ITNIVERSITE PAUL VALERY
MONTPELLIER III
Arts et Lettres, Langues et Sciences lIumaines.
Spécialité: Etudes Anglaises
Des Ecrivains britanniques parlent de l'Afrique:
Situations, systèmes de représentations
occidentaux, rencontres culturelles et narration
chez Karen Blixen, Joyce Cary, Joseph Conrad,
Elspeth Huxley, et Evelyn Waugh.
Thèse
pour
le
Doctorat
Unique.
Roger Issa COULIBALy
(ë'"=.,.,.,......,."....,.,,~=!~=~=!!!!!!!!!!..,......,..=""""'""il
l, .. r.1~ .*,
d
CONS!.l AFIUCAGN E'iI' MALGACHE:
1
POUR l'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR 1
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Professeur, Université Paul Valery.
JURY.
Président: Docteur d' Eta t Etienne GALLE, Professeur, Uni versi té
de RENNES II.
Membres:
Docteur d'Etat Christiane FIOUPOU, Maître de Conférences,
Uni versi té de TOULOUSE - LE MIRAIL.
Docteur d' Eta t Etienne GALLE, Professeur, Uni versi té de
RENNES II.
Docteur d'Etat Jean SE~Y, Professeur, Université Paul
Valery, MONTPELLIER III
AVRIL 1993.

SOMMAIRE
AVANT PROPOS
INTRODUCTION
1
Notes bibliographiques
28
l - L' héroïsme impossible
33
1 - La stérilité des efforts et la quête insatisfaite
37
2 - La Boîte du Pandore
41
3 - La Vampire ou Mamy Watta
49
Notes bibliographiques: page 33 à 118.
119
II - L'Afrique fantôme
121
1 - L'Indistinction et l'ambiguïté
122
2 - L'Etat second et l'ambiguïté de Blixen
123
3 - L'Ambiguïté: l'exemple de An Outpost of Progress
125
4 - Servitude ou Solidarité
139
5 - L'Appel du sacré= ambiguïté
152
6 - L'Afrique, illusion ou labyrinthe?
162
7 - Allégorie du coq et du caméléon= situation coloniale
173
8 - Notions de travail et de fainéantise
177
Notes bibliographiques: page 121 à 183.
184.
III - L'Afrique sorcière
186

1 - Le Héros déchiré
188
2 - A propos des causes de la mort de Johnson
191
3 - La Mise en scène de la mort de Johnson
196
Notes bibliographiques: page 186 à 202.
203
IV - L'Afrique initiatrice
204
1 - L'Afrique, thème de l'exotisme
206
2 - L'Humour de Waugh
213
3 - La Narration dans Remote People
222
4 - Une Arne assoiffée d'un Dieu vivant
240
5 - Un Roman initiatique?
255
Notes bibliographiques: page 204 à 264.
265
V - L'Amour impossible
272
r - Les situations de Crises
291
II - Les Fuites: The Flame Trees of Thika
296
1 - L'Incommunicabilité des Etres
302
2 - Les Personnages traqués
305
3 - La Superstition
314
4 - Une Oeuvre mythique
319
5 - Pourquoi partir?
325
Notes bibliographiques: page 272 à 343.
344
VI - La Situation de départ et les perturbations
347

r - Le langage
348
1 - Le discours de la culture
355
2 - La nécéssité d'un héros dans la signification
365
3 - La force du voyeur
385
4 - La puissance des mots
398
4 - 1 - Le Narrateur
4 - 2 - La représentation= langage de crise
4 - 3 - La traduction
II - Les relations à la frontière Africaine
459
1 - Les lieux sans issues
464
2 - Le mythe et l'Afrique
490
3 - La redistribution du pouvoir
534
3 - 1 - District Commisioner= Ordre
3 - 2 - Askari
3 - 3 - L'Indigène sans parole= sans pouvoir
3 - 4 - Le Chel local
3 - 5 - L'Interprète et sa langue
3 - 6 - L'indigène et le sauvage
3 - 7 - Le Mauvais garçon
3 - 8 - Autres inversions
Notes Bibliographiques: page 347 à 605.
606
UNE CONCLUSION?
620
Notes bibliographiques: page 620 à 650.
651
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
655

AVANT
PROPOS
Les manières d'aborder
la période coloniale ont
changé avec
les
générations.
Les
mouvements
de
libération
nationale,
en
particulier celui de la Négritude, à l'entre-deux-guerres et juste
après,
nous
ont
légué
des
histoires
idylliques,
d'exaltation
forcenée de l'Afrique.
Les
cri tiques des
années
d'indépendances,
nous
ont gratifié
d'oeuvres qui rendiquaient un retour à l'authenticité. Un peu plus
tard,
ils
se
sont
acheminés
vers
un
constat
beaucoup
plus
réaliste,
sans
complaisance
des
sociétés
et
des
politiques
africaines,
souvent
dans
la
recherche
de
conditions
justes
de
communion entre les peuples,
souvent dans l'intention de redonner
confiance et éveiller les consciences des masses populaires.
Notre génération elle,
veut croire au dialogue des peuples,
à
la
technologie de pointe et à un monde radieux.
c'est pourquoi,
dans
cet
ouvrage,
je
voudrais
analyser
les
conditions
d'une
communication
entre deux groupes
sociaux,
que
le
poids
du
temps
semble
soumettre
à
sa
tyrannie.
Dans
cette
situation
bloquée,
parce que l'un n'ose pas ou que l'autre ne peut pas affronter ou
même regarder en face,
je veux montrer qu'un espoir est toujours
possible.
En effet,
si l'on éprouve le désir de parler,
c'est que l'on
a
des
choses
à
dire;
c'est
que
l ' on
nourrit
l'intention
de
se
confier, d'échanger ou de faire une contribution par rapport à un
autre. c'est donc un plaisir pour moi de remercier d'abord M. Jean

Sevry,
qui
a
bien
voulu
croire
en
moi
depuis
tant
d'années
en
acceptant
de
diriger
mes
travaux.
A
l 'homme,
je
dois
bien
de
réassurances,
à
l'érudit,
bien
des
enseignements
et
de
renseignements.
Il faudrait plus que le pouvoir de la parole pour
lui transmettre ce que nous ressentons en son endroit,
lui,
à qui
malgré son insistance, nous n'avons jamais réussi à dire deux fois
de sui te
"TU",
pour briser la barrière de l'âge,
symbole du sage
chez nous comme il le sait.
Pendant
deux
années,
j'ai
été
l'étudiant
de
Christiane
Fioupou.
C'est
grâce
à
ses
inlassables
démarches
que
j'ai
pu
entrer à l'Université de Montpellier III. C'est à son style, à ses
enseignements et à
ses entretiens que
je dois
le meilleur de ce
que j'avance.
M.
André
Viola
a
bien
voulu
me
faire
bénéficier
de
ses
précieux renseignements bibliographiques.
C'est à
toute
l'équipe du
CERPANA,
en particulier,
l'esprit
d'initiative
de
son
dirigeant
que
je
dois
d'avoir
réalisé
ce
travail, par tout l'apport moral, matériel et surtout financier.
Mrs
Dabiré
Rémi
et
Naon
Bétaboalé
m'ont
donné
le
meilleur
d'eux-mêmes par leur constante présence.
Comment
de
toutes
les
chères
personnes,
citées
ou
non,
oublier ma POORAN Singh,
gardienne de la forge qui perd la vue à
force de manier le feu,
et à
force de pétrir l'eau et le sorgho
pour
me
permettre
de
survivre
à
Montpellier
en
ces
moments
difficiles ?
Et ces précieuses parties de moi que j'ai laissées derrière -
Bintou,
et
Diane
Leila
qui
a
pu
croire
qu'elle
était
orpheline
depuis
cinq
ans,
le
temps
pour
moi
de
vivre
mon
mythe
de
la
métropole.
Je
leur
dédie
cette
thèse,
que
je
ne
prétends
pas
du
tout
parfaite ni même satisfaisante.

1
INTRODUCTION

2
Dans
leurs
écrits
les
écrivains
britanniques
prennent
conscience
d'être
autant
qu'ils
s'interrogent
sur
leur
environnement
et
la
façon
de
le
traduire
par
un
processus
d'identification, de compassion, de distinction, d'opposition ou
de distanciation
entre
leur personnalité britannique et ce qui
est étranger à ce caractère
( Voir le moi et l'autre de Sartre,
1).
Pourtant
le
langage
est
un
acte
social,
puisque
parler
signifie
s'adresser
à
quelqu'un.
Mais
ce
qui
peut
se
passer
quand
un
homme
en
rencontre
un
autre
c'est
une
forme
de
représentation sur un dessin à
deux dimensions d'objets qui se
confrontent
à
l'espace,
à
savoir
une
double
image
de
soi:
ce
serait le phénomène du miroir ( Voir Barker et al,
2). Donc s'il
y
a
société
c'est qu'il
Y a
une
communauté d'intérêt;
ce qui
veut
dire
souvent,
un
ensemble
de
règles
auxquelles
tous
les
membres souscrivent.
Et la question qui se posera sera celle du
contrat social et de la démocratie
( Voir Rousseau,
3), puisque
pour qu'il y ait relation, il faut une voie, si nous adhérions à
l'opinion de Trethewey qui dit que:
«
Language depends ... on the ability of individual
speakers to make connections between abstractions entombed
in words and the relevant parti~ularities of significant
experience»
( Voir Trethewey,
).
En d'autres
termes,
le véritable problème qui
se poserait
dans
la
relation
du
Britannique
à
l'Afrique
serait
celui
de
l'être de l'artiste au sein de la communauté des hommes.
Et ce,
dans la mesure où l'être a besoin du langage pour s'affirmer et
où l ' écri vain vit en
société.
Cette procédure
nous
l'espérons,

3
nous
donnera accès
à
la personnalité britannique,
aux systèmes
de représentations qui apparaissent dans son langage.
Telle est
l'hypothèse que nous discuterons dans la littérature britannique
au suj et de l'Afrique.
Cependant,
il
nous
faut
faire
remarquer
que
Karen
Blixen
est
de
naissance
danoise
tandis
que
Joseph
Conrad est
d'origine
polonaise.
Mais
tous
deux,
ont
la
langue
anglaise
comme
dénominateur
commun.
C'est
pourquoi
d'ailleurs
nous les avons compté au nombre des
écrivains britanniques que
sont Joyce Cary, Elspeth Huxley et Evelyn Waugh.
Ceci
dit,
nous
avons
retenu
des
oeuvres
écrites
à
la
première personne notamment dans le cas de Out of Africa
(5) de
Karen Blixen,
The Flame Trees of Thika
(6),
de Elspeth Huxley,
Remote
People
(7)
de
Evelyn Waugh
mais
aussi
des
textes
à
la
troisième personne tels que An Outpost of Progress
(8) de Joseph
Conrad
et
Mister
Johnson
(9)
de
Joyce
Cary.
Nous
les
avons
choisis
parce
que
dans
ces
oeuvres
écrites
les
écrivains
essayent de comprendre le sens de leur monde en l'incorporant à
leur
écriture.
C'est
pourquoi
dans
les
textes
écrits
à
la
première personne,
l'auteur se cherche dans l'opération même où
il se présente en personne dans son texte.
Par contre, dans ceux
qui sont rédigés à
la troisième personne,
l'écrivain cherche à
se
distinguer
d'un
autre
son
sujet
qu'il
décide
de
représenter.
Pourtant dans
ces
conditions,
l ' homme est en même
temps
le
suj et
et
l ' obj et
du
même
verbe,
puisque
être
c'est
après tout être perçu par un autre.
Aussi le sujet qui perçoit
devient ce qu'il aperçoit, puisque ne pas être perçu voudra dire
que
l'on
n'est
pas
soi-même
en
position
de
percevoir.
C'est
pourquoi
dans
une
telle
disposition,
il
n'y
aurait
pas
eu
de
communion,
ni
d'échanges,
mais
une difficulté de
communication

4
entre
le puissant écrivain
et
son
suj et,
et dans
une
certaine
mesure entre le Britannique porteur de la tekhné et son Afrique~
Dans
le
meilleur
des
cas,
ce
serait
un
recueillement,
un
monologisme,
puisque
la
liaison
entre
le
suj et
et
son
obj et,
peut
être
brouillée
par
des
phénomènes
externes
aussi
bien
qu'internes à l'infrastructure.
Aussi,
puisque la littérature
(
Voir Bennett;
Raymond,
10)
utilise des
procédés qui
favorisent
les
j eux de
la
langue,
pour
traduire
le
monde,
l'uni vers,
le
réel
ne
se limite plus à
sa
seule
forme physique,
effective
,
mais
aussi
à
sa
possibilité
d'être
ailleurs
et
autre
(
Voir
Searle;
Mukarovski;
Shklovsky,
11).
Néanmoins,
si
nous
sommes
informés, c'est qu'il y a eu parole. Mais le langage dans un tel
contexte,
un
tel
style
ne
saurait
être
réaliste
mais
plutôt
romantique
(
Voir
Frye,
12).
C'est
pourquoi
dans
les
romans
bri tanniques
les personnages
se débattent
avec
eux-mêmes,
avec
leurs rôles, dans la métaphysique,
puisqu'ils ne peuvent pas se
libérer
totalement
de
la
scène
quotidienne,
qui
provoque
l'angoisse de la perte,
de la mort.
Cela s'entend puisque d'un
point de vue marxiste,
ni les écrivains ni leurs personnages ne
peuvent
se
soustraire
à
la
rhétorique
du
pouvoir
dans
leurs
rapports.
C'est
pourquoi
d'ailleurs
l'auteur
choisit
ou
est
contraint
de
se
servir
des
figures
historiques
en
tant
que
moyens ou messagers pour déménager ou emménager dans l'Histoire.
Or,
dans
ce
processus,
l'homme
de
lettres
ne
peut
trouver
d'équilibre
valable
qu'en
tant
qu'instrument
dans
lequel
l'Histoire
de
l'oralité
est
immanente
et
dans
lequel
elle
monologue.
C'est
pourquoi
au
plus
profond
du
texte,
l'auteur
lui-même est
souvent
réduit au
stade de
simple
spectateur,
de
quelqu'un qui doute,
qui
s'interroge,
qui hésite comme nous le

5
verrons
dans
Out
Of
Africa.
Mais
puisqu'il
se
démene
pour
décrire
ce
qui
se
passe,
la
voix
narrative
peut
devenir
difficilement
séparable
de
la
VOlX
fictive
dans
l'écriture.
C'est pour dire que
les
efforts
de
l'artiste ne
peuvent
faire
autrement que de
figurer
les manifestations du pouvoir
puisque
face
à
l'Afrique,
il
lui
faut
recourir
à
des
métaphores
pour
comparer ce qui existe et ce qui est déjà.
-
'métaphore'
vient
de
'pherein'
ou
'phoros'
qui signifie
'porter'
et de
'meta' qui
qualifie
la
succession,
le
changement,
la
participation.
En un
mot,
la métaphore serait un procédé de langage qui transfert le
sens
par
substitution
analogique
d'un
terme
concret
dans
un
contexte abstrait.
C'est pourquoi
très
souvent
la
situation du
Britannique en Afrique se joue dans des signes, des symboles et
des analogies en binômes contrastifs:
choix /
force,
inspiration
/
manipulation,
communauté
/
hiérarchie,
unité
/
division,
création
/
désintégration,
lumière
/
obscurité,
vie
/
mort,
suj et/obj et.
Mais
il
ne
saurait
en
être
autrement
si
nous
en
croyons
Saïd,
qui
dit
que
les
personnages,
les
écrivains,
historiques ou
fictifs
ne peuvent aller au-delà du métalangage
de la rhétorique du pouvoir dans lequel ils sont piégés
( Voir
Saïd,
13). Donc si le texte écrit peut être un reflet du monde,
il
peut
également
codifier
son
idéologie.
Ainsi
l'analyse
littéraire
peut-elle
permettre
de
découvrir
cette
idéologie.
c'est du reste ce qu'affirme Lukacs:
«
every action, thought and emotion of human beings is
inseparately bound up with the life and struggle of the
community, i.e, with politics; whether the humans
themselves are conscious of this, unconscious of i t or even
trying to escape from it, objectively their actions,
thoughts and emotions neverl~eless spring from and run into
politics.»
( Voir Lukacs,
).

6
Dans
cette
perspective,
nous
considérerons
que
Blixen,
Cary,
Conrad,
Huxley et Waugh
partagent un même fantasme,
dans
la
mesure

leurs
oeuvres
expriment
les drames
qu'ils
vivent
dans
un
monde
conditionné
par
la
rationalité
qui
ne
résoud
pourtant
pas
tout.
C'est
dans
cette
optique
que
le
roman
de
Blixen nous représente deux types de culture,
dont l'une semble
éclipser l'autre
( Voir Rousseau,
15).
Aussi,
dans
les couples
de
personnages
qui
nous
sont
présentés,
l'intelligence
des
autres
se
fera
par
l'usage de
la
comparaison,
de
la métaphore
par rapport à soi. Mais tout semble se ramener à la question du
sujet et du chef,
ou du sauvage et du civilisé
Voir Poliakov,
16).
C'est
ainsi
que
nostalgie
ou
volonté
de
puissance,
dans
l'identification,
l'équation à
une inconnue finit par rendre lei
premier terme inconnu,
par
exemple dans
le
cas de
Kayerts qui
nage en pleine ambiguïté pour savoirs'il y a une autre culture à
-z::-
ses côtés mais dont il ne sait pourtant rien dans An Outpost of
Progress
de
Joseph
Conrad.
C'est
pourquoi
par
exemple,
tout
deviendra relatif dans ce récit puisque Kayerts ne croit plus à
·lla supériorité britannique. De même le centre se déplacera loin
des
limites
nationales,
au
niveau
de
la
langue
dans
Out
Of
Africa,
The Flame Trees of Thika,
ou Mister Johnson,
comme nous
le verrons dans la lecture.
Toutes ces attitudes impliquent que
les écrivains britanniques aient la possibilité de se soustraire
aux
coutumes
du
langage
anglais
ou
même
européen
et
à
des
situations qui font que ce qui va de soi dans leurs expériences
de l'Afrique devient trop souvent naïf,
ou insatisfaisant.
Mais
étant donné qu'ils parlent l'Anglais,
ces écrivains risquent de
faire un usage irréfléchi de toutes sortes de règles implicites

7
qui
peuvent
conditionner
la
valeur
de
leurs
propos,
et
de
l'ordre du monde qui en découle. La raison en est que le langage
anglais
est un
système ordonné,
c'est-à-dire une
structure qui
se veut stable ( voir la définition de l'ordre de Comte, 17). Ce
qui veut dire que l'Anglais est un système fermé.
Pourtant ce ne
sont pas toujours avec des mots anglais que l'on parle le mieux
de
mots
étrangers
à
cette
langue
ou
de
faits
inconnus
à
la
Grande
Bretagne
Voir
Cunningham,
18).
Aussi
les
traductions
des
langues
et
le
recours
aux
concepts
indigènes,
les
"curiosités" telles que le folklore,
le carnaval,
la gestion du
temps des Africains dans le roman ou la nouvelle britannique ne
viseront
plus
seulement
à
plaire
ou
à
informer
le
public
des
lecteurs.
Ces
démarches
signifieraient
surtout
la
volonté
des
écrivains britanniques de faire varier l'axe de leur univers,
et
d'établir éventuellement une communication avec un monde nouveau
ou
tiers.
Les
hommes
de
lettres
voulaient
diversifier
leur
univers
( Voir Fusselli
Lovejoy,
19).
Mais puisque ce monde ne
peut être nulle part,
cela veut dire que les
littérateurs sont
des révolutionnaires qui recréent et redisposent le Monde,
armés
de la magie de la parole et du pouvoir du mot -
le Logos et tout
le
sens
Voir
Nietzsche,
20).
Puisqu'ils
sont
artistes,
les
hommes de plume rivalisent avec
les Dieux.
Cependant,
le roman
du 1ge siècle ainsi que nombre d'oeuvres antérieures telles que
les tragédies de Shakespeare,
nous ont habitués à
considérer un
personnage comme un type humain. Mais dans les écrits de Blixen,
de
Cary,
de
Conrad,
de
Huxley
et
de
Waugh
sur
l'Afrique,
le
système est différent.
Certes nous avons dans toutes ces oeuvres
des
types
et
ils
ne
sont
que
cela
d'un
bout
à
l'autre. des
textes.
Mais
nous
avons
aussi
des
personnages
beaucoup
plus

8
difficiles
à
cerner.
Partant,
la
liste
des
personnages
de
l'aventure
coloniale
est
infiniment
longue,
puisqu'il
Y a
des
centaines
et
des
centaines
de
personnages
de
An
Outpost
Of
Progress,
Out
Of
Africa,
The
Flame
Trees
Of
Thika,
Mister
Johnson à Remote People. Ainsi nous pourrions parler des prêtres
missionnaires
mais
comme
le
District
Commissioner
ils
représentent un
pouvoir dans
le système colonial,
une autorité
de
la
vérité
et
ils
sont
eux
aussi
colons
européens.
Nous
pourrions
parler
aussi
des
émigrés
individuellement,
de
leurs
enfants,
de
leurs
bêtes
et
de
leurs
collaborateurs
indigènes,
sans
oublier
l'entité
anonyme
autochtone.
Mais
nous
avons
préféré retenir quelques unes de ces créatures qui,
comme tous
les grands personnages de la littérature britannique,
Prospero,
Gulliver,
Robinson,
Kurtz,
Othello
ou
Macbeth
par
exemple,
demeurent
un
mystère
et
conservent
jusqu'au
bout
une
partie
cachée à l'autre. Ces personnages ne découvrent lentement que ce
que
leur
créateur veut
bien
nous
révéler
d'eux.
D'autre
part,
puisqu'il
s'agit
pour
nous
de
donner
les
attitudes
de
deux
groupes
humains
les
uns
face
aux autres
dans
un
environnement
qui reste à découvrir, nous avons essayé d'éviter l'obsession de
la
question
manichéenne
en
retenant
principalement
trois
personnages
essentiels,
en
raison
de
leurs
interactions
mutuelles: le pionnier, l'autochtone et la terre.
Par
conséquent,
pour
évoquer
la
situation
de
rencontre
entre
l'Afrique
et
le
Britannique,
nous
proposons
de
nous
appuyer sur Out Of Africa de Karen Blixen.
Ce roman peut nous
donner
les
moyens
d'une
synthèse
mais
il
ne
peut
tout
nous
donner.
Nous devons nous faire aider d'autres textes.
Mais nous
considérerons qu'une même poétique fonctionne dans An outpost of

9
Progress,
out Of Africa,
Remote People,
Mister Johnson,
et The
Flame Trees Of Thika
:
la puissance du langage qui instaure et
qui
crée.
Une
poétique
présente
d'abord
la
mécanique
d'une
relation du moi au monde, qui n'est ni vraie ni fausse ni sur le
y
plan
religieuX(ù
ou
politique
ni
sur
le
plan 'J§Jl) culturel.
Pourtant
la
création
artistique
de
l'Afrique
insiste
sur
la
question de la vérité, dans la mesure où par cette activité,
les
écrivains
britanniques
instaurent
ou
affirment
un
ordre
de
choses pour leur en donner un sens.
Si
nous
avons
choisi
Out
Of
Africa,
comme
texte
de
référence,
c'est
parce
qu'il
nous
propose
une
situation
dans
laquelle
l 'homme cherche comment
vivre en
écrivant son
rapport
au
monde.
Blixen
participe
à
l ' histoire
en
tant
que
suj et
et
actrice,
en tant qu'écrivain-témoin et personnage.
En cherchant
à
nous communiquer son
Etre,
la sensibilité qu'elle
ressent et
cherche
à
extérioriser,
Blixen-
narratrice
crée
une
intimité
puisqu'elle est seule à parler,
en même temps qu'un acte social
puisque
ce
que
Blixen-écrivain
exprime
peut
être
accessible
à
tous.
La
démarche
de
Blixen
répondrait
à
une
intention
Nietzschéenne. Mais la construction du discours,
son expression,
peuvent être interprétées en des termes marxistes,
puisqu'elles
s'appuient sur la rhétorique du pouvoir. Donc ce que nous aurons
découvert
et
compris
dans
Out
of
Africa
pourrait
être
traduisible en tout autre texte de notre corpus -
les angoisses,
les
craintes,
les
amours,
la
condition
d'humanoïde
du
Bri tannique devant des
choses
et des
phénomènes qui
l'attirent
ou qui le repoussent, qui l'écrasent ou qu'il défie.
Mais d'une
oeuvre à l'autre, de tels mouvements sont signifiés de plusieurs
manières.
Chez
Blixen,
dans
Out
Of
Africa,
la
narratrice
est

10
l'Afrique
avant
de
se
débattre
contre
son
(attirée par
rejet,
trop occupée à son jeu de mère-poule. Cela est presqu'aussi vrai
'1.
pour
l'agent de
bureau
Johnson
dans
t;lister
Johnson,
qui
s'est
perdu
dans
les
ruses
de
l ' accul turation,
créé
et
détruit
par
l'agent
civilisateur.
D'une
autre
façon,
Huxley
choisit
de
réanimer
les délices
de
son
enfance
en
écrivant son
roman
The
Flame Trees Of Thika., à propos d'un lieu et d'un temps qui
-sont
-
déjà
bien
loin.
Ce
qui
veut
dire
qu'elle
s'enferme
dans
une
bulle6du passé au présent.
Huxley
se
réfugie dans
son
passé.
Pourtant qu'est-ce qui
fait
que des hommes décident de revivre
leur passé,
sinon que de se projetter, de se positionner, de se
connaître et de communiquer?
Cette
volonté
d'établir
le
contact,
la
liaison ,
pourrait
être motivée par
l~ nostalgie des origines,
des
sour~s. Cette
communication
se
passe
aussi
bien
dans
le
temps
que
dans
l'espace.
Or,
en
Afrique
le
Britannique
semble
s'accrocher
au
seul temps qu'il connaisse:
le sien.
Ce n'est que par la suite
qu'il
tentera d'appréhender le nouvel environnement dans
lequel
il se trouve plongé. Pourtant le regard qui est trop attentif au
passé
risque de
perdre pied,
ou de devenir
un mythe,
c' est-à-
dire de préférer l'imaginaire au vraisemblable.
Ce qui veut dire
que les oeuvres portent le parfum de l'échec.
Pourtant
l'insuccès
dans
les
récits
semble
poser
la
question de
la régularisation d' une disparité:
ce qui
semblait
intolérable est devenu compatible,
puisque tout compte fait,
le
Blanc
n'est
ni
plus
ni
moins
faillible
que
l'indigène
en
Afrique.
Ils pourraient donc bâtir ensemble.
Pour cela,
il leur
faut aller l'un vers
l'autre,
se rassembler.
Mais comment cela
peut-il
se
faire
si
l'apparence
extraordinaire
du
Blanc

11
civilisé mais perçu comme un agent du pouvoir colonial dont le
seul
commandement est
l ' arbi traire
-
qui
impressionne à
maints
ti tres provoque
la
terreur
spontanée des Africains?
Et
comment
cela
peut-il
survenir
si
l'indigène
reste
un
grand
enfant
aux
yeux du Britannique,
ou celui qui attendrait tout de la Grande
Bretagne?
Ce serait une gestion de pouvoir.
Néanmoins si nous sommes
dans
une
situation qui
conteste
ce pouvoir,
c'est que
quelque
chose est intervenu, menace de revenir,
concours de circonstance
ou
de
faits,
collaboration
d'hommes,
ou
actions
fortuites
naturelles,
qui rend cette situation illusoire.
C'est ainsi que
la substance de l'aventure mentale de Kayerts dans An outpost Of
Progress consiste en un jeu de mots:
«He seemed to have broken
loose from himself al together ... »
p.
78)
«
waking
from a
trance, finds himself irnrnured forever in a tomb
»
( p.
79) «
'There is nobody down to meet us ... ' And even he, - the Director
the
man
of
varied
and
startling
experience,
was
somewhat
discomposed
by
the
manner
of
this
finding»
p.80).
Donc,
l'ensemble
de
la
situation
n'est
plus
si
stable
qu'elle
parais sai t..
En vérité
sous
ses
pieds,
la
base
se
dissipe,
se
dérobe alors que c'est sur elle que tout repose.
La
rencontre
culturelle
à
ce
niveau
résiderait
dans
l'analogie
des
termes
ou
des
expressions.
Mais
cela
nécessite
l'existence d'un être qui en connaisse les termes et qui puisse
les
figurer.
Il
faut
qu'il
possède
son
suj et
et
qu'il
puisse
l'épuiser,
c'est
à
dire
le
comprendre.
Et
si
tel
est
le
cas,
c'est parce qu'il Y a
fantaisie et mimésis
( Voir Bhabha,
21).
Et s'il y a mimétisme,
cela veut dire que le passé est toujours
présent dans les oeuvres, puisque l'écrivain britannique doit se

12
répérer par
rapport
à
son milieu culturel.
Mais
d'un
point de
vue
Hégelien,
la
référence au passé pour
indispensable qu'elle
soit,
n'a
de
valeur
qu'explicative:
ce
qu'elle
vise,
c'est
à
former la pensée de telle manière à ce qu'elle soit actuellement
capable de répondre à ses objectifs contemporains
Voir Hayden,
22).
Alors
le
récit
invoque
le
passé,
et
sa
signification
s'instaure.
Donc
il
s'agit
pour
les
auteurs
britanniques
de
trouver
des
normes
et
une
échelle
de
valeurs
sur
lesquelles
s'appuyer
pour
identifier,
nommer
et
reconnaître.
Ce
qui
veut
dire
que
la
culture,
l'histoire
et
l'ordre
entretiennent
un
rapport
intime.
Or,
l'idée d'ordre
est un
squelette dogmatique
qui
prémunit
contre
les
"variations",
en
présentant
l'histoire
comme un tout fermé dont les phases sont solidaires de manière
~ rigide.
Ce qui signifierait que l'homme dans ces conditions est
dans un cercle vicieux.
Il agit dans ce cadre fermé et informé
"j.. par celui-là, même malgré lui. Le pionnier britannique ne peut
~
!;J,I
PJr enfreindre l'ordre au risque de le faire s'éffondrer. Toutefois,
/
-
le monde dans lequel les émigrés se trouvent éprouvés,
échoués,
;r4 souffrants ou meurent, est nouveau, presque vierge. Cet espace
__~..~...-.. .. __-..r.~..:~~~:....~:;:;::;;;::.(_
Qi
fr
ne se laisse pas mettre au passif,
car tout y semble à refaire,
---_
_---_,---_
.._.-~----- ...._---,....~~.--_ ,_._
......
.._--_..
..
....-
fd
à élaborer.
Cette situation est paradoxale puisque construire à
ft'
cl
r--
partir de rien engage un recours au passé culturel. Mais puisque
l'écrivain cherche à
s'échapper de ce cercle par la fascination
!
ou par la répulsion pour la transgression des normes, il confère
à
la
création
littéraire
une
fonction
morale.
C'est ainsi
que
Hammond & Jablow ont pu parler de The Africa That Never Was (23)
et que Mudimbe a fait cas de The Invention Of Africa
24).
Ces
oeuvres
dont
les
titres
sont
suffisamment
éloquents
signifient
qu'à partir des écrivains britanniques qui parlent de l'Afrique,

13
une
vision
du
monde
s'organise:
une
volonté
de
dépasser
un
---------_.~=..
simple dialogue de sourds.
Or,
une telle situation peut rester
_-_
,..--------_.--.
......,....
....,---~--
.........
..._.-._..
tout
de
même
fermée,
puisque
le
contexte
colonial
est
fait
~_._,.~_.,. .........~__"'~.",_,..o::>_v
-.~.__..__...._~.~_."'''''t,_~'''l..'''..''''~.....'"''''...~-...............I~~j'~•./ ....''''''...... _
d'hégémonie
et de
pouvoir.
D'abord,
la
structure
coloniale ou
~~'-~«tl.oulll>w-,l,l[,~~··
.....~~::t.~~.o::.to:'''''''''·~_f~-.:3'l~'''''''~
néo-coloniale impose des
limites,
des
cadres,
des
fonctions
et
des
rôles
non
interchangeables
à
chacun des
éléments
des
deux
groupes
sociaux.
C'est
ainsi
que
les
deux
groupes
sociaux
de
colons et d'autochtones
se comporteraient comme deux boules de
cristal, l'une posée à côté de l'autre, ou mise en abyme, qui se
heurtent sans
jamais réellement fusionner.
Dans ces conditions,
il
n'y
aurait
pas
eu
de
rencontres
culturelles
en
tant
que
telles.
s'il
y
avait
eu
rencontre,
cela
voudrait
dire
que
la
littérature
britannique
admettrait
des
amours
heureuses,
l'achèvement.
Cela
signifierait
que
les
deux
interlocuteurs
supposés
ont
trouvé
un
terrain
neutre,
d'entente,
une
langue
commune
ou
un
pouvoir
égal.
Dans
ce
cas,
les
écrivains
n'auraient plus qu'à
se
taire.
Mais
ils
parlent et disent des
choses.
Donc ils ne partagent pas le même pouvoir -
celui de la
langue
servant
à
produire,
à
réfléchir
et
à
distribuer
le
pouvoir
dans
leurs
rapports
sociaux
mutuels
Voir
Volosinov;
Saïd; Foucault; Mitterrant,
25)_ avec leurs sujets, c'est-à-dire
les indigènes. Ainsi, puisque parler c'est exercer un pouvoir il
est donc
logique que
l'un des deux,
colon et colonisé,
ait un
rôle subalterne.
Ce ne serait donc pas un hasard si
l'indigène
tenait la place du sourd-muet,
et du représenté que l'on évoque
toujours
à
la
troisième
personne.
Ainsi
nous
retombons
sur
l' obsessive
dichotomie
européen/indigène,
lui/moi,
la
question
de
l'autre
pour
emprunter
les
mots
de
Todorov.
Par
ailleurs,

14
puisque dans sa relation à
l'Afrique et à
l'Africain,
c'est le
clerc qui s'exprime dans tous les cas même quand il prétend le
faire
au
nom du
second,
nous
pouvons
constater
que
l'Africain
est
en dehors de
la communauté
idéologique
et
socio-cul turelle
_ _ _~
""""'--"_"""__"""''''-'''''--'~_'-''''''.='>---''''''''''''''J ..._''''''''''-.-.-. __ ~",_.....~_~.....,_.... _
l
' "
CI. "'\\/r
"-
qui
l ' excl ut. et
l ' incl ut.
Ainsi
l'indigène
ne
peut
être
que
~"o:.::.'_
.•.<:r.~_·.......~....,",-",s>_..... <!".-uo-~'··"-""~""'l'"r:::·1t".-J""jU",,,,,,,,,,.,,.,..._,,,
médiatisé
par
le
Britannique,
lui
qui
en
a
le
pouvoir.
Mais
puisqu'il
ne se satisfait pas de cette situation,
et se trouve
contraint
de
défier
toutes
sortes
de
différences
raciales
ou
cul turelles
qui
se
résument
à
l'oppression,
pour
tenter
d'atteindre l'autre ( Voir Sevry,
26), il faut pour le moins une
langue de contact au travers de laquelle on puisse se retrouver.
c'est
pour
cela
que
Cary
recourt
au
pidgin,
et
que
Blixen,
Huxley,
Conrad
et
Waugh
traduisent
les
termes
indigènes,
pour
qu'il
y
ait des
formes
de
partages
possibles.
Mais
l ' écrivain
est aussi celui qui met en scène ce qu'il veut représenter;
il
demeure maître de la communication.
Il assume tous les pouvoirs
de l'écrit. Ce sera donc une des tâches de la littérature que de
donner
la
parole
aux
exclus
de
la
langue,
du
pouvoir.
C'est
pourquoi
Blixen
désigne
les
indigènes
comme
tels:
"
the
Natives",
"My Natives",
parce qu'elle les a
privés de pouvoir.
Pourtant la situation est rapportée en anglais.
Comment peut-il
y avoir partage si tout se ramène au centre culturel ou à
l'ego
de l'écrivain britannique?
Nous constaterons que pour parler effectivement de l'autre
et pour
lui,
il
faut
réussir
à
se
glisser
totalement
dans
sa
peau.
Mais
il
se
trouve
que
nul
ne
peut
violer
les
lois
du
passé; on ne les bouscule pas. On les active et on les respecte.
Donc
l'écrivain
britannique
ne
pourra
pas
se départir
de
lui-
même,
dépouiller son âme du poids du temps, de son passé, de son

15
histoire et de
son héritage socio-culturel. Ce
qui voudra dire
que dans
le
contexte colonial
où les
rôles
sont distribués,
l'autre et
le moi,
le Britannique
et l'Africain
devraient se
contenter d'hybridité
ou
de
syncrétisme en
guise
de terrain
neutre de
pourparlers.
Mais
les
choses
ne
semblent
pas si
simples que cela. Sinon
le serviteur qui fait
aussi et en même
temps office
d'interprète
n'aurait
pas
de
rôle,
comme dans
L'étrange destin de Wangrin de Hampâté
Bâ, ou de Many Thing You
No Understand de Ulasi. Dans
ces oeuvres, l'interprète joue son
rôle
du
mieux
qu'il
le
peut,
et
finit
par
mystifier
l'indigène~mais aussi le
colon. Bien qu'il
se moque
des deux
parties, l'interprète
Africain
accomplit
sa
mission
dans le
système. Toutes ces considérations
faites, dans les systèmes de
représentations
britanniques
de
l'Afrique,
nous
ne
nous
demanderons pas si
tel ou
tel point de
vue est
vrai ou faux,
dans la mesure où l'Afrique que
nous lisons est propre à chaque
écrivain. Nous
nous demanderons
par contre comment
ce système
fonctionne, comment ces
textes mettent en
relation des thèmes:
ceci nous permettra de saisir de nouveaux paysages dans lesquels
l'homme s'exprime,
donne
un
sens à
son
environnement
et au
monde. Aussi l'auteur met-il en
place une communication qui est
beaucoup plus imaginaire ou mythique.
Joyce Cary, Joseph
Conrad, Elspeth Huxley
et Evelyn Waugh
nous
aideront
dans
notre
examen.
Nous
privilégerons
en
particulier Out Of
Africa. Suivre
le texte comme
il s'offre à
nous, nous
éclairera sur
la manière
dont l'auteur
édifie son
monde,
en
tâtonnant,
en
se
posant
des
questions,
en
les
résolvant ou en
échouant. Nous
ferons varier
notre propos, en
nous servant de
An Outpost of Progress,
Mister Johnson, Remote

16
People
et
The
Flame
Trees
of
Thika
pour
illustrer
un
certain
nombre de thèmes évoqués dans out of Africa, dans le fil même de
sa narrativité.
Nous
avons
opposé aux héros,
( Voir
Lukacs;
Platon,
1 )
colons ,
écrivains,
narrateurs,
ou
immigrés
les
indigènes
main
d'oeuvre,
colonisés,
autochtones,
analphabètes
et
les
paysages
africains,
en
tant
que
tiers
que
le
pouvoir
Blanc
exclut
ou
soumet
au
profit
d'une
vérité
dont
le
destin
est
d'apparaître univoque et incontestable:
la civilisation. si nous
prenons
le
cas
du
roman,
le
héros
britannique
est
supérieur
tandis que l'indigène est un
être à
qui
il
prête toujours une
parole.
Tel
est
le
cas
de
out
Of
Africa,
la
plupart
des
personnages africains
sont
handicapés
ou misérables
-
Kamante,
Karomenya, Wamai ... c'est ainsi que pour comprendre Johnson dans
Mister
Johnson
ou
Makola
dans
An
outpost
of
Progress,
par
exemple,
nous
serons amenés
à
nous
interroger
sur
leur
raison
d'être.
Ce,
dans
la
mesure

aucune
oeuvre
sur
l'Afrique
ne
semble
connaître
une
fin
heureuse,
la
réalisation
d'un
amour,
puisqu'aucune fusion,
aucune communion ne semble pouvoir prendre
place
sur
cette
terre.
Pourtant
avec
les
oeuvres
écrites,
l'écrivain semble avoir vaincu tous ces obstacles.
Il est maître
du
sens.
Même
s'il
aspire
à
se
remettre
en
cause,
il
s'agit
encore et toujours de lui,
en tant qu'être de pouvoir,
en tant
qu'être qui se situe au centre du sens et de la signification.
On en aura un bel exemple chez Blixen, Huxley et même Waugh.
La
si tuation
est
synonyme
d' indi vidualisme,
d'isolement
en
raison
des
contextes
de
production
marqués
eux-mêmes
par
de
grandes
\\ crises. C'est dire que l'écriture reste première, puisqu'écrire
ouvre
à
des
mondes,
nous
offre
des
images
qui
nous
fascinent

17
l parfois, et qu'écrire peut être un acte de survie de la
conscience.
Nous avons
retenu Out Of Africa,
un texte que nous
jugeons
exemplaire,
afin
de
pouvoir
développer
au
fur
et
à
mesure,
les différentes
facettes
du thème d'ensemble:
le désir
de
changer
quelque
chose
dans
ce
dialogue
monologique
tout
autant
qu'une
difficulté
de
communication,
qui
aboutit
à
une
production de fantasmes.
Chaque
texte
peut
être
lu
comme un
tout
organisé qui
se
suffit à lui-même. Mais nous ferons appel à d'autres textes pour
signaler
à
la
curiosité
du
lecteur
leurs
parentés
parfois
remarquables.
Nous
voudrions
démontrer
que
la
façon
dont
un
écrivain parle délimite les contours de l'univers qu'il prétend
évoquer,
selon une mise en scène -
comme au théâtre -
qui
lui
correspond.
C'est de ce point de vue que
nous dirons
qu'en
se
prenant pour des propriétaires ou des conquérants, les hommes de
lettres
décideront
pour
une
bonne
part
des
paysages
que
l'Afrique
s'est
dessinée,
en
devenant
un
personnage
tiers
et
essentiel
de
l'aventure
colon/colonisé
Voir
Cabau;
Sheldon,
2). Ainsi, tous les textes que nous avons choisis se ressemblent
par leur expression
( Voir Couto,
3).
En parlant à
la première
personne du
singulier
ou même derrière
un
"il"
ou
un
"elle",
dans une situation de témoin,
ces textes évoquent une situation
de crise dans laquelle, l'Etre de l'écrivain et/ou du narrateur,
pris à
son propre piège ,
finit
par
se demander quelle voie
il
devra prendre pour pouvoir vivre,
ou pl us
simplement survivre.
C'est pourquoi dans Out Of Africa,
par exemple,
lorsque Blixen
est obligée d'aller chercher la confidence de Ingrid quand elle
est dépassée par les événements,
car dit-elle
les Africains ne
sont
pas
bons
à
de
telles
chose,
nous
pouvons
constater
que

18
Blixen-personnage
parle
comme
Blixen-écrivain
écrit
pour
s'exorciser,
un
"talking cure"
selon McGabe
( Voir McGabe,
4).
Or,
puisqu'elle présente
immanquablement
au
lecteur
le
paysage
d'un
monde
sécurisant,
le
personnage
se
complaît
dans
des
fantasmes à vouloir posséder à
lui tout seul un bout de terre.
Mais réel ou imaginaire, ce paysage aide à dire, à faire voir et
à
vivre.
Or,
dans une situation conflictuelle,
le héros
risque
d'être déchiré, ou même détruit.
Par exemple dans Out Of Africa,
Blixen se débat en vain pour sauver la ferme,
tourne même à
la
paranoïa,
car
il
lui
manque
le
capital
nécéssaire
pour
la
racheter.
Son pouvoir de guide
se vide de
sa
substance devant
ses
suj ets.
Ainsi,
lorsque
comme
nous
venons
de
le
voir,
le
héros se fait dépasser par la conjoncture, puisqu'il ne veut pas
renoncer
à
sa
prétention,
il
rejette
l'indigène
dans
son
obscuri té,
son mystère
et sa superstition.
C'est pour dire que
quelque chose de plus fort le transcende et lui dicte sa loi. La
religion est donc présente dans les oeuvres.
Mais elle est plus
mystique, magique que spirituelle. Néanmoins,
c'est pour ce type
de situation que nous avons besoin d'un médiateur entre l'homme
écrivain et nous -
narrateur,
personnage -
en tout cas un être
qui dominerait ou qui survivrait à l'engagement pour nous servir
de
relais.
Le
héros
est
donc
une
nécessité,
puisqu'il
est
porteur de sens dans ces oeuvres.
Il nous est indispensable pour
nous guider,
en même temps que pour infliger sa dynamique à
la
narrati vi té.
Mais
derrière
chaque page des
oeuvres,
ce
sera
à
nous
que
reviendra
le
dernier
mot,
l'ultime
germe
à
faire
fleurir.
Dans
cette attitude,
nous
pourrons
parler dans
un premier
temps
du
manque
de
contrôle
du
pionnier
sur
l'environnement.

19
Nous
verrons
que
si
le
pionnier
manque
de
contrôle
sur
l'environnement,
c'est parce qu'il est un personnage traqué qui
ne peut
revendiquer
le
statut de
héros.
De ce
fait,
l'Afrique
lui
apparaît
comme
un
monde
cruel,
ou
tout
au
plus
un
être
magique comme nous le verrons dans le out of Africa de Blixen.
L'Afrique
dans
ce
roman
sera
synonyme
de
la
terre
de
contestation de tout héroïsme pour le pionnier britannique,
en
raison de la stérilité de ses efforts.
C'est pourquoi la ferme
Africaine
de
Blixen
réprésentera
la
Boîte
du
Pandore.
Mais
Blixen
qui
est
elle-même
chasseresse,
pourra
être
assimilée
à
Mamy Watta au regard des
nombreuses victimes masculines de son
entourage.
Dans un deuxième chapitre, l'Afrique paraîtra fantôme
avec le An outpost of Progress de Conrad, en raison du phénomène
de l'ambiguïté.
s'il Y a
ambiguïté,
c'est
en
raison de
l'état
second dans lequel
le pionnier se retrouve en' Afrique,
imbu de
son
esprit
rationnel
contredit par
l'environnement.
Ce sera ce
même
esprit
rationnel
qui
poussera
le
pionnier
à
répondre
à
l'appel du sacré en guise de refuge contre son incompréhension
et ses conflits culturels avec le monde Africain.
Par la suite,
dans une troisième section l'Afrique se révèlera sous les traits
d'une
sorcière,
en
raison
de
l'acculturation
et
de
l'incompréhension
de
Johnson
dans
le
Mister
Johnson
de
Cary.
Johnson est acculturé parce qu'il
est déchiré entre la culture
britannique
et
son
monde
traditionnel.
Pour
revenir
à
son
intégri té
sa
mort
servira
plusieurs
bénéficiaires.
C'est
pourquoi elle a
pu être mise en scène.
Puis dans une quatrième
partie
l'Afrique
deviendra
chaotique
aux
yeux
de
Waugh,
qui
semble renoncer à
la vie terrestre dans
le Remote People.
Dans
cette
partie,
l'Afrique
sera
thème
d'exotisme
en
un
premier

20
moment.
Puis
elle
révèlera
l 'humour
de
Waugh.
Après
qo i
nous
c::::::.
évoquerons
la
narration
du
roman.
Nous
verrons
enfin
que
la
désolation
qu
paysage
est
le
reflet
de
la
quête
de
Dieu
par
;::::.?
Waugh.
Alors
nous
pourrons
parler
de
roman
initiatique.
Puisqu'il s'agit de voyager,
la voix qui s'exprime à travers le
personnage peut être celle du mythe ou celle de l'histoire dans
ces oeuvres. Dans ce cadre, nous pourrons évoquer la question du
héros du mythe,
qui est censé éclairer notre route.
Mais comme
il
s'agit
d'un
mythe
qui
se
trouve
réactualisé,
nous
l'appellerons une nouvelle forme de
la tragédie.
Ceci,
dans la
mesure où ce héros ne sait pas ce qui se joue et ce qui l'attend
alors que nous
lecteurs,
nous avons
le début et
la
fin de son
parcours:
il
serait aveugle
face
à
sa destinée
(
Voir
De Man,
5).
Il Y a
recréation ou invention de mondes,
parce qu'il y
a
insatisfaction.
Ainsi
si
le
héros
était
heureux,
sa
situation
serait
picaresque
et
consisterait
au
fait
qu'il
revit
les
terreurs de sa vie à un moment où il connaît le contraire ( Voir
Stabirovski, 6). Ce serait donc une situation de mythe, comme au
premier jour d'Adam.
Finalement, dans une deuxième partie,
nous
verrons que le monde connaît une suite de crises qui provoquent
des ratés de communication entre individus.
Dans cet état nous
verrons que les contextes de production se situent entre paix et
guerre.
Pour Blixen
Huxley,
ce
sera
la guerre de
1914-1918;
celle de Waugh se situe dans la période de la montée du fascisme
et du
nazisme dans
les années
1930.
Avec
Cary,
nous
en
sommes
encore à la période des rivalités et au jeu de cache-cache entre
puissances
coloniales
et
forces
traditionnelles
africaines.
Conrad,
lui,
nous
parle
d'impérialisme,
une
autre
forme
de
guerre déj à
en une période d'expansion.
On s' aperçoi t
que tous

21
ces ouvrages se déplacent dans les méandres de la guerre vers la
quête
d'une
terre
de
paix.
Mais
cette
situation
de
crise
permettra
aux
écrivains
d'affirmer
une
certaine modernité,
en
divinisant
l'artiste,
en
faisant
de
l'écriture
un
moyen
de
survie
et
en
créant
un
monde
pour
vivre.
Ceci
nous
permettra
alors
d'analyser
le
passage
du
fantastique
au
tragique,
pour
trois raisons.
La première raison, c'est que l'Europe se crispe sur un
imaginaire qu'elle n'entend pas quitter. Ce qui lui interdit de
communiquer avec celui des autres. Nous parlerons ensuite de la
représentation de l'autre, c'est-à-dire le regard porté sur
l'autre. Nous verrons que ce regard est tenu à distance, d'une
part, grâce aux relations à la frontière, par exemple entre
"toto" - domestique - et "msabu ou bwana" - Patronne et patron -
mais aussi par les contradictions entre ces enfants de Caïn et
la nature. C'est dans ces conditions que nous découvrirons
l'Afrique comme étant la terre de l'incommunicabilité entre des
êtres fugitifs dans le The Flame Trees of Thika de Huxley. s'il
y a incommunicabilité, c'est parce que les personnages sont
traqués par les crises qui secouent le monde. Dans ces
conditions, l'homme est prédisposé à la superstition puisqu'il
1est à l'écoute de son monde. Mais puisqu'il s'agit du roman de
Huxley, tour à tour enfant et adulte, nous parlerons d'oeuvre
mythique, puisque l'insatisfaction peut durer longtemps et
devenir une complaisance. C'est dans cet élan que peut naître la
mauvaise conscience née d'un échec dans la conquête de l'Afrique
en nous questionnant: et si cet échec était la résultante d'une
attitude raciste? C'est ce qu'affirme en tout cas Achebe à
propos de Conrad ( Voir Achebe, 7). Il se pourrait que ce soit

22
tout simplement les effets du pessimisme face à une humanité qui
ne sait plus où elle va. Pour nous, le résultat est le même en
ce sens, qu'on assiste à un refus de tout héroïsme; il ne reste
plus que le remords. Ce n'est qu'une fois toutes ces étapes
parcourues, que nous retrouverons une certaine Afrique dans la
période de l'Entre-deux-guerres. Et dans un dernier chapitre
nous évoquerons les revers ou les situations d'inversions par
rapport aux relations de départ, c'est-à-dire du début de
l'émigration d'abord en ce qui concerne le langage et ensuite
dans les relations des hommes à la frontière Africaine. Pour
commencer, que nous propose Out Of Africa de Karen Blixen?

