebrié occidentale par le "Diamant", une canonnière
appartenant à la station navale française, stationnée à Gorée, deux français Eudes, agent
commercial, d'une des factoreries établies à Grand-Bassam et Voas, mécanicien du diamant et
quelques miliciens qui se rendaient dans le village de Kpàdà pour châtier les populations
accusées de piller les embarcations des traitants européens et refusant toute transaction
commerciale avec les européens sont massacrés dans une embuscade au débarcadère de Kpàdà
(1). Les guerriers Oboru cachés dans les feuillages se sont rués sur les européens qui marchaient
en tête de la colonne (2), chacun d'eux portait un fusil à répétition. Les Oboru ont été déjà
informés par leur service de renseignements de l'imminence d'une expédition punitive contre eux.
Face à ce nouvel échec, l'administrateur du cercle de Dabou, Voisin a demandé au
gouverneur de la colonie, l'envoi de cinq cents (500) hommes de troupe pour une expédition
punitive contre le village de Bobor afin de briser la résistance et les velléités d'indépendance des
Oboru. La résistance des Oboru compromettait la souveraineté française non seulement dans le
Lodzukru mais dans tout le bassin occidental de l'Ebrié. Les autorités politiques et
administratives françaises de la Côte d'Ivoire étaient convaincues que seuls des soldats de métiers
pourraient venir à bout des Oboru qui, depuis 1850, refusaient toute _soumission à la France.
L'armée coloniale de la Côte d'Ivoire a bénéficié de renfort d'un détachement de tirailleurs
Sénégalais venu du Sénégal (3). Tout le détachement fort de cinq cents (500) hommes de troupe
pour une expédition punitive contre le village de Bobor afin de briser la résistance et les velléités
d'indépendance des Oboru. La résistance des Oboru compromettait la souveraineté française non
seulement dans le Lodzukru mais dans tout le bassin occidental de l'Ebrié. Les autorités
politiques et administratives françaises de la Côte d'Ivoire étaient convaincues que seuls des
soldats de métiers pourraient venir à bout des Oboru qui, depuis 1850, refusaient toute
soumission à la France. L'armée coloniale de la Cote d'Ivoire a bénéficié de renfort d'un
détachement de tirailleurs Sénégalais venu du Sénégal (3). Tout le détachement fort de cinq cents
(500) soldats est placé sous les ordres du capitaine Gallet. A cette troupe régulière s'ajoutent cent
quatre vingt dix (190) guerriers de Dibrim, tous porteurs d'un fusil (4). Il s'agissait du soutien de
Kètèkrè II, chef "supérieur" des Odzukru, à la France pour son oeuvre de pacification. On note
aussi la participation des guerriers Alladian, principalement des ressortissants du village d'Half
Jack (Emoquah), fournis par Bonny, nommé par les Français, chef supérieur des Alladian et des
guerriers Abidji et Ahizi. La plupart des guerriers de Dibrim
l - A. N. C. 1 : Série lEE122 (4) pièce 5
2 - A. N. C. I.: Série lEE122 (4) pièce 8
3 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) pièce 6
4 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) pièce 6
375
envoyés en renfort à l'armée coloniale étaient les meilleurs de la tribu des Dibrim Egn (1).
Aidé par des espions de Dibrim de d'Emoquah (Half Jack) qui connaissent bien la région
de Bobor et environ, le capitaine Gallet effectue des missions de relevés topographiques de la
région de Bobor. Toutes les informations sur Bobor et environ ont été fournies à l'administrateur
français Voisin par les Dibrim Egn. Ils ont informé l'administrateur du cercle de Dabou sur le
nombre de fusil dont disposait la ligue de Bobor, formée en 1896 et comprenant les Oboru, les
Eusru et les Orgbaffu (4). Mais les Orgbaffu redoutant un affrontement avec les français se
retirent en 1898. Les Orgbaffu ont été alors contraints et sommés par l'administrateur coloniale de
reconnaître Kètèkrè II comme leur chef et de lui payer cinq cents (SOO) paquets de manilles (5).
On leur a aussi demandé de fournir des guerriers contre les Oboru leurs frères. Mais cette
dernière exigence a été rejetée par les Orgbaffu qui ne peuvent quelque soit la gravité des
problèmes prendre les armes. contre les Oboru . Un pacte d'assistance mutuelle et de non
agression a été conclu entre les deux tribus au début du XVllIè siècle (6). Les Orgbaffu
considèrent Bobor comme leur grand village, leur premier village parce que, c'est de Bobor, que
sont partis les EB OWREM Egn, fondateurs du village d'Orgbaff. Les Orgbaffu Edzem Egn,
venus d'ames-Kpàdà dans la région de Grand-Lahou ont séjourné d'abord quelques années à
Oboru, les Orgbaff ont été condamnés à verser chaque année à Kètèkrè, chef supérieur des
Ddzukru vingt (20) paquets de manilles comme signe de reconnaissance à son autorité (7).
Kètèkrè a été imposé aux Odzukru par les français.
La ligue des Oboru disposait de près de deux milles (2.000) guerriers. En septembre 1898,
après l'échec d'une première expédition, au cours de laquelle, les français ont eu de nombreux
soldats tués (9), les colonnes françaises ont réussi à briser la résistance Oboru grâce au soutien
des Dibrim Egn. La population de Bobor a été surprise de nuit par les colonnes françaises qui
incendièrent le village. Toutes les issues de sortie du village
1 - Enquête réalisé à Orgbaffle 22 Août 1983 auprès de Mr. Sylvestre AFF!.
2 - Enquête collective réalisée à Edjem Afr, Orgbaff le 22/8/87
3 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (4) pièce 6
4 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (S) pièce 8
S - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) pièce 6
6 - Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1983 auprès de Mr Sylvestre AFF!.
7 - Enquête publique réalisée à Orgbaff le 26 Décembre 1987.
8 - A. N. C. 1 : Série IEE 122 (1) pièce S.
376
ont été fermées et contrôlées par des militaires français pour empêcher toute évasion de la
population. On assiste alors à un véritable massacre. Mais les Oboru malgré l'effet de surprise se
sont défendus avec énergie et courage et les français ont eu dans leurs rangs de nombreux blessés
et tués (1).
Les rapports français ont estimé à mille (1000) le nombre de personnes tuées du côté de
Bobor. Le chiffre avancé par les autorités françaises est très élevé parce que Bobor, à cette
époque n'avait pas une population élevée, pouvant dépasser plus de mille (1000) habitants (2). La
population totale de ce village en 1921 a été estimée à 1186 habitants (2). Bobor dans le
Lodzukru appartient au groupe des villages moyens. Les guerriers de la tribu venaient de tous les
villages. La nuit tombée, les guerriers regagnaient leurs villages respectifs. Mêmes les Eusru,
alliées fidèles des Oboru n'étaient pas présents à Bobor au cours de cette nuits.
AFFI Sylvestre, quant à lui estime à plus d'une centaine de personnes, le nombre d'Oboru
tués. Mais, après toutes les analyses, nous estimons à quelques dizaines de personnes tuées pour
les raisons suivantes. L'opération s'est déroulée la nuit et pour profiter de l'effet de surprise, les
français n'ont pas jugé utile d'allumer des torches, ce qui ne leur a pas permis de viser juste leurs
cibles. Le village de Bobor n'a pas été totalement encerclé par les soldats français. Seuls les
grands axes ont été occupés par les français pour empêcher l'intervention des guerriers des autres
villages de la tribu et des Eusru au côté des Oboru. La population de Bobor (femmes, enfants,
personnes âgées, une partie des guerriers ) s'est réfugiée dans les sous bois. Cela a permis à
Bobor de sauver une bonne partie de ses fils et filles du massacre.
Les Oboru ont été vaincus sans combattre. Ainsi septembre 1898 marque la lin de la
résistance Oboru à la colonisation française. Cette défaite des Oboru est accompagnée du
payement d'une amende de dix mille (10.000) paquets de manilles (4). Soit 2.000 F. L'amende de
guerre a été payée sans difficulté par les Oboru qui ont organisé une collecte publique au cours de.
laquelle, hommes et femmes ont donné ce qu'ils pouvaient pour éviter une nouvelle guerre entre
Bobor et les colonnes françaises. La population de Bobor a été aidée et soutenue par les villages
de la tribu de Bobor et par les Eusru qui ont payé une grande partie de l'amende (5).
1 - A N. C. I : Série lEE122 (1/2) p. 6
2 - A N. C. I : Série lEE122 (1/2) p. 9
3 - A N. C. I : 5 DD7 pièce 8
4 - AN. C. I : Série lEEl22 (1/1) p. 8
5 - A N. C. I : Série lEE122 (1/2) p. 5
377
La conséquence immédiate de la guerre de septembre 1898 a été la baisse des activités
commerciales dans le Lodzukru. Les Orgbaffu, les Olokpu et les Dibrim Egn qui ont approuvé,
soutenu ou participé à l'expédition punitive des troupes françaises contre Bobor ne voulaient pas
envoyer leur huile à Dabou et à Tukpa de peur de subir des représailles de la part des Oboru. Les
maisons de commerce installées à Dabou ont protesté auprès du gouverneur de la colonie contre
les fortes amendes infligées aux
populations parce qu'elles entraînaient la baisse du pouvoir
d'achat des populations (1). Elles constituent alors un obstacle au développement du commerce
français dans le Lodzukru.
Au lendemain de leur défaite, les Oboru ont décrété un embargo commercial contre les
villages Alladian pour les punir de leur "traîtrise". Ils ont alors interdit tout échange commercial
entre la tribu Oboru et les courtiers Alladian qui depuis la 2e moitié du XVlIè siècle ont bâti leurs
fortunes sur le commerce. L'embargo est surtout dirigé contre les courtiers du village d'Emoquah
(Half Jacques) qui ont apporté leur soutien aux troupes 'françaises et marché avec elles contre
Bobor.
Les Oboru dans leur colère ont décidé de châtier les habitants d'Emoquah (Half Jacques)
en brûlant leur village. Mais ce village a été épargné et sauvé grâce à une intervention énergique
.de l'administrateur de cercle de Dabou qui a envoyé un détachement de soldats défendre Je
village contre une quelconque expédition des Oboru et assurer la sécurité de la population
Alladian et européenne. En effet, depuis 1890, on a assisté à une renaissance des activités
commerciales sur le littoral atlantique. De nombreuses maisons de commerce anglaises et
allemandes se sont établies sur le littoral Alladian pour y faire le commerce de l'huile de palme
(2).
Au lendemain de la guerre de septembre 1898, un trafic commercial direct a été établi
entre les factoreries européennes installées à Tukpa et à Dabou et les populations de la partie
occidentale de Lodzukru. Cela a permis aux paysans de se passer des services des intermédiaires
africains, surtout Alladian. Les villages riverains commerçaient directement avec les navires
marchands qui sillonnaient la lagune Ebrié jusqu'à Cosr (3). Les traitants Alladian, sauf ceux du
village d'Addah, qui se rendaient dans les villages de la ligue de Bobor étaient pris en otage (4).
Ils sont torturés et dépouillés de leurs biens. Les courtiers Alladian, otages des Oboru, ne sont
libérés que grâce
1 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (2) p. 5
2 - A. N. C. 1 : Série IBB6 pièce 5
3 - A. N. C. 1 : Série IEE122 (1) p. 8
4 - A. N. C. 1 : Série lEEl22 (112) p. 6
378
aux bons offices de l'administrateur du cercle de Dabou ou de l'intervention des colonnes
françaises (1). Le refus des Oboru de commercer avec le littoral Alladian a entraîné le déciin des
courtiers Alladian, qui depuis la 2e moitié du XVIIè siècle 'dominaient le courtage dans le bassin
occidental de l'Ebrié.
La défaite des Oboru n'a pas entraîné la dislocation de la ligue de Bobor. Mais, au
contraire, elle a renforcé les liens de solidarité entre les membres de la ligue. Cette solidarité a
rendu en 1898, la pacification de Lodzukru incertaine. Car les Eusru ont pris la tête de la
résistance Odzukru à la colonisation française. Toutes les méthodes de conquête utilisées par les
Français pour venir à bout des Odzukru ont abouti à un échec. Ainsi, les Français pour renforcer
leur autorité sur la côte des Quaquah et empêcher toute transaction commerciale entre le pays
Alladian et le Lodzukru ont conclu de nouveaux traités de paix et d'amitié avec les villages
Alladian. Ces nouvelles conventions ont pour but d'isoler le Lodzukru occidental. Les bonnes
relations entre Français et Alladian ont permis à l'administration française de mieux organiser les
postes de douanes.
6 : La création des postes de douane sur le littoral de la côte de l'or.
Dans l'ancien régime commercial, l'interdiction a été faite aux navires marchands
étrangers de s'établir dans les régions sous contrôle français. Mais en 1860, le gouvernement de
Napoléon III se rallie au libre échange et ouvre ainsi les possessions françaises aux navires
étrangers, la franchise ayant été abolie (3). L'ordre a été alors donné aux gouverneurs des
"colonies " de penser à une nouvelle réforme du régime douanier. Ainsi plusieurs projets de
reforme ont été proposés au gouvernement français. Ils ont abouti au Sénégal à l'avènement d'un
nouveau régime douanier qui élimine la discrimination entre produits Jrançais et étrangers en
vigueur depuis la période de l'ancien régime (4).
Des droits de douane ont été institués à l'entrée et à la sortie des "ports" Sénégalais. Ils
devraient constituer une grande partie de ressources qui entreraient dans la confection du budget
de la colonie. Mais ce régime douanier en vigueur au
1 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (112) p. 6
2 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (112) p. 5
3 - Schnapper. La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 202
4 - Schnapper. La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 203
379
Sénégal était en contradiction avec le régime commercial de la Côte de l'or où l'essentiel du
commerce se faisait en mouillage, sur les rades et échappait ainsi au contrôle de l'administration
coloniale. Aucun port véritable n'existait en Côte de l'or et la barre empêchait les navires
marchands de se rapprocher de la Côte. L'essentiel des échanges de la côte de l'or jusqu'en 1890
. était dominé par les navires anglais (1), en contact avec les courtiers africains qui contrôlaient les
trafics commerciaux de l'arrière pays.
Dans la région des Quaquah, les traitants Alladian exerçaient leur monopole sur le
commerce de l'huile de palme devenue, depuis la fin de la traite des noirs, le principal produit
d'exportation du golfe de Guinée vers le continent européens (2). La présence de forts dans les
grandes régions de production de marchandises d'exportation n'ont pas permis aux Français
d'éliminer le courtage africain en côte de l'or.
Avec le nouveau régimecommercial, l'interdit qui pesait sur les factoreries étrangères en
côte de l'or a été levé. Mais il entraîne la diminution des subventions pour le budget des
"colonies" suite à la réduction sensible du budget du ministère de la marine. Les possessions ont
vu leurs budgets réduits d'un tiers alors qu'elles n'ont pas d'autres sources de revenu (3).
Les réformes décidées en 1861 pour la côte de l'or n'ont été appliquées qu'en 1868 après
l'échec des négociations entre la France et l'Angleterre. Cette négociation portait sur l'échange de
la Gambie contre les comptoirs de la côte de l'or (4). Les hésitations à l'application de ces
réformes sont dues au fait que la France cherchait à ménager les nouvelles maisons de commerce
françaises et même étrangères qui prenaient le risque de s'installer en côte de l'or après l'échec de
la maison Régis Renard et autres. La France décide alors d'apporter son soutien à cette deuxième
génération de maisons de commerce qui, à peine installée, commençaient à connaître des
difficultés (5). Les différents décrets promulgués en 1868 accordaient la possibilité aux maisons
de commerce établies en côte de l'or d'importer des marchandises de toutes. origines (6). Le
nouveau système a supprimé les anciens principes. L'exclusivité est supprimée et remplacée par
un droit de douane à l'exportation qui
------------------------------------------------------------------------------------------------------1 - A. ~. S :
Section AOF Série 5G33 p. 6
2 - A. N. C. l : Série lEE122 (1/4) p. 6
3 - Schnapper: La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 213
4 - c. f Schnapper p. 216
5 - c. f Schnapper p. 218
6 - Schnapper : La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 213
380
pesait sur tous les produits quelques soit leurs origines (1).
Les commerçants étrangers pouvaient alors s'installer dans les comptoirs français et y
exercer librement leur commerce. Mais, tous les commerçants, avant leur établissement dans les
colonies françaises, devraient obtenir une autorisation de l'administration française. Ce qui, selon
Schnapper était une mesure policière et non une discrimination économique (2).
Mais en côte de l'or, l'évacuation des comptoirs par les français en Janvier 1871 n'a pas
permis l'application de toutes les mesures tendant à ressusciter en côte de l'or, le commerce
français en déclin. L'objectif premier de la France dans cette région du golfe de Guinée étant la
relance des activités commerciales, l'administration de la côte de l'or a été alors confiée à un
commerçant français, originaire de la Rochelle, du nom de Verdier qui va utiliser ses fonctions
officielles pour faire prospérer ses affaires.
Les droits de douane n'ont été effectivement appliqués en côte de l'or qu'après le troisième
retour des français en Côtes d'Ivoire. En effet, c'est en 1885 qu'a été décidée l'érection de certains
centres commerciaux de la côte maritime en poste de douane (3). Quatre parmi ces centres ont été
retenus à cause de leur situation stratégique, débouchés des voies fluviales, reliées à l'arrière pays
et grands centres commerciaux. 11 s'agit d'Assinie, Grand-Bassam, Emoquah (Half Jacques) et
Grand-Lahou.
Les quatre centres retenus étaient les principaux pôles économiques des régions de la côte
de l'or et des côtes Quaquah. En érigeant ces centres commerciaux en postes de douane, les
français avaient un seul objectif, celui de contrôler tout le trafic commercial de ces régions en
contact avec l'arrière pays et qui ont une longue tradition mercantile. Par le poste de douane
d'Emoquah (Half Jacques) les français sont convaincus de faire main basse sur les activités
économiques du pays Odzukru et d'éliminer la présence anglaise sur la côte des Quaquah parce
que près de 80 % de la production d'huile de palme de Lodzukru sont exportées vers l'Angleterre
par l'intermédiaire des courtiers Alladian O, Quant au poste de Grand-Lahou , il devrait permettre
aux français de contrôler l'intense trafic commercial qui s'opérait entre les voiliers Anglais et les
commerçants Soudanais qui descendaient en caravane sur la côte pour échanger les produits
tropicaux contre les marchandises manufacturées européennes et le sel. Les caravanes venant du
Soudan longeaient
1 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 p. 213
2 - ibid. p. 2 1 3 . '
3 - A. N. S : Section AOF série 5G34 p. 9
4 - A. N. S : Section AOF série 5G35 p. 4.
le Bandama. Ainsi, en s'installant à Grand-Lahou, les français auraient à contrôler la partie
navigable du fleuve Bandama et Tyassalé, principal centre commercial de l'arrière pays. Le
village de Tyassalé était le principal entrepôt de l'intérieur. C'est le débouché de tous les produits
de l'intérieur. De ce village transitaient la plupart des produits des régions du Nord et du Centre
. pour la côte. Tyassalé était le point de jonction pour les commerçants du sud et de ceux de
l'intérieur. C'est la porte d'accès de la côte maritime, passage obligé pour entrer en contact avec
les navires européens (1).
Les postes de douane de la côte maritime orientale sont construits en matériaux modernes
importés d'Europe (2) (briques, tôles, chaux etc...).
La mise en forme du projet d'établissement des postes de douane conformément au décret
de Janvier 1885 a été confiée à Charles Bour, ancien sergent de l'infanterie de marine et
administrateur de troisième classe, nommée en ] 884, commandant particulier de la côte de l'or
(3). C'est en février 1885, en pleine saison sèche que Charles Bour débarque à Grand-Bassarn
avec pour mission d'organiser les services de douane de la côte de l'or afin de permettre à la
colonie de confectionner son budget à partir des droits de douane, les taxes devant apporter à la
colonie annuellement cent mille (100.000) francs. Les premiers postes de douane sont construits à
Assinie et à Grand-Bassam en Octobre et en Décembre ]885 (4). Ceux de Jacqueville et de
Grand-Lahou sont reportés à une date ultérieure car Charles Bour manquait de moyens et de
personnel. Les exportations d'Assinie et de Grand-Bassam sont soumises à une taxe obligatoire.
Cela entraîne une protestation des agents de la maison Verdier parce que la douane favorise plus
le commerce anglais que le commerce français (5), les français étant obligés à vendre plus cher
que les anglais.
L'érection de la côte de l'or en zone douanière a permis aux anglais sur la côte des
Quaquah de s'adonner tranquillement aux échanges avec les courtiers Alladian. Cette nouvelle
politique a permis aux anglais de contrôler au moins 50 % du commerce de la côte de l'or. Les
maisons de commerce ont accusé Charles Bour de détruire le commerce français en côte de l'or.
Ainsi le premier projet de service de douane fut un échec (6).
1 - A. N. S : Section AOF série 5G33 p. 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G34 p. 7
3 - Paul Atger: la FRANCE EN C. I ; 50 ans d'hésitations politiques et commerciales p. 97
4 - A. N. S : Section AOF série 5G34
5 - A. N. S : Section AOF série 5G34
6 - A. N. S : Section AOF série 5G35 P. 9.
382
Le premier projet d'installation des services de douane en côte de l'or ayant échoué par
suite de la non coIlaboration de Verdier et des maisons de commerce, le résidant de France en
côte de l'or a été chargé de la réinstallation des services de douane en côte de l'or. C'est pourquoi,
dans le souci de protéger le commerce français contre les agressions du commerce Anglais,
Verdier décide de créer à la fois quatre postes de douane en côte de l'or. L'organisation des
services de douane est confiée à un contrôleur de douane d'origine anti1Jaise du nom de Albert
(1).
Dans l'esprit de Verdier et de ses amis, les services de douane devraient surtout permettre
à l'administration française de lutter et d'éliminer la contrebande anglaise très manifeste en côte
de l'or. Par la fraude, les voiliers anglais contrôlaient près de 60 à 70 % du trafic commercial de
la région. La fraude en rade ruinait les activités des sociétés de commerce établies sur la terre
ferme. Les droits de douane perçus à l'exportation des marchandises vers l'extérieur devraient
entrer en grande partie' dans la confection du budget local car depuis 1866, les colonies devaient
elles mêmes trouver des ressources pour la confection de leur budget. Cela a été repris par le
décret du 1er août 1889 qui accordait l'autonomie administrative et financière complète aux
différents comptoirs (2).
Concernant l'autonomie financière de la côte de l'or, autrefois dépendante de la colonie
des rivières du sud, une patente, en plus des droits de douane est imposée aux différents groupes
de négociants qu'ils soient africains ou européens. Ainsi les ressources des "colonies" se
composent des droits de douane, des patentes et autres taxes à l'exportation. Pour une rentabilité
de l'opération, les droits de douane, à partir de 1889 ont été étendus aux produits importés (3).
Car les taxes douanières ne frappaient au début que les produits étrangers (4). Mais lorsqu'elles
ont été appliquées aux produits français, cela a provoqué la protestation des commerçants
français qui voient leurs activités perturbées (5). Cette situation devenue très douloureuse pour
les commerçants Français amène Treich-Laplène, résidant de France en côte de l'or, à proposer
l'application des droits de douane qu'aux seuls produits d'exportation de la colonie (huile de
palme, palmiste, or, bois etc... ) afin de protéger les activités des sociétés de commerce
européennes concurrencées par les courtiers Bassamois et Alladian. Cette
1 - A. N. S : Section AOF série 5G36 p. 8
2 - A. N. S: Section AOF série 5G37 p. 6
3 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 12
4 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 7
5 - A. N. S : Section AOF série 5G37 p. 8
383
nouvelle proposition visait à la destruction des activités des riches traitants de la région de la côte
Sud-Est. Mais la proposition de Treich-Laplène a été rejetée car elle réduisait les rentrées de
ressources et constituait un grand danger pour la confection du budget de la "colonie".
.
Pour lutter efficacement contre la fraude les français ont délimité les eaux territoriales à
trois mille (3.000) marins. Tous les navires en mouillage à l'intérieur de ces eaux payaient les
frais portuaires (1). Au delà des trois mille (3.000) marins se trouvaient les eaux internationales
où aimaient opérer les navires anglais (2). Les voiliers anglais adoraient cette zone afin de ne pas
s'acquitter des droits de douane. La côte était sous le contrôle de l'administration française. Au
delà des eaux territoriales, c'est la contrebande . Par cette pratique, les commerçants anglais
pensaient faire échouer la France pour une troisième fois en Côte d'Ivoire, l'échec entraînerait le
départ de la France et l'occupation de la côte de l'or par l'Angleterre.
La contrebande est pratiquée 'sur tout le long du littoral ivoirien, depuis Grand-Lahou
jusqu'à la frontière de la Gold Coast. On notait deux types de contrebande. La contrebande par
terre du côté de la frontière anglaise et la contrebande par Mer (3). La fraude à terre à la frontière
de la Gold Coast est pratiquée à grande échelle par tous les commerçants quelque soit leurs
origines parce que les populations préféraient les produits anglais et américains par rapport aux
produit français qui étaient de qualité inférieure. C'est pourquoi les traitants africains se rendaient
dans les villages frontaliers de la Gold Coast précisément à New Tawn et à Axim pour se
procurer les produits anglo-saxons (4). Dans ces villages, les courtiers africains des marchands
soudanais, les capitaines anglais ont réussi à étendre la fraude à l'intérieur des terres. Cela a
permis aux anglais de dominer à la fois sur la côte et dans l'arrière pays le commerce français.
Les droits de douane sont perçus sur toutes les exportations de la colonie dépassant cinq
(5) tonnes. Ce droit est appelé droit de sortie (5). Les produits importés frappés par les droits de
douane étaient les alcools, la poudre à canon et le tabac. Ces trois produits constituaient la base
du trafic commercial entre la "colonie" et la France. Les fils de lin, de chanvre et de coton étaient
frappés de 20 % de leur valeur et les tissus de lin, coton, soie et chanvre taxés à 15 % de leur
valeur.
1 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 6
2 - A. N. S : Section AOF série 5G35 p. Il .
3 - A. N. C. 1 : Série IBB6 pièce 8
4 - A. N. C. 1 : Série IBB6 pièce 8
5 - A. N. S : Section AOF série 5G35 p. 6.
384
Ces tarifs jugés très élevés ont suscité une réaction hostile des commerçants européens ainsi que
des commerçants européens ainsi que des consommateurs africains parce que les marchandises
étaient vendues à des prix très élevés, cela constituait un obstacle à leur écoulement et favorisait
le développement de la fraude. Les tarifs douaniers constituaient donc une entrave à la bonne
marche du commerce français en côte de l'or car ils obligeaient les consommateurs africains à
faire de la contrebande avec les navires anglais dont les produits étaient moins coûteux et de
bonne qualité (2).
Les autres produits, surtout les matériaux de construction et les eaux de vie d'origines
étrangères sont frappés d'une taxe de 10 à SO %. Tous les produits importés sont accompagnés
d'un bordereau qui permettait de mieux contrôler leurs origines. Tous les produits, mêmes ceux
qui ne faisaient pas l'objet d'une commercialisation étaient soumis à une taxe très élevée (3). Les
tentatives de modifications souhaitées par les traitants n'ont pas eu de résultats satisfaisants car
les modifications de tarifs ne pouvaient être apportées que par un décret du Président de la
République Française et non par un arrêté du gouverneur (4).
Malgré les tarifs douaniers très élevés qui les empêchaient de réaliser d'importants
bénéfices, les maisons de commerce et les navires français en mouillage dans les débarcadères de
la côte maritime orientale s'acquittaient sans opposition de leur droit de douane afin de bénéficier
de la protection de l'administration française. Par contre, les navires anglais se rebellaient en
refusant de s'exécuter. Ils exigeaient la suppression des barrières douanières qu'ils considéraient
comme une entrave au bon développement du commerce en côte de l'or (S). Le mécontentement
des voiliers anglais s'est traduit par le refus du voilier "Celerico" de s'acquitter de ses droits de
douane au débarcadère d'Half Jacques (Jacqueville) (6). Le capitaine de ce voilier anglais n'a
nullement été inquiété par l'administration française qui est restée impuissante face aux sanctions
à prendre contre les navires anglais. Les capitaines des navires anglais dans leur grande majorité
refusaient de reconnaître la souveraineté de la France sur la côte de l'or (7).
------------------------------------------------------------------------------------------------------1- i\\. ~. S :
Section i\\OF série SG38 p. 6
2 - A N. S : Section i\\OF série SG33 p. 8
3 - A N. C. 1 : Série 4EE1 (1) pièce 7
4 - A~. C. 1: Série J. O. C. 1 année 1898 - pièce 2
S - A N. S : Section i\\OF série SG3S p.1S
6 - A N. C. 1 : Série 4EE1 (1) pièce 4
7 - A N. S : Section i\\OF série SG36 p. 6
385
L'autorité de la France jusqu'en 1890 se limitait à Grand-Lahou. Malgré la signature d'un
traité d'amitié et de paix entre les représentants de la France et le chef de Grand Béréby en 1868,
la partie occidentale de la côte d'Ivoire échappait au contrôle français (1). Dans cette région, les
Anglais y avaient déjà devancé les Français car depuis de longs siècles, les voiliers anglais
commerçaient avec les populations de cette région. Les produits anglais dans la région
occidentale étaient très appréciés et le commerce anglais florissant.
Les Anglais ont aussi réussi à lier une amitié avec les populations des villages avec
lesquels ils étaient en relations commerciales. Cette amitié a conduit à la signature d'un traité de
paix et d'amitié entre l'Angleterre et le Roi Mani de Béréby (3). Les navires de guerre anglais
chargés de surveiller et de pourchasser les navires négriers brésiliens dans le golfe de Guinée,
mouillaient fréquemment au large des villages Krous. Souvent les capitaines des navires anglais
jouaient le rôle de médiateurs entre des villages en conflits. La présence anglaise dans la partie
occidentale· du littoral ivoirien, particulièrement sur la côte' Krou est matérialisée par
l'établissement dans cette région de deux maisons de commerce qui ont essaimé des succursales
tout le long de la côte. Il s'agissait des maisons Julio et William. La maison Julio avait des
succursales à Tabou, Béréby et San-Pédro et la maison William à Béréby, Wapoo et à Tabou (4).
Les quatre (4) postes de douane ont été construits en matériaux modernes. Ce fut des
ouvriers en bâtiments (maçons) venus de la Gold Coast, possession anglaise qu'ont été confiés la
construction des bâtiments (5). Le poste de Jacquevil1e a été construit vers 1887 non loin de la
plage. Ce poste était placé sous l'autorité d'Albert, contrôleur de douane (6). Ils étaient aidé dans
l'accomplissement de sa tâche par dix neuf (19) collaborateurs qui assumaient les rôles de
brigadier, de commis et de préposés de douane (7). Le traitement des douaniers était différent
selon les grades. Le traitement annuel du contrôleur adjoint était de 8.200 F, celui du brigadier
2.364 F et des préposés, 1.000 F. Les préposés de douane étaient tous d'anciens soldats de l'armée
coloniale, d'origine Sénégalaise. Le chef de poste de Jacqueville habitait une maison qu'il a loué
au chef Bonny, principal traitant et chef du village de Jacqueville.
1 - A. N. S : Section AüF série 2G1 (25)
2 - A. N. C. 1 : Série IBB6.
3 - A. N. C. 1: Série IBB3 p. 12
4 - A. N. C. 1 : Série IBB3 p. 6
5 - A. N. C. 1 : Série IBB2 p. 6
6 - A. N. S : Section AüF série 5G35 p. 8
7 - A. N. S : Section Aüf série 5G36 p. 8
386
La case était en bambou de raphia. Elle avait servi, dans les années 1880, de factorerie à une
maison anglaise. Le loyer annuel était de 5.472 F soit 57 onces d'or (1).
Pour une bonne coordination des activités des services de poste de douane, Treich-
Laplène résidant délégué de France à Assinie a suggéré en 1887 au gouvernement Français,
l'établissement d'une ligne téléphonique reliant les quatre centres. La ligne télégraphique n'a été
construite qu'en 1889 (2). Les douaniers étaient soutenus dans leurs actions par la marine
française dont les bâtiments de guerre Je "Bradon", le "Laprade" et le "Diamant" faisaient navette
entre les postes de douane pour intimider les populations et les obliger par des menaces à
accepter la présence des postes de douane sur les territoires respectifs et à imposer à tous les
peuples de la côte de l'or la liberté de navigation sur toutes les voies d'eau et de commerce de
toute la côte. En 1898, pour renforcer l'autorité des services des douanes en Côte d'Ivoire, un
décret portant règlement sur le fonctionnement des douanes a été promulgué. Ce décret interdisait
toute importation de marchandises sans manifeste sur
lequel seraient exprimés' la nature du
chargement et le nombre de caisses. Les capitaines de navires qui refuseraient de montrer leur
manifeste seraient punis d'une amende allant de 100 à 600 F. Aucun chargement ou
déchargement ne pourrait se faire en l'absence d'un douanier. Les embarquements de
débarquements ne devraient se faire qu'entre six (6) heures du matin et dix huit heures du soir.
Ces mesures ont été prises pour la lutte contre la fraude qui était très importante dans les centres
économiques de la côte surtout à Jacqueville où les navires anglais aimaient débarquer leurs
marchandises la nuit en l'absence des douaniers. Mais au début des années 1890 les différentes
mesures qui réglementaient le commerce et le déploiement de la force n'ont pas empêché les
populations côtières de se révolter contre l'administration française.
a : Réaction des populations côtières
Les populations de la côte de l'or, conduite par les courtiers, se sont révoltées contre la
présence des postes de douane sur leur territoire car ces postes constituaient, pour elles, une
entrave au bon développement des activités commerciales. La plupart des traitants de la côte des
Quaquah considérés, comme amis de la France et soumis à l'autorité Française, se sont révoltés
contre l'installation des services de douane sur leur territoire car la présence des postes de douane
empêchaient tout trafic avec les Anglais, le commerce avec ces
1 - A. N. S: Section AOF série 5G36 p. 12
2 - A. N. S : Section AOF série 5G35 p. 6
derniers étant considéré par les français d'illégal. La plupart des courtil
l'or en contact avec les navires anglais étaient poursuivis de fraude et G
situation amène en 1890, Bonny chef de Jacqueville, et le plus riche des
Quaquah à se révolter contre l'établissement du poste de douane à
populations voyaient à travers la douane, le désir de la France de ruiner
pourquoi elles se sont rapprochées des voiliers Anglais avec lesquels, dei
....,
elles entretenaient de bonnes relations commerciales. Les populations côt.
.eur grande
majorité surtout à Grand-Bassam et à Assinie vivaient du courtage. Elles servaient
d'intermédiaires entre les populations de l'arrière pays et les navires européens, surtout anglais.
Les échanges sur la côte orientale étaient libres et non soumis au droit de péage. L'institution des
droits de douane était une donnée contraire à leur philosophie commerciale, c'est pourquoi par la
voix de leurs représentants, elles ont demandé à la France de supprimer les postes de douane afin
de rendre libre et indépendants les échanges commerciaux en côte de l'or.
A Jacqueville, les douaniers ne jouissaient pas de l'estime de la population qui refusaient
de leur vendre des vivres (3). Au cours de l'année] 890, précisément en janvier et en octobre, les
populations Alladian s'étaient révoltées contre la France afin de lui manifester leurs hostilités. La
première révolte Alladian a été menée par les populations de Jacqueville(Half Jacques). Le poste
de douane de cette localité a été par surprise attaqué, de nombreux douaniers furent grièvement
blessés (4) et leur cuisinier tué. Le bureau des douanes a été brûlé. Le calme n'est revenu dans la
région qu'après une intervention de la canonnière le "Diamant" qui a bombardé les village
Alladian faisant de nombreux blessés et morts (5). Le poste de Jacqueville a été alors
provisoirement fermé et les douaniers se sont réfugies à Grand-Bassam (6). La deuxième révolte,
considérée comme la plus importante et la plus meurtrière des révoltes Alladian contre la France,
a été l'oeuvre de la population de Bodo Ladja (Grand Jacques) qui a refusé de livrer à
l'administration française les auteurs d'une attaque contre le bureau des douanes de Jacqueville en
octobre 1890. En effet, des jeunes du village de Jacqueville conduits par un certain Bodin ont
attaqué de nouveau le poste de douane et fait d'importants dégâts matériels. Ils se sont ensuite
réfugié à Bodo-Ladja (7).
------------------------------------------------------------------------------------------------------
",
1 - A. N. C. 1: Série 1BB6 p. 6
\\
2 - A. N. S : Section AOF série 5G36 p. 5
3 - A. N. S : Section AOF série 5G36 p. 12
4 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 13
5 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 13
6 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 8
7 - A. N. S : Section AOF série 5G38 pièce 18
Ainsi le 17 octobre 1890, face au refus de la population de Bodo Ladja ,
amis, Verdier, premier responsable de la France en Côte de l'or ordonne J
Ebrié par la canonnière le "Diamant" afin d'empêcher tout circulation su
commercial entre le Lodzukru et le pays Alladian et asphyxier l'économie de la région ,",VI r c , _
par les Alladian. Le blocus prolongé devrait entraîner la ruine des courtiers Alladian considérés
comme les principaux instigateurs de ces révoltes et obliger les populations Odzukru à
commercer directement avec les factoreries européennes. Le blocus de la lagune Ebrié entraîne la
cessation des activités commerciales dans le pays Alladian (1). On a enregistré des plaintes du
côté anglais et surtout du côté des factoreries qui subissaient les conséquences néfastes du blocus.
Tous les acteurs du commerce du littoral Alladian connaissaient une récession de leurs activités
car l'huile de palme et les palmistes de Lodzukru étaient drainés vers Grand-Bassam. La côte
Alladian ne recevait plus de produits de Lodzukru son premier fournisseur (2).
Pour châtier les habitants de Bodo-Ladja pour leur refus de collaborer avec
l'administration française, Verdier leur a infligée une sévère amende, une première amende d'un
montant de 135 onces, soit 12.500 F a été imposée à la population (3). Cette amende est jugé très
élevée par les habitants de Bodo Ladja qui refusent de s'en quitter. La population de Bodo Ladja
ne disposait pas non plus de poudre d'or. C'est pourquoi les habitants se révoltent contre les
, Français qui cherchaient par tous les moyens de les appauvrir. L'administration française a fait
alors intervenir la canonnière le "Diamant" qui bombarde de nombreux villages Alladian faisant
de nombreux victimes (4). Le village de Bodo Ladja a été détruit ainsi que d'autres
agglomérations Alladian (5). L'amende a été alors portée à 25.000 F (6).
Verdier, pour obliger les populations Alladian à s'acquitter de leur amende a ordonné
l'arrestation de tous les grands traitants de Bodo-Ladja et des autres villages. Ils ont été par la
suite, déportés à Conakry. Ainsi pour leur libération, les populations Alladian ont accepté de se
cotiser pour s'acquitter de l'amende (7). Elles ont placé en gage auprès de l'administration français
tous leurs bijoux pour une valeur de 152 onces et 220 paquets de manilles (8). En acceptant de
1 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 5
' )
2 - A. N. S: Section AOF série 5G38 p. 12
c.:.vyr.
3 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 16
4 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 18
5 - A. N. C. l : Série IBB6 p. 9
6 - A. N. C. 1: Série IBBl p. 16
7 - A. N. C. l : Série IBB6 p. 5
8 - A. N. S : Section AOF 5G38 p. 8
389
cotiser, les Alladian tenaient à affirmer leur solidarité à la population de Bodo-Ladja et à montrer
aux français qu'ils étaient toujours unis. Les bijoux mis en gage appartenaient aux différents
lignages. Ils s'agissait d'une partie des trésors lignagers, résultat de plusieurs années de travail.
C'était donc une partie de l'héritage des familles. Les bijoux en or provenaient des pays Baulé,
Appolonien et Abouré où les populations sont de très grandes productrices d'or (l). Elles .
connaissaient aussi le travail du métal précieux. Généralement, c'était au cours des expéditions
commerciales que les traitants achetaient les bijoux et la poudre d'or. Les Orfèvres Appoloniens
parcouraient aussi les régions ouest pour y vendre le métal précieux.
Les bijoux mis en gage n'ont été restitués qu'après le remboursement intégral des 25.000 F
soit 125.000 manilles. Les populations Alladian, pour s'acquitter de leur amende ont aussi
contracté des dettes auprès des factoreries établies sur leur territoire et surtout auprès de leurs
amis de toujours, les capitaines Anglais (2). Les différents emprunts ont été remboursés en nature
ou en espèce mais à l'ouverture de la nouvelle saison commerciale (3).
Le peuple Alladian, après les répressions sauvages perpétrées parla France contre Bodo-
Ladja, a accepté de se plier à l'autorité de la France sur leur territoire et de considérer les agents
des services de douane comme des représentants de l'administration française à Jacqueville. Ils
. sont soumis à la France pour éviter au pays Alladian la paupérisation par le déclin du commerce
et d'épargner aux villages et aux populations les incendies et les exactions. Les Alladian avaient
vite compris. que seule la paix pouvait entraîner la prospérité des affaires commerciales. C'est
pourquoi après les affrontements de 1890, ils vécurent en parfaite harmonie avec leurs principaux
partenaires économiques et les nouveaux maîtres de la côte de l'or les Français. Le poste de
douane est non seulement imposée à la population par la force des armes, mais aussi par la
volonté et le désir des populations de la côte de vivre en paix et en bon voisinage avec tous les
peuples soucieux d'oeuvrer pour le développement du commerce à Jacqueville et sur toute la côte
Alladian. Ce fut sous le contraire et la Pression que la population et les courtiers Alladian avaient
accepté la présence du poste de douane sur leur territoire (4). Les responsables militaires et
administratifs français pour entrer en contact et communiquer avec les chefs africains avaient eu
recours au service des interprètes africains.
------------------------------------------------------------------------------------------------------1 - A. ~. C.
l : Série 1EE28 510 pièce 12
2 - A. N. C. l : Série 1BB6 pièce 8
3 - A. N. C. 1: Série 1EE122 (102) p. 18
4 - A. N. C. l : Série 1BB5 p. 6
390
b : Les interprètes africains
Les interprètes africains avaient joué un rôle très important dans la colonisation du
territoire ivoirien par la France. Ils sont de véritables auxiliaires pour les responsables français.
C'étaient des hommes de l'ombre (1). Ils sont les principaux artisans de la conclusion des traités
entre la France et les nations africaines à partir de 1886 (2). 1Is sont chargés de préparer les
rencontres entre les autorités françaises et les chefs africains (3).
Collaborateurs des responsables politiques, administratifs et militaires français, les
interprètes africains sont considérés par leurs frères africains comme de sales gens (4). Le terme
"sales gens" était aussi le nouveau sobriquet des Français donné par les populations Alladian pour
leur méchanceté et leur désir de réduire, les africains en esclavage et de détruire les échanges
commerciaux (commerce), principale source de devise des populations côtières.
Le terme "sales gens" signifie pour les Alladian, des hommes sans coeur, méchants,
cruels, sans dignité, c'est à dire des hommes dépourvues de sensibilité et ignorants les valeurs
humaines. Ce sont donc des sauvages (5). Les interprètes étaient souvent l'objet de sévices et de
lynchages lorsqu'ils se rendaient seuls dans les villages car ils sont accusés de collaborer avec
l'ennemi, c'est à dire l'administration française.
Les interprètes étaient souvent à la tête des expéditions punitives françaises contre les
villages en révolte. En effet, en 1887, l'interprète Kassy était avec le détachement de soldats
français envoyé par Treich-Laplène pour réprimer la population de Jacqueville qui s'est attaquée
au poste de douane installé sur son territoire (6).
Pour les différentes populations de la côte maritime et surtout de la côte des Quaquah, les
interprètes africains étaient des hommes sans dignité et sans personnalité parce qu'ils sont
"esclaves" des Français (7). Les Alladian d'Emoquah et de Bodo Ladja prétendent que c'est
l'interprète Kassy qui leur amène les
1 - A. N. C. 1 : Série IBB5 p. 6
2 - A. N. S : Section AOF série 5G38 P. 8
3 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire 2G1 (28) pièce Il
4 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p.12
5 - A. N. S : Section AOF série 5G36 p. Il
6 - A. N. S : Section AOF série 5G36 p. 18
7 - A. N. S: Section AOF série 5G36 p. 12
391
Français, c'est donc lui qui est la source de leurs malheurs et difficultés économiques (1). Ils
n'admettent et ne comprennent pas que Kassy, un "indigène" puisse rester au service des "sales
gens", que sont les Français (2).
La fonction d'interprète est exercée par des hommes qui prétendent parler couramment Je
français, la langue du colonisateur, et les langues locales, c'est à dire africaines. Ils sont recrutés
parmi des personnes qui, dans le passé, ont servi auprès des Français comme domestique :
cuisinier ou gardien. Ils sont aussi souvent recrutés parmi les anciens sous-officiers de l'armée
coloniale (3). Grâce à leurs contacts avec les Français, les interprètes parvenaient à faire des
phrases en français, mais concernant les langues africaines, ils n'avaient aucune maîtrise et
traduisaient toujours à contre sens la pensée des populations. La traduction n'a jamais été fidèle.
Les interprètes obligeaient les communautés africaines à toujours donner un avis favorable aux
requêtes françaises.
Les interprètes jouaient aussi pour l'administration coloniale le rôle d'espion car ce sont
eux qui informaient les autorités françaises de tout ce qui se tramait dans les villages. Malgré les
risques de leur profession car rejetée par les communautés africaines et l'immensité du travail
qu'ils accomplissent, les interprètes avaient le statut d'indigène et leur traitement annuel ne
dépassait guère mille (l.000) francs. Les interprètes étaient repartis en deux catégorie 2 étaient
rémunérés à 840 francs (4).
La plupart des interprètes exerçant en côte de l'or étaient originaires des régions de Grand-
Bassam, d'Assinie ou du Soudan (5). En côte de l'or, les populations de Grand-Bassam et
d'Assinie ont été les premières à avoir des contacts avec les français. Parmi les interprètes, celui
qui fut le mieux connu sur tout le territoire du bassin occidentale de l'Ebrié était Kassy ou Kossy.
Kassy serait par son nom originaire de la région d'Assinie. Kassy accompagnait les autorités
françaises de Dabou dans leurs tournées dans les villages (6). Plusieurs fois dans le Lodzukru, la
tête de Kassy a été mise à prix parce que sa présence dans un village était synonyme de danger
imminent. Kassy a toujours précédé les colonnes de répression de l'armée coloniale française.
1 - A. N. S: Section AOF série 5G37 P. 10
2 - A. N. S : Section AOF série 5G36 P. 14
3 - A. N. S : Section AOF série 5G36 P. 16
4 - A. N. S : Section AOF série SG38 P. 13
5 - A. N. S : Section AOF série 5G36 P. 12
6 - A. N. C. l : Série IEEl22 (4) P. Il
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392 1
En compagnie des miliciens, les interprètes africains, auxiliaires des responsables
coloniaux français organisaient le pillage des villages. En août 1898, le village de Tiagbe dans le
pays Aïzi a été l'objet d'un pillage dirigé par l'interprète Kassy qui s'est emparé d'un troupeau de
moutons, d'une balle de pagnes, de paquets de manilles et d'un coutelas à poignée d'or qui se
. trouvait dans la maison du chef (l). Le recours au service des interprètes africains a été l'oeuvre
de Verdier qui, en 1886, a appelé à son service des anciens domestiques pour l'accompagner dans
ses tournées d'inspection dans les villages (2). Grâce à l'action des interprètes, l'administration
coloniale française a réussi à s'imposer sur la côte des Quaquah.
C : La soumission des Alladian
La soumission des Alladian à la France a été une grande victoire pour les Français de la
côte de l'or qui avaient sous leur contrôle la côte de Quaquah dont les populations étaient les
grands 'alliés des voiliers anglais. Le commerce de la région Alladian et de toute la côte de l'or
était depuis les temps immémoriaux entre les maisons des capitaines anglais qui passaient des
années entières au mouillage, transbordant des produits du pays sur des paquebots rentrant en
Europe et recevant d'Angleterre leurs marchandises d'échanges (3). Les navires anglais étaient de
"véritables factoreries sur l'eau" (4).
Dans l'esprit des français, la soumission des traitants devraient entraîner inéluctablement
le déclin des commerçants anglais qui sont toujours présents sur les rades, en dehors des eaux
territoriales. Le blocus de la lagune Ebrié par le "Diamant" a montré la faiblesse de l'économie
Alladian qui reposait essentiellement sur les exportations de Lodzukru et quelques fois du pays
Tchaman. Le contrôle de Lodzukru entraînerait la décadence des courtiers Alladian et le déclin de
['économie de [a côte Alladian et précipiterait [e·départ des anglais de la côte de ['or. Ce qui
laisserait le pays entre les mains des français. C'est pourquoi, le poste administratif de Jacqueville
crée en 1886 pour contrôler le trafic commercial et pacifier la côte des Quaquah a été transféré en
1890 à Dabou où les populations de [a partie occidentale refusaient de reconnaître l'autorité de la
France sur leur région.
La création des postes de douane sur la côte orientale avait deux objectifs. Procurer à la
colonie des ressources pour
1 - A. N. C. 1 : Série IEE122 (4) P. 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G36 P. 10
3 - A. N. C. 1 : Série 4EEI (1) P. 9
4 - Paul Atger: la France en Côte d'Ivoire 50 ans d'hésitation politiques et commerciales P. 79
393
la confection du budget local et d'empêcher le trafic entre les voiliers anglais et les courtiers de la
côte de l'or. Le premier objectif a été particulièrement atteint parce qu'à la fin de chaque année, le
trésorier payeur de la colonie versait les recettes dans trésor du Sénégal chargé de la confection
des budgets des colonies. C'est donc au Sénégal que se faisait la répartition des ressources. En
1889, avec le développement de la fraude Je trésorier payeur de la côte de l'or n'avait reçu que
150,55 F de recette du poste de douane de Jacqueville (1). Si le premier a été partiellement
réalisé, le second objectif est un échec (2). En effet, les taxes très élevées ont provoqué la hausse
des prix des produits importés et réduit la consommation ce qui a entraîné un ralentissement des
activités commerciales. L'institution de la douane en côte de l'or a eu pour conséquence le
développement de la contrebande surtout sur la côte des Quaquah. Elle a aussi favorisé la reprise
du troc. Les commerçants français, ne pouvant plus supporter les taxes écrasantes, troquaient les
produits manufacturés contre les produits tropicaux (3). Cette situation a entraîné un léger déclin
du commerce sur la côte et renforcé la présence des voiliers en côte d'or.
N'ayant pas totalement réussi à supprimer la présence anglaise encore très vivace sur la
côte de l'or, mais contrôlant près de la moitié des exportations du haut Ebrié, les français essaient
de développer dans l'arrière pays, surtout dans le Lodzukru des moyens de pression et de contrôle
afin de mieux orienter les trafic des oléagineux et du caoutchouc naturel (4).
II / Développement des moyens de contrôle
En 1893, date de l'érection de la Côte d'Ivoire en colonie française autonome, l'autorité
française à l'intérieur du pays ne dépassait guère cinquante (50) kilomètres et sur le littoral à
Grand-Lahou . La souveraineté française s'étendait sur un espace très réduit et l'autorité de la
France sur les populations faisant partie de cet espace était théorique. On assistait partout à des
révoltes des populations surtout en pays Odzukru, Tchaman et Avikam (5). Ces révoltes
traduisaient le refus de la colonisation par les africains. La colonisation selon AFF! Sylvestre
d'Orgbaff était le prolongement de la traite négrière, une nouvelle forme d'esclavage et un moyen
pour la France d'appauvrir la Côte d'Ivoire par l'exploitation de ses richesses.
1 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 10
2 - A. N. C. I: Série IBB5 p.8
3 - A. N. C. l : Série 211 (2) microfilm.
4 - Les Odzukru dès 1890 recevaient du caoutchouc naturel du pays Abidji.
5 - A. N. C. l : Série lEE 122 (1/1) p. 10.
394
Pour atteindre les différents objectifs, des moyens de contrôle et de pression avait pour but
d'éviter à la France de connaître un troisième échec en côte de l'or (Côte d'Ivoire). Les autorités
françaises ont utilisé à la fois des moyens coercitifs et pacifiques pour s'imposer aux populations.
1/ Création des voies de communication
La liaison entre Lodzukru et les pays de l'intérieur était assuré par l'existence de quelques
routes très étroites qui n'étaient utilisables qu'en saison sèche. Le reste de l'année surtout en
saison pluvieuse, elles devenaient impraticables. Les routes ne sont pas entretenues et elles sont
traversées par des rivières et par des marécages (1). Tous ces obstacles rendaient les voyages
difficiles et périlleux. Les commerçants devaient s'armer de bravoure afin de les contourner. Le
moyen de transport par excellence était le portage. De faibles quantités de produits manufacturés
étaient alors transportées d'une région à une autre et les marchandises étaient vendues à des prix
exorbitants. Ce qui donnait le caractère de commerce de luxe, aux échanges entre la côte et
l'arrière pays (2). Les difficultés de transport empêchaient aussi une bonne diffusion des produits
entre les différentes régions. C'est pourquoi, les français en s'installant pour une seconde fois dans
le Lodzukru, ont éprouvé la nécessité de créer de nouvelles routes, pour désenclaver les régions,
relier le centre commercial de Dabou aux régions Baulé, Akyé, Abê et Abidji et détourner la voie
caravanière du Nord qui débouchait au débarcadère de Grand-Lahou par Tyasalé et drainer vers
Grand-Bassam, véritable port, et capital de la colonie, les produits venant de l'intérieur. Toutes
les routes devraient aussi favoriser le transport des troupes de l'armée coloniale française pour la
conquête de l'arrière pays (3).
a) La route Dabou-Tyasalé (1897 - 1898)
La communication entre la côte où sont établis les français avaient d'énormes difficultés à
pénétrer à l'intérieur du pays protégé par un véritable manteau forestier qui rendait la circulation
des personnes et les marchandises difficiles. Les commerçants européens et africains établis sur
la côte avaient d'énormes difficultés à pénétrer à l'intérieur du pays et à s'approvisionner en
produits de traite. Le manque de route praticable en toute saison
1 - Enquêtes collectives réalisées à OrgbatT le 22 Août 1986.
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1/2) p. 8
3 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 5.
constituait alors un obstacle au développement du commerce entre les régions côtières et les
zones de l'intérieur, fournisseur de marchandises de traite. Ainsi pour résoudre le problème de
communication entre les diverses régions de la colonie, l'administration française lance un projet
de construction de routes à travers tout le territoire ivoirien principalement dans les régions du
Centre et de l'Est.
Les objectifs recherchés par l'administration coloniale avec la' construction des routes
quelques années seulement après l'érection du comptoir de la côte de l'or en colonie autonome,
étaient d'abord de faciliter le transport des troupes de l'armée coloniale à l'intérieur du pays pour
la conquête des régions encore insoumises, l'influence française ne se limitant que sur la côte, de
désenclaver les régions de l'intérieur et de les relier par un trafic régulier aux centres
commerciaux de la côtes, d'offrir aux caravanes des routes praticables en toute saison et
utilisables par des bêtes de somme et de contribuer d'une façon efficace au développement du
commerce de l'arrière pays en lui présentant des' facilités nouvelles. L'existence des routes
faciliterait la diffusion des produits français qui sont inconnus au delà de cinquante (50)
kilomètres de la côte (1). La diffusion des produits français à l'intérieur du pays se faisaient par
les courtiers de la côte et parfois par les colporteurs Dyula (2). Les produits européens les mieux
connus par les peuples de l'intérieur étaient les marchandises anglaises.
Par l'amélioration des moyens de communication, les français pensaient effacer l'ombre de
l'Angleterre sur le commerce dans les régions du golfe de Guinée. Le commerce français en Côte
d'Ivoire était fortement concurrencé dans les différentes contrées par le commerce anglais dont
les marchandises étaient de très bonne qualité.
Le projet de construction des routes concernant les régions de l'Est et du Centre. Dans ces
régions, le commerce était encore sous l'influence anglais. Les marchandises du centre
aboutissaient à la côte en empruntant la voie centrale reliant Grand-Lahou, Tyasalé et les régions
de l'intérieur. Dans la partie orientale de la Côte d'Ivoire? du pays Ndenyè au pays Abron en
passant par le Duablin, grande région productrice d'or et de caoutchouc, le commerce était entre
les mains des commerçants anglais qui ont établi des succursales dans les centres commerciaux
d'Assikasso et d'Abengourou (3).
1 - A. N. C. 1 : Série IEEI2 (1/2) p. 9
2 - A. N. C. 1: Série IEE28 51° p.5
3 - A. N. S : Section AOF série 5G39 p.II.
396
Le commerce français qui a débuté dans les pays Agni et Abron vers 1893 était fortement
concurrencé par la présence des traitants Anglais. Les succursales des factoreries anglaises
installées dans les régions de l'Est étaient dirigées par des Africains, tous originaires de la Gold-
Coast, colonie anglaise (1). Les facteurs anglais parlaient couramment la langue anglaise et
savaient l'écrire (2).
Face à la concurrence anglaise, les Français cherchaient des moyens pour revaloriser leur
commerce de la région orientale qui se faisait essentiellement vers la Gold Coast. Le projet de
construction de routes modernes prévoyait le tracé de deux grandes voies reliant la côte et
l'arrière pays. La première, longue de près de trois cents (300) kilomètres devrait relier la côte à
toutes les régions de l'Est spécialisées dans la production de l'or et du caoutchouc naturel. Cette
route partirait d'Aboisso, terminus de la navigation sur la rivière Bia, traverserait les pays Ndenyè
et Duablin et aboutirait à Bondoukou dans le royaume Abron où en 1889, Treich-Laplène, au
nom de la France, a signé un traité de paix avec le roi Gyaman. Ce traité plaçait le grand centre
commercial de Bondoukou et les royaumes Abron et Koulango sous la souveraineté de la France.
A la suite de ce traité, il est versé annuellement au Roi Abron, une coutume de trois mille (3000)
francs (3). Des traités similaires ont été conclus entre Treich-Laplène et les rois des autres régions
traversées (4). Les différents traités, implicitement, interdisaient aux populations des régions de
l'Est tout commerce avec le Gold Coast. Toutes les grandes agglomérations : Yakassé,
Abengourou et Niablé étaient raccordées à la "voie de l'Est" par des tronçons qui longeaient
même la frontière anglaise. Les Français pensaient, par cette voie, drainer vers le port de Grand-
Bassam qui a bénéficié de la construction d'un port de Grand-Bassam qui a bénéficié de la
construction d'un wharf en 1892, tous les produits de l'intérieur. C'est un pari que les français
tenteraient de gagner.
La deuxième route, appelée "voie centrale ou voie du centre" était longue de cent (100)
kilomètres. Elle devrait relier Dabou, premier "port" de la lagune Ebrié et avant port de Grand-
Bassam et Tyasalé, principal centre commercial et entrepôt des régions de savane et de forêt.
Situé à près de cent kilomètres de la côte, Tyasalé était le principal centre commercial de
l'intérieur. C'est aussi le terminus de toutes les voies caravanières de l'est et de l'ouest. Le marché
de Tyassalé est périodiquement visité par les traitants de la côte: Appolonien, Alladian, Avikarn
et Odzukru qui échangeaient avec ceux venus des régions Koueni, Baulé et Soudanaises, le sel et
,
1 - A. N. S : Section AOF série 5G39 P. 8
2 - A. N. S : Section AOF série 5G39 P. Il
3 - A. N. S : Section AOF série 5G38 P. 8
4 - A. N. S : Section AOF série 5G36 P. 17
397
les marchandises européennes (tissus, armes à feu, eau de vie et tabac) contre des esclaves, la
poudre d'or, les bijoux en or et de la cotonnade. La tracé de cette route devrait relier la lagune
Ebrié et le Bandama et assurer les communications directes et fréquentes entre le bassin du fleuve
Bandama et le chef lieu de la colonie qui est Grand-Bassam. Le port de Grand-Bassam était le
seul véritable port de la colonie de Côte d'Ivoire. Car ce débarcadère en 1892 a bénéficié d'un
équipement qui permettait aux navires de débarquer les marchandises sans s'inquiéter de la barre
(1). La construction de la route du centre permettra surtout d'asphyxier le commerce de Grand-
Lahou et du pays Alladian qui est devenu depuis 1890 florissant et prospère avec l'établissement
dans la région de nombreuses maisons de commerce surtout d'origines anglaises et allemandes
(2). La plupart des villages de la côte Quaquah abritaient chacun au moins un sous-comptoir (3).
(Voir le tableau). Malgré l'établissement des postes de douane à Jacqueville et à Grand-Lahou, le
commerce anglais était très prospère. Les activités commerciales étaient très florissantes sur la
côte des Quaquah. On note alors la migration d'un grand nombre de courtiers Bassamois. Vers la
fin du XIXè siècle à Grand-Lahou. Les courtiers Bassamois se sont installés sur la plage. Cela a
donné naissance à une forte colonie appolonienne dans cette région. Les courtiers Appoloniens
vivaient dans des habitats de fortunes faits de nervure de raphia (4).
La voie centrale ou du centre n'avait pas seulement un but' commercial mais aussi
militaire. Elle était pour les colonnes de l'armée coloniale française la principale voie de
pénétration de l'intérieur du pays. Les travaux de construction de la voie centrale ont débuté en
1897 et assurés par les différents groupes ethniques traversés par la route. Il s'agit des Odzukru,
des Abidji (Ari) et des Baulé. Dans le Lodzukru, le tracé de la route a concerné les Dibrim Egn,
Orgbaffu, Assakpu, Olokpu et Awua Ejn. L'administration coloniale n'a fait qu'améliorer
l'ancienne piste qui reliait le Lodzukru aux pays de la région de savane, surtout le Baulé sud (5).
Cette piste était l'une des principales voies utilisées par les commerçants pour se rendre dans les
pays Baulé et Koueni.
,.
Le tronçon Dabou - pays Abidji long de soixante quinze (75) kilomètres a été tracé par les
populations Odzukru. Le tracé de cette route en 1897 a inauguré dans le Lodzukru le travail
forcé. Chaque village, à tour de rôle fournissait dix à douze
1 - A. N. S : Section AOF série 5G39 P. 8
2 - A. N. C. 1 : Série IBB6 P. 5
3 - A. N. C. 1 : Série 1BB6 pièce 5
4 - A. N. C. 1 : Série IBB6 P. 6
5 - Enquête réalisée le 22 août 1988 à Dibrim auprès de Mr Etienne GBOUGBO ESSIS.
398
LES PRINCIPALES MAISONS DE COlVIMERCE INSTALLEES SUR LA
COTE DES QUAQUAH A PARTIR DE 1890
LES CENTRES D'ETABLISSEMENTS
Les Maisons de commerce
Emoquah
Bodo Ladja
Addah
Gd-Lahou
Verdier
1891
Swanzy
1891
1891
1891
Vivarelli
1892
1892
1892
1892
King et Cie
1893
1895
1895
1893
Lucas et Cie
1893
1893
1893
1893
Wooding et Cie
1895
1895
1895
1895
Harding
1895
1895
1895
1895
Rider Son and Andrew
1895
1895
1895
1895
Source: Jean Michel LATTE EGUE
399
(l0 à 12) travailleurs (l). La durée du travail était d'une journée, mais la prestation pouvait
s'étaler sur plus d'une semaine. Les travailleurs n'étaient jamais libérés tant que leurs portions
n'étaient pas achevées. Ils n'avaient droit à aucune rémunération (2). Les déserteurs note SESS
Samuel sont fouettés publiquement afin que cela serve d'exemple aux autres (3). Le travail était
pénible parce qu'avec des outils rudimentaires, (haches, scies, daba et pioches), les populations
devaient déraciner les arbres, concasser les blocs de granite, damer la voie et remblayer les ravins
avec la terre afin que pendant la nuit les commerçants et militaires français puissent circuler sans
éprouver la moindre difficulté. La hache, la scie, les ciseaux et les pioches étaient les derniers
groupes de produits quincaillériques introduits dans le Lodzukru au cours de la décennie 1890
(4).
Les outils de travail étaient offerts par l'administration coloniale. Dans le Lodzukru, le
tracé de la route Dabou-Tyasalé a été l'oeuvre de quatre classes d'âge: les Sèté, N'Jurma, Abrmâ
et M'Bédjé. La sécurité des travailleurs était assurée par les gardes de cercle qui prenaient un
plaisir à les fouetter. Les hommes Odzukru qui ne portaient jamais de panier (ulu) ou de charge
sur leur tête l'ont fait sur la route Dabou-Bécédi. Cela était une offense à la dignité de ses
populations dont le traitement n'était pas loin de l'esclavage.
La route Dabou Tyasalé reliant trois régions: les pays Odzukru, Abidji et Baulé sud avait
pris fin en mars et ouverte à la grande circulation en Avril 1898 (5). Elle a permis aux français de
contrôler le trafic commercial entre la côte lagunaire et le Baulé sud et aux colonnes françaises de
traverser sans difficulté les régions forestières. La largeur de cette route était de cinq mètres (6).
Mais les grands bénéficiaires de cette route ont été les traitants Appoloniens (nom générique de
tous les traitants de la côte, qu'ils soient Bassamois, Assiniens, Alladian, Avikam ou Odzukru)
qui se rendaient très souvent à Tyasalé, devenu un entrepôt de produits manufacturés européens
pour les régions du centre et du Nord. Tyasalé est aussi un marché où transitent les esclaves
venus des pays Sénoufo, Djimini et Tagouana (7). Les marchés d'esclaves du pays
1 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (l/]) P. 5
2 - Enquête réalisée le 22 août 1988 à Dibrim
3 - Enquête réalisée à Orgbaff le 27 août 1988 auprès de Mr Samuel SESS.
4 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (1/4) P. 7
5 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (1/2) P. 5
6 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (1/2)
7 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (112) P. 13
400
Baulé étaient souvent approvisionnés par les Sofas de Samory qui échangeaient les esclaves
contre la poudre à canon, les fusils, la poudre d'or, les produits agricoles et le bétail (1).
Le prix de vente des esclaves variait selon les circonstances. En période de famine, les
esclaves étaient vendus à des prix très bas et en période de forte demande à des prix élevés,
exorbitants. Sur le marché de Bouaké, village situé à quelques kilomètres des zones
d'approvisionnement, l'esclave, au cours des années 1890 était vendu à 60 F soit 300 manilles. Le
même esclave, dans la zone forestière était vendu entre 150 à 190 F (2) soit entre 750 et 950
manilles.
Le commerce des esclaves permet aux courtiers africains de réaliser d'importants
bénéfices sur la côte où la demande est élevée. Les régions Odzukru et Alladian sont de grandes
consommatrices d'esclaves. La demande de Lodzukru en esclave est très élevée car les Odzukru
ont besoin de leur force de travail pour l'exploitation des palmeraies, principal marché de
caoutchouc naturel des régions de l'intérieur. Le caoutchouc était depuis' Je début de la décennie
1890, l'un des principaux produits d'échange entre le Baulé sud et le Soudan. Deux à trois fois
dans le mois, des caravanes chargées de caoutchouc descendaient du Soudan vers Tyasalé. Sur Je
marché de Tyasalé, le kilogramme de caoutchouc est vendu à 4 F (3) ou échangé contre le sel (4).
Cette route a aussi permis l'ouverture par les firmes commerciales des succursales à
Tyasalé pour échanger les produits manufacturés européens (sel, alcool, le tabac, la poudre à
canon et la quincaillerie) contre le caoutchouc et l'or. Les maisons de commerce européens
exerçaient un monopole sur le commerce du caoutchouc et ne se sont jamais intéressées au
commerce d'esclaves. Les traitants Appoloniens considérés comme "les juifs" de la Côte par les
Français et les commerçants Sénégalais ont eux aussi installés des succursales à Tyasalé où ils
vendaient les mêmes produits que les firmes commerciales (5).
La bouteille de sel est vendue à Tyasalé à 4,5 F. Le sel était le principal produit
commercialisé dans le Baulé. La présence française à Tyasalé a perturbé le trafic commercial
entre le Lodzukru et le Baulé. Malgré la concurrence des firmes commerciales, le Lodzukru est
demeuré le principal fournisseur
1 - A. N. C. 1 : Série lEE28 (1) P. 24
2 - A. N. C. 1 : Série lEE28 (1) P. Il
3 - A. N. C. 1 : Série lEE28 (2) P. 7
4 - A. N. C. 1 : Série lEE28 (2) P. Il
5 - A. N. C. 1 : Série lEE28 (2) P. Il
401
du Baulé sud en armes à feu (fusil, poudre à canon). La poudre à canon vendue par les maisons
de commerce françaises était souvent de la poussière ou bien de la poudre mouillée. Malgré, le
décret de 1890, interdisant la vente d'armes à feu dans le Lodzukru (1), les Odzukru réussissaient
à s'en procurer auprès des courtiers d'Addah qui continuaient de commercer avec les voiliers
Anglais aparés hors des eaux territoriales. Le Baulé fournissait le Lodzukru en esclaves, en
pagnes (cotonnades), en perles d'aigri, en bétail (bovins, ovins, caprins) et en or (poudre d'or et
bijoux etc...
Par la route Dabou - Tyasalé, des caravanes descendaient périodiquement des pays Baulé,
Abê, Akyé et Abidji à Dabou avec des chargements de caoutchouc qu'elles échangeaient contre
les marchandises européennes (2). L'exploitation du caoutchouc a débuté en 1895 en Côte
D'Ivoire. Vers la fin de 1898, le caoutchouc est devenu l'un des principaux produits d'exportation
de la colonie et deuxième source de revenu de la Côte d'Ivoire (3).
Dabou, autrefois débarcadère et campement de production d'huile de palme, est devenu au
cours des années 1890, avec le développement des trafics commerciaux Sud-Nord - Nord-Sud,
l'avant port de Grand-Bassam. Une liaison- régulière est alors établie entre Dabou et Grand-
Bassam par les navires chargés des collectes. Dabou est alors devenu le premier "port" et le
premier centre économique et de transit de tout le bassin occidental de l'Ebrié. Le développement
de Dabou est lié à plusieurs factures. D'abord le pays Odzukru est le premier pôle économique de
la colonie parce que cette région est le coeur de la production d'huile de palme, principale source
de revenu de la colonie. Ensuite avec le tracé de la route lagune Ebrié - Bandama l'ancienne route
commerciale Grand-Lahou, Tyasalé - Toumodi - Bouaké et Kong est détournée sur Dabou (4).
Les exportations du Soudan et du Baulé en direction de la côte transitaient par Dabou avant d'être
évacuées par les navires de collecte sur le port de Grand-Bassam. Le développement de Dabou a
entraîné le déclin des anciens débarcadères de la côte des Quaquah malgré la reprise des activités
économiques dans cette région au début de 1890. Grand-Lahou ne recevant plus la totalité des
exportations du centre et du Nord connaît une baisse des activités commerciales (5). Les
populations de ce centre commercial de la côte maritime étaient constamment en révoltes contre
les Français à cause de l'implantation du poste de douane qui limitait tout trafic avec les
1 - A. N. S : Section AOF série 5G38 P. Il
2 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (1/4) P. 4
3 - A. N. S : Section AOF série 2G1 (28) P. 6
4 - A. N. C. 1 Série 1EE28 (2) P. Il
5 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) pièce 14
402
"navires - factoreries" anglais (1). Le poste de douane de Grand-Lahou était constamment attaqué
par les Avikam qui accusaient les français de détruire leur commerce. Ce qui instaure un climat
de tension et de terreur dans la région (2). Enfin, depuis 1890, les Alladian, surtout ceux de la
partie orientale ont perdu leur influence sur les Odzukru au plan commercial. Les Oboru,
principaux fournisseurs des courtiers Alladian en huile de palme ont suspendu
leur
approvisionnement afin de punir les courtiers de Jacqueville et de Bobo Ladja pour leur alliance
avec les Français contre Bobor. Malgré l'hostilité des Oboru à l'égard des Alladian, les Odzukru
de la zone occidentale avaient maintenu leurs échanges commerciaux avec les courtiers du village
de Addah qui ont soutenu les Oboru dans leur lutte d'indépendance contre les colonisateurs
français. Depuis 1898, l'essentiel du trafic d'huile de palme du pays Odzukru était entre les mains
des Français. Le commerce d'huile de palme et de palmistes se faisaient avec les firmes
commerciales françaises et anglaises installées dans les principaux centres commerciaux de
Lodzukru (Dabou, Mopoyem, Tukpa, et Cosr) (3).
Le rayonnement économique de Lodzukru lié à la croissance de la production d'huile de
palme et de l'érection de Dabou en 1896 en centre administratif du bassin occidental de l'Ebrié a
permis aux Odzukru de s'affranchir de la dépendance économique du pays Alladian. Dabou vers
la fin de la décennie 1890 est devenu le premier centre économique de toutes les deux rives de la
lagune Ebrié (4).
Les Olokpu ayant participé à la construction de la route Dabou - Tyasalé exigent un droit
de passage à toutes les caravanes descendant à Dabou ou montant à Tyasalé. Les traitants
Européens et Africains étaient soumis aux mêmes droits de passage. De nombreux traitants
surtout les traitants Appoloniens et Français rançonnés plusieurs fois par les Olokpu se sont
plaints à l'administrateur du cercle de Dabou (5). Ainsi pour maintenir libre les voies de
circulation et favoriser un développement du trafic commercial entre les régions de l'intérieur et
celles de la côte, l'administrateur de Dabou a fait intervenir l'armée coloniale.
Le chef du village de Lokp a été arrêté et conduit à la prison de Dabou. Il est devenu
l'otage de l'administration coloniale. L'arrestation des chefs ou la prise en otage de femmes et des
enfants est selon les administrateurs de Dabou le moyen de
1 - A N. C. 1 : Série lEE122 (1/4) P. 6
2 - A N. C. 1: Série 1EE1 (l)P. 8
3 - AN. C. 1 : Série 1EE122 (2) P. 4
4 - A N. S : Section AOF série 5G38 P. 12
5 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (4) P. 12
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403
pression pour faire plier l'échine aux Odzukru . Une amende d'un montant de mille (1000)
paquets de manilles a été infligée aux Olokpu (1). Le chef de Lokp n'a été libéré qu'après le
payement de l'amende. Ne disposant pas d'un trésor public, les Olokpu ont procédé par une
collecte. La sécurité sur la voie lagune Ebrié - Bandama est assuré par les troupes de l'armée
coloniale. Dabou est aussi relié au pays Akyè et Agni - Béttié par le tracé en 1898 de la voie
lagune Ebrié - Comoé c'est à dire la voie Dabou - Alépé.
b : La route Dabou - Alépé
Le développement de l'infrastructure routière pouvant permettre à l'administration de
contrôler toute l'économie de la colonie n'avaient pas seulement concerné la région du centre et
de l'Est mais aussi la région côtière, poumon économique de la colonie de Côte d'Ivoire. La zone
côtière est la première zone productrice d'huile de palme, premier produit d'exportation de la
colonie de Côte d'Ivoire. L'huile de palme est la mamelle nourricière de la nouvelle colonie. Au
cours des premières années de la colonisation officielle, on pouvait
parler de "l'économie de
l'huile de palme en Côte d'Ivoire". Malgré leurs poids économiques, les différentes régions de la
côte lagunaire n'étaient reliées entre elles que par la lagune Ebrié. Aucune route terrestre
praticable en toute saison n'existait entre ces régions. Ce qui a constitué un véritable obstacle au
.développernent des échanges entre les régions méridionales. Le menteau forestier empêchait
l'évacuation des produits des régions situées à plus de cinquante (50) kilomètres à l'intérieur des
terres vers les centres commerciaux de la côte jouant aussi le rôle de "ports". Il s'agit là de "port"
de fortune. Ainsi, pour améliorer le trafic commercial entre les régions de la zone méridionale,
l'administration coloniale, après la construction des voies du centre et de l'est, décide alors de
relier la lagune Ebrié au fleuve Comoé. Cette voie routière partira de Dabou, premier centre
économique et commercial de l'Ebrié, traversera le pays Tchaman (Ebrié), la partie méridionale
de l'Akyé et se terminera à Alépé (2).
