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l
Université de Paris-Sorbonne Nouvelle
Paris III
(U.F.R de littérature et linguistique françaises et latines)
l'ESPACE ROMANESQUE
CHEZ BARBEY D'AUREVllly
ETUDE DE CINQ ROMANS ET D'UN RECUEIL DE NOUVELLES
Une Vieille maîtresse .
L'Ensorcelée
THESE
pour le doctorat dit "nouveau réqirne"
(Arrêté du 30 mars 1992)
présentée par Méké MEITE
Sous la direction de :
Monsieur Le Professeur Philippe BERTHIER
1993

2
L'espace romanesque
chez Barbey d'Aurevilly:
Etude de cinq romans plus un recueil de nouvelles:
Une Vieille Maîtresse
L'Ensorcelée
Un Prêtre marié
Le Chevalier Des Touches
Une Histoire sans nom
Les Diaboliques

3
Aux miens
Saly,
Ahmed, Amara, Sarah.

4
Remerciements
Au terme de cette étude, je voudrais remercier ceux qui m'ont accordé
leur aide et leurs encouragements.
En premier lieu, le Conseil Général de la Basse-Normandie avec
Messieurs Aguiton, Lecoeur et surtout Pierre Leberruyer qui m'a servi de
guide à Saint-Sauveur- Le-Vicomte.
En second lieu à Valérie Kouamé épouse Martin, M.Narahini Moustapha
et Yahaya Sanogo qui ont bien voulu relire brouillons et version
définitive. A ceux-là, nous ajoutons M. Mouphtaou Souleymane,chef de
section (Français) du projet PARMEN, M.Dosso M. et Yapoga pour la
réalisation matérielle de ce travail.
Ma gratitude à mon épouse, sans sa compréhension, rien n'aurait été
possible.
Et en dernier lieu mes remerciements à Mme Gallibourd du Ministère de
la Coopération. Je ne peux oublier M. Mounier qui, professeur à l'époque
de mon DEA à Abidjan, m'a permis d'entrer en contact avec le Professeur
Berthier lequel m'a encouragé à continuer et à persévérer dans le champ
d'étude que j'avais choisi. Je dois beaucoup à M. Berthier et voudrais lui
dire merci car les entretiens qu'il m'a accordés, ont constitué des
moments intenses et les plus bénéfiques de ce travail; qu'il reçoive ici le
témoignage de ma reconnaissance.

5
Editions utilisées
Une Vieille Maîtresse, Paris, Gallimard, Folio,
L'Ensorcelée, Paris, Gallimard, Folio,
Un Prêtre Marié, Paris, Gallimard, Folio,
Le Chevalier Des Touches, Paris, Gallimard, Folio 1
Une Histoire sans nom, Paris, Garnier Flammarion)
Les Diaboliques,Paris, Gallimard. Folio.

6
Abréviations
Une Vieille Maîtresse 1
V.M
L'Ensorcelée 1
Un Prêtre Marié 1
Le Chevalier Des Touches 1
C.D.T
Une Histoire sans Nom 1
H.S.N
Les Diaboliques 1
D

7
" Peindre ce qui est, saisir la réalité humaine, crime ou vertu, et la faire vivre par la toute-
puissance de l'inspiration et de la forme, montrer la réalité, vivifier jusqu'à l'idéal, voilà la
mission de l'artiste."
Barbey d'Aurevilly
ln Oeuvres Romanesques complètes.Paris, La Pléiade,T1, P. 1307.

8
INTRODUCTION
Depuis déjà plusieurs années, l'on constate de plus en plus un engouement
des critiques pour la notion d'espace qui a été, pendant longtemps, le parent
pauvre en matière de recherche. C'est dans cette optique que nous situons
notre travail d'analyse : l'espace dans l'oeuvre romanesque de Barbey
- d'Aurevilly.
A une, deux, trois ou n dimensions, l'espace est manifeste à nous en tant que
~
réalité immanente, en tant que structure des relations entre les êtres et les
choses. Espace cognitif, espace objectif, espace réel ou espace rêvé..., chaque
être humain s'identifie par rapport à un espace qu'il aménage selon sa
convenance. Il en précise les délimitations en zone de sécurité ou d'insécurité,
en zone de dépendance ou d'indépendance. Ainsi, chaque être humain se
constitue un espace social où existent des rapports de dominant/dominé,
d'autorisé et d'interdit. En somme, l'espace est quelque chose que tout humain
identifie en lui-même, par rapport à lui-même et par rapport à d'autres. Aussi, à
la fois, territoire, domaine, étendue, liberté, texte, l'espace est-il polyphonique.
A ce titre, il est du ressort de la sémantique topologique ou sémiotique de
l'espace dont la mise en place a été possible grâce à des critiques comme
Greimas, Boudon, Weisgerber, Bachelard, Bourneuf...
La sémiotique topologique s'articule dans un texte littéraire autour de la
description
des
lieux,
de
l'interprétation
des
langages
spatiaux.

9
Elle nous autorise à différencier les divers concepts spatiaux. Aussi considère-
t-elle un espace romanesque comme un objet-message qui signifie à partir d'un
certain nombre d'indices spatiaux.
Pour fournir un cadre d'approche cohérent de la notion d'espace, nous n'aurons
pas - pour le moment - la prétention de définir un tel concept dans l'absolu car
nous remarquons que, même lorsqu'il est appliqué à un espace dit "réel", le
terme d'espace recouvre un enchevêtrement de significations selon que l'on
est en anthropoloç!e. en géographie, en histoire, en littérature, en
mathématique, en philosophie...En fait, ce concept semble réfractaire à une
définition globalisante et généralisante mais il est bien plus accessible à une
compréhension intuitive. Tout au plus, nous allons risquer .de dire en quel
domaine, en quels sens et sous quels aspects nous abordons ce concept, ce
noeud.
Aussi
avons-nous pns comme
référence
l'oeuvre
littéraire
- plus
particulièrement l'oeuvre romanesque - en tant que système de signes
fonctionnant d'une manière analogue au système de la langue mais ne se
confondant nullement avec celui-ci. De plus, nous nous limitons à l'étude
romanesque d'un auteur particulier, Jules Barbey d'Aurevilly.
Chez cet écrivain, nous avons été séduit par les histoires que racontaient les
narrateurs tant au niveau thématique qu'à celui de l'écriture. Mais bien plus, la
figuration spatiale y est importante et certains critiques ont pu parler d'une
véritable topophilie chez Barbey d'Aurevilly qui est le "plaisir d'inventer des lieux, qui
est autre que le plaisir de décrire, ..."1
1J.Jallat: "La lande et le lavoir. Figures du lieu dans L'Ensorcelée" in L'Ensorcelée ,Les Diaboliques, la .
chose sans nom; Paris, Sedes, 1988, P. 43.

10
Au total, nous avons remarqué, après la lecture d'Une Vieille Maîtresse, de
L'Ensorcelée. d'Un Prêtre Marié, du Chevalier Des Touches, d'Une Histoire
sans nom et Des Diaboliques. éléments de notre corpus, que les espaces sont
chargés de sens, qu'il s'agit de tout un univers chargé de signes (au sens
sémiotique, le signe est en relation avec d'autres éléments, et est l'élément
constitutif d'un procès) déterminés et surdéterminés; un univer-s (non vide) qui
offre, nous semble-t-il, la possibilité de découvertes insoupçonnées sur le
monde du "mystérieux", du "magique".
Nous avons donc choisi Jules Barbey d'Aurevilly à cause de l'élément
"espace" qui nous offre un matériau important pour l'élaboration de notre travail
de recherche.
Précisons qu'à travers l'étude de quelques romans et du recueil de nouvelles
les Diaboliques., nous ne cherchons pas à établir une distinction entre la
nouvelle et le roman.'
Nous les considérons comme un tout s'inscrivant dans le terme général
d'oeuvre romanesque. Dans notre corpus, nous constatons la récurrence de
certains espaces, surtout l'espace rural. Les lieux des histoires semblent la
province, en particulier le Cotentin, la Normandie avec "les terres vagues et
sauvages de la Lande de Lessay"; quelquefois, elles se déroulent à Paris. Cette
récurrence de l'espace rural, de la province nous suggère une orientation vers
quelque sens profond, vers une optique voulue qui est perceptible et qui laisse
croire à une revalorisation des espaces de son enfance.
1 Nous considérons la nouvelle comme une composition appartenant au genre du roman .rnais qui s'en
distingue par un texte plus court et par l'unité de l'intrigue. Par ailleurs, selon D. Grojnowski, "le roman
orchestre un nombre important de personnages qui s'associent ou s'affrontent en déterminant une action
dont les réseaux et les péripéties s'entremêlent à plaisir... En revanche, la nouvelle limite le nombre des
personnages, des événements, des données spatio-temporelles: un ou deux lieux, par exemple,
considérés dans la logique d'une seule séquence temporelle,"
ln Lire la nouvelle, Paris, Dunod, 1993, P 11.

11
A travers ces lieux récurrents de la province, l'on remarque une opposition
entre deux types d'espaces sociaux:l'espace naturel et l'espace surnaturel.
Nous pensons qu'il faut accorder une attention particulière aux problèmes
spatiaux renvoyant à la catégorisation espace social/espace asocial.
Nous dirons pourquoi et à quel moment un espace devient asocial ou social, et
les conséquences de l'''asocialisation'' d'un espace.
C'est à partir de ce moment seulement que nous comprendrons le sens que
revêt la notion d'espace social et espace asocial.
A un niveau dénotatif, c'est-à-dire au sens premier, dans une oeuvre
romanesque, l'on distingue deux systèmes parallèles. D'abord la langue (ici
française) où les signifiants et les signifiés sont indissociables à moins de
remplacer le signifié par une définition équivalente. Ensuite, l'oeuvre
romanesque en tant que système de signes.
Quelqu'un qui rencontre le signifiant lande, sans savoir quel est son signifié,
aurait recours à la définition d'un dictionnaire, par exemple Le Robert, "étendue
de terre où ne croissent que certaines plantes sauvages (ajonc, bruyère, genêl...)" 1.
Dans le texte romanesque de L'Ensorcelée, ce mot lande ou cette
représentation, cet énoncé "Lande de Lessay" apparaît composé, au niveau de
la langue. Nous avons trois signifiants unis à trois signifiés qui pourraient
s'inscrire dans un schéma de communication.
A priori, nous n'avons pas de coïncidence entre les éléments du code spatial
du roman et les unités linguistiques. On le voit, ce code spatial représente un
discours propre qui possède sa structure et ses unités.
1 Le Robert, Dictionnaire de la langue francaise, Paris, 1990, P. 1072.

12
C'est pourquoi J. Weisgerber dit que" l'espace romanesque est un espace verbal créé
de toutes pièces: caractère conforme à la fois à la nature des beaux-arts et , (...) à la notion
même d'espace..." 1.
De plus, si "l'espace du récit (...) est vécu à différents niveaux: d'abord par le narrateur en
tant que personne physique, fictive ou non, et à travers la langue qu'il utilise ensuite par les
(autres) personnages qu'il campe; en dernier lieu par le lecteur qui introduit à son tour un point
de vue éminemment partial..." 2, alors il nous faut trouver des moyens pour l'aborder;
car il semble bien que par-delà le choix d'une langue (le lexique et la
grammaire de la langue française), il se dévoile un code du spatial qui s'inscrit
dans le récit romanesque.
Dans le texte littéraire qui est donc notre champ d'étude, deux tendances
d'approche se partagent le monde de la critique.
D'un côté le courant herméneutique qui se présente comme la science de
l'interprétation des phénomènes considérés en tant que symboles. Il cherche à
déceler un sens caché ou manifeste. De l'autre, la critique d'inspiration
formaliste et sémiotique qui, à travers l'analyse textuelle, tente d'étudier les
conditions de l'apparition d'un ou de plusieurs sens
C'est dans cette seconde vision que s'inscrit notre travail pour découvrir la
présence de l'espace dans le récit romanesque aurevillien, car nous sommes
d'avis que" c'est le lieu qui fonde le récit, parce que l'événement a besoin d'un ubi autant
rJu'un quid ou d'un quando ; c'est le lieu qui donne à la fiction l'apparence de la réalité" 3 .
1 J. Weisgerber : L'espace romanesque, Lausanne, l'Age d'homme, 1978, P. 10.
2 J Weisgerber Gpat P. 13.
3 H. Mitterand, Le Discours du roman, Paris, PUF, 1980, P194.

13
En nous inscrivant dans la seconde optique pour découvrir l'espace dans des
récits romanesques de Jules Amédée Barbey d'Aurevilly, nous avons
constamment en mémoire l'analyse du système de la mode par R, Barthes 1.
Celui-ci montre qu'au sein d'une langue ou à travers elle, il existe des systèmes
secondaires qui la réorganisent. Elle repose également sur des structures
particulières, voire spécifiques.
".
Ainsi, à travers l'ensemble de notre corpus, il s'agit de voir les éléments
I}
constitutifs du système spatial aurevillien, de dégager les structures qui le
1:'
déterminent, car en tant que système, il est composé d'indices spatiaux qui,
'\\
i
agencés les uns avec les autres, permettent de construire ou de défaire tout le
système qui donne sens.
Au total, pour aboutir au décodage du système spatial aurevillien, nous nous
servirons des procédures de la sémiotique ou science des systèmes
conventionnels de signification. Nous nous attacherons donc à comprendre, à
décrypter le système que renferment les textes de notre corpus. Aussi avons-
nous présenté et scindé notre travail en trois parties.
La première, intitulée le système spatial aurevillien, se propose de montrer que
la représentation de l'espace s'inscrit dans la logique d'un "espace-décor"
entourant les personnages, selon la vision de Bourneuf ou d'Issacharoff. Nous
signalons aussi que parler de représentation suggère une copie d'un réel ou
d'un référent extérieur au langage. " nous semble qu'un aspect du topologique
aurevillien repose donc sur cette tentative de fixer, comme sur une image, un
paysage, une rue, un lieu "réel" qui risquent de disparaître.
1 R. Barthes, Système de la mode, Paris, Seuil, 1967, 322 P.

14
La seconde partie renvoie à la description de l'espace parce que tout récit est
une double représentation: une narration d'actions et d'événements, et une
description d'objets, de lieux et de personnages.
Il s'agit donc de montrer comment le récit romanesque aurevillien, à l'instar de
tout autre récit romanesque -qui est précisément de la narration et de la
description moulées ensemble- se comporte pour que l'espace fonctionne.
Ainsi, à travers cette partie, nous indiquerons que la description du spatial qui
se voudrait le moyen de fixer un "réel" agit dans l'oeuvre.
Mais bien que cet élément foisonne dans l'univers romanesque aurevillien,
notre étude ne se limite pas à ce simple aspect des choses. Même si le spatial
aurevillien est avant tout référentiel, il faut, toutefois, reconnaître que beaucoup
de détails spatiaux qui n'ont, d'un point de vue intégratif ou distributionnel, ni
signification, ni utilité, concourent à faire croire à du "réel" écrit. Nous ne nous
limitons pas 9.UX référents extérieurs. Certes, ils font partie d'un système qui, au
lieu de dénoter le réel, le connote. Et c'est précisément tout le système qui
nous intéresse et non seulement la face référentielle des indices spatiaux.
Notre dernière partie s'appuie sur les conceptions de la description du spatial.
"Verbal par définition", l'espace est vu comme une entreprise idéologique qui
donne du sens. Certes, la fonction référentielle existe mais c'est la fonction de
signification qui revêt une grande importance.
Ainsi, après avoir déterminé les relations qu'autorise l'espace avec quelques
autres paramètres du récit, singulièrement l'action et les personnages, dans
cette partie, nous nous attelons à montrer que la représentation de l'espace est
avant tout significative. L'espace contribue à dégager un signi"fié.

15
A travers l'oeuvre romanesque aurevillienne, laquelle s'appuie sur la création
d'un univers particulier, bien que celui-ci soit indexé sur du "réel", nous nous
intéressons à un système assez indépendant et assez caractéristique
d'espaces et de lieux. Pour mener à bien l'étude de ces différents aspects, nous
avons utilisé des notions spatiales comme l'espace et le lieu 1.
Ces termes méritent donc d'être quelque peu définis pour circonscrire notre
champ d'action. Comme nous l'avons suggéré plus haut, l'espace d'un roman
est "une production" saisie au sein d'un système, le récit. Avec des mots et des
phrases qui sont les signes du récit, celui-ci construit donc son espace, en
utilisant parioisdes lieux "réels" mais en leur donnant des significations
internes au roman. Ils sont donc un langage qu'il faut saisir et interpréter. Ce
langage n'a de valeur qu'au sein du récit où il doit être considéré comme une
unité.
Dans le récit, "il y a deux façons de concevoir l'espace. Tout d'abord, au sens géographique.
De ce point de vue, on pourrait le caractériser comme le fait Jean Weisgerber : "Verbal par
définition", il se distingue aussi des espaces propres au cinéma et au théâtre, par exemple;
ceux-ci sont directement perceptibles à l'oeil et à l'oreille, tandis que celui-là, évoqué par la
seule entremise de mots imprimés, se construit comme objet de la pensée" 2 . L'autre
manière de concevoir l'espace littéraire est celui du texte écrit. C'est "la spatialité
de l'écriture, la disposition temporelle et réversible des signes, des mots, des phrases, du
discours dans la simultanéité de ce qu'on nomme un texte" 3 .
1 Pour Greimas, " un lieu quelconque ne peut être saisi qu'en le fixant par rapport à un lieu autre, il ne se
définit que par ce qu'il n'est pas (...) l'appropriation d'une topie n'est possible qu'en postulant une
hétéropie. C'est à partir de ce moment seulement qu'un discours sur l'espace peut s'instituer. Car l'espace
ainsi instauré n'est qu'un signifiant, il n'est là que pour être pris en charge et signifie autre chose que
l'espace, c'est à dire l'homme, qui est le signifié de tous les langages."
Cf Sémiotique et sciences sociales, Paris, Seuil, 1976, " Pour une sémiotique topologique" P. 130
2 M.issacharoff : l'espace et la nouvelle, Paris, José Corti, 1976, P. 14.
3 G. Genette: la littérature et l'espace in Figures Il, Paris, Seuil, 1972, P. 45.

16
Ainsi, puisque l'espace est à la fois objet de la pensée et constituant du texte,
nous porterons notre attention sur "ses réseaux thématiques, métaphoriques ou
symboliques (espace textuel) mais aussi (sur) la structure des actions (et implicitement la
temporalité) dans l'intrigue de chaque récit" 1.
L'espace sert donc de cadre au déroulement de l'action et des événements.
Mais pris comme simple cadre, il ne concourt à rien. Il ne peut signifier que par
rapport à des sujets (des personnages) qui lui donnent vie en le confirmant
comme territoire, comme lieu d'une altérité. Une autre unité qui peut être
opposêe à l'espace est le lieu. Il serait un élément, un signe ou une unité qui
appartient à l'ensemble-cadre qu'est l'espace. Autrement dit, "les lieux se
définiraient, à première vue, comme l'actualisation, à travers des formes matérialisées. d'un
ensemble de relations spatiales. Ainsi, le récit, à hauteur de la diégèse, ne connaîtrait que des
lieux. Parler des "espaces" supposerait une lecture déjà abstraite" 2.
Au total, l'espace s'avère être un ensemble de signes dont le fonctionnement
est producteur de sens. En risquant encore une explication redondante, nous
rechercherons au cours de notre étude, à repérer les espaces de notre corpus
romanesque.Cela signifie que nous bannirons de
nos propos les
caractéristiques de l'environnement géographique réel de l'auteur. Nous ne
nous en tiendrons qu'à des référents, car notre étude se veut une analyse
immanente des textes.?
1 M. IssacharoH : Opat P. 14.
2 A. Gardies: Espace narratif et métalangage, Abidjan, textuel LM 06,1984, P. 15.
3·En se donnant le texte pour objet, la sémiotique situe son intervention dans le cadre d'une théorie du
langage et de son effectuation en discours. Elle postule tout d'abord que le texte forme un "tout" de
signification qui comporte en lui -même les principes de sa propre clôture: un monde de représentations
se met en place au fil des phrases, qui s'ouvre dès la première et se ferme après la dernière .., "
(D.Bertrand: Narrativité et discursivité, Paris, documents du groupe de recherches sémio-linguistiques,
EHESS-CNRS,volume nOVI, 59,1984, P.?)

17
Par conséquent, cela nous engage dans la voie d'une approche sémiotique. Il
semble bien que les textes aurevilliens se prêtent à l'expérience de cette
discipline.
En effet, le texte aurevillien regorge de signes spatiaux qui jouent un rôle dans
l'organisation signifiante du récit et ils ont une valeur symbolique propre. Et
rares sont les signes spatiaux isolés, sans rapport avec d'autres signes du
texte. Tout est chargé de connotations, de sens à expliciter.

18
PREMIERE PARTIE
LE SYSTEME SPATIAL AlTREVILLIEN

19
LE SYSTEME SPATIAL AUREVILLIEN
Dans le corpus que nous avons choisi d'étudier et dans l'ensemble de l'oeuvre
romanesque de Barbey d'Aurevilly, le lecteur est frappé par l'alternance de
deux récits dont les histoires, apparemment proches les unes des autres,
renvoient, cependant ,à des espaces différents.
Par exemple dans Le Chevalier Des Touches, le premier chapitre du roman
évoque la rencontre d'un vieil abbé avec un homme aux allures de fantôme sur
une place déserte. Surpris par
les propos de ce personnage, "u n
revenant ...inattendu, effrayant, mais réel! trop réel !" 1, il Ç~nd compte de ce qu'il vient / '
de voir en traversant la place des Capucins, lorsqu'il arrive chez les
demoiselles Touffedelys, lieu où il était attendu.
;,
î '
Une vieille demoiselle est prête à raconter à un auditoire réuni là dans un salon
valognais, l'histoire de cet homme rencontré la nuit, à la seule Condition qu'un
des personnaqes (une fille vieillissante du nom d'Aimée de Spens) soit "dans sa
tour" 2.
L'aventure qu'elle relate met en relief une époque, celle de la chouannerie avec
le Chevalier Des Touches pour héros, dans un espace donné ,la Normandie.
Les récits alternent: nous avons en incipit le récit de la rencontre du fantôme
de Des Touches, dans une rue de Valognes, par un temps sombre, et en
clausule, la résolution de l'énigme Des Touches par le narrateur-auteur qui
assistait, dans le salon des Touffedelys, à l'évocation de l'histoire du Chevalier
par la vieille Barbe de Percy,
1 CDT P,34.
2 Ibid
P 65,

20
Entre ces deux éléments (incipit et clausule) se déroule l'histoire de
l'enlèvement du Chevalier, lequel a servi dans sa jeunesse une cause donnée,
celle de l'insurrection royaliste dans l'Ouest de la France, pas seulement en
Vendée, mais aussi en Normandie, notamment dans l'Avranchin.
Dans ce roman, les deux récits, même s'ils ne renvoient pas automatiquement
au même monde, au même espace, au même temps, n'en sont pas moins
proches l'un de l'autre.
En effet, si concevoir un récit, c'est obéir à un certain nombre de paramètres et
répondre aux questions "pourquoi ?" "comment ?" "quand ?" et "où ?", il
importe dans cette mesure et dans la perspective de la narratologie (selon
Todorov et Propp)1, de voir comment le récit, toujours constitué comme le
passage d'un état initial à un état final via une série d'épreuves et de
transformations, s'agence dans l'oeuvre romanesque de Barbey d'Aurevilly.
Pour les besoins de l'analyse, parmi les paramètres sus-cités, nous ne
retenons que ceux relevant de la langue et particulièrement celui qui porte sur
la question oiJ 2 ,permettant de poser le problème de l'espace dans une oeuvre.
A ce niveau, notre préoccupation majeure est de montrer comment s'établit, du
po.nt de vue spatial, la relation (s'il en existe) entre l'espace du récit premier et
celui du récit second chez Barbey d'Aurevilly.
En d'autres termes, en posant ce postulat, nous n'ignorons pas que les études
narratologiques ont porté aussi bien sur le récit oral que le récit écrit, c'est-à-
dire sur des récits qui mobilisent la langue. La temporalité et la spatialité
appartiennent au système de la langue. Bien plus, l'espace n'apparaît que sous
la forme de l'énumération, de la nominalisation apparemment sans structure.
1 T.Todorov: Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971,253 P.
V Propp : Morphologie du conte, trad. de Marguerite Derrida, Tzvetan Todorov. et Claude Kalm,
Paris, Seuil, 1965 et 1970- 254 P{Points : Sciences humaines).Titre original: Morfologija Skazki .
2 " L'action romanesque est très régulièrement située. Chaque roman comporte une topographie
spécifique qui lui donne sa tonalité propre. Le romancier choisit de situer action et personnages dans un
espace réel, ou à l'image de la réalité" Par ailleurs, "Quel que soit l'espace utilisé, réel ou merveilleux,
limité ou illimité, la géographie romanesque repose sur des techniques d'écriture qui remplissent des
fonctions précisss.v
P Goldenstein : Pour lire le roman, Pans, ed. Duculot P 89 et P 91.

21
De plus, dans un roman, l'existence de l'espace est fondamentalement verbale
et non visuelle comme en peinture, en sculpture et au cinéma, car ceux-ci sont
perceptibles à l'oeil et à l'oreille tandis que dans un récit romanesque,l'espace
est évoqué par la seule entremise de signes linguistiques imprimés.
Il est un signe qui se construit comme un élément de la pensée. En tant que
tel, il est analysable. Et Greimas a posé les fondements du signe-espace.
"L'espace en tant que forme est donc une construction qui ne choisit pour signifier que telles ou
telles propriétés des objets réels...Toutefois ce qu'il perd en plénitude concrète et vécue est
compensé par des acquisitions multiples en signification: en s'érigeant en espace signifiant, il
• devient... un "objet" "autre". 1
Ainsi l'espace romanesque se construit sur ce qui est dit de lui, et sur le
présupposé qu'il renferme. Il se compose donc et s'édifie sur un double plan:
un explicite (ce qui est donné clairement sans équivoque) et un implicite (qui
est contenu virtuellement dans quelque chose).
Le récit littéraire combine un espace double: celui dé l'auteur-créateur et celui
du lecteur-analyste. Et il ya également deux façons de concevoir l'espace.
D'abord, il yale sens géographique, ensuite l'espace du texte lui-même: "c'est
la spatialité de l'écriture, la disposition atemporelle et réversible des signes, des mots, des
phrases, du discours dans la simultanéité, ce qu'on nomme un texte" 2.
L'espace géographique est quant à lui,
1
"la représentation verbale d'un lieu physique
dont la fonction peut être celle d'éclairer le comportement des personnages romanesques ,,3.
1 A.J.Greimas, "Pour une sémiotique topologique", Sémiotique et Sciences Sociales,Paris ,Seuil, 1976-
P129f130.
2 G. Genette, "La littérature et l'espace" in Figures Il, ,Paris ,Seuil, P.4S.
3 Michaël Issacharoff, L'espace et la nouvelle, Paris José Corti, P.14.

22
Pour notre analyse, nous ne retenons que l'espace au sens géographique,
celui évoqué par le texte verbal. Notre tâche sera de rendre compte de la
cohésion spatiale des romans de notre corpus, de dégager s'il se peut, des
rapports de coordination ou de subordination, en d'autres termes, de voir si
l'espace d'un récit est intégré dans celui de l'autre et de quelle manière.
Il est vrai que dans la littérature, nous avons un nombre assez grand d'oeuvres
où il y a une succession de deux ou plusieurs récits.
L'exemple le plus connu est les mille et une nuits.' Pour aborder le problème
de la relation entre les récits d'un roman de Barbey d'Aurevilly,nous
. considérerons leur structure.
Nous avons un récit principal (dans le sens qu'il est le premier) et un récit
secondaire résultant du premier récit. Pour les besoins de notre travail, le récit
principal sera dénommé R1 et le récit secondaire R2.
~, R1 est celui de la narration qui est "l'acte narratif producteur du récit et, par extension,
l'ensemble de la situation fictive dans laquelle il prend place, impliquant le narrateur et son
narrataire" 2 .
R2 correspond à l'histoire qu'on raconte à partir de R1. Pour nous, "l'histoire
comporte tant l'action faisant l'objet du discours du narrateur que les événements évoqués par
le discours des acteurs, et englobe donc le monde narré aussi bien que le monde cité" 3 .
Entre le récit premier et le récit métadiégétique, les rapports peuvent être de
plusieurs types du point de vue spatial. Par exemple, le rapport est d'ordre
causal, dans le Chevalier Des Touches c'est-à-dire qu'il a une fonction
explicative.
A.Ir",Ih.(
1 Les mille et une nuits, traduit par Galland, Paris, Folio, 1960: vo1.1/1674 P; vol 2/2672 P.
2 Jaap Lintvelt, Essai de tYPOlogie narrative, Paris, José Corti, 1981, P.31.
3 Jaap Lintvelt,..QQQ!, P.31132.

23
En effet, la présence de Des Touches à Valognes en R1 donne l'occasion de
raconter R2. " en est de même dans Une histoire sans nom où la présence
d'une bague fait connaître la vie de Mme de Ferjol .
Dans Un Prêtre Marié, le médaillon en tant qu'indice spatial justifie l'histoire de
Sombreval en R2.
Un autre type de rapport existe entre R1 et R2 : c'est celui de la thématique.
C'est le cas dans l'Ensorcelée où la lande de Lessay,prise comme signe,
implique une continuité spatiale entre R1 et R2. La traversée de ce lieu par le
narrateur et son narrataire hétérodiégétiques en R1 établit une ressemblance
entre ce lieu traversé en R1 et ce qui s'y était déroulé du temps de Jéhoël de la
Croix-Jugan et de Jeanne le Hardouey en R2. Par conséquent, nous avons une
idée d'analogie entre ces deux récits du point de vue spatial.
Dans Une Vieille Maîtresse, entre R1 et R2, le rapport est d'ordre purement
narratif. En effet, dans ce roman, le contenu de R2 n'est pas ce qui fait avancer
le récit mais plutôt c'est l'acte de narrer qui le justifie.
Il est évident qu'il n'y a pas de barrière étanche entre les types de relations
dans un roman donné. On peut retrouver dans un récit romanesque tous les
types mentionnés ci-dessus. De plus, le paramètre spatial que nous avons
choisi n'est pas le seul plan de relation entre R1 et R2. Les autres paramètres
peuvent être justifiés.

24
A) LES INSTANCES DE LA SPATIALISATION
Par cette dénomination, nous entendons les instances qui participent de la
mise "en place" de l'espace dans le récit romanesque. Elles permettent de
rendre compte de la "présence visible" de l'espace dans un texte. Car, pensons-
nous, les procédés narratifs agissent et "transforment les langages formels en effets de
texte". 1
Ils sont les moyens qui favorisent la construction d' "une image" du
monde représenté dans un récit.Les instances de la spatialisation sont donc
celles qui sont liées à la mise en place des catégories organisatrices de
l'espace dansle récit romanesque.Elles en disposent les repères.
Chez Barbey d'Aurevilly, l'espace du récit-1 (R1) est celui qui crée et instaure
une situation de communication entre un narrateur et/ou des narrataires.
"Le narrateur assume la narration du récit qu'il adresse au narrataire.ê Quant au récit, il
est "le texte narratif se composant, non seulement du discours narratif énoncé par le narrateur
mais encore des paroles prononcées par les acteurs et cités par le narrateur. Le récit consiste
donc dans l'enchaînement et l'alternance du discours du narrateur avec celui des acteurs". 3.
Cette attitude de communication fondamentale en tant que "langage de
conversation" 4 n'est pas un acte innocent.
En effet, elle situe le récit dans un lieu spécifique qu'il importe de montrer et de
préciser.
1 F.De Chalonge, Espace, regard et perspectives in Littérature n° 65, Fev. 1987, P58.
2 Jaap Lintvelt, Essai de typologie narrative, José Corti, Paris, 1981, P 31.
3 Jaap Lintvelt, ibid, P 31
4 Marina Muresanu lonescu, Raconter/Ecouter dans Emilie de GNerval,T.XXX in Analele Stiinfice 1984
P64

25
Mais avant d'aborder cet aspect du travail, soulignons qu'étant donné que nous
avons la prédominance du "langage de conversation", les lieux de la narration et de
l'histoire ne se donnent qu'à partir de modes et de voix narratifs qui établissent
les perspectives à partir desquelles se profilent un plan, une figuration du
monde représenté dans le récit romanesque.
La voix est "l' "aspect. ..de l'action verbale considérée dans ses rapports avec le sujet "- ce
sujet n'étant pas ici seulement celui qui accomplit ou subit l'action, mais aussi celui (le même
ou un autre) qui la rapporte, et éventuellement tous ceux qui participent, fût-ce passivement, à
cette activité narrative" 1. Il appert donc que parler de la voix revient à considérer
le statut du narrateur, les temps de la narration et les différents niveaux
narratifs. En revanche, "le mode renvoie aussi bien à la perspective ou point de vue qu'à la
distance.." 2.
Par exemple,dans "Le Bonheur dans le crime," une des six nouvelles
composant Les Diaboliques, c'est un narrateur hétérodiégétique qui introduit le
récit. " est désigné par Je première personne du singulier qui se pose en
locuteur ."... J'étais un des matins de l'automne dernier à me promener au Jardin des Plantes,
en compagnie du docteur Torty, certainement une de mes plus vieilles connaissances". 3
Ce narrateur @. nous présente le docteur Torty, lequel est "médecin dans le sang et
jusqu'aux ongles, et fort médecin et grand observateur, en plus, de bien d'autres cas que de
cas simplement physiologiques et pathologiques ...".4
1 G. Genette, Figures III Paris, Seuil, P 226.
2 L'on pourra lire utilement j'approche faite par Genette in Figures III Paris , Seuil, 1972
Cependant ,l'on retiendra déjà que "c'est à cette fonction que pense évidemment Littré lorsqu'il définit le
sens grammatical de mode: " nom donné aux différentes formes du verbe employées pour affirmer plus
ou moins la chose dont il s'agit, et pour exprimer... les différents points de vue auxquels on considère
l'existence ou l'action ". et cette définition de bonne compagnie nous est ici très précieuse.On peut en eHet
raconter plus ou moins ce que l'on raconte, et le raconter selon tel ou tel point de vue; et c'est
précisément cette capacité et les modalités de son exercice, que vise notre catégorie du mode narratif..
G.Genette, Figures III P 183.
3Q
P.111.
4 Ibid
P 111/112

26
Si lli est locuteur, TortY devient automatiquement interlocuteur. En ettet,"la
conscience de soi n'est possible que si elle s'éprouve par contraste. Je n'emploie @. qu'en
m'adressant à quelqu'un, qui sera dans mon allocution tu. C'est cette condition de dialogue qui
est constitutive de la personne, car elle implique en réciprocité que ill. devient tu dans
l'allocution de celui qui à son tour se désigne par~". 1
Le narrateur hétérodiégétique nous présente Tort y,
nous donne des
informations sur ce personnage, narrateur de R2. " en fait un portrait, nous dit
son origine sociale et la fonction qu'il occupe. Au-delà de cette présentation,
Torty, médecin, est le "confesseur des temps modernes". 2
Le locuteur @ du récit-1 et son interlocuteur sont au Jardin des Plantes f g
Paris, lieu où circule une foule de gens venue regarder et observer tout ce qui
s'y passe.
" /1 Yavait ~ et ~ autour de nous, le public ordinaire du Jardin des Plantes, ce public spécial
de gens du peuple, de soldats et de bonnes d'enfants, qui aiment à badauder devant la grille
des cages et qui s'amusent beaucoup à jeter des coquilles de noix et des pelures de marrons
aux bêtes engourdies ou dormant derrière leurs barreaux ". 3
Dans cette phrase se déploie un espace caractéristique dont on peut, au plan
dénotatif, relever quelques traits marquants: Jardin des Plantes; grille des
cages; barreaux qui renvoient à un zoo, à un lieu de promenade. Cela est
soutenu par la locution infinitive" à badauder". Ces indices locatifs sont renforcés
par les adverbes @et @" auxquels s'ajoutent les locutions prépositives de lieu:
" autour de nous" et " derrière leurs barreaux".
1 E. Benveniste, Problèmes de Linguistique générale, Tome 2 .Paris, Seuil, P82.
2-.Q P.120.
3 Ibid P. 114.(nous soulignons).

27
Si de nombreuses personnes circulent dans le Jardin des Plantes, lieu de
'flânerie, lieu où se trouvent des animaux, l'intimité d'une seule cage nous est
offerte par le narrateur: c'est celle d'une panthère de "cette espèce particulière à l'ne
de Java, le pays du monde où la nature est le plus intense."
Cette panthère émerveille par sa couleur noire et par sa beauté, tout comme le
couple (une femme et un homme) - en particulier la femme - qui arrive devant
la cage et TortY s'écrie alors: "voici l'équilibre rétabli entre les deux espèces! " 2
Non seulement la phrase exclamative énoncée par Torty établit une
comparaison entre la panthère et la femelle humaine, mais apparaît également
une relation spatiale entre l'espace extérieur à la cage, occupé par la femme, et
l'espace intérieur de la cage, l'espace de la panthère. De cette relation naît une
confrontation entre i'espace.le cadre propre à la panthère et un espace non
délimité symbolisé par l'extérieur occupé par la femme. " en résulte un combat
latent entre la panthère et la femme:
femme # panthère.
La femme, sûre de sa beauté, brave la panthère de Java comme si elle voulait
la dominer. C'est dans cette intention qu'elle passe son gant entre les barreaux
de la cage de la panthère.
On peut dire qu'il y a, de sa part, une intrusion, une immixtion dans un cadre
interdit - la cage - par la présence de barreaux qui délimitent le territoire propre
à la panthère. L'orgueil humain de la femme pousse la panthère à se rebeller.
C'est pourquoi le félin arrache le gant de la main provocatrice.
Mettre la main et le '~ant dans la cage, lieu clos et interdit, lieu réservé à la
panthère seule, peut s'interpréter comme une volonté d'occupation spatiale et
de domination de la part de cette femme.
1 Q P 114/11 5.
2 Ibid P.115.

28
Dans cette opposition, "panthère contre panthère" 1, la victoire revient de manière
inattendue à la femme, car la panthère" ... "après avoir clignoté quelque temps, et
comme n'en pouvant pas supporter davantage, rentra lentement, sous les coulisses tirées de
ses paupières, les deux étoiles vertes de ses regards. Elle se claquemurait" 2.
L'acte d'intrusion et la volonté d'occupation spatiale de la part de cette femme
suscitent chez le narrateur hétérodiégétique une interrogation après que TortY
a annoncé qu'il connaissait le couple des Savigny.
Aussi: "Docteur, mon cher et adorable docteur ,- repris-je avec toutes sortes de câlineries
dans la voix, - vous allez me dire tout ce que vous savez du Comte et de la Comtesse de
Savigny? .." 3
Ainsi, il apparaît dans Le Bonheur dans le crime que le Jardin des Plantes à
Paris est le lieu public favorable pour présenter le couple des Savigny,
personnages principaux du récit-2. C'est donc le lieu adapté pour cautionner et
justifier R2.
Si l'espace est donné par l'entremise du narrateur hétérodiégétique, il faut
ajouter que la vue, pour le narrateur et son narrataire, permet d'écrire la
structure sémiotique fondamentale de l'espace. En effet, la scène de la
confrontation, celle de l'intrusion du gant dans un lieu interdit dépendent du
procédé focalisateur d'un personnage qui joue sur le plan de la focalisation, le
rôle de focalisateur hétérodiégétique 4 .C'est ce procédé focalisateur qui a
retenu dans cette foule venue "badauder" 5 deux personnes: la panthère dans
sa cage et le couple des Savigny.
1QP.117.
2 Ibid P. 117.
3 Ibid P. 120.
4l'objectif de la caméra change de focale pour grossir l'image du couple. pour en présenter un gros plan.
5QP.114.

29
Alors que dans la sculpture et la peinture, l'on peut, en un seul et même
mouvement ,se rendre compte de l'objet du regard et de sa source, en
littérature et singulièrement dans le roman, cela est difficilement réalisable du
fait que nous y avons affaire à "une construction linguistique marquée par la successivité
de la langue, (l'énumération) où l'origine est dissociée de l'impact de l'image en formation" 1.
Si le narrateur hétérodiégétique est présent par les signes qui le composent, il
n'en est pas de même du focalisateur. Dans Le Bonheur dans le crime, le
focalisateur est en relation d'étroite collaboration (dépendance) avec l'instance
narrative hétérodiégétique qui, de la même façon qu'elle transmet toute
information, "donne" l'espace.
Ainsi le niveau narratif est soutenu par une autre dimension - la vue -, de sorte
que focalisateur et narrateur soient les éléments essentiels de la mise en scène
de l'espace représenté. Ils sont les instances nécessaires à la spatialisation
dans un récit romanesque. Chez Barbey d'Aurevilly, différents modèles
(instances) associant narrateur et focalisateur opèrent pour assurer la
spatialisation.
1Florence de Chalonge: Espace,regard et perspectives in Littérature N°65, Paris, Larousse,
Fev. 1987, P 60.
lO....
_

30
1 - Un narrateur - focalisateur extradiégétigue
Cette instance ne joue pas de rôle dans le récit romanesque. Elle se contente
de donner les éléments d'ensemble du décor. Ainsi, dans Une Vieille maîtresse
" Une nuit de Février 183. , le vent sifflait et jetait la pluie contre les vitres d'un appartement,
situé rue de Varennes, et meublé avec toutes les mignardes élégances de ce temps d'égoïsme
sans grandeur. Cet appartement-boudoir dessiné en forme de tente - était gris de lin et rose
pâle, et il était aussi chaud, aussi odorant, aussi ouaté que l'intérieur d'un manchon. C'était le
boudoir d'une femme (...) - de la vieille marquise de Rers" 1.
Dès le début de ce roman, le "visible" (appartement situé rue de Varennes -
boudoir en forme de tente) résulte du "lisible" pour donner des informations
concernant aussi bien le temps (une nuit de Février 183. , en temps de pluie)
que l'espace, ainsi que le personnage de la marquise de Flers.Ces éléments
permettant de mettre en place le cadre narratif de ce récit relèvent de l'instance
extradiégétique.
1 V.M P.29

31
II - Un narrateur extradiégétigue et un focalisateur personnage
On sait que "le narrateur assume la narration du récit qu'il adresse au narrataire" , mais il
peut arriver qu'il cède cette fonction à un personnage. Il en est de même du
focalisateur extradiégétique qui peut laisser le choix de la perspective à un
personnage. Ainsi, avons-nous encore dans Une Vieille maîtresse, l'exemple
suivant: "Tout à coup un coupé noir, élégant et simple, qu'ils entendirent et virent en même
temps, déboucha d'une route couverte qui menait au Prieuré et longeait la rivière aux mille filets
d'eau minérale, et s'en vint tourner brusquement la tête du pont sur lequel ils faisaient souffler
leurs chevaux. Ils se rangèrent pour laisser passer l'impétueux attelage. Le cheval de Marigny,
qui se cabra, faillit être atteint par une des roues. Ils reconnurent Madame de Mendoze et ils la
saluèrent.. .. Hermangarde, qui avait eu pour cette malheureuse femme une si orageuse pitié,
plongea sur elle des yeux avides qu'elle en retira épouvantés..." 1
Tandis que la voix est celle du narrateur extradiégétique, la focalisation est
celle d'un personnage qui porte son attention de l'intérieur du coupé noir à la
lande où il se trouve. La locution conjonctive que dans la proposition "ill!'elle en
retira épouvantés" montre que le discours est indirect, de même que le
focalisateur, car c'est Hermangarde qui retira ses yeux épouvantés. Le
narrateur extradiégétique rapporte donc le point de vue d'Hermangarde. Ici, la
focalisation est celle d'un personnage. Elle est interne alors que le discours
relève du narrateur extradiégétique.
Une troisième instance apparaît dans le récit aurevillien, c'est un narrateur-
focalisateur personnage.
1 V.M P 297/298 (nous soulignons).

32
III· Un narrateur· focalisateur personnage
Le narrateur, dans ce cas, laisse la parole à un personnage représenté dans la
fiction qui s'approprie, ainsi, les compétences du narrateur et se charge de
prendre le relais de celui-ci pour raconter le récit. Par exemple, dans Un Prêtre
Marié, le narrateur cède la parole à Rollon Langrune afin qu'il raconte l'histoire
du médaillon.
" C'est votre histoire qui nous arrive! fit-elle. Ne vous désespérez pas. Vous allez l'entendre!
Vous vous imagineriez peut-être que je suis jalouse, si on ne vous la disait pas! ,,1
En donnant la parole directement au personnage, le narrateur met en place une
focalisation restreinte, limitée au locuteur. Mais un autre type de discours et de
focalisation, au niveau de l'instance "narrateur-focalisateur personnage"
prévaut, c'est le récit fait par Ryno de Marigny dans Une Vieille Maîtresse pour
raconter lui-même à la marquise de Flers ce qui s'est passé entre lui et Vellini
avant son mariage avec Hermangarde.
" . Mon Dieu! - dit Marigny, - c'est comme cela. Seulement, nous l'avons été tous les deux, à
tour de rôle. Elle ne l'a pas été plus que moi, moi plus qu'elle. Ce serait une triste histoire à
raconter.
- Racontez-la moi, - fit-elle avec les deux yeux allumés de la convoitise intellectuelle.
- A quoi bon? - répondit-il.
- Si ! . dit-elle, • ce sera de la confiance; tout ce qu'on peut avoir pour une vieille femme comme
moi, tout ce qui reste à donner à une amie qui sera votre grand-mère dans quelques jours.
Faites-moi connaître votre passé et cette Vellini. Je n'en jugerai que mieux le mari choisi pour
Hermangarde.J'aime à veiller. Racontez-moi cela.
- Puisque vous l'exigez, je le veux bien", dit Marigny.
La pendule marquait près d'une heure. La marquise mit le coude sur le bras de son fauteuil et
son menton dans sa main droite. L'attention respirait dans toute sa personne. Heureuse vieille,
1 PM. P 26.

33
curieuse comme si elle avait été jeune! et pour qui l'amour avait l'intérêt qu'a pour les grands
artistes le genre d'art qu'ils ne cultivent plus et qui dans leur temps les fit maîtres" .1
Le discours de Marigny au style direct dépend du "bon-vouloir" du narrateur qui le
fait parler, qui lui donne la parole afin qu'il raconte lui-même son aventure avec
Vellini. Ce que Marigny dit et voit dépend exclusivement du narrateur et du
focalisateur.
Ainsi, "Marquise, il faut en finir. Telle a été notre vie pendant dix ans.Le monde n'a vu que la
surface d'une intimité qui ne s'expliquait pas. J'ai cherché à vous en faire voir le fond...
Monsieur de Marigny avait fini son récit. Il s'arrêta naturellement et regarda la marquise qui
rêvait, en tournant dans ses mains sa tabatière d'écaille..." 2
Lorsque le personnage a fini de raconter son histoire, le narrateur reprend la
parole qu'il assume.
Ainsi, dans notre corpus, ce sont ces trois modes de narration et de focalisation
qui structurent les espaces représentés.
1 V.M. P 105.
2 Ibid P. 198/199.

34
B) L'ESPACE DU RECIT- 1
Nous avons déjà signalé que R1 est celui de la narration. Il s'y déploie un
espace propre par opposition à celui de l'histoire racontée. Ici, si le narrateur
choisit toujours de situer son espace à l'image de la réalité, il importe de donner
des marques, des repères de ces instances qui permettent de "percevoir"
l'espace.
1- Les marques des instances de la spatialisation
Nous avons fait remarquer que diverses instances structuraient la
représentation spatiale chez Barbey. L'espace, chez cet auteur, correspond à
une
attitude fondamentale d'énonciation entre un narrateur-conteur et un
auditoire-récepteur. Dans Un Prêtre Marié, la présence d'un narrateur se
signale. Il se désigne par ~ première personne du singulier: "J'étais avec Elle, ce
soir-là ... Elle avait (comme elle l'a souvent) ce médaillon monté en broche, que je crois parfois,
sans le lui dire, quelque talisman enchanté". 1
Dans L'Ensorcelée, un narrateur présent se manifeste aussi par l'emploi de ~.
" Il Y a déjà quelques années,J.§. voyageais dans ces parages, dont (aurai tant voulu faire
comprendre le saisissant aspect au lecteur. Je revenais de Coutances, une ville morne, .., " 2
En revanche, dans Le Chevalier Des Touches et dans Une Vieille Maîtresse, le
récit semble ne pas être présenté par quelqu'un. L'on est informé par une
instance non désignée. Il n'y a trace nulle part ni du narrateur, ni du
focalisateur.
1 PM. P21.
2 J;,. P 39/40.
- - - - - - -
, . '

35
Quant à Une Histoire sans nom f:à la différence de la plupart des oeuvres de
Barbey d'Aurevilly, ce récit n'est pas donné par un narrateur-conteur avec un
narrataire-public - récepteur.C'est une construction qui s'écarte de l'ensemble
de ses écrits.
Cependant,en tout état de cause ,nous savons que R1 ne peut se donner que
par le truchement d'un narrateur-focalisateur, dût-il être absent. En effet, dans
ces derniers romans cités, nous avons un narrateur et un focalisateur
extradiégétiques, car "l'instance narrative d'un récit premier est par définition
extradiégétique ..." 1
- Dans Un Prêtre Marié et dans L'Ensorcelée, la narration et la focalisation se
situent à un niveau hétérodiégétique parce que "le narrateur ne figure pas dans
l'histoire (diégèse) en tant qu'acteur (narrateur # acteur)" de type auctoriel car "le centre
d'orientation se situe dans le narrateur et non dans l'un des acteurs. Le' lecteur s'oriente alors
dans le monde romanesque guidé par le narrateur comme organisateur "auctor" du "récit".
L'inverse se produit si le centre d'orientation ne coïncide pas avec le narrateur mais avec un
acteur (actor) de sorte que le type narratif sera actoriel..."2.
Ainsi, l'espace de R1 est donné selon un narrateur-focalisateur extradiégétique
ou selon un narrateur hétérodiégétique et un focalisateur personnage. En R1,
c'est le narrateur focalisateur qui fonctionne comme centre d'orientation spatial.
Son narrataire adopte, par conséquent, la position qu'il donne.
De même que nous avons dans Une Vieille Maîtresse et dans Le Chevalier
Des Touches un narrateur-focalisateur extradiégétique, de même avons-nous
des narrataires spectateurs extradiégétiques.
Mais dans Un Prêtre Marié, le narrataire-spectateur est connu. Il est de sexe
féminin et est désigné par la troisième personne du singulier.
1 G.Genette, Figures III, Paris, Seuil, P.239.
2 J. Lintvelt, Essai de typologie narrative, José Corti, Paris, 1981, P. 38 .
.-
- - - ----_.---

36
En effet, les propositions "J'étais avec Elle" et "... dans sa manche de dentelles
foisonnantes rattachées au-dessus du coude par deux nœuds de ruban cerise qui retombaient
à flots le long de ce bras, non de reine mais d'impératrice ..." 1 singularisent et renforcent
le sexe féminin du narrataire.Dans L'Ensorcelée, le narrataire est nommément
désigné. " s'agit de Maître Tainnebouy "tel était le nom de mon compagnon de
voyage".2
Si dans le récit aurevillien, R2 est la mise en place d'un type de communication
entre un auditeur et son auditoire, "un langage de conversation", il importe de
montrer que le lieu de la narration ne se donne qu'à partir d'un programme et
d'un contrat entre le locuteur-émetteur et son (ses)interlocuteur(s) récepteur(s).
II - Programme et contrat
Dans le récit aurevillien, le contrat entre le narrateur auditeur et son auditoire-
narrataire existe par le fait que le locuteur "raconte" à son (ses) interlocuteur (s)
une histoire dont ceux-ci ne savent pas grand-chose ou.du moins, en savent
peu ou rien du tout.
Si "raconter est une modalité discursive spécifique, impliquant un appareil formel
caractéristique ainsi que des signes démarcatifs propres perceptibles dans la substance
textuelle (et si) raconter n'est jamais un acte innocent et qu'en fait le récit est toujours
contaminé par des éléments d'argumentation, d'explication et même de justification ..." 3, notre
tâche alors est de montrer comment s'établit la relation entre le locuteur et son
interlocuteur afin de mieux poser le problème du lieu du contrat.
Dans Le Chevalier Des Touches, Barbe de Percy, après que l'abbé a rapporté
la présence de Des Touches à Valognes, se pose en détenteur alors que le
baron de Fierdrap (plus que les autres) intervient en chercheur de savoir.
1 PM. P 21122.
2~ P 47.
3 Marina Muresanu lonescu, art cité. P. 59.

37
Détenteur 1 Savoir !Récepteur
Ainsi : "L'éloge de l'abbé fut comme un boute-selle pour l'amazone de la Chouannerie...
L'agitation n'était jamais bien loin, d'ailleurs, de cette nature sanguine, perpétuellement ivre
d'activité sans but depuis que les guerres étaient finies (...)
- Que dites-vous donc là, mademoiselle de Percy 7 '" fit le baron de Fierdrap retirant son nez
littéralement enseveli au fond de la boite de fer blanc dans laquelle il enfermait son tea-
pocket...
- Vraiment! dit M.de Fierdrap... vous faisiez partie de la fameuse expédition des Douze 7 Alors
permettez-moi de baiser votre vaillante main, car, sur ma parole de gentilhomme, voilà ce que
je ne savais pas !" 1
L'ignorance du baron de Fierdrap et la sollicitation dont Barbe de Percy est
l'objet amènent celle-ci à raconter l'histoire du Chevalier.
"Ma soeur de Percy, -dit l'abbé, - puisque l'apparition de Des Touches, dont nous aurons sans
doute des nouvelles demain, nous fait tisonner dans son histoire, au coin du feu, ici ce soir,
pourquoi ne la raconteriez-vous pas à Fierdrap, qui ne l'a jamais sue que de bric et de broc,
comme nous disons en Normadie, par la très bonne raison qu'il ne l'a jamais entendue que
dans les versions infidèles et changeantes de l'émigration 7" 2
Cette situation se retrouve également dans Un Prëtre Marié. Victime du charme
qui se dégage du médaillon porté par la narrataire, liLintrigué veut combler ce
manque.
"Et la savez-vous cette histoire 7 (celle du portrait sur le médaillon) lui dis-je presque avec
flamme, car j'étais trop intéressé par ce qu'elle venait de m'apprendre pour faire du
machiavélisme avec elle. Je me souciais bien de Machiavel!
1 C.D.T. P. 57 et P 60.
2 Ibid P.61.

38
- Mais, quand je la saurais, tit-elle, croyez-vous que je vous la dirais? Vous n'êtes pas déjà si
aimable! Il taudrait être sotte vraiment pour s'exposer à augmenter vos distractions, en vous
intéressant à une femme dont le portrait seul vous fait rêver... près de moi..." 1.
Après bien de câlineries, la narrataire s'écrie "c'est votre histoire qui nous arrive! fit-
elle. Ne vous désespérez pas. Vous allez l'entendre.! Vous vous imagineriez peut-être que je
suis jalouse, si on ne vous la disait pas !". 2
Dans notre corpus, l'on peut affirmer que le contrat n'existe que si quelqu'un se
pose en dispensateur de savoir et une autre personne ou un groupe d'individus
en chercheurs de savoir. Par conséquent, le programme du récit aurevillien se
ramène à un contrat entre un sujet sachant et un (des) autre (s) ne sachant
pas, et intrigué (s).
Dans Un Prêtre Marié, une première relation unit le narrateur ig au narrataire
elle. Le médaillon qu'elle porte intrigue ce narrateur. Elle est à même de dire
l'histoire puisqu'elle l'a entendue plus d'une fois, mais c'est Rollon Langrune qui
nous la donne. La parole lui est laissée d'autant qu'il peut mieux la rendre.
C'est lui qui a informé elle. En lui laissant la parole, il y a manifestement une
volonté d'accorder à l'histoire une valeur d'authenticité.
1) Narrateur
Narrataire
2) Rollon Langrune
Narrataires (je/elle)
Dans l'établissement du contrat, le droit de parler et celui d'écouter coexistent:
si le narrateur parle, il faut que le narrataire l'écoute sinon le contrat n'est pas
rempli.
Dans Une Vieille Maîtresse, la marquise de Flers sollicite l'histoire et elle est
disposée à l'écouter malgré l'heure tardive.
1 P.M. , P. 24.
2 PM. P.26.

39
" - Racontez-la moi, fit-elle avec les deux yeux allumés de la convoitise intellectuelle.
- A quoi bon? répondit-if.
• Si ! - dit-elle. -ce sera de la confiance; tout ce qu'on peut avoir pour une vieille femme comme
moi. tout ce qui reste à donner à une amie qui sera votre grand-mère dans quelques jours.
Faites-moi connaître votre passé et cette Vellini. Je n'en jugerai que mieux le mari choisi pour
Hermangarde.J'aime à veiller. Racontez-moi cela.
- Puisque vous l'exigez, je le veux bien", dit Marigny.
La pendule marquait près d'une heure. La marquise mit le coude sur le bras de son fauteuil et
prit son menton dans sa main droite. L'attention respirait dans toute sa personne. Heureuse
vieille, curieuse comme si elle avait été jeune! et pour qui l'amour avait l'intérêt qu'a pour les
grands artistes le genre d'art qu'ils ne cultivent plus et qui dans leur temps les fit maîtres." 1
Les verbes du type "faire, demander, pouvoir. exiger, dire. , juger, vouloir" appellent et
instaurent la communication entre les personnages.
Il en est ainsi dans Le Chevalier Des Touches.
". Je le veux bien, mon frère, dit mademoiselle de Percy ,qui rougit de plaisir à la demande de
l'abbé...." 2
Nous avons la même situation dans Un Prêtre Marié:
"... Je la lui demandai avec instance, et quelle fut ma surprise! il ne me la refusa pas! Les
âmes qui se comprennent se devinent" ...
Mais elle exigea qu'il la dît encore et tout de suite, là , sur ce balcon, dût-elle y passer toute la
nuit à l'écouter !". 3
Le même schéma se retrouve dans L'Ensorcelée:
"Et comment peut-on le savoir, -repartis-je, - si personne n'y assiste, maître Louis?
- Ah ! Monsieur. -dit le fermier du Mont- de- Rauville, -voici comment j'ai entendu qu'on le
savait..." 4
1 V.M. P 105.
2 CD.T. , P. 61.
3 P.M. P.30.
4 E. P. 69

40
Ainsi, le fait que l'histoire soit sollicitée suppose que le droit d'écouter soit une
condition qui se remplit par elle-même. En effet, l'histoire demandée par ceux
qui ne savent pas, et la disponibilité de ceux qui savent, font que le contrat est
largement rempli par les instances en présence. Ceux qui savent se
persuadent de la nécessité de raconter pour non seulement satisfaire leur
auditoire, mais pour se flatter d'être les dépositaires d'un savoir,.' de
renseignements dont leur auditoire est privé. De plus, ceux qui ne savent pas,
comme le baron de Fierdrap ou la marquise de Flers, veulent également
contenter et combler un sentiment de curiosité, et donc avoir, outre le fait
rapporté, les éléments nécessaires pour mieux comprendre une situation, avec
les circonstances expliquant un climat.
Ainsi, le programme aurevillien se ramenant à un contrat entre un sujet sachant
et un (d' ) autre (s) ne sachant pas, a besoin de lieux appropriés, adaptés qui
permettent de déclencher l'histoire du récit 2. Mais à ce stade de notre travail, il
importe de nous intéresser aux lieux qui autorisent les contrats.

41
III· Les lieux du récit·1
1. Les lieux représentés
a) Les lieux vécus: les villes
Le lieu vécu est le lieu de présence d'un personnage au moment de
l'énonciation. Paris est l'un des lieux qui apparaît dans l'oeuvre de Barbey
d'Aurevilly. Si dans Un Prêtre Marié et dans Le Bonheur dans le crime, nous
n'avons que des indications locatives succinctes (Rue Cuvier-Jardin des
Plantes ...) de Paris, il n'en est pas de même dans Une Vieille Maîtresse.
En effet, Paris y est un lieu à la fois fortement représenté et commenté. " est
inclus dans l'univers raconté en tant que circonstant de ce qui s'est produit, de
ce qui est relaté.
A partir de l'appartement de la marquise de Flers dans un Hôtel situé, "rue de
Varennes", des analepses et des prolepses narratives permettent de préciser
l'importance de ce lieu pour la marquise de Flers.
, C'est un lieu- refuge, le point central d'où elle part pour rejoindre d'autres lieux
comme Trieste, Venise, Vienne avant que la révolution n'éclate, et cette ville-
Paris - lui sert de base pour aller à "ses terres de Normandie".
"A dater de ce retour, elle ne quitta jamais Paris que pour aller aux eaux ou dans ses terres de
Normandie, prétendant "qu'elle avait assez voyagé comme cela." 1
~Trieste
Normandie ~ paris ç
Venise
Vienne
1 V.M. , P. 45.

i .
rt1,.~~
42
Ce qui nous est donné de Paris relève d'une certaine société, l'aristocratie. La
ic.
"société de Paris" occupe des lieux comme le faubourg Saint-Germain, l'Opéra,
1
l'église Saint-Thomas d'Aquin, l'église Saint-Phûtppe-du-Boule. "Le lendemain, à
midi, tout le faubourg Saint-Germain assista au mariage de mademoiselle de Polastron et de
Monsieur de Marigny. La marquise douairière de Rers avait voulu donner à cette cérémonie la
solennité qu'on y donnait dans sa jeunesse... La marquise de Rers n'était pas dévote, mais elle
tenait aux traditions d'un autre âge. Elle voulut couronner la félicité qui était l'oeuvre de ses
mains des pompes du monde, unies aux pompes de la religion.
On se souvint longtemps, à Saint-Thomas d'Aquin, - cette aristocratique église où l'orgueil des
races aime à se mettre à genoux devant Dieu, - de la messe du mariage de mademoiselle de
Polastron ... La marquise douairière de Flers, qui avait des relations de parenté et de monde
avec toute la haute société de Paris et de l'Europe, en avait convoqué le ban et l'arrière-ban à
ce mariage. La petite église de saint-Thomas d'Aquin offrait un spectacle digne des derniers
beaux jours de la Restauration." 1
Ce Paris des aristocrates est renforcé par d'autres lieux qui leur sont réservés.
Ce sont les Champs-Elysées, lieu de flânerie et de promenade.
C'est le boulevard OIJ" d'élégantes voitures, revenant de la promenade du soir,
stationnaient depuis le café de Paris jusqu'à la rue Le Peletier; incessamment des femmes en
descendaient pour venir, selon l'usage des nuits d'été, prendre des glaces à Tortoni." 2 C'est
au cours d'une telle soirée, "une belle nuit de juillet,- inondée de tous les genres de clarté,
depuis la flamme implacable des becs de gaz jusqu'aux molles lueurs de la lune••:' 3, que
Marigny, pour la première fois, rencontre Vellini par l'entremise du Comte de
Mareuil.
1 Ibid
P 2041205
2
V.M. P. 111.
3 Ibid P.111

43
En plus de ces lieux publics fréquentés par la haute société, des lieux d'intimité
sont représentés. Ainsi, la rue Louis Le Grand où habite le Vicomte de Prosny,
le 46 de la Rue de Provence chez Vellini, le cercle de la rue de Grammont,
chez de Mareuil, la rue de la Ville-l'Evèque, où vit Ryno de Marigny avant son
mariage avec mademoiselle de Polastron.
Même la banlieue parisienne est évoquée avec Passy où se trouve le hameau
de Boulainvilliers, endroit où se déroule le duel entre Marigny et sir Reginald
Annesley, premier époux de Vellini : "le lendemain, à neuf heures, nous étions au
hameau de Boulainvilliers, le Comte de Mareuil, le Comte de Cérisy qu'il s'était adjoint et
moi.."1.
Ainsi, Paris nous est présenté avec des détails topographiques, surtout dans
ses quartiers mondains.
Une autre ville occupe une place de choix dans les écrits de Barbey d'Aurevilly.
C'est Valognes, son double provincial en mondanité, "la ville de ses premiers rêves
et de ses derniers songes".
Dans Le Chevalier Des Touches, elle sert de cadre de départ au récit-1. Elle
est dépeinte comme une "aristocratique petite ville; une "petite ville aisée. indolente et
bien close."
L'emploi des adjectifs qualificatifs soulignés précise les caractéristiques
majeures de ce lieu qu'est Valognes.
La juxtaposition des deux adjectifs "aristocratique petite ville" confère au lieu
Valognes un statut particulier dans sa dimension comme dans sa richesse,
l'opposant à une ville ouvrière très étendue et pauvre comme Montsou dans
Germinal d'Emile Zola. C'est un repaire ou, mieux ,un refuge d'anciens
émigrés qui y font survivre une société révolue. Cette figure est renforcée par
les qualificatifs "aisée et indolente".
11bid P 142.
---~------------ ._--_.-.__
__
. _ .
._.... _ -

44
Là vivent de leur bien des survivants de l'Ancien Régime qui, même à demi
ruinés, maintiennent un certain ton, ne changeant en rien de manières. Et la
locution "bien close" précise davantage l'idée de refuge d'une noblesse qui a tout
subi, mais n'a renoncé à rien. L'idée de fermeture qui est mise en relief montre
bien que c'est l'endroit où une classe spoliée de ses privilèges défend avec
d'autant plus de fermeté les murs qui la cloisonnent.
C'est dans cette ville que se tisse le noeud qui déclenche le récit-2. Au coeur
même de Valognes se trouve la "place des Capucins" qui contribue pour beaucoup
:1.
à ce déclenchement.
.....
C'est une place présentée comme étant un "terrain qui fut longtemps abandonné, à
droite de la route qui va de Valognes à Saint-Sauveur- le -Vicomte, ...". 1
La "place des Capucins" est "déserte et morne" et elle est comparée à la lande du
Gibet. Par cette comparaison, il lui est attribué certains caractères qui la situent
sur un pôle négatif, car" cette place solitaire qui n'était pas grande, il est vrai, mais qui .da
riante qu'elle était autrefois, était devenue presque terrible depuis 182.... on avait dressé au
milieu une croix sur laquelle, colorié
grossièrement, se tordait, en saignant, un Christ de
grandeur naturelle; tous ces accidents, tous ces détails, pouvaient réellement impressionner le
passant aux sabots" 2 en la personne de l'abbé de Percy.
Ce dernier, que l'on pourrait qualifier lui-même de revenant, rencontre un
fantôme, et de son émotion va naître le récit.
1 C.D.T P. 29.
2 CD.T.P.30
1 Il ne faut pas confondre la place qui est dans la ville même, et la lande du gibet qui se trouve hors de
la ville.
2 La Révolution avait dressé une guillotine sur cette place où avait été fouettée jusqu'au sang la
sorcière Marie - Bucaille longtemps attitrée dans la région. Après l'érection d'un calvaire, la place s'appelle
Place du Calvaire.

45
Son attachement à la cause qu'a servie Le chevalier Des Touches, va amener
sa soeur, mademoiselle Barbe de Percy, l'un des membres de l'expédition qui
délivra Des Touches, à raconter son histoire à un auditoire de personnes
qu'habitent les mêmes fidélités et les mêmes nostalgies.
Il s'établit alors un contrat entre mademoiselle Percy et les autres qui sont dans
une situation de manque. Ce contrat est honoré dans le salon des
Touffedelys.Dans l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly, Valognes apparaît, nous
l'avons dit, comme le lieu où règnait une classe sociale, celle des nobles- à
l'exclusion d'autres couches de population pourtant très présentes, celle
notamment d'une bourgeoisie dont faisaient partie les gens de robe, celle des
rentiers, celle des marchands et artisans.
Barbey se justifie ainsi : "je connaissais le Valognes aristocratique, le Valognes ainé....le
Valognes de mon oncle, le plus majestueux maire de ville qui fût jamais. Mais le second
Valognes, le Valognes de la paroisse cadette, qui s'appelle Allaume, j'en connaissais la
délicieuse église et c'était tout..." 1.Ailleurs dans le Memorandum de 1864,il dit: "il Y
aura toujours le' comme il faut de cette ville aussi longtemps que resteront pierre sur pierre de
ses maisons bâties par son aristocratie aux plus beaux jours de sa fortune."
Cependant, dans l'oeuvre de Barbey, d'autres physionomies de lieux-villes sont
esquissées.
1Cité par Jacques Petit, Barbey d'Aurevilly 1, 1966 Paris ,Minard P 11 .
..._------~-----~_.--~-------------

46
b) Les lieux évoqués: Les villes
Ce sont Avranches et Coutances dans Le Chevalier Des Touches, Saint-
Sauveur-le-Vicomte dans l'Ensorcelée et dans Un Prêtre Marié.
En tant que lieux du récit-t ils n'ont pas un rôle fondamental et ne sont pas des
lieux d'établissement de contrat, comme c'est le cas de Valognes dans Le
Chevalier Des Touches ou Paris dans Une Vieille maîtresse.
Un autre type de lieu apparaît chez Barbey. C'est
celui de la lande pour
l'établissement d'un contrat et d'un programme entre un locuteur possédant un
savoir et un interlocuteur qui veut savoir. C'est le cas, essentiellement, dans
l'Ensorcelée.
c) La lande
Dans l'Ensorcelée, ce lieu est donné comme isolé, réservé; une sorte
d'immensité désolée, mystérieuse .c'est un espace que traversent le narrateur
hétérodiégétique et Maître Tainnebouy.
La lande de Lessay est considérée comme un lieu isolé plus encore par son
contraste avec la verdoyante campagne normande que par la délimitation
topographique assez vague, qui nous est tracée. En effet, "placé entre la Haie-du-
Puits et Coutances, ce désert normand, où l'on ne rencontrait ni arbres, ni maisons, ni haies, ni
traces d'homme ou de bêtes que celles du passant ou du troupeau du matin dans la poussière,
s'il faisait sec, ou dans l'argile détrempée du sentier, s'il avait plu, déployait une grandeur de
solitude et de tristesse désolée qu'il n'était pas facile d'oublier. La lande, disait-on, avait sept
lieues de tour ". 1
Haie-du-Puits
Lande de Lessay
Coutances
1 ~. P 36137.

1. .
47
La délimitation par les toponymes Coutances, Haie-du-Puits, et "indication de
"sept lieues de tour» renforcent l'idée de lieu isolé.La lande, a-t-on dit, joue le rôle
d'un personnage. " lui est dévolu de déclencher l'histoire de l'Abbé de la Croix-
Jugan.
La lande lance presque un défi à la luxuriance paysagère du Cotentin.
Elle est "de ces parties stériles et nues où l'homme passe et où rien ne vient, sinon une herbe
rare et quelques bruyères bientôt desséchées". 1
L'emploi de l'oxymore "oasis arides", en fait un lieu de pauvreté inscrit en plein
bocage, une "Bretagne dans la Normandie" placée dans "la presqu'ne du Cotentin qui
est" un pays de culture, de vallées fertiles, d'herbages verdoyants, de rivières poissonneuses,
le Cotentin, cette tempé de la France, cette terre grasse et remuée".
Le substantif "lacunes" et les épithètes "vides", "chauves", accusent un "frappant
contraste avec les terrains qui les environnent". 2
La présentation physique et géographique de la Lande de Lessay en fait un lieu
fortement connoté, lieu attendu et propice, lieu catalyseur, il est ~"où
l'imagination pouvait poser son pied pour rêver, comme le héron sur ses pattes".
C'est dans un tel espace propice à la rêverie et plus encore aux hantises que
sera narrée l'histoire de la Croix-Jugan après que les deux voyageurs ont
entendu "cette cloche de mauvais présage, ... la cloche de Blanchelande qui sonne la messe
de l'Abbé de la Croix-Jugan". 3
Ainsi, dans l'Ensorcelée, le contrat entre le narrateur hétérodiégétique et son
narrataire s'établit dans un endroit qui permet et favorise l'évocation de l'histoire
racontée dans le récit-2.
1 g P 35.
2 Ibid P.35.
3 Ibid P. 69.
,_.
- - - - - - - - ._-_.. ------ ---- - - - -

48
En somme, chez Barbey d'Aurevilly, que ce soit à Paris ou à Valognes ou
encore dans la lande, les lieux sont attendus, nécessaires à l'économie du
récit. Leur fonction va bien au-delà d'un décor de théâtre banal et interchan-
geable .Certains de ces lieux propices permettent la transmission du savoir, du
discours entre un narrateur sachant et un (ou des) narrataire(s) en situation de
manque. Dans les romans ou les nouvelles de Barbey d'Aurevilly, il y a toujours
les signes qui renvoient à des situations de communication.
Ainsi se justifie l'expression "ricochets de conversations" : c'était le premier titre de
son recueil de nouvelles: Les Diaboliques.
2 - Les lieux spécifiques
Par lieu spécifique, nous entendons le lieu dans lequel intervient effectivement
l'échange d'informations entre un conteur et son auditoire.
C'est essentiellement le boudoir d'un appartement de l'Hôtel de Flers à Paris
dans Une Vieille Maîtresse; c'est le salon des Touffedelys à Valognes dans
Le Chevalier Des Touches; c'est aussi le balcon d'un appartement parisien
dans Un Prêtre Marié et enfin c'est la Lande de Lessay dans l'Ensorcelée.
a) La traversée de la Lande de Lessav
C'est un lieu de "charme bizarre et qui vous émeut autant que les paysages maritimes, la
mer et ses grèves."
Il a été préservé par sa stérilité de toute atteinte, et c'est merveille, "car notre
époque grossièrement matérialiste et utilitaire a pour prétention de faire disparaître toute
espèce de friche et de broussailles aussi bien du globe que de l'âme humaine".
La Lande de Lessay a une double fonction en tant qu'objet dans le récit et sujet
principal dans l'histoire de la Croix-Jugan. A ces titres, elle a un rôle "stratégique".
Elle est indispensable au récit et l'on irait jusqu'à dire que les personnages
émanent de son sol inviolé et de ses mystères.

49
En effet, dans l'Ensorcelée la récurrence de l'objet-lande de Lessay au chapitre
1 et 2 la pose comme élément de base de tout le récit.
Lieu étrange à cause "des plus singulières apparitions." 1 et du fait que "plusieurs
sentiers parallèles... zébraient la lande et se séparaient les uns des autres à mesure qu'on
avançait en plaine, car ils aboutissaient tous ,dans des directions différentes, à des points
extrêmement éloignés. Visibles d'abord sur le sol et sur la limite du landage, ils s'effaçaient à
mesure qu'on plongeait dans l'étendue, et on n'avait pas beaucoup marché qu'on n'en voyait
plus aucune trace, même le jour... C'était là pour le voyageur un danger toujours subsistant". 2
C'est un espace OIJ l'on s'égare, où des pièges sont tendus.
De plus la proximité de l'Abbaye de Blanchelande, lieu connoté car "il s'y était
passé d'effroyables scènes quelques années avant que la Révolution éclatât" 3 , et du
"cabaret du taureau rouge", autre lieu indexé négativement et "qui, placé, à l'orée de la
Lande de Lessay, semblait, de ce côté, en garder l'entrée..." 4 participent pleinement à
renforcer l'étrangeté du lieu .Par ailleurs,il était un lieu "mal famé", "un asile pour des
drôles de toute espèce... que ce cabaret isolé, qui semblait bâti par le diable devenu maçon
pour l'accomplissement de quelque dessein funeste ...".5
Le qualificatif "mal famé" et le substantif "asile" donnent à ce lieu un aspect
repoussant, lugubre. " n'est pas prudent pour les "honnêtes gens" de s'y
aventurer, surtout à la tombée du jour et par temps de brume.
En somme, la Lande de Lessay, par ses différentes connotations, est le lieu du
rêve, de l'étrange, du surnaturel, du fantastique.
En imaginerait-on un autre pour de soudaines apparitions, par la lueur d'un feu
de torche répondant aux rougeoiements du couchant, pour que soit perdue la
trace du fermier assassin qui a assouvi sa vengeance après avoir vu dans le
miroir magique des pâtres l'image de son infortune?
1 E P 38.
2 -
E P. 48.
3-
Ibid P. 39.
4 -
Ibid P. 40.
5 -
Ibid P. 43.

50
b) Les salons
Ce sont les lieux où s'engage la conversation entre un conteur et son auditoire.
Celle-ci apparaît comme un élément important pour honorer le contrat entre le
locuteur sachant et son auditoire ne sachant pas. La parole est l'acte principal,
car les lieux du récit-2 sont donnés oralement." Le désir d'entendre et de voir fait
effraction dans le "sujet" et ne se réalise que dans un système de dénégations et
de défenses. "1
L'écoute devient un élément complémentaire dans la réalisation du contrat.
En effet, lorsqu'un lieu est donné par le locuteur, il faut que l'interlocuteur joue
. son rôle qui est d'écouter. Ces différents éléments sont vitaux dans les récits
aurevilliens car ceux-ci sont construits, le plus souvent, sous "la forme de ricochets
de conversation", comme nous l'avons remarqué.
Le salon des Touffedelys, le balcon d'un appartement parisien et le boudoir de
la Marquise de Flers sont les lieux d'exécution du contrat entre ceux qui savent
et les autres qui veulent entendre, soit l'histoire du Chevalier Des Touches ou
celle de Jean Sombreval, soit encore celle de Ryno de Marigny avec Vellini.
Ce sont des lieux sobrement évoqués, et vieillis à l'image des personnes dans
Le Chevalier Des Touches. Mais Barbey portraitiste a t'art de camper dans ces
intérieurs des figures qu'on n'oubliera plus.
Dans Le Chevalier Des Touches, le salon est comparé à "un nid" dans "un vieux
appartement" qui est "presque sombre avec des rideaux fanés de lampas et sa rosace, veuve
de son lustre". Les locutions employées à propos de "ce cercle",
de ce "nid"
attachent au salon des Touffedelys l'idée de lieu clos, et de lieu réservé à des
gens de marque.
Dans Une Vieille Maîtresse, la clôture est caractérisée par la forme du boudoir
qui est "en forme de tente" et "il était aussi chaud, aussi odorant, aussi ouaté que l'intérieur
d'un manchon". C'est également un cadre réservé.
1 M. Marini: Ricochets de lecture: la fantasmatique des" Diaboliques" in Littérature W10 Paris
ed . Larousse, mai 1973 P. 5.