23
Notes bibliographiques
1 - Voir Jean Paul sartre, L'Etre et le Néant, Paris, Gallimard,
1943, p. 302 qui dit que:
«
Autrui est, sur ce plan, un objet du monde qui se laisse
définir par le monde. Mais cette relation de fuite et
d'absence du monde par rapport à à moi n'est que probable.
( ... ): si autrui-objet se définit en liaison avec le monde
comme l'objet qui voit ce que je vois, ma liaison
fondamentale avec autrui-sujet doit pouvoir se ramener à ma
possibilité permanente d'être vu par autrui. c'est dans et
par la révélation de mon être-objet pour autrui que je dois
pouvoir saisir la présence de son être-sujet ... » . On
pourrait lire dans ce même ordre d'idées, Northrop, Frye,
Fearful Syrnrnetry, Princeton, Princeton University Press,
1947, chap.1.,qui soutient de même que voir veut dire être
alors que ne pas être vu signifie non seulement être
invisible aux autres mais aussi être dans l'incapacité de
visualiser.
2 _ Se reporter à la serle d'articles dans
Barker, F., Europe
and Its Others, Colchester, University of Essex, 1985. -
Voir Lacan, J., Ecrits, Paris, Seuil, 1966. pp. 89-97.
3 - Nous faisons ici allusion aux concepts de Rousseau.
4 _ Voir Trethewey, Eric, "Language, Experience and Selfhood in
Connrad's Heart of Darkness", Southern Humanities Review
22, 1988. pp. 101-111.
5 - Blixen, K., Out of Africa, London, Penguin,
(1937), 1957.
330 p. abrégé (OOA)
6 - Huxley, E., The Flame Trees of Thika, London, Chatto and
Windus (1959) 1987. 288 p. abrégé (TFTT)
7 - waugh, E., Remote People, London, Penguin,
(1931)
1986. 184 p. abrégé (RP)
8 - Conrad, J., An Outpost of Progress in The English Book of
English Short Stories, London, Penguin,
(1898), 1984.
pp. 59-81.abrégé (AOP)
9 - Cary, J., Mister Johnson ,London, Penguin,
(1939), 1985.
251 p. abrégé (MJ)

24
10 - Pour une définition de la littérature, consulter entre
autres Bennett, Tony, Formalism and Marxism, London,
Methuen, 1979 et Williams, Raymond, The long Revolution,
London, Penguin, 1965. Part I. chapitre 3.
11 _ C'est ainsi que Searle, R., John, " The Logical status of
Fictional Discourse" , New Literary History VI, Winter
1975. pp. 319-332, pose le problème du langage en faisant
la part entre sa fonction littéraire et sa fonction
communicative en termes de valeurs et de normes. De ce
point de vue, de par sa situation illocutionnaire dans
l'oeuvre de représentation réelle ou fictive, l'auteur du
texte est dans une situation ambigüe.- De par sa position
ambigüe dans l'acte illocutionnaire, l'auteur est souvent
tenté de porter le masque du héros. Ce qui veut dire que la
littérarité d'un texte n'est pas seulement faite par la
présence des éléments littéraires que nous sommes censés y
trouver mais aussi par la situation de l'auteur. - Voir de
même Mukarovsky, Jean, Aesthetic Functions, Norm and Value,
Ann Arbor, University of Michigan, Michigan Slavic
contributions, 1970. pp. 70-77., dont les vues sont
similaires à celles de Searle. - Selon Shklovsky, qui se
situe dans la même optique que Searle et Makurovsky, le
langage littéraire , en particulier poétique est quelque
peu déviant par rapport au langage discursif de la prose.
Son fonctionnement est artistiquement signifiant
dans la mesure où la qualité de la littérarité repose sur
sa capacité à rendre différent, étrange en évoquant en même
temps autrement que par des réactions simplistes ou
stéréotypées. - Voir Shklovsky, Victor. ,"Art as Technique"
in Modern criticism and Theory: A Reader, ed., Lodge,
David, London, Heinemann, 1988, pp.16-30.- C'est le thème
central dévéloppé par Olney, James., Metaphors of Self,
Princeton, Princeton university Press, 1972.
12 _ Voir Hynes, S.,ed., Romance and Realism: A Study in English
Bourgeois Literature, princeton, Princeton University
Press, 1970 qui développe le thème de l'évasion. On
pourrait également consulter Trilling, Lionel, The Opposing
Self, London, Secker & warburg, 1955, qui affirme que
l'imagination littéraire, romantique sont des moyens pour
l'individu de transcendancer de se soustraire ou de tourner
le dos face à un monde cruel. - Voir Northrop, Frye,
Anatomy Of Criticism: Four Essays, princeton, Princeton
University Press, 1957 dit: «
The essential difference
between novel and romance lies in the oncept of
characterization. The romance does not attempt to create
"real people" so much as stylized figures which expand into
psychological archetypes. It is in romance that we find
Jung's libido, anima, and shadow reflected in the hero, the
heroine, and villain respectively. That is why romance so
often relates a glow of subjective intensity that the novel
lacks, and why a suggestion of allegory is constantly
creeping in around its fringes .
... ( Where the novelist deals with personae and stable
society the) romance deals with individuality with

25
characters in vacuo idealized by revery, and, however
conservative he may be, something nihilistic and untamable
is likely to keep breaking out of his pages.»
pp.304-5. -
c'est aussi la proposition de Lotman qui parle de vue
monolithique et subjective dans l'attitude du narrateur-
héros face à la réalité, même quand il cherche à s'exprimer·
au nom de l'autre. - Voir Lotman, J., M., "Points Of View"
in New Literary History VI, n D2, 1975, pp.339-352. - Voir
de même Lynn, David, The Hero's Tale: Narrators in Early
Modern Novels, London, Macmillan, 1989. Tout regard est
un point de vue; il est donc relatif.
Tout ce qui est image résulte d'une opération de prise de
vue. Et l'objectivité d'un phénomène n'est que limite,
puisqu'elle se situe dans un cadrage. En d'autres termes,
le visage que prennent les objets, leurs physionomies,
dépend de l'éclairage sous lequel elles sont livrées, le
temps dans lequel une fonction peut être découpée pour nous
donner un point de vue.
Ainsi si nous parlons d'objectivité dans un regard,
nous sommes en présence d'une synthèse associant une
lumière et un cadrage, donc subjective, du fait que c'est
un sujet qui la réalise. Pour dire cela concrètement, les
personnages, les choses, les rythmes que les écrivains
britanniques nous présentent sont construits avec de
l'encre, sans chair et sans consistance, dans leurs livres,
car tous les phénomènes que nous observons sont cadrés, et
c'est parce qu'ils sont cadrés qu'ils ont une signification
qui est par et pour le regard. Ce qui signifie que cadrer,
c'est ramener le contenu à l'image. A un moment l'opérateur
échappe à l'opération. En cadrant, on oublie la
signification de l'image; par exemple lorsque nous
imaginons Johnson se débattant entre deux voies, ou Blixen
en proie à la défaite, ou Waugh sur son chemin de croix, ou
les autres, nous oublions l'intentionnalité de ceux qui les
ont montés et créés. Or chaque fois que nous transformons
le contenu de quelque chose en image, cette image a un
rapport spacial. Elle vaut plus que ce qui a présidé à son
apparition, et affiche un sens peut-être différent de celle
du producteur, puisque l'appropriation de l'image est
toujours différentielle. L'image renvoie à des formes
d'intelligibilité collectives; donc elle est
suprapersonnelle, dans la mesure où nous sommes le support
de ce point de vue que nous croyons nôtre. Nous sommes dans
un contexte collectif découpé à un moment donné. Toute
image est porteuse d'un sens suprasensible, d'une
signification collective dont le style, la mise en forme
deviennent l'élément sensible de son apparence. C'est
pourquoi elle a une force, que sa matérialité peut être
ressaisie comme modèle, schéma ou type, ou forme. Elle est
un trait d'union entre la nature et la culture. C'est pour
dire que l'écrivain, l'artiste s'enracinent dans une
faculté modélisante, imageante, de construction de schèmes
mentaux. cependant, à côté de sa densité matérielle, ses
formes, couleurs ... , l'image a une amplitude psychique.
Elle est une condensation de l'énergie psychique, qui
appelle une interprétation. Or qui dit interprétation de
sens, dit être capable de situer le sens dans lequel le
sens fait sens. C'est une forme de l'hermeunétique, dans

26
laquelle les réponse apportées par elle donnent des
questions qui finissent par n'avoir pas de réponses. Voir
Foucault, M.," Distance, Aspect, Origine" (paru dans
Critique, Nov. 1963) in Théories d'Ensemble, Paris, Seuil,
1968. pp. 13-26. Pour comprendre le sens, il faut être
habité par la temporalité dans laquelle le sens fait sens.
Mais la temporalité psychique est différente de la
temporalité de la nature des choses, comme dans la conquête
et la mauvaise conscience de l'échec des immigrés
britanniques en face de l'Afrique. - Voir Merleau-Ponty,
"Le Philosophe et son Ombre" in signes Paris, Gallimard,
1960.
13 - Sard, Edward, W.,
"Intellectuals in the Post-Colonial
World", Salmagundi, 70-1 (Spring-Summer 1986) pp.4-64,
qualifie l'ensemble des rapports mutuels entre colons et
colonisés de situation de "politics of blame ", en ce sens
que par un rapport dialectique, le colon et le colonisé,
finissent par se condamner. - C'est presque le même
discours que tient JanMohamed, Abdul, R., "The Economy of
Manichean Allegory: The Function of Racial Difference in
Colonial Literature", Critical Inguiry, 12 (Autumn
1985). pp. 59-87.
14 _ Lukacs, Georg, Studies in European Realism, New York,
Grosset and Dunlap, 1964, p.9. - Sard, Edward W.,
"Orientalism.Reconsidered" in Barker, F. et al, eds.,
Literature, Politics and Theory, London, Methuen, 1986. Il
aborde ce thème dans The World, the Text and the Critic,
Cambridge, Massachussetts, 1983. Son opinion rejoint celle
de Jameson, Fredric, The Political Unconsciousness:
Narrative as a socially Act, Cornell University Press,
1983. pp. 20, 52-53, 70, 80-83. Selon Jameson, l'écrivain
s'autovalorise en face d'une altérité multifaciale dans le
but de s'auto-vérifier. Pour ce faire ou pour mettre en
valeur son groupe social face à une entité antagoniste, il
ne peut se surpasser, ignorer les limites de sa situation,
les intérêts socio-économiques de ce groupe ou de sa propre
classe. De ce point de vue, les hommes feraient leur
histoire en fonction de leurs intérêts socio-économiques,
de classe et de la lutte des classes qui prévaut - Voir
Frow, John, Marxism and Literary History, Oxford,
Blackwell,1986, p.230. - Pierre Macherey, Pour une
théorie de la production littéraire, Paris, Maspéro,
pp . 134 -1 39 .
15 - C'est ce qui a fait dire à Rousseau, Essais sur l'Origine
des langues, Chapitre III
que:
«Un homme sauvage en rencontrant d'autres se sera d'abord
effrayé. Sa frayeur lui aura fait voir ces hommes plus
grands et plus forts que lui-même; il leur aura donné le
nom de géants. Après beaucoup d'expérience, il aura reconnu
que ces prétendus géants n'étaient ni plus grands ni plus
forts que lui, leur stature ne convenait point à l'idée

27
qu'il avait d'abord attaché au mot de géant. Il inventera
donc un autre nom commun à eux et à lui, tel par exemple
que le nom d'homme, et laissera celui de géant à l'objet
faux qui l'avait frappé durant son illusion.»
16 _ Voir Poliakov, V., Léon, Le mythe aryen, essai sur les
sources du racisme et des nationalismes, Paris, Calmann-
Levy, 1974. pp. 241-256. Nous ferons une réserve quant à la
notion de sauvage. En effet bien que Poliakov relève
l'ambiguité des termes 'primitif', 'sauvage' à partir des
travaux sur l'Histoire, de penseurs tels que Hegel, Marx,
Engels, Schelling, Gobineau, il ne fait aucun doute que
dans la mentalité britannique, ces termes ont toujours
servi à caractériser essentiellement l'Afrique Noire et
certains peuples du Tiers-Monde. C'est pour dire que ces
considérations étaient déjà fortement enracinées dans les
cultures européennes. - Voir Curtin, Ph., D., The Image of
Africa, p. 377.
17 _ Selon Comte l'idée d'ordre est liée à l'idée de hiérarchie
en tant que système de subordination rigide de la partie au
tout, de l'inférieur au supérieur, du processus au
résultat, comme l'emboîtement des pièces dans un mécanisme.
comte, Auguste, in "Système de Politique positive" nous dit
que: «
Il suffit de comparer les deux acceptions du mot
ordre, qui toujours signifie à la fois commandement et
arrangement.», t.IV, p.17 in Sociologie, Paris, P.U.F.,
Les Grands Textes.
18 _ cunningham, Valentine," Renoving That Bible: The Absolute
Text of ( Post) Modernism", in The Theory Of Reading, ed.,
Gloversmith, F., Brighton, Harvester Press, 1984, pp. 1-51.
Une lecture de Saussure pourrait aider à se mettre dans le
débat; voir Saussure, F., Cours de Linguistique Générale,
paris, Payot, 1978.
19 _ Fussell, Paul, Abroad: British Literary Travelling Between
the Wars, London, OUP, 1980. Lire auparavant de ce même
auteur, The Great War and Modern Memory, New York, OUP,
1975. Les moments de l'entre-deux-guerres furent très
prolifiques, si nous nous accordons à Munton, Alan, English
Fiction of the Second World War, London, Faber, 1989. De
même il se trouve que depuis le XVIIIe siècle les écrivains
ont été motivés par un élan romantique, dans lequel les
britanniques recherchaient la diversité comme le dirait
Lovejoy "diversificationism" contre l"uniformism" qui
dominait toute l'ère Newtonienne du Siècle des Lumières. -
Voir Lovejoy, A., O., The Great Chain of Being: A Study of
the History of an Idea, Cambridge, Massachussetts, 1936,
pp.233_311.
20
Nietzsche, Friedrich, in La Volonté de Puissance, nous
déclare que: «
La contradiction n'est pas entre le "faux"

28
et le "vrai", mais entre les "abréviations de signes" et
les signes eux-mêmes. L'essentiel est la construction des
formes qui représentent de nombreux mouvements, l'invention
de signes qui résument des variétés entières de signes ... La
pensée est autre langage chiffré qui exprime un compromis
.
de puissance entre les affects.»
t.I 2ge Ed., Paris,
Gallimard, 1947. p.287, § 290.
21 - Voir l'exposé de Bhabha, Homi, "Representation and the
Colonial Text: A critical Exploration of Sorne Forms of
Mimeticism", in The Theory Of Reading, ed.,Gloversmith, F.,
Brighton, Harvester Presss, 1984. pp.93-121. - Pour une
étude du sujet et de l'objet dans la production de
fantasmes, voir Hulme, Kathryn, Fantasy and Mimesis:
Response to Reality in Western Literature, London, Methuen,
1983.
22 _ De même la "vie"
de l'individu, de la culture, de
l'humanité
est le phénomène qui dure. Elle se répète en se
renouvelant. Par conséquent elle s'impose par sa constante
présence. - Voir White Hayden, " The Value of Narrativity
in the Representation of Reality", Critical Inguiry VII,
1984. pp. 5-28.
23 _ Hammond, Dorothy & Jablow, Alta, The Africa That Never Was:
Four centuries of British Writinq About Africa, New York,
Twayne Publishers, Inc., 1970. 251 p.
24 _ Mudimbe, V., Y., The Invention Of Africa: Gnosis,
Philosophy, and the Order of Knowledge, Bloomington and
Indiana, Indiana University press, 1988. 241 p.
25 _ Tel est le point central de l'oeuvre du sémioticien russe
Volosinov, Vladimir, Marxism and the Philosophy of
Language, New York and London, Seminar Press, 1973, et
précédés d'autres critiques tels que Saïd, Foucault et
Mitterrant. - C'est dans cette optique que Fanon soutient à
propos du film La Bataille d'Alger, dirigé en 1966 par
Gillo Pontecorvo, que l'objectivité a toujours oeuvré à
l'encontre du colonisé, en ce sens que les préjugés
ethnocentriques et les projections culturelles informent
les vraies perceptions de l'interlocuteur qui projette ses
propres espérances raciales et idéologiques sur la
situation représentée. C'est ce que nous suggère Bhabha
lorsqu'il écrit que: "The reality effect constructs a mode
of address in which a complementarity of meaning
not a
correspondential notion of truth, as antirealists insist
produces the moment of discursive transparency.( ... )
-
Transparency is the action of the distribution and
arrangement of differential spaces, positions, knowledges
in relation to each other, relative to a differential, not
inherent, sense of order.This effects a regulation of
spaces and places that is authoritatively assignedi it puts

29
the addressee into the proper frame or condition for sorne
action or result. Such a mode of governance addresses
itself to a form of conduct that is achieved through a
reality effect that equivocates betweeen the sense of
disposal, as the bestowal of a frame of reference, and
disposition, as mental inclination, a frame of mind. Such
equivocation allows neither an equivalence of the two sites
of disposal nor their division as self / other, subject /
object.»,
Bhabha H., K., Signs Taken For Wonders:
Questions of Ambivalence and Authority under a Tree outside
Delhi, May 1817", critical Inguiry 12 (Autumn 1985). p.
151. - Voir l' Can the Subaltern Speak?" in
Marxism and the Interpretation of Culture, ed., Nelson &
Crossberg, Urban, University of Illinois Press, 1988.
pp.271-313 dont le point de vue rejoint celui de Mitterrant
quï présente la langue comme un pouvoir dans la situation
coloniale. C'est de ce point de vue que Foucault assimile
la connaissance au pouvoir ; voir Power/ Knowledge:
Selected Interviews and Other Writings, 1972-1977, tr.
Colin Gordon et al, New York, Pantheon, 1980.
26 _ Cet état de choses se présente dès que l'écrivain voit ses
rêves piétinés par la cruauté des rapports sociaux. - Voir
Sevry, Jean, "Présentation générale: Perspectives ...
Histoire et littérature", Romanciers africains anglophones,
L'Afrique Littéraire, n067, 1983, pp.l 19. - Voir aussi,
Sevry, Jean, Afrique du Sud: ségrégation et Littérature,
Anthologie Critique, Paris, L'Harmattan, 1989, chapitre IV.
27 - Création romanesque et théâtrale, le héros peut être le
miroir des écrivains et concentrer en lui, les
caractéristiques d'une sensibilité historique et toutes les
contradictions du "Mal du Siècle". Le héros en littérature,
personnage ou écrivain est à la conjoncture de deux
entités, de l'alliance de deux êtres. C'est pourquoi en
tant que force, il sait et peut dire, comme un pont jeté au
dessus d'une abîme. Il est donc sYmbole de vie, et d'union
ne serait-ce que dans la situation coloniale où les corps
ayant pitié des coeurs survolent l'abîme pour se fusionner.
Il est un pont, ouvert devant et derrière, sur l'antérieur
et le futur. Il est donc un Etre singulier. - Dans la
conception de Platon, Cratyle, 398, C., «
Tous les héros
sont nés des amours d'un dieu pour une mortelle ou d'un
mortel pour une déesse. Considère ce qu'était aussi ce nom
dans la vieille prononciation attique, et tu t'en rendras
mieux compte: tu verras qu'il est modélé sur le nom de
l'amour (Eros), auquel les héros doivent leur naissance,
avec un léger changement pour la forme. Voilà ce que sont
les héros pour Hésiode, ou bien il veut dire qu'ils étaient
savants, et orateurs éloquents ou bons dialecticiens,
habiles à interroger et à parler (eïréïn); car eïréïn
signifie parler.».
28 - On retrouvera le thème de la chasse à la frontière, et la
notion du lointain amémiricain par exemple chez Cabau,

A
Toi que je n'ai pas vu grandir: cinq ans,
le temps d'une thèse •••

3D
Jacques, La Prairie perdue, ( le roman américain), Paris,
Seuil, 1981. Pour ce qui nous concerne, par rapport au
monde de Waugh, se referer à Sheldon, Michael, Friends of
Promise: Cyril Connolly and the world of 'Horizon', New
York, Harper, 1989.
29 - Nous faisons allusion à la remarque de Maria Couto, in "
Encounter" dans Popular Fiction and Social Change, ed.,
Pawling, Christopher, London, Macmillan, 1983, à propos des
'Angry Young Men', révoltés par l'establishment, les
dirigeants devenus illégitimes, face auxquels les jeunes
britanniques comme un seul homme adoptent une idéologie de
fragmentation, pour faire entendre un cri de désespoir.
Elle y affirme que de ce temps-là," One story might fit
into the syntactic gap of another and certainly draws on
preceding stories".
L'establishment peut se définir par la sociologie de
Comte, qui prône une réédition de ce que
Gurvitch G. a appelé une "théocratie charismatique à la
tête de laquelle se trouvent les rois-prêtres-dieux
naissants" pour une société vivant selon un temps cyclique
de caractère mystico-théologique". - Voir Gurvitch, G.,
Dialectique et Sociologie, Paris, Flammarion, 1962, pp. 64-
65. Comte parle de religion de l'humanité. Très brièvement,
cette religion serait une institution sociale, qui se
ramène à la représentation du lien social; représentation
mystifiée dans des conditions magiques, où la
représentation possède l'éfficacité du lien social en même
temps que le rapport social réside dans la représentation
même de la société. Il y a mystification du lien social
transmué en liaison affective. Comte espère intégrer les
hommes à une église, sorte de communauté
mystique où les vivants se mettront sous la houlette des
morts. En un mot, incarnant le Grand-Etre , "l'ensemble des
êtres passés, futurs et présents qui concourent librement à
perfectionner l'ordre universel", l'Eglise nouvelle assure
la subordination du présent à l'éternel, des vivants aux
morts, de l'histoire à l'univers immobile. - Là les valeurs
changent, les responsabilités se redéfinissent, les
perspectives se recadrent et les politiques exigent une
reformulation, surtout après les illusions de la révolution
industrielle.On pourrait consulter avec profit des oeuvres
telles que orwell, George, The Road to Wigan Pier, avec une
préface et des photographies de Victor Gollancz, London,
Gollancz, Left Book Club, May 1937 qui toutes traitent des
réalités socio-économiques profondes de la Grande Bretagne
post-industrielle, marquées par la dépression, le chômage
et la pauvreté massive. Après la grande guerre s'installe
la dépression. Lorsque les hommes sont allés au combat, les
femmes autrefois au foyer, les ont remplacés dans les
divers secteurs économiques pour maintenir la productivité.
De retour de la guerre, les hommes qui escomptaient être
reçus en héros, furent reçus par la désillusion de la
gloire, laquelle désillusion s'exprimait en termes de
chômage, de haute société qui dépensait sans compter dans
le sexe et l'alcool. Or c'est en raison de cet état de
fait, que la haute société, tenant du pouvoir qualifié

31
d'establishment, ne pourra pas prendre une position ferme,
et empêcher la deuxième guerre qui se dessinait à
l'horizon. Autrement dit, ces dirigeants se trouvaient dans
la posture et l'inertie des pionniers de conrad, dont
l'élément destructeur finira par avoir raison, à force de
vouloir rattraper le temps perdu.
L'histoire britannique est ponctuée de ces
contestations et de ce non-conformisme, de la part des
jeunes contre un système d'ordre figé qui mène à la mort en
écrasant l'individu et ses libertés. Surtout après la
première Guerre grâce à la poésie d'après-guerre, et après
la seconde guerre.
Les jeunes intellectuels de ces années, ont tenté de
communiser la littérature, en parlant au nom de la classe
ouvrière dont ils ignoraient les réalités, puisque petits-
bougeois eux-mêmes, s'en prenant au sytème socio-politique
dont ils ne feront que renforcer les assises. En sortant
d'une guerre, voilà qu'une autre se profile à l'horizon,
augurée par la guerre d'Espagne et le fascisme italien.
Devant l'indifférence de leurs dirigeants, ils perçurent
leurs propres vies comme étant hypothéquées. La guerre dont
ils sortaient ne leur offrait aucune source d'inspiration,
aucun héros digne de ce nom. Ils eurent l'impression
d'avoir été oubliés, et ne le pardonnèrent pas à leurs
dirigeants, en se faisant sensibles aux propagandes. Les
jeunes littéraires, poêtes surtout prendront pour modèle
Thomas Eliot, nouvellement débarqué des USA avec son
oeuvre The Waste Land dont le titre reflète à merveille la
désolation de l'Europe à la fin de la guerre. Lorsque les
jeunes écrivains reviennent de la guerre djEspagne, la
plupart d'entre eux, notamment Auden W., H. s'exilent aux
USA.
Jeunes avides d'action, ils s'attaquèrent aux institutions,
sous forme d'un front national contre ces dirigeants qui
n'ont pas tenu compte d'eux. De ce fait ils reniaient
l'empire en prétendant que les vieux et les vieillIes au
pouvoir, n'étaient pas dignes de respect et de
considération en raison de leur irresponsabilité devant les
évènements mondiaux, préférant se complaire dans le
snobisme. C'est ce qui a valu à Waugh des oeuvres telles
que WIA, BM, Scoop, The Loved One et bien entendu RP, anti-
impérialistes pour suivre la mode de l'âge, en raison de la
conjoncture socio-politique qui n'offrait aucun asile sûr.
En plus le fait de s'opposer à l'empire comporte sa propre
contradiction. Il nous permet de percevoir l'inconséquence
dans l'attitude des intellectuels. Mais cela se comprend,
du fait que la tentative de communisation la littérature (
Lire en particulier GRAY, Nigel., The Silent Majority: A
study of the Working Class in Post-War British Fiction,
London, Vision Press, 1973. - SMITH, D., Socialist
Propaganda in the Twentieth century British Novel, London,
Macmillan 1978. - Voir aussi Hynes, S., The Auden
Generation: Literature and Politics in England in
the 1930s, London, Bodley Head, 1976.
- Voir Gillie,
christopher, Movements in English Literature 1900-1940,
CUP, 1978. visait à contrer d'une part l'école de
Bloomsbury, un groupe d'écrivains et d'artistes qui se
rencontraient en privé, pour des discussions esthétiques et

32
philosophiques inspirées des enseignements de Moore: Woolf,
V., Forster, E.M., Fry, R., ...
De ce fait, l'opposition résidait dans le
fait que la nouvelle littérature n'était pas
conventionnelle, mais défiante, chaotique comme dans le
style de Orwell pour ébranler cette espèce
d'establishment qui sévissait partout dans la vie
britannique. Or l'inspiration moderniste semblait se
dresser contre la montée du nazisme poursuivie par la prise
du pouvoir par Hitler en Allemagne. Beaucoup de jeunes
littérateurs optent donc pour le socialisme qui offre la
vision d'une société plus juste, de fraternité et de
lendemains qui chantent. Mais dès 1938, tout
s'arrête d'un coup pour les contestataires, car ils
ignorèrent ce qu'ils prônaient et se retractèrent dans le
silence. Ainsi au lieu de secouer les choses, ils n'ont
fait que contribuer à les enraciner profondément. - Voir
Benewick, Robert, The Fascist Movement in Britain, London,
Allen Lane (1969) 1972 et Michael Bell, The Contexts of
English Literature, London, Methuen, 1980. qui nous donnent
un aperçu des conséquences du chômage, des répercussions de
la dépression.
30 - On parle pour se libérer du fardeau, pour crever l'abcès,
en ayant l'impression que son poids est réparti entre soi
et autrui. Voir McGabe, Colin, The Talking Cure: Essays in
Psychoanalysis and Language, London, Macmillan, 1981. Son
point de vue récapitule les travaux de Freud ou de Lacan en
ce qui concerne le langage du moi comme moyen de
défoulement.
31 _ Voir ce thème dans le développement de De Man, Paul,
Blindness and Insight: Essays in the Rhetoric of Modern
Criticism, London, OUP, 1971.
32 _ Voir à ce sujet Stabirovski qui dit que:" traditionally,
the picaresque narrative is attributed to a character who
has arrived at a certain stage of ease and 'respectability'
and who traces, through an adventurous past, his humble
beginnings at the fringes of society". p. 82.
33 - Achebe, C.:" An Image Of Africa", Research In African
Literatures, The Massachussetts Review, 18, n° 4, 1977.
p.783.

33
l
L'HEROISME IMPOSSIBLE

34
Le
voyageur
dans
le
roman
britannique
n'a
plus
pour
ambition de devenir héros, mais plutôt de s'en sortir, de ne pas
se
perdre
en
chemin.
Or
il
n'a
pu
se
dépouiller
de
sa
personnalité culturelle, de son passé. Son rêve en Afrique s'est
attardé sur la conquête, grâce
au maintien de l'opposition avec
la
Grande
Bretagne.
Ce
qui
soutend
le
charme
de
cette
perspective, figure la
crainte sous-jacente que
l'Afrique à un
moment en vienne à ressembler
à l'Europe, à la grande Bretagne.
Alors, pourquoi
fallait-il partir
si
l'Afrique n'est
plus si
distincte de l'Europe?
Quand l'espace
est
rempli,
les
hommes
qui
le peuplent
,
prennent
conscience
de
ses
limites
«
It's
getting
overcrowded', he said
in a
South African
voice ... 'It's time l
moved on'.»
(
TFTT, p.
16), et
doivent bien
admettre que la
liberté qu'ils croyaient
avoir, a elle aussi
ses contraintes (
Voir le constat de Lettice dans le
TFTT, p. 124). C'est ce qui
fait à Marlow dans le Heart Of Darkness de Joseph Conrad de dire
que son Afrique:
« I t had got filled since my boyhood. with rivers and lakes
and names ... It had became a place of darkness.»
( Voir
Conrad, 1)
Il semble
que
dans
cette
situation, il
y
ait
une volonté
délibérée de reporter
à l'infini
la prise
de conscience d'une
société finie
depuis le
jour de son
premier contact
avec une
autre culture.
Aussi, l'Afrique
reflète
le mythe
tragique de
l'inachèvement
(
Voir
BE,
p.23), d'où
pourtant
leS
colons
veulent rester des acteurs créateurs, fût-ce en rêve, au lieu de
la subir.

35
Les représentations par lesquelles ils tentent d'y arriver,
s'acharnent à nous montrer un pays flou, magique, sans frontière
définie, sans
repère, sans
constitution politique,
ni réalité
élémentaire puisque son seul
être est l'attente de l'initiative
Britannique. Tout est chaotique, ou fragile en Afrique, comme si
le continent avait
survécu à un accident
cosmique. Mais, c'est
une situation de
rêve dans
laquelle le
rêveur refuse d'ouvrir
les yeux,
comme
un
adolescent qui
retarderait
volontiers le
moment d'une
clairvoyance
qu'il pressent
fatale.
C'est cette
fatalité qui
est évoquée
par
Blixen, lorsqu'elle
compare les
attitudes des européens et des indigènes face à la vieillesse:
«They did not need any ornaments either, they were
impressive in themselves. They did not, like the old
beaties of the European ballroom, strive to obtain a
youthful appearance ... »
(p. 324).
De ce fait, si
tout est jeune, brut,
fragile ou vierge en
Afrique, les pionniers Britanniques ont des opportunités d'agir,
et les
autochtones
d'être "sauvés".
Et tant
que
la vocation
civilisatrice ne
parviendra
pas
à
son
terme,
les pionniers
immigrés ou voyageurs peuvent encore se soustraire à l'Histoire,
et nous
convaincre
que l'Afrique
est
le pays
de
toutes les
chances, contrairement à
la G.
Bretagne. Les
pionniers y vont
pour
répondre
à
un
besoin d'exotisme,
et
pour
s'y
faire.
Autrement dit, les individus se
rendent en Afrique pour oublier
leurs origines et se faire
les prophètes d'une réalité inconnue
en Europe. Et à
partir du moment où
l'Histoire ne s'occupe pas
de futur mais
constate, ils
vivent un
mythe qui
se donne les

36
moyens imaginaires d'inventer
son futur,
qui explique d'avance
la situation. c'est un des mérites de l'art littéraire.
Pourtant dans le souci
de tourner la page
sur le passé et
les souffrances
qu'il
a
engendrées,
le
voyageur britannique
renie les
faits
et
valorise des
idéaux
imaginaires.
Ce qui
implique qu'il a
cru en un
système de valeurs
qui, soudain se
revèle épuisé. Et pour cela, il a fallu une crise de conscience,
un désespoir
tels
que
même
l'incohérence
puisse
devenir un
refuge pour lui. Pour
cela, il faut que
le colon s'érige comme
unique maître
et
qu'il veuille
que
la
nature se
plie
à sa
volonté, qu'il est souvent seul à respecter. Par conséquent, les
conflits dans les écrits proviennent
de la multitude de morales
et des ambitions
contradictoires comme
c'est le cas
de Out of
Africa de Karen Blixen.
En
effet,
dans
QQA,
le
conflit
tourne
autour
de
la
possession d'un terrain, que la narratrice coûte que coûte tient
à conserver, face à
un monde en
ébullition. D'emblée, le titre
de l'oeuvre de Blixen est symbolique, sYmbolique dans le sens où
il provoque en nous deux réactions.
En
un
premier
moment,
il
est
métaphorique
et
nous
représente la scène d'une lutte d'un nain qui cherche à se faire
de la place
dans une
foule de géants.
Cette image
à son tour
nous fait penser à la lutte de David et Goliath de la mythologie
hébraïque.
Tout à la fois
nous pouvons penser du
titre comme la métonymie
d'une
action
héroïque,
nostalgique
ou tout
simplement
d'un
regard sur le
passé. Dans ce cas
là, il s'agirait
du fait que
l'auteur prend
de
la distance
par rapport
aux
évènements et
porte un oeil critique sur
son histoire subjective. Il apparaît

37
de ces
deux
conceptions que
la
notion
de place
et
le sens
d'espace sont très
importants dans
l'oeuvre entière
de la vie
d'un Etre qui finit par avoir peur de tendre les bras de crainte
de
n'attraper
encore
une
fois le
néant.
L'oeuvre
est
une
mosaïque de bris d'une vie
déchirée en toute part. N'est-ce pas
pour cela
d'ailleurs qu'elle
est
constituée d'un
ensemble de
micro-récits, tout autant que Shadows On The Grass?
OOA, par exemple comporte cinq chapitres subdivisés en 54
parties, qui témoignent du souci de l'auteur de reconstituer une
vie, un moment, une histoire dans ses moindres détails
significatifs. Cette typographie peut exprimer aussi le fait que
la pensée recherche sa voie comme un homme atteint de troubles
cérébraux tenterait de retrouver sa chambre dans l'obscurité
d'avant les lésions cérébrales. Nous ne pourrons épuiser
tous
les aspects du possible interprétatif. Mais nous avons tenté de
suivre le fil de ces pensées, ou leurs produits.
1 -
Stérilité des Efforts et quête insatisfaite.
Ce qui est intéressant à noter, c'est le quatrième chapitre
de OOA qui s'ouvre sur les états d'âme de la narratrice qui nous
décrit l'atmosphère
après la
pluie. Après
la pluie,
c'est le
silence de la nuit, des
bois, qui évoquent une ambiance funêbre
de cimetière
avec un
jeu de couleurs
obscures et
claires. Le
milieu a un aspect
de domino, et au
dessus, des pions d'échecs
sYmbolisés par les insectes. La voyeuse nous enseigne:
«
You may catch the insect and make i t shine upon the palm
of your hand, giving out a strange light, a mysterious
message; i t turns the flesh pale green in a small circle

38
round i t ... l t is impossible not to imagine that a whole
crowd of children of six or seven years are running through
the dark forest carrying candIes, little sticks dipped in a
magic fire ... The woods are filled with a wild frolicsome
life, and i t is aIl perfectly silent.»(p.213)
La nature invite
la personne extravertie à
la rêverie. La
nuit lui apparaît encore plus
immense, et dans cette immensité,
elle s'aperçoit de
la sècheresse,
et des artifices
de sa vie.
Atteinte de siphylis, Blixen se fait opérer des ovules.
Sa vie
n'a
pas
été
fructifiée
in
vivo,
comme
le lui
rappelle la vie
des bois,
où les
insectes se
profilent à ses
yeux comme
des
enfants portant
des bougies
comme
pour fêter
leurs Pâques. Mais ce sont
des non-personnes, des fantômes dans
le monde fantôme de l'imagination de la narratrice. c'est aussi,
la schématisation de la
torture de la
femme stérile qui attend
l'enfant qu'elle n'aura jamais, dans l'obscurité de sa vie vidée
de son sens.
Aussi, OOA
est
l'histoire
d'une femme
à
qui
il manque
toujours un
morceau de
son chemin,
peut-être parce
qu'il n'y
avait pas
de
chemin hors
de cet
environnement,
ou peut-être
parce que Blixen a suivi
la mauvaise orientation. Mais est-ce à
dire qu'elle fait figure
de sainte innocente,
qui n'a fait que
de mauvais choix dans sa destinée? Ou bien est-ce parce qu'elle
est un point de convergence malheureusement accidentel ?
Blixen allègue que:
«
When the field reddened with the ripe berries, aIl the
women and the children, whom the y calI the Totos, were
called out to pick the coffee ... and built the factory
ourse Ives and thought highly of it.»
(p. 17)

39
Le
'We' ne signifierait-il pas
qu'elle se fait passer pour
un
indigène,
ou
s'identifierait-elle
simplement
aux
autres
marchands, civilisateurs ou exploiteurs en raison des espérances
de
profit
à
faire
sur le
faible
investissement
ou
apport
personnels ?
En
fait
à
travers
toutes ces
différenciations,
Blixen
incarne toute une idéologie de la notion d'échelon, c'est-à-dire
le système
qui distingue
les 'Nous' et
'Eux'. Que
serait une
femme sans enfant pour l'enorgueillir de sa fécondité féminine?
Ce sont les
lois de
la nature, nous
répond la narratrice
dans la deuxième section du chapitre 4, où elle nous in joncte:
«
The Roads of Life. When l was child l was shown a
picture inasmuch as i t was created before your eyes and
while the artist was telling the story of it. The story was
told, every time, in the same words.»
(p.213).
L'histoire de
Blixen est
celle d'une
quête insatisfaite,
une attente
déçue.
Son
manque est
une
vie
poétique qu'elle
aurait voulu
vivre et
aurait voulu avoir
vécue et
vivre pour
l'écrire après l'avoir
comblée. Mais c'est aussi
le fardeau de
toute son impuissance qui lui pèse et qui la tourmente. C'est le
néant derrière,
le néant
devant,
le néant
tout autour.
Et à
présent Blixen est un tas de cendres, qui vit chaque série de 24
h comme un être
qui n'est pas sûr d'être
là le lendemain. Elle
n'arrive pas à s'accorder
la vie puisque
sa ferme est stérile,
et que sa vie s'habille de noir.
La représentation
d'Ingrid
s'accompagne de
la
ferme,
le
receptacle où viennent se féconder
la pluie et le grain. Ainsi,
la femme comme
la ferme
donnent la vie.
Mais la particularité
dans la
personnalité
de
Ingrid,
c'est
qu'elle
est toujours

40
disposée à prêter son assistance en
cas de besoin, et surtout à
une consoeur moins favorisée.
Nous lisons que:
«
Her husband, to make money, to pay off their Njoro land
... for the sake of the farm.
She was therefore,
in the
meantime, running i t on her own;
( ... ). She rushed down to
me as she would to the assistance of a friend whose house
was on fire,
( ... ) Ingrid understood and realized to the
bottom of her heart ... and leave it. »
( P. 315 ).
La ferme représente
les efforts et
les investissements de
toute une vie, de
toutes les attentes.
Elle est une continuité
de la vie,
et son contenu. La
ferme est à
son propriétaire ce
que l'enfant est à sa maman. Et comme il se trouve qu'Ingrid n'a
rien pour l'aider et pour pouvoir en tirer profit, elle sue sang
et eau pour combler sa vie de femme entreprenante. Ainsi, Blixen
se retrouve à l'opposé de
sa situation, de la situation qu'elle
aurait pu rêver
sans enfant et
sans fortune. La
vie de Blixen
est donc un chaos total, un monde ravagé. Aussi, s ' i l est facile
à Ingrid
d'imaginer
l'état
d'âme de
sa
compagne infortunée,
c'est parce
que
justement, Ingrid
sait
ce que
c'est
que de
n'avoir pas de
postérité sur
qui reporter
son affection. Elle
sait ce qu'une
femme peut ressentir lorsqu'elle
éprouve un mal
d'enfant qui se solde
par une fausse couche.
C'est ce que nous
inspire le passage suivant:
«
Men,
l think cannot easily or harmoniously envy or
triumph over one another. But i t goes without saying that
the bride triumphs over the bridesmaids, and that the
lying-in-visitors envy the mother of the child; and none of
the parties feel the worse on that account. A woman who had
lost a child might show its clothes to a friend,
aware that
the friend was repeating in her heart:' Thank God i t is not
me', - and i t would be both of them a natural and befitting
thing.( ... ) In spite of our old khaki trousers, we were in
reality a pair of mythical women, shrouded respectively in
white and black, a unity, the Genii of the farmer's life in
Africa. »
( P.317 ).

41
En effet,
Ingrid et
Blixen
sont deux
types de
la femme
fortunée et de
la femme malheureuse,
mais en qui
rien ne peut
germer et pousser à terme
sans s'envelopper du manteau noir des
ténèbres. C'est ainsi qu'en passant par la confrontation du Noir
et du Blanc,
jeu de couleurs,
la narratrice dépeint
sa vie et
celle d'Ingrid comme nous le verrons plus bas, puisque ce jeu de
couleurs est
aussi synonyme
de l'ambigüité
de Blixen
dans le
contexte colonial. La vie de Blixen en Afrique est un écho de la
situation entre la Grande
Bretagne et l'Afrique, situation dans
laquelle le
départ
a
été
manqué, donnant
ainsi
un
état de
course-poursuite, comme
la
lune
et
le
soleil.
Puisqu'on ne
retrappe pas le temps réel perdu, Blixen n'a plus rien à perdre.
2 - La Boite de Pandore
C'est ainsi
que 'Hard
Times' échelonne les
moments amers
qu'a connus
la narratrice.
Ces
moments amers
sont dûs
à des
conditions climatiques
peu favorables,
à l'inadaptation
de la
culture et à
la conjoncture
économique, qui se
soldent par la
faillite de l'entreprise
fermière. Le texte nous
révèle ce qui
suit:
«
My farm was a little too high up for growing coffee ...
brought us very low down.
( ... )
At the same time coffee priees fell ... l would have to
sell.»
(p.275).

42
L'emplacement
géographique
inadéquat,
les
calamités
naturelles et les
fluctuations boursières condamnent l'activité
de la ferme, et
partant de la narratrice
qui cherche une issue
dans une tentative de
conversion agriculturale, elle aussi sans
trop de succès. Elle nous confie d'ailleurs que:
«1 thought out many devices for this salvation of the
farm . . . . but i t needs much skill and experience.»
(p.275).
La tentative
de Blixen
est
une aventure
hasardeuse, une
démarche
désespérée qui
nécéssite quand-même
de l'art
et un
savoir. Ce
qu'elle
n'a pas,
puisque le
fonctionnement
de la
ferme n'est pas l'affaire d'un seul
homme, au vu de son ampleur
et de
sa
structure
de
management, mais
de
toute
une ligue
d'actionnaires,
de
partenaires
financiers
qui pourvoient
en
capital de fonctionnement de la
ferme située sur le haut Thika,
district qui a inspiré un roman à Elspeth Huxley, TfTT.
Théoriquement, les deux
femmes étaient
voisines, et comme
les pionniers
étaient peu
nombreux,
les deux
femmes devaient
avoir des lieux communs,
des points de
contact. Or, ni Blixen,
ni Huxley,
ne fait
mention l'une de
l'autre à
quelque moment
donné de leur séjour colonial, bien que toutes les deux familles
aient un
grand caractère
convivial. Pourtant elles
parlent de
bien
des
choses
avec
la même
passion,
la
même
conviction
personnelle. Comment se
fait-il donc qu'elles ne
se soient pas
connues? Est-ce une omission involontaire
de la part de Blixen,
à force de détailler et de disséquer
sa vie en Afrique? Ou est-
ce parce que Huxley en faisant appel
à ses souvenirs a jugé bon
de ne
pas
évoquer
les
malheurs de
Blixen?
Ou
est-ce parce

43
qu'elle a choisi délibérément de
ne pas appeler les personnages
par leurs vrais noms?
Les questions sont
infinies et
aucun auteur
ne peut nous
porter
son
témoignage.
De
même, les
indices
d'un
éventuel
évitement, ou
d'une incompatibilité
d'humeur sont
absents. Il
semble à la fois
que ce geste soit
délibéré pour enlever toute
exaltation
historique
à
leurs
oeuvres, en
ce
sens
que
se
mentionnant
mutuellement,
elles
rendraient
leurs
histoires
vérifiables, donc discutables,
au contraire
des projections et
des préjugés personnels.
Il se pourrait que les Huxley soient arrivés au moment déjà
où Blixen était sous
la tourmente des
efforts vains, ou encore
que chacun se démenait de son
côté, pour faire face au désastre
qui était le leur. Seulement oublie-t-on de tels moments?
c'est là
que
les
remarques
de Hannah
Donald,
à
propos des
coloniaux
qui
évitaient
ou
jasaient
à
propos
de
Blixen
pourraient expliquer
cette situation
amnésique. Bien
que nous
puissions inscrire les
réflexions de
ce dernier
au compte des
conflits dans les
cercles coloniaux où l'on
traitait Blixen de
"pro-native" (
Voir
Hannah;
Thurman,
2),
en
raison
de
son
engagement paternaliste
aux
côtés
des Africains,
si
nous en
croyons Maugham-Brown, Huxley est un "liberal racist". Donc cela
expliquerait aussi la
généralisation de la
narratrice qui nous
dit:
«Most of the farmers in the country were, in those years
trying their hand at sorne such scheme, and to a few of them
in the end an inspiration came. Things turned out well for
Ingrid ... she had slaved for twelwe years ... »
(p.276).

44
Certains
ont
réussi
tant
bien
que
mal
en
dépit
des
déceptions et des obstacles, mais pas Blixen, la protectrice des
Africains. La narratrice nous indique:
«To bring the coffee on we tried to manure the fields . . . .
When the squatters heard of the project the y came forward
to help me . . . . but asit came to happen, no one ever saw the
effects of the manuring.»
(p.276).
Malgré les efforts acharnés, la
ferme ne satisfait pas aux
attentes. Comme
par enchantement,
elle
refuse de
produire ce
qu'on lui demande.
poor Box = la Boite de Pandore?
En effet, Blixen
est un carrefour, un
trait d'union entre
tous les infortunés de l'Afrique.
Mêmes les animaux ne sont pas
épargnés. C'est par exemple la situation du poney irlandais dont
elle a elle-même
hérité
de Mrs Darrell Thompson, dénommé Poor-
box:
«
Denys Finch-Hatton used to ride him ( ... ) he won the
jumping competition of Kabete, which was held in honour of
the Prince of Wales.
( ... ) He died from horse-sickness, six
months later ... »
(p. 182)
Certes
Poor-box,
est
mort
vieux,
peut-être
de
mort
naturelle, mais son nom n'est pas
des plus gais. Il s'agit d'un
tour de main
de la narratrice
qui le condamne
ou encore parce
qu'ils se
sont rapprochés
l'un
de l'autre
que
sa fin
a été
accélérée. Le nom pour
un être vivant évoque
une chose; ce qui
nous fait
dire que
son nom le
programmait à
la mort,
car il

45
n'est pas évident que ce nom soit
celui qui lui a été donné par
son propriétaire.
Créatrice de
Zeus, elle est
descendue parmi
les hommes,
porteuse
d'une
jarre contenant
tous
leurs maux.
Aussi, ce
dont
elle
se
rappelle
de
Pooran Singh-prométhée,
c'est, dit-elle
«
At Naïrobi station the last thing that l
saw was the
slim dark hand, that had worked on the forge with ferious
speed. »
( P 313 ).
En effet, la forge de
Pooran-singh est un temple de magie.
Ce qui justifie le supplice de Tantale qu'éprouve la narratrice.
Tout lui est éloigné et tout est
proche à la fois. Elle ne peut
s'en passer et ne peut y accéder, malgré sa profonde religiosité
revélée par la mort de Denys et de Kinanjui. Mais tout n'est pas
négatif dans
les
représentations
couplées des
choses
et des
êtres.
Cela
se
remarque
dans
l'image
de
l'artiste,
la
complémentarité
entre
la
tradition
et
la
modernité.
Dans
l'Afrique scolarisée,
les
écoliers
partent
des enseignements
reçus pour improviser une chanson:
«
And then they aIl joined into an intoxicated refrain:
'A. B. C. D.' - because they came straight from the school,
and had their heads filled with wisdom.»
(p.
203)
Dans l'héllénisme occidental, ils
y apportent le rythme de
leur vie, une vie
chantée, composée. A la
suite de cette union
harmonieuse,
la
traductrice
nous
informe sur
les
croyances
populaires et
la
pharmacopée.
C'est
au
nom
de
la médécine
traditionnelle que
les
indigènes
se disputent
la
graisse de

46
lion,
en
dépit
de
la médécine
moderne
que
prodiguent
les
missionnaires. Mais s'agit-il d'une union parfaite?
La vie imaginaire de Blixen
Blixen vit
un mythe.
Et dans ce
mythe, elle
se complaît
dans son déluge. Sa
vie est un voyage au
bout de l'enfer, avec
pour seule compagne
la souffrance cruelle
et incessante. Cette
vie ressemble à un jouet dans la géhenne de Pooran Singh :
«
Pooran Singh, who mastered the mineraIs, outside of his
workshop was like a child.
( ... ) when he went away, he
carried no luggage with him but a small box of tools ... to
follow i t »
( P 311-312).
L'image du
forgeron dans
OOA
est représentée
par Pooran
Singh. La forge selon la narratrice se présente comme suit:
«Pooran Singh's little blacksmith's shop down by the mill
was a miniature HelIon the farm, with aIl the orthodox
attributes of that place.
( ... ) Pooran Singh worked at a superhuman pace, as if his
life depended upon getting the particular job of work
finished within the next five minutes ... »
(p. 267)
Pooran Singh
est une
sorte de
demi-dieu, l'homme
à tout
créer à la ferme, comme nous le dit le texte:
«
He was the servant of the gods, heated through, white-
hot, an elemental spirit.»
(p. 268).
Pooran Singh est une
sorte de prométhée,
le gardien et le
servant de la
forge, de
ses rites, car
la forge
a une valeur

47
sacrée, mystique qui enchante tous
ceux qui s'en approchent. La
narration nous revèle que:
«
l
liked Pooran Singh's forge, and i t was popular with
the Kikuyu, for two reasons ...
( . . . )
In Pooran singh's blacksmith's shop the hammer sang to you
what you wanted to hear, as if i t was giving voice to your
own heart ... »
(p. 268).
La
forge
inspire
de
la
poésie
et
convoie
toute
une
puissance mythique avec elle. Elle est le lieu de dialogue entre
les hommes
et les
génies,
les esprits.
Or pour
invoquer ces
esprits, le
rituel commande
souvent de la
poésie. Elle
a une
valeur sociale et
mythique. Elle
n'est pas
sous l'action d'un
seul homme, mais de la coopération du technicien, du poète et de
l'assistance.
Elle
révèle
aussi
le
pouvoir
de
l'homme
à
communiquer avec l'au-delà, l'immatériel et la matière. Cela est
aussi bien valable dans le monde indigène que dans l'ancien nord
de l'Europe. La forge, c'est le pouvoir de la parole. Tandis que
les indigènes
perçoivent la
vérité
de la
forge au
rythme du
marteau et
des
chants,
la
narratrice
y
perçoit
une poésie
grecque, la raison
héllénique. La même réalité
leur procure la
même inspiration
ou la
même consolation sur
leurs conditions,
mais par des voies différentes. Tandis que la narratrice recourt
au passé pour s'accrocher à ce qui se déroule sous ses yeux, les
autochtones, eux le vivent comme une réalité qu'ils n'ont jamais
quittée. Le passé de l'un est le présent de l'autre, ce qui fait
qu'ils n'affrontent
pas ensemble
la vie.
Ce serait
comme une
progression en ligne, où en
principe, celui qui ouvre la marche
n'est pas
sensé voir
le suivant, sinon
l'imaginer ou
le voir
mais très
mal,
au
risque
de sortir
de
la
ligne.
Mais qui

48
suivrait qui?
si
l'Afrique, selon
les
propositions diverses,
était derrière l'occident comment serait-elle en position d'être
vue ce dernier?
Le revers de Pooran
Ainsi, Pooran appartient-il au
monde des dieux. Mais semi-
humain, il a pris
fait et cause pour
l'espèce humaine, pour la
tirer de sa misère grâce aux bienfaits du feu. Or, pour cela, il
doit encourir le châtiment
du grand Dieu.
Ainsi, Pooran est un
promothéen d~une
part,
et
un
ange qui
est
enveloppé
de la
lumière de fin du
monde. Il est l'envoyé
des dieux, tout comme
la narratrice semble être
la reproduction de
la sainte face de
Véronique. Mais
dû au
mal qui se
répand comme
l'huile autour
d'elle, Blixen
est
l'incarnation de
Pandore.
Pourtant Blixen
prétend comprendre
les
animaux
et leur
psychologie,
en nous
disant:
«That they had corne for any other reason than just to
look', deep down on both sides, at the land below.»
(p. 16).
Animalier, Blixen l'est certes.
Mais peut-être aussi veut-
elle se faire passer pour
un élan. Or, si
tel était le cas, ne
voudrait-elle pas
dire
qu'ils
ont
tous
les
deux
les mêmes
instincts, les mêmes pulsions?
Pourtant l'élan n'est pas le plus
fort de la brousse ni le
plus faible, et
c'est de
ce fait
qu'il semble
voguer sur une
corde pendue
sur
des ravins.
De
ce monde
céleste,
il subit
l'attraction tellurique comme un porc qui enfouit son groin dans

49
la vase de sa mangeoire. Blixen
a conscience de sa captivité et
de son emprisonnement en Afrique.
Mais n'est-ce pas son Afrique
? Pour donner une illustration
à cette fascination de la terre,
le texte nous dit:
«'We grew coffee on my farm. The land was itself a little
too high for coffee, and i t was hard work to keep i t going.
We were never rich on the farm. But a coffee-plantation is
a thing that gets hold of you and does not let you go, and
there is always something to do on it: you are generally
just a little behind with your work.»
(p. 16).
Aussi cette
fascination pour
la ferme
est-elle également
synonyme de sa peine,
de ses efforts, et de
son dur labeur, de
son déphasement
par
rapport
à
la
réalité,
mais
surtout ce
passage représente la
boule de verre dans
laquelle elle semble
enfermée,
et
qui
ne
se
brisera
pour
la
libérer
qu'après
acceptation de son échec. Ce même passage est aussi prémonitoire
de son échec économique et social.
~.Vampire ou Mamy Matta
Dans la
première partie
du roman, à
propos de
la ferme,
Blixen nous dépeint
le paysage
à
la manière
d'un peintre avec
une telle intensité
qu'il nous
en vient
une vision idyllique.
Par exemple elle nous dit:
«
The geographical position and the height of the land
combined to create a landscape that had not its life in aIl
the world.
( ... )
Everything that you saw made for greatness and freedom, and
unequalled nobility.
The chief feature of the landscape, and of your
life in it, was the air ... »
(p. 13).