La construction de la route lagune Ebrié-Comoé a débuté en mai 1898. Les pays Abê et
Akyé étaient de grands producteurs de caoutchouc et aussi d'huile de palme. Le tracé de cette
nouvelle voie a pour but d'éviter les détours aux caravanes Akyé et Abê en direction du centre
commercial de Dabou.
1 - A. N. C. l : Série 1EE122 (4) P. 15
2 - A. N. C. l : Série 1. O. C. l année 1898 pièce 18
404
Situé sur la Comoé, Alépé est relié à Grand-Bassam par cette voie naturelle qui est utilisée
par les Français pour relier la côte maritime au Soudan et drainer vers le port de Grand-Bassam
les produits des régions de Kong, Abron, Agni et Akyé. Grâce à cette nouvelle voie "lagune Ebrié
- Comoé", le centre économique de Dabou est relié à la voie de l'est. Mais cette route permet
surtout aux Odzukru de se rendre dans le pays Agni dont la principale activité est la production et
le travail de l'or (l).
L'amélioration de l'infrastructure routière a permis la communication entre les pôles
économiques de la nouvelle colonie. Elle permet aussi à l'armée coloniale française d'aller à la
conquête des régions encore hostiles à la France. Les maisons de commerce française ou
étrangères avant leurs sièges à Grand-Bassam ou Assinie implantent des succursales le long des
voies routières principalement dans les agglomérations qui jouent le rôle de pôles économiques.
Les maisons de commerce qui avaient évacué le Lodzukru au cours des années 1850 se
réinstallent de nouveau non seulement à Dabou mais aussi dans les autres débarcadères :
Mopoyem, Tukpa, Cosr. Une ligne télégraphique est construite en 1897 pour relier la côte
maritime au Soudan (2). La tête de la ligne télégraphique était Dabou, centre administratif et
commercial. Cette ligne télégraphique devait desservir tous les cercles de la région orientale. Elle
'relia Dabou - Alépé, Zaranou, Assikasso, Bondoukou et Bouna (3).
La vocation des deux (2) routes: Dabou - Tyasalé et Dabou - Alépé était d'orienter toutes
les caravanes venant de l'intérieur vers le port de Grand-Bassam afin de rentabiliser le wharf
construit en 1892, d'amortir les investissements et de faire de Grand-Bassam le premier centre
économique de la colonie. Ainsi, c'est de façon volontaire que l'administration coloniale française
décide d'asphyxier économiquement les régions d'Assinie, de Jacqueville et de Grand-Lahou,
concurrentes de Grand-Bassam et de les entraîner au déclin et à la ruine (4). Les traitants africains
de Grand-Lahou et de Jacqueville ont été dans leur grande majorité affaiblis par le tracé de ces
deux routes qui ont permis aux populations de l'intérieur de se passer des intermédiaires africains
et de descendre elles-mêmes par
------------------------------------------------------------------------------------------------------ 1 - A. ~. C.
1 : Série 1. O. C. l, année 1898 page 19
2 - A. N, S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) pièce Il
3 - A. N. S: Section Côte d'Ivoire série 2G1 (27) pièce 12
4 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2Gl (28) pièce 8.
405
caravanes jusqu'aux factoreries d'Alépé ou de Dabou pour vendre leurs marchandises. Alépé a
joué le rôle de "port" fluvial sur la Comoé. Les caravanes de l'indénié qui, autrefois descendaient
à Assinie par Aboisso en empruntant la rivière la Bia ont été détournées sur Alépé qui est
desservi par Dabou et Grand-Bassam. Ainsi, par la volonté politique, Grand-Bassam devient avec
son wharf à partir de 1897, le premier pôle de développement économique et commercial de la
colonie de Côte d'Ivoire. Le rôle économique de Lodzukru a connu un renforcement 'grâce à son
ouverture sur Tyasalé, Alépé et Grand-Bassam. Grâce aux voies du Centre et de l'Est, le pays
Odzukru est relié à tous les grands centres économiques de la colonie. Le Lodzukru devient vers
la fin de la décennie 1890, la première région économique du bassin occidental de l'Ebrié (1). 11
se substitue au pays Alladian en déclin. De nombreuses sociétés commerciales s'installent dans
le Lodzukru ainsi que de nombreux traitants africains (Sénégalais, Bambara, Appoliniens, Dyula)
(2). Ils s'y sont installés pour s'adonner au commerce très florissant dans la région.
2 : Réinstallation des sociétés commerciales à Dabou
Les sociétés commerciales françaises et étrangères ont au cours des années 1890 succédé
sur le littoral ivoirien aux maisons de commerce familiales qui, après deux années de prospérité
ont fait faillite. Les maisons de commerce Régis et Renard, après la construction du blockhaus de
Dabou en 1853 se sont établies en 1854 et 1856 pour y faire le commerce de l'huile de palme et
des produits exotiques dont la région Odzukru est la première productrice de la côte de l'or. Mais
le séjour à Dabou des maisons Régis et Renard a été de courte durée car avant 1860, elles étaient
parties de Dabou pour cause de difficultés de gestion.
Les guerres entre Français et Oboru ont constitué un obstacle au développement de
bonnes relations commerciales entre les factoreries européennes établies dans le Lodzukru et les
populations Odzukru qui ont pourtant de très bons contact avec les courtiers Alladian.
La réinstallation des sociétés de commerce dans le Lodzukru se situe vers 1890 (3). Mais
ces sociétés ont été précédées en 1872 par la maison Swanzy qui a installé des sous factoreries
dans tous les centres commerciaux de Lodzukru (Tukpa, Dabou et Mopoyem). Cette présence de
Swanzy sur les rives Nord
1 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) p. 6
2 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) P. Il
3 - A. N. C. I : Série IBB6 pièces 16
406
de l'Ebrié et surtout en pays Odzukru a permis à cette maison de contrebalancer le monopole des
Alladian dans l'Ebrié. Il y a aussi la maison Verdier de la Rochelle qui, avec ses chaloupes et
vapeurs, sillonnaient les côtes lagunaires Odzukru (1).
La conquête de l'intérieur du pays par les forces coloniales françaises est SUIVie de
l'installation des factoreries dans les différentes régions conquises. La France, à partir de 1890,
tenait non seulement à assurer sa suprématie politique sur toute la région mais aussi commerciale.
Les autorités françaises de la colonie de Côte d'Ivoire ont favorisé l'installation des maisons de
commerce dans les centres économiques en leur accordant des terrains et leur protection (2). Au
début des années 1890, la concession des terrains aux maisons de commerce était gratuite car
c'était pour
l'administration coloniale le seul moyen d'inciter les commerçants européens à
s'établir dans la nouvelle colonie. Les terrains concédés aux maisons de commerce étaient très
étendus. Souvent ce sont ce sont des exploitations (palmeraies) appartenant à des paysans. Ce qui
est 'souvent à l'origine des conflits entre les populations et l'administration française.
L'établissement des maisons de commerce dans la région Odzukru est suivi d'un dédommagement
des paysans. En effet, la maison King en s'installant en 1892 à Tupka a dédommagé les paysans
dont les palmeraies ont été détruites (3).
Contrairement aux années 1850 où seules les maisons de commerce françaises étaient
autorisées à s'établir en côte de l'or, à partir des années 1870, le monopole des maisons
commerciales a été supprimé et l'autorisation est aussi accordée aux maisons de commerce
étrangères qui désiraient s'installer en côte de l'or. Ainsi la première maison de commerce
étrangère à s'établir en côte de l'or est la maison Swanzy. En effet, le gouvernement de Napoléon
III a en 1860 adopté, le système du libre échange (4). Ce qui met fin à l'ancien régime
commercial caractérisé par la franchise douanière et l'interdiction faite aux commerçants
étrangers de commercer dans les possessions françaises. Ce nouveau régime commercial dont
l'objectif principal est de permettre aux colonies de favoriser leur développement commercial et
de trouver les ressources nécessaires à leurs propres épanouissements donne un élan nouveau au
commerce français dans les colonies. Cela a entraîné une concurrence entre
1 - A. N. S : Section AOF 5G38 p. 12
2 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) Pièce Il
3 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 14
4 - Schnapper: la politique et le commerce français en golfe de Guinée 1838 - 1871 page 202.
407
les maisons de commerce et a SUltOUt permis une amélioration de la production industrielle
française qui était médiocre par rapport aux produits anglais et américains.
De vastes hectares de forêts dans le Lodzukru ont été concédés par ['administration
coloniale aux maisons de commerce qui se sont établies dans [es débarcadères, non loin des
villages. A Dabou, la société commerciale française a obtenu de la part de l'administration
coloniale 2150 012 de terrain pour une exploitation agricole (1). La société française de la Côte
d'Ivoire a aussi obtenu à Cosr un terrain de 1400 012 de superficie.
La cession des terrains au début se faisait gratuitement mais à partir de 1892 pour
accroître les ressources de la colonie, un droit de concession de terrain à raison de 20 F le mètre
carré est perçu dans les territoires affectés aux postes de la côte de l'or et un droit de location de
terrain en raison de 0,20 F le mètre carré est aussi perçu pour, l'occupation des terrains situés
dans [a zone des postes de commerce. Dans le Lodzukru, [a plupart des' maisons de commerce
étaient installées en dehors du territoire confié au poste. Les maisons de commerce en guise de
dédommagement versaient, chaque année, aux paysans dont les palmeraies ont été détruites, un
tribut en espèce ou en nature (2). Ce tribut versé par [es maisons de commerce est une
compensation parce que le palmier à huile est la principale source de devise pour le peuple
.Odzukru. Toutes [es maisons de commerce installées à Grand-Bassam et à Assinie avaient leurs
succursales à Dabou, Cosr, Tukpa et Mopoyem. Certaines d'entre elle s'étaient aussi installées à
Tyasalé afin de mieux contrôler le trafic du caoutchouc.
Il s'agit surtout de la compagnie française de Kong, Reyder et compagnie, Honding et
compagnie et Dutheil de [a Rochère (2). Les factoreries de l'intérieur surtout celles de Tyasalé
étaient approvisionnés en marchandises européennes par Grand-Lahou au moyen des chaloupes
et vapeurs qui remontaient le Bandama jusqu'à Broubrou où des pirogues venaient chercher les
marchandises. Les maisons de commerce anglaises et françaises étaient concurrencées par des
maisons de commerce africaines qui se sont elles aussi installées dans [es centres commerciaux
pour y faire du commerce de l'huile de palme, du caoutchouc du bois et de l'ivoire.
1- A.N.C.l : série JO.C.1. année [898 p.2[8.
2- A.N.C.I : série 1EE28 (2) p. 16
408
Sur la côte Alladian, toutes les maisons de commerce installées étaient d'origines
anglaises et ne s'occupaient que du commerce de l'huile de palme (1). Les maisons de commerce
anglaises établies à Jacqueville, Grand-Jacques et
à Addah et
nans les autres centres
commerciaux du littoral Alladian n'avaient pas une activité commerciale diversifiée. Les maisons
de commerce françaises avaient quant à elles, des activités commerciales très diversifiées. Elles
faisaient tout le commence de produits tropicaux (oléagineux, caoutchouc, bois, ivoire, or, peaux
d'animaux etc ...). La diversification a alors permis aux sociétés commerciales françaises de
résister et de surmonter la crise des oléagineux de fin 1897 qui a entraîné sur le littoral Alladian
l'effondrement des maisons de commerce anglaises (2).
Dans le Lodzukru, la plupart des villages lagunaires abritaient des sous-factoreries dont la
gérance était confiée à des Noirs originaires de la Gold Coast, du Sénégal, de la Sierra Léone ou
du Libéria (3). Les ressortissants de ces pays ont reçu des enseignements qui leur permettaient de
tenir un livre de compte alors 'qu'en côte de l'or peu de gens savaient écrire le Français et le parler
(4). En pays Odzukru seuls les traitants communiquaient avec l'occupant en français. Pour
surmonter cet handicap qui constituait un frein au développement du commerce et de la culture
française en côte de l'or, les traitants ont fait une enquête auprès de l'administration coloniale en
lui demandant d'intervenir en métropole afin qu'une école moderne soit ouverte en côte de l'or
pour la formation des jeunes africains (S). Les Anglais, dans leur colonie de la Gold Coast
avaient déjà crée des écoles. Cela a permis aux maisons de commerce de bénéficier des services
des jeunes Noirs formés dans les écoles (6). Les Anglais ont ainsi précédé les Français en Afrique
dans le domaine de l'instruction publique.
Les sociétés commerciales établies dans le Lodzukru achetaient et vendaient tout. Elles
achetaient surtout l'huile de palme, les palmistes et le caoutchouc et vendaient aux populations le
sel en sac de 2 kg, les alcools (gin et le rhum). Le rhum était vendu dans des dames jeannes de
quinze litres, les tôles, les planches de construction, de la quincaillerie (clous, scies, marteau,
barre de fer, hache, matchette) et tous les genres de tissus (lin, coton, laine et soie). La vente
d'armes à
1- AN.C.I. : série IBB6 Pièce 3
2- AN.C.I. : série lEE122 (1/2) P.13
3- AN.S. : section AOF série SG3S P.6
4- AN.S. : section AOF série SG36 P.8
S- AN.S. : section AOF série SG35
6- AN.s. : section AOF série 5G38 P.6
409
TABLEAU DES MAISONS DE COMMERCE INSTALLEES DANS LE LODZUKRU
1854 - 1895
Les Maisons de commerce
Dabou
Mopoyem
Tukpa
' Cors
La Maison Régis
1854
Maison Renard
1856
Cie Demiagou et Pecquet
1856
Maison Swanzy
1873
1873
1872
Maison Verdier
1873
1873
Maison King et Cie
1891
1891
Reyder et Cie
1891
1891
1891
Holding et Cie
1891
1891
1891
S. C. F.
1892
1892
Cie Française de Kong (C.F.K.)
1892
1892
1892
1892
S.F.C.!.
1892
1892
1892
Dutheil de la Rochère
1892
1892
Maison William's
1894
1894
S. C. F,
1895
1895
Wooding et Cie
1895
Vivarelli
1891
1891
Source: Jean Michel LATTE EGUE.
410
feu (fusils et poudre à canon) était prohibée dans tout le pays Odzukru (1). En effet, un arrêté du
Résidant général de France en côte de l'or datant de fin 1889 interdisait la vente d'armes à feu sur
l'étendue du territoire Odzukru afin d'affaiblir les Oboru, principaux opposants des français dans
l'Ebrié occidental et empêcher de nouvelles révoltes dans Je Lodzukru. La France en 1886 a
rajeuni avec les Odzukru les premiers traités signés en 18S0 et 18S3. Les traités de 1886 auxquels
avaient participé les Oboru ont consacré théoriquement la souveraineté de la France sur le pays
Odzukru.
Pour une meilleure organisation du trafic commercial entre Dabou et Grand-Bassarn et du
transport sur les lagunes et les fleuves qui se faisait à l'aide des pirogues, les maisons de
commerce se sont dotées de moyens de transport plus perfectionnées que les pirogues et portant
des charges plus importantes.
Les navires marchands a faible courant d'eau, pouvant facilement remonter, rivières,
fleuves et lagunes étaient escortés et protégés lors de leurs expéditions' commerciales par des
canonnières (2) de la marine française; Sur la lagune Ebrié où le trafic est devenu important entre
Dabou et Grand-Bassarn, depuis la construction du wharf en 1892 faisant de cette "ville" le
premier port moderne de la côte de l'or, deux canonnières le "Diamant" et le "Brandon" étaient
affectées pour la sécurité de l'Ebrié Ouest et surtout pour protéger les navires marchands qui
étaient souvent l'objet d'attaques et de pillages de la part des populations riveraines (3). Les
navires marchands remontant les fleuves Comoé, Tanoé et Bia escortés par la canonnière
"Laprade" à cause de la population Abouré hostile à tout contact entre les populations de l'arrière
pays et les traitants français.
La navigation en lagune et en rivière de la côte de l'or se fait sous pavillon français
quelque soit la nationalité de l'armateur ou de l'équipage. Toute contravention est punie d'une
amende de cinq cents (SOO) à mille (1.000) francs (S). Les maisons de commerce possédaient plus
ou moins toutes les variétés de navires marchands pouvant selon les voies d'eau faciliter le
transport des produits vers le port de Grand-Bassarn et les points d'embarquement de Grand-
Lahou, Assinie et Grand Jack (Jacqueville) (6). Il s'agit des voiliers, des geëlettes, des vapeurs,
des chalands et des chaloupes.
1- AN.S. : section AOF série SG38 P.12
2- AN.S. : section AOF série SG38 P.l3
3- AN.C.I. : série lEE 122 (2) P.S
4- AN.S. : section AOF série SG36 P.8
S- AN.S. : section AOF série SG38 P.13
6- AN.S. : section AOF série SG36 P.8
411
La maison Verdier possédait à elle seule neuf (9) navires dont deux voiliers: le colonel
Denfert (300 tonneaux) et le Krinjabo (4S0 tonneaux) : trois vapeurs: le palmier, le Kong et le
Chanzy, une geôlette : la Louise, une chaloupe : Helga ; un chaland et un remorqueur (1). Quant à
la maison Swanzy, elle possédait trois navire dont deux vapeurs: Niva et la Cloud et un chaland
remorqueur, l'Emma (2). Les autres maisons de commerce possédaient un à deux vapeurs ou
chaloupes.
Les maisons de commerce qui ne possédaient pas de navires de commerce recouvraient au
service des bâtiments de la marine française pour transporter leurs produits vers les centres
d'évacuation. Tous les investissements français dont le but était l'amélioration du commerce en
côte de l'or ont permis aux firmes commerciales européennes de briser et de contrebalancer le
monopoles des courtiers AlJadian dans l'Ebrié occidentale. Les navires marchands, à l'ouverture
de chaque saison commerciale pouvaient faire en rade un à deux mois achetant et vendant jusqu'à
l'épuisement de leurs stocks (3) .'
En côte de l'or, en fonction des activités, on avait trois catégories de commerçants.
- La première catégorie des négociants regroupaient les directeurs des maisons de
commerce dont les sièges étaient à Grand-Bassam ou à Assinie.
- La deuxième catégorie regroupait les traitants qui sont tous agents des maisons de
commerce. Iles étaient tous européens. Dans le Lodzukru, les nouvelles maisons de commerce
étaient représentées par les maisons Swanzy, la compagnie française de Kong, la société française
de la Côte d'Ivoire, la société Domergue, la société coloniale de la Côte d'Ivoire, la société
française, la société commerciale française de la Guinée, la maison King et compagnie, Wooding
et compagnie, la maison Verdier et enfin Vivarel (4).
- La troisième catégorie des commerçants regroupait enfin les sous-traitants. Ils étaient
tous africains et étaient originaires du Sénégal et des colonies anglaises de la Gold-Coast, de la
Sierra-Léone, de la Gambie et du Libéria (S).
1- AN.S. : section AOF série SG38
2- AN. S.: section AOF série SG36 P.II
3- AN.C.I. : série IEE 122 (2) P.6
4- AN.S. : section AOf série SG38 P.22
S- AN.S. : section AOf série SG37 P.II
412
Pour permettre à la colonie de se procurer ses propres ressources, l'administration
coloniale a institué une patente annuelle pour tous les traitants commerçants en côte de l'or. Cette
patente qui était une sorte d'imposition s'élève à deux mille (2.000) francs pour les négociants
européens et mille (1.000) francs pour les détaillants qui étaient tous africains et tenant leur
propre commerce. Il s'agit des Appoloniens, des Sénégalais et des Soudanais (1). Les soudanais
se sont spécialisés dans le colportage.
Les maisons de commerce étaient le fer de lance de la nouvelle colonie de Côte d'Ivoire.
En plus du commerce, la plupart d'entre elles se sont lancées dans l'agriculture de rente créant des
plantations de café et de cacao sur des terrains concédés gratuitement par l'administration
coloniale (2). Les premières plantations de café et de cacao de la Côte d'Ivoire ont été créées au
cours de la décennie 1880. Ce fut le village de Elima dans la région d'Assinie qui a été le village
pilote pour le lancement et le développement de la culture arbustive en Côte d'ivoire. Dans le
Lodzukru, les pionniers du développement de la culture arbustive sont la mission catholique qui, .
en 1897, crée la première plantation de café à Dabou sur un terrain concédé par l'administration
coloniale (3). La mission catholique est suivie par les maisons telles S.C.F. et la compagnie
française de Kong qui en 1898 décident elles aussi de s'adonner à l'agriculture. La main-d'oeuvre
était d'origine soudanaise en particulier des Sénoufo et des Dyula vendus sur le marché aux
esclaves par les Sofa de Samory. Les manoeuvres étaient rémunérés en espèce et en nature (4).
Le développement de l'agriculture de rente a été possible en Côte d'Ivoire grâce à la création d'un
jardin botanique et d'une pépinière à Dabou. Dans le jardin botanique de Dabou crée en 1860,
toutes les plantes tropicales étaient expérimentées (5). Les maisons de commerce établies en Côte
d'Ivoire se livraient aussi à l'exploitation du bois. Les essences exportées sont l'Acajou et l'iroko.
Le monopole de l'exploitation et de l'exportation du bois est détenu par la maison Verdier. Le
monopole a été accordé à Verdier en 1894 par Delcassé, ministre des affaires étrangères de la
France (6).
1- AN.C.r. : série 1EE 122 (112) P. 8
2- AN.s. : section Côte d'ivoire série 2G 1(25) pièce 5
3- AN.S. : section 2Gl (25) pièce 18
4- AN. S. : section Côte d'ivoire 2G 1(26) pièce 18
5- AN.C.!. : série 1EE 122 (2) P. 8
6- AN.S. : section Côte d'ivoire 2G1(25) pièce Il
413
Les maisons de commerce installées dans le Lodzukru étaient l'objet de pillage pendant
les guerres opposant les villages Odzukru aux troupes françaises. En effet, la guerre entre .Ies
Dibrim Egn et les français en 1891 a entraîné pendant deux ans la fermeture des maisons de
commerce de Dabou de 1891 à 1893. Les navires marchands en rade de Dabou et de Tukpa
étaient pillés par les populations Odzukru. En Septembre 1898, au lendemain de la défaite de la
première expédition punitive française contre les Oburu, la succursale de la société française
coloniale établie à Tukpa a été pillée et détruite (1). Quant à la société coloniale française de la
Côte d'Ivoire, elle a perdu à Tukpa au cours d'une attaque des Tukpa Egn le 18 Octobre 1898,
une somme de 5.317 francs (2). Avec le déclin en 1897 des courtiers Alladian, les populations
Odzukru se sont rapprochées des maisons de commerce avec lesquelles elles entretenaient des
relations de bon voisinage et d'amitié. Les maisons de commerce ont plusieurs fois protesté
auprès de l'administration coloniale contre les fortes amendes infligées aux populations car les
amendes constituaient un handicap, un obstacle au développement du commerce. Elles ruinaient
les paysans qui n'arrivaient plus à consommer les marchandises européennes. Parmi les maisons
de commerce, certaines d'entre elles faisaient des prêts aux paysans pour leur permettre de payer
les amendes (3). Les emprunts étaient remboursés avec intérêt au début de la nouvelle saison
commerciale. Le remboursement se faisait en nature ou en espèce.
La maison William a, en 1896, prêté vingt cinq mille (25.000) francs aux Oburu pour le
paiement de leur amende. Les Oboru ont remboursé leur emprunt avec intérêt, en donnant cent
quarante (140) ponchons d'huile. Le ponchon étant vendu à 200 F dans les débarcadères, cela
nous donne 28.000 F (4).
Les sociétés de commerce établies dans le Lodzukru contrôlaient presque la totalité du
trafic de l'huile de palme du bassin occidental de l'Ebrié depuis l'effondrement des courtiers
Alladian. Mais la présence des navires' anglais sur le littoral Alladian empêchait les maisons de
commerce de faire main basse sur tout le trafic commercial de l'huile de palme. Les Oboru depuis
Octobre 1898 (5) ont rompu leurs relations commerciales avec les courtiers de Jacqueville à
cause de leur alliance avec l'administration française, mais ils ont maintenu les trafics
commerciaux avec les capitaines anglais par l'intermédiaire des courtiers de Addah (6).
1- AN.S. : Section Côte d'Ivoire série 2Gl (25) pièce 8
2- AN.C.!. : Série lEE 122 (1)
3- AN.C.I. : Série lEE 122 (2) P.8
4- AN.C.I. : Série lEE 122 (2) P.8
5- AN.C.!. : Série lEE 122 (2) P.ll
6- AN.S. : Section AOF série 5G36 P.8
414
Les maisons de commerce européennes, véritables instruments d'exploitation et de pil1age
des populations africaines, malgré le soutien et la protection de l'administration coloniale n'ont
pas réussi à exercer un monopole sur les activités commerciales car elles étaient concurrencées
par les maisons de commerce africaines qui pratiquaient les mêmes activités commerciales
qu'elles (1).
Les traitants Appoloniens et sénégalais établis à Dabou et dans les autres débarcadères de
Lodzukru faisaient des prêts aux üdzukru. Cela a considérablement réduit la dépendance du
peuple üdzukru à l'égard des courtiers Alladian. L'établissement des traitants africains dans le
Lodzukru n'a pas entraîné de graves incidents politiques, économiques et socio-cuIturels sauf à
Cosr et à Gbadzn où les traitants sénégalais et bambara ont introduits l'Islam et épousé des
femmes üdzukru et à Dabou où les traitants Appoloniens forment une grande communauté (2).
Les mariages entre des jeunes filles üdzukru et les traitants sénégalais ont donné, à Cosr et à
Gbadzn, naissance à de petites communautés islamiques dont l'influence dans ces deux villages
se réduisait à la petite famille (3).
Les traitants Africains exerçaient le même type d'activité" commerciales que les
commerçants européens. Ils achetaient les produits tropicaux (oléagineux, caoutchouc, or, ivoire,
gomme et peaux d'animaux) et vendaient aux populations des articles d'importation.
La plupart des commerçants possédaient leurs propres factoreries et avaient sous leur
tutelle des sous traitants qui parcouraient les villages et les campements pour acheter les produits.
Ils ont essaimé des factoreries dans toutes les régions du littoral et de l'intérieur du pays. Ce qui
leur permettait de se poser en véritables concurrents des européens. Les traitants Appoloniens et
Fanti sont très redoutés par les traitants européens qui les considéraient comme les "Juifs" de la
côte (4). Les traitants Appoloniens étaient très intelligents et habiles. Ils ont réussi par le système
de prime à lier avec les producteurs africains. Ils dominaient les trafics commerciaux entre la
Côte et l'intérieur où ils ont installé des factoreries même dans les zones les plus reculées et à
accès difficiles. L'un d'entre eux un certain Dongon, originaire de Grand-Bassam a établi des
factoreries dans les centres commerciaux de Dabou, Grand-Lahou et Tyasalé. Il est aussi
propriétaire d'une chaloupe à
1 - A. N. S : Section AüF série 5G38 p. 12
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (112) p.12
3 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (2) p. 14
4 - A. N. C. 1 : Série lEE 28 (1) p. 13
5 - A. N. C. 1 : Série lEE 28 (2) p. Il
415
qui lui permettait de relier ses factoreries et de les approvisionner en produits de traite. Ils
s'approvisionnaient en marchandises de traité auprès des navires anglais en mouillage au large
des village Alladian et Avikam. Souvent ils se rendaient en chaloupe à Cape Coast en Gold Coast
dans la colonie anglaise pour s'approvisionner. Les plus riches d'entre eux exploitaient le bois
qu'ils exportaient en Europe (1). C'est ce que note l'administrateur du cercle d'Assinie dans un de
ses rapports au gouverneur de la colonie de Côte d'Ivoire.
«
Dans la matinée vers 9 heures, une centaine d'indigènes, sujet d'Akassimadou
descendus exprès de Krinjabo, empêchaient ouvertement ces Appoloniens d'embarquer leurs
billes sur le navire qui était sur rade ».
L'établissement des commerçants Appoloniens et Fanti à Dabou et à Tyasalé a contribué à
ruiner les traitants Odzukru quine pouvaient plus se rendre dans le Baulé et dans le Koueni pour
échanger les marchandises européennes (alcools, sel, tissus etc... ) contre la poudre d'or et les
cotonnades. Les populations de ces régions sont approvisionnées en produits de traite par les
factoreries européennes et appoloniennes installées à Tyasalé et à Toumodi. Mais les traitants
Odzukru n'ont pas totalement abandonné leur trafic avec l'arrière pays. Ils continuaient de s'y
rendre pour acheter les esclaves, vendus à vil prix dans le Baulé. Le Baulé est approvisionné en
esclaves par les Sofa de Samory qui les échangeaient contre la poudre à canon, les étoffes ou
contre des produits vivriers (2). Les traitants Odzukru se rendaient toujours dans le Baulé pour
acheter les bijoux, or et les cotonnades non commercialisés par les factoreries.
Les Appoloniens ont réussi à réduire grâce à leur factorerie l'influence qu'exerçaient les
Odzukru sur les populations de l'arrière pays. Très habiles et entreprenants, ils ont détourné à leur
profit l'ancien trafic commercial entre le Lodzukru et les régions de l'intérieur. Cela a obligé les
Odzukru à s'intéresser plus à l'agriculture et la production d'huile de palme qu'au négoce (3). Vers
la fin du XIXè siècle, le monopole du trafic de la cotonnade entre la côte et l'intérieur du pays
était exercé par les traitants soudanais. Ces commerçants ambulants parcouraient villages el
campements pour vendre les pagnes tissés à la main. Les traitants européens vendaient aussi aux
africains un autre genre de pagne très apprécié par les populations Odzukru. Ce pagne d'origine
anglaise et hollandaise a été surnommé par les
1- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (26) pièce 6
2- A. N. S : Série 2G1 (27) pièce 6
3- A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) p. 6
416
Odzukru "Kpokpo Gbad" pour faire la différence avec les pagnes Baulé et Koueni surnommé
"Akpem Gbad".
"Le Kpokpo Gbad" appelé couramment pagne est un tissu léger par rapport aux
cotonnades Baulé et Koueni. Les importations de pagne dans le Lodzukru n'ont pas pour autant
résolu le problème de port de pagne qui est très limité. Le prix d'achat des pagnes était très élevé
par rapport aux ressources des lignages. En effet, vers la fin de la décennie 1890, les cours de
l'huile de palme sur les marchés mondiaux étaient constamment en baisse, ce qui a engendré le
manque de ressource dans le Lodzukru. Les Odzukru possédaient des pagnes mais ils ne les
utilisaient que lors des cérémonies initiatiques et rituels (Low, Dédiakp, Agbadzi) et au cours des
décès pour ensevelir les mort. Dans le Lodzukru, seuls les initiés hommes et femmes avaient droit
à porter des pagnes. Les jeunes filles et garçons jusqu'à l'âge de onze (11) ans ne portaient que
des caches-sexe. Pour les jeunes garçons, le port du cache-sexe continuait jusqu'à la date de
l'initiation de Low.
Les courtiers Fanti et Appoloniens étaient indépendants. Ils achetaient aux Odzukru l'huile
de palme et les palmistes qu'ils revendaient aux navires anglais ou aux maisons de commerce
françaises. Par leur habilité et intelligence, ils ont empêché les sociétés de commerce européennes
d'exercer un monopole sur le commerce de la côte de l'or. Par contre les traitants sénégalais et
Dyula dans les débarcadères achetaient l'huile de palme et le caoutchouc pour le compte des
maisons de commerce qui n'avaient pas de représentation (factorerie) dans le Lodzukru (2). De
nombreux soudanais et kroumen étaient engagés comme sous traitants (commis) dans les
factoreries (3), d'autres servaient de gardiens d'entrepôts aux maisons de commerce installées
dans le pays de l'huile de palme.
Le tracé des routes du Centre et de l'Est a alors permis aux sous-traitants sénégalais et
Dyula de parcourir les villages et les campements pour y acheter les produits de traite ou pour
faire des commandes ou des réservations. Certains d'entre eux dans les villages, pour gagner la
sympathie des populations, faisaient des dons aux paysans en offrant aux hommes des machettes,
des haches et aux femmes des sacs de sel et du savon (4) ainsi que du tabac.
1- Enquêtes collectives réalisées à OrgbaffEdjem Afr et Kougba Egn
2- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (27) pièce 5
3- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1/2) p. 8
4- A. N. S : Section AüF Série 5G38 P. 5
417
La présence des intermédiaires Sénégalo-Dyula à Dabou est à l'origine de l'effondrement
du trafic commercial entre le Lodzukru et le pays Alladian. Ils achetaient presque toute la
production Odzukru. Ce qui a constitué l'une des causes de la décadence des traitants Alladian
qui ne contrôlaient plus le commerce du bassin occidental de l'Ebrié. Avec l'arrivée des traitants
Appoloniens et Sénégalo-Dyula dans le pays Odzukru, le Lodzukru s'est affranchi, de la
dépendance économique du pays Alladian. Cela a réduit la mise en gage (Aoba) des jeunes
Odzukru auprès des riches courtiers Alladian par leurs parents. Le travail des intermédiaires dans
le Lodzukru a été facilité par une production d'huile de palme et de palmiste toujours croissance.
Les commerçants Fanti et Appoloniens (Osoko Egn) lors des "guerres de l'huile de palme"
ont apporté leur appui matériel et moral aux Oboru en leur fournissant des armes à feu qu'ils
achetaient aux maisons de commerce établies à Assinie, à Grand-Bassam et à Cape Coast en
Gold Coast (1). En 1892 par un arrêté, le gouverneur de la colonie de la côte de l'or a interdit la
vente d'arme à feu dans le Lodzukru et dans tout le bassin occidental de l'Ebrié afin de pouvoir
circonscrire la révolte des Oboru et les désarmer. C'est la vente de la poudre à canon qui est
surtout interdite. ainsi, les maisons de commerce européennes et les courtiers Alladian refusaient
de vendre aux Oboru de la poudre à canon. Ils n'étaient approvisionnés en armes à feu que par les
Fanti et les Appoloniens.
Les traitants africains (Fanti - Appoloniens) ont aussi apporté leur appuis aux populations
Odzukru pour la libération des opposants à la colonisation française détenus dans les prisons à
Grand-Bassam ou déportés au Congo et à Conakry (2). Par le système de crédit qu'ils avaient
instauré dans la région, ils aidaient les populations à payer sans difficulté les amendes (3). Les
emprunts sont remboursés avec intérêt au cours de la nouvelle saison commerciale qui
commençait en Novembre et prenait fin début Avril. Entre les traitants et populations Odzukru
existaient de forts liens de solidarité et de fraternité. Grâce à cette solidarité, ils bénéficièrent du
soutien des producteurs Odzukru et surtout des Eusru et des Oboru qui leur vendaient la presque
totalité de leur production. Ils se rendaient sans être inquiétés dans les villages Odzukru pour
vendre aux populations les marchandises européennes. Leur présence dans les villages les plus
reculés de Lodzukru empêchait les populations de faire des achats dans les factoreries qui
éprouvaient des difficultés à
1- AN.C.I. : Série lEE 122 (1/2) p.ll
2- AN.C.I. : Série lEE 122 (1/2) p.ll
3- AN.S. : Section AOF série 5G38 p.14
418
vendre leurs marchandises. Les populations Odzukru note ESSOH LATTE Benoît vendaient aux
maisons de commerce européennes de l'huile de palme et des palmistes mais n'achetaient rien en
retour (1). Les factoreries avaient des difficultés à écoulé leurs stocks de marchandises importées
qui faisaient quelques fois quatre (4) à six (6) ans dans les magasins (2). Les factoreries
européennes à la fin de l'année, enregistraient des pertes énormes et le bilan commercial était
négatif pour la plupart d'entre elles. C'est pourquoi elles ont protesté auprès de l'administration
coloniale pour que des mesures soient prises contre les commerçants africains afin que leur
négoce soit brisé (3). Les traitants européens, pour éliminer les commerçants africains en côte de
l'or, ont demandé à l'administration coloniale de les transformer en simples employés des
factoreries. Mais cette proposition a rencontré l'hostilité des populations et des traitants africains
car elles consacreraient le monopole des européens sur tout le commerce de la colonie de Côte
d'Ivoire. Les commerçants africains bénéficiant du soutien des paysans africains réalisaient à la
fin de chaque saison commerciale d'importants chiffres d'affaires et d'énormes profits qui leur
permettaient de rivaliser avec les factoreries européennes auxquelles ils revendaient la masse de
produits achetés aux paysans.
Les échanges entre traitants Appoloniens, Fanti et paysans Odzukru se faisaient en
manilles. Mais dès 1892, le gouvernement de la colonie par arrêté à mis fin à l'utilisation des
manilles comme monnaie dans la région des lagunes et imposé à tous les peuples l'usage du Franc
dans les échanges commerciaux.
3)- La tentative de suppression des manilles
Les transactions commerciales dans le Lodzukru sont à base de manilles. Les manilles ont
été introduites dans le bassin occidental de l'Ebrié en 1854 par les anglais. Depuis cette date, les
manilles se sont imposées comme monnaie de change dans la région. Les anglais l'utilisaient dans
les transactions avec les producteurs d'huile de palme. Les manilles avaient cours non seulement
dans le bassin occidental de l'Ebrié mais dans le Baulé Sud et en pays Abê. Elles ont aussi connu
une extension en pays krou. Mais l'essentiel des échanges commerciaux avec les pays de
l'intérieur: Baulé, Dida, et surtout Koueni se faisait à base de troc.
Le système de troc qui prévalait dans les débarcadères était mal apprécié par les
commerçants français. Ils protestaient contre le système de troc qui réduit leurs bénéfices. Dans
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Août auprès de Benoît ESSOH LATTE.
2- A.N.C.I. : Série 1EE 122 (1) p.6
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419
le but de permettre aux commerçants français de contrôler le trafic de l'huile de palme, les
responsables de la colonie en 1857 ont décidé par un décret de supprimer les manilles et de les
remplacer par le franc (1). Cette tentative française de mettre fin à la suprématie des anglais dans
le bassin occidental de l'Ebrié a été un échec car les populations de la côte des Quaquah
continuaient d'utiliser le système de troc dans les échanges commerciaux avec les commerçants
français. Les populations du haut Ebrié, malgré l'arrêté de 1892, continuaient d'utiliser les
manilles dans leurs échanges commerciaux avec les Alladian (2).
L'utilisation des manilles comme monnaie dans les échanges commerciaux du bassin
occidental de l'Ebrié est le témoignage de la suprématie commerciale des anglais en côte de l'or,
en pays Quaquah et par extension dans le haut Ebrié.
Avant la colonisation du territoire qui devient en 1893 Côte d'Ivoire, on dénombrait
plusieurs zones monétaires. Au Nord-Ouest et dans le pays Koueni (Gouro), on a le Sombé ~ au
Centre, à l'Est et au Sud-Est: la poudre d'or (Acquet), au Centre-Ouest la cola et les fusils, au
Nord et au Nord-Est: les cauris et enfin, au Sud, le pays des Quaquah et dans le haut Ebrié : les
manilles (voir tableau).
C'est vers la fin de la décennie 1880 que les français reviennent officiellement pour la
troisième fois, en côte de l'or. Mais, seule la région du Sud-Est est sous le contrôle des français.
De nombreuses missions diplomatiques conduites par Treich-Laplène et des expéditions
militaires ont été organisées à l'intérieur du pays. L'objectif des différentes missions et
expéditions militaires est de placer tout l'arrière pays sous la souveraineté de la France.
Politiquement, la France était à mesure de contrôler le territoire ivoirien très morcelé, donc
incapable de résister au conquérant. Les rivalités entre les différentes populations sont un atout
pour la France qui l'utilise pour venir à bout des foyers de résistance. Mais au plan commercial, la
souveraineté de la France était battue en brèche par les courtiers africains qui ont opposé un refus
à tout contrôle du commerce par les traitants français. L'existence de plusieurs zone monétaires a
constitué un obstacle au rayonnement commercial français. En décrétant le non utilisation des
monnaies locales sur le territoire ivoirien, les français pensaient rendre homogène les changes
entre les différentes régions qui ont recours au troc lors des transactions commercial. Ce troc
rendait les échanges commerciaux entre les régions pénibles et difficiles"
1- A.N.s. : Section AOF série 5G29 p.l2
2- A.N.S. : Section AOF série 5G38 p.12
420
Les traitants africains avaient recours à plusieurs heures de marchandages pour conclure une
affaire.
Les traitants Odzukru et Alladian, grâce à leur habilité et à leur intelligence ont réussi à
introduire les manilles dans le Baulé Sud. Les Odzukru ont été les artisans de l'introduction de
cette monnaie dans le pays Abê et dans le pays Agni-Morofwê et Bettié (1). Mais dans les pays
Agni, les échanges avec les manilles ont été très limités. la monnaie en cours dans les pays Agni
est la poudre d'or. La plupart des régions Agni en sont de grandes productrices.
La France, en cherchant à supprimer les monnaies locales essaie de répondre à plusieurs
préoccupations. La première de ces préoccupations est l'organisation de l'économie de la colonie
et le contrôle de toutes les activités commerciales. Aucune économie moderne ne pouvait se
développer en se reposant sur des monnaies non fiables et viables. Or, pour elle, les monnaies
locales ne reposaient sur rien et avaient surtout un caractère archaïque et primitif (2). Cette
situation l'empêchera de faire mais basse sur les activités économiques de la côte de l'or si elle
n'avait pas le contrôle de la monnaie. L'introduction du franc dans la nouvelle colonie est le signe
que la France exerce sa pleine souveraineté sur tout le territoire ivoirien. Pour les commerçants
français, les variations du cours de la manille dans les divers cercles du territoire ivoirien est de
nature à entraver les transactions commerciales et à causer des perturbations sur le marché local.
Enfin, pour l'administration française l'existence de plusieurs zone monétaires est un obstacle au
développement des échanges commerciaux entre les différentes régions. La création d'une seule
monnaie favorisera les échanges commerciaux entre toutes les régions. Elle permettra aux
commerçants européens établis dans la colonie, de soutenir les opérations commerciales et en
favoriser les progrès (2). Ainsi au cours des années 1890 (1892, 1895 et 1898) (3) par des arrêtés
qui ne furent jamais appliqués par les populations africaines, le gouvernement de la colonie
décide l'interdiction de la circulation des manilles et leur utilisation dans les échanges
commerciaux sur toute l'étendue du territoire de la colonie et en particulier dans le Lodzukru où
les populations étaient hostiles à l'utilisation du franc (4).
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Juillet 1988 auprès de M. Benoît ESSO LATTE.
2- AN.C.I. : Série lEE 122 (l) p.22
3- AN.C.I. : lO.C.r année 1895
4- AN.C.r. : Série lEE 122 (1).
421
Mais cette nouvel1e loi, provoque une hostilité des populations Odzukru à l'égard des
français. Elles considèrent les différents arrêtés comme un stratagème pour les dépouiller de
toutes leurs richesses. En effet, l'essentiel du trésor des lignages est constitué de manilles
thésaurisées et l'administration française n'a rien prévu pour dédommager les paysans. Cette loi
est alors jugée arbitraire par les populations qui accusent les français de vouloir les appauvrir en
les dépouillant de tous leurs biens. Elles réagissent en refusant d'utiliser le franc dans les
transactions commerciales et en faisant circuler les manilles sur le marché noir (1) où les traitants
Dyula et Appoloniens, principaux concurrents des commerçants européens déterminaient à leur
gré les cours. Cette situation entraîne au cours de la période 1896-1897 la baisse des activités
commerciales dans le Lodzukru, les Odzukru refusant de commercer avec les maisons de
commerce européennes. Le refus des Odzukru de trafiquer avec les maisons de commerce oblige
l'administration coloniale française à accepter la cohabitation entre franc et manilles. Ainsi ont
cours dans l'Ebrié deux monnaies (2).
L'administration française a accepté la circulation des manilles dans les régions de l'Ebrié
occidentale parce qu'il y avait peu de numéraire sur le marché. La quantité de pièce et de billets
émise sur le marché était insuffisante à assurer un meilleur développement du commerce. C'est
pourquoi, l'administration coloniale tolère l'utilisation des autres monnaies en côte de l'or. Ainsi
la détention de la monnaie ancienne de quelque nature et à quelque titre que ce soit ne pouvait
jamais donner lieu à l'application d'aucune sanction (3). Les Odzukru étaient hostiles quant à
l'emploi des billets de monnaie émis sur le marché.
L'utilisation du franc par les Odzukru se limitait aux échanges avec les factoreries
européennes et pour le paiement des amendes. Ce n'est que vers la fin de l'année 1898 que ce
peuple accepte le franc. l'utilisation du franc par les traitants Odzukru a été favorisé par la baisse
constante des échanges commerciaux entre Odzukru et Alladian entre 1897-1898 (4). En effet, les
Odzukru et surtout les Oboru ont suspendu leurs exportations d'huile de palme et palmistes vers
les centres commerciaux du pays Alladian pour protester contre l'alliance Franco-Alladian contre
les Odzukru de Bobor. Les importations de marchandises européennes de la côte Alladian ont
connu elles aussi une baisse. Les traitants Alladian avaient peur de fréquenter les débarcadères
Odzukru de peur d'être pris en otage par les Oboru.
1- AN.C.I. : Série 1EE 122 (1)
2- AN.C.I. : Série lEE 122 (4) p.8
3- AN.C.I. : Série 2EE1 (1) p.6
4- AN.C.I. : Série 1EE 122 (2) p.6
422
Or, les Odzukru avaient besoin pour leurs équipements et pour leur échanges avec les régions de
l'intérieur, des produits européens. C'est pourquoi, malgré leur rejet du franc symbolisant la
souveraineté de la France sur toute la colonie, ils acceptent de vendre aux maisons de commerce
l'huile de palme et les palmistes afin d'acquérir les marchandises importées.
L'artisanat Odzukru était peu productif et très rudimentaire. Tous les produits de
transformation consommés dans le Lodzukru sont importés d'Europe et des autres régions du
territoire ivoirien. Le commerce Odzukru en direction de la côte lagunaire se faisait avec le franc.
Mais pour se procurer les manilles qui sont demeurées la principale monnaie de Lodzukru, les
paysans Odzukru exportaient une partie de leur production vers les navires anglais par
l'intermédiaire des courtiers du village de Addah qui, pendant les guerres de l'huile de palme, ont
accepté, malgré la pression de l'administration coloniale française, d'héberger les réfugies
Odzukru (1). Les paysans Odzukru ont réussi à diversifier leurs exportations grâce à une
production d'huile de palme en constante croissance.
4/ Croissance de la production d'huile de palme
Du début de la traite en 1830 jusqu'en 1898, la production d'huile de palme de Lodzukru
.n'a cessé d'augmenter. Cette production est toujours croissante parce que l'huile de palme est
l'unique source de revenu de Lodzukru. La vie économique et sociale est alors organisée autour
du palmier à huile. Les palmeraies sont le symbole de la puissance économique des Odzukru. La
production était en constante augmentation mais les techniques de production quant à elles n'ont
connu aucune mutation au cours de cette longue période. Cependant les palmeraies sont
exploitées régulièrement mais n'ont jamais fait l'objet d'un entretien. Le seul entretien s'opérait
pendant le défrichement des terrains pour les nouvelles cultures. Souvent avant de grimper un
palmier, le grimpeur nettoyait tout le pourtour du palmier dans un rayon d'un mètre. La présence
des herbes et des arbustes rendaient très difficiles le ramassage des régimes de palme. Ainsi pour
obtenir une bonne quantité d'huile de palme il fallait de longues semaines de travail acharnées.
Les Odzukru avaient aussi recours à la main-d'oeuvre servile.
La croissance constante du volume de production de l'huile de palme est due au fait que
les Odzukru ont un grand besoin d'argent pour célébrer les funérailles qui étaient très onéreuses
pour les matrilignages, pour l'organisation des initiations des jeunes gens et jeunes filles (Low et
Dédiakp), pour assurer la dot à leurs fils et pour acheter des esclaves.
1 - A. N. C. l : Série 1EE 122 (1/2) p. Il
423
Ils avaient aussi besoin d'argent pour acheter aux compagnies commerciales européennes des
produits manufacturés pour les échanges avec les peuples de l'intérieur. Enfin, ils avaient besoin
de pécules pour accroître le trésor des lignages et les fortunes personnelles et surtout pour
célébrer le rite d'Agbadzi qui consacrait la réussite économique et l'ascension sociale d'un
individu dans la société. Le rituel d'Agbadzi est uniquement réservé aux hommes libres. Sa
célébration par un individu conférait à ce dernier des honneurs dans la société. Il intégrait alors la
société des riches (1). En effet, depuis la célébration de ce rite au début du XIXè siècle entre
(1831 - 1840) (2), la société Odzukru composée uniquement de nobles (3) a connu une mutation
au XIXè siècle. Les riches, c'est-à-dire, ceux qui ont réussi socialement et économiquement se
différencient des pauvres par le rituel d'Agbdzi.
Les hommes non membres de ta classe des riches sont considérés comme des femmes et à
leur décès, ils n'ont pas droit aux hommages et aux honneurs du tambour parleur. Lors des
assemblées de village, de tribu' ou de quartier, il est interdit à tous ceux qui n'ont pas subi le rite'
d'Agbdzi de prendre la parole. Dans le cas extrême, il devrait s'adresser à l'assemblée assis, les
pieds allongés. C'est la position qu'adoptent les femmes lorsqu'elles sont invitées à intervenir au
cours d'une assemblée d'hommes. Pour les hommes, parler assis, est une humiliation.
Pour accéder au sâcre des gouvernants, dans certains villages tels qu'Orgbaff, Bobor ou
Dibrim, le rituel d'Agbadzi est obligatoire pour tous les récipiendaires. C'est par l'Agbadzi que
l'individu dans le Lodzukru acquérait une certaine dignité. Les frais occasionnés par ce rituel sont
évalués en milliers de manilles. C'est la consécration de la réussite sociale et du sérieux dans le
travail de tout lignage. C'est aussi la consécration du chef de lignage pour sa bonne gestion et son
bon encadrement car l'Agbadzi est la fête des riches.
C'est la célébration de la richesse. Le jour de la célébration du rituel, le matrilignage ou le
matriclan étale aux yeux de tous les convives toute sa richesse. Le rituel d'Agbadzi est le résultat
de la réussite économique de cinq (5) à dix (10) ans de travail acharné. L'Agbadzi est l'un des
moteurs de la croissance de la production de l'huile de palme.
1 - Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 48
2 -Ibid. 48
3 - Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1984 auprès de Mr Sylvestre AFF!.
424
La croissance de la production d'huile de palme et des autres produits de traite a été
possible grâce à l'essor démographique qu'a connu le peuple Odzukru vers la fin du XVIIlè
siècle, de nombreux populations fuyant les guerres tribales et les razzias se sont réfugies dans la
forêt située sur la rive Nord de la lagune Ebrié (1). Le Lodzukru, région sous-peuplée devient une
terre d'accueil pour tous les peuples qui fuyaient le littoral maritime. Le pourtour de la lagune
Ebrié devient alors vers la fin du XVIIlè siècle et début XIXè siècle, une zone "densément"
peuplée. Aux vagues d'immigrants s'ajoutent les esclaves achetés dans les régions du Nord et
surtout ceux venus par vagues des pays Sénoufo et Djimini dans le Lodzukru lors des guerres
samoryennes. L'essor démographique entraîné par l'arrivée des vagues d'immigrants et surtout la
présence d'une importante masse de la main-d'oeuvre ont permis une exploitation rationnelle des
palmeraies (2). Les problèmes de cueillette, de ramassage, de transport et de production de l'huile
étaient définitivement résolus. La croissance de la production de l'huile était aussi liée à d'autres
préoccupations.
a) - Désir de posséder les produits étrangers
La civilisation Odzukru est une civilisation agraire dominée essentiellement par la
cueillette des régimes de palme et la production de l'huile de palme. La vie technique est presque
nulle. Peu de gens s'intéressaient à la vie artisanale. Dans le Lodzukru, c'est seulement dans la
tribu Aklodzu, qu'on rencontrait des artisans travaillant le bois et les rotins. Les Odzukru, pour
leurs consommations en produits industriels, dépendaient des peuples des régions de savane et
surtout de la côte maritime où depuis le XVIIè siècle, les nations mercantiles (Alladian, Avikam)
ont établi des relations commerciales avec les interpoles européens (Anglais, Hollandais,
Danois).
Déjà, dès la fin du XVIIè siècle et au XVIIlè siècle, période troublée par la traite négrière,
les négrière, les produits européens surtout les étoffes, les armes à feu et la quincaillerie étaient
diffusés dans le Lodzukru. Le sel obtenu grâce aux échange avec les courtiers Alladian permettait
aux Odzukru de se rendre en pays en pays Baulé et Koueni pour acquérir la cotonnade, la poudre
d'or, des outils agricoles et des esclaves. Le sel était échangé contre les produits artisanaux des
zones de savane. Mais les produits importés de la côte maritime et des régions de l'arrière pays
1 - Enquête réalisée à Orgbaff le 2 Août 1984 auprès de Mr Sylvestre AFF!.
2 - Enquête réalisée à Dibrim le 28 Août 1988 auprès de Mr Etienne GBOUGBOU ESSIS.
425
étaient insuffisants pour couvrir les besoins de Lodzukru dont la consommation en produits
manufacturés reposait essentiellement sur les importations. Au XVIlè siècle, la consommation
des produits européens devient plus importante surtout à partir de 1830, date du début de la traite
de l'huile de palme (l). Au cours de cette période, les contacts entre les navires anglais et les
débarcadères du golfe de Guinée deviennent très permanents. La nouvelle traite a permis alors
aux anglais par l'intermédiaire des courtiers Alladian de diffuser leurs produits dans le Lodzukru
où les populations n'ont eu aucune difficulté à en faire siennes les produits anglais. Les produits
comme le Gin et le tabac sont considérés comme des produits de luxe que tout Odzukru devrait
posséder. Ces deux produits intervenaient dans presque toutes les cérémonies (2). Le gin, avec le
"grand commerce" remplace le vin de raphia, très difficile à extraire. Cette boisson est utilisée
lors des initiations, des funérailles et des offices religieux. Le gin servait dans les libérations.
Le tabac et le gin faisaient partie avec les paquets de manilles dont le paquet de vingt
pièces constituait l'unité, les éléments de la dot. Le tabac faisait partie des cadeaux que le fiancé
offrait à la mère de sa fiancée dans le cadre de la compensation matrimoniale. Pour le Gin, les
Odzukru n'acceptaient que la bouteille verte dont l'étiquette portait des jetons" Dé 'ng, Dé 'ng".
l'influence des produits anglais est très forte dans le Lodzukru à tel point que dans le
langage courant Odzukru, on retrouve des mots anglais. Le nom Odzukru "Tombro" désignant le
verre est remplacé par le mot "graci" qui n'est que la déformation du mot anglais "glaces". Grâce
aux échanges avec les courtiers Alladian les guerriers Odzukru se sont procurés des armes à feu
qui leur ont permis de défendre leur territoire contre les incursions Tchaman et Baulé ElomoE
(2). Les armes à feu, objets de prestige dans le Lodzukru étaient très recherchées par les Odzukru.
La diffusion des produits européens dans le Lodzukru a permis aux traitants Odzukru d'intensifier
leurs relations commerciales avec les populations de l'arrière pays. Le désir de posséder des
produits étrangers entraîne l'augmentation de la production de l'huile de palme. La croissance
était non seulement liée aux désirs de rechercher les produits artisanaux étrangers pour résoudre
les besoins en produits finis, mais surtout les manilles afin de s'acheter des esclaves. Les Odzukru
avaient un grand besoin d'esclaves qui constituaient un bien social, économique et surtout un bien
de prestige. Les Odzukru avaient réussi à s'affranchir de l'ère "primitive" non pas par une
1 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 8
2 - Enquête collective réalisée le 28 Décembre 1984 à Orgbaff Edzem Afr.
426
révolution interne mais grâce à l'apport de l'extérieur. Les échanges commerciaux sont à l'origine
de plusieurs transformations en pays Odzukru. La traite de l'huile de palme au XIXè siècle est
salutaire pour le peuple Odzukru dont l'économie se lance sur la voie de la modernisation grâce
aux contacts avec les interlopes européens. Les contacts commerciaux entre le Lodzukru et les
navires européens ont été établis grâce à l'action des courtiers du littoral AlJadian. Le prix de la
transformation sociale et économique était l'huile de palme dont seule la croissance et une
production de qualité pouvaient non seulement attirer dans le Lodzukru des négociants étrangers
mais aussi procurer de devises à la population. C'est compte tenu de tous ces facteurs que les
Odzukru doublent leur production.
b) - Une production en augmentation
Au cours de cette étude" il nous serait impossible d'estimer quantitativement la production
annuelle d'huile de palme de' Lodzukru. Plusieurs raisons empêchent l'établissement d'une
statistique faible. En effet, toute la production n'était pas destinée aux échanges. Une partie, qu'on
peut estimer à près de 10 % était destinée à la consommation locale. Les 90 % étaient pour
l'exportation. Les Odzukru exportaient à la fois vers la France à travers les factoreries établies à
Dabou, Tukpa, Mopoyem et Cosr et vers l'Angleterre par l'intermédiaire des courtiers Alladian et
des navires-factoreries. Les navires anglais restaient aparés au large des côtes Alladian pendant
toute une année (1). Lorsqu'un navire anglais faisait mouvement vers son port d'attache il était
immédiatement remplacé par un autre (2).
Les informations que nous disposons n'intéressent pas la totalité des centres de production
mais seulement les principaux foyers d'industrie de l'huile de palme (3). Il s'agit là aussi des
informations qui concernent la fin des années 1890, période au cours de laquelle les cours de
l'huile de palme connaissent une chute, une dépréciation.
Au débarcadère de Cosr sont exportées tous les ans mille deux cents (1.200) ponchons
d'huile (4). Mais il ne s'agit là que des échanges entre les Ocosru et les factoreries européennes
installées au débarcadère de Cosr. Un ponchon équivaut à deux cent vingt cinq (225) litres. Cela
nous permet d'estimer les exportations d'huile de palme du débarcadère de Cosr à deux cent
soixante-dix (270) tonnes d'huile (5).
1 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 6
2 - A. N. S : Section AOF série 5G36 p. 8
3 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1/2) p. 8
4 - A. N. C. 1: Série lEE 122 (7) p. 8
5 - A. N. C. 1: Série lEE 122 (1) p. 6.
427
La production moyenne en vingt (20) jours des villages d'Orgbaff, Usr et Dibrim a été
estimé entre six mille (6.000) à huit miJle (8.000) ponchons pendant la grande période de
production qui se situe à la petite saison sèche "Fâmô". Si nous considérons huit mille (1.000)
ponchons, les exportations de ces trois villages au cours de cette période, nous avons alors 1.600
T (1). Ce qui ne représente pas la production annuelle de ces villages.
En donnant ces estimations, nous sommes loin "d'exagérer" car à partir de 1892, avant la
chute du cours de l'huile de palme sur les marchés internationaux, la seule tribu d'Usr vendait
chaque année aux factoreries de Tukpa trois cent mille (300.000) francs d'huile de palme. Le
ponchon coûtant deux cents (200) francs, nous estimons les exportations d'Usr à mille cinq cents
(1.500) ponchons. Si la production des villages de Dibrim, d'Usr et d'Orgbaff est de 8.000
ponchons, nous pouvons estimer sans risque d'exagérer pour l'ensemble des trois (3) villages
Odzukru à plus de vingt quatre mille (24.000) ponchons (2). Ce qui nous donnerait une
production annuelle de près de 5.400 T.
La production de l'huile de palme de Lodzukru était la plus importante de la colonie de
Côte d'Ivoire. Le commerce de l'huile de palme est à l'origine de la richesse des Odzukru. En
effet, en 1898, le chef du village de Kpàdà a été condamné par le tribunal de la colonie à
rembourser aux maisons de commerce établies à Tukpa la somme de quinze mille (15.000)
francs. Arrêté, et conduit en prison à Grand-Bassarn, ses parents se sont acquittés sans la moindre
difficulté de l'amende (3). Les villages d'Orgbaff, de Bobor, d'Usr et de Dibrim n'éprouvaient
aucune difficulté à s'acquitter des nombreuses amendes que leur infligeait l'administration
coloniale (4). Chaque, plusieurs milliers de francs étaient distribués aux populations pour
lesquelles l'huile de palme était la seule et l'unique source de devise du pays Odzukru.
La grande saison de cueillette dure cinq mois, de Novembre à fin Mars. La période de
forte production se situe entre Novembre et Janvier. Les mois de Février et de Mars sont
considérés comme des mois au cours desquels la production connaît une baisse. Les mois de
Février et de Mars sont consacrés au contrôle et à la vérification des palmiers pour se rassurer
qu'aucun arbre n'a été oublié.
1 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) p. 8
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (3) p. 8
3 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1/2) p. Il
4 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (2) p. 5
428
Le pays Odzukru exportait son huile à la fois vers l'Angleterre et la France. Jusqu'en 1892,
plus de la moitié de la production Odzukru était exportée sur le littoral Alladian et vendue aux
navires anglais. La présence d'un poste de douane à Half Jack (Jacqueville) pour contrôler les
exportations et les importations du pays Alladian et la circulation périodique des navires de
guerre "Laprade", "Diamant" et "Brandon" sur la lagune Ebrié pour empêcher les échanges
commerciaux entre les populations de la rive Nord de la lagune Ebrié et celles de la côte maritime
n'ont pas constitué un obstacle pour les Odzukru qui ne sont pas impressionnés par le
déploiement de la force du côté français. La présence des navires de guerre dans les eaux de la
lagune Ebrié n'a pas intimidé les Odzukru qui sont restés fidèles aux Anglais, initiateurs de la
traite de l'huile de palme.
Les transformations de l'économie Odzukru n'ont commencé qu'au XIXè siècle, avec la
traite de l'huile de palme. Ce sont les produits anglais, les premiers à pénétrer dans le Lodzukru,
qui ont contribué aux modifications de l'économie Odzukru. C'est grâce aux produits anglais que
les populations Odzukru ont réussi à apporter une première solution à leur indigène technique et
améliorer leurs conditions de vie matérielle et surtout leurs échanges commerciaux avec les
peuples de l'arrière pays.
Avant le XIXè siècle, les Odzukru exportaient vers les régions de l'intérieur, le sel marin
et les produits manufacturés européens qu'ils acquéraient lors des échanges avec la côte. Mais,
depuis la traite de l'huile de palme au XIXè siècle, ils ont réussi à diversifier la nature de leurs
échanges avec les régions de l'intérieur. Ils exportent alors vers ces régions (Baulé, Koueni, Abê,
Abidji, Agni) des armes à feu, des étoffes, la quincaillerie et la verroterie.
Selon certaines informations que nous n'avons malheureusement pas vérifié, les Odzukru
seraient à l'origine de la diffusion du gin dans le Sud Baulé.
La production de l'huile de palme dans le Lodzukru était essentiellement destinée à
l'exportation. L'huile de palme était le seul produit d'échange international pour le Lodzukru (2).
Dans la production, une faible quantité seulement était réservée à la consommation locale
distribuée entre les membres du lignage. Chacun des membres recevait lorsque la production a
été très bonne
1 - A. N. S: Section AOF série 5G36 p. Il
2 - A. N. C. 1: Série lEE 122 (1/02) p. 5
429
en moyenne note AFFl Sylvestre dix (10) à quinze (15) litres (1). Mais lorsque les grimpeurs
constituent une forte population dans le lignage la part qui revient à chacun est réduite à deux ou
trois litres. Les Odzukru sont de grands consommateurs d'huile de palme. Ils l'utilisaient dans
J'alimentation et dans la fabrication du savon local appelé en Odzukru "kundu". Le "kundu"
fabriqué par les femmes faisait l'objet d'un grand commerce inter Odzukru et régional. Les
femmes exportaient le "kundu" en pays Tchaman, Alladian, Avikam et Abidji.
Toutes les sources que nous avons consultées s'accordent à montrer et à connaître la
croissance de la production de l'huile de palme de Lodzukru. Cette production aurait même triplé
entre 1830 et 1898. Mais nous ne pouvons pas de façon précise apprécier la production de
Lodzukru et le volume total des exportations durant cette longue période. Les Odzukru, dans le
souci d'éviter à leur pays de nouveaux conflits et suite à la baisse continue du prix de l'huile de
palme ont accepté de vendre à la fois aux maisons de commerce européennes et africaines
établies dans le Lodzukru et aux navires anglais aparés au large des côtes du pays Alladian. Les
Odzukru par cette politique de diversification des partenaires commerciaux (clients) avaient le
souci de toujours préserver l'indépendance et la liberté du commerce dans le Lodzukru et de
combattre tout idée de monopole (2).
Les échanges entre les Odzukru et les maisons de commerce européennes et africaines
n'ont pas fait l'objet d'une "collecte statistique". Les seuls éléments statistiques existants sont ceux
collectés par les quatre postes de douane (Assinie, Grand-Bassarn, Jacqueville, et Grand-Lahou).
Les collectes statistiques des services de douane intéressaient de façon générale les exportations
de la colonie et non celles des régions. Les services de douane de Jacqueville n'étaient pas en
mesure de nous situer sur les exportations de Lodzukru parce que la production de Lodzukru était
à la fois évacuée vers Grand-Bassam, Jacqueville et Grand-Lahou (3). Du port de Grand-Bassam
sont exportées vers l'Europe, les production de Alépé, du pays Odzukru et des Tchaman
orientaux. Des débarcadères de Jacqueville, de Bobor Ladja et de Addah sont exportées vers
l'Europe et les Amériques les productions de Lodzukru et des Tchaman occidentaux. Les villages
Odzukru de Cosr et Gbazn exportaient une partie de leurs productions d'huile de palme à Grand-
Bassam.
1 - Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1984 auprès de Mr Sylvestre AFF!.
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (112) p. 4
3 - A. N. S : Section AOF série 5G38 p. 10
430
Le débarcadère de Grand-Lahou était le principal centre d'évacuation des produits venant des
pays Dida, Koueni et du Baulé Sud.
Les Odzukru Oboru, par l'intermédiaire des courtiers de Addah, exportaient des tonnes
d'huile de palme en direction des navires anglais. Ces exportations échappaient au contrôle des
services de douane surtout que depuis l'institution des douanes en Côte d'Ivoire, les commerçants
anglais opéraient par contrebande en dehors des eaux territoriales (1). La croissance de la
production s'explique aussi par le fait que depuis 1888, les cours de l'huile de palme avaient
enregistré leur troisième chute sur le marché international. Les populations Odzukru qui avaient
alors besoin de devises pour faire face à leurs obligations matrimoniales et lignagères étaient
obligées d'accroître leurs production.
51 Instabilité des prix
Le problème de prix a été depuis la mainmise des français sur le commerce du bassin
occidental de l'Ebrié, à partir de 1880, le principal point d'achoppement entre les producteurs
d'huile de palme Odzukru et l'administration coloniale française. La baisse des prix de l'huile de
palme a eu des conséquences graves sur le développement économique des régions productrices
de cette matière première. En effet, depuis 1830, l'économie a subi une transformation car d'une
économie subsistance caractérisée par l'agriculture vivrière et la cueillette des régimes de palme,
elle passe sans transition aucune à une économie de marché avec la traite de l'huile de palme (2).
La dépendance de l'économie Odzukru à l'économie internationale c'est-à-dire à
l'économie de marché a des côtés positifs et négatifs pour la société Odzukru.
a) - La baisse des cours de l'huile de palme
L'économie Odzukru, depuis le début du XIXè siècle, s'est capitalisée avec la traite de
l'huile de palme. Elle connaît d'importances mutations. Ainsi, elle passe d'une économie de
substance à une économie de marché. Les commerçants anglais, à l'origine de la traite de l'huile
de palme, ont offert aux paysans africains des prix rémunérateurs qui ont favorisé une croissance
de la production. En effet, de 1830 à 1850, période ou le commerce était uniquement sous le
contrôle des anglais, les navires anglais
1 - A. N. C. 1 : Série IBB p. 4
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (2) p. 7
431
sur la côte des Quaquah échangeaient huit (8) krous d'huile, (un hou équivaut entre vingt huit
(28) et trente (30) litres d'huile) contre un fusil de marque Tower (1). Huit (8) krous d'huile de
palme représentent près de deux cent quarante (240) litres. A partir de 1854, date à laquelle les
manilles ont été introduites dans la région occidentale de la lagune Ebrié, pour servir de monnaie
aux diverses populations de la région dont les échanges commerciaux reposaient sur le troc, les
marchands anglais achetaient le krou d'huile à soixante manilles aux courtiers Alladian. Les
courtiers Alladian, producteurs d'huile de palme, achetaient ce produit à cinquante (50) manille
aux paysans Odzukru et l'chaman. Cela permettait aux courtiers Alladian de réaliser d'importants
bénéfices et de soutenir la production de l'huile de palmes par des primes et des prêts qu'ils
faisaient aux populations du haut Ebrié. A la même période, les français établis dans le comptoir
de Grand-Bassam en proposaient quarante (40) manilles pour la même quantité. Les prix du côté
des français étaient fixés par le responsable du comptoir de Grand-Bassam. Le souci qui habitait
les français était la réalisation d'importants bénéfices par une exploitation des populations. Cela
se traduit par la fixation de prix moins rémunérateur: Malheureusement, pour les français, c'est un
échec car ils ne réussissent pas cl contrebalancer les marchands anglais qui étaient toujours
présents sur les rades Alladian.
Les premières baisses du prix de l'huile de palme sur le marché international ont été
enregistrées en 1857 mais les baisses les plus importantes se sont produites en 1868 (3). Elles ont
été très ressenties par les marchands anglais qui étaient les principaux animateurs de la traite de
l'huile de palme. Le nombre de navires en rade au large des côtes Quaquah a connu une
diminution. Cela a été profitable aux maisons de commerce françaises établies en côte de l'or.
La baisse des cours de l'huile de palme sur le marché international a été à l'origine d'un
conflit entre capitaines anglais et courtiers Alladian qui exigeaient plus de crédits et une nouvelle
hausse des prix de l'huile de palme. Le refus des anglais amène les Alladian à faire un clin d'oeil
aux maisons de commerce françaises en côte de l'or.
Les agents des factoreries françaises profitaient de l'opposition capitames anglais et
courtiers Alladian (4) pour s'emparer du contrôle d'une des plus grandes régions productrices
1 - A. N. S : Section AOF série 5G27 p. 15
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p.12
3 - Schnapper : la politique et le commerce française dans le golfe de Guinée de 1838-1871 page
204.
4 - A. N. S. : Section AüF série 5G33 p.12
432
de l'huile de palme afin d'assurer la direction du trafic de ce produit. Le ralentissement des
activités anglaises en côte de l'or entraîne une pénurie de produits manufacturés dans la région de
l'Ebrié occidentale et surtout dans le haut Ebrié (1).
Les marchands Alladian en conflit avec les capitaines anglais ne bénéficiant plus de crédit
n'étaient plus en mesure d'approvisionner les populations Odzukru et Tchaman (Ebrié) en
produits manufacturés. L'économie Odzukru, depuis 1854 relevant de l'économie de marché. Les
paysans Odzukru, à la suite de l'effondrement des cours de leur principal produit d'exportation,
sont obligés de se rapprocher des maisons de commerce françaises pour se procurer des devises.
L'effondrement des activités commerciales du côté anglais et Alladian a permis aux
maisons de commerce Swanzy et Verdier de s'emparer pour quelques années le contrôle du
commerce de l'Ebrié occidentale. Avec les maisons de commerce Swanzy et Verdier l'huile de
palme enregistre une baisse très sensible, baisse qui entraîne l'appauvrissement des populations
du haut Ebrié. En effet, le krou d'huile de palme, vendue à soixante (60) manilles dans l'Ebrié aux
navires anglais passe en 1872 à trente (30) manilles; l'huile de palme subit ainsi une baisse de
50%.
L'agent de la maison Swanzy, Leigton, habillement réussit à écarter pour quelques temps
les courtiers Alladian. La maison Swanzy installe des factoreries dans le Lodzukru et réussit
grâce à ses chaloupes à commercer avec toutes les populations. Les Odzukru ont accepté de
commercer avec les maisons de commerce européennes malgré le prix d'achat dérisoire proposé
par celles-ci parce qu'ils avaient besoin de ressources monétaires pour faire face à des obligations
sociales et culturelles (2). Les cérémonies d'initiation et les funérailles étaient des "gouffres"
financiers. Ce sont des sources "d'hémorragies" financières pour le peuple Odzukru(3). Le désir
d'acquérir beaucoup d'argent constitue une motivation pour les Odzukru qui augmente leur
production. Mais la croissance de la production entraîne l'effondrement de l'économie Odzukru
parce qu'elle favorise le blocage de la baisse des prix et maintient surtout le pays dans une
situation de dépendance totale.
L'acceptation des prix d'achat de l'huile de palme des maisons de commerce par les
Odzukru est la preuve que l'économie Odzukru repose essentiellement sur les exportations de
l'huile de
r.
1 - La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871 - page 206..
2 - Enquête collective réalisée à Orgbaff L'organisation des funérailles dans le Lodzukru
nécessite des dépenses énormes.
433
palme. L'effondrement des cours de ce produit entraîne des bouleversements dans la société
Odzukru. Cela a permis à l'administration coloniale française de se rendre compte que par des
pressions économiques, elle pouvait parvenir ébranler la résistance Odzukru (1).
Les autorités françaises ont finalement compris qu'elles pouvaient faire main basse sur le
commerce de l'huile de palme de Lodzukru en recherchant politiquement l'alliance des courtiers
Alladian, surtout ceux du village d'Emoquah (Half Jacques) dont l'un d'entre eux Bony exerce
une influence sur le peuple Odzukru (2).
La domination des maisons Verdier et Swanzy sur le commerce de l'huile de palme a été
brève car quelques années après, les courtiers Alladian s'emparent du terrain qu'ils ont concédé
aux maisons de commerce. Le commerce du pays Tchaman passe totalement sous le contrôle des
Alladian, mais dans le Lodzukru, traitants européens et courtiers africains se partageaient le
marché.
Le troisième retour officiel des français en côte de l'or en 1889 coïncide avec la troisième
chute du prix de l'huile de palme. Cette baisse dont les origines sont l'arrivée sur le marché
international des huiles à bon marché (3) entraîne dans le commerce de la côte de l'or une certaine
.anarchie car la fixation des prix qui revenait au chef du comptoir échappait à l'autorité française
et n'obéissait plus à une politique d'ensemble (4). Le prix de l'huile de palme était alors fixé par
les traitants eux-mêmes. Ainsi le krou de l'huile de palme passe de trente (30) manilles en 1872 à
S manilles en 1888 - 1889. Or les produits importants (sel, alcools, armes à feu, tissus et tabac)
sont vendus à des prix très exorbitants. Les prix des produits d'importation n'ont jamais fait l'objet
d'un contrôle de la part de l'administration coloniale. C'est par la vente des articles européens que
les traitants européens attendaient dépouiller les africains de toutes leurs richesses. Le prix de
vente des produits manufacturés européens variait d'une maison de commerce à une autre (S).
Cette situation entraîne la protestation des population qui se sont décidées à ne plus rien acheter
aux maisons de commerce et à recourir au troc.