51
Ceci se lit en filigrane à travers l'emploi du participe passé pris comme adjectif
qualificatif ouaté qui sous-entend l'idée qu'on est à l'abri des dérangements. Il a
une connotation de lieu douillet, confortable. De plus, dans les deux romans,
les locutions "avec ses rideaux fanés de lampas et sa rosace. veuve de son lustre" dans Le
Chevalier Des Touches et "cet appartement. .. était gris de lin, et de rose pâle" dans
Une Vieille Maîtresse donnent aux lieux ces tons éteints favorables à la
causerie et leur confèrent alors une atmosphère d'intimité.
Dans Un Prêtre Marié, le lieu de la causerie est donné. C'était "un petit bracon, en
face de la Seine, près du pont aux quatre statues". Ici la description est plus sobre. Il se
limite à "deux fauteuils qu'on appelle assez drôlement des Ganaches, peut-être parce qu'on
devient bête à force de se trouver bien dedans". Comme dans les deux romans
précités, la couleur des fauteuils contribue à une atmosphère de quiétude
favorable à la conversation confiante. Les personnes qui s'y trouvent assises
parleront avec une liberté d'expression qui n'exclut pas le respect, la déférence.
Ces fauteuils sont tendus de "soie rose et blanche" un peu passée.
Le vis-à-vis confortable du narrateur hétérodiégétique l'amène à porter le
regard sur "le médaillon" .. , auquel le mouvement du sein, sur lequel il était posé, semblait
communiquer la vie. On aurait dit qu'il respirait aussi, au milieu de son cercle d'or".
Dans ce roman, c'est le regard qui déclenche le récit-2. La disposition spatiale -
le lieu balcon avec ses deux fauteuils et le médaillon - autorise le récit-2.
En effet, le médaillon, indice "spatial" porté par une femme, suscite chez le
narrateur hétérodiégétique, curieux, un vouloir savoir qui est recompensé par la
présence du narrataire hétérodiégétique (qui porte le médaillon) et par la venue
d'un personnage qui sait l'histoire de Jean Sombreval.
Ici, le lieu-balcon et le médaillon sont des lieux propices, des lieux de la mise
en place du "langage de conversation". Il y a entre eux une relation d'inclusion
dans la mesure où le balcon englobe le médaillon.

52
Par conséquent, les romans de notre corpus se scindent en deux groupes :
ceux où le lieu du contrat est clos comme le salon et ceux où le lieu du contrat
est ouvert ( les landes ).
Dans le premier groupe, il faut ajouter. comme lieu du contrat, la diligence ou
voiture ( le Rideau cramoisi ).
Chez Barbey d'Aurevilly, l'espace du récit-1 porte essentiellement sur des lieux
privilégiés, attendus. Chaque lieu d'énonciation est une mise en abyme d'un
lieu plus grand qui sert dans l'histoire du récit-2.
Le boudoir, par exemple, est un lieu de causerie et d'intrigues amoureuses.
_ C'est un tel cadre qui est propice pour introduire les aventures amoureuses de
Ryno de Marigny dans Une Vieille Maîtresse. Dans Un Prêtre Marié, c'est à
Paris que Jean Sombreval devient un défroqué. Paris est donc l'endroit indiqué
pour faire partir, commencer son histoire. Dans l'Ensorcelée, la Lande de
Lessay joue aussi ce rôle de mise en abyme. C'est en la traversant et après
avoir entendu la cloche sonner que Maitre Tainnebouy relate l'histoire de ce
Prêtre Chouan. Dans Le Chevalier Oes Touches, la fortuite rencontre de l'Abbé
de Percy et du Chevalier dans les rues désertes de Valognes occasionne dans
un tel lieu son histoire.
Oans Une histoire sans nom, le retour de Mme de Ferjol en Normandie permet
de dire son histoire; car elle est partie de cet espace, ayant été "enlevée" par
M. de Ferjol . Son retour au pays natal est donc propice pour raconter son récit.
Aussi, chez Barbey d'Aurevilly, les lieux du récit-1 sont des lieux de mise en
abyme nécessaires, utiles pour dire l'histoire des récits. De plus, ces lieux
propices sont toujours des cadres réservés dans le corpus que nous avons
choisi d'étudier. Même la Lande de Lessay dans l'Ensorcelée prise comme
étendue plane, n'en demeure pas moins un lieu interdit, réservé à des
téméraires qui n'ont aucune peur du danger. Chez Barbey d'Aurevilly, le lieu de
l'énonciation est réservé comme si d'avance on évitait d'être perturbé.

53
1/ est réservé à des êtres choisis les uns pour leur aptitude à conter, les autres
pour leur curiosité attentive qui va stimuler le conteur.Ces lieux de R1 dans leur
ensemble, sont des éléments nécessaires de justification, d'explication et
d'argumentation des lieux de R2. Ils suscitent toujours un autre récit, celui qui
correspond à R2.
De plus, la parole, l'écoute et le regard jouent un rôle fondamental dans la
réalisation du programme aurevillien, programme spécifique au "langage de
conversation" et établissant un contrat entre les personnages sachant et ceux
ne sachant pas. L'on remarque également dans les lieux de R 1 qu'au fur et à
mesure que l'on avance, il y a un retrécissement progressif du lieu comme s'il
était nécessaire qu'il en soit ainsi.En effet, dans le Rideau cramoisi, le point de
départ du récit est une diligence . Le narrateur et son
narrataire
hétérodiégétiques sont tous les deux émerveillés par le rideau cramoisi d'une
fenêtre lors d'un arrêt de cette voiture. C'est pourquoi, le narrateur dit: u .. je n'ai
jamais pu voir une fenêtre,· éclairée la nuit,· dans une ville couchée, par laquelle je passais, .
sans accrocher à ce cadre de lumière un monde de pensées, - sans imaginer derrière ces
rideaux des intimités et des drames" 1
Si nous considérons la diligence comme un espace englobant, nous pouvons
considérer la fenêtre de cette voiture comme un point focal plus restreint par
lequel se pose et passe le regard pour aboutir à la fenêtre de l'hôtel.On le voit,
nous partons d'un lieu englobant pour arriver à un lieu englobé. De plus, ces
lieux de R1 appartenant à une certaine époque, établissent une égalité entre
les personnages qui y sont au moment de l'énonciation.
Sauf dans Un Prêtre Marié où il est difficile de l'établir.
1 Q.. P 38.

54
C) L'ESPACE DU RECIT-2
C'est l'espace dont on parle, celui qui est évoqué par la narration du conteur-
narrateur. Il est celui de l'histoire ou du narré: "... est narré tout ce qui se situe au
niveau immédiatement inférieur à celui où se situe l'acte d'énonciation". 1
Dans le récit-2 , l'espace ne s'impose pas d'emblée. Il est une construction qui,
au fur et à mesure que l'histoire se déroule, tient compte des actes et des
déplacements des personnages, de leur "propre activité de découverte, de
reconnaissance et d'interférence ... La topologie romanesque apparaît organiquement liée au
devenir actantiel et prédicatif. On rejoint, par là, la problématique du point de vue et de la
focalisation". 2
1 - Les instances de la spatialisation
Nous avons fait remarquer que trois instances narratives se dégageaient dans
le récit aurevillien pour "donner" l'espace. L'espace dans le récit-1 relevait soit
d'un narrateur-focalisateur extradiégétique, soit d'un narrateur hétérodiégétique
et d'un personnage focalisateur. Mais dans le récit-2 , l'histoire, ce dont on
parle, est donnée d'un point de vue homodiégétique, c'est-à-dire que nous
avons un "narrateur présent comme personnage dans l'histoire qu'il raconte".3
En d'autres termes, il faut entendre que "dans la narration homodiégétique (... ) un
même personnage remplit une double fonction: en tant que narrateur (je - narrant), il assume
la narration du récit, et en tant qu'acteur (je-narré), il joue un rôle dans l'histoire (personnage
narrateur =personnage acteur)". 4
1 Mieke Bal, Narratologie, Paris ,Klincsiek, 1977, P. 36.
2 D. Bertrand, l'Espace et le sens, Paris ,Hadès-Benjamins, 1983,213 P.
3 G. Genette, Figures III, Paris Seuil, 1972, P. 252.
4 Jaap Lintvelt, Essai de typologie narrative, Pans José Corti, 1981, P 38.

55
Ainsi, dans la narration homodiégétique, deux types de narrateurs
apparaissent: ceux qui racontent une histoire dont ils sont l'un des personnages
principaux comme Barbe de Percy dans Le Chevalier Des Touches et ceux qui
n'ont qu'un rôle de témoin comme Rollon Langrune dans Un Prêtre Marié ou
Maître Tainnebouy dans l'Ensorcelée.
Dans les récits enchassés du roman aurevillien, l'instance narrative première,
qu'elle soit extradiégétique ou hétérodiégétique, introduit toujours une instance
seconde qui donne l'histoire soit en tant que personnage-témoin ayant recueilli
tous les éléments nécessaires à l'histoire, soit en tant qu'acteur.
"Le personnage se définit par tout ce qui concerne sa fonction dans l'action, son identité, son
caractère, son histoire, ses relations avec les autres personnages. Autrement dit, il se définit
par tout ce qui implique la réponse à la question "qui est-il" ? 1
Quant à l'acteur, il est une "unité lexicalisée du récit littéraire ou mythique ... Autrement dit,
les acteurs, en général doués d'un nom, sont les unités particulières que le discours
dramatique spécifie avec simplicité: un acteur (du récit) = un acteur (un comédien). Non bien
entendu que la notion d'acteur soit réservée au domaine théâtral". 2
La distinction reste assez floue entre le personnage et l'acteur, car "dans chaque
récit, les fonctions qui effectuent les noyaux de l'action sont réalisées par ce qu'on appelle
traditionnellement des personnages, qu'on appelle aussi actants ou acteurs". 3
L'acteur a en commun avec le personnage certains traits de caractérisation.
Cela se comprend aisément car: "l'un et l'autre sont des éléments de la structure de
surface, non de la structure profonde, et comme tels, ils correspondent à un lexème. A l'acteur
en tant que lexème correspondent un certain nombre de sèmes (unités minimales de
signification) qui le caractérisent. ..
1 Mieke Bal : Opeit P. 31.
2 A Ubersfeld, Lire le théâtre, Paris, Editions Sociales, 1979 P. 107.
3 Mieke Bal ,Op cit P. 31.

56
Certes la distinction n'est pas simple : d'une certaine façon la notion d'acteur recouvre celle,
chez V. Propp, de personnage exécutant (nom + attribut)". 1
Dans Un Prêtre Marié, nous avons une instance narrative première mais ce
n'est pas elle qui donne l'histoire de Sombreval. C'est un personnage - Rollon
Langrune - il ne joue aucun rôle dans l'histoire qu'il raconte - qui est mandaté
pour accomplir une telle tâche.
"Tout à coup une main souleva le rideau du salon qui était baissé et qui flottait sur le balcon
derrière sa tête comme une draperie d'or sur laquelle son visage, ardemment brun, se
détachait bien.
C'est votre histoire qui nous arrive! Vous vous imagineriez peut-être que je suis jalouse, si on
ne vous la disait pas! La personne qu'elle appelait mon histoire et qui parut sur le balcon où
nous étions assis était un homme que j'avais vu maintes fois chez elle, et dont la physionomie
marquée d'un caractère perdu dans l'effacement général des esprits et des visages actuels
m'avait toujours frappé ... Il s'appelait Rollon Langrune, et son nom, doublement normand, dira
bien tout ce qu'il était, visiblement et invisiblement, à ceux qui ont le sentiment des analogies;
qui comprennent,' par exemple, que le dieu de la couleur s'appelle Rubens, et qui retrouvent
dans la suavité corrégienne du nom de Mozart le souffle d'éther qui sort de la Flûte
enchantée". 2

De ce long passage, il découle qu'une instance narrative première introduit et
'(
présente son narrataire qui est de sexe féminin. En laissant la parole au
personnage de Rollon Langrune afin qu'il dise "l'histoire" de ce médaillon, il y a
manifestement une volonté de faire vrai, d'accorder une certaine vérité à ce qui
va se dire.
De plus, "à dater du jour où il ( Rollon Langrune) l'avait aperçue pour la première fois, "et
vous ne devineriez jamais où je le trouvai-ajouta-t-il en forme de parenthèse - vous le saurez
plus tard", il s'était mis en chasse (ce fut son expression) pour savoir l'histoire de cet être qui,
plus beau et plus virginal que la Cenci, la pure assassine de son père, semblait aussi porter
1 A Ubersfeld, Op cit P. 108/109.
2p.M. P 25126.

57
comme elfe le crime d'un autre sur son innocence. ( ... ) Pendant des mois, des mois entiers, il
avait recueilli les fragments épars de cette histoire, comme on recueille par terre le parfum qui
s'échappe d'un flacon brisé ... " 1
Rollon Langrune
apparaît comme le mieux indiqué pour dire l'histoire de
Sombreval. C'est lui qui a fait les investigations nécessaires pour savoir cette
histoire; c'est encore lui qui a informé le narrataire de sexe féminin : "c'était
Rollon - ils me le dirent bientôt - qui, aux bains de Tréport, je crois, où elle l'avait rencontré une
année, lui avait donné ce médaillon, lequel lui avait inspiré à la première vue l'espèce
d'ensorcelant caprice dont j'étais victime à mon tour". 2
L'instance narrative première en se déchargeant montre que Rollon Langrune
en tant que "témoin" privilégié est le mieux indiqué, le mieux placé pour raconter
l'histoire de "ce bandeau rouge qui devait rester étemellement au front du portrait".
De plus, Rollon Langrune est présenté comme un bon conteur: "De rares
connaisseurs auxquels il s'était révélé disaient qu'il avait en lui un robuste génie de conteur et
de poète, un de ces grands talents genuine qui renouvellent, d'une source inespérée, les
littératures détaillantes - mais il ne l'avait pas attesté, du moins au regard de la foule, dans une
de ces œuvres qui font taire les doutes menteurs ou les incrédulités de l'envie".3
Ainsi Rollon Langrune est positivement connoté comme celui qu'il faut pour dire
cette histoire. La récurrence des mots génie, poète renforce cette idée. En effet
" A le juger par l'air qu'il avait, ce n'était rien de moins que le Madallo du poème de Shelley,
c'est-à-dire la plus superbe indifférence des hommes, appuyée à la certitude du génie .. Le
sien, dont on parlait tout bas, était, disait-on, un génie autochtone, le génie du pays où il était
né, et qui, jusqu'à lui, avait été à peu près incommunicable". 4
Chez Barbey d'Aurevilly, celui qui est amené à dire l'histoire aime à se
présenter sous les traits de conteur.
1 P.M. P. 29130.
2 Ibid P. 28129
3 Ibid P.27.
4 Ibid P.27.

58
Dans notre corpus, l'instance narrative première participe à la mise en place de
l'histoire soit en restituant soit en complétant le récit fourni par un narrateur
second.
Quand Maître Tainnebouy donne l'histoire du prêtre Chouan, son compagnon
qui devient à ce moment son narrataire intervient par moments pour glisser
quelques réflexions qui servent à donner cette touche de vrai. Dans Le
Chevalier Des Touches, ce rôle est dévolu au baron de Fierdrap.
Ainsi pour valoriser ou donner du poids à R2 , le @. qui est à la base du récit
premier intervient pour ancrer l'histoire dans une certaine vision afin de
l'authentifier. Il y a des relais de parole qui servent à diriger le lecteur pour qu'il
ait l'illusion que ce qu'on dit est vrai ou encore se rapproche de la réalité.
Par ailleurs
dans l'Ensorcelée: "...
1
Que si, au lieu d'être une histoire, ceci avait le
malheur d'être un roman, je serais forcé de sacrifier un peu de la vérité à la vraisemblance, et
de montrer au moins. pour que cet amour ne fût pas traité d'impossible, comment et par quelles
attractions une femme bien organisée, saine d'esprit, d'une âme forte et pure, avait pu
s'éprendre du monstrueux défiguré de la Fosse. Je me trouverais obligé d'insister beaucoup sur
la nature virile de Jeanne, de cette brave et simple femme d'action, pour qui le mot
familièrement héroïque: "Un homme est toujours assez beau quand il ne fait pas peur à son
cheval", semblait avoir été inventé. Dieu merci, toute cette psychologie est inutile. Je ne suis
qu'un simple conteur". 1
Quant au Chevalier Des Touches, Mademoiselle Barbe de Percy est qualifiée
de "vieille historiographe sans plume". Ainsi pour faire vrai et au nom de la vérité de
l'histoire, l'instance narrative première laisse la parole à un personnage-
narrateur, témoin ou non, à un acteur, lesquels sont à même de dire ce qu'ils
ont vécu ou vu.
1 ~P. 166.

59
Dans l'Ensorcelée: encore, "Je venais précisément d'une ville où la guerre des Chouans
a laissé une empreinte profonde. Personne, quand j'y passai, n'y avait oublié encore le sublime
épisode dont elle avait été le théâtre en 1799, cet audacieux enlèvement par douze
gentilshommes, dans une ville pleine de troupes ennemies, du fameux Des Touches, l'intrépide
agent des princes, destiné à être fusillé le lendemain. Comme on ramasse quelques pincées de
cendre héroïque, j'avais recueilli tous les détails de cette entreprise, sans égale parmi les plus
merveilleuses crâneries humaines. Je les avais recueillis là où, pour moi, gît la véritable
histoire, non celle des cartons et des chancelleries, mais l'histoire orale, le discours, la tradition
vivante qui est entrée par les yeux et les oreilles d'une génération et qu'elle a laissée, chaude
du sein qui la porta et des lèvres qui la racontèrent, dans le cœur et la mémoire de la
génération qui l'a suivie. Encore sous l'empire des impressions que j'avais éprouvées, rien
d'étonnant que ce nom de Chouans prononcé dans les circonstances extérieures où j'étais
placé, réveillât en moi de puissantes curiosités assoupies". 1
Si, dans notre corpus, le narrateur de R2 est soit témoin privilégié, soit acteur, il
va sans dire que la focalisation ne relèvera que de sa compétence. Ainsi dans
R2, la focalisation est faite à partir d'un personnage-narrateur ou d'un
personnage-acteur. Il y a donc une focalisation interne, car les lieux et les
autres paramètres de l'histoire de R2 ne sont donnés que par rapport au point
de vue, à la vision du personnage qui raconte.
Dans Un Prêtre marié, la focalisation relève de Rollon Langrune, narrateur de
l'histoire de Sombreval. Dans Le Chevalier Des Touches, la focalisation est
faite du point de vue de Barbe de Percy et de Maître Tainnebouy dans
L'Ensorcelée.
Dans Une Vieille Maîtresse, il existe une grande variété de focalisateurs, car
chaque fois que la parole est laissée à un personnage, la perspective ou point
de vue relève de ce personnage.
1 ~ P 63/64 ..

60
Ainsi, de même que le narrateur peut céder la parole à un personnage, de
même le focalisateur peut céder la focalisation. Alors, l'histoire est donnée du
"point de vue d'un personnage".
Cela se comprend par le fait qu'en R2, nous avons un narrateur avec des relais
de parole et de focalisation. Par exemple dans Un Prêtre marié, en considérs"."
la phrase suivante:
"Le Château du Quesnay, qu'il faut bien vous faire connaître, dit
Rollon, comme un
personnage ... avait appartenu de temps immémorial à l'ancienne famille de ce nom ... " 1
Le verbe déclaratif dit indique le passage de la parole du narrateur au
- personnage de Rollon Langrune. Il en est de même au niveau de la
focalisation. Le personnage de Rollon Langrune fonctionne alors comme un
connotateur de relais qui montre alors que l'histoire, R2 , a commencé.
Dans L'Ensorcelée. Maitre Tainnebouy en énonçant:
«, Voici comment j'ai entendu qu'on le savait" montre qu'il y a un changement.
R2 débute par le présentatif voici suivi de l'adverbe comment et par la
construction de la phrase, une interrogative indirecte qui joue le rôle de
connotateur de relais.
Dans Une Vieille Maîtresse, la fonction de connotateur de relais est tenue par
Ryno de Marigny bien qu'il joue un double rôle, en tant que personnage -
narrateur et en tant que personnage - acteur. Il est le principal sujet de l'histoire
qu'il raconte à la marquise de Flers. Il est un personnage de son histoire.
Il en est acteur. En tant que tel, il est le mieux placé, pour faire vrai, pour
raconter sa vie avec Vellini.
"Vous connaissez ma famille, - dit Marigny; - vous savez quelle place elle a tenue dans
l'ancienne aristocratie ... " 2
Le verbe déclaratif dit
montre le passage d'un récit à un autre. Ryno de
Marigny, par ce verbe, a commencé son histoire.
1 P.M. P. 32.
2 V.M. P. 106.

"',
61
Si les verbes connotateurs de relais permettent d'indiquer le passage de R1 à
R2 , il importe maintenant de nous intéresser aux lieux de l'histoire. Mais il faut
faire observer que dans le roman aurevillien, il existe une poétique spécifique.
En effet, le narrateur, en refusant les procédés propres au genre romanesque
au nom d'une certaine vérité, se pose en "chantre de la poésie et de l'éloquence" 1.
Il Y a, chez Barbey d'Aurevilly, une telle force de l'expression, une telle "poésie
des choses" que le personnage aussi bien que le lecteur,
sont poussés à la
rêverie. C'est de cette "poésie des choses" que découle directement l'activité du
poète. "Est poète, d'abord, celui dont la sensibilité exacerbée par nature ou sous l'effet de
l'amour, s'ouvre immédiatement à la poésie du réel. Ce premier sens est surtout présent dans
Une Vieille Maîtresse: le bord de la mer, cet éclatant et triple hymenée de la terre, du ciel et de
l'océan". 2 Est poète, ensuite, celui qui est charmé - au sens le plus noble du
terme- par les lieux aurevilliens. Dans un chapitre ultérieur, nous aurons
l'occasion d'analyser cet aspect des choses.
Ainsi, si la "poésie des choses" et l'espace sont importants en R2 ou histoire, si
bien que "dans les romans aurevilliens, J'histoire - entendons ce qui nous est rapporté en tant
qu'événements par le ou les narrateurs- l'emporte au point qu'il arrive dans Un Prêtre Marié par
exemple, que nous oublions et que l'écrivain lui-même paraît oublier cette présence" 3, si les
lieux aurevilliens sont la manifestation d'une grandeur, d'un débordement et
d'une profondeur, il importe donc de nous interroger sur ces lieux, lesquels
renvoient à des zones rurales et urbaines, à des landes et à des eaux.
Cependant, dans son œuvre romanesque, Barbey d'Aurevilly cherche avant
tout, en évoquant ces lieux, à "faire court et fort ... " 4
1 _ Marie-Hélène Prat: Sur la poétique romanesque dans l'oeuvre narrative de Barbey d'Aurevilly
in L'information littéraire XLI , n° 2, Mars-Avril 1989 P. 15.
2 -Opcit P. 16.
3. J. Petit: Essais de Lectures des Diaboliques de Barbey d'Aurevilly Paris, Minard, 1974 P 19.
4 _ Barbey cité par J. M. Bailbe:Présence de Barbey d'Aurevilly in Etudes Normandes n° 1,1989 P. 16.

62
II • Les zones rurales et urbaines.
Nous considérons la zone comme une portion de territoire qui, ici, renvoie à
deux entités assez distinctes: le rural et l'urbain.
En évitant d'entrer dans les considérations d'ordre numérique et de définir la
zone urbaine et la zone rurale par les activités des habitants qui les occupent-
ce qui relève du travail d'un urbaniste- nous postulons tout de même, pour
mieux appréhender ces lieux, une opposition ville/campagne.
Dans ce contexte, la zone rurale et la zone urbaine sont les reflets d'une
- société à un moment donné de son histoire. C'est muni de ces éléments que
nous disons que le lieu rural ou le lieu urbain, pris comme indices spatiaux
dans une action, sont rarement fortuits. En effet, leur choix semble guidé par la
recherche d'une efficacité maximum -tant du point de vue de l'action que de
celui de l'histoire liée aux valeurs sociales d'une époque donnée, celle de la
Restauration dans la France post-révolutionnaire' de 1789 et celle des'
campagnes napoléonniennes.
-------- -------- ...-_._-

63
III . Les zones urbaines.
Elles peuvent se regrouper en deux ensembles distincts: celles qui sont
situées dans un toponyme renvoyant à un espace-France et celles qui sont
dans un ailleurs-Europe.
1 - L'Ailleurs-Europe
Il faut distinguer les lieux vécus des lieux évoqués ou rêvés.
a) Les lieux vécus
Dans Un dîner d'athées: "Tu parfais de l'Espagne, Rançonnet.C'est justement en
Espagne que mon histoire s'est passée. Plusieurs d'entre vous y ont fait la guerre fatale qui,
dès 1808, commença le désastre de "Empire et tous nos malheurs". 1
Au plan dénotatif, la phrase situe bien le lieu et l'époque. "Y" pris comme
pronom personnel complément de lieu corrobore le toponyme Espagne comme
lieu vécu par ces "rabelaisiens" invités à un des dîners du vieux Mesnilgrand. Si
ce lieu est considéré comme vécu, c'est par rapport à une expérience que ces
hommes ont eue dans un tel lieu.
Mais si l'on considère le texte dans la forme d'une énonciation (en cours), ce
lieu est plus évoqué que vécu. " en est de même dans La Vengeance d'une
femme.
b) Les lieux évoqués ou rêvés
L'Espagne est ce pays d'où vient la Duchesse d'Arcos de Sierra Léone.
"Ce nom, que je hais et dont je ne me pare que pour l'avilir, est encore porté par le plus grand
seigneur des Espagnes et le plus orgueilleux de tous ceux qui ont le privilège de rester
couverts devant sa Majesté le Roi, car il se croit dix fois plus noble que le Roi". 2
1 _..Q, P. 262.
21bid P.314.
-------~ "._'_-'- .

64
Si du point de vue de la Duchesse d'Arecs, c'est un lieu vécu, il n'en est pas de
même pour Tressignies qui le considère comme un toponyme évoqué. Le
toponyme Espagne est encore évoqué avec Vellini dans Une Vieille Maîtresse
qui "... est Espagnole, née à Malaga en 1799..." 1
Un autre espace est évoqué chez Barbey d'Aurevilly. C'est l'Italie.
"Ls major "avait amené d'Italie, où, avant de venir en Espagne, il ( Ydow) servait dans un corps
de réserve avec le grade de capitaine... " 2
Ce toponyme est évoqué dans Une Vieille Maîtresse avec Madame de
Mendoze" ... passionnée et faible, élevée en Italie..." 3
D'autres toponymes se retrouvent dans son œuvre romanesque. Nous avons le
Portugal, la Grèce, le Danemark, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Autriche ...
A cet ailleurs- Europe, s'ajoute un ailleurs-reste du monde: Asie, Inde, Afrique.
liA quinze ans, on lui avait acheté une lieutenance dans un régiment anglais qui allait aux
Indes, et pendant douze ans, il s'y était battu contre les Marattes ... Ses aventures aux Indes,
dans ce pays grandiose et terrible où les hommes dilatés apprennent des manières de respirer
auxquelles "air de TOccident ne suffit plus, il ne les raconta jamais" 4 à propos de Marmor
de Karkoël. De ces espaces toponymes, nous n'avons que des indications
brèves, presque furtives. Ils obéissent plus à un phénomène de mode et à une
approche exotique qu'à une volonté de faire vrai.
En effet, "... être Espagnole à cette époque-là, c'était quelque chose! C'était une valeur sur la
place. Les romans d'alors, le théâtre de Clara Gazul, les poésies d'Alfred de Musset, les
danses de Mariano Camprubi et de Dolores SerraI, faisaient excessivement priser les femmes
oranges aux joues de grenade, - et, Qui se vantait d'être Espagnole ne l'était pas toujours, mais
on s'en vantait." 5
De plus chez Barbey d'Aurevilly, l'ailleurs est plus évoqué que vécu.
1 V.M. P.61.
2 ~P. 263-264.
3 V.M. P.51.
4 DP.197.
5 Ibid P. 300.

65
En effet, ces lieux toponymes ne sont vécus qu'en dehors de l'univers spatio-
temporel du récit. Ils relèvent d'allusions à des lieux désirés ou posés comme
désirables d'où leur valeur exotique. S'ils évoquent une histoire comme c'est le
cas dans La Vengeance d'une Femme, dans Un Dîner d'Athées et dans Une
Vieille Maîtresse, ils sont des lieux dont le personnage n'a aucune expérience
concrète dans l'énonciation, dans la structure spatiale du récit -2 ou histoire.
1/ est vrai, cependant, que ces lieux évoqués influencent, de façon tacite ou
non, les histoires racontées en R2. I/s ont surtout un rôle de catalyseur.
Si l'espace de l'ailleurs est plus évoqué que vécu, faut-il y voir que Barbey
d'Aurevilly de son vivant a très peu voyagé? Pour lui, "... le changement d'horizon
ne résout rien, on s'emporte soi-même en voyage, et le voici à Coutances qui, incapable de
s'intéresser à la ville, se rappelle le mot de Madame Staël disant les voyages "le plus triste
plaisir de la vie"... Barbey ne préfère pas la rêverie sur l'indicateur des chemins de fer ou la
saveur des noms lointains à la découverte forcément décevante d'une réalité moins poétique
que l'image qu'on s'en forge: il n'attend rien d'aucun lieu, parce qu'en lui tout a été envahi par
l'ennui, il transporte partout son désert intérieur: "Moi, je peux me faire porter de Lisbonne à
Constantinople et de Naples à Calcutta sans que rien ne fleurisse en moi, même pour un
instant" 1 .
Si l'espace-ailleurs est plus évoqué que vécu, qu'en est-il de l'espace-France?
, - Ph. Berthier, Barbey d'Aurevilly et l'imagination, Genève, Droz., 1978 P. 51/52.

66
2 - L'Espace-France
Pour mieux cerner cet espace, nous distinguons plusieurs lieux-villes que nous
scindons en unités fonctionnelles désignées par: le milieu intérieur, le milieu
social et le milieu extérieur.
Le milieu intérieur renvoie à des lieux comme la maison, le(s) salon(s), la
chambre; le milieu social concerne des lieux où s'exercent des professions,
d'où lieux de relations et le milieu extérieur équivaut au lieu pris comme
paysage.
Il va de soi qu'entre l'unité fonctionnelle milieu intérieur et milieu social, il peut y
avoir des interférences, des imbrications.
Dans l'espace-France, il faut considérer plusieurs villes dont Paris et celles qui
sont situées dans la région toponymique désignée par la Normandie. Aussi,
avons-nous l'axe:
IPARIsI-------t..
~lvILLES DE NORMANDIE 1
3 - Paris
a) Le milieu extérieur
La ville de Paris est peu ou prou évoquée dans l'œuvre romanesque de Barbey
d'Aurevilly. Très peu décrite, elle apparaît de façon évasive et sommaire.
A l'exception d'Une Vieille Maîtresse où Paris joue un rôle tout comme un
personnage -les premières scènes et le dénouement y ont lieu- Paris est
évoqué dans Un Prêtre Marié lors du passage de Sombreval de l'état d'homme
de Dieu à celui d'apostat. Dans La Vengeance d'une femme, nous avons
l'évocation de Paris comme lieu de débauche et de luxure.

67
Ainsi dans Un Prêtre Marié, l'image que nous avons de Paris est somme toute
banale. Aucune description de lieux. Paris est comparé à un "gouffre de corruption,
de science et d'athéisme" qui "avait dévoré" 1 Sornbreval..
Par l'emploi du participe passé dévoré. Paris est pris comme une bête. De plus,
l'emploi de "gouffre" sous-entend une idée de perdition pour Sombreval.
Ainsi le lieu Paris, "un gouffre", est le lieu de la chute, de la trahison. C'est le lieu
de la transformation pour Jean Sombreval. C'est là qu'il accomplit son
apostasie.
En effet, "on sut -comme on sait tout en province par les gens de province qui viennent à
Paris- que l'Abbé Sombreval ne vivait plus que pour la science, et une science qui ne le
conduirait pas en Sorbonne, car c'était la chimie dont il s'était affolé.Sa passion avait presque
les caractères d'un empoisonnement. On disait qu'on le rencontrait dans Paris ne portant plus
ses habits de prêtre. Il a jeté, disait-on, le froc aux orties". 2
Dans La Vengeance d'une femme, nous avons le Paris de la luxure avec la rue
Basse-du-Rempart : "qui, dans ce temps-là, méritait bien sori nom de Rue Basse. car elle
était moins élevée que le sol du boulevard, et formait une excavation mal éclairée et noire,
dans laquelle on descendait du boulevard par deux escaliers qui se tournaient le dos, si on peut
dire cela de deux escaliers.Cette excavation qui n'existe plus et qui se prolongeait de la rue de
la chausée-d'Antin à la rue Caumartin, devant laquelle le terrain reprenait son niveau; cette
espèce de ravin sombre, où l'on se risquait à peine le jour, était fort mal hanté quand venait la
nuit. Le Diable est le Prince des ténèbres. Il avait là une de ses principautés. Au centre, à peu
près, de cette excavation, bordée d'un côté par le boulevard formant terrasse, et, de l'autre, par
de grandes maisons silencieuses à portes cochères et quelques magasins de bric à brac, il y
avait un passage étroit et non couvert où le vent, pour peu qu'il fît du vent, jouait comme dans
une flûte, et qui conduisait, le long d'un mur et des maisons en construction, jusqu'à la rue
Neuve-des-Mathurins". 3
1p.M.P.41.
2 Ibid P.42.
3..Q....p 25)61297

68
Ce passage est l'un des rares à partir desquels on peut établir un schéma
topographique de Paris dans l'œuvre de Barbey d'Aurevilly. Le choix de ce
lieu, de cette rue, n'est pas sans effet dans la trame de l'histoire. En effet, cette
rue est fortement connotée négativement.
D'abord par sa dénomination: grammaticalement, nous avons une construction
sous la forme d'une expansion de nom. Nous avons Rue Basse + du Rempart.
"Du Rempart" permet donc de déterminer le nom Rue Basse: Il en précise le
sens.
d'où
Rue Basse 1du Rempart
G N
Complément de détermination
Ensuite par son état : "ravin sombre", "une principauté du diable", "fort mal hanté",
toutes ces locutions appartiennent à un même champ sémantique et au champ
lexical de la crainte, de l'épouvante inspirée par cette rue.
Ce sentiment est renforcé par les prédicats qualificatifs "toujours mal éclairée et
noire", "cette espèce de ravin sombre", "l'on s'y risquait à peine le jour".
L'emploi de ces prédicats qualificatifs confère à cet indice spatial, le caractère
de lieu louche, de lieu sordide. De plus, le verbe "descendre" renforce cet aspect
sinistre de la rue et autorise qu'on passe d'un niveau, d'une situation
acceptable à une autre qui l'est moins, tant sur le plan physique que sur le plan
moral.
En effet, descendre "du boulevard par deux escaliers" se situe bien sur le plan
physique mais d'un point de vue moral, c'est une vraie descente aux enfers car
l'on chute quand l'on a entendu l'histoire de la vengeance de la Duchesse
d'Arcos qui, pour mieux venger son amant assassiné par le Duc d'Arcos et se
venger par la même occasion, exerce le métier le plus vil, le plus déshonorant
qui soit.

69
C'est pourquoi Tressignies est dépité car il " ... n'avait pas pensé à cette profondeur
dans la vengeance, qui dépassait tout ce que l'histoire lui avait appris. Ni l'Italie du XVlè siècle,
ni la Corse de tous les âges, ces pays renommés pour l'implacabilité de leurs ressentiments
n'offraient à sa mémoire un exemple de combinaison plus réfléchie et plus terrible que celle de
cette femme, qui se vengeait à elle-même, à même son corps comme à même son âme. Il était
effrayé de ce sublime horrible, car l'intensité dans les sentiments, poussée à ce point, est
sublime. Seulement. c'est le sublime de l'enfer". 1
Ainsi, la Rue Basse-du-Rempart, rue de la "honte de ce temps", est indexée dans
la société. Par son nom, elle constitue une sorte de zone réservée. une sorte
de bouclier, une muraille qui sert à une fortification.
y descendre, c'est accepter de passer d'un lieu social protecteur à un lieu
asocial réservé, où l'on doit se prendre en charge soi-même. Le fait qu'elle soit
basse laisse présager que l'on a "envie" de la cacher aux yeux des honnêtes
gens.
Elle est en conjonction avec la "rue des poulies", une "immondice". Ainsi
Tressignies et cette femme sont dans un lieu peu recommandable; c'est un
lieu négatif par le métier qui s'y exerce.
De prime abord, la présence de cette beauté dans un tel lieu fait contraste,
choque d'autant plus qu'il n'y a pas de conjonction entre le lieu et elle.
C'est pourquoi: "Tressignies, qui croyait qu'elle allait prendre la rue de la Chaussée-d'Antin,
étincelante de ses mille becs de lumière, vit avec surprise tout ce luxe piaffant de courtisane,
toute cette fierté impudente de fille enivrée d'elle-même et des soies qu'elle traînait, s'enfoncer
dans la rue Basse-du-Rempart, la honte du boulevard de ce temps". 2
Ainsi une opposition est faite entre la Rue Basse-du-Rempart et la rue de la
Chaussée d'Antin:
1 Q P.324
2 Ibid P. 2991300.

70
- la Chaussée d'Antin, éclairée, apparaît comme un lieu de conjonction pour
cette femme "enivrée d'elle-même"
- la rue Basse- du -Rempart, sombre, est pour elle un lieu de disjonction.
L'opposition entre les deux rues permet de poser la relation lumière/obscurité,
par extension le couple vie/mort.
===) Chaussée d'Antin
# rue Basse -du -Rempart
lumière
# obscurité
vie
# mort
On constate donc, à un premier niveau, qu'il y a une contradiction entre les
prédicats qualificatifs des lieux et les personnages qui y sont tels que cette
femme à "la robe d'or" qui racolait. En effet, le lieu de conjonction par excellence
devait être la rue Chaussée d'Antin et le lieu de disjonction, la Rue Basse -du-
Rempart. S'il ya contradiction, c'est parce que "celte femme qui s'en allait devant lui,
déferlant onduleusement comme une vague, n'était qu'une fille du plus bas-étage; mais elle
était d'une telle beauté qu'on pouvait s'étonner que celle beauté ne l'eût pas classée plus haut,
et qu'elle n'eût pas 'trcuvè un amateur qui l'eût sauvée de l'abjection de la rue, car, à Paris,
lorsque Dieu y plante une jolie femme, le Diable, en réplique, y plante immédiatement un sot
pour l'entretenir". 1
Les rôles des rues sont inversés. Ainsi la rue Basse -du -Rempart devient un
lieu de conjonction à cause de la profession de la Duchesse.
Les valeurs négatives qui devaient en faire un lieu de répulsion en font plutôt
un lieu de rencontre, d'attraction, car Tressignies piqué par "la curiosité, pimentée
de convoitise, dont il avait été mordu, en voyant cette fille qui était plus pour lui que de la chair
superbe, tassée dans du satin, lui aurait fait avaler non pas la pomme d'Eve, mais tous les
crapauds d'une crapaudière". 2
1 Ibid. P. 298.
2 -Ïbid. P. 301.

71
Dans Une Vieille Maîtresse, c'est une autre image de Paris qui est donnée.
C'est le Paris mondain avec le faubourg Saint-Germain. La lutte amoureuse
entre Ryno de Marigny et Vellini est une lutte spatiale. En effet, lorsque Ryno
raconte son histoire, sa liaison avec Vellini, à la Marquise de Flers, il ne fait que
la poser en termes d'appropriation spatiale.
Membre de la société mondaine, Vellini lui est présentée, un soir "sur le
boulevard ... en tournant devant Tortoni, à l'entrée de la rue Taibout". 1
Tortoni est l'un des endroits les plus huppés de l'époque car: "D'élégantes
voitures, revenant de la promenade du soir, stationnaient depuis le Café de Paris jusqu'à la rue
Le Peletier; incessamment des femmes en descendaient pour venir, selon l'usage des nuits
d'été, prendre des glaces à Tortoni". 2
C'est donc en pleine rue que le Comte de Mareuil suscite en Ryno le désir de
rencontrer cette femme qui":.. était la fille adultérine d'une Duchesse portugaise réfugiée
en France et d'un toréador. On nommait même la Duchesse. C'était une Cadavel-Aveïro". 3
Ainsi le boulevard est le lieu où Ryno aperçoit pour la. première fois Vellini.
L'éloignement 'l'oblige à avoir une mauvaise appréciation de cette femme car,
dit-il, s'adressant à de Mareuil, "vous n'êtes pas assez âgé ou assez Anglais pour vous
permettre de tels caprices. C'est vraiment un goût dépravé que vous avez là". 4
L'occasion lui sera donnée de la rencontrer de plus près lors d'un souper chez
le Comte de Mareuil. A partir de cet instant, l'opinion de M. de Marigny change
au sujet de Vellini : " -je pense comme vous, je sens comme vous et peut-être j'aime déjà
comme vous. Il ne fallait pas m'inviter à ce souper, mon cher Comte, si vous tenez à la
possession exclusive de cette femme, car je suis bien résolu à vous la disputer
opiniâtrement" 5.
1 -V.M.
P. 110.
2 -Ibid P. 111.
3 _ Ibid P. 114
4 _ Ibid P. 112.
5-lbid P. 121-

72
On constate que la distance qui existait entre Vellini et Marigny sur le boulevard
s'est réduite, car du point de vue spatial, ils se rapprochent mais restent
éloignés l'un de l'autre sur le plan des sentiments.
Ainsi, dans Une Vieille Maîtresse, nous avons un Paris mondain avec le
faubourg Saint Germain, le café de Paris, Tortoni, les Champs Elysées,
l'Opéra, le boulevard; quelques rues: rue Taitbout, rue de Provence, rue de la
Ville-L'évêque, rue de Grammont, rue Le Peletier, rue Notre Dame de Lorette.
Quelques hôtels particuliers: l'hôtel de Cerisy, l'hôtel de Mareuil, l'hôtel de
Mendoze, l'hôtel de So/cy. Quelques noms d'églises: le Sacré-Cœur, Saint-
Thomas d'Aquin, Saint -Philippe -du -Roule...
Nous n'avons nulle part de détails topographiques poussés sur ces lieux. Ils ne
sont qu'évoqués pour la plupart.
b) Le milieu intérieur
* La maison
Dans La Vengeance d'une femme ,Tressignies, en se laissant griser par cette
femme d'une si rare beauté dans un lieu indigne d'elle et de lui, suscite et crée
une péripétie spatiale.
En effet, accepter son invitation l'oblige à suivre cette femme et à connaître, à
appréhender son "territoire" et à le conquérir. Objectivement, conquérir cette
femme, c'est la posséder et c'est mieux apprécier son espace de travail, sa
maison qui est "au milieu des énormes mœllons qui gisaient là et des constructions qui s'y
élevaient, (la) seule maison restée debout sur sa base, sans voisines, étroite, laide, rechignée,
tremblante, qui semblait avoir vu bien du vice et bien du crime à tous les étages de ses vieux
murs ébranlés, et qui avait peut-être été laissée là pour en voir encore, se dressait d'un noir
plus sombre, dans un ciel déjà noir". 1
1 _..Q P, 301 ( nous soulignons)

73
Son lieu de travail est présenté de façon fort négative. Par sa situation
géographique, c'est une maison esseulée comme si elle avait été le lieu
réservé à des pestiférés, à des bannis de la société. De plus, le prédicat
prépositionnel "sans voisines" corrobore son exclusion.
L'adjectif qualificatif "horrible" justifie l'idée d'isolement comme si nous avions
affaire à une maison abandonnée, délaissée. Le prédicat qualificatif "étroite - qui
suggère son exiguïté - et "laide" nous fixent bien sur la valeur de la négativité du
lieu. "Laide" et" rechignée" pris comme des prédicats qualificatifs traduisent l'idée
de lieu sordide et répugnant.L'expression " se dressait d'un noir plus sombre, dans un
ciel déjà noir" peut être prise comme un jugement moral lequel renvoie à un
espace métaphysique: enfer-ciel.
C'est dans un tel lieu que s'introduit Tressignies attiré comme un aimant par la
femme. Au lieu de s'éloigner de ce lieu répulsif comme le suggère en filigrane
le narrateur, il s'y aventure en quête de plaisir. Ce lieu-maison exerce donc une
attraction sur Tressignies tout comme la femme qu'il suit.
Bien que ce fût une "maison aveugle, car aucune de ses fenêtres (et les fenêtres sont les
yeux des maisons) n'était éciairée"1,Tressignies ne suit pas moins cette femme
jusqu'à sa chambre.
* La chambre
Si elle est un élément du milieu intérieur, il n'empêche que ce lieu s'inscrit
également comme lieu d'un milieu social. En effet, c'est le lieu de l'exercice
d'une profession, d'un métier. De ce fait, il y a une imbrication entre le milieu
intérieur et le milieu social.
Le narrateur extradiégétique nous présente ce lieu :"Ce n'était... que l'appartement
trivial et désordonné de ces filles-là ... Des robes, jetées ça et là confusément sur tous les
meubles, et un lit vaste, -le champ des manœuvres,- avec les immorales glaces au fond et au
plafond de l'alcôve, disaient bien chez qui on était ... Sur la cheminée. des flacons qu'on n'avait
1 Q.. P 301.
-----~-----------------_._.
--.---
._-.
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74
pas pensé à reboucher, avant de repartir pour la campagne du soir, croisaient leurs parfums
dans l'atmosphère tiède de cette chambre où l'énergie des hommes devait se dissoudre à la
troisième respiration ...
Partout, des peaux de bêtes faisaient tapis par- dessus le tapis. On avait tout prévu. Enfin, une
porte ouverte faisait voir, par -dessous ces portières, un mystérieux cabinet de toilette, la
sacristie de ces prêtresses". '
La présentation de ce lieu caractérisé par le désordre, augure une spatialité
propre aux "filles de joie".
Toutes les mentions descriptives de ce lieu suggèrent et répètent le désordre
physique de la chambre mais aussi le désordre moral. Il y a, en filigrane, une
idée de "laisser-aller", de désinvolture et de sans-gêne. Aussi Tressignies "ne se
gêne (t-il) pas. Il se mit sans façon sur le canapé, attirant entre ses genoux cette femme qui
avait ôté son chapeau et son châle, et qui les avait jetés sur le fauteuil". 2
Le désordre du lieu assigne au personnage Tressignies un rôle spécifique,
propre,similaire, car le narrateur a réussi à créer le simulacre de la maison de
catin. Sans nous interroger sur son degré d'authenticité, ce qui importe pour
nous, c'est l'effet de lecture qu'il suggère. Au désordre spatial de la chambre
répondent les actes de légèreté de Tressignies et de la Duchesse d'Arcos, leur
vécu. Le narrateur fixe la demeure de la Duchesse, une fois pour toutes, pour
rendre compte du lieu en tant que zone de joie et de plaisir.
Il faut y voir également l'expression d'une vengeance, d'un désordre, d'une
rupture dans la manière de se venger.
" ... Je l'ai choisie entre toutes comme on choisit de tous les genres de poignards celui qui doit
faire le plus souffrir, le cric dentelé qui doit le mieux déchirer l'être abhorré qu'on tue ... Il fallait
donc l'atteindre et le crucifier dans son orgueil. Il fallait donc déshonorer son nom dont il était si
fier. Eh bien! Je me jurai que, ce nom, je le tremperais dans la plus infecte des boues, que je le
, -Q P.3021303.
2 -Ibid. P. 303 .
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
...

75
changerais en honte, en immondice. en excrément! et pour cela, je me suis faite ce que je
suis, une fille publique, -la fille Sierra Leone, qui vous a raccroché ce soir !" 1
En dépit du désordre qui règne dans ce lieu et de son statut après que
Tressignies a entendu l'histoire de la Duchesse, cet élément spatial a prise sur
le personnage car, au lieu de la divulguer comme cela lui a été recommandé,
Tressignies se claquemure de peur de se la voir raconter par "un gant jaune". "
Aussi. "Hia mit et la scella dans le coin le plus mystérieux de son être, comme on bouche un
f1açon de parfum très rare, dont on perdrait quelque chose en le faisant respirer. Chose
étonnante ,avec la nature d'un homme comme lui! ni au Café de Paris. ni au cercle, ni à
l'orchestre des théâtres, ni nulle part où les hommes se rencontrent seuls et se disent tout, il
n'aborda jamais un de ses amis sans avoir peur de lui entendre raconter, comme lui étant
arrivé, l'aventure qui était la sienne; et, cette chose qui pouvait arriver faisait surgir en lui une
perspective qui, dans les dix premières minutes d'une conversation, lui causait un léger
tremblement". 2
Si dans La Vengeance d'une femme, le Paris posé est celui d'un milieu intérieur
propre à la luxure, dans Une Vieille Maîtresse, nous avons un milieu social
mondain.
1 _Q P. 3221323.
2 _ Ibid P. 332

76
c) Le milieu mondain
Dans le milieu mondain d'Une Vieille Maîtresse, il n'est fait allusion à aucune
profession. C'est plus un monde de relations entre gens de la même société à
Paris "la plus spirituelle et la plus prosaïque des villes de la terre". 1
Si Vellini aperçue sur le boulevard n'a pas été l'objet d'attention de la part de
Ryno, il n'en est pas de même lorsque les obligations de la société mondaine
les convient à un souper chez le Comte de Mareuil. En effet, après le souper,
l'opinion de Marigny ayant changé, il s'attele à conquérir Vellini.
Le "duel" amoureux est une lutte spatiale car Vellini, par tous les moyens,
cherche à fuir Ryno parce qu'elle est choquée par les paroles de cet homme.
" .... Elle vous a en exécration. Je crois toujours qu'elle vous a entendu, au Boulevard, me dire
votre opinion sur elle, car il serait singulier que, sans une cause quelconque de ressentiment,
elle eût contre vous l'instinct répulsif dont elle est armée". 2
Si son opinion a .changé en faveur de Vellini, il n'en est pas de même pour
celle-ci. Aussi cherche-t-il à la conquérir en essayant de se rapprocher d'elle
pour la mieux séduire.
" ... Elle entendit pendant deux heures de ces choses contradictoires et folles qui attestent le
plus grand des amours, l'amour tout à la fois dominateur et esclave... Et , comme ne voulant
en dire ni en entendre davantage, elle se leva d'un mouvement rapide et alla se placer près de
son mari, qui buvait et jouait". 3
La conversation engagée par Ryno de Marigny tourne court. Cela constitue un
échec, une fuite, une rupture entre sa tentative et le résultat qu'il escomptait.
En homme déjà amoureux, il ne s'avoue pas vaincu.
Aussi tente-t-il de se l'approprier par personne interposée: "Jouer contre son mari,
c'était jouer contre elle. Sir Reginald, superstitieux comme la plupart des joueurs, comparait sa
1 _V.M. P. 76.
2 _ VM. P.121.
3 Ibid P 124.
-
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77
Malagaise à Joséphine, qui fut, dit-on, la cause mystérieuse de la fortune de Bonaparte.
Toujours est-il que ce soir-là, en se tenant auprès de lui, elle lui avait ramené le sort infidèle. De
tous les mouvements désordonnés qu'elle soulevait en moi, le plus fougueux, le plus irrésistible
était de répondre, n'importe comment, à cet air de défi qui respirait en toute sa personne et qui
mêlait dans mon cœur - exécrable mélange Iole sang de l'orgueil blessé aux flammes avivées
des plus inextinguibles désirs..." 1. Mais c'est un échec car il perd.
D'autres tentatives sont menées. A l'église Saint-Philippe-du-Roule, il y a
encore échec car" ... je n'avais même pu effleurer sa robe; et lorsque je m'avançai vers la
calèche où elle s'était recouchée, elle partait la figure à moitié cachée par le bouquet de
At
" 2
gene s....
A Passy, au hameau des Boulainvilliers, l'exaspération de Ryno entraîne un
duel où il est vaincu.
Tous ces échecs dans la conquête amoureuse de Vellini se posent en termes
de conquêtes spatiales. S'il y a échec, il n'est qu'apparent car l'opiniâtreté, la
persévérance agissent et aboutissent à la victoire finale. Vellini quitte son
espace pour le rejoindre dans son appartement. "En effet, marquise, c'était elle, chez
moi! assise sur le bord de mon lit. Comment y était-elle venue? Elle! Vellini, mon ennemie!
Celte femme cruelle qui avait voulu me voir mourir". 3
C'est à juste titre que Ryno s'écriera: "mais je n'avais pas de raison pour sortir d'un
appartement où Vellini venait tous les jours". 4
Ainsi de Paris, avons-nous des horizons divers: le milieu mondain côtoie le
milieu de la luxure, de la prostitution. Mais on constate l'absence du milieu
bourgeois. Faut-il y voir un rejet de la bourgeoisie de la part de l'écrivain?
Nous ne pouvons pas l'affirmer au stade actuel de nos recherches.
1 V.M P. 126/127.
2 Ibid
P. 132.
3 IbidP 149.
4 Ibid P 155.

78
4 - La Normandie
Si dans Les Memoranda ou les Disjecta Membra, Barbey a longtemps confié à
son ami Trebutien son amour de la Normandie, cette passion très forte pour
son "terroir" est également manifeste dans son œuvre romanesque.
En effet, l'on y retrouve une floraison de toponymes se situant dans un espace
précis: la Normandie. Ainsi, les divers indices spatiaux qui jalonnent son
œuvre romanesque dont la valeur référentielle est positive et ne fait aucun
doute se situent tous ou presque dans le toponyme Normandie. Par exemple,
dans Le Chevalier Des Touches:
" ... l'époque dont je vais vous parler, monsieur de Fierdrap, la grande guerre ainsi que nous
appelions la guerre de la Vendée, était malheureusement finie. Henri de la Rochejacquelein,
qui avait compté sur l'appui des populations normandes et bretonnes, avait, un beau matin,
paru sous les murs de Granville... Nul des chefs normands -et je les ai tous très bien connus-,
qui avaient, dans notre Cotentin, essayé d'organiser une Chouannerie à l'instar de celle de
l'Anjou et du Maine, ne le pensait, même dans ce temps où l'inflammation des esprits rendait
toute illusion facile". 1
Toute l'œuvre romanesque de Barbey d'Aurevilly comporte des dénotations et
des valeurs référentielles telles qu'à prendre ainsi l'espace aurevillien, celui-ci
donne un vraisemblable qui ancre l'énoncé romanesque dans une réalité extra-
textuelle. Dans cette optique, tous-les indices spatiaux peuvent se retrouver
dans un manuel scolaire de géographie ou d'histoire ayant un rapport avec
l'Ouest de la France, précisément la Normandie, la Manche avec Avranches,
Coutances, Saint-Sauveur-le-Vicomte, Valognes, Carentan, Granville, Rauville-
la-Place, Lessay, Blanchelande, la mer et ses grèves.
1 C DT P80/81.
- - - ------- --

79
a) Avranches
Barbey d'Aurevilly, dans son œuvre romanesque, évoque Avranches comme
"une petite ville proprette" avec des "rues étroites qui n'avaient pas alors de réverbères". La
description qu'il en fait est somme toute pauvre, voire banale.
C'est le premier lieu d'emprisonnement du Chevalier Des Touches de
Langotière. Seuls deux repères spatiaux méritant notre attention sont donnés
dans l'évocation de cette ville: la foire et la prison.
* La foire1
En effet, à Avranches, il s'y tenait "une grande foire de bœufs et de chevaux qui durait
trois jours ..." Et " ... d'une vingtaine de lieues à l'entour, il viendrait s'empiler et s'accumuler
dans cette petite ville proprette une masse compacte de bêtes et de gens qui rendrait la
surveillance d'une police bien plus difficile et qui devait augmenter épouvantablement le
désordre à l'aide duquel on voulait exécuter l'enlèvement". 2
Le lieu foire, en tant qu'indice spatial, s'inscrit dans le plan mis en place par les
Chouans pour délivrer Des Touches. De plus, la description sommaire qu'en
fait Barbey d'Aurevilly, tout en la construisant sur la base d'une isotopie
fondamentale, développe aussi une intense activité connotative. En effet, le
plan des Chouans se construit sur deux isotopies dominantes:
1 Selon M. Serres: " la foire, c'est la fête et ce n'est pas la fête. Foire ou fair, de teriae , jours fériés,
prévus ou ordonnés par le calendrier. C'est l'étymologie savante, détournée par la populaire. Car le mot
forain, pour ceux qui viennent à la foire, à la fête foraine, vient. pour les doctes, du latin toris , au dehors.
Comme cette rade foraine, ouverte aux vents et aux vagues du large, au désordre, au chaos. Ouverte à
l'étranger, à l'étrange, foreigners. Or le peuple a voulu des forains à la foire. Il ne veu1 pas faire la fête,
édictée au programme par la conspiration des pouvoirs, ce qu'il veut, c'est faire la foire. Il veut un grand
nombre, il veut le désordre, il peu1l'éparpillement, il cherche l'étranger.
La foire est un échangeur d'étrangers. Le commerce venu d'ailleurs. Désordre comme échange libre et
aléatoire, non fixé par des règles préétablies. Faire la foire ,c'est faire n'importe quoi. La foire est n'importe
où, n'importe quand. On fait la foire avec n'importe qui..."
M.Serres : Analyse spectrale in Revue Critique; Jan/Juil 1976, N° 349/350. P 569,
2 .C DT P 119.

80
La première s'articule autour de la promiscuité: les expressions "il viendrait
s'empiler et s'accumuler dans cette petite ville proprettte", "une masse compacte de bêtes et
de gens" "qui devait augmenter" "épouvantablement le désordre" auxquelles s'ajoutent
les suivantes : "La yille encombrée était pleine de gens, d'animaux et de voitures de toute
forme et de toute grandeur.
Les auberges et les cabarets regorgeaient d'Augerons, de bouviers, de porchers, qui
amenaient leurs bêtes pour la foire et dont les troupeaux s'amoncelaient dans les rues, rendant
le passage impossible, bouchant la porte des maisons, menaçant les fenêtres des rez-de-
chaussée, qu'on avait, dans beaucoup d'endroits, calfeutrées de leurs contrevents, par peur
d'enfoncement des vitrages sous la corne de quelque bœuf en courroux ou la croupe reculante
de quelque cheval effaré. Un instant retardées par leur accumulation aux angles des rues, au
resserement des venelles et aux tourniquets des carrefours, ces puissantes troupes de bœufs
et de chevaux reprenaient bientôt leur marche lente sous les pieds de frêne de leurs
conducteurs, et s'avancaient serrées si dru les unes contre les autres qu'on eût dit un fleuve qui
coulait. Le mouvement de ces masses de bêtes et de gens se faisait surtout dans un sens,
dans la direction du champ de foire, qui était la place du marché, à l'un des angles de laquelle
s'élevait la prison où était renfermé Des Touches". 1.
La seconde se développe suivant l'axe de la provocation de la part des
Chouans: "Là étaient, en effet, tout le secret et le moyen de l'enlèvement: jeter, n'importe
comment, toute cette multitude, les uns contre les autres, à travers les tentes renversées et les
animaux, fous d'épouvante!
Et, pendant cette immense ruée qui pouvait prendre les proportions d'une bataille d'aveugles et
devenir une tuerie, se glisser à trois ou quatre dans la prison, y délivrer le Chevalier et se
replier vivement sur les bois. tel était le plan simple et hardi, convenu à Touffedelys, mais que
l'aspect de la prison pouvait cependant modifier". 2
Ainsi deux éléments complémentaires -la promiscuité et la provocation-sont
nécessaires pour l'enlèvement de Des Touches enfermé à la prison.
1 C.D.T. P. 129/130 (nous soulignons).
2 -Ibid.. P. 132.

81
En effet, construit à partir du dehors ,- c'est l'origine latine du mot foire -ce lieu
est celui de l'ouverture par excellence et pour tous. Aussi ce lieu s'ouvre - t- il à
l'étranger comme à l'autochtone.Par conséquent, il est celui propice à tous les
dangers
celui de l'incertain, de l'étrange, (dans le sens qu'il est précisément
1
insolite, bizarre, curieux), de l'inconnu. Par ailleurs, la foire, lieu de "l'échange
libre et aléatoire, non fixé par des règles préétablies
se prête bien au désordre que
Il
souhaitent les onze Chouans afin de délivrer le douzième, Des Touches, qui
croupit dans la prison.
* La prison
. Elle était une "forteresse" selon le Baron de Fierdrap avec "ses deux tours qui
résisteraient, Dieu me pardonne: à du canon"1 Ses escaliers étaient en "colimaçon" et
de "vieux lierres couvraient les murs". Mais ses tours" étaient flanquées de constructions
d'une date plus récente, qui certes ! n'auraient pas résisté à une attaque vigoureusement
poussée". 2
La prison est présentée sous la forme d'une opposition : d'une part , la
forteresse, cette "geôle de granit humide. à peu près inflammable comme le fond
d'un puits" 3 et d'autre part, le "grand bâtiment de date plus moderne qui reliait les tours." 4
Sous l'opposition tours anciennes imprenables et constructions modernes se
dessine la faille qui permet de faire diversion.
En effet, si le feu, élément dévastateur, est un adjuvant pour les Chouans car
jls s'en servent pour faire diversion et être sains et saufs, quitte à tenter une
autre fois de sauver leur ami, c'est la robustesse de la prison où est enfermé
Des Touches qui est un obstacle à leur entreprise. Il en est de même avec
Madame Hocson qui leur barre le chemin par sa bravoure et son opiniâtreté.
1 CDT. P. 133.
2 Ibid P. 133.
3 Ibid. P. 148.
4 Ibid P.148.

82
En effet, "elle leur opposa une volonté aussi forte que ces murailles de la prison qui étaient
des blocs de granit". 1
Ainsi mettre le feu à la prison aurait enflammé Avranches "qui pouvait brûler tout
entier" car celle-ci "touchait aux premières maisons de la vieille ville, qui n'étaient pas de
granit, elles! qui auraient pris comme de l'amadou". 2
b) Coutances
Coutances est représenté dans l'œuvre romanesque de Barbey d'Aurevilly de
façon beaucoup plus importante que d'autres lieux du Coutançais. Elle est
évoquée dans "Ensorcelée. C'est la ville de "Surcouf le Corsaire". 3 Elle sert de
lieu de délimitation à la terrible lande de Lessay. En effet, ce lieu étrange est
" ... placé entre la Haie-du -Puits et Coutances". 4
Dans Le Chevalier Des Touches, elle est considérée comme une "ville morne"
caractérisée par "des réverbères très rares et, à de grandes distances les uns des autres". 5
Divers indices spatiaux la structurent, notamment l'évêché et la prison.
* L'évêché
C'est une ville "épiscopale, aux rues humides et étroites" 6. C'est à Coutances que
Sombreval "fut sacré prêtre" 7 et il "sortit du séminaire de Coutances avec les honneurs de
cette dispense d'âge que l'Eglise, dans sa prévoyante sagesse, accorde si largement à ceux
qui lui paraissent devoir être un jour les Macchabées du saint-ministère, il était, par le tait de sa
réputation de séminaire, presque un pouvoir parmi le clergé du diocèse - Que dis-je! il était
mieux qu'un pouvoir: il était une grande espérance- de tous les pouvoirs humains le seul peut-
être qu'on ne songe pas à contester !" 8
1 C.D.T. _P. 138.
2 Ibid P.149.
3 g". P. 40.
4 Ibid P 36137.
5 CDT. P. 178.
6~p. 40.
7 P.M. P. 39.
8 Ibid P. 39.

83
Ainsi on peut considérer, dans un premier temps, le lieu Coutances comme le
lieu euphorique par excellence pour Sombreval. C'est là qu'il s'élève vers Dieu
et dans l'échelle sociale: de fils de paysan, il devient un serviteur de Dieu.
N'est-ce pas cet "orgueil religieux (qui) finit par l'emporter sur l'autre orgueil et le ( le père
Sombreval) consola en lui répétant que ce fils sorti de lui DIRAIT LA MESSE! Fierté prise à la
plus sainte des sources et qu'on pardonne au cœur d'un chrétien" ! 1
C'est de Coutances qu'il rejoint Paris où il déçoit et chute. Cet abbé, en effet,
"semblait propre à tout - au vicariat le plus militant-, comme à la science la plus profondément
contemplative". 2
, De retour dans sa région natale, après son apostasie et l'achat du Quesnay,
c'est encore à Coutances que Sombreval va peaufiner et mettre à exécution
son imposture en allant s'humilier et demander pardon à Dieu pour faire le
bonheur de Calixte, sa fille. En effet, il alla s'enfermer" ... dans le séminaire de cette
ville que l'évêque du diocèse lui avait assigné pour lieu de retraite et de pénitence. A cette
époque, la Trappe de Briquebec n'était pas fondée encore. Sornbreval avait demandé avec
beaucoup d'insistance à être interné dans celle de Mortagne, mais l'évêque de Coutances,
flatté d'avoir un pénitent qui faisait honneur au diocèse, n'avait pas voulu qu'il quittât son Grand
Séminaire. L'abbé Sombreval y vivait dans la plus impénétrable solitude". 3
Les prédicats qualificatifs assigné, interné et solitude suggèrent que l'évêché
est devenu, pour Sombreval, un lieu de réclusion, un lieu-prison.
Il est celui qui paraît à Sombreval le mieux indiqué pour assumer son
imposture. L'alliance des mots isolement/réclusion et pénitence/zèle est
d'autant plus parfaite que tout, à l'intérieur (de sa chambre) comme à
l'extérieur, est Lin signe patent de sa "victoire" nouvelle sur Dieu et l'Eglise. Il a
réussi à leurrer tout le monde.
1 P.M P.39.
2 Ibid P.4O.
3 Ibid . P. 365 (nous soulignons).

84
Aussi "Timothée Lambinet, qui fait la chambre à tous nos messieurs, m'a bien des fois conté
qu'on voyait sur les murs de la sienne, blanchie à la chaux, comme une espèce de croûte faite
par les gouttes de sang qui y ont jailli et séché ... Oh ! Le voilà redevenu un rude chrétien, en
marche peut-être pour, plus tard, devenir un grand saint ! Qui sait les grâces de Dieu et ses
miséricordes 7" 1
Mais l'imposture ne réussira pas - par la grâce de Dieu- et Sombreval sera
"démasqué", car au Quesnay, la mort de sa fille va sonner le glas, la fin de sa
comédie. Coutances devient alors un lieu dysphorique. Si nous postulons, à
partir de coordonnées temporelles, que la dysphorie correspond à l'après et
l'euphorie à l'avant, l'on peut écrire que Coutances est à la fois le point de
départ de son itinéraire spirituel et le point d'arrivée de Sombreval. C'est de ce
lieu qu'il était promu à un bel avenir et c'est à partir de là que la chute véritable,
celle qui conduit à la mort, commence.
De plus, si l'on veut résumer les séquences, Coutances se distingue selon un
certain nombre d'oppositions significatives. En effet:
Avant--------------euphorie (prêtre)
Après--------------disphorie (imposture)
Avant ----COUTANCES -- Conjonction === Euphorie === Ascension
Après
Disjonction
Dysphorie
Chute
1 PM. P. 366.

85
Dans l'Ensorcelée, l'évêché de Coutances joue un autre rôle; celui de lieu de
récompense. En ~ffet, le "quatrième fils du Marquis de la Croix -Jugan, l'un des plus
anciens noms du Cotentin avec les Toustain, les Hautemer et les Hauteville" 1 aurait pu être
"évêque de Coutances sans la Révolution".2
Coutances est un lieu "où la guerre des Chouans a laissé une empreinte profonde". 3
C'est à la prison de cette ville que sera enfermé le Chevalier Des Touches
après son transfert d'Avranches.
* La prison: 2° lieu d'emprisonnement de Des Touches
La description sommaire de ce lieu, d'une façon générale, n'est pas
uniquement là pour donner l'illusion d'une réalité ou d'un effet de réel.
Elle est chargée de significations et a sa fonction dans la production du sens.
En effet, la prison comprend trois cours. La première "était une cour parfaitement
ronde, dont l'enceinte intérieure ressemblait à la cour d'un cloitre avec des arcades très basses
et des piliers trapus" 4.
Cette présentation autorise un non-dit. Cette première cour par l'homologie
instituée entre elle et celle d'un "cloitre" suppose un calme digne d'une église.
De plus, les "arcades très basses" donnent au lieu un sentiment de sécurité
comme si elles étaient une espèce de bouclier, de parapluie. Elles ont donc un
rôle protecteur car par leur forme, elles semblent re/couvrir les chouans sous
leurs ailes. De plus, l'immensité des piliers joue en faveur de ces "chasseurs du
roi" dans la mesure où ils peuvent facilement se dissimuler et progresser, sans
se faire voir, jusqu'au cachot de Des Touches. Tout semble mis en œuvre pour
la réussite de leur opération de récupération.
A cette première cour s'ajoutent une deuxième et une troisième au "fond" de
laquelle se trouve la geôle.
1 E. P. 124.
2 Ibid P. 98.
3 Ibid P.63.
4 C.D.T. - P. 181.
--_._--- -

86
A partir de ces éléments, l'on peut donner une interprétation symbolique des
trois cours de la prison où est enfermé Des Touches. En effet , si la
caractéristique commune à ces trois cours est le vide et que la présence d'un
gardien n'est pas un obstacle au succès de l'entreprise des Chouans, alors la
position du cachot du prisonnier, au fond des trois cours, suggère que la tâche
des amis de Des Touches est ardue. Pourtant, à bien lire le texte, l'on constate
qu'il y a une certaine exagération de la part de la narratrice car "d'une haleine" 1,
l'on arrive au cachot de Des Touches.
De plus, à Coutances, la relative négligence de la garde d'un prisonnier aussi
prestigieux, la mollesse d'un geolier qui n'est pas -il est vrai- "l'énergique Hocson
d'Avranches, avec son cœur désolé et implacable. " 2 concourent à assurer la réussite
de l'enlèvement.
La structuration de la prison met en relief un rétrécissement progressif au fur et
à mesure que l'on tend vers la geôle de Des Touches. On a l'impression que
plus l'on tend vers le cachot, plus l'idée de fermeture est forte. Cela comporte
l'illusion que la tâche des Chouans est difficile à réaliser.
La narration se structure sur cette contradiction apparente entre la difficulté de
la tâche à accomplir et les éléments extérieurs (garde) qui n'inclinent pas dans
ce sens.
Ailleurs, dans L'Ensorcelée, la prison de Coutances est un lieu craint par le
pâtre-berger. "Je ne vous toucherai pas! Ils diraient que je vous ai assassinée. si je portais
seulement la main à votre chignon, et je roulerais bientôt au fond de la prison de Coutances". 3
Si l'évêché et la prison de Coutances sont les deux repères spatiaux les plus
importants, divers autres indices spatiaux sont donnés à propos de Coutances.
Toujours dans L'Ensorcelée, Maitre Tainnebouy s'y rend pour affaires. Il
participe à la "foire Saint-Michel de Coutances. 4
1 C.D.T. P.181.
2 Ibid. P. 181.
3 L
P. 117.
4
rbidP51.
---

87
Coutances est donc une ville commerciale. C'est là que "le paroissien de maroquin
rouge, à tranche dorée, (... ) " 1 de Maîtresse le Hardouey a été imprimé.
C'est dans ce lieu que sera conduite Jeanne le Hardouey lorsqu'elle a été
ensorcelée. En effet, elle sera conduite "aux médecins de Coutances" 2 sans grande
amélioration de son état de santé.
Ce lieu sert également à la Croix-Jugan et à Jeanne le Hardouey à faire
diversion, à poursuivre une lutte désespérée pour la cause royaliste.
"Quand, à Blanchelande, on la croyait à Coutances pour quelque affaire de son mari, elle était
sur la côte, qui n'est éloignée de Lessay que d'une faible distance, et elle remettait elle-même
aux hommes intrépides qui, comme Quintal ou le fameux Des Touches lui-même portaient la
correspondance du parti royaliste en Angleterre, les lel1res de l'abbé de la Croix-Jugan". 3
On le constate, Avranches et Coutances sont abordées selon deux directions:
avec la foire, c'est l'aspect commerçant, et avec l'évêché, c'est la dimension
religieuse. Ces deux axes se retrouvent souvent dans l'écriture aurevillienne.
1 ~ P. 170.
2 Ibid
P.170.
3 Ibid
P. 1681169.

88
c) Saint-Sauveur-Ie- Vicomte
Elle est présentée comme une "bourgade jolie comme un village d'Ecosse"1. "Une
bourgade jetée nonchalemment les pieds dans l'eau, au bas d'une montagne, dans un pays
que je ne nommerai pas, et près d'une petite ville qu'on reconnaîtra quand j'aurai dit qu'elle est,
ou du moins qu'elle était, dans ce temps, la plus profondément et la plus férocement
aristocratique de France". 2 Maitre Tainnebouy vient "du côté de Saint-Sauveur-le
Vicomte" car il tient "à bailla grosse ferme du Mont-de -Rauville". 3 En R2, nous n'avons
pas grand détail topographique. Seulement est évoqué dans L'Ensorcelée,
surtout, son Vieux Presbytère.
* Le vieux presbytère
C'est un lieu très connoté. En effet, "le Vieux Presbytère ou ,pour parler comme on
parlait dans le patois de la contrée, le Vieux Probytère, était aussi redouté que la lande de
Lessay elle-même.C'était la ruine abandonnée, il y avait longtemps déjà, de l'ancienne maison
du curé, située dans un carrefour solitaire où six chemins aboutissaient et se coupaient à angle
aigu... On disait que c'était un lieu hanté par les mauvais esprits et qu'on y rencontrait parfois
de gros chats, qui marchaient obstinément à côté de vous, dans la route, et qui tout à coup, se
mettaient à vous dire bonsoir avec des airs fort singuliers". 4
La description qui en est faite se construit autour du prédicat qualificatif
"abandonnée". En effet, ce lieu revêt un air sinistre. Il suscite et crée un sentiment
de malaise pour un personnage comme Nônon Cocouan. De plus, il est
comparé à la lande de Lessay. Par le terme de comparaison "aussi ... que", une
équivalence est établie entre ce lieu et Lessay.
D'où Lessay = Vieux Presbytère.
1_LP 37.
2 Q_ P. 177.
3 LP.51.
41bid P. 100.

89
Situé "dans un carrefour solitaire où six chemins aboutissaient et se coupaient à angle aigu ":
tout prédispose ce lieu à être maléfique.C'est un lieu de superstitions et on "y
rencontrait parfois de gros chats qui ...se mettaient à vous dire bonsoir avec des airs
singuliers". De plus, les prédicats qualificatifs "lieu hanté" par les" mauvais esprits" le
désignent comme le lieu par excellence du fantatisque et du surnaturel.
Si la description de ce lieu est somme toute pauvre, il n'empêche que le
narrateur suggère une foule de choses qui nous préparent à accepter ce qui va
y arriver. Ce qu'il nous donne de ce lieu fournit des justifications précises à la
. rencontre insolite entre Maîtresse le Hardouey et le pâtre. C'est dans ce lieu,
en effet, qu'elle" aperçut un de ces bergers rôdeurs, la terreur du pays, occupé à faire
brouter à quelques maigres chèvres l'herbe rare qui poussait dans les cours vides de cette
espèce de manoir". 1
Si le vieux presbytère est un lieu de peur pour Nônon Cocouan , il demeure le
lieu d'attraction, le lieu de vie de ces pâtres, tout comme la lande de Lessay,
c'est le seul lieu qui leur est réservé. La rencontre entre Jeanne le Hardouey et
le pâtre, dans un lieu fortement connoté, propice à l'ensorcellement, autorise
qu'on puisse penser que le Vieux Presbytère est le lieu qui favorise
l'ensorcellement de Jeanne le Hardouey.Le Vieux Presbytère est donc un
espace spécifique à double fonction: il renvoie au christianisme en tant que
lieu de culte et c'estun lieu d'ensorcellement selon les croyances populaires.
1 ~ P.114.

90
* Le château du Quesnav
Le Quesnay peut être considéré comme faisant partie de la zone urbaine
délimitant Saint-Sauveur-Le -Vicomte qui en est le Chef-lieu. Ce qui est donné
du Quesnay, c'est ici du point de vue des villes car nous avons un chapitre "les
eaux" qui s'intéresse à son étang- son château même si la description est
assez disséminée dans le texte d'Un Prêtre Marié.
Dans l'approche spatiale que nous faisons du Quesnay, il nous faut admettre
qu'il y a un élément récurrent -le château- qui sera dénommé un thème-titre
spatial. En effet, ce lieu est le moule, le dénominateur commun à toutes les
différentes parties, à savoir les pièces du château: le salon de compagnie, la
chambre au lit rouge, la chambrette de Calixte, la cuisine des Herpin, le perron,
la grille du Quesnay, le laboratoire de Sombreval.
Si un regard est porté sur ces lieux, si l'on en énumère souvent les objets qui
s'y trouvent, c'est fondamentalement qu'ils jouent un rôle dans la signification
de l'histoire. Le château du Quesnay était la propriété des Du Quesnay, "... de
cette famille tuée par ses vices comme toutes les vieilles races, qui ne meurent jamais d'autre
chose que de leurs péchés". 1
" avait "un toit de châteaulin, d'un bleu noir d'hirondelle (qui) brillait à travers un massif de
saules dont les pieds et le flanc trempaient dans une pièce d'eau dormante, laquelle partant du
fond des bois profonds de cette terre boiseuse, s'avançait -en style de charretier, raz la route
qui passait sous le Ouesnayet menait du vieux bourg de B. au vieux bourg de s ..... 2.
De plus, "le Quesnay, aux murs blancs, posé au fond de la vallée comme la corbeille de linge
qu'une lavandière eût oubliée au bord de l'eau" 3; tous ces éléments structurent et
précisent le dit -lieu.
1 P.M P.35.
2 Ibid P. 32133.
3 Ibid P. 136.