50
Dans cette
description, l'Afrique
est perçue
comme étant
d'une autre
planète,
ou tout
au
moins comme
ne
faisant pas
partie du même monde
que l'Europe. Ainsi
"aIl the World" passe
par une
métonymie
de
l'Europe. Mais
qu'est-ce
que l'Europe,
qu'est-ce que le monde,
sinon qu'en cherchant
au fond de nous-
mêmes, ces deux notions représentent
une expérience à un moment
donné en rapport avec une entité spatiale ?
Pour la narratrice de OOA, l'Afrique elle-même, représentée
par le Kenya, synecdocte,
est une nature
sauvage, et pleine de
noblesse. Elle offre la
liberté et une
vie agréable à l'homme,
parce qu'elle
est justement
sauvage. Aussi, pour
étayer cette
noblesse, sa beauté,
Blixen nous place
de son point
de vue et
nous suivons son
regard qui balaye
l'étendue topographique, et
dessine les formes géométriques verticales et horizontales comme
si elle
cherchait
à
faire
le plan
d'un
lieu,
d'une maison
d'habitation, ou comme
un scanner
détecterait une déformation.
Elle nous dit que:
« ... ever-changing clouds towering up ... the air was
alive over the land ... up in this high air you breathed
easily, drawing in a vital assurance and lightness of
heart.
( . . . )The mountain of Ngong stretches in a long ridge from
North to South,
. . . . It rises ... the drop is deeper ...
the hills fall vertically.»
(p. 14).
Ce cours de
topographie, et de météorologie,
prend le roi
Salomon pour
authentificateur du
postulat
de Blixen
qui nous
décrit les vents de mousson en ces termes:
« I t is the same wind that, down at the coast of Africa and
Arabia, the y name the Monsoon, the East wind, which was

51
King Solomon's favorite horse.»
(p. 14).
Mais les
constatations
de
Blixen
restent
pourtant très
impressionnistes comme
en attestent
les comparaisons utilisées
au
fil
des
pages,
par
exemple
dans
les
trois
premiers
paragraphes de la page 13-14, on
peut dénombrer le mot "like" 9
fois. Il
semble aussi
que
Blixen-narratrice nous
présente un
double
registre
à
savoir
qu'elle
adopte
l'attitude
du
connaisseur qui se met en devoir de diffuser ses convictions, et
qui doute
en
même temps
de ses
propres
capacités, remettant
ainsi ses
propres
sens
en
cause. Et
ce,
d'autant
plus que
l'espace que Blixen
essaye d'appréhender paraît
comme le fruit
d'un esprit
qui
invente
son
monde.
Spécialement
le passage
suivant ne peut nous laisser indifférents:
«The hills from the farm changed their character many
times in the course of the day ... as stretching and
spreading itself.»
(p. 14-15)
Le monde que
Blixen pensait
connaître, se
revèle être un
phénix, un
caméléon. Alors
elle ne sait
plus où
chercher. Ce
monde est
si proche
et
si lointain
à
la fois.
Nous faut-il
croire en une essence
ou en une existence? -
Voilà ce que nous
nous demandons
à
partir de
ce personnage.
Faut-il
nommer la
chose pour qu'elle existe ou qu'elle cesse d'exister?
C'est cela l'art
poétique de
Blixen. Ce
qui est évident,
c'est que
Blixen
fait
des
comparaisons,
des rapprochements.
Pourtant dans la
comparaison, un élément devient
la parodie de
l'autre. N'est-ce pas d'ailleurs
pourquoi dans son intention de
prendre le
cap, apparaissent
les différences,
les oppositions

52
entre la chasse
pour le
sport (qui
du reste
pose un problème
écologique) contrebalancée
par les
champs
Kikuyu, du
fond de
leurs réserves? Aussi
Blixen semble opposer
nature et culture.
c'est pourquoi elle nous rapporte que:
« ... the vast plains of the great gone_country that
stretches aIl the way to Kilimandjaro ... and a mosaic of
little square maize_fields, banana _groves and grassland
( ... ); the cactus grows here, and and here is the home of
the giraffe and the rhino.
The hill_country itself, when you get into it, is
tremendously big, picturesque and mysterious;
... »
(p. 15)
Cet
endroit
mystérieux
est
digne
d'intérêt
pour
la
curiosité scientifique. Pourtant
dans ce tout
dialectique - la
nature et la culture, un tout
à partir duquel une personne tire
l'indice de sa conscience - Blixen est à la recherche du moindre
signe
qui
permettait
à
ses
souvenirs
d'être
rapportés
au
présent, car
l'histoire
de
OOA
est un
passage
en
revue de
troupes. C'est une
histoire masquée et obscurcie
qui se réduit
au
calendrier
des
événements
naturels
avec
leurs
seules
significations affectueuses. Puisque l'histoire
du roman est un
passage en
revue
de
troupes,
aussi
avons-nous
droit
à une
classification des personnages et
des évènements, dans laquelle
Berkeley et Denys
sont favorisés
pour avoir
fait leur pied-à-
terre
de
la
maison
de
l'auteur.
Les
propos
suivants
caractérisent bien leur attitude:
«
As far as Berkeley Cole and Denys Finch-Hatton were
concerned, my house was a cornmunist establishment ... »
(p. 183)
Les affinités qui
unissent Blixen, Denys
et Berkeley sont
très fortes. C'est
pourquoi en
tant que
petits bourgeois, ils

53
vivent en
coollectivistes dans
cette
maison, où
ils semblent
avoir uni leurs
destins. Mais la
vie de cercle
est leur cause
commune. Les deux
hommes eux, sont des
excentriques, qui n'ont
pas au prime abord une raison
de venir chercher leur bonheur en
Afrique comme nous le fait remarquer Blixen-narratrice:
«
It was a curious thing about Berkeley and Denys - who
were so deeply regretted by their friends in England when
they emigrated ... In the present epoch they had no home,
but had to wander here and there ... Of this they were not
themselves aware ... »
(p. 184)
Denys comme
Berkeley
sont
des
itinérants,
en perpétuel
mouvement, ne
faisant que
de brèves haltes
pour revenir
à la
société par la
compagnie de
la narratrice. Ennuyés
par la vie
insulaire, Denys et Berkeley décident de partir à la conquête du
monde sauvage et en vivre pleinement la liberté. Ils renoncent à
leur communauté qui
leur offrait presque tout,
pour venir tout
chercher en Afrique. Attirés irrésistiblement par la nature, ils
s'y exilent
volontairement
avec
Blixen-narratrice
comme seul
point d'attache au monde civilisé. Malgré leur ressemBlance, les
deux personnages Denys et Berkeley sont différents. C'est ce qui
apparaît dans le passage suivant:
«
Denys, when he came to talk of his young days ... was
wrong in his view of himsel, so was Berkeley ... They
believed that they were deserters, who sometimes had to pay
for their wilfulness, but they were in reality exiles, who
bore their exile with a good grace.»
(p. 184-185)
Qui de l'écrivain, ou du personnage a raison? L'homme est-
il une chose quantifiable comparable à une chose?
Les personnages semblent avoir un
point de vue par rapport
à eux-mêmes, et la locutrice leur en donne d'autres. L'homme est

54
supposé avoir trois caractères: celui qu'il a, celui qu'il croit,
avoir, et celui qu'on
lui prête. si nous
nous attardons sur le
dernier, le
personnage
de Berkeley
est celui
d'un
homme qui
n'est pas de son temps, et qui
cherche à s'y accrocher de même.
De lui, la chroniqueuse nous suggère que:
«
l
felt that the law of gravitation did not apply to
Berkeley, ... He was a very good judge of men, with no
illusions about them and no spi te. Out of a kind of
devilry, he was most charming to the people of whom he had
the poorest opinion.»
(p. 185).
Berkeley un personnage complexe
qui redéfinit son monde et
dans sa définition de l'univers, il a un côté rebelle tout comme
Knudsen et
les autres
personnages
qui déchantent
devant leur
quotidien.
La
portraitiste
l'accorde
à
des
figures
comme
Congreve et
Wycherley, or
même là
la resemblance
n'est aussi
parfaite car:
«
Where the jest was carried far in its daring and
arrogance, sometimes i t became pathetic.»
(p. 185).
Il est
tantôt
en
avance
tantôt en
retard
sur
sa vie,
incapable de défier le temps
qui modèle et consumme les choses,
parce que justement il n'est
qu'un humain. Or cet attribut fait
qu'il se revèle comme
une ombre, une
personne absente et vraie
qui ressemble au personnage de Rozinante:
«
But Berkeley himself, the invisible jester, lonely in
his African life, half an invalid - for his heart always
gave him trouble - with his beloved farm on Mount Kenya
every day more in the hands of the banks, would have been
the last to recognize or fear the shadow.»
(p. 185).

55
Psychologue qu'il
est, il
n'en est pas
moins malheureux,
dans la vie qui crève ses ambitions. Avec l'homme, il ne connaît
ni haine, ni amour, parce qu'à
force de sonder et d'apprendre à
connaître les
autres, il
n'a pas pu
appliquer à
lui-même ses
théories,
ce
qui
fait
qu'il
se
présente
comme
un
être
émotionnellement handicapé. Peut-être que ce handicap lui vient-
il de la constatation qui stipule que:
«
He had no principles, but a surprising stock of
prejudices, as you would expect in a cat.»
(p. 186).
Faisant
figure
de
chevalier,
Berkeley
a
aussi
le
comportement et les
caractères d'un
chat, pour
le meilleur ou
pour le
pire. Sa
description
pleine d'allusions,
reflète son
instabilité et la difficulté de la
narratrice à le cadrer. Il a
une personnalité avec ses bons et ses mauvais côtés, comme si sa
vie était
une feuille
de brouillons.
C'est d'ailleurs
ce qui
justifie
le
style
allusif
de
la
narratrice,
qui
ne
peut
l'appréhender qu'au conditionnel le plus souvent, car:
«
If Berkeley were a a cavalier of the Stuart's day, Denys
should be set in earlier English landscape, in the days of
Queen elizabeth ... His friends in England always wanted him
to come back, they wrote out plans and schemes for a career
for him there, but Africa was keeping him.»
(p. 186).
Il est désaccordé
par rapport au temps.
Dans son présent,
il évoque
des
personnages
de
la
période
Elizabethaine, son
passé. Or dans
ce passé
auquel il aurait
appartenu, il aurait
été repoussé dans le fond des âges antiques (ceux d'Athènes). En
un mot,
Berkeley
serait
un
alien
sur
la
terre,
comme son
compagnon
Denys,
qui
lui
aussi
se
métamorphose
selon
les

56
moments. Mais à la différence de ce dernier, ses transformations
surviennent à contre-temps.
En
effet,
comme
nous
le
verrons
dans
la
situation
coloniale, Berkeley
est autant
figure
que Denys-Finch,
à qui
l'auteur accorde une
section entière
intitulée 'Wings'. Aussi,
bien avant d'avoir lu la
partie, nous sommes interpellés par ce
que le titre évoque.
On ne peut
s'empêcher d'imaginer en Denys
une âme, un être volant, un ange ou un oiseau ou un avion. De ce
fait pouvons-nous
soupçonner Denys
d'être un autre
nomade, un
vagabond errant
sur le
continent africain et
qui a
décidé de
s'envoler hors de ce puits, de ce piège à rats?
En tout cas, il
semble enfermé comme
nous l'avions déduit plus
tôt dans
notre
introduction
à propos
de
ses
relations avec
Berkeley. Qu'est-ce
qui justifierait
donc ce
titre et
non un
autre? S'il
est un
ange, comment pouvons-nous
nous en rendre
compte ? Peut-être s'est-il
envolé au ciel en
tant que mort ou
élu de Dieu?
Ainsi Denys est
un auditeur
pour Blixen
qui lui concocte
des contes que lui concocte Blixen. Cela le singularise déjà:
«
Denys have a trait of character which to me was very
precious, he liked to hear a story told.
( ... ) Fashions
have changed, and the art of listening to a narrative has
been lost in Europe. The Natives of Africa, who cannot
read, have still got it;»
(p. 194).
Etant donné que Denys
aime écouter plutôt
que de lire, il
est assez proche des
indigènes qui ne savent
pas lire, dans le
comparatisme de
l'auteur.
De ce
point
de
vue, il
y
a deux
attitudes culturelles l'une occidentale, l'autre indigène.

57
La
première
consiste
à
déchiffrer
la
production
d'une
technologie, le
mot
imprimé, tandis
que dans
la
seconde, il
s'agit encore d'entendre.
Ainsi la première
situation offre la
rupture d'une
communion, car
on s'y parle
à soi-même
par les
yeux, tandis
que la
seconde
est encore
communale, théâtrale.
Autrement
dit,
l'opposition
de
la
lecture
et
de
l'écoute
consiste en
une opposition
entre une activité
individuelle et
une
activité
communale
coopérative
entre
producteur
et
consommateur. Cette
affirmation
est très
importante,
car son
contenu signifie que l'indigène vit par l'oreille, le son tandis
que
le
pionnier
européen
vit par
l'oeil,
l'image
la
même
situation.
Blixen-traductrice reconnaît un
phénomène de distanciation
entre les protagonistes
et leur monde (leur
lieu de naissance)
en tant
qu'individus
d'une part,
où ils
ne
se reconnaissent
plus,
et
d'autre
part
entre
le
monde
occidental
qu'ils
représentent,
et
l'Afrique.
Nous
n'insisterons
pas
sur
la
première situation, mais
quant à la
seconde, les protagonistes
retournent aux sources
de leur
être à la
quête d'une certaine
harmonie, ce
qui implique
un
mouvement centripète.
Durant la
période Elizabéthaine
il
y
avait encore
une· communion entre
l'homme et
la nature,
du moins
les écarts
n'étaient-ils pasa
aussi énormes. Pendant
l'ère Victorienne,
la technologie s'est
dévéloppée, les
artistes
et les
artisans se
sont
formés, et
l'homme a commencé
à devenir
étranger à lui-même.
Du point de
vue de la commentatrice,
c'est cette période qui
a fait que le
rendez-vous entre
l'Afrique
et à
l'Occident a
été
manqué en
termes de communication, de dialogue. La révolution industrielle
et la technique ont marqué la rupture, et constitué le fondement

58
de la discorde entre l'Occident et l'Afrique. Quelques questions
demeurent. Par exemple, s ' i l y
avait harmonie entre les races -
si races il
y a, étant donné
que les traits
physiques ne sont
pas des
données scientifiques
- qu'est-ce qui
expliquerait le
servage et l'esclavage,
deux synonymes d'une même
chose qui ne
veut pas
se
nommer à
deux
moments successifs
?
Pourquoi ce
phénomène a lieu dans un sens, et pas dans l'autre?
Une tentative de réponse à ces questions nous conduira dans
le piège
de l'évolutionisme
dont
l'équivalent moderne
est le
développement. D'ailleurs ne pouvons-nous pas penser que ce sont
des phénomènes de culture, de
mentalités, comme en témoigne cet
extrait portant
sur Jama
et Farah,
dont la
porte-parole nous
livre la situation en ces mots:
«
There was a shadow cast over my friendship ... Berkeley
and me.»(p. 186-187)
En dépit
de la
guerre tribale, qui
oppose les
clans des
deux serviteurs, ils surmontent leurs différents au nom de leurs
patrons. Leur considération et leur
fidélité pour eux leur font
ravaler leur
fierté, mais
pas toujours
leur dignité
comme le
temoigne Berkeley:
«
He told me how once ... went back to Somaliland.»(p.187)
Employé et employeur sont différents, mais égaux. Ils ont un
même objectif et un sort commun à partager.
Nous avons une allégorie de deux êtres traqués qui font appel à
des
sens
de
perception
différents
mais
complémentaires.
Rapidement
cela
suffit
-il
à dire
que
l'indigène
était
à

59
l'écoute de celui qui est venu de l'au-delà, et qui l'avait déjà
enfermé semble-t-il dans ses
images? Denys serait-il décadent,
réactionnaire
?
Au
moins
cette
situation
programme
un
malentendu, ou un évitement discordant.
Denys, que l'auteur
évoque beaucoup
plus intensément, est
un
personnage
complexe
comme
Berkeley,
mais
il
est
moins
pathétique dans les
mots qui
le caractérisent.
Un coup d'oeil
rapide sur le passage qui le concerne nous apprend que:
«
Denys could indeed have been placed harmoniously in any
period of our civilization, tout COmme chez soi, aIl up
t i l l the opening of the nineteenth century. He would have
cut a figure in any age ... »
(p. 186)
Autrement dit,
Denys
est l'homme
de tous
les
temps, le
personnage idéal, à
croire que
la narratrice
en est amoureux.
c'est
un
homme
de
culture
physique
et
intellectuelle,
un
artiste, qui semble n'appartenir à
rien. Mais en Afrique, comme
Berkeley, il
est comme
une mouche
dans une
toile d'araignée.
Tous deux ont été domptés
et emprisonnés dans le continent sans
perspectives
de
s'en
échapper,
comme
s'ils
étaient
bien
incrustrés. Les
deux
protagonistes se
reconnaissent
dans les
indigènes avec
qui ils
entretiennent des
rapports harmonieux,
mais en
nostalgiques
d'un passé
révolu, celui

on pensait
encore que les hommes sont frères et qu'ils appartiennaient tous
à l'Afrique, berceau de
l'humanité. Le choix
de Berkeley et de
Denys serait donc motivé par ces considérations anthropologiques
qui posent des problèmes de la science et des races.

60
Néanmoins Denys est
proche des autochtones sur
le plan de
l'écoute, même si
paradoxalement l'opposition
entre lecture et
écoute n'est pas aussi criante, du fait que lorsque l'on l i t une
oeuvre à un auditeur,
lui écoute mais
ne l i t pas. L'opposition
tiendrait si mention
était faite du caractère
fini de l'oeuvre
qui n'offre
pas la
possibilité à
l'auditeur d'en
altérer les
espaces et les temps de
façon subjective. Ainsi Denys cherche à
participer activement à la communication sociale. De même, si le
personnage de
Denys fait
figure d'ange, c'est
peut-être parce
que dans
sa position
d'écoute, il
évoque un
enfant à
qui la
berceuse raconte
des histoires.
Il se peut
aussi que
ce soit
comme nous le dit le texte:
«
Denys tought me Latin and to read the Bible, and the
Greek poets. He himself knew great parts of the Old
Testament by heart, and carried the Bible with him on aIl
journeys, which gainedhim the high esteem of the
Mohammedans.»
(p. 195).
En effet Denys
donne l'allure
d'un saint
parce qu'il est
pieux aux yeux des
natifs, et aussi parce
qu'il a une maîtrise
certaine des
paraboles
de la
Bible
et de
la
culture Greco-
Latine. Il
est cultivé,
mais
par sa
culture, s ' i l
est assez
avancé en âge, il refuse de vieillir
dans ses goûts et dans son
attitude.
C'est
l'image
du
(révolté)
rebelle
encore
qui
s'exprime dans sa
prise de
position face à
la vie. Cependant,
par rapport
à
la
narratrice, Denys
entretient
des relations
assez nourries qui les amènent à commencer la nouvelle année par
une chasse aux lions:
«
The early morning air of the African highlands is of
such a tangible coldness and freshness that time afgter
time the same fancy there cornes back to you: you are not on
earth but in dark deep waters, going ahead along the bottom
of the sea ... pass by her.

61
The stars are so large because the y are not real stars but
reflections,
... smell of decay.»
(p. 196-197).
Cette description pôétique,
psychologique et physiologique
de l'ambiance est un micro-récit enchassé dans
la biographie de
Denys. C'est une
parenthèse que l'observatrice
ouvre pour nous
parler d'elle-même à
la fois,
et nous
signifier qu'elle était
témoin de
ce
qu'elle
rapporte. Dans
son
compte
rendu, nous
remarquons que
l'environnement est
fascinant, au regard
de la
vie sauvage, aquatique surtout,
et astrale. L'élément important
dans ce
commentaire,
c'est
la mer
avec
ses
changements qui
affectent la
perception sur
l'existence de choses
et d'êtres.
Or, cette
mer est
noîratre
et dégage
des senteurs
fortes de
pourri. Est-ce
à
dire
que
tout
est
décadent,
que
tout se
désagrège ?
L'impression première qui
se dégage
de ce
témoignage
de
l'historienne va en ce sens, comme
pour mettre un accent sur le
néant, le chaos et les
apparences fallacieuses de belles choses
en Afrique, sous
lesquelles couve le putréfié.
C'est pour dire
qu'en Afrique, les belles choses apparaissent comme des vampires
dans les ossements réels de
leurs cercueils le jour levé, alors
que la nuit, ils
prennent des allures
d'êtres normaux. Mais ce
qui est
remarquable, c'est
la juxtaposition que
l'auteur fait
par
la
construction
d'une
route,
l'action
de
l'homme
sur
l'environnement, et
la
virginité
de la
nature
qui
se meurt
progressivement.
Cette
dramatisation
du
sort
de
la
nature
coïncide avec le
prélude à la mort
du lion à
la page suivante
dont les extraits essentiels sont:
«In approaching we were a little lower than the carcass .
... by the wind.
( ... ) still, here the shot was a

62
declaration of love ... The lioness,
lying on her back, had
a great haughty snarl on her face,
she was the femme fatale
of the tragedy . . . . how was i t that he had learned nothing
by her fate ? »
(p. 198)
Dans la mort du lion,
i l y a l'effet et les conséquences de
l'élément fatal humain et surtout féminin, que la narratrice
présente à la manière d'une tragédie en 5 actes. Comme dans une
pièce de Corneille, Le Cid,
l'amour conduit subrepticement à la
mort. Il a tué les deux lions dans QQA, mais en plus de la
malédiction de la lionne envers le lion,
il y a la calamité de
la déclaration d'amour de la narratrice qui procure la mort par
la poudre. Le jour où cette tragédie survient, est le premier
jour de l'an. Or le jour de l'an, on communie, on fait des
souhaits et des projets pour que la nouvelle année soit des
meilleures. En ce sens donc,
le lion et la lionne deviennent des
objets de sacrifice pour le bien des deux hommes. Mais il se
trouve que l'un des sacrificateurs,
la narratrice est justement
une femme.
Pourtant,
la femme n'est pas faite pour tuer, et de
surcroît un lion,
le roi de la brousse, même si cela implique un
grand défi courageux.
Pourtant la femme donne
la vie, et non
pas la mort. Alors
s ' i l y a
tragédie, n'est-ce
pas la
sienne propre
? Est-ce la
programmation de
sa propre
déclaration
d'amour à
l'Afrique?
Nous nous rappelons
que tous
ceux qui
gravitent autour d'elle
sont des personnages
tragiques, c'est
à dire
des éléments qui
voient trop
loin
et
tous
seuls, ou
qui
sont
pris
dans la
fascination du
temps
qu'ils
voudraient vivre
et
se
tenir à
l'écart pour le contempler.
Ainsi,
lorsque
Nicholson,
son
manager sud-Africain
lui
rapporte les dégâts
causés par
les lions
sur la
ferme, elle

63
préfère
les
abattre
à
coup
de
fusil
plutôt
que
de
les
empoisonner avec
des
doses
de strychnine.
Or,
le
drame que
vivent les lions met au grand jour
une image de la femme: celle
de la femme-vampire.
Face à son bien-aimé la
vampire le couvre de caresses pour
ensuite le vider
de son sang,
par amour. Cette
image est déjà
évoquée plutôt, à travers la scène érotique du dépouillement des
lions:
«
The dead lions, close by, looked magnificient in their
nakedness: there was not a particle of superfluous fat on
them, each muscle was a bold controlled curve, they needed
no cloak ... »
(p.199).
Blixen découvre un autre plaisir à voir les lions nus. Leur
nudité met en relief cette
force physique, cette sensualité qui
la captivent. Or, ce proverbe de Achebe nous dit que Il The death
that will kill a
man begins as an
appetite."( Voir Achebe, 3).
En tuant
ces
lions, elle
s'est
montrée plus
forte.
Mais ne
rencontrera-t-elle pas plus fort qu'elle?
Le texte est construit de
telle sorte à réflechir dans ses
moindres insinuations la
tragédie de la
chroniqueuse. Elle est
aveuglée par sa passion
de la chasse, et
n'hésite pas à briser
les règles
sociales de
son milieu
d'accueil. Donnant
la mort
plutôt que la vie, elle est une
sorcière, et en tant que telle,
l'heure viendra où son âme
s'allégerait et s'envolerait hors de
l'enveloppe charnelle.
A
ce
propos,
un
passage
de l'oeuvre
retient notre attention:
«
As we sat there, a shadow hastened over the grass and
over my feet, and looking up l could distinguish, high in
the light-blue sky, thecircling of vultures. My heart was
as light as if l had been flying it, up there, on a string,
as you fly a kite.»
(p. 199).

64
Elle est attirée par le goût de la mort, des restes mortels
dans ce dépositoire.
Ainsi, même si Blixen
n'est pas bourreau,
elle est peut-être victime.
Elle vit son
drame avec bonheur et
acharnement. Non seulement elle vit sans mâle dans son lit, mais
en plus, elle n'a
pas de progéniture et donne
la mort comme un
Etre qui se refuserait tout futur.
Elle s'oppose donc à Nichols,
qui quoique homme refuse de donner la mort, en s'expliquant:
«
'1 am not a coward, but l am a married man and l have no
wish to risk my life unnecessarily' »
(p. 200).
Nous pouvons
également
comprendre
que
Nichols
mette au
devant
de
la
situation,
ses
devoirs
et
ses
obligations
familiales. Il
doit tenir
compte
de sa
famille dans
tout ce
qu'il fait. Autrement dit, il
n'est pas libre comme l'oratrice.
Puisque pour
Blixen,
les
indigènes ne
sont
que
les enfants
qu'elle n'a
jamais
eus, elle
reconnaît en
s'adressant
à son
complice, célibataire, Denys que:
«
'Come now', l said to him,
'and let us go and risk our
lives unnecessarily. For if they have got any value at aIl
it is this that they have got none. Frei lebt wer sterben
kgnn'»
(p. 200).
Tous deux
sont célibataires
même
s'ils se
côtoient. Ils
n'ont rien à perdre, et
c'est là peut-être leur drame. L'ironie
dramatique apparaît
nettement
dans ces
propos.
Ils subissent
leurs vies en croyant
en faire ce
qu'ils veulent. Leur malheur
est
qu'ils
se
croient
libres,
libres
de
toute
personne
dépendante pour
les
tempérer.
Or,
c'est
l'environnement des
indigènes et
l'attitude de
ces derniers face
au risque,
à la

65
mort qui leur ont infligé ce choix
et ce goût dangereux: la vie
dangereuse.
Ce goût du risque leur donne
une raison de croire en leurs
vies, de les meubler. Mais leur
solution n'est pas adaptée à la
nature qui se
joue d'eux,
en leur
livrant des
signes de leur
perte. Au moment
où ils traquent
les lions sur
la ferme, nous
lisons:
«
It was easy to follow through the plantation ... but by
the time we came there i t had rained so heavily that it was
difficult to see anything, and in the grass and the bush at
the edge of the wood we lost the track.»
(p.200).
En effet, la pluie qui tombe abondamment n'était-elle pas
une onction extrême, les invitant à pardonner aux lions de
s'être nourris sur le cheptel de la ferme ?
L'élément aguatique
La pluie
est un
phare qui
vient essayer
d'illuminer ces
Philistins.
C'est
pourquoi
elle
efface
les
empreintes
des
fauves, et
que
les
chasseurs
se
perdent
en
poursuivant le
gibier. L'eau n'a
pas d'ennemis,
et elle
veut protéger autant
les hommes
que les
animaux.
Elle veut
inviter à
l'oubli, au
renoncement. Or, par là même,
elle faisait de nos protagonistes
non seulement des orgueilleux qui
ne digéreraient pas un échec,
mais en plus, elle
les a perdus dans la
nuit de leur jeunesse,
de leurs vies. C'est de la sorte que le pathos se met patiemment
en
place
en
différents
endroits
de
l'oeuvre,
avec
une

66
juxtaposition d'éléments
aquatiques et
terrestres, célestes et
telluriques, humains et naturels.
Tout est animé dans l'univers
du roman. Les
situations sont romanesques, notamment
en ce qui
concerne les pionniers, Denys et la narratrice.
Le temps de la mort
Denys et
Blixen détruisent
la vie
autour d'eux,
même si
cela vise souvent à
sauver la vie. c'est
pourquoi la notion du
temps est très importante
en ce sens que les
morts, ou la mort
surviennent à des
moments importants pour tous.
Cette fois,
il
s'agit de la célébration de
l'anniversaire de Denys, qui a lieu
à la
st
Sylvestre,
et
contrairement
aux
deux
lions qu'ils
abattent en plein jour, ceux-là tombent en pleine nuit. Le texte
nous permet de lire les éléments suivants:
«
It was the day before Deny's birthday, and while we
dined, he was in a melancholic mood, reflecting that he had
not had enough out of life t i l l now.
( ... ) It rained a little, but there was a moon;»
(p. 201)
Le
texte
est
ponctué
de
références
à
la
pluie
particulièrement au moment où les lions sont sur le point d'être
tués. Mais en plus de
la pluie, il y
a cette lune qui apparaît
dans le ciel la veille de l'anniversaire de Denys. Or, la lune a
une influence certaine sur la pluie
et la vie des hommes. C'est
ce qui explique les sauts d'humeur
de Denys, comme si la pluie,
la lune qui se
partagent le ciel,
s'opposaient à son intention
de sacrifier les lions à son anniversaire.

67
En ce moment de recueillement il réalise le vide de sa vie,
sous le
poids de
la force
des âges.
Il n'a
pas vu
le temps
passer, et se
demande en
cet instant ce
qu'il a
fait de tant
d'années. Il
a cru
en une valeur
mythique,
illusoire
car, en
tuant le lion, il se tuait lui-même un peu,
lui qui a joué aussi
au roi de la brousse, au lion. De même, son choix de vivre ainsi
était un choix contre lui-même. Denys, lui veut se mesurer à une
force. Mais il a rencontré Mamy
Watta auprès de laquelle il est
allé bâtir son domicile.
Le sort de
Denys, est
celui d'un
homme qui
vit dans une
grotte, et qui
cherche une source
de lumière, un
repère ou un
point de support. Mais cette
grotte est celle des damnés, comme
l'illustrent les jeux de lumière suivants:
«
As l
lighted the torch the whole world changed into a
brilliantly lighted stage ... with aIl the black African
night behind him. When the shot fell,
close to me,
... as if
i t had been thunder ...
( . . . )Africa, in a second, grew endlessly big, and Denys and
l, standing upon it, infinitely small. outside our
torchlight there was nothing but darkness, in the darkness
in two directions there were lions, and from the sky
rain.»
(p. 202)
L'obscurité
et
la
luminosité
se
juxtaposent
dans
ce
passage. L'obscurité qui enveloppe le cercle de lumière des deux
compères, suggère qu'ils sont submergés par l'immensité, la peur
de la peur et leur impotence. c'est
l'état d'âme de Denys qui y
est
présenté,
mais
aussi,
celui
de
Blixen-narratrice
qui
s'identifie un instant au
lion, et qui
finalement en arrive au
point de les
situer dans l'univers. Dans
ce travail d'écriture

68
oeuvre et
récit coïncident,
mais Blixen-narratrice
et Blixen-
auteur semblent aussi éloignés que possible.
L'écrivain entretient un dialogue
perpétuel avec le monde;
le sublime
est
l'une des
formes
de
ce dialogue,
à
côté du
tragique, du cocasse, du
fantastique, et de l'élégiaque. Aussi,
Blixen-narratrice parle des faits,
des indigènes ou lorsqu'elle
explique leurs comportements,
cela passe par son
point de vue,
et c'est pourquoi elle prend le risque de faire des choix.
Les lions couchés sur le sol ici-bas, et les éclairs dans
le ciel, au dessus, évoquent le carrefour. Entre le chapeau et
les chaussures se trouvent les deux protagonistes: les rois de
la chasse, de la brousse, Denys et Blixen. Nous avons deux
groupes de lions et de deux directions. Deux lions iront dans un
sens horizontal avec les gouttes de pluie pour enfoncer leurs
restes, tandis que les deux autres "lions" s'en iront
verticalement vers d'autres lieux de chasse et d'autres lions.
Les deux premiers seront mangés par les hommes et leurs déchets
fertiliseront la terre. Les deux derniers à la fin de leurs
jours s'envoleront vers Dieu. c'est à cette croisée des chemins,
que nous avons l'impression que les uns sont de trop par rapport
aux autres lions. Aussi,
la lune et la pluie coexistent pour
célébrer l'anniversaire de Denys, la gloire de Blixen, et les
funérailles des vrais lions.
Le héros fatal

69
Partant, Denys et
sa compagne,
en tuant par
deux fois un
couple de lions,
ont tué
leurs âmes incarnées
par ces fauves.
Ils ont tué et divorcé
avec leur 'chi', leur destinée prénatale
ou leur
dieu
personnel
(Voir
Achebe;
Ihechukwu; Parrinder;
Anjulu; Fortes, 4). Nous apprenons que:
«
They were both full-grown, young, strong, fat lions. The
two close friends, out in the hills or on the plains,
yesterday had taken the same great adventure into their
heads, and in i t they had died together.»
(p.203).
Ainsi, Denys et Blixen ont tué, et le bon génie et le démon
en eux.
Tandis que
les bêtes semblent
avoir uni
leur destin,
comme un élément
de survie, ce
que la narratrice
met en avant
n'est
que
l'allusion
à
leur
propre
situation
personnelle
dramatique. Blixen semble victime de l'Afrique tout comme Denys,
mais en plus ce
dernier est victime de
son association avec la
femme Blixen. Tous deux renoncent à une postérité.
Puisqu'il
a
trouvé
sa
demeure
en
Afrique,
Denys
est
satisfait de sa
situation actuelle.
Pour lui, il
a trouvé son
bonheur et le temps
s'est arrêté. Or en
s'arrêtant, le temps a
immobilisé sa
vie. Il
n'y a plus
de projection
future, parce
qu'il est à destination. Sa vie est donc finie.
Il en
connaît
chaque tranche
comme
un rêve
dont
il se
rappelle avec ses temps
forts et ses moments
de calme plat. Ce
qui lui
permet d'afficher
une
apparence de
désintérêt. C'est
ainsi qu'aux yeux
des autres
colons, du
moins ce
dont ils se
souviennent, nous dit la narratrice:
«What they really remembered in him was his absolute lack
of self-consciousness, or self-interest, an unconditional
truthfulness which outside 1 have only met him idiots.»

70
(p.301).
Etant
parvenu
à
destination,
la
notion
de
futur
lui
échappe, et il vit
chaque jour si c'était le
premier. Or, il a
eu un passé que même s ' i l essayait de rejeter, le suivra dans sa
destinée. Il
est
Britannique et
il est
parti
s'enraciner en
Afrique, or
le trou
laissé par
le déracinement
attend d'être
comblé par
un autre
arbre, au moins
un arbuste.
Mais l'arbre
qu'il est n'a pas porté de
fruits qui pourraient retourner à la
terre et germer, puisqu'il
est célibataire et sans progéniture.
Et
en
Afrique,
il
n'échappe
pas
aux
retombées
de
cette
situation.
Sa vie est un balancier, nous suggère le texte:
«
Between the river in the mellow English landscape ...
swerved.»
(p. 301).
L'instabilité de
son existence
vient
du fait
que malgré
l'apparence de son
choix volontaire de s'exiler
en Afrique, et
l'hospitalité feinte du
continent, Denys
répond à
un appel de
séduction
irrésistible
et
funeste.
Son histoire
est
pleine
d'augures
et
de
prémonitions
sur
sa
fin.
De
ce
fait,
innocemment, ou en parfaite connaissance de cause, le texte nous
rend compte de sa condition spirituelle en ces termes:
«
There was a place in the hills, on the first ridge in
the Game Reserve ...
'Let's drive as far as our graves'.»
(p. 301).
La tombe est située dans une zone de chasse, et en hauteur.
En plus
c'est là
qu'il s'est déjà
enseveli mentalement.
Il a
passé un contrat avec la mort, et ce contrat le rend célèbre sur

71
tous les plans. C'est
ce qui fait que
depuis sa mort physique,
sa célébrité
s'affiche
au
grand jour.
Nous
lisons
de cette
révélation ce qui suit:
«
For many years after this day the Colony felt Denys's
death as a loss which could not be recovered. Something
fine then came out in the average colonist's attitude
towards him, a reverence for values outside their
understanding.«
(p. 300).
Le personnage échappe
à leur entendement en
raison de son
originalité. Il a joué à fond la
part que lui réservait sa vie.
Or, dans sa
vie il
a prévu
et pressenti
la mort
de tout son
être,
qui
s'est
montrée
à lui
progressivement,
sous
forme
d'apparitions, de fantômes. La commentatrice nous dit de ce fait
que:
«
The shadow of destiny, which Denys himself had felt the
last days at Ngong, was seen more strongly now, by the
Native.»
(p. 298).
Denys
a
perçu
l'ombre
de sa
mort,
tout
comme
Farah,
l'indigène.
Il
n'est
pas
rare
en
effet,
selon
certaines
croyances populaires Africaines que la mort d'un proche ou d'une
connaissance soit
annoncée
soit
en rêve,
soit
en apparition
visuelle,_ dans une position inhabituelle, par exemple en courant
en arrière, ou en apparaissant tout de Blanc vêtu, entre autres.
Il peut s'agir
d'un tour de main
de l'auteur, qui
donne de la
sensation à
l'arrachement
d'un
être cher
dont
elle
n'a pas
digéré la
perte.
Cela
explique
le
style
fantastique
de la
versification sur la mort de Denys.

72
Ce serait
aussi
une
des
raisons
pour
lesquelles Denys
apparaît comme
un personnage
hypnotisé
par l'Afrique,
qui le
fascine par son sarcasme. Bien qu'étant conscient de ce fait,
il
n'arrive pas à s'échapper à
cet envoûtement. Il est ensorcellé,
comme nous pouvons le constater:
«
'Denys who held himself to be an exceptionally
rational person, was subject to special kinds of moods and
forebodings, and under their influence at times he became
silent for days or for a week ... laughed at me.»
(p. 296).
Dans son
Afrique,
il est
dans
un état
second,
où même
l'être qui lui est le plus cher ne peut communiquer ou communier
avec lui. Il est la proie d'un
monstre qui l'a endormi et lui a
inséminé
le
virus
de
la
mort.
Il
Y
assiste
de
manière
participante pour
voir le
dénouement de
leur jeu.
Mais cette
expérience, il veut l'essayer
tout seul d'abord. C'est pourquoi
nous pouvons lire:
«This was the only time that l asked Denys to take me with
him on his aeroplane that he would not do it.»
(p. 297).
Cette expérience le conduit au devant de sa sentence, de sa
condamnation en
l'épargnant
à
son
amie.
Il
la
préserve du
sacrifice inutile. victime de l'Afrique, du hasard, il n'est pas
impossible que Denys
ait été
une autre
proie de
la femme. Il
pourrait être victime
de sa
femme de
chambre, représentée par
l'Afrique, comme Kurtz
dans Heart
of Darkness.
Mais il côtoie
aussi une vraie femme,
la narratrice. A
ce propos, nous lisons
ce qui suit:
«
Whenever l was ill in Africa, or much worried, l

73
suffered from a special kind of compulsive idea.
It seemed
to me then that aIl my surroundings were in danger or
distress, and that in the midst of this disaster l myself
was somehow on the wrong side, and therefbre was regarded
with distrust and fear by everybody.»
(p.
298).
Aux yeux
des
autres
personnages,
Blixen-narratrice fait
image de femme qui porte et répand le malheur tout autour d'elle
Alors, au
regard
de
la
vie
catastrophique
autour
de cette
dernière, Denys
est tout
autant martyr
que Johnson
avec Bamu
dans MJ, ou Ian
et Lettice dans~.
Dans leurs relations, il
n'y pas de
fins heureuses,
et l'amour
est fatal.
Or, rien ni
personne ne semble pouvoir aller à l'encontre de la fatalité. On
la regarde se faire comme dans le
cas de Esa, victime du jeu de
la puissance coloniale dans QQA. Aussi, après leur acte, la lune
luit tranquillement
sur le
monde animé.
La pluie
s'arrête et
cède la place
à la
lune, puisque
tout compte
fait elles sont
toutes deux des
facteurs ou des indicateurs
de fertilité. Tout
ce
soir
là,
est
à
l'unisson,
compagnons
bienheureux
et
compagnons de malheur:
«
In our hunt we had been a unity and we had nothing to
say to one another.»
(p. 204).
Après la chasse, la
lune et la pluie
se séparent, puis se
profile le divorce
des destins
des héros.
Malgré les nombreux
points d'accord, ils ne se meuvent pas
tout à fait dans le même
univers. Denys
a aussi
une figure
de navigateur
de l'espace.
Comme un
aigle qui
survole le
monde de
haut, il
éprouve une
sensation comparable à celle de Dieu, le jour de la création des
hommes et
du
monde.
Avec
lui,
la
narratrice
partage cette
expérience, ce sens divin, dans
leur évasion dans les airs. Ils
s'évadent de la
terre pour d'autres horizons,
qui revèlent des

74
variations de couleurs
féeriques. Ces couleurs fantasmagoriques
qu'ils perçoivent, peignent un
monde irréel, irréel parce qu'il
les oblige
à se
reposer sur
le sol.
La narratrice
cherche à
amoindrir
sa
peine
en
la
prenant
bouchée
par
bouchée,
graduellement. C'est
pourquoi
elle
nous
parle
de l'accident
d'avion qui a coûté la vie à Denys et à son domestique.
Denys est figuré
comme un explorateur qui
vit en parfaite
symbiose avec l'Afrique. Il
a su y trouver
sa place, comme une
pièce de puzzle ou comme l'enfant Jocelyn Grant,
«Denys had watched and followed aIl the ways of the
African highlands, and better than any other white man he
had known their soil and seasons ... He had observed
the
stars at night.
( ... )
Now Africa received him, and would change him, make him one
with herself.»
(p.304-305).
Mais Denys s'est fusionné avec le monde indigène jusqu'à la
mort. Il
est
allé
au
coeur des
ténèbres
à
la
quête d'une
plénitude, et dans son
élan, il rejette
la transition entre la
civilisation
et
la
nature.
Par exemple,
Nairobi,
siège
de
l'administration coloniale et passage
obligé pour les immigrés,
n'a pas pu le captiver. Bien au contraire, car tout compte fait,
nous indique le texte, à propos de son élection de domicile:
«'1 shall be perfectly happy in a te nt in a Masai Reserve,
or l shall take a house in the Somali village' ...
'this
Continent of Africa has a terribly sense of sarcasm'».
(p.295).
Denys en préférant se rapprocher de
la nature par la vie à
la campagne,
fait figure
de partisan
de l'Afrique
sauvage et
noble, une
Afrique
vraiment
authentique et
différente
de la

75
situation
bâtarde
des
zones
semi-urbaines.
Il
préfère
les
extrémités. C'est
pourquoi,
il
décide de
s'enfoncer
dans la
nature. Mais à y voir de plus près, Denys est le type d'être qui
vit
sa
vie
par
procuration
c'est-à-dire
qu'il
nous
offre
l'apparence d'un double
personnage, présent et
absent. Il nous
fait l'impression
de
quelqu'un qui
vit ses
souvenirs,
et en
regardant couler la vie,
il sait quels
en sont les péripéties,
les moments de
tension et
les temps creux.
L'extrait de texte
suivant est très significatif sur ce point:
«He himself looked upon Africa as his home, and he
understood me very well and grieved me.
( ... ).
We talked and acted as if the future did not exist ... he
wanted to.»
(p.294).
Blixen sédentaire= une spectatrice de sa vie
La
ferme
de
Blixen
en
échouant,
semble
vouloir
lui
inculquer une leçon par rapport
à l'action de cultures de rente
et à leurs
alternatives, en condamnant à
la ruine la
vie à la
ferme, comme nous le signale la chroniqueuse:
«We could not carry through any radical improvements, but
had to live from hand to mouth - and this, in the last
years, became our normal mode of living on the farm.»
(p.277).
C'est le moment
des regrets qui vont
en s'amplifiant, car
si l'activité de la ferme
s'arrêtait, ce serait à la narratrice
de mettre fin à
son séjour en Afrique.
Or cette perspective ne
semble pas trop la séduire. Sur ce, elle a rêvé de remplacer les

76
plants de
café par
de la forêt
à bois,
du fragile
contre du
robuste:
« I f l had had the capital, l thought, l would have given
up coffee, have cut down the coffee-trees, and have planted
forest trees on my land. Trees grow up so quickly in
Africa ... »
(p.277).
La plantation d'arbres à laquelle
elle songe est un défi à
la
nature,
une
résistance
au
cataclysme
qui
l'enrobe.
Symboliquement, l'itinérant
s'est fixé
au sol,
la chasseresse
est retournée
à
la terre.
Lasse
de prodiguer
la
mort, elle
choisit de donner
la vie.
Dans cette imagerie
sexuelle sur la
terre et
la
chasse, il
y
a
une forme
de
distanciation qui
n'empêche pas
Blixen de
ressentir
les effets
dévastateurs du
foyer incandescent qu'elle porte en
elle pour n'avoir pas tenté
de faire jaillir l'eau fraîche de la vie. D'où sa complainte qui
fait se
profiler
dans
son
esprit
une
forme
de topographie
mémorisée, poétique de
la nature
et des
tergiversations de la
vie, où elle se réfugie:
«
Out on the safaris, l had seen ... iron-like animaIs
with the might horizontally swing horns were net
approaching, but were creating before my eyes and sent out
as they were finished.
( ... ), as they were not a herd of
animaIs but a family of rare, long-stemmed, speckled
gigantic flowers slowly advancing.
( ... )
AlI those things were pleasant to think of when times
were dull on the farm.»
(p.
23).
Sa situation est celle du spectateur, qui a fait le vide en
lui, qui
a
chassé
de
sa
conscience
les
soucis
de
la vie
quotidienne, les
souffrances
du
corps, les
problèmes
qui se
posent à la pensée,
pour se laisser hanter
par des soucis, des
souffrances et des problèmes
imaginaires. Elle est fascinée par

77
ce qu'elle
voit
sous l'effet
d'un envoûtement.
C'est
ce qui
explique peut-être, le changement de perspective.
C'est ainsi que sous le
masque de la narratrice, elle nous
dit:
«
Naïrobi was our town, twelve miles away ...
Here was a Government House ... , from here the country was
ruled.
It is impossible that a town will not play a part in your
life.
It does not even make much difference whether you
have more good or bad things to say of it, i t draws your
mind to it, by a mental law of gravitation. The lumunious
haze on the sky above the town at night, which l could see
from sorne places on my farm, set my thoughts going, and
recalled the big cities of Europe.
When l
first came to Africa, there were no cars in the
country,
( ... ) trees along the bare dusty streets ... »
(p. 19).
Du fond de
ce monde
chaotique, où elle
a choisi d'aller,
Blixen éprouve le
mal et la
nostalgie du pays,
que son esprit
juxtapose
sur
Naïrobi,
une
création occidentale.
Personnage
aussi bien que narratrice, elle est donc un Etre bidimensionnel,
dont la
vie
est émiettée.
Peut-être comme
elle
le signifie,
parce que:
«
Naïrobi sa id to you.
'Make the most of me and of time.
Wir kommen nie wieder so jung __ so indisciplined and
rapacious __ zusammen'. Generally l and Naïrobi were in
very good understanting, and at one time l drove through
the town and thought. There is no world without Naïrobi's
streets.»
(p.20).
Elle est en Afrique et en Europe à la fois. Or, de ce point
de vue ce
sont les rues
qui font
le monde, et
le monde c'est
l'Occident avec ses
grandes avenues goudronnées.
Quant à elle-
même elle va
à la chasse. En
tant que femme,
on pourrait dire
qu'elle est amazone, et
de ce fait,
en tant
que femme, au lieu
de donner la
vie, elle l'ôte
à la nature.
Dans une communauté
Africaine, elle commet des sacrilèges,
même si c'était en guise

78
de révolte par
rapport
à
un
système donné, celui
de la femme
opprimée qui
troque son
tablier
contre un
fusil. Or
en tant
qu'amazone, elle n'a pas de place
définie dans la vie. Elle est
un Etre hybride.
Elle a
souvent tué
pour le
plaisir, pour la
sensation en oubliant qu'elle était femme. Or, la femme donne la
vie,
pas
la
mort.
A
l'homme
la
chasse,
la
conquête,
la
destruction, et
à
la
femme,
la place
à
l'intérieur
pour y
investir
ses
efforts
de
production.
A
ses
intentions
de
reboiser, et à
ses échecs,
s'impose le châtiment
de la nature
qu'elle aurait offensée, et face à laquelle elle veut s'amender.
Ainsi, la
narratrice encourt
la vengeance
de cette
nature où
elle a
joué sur
deux
tableaux, deux
cases négatives
qui ont
toutes la
couleur du
deuil:
la chasse
et
la coupe
du bois.
D'ailleurs à propos d'abattage d'arbres, elle reconnaît que:
«1 myself in the hard years had had to eut down the wood
on my land roundd the factory for the steam-engine, and
this forest, with the tall stems and the live green shadows
in it, had haunted me.»
(p.277).
Blixen s'aperçoit de la gravité
de son acte, mais la faute
est irréparable
à
son niveau.
Il
ne
lui reste
plus
que la
hantise et
le déssouchement
forestier, qu'elle
regrette. Mais
elle oublie
la
liquidation
des
animaux.
Elle
a
offert des
sacrifices qui ne
s'imposaient pas, au
mauvais destinataire et
avec des items malséants, en usurpant le rôle du prêtre.
L'imposture de Blixen
tient au
fait qu'elle
cherche à se
convertir
avant
de
s'être
repentie.
Nous
sommes
dans
une
situation de
revers,
aussi bien
dans la
plantation
que dans
l'élévage. Après avoir supprimé
la vie, elle essaye d'accroître
la reproduction de son cheptel. Elle nous narre à ce propos:

79
«
l had also plans for keeping cattle and running a
dairy.»
(p.
277).
Toutes ces tentatives semblent condamnées à l'avance, avant
qu'elle ait
pu
les initier,
comme
un arbre
qui
ne vieillit
jamais
assez
pour
donner
des
fruits,
ou
dont
les
fruits
pourrissent avant
de
mûrir.
Aussi, son
projet
d'élévageest
menacé par les endémies animales,
en raison de l'affection même
du site de production. Elle est historiquement et culturellement
une héritière
du système
britannique. Européenne, elle
n'a pu
s'empêcher de prendre
part à
l'action de son
pays en Afrique.
Toujours est-il que
la catastrophe se propage
comme de l'huile
sur le feu, et avec un tel acharnement que la commentatrice nous
informe de son propre effondrement en ces termes:
«
AlI colour and life faded out of the world round me.»
(p. 279).
Comme l'iguane qui a perdu ses couleurs une fois que Blixen
l'a tuée, tout l'ouvrage du personnage lui apparaît comme un tas
de cendres,
un charbon
éteint. Toute
sa vie
de labeur
a été
anéantie. Blixen en
est tellement stupéfaite
qu'elle refuse de
songer à autre chose que de réussir, en s'inspirant de Knudsen:
«
still the human mind has great powers of self-renewal,
... pessimism is a fatal vice.»
(p.279).
Sa situation, son état
d'âme sont ceux
d'un être qui nage
en pleine désolation, qui traîne
des souvenirs cassés d'une vie
en
pièces
détachées,
qui
refuse
de
croire
que
tous
ces
évènements ne puissent arriver qu'à lui
tout seul, et non pas à

80
quelqu'un d'autre.
Elle se
sent la victime
d'une machination,
d'une conspiration omniprésente. Sa
constatation prend toute sa
dimension lorsqu'elle écrit:
«
The same year the grasshoppers came on the land.»
(p.279),
Blixen pose
la question
de l'être
isolé qu'elle
est, et
auquel une foule de sauterelles innombrables viennent assener le
coup de grâce,
en dévorant le
peu d'espoir qui
lui restait de
son acharnement,
et représenté
par
son champ
de maïs
et son
jardin. La nuée de sauterelles
qui s'abattent sur la terre pour
la
dévaster,
est
allégorique,
en ce
sens
que
cette
image
sYmbolise
la
ruée
des
pionniers
en
Afrique,
pour
s'en
approprier, y
créer des
lotissements,
la propriété
privée et
faire des autochtones,
des étrangers chez
eux. Les sauterelles
représentent la force cynique
du capital qui
broie tout ce qui
est petit compétiteur, ou faible sur son chemin.
Dans tous les
cas de figures,
Blixen
se trouve concernée.
Elle est ou victime
de l'adversité naturelle,
ou bien elle est
le membre martyr
des tribulations financières.
Pour donner une
forme concrète à
l'action des
sauteriaux, elle
nous décrit le
paysage après leur passage comme suit:
«
While l
stood and looked at i t aIl, the scenery began to
quiver and break, the grasshoppers moved and lifted,
( .. )
The grasshoppers came again; for two or three months . . .
advance in the air.»
(p.
281).