La crise de l'huile de palme la plus aiguë de Lodzukru est celle de 1897 (6), caractérisée
par de nouvelles baisses des
1 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) p. 7
2 - A. N. C. 1 : Série 1BB6 p. 6
3 - A. N. S : Section AOF série SG38 pièce 6
4 - A. N. S : Section AOF série SG38 pièce 6
S - A. N. C. 1: Série 1EE 122 (1) p. 6
6 - A. N. S : Section AOF série SG37 p. 8
434
cours de l'huile de palme sur le marché international. Cette nouvelle baisse des prix entraîne
l'effondrement du pouvoir d'achat des population du bassin occidental de la lagune Ebrié et
surtout la décadence des traitants de Lodzukru et du pays Alladian dont le commerce reposait
essentiel1ement sur les exportations de l'huile de palme. Cette nouvelle crise a montré la fragilité
de l'économie Odzukru qui reposait essentiel1ement sur un seul produit d'exportation (1).
L'économie Odzukru était extravertie et dépendait des aléas du marché international. La crise de
l'huile de palme a eu une nouvelle fois des conséquences graves sur la société Odzukru. El1e a
entraîné l'appauvrissement d'une partie de la population Odzukru dont la source de devise est la
vente de l'huile de palme.
Mais l'administration coloniale française dont la principale ressource est constituée en
majorité des recettes d'exportation d'huile de palme et qui redoute les dangers d'une économie
monolithique a depuis 1890 diversifié ses exportations en faisant du caoutchouc-cueillette le
second produit d'exportation de la colonie:
L'exploitation du caoutchouc a débuté en Côte d'Ivoire vers la fin de la décennie 1880.
Elle a été initié par un certain Clinton à Assinie. L'expansion de l'exploitation du caoutchouc sur
l'étendue du territoire national s'est faite avec la colonisation (2). C'est en 1895 qu'elle s'est
développé dans toutes les régions. Mais l'exploitation du caoutchouc n'a connu un véritable essor
en Côte d'Ivoire qu'à partir de 1897 avec la crise de l'huile de palme. Le caoutchouc-cueillette
devient à partir de 1898, la principale source de devise de la nouvelle colonie. Le caoutchouc est
exploité du Nord au sud, de l'est à l'ouest. Son cours est lié à ceux de l'huile de palme et des
autres produits de traites. Les populations exploitaient les lianes et les arbres à latex (3).
Le caoutchouc, comme les autres produits de traite, exigeait peu d'investissement et
. procurait des bénéfices nets aux paysans. Ils était vendu à 1 francs le kilogramme alors que le
prix de l'huile vacillait entre 0,50 F et 0,75 F le kilogramme sur le marché international (5). A
partir de la fin 1898, le caoutchouc devient le produit tropical le mieux apprécié en Europe.
Malgré la récession économique due à la mévente de
1 - A. N. C. 1 : SérielEE 122 (2) p. 8
2 - Yayat d'Alépé Hubert. Une cérémonie coloniale de transition la Côte d'Ivoire de 1893 -
1920,Thèse de 3è cycle 1979 p. 230.
3 - A. N. S : Section AOF série 5G37 p. 8
4 - A. N. C. 1 : Série lEE28 (1) p. 13
5 - A. N. C. 1: Série lEE122 (1) p. 6
435
l'huile de palme qui entraîne l'effondrement de l'économie Odzukru, les populations Odzukru sont
demeurées hostiles à la production de caoutchouc-cueillette. Mais Dabou, malgré la réticence des
Odzukru devient le principal entrepôt du caoutchouc cueillette de la colonie. Toutes les semaines,
des caravanes de caoutchouc cueillette descendaient à Dabou. Ces caravanes provenaient du
Soudan, du pays Abê et Abidji (Ari). Le caoutchouc était échangé contre les produits
d'importation. Ainsi de Dabou le caoutchouc était évacué par la lagune Ebrié vers le port de
Grand-Bassam où il était ensuite exporté vers l'Europe. En 1897, l'administration coloniale a crée
à Dabou, une pépinière des plans d'hévéa (1).
Les plans d'hévéa étaient importés du Brésil. Par la création de la pépinière de Dabou,
l'administration coloniale avait en vue de développer l'hévéaculture dans la région forestière. Les
pionniers de cette nouvelle culture devraient être les colons européens auxquels l'administration
concédait des terrains (2). Les plans d'hévéa ont été ensuite diffusés dans toute la région
méridionale. Les premières régions à accueillir les plantations d'hévéa sont Agboville, Assinie et
Adzopé (3).
L'effondrement répété des cours de l'huile de palme et des palmistes sur le marché
international a eu des répercussions graves sur les économies des régions du golfe de Guinée qui
reposaient essentiellement sur les exportations d'un seul produit. Le Lodzukru dont l'économie
était étroitement dépendante du marché international et reposant essentiellement sur les
exportations d'huile de palme a connu à partir des années 1880 un déclin. L'économie Odzukru
prospère jusqu'en 1886 devient décadente. Cette décadence entraîne non seulement dans le
Lodzukru l'appauvrissement de la population mais aussi le déclin des traitants Odzukru.
b : Le déclin des traitants Odzukru
La prospérité des traitants Odzukru est liée à la "bonne santé" des cours de l'huile de
palme sur le marché international mais surtout à l'importance commercial avec les anglais par
l'intermédiaire des courtiers Alladian. Les traitants Odzukru, depuis le début de la traite de l'huile
de palme ont bénéficié de l'appui et de l'assistance des courtiers Alladian. Ils ont bénéficié
d'importants crédits de produits importés qui leur permettait d'acheter pour le compte des
Alladian l'huile de palme. Les traitants Odzukru recevaient l'huile de palme des populations de
l'intérieur. Ils prélevaient
1 - A. N. C. 1 : Série lRR5 Pièce 22
2 - A. N. C. 1 : Série lRR5 Pièce 5
1
436
sur chaque barrique vendue aux courtiers Alladian une commission de huit (8) maniIles (1). Or
des centaines de barriques étaient toutes les semaines drainées des rives Odzukru vers le pays
Alladian. Une fois par semaine, les traitants Alladian se rendaient dans les débarcadères Odzukru
pour prendre possession de leurs chargements. Le trafic commercial était important et cela a eu
comme conséquence, la prospérité de Lodzukru.
Les traitants Odzukru bénéficiaient de nombreux dons de la part des courtiers Alladian.
Les dons étaient en nature et en espèce. Ils sont surtout composés de sel marin, d'armes à feu, de
tabac et d'alcools (2). Les traitants Odzukru revendaient les produits dans le Lodzukru ou
l'exportaient vers les pays Baulé et Koueni où ils sont échangés contre la cotonnade, la poudre
d'or ou contre les esclaves. Dans la consommation des cotonnades, les Odzukru ont porté leur
choix sur celles confectionnées en pays Baulé, en particulier à warebo où les tisserands étaient de
véritables professionnels (3). Les cotonnades importées dans le Lodzukru étaient soit vendues
aux populations soit gardées dans des mâles en bois pour constituer une partie du trésor familial.
La population Odzukru avait de façon générale un haut niveau de vie. Le pays était
devenu très prospère grâce au commerce de l'huile de palme dont le prix d'achat était très
rémunérateur pour les paysans. Les plus riches parmi les populations Odzukru étaient les
traitants, surtout, ceux de Tukpa et de Dibrim qui centralisaient entre leurs mains plus de la
moitié du trafic commercial de la région.
Mais à partir de 1872, le troisième effondrement des cours des oléagineux sonne le début
de la décadence des traitants Odzukru. En effet les cours de l'huile de palme qui jusqu'en 1866
étaient en hausse enregistrent une chute sur le marché international. Cette nouvelle baisse a eu
des répercussions dans les colonies. Ainsi dans la région du bassin occidental de l'Ebrié, les prix
du krou de l'huile de palme qui étaient de cinquante (50) pour les courtiers Alladian et quarante
cinq (45) manilles pour les maisons de commerce européennes s'effondrent. La nouvel1e baisse
oblige les courtiers Alladian qui tenaient à leurs échanges avec les populations du haut Ebrié à
offrir à partir de 1872 aux producteurs d'huile de palme quarante (40) manilles. Quant aux
maisons de commerce représentées par les maisons Verdier et Swanzy, elles en proposaient trente
(3).
1 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (1) p. 8
2 - A. N. S : Section AOf série 5G29 P. 8
3 - A. N. C. 1 : Série J.O. C. 1 année 1898.
437
Ces deux maisons de commerce s'étaient établies en Côte de l'or depuis l'évacuation
officiel1e du comptoir par la France en 1871 (1). Verdier et Swanzy, différents l'un et l'autre
résidaient tous les deux en Europe (2). Ils ne faisaient que quelques brefs séjours en côte de l'or
pour constater l'évolution de leurs affaires et encourager leurs agents. Verdier et Swanzy qui ont
hérité, après l'évacuation politique de la côte de l'or par la France, des bâtiments des forts
Nemours (Grand-Bassam) et Joinville (Assinie) les transforment en factoreries. Ils essaiment
ensuite des sous factoreries dans le bassin occidental de l'Ebrié, principal foyer de production
d'huile de palme en côte de l'or et se dotent de navires marchands destinés aux échanges en
lagune, fleuves et rivières (3). Swanzy qui a prédi la ruine des "subrécargues" anglais, c'est à dire
des navires-factoreries, se lance à la conquête des centres commerciaux de la région occidentale
de l'Ebrié. Verdier s'est doté de huit (8) navires dont le "palmier" réservé uniquement pour la
liaison entre Tukpa et Grand-Bassam (4). Avant l'érection de Dabou en chef lieu de cercle, le
premier centre commercial de Lodzukru était Tukpa. C'est Tukpa qui est choisi par Swànzy pour
installer sa première sous-factorerie dans l'Ebrié occidental en 1872 afin de briser le 'monopole
exercer dans cette région depuis de longs siècles par les courtiers Alladian (5).
L'amélioration des moyens de transport devrait permettre aux maisons de commerce de
fréquenter périodiquement les débarcadères du haut Ebrié et de contrebalancer la suprématie
anglaise dans cette région (6). Les maisons de commerce s'étaient décidées à profiter de la crise
de l'huile de palme pour bénéficier de la sympathie et de la confiance des populations en leur
offrant des cadeaux et s'implanter dans le haut Ebrié. En côte de l'or, depuis 1830, le commerce
de l'huile de palme s'était identifié aux anglais, initiateurs de cette traite. Par le système de crédit
et des dons, les commerçants anglais ont réussi à gagner la confiance et la sympathie des
courtiers Alladian et Avikam (7).
1 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée de 1836-1871 page
221
2 - Paul Atger. La France en Côte d'Ivoire : 50 ans d'hésitations politiques et commerciales
page71
3 - A. N. C. 1 : Série 2NI2 microfilm.
4 - A. N. S : Section AüF série 5G 38 P. G
5 - A. N. C. 1 : Série lEE122 P.4
6 - Paul Atger. La France en Côte d'Ivoire: 50 ans d'hésitations politiques et commerciales page
101
7 - A. N. C. 1 : Série 2EE1 (1) pièce 8
438
Par le système des sous-factoreries, les agents des maisons de commerce Swanzy et
Verdier ont réussi à s'emparer d'une partie du commerce de l'Ebrié était sous leur contrôle ainsi
qu'une partie du pays Tchaman. Dans le pays Odzukru, la maison de Swanzy a réussi à s'imposer
à Tukpa et à inquiéter les courtiers Alladian qui, par tous les moyens cherchaient à leur interdire
l'accès des débarcadère de Lodzukru et tout contact avec les producteurs d'huile de palme
Odzukru (1).
Leigton, agent de la factorerie Swanzy et principal artisan du succès de Swanzy en côte de
l'or, pratiquait le même système que les anglais à Grand-Bassam en accordant des crédits aux
commerçants Bassamois (2). Ce qui lui permit d'exercer une influence sur eux et d'avoir les
mains libres pour remonter à l'intérieur du pays et rencontrer les producteurs des produits de
traite. Dans la région des Quaquah, Leigton n'était pas apprécié par les courtiers Alladian et les
commerçants anglais. Contrairement à Grand-Bassam où il accordait des crédits aux courtiers,
dans le Lodzukru, il profitait de la situation catastrophique des cours de l'huile de palme sur le
marché international pour offrir des prix bas aux paysans. Il visitait périodiquement les
campements de production, les villages, faisait des réservations et achetait directement aux
paysans. Il vendait aux paysans des produits manufacturés d'origine anglaise. Ce qui l'a aidé à
ébranler le joug des courtiers Alladian dans le Lodzukru (3).
En commerçant directement avec les paysans, les agents des maisons de commerce ont
contribué à leur manière au décI in des traitants Odzukru qui ne jouent plus aux intermédiaires
entre les paysans et les courtiers Alladian. Les maisons de commerce vendant des produits
anglais non avariés, les paysans n'avaient plus besoin d'intermédiaire pur les acquérir car ils
pouvaient se rendre dans les factoreries pour les acheter (4).
Au commerce direct entre producteur et agents des factoreries s'ajoute le fait qu'avec
l'effondrement des cours de l'huile de palme, les traitants Odzukru ne bénéficiaient plus de crédit
de la part des courtiers Alladian (5).
Face aux difficultés engendrées par la baisse du prix des oléagineux dans le Lodzukru, les
traitants de Tukpa, en 1885,
1 - A N. S : Section AOF série 5G38 P. 11
2 - A N. S : Section AOF série 5G38 pièce Il
3 - Paul Atger: La France en Côte d'Ivoire. 50 ans d'hésitations politiques et commerciales page
102.
4 - A N. C. 1 : Série lEE122 (2) p. 6
5 - AN. C. 1: Série lEE122 (2) p. 16
439
ont présenté des doléances au commandant Charles Bour, commandant particulier de la France en
Côte de l'or, en visite d'inspection dans l'Ebrié (1). Les traitants ont demandé à Charles Bour
d'intervenir auprès des commerçants européens afin qu'ils appliquent les anciens prix. Mais
Charles Bour leur a répondu que son autorité consistait à maintenir la paix en Côte de l'or et à
veiller sur les intérêts de la France, mais qu'elle ne s'étendait pas aux prix des marchandises. Cette
réponse qui montre le souci des responsables français en Côte de l'or de dépouiller les africains
de toutes leurs richesses a découragé les traitants de Tukpa surtout que les marchandises
européennes étaient vendues à des prix exorbitants (2).
La dépréciation périodique des cours de l'huile de palme a rendu l'économie Odzukru très faible
car l'économie Odzukru reposait essentiellement sur les exportations des oléagineux. Les produits
agricoles comme l'igname, le manioc et les légumes étaient destinés à l'alimentation domestique
et seul le surplus faisait l'objet, d'un commerce avec la côte. Les échanges de produits agricoles
étaient loin de procurer des devises à la population Odzukru. Ainsi, l'effondrement des cours de
l'huile de palme a entraîné non seulement un déclin partiel des traitants Odzukru mais aussi un
marasme économique général de la région qui s'est traduit par la reprise des conflits entre Oboru
et français et par une dégradation du niveau de vie des populations Odzukru (3).
c) - Dégradation du niveau de vie des populations OdzuklU
La baisse des cours de l'huile de palme a entraîné d'importants bouleversements dans le
Lodzukru. En effet, les Odzukru ont de tout temps importé les marchandises de consommation
courante et de luxe. En dehors des produits agricoles, la population Odzukru ne produisait que
peu d'articles artisanaux. Son artisanat était caractérisé par la production d'objet en bois. Tous les
produits de transformation tels que l'or, les outils agricoles, les cotonnades et les fusils étaient
importés de la côte maritime, des régions Koueni et Baulé et du Soudan. Munis des produits de
l'industrie européenne, les traitants Odzukru par caravanes de vingt (20) à quarante (40)
personnes se rendaient dans les régions de l'intérieur pour échanger les produits artisanaux contre
les marchandises
1 - A. N. S : Section Côte d'lvoire série 2G 1 (28) pièce 8
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (2) p. 6
3 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) pièce 8 - 2G 1 (28) pièce 8
440
européennes (1). Les Odzukru achetaient à des prix exorbitants les cotonnades de fabrication
Koueni et Baulé. La pièce de "Dzango" mesurant deux (2) mètres de long sur un mètre cinquante
(l m 50) de large est vendu à 60 manilles soit 12 F (2). Les chefs de lignage n'éprouvaient aucune
difficulté à s'en acquérir.
Les esclaves vendus à 800 manilles pour le mâle et 1.200 manilles pour la femelle ne
posaient aucun problème aux lignages Odzukru pour leur acquisition. Grâce à l'importante
quantité d'argent qui entrait dans le Lodzukru tous les ans avec les exportations de l'huile de
palme, les populations Odzukru par une forte importation des produits manufacturiers
parvenaient à pallier à leur indigène technique.
Le groupe des Ewusu a vu le jour très tardivement dans le Lodzukru. La formation de ce
groupe selon AFF! Sylvestre se situerait vers la fin du XVlIIè siècle avec l'arrivée de la dernière
vague des immigrants (3). Le groupe des Ewusu (forgerons) aurait connu selon ESSOH LATTE
Benoît
une importance dans le Lodzukru que grâce à l'arrivée des esclaves d'origines
Soudanaises, en particulier les Sénoufo et les Djimini (4). Les esclaves d'origines Sénoufo et
Djimini ont été vendus en grandes quantités aux Odzukru pendant les guerres Samoryennes (5).
Les métiers de tisserand et de forgeron étaient sous le contrôle des esclaves originaires du Soudan
"(6). Parmi les Odzukru, note ESSOH LATTE Benoît, peu de gens seulement s'étaient intéressés
à l'artisanat. L'activité dominante de Lodzukru était la production de l'huile de palme, unique
source de devise pour la grande majorité de la population Odzukru (7).
Le manque de matière premières : absence de coton et de gisement de fer, contribue à
maintenir les Odzukru dans leur paresse. Pourtant, les soudanais résidant à Tukpa grâce aux
importations du coton et des feuilles à teinture des régions de savane ont réussi à développer le
métier à tisser dans le débarcadère de Tukpa. Ce fut une activité très rentable parce que les
commandes étaient très importantes.
1 - A N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) pièce Il
2 - A N. C. 1 : Série J. O. C. I année 1898
r:
3 - Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Décembre 1984 auprès de Mr Sylvestre AFF!.
4 - Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1984 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE.
5 - Harris MEMEL Foté : le système politiÇ)ue de Lodzukru p. 125
6 - Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Juillet auprès de Samuel SESS.
7 - Enquête réalisée à Orgbaffle 28 Juillet 1988 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE.
44\\
Les Odzukru, durant la période où les cours de l'huile de palme étaient en hausse n'avaient
jamais eu le souci de développer leur artisanat et de réduire ainsi leur dépense vis à vis de
l'extérieur. La grande majorité des produits de transformation consommés dans le Lodzukru était
importée, et de 1830 - 1872, les Odzukru n'ont éprouvé aucune difficulté à s'alimenter en
marchandises européennes.
Mais à partir de 1872, on assiste à une dégradation du niveau de vie de la population avec
la baisse du prix de l'huile de palme. L'approvisionnement de Lodzukru en produits manufacturés
européens devient épisodique. Les produits de premières nécessités deviennent rares. Le nombre
de navires en rade diminue. Les Odzukru éprouvent des difficultés à s'approvisionner auprès des
maisons de commerce en produits de traite et surtout en poudre à canon, tabac et alcools à cause
de leur cherté. Le Lodzukru étant dépendant de j'extérieur pour sa consommation en produits
manufacturés, la chute des prix de l'huile de palme entraîne une diminution des ressources des
lignages et provoque un malaise social. Le malaise social se traduit par une baisse du pouvoir
d'achat des populations et par une raréfaction de numéraire. Ce qui empêche les fêtes d'initiation
et les funérailles d'être célébrés dignement.
Ainsi, pour faire face aux dépenses des funérailles ou des initiations, les lignages pauvres
n'hésitaient pas à placer en gage auprès des riches courtiers Alladian des jeunes garçons ou filles,
surtout les filles pour la somme de trois mille (3.000) à cinq mille (5.000) manilles (1). La mise
en gage d'un enfant auprès des traitants courtiers exigeait de l'adresse et de l'habilité. C'est
pourquoi les villages de l'intérieur avaient recours aux services des villages-débarcadères. Pour
les populations des villages de la partie orientale de Lodzukru, c'était les traitants de Dibrim qui
étaient chargés de trouver auprès de leurs amis traitants Alladian un acquéreur. Pour les villages
de la partie occidentale, c'étaient les traitants de Tukpa et quelques fois ceux de Mopoyem. Les
jeunes mis en gage (Aoba) étaient âgés de huit (8) à dix (10) ans. Selon AFF! Sylvestre, "il
s'agissait des enfants délinquants qui faisaient la honte de leurs lignages. C'était pour les
empêcher de porter le discrédit et le déshonneur sur leurs lignages qu'ils étaient placés en gage
(2). Ils étaient confiés aux Alladian pour être éduqués".
1 - Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988 auprès de Mr Etienne GBOUGBO ESSIS.
2 - Enquête réalisée à Orgbaff le 25 Août 1988 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE.
442
La mémoire collective Odzukru de façon délibérée a cherché à maquiller les raisons de ce
nouveau type d'esclavage. Cette société Odzukru démocratique concevait très mal l'existence de
l'esclavage. C'est pourquoi nous disons que les raisons avancées par notre informateur AFFI
Sylvestre étaient insuffisantes et non fiables la raison fondamentale de l'institution du système de
gage est l'appauvrissement de la population. Cette nouvelle pratique est tolérée par la société
Odzukru toute entière.
Le gage (Aoba en Odzukru) était, après l'abolition de la traite négrière, la nouvelle forme
d'esclavage entre les Odzukru et la côte. Selon le contrat conclu entre le placeur et l'acquéreur,
l'argent perçu est remboursable. Ce qui devrait permettre à l'enfant de regagner ses parents
légitimes car l'acquéreur devient son parent légal. Mais dans la réalité, les sommes perçues n'ont
jamais été remboursées et aucun enfant n'a regagné le Lodzukru. Les Lodzukru ont utilisé cette
nouvelle forme d'esclavage, de vente d'hommes pour résoudre leurs problèmes financiers nés de
la chute des cours de l'huile de palme. Les jeunes filles sont les plus grandes victimes. On
rencontre dans les lignages Alladian, des segments dont les aïeules sont originaires de Lodzukru.
Les descendants des femmes mises en gage dans le pays Alladian n'ont aucun contact avec leurs
parents Odzukru.
L'économie Odzukru de 1872 - 1898 a connu une évolution en dents de scie. La baisse des
cours de l'huile de palme n'est pas suivie de la diminution des prix des marchandises importées.
Au contraire, les prix de vente des marchandises importées étaient en hausse. Les populations
Odzukru ont protesté auprès de l'administration coloniale afin que les prix des produits
manufacturés européens soient ramenés à la même proportion que les prix d'achat de l'huile de
palme et des autres produits de traite.
Mais, elles n'ont obtenu aucune satisfaction car l'administration coloniale a manifesté son
incapacité à faire baisser les prix des produits importés (1). L'administration coloniale avait
compétence d'intervenir dans la fixation des prix. Elle pouvait contraindre les factoreries à réviser
les prix des produits manufacturés à la baisse, mais l'administration était seulement animée par le
désir de laisser les maisons de commerce exploiter le maximum possible les paysans.
Face au mutisme et au silence des autorités coloniales, les populations Odzukru dirigées
par les traitants ne sont pas restées inactives devant la dégradation de leur niveau de vie, la baisse
des cours des oléagineux et la hausse vertigineuse des
1 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 6
443
prix des marchandises importées d'Europe. Elles se sont organisees pour protester cotre
l'exploitation outrancière de Lodzukru orchestrée par l'administration coloniale française. Le
climat de paix qui s'est instauré dans la région depuis la signature des traitants de Décembre 1886
se dégrade. Cela entraîne une nouvelle opposition entre Français et Odzukru. Le marasme
économique de la région engendre pour la première fois depuis la fin du XVIIè siècle, date de la
création de Dibrim, après scision de Bobor, un rapprochement entre les villages de Bobor et de
Dibrim. Les deux frères ennemis acceptent de se coaliser pour unir leurs forces afin de lutter
contre la baisse de l'huile de palme.
61
La réaction des Odzukru face à la hausse des p-rix des
marchandises importées européennes. (1896-1898)
Le peuple Odzukru face à la présence française dans le Lodzukru a eu des attitudes
divergentes au plan politique. En effet, depuis 1850, date à laquelle les français ont pris contact
avec les villages débarcadères de Lodzukru, et suivie quelques années plus tard par une
occupation territoriale, on assiste à la naissance de deux blocs. Le premier bloc, pro-français
dirigé par Dibrim et composé de Lokp et Cosr (1) accepte la souveraineté de la France sur le
Lodzukru. Ce bloc, rejoint par le village de Tukpa membre de la tribu des Oboru (2), espérait
s'appuyer sur son alliance et son amitié avec la France pour étendre sa suprématie et son
hégémonie sur le Leibutu. C'est pourquoi, ce bloc depuis 1850 collabore avec les français. Ces
guerriers luttaient aux côtés des colonnes françaises contre les Oboru et les Eusru. En guise de
récompense pour leur loyauté et leur dévouement pour la cause française, les Dibrim Egn ont été
récompensés par les français qui érigent Dibrim en capitale de Lodzukru et nomment en 1896,
Kètèkrè I, chef supérieur des Odzukru (3). Ainsi, les Dibrim Egn et leurs alliés avaient très tôt
senti les énormes avantages qu'ils en tireraient en échangeant leur indépendance et liberté contre
la protection de la France. Mais la collaboration entre les pro-français et la France était parfaite
lorsque les intérêts des traitants de Dibrim et de Tukpa n'étaient pas menacés.
Le groupe hostile à la présence des français dans le Lodzukru était conduit par Bobor et
comprenait les Oboru, Eusru, Orgbaffu, Aklodzu et les Agbadznu. Ce bloc anti-français
regroupait tous les groupes de populations faisant partie de la confédération de Bobor. li refusait
d'aliéner la liberté de
1 - A. N. C. I : Série 1EE 122 (1) p. 6
2 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (2) p. Il
3 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) p. 5
444
Lodzukru contre une quelconque protection. Il exigeait le départ des français de Lodzukru. De
nombreuses guerres ont émaillé les relations entre certains membres de ce groupe anti-français et
les colonnes françaises établies à Dabou dans le territoire de Dibrim (1). Les Oboru, les Aklodzu
et les Eusru se sont plusieurs battus contre les colonnes françaises (2). Ainsi le Lodzukru ou
Leibutu était divisé au plan politique entre deux blocs rivaux et les français ne furent pas priés
pour utiliser cette division et coloniser le Lodzukru.
Mais, au plan économique, le Lodzukru était uni. Les intérêts étaient les mêmes. La chute
vertigineuse du prix de l'huile de palme, la hausse des prix des produits importés avec la présence
des services de douane sur la côte maritime et la dégradation du niveau de vie de l'ensemble de la
population obligent les traitants des deux blocs à taire leurs divergences politiques à s'unir et à
former un bloc unitaire et homogène afin de lutter pour le relèvement des prix de l'huile de palme
et exiger la baisse des prix des produits importés d'Europe. Cette union s'est traduite en 1896 par
la formation d'une ligue commerciale.
a : La naissance de la ligue commerciale
La naissance de la ligue commerciale dont les buts sont la défense des intérêts des
traitants Odzukru et la lutte pour une juste rémunération du prix de l'huile de palme est la
résultante de plusieurs faits politico-commerciaux. En effet, en janvier 1871, les troupes
françaises ont évacué toutes les forteresses de la côte de l'or. A Dabou les populations avaient
démonté les pièces démontables du "Fort Ducos" sauf les pièces d'artillerie qui étaient restées
intactes. Les Odzukru à partir de Janvier 1871 n'entretenaient que des rapports commerciaux avec
la France. Le Lodzukru avait retrouvé son entière souveraineté car la partie orientale était sous
contrôle français. Fin 1884, les Français décidèrent de retourner pour une troisième fois en Côte
d'Ivoire. Charles Bour, commandant de cercle à Sedhiou en
Casamance au Sénégal (3) est nommé commandant particulier de la France en côte de l'or. Il
débarque à Grand-Bassam d'un paquebot anglais en février 1885. Charles Bour est chargé de
rétablir la souveraineté de la France sur tous les protectorats français en rajeunissant les anciens
traités, de sauvegarder les intérêts commerciaux de la France, de créer un service des douanes
pour alimenter le budget de la colonie, constituer une milice pour
1 - A. N. C. l : Série lEE 122 (1) p. 8
2 - Le premier affrontement entre les Oboru et les Français eut lieu en 1852
3 - Paul Atger: La France en Côte d'Ivoire 50 ans d'hésitations politiques et commerciales p. 98
445
assurer la sécurité et la liberté commerciale et veiller au respect du statut quo par les Anglais dans
la zone litigieuse (1). Charles Bour était dépourvu de tout moyen matériel et humain, ce qui ne lui
a pas permis d'atteindre ses objectifs. Pour des questions de financement d'un projet, il devait
s'adresser au commandant supérieur du Gabon dont il relevait pour les problèmes matériels et
politiques. La distance entre Grand-Bassam et le Gabon était un obstacle pour Charles Bour car la
durée d'un courrier qui quitte Grand-Bassam et arrive au Gabon est quatre mois. Par manque de
ressources humaines et matérielles, Charles Bour ne parvient pas à créer la milice pour la sécurité
de la côte de l'or. Sa tournée dans le bassin occidental de l'Ebrié est un échec. Il ne réussit pas à
régler le conflit Tchaman - Appolonien de Grand-Bassam qui bloquait toutes les activités de
pêche et de commerce sur la lagune. A Tukpa, le commandant particulier de la France ne parvient
pas à donner une réponse satisfaisante aux traitants qui lui demandaient de réviser les prix des
produits importés et exportés.
Charles'Bour n'a pas atteint ses objectifs parce qu'il était constamment en conflit avec les
agents des factoreries Verdier qui l'accusaient d'être l'ennemi des commerçants français (2). Pour
des raisons de santé cartrès malade, Charles' Bour regagne Paris, mais nomme avant son départ
comme commandant particulier par intérim de la côte de l'or, Piétri dont l'autorité est contestée
par Moran, nommé résidant de France par Verdier (3). La côte de l'or du côté français s'installe
dans un désordre car il n'y avait aucune autorité. En 1886, le comptoir de la côte de l'or est
rattaché aux rivières du sud dont la capitale était Conakry. Ainsi en novembre 1886, son
lieutenant gouverneur, le Docteur Bayol intervient en côte de l'or pour contraindre les Tchaman à
déposer les armes et à rétablir la paix et la liberté du commerce et de la pêche sur la lagune Ebrié.
Le Lieutenant Gouverneur Bayol parvient dans le Lodzukru à renouveler en fin 1886, les anciens
traités, conclus en octobre 1850 entre la France, Dibrim et Tukpa et à en conclure des nouveaux
avec les Oboru, les plus farouches opposants à la colonisation de Lodzukru par la France.
En 1886, suite aux différends entre Moran et Piétri, différends qui laissent le comptoir de
Grand-Bassam sans autorité, la côte de l'or fut alors placée provisoirement sous l'autorité du
Lieutenant Gouverneur de la colonie des rivières du sud. Mais, ce fut le 1er août 1889, par un
décret du. sous-Secrétaire d'Etat Etienne que la côte de l'or est rattachée officiellement aux
rivières du Sud. Mais ce décret accorde à la
1 - c. f: Paul Atger p. 98
2 - c. f: Paul Atger p. III
3 - c. f: Paul Atger p. 112
446
côte de l'or son autonomie administrative et financière (1). Treich Laplène, ancien agent de la
factorerie Verdier est nommé résident de la côte de l'or. Il prit fonction le 28 Septembre 1889.
C'est donc en sa qualité de résident qu'il donne l'ordre à la canonnière le "Brandon" de bombarder
les villages de Jacqueville (Emoquah) et Bodo Ladia qui étaient hostiles à la présence des
services de douane sur le littoral Alladian. Mais Treich Laplène meurt très tôt, le 9 mars 1890 à la
suite d'une crise de fièvre jaune. Il est remplacé par Péan Octave, anciennement chef de poste de
Jacqueville, mais qui trouve plus commode de transférer le chef lieu de poste à Dabou, dans le
haut Ebrié et de s'installer dans l'ancien fort construit en 1853 par le capitaine de Génie Faidherbe
et rénové en 1855. Péan Octave a transféré le chef lieu de poste à Dabou pour que ce centre
commercial serve de tête de pont à la conquête de l'hinterland c'est à dire de l'arrière pays.
La réoccupation de Lodzukru s'est faite pacifiquement car dès 1886, le Dr Bayol a pris
soin de renouveler les anciens traités. Mais en 1891, les populations de la partie orientale de
Lodzukru, en particulier les Dibrim Egn se sont révoltées contre les français qu'elles accusent de
s'immiscer dans leurs affaires intérieures et de les traiter en sous hommes (2).
Les Dibrim Egn ont été vaincus et contraints à payer une forte amende de dix mille
(10.000) francs soit cinquante mille (50.000) manilles. Cette guerre entraîne de 1891 à 1893 la
baisse des activités commerciales dans le Lodzukru pour les maisons de commerce. Les
populations Odzukru refusaient de vendre leur huile aux factoreries françaises afin de protester
contre les agressions et les abus de l'administration française. Une relative paix n'intervient dans
la région qu'en 1895 (3). En effet, en 1893, les traitants de la tribu Dibrim Egn conduits par les
traitants Adjessi et Yebremery, après plusieurs jours de discussions avec le chef de poste de
Dabou acceptent de vendre leurs produits à Dabou. C'est sur les conseils des traitants de Dibrim,
qu'en 1895, les responsables de la tribu Oboru conduit par l'homme le plus écouté et influent de
Bobor, Youssess se sont rendus à Grand-Bassam pour se soumettre à l'administration française et
reconnaître la souveraineté de la France sur tout le Lodzukru (4). Ainsi le gouverneur de la
colonie de Côte d'Ivoire, pour récompenser les Dibrim Egn pour leur loyauté et dévouement à
l'égard de la France, car les nombreuses expéditions militaires n'avaient pas réussi à faire plier
l'échine à Bobor, désigne
1 - A. N. S :Section AOF série 5G38 P.8
2 - A. N. C. 1 : Série IBB5 P. 6
3 - A. N. C. 1 : Série IBB6
4 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (26) pièce 8
447
Dibrim comme capitale de Lodzukru et nomme Kètèkrè I, chef supérieur des Odzukru (1).
L'administration coloniale impose dans tous les villages des chefs de village qui n'étaient pas le
plus souvent des cas appréciés par les populations. Les chefs de village n'étaient que de simples
auxiliaires de l'administration française. Toutes les nominations de capitale et de chef supérieur
des Odzukru sont considérées par les Oboru comme une violation de la souveraineté de Lodzukru
et un stratagème des français en vue de bouleverser les institutions socio-politiques de Lodzukru
(2).
Les Odzukru, depuis leur installation sur le territoire qui est le leur aujourd'hui, n'avaient
jamais connu de pouvoir centralisé. L'exercice du pouvoir est collégial et reparti entre les sept (7)
classes d'âge. Les lois et les décisions concernant l'orientation de la communauté sont prises après
un long débat en assemblée de village ou de quartier. Aces débats étaient exclus tous les
étrangers, les femmes et les, enfants. Les Oboru et leurs alliés protestent en refusant de
reconnaître Kètèkrè comme leur chef et Dibrim comme la capitale' de Lodzukru (3). Ils rompent
alors toutes relations avec l'administration française.
Les divergences politiques entre Bobor et Dibrim sont à l'origine de la création de deux
blocs rivaux dans le Lodzukru. La rivalité entre ces deux villages est devenue très importante
lorsqu'en 1850, sans consulter les autres tribus, les Dibrim Egn signent avec le lieutenant Boulay
un traité qui plaçait tout le pays Odzukru sous la souveraineté de la France. Les Dibrim Egn
étaient partisans d'une alliance avec la France afin de pouvoir développer les échanges
commerciaux et réduire l'influence des Alladian sur le Lodzukru. Pour Dibrim, c'était l'occasion
de prendre l'ascendance sur Bobor, son rival de toujours. Les Oboru refusaient toute aliénation de
Lodzukru et étaient pour l'indépendance totale de la région.
Mais, en 1896, face à une ingérence de l'administration
française dans les affaires
intérieures de Dibrim, les Dibrim Egn se rapprochent des Oboru (4).., En effet, à la mort de
Kètèkrè 1 chef supérieur des Odzukru en 1896, Amatifou, un riche traitant de Dibrim est accusé
par le clan de Kètèkrè d'avoir assassiné par sorcellerie le plus loyal serviteur de la France en pays
Odzukru. Depuis la guerre Franco-Dibrim de 1891, il existait à Dibrim deux clans parmi les
traitants. Le premier clan dirigé par Kètèkrè est pour une soumission totale de Dibrim à la France
et pour une
1- Ar. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) p. 12
2- A. N. C. 1 : Série lEE122 (2) p. la
3- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (26) pièce Il.
4- A. N. S : Série 1EE122 (1) p. 8
448
collaboration entre les traitants de Dibrim et l'administration française. Le second clan conduit
par Amatifou préconisait une rupture avec la France, mais un rapprochement entre Dibrim et
Bobor afin d'expulser de Lodzukru les français.
Amitafou, sur plainte du frère cadet de Kètèkrè l, nommé chef supérieur des Odzukru
pour succéder à son frère défunt, est déporté au Congo à Njolé où il meurt en 1896. Dans le
Lodzukru, Kètèkrè et Thiam Mel, chef de Dabou étaient les plus fidèles collaborateurs des
français. Ces deux traitants parlaient le français. La mort de Kètèkrè 1 est ressentie par les
français comme une grande perte pour la France car sa disparition risquait de compromettre la
politique française dans le pays Odzukru avec la montée du clan anti-français.
La déportation de Amatifou provoque une indignation au sein de la population de Dibrim
qui condamne l'administration française de s'immiscer dans les affaires intérieures de Dibrim.
Cette indignation de la communauté de Dibrim entraîne aussi une hostilité et une méfiance des
chefs de quartier à l'égard des français.
Les traitants des quartiers de Dzadzem et Esr du village de Dibrim étaient pour une
rupture entre Dibrim et la France. Ainsi les principaux responsables de Bobor qui avaient de tout
temps souhaité une alliance avec les Dibrim Egn, profitent de la querelle entre Dibrim et la
France pour tendre la main aux traitants de Dibrim surtout ceux de Dzadzem et Esr pour les
rallier à la cause défendue depuis 1852 par les Oboru (4) afin d'élaborer ensemble une stratégie
qui pourrait leur permettre de chasser de Lodzukru administrateurs et commerçants français.
Les maisons de commerce d'origine anglaise et française installées dans le Lodzukru
achetaient l'huile de palme à un prix très bas alors que les marchandises européennes étaient
vendues à des prix très élevés. La hausse des prix des marchandises importées permettait aux
factoreries de réaliser d'importants bénéfices. Les populations Odzukru étaient mécontentes face
à la baisse vertigineuse du prix de l'huile. Ainsi, face à la dégradation du niveau de vie des
population Odzukru, les traitants Oboru associés à ceux de Dibrim créent en Janvier 1896, une
ligue commerciale pour protester contre l'immixtion des français dans les affaires intérieures des
villages et suspendre
------------------------------------------------------------------------------------------------------1- A. N C. 1
: Série lEE122 (1) p. 6
2 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) pièce 6
3 - Thiam Mel a servi comme "Boy" au fort de Dabou.
4 - Le premier conflit entre Oboru et colonne française eut lieu en 1852.
449
toutes relations commerciales avec les factoreries européennes afin de les obliger à consentir à un
abaissement des prix des produits importés. Cette ligue commerciale créée pour la défense des
intérêts des traitants Odzukru avait aussi pour objectif d'obliger les maisons de commerce à
relever le prix d'achat des produits oléagineux, de briser les relations commerciales entre la
famille de Kètèkrè et les maisons de commerce de Dabou, de geler le commerce des français dans
le Lodzukru et de protester contre l'Exil d'Amatifou et de contraindre l'administration coloniale à
le relaxer sans bourse déliée.
Du 2 Janvier au 10 Mars 1896, les populations Odzukru suspendent toutes les transactions
commerciales avec les factoreries européennes établies dans le Lodzukru, mais continuent leur
trafic avec les courtiers Alladian de Addah et de Emoquah (Jacqueville) qui, toutes les semaines,
se rendaient à Okobu, Mopoyem et Tukpa. Les Dibrim Egn, qui étaient les principaux
fournisseurs des maisons de commerce refusent tout trafic avec les commerçants européens de
Dabou et de Grand-Bassam (1).
Les Dibrim Egn vendaient leur huile aux traitants Alladian d'Emoquah (Jacqueville) au
petit débarcadère d'Okobu situé à quelques dizaines de mètres du Fort Ducos de Dabou. Ils se
rendaient au petit débarcadère d'Okobu en contournant le fort, siège de l'administration française
Dabou. Les expéditions commerciales des Dibrim Egn à Okobu se faisaient de nuit entre trois et
- à
quatre du matin.
La suspension des transactions commerciales entre les Odzukru et les factoreries
européennes entraîne au cours du premier trimestre de 1896, une forte baisse des activités
commerciales des maisons de commerce européennes dans le Lodzukru. Les Oboru ont alors
profité de la baisse constante des cours d'huile de palme et de la déportation d'Atafou au Congo
pour rallier à leur cause tout le Leitbutu.
L'administration coloniale française intervient auprès des courtiers de Emoquah et de
Bodo Ladja pourqu'ils suspendent toute transaction commerciale avec les Dibrim Egn. Les
français se sont rendus compte que le maillon faible de la ligue était les Dibrim Egn, c'est
pourquoi ils défendent aux Alladian de ne plus fréquenter le débarcadère d'Okobu et de donner
un avertissement aux Dibrim Egn. Avec les pressions politiques et économiques, les français
étaient assurés de contraindre les Dibrim Egn à reprendre les échanges commerciaux avec les
maisons de commerce.
1 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) p. Il
450
A Dibrim tous les traitants étaient partisans d'une rupture entre Dibrim et la France sauf Thiam
Mel, le frère cadet de Kètèkrè et leurs familles. Malgré les pressions de ses concitoyens, Kètèkrè
II avait une conduite loyale envers l'administration coloniale française (1). Ainsi, pour le
récompenser une seconde fois pour sa loyauté et son attachement à la France, l'administrateur du
Centre de Dabou demande qu'il soit décoré dans l'ordre colonial afin que cela serve d'exemple
aux autres traitants (2). L'administrateur du cercle de Dabou, ne disposant que de sept (7)
miliciens (3) pour la sécurité du centre commercial, concentre ses pressions sur Dibrim. Elle était
dans l'impossibilité d'entreprendre une quelconque action contre les Oboru, de 1852-1896 les
français avaient subi contre les Oboru et leurs alliés au moins (4) grandes défaites, c'est pourquoi
l'administration française recourait contre eux la prudence.
Les traitants Alladian conduits par Bony considérés comme le plus puissant et le plus
riche d'entre eux acceptent de collaborer avec l'administration coloniale en suspendant tout leur
commerce à Okobu (4). Cette situation oblige les Dibrirrr Egn à transporter leur huile à Mopoyem
ou à Tukpa (5). La distance entre Dibrirn et les débarcadères Oboru constituait un obstacle pour
les Dibrim Egn. En effet, elle ne permettait pas aux traitants Dibrim Egn de transporter une
quantité considérable d'huile. Pour le transport de l'huile, les traitants recouraient seulement au
portage. L'huile est portée par les esclaves, les femmes, les jeunes filles et les jeunes garçons (6).
'Souvent les barriques étaient roulées à travers la savane jusqu'aux débarcadères par les esclaves.
Mais ce système de transport entraînait beaucoup de pertes. Les sentiers n'étant pas larges, les
barriques se brisaient contre les troncs d'arbres.
La révolte des Oboru et des Dibrim Egn prive d'importantes quantités d'huile de palme
aux maisons de commerce de Dabou et de Grand-Bassam qui enregistrent pour le seul premier
trimestre de 1896 d'importants déficits. C'est pourquoi leurs responsables se décident à
entreprendre des négociations avec les responsables de la ligue commerciale afin que soit levé
l'embargo commercial qui pesait contre elle. La suspension des transactions commerciales
entraîne des pertes de devises à de nombreuses compagnies (7). Dans les négociations, la société
commerciale
1 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) P. 4
2 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) P. 1
3 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (2) P. 10
1
4 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) P. 8
5 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (2) P. 14
6 - Dans le Lodzukru les jeunes garçons de moins de 18 ans ont les mêmes activités que les
femmes
7 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) P. 6
451
réussit à faire les responsables de la ligue. La ligue a accepté de .lever partout l'interdit
commercial qui pesait sur la société commerciale française de Côte d'Ivoire car celle-ci à Tukpa
et Mopoyem a consenti à une réduction substantielle des prix des marchandises importées (1).
Mais l'embargo était maintenu contre la factorerie de cette société établie à Dabou car celle-ci
entretenait des relations commerciales avec le frère cadet de Kètèkrè qui a accusé le traitant
Amatifou de Dibrim d'avoir assassiné son grand frère Kètèkrè I l'ami des français. Kètèkrè, il
était considéré par les membres de la ligue comme un traite. Pour le retour d'Amatifou la ligue lui
a intimé l'ordre de payer la rançon de 1.300 paquets de manilles soit 260 F exigés par
l'administration coloniale (2). Les üboru avaient mis sa tête à prix ainsi que celle de Thiam Mel
et de l'interprète Kassy, les seuls africains à converser avec les français en français.
Les pressions politiques et économiques ayant échoué, l'administrateur de Dabou, voisin
décide alors d'entreprendre des, 'négociations avec les traitants de Dibrim, ses allié de toujours
afin qu'ils mettent fin à l'embargo de l'huile de palme qui perturbe les activités commerciales des
maisons de commerce et amener les populations à répondre aux convocations du chef de Dabou.
Mais la population de Dibrim conduite par les traitants les plus influents Afo. Adjessi et
Yebremery et qui faisaient aussi office de chefs de quartiers refusent toutes les propositions de
l'administrateur voisin et commencent à déménager dans les villages situés loin du poste de
Dabou et dans le pays Tchaman afin de prévenir toute éventuelle attaque des miliciens ou des
troupes françaises. En 1891 Dibrim a été brûlé et contraint à payer avec les autres viII ages de la
tribu des Dibrim Egn dix mille (10.000)F Kètèkrè II, pour protéger sa famille contre les menaces
de ses concitoyens de le punir pour sa traîtrise décide d'aller s'installer définitivement avec deux
cent cinquante (250) personnes à Dabou afin de bénéficier de la protection du chef de poste. Il
avait promis à l'administrateur de faire de Dabou un important centre commercial (3).
Les pressions diplomatiques ayant échoué, l'administration coloniale décide de faire
intervenir les troupes françaises contre Dibrim et de déporter les principaux traitants au Congo
(4). Ainsi sous la menace d'une intervention des troupes de l'armée coloniale contre Dibrim, le
paiement d'une forte amende comme en 1891 et la menace proférée par l'administration de
1 - A. N. C. l : Série 1EE 122 (1) p. Il
2 - A. N. C. I : Série 1EE 122 (2) p. 2
3 - A. N S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) pièce 8
4 - A. N C. l : Série lEE 122 (l) p. 5
452
déporter les leaders de Dibrim au Congo obligent les Dibrim Egn et leurs alliés à rompre leur
alliance avec les üboru et à quitter le 8 Mars 1896 la ligue commerciale. L'alliance entre Bobor et
Dibrim n'avait duré que deux mois sept (7) jours. Le 10 Mars 1896, les Dibrim Egn conduits par
les traitants Adjessi et Yebremery se rendent tous à Dabou pour demander pardon à
l'administrateur du cercle de Dabou et faire leur soumission. Ils acceptent de payer les 1.300
paquets de manilles exigés par l'administration coloniale pour le retour de Amatifou et promettant
de porter le lendemain l'huile de palme aux factoreries de Dabou. Ils ont aussi demandé à
l'administration coloniale d'intervenir auprès des négociants de Grand-Bassam afin qu'ils
consentent à baisser les prix des marchandises importées et à augmenter le prix d'achat de l'huile
de palme car les populations travaillant sans bénéfices se décourageaient.
Les Dibrim Egn ont accepté de se soumettre à l'administration coloniale non seulement
pour éviter une nouvelle guerre entre Dibrim et l'armée coloniale française et la déportation de
leurs leaders au Congo mais aussi parce que la décision du frère cadet de Kètèkrè de' s'établir à
Dabou restreignait Dibrim de cent quatre vingt dix (190) fusils (1) car en cas d'attaque des
colonnes françaises le nombre de porteurs de fusil à Dibrim serait très limité. La suspension du
commerce entre les courtiers de Emoquah et de Bodo Ladja et les traitants de Dibrim a entraîné
l'existence d'importants stocks d'huile de palme à Dibrim que les traitants de cette localité
'cherchaient à écouler.
Les difficultés de transport ont empêché les Dibrim Egn d'écouler leurs stocks d'huile aux
débarcadères de Mopoyem et de Tukpa. Mais les üboru maintiennent l'embargo contre les
maisons de commerce établies à Mopoyem et à Tukpa et refusent de se soumettre à l'autorité
française; Ils reprennent par l'intermédiaire des courtiers Alladian de Addah leur commerce avec
les voiliers anglais.
b) - Echanges commerciaux entre les Oboru et les voiliers Anglais 1896 - 1898
La ligue commerciale créée en Janvier 1896 par les traitants Oboru et Dibrim Egn pour la
défense de leurs intérêts éclate le 8 mars 1896 par la défection des Dibrim Egn qui, sous la
pression de l'administration coloniale se retirent, entraînant du coup l'échec de l'entreprise. La
fébrile alliance entre Bobor et Dibrim n'a connu qu'une existence brève. En effet, la ligue
commerciale, à la suite du départ des Dibrim Egn qui acceptent malgré le déséquilibre entre les
prix d'achat des produits tropicaux et deux des marchandises importées de faire allégeance
1 - AN.C.I. : Série lEE 122 (1) p. 8
l
453
à l'administration coloniale et de vendre à perte leurs productions d'huile de palme et de palmistes
aux maisons de commerce continue ses activités.
Malgré la défection des traitants Dibrim Egn et leurs alliés, les objectifs de la ligue sont
maintenus. Les Oboru et leurs alliés demeurent les seuls à continuer la lutte pour la juste
rémunération des prix des produits tropicaux. lis continuent leur protestation contre la baisse des
cours de l'huile de palme et le prix très élevé des marchandises importées. C'est pourquoi
l'interdit commercial qui frappait toutes les maisons de commerce établies dans le Lodzukru fut
maintenu. Toutes les transactions commerciales avec les factoreries françaises sont interdites par
les Oboru. Les Oboru ont aussi interdit tout échange commercial avec les Al1adian d'Emoquah et
de Bodo Ladja qui ont apporté leur soutien à l'administration coloniale dans sa lutte contre les
traitants Odzukru. En effet, après une rencontre entre les principaux traitants Alladian conduits
par Bonny le plus riche des traitants Al1adian du XIXè siècle et chef du village d'Emoquah et
voisin, l'administrateur du cercle de Dabou, les traitants Alladian décident de ne plus se rendre à
Okobu et se tournent vers Piquing-Bassam en pays Tchaman (1), mais seuls les traitants de
Addah restent fidèles aux Oboru, leurs alliés de toujours. Grâce aux traitants de Addah, les Oboru
étaient en relation commerciale avec les voiliers Anglais qui les approvisionnaient en produits
manufacturés.
Les compagnies commerciales françaises établies sur le territoire de Bobor, précisément à
Mopoyem et à Tukpa enregistrent beaucoup de pertes au cours de la période 1896 - 1898.
Nombreuses d'entre elles quittent alors les débarcadères de Lodzukru pour al1er s'établir à
Tyasalé et à Grand-Lahou. Le commerce français dans le Lodzukru connaît une baisse importante
d'activités parce que les Oboru refusent d'acheter les marchandises européennes vendues par les
factoreries et gelaient ainsi le commerce français dans la partie occidentale de Lodzukru. Les
Oboru étaient convaincus que par.le boycott, ils pouvaient contraindre l'administration coloniale
à relever le prix d'achat du krou de l'huile de palme.
Les relations entre Oboru et français se dégradent de nouveau vers la fin de 1897, avec la
nouvelle baisse des prix de l'huile de palme sur le marché international (2).
1 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (1) p. 8
2 - A. N. C. 1: Série 1EE 122 (1) p. 6
454
Les échanges commerciaux entre Oboru et anglais étaient a un très bon niveau. En effet,
toutes les semaines, des centaines de barriques d'huile de palme sont exportées des débarcadères
Oboru vers le centre commercial de Addah qui en 1896 s'était remis de son sommeil (1).
Les traitants de Addah, malgré la signature des traités et de la présence des Français dans
le pays Alladian avaient maintenu les liens commerciaux avec les Oboru, liens qui datent depuis
de longs siècles. La présence des maisons de commerce européennes sur la côte Alladian
n'empêche pas les traitants de Addah de commercer avec les voiliers anglais. En effet, au cours
de la 2ème moitié du XVIIè et XVIIIè siècles, le commerce dans le pays Alladian était dominé
par les courtiers de Addah et Avagou. Durant tous ces siècles, les courtiers de ces deux villages
ont établi de bonnes relations commerciales avec les interlopes européens. Mais le XIXè siècle
constitue une période difficile pour les courtiers de Addah et de Avagou. Leurs activités déclinent
au profit de Emoquah et de Bodo Ladja qui deviennent les principaux centres commerciaux du
pays Alladian. Ainsi Addah et Avagou ont passé le relais a Emoquah et a Bodo Ladja où on
dénombrait un grand nombre de traitants très riches (2).
"
Par l'intermédiaire des courtiers Alladian de Addah des centaines de tonnes d'huile de
palme étaient vendues aux voiliers Anglais, toutes les flns de semaine, malgré la surveillance de
la lagune Ebrié par les canonnières le "Diamant" et le "Laprade" (3), des centaines de pirogues
faisaient la navette entre les deux rives de l'Ebrié transportant des barriques vers Addah.
Les difficultés de 1896 et de 1897 ont entraîné une véritable reprise des relations
commerciales entre Oboru et les voiliers anglais. Les relations commerciales entre Oboru et les
voiliers anglais n'étaient pas interrompues mais, elles ont connu une période de gel avec
l'établissement depuis le début de la décennie 1890 de factoreries européennes à Tukpa et à
Mopoyem. Les sociétés commerciales ont essaimé des sous-factoreries dans tous les villages
Odzukru riverains de la lagune Ebrié. Des sous-traitants se sont aussi installés dans les villages de
l'intérieur et achetaient de l'huile de palme pour le compte des compagnies commerciales. Leur
présence dans les villages de l'intérieur empêchait les producteurs Odzukru de porter leur huile
aux débarcadères. Les traitants de la compagnie Swanzy, dans la partie occidentale de Lodzukru,
pratiquaient le système
1 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) pièce 8
2 - A. N. C. I : Série IBB5 p. 4
3 - A. N. C. l : Série 1EE122 (1) p. 5
455
de crédit avec les producteurs d'huile. Les traitants de la compagnie Swanzy accordaient
aux producteurs d'huile des crédits et leur faisaient aussi des dons. Cette tactique leur a permis de
réserver les productions (1). Les maisons de commerce étaient remboursées en nature. Ce qui leur
permettait de réaliser d'importants bénéfices. Pour un emprunt de vingt mille (20.000)francs, les
paysans remboursaient cent cinquante (150) barriques. Une barrique était vendue à deux cent
vingt cinq (225) francs dans les débarcadères de Lodzukru. Mais dans l'espoir de bénéficier des
crédits des maisons de commerce et de leurs largesses, les paysans après le remboursement des
crédits offraient à leurs créanciers quinze (t 5) à vingt (20) barriques d'huile.
Au cours de la période troublée de 1896 - 1898, les Oboru ont expulsé de leur territoire
tous les sous-traitants qu'ils accusaient d'être à l'origine de la baisse des cours de l'huile de palme.
Le départ des sous-traitants de la partie occidentale a permis aux paysans de porter leur huile à
Tukpa et à Mopoyem. Les maisons de commerce qui connaissaient d'énormes di fficultés de
gestion à cause de' la récession des activités commerciales demandent à l'administration
d'effectuer une
expédition punitive contre les
Oboru,
principal promoteur de la ligue
commerciale: Ainsi, les Français décident une expédition punitive contre les Oboru en mars 1898
afin de s'emparer de Tukpa, le plus important marché de Lodzukru. Mais l'administration
française échoue dans sa tentative car les troupes françaises ont été défaites. Elle comprend alors
qu'elle ne pouvait venir à bout seule des Oboru par des pressions et des intimidations.
Dans leur lutte contre les Oboru, les français avaient toujours privilégié la lutte armée
comme seul moyen de parvenir à la résistance Oboru. Mais la stratégie de la force devient
inefficace face aux Oboru. En effet depuis 1852, toutes les expéditions punitives françaises contre
Bobor se sont soldées par des échecs cuisants sauf en 1866 où les français conduits par le
lieutenant Noël emportent leur première victoire sur les Oboru. Au cours du premier trimestre de
1888 un détachement français a été mis en échec par les guerriers Oboru au débarcadère de
Tiaha. Neuf (9) soldats français ont été tués. Ils ont eu la tête tranchée. La tête de l'ennemi
constituait un trophée de guerre. Les crânes des vaincus ornaient la grande place du village, siège
de l'assemblée du village. Au débarcadère de Kpàdà, Eudes et Voas deux ressortissants français
ont été tués dans une embuscade (2). Pour le meurtre de ces deux français, l'administration
française inflige aux Oboru une amende de 200.000 F et exigent la restitution des restes de Voas
et Eudes. Elle somme aussi les Oboru de livrer les "assassins". Mais pour se moquer des français,
les Oboru, sur 200.000 F d'amende, n'acceptent de payer que 6.000 F et pour les assassins, ils ne
livrent que des esclaves, des gens de basses conditions sociales.
1 - A. N. C. 1 : Série 1EEI22 (1) p. 8
2 - A. N. C. 1 : Série IEE122 (1) p. 4
Les Oboru pouvaient avec leurs alliés aligner au moins quatre mille (4.000) guerriers et
disposaient en permanence deux mille fusils (1). Face à ces guerriers nombreux et redoutables les
français étaient obligés de rechercher des alliances avec les ennemis des Oboru. C'est pourquoi
dans leurs expéditions contre les Oboru, ils sollicitent le soutien des Dibrim Egn, des Aïzi et
surtout les Alladian principaux fournisseurs des Oboru en produits manufacturés européens. Ces
456
différentes populations sont associées aux différentes compagnes des français contre les Oboru.
Ainsi en 1898, lors d'une expédition militaire française contre Bobor, un guide et deux porteurs
ressortissants du village de Dibrim ont été grièvement blessés (2).
Sous la pression de l'administration coloniale, de nombreux:' villages de la partie
occidentale, membre de la ligue commerciale font défection. Ils quittent la ligue et se soumettent
à la France. L'administration inflige une amende à tous les villages ou tribus qui ont soutenu les
Oboru et qui se sont révoltes contre l'autorité de la France en pays Odzukru. L'amende était aussi
une sanction contre tous les villages qui ont contribué à la faillite des maisons de commerce dans
le Lodzukru occidentale. Ainsi, les villages de Gbadzn et Lidznanu, villages appartenant à la tribu
des Agbadznu acceptent de payer chacun mille (1.000) paquets de manilles et trente (30) boeufs
(3). Les Olokpu ont été aussi contraints de reconnaître en 1898, le frère cadet de Kètèkrè comme
chef supérieur de tous les Odzukru (4). lis payent à Kètèkrè II, en signe de leur soumission cinq
cents (500) paquets de manilles et acceptent de lui verser vingt (20) paquets chaque année.
La plupart des tribus Odzukru ont en masse fait leur soumission à la France. Les Odzukru
ont pensé que
la reconnaissance de l'autorité de la France sur leur
région engagerait
J'administration coloniale et les compagnies commerciales à relever les prix des produits
tropicaux, en particulier le prix de l'huile de palme. Malheureusement, la soumission en bloc des
tribus Odzukru à la France est accompagnée de fortes amendes (5). La paix ne revient non plus
dans la région car les prix de l'huile de palme connaissaient toujours la baisse.
1 - A. N. S : Section AOF série 5G38 P. 12
2 - A. N. C. I : Série 1EE122 (1) P. 4
3 - A. N. C. I : Série 1EE122 (1) P.
4 - A. N. C. I : Série lEE122 (1) P. 5
5 - A. N. C. I : Série lEE122 (1) P. 5
457
La soumission des Odzukru à la France est considérée comme un repli tactique parce qu'à
chaque fois que les Français s'immisçaient dans leurs affaires intérieures, les différents villages
concernés rejoignaient l'axe Bobor-Usr, bastion de la résistance Odzukru, pour se rebeller contre
l'occupant. L'occupation de Lodzukru par les Français jusqu'en septembre 1898 était très
superficielle car aucun administrateur ou agent de commerce ne pouvait circuler dans le
Lodzukru sans escorte Cl).
Les Oboru étaient approvisionnés en produits manufacturés par les voiliers anglais qui
constituaient une menace pour les maisons de commerce établies dans le Lodzukru.
Les relations commerciales entre les Oboru et les voiliers étaient une menace pour
l'économie française en côte de l'or, c'est pourquoi les Français se décidèrent à briser l'autonomie
des Oboru afin de contrôler toute l'économie de Lodzukru. En septembre 1898, les Oboru sont
défaits par l'armée coloniale française conduite par le capitaine Gallet. Ainsi après leur victoire
sur les Oboru, les Français s'empressent de conclure un accord avec les Alladian afin de prévenir
une éventuelle révolte des Oboru.
7/ Accord Franco-Alladian contre les Oboru
Au lendemain de leur victoire sur les Oboru, les leaders de la résistance Odzukru à la
colonisation française du haut Ebrié, les Français se sont empressés de conclure un accord
d'amitié et d'assistance mutuelle avec les traitants d'Emoquah, de Bobo Ladja et des autres
villages Alladian afin de geler le commerce des Oboru. Cet accord interdisait aux courtiers
Alladian toute transaction commerciale avec les Oboru afin de briser leur autonomie et les
obliger à commencer avec les factoreries européennes.
Le pays Alladian faisait partie du cercle de Dabou qui regroupait: les Abidji, les Aïzi, les
Alladian, les Brignan, les Tchaman et les Odzukru. Un résident spécial de France résidait à
Emoquah (Jacqueville). Il était chargé de résoudre les problèmes locaux (2). Depuis la deuxième
moitié du XVIIè siècle les courtiers Alladian étaient les premiers fournisseurs et clients des
populations Odzukru. Le pays Alladian fournissait le Lodzukru en sel et en produits
manufacturés européens. Le Lodzukru lui vendait de l'huile de palme et des esclaves. Ainsi plus
des trois quart (3/4) du trafic commercial de Lodzukru pendant la période précoloniale se faisait
avec le littoral Alladian. En concluant un accord avec les Alladian, les Français pensaient
asphyxier
1 - A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (2) p. 8
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 4
458
l'économie des Oboru. Les Oboru
seraient alors coupés de leur traditionnelle source
d'approvisionnement. Ce qui les obligerait à commercer avec les factoreries françaises.
Mais cet accord n'a eu aucun incident sur la vie économique des Oboru. En effet, depuis
août 1898, les Oboru avaient chassé de Tukpa et de Mopoyem tous les traitants français et les
sous-traitants français et les sous traitants africains (1) (libériens, sénégalais et sierra-Iéonais) qui
y habitaient. Ils avaient aussi pillé et détruit des factoreries à Tukpa et à Mopoyem. Les Oboru,
informés de l'accord Franco-Alladian, avaient suspendu toutes les transactions commerciales
avec les courtiers d'Emoquah et de Bodo-ladj, mais ils avaient maintenu les liens commerciaux
avec les courtiers de Addah, de Dzadzem et Esr, deux quartiers de Dibrim (2).
Les Oboru sont approvisionnés en marchandises européennes par les courtiers de Addah
qui continuaient de traiter avec les navires anglais et surtout par les commerçants Appoloniens
qui leur fournissaient des tissus, du sel, du tabac, de la poudre à canon et des alcools. Depuis
1890, par un décret, la vente d'arme à feu, surtout la poudre à canon était interdite sur tout le
territoire de Lodzukru par l'administration coloniale (3). A travers cette interdiction les Français
pensaient étouffer toute idée de soulèvement et d'indépendance. Mais les Odzukru depuis le début
des échanges commerciaux avec l'Europe, avaient acheté des armes à feu et en fabriquaient (4).
. Ils étaient seulement confrontés au problème d'approvisionnement en poudre à canon sans
laquelle le fusil ne pouvait fonctionner.
Les traitants Appoloniens, établis à Dabou depuis la deuxième moitié du XIXè siècle,
parcouraient les villages pour vendre aux populations les marchandises européennes. Leur
présence constante dans les villages n'était pas appréciée par l'administration coloniale car cela
empêchait les populations Odzukru de se rendre dans les débarcadères. Dans la partie orientale,
les Dibrim Egn vendaient l'huile de palme aux maisons de commerce mais n'achetaient rien en
retour. Les bonnes relations commerciales unissant les Oboru aux traitants Appoloniens ont rendu
nul l'accord Franco-Alladian contre Bobor car l'économie Oboru se portait bien. La crise suscitée
par les Français a été annulée par les Appoloniens.
En décembre 1898, les Oboru, pour se venger des courtiers Alladian ont décidé de
reprendre les transactions
1 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) pièce 4
2 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) pièce 5
3 - A. N. S: Section AOF série 5G36 p. 7
459
commerciales avec les compagnies européennes (1). Ainsi l'embargo qui pesait sur les factoreries
européennes depuis 1896 fut levé (1). Cela a permis aux navires marchands de se rendre dans les
débarcadères Oboru pour s'approvisionner en huile de palme et en caoutchouc de cueillette.
Parmi les maisons de commerce, certaines acceptent de prendre le risque de se réinstaller de
nouveau dans la région des Oboru. L'embargo commerciale n'est pas la seule sanction décidée par
les Oboru contre les Alladian. Ils ont aussi projeté de punir militairement la population orientale
du pays Aliadian en particulier celle d'Emoquah et de Bodo Ladja. Ainsi, les Oboru se sont
rendus avec des torches en Odzukru "Mirabri" au cours d'une nuit dans le village d'Emoquah
dans le but de le brûler. Mais ils ont été refoulés par un détachement de 'miliciens informés et qui
les attendaient à l'entrée du village.
Depuis Septembre
1898, suite à la défaite des
Oboru,
les français contrôlaient
partiellement la vie politique des Oboru. Mais le groupe Bobor n'était pas totalement soumis. Les
Eusru, allié des Oboru, avaient pris le relais pour continuer la lutte (2). Les chefsde village de la
tribu Oboru refusaient de répondre aux convocations du chef de poste ou de l'administrateur du
cercle de Dabou. Les colonnes françaises patrouillant dans le Lodzukru étaient l'objet d'attaque
par embuscade. Ainsi jusqu'en 1909, le territoire Odzukru échappait à un contrôle total des
français à cause de l'existence de nombreux foyers de résistance (3).
L'accord Franco-Alladian contre les Oboru conclu sous les pressions de l'administration
française a été négatif pour les pays Alladian. En effet, la fin de l'année 1898 annonce le début de
la décadence des courtiers Alladian qui, depuis la 2è moitié du XVIIè siècle, avaient dominé le
courtage dans le bassin occidental de l'Ebrié.
- : Décadence des courtiers Alladian
Les Oboru, considérant l'accord Franco-Alladian comme une trahison des courtiers
Alladian, ont interdit toute transaction commerciale avec le pays Alladian. Depuis de longs
siècles, les courtiers Alladian avaient bâti leurs fortunes grâce aux échanges commerciaux avec
les populations de la rive Nord. Par le commerce de sel et des esclaves les courtiers Alladian
avaient posé les jalons de leur réussite économique et sociale, mais c'est avec la traite de l'huile
de palme qu'ils parviennent à constituer de véritables fortunes.
1 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) p. Il
2 - A. N. C. 1 : Série lEEl22 (4) p. 6
3 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2GI (28) p. 5
460
Les Oboru ont tenté de brûler Emoquah (Jacqueville) dont la population est devenue par
contrainte l'allié fidèle des français. Bonny, le chef du village d'Emoquah s'est appuyé sur
l'administration française pour étendre son influence sur le reste de la population Alladian (1).
Les Oboru ont établi un trafic direct avec les factoreries en se passant des intermédiaires
africains. Cette nouvelle politique commerciale des Oboru a entraîné l'asphyxie de l'économie
Alladian. Les Oboru commerçaient directement avec les vapeurs qui sillonnaient la lagune Ebrié
de Dabou à Cosr dernier village de Lodzukru.
Les courtiers Alladian qui se rendaient dans le Lodzukru en particulier dans les villages de
la ligue de Bobor étaient séquestrés puis pris en otage. Ils ne sont libérés le plus souvent des cas
que grâce aux interventions de l'administrateur du cercle de Dabou et des colonnes de l'armée
française (2). Ainsi à partir de 1898, le commerce Alladian dans le Lodzukru devient décadent.
Cette décadence avait été causée par le refus des producteurs Odzukru d'huile de palme de vendre
leur huile aux courtiers Alladian. Cette situation a permis aux traitants européens d'étendre leur
monopole sur la région Odzukru et de dominer la quasi-totalité du trafic commercial de
Lodzukru.
Les traitants français aidés de l'administration coloniale ont fait main basse sur le trafic
commercial de Lodzukru occidental qui depuis 1850 échappait à leur contrôle. Les trafics
commerciaux des Odzukru occidentaux a toujours échappé aux traitants européens qui avaient
d'énormes difficultés à circuler dans la région. Cette partie occidentale de Lodzukru était
considérée comme une chasse gardée des courtiers Alladian qui, depuis de longs siècles ont noué
des relations commerciales très étroites avec les villages riverains. Les courtiers AIJadian ont
perdu le contrôle du commerce du haut Ebrié et ont été chassé de Lodzukru par les Oboru. Cela a
mis fin à l'influence Alladian dans le Lodzukru.
La reprise des relations commerciales entre Oboru et français a inauguré une nouvelle ère
de détente dans la partie occidentale de Lodzukru entre Oboru et français.
1- A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) P. 11
2- A. N. C. 1: Série lEE122 (2) P. 5
461
8 : Reprise du commerce Français dans le Lodzukru
La reprise des activités commerciales françaises dans le Lodzukru a été favorisée par la
détente très précaire qui s'est instaurée dans la région occidentale de Lodzukru depuis la défaite
des Oboru en Septembre 1898 face aux troupes françaises. La normalisation des relations
politiques et commerciales entre Oboru et français entraîne la rupture des relations commerciales
entre Oboru et courtiers Alladian. Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et les courtiers
de Emoquah et de Bodo Ladja sont devenus aux XIXè siècle avec la traite de l'huile de palme très
importants et ont fait de ces deux villages les principaux centres commerciaux de la côte des
Quaquah. Les courtiers de ces deux villages pendant la période précoloniale étaient les plus
influents et les plus riches de tout le bassin occidental de l'Ebrié (1). Tout le commerce de l'Ebrié
occidentale était sous la domination des courtiers Alladian qui étaient les seuls à la domination
des courtiers Alladian qui étaient les seuls à entrer en contact avec les navires-factoréries anglais.
Ils exerçaient le courtage avec adresse, intelligence et "professionnalisme". Soutenus par les
producteurs d'huile de palme du haut Ebrié. Ils avaient réussi à faire échec à toutes les tentatives
des français de faire main basse sur le commerce de l'huile de palme de toute la région de la
lagune Ebrié.
Les courtiers Alladian, par leur habilité et intelligence se sont imposés sur la rive Nord de
l'Ebrié malgré le soutien accordé aux commerçant français par l'administration française. Les
premiers établissements de commerce français dans le Lodzukru ont fait faillite parce qu'ils ne
sont pas parvenus à ébranler le courtage Alladian soutenu par les paysans Odzukru et Tchaman et
par les capitaines des voiliers anglais.
Mais vers la fin de 1898, les courtiers Alladian perdent toute influence dans le Lodzukru.
En effet, à la suite des accords politiques intervenus entre français et Alladian, les Oboru ont
cessé tout trafic commercial avec les courtiers AlJadian ce qui entraîne la décadence économique
du pays Alladian qui est privé de son plus grand centre de fourniture en produits de traite (2).
Cette situation oblige les paysans Alladian à s'adonner plus à la pêche deuxième source de revenu
de la région (3). Les traitants européens deviennent les seuls acheteurs de produits naturels dans
le Lodzukru.
1 - A. N. C. 1 : Série 2EEl (1) p. 6
2 - Schnapper : la politique et le commerce français dans le golfe de Guinée 1838 - 1871.
3 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) pièce 12
462
Les AIIadian ont été abandonnés par les français qui ont désormais les mains libres au
plan économique pour dicter leurs lois aux différentes populations. Les courtiers Alladian
éternels concurrents des commerçants européens ont été éliminés grâce à la volonté des Oboru
(1). Le déclin du courtage Alladian avait débuté vers la fin de la décennie 1880 lorsque Albert un
antillais, sous les ordres de Verdier installe un des quatre (4) postes de douane prévus pour la côte
de l'or à Emoquah (JacqueviIle) (2). Ce qui réduit le trafic commercial entre les Alladian et les
navires marchands anglais.
La volonté des français courtiers de faire des courtiers AIIadian des auxiliaires des
maisons de commerce européennes et d'asphyxier l'économie Alladian s'est traduite en 1892 par
la construction du wharf de Grand-Bassam. L'administration française en construisant le wharf de
Grand-Bassam avait pour but de faire de ce débarcadère un port moderne et de Grand-Bassam le
premier centre commercial de la colonie et le pôle de développement de la côte d'Ivoire (3).
Ainsi, à partir de 1892, tout le trafic commercial de la Côte d'Ivoire est détourné vers
Grand-Bassam dont les avant-ports étaient Dabou sur la lagune Ebrié et Alépé sur le fleuve
Comoé (4). Tous les produits de traite venant de l'intérieur pour le port de Grand-Bassam
transitaient par le débarcadère de Dabou. Dabou est relié à Grand-Bassam par des navires
marchands. Sous la colonisation, Dabou devient le premier centre commercial de Lodzukru. Il
était aussi le principal entrepôt des produits de traite de la partie occidentale de la côte de l'or.
La récolte du caoutchouc débutée depuis 1895 se généralise dans le pays Abidji où la
production était de qualité meilleure. Le caoutchouc est récolté par le saignement des arbres à
latex et des lianes. Mais peu de paysans Odzukru s'adonnaient à la récolte du caoutchouc-
cueillette. Le commerce du caoutchouc était centralisé dans les mains des européens. Mais les
traitants européens étaient concurrencés par les commerçants Appoloniens et Dyula qui
achetaient le caoutchouc pour le revendre aux maisons de commerce.
1 - A. N. C. 1 : Série 1EE122 (4) p. 5
2 - Paul Atger: la France en Côte d'Ivoire: 90 ans d'hésitations Rolitigues et commerciales
P.139.
3 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) pièce 12.
4 - A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (27) pièce 8
463
Le caoutchouc-cueillette vers la fin de 1898, avec la crise de l'huile de palme, a connu au
niveau des prix une hausse. Il était vendu à 4 F le kilogramme au lieu de 1 F en 1895 (2). Le
caoutchouc-cueillette fut avec la vente de la poudre à canon les principaux sources de devises du
pays Abidji.