91
Ils donnent assez bien une certaine image de ce lieu. En effet, la situation, à
proximité d'un étang, n'est pas un élément fortuit et , dans un chapitre ultérieur,
nous montrerons comment la connotation du Quesnay est révélatrice de sens.
Avant l'acquisition de Sombreval, le Quesnay était un lieu fréquenté: Néel y
jouait avec les demoiselles du Quesnay, ses cousines ; les mendiants y
recevaient quelque aumône. Mais avec Sombreval, ce lieu est devenu "une
maison morte. J'passons tous à la grille sans p'us y regarder que si le château s'était effrondré
dans l'étang ... Du pain de Jean Sombreval ! les chiens eux-mêmes n'en voudraient pas. C'est
bon pour des porcs et pas pour des chrétiennes !"1
-Aussi, le Quesnay est-il devenu un lieu réservé. C'est un "château fermé" où "les
rideaux strictement baissés à toutes les fenêtres de ce château silencieux, symbole en pierre
de l'isolement de ceux qui l'habitaient, ne laissaient jamais passer même une main..." 2
Les prédicats qualificatifs "fermé", "silencieux", et le substantif "isolement" donnent
du lieu l'image d'une prison, d'un endroit maudit strictement réservé aux bannis
que sont Sombreval et sa fille à cause du déicide du père..
Cependant, ce iieu que nous avons considéré plus haut comme un thème
spatial sert à un ensemble qu'on peut appeler des sous-thèmes spatiaux.
Il Y a d'abord la cuisine des Herpin, cette "grande pièce noire et terrée que la fumée
avait bistrée aux vitres et aux murs, autrefois blanchis à la chaux, et qui n'était alors éclairée
-rnais qui l'était vigoureusement de bas en haut-que par un vaste feu de pommier et de fagot
allumé sous une grosse marmite où bouillait le souper des gens". 3
C'est dans ce lieu que se fait la rencontre entre Sombreval et les fermiers du
Quesnay.C'est à partir de ce lieu que Sombreval fait une inspection de son
domaine. La cuisine est donc le point de départ.
1 P.M. P. 105/106.
21bid
P.83.
3 Ibid P 63.

92
En effet, "Jacques Herpin (y) prit donc une chandelle dans un flambeau de cuivre et conduisit
Sombreval partout où ce dernier lui dit d'aller. Il le pilota à travers les escaliers et les corridors
du château... lls visitèrent les appartements étage par étage, le fermier donnant au nouveau
maître les détails et les explications qu'il lu! demandait". 1
Ainsi, on passe du thème spatial -Ie château- à un sous-thème, la cuisine, à
ses différents éléments, aux personnages qui s'y trouvent au moment de
l'arrivée de Sombreval. La cuisine est qualifiée de noire, non entretenue, de
même que le château qui se délabre. Et "Sombreval semblait prendre un cruel plaisir à
voir l'état de délabrement de ce château dans lequel il s'était senti si écrasé et si petit pendant
son enfance, quand il y venait avec son père vendre le gibier tué sur son clos 2".
Un deuxième sous-thème spatial est donné: c'est la chambre au lit rouge où le
vieux Quesnay "nous libellait. ses quittances dans le temps". 3
Prendre possession du Quesnay est une victoire pour Sombreval. C'est une
revanche sur le sort, car, pauvre, il a dû lutter pour grimper dans l'échelle
sociale. De plus, la volonté de marier sa fille à un noble -Néel- n'est-elle pas
une sorte de revanche qu'il cherche à prendre également? Il semble une sorte
de précurseur pour briser les barrières sociales et l'esprit clanique.
C'est à juste titre qu'il dit: "Je sais tout aussi bien que toi la distance qu'il y a entre les
Néhou, l'honneur et la puissance de la presqu'i1e depuis des siècles, et des vestes-rousses,
des rien-du-tout comme les Sombreval.Pour ma part, je n'ai jamais donné dans cette chimère
de l'égalité entre les hommes, que tout dément, foule aux pieds et soufflette dans la société
comme dans la nature. L'observation et les faits m'ont appris la hiérarchie, l'impérieuse et
inflexible hiérarchie!" 4
La grille de la cour du Quesnay est un sous-thème spatial important dans la
structure romanesque d'Un Prêtre Marié.
1 PM. P.65166.
2 Ibid P.66.
3 Ibid P.67
4.!!2.i2. P. 180

93
C'est la porte d'ouverture, de liaison entre le Quesnay et les autres lieux
extérieurs au Quesnay.C'est le point de passage le plus fréquenté. C'est par là
que tous passent pour pénétrer au Quesnay. C'est dans ce lieu que se fait la
rencontre entre Néel de Néhou et les Sombreval. Après avoir été blessé par ce
dernier pour insolence, c'est là que Néel , soigné par Calixte, devient
amoureux. C'est dans ce lieu que son destin s'unit à celui da la fille de
.-
Sombreval, car il s'était "agrafé par un fol amour à cette enfant qui (l') entraînera dans sa
perte.t Vous êtes comme la chaîne de maisons que le même feu va dévorer ". 1
* Le perron du château
C'est un sous-thème à grande valeur. En effet, Néel après sa "folie polonaise"
vient y échouer. Avec ses chevaux nerveux, "ils se précipitèrent d'effarement et
d'angoisse sur les marches en granit du perron".2
Quand la Malgaigne accepte de rentrer au Quesnay, elle ne franchit point le
perron. Ce lieu devient une limite,
une frontière pour elle. Il est le frein,
l'obstacle qui l'empêche d'aller plus loin au Quesnay, En effet, la Malgaigne
"pleine d'un ressentiment farouche <s'écrie- "Moi! entrer chez toi, Jean! fit-elle. Tu viens de
murer la seule porte par laquelle j'aurais pu passer!" 3
On peut dire que ce lieu est celui de la rupture entre Sombreval et la grande
Malgaigne. Mais au delà de la rupture, il faut dire que c'est à partir de là que
naît le sentiment pour Sombreval de créer l'imposture.
La Malgaigne le lui suggère "Eh bien! ne me crois pas encore, mais donne à cette enfant,
mise, par toi, vivante dans le Purgatoire, de te savoir au moins délivré de l'Enfer!" 4 C'est
après cela qu'il s'en ira à Coutances demander pardon.
1 P.M.
P.135.
2 Ibid P.211.
3 Ibid
P.243.
41bid P.241/242.
-_._-----

94
* Les différents appartements
Ce sous-thème regroupe un ensemble assez vaste. Il renvoie à toutes les
pièces qui ont une prise directe sur l'histoire. Leur caractéristique commune est
le lit qu'on retrouve partout dans la maison. Il est lié à l'état de santé de Calixte.
Ils ne sont pas tous décrits; seule l'intimité du salon de compagnie et de la
chambrette de Calixte nous est présentée.
Si le salon de compagnie est devenu fort luxueux avec Sombreval, il n'en est
pas de même de la chambrette réservée à Calixte qui n'avait pas voulu de luxe,
cela en conformité avec sa foi de carmélite. Ce salon joue un rôle important
dans le roman. Il est le premier lieu -à l'intérieur de la maison- où Néel est
admis à s'installer. Il "s'étonna de voir dans cet ancien salon de compagnie des Du
Quesnay un grand lit doré sans rideaux, à la Louis XIV, recouvert de sa couverture
d'honneur ... " 1
Il Y est transporté et mis dans "ce lit doré" après sa "folie polonaise". De plus, à la
faveur de sa chute; c'est dans ce lieu que sont accueillis le Vicomte Ephrem,
les Lieusaint. Il est celui de la mondanité. Tous y sont reçus. C'est le lieu de
l'ouverture par excellence et de la conjonction entre tous, excepté Sombreval
qui n'y paraît pas tant qu'il y a des étrangers chez lui. On peut considérer, à
juste titre, ce lieu comme celui de la palabre. En effet, Calixte y règle le conflit
amoureux entre Néel et Bernardine de Lieusaint.La chambrette ne couvre que
onze lignes de description (P. 163).
Mais cela est suffisant pour rendre compte de son effet dans la trame de
l'histoire. Quoique "étroite", elle est quelque peu détaillée. Nous sommes
informés. non pas sur ses dimensions exactes, mais sur les objets qui s'y
trouvent. Aussi, est - elle "plus que simple", ne contenant qu'un "crucifix de grandeur
naturelle, couvrant tout un panneau et ressortant sur la tenture d'un violet profond".
1 P.M. P.110.

95
Tout concourt à faire de ce lieu, celui, par définition, de la prière. Les prédicats
qualificatifs et les expressions suivantes qui jalonnent le texte tendent à la mise
en relief de cet élément.
En effet, "sanctuaire virginal", "crucifix", "tenture d'un violet profond" sont de nature à
faire de ce lieu celui d'une certaine mystique. Il est donc fondamentalement un
lieu de recueillement pour "cet oiseau du paradis blessé par la vie (qui y) cachait
d'indicibles doufeurs".C'est à raison que Calixte y prie pour trouver la force
nécessaire en vue de contrecarrer l'amour naissant de Néel. En tant que lieu
"mystérieux et chaste", il est l'endroit où la révélation lui est faite de l'imposture de
son père. Lieu strictement réservé au départ, cet élément spatial devient par la
suite un des endroits les plus fréquentés par les croyants: Néel, l'abbé
Méautis. Seul Sombreval n'y pénètre pas car il n'a pas de raison de le faire.
* Le Laboratoire
de Sombreval est également décrit.
" est d'abord vu de loin à cause du feu qui brûle à ses lucarnes. Il est présenté
comme en plongée. "C'est donc le Quesnay que cette rangée de feu là-bas? dit le
Vicomte. Eh ! pardieu, oui, c'est bien le Quesnay! Ce sont les fourneaux, dans les combles, de
ce vieux souffleur de Sombreval qui a gagné, à ce qu'il paraît, toute sa fortune dans la chimie,
et qui continue son métier!" 1
Ensuite, il est présenté comme une "vaste mansarde sombre" . Enfin c'est "l'antre
enfumé d'un vieux chimiste" 2 avec "les cornues, les alambics, les piles de Volta se dressant
de tous les points de la chambre, les innombrables appareils qui ressemblent à des armes
chargées, bourrées , près d'éclater, de vomir la mort ; ces réservoirs étranges, ces vases
inouïs, aux lignes et aux contours fantastiques. chimères d'airain ou de cristal, les uns avec de
longs cous qui s'allongent ou qui se replient comme des serpents, les autres avec des ventres
1 PM P.228.
2 Ibid P. 264.

96
de bêtes pleines...ces fourneaux couverts de trépieds, surmontés à leur tour de vasques ou
d'appareils..." 1
Les prédicats qualificatifs "mansarde sombre" et "antre enfumé" donnent du lieu l'idée
d'un repaire, d'un lieu réservé à des "initiés".
Et l'étonnement de l'abbé Méautis s'explique précisément par le fait que" ce
pauvre curé de campagne, de sa vie, ne s'était pas vu dans un laboratoire de chimie ". 2
C'est donc le lieu de prédilection de Sombreval. Pour lui "sous ce toit, nous sommes
en sûreté". 3 Sombreval s'identifie à ce lieu. Aussi, "à présent, il se sentait chez
l'homme qui faisait peur à toute la contrée". 4 Alors qu'au "Quesnay, il ne s'était senti que
chez Calixte".L'opposition entre "chez Calixte" et "chez Sombreval" pour Méautis se
résume à une opposition entre lieu tabou et lieu public.
Quesnav
Calixte
Public
Laboratoire
Sombreval
Tabou
L'abbé Méautis en y étant reçu joue un double rôle. D'abord, il est le premier à
y mettre les pieds. Ensuite, c'est le signe que quelque chose va s'accomplir. En
effet, c'est après leur rencontre que Sombreval accomplit son imposture. Dans
ce lieu s'accomplit un grand dessein.L'on peut suggérer également que la
venue de l'abbé Méautis dans un tel lieu est le signe patent que la religion
envahit l'espace de la science; ce qui entraîne (peut - être) un compromis entre
les deux réalités: science et religion; une compromission même, d'où
"l'imposture" de Sombreval.
1 P.M. P. 2621263.
2 Ibid P. 262.
3 Ibid
P 262.
4 Ibid P. 264.

97
ct) Valognes
Si un lieu toponyme est fortement prégnant dans l'univers romanesque de
Barbey d'Aurevilly, c'est bien celui de Valognes qui y fonctionne comme un
élément récurrent, un phénomène répétitif. D'un point de vue quantitatif, ce lieu
sert de cadre à quatre nouvelles et à un roman.
En effet, dans Les Diaboliques, sur les six nouvelles qui constituent le recueil,
trois ont pour cadre Valognes, auxquelles nous pouvons ajouter une quatrième:
Le Rideau cramoisi. Nous considérons que dans cette nouvelle, à travers la
description qui est faite d'Evreux, il faut plus y lire en fait celle de Valognes, car
"dans cette petite ville très peu riche. et qui n'avait pas de commerce et d'activité d'aucune
sorte, que d'anciennes familles à peu près ruinées, qui boudaient l'Empereur, parce qu'il n'avait
pas ,comme elles disaient, fait rendre gorge aux voleurs de la Révolution, et qui pour cette
raison ne fêtaient guère ses officiers.Donc, ni réunions, ni bals, ni soirées, ni redoutes. Tout au
plus, le dimanche. un pauvre bout de Cours où ,après la messe de midi, quand il faisait beau
temps. les mères allaient promener et exhiber leurs filles jusqu'à deux heures, - l'heure des
vêpres, qui,
dès qu'elle sonnait son
premier coup, raflait toutes les jupes et vidait ce
malheureux Cours". 1
L'atmosphère de cette petite ville dans Le Rideau cramoisi est très proche de
celle de Valognes qui est donnée dans d'autres nouvelles comme Le Dessous
de cartes d'une partie de Whist, Le Bonheur dans le crime, A un dîner d'athées.
Dans Le Chevalier Des Touches._~nous avons une atmosphère semblable.
Dans Le dessous des cartes d'une partie de whist écrite en 1850, nous
rencontrons une description longue, assez nette de Valognes. Ailleurs dans les
autres écrits, concernant Valognes, ce lieu se construit sur une isotopie, celle
de la petite ville aristocratique.
1 JL P 45/46.

98
En effet, surtout dans Le Bonheur dans le crime et Le dessous de cartes d'une
partie de whist une allusion est faite au nombre de nobles qui l'habitent.
"Cette petite ville de six mille âmes qui, avant, 1789, avait cinquante voitures armorées, roulant
fièrement sur son pavé". 1 Et "la ville était. comme on disait alors, plus royaliste que le Roi.
Proportion gardée avec sa dimension (ce n'est guère qu'une ville de cinq à six mille âmes) " .2
Si le nombre des habitants (six mille âmes) justifie l'idée de "petite ville", il faut
voir, à travers, les prédicats fonctionnels "elle foisonnait de noblesse", "ville qui s'était
appelée la bretteuse .... la ville la plus bretteuse de France", plus royaliste gue le Roi" la
matérialisation
et la justification
"d'aristocratique ville". De plus, le
comportement des nobles de ce lieu Valognes permet de corroborer l'idée d'
"aristocratique ville".
En effet, "il semblait qu'en se retirant de toute la surface du pays, envahi chaque jour par une
bourgeoisie insolente. l'aristocratie se fût concentrée là, comme dans le fond d'un creuset, et y
jetât, comme un rubis brûlé. le tenace éclat qui tient à la substance même de la pierre,et qui ne
disparaîtra qu'avec elle". 3
Valognes est considérée comme "un nid de nobles" . Les qualificatifs et les
prédicats fonctionnels suggèrent de Valognes celui de lieu fermé, réservé à une
classe sociale donnée: les nobles.Ainsi, "hors de son sein, ceUe noblesse, pure
comme l'eau des roches, ne voyait personne ... Ils se voyaient donc entre eux et ne voyaient
qu'eux et quelques Anglais" 4. Cette idée est fortement reprise dans A un dîner
d'Athées où le vieux Mesnigrand "vivait retiré de toutes compagnies ... "
1 0
P. 177.
2 Ibid P. 121.
3 Ibid
P 177.
4 Ibid P.178.

99
Dans Le Bonheur dans le crime, la Comtesse de Savigny" ... , qui ne savait rien de
rien que ceci: c'est qu'elle était noble, et qu'en dehors de la noblesse, le monde n'était pas
digne d'un regard" 1 renforce cette idée de "lieu fermé".
Les nobles, à travers leur réclusion, par leurs actes, font de Valognes "une ville-
prison ... et une ville refuge" .2
Il en ressort que l'aspect qui se dégage de l'étude de Valognes présente
l'image d'un lieu fermé, étroit où ,"l'esprit de caste domine" .Aussi, ces nobles
emmurés "dans la forteresse de leurs hôtels qui ne s'ouvraient qu'à leurs égaux, et pour qui
la vie finissait à la limite de leur caste. Qu'importait ce qu'on disait d'eux, plus bas qu'eux? ...
ils ne l'entendaient pas" 3 justifie la valeur axiologique du lieu fermé qu'est
Valognes.
On peut, à partir de cette approche sommaire, dire que le lieu Valognes pose
une bipartition: lieu des nobles et lieu des autres (bourgeois et les autres).
Mais si l'on ne considère que le lieu réservé aux seuls nobles, il faut distinguer
aussi une autre bipartition; ceux qui se mettent en marge de la société comme
le Comte de Savigny avec Hauteclaire Stassin qui, pour vivre heureux, ne
rendent visite à personne, et les autres nobles.
"Quand ils revinrent mariés, elle, authentiquement Comtesse de Savigny, et lui, absolument
déshonoré par un mariage avec une servante, on les planta là, dans leur château de Savigny.
On leur tourna le dos. On les laissa se repaître d'eux tant qu'ils voulurent. ..li 4
Ainsi la situation du lieu Valognes fonctionne sur un double registre : un
premier qui distingue les nobles des autres et un second qui oppose les nobles
entre eux; ceux qui se fréquentent entre eux, d'où lieu social et ceux qui sont
rejetés ou mis au ban de la société, d'où lieu asocial.
1QP141.
2 J. Petit Barbey d'Aurevilly 1, 1966 P 7.
3
Q P 180
4
ibid P 165.

100
Si une projection est faite sur ces lieux (comme au cinéma), si l'on énumère les
objets, c'est parce qu'ils ont un rôle de premier ordre dans la signification de
l'histoire. Ils servent aux différents narrateurs pour la mise en place d'un sens
au récit.
Dans l'évocation de Valognes, deux sous-thèmes spatiaux méritent analyse.
Ce sont les châteaux dans Le Chevalier Des Touches et dans Le Bonheur dans
le crime, ainsi que la salle d'armes de Valognes dans la dernière nouvelle citée.
* Le Château des Touffedelys
C'est d'abord un lieu réservé à une classe donnée: les Chouans par opposition
aux
Bleus. Ensuite, il joue le rôle de quartier général dans la stratégie de
l'enlèvement du Chevalier Des Touches. En effet, tout y est conçu et tout se
ramène à ce lieu.D'un point de vue spatial, il occupe une position stratégique
dans la mesure où il "n'était pas à beaucoup plus de trois heures de marche d'Avranches
pour un homme allant d'un bon pas". 1
La description' du château des Touffedelys est très brève. Quelques lignes
seulement, lesquelles mettent davantage l'accent sur sa configuration que sur
tout autre élément. "Entouré, du côté de cette ville, des masses profondes de ces grands
bois dans lesquels les Chouans aimaient à se perdre pour se retrouver dans leurs clairières, et,
du côté opposé, par ces espèces de dunes mouvantes nommées bougues qui aboutissaient à
la mer et à ces falaises dont les hautes et étroites jointures avaient été souvent, pour Des
Touches et son esquif, des havres sauveurs, ce château, qui avait le double avantage des bois
et de la mer, fut choisi naturellement par les Douze comme point de retraite ou de refuge dans
l'expédition qu'ils projetaient, et il fut convenu parmi eux qu'on y ramènerait le chevalier Des
Touches, si on parvenait à l'enlever". 2
Les prédicats prépositionnels "du côté de cette ville" et "du côté opposé" la délimitent
figurativement. A cela, il faut ajouter le prédicat qualificatif "entouré".
1 C.D.T P. 115.
2 Ibid P. 115.

101
Ces prédicats le singularisent et lui donnent l'image de lieu clos, favorable aux
Chouans qui s'y sentent à l'aise, en lieu conquis.
La proximité de la mer met en relief l'idée d'échappatoire au cas où les ennemis
(les Bleus) s'y risqueraient. Et cet élément -la mer- sur lequel nous reviendrons,
permet d'affirmer qu'il joue chez Barbey d'Aurevilly un rôle d'adjuvant.
L'on remarque que la description du sous-thème spatial "château" fonctionne
sans "nomenclature subséquentet." Cela pourrait se justifier par le fait qu'il y a,
certes, volonté d'illusion de réel, mais ceci n'est pas fondamental et
indispensable à la suite du récit. Si le château des Touffedelys joue un rôle de
lieu stratégique militaire, de cache d'armes pour les Chouans, il ne faut pas
oublier qu'il est également le lieu de célébration du mariage d'Aimée de Spens
avec M. Jacques.En effet, c'est pendant la veillée d'armes pour la deuxième
expédition que se déroule ce mariage unique et sublime à la fois, "dans ce temps,
où il n'y avait plus de chapelle à Touffedelys pour le faire et à dix lieues à la ronde de prêtre pour
le célébrer ... " 2
*. Le Château de Savigny
C'est un lieu à part dans la mesure où il est à l'écart de la ville de V ... Il s'y
passe des choses fort louches; en effet, là ,la Comtesse de Savigny meurt
empoisonnée par l'amante de son mari, Eulalie (Hauteclaire Stassin).
Cependant, il importe de souligner que c'est le lieu de l'amour par excellence.
D'abord, entre Serian et Delphine de Cantor, la Comtesse.
Ensuite, entre SerIan et Hauteclaire Stassin ; car ceux-ci faisaient des armes
"entre amants qui s'étaient aimés les armes à la main et qui continuaient de s'aimer ainsi" 3.
1 J. M.Adam / A.PelitJean: Pratiques, Juin 1989 P 85.
2 CD T
P 163.
3 Q P. 150.

102
Ce château est un lieu réservé aux seuls Savigny; et une fois les Savigny mis
au ban de la société, ce lieu devient clos mais cet état est valorisé justement
par les personnages que sont le Comte de Savigny et Hauteclaire Stassin
(Eulalie).
Le château est aussi le lieu du crime passionnel, car Hauteclaire Stassin , pour
posséder et avoir Serlon à elle seule, n'hésite pas à empoisonner la véritable
Comtesse Delphine de Cantor avec la complicité de Serlon.
* La salle d'annes
La salle d'armes ou "salle d'escrime" est un lieu à valeur dénotative importante par
le sport qui s'y pratique et par le fait qu'elle est fréquentée par une couche
sociale donnée: les nobles et les gens d'armes (officiers ... ).
Après la mort de "La pointe au corps", c'est au tour de Mademoiselle Hauteclaire
Stassin de continuer l'œuvre entreprise par son père, continuer à faire
fonctionner la salle d'armes. Elle devient ainsi la seule fille parmi tous ces
hommes. Ce' qui la particularise et en fait un objet d'attraction pour tous ces
mâles en quête de conquêtes et d'aventures.
La salle d'armes devient alors un lieu clos pour elle, car elle n'en sort pas (sauf
pour les promenades du dimanche et pour aller à l'église). C'est un lieu de
masque, chacun des combattants porte un masque pour se protéger la face
pendant l'escrime. Hauteclaire côtoie tous ces gens nobles mais elle ne connaît
pas les sentiments qui les animent. La salle d'armes constitue pour elle, un lieu
de sécurité et un lieu de rencontre. En effet, c'est dans ce lieu où elle est en
contact avec tous ces nobles, jeunes et vieux, que lui sera amené un jour le
Comte Serlon de Savigny, "le prétendu de Delphine de Cantor".

103
C'est après cette rencontre, et dans ce lieu que naît l'amour fou entre ces deux
amoureux intrépides et fougueux. Si "on ne peut pas vous toucher, mademoiselle, lui dit-
il avec beaucoup de grâce -serait-ce un augure ? " 1 est le moment précis
de la
séduction entre Serian qui vient d'un ailleurs (il a été élevé loin de V ... ) et
Hauteclaire Stassin ; il va sans dire que cet amour occasionne un meurtre, celui
de Delphine de Cantor.
1..QP129.

104
IV - Les zones rurales
D'un point de vue étymologique, l'espace rural est celui des "campagnes". Il est le
théâtre d'activités principalement agricoles et forestières.
Cette approche-simpliste - ne peut pas rendre compte de la diversité du fait
rural contemporain ; cependant, il permet - au moins - de poser le rural par
opposition à l'urbain.En effet, pour chaque individu, l'espace rural, en général,
constitue une réalité sensible et personnelle perçue sur la base de critères en
partie subjectifs. Selon les cas donc, la "campagne" n'a pas la même valeur
-topologique. En conséquence, la perception de l'espace rural comporte aussi
bien des zones de recouvrements que des zones de litige. Pour nous, il sera
pris simplement comme un "objet construit" 1 tout comme un objet sémiotique.
Sur cette base donc et à l'instar des zones urbaines, nous pouvons affirmer
qu'il existe, dans l'œuvre romanesque de Barbey d'Aurevilly, une profusion de
lieux s'inscrivant dans la dénomination zone rurale.
Dans l'oeuvre romanesque de Barbey d'Aurevilly, l'espace rural est fortement
valorisé car y vivent non seulement des agriculteurs mais aussi d'autres
groupes sociaux tels que les artisans (forgerons, teinturiers), les lavandières,
les pêcheurs, les herbagers...
Barbey d'Aurevilly, déjà dans Amaïdée, récit de jeunesse, s'extasie devant:
"Les campagnes couvertes de blés jaunissants et de haies fleuries (qui) tiédissaient des
dernières lueurs et des derniers murmures: de chaque buisson lointain, de chaque bleuâtre
colline, montait un chant d'oiseau et de voix humaine, dont le vent apportait et mêlait les débris
avec la fleur des châtaigniers et la feuille roussie et détachée du chêne; la vie de l'homme
redoublant ainsi la vie profonde du paysage. Au pied de la falaise, où la Nature avait creusé un
havre pour les vaisseaux en détresse, les pêcheurs traînaient leur barque sur la grève, le dos
. tourné à l'occident splendide qu'ils n'interrogeaient pas pour le lendemain ..." 2
1Collectif : L'espace rurallrancais , Masson, 1978, P 81.9.
2
Barbey d'Aurevilly, Amaïdée, la Pléiade, T2, p. 1127/128.

105
Cette vue du paysage rural - relatif à sa jeunesse - s'accentue dans les œuvres
de la maturité comme Une Vieille Maîtresse (deuxième partie) ,l'Ensorcelée, Un
Prêtre Marié, Le Chevalier Des Touches. Une histoire sans nom. Ce qui ne
meurt pas...
Dans ces oeuvres, la campagne, la vie de province sont les éléments
fondamentaux du topologique.Si l'on a longtemps considéré L'Ensorcelée, à
juste titre, comme le roman de la lande (elle y joue le rôle de personnage
principal ), il ne faut pas oublier que cela n'a été possible que parce que cet
élément topologique s'inscrit dans la zone rurale. Et l'apparition de l'abbé de la
Croix-Jugan, dans un tel lieu, n'est pertinente que parce que ce lieu s'inscrit
dans un univers rural propice au fantastique.
"L'Ensorcelée est le poème de la lande, le chant de l'horizontalité terrienne. Comme toujours,
c'est bien plus qu'un décor (...) ;non seulement la lande est en correspondance avec le sujet,
physiquement projeté, inscrit dans les apparences du monde, dont elle exprime visuellement la
substance intérieure. Elle ne se contente pas de favoriser le drame, elle le suscite et ne s'en
distingue pas. Sans elle, l'histoire de Jéhoël et de Jeanne n'a plus de sens; c'est elle qui la
sécrète, elle est le lieu de l'ensorcellement"."
Ainsi le paysage rural occupe une place de choix dans l'écriture romanesque
de Barbey d'Aurevilly. Ces paysages ruraux que sont le Clos, Blanchelande, le
Vieux Presbytère, la bijude de la grande Malgaigne, le Bas-Hamet... situés tous
dans le Cotentin normand ont longtemps hanté notre écrivain qui a su les
transformer en "personnages" ayant une fonction et jouant un rôle dans son
œuvre.
Pour nous permettre d'aborder les zones rurales, nous partons de la
nomination du lieu, car elle est une indexation du récit sur le réel.
1Ph Berthier, Barbey d'Aurvilly et l'imagination, Genève, Droz, P; 63.
'--------........------- - - ------

106
Dans cette optique, nous considérons que ". .. la stabilité du nom est un élément
essentiel de la cohérence et de la lisibilité du texte, assurant à la fois la permanence et la
conservation de l'information tout au long de la diversité de la lecture". 1
Chez Barbey d'Aurevilly, l'une des caractéristiques les plus communes du lieu
est son pouvoir d'Illusion réaliste. Et en parcourant le Cotentin réel, nous
trouvons, en nous, un écho similaire. Par cela donc, le lieu aurevillien favorise
l'indexation du récit sur le réel.
En effet, dans son œuvre romanesque, les lieux sont très souvent mentionnés
sous la forme du nom propre ou du nom commun: Blanchelande, son abbaye,
le Vieux Presbytère ..., ces lieux, dans leur face signifiante, ne se distinguent
guère du personnage; ce qui est dit de l'un se révèle très largement vrai pour
l'autre. A ce niveau, nous espérons, dans un chapitre ultérieur, justifier notre
propos. Pour l'instant, intéressons-nous aux différents lieux des zones rurales.
Cependant, il nous faut repérer deux sous-groupes que nous nommons dans la
suite du travail. Pour certains noms de lieux à fondement géographique, la
compétence culturelle du lecteur est sollicitée. En effet, chez Barbey
d'Aurevilly, " '" à l'irréalité obsessive des instants, à la fugacité des êtres, à l'inhumanité
apparente des destins, une Normandie terrienne, accessible et humaine. tout en étant légère et
secrète..." 2 a besoin d'être décodée. C'est dans la pratique de ce décodage que
nous incluons Blanchelande et son abbaye dans le Cotentin. Et pour une
meilleure efficacité du principe de décodage, nous distinguons les lieux à
référent géographique réel de ceux pour qui le référent n'est que fictif.'
1 A. Gardies, L'espace, texte inédit.
2 J. H. Bomecque : Paysages extérieurs et monde intérieur dans l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly P 21.

107
1) Les lieux à référent géographique réel.
Ils ont un rôle d'ancrage référentiel et d'effet de réel. Ils entrent dans le texte
chargés d'un sens antérieur. A bien considérer tous les grands romans de
Barbey, que ce soit Une Vieille maîtresse, L'Ensorcelée, Un Prêtre Marié, Le
Chevalier Des Touches, Une histoire sans nom ou Une Page d'histoire, l'on
constate que ces écrits sont ancrés dans un espace "vérifiable", dans un espace
géographique réel, "le Cotentin" ; ce qui leur assure une évidente fonction
réaliste.
Balzac procédait ainsi. Il prenait le plus souvent le soin d'ancrer, avec des
détails vrais, les lieux et les personnages de La Comédie Humaine dans des
villes et des espaces toujours vérifiables.
Chez Barbey, la fonction référentielle du nom géographique est un élément
important. Ne disait-il pas: "... romans, impressions écrites, souvenirs, travaux, tout doit
être normand pour moi et se rattacher à la Normandie ... Quand ils disent de partout que les
nationalités décampent, plantons-nous hardiment, comme des Termes, sur la porte du pays
d'où nous sommes et n'en bougeons pas !" 1
* L'abbaye de Blanchelande
Ce lieu romanesque entre dans le texte de L'Ensorcelée chargé d'un sens
antérieur. En effet, cette abbaye avait été ";.. fondée au douzième siècle, par le favori
d'Henri Il, roi d'Angleterre, le Normand Richard de la Haye, et par sa femme, Mathilde de
Vernon, cette abbaye, voisine de Lessay et dont on voyait encore les ruines il y a quelques
années, s'élevait autrefois dans une vallée spacieuse, peu profonde,c1ose de bois, entre les
paroisses de Varenguebec, de Lithaire et de Neufmesnil ,,2..
1 Barbey d'Aurevilly: Oeuvres romanesques complètes, la Pléiade, tome 2,P 1047.
2 LP38.

108
Lorsqu'on consulte un manuel d'histoire relatif à la France en général, et au
Cotentin, en particulier, l'on retrouve aisément les noms d'Henri \\1 et de Richard
de La Haye.
De plus, du point de vue de la topologie, Neufmesnil, Lithaire ou Varenguebec
se situent tous dans un espace géographique bien déterminé: le Cotentin.
On le voit bien, ce lieu, l'abbaye de Blanchelande "pénètre" dans le récit de ce
prêtre chouan avec des acquis, des présupposés qui se fondent sur une
référence historique. Il est, par là même, déjà déterminé:
"... Quoi ill!1Len fût à cet égard, si Q!l.en croyait les irrévérencieuses chroniques de la contrée,
le monastère de Blanchelande n'avait jamais eu de virginal que son nom. On racontait tout bas
qu'il s'y était passé d'effroyables scènes quelques années avant que la Révolution éclatât"1 .
L'emploi du pronom indéfini on suppose l'existence de personnes éloignées
dans le temps ou dans l'espace, excluant celui qui parle. \\1 y a donc l'antériorité
du fait par opposition au présent du texte.
A l'emploi de on s'ajoute l'impersonnel LLqui joue le même rôle sémantique. Le
passé de l'abbaye de Blanchelande est antérieur à ce qui se déroule au temps
de la Croix-Jugan.Aussi, un tel lieu, parce qu'il renvoie à une activité historique,
parce qu'il a son répondant dans un ordre social, entre dans le récit
romanesque de L'Ensorcelée déjà plein et déjà déterminé.
C'est pourquoi "... faux ou vrais, ces prétendus scandales aux pieds des autels, ces
débordements cachés par le cloitre, ces sacrilèges que Dieu avait enfin punis par un
foudroiement social plus terrible que la foudre de ses nuées, avaient laissé, à tort ou à raison,
une traînée d'histoires dans la mémoire des populations, empressées d'accueillir également,
par un double instinct de la nature humaine, tout ce qui est criminel, dépravé, funeste, et tout ce
qui est merveilleux".2 A un niveau dénotatif donc, l'abbaye de Blanchelande
accède aux sens porteurs de ses valeurs sociales et culturelles.
19, P 39
2 Ibid P. 39.(nous soulignons).

109
:« Le vieux presbytère
Le fonctionnement de ce lieu s'apparente à celui de l'abbaye de Blanchelande.
Nous savons qu'il est "aussi redouté que la lande de Lessay elle- même","lieu hanté par
les mauvais esprits", il vient également dans le récit romanesque avec des
"acquis", des présupposés qui font de ces lieux, favorables aux "dieries", des
lieux propices et nécessaires au merveilleux et au fantastique qui jalonnent les
récits aureviliiens.Ces lieux se voient donc octroyer une première couche de
sens. Nous pouvons dire que ces lieux "demandent à la fois à être reconnus comme
tels mais là ne s'arrêtent pas leur pouvoir sémantique, ils demandent, aussi, à être compris
parce qu'ils entrent dans un système de relations internes construit par l'œuvre". 1
Ainsi, le lieu qui réfère à un nom géographique réel s'articule sur un savoir
culturel extérieur au texte.
A cette catégorie de lieux à référent géographique réel, ajoutons des lieux
comme Taillepied et son église, Néhou dans Un Prêtre Marié; Lessay dans
l'Ensorcelée :Barneville, le village des Rivières - Le Bas-Hamet, Carteret dans
Une Vieille Maîtresse. L'apparition de ces lieux dans l'univers romanesque
aurevillien nécessite de la part du lecteur-analyste un certain nombre d'acquis,
un savoir culturel qui l'amène à situer ces lieux dans le Cotentin normand. Ces
lieux ont une existence physique réelle dans la mesure où nous les retrouvons
en Normandie, du côté de Carteret en allant vers Barneville. Ils constituent,
aujourd'hui avec Carteret, une zone urbaine de moyenne importance prisée par
les touristes anglais car, faut-il le rappeler, Carteret a face à elle, de l'autre côté
de la mer, Jersey et Guernesey.
1Ph. Hamon: "Pour un statut sémiologique du personnage" in Poétique du récit, Seuil, p. 127/128.

110
2) Les noms de lieux à référent fictif.
Ils alimentent largement l'écriture romanesque de Barbey d'Aurevilly. Les
signes locatifs que sont le Clos, la cabane de Clotilde Mauduit, la demeure du
prêtre chouan ... sont dans le texte de l'Ensorcelée des signes vides dès le
départ. C'est progressivement qu'ils se chargent de significations grâce
justement aux relations qui existent dans l'œuvre.
* La demeure de Clotilde Mauduit
Elle n'est rien d'autre qu'une cabane située
à quelques pas du bourg de
Blanchelande, la seule chose qu'elle eût au monde avec un petit courtil, dont elle faisait vendre
les légumes et les fruits, et elle vivait là dans une méprisante et sourcilleuse solitude ..." 1
Le lieu peut se situer n'importe où. En effet, le groupe prépositionnel," à quelques
pas", laisse planer une imprécision sur la référence du lieu.
Il est vrai que sa situation se fait par rapport à un repère, Blanchelande, mais
l'on ne peut déterminer avec précision, sa position locative.
Signe vide dèsle départ, c'est avec les parcours de Jeanne le Hardouey et du
prêtre Chouan que ce lieu prend une valeur importante dans le récit. Il devient
un lieu de rendez-vous entre la Croix-Jugan et Jeanne le Hardouey ; le lieu
d'une hypothétique reprise des hostilités entre les Bleus et les Chouans.
En effet, "L'abbé de la croix-Jugan faisait depuis plus de six mois servir Jeanne le Hardouey à
ses desseins. Il la voyait fréquemment chez la Clotte. Il avait jugé, sans doute, avec ce regard
suraigu des hommes appelés à gouverner les autres hommes; car, d'après toutes les
observations de la Comtesse de Montsurvent, il était de cette race-là, le profit qu'il pouvait tirer
de Jeanne Madelaine. Mariée comme elle l'était à un cultivateur herbager, elle pouvait, sous
prétexte d'aller au marché de Coutances et aux foires du pays, porter des lettres, des
informations, des signaux convenus, aux chefs du parti royaliste cachés ou dispersés dans les
.
" 2
environs...
1 g, p.133
2 Ibid P 164/165.

111
* La demeure du prêtre défiguré
Elle appartient au "bonhomme Bouêt". Elle est "tout contre le Prieuré". Par sa
présentation, l'accent est mis sur la solitude du lieu comme chez la Clotte
Ici, la solitude renforce l'idée d'indépendance, d'autonomie du prètre-chouan : il
peut se permettre beaucoup de choses, car il n'est interdit de rien sauf qu'il ne
doit point manquer les messes. L'éloignement du bourg de Blanchelande, son
esseulement et la nature du prêtre guerrier sont donc nécessaires pour la suite
de l'histoire et du récit.
Venir "habiter Blanchelande, à côté des ruines de son abbaye, et racheter, par une vie
exemplaire. le crime de son suicide et sa vie de partisan" 1 est une volonté expiatoire de
la part du prêtre-chouan qui a manqué de se suicider.
De plus, "l'abbé, homme de parti d'une grande importance, chef de Chouans, devait, à cette
époque où la guerre venait de finir, mais où la pacification n'était pas encore à l'épreuve du
premier espoir qui pouvait renaître, se trouver placé sous la surveillance d'une administration
inquiète. A Blanchelande, à Lessay, pays perdu, il était moins exposé à cette vigilance,
nécessairement tracassière, que tous les gouvernements menacés exercent, sans qu'on puisse
justement la leur reprocher". 2
Ainsi, on le voit, l'éloignement des lieux bruyants et mondains, est une
nécessité pour l'abbé-chouan. C'est un facteur d'importance comme s'il voulait
se cacher des regards inquisiteurs de la société afin de se cantonner dans un
lieu où, libre de tout, il pourrait faire "renaître" les conditions d'une reprise de la
guerre. On peut supposer qu'être à Blanchelande est un repli stratégique pour
ce prêtre qui n'a pas cessé d'être un guerrier, un militaire.
1 s.. P 127.
2 Ibid P 128.

112
A travers ce repli, deux objectifs sont visés: expier d'une part son crime et de
l'autre, trouver les moyens de remettre le feu aux poudres. Cette
caractéristique double régit l'abbé du début à la fin du roman. L'on a
connaissance, de prime abord, de la demeure de l'abbé d'un point de vue
fantastique. En effet, dans la lande de Lessay ,elle est abordée à travers la
scène du miroir.
"... Et les autres bergers, attirés par le charme, s'accroupirent auprès de leur compagnon, et
tous les trois. avec maître Thomas, qui tenait passée à son bras la bride de sa jument, laquelle
reculait et s'effarait, ils eurent bientôt rapproché leurs têtes au-dessus du miroir, plongé dans
l'ombre de leurs grands chapeaux. "
Guettez toujours", -disait le pâtre.
Et il se mit à prononcer tout bas des mots étranges, inconnus à maître Thomas le Hardouey,
qui tremblait à claquer des dents. d'impatience, de curiosité, et, malgré ses muscles et son
dédain grossier de toute croyance, d'une espèce de peur surnaturelle.
. "Vey'ous quéque chose à cette heure? -dit le berger.
- Vère ! -répondit le Hardouey, immobile d'attention, appréhendé, je commence ...
- Dites ce que vous véyez; reprit le pâtre
. Ah ! je vois... je vois comme une salle, -dit le gros propriétaire du Clos,- une salle que je ne
connais pas..." 1
La présentaiton du lieu se poursuit avec la présence, sur le dit lieu, de Maître
Thomas le Hardouey, qui vient se rendre compte, par lui-même, de ce qu'il a vu
dans la scène du miroir. A partir de ce moment, le lieu est décrit:
" La maison du bonhomme Bouët, fieffée par l'abbé de la Croix-Jugan, apparaissait, aux
premiers rayons de l'aurore, comme un coffret de pierres d'un granit bleuâtre, aux lignes nettes
et fortes. sans vigne alentour. Elle semblait sommeiller sous ses volets fermés, comme une
dormeuse sous ses paupières..." 2
1J;. P 190/191
2 Ibid. p. 196

113
Ainsi, les caractéristiques dominantes de ce lieu sont encore la solitude,
renforcée par l'emploi des adjectifs qualificatifs "morne et muette" 1 .Chez la
Clotte, chez la Croix-Jugan et même le Clos, ces lieux ont une même
dominante: c'est leur particularité, leur spécificité; ils sont toujours à part par
opposition aux autres lieux du bourg. En suivant le parcours de Thomas le
Hardouey chez la Croix-Jugan, nous apprenons qu' 11 il Y avait au rez-de-chaussée
tout simplement un petit corridor, avec deux pièces, l'une à droite, l'autre à gauche faisant
cuisine et salle, et au premier étage deux chambres à coucher" 2.
Si ce lieu est décrit par l'entremise du déplacement de le Hardouey dans ce
- lieu, c'est surtout, pour mettre en relief le chemin parcouru par sa femme,
Jeanne le Hardouey, dans le même lieu, afin de déposer dans la chambre du
prêtre une chemise imbibée de sa sueur, recommandée par le pâtre berger, à
qui elle a demandé conseil pour être aimée de l'abbé.
En somme, rien n'est gratuit. Et à travers la représentation de la maison de la
Croix-Jugan, Barbey fait intervenir deux éléments: la réalité et le merveilleux
qui ne sont pas en contradiction; au contraire, il y a, entre eux, une certaine
complémentarité.
Aussi lorsque: "Simone Mahé et le Hardouey entrèrent dans la salle d'en bas, et, quand elle
eut poussé les volets de la fenêtre, le Hardouey, qui regardait autour de lui avec une
investigation ardente, reconnut cette salle du miroir qui ne s'effaçait pas de sa mémoire et qu'il
revoyait toujours en fermant les yeux." 3; il Y a l'évocation du contenu d'un acte de
pensée, contenu suggéré ou remémoré qui nous fait dire avec
M. Butor qu'un "roman ne peut avoir d'action que sur la manière dont on se représente les
choses". 4
1~ P 158.
2 Ibid. P. 198.
3 Ibid. P. 198.
4 Dédaration de M.Sutor à M. Chapsal in Repertoire 3, Paris, E d de minuit, P 403.

114
Barbey d'Aurevilly, à travers la présentation de la demeure de la Croix-Jugan,
nous fait passer d'un lieu merveilleux évoqué, confirmé, à une situation de
réalité. La maison est vue sous un angle fantastique renforcé par la "réalité"
ensuite. Et le fait de reconnaître "cette salle du miroir qui ne s'effaçait pas de sa
mémoire..... est le signe patent que réalité et fantastique sont les faces d'une
même entité.
* Le Clos
Comme les autres lieux aurevilliens, le Clos est peu détaillé et éparpillé de par
le texte. Ce qu'on en sait, c'est qu'il appartient à Maître le Hardouey, qui avait
acquis "des biens nationaux, homme d'activité et d'industrie". Le Clos est montré
globalement. On passe sur les différentes parties pour ne décrire que la
cuisine. C'est ce lieu qui occupe une fonction sémantique. Là, au cours d'un
dîner, en présence du prieur de Regneville, Jeanne le Hardouey "aime" déjà
l'abbé.On peut dire que c'est le lieu de naissance de l'amour de Jeanne pour la
Croix-Jugan. Sa curiosité y est aiguisée et renforcée.
"... Elle (Jeanne) vivait à pan de ce qu'ils disaient. Elle en était restée à l'abbé de la Croix-
Jugan. Ce prêtre-soldat. ce chef de Chouans. ce suicidé échappé de la mon volontaire et à la
fureur des Bleus, la frappait maintenant par le côté moral de la physionomie. comme à l'église,
il l'avait frappée par le côté extérieur.C'était un genre de sentiment qu'elle éprouvait, analogue
à sa première sensation. L'horreur y était toujours, mais, chez cette femme d'action et de race,
qui ne s'était jamais consolée d'avoir humilié la sienne dans une mésalliance, l'admiration pour
ce moine décloitré par la guerre civile. qui ne s'était souvenu que d'une chose, au prix du salut
de son âme, c'est qu'il était gentilhomme. oui. l'admiration l'emportait alors sur l'horreur et la
changeait en une enthousiaste et noble pitié". 1
Ainsi, au sein du Clos, la cuisine est le lieu du renforcement, de la naissance de
l'amour, car tout amour vient de l'admiration qu'on éprouve pour l'autre.
1 S P 129/1 30.

115
De ce fait, au-delà du lieu cuisine comme effet de vraisemblance, on peut dire
que la conversation entre les deux soupeurs (Thomas le Hardouey et le prieur
de Regneville) dans ce lieu, en présence de Jeanne le Hardouey - cette
mésalliée qui retrouve en Jéhoël de la Croix-Jugan, un personnage de sa
condition- permet de mettre en relief cette "prise de conscience" qui fortifie l'image
qu'elle se fait du prêtre défiguré.
Au total, dans le récit narratif classique, les noms de lieux renvoient le plus
souvent à des référents réels. Qu'ils soient des noms à référent géographique
réel ou à référent fictif, les noms de lieux dans l'univers romanesque aurevillien
produisent des "mini-programmes" narratifs qu'il nous faut décoder (cf: chapitre
Sémantique de l'espace). De plus, si nous admettons que le lieu à fonction
référentielle active l'impression de réalité, il convient d'y ajouter donc son
pouvoir dans le domaine du vraisemblable. Mais avant d'en arriver là , déjà il
importe de nous intéresser aux landes et aux eaux chez Barbey d'Aurevilly.

116
3) Noms de lieux à référent réel et noms de lieux à référent
fictif.
a ) les Landes
Ces lieux sont à la fois référents géographiques réels et référents Iictits-A
commencer par la plus importante d'elles toutes, la Lande de Lessay qui fournit
le décor - comme au théâtre - de ce qui sert à représenter les lieux de l'action
de l'Ensorcelée.
Par sa dénomination, elle s'inscrit dans la catégorie du référent géographique.
Mais il faut remarquer un écart, une distance certaine entre l'existence de la
lande "objective" et le contenu que lui donne Barbey d'Aurevilly.
En effet, il ne faut pas oublier - tous les critiques l'ont rappelé - que Barbey a
produit un paysage qu'il ne connaissait pas en propre par une expérience
concrète.
C'est grâce à Trebutien qu'il s'est re-créé une image - toute nouvelle - de ce
lieu. Son mérite est alors d'avoir façonné un paysage puissant en ce sens que
celui-ci marque le lecteur et joue un rôle de premier ordre dans la structure du
roman."Comme l'écrit P. Leberruyer, s'il garde à la lande de Lessay son étendue exacte, sept
lieues - probablement à cause du caractère mythique du chiffre sept dans les traditions
païennes aussi bien que judéo-chrétiennes- il la situe à tort entre la Haye - du -Puits et
Coutances" 1 .C'est à partir de ce moment que la lande de Lessay est à la fois
référent géographique et référent fictif. Le référent fictif est le travail particulier
que fait l'auteur à propos d'un tel lieu qui a son référent dans le Cotentin; il
s'en sert pour la structuration de son roman.
1 Marie Miguet-Ollagnier:: Barbey d'Aurevilly, cent ans après. Oraz P 169.

117
Et c'est à juste titre que Maurice Barrès dans Mes cahiers disait de Barbey
d'Aurevilly qu'il ";.. est un romantique chez qui il y a une réalité. C'est un petit noble d'une
petite ville du Cotentin. Chaque fois qu'il s'appuie sur cette réalité et qu'il l'utilise, elle le sert" 1.
A partir de ce jugement de Maurice Barrès, il est aisé d'affirmer que chez
Barbey, la réalité est importante et c'est ce que nous avons voulu suggérer par
le terme de référent géographique réel. Mais bien plus, à travers son œuvre,
au-delà de la réalité régionale, il y a un autre aspect, c'est le traitement
particulier fait d'un lieu - ici- la lande de Lessay.
Aussi dans la préface d'Une Vieille Maîtresse de 1865, il énonce le rôle de
l'écrivain "Peindre ce qui est, saisir la réalité humaine, crime ou vertu, et la faire vivre par la
toute puissance de l'inspiration et de la forme, montrer la réalité, la vivifier jusqu'à l'idéal, voilà
la mission de l'artiste". 2
Ainsi les noms de lieux à référent géographique réel et à référent fictif ont
permis à Barbey de donner une autre dimension à son œuvre. L'utilisation de
ces aspects lui a permis de concilier l'esthétique de la technique romanesque
et son vécu, sa réalité.
" Ce qui nous semble être le meilleur choix de Barbey, ce sont les noms de lieux.
Indubitablement, pour la plupart, il les a trouvés dans la réalité, mais ce réaliste surnaturaliste a
eu comme un symbolisme l'art d'exploiter leurs sonorités souvent sourdes et nasales,lourdes
de prolongements mystérieux et de projeter sur son oeuvre la poésie qui en émane... Ces
noms aux sonorités évocatrices apportent leurs notes à la symphonie poétique et surnaturelle
qui chante mélancoliquement et mystérieusement sur la réalité des êtres et des choses".3
Par ailleurs ,nous en convenons avec Sartre :"Faute de pouvoir s'en servir comme
signe d'un aspect du monde, il (le poète) voit dans le mot l'image d'un de ces aspects. Du coup,
d'importants changements s'opèrent dans l'économie interne du mot, sa sonorité, sa longueur,
1 F. Lecaplain in Barbey d'aurevilly: l'Ensorcelée et les Diaboliques: la chose sans nom Paris,
Sedes, 1988 P 49.
2Barbey d'Aurevilly,Oeuvres romanesques complètes, la Pléiade ,tome 1 P 1307.
3 JH. Bornecque: Opeit P 70m.

118
ses désinences masculines ou féminines, son aspect visuel, lui composent un visage de chair
qui représente la signification plutôt qu'il ne l'exprime" 1.
La représentation est donc une figuration formelle de la signification .Sartre met
l'accent sur la liaison entre l'aspect du langage littéraire et l'information qu'il
communique. C'est cette vision qui se trouve dans l'œuvre de Barbey. Chez lui,
le lieu est le résultat d'une information et l'aspect d'un langage littéraire, d'une
réalité littéraire. Si nous admettons que chez Barbey d'Aurevilly, la lande
fonctionne de manière bipartite, il faut également accepter qu'elle est un thème
spatial récurrent. C'est un lieu fortement présent dans l'Ensorcelée, dans Un
-Prètre Marié avec la lande au Rompu ou lande de Hecquet ; la lande de la Haie
d'Hectot
dans Une
Vieille
Maîtresse.Ce qui caractérise les landes
aurevilliennes, c'est leur immensité et surtout le mystère qui s'y rattache. Si
nous prenons comme point de support la lande de Lessay, Barbey en fait un
espace grand, ouvert. En effet "l'étendue, devant et autour de soi était si considérable et
si claire" 2 que l'on s'imagine déjà la peur qu'elle peut créer.
Ce qui y prédomine donc, c'est une "poésie de l'étendue" , une absence d'obstacle,
de barrière et une grande nudité. Même les landes de Mortefemme dans
l'Ensorcelée, et celle du Hecquet dans Un Prêtre Marié, malgré leur dimension
plus réduite, obéissent à ces caractéristiques: nudité, mystère. En parlant à
Néel du rompu de la lande du Hecquet, la Malgaigne fait intervenir tout un
monde de mystère et de merveilleux, justement dans la lande où ils se trouvent
et où eut lieu le drame au Rompu."Toutes les nuits du samedi au dimanche, il rôde par
i9.. quelque temps qu'il fasse, qu'il soit humide ou sec, qu'il fasse nuit noire ou clair de lune, que
le vent soit d'amont ou d'aval! Je le rencontre souvent assis sur la barre de l'échalier qui ferme
ce côté de la lande par où nous allons sortir, ou marchant sur le bord de l'étang du Quesnay,
coulant plutôt que marchant sur ses jambes brisées et ramollies par les coups de barre du
bourreau et qui semblent flotter comme des bragues (culottes) vides.
1J.P.Sartre: Qu'est-ce que la littérature ,Paris,Galiimard idées, 1967 P 20.
2 g P 37.

119
Il est silencieux comme il fut dans les derniers temps de sa vie, n'ayant pas l'air de plus
entendre qu'un mourron (salamandre qui doit son nom à sa couleur) les ébreits (cris) des
milleloraines des élavares et les risées des huarts moqueurs. Plusieurs fois, j'ai marché sur lui
et lui ai adressé la parole, l'adjurant de me répondre au nom du Dieu vivant et miséricordieux:
mais il s'est toujours éloigné lentement, d'un air sombre, muet comme un esprit condamné dont
le sort ne peut être changé ni par aumônes, ni par larmes, ni par prières, ni par aucune
intervention humaine de ce côté-ci ni de l'autre de j'éternité" 1
Aux caractéristiques de nudité et de mystère, s'ajoutent d'autres comme celles
de solitude,de tristesse et d'insolite qui leur sont attachées. En effet, ces
grandeurs de solitude et de tristesse n'ont de prise directe et d'importance que
par le mystère qui s'y rattache. Les landes sont un espace mythique à cause
des différentes légendes : ainsi la légende du Rompu dans la lande du
Hecquet. La formule "il y revenait" est assez constante chez Barbey d'Aurevilly.
Dans l'Ensorcelée, "dans le langage du pays, il y revenait. Pour ces populations
.. musculaires, braves et prudentes, qui s'arment de précautions et de courage contre un danger
tangible et certain, c'était là le côté véritablement sinistre et menaçant de la lande, car
l'imagination continuera d'être, d'ici longtemps, la plus puissante réalité qu'il y ait dans la vie
des hommes. Aussi cela seul, bien plus Que l'idée d'une attaque nocturne, faisait trembler le
pied de frêne dans la main du plus vigoureux gaillard Qui se hasardait à passer Lessay à la
tombée." 2
Ainsi chez Barbey d'Aurevilly, le mystère et l'immensité des landes sont ce qu'il
y a de prégnant, de fondamental. Et c'est dans cet espace mythique de la lande
de Lessay que Barbey situent également l'abbaye de Blanchelande et le
cabaret du Taureau Rouge.
1 PM. P 146.
2 ~ P. 38.

120
Par cela même, il leur confère cette touche de mystère qui en fait des lieux
craints, sur lesquels circulent de "mauvais bruits".'
"L'une des sources, du reste, les plus intarissables des mauvais bruits, comme on disait, qui
couraient sur Lessay et les environs, c'était une ancienne abbaye que la Révolution de 1789
avait détruite et qui, riche et célèbre, était connue à trente lieues à la ronde sous le nom de
l'abbaye de Blanchelande". 1
De plus, "Barbey semble avoir voulu montrer que les superstructures religieuses ont une
infrastructure instinctuelle violemment animale"2. Cette relation dialectique entre les
"superstructures religieuses" et "l'infrastructure instinctuelle" autorise donc à poser une
certaine relation d'équivalence entre l'abbaye et le cabaret. En d'autres termes,
ce qui est dit de l'un des lieux vaut pour l'autre. Dans ce contexte, l'abbaye et le
cabaret jouent un même rôle et ont une même fonction. N'est-ce pas. dans
cette optique, que cela peut être pris comme un signe annonciateur de cette
relation qui fait dire à Jéhoël de la Croix-Jugan:
"Les puissants chanoines de Saint Norbert sont finis. En venant ici, il n'y a qu'une heure, j'ai vu
la statue mutilée de notre saint fondateur servir de contrefort à la porte d'un cabaret, et les
ruines de l'abbaye que je devais gouverner sont en poussière" 3.
En somme, les landes en tant qu'horizons profonds occupent une place de
choix dans l'écriture romanesque de Barbey. L'on retrouve la même solitude qui
les caractérise comme elle avait caractérisé certains lieux comme chez la
Clotte, chez la Croix-Jugan, le Clos.
Cet élément de caractérisation se retrouve avec les "eaux" qui sont avec les
landes, dit Barbey, "les deux seules choses que j'aime dans les paysages".
1 ~ P38.
2Marie Miguel-O/lagnier OpCÎI P 167.
3~P.147.

121
b- Les eaux
Nous nous intéresserons aussi bien aux mers qu'aux "eaux mortes" 1 telles que
marais, étangs, lavoirs.
* La mer ou l'eau en mouvement
Comme les landes aurevilliennes en général, et celle de Lessay en particulier,
la mer est receleuse de secrets. Elle a une prise sur l'imagination de Barbey
d'Aurevilly qui considère Lessay comme "une mer de terre". Si L'Ensorcelée est le
roman de la lande, l'on peut, à juste titre, considérer la deuxième partie d'Une
Vieille Maîtresse et Amaïdée comme les textes de la mer. A ceux-ci, nous
pouvons ajouter dans une proportion moins importante Le Chevalier Des
Touches.
Dans son approche de la mer, il met l'accent sur l'immensité de celle-ci, sur le
mystère qui en ressort et sur le charme qui en découle.
A bien considérer Une Vieille Maîtresse, Ryno de Marigny fait un aveu à propos
de la mer ."... il était né près de la mer, il avait été, comme il disait: élevé les pieds dans
son écume, et de tous les souvenirs de son enfance, l'idée du temps passé en face de l'océan
était le seul qui ne le faisait pas souffrir". 2
L'élément spatial - mer - participe à la rêverie de personnes comme la
Comtesse d'Artelles, qui, dans une lettre charmante au Vicomte de Prosny le
rend très bien :
"... savez-vous à quoi nous passons notre temps à Carteret? A supputer sur nos dix doigts
tous les motifs qu'a cette chère Hermangarde d'être la plus heureuse des épousées. Chaque
jour, nous en découvrons de nouveaux, c'est ceci ou cela que nous ajoutons à la somme de
tous ses bonheurs. Jamais dévotes n'ont tourné dans leurs doigts les grains de leurs rosaires
plus que nous ne roulons et ne déroulons ce long chapelet de jouissances qui compose la vie
1Expression empruntée au titre d'un artide de P.Leberruyer in serie Barbey d'Aurevilly W 1,
1966,Paris, Minard.
2 V.M. P 246.

122
de notre belle et charmante enfant. Le théâtre de ce pieux exercice est un grand diable de
château que je n'aimerais pas, si on ne s'aimait pas tant... Ce château, d'un aspect sévère, est
bâti sur le bord de la mer, au pied d'une falaise qui le domine". 1
Cet indice spatial qu'est la mer consolide le charme entre les amoureux à
Carteret, d'abord entre Hermangarde et Ryno, ensuite entre Ryno et
Vellini.Dans la lettre adressée au Vicomte et citée supra,nous lisons:
"Hermangarde préfère à Paris les côtes de la Manche. Extasiez-vous de cette fantaisie, mon
cher contemporain ! Elle y veut rester tout l'hiver. Elle nous a, l'autre jour,déclaré cette
résolution d'une âme enchantée, qui n'a pas encore apaisé son besoin d'intimité et de
solitude ... M. de Marigny exprima le même vœu que sa femme". 2
C'est cet élément spatial qui détermine le choix "final" de Ryno. En effet, la mer
permet d'opposer les deux amours de Ryno. Vellini, expansive, accapare la
mer et par ricochet Ryno, car "Est-ce que tout cela, -dit-elle, en traçant un arc de cercle
avec sa main dans les airs, pour désigner les vastes espaces qu'ils embrassaient de la plate-
forme ,-est-ce que tout cela ne m'appartient pas comme à toi ?J'aime ce pays et j'y veux vivre
(...), j'en prends possession aujourd'hui" 3.
Pour elle donc, Carteret et la mer sont le lieu d'une reconquête. Accaparant le
lieu, ne tient-elle pas Ryno ? Nous le croyons. De plus, Vellini est comparée à
"une mer de douloureuses délices". Quant à Hermangarde, elle fait un effort pour
s'accommoder à la mer: "il faut bien que je m'accoutume à la vague et à la brise, puisque
je suis la femme d'un amoureux de la mer".4
1 V.M. P 22812.29.
2 Ibid P 230.
3 Ibid
P.319.
41bid
P 242..

123
Ainsi, la mer n'est pas son élément; "Hermangarde ne connaissait pas la mer". 1 Elle
est habituée aux lieux douillets comme les salons, les boudoirs.
Si la mer est prise comme refuge spatial privilégié par Ryno de Marigny, nous
constatons que ces deux amours s'opposent déjà à partir de cet élément
spatial. La préférence de Ryno va à Vellini.
Si nous postulons que le "bord de la mer est bien réellement celui que dieu créa pour
l'amour heureux" 2 ,l'on voit une confirmation de l'inclination de Ryno pour Vellini.
Ainsi, la mer en tant qu'indice spatial crée l'opposition entre ces deux femmes;
en réalité, il s'agit de deux types d'eaux qui s'affrontent:
"Hermangarde, elle, c'est la femme-lac, et nous connaissons assez la dynamique fondamentale
du rêve aurevillien pour comprendre la signification du contraste. Le lac repose, mais il endort ;
la mer (comme Vellini) fait vivre, mais elle épuise ... Ryno ne saura pas choisir". 3
Bien plus, il n'assume pas, de façon consciente, sa préférence pour Vellini.
C'est ce que donne à lire le texte. Il fait donc preuve d'hypocrisie. C'est vrai qu'il
est aidé en cela par la nature de ces deux femmes.
Vellini, "douée d'une qualité marine", s'attache aux pêcheurs des rivières, vit parmi
eux et comme eux. Par cela, elle acquiert plus d'importance qu'Hermangarde
laquelle était moins intéressée par "les mœurs de ce pays" que par "la mer elle-
même". 4 Avec la mer, Barbey reste dans un univers fantastique avec les
légendes suivantes: "le criard", "le tombeau du diable," "la Blanche Caroline".
1 V.M. P 245.
21bid
P 245.
3 Ph.Berthier: Barbey d'Aurevillv et l'imagination, Droz , P 366.
4
V.M. P 2501251.

124
Pour cette dernière légende, les habitants en ont toujours peur:
" - ne parlez pas de la blanche Caroline, vieux rodeur ! -répondit, avec un sentiment de terreur
très sincère. le pêcheur à la hotte que Griffon avait appelé Capelin. - Il faut que je pêche c'tte
nuit à la mer basse, et je ne m'soucie pas de la voir se lever dans un infernal buhan
(brouillard)~~a porterait malheur à ma pêche, et je ne prendrais pas une étrille (espèce de
coquillage de la forme des crabes, mais sans grosse pince et couvert d'un duvet rude par-
dessus son écaille) qui fût tant seulement bonne pour le déjeuner des servantes d'un cabaret.
Elle hante donc toujours la côte? - fit le porte-besace. qui habitait dans les terres". 1
Si avec le lieu spatial-mer, Barbey envisage le merveilleux et le fantastique, il
lui accorde, également, un autre rôle; c'est une fonction commerciale; elle est
un adjuvant pour les pêcheurs, car elle leur permet de vivre.
"La population (...) n'est point grossière, quoique rude. La misère ne l'a point dégradée. La mer
la nourrit, car cette côte, qui parait aride. est au contraire très opulente en toutes sortes de
poissons... Telle est la fortune incessamment renouvelée, la richesse naturelle des habitants de
ces rivages. Ils pêchent tous, les uns pour vivre, les autres pour vendre leur poisson aux
marchés voisins (...)" 2
Dans Le Chevalier Des Touches, la mer est le canal par lequel celui-ci passe
pour rejoindre l'Angleterre. Elle lui sert d'échappatoire. Aussi lorsque l'heure de
la séparation approche et que Des Touches doit prendre seul la mer, "il cessa de
maintenir la barque mobile sur le flot écumeux du bord, ... et la fit monter sur cette mer qui le
connaissait et disparut entre deux vagues, pour reparaître, comme un oiseau marin, qui plonge
en volant et se relève, en secouant ses ailes. C'était à se demander qui des deux reprenait
l'autre !" 3
1 V.M. P 3451346.
2 Ibid P.250
3 C.o.T P 219.

125
La comparaison avec l'oiseau marin décrivant des arabesques est, nous
semble-t-il, le signe que le lieu-mer est celui de la liberté, de la solitude, sans
que l'on soit entravé, empêché de quelque manière que ce soit. Comme Vellini
accaparant la mer dans Une Vieille Maîtresse. le Chevalier Des Touches en se
fondant dans cette mer crée une sorte de symbiose et prouve que la mer chez
Barbey d'Aurevilly est le lieu de l'épanouissement, de la plénitude.
Nous rejoignons là le même sentiment qu'avait de la mer la comtesse d'Artelles
dans sa lettre au Vicomte de Prosny.
Au traitement du lieu mer. Barbey d'Aurevilly accorde des valeurs positives.
On l'a vu, la mer est le lieu de l'amour, de la liberté, de l'indépendance. Elle a
un rôle d'adjuvant car elle contribue à l'amélioration de la situation des
personnages qui l'annexent. Nous savons qu'il y a des restrictions à ce point de
vue. En effet . la mer est un opposant pour des personnages comme
Hermangande dans Une Vieille maîtresse et les républicains dans le Chevalier
Des Touches.
* Les eaux mortes: lavoir, étang, marais.
Etangs, marais el lavoirs apparaissent dans l'univers spatial aurevilien. Ces
éléments spatiaux portent en leur sein le mystère et la mort. En effet, dans Un
Prêtre Marié. Sombreval meurt dans l'étang du Quesnay; Jeanne le Hardouey
de l'Ensorcelée dans un lavoir. Ces lieux de mort et qui sont aussi des lieux de
la mort sont toujours décrits.
L'étang du Quesnay est longuement décrit dans Un Prêtre Marié.
Sans une "pièce d'eau qu'on appelait l'étang du Quesnay, d'une grandeur étrange et d'une
forme particulière (elle avait la forme d'un cône dont la base se fût appuyée à la route), la terre
et le château dont il est question n'auraient eu rien de plus remarquable que les terres et les
châteaux environnants. C'eüt été un beau et commode manoir. voilà tout. une noble demeure.
Mais cet étang qui se prolongeait bien au-delà de ce château. assis et oublié dans son bouquet

126
de saules, mouillés et entortillés par les crêpes blancs d'un brouillard éternel, cet étang qui
s'enfonçait dans l'espace comme une avenue liquide - à perte de vue - frappait le Quesnay de
toute une physionomie!
Les mendiants du pays disaient avec mélancolie que cet étang-là était long et triste comme un
jour sans pain. Et de fait, avec sa couleur d'un vert mordoré comme le dos de ses grenouilles,
ses plaques de nénuphars jaunâtres, sa bordure hérissée de joncs, sa solitude hantée
seulement par quelques sarcelles, sa barque à moitié submergée et pourrie, il avait pour tout le
monde un aspect sinistre et même pour moi, qui suis né entre deux marais typhoïdes, par un
temps de pluie, et qui tiens bien du canard sauvage pour l'amour des profondes rivières, au
- miroir glauque - des ciels gris - et des petites pluies qui n'en finissent pas, au fond des horizons
brumeux..." 1
Avec "sa couleur d'un vert mordoré comme le dos de ses grenouilles ... horizons brumeux", le
narrateur prend soin de nous donner les caractéristiques. de l'étang avant
même que l'action ne commence.
Un te/lieu, sinistre, de par sa présentation ne peut renvoyer qu'au lugubre, à la
mort, au mystérieux, à l'inconnu, tout comme la lande de Lessay dans
L'Ensorcelée.
En effet, "... l'étang du Quesnay avait ses mystères. On s'y noyait très bien, et très souvent à
la brune. Etaient-ce des assassinats, ou des accidents,
ou des suicides, que ces morts
fréquentes? ... Qui le savait et qui s'en inquiétait ?... L'eau silencieuse et morne venait jusqu'à
la route.Y pousser un homme qui passait au bord était aisé. Y tomber, plus facile encore ..." 2
L'étang du Quesnay est le lieu de mort de certains personnages. Il en est de
même du marais de la Sangsurière dans le même roman.
1 PM., P. 33.
2 Ibid P.34.

127
L'on peut considérer que Néel de Néhou meurt symboliquement à partir du
moment où, seul dans le secret de Sombreval, il ne peut partager celui-ci. " ne
peut pas en parler à Calixte, celle qu'il aime sous peine de la tuer: "Quand Néel
quitta Sombreval à la Sangsurière et reprit le chemin du Quesnay, il était abattu et inquiet.
L'abattement venait de cette révélation que Sombreval lui avait faite, et l'inquiétude de la
nécessité de porter devant Calixte un front qui jusque-là avait été ouvert pour elle et qu'il
faudrait maintenant fermer. Maintenant, en effet, il aurait à cacher une pensée qu'il ne
partagerait plus avec celle qui avait sa vie, et cette pensée serait cruelle". 1
Le marais de la Sangsurière est donc le lieu de mort de Néel, car, désormais, il
est obligé de mentir. En mentant, il se "tue" ; et en lui révélant le secret, il la tue
au sens physique. Aussi, au lieu de commettre un "meurtre" en révélant la vérité
à Calixte, il préfère lui-même "mourir".
C'est donc le début de la perdition pour l\\Jéel, une "mort" - la sienne -car il sait
que Sombreval ne se repent pas. Son âme, pure jusque-là, se mue, se
transforme comme l'eau de ce marais de la Sangsurière" qui n'était plus même
glauque sous ce ciel éteint, et qu'encaissait une gluante argile aux tons verdâtres" 2.
Ainsi Néel de Néhou signe son arrêt de mort dans le marais de la Sangsurière
car c'est là, en effet qu'il est mis dans le secret de Sombreval. Ce signe de mort
obtenu dans un tel lieu se renforce avec la présence de la Malgaigne qui sait
que Sombreval ne se repent pas. Ce qui signi'fie que le secret n'est plus
partagé par deux personnes (Sombreval et lui Néel) , mais par trois personnes
(les deux premiers, plus la Malgaigne). Or, la Malgaigne ne partage pas le
même sentiment que les deux autres à propos de l'imposture de Sombreval.
" - Ah ! il est parti sans avoir emmené son enfant, repartit la vieille observatrice· car il y a aux
deux fenêtres qui donnent sur l'étang une lueur qui dit qu'elle y est - et qu'elle veille - et qu'elle
vous attend, monsieur Néel! Or, pour qu'elle vous attende à cette heure, la céleste fille, il faut
1 PM. P 301.
2 Ibid P. 302.

128
que vous veniez de faire la conduite à son père. Vous en venez, mais lui diriez-vous tout ce
que vous en rapportez? Lui direz-vous tout ce que vous savez maintenant, monsieur de
Néhou?
Toujours (on l'a vu), la grande Malgaigne avait paru extraordinaire à Néel; mais à celte
question si directe, qui l'atteignait au centre même de l'idée qui, depuis deux heures, rongeait
sa vie, et que nul que lui et Sombreval, sur la terre, ne pouvait savoir, elle ne fut plus
extraordinaire mais surnaturelle, et tout ce qu'on disait d'elle dans le pays lui paraisssait
justifié" .1
Puisque Néel sait, désormais, que la Malgaigne est au courant de ce qu'il
cache, la vue de la Malgaigne enfonçait un peu plus le dard qui le conduit à la
mort, car Néel a peur de "tuer" Calixte.
Dans Ce qui ne meurt pas, Barbey d'Aurevilly fait dérouler l'action dans ces
"marais, devenus des vallées infinies, désolées, monotones ..." Sur eux, plane également
l'ombre de la mort.Ainsi l'eau avec le marais joue un rôle de transmutation. Il
agit sur les personnages qui s'en approchent, les transforme d'un point de vue
négatif, leur donne des valeurs négatives qui les mettent en contact avec la
mort. Nous l'avons vu, c'est le cas de Néel.
Avec l'étang du Quesnay, plane également la menace de mort et la mort sur
tous ceux qui approchent ce lieu: les Sombreval et Néel car leurs destins sont
liés. Il est vrai que cet étang du Quesnay est la dernière demeure des
Sombreval. Mais il faut reconnnaître que la Malgaigne avait réussi à imposer ce
lieu à Sombreval et à ses comparses comme pour confirmer et conforter ce
qu'elle avait prédit et révélé à Jean Gourgue Sombreval.
Dans L'Ensorcelée, c'est un lavoir fatal qui est décrit. il est "encaissé par un côté
dans l'herbe, (il) étincelait de beaux reflets d'agate, sous le ciel opale d'une aube d'été. Sa
surface lisse et pure n'avait ni une ride, ni une tache, ni une vapeur. Quant à l'autre côté du
lavoir, comme l'eau de pluie qui le formait n'était pas contenue par un bassin pavé à cet effet,
1 PM.
P 304.

129
elle allait se perdre dans une espèce de grand fossé couvert de joncs, de cresson et de
nénuphars" .1
C'est dans un tel lieu d'eau que Maîtresse le Hardouey est trouvée morte. A
l'évidence, chez Barbey d'Aurevilly, les "eaux mortes" sont toutes des eaux qui
tuent, des lieux de mort. A elles reviennent les thèmes du malheur et du
désespoir; tandis qu'à la mer, dans une large mesure, correspond le thème du
bonheur, du charme entre amoureux, de la liberté, de l'indépendance et de la
fuite avec le Chevalier Des Touches.
Chez Barbey d'Aurevilly, l'eau joue un autre rôle. Elle sert à la mise en relief du
merveilleux. Celui-ci étant pris comme l'évocation de"I'ensemble des phénomènes
extraordinaires et incroyables qui constituent les ressorts essentiels des récits fantastiques" .2
Cette eau a un même rôle que l'élément miroir qui est de l'eau condensée à un
certain degré. Nous établissons donc une relation d'équivalence entre ces deux
éléments. Ils ont des attributs magiques dans les différents récits où ils
interviennent. Dans Un Prêtre Marié, la grande Malgaigne se sert de l'eau pour
"voir" le destmde Sombreval.
" ..., un jour de certaine année, pendant les vacances, où elle s'était montrée plus acharnée que
jamais contre les livres et les études de Jeennotin, comme elle l'appelait par mignonnerie,par
manière de caresse, ils allèrent tous deux rôder du côté du mont de Taillepied, qui n'était pas
loin de leurs chaumières ; et toujours elle le harcelant à propos de ses uvrertes. et lui
s'échauffant contre ses reproches, il s'impatienta tout à fait, le bouillant jeune homme! et,
poussé à l'extrême, il finit par la mettre au défi, puisqu'elle en voyait si long et qu'aucuns la
croyaient sorcière, de lui dire, une bonne fois pour toutes, ce qui arriverait de ses goûts
d'apprendre et de son avenir.
Elle ne put, à ce qu'il parait, résister à ce défi... sans y répondre, et elle dit à Jean d'aller
chercher de l'eau plein son écuelle, à la première mare qu'il rencontrerait au bas du mont,
tandis qu'elle chercherait des herbes dont elle avait besoin pour faire son charme (..),elle
1..Ë.. P.202.
2p. Mabille: Le miroir du merveileux, Paris, .Ed de minuit, 1977, p. 20.

130
attacha, après bien des simagrées effrayantes, ses deux yeux blancs sur l'eau charmée qui
frissonnait comme si un feu avait été dessous, et elle dit à Jean "qu'elle le voyait prêtre-puis
marié - et puis possesseur du Quesnay (...) - enfin que l'eau lui serait funeste et qu'il y
trouverait sa fin" 1.
Dans L'Ensorcelée, le miroir est le premier moyen par lequel l'on s'in"filtre chez
l'abbé de la Croix-Jugan qui, ne rendant visite à personne à Blanchelande et à
Lessay, ne recevait personne chez lui. Le miroir l'espionne en quelque sorte.
De plus, les pâtres l'utilisent de façon à mettre Thomas le Hardouey en
courroux, ce qui l'amène à se débarrasser de la Croix-Jugan. Il joue un rôle de
catalyseur. Il est l'élément qui déclenche le processus d'élimination physique de
la Croix-Jugan.
C'est de cet élément que sonne le glas pour lui dans la lande
de Lessay. Et" il tira encore du bissac d'où il avait tiré l'épinglette un petit miroir, grand
comme la mirette d'un barbier de village, entouré d'un plomb noirci et traversé d'une fente qui le
coupait de gauche à droite. L'étamage en était livide et jetait un éclat cadavéreux. Il est vrai
aussi que les empâtements rouges du couchant devenu venteux s'éteignaient et que la lande
commençait d'être obscure". 2
Dans Une Vieille Maîtresse, Vellini se sert d'un miroir pour "suivre" Ryno de
Marigny. " ... Telle elle était, peignant sa tempe soucieuse, et regardant de temps en temps
dans une petite glace pendue à son cou. Hélas! ce n'était pas la coquetterie qui la faisait
regarder, d'un œil si grand ouvert, au fond de ce miroir presque grossier, encadré dans un étain
vulgaire. On eût dit qu'elle y regardait une autre qu'elle." 3
En effet, elle décryptait le cheminement de Ryno qui venait la rejoindre au Bas-
Hamet."Elie avait les yeux toujours fixés sur le miroir d'étain. Tout à coup, ce qu'elle y vit
déplissa ses sourcils et mit un suave rayon d'espoir et de joie dans ses lèvres. "II part" dit-elle.
Et après le silence d'un instant: "Le voilà au bout du pont !" reprit-elle, en essuyant du revers
de sa main sa tempe où perlait une sueur légère..." 4
1 PM. P 60/61
2
S
P 190
3 V M P 381
4 ibid P 382

131
Au total, l'on constate que ces différents éléments font partie du monde
merveilleux, du fantastique cher à Barbey d'Aurevilly. En les utilisant, il ne fait
que donner une autre dimension à ces récits, lesquels acquièrent un certain
poids du point de vue de leur nature double: ils relèvent à la fois du surnaturel
et de la réalité.