81
La description rappelle
la Ruée vers l'Or
de Chaplin, qui
ironise sur les chasseurs
de fortune dans
l'Ouest des USA dans
les années 1928. Les chercheurs ont tout ravagé sur leur chemin,
et ont fini par s'en prendre les
uns aux autres, à la limite du
territoire. Ainsi
pour
étoffer
cette
action
dévastatrice du
capital assimilé à des sauteriaux, le texte nous dit:
«
But they meant to take up aIl the coffee-trees, to
divide up the land and lay out roads ... building- plots.»
(p.283)
Blixen aurait été
la proie de la
spéculation foncière, du
monde des
affaires
qui
fait qu'elle
ne
peut
poursuivre ses
opérations agro-industrielles.
Comme
par coïncidence,
tout se
relâche autour
d'elle
et
avec
elle.
C'est
ce
qu'elle nous
suggère:
«
But the maizefields were a sad sight when they had been
on them and had left, there was nothing there now but a few
laps of dry leaves hanging from the broken stalks. My
garden by the river, that had been irrigated and kept
green, was now like a dust-heap ... The women who had dug and
planted the shambas, standing on their heads, shook their
fists at the last faint black disappearing shadow in the
sky.»
(p. 282).
Le ton pathétique se justifie par la stérilité des efforts,
de toute
une année
d'attente et d'une
autre à
affronter avec
cette fois-ci des
semences absentes,
et une
longue période de
disette, pour elle qui rêve d'action historique. Mais dans cette
situation
dramatique,
ni
la
protagoniste
ni
ceux
qui
l'approchent ne sont indemnes. Et ce fait suffit à justifier son
pessimisme résigné dans le passage suivant:
«
The grasshoppers had laid their eggs in the soil.»
(p. 282).

82
Ainsi, dans le
désarroi de la
narratrice, l'Afrique prend
un aspect chaotique, eu égard à l'improductivité de sa tentative
qui lui
fait tout
mettre sur le
compte d'une
fatalité, d'une
malédiction. Dans
cet
enseignement de
sciences
naturelles se
dessine un ton apocalyptique,
un cercle vicieux de destruction.
Mais en
dépit
de
ce
fait,
c'est
tout
un
monde
de divers
personnages qui
viennent s'abreuver
à la ferme,
à différentes
occasions et pour
de multiples
raisons. Par
exemple, pour les
chasseurs que
sont
Denys-Finch
Hatton, ou
Berkeley
Cole, la
ferme est en
quelque sorte
une oasis où
ils viennent savourer
l'art et la cuisine. A ces occasions, la narratrice nous informe
que:
«
In return for the goods of civilization, the wayfarers
brought me trophies from their hunts: leopard and cheetah
skins, to be made into fur coats in Paris, snake and lizard
skins for shoes, and marabout feathers.»
(p. 179).
Ce sont des occasions, d'échanges de cadeaux, qui reflètent
dans le
même
temps
la
destruction
de
la
vie
animale pour
satisfaire à des
goûts artistiques. Par contre,
tandis que les
bêtes
sont
abattues,
nous
assistons
à
une
introduction
enrichissante de
la flore
Africaine,
comme en
témoignent ces
mots:
«
Sorne years later l talked to the English gardener of
Lady McMillan, of Chiromo, about the peonies.
( ... ) In that
way l might have introduced peonies into the country and
made my name immortal like the Duchesse de Nemours herself;
and l had ruined the glory of the future by picking my
unique flower and putting it in water.»
(p. 179).
Ce qui veut dire que
la locutrice rêve d'action historique
en Afrique où
tout est
à initier,
ou à
recommencer. Mais par

83
habitude, elle s'intéresse aux fleurs pour décorer son domicile.
Il semblerait que la plus
grande partie des femmes investissent
beaucoup
de
travail
dans
leur
résidence,
comme
étant
le
prolongement d'elles-mêmes.
si son entreprise
réussissait, elle serait
mise en valeur
beaucoup
plus
encore
par
rapport
aux
autres
femmes,
par
l'admiration des
hommes.
Mais
à défaut,
elle
s'adonne
à la
culture du
savoir,
en improvisant
des
rencontres littéraires
avec des hommes lettrés.
Selon l'ordre
d'apparition,
nous rencontrons
Hugh Martin
dont elle dit:
«
Hugh Martin, of the Land Office, came out from Nairobi
to entertain me; a brilliant person, versed in the rare
literature of the world, who had passed his life peacefully
in the civill service of the East, and there, amongst other
things, had developped an innate talent for looking an
immensely fat Chinese idole He called me Candide, and was
himself a curious Doctor Pangloss of the farm,
firmly and
placidly rooted in his conviction of the meanness and
contemptibleness of human nature and of the universe, and
content in his faith,
for why should not be so ?»
(p. 180).
Tous les deux, partagent une
même passion pour les oeuvres
de
voltaire,
surtout
Candide,
d'après
qui
d'ailleurs
la
narratrice est nommée
par Hugh surnommé
lui-même Pangloss. Or,
cet homme,
Pangloss ou
Hugh n'appartient pas
à ce
monde dans
l'esprit de la locutrice qui voit
en lui un disciple du diable,
puisque, désenchanté par l'humanité et
la vie terrestre, il les
condamne. Il
remet tout
en
cause, en
philosophe qui
ne sait
rien.
Ce
n'est
pas
un
hasard
s ' i l
reste
l'un
des
rares
personnages à survivre après le contact avec la ferme.
A la suite
de ce
tête-à-tête nocturne,
surgit un Gustave
Mohr de Norvège, dont nous apprenons que:

84
«
with a simple vigourous readiness ... Here he was now
flung on to the farm by his own burning mind,
like a stone
out of a volcano. He was going mad, he said in a country
which expected a man to keep alive on talk of oxen and
sisal: his soul was starving and he could stand i t no
longer . . . . He had much in him to rid himself of, and was
generating more as he spoke.»
(p. 180-181).
Cet autre homme qui rôde autour de la narratrice, est aussi
désillusionné par la
vie qu'il
retourne sous
tous les angles,
pour
tenter
de
trouver
quelque
chose
à
quoi
il
puisse
s'accrocher. Comme Martin, il philosophe
sur la vie et la mort.
Mais
tandis
que
le
premier
boit,
lui,
il
fume.
Il
est
remarquable de constater que chacun des deux va de pair avec son
vice. Martin, par exemple,
se vautre dans
le fauteuil comme de
l'eau dans un lac,
tandis que Gustave
fume comme pour consumer
le
trop
plein
d'énergie
qui l'inonde.
Cet
excès
de
force
l'empêche d'ailleurs
de
discuter.
Il parle
sans
écouter. En
fait, c'est la solitude
qui le pousse
à chercher un auditoire,
auquel il s'adresse en
se parlant à lui-même.
Quand il ne peut
se livrer à son
monologue, il s'adonne
à des travaux d'intérêt
commun.
Poursuivant avec la liste
de ces hommes
déçus ou mal dans
leur peau, elle
nous parle
d'une femme
appelée ,Ingrid qu'elle
caractérise comme:
«
as fair of skin as of mind ... She and her husbands had
come out with their children to Africa on a joyous
adventure, a picnic, to make a fortune quickly, ... »
(p. 181).
Cette suédoise qui
a rêvé
de faire sa
fortune en Afrique
comme lors d'une promenade de santé, s'est retrouvée à suer sang

85
et eau
pour
maintenir
sa
ferme.II
se
trouve
qu'elle
a un
domestique du nom de Kemosa, qui :
«
He slaved for her in the market garden and poultry yard,
and also acted as a duenna to her three small daughters,
travelling with them to and from their boarding school ...
Kemosa lost his balance of mind, so much was he impressed
with Farah's greatness.»
(p. 181-182).
Kemosa
est
l'admirateur
de
Farah dont
il
souhaite
la
camaraderie, et pour l'impressionner il
entame la fortune de sa
maîtresse. Fille de
la classe moyenne elle
devient paysanne en
Afrique, mais
passionnée
de
son
sort.
Son
rêve capitaliste
s'avère être un
sortilège, un
mauvais sort, à
croire que chez
Blixen ne se retrouvent que des hommes et des femmes désespérés.
Peut-être s'agit-il
d'une
malédiction, ou
d'un ensorcellement
qui contaminent tout le monde ?
Le monde s'effondre comme un
château de cartes tout autour
de la narratrice. Serait-elle un porte-malheur?
Passons sur ces spéculations,
et arrêtons-nous à un autre
être du milieu de
la locutrice dont
la singularité semble être
son vieil âge,en la personne de Bulpett dont elle nous dit que:
«
Old Mr Bulpett ... was a great friend of mine, and a kind
of ideal to me, the English gentleman of the victorian age,
and quite at home in our own . . . . I was told that she had
ruined him altogether and let him go.»
(p. 182-183).
Bulpett est
le type
même du
coeur transi.
Ses prouesses
physiques et intellectuelles ne l'ont pas empêché d'être détruit
par son amour.
Il a l'allure d'une
figure victorienne. victime
de la femme, il cherche
refuge et consolation dans l'art. C'est
d'ailleurs
pourquoi
il
serait
intéressant de
noter
que
la
rencontre
du
personnage
s'accompagne
de
références
qui

86
nécessitent une connaissance des
Lettres françaises pour saisir
la signification
de La
Belle Otéro, une
espèce de
Quid, mais
aussi de
savoir
qui
sont
Armand Duval
et
le
Chevalier des
Grieux. Ce sont les traces du passage de la narratrice en France
qui viennent interférer et étoffer sa description des différents
personnages en situation.
Cependant le personnage
de Bulpett a
ses zones de mystère
aussi. Lorsqu'il est
évoqué de la manière
suivante:
«Old Mr Bulpett sat and looked out over the tremendous big
country below us,
... as if ready to fly off over i t at any
moment ... »
(p. 183)
De lui, nous n'avons que l'image d'un homme déçu et éprouvé
par les délices fallacieux
de la vie,
et qui souhaiterait s'en
échapper en
volant comme
un aigle au
dessus de
l'abîme, loin
dans
le
ciel,
pour
tout voir
de
haut,
ou
s'en
détourner
totalement.
Telles sont les
impressions que
nous laissent
tous les autres
personnages, que nous présente l'auteur. Elle repasse le film de
sa vie,
et ce
faisant,
les
indications qui
apparaissent sont
celles de
gens et
de choses
qui auraient
pu lui
apporter la
malchance, ou qui n'auraient
pas su être
présents au moment où
elle en avait le
plus besoin. Ce
constat d'impuissance au goût
amer, la
rapproche de
beaucoup
d'autres entrepreneurs
de son
époque
qui
se
sont
resignés à
qualifier
l'ensemble
de
la
situation
de
«
White
Man's
Burden»,
pour
exprimer
l'impossibilité de
la
redemption
de
l'Afrique
par
le saint
bienveillant Britannique, que le système n'épargne pas.

87
Néanmoins la
réalité telle
qu'elle apparaît à
Blixen, se
fait séduisante
sans pour
autant se
laisser saisir.
Le texte
nous apprend que:
«
It was a curious thing that l myself did not, during
this time ever believe that l would have to give up the
farm or to leave Africa ... AlI the same nothing was farther
from my thoughts, and l
kept on believing that l
should
come to lay my bones in Africa ... During these months, l
formed in my own mind a programme, or system of strategy,
against destiny, and against the people in my surroundings
who were her confederates.»
(p.283).
La situation
est d'autant
plus envoûtante
qu'elle refuse
d'ouvrir les
yeux pour
mettre fin à
son rêve
de merveilleux.
Elle a été séduite et piégée par l'Afrique qui l'a encagée comme
ses compagnons de route.
Dans la ménagerie elle tourne à la paranoïa en raison de sa
passion pour
ce
qui
la
retient
en
Afriqu~:
sa
ferme pour
laquelle elle se reprend à espérer une solution miraculeuse:
«
And during this time, l
thought something would happen
to change i t aIl back, since the world after aIl, was not a
regular or calculable place.
( . . . )
It was then, from hour to hour, a lesson in the art of
living in the moment, or, i t might be said, in eternity,
wherein the actual happenings of the moment make but little
difference.»
(p.
283).
Son espoir lui
est permis par l'irrationnalité
de la vie.
Il ne suffit pas d'avoir appris à
compter ou à écrire pour tout
savoir
et
tout
pouvoir.
c'est
à
ce
titre
qu'elle
oppose
l'instant à l'éternité.
Ce qui est instantané
peut se changer,
se transformer alors que l'éternité
est infinie et immuable. Il
y a opposition entre
espoir et fatalisme, car
sa vie est faite
de revers,
qui
lui
offrent
l'occasion
d'un
nouveau départ,

88
tandis que l'éternel signifie sa fin, son destin. C'est pourquoi
elle reste optimiste prenant
ses forces de
la compassion et de
l'influence indigènes dont elle dit:
«
The squatters of the farm, though, whose ideas of time
were different from those of the white people, kept on
looking forward hopefully to the time when everybody would
have firewood__ such as the people had had in the old
days.»
( p.277)
Blixen
subit
l'influence
optimiste
des
indigènes
mais
n'ayant pas en dehors d'elle-même, sa propre communauté à portée
de mains,
ni de
famille toujours présente
auprès de
qui elle
pourrait se protéger des ardeurs de la vie, son optimisme tourne
à l'obsession. Son
isolement joue
à son usure.
Pour elle, ses
amis et
proches, parce
que clairvoyants, l'ont
laissée tomber
chaque jour davantage, et comme
tels ils s'illustrent comme ses
adversaires. C'est la situation de paranoïa qui lui fait voir le
danger, la menace
derrière chaque ombre et
chaque parole. Dans
son for
intérieur, son
univers s'amenuise et
va à
la dérive.
Blixen nous indique que
«
When l
look back upon my last months in Africa, i t seems
to me that the lifeless things were aware of my departure
along time before l was so myself ... When l
first began to
make terms with fate, and the negociations about the sale
of the farm, were taken up, the attitude of the landscape
towards me changed. Till then l had been part of it, and
the drought had been to me like a fever, and the flowering
of the plain like a new frock.
Now the country disengaged
itself from me, and stood back a little, in order that l
should see i t clearly as a whole.»
(p.284)
Surexcitée par sa déception elle
paraît comme un jouet, un
objet de plus dans
le décor, au coeur
d'un vaste complot. Mais
si
elle
souffre
de
paranoïa,
elle
n'est
pas
indemne
de

89
fantasmes,
de
perceptions
hallucinatoires.
Elle
ressent
la
nature qui
lui ouvre
les bras,
qui célèbre
son départ
en se
montrant sous
une
lueur qui
ne
lui avait
jamais
été encore
révélee. C'est
pourquoi elle
personnifie son
environnement en
ces termes:
«
In the Hills, in March, this gesture of abandon means
that the rains are near, but here to me, it meant
parting.( ... )
Light and shade shared the landscape between themi rainbows
stood in the skYe »
(p. 284).
Ces différents signes
du monde
sont les
fruits de fortes
présomptions d'un être qui cherche
à saisir la faille,
l'erreur
fatale dans ce rendez-vous manqué, et qui épuisé donne du sens à
tout. C'est
l'image
d'une
femme victime
du
hasard
que nous
retenons à propos de ce personnage pour lequel nous éprouvons de
la compassion sans oser
le clamer de peur
de devoir assumer la
force apparemment rancunière de
la nature qui
a fini par avoir
le dernier
mot. Aucun
écart n'est resté
impuni, et
après lui
avoir fait
payer
cher
son intrépidité,
la
pluie
annonce la
fertilité,
la grossesse
de nouveaux
espoirs au
moment où elle
s'en va. La
fête se fera
sans elle,
et pour lui
en donner un"
avant goût, le ciel et la terre communient en un arc-en-ciel, le
pont entre la
face cachée
et la
face éblouissante
de la vie.
Pour s'être
dispersée
entre
les
deux
hémisphères
elle n'en
connaît aucune, en tout
cas pas assez pour
la séduire. C'est à
ce moment que sa perte se précise ou s'accentue.
La passion et le refus de l'échec de Blixen la conduisent à
délirer même aux yeux des indigènes. Elle ne voit pas les choses

90
sous le
même
angle
que
tous les
autres,
enfermée
dans ses
convictions comme elle
est. Sur
ce, le texte
nous divulgue le
point de vue suivant:
«
l
looked upon myself as the one reasonable .. »
(p. 285).
Sa situation est un cas de
démence dans lequel elle est la
seule à
ne pas
admettre sa
folie (
Voir Showalter,
5). Pour
Blixen, ce sont les
autres qui ne sont pas
dans la règle. Elle
en est d'autant
plus persuadée
que les
indigènes concourent à
lui faire
vivre son
rêve
éveillé, en
l'alimentant d'éléments
nouveaux.
Seulement
est-ce
que
les
autochtones
certes
perplexes devant
le
sort
d'une
Européenne
en
face d'autres
Européens - croyaient eux-mêmes en ce revers salutaire, d'autant
plus qu'avec
le recouvrement ou
non de la
ferme ils seraient
toujours étrangers sur les
terres de transition vers lesquelles
le pouvoir les achemine ?
En fait, ces indigènes ne se préoccupent pas de leur futur,
de leur sort justement
en raison de
la situation désespérée où
se trouve la
protagoniste. L'attitude de ces
Africains est une
action de solidarité
et surtout
une forme de
compassion de la
part d'hommes en face d'un
cas fatal. En inventant de nouvelles
perspectives imaginaires
pour la
reconquête
de la
ferme, ils
cherchent à calmer les esprits
de la victime. Leur comportement
est
une
tentative
thérapeutique,
car
le
contraire
de
l'affollement n'est-il pas
la quiétude, la paix
de l'esprit et
la sérénité
? Un
passage du livre
se révèle
remarquable pour
dire qu'ils agissent en connaissance de cause. En effet:

91
«
There is a paradoxical moment in the relation between
the leader and the followers:
that they should see every
weakness and failings in him so clearly, and be capable of
judging him with such unbiased accuracy, and should still
inevitably turn to him, as if in life there were,
physically, no way round him. A flock of sheep may be
feeling the same towards the herdboy, they will have
infinitely better knowledge of the country and the weather
than he, and still will be walking after him, if needs be,
straight into the abyss. The Kikuyu took the situation
better then l did, on account of their superior inside
knowledge of God and the Devil, but the y sat round my house
and waited for my orders; very likely aIl the time between
themselves expatiating freely upon my ignorance and my
unique incapacity.»
(p. 285)
La puissance du
guide se
vide de sa
substance. Les gris-
gris qui assuraient le pouvoir depuis le fond du canari ont tous
été sortis. Les
sujets se
rendent compte
de la
folie de leur
chef, mais ils ne peuvent
le laisser tomber, surtout s ' i l s'est
montré bon
et
généreux
comme
Blixen l'a
été,
en
raison du
rapport de
dépendance
et
d'infériorité
(
Voir
Mannoni, 6).
Egalement il ne faut
pas destituer ouvertement
celui qui a été
grand au risque d'aggraver
sa condition mentale troublée. Alors
les autochtones assistent l'agonie de Blixen, victime de Dieu ou
du Diable. si
elle est victime de
Dieu, elle est
un martyr de
l'aventure Africaine, tout juste un accident malheureux. Mais si
elle
la
proie
du
Diable, c'est
peut-être
parce
que
comme
Mephistophélès elle a passé un pacte
avec lui pour la gloire et
la grandeur, qu'elle a
à retourner par
sa propre déchéance. En
agissant en garçon tout en étant femme, elle a voulu être le dos
et la
paume de
la
même main
qui ne
sont
pas faits
pour se
rencontrer. Aussi, le
guide qu'elle
est voit mais
ne sait pas
puisque n'ayant
pas
le
temps
de
refléchir,
tandis
que les
suivants ne voient
pas mais
perçoivent mieux
les choses parce
qu'ils sont plus attentifs.
Nul ne peut empêcher
le sort de se

92
faire même dans le cas de Blixen. C'est dans cet ordre de pensée
que le texte nous confie à propos de son moral que:
«
... 1 began to feel as lonely in Nairobi as on desert
island.
l had left Farah on the farm to recieve Denys, so
that l had nobody to talk with. The Kikuyus are no good in
such a case for their ideas of reality, and their reality
itself, are different from ours.»
(p.299).
Les
indigènes
assistent
progressivement
à
l'état
de
depression mentale
sans rien
y
faire concrètement,
parce que
justement en
cas
de malheur
la compassion
n'est
pas d'aller
trouver l'éprouvé pour
lui parler,
mais rester à
ses côtés et
faire sentir la présence
silencieuse ou encourageante. C'est ce
qui donne de
la force
aux différentiations
culturelles que la
narratrice évoque. Les
indigènes dans sa
solitude, ne viennent
pas la
voir pour
lui parler, mais
pour ne
rien dire
même au
moment où elle a le plus besoin de solitude. Or ils compatissent
à son triste sort de femme-vampire,
qui ne tire de la vie que le
peu qui
lui
est nécessaire
pour souffrir
et
faire souffrir.
L'image de Blixen-personnage féminin est celle d'une Hamy Watta,
la femme-sirène dans
la mythologie Africaine
dont la rencontre
par les
hommes peut
être bienheureuse ou
catastrophique selon
les moments
et ses
dispositions.
Cette assimilation
nous est
autorisée car Blixen-personnage est aussi Blixen-narratrice.
Blixen. Etre bidimensionnel
Elle a une double
personnalité; elle est hermaphrodite, et
étant sur terre,
tout lui rappelle
les profondeurs aquatiques.

93
De plus, elle a une vague conscience de ce qu'elle inflige à son
entourage, malgré elle. C'est pourquoi nous pouvons lire dans la
section réservée
à
Denys
l'assimilation des
indigènes
à des
personnages légendaires, par exemple:
«When the tide was out, you could walk miles away seawards
from the house ... The Swaheli fishermen came wondering
along here, in a loin-cloth and red or blue turbans, like
Sindbad the sailor come to life ... When the tide came in, i t
filled up the caves to the level of the ground on which the
house was built, and in the porous coral-rock the sea sang
and sighed in the strangest way, as if the ground below
your feet was alive»
(p. 295-296).
Ce domicile de Denys est
contigü, communicant avec la mer,
et les cavités sous-marines. Il a été bâti sur des lieux enrobés
du parfum funêbre.
Et seuls
Denys et
la narratrice semblaient
pouvoir y vivre un moment.
En
vérité,
ces
attitudes
caractérisent
l'être
double.
Tandis
que
l'une
des
composantes
de
sa
personnalité
veut
condamner,
l'autre
se
rétracte
et
nie
tout.
Ce
sont
les
comportements du sorcier,
ou du
vampire, qui
se dédoublent la
nuit venue. Ils se libèrent
de leurs enveloppes charnelles pour
aller faire des victimes, et
dans la journée, ils ignorent tout
ce qui s'est
passé, ou ne
s'en souviennent pas
tant que tout
s'est bien passé
pour eux.
Aussi, si
nous rapprochons Blixen-
protagoniste de ces personnages tragiques, tout se tient dans la
succession de malheurs épidémiques, des accidents de charettes à
la
mort
de
figures
illustres telles
que
Denys.
Ainsi,
la
traductrice observe:
«
During my last months in Africa, When everything was
going wrong with me, i t sometimes suddenly fell upon me
like a darkness, and in a way l was frightened of it, as a
sort of derangement.»
(p. 299).

94
Blixen cherche à comprendre son rôle dans toute cette suite
d'évictions. Elle cherche
une position mais
elle ne s'aperçoit
pas qu'on ne
peut être acteur
et spectateur de
son propre bal
masqué au même moment.
Elle a vécu tout près de
la mort, puisque Denys était déjà
enseveli avant l'accident
d'avion, et elle est
la prêtresse de
cette mort.
C'est
pourquoi
Denys revient
la
voir,
comme la
victime revient visiter de temps
en temps son bourreau dans les
récits de
sorciers, pour
se moquer
de lui
ou encore
pour le
tourmenter
avant
sa
propre
fin. Nous
pouvons
retenir
deux
passages qui illustrent ce constat.
En un premier
moment, le
texte nous
revèle une dimension
psychique de Blixen-protagoniste en ces mots:
« I t was vey still here in the hills; only at times when
the rain came down stronger, there was a whisper to aIl
sides.»
(p.303).
L'ambiance
est
celle
de
la nuit
noire

elle
croit
percevoir des sons furtifs,
et des ombres disproportionnées qui
infligent
des
frayeurs.
C'est
une
atmosphère
de
films
d'horreurs,
qui
prévaut
aux
obsèques
de
Denys,
dans
la
conception de la narratrice. Or, pour les victimes à devenir, le
commun des
mortels, Denys
est l'ami
de tous
maintenant qu'il
s'est endormi. C'est ce qui nous donne en un deuxième lieu cette
épitaphe citée par Hugh Martin:
«'Though in death fire be mixed with my dust yet care l
not. For with me now aIl is weIl'.»
(p.307).

95
Denys est tombé
dans les flammes
exorcisantes de l'enfer.
Sur terre, il rêvait de mer et
dans sa mort le feu s'est mêlé à
la terre pour lui donner un l i t solide, pour lui donner un repos
éternel. Il est un objet de poterie pétri à l'eau et à la terre,
et ensuite brûlé au four pour lui donner de la résistance et une
fixation. Même si la
romancière n'a pas créé
Denys, le récit à
ce niveau, fait
allusion à
la génèse
où Dieu
créa l'homme de
terre et d'eau. Mais comme
pour toutes les créatures telles que
Kinanjui, la nature pleure la disparition de Denys.
De
longues
pluies
torentielles
viennent
sacraliser
l'inhumation de Denys,
pour hydrater
et apaiser
les effets du
feu et pour rendre son l i t plus léger et plus doux. Ainsi:
«
It rained aIl night, and there was a fine drizzling rain
in the morning when we went away. The wagon-trcaks on the
road were full of water. Driving up in the hills was like
driving into the clouds .. ; and the midst grew thicker as
the road mounted.»
(p.
302).
Or, pour
donner
la paix
à
Deneys avec
lui-même
et son
caveau original, l'Afrique
se présente sous
un autre discours,
comme suit:
«
The great country of the hills opened up reluctantly
round me, and closed again, the day was like a rainy day in
a northern country.»
(p. 302).
L'Afrique reconcilie
Denys avec
ses origines,
en faisant
prendre conscience
à
la
narratrice
de
l'éloignement
de son
berceau. Tous deux personnages, sont
des jouets aux mains de ce
continent cynique et malicieux, qui rend la chair facile tout en

96
l'aromatisant de
poison.
Désormais
Denys
lui
appartient, et
sachant où
il
est, elle
lui
rend les
derniers
honneurs. La
porte-parole nous dit:
«
The grave was a thousand feet higher up than my house,
the iar was different here, as clear as a glass of
water; ... the clouds carne wandereing from the east, drew
their live shadow over the wide undulating land, and werte
dissolved and disappeared over the Rift valley.»
(p. 306).
Le voeu de Denys a été exaucé, et de haut il règnera sur le
monde d'ici bas,
comme une sommité,
mais qui ne
peut plus que
rester gravé
dans les
regrets des vivants.
Là, il
sera aussi
proche des
cieux où
il
résidait déjà
en tant
qu'aviateur ou
"wings". Néanmoins, sa
mort prend
la forme
d'une ascension eu
égard à l'acheminement à travers
monts et vallées de son corps,
et de l'emplacement élevé de son
tombeau. Sa gloire ne lui sert
plus, parce qu'il ne
peut plus l'apprécier
comme un vivant, et
son tombeau devient un lieu
de recueillement, une fusion de son
être avec la nature.
Aussi, après son enterrement, l'interprète
nous raconte que:
«
'The Masai', he wrote,
'have reported to the District
Commissioner at Ngong, that many times, at sunrise and
sunset, they have seen lions on Finch-Hatton's grvae in the
Hills. A lion and a lioness come there, and stood, or Iain,
on the grave for a long time.»(p.
308)
Denys, en tant que mortel, est retourné à la terre, qui lui
a donné une
autre forme et
une autre place.
Les lions aperçus
par les
indigènes
pourraient
être
son âme
et
celle
de son
accolyte,
assoiffées
d'éternité.
Partant,
leurs fantômes
se
révèlent sous
leurs vrais
signes: ceux
d'êtres qui
ont voulu
tout voir de
haut et
régner sur
le monde
sauvage, puisque le

97
lion est le
roi de la brousse.
En venant se
recueillir sur la
tombe de Denys, ils
viennent voir un
compagnon tombé en raison
de ses défauts tragiques. Mais
il se peut aussi qu'ils viennent
se moquer de lui, lui
qui s'est pris pour
un roi de la brousse
en essayant
de leur
voler leur
place, lui
qui n'a
été qu'un
homme,
un
simple
bipède.
Toujours
est-il
que
dans
leur
manifestation, ils
reconnaissent
et dignifient
Denys,
qui ne
peut être dissocié de
l'Afrique. Il en
est devenu un monument,
une partie intégrale
dans l'histoire
de cette
colonie. Il n'a
pas pu s'en échapper. Et puisqu'il est tombé, son amie cherche à
s'extirper de
ce lieu
de défaite.
Aussi, dans
cette logique,
Denys semble l'avoir
épargné de l'alliance
fatale en emportant
avec
lui
le
gage
de fidélité,
la
bague
en
or
qu'il
lui
destinait. Le texte nous propose :
«
Denys had once given me an Abyssinian ring of soft gold,
to be screwed on so that i t would fit any finger ... and in
this way the ring was buried with him »
( p. 312 ).
En mourant sa bague
à la main, Denys
lui permet de sortir
de ce
lieu
hanté. La
bague
en est
le
prix, le
prix
de la
conjuration du sort,
car l'or
est surchargé de
symboles et de
valeurs. Il est travaillé
par le forgeron (
Pooran) qui seul,
peut communiquer avec les
sphères divines, implorer leur merci,
leur justice.
Or,
tous deux
étant encagés
en
Afrique, Denys
choisit de
se
sacrifier seul,
et
de porter
le
châpeau pour
sauver la narratrice.
Denys est un souffre-douleur qui refuse d'agir par égoïsme.
c'est ce dont la narratrice essaye de se souvenir :

98
«
It seemed to me that l must have,
in sorne way, got out
of the normal course of human existence, into a maelstrom
where l
ought never to have been. Wherever l
walked, the
ground fell away under me, and the stars fell from the
sky . . . . AlI this could not be,
l
thought,
just a
coincidence of circumstances, what people calI a run of bad
luck, but there must be sorne central principle within
i t . . . . I must, l
thought, get up and look for a signe
Many people think i t an iunreasonable thing, to be
looking for a signe This is because of the fact that i t
takes a particular state of mind to be able to do so, and
not many people have ever found themselves in such astate.
If in this mood, you ask for a sign, the answer cannot fail
you; i t follows as the natural consequence of the demand »
( p. 313-314 ).
A l'oeuvre avec le rocher de Sisyphe, Blixen se cherche des
raisons, des
justificatifs
à
son sort.
Or
ce
faisant, elle
adopte
une
attitude
mentale
schismatique
par
rapport
au
monothéisme
chrétien
Elle
rejette
la
rationnalité
pour
poursuivre
des
signes,
la
révélation
des
forces
étranges,
magiques, dans les manifestations du cosmos.
Au fil du temps, avec le démantèlement de son entourage, il
ne reste
plus
qu'une seule
issue
à Blixen:
partir
avant de
provoquer d'autres désastres contre elle-même ou contre ceux qui
lui restent
attachés. Or
pour
partir il
lui faut
vendre ses
biens pour limiter les
dégâts que lui
a causé le dépouillement
de l'Afrique. Partant,
le roman~ nous
offre deux techniques
narratives.
Nous avons une perspective qui s'articule sur l'interaction
alternante entre
la
narratrice
et
le
monde
dont
elle rend
compte, un monde d'évènements et
de choses. La seconde démarche
est scénique. Elle fait un
tableau dans lequel l'évènement, les
personnages, la
narratrice et
le monde
narrés occupe
le même
plan. Pour
paraphraser
Franz
Stanzel, il
s'agit
d'un 'roman
autorial'
qui
met
l'accent
sur l'aspect
ontologique
de
la

99
situation narrative, alors que
le 'roman figuratif' souligne le
domaine épistémologique. Ainsi, QQA comprend
à la fois l'une et
l'autre de ces situations, car
Blixen la personnage est devenue
aussi narratrice, et les
zones ontologiques et épistémologiques
sont indécises, sans que le
réalisme de l'univers du roman n'en
soit affecté.
Le mot clé en est la vraissemBlance. La situation est celle
du rite
vaudou en
plein
coeur de
la théorie
mimétique, pour
témoigner du
contrôle
de
l'homme
sur le
réel.
De
même, la
narration est un champ d'action, un contexte qui modifie tout ce
qui y pénètre. C'est ce processus qui nous a conduit à la phrase
décisive
du
départ,
une
sortie de
l'Afrique;
elle
est
la
dernière prouesse
à
accomplir
pour
échapper
des
griffes du
danger, la
fin d'une
expérience, et
elle est
fabuleuse comme
dans les soirées de contes que Blixen consacrait à Denys :
«
l had an old wooden screen with painted figures of
Chinamen, Sultans and Negroes, with dogs on leads, which
had had its place by the fire. There in the evenings, when
the fire burned clear, the figure would come out, and serve
as illustrations to the tales that l told Denys »
(p. 309).
Ainsi, tous deux,
Denys et la protagoniste
se livraient à
des jeux
fantastiques, qui
établissaient des
rapports vivants
entre eux et
les objets
inanimés, qui
prenaient de
la vie au
moins dans leur
entendement. Aussi, ils
devenaient ces enfants
qui en
s'amusant
de
la
découverte
de
leur
milieu, croient
pouvoir ôter la vie à leurs jouets,
et les y ramener en un tour
de main.
Finalement, avec
l'âge, la
réalité n'est
plus aussi
illusoire, à en croire la
narratrice qui se souvient des livres
qui ont meublé ses moments perdus dans la colonie.

100
La lecture et la solitude
Blixen écrit
«Books in a co1ony play a different part in your existence
from what they do in Europe; this is a who1e side of your
1ife which there they a10ne take charge of; and on this
account, according to their qua1ity, you fee1 more gratefu1
to them, or more indignant with them, than you will ever do
in civi1ized countries.
The fictitious characters in the books run beside your
horse on the farm, and wa1k about in the maizefie1ds»
(p. 309).
En
raison
du
dépaysement,
de
la
solitude,
et
du
désoeuvrement
des
voyageurs,
les
livres prennent
une
autre
importance dans leur vie. Ils deviennent des compagnons de route
de tous les instants,
au contraire de l'Europe
où ils sont des
instruments instructifs, ou de simple distraction.
En colonie, on trouve le temps de lire et de relire, de les
analyser à tel point que les personnages deviennent familiers et
occupent une place dans la vie de les jours, puisque le colon se
sent seul comme ces personnages de Conrad.
Entre le contrôle
des livres
de compte
tenus par Makola,
les parties de pêche
et les moments où ils
se font les ongles,
les pionniers de Conrad lisent
des ouvrages classiques dont ils
ignoraient
l'existence
avant
de
venir
dans
la
jungle,
en
Afrique:
«
They took up these wrecks of novels, and, as they had

101
never read anything of the kind before, they were surprised
and amused. Then during long days there were interminable
and silly discussions about plots and personnages. In the
centre of Africa they made aquaintance of Richelieu' and of
d'Artagnan, of Hawk's Eye and the Father Goriot, and of
many other people. AlI these many imaginary personnages
became subject for gossip as if they had been living
friends. They discounted their virtues, suspected their
motives, decried their successes; were scandalized at their
duplicity or were doubtful about their courage. The
accounts of crimes moved them deeply . . . . 'This a splendid
book. l had no idea there were much clever fellows in the
world ... high-flown language.»
( AOP, p. 62-63)
Ainsi Kayerts et Carlier qui
n'avaient pas eu le privilège
de pouvoir
s'acheter
des livres
le livre
n'était
pas une
priorité pour
les
classes défavorisées,
qui
devaient souvent
jeûner pour se le procurer,
jusqu'à ce que la révolution prônant
la culture de masse fasse chuter le coût de revient - et surtout
de parler d'autres langues
que l'Anglais - puisqu'elles étaient
dispensées
dans
des
écoles
de
prestige
trouvent
dans
l'aventure Africaine,
le luxe
de la lecture.
Surtout l'ironie
veut
que
Carlier
et
Kayerts
qui
n'étaient
pas
de
grands
lecteurs, finissent par prétendre pouvoir
juger et dire qui est
intelligent, et qui ne l'est pas
sur terre, au travers de leurs
lectures.
En fait, Kayerts
et Carlier forment un
couple, qui entend
maintenir la
tradition
du
"gossip
Britannique".
Aussi, leur
faut-il une
tiers-personne sujet
de leurs radotages.
Mais ils
doivent se contenter d'un choix
fort restreint. c'est ainsi que
Makola ou
Gobila,
ou
encore
les
autres
indigènes
et leurs
proches
alimentent
leurs
conversations,
sauf
lorsqu'ils
se
racontent mutuellement leurs
propres histoires,
pour garder la
tradition, les racines.
De même puisqu'ils ne
disposent pas de
lieux publics comme les "public
houses" , les cafés, ou même les
rues, pour épicer la conversation,
ils trouvent une solution de

102
rechange dans la
littérature. c'est
pourquoi, à
force de lire
les morceaux
de pages,
de
journaux, ils
ont fini
par passer
maîtres en critique
littéraire. En rabâchant
leur lecture, ils
ont poli
l'appréciation
des
personnages,
des
intrigues, des
motifs ou des motivations, à
tel point que les personnages leur
paraissent vivants, des Etres
dont ils peuvent parler vraiment.
Mais
Conrad
a
tellement
chargé leur
condition
de
symboles
qu'elle est devenue tragique.
Au lieu d'en
rire, Conrad
nous fait
voir des personnages
éprouvés, et
pitoyables sur
une
planète lointaine,
comme les
lambeaux de journaux qu'ils prennent entre les doigts. Mais cela
ne change rien à la situation du guide aveugle dans laquelle ces
deux personnages habitent. Est-ce parce qu'ils sont aveugles aux
choses invisibles ?
Ils sont
tragiques car
Conrad
les a
condamnés d'avance.
Comme nous le verrons plus loin, Kayerts et Cralier incarnent le
défaut tragique, celui de
n'être jamais parfaits, puisqu'ils ne
sont que de simples humanoïdes. Leur défaut est de ne pas savoir
qu'ils ne savent pas tout. Pourtant, ils ont été scandalisés, en
proie
au
doute
quant
à
la
duplicité
et
au
courage
des
personnages
littéraires.
Mais
ils
ne
s'embarrassent
pas
d'introspections,
condamnant
systématiquement
le
bonheur des
autres,
trouvant
des
raisons
à
tout
pour
justifier
l'injustifiable. La lecture, les autres loisirs et biens de luxe
qu'ils
s'accordaient
en
Afrique
étaient destinés
à
chasser
l'ennui que colons, ils vivaient comme Blixen dans QOA. Il n'est
donc pas étonnant de parler
de transpositions de deux réalités.
Ainsi, comme
dans la
situation
exposée dans
AQE de
Conrad à
propos de Kayerts
et Carlier,
même une page
abîmée de journal

103
demeure importante
au vu
des ressources qu'elle
représente en
matière de
culture
et
de
fantasmes.
A
ce
propos,
la voix
narratrice de OOA ajoute
«
On the morning after l
had been reading Chrome yellow at
night - and l
had never heard of the author's name, but had
picked up the book in a Nairobi bookshop, and was
pleased ... AII Walter Scott's characters were at home in the
country and might be met anywhere; so were Odysseus and his
men, and strangely enough many figures from Racine, Peter
Schlemihl had walked over the hills in seven-Ieague boots.
Clown Agheb the honey-bee lived in my garden by the river»
(p. 309-310).
C'set ainsi
que
Blixen
a lu
et
admiré
Ridder Haggard,
Schéhérazade et
d'autres.
Aussi, personnages
mythologiques et
illustrations littéraires, se partagent
le paysage psychique de
la narratrice,
pour agrémenter
son existence en
Afrique. Pour
donner de la force à cette fiction, elle l'étend, et l'étoffe de
comparaisons, de souvenirs de personnages et d'oeuvres tragiques
tels que Hercule, ou
ceux de l'Odyssée, du
roi Salomon, et des
concepteurs tels que Walter Scott,
Racine, Peter Schlemil et le
Clown Agheb. C'est à ce moment que nous réalisons l'obsession de
la narratrice, une obsession dont personne ne peut la sortir, et
qui prend l'aspect d'un complexe de persécution. Cette situation
tragique nous
rapelle la
fin de
Ezeulu dans
Arrow Qf
God de
Chinua Achebe,
qui finit
par tomber pour
avoir vu
trop loin,
pour s'être
aventuré devant
la foule,
et qui
lorsqu'il s'est
retourné, constate que
les autres
se sont
arrêtés, sans qu'il
lui soit possible de revenir sur ses pas dissimulés par la nuit,
que le temps semble s'êtr~ arrêté pour lui comme celui d'un mort
qui ne plus entendre l'appel des vivants, presque comme Knudsen.

104
Au nombre des personnages qui
ont marqué la vie de Blixen,
figure Knudsen, un Danois.
Ils
sont tous les deux compatriotes,
mais Knudsen semble
seul. Dans
le regard que
Blixen porte sur
son passage à la ferme, elle nous fait retenir que:
«Sometimes visitors from Europe drifted into the farm like
wrecked timber into still waters, turned and rotated, t i l l
the end they were washed out again, or dissolved and sank.
Old Knudsen, the Dane, had corne to the farm, sick and
blind, and stayed there for the time i t took him to die, a
lonely animal. He walked along the roads aIl bent over his
misery; for long periods he was without speech, ofr he had
no strength left over from the hard task of carrying it,
or, when he spoke, his voice, like the voice of the wolf or
hyena, was in itself a wail.»
(p. 164).
Knudsen est un solitaire,
soumis à tous
les vents, et sur
terre i l est comme un animal unique
à son genre. Or, ce qui est
remarquable dans
la
présentation
de ce
personnage,
c'est la
place importante allouée
aux images de
l'élément aquatique qui
sert à effacer ou à transporter à la vie les passants à la ferme
ou
leurs
traces.
Les
métaphores
abondent
au
sujet
de
ce
protagoniste, dont Blixen continue le portrait de cette façon:
«
But when he recovered breath ... then sparks flew from
the dying fire once more.»
(p. 164).
A l'élément aquatique
s'ajoute l'image
du feu.
Or, de la
conjonction du feu et de l'eau,
nous n'obtenons que de la fumée
ou du charbon éteint. Pourtant c'est justement ce qui advient
à
Knudsen, célibataire, sans
enfant au
bord de
la tombe, encore
tout seul, qui
agonise devant l'âge
et la solitude.
Il est un
charbon éteint.
c'est
pourquoi
la noirceur
des
choses qu'il
perçoit est l'image de l'aveuglement
de sa vie dans l'obscurité
de l'univers, le pessimisme et le vice qui le prennent en proie.

105
Blixen évoque très
bien ces
choses à travers
le symbolisme de
'Noir' - couleur de perception et d'objet - dans la citation. Ce
qui représente tout cela, c'est le charbon, à propos de quoi, la
narratrice nous confère que:
«
Charcoal-burning is a pleasant job ... it is known that
charcoal-burners see things in a different light from other
people.
( ... )
The whole place had a theatrical atmosphere which,
under the equator, where there are no theatres, was of
infinite charm ... The dark figures of the Natives moved
noiselessly amongst them ... »
(p. 165).
si
nous
restons
dans
le
sYmbolisme
du
charbon,
sa
production relève
des
activités
de la
forge
comme
celle de
Pooran. Et ses activités s'accompagnent de rituels, tels que les
incantations des génies, la poésie jouée par le griot. C'est une
production qu'il
n'est pas
donné
à tout
le monde
de pouvoir
opérer, comme nous le rappelle l'oeuvre de Camara Laye, L'Enfant
~ où
le
père travaille
la
forge accompagné
du
griot qui
s'adresse aux mânes.
En tout
cas l'atmosphère est
la même que
dans OOA. Seulement
dans ce
roman, aucun griot
n'assiste à ce
charbonage, que la
narratrice décrit de
manière théâtrale avec
une débauche des
couleurs. Serait-ce par
omission qu'elle n'en
parle pas?
S'est-elle laissé entraîner par
le charme poétique
de sa
perception artistique
?
Et si
Knudsen avait
usurpé la
pl~ce
de
Pooran,
disciple
de Prométhée?
Et
si
c'était
un
fantasme
ou
une
allégorie
d'un feu
purificateur,
ou
d'une
inquisition?
En tout
cas,
Blixen
nous rappelle
Obatala,
dieu
de la
pureté de
l'âme. Obatala,
par
la cause
de
son ivresse
- la
passion de
Blixen pour
sa
ferme -
devint partial
et aveugle
devant la
vie
(Voir
Verger,
7).
Aussi, il
créa
des Etres

106
handicapés du type de
Karomenya, aveugles comme Knudsen ... Pour
dire que hommes et dieux ne sont pas à l'abri des excès et de la
tentation:
" Gods and men, we're aIl deluded"
(OOA, p.
274 ). De
ce fait,
pour Blixen, le manque de plénitude et de perfection la
poussa à
se
vivre
en
garçon.
Néanmoins
le
cas
de Knudsen
pourrait
être
encore
une
transgression
d'un
rite,
ou
le
sacrilège commis par innocence ou
par défit qui se répare. Mais
comme nous pouvons
le constater
Blixen elle-même,
tour à tour
incarnation du
Pandore,
de Véronique,
d'humanoïde,
est aussi
l'incarnation de Oya de la mythologie Yoruba. Femme de Ogun, Oya
a le don de la métamorphose dans
les milieux où elle atterrit (
Voir Verger,
8). Elle
porte la
gourde de
vin qui
enivre les
hommes comme dans le rêve éveillé de Knudsen. Et l'environnement
de Oya
est un
royaume de
vapeurs et
de ténêbres,
pour mieux
corrompre les
faibles. C'est
pourquoi,
les efforts
de Knudsen
furent
vains,
puisque
son
feu
n'arrive
pas
à
supplanter
l'obscurité portée par Blixen-Oya. Mais
il a pu s'agir aussi de
la vengeance de Ogun.
Cependant, plus loin, Blixen nous
confie par rapport à ses
relations avec Knudsen les faits suivants:
«
In Paris where as a girl l
went to a painting school, l
had learned the olive-wood will make the best charcoal, but
Knudsen explained that olive had no knots in it, and, seven
thousand devils in hell, everyone knew that the heart of
things was in their knots.»
(p. 166)
et:
«
A particular circumstance here in the wood soothed
Knudsen's hot temper. The African trees have a delicate
foliage, mostly digitate, so that when you have cleared
away the dense undergrowth, so to say hollowing out the
forest,
the light is like the light in a beechwood in May
at home ... l drew Knudsen's attention to the likeness, and

107
the idea pleased him, for aIl the time of the charcoal-
burning he kept up and developped a fantasy: we were on a
Whit Sunday picnic in Denmark.»
(p. 166).
L'aveu de la narratrice nous permet de comprendre son style
pictural en littérature. Mais qu'est-ce qu'il y a au fond de son
coeur et du personnage de Knudsen ?
Tous deux éprouvent la nostalgie pour la mère patrie, si loin de
l'Afrique

ils
se
rencontrent.
C'est
en
Afrique
qu'ils
réalisent l'ampleur du
manque de
la mère. En
plus, de Knudsen
nous avons une figure de paranoïaque.
Eprouvé par la vie et les
évènements, il ne possède
plus que son
rêve vivant, éveillé de
ses souvenirs brisés. Le texte nous apprend à son sujet que:
«
One strong feeling ran through his Odyssey: the
abomination of the law, and aIl its works, and aIl its
doings.He was born a rebel, he saw a comrade in every
outlaw.
( ... ) He did not even respect, or believe in the
law of gravitation,
... »
(p. 166-167)
Knudsen ne
croit plus
en rien en
dehors de
lui-même. Il
rejette toute valeur et toute autorité d'autrui, comme Kurtz, ou
Marlow dans
Heart
of
Darkness, et
leurs
protonymes
dans An
Outpost of Progress, Kayerts et Carlier. Or, seul, Knudsen l'est
aussi au milieu de nulle
part en Afrique comme eux. Apparemment
dans l'univers de Knudsen,
i l n' y
a pas de femme, comme semble
le dire l'historienne:
«
Knudsen was eager to imprint on my mind the names of
people he wad known, preferably of swindlers and
scoundrels. But he never in his narrations mentioned the
name of a woman.
( ... )
AlI the same, when l was talking with him l
felt in his
life the constant presence of an unknown woman.
( ... ) She
was the woman who ruins the pleasure of man,
( ... ) and
snatched ... in disguise.»
(p. 167).