Les Abidji vers la fin du XVIllè siècle ont été les intermédiaires entre les Baoulé et les Odzukru
qui avaient peur de se rendre dans le Paule. Mais le volume des échanges entre les deux régions
(odzukru-Abidji) était très faible et les échanges du pays Abidji se faisaient essentiellement à
Bécédi (3). Le caoutchouc landolphias qui provenait des pays Paule et Abidji était à base de
liane. La chute du prix de l'huile de palme en 1897 a fait du caoutchouc la première source de
devise de la colonie (4). Mais cette première place sera provisoire car dès le premier semestre de
1899, on assiste à la remontée du prix de l'huile de palme.
La remontée des cours des oléagineux dès les premiers mois de 1899 permet aux
commerçants européens de réaliser d'importants bénéfices. La concurrence anglaise est devenue
inexistante avec l'absence des courtiers Alladian. Les maisons de commerce européennes
devenues inexistantes avec l'absence
des courtiers Alladian. Les maisons de commerce
européennes devenues les seules exportatrices des produits tropicaux exercent un monopole sur le
commerce de la région méridionale. Elles pratiquaient à l'achat des prix très bas et vendaient cher
les marchandises importées. Cette politique des prix qui consistait à ruiner les paysans révoltait
souvent les fournisseurs des produits de traite. Les commerçants européens instaurent la vente
d'huile au kilogramme en supprimant le krou (5). L'huile de palme était alors vendue à moins de 1
F le kilogramme.
Les courtiers Alladian absents depuis quelques mois des débarcadères Odzukru de
Mopoyem et de Tukpa ont entrepris des négociations avec les Oboru afin que l'embargo qui pèse
sur eux soit levé (6). Le monopole du commerce de la région de Dabou depuis le retrait des
Dibrim Egn, des Orgbaffu et des Olokpu de la ligue commerciale, créée en 1896 pour la défense
des intérêts des paysans Odzukru était détenu depuis avril 1897 par les factoriés européennes qui
contrôlent toute la production des
1 - A. N. C. 1 : Série lEE122 (1) p. 11
2 - A. N. C. I : Série lEE122 (4) p. 5
3 - Enquête réalisée à Dibrim le 27 Août 1988 auprès de M. Etienne GBANGBO ESSIS.'
4 - A. N. C. I : Série lEE122 (1) p. 8
5 - A. N. C. I : Série 1EE122 (2) p. 11
6
A.
N.
S
Section
Côte
d'Ivoire
série
2G1
(28)
pièce
12
464
Odzukru orientaux. Les seuls points de trafics pour les courtiers Alladian étaient Mopoyern et
Tukpa où les Eusru faisaient descendre quotidiennement des centaines de barriques d'huile de
palme. L'interdit commercial décrété vers la fin de 1898 par les Oboru contre les Alladian a ruiné
les activités commerciales de ces derniers.
L'existence de la route Dabou-Tyasalé favorise la descente des soudanais, des Paule et des
Abidji au centre commercial de Dabou. Les produits naturels (caoutchouc, ivoire, or et peaux
d'animaux) étaient échangés contre les produits manufacturés européens et le sel marin. Les
africains avec la crise de l'huile de palme ont proposé aux factoreries l'utilisation du système de
troc dans les échanges (1). Ils trouvaient cet ancien système de change avantageux et refusaient le
franc qui n'était pas admis dans les échanges internes. L'administration française a émis le franc
pour normaliser le taux de change sur tout le territoire ivoirien, combattre le système de troc et
donner un caractère moderne aux échanges de la nouvelle colonie de Côte d'Ivoire (2).
L'existence de plusieurs zones monétaires sur le territoire ivoirien amène la population à
recourir souvent au troc dans les échanges. Mais la tentative de l'administration française a été un
échec car les populations africaines sont restées réfractaires à l'utilisation du franc comme la
seule monnaie pour les échanges (3).
Malgré l'échec enregistré par l'administration coloniale dans sa tentative d'imposer le
franc comme la seule monnaie de référence et de compte en Côte d'Ivoire, les échanges
commerciaux de la Côte d'Ivoire, et principalement dans la région Odzukru étaient dominées par
les factoreries européennes et africaines. Les débarcadères de Lodzukru occidental étant interdits
à la grande majorité des traitants Alladian, les maisons de commerce européennes et
appoloniennes deviennent les seuls maîtres du trafic commercial dans le Lodzukru. La partie
orientale depuis le deuxième retour des français dans le Lodzukru avait échappé au contrôle
Alladian (4). Les Dibrim Egn, les principaux traitants de cette zone, avaient établi de bonnes
relations commerciales avec les responsables des factoreries installées à Dabou. Kètèkrè 1 et plus
tard, son frère cadet Kètèkrè II avaient de très bonnes relations commerciales avec la maison
Swanzy (5). Kètèkrè II faisait l'essentiel de son commerce avec la factorerie Swanzy de Dabou.
1 - A N. C. 1 : Série lEE 122 (2) P. Il
2 - AN. C. 1: Série lEE 122 (l)P. 5
3 - A N. C. 1 : Série lEE 122 (1) P. 6
4 - A N. C. 1 : Série 1EE 122 (2) P. 8
5 - A N. C. 1 : Série lEE 122 (1) P. 8
465
Les français profitant de la "détente" avec les Oboru s'étaient décidés à aller à la conquête
des tribus Agbadznu et Eusru qui échappaient au contrôle français. Ces deux tribus empêchaient
toute tentative de pacification de la région. Le pays Odzukru dans l'esprit français devrait servir
de tête de pont à la conquête et surtout à la pacification des pays de l'intérieur. La détente qui
s'était instaurée dans le Lodzukru a favorisé une reprise des activités commerciales dans le
Leibutu.
La reprise des activités commerciales liée au rapprochement oboru-français, source de
paix et de détente dans le Lodzukru a permis aux Odzukru de s'affranchir de la dépendance des
courtiers Alladian.
Depuis la 2è moitié du XVIIè siècle, le Lodzukru économiquement était soumis au pays
Alladian dont les populations étaient en contact avec les navires européens, fournisseurs de
produits manufacturés. Avec l'élimination des courtiers Alladian des débarcadères Odzukru, le
pays Odzukru obtient son indépendance. Dabou devient avec l'effondrement des activités
commerciales du rivage Alladian le premier centre administratif et économique de tout le bassin
occidental de l'Ebrié Dabou étend son influence administratif et commercial au delà du pays
Odzukru, dans les pays Aïzi, Tchaman, Abê, Abidji, Brignan et Alladian. Avec la construction du
n
wharf de Grand-Bassam, tout le commerce de la Côte d'Ivoire est orienté vers le nouveau port. La
barre étant ainsi vaincue, les navires marchands préféraient le port de Grand-Bassam par rapport
aux autres centres économiques de la côte maritime. Le développement de Grand-Bassam
entraîne le déclin de Jacqueville et Assinie, mais favorise l'essor des ports lagunaires et fluviaux.
Tyasalé sur le Bandama Alépé sur la Comoé et Dabou sur la lagune Ebrié. Dabou, autrefois
campement de production d'huile de palme, devient une agglomération où résidaient tous les
traitants Européens et africains. Sous la colonisation elle devient le premier centre commercial de
Lodzukru en surplantant Tukpa, premier pôle de développement commercial de Lodzukru
pendant la période précoloniale.
Mais le rayonnement commercial de Lodzukru, au XIXè siècle est à l'origine d'importants
bouleversements sociaux, politiques, économiques et culturels dans le Leibutu.
· 466
4ème PARTIE
IMPACT DU COMMERCE SUR
LA SOCIETE ODZUKRU
( 1830 - 1898 )
467
Le commerce en pays Odzukru de
1830 - 1898 est à l'origine d'importants
bouleversements qui entraînent des modifications des structures politiques, sociales, économiques
et culturelles. Ces bouleversements sont très profonds dans certains domaines et superficiels dans
d'autres. Mais de façon général, le commerce est à l'origine des transformation profondes de
Lodzukru. Ainsi de société aux structures immuables, le Lodzukru devient grâce au commerce et
à son ouverture sur l'extérieur, une société perméable aux influences étrangères. Mais de
l'étranger le Lodzukru ne retient que ce qui peut contribuer au développement de la société
Odzukru et aider ce peuple à rompre avec l'archaïsme et la rigidité culturelle.
Grâce à l'apport de l'étranger s'est élaborée une civilisation Odzukru originale et
originelle. Cette civilisation est la synthèse des civilisations Krou et Akan. Ainsi la civilisation
Odzukru est une civilisation" hybride" issue du croisement de ces deux civilisations auxquelles
s'ajoute un apport européen dont J'influence sera plus marquée et prononcée au XIXè siècle
pendant la pacification de Lodzukru (1) .
.Dans cette étude, notre objectif est de montrer les modifications des structures politiques
et sociales, les mutations de l'économie Odzukru et enfin les bouleversements culturels.
Il LES MODIFICATIONS DU SYSTEME POLITIQUE ODZUKRU
Etudier les modifications du système politique Odzukru, amène à jeter un regard sur les
organisations politiques de Lodzukru pour constater si aucun bouleversement n'est intervenu
surtout que la région est depuis 1850 placée sous la souveraineté de la France. De nombreuses
guerres ont émaillé les relations Odzukru et français. Elles se sont terminées provisoirement en
1898 avec la défaite des Oboru. Le groupe Odzukru depuis 1852 incarnait la résistance Odzukru.
La défaite des Odzukru annonce la colonisation de Lodzukru par la France. Il s'agit alors de se
demander si l'évolution politique de Lodzukru a progressé sans changement ou si elle a connu des
bouleversements avec les français devenus, les maîtres de la région (1).
1- A. N. C. l : Série 1EE 122 (1) p. 8
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468
1/ Nomination des chefs de vi liage
Sous la colonisation française, le Lodzukru connaît d'importants bouleversements. Les
premiers bouleversements se situent au plan politique. Ils sont profonds et sensibles. La volonté
des conquérants (français) était d'unifier le Lodzukru afin de mieux l'administrer et d'étouffer les
velléités d'indépendance de ce peuple guerrier, très jaloux de sa liberté (1). Les Oboru et leurs
alliés Eusru ont durant près d'un demi siècle rejeté la souveraineté de la France sur le Lodzukru.
Les guerriers Oboru et Eusru ont plusieurs fois battus les forces coloniales françaises afin de
préserver la liberté, l'indépendance et la souveraineté de Lodzukru.
Les Odzukru, depuis leur installation sur le territoire qui est le leur aujourd'hui, n'ont
jamais connu la domination d'un autre peuple. Au XVlIIè siècle, les Baulé ElomoE qui avaient
envahi le Lodzukru afin de contrôler la route du sel furent battus dans la savane de Gbadan (1).
Les l'chaman, les plus peuplés' de la rive Nord de l'Ebrié, peuples belliqueux furent battus à
plusieurs reprises par les Odzukru. Ils furent repoussés au delà de la rivière Layu dont la vallée
marque la frontière Lodzukru et le l'chaman.
Organisés en classes d'âge, les Odzukru n'ont aucun problème à assurer la défense de leur
territoire. Pendant les conflits, sur les sept classes d'âge que compte le Lodzukru, quatre d'entre
elles participent aux combats. La troisième classe d'âge qui constitue l'arrière garde assure la
direction des opérations. Elle a aussi la charge de contrôler les vivres et munitions et de veiller
surtout sur la bonne utilisation de la poudre à canon. Les quatrième et cinquième classes d'âge
constituent les troupes d'élites. Elles sont soutenues par les sixième et septième classes d'âge.
Dans le Lodzukru tous les hommes ayant participé à l'initiation de "Low" prennent part aux
conflits. Par le "Low", les jeunes Odzukru deviennent adultes et leur premier devoir est d'assurer
la défense du territoire national. Seuls les vieillards, les femmes et les enfants sont exempts du
combat. Les esclaves mâles prennent part aux combats au côté des hommes libres. Avec la
vocation politique-militaire des classes d'âge, il était très difficile de vaincre les Odzukru. C'est
pourquoi, les français après leur victoire sur les Oboru essaient d'ébranler le système politique de
Lodzukru par l'institution d'une administration directe afin de mieux assurer la présence de la
France dans le Lodzukru. Une main mise sur la vie politique de la région faciliterait l'exploitation
économique
1- Enquête réalisée à Orgbaff auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE le 20 Septembre 1988.
469
dont les exportations d'huile de palme, malgré la fluctuation des cours, constituent la première
source de devise de la nouvelle colonie.
Les Odzukru sont organisés en société sans Etat. Il n'a pas existé avant la colonisation
aucun pouvoir central dans le Lodzukru. Le pouvoir politique appartient à l'assemblée de village
qui la délègue aux différentes classes d'âge en particulier, aux quatre premières. Mais ce pouvoir
dans le fait est exercé par les hommes riches. (Egbregbi) en Odzukru, et par les grands orateurs,
appelés en Odzukru "Odadu". Le système politique est démocratique et repose essentiellement
sur le consensus et la liberté d'expression. En effet, pendant les assemblées de village, tous les
hommes sont appelés à donner leurs opinions. Les femmes et les jeunes garçons non initiés sont
exclus des débats. Tous les hommes libres ou esclaves, pauvres ou riches, vieux ou jeunes
concourent à l'exercice du pouvoir (l).
Le système politique de Lodzukru a connu une évolution considérable dans le temps. Des
origines à la fin du XVIè siècle, l'organisation politique était à base unitaire et lignagère (2). Elle
reposait sur les patrilignages. Le pouvoir politique au cours de cette période était exercé par les
chefs de lignages et par les grands hommes de le société (3), c'est-à-dire par les hommes plus
influents. A ce pouvoir politique s'était associé le pouvoir religieux exercé par certains lignages
bu par des chefs de lignages et appelé Séniocratie par Harris MEMEL Foté accordait une place
prépondérance au doyen d'âge du quartier ou du village. A cette époque n'existait pas encore les
classes d'âge. Le doyen d'âge exerçait à la fois les pouvoirs politiques et religieux. C'est à lui,
note SESS Samuel que revenait la charge de prendre les décisions.
La deuxième période qui débuta au XVIlè siècle fut marquée par trois faits importants (4).
D'abord l'arrivée d'une importante vague d'immigrants dans le Lodzukru. Ces immigrants venus
d'Abreby du pays Alladian au milieu du XVIlè siècle fondèrent dans le Nord-Est de Lodzukru le
village d'Aklodze, ensuite ce fut la fondation du village de Dibrim avec l'écartement du village de
Bobor et la fondation des deux confédération (5). Bobor au XVllè siècle et Dibrim au XVIllè
siècle et enfin l'institution des classes d'âge.
1- Harris MEMEL Foté : le système politique de lodjoukrou P. 106
2- Harris MEMEL Foté : P. 106
3- Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Août 1986 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE.
4- Harris MEMEL Foté P. 106
5- Harris MEMEL Foté P.l 06
470
L'institution des classes d'âge dans le Lodzukru est d'origine étrangère. Les Odzukru
l'auraient emprunté à une période très reculée à leurs voisins de l'est, les Tchaman (Ebrié) qui
l'auraient eux aussi appris des Bregegone (l). En effet, selon la tradition orale des Tchaman
(Ebrié) kobrima recueillie par Harris MEMEL Foté.
«
A l'emplacement actuel du village d'Adiepo sur la route d'Abidjan - Dabou en un
unique village Eregegô, une population ancienne. Ce village avait une particularité, il était fortifié
d'une enceinte de palmiers-raphia, de l'espèce stérile qui ne donne jamais de vin. Périodiquement,
les BregegonE, habitants de Bregegô, commettaient des dégâts dans les plantations Ebrié,
saccageant les cultures, buvant le vin de palme et cassant les canaris. Pour surprendre les
malfaiteurs, les kobrimâ s'embarquèrent et surprirent ainsi un jour les bregegone en exercice de
Fokwe. En représailles, ils détruisirent leur village, emmenèrent en captivité les hommes et les
femmes qui ne furent pas mis à mort et les assimilèrent progressivement par mariage. De cette
population captive, les kobrimâ reçurent l'institution et par" celle-ci l'ATCHO, cette musique
spéciale des classes d'âge dont le bregegô est la langue originaire ».
Grâce aux contacts avec les Tchaman (Ebrié) l'institution des classes d'âge fut introduite
dans le Lodzukru. L'institution des classes d'âge dans le Lodzukru est étrangère mais le problème
qui se pose aujourd'hui est de savoir à quelle période furent-elles introduites dans le Lodzukru et
pourquoi les Odzukru en comptent-ils sept au lieu de quatre comme les Tchaman? L'institution
des classes d'âge est-elle contemporaine à l'institution du "Low" comme valeur de force "N'soso'
et école de civisme (2) ? Le "Low" comme valeur de force est une tradition militaire Ebrié qui
s'était greffé à une institution de beauté très primitive dans le Lodzukru. C'est un habitant du
village de Tukpa qui aurait introduit le "N'soso" dans le Lodzukru. Or le village de Tukpa fut par
un chasseur originaire de Lokp. Le village de Lokp avait été fondé par un ressortissant de Dibrim.
Toutes les traditions recueillies nous permettent de situer la fondation de Tukpa vers la XVIIIè
siècle. Peut-on établir un lien entre l'institution des classes d'âge et le "Low" comme école
militaire et de civisme dans le Lodzukru ? L'établissement de rapport entre les deux institutions
nous amènera à situer l'introduction du système des classes d'âge après la fondation du village de
Tukpa. L'avènement des classes d'âge en pays Odzukru
1- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 430 les Bregegone sont les
habitants de bregegô.
2- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 108.
471
serait alors récente et se situerait vers le XVlllè siècle. Ce qui montre que cette organisation
socio-politique aurait près de deux siècles dans le Lodzukru.
Tout en reconnaissant l'existence de difficultés empêchant l'élaboration d'une véritable
chronologie et de préciser à la période exacte à laquelle les classes d'âge furent instituées dans le
Lodzukru, nous pouvons seulement retenir que l'institution des classes d'âge était liée au "Low"
comme école militaire et de civisme dans le Lodzukru. Les classes d'âge furent définies par
MEMEL Foté Harris comme étant des cadres rigides qui s'imposent aux individus et les
organisent à vie (1) c'est donc, dans le Lodzukru à l'intérieur des classes d'âge que s'organisent la
vie politique. Dans le Lodzukru, les classes d'âge se renouvellent tous les cinquante six (56) ans.
Ce qui constitue un cycle.
Les classes d'âge, en Odzukru "Oworn" regroupent des individus nés sur une période de
neuf (9) ans. Les membres d'une même classe sont initiés sur une période de -huit (8) ans en trois
sous classes d'âge pour les membres de la confédération de Bobor et en quatre sous classes d'âge
pour les membres de la confédération de Dibrim.
Le pouvoir politique, reparti entre les classes d'âge est exercé collégialement par tous les
membres de la classe d'âge. Chaque classe d'âge détient le pouvoir politique pour une période de
huit (8) ans. La forme collégiale du pouvoir permet à tout le monde, même aux pauvres de
prendre part aux prises de décisions. Malgré la forme collégiale du pouvoir, il est influencé par
les hommes riches, surtout les traitants, enrichis par les commerces du sel et de l'huile de palme.
Toutes les classes d'âge participent à l'exercice du pouvoir, mais il est réellement détenu par les
quatre premières.
La première classe d'âge est constituée par les "Eb Ebu" qui accèdent au pouvoir par la
cérémonie du sacre des gouvernants. Cette cérémonie entraîne le changement de fonction dans
l'appareil politique et l'acquisition de nouveaux statuts (2). Le sacre des gouvernants est
postérieur à l'institution des classes d'âge. Il fut institué au XIXè siècle par les Armabu (3),
village de la tribu des Armabu mais sous tutelle des Dibrirn Egn.
1- Harris NlEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 295
2- Harris MEMEL Foté : page 216
3- Enquête réalisée à OrgbafT le 26 Décembre 1987 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE
472
Les "Eb Ebu" les détenteurs du pouvoirs. A cc titre, ils assurent la direction effective des
fonctions politiques et religieuses. Ils ont l'initiative des lois, leur Président, le "Milowl" peut
convoquer une assemblée de village ou de quartier, avec ses pouvoirs, il les préside. Aucune
assemblée de village ou de quartier, aucune déclaration de guerre ne peut se faire sans
l'autorisation des "Eb Ebu". Mais si les "Eb Ebu". Mais si les "Eb Ebu" détiennent le pouvoir en
droit, il est exercé en fait, en leur nom par les "Adzrofi", sous la bénédiction de leurs aînés et
époux, les "Eb Ebu". Les membres des classes d'âge qui accèdent au pouvoir sont souvent moins
nombreux et déjà très vieux et fatigués.
Les "Adzrofi" qui représentent la deuxième classe d'âge constituent véritablement les
chefs du pouvoir exécutif. Ils ont aussi l'initiative des lois et leur président (Milow) peut
convoquer une assemblée de village ou de quartier. lis fournissent les hommes de la parole, les
orateurs et les avocats et président l'arbitrage des conflits (1). Ensuite la troisième classe assure la
direction du trésor public, de la guerre et de la chasse collective. Enfin la quatrième classe d'âge
assure la sécurité du village. Ce sont les hommes à la matchette. « Mab EsEL ». Les membres
de cette classe d'âge sont selon AFF! Sylvestre, les auxiliaires directs des gouvernants. lis
voyagent toujours avec un sabre qui leur ceint au rein. Cette quatrième classe d'âge est aussi
chargée des travaux publics et constitue avec la cinquième classe d'âge les troupes d'élites. La
sixième classe d'âge assure l'initiation, l'éducation civique des jeunes et les communications.
Enfin, la septième classe d'âge en formation constitue la classe d'âge des messagers et de la main-
d'oeuvre.
Le pouvoir politique dans le Lodzukru est ainsi reparti entre sept classes d'âge. Tous les
huit, avec le sacre des "Eb Ebu" (gouvernements), on assiste à un changement des fonctions
politiques et des statuts. Les anciens "Eb Ebu" qui passent à la retraite deviennent des Makp lkn
(les arbres de palissade). lis sont remplacés automatiquement par les anciens Adzrofi. Par ce
système, tous les Odzukru participent à la gestion de leur communauté. C'est ce système de
pouvoir qui a régi le Lodzukru jusqu'en 1896, date à laquelle nous assistons dans le Lodzukru à
d'importants bouleversements, suite à l'introduction d'une nouvelle forme de pouvoir. 11 s'agit là
d'un type de pouvoir individuel ; concentré entre les mains d'un individu et qui s'oppose à la
forme collégiale du pouvoir en pays Odzukru.
En 1850, les français arrivent pour la première fois dans le Lodzukru et prirent contact
avec les traitants de Tukpa
------------------------------------------------------------------------------------------------------ 1-
Harris
MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 222
473
et de Dibrim qui deviennent les premiers interlocuteurs des français, nouveaux conquérants de
Leibutu. Les premiers traités conclus entre la France et le Lodzukru sont signés en octobre 1850
entre les traitants de Tukpa et de Dibrim et le lieutenant Boulay.
En fonction de leurs intérêts, les traitants orientaient la vie politique de leurs villages ou
de leurs tribus. Le groupe des traitants n'a jamais eu de leader. Les plus riches essaient par des
stratagèmes d'imposer leurs options et leurs opinions aux autres. A Dibrim, la période 1850 -
1871 est dominée par trois traitants: Adou Sess, Thiamel, tous les deux signataires du premier
traité entre Dibrim et la France et Bédiakou. Quant à la période 1871 à 1898, elle est dominée par
Kètèkrè 1 et Kètèkrè II,
Adjessi, Afo et Yebremery. Kètèkrè 1 et Adjessi sont tous les deux
signataires du deuxième traité en 1853 entre Dibrim et la France. Le second traité est le
rajeunissement de celui de 1850. Il rassure la France de la bonne foi des Dibrim Egn de voir
construire sur leur territoire un blockhaus et leur volonté de collaborer dans la paix avec les
autorités françaises. Cette volonté de Dibrim Egn de collaborer avec les français permet la
construction du Fort "Ducos".
Du côté de Bobor, ce sont les traitants qui assurent le rôle d'auxiliaire entre le colonisateur
et les colonisés. Dans ce village, c'est le traitant Youssess qui faisait office d'autorité. A Tukpa,
.premier centre commercial de Lodzukru, c'est Niansué.
Dans le pays Alladian, les interlocuteurs des français sont également des traitants. A
Emoquah, c'est Bonny, considéré comme le plus riche des traitants du littoral Alladian.
Les populations du bassin occidental de l'Ebrié en particulier les Alladian et les üdzukru
n'ont jamais connu d'autorité centrale. C'est pourquoi, les français, pour mieux faire passer leurs
directives et consignes, se décident à nommer dans tous les villages de Lodzukru des chefs de
village. Les chefs de village sont assistés des chefs de quartier ou notables car les villages
üdzukru étaient subdivisés en quartiers. De façon générale, les français nomment chefs de
village, les traitants liés à l'administration coloniale et acquis à la cause française (1). Les chefs
de village nommés sans l'avis des administrés et imposés aux populations reçoivent chaque année
une coutume (2). Le montant de la coutume était de cent (100) francs. La coutume était versée
soit en nature, soit en espèce. La coutume versée en nature
------------------------------------------------------------------------------------------------------1- A. N. C. 1
: Série lEE 122(1)p. 15
2- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 6
474
se composait de vaisselles, de vieux fusil s, de tabacs, d'étoffe et d'eau de vie (l). Ces articles note
Sylvestre étaient souvent avariés (2).
Les coutumes ne sont versées qu'aux chefs dociles et prêts à exécuter les volontés de
l'administration coloniale. Elles ne sont jamais reversées dans le trésor public, mais constituent
une partie des ressources du bénéficiaire.
Le Lodzukru connaît au cours de la période 1830 - 1898 deux groupes de chefs dont les
voies de nominations sont très différentes. Les premiers chefs de village
de Lodzukru sont
constitués par les personnes ayant été, les premières, à rencontrer les français au cours de leurs
expéditions dans leur région. Adou Sess fut parmi les Odzukru de Dibrim, le premier qui eut le
courage et la force de saluer le blanc considéré par les populations comme un génie.
Les Odzukru n'avaient jamais eu de contact avec l'homme blanc avant 1850. Ils n'avaient
jamais vu un homme blanc au cheveux lisses et aux yeux bleus. L'arrivée des premiers européens
à Tukpa et à Dibrim est considérée comme un fait insolite, c'est-à-dire une action des dieux. Les
échanges entre le Lodzukru et les voiliers anglais s'étaient toujours faits avec l'intermédiaire des
courtiers Alladian. Mais par le biais des Alladian, les Odzukru avaient conscience de l'existence
des hommes blancs qui venaient des pays lointains circulant sur la mer avec leurs gros voiliers
(3).
Les hommes courageux qui ont accueilli les explorateurs français dans les débarcadères
deviennent tous des chefs dans leurs villages. Grâce au soutien de l'administration coloniale, ils
s'imposent à leurs concitoyens. Ils réussissent à jouer leur rôle de coordinateur entre
l'administration coloniale et la population grâce à leur influence. Dans le Lodzukru, seul le
prestige de la richesse, le respect accordé à l'âge, et l'éloquence dans les débats permettaient de
posséder une autorité réelle et efficace sur les autres. Les chefs de village Odzukru utiliseront leur
fonction officielle de coordinateur ou d'intermédiaire pour faire prospérer leurs affaires et soigner
leurs images au sein des populations (4).
1- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (2)
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1984
3- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988 auprès de Mr. Etienne GBANGBO ESSIS
4- Enquête collective réalisée à Orgbaff EDZEM AFR
475
Le deuxième groupe de chef de village est constitué de traitants qui ont très tôt compris
qu'une amitié et surtout une entière subordination à l'autorité française pouvaient les aider à faire
prospérer leurs activités. La plupart
des traitants Odzukru étaient soumis à l'administration
français. Avec cette deuxième génération, la fonction de chef de village-devient sémi-héréditaire.
La succession se fait le plus souvent de père en fils, de l'oncle à neveu ou de frère en frère (1).
C'est le cas de Kètèkrè 1 dont la succession à la tête de Dibrim est fait par son frère cadet qui
prend alors le nom de Kètèkrè II (2). Mais le nom Kètèkrè qui n'est pas un nom de règne, est
cependant conservé par le frère cadet pour des raisons économiques; car le changement de nom
peut compromettre les affaires commerciales. En héritant de son frère aîné, Kètèkrè JI hérite aussi
du prestige et des fonctions de son frère défunt, le plus fidèle ami des français dans le Lodzukru.
Kètèkrè 1 avait de très bonnes relations, surtout avec la maison Swanzy (3).
La fonction du chef de village devient une fonction à vie. Le titulaire de ce poste n'est
remplacé qu'à son décès. Aucune incapacité ne peut entraîné la destruction du chef du village qui
n'est autre qu'un agent de l'administration coloniale.
Dans le souci d'unifier le pays Odzukru et de bien l'administrer, la France décide
d'instituer en 1896 une chefferie supérieur. Cette d'autorité qui est la première dans le Lodzukru
.est confié à Kètèkrè 1. Dibrim, village de Kètèkrè 1 est désigné par la France capitale de Lodzukru
(4). Kètèkrè 1 était l'un des rares Odzukru du XIXè siècle qui savait parler le français (5). Il ne fut
pas nommé chef supérieur des Odzukru pour sa richesse et son influence mais pour sa loyauté et
sa soumission à la France. A cette époque à Dibrim, vivaient des traitants plus influencés que
Kètèkrè. On peut citer surtout Adjessi, Afo et Yebremery. Adjessi assure, après la mort de
Bédiakou, les fonctions de chef de village de Dibrim. C'est lui qui en 1886, au débarcadère de
Dabou, reçut le commandant particulier Charles Bour. Au cours de cette rencontre, Adjessi avait
demandé à Charles Bour de renouveler les coutumes et d'augmenter le prix de l'huile de palme.
1- A. N. C. 1: Série lEE 122 (1) p. 12
2- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) pièce Il
3- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (2) p. 8
4- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1) p. 8
5- A. N. C.I : Série lEE 122 (2) p. 12
476
La nomination de Kètèkrè et la désignation de Dibrim comme capitale politique de
Lodzukru provoque une protestation générale des populations Odzukru. Le calme précaire
existant dans la région est rompu par les Oboru, les Eusru et leurs alliés qui se soulèvent contre
l'administration coloniale française. En reprenant les hostilités, les Oboru avaient le dessein de
chasser définitivement les français de Lodzukru.
La défaite des Oboru en Septembre 1898 engendre la défection dans le cap des "anti-
français". La machine de guerre française crée une psychose de peur au sein des populations qui
sont traumatisées après l'incendie des vil1ages de Bobor, Tukpa et Mopoyem. Ainsi, les Orgbaffu
et les Agbadznu alliés des Oboru rompent leurs liens avec la ligue de Bobor pour se placer sous
l'autorité de Kètèkrè 1. Ils le reconnaissent tous comme le chef supérieur des Odzukru. Les
Orgbaffu, les Agbadznu et les Lidznanu sont contraints par l'administration coloniale à payer
chacun cinq cents (500) paquets de manilles pour s'être rebellés autrefois contre l'autorité
française et s'engagent à verser annuellement à Kètèkrè vingt (20) paquets de manilles, en signe
de reconnaissance de son autorité.
Le règne de Kètèkrè est bref. Il meurt quelques semaines après sa nomination. Kètèkrè 1
est remplacé par son frère cadet. Avec l'institution d'une chefferie supérieur, l'intention des
français est d'installer une administration centrale afin de mettre fin au système politique de
Lodzukru qui exclue l'existence d'une autorité centrale et accorde une autonomie à chacune des
huit tribus. Par le système de chefferie, les français pensent donner une promotion et surtout plus
d'autorité à toutes les personnes qui acceptent de se mettre au service de la France et de collaborer
avec l'administration coloniale française. Ainsi depuis la deuxième moitié du XIXè siècle, le
Lodzukru connaît un pouvoir bicéphale: les classes d'âge et les chefferies villageoises. Le chef
de village devient ainsi le représentant de l'administration coloniale dans les villages. Son autorité
relève de l'administration coloniale. Le chef supérieur des Odzukru et les chefs de villages ont les
mêmes compétences que les chefs de village c'est-à-dire rendre la justice assurer la sécurité du
village, convoquer une assemblée de village. Ils servent surtout de transmission entre les
populations et l'administration coloniale. Mais les chefs de village n'ont pas compétence à
déclarer la guerre et à élaborer des lois. Leur autorité est contestée par les communautés
villageoises car elle n'émane pas de consensus populaire. C'est pourquoi les chefs de village sont
obligés de s'appuyer sur l'administration pour s'imposer. Ils ont tendance à recourir à la force.
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477
Les chefs de village, pour les populations Odzukru sont les représentants des différentes
communautés auprès de l'administration coloniale. Mais malheureusement, ils ne servent pour la
plupart que les intérêts de l'administration coloniale. Dans l'ensemble, ils sont contestés et rejetés
par les Odzukru. On assiste alors dans le Lodzukru à l'évolution d'une administration bicéphale.
Ce bicéphalisme sera très souvent à l'origine de nombreux conflits entre les chefs de village et les
classes d'âge (1). Mais le bouleversement politique le plus important qui s'est produit dans le
Lodzukru au contact des européens est le déclin des confédération et l'affirmation des tribus.
2 : Déclin des confédérations et affirmation des tribus
L'organisation politique des Odzukru, à ses origines, était à base unitaire et lignagère. Le
Lodzukru, au cours de cette période était constitué par les Oboru (2). Cette organisation politique
correspondait à une région faiblement peuplée. Mais les premiers bouleversements politiques de
Lodzukru apparaissent avec l'arrivée dans la région vers la 2è moitié du XVIIè siècle des
immigrants d'Abreby qui forment la tribu des Aklodzu et l'éclatement de Bobor donne naissance
au village de Dibrim. Ainsi, le système politique reposant sur les lignages évolue très rapidement
au XVlIIè siècle en système confédéral. Ainsi, le Lodzukru se dote de deux confédérations: la
confédération de Bobor avec pour capitale Bobor (3) et la confédération de Dibrim avec pour
capital Dibrim. Les deux confédérations ont la même origine car toutes les deux sont crées par
des Oboru. Les Odzukru se représentent la confédération comme une
structure politique
rassemblant des hommes issus d'une mêmes matrice, d'un même sein (4). Bobor "Lock" et
Dibrim "Lock" : Lock : ventre en Odzukru.
La confédération est la plus grande communauté politique. El1e a un rôle essentiellement
stratégique : assurer par les voies économiques et militaires, l'indépendance politique de la
société et maintenir son unité. Elle est aussi une communauté de tribus. Chacune des deux se
compose de : la confédération Bobor la plus importante du point de vue démographique se
compose de cinq tribus. Il s'agit des Aklodzu, des Agbadznu, des Eusru, des Orgbaffu et des
Oboru. La
1- Affrontement entre les M'Bédjé et le chef du village d'Orgbaff.
2- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 105 .
3- La capitale religieuse de Lodjoukrou est bon, premier village Odzukru.
4- Le système politique de Lodjoukrou page 146. (CF)
478
confédération de Dibrim comprend les Armabu, les Dibrim Egn, et les Olokpu. Mais les Amarbu,
à cause de leur proximité avec la capitale de la confédération seront inféodés à Dibrim et le
village de Cosr, à cause de son. éloignement devient une tribu autonome appartenant à la
confédération de Dibrim (1).
Les capitaines des confédérations exercent une influence considérable sur les autres
tribus. Les déclarations de guerres, l'installation de nouvelles vagues d'immigrants et les traités
d'alliance relèvent de la capitale. Cela explique pourquoi de 1852 - 1898, les tribus de la
confédération de Bobor ,apportent leur appui ou combattent au côté de Bobor contre les
conquérants Français. Les traités conclus par les capitales avec une puissance étrangère engagent
de facto les tribus membres (2). C'est le cas des traités signés en 1850, 1853 et 1886 et qui
engagent non seulement les Dibrim Egn mais aussi les Olokpu et les Oboru (3). Des liens de
subordinations existent entre les capitales et les tribus. Mais très vite sous la colonisation
française, les différentes tribus s'affranchissent de la tutelle des capitales. Toutes les tribus
deviennent autonomes mais conversent avec les capitales des liens d'amitié et des liens religieux
(4). La politique extérieure et les déclarations de guerre ne relèvent plus désormais du seul ressort
des capitales des tribus (5).
De l'autonomie, on passe on passe l'enrichissement des populations engendré par le
commerce de l'huile de palme à l'indépendance des tribus. La manifestation la plus importante est
donc la perte de l'autorité des capitales des confédérations
sur les tribus. Par des pressions
politiques et économiques, l'administration pousse les tribus ou les villages à rompre avec l'un
des liens sacrés qui les unit à la capitale de la confédération. En effet, en 1856, sous la pression
des français, les Tukpa Egn, membres de la tribu des Oboru prennent les armes contre Bobor,
capitale de la tribu des Oboru. Les Orgbaffu membres de la confédération de Bobor, sous la
pression de membres de la confédération de Bobor, sous la pression de l'administration coloniale,
se retirent également en 1898 de la ligue de Bobor pour prendre les armes contre les Oboru (6).
Les français, dans le but de mettre fin à l'influence des Oboru sur le reste de la population
Odzukru nomment en 1896 un chef supérieur des Odzukru et désignent le village de Dibrim,
1- Cosr a le rang d'un village autonome
2- A. N. C.I : Série lEE 122 (1) p. 12
3- Harris MEMEL Foté p. 144
4- Enquête réalisée à Dibrim le 27 Août 1988
5- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 145
6- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (Ill) p. 14
479
capitale de Lodzukru. Cette volonté des français de centraliser le pouvoir dans le Lodzukru a un
seul objectif: étouffer toutes les velléités d'indépendance et de liberté. Cette politique rencontre
la protestation des ObOIU, des Eusru et des Aklodzu qui refusent de reconnaître l'autorité de
Kètèkrè I et de Dibrim sur le Lodzukru. Cette protestation entraîne en 1898, une guerre entre les
Oboru et les français (1). Malgré leur victoire sur les ObOIU, les français ne réussissent pas à
imposer Kètèkrè 1 et plus tard Kètèkrè Il à la population Odzukru. C'est pourquoi face à la
détermination des membres de la ligue de Bobor, les français acceptent momentanément de
surseoir à leur idée de réunir dans un seul ensemble politique, les deux confédérations de Bobor
et de Dibrim. Ils nomment à la tête de chacune des deux confédérations un chef supérieur. A
Bobor, c'est le vieux Youssess qui est nommé en 1898 et à Dibrim Kètèkrè Il en 1897. Mais la
nomination de chef à la tête de chacune des confédérations n'apporte pas le calme et la paix dans
la région Odzukru. L'immixtion des français dans les affaires intérieures des villages ne suscite
que révoltes chez les populations.
3 : Opposition des classes d'âge à l'administration coloniale.
Le pouvoir politique dans le Lodzukru était détenu et exercé par les classes d'âge qui sont
au nombre de sept: les Abrmâ, Mbédjé, M'bormâ, N'gbessi, Bodjol, Sètè et Njurrnâ. Toute la vie
politique était organisée autour de ces sept classes. La structure des classes d'âge permettait à tous
les citoyens de Lodzukru de participer à la gestion de leur communauté. Dans la structure des
classes était intégrée les femmes, mais elles étaient exclues de la vie politique. Par contre les
esclaves mâles participaient à la gestion des affaires publiques et exerçaient le pouvoir politique
par le biais des classes d'âge. Mais ils étaient exclus de toute appartenance à la classe des riches.
Les esclaves fussent-ils riches étaient exclus de la célébration du rituel d'Agbadzi.
La structure des classes d'âge permettait alors à toute la communauté villageoise de
contrôler les classes d'âge au pouvoir afin d'éviter les débordements, les abus et le laxisme. Par
cette organisation politique, les Odzukru avaient réussi à éliminer de la vie politique les excès du
pouvoir et surtout la formation des groupes d'influence (2). Le pouvoir n'étant plus l'apanache
d'une seule personne ou d'une famille, cela avait
------------------------------------------------------------------------------------------------------l-A. N. C. 1
: Série lEE 122 (3) P. 16
2- Enquête réalisée à Dibrim auprès de M. Etienne GBOUGBO ESSIS. Le 22 Août 1988.
480
permis la création d'unité d'esprit, d'une cohésion nationale et surtout d'une nation Odzukru.
Mais dans la deuxième moitié du XIXè siècle, l'institution de l'administration directe par
la France avec la nomination des chefs de village et de confédération qui se fait sans la
participation des communautés villageoises ou confédérales entraîne de nombreux conflits entre
les classes d'âge et l'administration coloniale française. En effet, au début de la colonisation, les
populations Odzukru n'ont pas trouvé gênant la nomination des chefs de village. Ils trouvent
normal que les français installés dans le Lodzukru et devenus à partir des années 1890 les maîtres
de Leibutu aient des interlocuteurs parmi les Odzukru afin de faciliter les rapports et la
communication entre les deux communautés. Malgré la présence des chefs de village, les classes
d'âge continuent d'exercer le pouvoir politique et d'administrer leur communauté. Les chefs de
village et leurs notables ne jouent que le rôle de courroie de transmission entre l'administration
coloniale et les communautés villageoises. Les deux systèmes administratifs vivaient en parfaite
harmonie jusqu'en 1891, lorsque les français par l'intermédiaire des chefs de village exigent de la
tribu des Dibrim Egn (1) soixante dix (70) hommes pour porter les bagages des commerçants
français se rendant à Tyasalé. Tous les chefs de village de la tribu Dibrim Egn s'empressent de
répondre à la requête de l'administration française de peur d'être limogé ou de voir leur villages
brûlés, incendiés. Mais l'ensemble des villages de la tribu refuse de fournir les porteurs. Les
Dibrim Egn ordonnent aux classes d'âge Bodjol, Sètè et Njurrnâ de barricader les entrées du
village et d'être prêts à répliquer à toute agression de l'armée coloniale
(2). Les chefs qui
manifestent leur désir de fournir des porteurs sont pris à partie par les villageois, mais ne sont pas
destitués par les populations qui n'ont aucun pouvoir sur eux.
A Bobor, les villageois malgré la pression des colonnes françaises répondent en 1891 par
l'intermédiaire des classes d'âge des N'gbessi et Bodjol au chef de poste de Dabou qu'ils ne sont
pas les esclaves des blancs pour porter leurs bagages. La colonne française qui est chargée de
réprimer les Oboru afin de leur obliger à fournir des porteurs est mise en échec. Treize soldats
sont tués du côté français.
A Bobor et Usr, contrairement à Dibrim, les chefs de village sont soutenus par les
différentes classes d'âge. Le chef
1- A. N. C. l : Série 1EE 122 (1/2) P. 8
2- A. N. C. l : Série 1EE 122 (2) P.6
r-
481
de Bobor, Youssess de la classe d'âge des N'gbessi était le plus grand défenseur de la liberté et de
l'indépendance de la tribu des Oboru et par extension de tout le Lodzukru.
Les chefs de village de la tribu des Oboru tiennent avec les classes d'âge des conseils afin
d'harmoniser leurs points de vue sur les différents problèmes, en particulier la signature de traité
avec la France. Soutenu par la population des Oboru et de la ligue de Bobor, Youssess, chef de
Bobor, devient le chef incontesté et admiré de Lodzukru. Il est apprécié par tous même des
Dibrim Egn principaux rivaux des Oboru. Grâce à son charisme et au soutien de la population,
Youssess réussit à s'imposer comme le leader des Oboru. 11 est soutenu par les membres de sa
classe d'âge dont il est le porte parole et par les membres d'âge au pouvoir, les M'bormâ. Par
contre, Kètèkrè 1 et II imposés par les français, ne sont pas appréciés par les Odzukru et même
par les Dibrim Egn à cause de leur très grande subordination à l'administration coloniale.
. La souveraineté française dans le Lodzukru jusqu'en Septembre 1898 ne s'étendait que sur
quatre tribus sur les huit que compte le Leibutu. 11 s'agissait des Dibrim Egn, des Orgbaffu, des
Ocosru, et des Olokpu. Par contre les Oboru, les Agbadznu, les Aklodzu et les Eusru, partisans de
l'indépendance et de la liberté des Odzukru, donc du départ des français de Lodzukru, refusaient
de se rendre à Dabou ou d'accueillir chez eux le chef de poste de Dabou.
Les Odzukru dans leur grande majorité sont très hostiles à l'administration coloniale.
Cette administration coloniale, très coercitive, s'immisce dans les affaires intérieures des villages
ce qui n'est pas accepté, par les classes d'âge au pouvoir dans les villages Odzukru. La cohésion
des classes d'âge empêche les français d'ébranler le système politique de Lodzukru. La tentative
des français d'introduire la justice moderne dans le Lodzukru aura un écho peu favorable.
4/ Tentative d'introduction du système français en pays Odzukru
Les français en occupant territorialement le Lodzukru, introduisent la justice moderne,
autre source de profondes mutations dans la vie sociale des Odzukru. El) effet, avec la présence
française, deux types de justice vont se superposer dans le Lodzukru. D'un côté, la justice
Odzukru, clémente, qui prône toujours la réconciliation et le pardon (1). Les délits comme
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Juillet 1988 auprès de Mr Samuel SESS.
t
482
l'adultère de réglaient à l'amiable dans le cadre des clans, des amitiés ou des classes d'âge (1). Les
litiges fonciers, politiques et successeraux étaient du ressort du tribunal de la communauté
"
villageoise composé des Eb Ebu, des Adzrofi et des autres villageois. Le tribunal populaire dans
le Lodzukru est l'assemblée politique des citoyens mâles (2) réunis pour juger un conflit social,
un litige foncier ou une affaire politique. Sa configuration est conflictuelle car les parties sont
disposées face à face transposant ainsi dans l'espace les antagonismes (3).
Le tribunal populaire dans le Lodzukru comme l'a souligné Harris MEMEL Foté dans le
"système politique de Lodzukru" remplit un double rôle judiciaire et politique: il s'agissait de
discerner le tort et la raison des parties et, en même temps réconcilier les adversaires pour
maintenir l'unité de la communauté. La justice Odzukru a dans tout différend enseigné la sagesse
qui doit prévaloir dans les actions humaines (4). Les sanctions se limitaient à des réparations ou
à des sacrifices lorsqu'il s'agit des homicides pour implorer la clémence de la famille de la
victime mais aussi de la terre, mère nourricière, souillée par le sang humain. La justice Odzukru,
dans sa structure et sa conception, s'oppose à la justice française répressive, non clémente et dont
la sanction suprême est la privation de la liberté totale au coupable.
La justice française dans le Lodzukru est rendue par le chef de poste de Dabou, ou par
l'administrateur de cercle. Une fois par semaine le chef de poste de Dabou,
assistés de quatre
africains choisis parmi les chefs de villages ou notables et parlant le français se rendent dans les
villages pour présider un tribunal. Le tribunal indigène est chargé de juger les conflits sociaux, les
litiges fonciers et les affaires politiques. Les conflits politiques et les litiges fonciers relèvent de
la compétence de l'administrateur de cercle qui, très souvent, délègue ses pouvoirs au chef de
poste de Dabou.
Les litiges fonciers et les affaires politiques opposants deux villages ou deux tribus sont
délibérés à Dabou afin d'éviter les affrontements. Les villages antagonistes sont représentés par
des délégués des classes d'âge au pouvoir en particulier des classes d'âge des Adzrofi et des Mab
EsEI
1- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 252
2- Harris MEMEL Foté : p. 252
3- Harris MEMEL Foté : p. 252
4- Enquête réalisée à Orgbaff auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE le 22 Août 1987
5- A. N. C. 1 : Série 1EE 122 (2) P. 6
483
"hommes de la matchette". En 1898, le chef de poste de Dabou fut amené à délibérer un 1itigc
foncier opposant les Orgbaffu au Dibrim Egn sur une parcelle de palmeraie exploitée par les
Orgbaffu et dont les Dibrim Egn réclamaient le contrôle.
« Les Dibrim Egn prétendaient que le terrain sur lequel les Orgbaffu récoltaient leurs
produits était leur propriété et qu'ils n'en avaient autorisé l'exploitation par les Orgbaffu
récoltaient leurs produits était leur propriété et qu'ils n'en avaient autorisé l'exploitation par les
Orgbaffu qu'à la condition que ceux-ci leur voudraient vendre tout ce qui sera récolté » ...«
les
Orgbaffu prétendaient il y a environ vingt (20) ans... »(1).
Le chef de poste délibéra en
condamnant les Orgbaffu à payer cinq cents (SOO) paquets de manilles et à vendre eux traitants de
Dibrim toute leur production d'huile de palme (2)
Les Odzukru ont une grande répugnance pour la justice française qu'ils jugent coercitive,
répressive et non clémente. Elle ne favorise pas la réconciliation des groupes antagonistes. La
justice française selon ESSOH LATTE Benoît Orgbaffu n'a pas punit, divise les communautés et
les tribus au lieu de chercher à les réconcilier afin de sauvegarder l'unité et la paix dans la
communauté ou de la région. Elle réprime et emprisonne afin de s'imposer à toute la population.
c'est pourquoi tous les individus reconnus coupables d'un délit quelconque sont condamnées à
payer de fortes amendes. Les personnes jugées coupables d'un homicide ou ayant participé à une
révolte politique sont condamnées non à payer une forte amende mais à être déportées soit à la
prison civile de Grand-Bassam soit à Conakry ou à Njolé au Congo (3).ainsi parmi, les
responsables politiques Odzukru un grand nombre sera déporté à l'étranger. c'est le cas de
Amatifou de Dibrim déporté au Congo 1896. Ils seront aussi souvent déportés en masse. ce sera
également le cas des responsables Dibrim Egn déportés en 1891 à Conakry(4).
En 1899, Niagne, chef du village de Kpâdâ accusé d'être l'instigateur principal du
massacre de deux ressortissants français Eudes et Voas au débarcadère de Kpâdâ en 1898, est
aussi déporté à Njolé au Congo (S). L'administration coloniale.
1- AN.C.I: série lEE 122 (2)p. 6 extrait du rapport de l'administrateur du cercle de Dabou au
gouverneur de la colonie de Côte d'Ivoire.
2- AN.C.I: série lEE 122 (2) p. 6
3- AN.C.I: série lEE 122 (1) p.6
4- AN.C.I: série IBBS pièce Il
S- AN. S: section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) pièce 12
•
484
française choisit avec le concours de ses espions Odzukru les leaders des classes d'âge au pouvoir
pour les emprisonner ou les déporter afin d'étouffer toutes les velléités d'indépendance ou de
révolte. De 1850 à 1899, c'est dans la tribu de Bobor qu'on enregistre le plus grand nombre de
déportés (1). Face à l'administration française coercitive est répressive dont le principal objectif
est d'imprimer la crainte et la peur aux populations, les Odzukru sont obligés de taire leurs
divergences politiques pour s'entendre et renforcer leur unité afin de défendre leur indépendance.
Le pouvoir des classe d'âge face à la nouvelle administration est renforcé. Les classes d'âge
connaissent aussi une cohésion. Elles reçoivent la mission de défendre la civilisation et la culture
de Lodzukru qui connaissent un
déclin, suite au contact de la civilisation française, la vie
politique de Lodzukru, en particulier, la justice subit d'importants changements. Mais la structure
politique dans son ensemble n'est pas ébranlée. La plus importante modification de Lodzukru se
produit plutôt au plan économique et financier.
III MODIFICATIONS DE L'ECONOMIE ODZUKRU
Le commerce dans le Lodzukru, au XIXè siècle, est également à l'origine d'importants
bouleversements au plan politique, social et économique. Le fondement de l'économie Odzukru
était le mode de production lignager, c'est-à-dire une agriculture et une pêche d'autosubsistance.
Avec ce type d'économie, la société Odzukru était très dépendante notions mercantiles de la côte
maritime
Le développement économique et social de LODZUKRU était étroitement lié à celui du
pays Alladian. Le commerce de l'huile de palme a permis non seulement à la population Odzukru
de s'affranchir de la tutelle Alladian mais de créer les conditions de son propre développement
avec les importantes ressources qu'il engendra. En étudiant l'impact du commerce sur l'économie
Odzukru, il s'agira surtout d'examiner les bouleversements intervenus dans l'économie Odzukru
et de voir s'ils sont propres au peuple Odzukru. ces bouleversements sont-ils superficiels ou
profonds et quels sont les éléments qui nous permettent de répondre à toutes ces questions?
1- A.N.S: section côte d'Ivoire série 2G1 (28) pièce. 8
485 .
1) Passage d'une économie de subsistance à une économie monétaire
Avant la deuxième moitié du XIXè siècle qui marque l'utilisation de la monnaie
convertible et comptabilisable dans l'économie Lodzukru était le mode de production lignager
c'est-à-dire une agriculture et une pêche à caractère communautaire et avec pour centre de'
production et de consommation le lignage. Les production et de consommation le lignage. Les
productions agricoles et halieutiques étaient destinées à satisfaire les besoins en alimentation du
lignage et de la communauté. Ce type d'économie presque repliée sur elle-même c'est-à-dire
semi-autarcique. Les moyens de productions étaient très archaïques, ne permettant pas
l'explication d'une grande surface. Avec la matchette locale appelée "Ibn" en Odzukru, un paysan
courageux ne pouvait pas exploiter une parcelle de six cents carrés. Les dimensions des parcelles
ne dépassaient pas quatre cents mètres carrés (1 ).Aucun souci d'accumulation de richesses
n'animait les Odzukru. Tout surplus de production était consommé au cours des fêtes organisées
par la communauté.
.
L'économie Lodzukru, quelques soit son caractère semi-autarcique ne signifiait pas
absence d'échange. Un commerce inter-villages dont les centres de rencontre étaient les
débarcadères existaient. Toutes les fins de semaines, les femmes des villages de l'intérieur se
rendaient dans les débarcadères lagunaires et fluviales pour échanger la corbeille d'attiéké ou la
pâte manioc contre du poisson. Cet échange dont le volume était très faible se limitait aux
produits alimentaires (agricoles et halieutiques).
Grâce à leur position géographique, car établis depuis le XVè siècle sur la rive Nord de la
lagune Ebrié, les Odzukru avaient établis des relations commerciales avec leurs voisins Alladian,
installés depuis la deuxième moitié du XVIlè siècle sur le cordon sablonneux séparant la lagune
Ebrié et l'océan Atlantique les Odzukru exportaient vers le littoral maritime Alladian des produits
agricoles et surtout de l'huile de palme. En retour, ils recevaient de la côte Alladian, des produits
manufacturés européens, le poisson et surtout le sel. Les Alladian recevaient les produits
manufacturés grâce aux contacts commerciaux qu'il avaient établis avec les navires européens
depuis leur installation sur la côte des Quaquah (2). Cet échange baptisé inter-régional était à
base de troc. Les Odzukru avaient réussi à développer, grâce au sel obtenu dans les échanges
avec
1- Enquête réalisée le 24 Août 1987 à Orgbaff auprès de Mr . Benoît ESSOH LATTE.
2- Marc Augé: le rivage Alladian p. 42
486
les Aliadian, des échanges commerciaux avec leurs voisins du Nord: les Abidji. Le commerce
entre le Lodzukru et les pays du Nord obéissait également au système du troc. Il était dominé par
les produits alimentaires et les esclaves. Les produits artisanaux entraient dans une faible
proportion dans les échanges sauf les toiles d'écorces appelées en Odzukru "Likpekn" importés
du pays Abidji. Les toiles d'écorces permettaient aux Odzukru de se confectionner des vêtements.
Elles étaient utilisées quotidiennement par les populations. Tandis que les toiles de raphia,
appelées en Odzukru "On'n" et les cotonnades importées de la côte maritime et du pays Dida
étaient réservées pour les grandes cérémonies. Les cotonnades et les toiles de raphia qui
descendaient des pays Koueni (Gouro) et Dida au pays des Quaquah en empruntant le long du
fleuve Bandama entraient en faible quantité en pays Odzukru (1).
Le volume des échanges dans l'ensemble était très fiable. Les échange commerciaux de la
précéda le XIXè siècle, période révolutionnaire de Lodzukru, avaient eu un impact très limité sur
l'économie du pays Odzukru.· Les modifications furent superficielles et moins perceptibles.
L'industrie de l'huile de palme qui sera à l'origine du progrès économique de Lodzukru était
moins prospère.
Mais très vite, les Odzukru comprennent que leur salut passe nécessairement par
l'accroissement de la production de l'huile de palme et par l'exportation de ce produit vers les côte
maritimes Alladian afin de l'échanger contre le sel et les produits manufacturés européens. Les
échanges commerciaux présentent dès lors comme le seule voie qui s'offre aux Odzukru pour
pallier à leur indigence technique (2). Ainsi grâce aux échanges, les Odzukru s'intègrent aux
commerce régional mais surtout au commerce international. L'intégration de l'économie Odzukru
à l'économie internationale se situe au XIXè siècle avec la traite de l'huile de palme.
L'intégration de l'économie Odzukru à l'économie mondiale entraîne d'importantes
modifications économiques. La plus importante est le passage d'une économie de subsistance à
une économie monétaire. Ce passage se situe dans la deuxième moitié du XIXè siècle. Les
échanges commerciaux entre le Lodzukru et le littoral Aliadian dans la première moitié du XIXè
siècle sont à base de troc. L'huile de palme est échangée contre les produits manufacturés
européens. Ce type d'échange à base de troc demeure en vigueur pendant longtemps malgré
l'existence des perles d'aigri. Les perles d'aigri, jusqu'à la fin du XYIIlè siècle
1- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1988
487
servent de monnaie, mais ne sont utilisées uniquement que dans les échanges matrimoniaux.
La monnaie comme moyen d'échange n'était pas inconnue dans le Lodzukru. Les Odzukru
ont eu à utiliser dans leurs transactions commerciales deux types de monnaie. D'abord au XVIIè
siècle les coquillages, "Araj" en Odzukru, et au XVIIlè siècle les perles d'aigri. Les Odzukru ont
abandonné l'utilisation des perles d'aigri car ils les considéraient comme des objets de prestige.
Les Odzukru s'en servaient pour se confectionner des colliers. Au cours de cette période , la
préoccupation des Odzukru sera d'obtenir par l'échange de l'huile de palme, des produits
manufacturés européens dont les armes à feu, les alcools, les tissus, la quincaillerie et le sel.
Les produits manufacturés européens et le sel dans le Lodzukru avaient deux destinations.
Les stocks étaient repartis en deux. Le premier lot était destiné à la consommation locale et le
deuxième lot exporté vers les pays Abidji, Baulé, Abê, Koueni et échangé contre les produits
artisanaux de ces pays (cotonnades, toiles d'écorces, bijoux et poudre d'or, outils agricoles). Les
échangent avec les régions de l'intérieur permettent donc aux lignages Odzukru de se constituer
des trésors familiaux.
Dans le Lodzukru, les trésors sont lignagers et non individuels. Tous les membres du
lignage travaillent pour le plus âgé du lignage qui joue le rôle de chef Le chef du lignage gère la
fortune du lignage. Il ordonne les dépenses (1).
Les trésors des lignages sont essentiellement constitués de pagnes (cotonnades) de bijoux
et de poudre d'or et d'esclaves.
Dans la deuxième moitié du XIXè siècle, la production de l'hile de palme connaît une
hausse très sensible. La croissance continue de la production tous les ans n'est pas le résultat de
l'amélioration des techniques de production mais le fruit d'une exploitation intense des
palmeraies, en Odzukru "Sar" et à l'accueil très favorable réservé par les Odzukru aux manilles
introduites comme monnaie sur la côte des Quaquah (2).
------------------------------------------------------------------------------------------------------
\\
1- Enquête réalisée à Dibrim le 27 Août 1988 auprès de Mr. Etienne GBOUGBO ESSIS. \\
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1988 auprès de Mr. Benoît ESSOH LATTE.
488
L'introduction de la monnaie dans les échanges commerciaux de la côte des Quaquah et
environs entraîne de profondes mutations dans la société et provoque des effets considérables sur
la population Odzukru. La pénétration de la monnaie amène d'abord dans le Lodzukru
l'avènement d'un autre courant de pensée économique qui devient l'opposé de l'ancienne
philosophie économique des Odzukru (1). Ce nouveau courant de pensée invite les Odzukru à
intensifier et à améliorer leurs activités économiques, surtout les activités commerciales dans le
but de créer des conditions d'enrichissement des individus et la prospérité du pays et de faire
entrer plus de devises et de biens d'équipement dans le Lodzukru. Il prône l'accumulation des
capitaux et crée chez l'Odzukru, le goût du gain (2).
Le courant économique traditionnel était en voie de disparition malgré le maintien du troc
dans les échanges commerciaux inter Odzukru. Par contre, les échanges avec les grandes nations
mercantiles de la côte sont à base de manilles. L'introduction des manilles favorise le
développement d'une économique monétaire dans le Lodzukru.
Le goût du gain ou désir d'amasser d'importantes quantités de manilles devient un
stimulant pour les Odzukru et favorise ainsi l'accroissement de la production oléagineuse. Attirés
par le gain, les paysans Odzukru exploitent régulièrement les palmeraies. Une récolte abondante
. est synonyme d'importants revenus. Les Odzukru, soucieux de moderniser le commerce avec
leurs partenaires et de l'idée de gagner beaucoup d'argent, imposent aux peuples vivant dans la
zone forestière et dans
la zone de savane l'utilisation des
manilles dans les échanges
commerciaux. Cette utilisation réduit ainsi le troc dans les grandes transactions.
Les manilles sont utilisées dans toutes les transactions commerciales sauf en pays Koueni.
Elles sont convertibles mais malheureusement aucune parité n'existe entre les manilles et le
Sombé, principale monnaie en cours dans le pays Koueni. Ainsi les échanges entre le Lodzukru et
le Koueni demeurent toujours à base de troc (3).
La quasi totalité de la production de l'huile de palme de Lodzukru est destinée aux
échanges qui constituent le seul moyen pour les lignages üdzukru d'acquérir de l'argent.
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Décembre 1988
2- Benoît ESSOH LATTE 19 Août
3- AN.C.I. : Série tEE 122 (1) p.5
489
Les lignages et cerlains individus enrichis par Je commerce de l'huile de palme embrassent
le métier de courtier afin d'accroître le trésor lignager ou de se constituer des fortunes
personnelles.
Avec le désir de posséder l'argent, devenu le moteur du fonctionnement de la société
Odzukru, se développe chez les Odzukru un esprit de capitalisation du numéraire. Ainsi l'argent
acquis à l'occasion des ventes des produits oléagineux et des produits halieutiques est thésaurisé
dans des trous ou dans des jarres de trente (30) à quarante (40) centimètres (I). Les Odzukru
selon SESS Samuel d'Orgbaff dépensaient chaque année les 3/10 de leurs revenus. Les 7/10
étaient économisés pour la célébration des funérailles très onéreuses surtout lorsqu'il s'agissait
d'un chef de lignage ou d'un "Eb Ebu", du rituel d'Agbadzi qui consacrait la réussite sociale du
lignage du récipiendaire et des cérémonies initiatiques : le "Low" pour les garçons et le
"Dédiakp" pour les jeunes filles. A tout cela s'ajoute le mariage qui constitue une source de
dépense pour les patrilignages des jeunes garçons. Car la dot dans certaines tribus est élevée. Elle
atteint souvent 1.200 manilles. Certaines jeunes filles sont dotées à 5.000 manilles. Selon ESSOH
LATTE Benoît, les Odzukru refusent de dépenser ce qu'ils ont acquis après des années de travail
et surtout de privation.
Les manilles, faisant l'objet d'une thésaurisation, sont soigneusement cachés dans des
jarres ou dans les trous. Les trous ont une forme cylindrique et mesurant quatre vingt (80)
centimètres ou au moins la longueur d'un bras et près de vingt (20) centimètres de diamètre. Les
trous sont creusés à l'intérieur des cases (3) ou à proximité. Quant aux jarres, elles sont toujours à
l'intérieur de la case, le plus souvent dans la chambre principale. Le placement des manilles dans
les jarres ou dans les trous se fait la nuit, loin des yeux indiscrets. A cette heure, le Trésorier du
lignage est censé ne plus recevoir la visite d'un Parent ou d'un ami. La case, faisant le plus
souvent office de cuisine et de chambre à coucher, le trésorier attend que toute la maisonnée
s'endorme avant de procéder à l'ouverture du trésor familial. Les trous se trouvant à l'extérieur
des cases sont encastrés dans les racines d'un arbuste qui sert de repère.
1- Enquête réalisée à Orgbaff en Décembre 1984 auprès de Mr. sylvestre AFFl.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 29 Août 1988.
3- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1987 auprès de Mr Samuel SESS.
490
Le trésorier qui est le chef du lignage et une jeune fille de moine de onze (1 1) ans sont les
seules personnes à connaître les cachettes. Ce choix des Odzukru pour les fillettes relève de la
bonne éducation de celles-ci et parce qu'elles ne seraient jamais traversées par l'idée de vol.
Les Odzukru ont aussi opté pour la thésaurisation pour éviter les emprunts dont les
remboursements se font très difficilement. C'est pourquoi, l'emprunt dans le pays Odzukru
fait l'objet d'un gage dans le but de faciliter le remboursement. En effet, l'emprunteur dépose chez
son créancier comme gage (Aoba) un objet de grande valeur: bijoux en or ou des pagnes. Lorsque
l'emprunt n'est pas remboursé l'objet placé en gage demeure propriété du créancier.
L'argent acquis par les paysans Odzukru après les ventes de l'huile de palme et des
palmistes n'es pas réinvesti dans les activités économiques. Peu d'argent entre en circulation dans
le territoire Lodzukru. Ceci constitue un obstacle au bon fonctionnement du commerce. C'est
pourquoi, les commerçants Anglais par l'intermédiaire des courtiers Alladian et plus tard
l'administration française pour faci liter les échanges commerciaux dans le Lodzukru sont obligés
d'injecter de nouvelles pièces de manilles sur le marché (1).
Les achats de pagnes (les cotonnade), des bijoux et de la poudre d'or, des esclaves et des
.produits manufacturés européens par les Odzukru auprès des commerçants Dyula, Appoloniens,
Fanti et sénégalais se faisaient directement. Au cours de la deuxième moitié du XIXè siècle
furent créés les premiers marchés dans le Lodzukru.
2/ L'institution de marché dans le Lodzukru
Le marché comme lieu public de vente de biens et de service dans le Lodzukru n'est pas
inconnu car les débarcadères "Manu" en Odzukru, situés en bordure du littoral lagunaire et des
rivières servaient depuis très longtemps aux échanges commerciaux. Toutes les fins de semaine,
les femmes Odzukru des villages situés à l'intérieur des terres se rendent en file indienne dans les
débarcadères pour échanger les produits agricoles (manioc, igname, banane plantain, mil et
légumes) contre les produits halieutiques. L'huile de palme est échangée contre le sel venant du
pays Alladian. Les femmes Odzukru de l'intérieur offraient à celles des régions lagunaires de
l'attiéké ou de manioc
1- AN.S: section côte d'ivoire série 2GI (28) pièce Il
491
et en retour reçoivent du poisson. Un panier d'attiéké par exemple est échangé contre une grappe
de poisson. Le grand développement des marchés dans le Lodzukru se fait dans la deuxième
moitié du XIXè siècle principalement avec la construction du blockhaus de Dabou. Les marchés
connaissent une grande extension sous la colonisation. Les plus importants sont ceux de Dabou et
de Tukpa. Ces deux localités abritaient de fortes communautés d'étrangers.
Le marché dans le Lodzukru n'avait pas eu avant le XIXè siècle, un rayonnement
économique comme dans les sociétés marchandes du Nord. Les sociétés du Nord avaient très tôt
développé des activités commerciales et de change. Dans ces sociétés, la vie économique était
organisée autour des marchés. Ainsi chaque agglomération avait une place réservée qui faisait
office de marché. La monnaie fut aussi très tôt connue dans ces régions, ce qui donna au
commerce une plus grande impatience.
Le développement du système de marché dans le Lodzukru répond à un souci de
l'administration coloniale de doter Dabou et Tukpa d'infrastructures commerciales modernes
pouvant faciliter l'essor économique de ces deux centres d'échange et assurer le ravitaillement
permanent en produits alimentaires des gardes de cercle de Dabou et des communautés
étrangères. L'économie de marché telle que le pratiquaient les sociétés des régions soudanaises et
-les européens était inconnue par des Odzukru. C'est pourquoi la création de véritables marchés
modifie profondément structure économique de Lodzukru. Ainsi, les Odzukru passent alors d'une
économie de subsistance à une économie de marché. Ce qui les oblige non seulement à accroître
les surfaces culturale (surfaces cultivées) en vue d'une bonne récolte mais aussi l'augmentation et
l'amélioration de la production des biens d'échanges et surtout de l'huile de palme. L'économie de
marché favorise surtout l'économie monétaire.
Les produits agricoles et halieutiques autrefois destinés à la consommation locale sont
exportés sur les marchés de Dabou, Mopoyem et Tukpa (1). Les Alladian, les Aizi et les Abidji
exportent aussi sur Dabou et Tukpa leurs productions agricoles et halieutiques (2).
Le débarcadère de Cosr se spécialise uniquement, à cause de éloignement, au trafic des
oléagineux et de caoutchouc (3). Les produits halieutiques et agricoles deviennent ainsi une
source
-----------------------------------------------------------------------------------------------------1- A.N.C.I
série lEE 122 (1) p.6
2- AN.C.I : série lEE 122 (2) p.ll
3- AN.C.I : série lEE 122 (1) p.?
492
de revenu personnel pour les hommes et les femmes qui se constituent des fortunes personnel les.
De nombreuses femmes embrassent le métier de "revendeuses", c'est-à-dire de marchandes de
poisson et parcourant tous les villages Odzukru malgré l'insécurité qui règne sur quelques routes.
En effet, les marchandes de poisson sont souvent objet d'attaque de gangs de jeunes gens
désoeuvrés qui les dépossèdent de leurs biens (1). L'activité de revendeuses de poisson permet à
de nombreuses femmes de s'enrichir. Les revenus de la vente de l'huile de palme sont versés dans
la caisse comme gérée par le chef du lignage.
Le marché est périodique. II se tient toutes les fins de semaines. Ce jour là, Dabou se
transforme en une foire. Presque toutes les femmes de la région y descendaient pour porter leurs
produits. Elles approvisionnent les marchés en produits agricoles halieutiques. La sécurité sur ces
marchés est tenue par les gardes de cercle. Le riz, le maïs, deux céréales connues dans les régions
du Nord sont introduits dans le Lodzukru par l'administration coloniale vers 1896 (2). Le riz et
maïs sont vendus aux gardes de cercle, aux commerçants Dyula et aux traitants étrangers résidant
dans les débarcadères. Les Odzukru refusent de s'approvisionner en riz et ne maïs parce que pour
eux ces aliments sont destinés à l'alirrientation des oiseaux (3). Sur les marchés, sont vendus le
sel, des pagnes importés d'Europe, de perles et de produits alimentaires.
Les Odzukru qui avaient favorablement accueilli l'introduction de la monnaie dans leur
pays deviennent malheureusement réticents à l'égard de cette économie qui les oblige à vendre et
à acheter. Pour eux les marchés sont synonymes de dépenses, de séparation d'une partie de son
pécule. Certaine grande agglomération telle Orgbaff et Yassakp sont hostiles à la présence d'un
marché sur leur territoire. La présence de marché entraînerait, selon les populations de ces deux
villages, l'invasion des étrangers (4). Mais dans les villages où les le troc est le système d'échange
par excellence, les produits vivriers font l'objet de transactions commerciales. Tout est alors
vendu et tout est acheté dans le Lodzukru.
Les dons, manifestation de solidarité entre les membres de la communauté deviennent au
cours de cette période plus intenses. Ils sont encore plus intenses et plus vivaces entre les
------------------------------------------------------------------------------------------------------1-
Enquête
réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1988 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE.
2- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (26) pièce Il
3- Enquête réalisée à Lokp le 29 Juillet 1988
4- Enquête réalisée à Orgbaff le 27 Août 1988.
493
membres d'un même clan, d'une même classe d'âge qUI se doivent de se porter assistance
mutuelle.
La vente des produits vivriers et halieutiques procure aux lignages des devises malgré la
baisse périodique des prix des produits oléagineux. La chute des cours de l'huile de palme va
entraîner la raréfaction du numéraire dans la société Odzukru où les populations étaient très liées
à l'argent.
Les manilles, depuis leur introduction dans le pays Odzukru dans la deuxième moitié du
XIXè siècle étaient devenues un élément très précieux dans la vie quotidienne de cette région.
C'était alors l'élément stabilisateur et catalyseur de la société Odzukru. En effet, depuis la
deuxième moitié du siècle, rien ne s'organisait dans le Lodzukru sans argent. Ainsi l'objectif
premier des activités économiques dans le Lodzukru à partir de 1854 était de procurer à la
population de .l'argent afin de" rendre les familles prospères. Le manque d'argent au sein d'un
lignage était source d'angoisse et de difficultés . Cela conduisait souvent au déshonneur et à
l'humiliation. c'était le manque d'argent qui amenait certaines familles pauvres à mettre en gage
(Aoba en Odzukru) leurs descendants auprès des riches traitants Alladian. Le montant du gage
s'élevait à plus de 2.000 manilles et atteignait souvent 5.000 manilles (1).
Le commerce des produits agricoles et halieutiques qui s'était développé dans la moitié du
XIXè siècle, suite au peuplement et à l'extension des débarcadères de Dabou et de Tukpa devient
la seconde source de revenu du peuple Odzukru et surtout pour les lignages ne disposant pas de
palmerais. La multiplication des sources de revenu avait permis aux Odzukru de résister aux
innombrables crises économiques de Lodzukru suite aux fluctuations des cours de l'huile de
palme et des palmistes. Ces sources secondaires avaient favoriser l'enrichissement de la
population de Lodzukru.
3/ Enrichissement de la population Odzukru
Le commerce de l'huile de palme se trouve être à l'origine de la révolution de la société
Odzukru. Toutes les principales transformations de la société Odzukru, comme indique les
précédents paragraphes ont leurs origines au XIXè siècle. Le fait marquant de ce siècle pour le
Lodzukru est l'abolition de la traite des noirs et son remplacement par une autre traite, celle de
l'huile de palme. La traite des noirs avait traumatisé le peuple Odzukru et aujourd'hui personne
n'ose évoquer, le souvenir de cette période de terreur, de tristesse pour les familles, de destruction
et d'avilissement. Les individus étaient arrachés de force de leurs lignages par des 'négriers
Alladian et conduits sur le littoral où ils étaient parqués et embarqués plus tard pour les
------------------------------------------------------------------------------------------------------ 1-
Enquête
collective réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1984.
494
Amériques. La période de la traite des Noirs fut une période de blocage et de stagnation pour la
société Odzukru. Aucune évolution ne fut constatée au plan économique. C'est au plan politique
que furent observées quelques mutations avec la formation de la confédération de Dibrim (1).
Les transformations économiques et sociales de Lodzukru se situent dans leur grande
majorité au XIXè siècle. Elles résultent de la traite de l'huile de palme qui fait de Lodzukru le
principale centre économique du haut Ebrié (2). Le commerce de l'huile de palme, des produits
agricoles et halieutiques permettront à la population Odzukru de s'enrichir. Avant la traite de
l'huile de palme, les trésors des différents lignages n'étaient constitués que de quelques pièces de
cotonnades importés du pays Koueni au moins 4 pièces et une chaîne en or. Certains lignages ne
disposaient que deux à trois pièces de pagnes (3). Le commerce extérieur était presqu'inexistant
sauf avec les pays Alladian, Baulé et Koueni. Des échanges avec le pays Aliadian, les Odzukru
recevaient du sel, des armes à feu et de la verroterie.
Au XVlIIè siècle, les échanges entre le Lodzukru et les régions soudanaises étaient rares à
cause de l'insécurité des routes et de la prospérité de l'artisanat de ces régions. Les problèmes de
communication avaient empêché l'établissement d'un trafic commercial entre le Lodzukru et les
régions soudanaises. Les produits qui venaient du pays Koueni (Gouro) pour le Lodzukru en
'empruntant le Bandama étaient insuffisants pour satisfaire les besoins de Lodzukru en produits
artisanaux.