132
1/ Qu'avons-nous voulu suggérer par ce travail descriptif, au cours duquel nous
avons segmenté les lieux des récits aurevilliens en deux ensembles distincts:
R1 et R2?
Nous pouvons dire que segmentés, les lieux de R1 et de R2 se sous-tendent,
se tiennent et se soutiennent. En effet, il ne faut pas établir une barrière
étanche entre eux. Il est vrai que chez Barbey d'Aurevilly, deux organisations
spatiales jouent dans les différents récits que nous avons abordés.
Nous avons deux espaces qui fonctionnent sous la forme d'un couple et qui
\\)--
obéissent aux mêmes règles. Ces espaces en R1 et en R2 ne jouent pas leur
partition forcément les uns contre les autres mais bien les uns dans les autres.
Les romans aurevilliens sont des scènes de la vie provinciale et parisienne.
Mais dans cet univers, il ya une exhibition de lieux et d'objets étrangers. Ils sont
présentés sous les traits de l'immensité, de l'indéfini et du fini, du palpable et du
social. Les lieux en R1 et en R2 se font écho.Qu'ils soient des zones urbaines
ou qu'ils soient des zones rurales, les lieux sont renforcés par des objets
relatifs à la magie, au fantastique. Ce sont les miroirs "mirette" OU eau -
construits et invoqués pour la poésie, la magie d'un domaine surnaturel - Ils
évoquent ici l'incertitude du monde, la part du mystérieux dans la réalité.
Chez Barbey d'Aurevilly, le réel et l'irréel, le fini et l'infini se confondent, se
fondent en un, dans une sorte de symbiose, dans une sorte d'alchimie de
l'écriture qui les fait coïncider. Les récits romanesques qui résultent de ce travail
alchimique, des relations entre R1 et R2 , établissent, précisément, un théâtre
où l'on donne à voir, un espace opératoire, un espace de représentation
unique: des paysages descriptibles, construits à partir de lieux précis,
repérables et que l'on peut situer géographiquement dans un espace bien
connu, déterminé.

133
De ces deux espaces aurevilliens, l'un se fait connaître, se fait décrire et est
parcouru par "les voyageurs" de l'Ensorcelée. Il est balisé et orienté. L'autre se
fait découvrir, à sa suite, au fil de l'histoire. Il vient confirmer ce que l'on sait ou
apporte des compléments d'information au lecteur/analyste. En somme, le
même lieu, le même territoire est vu sous deux angles complémentaires. C'est
ce qui fait dire que l'on peut parler avec Barbey et d'autres auteurs "d'une
véritable topophilie ou plaisir d'inventer les lieux, qui est autre que le plaisir de décrire..." 1
Nous y lisons et y voyons plus l'obsédante récurrence de la figure du même
lieu. Aussi pouvons-nous dire que le lieu aurevillien se "communique par
l'intermédiaire d'une mise en scène de lui-même" 2.
Par exemple, dans L'Ensorcelée, pour raconter R1 et R2, il faut que le
narrateur et son narrataire se trouvent en R1, dans la lande de Lessay.
Au plan sémantique, le narrateur en R1 ne fait que passer, d'où le voyage, la
traversée de la lande, suggérant qu'il n'y a pas d'ancrage territorial. Mais, c'est
au cours de la traversée de la Lande de Lessay que lui est contée l'histoire du
prêtre défiguré de Blanchelande ; ce qui constitue R2.
Signalons que toute l'histoire de ce chouan n'est donnée que dans la lande. Il
apparaît donc que le temps de la traversée de ce lieu correspond au temps de.
diction de l'histoire par Maitre Tainnebouy.Un Prêtre Marié est construit sur le
même modèle. C'est à la vue d'un médaillon - retiré de l'étang du Quesnay -
que Sombreval portait comme effigie de Calixte, qu'est dite l'histoire de ce
prêtre parricide et déicide. Le Chevalier Des Touches obéit à la même
construction; de même qu'Une Vieille Maîtresse .rnais Une Histoire sans nom
s'écarte de cette présentation.
Si ces lieux sont finis, leur âme, leur essence les situent dans un infini
fantastique, merveilleux et grandiose.
1 J Jallat : L'Ensorcelée, Les Diaboliques: La chose sans nom Paris ,Sedes 1988 P 43.
2 M.Crouzet : Itraduction aux Diaboliques de Barbey d'Aurevilly, Paris, Imprimerie nationale P 13.

134
Ainsi ,si le lieu a les mêmes caractéristiques en R1 et en R2, c'est parce que
les récits romanesques aurevilliens sont un échange entre un auteur- narrateur
et un narrataire présent, souvent neutre. Ils sont réellement des contes, des
"ricochets de conversation".
Chez Barbey d'Aurevilly, "... , le récit est absorbé par la conversation. Le fait raconté se
confond avec le fait de raconter; l'histoire est discours, la forme-narration se dénature en forme
dialogue". 1 Ce qui fait que la spatlalité en R1 et en R2
s'allie; elle forme un
amalgame - au sens alchimique du terme - qui n'est autre qu' "une méthode
consistant à englober artificiellement, en exploitant un point commun, ..." 2 le mercure avec
un autre métal.
2/ De plus, il est possible de considérer le lieu comme un signe appartenant à
un système et de le compartimenter en lieux embrayeurs et en lieux anaphores;
suivant en cela la méthode d'approche de Ph. Hamon à propos des
personnages.
A travers notre première partie - qui, il est vrai, est fort descriptive- nous avons
vu que l'une des caractéristiques du lieu est son pouvoir d'illusion réaliste. Par
le fait qu'il peut renvoyer à un réel, le lieu autorise et favorise une certaine
indexation du récit sur le réel. Par cela même, renvoyant à une activité
humaine, le lieu entre dans le texte chargé d'un sens antérieur Par exemple,
un lieu comme la prison dans Le Chevalier Des Touches signifie un mode
spécifique d'occupation de l'espace prescrit par la société. Autrement dit, en
considérant ce qui a été dit de la prison dans notre première partie. nous avons
montré qu'il y a un écart entre cet indice spatial et l'utilisation qu'en faisait le
narrateur, par extension, l'auteur Barbey d'Aurevilly. Ainsi, si nous nous plaçons
d'un point de vue dénotatif, nous constatons que les lieux (ici la prison)
accèdent aux différents sens qu'ils portent et qui sont donnés par la société et
le vécu culturel de cette société.
1M. Crouzet: Opci!
P 1.
2 Le Roben : Dictionnaire de langue française, Paris, 1992 P 406.

135
Cela est dû au fait qu'un lieu comme la prison nous renvoie à notre expérience
du monde sensible; il affiche, par conséquent, le plus souvent cet air qui fait
que sa présence, pour nous, va de soi et nous semble naturelle.
Et notre tâche pour une analyse des lieux est qu'il nous faut à la fois rendre
compte de la face référentielle d'un lieu et considérer l'influence qu'il exerce -
ou le rôle que lui fait subir un auteur.Dans cette optique, nous avons établi ce
travail descriptif des divers lieux qui apparaissent dans l'univers romanesque
de Barbey de manière à nous familiariser avec eux et à montrer, par la suite,
s'il ya un écart entre leurs valeurs sociales et culturelles et le rôle qu'ils jouent
dans son œuvre.Cependant, sans entrer dans les problèmes soulevés entre
le (s) référent (s) du lieu et l'utilisation qui en est faite, nous essayons, par un
transfert du travail élaboré par Ph. Hamon à propos des personnages, d'établir
une classification des lieux. Car, pensons-nous, un examen de l'article de ce
critique et théoricien nous indique que tout ce qui est dit du signifiant du
personnage peut s'appliquer au signifiant du lieu. Pour établir notre
classification, il nous faut garder en mémoire le travail descriptif que nous
avons établi dans notre première partie où nous avons distingué les lieux du
récit en lieux de R1 et en lieux de R2.
Les lieux référentiels: nous avons relevé, dans notre travail, que beaucoup de
noms de lieux assurent une évidente fonction réaliste. Des noms comme Paris,
Valognes, Malaga, Néhou, Coutances, Avranches, Lessay, Quesnay ancrent le
récit dans un espace "vérifiable".Et notre culture nous autorise à les situer dans
un espace - Europe qui est considéré comme un espace englobant. Si nous
poussons notre analyse, nous les plaçons dans un espace France contenu
dans l'espace-Europe. Dans l'espace-France, nous pouvons reconnaître la
capitale de l'Etat France et des noms de lieux se situant dans le toponyme
Normandie. Ainsi ils ancrent le récit dans une réalité vécue et , par cela, ils font
croître d'un degré le pouvoir d'illusion du récit qui les contient.

136
Bien plus, les signes locatifs à valeur référentielle convoquent un hors-texte sur
lequel ils articulent le texte. Ils font naître chez le lecteur-analyste "un ensemble
de contraintes narratives d'amplitude variable basées sur les valeurs sociales et culturelles". 1
Chez Barbey d'Aurevilly, ils sont à la fois en R 1 et R2 : c'est-à-dire qu'ils
appartiennent aussi bien au récit introducteur qu'à l'histoire racontée en R2.Par
exemple, dans l'Ensorcelée, nous prenons la lande de Lessay. En R 1, ce lieu
permet à Tainnebouy et à son narrataire de vivre ensemble une expérience
insolite - la cloche qui retentit alors qu'ils sont dans la lande de Lessay. Lorsque
Tainnebouy raconte l'histoire de l'abbé de la Croix-Jugan, nous retrouvons le
même lieu. On voit donc par cet exemple que ce lieu appartient aussi bien à
R1 qu'à R2.
Les lieux embrayeurs sont par définition liés à la situation d'énonciation. Par
conséquent, ce sont tous les lieux renvoyant à R 1 ; c'est-à-dire tous les lieux OIJ
il Y a conversation entre un narrateur et! ou des narrataires. C'est le boudoir de
la marquise de Flers dans Une Vieille Maîtresse, le balcon d'un appartement
parisien dans Un Prêtre Marié, le salon des Touffedelys dans Le Chevalier Des
Touches et la lande de Lessay dans l'Ensorcelée. A ces lieux, il faut ajouter les
lieux spécifiques (cf. chapitre 1).
On peut donc considérer comme lieux embrayeurs les lieux propices à
l'énonciation. Ces lieux prescrivent un faire particulier, celui qui consiste à
raconter. Dans ces lieux, la parole est souveraine non seulement par le fait
qu'elle s'y profère, mais aussi qu'elle fait référence aux autres lieux.
Chez Barbey d'Aurevilly, ces lieux embrayeurs occupent une grande fonction
d'autant qu'ils jouent un rôle structurel.
1A. Gardies, texte inédit ,Abidjan}cours de maîtrise, 1984.

137
En effet, toute l'œuvre romanesque procède ainsi : tous les récits passent,
d'abord, par ces lieux avant de donner les histoires. On peut considérer, à juste
titre, en nous fondant sur les lieux ernbrayeurs. que tous les textes de Barbey
sont des "ricochets de conversation".
Les lieux anaphores ont "une fonction essentiellement organisatrice et cohésive "1.
Ainsi les lieux anaphores assurent la cohésion narrative du texte. En effet, "ce
n'est pas parfois tant le lieu dans sa représentation globale qui fait retour (ou qui s'annonce)
qu'un substitut. Tout se passe comme si le lieu déléguait à un élément le soin de le représenter
en tant qu'ensemble'<. C'est un tel rôle d'anaphore que joue le médaillon trouvé
dans l'étang du Quesnay. Cet objet est donc initialement porté par une femme.
Or, il a un sens antérieur. Il a été porté par Sombreval et trouvé par Rollon
Langrune. Donc, cet objet qui déclenche la curiosité du narrateur a un sens
antérieur. Il vient dans le texte chargé de sens. Et c'est en voulant retrouver sa
trace première que Rollon Langrune est amené à raconter l'histoire de
Sombreval. Il appartient à R1.
Dans Le Chevalier Des Touches, c'est un personnage qui joue ce rôle. Des
Touches rencontré un soir de pluie errant dans Valognes fait déclencher son
récit. On le constate, de façon générale, ces éléments sont une véritable
métonymie, par leur récurrence, à la cohésion textuelle. En somme, on retrouve,
chez Barbey d'Aurevilly, une classification des lieux semblable à celle établie
par Ph. Hamon à propos des personnages. Cependant, il est bon de
reconnaître que certains lieux comme la lande de Lessay dans L'Ensorcelée se
retrouvent aussi bien en R1 qu'en R2. Mais un constat s'impose, c'est que R1
correspond essentiellement aux lieux embrayeurs et aux lieux anaphores et R2
aux lieux référentiels.
1 Ph Hamon, art cité P 127/128.
2 A. Gardies, Dpeit.

138
Les lieux ernbrayeurs et les lieux anaphores "tissent dans l'énoncé un réseau d'appels
et de rappels. "1 Ils jouent une fonction organisatrice dans le récit.
Si tel est leur rôle, nous ne considérons que les lieux référentiels de R2 afin de
faciliter nos recherches pour la suite de notre travail.
3/ Notre travail descriptif avait pour but de nous familiariser donc avec l'espace
car celui-ci, au premier abord, se présente comme une unité opaque. Pour
connaître ses composantes, nous nous sommes senti obligé de le disséquer
afin de voir comment il se présente.Ainsi les niveaux d'analyse appliqués aux
personnages sont transférables aux lieux. Il faut se rappeler que déjà c'était le
rôle d'une science ancienne comme l'onomastique, qui donnait une origine
toponymique à la plupart des noms de famille. Cela est utilisé par Barbey
d'Aurevilly dans son œuvre à propos de certains noms comme ceux de la
Marquise de Flers, de la Comtesse d'Artelles, de la Comtesse de Montsurvent,
le Vicomte de Néhou, M. de Lieusaint.Avec cette science donc,l'on pense aux
patronymes nobiliaires. L'homme en se nommant n'affirme-t-il pas son rapport
au territoire?
Ainsi entre les lieux et les personnages existe une sorte d'équivalence
généralisée qui s'établit sur la base du nom.
Dans la suite de notre travail, nous verrons comment il fonctionne.
4) Notre approche de l'espace nous a permis de le considérer comme élément
du décorum romanesque.
Chez Barbey d'Aurevilly, l'espace - décor existe mais nous reconnaissons qu'il
n'est pas que cela; il dépasse cette dimension car l'écriture (l'esthétique)
aurevillienne lui confère une autre portée; c'est ce que nous avons appelé le
référent fictif.
1 Ph. Hamon: art cité P 127/128.

139
DEUXIEME PARTIE
ESPACE ET DESCRIPTION:
POUR UNE SEMANTIQUE DE L'ESPACE

140
SEMANTIQUE DE L'ESPACE
Avant d'aborder concrètement les personnages aurevilliens, il importe d'insister
sur le fait que si le lieu est une composante du récit aurevillien, ce n'est pas
seulement par sa fonction de décor. "II participe du processus de construction
diégétique par son pouvoir de structuration et par son savoir sémantique." 1
Aussi considérons-nous que les lieux de représentation ne prennent leur sens
qu'en fonction de l'usage qui en est fait, du faire qui s'y déroule. Ce faire exige
la présence de personnages qui se déplacent et agissent, font quelque chose.
Autrement dit, aux lieux représentés correspondent des personnages, lesquels
par leurs mouvements et leurs déplacements jouent un rôle important dans
l'élaboration de la sémantique de l'espace.
De plus, si nous admettons que" Tout romancier apporte l'expression d'une forme
nouvelle de la personne: des aspects de la sensibilité ou 'du vouloir, des façons d'agir, de
sentir les autres, de se sentir soi-même, etc "( alors) "les personnages d'un auteur
présentent souvent entre eux une certaine parenté, à travers les diversités de caractères, de
professions, de types d'actes, de milieux sociaux. Ils offrent une communauté assez grande
pour que d'emblée on les distingue des personnages d'un autre auteur :nous discernons
l'homme de Stendhal ou de Balzac,de Ramuz ou de Virginia Woolf..." 2 .
C'est pourquoi nous pouvons nous intéresser aux personnages aurevilliens
dans leurs rapports avec l'espace et les lieux.
Ainsi, un lieu comme le Quesnay, pris en lui-même, de façon singulière, sans
rapport avec certains paramètres du récit, est "vide de sens". Pour qu'il prenne
sens, il faut l'expérience d'un "sujet" comme Sombreval, Calixte ou Néel avec
des désirs investis ou non, des répulsions éprouvées, des échecs ou des
réussites.
1 . A. Gardies: L'espace. texte inédit . Cours de Maitrise- Abidjan- 1984.
2 Ignace Meyerson::"Ouelques aspects de la personne dans le roman" in Journal de psycholoqie ,1951,
P303 cité par M:ZeraHa in Personnage et personne dans le roman français in Revue d'esthétique,T.12.

141
Ainsi, la signification d'un lieu n'existe pas en soi dans l'absolu. Il importe
d'évaluer ses rapports avec les personnages - pour ce qui est de la sémantique
de l'espace - mais cela est également possible avec l'histoire ou l'action, le
temps qui sont d'autres paramètres du récit.
En effet, dans un roman, le narrateur et les personnages sont autant de points
de vue possibles et différents sur la signification et la valeur des lieux. En
somme, ce chapitre - Sémantique de l'espace - revient à voir les espaces en
rapport avec les "sujets". Pour atteindre cet objectif, nous déterminerons les
différentes instances fictives du monde romanesque car nous avons, déjà,
relevé les différents espaces aurevilliens.
1 - Les instances fictives du monde romanesque
1 - Les différents narrateurs ou les types de narrateurs aurevilliens.
Avant de nous intéresser à cet aspect de notre travail, il est bon de rappeler
que les récits aurevilliens sont un assemblage de deux récits que nous avons
dénommés R·1 et R2 à partir desquels une classification des diHérents
narrateurs s'impose. Celle-ci montre que le narrateur est fortement impliqué
dans le récit qu'il raconte.
En effet, nous savons que tout texte littéraire narratif se caractérise par la
présence (implicite ou explicite) d'un narrateur qui se présente alors comme
une instance intermédiaire entre l'histoire romanesque et l'auteur. A cet égard,
le narrateur d'un texte comme Le Chevalier Des touches ou tout autre texte de
notre corpus doit être pris comme instance typique du texte narratif littéraire. En
d'autres termes, "l'acte narratif peut être pris en charge par une instance anonyme qui ne
participe pas à l'action romanesque ou par un personnage qui joue un rôle dans le monde
narré..." 1
1 J. Lintvelt: Essai de typologie narrative, Paris,José Corti, P 23.

142
Il découle de cela que, parmi les instances fictives du monde romanesque, "la
tâche obligatoire constitutive du narrateur est celle d'assumer la fonction narrative, appelée par
Dolezel la fonction de représentation (et) cette fonction se combine toujours avec la fonction
de contrôle ou fonction de régie, car le narrateur contrôle la structure textuelle en ce sens qu'il
est capable de citer le discours des acteurs (signalé par des signes graphiques tels que les
guillemets ou les deux points à l'intérieur de son propre discours). C'est ainsi qu'il peut
introduire le discours des acteurs par des verba dicendi et sentiendi ou bien il peut en signaler
l'intonation par des indications scéniques alors que l'inverse est impossible.
A côté de ces deux fonctions obligatoires, le narrateur est libre d'exercer ou de ne pas exercer
la fonction optionnelle d'interprétation, c'est-à-dire de manifester ou non sa position
interprétative, idéologique... ,,1
Ainsi, le "narrateur assume la fonction de représentation (fonction narrative) et la fonction de
contrôle
(fonction de régie) sans jamais remplir la fonction d'action, tandis que l'acteur se
trouve toujours doté de la fonction d'action et privé des fonctions de narration et de contrôle." 2
Cela étant, nous remarquons que dans l'Ensorcelée, nous avons un narrateur
extradiégétique.
On appelle narrateur extradiégétique, le narrateur "au premier degré qui raconte une
histoire d'où il est absent" 3.Ce narrateur premier est dit aussi homodiégétique
parce que celui-ci "au premier degré raconte sa propre histoire" 4. C'est la rencontre
entre le voyageur narrateur et Maître Tainnebouy au "Taureau rouge". Dans ce
roman donc,
le narrateur premier est
à la fois extradiégétique et
homodiégétique. Ce qui revient à dire, en d'autres termes, que dans une
narration homodiégétique, un "même personnage remplit une double fonction: en tant
que narrateur (je-narrant) il assume la narration du récit, et en tant qu'acteur (je-narré) il joue un
rôle dans l'histoire..." 5 ..
1 J .Lintvelt: Opeil, P 24125.
2 Opeil
P 29.
3 G. Genette, Figures III. P 255
4 Opeil P.255.
5 J. Lintvet, Op. cil. P 38.

143
A bien considérer Un Prêtre marié, Rollon Langrune joue le rôle d'un narrateur
intradiégétiqque et hétérodiégétique, car le récit du médaillon est le résultat
d'enquêtes et de recherches qu'il a dû mener. Il n'a pas pris part aux faits qui
sont racontés. En revanche, dans le Chevalier des Touches. nous avons un
narrateur extradiégétique et homodiégétique. Barbe de Percy assume la
narration du récit en tant que je-narrant et en tant qu'acteur (je-narré). Genette
parle dans ce cas de narrateur autodiégétique. Ryno de Marigny d'Une Vieille
maîtresse est un narrateur autodiégétique car il raconte une histoire dont il a
été l'un des participants, l'un des protagonistes.
A considérer les romans de notre corpus, l'on remarque que les narrateurs ont
un rôle puissant. Extradiégétiques, au premier plan, ils jouent soit un rôle
homodiégétique, soit hétérodiégétique ou encore autodiégétique. Leur
présence est certaine et manifeste. A cet égard, il est bon d'insister sur
l'omniprésence du narrateur dans le récit d'Une Vieille maîtresse et nous nous
demandons même si cette instance fictive n'est pas le "sujet" le plus important
du roman,le plus authentique et le plus construit.
Comme nous l'avons souligné, nous avons donc un narrateur extradiégétique
et autodiégétique. C'est lui qui distribue les rôles. Tout le long du roman, cette
présence omnisciente reste permanente et/ou constante chez le narrateur et
les personnages qu'il fait intervenir.

144
2 - Les personnages ou les types de personnages
De même que le narrateur est fortement présent et omniscient dans Une Vieille
maîtresse. de même en est-il dans la construction des personnages.
Par exemple, l'une des manifestations apparentes de cet effet se trouve dans
l'élaboration du personnage de Ryno de Marigny.
Mais avant de revenir à ce problème que nous soulevons, force est de nous
intéresser à la notion de personnage.
Pour le Robert, le personnage est "une personne qui joue un rôle social important et en
vue. (II est) une personne considérée quant à son comportement. " 1 Considéré sous cet
angle, Il ne peut avoir qu'une valeur anthropomorphique par opposition au point
de vue de Philippe Hamon qui, dans son article, Pour un statut sémiologique du
personnage, considère que lé personnage n'est pas une notion exclusivement
anthropomorphe, ni une notion exclusivement littéraire.
Pour notre part, nous le prenons comme un trait sémantique dont "l'accession à la
vie fictive ou quasi-fictive s'accompagne normalement de l'attribution de désignations qui
permettent de les identifier comme telles. Or les moyens de désigner ou de nommer sont très
variés; on peut appeler quelqu'un par son nom, lui attribuer plusieurs noms, lui donner tous les
noms, lui dénier tout nom; autrement dit le "dénommer" en tout sens (intensif et privatif) ..." 2
De plus, trait sémantique fondamental, il est un élément du récit fictif. Dans ce
cas, il est une unité diffuse de signification qui se construit progressivement par
le récit romanesque. Dans cette optique, le personnage est défini comme "le
support des conversations et des transformations sémantiques, il est constitué de la somme
des informations données sur ce qu'il est et sur ce qu'il fait." 3
Aussi pouvons-nous dire avec Welleck et Warren qu'un "personnage de roman naît
seulement des unités de sens, n'est fait que de phrases prononcées par lui ou sur lui. " 4
1 Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, ed. 1990, P 1409.
2 G Maurand: le personnage en question, U TM; 4e colloque du SEl. P 75.
3 Ph. Hamon: le personnel du roman, Geneve, Droz, 1983. P.20.
4 RWelieck & A. Warren. la Théorie littéraire, Paris, Seuil, P.208.

145
Si nous nous en tenons à ces différentes définitions, nous considérons le
personnage comme un signe au sens linguistique. Pris comme tel, nous
verrons son implication
dans les romans de notre corpus ; lesquels se
présentent comme des récits enchassés que nous avions dénommés R1 et R2.
Dans chacun de ces récits, apparaissent des personnages et la structuration de
ceux-ci n'est pas la même d'un roman à l'autre.
Si dans le Chevalier Des Touches, la vue du chevalier errant dans les rues de
Valognes déclenche R2 et met en place un autre réseau de personnages qui,
pour certains d'entre eux comme Madame de Percy, les demoiselles
-Touffedelys, Aimée de Spens et le chevalier de Langotière, appartiennent aussi
bien à R1 qu'à R2,
ce n'est pas le cas avec Un Prêtre marié où les
personnages de R1 et R2 sont totalement différents et n'ont rien à voir les uns
avec les autres. Quant à Une Vieille maîtresse, la construction du roman laisse
apparaître une continuité dans la mise en place des personnages. En effet,
nous retrouvons en R1 et en R2, les mêmes personnages même s'il y a, au fil
de l'histoire, l'apparition de nouveaux personnages en rapport avec les lieux
investis par les premiers personnages. Cette construction se retrouve
également dans Une Histoire sans nom.
Ainsi, Une Vieille maîtresse se présente comme un récit continu de vingt-huit
grandes parties de longueur inégale. Il est vrai que son organisation narrative
laisse voir deux grandes parties de longueur inégale. Mais l'important -les
actions des différents personnages -oscille entre deux lieux importants: les
topor Paris et Normandie. Et d'un point de vue chronologique, seuls ces deux
topor permettent d'établir une "barrière" entre les personnages, car dans l'un et
dans l'autre, l'on retrouve toujours les mêmes personnages.

146
Si nous partons du fait que la première partie a pour topos important Paris, la
deuxième partie du roman est consacrée à l'action dans le topos Normandie;
ce topos est plus saturé de personnages car nous y retrouvons des
personnages du topos Paris et ceux propres au topos Normandie ; ces
nouveaux personnages appartiennent à des classes sociales différentes.
Ce qui renforce le transfert, le passage du topos Paris à un autre topos
Normandie caractérisé essentiellement par le manoir de la marquise de Flers à
Carteret, les Bas-Hamet, le Village des Rivières, la mer, les falaises...
Ainsi, dans ce roman, nous trouvons le développement de personnages connus
dans un premier topos auquel s'ajoutent d'autres personnages, en relation avec
un milieu autre que celui dans lequel s'est déplacée l'action. Barbey d'Aurevilly
semble avoir mis en place un monde, un groupe de personnages qui constitue
une sorte de structure diachronique et/ou synchronique.
En effet, on le voit, l'organisation des personnages se fait sur une spatialité
contiguë, laquelle fonctionne comme une grille dans l'articulation des
personnages· par leur association à un certain nombre de lieux, principalement
deux topoï : Paris/Normandie au sein desquels l'on retrouve un ensemble de
lieux investis par les personnages.
La scène de l'incipit montre cette imbrication de la structure des personnages
et la topographie. Elle a lieu dans le boudoir de la marquise de Flers, rue de
Varenne où deux dames âgées et une jeune fille sont dans l'attente de l'arrivée
d'un personnage - qui ne vient pas -,
Mais déjà, les préoccupations des unes et de l'autre, laissent supposer que
c'est un personnage controversé. Nous donnons pour preuve les propos des
deux douairières.
_--:..-_----------~---------

147
L'une, la marquise de Flers, semble conquise et pardonne les écarts, les
manquements du personnage ; l'autre, la comtesse d'Artelles, est plus
méfiante. Les points de vue de l'une et de l'autre sont une incitation à découvrir
ce personnage si controversé.
Madame d'Artelles "était d'un temps où les gens du monde aimaient à tracer des portraits
(...). Je ne demande pas mieux que de vous en donner ,des faits positifs, pour vous convaincre
du danger qu'il y a de marier Hermangarde à cet homme faux et détestable! Je ne les sais que
d'hier, et je vais vous les dire aujourd'hui ,,1 .
Pour la Marquise de Flers: "les meilleures actrices ne sont bonnes que dans certaines
pièces. Moi, je fais ce raisonnement-ci, ma chère: ou c'est une ancienne relation craquant de
toutes parts, depuis le temps qu'elle dure, et alors Hermangarde rompra ce nœud tiraillé et usé
en se jouant; ou la créature est à craindre, et alors, si elle l'est, elle l'est beaucoup! car Marigny
a trop expérimenté les femmes pour ne pas les savoir à fond, et, laide ou non, ce serait donc le
résumé de toutes les séductions des autres, puisqu'on les quitte pour revenir à elle; enfin, une
espèce de maîtresse-serail. (...)
Dans le premier cas, reprit la marquise, ça regarderait Hermangarde. Ce serait l'affaire d'une
lune de miel. Nulle femme n'épouse d'ange... Mais dans le second cas...
- "Eh bien! dans le second cas? ... interrogea Madame d'Artelles.
- Ah ! Ce serait tout autre chose, reprit la marquise.- Je partagerais vos inquiétudes. J'aurais là
du fil à retordre. Mais, Dieu aidant et vous aussi, ma chère belle, je le retordrais l " 2
On constate donc que les propos des deux vieilles femmes sont opposés. Et le
roman se construit sur ces points de vue. La Marquise de Flers, malgré
l'avertissement de son amie, fait un pari audacieux. Elle veut vivre, par
l'intermédiaire de sa petite fille, une expérience amoureuse digne d'elle. Ainsi le
lieu boudoir est plein : non seulement il révèle la classe sociale à laquelle
appartiennent ces deux dames, mais il est le lieu où se pose, s'énonce la trame
du roman à travers l'évolution d'un personnage - Marigny - qui est annoncé
1 YM P 37
2 . V.M
P 39/40/41

148
dans le chapitre mais qui n'est pas encore apparu sur "scène". Nous savons
qu'il est un personnage attendu et connoté, vu les propos tenus par ces deux
dames.
Ce lieu boudoir s'oppose au topos du roman naturaliste, par exemple chez Zola
qui, très souvent, place le personnage le plus important - le héros - dans un lieu
élevé. Sa position le plaçant à un point tel qu'il lui est facile - par son regard -
d'embrasser tout le domaine que le roman se propose d'aborder.
Chez Barbey, au contraire, c'est beaucoup plus souvent par le parcours et le
déplacement des personnages que se fait la mise en place d'un lieu. Celui-ci se
- découvre en même temps, au fur et à mesure que le personnage se déplace.
L'apparition du Vicomte de Prosny, ses déplacements, ainsi que ceux de Ryno
de Marigny, par un effet de description, associent à chaque lieu parcouru une
classe sociale, définissant du coup la situation économique, politique et
idéologique des uns et des autres.
Le boudoir, lieu sur lequel s'ouvre le roman à l'heure où les gens doivent aller
se coucher (Hermangarde), est la préfiguration d'un dynamisme observé par la
conversation animée et passionnante entre les dames à propos de l'amour. Et
Barbey, en choisissant de donner un groupe humain spécifique au lieu -
boudoir - met en relief l'importance de l'organisation spatiale. En effet,Paris et
le topos Normandie apparaissent successivement le long du roman. Certains
lieux fonctionnent comme des pôles du récit: le boulevard, chez Tortoni, St
Philippe du- Roule, l'église St Thomas d'Aquin, Passy (le hameau des
Boulainvilliers), le 46 de la rue de Provence, l'opéra, Carteret, le village du Bas-
Hamet, les Rivières, la mer, les falaises ...
Ces pôles locatifs regroupent, en fait, des personnages. Ils mettent en place les
grandes oppositions qui structurent l'univers du roman. Ces oppositions, à bien
les considérer, renvoient plus à une division de la société en classes sociales
qu'à toute autre opposition.

149
En effet, ces lieux apparaissent de cette manière lorsque nous les considérons
du point de vue de la Marquise de Flers et ce, quel que soit le lieu, à Paris ou
à Carteret.
Par exemple, si nous prenons le topos"Normandie", à l'exception de quelques
personnages (la marquise de Flers, la comtesse d'Artel les et Madame de
Mendoze) à cause de leur âge ou de leur état de santé, les autres personnages
passent d'un lieu pour nobles à un autre pour roturiers, pêcheurs.
C'est le cas avec Ryno de Marigny qui y suit Vellini et de Hermangarde qui,
espionnant son mari, s'y retrouve malgré elle.
Ainsi le Bas-Hamet est le monde des personnages pêcheurs dominé par un
personnage socialement bien en vue - Vellini - qui y pénètre, l'investit et est au-
dessus des personnages qui y vivent normalement.
On le voit, de part et d'autre, les lieux appartiennent à des personnages
importants, socialement bien placés qui annexent toujours les propriétaires
légaux.
Il apparaît globalement que l'organisation des personnages en classes sociales
est en parallèle avec l'organisation des lieux. Et ceux qui dominent dans l'un
comme dans l'autre sont de la classe sociale la plus nantie: les nobles.
L'existence de deux lieux, foyers de regroupement de personnages et nœuds
des relations qui les unissent, répond donc exactement à l'existence de deux
groupes sociaux différents qui ne sont pas toujours des protagonistes mais qui
le sont, par exemple, dans l'Ensorcelée, le Chevalier Des Touches.
On voit, pour revenir à Une Vieille maîtresse, que la description initiale avec le
passage du boudoir et des personnages nobles à d'autres lieux et à d'autres
personnages est un élément révélateur. Elle nous fait croire, avec raison, que
l'univers du roman s'organise autour de pôles sociaux, de catégories
sociologiques fondées sur une opposition nobles/non nobles.

150
Cette même construction oppositionnelle se retrouve dans la structuration du
Chevalier Des Touches.
En effet, dans ce roman, en partant d'un problème historique - la guerre entre
les Bleus et les Chouans - Barbey met en place deux groupes sociaux
différents, antithétiques. R 1 met en relief une classe sociale donnée, celle de
gens dits nobles que la Révolution a plus ou moins ruinés et qui, par moments,
se retrouvent chez l'un des leurs afin de re-vivre leur grandeur d'antan.
"La Révolution leur avait tout pris : famille. fortune, bonheur du foyer, et ce poème du cœur,
l'amour dans le mariage, plus beau que la gloire ! disait Madame de Staël, et enfin la
maternité. Elle ne leur avait laissé que leurs têtes, mais blanchies et affaiblies par tous les
genres de douleurs." 1
C'est donc la Révolution qui est la cause du regroupement de ces vieillards et
de ces vieilles filles au salon des Touffedelys, salon qui a épousé les contours
des personnages. C'était le salon "d'un vieux appartement comme on n'en voit guère
plus, même en province, et d'ailleurs tout à fait en harmonie avec le groupe qui, pour le
moment, s'y trouvait. Le nid était digne des oiseaux. A eux tous, ces vieillards réunis autour de
cette cheminée formaient environ trois siècles et demi, il est probable que les lambris qui les
abritaient avaient vu naître chacun d'eux." 2
Ainsi R 1 met en place des personnages nobles dans un lieu réservé à eux. En
avançant dans la suite du récit, l'on constate que certains personnages de R1
se retrouvent en R2. C'est essentiellement le cas avec les demoiselles
Touffedelys, Barbe de Percy et Aimée de Spens, le Chevalier Des Touches
aperçu dans les rues de Valognes.
En R2, d'autres personnages apparaissent ; ce sont les Chouans, parmi
lesquels Barbe de Percy et le chevalier Des Touches.
1 C.D.T. P. 37.
2 Ibid P 35.
-----
.._-
-~,.~
-
.~.-~.------~-

151
Nous avons également des Bleus qui sont donnés en bloc. Le récit ne s'attache
aucunement à détailler un personnage Bleu comme s'il valait mieux les
confondre, les fondre en un seul groupe.
Dans cette présentation des personnages, l'accent est donc mis sur une
construction antithétique : deux groupes sociaux que tout oppose: et le
narrateur, par la manière de les présenter, entérine cette disproportion. Une
exception est faite, cependant, lors de la présentation de" l'énergique Hocson" du
camp des Bleus.
Ainsi deux groupes militaires: Chouans/Bleus; l'un est présenté avec minutie:
des noms sont cités; "Mais, puisque, vous le désirez, je m'en vais vous les défiler, tous ces
noms, tous ces grains d'un chapelet d'honneur qu'après moi ne dira plus personne! Ecoutez-
les: c'étaient la Valesnie ou, comme disaient les paysans, la Varesnerie, la Bochonnière,
Cantilly, Beaumont, Saint-Germain, la Chapelle, Campion, le Planquais, Desfontaines et Vinel-
Royal-Aunis, qui n'était que Vinel , en son nom, mais qui s'appelait Royal-Aunis, du nom du
régiment dans lequel il avait été officier. Les voilà tous, avec Juste le Breton et M. Jacques!
Comme M. JacqUes dont le vrai nom s'est perdu sous le sobriquet de bataille, ils avaient tous
ainsi leur nom de guerre, pour cacher leur véritable nom et ne pas faire guillotiner leurs mères
ou leurs sœurs, restées à la maison et trop vieilles ou trop faibles pour faire comme moi la
guerre avec eux." 1
Il est vrai que "ces noms, qui n'étaient pas tous des noms nobles" 2 n'empêchent pas
de poser, fondamentalement, une opposition entre deux groupes sociaux car,
nous semble-t-il, il s'agit d'une lutte de classes entre les partisans de la royauté
et ceux de la République.
Cela est bien vu par le Chevalier de Montressel, plus connu sous le nom de
Général Télémaque qui, avec M. de Frotté, Henri de la Rochejacquelin,
dédaignait les Bleus.
1 CD.T .. P. 116.
2 Ibid P 116.

152
"Si la chair de Bleu s'était vendue au prix du gibier sur les marchés de Carentan ou de
Valognes, pas de doute que mes lambris dégourdis n'en eussent bourré leurs carnassières, et
ne nous eussent abattu, à tout coin de haie, des républicains, comme ils abattaient, dans les
marais de Néhou , des canards sauvages et des sarcelles." 1
On le voit, à travers l'opposition Chouans/Bleus, l'accent est plus mis sur le
monde des Chouans, dominé par une figure masculine privilégiée, le Chevalier
Des Touches.
Cependant,
une autre question apparaît dans la structuration des
personnages:c'est essentiellement le fonctionnement du personnage de la
vieille fille, Aimée de Spens.
En Ri, elle fait partie de l'assemblée de ces vieillards mélancoliques, sourde et
absente parce que n'entendant pas ce que Barbe de Percy raconte. Dans ce
récit 1 , elle est bien présente physiquement, et elle est le fil à suivre de cette
histoire, car il fallait qu'elle soit "dans sa tour, au plus haut de sa tour" 2; autrement dit,
qu'elle soit "sourde 'comme un pot" .3
En Ri, la surdité est un mobile nécessaire. En R2, le personnage d'Aimée de
Spens est l'objet de désirs de la part de tous ces chouans. Ce qui fait que le
thème de l'amour a la même importance que le fait de délivrer Des Touches.
En effet, "... tous l'aimaient... avec un espoir fou ou sans espoir... mais tous l'aimaient, et , je
crois vous l'avoir dit encore, sa cousine, Madame de Portelance, m'a assuré qu'ils avaient tous
demandé sa main." 4
Ainsi le Chevalier Des Touches est le récit de deux axes thématiques: d'une
part, une opposition Chouans/Bleus et d'autre part, l'amour qu'inspire Aimée de
Spens à tous ces chouans. On le voit, dans la construction de ce roman,
certains personnages de Ri se retrouvent en R2. On peut alors parler de
continuité, de prolongement de Rien R2.
1 Ibid P.81/82.
2 C.D.T. P 65.
3 Ibid P65.
4 Ibid P 166.

153
Mais avec Un Prêtre marié, nous avons une toute autre structuration. Entre R1
et R2, il ne semble pas y avoir de lien, sauf le médaillon qui est le relais entre
les deux récits.
R1 correspond au chapitre introductif où d'abord deux personnages de sexe
différent causent; l'un, le personnage de sexe masculin, est fasciné par un
médaillon : "... j'avais les yeux sur son sein rond et hardi comme l'orbe d'un bouclier
d'amazone, et qui respirait, avec la majesté d'un rythme, dans les baleines et les ruches de son
corsage. Mais elle avait raison: ce n'était pas elle que je regardais 1 C'était le médaillon qui
m'ensorcelait tout bas et auquel le mouvement du sein, sur lequel il était posé, semblait
communiquer la vie..On aurait dit qu'il respirait aussi, au milieu de son cercle d'or." 1
Ainsi, nous n'avons pas de grandes indications sur ces personnages. A ces
deux s'ajoute un troisième qui est nommé: c'est Rollon Langrune, "un de ces
puissants intellectuels. Il
Ici l'appartenance sociale se repère difficilement: ni le lieu - assis sur le petit
balcon en face de la Seine près du pont aux quatre statues - ni la nomination
des personnages ne sont des moyens de sociologisation des personnaqesë.
En R2, deux axes de fonctionnement des personnages sont donnés: les riches
et les pauvres, les sociaux et les asociaux. Et le lieu Quesnay est déterminant
dans la recherche de la primauté de l'un ou de l'autre axe.
C'est ainsi que lors de la vente du Quesnay avant son acquisition par
Sombreval : "Tous ou presque tous avaient dans l'idée que l'homme qui ne serait pas noble
et qui serait assez riche pour acheter la terre et le château, et pour y vivre comme les anciens
possesseurs y avaient vécu, devrait être un gars plus que hardi: car, s'il l'osait, on l'y
engraisserait d'humiliations, on l'y régalerait d'ignominies. Il pourrait y faire ripaille de mépris.
C'était certain. L'orgueil des nobles circonvoisins brûlerait l'herbe autour de sa demeure, et
l'enfermerait dans un désert où la dernière goutte d'eau de la politesse ou de la charité lui serait
1 PM. P 22.
20n peut tout de même supposer qu'il s'agit du quai Malaquais. A partir de cet instant, nous avons un
marqueur social.

154
refusée. Son château se changerait en une Tour de la faim- de la faim sociale! Il n'y mourrait
pas, mais il y vivrait! Perspective à effrayer les plus solides de cœur et de reins. Aussi, dans
l'opinion de la contrée, sembla-t-il longtemps que le futur acquéreur du Quesnay - s'il s"en
trouvait un - serait un homme qui viendrait de fort loin et qui ne connaîtrait pas le pays." 1
Dans ce roman donc, le lieu Quesnay préfigure la structuration des
personnages qui fonctionnent par couple en deux groupes: nobles/non-nobles,
sociaux/asociaux.
Les nobles renvoient aux bourgeois, c'est-à-dire ceux qui peuvent acheter le
Quesnay, les non-nobles sont les paysans démunis.
Le deuxième couple fonctionne par symétrie: ceux qui refusent d'acheter le
lieu afin de ne pas être rejetés et ceux qui, comme Sornbreval, achètent et du
coup, se mettent en marge de la société.
Ce qui renforce cet axe d'opposition, c'est que Sombreval devient propriétaire
du lieu Quesnay. Son asocialité s'accentue par le fait qu'il est un personnage
très connu.
"Eh bien ! il s'en trouva un cependant - lequel vint de fort loin, il est vrai, comme on l'avait
toujours dit - et qui connaissait le pays; qui le connaissait, comme pas un ! et dans ses
coutumes, et dans ses idées, et dans tout ce qui aurait dû être pour lui une tête de Gorgone,
clouée sur la grande porte du château qu'il avait résolu d'acheter! Il était du pays; mais ceux
qui l'ont revu, après une si longue absence, ne purent jamais s'expliquer ce téméraire et
insolent retour d'un homme monstrueusement taré et qui portait l'Horreur et l'Epouvante,
comme en palaquin, sur son nom!"2
Et Maître Tizonnet, le notaire "savait de vieux temps l'histoire attachée, dans les
souvenirs du pays, au nom de cet homme assis devant lui, et probablement il se dit que,
puisque le malheureux était assez endurci pour revenir là où il n'aurait jamais dû reparaître,
n'importe où il voulût habiter dans ce coin de Basse-Normandie, que ce fût au Lude, à Néhou
ou à Sainte Colombe, partout, les hommes, les châteaux, les pierres mêmes des châteaux
1 . PM. P 36.
2 PM P 36.

155
environnants se reculeraient devant lui et le laisseraient dans une solitude pire que celle du
lépreux au Moyen Age, quand tout, jusqu'à la maladrerie, lui manquait..". 1
Tous ces sous-entendus font que le personnage acquéreur du Quesnay est
déjà connoté, attendu. On sait qu'il est un prêtre mais marié, accusé de déicide
et de parricide. Les mentions sus-citées font donc que ce roman se construit
sur l'axe de l'opposition sociaux/asociaux. Cet axe est plus important que celui
nobles/non-nobles.
Ce qui revient à considérer que le lieu - Quesnay détermine la division des
personnages en deux groupes: les sociaux et les asociaux.
- Dans l'Ensorcelée, les personnages sont donnés sous la forme de deux
groupes presque antithétiques: les Bleus/les Chouans.
Dans ce roman, nous sommes à une époque de paix relative, la guerre étant
terminée mais chaque groupe restant sur le qui-vive. En tout cas, c'est ce que
donne à lire le personnage de l'abbé de la Croix-Jugan qui avait chouanné tout
prêtre qu'il était. Les Bleus sont symbolisés par le personnage de Thomas le
Hardouey, "cet acquéreur de biens nationaux et d'église."
Entre ces deux personnages leaders apparaît Jeanne le Hardouey qui, par son
mariage, donc civilement, est la femme du Bleu Thomas le Hardouey. Mais par
sa naissance, elle est une Feuardent, un personnage noble qui se situe dans le
groupe des Chouans.
Un autre axe d'opposition entre les personnages apparaît dans ce roman. Ceux
qui sont en marge de la société comme les pâtres-bergers,
la Clotte ... Ici,
encore, nous avons une opposition asociaux/sociaux.
"Seulement, sous une des grandes ouvertures de la cour, cintrée comme l'arche d'un pont et
fermée autrefois par des portes colossales, maintenant arrachées de leurs énormes gonds,
restés rouillés dans les murs, elle aperçut un de ces bergers rôdeurs, la terreur du pays,
1 Ibid P 36/37
- - - - - - - - - - - - - - _ . - - - .--------

156
occupé à faire brouter à quelques maigres chèvres, l'herbe rare qui poussait dans les cours
vides de cette espèce de manoir" 1.
Ainsi deux axes de classifications des personnages :Ies bleus et les
chouans;les sociaux et les asociaux.
Et, par rapport à ces axes, le lieu contribue à renforcer cette opposition.
C'est ainsi que la fonction de la lande de Lessay nous paraît déterminante. Ce
lieu est réservé. On y retrouve la Croix-Jugan, Thomas le Hardouey et les
pâtres. Ce qui signifie que dans ce lieu, les différents groupes sociaux sont
représentés: un chouan - un bleu et un asocial (le pâtre berger).
La lande devient un lieu de "rencontre". C'est un creuset. Mais si tous ces
personnages y passent, le traversent, seuls les asociaux - les pâtres bergers -
y font figure de personnages-possesseurs du lieu. De plus, la disparition du
Bleu Thomas le Hardouey et sa "mort" peuvent s'interpréter comme des
échecs, alors que les pâtres se présentent comme les maîtres de ce lieu. Il y a
une conjonction entre eux et le lieu.
D'une façon générale, nous constatons que les personnages aurevilliens sont
donnés par groupes. Il y a une prédominance des couples bleus/chouans
nobles/non nobles et asociaux/sociaux.
S'il va de soi que cette distinction n'est pas limitative et n'établit pas de barrière
étanche dans leur structuration, elle permet,cependant ,de poser, d'un point de
vue global, une relation entre les personnages et les lieux qu'ils investissent.
Mais dans l'optique d'une investigation plus exhaustive des personnages
aurevilliens, nous allons essayer de faire un parallèle avec la proposition
méthodologique de Philippe Hamon : Pour un statut sémiologigue du
personnage de manière à définir les différents types de personnages qui se
dégagent dans la construction de l'action à travers les romans de notre corpus.
1 g P 114

157
Il est bon de remarquer aussi que dans le système aurevillien des
personnages, certaines règles régissent la structuration et le comportement des
personnages. Elles sont trois, essentiellement: l'amour, la foi en une entité et
les axes d'opposition des personnages.
Retenons simplement qu'en nous fondant sur la proposition méthodologique de
Ph. Hamon, notre objectif est d'arriver à déterminer les types de personnages,
à établir une certaine classification afin d'arriver à nous interroger sur une
question fondamentale dans ce chapitre," Sémantique de l'espace" :quels
personnages pour quels espaces? ou quels espaces pour quels personnages?
Les réponses à ces questions nous permettront d'exploiter et d'expliciter au
mieux l'intitulé de notre chapitre Sémantique de l'espace car nous entendons
par là les espaces ou les lieux en relation avec les personnages d'un récit.
Par rapport à nos trois
règles, si nous partons du postulat que, dans le
système aurevillien, les couples récurrents d'opposition sont construits sur une
distinction entre deux entités opposées, alors à partir de la proposition
méthodologique de Ph. Hamon .nous allons distinguer aussi des personnages
référentiels, des personnages ernbrayeurs et des personnages anaphores.
Les personnages-référentiels sont "des signes qui renvoient à une réalité du monde.
extérieur (table/girafe/Picasso/rivière ...) ou à un concept (structure/liberté/apocalypse;...)On peut
les appeler
référentiels. Ils font tous référence à un savoir institutionnalisé ou à un objet
concret ~(sémantique plus ou moins "stable" et permanente). On reconnaît de tels signes,
ils sont définis par le dictionnaire" 1.
Parmi ces personnages référentiels, Ph. Hamon distingue "des personnages
historiques (...), mythologiques (...), allégoriques (...) ou sociaux (...) Tous renvoient à un sens
plein et fixe, immobilisé par une culture, à des rôles, des programmes, et des emplois
stéréotypés. et leur lisibilité dépend directement du degré de participation du lecteur à cette
culture ( ils doivent être ~et reconnusj'<.
1 - Ph. Hamon - "Pour un statut sémiologique du personnage" in Poétique du récit, Seuil, 1977, P 121.
2 Opeit P. 122.

158
Les personnages-embrayeurs:"lls sont les marques de la présence en texte de l'auteur,
du lecteur, ou de leurs délégués: personnages "porte-paroles" ." 1
Les personnages anaphores assurent la cohésion du récit. Ils font en sorte que
le récit ne soit pas détaché ou décousu. Grâce à eux, le récit se cite lui-même
ou cite des parties nécessaires à sa compréhension. Ce sont des "éléments à
fonction essentiellement organisatrice et cohésive, ils sont en quelque sorte les signes mnérno-
techniques du lecteur ; personnages de prédicateurs, personnages doués de mémoire,
personnages qui sèment ou interprètent des indices, etc" 2
Si nous acceptons cette proposition méthodologique, essayons de voir
comment elle s'applique aux personnages aurevilliens. Nous allons, à cet
égard, considérer les romans de notre corpus cas par cas.
L Opcit P. 122/123.
2Ph.Hamon Opcit P. 123.

159
1- Un Prêtre Marié
a) Les personnages référentiels
* L'ancrage social
Nous entendons par cette expression le point de liaison ou le point de "suture"
entre les diverses catégories professionnelles ou non d'une société donnée. En
fait, il s'agit des différents corps de métier qui structurent une société ou les
divers groupes constitutifs du tissu social. Ainsi:
Les prêtres: l'abbé Hugon - l'abbé Meautis - l'abbé de Neufmesnil - le curé de
Néhou, Sombreval.
Les nobles: le vicomte de Néhou, M. de Lieusaint, Néel de Néhou, Bernardine
de Lieusaint.
Les parents
le vicomte de Néhou, M. de Lieusaint, le vieux Gourgue,
Sombreval.
Les amoureux: le vicomte de Néhou, M. de Lieusaint, le vieux Gourgue, Néel
de Néhou, Calixte Sombreval, Bernardine de Lieusaint, Sombreval.
Les mendiants : Julie la Gamase et toutes les autres (non nommées) qui
exercent cette profession.
Les ouvriers: Jean Bellet le palefrenier des Néhou, les Herpin, les noirs (Pépé
et sa femme).
La clairvoyante 1: la Malgaigne.
1 Il est vrai que la clairvoyance n'est pas fondamentalement un corps de métier, une catégorie socio-
professionnelle. Mais pour des raisons de commodité et pour avancer dans nos travaux, nous la
considérons comme telle.

160
* L'ancrage allégorique:
Des notions comme l'amour, l'ambition, la richesse (l'argent), la noblesse, le
peuple sont des éléments de distinction des personnages. Elles les conduisent
à l'action.
En effet, l'amour qu'a Sombreval pour sa fille est un agent qui le pousse à
persévérer dans son parjure. C'est le même amour qui le pousse à vouloir
marier sa fille à Néel de Néhou.
"Si elle l'aimait, je la lui donnerais. Je n'attends que cela, la Malgaigne ! J'irais le lui chercher
jusqu'à Néhou, jusque dans les bras de son père, et je le lui rapporterais, comme la première
fois qu'elle le vit, je le lui rapportai sans connaissance et l'étendis devant elle sur le mur de la
grille du Quesnay.
Oui, je le lui donnerais pour qu'elle fût heureuse d'abord et ensuite, qui sait? guérie. La nature
cache ses secrets que la science veut apprendre en vain et qui la défient." 1
A la notion d'amour s'ajoutent l'ambition et l'orgueil qui amènent Sombreval à
mettre sa fille dans les bras de Néel et pourtant: "les Néhou ne sont pas faits pour
les Sombreval" 2.
L'argent est l'élément qui le conduit à s'offrir le Quesnay. En effet, "la femme qu'il
avait épousée était la fille d'un chimiste, fort riche, avec lequel il s'était lié d'une amitié
d'adepte" 3 et cette fortune lui a permis d'acheter "comptant" le Quesnay.
Toutes ces notions (amour-richesse-orgueil) relèvent de l'ordre de l'allégorie et
agissent sur le personnage de Sombreval. Elles exercent, par ailleurs, une
force sur d'autres personnages comme Néel de Néhou, Bernardine de
Lieusaint. C'est l'amour qui pousse l'un vers Calixte et l'autre vers Néel.
On peut considérer le serment - la parole donnée - com me une notion
allégorique dans la mesure où elle oblige, en quelque sorte, un personnage
comme Néel à s'en tenir à ce que le vieux Néhou a décidé: "Ils t'ont bien soigné,
1 P.M. P. 180.
2 Ibid P. 180.
3 Ibid. P. 44

161
chevalier, et je ne demande pas mieux que de les voir se relever dans l'estime publique... s'ils
peuvent s'y ramasser. Mais toi, chevalier, quand reviendras-tu à ta fiancée et retourneras-tu à
Lieusaint? Le vieux Bernard, qui ne remet pas les pieds ici, s'est avisé de m'écrire, lui qui
n'écrit jamais, pour me renvoyer ma parole de Coblentz, mais les Néhou n'ont pas l'habitude de
reprendre ce qu'ils ont donné et encore moins la parole qu'autre chose; .." 1
* L'ancrage mythologique
C'est la notion de Dieu considéré comme l'Etre Suprême.C'est une notion forte
dans la mesure où elle pousse les gens de cette région de Normandie à ne
pas pardonner à Sombreval le fait de s'être marié. Aussi le rejettent-ils. "En eHet,
pour ce coin du pays d'où la religion n'était pas déracinée encore (... ), cet inconnu, qui n'en
était plus un pour maître Tizonnet, était plus criminel et plus odieux que l'assassin - que le
bandit qui a tué un homme. Lui, il avait TUE DIEU, autant que l'homme, cette méchante petite
bête de deux jours, peut tuer l'Eternel - en le reniant! C'était un ancien prêtre - un prêtre
marié" 2 .
Non seulement il est accusé de déicide, mais en plus, il lui est reproché d'être
parricide. Aussi : "... quand on apprit un matin, comme une bombe éclate, que l'abbé
Sombreval avait consommé son apostasie, qu'il avait accompli intégralement son sacrilège,
plongé sa personne consacrée par le sacerdoce dans le bourbier des bras d'une femme et qu'il
ne l'en retirerait jamais - car il était marié - son père mourut de cette nouvelle, comme on meurt
d'un coup de fusil, tiré à bout portant..." 3
1 P.M P.288 (nous soulignons).
2 Ibid P 37138.
3 PM
P 42.
=========================~~~- -----"

162
b) Les personnages - embraveurs
Représentante d'une opinion ou d'un point de vue, la Malgaigne est le porte-
parole type.
- La Malgaigne est un personnage important car sa présence permanente dans
l'histoire est le rappel constant de sa prédiction à l'égard de Sombreval.
"Eh bien! non, Jean, ma place n'est pas au Quesnay, et plût à Dieu, que ce n'eût jamais été la
tienne! Mais, hélas! rien n'a pu t'empêcher de faire ce que le mauvais esprit avait bien prédit
que tu ferais (...) Seulement, si c'est plus fort que toi de faire ce que tu fais, c'est plus fort que
moi aussi de te répéter la même chose, de t'avertir comme je n'ai jamais manqué de t'avertir,
quoique jè sache que c'est en vain. Nous avons chacun notre destinée. Tu peux t'agiter dans la
tienne, mais moi, je suis semblable à la borne de la route, qui dit le chemin, même aux
insensés qui ne le suivent pas! " 1
Ce personnage meurt et disparaît de la scène quand les Sombreval périssent.
Lui, englouti par les eaux de l'étang du Quesnay comme si leur mort signifiait la
fin de sa mission, de sa partition. Elle, ensevelie dans la tombe qui avait été
faite pour elle et de laquelle elle avait été arrachée par son père, Sombreval.
"... C'est une heure solennelle. Néel porta Calixte vers sa tombe ouverte, et tout d'abord il ne
vit pas la Malgaigne, mais une seconde après, il l'aperçut gisant à moitié sur l'herbe où l'avait
renversée Sombreval.
"Mère - lui dit-il· la voici, elle! que je rapporte à sa tombe, mais lui! je n'ai pu l'empêcher de
périr...
- Vére ! fit-elle. 1\\ faut que les sorts s'accomplissent. Il a péri par l'eau ... n'est-ce-pas ? comme
je l'avais vu...
. Oui, dit Néel - dans l'étang de son Quesnay où vous l'aviez vu le jour de la barque, enfoncé
avec cette enfant que j'ai arrachée: saint amour qui, du moins, dormira dans une terre
chrétienne! (...)" Tous les sorts sont accomplis, grande Malgaigne ! dit-il excepté un! "
1 Ibid
P. 126/127.

163
Elle ne répondit pas. Il se baissa, elle était morte." 1
- Rollon Langrune pour avoir dit l'histoire de ce médaillon. C'est lui qui a
reconstruit cette histoire car "pendant des mois, des mois entiers, il avait recueilli les
fragments épars de cette histoire, comme on recueille par terre le parfum qui s'échappe d'un
flacon brisé ..;" 2
- Jeanne Roussel .en apportant des compléments d'information, ancre le récit
dans le réel car elle "avait parfaitement connu la dernière génération de cette famille (du
Quesnay), tuée par ses vices comme toutes les vieilles races, qui ne meurent jamais d'autre
. chose que de leurs péchés."
3. Elle rend le récit vraisemblable.
- Julie la Gamase : elle est le porte-parole de l'opinion générale des gens du
bourg. Elle a assez de courage pour dire haut ce que tout le monde murmure.
" Pour Sombreval, Julie la Gamase, l'ignominieuse mendiante .était l'Injure vivante et abhorrée,
la seule injure qui le trouvât sensible, ce grand endurci, trempé et forgé dans le mépris des
orgueilleux... Des injures qui pleuvaient sur lui de tous les points de l'horizon et qui tombaient
comme les flèches de la Bible - dix mille à sa droite et dix mille à sa gauche - l'injure de Julie la
Gamase était la seule qui ne fût pas perdue et qui s'enfonçât dans la cible de son âme fermée
à tout, repoussant tout, comme un bouclier. Partie de plus bas, elle atteignait mieux." 4
L'on peut établir entre ce personnage - Julie la Gamase - et La Malgaigne un
lien Il y a une caractéristique commune à ces deux personnages. En effet,
personnages féminins de l'histoire, elles sont (quelque peu) en marge de la
société. L'une pour ses visions et l'autre, par sa fonction de mendiante.
A ces personnages-embrayeurs, il faut ajouter le personnage-auteur qui fait
imprimer l'histoire de Sombreval en roman.
1
P.M. P. 430.
2 Ibid
P.30.
3
Ibid. P 35.
4
tbid P. 250

164
c) - Les personnages-anaphores
Dans cette catégorie, nous retrouvons certains personnages embrayeurs :
- Jeanne Roussel : elle donne des compléments d'informations à l'auteur-
scripteur. Elle renforce l'idée de référent du récit.Sa présence constitue un effet
de réel.
- Rollon Langrune : il raconte l'histoire du médaillon de Sombreval à une
narratrice. Il devient, plus tard, le narrateur-personnage-auteur.
- Julie la Gamase assume ce rôle avant sa mort. Sa présence incrimine
davantage Sombreval. Elle est la conscience collective de cette société bas-
normande où se déroule l'histoire.
- La Malgaigne dont la présence permanente ne nous éloigne pas de ce qui
attend Sombreval : périr dans l'étang du Quesnay.

165
2) L'Ensorcelée
a) Les personnages référentiels
* L'ancra2e social:
C'est le repérage des différents corps de métier dans la société dont il est
question.
Le clergé : L'abbé de la Croix-Jugan, le Curé Caillemer, le curé de
Varenguebec, le Prieur de Regneville, l'Evèché.
Les ouvriers: Dussaucey (le maréchal-ferrant), Lendormi (le meunier), la
tenancière du Taureau rouge, Mère Mahé, Mère et la petite Ingou (les
lavandières), Marie Hecquet, les bergers (le pâtre et les autres).
Les nobles/chouans : Sang d'Aiglon de Haut Mesnil - les Feuardent - la
Comtesse de Montsurvent - Bras de Violon, la Croix Jugan - la Clotte.
Les roturiers/Bleus Thomas le Hardouey, les Bleus de la forêt de Cërisy, Augé.
Conjonction Bleus/Chouans: Jeanne le Hardouey
* L'ancrage allégorique
L'amour de Jeanne le Hardouey pour la Croix-Jugan est un motif qui la pousse
à s'éprendre de celui-ci: "Il faut bien le dire, il faut bien lâcher le grand mot que j'ai retardé
si longtemps: Jeanne Madelaine aimait d'amour l'abbé Jéhœl de la Croix-Jugan (...). L'amour
de Jeanne, que je n'ai point à justifier, qu'il fût venu à travers l'horreur, à travers la pitié, à
travers l'admiration, à travers vingt sentiments, impulsions ou obstacles, possédait le cœur de
cette femme avec la furie d'une passion qui, comme la mer, a dévoré tout ce qui barrait son
passage, ..." 1
L'obsession de la guerre, sinon la possibilité d'une reprise de la confrontation
entre Bleus/Chouans, est un mobile qui pousse le prêtre chouan à toujours être
sur ses gardes.
1 ~ P 166.

166
Lorsqu'il aperçoit, en traversant la lande de Lessay, le corps meurtri de son
amie la Clotte, la première pensée de l'abbé est d'y voir la main des Bleus:
"Voilà de la besogne de Bleus! - dit-il, mettant le doigt sur la moitié de la vérité par le fait de sa
préoccupation éternelle, - les bandits auront tué la vieille chouanne" 1.
L'honneur de la royauté et de l'église a poussé l'abbé à "chouanner (... ) ce qui ne
convenait guère à un homme de son état, à un lévite, à un prêtre ..." 2
A ces éléments, nous ajoutons l'orgueil et l'ambition de le Hardouey.
* L'ancrage mythologique
C'est encore la notion de Dieu qui pousse la Croix-Jugan à chouanner: "La
cause pour laquelle l'abbé de la Croix-Jugan se battait était si sacrée, puisque c'était celle de
notre sainte religion ..." 3
Le pouvoir surnaturel des pâtres: en effet, "la prédiction menaçante du berger s'était
peu à peu enfoncée dans son âme. D'abord, elle en avait bravé et insulté l'influence, mais la
force de ce qu'elle éprouvait l'y fit croire. Autrement, elle n'aurait rien compris à tout ce qui se
passait en elle. Quand elle pensait à l'objet de son amour: "Suis-je dépravée?" se disait-elle;
et ce doute rendait son amour plus profond ... plus marqué du caractère de la bête dont il est
parlé dans l'Apocalypse, et qui, pour les âmes, est le sceau de la damnation éternelle." 4
Une remarque s'impose à nous: il est étonnant que la prédiction ait prise sur le
personnage de Jeanne le Hardouey car elle n'était pas femme à avoir peur
comme Nônon Cocouan. Et pourtant! N'est-ce pas le lieu? Elle était "au Vieux
Presbytère, dans un mauvais carrefour où âme qui vive ne passera plus maintenant.."5
Aussi, une fois au Clos, chez elle, elle ne put "s'empêcher d'associer dans ses
émotions intérieures l'idée du sombre prêtre et les menaces du berger". 6
1 Ibid P. 231.
2 Ibid, P. 126.
3 ç, P.126.
4 Ibid P. 166/167.
5 ç, P. 117.
6 Ibid P. 118.

167
En somme, si le pouvoir surnaturel agit sur le personnage,cela est en partie dû
au lieu.Et tous les lieux surnaturels comme le Vieux Presbytère, l'Abbaye de
Blanchelande, la lande de Lessay, lieux propices au fantastique, semblent avoir
un effet sur le personnage.
b) Les personnages-embraveurs
La Clotte: c'est un personnage porte-parole d'une classe sociale donnée: les
nobles, bien qu'elle ne soit pas de sang noble.
"Une autre raison encore de cet intérêt qu'elle montrait courageusement à la Mauduit, car, dans
l'opinion du pays, Clotilde s'était déshonorée, et le poids de son déshonneur devait, sans qu'on
l'allégeât rester sur elle, c'est que, fière de ses souvenirs comme elle l'avait été de sa beauté, la
Clotte, ainsi qu'on l'appelait alors, aimait à tenir tête au mépris public en rappelant hardiment à
quel monde elle s'était mêlée autrëtois. Elle avait un respect exalté pour les anciennes familles
éteintes, comme l'était celle des Feuardent. Vassale orgueilleuse de ceux qui l'avaient
entraînée, elle gardait une espèce de fierté féodale même de son déshonneur." 1
- La Comtesse de Montsurvent s'inscrit dans le même registre mais elle est
l'émanation de cette classe.
"Je l'ai dit déjà, mais il me parait nécessaire d'insister: le fermier du -Mont- de -Rauville omit
dans son récit bien des traits que je dus plus tard à la Comtesse Jacqueline de Montsurvent;
seulement, ces détails. qui tenaient tous à la manière de voir et de sentir de la comtesse et à sa
hauteur de situation sociale, ne portaient nullement sur le fond et les circonstances
dramatiques de l'histoire que mon Cotentinais m'avait racontée." 2
- Maître Tainnebouy est celui qui raconte au narrateur-auteur l'histoire de
l'abbé. Après avoir entendu sonner la cloche dans la lande de Lessay, celui-ci
se fait raconter cette histoire. "S'il y avait dans l'histoire de l'herbager ce qu'on nomme
communément du merveilleux (...l. il Y avait en même temps de ces événements produits par le
choc des passions ou l'invétération des sentiments, qui donnent à un récit, quel qu'il soit,
1 ~ P. 132.
2 Ibid P. 259.

168
l'intérêt poignant et immortel de ce phénix des radoteurs dont les redites sont toujours
nouvelles, et qui s'appelle le cœur de l'homme." 1
Le narrateur-personnage-auteur du roman: son récit est la somme des
versions données par Maitre Tainnebouy et par la comtesse de Montsurvent; il
est fort intéressé par cette histoire parce qu'il a "... toujours été grand amateur et
dégustateur de légendes et de superstitions populaires, lesquelles cachent un sens plus
prodond qu'on ne croit, inaperçu par les esprits superficiels qui ne cherchent guère dans ces
sortes de récits que l'intérêt de l'imagination et une émotion passagère." 2
c) Les personnages anaphores
- Maitre Tainnebouy assure la cohésion du récit par la connaissance qu'il a de
cette histoire car, dit-il, "mon père et mon grand-père, (...) ont chouanné dans le temps
comme leurs maîtres. J'ai même un de mes oncles qui a été blessé de deux chevrotines dans
le pli du bras, au combat de la Fosse, auprès de Saint-Là, sous M. de Frotté." 3
Il est donc très bien placé pour dire cette histoire car il en a été nourri dès sa
tendre enfance ..
- le personnage-narrateur-auteur du roman parce que: "comme on ramasse
quelques pincées de cendre héroïque, j'avais recueilli tous les détails de cette entreprise, sans.
égale parmi les plus merveilleuses crâneries humaines. Je les avais recueillis là où, pour moi,
gît la véritable histoire, non celle des cartons et des chancelleries, mais l'histoire orale, le
discours, la tradition vivante qui est entrée par les yeux et les oreilles d'une génération et
qu'elle a laissée, chaude du sein qui la porta et des lèvres qui la racontèrent, dans le cœur et la
mémoire de la génération qui l'a suivie. Encore sous l'empire des impressions que j'avais
éprouvées, rien d'étonnant que ce nom de Chouans, prononcé dans les circonstances
extérieures où j'étais placé, réveillât en moi de puissantes curiosités assoupies." 4
1 Ibid P. 71.
2 ~ P. 70m.
3 Ibid P. 64.
4 Ibid P 64

169
- La Comtesse de Montsurvent joue le même rôle que Tainnebouy. A la
différence de celui-ci, qui, à propos de l'abbé de la Croix-Jugan "parlait beaucoup
par ouï -dire, et pour l'avoir entr'aperçu une ou deux fois du bout de l'église de Blanchelande à
l'autre bout, (alors que) la vieille comtesse l'avait connu ... Elle ne l'avait pas seulement vu à
cette distance qui transforme les bâtons-flottants; elle l'avait coudoyé dans cet implacable
plain-pied de la vie qui renverse les piédestaux et rapetisse les plus grands hommes; ..~ 1
Ainsi, sa présence rend le récit plus vraisemblable. Par cela, il y a la recherche
d'un effet de réel, nécessaire pour que le récit ne soit pas fondamentalement
pris comme un récit relevant totalement du fantastique, du merveilleux.
- Pierre Cloud est celui qui permet de raconter la légende de la Croix-Jugan. "
est le seul à avoir assisté à la fameuse messe alors que le tintement de la
cloche est entendu par plusieurs autres personnes. Sa vue rend l'histoire
vraisemblable. Cela fait supposer que celle-ci n'est pas inventée puisque
quelqu'un a assisté à la messe.
"Pierre Cloud, ce compagnon à Dussaucey le forgeron, qui avait tant versé de taupettes à le
Hardouey le soir qu'il rentra au clos (;..~ vit, nettement, par le dos, l'abbé de la Croix-Jugan
debout au pied du maître-autel. Il n'y avait personne dans l'église, noire comme un bois, avec
ses colonnes. Mais l'autel était éclairé, et c'était la lueur des flambeaux qui faisait ce rouge des
fenêtres que Pierre Cloud avait aperçu de l'échalier. L'abbé de la Croix-Jugan était, comme il y
avait un an à pareil jour, sans capuchon et la tête nue; mais cette tête, dont Pierre Cloud ne
voyait en ce moment que la nuque, avait du sang à la tonsure, et ce sang, qui plaquait aussi la
chasuble, n'était pas frais et coulant, comme il l'était, il y avait un an, lorsque les prêtres
l'avaient emporté dans leur bras." 2
1 ~. P 260.
2 Ibid P265 et P 267.

170
3) Une Vieille maîtresse
a) Les personnages référentiels
Nous n'avons que deux corps sociaux du point de vue de :
* L'ancrage social
Les nobles: Madame la Marquise de Flers, Madame la Comtesse d'Artelles,
Ryno de Marigny, Hermangarde de Polastron, M. de Prosny, M. de Mareuil, M.
de Cerisy, Madame de Mendoze, Madame de Solcy...Velüni.'
Les ouvriers: Les pêcheurs: Capelin, le Père Griffon, les marins et les autres
pêcheurs. Bonine du Bas-Hamet ; sa mère Charline sont du village les Rivières
et servent de domestiques à Vellini lors du séjour de celle-ci. Olivia est la
servante de la même Vellini à Paris.
* Au niveau de l'ancrage allégorique.
L'amour est le motif qui structure tout le roman; il est l'élément le plus
important qui l'organise. Il pousse les autres personnages à agir, à s'activer.
Les relations entre Ryno et Hermangarde, Ryno et Vellini, M. de Prosny et
Madame d'Artelles sont toutes centrées sur cette notion
d'amour. Dans ce
roman, toutes les formes d'amour sont (presque) esquissées: l'amour qu'ont
les douairières (Madame de Flers et Madame d'Artel les) pour leur petite fille est
un amour très tendre. Hermangarde a, pour elles, beaucoup de considération et
d'affection. Aussi, lorsqu'il lui est demandé de rentrer se coucher alors qu'il est
plus de minuit et que Ryno se fait attendre, Hermangarde "écrasée sous la double
opinion de ces deux vénérables Sagesses obéit sans répondre. Quelque Parisienne que l'on
soit, quand on est très bien élevée, on a une petite obéissance dont le silence est presque
romain. C'est l'avantage des filles qu'il faut sur les filles qui ne le sont pas. Les enfants trop
aimés des bourgeois murmurent toujours." 2
111 faut reconnaître que c'est par commodité d'emploi que nous situons Vellini dans ce groupe. En effet, il
est difficile de la classer ici, elle est fille d'une duchesse et d'un toréador (non noble ).Cette origine
bâtarde est symboliquement très importante justement.
2 V.M. P.31.

171
Entre Ryno et Hermangarde, Ryno et Vellini, c'est un sentiment d'affection d'un
sexe pour l'autre. Hermangarde brûle d'amour pour son Ryno qui ne vient pas
alors qu'il est attendu. Et la Comtesse d'Artel/es rend compte de cet amour:
"Elle l'aime, hélas! bien trop pour cela. Réellement, je suis effrayée de cet amour, ma chère
marquise. Il est trop violent..." 1
Avec Vellini, une autre forme d'amour apparaît: il est à la fois du domaine de
l'allégorique et du domaine mythologique. En effet, un pacte de sang lie Ryno à
Vel/ini laquelle croit fermement que tant que ce charme ne sera pas rompu,
Ryno lui reviendra toujours.
* L'ancrage mythologique
Ainsi, c'est le lien de sang établi entre Ryno et Vellini. Après qu'elle a manqué
de le tuer par l'entremise de Sir Annesley, Vellini s'attache à Ryno d'une
manière forte et sauvage, presque démente.En effet, alors qu'il est blessé,
presque inconscient, Vellini suce cette plaie offerte car elle avait "entendu dire que
sucer les blessures les empêchait d'être mortelles..." 2
Ainsi, "j'ai donc bu de ton sang! -ajouta-telle avec une inexprimable fierté de sensuelle
tendresse.- Ils disent, dans mon pays, que c'est un charme ... que quand on a bu du sang l'un
de l'autre, rien ne peut plus séparer la vie, rompre la chaîne de l'amour." 3
Par cet acte digne d'un vampire, Vel/ini fait entrer en elle le corps et la vie de
Ryno. A partir de ce moment, rien n'arrive à rompre leur amour, pas même le
mariage désiré et voulu par Ryno.
L'appel du sang est toujours très fort, très puissant et ne laisse aucun répit à
Ryno qui n'arrive pas à s'en défaire, à se dérober, à rompre ce charme d'un
talisman particulier concocté par Vellini.
1 V.M. P.32
2 Ibid
P 152.
3 Ibid
P.152

172
Barbey fait intervenir une dimension surnaturelle pour expliquer les relations
amoureuses de Ryno et de Vellini. Par cela, il atténue quelque peu le courroux
que nous inspire l'acte de Ryno et de Vellini.
Barbey nous pousse à nous dire : "ce n'est pas de leur faute, c'est le sang".
Précisément, cette phrase est plus ou moins énoncée par Vellini "ce n'est pas moi,
Ryno, c'est le sort, c'est le sang !." 1
Au merveilleux qu'inspire le charme du sang s'ajoutent les légendes du criard,
de la Blanche Caroline et du tombeau du diable. Ces légendes donnent une
explication à ce qui arrive à Hermangarde.Elles sont des trompe-l'œil qui lui
font croire qu'elle se trompe.
Par exemple, la venue de Vellini à Carteret se signale par un cri qu'elle
distingue très bien. Mais Ryno lui fait croire que c'est le criard.
"Un cri perçant vibra dans le vaste silence. • "Quel est ce cri 7" dit Hermangarde surprise et
troublée. Ryno lui même avait tressaili en l'entendant.
"Ah! mon Dieu! serait-ce le Criard ,- fit-elle ,. dont ils nous parlaient, il ya quelques jours, aux
Rivières, chez le pêcheur Bas-Harriet ? Ecoutons", ajouta-t-elle, curieuse (...)
Mais le cri recommença, plus perçant et plus net. On eût dit qu'il était poussé du pied des murs
de la cour.
"Non ! ce n'est pas le Criard, - dit Hermangarde - c'est une voix humaine, c'est le cri d'une
femme, cela! ..."
"Leur criard, dit Marigny, - ce sont les fraudeurs de la côte, qui profitent de la crédulité de ces
gens • ci pour les éloigner par la terreur du point où ils projettent de débarquer leur
contrebande. Je parierais que cette embarcation est pleine de fraudeurs .
• Mais ce n'est pas un cri d'homme que nous avons entendu! fit Hermangarde, sur qui le cri
avait produit un effet de terreur inexplicable; car elle était naturellement brave de cœur et forte
de nerfs, comme une femme de roi.
1 V.M:
P 387

173
-Tu te seras trompée, ma belle vie" dit Ryno .Et il l'entraina avec une impétuosité de
mouvement qu'elle prit pour la douce furie d'une amour interrompue dans ses plus ineffables
jouissances.
Mais il savait bien qu'elle ne s'était pas trompée, et même il savait de quelle poitrine ce cri
étrange était sorti";'
b) les personnages-embrayeurs
- Ryno de Marigny: il est le personnage qui raconte lui-même son histoire à la
Marquise de Flers.
, - M. de Prosny , par ses espionnages constants et fréquents aussi bien chez
Vel/ini que dans la société mondaine, joue un tel rôle.
- Madame d'Artel/es et Madame de Flers rendent compte de leur point de vue
sur une société donnée. "Nous ne sommes pas vieilles pour rien, ma chère, et vous
devriez savoir cela" est un rappel constant de cette opinion sur la société de la
Restauration pour laquelle "l'amour, dans une société de gens bien élevés, ne doit pas
emporter toutes les relations de la vie." 2
le Père Griffon: exprime une opinion sur la société des pêcheurs car, lui, est
d'un autre âge. Aussi s'extasie-t-il devant la Blanche Caroline: "Ah! - fit-il avec
enthousiasme, - que Notre Dame de la Délivrande soit bénie pour avoir permis au vieux Grillon
de voir encore, avant d'être aveugle tout à fait, un navire qui lui rappelât son ancien temps,
quand il manœuvrait à bord de l'Espérance, sous le grand Bailli de Suffren i" 3
1V. M
P. 3071308/309
. 2 Ibid
P.32.
3 Ibid
P.345

174
c) Les personnages-anaphores
-Ryno de Marigny en racontant lui-même sa liaison avec Vellini à la marquise
de Flers, se positionne comme un acteur de premier ordre de cette histoire. Il
est donc le mieux placé pour la dire. Il y a la recherche d'un effet de réel.
- Madame de Flers pour avoir suscité l'envie chez de Marigny de raconter son
histoire avec Vellini, "cet amour étrange dont les souvenirs épouvantent et attirent un
homme aussi fort que Marigny, femme par les nerfs et la mobilité, homme par les muscles et le
caractère; .."1 authentifie le récit. De plus, ayant élevé Hermangarde et proche
parente de celle-ci, par son désir de savoir ce qu'il en a été entre Ryno et
Vellini, Madame de Flers donne une parcelle de réalité à l'histoire racontée.
- Monsieur de Prosny, par son espionnage chez Vellini et dans la société
mondaine, apporte aux deux douairières les éléments dont elles ont besoin
pour satisfaire leur curiosité. En effet, c'est lui que Madame d'Artelles envoie
chez Vellini afin de sonder celle-ci lorsque le projet de mariage entre Ryno et
Hermangarde est arrêté: "Allez donc, Vicomte! - fit Madame d'Artel les. -Tâchez de
m'avoir des détails; tâchez de savoir par quel diabolique talisman cette femme qui n'est ni
jeune, ni belle, dites-vous, a pris sur M. de Marigny un ascendant qu'elle n'a jamais perdu,
tandis que cette pauvre petite Madame de Mendoze, par exemple, tue sa jeunesse et sa jolie
figure dans les larmes, pour un homme qui a la monstrueuse ingratitude de ne pas même s'en
apercevoir." 2
- Le narrateur-personnage- auteur pour avoir été le scripteur de cette histoire
d'amour entre un homme et sa maitresse de dix ans, cet homme qui n'arrive ni
à abandonner celle-ci ni sa femme jeune encore.
1 V.M. P 104.
2 Ibid. P 64.
----------------------_._--_.