108
Qui est cet
homme qui n'aurait
pas été marqué
par la vie
d'une femme
? Même
Kayerts avait
en tête
sa fille
à marier,
tandis que Carlier
pensait à
sa soeur qui
lui garantissait le
couvert. Les spéculations sont une fois encore ouvertes.
Ainsi, la
mémoire
de Knudsen
est sélective
comme
si la
femme était
un
nom
ou
un Etre
tabou
qu'il
ne
fallait pas
invoquer, et qu'il a sorti de ses souvenirs. Qui est cette femme
qui
lui
pèse,
pourtant
qui
n'est
ni
la
mère,
ni
même
l'institutrice ou sa maîtresse?
Sa démonstration
lui est
interdite
par sa
psyché. Cette
femme serait-elle l'argent? Ou serait-ce l'Afrique dans le sein
de laquelle il est immergé ?
En fait Knudsen
a peur de la
femme; or la
femme c'est la
vie, la
conscience qui
sermonne.
Knudsen a
peur de
la femme
parce qu'il a peur
de la vie,
et c'est pourquoi
il a fuit par
des voies d'eau. Il n'y a qu'en
mer qu'il a la sensation d'être
libre, de
vivre
et
de
nourrir
ses
rêves.
Or,
la
vie est
suffisamment forte pour toujours le ramener à la terre, la mère,
source de vie,
qui le hante
et qui l'emprisonne.
Face à cette
vie, il
ne
se
sent
pas assez
fort,
et
ne
peut
que subir
fatalement cette femme méchante
et ruineuse. Cette femme, c'est
l'Afrique où il a tout perdu avant de mourir.
Cependant de son
association avec Blixen
pour produire du
charbon, la diseuse raconte:
«
Our charcoal-burning in the end was no financial
success.
( ... ) At last he declared that nobody in the world could
burn charcoal if they did not have a fair supply of snow at
hand. Knudsen also helped to make a pond on the farm.»
(p. 168)

109
La première entreprise
a été
un échec
parce qu'ils n'ont
pas respecté les rites et
coutumes afférents. Et plus tard, ils
essayent de
s'approprier l'eau
qui est un
bien communautaire,
transgressant ainsi
les
lois
naturelles.
Malgré
tout, toute
chose est mise à exécution:
«The pond now became the heart of the farm.
( ... ) The
duck concluded their orbit over the glass-clear sky, to
swoop noiselessly into the dark water like so many arrow-
heads let off backwards by a heavenly archer. l once shot a
crocodile in the pond; i t was a strange thing ( ... ) How did
he know that there would be water now, where i t had never
been before ? ..
... It should be undertaken, be held, on a full moon night,
about midnight.»
(p. 168)
L'ambiance est
fabuleuse, au
moment
où les
fantasmes de
Knudsen deviennent vivides et profonds. Il vit son rêve les yeux
ouverts, conforté en cela
par la narratrice
qui est séduite ou
contaminée par son élan d'esprit quant à l'aquaculture.
Nous sommes en présence
de la confrontation
du spirituel et du
matériel, du rêve et de la réalité, du céleste et du tellurique,
sYmbolisés par
l'eau
du
lac
et le
ciel.
Le
fait
que le
crocodile ait pu sentir l'humidité,
est en somme un présage, un
apôtre du monde de la sorcellerie.
Mais ce qui aurait dû passer
pour
du
sacré,
puisque
mystérieux
est
anéanti
par
la
chasseresse.
Cependant,
cet
évènement
pourrait
relever
du
domaine de mauvais calculs comme
l'affaire du charbon, qui nous
permettent d'apprendre à propos de Knudsen que:
«Now he could no longer see at aIl, but was fumbling
before him with his stick; he was once more a beaten man, a
homeless fugitive in a low, cold world.
( . . . )When l had found old Knudsen dead on the farm road...
We drove to his house through torrents and sheets of water;
as we carried Knudsen out to the car the thunder rolled

110
over our heads like cannons, and the flashes of lightning
stood on aIl sides thick as ears in a cornfield. The car
had no chains to i t and could hardly keep on the road, it
swung from one side of i t to another.»
(p. 170-171).
Le marin que
Knudsen a
été, finit
par ne
plus voir pour
aller à la mer, pour fuir la
femme dans les bras de laquelle il
succombe. Il aura vécu son rêve jusqu'au bout mais un homme seul
ne donne pas la vie. Knudsen a
nié la vie, et la vie l'a battu,
car l'eau qui
lui sert
de voie de
secours coule
aussi sur la
terre. Appartenant
à
la terre,
il
est retourné
à
la terre,
vaincu des deux côtés mais
implicitement avec la possibilité de
se relever.
Effectivement la mort de Knudsen
est marquée par un orage,
un déluge pour sacraliser
sa mort dans l'eau
sur terre, sur la
route de la ferme. L'eau va apaiser
et féconder la terre qui le
recevra. De même en
tombant, la pluie a
transformé la route en
cours d'eau, et la voiture presqu'en bateau comme dans le déluge
de Noah et
son navire.
L'histoire de Knudsen,
est la tragédie
d'un marin
aveugle
en
prison.
Néanmoins, il
a
droit
à une
sépulture digne en tant
que mort dans
une communauté. Mais cet
ensevelissement, sera ironiquement
à la charge
d'une femme qui
nous le confirme de la sorte:
«
It was a legacy left to me by Knudsen: a last tilt, by
proxy, at the face of the law. Thus l was no longer Madame
Knudsen, but a brother.»
(p. 171).
C'est une
convenance
sociale
que
d'enterrer
les morts;
c'est une loi
sociale. Cette
loi, la
narratrice l'exécute par
procuration, bien que par le biais de la mémoire collective elle
s'identifie à Knudsen, ce
qui est, qui lui
ressemble et qui ne
sera plus. C'est le
désenchantement de son
monde, un appel des

111
morts aux
vivants
et du
comment
s'en libérer.
Mais
si nous
restons dans le champ mythique, et si Knudsen a péché, il ne l'a
pas fait seul: s ' i l a méfait, i l
n'était pas seul. Ainsi s ' i l a
payé ces écarts par
son sort, cela
signifie que ses compagnons
de lutte devront payer eux aussi.
De quelques autres personnages affectés
Out
Of
Africa
abonde
en images
célestes,
télluriques,
aquatiques, terrestres
parmi
tant
d'autres.
Nous
suivons le
point de vue du narrateur
qui scrute son environnement comme un
prisonnier qui
examinerait
les
murs qui
l'entourent,
pour y
déceler la
moindre faille.
Or, dans
cette condition
tout est
source d'inspiration comme
nous pouvons
le lire
à travers ces
mots:
«
The Masai ... at that time set fire to the bast-dry
plains to get new green grass for their cattle with the
first rain, and the air over the plains danced with the
mighty conflagration; the long grey and rain, bow-tinted
layers of smoke rolled along over the grass, and the heat
and the smell of burning were drifted in over the
cultivated land as from a furnace.
( ... )
AlI the world had only one thought.
On an evening just before sunset, the scenery drew
close round you, the hills came near and were vigorous,
meaningful, in their clear, deep blue and green colouring.
( ... ) you felt the night air soft and deep and pregnant
with benefaction.
( . . . )But when the earth answered like a sounding-board in a
deep fertile roar, and the world sang round you in aIl
dimensions, aIl above and below _ that was the rain. It was
like coming back to the sea, when you have been a long time
away from it, like a lover's embrace.
( ... ) Everything became drier and harder, and i t was as if
aIl force and gracefulness had withdrawn from the world.
a negation of aIl weather.
( ... ) The feeling of being in

112
disgrace with the Great Powers pressed on you. To the
south, the burnt plains lay back and waste, striped with
grey and white ashes ... »
(p.45-46)
Le
passage
est
chargé
de symboles
construits
sur
une
opposition
entre
la
stérilité
et la
fécondité,
le
sec
et
l'humide, la pluie
et la sécheresse. Ainsi
la pluie vient-elle
féconder le sol de ses multiples
gouttes. Et ce temps-là est un
moment de communion
intense de
la nature
en face
du monde en
gestation.
Dans cette atmosphère grosse de promesses, l'homme, ressent
plus durement son isolement, sa
faiblesse, envahi qu'il est par
l'immensité de la
nature sauvage autour
de lui, et
qui met en
exergue son
manque
de
contrôle
sur le
monde.
C'est
ce qui
explique
à
la
fois,
la
situation
d'agrophobie
et
de
claustrophobie
chez
Blixen
sous
le
poids
d'une
sorte
de
suffocation, d'écrasement
qui font
qu'elle se
retrouve encore
une fois en proie à une attitude superstitieuse.
Héraut de l'Occident
monothéiste, Blixen
se fait indigène
et invoque les grandes puissances
obscures à son secours. Cette
incantation qui s'accompagne de la
lumière et de ténèbres, nous
rappelent les forces du bien et du mal, du jour et du noir. Mais
dans ces
archétypes,
se
profilent les
prototypes
de
la vie
contre la mort; et
il arrive que l'eau soit
autant celle de la
vie que celle
de la
mort. Aussi,
l'eau n'a
pas d'ennemi. Or,
Blixen parle de son lac à elle, un type d'appropriation foncière
étranger à
l'Afrique. Donc,
soit elle
a commis
un sacrilège,
soit elle
s'est
simplement
appropriée l'eau
de
la
mort. En
conséquence, l'une ou l'autre
alternative prélude à sa défaite,
qui serait donc
un châtiment de
la part de
ces puissances qui
l'habitent malgré elle. Blixen nous revèle ce qui suit:

113
«
On the plains and in the hills, the waterholes dried up,
and many new kinds of ducks and geese came to my pond. To
the pond on the boundary of the farm, the zebra came . . . .
wondering, the foals walking with the mares, and they were
not afraid of me when l
rode out amongst them. But we tried
to keep them off the land for the sake of our cattle, for
the water was sinking in the ponds ... »
( DOA, p.46-47)
Dans ces moments
de grande épreuve,
les animaux volatiles
et les quadrupèdes ignorent le
bipède qu'elle est. Sinon, en la
négligeant, les
animaux
lui signifient
qu'elle
est elle-même
tout simplement
devenue sauvage.
Et
c'est pourquoi
Blixen se
confond
à
un
paysage
également
sauvage.
Egalement,
elle
s'approprie
un
lac,
bien
commun
providentiel,
comme
un
hippopotame
qui
préserverait
sa
mare
contre
l'assaut
des
éléphants au petit
jour. Blixen est fascinée
par l'étrange, de
sorte qu'elle
nous
entraîne vers
un
passé qui
a
la couleur
éteinte du souvenir, un parfum
de vieillerie, l'aspect fané des
choses surannées.
c'est ainsi que le
jour de son
départ, Blixen se souvient
de tous les personnages,
justement le jour où elle-même s'en va.
C'est pourquoi, elle nous confie
alors que Hugh Martin figurait
parmi les personnages accompagnateurs:
«
Many of my friends had come down to the station to see
me off. Hugh Martin was there, heavy and nonchalant, and as
he came and said good-bye to me, l
saw my Doctor Pangloss
of the farm as a very lonely figure, a heroic figure, who
had bought his loneliness with everything he had, and
somehow an African symbol ... Lord Delamere was a little
older, a little whiter, and with his hair eut shorter than
when l had had tea with him in the Masai Reserve ... Most
of the Somalis of Nairobi were on the platform. The old
cattle-trader Abdallah came up and gave me a silver ring
with a turquoise in it, to bring me luck.»
(p.329-330)

114
Les autres
colons favorisés,
tant
bien que
mal viennent
dire
au
revoir
à
cette
personne
que
l'Afrique
a
refusé
d'adopter. Mais
tous
ont changé.
Hugh Martin,
est
la figure
solitaire de cette foule, qui a su
se frayer un chemin dans les
sables mouvants de l'aventure
africaine. Aussi il symbolise les
chances de succès.
Quant à Lord Delamere,
il a subi l'action
du temps et les
sollicitations de la guerre,
et de la
vie coloniale. Mais tous
compatissent au destin dramatique d'une amie que le sort n'a pas
ménagé. Pourtant,
nul
ne
le dira
clairement
sauf l'indigène
Abdallah.
Abdallah fait don d'un charme à Blixen afin de lui redonner
des forces magiques
pour affronter sa nouvelle
vie. Cet anneau
porte-bonheur devrait
conjurer tous
les mauvais sorts
qui ont
gaspillé sa vie, et
qui l'ont réduite
en poussière. Avec cette
bague s'ouvrent de nouveaux horizons, de nouveaux espoirs, comme
semble l'insinuer le mot de la fin que nous lisons comme suit:
«
The outline of the mountain was slowly smoothed and
levelled out by the hand of distance.»
(p.330).
Finalement elle s'éloigne
du centre de
ses tourments. Les
choses de
la
nature prennent
une autre
présentation
grâce à
l'effet de la distance. La narratrice prend du récul par rapport
à sa réalité vécue, et se rend compte à quel point elle était si
proche
et
si
loin
de la
vie.
Avec
la
distanciation,
les
montagnes se dressent comme
un rideau qui tombe
sur la scène à
la fin de
la représentation,
récouvrant les
acteurs dans leur
anonymat. Blixen-narratrice devient l'informatrice qui nous fait
des confidences.

115
Blixen
sort
en
effet
de
scène,
et
cette
scène
est
l'Afrique. C'est ce
qui vaut à
l'oeuvre son titre
OOA. Out of
Africa
est
un
enfer
du
devoir,
le
véritable
parcours
du
combattant à travers
des obstacles,
qui le soir
au bivouac le
sac au
dos,
dit
à
ses compagnons:"
Les
gars
nous avons
travaillé, il est
temps de recupérer!". L'oeuvre
quant à elle,
est un assemblage
magnifique de
plusieurs cultures différentes
de la mythologie
et de la cosmogonie
Orientale, Kikuyu, Gréco-
latine.
Aussi,
elle
nous
plonge dans
un
univers
poétique,
magique
en
ce
sens
qu'elle
évoque
les
sensations
et
les
souvenirs lyriques
de
la
narratrice.
Elle
amène
une vision
romantique de l'Afrique par
son fond et par
sa forme. Dans son
ensemble, elle réveille
nos sensations, nos
impressions et nos
émotions, par ses sonorités, ses rythmes, les harmonies des mots
et
des
phrases,
ses
répétitions, mais
surtout
ses
images.
Blixen-narratrice devient le
metteur en scène
qui manipule les
acteurs et les
personnages à volonté. L'oeuvre
s'achève sur la
tragédie
de
Blixen
qui
s'aperçoit de
ses
propres
limites.
L'oeuvre fait
subir à
Blixen
- démiurge
qU'elle a
été comme
lorsque Atunda de la
mythologie Yoruba a
écrasé son maître qui
travaillait dans son jardin avec
la grosse pierre. Ainsi avons-
nous avons deux notions
du temps: l'une
est réaliste, quand le
temps des
événements se
suivent
les uns
les autres.
Et nous
avons
le
temps
de
la
narration
qui
s'appuie
sur
des
anachronismes et des constructions
de la vraisemBlance, dans la
mesure où c'est son fantasme qui redispose la chronologie. C'est
pourquoi en raison de ces
nombreux détails, et des répetitions,
nous tournons en
rond quand nous
ne sommes pas
ennuyés par le

116
style épais et
la narration diluée de
l'auteur. Néanmoins, les
fragments rassemblés forment une vie,
des vies de frissons, des
idylles, des
hymnes, des
séparations, une
succession d'images
qui
se
repètent
sans
se ressembler
tout
à
fait,
dans
la
quadrature du cercle de son
expérience, lui donnant une qualité
de mythomane, qui a
connu les gorges les
plus profondes et les
faîtes les
plus hauts.
C'est pourquoi QQA
charrie un
goût de
l'inachevé - puisque
le roman
devient le seul
pont réel entre
l'Afrique et
l'Europe
et que
l'Afrique est
magicienne
- que
l'oeuvre
du
même
auteur
Shadows
On
The
Grass
est
chargé
d'amener, en poursuivant les
détails des différents personnages
qui ont accosté
Blixen. Nous
pouvons en
dire presqu'autant de
The Flame
Trees of
Thika, l'oeuvre de
l'enfant Jocelyn
et de
l'adulte Huxley
comme nous
le verrons ultérieurement.
Mais en
attendant, l'Afrique est cette magicienne inconnue qui électrise
les exilés
venus d'ailleurs.
Par
exemple Waugh
en dit
"The
boundaries shown in the
atlas are practically meaningless, they
are
nowhere
demarcated, ... "
(p.
110)
ou
encore,
"Nowadays
everything is kept hidden from the Europeans, and even those who
have spent most of their lives in
the country have only now and
then discovered
hints
of
the wide,
infinitely
ramified cult
which still flourishes below the
surface" ( RP, p. 125). Ainsi,
à tous, elle
offre le même rôle
et le même
statut: se laisser
pourchasser. N'est-ce
pas
pour
cette
raison
que
Leiris l'a
appelé 'fantôme'
tandis
que
Pelissier
l'a
compartimentée en
"lieux incertains", bien qu'il admette que:
« I l est très difficile de voir le monde de la fenêtre de
sa chambre.»
(nd l'auteur).

117
De ce fait lorsque
Waugh nous affirme que
" After aIl, we
were in the heart
of the tropics
where tempers are notoriously
volatile" (p. 176),
ou que Blixen nous
dit que"
Gods and men
we're aIl deluded",
c'est dire
l'instabilité de
la vision que
nous
vaons
de
l'Afrique,
et
partant
la
représentation
de
l'incommunicabilité des êtres
en Afrique. Donc
le romancier ne
saura jamais
ce que
fût vraiment l'Afrique
et nous
non plus.
L'Afrique est une suite d'états variables.
Comme nous le
verrons sous
cette optique, AQE,--MJ , OOA,
RP, et
TFTT, sont
l'histoire
des effets
de
la durée
sur la
connaissance de l'Afrique
et des autres
personnages, avec tout
ce que
cela
peut
comporter de
changements,
d'inversions, ou
d'erreurs rectifiées. Nous verrons ce que pourraient évoquer les
titres de
ces oeuvres.
Les découvertes,
les surprises
et les
révélations se multiplient du point
de vue des narrateurs, mais
aussi du côté
des personnages entre eux.
Donc, l'Afrique porte
des masques.
Et
le
plus caractéristique
de
ces
masques qui
tombent successivement,
est
dans le
moment où
le
lecteur la
découvre d'abord
dans
le
regard de
chasseurs
de frontières,
comme
étant
une
immensité
vivante
et
autonome,
presque
humainement normale jusqu'à la damnation de ces mêmes pionniers.
Ainsi, l'Afrique devient
l'esquisse d'une
fourmillière dont la
reine est
le
monde des
finances,
et la
capitale
qu'il faut
quitter rapidement dans l'oeuvre de Blixen. Aussi nous pourrions
continuer la
liste en
ce qui
concerne les
réprésentations de
l'Afrique
en
disant
qu'elle
est l'univers
dans
lequel
les
autochtones se sentent chez
eux. Mais pour
le lecteur -même si
pour le
narrateur, elle
est
le lieu
de
défaite de
tous les
courages, la terre
de l'échec, de
la malédiction ou
de mort -

118
l'Afrique est
différente de
ce que
les pionniers
en croient,
différente de ce
qu'elle est dans les
oeuvres actuelles, comme
il arrive qu'une personne
soit variable dans
la vie. Mais elle
n'est pas le seul
personnage dans ces
écrits qui prennent pour
sujet les rapports de deux groupes humains situés arbitrairement
aux deux extrémités d'une échelle de valeur. Mais force nous est
de limiter
dans
le
cadre
de
notre
démarche,
le
nombre de
personnages,
dont
nous
avons
tenté
d'esquisser
les
plus
caractéristiques. Ainsi, outre que l'Afrique passe pour magique,
elle
est
aussi
synonyme
de
fantôme
dans
la
littérature
britannique.

119
Notes bibliographiQues
1 - Voir Conrad, J., Heart Of Darkness, p.8. - curtin, Ph. D.,
The Image Of Africa: British Thought and action 1780-1850,
Madison, University Of Wisconsin. p.
9. - Dorothy, H.
&
Jablow, A., The Myth of Africa, New York, The Library of
social Science, 1977. pp.49-113
2 - Voir Hannah, Donald, Isak Dinesen and Karen Blixen: The Mask
and the Reality, New York, Random House, 1971. p.33. - Voir
Thurman, J.,
Isak Dinesen: The Life of A Storyteller,
London, Penguin, 1984. qui nous informe sur les modalités
de l'influence de l'environnement africain sur Blixen,
surtout en ce qui concerne sa pensée mythique.
3 - Voir Achebe, Chinua, Arrow of God, AWS, Heinemann, 1964.
4 - Pour la définition de 'chi', voir Achebe C.,"Chi in Igbo
Cosmology" in Morning Yet On creation Day, New York, Anchor
Press, 1975. pp.159-175. -
Ihechukwu, Madubuike, A Handbook
of African Names, Washington D.C, Three continents Press,
1976. pp.46-47 - Parrinder, Geoffrey, West African
Religion, 2nd ed., London, Penguin African Library, 1961.
p.86. Outre la notion de 'chi', cet ouvrage aborde les
questions de fétichisme et de croyances polythéistes. Il
serait intéressant de compléter cette étude par une lecture
du livre de Onwuejeogwu, M., Anjulu, The Social
Anthropology of Africa: An Introduction, London, Heinemann,
1978. p.265. Quant au concept de "destinée prénatale", voir
Meyer, Fortes, Oedipe et Job dans les religions ouest-
africaines, préf. Raymond Ortigues, Paris, éditions Marne,
coll. Repères, 1974.
5 - Voir Showalter, Elaine, A Literature of Their Own: British
Novelists from Brontë to Lessing, Princeton, New Jersey,
Princeton University Press, 1977. Analysant des oeuvres
d'écrivains féminins britanniques, le contenu revèle que
si nous considérons l'insanité comme un point au long d'un
spectre d'émotions et de comportements, une réflection des
tensions dans une société, alors,
il serait intéressant de
remarquer que dans la littérature féminine des années 1880,
des fantasmes de garçon émergèrent dans des oeuvres telles
que celles de Olive Schreiner, Mary Coleridge ou Ethel
Voynich, en particulier lorsqu'elles écrivaient pour se
battre contre les conflits professionnels, et les pressions
traditionnelles ayant trait à leur féminité.
6 - Voir Mannoni, O.,
Ibidem, en particulier le chapitre 1 de la
Première Partie.
7 - Obatala a un contrôle sur certaines forces de la nature

120
telles que le tonnerre, la chasse, les eaux, les métaux. si
Blixen semble en être l'incarnation, c'est parce qu'elle
est chasseresse, d'abord, ensuite elle s'est construite un
.
lac, puis elle a tenté de créer une forêt, et enfin elle a
participé aux activités de la forge de Pooran. Cependant
Obatala s'est montré réticent à offrir des sacrifices à
Esu, un dieu mineur de son point de vue, lors de son voyage
dans l'au-delà. Pour s'en venger, Esu lui fit éprouver une
soif terrible qui le conduisit à boire du liquide qui
coulait du palmier et qui était en fait du vin de palme.
Après l'avoir l'absorbé, Esu subtilisa le sac de la
création et le porta à l'inexpérimenté Odoudoua. - Voir
Verger, Pierre, orisha, Les pieux Yorouba en Afrigue et au
Nouveau Monde, Paris, Ed. A. M. Métailié, 1982. p. 250.
8 - Voir Verger, Pierre, Ibidem. pp. 166-168.

121
II
L'AFRIQUE FANTOME, L'AMBIGUITE

122
1 -
Indistinction et ambiguïté
Blixen représente
Ingrid
toute
de
noir
vêtue.
En plus
Ingrid est
émaciée et
dépérit. Mais c'est
pour donner
un ton
apocalyptique, catastrophique au
Noir. Ce qui veut
dire que le
Blanc
signifie
l'aboutissement,
l'apothéose.
Dans
cette
symbolique des
couleurs, elle
semble avoir été
influencée par
Cham, le
maudit noir,
peut-être au contact
des Kikuyu
ou des
Somalis, si nous restons dans la mythologie apparue avant le XIX
ème siècle, où le noir était symbole et produit de la corruption
morale. D'ailleurs, presque
tous les
écrivains consciemment ou
accidentellement
se
sont
servis
de
cette
symbolique
de
l'imaginaire. Or, étant l'auteur
de Out Of
Africa, et étant le
produit d'une
culture,
d'une histoire
où elle
va
puiser ses
connaissances et
ses apprentissages,
Blixen n'échappe
pas aux
empreintes de
son monde,
surtout
à un
moment
où sa
vie est
soumise à un tremblement de terre autour d'elle. Partant, Blixen
assiste jusqu'au bout à
son propre dépouillement
et à la chute
de ceux qui vivaient
d'elle. Mais comme il
faut une fin, cette
fois c'est au tour
de ses squatters de
se faire déporter. Nous
lisons sur ce sujet ces lignes:
«
... they had given themall six months' notice to get off
the farm. this to the squatters was an unforseen and
bewildering determination. Many of them had been born on
the farm, and others had come there as small children with
their fathers.»
(p.
317).

123
Blixen, après
avoir
franchi
la
porte
étroite
entre la
possession et
l'obsession
dans
la recherche
de
sa
vie, est
devenue mythomane. Après s'être fait
une raison, qui levait les
voiles autour de
son mystère,
Blixen revient
au quotidien des
appréhensions du
commun
des
mortels, les
indigènes.
Or, ces
indigènes se trouvent
être aussi
les marionnettes
de la lutte
pour le pouvoir économico-politique.
2 - L'état second et l'ambigulté de Blixen
Sur le
vif de
l'action Blixen
n'était pas
différente de
l'aveugle qui se
fait conduire pour pouvoir
se déplacer. Elle,
Blixen, voyait mais
ne pouvait
penser, se
positionner dans sa
vie. Elle subissait son
destin en croyant
le chercher, grâce à
des forces
endiablées et
irrésistibles. Toutes ces
forces ont
rendu
son
existence
mystérieuse
et l'ont
plongée
dans
les
ténêbres,
jusqu'à
ce
qu'elle s'en
éloigne. Elle
a
touché du
doigt le fond de
l'enfer et en est remontée.
Elle en est morte
psychologiquement et a connu
une autre naissance. Ses souvenirs
sont un autre rite de passage
entre le passé et l'avenir, entre
la réalité
et
les
projections,
l'Afrique
et
l'Europe. Elle
quitte l'Afrique avec une certaine acquisition de connaissances,
pour retrouver
une
Europe
qui
ne sera
pas
celle
qu'elle a
quittée pour l'Afrique, et l'Afrique n'a pas été celle dont elle
a rêvée. Ce passage entre les deux mondes, nous plonge en pleine
imagination, une
sphère dans
laquelle
son esprit
vogue entre
deux zones, en
dépit de l'inaptitude, du
personnage à modifier

124
la trajectoire sur
laquelle il est
lancé. En plus
nul ne peut
prévoir le lendemain. On vit d'espoir, d'angoisse, d'énigmes, de
soupirs et de
rêves. c'est pourquoi,
les indigènes considèrent
que les morts
ne sont jamais
morts, comme nous
le rappelle le
texte:
«
l said goodbye to each of houseboys, and as l went out,
they, who had been carefully instructed to close the doors,
left the door wide open behind me. This was a typical
Native gesture, as if they meant that l was to come back
again ... »
(p.
328).
Blixen veut signifier ses adieux par le souhait de voir les
portes de son ancienne maison se fermer, peut-être pour y garder
enfermés tous ses
mauvais souvenirs. Or, son
monde est indécis
et glissant, comme pour un funambule:
la gauche et la droite sur
la corde raide ne
font pas la différence.
Mai~ cet incident de
la porte
nous offre
un
exemple de
conflit culturel
entre la
danoise qu'elle est et les indigènes.
Pour Blixen, l'européenne, il faut fermer la maison qu'elle
a quittée.
Or, pour
les
indigènes, son
départ est
une mort,
puisqu'elle va au-delà
les mers.
De ce fait,
ils laissent les
portes ouvertes pour le
cas où son
âme reviendrait chercher la
paix auprès des
autres auxquelles elle
s'est habituées. Aussi,
il faut lui faciliter la
tâche, en rendant les lieux facilement
accessibles, d'autant
plus
que les
âmes ont
une
frayeur des
vivants. Pour
l'harmonie,
et pour
le bien-être
de
tous, ils
veulent lui permettre
d'aller et de
venir à son
gré. Dans une
logique Africaine 'primitive', on n'oublie pas les morts car ils
ne sont pas morts.
Les morts sont tout
simplement en voyage ou
en
transit.
c'est
d'ailleurs
ce
que
nous
suggère
Blixen-
narratrice au sujet de Knudsen quand elle dit:

125
«
As we carne to the pond,
... We saw sorne fish in the
water . . . . »
(p.
329).
Ainsi, Knudsen est physiquement absent, mais ses
réalisations sont un témoignage de son existence. Comme tous les
autres projets, la mare a réussi à garder la vie, en devenant
poissonneuse. Mais Blixen est exclue de cette apothéose, comme
si elle était le fléau elle-même, la source de ses propres
malheurs. Esseulée, elle est une espèce de paria dans ce paysage
qui reprend confiance et qui sourit à la vie. Blixen menait une
vie indistincte comme ces personnages de Conrad.
3 - Ambiguïté; l'exemple de An outpost Of
Progress
Les
écrivains
britanniques
ont
utilisé
une
mythologie
collective fondée sur l'appel de
l'au-delà dont le seul rapport
avec le réel est
la fuite loin
des réalités britanniques. Leur
objectif était,
semble-t-il, de
sortir du
cadre étroit
de la
Grande Bretagne en s'intéressant à
ses rapports avec les autres
cultures. Or, ce faisant,
ils
ont entrepris une archéologie des
1
discours
colonialistes.
Pourtant,
le
discours
colonial
ne
reconnaît aucune frontière. Sa géographie est celle d'un terrain
vague, illimité
(Voir
Maganyi, 1). Et
dans ce
discours, les
écrivains
puisqu'ils
ne
comprenent
pas
le
monde
nouveau,
essayent de
le
déchiffrer,
tel
qu'il
s'offre
à
eux,
en y
plaquant
leurs
idées
préconçues
dans
des
réalités
qui

126
n'existaient que
par eux-mêmes.
C'est dans cette
attitude que
nous comprenons que le personnage de Carlier s'exclame:
«
'Who's chief ?
There's no chief here. There's nothing
here: there's nothing but you and 1. »
( An Outpost Of
Progress, p. 75)
si Carlier ne vit
pas des hallucinations,
ou s ' i l n'a pas
décidé
de
rendre
l'inconnu
étrange, comment
tout
peut
lui
paraître si
vide,
chaotique
et
dépeuplé
malgré
la présence
insistante de Makola et des autres indigènes? Peut-être s'agit-
il du campement où ils
sont emprisonnés dans la solitude. Peut-
être
que
s'ils
s'étaient
installés dans
la
communauté
des
aborigènes, les
choses auraient
été vécues autrement,
même si
pour des observateurs tels que Mannoni la situation resterait la
même dans tous
les cas.
Et cela s'entend
puisque Mannoni nous
dit que:
«
En un mot, ce que je voudrais faire admettre au lecteur,
c'est qu'une situation coloniale se crée pour ainsi dire
instantanément toutes les fois qu'un Blanc, même isolé,
apparaît au sein d'une tribu, même indépendante, pour peu
que le Blanc y passe pour riche, puissant ou, simplement,
invulnérable aux forces magiques locales, et pour peu qu'il
ait, fût-ce au plus secret de lui-même, et confusément, le
sentiment de la supériorité qui en résulte pour lui. »
(
Voir Mannoni,
2)
Aussi dans le cas de Carlier, s ' i l n'y a rien dans le pays,
c'est parce
qu'il est
animé
de l'esprit
du conquérant
à qui
personne n'oppose une
résistance. Ainsi,
celui-ci n'est-il pas
seulement présent,
il
est
une
présence
puissante
qui exige
d'être immédiatement reconnu. Partant, en débarquant en Afrique,
le pionnier a voulu croire
qu'il foulait enfin un monde vierge,

127
sauvage, edénique,
jusqu'au moment où il s'aperçoit que la vie y
est simplement organisée d'une autre manière.
En effet,
An Outpost
Of Progress
de Joseph
Conrad, nous
présente une
tentative
remarquable
de
l'auteur
de nouvelles
britanniques à
parler
sans
passion de
la
réalité Africaine.
Cependant sa
nouvelle comporte
un certain
nombre d'ambiguïtés
déconcertantes. Ces équivoques peuvent résulter de la convention
selon laquelle Conrad
considère son
matériau: l'Afrique Noire,
Terre des
Ténêbres.
Mais tandis
que les
distorsions
dans le
roman de Cary tiennent
de la réduction
de problèmes sociaux et
culturels concrets
au niveau
des aspirations
individuelles ou
des ambitions
personnelles comme
nous
le verrons
avec Mister
Johnson, les questions dans
le texte de
Conrad viennent de son
désir de souligner leur portée universelle.
An outpost Of Progress
se déroule en
cinq points, et nous
propose la lutte entre deux groupes de protagonistes de cultures
différentes
Pionniersj
Autochtones
et
entre
des
protagonistes
de
même
horizon
KayertsjCarlier,
Kayertsj
compagnie
marchande,
Makolajemployés
indigènes...
qui
semblaient
pourtant
vivre
harmonieusement.
L'intervention de
maraudeurs esclavagistes, et
le désir du
'sucre' renversent la
situation de
départ,
et
nous
laissent
sur
la
violence des
hommes. Cependant l'autodestruction des hommes du progrès semble
être la mise
en action
de l'élément destructeur
qui hante une
jeunesse, à qui l'industrialisation a
donné de beaux rêves pour
mieux les détruire
à l'occasion
de guerres,
comme celles dont
elle venait
de
sortir et
se
préparait à
entrer.
Le progrès
n'était donc pas irréversible. Il y avait un moyen de le tourner
surtout lorsque l'on ne
sait pas ce qu'il
signifie et ce qu'on

128
est, et le texte a mis en
place les moyens de la défaite, de la
déroute d'une prétention humaine. Il en résulte une tension dans
An Outpost
Of
Progress.
Elle consiste
dans
les
efforts que
Conrad entreprend pour rendre
mondiales les implications de son
histoire, et
de la
création d'une
action dans
un lieu
et un
temps incertains. Ce qui a pour
effet de nous donner une oeuvre
de satanisation d'êtres
humains. Conrad ne
manque pourtant pas
de montrer
toute l'humanité
au
moment où
il opère
au niveau
intentionnel.
Par
exemple,
bien
que
l'administrateur
des
communications,
Kayerts
et
le
soldat
réformé
Carlier,
ne
trouvent pas leur
raison d'être en Afrique,
ils s'y résignent.
Ils vivent même harmonieusement. Mais il s'est fallu d'un désir,
d'une volonté de puissance
pour que le
sucre devienne le moyen
de leur auto-destruction. Ainsi, bien
que la terre soit plongée
dans la brume et
l'obscurité à la fin de
la nouvelle avant que
Kayerts ne soit
retrouvé, tirant
la langue au
directeur de la
compagnie, il est évident
que le souci
premier de Conrad n'est
pas à propos de l'humanité
toute entière, mais plutôt d'un seul
homme: Kayerts.
Néanmoins
Conrad
contribue
abondamment
à la
compréhension des Africains en tant qu'êtres humains.
Pour échapper aux
rigueurs et
aux conditions oppressantes
de la
vie, dont
ils tenaient
la haute
société aristocratique
pour responsable,
les
Britanniques
ont
choisi
le
chemin de
l'exil, l'aventure Africaine comme
l'a affirmé Alec Wilson dans
The Flame Trees Of
Thika (p.125) à titre
d'exemple, et même la
narratrice à propos
de Robin.
Or, une
fois sur
place, ils ne
feront pas mieux
que de reconstituer
le système qui
les a mis
dehors, en saisissant toutes
les opportunités qui s'offraient à
eux, comme
nous pouvons
le
constater dans
la remarque
de la

129
femme de l'administrateur colonial s'adressant à Blixen au sujet
de Esa dans Out Of Africa, comme nous le verrons plus tard.
La main
d'oeuvre était
tellement abondante
qu'à certains
emplois, outre le titulaire, il y avait des apprentis à tous les
niveaux à tel point que le pionnier n'avait plus qu'à se vouer à
ses loisirs. c'est
ainsi que
dans An outpost
Of Progress, les
indigènes sont chargés
de la production et
des corvées, tandis
que les colons
font figure
de simples réfugiés
en Afrique. Le
texte nous dit en effet que:
«But the two men got on very weIl together in the
fellowship of their stupidity and laziness. Together they
did nothing, absolutely nothing, and enjoyed the sense of
idleness for which they were paid ... »
( An Outpost Of
Progress, p.61).
De même Blixen dans Out Of
Africa, ne sachant que faire du
temps où elle ne
faisait pas de
promenades, ou surveillait ses
employés
et
donnait
des
réceptions, s'adonnait
à
l'art
de
l'écriture:
«
l used to sit and write in the dinning-room ... in
between my stories, and little desolate notes from my
farming manager to answer. My houseboys ... i
when l told
them l was trying to write a book, they looked upon i t as a
last attempt to save the farm through the hard times and
took an interest in it.»
(p.48).
La situation coloniale s'y prêtait puisqu'elle avait défini
les rôles de
chacun, et donnait
aux entrepreneurs britanniques
tous les avantages, tels que ceux
de Kayerts et de Carlier dans
An Outpost Of Progresse
En effet, nommés chefs
de poste en
Afrique, au dessus des
Noirs, ils ne
se privent
pas de luxe
de vivre
comme tels, de
s'offrir des services
de rois. C'est ainsi
que Gobila s'occupe

130
de les approvisionner en vivres à
la place de leur compagnie de
tutelle. La femme de Makola leur fait
la cuisine et le linge de
même que le
ménage, tandis que Makola
s'occupe des tractations
pour l'ivoire,
prête à
être transportée. Les
simples employés
eux, ordinaires s'occupent des
autres corvées. Si ces pionniers
avaient des animaux,
ils
auraient eu comme Blixen
dans Out Of
Africa ou Huxley dans
The Flame Trees
Of Thika des domestiques
pour les affecter
à leurs soins.
De même s ' i l s
avaient eu des
enfants,
ils auraient
toujours eu quelqu'un
pour s'en occuper,
et même
quelqu'un
pour
veiller
sur
leur
sommeil
comme sur
l'adulte Blixen dans Out Of Africa.
Le
continent
est
un
réservoir
de
main
d'oeuvre
non
qualifiée
mais
très
tentante
à
qui
le
pionnier
pouvait
difficilement dire non. c'est
ainsi que nous
lisons de ceux de
Conrad que:
«They were mustered every morning and told off to
different tasks _ grass-cutting, fence-building, tree-
felling,
etc., etc . . . . »
( An Outpost Of Progress, p.67).
Certes la conjoncture
coloniale y est
pour quelque chose,
mais le
sens
de
l'hospitalité
indigène
contribuera
aussi à
régénérer cette
forme de
bourgeoisie
-
pourtant
décadente en
Grande Bretagne - dans les colonies. Aussi, n'ayant rien à faire
pratiquement,
les
pionniers
vivent
dans
l'ennui
et
les
tourments. C'est là que Carlier soupire:
«We shall let life run easily here! Just sit still and
gather in the ivory those savages will bring. This country
has its good points, after aIl!»
( An Outpost Of Progress,
p.59).
Ivoire, café, cacao
ou canne
à sucre,
le
résultat est le
même.
Il fallait faire
fortune et bien
vivre en toute liberté.

131
Or en même
temps, cela
signifiait récolter le
fruit du labeur
des autres, en projetant
de retourner le
dépenser sur le vieux
monde. Pour
des
personnages
comme Carlier,
l'Afrique
est la
continuation de la
vie oisive, puisqu'elle
leur offre d'autres
individus aux crochets de qui
l'on peut vivre tranquille. Comme
le coq en liberté, il a oublié le grain qu'il a picoré la veille
alors que la
pileuse l'attend
au pied
du mortier.
Mais si le
travail, c'est la
vie, c'est
donc à force
d'inactivité que le
temps a fini par avoir raison
des pionniers, et leur faculté de
raison s'est atrophiée comme le
ferait un muscle. Très vite les
portes du paradis se ferment et les portes de l'enfer s'ouvrent.
Or, comme
nous
le
dit Jean-Paul
Sartre,
"l'enfer
c'est les
autres". Partant, dans la vie paradisiaque, l'un devient de trop
pour l'autre et il le harcèle jusqu'au plus intime de lui-même.
En pensant aux
moyens de
se détruire,
soupçonnant le mal
partout,
ils
finissent
tous
deux
par
le
rencontrer
comme
quelqu'un qui cherche ses lunettes au moment
où il les a sur le
nez. Face à ce
monde d'extrêmes du tout ou
rien, ils ont mangé
au delà
du
seuil
de
tolérance
et
par
conséquent souffrent
d'indisgestion. Ainsi, ont-ils
oublié que leur
exode était une
mission
prophétique
dans
un
rendez-vous
du
donner
et
du
recevoir.
Leur migration devait conduire
à un dialogue. Pourtant, le
dialogue, comme un
pont, devait
faire face
à deux directions.
Mais avant de partir, les pionniers ne savaient pas pourquoi ils
devaient le faire.
Quand ils l'ont découvert,
ils l'ont oublié
en
route,
sous
le
pouvoir captivant
de
l'horizon
toujours
infini, de l'étendue
mystérieuse. Par
conséquent, aveuglés par
.
~~>~:.: '.
la lueur
de
la torche
qu'ils
portaient, ils
n'ont
fait que.

132
projeter leurs ombres sur l'autre côté
du pont. Ce fut le début
de l'errance interminable.
Aussi, dans An Outpost Of Progress, lorsque les tractations
qui ont
abouti à
l'asservissement des employés
indigènes, des
hommes de Gobila, les
pionniers dénoncent l'attitude cynique et
malicieuse de Makola. Mais
ils oublient que
si Makola est dans
une situation d'hybride ou acculturée, c'est un peu grâce à eux.
Pourtant, tout sacrifice réclame son bouc émissaire. C'est ainsi
que pour sacraliser
cette infraction, les
pionniers font faire
supporter au seul
Makola la
responsabilité - en
victime ou en
bouc
émissaire
de
la situation.
Face
à
la
rupture
des
conventions
sociales,
aucun
des
pionniers
ne
se
reconnaît
coupable ou
complice de
la consommation du
mal. Or,
après la
malversation,
tous,
Makola,
Carlier
et
Kayerts,
se
font
irréprochables et purs.
Pour commencer,
Makola justifie
son geste par
son devoir
envers le
bien,
la vie
de
la compagnie
marchande,
qui sans
ivoire ne
survivra pas
à cette
récession. A
nos yeux,
il ne
reste pas
moins
présenté
sous
les
traits
du
type
même de
commerçant véreux
qui n'hésiterait
pas à
vendre sa
mère pour
survivre. Makola se
fait vertueux bien que
corrompu jusqu'à la
moëlle, puisqu'il savait ce
qu'il faisait. Comme
il le dit, il
n'y a pas eu d'accident:
«'No regular trade', said Makola.
'They brought the ivory
and gave i t to me. l
told them to take what they most
wanted in the station. Those traders wanted carriers badly,
and our men were no good here. No trade and entry in books,
aIl correct.»
( An Outpost Qf progress, p.70).

133
S'il n'y a pas d'entrées au magasin, il n'y pas de recettes
dans les caisses,
donc pas de
commissions pour les
uns et les
autres. Partant, le comptoir d'achat fermera inévitablement pour
improductivité, puisqu'il
ne
couvrirait
pas
ses
frais. Pour
éviter cela,
Makola
en instinctif,
donne
peu de
la
vie des
autres indigènes au bénéfice du profit matériel.
Dès l'instant où
l'échange est fait,
les
choses vont plus
vite dans la nouvelle, les
pionniers préfèrent le côté corrompu
profitable de
Makola.
Or, c'est

que le
climat
social se
détériore comme l'un des colons l'avait préssenti:
«Kayerts shivered. Makola had meant no more than he said,
but his words seemed to Kayerts full of ominous menace!
( . . . )
A put up job! The word is, some of Gobila's people were
there, and got carried off too, no doubt.»
( An Outpost Of
Progress. p.70-71).
Les choses vont
d'autant plus vite que
tout se désintègre
dans les rapports sociaux entre pionniers et autochones, et dans
la vie communautaire
des colons. Et seul
Makola reste indemne.
Est-ce
parce
qu'il
est
le
gendarme
du
mal?
Est-ce
par
hétérosuggestion, par
hypnotisme
qu'il arrive
à
conduire des
pionniers à la
mort, en
tant que
prêtre servant
son Dieu des
ténêbres?
Le geste de Makola
dont héritent les pionniers transgresse
le code social, et les règles de l'hospitalité africaine. Dressé
et formé à réagir, à penser
comme les colons, Makola les induit
en erreur,
une erreur
fatale. Makola ou
Machiavel, le
mal se
repand par lui, comme un cyclone sur une île, dévastant tout sur
son passage. Il semble
être un tour de
Conrad, ou du narrateur
qui nous livre son côté mystérieux en ces termes:

134
«
... he dwelt alone with his family,
... and the Evil
Spirit that rules upon lands under the equator. He got on
very weIl with his gode Perhaps he had propiciated him by a
promise of more white men to play with by and by ... »
( An autpost af Progress, p. 57).
Etrangers dans
ce monde,
comme
Makola, les
voyageurs se
retrouvent manipulés
psychologiquement par
celui-là, qui comme
par hasard,
est
indigène.
Makola ou
Esu
dans
la mythologie
Yoruba ( Voir Verger, 3) les pousse dans les flammes de l'enfer,
en attendant la suite de sa mission accomplie.
La tâche de Makola
est d'autant plus
aisée que tout signe
nouveau est perçu par
les pionniers en quête
de sens, comme un
renseignement providentiel. Partant, ils se laissent influencer,
comme un
homme
qui se
noie
et
s'accrocherait à
un
fétu de
paille. Ils ont tant
attendu de Makola qu'il
les a utilisés et
embarqués depuis le
début. C'est
pourquoi en
cachant son jeu,
les
pionniers
le
trouvent
impénétrable,
insondable.
Makola
semble s'être
servi
d'eux
pour
consommer
le
mal.
Mais les
pionniers malgré tout ne semblent
pas valoir mieux que lui dans
la mesure où leur destin semble scellé. D'ailleurs Carlier finit
par avouer la malveillance de part et d'autre:
«
l hate hypocrites. You are a hypocrite. You are a slave-
dealer. l am a slave-dealer. There's nothing but slave-
dealers in this cursed country.»
( An autpost af Progress,
p. 75).
Ils ont voulu se voiler la face mais le crime est tellement
puissant
qu'il
leur
fait
vivre
un
cauchemar
éveillé.
Cet
esclavage dont parle
Carlier, n'est qu'une
variante moderne de
l'esclavage des
Luandais. Aussi,
ce sont les
destinateurs qui
ont simplement
changé. L'ironie,
c'est que Kayerts
et Carlier

135
sont eux-mêmes esclaves de leurs désirs de gloire, de leur amour
propre. L'esclavage ou la condition de l'individu à appartenir à
un maître, - et qui implique trois incapacités: celle de changer
de
résidence,
de
se
marier,
d'aliéner
ses
biens
sans
le
consentement du maître, - caractérise la situation coloniale.
Kayerts et Carlier
sont célibataires en
Afrique où Conrad
les a enfermés dans le campement, dans la perspective qu'ils s'y
intègrent, dans
un
groupe
social
domestique.
Mais
ils n'en
sortent que morts, par la faute
en partie de Makola, un couteau
à double tranchant.
Ils ont échoué leur rite de passage, car ils
n'ont
pas
pu
reconnaître
leurs
limites
humaines
et
leurs
imperfections. Ils se font saints en se voilant la face:
«
Slavery is an awful thing.( ... ) Nobody knows what
suffering or sacrifice mean __ except, perhaps the victims
of the mysterious purpose of these illusions. »
( An
Outpost Of Progress, p.71).
Illusionnés par leurs
'vertus',Kayerts et Carlier oublient
de repenser
leurs
rapports
sociaux par
rapport
aux employés
indigènes avant leur
troc. L'attitude, ironique,
par rapport à
la notion
de souffrance
et
d'esclavage, prend
l'allure d'une
auto-flagellation masochiste
de la
part
des immigrés,
face à
leur
propre
barbarie,
leur
propre
souffrance
réelle,
ou
imaginaire. C'est
peut-être pourquoi
ils
ne réalisent
pas la
situation de déportation, d'asservissement et d'exploitation des
indigènes par
la
compagnie,
utilisés sans
termes
de contrat
définis. Or, l'esclavage, c'est
aussi la cruauté, l'oppression,
la perte de
dignité, l'humiliation
des hommes,
la négation de
leurs valeurs éthiques. Le paradoxe est d'autant plus manifeste,
que ni Carlier,
ni Kayerts
ne s'embarrassent de
savoir ce que

136
les indigènes ressentent
par eux, pour la
production de biens,
dont ils
ne reçoivent
que le strict
minimum pour
survivre et
produire à la
fois. Puisque les Africains
produisent une plus-
value sous forme de profits pour la compagnie, dans les rapports
entre pionniers et
indigènes la
face humaine
a disparu. C'est
pourquoi
la
compagnie
ne
trouve
même
plus
nécéssaire
de
renégocier
le
contrat
qui
la
lie
aux
employés
indigènes,
puisqu'ils n'ont pas de droits.
Leurs droits s'ils existent, ne
constituent pas
un
statut;
ils
ne sont
que
des
mains pour
fabriquer. Kayerts et Carlier ne s'y sentent pas mal, puisqu'ils
jouissent d'une
légitimité
historique
de purs
saints.
De ce
fait,
ils se
consolent très rapidement, comme
dans ces moments
où Kayerts
est
soumis
à
la tyranie
de
ses
pensées,
de sa
conscience:
« ... that a man died every day in thousands perhaps in
hundreds of thousands - Who could tell? - and that in the
number, that one death could not possibly make any
difference couldn't have any importance, at least to
thinking creature. He, Kayerts, was a thinking
creature ... »
( An outpost Of Progress, p.79).
Les
pensées
de
Kayerts
n'ont pas
de
sens,
car
elles
s'adressent à des
questionnements de choses,
qui existent déjà
sous son nez. C'est
pourquoi Carlier et lui
oublient ce que le
premier rappelle en ces termes:
« I t ' s deplorable, but the men being Company's men, the
ivory is Company's ivory. We must look after it.»
( An
outpost Of Progress, p.72).
Comme
des
gardiens
de
prison,
Kayerts
et
Carlier
se
retrouvent eux-mêmes prisonniers.
Ils sont esclaves
du tout ou

137
rien du
commerce. Mais
dans la
disparition des
employés, ils
veulent
sauver
les
meubles,
en se
consolant,
par
l'ivoire
amassé. Ils sont là pour le profit,
et il faut donc faire vivre
la compagnie pour tirer de nouveaux profits. Ce qui signifie que
dans leur situation de petits
patrons, tout est souillure, tant
que cela ne découle pas d'eux.
Tout est bon ou acceptable pourr
eux, pourvu qu'ils
y trouvent
leurs comptes.
Ainsi Kayerts et
Carlier ont-ils
sacrifié
les
hommes pour
avoir
de l'ivoire,
comme Méphistophélès
avait
conclu
son pacte
avec
le Diable,
représenté par les esclavagistes. Or,
tout sacrifice est un peu
comme une matrice qui après avoir mis au monde, reçoit en retour
comme un boomerang
que certains
ont appelé
le mythe originel.
Aussi, il faut en payer le prix
de retour, de l'alliance, ou de
la purification
pour
la
divination
ou
l'expiation,
pour la
réalisation de ce que l'on désire ou de ce que l'on offre.
C'est un
acte
religieux
dans lequel
la
personne morale
modifie son état, ou les
objets auxquels elle s'intéresse. Il y
a une consécration d'une
victime. Dans le sacrifice,
il y a un
abandon entrainant
un
avantage,
comme
dans
un
échange, une
circulation de biens de valeurs. Il faut dans cette jonction, un
intermédiaire
entre
les
forces
sacrées,
dangereuses
et
le
profane.
Et
ce
courtier
sera
Makola
l'inconnu.
Mais
les
pionniers se sont trompés de
victimes en choisissant malgré eux
des hommes de Gobila, et le narrateur de faire remarquer:
« ' I t had to be done!' Kayerts observed with a sigh.
( ... )
Whenever they mentioned Makola's name theu always added to
it an opprobitious epithet. It eased their conscience ... »
( An Outpost Of Progress, p.72).

138
Plutôt que
d'examiner
le
crime,
et
de
rendre justice,
Kayerts et Carlier s'enfoncent davantage dans le cercle vicieux,
en
voulant
sacrifier
le
négociateur
Makola,
en
le
tuant
mentalement dans leurs remarques.
Pourtant s'il s'est interposé
entre les hommes
et leurs
dieux, Makola est
donc sacré. C'est
pourquoi il semble
être un
adorateur des
forces obscures, des
divinités du mal. De
même Makola est le
mâle, que nous pouvons
assimiler à
l'élément destructeur
inhérent
à
l'homme
dans la
recherche du sacré. Partant, la
nouvelle tout entière nous fait
l'impression d'un sabotage de l'homme.
En effet les immigrés souillent
le sacré en échangeant des
vies humaines contre
de la
matière. En
touchant l'ivoire, ils
ont profané
les
rapports humains,
sociaux, sacrés,
et
de ce
fait, doivent payer leur forfait. N'ayant
pas eu le temps de le
faire, le Diable
a pris sa part,
en ôtant leurs
vies. Ils ont
été aveuglés
par
leur
mission de
civilisation
et
le profit
immédiat, aidés en cela par Makola. C'est pourquoi l'idée qu'ils
aient pu participer à
des atrocités ne les
a pas effleurés. La
confusion est telle que c'est un bouc émissaire qui les donne en
offrandes à son maître,
en tant que
prêtre des ténèbres. Cette
mêlée confuse
est dûe
au
fait que
tout
est relatif
dans la
nouvelle de Conrad, et que nous ne pouvons dire qui fait quoi de
manière catégorique. Il a mis
ses personnages en situation pour
les
observer,
et
comme
par
hasard
prisonniers
de
leurs
habitudes,
ils
se
détruisent
au su
des
indigènes,
qui
se
trouvent perplexes
mais désaffectés
par la justice
rendue aux
offenses infligées à leur hospitalité.