Mais au XIXè siècle, grâce au commerce de l'huile de palme, les Odzukru s'enrichissent et
par conséquent développent un trafic commercial en direction des sociétés du Nord afin de
bénéficier de ,leur technologie. Les traitants Odzukru accompagnés de leurs esclaves se rendent
périodiquement à Tyasalé, principal centre commercial des régions de l'intérieur. Les
commerçants Odzukru effectuent un seul voyage par an. Certains d'entre eux traversent le pays
Baulé pour se rendre dans le pays Koueni (4). Les paysans des grandes agglomérations: Orgbaff,
Yassakp, Usr, Dibrim, Lokp et Tukpa exploitant de grandes superficies de palmiers à huile
acquièrent des revenus annuels
------------------------------------------------------------------------------------------------------ 1-
Harris
MEMEL Foté : système politique de Lodzoukrou p. 106
2- AN.C.I. : Série lEE 122 (3) p.5
3- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1984
4- Enquête réalisée le 22 Août 1988 à Dibrirn auprès de Mr Etienne GBOUGBO ESSIS
495
variant entre 250 à 300.000 F (1). Les autres villages n'ont pas moins de 150 à 200.000 F
annuellement.
L'importance des ressources permettent aux Odzukru de constituer de véritables trésors
familiaux. La prospérité de la région entraîne des clivages dans la société Odzukru et la naissance
de deux groupes sociaux: le groupe des riches en Odzukru "Egbregbi" et le groupe des pauvres en
Odzukru "Ogboru". La prospérité des Odzukru favorise la migration des populations de régions
de savane vers le Lodzukru. Les immigrants dans le Lodzukru sont accueillis dans les lignages.
Selon Mr GBOUGBO ESSIS Etienne, le premier Odzukru qui les rencontre, les ramène chez lui
(2).
Les immigrants d'origine baoulé, bété et Abbé sont employés comme ouvriers agricoles
dans les palmeraies. Mais ils ne reçoivent pas de salaires. Ils reçoivent seulement de leurs parents
par alliance des parcelles de terres pour les cultures vivrières. L'arrivée des immigrants provoque
l'essor démographique de Lodzukru car ceux-ci constituent, une population supplémentaire pour
cette région.
La prospérité de la région est liée à la production de l'huile de palme. Les Odzukru, pour
une meilleure exploitation de leurs palmeraies ont recours à la main-d'oeuvre servile. En effet,
tous les ans, les traitants Odzukru organisent des expéditions commerciales vers Tyasalé, Kadio-
koffikro, les pays Abidji et Abbey pour s'approvisionner en esclaves. L'esclave dans le Lodzukru
devient un objet de prestige, un bien économique. Tout candidat au rituel d'Agbadzi s'oblige à
acheter un esclave femelle pour sa soeur et, pour lui-même, un esclave mâle. Mais lorsque le
candidat n'a pas suffisamment de ressources, ils achètent symboliquement un chat (3). Posséder
une forte population d'esclave est synonyme de prospérité.
Les amendes infligées par l'administration française aux différentes communautés
villageoises sont facilement payées. Les emprunts contractés par les populations auprès des
maisons de commerce sont remboursés à la date prévue. Tous les ans, les exportations d'huile de
palme du littoral Alladian se chiffre à 1.250.000 f (4). La facilité avec laquelle les Odzukru
versent leurs rançons fait dire à l'administration du cercle de Dabou dans
1- AN.C.! : Série lEE 122 (1) p.7
2- Enquête collective réalisée à Dibrim Dzadzem le 22 Août 1988
3- Enquête réalisée à Orgbaff auprès de ML Benoît ESSOH LATTE le 27 Août 1988
4- Paul Atger :la politique et le commerce français en côte d'ivoire. 50 ans d'hésitations p.128
496
une correspondance au gouverneur de la colonie que les Odzukru se moquent des amendes qui
leur sont infligées parce qu'enrichis par le commerce de l'huile de palme (1).
L'enrichissement de Lodzukru par le commerce de l'huile de palme entraîne la naissance
d'une véritable couche de traitants Odzukru indépendants ayant leurs propres capitaux et
commerçant directement avec les maisons de commerce installées dans les débarcadères de
Tukpa, Dabou et Mopoyem. Les traitants Odzukru s'affranchissent ainsi des courtiers Alladian
qui autrefois, les employaient à leurs services. C'est au cours de la deuxième moitié du XIXè
siècle que dans le Lodzukru émerge une véritable race de "traitants". Mais les traitants Odzukru
sont moins riches et moins habiles que leurs collègues du littoral. Ils sont aussi mal organisés. La
lutte de leader-sheap entre les traitants va constituer un obstacle à l'épanouissement de la
corporation.' Les traitants Abidji, autrefois intermédiaires entre les populations Odzukru et les
populations du Baulé sud sont éliminés par les traitants Odzukru qui établissent eux-mêmes un
trafic direct avec les habitants de Tyasalé. Tyasalé, par sa situation géographique était un grand
centre de rencontre, port fluvial et débouché de toutes les routes caravanières. Tyasalé région
forestière méridionale.
Dans leurs contacts commerciaux avec les régions de savane, les Odzukru s'intéressent
surtout aux trafics de pagnes, de bijoux et de poudre d'or, de perles d'aigri, d'outils agricoles et
surtout d'esclaves. Vers la fin du XIXè siècle les Odzukru sont approvisionnés en esclaves par le
Baulé. Les esclaves vendus dans le Baulé sont d'origine, Djimini et Tagouana. Les mâles sont
vendus à 800 manilles soit 160 F. Les esclaves femelles à 1.200 manilles soit 240 F. Les esclaves
en provenance du Baulé sont pour la plupart des victimes des guerres Samoryennes. Mais le
Baulé n'est pas la seule source d'approvisionnement de Lodzukru en esclaves. En effet, des
populations Abidji, Abê et Kobu lui viennent d'autres main-d'oeuvres serviIles. Ces régions
fournissent essentiellement des esclaves femelles.
Le commerce entraîne la diffusion massive des produits manufacturés européens et des
régions de savane dans le Lodzukru. La qualité des articles importés oblige les Odzukru à porter
leur choix sur les produits venant de l'extérieur. Le désir de posséder les marchandises de
l'extérieur provoque le déclin de l'artisanat Odzukru.
1- A. N. C. 1: Série lEE 122 (2) p. Il
497
4/ Le déclin de l'artisanat Odzukru
L'agriculture, mamelle nourricière du peuple Odzukru était la base de l'économie de
Lodzukru. L'agriculture était soutenue par l'artisanat. La production artisanale Odzukru était très
diversifiée: fer, bois argile, rotin etc ... Etudier le déclin de l'artisanat de Lodzukru nous amène à
nous interroger sur le fonctionnement de cette activité économique et ensuite sur les causes de
son déclin. Pour répondre à ces deux questions, nous avons inventorié les produits manufacturés
consommés par les Odzukru afin de connaître leurs origines. Cet examen nous a donné des
résultats qui nous permettent de comprendre la place de J'artisanat dans la société et l'économie
Odzukru.
L'artisanat comme activité économique n'était pas inconnue dans le Lodzukru. Formés
d'une mosaïque de peuples venus d'horizon très divers, certains du Nord, les autres de l'est et de'
l'ouest, on rencontrait parmi les Odzukru des forgerons appelés "Ewusu" en Odzukru, des
sculpteurs, des potières et des vanniers. Les outils agricoles au XIXè siècle étaient en fer. Ils
étaient essentiellement composés de "Ibn", "Fra" "Luru", houe et la hache en Odzukru "Os". Ces
instruments agricoles selon ESSOH LATTE Benoît étaient fabriqués par les Odzukru depuis leur
installation sur la rive Nord de l'Ebrié. Les ancêtres fondateurs du village de Yassakp de la tribu
des Orgbaffu seraient, note ESSOH LATTE Benoît, des forgerons c'est-à-dire des "Ewusu". Les
ancêtres des Yassakp, au nombre de trois se seraient enfuis du village d'Aklodze où ils
travaillaient le fer, à la suite de la mort accidentelle d'un enfant pour se réfugier à Orgbaff. Nous
livrons un extrait de la tradition que nous avons reçue à Orgbaff.
« Les ancêtres des Assakpu, au nombre de trois étaient des forgerons. Ils s'étaient
auparavant établis dans le village d'Aklodze. Ils avaient installé leur forge non loin du village. Un
jour pendant qu'ils travaillaient le fer, la barre s'échappa et frappa le crâne d'un jeune garçon qui
jouait à proximité de la forge. La barre le tua sur le champ. Les trois forgerons, inquiets de la
réaction des parents de la victime et de la communauté cachèrent le corps de l'enfant sous
l'enclume. La nuit venue, ils se mirent avec la peau du bananier des sandales et s'enfuirent
d'Aklodze. Assis près d'une termitière, attendant le jour pour continuer leur voyage, ils furent
trouvés par un chasseur qui les amena à Orgbaff(l) ».
1- Enquête réalisée à Orgbaffle 28 Décembre 1986 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE.
498
Les "Ewusu" étaient spécialisés dans le travail du fer. Les forges, pour la plupart, étaient
installées en dehors des villages afin d'éviter les accidents. Ils fabriquaient des outils agricoles,
des armes blanches et des fusils .. La production Odzukru était insuffisante pour couvrir les
besoins du pays et de qualité médiocre. L'insuffisance de la production avait pour cause
principale la faiblesse de l'approvisionnement en matière première car le Lodzukru ne possédait
pas de mines de fer. Les "Ewusu" importaient le fer du pays Tchaman, du pays Alladian et du
pays Koueni (1).
Le fer en provenance du pays Koueni empruntait le Bandama jusqu'à Grand-Lahou où il
était ensuite diffusé vers le pays Alladian et Odzukru.
Les "Ewusu" ne formaient pas de caste comme dans les sociétés du Nord. Ils étaient
d'abord agriculteurs. Ils ne s'adonnaient à l'artisanat que pendant les saisons mortes surtout avant
la saison des cultures. La production Odzukru était très faible à cause d'un manque d'assiduité
dans le travail et de matières premières. Mais le travail du fer ne connut un léger progrès qu'après
l'arrivée dans le Lodzukru des esclaves d'origine soudanaise.
Le travail de la poterie était essentiellement réservé aux femmes qui fabriquaient des
canaris, des ustensiles de cuisine et des pots avec de l'argile. Les Odzukru confectionnaient avec
le rotin divers produits (paniers, corbeilles, etc. Mais la grande partie des paniers consommés
dans le Lodzukru provenait du pays Abidji d'où les Odzukru importaient également les toiles
d'écorces et de nattes (2). En pays Odzukru, c'est dans la tribu Aklodze qu'on rencontrait des
artisans très habiles et pleins de talent. Les artisans Aklodzu confectionnaient des pirogues, des
paniers et des corbeilles en rotin. Ils travaillaient aussi le bois qui servait à fabriquer des
ustensiles de cuisine.
L'artisanat Odzukru selon la plupart des traditions que nous avons recueillies n'était pas
créateur. Il se caractérisait par la reproduction des productions étrangères. Les productions étaient
très grossières sauf en poterie où l'on rencontrait une gamme très variée de produits. Les canaris
comportaient de nombreux dessins géométriques. Ce qui démontre l'esprit créateur des femmes
Odzukru. Elles étaient par rapport aux hommes moins conservatrices. Les canaris servaient de
soupières "Lê" en Odzukru et des récipients d'eau.
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 28 Décembre 1986
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 30 Décembre 1986 auprès de Mr Samuel SESS.
499
La médiocrité et l'insuffisance favorisent dans la deuxième moitié du XIXè siècle, le
déclin de l'artisanat Odzukru. Les Odzukru portent leur préférence sur les produits manufacturés
européens et soudanais largement diffusés dans la région (1).
Ainsi, au XIXè siècle, les marchandises manufacturées européennes conquirent le marché
Odzukru. Ces produits importés, diffusés par les maisons de commerce établis dans les
débarcadères et par les courtiers Alladian entraîne le recul de la production artisanale Odzukru.
Les Odzukru abandonnent l'utilisation du "Ibn" au profit de la machette. L'avènement de la
machette dans le Lodzukru vers la fin du XIXè siècle permet aux populations d'augmenter les
superficies cultivées. Les femmes, achètent elles aussi des soupières européennes, mais
maintiennent l'utilisation des ustensiles en bois.
Pour la sécurité et la défense de leurs temtorres, les Odzukru achètent les fusils de
fabrication européenne au détriment des fusils de fabrication locale : Kèkrè, Andi,
Kukugbê,
Gueridjobo etc...
La verroterie fait également son apparition dans le Lodzukru. Les Odzukru 'préfèrent boire
dans des verres importés pour montrer à leurs hôtes leur réussite sociale. Ainsi au XIXè siècle,
les Odzukru font siennes les marchandises importées de très bonne qualité. Les Odzukru
recherchent au cours de cette période, la qualité et surtout l'esthétique. La production Odzukru,
très faible se fait sur commande. Ce qui ne permet pas pour autant à l'artisanat Odzukru de se
maintenir face à la concurrence des produits européens.
Le déclin de l'artisanat Odzukru ne s'opère pas dans la même période à tous les niveaux.
En effet, au niveau de la production des objets en bois (mortiers, écuelles, et pilons) et des
canaris, on note une résistance de l'artisanat Odzukru. Le tracé de la route -Dabou-Tyasalé en
1898 favorise l'ouverture de Lodzukru sur les régions de savane. Avec cette nouvelle route on
constate l'arrivée massive des produits artisanaux des régions Malinké et Sénoufo dans le
Lodzukru. Parmi les produits importés des régions soudanaises, les outils agricoles occupent la
première place. Ils sont constitués de daba, de ciseaux pour couper les régimes d'huile de palme
et de la hache (2). A ces outils agricoles s'ajoutent les fusils et les pièces de cotonnade.
1- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (2) p. 4
2- Etienne GBOUGBO ESSIS : 22 Août 1988
500
Les pièces de cotonnades d'origine sénoufo-malinké sont moins appreciees par les
Odzukru qui les trouvent très lourdes. En effet ces pièces, très dures retiennent la chaleur. Mais
les Odzukru s'en servent pour ensevelir les morts (1).
Les outils agricoles importés dans le Lodzukru sont loin de satisfaire les besoins de la
communauté Odzukru. La production locale est très faible à cause de l'indisponibilité des
"Ewusu" et du manque de matières premières. Mais malgré tous ces obstacles, la diffusion des
outils agricoles permet aux paysans Odzukru d'étendre la superficie de leurs champs. Ces outils-
agricoles entraînent non seulement la hausse de la production agricole Odzukru mais aussi le
développement de nouvelles cultures introduites dans le Lodzukru avec l'avènement de
l'esclavage (2).
5/ L'impact du commerce sur l'agriculture Odzukru
Etudier l'impact du commerce sur l'agriculture Odzukru nous amène à examiner les
modifications intervenues dans ce secteur d'activité. Il s'agit de voir s'il y a eu, au cour de ce
siècle une modification dans la manière de produire ou l'introduction de nouvelles cultures. Pour
répondre à ces questions, nous avons d'abord recensé les différents produits agricoles faisant
l'objet d'une culture et ensuite nous avons répertorié ceux qui furent introduits dans le Lodzukru à
la suite des différentes migrations (3). Les différentes investigations nous ont alors permis de
distinguer deux types de cultures dans le Lodzukru. Nous avons les tubercules (féculents),
d'origines locales et les céréales (maïs et arachides) introduites dans le Lodzukru par les esclaves
(4).
La civilisation agricole de Lodzukru est dominée par les tubercules (féculents).
L'agriculture Odzukru est dominée par le binôme manioc-igname. Mais le manioc à lui seul
occupe plus de trois quarts (3/4) des surfaces consacrées à la culture vivrière. Le manioc, selon
SESS Samuel, est la base de l'alimentation Odzukru. C'est donc grâce à cette culture qu'est née la
civilisation de l'attiéké. En effet, à partir du manioc s'était développée dans le Lodzukru
l'industrie de l'attiéké. L'attiéké est un aliment obtenu après la transformation du manioc en
farine.
1- Benoît ESSOH LATTE: 28 Août 1988
2- Benoît ESSOH LATTE: 23 Septembre 1988
3- Il s'agit des migrations provoquées par la traite de l'huile de palme au XIXè siècle.
4- Les esclaves par leurs apports ont enrichi la civilisation Odzukru.
501
Le manioc est consommé en toute saison. On notait en pays Odzukru plusieurs variétés de
manioc dont certaines étaient consommées sans être transformées (1). Au binôme, manioc-
igname s'ajoutèrent le mil et le taro.
La culture du mil était très ancienne dans le Lodzukru. Déjà au XVè siècle, cette céréale
constituait la base de l'alimentation Odzukru. Elle était cultivée dans la zone de savane qui couvre
une partie du territoire Odzukru. Selon ESSOH LATTE Benoît, le mil serait le premier produit
agricole connu par les Odzukru. Foté MEMEL souligne aussi dans son livre "le système politique
de Lodjoukrou" que les Kwakwa, co-fondateurs du village de Bobor vers le XVè siècle, furent
découverts par une femme du village de bon, premier village Odzukru, qui serait allée chercher
de l'autre côté de la rivière Ira sa moule qui lui permettait de rendre le mil (mâ) en farine (2). La
migration des Kwakwa se situe après celle des Oboru qui furent les premiers à occuper le
territoire Odzukru. Toutes les traditions Odzukru s'accordent à reconnaître que les Oboru avaient
émigré dans le Lodzukru avec le mil. Mais le climat très humide et la domestication des
tubercules empêchèrent le développement de la culture du mil dans le Lodzukru. C'est au XVIIè
siècle que le mil était devenu une culture secondaire dans le Leibutu (3).
Le manioc, l'igname et le taro étaient à l'état sauvage. Ils furent, selon
Samuel
domestiqués par les Odzukru dès leur installation sur la rive Nord de l'Ebrié. La fertilité du sol et
les conditions climatiques favorables permirent aux tubercules et surtout au manioc de connaître
un développement spectaculaire et de devenir la première culture vivrière de Lodzukru. Mais le
développement des tubercules surtout de l'igname a bénéficié de l'apport de l'extérieur. Selon
AFFI Sylvestre, les Baulé en immigrant dans le Lodzukru seraient à l'origine de l'introduction de
nouvelles variétés d'igname telles "Lekpi" "Us EpirEm" "Ligbleb
lbr" etc ... Au niveau du
manioc, les Odzukru auraient bénéficié, d'un apport de leurs voisins Tchaman et Avikam. Mais
les variétés telles "Es Akpl", "Tin adjô", "Us Ikn" etc ... Sont des variétés locales. Certains de nos
informateurs soutiennent que les variétés "N'kuku" et "Idj Ekn" sont d'origine Tchaman. Les
premières boutures de manioc de Lodzukru seraient venues selon certains de nos informateurs, de
la côte maritime: pays Alladian-Avikam.
La société Odzukru est une société agricole. L'agriculture vivrière est la première activité
économique mais
1- Les variétés N'kuku, Idjek'n étaient consommées sans transformation.
2- Harris MEMEL Foté : système politique de Lodjoukrou p. 108
3- Enquête réalisée à Orgbaff Edzem Afr.
502
c'est la cueillette des régimes de palme, produits naturels, qui est la première source de revenu du
peuple Odzukru. L'exploitation des palmiers à huile ne commence qu'après la mise en valeur des
champs de vivriers. Toute la vie économique de Lodzukru est subjugué au calendrier agricole. La
période de Décembre à Février est consacrée à la culture. Cette longue période qui s'étend sur
toute la saison sèche correspond aussi à la période de la production de l'huile de palme. C'est la
période consacrée aux échanges commerciaux et aux expéditions commerciales. C'est au cours
de cette période que les voyages s'organisent vers les pays Dida, Baulé, Abê, Abidji et Koueni.
La production agricole Odzukru était destinée à la consommation locale. Mais au XIXè
siècle, suite à l'effondrement des cours de l'huile de palme, les produits agricoles deviennent des
sources de devise pour les Odzukru. Ils sont vendus vers la fin du XIXè siècle, sur les marchés de
Tukpa et de Dabou.
L'agriculture Odzukru "est une agriculture itinérante sur brûlis. La faiblesse de la
population ( estimée à 25. 000 habitants) pour une superficie de 2126 Km 2 permet aux Odzukru
de procéder par le système de jachère. Les paysans Odzukru changent de terrains à chaque
nouvelle saison. Après un cycle de culture, la terre épuisée est rendue à la nature.
L'agriculture Odzukru repose sur deux principes: l'association des cultures sur la même
parcelle et la succession. Le manioc est souvent associé à l'igname et le taro à l'igname ou au
manioc. Mais c'est le système de la succession qui prévaut dans le Lodzukru. Les parcelles sont
toujours divises en deux: une partie abrite le manioc et l'autre l'igname.
La culture du mil se fait dans la zone de savane. Cette culture, selon ESSOH LATTE
Benoît, vers la fin du XIXè siècle connaît un léger déclin. Les surfaces cultivées sont réduites au
profits des tubercules, en particulier du manioc. L'agriculture Odzukru bénéficie vers la fin du
XIXè siècle, de l'introduction de deux nouvelles cultures: l'arachide et le maïs.
La culture de l'arachide dans le Lodzukru n'entraîne pas de bouleversement mais permet
aux paysans Odzukru de diversifier les cultures et de multiplier leurs sources de revenu. Selon la
tradition recueillie auprès de Mr ESSOH LATTE Benoît, l'arachide serait introduite dans le
Lodzukru par une esclave d'origine Sénoufo (1).
1- Enquête réalisée à Orgbaffle 26 Décembre 1984 auprès de Mr. Benoît ESSOH LATTE.
503
« Pendant la saison des cultures, une esclave d'origine Sénoufo avait défriché une
parcelle de terrain à quelques mètres de la case de son maître. Avec une daba, elle sema des
graines jusque là inconnue dans le Lodzukru. Les arachides parvenues à maturité furent récoltées.
Elle en donna à manger à son maître qui les apprécia. A la nouvelle saison, le maître défricha une
parcelle et avec l'aide de son esclave sema des arachides. Ainsi après trois cycles de cultures, la
culture de l'arachide se répandit dans le Lodzukru ».
A l'analyse de ce texte, nous retenons seulement que la culture de l'arachide était inconnue
dans le Lodzukru. Cette culture est introduite dans le Leibutu au cours du XIXè siècle par une
esclave d'origine Sénoufo. Cette esclave dont on ignore le nom serait probablement originaire du
pays Tagouana car le pays Tagouana est un grand centre de production d'arachides et il a fourni
au pays Odzukru de nombreux esclaves.
Les arachides sont très appréciées par le pays Odzukru. La culture se fait en zone de
savane qu'en zone de forêt. Après la récolte des arachides, le terrain n'est pas laissé en jachère. Il
reçoit la culture du manioc. La culture de l'arachide connaîtra un véritable développement. Les
arachides deviennent très rapidement un produit d'échange pour les Odzukru. Les Odzukru
exportent des arachides vers les pays Avikam, Alladian et Tchaman. Ce produit fait aussi l'objet
d'un trafic intérieur. Cette culture se fait sur l'ensemble du territoire Odzukru car les rendements
sont aussi élevés en zone de savane qu'en zone de forêt. L'arachide devient très vite une nouvelle
source de devise de Lodzukru confronté vers la fin du XIXè siècle à une crise économique, suite
à la baisse constante des cours de l'huile de palme. Les paysans Odzukru, pour éviter
l'effondrement de leur économie qui repose essentiellement sur les exportations de l'huile de
palme, décident de développer l'agriculture vivrière en améliorant non seulement les cultures
traditionnelles (manioc, igname, taro etc...) mais aussi des nouvelles cultures telles les maïs et les
arachides.
La culture de l'arachide a connu un véritable succès dans le Lodzukru. Cette culture s'est
vite répandue dans le LEibutu. Aucun obstacle n'a empêché son expansion à travers tout le
territoire, son succès est dû à deux raisons essentielles. D'abord les arachides sont très appréciées
et les terrains après la récolte, accueillent les plants de manioc. Enfin, elles constituent une
nouvelle source de devise pour les paysans Odzukru qui les exportent vers l'extérieur. Par contre,
la culture de maïs quant à elle a connu très peu de succès dans le Lodzukru.
Introduite par les européens dans la deuxième moitié du XIXè siècle, les Odzukru boudent
la culture du maïs, pour la
504
simple raison qu'ils considèrent le maïs comme un aliment destiné à l'alimentation des volailles
(oiseaux). Pour cette population, tout ce qui est céréale hormis le mil est réservé à l'alimentation
des oiseaux. Les céréales étant destinées aux oiseaux, les hommes ne devraient pas en
consommer selon les Odzukru (1). Cet état d'esprit empêche le développement de la culture du
maïs. Malgré le peu d'intérêt que les paysans lui accordent, la culture du maïs connaît cependant
un léger développement autour des débarcadères surtout à Dabou où l'on rencontre une forte
population étrangère originaire des régions de savane: Dyula, Sénégalais et Bambara.
L'administration coloniale favorise le développement de cette nouvelle culture par la
vente et la distribution des grains aux paysans. Les grains de maïs sont vendus sur les marchés de
Dabou et de Tukpa (1). Le maïs, dans l'esprit des responsables coloniaux français devraient servir
à l'alimentation des populations soudanaises émigrées dans le Lodzukru et dont l'alimentation est
à base de céréale.
L'échec de la culture du maïs dans le Lodzukru résulte également du fait que les Odzukru
ont des difficultés à transformer le maïs en farine et que les parcelles ayant accueilli les plants de
maïs sont plus réutilisées pour une seconde culture. Les parcelle sont alors abandonnées et
laissées en jachère (2). Mais à proximité des cases, les esclaves d'origine Malinké créent des
champs de maïs pour leur alimentation. L'influence de la culture du maïs sur l'économie Odzukru
sera presque nulle. Or le développement de cette culture aurait pu générer des ressources dans le
Lodzukru abritant dans les débarcadères de fortes populations étrangères, consommant les
céréales telle le riz et le maïs.
La culture du maïs aurait pu connaître un bel avenir dans le Lodzukru pour les raisons
évoquées à savoir : l'existence d'une forte population étrangère d'origine soudanaise vivant à
Dabou et dans les autres débarcadères, l'existence d'une zone de savane où aurait pu se
développer une telle culture. Cette zone n'abritait que la culture de l'arachide. Enfin, la culture du
maïs grâce au débouché constitué par la population étrangère aurait permis aux Odzukru la
diversification de leurs sources de revenu surtout que vers la fin du XIXè siècle, les cours de
l'huile de palme, en baisse, ont entraîné la raréfaction du numéraire dans ce pays.
1- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (27) pièce Il
2- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 27 Août 1986
505
Le riz était inconnu dans le Lodzukru. Toutefois au cours de leurs différents voyages
d'exploration et de prospection, les responsables de l'administration française avaient constaté que
le riz était l'état sauvage dans le Lodzukru et qu'il poussait dans les vallées et dans les zones de
marécages (1). Selon les rapports des administrateurs de Dabou, la baie de Dabou abritait un fort
peuplement de plants de riz (2). Malgré l'existence de cette céréale à l'état sauvage, le riz ne fut
jamais l'objet d'une domestication dans le Lodzukru, ce n'est que vers la fin du XIXè siècle que
cette céréale est introduite par l'administration coloniale française afin de faire face à
l'alimentation des gardes de cercle. Le riz ne fera jamais l'objet d'une culture intensive dans le
Lodzukru malgré son existence à l'état sauvage dans les marécages et dans les vallées. Toutes les
tentatives de l'administration coloniale pour le développement des cultures du maïs et du riz
échouent à cause de l'hostilité des paysans Odzukru qui répondent à l'administrateur voisin «
qu'ils n'étaient pas des oiseaux pour manger le riz et le maïs » (2).
Les populations Odzukiu sont restées très attachées à la consommation' des tubercules
(féculents) qui constituent l'essentiel de leur alimentation. L'alimentation Odzukru est dominée
par le manioc qui permet à la fin de chaque semaine la préparation de l'attiéké. L'attiéké est
obtenu après cuisson de la farine de manioc. Mais la préparation de l'attiéké est complexe. Le
manioc est d'abord transformé en pâte et ensuite en farine. L'attiéké est l'aliment de base de toutes
les populations vivant en bordure de lagune Ebrié (Odzukru, Tchaman, Alladian, Avikam et
Aïzi). Cet aliment sert de trait d'union entre tous ces peuples. L'hostilité des Odzukru pour la
culture du riz et du maïs ne décourage pas l'administration coloniale française. Elle ne baisse pas
les bras; elle tente de nouveau d'introduire dans le Lodzukru l'agriculture de rente.
Timide développement de l'agriculture de rente
Après l'érection en 1893 de la Côte d'Ivoire en colonie autonome de plein exercice, la
jeune colonie doit s'autofinancer c'est-à-dire trouver les fonds nécessaires à son développement.
Les ressources de la Côte d'Ivoire seront constituées des recettes douanières, des patentes et des
recettes d'exportation de l'huile de palme et du caoutchouc de cueillette. Les exportations de
l'huile de palme jusqu'en 1899 constituent
1- A N. S : Section AO.F. série 5G28 P. 12
2- A N. S : Section AO.F. série 5G28 P. 12
3- Enquête réalisée le 22 Août 1988 à Dibrim
506
plus de 80 % des recette d'exportation de la colonie de Côte d'Ivoire (l). Or, depuis le début des
années 1890, le prix de l'huile de palme sur le marché international ne cesse de décroître. Le prix
de l'huile atteint son plus bas niveau en 1897 (2). Cette baisse entraîne non seulement
l'appauvrissement des populations situées sur la rive Nord de la lagune Ebrié et dont la principale
source de revenu était constituée des exportations de l'huile de palme mais aussi des maisons de
commerce établies dans
les
marchés-débarcadères
du
bassin
occidental
de
l'Ebrié.
L'augmentation du prix d'achat du caoutchouc-cueillette pour inciter les paysans à se consacrer à
la récolte de ce produit ne permet donc pas aux maisons de commerce de réaliser d'importants
bénéfices.
Le caoutchouc cueillette en 1895 devient une des principale sources de revenu de la Côte
d'Ivoire. Mais il sera très vite concurrencé par le caoutchouc-para d'origine asiatique. Le
caoutchouc-para, couvrant plus de 50% du caoutchouc consommé dans le monde, provenait des
plantations. C'est du bon caoutchouc, apprécié par tous les utilisateurs. Il contenait très peu de
déchets par rapport au caoutchouc de cueillette (3).
La chute des prix des produits de base provoque aussi la diminution des ressources de la
colonie. Ainsi l'administration coloniale décide de développer dans la région de la Côte où
l'autorité de la France était admise par toutes les populations, mêmes par les plus indépendantes
(4), une agriculture de rente.
Le café et le cacao, deux cultures arbustives, originaires de l'Amérique sont introduits en
Côte d'Ivoire au cours des années 1880. C'est dans la région d'Assinie qu'est lancé le
développement de l'agriculture de rente. Le village d'Elima est le premier à accueillir les
plantations de café. La région d'Assinie sert alors de région pilote au développement de
l'économie arbustive en Côte d'Ivoire. L'objectif de l'administration coloniale française en
favorisant le développement de l'agriculture de rente est de diversifier les sources de revenu de la
colonie afin qu'elle ne soit plus dépendante du binôme huile de palme - caoutchouc-cueillette.
Les prix d'achat de ces deux produits de cueillette évoluant vers la fin des années 1890, en dents
de scie.
1- A. N. C. 1 : Série lEE 122 (1)
2- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G1 (28) pièce Il
3 - A. N. C. 1 : Série lEE 122 (4) p. 3
4- A. N. C. 1 : Série lEE 122 pièce 7
507
Les populations des reglons du Sud-Est et de J'Est sont réceptives à cette nouvelle
agriculture. Elles créent les premières plantations de cacao en prenant pour modèle les colons
européens (1). Parmi les maisons de commerce, un grand nombre se lance dans l'agriculture de
rente afin d'accroître les bénéfices affectés par la baisse constante des prix de l'huile de palme.
Ainsi, des maisons de commerce par le système des concessions obtiennent des terrains et créent
des plantations de café et de cacao (2) .. La compagnie française de Kong et la maison Verdier
créent des plantations de cacao et de café à Elima, cercle d'Assinie (3). Pour le développement de
ces nouvelles cultures, la main -d'oeuvre est fournie par les régions du Nord. La grande majorité
des manoeuvre utilisée dans les plantations du Sud-Est et de l'Est sont originaires du Soudan et
précisément du pays Sénoufo (4).
Les guerres Samoryennes favorisent aussi une descente massive des soudanais vers la
Côte. On demandait pour une plantation de 10 à 25 hectares plus de trente manoeuvres dans les
plantations du Sud-Est est faite par l'administration coloniale. Certains manoeuvres sont
originaires du pays Baulé (6). L'agriculture de rente dans le Sud-Est connaît un grand succès,
c'est pourquoi l'administration coloniale décide de l'étendre au pays Odzukru dont l'économie
dominée par les exportations de l'huile de palme rencontre d'énormes difficultés.
Le pays Odzukru, selon l'administration coloniale, a de nombreux atouts. L'agriculture
arbustive peut connaître un développement spectaculaire. En effet, les conditions climatiques sont
favorables. Les précipitations sont abondantes dans cette région ; les Odzukru sont d'essence
paysans et le sol est fertile. Mais, les Odzukru, enrichis dans les années 1840 et 1850 par les
exportations de l'huile de palme refusent de rompre avec ce qui fut tout temps leur principale
source de revenu. Ils deviennent réfractaires au développement de l'économie de rente. Les
grands centres de production de l'huile de palme, Orgbaff, Sur et Dibrim sont les plus opposés à
la culture arbustive.
1- A N. S : Section Côte d'Ivoire série 2Gl (25) pièce 6
2- A N. S : Section Côte d'Ivoire 2Gl (25) pièce 6
3- A N. S : Section Côte d'Ivoire 2Gl (25) p. 17
4- A N. S : Section Côte d'Ivoire 2Gl (25) p. 14
5- A N. S : Section AO.F. série 5G34 (25) p. 6
6- A N. S : Section Côte d'Ivoire 2G 1 (25) pièce 2
508
Les populations de ces trois villages se refusent à faire de l'agriculture de rente pour
plusieurs raisons. D'abord, malgré l'effondrement des cours de l'huile de palme, les Odzukru ont
foi en une éventuelle reprise des cours. Ensuite, les paysans ne comprennent pas pourquoi, ils
s'adonneraient à une agriculture dont les fruits ne sont pas consommés directement et qu'il faut
attendre au moins sept (7) ans avant que les arbustes ne rentrent en production. Enfin, les
populations s'interrogent sur l'attitude des Français. Elles ne comprennent pas pourquoi les
Français qui se sont battus durant des décennies contre les Oboru pour le contrôle du trafic de
l'huile de palme veulent-ils instituer la culture arbustive dans le Lodzukru, première région
productrice d'huile de palme.
Pour inciter les populations Odzukru à s'intéresser à la culture cacaoyère, l'administration
coloniale fournit gratuitement aux paysans les cabosses devant servir à la création des pépinières.
Mais les paysans laissent les cabosses pourrir. Des amendes sont infligées par la suite aux
paysans afin de les contraindre ci s'orienter vers l'agriculture de rente. Malgré cette contrainte, les
Odzukru continuent de se livrer
presqu'exclusivement à la production de l'huile de palme, à
l'agriculture vivrière, à la pêche et à la chasse.
Mais, l'hostilité des populations, n'empêchera pas un développement, certes, timide de la
culture arbustive dans le Lodzukru, En effet, en 1897, est créé à Dabouun jardin botanique qui
prend plus tard la vocation d'une station d'expérimentation (pépinière). Toutes les plantes devant
faire l'objet d'une culture moderne sont expérimentées, étudiées. La vocation de cette station est
d'étudier les plantes tropicales pour connaître leur évolution, comportement et productivité,
d'étudier les conditions du sol et de favoriser par la sélection les meilleures espèces au lancement
de l'agriculture arbustive sur toute l'étendue du territoire ivoirien. Ainsi, sont expérimentés dans
cette station, les plants de cacao, café et hévéa. La création des premières plantations de
cacaoyers dans le Lodzukru est l'oeuvre des maisons de commerce. En effet, depuis le début de la
décennie 1890, les chutes répétées du prix de l'huile de palme sur le marché international obligent
les maisons de commerce installées dans le pays Odzukru, pour leur propre sécurité, à diversifier
leurs sources de revenu afin d'éviter une quelconque faillite. Ainsi, en plus du contrôle exercé sur
le commerce du caoutchouc-cueillette, elles se lancent dans l'exploitation agricole. La société
française de la Côte de Guinée obtient à Dabou une concession de près de 100 ha pour la création
d'une plantation de cacaoyers et pour la construction
509
d'une factorerie (1). La société française de la Côte d'Ivoire (SFCI) reçoit aussi une concession de
14 ha dans la région de Cosr pour la création de plantation de cacaoyers' (2). L'action des
maisons de commerce fait des émules dans le Lodzukru. En effet, quelques années plus tard, en
1914, les paysans de Lokp et de Yassakp acceptent de s'orienter vers l'agriculture de rente. Au
cours de cette période, le prix d'achat du cacao au kilogramme est de 2 F tandis que celui de
l'huile de palme est de 48 centimes et 28 centimes pour le palmiste.
La baisse des prix de l'huile de palme est donc à l'origine du développement de l'économie
de rente en pays Odzukru. Mais les Odzukru ne s'intéresseront à la culture cacaoyère que vers
1920. A la suite de la culture du cacao se développe aussi les cultures du café, de l'ananas et du
sisal. Le développement de la culture de sisal et de l'ananas est l'oeuvre des colons français.
Ainsi, Charles Leguane obtient de l'administration coloniale 180 ha de terrain pour la culture de
l'ananas et de sisal (3).
La décennie 1890, est une année difficile pour la population Odzukru à cause de la baisse
des prix des produits d'exportation, surtout de l'huile de palme. Mais, malgré l'instabilité des
cours des oléagineux, le Lodzukru demeure le principal entrepôt des produits manufacturés pour
les régions de l'intérieur.
6/ Pays Odzukru, entrepôt des produits manufacturés
Le commerce du XIXè siècle fait du pays Odzukru, le principal entrepôt de produits
manufacturés pour les régions de l'arrière pays. Depuis la fin du XVIIIè siècle, le pays Odzukru
en contact avec le littoral maritime Alladian était devenu une zone de transit pour les produits
tropicaux et européens faisant l'objet de transaction commerciale entre les régions de l'intérieur et
la côte maritime. Les produits venant de la côte (sel, étoffes, armes à feu et la pacotille) dès la
période de la traite négrière transitaient par le Lodzukru pour les régions de l'intérieur. Au XIXè
siècle, suite à la traite de l'huile de palme, le Lodzukru dans son rôle de centre de transit devient
l'un des plus importants centres commerciaux du haut Ebrié. Le pays Odzukru selon ESSOH
LATTE Benoît est un passage obligatoire pour tous les commerçants qu'ils soient de l'intérieur ou
de la côte.
1- A. N. C. 1 : r.o.c.r 1898
2- A. N. C. 1 : lO.C.I 1898
3- A. N. C. 1 : Série 1RR 6 pièce 4
5]0
Tous les produits manufacturés européens sont entreposés dans le Lodzukru. Les centres
commerciaux de Dabou et de Tukpa abritent de grands entrepôts d'armes à feu, de sel, de
verroterie, d'alcool, de tabac, de boîtes de conserve et de quincaillerie. Tous ces produits
proviennent du port de Grand-Bassarn et des centres de mouillage de la côte Alladian (Emoquah,
Bodo Ladja et Addah. Le débarcadère de Cosr est approvisionné par Grand-Lahou. Le centre
commercial de Grand-Lahou devient un entrepôt, de même que Tyasalé, situé à près de 90 km de
la côte. Grand-Lahou et Tyasalé sont reliés par le fleuve Bandama appelé en Odzukru "Djita". Le
transport entre les deux centres commerciaux est assuré par les vapeurs et les pirogues. Le fleuve
Bandama est navigable pendant toute l'année sur soixante cinq (65) kilomètres pour les vapeurs.
Le reste de la distance séparant Ahouenu et Tyasalé se fait en pirogue (l).
Le centre commercial de Tyasalé reste le principal entrepôt de l'arrière pays. Ce centre
approvisionné en produits de traite par Dabou et Grand-Lahou se spécialise dans le commerce
des produits alimentaires (sel + tabac), des étoffes, des esclaves importés des régions Sénoufo et
des armes à feu (2). Les produits manufacturés importés de la côte sont ensuite exportés vers le
Soudan, le Koueni, le Baulé Nord et le pays Abê.
L'approvisionnement de l'arrière-pays en produits manufacturés devient régulier grâce à la
,construction du Wharf de Grand-Bassam et du tracé en ]897 de la voie du Nord qui relie Dabou à
Tyasalé, facilitant ainsi la communication entre la côte et l'arrière pays.
La décennie 1890, malgré la chute des prix des oléagineux, est considérée comme la
période de la relance économique de la colonie de Côte d'Ivoire. Au commerce traditionnel
d'oléagineux dominé par les exportations d'huile de palme et de palmiste s'ajoute la production
du caoutchouc-cueillette et l'exportation du bois. La diversification des sources de revenus suscite
l'installation de nombreuses maisons de commerce européennes à Grand-Bassam et sur tout le
littoral Sud-Est. A Grand-Bassam sont installés des établissements commerciaux appartenant à
des ressortissants allemands, Anglais et Français. Sur le littoral Alladian et Avikam se trouvent
des établissements commerciaux appartenant uniquement aux ressortissants Anglais (3).La
maison R.W. King et Rider implante des sous-comptoirs dans les centres commerciaux du littoral
Alladian. Les subrécargues de Bristol transforment des anciens navires en factoreries dans le but
d'établir des relations commerciales directes et suivies avec
1- A. N. C. 1 : Série lEE 28 (2) p. 6
2- A. N. C. 1 : Série lEE 28 (1) p. 4
3- A. N. C. 1 : Série IBB 6 p. 14
511
les populations africaines. Ce qui les amène à ne plus dépendre des services des courtiers
africains. La plupart des maisons de commerce installées à Grand-Bassam et à Assinie établissent
leurs succursales à Dabou. Toutes les sociétés commerciales sont alors représentées à Dabou.
L'instauration en 1892 du trafic direct entre Grand-Bassam, premier port maritime de la
colonie et Dabou principal port lagunaire de l'Ebrié, fait de Lodzukru, le plus important centre
commercial de la côte après Grand-Bassam. Dabou est alors relié à tous les centres économiques
de l'intérieur. Des régions de l'arrière-pays descendent à Dabou les produits tropicaux (or, ivoire,
huile de palme, caoutchouc de cueillette). Ces produits sont ensuite échangés contre les produits
manufacturés européens. Les produits tropicaux sont ensuite évacués sur Grand-Bassam par les
navires marchands qui sillonnent périodiquement la lagune Ebrié.
Une bonne partie des produits manufacturés consommés dans les pays Abidji, Abê, Baulé
et Koueni proviennent de Lodzukru. Le transit fait de Dabou un centre commercial prospère où
commerçants africains et européens se livrent à une véritable concurrence. De Dabou sont
acheminés vers l'intérieur de la Côte d'Ivoire, les premiers fusils à piston. Ces fusils sont
introduits en côte de l'or en 1892, principalement à Grand-Bassam par la société coloniale
française (1). Les fusils à piston étaient très efficaces et leur large diffusion en Côte d'Ivoire avait
constitué pour l'administration coloniale française, un véritable obstacle à la pacification de la
colonie. L'arrêté de 1889 du résident de la France en Côte d'Ivoire n'autorisait que la vente des
fusils à silex. Cet arrêté interdisait les importations et la vente des autres types de fusil. Les
importations des fusils à piston en Côte d'Ivoire étaient la manifestation de la volonté des
maisons de commerce de libéraliser le commerce et de rechercher les articles sur lesquels, elles
pouvaient réaliser d'importants bénéfices. Les fusils d'origine européenne appelés fusils
d'importation étaient très appréciés par les populations africaines.
Grâce aux produits manufacturés européens, les Odzukru réussissent à établir des
relations commerciales entre le Lodzukru et l'arrière pays. Le désir des populations de l'intérieur
de posséder les marchandises européennes finit par créer une dépendance des populations de
l'arrière-pays à l'égard des populations Odzukru et de la côte maritime.
1- A. N. C. 1: Série IBB 6 pièce 4
512
Les économies Abidji et Krobu deviennent dépendantes de l'économie Odzukru. Les populations
Abidji, Abê et Baulé s'approvisionnent en produits manufacturés européens auprès des Odzukru.
C'est à Dabou qu'elles font descendre par caravanes leurs produits destinés aux échanges. Les
activités commerciales instaurent une chaîne de dépendance des populations des régions de
l'arrière-pays à l'égard de celle des régions côtières. Cette dépendance économique est liée au fait
que les populations des régions de l'intérieur pour leur approvisionnement en produits
manufacturés doivent s'adresser aux peuples de la côte maritime en relation avec les maisons de
commerce et les navires européens. Les courtiers de la côte se chargent aussi d'apporter aux
peuples de l'intérieur les produits manufacturés dont ils ont besoin. Les courtiers de la côte se
rendent dans les régions de l'intérieur avec les produits européens et redescendent ensuite avec les
produits tropicaux.
La dépendance économique des régions de l'intérieur à l'égard de la côte s'est traduite par
l'esclavage des populations de l'intérieur qui servent de main-d'oeuvre' serviles à celles des
régions méridionales. Les populations Abê, Abidji et Krobu constituent de la main-d'oeuvre
servile pour les populations Odzukru qui dépendent à leur tour des populations AI/adian. Les
populations méridionales en contact avec les navires européens et les maisons de commerce sont
riches par rapport aux populations de l'intérieur qui connaissent des difficultés économiques.
Les populations de la côte se sont enrichies avec les différentes traites commerciales qui
ont jalonné les relations commerciales entre l'Europe et la région du golfe de Guinée depuis le
XVè siècle. Les Odzukru, devenus maîtres des Abidji, des Abê et des populations du Baulé Sud
dans la deuxième moitié du XIXè siècle, étaient, avant le déclin des centres commerciaux
Alladian survenu en 1892, esclaves des Alladian (l). Les lignages Odzukru vendaient, pour des
sommes dérisoires, leurs progénitures aux riches marchands Alladian. Le déclin des "ports"
Alladian. Suite à l'effondrement des cours de l'huile de palme et de la construction du Wharf de
Grand-Bassam favorise l'affranchissement des Odzukru de la dépendance économique Alladian.
Car il faut le souligner l'économie Odzukru depuis la deuxième moitié du XVIIè siècle est
dépendante de l'économie Alladian contrôlée par une poignée de courtiers.
1- Les AlJadian étaient les maîtres des Odzukru jusqu'en 1892..
513
L'esclavage (l) qui s'instaure entre le Lodzukru et le pays Alladian est lié au fait que les
Odzukru dépendent pour leur approvisionnement en produits manufacturés européens de a côte
Alladian. Au cours de cette période, les fournisseurs en marchandises importées ont une
ascendance sur les autres populations de la côte maritime étaient très riches et jouaient aussi le
rôle de banquiers pour les peuples de l'intérieur. C'est ce qui permet aux Alladian d'exercer une
influence sur les populations Odzukru. Les Odzukru, dépendant avant 1892, des Alladian,
exercent à la même période leur influence sur les peuples de l'intérieur qui dépendent d'eux pour
1
leur approvisionnement en produits manufacturés européens. Les populations de l'arrière-pays
quant à elles fournissent les esclaves aux Odzukru.
Les produits manufacturés européens entrant dans le Lodzukru ne sont pas uniquement
destinés aux échanges avec l'arrière-pays, une bonne partie est utilisée pour la consommation
locale. Ainsi, la diffusion massive dans le Lodzukru des produits du Nord et de la côte maritime
entraîne de profonds bouleversements culturels et sociaux dans la société Odzukru.
III / L'IMPACT DU COMMERCE INTERNATIONAL SUR LA SOCIETE ODZUKRU
Etudier l'impact du commerce sur la société Odzukru amène à examiner toutes les
modification sociales, culturelles et religieuses intervenues, au XIXè siècle, dans le Lodzukru. li
s'agit alors d'analyser les aspects de la société Odzukru où les bouleversements ont été profonds
ou superficiels.
1) - Naissance de la classe des "Egbregbi" ou des riches
Le commerce en pays Odzukru au XIXè siècle avait eu pour effet de modifier les
structures sociales de Lodzukru en favorisant de nouvelles valeurs fondées essentiellement sur la
richesse. En effet, le commerce en pays Odzukru dominé par les exportations vers la côte
maritime et la vente des marchandises européennes dans les régions de l'intérieur permet un
enrichissement d'une importante partie des Odzukru. Cet enrichissement est à l'origine de la
naissance de deux classes sociales. Les "Egbregbi" (riches) et les "Ogboru" (pauvres). La classe
des esclaves constituant une autre catégorie sociale. Mais les classes sociales en pays Odzukru ne
sont pas figées parce qu'un homme de basses conditions sociales mais libre, peut par la force de
son travail ou par une aide de son lignage célébrer le rituel d"'Agbadzi" qui est un passage
1- Les femmes Odzukru furent les grandes victimes de la traite entre le Lodzukru et le pays
Alladian.
514
obligatoire pour tout Odzukru qui veut accéder à la classe des riches (1).
Pour le peuple Odzukru, la richesse se résumait en trois éléments : les biens matériels
(terre, Of, argent, pagnes), forces de travail (esclaves) et la reconnaissance sociale par le rituel
d"'Agbadzi" (2).
.
L"'Agbadzi" comme l'a défini MEMEL Foté Harris est la cérémonie par laquelle un initié
qui le veut exhibe officiellement sa richesse, offre à manger et à boire aux grands hommes et au
peuple et par cette redistribution d'une partie de ses biens obtient la reconnaissance sociale et
accède à la société des hommes riches (3). L"'Agbadzi" consacre la réussite sociale d'un individu
ou de tout un lignage. Ce rituel accorde la grandeur et les honneurs aux récipiendaires, qui, au
jour de la célébration de la cérémonie, ont droit chacun à un nom tambouriné. Les noms
tambouriné. Les noms tambourinés sont uniquement réservés aux hommes.
L'"Agbadzi" est un ritüel individuel qui se déroule pendant ou après l'initiation. Ce rituel a
une origine Odzukru. Il est d'Armébé.
Selon la tradition recueillie auprès de Mr AFFI Sylvestre (4).
« L"'Agbadzi" est originaire d'Armébé, village de la tribu des Dibrim Egn. C'est un
rituel au cours duquel le récipiendaire exhibe sa richesse et donne à manger à tout le peuple. C'est
un rite individuel qui a lieu pendant ou après l'initiation du récipiendaire. Généralement, il se
déroule quelques années après l'initiation, le temps que le récipiendaire ait des richesses.
A Armébé, il y avait un nommé AKO. AKO était un Letchu. Tous les ans, il célébrait à la
même période, l'anniversaire de sa naissance. Le jour de son anniversaire, AKO faisait une
toilette. Il portait son plus beau pagne, se paraît de bracelets et de chaînes en or. Un jour, lors de
la célébration de l'anniversaire, AKO organisa un banquet et invita toutes les femmes de sa cour.
Les femmes, après le repas, chantèrent les louanges de AKO. Dans leurs chansons, elles disaient
que AKO était le plus généreux et
1- Enquête réalisée à OrgbafTle 27 Août 1987 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE
2- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 143
3- Harris MEMEL Foté : p. 144
4- Enquête réalisée à OrgbafT auprès de Mr Sylvestre AFFI le 25 Décembre 1984.
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515
le plus riche de tout le village. Son coeur est plein d'amour et de générosité ... SOSSO Yamba, un
Armabu du même quartier que AKO entendit les paroles et les poèmes dits par les femmes en
l'honneur de leur bienfaiteur du jour. Ainsi, SOSSO Yamba, lors de la célébration de son
anniversaire organisa un banquet au cours du duquel il convia tous les vieux de son quartier.
SOSSO Yamba fit manger tout le monde et les femmes chantèrent des louanges en son honneur.
Une troisième personne appelée YEDOU, originaire aussi du village d'Armébé fit comme ses
prédécesseurs. Le jour de son anniversaire il organisa un banquet autour duquel il réunit vieux et
jeunes. Après le repas, YEDOU donna à chacun des convives une pièce de manille. Vu
l'importance que prenait la célébration des anniversaires, les Armabu instituèrent I"'Agbadzi" qui
devint un rituel obligatoire que devrait célébrer tout homme après son initiation de "Low" (1).
L"'Agbadzi" a été institué, il y a trois (3) cycles des M'Borma. "Ce qui nous situe entre
(1844 - 1852).
L"'Agbadzi" est originaire d'Armébé comme le "EB EB", le sacre des gouvernants. Grâce
aux liens existants entre les communautés villageoises Odzukru, le rituel d'''Agbadzi'' s'est
répandu dans tout le Lodzukru. Le rituel d"'Agbadzi" institue la société ou classe des riches à
laquelle il sert de filtre. Les précurseurs du rituel d"'Agbadzi" sont connus. Il s'agit de AKO,
SOSSO Yamba et YEDOU. L'institution d"'Agbadzi" comme rite officiel et obligatoire à Armébé
eut lieu au troisième (3e) cycle des M'Bormâ. A Orgbaff la dernière sous classe d'âge des
M'Bormâ Kata a achevé son initiation en 1962. Or, toutes les classes d'âge se renouvellent t
la côte des Quaquah. Les Odzukru qui pratiquaient le troc avaient connu les manilles grâce aux
courtiers Alladian.
La monnaie comme élément régulateur de marché et de change n'est pas inconnue des
Odzukru (2). Mais aucune tradition
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 23 Août auprès de Mr Sylvestre AFF!.
2- Dès leur installation sur la rive Nord de l'Ebrié les Odzukru avaient utilisé dans leurs
transactions les "Araj" et les perles d'aigri comme monnaie.
5/6
ne fait mention de l'utilisation des "Araj" (coquillage) et des perles d'aigri (sat) dans la célébration
du rituel d"'Agbadzi". Les perles d'aigri ne sont utilisées que pour le paiement de la dot.
Au début de son institution, la ceremonie dlllAgbadzi" se limitait à l'exhibition des
richesses (or, pagnes) et au repas offert par le récipiendaire à ses convives. La distribution de
l'argent, "Kapi" en Odzukru n'est intervenue qu'après 1854.
Lili Agbadzi" a un caractère économique et social que politique. Théoriquement, tous les
Odzukru sont tous des hommes libres c'est-à-dire des "a" (1). Avec le rituel d"'Agbadzi", la
structure sociale Odzukru connaît une profonde mutation. Ce rituel est à l'origine de l'avènement
de l'association des riches qui n'est pas un club fermé. Ce rituel, institué par les Armabu, consacre
la réussite sociale et économique d'un individu ou d'un lignage. Les riches vont alors se
différencier des pauvres. Les frais de célébration de cette cérémonie sont évalués à plus de 8
"DU". Les frais de la cérémonie sont repartis de façon suivante : 4 "DU" pour la cérémonie
proprement dite et 4 "DU"
pour l'acquisition ou l'achat d'une esclave. 1 "DU"
= 400 et une
esclave était vendue à 3 "DU". Selon ESSOH Latte Benoît, tout postulant à la cérémonie
d"'Agbadzi" devait obligatoirement acheter une esclave à sa soeur. Mais lorsqu'il était à court
d'argent, il s'achetait un chat, ce qui lui donnait une prolongation de six mois à deux ans pour
s'exécuter (1).
8 "DU" = 3.200 manille. Cette somme paraît une véritable fortune. Pour l'obtenir, le
lignage était obligé de travailler durement pendant une longue période. La célébration du rituel
d"'Agbadzi" n'engage pas uniquement le récipiendaire mais surtout le matrilignage et par
extension le matriclan. C'est au cours de I"'Agbadzi" que se manifeste la solidarité entre les
lignages formant le même matriclan. Cette solidarité se manifeste à deux niveau: d'abord, tous
les matrilignages du matriclan du récipiendaire apportent leur soutien moral et matériel au
matrilignage en fête en lui procurant l'or et les pagnes. Ensuite pour réduire les frais de la
cérémonie, les membres du matriclan dont l'honneur et la dignité sont engagés et faisant partis de
la société des riches, s'abstiennent de percevoir leur argent le jour de la distribution du "Kapi" (2).
En effet, à Orgbaff la société était divisée en deux matriclans : les "Mongu Lael" et les
"DjakoLael". Lorsque le prétendant au rituel d"'Agbadzi" est
membre d'un matrilignage
composant le matriclan des "Mongu Lael", le chef du
1- Cette pratique a été très tôt abolie à cause de la cherté des esclaves.
2- Enquête réalisée auprès de Mr ESSOH LATTE Benoît le 24 Août 1987.
517
matrilignage du récipiendaire procède à un recensement de tous les membres de son malriclan,
membres de l'association des riches. Il convoque alors une réunion du matriclan au cours de
laquelle, ils invitent ses frères à s'abstenir de percevoir leur "Kapi", car une rupture dans la
distribution des pièces d'argent constitue une honte pour le matrilignage et pour tout le matriclan
(l).
L'abstention des membres des autres matrilignages permet au lignage en fête de distribuer
en toute quiétude le "Kapi" aux membres du matriclan des "Djako Lael". L'entraide et la
solidarité permettent alors aux matrilignages de supporter les frais de 1'" Agbadzi" qui exige de
longues années de préparation (2).
La solidarité entre les éléments d'un même matriclan permet à un grand nombre d'initiés
de célébrer le rituel d'''Agbadzi'' par lequel l'homme Odzukru acquiert les honneurs au sein de la
communauté villageoise et l'extérieur. En effet, après la cérémonie d"'Agbadzi", le récipiendaire
qui fait désormais parti de l'association ou société des riches obtient la gloire d'un nom
tambouriné, généralement en Baulé et le droit au tam-tam lors de ses funérailles (3).
Lors des assemblées de village ou de quartier les membres de l'association des riches ont
droit
aux honneurs. Ils s'adressent à l'assemblée debout. Or, les non-membres de cette
association interviennent difficilement lors des débats. Lorsque les non membres de l'association
des riches, c'est-à-dire, ceux qui n'ont pas célébrer le rituel d"'Agbadzi", intervenaient lors des
assemblées, ils s'adressent à leurs concitoyens assis, les pieds allongés. En pays Odzukru, les
pauvres qui forment aussi une classe sociale ont un statut inférieur (4). Les pauvres sont
considérés comme des femmes parmi les hommes (5). Ils n'ont droit ni aux honneurs, ni droit au
Tarn-Tarn lors de leurs funérailles.
Les non initiés ne peuvent prétendre entrer dans la société des hommes riches. Cette loi
exclut de facto, les femmes, les enfants, les esclaves et les étrangers qui obtiennent la citoyenneté
Odzukru de prétendre au rituel d"'Agbadzi".
Les "Egbregbi" (les riches) influencent la vie politique de leurs communautés. Ils
orientent par leur action et en fonction
1- Enquête publique réalisée à Orgbaffle 22 Août 1988
2- Enquête publique réalisée à Dibrim le 24 Août 1988
3- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 123
3- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 142
3- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 142
518
de leurs intérêts la politique générale de leurs communautés. Us sont de fait les maîtres du
pouvoir politique.
La richesse dans le Lodzukru a une origine qui est liée au commerce et surtout à la traite
de l'huile de palme au XIXè siècle. Les échanges précoces avec les courtiers Alladian avaient
permis un enrichissement de la population Odzukru. Des lignages se sont enrichis ainsi que des
individus qui avaient pris le risque de s'adonner au courtage. Le commerce avait alors aidé à la
constitution de fortunes personnelles dans le Lodzukru. L'enrichissement facile provoque
l'éclatement des matriclans en matrilignages indépendants les uns les autres. Les Odzukru, pour
accroître les trésors des lignages et personnels, sentiront le besoin d'une main-d'oeuvre servile, les
Odzukru la trouvent parmi les populations de l'arrière-pays.
2) - Le développement de l'esclavage en pays Odzukru
a) - Les origines de l'esclavage dans le Lodzukru
Le commerce des esclaves dans le Lodzukru était une activité très ancienne. Très tôt,
après leur établissement sur les rives Nord de l'Ebrié, les Odzukru sont confrontés à deux
problèmes : le sous-peuplement de Lodzukru et le manque de main-d'oeuvre pour mettre en
valeur les terre car les Odzukru avaient rompu avec l'économie de cueillette. Ainsi pour résoudre
ces deux problèmes, les Odzukru s'adressent à leurs voisins du Nord: Abidji, Abê et Krobu qui
dépendaient d'eux pour leur approvisionnement en sel et en marchandises européennes. Un
commerce des hommes s'établit alors entre Odzukru et leurs voisins du Nord (1).
Les premières cargaisons d'esclaves seraient constituées de femmes car le premier souci
des Odzukru est de résoudre le problème du sous-peuplement et ensuite celui de pénurie en main-
d'oeuvre servile. En effet, une population moins nombreuse vit constamment dans la peur et dans
l'insécurité car elle est victime des attaques de ses voisins (2). Par contre, une population
nombreuse, note AFFl Sylvestre est synonyme de puissance militaire car la puissance, la force et
l'efficacité d'une armée de guerriers se juge au nombre de porteurs d'armes (3). Les Odzukru note
GBOUGBO ESSIS Etienne étaient constamment en guerre contre les Tchaman qui voulaient
assurer le contrôle de
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984 auprès de ML Benoît ESSOH LATTE.
2- Enquête collective réalisée le 28 Août] 984 à Orgbaff
3- Enquête collective réalisée le 26 Août 1984 à Orgbaff
519
la lagune Ebrié (1). Les problèmes de sécurité et de défense de territoire obligent les Odzukru à
s'acheter des esclaves. Les chefs de lignage ont aussi le souci d'assurer la pérennité de leurs
lignages en s'acquérant des esclaves femelles.
Les esclaves, avant 1854, étaient échangés contre le sel ou les marchandises européennes.
Ainsi, un fusil de type Tower, d'origine danoise était échangé contre une esclave femelle (2).
Les esclaves venant du pays Abidji sont toujours accompagnés d'un jeune garçon âgé de
huit (8) à dix (10) ans (3).
Au XVIIè siècle, sous la pression des traitant Alladian, les Odzukru avaient participé à la
traite négrière. Des marchandes de poisson Odzukru étaient prises de force et vendues aux
négriers sur la côte (4). Les populations des villages de Gaty et de GBOUGBO furent
constamment en guerre contre les négriers Alladian qui capturaient les femmes Odzukru,
vendeuse de poisson pour les vendre aux navires négriers. Les populations de la rive Nord de
l'Ebrié étaient les principales fournitrices en esclaves de la côte Alladian.
La mémoire collective Odzukru pour des raisons de prestige et d'idéologie ne reconnaît
pas avoir participé à la traite négrière. Mais, si nous référons à une estimation française du
volume de la traite négrière que Curtin date des années 1770 et rapportée par Josette Faloppe ln
"Grand-Lahou et le peuplement Afro-caribéen", nous posons alors des interrogations sur les
origines des quatre cents (400) esclaves vendus tous les ans à Jack-Lahou (Addah) (5) ? Depuis la
deuxième moitié du XVIlè siècle, l'essentiel des échanges commerciaux du pays Alladian se
faisait avec les populations de la rive Nord de l'Ebrié, en particulier les Odzukru. Le pays
Odzukru dépendait économiquement du littoral Alladian. Le Lodzukru était approvisionné en sel
marin et marchandises européennes par les courtiers Alladian qui exerçaient une forte domination
sur les peuples de la rive Nord de l'Ebrié. Les Odzukru jusqu'au début du XXè siècle note AFFI
Sylvestre craignaient militairement les Alladian car bien équipés et disposant d'importantes
réserves de poudre à canon. Au XVIIlè siècle, note ESSOH LATTE Benoît, les
1- Enquête collective réalisée le 22 Août 1988 à Dibrim
2- Enquête col1ective réalisée le 26 Août 1988 à Orgbaff
.
3- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 23 Août 1988 auprès de Mr Samuel SESS
4- Harris MEMEL Foté : le système politique de LOdjoukrou p. 243
5- Josette Faloppe : Grand-Lahou et le peuplement Afro-caribéen
520
courtiers Alladian envahissaient un village, capturaient des femmes et des enfants et s'en allaient
les vendre aux navires négriers en mouillage au large des côtes des villages de Addah et Avagou
(1).
Les Odzukru, malgré leur faible peuplement avaient sous la contrainte et la pression des
courtiers Alladian participé à la traite négrière. Le système de mise en gage (Aoba) était le
prolongement
de cette traite. Mais aujourd'hui, l'évocation de cette traite est ressentie par le
peuple Odzukru comme un déshonneur, une honte ; c'est un souvenir très amer pour ce peuple
qui aime établir des différences entre l'homme libre et l'esclave. La vie en pays Odzukru repose
sur deux éléments fondamentaux: la liberté et l'indépendance.
En pays Odzukru, un esclave est un citoyen de second degré. C'est un étranger. L'esclave
est défini par MEMEL Foté Harris comme étant un individu mis en vente et par un acquéreur
acheté à prix d'argent (2). L'esclave est un produit commercialisable. Il est un bien de production
pour son acquéreur qui a droit de vie et de mort sur lui (3). L'esclave qu'il soit mâle ou femelle
avait dans le Lodzukru deux fonctions. Il assure les fonctions de producteur de biens de substance
et de reproduction
des membres du lignage. Il assure à la fois des fonctions économiques et
démographique. Sa condition est différente d'une personne mise en gage et rachetable.
Au XIXè siècle, les Odzukru sentent le besoin de ce pouvoir en main-d'oeuvre servile
pour une bonne, exploitation des palmeraies afin d'accroître la production de l'huile de palme,
principale source de devise de Lodzukru. Tout en maintenant les relations avec les anciennes
sources d'approvisionnement en esclaves: pays Abidji, Abê, Orès Krobu, les Odzukru établissent
de nouvelles relations commerciales avec les populations de Tyasalé. Ce qui leur permit non
seulement de s'approvisionner en or et en pagnes (cotonnades) mais aussi en esclaves. Les
esclaves vendus sur le marché de Tyasalé proviennent des régions Sénoufo, Tagouana, Djimini et
Kong (4). Les guerres Samoryennes avaient, vers la fin du XIXè siècle, favorisé la descente
massive des esclaves vers la zone forestière.
1- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1987
2- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 248
3- Harris MEMEL Foté : Page 248
4- A. N. S : Section Côte d'Ivoire série 2G 1 (28) page 4
521
Les pays Baulé compte en cette période trois grands marchés de vente d'esclaves. Il s'agit
de Bouaké, KADIO-Koffikro et Tyasalé. Mais le plus important de ces trois marchés est KADIO-
Koffikro. Il est le plus grand entrepôt d'esclaves. Souvent les Sofa de Samory y descendent pour
échanger des esclaves contre la poudre à canon ou contre les produits alimentaires. Pendant les
périodes de disette, les Sofa échangent un esclave contre trois poulets' au marché de KADIO-
Koffikro (1). Les esclaves de KADIO-Koffikro sont acheminés à Tyasalé où se rencontrent les
acheteurs de la côte: Odzukru, Avikam et Appolonien. Les traitants de la côte, avant l'avènement
des manilles, exportent vers le centre commerciale de Tyasalé le sel marin et des produits
manufacturés surtout des armes à feu, des alcools et des étoffes. Ils achetaient en retour, de l'or,
des pagnes et surtout des esclaves. Sur le marché, compte tenu de la demande très élevée, une
esclave est vendue à 1.200 manilles et le mâle à 800 manilles.
b)- Le statut social des esclaves
Dans la structure sociale de Lodzukru nous distinguons deux groupes d'individus. Les
hommes libres et les esclaves. Généralement sont considérés comme hommes libres tous les
enfants nés d'un père et d'une mère Odzukru. Les descendants sont de droit Odzukru. Dans le cas
ou le père est étranger et la mère Odzukru, l'enfant est un homme libre car il est l'héritier direct
d'un matrilignage. Il est Odzukru de droit (2).
Lorsque le père est Odzukru et la mère esclave, l'enfant est Odzukru de droit mais il est de
condition servile parce que le statut d'homme libre n'est conféré à un individu que par la ligne
matrilinéaire c'est-à-dire du côté de la femme (3).
Les esclaves dans le Lodzukru ont un statut inférieur. Ce sont des citoyens de deuxième
(2è) degré. Acheté au même titre que l'or et le pagne, l'esclave est un moyen de production et de
reproduction pour son acquéreur. Citoyen de deuxième (2e) degré, l'esclave participe comme les
jeunes de son âge à l'initiation de "Low" lorsque c'est un mâle et de "Dediakp" lorsque c'est une
femelle. Mais le rituel d"'Agbadzi" qui est un rituel uniquement réservé aux hommes libres est
interdit aux esclaves. A Dibrim, en paraphrasant Harris MEMEL Foté, un esclave riche du nom
de NISSE qui émit le souhait de célébrer le rituel d"'Agbadzi" fut frappé de cécité (4).
1- A. N. C. 1: Série 1. O. C. 1année 1898
2- Harris MEMEL Foté : Système politique de Lodioukrou page 120
3- Harris MEMEL Foté : Système politique de Lodjoukrou page 120
4- Harris IvlEMEL Foté : Système politique de Lodjoukrou page 242
522
Selon AFFI Sylvestre, l'acquisition d'un esclave donnait lieu à une cérémonie au cours de
laquelle le mérite de l'acquéreur était vanté, à qui le travail a valu une acquisition, c'est-à-dire une
nouvelle force de travail. Le chef du lignage mâchait une noix de cola puis la crachait à la figure
de l'esclave, en lui enjoignant de ne plus retourner d'où il est venu (1).
L'esclave appartient à la famille matrilinéaire de son acquéreur. Lorsque c'est un mâle ou
une femelle, l'acquéreur devient alors le père et l'oncle de l'esclave. L'esclave note ESSOH
LATTE Benoît porte comme premier nom celui de son acquéreur. Les mâles épousent des
femmes dans la famille de leur acquéreur ou bien c'est l'acquéreur qui lui trouve une femme.
Lorsque c'est une femelle, elle peut épouser son acquéreur ou un membre de la famille de ce
dernier. Lorsque cette priorité n'est pas satisfaite, elle épouse alors quelqu'un d'autre, mais les
enfants issus de ce mariage n'appartiennent pas à la famille matrilinéaire de leur père mais à celle
de l'acquéreur de leur mère.
Les enfants issus d'un mariage entre un homme libre et une esclave ont le statut d'esclave
parce que le statut de descendant d'esclave ne se transmet que par la femme. Par contre, le
descendant d'une union entre un esclave mâle et une femme libre est un homme libre qui peut
hériter de son oncle maternel. Il est autorisé à célébrer le rituel d'" Agbadzi" qui lui permet
. d'accéder à l'association des hommes riches. L'esclave n'a pas droit à l'héritage dans le mat
orsque c'est une femelle, elle accomplit une double mission. D'abord la première mission est
démographique. Par la reproduction, elle assure la continuité et le maintient du lignage. Les
descendants d'une esclave sont appelés" Adiow Egn" en Odzukru et qui forme à l'intérieur du
lignage un autre segment. Elle est aussi un bien de production. Par son travail elle doit contribuer
à l'enrichissement et à la prospérité de son acquéreur et du lignage.
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1984 auprès de Mr Sylvestre AFFI
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1987 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE.
523
Comme indiqué, les descendants des esclaves au sein d'un matrilignage n'ont pas droit à
l'héritage. Ils ont cependant la possibilité, puisqu'ils forment un autre segment, d'héritier entre
eux. Les esclaves qui donnent satisfaction à leurs maîtres ont aussi la possibilité d'accumuler des
biens personnelles (l).
L'esclave en Odzukru se dit "Adu". Lorsque c'est une femelle on l'appelle "Adiow". Au
pluriel, les esclaves s'appellent "Madou". Les esclaves fainéants connaissent une vieillesse
difficile, leurs maîtres ne leur ayant pas procuré une femme. Les plus récalcitrants sont immolés
au décès de leurs acquéreurs afin d'aller les servir dans l'au-delà car le peuple Odzukru croît à
une autre vie après la mort. La vie sur la terre n'est qu'un bref séjour et qu'après la mort il y a la
vie éternelle (2).
Tout membre d'un lignage a la possibilité s'il en a les moyens de se procurer des esclaves
et des femmes étrangères. Les enfant issus de ces unions appartiennent dès lors à son lignage.
a
Au XVlllè siècle et dans la première moitié du XIXè siècle les Odzukru dépendant
économiquement du peuple Alladian mettaient en gage leurs progénitures auprès des riches
courtiers Alladian (3). Les "Aoba Yii ui", comme on les appelait en Alladian, avaient le même
statut que les esclaves, mais la différence entre un "Aoba yii ui" et un esclave est qu'une femme
mise en gage pouvait être rachetée.
Il a été souligné que la traite de J'huile de palme au XlXÈ siècle a permis un
enrichissement et a crée alors une dépendance des peuples de l'intérieur à l'égard du peuple
Odzukru auprès desquels ils vendaient leurs progénitures. L'étude généalogique de certains
matrilignages nous permettent de constater qu'en dehors des femmes esclaves et des femmes
étrangères, on rencontre aussi des femmes mises en gage. Ces femmes mises en gage auprès des
riches traitants Odzukru sont originaires des pays Abê, Dida et Abidji. Les femme s mises en
gage ont, dans le Lodzukru, Je même statut social que les esclaves sauf que l'acquéreur ne peut
disposer de leur vie à sa guise. Leurs descendants note SESS Samuel n'ont pas droit à l'héritage.
L'arrivée massive des esclaves des régions soudanaises due aux guerres Samoryennes
ralentit le trafic traditionnel entre le Lodzukru et les pays de l'intérieur. Les filles mises en gage
sont généralement note SESS Samuel âgées de sept (7) à neuf (9) ans.
1- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 22 Août 1987
2- Enquête collective réalisée à Dibrim Je 22 Août 1988
3- Marc Augé : le rivage A1Jadian page 143.
524
L"'Aoba" appartient à son acquéreur. Les enfants de 1'''Aoba'' ne sont pas rachetables. lis sont
propriétés de l'acquéreur. Les Odzukru aimaient acheter les petites filles de moins de neuf (9)
ans qu'ils pouvaient élever et éduquer à leur manière. Les esclaves femelles achetées à l'âge
adulte à des prix exorbitants (1.200 manilles) constituent très souvent des investissements inutiles
pour les lignages car certaines d'entre elles refusent de faire des enfants. A Orgbaff nous avons
dénombré dans les lignages un grand nombre d'esclave femelles stériles. L'état de stérilité dans
lequel elles se trouvent ne permet pas d'accomplir leur mission d'agent de reproduction.
L'esclave est un signe de richesse. C'est le fruit du travail d'un homme, d'un matrilignage
ou d'un matriclan (l). Agent reproducteur, les femelles ont donc pour mission d'accroître la
population du lignage et lui procurer des bras. Les femmes riches, sans enfants, achètent des
esclaves pour donner des héritiers à leurs frères parce que
la succession en pays Odzukru est
matrilinéaire. Le neveu utérin hérite de son oncle maternel. Lorsque les esclaves sont les seuls
héritiers, ils peuvent alors prétendre la succession. Dans ces conditions, le plus âgé 'des esclaves
devient chef de famille et sa charge la gestion de tous les membres du matrilignage (2).