175
4) Le Chevalier Des Touches
a) Personnages référentiels
Comme dans Une Vieille maîtresse, deux groupes sociaux sont présents dans
Le Chevalier Des Touches. Ils se limitent du point de vue de :
*
'-
L'ancrage social : aux nobles/chouans et aux bleus.
Les nobles/chouans: Des Touches, les Touffedelys, le baron de Fierdrap, les
Percy, Aimée de Spens, M. Jacques, La Valesnie,
la Bochonnière,Cantilly,
Beaumont, Saint-Germain, la Chapelle, Campion, le Planquais, Desfontaines,
Vinel-Royal Aunis, Juste Le Breton.
Les Bleus: Hoscon et les autres; le meunier du Moulin bleu.
* l'ancrage allégorique
L'amour est une notion qui pousse certains personnages à l'action. Aimée de
Spens aime M"Jacques ; et les autres chouans sont tous épris d'elle. L'amour
qu'ils ont pour elle les pousse à faire preuve de bravoure, à se surpasser au
cours des luttes entre bleus et chouans.
La royauté est le mobile de cette guerre entre chouans et bleus. Les uns pour
la poursuite du gouvernement monarchique et les autres pour l'instauration
d'une République.
* L'ancrage historique
Barbey s'inspire largement d'un événement historique qui a bouleversé la
France. C'est la guerre entre les Bleus et les Chouans avec des personnages
historiques comme Quintal, le général Télémaque et le Chevalier Des Touches
"l'intrépide guerrier des princes".

176
b) Les personnages-embraveurs
- Barbe de Percy puisqu'elle donne l'histoire de Des Touches est "la vieille
historiographe sans plume et qui ne l'était que de bec" .1 Elle est la mémoire vivante de
l'histoire de Des Touches. A plusieurs reprises, elle est considérée comme une
historienne. De plus, elle est le narrateur principal de l'histoire de Des Touches
et elle a participé à l'expédition qui a permis de délivrer celui-ci. En effet "... ma
sœur que tu vois là, dans la splendeur de tous ses falbalas est un des sauveurs de Des
Touches, ni plus ni moins, mon cher! Elle a fait partie, (...) de la fameuse expédition des
Douze, qui nous parut si incroyablement héroïque, quand Sainte-Suzanne nous la raconta, uri
soir, chez mon cousin, le duc de Northumberland ...
Elle avait si bien caché son sexe, ou ces messieurs furent si discrets, qu'elle fut prise pour un
de ces gentilshommes qui ne se connaissaient pas tous les uns les autres, mais qui
s'appelaient également tous, les uns pour les autres: "Cocarde blanche !" Aurais-je jamais cru
que l'un des Pâris de notre belle Hélène fût ... ma soeur ,,2
- Le Baron de Fierdrap joue le rôle de narrataire principal et privilégié. Il est
celui qui ne sait pas tout des dessous de l'histoire de Des Touches. Aussi
s'écrie-t-il devant la lenteur de Barbe de Percy: "lignes et hameçon! . dit le baron de
Fierdrap étonné, - que de précautions pour une histoire ! C'est donc quelque chose de bien
terrible pour mademoiselle Aimée, ce que vous allez raconter. J'avais bien ouï dire autrefois
qu'elle avait perdu son fiancé dans la fameuse expédition des Douze et qu'elle n'avait jamais, à
cause de cela, voulu entendre parler de mariage, depuis ce temps-là, malgré les bons partis qui
se présentèrent; mais, bon Dieu! où donc en sommes-nous, si, au bout de vingt ans, il faut
prendre des ménagements pareils pour raconter une vieille histoire devant une .. devant
une ..,,3
1 C.D.T. P 117.
2 Ibid P 59160.
3 Ibid P 73f74.

177
L'enfant auquel ces vieillards ne font pas attention et qui se charge de
transcrire plus tard l'histoire de Des Touches: "II avait environ treize ans, l'âge où, si
vous êtes sage, on oublie de vous envoyer coucher dans les maisons où l'on vous aime!
Il l'avait été, ce jour- là, par hasard peut-être, et il était resté dans ce salon antique, regardant et
gravant dans sa jeune mémoire ces figures comme on n'en voyait que rarement dans ce
temps-là, et comme maintenant on n'en voit plus, s'intéressant déjà à ces types dans lesquels
la bonhomie, la comédie et le burlesque se mêlaient, avec tant de caractère, à des sentiments
hauts et grands. Or, si elle vous a intéressé, c'est bien heureux pour cette histoire, car sans lui
elle serait enterrée dans les cendres du foyer éteint des demoiselles TouHedelys, dont la famille
n'existe plus et dont la maison de la rue des Carmélites, à ces cousines de Tourville, est
habitée par des Anglaises en passage à Valognes, et personne au monde n'aurait pu nous la
raconter et vous la finir! ... " 1
- L'abbé de Percy pousse sa soeur Petronille de Percy à raconter l'histoire de
Des Touches "à Fierdrap, qui ne l'a jamais sue que de bric et de broc, (...), par la très bonne
raison qu'il ne l'a jamais entendue que dans les versions infidèles et changeantes de
l'émigration!" 2'
- Aimée de Spens : sa présence en R 1 et en R2 en fait un personnage de
premier ordre. Aussi est-elle ménagée avant que l'histoire de Des Touches ne
soit dite. Elle "avait perdu son fiancé au moment où, devenue pauvre par le fait de la
spoliation révolutionnaire, elle cousait elle-même sa modeste robe de noces de ses mains
féodales ; et même on ajoutait tout bas qu'elle avait fait de cette robe inachevée et inutile le
suaire de son malheureux fiancé... " 3
- Les Touffedelys offrent en R1 et en R21es lieux de l'action. En R1, c'est dans
leur salon de la rue des carmélites. En R2, c'est leur château qui est la retraite
des Chouans lors de l'expédition pour délivrer Des Touches.
1 C.D.T. P.226.
2 Ibid P.61
3 Ibid
P 68.

178
Tous ces personnages donnent au récit un effet de réel. Ils justifient et
renforcent le vraisemblable.
c) Les personnages anaphores
- Barbe de Percy pour avoir pris part à l'expedition qui a permis de délivrer Des
Touches, et pour le rôle de narrateur premier qu'elle joue, donne au récit un
effet de réel; elle le rend plus vraisemblable. En fait, elle en parle en tant que
témoin privilégié des événements qui se sont déroulés. Non seulement, elle
. connaît tous ces chouans qu'elle évoque, mais elle est assez bien placée pour
dire l'histoire de Des Touches.
"Et, d'ailleurs, je ne parle pas pour moi, Barbe -Petronille de Percy, qui n'ai jamais été une
femme que sur les fonts de mon baptême, et qui, hors de là, ne fus toute ma vie qu'un assez
brave laideron, dont la laideur n'avait pas plus de sexe que la beauté du Chevalier Des
Touches n'en avait...
"Mais je parle pour ces demoiselles de Touffedelys ici présentes, alors dans toute la splendeur
de la vie... Je parle pour Hortense de Vély, pour Elisabeth de Manneville, pour Jeanne de
Montevreux, pour Yseult d'Orglande, et surtout pour Aimée de Spens, devant qui toutes les
autres, si radieuses fussent-elles, s'effaçaient comme un brouillard de rivière devant le soleil.
(...). C'était une enfant, mais tellement belle, Monsieur de Fierdrap, qu'excepté ce cœur de
brochet, le chevalier Des Touches, il n'y eut peut -être pas un seul des hommes de cette
époque qui la vît sans l'aimer, cette Aimée la bien nommée, comme nous l'appelions! " 1
- le Chevalier Des Touches, vieux, dans les rues de Valognes, presque fou. "Le
hasard m'apprit, en effet, parce que je n'avais jamais cessé de penser à cet homme et de
m'informer de son destin, qu'il vivait... et que mon grand abbé de Percy ne s'était pas trompé
quand il l'avait vu et qu'il l'avait pris pour un fou. De Valognes, qu'il avait traversé, comme le roi
Lear, par la pluie et par la tempête, revenant d'Angleterre, échappé à ceux qui le gardaient et le
ramenaient dans son pays, il était allé tomber dans une famille qu'il avait épouvantée de la folie
1 COT. P.90191.

179
furieuse dont il était transporté.L'ambition trahie, les services méconnus, la cruauté du sort, qui
prend parfois les mains les plus aimées pour nous frapper, tout cela avait fait de cet homme,
froid comme Claverhouse, un fou à camisole de force, dont la vigueur irrésistible offrait le
danger d'un fléau. On l'avait ténébreusement interné dans une maison de fous, où il vivait
depuis plus de vingt ans..." 1
Ainsi le fait que Des Touches soit vivant ne fait plus de doute. Et l'abbé de
-
Percy le rencontrant dans les rues de Valognes donne à l'histoire un effet de
réel, une touche de vraisemblable. L'histoire a besoin de ces artifices pour se
donner comme vraie.
Le personnage de l'auteur: l'enfant devenu grand. Intrigué et fasciné par
l'histoire de Des Touches, le personnage-auteur en recherchant Des Touches
une fois grand, donne au récit une touche de vrai.
Il confirme ce qu'il avait appris mais en plus, il répond, de par ses recherches,
aux questions que se posait le baron de Fierdrap après avoir écouté Barbe de
Percy. C'est lui qui, après ses investigations auprès de Des Touches, explique
et trouve l'énigme de " l'histoire d'une rougeur". Grâce à lui, l'on comprend alors
qu'Aimée de Spens, pour sauver Des Touches d'une capture certaine par les
Bleus, s'était mise nue devant Des Touches et devant les Bleus.
Par ce geste, elle "sacrifiait, pour le sauver, le velouté immaculé des fleurs de son âme et la
divinité de sa pudeur! Prise entre cette pudeur si délicate et si fière et cette pitié qui fait qu'on
veut sauver un homme, elle avait hésité... Oh ! elle avait hésité, mais ,enfin, elle avait pris dans
sa main pure ce verre de honte et elle l'avait bu." 2
1 C.D.T. P. 228.
2 Ibid
P.232.

180
Ainsi, après avoir établi une classification des personnages suivant en cela la
proposition méthodologique de Ph. Hamon qui les classe en personnages
référentiels, en personnages embrayeurs et en personnages anaphores, nous
constatons que chez Barbey d'Aurveilly, non seulement la classification opérée
selon la méthode de Hamon se retrouve, mais ici les personnages référentiels
ont autant d'importance que les deux autres catégories de personnages.
Cependant, une remarque s'impose: chez Barbey d'Aurevilly, il y a un fort
degré d'ancrage social et référentiel lesquels se construisent selon trois grands
axes: les nobles et les non-nobles, les sociaux et les asociaux, les bleus et les
chouans.
De plus,
les personnages référentiels sont ceux qui,
généralement,
appartiennent à R2, c'est-à-dire à l'histoire racontée. En revanche, les
personnages embrayeurs et les personnages anaphores, par l'effet de réel
qu'ils créent, renvoient plus à des personnages de R1. Ainsi, la présence des
personnages
embrayeurs
et des
personnages
anaphores
et
leur
fonctionnement, confèrent aux différents récits l'appui nécessaire qu'il leur faut
pour être des récits proches de la réalité. Il est vrai, cependant, que par
moments, certains d'entre eux s'éloignent de cet effet de réel pour les conduire
dans un univers fantastique et merveilleux.
Au cours de notre étude, nous avons constaté également que certains
personnages se retrouvaient aussi bien en R1 qu'en R2,ce qui revient à dire
qu'ils sont à la fois des personnages référentiels et des personnages
embrayeurs et des personnages anaphores. Pour certaines commodités,
l'accent sera désormais mis sur les personnages de l'histoire. Ainsi, même si
certains personnages se retrouvent en R1 et en R2, nous ne les considérerons
que du point de vue de l'histoire, c'est-à-dire du point de vue de R2.

181
3 - Les rapports entre les personnages.
Il faut, à travers le champ des personnages que nous avons relevé, aboutir à
l'appréciation des différents rapports qui les lient.
Si nous postulons que les personnages sont construits autour de trois axes:
nobles/roturiers; sociaux/asociaux; bleus/chouans, il nous faut établir, par
rapport à ces axes, les relations qui lient les personnages les uns aux autres.
Ainsi, certaines règles régissent le comportement des personnages.
Bien que les rapports varient d'une oeuvre à l'autre, certaines constantes se
dégagent qui peuvent se résumer aux trois règles suivantes,déjà énoncées
plus haut mais que nous rappelons .
. La première découle de la logique du désir. Sa forme la plus répandue est
l'amour. C'est l'amour de Sombreval pour sa fille ou vice-versa; l'amour de
l\\Jéel pour Calixte ; l'amour de Bernardine de Lieusaint pour Néel ; l'amour
. d'Hermangarde pour Ryno de Marigny; l'amour entre Vellini et Ryno ; l'amour
entre Aimée de Spens et les chouans, en particulier Monsieur Jacques;I'amour
de Jeanne le Hardouey pour la Croix-Jugan.
Dans les oppositions bleus/chouans, c'est l'amour du pays pour un type de
gouvernement. Par conséquent cette règle permet de dire que la logique du
désir n'est pas que charnelle; elle est affection, sentiment entre deux êtres,
entre deux entités; c'est donc l'amour dans son acception la plus générale.
La deuxième règle se situe sur le plan de la croyance en une entité: Dieu ou
autre. Barbey s'appuie largement sur cette notion dans la construction de ses
oeuvres. C'est donc un axe important qui se réalise de diverses manières.
Avec la Malgaigne, c'est la croyance en ses "voix". Avec Sombreval, c'est le
Dieu chrétien qu'il nie: "je n'ai pas plus de Dieu maintenant que je n'en avais alors... Mon
Dieu, c'est Calixte! Voilà mon seul Dieu." 1
1 PM. P. 297.

182
Ce Dieu chrétien est celui que défend Jéhoël de la Croix-Jugan. Quant aux
pâtres, c'est la croyance en une force occulte qui est, en fait, une autre
manifestation de Dieu.
La troisième règle permet de classer les personnages en divers groupes. C'est
elle qui nous autorise à poser les axes d'opposition suivants: bleus/chouans:
nobles/roturiers; sociaux/asociaux.
Ainsi, avec cette troisième règle, un personnage se définit par rapport à un
groupe. Il n'est pris en compte que par rapport à sa participation à une vie de
groupe, à une communauté ; en d'autres termes, certaines relations
'S'établissent, naissent entre membres d'un même groupe social. Si nous
considérons l'axe sociaux/asociaux, l'on constate qu'Un Prêtre Marié peut se
lire comme une oeuvre avec deux groupes importants: les sociaux d'une part
et les asociaux de l'autre.
Les sociaux sont ceux qui, dans l'antériorité de l'oeuvre, vivent ensemble (dans
un même bourg), se communiquent et participent à des tâches de bien public.
A Néhou ou au QUesnay, ce sont les liens existants entre les Seigneurs et leurs
valets. Cette position d'un personnage comme Néel permet à celui-ci de venir
en aide aux Sombreval.
"Le cœur bondissait à Néel de Néhou de sentir le bras de Calixte sur son bras. Il avait bien
deviné ce qui devait suivre. Néel était aimé de ces paysans parmi lesquels il avait vécu dès
l'enfance. Quand ils l'aperçurent parler, tête nue, aux Sombreval, l'étonnement - un étonnement
sans bornes - leur coupa la parole ; ils se turent. Ils ne comprenaient pas que leur monsieur
Néel pût frayer avec des Sombreval!!! Il (Néel) marcha, avec l'aisance et l'assurance qui
enlèvent tout, sur ces paysans étonnés qui obstruaient la porte du cimetière.
Ils s'étaient tus, ils s'écartèrent, ôtant leurs chapeaux devant Néel et devant celte fille qu'ils
venaient d'insulter; n'en croyant pas leurs yeux, stupéfaits, confondus !" 1
1 P.M
P.99.

183
Les asociaux sont ceux qui, comme les Sombreval, sont rejetés par le groupe
des sociaux. "C'était la première fois, depuis qu'ils étaient au Quesnay, que les Sombreval
osaient paraître au grand jour, et quoique partout leur vue eût causé un scandale, à l'église où
ce prêtre défroqué et marié venait se montrer impudemment avec sa fille, le fruit de son crime,
le scandale était encore plus grand ... Lorsqu'on les avait aperçus franchissant le portail,
l'indignation avait parcouru l'église, frémissante et près d'éclater."!
Cette situation d'asocialité est présente également dans l'Ensorcelée où la
Clotte est rejetée. "Elle ne hantai! personne, et personne ne la hantait ;...excepté Jeanne, à
qui elle avait toujours montré un bon visage, à cause de ce nom de Feuardent qui lui rappelait
sa jeunesse." 2 Dans cette situation d'exclue, elle est considérée comme "une fille
perdue, et qui ne s'était pas repentie, cette vieille endurcie dans son péché, à qui personne ne
tendait la main..." 3
a) Les rapports entre les sociaux
Les personnages de ce groupe sont présentés, au fil du texte, les uns après les
autres: chouans, nobles ou prêtres, ils ne sont pas donnés en bloc. Leur
présence dans le récit se fait selon les espaces et les lieux.
Par exemple, dans Un Prêtre marié, lorsque Sombreval est encore à Paris
après son apostasie, c'est l'abbé Hugon qui prend soin d'instruire Calixte.
"L'abbé Hugon crut de son devoir d'aller visiter sa filleule - sa fille spirituelle, que sa mère, au
moment d'expirer, lui avait si ardemment recommandée ...Il étudia, mais non sans pitié et sans
terreur, ce visage d'une beauté effrayante, cette pâleur sépulcrale et partout ardente au milieu
de laquelle brûlaient deux yeux caves et éblouissants comme deux brasiers sous deux
voûtes..." 4
1 P.M. P. 93.
2 ~ P. 133.
3 Ibid P 134.
4 PM. P 49150.

184
Ce qui caractérise les personnages de ce groupe est l'acceptation des règles
deux et trois, c'est-à-dire la croyance en Dieu et la participation à une vie
commune.
Par exemple, toujours dans Un Prêtre marié, les nobles sont liés par le fait
qu'ils appartiennent à la même caste; ce qui les amène à être ensemble; d'où
la troisième règle, la "participation à une vie communautaire".
Cette classe se distingue des autres, les "vestes rousses". Dans ce groupe, nous
avons les Herpin, Julie la Gamase, la Malgaigne, en fait, tous les non-nobles.
Mais dans cette catégorie, distinguons ceux qui, comme Julie la Gamase, les
Herpin, approchent Sombreval, l'asocial, profitent de leur situation pour faire
circuler un certain nombre de bruits - avec ou sans une volonté manifeste de
créer le scandale. Ils servent d'intermédiaires ou sont des personnages-relais
avec tous les autres personnages. Ainsi les Herpin travaillant au clos de
Sombreval et Julie la Gamase, par sa fonction de mendiante parcourant toute
la contrée, rencontrent aussi bien Sombreval que d'autres personnages.
Dans ce roman, les groupes sont clairement établis: les nobles (les Néhou et
les Lieusaint) ; les non-nobles (les "vestes rousses"). Mais quel que soit le groupe,
il y a une forte volonté de participation à la vie communautaire, à la croyance
en Dieu.
Dans l'Ensorcelée, le désir semble le fil conducteur du récit. En effet, l'amour
de Jeanne le Hardouey pour l'abbé de la Croix-Jugan pousse celui-ci à
l'exploiter. Il s'en sert pour servir la cause des Chouans.1I lui fait porter des
missives à d'autres chouans sans prendre le risque d'être inquiété.
Au désir comme règle de collaboration entre les personnages, s'ajoute une
deuxième, la croyance en Dieu ou la foi. L'abbé, par sa fonction, défend son
église et par extension, sa classe sociale.

185
Ainsi, dans ce roman, à travers le personnage de la Croix-Jugan, les trois
règles d'union des personnages existent. En défendant sa classe sociale il
,
obéit à la troisième règle. Ce qui complète donc les deux premières règles qu'Ii
remplissait déjà.
Si l'on considère que Jéhoël de la Croix-Jugan est le chouan le plus en vue et
que Thomas le Hardouey est le bleu le plus représenté, l'on constate qu'entre
les deux "leaders", il n'existe aucune relation particulière. Mais la présence de
Jeanne le Hardouey, partageant son amour entre les deux personnages, peut
faire avouer le contraire.
Une autre remarque s'impose: c'est que Jéhoël de la Croix-Jugan n'a de
rapports qu'avec ses semblables , des nobles comme la Comtesse de
Montsurvent ou des personnages qui ont approché, côtoyé les nobles comme
la Clotte. Quant à Thomas le Hardouey, il est resté proche des personnages de
sa condition. Il partage son repas avec les gens du Clos, le prieur de
Regneville.
Dans Une Vieille maîtresse, les personnages appartiennent à la même classe
sociale. Ce qui régit le comportement des personnages, ce sont les première et
troisième règles. La deuxième règle - la croyance en Dieu - est présente mais
n'a pas autant de force que dans Un Prêtre marié ou dans l'Ensorcelée. Ainsi
Vellini est poussée vers Ryno à cause de l'amour qu'elle a pour celui-ci. Bien
que d'un rang social élevé comme les autres personnages, elle ne fréquente
pas, cependant, le monde de la marquise de Flers qui est d'un autre âge, qui
ne la connaît pas; même Hermangarde - sa rivale - ne l'a jamais rencontrée.
Elle a des relations avec d'autres nobles: avec Madame de Mendoze, le
Comte de Mareuil, Monsieur de Censy et Monsieur de Prosny.

186
Malgré les relations qu'elle entretient avec les nobles ci-dessus cités, elle peut
être prise comme un personnage asocial à cause du caractère spécifique de
ses rapports avec eux. Son asocialité se rompt si nous tenons compte de la
présence (presque) permanente de Ryno de Marigny qui la fréquente à Paris et
au Bas-Hamet.
Dans le Chevalier Des Touches, le désir regroupe les personnages. En effet,
c'est l'amour qu'inspire Aimée de Spens aux combattants chouans. A cela,
s'ajoute la troisième règle qui fait regrouper les chouans au château des
Touffedelys. La deuxième règle, c'est-à-dire la foi ou la croyance en Dieu y est
également présente mais elle n'a pas autant de présence que dans Un prêtre
marié ou dans l'Ensorcelée. En somme, le comportement des personnages
sociaux est régi par les trois règles définies.
b) - Les rapports entre les asociaux
Dans Un Prêtre marié, apparemment, les asociaux se limitent aux Sombreval.
Ils sont tenus à l'écart des autres personnages à cause du déicide et du
parricide de Jean Gourgue Sombreval. Mais bien vite, leur groupe s'élargit avec
Néel de Néhou qui, en abandonnant Bernardine de Lieusaint, lie pacte avec
Calixte dont il devient amoureux.
Avec Sombreval naît une complicité. Il est dans le secret de celui-ci lorsque ce
dernier se rend à Coutances non pas pour adorer Dieu comme il l'a promis à
l'abbé Méautis età sa fille Calixte mais simplement pour taire les bruits qui
courent sur son compte: n... Voilà ce que j'ai fait de ma vie, une imposture! Oui, tout ce
qui s'est passé hier et avant-hier au Quesnay, c'est une imposture! Ce que j'y disais, il n'y a
pas une heure encore, à mon enfant sur mon cœur, c'est une imposture.! C'est une imposture
que ce voyage à Coutances où je vais m'humilier et demander pardon ! Mais, Néel, ce qui
n'était pas hier une imposture, c'était le bonheur de Calixte! C'était votre joie, à vous tous! " 1
1 PM P 2971298.

187
C'est l'amour qu'il a pour sa fille qui pousse Sombreval à trahir Dieu. Si
Sombreval est devenu un athée, un impie, un incroyant, il n'en est pas de
même pour sa fille. Elle s'attache à la religion afin de ramener son père à Dieu.
Aussi" ..." baignée dans la joie d'être chrétienne, Calixte faisait sans cesse intervenir l'idée de
Dieu entre elle et son père. Elle avait des mots qui entraient dans l'âme de Sombreval comme
des dards ... "je prierai tant pour toi, mon père, que Dieu t'enverra la foi religieuse comme il me
l'a envoyée."
1
Parmi les asociaux, les mêmes règles régissent les
comportements des personnages. Ce sont l'amour, la croyance en Dieu et une
participation à une vie de groupe.
'Dans l'Ensorcelée, la Clotte pourrait être prise comme une asociale à cause de
son exclusion par les gens du bourg. Mais des réserves peuvent être posées:
Jéhoël et Jeanne lui rendent visite en relation avec le passé mais cela n'enlève
rien à son asocialité. Elle est rejetée, exclue des affaires du bourg. Elle est
considérée comme une "... vieille Tousée (...)" 2 qui ferait "tourner l'eau bénite," une
"vieille sorcière! (qui ne met) jamais le pied à l'église, ..." Plus loin " est-ce pour maléficier
aussi son cadavre que tu t'en viens, toi qui ne peux plus trainer tes os, à l'enterrement d'une
femme que tu as ensorcelée, et qui n'est morte peut -être que parce qu'elle avait la faiblesse de
te hanter?"
3. Des Touches, au soir de sa vie, est dans cette situation
d'asocialité. En effet, fou, interné, il est mis au ban de la société.Dans Une
Histoire sans nom,le père Riculf,après ses forfaits, se réfugie et se retranche
dans un monastère: la Trappe de Briquebec, seul lieu capable d'accepter,de
supporter l'asocial qu'il est devenu.
Ainsi, chez Barbey d'Aurevilly, les personnages asociaux obéissent aux mêmes
règles qui régissent le comportement des personnages sociaux. Les trois
règles que nous avons énoncées plus haut sont applicables à chacun des
groupes définis.
1 P.M P 52.
2 L P 224.
3 Ibid P. 225.

188
4 - Le fonctionnement des personnages.
Après avoir classé les personnages aurevililiens en groupes distincts, suivant
en cela la méthodologie proposée par Ph. Hamon, et après avoir montré
quelques traits des rapports qui les lient, il faut nous intéresser au principe de
leur fonctionnement. Dans cette optique, chaque roman de notre corpus pris
dans l'interaction de ses éléments fait dégager une syntaxe propre, spécifique,
des personnages qui tournent autour de l'étude d'un signifié, de ses
qualifications et de ses fonctions.
a) La qualification des personnages
Parler de qualification des personnages, c'est poser le problème des traits
distinctifs qui leur sont attribués au fil du récit; traits que le lecteur garde en
mémoire après sa lecture.
En somme, ce sont les traits dominants et marquants d'un personnage.On le .
sait, d'un point de vue discursif, les personnages ont besoin d'être
particularisés. Dans cette optique, "ils sont porteurs de nom précédé ou non d'un
prénom ou seulement porteurs d'un prénom ou encore d'un pseudonyme", 1 lesquels
permettent d'identifier le personnage par opposition à un autre; de le distinguer
d'un autre personnage. Ainsi, dans l'ensemble, leur portrait est toujours établi.
A cette identification nominative s'ajoute la détermination par une personne
grammaticale, par un sujet.
Par exemple, dans Une Vieille maîtresse, dès les premières pages du roman,
le narrateur complète la description spatiale par un portrait du personnage,
propriétaire du lieu.1I commence par préciser son sexe et ensuite le nomme.
"C'était le boudoir d'une femme qui n'avait jamais boudé infiniment, mais qui ne boudait plus du
tout, - de la vieille marquise de Rers -" 2
1 Collectif: Le personnage en question.U.T.M serie A, Tome 29,1984.411 P.
2 V.M. P 29.

189
A cette identification nominative s'adjoignent des personnes grammaticales. La
perspective du narrateur s'élargit et le focalisateur donne un contour plus vaste
du boudoir. L'on constate qu'il y a deux femmes "aux deux angles de la cheminée,
dans de grands fauteuils de velours violet, deux femmes, vieilles toutes deux, au front carré,
encadré de cheveux gris lissés, l'air patricien - physionomie de plus en rare " causaient peut-
être depuis longtemps. Elles ne travaillaient pas; elles étaient oisives
Entre ces deux nobles
et antiques cariatides, entre ces vieilles aux mains luisantes et polies
une jeune fille dont le
profil;...Elle avait travaillé tout le soir en silence..." 1
A l'identification nominative, la marquise de Flers, nous avons un adjectif
numéral deux ; un pronom personnel sujet elles. Deux et elles sont des
personnes grammaticales.
Ainsi. - effet de surtace-, la particularisation d'un personnage, par son nom,
permet non seulement de l'identifier mais de le différencier des autres
personnages. De plus, considérant l'exemple donné plus haut, l'identification
des personnages peut se réduire à des lexèmes: "la vieillesse/ la jeunesse". En
effet, les deux. femmes, "vieilles toutes les deux" peuvent se réduire au lexème
vieillesse tandis qu"'une jolie fille" se ramène au lexème jeunesse. En procédant
ainsi, d'autres lexèmes apparaissent dans l'œuvre romanesque de Barbey
d'Aurevilly : "L'amoureux", "l'ouvrier", "la noblesse", "le peuple", "la vieille fille", "la
mendiante"...
En revenant donc à notre opposition de lexèmes, vieillesse/jeunesse, nous
pouvons,
à partir d'une qualification commune à tous les personnages d'un
roman, ramener notre opposition à celle mort / vie.
Par exemple, dans Une
Vieille
maîtresse,
l'opposition des lexèmes
vieillesse/jeunesse est une opposition contenue dans celle plus large de
vie/mort. La conjonction d'un personnage au lexème vieillesse/mort apparaît
même dans la description physique qu'on donne des personnages.
1 VM P 29130..

190
En effet, l'âge avancé des deux vieilles femmes, les portra.its qui en sont faits,
corroborent cette impression que le lexème vieillesse est en conjonction avec le
lexème mort. Par ailleurs, il y a une conjonction entre les lexèmes jeunesse et
vie. En effet, la jeune fille avait passé le soir à un travail de couture, elle
s'occupe, donc travaille alors que les deux vieilles femmes "causaient... Elles ne
travaillaient pas ; elles étaient oisives; mais le rien-faire sied à la vieillesse, surtout quand elle a
cette diqnité"."
Si l'on part du principe que le travail est un moyen par lequel l'on cherche à
vivre et que la jeune fille,2 en s'occupant de la sorte,attend, en fait, son amant,
on comprend que les lexèmes jeunesse et vie soient en conjonction. A ce titre,
le texte donne à lire le mariage prochain de la jeune Hermangarde avec un
homme de sa condition, Ryno de Marigny.Ainsi, le texte se construit sur une
conjonction jeunesse/vie et vieillesse/mort.
Dans l'Ensorcelée, les personnages sont déterminés par une opposition
vie/mort. Par la description physique de la Croix-Jugan, la conjonction du
personnage avec le sème mort est présente depuis le début du roman jusqu'à
la mort effective du personnage.
Après son suicide manqué dans la forêt de Cerisy et son incapacité à s'intégrer
à une société en paix, à assumer sa nouvelle, vraie et seule fonction - celle de
prêtre- La Croix-Jugan est déterminé et surdéterminé par une conjonction avec
la mort. Ce sème mort est présent également sur des personnages qu'il
fréquente ou qui le côtoient: Jeanne le Hardouey , la Clotte, la Comtesse de
Montsurvent parce que celle-ci est "une vieille femme centenaire" ; ce qui, par
métonymie, est prochede la mort.
Ailleurs, dans Un Prêtre marié, nous avons le même fonctionnement.En effet,
Sombreval est "condamné" à une mort certaine par la vindicte populaire et par
Dieu.
1 V.M. P. 29.
2 Hermangarde ne travaille pas pour vivre mais seulement pour tuer le temps.

191
Tous ceux qui l'approchent subissent le même sort que lui: Calixte, Néel, la
Malgaigne, Julie la Gamase, laquelle, à force de le railler, se voit assasinée par
Sombreval. Déicide, parricide, Sombreval est le meurtrier et l'assassin de cette
mendiante. On le voit donc, il ne peut aucunement échapper à la mort.
Dans Le Chevalier Des Touches, ne faut-il pas considérer la folie de Des
Touches comme une mort dans la mesure où il n'est plus "l'intrépide agent des
princes" ? Il erre dans la ville de V..., pestant et jurant contre la maison royale. Et
Barbe de Percy, les demoiselles Touffedelys, Aimée de Spens ne portent-elles
pas ce signe mort, car, déjà, vieilles, donc proches de la mort d'un point de vue
'métonymique?
Et "... l'antiquaire le plus habile à deviner le sens des médailles effacées n'aurait pu retrouver
les lignes de ces deux camées (Touffedelys), rongés par le temps et par le plus épouvantable
des acides, une virginité aigrie. La Révolution leur avait tout pris: lamilla.Jortune. bonheur du
foyer, et ce poème du cœur, l'amour dans le mariage, plus beau que la gloire! disait Madame
de Staël, et enfin la maternite. Elle ne leur avait laissé que leurs têtes, mais blanchies et
affaiblies par tous les genres de douleur;... " 1
Dans Une Histoire sans nom, le sème mort est également présent. En effet,
après la mort physique, matérielle de M.de Ferjol , son épouse, en restant dans
l'immense château des Ferjol, entérine cette mort. Et sa fille, en s'isolant avec
sa mère, dans ce" trou", ne pouvait que mourrir; étant entendu qu'elle ne savait
rien de rien .Aussi lorsque le père Riculf abuse d'elle, elle n'en a même pas
conscience. C'est pourquoi, elle va jusqu'à se tuer car n'ayant pas compris
comment elle a été rendue grosse.Le caractère grossier et obtus de sa mère,
son "ignorance "avec un coeur implacable, froid et insensible dans un tel lieu
concourent à la tuer réellement à précipiter son départ du monde.
1
D'un point de vue général donc, les personnages se construisent sur
l'opposition des sèmes vie/mort tout comme les lieux.
1 eUT. P 36137.

192
Dans un chapitre ultérieur, nous montrerons les relations entre eux. Mais il faut
nous intéresser à la notion de héros et de comparses, aux schémas des
déplacements des personnages.
b) Héros et comparses
Avant d'aborder les schémas des déplacements des personnages, nous
introduisons les notions de héros et de comparses afin d'établir un repère pour
les personnages les plus importants.
A priori, une hiérarchie entre héros et comparses est arbitraire; pourtant, il ne
faut voir là qu'apparence.
Dans les chapitres précédents, nous avons élaboré et mis en relief une foule de
personnages. Et nous avons signalé d'une part, que certains parmi eux sont
pourvus de passions ou de désirs qui mettent en action une série
d'événements et d'autre part, un milieu assez important de comparses définis
par une étiquette sociologique, historique et même géographique. En d'autres
termes, nous avons établi qu'il y a d'un côté des êtres agissant au nom d'un
désir, et de l'autre, des personnages (presque) purement descriptifs, de prime
abord, qui constituent un groupe assez homogène. Cette approche entérine, en
fait, la division classique des personnages en principaux ou protagonistes et en
comparses ou figures secondaires.
Si un personnage agit sous l'impulsion d'un désir, d'un mobile amoureux ou
d'une passion, il va de soi que ce désir peut être aussi bien individuel que
collectif. Par exemple, la royauté est un désir collectif.
Chez les chouans .cela les pousse à lutter contre les Bleus. De ce point de vue,
il s'avère intéressant de considérer ce désir, de voir l'effet qu'il joue sur le
milieu, car, chez Barbey d'Aurevilly, il est un élément constant, presque
récurrent.

193
Si nous procédons par analogie, le "milieu" de l'ancrage social pris comme un
champ de forces qui s'opposent, subit les altérations des passions des
protagonistes ou héros.
Chez Barbey d'Aurevilly, l'introduction des comparses ou figures secondaires
n'est jamais un fait gratuit.
Chaque personnage de cette catégorie est le point de rencontre, la synthèse de
plusieurs intérêts qui font que chacun a un rôle.
Dans l'Ensorcelée, Nônon Cocouan joue un rôle de personnage comparse .
.L'on se demande ce que vient faire un tel personnage dans l'histoire de la
Croix-Jugan. Et pourtant, ce personnage s'avère être le symbole de la
commère dans le bourg. Lors de la première apparition de la Croix-Jugan à
l'église, c'est à elle que s'adresse Maîtresse le Hardouey pour avoir quelques
renseignements sur ce prêtre défiguré. Jeanne le Hardouey
"se retourna et
demanda à Nônon Cocouan, la couturière, qui était agenouillée sur le banc placé derrière le
sien, si elle connaissait ce prêtre, qu'elle lui désigna, et qui était resté debout, adossé à la stalle
fermée; mais Nônon Cocouan, quoique fort au courant des choses et du personnel de l'église
de Blanchelande, pour laquelle elle travaillait, eut beau regarder et s'informer en chuchotant à
deux ou trois commères des bancs voisins, elle ne put ramasser que des négations ou des
hochements de têtes, et fut obligée d'avouer à Jeanne qu'elle, ni personne dans l'église ne
connaissait le prêtre en question." 1
Et le narrateur de conclure: "Nul dans tout Blanchelande ne devrait savoir ce qu'il était, si
Nônon Cocouan ne le savait pas." 2
Ainsi le narrateur juge son personnage, son degré de connaissance et de
perspicacité. De plus, les personnages comparses aurevilliens ont toujours une
histoire personnelle; nous venons de voir celle de Nônon Cocouan, d'autres
comme Mère Hecquet, Dussaucey, Pierre Cloud dans l'Ensorcelée,
1 E. P 92.
2 Ibid P 93.

194
Jean Bellet, les Lieusaint, le Vicomte de Néhou, Julie la Gamase dans Un
Prêtre marié ; Capelin, Bonine, Père Griffon dans Une Vieille maîtresse-,
l'horloger Couyart dans Le Chevalier Des Touches peuvent être relevés. Pour
chacun d'eux, un portrait est établi. Il est facile de les associer à un rôle
actantiel.
Ces personnages comparses ont, dans le déroulement des événements, des
rôles ponctuels. Leurs places sont définies par rapport à celles des héros.
Lorsqu'il est question des héros, le narrateur et le focalisateur les suivent
toujours. Et quand ils s'en séparent, c'est toujours pour mettre en scène des
'personnages qui parlent d'eux ou qui, d'une façon ou d'une autre, complètent
l'image qu'on a d'eux.
Ces personnages-héros, en dépit des différences dues au portrait qui est fait
d'eux, ont quelque chose en commun. Ils sont et agissent sous l'effet d'un désir
et se déplacent le plus souvent (cf : Schémas des déplacements des
personnages). Ainsi Sombreval est un prêtre marié et, à ce titre, il cherche à
exprimer son amour pour sa fille et à vivre dans une société qui lui est hostile.
Vellini est une vieille maîtresse qui ne s'avoue pas vaincue après le mariage de
son amant. Jeanne le Hardouey est confrontée à un double problème; elle est
écartelée entre deux amours: celui qu'elle a pour un noble, proche de son père
Feuardent, qui est un prêtre froid à l'amour et son foyer conjugal .Elle ne peut
supporter sa mésalliance. Aussi, Jeanne, "... l'ensorcelée, la victime, meurt; (...).
Jeanne appartenant à la noblesse par son père, à l'Eglise et au peuple par sa mère, à la
Bourgeoisie républicaine par son mari, est le carrefour, le point de rencontre, le lieu du choc
entre les trois forces ennemies. De la même façon que sa rougeur témoigne de sa honte, de sa
compromission avec un bleu de la République, son suicide devient l'image d'une impossible
synthèse, d'une non-conciliation des divers pouvoirs, des divers droits qui s'opposent en elle." 1
1 Catherine Cintract : Autour de l'Ensorcelée, revue du Département de la Manche, Tome 23. 1981,
Numéro spécial, Facicules 89-90, P. 25,

195
Mais au-delà de l'amour qui est un point de rivalité entre le mari et le prêtre, il
faut y voir une dimension politique: "Chose singulière! depuis qu'il se croyait trahi par
Jeanne. l'idée du chouan étouffait en lui l'idée du prêtre, et c'était le Bleu, plus encore que le
mari, qui aspirait à la vengeance." 1
En somme, chez Barbey d'Aurevilly, les comparses aident les héros dans la
réalisation de leurs désirs alors que le héros se définit par un désir qui le
pousse à l'action et donc à se déplacer. Dans cette optique, nous établissons
pour quelques héros et quelques comparses, des schémas de déplacements.
c) Schémas des déplacements des personnages
Ces schémas nous permettront de constater et de déceler les personnages qui
se déplacent le plus et de donner les conclusions qu'il faut en tirer.
1 ~ P 196.

196
* Dans Une Vieille maîtresse
~Opéra
Paris~ Bal
Trieste
Eglise (Saint Thomas d'Aquin)
1.ê.....!Y)j!!:Q.J~ê....Q.suj§~:::::::::~--Venise
Vienne
Normandie---->Carteret
~Opéra
pari~ Bal
La Comtesse d'Artelles4 Emigration
Eglise (Saint Thomas d'Aquin)
Normandie --------> Carteret
Chez la comtesse d'Artelles
Le Vicomte de Prosny

pari~ n° 46, rue de Provence
Opéra
Eglise ( Saint Thomas d'Aquin)
Paris -o:
Bal
Hermangarde
Eglise (Saint Thomas d'Aquin)
.~ Carteret (Mer- falaises)
Norrnandi
B
H
t
as
ame
Les Rivières

197
"
Italie (Venise)
Ailleurs-Europe/"- . Mer Adriatique
R no de Mari n
..~opéra
Pan
Bal
Eglise ( Saint Thomas d'Aquin)
Normandi~Carteret( mer- falaises-manoir)
Bas-Hamet
Les Rivières
Malaga
.
~ Italie (Venise)
Vellini
Ailleurs- Europe ~ Mer Adriatique
~TyrOI
.~:=::::==---.... Opéra
Bal
Eglise (Saint Thomas d'Aquin)
Chez De Mareuil
Carteret
Normandie:::::::::....-------tl~ Bas-Hamet - . Cabane
es Rivières
La Haie d'Hectot
( Chez Mme de Mendoze)

198
* Dans L'Ensorcelée
La Croix-Ju
Lande de Lessay
Chez la Comtesse de Montsurvent
Chez Sang d'Aiglon de Haut-Mesnil
La Comtesse de Montsurvent
~ Château de Montsurvent
Chez Sang d'Aiglon de Haut-Mesnil
La Clotte
~ La Lande de Lessay
Le Clos
Le Vieux Presbytère
Chez la Clotte
Jeanne le Hardoue
A l'église
Coutances
Autres foires du pays
Chez la Croix-Jugan

199
Le Clos
Marchésl foires alentour
Chez la Croix- Jugan
~ Marchés alentour
Les Pâtres
______
". Le Vieux Presbytère
-----.. Lande de Lessay
Eglise
<
Nônon Cocouan
Chez elle

200
* Dans un Prêtre marié
Sombreva
Etang du Quesnay
Butte du Mont-Saint Jean
Calvaire du Lude
Taillepied
Marais de la Sangsurière
Eglise de Néhou

Bourg de S.
Le Quesnay
Taillepied
Auberge
La butte du Mont Saint-Jean
Le Marais de la Sangsurière
Bayeux
Le Vey
Etang du Quesnay
Butte du Mont Saint-Jean
Cimetière de l'église de Néhou

201
Suite
Néhou (église)
Le Vicomte E
Quesnay ( Salon de compagnie)
de l\\Iéhou
Pologne
Ailleurs-Europe
La Mal
Quesnay ( perron)
Butte du Mont Saint Jean
Taillepied
Calvaire du Lude
Le teinturier
La lande au Rompu
Néhou et les autres châteaux
Julie la Gamasse
à l'exception de celui du Quesnay
Butte du Mont Saint-Jean
Néhou ( château)
Quesnay (salon de compagnie)
Ailleurs-Europe ( campagnes
napoléonniennes )
Lieusaint
Lieusaint
Néhou
Carmélites de Valognes

202
* Dans le Chevalier Des Touches
Le Chevalier Des Touches
Château des Touffedelys
Avranches (prison)
Les Chouans-libérateurs
Coutances (prison)
Château des Touttedelys .
M. Jacques ;",,::::.::::----'Y' Avranches
Coutances
Malte IAilieurs-Europe
Buisson (tombe)
---..,... Château des Touffedelys
'--'-'-'-'-'-=~=.....:::::..=..:::..=...=~:=---~ Salon des Touffedelys
Couvent
~ Château de Touffedelys
=B=ar:....:b:....:e;.....:d=e=.....:.....p=er:....:c"'""'"'~Avranches ( 2e expédition)
~ ,salon des Touffedelys
V.

203
~_ Château des Touffedelys
Les Touffedel s
~ Salon desTouffedelys
. Hocson
d) Quelques commentaires sur les schémas des déplacements des
personnages
Dans Une Vieille maîtresse, l'on constate que les personnages se déplacent
beaucoup. Un premier constat montre qu'ils ont (presque) les mêmes lieux de
fréquenations, du moins, si nous considérons le topos Paris. En effet, ils vont
tous à l'opéra, au bal et à l'église.Vellini est le personnage qui se déplace le
plus, suivi en cela par Ryno de Marigny, la marquise de Flers et Hermangarde.
Dans l'Ensorcelée, Jeanne le Hardouey a le plus grand nombre de
déplacements. Elle est suivie de la Croix-Jugan, de Thomas le Hardouey...
Dans Un Prêtre marié, Sombreval vient en première position, suivi de la
Malgaigne, de Calixte et de Néel.
Dans le Chevalier Des Touches, Des Touches se déplace le plus, suivi de
Monsieur Jacques. L'on remarque que les personnages aurevilliens se
déplacent beaucoup. Même une infirme comme la Clotte ou une atrophiée
comme Julie la Gamase se déplacent. Ainsi héros ou comparses, les
personnages aurevilliens ne sont pas statiques. Ils vont d'un espace à l'autre,
donnant aux récits une certaine vivacité.
Les personnages passent d'un champ spatial à un autre. Il va de soi que ces
divers changements de lieux apportent aux récits leur unité et leur mouvement.

204
Pour l'instant, nous ne voulons pas interpréter les divers changements spatiaux
des personnages - car un chapitre ultérieur y est réservé - mais, cependant, ne
faut-il pas voir dans la mobilité des personnages, une inconstance, une
insatisfaction dans leur espace d'origine?
Un second constat que nous faisons à propos des déplacements des
personnages, c'est que ceux qui se déplacent le plus donnent leur nom ou leur
qualification aux différents romans dans lesquels ils fonctionnent: .
C'est ainsi que: Vellini------------------------------->Une Vieille maîtresse
Jeanne le Hardouey------------->L'Ensorcelée
Sombreval------------------------->Un Prêtre marié
Des touches----------------------> Le Chevalier Des Touches
Dès lors, nous nous intéressons aux titres des romans de notre corpus. Cela
revient à considérer les romans de notre corpus dans leur unicité, car le titre
d'un livre ou d'un roman configure la nomenclature du texte.
Il installe également les premiers rapports entre l'auteur et son lecteur et
inaugure donc une modalité de la narration. C'est dans cette optique que Ph.
Hamon définit le titre comme "un endroit stratégique" 1. Nos titres relèvent d'abord
d'une typologie simple. Il s'agit de la reprise du nom du personnage - héros,
celui qui se déplace le plus. Aussi avons-nous Le Chevalier Des Touches.
Ensuite, en rapport avec l'histoire racontée, les titres de notre corpus renvoient
à des éléments de qualification de nos personnages principaux ou héros: Une
Vieille maîtresse, Un Prêtre marié, l'Ensorcelée.
Ce faisant, le titre, ici, met l'accent sur le sujet du roman à l'aide d'un énoncé
sommaire qui se présente sous forme d'un groupe nominal, par exemple, Une
Vieille maîtresse, Un Prêtre marié, ou encore l'Ensorcelée.
1 Ph. Hamon, "Un-discours contraint", in Littérature et réalité (collectif) Paris, le Seuil, 1982, P. 138.

205
De cette analyse assez succincte, il ressort que Barbey d'Aurevilly à une
préférence pour les titres simples, voire banals, des titres transparents. Il y a
une intention évidente d'indication de genre à travers le choix de ses titres car
"la motivation systématique des noms propres, et des surnoms des lieux et des personnages'"
est une manière de situer le contenu d'un roman, d'en indiquer le genre auquel
il renvoie ca!' il faut provoquer un effet de réel dès la première rencontre en~~_e le lecteur et le
livre; d'où la volonté permanente de façonner un horizon d'attente réaliste" 2.
Le troisième constat qui s'impose à nous, c'est que certains personnages
restent enfermés, cloisonnés dans leur milieu social.
Dans l'Ensorcelée, l'exemple le plus édifiant est donné par la Croix-Jugan. Il ne
rend visite qu'à des gens de sa condition, des nobles ou à des personnes
comme la Clotte qui a fréquenté cette classe sociale.
Dans Une Vieille maîtresse, la marquise de Flers et la comtesse d'Artelles
restent entre elles. Quand elles reçoivent, ce sont encore des nobles: Ryno de
Marigny, le vicomte de Prosny...
Dans Le Chevalier Des Touches, les Touffedelys ne reçoivent dans leur
château que des gens qui partagent leurs points de vue: les Chouans.
Ces personnages que sont les Touffedelys ou Aimée de Spens ont un parcours
assez balisé .. A l'opposé de ces personnages, nous avons des personnages
comme Vellini, Ryno de Marigny, la Croix-Jugan et Sombreval qui, par leurs
nombreux déplacements, font des incursions dans des lieux qui ne sont pas les
leurs. C'est ainsi que Ryno et Vellini sont au Bas-Hamet chez les pêcheurs qui
louent une cabane à celle-ci;
la Croix-Jugan chez la Clotte; et Sombreval
occupe le Quesnay après l'avoir acheté. Ils sont en quête, dans ces cas, de
liberté et d'indépendance.
, Ph Hamon, Opcit P 50.
2 Ph. Hamon, Opeit P. 50.

206
De plus, il faut remarquer que certains lieux comme la lande de Lessay, le
Vieux Presbytère, en somme des lieux fantastiques, de "peur" sont toujours
investis par des téméraires qui "osent" les franchir, les parcourir. La Croix-
Jugan traverse de nuit comme de jour la lande de Lessay ,Thomas le Hardouey
s'y aventure également; Sombreval, malgré la prédiction de la Malgaigne, fait
un tour en barque sur l'étang du Quesnay. Le lieu est donc toujours investi. Il
n'est jamais laissé vierge.
Il en découle donc que le rapport des personnages à l'espace et aux lieux est
un élément de qualification.
'Dans Une Vieille maîtresse, à considérer la première partie du roman, l'on a fait
remarquer que le récit se bâtit sur une conjonction de lexèmes: jeunesse/vie et
vieillesse/mort. Si l'on admet que les lieux opéra-bal-église sont des lieux de
vie, alors que dans la deuxième partie l'ombre de la mort fait son apparition
avec le départ de Paris pour la province, l'on a l'impression que la vie qui
caractérisait les personnages dans le topos Paris s'est transformée en une
mort dans le topos Normandie. Le passage de la vie à la mort correspond à un
changement d'espace. Ainsi, de même qu'au niveau des personnages, nous
avons
une
conjonction
entre
les
lexèmes
personnages/vie
et
personnages/mort, de même, au niveau de l'espace, nous avons une
conjonction des lexèmes espacelvie ; espace/mort.
Il en est de même dans Un Prêtre marié où nous avons considéré les
personnages en sociaux et en asociaux. De même qu'il y a des personnages
sociaux et des personnages asociaux, de même avons-nous des lieux sociaux
et des lieux asociaux.

207
Les lieux asociaux sont ceux de la mort. Ce sont les lieux fréquentés par les
personnages de la mort : le marais de la Sangsurière, l'étang du Quesnay, le
château du Quesnay, la butte du Mont- Saint- Jean sont des lieux qui inspirent
la peur et font peur. Il en est de même de la lande de Lessay dans
l'Ensorcelée.
N'est-ce pas là que vient mourir la Clotte? Des lieux comme l'abbaye de
Blanchelande,
le
Vieux Presbytère et l'Eglise s'inscrivent dans le
fonctionnement du sème-mort. Le lavoir où meurt Jeanne le Hardouey entre
dans la même visée.
Ainsi ces différents lieux que parcourent les personnages téméraires ou non
sont des lieux de mystère, de fantastique et de merveilleux.
Au total, les lieux asociaux comme la lande de Lessay, l'étang du Quesnay sont
à part comme le sont Sombreval, Calixte, La Clotte...

208
II - Le travail de l'espace :le fonctionnement de l'espace..
Dans cette partie, il s'agit, pour nous, d'abord de considérer le lieu d'un point de
vue actantiel ; de le prendre comme un actant. Ensuite de le voir dans ses
relations avec les personnages : car "le lieu n'a d'importance que s'il et lorsqu'il s'y
J
passe quelque chose." 1
Aussi si le lieu est pris comme une instance actantielle alors nous tâcherons de
considérer le fonctionnement du lieu dans le récit.
Dans le chapitre précédent, nous avons vu que lieu et personnage
s'imbriquaient l'un dans l'autre, qu'ils ont une "force", une présence équivalente
dans un récit. L'un a besoin de l'autre. Du point de vue actantiel, cela n'est pas
suffisant pour établir ipso facto une symétrie entre eux dans leur
fonctionnement.
Aussi allons-nous. nous appuyer sur la grammaire narrative qui nous a
. familiarisé avec l'approche actantielle appliquée aux personnages. Mais il n'en
est pas de même avec le lieu.
Dans cette partie donc, l'accent est plus mis sur l'instance-lieu car celle-ci nous
paraît être une composante narrative autonome. Dans cette optique, le lieu est
pris comme une unité discursive.
Cependant, avant d'aller plus loin dans notre travail, nous pensons qu'il faut
proposer une définition de la notion d'actant. Pour cela, il faut remonter à
V. Propp 2. Ce dernier et à sa suite, des théoriciens comme Greimas ont, après
avoir réduit le nombre important des "personnages" de base du conte merveilleux
russe, proposé et donné le terme d'actant.
Pour Greimas, ce terme "recouvre non seulement les êtres humains mais aussi les
animaux, les objets ou les concepts" 3.
1 H. Mitterand : Le discours du roman. paris, P. U.F. P. 195.
2 V. Propp. Morpholoqiedu conte, Seuil; 1970 254 P
3
A. Greimas: Maupassant: la sémiotique du texte: exercices pratiques, Seuil 1976.

209
Ce qui revient à dire que l'actant peut être un être anthropomorphe ou non. Par
extension, nous pouvons affirmer que tout, spécifiquement le lieu, peut être pris
comme actant.
Si nous considérons donc que "les actants sont les êtres ou les choses qui, à un titre
quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de la façon
la plus passive, participent au procès" 1 alors les indices spatiaux sont à considérer,
à ce titre, comme des actants. Mais il faut signaler que le modèle actantiel offre
une représentation abstraite d'un procès narratif. Si le modèle actantiel est de
l'ordre de l'abstrait, il faut se demander ce qu'il en est pour les lieux et les
personnages, car il va de soi qu'établir un schéma actantiel de l'un ou de l'autre
nous place déjà sur un plan abstrait.
En effet, "plûtot que de "personnages" précis, il s'agit de places, plus abstraites, plus
"profondes" que Greimas désigne par le concept d'actant(s) ou de rôles actantiels en signalant
qu'un même acteur peut occuper successivement deux ou plusieurs rôles et que ce schéma à
six rôles convient à toutes les histoires racontées." 2
Pour savoir les domaines auxquels appartiennent les systèmes de lieux et de
personnages - car le système actantiel est du domaine de l'abstrait - nous nous
sommes intéressé à ce qu'en donne la sémiotique narrative 3.
Celle-ci
propose
une articulation
ternaire
autour des
notions de
"virtuel/actuel/réalité".
Elle constate que lieux et personnages sont du domaine de la "réalisation". Alors
que le schéma actantiel relève de l''actualisation'' du système; l'espace et le
modèle actantiel sont, eux, du côté du "virtuel".
En suivant cette articulation ternaire de la sémiotique narrative, un autre
problème fait son apparition, c'est que l'espace et le lieu n'appartiennent pas au
1 L. Tesnières : Eléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck, 1976,674 P.
2 J.M. Adam: Le texte narratif, Paris, Hachette. P. 24.
3 A.J. Greimas 1G. Courtès: Dictionnaire raisonné des sciences du langage, article actualisation et
visualisation. Paris, Seuil.

210
même plan. Alors que le lieu relève de la "réalité", l'espace est de l'ordre du
"virtuel".
Or, tout au long de notre travail, nous avons considéré indifféremment l'espace
et le lieu. Nous n'avons pas établi de distinction entre ces deux notions.
Dans cette suite donc, nous disons simplement que le lieu relève de la
manifestation tandis que l'espace est de l'immanence. Et nous allons
poursuivre notre analyse selon nos préoccupations. Nous évitons d'opérer un
choix entre les deux notions. Aussi allons-nous surseoir à cette distinction afin
de progresser dans notre travail.
Cependant, illustrons cela par un exemple emprunté à l'Ensorcelée. Tout le
long du roman, une opposition existe entre d'une part un lieu "réel" avec la lande
de Lessay et un espace "mental" opéré par ce lieu. Du point de vue de la
"réalité" .. ce lieu se caractérise par des situations propres: lieu parcouru et
fréquenté par les bergers-errants, par la Croix-Jugan et par Thomas le
Hardouey...Nous avons, déjà, relevé qu'il est un lieu peu fréquenté d'autant
plus qu'il fait peur à beaucoup. Il semble refouler et rejeter le commun des
personnages - Seuls des téméraires s'y hasardent.
Or ce rejet des personnages s'accentue sur le plan "mental". Après avoir tué la
Clotte et après l'avoir traînée (presque) dans la lande, Augé, le fils du boucher
et les autres se rétractent. En effet, "la peur du crime qu'ils venaient de commettre, et
qui peu à peu avait décimé leur nombre, prit aussi ces derniers qui traînaient sur sa claie de fer
cette femme tuée par eux, assassinée! Une autre peur s'ajouta à cette peur. Ils entraient dans
la lande, la lande, le terrain des mystères, la possession des esprits, la lande incessamment
arpentée par les pâtres rodeurs et sorciers!" 1
On constate donc qu'à l'unité spatiale - lande de Lessay - correspond une
dégradation des rapports entre le lieu et Augé (et les autres). Cette dégradation
a lieu sur deux plans: sur le plan "réel", il y a un refus d'Augé et des autres de
1 g P 229.

211
s'aventurer dans ce lieu fort connoté et sur le plan "mental" , il Y a une
accentuation de la dégradation.
Pour revenir donc à notre propos, un examen des lieux à la lumière du modèle
actantiel a pour objectif de vérifier s'ils peuvent occuper les différents pôles du
schéma actantiel.
Destinateur
Destinataire
t
t
Sujet
~
Objet
,
;
Adjuvant
Opposant
Si nous remontons à la définition déjà donnée par Tesnière et à celle de
Greimas, les Iieux sont des actants, et ils peuvent assumer chaque pôle
actantiel.
Mais avant d'aborder cet aspect de notre travail, il nous faut insister sur le fait
que, dans Un Prêtre marié, le conflit entre Sombreval et les sociaux s'inscrit
dans une trajectoire spatiale.
En effet, notre héros, d'un point de vue schématique part de son bourg natal
pour Coutances, ensuite Paris, retour dans le bourg natal avec .l'achat du
Quesnay: encore Coutances pour son "repentir" et enfin l'étang du Quesnay
pour y mourir.
Ainsi: bourg natal-s-c- Coutances----> Paris---> bourg natal (Quesnay)---
-> Coutances---> bourg natal (étang).
Cette trajectoire spatiale est celle de la vie d'un personnage. Mais cette
trajectoire prend un sens supplémentaire car le personnage en la suivant ne fait

212
que suivre le chemin de son destin. En effet, la Malgaigne annonce à
Sombreval son destin. Elle affirme "qu'elle le voyait prêtre - puis marié· et puis
possesseur du Quesnay (or, à ce moment-là, les du Quesnay étaient encore dans l'opulence,
et personne ne pensait à leurruine) - enfin, que l'eau lui serait funeste et qu'il y trouverait sa
fin" . 1
On le voit, le tragique de Sombreval relève d'une prédiction. Le texte est donc
la confirmation d'un présage. De plus, si nous considérons que le tragique du
personnage commence avec le présage par l'eau comme point de départ, l'on
constate alors que la vie de Sombreval, la trajectoire spatiale de Sombreval .va
'd'un point d'eau à un autre point d'eau. Par conséquent, Un Prêtre marié est
un récit circulaire, lorsque nous le mettons en relation avec le schéma de la
trajectoire spatiale du personnage de Sombreval.
Ailleurs, dans l'Ensorcelée, un personnage est construit, à peu près, sur le
registre du fatum tragique. C'est la Croix-Jugan.
L'histoire commence par son suicide manqué dans la forêt de Cerisy et elle se
clôt par la mort effective du personnage, tué par un coup de fusil. Entre l'incipit
et la clausule, l'on retrouve un point commun: c'est l'usage de l'arme à feu.
Donc l'histoire commence par une arme à feu et se termine par une arme à feu.
Nous avons encore une histoire circulaire. Cette circularité de l'histoire se
manifeste également au niveau du récit par un lieu: la lande de Lessay.
En effet,
sur un plan
matériel et physique,
celle-ci
est fortement
circonscrite. Située dans le Cotentin, "cette Tempé de la France, cette terre grasse et
remuée", 2 la lande de Lessay se caractérise par la stérilité et l'aridité.
1 P.M P.61.
2 ~P. 35.

213
L'usage de l'oxymore "oasis arides" dans la phrase: "Elles sont à ces pays cultivés des
oasis arides, comme il y a dans les sables du désert des oasis de verdure."
1
souligne
cette autonomie. Comparée à d'autres landes que "les haies des champs
circonscrivent" la lande de Lessay n'a pour limite que l'horizon., "l'étendue devant et
autour de soi était si considérable et si claire" qu'elle est un espace ouvert, s'étendant
à l'infini où il y a "ni arbres ni maisons, ni haies, ni traces d'homme ou de bêtes que celles
.du passant ou du troupeau du matin dans la poussière, s'il faisait sec, ou dans l'argile
détrempée du sentier, s'il avait plu..." 2
De plus, certains mots "horizon ": "circuit ":" environnement" ;"sept lieux de tour,"
"circonscrivent" renvoient à l'isotopie du cercle. Par conséquent la lande de
Lessay est d'une forme circulaire Et "la circularité qui la caractérise est, à cet égard,
emblématique: la notion spatiale du cercle est aussi une figure temporelle du retour au même.
Dès lors qu'elle est privée de deux des coordonnées du réel (ici et maintenant), qu'elle est en
marge des cloches et des codes sociaux, la lande ne peut manquer d'être aussi en dehors des
normes et de la rationalité. En témoigne le fantastique qui l'anime, lequel justifie, entre autres,
l'image paradoxale de l'oasis que nous avons relevée: si la lande est physiquement pauvre,
elle est spirituellement riche, source de récits, de rumeurs et de superstitions."3
Ainsi que ce soit le lieu "lande de Lessay "ou que ce soit un personnage
comme Sombreval ou la Croix-Jugan, le fatum tragique est un élément
fondamental dont il faut tenir compte. Il sous-entend le cheminement d'un
personnage dans sa trajectoire spatiale et indexe le lieu.A partir de ces
exemples donnés supra, il est aisé d'affirmer que l'espace et le lieu participent
pleinement à l'activité textuelle, ils sont donc une composante du récit au
même titre que les personnages, l'histoire, le temps.
1 Ibid P. 35.
2 Ibid P 37.
3J.Soutet - Quillard,Barbey d'Aurevilly n° 14 (collectif), Revue des Lettres Modernes, Paris 1990:
P 102/103.

214
Nous l'avons vu, chez Barbey d'Aurevilly, le récit a une forte valeur référentielle,
ce qui ancre les textes de notre corpus sur une réalité externe (qu'elle soit
effective ou non; attestée ou non). En ce sens, l'espace et le lieu ainsi "montrés"
n'appartiennent pas en propre à l'œuvre de Barbey, ils se retrouveraient aussi
bien dans un manuel de géographie que d'histoire. Mais il faut y voir
connotativement une singularité textuelle, car. par le jeu relationnel entre une
/
' -
réalité, une trajectoire spatiale et le fatum tragique, le texte se charge de valeur
dramatique - tout comme au théâtre - et participe de la solidarité interne des
divers éléments. Et dans une lettre adressée à Trebutien, à propos de la lande
de Lessay, datée du 1er Mai 1850, Barbey souhaitait faire jouer à ce lieu "le rôle
de grand théâtre." 1
Si la lande est un théâtre pour Barbey, alors nous pouvons affirmer que tout
texte de notre corpus n'est que fiction à un certain niveau d'analyse. Aussi quel
que soit le degré de réalisme que l'on trouve à la lecture d'un texte
romanesque, il faut toujours se dire qu'il y a un leurre, un écart entre ce qui est
lu et la "réalité" véhiculée par le texte.
Si cela est admis, il faut remarquer qu'une organisation de l'espace se donne à
lire dans les romans de notre corpus. En effet, dans la mesure où Un Prêtre.
marié est l'histoire d'un sujet suivant sa destinée dans un espace assez précis,
nous verrons comment il fonctionne sur un plan actantiel.
Nous avons vu que c'est le lieu Quesnay qui crée l'opposition entre les
personnages du texte. Le lieu crée une distinction entre personnages asociaux
et personnages sociaux. Alors ce lieu va occuper le rôle actantiel d'objet. En
effet, ce lieu - le Quesnay- est un fondement, un objet important dans la quête
de Sombreval. Ce lieu peut aussi jouer le rôle de destinataire.
En effet, "Sombreval semblait prendre un cruel plaisir à voir l'état de délabrement de ce
château dans lequel il s'était senti si écrasé et si petit pendant son enfance. quand il y venait.
1 Barbey d'Aurevilly, Correspondance, Tome 2. P. 154.

215
avec son père, vendre le gibier tué sur son cJOS." 1 L'achat du Quesnay est donc une
revanche sur le sort.
Le destinateur serait la richesse dont dispose Sombreval pour s'offrir le
Quesnay. Or, cette fortune s'acquiert à Paris où il commet son apostasie. C'est
donc le lieu Paris qui le pousse à changer.
Lorsque le héros Sombreval quitte son bourg natal pour s'installer à Paris avec
l'accord de ses supérieurs, Paris fonctionne également comme adjuvant;
Sombreval y trouve fortune par son mariage mais ce même lieu joue le rôle
d'opposant, car c'est là qu'il commet son apostasie. Le lieu -Paris -s'oppose à
sa quête religieuse.
On le voit, un lieu peut occuper un pôle actantiel. De plus, la lutte entre
bleus/chouans, asociaux/sociaux ou les autres oppositions d'ordre social,
d'ordre politique, d'ordre géographique, en somme, ces forces contraires et
inégales qui s'affrontent dans les romans de notre corpus sont de nature à
rendre compte de la structuration actantielle et du travail de l'espace.
Ainsi les rôles actantiels objet, destinateur, destinataire, adjuvant et opposant
sont situables, sur un schéma actantiel. Mais il manque encore le rôle actantiel
sujet.
S; l'on s'intéresse à l'axe d'opposition bleus/chouans et si nous admettons que
cet axe prédomine dans les récits de conquête ou de libération territoriale,
alors, dans Le Chevalier Des Touches où existe cette opposition, une lutte
s'instaure entre factions rivales dont le destinataire est le pays à conquérir
(La France) selon qu'on est royaliste ou républicain.
En effet, c'est la France qui est l'objet de la quête des Chouans. Ils sont mûs
par un idéal de société, et c'est donc la France royaliste qui les pousse à
conquérir le pouvoir, à le garder. Le profit revient à eux - Chouans - c'est -à-dire
les partisans de la France royaliste. Ils sont aidés par les Chouans royalistes
1 PM P.66.

216
mais les opposants sont la France républicaine. Dans ce roman-ci. tous les
pôles actantiels sont pourvus sauf le pôle sujet. Certes, dans un roman comme
Germinal , nous avons l'exemple célèbre du Voreux qui se présente bien
souvent comme l'un des personnages principaux du roman. Ce lieu peut être
comparé à la lande de Lessay dans l'Ensorcelée. En effet, ce lieu fonctionne
comme le sujet d'un programme narratif. C'est un lieu délégué par "des forces"
occultes et entouré de lieux à la réputation douteuse; le cabaret du "Taureau
rouge" et l'abbaye de Blanchelande avec le Vieux Presbytère. Présentée ainsi,
la lande de Lessay exerce un pouvoir démoniaque sur les personnages qui y
pénètrent et le traversent à l'exception des pâtres bergers, du prêtre chouan.
C'est un lieu de charmes et de sortilèges. Nous avons montré comment
fonctionnait la circularité du lieu. Il faut ajouter qu'il existe une symétrie entre
les situations du narrateur et de Maître Tainnebouy dans la lande de Lessay et
celles du pâtre-berger "enquérodant" Jeanne le Hardouey parce que Thomas le
Hardouey n'a pas aidé un des siens.
A cela ajoutons que la proximité de l'église de Blanchelande dont on dit qu'elle
"était le théatre des plus singulières apparitions" 1 renforce le sinistre du lieu. C'est là,
dans ce lieu qu'apparaît le fantôme de la Croix-Jugan.
C'est encore dans la lande que le Hardouey rencontre les bergers et à l'aide
d'un miroir "magique", il apprend la nature des relations entre sa femme et l'abbé.
C'est encore dans ce lieu que celle-ci se confie aux mêmes bergers afin de
recevoir un philtre d'amour qui la ferait aimer par la Croix-Jugan. Ce lieu suscite
la peur en Nônon Cocouan, en la Mère Mahé et en Augé. Ainsi, pour agir sur
certains personnages .Ia lande de Lessay affiche un net anthropomorphisme, il
est craint de la même manière que la Croix-Jugan fait peur. Ce faisant,
précisément, il semble que ce soit là la dimension à acquérir pour que ce lieu
accède au rôle actantiel de sujet.
1 Ë P.38.

217
Cela ne surpend pas car la visée sémio-narrative admet deux types de sujets:
les sujets d'état et les sujets de faire. Les premiers sont caractérisés par "la
relation de jonction avec les objets de valeurs" 1 et les seconds par "la relation de
transformation" 2
On voit que si l'espace-lieu entre dans la première catégorie (ne se définit-il
pas, notamment, par un ensemble de valeurs humaines et sociales 7), il ne
peut, en revanche, être sujet de faire.
Ainsi "l'analyse narrative reconnaît deux types de sujet:
- le sujet d'état, en relation de conjonction ou de disjonction avec un objet :La relation (S.O)
définit l'énoncé d'état.
-Le sujet opérateur, en relation avec une performance qu'il réalise: on l'appelle aussi sujet du
faire." 3
De plus, le langage usuel attribue aux lieux une fonctionnalité: "la montagne
domine la plaine" ; le chemin serpente", "le désert gagne du terrain". Ces expressions
n'accordent-t-elles pas aux lieux un pouvoir actionnel 7 Aussi le lieu fonctionne
comme un énoncé d'état. A travers ces indications, le lieu peut donc occuper
plusieurs rôles actantiels
Mais il faut insister sur le fait que dans le fonctionnement de l'espace au sein
du procès narratif, celui-ci ne peut occuper dans le programme narratif la
position centrale de sujet que par anthropomorphisme, c'est à dire celle qui
l'apparente à un sujet.
A ce niveau de l'analyse, il faut admettre qu'il existe une relation de transitivité,
avec sa valeur à la fois grammaticale et logique, entre le personnage et le lieu.
Cette relation de transitivité autorise un rapport de solidarité entre les deux
termes co-nécessaires et conjoints.
1 A. Gardies, L'espace (texte inédit, cours de Maîtrise) Abidjan, 1984.
2 A. Gardies,Opat.
3 Groupe d'Entrevemes, Analyse sémiotique P.U de Lyon P 16/17.

218
Ainsi, un échange s'instaure entre l'espace et le personnage susceptible de
rétroagir sur chacun des termes qui sont largement constitutifs l'un de l'autre.
Ainsi, de même que le sujet-personnage construit l'espace, de même l'espace
construit le sujet personnage.
Par exemple, dans Une Vieille maîtresse 1 Vellini, au Bas-Hamet, construit
l'espace, en ce sens que le manoir de Carteret de la Marquise de Flers est
caractérisé par la fermeture, c'est un espace clos où elle ne peut entrer; c'est
un espace interdit; car en y entrant, elle troublerait la quiétude de Ryno et
d'Hermangarde.
C'est un espace de disjonction du point de vue de Vellini. Mais pour
Hermangarde et pour Ryno, cette modalité de l'espace fermé n'a pas cours.En
effet, en nous disant que la lettre expédiée depuis Paris est une métonymie du
personnage de Vellini, nous pouvons affirmer que son introduction dans
l'espace du manoir a pour effet de briser la conjonction qui existe entre les
douairières et leurs petits enfants. Pour la comtesse d'Artel les "... cette lettre porte
une menace dans sos plis." 1
Dans l'Ensorcelée, la lande de Lessay agit fortement sur les personnages.
Ainsi Augé, Jeanne le Hardouey et bien d'autres personnages comme Nônon
Cocouan, la mère Mahé en ont-ils peur.
Autrement dit, le lieu asocial-lande de Lessay-aqit sur les personnages qui y
pénètrent. Aussi Nônon Cocouan se refuse à traverser le Vieux Presbytère, car
celle -ci "avait toutes les superstitions du pays où elle était née." 2. Elle est marquée par
les on-dit rattachés à ce lieu: un parallèle peut être établi entre cette scène de
l'Ensorcelée et celle de Julie la Gamase dans Un Prêtre marié qui, parlant du
Quesnay, dit: "II n'y a plus de Quesnay pour les pauvres du bon dieu maintenant. C'est une
1 V.M. P. 238.
2~. P. 100.