139
4 - Servitude ou solidarité
De même, en
raison du sytème d'aide
mutuelle des paysans,
qui ne les ont pas tenus en
marge de leur sociation, les colons
ont pensé que ces
derniers étaient là pour
eux pour leur obéir
au doigt
et à
l'oeil
en échange
de
leur maintien
sur leurs
terres. Pour les autochtones, elle
était certes, un don de Dieu
mais dont l'homme n'avait pas à en faire un bien mobilier. De ce
fait,
la nouvelle situation
qui s'offrit à
eux fut synonyme de
tortures, de
soupirs,
de
douleur suite
à
leur
éviction, et
surtout à la mort culturelle « I t
is more than their land that
you take away from the peolpe, whose native land you take. It is
their past as
weIl, their
roots and their
identity.»
(Out Of
Africa
,p.319).
Une
fois
étrangers
à
domicile
et
devant
travailler pour
assurer leur
loyer, les indigènes,
malgré eux
sont asservis, hypnotisés par la fourberie des uns pour enrichir
un système
qui ne
les considérait pas
plus que
des machines-
outils. Relisons
pour
cela
Blixen (Out
Of
Africa,
p. 133),
Conrad (An Outpost Of progress.,p.72) ou Huxley (The Flame Trees
Of Thika, p.34-36) et nous comprendrons comment ce que l'Afrique
est en
réalité
fut enseveli
dans
les mythes
et
légendes du
conquérant qui
s'est
imposé
d'inventer
des
malades,
et des
remèdes pour
le plaisir
de
les guérir.
C'est cette
façon de
faire, qui nous
a valu des
stéréotypes parfois contradictoires
comme nous le revèle
le langage des pionniers
de Conrad, ou le
discours de
Waugh
volontairement
satirique, de
Blixen
et de
Huxley, en ce qui concerne
le sauvage, le cannibale - enracinés
dans l'histoire des premiers voyageurs
- qui sont restés gravés

140
dans la
vie quotidienne
et l'imaginaire des
Britanniques dans
leur approche
du
primitif.
c'est ainsi
qu'un
écrivain comme
Conrad fait mourir les
employés autochtones par les agissements
inavouables d'un indigène,
Makola dans An
Qutpost Of Progress,
alors que les colons
font table rase
de leurs principes moraux
devant le
profit. Cette
action en faisait
des gens
sans âme,
. puisqu'ils n'avaient
plus
de
racines. Ils
n'avaient
plus de
base, surtout en terre Africaine.
C'est ainsi
que Kayerts
et Carlier s'étant
satisfaits de
l'aspect économique, n'ont
pas su promouvoir
les indigènes. Au
contraire, ils s'en
sont servis comme un
marche-pied. Et comme
les indigènes étaient
au bas de l'échelle,
personne n'a semblé
les remarquer, sauf quand les
choses ne tournaient plus rond ou
allaient en déchéance.
Pourtant l'économique et
le social vont
ensemble, car on n'enterre pas
un cadavre en laissant ses pieds
dehors.
Aussi,
la
situation
des
pionniers
est
tellement
stupéfiante que tout
devient relatif,
faux, dans
la mesure où
tout est
mis en
action
pour les
acculer
eux et
la vocation
civilisatrice britannique. Mais Conrad
ne manque pas l'occasion
de
nous
donner
le
mot
pour
rire,
au
sujet
de
ces
deux
compagnons, bienheureux de la désolation.
C'est semble-t-il
en
Afrique,
qu'ils se
sont
invités à
associer leurs
malheurs pour
trouver une solution
commune. Il
semble que la société ne leur ait pas fait de place suffisamment
grande, en
leur donnant
l'occasion
de s'intégrer.
Comme leur
prédécesseur peintre
infortuné,
ils trouvent
cette
chance en
Afrique, en outre-mer, sur le
plan professionnel et sur le plan
culturel surtout, dans
la mesure où c'est
là qu'ils rattrapent

141
leur carence
littéraire. Ainsi
l'Afrique a donné
aux immigrés
l'occasion
de
satisfaire
leurs
désirs secrets,
les
besoins
qu'ils ont
longtemps refoulés
faute
de moyens,
l'apanage des
riches,
des
bourgeois.
Mais
c'est
parce
qu'ils
s'en
sont
contentés qu'ils
se
sont
enfermés
dans
la
monotonie. c'est
pourquoi, les
pionniers dans
An
Outpost Of
Progress changent
physiquement comme nous le signale le narrateur:
«
Carlier was hollow-eyed and irritable. Kayerts showed a
drawn, flabby face above the rotundity of his stomach,
which gave him a weird aspect. But being constantly
together, the y did not notice the change that took place
gradually in their appearance and also in their
dispositions.»
( An Outpost Of Progress, p. 64).
Carlier et Kayerts
jouissent des moments
présents sans se
soucier des
mauvais jours,
comme s'ils voulaient
s'en venger.
Mais ils se détournent
de leur mission. Rêvant
de gloire et de
grandeur, ils
ne
font que
regénérer une
continuité
entre le
passé
et
le
présent,
sans
détachement.
Ils
oublient
leur
mission,
le
passage
obligé
vers l'accomplissement
de
leurs
espoirs. Ils
se
voient
déjà arrivés
avant
le
départ. Ayant
recréé la
situation
qu'ils ont
fuit, la
logique
veut qu'ils
continuent à partir,
à s'échapper.
Mais dans
la nouvelle, ils
meurent. Aussi,
qui
des
pionniers
ou
des
indigènes
est le
destinataire de ce
progrès, de cette civilisation
au parfum de
mort et au goùt d'inachevé?
Les conquérants de
Conrad, ont abandonné
leur identité en
débarquant, puisqu'ils recourent aux services du nègre Makola et
autres employés indigènes.
Ce qui
veut dire
qu'ils peuvent en
endosser
une
autre
pour
réaliser
leur
mission
impossible.
Pourtant, si leur
mission est de
ce type, c'est
parce que dès

142
leur départ ils
sont eux-mêmes
des échecs.
Dans leur défaite,
ils broient du noir. Ils ont
appris à nager pour être débarqués
à la fin
sur un désert.
Ils furent
formés pour la
vie, et au
moment de la
commencer, ils
s'aperçoivent qu'il n'yen a pas.
Sur la route de la
conquête, ils constatent qu'il leur manquait
toujours un mètre
à
leur
chemin, un
mot à
leur hymne. Aussi,
aucune logique ne semble tenir.
Si celle-ci apparaît
quelque part,
elle est immédiatement
combattue.
Entre
les
deux
pionniers,
le
respect
est
jugé
absurde. Désesperés, ils n'ont que
leur vie pour bien. Or, pour
la compagnie, elle ne
vaut pas bien cher,
tout comme celle des
employés
indigènes
qu'ils
ont
minimisée eux-mêmes.
Dans
ce
contexte, il y a rien à perdre mais tout à gagner, peut-être. Or
c'est entre ce rien et ce tout, qu'est montré l!excès absurde de
la situation. Ainsi,
ni l'artiste inaugurateur
du comptoir, ni
Kayerts, maître
des communications,
ou même Carlier
le soldat
reformé, image de la force
de maintien d'un pouvoir, ne verront
leurs arbres porter des fruits.
L'artiste semble
avoir
peint ses
toiles sur
le
vide de
l'espace. Kayerts
s'est
glissé
vers
la
télépathie
et s'est
écouté simplement, tandis que Carlier
était son propre ennemi à
combattre. Mais
ils sont
des créations
de Conrad,
avec leurs
vies, leurs
échecs, leurs
humanités
et leurs
ossuaires, pour
illustrer son choix anti-impérialiste.
Aucun impérialisme
n'est justifiable
à ses yeux,
ni pour
les dominés ni
pour les conquérants. C'est
pourquoi son avant-
poste du progrès
mène à la
regression, à la
mort, puisque les
bâtisseurs
débutants
meurent
en
cours
d'actions
vouées
à
l'échec. En
les
faisant
mourir,
Conrad
semble
s'opposer au

143
processus de civilisation, en nous offrant l'occasion de relever
des évaluations contradictoires des indigènes par les européens.
Ces derniers
éprouvent
de
l'admiration
pour
le
bon sauvage
passif et
tout
à la
fois,
ils
trouvent la
nécessité
de le
transformer, de le sortir
de son cadre de vie.
Ce cadre de vie
leur semble une
étape historique qu'eux-mêmes ont
vécu dans un
passé très lointain,
où l'homme
se confondait à
la nature: un
âge d'or pur
et simple.
C'est de
ce point
de vue
que dès le
début de la nouvelle, Conrad nous dresse un tableau où Gobila et
les
villageois
se
comportent
de
manière
obscure
face
aux
pionniers:
«
There he sat, watching ... that old and incomprehensible
creature ... »
(p. 63).
Dans cette illustration insolite,
ni Carlier ni Kayerts ne
semblent
indispensables
à
Gobila.
D'ailleurs,
ils
ne
se
comprennent
pas.
Mais
à
en
juger
par
la
familiarité
des
personnages, Conrad
a occulté
leur
première rencontre,
et la
manière
dont
les
indigènes
en sont
venus
à
alimenter
les
pionniers, qui plus tard vont
abattre la carte de l'ingratitude
des autochtones
« '
l can hardly
believe i t ' ,
sa id Kayerts,
tearfully.
'
We
took care
of them
as
if they
had
been our
children'.
( ... )
'What
do Icare
with whom
they went
- the
ungrateful brutes!' exclaimed the other.»
(p. 69), et finir par
s'entretuer sous leur
regard apitoyé, puisqu'ils
ont été rendu
fous par la
fièvre de
l'ivoire. Les
défricheurs échouent dans
leur tentative
d'éclairer l'Afrique,
éblouis
par la
lueur de
l'ivoire en contre-jour des objets
métalliques et des pièces de
monnaie.

144
Conrad s'oppose
à la
civilisation en raison
de l'élément
destructeur qu'elle
encapsule,
et
dont il
veut
prévenir les
indigènes. La note est tout
autant pessimiste que raciste, même
si telle n'était pas l'intention de Conrad.
Dans la nouvelle,
l'indigène a été perçu tour à tour, noble
sauvage à
travers
le
personnage de
Gobila,
naïf
à certains
moments,
occasionnellement
brute,
sanguinaire
comme
les
chasseurs Luandais,
cannibale comme
les employés
du comptoir,
intelligent comme Makola,
parailleurs fourbe
et sorcier, puis
irredemptible comme Johnson. Mais
aucun des pionniers de Conrad
ne parvient à
la rédemption
de ces
primitifs, puisqu'ils sont
uniques dans leur genre.
La
Bible
n'y
fait
pas référence,
et
personne
ne
les
connaît. Ils vivent dans un univers énorme, un temps immuable et
anormal. Dieu
n'y
est
présent
que sur
la
tombe
du premier
pionnier, et sur les lèvres du
dernier à tomber. N'ayant pas de
références, de registres sur les
Noirs,
les européens virent en
eux des personnages
maudits, oubliés
de Dieu,
et en eux-mêmes
des êtres inspirés de lui. Portant cette auréole, ils firent des
indigènes la
panacée
des
horreurs, du
mal
qui
contamine et
dévore Kayerts
et
Carlier. N'étant
pas
suffisamment vaccinés
contre ces maux, ils succombent pour y avoir cru.
Mais, en dépit
de quelques
rares flottements,
il
y a une
situation d'évitement entre le voyageur et le sédentaire.
Lorsque les indigènes viennent au
contact du campement, la paix
est troublée, et tout
se détériore comme
si Conrad prônait une
clôture sociale. Ainsi lorsque
Kayerts et Carlier se retrouvent
seuls après le raid des esclavagistes, le calme revient:

145
«
Gobila's people might have been dead and buried for any
sign of life they gave ( .. )
His people must keep away from them and hope for the
best.»
(p. 72-73).
Pourquoi les
hommes
de
Gobila
seraient-ils
morts alors
qu'ils vivent dans un univers
plein de vie, plein d'avènements,
et que les pionniers leur ont apporté une nouvelle vie? Veulent-
ils se prémunir
du pire
? Le
pire serait-il
l'invasion de la
nouvelle vie ?
En fait,
ils
se retranchent chez eux,
comme les pionniers
eux-mêmes dans leur
cloison auparavant, coupés
de tout contact
en termes
réels. Tout
autant que
les indigènes,
les immigrés
sont dans une situation de tension face à l'inconnu:
«
We shall
see, very
soon.»
(p. 57),
nous dit Carlier,
qui affirme plus loin que:
«
We shall let life run easily here ! Just sit still and
gather in the ivory those savages will bring.»
(p. 59)
Mais qu'est-ce
qui peut
être
aussi figé
que ce
qui est
mort, l'ambiance de mort et de terreur?
Les pionniers s'identifient, peut-être inconsciemment, sans
le vouloir, aux
indigènes. Leurs histoires,
leurs destins sont
liés, comme la
langue et
les dents.
Aussi, le
mot 'dead' est
abstrait dans le cas des
indigènes, trop surpris pour résister,
et préférant se
terrer plutôt
que de revenir
au campement qui
retrouve son ambiance de
mort. Mais dans
le cas des pionniers,
il signifie
vraiment la
mort, la
mort par
procuration qu'ils
vivent, celle
qui dort
sous la croix
aux abords
du comptoir,

146
celle qu'ils
se
donnent.
Dans ce
cas,
l'actuel
s'oppose au
virtuel; de même
la remarque qui
se refère à
la nostalgie des
pionniers, participe de la substance du vide de leur vie:
«
Kayerts and Carlier did not disappear, but remained
above on this earth, that, somehow, they fancied had become
bigger and very empty ... disgusting.»
(p. 73).
Par contre
l'observation qui
exprime
le danger,
la mort
participe de l'accident:
«
He died of fever, didn't he.»
( p. 59)
Dans la
repétition de
la
fuite de
Kayerts autour
de la
baraque tout tourne en rond en entraînant la vie de Kayerts dans
un tourbillon:
«
Everything was going round ... »
(p. 78).
Peut-être est-ce à
force de
tourner en
rond avec Kayerts
que Conrad de pessimiste qu'il était devient raciste?
Conrad a voulu tracer un cercle aux angles droits, et ce faisant
il s'est trop intéressé à l'homme, alors que l'homme est égoïste
et
chaque
homme
a
son amour
propre.
Cependant,
Conrad
en
s'attaquant à
l'impérialisme, a
peut-être voulu
simplement se
démarquer
de
la
politique
de
son
pays.
Conrad
s'en
est
marginalisé au nom
de la
liberté des hommes
à disposer d'eux-
mêms, ou au
moins à avoir leur
mot à dire
dans les situations
qui les concernent.
Mais l'affectation des
pionniers de Conrad
en outre-mer, peut être
considérée comme une déportation, c'est
ce que nous suggère le texte:

147
«
At any rate, l
am rid of them for six months ... »
(p. 58).
Kayerts et Carlier ont
pu être exilés
en tant que membres
de la
classe
moyenne, sans
emploi, comme
beaucoup
de jeunes
Britanniques dans les années trente.
Mais aussi ils ont pu fuir
leur pays pour
des raisons d'endettement. C'est
par exemple ce
que nous pouvons lire dans
le témoignage suivant cité par Allen
Charles:
«
Two other factors played a major part in shaping the
decisions of those who were to go out to Africa. The first
was the obvious attraction of an outdoor life, one that
combined travel with sunshine and a strong element of human
interest_ and which was far relmoved from the 'rather
stuffy, formaI career structure' which most other young
graduates would be doomed to folllow. The second factor was
rather more practical; the need to find a
job at a time
when job prospects were far from secure ... the reason why
most army officers fifty years ago decided to serve in
Africa was nearly always because they were in debt.»
(
Voir Charles, 4)
Comme
beaucoup
de
jeunes
britanniques
des
années
de
l'entre-deux-guerres
surtout
pour
les
chômeurs
et
les
désoeuvrés qui
devaient se
faire
une vie
il
s'agissait de
trouver
un
meilleur
monde.
Aussi, cette
vie
se
localisait
ailleurs pour ceux
qui, comme
Carlier et
Kayerts voulaient se
hisser à la hauteur
des exigences de la
société du plaisir, de
la respectabilité et
de finances.
En cherc~ant
à se rattraper
par rapport à un passé,
les émigrés ne font que replacer le même
échiquier ailleurs.
Mais dans
cette
lancée, la
vie redevient
cauchemaresque pour
Kayerts
et
Carlier,
qui
succomberont du
plaisir dont ils se sont
énivrés sans se questionner, en raison
des limites et des présupposés de la situation coloniale, de ses

148
tentations. RappelIons-nous
que
Kayerts est
fonctionnaire des
Postes, et que Carlier
est militaire de
formation. A partir de
là nous
verrons
que
la
citation
de
Charles
caractérise la
situation
de
malaise
britannique
qui
les
a
poussés
vers
l'Afrique. Or,
un
autre témoin
de la
période
coloniale nous
affirme que:
«
West Africa was not a place where you went for a
lifetime. You went there for your tour or tours, and then
you came back'»
( Voir Charles, Ibidem, p. 45).
C'est là que Conrad se
démasque, si nous nous appuyons sur
ces témoignages recueillis
par Charles. En
effet, l'Afrique de
l'Ouest a été
surnommée "The White Man's
Grave" (Voir Charles,
Ibid., p. 12). Bien que
Conrad soit supposé parler de l'Afrique
équatoriale, il
parle
aussi de
la
fièvre qui
tue,
des eaux
infectées du ver de
Guinée . . . . Pourtant Conrad s'abrite derrière
le
narrateur
pour
afficher
son
non-conformisme
dans
les
insinuations suivantes:
«
Few men realize that ( ... ) every great and every
significant thought belongs not to the individual but to
the crowd: to the crowd that believes blindly in the
irresistible forces of its institutions and of its morals,
in the power of its police and of its opinion ... »
(p. 58).
Manifestement Conrad renie
le système,
l'état des choses,
mais tout
à la
fois,
il
fait ses
éloges. Est-ce
parce qu'il
s'est laissé gagner
par la fièvre
du temps, qu'est
la mode de
l'Afrique, qu'il en profite pour tirer la sonnette d'alarme face
à un héroïsme impossible en raison du remords de l'européen dans
une Afrique
civilisée
et
meurtrie
par
une
civilisation non
assurée de sa propre évolution?

149
c'est pourquoi Conrad
fait mourir Kayerts et
Carlier à la
fin de sa nouvelle. Et c'est en Afrique que cela se passe, comme
pour rester
en accord
avec
la conception
de Kipling,
qui en
faisait le "White Man's
Grave". Kayerts et
Carlier ont agi par
conformisme, et
ils
tous
ont
échoué
par
le
conformisme de
Conrad,
aidés
en
cela
par
l'action
bureaucratique
et
ses
imaginations:
«They were two perfectly insignificant and incapable
individuals, whose existence is only rendered possible
through the high organisation of civilised crowds.»
(p. 58).
Kayerts et
Carlier ont
cru
en leur
mission et
en leurs
chances dans l'aventure
Africaine, mais
ils y
sont tombés. La
fin de
l'oeuvre
est
macabre,
et( comme
pour
d'autres cette
Afrique est le lieu de
l'infortune, de la désillusion. C'est un
pays navrant qui
représente le
désespoir et la
mort. Ce monde
étranger où
le sens
exotique attire
les Britanniques
peut se
réveler hostile. Or, mourir indiquait
la fin, puisqu'on ne peut
aller au-delà,
la dépasser,
contrairement à l'échec, . qui peut
être un détour vers la
victoire, en offrant la perspective d'un
nouveau départ. Aussi, par conformisme Conrad fait de l'Afrique,
le lieu de non-retour des pionniers, en la criblant de tombes et
de pourriture humaine:
«
He had found one of them!
... who was hanging by a
leather strap from the cross. He had evidently climbed the
grave, which was high and narrow, ..• »
(p.80).
La vérité est
que les
promoteurs de Conrad,
- le peintre
d'abord, ensuite Carlier et Kayerts - sont fugitifs. Mais encore

150
une fois ils ont manqué le coche, et comme nous les connaissons,
cela va
durer
encore longtemps
à cause
de
leurs semblables.
Appauvris et
sans
personnalité influente
en
Grande Bretagne,
l'émigration vers l'Afrique
leur donnait la
chance de devancer
le temps comme
des joueurs
de loto,
du hasard.
Munis de leur
passeport culturel, de leur vision de la vie conformément à leur
vécu de la civilisation
britannique, ils rencontrent en Afrique
l'occasion de
se payer
un peu de
luxe et
de vivre
enfin les
rêves pour
lesquels
le
pays les
a
trouvés
inélligibles, ou
simplement inaptes.
Leur
quête de
plaisir
excessif s'exprime
dans leur
nostalgie de
la maison,
leur attitude
arrogante et
leur pharisaïsme vis à vis de Gobila. A longueur de journée, ils
observent les travaux finis, et
jouissent d'une ambiance de vie
paisible, comme
à la
fin de la
première guerre
de 1914-1918.
D'autre
part,
ceux
qui
ont subi
longtemps
l'injustice,
la
repression ou l'oppression, une fois qu'ils se sont donnés leurs
moyens, sont susceptibles de
les prodiguer à
leur tour. Il est
logique donc
que
les
infortunés
et
les
démunis
du système
britannique - basé sur
la notion de classes
sociales - au lieu
de
promouvoir
les
primitifs
indigènes, ne
réussissent
qu'à
transplanter les gênes de
l'empire britannique déclinant par la
promotion
de
leurs
propres
situations
socio-économiques
primaires,
pour
satisfaire
à
leurs
plaisirs.
Aussi
la
conjoncture
est
caractérisée
par
la recherche
effrénée
des
plaisirs et la reconstitution du milieu européen.
En réalité, aussi longtemps
que Conrad porte son attention
sur un point spécifique et
concret de l'attitude des pionniers,
il
nous
livre
sans
ambiguïté
l'humanité
des
personnages

151
Africains dans les tableaux où il les présente. c'est dans cette
limite que les Africains
réagissent violemment la première fois
où les
pionniers essayent
de les sortir
de leur
retraite, de
briser le halo
du silence dont
ils se sont
entourés depuis le
raid des Luandais. De même, dans leurs échanges entre Carlier et
Kayerts sur la notion d'esclavage
et de souffrance «
' Slavery
is an awful
thing',
... ' Frightful
the sufferings' ... Nobody
knows what
suffering or
sacrifice mean
- except,
perhaps the
victims of
the
mysterious
purpose of
these
illusions.»
(An
Outpost Of Progress, p.71), ils prennent en charge le sens idéal
du monde. Mais
sa recherche peut
provoquer la perte
de ce qui
auparavant
se
dessinait
comme
un signe
d'humanité,
et
qui
devient
un
cas
de
stéréotype
que
l'auteur
entreprend
de
minimiser. Ainsi,
les Africains
sont-ils
réduits au
stade de
représentants
symboliques
du
côté
obscur, préhistorique
des
Britanniques,
implicitement
portés
au
rang
de
hérauts
de
l'humanité éclairée toute entière.
c'est
ce
qui
justifie
les
propos
contradictoires
des
pionniers à l'endroit
de Makola, lorsqu'il mène
sa vie privée,
sa vie famille et
dans ses rapports
avec les autres indigènes,
pour constater qu'en lui se
profile le stéréotype du personnage
cannibale. Il en est de même de sa compagne, ou du villageois au
regard
féroce
dans
le
jugement de
Carlier
(An
Outpost
Of
Progress ,p.61).
Ces propos
frisent le
ridicule pour
peu que
nous
les
rapprochions
des
évaluations
de
Gobila,
tantôt
enfantin, tantôt
sénile,
ou
des élucubrations
de
Makola (An
Outpost Of
Progress, p.63;
p.69;
.72),
selon les
intérêts du
moment.
Partant,
les
comparaisons
ambiguës
ne
peuvent
que
renforcer nos suspicions quant à
l'aptitude de Conrad ou de ses

152
pionniers à concevoir
les indigènes
comme des
êtres humains à
part
entière.
Conrad
et
ses
personnages
sont
victimes
de
l'obscurité. Ce fut le cas de Blixen également qui recourt en un
premier temps aux puissances surnaturelles pour se réconforter.
5 - L'appel du sacré = Ambiguïté
L'oeuvre de Blixen signifie la fragilité de la civilisation
écrite au regard de l'action de l'homme dans l'apprivoisement de
son environnement. Ainsi, par
la faveur de l'adoption d'animaux
sauvages africains acheminés
vers l'Europe, le
roman de Blixen
est suffisamment intéressant, pour pouvoir illustrer ce propos à
travers le débat théologique entre elle et Kannegieter.
Dans l'explication théologique où ils s'interrogent sur les
voies de Dieu et de son existence, la raison et la superstition,
deux adversaires se
mesurant en champ clos,
s'opposent. Or, si
le mystère
demeure
et gagne,
c'est parce
que
sa description
l'envisage du dehors. Aussi, le
contenu du roman Out of Africa,
nous
installe
dans
la
réalité quotidienne
pour
mieux
nous
entraîner vers le mystère.
En effet à la façon des flamants transportés vers l'Europe,
les girafes
font
l'objet
d'un grand
intérêt
pour
les parcs
zoologiques.
Capturées
en
Afrique
Orientale sous
domination
portugaise, elles
sont
exportées
en bâteau
vers
Hambourg en
Allemagne. A leur sujet, la commentatrice nous renseigne que:
«They had not seen the sea before ... The world had

153
suddenly shrunk, changed and closed round them.»
(p. 257).
Les girafes privées
de leur
liberté de
mouvement dans la
savane, et transportées en pleine
mer, évoquent en nous l'homme
qui se sent perdu dans le vide immense d'un monde étrange, c'est
à dire l'homme qui
n'est pas libre. N'étant
plus libre, la vie
n'a plus
de
rythme, plus
d'alternance
et plus
de
temps, ou
plutôt,
son
temps
devient
un présent
éternel.
De
même
le
commentaire se poursuit comme suit:
«
Crowds, in dark smelly clothes, will be coming in from
the wind and sleet of the streets to gaze on the giraffes,
and to realize man's superiority over the dumb world.
( ... )
The children will be frightend at the sight ... good time.»
(p. 257-258).
Ces
bêtes
étranges
en
captivité
sont
des
objets
de
satisfaction des caprices de l'homme.
Il les a assujetties pour
prouver sa forces sur
le reste de son
monde, qu'il a entrepris
de maîtriser
et
de
contrôler,
pour
la
satisfaction
de ses
besoins. Or, l'homme
ne peut se prétendre
supérieur, que parce
qu'il
a
le
don
de la
parole.
Donc,
c'est
sa
capacité
à
s'exprimer,
à
donner
une
forme
à
ses
pensées
et
à
ses
sentiments, qui distingue l'homme de l'animal. Mais son habilité
à se
chercher rompt
et
dévaste l'équilibre
naturel. Partant,
l'homme
est
un
dictateur
qui
transgresse
la
nature,
avec
laquelle Blixen
compatit
pourtant,
au point
de
souhaiter un
échec
dramatique
à
l'action
de déportation.
Le
texte
nous
revèle:
«
In the night where is the full moon ?
( . . . )
Good-bye, good-bye, l wish for you that you may die on
the journey,
... »
(p. 258).

154
Ainsi, les
girafes devraient
se laisser périr
avant leur
nouvelle destination,
pour contrer
la cruauté de
l'homme. Or,
l'univers dans lequel Blixen les perçoit est sans repère. La mer
est immense
sans limites
surtout
pour un
être de
la savane.
Donc, pour
elles, même
la mort n'a
plus de
sens, puisqu'elle
survient loin de leurs racines.
Certes, Blixen jette son dévolu
sur la dignité et
la souveraineté des
girafes, mais est-ce une
attaque désintéressée au profit
de la préservation écologique?
Ou
est-ce
la
jalousie
d'un être
qui
voit
son
royaume
se
morceller, ou
en train
d'être
mis en
pièces et
déplacé, qui
s'exprime ?
En effet,
ce ad
hominem, peut
s'inscrire au
compte d'un
égoïsme pur et simple
au regard des
actions passées de Blixen.
Or, l'histoire de ces girafes vient en préambule à une polémique
sur la vie de l'homme, sa place
et celle de Dieu dans le monde.
De ce
fait,
le
billet subséquent
au déplacement
des girafes,
nous livre des
échanges entre
un Danois allant
à Hambourg,
le
Comte Schimmelmann et
le propriétaire d'une
ménagerie. Par son
contenu,
cette
ménagerie
devient
une
école
de
sciences
naturelles et de théologie, en
raison du passé personnel de son
propriétaire.
Kannegieter,
le
propriétaire,
en
s'appuyant
sur
la
captivité des hyènes,
reprend la plaidoierie de
Blixen quant à
la liberté des animaux et
à l'action de destruction des hommes.
A ce propos, il nous enseigne que:
«AlI hyenas, you will know, are hermaphrodites, and in
Africa, where they come from, on a full-moon night they
will meet and join in a ring of copulation wherein each

155
individual takes the double part of male and female.
( ... ) In other words, since we are aIl prisoners in life,
are we happier, or more miserable, the more talents we
possess? »
(p.
259)
Ainsi, sur le plan
social, la hyène est à
la fois mâle et
femelle.
Elle comprend les
deux aspects complémentaires pour la
reproduction.
Donc
en
étant
bisexuelles, toutes
les
hyènes
satisfont à leurs besoins génitaux en cercle fermé dans les deux
rôles.
Cela
leur
permet
d'expérimenter
les
deux
qualités
complémentaires à
la
création.
Or,
malgré
cette disposition
exceptionnelle, la hyène
reste une bête qui
inspire le dégoût,
celui de
la
charogne, aux
yeux
de l'homme.
Ainsi
malgré le
favoritisme dont elle est le bénéficiaire, elle ne peut vivre en
parfaite harmonie
avec
les
autres créatures.
Tout
comme ces
dernières, elle est aussi damnée
de la terre. Aussi, dans cette
malédiction, peu importe le nombre
de qualités ou l'ampleur des
défauts des Etres. Tous connaîtront la faim et resteront dans la
perpétuelle
insatisfaction,
sans
oublier
les
épreuves
douloureuses de l'environnement
des autres, appelées
la loi de
la Jungle ou le combat pour la survie. Dans cette interrogation,
l'homme
et
la
vie
animale
sont
assimilées
à
une
vie
de
captivité, une existence
en cage. Mais l'homme
trouve le moyen
d'emprisonner les autres créatures, de
leur dicter ses lois, au
prix de leurs vies souvent, comme c'est le cas, par exemple dans
la dévastation acharnée
des bêtes
dont il
veut recueillir des
spécimens pour les
porter à la connaissance
des autres parties
du monde.
Ainsi, les
comportements de
l'homme relèvent
de sa
volonté de
domination de
son égoïsme, et
de son
adoration de
soi. Le texte poursuit par rapport à l'action humaine:
«
'The wild animaIs', continued the Count,
.... Nature is

156
extravagant'.
( ... )
The wild animaIs, your Excellency, are perhaps a proof
of the existence of God ...

(p.
260)
Ce qui revient à
dire que l'existence
de l'homme c'est ce
qu'il fait de sa vie.
Dès lors, il cultive
un amour de soi qui
consiste à redisposer et à
renommer ce qui l'entoure: il recrée
le monde à son
image, et se coordonne
aux autres hommes. Donc,
son action est
une réaction
par rapport à
l'ouvrage d'un Etre
supérieur, face
auquel
il
s'érige
sa
prétention.
Or, cette
recréation est une destruction
de ce que
Dieu a disposé. Ainsi
Dieu symbolise-t-il
la liberté
et l'homme
la prison
pour les
Etres, en particulier les
animaux. Peut-être l'homme a-t-il été
prédisposé à se venger de leur monde animal?
Or, l'animal a
été la
voie de
la perdition
de l'homme à
l'aube de
la création.
Un
serpent a
induit
les hommes
à se
rebeller contre leur créateur,
et à ignorer sa
parole. si tel
était le cas, n'est-ce à dire que
le serpent aurait pu être, en
tant qu'animal,
plus intelligent
pour persuader
l'homme doté
d'une raison, à le suivre?
Mais dans les propos du comte, le serpent est autant le Mal
que le Bien. Le texte nous raconte ce qui suit:
«
The snakes are round and smooth, like the things we
cherish in life, of exquisite soft colouring, gentle in aIl
their movements. Only to the godly man this beauty and
gracefulness are in themselves loathsome, they smell from
perdition, and remind him of the fall of man . . . . The man
who can caress a snake can do anything.
( ... )
nearly every time that you ask the Lord for a fish, he will
give us a serpent.»
(p.
261)
Cette intervention contredit la Parole donnée, et tout à la
fois,
la reconnaît. Le serpent, est une invention de l'homme qui
s'est trouvé un
enfer et
un paradis. Pour
soutenir l'appel du

157
sacré, il a
fait du
serpent, un
objet incarnant
sa chute. Le
serpent, est
écaillé, reptile
et grimpeur.
Il est
allongé et
peut s'enrouler sur
lui-même. Il inspire la
beauté, la douceur
et les délices de la vie.
Il
est fascinant en tant que création
de Dieu. Mais en tant que créature de Dieu, il est la tentation,
que le
Dieu
ne s'empêche
pas
d'utiliser face
à
l'homme. Le
serpent est comme une épine dans un lit. c'est de son expérience
personnelle, que Kannegieter,
en est
venu à
le confondre avec
les épreuves de la vie.
L'homme Kannegieter a toujours rêvé de bonheur et lorsqu'il
s'est adressé
à
son
dieu,
il lui
envoyait
des
peines, des
épreuves douloureuses. Aussi, de
son expérience, il affirme que
quiconque peut caresser un serpent, peut tout faire.
Un
serpent
est
imprévisible
et
sournois.
Si
vouloir
signifie pouvoir,
c'est
prendre le
risque de
succomber
à la
tentation, savoir
le
contrôler.
L'homme qui
peut
tout faire
n'est pas
seulement
celui qui
ose,
c'est aussi
celui
qui a
marché en s'accrochant aux épines sur la
voie de la vie que lui
a
tracée
son
dieu.
Autrement
dit
dans
cette
quète
entre
Kannegetier et le
Comte, ce
n'est pas
de la
négation de Dieu
qu'il s'agit, mais de son image. Il sait faire de belles choses,
mais
il
n'est
pas
qu'amour.
C'est
pour
cette
raison
que
Kannegieter prône l'amour
du serpent qui a
donné une dimension
prométhéenne à l'homme en trahissant Dieu, par l'autorisation du
fruit défendu. Entre le salut et
la chute de l'homme, ou encore
la remise en cause de la religion, c'est la défense de la nature
en toute liberté qui a fondé cette polémique.
En effet, Blixen, elle, veut se faire une athée de principe
en Afrique, mais elle
ne peut se soustraire
à
l'appel de l'au-

158
delà. Aussi, le roman abonde
en références religieuses. Dans la
crise de conscience
qui l'anime,
le contenu
fait référence au
Christ, artiste
et faiseur
de miracles,
le magicien.
Il nous
donne l'impression que sa religiosité n'a d'autre prétention que
de
présenter
l'Afrique
comme
singulière

les
moindres
capacités ou
qualités
de l'homme
natif relève
du
domaine du
surnaturel. C'est ce que stipule
le passage suivant à propos de
Kamante:
« I t is a moving thing to work together with a demon.
( ... )
It seemed to me a strange thing that anyone could be so
great in an art of which he did not understand the real
meaning, and for which he felt nothing but contempt.»
(p.42)
N'est-ce pas là
une preuve de la
mystification du lecteur
par la narratrice, au profit de son âme-soeur? Auparavant, nous
pouvons lire à propos des dispositions de Kamante:
« ... he must have held aIl that he was ever taught stored
up in his ungraceful head, according to sorne
systematization of his own, which l
should never know. He
had named the dishes after sorne event which had taken place
on the day they had been shown to him.
( ... ) as i t were a
pictural menu ( ... )
and that upon anything so completly immaterial he would not
waste his time.»
(p.42)
L'auteur est
déchiré entre
la foudre jupitérienne
et une
vie naturelle africaine souvent
incompréhensible. Le système de
compréhension de
l'Africain
en
la
personne
de
Kamante,
lui
demeure inappréhensible,
voire surnaturel
à ses
propres sens.
Kamante a une
logique qui lui
est propre, qui
tient compte du
concret, du palpable
plutôt que de l'abstrait.
Ce qui implique
une certaine manière de lire les faits historiques.

159
L'histoire
africaine
est
enregistrée
sur
le
mode
des
évènements marquants qui prennent place
les uns par rapport aux
autres. Elle
semble donc
dynamique. c'est
une historiographie
fondée sur
une forme
d'enchaînements de
liaisons circulaires.
c'est ce
qui
pourrait
expliquer
le
fait
que
tout
ait une
histoire dans le monde de l'Africain, les choses, les êtres, les
lieux, en rapport étroit
avec les faits.
Tout tient du pouvoir
de rétention
de la
mémoire, comme cela
a été
le cas
dans la
Grèce antique.
A cette époque on a fait
une opposition entre la vérité et
l'oubli; donc n'était vrai que
ce qui tenait dans les mémoires.
D'où l'importance accordée aux poêtes, et en Afrique, aux griots
les
maîtres
de
la
parole.
Mais
adopter
cette
perspective
équivaut à défendre la thèse
de la psychologie mentaliste en ce
qui concerne l'Africain, comme le fait le passage suivant:
«
Kamante could have no idea as to how a dish of ours
ought to taste, and he was, in spite of his convertion, and
his connection with civilization, at heart on arrant
Kikuyu, rooted in the traditions of his tribe and in his
faith in them, as in the only way of living worthy of a
human being. He did at times taste the food ... like a witch
who takes a sip out of her cauldron-he stuck to the maize-
cobs, of his fathers. Here even his intelligence sometimes
failed him, and he came and offered me a Kikuyu delicacy- a
roasted sweet potato or a lump of sheep's fat- as even a
civilized dog, that has lived for a long time with people,
will place a bone on the floor before you, as a present. In
his heart he did,
l
feel, aIl the time,
look upon the
trouble that we give ourse Ives about our food , as upon a
lunacy. l sometimes tried to extract from him his views
upon these things, but although he spoke with great
frankness on many subjects, on others he was very closed,
so that we worked side by side in the kitchen, leaving one
another's ideas on the importance of cooking alone.
( ... ); my own house became famous in the colony for its
table. This was a great pleasure to me.
l
longed to have an
audience for my art ... »
(p.42-43)

160
Blixen et Kamante sont côte à côte mais ils ne communiquent
pas. Ils
ont la
même foi,
mais
n'ont pas
le même
Dieu. Ils
partagent
beaucoup
de
valeurs,
mais leurs
différences
sont
nombreuses dans
leurs êtres
et dans leurs
vies. C'est
ce qui
permet à Blixen d'accentuer les différences gastronomiques, avec
des références
surnaturelles
et une
comparaison
animale pour
expliquer leurs situations: celle du toutou fidèle et affectueux
envers son
maître.
Ne s'agit-il
d'un
racisme de
la
part de
Blixen, qui
en
expliquant
et
en
justifiant
les différences
biologiques qui entraînent
des conséquences nutritionnistes, et
une
impossibilité
de
communication
entre deux
cultures
qui
s'observent comme une femelle et un mâle qui se cherchent?
Kamante
est
converti
au
Christianisme,
mais
cette
conversion semble superficielle.
Son attitude
et son apparence
ont changé, car
ses racines
restent plongées dans
la nuit des
temps
autochtones.
Seuls,
tous
les deux,
ils
échangent
en
silence, à
tel
point que
sa
patronne est
amenée
à chercher
refuge dans
les soirées
mondaines, les
dîners pour
rompre la
solitude qui l'envahit. Ainsi, ces invitations lui permettent de
sortir de
son vase
clos,
de revenir
au
monde, le
monde des
colons.
Ces
soirées
confèrent
aux
repas
un
caractère
de
marchandises destinées aussi à attirer les invités vers d'autres
biens, à savoir
l'auditoire pour
l'art du
narrateur, qui rêve
d'une célébrité, aussi modeste
soit-elle dans la colonie. C'est
pourquoi,
les
hommes
célèbres
de
l'histoire
coloniale,
se
rencontrent en Afrique
surtout à
cause de la
solitude, un des
pires maux de la vie outre-mer ( Voir Charles, 5).
En effet, la
solitude que
tous sont
amenés à
vivre à un
moment ou
à un
autre, conduit souvent
ces célébrités
à venir

161
honorer de leur présence la
maison de leurs compatriotes. c'est
le cas
de
Bulpeth
qui
est entré
dans
l'histoire
et
qui a
illuminé la ferme de Blixen en
lui rendant visite. A ce propos,
nous lisons:
«
Mr Bulpeth was a great traveller of the farmer
generation.
( ... ) and there is a book of famous bets called Light Come
Light Go ... told me that he had nowhere dined better.
The prince of Wales did me the great honour to come
and dine at the farm ( ... ) for Natives have very great
ideas of kings and like to talk about them.
( ... )
Kamante showed his good will towards me outside the
kitchen as weIl. He wanted to help me,
in accordance with
his own ideas of the advantages and dangers in life.
One night, after midnight ( ... ) he stood by my bedside
like a dark bat that had strayed into the room, with very
by spreading ears, or like a small Africa will_o'_the_wisp,
with his lamp in his hand. He spoke to me very solemnly.
'Msabu', he sa id '1 think you had better get up'( ... ) ' ...
1 think God is coming'.When 1 heard this, 1 did get up, and
asked him why he thought so. He gravely led into the
dining-room wich looked West, towards the hills_from the
door_windows. 1 now saw a strange phenomenon. There was a
big grass-fire going on, out in the hills, and the grass
was burning aIl the way from the hill top to the plain;
when se en from the house i t was a nearly vertical line. It
did indeed look as if sorne gigantic figure was moving and
coming towards us. 1 stood for sorne time and looked at i t
then 1 began to explain the thing to him ...
But the explanation did not seem to make much impression on
him one way or the other ... »
(p. 43-45).
Ainsi, s'opposent raison et
superstition, deux notions qui
se
manifestent
différemment
dans
le
monde
africain
et
britannique. Or, la
raison présuppose la
superstition et c'est
pourquoi il
semble
y avoir
une imperméabilité
de
chacun des
deux.
L'Africain
donne
des
formes aux
choses
immatérielles
telles que Dieu et ses
manifestations. Tous les deux, Blixen et
Kamante
se
concèdent
mutellement
la
véracité
de
leurs
cosmologies
sans
se
l'avouer.
Ils
communiquent
dans
une
religiosité qui les pousse à interpréter les phénomènes du point
de vue de leurs cultures, Blixen d'un point de vue rationaliste,

162
et Kamante d'un point de vue magique. Or, la religion n'est-elle
pas l'expression de sensations,
de l'immatériel? N'est-elle pas
un sentiment
? Et
si
tel était
le
cas peut-on
expliquer un
sentiment ?
Aussi Blixen athée au préalable, succombe à son scepticisme
et va
chercher
la
révélation
en
croyant
un
instant
à une
apparition
au
même
titre
que
le
superstitieux
Kamante
l'Africain. Peut-être
est-ce la
proximité des indigènes
ou la
vie dans la nature
africaine qui la
conduisent sur un penchant
superstitieux.
En tout cas,
Kamante nous fait
penser au berger
qui a vu
l'étoile sur la grotte de sa
nativité. Or, comme ce dernier, il
est- au même titre que les autres indigènes- aussi une brebis en
attente d'un berger,
d'un guide. c'est
de ce point
de vue que
Blixen justifie
l'attachement des
indigènes aux
chefs. Aussi,
puisqu'ils
préfèrent
être
conduits,
ils
fuient
leurs
responsabilités.
6 - L'Afrique. illusion ou labyrinthe?
L'air c'est la liberté totale.
D'un point de vue temporel,
tout devient
instantané dans
l'espace.
C'est un
monde total,
complet, qui offre
refuge aux
fugitifs de
la terre. L'Afrique
est donc un caméléon qui prend
ses couleurs selon le moment, se
camoufle, fait
son apparition
mais reste
indescriptible, dans
les visions
coloriées de
la spectatrice.
Or, du
fait qu'elle

163
soit inénarrable, c'est à dire insaisissable, elle apparaît sous
les signes d'un labyrinthe ouvert
par le haut. Pour échapper ou
trouver sa
sortie, le
moindre
risque est
de s'échapper
à la
verticale. c'est
ce
qui
fait
que
les
références linéaires,
géométriques sont importantes dans le roman ( p.13; p.63; p.163;
p.196; p.204).
Dans une
partie
intitulée
" Un événement étrange", la
narratrice nous
présente
une
situation de
méprise
de chiens
sauvages par des gnous. Et pour cause:
«
The air in Africa is more significant in the landscape
than in Europe, i t is filled with loomings and mirages, and
is in a way the real stage of activities.»
(p.269).
L'air serait
source d'illusion
optique, en ce
sens qu'il
déforme ou remodèle les choses, les êtres par ses vibrations, et
son contact avec le soleil, comme la narratrice le constate:
«
l said to Farah:
'Look at all these wildebeests'.( ... )
It is difficult to judge distances on the plains . . . . A
minute later Farah said:
'Memsahib, these are wild dogs'.»
(p.269-270).
Dans l'observation de
la nature en
Afrique, les premières
impressions
ne
sont
pas
les
bonnes,
comme
si
les
choses
cachaient leurs trésors en
dessous d'elles-mêmes. En raison des
facteurs
climatiques
et
géographiques,
il est
hasardeux
de
prétendre à une précision
et à une
excellence de la visibilité
quant à
la
nature
des
objets
et
de
la
distance physique.
Autrement dit, en
Afrique il faut procéder
par tâtonnements et
par approximations pour qualifier
les objets et l'univers. Mais
pour cela,
il faut
un
lieu de
référence.
Il n'est
donc pas
étonnant qu'étant Britannique, européenne elle ramène tout à son

164
monde historico-culturel. Or en nous faisant ces confidences, la
narratrice nous
fait
anticiper sur
la suite
de
son aventure
africaine. Elle
jette
le doute
sur
le
point de
vue
et les
conclusions qui pourraient être hâtifs sur le monde indigène par
l'observateur Blanc distrait.
Elle nous laisse
entendre que le
voyeur pressé
qualifiera
par
imagination
ce
qui
lui semble
évident et qui ne
l'est pas forcément. En
un mot, les réalités
africaines
sont
polysémiques
et
polymorphes. L'immigré
trop
pressé
pour
s'attarder
sur
les
choses,
n'aurait
fait
que
rencontrer
des
images,
des
mirages.
Il
aura
été
victime
d'apparitions qui
l'ont
berné,
comme nous
le
signifient les
différents points
de
vue,
de
considérations
à
l'endroit de
l'Africain, de son
monde et
des différents
sens possibles. Il
n'aurait pas
réussi à
apprécier la musique
que lui
jouait le
paysage africain se servant
de la vibration
de l'air comme des
cordes d'un violon. Il a conçu et s'est enfermé dans une Afrique
mythique, où tout était signe convergent à la singularisation de
cette réalité, comme
le constate la
narratrice dans l'épitaphe
qui ouvre la 50 partie du roman:
«
'Gods and men. we are aIl deluded thus! »
(p. 274).
Donc le monde dans lequel
Blixen évolue est faux. C'est un
monde en dessous de
la réalité. Est-ce
parce que les pionniers
ont prétendu servir la cause
de Dieu ou par philanthropie? Pour
rendre leur choix
vraisemblable, ils ont refusé
de se remettre
en question, de s'interroger,
de prendre le
cap comme un marin
armé de
son sextant.
Ils
se sont
essuyés
les pieds
sur les
valeurs
et
les
réalités
indigènes,
leurs
attitudes

165
philosophiques,
leurs
droits
à
la différence.
A
l'arrivée,
l'émigrant se rend compte qu'il
s'est trompé de chemin, mais il
est incapable de
retrouver le bon. C'est
le constat pessimiste
qui ouvre la dernière partie de l'oeuvre de Blixen.
En
effet,
la
terre
n'offre
que
des
possibilités
horizontales
en
ce
qui
concerne
les
activités
et
leur
producteur. C'est un monde
unidimensionnel comme un défilé, une
parade à deux extrémités, un début et une fin. Cela est d'autant
plus important qu'il évoque en nous
la vie de l'homme qui n'est
que
passage
sur
terre
vers
d'autres
destinées.
Or
ces
destinations peuvent être soit les
entrailles de la terre, soit
au dessus, dans sa couverture. Le
passage de l'une à l'autre de
ces dimensions
nécessite
un palier
intermédiaire.
Ce palier,
l'auteur nous le présente en ces termes:
«
The transition from the line to the plane into the two
dimensions, when you wander across a field or through a
wood, is a splendid liberation to the slaves ... But in the
air you are taken into the full freedom of the three
dimensions; aftre long ages of exile and dreams the
homesick heart throws itself into the arms of the space.»
(p. 204-205)
L'air devient un
berceau, à
mi-chemin entre le
sol et le
ciel,
une
diagonale

fusionnent
la
verticalité,
l'horizontalité et
la
temporalité.
Il
est
aussi
un
vide à
combler:
ce
qui
donne
la
sensation
de
grandeur
à
nos
protagonistes. Là, ils n'ont plus aucune appartenance, en raison
de
la
gravitation,
qui
les maintient
suspendus
entre
deux
mondes. C'est une situation de partage entre l'action tellurique
et l'action céleste dans la manifestation cosmique.

166
Ainsi l'expérience de passage en
avion de la narratrice, a
une connotation religieuse,
puisqu'elle est superstitieuse face
au néant
qui l'entoure,
lors du vol
solennisé à
chaque fois.
L'envol lui procure une sorte d'exaltation. Elle nous dit:
«Where you are sitting in front of your pilot, with
nothing but space before you, you feel that he is carrying
you upon the outstretched palms of his hands ... »
(p.207).
Elle est
attachée
à cet
espace infini.
Mais
cet espace
n'est-il pas
superfètatoire,
en ce
sens qu'il
s'ajoute
à un
autre espace déjà infini?
En fait il s'agit
de fantasmes, et
dans ces fantasmes lui
reviennent
les
personnages
de
contes
et
légendes
arabes
auxquelles
elle
adhère.
Or,
dans
son
adhésion
à
cette
mythologie, elle
fait transparaître
sa religiosité, l'angoisse
d'un être
face au
néant
qui l'immerge.
Et
le livre
fait un
étalage de
la
culture de
Blixen
qui passe
par
le Français,
l'Allemand, le Latin, et autres, en
dépit de son adhésion et de
sa ferveur religieuse,
malgré la proximité des
lieux de culte.
Donc, l'envol,
semble-t-il,
éloigne de
la terre,
donc
de la
mort, de la
tombe, puisque
généralement le
passager est assis
derrière
son
conducteur.
Mais
dans le
cas
des
Blixen,
le
touriste est devant
son guide, comme un
cercueil acheminé vers
son trou. Partant le ciel
n'est rien d'autre qu'une autre mort,
puisque l'âme s'y dirige vers la mort. Donc, la seule manière de
s'en libérer est de
se placer entre les
deux. Aussi, en raison
de l'asservissement et des autres défauts dont il est impossible
de se défaire,
l'expérience des
protagonistes britanniques est
un non-évènement, en ce
sens que c'est
finalement la terre qui
finit par avoir
raison d'eux
ou de la
situation. N'est-ce pas

167
parce que la
quête des
personnages visait
la découverte d'une
puissance, de quelque chose à quoi s'accrocher, qu'ils n'ont pas
trouvé sur
terre, pour
ensuite être
séduits et
corrompus par
l'air, ou convaincus
que si
Dieu existe,
il est omni-présent?
Mais qui serait ce Dieu sinon celui d'un carrefour culturel?
Mais malgré ses
connaissances fabuleuses
de la géographie
du monde, ses notions
philosophiques, physiques ou historiques,
Blixen est un personnage désolé. Comme tout être, elle cherche à
se dégager du
sentiment de
manque, et
de l'insatisfaction qui
lui pèse.
Nous
lisons
en substance
entre
le
panégyrique du
panorama paradisiaque du ciel Africain,
et les oubliettes de sa
terre:
«We landed on the white shore that was white-hot as an
oven ... If you stretched your hands from the shade, the sun
was so hot that i t hurt you.
( ... )
While we were lunching, a party of Masai warriors appeared
on the horizon, and approached quickly ... They came along,
the one in front of the other, naked, tall and narrow,
their weapons glinting; dark like peat on the yellow-grey
sand.
( ... )A generation ago the y would have been fatal to
us to meet.»
(p. 205-206).
La vie sur terre est pleine
de hasards, car elle n'est pas
faite
pour
l'Européen
Voir
Danon,
6).
C'est
un
monde
d'insécurité, cruel avec le Blanc
qui est obligé de s'abriter à
l'ombre contre les insolations.
Cela
signifierait
que
pour
une catégorie de
personnes, il y a
un environnement spécifique
donné dans lequel
ils peuvent
vivre. C'est ce
que Blixen nous
raconte dans ces mots:
«
But white people cannot live for a long time at the
coast unless they are able to have lmany comforts, and
Takaunga was too low and too hot for me.»
(p. 296).