Les esclaves ont contribué par leurs forces de travail à accroître la richesse de leur famille
d'adoption et à les perpétuer (3). Devenus citoyens Odzukru par l'initiation de "Low", les esclaves
. participent en tant que guerriers à la défense
de leur territoire d'adoption. Ils participent aux
assemblées de village et de tribus comme les hommes libres car ils concourent tous à la défense
et à son extension (4). Ce sont les esclaves qui ont dans le Lodzukru, dans le domaine agricole
introduit la culture de l'arachide et du maïs. Ils ont enseigné aux Odzukru les techniques de
l'élevage du gros bétail. Ils sont aussi à l'origine de l'introduction des techniques qui permettent
aux Odzukru d'améliorer le travail du fer. Les esclaves ont aussi enrichi la culture Odzukru des
contes, des mythes et des chansons des régions de savane et de forêt. Selon les informations
recueillies par MEMEL Foté Harris auprès de Mr ABEDI AKU de bon, les esclaves seraient à
l'origine de l'institution du "Kokoba" dans le Lodzukru (5).
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 26 Août 1988
2- Harris MEMEL Foté : Le système politi~. 128
3- HARRIS MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 128
4- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Août 1986 auprès de Mr Benoît ESSOH LATTE
5- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 175.
525
Les familles Odzukru se sont enrichies au XIXè siècle grâce au commerce de l'huile de
palme et des produits européens distribués à l'intérieur des terres, profitant de leur situation
géographique, zone de transition entre la côte et l'arrière pays, les Odzukru deviennent des
intermédiaires entre les régions productrices des produits tropicaux et la côte maritime. Les
Odzukru tirent profit de cette situation en détournant à leur compte une partie des articles qu'ils
reçoivent des courtiers Alladian et des maisons de commerce installées dans les débarcadères
pour les régions de l'intérieur des terres. Au retour, ils effectuent l'opération inverse. Ils prélèvent
une partie des esclaves, des pagnes de l'or, de l'ivoire et des perles d'aigri qu'ils sont chargés
d'acheminer du Nord vers la côte. Selon AFF! Sylvestre, les traitants Odzukru ont appris cette
pratique auprès des courtiers Alladian qui avaient une longue tradition de négoce.
Enrichis par le commerce, les Odzukru éprouvent le besoin de recourir aux femmes
étrangères afin d'assurer la pérennité des matrilignages.
3 : Le statut des femmes étrangères en pays Odzukru
De l'étude généalogique de certains matrilignages et de matriclans de certains villages
Odzukru, on constate la présence d'un grand nombre de femmes d'origine Abê, Krobu, Abidji et
Dida. Dans la 2e moitié du XIXè siècle, les matrilignages malgré leur enrichissement par le
commerce de l'huile de palme ont une grande préoccupation, celle d'assurer la pérennité des
lignages. Cette mission sociale est confiée aux femmes des matrilignages. Mais lorsque le
matrilignage compte peu de filles et de femmes, le chef de lignage a recours aux femmes
étrangères. Ainsi les Odzukru ont d'abord recours aux femmes Abê, Abidji, et Krobu mais ils en
tirent très peu de satisfaction car la plupart des femmes Abê et Krobu demeurent stériles. Ce
phénomène oblige de nombreux hommes et femmes à se rendre en pays Dida, précisément à
Tâmanbo et dans la région de Lakota pour s'acheter des femmes. Dans le pays Dida, les Odzukru
n'achètent que les femmes et non les hommes. Dans le Lodzukru, les femmes se marient dans la
famille d'adoption . Les enfants issus de ces mariages deviennent membres de la famille de
l'acquéreur. Grâce à ce système, les Odzukru réussissent à pérenniser leurs matrilignages et
matriclans. Les enfants issus de ces unions sont Odzukru de droit c'est à dire des citoyens
Odzukru. Cette leur confère le droit de célébrer le rituel d'Agbadzi réservé uniquement aux
hommes
libres.
Les
descendants
de
cette
es modifications dans le Lodzukru tant au niveau de la
structure que de la pratique.
Société à double parenté
526
La société Odzukru repose sur une double parenté. Le patriclan "Eb", et le matriclan
"Bosu".
L"'Eb" le patriclan regroupe tous les descendants en ligne masculine et ayant le même
aïeul.
Le "Bosu" (matriclan) rassemble tous les descendants maternels en ligne féminine. Parmi
ces deux systèmes de parenté qui règle la vie sociale de Lodzukru, le plus important et dominant
est le "Bosu". Mais, 1"'Eb" est la première structure de parenté de Lodzukru.
L'enfant Odzukru, devenu adulte, à l'âge de vingt cinq (25) ans par la cérémonie de
1'''Esatle'', regagne son oncle maternel qui est tenu de s'occuper de lui jusqu'à la fin de ses jours.
Ce qu'il faut retenir de ce système social, c'est que l'enfant conserve, même adulte, des liens très
privilégiés avec les membres de son patriclan et surtout avec son père. La résidence est
patrilocale. Mais le jeune homme peut élire résidence chez son oncle maternel. Ce qui se dit en
Odzukru "Liré Ayu Eb". (II a élu résidence chez son oncle).
Le jeune homme qui habite avec son oncle crée un autre patriclan qui est contraire à celui
de ses hôtes. Le changement de résidence paternelle ne détruit les liens unissant les membres d'un
même patriclan. Au contraire, le changement ne fait que favoriser son extension (2). On ne
rencontre un patriclan qu'à l'intérieur des frontières de la tribu alors qu'un matriclan se répartit
dans plusieurs villages. Les matriclans "Badi-Sukpa Lael", "Mongou Lael" (3) et "Logbo Lael"
sont répartis sur plusieurs villages.
1- La missionassignée aux femmes Dida est la reproduction.
2- Enquête collective réalisée le 26 Août 1986 à Orgbaff Edzem
3- "Mongou Lael" ou "Bosu Momr".
527
Le matriclan se compose de plusieurs matrilignages appelés "Ugn". Le matriclan se
définit comme le système qui rassemble les descendants maternels en lignes féminine. Mais cette
définition n'exprime pas véritablement la réalité des liens qui unissent les membres d'un
matriclan. Les matric1an ont selon ESSOH LATTE Benoît trois origines (1).
Le matriclan est d'abord le rassemblement de plusieurs matrilignages ayant la même
aïeule. Les descendants d'une femme forme un matrilignage. Après cinq (5) à six (6) générations
la famille devenue très grande et très étendue ne peut plus être contrôlée par une seule personne.
Alors les descendants de chaque fille forment un lignage et c'est l'ensemble de ces lignages qui
engendre le matriclan.
Deux très bonnes amies qui se portent assistance mutuellement pendant les funérailles,
Agbadzi et Dediakp peuvent accepter de fusionner leurs matrilignages pour créer un même
matriclan.
Le matriclan s'obtient aussi par la fusion de plusieurs lignages n'ayant entre eux aucun lien
de parenté. En effet, pour des raisons économiques et sociales. Les lignages moins étendus (peu
nombreux) et matériellement démunis, s'unissent à celui qui est puissant afin que pendant les
moments de difficultés (funérailles) ou de la célébration du rituel d'Agbadzi par l'un de leurs
membres, ils soient soutenus et aidés.
Dans leur grande majorité ce sont donc les considérations économiques qui président à la
formation des matriclans. Le matriclan doit aider les membres à résoudre leurs problèmes
matériels car malgré la prospérité que connaît le Lodzukru grâce au commerce avec la côte,
certains matrilignages restent très démunis. Le matriclan est donc un cadre où se manifeste la
solidarité de tous les membres qui doivent se porter assistance et secours. Par le système de
fusion, de nombreux matrilignages sont pris en charge par d'autres. A Orgbaff, jusqu'au début du
XXè siècle, on notait l'existence de deux matriclans : "Mongou Lael" et Djako Lael".
Le matriclan "Mongou Lael" se compose de : "Yei Lael", "Namné Lael", "Niamka Lael",
"Edjem Lael", "Logbo Lael" etc...
Le matric1an "Djako Lael" se composait de : "Djako Lael", "Yedeï Lael",
"Mankpra
Lael", "Otobro Lael"... etc... A Bobor, le matric1an "Bosu Momron" était formé de plusieurs
1- Enquête collective réalisée à OrgbatTle 22 août 1988.
528
C'est ce jour là que les Orgbaffu revenant de leur expédition fructueuse reçurent d'un oiseau le
surnom de "Kibio" : vaillants guerriers, etc... Lorsque pendant la célébration des funérailles,
Metch Eï tua le boeuf qu'elle avait offert aux Odzukru, ce furent les Orgbaffu qui reçurent la tête
et les pattes... ». Certaines femmes sont plus riches que les hommes. C'est le cas de Us Bode
Name. Elle possède de nombreux esclaves, de milliers de paquets de manilles (Os Ibr) et des
ivoires (1). Elle serait selon ESSOH LATTE Benoît, la première personne qui aurait introduit
1"'Egbr" à Orgbaff L"'Egbr" est un tronc d'arbre servant de tambour et d'instrument de
communication dans le Lodzukru avant l'introduction de l'Attougblan vers le XYIIlè siècle.
Dans la société Odzukru, les femmes ne sont pas exclues de la vie sociale et économique.
Elles constituent l'élément dynamique de cette société. Pour leur intégration dans la société, il
existe une initiation comparable dans une certaine mesure au "Low" des garçons: le "Dediakp".
Le "Dediakp dont les origines se situeraient au XYIUè siècle aurait été institué dans le Lodzukru
par une certaine Kutesan (2). Cette initiation serait empruntée au Tchaman (3). Le "Dediakp" est
une initiation à la fois sociale et économique. Il était inacceptable dans le Lodzukru qu'une jeune
fille avant son initiation mt mère. Lorsque la jeune fille avant son initiation tombe enceinte, c'est
un déshonneur pour la famille entière. Cette situation indiquerait une carence éducative et une
incapacité économique des parents.
Le rituel du "Dediakp" comporte plusieurs phases, mais celle qui nous intéresse est la
partie "Midj Ok" : la toilette. Elles dure sept (7) jours. La jeune fille durant cette période est
soustraite aux durs labeurs de la vie quotidienne. Elle se pare des plus beaux pagnes de ses
parents paternels et maternels. Les parures sont en or. La famille paternelle pourvoit à cette
toilette pendant la première moitié de la période et la famille maternelle pendant l'autre moitié. La
jeune fille fait le tour du village au moins six (6) fois par jour. Par exemple à Orgbaff, à chaque
bout du village, elle change de costume. Le "Dediakp" consacre la puberté de la jeune fille, mais
c'est aussi une épreuve et une rivalité de richesse. Ainsi pour la célébration du "Dediakp", les
femmes sont obligées de travailler durement afin cie constituer des trésors familiaux. La
célébration du "Dediakp" donne aussi lieu à une solidarité entre les femmes du même matriclan.
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1988 auprès de Mr ESSOH LATTE Benoît
2- LATTE EKOUDOU : Le "Dediakp" p. 18
3- Harris NlEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 285
529
matrilignages. D'un village à l'autre, les noms ne sont pas les mêmes, ils changent. Ce sont les
femmes, à travers les mariages, qui essaiment les matrilignages à travers le Leibutu. Mais, une
femme qui se marie dans un village où elle n'a aucun parent s'inféode au matrilignage de son
époux. Par cette alliance les matrilignages de la femme et de son mari en forme un seul (1).
L'aïeule de la famille "Badi Sukpa Lae!" d'Orgbaff, n'ayant aucun parent dans cette localité s'était
inféodée à la famille de son mari "Namné Lae!".
Les commerces du sel au XVIIlè siècle et de l'huile de palme au XlXÈ siècle avaient
permis aux Odzukru de s'enrichir et de former de grands ensembles sociaux à l'image des
matriclans.
Les matriclans sont
des regroupements de plusieurs matrilignages. Mais la
succession à l'héritage (Adja) s'opère dans le lignage en ligne directe. Le neveu utérin hérite de
son oncle maternel. Chaque lignage possède son propre trésor constitué de : or (poudre et bijoux),
de pagnes, d'esclaves et d'ivoire. Le trésor du lignage est géré par le doyen du lignage. Mais à
l'occasion des cérémonies d"'Agbadzi" ou de "Low", les biens matériels d'un matrilignage sont
utilisés par les autres matrilignages du même matriclan. La solidarité et l'assistance ne s'opèrent
qu'à l'intérieur d'un même matriclan. Les lignages qui possèdent des palmeraies les exploitent
avec leurs esclaves, souvent ils ont recours au service des membres des autres lignages. La
solidarité et l'entraide existant entre les membres d'un même matriclan permettent aux
matrilignages les plus riches de soutenir les plus pauvres. Ainsi, les esclaves, l'or et les pagnes
d'un patrilignage peuvent être utilisés par les autres matrilignages du même village ou des autres
villages appartenant au même matriclan. Les matrilignages d'un même matriclan sont égaux en
théorie, mais dans les faits, la puissance économique permet à certains d'exercer leur influence
sur les autres. La richesse économique domine les rapports sociaux entre les Odzukru. Les
matrilignages qui recèlent une forte population d'hommes riches étendent leur suprématie sur les
autres lignages.
Les lignages sont composés d'hommes et de femmes. Chacun des sexes constitue son
trésor. L'élément le plus important du rnatrilignage est la femme parce que c'est elle qui a la
charge par ses maternités de perpétuer le lignage. Les femmes contribuent aussi à la prospérité
économique de Lodzukru. Elles sont les véritables agents du développement économique du pays
Odzukru. Les femmes jouent un rôle important dans la production et le commerce de l'huile de
palme. Elles sont chargées du ramassage et du transport des régimes de palme sur les lieux de
production appelés en Odzukru "GbrossE".
1- Enquête réalisée à Orgbaff auprès de Mr ESSOH LATTE Benoît le 23 Août 1988
530
Les femmes Odzuktu, au XIXè siècle, sont le nerf du trafic commercial entre les Odzukru
et leurs voisins. Elles sont chargées de la commercialisation de l'huile de palme et des autres
produits tropicaux. Elles apportent.l'huile aux traitant dans les débarcadères et ramènent le fruit
de la vente à leurs époux. En plus de l'huile de palme et des palmistes, el1es vendent aux Aïzi et
aux Alladian, voisins des Odzukru, les produits agricoles (manioc, pâte de manioc, attiéké,
igname et du taro). En retour el1es achètent aux femmes Aïzi du poisson et aux femmes Alladian
du sel et du poisson. Les échanges ont lieu une fois par semaine.
Les marchandes de poisson Odzukru parcourent tous les villages de Lodzukru. II existait
un commerce intérieur très intense entre les villages de l'intérieur et ceux de la côte lagunaire.
Parmi les marchandes Odzukru certaines se rendent dans les pays Abidji et Abê pour y vendre du
poisson et surtout le sel. Les produits sont transportés dans des paniers en rotin. Le commerce
permet aux femmes Odzukru de se constituer des trésors (1).
Les femmes Odzukru ont été le moteur de la puissance économique de Lodzukru. Elles
ont contribué par leur ardeur au travail et par leur intelligence à la constitution des trésors
familiaux et de leurs propres trésors. Les femmes et les hommes n'avaient pas le même trésor.
Les femmes tiennent leurs propres commerces. Ce qu'elles gagnent lors des échanges est thésau
rrier Tchaman. Ce fut les Orgbaffu qui ramenèrent à Metch Eï la tête d'un SaponyE Tchaman.
1- Enquête réalisée à Dibrim le 22 Août 1988 auprès de Mr GBOUGBO Etienne
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 20 Août 1988 auprès de Mr ESSOH LATTE Benoît
3- Kutesan pour assurer la perpétuité de son lignage avait acheté une esclave qu'elle appela
Kutesan Adiow
o
4- ESSOH LATTE Benoît: 20 Août 1988. Orgbaff
531
Dans le Lodzukru, toutes les organisations sociales ont un caractère économique. C'est un
élément incitateur pour les lignages qui consacrent une grande partie de leur temps à la
production des biens d'échanges. Malgré la cherté et les difficultés d'approvisionnement des
produits, les lignages réussissent à constituer leurs trésors et certains en particulier les traitants,
leurs fortunes personnelles. Mr ESSOH LATTE Benoît affirme que son aïeul du nom de Fongô
était très riche et qu'il possédait de nombreux esclaves qui lui servaient de domestiques. Tous les
matins, le richissime était réveillé au son d'olifant par ses esclaves. Au cours de nos enquêtes,
ESSOH LATTE Benoît nous a montré les olifants et les pagnes de Fongô qu'il avait hérité de ses
oncles maternels.
La prospérité économique de la région Odzukru due au commerce de l'huile de palme
avait favorisé l'enrichissement de certains individus qui vécurent plus ou moins en retrait du
lignage. La coutume Odzukru dit que les jeunes doivent travailler pour le chef du lignage. Le
neveu utérin travaille pour son oncle maternel. Mais au XIXè siècle, cette coutume qui règne les
rapports entre oncle maternel et neveu utérin est un peu "violé" car on tolère que le neveu
acquiert une indépendance économique vis à vis de son oncle maternel en constituant sa propre
fortune. Par ceux qui ne sont pas directement concernés par la succession. La prospérité de la
société Odzukru va aussi entraîner la modification des pratiques sociales.
5/ Modification des Qratigues sociale
De la prospérité économique de Lodzukru au XIXè siècle résulte une modification des
structures sociales. Ces modifications s'étendent au niveau des pratiques sociales.
a)- L'évolution de la dot
La dot était un élément important dans la consécration d'un mariage en pays Odzukru.
Dans cette société, la dot était versée à la belle famille par le fiancé quelques jours avant le
"Dediakp" de la jeune fille.
La dot en pays Odzukru était une compensation symbolique que le fiancé apporte à sa
belle famille. Elle ne fut jamais dans ce pays un élément d'avilissement et de servitude mais au
contraire, elle célébrait la place de choix que la femme occupait dans cette société non seulement
comme épouse et mère mais aussi comme agent économique. par la dot, note AFFI Sylvestre,
1- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 22 Juillet 1984
532
les Odzukru rendaient hommage à la femme pour son rôle d'agent économique. La femme était le
principal agent du succès économique de son époux. Comme agent économique, la femme fut
l'artisan de la prospérité économique de Lodzukru par sa participation très active dans ·"Ia
production de l'huile de palme. EIIe était au début et à la fin de la production. Elle ramassait Jes
régimes de palme, séparait les fibres de graines des palmistes, transportait et vendait l'huile-de
palme dans les débarcadères. Elle ramenait intégralement la recette à son époux. La femme était
un partenaire indispensable à l'homme.
La femme Odzukru ne fut jamais l'esclave de son mari par le biais de la dot. Elle avait
seulement l'obéissance pour son époux et l'aidait dans ses activités.
La dot, avant la diffusion des manilles (Os lbr) en pays Odzukru dans la deuxième moitié
du XIXè siècle, était versée en perle d'aigri appelées en Odzukru "Sat". Depuis les XVllè
et
XVIIlè siècle, les perles d'aigri étaient utilisées par les Odzukru comme monnaie dans' leurs
transactions commerciales avec la côte (1).
Les Odzukru notent deux origines dans l'introduction des perles d'aigri dans le Lodzukru
(2). La première origine, la plus ancienne est la côte maritime. Les Odzukru affirment avoir reçu
les perles d'aigri du peuple Alladian qui était en relation commerciales
avec les Eotilé de la
région de la côte de l'or c'est-à-dire le Sud-Est Les Alladian utilisaient dans leurs transactions
commerciales les perles d'aigri qu'ils appelaient "Ekedi" (3). Ce fut donc du pays Eotilé que les
perles d'aigri depuis la deuxième moitié du XVIlè siècle furent diffusées dans le pays Quaquah et
ensuite sur fa rive Nord de la lagune Ebrié. La deuxième source de pénétration des perles d'aigri
dans .le Lodzukru est le Baulé. Grâce aux relations commerciales qu'ils entretenaient avec le
Baulé, les traitants Odzukru, depuis le XVIIIè siècle, ramenaient de leurs expéditions des perles
d'aigri dont ils connaissaient déjà l'usage. Les Baulé utilisaient dans leurs transactions
. commerciales, la poudre d'or comme monnaie. Les perles étaient utilisées par les femmes comme
objet de parure. Elles servaient à confectionner des colliers. Dans le Lodzukru,
i- Avant les perles d'aigri, les Odzukru utilisaient les coquillages" Araj" comme monnaie.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 23 Août 1988 auprès de Mr ESSOr-r LATTE Benoît
3- Marc Augé : le rivage Alladian page 43
533
elles servaient à la fois de monnaie et de parures. En effet, les femmes confectionnaient des
colliers que les hommes et les femmes portaient lors des grands cérémonies et rituels tels
1'''Agbadzi'' et le "Dediakp".
Pour le paiement de la dot, on se sert d'une mesure de noix de coco. Une mesure de noix
de
coco
de
perles
d'aigri
correspond
à
1
o Etienne, cette pratique est inconnue à Dibrim par contre elle a cours dans la tribu des Orgbaffu
(2). Le paiement de la dot en perles d'aigri est très pénible. C'est pourquoi dans la deuxième
moitié du XlXÈ siècle, le peuple Odzukru avec l'introduction des manilles (Os lbr) et enrichi par
le commerce de J'huile de palme impose le paiement de la dot en manilles, faciles à acquérir.
La décision prise par les Odzukru de payer la dot en manilles permet à la population de
résoudre deux problèmes. En effet, le paiement de la dot en manilles faciliterait le mariage des
jeunes gens qui peuvent se procurer des sommes nécessaires par une exploitation régulière des
palmeraies du patrilignage. Ensuite, elle supprime les sorties régulières des perles d'aigri qui
rongent les trésors des familles.
Dans le Lodzukru, le mariage a lieu entre dix huit (l 8) ans pour le garçons et quinze (15)
ans pour les filles. Le fiancé doit non seulement travailler pour trouver Ja somme nécessaire au
paiement de la dot, mais c'est aussi à lui que revient la charge d'assurer les dépenses de l'initiation
de sa fiancée.
La dot est fixée par les parents de la fiancée. 11 n'existe ni de somme référentielle ni de
barème. La dot note SESS Samuel est fixée en fonction de la situation sociale des familles (3).
Les familles riches exigent pour leurs filles des sommes élevées, tandis {lue les familles pauvres
demandent des sommes
I- Enquête réalisée le 22 Août 1988 à Dibrim auprès de Mr GBOUGBO ESSIS Etienne
2- Enquête collective réalisée à Orgbaff Edzem Afr le 22 Septembre 1988
3- Enquête réalisée à Orgbaff le 23 Août 1988 auprès de Mr SESS Samuel
534
relativement faibles. Les familles pauvres prennent beaucoup de précaution dans la fixation de la
dot en pensant au divorce. En effet, en cas de divorce, la dot est restituée intégralement dans un
bref délai. Le montant de la dot varie entre trois cents (300) et cinq mille (5.000) manilles. En
plus de la dot, le fiancé offre des cadeaux à sa belle famille, surtout à la maman de sa fiancée afin
de bénéficier de son soutien et de sa complicité. De nombreux produits européens dont les
Odzukru ont fait siens entrent aussi dans le paiement de la dot.
b)- L'utilisation du gin par les Odzukru
Dans le Lodzukru, le début de toute cérémonie donne lieu à une libation. On utilise l'eau
ou la boisson pour invoquer les dieux et l'esprit des ancêtres. Mais lors des cérémonies officielles,
c'est la boisson qui est utilisée. La boisson servant au libation avant la traite de l'huile de palme
est le vin de raphia car l'abattage des palmiers à l'huile est interdit. Le palmier à huile est l'arbre
sacré des Odzukru et l'huile de palme leur principale source de revenu. C'est le principal produit
d'échange. On rencontre dans le Lodzukru, en bordure des ruisseaux et dans les zones de
mangrove, d'importants peuplements de palmiers à raphia. Les Odzukru utilisent les nervures et
les feuilles de raphia pour se construire des cases. Les nervures du palmier à raphia sont aussi
utilisées pour la confection des lits. Le vin de cet arbre est très apprécié par la population
Odzukru. Les populations Odzukru créent autour de leurs villages des plantations de palmiers à
raphia. L'existence de cet arbre favorise dans le Lodzukru le développement d'une activité et la
naissance d'un corps de métier, celui des tireurs de vin de palme. Une calebasse de vin de raphia
note ESSOH LATTE Benoît est vendue à trente (30) manilles. L'activité des tireurs de vin de
raphia dans le Lodzukru est très florissant. Cette activité entraîne une forte migration de Baulé
tireurs de vin de raphia en pays Odzukru. Le commerce de vin de raphia procure d'importantes
sources de revenu à tous ceux qui s'y donnent.
Mais l'introduction par les Alladian dans le Lodzukru des boissons alcoolisées importées
surtout le gin et le rhum, la production de vin de raphia provoque un ralentissement. Le vin de
raphia perd alors son rôle de boisson de cérémonie. D'autre part la production de vin de raphia est
pénible. Le tireur de vin de raphia doit d'abord abattre l'arbre, le laisser au sol pendant trois à
quatre jours avant de le dépouiller de toutes ses palmes. Souvent le palmier à raphia reste debout
et le tireur grimpe jusqu'à la frondaison du palmier. Là, il enlève quelques palmes et fait un trou
qui atteint le coeur du palmier avant de fixer la
535
calebasse. Le vin tiré doit être fermenté pendant trois à quatre jours afin de le rendre alcoolisé. Le
vin de raphia attire les mouches, vecteurs de plusieurs maladies. Enfin, il arrive que certaines
personnes lorsque le vin n'est pas encore tiré, introduisent dans les calebasses des produits
toxiques (liquides d'arbres toxiques ainsi que des insectes) dans le but d'empoissonner les autres.
Cette pratique était très fréquente. Ainsi, face à tous ces problèmes et dangers, les Odzukru
préfèrent l'utilisation du Rhum et du Gin dans les différentes cérémonies.
Les bonnes relations commerciales existant entre les populations de la rive Nord de
l'Ebrié et
celles de la côte maritime permettent aux courtiers Alladian, d'introduire dans le
Lodzukru, grâce à leur contact avec les navires anglais des boissons alcoolisées dont le Rhum et
le Gin. La consommation des boissons importées se répand dans le Lodzukru grâce à l'installation
des maisons de commerce (1). Les Odzukru sont alors régulièrement approvisionnés par les
Alladian et les maisons de commerce. Le Gin remplace ainsi le vin de raphia lors des libations.
Le Gin devient alors la' boisson des cérémonies officielles (2). La bouteille appréciée par les
Odzukru est la bouteille verte dont l'étiquette porte cinq jetons. Les Odzukru l'appellent "Gin
De'n - De'n".
Ainsi, depuis le XIXè siècle, le Gin est considéré dans le Lodzukru comme la boisson des
dieux. En effet, parmi toutes les boissons introduites dans le Lodzukru pendant la période du
grand commerce, seul le Gin est utilisé pour invoquer les dieux "Foniambâ, Afr et Us", les génies
et les ancêtres. C'est aussi la boisson de luxe car on reçoit ses amis ou ses invités en leur offrant
du gin. Le Gin devient alors au XIXè siècle, la principale boisson des sociétés lagunaires,
maritimes, de la forêt et de la savane qui participent aux échanges commerciaux avec l'Europe
(3).
Le Gin est l'une des premières boissons alcoolisées étrangères à être introduit dans le
Lodzukru. Son acceptation par les Odzukru se fait sans difficulté. L'installation des maisons de
commerce européennes et africaines dans les débarcadères et centres commerciaux de Lodzukru
favorise la consommation du Gin et des autres produits importés tels que le tabac.
1- A. N. S : Section A.O.F. série 5G26 p. Il
2- Le Gin est versé à l'occasion des cérémonies officielles: "Dediakp", "Low", "Agbadzi", "Eb",
funérailles et sacrifices.
3- "Le grand commerce" au XlXÈ siècle est la traite de l'huile
536
c) - La consommation du tabac
Le tabac aromatisé est d'origine étrangère. II a été introduit dans le Lodzukru vers 1830
(1). Le tabac, les alcools et les tissus sont les premiers produits européens à être introduits sur la
rive Nord de l'Ebrié au cours de la traite de J'huile de palme. Avant son apparition, la plante
(solamacée) originaire d'Amérique était connue dans la zone forestière appelée en Odzukru "Asra
ou Ta'ba. Le tabac était domestiqué dès le XVlÈ siècle par les Odzukru (2). Le "Asra", d'une
hauteur de un mètre vingt (1,20 m) était planté par les paysans Odzukru. Il faisait l'objet d'une
transaction commerciale interne. Sa production n'était pas destinée à J'exportation mais était
consommée sur place. Les Bambara note ESSOH LATTE Benoît approvisionnaient aussi le
Lodzukru, ce qui permit aux Odzukru de satisfaire leurs besoins
La population des consommateurs de tabac dans le Lodzukru était très élevée. Cette plante
était très prisée par les Odzukru qui ne connaissaient pas la cigarette. Le tabac, coupé, et puis
écrasé avec les cendres des peaux de banane appelées en Odzukru "Bro" est chiqué, prisé et
reniflé. Les feuilles séchées sont aussi roulées dans des peaux de banane séchées pour être
fumées.
Les chasseurs en apportent dans des flacons de bambou lors de leurs chasses. Certains
chasseurs affirment que le tabac a des vertus médicinales et qu'il est très apprécié par les génies.
C'est donc un produit que tout chasseur doit avoir dans sa gibecière avant d'entreprendre une
expédition. Ce produit est obligatoire pour les chasses de nuit. Le don de quelques pincées de
poudre
de
tabac
le famille, surtout à sa belle mère. Une grande majorité de femmes Odzukru chiquent le tabac.
Elles soutiennent que le tabac leur apporte du tonus. Le fiancé, avant les fiançailles, offre par
l'intermédiaire
1- A. N. S : Section A.O.F. série 5G23 p. 12
2- Enquête collective réalisée le 22 Août] 984 à Orgbaff Edzem Arr.
537
de messagers, souvent des membres de son patriclan, à son beau père, une bouteille de Gin et à sa
belle mère deux rouleaux de tabac comportant en moyenne cinq (5) feuilles par rouleau (1). Le
jour de la célébration du mariage, le fiancé, en plus de la dot donne à sa belle mère des cadeaux
parmi lesquels on note un grand nombre de rouleau de tabac. Le tabac fait partie dans le
Lodzukru avec le Gin des biens matrimoniaux.
Le tabac est aussi utilisé lors de la célébration du rituel d"'Agbadzi". En effet, le
récipiendaire offre à ses convives deux flacons de tabac. Il s'agit là de la poudre de tabac. Les
flacons étaient en bambou. Avec la présence des maisons de commerce, les populations Odzukru
sont régulièrement approvisionnées en tabac aromatisé. Les villages Odzukru les plus reculés
sont approvisionnées par les commerçants Dyula qui parcourent toute la région pour offrir leur
service aux populations Abê, Abidji et Orès Krobu en tabac. Les traitants Odzukru exportent
également le tabac à Tyasalé.
Le tabac, très répandu dans le Lodzukru est aussi utilisé par la population masculine pour
tisser des liens de filiation avec leurs belles familles. Le gendre doit périodiquement offrir à sa
belle mère ce produit car pour l'harmonie de son mariage, il a besoin du soutien moral de sa
belle-mère. Il faut souligner que celle-ci participe souvent au côté de sa fille à la récolte des
régimes de palme.
L'abondance du tabac due à l'approvisionnement régulier des maisons de commerce
favorisent l'avènement du commerce du tabac en poudre dirigé par les femmes du troisième (3e)
âge. Ainsi se développe un petit commerce de tabac. Ce petit commerce constitue pour elle, une
importante source de revenu.
Les funérailles
La société Odzukru, au xrxè siècle, est une société pyramidale dans laquelle l'âge et la
richesse accordent beaucoup de privilèges aux individus. Au sommet de la pyramide se trouve les
"Egbregbi" : les riches, ensuite viennent les "Ewis" : hommes libres et enfin les esclaves "Madu".
Dans la classe des "Egbregbi", on distingue deux sous-groupes: les "Eb Ebu" et les jeunes c'est-
à-dire les non "Eb Ebu" sont des patriarches. Ils ont une fonction politico-religieuse et sont les
intermédiaire entre le monde des ancêtres et celui des vivants. Le groupe des "Ewis" constitue la
classe des hommes libres et
1- Les normes ne sont pas identiques dans tous les villages.
Certains villages exigent deux et d'autres huit rouleaux.
538
rassemble tous ceux qui ne font pas partie du groupe des "Egbregbi" (1).
Dans la société Odzukru, la célébration des funérailles est liée au statut de l'individu. Les
morts en pays Odzukru sont vénérés car les Odzukru croient en l'existence d'une nouvelle vie
après la mort. Dans la nouvelle patrie d'accueil, la vie demeure éternelle (2). L'homme étant
constitué de corps et d'esprit, à sa mort, le corps matière périssable reste sur la terre et l'esprit
immortel rejoint le royaume des ancêtres. Compte tenu de tous ces éléments, les funérailles sont
organisées avec des rites particuliers afin de permettre au mort d'accéder facilement au royaume
des ancêtres.
Avant la période des échanges commerciaux, note SESS Samuel, les morts dans le
Lodzukru étaient ensevelis dans des pagnes d'origine Sé11OUfo ou dans des toiles d'écorce
"Likpekn". Ils étaient ensuite enroulés dans des nattes importées du pays Abidji. Les morts
étaient ensuite enterrés à l'intérieur ou à proximité de leurs cases (3). Les funérailles selon nos
informateurs n'étaient pas très grandioses parce que les familles manquaient énormément de
moyens. Les lignages disposaient de peu de pagnes pour ensevelir leurs morts.
Mais au XIXè siècle, la célébration des funérailles sera liée au statut social du défunt. Le
décès d'un "Egbregbi" donne lieu à des funérailles grandiose. Grâce à la traite de l'huile de palme
et au commerce avec les populations de l'arrière-pays, les lignages Odzukru réussissent à se
constituer d'importants trésors. Ceci leur permet de faire face aux dépenses générées par les
décès. Des dispositions selon la tradition Odzukru sont prises afin d'empêcher le défunt de
travailler dans l'au-delà. Ainsi, pour l'ensevelissement d'un défunt, qu'il soit riche ou pauvre,
homme ou femme, vieux ou jeune, la communauté Odzukru exige sept (7) pagnes de qualité. li
s'agit surtout des pagnes Baulé et Koueni. Le "Dzangô", "Sopui" et "Kamitché". Des cercueils
sont fabriqués avec des planches du parasolier "ER" .
Pour l'Odzukru, le statut social de l'individu ne change pas qu'il soit dans le royaume des
ancêtres ou dans le monde des vivants. Lorsque le défunt est un "Egbregbi", en plus des sept (7)
pagnes imposés par la coutume note AFFI Sylvestre, le lignage donne au défunt des bijoux en or
et en perles, des bouteilles de Gin et lorsque c'est une femme, il ajoute aussi de la vaisselle en
porcelaine.
1- Enquête collective réalisée à OrgbaffEdzem Afr le 22 Août 1988
2- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou p. 263
3- Enquête collective réalisée à OrgbafT le 22 Août 1988.
539
Les "Egbregbi" sont accompagnés dans le royaume dans le royaume des ancêtres note
ESSOH LATTE Benoît par quelques uns de leurs esclaves considérés comme récalcitrants. Ces
esclaves auront pour mission de servir leurs maîtres dans l'au-delà (1). Certains de nos
informateurs affirment que cette pratique était inconnue dans le Lodzukru et qu'elle aurait été
empruntée au XIXè siècle au Baulé. Au cours de cette période, les lignages disposaient d'une.
forte population d'esclaves. Ce sont les traitants Odzukru qui, au cours de leurs expéditions
commerciales dans les pays Baulé et Agni auraient introduit cette pratique dans le Lodzukru.
Depuis l'institution du rituel d'Agbadzi dans le Lodzukru, un hommage est rendu par le
Tam-Tam parleur "Attigbani" en Odzukru aux membres de l'association des riches à leur décès.
Cet hommage est uniquement réservé aux membres de la classe des "Egbregbi". Les femmes
riches sont inhumées avec tous les honneurs sauf celui de l'Attigbani.
Les "Eb Ebu", à leurs' décès, ont droit à un défilé militaire "Jaj"."C'est à travers le défilé
militaire "Jaj" que la communauté villageoise ou le quartier rend hommage à un de ses
gouvernants qui a rejoint le monde des ancêtres c'est-à-dire le royaume des invisibles. Le
septième jour, jour de la levée de deuil, donne lieu à l'immolation d'un ou de plusieurs boeufs. Le
coût d'un boeuf est de 210 manilles à Tyasalé (2). Mais les Odzukru préfèrent se rendre au pays
Alladian où les prix sont abordables. Les gendres du défunt ou de son matrilignage sont chargés
de se rendre à Tyasalé, soit à Grand-Lahou ou à Emoquah pour ramener la bête dans le Lodzukru.
Les obsèques dans la plupart des cas ne sont fixées que lorsque le matrilignage du défunt est sûr
de se procurer un boeuf dans les lieux précités pour la cérémonie de levée de deuil.
La conservation des corps n'inquiète pas les matrilignages car les femmes chargées de
faire ce travail utilisent des méthodes qui leur permettent de conserver le corps au moins deux à
trois semaines. Dans chaque matriclan ou matrilignage se trouvent des femmes chargées de laver
les corps de leurs défunts. Ce sont les "Midji Ok Lis El". Les femmes Odzukru ont su très tôt que
dans le corps humain, la partie qui se dégrade très vite est l'abdomen, siège des viscères (3).
Selon nos informatrices, les femmes Odzukru utilisent des plantes qui permettent de faire sortir
tous les déchets que contiennent l'estomac (4), les intestins et les autres organes.
1- A N. S : Section AO.F. série 5G25 p. 11
2- A N. C. l : 1. O. C. l année 1898
3- L'abdomen était la partie périssable de l'homme
4- Enquête collective réalisée à Orgbaff Edzem Afr le 24 Août 1988
540
Les funérailles d'un homme ou d'une femme riche donnent aussi cours à l'immolation d'un
boeuf C'est le cas de Metch Eï de Dibrim qui, pour célébrer les funérailles de son fils unique tué
par
des
Tchaman,
im
ns. A Orgbaff Edzem Afr, après les obsèques, la famille du défunt offre à la
communauté
villageoise, toutes les après-midi, une calebasse de vin de raphia ou une bouteille de Gin. Des
soirées dansantes sont aussi organisées. C'est
l'occasion où les femmes à travers le "Selû"
(poème) rendent hommage au défunt et à ses parents. Les funérailles dans le Lodzukru sont
l'occasion où s'expriment la fraternité et la solidarité du matriclan. Le matrilignage endeuillé est
soutenu par les autres matrilignages .. qui l'assistent moralement et matériellement. Que le
matrilignage soit riche
ou pauvre, les autres lèvent une cotisation afin de l'assister
financièrement. Ils lui apportent aussi des pagnes.
Les pagnes sont chers. Une pièce coûte 60 manilles à Tyasalé. Pour ensevelir les morts, la
coutume exige sept pièces de pagne cela entraîne la ruine des familles, mêmes les plus aisées.
C'est pourquoi la coutume fait participer les gendres à l'enterrement de leurs beaux-pères en
offrant un pagne.
Le mot, avant de rejoindre le pays des ancêtres reçoit tout: bijoux, pagnes, perles d'aigri,
alcools (Gin) et des vaisselles en porcelaine. En fait, ce sont seulement les riches qui reçoivent
des articles avant leur enterrement; les tombes se trouvent à proximité ou à l'intérieur des cases
pour qu'elles soient l'objet d'une surveillance contre les dépouilleurs de tombe (1).
Au cours de nos enquêtes, nous avons eu le privilège et la joie d'examiner ces belles
pièces datant des XVIIlè et XIXè siècles. A l'occasion des pluies, l'eau de ruissellement fait
parfois sortir les articles se trouvant dans les tombes. Pour les récupérer en bon état, on interdit à
tous ceux qui participent ou assistent à l'opération
de récupérage de faire silence. Certaines
femmes ont eu la chance de trouver des perles d'aigri et de l'or.
1- Les pagnes et les bijoux en or étaient souvent volés.
541
Les funérailles grandioses célébrées par Jes Odzukru à partir du XIXè siècle sont le signe
de la prospérité économique de Lodzukru. Les Odzukru, grâce aux expéditeur commerciales ont
aussi fait des emprunts dans les autres sociétés. Les relations entre les Odzukru et leurs voisins
entraîneront dans le Lodzukru des modifications aux plans culturels et religieux.
IV / LES TRANSFORMATIONS CULTURELLES
La civilisation Odzukru est la synthèse de deux civilisations: Krou et Akan. La culture
Odzukru est aussi la résultante du brassage de ces deux sociétés. Mais la culture Odzukru s'est
surtout enrichie au XIXè siècle avec le "grand commerce" qui favorise le contact entre le
Lodzukru et de nombreux peuples avec lesquels ils entretiennent des relations commerciales.
Dans les domaines agricoles et techniques le Lodzukru bénéficie des apports de
l'extérieur. Des esclaves y avaient introduit la culture de l'arachide et de nouvelles techniques
pour l'amélioration du travail du fer, du bois et de la poterie. Les esclaves ont aussi enrichi la
culture Odzukru des contes et mythes de la savane et de la forêt (1). lis seraient aussi à l'origine
de l'institution du Kokoba en pays Odzukru (2). L e Kokoba est du genre Hérault dont les
compétence s'étendent aux relations extérieures. C'est un ambassadeur qui jouit de J'immunité.
L'assassinat d'un Kokoba à l'étranger note ESSOH LATTE Benoît entraîne automatiquement la
guerre (3). Le Kokoba est un messager de paix. La fonction n'est pas héréditaire comme celle du
"Mbua Gbel". Le Kokoba est élu par le peuple (4).
La culture Odzukru ne s'est pas seulement
enrichie de l'apport des esclaves venus des
régions de forêt et de savane, mais aussi des peuples voisins. Selon AFFI Sylvestre d'OrgbafT, les
Odzukru n'auraient appris à porter le pagne que grâce aux contact qu'ils avaient avec les Baulé et
les Appoloniens (5).
Les Odzukru portaient des toiles d'écorce importées du pays Abidji. Les toiles d'écorce
avaient constitué les premiers vêtements du peuple Odzukru. Mais aux XVIIè et XVIIlè siècles,
grâce
aux échanges avec la côte maritime et les régions de savane, les premiers pagnes
apparurent dans le Lodzukru. Ces pagnes étaient très peu répandus. Ce n'est qu'au XIXÈ siècle
1- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 174
2- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou p. 174
3- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 26 Août 1987
4- Harris MEMEL Foté: page 174
5- A N. S : Section AO.F. série 5G23
542
que les Odzukru enrichis par le commerce de l'huile de palme se procurent des pagnes Baulé et
surtout Koueni. Les jours ordinaires, les hommes Odzukru portent comme tenue un "Abraku"
(cache sexe) d'origine Koueni. "L'Abraku" est constitué de trois à quatre bandes de cotonnade que
les hommes font passer entre les jambes. Souvent ils fixent seulement un morceau de pagne à la
ceinture.
Les hommes pendant les jours ordinaires se promènent le torse nu. Mais pendant les jours
de repos appelés "Nenegn", ils portent en plus de l'abraku (1), des pagnes importés du Baulé et du
pays Koueni. Le pagne couvrait tout le corps. La particularité de cette tenue, c'est que les deux
bouts du pagne font leur jonction sur l'épaule gauche tandis que l'épaule droite est découverte. Le
pagne est donc porté comme la toge romaine. Ceci permet donc au bras gauche d'empêcher Je
pagne de tomber et le bras droit d'être libre. L'homme agit avec sa main droite. L'utilisation de la
main gauche est une offense, un sacrilège. Quant aux femmes Odzukrù, leur tenue ordinaire est
constituée d'un morceau de pagne qu'elles se fixent à la ceinture. Mais ce morceau de pagne a
pour rôle de couvrir, une fois debout tous les pieds jusqu'aux talons. Très souvent, elles ne
couvrent que les genoux. Assises, le morceau de pagne devrait aussi couvrir la partie supérieure
de la jambe jusqu'aux genoux. Les jours de tete, elles portent deux morceaux de pagnes. Un
morceau fixé à la ceinture, qui couvre toute la partie inférieure du corps et le second morceau
. toute la partie supérieure. Lorsqu'une femme est nourrice, elle porte toujours deux pagnes. Un
qu'elle fixe à la ceinture et l'autre qui sert à attacher l'enfant au dos. Les femmes Odzukru
reçoivent aussi, note ESSOH LATTE Benoît, des peignes en ivoire du pays Koueni.
Les femmes portent aussi aux mollets des jarretières de perles et au cou des bijoux en or.
Les parures en or et en perles d'aigri sont surtout exhibés pendant les grandes cérémonies comme
le Dediakp et l'Agbadzi.
Les Baulé et les Appoloniens ne furent pas les seuls peuples auxquels les Odzukru
empruntèrent la tenue-vestimentaire. Les européens par le canal des maisons de commerce furent
aussi à l'origine de l'introduction des chapeaux, casquettes, des foulards et des tissus dans le
Lodzukru. Les tisserands Odzukru fabriquent avec les toiles d'écorce des chapeaux que les
guerriers portent lors des campagnes militaires pour se protéger contre les pierres et contre le
soleil. Mais les chapeaux fabriqués par les artisans sont très grossiers. Les chefs de village
Odzukru et leurs notables sont toujours coiffés.
1- L' abraku selon AFFJ Sylvestre est originaire du pays Koueni
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543
Ils s'habillent souvent en chemises et en vestes importées d'Europe. Le port du chapeau et de la
canne
est signe de leurs autorités. Les femmes n'apprennent à se voiler la tête qu'avec
l'introduction des foulards au XJXè siècle. Auparavant, elles nattaient leurs cheveux.
Les Odzukru auraient aussi appris les techniques de la conservation du corps auprès des
Baulé. Ceux-ci avaient l'habitude de conserver le corps de leur défunt pendant un ou plusieurs
mois jusqu'à ce que les cadavres se vident totalement de leurs eaux, se dessèchent et deviennent
des momie (1). De façon générale, en pays Odzukru, ce sont les chefs qui font l'objet d'une
conservation afin de permettre aux matrilignages de bien préparer les obsèques. Pour éviter la
propagation des odeurs fortes et nauséabondes, de l'encens est toujours brûlé à côté du corps.
Au cours de leurs nombreuses expéditions commerciales dans Je Baulé et dans le pays
Agni, souligne ESSOH Latte Benoît, les traitants Odzukru auraient introduit dans le Lodzukru le
langage tambouriné, appelé en Odzukru "Attingbani ou Attigbani". Ce moyen de communication
s'est répandu dans le Lodzukru avec l'établissement de groupes d'immigrants Baulé dans la
région (2). Les Odzukru, comme les autres peuples africains, utilisent les Tambours pour animer
les danses. Mais le Tambour comme instrument de communication est inconnu. Il a fallu le
XVIIè siècle pour que les Odzukru découvrent une autre fonction des Tambours. Nous affirmons
à la suite de nos informateurs que "1'Attigbani" est d'origine Baulé, donc Akan. Tout le langage
de l'Attigbani et les différents codes sont en Baulé. Les noms tambourinés sont aussi en Baulé.
Le langage tambouriné n'est enseigné qu'aux initiés. C'est un langage qui n'est pas accessible à
toute la population.
L'Attigbani est constitué de deux tambours mâle et femelle. Ces deux tambours servent à
communiquer. On les utilise aussi pour la danse, c'est à dire comme instrument de musique.
L'Attigbani est le mémoire collective du peuple Odzukru. Les Tambourineurs retracent l'histoire
de leur communauté et du peuple Odzukru. L'Attigbani est indispensable aujourd'hui à la société
Odzukru.
Ce nouvel instrument de communication a imposé sa suprématie à 1"'Egbr" (tronc d'arbre
vidé de son contenu et dont la partie recevant la lumière porte trois fenêtres. 11 est joué avec deux
baguettes en bois).
1- Enquête collective réalisée à Orgbaff EDZEM AFR le 24 Août 1988.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 24 Août 1988 auprès de M. SESS Samuel.
544
L'Egbr a été le premier moyen de communication de Lodzukru. Avec l'introduction des
tambours en membrane en pays Odzukru, l'Egbr perdit toute son importance et n'est utilisé que
pendant les grandes cérémonies telles que l'Agbadzi. A Orgbaff, c'est seulement à l'occasion du
rituel d'Agbadzi et à la fin de l'initiation de "Low" que l'Egbr sort de sa retraite forcée.
Contrairement au tambour parleur que tout individu mâle peut apprendre à jouer, l'Egbr quant à
lui est réservé à un patrilignage (l).
Le commerce a permis aux Odzukru d'établir de nombreux contacts avec leurs voisins.
Ces contacts leur ont permis d'importer en Lodzukru les danses et les musiques des régions
voisines (Dida, Avikam, Abidji, Alladian etc...) Ainsi au XIXè siècle, le Lodzukru connaît une
floraison de genres musicaux et de pas de danse. En effet, chacune des sept classes d'âge, pour se
différencier des autres crée son répertoire et son style (2).
Les Odzukru sont à l'origine de la création des danses comme l'Egbl, Edz, Medi, Tsatso,
Adj a, Dasuku etc... Mais dans la recherche de l'originalité et de la rareté, ils sont obligés
d'emprunter aux peuples voisins leurs danses et musiques. Selon Harris MEMEL Foté, la
quantité des danses témoigne de l'importance des échanges culturels inter ethniques... (3)
Les Odzukru ont emprunté à chacun des peuples avec lesquels ils étaient en relation, au
moins une danse. Ils avaient pris aux Tchaman "Asgbro", "Dzwa", "M'Baw" et "Sâgwa", aux
Dida : "Bagwa", "KedzrE", aux Alladian "AbourE et "KakafwE", aux Avikam "Ninrâ" et enfin
aux Abidji "NdorE" (4). De nombreuses organisations socio-politiques de Lodzukru sont
également des emprunts de l'extérieur. En effet, le Low et le Dédiakp, initiation de jeunes gens
pour les premiers et initiation de filles pour le second sont empruntés aux Tchaman. C'est au
retour des expéditions commerciales explique SESS Samuel que les marchandes ou marchands
ont introduit de nouvelles danses (5) ou fait à la communauté un rapport de tout ce qu'ils ont vu à
l'étranger.
1- A Orgbaff, seul le patrilignage des ESSIM Lael est autorisé àjouer l'Egbr.
2- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodzoukrou P. 332.
3- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodzoukrou P. 332.
4- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodzoukrou P. 332.
5- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Juillet 1987 auprès de M. SESS Samuel.
545
Le XIXè siècle est un siècle de profonds bouleversements pour le Lodzukru. Les
modifications commencées au XYIlIè siècle connaissent leur apogée au XIXè siècle avec Je
"grand commerce" qui met le Lodzukru au contact des autres régions. A toutes les modifications
va s'ajouter celle de l'habitat.
l : Les Aménagements de l'habitat Odzukru
L'habitat Odzukru comme les autres domaines de la société a subi tout le long du XIXè
siècle d'importantes transformations. Celles-ci ne furent pas radicales mais progressives dans le
temps.
La case en pays Odzukru avait une forme rectangulaire et la toiture en forme de dune.
Elle était en bambou et la toiture en feuilles de raphia tressées que les Odzukru appellent "Papô".
Du XYè siècle jusqu'à la 2è moitié du XIXè siècle n'existait dans le Lodzukru que ce type de
case. Au cours de cette période, l'architecture Odzukru n'avait pas évoluée. Ce qui peut s'analyser
comme un manque d'esprit de créativité. Les cases comportaient généralement deux pièces, une
cuisine et une chambre. Mais quelque fois les cases étaient constituées d'une seule pièce servant
à la fois de cuisine et de chambre à coucher. Les cases indiquaient généralement le statut social
des individus. En effet, les individus possédant plusieurs cases appartenaient à la classe des
"Egbregbi" et ceux avec une seule case à la classe des "Ogboru : pauvres". Les nervures de
palme tressées à l'aide de lianes et appelées en Odzukru "Kpassa" servaient de battants de porte.
mais les riches utilisaient les branches du parasolier (Er) pour fabriquer des portes. Les cours
étaient entourées par des palissades de branches de parasolier.
Les cases étaient de dimensions moyennes. Elles faisaient généralement quatre mètres et
demi de long et trois mètres de large. L'architecture intérieure était très simple. La partie
intérieure comportaient seulement des étagères (Low) en bambou destinées à accueillir les fagots
de bois et d'autres objets. Les femmes riches ornaient l'intérieur de leurs cases avec la vaisselle
en porcelaine, les pots et les perles d'aigri.
Les hommes riches (Egbebi) construisaient des cases comportant des chambres et une
salle de séjour. Le confort de ces cases était très modeste. On ne rencontrait que des chaises en
rotin ou en bambou de raphia. Les lits, appelé en Odzukru "Tôfua" étaient également en bambou
de raphia. mais certains parmi eux possédaient aussi des lits en bojs. Les nattes, importées du
pays Abidji, servaient de matelas.
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546
Mais au cours de la décennie 1890, l'habitat dans le Lodzukru va connaître une
modification profonde ; d'abord avec l'avènement des cases en torchis et l'introduction de
nouveaux matériaux: Tôles, planches et briques. Ces nouveaux matériaux avaient servi, à la
construction de factoreries à Tukpa et à Dabou (1). La quantité introduite sera très faible, ce qui
ne permit pas 'une diffusion dans toute la région.
Le développement du commerce de l'huile de palme au XIXè siècle avait favorisé la
migration de nombreux peuples dans le Lodzukru. D'importantes communautés de commerçants
s'installent dans les principaux débarcadères. Parmi elles, on note la présence des Dyula, des
Appoloniens et des Sénégalais. Ces immigrants fondent des quartiers à Tukpa, Cosr, Mopoyem
et Dabou. Les Sénégalais et les Dyula qui avaient une origine pour la plupart sahélienne utilisent
le torchis pour construire leurs cases. Ils montrent aux Odzukru les techniques de la préparation
du torchis à base de terre rouge appelée "Banco". La torchis est obtenu grâce aux mélanges des
fibres de graines de palme, de l'eau et de la terre rouge. ESSOH Latte Benoît souligne aussi que
les Odzukru auraient appris les techniques de la préparation du torchis grâce à leurs contacts
avec les Baulé. Mais tous' nos informateurs s'accordent à dire que le développement de la
construction des cases en torchis dans le Lodzukru s'est fait grâce aux Sénégalais (2).
Ainsi à partir de la 2è moitié du XIXè siècle deux types de matériaux sont utilisés dans la
construction des cases : le torchis et le bambou. La toiture quelque soit les matériaux est en
feuilles de raphia. Les tôles ne font leur apparition que quelques années après (3). Les tôles ne
sont pas très répandues à cause de son prix d'achat très exorbitant. Les toitures en feuilles de
raphia, après chaque grande saison de pluies (Nyam Esus) font l'objet d'une réparation. Les
vieillards qui n'ont personne pour réparer leur toiture vivent dès lors dans des conditions
difficiles. Leurs maisons sont délabrées car les précipitations régulières détruisent les toitures.
L'indigence dans laquelle se trouve une grande partie de la population est à la base de la
faible espérance de vie de la population. Dans les classes d'âge, peu de gens parviennent à la
magistrature Suprême c'est à dire atteignent le sacre des gouvernants.
1- A.N.CI.: série 1EE 122 (3)P. Il
2- Des briques en torchis avaient été fabriquées.
3- Les tôles furent introduites vers la fin du XIXè siècle.
547
Des riches commerçants (traitants) acceptent de construire des cases en torchis en
utilisant le bois et le "banco". Une modification intervient aussi au niveau de la dimension des
cases. Les nouvelles cases construites en torchis sont plus. grandes et aérées par rapport aux
maisons en bambou. Selon nos informateurs la première maison en torchis fut construite à
Dabou, premier pôle économique de Lodzukru pendant la période coloniale. Les cases en banco
se répandent moins parce que les populations restent attachées aux cases en bambou qui
n'exigent pas beaucoup de travai1. Les Odzukru préfèrent thésauriser leur argent pour les
funérailles et l'achat des esclaves. Seuls les riches traitants, les chefs de village et leurs notables
acceptent de se construire des grandes maisons en torchis avec plusieurs chambres et une salle de
séjour.
La vulgarisation des maisons en briques n'intervient qu'au début du XXè siècle avec la
fondation d'une fabrique de tuile à Dabou par les missionnaires catholiques. La création de cette
fabrique se situe en 1901 (1). La fabrication de briques en tuile entraîne une révolution dans la
manière de construire dans le Lodzukru. Les Sénégalais, avec quatre planches, apprennent aux
Odzukru à fabriquer des briques en se servant de la terre rouge et des fibres de graines de palme.
Ainsi, à partir de cette période, les populations Odzukru optent pour la construction de grandes
maisons. La construction de ces maisons dont les derniers spécimens seront détruits vers 1978,
est réalisée par des maçons Sénégalais. Ces grandes maisons modifient l'architecture dans le
Lodzukru. On rencontre alors en plus des maisons en bambou, et en torchis, de grandes maisons
couvertes de tuiles. Les matériaux utilisés pour la construction des grandes maisons sont
composés de pierres taillées, généralement du granite pour la fondation, de briques en torchis et
en fibres de grains de palme et les tuiles. C'est à partir de 1920 (2) que la construction de grandes
maisons (villas) se répand dans le Lodzukru. Cependant le type de maisons dominant reste les
maisons en bambou, couvertes de feuilles de raphia.
Les villages qui connaissent l'édification des grandes maisons sont les grands centres de
production d'huile de palme: OrgbafT, Sur, Dibrim, Lokp, Tukpa et Yassakp. Ces maisons ont
des coûts très élevés. Selon ESSOH Latte Benoît d'Orgbaff, elles coûtent entre trois mille et six
mille francs, soit 15.000 à 30.000 paquets de manilles. La construction de ces maisons est
l'oeuvre des matrilignages. En effet, les membres d'un matrilignage qui souhaitent accroître
l'influence de leur chef de
1- Corju : la Côte d'Ivoire chrétienne page 160
2- A.N.C!. : série lEE 122 (4)P.5
548
lignage, s'associent pour lui construire une grande maison. Cette maison demeure alors le
symbole de la puissance économique du matrilignage. Mais certains individus, enrichis par les
activités agricoles et surtout par le commerce de l'huile de palme se construisent seuls des
"villas", symbole de leur richesse et de leur succès économique.
Malgré l'avènement du torchis, on rencontre encore aujourd'hui des maisons en bambou
dans les campements de pêche et dans certains viliages.
Autant l'habitat dans le Lodzukru connaît au cours de la période du "grand commerce"
d'importantes modifications autant la vie religieuse est également touchées par les mutations.
2 : Les modifications religieuses
La religion Odzukru était polythéiste. Plusieurs divinités étaient adorées par les
populations. Chaque patriclan avait son dieu et son jour de repos, consacré au sacrifice. Le jour
de repos, appelé en Odzukru "NEN EGN", était un jour consacré au culte du dieu protecteur du
clan. Ce jour là, les membres du patriclan s'abstenaient de toute activité manuelle. Les voyages
étaient aussi interdits. Le "Nenegn", jour sacré était réservé aux sacrifices et aux offrandes des
dieux afin qu'ils procurassent le bonheur et la protection aux membres du patriclan. La semaine
Odzukru était composée de six jours. Mais ce furent les jours de "Li" et de "Lis" qui étaient
consacrés aux cultes des Dieux (1).
Parlant des Dieux, nous disons qu'il y en a eu une multitude dans le Lodzukru. ces dieux
sont hiérarchisés. On a au Sommet "Foniamba", considéré comme l'aîné de tous les dieux.
Foniamba dans certaines localités comme Orgbaff serait l'équivalent de Afr (2). Après Foniamba
se trouve Wus (terre). Le couple Afr (ciel) et Wus (terre) est toujours associé dans les
invocations traditionnelles. Après ces deux dieux majeurs, nous avons les dieux mineurs
constitués par les génies appelés en Odzukru "Elmis" et "Asarnrgbi". Les dieux (Elmis et
Assamragbi) seraient prés-opposés antérieurs à l'humanité et d'origines célestes (3). Mais une
grande majorité d'entre eux vivaient sur la terre. Les montagnes, les baobabs, les ruisseaux et les
étangs sont considérés comme les demeurés des Elmis qui sont immortels. La population des
Elmis est à la fois de race blanche et de race
1- Enquête publique réalisée à OrgbafTle 27 Août 1988.
2- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodzoukrou P.226
2- Harris MEMEL Foté : P.226
549
noire. Elle comporte une division sociale du travail et une division sexuelle. Les Génies-Dieux
vivent comme des hommes. Parmi eux, nous avons les bons et les mauvais.
Dans tous les villages Odzukru, on note la présence d'une forte population de dieux
(El mis). chaque village Odzukru a son génie-dieu protecteur. A Orgbaff, chacun des six quartiers
qui composent le village a son Dieu protecteur, mais le Dieu Suprême qui veille jour et nuit sur
le village et qui protège la population d'Orgbaff est "Assigb". A la veille d'une guerre ou avant
l'initiation des
classes d'âge
cadettes,
la
population
d'Orgbaff,
par
l'intermédiaire des
sacrificateurs, rendent des cultes à "Assigb" en lui offrant des sacrifices et des offrandes (1). Les
Elmis prennent toutes les formes. Ils prennent souvent la forme humaine ou animale. Aux
Génies-Dieux, consacrés comme immortels et qui communiquent avec les hommes par des
signes insolites ou par des songes s'ajoute l'Esprit des morts. Les Elmis sont considérés par les
Odzukru comme étant les premiers occupant de la terre (2).
Les morts ne sont pas morts disent les anciens. lis vivent avec les hommes et seul une
voile les séparent des vivants. Parmi les vivants seuls ceux qui ont un double sens arrivent à
communiquer avec eux. Les morts habitent une région appelée "ONNES" (3). C'est je séjour des
morts. Pour les Odzukru, "ONNES" se situe au ciel (Afr). A "ONNES", les morts vivent comme
sur la terre note ESSOH Latte Benoît. lis mènent les mêmes activités économiques et ont la
même activité sociale. C'est par clan qu'ils se retrouvent à "ONNES". Les vivants, pour recevoir
leur bénédiction, leur adressent fréquemment des sacrifices et des offrandes. Les sacrifices ont
pour objectifs de favoriser et d'affermir les liens existant et unissant les vivants aux morts. Les
vivants cherchent toujours auprès des morts prospérité et protection. La recherche de l'équilibre
grâce au soutient des Dieux et des morts donne lieu dans le Lodzukru à de nombreux cultes.
1- Enquête collective réalisée le 28 Août 1988 à Orgbaff Edzem Afr.
2- Enquête collective réalisée le 28 Août 1988 à Orgbaff
3- Harris MEMEL Foté : le système politique de Lodjoukrou P.227
550
L'UNIVERS RELIGIEUX ODZUKRU
(Le Panthéon Odzukru)
Foniamba
: Dieu
suprême
Afr: Wus
créateur de l'univers.
--------------
(Ciel: Terre)
Dieu fort, puissant, Amour - -
Clément et Miséricordieux
Les Génies (Intermédiaires)
(Elmis - Asamrgbi)
Les fétiches et autres divinités
(Mando, Tanu, Gangagni, Diby,
Asernâ, Gbrègré->-
Esprits des ancêtres
(ONNES AG'N)
551
a : Les cultes Odzukru
De nombreux cultes sont rendus aux dieux et aux morts. Ces cultes ont deux buts
essentiels: Procurer à la population la prospérité et la fécondité et la. protéger surtout contre les
actions maléfiques et destructrices des sorciers. Considérés comme les ennemis du progrès, des
gens hostiles à tout développement. Ce sont des gens de l'ombre. Les cultes rendus au couple Afr
et Wus et aux ancêtres de la communauté ne sont pas des actes l'accomplissement est réservé à
une catégorie d'individus c'est à dire aux prêtres. Chaque individu a la possibilité (droit) de poser
des gestes culturels d'offrande et de sacrifices dédiés aux divinités. Lorsque le culte est rendu par
le lignage ou la communauté villageoise, c'est le doyen du lignage ou de la classe d'âge au
pouvoir qui officie la cérémonie.
Avant le début de chaque saison annonçant l'exploitation des palmeraies, un culte est
rendu au couple Afr et Wus afin que par leur bénédiction, les récoltes soient bonnes, qu'il y ait
plus de graines mûres et que les grimpeurs soient épargnés de tout accident.
Le culte rendu à Wus, la mère nourricière n'a qu'un objectif: faire fléchir la divinité terre
pour que son action renforce celles posées par les paysans (1). Pour l'efficacité, du culte, les
paysans sont tenus d'observer scrupulement les rites et les interdits. Il est formellement interdit
de travailler certains jours de la semaine «NEN EGN». En pays Odzukru, le "Li" pour
certaines personnes et le "Lis" pour d'autres sont réservés aux cultes. La terre est sacrée et
appartient à la fois aux vivants et aux morts. C'est un bien inaliénable. Les vivants n'ont que
l'usufruit. Pendant le "NEN EGN" tout paysan doit observer le repos. La seule activité autorisée,
ce sont les sacrifices et les offrandes aux dieux. Le "NEN EGN" est sacré.
La divinité terre et les ancêtres premiers occupants du sol ont pour rôle de féconder le sol
et de garantir l'abondance des récoltes et le succès des activités. La terre est sacrée. Toute offense
à cette divinité fait l'objet d'une réparation. Le mauvais sort est conjuré par des sacrifices afin
que l'offense n'entraîne pour le peuple, malédiction, calamité et famine (2).
1- Enquête collective réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1988.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 22 Septembre 1988 auprès de M. ESSOH Latte Benoît.
552
En pays Odzukru, l'économie repose sur l'agriculture et l'exploitation des palmeraies.
Tout acte de désacralisation exige la purification. Les auteurs du forfait sont tenus de faire des
sacrifices afin de purifier les lieux souillés.
A l'ouverture et à la fin des saisons, des sacrifices sont offerts à "Wus" terre pour son
. soutien. Des aliments et de la boisson (gin, vin de raphia) composent les offrandes destinées à
Wus. Les aliments, généralement du poisson, de la viande de chèvres (1), des oeufs, des poulets,
des ignames ou de la banane plantain sont cuits. La boisson est versée et distribuée aux
participants. Les sacrifices à la divinité terre se déroulent dans les champs ou dans les palmeraies
(2)
- Le culte de Foniamba
Foniamba est l'ancienne appellation de Dieu en Odzukru, c'est le créateur de l'univers, de
tous les Etres et Végétaux. C'est la plus ancienne divinité de Lodzukru. A ce titre, il est le chef
du Panthéon Odzukru.
Les Odzukru notent deux origines du Dieu Fonimba. Certains Odzukru le considèrent
comme un dieu étranger, importé du littoral en pays Odzukru. D'autres le considèrent comme la
plus ancienne divinité de Lodzukru. Les partisans de la première version suppose que Foniamba
est d'origine Alladian ou Avikam, mais ils ne nous disent pas dans quelle circonstance et à quelle
période, Foniamba a été introduit dans le Lodzukru. Lorsque nous examinons le peuplement dû
littoral Sud-Est de la Côte d'Ivoire, les Odzukru sont parmi les premiers à s'installer dans la
région. Les autres peuples Alladian et Avikam et autres se sont installés vers les XVlè et XVIIè
siècles. Bien avant l'arrivée de leurs voisins actuels, les Odzukru constitués par les Oboru, note
ESSOH Latte Benoît invoquait dans leurs prières Foniamba.
Les Odzukru dans leur grande majorité note SESS Samuel, considèrent Foniamba comme
le Dieu Suprême, le créateur de l'univers et de toutes les créateurs vivants sur terre et dans les
eaux O, Foniamba est un dieu amour et puissant. C'est le protecteur des faibles contres les
méchants représentés par les sorciers. C'est à lui que sont destinés les offrandes. C'est un dieu
clément, mais qui vit très loin des Hommes. Pour les populations, les invocations n'arrivent pas
souvent aux oreilles
1- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou P.230
2- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou P.230
3- Les Odzukru s'étaient très tôt rendus compte que l'univers était l'oeuvre, d'un être Suprême
Puissant.
553
de Foniamba. C'est pourquoi pour l'atteindre et bénéficier de ses grâces note ESSOH Latte
Benoît, les Odzukru passent par les intermédiaires qui sont les génies et les ancêtres (1). JI
n'existe dans le Lodzukru ni sanctuaire, ni autel dédié au Dieu Foniamba, ni prêtre chargé du
culte, pour recueillir les offrandes destinées à ce dieu. Le culte de Foniamba est à la fois privé et
public.
Le dieu Foniamba est invoqué tous les jours lorsque l'individu sent le besoin. Avant le
départ pour les expéditions commerciales, le chef de lignage prend de l'eau ou de la boisson
alcoolisée (Gin) qu'il verse tout en priant. Dans sa prière il demande à Foniamba de prendre sous
sa protection les voyageurs, de les guider et de rendre leurs activités prospères, de garantir leurs
succès. Dans les villages, tous les matins, le chef de la cour (Patriarche ou doyen) observe le
même rite. Avant que les jeunes ne se rendent dans les champs, il prend de l'eau dans une vaste
en terre cuite, se place au milieu de la cour et invoque Foniamba afin qu'il prenne sous sa
protection tous ceux de la cour qui se rendront dans les champs, de leur procurer la force et de
les soutenir dans leur travail. Au début des cultures (création de nouveaux champs) c'est à
Foniamba que les paysans confient leurs plantations pour qu'il les fertilise et leur accorde une
bonne récolte. C'est aussi, à lui, que les lignages confient l'exploitation des palmeraies. Ils lui
demandent de prendre sous sa protection les grimpeurs, de les protéger contre tout accident et de
rendre la récolte abondante.
Au cours des manifestations des organisations socio-politiques de Lodzukru (EB Eb,
Low, Dédiakp, Agbadzi), c'est aussi à Foniamba que les populations Odzukru confient tous les
récipiendaires. Elles demandent pour tous les récipiendaires longue vie et sagesse et pour le
peuple, prospérité, paix et fécondité. Foniamba est au centre de la vie de Lodzukru. Il est le chef
de tous les dieux et, de lui viennent les bénédictions et les grâces. Aucun jour n'est réservé au
culte de Foniamba. Tout au long des six jours composant la semaine Odzukru (Li, LEtchu" Lis,
Ligbis, Low et Litchotch) des prières peuvent être adressées à Foniamba (2).
Les Odzukru, très tôt se sont rendus compte que Foniamba est Amour, Puissant et
clément, mais très loin. 11 ne peut par conséquent empêcher les sorciers de détruire les hommes,
de leur lancer des malédictions et de faire obstacle à la
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 25 Août 1988 auprès de M. ESSOH Latte Benoît.
2- Enquête réalisée à Orgbaff le 23 Octobre 1991 auprès de M. ESSOH Latte Benoît.
554
réussite de leur entreprise (commerciale ou artisanale). Il ne peut aussi les punir pour leurs
mauvaises actions. C'est pourquoi les Odzukru se sont tournés vers les Fétiches, considérés
comme des forces visibles dont l'action est immédiate. Ils ont eu également recours à la
protection des Génies-Dieux auxquels ils rendent des cultes.
- Le culte aux "Elmis"
Le culte des Elmis est public et individuel. Le culte a lieu à la veille des grands
événements. En effet, à la veille des guerres, chaque village ou tribu rend un cuIte à son dieu
protecteur. Le culte, dans certains villages est officié par les doyens des classes d'âge, mais
généralement se sont des prêtres qui président le culte. Tout "Elmis" a ses prêtres et son jour
consacré. A Orgbaff, ce sont les membres du praticlan des "Atchu" qui officient le culte rendu à
Assigb, le dieu des Orgbaffu. Le culte a toujours eu lieu le jour du "Li". Les Orgbaffu offrent en
sacrifice au dieu Assigb, un chiot noir de moins de deux jours de naissance et des prémices des
moissons de l'année. Le jour du sacrifice, toute la population chôme. Toute activité est interdite.
Le culte est uniquement réservé aux hommes initiés. Les étrangers en sont exclus. A la veille du
culte au génie-dieu Assigb, le crieur public (Mbua) invite les villageois à prendre toutes les
dispositions, en leur demandant de ne pas se rendre en voyage et dans les champs. Le jour du
culte, très tôt le matin, les hommes se rendent à Assigb Agn, précédés du grand sacrificateur. On
procède d'abord au nettoyage des lieux, ensuite aux versements de la boisson (gin). Au cours du
versement de la boisson, le grand prêtre dit des prières dans lesquelles il demande la protection,
la fécondité et la prospérité pour la communauté. Ensuite on prépare des aliments (viande,
poissons" ignames, bananes, un oeuf de poule et du mil, généralement une poignée. Le culte à
Assigb est précédé quelques jours avant d'un pré-culte qui ne réunit que les prêtres. Le pré-culte
a pour objectif de sonder le dieu afin de se rassurer qu'il est prêt à recevoir les offrandes et à
exaucer les prières. C'est lorsque les offrandes du pré-culte sont acceptées que le jour du grand
culte est choisi.
Au sanctuaire du dieu, le sacrificateur suspend un rameau à un bahia nitida (kper'n) sous
lequel va se dérouler le rituel. 11 étale ensuite des feuilles de nénuphars (Edikon) ou "d'Oblobl
MEN", assiettes mystiques des Elmis. Au cours du voyage vers le sanctuaire, lorsque les
sacrificateurs rencontrent des magnans qui font mouvement vers eux, c'est que le sacrifice n'est
pas possible. Cela signifie due le dieu n'est pas disposé à les recevoir. lis repartent alors au
village en attendant des jours meilleurs.
555
Après la cuisson des aliments, le sacrificateur offre l'oeuf, la purée d'igname, le mil et le
coeur de l'animal au dieu. Le reste est réparti entre les participants. Le soit venu, les
sacrificateurs, à la tête du cortège reprennent le chemin des villages sans regarder en arrière.
Après ce sacrifice, les Orgbaffu peuvent entreprendre une campagne de militaire car très
confiants.
Individuellement, la population offre des sacrifices aux Elmis. Chaque Odzukru a selon
ESSOH Latte Benoît son dieu, soit c'est un Elmis ou un Assamragbi. Les Assamragbi sont des
dieux sans culte. Les offrandes pour les sacrifices publics et individuels sont les mêmes. Pour les
sacrifices individuels, les intéressés, avant de se rendre au sanctuaire du dieu s'adressent aux
prêtres; il faut souligner que chaque Dieu a son prêtre. Le sacrifice n'a lieu que le jour consacré.
Les préoccupations sont les mêmes: Protection, fécondité, prospérité, santé et grandeur.
A la veille des expéditions commerciales, les traitants offrent des sacrifices aux Elrnis de
leurs patriclans en leur demandant la protection et l'intervention pour garantir le succès de leurs
entreprises.
Les Odzukru rendent aussi des cultes à leurs morts qu'ils considèrent comme des
divinités. Le culte est annuel et il a lieu soit un "Li" soit un Lis. Les morts sont donc vénérés.
Tous les Mardis, le doyen de la cour ou du matrilignage prend de l'eau qu'il offre aux ancêtres de
la cour ou du matrilignage sous forme de prière en leur demandant de porter leurs regards
bienveillants sur les vivants, de les protéger et de leur accorder la prospérité et la santé.
- Le culte des morts ou "MakoEn"
Les liens entre les vivants et les morts sont indissociables. Ces liens sont entretenus grâce
aux sacrifices que les vivants offrent aux morts. Comme indiqué, tous les matins le chef de la
cour ou du lignage s'adresse aux défunts de la cour ou du lignage, il se sert de l'eau ou de la
boisson importée (gin). De nombreux cultes sont ainsi rendus aux ancêtres. L'un des cultes le
plus importants est le "MakpEn Ob" ou culte des morts.