219
maison morte. J' passons tous à la grille sans p'us y regarder que si le château s'était effondré
dans l'étang" 1.
Le refus d'entrer dans un lieu asocial est un élément constant dans l'oeuvre
romanesque de Barbey Aurevilly. Thomas le Hardouey dans la lande de
Lessay, est-il sous le joug du lieu ou sous l'effet du miroir "magique" ? Les deux
éléments interagissent. En effet, Thomas le Hardouey "... ne voyait dans tout cela,
lui, que la réunion de trois prêtres indolents, insolents, sournois, une vraie lèpre humaine qu'il
méprisait fort du haut de son cheval et de sa propre vigueur. .. Et pourtant, ... oui, pourtant...
était-ce l'heure? Etait-ce la réputation du lieu où il se trouvait? Etaient-ce les superstitions qui
enveloppaient ces pâtres contemplatifs dont l'origine était aussi inconnue que celle du vent ou
que la demeure des vieilles lunes?" 2
Lieux asociaux ou interdits, personnages asociaux ou bannis, des relations de
conjonction ou de disjonction existent entre ces deux entités.
En effet, il est vrai qu'entre le lieu et le personnage, il existe diverses relations.
Mais, comme nous l'avons vu, de même qu'au sein du procès narratif d'un
roman de notre corpus, plusieurs instances "sujet" se distinguent, de même
plusieurs espaces apparaissent en fonction des niveaux de discours.
Ainsi, en ce qui concerne l'espace diégétique, (qui renvoie aussi bien au narré, .
à l'histoire qu'à la fiction), celui-ci se construit soit par un personnage soit par
un narrateur (cela au moyen de la focalisation comme de la narration).
Cela revient à dire que les relations entre personnages et lieux dépendent
essentiellement de celui qui fait le discours, soit un narrateur premier soit un
narrateur second, soit encore un personnage impliqué ou non dans l'histoire
qu'il raconte. Aussi, nous semble - '1 - il ,il faut que soit maintenue la distinction
entre les différentes instances du récit. Cela revient à renforcer ce que nous
avons indiqué de la distinction établie par Genette à propos de narrateur
homodiégétique et de narrateur extradiégétique.
1 P.M. P. 105.
2 ~ P. 187 (nous soulignons)

220
Pour plus de précisions, nous prenons l'exemple de Barbe de Percy dans Le
Chevalier Des Touches. L'on se souvient que ce personnage raconte l'histoire
du Chevalier Des Touches. Par sa présence dans le texte, ce personnage
structure deux espaces, le premier est celui du discours. En choisissant le
salon des Touffedelys, dans leur maison de la rue des carmélites à Valognes,
ce personnage organise un espace diégétique au sein duquel il est lui même
inclus. Lorsqu'il s'agit de la première expédition pour libérer Des Touches, le
personnage structure un autre espace dont il est lui même exclu. Si nous
prenons en compte ces deux exemples, nous pouvons dire que dans le premier
cas, nous avons un sujet-personnage structurant l'espace. Dans le second cas,
nous sommes face à un sujet narrateur.
Ainsi, si nous voulons proposer une étude exhaustive des "sujets" qui donnent
l'espace, il faut distinguer des sujets-personnages et des sujets narrateurs. Et
selon les types de "sujets", nous aurons les types d'espaces.
En revenant aux romans de notre corpus, chaque sujet-narrateur premier
organise "espace dont il a la charge par un acte d'énonciation qu'il maîtrise.
Cet acte se distingue de celui posé par un personnage lequel n'est pas
obligatoirement inclus dans l'espace qu'il énonce, au moment où il l'énonce.
Nous avons donné plus haut l'exemple de Barbe de Percy. Mais, chez Barbey
d'Aurevilly, un personnage peut dire une histoire où il est inclus: c'est le cas
avec Ryno de Marigny dans Une Vieille maîtresse.
Ainsi, les sujets narrateurs organisent l'espace par l'acte d'énonciation qu'ils
posent et les sujets-personnages donnent également leur espace. Tout cela
nous conduit à la distinction faite par G. Genette entre les narrateurs
extradiégétiques et les narrateurs intradiégétiques.
En somme, cette distinction permet d'opérer un choix entre personnage et
narrateur; le premier participe à l'organisation de son propre espace par la


221
perception qu'il en a et les actions qu'il y accomplit, le second organise, par le
discours, un espace dont il peut être exclu.
" est donc possible, à partir d'un espace représenté d'élaborer une esquisse du
sujet-narrateur. Par exemple, dans l'Ensorcelée. la description minutieuse de la
lande de Lessay, de ses environs, construit un type d'espace que "s'approprient"
les pâtres-bergers. De même que ce lieu inspire la peur, le fantastique, de
même en est-il des personnages qui y vivent: les bergers sont redoutables et
font peur.
Ainsi, le sujet -narrateur donne un espace de peur dont lui-même ne saurait
être exclu. Aussi crée-t-il des personnages appropriés à ce lieu, d'où la notion
d'extradiégétique qui correspond au sujet -narrateur.
Les traits caractéristiques de la lande de Lessay, ceux du Quesnay ou encore
ceux qui renvoient à la Butte du Mont-Saint Jean, au marais de la Sangsurière
(ou tout autre lieu) sont autant de lieux non seulement révélateurs mais encore
producteurs de particularités référables aux personnages qui les habitent.Ainsi,
l'espace contribue donc, ici ,à l'élaboration d'un type de sujets appropriés. De
plus, dans les romans de notre corpus, lieux et personnages réitèrent des
informations équivalentes. En effet, de même qu'un espace peut être réservé à
un type de personnages, de même des personnages peuvent être pour un
espace donné (cf: lande de Lessay dans l'Ensorcelée.)
Dans un chapitre ultérieur - Espace et description - nous montrerons comment
la description minutieuse d'un lieu comme le Quesnay construit peu à peu un
personnage comme Néel. Cela revient à dire simplement que ce lieu agit sur le
personnage qui s'y rend auprès de Calixte Sombreval.
Lorsqu'un tel personnage - socialement bien en vue - pénètre dans un lieu dont
l'accès lui est interdit, il acquiert un trait complémentaire connoté ici
négativement.Ainsi, entre l'instance personnage Néel de Néhou et le lieu
Quesnay qu'il investit, suite à un besoin d'être toujours avec Calixte, un nombre

222
de relations défini s'instaure entre eux. Selon les cas, nous avons un ensemble
de prescriptions qui sont des attributs-structurés suivant un axe d'opposition
"dysphorie/euphorie" : "conjonction/disjonction".
/1 apparaît alors que le lieu Quesnay est le support d'un investissement
axiologique, qu'il soit le fait de l'ordre social référentiel ou le fait d'un
personnage. Toujours est-il qu'un tel lieu a des incidences, des effets sur un
'-
personnage comme Néel de Néhou, car ce personnage, dès le départ,
n'appartient pas à un tel milieu. Ainsi , en privilégiant la fonctionnalité de
l'espace dans ses rapports avec le personnage, nous retenons que le lieu peut
agir sur le personnage - cela entraîne une relation de disjonction entre
personnages sociaux et lieux interdits.
Nônon-Cocouan est en disjonction avec la lande de Lessay. Il en est de même
entre le personnage et le Vieux Presbytère dans l'Ensorcelée.
Ainsi :Nônon-Cocouan U Lande de Lessay
Nônon-Cocouan U Vieux Presbytère
Dans Un Prêtre marié: La Malgaigne refuse de pénétrer au Quesnay, d'où
relation de disjonction: il en est de même de Julie la Gamase pour le même
lieu:
La Malgaigne U Quesnay
Julie la Gamase U Quesnay
En revanche, entre le lieu Quesnay et Sombreval existe une relation de
conjonction: Quesnay n Sombreval
Dans l'Ensorcelée: Lande de Lessay n La Croix-Jugan
Lande de Lessay n Thomas le Hardouey
Lande de Lessay n les Pâtres bergers.
Chez Barbey d'Aurevilly, par rapport aux relations de conjonction et de
disjonction entre les lieux et les personnages, il y a des lieux intermédiaires et
des personnages intermédiaires.

223
Ce sont des lieux qui tolèrent et acceptent des personnages sociaux ou
asociaux ou des personnages qui vont dans des lieux sociaux ou asociaux.
Ainsi le personnage social Néel se rend dans un lieu asocial comme le
Quesnay et des personnages asociaux comme Sombreval avec sa fille vont
dans un lieu social comme l'église de Néhou. Dans cette optique, la Clotte se
rend à l'église lors du décès de Jeanne le Hardouey.
Ces lieux de tolérance sont investis par des croyants, des religieux ou des
amoureux. Néel, fort épris de Calixte, fréquente le Quesnay. L'abbé Méautis va
au Quesnay pour y rencontrer sa pénitente,Calixte. Il monte jusqu'au
laboratoire de Sombreval. De plus, certains personnages nobles et sociaux qui
dédaignent un lieu interdit y vont en l'absence du personnage type asocial.
C'est ainsi que les Lieusaint et le Vicomte de Néhou sont au Quesnay après la
"folie polonaise" de Néel.
Calixte y marie Bernardine à Néel. L'absence de Sombreval, lors de ces visites,
peut signifier que le lieu asocial Quesnay passe du signe asocial au signe
social. C'est donc. Sombreval qui confère au lieu son asocialité.
Ainsi, l'on peut dire qu'il n'y a pas des personnages et des lieux à part. Il y a
une interaction entre le lieu et le personnage.Une dernière remarque: certains
personnages impriment leur marque à un lieu. C'est le cas avec Sombreval au
Quesnay. Nous retenons également que le cloisonnement des lieux aurevilliens
se retrouve au niveau des personnages. De même que le lieu définit le
personnage à toutes les échelles de sa signification, de même le personnage
définit le lieu. Le lieu est alors "l'intormat" du personnage.

224
III . Espace et description.
L'étude des lieux pose le problème de leur description. Celle-ci est un discours
d'importance variable selon les récits, mais toujours obligé et attendu.
Pour G. Genette, " Tout récit comporte (..) , quoique intimement liées et en proportions très
variables, d'une part des représentations d'actions et d'événements, qui constituent la narration
proprement dite, et d'autre part des représentations d'objets ou de personnages, qui sont le fait
de ce qu'on nomme aujourd'hui la description .,,1.
Cependant, signalons que notre travail ne consiste pas à proposer une théorie
sur la description, encore moins à la définir (travail abordé par plus avertis que
nous) 2, mais à montrer son importance chez Barbey d'Aurevilly en
l'envisageant dans ses rapports avec les lieux car, nous semble-t-il, elle les
considère en tant qu'éléments d'un ensemble, le récit.
En rapport donc avec notre analyse, qui s'intéresse à l'espace, il nous apparaît
que la description prend le lieu non pas comme une reproduction fidèle du
"réel" ou de la réalité, mais allusion à cette dernière, allusion partielle et
sélection commandée par les nécessités du récit. Aussi poserons-nous d'abord
le problème du référent auquel renvoie la représentation des lieux décrits, et
nous interrogerons-nous sur les rapports existant entre les énoncés descriptifs
et le "réel" ou, du moins avec ce qu'ils s'efforcent explicitement de poser et de
faire connaître comme tel
; ensuite,
nous nous pencherons sur le
fonctionnement interne de la description du lieu.
1 G. Genette, "Les frontières du récit," in Fiqure Il Paris Seuil, p 56.
2J. Ricardou ;"Belligérance du texte" in La production du sens chez Flaubert, Colloque de Cérisy, U. G. E.
1975, PP 85-102.
Ph. Hamon! 1/ "Qu'est ce qu'une description ?" Poétique n° 12 Paris, Hachette, PP465-485.
2/ Introduction à l'analyse du descriptif Paris, Hachette 1981 , 268 P
G. Genette, "F-rontières du récit "in Figures Il, Seuil PP 49-69

225
1- Le référent.
Dans les analyses de type structural (autonomie et clôture du texte comme
système), le problème du référent est banni, rejeté parce qu'on trouve qu'il
relève
"d'une idéologie de la représentation et de l'archéologie littéraire et critique. Il
n'empêche que des fictions écrites dans le cadre d'une esthétique de la mimésis obéissent à
une intention référentielle, à tel point que R. Barthes y trouve une définition possible du
discours réaliste: "tout discours qui accepte des énonciations créditées par le seul référent." 1
Au cours de ce travail, notre propos n'est pas d'apporter un jugement sur ces
débats qui concernent les problèmes posés par le référent mais de montrer
qu'après toute lecture, le décor, l'histoire et les lieux nous font créer un monde
dont nous cherchons à trouver l'équivalent dans notre vie quotidienne.
Il est vrai, cependant qu'un auteur comme Barbey d'Aurevilly, qui est taxé par
,..
certains d'écrivain régionaliste, nous conduit à considérer le référent aurevillien
d'un tout autre point de vue.
En effet, après lecture des romans de notre corpus, le référent Paris évoque en
nous les qualifications de la ville française, capitale de la France. Il en est de
même des référents spatiaux comme le Quesnay, Valognes, l'abbaye de
Blanchelande, Néhou, qui renvoient à une zone située dans le Cotentin
normand.
De plus, la structure narrative des romans de notre corpus nous amène à dire
que la description est nécessaire. C'est ainsi que, bâtis tous sur le genre du
tête à tête confidentiel entre un narrateur qui sait et un narrataire qui cherche à
savoir, la description d'un lieu (pour ce qui nous concerne) devient nécessaire,
car celui qui sait veut apporter le maximum d'informations à celui qui ne sait
pas; il faut qu'il suscite un certain nombre d'images qui lui permettront de
suivre l'histoire racontée.
1 R. Barthes: "L'effet de réel" in Communications W 11 , 1968, P 88.

226
Que ce soit un lieu, un personnage, une action, tout est décrit. Nous avons
signalé, déjà, le portrait d'un personnage comparse comme Nônon Cocouan.
Dans notre corpus, le lieu de l'action est toujours donné - par exemple, dans
l'Ensorcelée, nous avons la lande de Lessay, le Clos, le Vieux Presbytère. Dans
Un Prêtre marié, c'est le Quesnay; dans Le Chevalier Des Touches, c'est le
château des Touffedelys à V... et dans Une Vieille maîtresse deux topor -Paris
et la Normandie- sont ceux de l'action.
Ainsi, les différentes séquences descriptives des différents lieux sont fortement
référentielles par les toponymes: Paris, rue de Varenne, Passy...
Ils renforcent et surdéterminent le lieu de l'action. Nous remarquons,
cependant, que tous les lieux ne sont pas toujours décrits. C'est le cas de Paris
dans le Bonheur dans le crime. Ce toponyme n'est pas décrit car il est supposé
connu du narrataire. Mais dans Une Vieille maîtresse., ce toponyme Paris est
fortement décrit à travers les parcours du Vicomte de Prosny, de Ryno de
Marigny, de Vellini, de Hermangarde... Dans l'Ensorcelée, la terrible lande de
Lessay est fortement décrite ; il en est de même du Quesnay dans Un Prêtre
marié.
On remarque donc que les lieux à fonction déterminative sont toujours décrits.
Cependant, des lieux secondaires comme le Bas -Hamet sont décrits par
l'arrivée de Vellini. Ainsi un lieu ne se décrit que s'il a prise sur l'histoire.
En effet, d'un point de vue locatif, la description du village des Rivières n'est
pertinente que dans la mesure où elle permet de rendre compte des efforts
fournis par Vellini pour approcher son amant. De plus, si nous tenons compte
que son appartement sis au 46 de la rue de Provence est déjà décrit, et que
son espace normand est également décrit, nous constatons alors qu'il y a une
différence entre les deux lieux du point de vue du confort. 1\\ y a donc eu
déplacement d'un lieu douillet à un lieu plus austère. Cela se comprend et cela
explique la ténacité du personnage à conquérir Ryno de Marigny.

227
Ainsi les catégories matérielles des lieux dépassent leurs sens. Elles subissent
des distorsions qui n'ont plus rien d'objectif. Ce qui fait que le référent semble
subir des écarts. Cela nous amène à considérer les fonctions des lieux décrits.
2- Les fonctions des lieux décrits
Dans Le Bonheur dans le crime, les descriptions de la cage de la panthère et
du couple des Savigny révèlent les traits de caractères des personnages,
principalement ceux de Hauteclaire Stassin. Elles expliquent sa conduite.
En effet, à partir de R1, nous savons qu'elle aime à braver le danger, c'est
pourquoi elle met son gant entre les barreaux de la cage. Ce trait de caractère
se confirme dans R2 où elle va servir au château en tant que servante, alors
que Serlon est l'époux de Delphine de Cantor. Dans cette nouvelle donc, les
descriptions locatives sont une métonymie où l'amour n'est pas réservé aux
personnages seulement, mais aux lieux mêmes où ils séjournent ou habitent.
Par exemple, l'amour entre Serlon et Hauteclaire ne se limite pas à eux en tant
que personnages, mais il délimite leur cadre de vie.
"L'amour, qui simplifie tout, a fait de leur vie une simplification sublime ... Leur vie se concentre
donc tout entière dans ce château de Savigny, qui fut le théâtre d'un crime dont ils ont peut-être
perdu le souvenir, dans l'abîme sans fond de leurs cœurs" 1.
On remarque donc que les relations de la description des lieux et de l'action
sont patentes. En effet, dans l'Ensorcelée, entre la lande de Lessay et la
reprise probable des heurts entre bleus et chouans, des relations existent et le
narrateur y fait un large écho. Dans Un Prêtre marié, entre l'action principale et
le lieu Quesnay, des liens existent.Nous avons signalé que ces lieux décrits ont
une forte connotation référentielle, car en nous référant à l'histoire réelle de la
Normandie, le souvenir des chouans est vivace dans l'Ensorcelée, comme
dans le Chevalier Des Touches.
1Q.-,P168

228
De plus, ces pâtres, ces "bergers voyants",ces "sorcières" comme la Clotte ou
la Malgaigne, leurs espaces privés, cette lande où "au début du XIXe Siècle, on
reconnaissait l'existence à ces personnages étranges dans toutes les provinces" 1, tous ces
éléments concourent à renforcer le référentiel. Il y a donc de la part de l'écrivain,
une volonté de s'ancrer dans le "réel" de son époque. Cet ancrage se justifie par
Barbey lui-même dans une lettre à son ami Trebutien : "Romans, impressions
écrites, souvenirs, travaux, tout doit être normand pour moi et se rattacher à la Normandie" .
Mais à ce "réel" s'ajoutent des éléments qui sont le fruit de l'imagination de
l'auteur qui se métamorphose en un narrateur porté sur les choses du
merveilleux.
Chez Barbey, cela se comprend aisément. En effet, "la reconquête de la Normandie
est la conquête d'une liberté de l'imaginaire, le bris des chicanes, des enclos où Barbey n'avait
cessé de se sentir entravé (...) En décidant de s'installer dans ces paysages et d'en nourrir son
inspiration, Barbey s'assure une aire sans pareille, le bienfait d'une immense horizontalité.ja
platitude de la lande ou de la mer, offerte à l'irruption de tous les possibles, comme la platitude
de la page blanche où l'écrivain déchaîne l'événement constitue le terrain idéal pour les jeux
sans frontières de l'imagination ..;" 2
Ainsi l'écrivain Barbey dans ses écrits propose "l'équivalent d'une production
fantasmatique",
laquelle n'a pas été proposée aux lecteurs "sans décharge
émotionnelle'v.
Ainsi chez Barbey, les lieux décrits relèvent plus du fantasmatique que de la
réalité, car dans l'œuvre littéraire, ce fantasmatique en tant que "production de
l'imagination par laquelle le moi cherche à échapper à l'empire de la réalité" 4 est beaucoup
plus vraisemblable.
1 Barbey d'Aurevilly, cité par R. Bésus in" Barbey d'Aurevilly" in Classiques du XIX siècle, Paris
ed.Universitaire, P. 90

2 Ph. Berthier, Barbey d'Aurevilly et "imagination, Droz, 1978, '198P .
3
M. Marini: " Ricochets de lecture: la fantasmatique des Diaboliques", in Littérature n° 10, P.3
4M. Marini, art cité
P 3.

229
Bien que le lieu décrit dans un récit rapproche l'univers de la fiction du monde
imaginaire que chaque lecteur construit, il n'empêche que l'univers de la fiction
est la production d'un auteur métamorphosé en un narrateur.Ainsi, un auteur
insère une description dans le récit qu'il produit.
3- L'insertion du lieu décrit dans le récit
Dans l'ensemble des romans de notre corpus, la description d'un lieu retarde
l'action. En effet, en nous fondant sur une étude faite par
J. Ricardou, nous
disons avec lui qu'un roman "s'élabore d'une part dans l'ordre du récit, puisqu'il propose
événements et actions,d 'autre part dans l'ordre de la description puisqu'il dispose objets et
personnages. Cette existence ne saurait surprendre: il n'y a pas de récit sans description, au
moins à l'état de traces irréductibles." 1
Ainsi le récit donne à lire soit de la description, soit de l'action, soit encore de la
narration; c'est dans cette optique que G. Genette dit: "la description représente les
objets de l'espace de façon simultanée ou juxtaposée alors que la narration restitue la
succession temporaire des événements" 2.
Narrer et décrire sont donc deux opérations solidaires, mais elles appartiennent
à des plans différents. Elles sont unies grâce au récit tout en ayant des objectifs
différents.
En revenant au Bonheur dans le crime, nous pouvons trouver des signes
démarcatifs qui montrent le passage du descriptif à l'action.
Tort Y qui raconte l'histoire du récit2 intervient pour suspendre la description et
introduire l'action.
"II est bien entendu, mon très cher, que je suis obligé de passer rapidement sur tous les détails
de cette époque, pour arriver plus vite au moment où réellement cette histoire commence. Mlle
Hauteclaire avait environ dix-sept ans. L'ancien beau, la Pointe-au-corps, devenu tout à fait un
bonhomme veuf de sa femme, et tué moralement par..." 3
1 J.Ricardou: La production du sens chez Flaubert, colloque de Cérisy. U.C.E. P. 85.
2 G. Genette, "Frontières du récit" in Fiqure IL Seuil pp 49-69.
3 ..Q... P.128.

230
Signalons que la prolifération des détails descriptifs de la ville de V., du Jardin
des Plantes, du château des Savigny, de la salle d'armes apporte des
informations nécessaires au lecteur mais aussi au narrataire qui écoute.
La ville de V...
est décrite avant l'arrivée de la Pointe au corps. Elle l'est
ensuite lorsque la salle d'armes est ouverte. La description de chacun des
moments est expressive. Avant l'arrivée de la Pointe au corps, la description
met en relief la torpeur dans laquelle est la ville de V... ; l'après- description met
en valeur la vie qui revient, la renaissance de V.
Ainsi ces descriptions ont des fonctions pragmatiques car elles ont prise sur le
récit; cela s'explique également avec la salle d'armes. Elle est décrite lorsqu'elle
est ouverte par la Pointe au corps; on en parle lorsque disparaît Hauteclaire
Stassin." ... C'était à rendre folle une petite ville de fureur, et, positivement. V... le devint. Que
de motifs pour être en colère. D'abord, ce qu'on ne savait pas, on le perdait. Puis... Enfin, on
perdait, en perdant Mlle Stassin, qui n'était plus alors que cette Stassin, une salle d'armes
célèbre à la ronde, qui était la distinction, l'ornément et l'honneur de la ville, sa cocarde sur
l'oreille, son drapeau au clocher." 1
Nous avons signalé que les séquences descriptives sont référentielles mais
bien plus, elles concourent avec les toponymes à produire un effet
d'authenticité. A vrai dire, ces éléments de description ne sont qu'une allusion
au réel, "à un réel largement entendu et considérablement déformé car ce que le récit
convoque, ce n'est pas le monde des faits objectivement descriptibles, mais celui des
représentations qui, bien plus que l'autre, influence la conduite des gens" 2..
Ainsi, on remarque que c'est TortY qui produit cette rupture à la description du
lieu. Le narrateur extradiégétique lui a délégué sa compétence, la fonction de
contrôle.
1 Q.133.
2 Dumortier J.L.I Plazanet F: Pour lire le récit: l'analyse structurale au service de la pédagogie,
ed. Duculot, 1980, P. 87.

231
Mais dans R 1, c'est le narrateur extradiégétique lui-même qui prend en
compte les descriptions. Il situe les lieux et les événements: "Le docteur Torty
avait été une espèce de Bas- de -Cuir équestre, qui avait vécu dans les fondrières du Cotentin,
comme le Bas-de-cuir du Cooper dans les forêts de l'Amérique. Naturaliste ... il était devenu un
de ces impitoyables observateurs qui ne peuvent pas ne point être des misanthrophes." 1
Ainsi, passer le relais à Torty pour faire une description, c'est somme toute la
..
motiver. Néanmoins, le narrateur extradiégétique motive, lui aussi, le récit par
le fait suivant: "J'étais un des matins de l'automne dernier à me promener au Jardin des
Plantes, en compagnie du docteur Tort y, certainement une de mes plus vieilles
connaissances'<. Le matin d'automne, propice à la flânerie, semble une des
conditions premières à son récit et à la description qu'il fait du Jardin des
Plantes. Il y a donc de sa part une motivation nécessaire à la description des
lieux. Lorsque la description est motivée, elle s'intègre au récit par des
personnages focalisateurs. Dans le récit, la description est faite du point de vue
du narrateur extradiégétique.
"J'en faisais la réflexion tout bas au docteur, quand deux personnes scindèrent tout à coup le
groupe amoncelé devant la panthère et se plantèrent justement en face d'elle : "oui, me
répondit le docteur; mais voyez maintenant. Voici l'équilibre rétabli entre les deux espèces !" 3.
Mais lorsque le lieu décrit devient amorce narrative, dans le sens qu'elle
déclenche une nouvelle histoire, c'est le cas avec l'arrivée des Savigny au
Jardin des Plantes qui entraîne R2, la vision s'individualise et se limite à celle
de Torty "Mon cher, c'est là une histoire qu'il faut aller chercher déjà loin, comme une balle
perdue sous des chaises retenues ; c'était dans les premières années qui suivirent la
Restauration"
,4 et , au fur et à mesure qu'il raconte son histoire, le champ visuel
se restreint à lui seul.
:1.
1p'"" P. 113/114.
2 Ibid P. 111.
3 Ibid P 115.
41bid P 121.

232
Ainsi, les descriptions des lieux, prises en charge par le regard des
focalisateurs pour être vraisemblables,
sont psychologiquement et
dramatiquement motivées.
En effet, on ne saurait trouver meilleures motivations à l'histoire des Savigny
qu'une flânerie dans un jardin public où le narrateur extradiégétique et TortY
sont venus pour voir ce qui se trouve dans ce lieu, comme d'autres tlàneurs tels
les Savigny.
En somme, la description d'un lieu chez cet auteur est toujours motivée par
"quelque chose" qu'il faut déterminer.
Signalons également que le personnage médiateur - par qui la description est
faite - peut entretenir avec le lieu à décrire d'autres rapports que des rapports
visuels. En effet, le sonore (l'entendu) dans un lieu peut justifier aussi une
description. C'est le cas dans l'Ensorcelée avec Maître Tainnebouy qui, en
entendant "la Cloche de Blanchelande qui sonne la messe de l'Abbé de la Croix-Juqan"! ,
raconte l'histoire de ce prêtre-Chouan.
On constate ainsi que l'insertion du lieu décrit et même la description ne sont
pas choses aisées car "le texte de récit est le lieu d'une belligérance continue". 2
Au total, le décrit, dans ses relations au récit, obéit à des contraintes qui
motivent et règlent son apparition : même le fonctionnement interne de la
description des lieux, loin d'être arbitraire, est régi par des contraintes de
natures diverses.
1 ~ P.69
2 J.Ricardou : La production du sens chez Flaubert, Colloque de Cerisy
U.G.F. P 8.

233
4- Le fonctionnement interne de la description du lieu
a) Les contraintes lexicales.
Ph. Hamon nous le rappelle : la description est "un ensemble lexical
métonymique ment homogène dont l'extension est liée au vocabuliaire disponible de l'auteur,
non au dégré de complexité de la réalité elle- même ; elle est avant tout une nomenclature
extensible à clôture plus ou moins artificielle, dont les unités lexicales constituantes sont d'une
plus ou moins grande prévisibilité d'apparition..." 1
Par exemple dans le Bonheur dans le crime, nous l'avons déjà signalé, les
descriptions sont faites par le narrateur extradiégétique et par Torty.Le
vocabulaire qu'ils utilisent relève d'un vocabulaire spécifique, propre à un
zoologiste, à un escrimeur. C'est le lexique du zoologiste utilisé lors de la
description de la panthère de Java. C'est le lexique propre à l'épée qu'utilise
TortY à propos de Hauteclaire Stassin,l'escrimeuse.
"... Elle avait des coups irrésistibles, de ces coups qui ne s'apprennent pas plus que le coup
d'archet ou le démanché du violon, et qu'on ne peut mettre, par enseignement, dans la main de
personne. Je ferraillais un peu dans ce temps, comme tout ce monde dont j'étais entouré ... Elle
avait, entre autres, un dégagé de quarte en tierce qui ressemblait à de la magie. Ce n'était plus
là une épée qui vous frappait, c'était une balle !" 2
Dans l'Ensorcelée, la description de la lande de Lessay est celle, nous semble-
t-il, d'un topograhe ou d'un géographe, ou encore d'un agriculteur.
"La lande de Lesssay est une des plus considérables de cette portion de la Normandie qu'on
appelle la presqu'i1e du Cotentin. Pays de cultures, de vallées fertiles, d'herbages verdoyants,
de rivières poissonneuses, le Cotentin, cette tempé de la France, cette terre grasse et remuée,
a pourtant comme la Bretagne, sa voisine, la Pauvresse-aux-Genêts, de ces parties stériles et
nues où l'homme passe et où rien ne vient, sinon une herbe rare et quelques bruyères bientôt
1Ph. Hamon, "Qu'est ce qu'une description ?" Poétique 12, Seuil, PA77.
2 Q.,P.131 . .

234
déssechés. Ces lacunes de cultures, ces places vides de végétation, ces terres chauves pour
aussi dire, forment d'ordinaire un frappant contraste avec les terrains qui les environnant"! .
Ailleurs dans Un Prêtre marié, le vocabulaire utilisé est celui d'un homme de
science lorsque l'abbé Méautis se rend au laboratoire de Sombreval.
En effet, l'Abbé Méautis."... s'assit en jetant autour de lui dans cet appartement le genre
de regard qu'il aurait eu dans l'antichambre de l'enfer.Et n'en avait-il pas un peu l'air, pour ce
pauvre curé de campagne, qui, de sa vie, ne s'était vu dans un laboratoire de Chimie? Ignorant
de tout, excepté de la science divine qui lui servait à éclairer le cœur de l'homme, ce prêtre,
élevé à la charrue, et qui n'avait appris au séminaire de Coutances que le latin et un peu de
• théologie, suivant l'usage d'alors, cet humble docteur qui aurait pu s'appeler le docteur
Séraphique, aussi bien celui qui, dans l'histoire de l'Esprit humain, porte ce doux nom, ne fut
point sans étonnement et même sans je ne sais quel vague effroi, quand il se vit entouré, dans
le cabinet de Sombreval ,de toutes ces choses de formes bizarres, compliquées, presque
monstrueuses pour qui n'en connait pas l'usage, et qui sont les instruments du chimiste, ses
véhicules, dans ses mystérieuses et souvent terribles manipulations.Les cornues, les alambics,
les piles de Volta se dressant; ces réservoirs étranges, ces vases inouïs, avec lignes et aux
contours fantastiques, chimères d'airain ou de cristal, les uns avec de longs cous qui
s'allongent ou qui se replient comme des serpents, les autres avec des ventres de bêtes
pleines qui vont mettre bas, lui parurent une ménagérie immobile, mais menaçante, d'animaux
d'un
autre
monde,
figés
momentanément
par
une
puisssance
suprême,
mais
apocalyptiquement hideux...".2
On le constate, chez Barbey, le lieu décrit est expliqué par le narrateur; ce qui
permet au narrataire et au lecteur de mieux comprendre le texte. Ainsi le
lexique du décrit (lieu-personne) se limite à la compétence lexicale du
narrataire à qui s'adresse le narrateur. Par ailleurs, "nous sommes ici très proches
de l'article du dictionnaire, la mise en équivalence d'une dénomination et d'une expansion: la
1 ~P 35.
. 2 P.M. P. 2621263.

235
description se fait pédagogique (éclairer le moins connu par le connu). et la métaphore et la
comparaison y jouent un peu le rôle que joue le renvoi. "1 .
Ainsi, le lexique du lieu décrit est une "obligation didactique de la part du narrateur et
restreint la vélleité d'expression de la description. 2
b) Les contraintes sémantiques
"Les exigences intenses de cohésion et de redondance sémantique ordonnent les séquences
descriptives en sélectionnant leurs expressions'v. Nous avons relevé dans un chapitre
ultérieur trois grands axes d'opposition: bleus/chouans, nobles/non nobles,
sociaux/asociaux Par exemple, les lieux sociaux et les lieux asociaux sont
organisés par leur opposition. En effet, un lieu dit social est fondamentalement
opposé à un lieu asocial sur le plan sémantique.
Dans Un Prêtre marié par exemple, le Quesnay est un lieu réservé aux
Sombreval, nous l'avons dit, c'est le lieu de l'asocialité par excellence. En
revanche, l'église de Néhou est un lieu social où se réunissent tous les
personnages:nobles/non-nobles ,sociaux et asociaux.
Ainsi, la métonymie du lieu est une exigence sémantique qui sélectionne
l'expression de la description du lieu. Ainsi des lieux comme la lande de Lessay
dans l'Ensorcelée, le Quesnay dans Un Prêtre marié, la ville de V... dans ~
Bonheur dans le crime sont des métonymies de lieux décrits.
Ces métonymies des lieux ont leur pertinence dans la suite du récit lorsque les
dits-lieux ont été présentés en début de récit soit par le narrateur
extradiégétique, soit par un narrateur homodégétique.
Le narrateur, dans tous les cas, -si nous considérons l'exemple de la lande de
lessay-fait une description qui s'approprie le surnaturel. Il allie le "réel connu"
et le "surnaturel inconnu".
1 Ph. Hamon Opcit P 478.
2J.M. Seillan : Cahiers d'études et de recherches Abidjan, E.N.S.P. 49.
3 J. M. Seillan: Opcit
P 49.

236
Le "réel connu", c'est la description de la lande de lessay au début du roman,
description semblable au travail d'un géographe, d'un agriculteur ou d'un
topographe.
Le "surnaturel inconnu", c'est la réunion des pâtres avec le Hardouey dans la
dite lande.
Par conséquent, le narrateur introduit et " accepte une certaine illisibilité dans sa
description, en combinant un lexique spécialisé de termes techniques, et une série de prédicats
également empruntés à un lexique technique spécialisé. Au lieu d'introduire une redondance
des contenus dans le récit, au lieu de neutraliser l'illisibilité d'une série de termes par la lisibilité
d'une autre, la description introduit dans le texte une sorte de "blanc" sémantique, qui pourra
être interpreté de façon différente par les divers lecteurs("i1lisibilité), "obscurité", "poésie",
"hermétisme" , etc) 1
Ainsi dans le fonctionnement interne de la description d'un lieu, les contraintes
lexicales et sémantiques sont importantes. Ces réseaux de contraintes
encadrent et régentent le lieu décrit en renforçant sa prévisibilité.
On le constate donc, la description d'un lieu dans les textes aurevilliens n'est
pas un acte gratuit. Ici, le lieu décrit qui interrompt la narration des événements
suspend le temps et l'action, apporte, cependant, des informations nécessaires
à la compréhension du texte et à son interprétation. Un lieu décrit nous conduit
aux sens d'un texte.
1 Ph.Hamon
Opcit
P 479.

237
L'ESPACE ET LE SENS
OU
-
LA SYMBOLIQUE DE L'ESPACE
CHEZ BARBEY D' AUREVILLY

238
1 / Préliminaires
Considérer ce point de notre travail sous la forme de relations, de rapports
existant entre l'espace et le (s) sens est un exercice délicat, non seulement à
cause de l'intitulé du chapitre -Espace et sens- mais aussi du fait qu'aborder un
tel élément devient récurrent et redondant.
Au cours de notre travail, nous n'aurons pas recours à la psychologie de
l'auteur concret, homme de culture (d'où les nombreuses allusions littéraires à
la mythologie grecque et biblique), encore moins aux caractéristiques de son
environnement géographique, social et culturel, car celles-ci ne diraient pas de
quelle manière et par quel procédé-un lieu de papier devient merveilleux ou
étrange-et comment le fantastique se construit ni comment il arrive à se
communiquer à nous.
Notre tâche, justement, est de mettre en relief le processus de ce type de
construction et de ce type de communication - les romans de notre corpus sont
d es
"ricochets
de
conversation"
- car nous pensons que s'y trouvent
vraisemblablement l'explication de la réaction du lecteur et la charge
pulsionnelle et émotionnelle de l'œuvre.
Bien que cela soit, nous nous inscrivons dans une perspective dite structurale
où " le texte est considéré en lui- même comme un objet de connaissance, (où l' ) on émet
alors l'hypothèse qu'en tant qu'unité complexe il obéit à des règles fonctionnelles de récurrence
et de systématicité qui lui sont inhérentes. (Et dans cette optique) le travail du théoricien'
consiste à dégager cette" grammaire" à laquelle toute production textuelle renvoie et que
justifie le consensus relatif de la lecture. "1
Pour aboutir à cet objectif, nous gardons donc en mémoire le principe
fondamental de la linguistique structurale - le principe d'immanence - que tout
énoncé réalisé ne peut s'analyser qu'en fonction de ses propriétés internes.
1 A. Bouacha et D. Bertrand: Lectures de récits: pour une approche sémio-linqusitique du texte littéraire.
Parcours méthodologique de lecture et d'analyse Paris, Belc, 1981 , P 6 .
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239
Ainsi, un texte réalisé - un roman de notre corpus - pris comme une "structure
close" est descriptible en tant que telle, en dehors de tout processus historique
comme une entité donnant sens.
A cet égard, nous faisons nôtre la formulation de T. Todorov relative à l'analyse
des œuvres littéraires : ~..Etudier la "littérarité" et non la littérature: c'est la formule qui, il
y a bientôt cinquante ans, signala l'apparition de la première tendance moderne dans les
études littéraires, le Formalisme russe. Cette phrase de Jakobson veut redéfinir l'objet de la
recherche; pourtant on s'est mépris assez longtemps sur sa véritable signification .(...) On
étudie non pas l'oeuvre mais les virtualités du discours littéraire, qui l'ont rendue possible: c'est
ainsi que les études littéraires pourront devenir une science de la littérature. ,,1
Il poursuit: "...Mais de même que pour connaître le langage, on doit d'abord étudier les
langues, pour accéder au discours littéraire, nous devons le saisir à travers des œuvres
concrètes. Un problème se pose ici : comment choisir parmi les multiples significations qui
surgissent au cours d'une lecture celles qui ont trait à la littérarité?
Comment isoler le domaine de ce qui est proprement littéraire, en laissant à la psychologie et à
l'histoire ce qui leur revient ?" 2
Dans cette visée, il est utile, comme le conseille Ph. Hamon dans "Pour un
statut sémiologique du personnage" in Poétique du récit 3, de faire précéder
toute exégèse d'une description formelle rigoureuse, objective et scientifique,
c'est
-dire que l'objet de cette description devra être pris comme un système
- à
organisé, où les éléments constitutifs seront répartis, pour les besoins de
l'analyse, en différentes couches ou niveaux.
Ainsi, la sémiotique, après avoir été l'instrument d'une description formelle,
serait pour le critique le guide d'une lecture interprétative, visant dans les zones
souterraines le sens profond de l'écriture.
1 T. Todorov " Les catégories du récit littéraire" in Communications n° 8 Paris, Seuil, Collection Points,
1986, P 125.
2 Todorov Opcit P 125.
3 Collectif: Poétique du récit. Paris, Seuil, Points, 1977, PP 115-180.

240
Pour faciliter ce travail de description, nous proposons de définir deux notions
préliminaires: le sens et l'interprétation.
"Le sens (ou la fonction) d'un élément de l'œuvre, c'est sa possibilité d'entrer en corrélation
avec d'autres éléments de cette œuvre et avec l'œuvre entière... Chaque élément de l'œuvre a
un ou plusieurs sens (sauf si celle-ci est déficiente), qui sont en nombre fini et qu'il est possible
d'établir une fois pour toutes...
L'interprétation d'un élément de l'œuvre est différente suivant la personnalité du critique, ses
positions idéologiques, suivant l'époque. Pour être interprété l'élément est inclus dans un
système qui n'est pas celui de l'oeuvre mais celui du critique'".
Au total, ces deux notions que nous combinerons vont guider notre démarche
dans la recherche du sens, et il faut nous souvenir que l'interprétation nous
semble la conséquence d'une évaluation formelle rigoureuse du sens des
éléments textuels.
De plus, le sens et l'interprétation vont fonctionner - pour notre cas - sur des
codes spatiaux déjà répertoriés.
En somme, il convient de retenir qu'une œuvre littéraire comme L'Ensorcelée
ou tout texte de notre corpus est saturé de plusieurs messages. Pour
comprendre le(s) sens des différents et multiples messages qui traversent le
texte, il faut arriver à se brancher sur les différents codes - ici spatiaux - qu'ils
supposent. Cela revient à dire qu'à partir de l'élément spatial, nous essaierons
d'aboutir au sens de l'œuvre romanesque étudiée.
Il s'agit donc de "repérer les avenues du sens. Notre but n'est pas de trouver le sens, ni
même un sens du texte, et notre travail ne s'apparente pas à une critique littéraire de type
herméneutique comme l'est par exemple la critique marxiste ou la critique psychanalytique.
Notre but est d'arriver à concevoir, à imaginer, à vivre le pluriel du texte, l'ouverture de sa
1 T. Todorov-: Cpeil P 125/126.

241
signifiance. L'enjeu de ce travail touche donc à une théorie, une pratique. un choix qui se
trouvent pris dans le combat des hommes et des signes." 1
Avec ces a - priori, notre analyse va, fondamentalement, s'appuyer sur les axes
thématiques répertoriés dans le chapitre précédent.
Ces axes thématiques de réflexion ont été choisis en fonction des isotopies
dominantes, perceptibles dès la première lecture et ces axes ont été renforcés
par d'autres lectures plus attentives où l'interprétation a été, d'abord, guidée
par une démarche intuitive, puis reprise dans une démarche plus rationnelle
qui, cependant, reste à affiner.
Ainsi, par exemple, les thèmes spatiaux que sont la mer, l'eau d'une manière
générale, le manoir ... pourraient être reliés aux catégories spatiales espace
ouvert 1 espace clos; espace vide 1 espace plein ; espace social 1 espace
asocial...
La solitude, le rêve ou encore le merveilleux des lieux angoissants comme la
lande de Lessay, le Quesnay... servent efficacement le tantastique.
Bien que cela soit redondant, nous n'oublions pas cependant qu'" à partir des
principes fondamentaux de la différence et de la relation, par lesquels un élément ne peut être
identifié que par son opposition à un autre élément isotope, l'analyse structurale s'est attachée
à construire des unités syntaxiques et sémantiques minimales, organisatrices de réseaux de
signification hiérarchisés. En considérant l'objet d'analyse dans sa stricte matérialité textuelle,
elle rejette la transparence et l'adéquation du texte au monde, elle marque un temps d'arrêt sur
le fonctionnement interne du sens qu'elle n'envisage plus comme une donnée évidente et
immédiate, et , du même coup, elle renvoie à sa périphérie le rapport" auteur-lecteur" Bref,
elle rend possible une approche" objective "du fait littéraire ,,2.
1 R. Barthes: "Analyse textuelle d'un conte d'El Poe" in L'aventure sémioloqique, Paris, Seuil- essais,
1985, P.330. (nous soulignons.)
2 A. Bouacha et D. Bertrand: Opcit . P 6.

242
De plus" en raison même de la dimension polémique qui a caractérisé son développement,
en raison aussi de la très grande complexité de la tâche qu'elle s'est donnée, cette démarche
analytique a eu pour effet d'hypertrophier l'objet, au détriment de ses instances-source: celle
qui produit le sens en écrivant, celle qui produit le sens en lisant. La prise en compte de cette
deuxième dimension permet d'envisager le texte, non plus seulement du point de vue des
structures qui agencent les réseaux autonomes d'organisation, mais aussi du point de vue de
ses mécanismes o'ettectuetion en tant que construction signifiante inscrite dans un acte de
communication. ,,1
Au regard de ces considérations liminaires, nous abordons:
1 QQçi! P 7.

243
II./ Les niveaux de sens: analyse des fonctions cardinales.
1) Valeurs réalistes: signification dramatique et option
idéologique des lieux.
En nous appuyant sur la nouvelle Le Bonheur dans le crime, nous voyons que
R2 commence avec l'arrivée du prévot Stassin dans la ville de V... laquelle t..
ville, en effet, avait bien tout ce qu'il fallait pour que ces officiers de la Garde lui fissent honneur
et fête. Elle était, comme on disait alors, plus royaliste que le Roi. Proportion gardée avec sa
dimension (...), elle foisonnait de noblesse ... Mais, la principale raison qui décida de cette
martiale fête d'un assaut, fut la réputation d'une ville qui s'était appelée "la bretteuse" et qui
était encore, dans ce moment-là, la ville la plus bretteuse de France." 1
Bénéficiant d'une conjoncture favorable dans un tel contexte, le prévot Stassin
ouvre une salle d'armes, fort appréciée à la ronde: "on y vit accourir toutes les fortes
lames du pays, et même tous les amateurs, plus jeunes d'une génération, qui n'avaient pas
cultivé, comme on le cultivait autrefois, un art aussi compliqué et aussi difficile que l'escrime; et
tous montrèrent un tel enthousiasme pour ce maniement de l'épée, la gloire de nos pères,
qu'un ancien prévot (.;•. ) s'imagina que ce serait une bonne place pour y finir ses jours qu'une
salle d'armes qu'on ouvrirait à V... ; et le colonel à qui il communiqua et qui approuva son
dessein, lui délivra son congé et l'y laissa." 2
D'un point de vue spatial, l'ouverture d'une salle d'armes devient un facteur de
rassemblement de tous ces bretteurs. Cela crée également une situation de
conjonction entre les personnages de V... et ledit lieu.
Mais une première restriction est faite à cette situation de conjonction lorsque le
prévot Stassin, une fois vieux, passe le tlarnbeau à sa fille, Hauteclaire Stassin.
En effet, elle devient le premier et le seul personnage féminin dans un milieu
réservé principalement aux hommes.
1 Q P 121/122.
2 Q P 122.
a:sœ

244
Il est vrai, cependant, que la première restriction n'a pas d'effet sur l'axe de
conjonction entre les bretteurs et le lieu - salle d'armes - car Hauteclaire
Stassin poursuit l'œuvre entreprise par son père ; à savoir tenir une salle
d'armes.
Mais bien plus, si la conjonction entre le lieu et les personnages amorcée
depuis l'arrivée du prévot reste constante et permanente, c'est que Hauteclaire
Stassin est plus du côté des hommes que des femmes. En effet, si,
biologiquement, Hauteclaire Stassin est une femme, son apparence
morphologique la rapproche des hommes.
"Chose étrange! Dans le rapprochement de ce beau couple, c'était la femme (Hauteclaire
Stassin) qui avait les muscles, et l'homme qui avait les nerfs..." 1
A ces éléments s'ajoute le fait qu'Hauteclaire Stassin en R2 n'est jamais
montrée dans des attributs de femme. Elle est toujours masquée, par
conséquent très peu connue des autres jeunes femmes.
"Melle Hauteclaire Stassin n'était guère connue que des hommes de la ville de V... Toute la
journée le fleuret à la main, et la figure sous les mailles de son masque d'armes qu'elle n'ôtait
pas beaucoup pour eux, elle ne sortait guère de la salle de son père, qui commençait à
s'enrudir et qu'elle remplaçait souvent pour la leçon.
Elle se montrait très rarement dans la rue, - et les femmes comme il faut ne pouvaient la voir
que là, ou encore le dimanche à la messe; mais le dimanche à la messe, comme dans la rue,
elle était presque aussi masquée que dans la salle de son père, la dentelle de son voile noir
étant encore plus sombre et plus serrée que les mailles de son masque de fer..." 2
On le voit, d'une façon générale, Hauteclaire Stassin fait partie du clan des
hommes.Aussi, l'état de conjonction entre le lieu et les personnages reste
constant.
1Q..P116
2 Ibid P 127/128.

245
Une deuxième restriction s'opère ensuite. Celle-ci est une grave entorse à l'état
de conjonction premier lorsque Hauteclaire Stassin, dans un premier temps,
disparaît de V... et de la salle d'armes.
"C'était à rendre folle une petite ville de fureur, et, positivement, V... le devint. Que de motifs
pour être en colère! D'abord, ce qu'on ne savait pas, on le perdait. Puis, on perdait l'esprit sur
le compte d'une jeune fille qu'on croyait connaitre et qu'on ne connaissait pas, puisqu'on l'avait
jugée incapable de disparaitre comme ça.... Puis, encore, on perdait une jeune fille qu'on avait
cru voir vieillir ou se marier, comme les autres jeunes filles de la ville -internées dans cette
case d'échiquier d'une ville de province, comme des chevaux dans l'entrepont d'un bâtiment.
Enfin, on perdait,en perdant Mlle Stassin qui n'était plus alors que cette Stassin, une salle
d'armes célèbre à la ronde, qui était la distinction, l'ornement et l'honneur de la ville, sa
cocarde sur l'oreille, son drapeau au clocher..." 1
Dans un second temps, Hauteclaire Stassin épouse Serlon de Savigny, l'un
des bretteurs de sa salle d'armes, le promis de Delphine de Cantor. Et elle se
"réfugie" au château des Savigny pour y être d'abord servante ensuite devenir
Comtesse.
En conséqence le personnage Hauteclaire Stassin accumule les fautes .•
disparition et mariage. Elle s'aliène les habitants; la deuxième restriction crée
un état de disjonction.
Ainsi, la première conjonction entre les lieux publics (V... ; salle d'armes) et les
personnages se modifie. Nous avons relevé que l'état de conjonction premier
s'explique par le fait que V... est donnée comme un lieu d'accueil, où
prédomine le sens de l'hospitalité, où existe également la fraternité entre tous;
entre soldats de passage et habitants de V...
En somme, le caractère singulier de ce lieu V... , pris comme cadre d'une
certaine "socialité" qui est définie comme "la caractéristique de l'espèce humaine" ,
conduit le prévot Stassin à ouvrir une salle d'armes.
1 Q.P 133.

246
Mais dès lors que la "socialité" n'est plus respectée, la disjonction entre le lieu
et les personnages est de mise.
A cet égard, la soudaine disparition d'Hauteclaire Stassin des lieux publics
comme V... et de la salle d'armes, son installation dans un lieu privé la
discréditent à jamais. Elle va de lieux de conjonction à un lieu de disjonction -
le château des Savigny.
Si nous considérons également que les lieux publics tels V...et la salle d'armes
sont des lieux plus importants par leur grandeur, alors nous constatons
qu'Hauteclaire Stassin passe de lieux englobants à un lieu englobé spécifique
telle château. Ainsi, le lieu se rétrécit et semble conduire Hauteclaire Stassin et
son comparse Serlon dans un lieu jugé asocial car il n'est réservé qu'à eux, par
opposition aux lieux sociaux que sont V... et la salle d'armes, lieux publics, lieux
de contact.
Au total, le rétrécissement des lieux dans Le Bonheur dans le crime s'explique
par le fait que l'on passe de façon progressive de lieux englobants et
importants par leur capacité d'accueil qui sont des lieux de conjonction
réservés, certes, à des nobles bretteurs, à un lieu privé, lieu de disjonction,
réservé aux seuls Savigny.
Nous retenons aussi que le terme d'asocialité se comprend par le caractère
privé ou privatif du lieu ou des personnages, alors que la socialité du lieu ou
des personnages se mesure à sa capacité de communication, voire de
"sociabilité", au regroupement qu'il autorise. Nous allons exprimer, à travers un
tableau, et montrer le rétrécissement progressif de l'espace, l'état final de
disjonction des personnages principaux tels Hauteclaire Stassin et Serlon par
rapport à leur première situation.

247
Ville de V...
Salle d'armes
Château de
Savigny
Conjonction
+
+
+
Conjonction
restrictive
+
+
+
Disjonction
+
On remarque que par rapport aux trois lieux envisagés et fréquentés par Serlon
et Hauteclaire, deux signes négatifs (-) apparaissent sur l'axe de la disjonction
dans les lieux publics (V... et salles d'armes) alors que,
partout ailleurs, le
signe positif (+) domine.
Suivant ce tableau donc, l'exclusion se comprend aisément et se confirme.
Seul le lieu privé - château - leur reste favorable d'où le signe positif (+).
Au total )e Bonheur dans le Crime se construit sur le mode de l'enfermement,
du rétrécissement du lieu, de l'isolement des héros comme si ceux-ci devaient
être rejetés hors de la norme sociale et morale et ne point se mélanger au
commun.
De plus, il suffit qu'un lieu n'ait plus de prise directe sur l'histoire par le fait du
héros pour qu'il se ferme. En effet, lorsque la salle d'armes est close après la
disparition d'Hauteclaire Stassin, chacun des nobles-brettteurs reste chez soi.

248
Par conséquent, le départ du héros montre qu'il n'y a plus de conjonction entre
les nobles-bretteurs et la salle d'armes dès lors que l'idéal de l'épée qui les
réunissait se rompt. Ainsi, le départ du héros et de son comparse, leur rejet des
lieux publics et leur asocialité sont fatals.
Ils impriment aux lieux publics une asocialité puisque ceux-ci ne sont plus
fréquentés. Leur asocialité joue contre ces lieux comme si ceux-ci avaient été
"contaminés" par eux. Du reste, même absents, les héros influent toujours sur
les lieux de conjonction.
Aussi : "Quand ils revinrent mariés, elle, authentiquement Comtesse de Savigny, et lui,
absolument déshonoré par un mariage avec une servante, on les planta là, dans leur château
de Savigny. On leur tourna le dos. On les laissa se repaître d'eux tant qu'ils voulurent..." 1.
A en croire le point de vue du narrateur dans cette citation, par l'emploi des
verbes "planter", "tourner le dos", et de l'infinitif "se repaître", l'on imagine
aisément la satisfaction de celui-ci, le dédain qu'occasionne le comportement
de Serlon et d'Hauteclaire.
Le rejet des Savigny par la société leur semble préjudiciable. Et pourtant, par le
jeu des rapports espace/personnages, nous concluons que les Savigny ont le
beau rôle. En effet, le cloisonnement dans un lieu privé, le rétrécissement final,
la fermeture et l'isolement qui ont cours vont dans le sens des héros: ils
s'aiment davantage. C'est pourquoi, ils ne sont "jamais repus (...) (et) leur faim d'eux-
mêmes n'est pas assouvie" .2
Leur isolement dans un lieu interdit aux autres, car c'est un lieu privé, confère
au lieu la volonté anthropomorphique de bien garder ces personnages qui ont
commis un acte contraire à la morale de l'époque (Serlon, un noble, a épousé
une servante). Ils "formèrent, à eux deux, ce fameux et voluptueux groupe de Canova qui
est dans toutes les mémoires ,,3.
1Q..P165
2 Q.. P 165.
3 Ibid P 151

249
Ils sont une "espèce rare" selon le mot de Torty. Le lieu privé-château des
Savigny - joue donc un rôle d'adjuvant. Là, ils continuent à vivre leur amour - vu
d'un mauvais œil par les autres nobles.
Au total, l'opposition de deux types de lieux: lieux publics ~ lieu privé suivant
"axe thématique social/asocial est une trajectoire qui donne sens. On le voit "le
décor n'est pas banalement décor, mais engendre un sens. Il est déjà mode spatialisé du
sens'". De plus, Hauteclaire intrigue le narrateur.
En effet, son départ de V... crée un vide difficile à combler. Son départ d'un lieu
fortement connoté comme la salle d'armes entraîne une série de distorsions
pour les habitants de V..., ce qui marginalise davantage le personnage
Hauteclaire Stassin. En un mot, cette marginalisation déconcerte tout V...et fait
de mademoiselle Stassin un personnage d'exception: elle fréquente un lieu
réservé aux hommes; sa disparition déconcerte ces hommes et les ramène à
des habitudes oubliées (chacun chez soi); son mariage avec un noble fait d'elle
une femme de caractère qui s'est jouée de tout le monde pour monter dans la
hiérarchie sociale. En somme .ces divers paramètres ne sont-ils pas la
confirmation d'un héros hors pair tant sur le plan physique que moral? Femme,
elle domine les hommes et bouleverse l'ordre social.
Avec Le Bonheur dans le Crime, nous avons voulu montrer que l'asocialité
d'un lieu ou de personnages n'est pas toujours due à une opposition
nobles/roturiers mais qu'elle existe au sein d'un même groupe social.
Dans la suite de notre travail, nous considérons encore cet axe thématique
majeur asocial/social en relation avec les autres axes répertoriés dans le
chapitre précédent afin de montrer que les qualifications spatiales telles que
l'enfermement, la solitude, le merveilleux sont non seulement situables mais
aussi localisables; ils concourent aux sens de l'œuvre.
1 Ph. Berthier: Une histoire sans nom: éléments pour une topo-analyse P 272.

250
Nous avons vu, à travers Le Bonheur dans le Crime, que l'enfermement ou le
rétrécissement spatial, à partir de l'opposition lieux et personnages
asociauxllieux et personnages sociaux, permet d'atteindre un aspect de sens
du texte aurevillien. D'autres axes de sens sont susceptibles d'être repérés
notamment le merveilleux dans L'Ensorcelée où la lande de Lessay joue "le
grand rôle de théâtre" 1.
Cependant, pour des raisons de commodité, nous préférons nous intéresser à
Une Vieille Maîtresse et au Chevalier Des Touches car ces deux romans ont un
point commun - la mer.
Le Chevalier Des Touches en R1 se manifeste par l'idée de fermeture. En effet,
Valognes est donnée comme une ville "aisée, indolente et bien close" 2.
C'est cette idée de fermeture qui caractérise la réunion de personnages d'un
certain âge dans "un vieux appartement comme on n'en voit guère plus, même en province,
et d'ailleurs tout à fait en harmonie avec le groupe qui, pour le moment, s'y trouvait.
Le nid était digne des oiseaux. A eux tous, ces vieillards réunis autour de cette cheminée
formaient environ trois siècles et demi, il est probable que les lambris qui les abritaient avaient
vu naître chacun d'eux." 3
Ces deux lieux ont les mêmes attraits. Le groupe nominal le nid s'inscrit dans la
même isotopie lexicale que les adjectifs qualificatifs aisée .. indolente et bien
close. Ainsi R1 est déterminé par l'idée de clos et de fermé. Nous rappelons
que le lieu clos est donc une nécessité, une étape à franchir afin que la
communication s'installe entre ces personnages.
De plus ,le lieu fermé se présente comme sécurisant, par opposition au dehors
où le mauvais temps (l'ouragan) fait rage.C'est dans cet espace - le dehors -
qu'une rencontre insolite a lieu. Le dehors/ouvert, la frayeur occasionnée par le
mauvais temps sont des éléments qui épouvantent et font peur.
1 Correspondance Générale T Il P 154 (Lettre à Trebutien du 1 er Mai 1850).
2 C.D.T. P 29/30 .
3 Ibid P 35.

251
Et même l'abbé n'échappe pas à cet état. Ainsi parle-t-il d'avoir rencontré "un
revenant", qui, en réalité, est Des Touches."Voici qu'un fait étrange, -dans cette petite
ville où, à pareille heure, les mendiants dormaient bien acoquinés dans leur paille, et où les
voleurs de rue, les gentilshommes de grand chemin, étaient à peu près inconnus, - oui! un fait
extraordinaire. vint à se produire tout à coup... De la rue Siquet au milieu de la place des
Capucins, la lanterne qui projetait sa pointe de lumière sous le parapluie incliné s'éteignit, juste
en face du grand Christ. Et ce n'était pas le vent qui l'avait soufflée, mais une haleine! Les
nerfs d'acier qui tenaient cette lanterne l'avaient élevée jusqu'à la hauteur de quelque chose
d'horrible, qui avait parlé. Oh ! Ce n'avait pas été long; un instant! un éclair! Mais il est des
instants dans lesquels il tiendrait des siècles! C'est à ce moment - là que les chiens avaient
hurlé. Ils hurlaient encore, quand une petite sonnette tinta à la première porte de la rue des
carmélites, qui est à l'extrémité de la place, et quand la personne aux sabots entra, mais sans
sabots, dans le salon des demoiselles de Touttedelys, qui l'attendaient pour leur causerie du
soir" 1.
On est donc porté à présumer, à ce niveau de l'analyse, que l'opposition
persistante entre le clos et l'ouvert, le dehors et le dedans conduit à penser
que celle-ci est conjecturale entre deux groupes de personnages : Des
Touches au dehors et les vieillards à l'intérieur; deux lieux (l'appartement avec
la cheminée bien au chaud / la place des Capucins traversée par Des Touches
sous l'ouragan).
Cette opposition peut se schématiser ainsi:
Vieillards
Dedans
Clos
Chaud
Conjonction
=
=
=
Des Touches
Dehors
Ouvert
Froid
Disjonction
1C 0 T P 31132.

252
Afin que R2 se déclenche, c'est un élément du dehors - en l'occurrence l'abbé
effrayé par la présence de Des Touches en ce lieu, la rapidité de leur échange
visuel - qui occasionne R2. Ainsi le clos est utile en R1 mais en R2 il présente
d'autres caractéristiques. En R1 donc, Des Touches est en disjonction avec
l'espace ouvert; ce qui explique son internement comme fou. En R2, nous
avons un homme de guerre courageux et intrépide. Aussi, pour aborder R2,
nous retenons comme axe de travail les schémas de déplacement des
personnages abordés dans le chapitre précédent.
Un rapide coup d'œil nous fait remarquer que Des Touches est le personnage
le plus important par son parcours; suivi de M. Jacques et des autres
Chouans.
Des Touches se caractérise par une certaine instabilité due au fait qu'il n'est
jamais deux fois à la même place. Cela se comprend aisément dans la mesure
où il est un agent des princes (donc au service du Roi) et à cet égard, il doit
porter des dépêches et servir de relais entre les royalistes restés en France
(Chouans) et ceux qui sont en exil, en Angleterre.
"... Des Touches, lui, le charmeur de vagues, était repassé peut-être vingt fois de Normandie en
Angleterre et d'Angleterre en Normandie. Nous ne le voyions pas à chacun de ses passages.
Souvent il débarquait sur des points extrêmement distants les uns des autres, pour dépister les
espions armés et acharnés qui, tapis sous chaque dune, aplatis dans le creux des falaises,
couchés à plat ventre au fond des anses, le long de ces côtes dentelées de criques, cernaient
la mer de toutes parts et faisaient coucher à fleur de sol des baïonnettes et des canons de fusil
qui ne demandaient qu'à se lever! Plus il allait, ce chevalier Des touches, traqué sur mer par
des bricks, traqué sur terre par des soldats et des gendarmes ; plus il allait, cet homme qui
caressait le danger comme une femme caresse sa chimère, ce rude joueur. ..

253
Il Y avait entre les Bleus et lui un sentiment d'amour-propre excité et blessé, plus redoutable
encore, à ce qu'il semblait, que l'implacable haine de Bleu à Chouan 1. .. La guerre entre eux
était plus que de la guerre, c'était de la chasse '" 1.
Il ressort donc que l'élément vital à Des Touches est l'ouvert. Par une
occupation utile du lieu ouvert, il joue une partie difficile et serrée. Aussi ne
peut-il accepter de vivre dans un lieu clos, fermé, car ce clos signifie sa mort ,
la fin de sa mission. Il étouffe dans le clos.
Aussi ne s'attarde-t-il jamais assez dans le château des Touffedelys qui est le
repaire, le point de ralliement des Chouans. Il ne fait qu'y passer. Cette
impossibilité pour Des Touches de vivre dans un lieu clos est partagée par ses
compagnons, de sorte que dès qu'il est arrêté à la prison d'Avranches ou de
Coutances, ils se portent à son secours.
"Et le soir même, à la tombée, nous vîmes arriver au château, sous des déguisements divers
de colporteurs, de mendiants, de rémouleurs et de marchands de parapluies, - car cette guerre
de Chouans était nocturne et masquée, - une grande quantité de nos gens, qui, au premier
bruit de la prise de Des Touches, s'étaient juré de le délivrer ou d'y périr" 2.
Des Touches a besoin de vastes horizons et d'espace ouvert; aussi la mer est-
elle un refuge et un allié sûr pour lui. Seul cet élément semble lui convenir.
Aussi, "prisonnier une semaine à Avranches, prisonnier à Coutances depuis quelques jours,
maltraité par ses ennemis, qui voulaient broyer son énergie sous les tortures de la faim et le
montrer sur l'échafaud dans une déshonorante faiblesse" 3 ; enfermé donc dans les lieux
clos comme les prisons d'Avranches et de Coutances, Des Touches se
morfond dans ces lieux fermés.Tout est donc mis en oeuvre pour le libérer.
1 CD.T. P 105/106.
2 Ibid P 110.
3 Ibid P 183.

254
Ainsi, le traitement de la ville par Barbey d'Aurevilly est un adjuvant pour Des
Touches. Avranches et surtout Coutances participent comme des personnages
à part entière à la lutte de la libération du chevalier. En effet, ce lieu-ville
fonctionne comme les personnages-Chouans venus délivrer Des Touches.
Le lieu-ville est comme le traître, le complice déjà sur place, qui aide un
vandale ou un voleur à accomplir son forfait. Il est l'élément complice des
Chouans.
"Les profils des maisons fondaient dans la vapeur. Nous reprîmes les rues que nous avions
suivies déjà. toujours sans rencontrer personne. Hasard prodigieux ! C'était presque de la
féérie ! Cette ville, immobile dans son sommeil, semblait enchantée..." 1
Ainsi, nous le constatons, le lieu clos n'est pas l'élément du chevalier; il ne s'y
plaît pas. Aussi, une des premières paroles prononcées par Des Touches
après sa libération, est pour exprimer son intention de retrouver son élément, la
mer.
"- Messieurs, - nous dit-il, - Le Roi vous doit un serviteur qui va recommencer son service. Ce
soir, j'aurai repris la mer."2
Il est, à juste titre, comparé à "un oiseau marin" 3. Ses qualités marines sont
fortement exaltées dans le livre, en particulier au chapitre IX. Si la mer apparaît
comme l'élément natal de Des Touches, c'est qu'elle est le lieu et le moyen
d'expression de son courage, de son abnégation: il est celui qui aime le danger
car "au service du Roi". Sa préoccupation principale est la guerre. Aussi "si cette
guerre finiLj'irai me faire tuer quelque part, et cette côte-ci n'entendra plus parler de Des
Touches." 4
En attendant que cela soit, il continue son travail.; porter des dépêches et partir
de la Normandie à l'Angleterre et vice-versa. La mer est la liaison entre ces
deux espaces.
1 C.DT P 184.
2 Ibid P 200
3 Ibid P 219.
4 Ibid P 219.

255
C'est pourquoi, "il cessa de maintenir la barque mobile sur le flot écumeux du bord, et d'un
de ces nerveux coups de rames comme il savait en donner, il la fit monter sur cette mer qui le
connaissait et disparut entre deux vagues, pour reparaître, comme un oiseau marin, qui plonge
en volant et se relève, en secouant ses ailes. C'était à se demander qui des deux reprenait la
mer, ou si la mer le reprenait! Nous le suivîmes des yeux par ce clair de lune, qui rendait les
ondulations de l'eau lumineuses ; mais la houle, qu'il trouva quand il fut au large, finit par
cacher cette espèce de pirogue de si peu de bois qu'il montrait, ce mince canot presque
fantastique! Le farfadet s'était évanoui..." 1.
Et cet élément qui est la mer reste lié à Des Touches. Même lorsqu'il est fou, la
mer est sa personne. "II les regardait, ces fleurs rouges, avec ses yeux d'un bleu de mer,
vides de tout;.. il avait l'air d'un vieux matelot, qui attend à terre et qui s'y ennuie." 2.
On le voit, la mer reste pour Des Touches ce qu'est le douillet, le chaud pour
les demoiselles Touffedelys. En manquer le déboussole. A cet égard, nous
pouvons affirmer que Le Chevalier Des Touches se construit sur deux axes
spatiaux contradictoires. En R1, le clos était la conjonction et l'ouvert la
disjonction :]en R2, le clos est la disjonction et l'ouvert la conjonction.
R1
Conjonction
Disjonction
Clos ( vie)
Ouvert (mort)
Dedans-intérieur
Dehors-extérieur
Luminosité
Obscurité
Conjonction
Disjonction
R2
Clos ( mort)
Ouvert ( vie)
Prison-folie
Mer- guerre
Absence de lumière
Plénitude de la vie.
1 Ibid P 219.
2 Ibid P 229,

256
Si la mer est la vie pour Des Touches, il faut donc que cet élément soit toujours
proche de lui; avec son corrolaire l'ouvert, Des Touches revient peu à peu à la
vie. Tant qu'il est resté dans son cabanon, sa folie, son état s'est aggravé. Le
passage du cabanon, lieu clos.à la cour de l'asile, conduit à la résolution de
l'énigme de l'histoire de la vieille fille dans "Histoire d'une rougeur". Si nous
considérons que le cabanon est la métonymie de la prison, alors nous
concluons qu'être dans un tel lieu équivaut à la déchéance, à la mort.
Son passage dans la cour est un élément salvateur; c'est quelque peu une
renaissance.
"Je le trouvai assis sur une pierre, car depuis longtemps il n'était plus fou à lier, dans une cour
carrée avec des arceaux à l'entour. Depuis qu'il n'était plus méchant, on l'avait retiré des
cabanons et on le laissait vaguer (pourquoi pas voguer) dans cette cour, où des paons
tournaient autour d'un bassin, bordé de plates-bandes qui étalaient des nappes de fleurs
rouges." 1
Ainsi, la construction sur un axe contradictoire des lieux en R2 délimite les
camps des personnages; ils sont des lieux réservés aux uns et aux autres, des
lieux de passage et quelquefois des lieux communs comme le château des
Touttedelys.
Si la mer est liée à Des Touches et Des Touches à la mer, il n'empêche que
déjà dans Une Vieille Maîtresse, Barbey lui accordait une place de choix,
singulièrement dans la deuxième partie de ce livre.
Nous fondant sur cette partie pour la suite de notre travail, et affinant notre
analyse des personnages en relation avec les schémas de leurs déplacements,
nous considérons les modes de combinaison des personnages - les couples
clés - RynoNellini ; HermangardelRyno pour aborder l'intérêt de la mer.
1 C. DT P 229.

257
*
Ryno-Hermangarde.
Rue de Varenne
Opéra
Bal
St. Thomas d' Aquin.
Haie d'Hectot
Falaises
Mer
Manoir

258
*
Ryno-Vellini
France
Paris
Normandie
Alpes
Paris
Rue de Provence
Hôtel de Mareuil
Hameau de Boulainvilliers
Normandie
Haie d'Hectot
Lande de la Haie d'Hectot
Mer
Les
l Rires
Falaises
Bas Hamet
l
Tombeau du diable

259
Europe
Autriche
Espagne
Tyrol
Trieste
Venise
Malaga
Alpes'
Tyrol 2
Triesteê
Venise4
MalagaS
Adrtatlque''
Ces lieux ont pour point commun- l'eau - par extention, la mer. On remarque
que Vellini ne fréquente que des lieux amis liés ou ayant un rapport avec la
mer. Dans cette optique, elle est la merl
par opposition à Hermangarde qui ne
connait que des lieux douillets comme le salon chaud de la rue de Varenne.
1 Alpes: le plus grand massif montagneux de l'Europe, s'étendant sur plus de 1000 Km , de la
Méditerranée jusqu'à Vienne (Autriche) , partagé entre l'Allemagne, l'Autriche, la France, l'Italie, la
Suisse, et la Yougoslavie; 4807 m au Mont Blanc, in Petit Larousse: Dictionnaire de langue française et
de culture générale 1988 P 1092.
2 Tyrol: ancienne province alpestre de l'Empire autrichien, correspondant aux bassins supérieurs de l'Inn,
de la Drave et de "Adige. Aujourd'hui, le nom tend à désigner seulement une province de "Autriche... dont
le tourisme d'été et d'hiver est la principale activité, in Petit Larousse, Ibid P 1670.
3 Trieste: Port d'Italie ,chef- lieu de province sur l'Adriatique ,in Petit Larousse Ibid P 1666.
4 Venise: Ville d'Italie, bâtie sur un groupe d'nots , in Petit Larousse Ibid P 1685.
5 Malaga: Port d'Espagne, chef-lieu de province, sur la Méditerranée, in Petit Larousse Ibid P 1447.
6 Adriatique (mer) : partie de la Méditerranée ,entre l'Italie, la Yougoslavie et l'Albanie., in Petit
Larousse
Ibid P 1077

260
Par ailleurs, le couple RynoNellini a parcouru plus de distance que le couple
légal Ryno/Hermangarde. En considérant les schémas ci-dessus, l'on constate
que les différents lieux parcourus par Ryno, Vellini et Hermangarde sont les
jalons, les étapes de leur vie.
Au regard de cela, le couple Vellini/Ryno est un vieux couple qui a tout de
même passé dix ans ensemble alors que le couple Hermangarde/Ryno est plus
récent, jeune.
Les divers lieux parcourus par Ryno/Vellini jouent et expliquent leur
attachement l'un à l'autre, leur unicité comme Hauteclaire Stassin et Serlon de
Savigny dans Le Bonheur dans le Crime.
De plus, après une analyse interne des unités" descriptives" de notre texte,
afin de les situer dans l'ensemble du texte narratif, nous partons du postulat
que cette deuxième partie d'Une Vieille Maîtresse est une grande séquence,
c'est
-dire que nous avons une unité de lieu, La Normandie,avec divers lieux:
- à
Carteret, la mer, les falaises.
C'est cette unité de lieu - Normandie - qui produit un effet de cohérence autour
des deux couples Ryno/Hermangarde ; RynoNellini.
Suivant le schéma canonique qui stipule que tout récit va d'un état initial à un
état final, via une série d'épreuves intermédiaires, lesquelles peuvent tendre
vers une situation d'amélioration ou une situation de dégradation, nous allons
répertorier les grandes étapes de notre texte: Une Vieille Maîtresse.
Ainsi, nous avons:
Etat initial: Ryno de Marigny a épousé Hermangarde de Polastron. La morale
l'oblige à quitter.à laisser, à délaisser Vellini, sa maîtresse depuis dix ans. Les
nouveaux mariés quittent Paris pour la Normandie.
Complication : Vellini manifeste sa présence par un courrier et se rend en
Normandie, à la Haie d'Hectot, chez Mme de Mendoze.

261
Dynamique: Ryno feint d'ignorer la présence de Vellini. Il ne répond pas au
courrier et ne se manifeste pas.
Résolution: Vellini, après maintes tentatives, rencontre Ryno. Ce dernier faiblit
et nous constatons une reprise de leur liaison.
Etat final: Hermangarde constate la liaison. Retour de tous les protagonistes à
Paris.
En relation étroite avec les schémas de déplacements des personnages (Ryno,
Vellini, Hermangarde), les fonctions cardinales (R. Barthes) relevées peuvent
s'analyser sous plusieurs aspects ou partitions.
a) Partition spatiale et temporelle
Le texte de Barbey d'Aurevilly contenu dans tout le roman d'Une Vieille
Maîtresse semble avoir été fait sur deux lieux: Paris et la Normandie. Ce sont
deux lieux englobants. En effet, la spatialisation du récit laisse apparaître son
organisation; elle est circulaire
symétrique.
1
Situation
Situation
initiale
finale
Situations intermédiaires
Complication x Dynamique x Résolution
Epilogue
Paris
(histoire de deux sociétés)
Normandie

262
Ainsi, dans la situation initiale, nous sommes à Paris; dans la situation finale,
nous retournons à Paris. Cette symétrie spatiale souligne en fait les contenus
narratifs inscrits dans le récit. En effet, les déplacements des personnages,
leurs faits et gestes sont aussi narrativement significatifs d'un point de vue
temporel.
Si nous prenons les trois personnages par rapport à un début et à une fin, nous
aboutissons à des conclusions intéressantes en considérant l'axe de la
satisfaction (joie) ou de l'insatisfaction (morosité).
Début
Fin
du récit
du récit
Hermangarde
Gaieté
Morosité
Vellini
Morosité
Gaieté
Ryno
Gaieté
Gaieté
Pour Hermangarde, épouser Ryno et partir avec lui en Normandie, est
l'accomplissement de plusieurs désirs. D'abord, connaître une région, et par
conséquent la mer; ensuite, c'est assumer sa nouvelle vie d'épouse.
En effet, "la raison de ce choix est la curiosité d'Hermangarde, qui ne connaissait pas la mer
et dont la jeune tête est autrement conformée que la nôtre (c'est la comtesse d'Artelles qui
parle), car elle raffole de cet endroit qu'elle trouve superbe et ravissant. Hermangarde préfère à
Paris les côtes de la Manche." 1.
1 V.M. P 229/230.

263
A cette justification donnée par la Comtesse d'Artelles, s'ajoute une autre
motivation énoncée par la mariée, Hermangarde : "II faut bien que je m'accoutume à
la vague et à la brise, puisque je suis la femme d'un amoureux de la mer" 1.
A ces éléments s'oppose le point de vue de Vellini. 1\\ faut faire remarquer qu'en
considérant, une fois de plus, le schéma de déplacement des personnages,
nous constatons que Vellini a beaucoup voyagé. Aussi a-t-elle vu la mer
Adriatique, l'Ecosse, Trieste, en somme, des lieux d'eau et la mer. Elle a donc
un avantage sur Hermangarde. De plus elle vient en Normandie en tant que
conquérante. Sa venue dans ce lieu est liée à une idée de possession,
d'acquisitiorçd'une suprématie sur sa rivale. Ce qui est un second avantage.
C'est pourquoi : "Est-ce que tout cela,- dit-elle en traçant un arc de cercle avec sa main
dans les airs, pour désigner les vastes espaces qu'ils embrassaient de la plate-forme,- est-ce
que tout cela ne m'appartient pas comme à toi? J'aime ce pays et j'y veux vivre. Si j'y suis de
trop, va-t-en toi même ! Quant à moi, - et ses bras s'étendirent comme pour étreindre sa
conquête, - j'en prends possession aujourd'hui" 2,
Vellini ne se. contente pas de vivre une situation ; elle s'affiche en tant que
maîtresse des actes qu'elle pose, car son objectif est clairement défini; c'est
une idée fixe: "Je suis ici - reprit-elle - parce que je m'ennuyais de ne plus te voir, parce que
tu n'as pas répondu à mes lettres, parce que ton mariage n'est qu'un mensonge. Ta vraie
femme, c'est Vellini !" 3.
Quant au troisième personnage, Ryno,il est l'enjeu des deux femmes.
Par rapport à la Normandie, il a des raisons de s'y attacher, à cause
précisément de la mer. "II était né près de la mer, il avait été, comme il disait élevé les
pieds dans son écume, et de tous les souvenirs de son enfance, l'idée du temps passé en face
de "océan était le seul qui ne le faisait pas souffrir." 4
1 Ibid P 242.
2 V.M. P 319.
3 Ibid P 314.
4 Ibid P 246

264
Ainsi, à première vue, la segmentation du récit telle que nous l'avons faite,
correspond à plusieurs objets narratifs.
Considérant l'axe temporel et spatial, l'on peut dire qu' Hermangarde se trouve
en situation de conjonction au début du texte avec son objectif. Mais le
déplacement effectif dans l'élément qui piquait sa curiosité lui fait affronter
d'autres éléments tels que Vellini qui a plus d'un avantage sur elle.
Quant à celle-ci, la relative disjonction du début n'est que partielle, car sa
présence dans le lieu de décision - la Normandie - lieu de l'enjeu, la fait passer
d'un état de disjonction à un état de conjonction par sa volonté de conquérir
Ryno, lequel a une position privilégiée. Il ne subit aucune contrainte, d'où sa
constance. Il est à l'aise aussi bien à Paris qu'au bord de la mer..
En somme, chaque personnage défend, en fait, son idéal, sa position qui n'est
pas celle de l'autre. l\\Iéanmoins, des similitudes sont possibles entre
Vellini/Ryno.
Le personnage aurevillien, dans ces trois cas, est un héros solitaire, qui, par
son déplacement, cherche à s'affirmer et à s'accomplir. C'est ainsi que pour
Hermangarde, de prime abord, la Normandie, la mer est un espace inconnu, un
espace de rêve et d'enchantement futur. Ce lieu peut être dit utopique, c'est -à
-dire qu'il est, par définition, un lieu dont la valeur positive prévaut. Ainsi, il
s'avère être un lieu de conjonction.
Pour Vellini, la Normandie est un lieu topique - elle y acquiert une compétence
et y réalise une performance -semblable à divers autres lieux parcourus avec
Ryno et Sir Reginald Annesley, son premier époux..
C'est pourquoi la disjonction constatée au début du texte entre Vellini et le lieu
n'est que partielle. En effet, lorsqu'elle se décide à venir en Normandie, la
disjonction se transforme en une conjonction.