168
Ce qui
a
pour
effet
de nous
mettre
sous
les
yeux la
représentation d'un monde de paliers. Ainsi la narratrice change
d'opinion
aussi
brusquement
que
fréquemment
selon
les
circonstances et
ses intérêts
personnels.
Le passage
pose le
problème de
l'existence
d'un
écosystème
occidental
et d'une
façon d'appréhender la nature
indigène. Il y
aurait un lieu 'où
les Blancs pourraient
vivre, et
un autre où
ils ne pourraient
pas. Cette différenciation qui se
veut culturelle aboutit à une
impasse raciste. Mais si nous
nous accrochons à l'opinion de la
commentatrice, le monde
est un
domino, dont les
pions ne sont
pas interchangeables. Cependant elle nous dit plus loin que:
«
Bilea had been to England twice with Denys, had been to
school there, and spoke English like a gentleman.»
(p.30S).
L'école
prépare
le
sauvage
à
l'intégration
dans
la
civilisation. Or, ce sauvage est
Noir, et n'aurait pas pu vivre
et retourner en Europe, s ' i l y avait un monde pour des Blancs et
un autre pour
les Noirs,
au moins
sur le
plan géophysique et
climatologique, ou environnemental.
Les indigènes
sont
absorbés par
l'épaisseur
des forêts.
Aussi, surpris, le
colon ne peut
aller au coeur
des choses, à
leurs sources, leur vérité, la vérité en dehors d'eux-mêmes. Or,
cette
vérité,
c'est
la
situation
que
présente
Mannoni.
L'économie de sa pensée
revèle que colonisé
et colon, sont les
tous deux piégés
par la relation coloniale
préfigurée dans des
circonstances historiques qui
ont conduit à
la 'supériorité' -
Blanche,
occidentale
et
la
'dépendance'
Noire,
à
prédominance
orale
en
tant
que
deux
types
de
la
même

169
personnalité. Partant, l'inévitabilité de la relation coloniale,
s'accoupla
à
un
caractère
'névrotique',
'émotionnel'
et
'irréaliste'( Voir Mannoni,
7). De ce
fait, ni le
colon ni sa
victime virtuelle
ne
sont à
blâmer
pour cet
état
de choses
complexes qui
ont
résulté en
une exploitation
et
un racisme
coloniaux, souvent malgré le pionnier britannique. Donc, dans la
situation
coloniale
ce
dernier
vit
par
procuration
une
conjoncture
à
fondement
culturel,
qui
le
dépasse.
C'est
pourquoi, bien
qu'il essaye
d'incorporer le colonisé
dans son
discours, en lui faisant
une grande place en
tant que point de
vue pour mieux exprimer Autrui, c'est finalement le pionnier qui
reste
la
force
motivante
de
la
situation
de
rencontre
culturelle. En ce
moment, la
culture devient
la voie indiquée
qui peut mener à la
compréhension de l'Africain, des conditions
de violence et de pauvreté dans lesquelles il se soumet lui-même
dans Out Of
Africa, ou
The Flame Trees
Of Thika.
C'est de ce
point de vue que
Wulf Sachs dans Black Hamlet
(voir Sachs, 8)
nous dit que:
«
He had lived in South Africa aIl his life.
'So', he sa id
to me,
'You are going to settle in Johannesburg. WeIl
here's the best advice l can give you.
Leave your ideas in Europe. You're going among blacks
gentle, happy savages _ children, children who never grow
beyond the age of ten or twelve. So, if you have any notion
of treating them as equals, forget about it'.»
(p. 3).
La
situation
coloniale
est
presque l'équivalent
de
la
situation d'apartheid, puisque autochtones et colons avoisinnent
mais ne partagent pas. Les
premiers sont supposés bénéficier de
l'expérience des seconds.
Donc c'est
un rapport
de disciple à
maître. La
disposition s'appuie
sur la domination
d'un groupe
sur l'autre.
Aussi,
tout
semblait
joué
d'avance
comme nous

170
l'avons vu dans ce
passage, entre le
colon et l'indigène. Mais
si la
situation
est
restée
permanente,
c'est
parce
que le
voyageur britanniquea
peur
de
ce
qu'il
ne
connaît
pas, le
mystère de
ce qui
lui échappe, qui
le contredit
ou qui
va à
l'encontre du fruit de son imagination.
Ce qui veut dire que la
vie intérieure s'oppose à un
monde extérieur. Donc les préjugés
corrompent le jugement
objectif, et
d'autres complexes peuvent
influencer la perception qualitative. A
partir de ce moment, le
dialogue
tend
vers
le
monologue,
le
dualisme
vers
le
monolythique.
C'est
ce
que
Durand
appelle
des
structures
schizomorphes (Voir
Durand, 9).
Les hantises
et les théories
reconstruisent de nouveaux mondes, ou le monde à leur façon. Par
exemple, s ' i l
est
saturé
d'angoisse,
le
paysage
réflète sa
désolation sur
l'homme angoissé.
si le
monde ne
justifie pas
l'angoisse, il ne lui
reste qu'à imaginer un
monde à la mesure
de son besoin d'angoisse et d'étrangeté.
Cette imagination
devient
d'autant
plus
fertile qu'elle
émane de
l'esprit
qui l'occupe
plutôt que
de
l'action. Elle
émane de l'épuisement accumulé
lors des interrogations répétées
de son
milieu
industrialisé
mais
humainement
décadent, sans
souci réel de se
débarrasser de ses idées
toutes faites et des
présomptions. C'est
le
constat
qui s'impose
à
Kayerts
et à
Carlier:
«
... In the evening everything seemed so quite and
peaceful that they retired as usual. AlI night they were
disturbed by a lot of drumming in the villages . . . . And
through the deep and tremendous noise sudden yells that
resembled snatches of songs from a madhouse.»
( An Outpost
Of Progress, p. 66).
La
psychose
de
la
destruction et
de
la
privation
de
liberté, leur
fait percevoir
les
vibrations de
leur paysage.

171
Dans leur
cercle,
Kayerts
et
Carlier
vivent
dans
un asile
psychiatrique isolé du reste de la vie communale. C'est pourquoi
en tant que déments,
ils trouvent leur environnement totalement
confus. La raison
en est qu'aucun fou
n'admettrait vraiment sa
folie, l'état monologique
dans lequel il fait
des calculs dans
l'espace, des discours dans le vent, puisqu'il ne sait pas qu'il
déraisonne, car comme nous le dit Boudil:
«
Quand le monde réfléchit une image qui nous flatte, et
nous grandit, nous voilà HEROS. si nous sommes impuissants
à posséder cette image jusqu'au désespoir, nous voilà
déclarés FOUS ... »
( Voir Boudil,10)
si les
pionniers de
Conrad sont dans
un tel
état, c'est
parce que les
hommes en eux
portent le poids
de leur héritage
culturel (
Voir Bhabha,
Il).
Nous comprenons
alors pourquoi,
beaucoup d'autres pionniers ont prétendu que les indigènes n'ont
pas de
langues, puisqu'ils
communiquaient
aussi aux
sons des
tambours. En
même
temps que
cette idée
naquit
la conception
selon laquelle
ils n'ont
pas de culture
jusqu'au jour
où les
littérateurs
se
sont
octroyé
des rôles
d'anthropologues
en
examinant les
effets
de
la civilisation
sur
la personnalité
africaine. C'est pour dire
que le pouvoir, l'administration, ne
peuvent souffrir aucune
contestation. C'est par
exemple ce qui
nous vaut cette page de Blixen dans Out Of Africa à propos de la
relocalisation des indigènes, déportés:
«
But when we came to the second request of the squatters,
that they should remain together, the people in authorithy
sa id that there was no real need for that.»
(p. 321).

172
La notion du profit fait
rejeter au second plan l'histoire
et la culture d'une
nation, une nation nourrie à
la sève de la
même expérience et
forgée par la sagesse
de l'histoire. Aussi,
pour cette
nation, l'union
fait
la force,
et elle
permet de
communier
avec
les
absents.
si
aux
yeux
du
système
administratif, peu importe que
les autochtones restent groupés,
c'est parce
que
moins ils
le
seront, et
mieux
cela vaudra.
Affaiblis
par
la
dispersion,
ils
seront
plus
facilement
manipulables
ou
récupérables.
Par
conséquent,
la
rencontre
culturelle entre le
Sud et le
Nord s'est soldée
par un triple
héritage, plutôt qu'un.
Les Africains
ne resteront
pas tout à
fait indigènes, mais ils
ne seront pas
européens non plus dans
leurs sensibilités. Ainsi leur monde se trouve réduit à d'autres
étrangers.
Or,
pour
les
pionniers,
la
civilisation
des
populations indigènes signifiait très souvent, l'évangélisation,
le commerce et l'alphabétisation selon la devise de Livingstone.
Mais ces
actions
sur
le
terrain
se
résumaient
à: génocide
culturel,
aliénation
et
exploitation.
Elles
conduisaient
à
l'oppression des
autochtones que
le pouvoir
colonial semblait
avoir soumis.
Mais
ce qui
change dans
ce
triangle politico-
économique, ce
sont
les qualités
du pouvoir
et
des acteurs.
C'est le constat auquel
aboutit la prise
à partie virulente et
passionnée, l'amertume
de Blixen
dans sa compassion
à l'égard
Ids indigènes.
Elle
a
connu aussi
bien
que
les populations
locales, les vallées les plus
profondes et les sommets les plus
hauts.

173
7 - Allégorie du Coq et du caméléon =
situation coloniale
Aussi,
Blixen
croit
au
pouvoir
surnaturel
des
forces
occultes, et
à
des
présages tirés
d'évènements
qui semblent
purement accidentels.
Elle cherche
un
support, une
raison de
croire encore
à
un lendemain
meilleur. Elle
veut
trouver la
force de vivre et de continuer. Mais cela, c'est la superstition
qui
le
lui
offre
en
lui
donnant
une
vision
de
l'appel
incontournable du
surnaturel.
Aussi, elle
se
fait charlatan,
comme un tireur de cartes,
médicastre aux yeux du monde novice.
Et comme par enchantement, elle
se laisse guider vers le cercle
des domestiques. Là, elle aperçoit un
gros coq Blanc ( celui de
Fathima ) et
un petit
caméléon gris qui
se livrent
à un duel
lors duquel le
caméléon perd
la langue. Blixen
se vit obligée
d'anticiper et d'abréger
les supplices de ce
dernier. Le texte
commente la fin du caméléon à travers les mots suivants
«
The whole meeting between the two had taken ten
seconds.Now l chased off Fathima's cock, took up a big
stone and killed the chameleon, for he could not live
without his tongue; thechameleons catch insects that they
feed on with their tongue ».( P 314 )
A travers le caméléon et le coq il y a un jeu oppositionnel
de couleurs. Il y a l e Blanc du coq, c'est à dire le vide, et le
multicolore du
caméléon qui
dispose d'une variété
de couleurs
comme l'arc-en-ciel.
Mais
le
Blanc finit
par
triompher, par
l'emporter sur
la
multitude,
en achevant
le
caméléon. Cette
allégorie figure la
défaite de
Blixen même dans
sa vie intime

174
Africaine. En outre,
dans la contestation de
ces deux animaux,
intervient une notion de relativité.
Le coq est gros, fort mais le caméléon est petit et faible.
Aussi, il subit
le coup de
grâce d'un tiers
plus fort. Blixen
qui intervient
dans
la
lutte,
croit
agir
pour
le
bien du
saurien, par compassion ou par
devoir d'agir devant une épreuve
de l'existence. Mais,
c'est quand
même une
alliance des forts
contre le faible.
Si la situation est
allégorique, c'est parce
que le
caméléon pourrait
représenter les indigènes
que Blixen
materne au
point
de
les
étouffer
dans
leur épanouissement,
tandis le coq suggèrait aussi
les forces coloniales. Et puisque
Blixen n'a
pas
pu
s'empêcher
de
retourner
vers
son cercle
naturel, l'Europe,
elle a
intégré les rangs
du plus
fort. De
même, le
caméléon pourrait
incarner Blixen elle-même,
en tant
qu'être de parole sans langue
devant le pouvoir colonial, comme
Karomenya dans sa vie quotidienne.
Mais ce qui est remarquable,
c'est que la plupart des
personnages sont handicapés aussi bien
Hugh, Emmanuelson, Denys que Karomenya.
c'est ainsi que
Karomenya par exemple est
très fort, mais
sourd-muet. Blixen
le rencontre
à un moment
où il
était seul
contre tous. Le texte nous décrit la situation comme suit:
«
l
first made the Karomenya's aquaintance when his
playfellows had knocked him on the head.He was an active,
positive creature, and as he was cut off from communicating
with the world by speech, fighting to him had become the
manifestation of his being.»
(p.
264).
Privé du
don
de
la
parole
et
de
l'ouie,
Karomenya a
developpé l'habileté du combat
et de la
force physique pour se
défendre contre le reste du monde qui peut lui paraître hostile.

175
Il combat pour survivre. Comme
Kamanté, c'est la douleur qui le.
rapproche du monde et de la narratrice. Par la douleur il renoue
le contact avec
ses compatriotes
qui réalisent
qu'en dépit de
toutes ses malformations, et de ses dons, il reste quand même un
homme: un être capable de
sentir, d'aimer et de souffrir, comme
tout autre. De plus Karomenya
sait faire preuve de magnanimité.
La narration nous dévoile que:
«Karomenya was a thief, and took sugar and cigarettes when
he saw his chance, but he immediately gave away the stol en
goods to the other children. l once carne upon him as he was
dealing out sugar to a circle of boys, himself in the
centre; he did not see me, and that is the only time when l
have seen him corne near to laughing.»
(p. 265).
Karomenya apparaît comme un Mc Gregor ou un Robin des Bois,
qui vole aux riches
pour donner aux pauvres.
Ainsi tout ce qui
traîne à portée de main il le redistribue à ses compagnons, sans
calcul apparent.
Généreux et
fort comme un
Hercule, Karomenya
est
aussi
à
d'autres
moments
violent.
Mais
il
reste
un
solitaire, du fait
qu'il est dans sa
propre sphère perceptive,
comme nous le signifient les passages suivants:
«
Out on the plain, where he thought that nobody knew, he
gave himself up to a new idea and aspect of life.
( . . . )
l am not even sure that he had not that he had not
thrown away the whistle himself, unable to reconcile i t
with his other ideas of existence.»
(p. 266).
Karomenya a
été séduit
par le sifflet
que lui
a procuré
Blixen pour
jouer
avec
les
chiens. En
les
sifflant,
il ne
pouvait que les voir sans
entendre lui-même les différents sons
qui les
commandaient, et
qu'il
produisait lui-même.
Il prend
alors conscience
d'une
autre
réalité autre
que
sa dimension

176
personnelle et celle
de sa
vie. Ainsi, la
perte volontaire ou
non du sifflet permet à
Karomenya d'échapper à un dolorisme que
la narratrice a
suscité en
lui, en croyant
lui faire plaisir.
Karomenya échappe ainsi à un
besoin qu'il ignorait jusque là et
qui ne s'explique pas. Mais
peut-être s'est-il rendu compte que
sans paroles, il n'était pas aussi différent que cela des autres
animaux, et
que
comme eux,
il
était
voué à
être
dressé et
limité?
Karomenya n'a pas la prétention de s'approprier la magie du
Blanc qu'il
n'est pas
sûr de
maîtriser. Il
ne cherche
pas à
sortir du cadre et des limites de
son sort, de son monde, et de
ce point de vue
il est différent du forgeron
qui forge et crée
la vie, dans le personnage de Pooran Singh. D'ailleurs, il ne le
peut pas comme Blixen est elle-même qui reste sans parole devant
le pouvoir économique.
Blixen a un savoir et une volonté mais elle ne parvient pas
à faire entendre sa voix au
dessus de celle des actionnaires de
la
ferme.
Donc
elle
perd toute
raison
d'être.
Ainsi,
non
seulement la condition de Karomenya ou du caméléon reflète celle
de Blixen par
rapport aux
indigènes et au
monde des finances,
mais son acte
n'en demeure
pas moins un
sacrilège puisque, la
nature a ses mystères,
et que le caméléon,
même sans sa langue
aurait pu avoir d'autres ressources de survie.
Il Y a sacrilège car du réveil de Blixen à sa rencontre des
animaux, son état est une
situation de minuit, heure à laquelle
s'ouvrent les portes
de l'enfer
pour elle. Sur
ce fait Blixen
nous confie que:
«
l
looked down on the stones aand dared not look up, such
a dangerous place did the world seem to me.
Very slowly only, in the course of the next few days,

177
i t came upon me that l had had the most spiritual answer
possible to my calI. l had even been in a strange manner
honoured and distinguished. The powers to which l had cried
had stood on my dignity more than l had done myself, and
what other answer could they then give? .. Great powers had
laughed to me, with an echo from the hills to follow the
laughter, they had said among the trumpets, among the cocks
and chameleons, Ha, ha ! »
( P 314-315 ).
Blixen vit le
sort d'une femme, qui
s'enfonce chaque fois
de plus en plus dans l'abîme. Il ne lui reste plus qu'à se plier
à
son
destin.
Sentimentale,
elle
trouve
néammoins
dans
l'achèvement, une occasion de
se montrer digne
et fière de son
geste devant
les dieux.
Dignement elle va
la tête
haute vers
l'exécution de sa
pénitence. Blixen assume son
geste comme une
mère de famille sauverait un enfant de la douleur.
8 - Notions de travail et de
fainéantise
L'image
qui
nous
est
donnée des
femmes
indigènes,
se
réflète dans la vie laborieuse et sans merci qu'elles mènent, au
nom d'une organisation
qui les
a réléguées au
second plan. Ce
dialogue de
sourds,
est
donc le
résultat
d'un
malentendu à
propos du
droit
foncier, et
d'une mauvaise
conception
de la
notion de travail,
qui fera
croire aux colons
que les garçons
étaient pareusseux
en comparaison
avec les filles.
Les filles
sont présentées
comme
les bêtes
de
somme des
natifs,
et se
voilent la face
au lieu
de s'émanciper, comme
nous pouvons le
déduire de ce passage:

178
«
Whenever you walk amidst the Kikuyu shambas, the first
thing that will catch your eye is the hind part of the
little old woman raking in her soil, like a picture of an
ostrich which buries her head in the sand ... »
(p. 18-19).
Les
filles
triment
au
champ,
leurs
propres
champs,
contrairement à
leurs
hommes oisifs.
Mais là
n'y
a-t-il pas
méprise sur l'éthique du travail?
Ce qui semble
contradictoire dans ses
constats, c'est que
Blixen nous confie plus loin que:
«
Each Kikuyu family, had a number of small round peaked
huts and store-hutsi the space between the huts was a
lively place, the earth hard as concretei here he maïze was
ground and the goats milked and children and chickens were
running.I used to shoot spurfowl ... and the little Kikuyu
herdboys herded their fathers cows. In the cold season they
carried live coals in small wicker baskets with them from
the huts, and sometimes caused big grass-flres, which were
disastrous to the grazing on the farm.»
(p. 19).
En nous indiquant
ces aspects socio-économiques
de la vie
des Kikuyu, Blixen nous
livre en même
temps des composantes de
leur culture.
Chaque
famille
est un
écosystème,
organisé de
telle sorte à
ce qu'il
donne à
chacun
et à
chaque chose sa
place dans
la
communauté. Et
c'est
de
ce point
de
vue que
l'homme s'est toujours montré sous une lumière qui le présentait
comme un
partisan
du moindre
effort. Mais
comme
par hasard,
Blixen ne nous dit pas
que si les femmes
sont au champ, et les
enfants dans
la prairie,
c'est parce
que tout
simplement les
hommes
sont
occupés
dans
les
plantations
coloniales
pour
recevoir
de
quoi
payer
les impôts.
A
chaque
fois
qu'elle
dénonce, elle feint d'être au
dessus de tout soupçon. Mais dans
la schématisation de ces femmes,
nous avons le sentiment que la
protagoniste se complaît à rassembler autour d'elle des gens qui

179
sont totalement étrangers à leurs
vies, à leurs sorts, comme si
Blixen voulait
retourner le
couteau au fond
de la
plaie déjà
profonde. Tel est le
cas de la veuve d'un
fils à Kathego. Elle
nous dit
à
propos de
leur
rencontre
qui lui
est
restée en
souvenir que:
«
Now the old women were sorry that l was leaving them.
( ... ) She belonged, l
think, to Kathegu's village, and was
the wife or widow one of his many sons. She came towards me
on a path on the plain, carrying on her back a load of the
long thin poles which the Kikuyu use for constructing the
roofs of their huts - with them this is women's work.( ... )
as you see them travelling over the land, the silhouette of
a prehistoric animal, or a giraffe.
( ... ) that meant that
she had been pulling down her house and was trailing her
building materials, such as the y were, to new grounds,.
When we met she stood dead still, barring the path to me
( . . . ) .
After a moment she broke out weeping, tears streaming over
a face, like a cow that makes water on the plain before
you. Not a word did she or l myself speak, and, after a few
minutes, she ceded the way to me, and we parted, and walked
on opposite directions, l
thought that after aIl she had
sorne materials with which to begin her new house, and l
imagined how she would set to work, and tie her sticks
together, and make herself a roof.»
(p.
326-327).
La femme étant la source de la vie, elle est condamnée à la
maintenir pour lui trouver un
sens et mieux supporter son sort.
Or, cette
vie ne
lui
est pas
toujours compatissante
ou même
reconnaissante, surtout
lorsque
la
femme
est
veuve
et sans
enfant. En effet, même
si elle ne passe
pas pour une sorcière,
une femme qui aurait dévoré la vie de ses précédents époux, doit
chercher refuge ailleurs tant qu'elle
ne peut être hébergée par
un autre fils, pour ne pas être
jetée hors du village. C'est ce
qui fait que la
veuve va à la conquête
de nouveaux horizons en
attendant de rendre l'âme. Peut-être la veuve du fils de Kathegu
trouvera-t-elle asile
dans un
autre
village comme
la vieille

180
Sozy dans Mister Johnson, qui
endure toutes les sautes d'humeur
de Johnson et tous ses caprices, pour sauver son abri?
Mais contrairement à
Sozy, la
veuve dans Out
Of Africa a
rencontré une compagne d'infortune avec
qui elle ne parle qu'en
versant des larmes devant
un tel héritage
injuste du sort. Les
deux femmes se rencontrent dans la peine, la compassion, mais là
encore ce partage ne peut être parfait.
Blixen et la veuve sont
toutes deux à présent sans hommes.
Et elles
n'ont
plus
de
propriétés. Sur
le
point
du départ
imminent, se pose
la question
de la
fin et
de la possibilité
d'un nouveau
départ. Mais
pour
cela, il
faut savoir
vers où
aller, vers
quel horizon
se
diriger. Or,
les deux
femmes se
rencontrent,
prennent
des
directions
opposées,
mais
presqu'égales. Chacune
d'elle va
vers une
nouvelle direction,
une nouvelle perspective, la fin d'un état de choses et le début
d'un autre. L'une
à la recherche
d'un asile se
dirige vers le
lieu de
la
désolation
de l'autre.
Leurs
directions opposées
viennent du
fait que
l'une
sort tandis
que l'autre
entre de
plein pied dans
le cercle
cynique de la
vie: et
le charme du
temps les
mène là
où elles
n'envisageaient pas
de séjourner.
L'évidence qui se découvre
à chaque pas, est
que toute vie est
comme une phrase dont la
mort est le point final,
immédiatement
suivi d'un
nouveau moment.
Partant, ce déplacement
se produit
dans un cercle vicieux,
avec un retour
aux origines tout comme
dans le cycle de la reproduction de la vie. Aussi, l'avantage de
la vie, c'est
la somme de
tous les jours
qui s'accumulent. Et
finalement Blixen se
recueille dans
la nature,
comme dans ces
extraits de Out Of
Africa, où Blixen conclue
sur un présage de
sa perte:

181
«
The rains were over, and the new grass was already long
on the plains and in the hills.
( ... )
There was a full moon in those days, i t shone into the bare
room and laid the pattern of the windows on the floor.
l
thought that the moon might be looking in and wondering how
long i meant to stay on, in a place from which everything
else had gone.
'Oh no', said the moon,
'
time means very
little to me.»
(p.
322).
Blixen a accompli sa
mission, comme un
droit de passage à
la célébration duquel
la nature
concourt. A
présent qu'elle a
réussi ce
qui
lui
tenait
à coeur
et
qui
lui
a
été rendu
possible,
elle
se
met
à
la
disposition
de
son
destin.
L'obsession peut
prêter l'oreille
à
la voix
du monde.
Ce qui
veut dire que l'homme
et le monde ne cessent
de se répondre et
de s'adapter l'un à
l'autre. C'est
pourquoi Blixen éprouve le
sentiment que la lune est pressée de la jeter hors du continent,
au moment où les pluies chargées
de gros nuages se dissipent et
que
les
jeunes
pousses
d'herbes croissent
rapidement,
pour
exprimer la perspective
d'un nouveau
commencement, de nouveaux
espoirs, de nouvelles
abondances. Or, de même
qu'une idée peut
être inexacte, un sentiment peut
être faux, ou ne pas s'ajuster
à la réalité.
Si le
paysage Africain est
étrange, empressé ou
moqueur, c'est parce que
Blixen a projeté
ses états d'âme, ses
sentiments sur
cet espace.
Ce qui veut
dire que
les qualités
objectives
du
paysage
sont
faites
des
perspectives,
des
conduites possibles
de l'écrivain-Blixen.
C'est ainsi
que les
écrivains britanniques ayant compris que "l'Afrique" n'était pas
de ce monde-ci,
se contentaient
de l'Afrique
de leurs songes.
Partant, sur cette Afrique, ils règnent en esthètes. De ce fait,
les mésaventures
ou les
embarras que
vit le
héros-victime ne
font de place à l'artiste qu'en tant que spectateur. Certes, les

182
grimoires ont céssé d'être rédoutables, et les écrivains peuvent
taquiner la "goule"
devenue docile.
C'est ainsi
que Cary fera
même dire à un de ses personnages que la vie dans un endroit tel
que la savane Africaine, ne convient
pas au convolage, ou à une
femme (Mister
Johnson,
p.184).
C'est un
monde
de
combat et
d'exploit: un
monde
d'hommes. Mais,
il a
fallu
pourtant une
femme à Cary
pour ritualiser le sacrifice
sanglant de Johnson,
jugé
irrécupérable,
et
dont
la
mort
est
apparemment
sans
explication convaincante. Donc,
ce qui est
réel, c'est l'homme
qui, ayant changé d'attitude, change de sentiment et de style.
Une forme d'occulte
est de
rigueur dans les
romans et la
nouvelle, grâce à laquelle l'homme veut prendre une revanche sur
lui-même. Pour cela, il faut que l'Afrique devienne plausible et
que l'incroyable, l'impossible prennent le visage de l'évidence.
Donc il faut que
le conte soit bien
fait, comme une entreprise
de séduction qui
exige du temps,
de la patience
et du métier.
Par conséquent, dans
les oeuvres littéraires,
l'Afrique et les
indigènes sont des
fantômes qui
naissent dans un
espace et un
temps déjà fantômatiques. C'est à croire qu'un double existe.
Croire à un double témoigne d'une volonté de vivre et d'une
croyance en
la persistance
de la
vie après
la mort.
Mais la
sensibilité change
de signe
à
l'égard du
double. De
même la
linguistique synchronique à
montré que
le passé
n'agit pas de
manière mécanique et par lui-même, mais dans la mesure où il est
repris, utilisé et
transformé par le présent.
Le sujet parlant
n'a
pas
de
mémoire
étymologique, la
recherche
étymologique
n'intervient
qu'après
coup.
Le
sujet
parlant
choisit
et
reconstitue son passé autant que ce passé s'impose à lui.
Néanmoins les oeuvres britanniques
par rapport à l'Afriqu,

183
nous donnent
l'impression
d'être
des
produits
de mentalités
animistes comme dans le cas de l'enfant
et de sa poupée. Que la
poupée s'anime,
la
chose ne
lui paraît
pas
inquiétante mais
naturelle, puisque
l'enfant partage
son enchantement. L'enfant
comme l'écrivain
est
magnétisé,
et
leurs
rapports
sont des
rapports de possession amicale
et/ou hostile. Aussi, le paysage
se transforme
pour
sceller la
passation du
contrat
entre le
cosmos et la protagoniste. Mais
en personnifiant la pleine lune
- qui
semble l'observer
et qui
renaît continuellement
- elle
certifie elle-même sa
paranoïa, tout
à fait
comme Johnson, le
héros de
Mister Johnson
de
Cary, qui
à
force de
côtoyer le
District
Commissioner
en
est
venu
à
être
dépassé
par
la
puissance des mots qui
l'a poussé à
vouloir paraître plus fort
qu'il ne l'était, pour finalement être supprimé par le détenteur
du pouvoir, Rudbeck, qui entend rester maître de ce Verbe.

184
Notes bibliographiques
1 - Maganyi, N., Chabanyi,
"Making Strange: Race, Science and
Ethnopsychiatric Discourse" in Europe And Its Others .pp.
152-169.
2 - Mannoni, O., Prospero et Caliban. Psychologie de la
colonisation, Paris, Ed. Universitaires, 1984. p.
28.
3 - Selon la mythologie Yorouba, Esu est une divinité
ambivalente. Il est aussibien rusé que vaniteux et
dynamique. Esu suscite les dissensions, les querelles,
provoque les accidents et les calamités publiques et
privées. Puisqu'il est gardien des temples, des maisons,
des villes et des gens, rien ne peut se faire sans lui. -
Voir Verger, Pierre, Orisha, Les Dieux Yorouba en Afrique
et au Nouveau Monde, Paris, Editions A. M. Métailié, 1982.
pp 74-75.
4 - Voir Charles, Allen, Tales from the Dark Continent, London,
Futura, 1978, pp. 43-44.
5 - Allen C., Ibid. pp.90-91.
6 - Voir Danon, Ruth, Work in the English Novel: The Myth of
Vocation, London, Croom Helm,
1985. 214 p. qui retrace le
développement le mythe ou la vocation de la classe moyenne
comme la première source d'autodétermination et
d'intégration psychique.
7 - Mannoni justifie cet état de choses en ces mots: " En tout
cas, cette tendance à la misanthropie, de quelque nature
qu'elle soit, qui se manifeste d'abord par une fuite devant
les autres, peut se poursuivre, on le voit, en provoquant
une rupture grave dans la représentation de ces autres ou,
sinon une rupture, du moins un échec dans la synthèse qui
devrait former cette image. Elle se coupe en deux morceaux
qui s'éloignent de plus en plus au lieu de se rejoindre.
D'un côté, des images terrifiantes ou hideuses; de l'autre,
des êtres gracieux, mais sans dessein ni volonté; d'un
côté, Caliban et les Cannibales ( Caliban est sans doute un
anagramme volontaire); de l'autre, Ariel et Vendredi.
Or le même homme est à la fois Ariel et Caliban; i l
faut l'admettre pour être adulte ... »
Mannoni, O., Ibidem.
p. 105.
8 - Sachs, W., Black Hamlet, Boston Little Brown & Company,
1947. - Voir aussi De Ridder, J., C., The personality of
The Urban African in South Africa, London, Routledge &
Kegan Paul, 1961. pp. IX; XII, 66-168, 84, 86, 90-91, 97,
170.

185
9 -
Durand, G., Les structures anthropologigues de l ' i -
maginaire:
Introduction à l'archéotypologie générale,
Paris, P.U.F, 1960. Elle a partie liée avec les structures
schizomorphes de l'imaginaire,
les images de l'agression et
de la guerre.
10 -
Boudil, P., Y., Les miroirs du Moi:les fous et les héros,
L'Ecole, 1987. NDLA.
11 - C'est une question d'autorité dans laquelle on croit
toujours avoir raison, surtout lorsque l'on est le seul à
prendre la parole devant des sans-paroles. -
Voir Bhabha K.
H., "Signs Taken for Wonders: Questions of Ambivalence and
Authority Under a Tree outside Delhi", May 1817 in Europe
and Its Others, qui cite V.s. Naipaul, p.91 et M. Foucault,
p.
95.

186
III
L'AFRIQUE SORCIERE

187
Ainsi
l'Afrique
se
précise
comme
la
divorcée
de
la
modernisation, qui
abandonne ses
enfants à
la rue
chez Cary.
Même si
l'expression
artistique
et
littéraire
reste
ce qui
semble unir les oeuvres
de Waugh et de Cary,
en ce sens qu'ils
forgent tous deux
des univers
et les
peuplent des personnages
qu'ils ont choisis, il n'en reste pas moins que leurs histoires,
leurs personnalités
sont différentes.
Et
dès le
départ, Cary
nous avoue qu'il va mentir" None of my characters is from life"
(Mister Johnson, p.7).
Mais en même temps,
Mister Johnson fait
allusion au passé colonial de Cary:
«
Mr Johnson ... looks back to Cary's own days in the
Nigerian Administration after the First World War . . . . There
was an Empire out there and i t had to be daministered .... i t
conveys the realities of this now vanished life and many
its incongruities.»
(Mister Johnson, Introduction, p. 3).
De
toute
cette
conjoncture,
il
nous
est
offert
un
personnage déchiré entre les souvenirs et l'imagination de Cary.
De même Johnson est
partagé entre sa vie sur
terre et celle de
son rêve. Partant
Mister Johnson
se solde par
le sacrifice du
héros incapable
de concilier
les attirances
et les
reflux du
conflit culturel, comme
Samba Diallo dans
L'Aventure Ambiguë (
Voir Cheick
H.,
Kane,
1).
Comme
Samba
Diallo,
Johnson est
incapable de pacifier sa double mémoire. Il ne peut plus tolérer
d'être
un
habitant
du
seuil
entre
l'occidentalisation
et
l'indigénat,
la
tradition
et
la
modernité,
l'oubli
et
la
mémoire.

188
1 -
Le héros déchiré
Mister Johnson illustre
le thème du héros
déchiré par des
aspirations contraires, que des choix difficiles conduisent à la
mort. Très rapidement, disons que Johnson est un homme à double-
dimension. Il n'est plus
tout à fait indigène,
et il n'est pas
encore vraiment civilisé. Johnson n'a aucun point d'appui, et se
laisse pourrir
jusqu'à l'os.
Il est
soulagé par
Rudbeck, qui
l'avait adopté sans préjugé,
à la limite de
la naïveté. Or, si
une telle situation a pu se
faire jour, c'est parce que Rudbeck
lui-même est absorbé par sa
passion de la route, malgré l'amour
pour sa femme, dont le
mariage semble répondre à une convenance
socio-économique
plutôt
qu'à
un
sentiment
profond.
Aussi,
tiraillé entre ces deux amours,
Rudbeck tient mal en place dans
l'espace exigü de la maison et de
son bureau. Il ne retrouve la
paix que
grâce à
la mort de
Johnson, son
ami, qu'il
tue par
fidélité, même avant que le tracé de la route ne s'achève. C'est
que Johnson
était un
obstacle, une
fourche, qui
empêchait un
seul tracé. Avec ce drame historique, Cary expose clairement les
problèmes du conflit des cultures,
qui peut souvent se résoudre
dans la confusion des valeurs, pour qui ne peut les intégrer.
L'intrigue
elle,
se
situe
dans le
Nigeria
en
Afrique
Occidentale
d'avant
les
indépendances.
Elle
met
en
scène
Johnson,
un
catécumène
qui
se
retrouve
agent
de
bureau
temporaire, s'occupant des écritures.
Studieux à la mission, il
se montra
consciencieux à
l'excès dans son
travail maladroit.
Poussé à gravir
les étapes
de la culture
britannique, grâce à
son alphabétisation, il crut partager
les mêmes valeurs que ses

189
supérieurs administratifs. Or même
s'ils partageaient les mêmes
valeurs, peuvent-ils avoir la même foi? (Voir Shepperson, 2).
En tout
cas, Johnson
lui, n'a pas
le temps
de voir
venir la
tourmente (
Voir
Turnbull, 3).
Ce
qui veut
dire
que Mister
Johnson
s'appuie
sur
la
tentative désespérée
d'un
Africain
éduqué chez
les missionnaires
chrétiens,
pour entrer
dans le
cercle des civilisateurs,
la citadelle spirituelle
et le siège
réel du
pouvoir britannique.
Ainsi le
vrai moment
de tension
dans le roman, c'est
lorsque Johnson détourne excessivement les
fonds destinés aux
ouvriers, pour couvrir
ses multiples dettes
auprès des petits
commerçants auprès desquels il
use de trafic
d'influence. Finalement
il vole
avec violence l'administration
pour se marier et
maintenir l'image qu'il
s'est donnée de lui-
même. Cette gradation tragique débouche sur son exécution par le
juge, administrateur et ingénieur des travaux publics, Rudbeck.
Pour l'amour de Bamu,
et la soif
de respectabilité, il se
glisse dans l'entourage du
District Commissioner Rudbeck. Il le
manipule en
adoptant ses
passions pour
la construction
de la
route.
Il
détourne
la
paye
des
ouvriers,
pour
payer
ses
nombreuses dettes.
Il essaye
même de voler,
pour rester
à la
hauteur de ce
qu'il a
fait croire
qu'il était.
Tombé dans le
piège de la corruption du
Waziri, conseiller du chef local, qui
s'oppose à la construction de la route, Johnson est pris la main
dans le sac. Il doit être jugé
par son ami Rudbeck. Or, Rudbeck
doit porter son masque d'impartialité ce jour-là. C'est au cours
de cette descente
aux enfers qu'il prend
conscience d'une part
de son
goût
des
grandeurs,
et
d'autre
part
de
la lâcheté
humaine. Par fidelité à lui-même,
il préfère se sacrifier, aidé
en cela par Rudbeck qui ne fait que concrétiser son souhait.

190
Johnson souhaitait
retourner aux
siens,
à
l'unité
et ce
n'est que par la mort qu'il
réalisera ce voeu. Rudbeck donne la
sentence dans le passage suivant:
«
But Rudbeck, growing ever more free in the inspiration
which seems already his own idea, answers obstinately,
'1
couldn't let anyone else do it, could l
?' »
( Mister
Johnson, p. 251).
Rudbeck justifie
le meurtre
de Johnson en
montrant qu'il
n'y a
pas d'autre
issue pour lui:
assassiner Johnson
est une
oeuvre vertueuse. De même
le désir de
se faire mieux connaître
et l'orgueil ne sont pas étrangers aux motivations énoncées.
En
effet,
Rudbeck
a
ignoré les
avertissements
de
son
prédécesseur Old Blore:
«
' The Emir is playing up again - he ought to be sacked.
l'm afraid you'll soon be without a clerk. The sooner you
get rid of him, the better - he's the worst type - probably
dangerous, too - a complete imbecile, but quite capable of
robbing the safe' ".
(p.
27).
Mais Rudbeck semble être
un exécutant d'une destinée quand
nous allons découvrir les différentes
motivations de la mort de
Johnson.
En fait,
lorsque le narrateur remarque à propos de Sozy, la
servante de Johnson que:
«
She has come to know that every strange event is a
threat to the old.»
( Mister Johnson, p.219)
Et tandis que Johnson se trouve
face à face avec Rudbeck à
qui il exige
de le
tuer lui-même «But
you my
frien'.
You my
father and my mother.
l tink you hang me yourself' »
( p. 247),

191
le
problème
se
déplace
du
plan
judiciaire
vers
un
plan
personnel, psycho-social.
2 -
A propos des causes de la mort de Johnson
Au niveau des motivations
personnelles, la mort de Johnson
est un salut et un acte de
vertu pour Rudbeck. Elle lui procure
le moyen de retrouver un équilibre personnel, et une façon de se
faire connaître: il est vraiment fidèle.
Aussi, sur un
plan symbolique, c'est la
femme de Johnson,
qui, alors qu'il était lui-même
conscient de sa noyade, vient à
son secours une première fois,
lorsqu'il tombe à l'eau du bac:
«
She does not understand the kiss and supposes it to be
sorne kind of foreign joke ... leaves him in the dugout,
which drifts down the river, rocking violently. Johnson,
terrified, sits down and grasps the sides with his hands.
He shouts,
, Help! Help! l'm drowing!»
( Mister Johnson,
p. 14).
Mais Bamu, cet
être qui lui est
complémentaire le déclare
étranger,
venu
d'ailleurs,
d'une
autre
dimension
socio-
culturelle:
«
Bamu turns again to her brothers: 'Why does he go on
like that? '
'He's a stranger, you understand - a foreigner.'
(Mister
Johnson, p. 32)
et:
«
The next morning Johnson is very ill. He groans and says
he is dying.
'1 can't go to the hamfish - l die'
Bamu is troubled. Her brow wrinkles. She says,
'But what

192
can we do -
he's a stranger'.
Perhaps we'd better get the white man', Bamu suggests.
'If i t ' s a stranger illness.
( p.
55).
Bamu est perplexe parce que
Johnson est malade.
Il souffre
du mal des occidentaux. Donc, seul un occidental en a le remède.
Mais Johnson est conscient de
l'incurabilité de son mal. Ainsi,
pour commencer, Bamu
est d'une beauté inégalée
"Johnson gazes
in admiration.
He
has
never
seen
such
a
beauty"
(Mister
Johnson, p.33).
La
perspective
de
la
marier
fait fantasmer
Johnson:
«
In imagination he is living already in a kind of
paradisei or rather in a series of strnge and delightful
states which rapidly succeed each other »
( Mister
Johnson, p. 45).
Et, puisque
la femme
donne
la vie,
c'est donc
Bamu, ou
plutôt son âme qui pourrait regénérer Johnson:
«
she feel like de spirit fly right up out of her bress,
and jump into my warm heart, lie down like bird in de nes'
» ( Mister Johnson,
p.
35).
Bamu comprend Johnson, et le plaint en tant qu'individu qui
vit
dans
des
nuages.
Bamu va
même
jusqu'à
lui
faire
des
concessions, et
à porter
les
artifices superflus
qu'il exige
d'elle"
, But what
is the good of such things
-
1 have my own
cloth ,
qu i te
new ' "
(
....
M....i'""s"-'t...,e:::.:r"--_..::::J-=o:.:.h....n..:.:s=.;o=.;n~,
p .
47) ,
pour
être
différente. Cependant qu'il l'avait
trouvée ravissante dans son
apparence toute naturelle. Ainsi,
plutôt que de rester inactif,
Johnson cherche-t-il à répandre son
mal. Mais comme nous le dit
le narrateur, Johnson est au théâtre:
«
Johnson needs an admirer far more than a friend . . . . »
(

193
Mister Johnson, p. 67).
Johnson est au théâtre
et c'est pourquoi
il joue seul ses
répétitions.
Sa
vie
est
une
mise
en
scène
qui
nous
est
présentée, notamment dans sa vision du mariage chrétien:
«
So l say we begin with Christian marriage, which is
full of mos' beautiful words and true Christian love' »
( Mister Johnson, p. 43).
Mais Johnson se perd
dans ses mots. A
la différence de la
force d'union que constitue
la famille de
Bamu" Bamu's family
are not going to be separated
from her on this joyful occasion.
They mean to see her properly married in their own method. " (p.
46), Johnson n'a pas de
point d'attache, puisqu'il est avide de
moitiés, d'équilibrisme comme
cela se
retrouve dans l'exercice
de ses fonctions " , Seven from
three is same as seven from ten
plus three is five
- ' a great many
of Johnson's additions and
substractions come to
five because
i t is a
middle figure, not
committing him in either direction, and because he likes writing
fives " ( p. 60) et la
forme du chiffre 5 justifie sa faiblesse
prononcée pour la lettre 'S' "At
the sight of the capital S (S
is his favourite
capital) ... His
ambition is always
to make a
perfect S in one
sweeping movement "
(p. 24).
En effet, ce son
pourrait être le début de
"sad", "semi", "sigh", "sin", "sink",
"suffer head" ou "short" . . . . .
Aussi
face
à
toute
cette
fausseté,
Johnson
ne
peut
s'empêcher de vouloir
intégrer la tradition"
He waves towards
the group which stands
round him, admiring
him, or waiting for
his next joke, his next
song; and says in Hausa,
, l am one oy
you now -
l
come
with you'"
(p. 210),
car ce
qu'il a voulu

194
croire comme acquis -
le pouvoir des mots et de la communication
- n'est qu'illusoire" Authority ... is generally false " (p. 19).
Johnson
a
voulu
monopoliser
la
parole,
mais
le
pouvoir
l'étrangle. Son autorité
était prétendue, et
puisqu'il ne peut
jouer le
jeu jusqu'au
bout,
il veut
revenir
sur ses
pas et
retrouver la piste qu'il a quittée.
Mais pour cela, il lui faut
payer les réparations
exigées de
l'artiste" It's
nice to get
presents', Johnson says, smiling and looking round the group. He
does not know what
he is going
to do yet. At
the moment he is
the centre of
interest. He
has an
audience. It
is waiting to
follow him and his deeds. The
situation has been given into his
hands, like wood to be
carved or a theme to be
sung" ( p. 39)
qui n'a
pas accompli
sa
mission, et
qui
en est
damné, pour
finalement exiger sa
propre destruction par
les esprits. c'est
dans ces conditions
que Johnson
s'autoflagelle et
se maudit"
Johnson puts down
his head
and rushes
past ...
'Oh Gawd! Oh,
Jesus! l done
finish -
... you take off
skin ...
you kill dis
dam', bloody, good-for-nutting, silly fool bastard, Johnson -" (
p. 24). Conscient de sa faute,
de s'être égaré loin des chemins
de
ses
ancêtres,
sans
avoir
pu
assimiler
correctement
la
modernité qui
allait
lui
permettre de
renforcer
son peuple,
Johnson se
retrouve zigzaguant,
allant ça et
l à "
' l , Mister
Benjamin, l go walkum aIl everywhere in
de worl' - l go make my
fortune'."
(p. 210).
Pourtant, il lui faut
partir toujours, et
c'est pourquoi le narrateur nous informe que:
«
Johnson is walking restlessly in the compound. He has
taken off aIl his clothes except his bright shoes.»
( Mister Johnson, p.40).