Le culte des morts précède les grandes activités productrices. Il a lieu au début de la
petite saison sèche (1). C'est le culte par lequel les vivants renouvellent leur union à leurs
ancêtres. C'est aussi l'occasion où les vivants se
1- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou P.235
556
réconcilient entre eux réglant à la veille ou avant tous les différends. Le culte des morts est le
culte de la réconciliation et de la purification. C'est le culte de la fraternité.
,
Le culte des morts collectif La date de la célébration est fixée par la communauté. La
liturgie du culte quant à elle se déroule dans les cours. Le culte est officié par le doyen de la cour
qui est chef politique et religieux. Tout se passe dans le cadre du patrilignage. A Orgbaff, le culte
des morts est toujours précédé par une grande chasse collective appelée "Ormr". La grande
chasse est organisée dans le cadre du patrilignage. Elle a pour but de procurer du gibier à la
population et surtout d'instaurer la paix sociale dans le village. La grande chasse précède toujours
les cultes publics (1)
Le matin du jour consacré au culte de MakpEn, le doyen de la cour, chef religieux
s'adresse aux ancêtres en leur offrant de la boisson. Au cours de cette libation, il prononce des
prières. Il invoque d'abord Foniamba, ensuite le couple Afr et Wus, et enfin tous les parents
défunts. Certains dans leurs prières invoquent aussi les génies protecteurs du patriclan. Le chef
de la cour, en s'adressant aux ancêtres, invoque d'abord le nom du fondateur du patrilignage
(cour), suivit des autres. Il procède ainsi à une litanie des ancêtres. Après le versement de la
boisson, c'est l'élévation et la présentation des vivres aux morts du lignage. Après ces deux rites,
les vivres sont confiés aux femmes et aux jeunes filles qui préparent le grand repas
communautaire.
Après la cuisson, le patriclan procède à l'offrande. Tl appelle les ancêtres à venir manger
et à boire. Il répand alors à leur adresse, les prémices du repas. Dans ces prières, il demande aux
ancêtres de soutenir, de protéger les hommes et les femmes de la cour. Pour les hommes, il
demande la force et la prospérité et pour les femmes la fécondité (beaucoup d'enfants, surtout des
mâles). A la fin du repas, le doyen de la cour offre à chaque participant au repas, la poudre du
kaolin, symbole de la prospérité, de la grandeur et du la pureté. La distribution du kaolin est
synonyme de bénédiction finale. Chacun des participants ponctue son front, juste entre les deux
arcades sourcilières, siège présumé de la conscience morale. Ensuite ils utilisent le reste du
kaolin (FEFR) pour peindre leur bras dans le sens de l'avant bras vers la main (2). Le culte prend
fin dans l'après-midi par un grand défilé militaire (jaj). A Orgbaff, c'est le groupe MablEm qui
ouvre le "jaj" suivit du groupe Edzem et enfin de Eb Owrem.
1- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou P.235
2- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou P.217
557
En plus des cultes publics dont l'objectif est la bénédiction par les dieux et les ancêtre de
la communauté villageoise et des lignages, chaque patrilignage a son fétiche protecteur, appelé
en Odzukru "Bansa". Certains individus possèdent aussi, en plus du fétiche du patrilignage, des
fétiches personnels appelés "Bansa, Kabrê" et "0wre". Le rôle des fétiches est de protéger contre
les sorciers. Ils ont aussi pour mission de capter la chance, c'est à dire rendre les activités
économiques, surtout le commerce prospère. Les fétiches sont constitués de statuettes en bois, de
queue de boeuf (Nadua) attachée avec du fil noir dans du pagne noir, de ceinture en cauris, de
boule de kaolin, de crâne humain, de morceaux de poterie, de bouteilles remplies de liquides
noirs etc ...
Les fétiches sont cachés dans des cases où l'accès est interdit au public sauf au
propriétaire. Les fétiches sont adorés le plus souvent des cas par leurs propriétaires qui leur
offrent des oeufs de poule et du sang d'animaux. Le sang est la boisson préférée des fétiches.
C'est selon ESSOH Latte Benoît leur "aliment préféré (1). Les fétiches ne deviennent puissants
que lorsqu'ils sont constamment nourris de poulets et d'animaux (chèvres, moutons, boeufs
etc ...).
Avant les grandes expéditions commerciales les traitants procèdent à une adoration de
leurs fétiches (bansa) afin de s'assurer du succès du voyage en prévenant tous les dangers. Les
succès de l'expédition dépend de l'efficacité du fétiche. Les propriétaires font tous les sacrifices
afin de rendre leurs fétiches forts. Ils sont convaincus que seuls les fétiches forts peuvent garantir
leur succès commercial.
Les cultes sont très nombreux dans le Lodzukru. Dans cette société, plusieurs divinités
assurent les mêmes fonctions. celles qui consistent à protéger les citoyens contre les actions
maléfiques des sorciers, à assurer aux femmes la fécondité et à procurer à la population richesse
et prospérité. Toutes les prières adressées aux divinités se résument à ces trois préoccupations.
Non satisfaits des résultats obtenus car menacés par les actions maléfiques des sorciers, les
Odzukru se mettent à importer des Dieux étrangers.
b : Les cultes importés
De nombreux cultes étrangers ont été importés des régions voisines dans le Lodzukru.
Parmi ces cultes, nous distinguons les cultes privés rendus aux fétiches considérés
1- Enquête réalisée à Orgbaff le 2 Août 1988.
558
redoutables ("Mandô", "Tanu", "Asemiâ" et "Gangani") et des cultes publics.
Les cultes privés
Des cultes privés sont. rendus à un grand nombre de fétiches, tous d'origine extérieure.
Les plus importants de ces fétiches sont Mandô, Tanu, Asemiâ et Gandani. Tous ces fétiches
sont d'origine Akan (1). Le Tanu est selon SESS Samuel originaire du pays Agni, le Mando et
Assemiâ du pays Baulé et Gangani du pays N'zima (2). Chacun de ces fétiches a son sanctuaire
et son jour sacré. Le jour consacré à l'adoration du fétiche "Mandô" est le Ligbis, quatrième jour
de la semaine Odzukru. Le jour consacré c'est à dire le «Nern Egn>>, les membres de la
confrérie Mandô ou des autres fétiches s'abstiennent de travailler et de voyager. Les adeptes
observent le repos. Les cultes des fétiches Mandô et Tanu ont beaucoup d'adeptes parce que ces
deux fétiches sont devenus des refuges pour les populations. Les fétiches sont chargés de capter
la chance, d'assurer la protection des adeptes en luttant contre leurs plus grands ennemis: Les
sorciers. Les fétiches Mandô et Tanu et autres, se sont, note ESSOH Latte Benoît, illustrés dans
la chasse aux sorciers. Ils sont les destructeurs des sorciers. lis détruisent les sorciers qui osent
s'attaquer à leurs adeptes.
Les fétiches qui ont pour mission d'apporter la paix sociale dans les vil1ages Odzukru,
paix troublée par les actions destructrices des sorciers, sont d'origines étrangères (1). Ils ont été
introduits dans le Lodzukru par les traitants qui avaient des contacts avec l'extérieur.
Les
adeptes
des
différentes
confréries
sont
organisés.
Leurs
assemblées
sont
hiérarchisées. On dénombre deux groupes: l'assemblée des fidèles et le clergé. Le clergé est
chargé d'officier le culte. Mais toute la confrérie est placée sous l'autorité d'un grand prêtre aidé
dans sa tâche par trois assistants. C'est lui qui reçoit les offrandes et les plaintes des fidèles et les
transmet à travers des sacrifices aux fétiches. Les cultes sont à la fois individuels et publics. Les
prêtres, pour le culte, portent une tenue qui les distingue du reste des fidèles. Les prêtres du culte
Mandô portent une tenue blanche et ceux du Tanu une tenue également blanche, mais la tête
entourée d'un ruban rouge (2).
1- Enquête réalisée le 22 Juillet 1988 auprès de M. SESS Samuel, à Orgbaff EDZEM Afr.
2- Enquête réalisée le 22 Juillet 1988 à Orgbaff EDZEM Afr auprès de M. SESS Samuel.
559
Les jours consacrés aux cultes sont Ligbis pour Mandô et Litchotch pour Tanu. Chaque
fétiche a ses interdits que les fidèles doivent respecter scrupuleusement ; Les adeptes doivent
éviter le vol, l'adultère et le meurtre qui sont considérés comme des fautes graves. Les auteurs de
ces forfaits encourent la peine capitale : la mort ; c'est pourquoi, ils sont tenus de se confesser
publiquement afin d'implorer la miséricorde et le pardon du fétiche dont la réaction contre les
coupables de fautes graves est immédiate et instantanée.
Les offrandes des fétiches sont constituées de volailles et d'animaux. Le sage de l'animal
ou du volaille sert à alimenter le fétiche. Les personnes malades sont "hospitalisées" dans la cour
du sanctuaire. Les Odzukru étaient convaincus que les maladies provenaient des mauvais sorts
jetés par les sorciers. Les sorciers étaient considérés comme des hommes hostiles à tout progrès.
Ils étaient craints par les populations.
Dans les sanctuaires, les soins sont donnés par les prêtres. L'adhésion aux cultes des
fétiches est individuelle et libre. Les fétiches recrutent leurs adeptes parmi la population des
personnes souvent malades (1) et des traitants. Certains parents confient leurs enfants malades à
la protection des fétiches (2). D'autres donnent, en guise de reconnaissance, les noms des fétiches
à leurs enfants (3). Ainsi dans nos recherches à Orgbaff, Lokp et Dibrim, nous avons rencontré
de nombreuses personnes portant les noms Mandô, Gangani et Tanu.
Les fidèles portent des signes distinctifs. Souvent ce sont des bracelets de perles qu'ils
attachent au poignet ou des colliers qu'ils portent au cou. Chaque fétiche a son signe par lequel
les adeptes se reconnaissent. Aux cultes privés des fétiches s'ajoute celui de Gbegré.
Le culte public ou culte de Gbegré
Gbegré, note SESS Samuel est une divinité d'origine krou, introduit dans le Lodzukru
grâce aux contacts que les Odzukru avaient avec les Alladian. C'est donc du pays Alladian que
Gbégré est introduit dans le Lodzukru.
Cette divinité avait été introduite dans le Lodzukru parce que les Odzukru pensaient que
le succès économique et la prospérité du pays Alladian (4) étaient liés à la puissance ét à
1- Enquête collective réalisée le 25 Août 1988 à Orgbaff
2- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou P.239
3- Enquête réalisée à Orgbaff
4- Harris MEMEL Foté : Le système politique de Lodjoukrou P.241
560
la générosité de leur dieu (1). Dans tous les villages Odzukru où le culte de Gbégré est implanté,
un sanctuaire est dédié à cette divinité. Le culte à Gbégré est officié par un prêtre qui reçoit les
offrandes de toute la communauté, offrandes destinées à la divinité. Le culte de Gbégré est
public. Tous les ans des voeux sont adressés à la divinité par les populations (2). Les adeptes
demandent la puissance, la fécondité, la protection et la prospérité.
Dans la pensée Odzukru, la religion est au service de l'homme. C'est le moyen par lequel,
les vivants entrent en contact avec les dieux pour leur présenter leurs prières. Selon Odzukru,
l'homme a été créé par Dieu pour vivre longtemps mais ce sont les sorciers qui écourtent sa vie.
Pour les Odzukru, la vie dans l'au-delà est la continuité de celle de la terre. Un homme riche sur
la terre demeure riche dans l'au-delà, pauvre il le reste également dans l'au-delà (3).
La puissance, la prospérité et la fécondité sont, note ESSOH Latte Benoît, des dons des
dieux. L'homme selon la pensée Odzukru ne devient riche et prospère que lorsqu'il est soutenu
dans toutes ses activités par son génie protecteur. Cette philosophie rend Odzukru réceptif à toute
religion capable de lui procurer le bonheur et la protection. Cette prédisposition de la population
va favoriser la pénétration dans le Lodzukru des religions révélées. Islam et Christianisme.
c : La pénétration de l'Islam et du Christianisme
Le commerce de l'huile de palme avons nous souligné avait favorisé depuis la 2è moitié
du XlXè siècle, la migration en Lodzukru de nombreuses populations de commerçants. Cette
période fut surtout marquée par la colonisation de la région par la France. Ainsi grâce à l'huile de
palme, dont il est le premier producteur de tout le territoire, le pays Odzukru devient la première
région économique des territoires située sur la rive Nord de l'Ebrié. Dabou à partir de 1893
supplante Emoquah. Il est le premier port lagunaire de l'Ebrié et l'avant port de Grand-Bassam.
De nombreuses populations étrangères qui s'installent dans les débarcadères, principaux pôles de
développement économique et d'échanges commerciaux, introduisent dans le pays de nouvelles
religions jusque là inconnues par les Odzukru. 11 s'agit d'abord de l'Islam et plus tard en 1896 du
Christianisme à travers le Catholicisme.
1- Enquête collective réalisée à Orgbaff Je 23 Août 1988
2- Enquête réalisée le 24 Août 1988 auprès de SESS Samuel à Orgbaff
3- Enquête collective réalisée à Dibrim le 22 Août 1988
561
La pénétration de l'Islam dans le Lodzukru
La pénétration de l'Islam dans le Lodzukru sera très tardive. Elle ne se produit qu'au cours
de la 2è moitié du XIXè siècle avec la descente massive en pays Odzukru des colporteurs Dyula
et l'arrivée des commerçants Bambara et Sénégalais. Les traitants d'origines sénégalaise et
Bambara s'étaient établis dans le Lodzukru et principalement dans les débarcadères à la suite de
la traite de l'huile de palme. Ils avaient crée leurs quartiers dans les débarcadères de Mopoyem,
Dabou et Cosr. La population des Soudanais s'était accrue dans le Lodzukru avec la colonisation
de la région par la France. Cette colonisation entraîne l'établissement des soldats Bambara et
Sénégalais à Dabou. Les Soudanais établis dans le Lodzukru vivent en parfaite harmonie avec les
populations Odzukru. Certains d'entre eux en particulier les Sénégalais se marient avec des
jeunes filles Odzukru des villages de Cosr et de Gbadzn. Nos enquêtes dans la région de Cosr
nous ont permis de constater que de nombreuses personnes ont des grands parents d'origine
sénégalaise. Des noms comme Thiam, Dior, etc... portés par des Odzukru constituent la preuve
de l'existence de liens matrimoniaux entre traitants sénégalais et des jeunes filles Odzukru. Les
traitants étrangers, note ESSOH Latte Benoît, offrent des dots très élevées aux parents dé leurs
fiancées: 2.500 à 4.000 manilles.
Les traitants soudanais, profitant des liens très amicaux qui les unissent aux Odzukru
tentent de convertir les populations à la religion musulmane en leur enseignant les préceptes de
l'Islam. La tentative qui commence dès le début de la 2è moitié du XIXè siècle ne connaît pas de
succès. L'entreprise des Sahéliens échoue car aucun Odzukru, jusqu'en
1898, ne se convertit à
l'Islam. Les Odzukru, à la recherche d'un équilibre morale et d'une paix sociale demeurent
hostiles à l'Islam. Les raisons de cette hostilité et de l'échec des soudanais dans la propagation de
l'Islam dans le Lodzukru sont encore confuses. Aucun de nos informateurs n'a pu nous donner
une explication satisfaisante. Ils ont simplement souligné que les Odzukru n'avaient trouvé
aucune différence entre le Dieu de l'Islam et Foniamba. Allah des musulmans se trouve loin des
hommes comme Foniamba ; il ne peut par conséquent être attentif aux supplications des hommes
soulignèrent-ils. Nous n'avons pas recueilli des informations suffisantes pour apprécier l'échec de
l'Islam dans le Lodzukru malgré la présence d'une forte communauté musulmane constituée de
marchands et de gardes de cercle. L'Islam en pays Odzukru pourrait résulter de deux raisons:
d'abord, les Soudanais n'ont rien proposé aux Odzukru pour capter la chance et lutter contre les
sorciers, principaux fléaux de Lodzukru. Enfin, ils auraient demandé aux
562
Odzukru de se débarrasser de leurs fétiches en les jetant au feu. Or les fétiches constituent pour
certaines personnes un héritage et un moyen de protection et pour d'autres, une source de
puissance et de prospérité. La séparation d'avec les fétiches signifierait pour les Odzukru, la
rupture avec le monde invisible et le passé. Nous pensons que ces deux motifs en plus du fait que
les musulmans n'ont rien proposé pour lutter contre les endémies constituent les principales
raisons de l'échec de l'Islam dans Je Lodzukru. li importe de poursuivre les enquêtes afin
d'approfondir la connaissance de ce problème.
L'Islam ne fut pas la seule religion venue de loin frapper à la porte de Lodzukru. La
religion chrétienne tentera vers la fin du XIXè siècle de s'y introduire également.
La pénétration du Christianisme en pays Odzukru
Les Odzukru appelaient le catholicisme, première religion chrétienne à s'introduire dans
le Lodzukru, la religion de l'au-delà des mers, c'est à dire la religion qui vient de loin. Le
catholicisme est la région des blancs, c'est une religion monothéiste. La pénétration du
Catholicisme en pays Odzukru se situe à la fin du XIXè siècle, précisément en 1896, date à
laquelle, les premiers missionnaires européens s'installent sur la colline de Dabou à quelques
mètres de la lagune Ebrié.
En 1893, Louis Gustave Binger est nommé gouverneur de la nouvelle colonie de Côte
d'Ivoire. Pour la conquête du territoire ivoirien, deux voies de pénétration se sont présentées à
Binger. La conquête militaire et la conquête pacifique. Binger dont l'autorité n'était effective que
sur la zone méridionale choisit la deuxième voie. Ainsi pour réaliser cette mission (politique),
Binger se tourne vers les missionnaires qu'il considérait comme d'admirables gens de
pacification. Binger, bien que Protestant, c'est à dire membre de l'Eglise reformée de France,
s'adresse aux "Pères du Saint Esprit" qui le dirigent vers le supérieur Général de la société des
missions Africaines de Lyon. Dans le souci de mieux porter le message du christ, Jésus le
libérateur de toutes les nations, le monde entier fut découpé en régions. L'Evangilisation du golfe
de Guinée était confiée à cette congrégation. Binger a aussi recours aux missionnaires de la
société des Missions Africaines de Lyon pour développer l'enseignement dans la nouvelle
colonie.
Ainsi, le Il Janvier 1895, le gouverneur Binger adresse au Supérieur Général de la
"Société des missions Africaines de Lyon" une correspondance dans laquelle il invite les
missionnaires à s'établir en Côte d'Ivoire. La correspondance de Binger aura un écho favorable
auprès des autorités Catholiques.
563
Ainsi, la Côte d'Ivoire qui dépendait du Dahomey, est en 1895, érigée en Préfecture
Apostolique (1) et au cours de la même année, deux missionnaires Homard et Bonhomme
débarquent à Grand-Bassam à bord du paquebot Dahomey (2).
Les Pères Homard et Bonhomme s'établissent à Grand-Bassam où ils fondent la première
mission. Auparavant, les Pères de la congrégation des capucins qui avaient tenté de s'établir en
Côte de l'or furent décimes par la fièvre jaune vers la fin de la décennie 1880 (3). La première
Eglise Catholique de Grand-Bassam dont les travaux avaient débuté au début de J896, est
inaugurée le 14 Juin 1896 en présence du gouverneur. Cette Eglise sert au culte les Dimanches.
La 2è mission est fondée à Memni dans le pays Attié au Nord de Grand-Bassam en ]895 (4). Au
cours de l'année 1896, Dabou est érigée en chef lieu de cercle et les missionnaires, pour
bénéficier de la protection de l'administration coloniale contre les menacés des populations
africaines s'installent à Dabou où ils fondent une station.
Avant leur établissement à Dabou, les missionnaires catholiques font une brève visite
dans le' pays Alladian où ils sont chassés. Les Alladians'opposent à l'installation des
missionnaires catholiques en pays Alladian. Ce sont les Alladian qui invitent les missionnaires à
s'établir sur la rive Nord, de l'Ebrié, principalement à Dabou (5). Les missionnaires sans
difficultés s'installent à Dabou parce que cette ville était sous le contrôle de l'administration
coloniale et que la présence des missionnaires catholiques n'avait aucun impact sur la vie des
üdzukru (6).
Dabou, pour les üdzukru était la ville des étrangers où quiconque pouvait s'installer. Le
peuple üdzukru n'entretenait avec les habitants de Dabou que des relations commerciales.
Les révérends Pères Homard et Bonhomme construisent à Dabou une case de deux pièces
dont l'une sert de salle de classe et de catéchèse et l'autre de logement et de salle de culte.
Les üdzukru étaient quotidiennement confrontés aux problèmes de la sorcel1erie.
Comment se protéger contre les sorciers dont l'acte principal est la destruction de l'autre.
1- Joseph Corju : la Côte d'Ivoire Chrétienne page 182
2- Joseph Corju : la Côte d'Ivoire Chrétienne page 182
3- A.N.C.I. : Série IBB6 P.5
4- Joseph Corju. page 185
5- A.N.C.I. : Série IBB6 P.?
6- A.N.C.I. : Série IBBG P.?
564
Le dessein des sorciers était d'empêcher tout progrès et de détruire tous les artisans du
développement de Lodzukru. Dans sa quête pour trouver un moyen afin de s'échapper à la
sentence des sorciers, le peuple Odzukru s'ouvre donc aux influences des religions extérieures tel
le catholicisme. Les populations Odzukru étaient convaincus que seuls les dieux pouvaient
procurer à l'homme la force et la puissance surnaturelle afin de défier les sorciers, une religion de
plus ne faisait qu'accroître les moyens de lutte et la puissance. Le désir d'accroître la puissance
amène certains Odzukru à se convertir au catholicisme parce que la région des Blancs peut leur
procurer la puissance et la force mais aussi les débarrasser des sorciers. Pour eux, le rôle des
prêtres blancs doit consister à traquer les sorciers. Dans leur ensemble, les Odzukru restent très
hostiles à la région chrétienne parce que les prêtres catholiques leur demandent de se débarrasser
de leurs fétiches protecteurs (1). De 1896 à 1898, pour une population avoisinant à l'époque près
de trente mille (30.000) habitants, il n'y eut que plus de deux cents personnes qui se convertissent
au catholicisme (3).
L'évangélisation, au cours de cette période, est un semi-échec pour deux raisons. La
première raison est que l'évangélisation (catholicisme) est dirigé par des blarics auxquels une
bonne partie de la population est hostile surtout les populations de la confédération de Bobor. La
deuxième
raison
est
que
les
Odzukru
auraient
souhaité
se
convertir au
catholicisme
(christianisme) tout en gardant leurs fétiches. Les Odzukru sont toujours sous la hantise de la
sorcellerie. Ne pas avoir de fétiche protecteur signifie qu'on reste la proie des sorciers.
La religion chrétienne ne s'implantera dans la Lodzukru qu'au cous des années 1900. Les
Odzukru seront surtout attirés par les oeuvres réaliser dans la région par les missionnaires. En
effet en 1896, une école primaire de garçons est ouverte à Dabou. Elle compte trente (30) élèves
pour la plupart originaire du village de Dibrirn, suivie trois ans plus tard de la construction d'une
école de fille avec l'arrivée le Il Juillet 1899 des Soeurs. Elles implantent un dispensaire. Cette
formation sanitaire permet aux religieuses de lutter dans le Lodzukru contre les endémies et
épidémies: varioles, fièvre jaune, rougeole etc ... En 1901, les missionnaires catholiques fondent
à Dabou une briqueterie (2).
1- Les fétiches Mandô ont été brûlés par l'administration coloniale en 1912.
2- Joseph Corju : la Côte d'Ivoire chrétienne P. 201.
3- Les premiers convertis de Lodzukru au Catholicisme, au nombre de deux cent quarant.e neuf
(249) étaient en majorité des jeunes.
565
La quête permanente de la richesse, de la prospérité et de la puissance amènera cependant
les Odzukru à se tourner vers les grandes religions étrangères. Après la première guerre
mondiale, ils se convertissent en grand nombres au christianisme c'est à dire au catholicisme et
au protestantisme (1). Cette conversion au christianisme sera à l'origine de la suppression de
certaines pratiques sociales telles que les sacrifices humains. Les cultes publics aux fétiches
seront également supprimés ainsi que les jours consacré à l'adoration des fétiches. La semaine est
prolongée de sept (7) jours avec l'institution du Dimanche qui devient le jour de repos obligatoire
et sacré pour tous. Mais l'évangélisation de Lodzukru est encore à concevoir parce que
l'appartenance à une confession religieuse est purement un fait social et culturel et moins un acte
de Foi. Les religions traditionnelles sont encore vivaces dans la mentalité des Odzukru. Certaines
pratiques renaissent malgré la disparition des cultes à Brawa, Assenia, Mandô, Tanu et Gbégbré.
Les Odzukru continuent d'adorer individuellement les Elmis et d'être sous la protection des
fétiches.
La christianisation de Lodzukru est encore superficielle. Elle ne sera profonde et totale
que lorsqu'elle donnera aux Odzukru les moyens de résister aux sorciers et de les combattre.
Les échanges commerciaux en pays Odzukru ont également apporté des transformations à
la langue Odzukru. Le Odzukru s'est enrichi aux cours de cette période avec de nombreux
emprunts extérieurs. En effet, de nombreux mots étrangers, en particulier Baulé (Sika ==> Or ;
Pônu ==> 25 F ; Samrâ ==> Savon et d'autres) ont été introduits dans le Vocabulaire Odzukru.
Le Odzukru est devenu par la Suite le principal moyen de communication des échanges
Commerciaux du bassin occidental de l'Ebrié vers la fin du XIXè siècle.
La suite de la construction des voies de Pénétration, Dabou, Tyasalé, Dabou-Alépé, le
Centre Commercial de Dabou devient le principal débouché des caravanes du Nord et avant. Port
de Grand-Bassam. Cela permet à Dabou de devenir le premier centre économique du bassin
occidental de l'Ebrié. Cette situation favorise l'utilisation de Odzukru comme la langue des
échanges commerciaux.
1- Les missionnaires catholiques et protestants s'étaient appuyés sur l'administration coloniale.
C'est en 1924 que le protestantisme a été introduit dans le Lodzukru.
566
CONCLUSION
Le peuple Odzukru est la synthèse de plusieurs vagues d'immigrants venus de l'Ouest, de
l'Est et du Nord. Le peuplement de Lodzukru s'est fait entre les XVè et XIXè siècles. Le brassage
qui s'est opéré au cours de ces cinq (5) siècles a donné naissance à une société Odzukru qui va
engendrer par la suite une culture et une civilisation originales.
Les Odzukru sont organisés en société Sans-Etat. Le système politique est démocratique
et repose essentiellement sur le consensus. Le pouvoir politique 'appartient à l'Assemblée de
village qui le délègue aux classes d'âge. Le pouvoir politique, dominé par la classe d'âge des Eb
Ebu est exercé de fait par les grands orateurs et les hommes riches.
La vie économique repose essentiellement sur l'agriculture d'auto-subsistance dominée
par les cultures de féculents et des céréales (mil, arachides et maïs), la chasse, la pêche et
l'exploitation des palmeraies (Sar). L'exploitation des palmeraies débutée dans le Lodzukru entre
la fin du XVlè et début XVllè siècle a donné naissance dans cette région à l'industrie de l'huile
de palme.
Les moyens de production (terre, et outils) sont propriété des lignages qui sont les seules
"autorités" à définir les besoins de la communauté et à organiser les activités économiques.
L'économie Odzukru est du type du socialisme traditionnel africain.
Les Odzukru naissent libres et égaux. lis sont tous des Nobles (Ewis). L'Odzukru
s'intègre dans un système à double parenté: ''l'Eb'' patriclan et le "Bosu" matriclan qui sont des
cadres de manifestation de la solidarité et de l'entre-aide. L'Eb regroupe tous les descendants en
ligne masculine et ayant le même aïeul et le Bosu rassemble tous les descendants maternels en
ligne féminine. Ces deux systèmes de parenté règle la vie sociale de Lodzukru.
La société Odzukru est une société hiérarchisée. Au sommet se trouve les "Egbregbi"
(riches), membres de l'association des riches suivis des "Ewis" (hommes libres) et des "Madu"
(esclaves). Mais cette société est variable car l'individu par la force de son travail peut quitter une
condition inférieure pour s'intégrer dans une classe supérieure. La condition d'esclaves est par
contre immuable.
567
Les valeurs dans la société Odzukru sont essentiellement fondées sur les droits d'aînesse,
la richesse et la sagesse. Ces valeurs procurent à l'individu Homme, prestige et admiration. Le
statut social ne s'acquiert que par la femme tandis que la citoyenneté ne se confère que par
l'homme.
Les descendants d'esclaves, nés en pays Odzukru et citoyens Odzukru sont des propriétés
de leurs acquéreurs et des citoyens de 2è degré. Ce sont à la fois des agents reproducteurs et.
économiques. Par leur maternité et leur force de travail, ils contribuent à l'essor démographique
et à la prospérité de Lodzukru.
La vie culturelle se caractérise par de nombreux genres musicaux (Legbl, Edz, Dasuku,
Sêla, LEdi et autres) et J'utilisation à la fois de ''l'Egbr'', de "l'Anttigbani" et des autres Tambours
comme instruments de musique et de communication. Le pagne est la tenue vestimentaire
nationale des Odzukru. La religion Odzukru est polythéiste et la vie religieuse dominée par les
cultes rendus à "Foniamba", créateur de l'Univers, aux "Elmis (génies) et aux ancêtres.
Le peuple Odzukru, au cours de son évolution, se dote d'organisations socio-économiques.
et politiques qui le distingue-des peuples voisins malgré l'existence des similitudes. L'institution
du "Low", du "Dediakp", de l'EBEB'' et de "1'Agbadzi" relèvent de la volonté des Odzukru de
créer à travers toutes ces structures les conditions de leur propre développement et de progrès. Le
Low et le Dediakp étant des rites initiatiques destinés aux jeunes gens et jeunes filles, l'EBEB, la
cérémonie d'investiture des gouvernants et l'Agbadzi, le rituel consacrant la réussite sociale de
l'Odzukru. Le système des classes d'âge qui régit les sociétés lagunaires est dans le pays Odzukru
une structure à la fois politique, économique, sociale et militaire.
L'existence d'une forêt et de savane fertiles favorisent le développement d'une vie
économique caractérisée par l'agriculture d'auto-subsistance et l'exploitation des palmeraies pour
la production de l'huile de palme. La pêche en lagune et en eaux continentales ne connaît un
véritable développement qu'au XIXè siècle. La production d'une variété de produits agricoles
favorise les échanges à l'intérieur et à l'extérieur surtout avec le pays Alladian avec lequel ils
échangent les produits agricoles contre le sel marin et les produits européens. Le sel obtenu
auprès des Alladian et des Avikam permit aux Odzukru d'établir d'importantes relations
commerciales avec les peuples de la forêt septentrionale et de la savane.
568
Cela a permis la naissance en Lodzukru d'une couche d'agriculteurs-Traitants et favorisé
l'arrivée, en pays Odzukru, des premières cargaisons d'esclaves composées essentiellement de
jeunes. Les échanges, au cours de cette période, qui précède la 2è moitié du XIXè siècle, sont
dominés par le système de troc et par deux types de produits. Malgré le troc, on note l'existence
d'une économie monétaire reposant sur les monnaies "Araïê et "Sat" (perles d'aigri). Ces
monnaies, caractérisées par leur rareté et leur manque de convertibilité ne sont utilisées qu'au
cours des grandes transactions commerciales avec les populations de la côte maritime et dans le
cadre du paiement de la dot. Les Sat (perles d'aigri) servaient surtout au paiement de la dot qui
précède le rite du mariage en pays Odzukru.
Les échanges commerciaux entre le Lodzukru et ses partenaires commerciaux sont
dominés par deux types de produits: Les biens de consommation courante caractérisés par les
produits alimentaires (agricoles, halieutiques, cueillette, chasse) et les biens de prestige
représentés par le sel, les esclaves, la poudre d'or et les produits manufacturés. Les produits
importés sont, dans le Lodzukru, divisés en deux parts. La première part est destinée à la
constitution du trésor familüll et la seconde aux échanges commerciaux.
Mais l'activité commerciale en pays Odzukru ne connaît un véritable essor qu'au XIXè
siècle avec la traite de l'huile de palme qui remplace la traite négière. La Lodzukru étant la
première région productrice de l'huile de toute la Côte ivoirienne. La traite de l'huile de palme
permet aux Odzukru d'établir de sérieuses relations commerciales avec les Alladian leurs
principaux partenaires économiques et d'améliorer les échanges avec les pays du Nord.
L'huile de palme devient, au XIXè siècle, la principale source de revenu de Lodzukru et
permet aux Odzukru d'entrer en possession des produits européens. Le "Boom" de l'huile de
palme attire dans le Lodzukru plusieurs populations qui viennent s'y fixer définitivement. Cela a
permis la formation, dans les principaux centres d'échange de Lodzukru surtout à Dibrim, sous
contrôle des Français, d'importantes communautés d'étrangers composés d'Appoloniens, de
Sénégalais et de Dyula. Spécialisés dans le négoce des oléagineux et pour la prospérité de leurs
affaires, ces étrangers ont établi avec les communautés Odzukru des relations d'amitié fondées
sur le respect mutuelle, la recherche de la paix et la non ingérence dans les affaires intérieures
des communautés respectives. Ainsi, bénéficiant du soutien des producteurs Odzukru, les
traitants africains ont réussi à faire échec aux tentatives des commerçants Français de
569
contrôler les échanges commerciaux dans le Lodzukru. La région Odzukru à cause de sa richesse
sera convoitée par les puissances européennes surtout la France qui, en 1853 construisit un fort.
Le commerce entraîne, au XIXè siècle dans le Lodzukru d'importants bouleversements
politiques, économiques, sociaux et culturels. De
ces bouleversements résultent d'abord
l'ouverture du Lodzukru au monde extérieur et son intégration à l'économie mondiale. Le
commerce
provoque
aussi
le
déclin
de
l'économie
d'auto-subsistance
et
favorise
le
développement d'une économie de marché soutenue par une économie monétaire. De nouvelles
mentalités se développent alors avec l'économie monétaire. Elles se traduisent par une
accumulation et une épargne des ressources obtenues et la naissance de nouvelles valeurs
sociales qui entraînent la naissance de classes sociales. Les échanges commerciaux en pays
Odzukru dominés par les exportations de produits oléagineux et agricoles vers les côtes
maritimes et des produits manufacturés et du sel vers les régions de l'intérieur ont permis
l'enrichissement d'une importante partie de la population. Cet enrichissement est l'origine de la
constitution de fortunes personnelles et de la naissance de deux classes sociales: Les "Egbregbi"
(riches) et les "Ogboru" (pauvres). La classe des esclaves constituant une autre catégorie sociale.
Les esclaves, quelques soit leur richesse, ne sont pas autorisés à subir le rituel d'Agbadzi réservé
uniquement aux hommes libres. Les femmes et les enfants étant de facto exclus.
Le rituel d'Agbadzi qui institue la classe des riches en pays Odzukru consacre la réussite
sociale d'un individu ou d'un lignage. Il accorde au récipiendaire honneur, grandeur et prestige.
L'Agbadzi sert de filtre à la classe des riches. Il est aussi le cadre de la manifestation de la
solidarité classique. Sa célébration est subordonnée à l'achat d'un esclave par le récipiendaire.
L'enrichissement des Odzukru par les commerces du sel au XVlIIè siècle et de l'huile de
palme au XIXè siècle favorise la constitution de grands trésors familiaux et de grands ensembles
sociaux à l'image des matriclans. Mais la succession à l'héritage (Adja) s'opère dans le lignage en
ligne directe. Le neveu hérite de son oncle. Les trésors des lignages étant constitués des bijoux
en or, des pagnes, des terres et des esclaves.
L'enrichissement des populations entraîne l'indépendance de certains individus qui se
mettent en retrait du lignage, travaillant pour leur propre compte. Ce qui modifie les rapports
entre les membres d'un même lignage.
570 '
Les pratiques sociales connaissent également d'importantes modifications. En effet, la
dot, compensation symbolique apportée par le fiancé à sa belle famille est l'élément important
dans la consécration du mariage, mais non un élément d'avilissement et de servitude. La dot,
entre les XVIIè et XVlIIè siècles était payée en perles d'aigri. Au XIXè siècle, elle est versée en
manilles. Ainsi, d'une mesure de noix de coco de perles, le paiement, aux XIXè siècle, on est
passé entre 300 à 5.000 manilles. Le paiement n'étant soumis à aucun barème. Les échanges avec
la côte maritime facilitent l'introduction du Gin dans le Lodzukru en remplacement du vin de
raphia. Le Gin devient la boisson des cérémonies et est utilisés lors des libations pour invoquer
les Dieux et les ancêtres.
La prospérité des lignages permet l'organisation de funérailles grandioses surtout à
l'occasion du décès d'un Gbegbi ou d'un "Ebu". En plus des sept (7) pagnes imposés par la
coutume pour l'ensevelissement des morts, les Egbregbi reçoivent de leurs parents des bijoux en
or et en perles d'aigri, des boutei11es de Gin et de la vaisselle en porcelaine lorsque c'est une
femme. Ils sont aussi accompagnés dans le royaume des ancêtres par certains de leurs esclaves
jugés récalcitrants. Ces esclaves ont mission de servir le défunt dans l'au-delà. Les Odzukru
croient en une vie éternelle après la mort.
Les Egbregbi se différenciaient des Ogboru par la construction de cases somptueuses
comprenant trois à quatre pièces avec une salle de séjour pour les visiteurs.
L'habitat Odzukru connaît une évolution. Ainsi de cases en bambou, les Odzukru passent
au XIXè siècle aux cases en torchis et vers la fin du XIXè siècle par les villes édifiées en briques
confectionnées à partir de mélanges de terre rouge et fibres de graines de palme. Les confort
interne était très modeste. Les meubles étaient en rotin et en bambou de raphia.
Les changements se sont aussi opérés sur le plan religieux. Les Odzukru sont polythétiste
et adorent plusieurs divinités. Chaque patriclan a son dieu et son jour de repos consacré au
sacrifice. Les dieux sont hiérarchisés: au sommet Foniamba, créateur de l'Univers, aîné de tous
les dieux et au bas de la pyramide, les ancêtres qui habitent "OnNes", la patrie des morts. Les
contacts commerciaux favorisent l'introduction dans le Lodzukru de divinités étrangères
matérialisées par les Fétiches "Mandô", "Gangani", "Tanu", "Brawa" etc... E11es ont pour mission
d'apporter la paix sociale perturbée par l'action maléfique des sorciers et d'assurer la protection
des populations et surtout des négociants Odzukru. Mais, vers la fin du XIXè siècle, la religion
Odzukru évolue vers le monothéisme avec la pénétration de l'Islam dans la région ouest et
l'introduction, en 1896, du Christianisme par les missionnaires Catholiques.
571
L'introduction massive des marchandises européennes conduit au déclin de l'artisanat
Odzukru et aide Lodzukru à résoudre son problème d'indigence technique. Les Odzukru, enrichis
par le commerce de l'huile de palme s'affranchissent de la tutelle des courtiers Alladian. Jusqu'au
début des années 1890, les Odzukru, économiquement, étaient dépendants des courtiers Alladian
avec lesquels ils entretenaient le système de gage (Aoba). Libérés de la tutelle Alladian, les
Odzukru vont étendre à leur tour, leur hégémonie aux peuples de l'intérieur, auxquels ils achètent
des esclaves, signe de la puissance et de la prospérité économique de Lodzukru. Cette expansion
se traduit par l'imposition du Odzukru comme la langue régionale et surtout des échanges
commerciaux et de la diffusion des manilles dans les pays Abidji, Abê et dans l'Agni Sud.
L'industrie de l'huile de palme connaît un développement avec le désir des Odzukru
d'accroître leur richesse, seul moyen procurant la dignité, le prestige et les honneurs dans une
société devenue matérialiste au XIXè siècle. Odzukru ne produit plus pour la consommation
locale mais pour assurer les échanges avec l'extérieur. Au début de la traite, le commerce de
l'huile de palme est animé et contrôlé par les courtiers Alladian qui font fortune. Ils s'imposent
comme les seuls intermédiaires entre les Africains et les navires européens. C'est à leur côté que
les traitants Odzukru apprennent les techniques du courtage. Les Alladian sont suivis par les
maisons de commerce familiales qui, sous l'escorte de la station navale, s'établissent dans les
comptoirs de Grand-Bassam et d'Assinie fondés par la France.
Les comptoirs de la station navale, qui servent à la fois de centre commerciaux et de
postes de relais, ont pour mission d'aider et de procurer les commerçants français sur le littoral de
la côte. La fondation des comptoirs laisse déjà présager le désir des Français de contrôler cette
région productrice d'huile de palme et de l'occuper territorialement plus tard. La colonisation
future du bassin occidental de l'Ebrié et de la côte de l'or par la France était prévisible. Deux
générations d'établissements commerciaux Français se sont installées en pays Odzukru avant la
colonisation effective de la région par la France. La première génération est le fait des maisons
de commerce familiales représentées par les maisons Régis, Renard, Damiagou et Pecquet et
autres. La deuxième génération était représentée par les sociétés commerciaies : Holding et
Compagnie, Reyder et Compagnie, Compagnie Française de Kong etc... Tous ces établissements
commerciaux étaient animées par le souci de réaliser d'importants bénéfices dans le Lodzukru
avec de faibles investissements. C'est pourquoi, elles offraient aux populations des prix moins
rémunérateurs.
572
Malgré l'appui des militaires de la station navale, les commerçants français ne peuvent
résister à la concurrence des courtiers Alladian très habiles et intelligents. Les maisons de
commerce françaises font alors faillite. Avec les difficultés des maisons de commerce françaises,
les courtiers Alladian demeurent les seuls maîtres du courtage avec les navires européens
jusqu'en 1890, date à laquelle, les Français réorganisent le commerce colonial.
Vers la fin des années 1880, les Français reviennent en Côte d'Ivoire et en ] 893, l'érigent
en colonie autonome. Dabou devenu l'un des centres commerciaux du Haut Ebrié, en 1853, avec
la construction du fort Ducos devient en 1896, un chef lieu de cercle, premier centre
administratif du bassin occidental de l'Ebrié et tête de pont de Grand-I3assam. Les fonctions
assumées par Dabou facilitent l'installation des maisons de commerce anglaises et françaises.
L'installation de ces maisons de commerce permit aux traitant üdzuk.ru de contrebalancer la
suprématie des courtiers Alladian. La construction du Wharf de Grand-Bassarn en 1892 et plus
tard l'établissement de liaison entre la zone lagunaire et la zone de savane par les routes Dabou -
Tyasalé, Dabou - Alépé entraîne le déclin du courtage du pays Alladian.
Dabou, par sa situation géographique et par ses fonctions joue le rôle de premier pôle
économique de Lodzukru au détriment de Tukpa qui, au début du siècle assumait ce rôle. Les
Français, pour mieux contrôler le trafic commercial de Lodzukru et dans le but de pacifier toute
la région qui fit échec aux expéditions militaires Françaises, entreprennent de la soumettre
surtout la partie occidentale. Cette région occidentale, depuis l'arrivée des Français, avait
manifesté à l'égard de ceux-ci son hostilité. Le pays üdzukru conquis, vers la fin du XIXè siècle,
sert de tête de pont à la conquête de l'intérieur. Mais les troupes françaises, dans leur conquête,
se heurtent à une véritable résistance organisée dirigée par les üboru qui, à aucun prix, ne
veulent aliéner la liberté et l'indépendance de Lodzukru. L'huile de palme est alors utilisée
comme arme de pression économique. Les üboru suspendent dès lors leurs livraisons d'huile de
palme aux établissements commerciaux français. La résistance üboru ne sera vaincue qu'en 1898
grâce à la formation d'une coalition formée de troupes françaises, de Dibrim Egn et d'Alladian
d'Emoquah. La résistance üdzukru à la colonisation française n'est totalement éliminée, écrasée
qu'à la suite de la victoire des Français sur les Eusru qui avaient pris le relais des üboru. Le
Lodzukru n'est pacifié qu'en 1910. Ainsi, prend fin, plus d'un demi-siècle d'opposition entre
üboru et Français. Cette opposition est à l'origine des insuccès des établissements de commerce
dans le Lodzukru.
573
Le commerce au XIXè siècle permet non seulement aux Odzukru de s'enrichir, de
combler leur indigence technique et d'établir des contacts avec les peuples du Nord, mais est
aussi à l'origine de tous les bouleversements du pays Odzukru.
La structure politique Odzukru, sans être ébranlée, subit une mutation avec l'avènement d'une
administration centrale, auxiliaire de l'administration coloniale. Des chefs de village sont
nommés ainsi qu'un chef supérieur. Le bouleversement le plus important se situe au niveau
religieux avec l'introduction du catholicisme (christianisme) en 1986 en pays Odzukru.
L'avènement du christianisme modifie dans une certaine mesure les rapports entre Lodzukru et le
monde invisible.
Le commerce est également source de modernisation de Lodzukru. En effet, de peuple
arriéré techniquement, les Odzukru constituent, aujourd'hui un exemple de développement, une
référence pour les voisins et un symbole de progrès. La société Odzukru est une société
dynamique. Le développement et le progrès qu'elle connaît ont leur origines au XIXè siècle.
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574
A
N
N
E
X
E
S
575
ANNEXE 1
LES RECITS DE TRADITIONS ORALES
a : Traditions recueillies auprès de Mr GBOUGBO ESSIS Etienne (Dibrim)
L'ARRIVEE DE L'HOMME BLANC A OKOBU.
Les Odzukru parlent aujourd'hui la même langue, mais ils n'ont pas la même origine. Les
Aklodzu viennent du pays Alladian, et les autres du pays Dida. Le premier village Odzukru est
Bon.
Amnès et Amn An sont deux frères. C'étaient des chasseurs. Au cours d'une partie de
chasse, ils découvrent une grande prairie qui s'étend à perte de vue. "Ils voient au delà de la
prairie (savane) une grande forêt. Ils y pénètrent et continuent leur chasse. Dans cette forêt, ils
tuent un éléphant. A l'heure du repos, les deux chasseurs se mettent à chercher un point d'eau, car
tout campement, tout village devait être situé à proximité d'un point d'eau. La région giboyeuse,
les deux frères eurent l'intention d'y fonder un campement. Le cours d'eau qu'ils trouvent
s'appelle Sélikpo. Ils fondent leur campement auprès du cours d'eau. Après le repas, ils jettent les
déchets près d'un tronc d'arbre. C'est un tronc de baobab. Ils y mettent le feu. Le feu leur permet
d'éloigner les fauves et les insectes loin du campement. Ils séjournent plusieurs semaines au
campement avant de repartir au village où toute la population s'inquiétait de leur absence
prolongée.
Un jour, les deux chasseurs sont interrogés par la population sur les raisons de leurs
séjour dans la grande forêt. Ils répondent «Bientôt, vous allez voir». Le reste du piment, du
gombo, des aubergines, jeté près du tronc d'arbre avait poussé. Les légumes parvenus au stade de
maturation, ils les récoltent et les exportent au village, à Bobor. C'était une très bonne récolte. Au
village, ils montrent à la population, le résultat de leur séjour prolongé au campement. Ils
ajoutent ensuite que dans ce campement, on a pas besoin de demandé : ce qui signifie en
Odzukru "Kibrim". Le territoire villageois étant devenu exigu pour une population en plein
essor, un des chasseurs et une partie de la population de Bobor émigrent dans le nouveau
campement pour fonder le village de Kibrim, qui par déformation est devenu Dibrimou. Bobor et
Dibrim sont deux villages frères.
576
Les Odzukru sont constamment en guerre contre leurs voisins les Ebrié. Les Odzukru
vivent à l'intérieur des terres, loin des rives lagunaires alors que les villages Ebrié sont t.ous situés
en bordure de la lagune. Les maisons en pays Odzukru sont construites en bambou de raphia qui
poussent dans les zones de mangrove situées en bordure des cours d'eau. Lorsque les Odzukru se
rendent dans les mangroves pour couper les bambous oules feuilles de raphia pour la toiture, les
Ebrié dans leurs pirogues sur la lagune les tuent en tirant sur eux. Souvent ce sont les Odzukru
qui assassinent les Ebrié, lorsqu'ils les rencontrent sur leur passage. Ainsi pour défendre leur
territoire et garantir leur sécurité, les Odzukru tiennent conseil à Bobor et choisissent des groupes
de populations qui devraient fonder leurs villages en bordure de la lagune afin de protéger tous
les Odzukru qui se rendraient dans les zones de mangrove pour couper du bambou. Par la suite,
les Odzukru installés en bordure de la lagune Ebrié apprennent la pêche et s'imposent sur la
lagune aux Ebrié, chaque fois que ces derniers essaient de menacer leur sécurité.
Les populations de la bordure lagunaire développent la pêche et celles de l'intérieur
l'agriculture vivrière. Les populations de l'intérieur fournissent à celles de la bordure lagunaire
les produits vivriers et en retour, elles reçoivent du poisson.
Lorsque l'homme blanc arrive pour la première fois en pays Odzukru, la classe d'âge au
pouvoir était celle des "Sété". L'homme blanc avant son arrivée dans le Lodzukru avait déjà pris
contact avec les Alladian. Depuis de longues années, les blancs entretenaient des relations
commerciales avec les Alladian. Les Odzukru ont quant à eux des rapports commerciaux avec
les Alladian. Le Lodzukru fournit au pays Alladian de l'huile de palme, des palmistes et de
produits agricoles. L'huile est transportée dans des grandes calebasses appelées "Mgbarili" en
Odzukru. La capacité de ces calebasses varie entre douze et quinze litres, quant aux palmistes ils
sont transportés dans des paniers en rotin.
La traversée de la lagune se fait en pirogues. Souvent, ce sont les courtiers Alladian qui
se rendent avec les esclaves dans les débarcadères de Lodzukru pour acheter les produits
oléagineux. Ces produits sont ensuite revendus aux navires anglais qui mouillent au large de
leurs plages. Les courtiers Alladian, habiles et intelligents jouent alors les intermédiaires entre
les Odzukru et les marchands européens. Les premiers Européens à commercer avec les Alladian
sont les Anglais.
577
Les traitants Alladian reçoivent des marchands Européens, en plus de leur prime, de
nombreux cadeaux en nature, composés de vaisselles, parfums, étoffes, poudre à canon, tabac,
alcool (rhum, gin) etc...
Les commerçants anglais sont aussi à l'origine de l'introduction dans le bassin occidental
de l'Ebrié des manilles qui seront utilisées comme monnaie par les populations de cette région.
Lorsque les marchands anglais essaient d'entrer en contact avec les populations du haut Ebrié,
productrices d'huile, ils en sont empêchés par les courtiers Alladian qui refusent tout contact
entre les capitaines anglais et les populations de l'arrière pays.
Un jour, des blancs, partis de Grand-Bassam suivirent le cours de la lagune Ebrié et
arrivèrent à Okobu où ils virent de la fumée qui montait vers le ciel. Ils conclurent alors à une
présence humaine. Okobu était un campement, servant à ta fois de centre de production d'huile
de palme et de débarcadère. Ce campement appartenait à la population de Dibrim. De
nombreuses familles y résidaient et y passaient une grande partie de leur vie.
Les blancs s'approchèrent du campement. lis débarquèrent à quelques dizaines de mètres
de la côte afin de prendre contact avec les responsables des lieux. Ce jour, les habitants du
campement s'étaient regroupés pour piler les graines de palme. Lorsqu'ils virent les blancs, ils
s'enfuirent dans la forêt, laissant tout, car de leur vivant, ils n'avaient jamais vu d'homme blanc.
Ils pensaient que c'étaient des génies. Les Européens à leur arrivée au campement ne virent
personne. Ils inspectèrent le campement et virent des pilons et des mortiers, ainsi que de l'huile
de palme dans des barriques et conclurent à une présence humaine. Certains parmi les fuyards
d'Okobu s'étaient rendus au village pour demander du renfort, mais à leur retour, les blancs
étaient déjà partis. Quelques jours plus tard, les blancs revinrent avec deux noirs d'origine
sénégalaise dans l'espoir de donner courage aux habitants d'Okobu. A la vue des européens, les
habitants d'Okobu s'apprêtaient à s'enfuir mais lorsqu'ils virent deux noirs accompagnant les
blancs, ils prirent courage et s'arrêtèrent.
Avant la deuxième visite des européens, les Dibrim Egn s'étaient concertés pour faire
penr les blancs, s'ils revenaient encore dans leur campement. Mais les habitants d'Okobu
accueillirent les blancs et envoyèrent des messagers en informer les habitants de Dibrim.
Lorsque les Dibrim Egn arrivèrent à Okobu, ils furent tous étonnés de voir des blancs sur leur
terre. Cela ressemblait à un rêve pour eux. Mais, ils ne saisirent rien du
578
message que leur adressèrent les blancs. Les Dibrim Egn prêtaient plutôt attention à ce que se
disait les deux sénégalais. Le nommé Adjessi qui participa à la rencontre avec les européens,
constata que la langue des deux sénégalais avait une ressemblance avec celle de son esclave, une
femme d'origine toucouleur. Il envoya alors des jeunes la chercher. L'esclave à son arrivée,
s'assit auprès de son maître Adjessi. Adjessi lui demanda alors de prêter attention au parler des
deux noirs. Elle écouta la conversation des deux noirs et informa son maître que ces derniers
conversaient dans sa langue maternelle. Adjessi lui demanda ensuite de se faire connaître
(découvrir) afin qu'elle entrât en communication avec les deux noirs. La jeune esclave salua les
deux noirs dans leur langue. Les deux noirs furent très étonnés et lui demandèrent les causes de
sa présence dans la région. Elle répondit qu'elle avait été vendue comme esclave. Les blancs
(français) qui suivaient la conversation entre la jeune esclave et les deux noirs furent également
étonnés de voir une sénégalaise en pays Odzukru. C'est cette esclave qui a servi d'interprète entre
les populations de Dibrim et les Français. Elle avait traduit le message des Dibrim Egn aux deux
noirs qui l'ont à leur tour traduit aux Français. Ce fut au nom des Dibrim Egn qu'elle demanda
aux Français, l'objet de leur présence à Okobu. Les Français répondirent qu'une fois, au cours de
leurs promenades, ils étaient arrivée dans ce campement où ils avaient vu des gens entrain de
travailler. Certains d'entre eux pilaient des graines dans des mortiers, mais au moment où ils
s'approchèrent, les habitants du campement s'enfuirent laissant les pilons et les mortiers. C'est
pourquoi, aujourd'hui ils se sont faits accompagner de deux noirs pour que les populations ne
désertent plus leur campement. Ils demandèrent aux habitants d'Okobu (Dibrim) s'ils étaient les
producteurs d'huile de palme? A côté d'eux étaient entreposées des jarres et des barriques d'huile
ainsi que des monticules de noix de palmiste et de fibres de graines. Les habitants d'Okobu
répondirent par l'affirmatif et désignèrent le palmier à huile, l'arbre qui donne les graines. L'un
d'entre eux, en guise de démonstration, grimpa un palmier à huile et fit tomber les régimes de
palme. Les Français apprécièrent ce qui avait été fait et ajoutèrent que les premiers Noirs qu'ils
avaient rencontré dans cette région, leurs avaient dit qu'ils étaient les producteurs de cette huile.
Les habitants d'Okobu répondirent que sur la côte, ils sont les producteurs d'huile de palme et ce
sont eux qui exportent ce produit vers les autres régions.
C'est après cette rencontre que les Dibrim Egn et les Français ont noué des accords, suivie
d'échange de cadeaux. C'est par la lagune Ebrié que les Français sont arrivés dans le Lodzukru.
579
Grâce à ces accords les Européens et les Odzukru établissent des contacts commerciaux.
Les ventes d'huile de palme se font avec les traitants Français. Des traitants Odzukru s'organisent
et achètent l'huile pour les Européens. En retour, ils reçoivent des commissions en nature
(vaisselles, tabac, alcool, miroirs etc ...). Les Français s'installent à Dabou et ensuite à Tukpa. Ces
deux centres deviennent des centres commerciaux. Les Européens créent à Tukpa des boutiques
et font de cette région, une région prospère. Plus tard les sénégalais et les Bambara viennent
s'installer dans le Lodzukru. Beaucoup d'entre eux s'installent dans les débarcadères de
Mopoyem, d'autres à Dabou, à Tukpa et Cosr.
Avant l'apparition de la monnaie dans le Lodzukru, les esclaves n'étaient pas achetés. Ils
étaient capturés par les populations. Avec l'avènement de la monnaie, les Baoulé viennent vendre
des Sénoufo dans le Lodzukru.
La richesse des Odzukru avons nous dit réside dans la production de l'huile de palme et la
vente des palmistes. Le palmier à huile est un arbre sacré. A la suite d'un contact avec les
européens, ils vont établir des échanges commerciaux avec le Baulé. C'est avec ces derniers
qu'ils vont s'approvisionner en pagne (cotonnade), en poudre d'or en bijoux. Ils commercent
aussi avec les Gouro avec lesquels ils achètent des pagnes et de l'or. Tout le trajet se fait à pied.
Compte tenu de l'insécurité qui règne sur les routes, les déplacements (voyages) se font en
groupe d'au moins vingt (20) personnes. Les voyages durent plusieurs jours. A la tombée de la
nuit, les voyageurs s'arrêtent dans les campements ou dans les villages, chez leurs hôtes. Le
système de transport est le portage. Les quantités portées sont très faibles. Avant l'introduction
des pagnes Baulé et Gouro dans le Lodzukru, les Odzukru s'habillaient avec une écorce d'arbre
appelé "Likpekn". L'arbre est abattu et son écorce est découpée en morceaux d'un mètre de
longueur, puis nettoyée. Avec des gourdins, on l'aplatit jusqu'à ce qu'elle soit large et molle.
Suite à la prospérité engendrée dans le Lodzukru par la traite de l'huile de palme, l'art et
les cérémonies rituelles connaissent de profondes transformations. L'Agbadzi est institué.
L'initiation des jeunes filles appelée Dédiakp est modifiée et améliorée. Amélioration également
des conditions de vie et de l'habitat. La présence européenne va néanmoins susciter des conflits
entre les Français et les Oboru qui rejettent la souveraineté et la domination française sur leur
région. Les conditions de vie amenèrent les Odzukru quelque foie malgré eux à placer leurs
enfants en gage en pays Alladian. Cette situation se produit lorsque Je chef de famille constate la
présence des
580
"voyous", des voleurs et des paresseux dans la famille. Pour les écarter de la famille il es envoie
en punition en pays Alladian. Au pays Alladian, ces enfants mis en gage ne peuvent plus y
revenrr.
A l'étranger, l'enfant reçoit une éducation severe. Une telle éducation n'est pas
monnayable. Avant l'installation des Européens en pays Odzukru, les AIJadian plus riches que
ceux-ci leur achetaient leur production d'huile de palme et en retour, leur vendaient du poisson,
du sel et des articles de traite.
Les relations entre les pays Abidji et le pays Odzukru étaient inégales. Les Abidji
constituaient une main d'oeuvre pour les Odzukru. Les familles Odzukru moins nombreuses se
rendaient en pays Abidji pour acheter des femmes. Les Abidji n'avaient pas contact avec les
blancs. Ils vendaient leurs produits aux Odzukru qui, en retour, les ravitaillaient en produits
européens surtout en sel et en poisson.
Les Odzukru n'ont jamais eu de pouvoir centralisé donc pas de chef. Le système de
pouvoir central a été imposé par les Européens qui, dans leur recherche, dans le pays, d'un
interlocuteur, vont nommer les premiers chefs.
Lorsque les Odzukru se sont installés sur ce terrain qu'ils occupent, il existe une grande
étendue recouverte de savane. Tout le monde ignore de cette savane. L'occupation de cette
savane n'est pas continue. Elle est intercalée de forêt. Cette savane longe la lagune Ebrié. La
savane sert de pâturage aux moutons et aux boeufs. Mais les Odzukru l'utilisent également pour
la culture de l'arachide et du manioc. Autrefois, les Odzukru n'étaient pas producteurs
d'arachides. Cet oléagineux a été introduit dans le pays Odzukru par des esclaves d'origine
sénoufo. Les arachides sont consommées dans le Lodzukru et exportées vers les pays Abidji et
Alladian.
A ce niveau de l'organisation sociale les classes d'âge sont instituées par les premiers
habitants de Lodzukru. Les classes d'âge comportent quatre sous classes d'âge. Mais dans la
confédération de Bobor, elles sont réduites à trois. Une sous classe d'âge comprend tous les
enfants nés sur une période de trois ans. Quant à la classe d'âge, elle se compose d'enfants nés sur
une période de neuf à douze ans. Le système des classes d'âge est répandu sur tout le littoral Est
et dans la région Sud. Ce système régie les sociétés Aïzi, Abidji, Odzukru, Ebrié et Abê.
581
Avant le rituel d'Agbadzi, tout Odzukru est obligé d'acheter une esclave femelle pour
montrer à la population sa prospérité et sa puissance économique. C'est un acte obligatoire.
L'esclave épouse le prétendant au rituel d'Agbadzi et les enfants issus de cette union
appartiennent au matrilignage de leur père ainsi que leur mère. Dans les familles où les
descendants ne sont que des garçons, ces derniers achètent des esclaves et les épouses afin
d'assurer la pérennité du lignage qui se perpétue par les femmes.
Les enfants, issus de l'union, sont pour l'acquéreur, des neveux et des nièces. Ces enfants
sont des hommes libres. Aujourd'hui, le Lodzukru est peuplé d'enfants issus du mariage entre des
hommes libres et des esclaves. Les premières femmes esclaves à fouler le territoire Odzukru sont
des femmes Abidji, suivies des femmes Abê et Krobu. Mais le mariage entre les femmes
Odzukru et des hommes Abidji, Abê et Krobu est proscrit. Cependant, des mariages entre des
traitants Sénégalais et des femmes Odzukru ont été célébrés. De ces unions sont nés de
nombreux enfants dont certains sont partis pour le Sénégal.
Pour épouser une femme, la démarche à suivre, est de s'adresser aux parents de la fille.
Ces derniers convoquent le conseil de famille et soumette la demande. Les parents du prétendant
repartent une seconde fois pour prendre contact avec les parents de la jeune fille et s'informer de
la décision du conseil de famille. Lorsque le résultat est positif, les parents de la jeune fille
interroge leur fille pour connaître ses sentiments et son avis sur la proposition de son prétendant.
La dot n'a pas un tarif unique. Elle varie entre 300 à 4.000 manilles. Lorsque la jeune fille
approuve la candidature du jeune homme, les parents de ce dernier apportent la boisson, le tabac
et la dot. Le montant de la dot est fixé par les parents de la jeune fille. Mais en cas de rupture,
c'est à dire de divorce, la dot est restituée au mari.
Le commerce est une activité exercée surtout par les femmes. Elles font du commerce de
poisson et d'huile de palme. Elles se rendent dans les pays Avikam, Alladian et Abidji. Certaines
vont à Bouaflé et d'autres à Toumodi. Les femmes jouent un rôle important dans la production de
l'huile de palme. Ce sont elles qui ramassent les régimes de palme, enlèvent les graines, séparent
les fibres des noix de palmiste et transportent l'huile dans les débarcadères.
Les régimes de palme sont stockés dans un endroit appelés "GbrossE". Les femmes
constituent leurs fortunes à la suite de la vente des palmistes, de la farine et de la pâte de manioc
et du poisson.
582
Avant l'introduction de la matchette dans le Lodzukru par les Européens, les Odzukru
utilisent le "Ibn" dont la partie tranchante a une forme convexe. Cette partie est en fer. Au cours
de leurs migrations, les Odzukru avaient parmi eux des forgerons (Ewusu) qui s'occupaient de la
fabrication des outils agricoles et des armes. Les Ewusu améliorent plus tard leur technique grâce
au contact fructueux qu'ils ont avec les populations des zones de savane. C'est auprès des
forgerons du Nord que les Ewusu se procurent le minerais de fer.
Les Odzukru, au début de leur installation dans le Lodzukru vivent de cueillette et de
chasse. Les cases sont construites avec des branchages et des feuilles. Ils se servent de bois et des
pierres comme armes. Cette évolution se situe avant la fondation de Bobor. Les populations du
Nord fabriquent eux des armes à feu (fusils). C'est au cours de leurs voyages en pays Baulé que
les traitants Odzukru s'achetaient des armes à feu. Comme projectiles, ils se servent de barre de
fonte, et de cailloux. La poudre à canon et les cartouches ont été introduites par les européens.
Avant le XIXè siècle, les Odzukru n'utilisaient pas dans leurs cérémonie des perles
d'aigri. Les haoussa furent à l'origine de l'introduction de' ce produit dans le Lodzukru.
Les sénégalais dans le Lodzukru vivent dans les débarcadères. Ils jouent le rôle
d'employés de commerce et de traitants. Les récipients qui servent au transport de l'huile
s'appellent "Towa" ou "LeI". Les barriques et les tonneaux sont d'origine anglaise. Le sel vient
du pays Alladian, précisément du village d'Akrou. Les Odzukru à leur tour exportent le sel vers
les pays Abê, Abidj i et Baulé.
La route que les Odzukru empruntent pour se rendre en pays Baulé est celle qui sert au
XIXè siècle au tracé de la route Dabou Tyasalé.
Dans la société Odzukru, les trésors appartiennent au lignage. TI n'existe pas de fortune
individuelle. Tous les membres du lignage travaillent pour le chef du lignage. Au chef de famil1e
revient la charge de gérer le trésor familial. A la fin de la saison commerciale, c'est à lui qu'on
remet toutes les recettes de l'année. L'argent n'est pas thésaurisé. Le chef du lignage le fructifie
par le commerce. Ceux des villages de Dibrim, Tukpa, Mopoyem et Cosr s'adonnent au courtage
en achetant les productions d'huile des villages de l'intérieur pour les revendre aux Alladian.
La classe d'âge des Sètè est la première à subir le rituel d'Agbadzi dans le Lodzukru.
Entre l'Eb et le Bosu, c'est le Bosu qui est le premier système de parenté de Lodzukru.
583
a : Traditions recueillies auprès de Mr SESS Samuel d'Orgbaff.
LA NATURE DES ECHANGES COMMERCIAUX EN PAYS ODZUKRU
Avant l'arrivée des Européens dans le Lodzukru, la grande partie des échanges
commerciaux du pays Odzukru se fait avec la côte, principalement avec le monde Alladian. Les
Odzukru échangent avec la côte la pâte de manioc et l'huile de palme. En retour, ils reçoivent du
sel et du poisson. Du côté de la zone forestière et des régions de savane, les échanges
commerciaux se font avec les pays Abidji, Gouro, Baulé et Abê.
Parmi les traitants Odzukru, ceux qui se rendent dans la Baulé et le Gouro sont les plus
courageux et les plus audacieux car l'insécurité règne sur les routes. Des bandits ou des villageois
s'organisent pour dévaliser (écumer) les voyageurs. C'est pourquoi, avant d'effectuer les
expéditions commerciales vers ces régions, les traitants Odzukru se regroupent en "caravanes" de
vingt à quarante personnes. Les traitants s'arment de fusils, de gourdins et de Ibn. lis sont
accompagnés de leurs esclaves qui portent les bagages. Le voyage se fait à pied.
Les voyageurs Odzukru, à la tombée de la nuit se reposent dans les villages ou dans les
camps traversés. Ils ne repartent que le lendemain vers 5 à 6 heures du matin. Les marchandises
transportées se composent de sel marin et de produits manufacturés européens. Chaque traitant
transporte deux à trois sacs de bagages. Arrivés à destination, les traitants se dispersent et chacun
se rend chez son ami. Tout traitant Odzukru fait l'effort d'avoir dans les villages un ami auquel il
confie les marchandises à écouler. C'est l'ami qui l'informe de la situation des cours sur le
marché. Avant la période du grand commerce, la plupart des traitants Odzukru s'arrêtent à
Bécédi en pays Abidji, et ce sont les traitants Abidji qui se rendent dans le Baulé car parlant
couramment la langue de cette région. Les traitants se rendent surtout à Tyasalé. Les traitants
Odzukru prennent toujours la précaution de faire l'inventaire de leurs besoins aux traitants Abidji
avant leur départ dans le Baulé. Les produits recherchés par les Odzukru sont d'abord les
esclaves, produits très privés par le Lodzukru, ensuite l'or et les pagnes. Dans l'Abidji, les
traitants Odzukru s'achètent de la viande de brousse et des escargots séchés.
584
L'esclave est recherché dans le Lodzukru car ceux qui n'en disposent pas ne peuvent
célébrer le rituel d'Agbadzi, donc exclus de la société des riches. Les non membres de la société
des riches sont exclus des débats en assemblée de village car ils sont considérés comme des
femmes.
Les traitants Odzukru confient très souvent le reste des marchandises aux traitants Abidji
et rentrent chez eux munis d'escargots, de viandes de brousse, d'esclaves, de pagnes (cotonnade)
et de produits en or. Le filet d'escargots séchés est vendu à 3 manilles dans le Lodzukru. Les
Abidji échangent leurs descendants nièces ou filles contre le sel ou contre les produits
manufacturés. Les traitants Abidji, tributaires des traitants Odzukru, paient leur crédit en offrant
en gage leurs nièces ou leurs filles. Les jeunes filles étaient accompagnées de petits garçons. Le
garçon, âgé de huit à dix ans a pour rôle de surveiller la jeune fille. Lorsque la jeune esclave était
maltraitée, il devrait l'aider à s'enfuir. Mais lorsque le maître est bon, les deux demeuraient dans
le Lodzukru. Les esclaves femelles sont achetées à 3 DU l'unité, les mâles à 2 DU.
L'argent est thésaurisé car les dépenses sont minimisées. Il est utilisé pour les cérémonie
initiatiques, pour le rituel d'Agbadzi, la célébration des funérailles et pour acheter l'or et les
pagnes.
Dans le Lodzukru, les femmes esclaves épousent leurs acquéreurs ou des hommes de la
même famille que ce dernier. L'esclave appartient à la famille de l'acquéreur et les descendants
de l'esclave sont membres de la famille de leur acquéreur. Ce sont des hommes libres ayant les
mêmes droits que les enfants issus de père et de mère Odzukru. Mais ils sont appelés fils ou fille
d'esclave dans le but de leur rappeler une partie de leurs origines. Les esclaves hommes peuvent
aussi hériter et devenir chef de famille lorsqu'ils sont les plus âgés du lignage. L'esclave hérite
dans le segment des esclaves.
Les enfants issus de père et de mère esclaves sont des hommes libres parce qu'ils sont
nés dans le Lodzukru. Les esclaves hommes (achetés) ne sont pas autorisés à célébrer le rituel
d'Agbadzi et pendre la parole en assemblée de village. Les esclaves récalcitrants sont immolés.
Les hommes riches à leur mort sont accompagnés dans les tombes par des esclaves. Les
membres du lignage du défunt donnent à boire à l'esclave jusqu'à ce qu'il devienne ivre et
inconscient. Ensuite, ils le font asseoir dans la tombe afin de tenir le cadavre de son maître. Les
esclaves enterrés vivants ont pour mission de servir leurs maîtres dans l'au-delà car pour les
585
Odzukru, les morts se retrouvent dans un grand pays où ils continuent la vie d'ici bas. Les plus
riches d'entre eux ont donc besoin d'esclaves pour les aider et les servir. Assis, l'esclave est
couvert de sable. C'est ainsi que les Odzukru les immolaient.
Les esclaves mâles participent aux rites initiatiques de Low, ainsi qu'à la vie politique de
la communauté, car citoyen Odzukru. Mais ce sont des citoyens de 2è degré. Ils prennent part
aux guerres pour la défense du territoire.
Le manioc, l'igname, les piments, les aubergines, le gombo et les autres produits vivriers
poussent à l'état naturel. Ces produits agricoles ont été domestiqués par les Odzukru lors de leur
établissement dans le Lodzukru. La domestication. de ces produits remonte à des temps
immémoriaux. Il existe plusieurs variétés de manioc dans le Lodzukru dont AI1Ua, Idj, Ekn, Awl,
Yansàn, Tin Adjô, Es, Akpl, N'koukou et d'autres variétés. Un jour, un paysan Odzukru défricha
son champ. Au moment où il s'apprêtait à le mettre en valeur, il tomba malade. Il voulait planter
du manioc. Malade, le champ resta sans culture. Un jour des femmes qui revenaient des champs
constatèrent que sur le terrain du paysan malade, des plants de manioc avaient poussé et elles
s'étaient exclamées: Es Akpl "Dieu est bon" en français.
Avant la connaissance de l'agriculture et surtout du fer, les Odzukru vivaient de
cueillettes. Le matin, très tôt, les femmes partaient dans la grande forêt encore inculte à la
recherche de fruits et de plantes comestibles, ainsi que des racines de plantes. C'est au cours de
leur recherche qu'elles découvrirent les tubercules de manioc et d'igname. Pour ne pas perdre ces
plantes dont les racines sont nourricières, les Odzukru développèrent l'agriculture. Ils eurent
l'idée de faire des buttes et d'y enfuir les boutures ou les racines afin de pouvoir bénéficier dans
les mois à venir de nouvelles récoltes et éliminer ainsi la disette et la famine, très fréquentes dans
le Lodzukru. L'idée d'enfuir les boutures dans le sol est due au fait que lorsque les femmes ou les
hommes déterraient le manioc, ils constataient que les tubercules étaient rattachées à la plante, ce
fut aussi le cas de l'igname. Le développement de la culture du manioc entraîna la naissance
d'une industrie de manioc qui permit la préparation de l'attiéké, aliment consommé par tous les
peuples vivant autour de la lagune Ebrié. De Lodzukru, les techniques de la préparation de
l'attiéké furent exportées dans les pays Alladian et Avikam.
Les différents variétés de piments poussent à l'état sauvage. Mais les Odzukru ont
bénéficié d'importantes variétés venues des pays Baulé, Koueni et Anyi. L'existence des palmiers
à
586
l'état sauvage est l'oeuvre des oiseaux par le dépôt de graines sur les parcelles en jachère. Ainsi
furent constituées les palmeraies. Les parcel1es défrichées n'étaient pas très étendues à cause des
ronces des lianes ct des gros arbres. Les parcelles ne dépassaient guère un hectare. La nature
offrait à l'homme tout ce qu'il désirait.
Les Odzukru, bénéficiant de deux types de végétation, la forêt et la savane, sont
d'excellents cultivateurs. La savane sert à la culture du mil et de l'arachide. Le mil, semé au début
de la saison sèche est récolté trois mois après. Ce sont les petits garçons de 8 à 12 ans qui sont
chargés de surveiller les champs de mil. Quatre cordes traversent le champs. A ces cordes sont
attachés des grelots et toutes sortes d'objets pouvant faire du bruit. C'est très tôt le matin que les
garçons se rendent dans les champs, attendant le réveil des oiseaux. Ils ne rentrent au village qu'à
la tombée du jour. Lorsque les oiseaux envahissent les champs, installés sous les abris, ils tirent
les cordes dans toutes les directions et avec les bruits, les oiseaux s'envolent. La farine de mil est
utilisée dans les échanges avec les pays Aïzi.
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, 58~
LE COMMERCE DE L'HUILE DE PALME EN PAYS ODZUKRU
Les Odzukru depuis leur installation dans le Lodzukru produisaient l'huile de palme qui
était leur principale source de revenu. Les Odzukru n'avaient pas planté les palmiers mais les
grains avaient été répandus dans les forêts par les oiseaux. Il existait dans le Lodzukru deux'
types de propriétés : "Eb Sar ou Likr Sar". Les palmeraies appartenant au patrilignage. Les
palmeraies étaient exploitées différemment. L'exploitation des palmeraies du "Bosu" était
organisée par le chef du lignage qui fournissait tous les moyens de production. La production
était vendue par le chef de lignage qui utilisait les revenus pour acheter les pagnes, les bijoux, les
parures et autres objets que les membres de la famille utilisaient pendant la célébration des
rituels et cérémonies traditionnelles.