265
Si nous considérons que la structure narrative du récit est le conflit entre deux
personnages féminins Vellini/Hermangarde avec pour enjeu Ryno dans. un
espace donné. la Normandie, alors nous constatons que les segments du texte
relevés tentent déjà de mettre en place et de suggérer la suprématie de Vellini
sur Hermangarde. Par rapport à la séquence globale, l'unité de lieu entre les
personnages n'est rompue qu'avec le lieu mer. Chacun se plaît bien en
Normandie, mais seule la mer renforce la distorsion déjà relevée entre les
personnages féminins. Pendant que Hermangarde cherche à la connaître pour
son plaisir et pour son foyer, Vellini s'en empare en conquérante; elle est la
mer.
b) Partition selon la société
Tout roman ne fait pas que raconter une histoire. Au travers de celle-ci, chaque
texte cherche à informer, à expliquer et à argumenter. Selon ces constats, nous
pouvons dire qu'Une Vieille Maîtresse est le curieux récit qu'un homme fait de
sa vie. Cet homme, Ryno de Marigny, raconte à sa future grand-mère une
liaison de dix ans' avec une maîtresse.
En fait, c'est la confrontation de deux points de vue. En effet, pour la Comtesse
d'Artelles, Ryno n'est pas un bon parti alors que pour la' Marquise, il faut
excuser les égarements de la jeunesse et ne pas faire de griefs à celui qui a
dévié un peu comme Ryno de Marigny.
Cette opposition est donc la confrontation de deux systèmes moraux dans cette
société du s'iècle dernier, avec pour enjeu l'impossibilité ou non pour Ryno de
rester fidèle à son épouse après son mariage.
Si l'on admet que la fidélité est l'acceptation d'un savoir social et moral, et
l'infidélité un savoir individuel et amoral, on peut dire que ces deux marques
constituent une partition du récit selon la société.

266
Si on admet aussi que les partisans de l'infidélité et ceux de la fidélité ont fait
un pari audacieux, on peut admettre que les partisans de l'infidélité se posent
en anti-héros opposés à la société représentée par la Comtesse d'Artelles.
Et la fin du roman montre la perplexité du romancier: Ryno ne divorce pas et il
continue à fréquenter Vellini.
"En amour, même conjugal, comme en politique, y a-t-il autre chose que le résultat? Et le
résultat, comme les empires, n'est-il pas de briller et de durer? Eh bien, voilà l'œuvre de celte
Vellini que vous méprisez si fort, comtesse !" 1.
Ainsi, nous avons un autre axe de sens:
Fidélité
Faire social
Savoir social
Moral
--------- = --------------
=
===>
Infidélité
faire individuel
Savoir individuel
Immoral/ amoral
La partition selon la société est un champ sémantique assez révélateur de la
position idéologique de Barbey d'Aurevilly. De plus, à travers cette analyse,
nous avons une vision de la société. En effet, prise dans le récit comme un
actant collectif, celle-ci est présentée selon son être et son faire.
De ce fait, cet actant collectif est assez moral alors que des éléments -des
personnages - s'en démarquent, s'en éloignent pour construire et donner
l'image d'une société qui viole les principes de base; une société corrompue,
dépravée, débauchée.
Ainsi, le texte laisse lire l'écart entre la norme voulue par la société - par
définition morale - et ses membres immoraux. S'il est vrai que les différentes
partitions nous ont permis de relever les fonctions cardinales structurant les
récits, il nous reste à appréhender leurs contenus.
1 VM. P 490/491.

267
c) Analvse des contenus: bilan.
1) En situation initiale, Ryno, Vellini et Hermangarde sont à Paris. Après le
mariage réussi de Ryno avec Hermangarde, le couple se déplace à Carteret,
en Normandie, pour y passer sa lune de miel.
"Si tout le monde a son théâtre, le bord de la mer est bien réellement celui que Dieu créa pour
l'amour heureux. Au point de vue supérieur des analogies, la plus belle chose qu'il y ait dans
l'âme humaine devait nécessairement avoir, pour se montrer et s'épanouir à l'aise, la plus belle
chose qui existe dans la nature. Là seulement, - pour qui a le sentiment des harmonies, - le
cadre est digne du tableau. Partout ailleurs ,c'est la nature belle et puissante encore, mais ce
n'est pas cet éclatant et triple hyménée de la terre, du ciel et de l'océan, si bien fait pour
réfléchir, comme un nouveau miroir d'Armide, l'hymen plus mystérieux de deux cœurs. Les
poètes l'ont bien compris, du reste. Le plus grand de tous peut-être n'a-t-il pas suspendu le
frais tableau d'un amour sublime de passion vraie et d'innocence aux côtes sinueuses d'une
des Cyclades? Dans tout amoureux, il y a un grand poète. Hermangarde et Marigny avaient
cédé à l'instinct juste de l'amour, en choisissant le bord de la mer pour y passer cette lune de
miel qui - comme la lune du ciel visible - parait plus douce au bord des flots."
Le déplacement d'un lieu (Paris) vers un autre (la mer) est la satisfaction d'un
désir qui est la forme narrative de.la modalité d'un vouloir dont les sujets (Ryno
et Hermangarde) sont dotés puisqu'ils sont mariés. Le déplacement est encore
un objet et la mer, une quête.
Du point de vue de Vellini, le déplacement en Normandie s'explique également
par la satisfaction d'un désir (voir Ryno) ; c'est aussi une quête.
Dans les deux cas, le déplacement s'interprète comme la manifestation d'une
quête. Mais un élément crée l'opposition entre les diverses quêtes: c'est la
mer.
1 V.M. P 245.

268
En effet, comme nous l'avons souligné plus haut, Hermangarde veut connaître
la mer et Ryno a des plaisirs dans ce lieu, alors que Vellini ne vient pas
spécialement pour la mer mais pour Ryno.
2) Le mariage de Ryno avec Hermangarde permet d'opposer deux opinions et
de poser deux catégories classificatoires distinctes sur la possibilité ou non
pour Ryno de rester fidèle pendant son mariage et de ne pas retrouver Vellini.
Cette opposition structure tout le roman et en quelque lieu que nous soyons,
elle reste valable.
Partisans
A Paris
de la fidélité
non partisans
Partisans
En Normandie
de la fidélité
non partisans
Une remarque s'impose. En Normandie, ce ne sont pas les mêmes motifs qui
structurent le roman entre les partisans et les non-partisans. Ici, d'autres
critères apparaissent, c'est la générosité, la gentillesse de Vellini et des maîtres
du manoir...
3) Dans ces deux lieux, l'opposition entre les deux groupes n'est pas
considérée selon la catégorie du sexe.
A Paris, l'opposition entre les deux groupes n'est pas non plus posée en termes
de riches ou de pauvres; ce n'est donc pas en termes de hiérarchie selon un
type de pouvoir.
En revanche, en Normandie, lorsqu'il ya un transfert, l'accent est mis sur une
structure sociale bâtie sur la relation gens pauvresl pauvres pêcheurs dans leur
spécificité.

269
Dans ce lieu, la société est réductible à des individus stéréotypés, comme s'il
fallait y lire une société globale, prise comme un individu par opposition à Paris
où nous avons la société dans son ensemble.
4) Il ressort de ces constats qu'entre les deux lieux Paris/Normandie, il existe
une différence entre les opinions des uns et des autres.
En Normandie, ce n'est pas l'expression d'un calcul; c'est plus l'expression
d'un constat, d'un sentiment: Ryno, Vellini et Hermangarde y sont vus pour
leurs qualités humaines. En revanche, à Paris, les trois protagonistes sont
étudiés, observés d'où les paris audacieux entre les partisans et les non-
- partisans du retour de Ryno à Vellini.
C'est "l'heure du whist au cercle de la rue de Grammont. Il doit y faire joli, ce soir, si quelque
indiscret a vu stationner la voiture de M. de Marigny, rue de Provence, à la porte de la senora.
Vous vous rappelez ces paris que les amis de Marigny ont engagés sur son mariage? Les
voilà perdus et gagnés! Le tour est fait. C'est le jour des comptes.
Rupert a solennellement promis que, s'il gagnait ses trois cents écus, il donnerait un souper
sterling à tout le cercle et que j'en discuterais le menu... Et, sur ce mot, il salue la Comtesse
d'Artelles et s'en alla au Cercle de la rue de Grammont." 1
Si l'on considère principalement les personnages féminins (Vellini et
Hermangarde), une analyse succincte d'Une Vieille Maîtresse laisse apparaître,
à première lecture, pour ce qui concerne la deuxième partie du roman, le conflit
entre deux façons de vivre.Vellini et Hermangarde luttent pour la conquête du
même objet, Ryno. Par son mariage, Hermangarde éprouve ce besoin
d'expansion, cette recherche d'un nouvel horizon, de l'ailleurs à découvrir.
Quant à Vellini, le besoin d'expansion lui est lié. Aussi a-t-elle parcouru le
monde avec Sir Reginald Annesley d'abord, avec Ryno ensuite. Vellini est
caractérisée par le voyage, le départ. Pour cette femme qui a beaucoup
voyagé, il faut la découverte de cieux nouveaux.
1 V.M. P 492/493.

270
La fuite de Ryno avec sa femme Hermangarde dans un espace autre, dans un
ailleurs n'est pas réellement ce qu'il faut pour rompre avec Vellini, car n'est-ce
pas l'inciter, piquer sa curiosité afin qu'elle aille découvrir cet autre lieu?
En transposant
l'action en Normandie, le texte d'Une Vieille Maîtresse
(deuxième partie) devient le roman de l'espace ouvert, le roman de Carteret,
des falaises et de la mer.
Cette "fuite" déguisée occasionne un conflit. Et la bataille de Vellini s'inscrit
alors à la fois sur le terrain, à travers son parcours "physique" de la Normandie
(Haie d'Hectot -Bas Hamet -mer-falaises) et sur un plan plus abstrait,
"métaphysique" ; en un mot sur le plan du fantastique.
En ce qui concerne Hermangarde, sa bataille s'inscrit sur le plan physique.
Elevée dans les lieux douillets et la chaleur protectrice (et maternelle) de sa
grand-mère à travers les murs de l'hôtel de la rue de Varenne, pour elle, le
voyage en Normandie est la première occasion qui s'offre de découvrir un
ailleurs, un autre espace, un espace ouvert; cela pour satisfaire une curiosité
et faire plaisir à son époux. Principalement, elle n'est pas portée sur l'ailleurs.
Elle est plus une femme d'intérieur. Par rapport à son éducation, les seuls lieux
connus et fréquentés sont des lieux du monde (opéra-bals), des lieux clos.
comme cet appartement de la rue de Varenne" aussi chaud, aussi odorant, aussi
ouaté que l'intérieur d'un manchon" 1.
En revanche, Vellini est à la fois de ce milieu et de l'ailleurs, c'est-à-dire
l'espace ouvert. L'image qui exprime le mieux l'appartenance de Vellini à ces
deux espaces est l'image de l'élément marin.
"Je m'en vins à ce village qui est là-bas -et du doigt, elle indiqua les Rivières à l'horizon. Je
voulais te revoir, te parler, rôder, s'il le fallait, autour de ta demeure. Ils te connaissent tous sur
cette côte. Je dis aux pêcheurs de là-bas de me conduire à Carteret, au manoir de Rers. La
mer était trop haute, dirent-ils. on ne pouvait passer le pont. Mais qu'est-ce que la mer, Ryno ?
1 V.M. P 29.

271
continua-t-elle avec l'orgueil de ces volontés qu'il connaissait.-Qu'est-ce que la mer, qu'est-ce
que l'obstacle devant les désirs de Vellini..."1
De plus, dans son opposition avec Hermangarde, l'on découvre que Vellini
s'adapte facilement au dehors, à l'extérieur. Pour Ryno, elle passe plusieurs
nuits" sur cette mer glacée, enveloppée" 2 dans un manteau de toile.
Déjà, en tant que métonymie du lieu extérieur, de la mer et dans son combat
avec Hermangarde, Vellini fait des incursions dans le domaine du chaud, du
dedans, du douillet, lieux privilégiés d'Hermangarde. En effet, si nous
admettons que la lettre qu'elle fait transmettre à Ryno est la manifestation de
sa présence à Carteret, que le cri qu'elle lance sous les fenêtres du manoir
s'inscrit dans le même sens, et enfin que l'eau que ramène Hermangarde
(mouillée par la mer) est l'introduction de Vellini ; alors tous ces éléments sont
les signes
de
l'envahissement
du
lieu
intime
et
clos
du
couple
Ryno/Hermangarde. Ce sont aussi les signes d'immixtion de Vellini dans un
lieu interdit, car il est privé et réservé aux Marigny. Ces signes sont encore
l'introduction dans un lieu clos, intime du personnage Vellini.
L'ouvert symbolisé par Vellini et la mer cherche à confondre, à unifier un lieu
privé (le manoir) et un lieu public extérieur -la mer- .
De plus, l'introduction de Vellini par touches métonymiques, ne se limite pas
seulement à l'habitat (lieu privé) mais elle pénètre le mental et agit sur lui. Elle
ébranle l'époux Ryno et sème le doute en Hermangarde.
C'est pourquoi "la sécurité de ce bonheur (Ryno/Hermangarde) venait de recevoir deux
atteintes. Deux flèches, imperceptibles pour tout autre que pour l'âme frappée, étaient parties
d'un arc invisible, toujours tendu de son côté. Vellini, forte d'un passé qu'elle évoquait par sa
présence, était dans les environs. C'était elle qui, hier soir, l'insensée! avait poussé deux fois
ce cri, qu'il avait reconnu, malgré la nuit et la distance, venir de cette voix qu'il avait portée dans
son âme pendant dix ans.
1 V.M. P 317.
2 Ibid P317.

272
Ainsi, la voir le matin dans la voiture de Mme de Mendoze, cette première émotion qu'il n'avait
perdue que sur le cœur d'Hermangarde, n'était pas assez. Il fallait qu'une autre s'ajoutât à
celle-là, et vînt le troubler jusque sur ce cœur, son empire et sa forteresse, où il oubliait tout et
ne craignait rien." 1.
Elle ne laisse pas non plus Hermangarde indifférente car "le cri avait produit (sur
elle) un effet de terreur inexplicable.."2.
La stratégie de Vellini vise à désarçonner et ébranler son adversaire
Hermangarde et préparer Ryno à l'accepter. Ainsi, elle agit aussi bien sur le
plan de l'intimité que sur le plan psychique.
Soumis à cette pression stratégique de Vellini, donc du monde extérieur, Ryno
est ébranlé. Il est vrai, cependant, qu'il met au feu la lettre de Vellini, il est vrai
également qu'il refuse de lui laisser briser son mariage par l'évocation
permanente et constante du nom d'Hermangarde, mais que sont ces éléments
devant la ténacité du personnage? L'immixtion réussie dans l'espace intimiste
et privé n'est-elle pas la volonté du personnage de détruire toute intériorité des
personnages, singulièrement Ryno ?
De plus, dans la deuxième partie qui nous intéresse, il existe une thématique
de la discrétion.
L'introduction de Vellini dans l'espace intime du couple Ryno/Hermangarde,
leurs rencontres sur la plage ou aux Bas-Hamet , tous ces éléments se font de
manière très discrète. La scène de la reprise de la liaison au Bas-Hamet n'est
pas sue par Bonine, ni par sa mère, elle est vue par Hermangarde qui n'en dit
rien.
"Quand il était parti, elle dormait dans le lit nuptial, sous le mol abri de ses couvertures, le
visage pâli, mais calmé, ombragé de ses longues paupières. Quand il revint, il la trouva
désordonnément vêtue, la pelisse aux épaules, évanouie au bord de la couche, les mains
dégantées, bleuies par le froid, et les pieds ayant encore, autour de leurs bottines à moitié
1 V.M. P311.
2 Ibid P 309.

273
lacées, des plaques de neige qui croulaient en eau sur le tapis. Alors il comprit tout...et le
hennissement du cheval au Bas-Harriet, et la porte du manoir ouverte, et la blanche Caroline
errante sous les dunes, dont lui avait parlé Capelin" 1.
Dans la recherche de cette discrétion, le Tombeau du Diable s'avère pratique.
"Jamais antre ne fut mieux destiné, par le jeu des terrains, à cacher des desseins coupables ou
des bonheurs présentés que ne l'était ce Tombeau Du diable (comme on l'appelait), et que
Satan, dont il était le sarcophage, offrait, comme un refuge, à ses favoris parmi les vivants.
Vellini y conduisit Ryno..
Ryno, -dit Vellini avec un sourire qui cachait dans sa gaieté une tristesse, -voici notre boudoir à
présent. C'est ici qu'il faudra nous voir désormais. Tu ne peux plus revenir au Bas-Hamet. Tu
éveillerais les soupçons jaloux d'Hermangarde." 2.
L'emploi des substantifs " antre", "boudoir" permet au lieu d'introduire la
thématique de la discrétion. Ce lieu, Tombeau du Diable, occasionne un
transfert du lieu amoureux; nous passons d'un lieu social -Ie Bas -Hamet- à un
lieu plus retranché, plus éloigné des hommes et plus proche de la nature, de la
mer: le tombeau du diable (Chap XV). Ce transfert de lieu, ce déplacement
permet également de lire en filigrane l'option idéologique du narrateur, car il
faut cacher de tels comportements.
De plus, l'étude de l'espace Normandie dans cette deuxième partie montre un
constant aller/retour entre le clos et l'ouvert, entre le dedans et le dehors.
Comme le dehors (Vellini) a violé l'intimité du lieu clos, cet élément
Hermangarde s'insurge aussi dans le dehors.
Si nous admettons que Vellini est la métonymie de l'ouvert et que cet élément a
perturbé le clos, le dedans, le clos avec Hermangarde, à son tour, pénètre le
dehors. Hermangarde ne se contente plus de rester dans son espace d'habitat
clos car Ryno a changé. Elle cherche à comprendre par elle-même.
1 Ibid P 399.
2V.M. P414/415.

274
C'est le sens de son parcours pour le Bas-Hamet où elle voit, un soir de neige,
Vellini et Ryno.
Ces incursions dans l'espace ouvert lui permettent de savoir, de "comprendre"
Ryno, et ses relations avec ce personnage à la 'robe rouge" qu'est Vellini.
Aller vers le dehors est une tentative de compréhension de la part
d'Hermangarde. Cet acte s'identifie totalement au dehors. Mais cette tentative
de vagabondage, cette incursion dans un espace ouvert nouveau, lieu de la
suprématie de Vellini ,sont des échecs pour Hermangarde.
Ce qui transforme l'espace ouvert en un espace vide, un gouffre béant tant sur
le plan physique que sur le plan métaphysique et mental. Le vide signifie
l'échec de son mariage.
"Rentrée dans la solitude de son âme, elle (Hermangarde) ne connaissait plus ,depuis quelque
temps, que les excentricités de la vie de son mari, naguère encore si partagée. Elle savait qu'à
côté de cette vie écoulée près d'elle, il y en avait une autre pour lui par delà ces murs qui les
abritaient, sur cette côte trompeuse qu'elle avait crue longtemps une terre amie, où elle avait
planté six mois' d'un bonheur incomparable, mais qui était mort là, sur pied, comme il serait
mort à Paris...la fierté de l'amour trahi d'Hermangarde avait créé le vide autour d'eux ..." 1.
Ainsi, ce vide de l'espace, ce vide du personnage ne sont-ils pas la
manifestation de l'impuissance de Ryno à sauver son mariage et pour
Hermangarde, la fin des illusions?
Nous le pensons. En somme l'espace du dehors, le vide mental qu'il a créé
chez Hermangarde, le vide du foyer sont l'expression de l'échec pour
Hermangarde, et pour Vellini, c'est l'espace de la reconquête; c'est la victoire.
Mais le texte laisse supposer un autre élément : c'est l'accommodement.
Hermangarde retourne au manoir, regarde impuissante et indifférente Ryno qui
partage sa vie entre les deux personnages féminins.
1 V.M. P 433/434.

275
Honoré de Balzac a abordé ce thème dans Eugénie Grandet. Pour lui, "en se
voyant abandonnées, certaines femmes vont arracher leur amant aux bras d'une rivale, la tuent
et s'enfuient au bout du monde, sur l'échafaud ou dans la tombe. Cela, sans doute, est beau;
le mobile de crime est une sublime passion qui impose à la justice humaine.
D'autres femmes baissent la tête et souffrent en silence ; elles sont mourantes et résignées,
pleurant et pardonnant, priant et se souvenant jusqu'au dernier soupir. Ceci est de l'amour, de
l'amour vrai, l'amour des anges, l'amour fier qui vit de sa douleur et en meurt" 1
A partir de cet élément l'on pourrait d'abord établir une similitude entre Eugénie
Grandet et Hermangarde qui vivent en silence leur peine et leur douleur.
Ensuite l'on pourrait y voir une parenté thématique entre les deux écrivains.
Les liens entre les deux écrivains ont été largement répertoriés par des
critiques comme Hermann Hofer 2 et Jacques Petit 3.
Enfin l'on pourrait, avec P. Colla, dire d'Hermangarde que "sa nature aristocratique
l'entraîne à se détacher, à s'isoler dans un élégant mépris et à ne plus s'étonner de rien. C'est
l'attitude la plus hautaine, mais aussi la plus sage et la plus distinguée ..." 4.
Telle nous semble être la signification dramatique de la symbolique des lieux
dans cette deuxième partie d'Une Vieille Maîtresse.
L'espace ouvert, l'espace du vide, l'espace du néant ou encore l'espace clos, le
dedans s'inscrivent fondamentalement dans "le principe du ressourcement aurevillien
au pays de l'enfance, qui est aussi le pays de la mer. Dans le processus très complexe qui le
ramène chez lui, il y a, infime au début, mais opiniâtre, cette image de la femme-mer qui est
apparue, et requiert à présent de prendre toute sa dimension: c'est-à-dire forcément, qu'elle
entraîne avec elle le ressurgisse ment de tout un paysaqe.Herrnanqarde, elle, c'est la femme
-lac, et nous connaissons assez la dynamique fondamentale du
rêve aurevillien pour
comprendre la signification du contraste. Le lac repose, mais il endort; la mer fait vivre mais elle
1 H de Balzac. Eugénie Grandet, Paris, le livre de poche, 1972, 292 P
2 H. Haler: Présence de Balzac in Revue des Lettres Modemes, Barbey d'Aurevilly n° 5 ,1970
3 J.Petit: Notice de l'édition La Pléïade (T2, P 1276) et Barbey d'Aurevilly n04, in Revue des Lettres
Modemes, Minard, 1969 (artide : Le temps romanesque et la mise en abyme).
4 P. Colla: L'univers tragique de Barbey d'Aurevilly, Bruxelles, la Renaissance du livre, P 14.

276
épuise; Ryno ne pourra, ne saura pas choisir. En désirant connaître la mer, Hermangarde ne
se rend pas compte qu'elle se livre à son ennemie; sa naïveté ne lui indique pas qu'elle
s'expose à une confrontation où elle a tout à perdre. En emmenant sa jeune femme à Carteret,
Ryno inconsciemment ressuscite cette Vellini qu'il avait décidé d'oublier. Barbey a ménagé un
jeu subtil." 1
Ailleurs dans Un Prêtre Marié ou L'Ensorcelée, la bipartition des lieux en lieu
social et en lieu asocial existe. Dans Un Prêtre Marié, elle se fait autour du
Quesnay, propriété des Sombreval. Dans l'Ensorcelée, c'est la lande de Lessay
qui est le repère entre ces deux types de lieux. Nous avons, dans un chapitre
antérieur, donné les modalités de la bipartition' des lieux. Nous ajoutons
simplement que la distinction entre le lieu asocial et le lieu social semble obéir
à une idée fixe chez Barbey d'Aurevilly. La bipartition des lieux est assez
révélatrice de sens.
Dans Un Prêtre Marié, nous avons montré que de même qu'il y a un lieu
asocial, de même ily a des personnages asociaux. C'est le cas des Sombreval
car Jean Gourque est accusé de déicide, de parricide par la société.
L'asocialité du personnage entraîne automatiquement l'asocialité de son cadre
de vie, le Quesnay.
Ainsi, l'asocialité du lieu est due au refoulement, au rejet, aux reproches faits
par la société. En somme, les faits sociaux occasionnent et entraînent
l'asocialité d'un lieu et des personnages qui l'investissent.
Ailleurs, dans l'Ensorcelée, l'asocialité de la lande de Lessay relève de la peur
qu'engendre ce lieu, mais aussi de la proximité du Taureau Rouge avec sa
"misérable réputation et l'air sinistre de son hôtesse", 2 "le Vieux Presbytère et l'abbaye de
Blanchelande qui a été dévastée pendant la Révolution." 3
1 Ph. Berthier, Barbey d'Aurevilly et l'imagination, Genève, Droz, 1978, P 77.
2,Ç,. P 43.
3 Ibid P 69.

277
La peur du lieu et des a - priori sociaux largement colportés par la société elle-
même à travers les commérages font que l'asocialité de la lande est présente.
Un autre lieu de l'asocialité est la demeure de la Clotte. Son passé social d'
ancienne maîtresse et concubine des Seigneurs du Haut-Mesnil, l'a écartée à
jamais. Dans une société post-révolutionnaire, il n'est pas de bon ton de
s'attacher à l'Ancien régime en avouant et clamant sa sympathie pour ce qui
n'est plus. Ces points sociaux et moraux font de ces lieux asociaux des lieux à
éviter. Et quiconque s'y aventure non seulement est vu d'un mauvais œil mais
se fait mettre à l'écart.
. L'œuvre aurevillienne est structurée de telle sorte que l'on a l'impression que
tout est calculé pour créer cette catégorisation en lieu réservé à une couche
sociale donnée, et en lieu interdit à un groupe donné. Cependant, s'il est vrai
que la catégorisation existe, il est encore vrai que le lieu asocial interdit est
toujours investi. Quelles significations donner à cela?
C'est ainsi que dans l'Ensorcelée, la lande de Lessay est investie par des
téméraires: la Croix-Jugan, les bergers,
Maître le Hardouey,
Jeanne le
Hardouey, la Clotte.
* Les bergers
Mal vus par les gens du bourg, rejetés, les bergers ont plus d'une fois élu
domicile dans la lande de Lessay.
En effet, ils sont considérés comme la "terreur du pays" 1, "les pâtres errants, les
lazzarones des landes normandes, les hommes du rien-faire éternel" 2. Plus loin, la lande
est "incessamment arpentée par les pâtres rodeurs et sorciers !" 3
1 ..s P 114.
. 2 S-.P 186.
3 Ibid P 229.

278
La physionomie des bergers, leur attachement à des coutumes ancestrales,
leur relative oisiveté et leur nomadisme en font des exclus, des marginaux. Il
leur est conféré un pouvoir démoniaque, satanique. Ils font peur.
* la Croix-Jugan
Il s'identifie à la lande. Son visage défiguré comme la lande que "plusieurs sentiers
parallèles zébraient" 1 en fait une métonymie et une incarnation sur le plan humain
de la lande de Lessay. Il est une énigme car "souvent... il s'enfonçait intrépidement
dans cette lande de Lessay qui faisait tout trembler à dix lieues alentour. Comme on procédait
par étonnement et par questions à propos d'un pareil homme, on se demandait ce qu'il allait
chercher dans ce désert, à des heures si tardives, et d'où il ne revenait que dans la nuit
avancée, et si avancée qu'on ne l'en voyait pas revenir (...). Les bonnes têtes du pays, qui
croyaient que jamais l'ancien moine de Blanchelande ne parviendrait à se dépouiller de sa
vieille peau de partisan, avaient plusieurs fois essayé de le suivre et de l'épier de loin dans ses
promenades vespérales et nocturnes, afin de s'assurer si, dans ce steppe immense et désert, il
ne se tenait pas, comme autrefois il s'en était tenu, des conseils de guerre au clair de lune ou
dans les ombres ... Et par ce côté, comme par tous les autres, l'ancien moine de Blanchelande
restait la formidable énigme dont Maitre Louis Tainnebouy, bien des années après sa mort
aussi mystérieuse que sa vie, n'avait pas encore trouvé le mot" 2.
1 Ibid P 48.
2 Ibid P 239/240.

279
* Maîtresse le Hardouey
Avec l'entrée de la Croix-Jugan dans sa vie à cause des liens de noblesse et
des effets qui en résultent, Maîtresse le Hardouey devient également un
personnage de la lande. Le bouleversement de sa vie lui a fait changer
d'espace. Son monde était le Clos (leur propriété) , mais peu à peu elle
cherche désespérement dans la lande le refuge, la solution à ses problèmes;
c'est pourquoi elle demande aux bergers de lui trouver un talisman qui la ferait
aimer par l'abbé.
"Le Hardouey blémit de colère, et il releva son pied de Frène en jurant le Saint Nom.
"J' n'avons je paoû de vos colères de Talbot, maître le Hardouey, -dit le berger avec le calme
d'une joie concentrée et féroce, -car j'vous rendrons aussi aplati et le cœur aussi brasillé que
votre femme, qui était bien haute itou, lorsque j'voudrons.
- Ma femme? -dit le Hardouey troublé et qui abaissa son bâton.
- Vère ! Votre femme, votre moitié d'arrogance et de tout, et dont la fierté est maintenant aussi
ébtequée que cha ! - répondit-il en frappant de sa gaule ferrée une motte de terre qu'il
pulvérisa. -D'mandez-lui si elle connaît le berger du Vieux Probytère, vous ouïrez ce qu'elle
vous répondra !" 1
On le voit, le lieu interdit (la lande) est investi, volontairement souvent ou sous
un effet quelconque, à la recherche d'une solution irrationnelle à un problème
pratique donné. C'est la dimension surnaturelle du lieu qui est suggérée.
Nous nous lim itons à ces trois personnages car ils sont les plus
caractéristiques. Cependant, il faut leur adjoindre Maitre Thomas le Hardouey
qui traverse la lande à plusieurs reprises et à qui est révélée par les bergers la
relation entre l'abbé et sa femme, dans cette lande de Lessay. Signalons
également que la Clotte meurt en ce lieu, ensevelie par l'abbé.
Dans Un Prêtre Marié, le lieu asocial qu'est le Quesnay est également investi
par Néel de Néhou, les Lieusaint et le Vicomte de Néhou.
1 E. P 188.

280
Cet investissement confère une dimension axiologique au lieu car le Quesnay
agit sur Néel, le transforme au point qu'il s'apparente aux Sombreval.
Il faut remarquer que l'asocialité d'un lieu se traduit par des caractéristiques
particulières liées au fantastique. Mais un constat s'impose encore.
Tous ceux qui intègrent un lieu asocial viennent d'un ailleurs .d'un espace
autre. C'est le cas avec Sombreval qui réintègre son espace natal mais il est
parti de Paris. C'est ce lieu qui l'a transformé. Ailleurs, dans Le Bonheur dans
le Crime, Serian est introduit dans la salle d'armes, "un matin, par le vicomte de
Taillebois et le chevalier de Mesnitqrand .C'était un jeune homme du pays élevé au loin et qui
-
revenait habiter le château de son père, mort récemment.':".
De même, La Croix-Jugan, Des Touches sont d'ailleurs. Riculf d'Une histoire
sans nom semble être de nulle part.
Ces personnages asociaux qui viennent d'ailleurs ou sont à la base de
l'asocialité sont la manifestation d'une option idéologique de Barbey. Il semble
dire que l'asocialité est due à l'incompatibilité entre les autochtones, les
sédentaires et les nouveaux arrivants, lesquels introduisent des éléments
rejetés par la norme sociale et morale. Il nous apparaît judicieux de dire
également que c'est une des manières de mettre en relief
les
valeurs du
passé qui ne changent pas alors que la nouveauté est perturbatrice. C'est donc
un attachement à l'ordre ancien et le rejet d'un ordre nouveau.
Aussi ,dans L'Ensorcelée ,affirme-t-il : "II n'y a peut-être que les paysages maritimes, la
mer et ses grèves, qui aient un caractère aussi expressif et qui vous émeuvent davantage.
Elles sont comme les lambeaux, laissés sur le sol, d'une poésie primitive et sauvage que la
main et la herse de l'homme ont déchirée. Haillons sacrés qui disparaîtront au premier jour
sous le souffle de l'industrialisation moderne; car notre époque, grossièrement matérialiste et
utilitaire, a pour prétention de faire disparaître tout espèce de friche et de brousailles aussi bien
du globe que de l'âme humaine. Alors, sous ce règne de l'épais génie des aises physiques
1 Q P 128.

281
qu'on prend pour de la Civilisation et du Progrès, il n'y aura ni ruines, ni mendiants, ni terres
vagues, ni superstitions comme celles qui vont faire le sujet de cette histoire, si la sagesse de
notre temps veut bien nous permettre de la raconter." 1.
En somme, il y a manifestement mise en relief de l'attachement à l'ordre
traditionnel de la part du romancier.
1 ~p 36.

282
2.) L'axe du fantastique: le lieu fantastique ou surnaturel
Un autre axe s'avère producteur de sens dans les récits aurevilliens, c'est celui
du fantastique. Il se fonde et s'appuie sur des lieux spécifiques tels que la lande
de Lessay, comparée à une "oasis aride" 1 avec "(ses) lacunes de culture, (ses) places
vides de végétation, (ses) terres chauves" 2. C'est donc un espace à part, au niveau
de sa description et de sa situation physique. C'est un lieu mal intégré à son
environnement général, avec "une herbe rare et quelques bruyères bientôt déssechées" 3
par opposition à l'ensemble de la presqu'île du Cotentin, "ce pays de culture, de
vallées fertiles, d'herbages verdoyants, de rivières poissonneuses" 4. C'est somme toute
un lieu pauvre, inexplicablement déshérité mais riche autrement, car il est
pourvoyeur de mystères, de sensations fortes et de fantastique. Ainsi, la lande
de Lessay est génératrice de fantastique et d'autres textes de Barbey
d'Aurevilly font des ouvertures à des espaces "imaginaires, utopiques". C'est
dans cette optique que nous plaçons Un Prêtre Marié et L'Ensorcelée et Une
Histoire sans Nom.
Dans ces écrits, singulièrement l'Ensorcelée et Un Prêtre marié, des noms de
lieux installent une atmosphère de conte ou de légende et introduisent, par
conséquent, une distanciation avec le réel. Par exemple, le Vieux Presbytère,
la lande de Lessay où "il y revenait".
Pour le moment, il nous faut proposer un cadre de définition du fantastique de
manière à ne pas nous méprendre. Plusieurs critiques ont proposé une
définition du mot, entre autres, Louis Vax 5, Pierre-Georges Castex 6, Jean
-Baptiste Baronian 7 .
1 E. P 35.
2 Ibid P 35.
3 Ibid P 35
4 Ibid P 35
5 Cf Bibliographie.
6 Cf. Bibliographie.
7 Cf. Bibliographie.

283
Ces définitions sont reprises et renforcées par T. Todorov qui propose une
analyse en trois points:
"D'abord, il faut que le texte oblige le lecteur à considérer le nom des personnages comme un
monde de personnes vivantes et à hésiter entre une explication naturelle et une explication
surnaturelle des événements évoqués. Ensuite, cette hésitation peut être ressentie également
par un personnage; ainsi le rôle de lecteur est pour ainsi dire confié à un personnage et dans
le même temps l'hésitation se lrouve représentée, elle devient un des thèmes de l'œuvre; dans
le cas d'une lecture naïve. le lecteur réel s'identifie avec le personnage; enfin, il importe que le
lecteur adopte une certaine altitude à l'égard du texte: il refusera aussi bien l'interprétation
allégorique que l'interprétation "poétique". Ces trois exigences n'ont pas une valeur égale." 1
Cette définition nous semble quelque peu restrictive. Nous la complétons avec
celle donnée par J. B. Baronian : "Déjà nébuleux, variable dans le langage courant
jusqu'à devenir impropre et équivoque, le mot fantastique, une fois appliqué à des œuvres
littéraires, y trouve un terrain. sinon plus périlleux, du moins tout aussi incertain et tout aussi
instable, quoique la majorité des commentateurs qui se sont penchés sur la question
admellent, fût-ce. à des degrés divers, fût-ce même par allusion que le fantastique est bien ce
qui, dans la lillérature, privilégie l'inexplicable, l'irrationnel, le surnaturel, le bouleversant, voire
l'effrayant." 2
Selon le même auteur, "il n'existe pas un fantastique mais bien un ensemble de figures
fantastiques."3. Par ailleurs, Barbey d'Aurevilly parle de "fantastique de la réalité" 4
dans une de ses nouvelles.
A partir de ces approches succinctes, notre tâche est de mettre en relief le
processus de construction du lieu fantastique et de son mode de
communication dans le récit aurevillien.
1 T Todorov : Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, P 37/38.
2 J.B. Baronian . Panorama de la lit1érature fantastique de langue française, Paris, Stock, 1978, P 17/18.
3 J.B. Baronian : Opot P 24
4 Q... P 222.

284
Il importe toutefois de signaler qu'un autre concept mérite d'être abordé, c'est le
merveilleux. Il " évoque l'ensemble des phénomènes extraordinaires et incroyables qui
constituent les ressorts essentiels des récits fantastiques." 1
En somme, nous devons nous atteler à indiquer le rapport entre l'espace et
l'utilisation du fantastique dans notre corpus. C'est ainsi que l'Ensorcelée et Un
Prêtre Marié sont généralement pris comme des récits fantastiques teintés de
réalisme .Cependant, nous admettons que le dernier roman cité est plus du
côté d'une approche chrétienne de l'expiation ,d'un mysticisme chrétien ..
Le fantastique aurevillien naît de la sensibilité du romancier narrateur qui trouve
, un moyen d'expression de sa nature; c'est ainsi que dans L'Ensorcelée il écrit:
"J'ai toujours été grand amateur et dégustateur de légendes et de superstitions populaires,
lesquelles cachent un sens plus profond qu'on ne croit, inaperçu par les esprits superficiels qui
ne cherchent guère, dans ces sortes de récits que l'intérêt de l'imagin-ation et une émotion
passagère.
Seulement, s'il y avait dans l'histoire de l'herbager ce qu'on nomme communément du
merveilleux (comme si l'envers, le dessous de toutes les choses humaines n'était pas du
merveilleux tout aussi inexplicable que ce qu'on nie, faute de l'expliquer !), il Y avait en même
temps de ces événements produits par le choc des passions ou l'invétération des sentiments,
qui donnent à un récit, quel qu'il soit, l'intérêt poignant et immortel de ce phénix des radoteurs
dont les redites sont toujours nouvelles, et qui s'appelle le cœur de l'homme. Les bergers dont
maître Tainnebouy m'avait parlé, et auxquels il imputait l'accident arrivé à son cheval, jouaient
aussi leur rôle dans son histoire. Quoique je ne partageasse pas toutes ces idées à leur égard,
cependant j'étais bien loin de les repousser, car j'ai toujours cru, d'instinct autant
que de
réflexion, aux deux choses sur lesquelles repose en définitive la magie, je veux dire: à la
tradition de certains secrets, comme s'exprimait Tainnebouy, que des hommes initiés se
passent mystérieusement de main en main et de génération en génération, et à l'intervention
des puissances occultes et mauvaises dans les luttes de l'humanité;.." 2
1 P. Mabille: Le miroir du merveilleux, Paris, Edition de Minuit, 1977, P 20.
2 f.P 70m.

285
A cette fin donc, il fait jouer à la lande de Lessay le "rôle de grand théâtre". Ce lieu
est la manifestation d'un climat et d'une atmosphère indispensables à la
création aurevillienne.
Ainsi, la présence de ce climat et la croyance en un monde occulte sont des
moyens qui produisent des effets sur le plan romanesque.
En effet, le narrateur qu'il soit extradiégétique, hétérodiégétique ou
homodiégétique exalte à travers les confidences de ses personnages ( témoins
ou non) une structuration spécifique de son univers romanesque.
Par ailleurs, nous savons que les romans de Barbey d'Aurevilly sont la
manifestation écrite d'une mise en situation de communication d'un narrateur et
d'un (ou plusieurs) narrataire(s).
C'est pourquoi le narrateur homodiégétique ou extradiégétique introduit chez
son narrataire, par extension' chez le lecteur, un ensemble d'éléments qui nous
amène à prendre au sérieux ce qui est dit. Il donne au récit cette touche de vrai
et prépare ainsi le lecteur, suscite son intérêt. Le narrateur donc crée un état
d'esprit tel qu'j! engendre chez le lecteur une sympathie ou un rejet. En somme,
le narrateur aurevillien prépare l'esprit du narrataire (du lecteur) en créant une
atmosphère particulière (un climat) ; il le façonne et le dirige.
Dans L'Ensorcelée, après la présentation physique de la lande de Lessay et la
rencontre entre le narrateur et Maitre Tainnebouy, tout le chapitre Il correspond
à cette phase de cautionnement de l'avis du narrateur. Ainsi, le narrateur, après
avoir interrogé Maitre Tainnebouy sur une quelconque participation à la guerre
des Chouans et sur une parenté avec certains Chouans, fait naître une volonté
de savoir chez le narratairel1ecteur.
"Enchanté d'une parenté aussi honorable et qui semblait me promettre les récits que je
désirais, je poussai mon Cotentinais à me raconter ce qu'il savait de la guerre à laquelle ses
pères avaient pris une part si active" '.
, ~P65.

286
A cela s'ajoute le tintement de la cloche dans la lande de Lessay qui est le
prélude à la messe de la Croix-Jugan : "une messe de Morts, sans répons et sans
assistance, une terrible et horrible messe, si ce qu'on en rapporte est vrai." 1.
En procédant ainsi, il y a une volonté manifeste de préparer le terrain mental du
lecteur et du narrataire. Dans L'Ensorcelée, le temps (la nuit), la curiosité du
narrateur, la disponibilité de Tainnebouy, le lieu (la lande de Lessay) font partie
de la technique d'écriture du romancier pour introduire le fantastique.
Partout ailleurs, existe cette mise en place. Dans Un Prêtre Marié, le souvenir
du médaillon avec le portrait de Calixte travaille dans le même sens. Ce
, médaillon charme le narrateur et les recherches entreprises par Rollon
Langrune participent de cette préparation psychologique du lecteur.
Dans Le Chevalier Des Touches, à travers le personnage de l'enfant, l'on peut
admettre que sa présence est une manière de répondre .aux interrogations
suscitées et laissées en suspens par Barbe de Percy. En effet, de la rencontre
entre Des Touches interné et l'enfant, découle l'explication d'Une Rougeur
(Aimée de Spens). Tout l'univers romanesque aurevillien est bâti sur la
justification d'un état à travers le cheminement de ses personnages. Ceux-ci
justifient le choix du fantastique, amortissent son entrée dans le champ
romanesque. C'est pourquoi ce sont souvent les confidences d'un témoin qui
agissent sur le lecteur. Par exemple, dans L'Ensorcelée, après avoir écouté
Maître Tainnebouy, le narrateur premier complète l'histoire de la Croix-Jugan
par la rencontre avec la Comtesse de Montsurvent, Pierre Cloud...
Au total, en faisant assister un narrataire à une scène, à une conversation dans
un décor spécifique, on aboutit au même effet que lorsque le conteur est
quelqu'un qui se souvient.
1 Ibid P 69.

287
Tous ces éléments participent des techniques narratives mises en place pour
aborder et insérer le fantastique dans les récits romanesques aurevilliens.
A ce titre, J. Marc Bailbé affirme: "II (Barbey d'Aurevilly) est un écrivain du fantastique,
pris dans le tourbillon de ses évocations, il aime le charme et l'ambiguïté des mots, l'appel au
sens intime des lecteurs, comme il savoure avec délectation une fière furie du langage qui est
une fonne d'action immédiate." 1.
a) "Le fantastique de la réalité" dans "L'Ensorcelée"
Dans ce roman, nous l'avons dit mais nous le répétons, l'existence de la lande
de Lessay cautionne même le récit. Et la présence des personnages, du
narrateur, du narrataire, leur faire, leurs actions sont intimement liés à ce lieu
en tant que topos de représentation et en tant que topos vecteur de
significations et de sens.
Dans le chapitre Il de notre travail, Espace et description, nous avons montré
que la lande de Lessay joue le rôle de sujet, sujet d'un être. Nous ne
souhaitons pas' revenir sur les conclusions de cette étude, mais nous voulons
insister sur le fait que la lande de Lessay est le sujet de la narration et le
personnage central vers lequel se ramènent les actions des personnages
principaux (Jéhoël de la Croix-Jugan- les bergers- Jeanne le Hardouey- La
Clotte...) et des personnages comparses (Nônon Cocoua.n - la mère Mahé...).
Sujet de la narration, la lande de Lessay l'est assurément à cause justement du
"rôle de grand théâtre" qu'elle joue. A cet égard, nous sommes d'accord avec
J. Soutet-Quillard qui, à propos de la lande de Lessay, écrit : "Elle est non
seulement le lieu du récit mais aussi un lieu de récits" 2.
La lande de Lessay en tant que substance narrative est introduite dans le récit
par le parcours du narrateur et de Maitre Tainnebouy. La traversée du lieu
occasionne une description physique, et le donne comme un espace singulier.
1 J.M. Bailbé: Barbey d'Aurevilly n01 in Revue Etudes nonnandes 1989 P 6
2 J. Soutet- Quillard, Revue Barbey d'Aurevilly n° 14. Paris, Minard, 1990, P 104.

288
Prise comme tel, une lecture des qualifications à travers le roman renforce non
seulement la singularisation du lieu, sa circularité mais laisse entrevoir une
autre dimension, un charme particulier qui lui est lié. Et le narrateur de
s'interroger:"qui ne sait le charme des landes ? .." 1
Dans ce texte, l'écriture finale (qui constitue le roman) est faite de témoignages
et de reconstitution de souvenirs de la part du narrateur premier (qui s'appuie
sur le récit de Maitre Tainnebouy et sur les opinions de la Comtesse de
Montsurvent...) et confère ainsi au texte une dimension dispersée à l'image de
la lande de Lessay que "plusieurs sentiers parallèles zébraient" 2.
A ce niveau, l'on peut admettre une similitude entre la description physique du
lieu et l'écriture polyphonique de l'écrivain. En effet, le récit de L'Ensorcelée
s'imbrique avec les mouvements, souvent concomitants, alternatifs du réel et
du fantastique.
D'abord, la traversée de la lande par le narrateur premier et Maitre Tainnebouy,
la blessure invisible du cheval de celui-ci, le tintement de la cloche, la peur
qu'elle occasionne dans ce lieu ... tous les événements racontés se tiennent.
A l'atmosphère du lieu s'adjoignent les explications (presque) savantes pour
expliquer l'irrationnel, pour créer une certaine distance entre le récit oral de
Tainnebouy et le récit final car "cette histoire, mon compagnon de route me la raconta
comme il la savait, et il n'en savait que les surfaces. C'était assez pour pousser un esprit
comme le mien à en pénétrer plus tard les profondeurs. Je suis naturellement haïsseur
d'inventions (... ). Aujourd'hui que quelques années se sont écoulées, m'apportant tout ce qui
complète mon histoire, je la raconterai à ma manière, qui, peut-être, ne vaudra pas celle de
mon herbager cotentinais" 3.
1 E. P 36.
2 Ibid P 48.
3 Ibid P 72.

289
Ensuite, l'unité de l'action a pour plateforme tournante la lande de Lessay
Nous pouvons donc la considérer comme un espace englobant, logeant tout le
récit avec ses repères physiques et réels et sa portée surnaturelle, fantastique.
En effet, la dimension fantastique est renforcée non seulement par l'état du lieu
mais encore par les personnages qui l'investissent (les bergers, Jéhoël de la
Croix-Jugan, Jeanne et Thomas le Hardouey...), par les points de vue des
commères que sont Nônon Cocouan et la mère Mahé, la mère Ingou.
Nous l'avons dit, les bergers, Jéhoël de la Croix-Jugan s'identifient à la lande
de Lessay. Ils sont présentés comme des téméraires. Quant aux comparses,
par exemple, Nônon Cocouan "avait toutes les superstitions du pays où elle était née" 1.
Aussi ne peut-elle aller au-delà du Vieux Presbytère car "on disait que c'était un lieu
hanté par les mauvais esprits et qu'on y rencontrait parfois de gros chats, qui marchaient
obstinément à côté de vous, dans la route, et qui tout à coup se mettaient à vous dire bonsoir
avec des airs fort singuliers. La Cocouan ne tenait pas infiniment à aller jusque-là, aux
approches de la nuit, pour s'en revenir seule et monter les chasses qui y conduisaient" 2.
Enfin, le fantastique du lieu est consolidé par ce qui s'y passe. C'est dans la
lande de Lessay que tout se trame .Jeanne le Hardouey y demande aux
bergers un talisman pour se faire aimer par l'abbé Jéhoël de la Croix-Jugan.
"... Il Y a six mois, je ne vous l'ai pas dit alors... je suis allée en cachette aux bergers. Je m'en
étais longtemps moquée, d'eux et de leurs sortilèges, mais j'y suis allée, le front bas, le cœur
bas. J'ai reconnu celui que j'vais vu sous la porte du Vieux Presbytère, qui m'avait fait cette
menace que je n'ai jamais pu oublier. Je l'ai prié, ce mendiant, ce vagabond, ce pâtre, comme
on ne doit prier que Dieu, d'avoir pitié de moi et de m'ôter le sort Qu'il m'avait jeté.
J'ai usé mes genoux devant lui, dans la poussière de la lande! J'en aurais mangé, s'il l'avait
voulu, de cette poussière! Je lui ai donné mes pendants d'oreilles, ma jeannette d'or, mon
1 S P.100.
2 Ibid P 100/101.

290
esclavage, mon épinglette et de l'argent, et de tout, je lui aurais donné de mon sang pour qu'il
me découvrit un moyen de me faire aimer de Jéhoël, s'il yen avait..." 1.
C'est dans ce lieu, à travers la scène du miroir que Thomas le Hardouey "sait",
est informé des relations entre sa femme et j'abbé. C'est encore là qu'il vient
faire allégeance au pouvoir des pâtres-bergers.
"-Je suis venu, -répondit alors Thomas le Hardouey, d'une voix où la résolution comprimait de
rauques tremblements, -pour vendre mon âme à Satan, ton maître, pâtre! J'ai cru longtemps
qu'il n'y avait pas d'âme, qu'il n'y avait pas de Satan non plus. Mais ce que les prêtres n'avaient
jamais su faire, tu l'as fait, toi! Je crois au démon, et je crois à vos sortilèges, canailles de
l'enfer! On a tort de vous mépriser, de vous regarder comme de la vermine ... de hausser les
épaules quand on vous appelle des sorciers. Vous m'avez bien forcé à croire les bruits qui
disaient ce que vous étiez... Vous avez du pouvoir. Je l'ai éprouvé ... Eh bien! je viens livrer ma
vie et mon âme, pour toute l'éternité, au Maudit, votre Maître, si vous voulez jeter un de vos
sorts à cet être exécré d'abbé de la Croix-Jugan" 2.
En somme, c'est' dans la lande de Lessay que Thomas le Hardouey est
"préparé", pour.s'afficher ensuite en assassin virtuel de l'abbé. Mais le romancier
ne l'affirme pas; le doute reste entier car "de preuve certaine et matérielle que cela fût,
on n'en eut jamais" .3
C'est encore dans la lande de Lessay que sera déposé le corps meurtri de la
Clotte, qui y expire: "La peur du crime qu'ils venaient de commettre, et qui peu à peu avait
décimé leur nombre, prit aussi ces derniers qui traînaient sur sa claie de fer cette femme tuée
par eux, assassinée! Une autre peur s'ajouta à cette peur. Ils entraient dans la lande, la lande,
le terrain des mystères, la possession des esprits, la lande incessamment arpentée par les
pâtres rôdeurs et sorciers 1. .. "4.
Au total, tout le texte est explicitement traversé par l'étrange, le merveilleux à
cause principalement du lieu lande de Lessay.
1 Ibid P 178.
2 J;,. P 242.
3 Ibid P 258.
4 Ibid P 229.

291
Les procédés narratifs et figuratifs, un abondant vocabulaire insistent sur le
surnaturel. De plus, le fait de laisser certains personnages comparses rapporter
leur discours (au style direct) renforce cette isotopie de l'étrangeté.
"II avait donc sous sa langLie du trèfle à quatre feuilles, qui rend invisible, car il était là tout à
l'heure et il n'y est plus, -dit la Mahé, visitée ce matin-là par tous les genres de terreur." 1.
Le texte de l'Ensorcelée est donc orienté vers le mystère, le merveilleux,
singulièrement la lande de Lessay. Et la récurrence de l'analogie avec la mer
"ces landes planes comme une mer de terre, ..." 2 conforte ce sentiment. Donnée
comme réelle au départ, par sa structure physique, la lande de Lessay file, au
- fur et à mesure, vers l'insolite, le surnaturel , donnant au récit sa dimension
fantastique.
Il $e pose en espace onirique du point de vue des techniques romanesques
mises en place et d'une organisation spécifique du temps: En effet, le temps
matériel, la nuit, à travers ce qu'en donne le narrateur premier lors de la
traversée de la lande et à travers son association avec la lande de Lessay,
participe du passage du réalisme au fantastique. Dans cette étude, nous ne
nous attarderons pas sur la temporalité mais il nous faut signaler qu'elle est un
facteur important car elle permet au merveilleux de prendre place. Elle renforce
le merveilleux.
Le texte de L'Ensorcelée regorge de distorsions temporelles. En effet, les
analyses temporelles comparant les personnages du récit aux personnages
bibliques concourent à cet écart temporel. Avec la Clotte qui est comparée à
une figure de sphinx, elle était Hérodiade ...et Jeanne le Hardouey, Judith. Et
nous l'avons relevé, certains éléments temporels situent la lande de Lessay et
ses environs (le Vieux Presbytère, Blanchelande, Le taureau rouge) dans le ici-
présent de l'énoncé. C'est le sens des randonnées, la traversée du lieu par
Tainnebouy et le narrateur.
1 Ibid P 203 .
. 2 ~P40.

292
En somme, l'image matérielle fixe les traces de l'humain, ce qui ramène
toujours le texte à un réel. Le Vieux Presbytère avec ses ruines, le portail de
Blanchelande détorioré sont des effets de matérialisation du récit mais le
spectre de l'abbé qui "y revenait" ne nous éloigne pas du fantastique. En somme,
L'Ensorcelée est un va-et-vient incessant entre la réalité et le fantastique. Ainsi,
à l'instar de la lande de Lessay, tous les lieux installent une atmosphère de
merveilleux, de surnaturel.
Cela est perceptible grâce à la technique descriptive du romancier; en effet, le
lieu fantastique est toujours décrit. C'est le cas avec la lande de Lessay, le
Vieux Presbytère, l'église de Blanchelande, I~ lavoir.
De plus, en revenant à la dimension onirique du lieu, nous pouvons ajouter que
la scène du miroir dans la lande avec les bergers et Thomas le Hardouey est
capitale.
Nous passons indifféremment d'un aspect métaphysique,
invraisemblable, à une dimension rationnelle.
"Et il tira encore du bissac d'où il avait tiré l'épinglette un petit miroir, grand comme la mirette
d'un barbier de village, entouré d'un plomb noirci et traversé d'une fente qui le coupait de
gauche à droite ... Et il se mit à prononcer tout bas des mots étranges, inconnus à maître
Thomas le Hardouey, qui tremblait à claquer ses dents, d'impatience, de curiosité et, malgré
ses muscles et son dédain grossier de toute croyance, d'une espèce de peur sumaturelle( ...)
- Dites ce que vous voyez, "reprit le pâtre.
- Ah 1 Je vois... Je vois comme une salle, dit le gros propriétaire du clos, une salle que je ne
.
" 1
connais pas...
.
Et cette maison où Il semblait voir sa femme n'était autre que celle de l'abbé
Jéhoël de la Croix-Jugan. C'est "la maison du bonhomme 8oüet, fieffée par l'abbé de la
Croix-Jugan, (elle) apparaissait, aux premiers rayons de l'aurore, comme un coffret de pierres
d'un granit bleuâtre, aux lignes nettes et fortes (..)" 2.. Plus loin, 'vars cinq heures cependant,
Thomas le Hardouey aperçut la femme de ménage de l'abbé de la Croix-Jugan, la vieille
1 §. P 190/191.
2 Ibid P 196.

293
Simone Mahé, du bas du bourg de Blanchelande, qui se dirigeait vers la maison dont il gardait
et frappait la porte. "Ah !,dit- il -cetts damnée porte va enfin s'ouvrir !" 1.
Ainsi, rien ne manque au romancier pour faire vrai: les formules appropriées ("il
se mit à prononcer tout bas des mots étranges"), tout nous enracine dans la réalité et
en même temps nous conduit dans un autre univers: le fantastique.
Au total, le travail de l'écriture, tout comme la lande de Lessay, devient
polysémique. Il s'impose à nous. C'est un univers spécifique créé par le
romancier. Il y a une interaction flagrante et manifeste entre les domaines de la
réalité et du fantastique. De plus, la reconstitution du récit à partir du récit initial
de maître Tainnebouy, les compléments apportés par la Comtesse de
Montsurvent sont une preuve de la concordance entre le récit oral et le récit
écrit qui se veut plus rationnel. Nous y voyons également une autre intention
esthétique atteinte par le romancier.
En somme, L'Ensorcelée est à plusieurs sens. Et le romancier ne tranche pas.
" ne donne la primauté ni à la dimension réaliste ni à la dimension fantastique.
Les sens s'éparpillent comme les traces de l'espingole sur le visage labouré de
l'abbé dans la forêt de Cerisy, tout comme les sentiers qui zèbrent la lande de
Lessay.
Au total, "le sublime et le familier, l'extraordinaire et le trivial, le mystérieux et le trantran de la
vie se mêlent, se combinent, se confondent en une vision qui s'impose ou se heurte tout entière
à notre crédibilité: il faut l'accepter ou la rejeter dans son ensemble." 2
1 Ibid P 196.
2 J. Canu: Barbey d'Aurevilly, Paris, Lattant, 1945, P 274.

294
b) Le fantastique de la réalité dans "Un Prêtre Marié"
Dans ce roman, les lieux Quesnay, son étang
introduisent la notion de
fantastique qui y occupe une place beaucoup plus importante que dans
L'Ensorcelée. Il est vrai que ce fantastique se fonde sur la réalité, mais les
clins d'œil vers les maladies de l'esprit et de l'âme en font un roman
globalement fantastique. Barbey d'Aurevilly semble ne plus se limiter aux
malaises inexplicables de Jeanne le Hardouey qui a en elle "l'esprit du mal ". mais
il a recours à des scènes de somnambulisme impressionnantes.
Ainsi, le fantastique, dans ce roman, s'appuie certes sur les événements du
monde naturel, mais ceux-ci sont peu de choses par rapport aux événements
du monde surnaturel. Le naturel est recouvert de surnaturel.
Si nous admettons avec Lovecraft cité par T. Todorov que: "l'atmosphère est la
chose la plus importante car le critère définitif d'authenticité du (fantastique) n'est pas la
structure de l'intrigue mais la création d'une impression spécifique (...) (et que) nous devons
juger le conte fantastique. non pas tant sur les intentions de l'auteur et les mécanismes de
l'intrigue, mais en fonction de l'intensité émotionnelle qu'il provoque (...)" 1, alors, à travers
Un Prêtre Marié, nous allons voir comment les lieux principaux de ce roman
appartenant à la fois au réel et au fantastique réussissent à créer en nous le
sentiment d'un univers insolite; car nous sommes d'avis que dans une création
littéraire (surtout romanesque), la raison d'être du fantastique est le leurre
élaboré dans l'histoire racontée.
Dans cette optique, le fantastique suppose de l'inconnu. Et une lecture intuitive
d'Un Prêtre Marié le situe dans le monde des étrangetés. En effet, ce roman
relate l'histoire d'influences occultes, de prophéties qui s'accomplissent, de voix
qui parlent à la Malgaigne, qui balisent et structurent le parcours d'un
personnage, Sombreval.
1 T.Todorov : Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, P 39.

295
Ce roman "met en scène" des revenants. L'on ne peut se limiter à une simple
idée de sorcellerie et de superstitions, mais on se touve face à un véritable
chant d'honneur en faveur du sur-naturel.
Un Prêtre Marié est l'histoire d'un prêtre défroqué pendant la Révolution à
Paris. Devenu riche et pour envisager la guérison de sa fille atteinte d'une
maladie mystérieuse, Il décide de retourner dans son pays natal, le Cotentin.
Mais là, il se heurte aux incompréhensions des gens du bourg qui ont l'âme
très chrétienne. Ceux-ci ne lui pardonnent pas son apostasie. Lui, Sombreval,
nullement
impessionné, rachète le château des seigneurs du Quesnay en
vente et mène une existence retirée, n'ayant pas de relations directes avec ses
concitoyens, si ce n'est-parfois -avec La Malgaigne, personnage qui l'a élevé
lorsqu'il était tout petit. Et dans ce climat tendu, un jeune noble -Néel de
Néhou- bien que promis à Bernardine de Lieusaint, tombe amoureux de la '1ille
au prêtre",Calixte.
La Malgaigne, mère virtuelle de l'abbé Sombreval, confère au roman tout ou
une partie de
son âme du point de vue de l'étrangeté. Paysanne, âgée et
misérable, elle parcourt tout le bourg à cause de sa profession de fileuse à la
recherche de son pain quotidien. S'il est vrai que cette brève présentation du
personnage la place dans un univers réel, il n'empêche qu'un regard
d'ensemble permet de déceler des facultés paranormales, lesquelles la
classent, la déterminent et la surdéterminent.
De plus, si nous prenons la Malgaigne comme un signe descriptible ou en tant
que composé ou comme intégrant, l'on constate qu'elle est un personnage
singulier, tout comme le château du Quesnay et son étang.
En effet, par opposition aux autres personnages, elle est le seul pourvu du don
de voyance et de prophétie. Aussi annonce-t-elle aux Sombreval et à Néel de
Néhou leur destinée. Déjà jeune, la Malgaigne avait été le suppôt de Satan.

296
C'est pourquoi elle "n'avait jamais pu trouver dans les dix-sept paroisses dépendant du
bourg de S.o. un garçon assez intrépidement dégourdi pour l'épouser, soi-disant parce qu'elle
était un brin sorcière..." 1.
On le voit, la Malgaigne domine assez tout le texte d'Un Prêtre Marié, tout
comme elle domine les gens du bourg par sa grande taille et par son don de
voyance.
Aussi, une fois admis l'inconnu qu'elle véhicule , crée-t-elle un climat
d'étrangeté tout comme les lieux, le château du Quesnay et son étang, lequel,
sinistre, est décrit au début du roman : "Les mendiants du pays disaient avec
mélancolie que cet étang-là était long et triste comme un jour sans pain. Et de fait, avec sa
couleur d'un vert modéré comme le dos de ses grenouilles, ses plaques de nénuphars
jaunâtres, sa bordure hérissée de joncs, sa solitude hantée seulement par quelques sarcelles,
sa barque à moitié submergée et pourrie, il y avait pour tout le monde un aspect sinistre (...)" 2.
L'étrangeté relève également du château avec ses mansardes écarlates à
cause du reflet des expériences scientifiques de Sombreval.
" C'est donc le Quesnay que cette rangée de feu là-bas? dit le vicomte. Eh ! pardieu, oui, c'est
bien le Quesnay! Ce sont les fourneaux, dans les combles, de ce vieux souffleur de Sombreval
qui a gagné, à ce qu'il paraît, toute sa fortune dans la chimie, et qui continue son métier! ,,3
Ailleurs dans le roman ,"dans la nuit, comme nous voilà, c'est presque d'un effet sinistre et
cela doit pousser aux mauvaises pensées et aux mauvais bruits sur l'ancien prêtre. Avec ce
cercle de lucarnes en feu, on dirait que le Quesnay porte la couronne de l'enfer." 4. Le
Quesnay est donc connoté négativement
On le constate, le personnage de la
0
Malgaigne tout comme les lieux (château-étang) ont les mêmes qualifications
qui renvoient au funeste, à quelque chose d'effrayant. Ces trois éléments - la
Malgaigne, le château et l'étang - introduisent par conséquent une rupture avec
le connu, avec la réalité.
1 P.M. P.60.
2 P.M. P 33.
3 Ibid P 228.
4 Ibid P 228.

297
A travers ces trois éléments, l'invisible, l'inconnu et l'irrationnel se manifestent.
Le traitement de ces éléments dans le texte suppose un mode de
fonctionnement fondé sur un système de concordance, de similitude pour la
création d'une atmosphère particulière. Ainsi, le réel et l'irréel s'interpénètrent.
A cet égard , nous pouvons dire qu'il se met en place dans l'univers
romanesque d'un Prêtre Marié, un fantastique qui se fonde sur" de l'ignoré, ce
qu'on ne maîtrise pas et qu'on ne cannait pas". 1
Après l'inconnu qui est la première manifestation du fantastique dans le texte -
et qui concerne aussi bien la Malgaigne que les lieux Quesnay et son étang -
apparaît une seconde manifestation qui occasionne et pousse à la confirmation
de l'inconnu, l'état premier évoqué.: c'est la présence invisible d'une entité
qu'on ne peut définir mais qu'il faut cependant explorer.
Dans Un Prêtre Marié, le climat particulier créé par la Malgaigne, le château et
l'étang, donne l'impression que des personnages comme Sombreval sont
dirigés par une force mystérieuse, car, bien qu'averti des prédictions de la
Malgaigne, Jean Gourgue Sombreval "s'obstine" dans sa voie.
"Aussi réellement que tu l'as vu sous le proche de l'église de Taillepied, le jour que le tonnerre
tomba sur la tour, dit Sombreval. J'ai passé ma vie à me moquer de cela et à y penser. C'est
une chose étrange! La pensée en a toujours été plus forte en moi que la moquerie. A force d'y
penser, sans doute, j'ai fini par faire ce que tu avais prédit, la Malgaigne. J'ai acheté le
Quesnay, moi, Jean Gourgue Sombreval, le paysan, la veste rousse, qui ai tant de fois rôdé,
pieds nus dans la crotte, au bord de son étang, pendant mon enfance, et qui ai tant rêvé la vie
des maîtres en regardant ses murs!. .." 2
Une force mystérieuse semble donc agir sur lui . Et le fantastique est
l'exploration,le suivi du parcours irréversible de son fatum.
1 Ch. Grive!: "Horreur et terreur: philosophie du fantastique "in La littérature fantastique, Colloque de
Cérisy,
Paris, A. Michel 1991, P 171.
2 PM. P 58.

298
Grâce aux "voix" qui sont la manifestation du Diable en elle, la Malgaigne a
tracé le parcours social et humain de Sombreval : ..... elle s'attacha, après bien des
simagrées effrayantes, ses deux yeux blancs sur l'eau charmée qui frissonnait comme si un feu
avait été dessous, et elle dit à Jean "qu'elle le voyait prêtre -puis marié- et puis possesseur du
Quesnay (...) enfin que l'eau lui serait funeste et qu'il y trouverait sa fin".".
De plus, le Quesnay, du fait qu'il a appartenu à une vieille famille qui n'a
,.
disparu qu'à cause de " ses vices" , est déjà fort connoté. Il porte depuis le
sigle- mort et c'est un tel lieu qui est réservé et convenable à un personnage
comme Sombreval . En somme, le lieu Quesnay est tout indiqué pour être le
sien.
Ainsi le texte d'Un Prêtre Marié est précisément cette trajectoire spatiale que
suit Sombreval. Nous voyons que la Malgaigne ne s'est pas trompée, même si
l'abbé Méautis considère les voix de la Malgaigne comme des "visions" et lui
interdit de .. mêler ces honteuses et sacrilèges folies aux notions que l'Eglise donne de
l'inépuisable bonté du Sauveur" 2, il n'empêche que ses prédictions se sont
accomplies.
Elle savait le sort de Sombreval sur le plan matériel et humain et dans l'au-delà.
Elle prédit le destin de Calixte et celui de Néel de Néhou ; en somme, tous ceux
qui fréquentent assidûment le Quesnay. Aussi, parlant d'eux, "Vous êtes tous
perdus! Vous vous croyez vivants, vous ne l'êtes plus. Vous êtes morts; je vous vois tous
morts, couchés dans vos tombes, aussi clairement que si le dessus en était de verre ..." 3..
Ainsi en s'octroyant le Quesnay, Sombreval scelle son destin et renforce les
prédictions de la Malgaigne. Avec l'occupation de ce lieu, les visions de celle-ci
s'avèrent justes:
Sombreval est enseveli dans l'étang du Quesnay; Calixte repose en terre
chrétienne et Néel meurt, à sa première bataille, au service de l'empereur.
1 Ibid P 61.
2 P.M. P 239
3 PM. P .241

299
Nous avons donc la réalisation point par point de ce qui avait été annoncé par
la clairvoyante. On le voit, le personnage de la Malgaigne,de même que le
Quesnay,
éclairent Un Prêtre Marié d'une lumière funeste et lugubre. La
perspicacité, la clairvoyance, en somme le don de prophétie de la Malgaigne ne
sont acceptables que si l'étrangeté conférée au lieu Quesnay est acceptée. De
plus, il faut que les dimensions de l'inconnu, de l'exploration se présentent
dans le roman et confortent le paramètre fantastique. Par ailleurs, l'efficacité du
personnage et du lieu n'ont de prise que si nous corroborons les thèses du
domaine du surnaturel.
Et puis, il faut dire que la présence permanente de la Malgaigne dans le texte
-jusqu'à la réalisation de toutes les prophéties- permet de passer du réel au
surnaturel.Avec cette présence, le lieu Quesnay assure aussi ce va- et - vient.
En effet, de par sa caractérisation, il nous installe massivement dans le
surnaturel, le fantastique. Mais, son investissement par certains personnages
-des asociaux comme Sombreval- contribue à le tirer vers le pôle du réel.
Cette dimension fantastique du roman se consolide par une troisième
dimension, c'est elle qui introduit un semblant de rupture. Elle semble mettre
un frein, un arrêt à la voyance de la Ma.lgaigne. Mais ce n'est qu'illusion, trompe
-l'œil qui imprègne encore plus la dimension fantastique d'Un Prêtre Marié.
En effet, aux abords du réel et du surnaturel car elle est chrétienne et
paroissienne de l'abbé Méautis, la Malgaigne suscite dans le récit l'imminence
d'un drame par ses dons surnaturels .Après la conversion subite de Sombreval
car des bruits courent sur son compte, le lecteur était prêt à jubiler car la
Malgaigne n'avait pas prévu cette volte-face de Sombreval. Mais là encore, elle
est la première à dénoncer l'imposture avant que cela ne soit confirmé par la
croix en sang de Calixte.

300
"...'Vous en venez, mais lui direz-vous tout ce que vous en rapportez? Lui direz-vous tout ce
que vous savez maintenant, monsieur de Néhou ?" Toujours (on l'a vu), la grande Malgaigne
avait paru extraordinaire à Néel; mais à cette question si directe, qui l'atteignit au centre même
de l'idée qui, depuis deux heures, rongeait sa vie, et que nul que lui et Sombreval, sur la terre,
ne pouvait savoir, elle ne fut plus extraordinaire, mais surnaturelle, et tout ce qu'on disait d'elle
dans le pays lui paraissait justifié" 1.
On le voit, le semblant de rupture n'est que factice. Il permet de renforcer le
côté fantastique du personnage, des lieux Quesnay, de son étang, et de tout le
roman.
Ainsi, le texte d'Un Prêtre Marié donne la nette impression que ce personnage
domine tous les autres. Elle est le mystère incarné . Elle a une force
mystérieuse; ce qui révèle que le réel est façonné et sous l'emprise de l'irréel.
Le réel, c'est le simulacre qui est introduit pour prendre à défaut la voyante.
L'irrationnel est omniprésent. Et c'est ce merveilleux que suggère l'étang du.
Quesnay car il avait ses "mystères" 2. De plus, "on s'y noyait très bien, et très souvent à
la brume" 3 et malgré le danger qu'il représente "(les gens) ne firent jamais élever entre
la pièce d'eau et la route, soit par le fermier du château, soit par l'administration de la paroisse,
un pauvre bout de mur en pierres sèches, qui eût à peine demandé une journée d'ouvrage, ni
même la simple gaule sur deux fourches piquées en terre -le parapet des temps primitifs" 4.
Ce mystère, cette non-clôture de l'étang se comprend à la fin du roman, car
Sombreval y meurt englouti : "on n'en trouva pas un seul os C..) ce qui fit dire aux
paysans de la contrée que le Diable, qui a le bras long, l'avait posé à travers les boues de
l'étang, pour tirer jusqu'à lui, par les pieds, le PRETRE MARIE !" 5.
Ainsi, on a l'impression que le roman donne à lire que le lieu - étang - n'a pas
de barrière parce qu'il attend Sombreval.
1 P.M. P.304.
2 P.M. P 34.
3 Ibid P 34.
4 Ibid P 34.
5 Ibid P 432.

301
Et après la mort de Sombreval dans ce site, la mise à sec de l'étang permet de
retrouver le médaillon de Sombreval avec le portrait de Calixte qui est la base
de l'histoire faite par Rollon Langrune.
"Ah ! Le médaillon ! répondit-il. Il est probable qu'il appartenait à Sombreval, car, lorsque
plusieurs années après les événements de cette histoire, on vida l'étang du Ouesnay, devenu
un bourbier fétide et auquel on attribuait les fièvres putrides qui ravageaient le pays, on le
retrouva au fond des vases.""
Ainsi, tout se tient: le lieu Quesnay, Sombreval et la grande Malgaigne.
Au total, l'inconnu, le simulacre sont des moyens de manifestation du
- fantastique qui agissent sur nos trois éléments: la Malgaigne, le Quesnay et
son étang. Il faut, cependant, ajouter la dimension intensive qui accroît l'effet du
fantastique dans le roman. Cette dernière dimension est atteinte avec Calixte et
ses crises de somnambulisme.
En effet, la maladie de Calixte, récurrente dans tout le roman à l'image des lits
placés dans chacune des pièces du château, permet d'atteindre le plus haut
degré du fantastique; cette maladie devant laquelle la science reste
impuissante semble l'œuvre du diable.
'Tout d'abord, Néel s'étonna de voir dans cet ancien salon de compagnie des Du Ouesnay un
grand lit doré sans rideaux, à la Louis XIV, recouvert de sa couverture d'honneur: mais il
comprit plus tard et il fut attendri de cette idée, quand il trouva ce lit répété dans tous les
appartements du château. Il comprit que cette fille, qu'on disait si étrangement malade, qui
vivait perpétuellement entre deux évanouissements, et qu'une crise, d'un instant à l'autre,
terrassait comme la foudre, devait avoir partout où tomber. Sombreval avait fait dresser des lits
très bas jusque dans les vestibules." 2
De cette maladie mystérieuse, le narrateur ne retient que des traits relevant de
l'isotopie du mystère et de l'étrange,tout comme les lits nombreux placés dans
le château du Quesnay.
1 Ibid P 432.
2 PM. P 110.

302
"Melle Calixte Sombreval est, depuis sa naissance, à ce qu'il parait, la proie d'un mal
mystérieux et impénétrable ...Impénétrable ! ma foi! on peut risquer le mot (...) et par-dessus le
marché peut-être se mêle-t-il à tout cela une influence hystérique, encore obscure et mal
caractérisée, mais les symptômes ... les tenons tous ? .." 1 .Plus loin, "au moyen-âge, il n'y
avait que le Diable avec quoi on pût expliquer cela. C'est assez commode le Diable..." 2
On peut dire que l'origine obscure et bizarre de la maladie de Calixte participe à
la mise en place d'un état aigu de la crise, de manière à atteindre un certain
seuil qui donne la dimension intensive du fantastique. Les procédés descriptifs
de la maladie avec l'usage constant de mots relevant de l'isotopie de l'étrange
traduisent une gradation du suspense.
En procédant ainsi, Barbey d'Aurevilly pose le fantastique par strates, par
degrés. L'on n'a pas affaire d'un coup à l'étrange. Barbey d'Aurevilly fonde son
"fantastique" sur un monde réel avec ses corrolaires. Nous avons la mise en
place de personnages "réels", dans un espace "réel". Barbey d'Aurevilly ne fait
pas de fantastique exclusif comme Edgar Poe ou Hoffmann. " part d'un aspect
ordinaire du réel, un monde où les personnages ont le don de prophétie, des
personnages à pouvoir paranormal, des lieux propices au mystère comme le
Quesnay et son étang.
Barbey s'inscrit dans un courant de son époque où le "réveil de l'âme" fait
naître des littératures nouvelles, lesquelles mettent à la fois l'accent sur la
notion d'inconscient psychologique et sur un univers parallèle perçu
scientifiquement.
Ainsi, "si la recherche mystique oriente les auteurs vers un monde invisible bien que naturel,
lié à un inconscient collectif dont ils ne font qu'explorer toutes les interrogations religieuses, une
certaine recherche scientifique, libre apparemment de toutes interrogations religieuses va
mettre l'accent sur la possible existence d'un univers parallèle. Il s'agit de rendre évident un
espace jusque-là méconnu, espace dont l'étude permettrait de résoudre bien des questions. On
1 Ibid P 326.
2 Ibid P 327..