Les Odzukru vendaient leur huile aux Alladian par l'intermédiaire des Tukpa Egn et des
Dibrim Egn qui furent les premiers à conclure un traité avec les français. Dabou était un
campement des Dibrim Egn et s'appelait Dabouatchi. Lorsque les français sillonnaient la lagune
Ebrié, ils virent la case de TCHAM Mel, un riche paysan de Dibrim.Tls y débarquèrent. A la vue
des français TCHAM Mel s'enfuit parce qu'auparavant il n'avait jamais vu d'hommes blancs. 11
croyait avoir vu les génies de la lagune Ebrié. ADOU SESS un autre ressortissant de Dibrim qui
partit au secours de TCHAM Mel fut saisi par les français. ADOU SESS voulut crier pour
appeler TCHAM Mel mais les français lui fermèrent la bouche. TCHAM Mel caché dans un
buisson observa tout ce qui se passait dans son campement.
Les Français bredouillèrent quelques paroles à ADOU SESS que traduisirent les
Kroumen qui accompagnèrent les français. Les français revinrent une autre fois. Mais ce jour là
TCHAM Mel se montra aux français qui demandèrent à rencontrer Kètèkrè (ADOU SESS)
Kètèkrè fut appelé et à son arrivée, il fut nommé par les français chef supérieur des Odzukru. Il
signa ensuite un traité avec les français à Dibrim. '
Dabou devint ensuite avec Tukpa, Mopoyem et Cosr l'un des principaux débarcadères où
les Alladian venaient une fois par semaine porter les produits européens aux Odzukru et acheter
l'huile de palme pour les revendre aux anglais.
588
Le commerce se faisait librement. Les villages Odzukru situés dans le secteur occidental
apportaient leur huile à Tukpa et ceux du secteur oriental à Dabou ou Dabuatchi. Les Odzukru
exportèrent par l'intermédiaire des Abidji, les produits européens dans le Baulé. lis ramenaient
du Baulé, les esclaves, de la poudre d'or et des pagnes.
Le commerce était florissant. Avec l'introduction des manilles dans Lodzukru, les
échanges entre Lodzukru et le Baulé étaient toujours à base de troc. Certains Odzukru
embrasseront le métier de commerçant pour jouer le rôle de courtier entre les Alladian et les
Baulé.
Les commerçants Français appuyés par l'administration coloniale Française qui s'est
installée à Dabou, éliminèrent de Lodzukru les traitants Alladian. Lès traitants européens étaient
aidés par les sénégalais et les Dyula qui leur servaient de commis. Les Sénégalais et les Dyula
résidaient dans les débarcadères et achetaient l'huile de palme pour le compte des traitants qui
parcourraient une fois par semaine les débarcadères avec des vapeurs pour acheter l'huile. Les
produits français n'était pàs appréciés par les populations Odzukru car ils étaient de qualité
médiocre. L'administration coloniale obligea les populations à commencer avec les traitants
français mais elle rencontra l'hostilité des Oboru et des Eusru qui refusaient de reconnaître
l'autorité français dans le pays Odzukru. Plusieurs guerres eurent lieu entre Oboru et Français qui
étaient souvent vaincus. Les français avaient pu s'imposer dans le Lodzukru avec l'aide des
Dibrim Egn qui leur étaient très liés.
Les Dibrim Egn s'appuyaient sur les français pour être les maîtres de Lodzukru après les
français et empêchaient les autres populations de commercer directement avec les maisons de
commerce qui s'étaient installées à Dabou et à Tukp. Ce qui obligea les Orgbaffu à créer leur
débarcadère : Orgbaff débarcadère ou "Gobro Nanu" situé entre les villages de Kpass et
Mopoyem. Tous les villages Odzukru avaient refusé la présence française dans le Lodzukru sauf
Dibrim. Les Oboru au cours de leurs guerres avec les français avaient tué plusieurs français mais
ils eurent à couper la tête de trois d'entre eux.
Sous l'occupation française, la production de l'huile de palme s'accrut mais les prix étaient
très dérisoires. Cette croissance était due au fait que les gare de cercle sillonnaient les villages
pour obliger les populations à aller aux champs. Les malades s'enfuyaient des villages pour aller
se
589
cacher dans les forêts afin d'éviter les fouets des gardes de cercle. Il ne restait dans les villages
que les personnes âgées et les enfants. Les français introduisirent dans le Lodzukru des machine
à presser les fibres de graines et à concasser les graines.
Le Français instituèrent l'impôt de capitation dans le pays Odzukru. L'impôt était un
phénomène meurtrier pour les populations qui, avant six mois, s'inquiétaient et s'interrogeaient
sur le niveau de leur production de l'année pour voir si les revenus permettaient à tous les
membres de la famille de s'acquitter de leur impôt.
Lorsque les revenus étaient insuffisants, certaines familles mettaient en gage leurs enfants
surtout les filles chez les Alladian afin de trouver l'argent pour compléter le revenu familial. Au
début, l'impôt était en nature puis après la défaite des Ewusru, il fut exigé en espèce.
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590
Traditions recueillies auprès de GOMRON Etienne
LE COMMERCE DE L'HUILE DE PALME EN PAYS ODZUKRU
Les
Odzukru, depuis leur installation dans le pays qu'ils occupent aujourd'hui,
exploitaient les palmiers à huile. Ils cultivaient les champs parce qu'ils étaient cultivateurs. Les
palmeraies n'étaient pas
de propriétés collectives mais des
propriétés individuelles qui
appartenaient aux "Eb" (patrilignage) et aux "Bosu" (matrilignage). L'huile de palme était la
seule source de revenu des Odzukru.
L'exploitation d'un palmier par un étranger entraînait des réparations et très souvent des
conflits armés. Le palmier était sacré dans le Lodzukru et il était interdit à quiconque d'en
abattre. Les palmeraies étaient exploitées par les jeunes mais sous la surveillance du chef de
lignage qui contrôlait la production. Les palmeraies du patrilignage étaient exploitées par les
jeunes moyennant une redevance. Les Odzukru fabriquaient eux-mêmes les outils agricoles et de
chasse (fusil, machette, panier, houe etc ...).
L'huile était vendue aux Dibrim Egn et aux Tukpa Egn qui les revendaient à leur tour aux
Alladian. Les Dibrim Egn et les Tukpa Egn prélevaient des commissions sur les tonneaux d'huile
qui leur étaient portés. Les Alladian vendaient l'huile aux navires anglais. Les anglais avaient
apporté dans le Lodzukru, des fusils, du tabac, du gin, du rhum et des étoffes. Les produits
étaient échangés dans le Baulé contre la poudre d'or, les pagnes et les esclaves. Les esclaves
étaient recherchés dans le Lodzukru.
Le commerce de l'huile de palme était à base de troc. Les Odzukru ne connaissaient pas la
monnaie. C'était les Alladian qui avaient introduit les manilles dans le Lodzukru.
Les Odzukru avaient apprécié les manilles qu'ils avaient thésaurisé dans des trous pour ne
pas les dépenser. Les manilles étaient uniquement utilisés dans les transactions avec les Alladian
et puis avec les maisons de commerce françaises ou anglaises. Dans les familles, seuls les chefs
de lignage étaient autorisés à utiliser les revenus de l'exploitation des palmeraies pour faire des
dépenses. Les revenus servaient au paiement de l'impôt de capitation. Le commerce de l'huile de
palme était à l'origine de la richesse des Odzukru. Dans tous les villages se trouvaient des riches,
mais on les rencontrait surtout à Dibrim,
591
Tukpa, Usr et OrgbatT qui étaient les premiers producteurs d'huile de palme de Lodzukru. Le
commerce des palmistes était apparu dans le Lodzukru avec la colonisation. Auparavant, les noix
étaient utilisées comme combustibles. Ce commerce moins intéressant était réservé aux femmes
car le prix était fluctuant. 11 pouvait monter le matin et baisser dans-l'après-midi. Le concassage
avait lieu pendant la grande saison des pluies et pendant les jours de repos des femmes. Celles-ci
étaient aidées dans ce travail pénible par les esclaves et les enfants. Les Dyula et les Sénégalais
parcouraient les villages et les campements pour acheter les productions d'huile et de palmiste.
Le
transport
de
l'huile
vers
les
débarcadères
était
assuré
par
les
femmes
qu'accompagnaient deux à trois hommes. Les tonneaux et les barriques étaient roulés par les
esclaves. A OrgbatTet à Dibrim, pendant les saisons de libre exploitation les meilleurs grimpeurs
produisaient chacun, six à huit (6 à 8) tonneaux. Des vapeurs fréquentaient une fois par semaine
les débarcadères pour évacuer l'huile sur Grand-Bassam qui était le plus grand commercial. Sous
l'occupation française, l'huile de palme rapportait peu d'argent aux paysans parce que les prix
étaient dérisoires. Les populations économisaient moins parce que les revenus servaient à payer
l'impôt. Les familles étaient très nombreuses. Le paiement de l'impôt était urie lourde charge
pour les familles qui n'hésitaient pas à mettre en gage leurs enfants auprès des Dibrim Egn et des
Alladian.
Les enfants résidaient chez leurs maîtres jusqu'à ce que les parents viennent payer la
dette. Après le remboursement de la dette, souvent les enfants refusaient de regagner leurs
villages et leurs familles parce qu'ils se sentaient humiliés. Ces cas étaient très rares dans le
Lodzukru car l'homme était sacré et ne pouvait être vendu comme un objet.
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592
Traditions recueillies auprès de Mr ESSOR Latte Benoît Orgbaff
L'EXPLOIT ATION DES PALMERAIES:
Le peuple Odzukru est issu d'un brassage de plusieurs groupes de population d'origines
diverses. Les premiers à s'installer dans le Lodzukru sont les Oboru qui vont fonder deux
villages : Bon et Bobor. Un ressortissant de Bobor, Amnès, fonde le village de Dibrim, qui
devient après la rupture avec Bobor, la capitale de la confédération de Dibrim. Après les Oboru,
sont arrivés, les autres groupes qui fondent les six tribus de Lodzukru : Orgbaffu, Agbadznu,
Eusru, Olokpu, Aklodzu et Armagu. Le Lodzukru est organisé en huit "LEBUTU" ou "SEBOL"
et en deux confédérations dont les capitales sont Bobor et Dibrim. Les Odzukru sont d'essence
cultivateurs, mais les populations riverains de la lagune Ebrié pratiquaient l'agriculture et la
pêche.
L'économie Odzukru est basée sur l'agriculture d'auto-susbistance. Les principales
cultures de Lodzukru sont le manioc, l'igname, le taro et le mil. Plus tard, les Odzukru vont
s'adonner à la culture du maïs et de l'arachide. Ces cultures ont été introduites dans le Lodzukru
par les esclaves achetés aux Baulé de Tyasalé qui était le grand centre d'échange avec l'intérieur.
Un commerce inter-villages existait entre les villages de l'intérieur et ceux de la côte lagunaire.
Les femmes des villages du Nord échangeaient avec les populations du sud, de la pâte de
manioc, de l'igname contre le poisson frais ou fumé. Elles le faisaient aussi avec le pays Alladian
pour les mêmes produits. Les Alladian sont les principaux fournisseurs des Odzukru en poissons
et en sel.
Depuis leur installation dans le Lodzukru, les Odzukru exploitaient les palmiers à huile
qui étaient en nombre très réduit. Le développement des palmiers à huile s'est fait avec le
défrichement des forêts pour les cultures vivrières. Les oiseaux on ensuite indirectement répandu
les grains qui ont germé et ont donné naissance aux palmiers à huile. Les terres sont propriétés
de la communauté villageoise, mais les palmeraies sont des propriétés privées et appartiennent
aux propriétaires des champs, c'est à dire aux lignages, c'est ce qu'on appelle en Odzukru "SAR".
Les palmeraies appartiennent soit au Bosu, soit à l'Eb qui sont les deux système de
parenté de Lodzukru. Dans tous l'Eb, qui sont les deux systèmes de parenté de Lodzukru. Dans
tous les villages Odzukru, les palmeraies sont des propriétés privées sauf à Dibrim où elles
appartiennent à la collectivité villageoise et reparties entre les quatre quartiers.
593
La récolte des regimes de palme se déroule
pendant
les saisons sèches, mais
principalement pendant la petite saison sèche (Fâpo) faisant suite à la grande saison des pluies
(Mewidj). L'exploitation se fait par les membres du "Bosu" ou de "l'Eb" sous la direction du chef
de lignage, mais elle peut être laissée à quelqu'un qui n'est pas de la famille moyennant une
redevance à la fin de la saison. La redevance était d'abord en nature, puis en manilles.
Le palmier à huile est l'arbre sacré des Odzukru et l'huile de palme en est le premier
produit d'échange et la principale source de revenu. L'huile de palme produite à la fin de la
récolte est mise dans des récipients sorte de calebasses appelées "LEL" dont le contenu varie
entre douze et quatorze litres. Chaque famille produit en moyenne par an 150 à 300 litres. Mais
cette production va s'accroître avec la traite de l'huile de palme. Avant la traite, l'huile récoltée
était produite pour la consommation locale et pour les échanges avec le pays Alladian. L'huile de
palme était échangée contre le sel et le poisson. Le sel et les poissons étaient ensuite échangés
dans les pays Baulé et Abidji contre les esclaves, les pagnes (cotonnade) et la poudre d'or. Le
poisson dans le pays Abidji était échangé contre le gibier, les escargots séchés et les régimes de
. bananes. Avec le sel, les intermédiaires Abidji de Bécédi qui parlaient le Baulé et le Gouro se
rendaient dans le Baulé et le Gouro. Les Odzukru parcouraient ces pays à la recherche de
produits. Les pagnes (cotonnades) obtenus chez les Baulé et les Gouro ainsi que l'or (bijoux)
étaient vendus dans les pays Abê, Abidji, Alladian et. Odzukru. Les Odzukru faisaient des
échanges avec les pays Dida pour les pagnes tissés avec les fibres de raphia et avec Je pays Ebrié
pour le poisson. Le commerce était pratiqué par de petits groupes de gens car la traversée des
régions voisines était très dangereuse. Les commerçants étaient souvent accompagnés de leurs
esclaves, d'un guide et avaient toujours un ami dans les villages ou régions où ils se rendaient.
Les échanges entre le Lodzukru et ses voisins connaissent un développement à la suite de
l'introduction des produits européens dans le Lodzukru avec la traite de l'huile de palme. Les
produits sont des fusils, le tabac, les alcools (gin rhum), la poudre à canon. Au cours de la traite
ont été créés des débarcadères qui servent de points de vente.
Au début de la traite, les Odzukru n'avaient pas de contact avec les navires européens. Ce
sont les Alladian qui, une fois par semaine, se rendent à Tukpa, Cosr, Mopoyem et à Dabuatchi
pour échanger les produits européens contre l'huile.
594
Les populations des villages de l'intérieur vendent leur huile aux Alladian par l'intermédiaire des
Dibrim Egn et de Tukpa Egn. Sous l'occupation française les villages sont autorisés à commercer
avec les factoreries installées dans les débarcadères.
L'acquisition des produits européens permet aux Odzukru de développer les échanges
commerciaux avec les pays de l'intérieur et surtout avec la région de Tyasalé. Ils exportent vers
le Baulé, par l'intermédiaire des Abidji, des fusils, du tabac, du gin, du rhum et de la poudre à
canon. Ces produits dans le Baulé sont échangés contre la poudre d'or, les pagnes (sobou, dzango
et kamitchè) et les esclaves.
Les traitants Odzukru revendent les produits importés du Baulé aux Alladian. Les
commerçants Odzukru sont devenus très riches. Certains d'entre eux ont plus de six femmes et
possèdent de belles maisons. Ils ont aussi des esclaves. Avec la poudre d'or, les Odzukru
achètent des esclaves aux Abidji et aux Abê. Les Odzukru n'ont jamais connu l'esclavage. Mais
pendant les périodes de difficultés, ils mettent en gage leurs enfants ou leurs neveux ou nièces
utérins auprèsdes riches commerçants Alladian.
Les Alladian sont à l'origine de l'introduction des manilles dans le Lodzukru. Le
commerce, à base de troc, est ainsi terminé. Tout est acheté avec les manilles. Cela oblige les
jeunes gens à exploiter davantage les palmeraies. Une calebasse d'huile de palme est vendue
entre 40 à 60 manilles. Les anglais ont été les premiers à introduire, par l'intermédiaire des
Alladian, des tonneaux dans le Lodzukru.
Lorsque les palmeraies appartiennent au Bosu, les revenus sont remis au chef de lignage
qui les utilise pour accroître le trésor familial et organiser les cérémonie d'Agbadzi et les
funérailles. Quand elles appartiennent à l'Eb, les revenus sont remis au père qui l'utilise pour
payer la dot des enfants mâles et pour faire les dépenses relatives à l'initiation.
Les jeunes gens commencent à exploiter les palmeraies à l'âge de dix sept ans. Dès l'âge
de dix sept ans jusqu'à vingt cinq ans, ils sont remis à l'oncle maternel. Mais, ils continuent à
exploiter les palmeraies de l'Eb moyennant une redevance au chef du patrilignage et à leur père.
595
Les manilles obtenus à la fin de la saison des récoltes sont thésaurisées dans des
calebasses, dans des trous ou dans de grosses caisses. Ce capital n'est utilisé que lors des
funérailles ou de la célébration de l'Agbadzi et sert à acheter les pagnes et les parures pour
accroître le trésor familial. Sous l'occupation française, les familles utiliseront leur économie
pour payer l'impôt de capitation.
Le commerce est libre mais sous l'occupation française, il était dirigé par l'administration
française. L'administration coloniale française oblige les paysans à ne vendre qu'aux maisons de
commerce européennes. La production est obligatoire parce que les malades sont contraints de se
rendre dans les palmeraies. Les gardes de cercle sillonncnt les villages et contrôlent les
productions. Ils déterminent un nombre important de barriques pour chaque individu. Lorsque le
niveau de production n'est pas atteint, le paysan est fouetté sur la place publique.
Les femmes s'occupent du concassage et du commerce de palmiste. A chaque femme on
détermine un niveau de production à atteindre. Lorsque le niveau de la production n'est pas
atteint, les femmes ont le coti attaché à une corde et sont fouettées sur la place publique par les
gardes de cercles. Elles sont ensuite traînées chez le chef du village. Pour éviter les humiliations,
les Odzukru n'ont pas hésité à acheter les machines introduites dans la colonie pour accroître la
production. L'huile produite avec les machines est uniquement destinée à l'exportation parce que
c'est une huile de qualité médiocre.
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596
Traditions recueillies à LOKPU
LES PRINCIPALES ACTIVITES ECONOMIQUES DE LODZUKRU
Le peuple Odzukru vient de plusieurs horizons. Même dans un village, on retrouve des
peuples d'origines diverses. Parmi les Odzukru, les Obonu sont les premiers à s'installer dans le
Lodzukru ; ils seraient suivis ensuite par les Oboru. Un ressortissant de bobor, à la suite d'une
dispute pour une question de viande de brousse, va fonder le village de Dibrim qui va devenir
plus tard la capitale de la confédération de Dibrim opposée à celle de Bobor. La confédération de
Dibrim comprend les groupes suivants : Dibrim Egn, Olokpu et Ocosru. La confédération de
Bobor comprend les groupes de population suivants: Oboru, Orgbaffu, Agbadznu, Eusru ct les
Aklodzu.
Les Odzukru sont tous cultivateurs. Ils cultivent le manioc, l'igname, le taro et le mil. Ils
élèvent aussi des boeufs dont les ranches étaient situés en dehors du village. Les champs de mil
sont surveillés par les jeunes garçons. Ils ont pour rôle de chasser les oiseaux. Les esclaves
achetés aux baulé vont introduire la culture de maïs et de l'arachide dans le Lodzukru.
Les ignames, la pâte de manioc et l'attiéké sont échangés contre le poisson et le sel dans
le pays Alladian. Les Odzukru sur le littoral Ebrié, sont les premiers producteurs de l'huile de
palme.
L'exploitation des palmeraies remonte depuis l'installation des Odzukru dans leur
territoire actuel. Les palmeraies appartiennent soit au Bosu, soit à l'Eb. La recette est assurée par
les garçons de la tranche d'âge de 17 à 50 ans. L'huile de palme est produite dans des
campements situés à l'intérieur des palmeraies. L'huile est ensuite échangée contre le sel et le
poisson dans le pays Alladian et plus tard contre les produits européens (fusil, gin, rhum, poudre
à canon, vaisselle et tissus). Le sel est ensuite échangé contre des produits dans le Baulé (or,
pagne bijoux), dans l'Abidji contre les esclaves, de la viande et des nattes. Les Odzukru quittent
tôt le matin leur village, marchent vers le centre et d'autres vers le Nord pour acheter des pagnes
Baulé et des pagnes sénoufo. Ils échangent ces pagnes à Agboville dans le pays Abê contre les
femmes Abê, dans l'Abidji contre les esclaves.
Les produits restant sont vendus dans le pays Odzukru ou dans les pays Alladian. Les
Baulé de Tyasalé ont cherché à contrôlé les routes de sel afin de mettre la main sur le commerce
597
Nord-Sud. Mais ils seront battus dans la région de Gbadzn par les Odzukru qui vont renforcer les
moyens de contrôle du trafic entre pays Odzukru-Baulé et pays Odzukru-Alladian.
Les Alladian échangent avec les pays de l'intérieur par l'intermédiaire des Odzukru. Dans
le pays Odzukru, le commerce n'intéresse qu'un petit groupe de traitants, très riches, possédant
de nombreux esclaves.
Les Anglais vont sur la côte Alladian développer la traite de l'huile de palme qui sera à
l'origine de la création des débarcadères dans le Lodzukru, précisément à Mopoyem, Cosr,
Tukpa et Dabuatchi. Les Tukpa Egn et les Dibrim Egn étaient les intermédiaires, c'est à eux que
les populations de l'intérieur vendent leur huile. Les Alladian grâce aux anglais ont introduit les
manilles dans le Lodzukru.
Les manil1es seront utilisés pour les transactions dans le Lodzukru et sur toute la côte.
Les Odzukru vont répandre à leur tour les manilles dans le pays Abidji car l'achat des esclaves se
fait désormais avec les manilles. Un esclave femelle équivaut à 1200 manil1es.
Après les anglais et les Alladian, se sont les fi-ançais qui vont contrôler le commerce de
l'huile de palme avec la construction d'un fort à Dabou.
L'instal1ation des français n'a pas été facile car ils ont rencontré l'hostilité des Odzukru
surtout les Oboru. Plusieurs français ont été tués par les Oboru qui contrôlaient le débarcadère de
Mopoyem.
Parmi les traitants exerçant dans le Lodzukru, il y a aussi des Bambara et des Sénégalais
qui travaillaient pour les factoreries appartenant aux français. Ils habitent dans les débarcadères
où ils créent des quartiers.
Au cours de la traite, la production de l'huile de palme va connaître une forte croissance.
Des centaines de barriques sont drainées des vil1ages vers les débarcadères.
598
ANNEXES II
LES TRAITES
Traité passé le 2 Février 1869 entre la France et Dirabou, roi de grand Jack-Jack
(promulgué par décret du 20 décembre 1883)
De C1ercq, recueil des traités ... T. xv p535
Article 1er: le roi et les chefs de Grand Jack-Jack, désirant mettre leur pays sous la protection
de la France, concède la souveraineté pleine et entière de leur territoire à S. M
Napoléon III, Empereur des français.
Article 2 : le pavillon Français sera.arboré sur tous les points où l'Amiral commandant en chef le
jugera nécessaire comme marque de souveraineté.
Article 3 : Le roi et les chefs cèdent en toute propriété aux français le terrain qui leur seront
nécessaires pour bâtir tels fortification ou établissement colonial qu'ils jugeront nécessaire.
Article 4 : En cas de naufrage d'un bâtiment, de quelque nation qu'il soit, ils devront prêter la
main au sauvetage. Le tiers de la cargaison sera concédée aux sauveteurs.
Article 5 : Lorsque des différends s'élèveront entre les gens du pays Grand Jack-Jack et des
français ou des étrangers, si l'affaire ne peut être arrangée à l'amiable, elle sera portée au tribunal
du commandant supérieur de Grand-Bassam, qui jugera en dernier ressort sauf approbation de
l'Amiral commandant en chef.
Article 6 : Tout bâtiment à quelque nation qu'il appartienne pourra traiter avec les pays de Grand
Jack-Jack en se conformant aux arrêtés de l'Amiral commandant en chef et moyennant un droit
de douane de 4 % sur les marchandises exportées fixé par le décret du 12 décembre 1868. Le
droit sera perçu par les agents français à compter du 1er mai 1869.
Article 7 : En échange de ces concessions, il sera accordé au roi, chefs et habitants de Grand-
Jack-Jack protection du comptoir et des bâtiments de guerre français.
599
Ledit traité lu et relu en langue française et en langue du pays aura cours dès aujourd'hui.
TI a été fait double et de bonne foi entre nous et copie en a été délivrée à chacune des partie
A Lurdja (Grand-Jack-Jack) le 2 février 1869
Croix de Dirabou
Vernet, commandant supérieur
chef de Grand-Jack-Jack
des comptoirs de,la côte de l'or
comme témoins: Maissin, le Brunetel, médecin de 2e classe. Dry interprète
Approuvé: Daunac, contre Amiral, commandant en chef.
$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$
600
10 - 15 Octobre 1853
CONVENTION CONCLUE A DABOU, LE 10 OCTOBRE 1853, ENTRE LA FRANCE ET
LES CHEFS D'EBREMOU, POUR UNE CESSION DE TERRITOIRE.
Les chefs d'Ebremou, capitale du pays de Dabou, voulant donner à la France une preuve
de leur désir d'établir entre les deux peuples de bonnes et amicales relations voulant en même
temps encourager les traitants Français à venir commencer dans leur pays, ont concédé à la
France, en toute propriété, les terres nécessaires à l'établissement d'un comptoir fortifié et des
emplacements pour les factoreries qu'on voudrait créer autour du poste.
En échange de ce bon procédé, le commandant en chef du corps expéditionnaire de
Grand-Bassarn, commandant la station des côtes occidentales d'Afrique, Inspecteur général des
comptoirs du golfe de Guinée, assisté de MM. le chef de bataillon colomb commandant de la
colonne d'infanterie. Lefer de la Motte, commandant la colonne des marins: Potestas, chef d'état
major de l'expédition ; Faidherbe capitaine du génie ; Lebeurrié, commissaire d'armée, s'est
engagé, au nom du gouvernement français, à faire en toutes circonstances respecter les propriétés
des habitants du pays, faire rendre à tous bonne justice en cas de conflits et à protéger à
l'occasion tous ceux qui viendront à être obligés de chercher un refuge dans les environs du fort
français, en cas de guerre avec les pays voisins.
Pour preuve de leur bon vouloir, ils donnent comme otage au commandant en chef un de
leurs enfants.
Fait ell rade de Oabou, le 10 Octobre 1853
H. BAUDIN; L. POTESTAS ; MARQUES DE CHEFS I3EDIAKOU ET ADOU
LEFER DE LA MOTTE; COLOMB
FAIDHERBE; LEBEURlUEE
60/
9 Décembre 1886
Traité passé le 9 Décembre ] 886 pour consacrer la souveraineté de la France sur le pays de
Dabou (lagune de Grand-Bassam) et ratifié par décret du 2 Juillet (archives des colonies)
Au nom de la République Française,
Entre M. Jean Bayol, Lieutenant-gouverneur du Sénégal et dépendances, chevalier de la
légion d'honneur, officier d'académie agissant en vertu des pleins pouvoirs qui lui ont été
conférés par le gouvernement et représentant M. Genouille, gouverneur du Sénégal et
dépendances, chevalier de la légion d'honneur, officier d'académie d'une part; et ADRl ESSI,
deuxième chef représentant Katéclay, chef de Débrimou et du pays de Dabou, d'autre part, le
traité suivant a été conclu:
Article 1er: Les chefs de Dabou déclarant avoir été liés antérieurement à la France par des
traités dont ils ont perdu le texte, la présente convention servira seule à l'avenir, pour régler les
rapports des français et des habitants du pays.
Article 2 : La souveraineté pleine et entière du pays de Dabou, qui s'étend de la rive droite de la
rivière Aebi, jusqu'au pays de Bouboury et des territoires qui en dépendent, est concédée à 1
république française.
Article 3 : Les français auront, seuls, le droit d'y arborer leur pavillon.
Article 4 : Le gouvernement de la République pourra choisir tel terrain qui lui conviendra pour y
bâtir un fort ou des bâtiments pour l'administration.
.
Article 5 : Le commerce se fera librement, dans tout le pays. Le dit traité lu et relu en français et
en langue du pays de Dabou a été fait en triple expéditions. Un exemplaire délivré aux chefs de
Dabou.
Dabou, le 9 Décembre] 886
CROIX' D'ABRI ESSI
LE LIEUTENANT-GOUVERNEUR
CERTIFIEE VERITABLE
JEANBAYOL
LE LIEUTENANT-GOUVERNEUR
LE PRESIDENT DE GRAND-BASSAM
JEANBAYOL
L'INTERPRETE: KOSSY
F. BIDAUD
602
ANNEXES X 1 X
TOUPA (GItAND-BASSAM)
Traité du 10 Décembre 1886 consacrant la souveraineté de la France sur le pays de Toupa
(lagune de Grand-Bassam) (ratifié par décret du 2 octobre 1887 ; (archives des colonies).
Au nom de la République Française
Entre M. Jean Bayol, lieutenant-gouverneur du Sénégal et dépendances, chevalier de la
légion d'honneur, officier d'académie agissant en vertu des pleins pouvoirs qui lui ont été
conférés par le gouverneur et représentant M. Genouille gouverneur du Sénégal et dépendances,
chevalier de la légion d'honneur, officier d'académie d'une part ;
Et Akrou et Asmaré, chef de Toupa, d'autre part, le traité suivant a été conclu:
Article 1er: Les chefs de Toupa déclarant, avoir été liés antérieurement à la France par des
traités dont ils ont perdu le texte, la présente convention servira seule, à J'avenir pour régler les
rapports des français, et des habitants du pays.
Article 2 : La souveraineté pleine et entière du pays de Toupa, et des territoire qui en dépendent,
est concédé, à la république française.
Article 3 : Les français, auront seuls le droit d'y arborer leur pavillon.
Article 4 : Le gouvernement de la république pourra choisir tel terrain qu'il lui conviendra pour
y bâtir un fort ou des établissements pour l'administration.
Article 5 : Le commerce se fera librement dans tout le pays. Le dit traité lu et relu en français et
en langue du pays, à Toupa, a été fait en triple expéditions. Un exemplaire a été délivré aux chefs
de Toupa.
Toupa, le 10 Décembre 1886
LES CHEFS DE TOUPA
LE LIEUTENANT-GOUVERNEUR
CROIX D'AKOU
JEANBAYOL
CROIX D'ASMARE
CERTIFIEES VERITABLES LES DEUX
CROIX CI-DESSUS.
LE LIEUTENANT-GOUVERNEUR
LE PRESIDENT DE GRAND-BASSAM
JEAN BAYOL
A BIDAUD
L'INTERPRETE
KOSSI
603
Il Décembre 1886
Traité consacrant la souveraineté de la France sur le pays de Bouboury, lagune de Grand-
Bassam, passé le Il Décembre 1886 et ratifié par décret du 2 Octobre 1887 (archives des
colonies)
Au nom de la République Française
Entre M. Jean Bayol, lieutenant-gouverneur du Sénégal et dépendances, chevalier de la
légion d'honneur, officier d'académie, agissant en vertu des pleins pouvoirs qui lui ont été
conférés par le gouvernement et représentant M.
Genouille, gouverneur du Sénégal
et
dépendances chevalier de la légion d'honneur, officier d'académie d'une part.
Et Sakam, deuxième chef représentant Quadio, chef du pays de Bouboury d'autre part ;
Article 1er: Les chefs de Bouboury déclarant avoir été liés antérieurement à la France par des
traités dont ils ont perdu le texte, la présente convention servira seule à l'avenir, pour régler les
rapport des français et habitants du pays
Article 2 : La souveraineté pleine et entière du pays Bouboury qui comprend les villages de :
Grand-Bouboury
Donc
Mopoyem ou petit Bouboury
Thiaza
Badon
Panda
A~~e
K~a
et des territoires qui en dépendent, est concédé à la République française.
Article 3 : Les français auront seuls, le droit d'y arborer leur pavillon
Article 4 : Le gouvernement de la République pourra choisir le terrain qui lui conviendra pour y
. bâtir un fort et des établissements pour l'administration.
Article 5 : Le commerce se fera librement dans tout le pays. Le dit traité lu et relu en français et
en langue du pays à Grand-Bouboury a été fait en triple expéditions. Un exemplaire a été délivré
aux de chef de Bouboury.
Gd Bouboury le Il Décembre 1886
CROIX DE SAKEM
LE LIEUTENANT GOUVERNEUR
CERTIFIEE VERITABLE
JEAN BAYOL
LELŒUTENANTGOUVERNEUR
LE PRESIDENT DE GRAND BASSAM
JEANBAYOL
L. BIDAUD
L'INTERPRETE KOSSI
604
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Guides de sources
- Janvier (6) : Bibliographie de la Côte d'Ivoire. Année 1972
Université d'Abidjan 357 P.
- Loucou (J.N) : Bibliographie de la Côte d'Ivoire. 135 P.
- Tamara Ayé (P) : Bibliographie de la Côte d'Ivoire
] - Les sources
1 : Les sources manuscrites:
A : Archives Nationales de Côte d'Ivoire
Série BB :
Correspondances, rapports et télégramme du gouverneur de la Côte d'Ivoire au
gouverneur de l'AOF
1 BB 2 :
Etablissement français de la cote d'or: correspondance adressée par le résident de
France à Grand-Bassam (1880)
1 BB 3 :
Registre de correspondance de départ du résident de France à Grand-Bassam : 22-
05-1890 au 8-05-1891
1 DB 5 :
Etablissement français de côte de l'or: correspondance adressée par le résident de
France à Grand-Bassam au gouverneur de la Guinée française. 1892
1 BU 6 :
Etablissement français de la côte d'or: correspondance adressée par le résident de
France à Grand-Bassam au gouverneur de la Guinée française et dépendances à
Conakry du 13 Janvier au 17 Octobre 1892
1 BB 7 :
Etablissement française de la côte d'or réside rit de Grand-Bassam. registre de la
correspondance adressée par le résident de France à Grand-Bassam au gouverneur
de la Guinée française et dépendances du 3/3/1892 au 15/1011892.
1 DD 9 :
Colonie de la Côte d'Ivoire cabinet du gouverneur. Registre de correspondance
départ.
1 BD 10:
Colonie de la Côte d'Ivoire. Registre de correspondance générale: départ du
31112/1893 au 12-5-] 894
1 BB 11 :
Colonie de la Côte d'Ivoire: Cabinet du gouverneur. Registre départ du 3-9-] 893
au 19-9-1895
605
1 nB 12 :
Colonie de la Côte d'Ivoire: cabinet du gouverneur.
Registre de correspondances générales: départ du 17-5-1894 au 27-5- J 895
1 Bn 13 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Registre de correspondance adressées au
Ministère des colonies au 21-5-1894 au 24-2-1896
1 nB 14 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Registre de correspondance adressées aux
commandants de cercle et chefs de poste du 15-5-1894 au 20-2-1896.
1 BB 15 :
Colonie de la Côte d'Ivoire: Cabinet du Gouverneur Fragments du registre des
télégrammes départs: 28 AOUT AU 25 Septembre 1895.
1 nB 16 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Registre de correspondances
au départ du 29 Septembre 1895 au 1 mars 1896
1 BB 17: .
Colonie de la Côte d'Ivoire: Cabinet du Gouverneur. Registre de câblogramme
adressés au Ministre des colonies à Paris, au Gouverneur général à St Louis du
21-10-1895 au 3-3-1899.
1 BB 18 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Registre pour l'enregistrement des lettres du cabinet
aux divers chefs de services spéciaux du 29 Mai 1895 au Il Mai 1899.
1 BB 28 :
Colonie de Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouvernement Registre des télégrammes
adressés aux commandants des cercles de Grand-Lahou et d'Assinie
du 6-3-1896 au 19-3-1897.
1 BB 21 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Registre des correspondances
adressées aux commandants de cercle du 21-2-1896 au 8-8-1898
1 BB 22 :
Colonie de Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Registre de correspondances
adressées au Ministre des colonies à Paris du 23 Février 1898
1 BB 27 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Registre de correspondances
au départ du Il Mai 1897 au 23 Juin 1902
1 BB 28 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Registre de correspondances adressées au Ministre
des colonies du 7-3-1898 au 25-11-1898.
606
Série DD : AFFAIRES ADMINISTRATIVES: Sous-série 1 DD
1 DD 6:
Approbation ministérielle des instructions données par le commandant
de la division navale des côtes d'Afrique occidentale au commandant
de Grand-Bassam et de Dabou 1854.
1 DD 7:
Dépêche Ministérielle à la paralysie du commerce à Gd Bassam 1854.
1 DD 35:
Notes mensuelles sur la situation politique et agricole de la Côte d'Ivoire
pour le bulletin de l'agence économique.
1 DD 36 :
Mission marchande, correspondances et rapport du gouverneur de la côte d'Ivoire
1893 - 1894.
1 DD 39:
Mission Hostain 1896 - 1901
1 DU 55:
Situation administrative de la Côte d'Ivoire en 1908
Sous série 2 DD
2 DD 45:
Cercle des lagunes: subdivision de Dabou. Arrivée lettres reçues de
l'administrateur de Dabou relatives à l'envoi d'un agent des services civils.
2 DU 46:
Importance de la lagune Ebrié remarques du ministre de la marine sur les rapports
d'inspection du commandant de la division navale des côte occidentales d'Afrique
Cc. O. A) relatifs aux établissements français du golfe de Guinée 1851.
2 DU 48:
Observations du ministre sur les rapports d'inspection du comptoir de Gd Bassarn
pour l'année 1852.
- Rétablissement de la situation au comptoir de Gd Bassam 1853
2 DD 49:
Rapport du capitaine de Génie Tourian sur son inspection des comptoirs
français de la côte de l'or 1852.
2 DD 50:
Comptoirs fortifiés de la côte de l'or: observations générales du commandant
supérieur sur le rapport d'inspection et les projets du capitaine du Génie Tourian
1862.
2 DD 75:
Correspondance relatives aux diverses concessions:
1894,1897,1899,1900,1902,1903,1908,1910,1912,1915.
607
2 DD 111 :
Renseignements géographiques et ethniques des cercles. Organisations et
divisions administratives 1900, 1909.
Sous série - 5 DD
5DD4 :
Recensement nominati f de la population indigène 1918 - 1919
5 DD 5:
Statistiques démographiques 19]9 - 1920
5 DD 7:
Dénombrement général de la population des principaux centres.
1921. Recensement par cercle
1921. Instructions et correspondances 1921.
Série EE : AFFAIRES POLITIQUES ET INDIGENES
Sous série 1 EE
1 EE 1 (4):
Division navale des côtes occidentales d'Afrique. Correspondances relatives
aux affaires politiques d'Assinie 1849.
1 EE 1 (5):
Compte rendu du combat de Yahou (Gd Bassam) entre les indigènes de la
province d'Aka et les marins de la station navale de la côte
Occidentale d'Afrique. (1849)
1 EE 1 (6):
Division des côtes occidentales d'Afrique. Règlement définitif des différents avec
Amatifou, Roi d'Assinie et Aby. Nouvel essor du commerce de
Gd Bassam par suite de l'affiuent de l'ébrié 1949.
1 EE 1 (7):
Division navale des Côtes Occidentales d'Afrique. Franchissement de la barre
d'Assinie par le capitaine de Vaisseau Bouet Willaumez et découverte
Tanoé affluent d'Assinie 1850.
1 EE 1 (9):
Division navale des Côtes Occidentales d'Afrique. Situation politique et
commerciale du comptoir de Gd Bassam 1850.
1 EE 1 (11): Division navale des Côtes Occidentales d'Afrique. Opinion du commandant
de la division navale sur le comptoir du Golfe de Guinée 1851.
608
1 EE 1 (12) : Division navale des Côte Occidentales d'Afrique. Correspondances adressées au
Ministre des colonie par le commandant en chef de la division des Côtes
Occidentales d'Afrique au sujet de l'incendie de la factorerie Reinard à Gd
Bassam.
1 EE 1 (13): Station des Côtes Occidentales d'Afrique. Situation des postes de Gd Bassam.
Dabou Assinie 1854.
1 EE 25
Correspondances relatives aux incidents d'Akapless cercle d'Assinie 1894.
1 EE 28 (1): Cercle du Baoulé. Mission du Baoulé. Notes sur le Baoulé 1896.
1 EE 28 (2): Cercle du Baoulé. Renseignement sur le cercle du Baoulé 1903.
1 EE 29 (1):
Cercle du Baoulé. Rapport d'ensemble 1893 - 1902 - 1905.
1 EE 32 (1): Cercle du Baoulé. Correspondances relatives à l'envoi des cartes du Baoulé 1893 -
1897
- Rapport annexe à la carte de la rivière Bandama depuis Lahou jusqu'au Baoulé
en 1893.
1 EE 34 (1): Cercle du Baoulé. Rapports de reconnaissance et rapport de tournée du cercle.
1901 - 1905 - 1912 - 1914.
1 EE 122 (1) : Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du gouverneur Cercle des lagunes, poste de
Dabou. Correspondances affaires des Bouboury. 1896 - 1898.
1 EE 122 (2) : Région de Dabou ! Notes sur les Bouboury 1903 - 1905.
lEE 122 (4) : Cercle de Dabou. Rapports mensuels 1898 - 1915.
1 EE 122 (6) : Colonie de Côte d'Ivoire. Cabinet du gouverneur.
Rapports politiques mensuel s et rapports de tournée 1904 - 1909.
1 EE 122 (7) : Cercle des lagunes. Rapports sur la situation politique à Ousrou. Compte rendu
de la prise d'Ousrou. Ses conséquences immédiates. 1909.
lEE 152 (1) : Cercle du Baulé. Notices sur la circonscription Tiassalé 1904. Abidjan.
609
1 EE 152 (2) : Cercle du Baoulé Sud secteur de Tiassalé, poste de Bécédi.
1 EE 152 (3) : Cercle du N'Zi Comoé (Baoulé sud). Poste de Tiassalé. Rapports mensuels 1901 -
1915.
Sous Série 2EE
2 EE 4 (1):
Déportation de Niagne chef de Bouboury au Congo en 1899.
2 EE 6 (2):
Traités de conventions conclues avec le Roi et chefs d'Assinie. Décret du 10 juin
1887.
2 EE 7 :
Dossiers relatifs aux rapports avec les Indigènes et leurs chefs: traités et
conventions, rapports entre les indigènes.
2 EE 7 (1):
Traités et coutumes.
2 EE 7 (2):
Rentes et coutumes.
2 EE 14 (1): Colonie de la Côte d'Ivoire. Affaires indigènes. Rapports sur l'esclavage
domestique dans les cercles. Mesures proposées pour sa suppression.
Sous Série 4EE
4 EE 1 :
Etablissement de la côte d'or. Cabinet du gouverneur. Correspondance adressée
par le gouverneur Boulay en mission en rivières du sud, aux résidents des
établissements français de la côte d'or à Gd Bassam 1890.
4 EE 31 :
Cercles des lagunes. Correspondances départ 1903 - 1904 - 1906 - 1909 - 1911 -
1912 - 1915 - 1924 - 1925.
Série 00: Affaires Economiques
LQQ:
Affaires économiques et financières
610
1009 :
Colonie de Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Correspondances échangées
entre le Gouverneur Général et le Gouverneur de la colonie..
Pièce 3 : commerce des peaux de chèvres. Dossier relatif à la liste et adresses
des maisons de commerce en Côte d'Ivoire 1912 - 1913.
10028 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Révision des listes
électorales de la chambre de commerce de Gd Bassam, dans Je cercle des
lagunes, Kong, indénié, Bas-Cavaly, Baoulé Sud et Nord, Bondoukou,
Gd Bassam, Assinie et Korhogo.
10048 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur Rapport et procès verbaux de
vérification des caisses et des écritures de la B. A. 0 (succursale de Gd Bassam
circulation monétaire 1907 - 1914.
10042 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Interdiction de la circulation
des monnaies indigènes (manilles - sombés) 1913 - ]915 pièce 1.
10051 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Services des douanes. Tableau des exportations
et des importations des principaux produits.
10053 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Services des douanes. Renseignements sur le
mouvement économique et commercial. Etat comparatif du commerce extérieur
191] - 1912.
10055 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Correspondances relatives
au mouvement commercial en Côte d'[ voire 1911 - 1916.
10096 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cercle de Lahou. Rapports de la situation économique
et commerciale [915 - 1920 -1922 - 1923.
1 00 96 (2) : Colonie de la Côte d'Ivoire. Cercle des lagunes Rapports sur la situation
économique et commerciale du cercle en général, et des postes de Dabou,
Abidjan, Adzopé, Alépé, Agboville. ]915, 1921, 1945.
Série RR. Agricu[ture
lRR 11 :
Rapport général de la section des oléagineux.
Congrès de l'agriculture coloniale 1917.
611
1 RR 12 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Service de l'agriculture. Arrêtés, décisions de statut du
gouverneur au sujet de l'agriculture en Côte d'Ivoire 1908, 1912, 1913, 1918.
Pièce 3. Organisation du service de l'agriculture 1908.
1 RR 93 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Service agricole. Rapport et correspondance sur
l'amende de l'huile de palme.
1 RR 94 :
Colonie de la Côte d'Ivoire: Cabinet du Gouverneur. Correspondances adressées
aux gouverneurs par les administrateurs des cercles au sujet des amendes, des
renseignements sur les produits naturels. Palmier à huile, caoutchouc, karité, cola.
1 RR 110 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Cabinet du Gouverneur. Correspondances échangées
entre le service de l'agriculture, le gouverneur, et les administrateurs des cercles
de Bouaké, Tabou, Aboisso, Gd Bassam et des lagunes à propos de la culture du
palmier à huile, de la commercialisation de ces produits et de leur carbonisation.
1910 - 1912- 1923.
1 RH 116 :
Colonie de la Côte d'Ivoire. Service de l'agriculture. Correspondance adressée
au Gouverneur portant sur les récoltes et l'extraction des graines de palme.
Pièce 1 :
Copie du rapport sur l'installation d'une huilerie. Côte d'Ivoire 1912 - 1914.
J. O. Co 1 :
Archives nationales de Côte d'Ivoire. Abidjan. Année 1895, 1898.
A -
Archives Nationales du Sénégal Fonds d'archives de l'Ex A. O. F
Série G : Politiques et administrations générales
Sous - Série 2 G. Section Côte d'Ivoire
2 Gl (24) :
Côte d'Ivoire, rapport sur la situation politique et militaire 1895 - 6 pièces.
612
2 Gl (25) :
Côte d'Ivoire, rapports politiques mensuels. Juillet-Septembre à Décembre 1896 -
20 Pièces.
2 Gl (26) :
Côte d'Ivoire, rapports politiques mensuels - Janvier, Février, Avril, Mai,
Septembre à Novembre 1898. 4 pièces.
2 Gl (28) :
Rapports politiques mensuels - Janvier, Février, Mars, Avril, Mai, Septembre à
Novembre 1899. 17 pièces.
Sous - Série 5 G
5 G22
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste au commandant de Gorée
et au Gouverneur. Etat des archives 1849 - 38 pièces.
1
Instruction pour le commandant de poste de Dabou.
2 à 29:
Correspondance de Bouet Willaumez au Gouverneur notamment sur le combat
d'Ayahou.
30 à 33 :
Recensement de la population
35 à 38 :
Plan de l'Hôpital du poste.
5 G23:
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste au commandant de Gorée
et au gouverneur. Etat du personnel, des vivres, des archives. 1850. 36 pièces
1 à 12 :
Plan de l'hôpital
13 à 16 :
Croquis de Gd Bassam et Etats des vivres.
17 à 28 :
Rapports des mois d'Avril et Mai.
29 à 36 :
Note sur l'histoire de Gd Bassam.
5 G24:
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste au commandant de Gorée
et au Gouverneur. Etat du personnel, du matériel, de recettes et dépenses
1851 - 43 pièces.
30
Instruction pour le commandant de poste
32
Instructions pour Monsieur Planchot chargé des travaux du comptoir de Gd
Bassam.
5G25
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste, commandant de Gorée et
au gouverneur, 1852. 17 pièces. Etat du personnel, produits des rives
de l'Akba et de l'Ebrié, affiuent du Gd Bassam.
5G26
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste au commandant de Gorée
et au Gouverneur. 185317 pièces. Etat du personnel, et des vivres.
613
5 G27
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste au commandant de Gorée.
11853. 23 pièces Instructions pour le commandant de poste.
5 G28
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste au commandant de Gorée
et au Gouverneur - 1855. 23 pièces. Instruction pour le commandant de poste.
5 G29:
Gd Bassam : correspondance du commandant de poste au commandant de Gorée
et au Gouverneur. 1856 - 19 pièces.
18
Dépenses pour coutumes et cadeaux
19
Mouvement de (Aviso, Vapeur, l'Akba).
5 G30:
Gd Bassam : correspondance du commandant de Gorée au Gouverneur 1857 - 29
pièces.
5 G31 :
Côte d'or: rapports et correspondance concernant comptoirs fortifiés de la côte
occidentale d'Afrique notamment Assinie, Gd Bassam accessoirement le Gabon
et Dabou (1844 - 1866). 56 pièces.
1 à 2
Rapport du gouvernement Bouet- Willaumez 1844.
3 à 15
Rapport et correspondances de Bouet commandant supérieur de Gorée 1844.
15 à 18 :
Plan de l'hôpital d'Assinie et de Gd Bassam 1846.
20
Inspection de comptoirs par Penaud, commandant en chef de la station en 1850.
30
Rapport sur le matériel d'Artilleries dans les postes(Assinie, Gd Bassam, Gabon
1851).
32
Rapport du capitaine Faidherbe directeur des ponts et chaussées sur trois postes en
1853.
33
Rapport sur la construction du fort de Dabou en 1853.
35 - 39 :
Rapport du commandant de Dabou ou Fort Ducos: 18,54 - 1856
47
Attribution du commandant de Gd Bassam et d'Assinie.
49 - 56 :
Lettre au commandant supérieur de la côte de l'or et Gabon au gouverneur du
Sénégal sur les difficultés rencontrées, lors de la réparation des comptoirs de
la côte de l'or du gouvernement de Gorée.
614
5 G32 :
Côte d'or: traités: traités: originaux, copies manuscrites et imprimées des traités
passés dans les Etablissements français de la côte 53 pièces. 1835 - 1887.
5 G 33 :
Correspondances de résident et des commandants de navire 1878 - 1884. 18
pièces.
1 et 2
Nomination de Monsieur Verdier comme résident à Assinie et Gd Bassam 1878
7 - 8
Service postal 1882
16 - 17
Commerce de la côte d'or
5 G34
Côte d'or: correspondance du commandant particulier des établissements français
de la côte d'or et du commandant supérieur des établissements français
golfe de Guinée 1885.48 pièces.
5 G35 :
Côte d'or: correspondance du commandant particulier des établissements français
de la côte d'or au commandant supérieur des établissements français du golfe
de Guinée, l'agent des douanes à Assinie, des agents de la maison Verdier, du
résident Treich Laplène du lieutenant gouverneur de Vaisseau.
Le comte, commandant le "Geoland" 170 pièces.
- Quelques notes sur l'organisation de la douane et de poste.
16
- Instruction du capitaine de Frégate Pradier commandant supérieur des
établissements français du golfe de Guinée.
32-38-42
Lettres relatives à la vente ou location des établissements fortifiés d'Assinie et de
Gd Bassam en 1871.
43
Lettre de Verdier au gouverneur lui faisant part de sa nomination comme résident.
110
Lettre de Treich Laplène au lieutenant gouverneur du Sénégal formulant "mon
sentiment à l'égard de la sous résidence d'Assinie dont je suis chargé".
120 à 163:
Mouvement de la rade; Etat matériel.
164 à 170 :
Plan du poste d'Assinie et de douane.
5 G36
Côte d'or: rapport et correspondances (1887 - 1890) 25 pièces
- 2 lettres de Verdier au sous secrétaire d'Etat sur les explorations de Treich
Laplène - 1887
615
7 à 23
Affaire de Gd-Bassarn , établissement des taxes douanières aux jacks-jacks.
Correspondance du commandant de l'Aviso "Brandon" de Treich Laplène.
24 à 25 :
Demande d'exploration de caoutchouc par Mr Reichembarch ] 890.
5 G 37 :
Côte d'or correspondance départ Treich Laplène (l889 - ] 890) ] copie lettre.
Côte d'or: correspondance du résident de France dans les établissements français
de la côte d'or (Treich-Laplène) reçue par le lieutenant Gouverneur des rivières
du sud et copie de la correspondance échangée avec le ministre. ] 884 - ] 890 - 48
pièces. Concernant la création de la future Côte d'Ivoire. Nombreuses lettres
de Treich Laplène concernant ses projets et mort de Treich Laplène.
5 G39:
Côte d'or. Correspondance de la Côte d'Ivoire au Gouverneur du Sénégal puis au
gouverneur général. 4 chemises.
1
- Correspondance du Gouverneur de la Côte d'Ivoire au Gouverneur du Sénégal et
dépendances en 1893.
- Colonie de la Côte d'Ivoire. Débarquement "Richelieu" à Gd Lahou en 1898.
3
- Rapports] 895 - 1898.
4
- Correspondances diverses du Gouverneur de la Côte d'Ivoire au gouverneur
général.
Série Microfilm: Fonds d'archives Ex AüF. -
Gd - Bassam : Fondation du comptoir de Gd - Bassam ou Fort Nemours.
Document AüF 5G 16.
Gd - Bassam : Fondation du comptoir de Gd - Bassam Document AüF. 5G29
Série Microfilm: Fonds d'archives Ex AüF
2 Mi 2:
Dépêche ministérielle du 5 Août] 867 au sujet du projet d'échange des
établissements français de Gd Bassam, de Dabou et d'Assinie contre la Gambie.
- Projet d'échange de Cotonou, Gd Bassam, d'Assinie, Dabou contre Gambie en
1875.
616
2Mi4
Fonds de Gorée et dépenses.
- n° 26 du 4 Mars 1856. Dépêche de la division navale du Ministre AIS
convention passée avec les Jack-Jack.
- n° 25 du 1 Mars 1856. Dépêche de Monléon au Ministre AIS blocus de la baie
de Bouboury.
- n° 355 du 9 Septembre 1852, réception d'une lettre annonçant le succès d'une
expédition dirigée dans la lagune Ebrié.
2 - Les sources Impri mées
Bouet Willaumez (E) :
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Paris, 1848, Slaktine sprint 227 pages.
l'
Dapper
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(1668 - 1686) 104 P
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Barret
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1888. 130 p.
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Cournet
Notes sur la question commerciale dans la rivière de Gd Bassam et
ses affiuents.
Revue coloniale 2è série, 1851, pp. 317 - 323
Desnouyl
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coloniale 1865.
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Revue. Coloniale 2è série 1850. p. 2100- 218
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Rill2port du voyage de Monsieur Monléon sur le Krinjabo. Revue
coloniale.
T. XV287 P.
Roussier
\\
L'établissement d'Issigny 1687 - 1702
Paris 241 pages.
617
SOURCES
ORALES
a - Enquêtes individuelles à Orgbaff
AFFI Sylvestre
80 ans Orgbaff, Patriclan Orodu
Matriclan - Yédeï Lael. Décédé en Mai 1987
Enregistrement
26 - 29 Décembre 1985
8 - 11 Avril 1986
20 - 26 Août 1986.
Information sur
Les origines des Odzukru, les migrations et peuplement, les
activités agricoles, la production et le commerce de l'huile de
palme. Les échanges entre les Odzukru, les Baoulé et les
Européens. Réaction des Odzukru face à l'économie monélaire.
Esson Latte Benoît:
74 ans. Orgbaff. Patriclan Lorng Lael
Matriclan Namne Lael
Décédé en juillet 1989
Enregistrement
26 - 29 Décembre 1984
9-14Avri11985
10 - 20 Août 1987
27 - 30 Décembre 1987
15 - 28 Août 1988.
Informations
Les activités économiques des Odzukru. Les relations
commerciales entre les pays Odzukru et les pays Abidji, Koueni,
Abidji et Abê, La naissance d'une couche de traitants Odzukru.
Les échanges entre les Odzukru et les Alladian et l'exploitation des
palmiers à huile. Relations Oboru - Français.
Gomron Etienne
76 ans. Orgbaff.
Patriclan: Atchu.
Matriclan : Mongou Lael
Enregistrement
26 - 29 Décembre 1984.
10 à 13 Avri11985
Il à 13 Août 1986
18 à 20 Août 1988.
618
Informations sur
Les activités agricoles des Odzukru, les, techniques de pêche.
L'organisation du commerce régional. Les principaux partenaires
des Odzukru et le rôle des fem mes dans le développement
commercial et économique de Lodzukru. Le rôle des débarcadères
dans le développement du commerce de l'huile de palme et les
conflits Oboru - Français.
Tiaba Akpa Julien
Orgbaff 84 ans.
Patriclan Eridju
Matriclan Mâkpra Lael.
Enregistrement
20 - 26 Décembre 1984
23 - 26 Août 1985
25 - 28 Août 1988
Informations sur:
Les activités agricoles de Lodzukru, le commerce avec les régions
de savanes, les problèmes religieux. Les rapports Oboru - Dibrim
Egn. Les causes du développement du système de gage en pays
Odzukru.
SESS Samuel
81 ans. Orgbaff
Patriclan Eridju
Matriclan Oboyu Lok LaeJ.
Enregistrement sur:
23 - 26 Décembre 1984
25 - 29 Août 1985
27 - 30 Août 1986
22 - 25 Septembre 1987
26 - 30 Août 1988
26 Août - Il Septembre 1990
Informations sur
Les techniques de production de l'huile de palme. Le commerce
entre le Lodzukru et ses voisins. Le rôles des Alladian dans le
commerce de l'huile de palme. Rapports Oboru - Français. Les
transformations sociales et culturelles dans le Lodzukru et les
régions de l'arrière pays. Le système monétaire Odzukru. Le
catholicisme en pays Odzukru
619
Enquête individuelles à Dibrim
Gbougbo Essis Etienne:
74 ans
Matriclan: Octobre Lael
Enregistrement
22 - 26 Août 1988
23 - 27 Août 1990
Information sur
Les origines des odzukru. La fondation de Dibrim, les
organisations
politiques et sociales des Odzukru - relations commerciales
entre
les Odzukru, les français et les Alladian. Le commerce des esclaves
en pays Odzukru. Le rôle des femmes dans le développement
économique de Lodzukru. Les transformations politiques et
religieuses en pays Odzukru.
Kambré Memel Paul
76 ans
Matriclan : Logbo Lael
Enregistrement
22 - 26 Août 1988
23 - 26 Août 1990
Informations sur
Les origines des Odzukru - Les rapports entre Dibrim - Oboru. Le
commerce en pays Odzukru. Le système monétaire
Odzukru.
Le commerce des esclaves en pays Odzukru. Les relations
commerciales entre Je Lodzukru et le pays AlJadian.
Mèlèdje Mel Georges:
76 ans
Matriclan Bouaye Lael
Enregistrement
22 - 26 Août 1988
23 - 27 Août 1990
Informations sur
Origines des Odzukru. Le développement agricole dans le
Lodzukru. Le commerce entre les Odzukru et les Alladian. Les
rapports entre les Dibrim Egn et l'administration française.
Le commerce entre les Odzukru et les Baulé, Abê, Abidji et
Koueni.
620
Yedagn Pierre
76 ans
Matriclan Badi Lael
Enregistrement
26 Août 1987
22 - 26 Août 1988
Informations sur
Le rôle de Dibrim dans le développement l'économie de traite en
pays Odzukru le système politique du pays Odzukru le rôle des
courtiers Alladian dans le développement du commerce de J'huile
de palme.
- Les relations entre les Odzukru et leurs voisins.
Enquêtes collectives et publiques
Bobor
28 - 30 Août 1985
26 - 29 Juillet 1988
Informations sur
Les origines des Odzukru. La mise en place des organisations socio-
politiques dans le Lodzukru. Le commerce en pays Odzukru, les
relations commerciales entre les Odzukru et les Alladian. Les
conflits entre Oboru et français. Le système monétaire de Lodzukru.
Dibrim
29 - 30 Décembre 1984
30 - 31 Décembre 1986
27 - 28 Août 1988
Informations sur
Le commerce de l'huile de palme dans le Lodzukru, les conflits
Oboru - français le rôle des populations de Dibrim et des Alladian
dans le développement d'une économie monétaire dans le
Lodzukru. L'apparition de traitants en pays Odzukru.
La signature des traités entre les Odzukru et les français.
621
LOKP
27 - 28 Décembre 1987
Informations sur
Les origines et peuplement de Lodzukru les origines des
confédérations. L'organisation politique et sociale des Odzukru.
Les activités agricoles, le commerce régional et les principaux
produits d'échange (or, esclaves, sel huile de palme, poisson).
Le commerce régional et les principaux produits d'échange
(l'or, esclaves, sel huile de palme, poisson). Le commerce de l'huile
et l'influence des produits européens sur les Odzukru.
Mopoyem
22 - 27 Août 1986
Informations sur
Les relations commerciales entre les pays Odzukru et Alladian. Le
rôle de pays Odzukru et Alladian. Le rôle de Addah dans les
conflits Oboru - français les modifications politiques et sociales
en pays odzukru suite à la traite de l'huile dè palme. Les relations
Oboru et Dibrim Egn. L'évolution de la traite de l'huile de palme.
Orgbaff
26 - 28 Décembre 1984
2 - 5 Avril 1985
17 - 25 Août 1986
15 Août au 2 Septembre 1987
26 - 28 Août 1988
06 - 10 Septembre 1990
Informations sur
Origines et peuplement des Odzukru. Les institutions sociales
et politiques de Lodzukru. Le commerce entre les Odzukru et leurs
voisins. Les produits d'échange, les causes des conflits Oboru -
français. Le commerce entre Odzukru et français et les
bouleversements socio-économiques de Lodzukru suite à
l'introduction des manilles et des produits européens. Le
développement de l'économie monétaire dans le Lodzukru, rôle des
débarcadères et des traitants Odzukru dans le développement de la
traite de l'huile de palme.
622
Tukpa
26 - 30 Août 1985
23 - 25 Septembre 1986
22 - 24 Août 1988
informations sur
Le rôle de Tukpa dans le développement de l'économie de traite.
Les rapports entre les traitants Odzukru et les commerçants
français. Les relations entre les courtiers Alladian et les traitants
Odzukru. La signature des traités entre Odzukru et français. Les
causes des conflits Oboru - français.
28 - 30 Août 1987
12 - 13 Septembre 1988
informations sur
Les origines des Odzukru. Le rôle des débarcadères dans le
développement de J'économie de traite. Le rôle des Ocosru
dans les relations commerciales entre les Odzukru et Avikam d'une
part et Odzukru - AIJadian d'autre part. Le commerce des esclaves
en pays Odzukru les relations entre traitants Odzukru et les
maisons de commerce européennes.
623
Il - BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
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3.
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Memel Foté (H)
L'esclavage dans les sociétés lignagères de l'Afrique noire.
Exemple de la Côte d'Ivoire précoloniale. 1720 - 1920.
Paris 1988. 6 volumes Thèse d'Etat.
Sem-Bi Zan
La politique coloniale des travaux publics en Côte d'Ivoire 1904 -
1940. 3è cycle. Paris
YAYAT d'Alépé
Une économie de transition. La Côte d'Ivoire de 1893 - 1920.
Thèse de 3e cycle. 1979 500 pages
d. 2
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Bamba (M.S)
Tiassa1é et le commerce précoloniale sur le Bas Bandama.
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Liopo Ogobo
Les Ebrié et la pénétration européenne du milieu du XIXè siècle
à la fin de la conquête française. Université d'Abidjan 176 pages.
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FORLACROlX
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M'BraEKANZA (S.P) :
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"notes sur la mise en place des structures coloniales d'exploitation"
In Godo-Godo. N°7 1981
GRIVOT
"Le cercle de Grand-Lahou" ln Bulletin I.F.A.N. Tome IV N° 1.
Janvier 1942
MEMEL FOTE (H) :
Diversité et unité dans l'histoire PrécoloniaJe. In Godo - Godo 1975
N° 4 pp 176 - J 77
WONDJI (c)
"Commerce de la cola et marchés précoloniaux dans la région de
Dabou. Annales de l'Université d'Abidjan. Série 1.
Histoire Tome 1. 1972 PP. 33-61
WONDJI (C)
"La fièvre jaune à Grand - Bassam. 1899-1903" Revue française
d'Outre Mer Paris Tome L. IX N° 215. 1972 page 205
630
TABLES DES MATlERES
PAGES
Avant Rropos
Introduction
2
1ère Partie:
Les Echanges inter Odzukru et Régionaux
Chapitre 1
Les Echanges inter Odzukru
27
1 :
Les produits venant de j'intérieur
27
Les Techniques culturales
29
La culture du mil
32
La culture de l'arachides
33
La nature des échanges
33
L'huile de palme
34
Les origines
34
Les différents types de propriétés
35
L'exploitation des palmeraies
37
La production de l'huile de palme
39
Le calendrier agricole
40
Les instruments de cueillette
41
La ceinture de sécurité
42
Le panier de ramassage
42
La matchette (Ibn)
43
La récolte des régimes de palme
44
La préparation de l'huile de palme
46
2:
Les Produits de la Côte lagunaire
51
a -
Les Technique de la pêche
51
b-
Le calendrier de la pêche
52
c-
L'organisation de la pêche
53
d -
Les moyens de production
53
*
La pirogue
54
e -
L'exploitation des eaux
56
3:
Les échanges entre les villages
Odzukru de la Côte et de l'intérieur
60
ChaRitre Il
Les Echanw Inter-Régionaux
62
1 :
Les Echanges Commerciaux entre
Odzukru et Alladian avant 1830
62
a:
Les produits échangés
63
*
Le sel
63
631
b:
La traite
69
Le transport des esclaves
74
L'organisation du commerce des esclaves
75
Les armes de défense
76
2:
Le bilan des échanges entre le Lodzukru
et le lli!}':s Alladian
80
3:
Les échanges entre le Lodzukru et les
lli!}':S de l'int~rieur
83
a:
Les Echanw commerciaux entre le
Lodzukru et l'Abidji
83
Les produits échangés
85
b:
Les échanges entre le Lodzukru, Koueni et Baulé
90
Le cadre des échanges
98
4-
Les systèmes d'échanges
100
Les système d'échange internes
100
5:
Les principaux routes commerciales
103
a:
Les voies lagunaires
104
b:
Les voies fluviales
105
c:
Les voies terrestres
105
2e Partie
Le pays Odzukru dans les échanges
commerciaux Afrique - Europe (1830-1871)
Chapitre [
Les contact An-iY-lJe CuraRe après
l'abolition de la traite négrière
] 13
1 :
Les besoins nouveaux de l'Europe
113
2:
Recherche de nouveaux produits de
substitution à la traite négrière
1] 9
a:
Recherche de matières premières pour la
jeune industrie européenne
]21
b:
Naissance d'une nouvelle traite
125
3 :
La situation économique des pays côtiers
africains après l'abolition de la traite négrière
126
a:
Désir de posséder des produits européens
]27
b:
Ralentissement des échanges entre les pays
africains
130
Chapitre II
Les grandes étaRes du nouveau commerce
entre l'AfriQue et l'EuroRe
133
Le commerce sur voiliers (1830-] 854)
134
a:
L'organisation des échanges commerciaux
]35
Les produits importés
139
Les produits exportés
]45
Naissance d'une couche de traitants africains
] 51
b:
Les Odzukru et le commerce sur les voiliers
]59
632
Naissance de débarcadères
159
Accroissement cie la production de J'huile
de palme
165
*
Le portage
172
*
La pirogue
174
*
Les méthodes de troc
179
*
L'apparition des manilles
186
Rôle des manilles dans les échanges
188
c:
Enrichissement et prépondérance des Alladian
193
d:
Rapports Odzukru - Alladian avant l'installation
des français dans le Lodzukru en 1854
195
e:
Les échanges entre Odzukru et les pays
de l'intérieur
198
Les échanges à moyennes et à longues
distances de produits de luxe
198
Tyasalé, principal pôle économique de la
région centre au XIXè siècle
199
L'organisation du voyage
202
Les produits échangés
204
*
Les produits d'exportation de Lodzukru
204
Les produits importés en pays Odzukru
208
*
Esclaves
209
*
Les cotonnades ou pagnes
213
*
Les produits en or
217
2:
Le commerce dans les blockhaus 1 54 - 1870)
223
a:
Présence française sur la côte orientale: 1842
223
Etablissement des français à Gd-Bassarn
et à Assinie depuis 1842
225
La signature des traités
229
La construction des blockhaus
232
Hostilité des traitants africains au
commerce français
242
b:
L'exploration de l'Ebrié et tentative française de
contrôler le commerce de l'huile de palme
258
Présentation des populations du Bassin
Occidental de l'Ebrié
264
*
Les Odzukru
264
*
Les Akyé et Ngbato d'Alépé
269
*
Les Alladian
271
c:
La signature des traités
276
d:
L'ouverture sur la lagune Ebrié ct Essor
de la région Odzukru
279
633
e:
Pénétration française dans le Lodzukru
280
La signature des traités entre Odzukru
et français (1880 - 1887)
281
f:
Les raisons de la construction du fort de Dabou
296
Le choix du site
297
*
Le site d'Abata
297
*
Le site de Dabou
298
g:
La construction du Fort de Dabou
299
h:
Le commerce direct entre français et Odzukru
303
1 "
Les causes du désastre commercial français
dans l'Ebrié
311
Les raisons politiques
312
Les raisons économiques
313
J :
Essor des villages de Tukpa et Dibrim
320
k:
Naissance d'une couche de traitants Odzukru
325
1 :
Suprématie de traitants Alladian
329
m:
Les prix de l'huile de palme
331
n:
Les animateurs de la traite
333
0:
Les moyens de transport
335
3e Partie
Mainmise française sur le commerce des
Oléagineux 1871 - 1898
340
Chapitre 1 :
Tentatives françaises de contrôler les
échanges commerciaux de Lodzukru
341
1 :
Erection de Dabou en cheflieu de cercle (1896)
342
2:
Soumettre la région Odzukru
351
3"
Contrôler le commerce de l'huile de palme
352
4:
Eliminer la présence anglaise sur le littoral
355
5"
Expédition française contre les Oboru
358
La guerre entreOboru et français
365
6:
La création des postes de douane sur
le littoral de la côte de l'or
371
a:
Réactions des populations côtières
379
b:
Les interprètes africains
383
c:
La soumission des Alladian
385
634
Chapitre II :
Développement des mQyens de contrôle
386
1 :
Création des voies de communication
387
a:
La route Dabou - Tyasalé (1897 - 1898)
387
b:
La route Dabou - Alépé
395
2:
Réinstallation des sociétés commerciales
à Dabou
397
3:
Tentative de suppression des manilles
409
4:
Croissance de production de l'huile de palme
413
a:
Désir de posséder les produits étrangers
415
b:
Une production en augmentation
417
5:
Instabilité des prix
421
a:
La baisse des cours de l'huile de palme
421
b:
Le déci in des traitants Odzukru
426
c:
Dégradation du niveau de vie des
population Odzukru
430
6:
La réaction des Odzukru face à la hausse
des prix des marchandises importées
européennes (1896 - 1898)
434
a:
La naissance de la ligue commerciale
435
b:
Echanges commerciaux entre Oboru et les
voiliers anglais 1896 - 1898
443
7:
Accords franco-Alladian contre les Oboru
448
Décadence des courtiers AlJadian
450
8:
Reprise du commerce français dans le
Lodzukru
452
4e Partie
Impact du commerce sur la société
Odzukru 1830 - 1898
456
l :
Nomination des chefs de village
458
2:
Déclin des confédérations et affirmation
des tribus
467
3:
Opposition des classes d'âge à
l'administration coloniale
469
4:
Tentative d'introduction du système
judiciaire français en pays Odzukru
471
Chapitre II :
Modification de l'Economie Odzukru
474
1
Passage d'une économie de subsistance à
une économie monétaire
475
2:
L'institution de marché en pays Odzukru
480
3:
Enrichissement de la population Odzukru
483
635
4:
Déclin de l'artisanat üdzukru
487
5:
L'impact du commerce sur l'agriculture
üdzukru
490
Timide développement de l'agriculture de rente
495
6·
Pays üdzukru, Entrepôt des produits
manufacturés
499
Chapitre III :
L'impact du commerce international sur
la société üdzukru
503
] :
Naissance de la classe des "Egbregbi" ou
classe des riches
503
2:
Développement de l'esclavage en pays
üdzukru
508
a:
Les origines de l'esclavage dans le Lodzukru
507
b:
Le statut social des esclaves
51 ]
3:
Le statut des femmes étrangères en pays
üdzukru
5]5
4:
L'organisation sociale des üdzukru
516
Société à double parenté
516
5:
Modification des pratiques sociales
521
a:
Evolution de la dot
52]
b:
L'utilisation du Gin par les üdzukru
524
c:
La consommation du tabac
526
Chapitre IV :
Les transformations culturelles
53 ]
] :
Les aménagements de l'habitat Odzukru
535
2:
Les modifications religieuses
538
a:
Les cultes üdzukru
54]
Le culte de "Foniamba"
542
Le culte aux "Elmis"
544
Le culte des morts ou "Makp En"
545
b:
Les cultes importés
547
*
Les cultes privés
548
Le culte public ou culte de Gbegré
549
c:
La pénétration de l'Islam et du christianisme
550
La pénétration de J'islam
55]
La pénétration du christianisme en pays
üdzukru
552
636
CONCLUSION
556
ANNEXES
562
1.
ANNEXES l :
Les récits de traditions orales
1 -
Traditions recueillies auprès de
Mr GBOUGBO ESSIS Etienne de Dibrim
564
2-
Traditions recueillies auprès de
Mr SESS Samuel d'Orgbaff
572
3 -
Traditions recueillies auprès de
Mr AFFI Sylvestre
576
4 -
Traditions recueillies auprès de
Mr GOMRON Etienne
579
5 -
Traditions recueillies auprès de
Mr ESSOH LATTE Benoît
581
6-
Traditions recueillies à Lokp
585
II ANNEXES II : Les tniliés
587
1 -
Traité signé entre la France et le roi de Gd-Jack
2 Février 1869
587
2-
Traité entre la France et les Chefs de D'Ebremou
10 Octobre 1853
589
3 -
Traité entre la France et Dibrim 9, Décembre 1886
590
4 -
Traité entre la France et Toupa 10 Décembre 1886
591
5 -
Traité entre la France et Bobor Il Décembre 1886
592
Sources et Bibliographie
1-
Les Sources
593
1 -
Les sources manuscrites
593
A-
Archives Nationales de Côte d'Ivoire
593
637
B - Archives Nationales du Sénégal Fonds d'archives
de l'Ex A. O. r
600
2 -
Les Sources imprimées
605
3 -
Les Sources orales
606
II-
Bibliographie
612
1 -
Bibliographie générale
612
2 -
Bibliographie régionale
614
a - Pays Odzukru
614
b - Pays Alladian
616
3 -
Ouvrages méthodolQgigue~
616
4 -
Articles de revues
618