, F
303
se rappellera en effet que c'est l'époque où l'on commence à s'intéresser très \\''\\~7~r: .i
l'étude de certaines maladies mentales, et les psychiatres sont conduits .: 2:;,...:2,
scientifiquement les phénomènes paranormaux. Or les travaux d'un Charcot, ou dt' _~ 3:..1.: .i
Nancy concernant les états seconds et l'hypnose, apportaient sans le vouloir un St»-:--'2": .:"
crédibilité à des expériences religieuses d'un type spécifique, en particulier celles ~..~-::..""",s
par les spirites" 1.
C'est dans cette optique de regain d'intérêt pour des maladies para,:--:" 2. e:3
que Barbey d'Aurevilly crée une Calixte somnambulique.
Sombreval absent, parti pour Coutances afin de "réintégrer" l'Eglise 2:3t ..ne
excellente occasion pour le romancier de décrire la maladie de Cali\\~2 pa, le
canal de l'opinion des docteurs d'Ayre et Hérault, en présence de N~i et ce
l'abbé Méautis.
"Nous avons bien là quelques symptômes connus, par exemple de la oontracr. re. ce la
convulsion tonique permanente et une raideur particulière aux muscles soumis à r.",,":!0n je la
volonté, enfin un état approchant du tétanos sans lésion traumatique, du tétanos s~'\\2nlane. al
par-dessus le marché peut-être se mêle-t-il à tout cela une influence hystérique encore
obscure et mal caractérisée. " 2.
On remarque que l'approche scientifique de la maladie relève du point de vue
du personnage , alors que le narrateur introduit l'aspect étrange du
somnambulisme de Calixte. Ainsi, il y a une distorsion, un écart entre le point
de vue du narrateur qui semble épouser des valeurs surnaturelles de la
maladie, alors que le personnage du médecin, par une approche rationnelle,
donne la dimension réelle, réaliste et scientifique de la maladie. Il Y a donc un
va-et-vient entre aspect mystique,surnaturel et aspect scientifique, réaliste. Par
conséquent, cette approche scientifique de la maladie n'empêche pas de la
teinter de fantastique.
1 Nelly Emont : ''Thèmes du fantastique et de l'occultisme en France à la fin du XIXe siède· in La
littérature fantastique, Paris, A.Michel, 1991, p140.
2 PM. P 236.

304
C'est la dimension intensive annoncée plus haut qui atteint son point culminant
avec la scène du crucifix en sang. Ce surgissement du sang sur une croix dans
un lieu spécifique, l'appartement de la carmélite , permet d'atteindre le
paroxysme du fantastique. Cet élément survient très vite dans une sorte
d'irruption soudaine. Cela couve d'abord et ensuite se produit une incursion
soudaine comme un volcan qui se réveille. Ainsi, nous avons:.....Oh !-dit-elle avec
une horreur qui rendit sa douce voix presque rauque- il y a du sang sur le crucifix !...
(...) Seigneur Dieu! -fit-elle- c'est bien du sang! -du sang liquide !- du vrai sang qui sort de vos
plaies, ô mon sauveur! Oh ! la chose terrible! Cela ne s'était pas vu depuis bien longtemps;
cela va donc se revoir, des crucifix qui saignent ! Autrefois... dans les temps anciens,... quand
ils saignaient, on disait toujours que c'était contre quelque coupable qui se cachait...et que le
sang irrité du Seigneur jaillissait contre lui pour dénoncer aux hommes sa présence ... Mais qui
est le coupable ici, ô Dieu que j'aime! Pour que votre sang jaillisse avec cette force contre
moi.....
Et elle reculait... Elle reculait devant ce sang qu'elle croyait voir, la tête toujours rejetée en
arrière davantage, la bouche entrouverte dans la dure tension de l'extase, les pouces
retournés, presque épileptique de terreur! Néel, déchiré par cette voix qui n'était plus celle de
Calixte, fit un mouvement pour l'éveiller de ce sommeil plein d'épouvante pour elle et
d'épouvantement pour lui..." 1.
On le voit, l'imposture de Sombreval est dénoncée par des phénomènes
paranormaux: la vision de la Malgaigne et la croix en sang de Calixte dans un
lieu de culte .C'est à dessein que le narrateur fait intervenir le crucifix en sang
dans un lieu spécifique. Nous l'avons vu , le lieu de culte de la carmélite n'a été
visité que par des hommes de foi: l'abbé Méautis, Néel qui l'aimait. Nous
savons que Sombreval n'y est jamais entré. Par conséquent, nous pouvons
dire qu'un tel lieu est ce qu'il faut pour que le Divin se manifeste à ceux qui
croient en Lui, et non aux imposteurs, aux impies comme Sombreval.
1 PM. P 3341335.

30S
Par ailleurs, l'entendement humain n'a pu déceler l'imposture de Sombreval.
Seul un élément au-delà du naturel le permet. Barbey d'Aurevilly explique le
comportement odieux du prêtre marié par des visées surnaturelles. De plus, si
nous revenons à la dimension intensive du fantastique avec la croix en sang,
rien ne manque, même pas les cris poussés par Calixte. Une autre
manifestation du fantastique dans ce roman est l'apparition du fantôme du
soldat rompu. Seule évidemment la Malgaigne le voit.
"Toutes les nuits du samedi au dimanche, il rôde par ici, quelque temps qu'il fasse, qu'il soit
humide ou sec, qu'il fasse nuit noire ou clair de lune, que le vent soit d'amont ou d'aval!
Je le rencontre souvent assis sur la barre de l'échalier qui ferme ce côté de la lande par où
nous allons sortir, ou marchant sur le bord de l'étang, coulant plutôt que marchant sur ses
jambes brisées et ramollies par les coups de barre du bourreau et qui semblent flotter comme
des bragues vides! " 1.
Ici encore, la lande devient le lieu approprié du fantastique. Le soldat rompu y
rôde. Ce qui nous ramène à ce qui avait été dit de la lande de Lessay dans
l'Ensorcelée OIJ "il Y revenait." On peut donc dire qu'Un Prêtre Marié se situe dans
l'univers fantastique dans la mesure où celui-ci se fonde sur quatre effets à
savoir l'inconnu, l'exploration, le simulacre et l'apparition soudaine qui
permettent d'atteindre le sommet du fantastique. Tout le roman est structuré
autour des trois éléments- à dominante spatiale- relevés plus haut et les
chapitres XXI à XXVI fournissent une description importante du paroxysme
atteint par le fantastique.Le Quesnay, son étang, la Malgaigne, et Calixte
donnent à l'oeuvre la dimension fantastique. Cependant, ajoutons que ces
éléments n'auraient rien produit s'ils n'aboutissaient à une visuaüsatron. A ce
titre, pour Charles Grivel "l'objet fantastique est ainsi un objet que le sujet ne saurait voir-
non pas qu'il échappe à la description, au trait, mais parce qu'il manque à sa place, parce que
le paradoxe horrifiant qui le fonde est de nature interprétative et visuelle : les données qui en
1 Ibid P 140.

306
définissent les termes sont issues de la "projection perceptive"· si l'on ose dire-, ou encore
d'une saisie autant que du projet de lire que l'interprétation manque à la représentation est
justement "horrible".
D'abord, une image ne s'en tient jamais à la pure évidence : l'action qu'elle fixe,
photographiquement, picturalement, littérairement, déborde irréversiblement la marque, le bord
et l'index. Elle ne se résout pas au signe: le fantastique est un continuum.". 1
Ainsi, le fantastique dans Un Prêtre Marié implique un effet visuel car sans cela
il n'aurait pas pu susciter du sens; de plus, "il n'est de fantastique que visualisé" 2. On
le voit, dans ce roman, le fantastique n'est pas seulement le rapport dialectique
entre un monde réel et un monde de forces sataniques enfoui dans quelque
imaginaire, mais le passage continuel entre trois domaines chez le romancier,
car il faut bien qu'il arrive à faire percevoir et le monde réel et le monde
imaginaire dans le texte qu'il produit. La tâche du narrateur est de valoriser ces
trois domaines: le monde réel, le monde imaginaire et l'impression que ces
deux premiers éléments suscitent dans un texte littéraire. Pour aboutir à un tel
résultat, il faut la duplicité du narrataire-Iecteur car il lui faut être sensible aux
phénomènes surnaturels.
En effet, à lire Un Prêtre Marié ou tous les écrits de Barbey d'Aurevilly qui sont
des "ricochets de conversation", il faut qu'entre le narrateur et son (ses)
narrataire (s) existe une dualité. Le narrateur doit susciter l'intérêt du narrataire
de sorte que celui-ci ne soit pas freiné par la dimension paroxystique de
l'élément fantastique.
Au total, dans Un Prêtre Marié existe "un climat maléfique que Barbey a créé autour de
ce défroqué de Sombreval. La plupart des scènes du roman sont situées dans un cadre qui leur
donne une grandeur solennelle et mystérieuse; les nuits sont pleines d'angoisses et d'ombres
1 Ch. Grivel : Horreur et terreur: philosophie du fantastique in La littérature fantastique, Paris, A.Michel,
1991, p183.
2 Ch. Grivel: Opeit. P 174.

307
effrayantes. Les paysages semblent conçus dans un rêve apocalyptique ou d'une désolation à
frémir." 1
Ailleurs, dans les deux autres romans de notre corpus, le fantastique est
abordé; mais il est moins puissant que dans l'Ensorcelée et Un Prêtre Marié.
Dans Une Vieille Maîtresse, Vellini est "un brin sorcière", car elle croit au
charme du sang bu. Telle une vampire, elle aspire du sang de Ryno de Marigny
blessé dans un duel avec son premier mari Sir Reginald Annesley. Pour elle,
boire du sang de l'autre consolide et renforce l'amour.
En outre, elle dispose d'une "mirette" pour suivre les mouvements de Ryno
lorsque celui-ci quitte sa femme un soir de neige pour venir la rencontrer au
Bas -Hamet.
..... Je sais que tu as combattu, reprit-elle avec un accent de mystère dans le regard et dans la
voix; mon miroir me l'a dit; je l'ai vu.. Et elle lui montra la petite glace d'étain, pendue à son
collier de corail. C'était une glace enchantée, un talisman que la Bohémienne du porche de
l'église de Malaga avait donné à sa mère, en reconnaissance de son aumône. - Tu as
combattu, contre moi, contre toi, contre le sort, contre le sang! La glace s'est longtemps voilée.
Tout y oscillait. Tout y était tourbillon, obscurité, fumées. Mais enfin elle s'est éclairée. Ce soir,
je t'y ai vu, sortant de la grande porte de ton manoir de Carteret, et venant à moi comme si tu
avais eu les deux ailes d'un archange aux épaules, et ton cheval deux ailes d'hippogriffe" 2.
Le miroir est un attribut nécessaire pour "voir" chez Vellini. Il en est de même
chez la Malgaigne qui utilise de l'eau pour indiquer à Sombreval sa destinée.
Les pâtres de l'Ensorcelée se servent d'un miroir pour "convaincre" Thomas le
Hardouey de leur pouvoir démoniaque.
En somme, l'utilisation du miroir par ces personnages surnaturels est un moyen
efficace pour parvenir à une représentation de personnages, de choses, d'un
monde autre, d'un monde situé sur un plan qui dépasse l'entendement du
simple mortel. Le miroir permet de s'ouvrir au mystère et d'ouvrir le mystère à
1 P. Colla: Opeit
2 V.M. P.386.

308
un non initié tel Thomas le Hardouey qui semble voir Jeanne le Hardouey et la
Croix-Jugan.
Dérivé du latin populaire mirare ,devenu au douzième siècle miroir puis
mireur,le miroir est à la fois somme et quintessence de symboles. Il est l'attribut
de la "sorcière "d'où l'expression" miroir de sorcière If.
Chez Barbey d'Aurevilly, son utilisation en fait objet de leurre, d'illusion, de
séduction, de piège. Il est présent dans Un Prêtre Marié avec l'eau qu'utilise la
Malgaigne; dans l'Ensorcelée avec les pâtres. Dans ces deux romans, ce qu'il
diffuse est inquiétant. Ainsi dans l'Ensorcelée , il conditionne Thomas le
Hardouey en virtuel assassin de la Croix-Jugan. Le miroir est salvateur pour
Vellini dans Une Vieille Maîtresse et il a un caractère divinatoire dans Un Prêtre
Marié, car avec l'eau, la Malgaigne y lit l'avenir de Sombreval. Le miroir est
donc symboliquement vie, mort et résurrection.
L'utilisation du miroir et des phénomènes paranormaux fait que
Barbey
d'Aurevilly se situe dans "une littérature ouverte sur une dimension métaphysique.
L'écrivain, c'est celui qui a su capter la vérité de l'astral. Grand initié à sa manière, son rôle
sacré est de rendre à la foule la totalité du monde:
"(...) l'écrivain est au-dessus de tous les hommes, prophète comme Moïse, patriote comme
Eschyle, railleur comme Aristophane, philosophe comme Platon, moraliste comme Jésus,
médecin comme Paracelse, évocateur comme Homère, comme Shakespeare, comme Hugo,
démolisseur comme Voltaire ou raisonneur didactique comme Descartes, illuminé comme
Saint-Martin, Boehme et Fabre d'Olivet, il doit aux forces inconnues, occultes, la puissance qu'il
exerce sur ses contemporains et sur ses successeurs. Son cerveau a été un miroir de l'astral et
en a reflété quelques rayons sur l'humanité. Ainsi de tous les hommes qui ont jeté dans le
monde une idée, un progrès, un mot de justice et de vérité, tous ont été des intermédiaires
généraux entre l'astral et le matériel, tous ont pénétré dans le spirituel et nous en ont rapporté
un reflet" 1.
1. Nelly Emont : Art. Cité, p.153; elle cite un article de Jules Lermina paru au Mercure de France en juin
1898
--"-'---"-"-"
-
.
. .... _--_._---

309
Le Chevalier Des Touches s'inscrit également dans cette conception d'un
monde où préexiste le fantastique. Il est vrai qu'il n'y a pas la même puissance
que dans Un Prêtre Marié, mais ce fantôme de M. Jacques est l'illustration que
l'univers romanesque de Barbey d'Aurevilly oscille entre un monde ordinaire
matériel et un monde aux forces incontrôlées.
En effet, "depuis qu'il (M. Jacques) est mort, elle (Aimée de Spens) ne l'a jamais vu, mais elle
n'en est pas moins hantée... et c'est plus particulièrement au mois dans lequel il a été tué qu'il
revient. C'est pour cela qu'elle ne peut pas, pendant ce mois-là, rester seule dans sa chambre
quand la nuit est tombée. Toute sourde et archisourde qu'elle est, elle y entend très bien alors
des bruits étranges et effrayants. On y soupire dans tous les coins et il n'y a personne ! Les
anneaux de cuivre des rideaux grincent sur leurs tringles de fer comme si on les tirait avec
violence ... Les rideaux semblèrent fous sur leurs tringles et toute la nuit, les meubles
craquèrent comme des marrons qu'on n'a pas coupés et qui sautent hors du feu." 1
On le voit, la référence à un univers fantastique est dominante dans l'œuvre
romanesque de Barbey d'Aurevilly. Il est vrai que le fantastique aurevillien n'est
pas exclusif, i! fait partie du "personnage intérieur" 2 de l'auteur. D'où cette écriture
dans laquelle "apparaissent les contradictions qui en font la beauté et l'intérêt" 3, dans un
univers "invraisemblable, coupable..." qui ne plaira à personne, écrivait un contemporain de
Barbey, ni aux indifférents qu'éloignera le point de vue où il se place, ni aux chrétiens, qui
regretteront que sa foi ne l'ait pas empêché de l'écrire..." 4.
Au total, cette écriture ne laisse personne indifférent..
1 C.D.T. P.95196.
2 Nelly Emont : Art. Cité P 139.
3 Jacques Petit: Préface à Un Prêtre Marié Paris. Folio, 1980 P.7.
4 Jacques Pl'ltit Opcit P. 7.

310
C) Le fantastique de la réalité dans" Une histoire sans nom"
Ce roman de notre corpus est un récit troublant. Il s'inscrit également dans une
"inquiétante étrangeté" qui le situe à la frontière du fantastique et de l'étrange.
dans un genre hybride que les critiques nomment" le réalisme fantastique ".
Avant de proposer une approche proprement dite de ce roman . nous
rappelons que le récit fantastique - selon Todorov L se caractér.se par le temps
d'une incertitude, incertitude du personnage; incertitude du lieu, mais aussi du
lecteur, devant des faits insolites, Et pour Pierre-Georges Castex, historien de
la littérature, le fantastique se résume à" une intrusion brutale du mystère dans la vie
réelle;il est lié généralement à des états morbides de la conscience,qui , dans les phénomènes
du cauchemar ou de délire, projettent devant elle des images de ses angoisses et de ses
terreurs."2
Ainsi, on entre dans l'étrange, lorsque ces faits insolites, tout en donnant au
récit son aspect inquiétant, trouvent cependant, une explication rationnelle.
Quant au récit réaliste, il tente de reproduire la réalité concrète, il en fait une
copie exacte, une image conforme aux normes acceptées par la société.
Par rapport à ces rappels, en quoi le récit d'Une Histoire sans nom correspond-
t- il ou ne correspond- t- il pas à ces normes?
Notre analyse tente d'apporter une réponse à ces interrogations en procédant à
une approche du roman au niveau de l'histoire et de la structure narrative, de
l'espace,
Une Histoire sans nom s'organise autour de la notion de l'espace du vide; et
c'est par cet élément qu'il puise sa dynamique,
Ce vide du châtea.u de Ferjol et de la bourgade (Bourg-Argental) suscitent des
points d'interrogation, lesquels sont autant de moments d'incertitude et
d'hésitation dans une lecture interprétative.
1 T.Todorov : Intoduction à la littérature fantastique, Paris Seuil, 1970, 188 P.
2 P.G.Castex : Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, Paris José Corti, 1951.

311
Au fur et à mesure que nous avançons dans le récit, et à chaque carrefour du
parcours narratif, le texte introduit une nouvelle situation qui renforce
l'impression de cadre qui existait déjà.
Ainsi "...au pied des Cévennes, dans une petite bourgade du Forez, un capucin prêchait entre
vêpres et complies. On était au premier Dimanche du Carême. Le jour s'en venait bas dans
l'église, assombrie encore par l'ombre des montagnes qui entourent et même étreignent cette
singulière bourgade, et qui, en s'élevant brusquement au pied de ses dernières maisons,
semblent les parois d'un calice au fond duquel elle aurait été déposée. A ce détail original, on
l'aura peut -être reconnue .... Ces montagnes dessinaient un cône renversé ..." 1
.
Les premières pages du livre qui mettent en place le décor relevant d'un cadre
sombre sont renforcées dans le même sens par le portrait sombre établi à
propos d'un personnage - Mme de Ferjol . Et le narrateur de dire: "A portrait
sombre. cadre sombre." 2.Par conséquent, chaque unité fonctionnelle conforte
l'unité première de manière que le vide, l'abîme se présentent comme des
éléments fondamentaux du récit.Cependant, dans l'étude du contenu narratif et
de sa structure ( cf les trois premières pages), un élément pertubateur de
l'ordre admis et accepté se dessine à l'horizon; c'est ce capucin dont: "
...l'éloquence (...) tenait aux choses ambiantes que je viens de décrire; ...,,3
Du point de vue de l'espace, nous avons un espace isolé et fermé comme l'est
la bourgade.Cet espace fermé est essentiellement celui du château de Ferjol
où Lasthénie a vécu son étrange aventure. C'est dans ce lieu fermé que se
déroule le drame de Mlle de Ferjol, et c'est là que se passe la plus grande
partie de l'histoire. C'est le lieu du calvaire de Lasthénie : calvaire parce qu'elle
est rendue grosse par un inconnu; calvaire à cause de Mme de Ferjol qui ne lui
rend pas la vie facile. De plus. élevée dans un lieu de solltude- ne recevant
guère d'autres personnes que des religieux de passage - le château de Ferjol
1 H.S.N. P 51
2 H.S.N. P 61.
3 H.S.N P 53/54.

312
est un espace propice au supplice de Lasthénie. A côté de ce lieu, un autre
espace mérite notre attention, c'est celui de l'église, tantôt décrit, tantôt évoqué.
Il est un lieu fonctionnel dans la mesure où il n'est pas que simple référence
topographique mais bien un indice qui participe pleinement à l'économie du
récit.Ce lieu a un lien direct avec l'histoire par le fait qu'il rassemble les victimes
et le fautif- Riculf. Par conséquent, ce lieu joue un rôle non négligeable. Il est
celui qui confirme et conforme les caractéristiques de l'espace au premier plan
avec les personnages qui s'y meuvent. De plus, l'espace de l'église et celui du
château de Ferjol ont une relation de symétrie de par le parcours des
personnages (cf chapitre 3 ).Par ailleurs, le vide du château de Ferjol - que
nous avons évoqué- vit. En effet, un important paradigme de signes nous
conduit vers cette vie. D'abord avec l'arrivée du père Riculf, dans "les familles
riches et religieuses(où les gens) aimaient à exercer ( l') hospitalité ,et dans la province, où la
vie est monotone, c'était un intérêt animé pour elles que ce prédicateur de chaque année ( qui)
apportait avec lui le charme de l'inconnu et le parfum de lointain que les âmes isolées aiment à
respirer"?
Ensuite cette vie se manifeste intérieurement en Lasthénie de Ferjol par
l'enfant qu'elle porte.Ainsi l'espace du château de Ferjol -tout comme celui
d'ülonde- possède tous les éléments propices au rêve ou à la rêverie ou
encore propres à créer une hallucination.
En effet, avec son "grandiose escalier, qui semblait n'avoir pas été bâti pour la maison,
mais qui était peut être ce qui restait de quelque château écroulé et que le malheur des temps
et de la race qui aurait habité là n'avait pas pu relever tout entier dans sa primitive
magnificence, que la petite Lasthénie, sans compagnes et sans les jeux qu'elle eût partagés
avec elles ,isolée de tout par le chagrin et l'âpre piété de sa mère avait passé bien des longues
heures de son enfance solitaire. La rêveuse naissante sentait· elle mieux dans le vide de cet
immense escalier l'autre vide d'une existence que la tendresse de sa mère aurait dû combler,
1 H.S.N. P 54.

313
et , comme les âmes prédestinées au malheur, qui aiment à se faire mal à elles- mêmes, en
attendant qu'il arrive, aimait-elle à mettre sur son coeur l'accablant espace de ce large escalier
par -dessus l'accablement écrasant de sa solitude? "1
On le remarque également, l'espace du château de Ferjol est éclairé par un jeu
de lumière-celle de la pratique religieuse- et un jeu d'ombre avec le père Riculf
qui rend grosse Lasthénie. C'est donc un espace doublement halluciné. Au
sens propre, concrètement par le jeu de lumière et d'ombre savamment réglé:
"J'ai vécu là vingt -huit jours à l'état de Titan écrasé, sous l'impression physiquement pesante
de ces insupportables montagnes; et , quant j'y pense, il me semble que j'en sens toujours le
poids sur mon coeur. Noire déjà par le fait du temps, car les maisons y sont anciennes, cette
bourgade, qu'on dirait un dessin à l'encre de Chine et où la Féodalité a laissé quelques ruines,
se noircit encore-noir sur noir- de l'ombre perpendiculaire des monts qui l'enveloppent, comme
des murs de forteresse que le soleil n'escalade jamais. Ils sont trop escarpés pour qu'il puisse
passer par-dessus et lancer dans le trou qu'ils font un bout de rayon. Quelquefois,à midi ,il n'y
fait pas jour. Byron aurait écrit là sa Oarkness. ...Mais, ce jour -là ,la lucarne n'avait pas de
bleu. Elle était grise. Les nuages appesantis la fermaient comme un cercle de fer. La bouteille
avait son bouchon.v-. Cet espace est également halluciné au sens litéraire, par le
jeu de la récurrence qui donne sens et vie à des objets comme l'escalier.
Au total : " le paysage d'Une Histoire sans nom est le plus anti-aurevillien qui soit, puisqu'il
accumule avec un masochisme quasi-caricaturale tous les signes qui lui sont répulsifs, ce qui
bien entendu fait de lui, a contrario et dans la mesure même où il dit ce dont il ne veut pas, un
message éminemment aurevillien, surgi de l'inconscient qui le fabrique avec des bribes
fournies par la vie et qu'il transcende complètement en les exaltant dans le sens de ses
instincts négatifs. "3
1 H.S.N. P 69/70.
2 Ibid P 52.
3 Ph. Berthier: "Une Histoire sans nom éléments pour une topo-analyse" in Hommages à
JPetit.(PP 27.1/281).

314
Des vecteurs de sens existent et pullulent dans l'œuvre aurevillienne. L'axe
social/asocial a permis de montrer la dimension idéologique du romancier et
son attachement aux valeurs du passé et à la tradition : car nous avons vu que
les héros "perturbateurs", transgresseurs ,venaient toujours d'ailleurs tout en
étant du pays. Il faut davantage insister sur le fait que le lieu surnaturel est
récurrent et important dans l'œuvre romanesque de Jules Barbey d'Aurevilly.
C'est à juste titre qu'il affirme: "Le fantastique oblige. Par cela même qu'on écrit ce grand
mot, on déclare ne plus se réclamer de cette simple fantaisie qui peut être si belle, mais de
cette fantaisie-là qui doit être transcendante, puisqu'elle se permet d'être étrange et qu'on le
déchaîne du dernier lieu du bon sens, du dernier fil de la réalité." 1
Chez Barbey d'Aurevilly, l'introduction du fantastique relève de l'esthétique, de
l'art, un élément nouveau lié à la beauté artistique de l'œuvre littéraire. Pour lui,
l'étrange est une catégorie du beau. "Dans le naufrage quasi-universel de son époque,
le seul élément, à l'heure des bilans, qui pourrait être porté au crédit du temps, serait cette
fumée inventée par le XIXe siècle: le fantastique: "sa meilleure gloire" 2.
Au total, Barbey d'Aurevilly - tout comme Balzac déjà dans Ursule Mirouët - a
apporté au roman, à travers le traitement du surnaturel et du fantastique, des
éléments nouveaux tels que les notions de magnétisme et de somnambulisme
qui atteignent une grande densité avec Un Prêtre Marié et Une Histoire sans
nom .Dans L'Ensorcelée, le surnaturel dans la lande de Lessay permet de
comprendre les rapports entre ces bergers et Jeanne le Hardouey. Ce lieu, par
sa dimension, suggère le meurtre de la Croix-Jugan. Tout l'univers aurevillien
est constitué de "cette étrangeté qui n'est pas moins inquiétante d'être, au fond, familière:
ensemble poétique sans référent à force de référent, système moral unique et qui servit de
repère à beaucoup, modèle idéologique terriblement déchiffrable parce qu'irréductiblement
contradictoire" 3.
1 Ph. Berthier: Barbey d'Aurevilly et l'imagination. Genève, Droz, P. 252.
2 Ph Berthier: Opcit P.252.
.
3 P. Malandain : "Barbey d'Aurevilly" in Dictionnaire des littératures de langue francaise, Paris, Bordas,
1984, p149.

315
CONCLUSION
Etudier "l'espace" d'une œuvre romanesque n'est pas chose aisée du fait de la
localisation problématique du spatial dans un texte narratif, qui est avant tout
un espace "de papier". Néanmoins, l'on a pu constater que l'espace est autant
une construction du texte qu'une reconstruction de l'analyste-lecteur.
Aussi, de la méthode de travail qui vient d'être mise en œuvre, avons-nous
voulu montrer qu'elle s'accordait avec notre préoccupation et qu'elle pourrait
être étendue à toute l'œuvre romanesque de Barbey d'Aurevilly.
Nous avons proposé une étude immanente des textes de notre corpus ,à savoir
les "grands" romans de cet écrivain, parce qu'ils sont les plus connus et qu'ils
ont permis d'asseoir et d'assurer la notoriété de Barbey d'Aurevilly. Notre
analyse s'est appuyée donc sur une démarche sémiotique .et cela nous a
donné l'occasion de constater l'importance du spatial chez Barbey" L'espace
pris comme "cadre" de l'intrigue et en tant que système de signification- son
étude ayant fait suite à un repérage des différents espaces aurevilliens- a été
l'occasion de remarquer des espaces introducteurs que nous avons appelés
espaces de R1 et des espaces racontés ou espaces de l'histoire ,R 2.
De ce travail de classification des espaces aurevilliens, il ressort que ceux-ci se
sous-tendent, sont imbriqués les uns dans les autres. Au total, l'espace du récit
annonce dans la majeure partie des cas les lieux et les espaces du récit 2 :
valeur métonymique de l'espace.
Nous nous sommes également intéressé à la fonction actantielle de l'espace.
Et nous avons montré que l'espace pouvait être tout aussi bien sujet, objet,
destinateur, destinataire, opposant qu'adjuvant tout comme les personnages
dans un récit romanesque. Cependant, nous rappelons que la fonction sujet
tenue par un lieu comme la lande de Lessay dans l'Ensorcelée n'a été possible
que parce qu'elle jouait le "rôle de grand théâtre".

316
De plus, nous avons également observé que la fonction sujet du lieu lui
conférait une valeur anthropomorphique. Nous avons tenté d'insister sur le fait
que comme signe, l'espace pris isolément ne peut donner du sens. Il faut donc
qu'il soit investi par des personnages. Aussi, de même que l'espace caractérise
le personnage, de même le personnage agit sur le lieu. L'un et l'autre se
désignent et se signifient.
Ainsi, dans Une Vieille Maîtresse, le spatial a mis en relief l'opposition de deux
types de personnages féminins. D'un côté, Vellini est caractérisée par le
dehors. De l'autre, Hermangarde est symbolisée par le dedans.
Leur
opposition est une antithèse spatiale dehors/dedans. Dans la mise en place de
cette antithèse spatiale, il faut reconnaître le rôle primordial joué par la mer, la
manifestation du dehors. Cet élément a servi ou desservi les personnages
selon qu'ils étaient en conjonction ou en disjonction avec lui.
Avec la mer, c'est la localisation de l'histoire en Normandie, précisément à
Carteret. Dans l'analyse des fonctions cardinales de ce roman (précisément la
deuxième partie), nous avons vu que la mer était diversement perçue.
Hermangarde avoue ne pas la connaître avant d'être allée en Normandie, alors
que Vellini, par ses nombreux parcours, a vu plus d'une mer -la mer Adriatique
entre autres. Et la mer de Carteret n'est pas chose nouvelle. De plus, dans ce
lieu, Vellini passe plusieurs jours avec les matelots au bord de la mer, alors que
Hermangarde joue le rôle du parfait touriste.
On le voit, la mer est en accord avec le personnage qui est plus en intimité
avec elle et le dehors. Par conséquent, Vellini s'approprie et la mer et Ryno -un
amoureux de la mer.
La mer assure donc la suprématie de la vieille maîtresse sur l'épouse légitime.
Dans L'Ensorcelée, c'est un lieu, la lande de Lessay, qui joue le rôle de
personnage central du roman. C'est ce lieu qui a fait, défait et défini les autres
personnages.
-

317
Ainsi, ce lieu exprime-t-il sa marque. Jéhoël de la Croix-Jugan a le visage
labouré tout comme la lande de Lessay que "plusieurs sentiers parallèles zébraient".
En relation de voisinage avec d'autres lieux suspects ou à la réputation
douteuse comme "le taureau rouge" ou l'abbaye de Blanchelande qui "n'avait
jamais eu de virginal que son nom (car) on racontait tout bas qu'il s'y était passé d'effroyables
scènes quelques années avant que la Révolution éclatât", la lande de Lessay fait peur.
Cet élément la détermine.
Lieu interdit par excellence, la lande est "la propriété" de ces pâtres-bergers
rejetés par les gens du bourg à cause du pouvoir maléfique dont ceux-ci sont
investis dans l'opinion générale. Elle est un lieu-mouroir .En effet, la Clotte y
vient mourir. C'est là que se décide la mort de l'abbé de la Croix-Jugan.
Thomas le Hardouey se perd dans cette "mer de terre", et Jeanne le Hardouey
y vend son âme aux Diables que sont les bergers.
Au total, la lande de Lessay est donc manifestement le lieu de la mort: lieu où
l'on vient mourir et lieu où se trame la mort. Tous les personnages partent d'elle
et retournent à. elle: le fantôme de l'abbé "y revenait." Lieu de l'asocialité par
excellence, c'est le territoire des pâtres-bergers. Lieu des apatrides, Thomas le
Hardouey s'y cache peut-être (?) puisqu'il semble n'être nulle part, "ni à
Blanchelande, ni à Lessay, ni dans aucune des paroisses voisines". La lande de Lessay
est somme toute un lieu de recel et un lieu receleur.
Dans Un Prêtre Marié, la force du lieu Quesnay et de son étang est renforcée
par la grande Malgaigne avec ses "voix" lesquelles dominent tout le roman et
donnent aux dits-lieux- Quesnay et son étang (ses comparses)- une dimension
lugubre.
L'espace de ce roman à l'univers sombre se construit sur deux notions
antinomiques: le lieu asocial VS le lieu social. Cette bipartition spatiale permet
d'opposer un espace autorisé à un espace interdit.
Q-; ~-
. ; .

318
L'interdit, c'est la demeure de Sombreval, "le défroqué, le"parricide" et le "déicide" :
l'autorisé, c'est le bourg, reflet de toute la société et de la morale. Nous avons
vu qu'Un Prêtre Marié est l'histoire d'un personnage indexé par le fatum
tragique, c'est un parcours spatial. Et le roman se clôt dès lors que "tous les sorts
sont accomplis". Le retour au médaillon en R1 avec l'effigie de Calixte semble être
un élément de rappel de la morale chrétienne: Calixte a agi comme une force
expiatoire pour atténuer la faute du père afin d'obtenir le pardon pour celui-ci
non seulement vis-à-vis du dieu profané ("déicide") mais également des
hommes ("parricide").
Au total, les axes d'opposition lieu asocial/lieu social, lieu nature / lieu
surnaturel permettent de structurer les espaces romanesques aurevilliens en
lieux autorisés et lieux interdits, en lieux conformes ou non, en lieux bannis ou
lieux acceptés. A travers ces oppositions, l'on a pu constater que l'espace est
une force, une énergie qui joue aussi bien sur l'émotion des personnages et
des lecteurs que sur le développement des structures dans les différents récits
romanesques: En somme, l'espace romanesque de Barbey d'Aurevilly nous
apparaît "existentiellement problématique, (...) (il) s'identifie avec le malaise d'un moi
profondément remué, désorienté et s'éprouvant avec difficulté en quête d'une vérité encore
inconnue de lui-même" 1..
1 Ph. Berthier," Une histoire sans nom: éléments pour une topo-analyse "in Hommages à J. Petit, p 271.
-

319
BIBLIOG RAPHIE
Note préliminaire
Il existe des instruments bibliographiques complets sur l'oeuvre de Barbey
d'Aurevilly. Entre autres, nous pouvons citer ceux établis par:
Jean Pierre Séguin: Barbey d'Aurevilly -Etude de bibliographie critique
Avranches ( 36,rue Gilbert) , 1949, 159 P.
En second lieu, la bibliographie faite par:
Jacques Petit: Barbey d'Aurevilly critique
Besançon, Annales littéraires de l'université, vol 53, les Belles Lettres en
1963, 766 P.
En dernier point: la bibliographie réalisée par:
Philippe Berthier: Barbey d'Aurevilly et l'imagination, Genève, Droz. 1978.
Ces trois bibliographies recensent les oeuvres et les travaux effectués de
1949 à 1978.
On pourra également se référer à la mise à jour permanente de " La revue
des Lettres Modernes" chez Minard par Peter C. Hoy depuis 1984.
A la suite de ces trois bibliographies, nous avons indiqué systématiquement,
tout ce qui a porté sur Barbey d'Aurevilly depuis 1978 et nous avons marqué
du signe* ce que nous avons réellement consulté. De plus si une référence
était antérieure à cette date, c'est que nous l'avons effectivement utilisée pour
notre étude.
Nous nous sommes essentiellement intéressé aux travaux parus en français.
La rubrique concernant les thèses sur Barbey n'est retenue que pour montrer
que celles-ci ont été effectivement consultées.
Pour les ouvrages et les articles relevant d'autres rubriques, nous avons
adopté en général pour principe de retenir les titres directement utilisés et / ou
susceptibles de l'être par d'autres chercheurs.

III
II"·1
320
11'.
Les principaux ouvrages cités de linguistique
de sémiotique, de stylistique,
1
de structuralisme ou de théorie du roman permettent d'indiquer le champ
théorique de notre recherche. Ce travail n'est pas exhaustif, nous le
reconnaissons .En revanche
nous avons retenu la plupart de nos lectures
1
concernant l'espace: l'apport de chacune était en effet difficilement
mesurable et nous avons retracé dans ce domaine ce qui a constitué
l'arrière- plan de notre travail.

321
1)
OUVRAGES CONSTITUANT LE CORPUS.
Une Vieille maîtresse,
Paris, Gallimard / Folio
L'Ensorcelée
Paris, Gallimard / Folio
Un Prêtre marié
Paris, Gallimard / Folio
Le Chevalier Des Touches
Paris, Gallimard / Folio
Les Diaboliques
Paris, Gallimard / Folio
Une histoire sans nom
Paris,
G F
Nous avons de plus consulté l'édition des Oeuvres Romanesques Complètes
publiée en deux volumes à la bibliothèque de la Pléiade par J. Petit ( 1964,
1966 ).
Il)
Etudes sur Barbey d'Aurevilly
A)
Ouvrages
*Aristide, Marie:
Le connétable des lettres: Barbey d'Aurevilly
Paris.Mercure de France, 1938, 341 P.
Bannour, Wanda:
Eugénie de Guérin ou une chasteté ardente
Paris,Albin Michel, 1983,346 P.
"Berthier, Philippe: Barbey d'Aurevilly et l'imagination,
Genève, Droz, 1978, 398 P.
*
." L'Ensorcelée", "Les Diaboliques", Une écriture du désir,
Paris, Champion, 1987, 176 P.
*Besus, Roger:
Barbey d'Aurevilly
Paris, ed universitaires,1957, 123 P,
.'

322
*Bornecque,Jacques-Henry: Paysages extérieurs et monde intérieur dans
l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly,
Caen, Association des publications de la Faculté des
Lettres et Sciences humaines,1968, 160 P.
* Boschian-Campaner,Catherine:
Barbey d'Aurevilly
Paris, Librairie Séguier, 1989, 228 P.
Bernard ,Claudie: Le chouan romanesque, Balzac, Barbey d'Aurevilly, Hugo
Paris,PUF, 1989,328 P.
*Canu, Jean:
Barbey d'Aurevilly
Paris, Laffont, 1965,456 P.
Chouard,Robert:
Promenades en Normandie avec un guide nommé
Barbey d'Aurevilly
Condé-sur-Noireau; C. Corlet, 1989, 160 P.
* Chujo, Shohei:
Pulsions du roman :Ie cas Barbey d'Aurevilly
Thèse de 3e cycle.Université de Paris X- Nanterre 1987
publiée, coll. Recherches, Université Gakushuin n017, 1988.
. * Colleétif :
Barbey d'Aurevilly:
Revue Hellequin, n03/5 paru en 1975/1976.
* Collectif:
Hommaqes à Jacques Petit
Besançon, Les Belles Lettres, 1985,974 P en 2 T.
(Annales litttéraires de l'université de Besançon, Série 11-300 ), (centre
de recherches J. Petit)
* Collectif:
Barbey d'Aurevilly, écrivain normand
Etudes Normandes n01, 1989, 62 P.
*Collectif
Les Diaboliques de Jules Barbey d'Aurevilly
Paris, l'Ecole des Lettres Il, n07 du 15 Janvier, 1991,151 P.
* Colloque: Barbey d'Aurevilly -Ce qui ne meurt pas- Une page d'histoire.
cahiers de l'ODAC de la Manche, n02, dec. 1986, 131P.
-

323
* Colloque: " L'Ensorcelée "Les Diaboliques" la chose sans nom
Paris, Sedes/CDV,1988, 137 P.
* Colloque:
Barbey d'Aurevilly, cent ans après.
Genève, Droz , 1990, 386 P.
* Colloque: Barbey d'Aurevilly, ombre et lumière
Rouen, Actes du colloque international, 1990, 202 P.
* Colla, Pierre: L'univers traqique de Barbey d'Aurevilly
Bruxelles ,la Renaissance du livre, 1965, 192 P.
Dodille, Norbert:
Le texte autobiographique de Barbey d'Aurevilly:
correspondance et journaux intimes. Genève, Droz, 1987, 316 P.
* Dupont, Joël et
Leberruyer, Pierre:Le musée Barbey d'Aurevilly à Saint-Sauveur-Le -Vicomte.
Saint-Là, Imprimerie de Basse Normandie, 1980,48 P.
* Girard, Sylvie :Le parfum du démon. Un écrivain nommé Barbey d'Aurevilly
Paris,Hermé, 1986, 360 P.
* Jaatour, Christiane: L'énonciation dans" Les Diaboliques"
Thèse, 3e cycle, Univ de Lyon Il, 1984.
* Leberruyer, Pierre: Au pays de Jules Barbey d'Aurevilly
Coutances, P. Bellée, 1960, 131 P.
* Leberruyer, Aerre :
Paysages aurevilliens
Saint-Là, Imp.Bellée, 1989, 19 cahiers.
*Liederkerke,Arnould de :Talon rouge, Barbey d'Aurevilly: le dandy absolu
Paris, O. Orban, 1986, 272 P.
Mugnier-Mantredi, Françoise :Le silence dans l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly
Thèse.Université de Grenoble 111,1984.
Nicolas, Yann : "
Plus épouse que mère". Psychanalyse des oeuvres
romanesques de Barbey d'Aurevilly.
Thèse nouveau régime; Univ de Toulouse 11.,1986/87.

324
* Petit, Jacques:
Barbey d'Aurevilly critique
Besançon, Les Belles Lettres, 1963,766 P.
* Petit, Jacques: Essais de lectures des Diaboliques de Barbey d'Aurevilly.
Paris ,Lettres modernes, Minard, 1974, 159 P.
Polet, Jean Claude:
Barbey d'Aurevilly et Léon Bloy
Thèse Université de Louvain, 1976, 1016 P.
Rolle, Madeleine:
L'ironie et l'humour dans les contes et les nouvelles de
Barbey d'Aurevilly, de Villiers de l'Isle-Adam et de Maupassant
Thèse, 3e cycle- Univ. de Bordeaux III, 1984.
Rousset, Jean:
Le conteur et ses auditeurs. Une mise en scène de l'acte
narratif ( Balzac: "L'auberge rouge" ; Barbey d'Aurevilly" Le Dessous de cartes
d'une partie de whist" ; Maupassant "la Rempailleuse"dans Le lecteur intime.
De Balzac au journal.
Paris, José Corti, 1986, 220 P.
Schwartz, Helmut, Idéoloqie et art romanesque chez Jules Barbey d'Aurevilly
München, W. Fink, 1971, 226 P.
Seguin
Jean Pierre:
Barbey d'Aurevilly: étude de biblioqraphie.
Avranches, Imp. du Mortainais, 1949,159 P.
* Toumayan,
Alain Paul: La littérature et la hantise du mal :Lectures de Barbey d'Aurevilly,
Huysmans et Baudelaire.
Lexington, Kentucky French Forum Publishers, 1987, 127 P.
* Tranouez,
Pierre:
Fascination et narration dans l'oeuvre romanesque de Barbey
d'Aurevilly , la scène capitale.
Paris,Minard, 1987,680 P.
-

325
Quéru
Hermann:
le dernier grand seigneur: Jules Barbey d'Aurevilly
Paris, ed. de Flore,1946, 285 P.
Yarraw, P.J :
la pensée politique et religieuse de Barbey d'Aurevilly
Genève, Droz, 1961.
B) Articles
*Amossy, Ruth
et Atar,lris:
"l'écriture de l'Histoire chez Barbey "dans Barbey d'Aurevilly
cent ans après,
Genève.Droz, 1990 ( PP 115-127 ) .
Bailbé,
Joseph-Marc"les métamorphoses du portrait féminin chez Barbey d'Aurevilly"
dans l'Ecole des lettres XXVIII, 8, Paris 15 Janv 1987 ( PP 31-35).
* Bailbé,
Joseph -Marc:
"Barbey d'Aurevilly, écrivain normand."
dans Etudes normandes n01, 1989 ( PP 5-66 ).
Bailbé,
Joseph- Marc
"la ville: transpositions aurevilliennes"
dans Etudes normandes n01, 1989 ( PP 15-19)
* Bailbé,
Joseph -Marc :"Vellini / Carmen ou la tentation lyrique de Barbey d'Aurevilly"
dans Barbey d'Aurevilly cent ans après.
Genève, Droz, 1990 ( PP153- 163 ).
Baladier, louis:
"Deux maîtres méconnus des petits genres.
Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam"
dans l'Ecole des lettres n011 .Pans 15 mars 1982, ( PP 15-32 ) .
.-..•.~--._---_ .. -_.-•._ - - - -

326
" Bannour,
Wanda:
"Calixte Sombreval, hommage posthume à Eugénie
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dans R.L.M. Série Barbey d'Aurevilly n° 12 Paris, 1975 ( PP41-52).
" Bannour,
Wanda:
" Ue histoire sans nom"
dans Annales de Normandie (Caen) XXXIV, 1984 ( PP 221- 228 ).
Bannour,
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"Barbey d'Aurevilly, la magie des mots"
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" Bazaud, M;
Hirschi, A; Malicet,M
(et le fonds André
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dans R.L.M ,Série Barbey d'Aurevilly n012 ,1975, (PP 117-154 ).
"Bazaud, M :
"Index des destinataires"
dans R.L.M, Série Barbey d'Aurevilly n014 1990, (PP69-80).
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"Le racontage ou le récit de rien"
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"Bellemin-Noël,
Jean:
"Echôlâtrie des" Diaboliques" "
dans Barbey d'Aurevilly cent ans aprèsjGenève, Droz, 1990 ( PP 327-335 ).
" Bellos, David:
"Barbey d'Aurevilly et Pouchkine à propos du " Dessous
de cartes d'une partie de Whist" "
dans RLM Série Barbey d'Aurevilly n011 1981 (PP153-155).
-~._----
..
_.. _-
- - - - - - - - - - _ . -....-_.._.~--_._-_.-.._...

327
Bernard;
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Berthier,
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"Le manuscrit des" Diaboliques" "
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"Oser, oser ou la vengeance d'un homme"
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"L'histoire comme vertige ou Jules le sage et Jules la folle"
dans RLM Série Barbey d'Aurevilly n° 13, 1987, ( PP 83-95 ).
--- -_._._. -------------------
-------~._._------

329
Berthier,
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dans Information littéraire XL,Paris 1988, (PP19-22).
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"Léon Bloy et B.d'Aurevilly "dans Léon Bloy,
Paris,Cahiers de l'Herne, 1988,492 p. ( PP 351-354 ).
* Berthier,
Philippe:
" Les Diaboliques à table"
dans" l'Ensorcelée" "Les Diaboliques", la chose sans nom.
Paris, Sedes 1988 ( PP 127-137).
Berthier,
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"Barbey d'Aurevilly lecteur de la Révolution"
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"L'esprit de la lettre"
dans RLM, Série Barbey d'Aurevilly n° 14 1990 ( PP25-42 ).
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dans Ecole des Lettres LXXVIII, 8, Paris 15 Janv. 1987, ( PP 31-35).
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"La flore dans l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly"
dans Etudes normandes n01, 1989, ( PP 45-48 ).
*Boutout,
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film de Jean Prat"
dans Revue du Département de la Manche, XXIII (janv.(Avril 1981 )
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---

330
" Boutout,
Jean-François: " " Une histoire sans nom" et "la marquise d'O' " de Kleist"
dans Annales de Normandie n034,Caen, 1984, pp 241-276.
" Brossart ,
Raphaël:
" L'Ecrit de Vampire"
dans Annales de Normandie -Caen, 1984 ( PP277-289 ).
" Brossart,
Raphaël :
" Mal de noms, mal du pays dans" Un Prêtre marié" "
dans RLM Série Barbey d'Aurevilly n° 12,1985 (PP 67-103).
Cardonne-
Arlyck, Elisabeth:
"Nom, corps, métaphore dans" Les Diaboliques" de
Barbey d'Aurevilly" dans Littérature 54 ( Mai 1984 ) ( PP 3-19 ) .
Chastagnaret,
Yves:
"D'un XVIIIe siècle à l'autre George Sand et Barbey d'Aurevilly à la
recherche du temps perdu"
dans Présence de George Sand 23,Juin 1985 (PP 29-35)
" Chastain,
André:
"Autour du héros reél de" l'Ensorcelée" "
dans Revue du département de la Manche XXIII, (Janv. Avril 1981 )
( PP 55-81 ).
Cintract,
Catherine : "Approche politico-historique de "L'Ensorcelée" "
dans Revue du département de la Manche XXIII, (PP19-27).
Coblence,
Françoise:" Barbey d'Aurevilly, Baudelaire .Types romantiques et héros
modernes "dans le dandysme, obligation d'incertitude
Paris, PUF 1988, 303P ( PP 169-292) .

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dans Dictionnaire des littératures de langue Francaise
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"Barbey d'Aurevilly et l'oxymore ou la rhétorique du Diable"
dans" Les Diaboligues,L'Ensorcelée, La chose sans nom,"
Paris,Sedes 1988 ( PP83-98 ).
"Crouzet,
Michel:
" " Les Diaboliques" de Barbey d'Aurevilly"
texte présenté et commenté par M. Crouzet
Paris ,Imprimerie nationale, 1989,413 P (PP7- 39).
"Crouzet,
Michel:
"Barbey d'Aurevilly et "l'esprit" dans" Les Diaboliques" "
dans Barbey d'Aurevilly cent ans après ,Genève, Droz, 1990
(PP 231-254 ).
*Debray-
Genette, Raymonde: "Un récit autologique " Le Bonheur dans le crime" "
dans Hommages à J. Petit, Besançon ( PP 283-297 ).
Decottignies,
Jean:
"Le roman impossible. Barbey d'Aurevilly à Paris"
dans Roman et société. Actes du Colloque international de Valenciennes,
Mai,1983, 250 P ( PP 69-78 ).
Detalle,
Anny:
"Barbey d'Aurevilly disciple de Laclos dans" Une Vieille maîtresse"?"
dans le Génie de la forme .Mélanges de lanque et littérature offerts à
Jean Mourot, Nancy, P.U de Nancy, 1982, XV, 651 P.( PP461-466).
_.
-~.
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...CW:#E&WJ2.)a&-.~PJA5L-~.--.- es!.~ ,__ç;:A:;S_~ __ ..·,1,·~-,,"

332
*Detalle,
Anny:
"La problématique du défroqué"
dans RLM Série Barbey d'Aurevilly n° 12,1985, (PP 105-109).
Dodille
Norbert :
"L'amateur de noms. Essai sur l'onomastique
aurevillienne dans la chose capitales Essai sur les noms de
Barbey, Barthes, Bloy, Borel} Huysf!1ans, Maupassant, Paulhan
Univ de Lille, 1981, 249 P (PP37-69 ).
Dodille
. Norbert:
"Biographies et autobiographies mêlées sur Barbey d'Aurevilly"
dans Poétique XVI,1985, (PP325-440)
Dodille,
Norbert:
"Ecriture romanesque et histoire orale. L'exemple du " Chevalier
Des Touches" de Barbey d'Aurevilly"
dans Vendée, Chouannerie, Littérature, Actes du Colloque d'Anqers ,
Déc. 1985 ( PP 133-147) .
Dodille,
Norbert:
"Les femmes de l'écrivain"
dans Romantisme XVI,52, 1986,( PP 45/46.étude de la
biographie de Barbey d'Aurevilly par Jean Canu ).
Dodille,
Norbert:
"Correspondance et autobiographie: les Lettres de Barbey
d'Aurevilly à Trebutien."
Revue Romantisme XVIII, 56,2e trimestre, 1987, (PP 37-45 )
*Dodille,
Norbert :
"L'air ambiant. Poétique de l'épique dans" L'amour impossible"
dans RLM Série Barbey d'Aurevilly n° 13 1987, ( PP 137-172).
....
----~-~--.~..,---~.. -
--.--------------
'

333
Dodille,
Norbert:
"Les morts de Barbey d'Aurevilly" dans la mort dans le
texte, colloque de Cerisy. P.U de Lyon, 1988,266, P ( pp 113-125).
" Dodille,
Norbert:
"La question biographiqque "dans" Les Diaboliques" "
in " L'Ensorcelée. Les Diaboliques" La chose sans nom.
Paris, Sedes, 1988, ( PP71-81 ) .
" Dodille,
Norbert:
"La correspondance générale"
dans RLM Série Barbey d'Aurevilly n° 14 (PP 163-168).
.. Dodille,
Norbert:
"Nécrologiques"
dans Barbey d'Aurevilly cent ans après .Genève, Draz ( PP13-22 ).
.. Dubois,
Françoise:
"Visages de la Croix-Jugan"
dans Revue dépt de la Manche XXIII, (Janv. Avril 1981 ) ( PP 37-43).
Dupont,
Jacques:
"Autour des" Fleurs du mal" et de " L'Ensorcelée" "
dans Bulletin baudelairien XXIV, 1989, ( PP75-78 ) .
.. Dupont,
Joël
"Le musée Barbey d'Aurevilly à Saint-Sauveur-le-Vicomte"
dans Barbey d'Aurevilly écrivain normand in Etudes normandes n01
1989 ( PP59/60 ).
" Fonyi,
Antonia:
"Figures de la mère absente"
dans Barbey d'Aurevilly cent ans après,Genève, Draz 1990, (PP137-149).
-_
b.
..
as
..--Aita::;c;z:&SS:' Lll&
..
,

334
" Foucart,
Claude: "Barbey d'Aurevilly et le Moyen-Age ou les traces de la mélancolie"
dans Barbey d'Aurevilly cent ans après, Genève, Droz, 1990 ( pp 77-87 ).
Giard,
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"Le récit lacunaire dans" Les Diaboliques" "
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Barbey d'Aurevilly"
dans Ecole des Lettres. 8,15 Janv. 1988, ( PP 9-17 ).
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dans Barbey d'Aurevilly cent ans après, Genève.Droz, 1990,
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dans Barbey d'Aurevilly cent ans après
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Paris, Sedes, 1988, ( PP 15-24 ) .
* Zielonka,
Anthony:
"La physionomie, révélatrice de l'âme? Commentaire d'une
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dans" L'Ensorcelée" "Les Diaboliques" La chose sans nom
Paris, Sedes, 1988, ( PP 37-41 ).

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Linguistique et discours littéraire: théorie et pratique
des textes
Paris, Larousse, 1975, 352 P.
Adam,
Jean-.Michel et
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textuelle.
Paris,Nathan, 1989, 239 P.
* Adam,
Jean- Michel et
Petit-Jean André:
Le texte narratif: traité d'analyse textuelle des récits
Paris, Nathan, 1985, 240 P.
* Barthes,
Roland:
Système de la mode
Paris, Seuil, 1967, 326 P.
* Barthes,
Roland
S/Z
Paris, Seuil, 1976, 278 P.
* Barthes,
Roland
L'aventure sémiologique
Paris, Seuil, 1985, 358 P.

347
* Bertrand,
Denis:
Narrativité et discursivité points de repère et
problématique,
Paris, Bele, 1984, 38 P.
*Bertrand,
0. et Ali
Bouacha,(A):
Lectures de récits pour une approche sémio-
linguistique du texte littéraire·Parcours méthologique de
lecture et d'analyse.
Paris,Belc, 1981, 184 P.
Bourneuf, Roland et
Ouellet ,Réné:L'univers du roman
Paris, PUF, Littératures modernes ;1985, 250 P.
Centre de reherche en communication et de didactique: Le personnage
dans les récits
Clermont Ferrand, C.R.D.P, 1988,174 P .
Collectif:
Poétique du récit
Paris, Seuil, 1976/180 P.
Collectif:
Littérature et réalité
Paris, Seuil,1982,181 P.
Collectif:
Le personnage en question
Toulouse, Université deToulouse, le Mirail, 4e colloque du
S.E.L tenu en Dec.1983, 1984,411 P.
Eco,
Umberto
La structure absente: introduction à la recherche sémiotique
Paris, Mercure de France, 1972, revue en 1988, 448 P,
1
~----_.. --_.
-----~~.

348
Eco,
Umberto
Lector in fabula: le rôle du lecteur ou la coopération
interprétative dans les textes narratifs
Paris, Grasset, 1985, 299 P.
Gadet,
Françoise
Saussure, une science de la langue
Paris, PUF 1987,128 P.
Genette,
Gérard:
Figures 1
Pé. .s, ed. du Seuil, 1966, 265 P.
Genette,
Gérard:
Figures 2
Paris, ed, du seuil, 1969, 293 P
Genette,
Gérard:
Figure 3
Paris,ed. du seuil, 1972, 288 P.
Genette,
Gérard:
Nouveau discours du récit
Paris Seuil, 1983, 118 P.
Greimas,
A .Julien:
Du sens: essais sémiotiques du texte:
Paris, Seuil, 1970, 318 p.
Greimas,
A .Julien:
Maupassant, la sémiotique du texte :exercice pratiques.
Paris, Seuil, 1975, 276 P.
Greimas,
A .Julien:
Du sens
Paris, Seuil, 1983 , 245 P.

349
Grivel
Charles:
Production de l'intérêt romanesque un état du texte (1870-
1880 ) un essai de constitution de sa théorie.
Paris, la Haye, Mouton, 1973, 428 P
Groupe
d'Entrevernes:
Analyse sémiotique des textes: introduction, théorie,
pratique.
Lyon. RU de Lyon) 1979, 207 P.
Gruaz,
Claude:
Du signe au sens. Pour une grammaire homologique des
composants du mot.
Rouen, Publications de l'Université n0158, 1990, 195 P.
Goldenstein,
Jean-Pierre:
Pour lire le roman: initiation à une lecture
méthodologique de la fiction narrative
Paris,Duculot, 1980, 127 P.
Goldenstein,
Jean -Pierre:
Entrées en littérature
Paris, Hachette FLE, 1990, 126 P
Halté,
Jean François et
Petit Jean,
André:
Pratiques du récit
Paris, Cedic, 207 P.
Hamon ,
Philippe:
Introduction à l'analyse du descriptif
Paris, Hachette, 1981,268P.
1
1
....

350
Hamon,
Philippe:
Le personnel du roman .Le système des personnages
dans Les Rougon Macquart d'El Zola
Genève, Droz,1983,325 P.
Hamon,
Philippe:
Textes et idéologie:valeurs, hiérarchies et évolutions dans
l'oeuvre littéraire
ParisjPUF, 1984, 227, P
Hamon,
Philippe:
La description littéraire:anthologie textes théoriques et
critiques
Paris, Macula ,1991, 288 P.
Hénault,
Anne:
Les enjeux de la sémiotique :introduction à la sémiotique
générale
. Paris, PUF, ed. revue en 1983,191P.
Hénault,
Anne:
Narratologie, sémiotique générale
Paris, PUF, 1983, 223 P.
Issacharoff,
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Le spectacle du discours
Paris, J.Corti, 1985,175 P.
Mainguenau,
Dominique: Initiation aux méthodes de l'analyse du discours.
Paris, Classique Hachette, 1976, 190 P.
Mainguenau,
Dominique
Approche de l'énonciation en linguistique trancaise
Paris, Hachette Université, 1981, 128 P.
1
"-- --.,---:.&'<,-,;',,, ;ç ;.~70\\~..S::;.-.o".$.,,~,,~,,:,-{ftti,-·d,·'?'!.~-~~·~·C .......,~~?=%Wt~t*,fdE%,>;ïi.f~t::~t~~.~.}1~~J.1f-~~~~~~*#!'#5'"O::*k':;$:0~.~!).';h:_':-...,.i*!@.fu~j!.h;::-:;;·%~:: '~&:Z'r::~'~

351
Mainguenau,
Dominique
Nouvelles tendances en analyse du discours
Paris, Hachette Université, 1987, 144 P.
Mitterand,
Henri:
Le discours du roman
Paris, PUF, 1980,266, P.
Reuter,
Yves:
Introduction à l'analyse du roman
Paris, Bordas, 1991, 265 P.
Tadié,
Jean -Yves:
Le récit poétique
Paris, PUF, 1978, 206 P
Tadié,
Jean -Yves:
La critique littéraire au XXe siècle
Paris, P.Belfond, 1987,317 P.
Tesnière,
Lucien:
Eléments de syntaxe structurale
Paris, Klincksieck, 1976, 674 P .
Vigner,
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Lire: du texte au sens
Paris, Cie International, 1986, 173p .
(;)

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Duchet,
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Duchet,
Claude
"Eléments de titrologie romanesque"
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Fontanille,
Jacques
"Le désespoir ou les malheurs du coeur et le salut de l'esprit"
Besançon, Groupe de recherche sémio-linsguistiques, 1980
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Fontanille,
Jacques:
"Pour une topique narrative anthropomorphe"
Besançon,Groupe de recherches sémio-linguistiques,
Documents VI, n057 1984 PP1-30.
Geninasca,
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"Le regard esthétique"
Besançon, Groupe de recherche Sémio-linguistiques
Documents VI, n01984, PP 1-27.
i
..1

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Genouvrier .Emile et
Peytard, Jean
"Linguistique et enseignement du français"
Paris,Larousse, 1970, PP 206 à 211.
Hamon,
Philippe:
" Qu'est -ce qu'une description"?
in Poétique n° 12, Paris,Seuil 1972, PP 465-485.
Hamon,
Philippe:
"Un discours contraint "in Littérature et réalité
Paris ,Seuil, 1982, PP 119 /181
Greimas,
A.Julien :
"Description et narrativité dans la ficelle de G. de Maupassant"
Paris, groupe de recherches sémio-linguistiques, 1980
document de recherche n013, PP 4 à 30 .
Issacharoff,
,1
tI
Michaël:
"L'espace et le regard dans Huis Clos"
in Revue Magazine littéraire n° 103/104 ( Sept- 1975 )
PP 22-27 .
Maurand,
Georges:
"Le corbeau et le renard: approche narrativo-discursive "
Besançon, Groupe de recherche sérnio-linguistiques,1980
documents de recherche n017, PP 1 à 31.
Ricardou,
Jean:
" " Belligérance du texte ",colloque de Cerisy"
in la production du sens chez Flaubert .
Paris, UGE, 10/18, n0995, 1975, PP 85-124 .
Ricardou,
Jean:
"Nouveaux problèmes du roman"
Paris, Seuil, 1978, PP 24-88.
__
......
-----~_.
._~-----

354
IV)
SUR L'ESPACE.
.A) OUVRAGES
Bachelard,
Gaston:
La poétique de l'espace
Paris, PUF, revue en 1981, 214P.
Bertrand,
Denis:
Du figuratif à l'abstrait: Les configprations de la spatialité
dans Germinal
Paris, Hadès- Benjamins, 1982, 37 P.
Bertrand,
Denis:
L'espace et le sens: Germinal d'E. Zola
Paris, Hadès Benjamins, 1985, 213 P.
Blanchot,
Maurice:
L'espace littéraire
Paris, Gallimard, revue en 1989, 381 P.
Bonn,
A. Marie:
La rêverie terrienne et l'espace de la modernité dans
quelques romans
Paris, Klincksieck, 1976, 200 P.
Boudon
Pierre:
Introduction à une sémiotique des lieux
Paris,Klincksieck, 1981, 289 P.
Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'expression:
Espaces en représentation
Saint Etienne, CIEREC, 1982, 187 P.
Chemain
Roger:
La ville dans le roman africain
Paris, l'Harmattan et ACCT, 1981, 208 P.

355
Collectif :( Calmès R.I Delamane A Durant Dastès F. Gras J )
L'espace rural français
Masson ,collection géographie, 1978, 171 P.
Collectif: (J )Alegria; (H). Barreau; (S). Barrock;(P). Bouchareine
L'espace et le temps aujourd'hui
Paris, Seuil, 1983,303 P.
Clavai,
Paul:
Espace et pouvoir
Paris, PUF, 1978, 257 P.
Dangelzer,
Joan- Yvonne:
La description de milieu dans le roman français de Balzac
àZola .
Paris, les Presses modernes, 1939,274 P.
Duvignaud,
Jean:
Lieux et non lieux.
Paris, Galilée, 1977, 153 P.
Fischer,
Gustave-Nicolas:
La psychologie de l'espace
Paris, PUF, 1981,128 P.
Francastel,
Joseph:
La figure et le lieu
Paris, Denoël Gauthier, 1980, 286 P .
Garelli ,
Jacques:
Le temps des signes
Paris, Klincksieck, 1983, 207 P.
Hel bo,
André (Collectif):
Sémiologie de la représentation
Bruxelles, ed.complexes,1975, 195 P.
--

356
Hall ,
Edward T:
La dimension cachée
Paris, Seuil, 1971, 254 P.
Hernandez,
Danielle:
La ville n'est pas un lieu
Paris, UGE ,10/18,1977,446 P
Imbert,
Patrick:
Sémiotique et description Balzacienne
Ottawa, ed. de l'Université d'Ottawa, 1978, 203 P.
- Issacharoff,
Michael:
L'espace et la nouvelle: Flaubert, Huysmans, Ionesco, Sartre,
Camus
Paris, José Corti , 1976, 120 P.
Mozet,
Nicole:
La ville de province dans l'oeuvre de Balzac
Paris, Sedes, 1982, 334 P.
Matoré,
Georges:
L'espace humain, l'expression de l'espace dans la vie, la
pen sée et l'art contern porains
Paris.ed. revue AG Nizet, 1976,299 P.
Pietra,
Régine:
Directions spatiales et parcours verbal
Paris, Minard, 1981, 504 P.
Poulet,
Georges:
L'espace proustien
Paris, Gallimard, ed. revue en 1982, 210 P.

357
Rencontre québécoise internationale des écrivains:
L'écrivain et l'espace
Montréal, l'Hexagone, 1985,185 P.
Vandeloise
Claude:
L'espace en francais:sémantique des prépositions spatiales
Paris, Seuil, 1986, 244 P.
Virilio,
Paul:
L'espace critique
Paris, Christian Bourgeois, 1984, 189 P.
Weisgerber,
Jean:
L'espace romanesque
Lausanne, l'âge d'homme, 1978, 265 P.
Yücel,
Thasin:
B)
Bertrand,
Denis:
"La figuration spatiale dans un incipit de Zola :un problème
de référentialisation "
in Fabula, PU de litt, Oct. 1983 (
PP 95-106).
Baudon,
Pierre:
"Un modèle de la cité grecque"
in Communications n027,
Paris ,Seuil, 1977, ( PP 122-167).
Bourneuf,
Roland:
" L'organisation de l'espace dans le roman"
in Etudes littéraires Quebec, les Presses de l'Université Laval,
Avril 1970, (PP 77-94 ).

358
Butor,
Michel:
"L'espace du roman "in Essai sur le roman
Paris, Gallimard, coll" idées ",1969 (PP 48-58).
Frank,
Joseph:
"La forme spatiale dans la littérature moderne"
in Revue Poétique n01 A, 1972, ( PP 244-266 ).
Genette,
Gérard:
"La littératue et l'espace "in Figures Il
Paris, Seuil, ( PP 43-48 ).
Goldenstein,
Jean -Pierre: "L'espace romanesque "in Pour lire le roman
Paris, Duculot, (PP 88-10 1 ) .
1ssacharoff,
Michael:
" Qu'est-ce que l'espace littéraire 7"
in l'Information littéraire, Mai/Juin, 1978, ( PP 117-122).
Neefs,
Jacques:
"Description de l'espace de la socialité"
in Histoire et langage dans" L'Education Sentimentale"
Paris, Sedes, 1981,142 P ( PP 111-122) .
Tadié
Jean Yves:
"Espace"
in Le récit poétique
Paris, Puf,1978( PP 47-82 ).

359
V)
SUR LE FANTASTIQUE.
A) OUVRAGES
* Baronian,
Jean -Baptiste:
Panorama de la littérature fantastique de langue
francaise.
Paris, Stock, 1978, 334 P.
Bessière,
Irène:
Le récit fantastique: La poétique de l'incertain
Paris, Larousse, 1974, 222 P.
* Castex,
Pierre- Georges:
Le conte fantastique en France: de Nodier à Maupassant
Paris, José Corti, ed Revue en 1987, 468 P.
Oecottignies,
Jean:
Reflexions sur un genre appelé" fantastique" dans le réel et le
texte
Paris, A Colin, 1974, 245 P .
Ehrsam,
Jean -Véronique:
La Littérature fantastique en France
Paris ,Hatier, 1985, 79 P.
* Mabille,
Pierre:
Le miroir du merveilleux
Paris, ed. de minuit, 1977,327 P.
* Pierrot,
Jean:
L'imaginaire décadent de 1880 à 1900
Paris, PUF, 1977, 340 P .

360
.. Todorov,
Tzvetan:
Introduction à la littérature fantastique
Paris, ed. du Seuil, 1970 ed. Revue en 1976 ,188 P.
.. Vadé,
Yves:
L'enchantement littéraire:écriture et maqie de
Chateaubriand à Rimbaud
Paris, Gallimard, 1990, 489 P.
.. Vax,
Louis:
La séduction de l'étrange: étude sur la littérature
fantastique.
Quadrige, PUF, 2è ed.1987, 313 P.
Centre Culturel
1nternational:
La littérature fantastique, Colloque de Cerisy.
Paris A.Michel, 1991,247 P.
Steinmetz,
Jean Luc:
La littérature fantastique
Paris, PUF, 1990, 126 P.
B)
ARTICLES
Bannour,
Wanda:
"Le fantastique chez Gogol"
in la littérature fantastique Paris, A. Michel, 1991, ( PP 102-111).
1
Emont,
Nelly:
"Thèmes du fantastique et de l'occultisme en France à la fin du
XIXè" in la littérature fantastique
Paris, A.Michel, 1991, ( PP 137-156) .
Grivel,
Charles:
"Horreur et terreur: philosophie du fantastique"
in la littérature fantastique
Paris, A Michel 1991 ( PP 170/187 ).

361
INDEX DES AUTEURS
Adam, Jean- Michel:
101,209.
Bailbé , Joseph- Marc:
287.
Bal, Mieke:
54,55.
Balzac, Honoré de:
275.
Baronian, Jean-Baptiste:
282, 283, 310.
Barthes, Roland:
13,225, 241.
Benveniste, Emile:
26.
Berthier, Philippe:
65, 105, 123,228,249,276,313,314,318.
Bertrand, Denis:
16, 54,238, 241, 242.
Bésus, Roger:
228.
Bornecque, Jacques-Henri:
106,117.
Bouacha, Ali:
238, 241, 242.
Butor, Michel:
113.
Canu,Jean:
. 293.
Castex, Pierre-Georges:
282,310.
Cintract, Cathérine:
194.
Colla, Pierre:
275.
Crouzet, Michel:
133,134.
De Chalonge, Françoise:
24,29.
Dumortier, J.L:
230.
Emont,Nelly:
303, 308, 309.
Galland:
22.
Gardies, André:
16,106,136,137,140,217.
Genette, Gérard :
15,21,25,35,54,142,224,229.

362
Goldenstein, Jean-Pierre:
20.
Greimas, A. Julien:
15, 21, 208, 209.
Grivel,Charles:
297,306.
Grojnowski, Daniel:
10.
Groupe d'Entrevernes:
217.
Hamon, Philippe:
109,137,138,144,157,158,204,205,224,
233, 235, 236, 239.
Hofer, Hermann:
275.
lonescu Muresanu, Marina:
24,36.
Issacharoff, Michaël:
15, 16, 21.
Jallat, Jeannine:
9,133.
Leberruyer, Pierre:
121.
Lecaplain, François:
117.
Lintvelt, Jaap :
22, 24,35, 54, 141,142.
Mabille, Pierre:
129,284.
Malandain, Pierre:
314.
Marini, Marcelle:
50,228.
Maurand, Gilbert :
144.
Meyerson, Ignace:
140.
Miguet-Ollagnier, Marie:
116,120.
Mitterand, Henri:
12,208.
Petit, Jacques:
61,99, 275, 309.
Petitjean, André:
101.
Plazanet, F:
230.
Prat, Marie-Hélène:
61.
Propp, Vladimir:
20,208.

363
Ricardou, Jean:
224,229, 232.
Sartre, Jean-Paul :
118.
Seillan, Jean-Marie:
235.
Serres, Michel:
79.
Soutet-Quillard, Josette:
213,287.
Tesnières, Lucien:
209.
Todorov, Tzvetan :
20,239,240,283,294,310.
Ubersfeld, Anne:
55,56.
Vax, Louis:
282.
Warren, Austin:
144.
Weisgerber, Jean :
12.
Welleck, Réné :
144.

364
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
8
PREMIERE PARTIE
18
LE SYSTEME SPATIAL AUREVILLIEN
18
A) LES INSTANCES DE LA SPATIALISATION
24
1 - Un narrateur - focalisateur extradiégétique
30
Il - Un narrateur extradiégétique et un focalisateur personnage
31
111- Un narrateur - focalisateur personnage
32
B) L'ESPACE DU RECIT- 1
,
34
1- Les marques des instances de la spatialisation
34
Il - Programme et contrat
36
111- Les lieux du récit-1
41
1. Les lieux représentés
41
a) Les lieux vécus: les villes
41
b) Les lieux évoqués: Les villes
46
c) La lande
46
2 - Les lieux spécifiques
48
a) La traversée de la Lande de Lessay
48
b) Les salons
50
C) L'ESPACE DU RECIT-2
54
1 - Les instances de la spatialisation
54
»:
Q
Il -Les zones rural~s et urbaines
62
. III - Les zones urbaines
63
(
1 - L'Ailleurs-Europe
63
a) Les lieux vécus
63
b) Les lieux évoqués ou rêvés
63
2 - L'Espace-France
66
3 - Paris
66
a) Le milieu extérieur
66
b) Le milieu intérieur
72
* La maison
72
* La chambre
73
c) Le milieu mondain
76

365
4 - La Normandie
78
a) Avranches
79
* La foire
79
* La prison
81
b) Coutances
82
* L'évêché
82
* La prison: 2° lieu d'emprisonnement de
Des Touches.......................................................... 85
c) Saint-Sauveur-le-Vicomte
88
* Le vieux presbytère.............................................. 88
* Le château du Quesnay
90
* Le perron du château
93
* Les différents appartements
94
* Le Laboratoire
95
d) Valognes
:
97
* Le Château des Touffedelys
100
* Le Château de Savigny
101
* La salle d'armes
102
IV- Les zones rurales
104
1) Les lieux à référent géographique réel
107
* L'abbaye de Blanchelande
107
* Le vieux presbytère
109
2) Les noms de lieux à référent fictif
110
* La demeure de Clotilde Mauduit
110
* La demeure du prêtre défiguré
111
* Le Clos
114
3) Noms de lieux à reférent réel et noms de lieux à
reférent fictif
116
a ) les Landes
116
b )Les eaux
121
* La mer ou l'eau en mouvement..
121
* Les eaux mortes: lavoir, étang, marais
125

366
DEUXIEME PARTIE
139
ESPACE ET DESCRIPTION :
139
POUR UNE SEMANTIQUE DE L'ESPACE
139
Semantique de l'espace
140
- Les instances fictives du monde romanesque
141
1 - Les différents narrateurs ou les types de narrateurs
aurevilliens
141
2 - Les personnages ou les types de personnages
144
1) Un Prêtre Marié
159
a) Les personnages référentiels
159
/
* L'ancrage social
159
* L'ancrage allégorique:
160
* L'ancrage mythologique
161
b) Les personnages - embrayeurs
:.162
c) - Les personnages-anaphores
164
2) L'Ensorcelée
165.
a) Les personnages référentiels
,... 165
* L'ancrage social:
165
* L'ancrage allégorique
165
* L'ancrage mythologique
166
b) Les personnages-embrayeurs
167
c) Les personnages anaphores
168
3) Une Vieille maitresse
:
170
a) Les personnages référentiels
-
170
* L'ancrage social
170
* Au niveau de l'ancrage allégorique
170
* L'ancrage mythologique
171
b) les personnages-ernbrayeurs
173
c) Les personnages-anaphores
174
4) Le Chevalier Des Touch~.~
175
a) Personnages référentiels
175
* L'ancrage social : aux nobles/chouans et
aux bleus
175
1
1
1
* l'ancrage allégorique
175
1
1
* L'ancrage historique
175
!
i
b) Les personnages-embrayeurs
176
\\
1
1

367
c) Les personnages anaphores
178
3 - Les rapports entre les personnages
181
a) Les rapports entre les sociaux
183
b) - Les rapports entre les asociaux
186
4 - Le fonctionnement des personnages
188
a) La qualification des personnages
188
b) Héros et comparses
192
c) Schémas des déplacements des personnages
195
* Dans Une Vieille maîtresse................................ 196
* Dans L'Ensorcelée
198
* Dans Un Prêtre marié
200
* Dans le Chevalier Des Touches
202
d) Quelques commentaires sur les schémas des
déplacements des personnages
·203
Il - Le travail de l'espace :Ie fonctionnement de l'espace
208
"1 -Espace et description.
224
1- Le référent.
225
2- Les fonctions des lieux décrits
·.. 227
3- L'insertion du lieu décrit dans le récit..
·
229
4- Le fonctionnement interne de la description du lieu
233
a) Les contraintes lexicales
233
b) Les contraintes sémantiques
235

368
TROl51EME PARTIE
L'ESPACE ET LE SENS
. 237
ou
237
La Symbolique de l'espace
237
Il,,
chez Barbey d'Aurevilly
237
1/ Préliminaires
238
11./ Les niveaux de sens: analyse des fonctions cardinales
243
1) Valeurs réalistes: signification dramatique et option
idéologique des lieux
243
a) Partition spatiale et temporelle
:
261
b) Partition selon la société
265
c) Analyse des contenus: bilan
: 267
* Les bergers
:
277
* la Croix-Jugan. ,
278
* Maîtresse le Hardouey
279
2.) L'axe du fantastique: le lieu fantastique ou surnaturel
282
a) "Le fantastique de la réalité" dans
"L'Ensorcelée"
287
~"
b) Le fantastique de la réalité dans "Un Prêtre
tl"
,~.
Marié"
294
1
,~..
c) Le fantastique de la réalité dans" Une histoire
sans nom"
310
CONCLUSION
315
BIBLIOGRAPHIE
319
INDEX DES CRITIQUES
361
i
1
TABLE DES MATIERES
364
i
1
"_ .._---,--