195
Johnson porte
un foyer
incadescent
au fond
de lui-même,
mais il
n'est
pas
encore
un charbon
éteint.
Ces
signes de
schizophrénie revêtent pour Johnson
un certain aspect solennel.
Ainsi lorsqu'il dit:
«
Hi, you general dar, bring me de cole been, l, Mister
Johnson,from Fada, l belong for King's service, Hi, you
judge dar, in yo 'crinckly wig, Roll me out dat bed, hang
me up dat royal net'»
(p. 41).
Ce
ton
mélodramatique,
ironico-dramatique
est
une
indication de la fin,
de la perdition de
Johnson, mais en plus
personne ne le comprend:
" His walk is itself a dramatic expression of despair.
( . . . )
'He's always talking like that', Bamu says.
' What does he
mean?'
'He's a stranger', Falla says.
'
He doesn't understand this
country'.»
(p. 120-121).
Johnson est seul face à lui-même, comme le dit Soapy, un de
ses géôliers:
«
'For l'm off to the white man's war'»
( Mister Johnson,
p. 225).
Comme
une
âme
en
peine,
Johnson
aspire
au
repos,
à
l'apaisement de son feu intérieur grâce à l'eau. C'est l'eau qui
purifie son corps:
«
Fan me when l hot, blow a way aIl dem fly.
Clean aIl dem bad stink out of my house ( ... ) 'Goodbye my
rivers, wash me with you soft hand»
(p. 243-244).
Johnson se purifie pour la cérémonie, pour le sacrifice:

196
" ... he is presiding over the biggest drum party that they
have ever seen. It is not like a party of the townspeople,
with this regular routine and well-known dances ... A sheep,
trailing its halter, is nibbling the loadi beyond them a
cow stands with lowered head and glittering red eyes as if
about to charge the dancersi Il (p. 208-209).
Mais Johnson ne peut
être guéri. Johnson
est sur la pente
que descend le cycliste sans frein:
Il
Clerk Johnson got a heart like a motor car, prompety,
foot,
foot.
He go by himself, no one fit to stop him.
He full of fire, he full of hot, he full of strong.(p.
209).
L'histoire
de
Johnson
est
un
crescendo
tragique,
une
histoire de sacrifice mise en scène par Cary.
3 -
Mise en scène de la fin de Johnson
Johnson a succombé
à l'amour fatal,
son
infidélité, en se
partageant entre deux
femmes qui
finissent par
s'unir pour le
détruire. Pour cela,
la première femme
(Rudbeck ou l'Occident)
reclame un bouc-émissaire,
qui lui
sera fourni
par la seconde
(l'Emir et le Waziri):
«
The Emir sends for the Waziri and tells him to provide a
murderer, either Johnson or another, within twelve hours or
take the consequences, which will be severe, since the
murdered man is white»
(p. 217).
C'est une
histoire de
mangeuses
d'âmes dans
laquelle la
mère est contrainte
de livrer sa propre
progéniture au banquet

197
de ses complices, à
défaut de proies dignes de
ce nom. Dans ce,
drame sacrificiel, l'entrée de Rudbeck est théâtrale:
«
The guests are already in the bush. How, he wonders,
should Mr Rudbeck hear him at two o'clock. How should he be
awake at such a time?»
(p. 42).
Johnson et Rudbeck
se rencontrent
à deux
heures dans les
ténèbres de la
brousse, et se reconnaissent,
comme le bourreau
et le coupable pitoyable sur un échafaud.
Johnson a peut-être
été sacrifié par le
complot de l'Emir
ou par la mission qui l'a dirigé
vers son lieu de tentation, le
miroir qui lui fait réaliser sa
dualité. Mais ce n'est que dans
la mort qu'il retrouve
son unicité, son
intégrité. Sa mort est
un acte
de
salut
personnel,
et
pour
lui
et
pour Rudbeck.
Partant, la
disproportion
entre son
crime
-
le
vol
à mains
armées - et le salut
à venir, souligne l'importance du meurtre,
seule façon pour lui d'échapper à une mort vertigineuse.
L'état d'exaltation de
Johnson, son émotion
et sa volonté
désespérée de se
coucher dans le
l i t des eaux,
sont un effort
pour faire comprendre et admettre un point de vue qui lui semble
indubitable: on ne peut pas
se sentir pareil ailleurs. La mort,
seul salut physique provisoire est
aussi un acte de salut moral
et
culturel,
quand
on
n'a
pas
intégré
les
deux
parties
antagonistes et conflictuelles.
C'est
un
acte
vertueux
pour
Rudbeck
d'abréger
les
lamentations d'un condamné qui se meurt
à petit feu,
et dont il
se considère
l'ami fidèle,
jusque dans la
mort. Son
acte est
vertueux
dans
la
mesure
où il
lui
permet
de
retourner
à
l'unicité d'un être
déchiré, et
qui de
ce fait,
lui permet à
lui-même de retrouver
la plénitude,
par le
paradoxe d'un acte

198
considéré comme repréhensible. La mort de Johnson apparaît comme
la résolution d'une énigme.
En effet
la
mort de
Johnson
permet à
Rudbeck
de faire
savoir qui il est, de désigner l'impartialité britannique devant
l'indigènat, comme pour mettre fin
à la campagne de dénigrement
dont lui et son pays sont l'objet: à savoir, conduire à la perte
les Africains, en leur faisant subir un génocide socio-culturel.
Ainsi, Rudbeck a reparé les
écarts de langage, auxquels Blore a
fait allusion dès
le début de
ses prises de
fonction. De même
l'exaspération
de
Rudbeck,
et
de
Johnson
dans
les
termes
violents, imagés,
hyperboliques de
Saleh montrent l'hypocrisie
des hommes,
en
particulier
des
Africains.
Saleh
accuse les
hommes en ces termes:
«'Oh, how cruel you are, Johnson. You don't understand
what suffering is. You don't know how cruel people are.
They love you, and they are nice to you, but suddenly they
don't care at aIl. And then they betray you and beat you
for nothing." (p. 222)
Mais en l'étendant
à Rudbeck, cette mise
en accusation du
groupe d'indigènes
qui
n'ont
pas su
prendre
soin
et guider
Johnson, se généralise et atteint l'humanité entière.
Saleh
met
en
évidence
l'inefficacité
de
la
parole
à
laquelle il oppose implicitement l'action. c'est pourquoi le ton
de
Rudbeck
à
la
fin,
est
assuré,
affirmatif
et
décidé.
L'expression «
'1 couldn't let anyone else do i t ' » , la formule
brève
et
incisive
«'Could
l '
»
(p.
251)
soulignent
la
détermination de Rudbeck dans
une situation de
"qui je suis et
qui il est".
C'est un véritable
défi lancé à
la communauté de
destin, à l'humanité, et à lui-même:

199
«
The men, surprised and alarmed, rush together ... but
they stand at the present with backs so hollow that they
seem to be dislocated. You can see right down their
hairless nostrils; but their eyes are not looking to the
front; they are aIl fixed ton Rudbeck . . . . As Rudbeck walks
towards them, they press away in a panic, a woman screams,
the sergeant shouts curses from behind.»
(p. 249).
Le roman se termine sur cette expression de certitude. s ' i l
y
a
un
reste
d'incertitude,
elle
porte
sur
la
date
de
l'exécution, non pas sur l'exécution elle-même:
«
Protectorate of Nigeria.
( ... ). at Fada on
day
of
19
Rudbeck hesitates, seeking a legal form, and then
writes, By hanging, duly executed according to the law' and
signs ' J. H. Rudbeck' . . . .
Suddenly and unexpectedly to himself, he tells her the
story. She looks at him for a moment with the same face as
the clerk's, astonished and horrified as if at the
murderer. Her lips move as if she is going to cry.
But Rudbeck, growing ever more free in the inspiration
which seems already his own idea, answers obstinately,
, l
couldn't let anyone else do it, could l
? '»
(p. 250-251).
Puisque sa femme Celia n'a pas prononcé une seule question,
cette réponse
est adressée
à Rudbeck lui-même.
Cette repartie
est sans doute plus une
analyse que fait Rudbeck pour lui-même,
tant il est
à la
recherche d'éclaircissement sur
ce qu'il est
lui. Ce
n'est
pas
un
hasard
si
Rudbeck
éprouve
ou laisse
l'impression d'éprouver
de la
claustrophobie.
Il est
tout le
temps dans la
brousse, sur
la route,
rarement chez
lui ou au
bureau. Le
jour
du meurtre,
il
est
chez lui
et
au bureau,
pourtant.
Rudbeck
voit
plus
clair
en
lui-même,
et
il
a
conscience que la résolution
de son déchirement personnel passe
par un acte à
la fois vertueux mais aussi
criminel aux yeux de
sa femme Celia,
et du
nouvel employé de
bureau Adamu. Rudbeck
sait aussi
que son
geste le
conduira un
jour au
jugement de
Dieu, comme le pense Adamu:

200
«
Adamu cornes in and makes his morning bow. Adamu shows no
agitation. For him, an old-fashioned Moslem, men are always
responsible before God, and there is nothing surprising in
the fact that Rudbeck, as a ruler, should discharge that
responsibility according to his own unique responsibility."
(p. 250)
Ainsi Adamu fait tout proprement, sans faute pour préserver
son emploi,
et
consolé
de
sa souffrance
de
vivre
dans une
société imprédictible, grâce à
sa foi en
un Etre suprême. Mais
en attendant, pouvons-nous négliger
la puissance de l'écrivain,
qui sait tout cela et qui nous le fait voir?
Dans tous les cas,
nous savons que
les oeuvres de Blixen,
Cary, Conrad, Huxley ou Waugh, leur permettent de construire des
schémas de nouveaux équilibres. Ils ne cherchent pas à s'évader,
mais à interroger courageusement le monde, à le comprendre c'est
à dire à retrouver leurs racines. Mais
cela ne suffit pas à les
prémunir contre
l'imaginaire
mythique qui
semble
avoir égaré
l'univers.
C'est
pourquoi
en
écrivant,
les
écrivains
britanniques essayent de ne
retenir que la
part de réalité qui
entre
dans
leurs
mots,
celle
qu'ils
peuvent
nommer,
ou
représenter.
C'est
la
raison
pour
laquelle
eux
créateurs,
réussissent
dans
l'espace
littéraire
ce
que
les
héros,
personnages
ou
narrateurs
essayent
de
faire
dans
l'espace
social, politique
ou
géographique Africain,
en
produisant du
sens au-delà de toute tentative d'explication.
Dans leur crainte
de l'échec,
les littérateurs perçoivent
un moyen
excellent de
réussir à
présenter un
monde rassurant
dans une
Afrique,
où tout
alentour semble
l'empêcher,
en en
faisant
une
autre
source
de sens
possibles.
Ainsi,
l'acte

201
décisif qui résulte du partage du héros ou de son ambiguïté dans
AOP
et
dans
Mister
Johnson
dérive
du
cauchemar
d'un
démembrement. Par
conséquent Johnson
est le
point de
mire du
roman et son
histoire, une critique de
la mentalité coloniale.
Son personnage, son
exécution peuvent être
fictifs dans Mister
Johnson. Mais la
description de
l'incident révèle
que le juge
ingénieur Rudbeck,
pourrait
bel
et
bien
être
Cary lui-même
puisque la signature
du premier
comporte la lettre
J comme au
début de Joyce. Or, dans la
communauté des hommes un tel geste,
si Cary
l'avait
commis fût-il
au
nom
de la
Loi,
ne serait
qu'odieux. C'est
pourquoi le
fait de dédier
son roman
à Musa
peut-être motivé par
son remords, sa pénitence.
Mais dans tous
les cas
la mort
de Johnson indique
l'incertitude de
Cary par
rapport à sa propre aptitude
à comprendre la réalité du Nigéria
ou de l'Afrique, en même temps que la Grande Bretagne. Pourtant,
à aucun moment il ne semble
douter de sa capacité à interpréter
la situation
sociale ou
les
intrigues socio-politiques
de ce
milieu.
En fait,
l'attention
de Cary
est dirigée
vers des griefs
beaucoup
plus
personnels,
particuliers,
lorsqu'il
semble
condamner l'appareil dans
lequel Johnson a été
façonné tout en
faisant
de
son
exécution
un acte
vertueux,
salutaire
pour
Rudbeck. Par
conséquent,
les
circonstances et
les
motifs se
situent à mi-parcours entre une
tentative de sympathie avec les
populations
locales,
dans
l'oppression
desquelles
il
a
participé,
et
l'imposition
inconsciente
du mode
de
valeurs
britanniques
sur
ces
mêmes
populations.
Johnson,
l'administrateur et l'écrivain deviennent donc incompréhensibles
à un lecteur natif de la région en question.

202
En réalité, lorsque
Cary satirise Johnson
de vouloir être
plus britannique que
les Britanniques dans sa
fiction,
il nous
indique à
la faveur
de
l'ironie qu'il
se fait
lui-même plus
britannique qu'il ne voudrait peut-être l'être. Ainsi Cary fait-
il de Johnson
un produit de
la confusion des
valeurs, un être
qui traite ses propres compatriotes de sauvages:
«
Oh, Bamu, you are only a savage girl here - you do not
know how happy l will make you. l will teach you to be a
civilized lady ... " (Mister Johnson p.14).
Sur ce plan, Johnson ressemble à l'instituteur Lakunle dans
la pièce théâtrale de Soyinka, W., The Lion And The Jewel.
Lakunle passe
son
temps à
s'inspirer de
revues
de mode
anglaise. Puis il nourrit de grands desseins merveilleux pour la
belle
Sidi
qui
n'y
comprend rien.
Finalement,
à
force
de
maquiller sa vie,
il perd
celle qu'il convoitait
au profit du
chef traditionnel Baroka. Ainsi
Lakunle tout comme Johnson, est
acculturé puisqu'ils sont
perdus pour la tradition.
Et en même
temps dans leurs
sauts, ils
n'ont pas réussi
à s'accrocher au
bord du pont-levis qui protège
la forteresse de la civilisation
britannique ( Voir soyinka,
4). Tous deux
se revèlent être des
stéréotypes comiques. Mais dans leur représentation, ils sont le
produit
d'une
invention
britannique
qui
se
révèle
être
ironiquement la
partie et
le tout de
la même
confusion, dans
l'abord britannique
de l'Afrique
traditionnelle. Samba Diallo,
Lakunle, ou Johnson sont tous des victimes de l'ambiguïté.

203
Notes bibliographiQues
1 - Kane, C., H., L'Aventure Ambiguë, Paris, Julliard, 1990. 191
p.
2 -
L'histoire de Johnson rappelle celle de John Kilemgwé ne a
Chirazulu dans l'actuel Malawi, autrefois Nyassaland, créé
par Livingstone.
Il oeuvra à se faire baptiser en 1893, à
l'aube du bâtissement de l'Afrique Centrale Britannique,
dans une mission anglicane à Msidi.
En 1897, i l se rend aux
USA dans le Sud, à Johanesburg avec le pasteur Joseph
Booth.
Il y trouve l'occasion de vivre une situation de
racisme pire que celle qu'il a connu en Afrique.
Il dut
être sauvé par un pasteur noir baptiste qui lui fit
comprendre que les noirs devaient se battre pour leurs
droits, et leur respectabilité. De retour, au Nyassaland
érudit des enseignements bibliques, i l donna l'exemple que
le Noir pouvait être respectable en mettant en même temps
une ferme moderne sur pied.
Il adopte le style
d'habillement de Livingstone et sa femme s'habille à la
mode victorienne. Cherchant à se faire intégré dans le
cercle anglais, croyant partager la même foi et le même
esprit, i l s'entendit dire que britannique il l'était
certes, mais certainement pas anglais.
Il nourrit cette
frustation qui conduira à la révolte de 1914 contre les
colons. A la suite de cette révolte, Duncan, Ferguson,
Livingstone furent massacrés sauvagement. En représailles,
les anglais pendirent 36 indigènes et exécutèrent un nombre
inconnu, arrêtent un millier de femmes, d'hommes et
d'enfants dirigés sur le camp de concentration de Zomba
près du Mozambique. Kilemgwé lui-même fut tué à la
frontière avec le Mozambique, vers Mogamero. La vie de
Kilemgwé aurait pu être celle de Johnson. Toutes deux
finissent dans le sang, n'eût été le fait que Kilemgwé a su
être un chef mobilisateur bien que frustré.
Son
inspiration tient justement de cette frustration qui lui
fait voir les différentes valeurs qu'il incarne .. - Voir
Shepperson, G.
& Price, The Independent African, Edinburgh,
1957. C'est pratiquement dans ce style que s'est déroulée
la révolte des Mau-Mau, dont les membres étaient
essentiellement des Kikuyu ..
3 - Colin Turnbull, The Lonely African, New York, Simon &
Schuster, Inc., 1962.
4 -
Soyinka, Wole, The Lion and the Jewel (1963), Collected
Plays II, London, OUP,
1974.

204
IV
L'AFRIQUE INITIATRICE, une nouvelle forme de la tragédie?

205
Les écrivains
britanniques
qui
évoquent
l'Afrique, nous
fascinent
grâce
à
leurs
livres,
qui
nous
livrent
le
vraisemblable, pour mieux
nous permettre de
rêver, de voyager,
mais aussi à
les écouter.
Il est
évident que
les Ngong Hills
dans OOA
et TFTT,
l'Afrique centrale
dans AOP
(peut-être les
bords de
l'Oubangui-Chari),
que
Haïlé
Sélassié
dans
RP,
ou
Delamere existent
ou ont
existé.
Mais ce
que les
auteurs en
font, c'est
une
recomposition
de leur
existence
et
de leur
essence pour les rendre édifiants.
Kayerts, Carlier,
et le
premier
gérant du
comptoir dans
AOP, Johnson
le
shizophrène
dans MJ,
sont
tombés
pour leur
manque de clairvoyance. Robin dans
TFTT et Blixen dans OOA, ont
été défaits et éjectés par une nature qu'ils n'ont pas discernée
dans ses états,
au moment
où Waugh dans
RP, vit
ce que Lévi-
Strauss appelle l'illusion
et la
désillusion du
voyage ( Voir
Lévi-Strauss, 1). Certes, les
voyages ont déçu, puisque partout
le
pionnier
s'est
senti
un
étranger.
Mais
tout
cela
qui
représente les traits de la tragédie,
dûe à l'égarement ou à la
force du destin, nous le
considérons comme un mythe. Certes les
personnages sont dépassés par la situation qu'ils subissent mais
cela ne nous empêche
pas de les voir en
scène, obéissant à des
règles et à un sens. Ils évoluent d'un début à un déroulement et
à une
fin. C'est
ce
qui permet
aux auteurs
d'organiser leur
histoire, la vie des êtres selon leur mort, leur fin. Ces divers
personnages revêtent le
visage de condamnés au
secours de qui,
personne ne peut venir. Donc,
il n'y a pas d'héroïsme possible,
puisque leur sort advient au hasard de l'inattendu. Et pourtant,

206
il semble qu'il
n'y ait de rencontres
providentielles que dans
le mythe. Peut-être parce que nous dit Blixen:
«
Circomtances can have a motive force by which they bring
about events without aid of human imagination or
apprehension ... the range of experience.»
COOA, p.
327-328).
Or, lorsque Klapprott, le jeune Sud africain, est arrêté et
pris à tort pour un Allemand, Blixen voit dans l'opportunité qui
lui est
offerte
de
pouvoir participer
au
ravitaillement des
troupes, la main
de Dieu (OOA,
p.
229). C'est
dans cet esprit
que Tilly, qui reçoit un
cadeau d'anniverssaire de 25 livres au
moment même où elle nourrissait le dessein de vendre des dindons
pour acheter
un pékinois
à
Lettice, dont
les chiens
ont été
dévorés par les
siafu, fourmis
dangereuses.
(TFTT,
p. 186). A
travers de tels
personnages nous
nous donnons
le sentiment de
vivre, de souffrir
et de
jouir, mais en
songe, car l'Afrique,
l'Orient
et
l'Ouest
sont
devenus
les
premiers
mythes
de
l'Europe.
1 -
L'Afrigue. thème de l'exotisme
Méconnue jusqu'alors l'Afrique
devient un thème littéraire
qui se prête à des
descriptions poétiques, et à l'expression de
sentiments romantiques,
permettant
d'oublier la
tristesse, la
hantise de
la mort
et d'accroître le
désir d'évasion.
(Voir
Hoxie; Street, 2). Par la suite, la littérature exotique renonce
dans la mesure du possible à l'idéalisation et à la recherche du

207
merveilleux, pour décrire
les pays ou les
monuments et évoquer
une civilisation
étrangère. Ainsi
non
contents de
décrire le
pays étranger, son
paysage, son
climat, sa faune
et sa flore,
les romanciers
s'intéressent
aux phénomènes
humains, relevant
des faits
de
civilisation, l'étrangeté
des
coutumes, faisant
revivre
le
mode
d'existence
du peuple
qu'ils
visitent.
De
tempérament lyrique,
ils sont
incités à découvrir
partout des
symboles,
des
rites
compliqués,
ridicules
aux
yeux
des
européens. Or, avec la
colonisation, ce fut la
fin du mythe de
la conquête, c'est à
dire le début de
la tragédie surtout avec
l'ombre de la guerre et
de la destruction massive. ( Voir Bloom,
3).
Tout
se
charge
de
souvenirs,
et
la
contemplation
de
l'Afrique déclenche la
méditation du
raconteur d'histoires. La
nostalgie des émigrants esthètes
tels que Blixen, Cary, Conrad,
Huxley, Waugh, leur impose
de dire toute
la vérité, en faisant
d'eux des missionnaires sociaux, puisque la géographie entière a
changé, depuis que
l'émigrant a foulé
des pieds le
sol de ses
rêves. Il
ne
s'agit
plus
même si
l'écrivain
le
pouvait de
s'intéresser seulement à tout ce qui est enigmatique, bizarre et
inconnu dans l'aspect
extérieur des
Africains, le pittoresque,
mais aussi à leur
propre état d'âme.
Tous parlent parce qu'ils
ont quelque chose
à dire, quelque
chose qui leur
pèse qui les
empêche
d'endormir
leur
conscience.
Et
dans
cet
état
les
écrivains britanniques,
se
mettent
en devoir
de
dénoncer la
situation coloniale,
et
leur
propre
incongruité
en Afrique,
particulièrement
anglophone,
comme
le
fait André
Gide
qui,
envoyé en mission
sociologique sur le
continent Africain, sera
forcé de
noter
chaque
détail
de la
réalité
cruelle
qui se
déroulait sous ses yeux
et qui finissait par
le hanter, en lui

208
faisant oublier les objectifs premiers
de son séjour Africain (
Voir Gide, 4).
Ce qui
veut
dire
que
très
souvent
l'écrivain
peut en
arriver à
la situation
du remords qu'éprouve
tout Britannique
face à des circonstances d'un héroïsme impossible. Comment peut-
on être héroïque
dans une situation d'injustice,
de torture ou
de dictature, ou encore s'estimer victorieux sans combat?
De même
il
peut arriver
aussi que
l'écrivain
oublie le
décor qu'il vient
de peindre, évoque pour
lui-même une période
précise du
passé
(OOA) dont
il regrette
la
disparition. Des
pensées mélancoliques
l'assaillent et
il songe à
la fragilité
des actes
humains (AOP).
Ce qui paraissait
impérissable s'est
dégradé ou a disparu.
Leur anéantissement provoque un sentiment
de résignation devant un monde jugé trop sévère (RE), dont il ne
peut s'envoler que par
l'esprit (Voir
Kristeva, 5). Le mérite
héroïque de
ces écrivains
est
que leur
art insuffle
sens et
fonction là

il y
avait auparavant
désordre,
confusion et
danger dans
leurs mondes.
L'Afrique, de
ce fait
acquiert une
signification, dans la juxtaposition de la civilisation et de la
sauvagerie, selon
les
moyens
qu'exige
la
suppression
de la
dernière. Aussi, les écrits pour la plupart se sont acharnés sur
la violence
et l'irrationnalité
des
coutumes indigènes
- par
exemple les
coutumes
funéraires Kikuyu,
l'appauvrissement des
jeunes par les vieux à
travers les Kyama - tribunaux populaires
coutumiers - les actes
de sorcellerie, les tribunaux coutumiers
supplantés par
la
justice
Blanche
qui
condamne
sans réelle
réparation dans le cas de OOA. Puis
ils se sont acharnés sur la
situation
coloniale
et
impérialiste,
comme
faisant
toutes
parties du
même
complexe
de
violence
et
de
sauvagerie par

209
exemple dans RP de Waugh, après qu'ils se soient intéréssés à la.
regression personnelle des émigrés blancs.
C'est à ce titre que
Conrad
"loue"
les
coutumes
primitives
en
les
contrastant
positivement avec celles
de la civilisation
tout en maintenant
une distinction nette entre barbare et civilisé. C'est pourquoi,
les héros blancs pénètrent l'obscurité en tant que représentants
de
la
civilisation.
Kayerts
dans
AOP,
est
technicien
des
communications. N'eût
été
pour
marier
sa
fille,
Kayerts ne
descendrait pas
dans
ce
trou perdu
de
la
jungle africaine.
Carlier a fait
partie d'une
armée moderne;
mais, s'il n'avait
pas été un
bon-à-rien, il n'aurait
pas été exilé
dans ce même
endroit que Kayerts
par son
beau-frère qui n'a
pu lui trouver
mieux.
Presque
toutes
les
motivations
tournent
autour
de
l'intérêt
économique
individuel,
que
les
individus
veulent
maintenir. De ce
fait,
l'Afrique
devient le
lieu indiqué pour
l'enfer sur terre
où il
faut plonger ses
pionniers. En outre,
Conrad ne dément la mythologie
de l'Afrique obscure, qui survit
au moins à Bunyan ou à Haggard
Voir Brantlinger, 6). Et c'est
pourquoi à leur tour,
Kayerts et Carlier irradient l'obscurité,
puisqu'ils n'ont pas
la force de caractère
des aristocrates de
la renaissance
pastorale,
pour
pouvoir
s'en
retourner
à la
lumière.
Ce
qui
signifie
qu'en
tant
que
conquérants,
les
écrivains Britanniques, partent pour de nouveaux mondes et forts
de cette conviction. Ils veulent
comprendre et parler de ce qui
arriverait dans
un nouveau
monde.
Ce qui
veut dire
que leur
conquète de l'Afrique
se voulait, rationnelle. Mais
la peur de
la mort
est présente
dans
la psychose
de
la maladie,
de la
faillite
Voir
Charles, 7).
Etant donné
qu'ils
sont héros,
c'est néanmois une
part de
l'homme, sa
fragilité, sa crainte,

210
son angoisse
et son
désespoir, qui se
manifestent et
qui les
poussent à vouloir dire. Par exemple, dans OOA Blixen décrit les
nombreuses aptitudes
de Kamante,
en
insistant sur
ses images
positives"
It
is
a
moving thing
to
work
together
with a
demon ... " (OOA, p.p42).
De ce
fait, Kamante
est une exception
dans le
milieu indigène
en raison
de son
habilété et
de ses
capacités
intellectuelles,
mais
pour
cela la
narratrice
le
trouve incongru en
Afrique. A
la fin,
son
attitude éclipse le
fait que les bonnes images soient souvent aussi pernicieuses que
celles qui sont ouvertement
dégradantes. De même lorsque Blixen
parle de "People
who expect
Natives to
jump to
where we are"
(OOA, p.252), ces
images procurent ainsi
une façade bourgeoise
de paternalisme, une
sorte de
racisme plus
subtil. C'est pour
dire
que
l'indigène
en
Kamante
accède ra
certes
à
la
civilisation,
mais
pourra-t-il
jamais
rattraper
la
Grande
Bretagne,
d'autant
plus
que
l'évolution
et
sa
fin
sont
incertaines?
Finalement, l'héroïsme ici
reviendrait à
parler de toutes
les situations dans lesquelles
la différence est transformée en
altérité, est exploitée ou
pénalisée par et
pour le pouvoir.
(
Voir Bhabha, 8).
Dans ces conditions, l'héroïsme
se rapporte à
la position
économique, militaire,
politique et
culturelle de
domination du pionnier en Afrique.
Cette situation
remonte au
moins à
l'âge des
voyages de
découverte. C'est
pour dire
que l'Occident s'est
construit sa
propre image au
même titre que
celle de celui
au détriment de
qui elle
a été
élaborée,
sauvage ou
Cannibale, dans
la même
optique qu'un phallocentriste, qui se
flatte de sa propre image
devant la femme perçue comme un manque ( Voir à ce sujet, stam &

211
Spencer, 9).
Cependant
au
niveau
de la
langue,
ce
qui est
héroïque,
donc
moderne,
c'est
la transcription
possible
du
poétique fabuleux
en prose
rationnelle, puisque le
mythe lui,
renverse les contraintes, nous permet
de nous mettre en lui, de
nous accrocher à nos
élus, et de
cristalliser nos troubles sur
les
figures
de
notre
choix.
Peu
importe
la
vérité
ou
l'exactitude puisque la
seule vraisemblance nous
suffit à être
envoûtés
(
Voir
Wesley;
Ricardou, 10).
Il
suffit
que
ces
personnages puissent remplir leurs rôles.
Les choses,
les caractères
des
acteurs, leurs
vertus et
leurs vices,
ressemblent
à ce
que nous
voulons
savoir, tout
comme leurs
amours,
et
leurs
jalousies.
Les
écrivains nous
donnent
le
sens
de
la
création
dans
l'acte
même
qu'ils
construisent des mondes à partir d'une Afrique, que chacun d'eux
s'approprie à sa façon.
En effet,
en
période de
crise, quand
nous
nous sentons
pauvres ou
désemparés,
nous
avons
besoin
de
croire
en des
valeurs. Or, ces dernières, nous les trouvons dans les images et
les mots.
Aussi,
tout se
passe
comme si
nous
n'avions plus
besoin de héros, mais
simplement d'individus dans lesquels nous
reconnaître ou avec lesquels nous mesurer. Mais dans les oeuvres
de Conrad, Cary, Blixen, Huxley ou Waugh,
l'atmosphère est celle
de la mort, de l'échec des gens qui subissent leur sort. C'est à
croire que cela répond à une idéologie qui fait de l'Afrique, un
piège à rats,
un gouffre,
ou un
monstre contre
lequel nul ne
peut rien. Huxley fait dire à un de ses personnages que:
«
It is a cruel country that will take the heart out of
your breast and grind i t into powder, powdered stone.»
( ~, p.268).

212
Et ce, pendant que Carlier s'écrie:
«There's nothing but slave-dealers in that cursed
country.»( AOP,p. 75).
Les
exemples
foisonnent
que
ce
soit
dans
la
vision
chaotique de Waugh, ou dans
le ton apocalyptique du Waziri. Par
exemple, lorsque Johnson prétend que:
«
l
left my work on the road, that's aIl»
( MJ, p. 206)
et que le Waziri lui réplique que:
«You don't know what can happen in this world, Johnson»
( MJ:, p. 221).
Tous ces jugements
qualifient le fatalisme
dans leur vie.
Partant, l'Afrique dans
ces oeuvres, est un
piège infernal qui
n'admet aucun héros, mais des
victimes pour lesquelles, nous ne
pouvons éprouver que de la
compassion, de la pitié. Mais n'est-
ce pas
ce mythe
qui
nous fait
vivre
par procuration
? Nous
posons les
hypothèses, et
c'est
au récit
de nous
faire voir
comment les personnages
trouvent une
issue là où
le réel nous
déplaît et
nous
décourage.
(Voir
Thibeaudau,
Il).
Or, les
récits ne nous donnent
que des anecdotes
et des épisodes, dont
nous prenons souvent les
séquences pour l'oeuvre toute entière,
en nous
accrochant aux
détails isolés,
tant ils
possèdent un
pouvoir d'évocation infini. Aussi, c'est
là que nous ne pouvons
échapper à Dieu.
De même,
c'est là
que nous
oublions que les

213
aventures des personnages nous font
croire que notre vie à nous
est aussi valable que leur destinée. Ainsi, comment pouvons-nous
nous empêcher
de
voir en
Blixen, Robin,
Johnson,
Kayerts et
Carlier, des personnages qui payent
leurs écarts d'une façon ou
d'une autre,
tout
comme
Waugh d'ailleurs
(
Voir
Hall, 12),
puisque tout écart mérite réparation, et que toute transgression
peut être un saut dans le
vide de l'abîme. Cependant, tout ceci
semble
se
passer
à
l'insu
du
personnage,
du
héraut
de
l'Occident, qui insatisfait de l'immédiat se construit un monde,
un refuge.
C'est pourquoi,
plus
loin nous
recevons l'Afrique
comme une terre de désolation, de violence politique, criminelle
en raison de l'inconduite, des rivalités cyniques et malicieuses
entre autochtones et entre
représentants de pays éclairés. Mais
il s'agit aussi de l'art humoristique de Waugh.
2 - L'humour de Waugh
En effet, lorsque Waugh nous déclare qu'il serait Arménien,
qu'il n'aurait
pas
à
subir
le
conditionnement
qui
lui ont
prescrit certains préjugés:«
... 1 read about
in the novels 1
sometimes obtain at bookstalls
for short railway journeys; that
1 shall be ill at ease with nine out of every ten people 1 meet;
that
1
shall
always
find
something
startling
and
rather
abhorrent in the things most other people think worth doing, and
something puzzling
in
their
standadrs of
importance;
that 1
shall
probably
be
increasiçngly,
rather
than
decreasingly,
vulnerable to thez inevitable
minor disasters and injustices of

214
life - then l comfort myself
a little by thinking that perhaps,
if l were
an Armenien l
should find things
easier»
(RP 85;),
c'est pour
nous suggérer
le poids
de l'opinion
publique, des
conventions, l'importance du
désir de paraître et
les excès de
l'imagination britannique. De
même, en plus
de l'ironisation (
Voir Booth;
Wilde;
Muecke,
13) sur
les
notions
d'images de
l'être et du paraître, de l'information, Waugh semble renoncer à
la religion, dans la mesure où systématiquement il fait affirmer
au
Professeur
le
suivisme
pernicieux des
indigènes
en
ces
termes:
«
Twenty or thirty baboons of both sexes and aIl ages
were huddled up in the shade ( ... )
' I t is a common thing to find sacred monkeys in
monasteries' ... »(p. 58).
Ce rejet de la religion s'inscrit dans la satire sociale de
RP. Pour honorer la
visite du narrateur
et de l'américain, les
moines se
plient
corps
et
âmes pour
leur
confort.
Mais le
sacrifice du
sang
d'une bête
ouvre
la
voie à
la
dérive du
narrateur. Il chausse ses lunettes
de suspicieux, et s'occupe à
dénoncer la perversion de
la religion oubliant que l'Abyssinie,
pays libre
a
aussi
droit
à sa
liberté
de
confession comme
l'Angleterre après la
Réforme. La raison en
est qu'il projette
la Grande Bretagne sur ce pays.
La satire porte sur l'image du singe,
juxtaposée à celle du
moine, pour évoquer
la notion
de singérie ou
de mimétisme. Vu
sous cet angle, le moine ne fait qu'imiter sans comprendre, sans
savoir ce qu'il y a au fond
de la croyance. C'est d'ailleurs ce
que suggèree le
jeu de
mots entre 'monks'
et 'monkeys' vivant
tous
deux
dans
le
monastère.
Donc,
les
moines
sont
des
imposteurs, eux
aussi, dans
la mesure
où ils
prétendent être

215
pieux. Pour mettre
l'accent sur leur
fourberie,
le chroniqueur.
entreprend d'interpréter le choix de ces derniers, de lui offrir
un
caprin,
par
rapport
à
l'apparence
physique
de
l'abuna,
responsable du monastère. Waugh nous raconte que:
«
We suggested sorne eggs, but were told that the y had
none.
They urged the goat strongly. Meat is a rare luxury in
a feast.»
(p. 62).
Ainsi,
les
moines
prennent
avantage de
la
visite
des
étrangers pour satisfaire à leur envie de bombance. Et ce, parce
que
la
viande
est
rationnée
en
raison
de
la
rarété
des
événements exceptionnels. Alors, ils attendent beaucoup de cette
visite comme les
enfants s'attendent à
beaucoup manger pendant
les fêtes.
En effet, la visite d'un étranger peut être aussi une
fête, car
la visite
faite à
un hôte
est signe
d'honneur, en
Afrique. Le sens de l'hospitalité donne
une allure de fête à la
visite. Dans ce cas,
l'élan des moines est
motivé par la bonne
impression qu'ils
voudraient faire
sur les étrangers,
en leur
offrant ce
qu'ils
ont
de meilleur.
Or,
si
l'intention vaut
l'acte, le
fait de
porter à la
dérision les
religieux serait
synonyme du
refus de
la religion
elle-même, ne
serait-ce que
sous sa forme professée par des évangélistes finauds.
En tout cas, la
structuration du rejet
de la religion par
Waugh se précise dans la représentation de l'abuna dont le texte
nous dit:
«
He looked enormous in the tiny lighti the shadow from
his great turban seemed to fill the whole tent.
( ... )
Everything was first carried to the abuna for his approval,
then to us.»
(p.63-64).

216
Le personnage
austère,
que
devrait être
le
"abuna", se
revèle n'avoir
pas
été affecté
par la
vie
d'abstinences. Au
contraire,
il
semble
jouir
fastueusement.
Ainsi,
avec
le
changement dans
le
temps,
il
prend
une autre
forme
dans la
vision du reporter. Mais n'eût-été le sarcasme de ce dernier,
il
y aurait de quoi se méprendre sur sa représentation de la notion
d'ordr~ du monastère, et le pouvoir influent de l'"abuna", qui y
règne en maître. Or
même dans cette optique, il
y a encore une
repoussée de la religion.
En effet, la
tête du monastère est
un intermédiaire entre
les moines et leur Dieu. Mais
il y a usurpation et détournement
de rôle.
Et ce,
parce
que l'homme
est
devenu une
espèce de
divinité pour les autres:
il est devenu
une figure, une idole.
En plus, la religion est pervertie dans la pratique cérémoniale,
comme nous pouvons le remarquer dans les propos suivants:
«
Many of the monks were crippled or deformed in sorne way;
presumably they were pilgrims who had originally come to
the spring in the hope of a cure, and had become absorbed
into the life of the place ... non-christian sects of the
East.»
(p. 67).
Aussi, plutôt
que
de
se
sentir
proche
de
ce
type de
célébration catholique, le portraitiste
se sent étranger face à
ce qui ressemble
aux us d'une
secte orientale ou
à ceux d'une
secte secrète. Ce qui veut dire que ce christianisme est entâché
de pratiques païennes. Donc, il
est fait de diabolisation et de
divinisation, comparé au christianisme en Occident. De même, les
moines sont des hommes différents de la règle.
En effet, les
moines sont
handicapés ou
malformés. Et le
monastère devient
pour
eux
un abri,
une
retraite
contre le

217
monde, perçu comme un
lieu de corruption et
de tous les vices.
Or, à ce niveau,
s'exprime encore une fois
la vertu comique de
l'auteur, qui
qualifie
les
moines de
pelérins,
assoiffés de
Dieu. En allant chercher à lui
confier leurs maux, ils ont fini
par y prendre goût et à se
consacrer entièrement à lui. Mais le
fait de
juxtaposer ce
tableau à
celui de
l'africanisation du
rituel chrétien, nous donne
une vision terrible de l'aliénation
et des indigènes,
et des Britanniques,
devant une reproduction
qui n'est
intelligible
à
aucun
d'eux.
Ainsi,
Remote People
relève volontiers
les incongruités
dans les
comportements des
hommes: l'ignorance prétentieuse des
hommes, mais aussi le vide
de leur
pensée
camouflé
sous
des mots.
Tel
est
le
cas du
professeur w.. Il devient de ce fait, ridicule.
A un autre niveau
de l'incarnation de
la notion d'être et
du paraître, se trouve le professeur américain que l'observateur
dans-RE scrute sous toutes
les lumières comme s ' i l avait décidé
de l'épier, de douter de lui. Dans ses actes et son discours, il
y a
des
écarts
énormes
comme
nous
le
signifie
le passage
suivant, bien qu'une personne soit une suite d'états instables:
«
'Look', he would say with purest Boston intonation ...
basket aIl day.
( ... )
But this wordly good sense was a mere mask over the
essentially mystical nature of the professor mind,
... »(p.55).
Le professeur américain porte
un masque que le chroniqueur
lui arrache, en dénonçant sa
tromperie à l'égard des indigènes,
en retour de grâces et des services
dont il a bénéficié de leur
part. Il leur fait croire que l'eau dont il a rempli les vielles
bouteilles de
Vichy,
est bénite.
La mascarade
vient
du fait
qu'un instant plus tard, il
feint de s'intéresser à la profonde

218
culture éthiopienne,
en se
disant capable d'étudier
toute une
journée le caractère des abyssiniens, réflété dans le panier que
porte une
femme sur
la tête.
Plus encore
l'américain prétend
préférer cette Afrique-là
à celle des couronnes
et des canons,
l'Afrique
corrompue
par
l'Occident,
oubliant
sa
propre
mystification des indigènes.
Par ailleurs si
une corbeille est
creuse et
ne
permet
pas toujours
de
transporter
de grandes
quantités de choses,
peut-être est-ce à dessein
pour ce peuple
qui se contente de ce qui lui
est tout juste nécessaire. Ce qui
justifierait
les
moyens
de
transports
américains
pour
transporter
l'excédant
vers
l'Amérique
ou
les
industries
britanniques. D'autre part, à propos,
du premier, s'il est vrai
qu'il représente la
culture éthiopienne c'est
que cela découle
d'une observation
scientifique
et sociale,
donc
en principe,
devrait être libéré de tout à priori. Ce qui n'est pas le cas du
spécialiste américain, qui sait
d'avance le temps qu'il passera
et ce qu'il
trouvera dans
cette étude.
Il circoncrit l'objet.
Finalement,
pourquoi
s'assigner
la
mission
d'analyser
une
corbeille toute une journée tandis que le producteur est tout en
face et
peut
être
interrogé?
De
quel point
de
vue
et en
direction
de
qui
se
fera
cet
examen,
d'autant
plus
que
l'Occident introduit une innovation dans l'Afrique profonde tout
en voulant la préserver ?
L'américain manifeste une
volonté de changement
et tout à
la fois
un
attachement
au
passé, une
volonté
peut
être de
civiliser l'indigène tout en
le préférant authentique. D'où son
dépouillement
laconique
par
l'orateur
de--EE,
qui
le
voit
incapable de concilier idéal et action pratique.

219
Le professeur,
représentant
de
l'esprit
américain, sous
l'éclairage du
descripteur,
se
revèle
être
un opportuniste,
disposé à
tirer
profit de
tout.
C'est
ce qui
nous
vaut le
passage humoristique suivant:
«
Caravans of mules where coming into the town laden with
skins. Professor W. saluted them with bows andblessings;
the hillmen answered him with blank stares or broad
incredulous grins. A few, more sophisticated than their
companions, bellowed,
'Baksheeshl' Professor W. shook his
head sadly and remarked that the people were already
getting spoiled by foreign intrusion.»
(p. 56).
Le ridicule figure dans
le fait que
le professeur fait la
révérence devant
la cargaison
de peaux
destinées à
la vente,
donc à
la
capitalisation, de
même que
dans
son comportement
théatral, sa
parodie
des
usages
de
salutation
de certaines
populations locales sans savoir lesquelles et sans s'être assuré
de la
receptivité.
La satire
porte sur
son
comportement par
devers le business, où il oublie ses scrupules et se montre tout
nu dans sa personnalité.
Ses pensées et
ses sentiments ne sont
pas
en
accord
avec
son
comportement,
comme
l'atteste
la
situation
paradoxale
de
sa
présence,
son
contact
avec
le
primitif et son regret
de l'ouverture du
primitif sur le monde
extérieur. Ce que
nous pouvons retenir devant
cette myriade de
représentations, c'est qu'elles changent selon les circonstances
du cadrage et du preneur de vue, ou de ses intentions. En outre,
c'est
ce
que
nous
signifie clairement
le
communicateur
de
l'ensemble de la situation lorsqu'il affirme:
«One need not explore any deep political causes for a
plausible explanation. Addis Ababa is not a place where
great diplomatic reputations are easily won, and the
potentates of the Foreign Office do not keep any very keen
scrutiny to see how their cadets are shaping in the rare
altitude ... Who could blame these officiaIs if occasionally
there crept into the dispatches phrases tending to estimate

220
with sorne generosity the importance of the land of their
exile? Is Abyssinia not the source of the Blue Nile? May
there be vast mineraI wealth in those unprospected hills?
unsprospected hills.»
(p. 13).
Les tenants
du
pouvoir sont
en
dessous du
seuil
de la
gloire en
Abyssinie,
car
ce
n'est
pas
l'endroit
rêvé pour
s'éléver dans les
sphères ambitieuses de la
prospérité. Le ton
est tragique lorsque le narrateur nous livre l'état des intérêts
et des
perspectives
diverses, et
des attentes
que
l'on peut
faire de cet endroit au monde. C'est un lieu de spéculations, de
rêves osés, et de laxisme. Seul le temps, le futur enfantera des
promesses que se font les
immigrés et les puissances européens,
s'ils osaient le
regarder en face
et y croire.
Et pour cause,
cette terre
est déjà
ouverte sur l'industrie
touristique, sur
les manifestations artistiques et culturelles pour amuser l'oeil
étranger. Le reporter nous dit en substance que:
«
We waited our turn to go ashore with sorne anxiety. The
coolies droned dismally up and down the unstable planks;
the little boys in the water cried for francs, or appeared
shivering on deck, offering to amuse us by jumping back
again: guns on shore boomed the salutes as the Government
launch fetched each delegation turn.»
(p. 15).
N'est-ce pas faire preuve
d'ingéniosité que d'en arriver à
reconnaître
et
à
entretenir
les
besoins
exotiques
et
de
nouveauté des
européens?
Ou n'est-ce
pas une
invite
à bâtir
ensemble?
C'est ainsi,
l'occasion pour
l'auteur d'imiter
le parler
emphatique et creux du
professeur américain: «'Look', he would
say with purest Boston intonation, ... »
(RE, p.55), de même que
le parler
incorrect
du
chauffeur
indigène:
«
'Nous sommes
perdus?'
asked
the
professor.
'Ça
n'a
pas
d'importance',
replied the
driver,
lighting a
cigarette.»
(RE,
p.
57). Le

221
parler de ce dernier
est donc comique.
Mais comme chez Huxley,.
il n'est
pas aisé
de
différencier l'ironie
et la
satire, le
comique voulu
et
l'humour voilé.
Mais nous
pouvons
dire que
l'ironie se
manifeste dans
une
duplicité du
sens et
dans un
dédoublement
du
point
de
vue.
Aussi
le
récit
devient
l'instrument privilégié de l'exploration de l'entre-deux, c'est-
à-dire les
zones
limites
à
la frontière
du
familier
et de
l'étrange,
du
réel
et
de l'irréel.
Mais
cette
exploration
débouche sur la révélation inattendue d'une vérité par une sorte
d'épiphanie dans
des
circonstances qui
à
priori n'auguraient
rien de semblable.
Tel est
encore le
cas, lorsque Waugh
décrit la
scène du
bar. Lui
et ses
compagnons y
attendent longtemps
le service.
Puis ils
reçoivent ce
qu'ils
n'ont pas
commandé, et
en sont
immédiatement débarassés
avant
toute dégustation
«
A waiter
carne and
said,
'Any
more
orders for
drinks
before closing
time?', We sa id we had had nothing yet
'Time, if you please'.
l was back in the centre of
the Empire
»
(p. 183-184). Il en
est de même dans la description de Menelik.
En effet, lui-même
musulman, son
royaume est
sous la loi
musulmane alors qu'il
compte aussi bien des
chrétiens, que des
anthropophages, des mal
nourris et
des animistes«
He was no
longer merely king of the Christian, Arnharic highlanders, he was
emperor of
a great
territory embracing in
the west
the black
pagan
Shankallas,
in
the
east
the
nomad
anthropophagous
Danakils, in
the
south-east
the
Ogaden
desert
inhabited by
Somalis, and in the south the
great belt of cultivate land held
by the
Mohammedan Gallas .... irnrnediately
at its foots
lies the
territory
of
the
wretched
Guratchi,
the
despised,
ill-

222
conditioned people . . . . »
(p.
23). Somme toute,
Waugh voyait le
tragique de la
vie, de l'amour,
et de
la mort, mais
il ne se
privait pas de recueillir leurs aspects ridicules, comme Huxley.
Comme Huxley, Waugh
veut faire son
autobiographie. Or, ce
qui les distingue, c'est le fait
que Waugh ne fasse pas recours
à un souvenir d'enfance,
mais à sa mission
de reporter lors du
couronnement du
Négus. Son
roman est plus
vraisemblable, plus
historique, en
ce sens
que beaucoup d'événements
peuvent être
vérifiés, puisqu'il les consignait par
écirt au fur et à mesure
qu'ils survenaient. C'est pourquoi à
la fin du reportage, Waugh
nous rapporte que:
«
Why, Evelyn, where have you been ? l haven't seen you
about anywhere for days.»
(p. 183).
Ce qui signifie que c'est
parce que Waugh s'appuie sur des
faits réels,
qu'il peut
d'ailleurs tourner les
personnages et
les faits en ridicule ou en
comédie. Ainsi dans le reportage de
RP, l'auteur se fait l'inquisiteur, le vérificateur des rapports
humains sur le
continent Africain. Partant, Waugh
nous fait un
recueil d'histoires de vie.
Or, à le lire,
nous ne pouvons pas
nous
laisser
aller
à
nos habitudes
de
commentaires,
avant
d'avoir tenté de justifier son intention explicite.
3 - La narration dans Remote People
En effet,
le roman
Remote People comporte
cinq chapitres
juxtaposés. Le
premier
porte
sur
l'empire
éthiopien
et son
histoire générale (
p. 9-85),
soit 5 chapitres.
Tout de suite

223
après, Waugh nous
fait part
de son premier
cauchemar après sa
découverte de l'Afrique (p.
89-94). Ensuite, dans la troisième
section,
vient
un
traité
sur
l'empire
britannique
sur
4
chapitres
(
p.
97-164).
Enfin, il
nous
fait
part
de
ses
révélations grâce à deux chapitres
qu'il a nommés deuxième ( p.
167-180) et troisième ( p. 183-184) cauchemars. Or, la masse des
scènes, les
conversations intermédiaires,
la juxtaposition des
lieux, les
digressions
finissent
par
nous
faire
oublier la
construction de l'oeuvre.
Narrativement, tous les récits
du personnage sont encadrés
par deux extases de méditation ou d'observation: d'abord, sur le
pont du bâteau
qui conduisait
Waugh en
Abyssinie, et ensuite,
l'ambiance
britannique
qu'il
retrouve
dans
un
restaurant
londonien. Ainsi, de
manière schématique, une
fois débarqué en
sol éthiopien, il
se détache de
la masse pour
entrer dans les
profondeurs du pays. Là, il retrouve les années, les mondes, les
personnages de Burton, de Rimbaud ou de Gide. Mais le tout n'est
pas
encore
précis.
Puis,
nous
entrons
avec
lui
dans
les
entrailles du pays,
comme dans une cathédrale.
Sur les vitraux
de cette
basilique, nous
lisons l'aventure
du conteur
et les
vices
humains.
Ensuite,
nous
nous enfonçons
dans
l'isoloir
obscur du confessional. Là, le
temps devient le couronnement du
jugement dernier «
l was back in
the centre of the Empire, and
in the spot where, at the moment,
'everyone' was going .... Why go
abroad? Just see
England first.
Just watch
London knock spots'
off the Dark
Continent.»
(p. 184).
En fait,
c'est celui de
l'enfer retrouvé. Or, un
élu - le romancier
- répond à l'appel
du dénouement du mystère, de
toutes les vies évoquées durant le
temps du roman: c'est un
monde souterrain et diabolique. Ainsi,

224
Waugh a suivi un plan
en rédigeant les différentes parties, les
divers chapitres et les séquences variées de son journal, au fil
de ses découvertes, de sa progression dans le noir. Or, certains
éléments datent
des
préparatifs de
l'intrânisation
du Négus.
D'autres remontent
à l'atmosphère
de guerre italo-éthiopienne,
ou d'avant
ou
d'après. D'autres
enfin suggèrent
la
nuit des
temps.
Dans
cette
perspective,
Waugh
n'ignorait
pas
raisonnablement, les évènements
qui allaient
survenir en 1936,
en les écrivant.
Waugh semble
être
pris de
panique devant
la
montée des
extrémismes. Il
voit
venir
le
danger, mais
il
ne
peut que
s'étaler comme le crapaud
qui court au devant
des phares de la
voiture, après la pluie. Mais
il l'évoque dignement en essayant
d'en rire, n'ayant d'autre
pouvoir que celui de
la plume et de
l'encre. De la sorte,
la grandeur tragique
du sujet est accrue
par le mélange de dérision comique et de lyrisme héroïque face à
la destinée mondiale. Son univers est une barque à la dérive.
En effet, de la Grande
Bretagne à Marseille, puis au Congo
en passant
par
toute
la
région
orientale
de
l'Afrique, se
profile
une
toile
de
fond volontairement
imprécise,

se
dessine peu
à
peu
son
vaisseau
naufragé,
en
dépit
de son
information par
des
actions
historiques
telles
que Stanley,
Livingstone,
ou
Burton.
Or,
c'est
en
tant
qu'aventurier,
s'inspirant d'autres aventuriers qu'il navigue à vue ( Voir à ce
sujet, la
biographie de
Livingstone
par Ransford,
14). C'est
dans ce cadre que
se déplaçant vers le
monastère, il admet que
lui et ses compagnons se sont perdus, et fait dire au professeur
que:

225
«We shall never find the road until daylight. We may be
going miles out of our way. It is dangerous and futile. We
had for better spend the night
here and go back at dawn.»
(p.69).
Les expressions telles
que "find the road",
"going out of
our way" par leur cohésion, l'extrême densité des images et leur
unité exceptionnelle, font
ressortir le
contraste permanent où
s'opposent les allégories
de la mort
-
"spend the
night" - et
celles de la naissance à une vie nouvelle -
" go back at dawn" -
à travers
l'obscurité et
la lumière.
Cette démarche
dans RP,
caractérise les
types
de transformations
que
l'imaginaire de
l'enfant chez l'homme
subit face à son
univers. C'est pourquoi
le nombre
de
thèmes contenus
dans--RE est
tel,
qu'un volume
entier
suffirait
à
peine
pour
les
énumérer.
Mais
un
échantillonnage sélectif, nous donne une vision du pouvoir et de
la
violence,
de
l'être
et
du
paraître,
de
la
notion
de
pélérinage, de l'histoire.
Ainsi RP est-il surtout le reflet de l'information et de la
propagande dans
les
années
trente. En
s'interrogeant
sur ce
qu'est l'information,
l'action de
mettre quelqu'un
au courant
des évènements, le narrateur dénonce
les habitudes et les modes
de tout un système. Or, dans tout
ce complexe, la rumeur et les
bruits, qui
courent sont
très importants dans
la construction
d'évènements. Ce sont bien souvent eux, "radio cancan" ou "radio
trottoir", comme
on les
appelle en
Afrique qui
tiennent lieu
d'information. A cet
effet, il nous
montre comment s'inventent
les histoires, en se servant du steward. Il nous raconte:
«My cabin steward usually had sorne story to tell me of
daily life on the lower deck ... l
think he used to invent a

226
great deal to amuse me»(p. 10)
Le narrateur
nous
indique
la
manière
dont
se
fait la
transmission de faits réels ou
imaginaires. Waugh nous donne un
tableau de l'action
concertée et
organisée en
vue de répandre
les opinions et la manipulation. Ce faisant,
sa question porte à
la fois sur l'évènement et sur son invention: en un mot, le vrai
et le faux.
Ainsi, si les rumeurs que lui rapporte, ou que lui concocte
le steward sont destinées
à entretenir son
imagination et à le
distraire,
c'est
parce
qu'elles
ont
l'apparence
de
contes
populaires. Or, si le narrateur, qui
n'est pas allé à la source
de l'information en vient à cette conclusion, c'est parce que ce
type de renseignement semble se rapprocher de celui de la Grande
Bretagne.
A en croire le conteur, la presse de son pays se nourrit de
sensations essentiellement,
ou
de
scandales.
C'est
dans cet
esprit qu'il nous rapporte
comment les nouvelles lui reviennent
de
Grande
Bretagne
en
Abyssinie,
lui
le
professionnel
de
l'information.
A
travers
les
nombreux
télex
qui
lui
sont
adressés, il lui
est recommandé
de les confirmer
en y mettant
plus de coloration, ou de ne les infirmer qu'à condition d'avoir
des éléments nouveaux
à apporter. Mais
devant ces confidences,
c'est la désillusion
d'une jeune
personne qui
retombe de haut
après avoir nourri
de grands
desseins et
de grandes ambitions
professionnelles. Au demeurant, il nous renseigne sur ses débuts
et son. engagement dans
le monde de
la communication,
par son
voyage en Abyssinie:
«
A fortnight later l was back in London and had booked my
passage to Djibouti ... l began to boast to him of my trip.
My only anxiety was whether, as a tripper, l should be able

227
to obtain access to the more interesting ceremonies.»
(p. 11)
Ainsi, l'intrônisation du Négus
lui offre l'occasion de se
réaliser, et de
se faire
un renom. Là
il découvre l'obsession
des
hommes
pour
la
notion
d'image.
Il
nous
révèle
ses
découvertes en ces termes:
«
One of thë first discoveries l made in my new profession
was that nearly everyone in public life is obsessed by the
fear that his name will be spelled wrong. As soon as it
became known that l was a journalist - on board, and later
at Addis Ababa -
l was agin and again approached by
diffident officiaIs tendering cards with their names and
correct titles.»
(p. 12)
Les officiels
et
les
gens
soucieux
de
prestige
et de
pouvoir,
le
courtisent
en
s'assurant
que
leurs
noms
sont
correctement transmis, car ils rêvent de rentrer dans l'histoire
grâce à une image popularisée de leur nom dans la presse. Or, en
repensant la question
de l'image et du
prestige personnels, ou
encore du désir des britanniques de jouer un rôle historique, le
chroniqueur se rend compte qu'il est devenu lui-même un rôle.
En effet,
entre
le moment
où il
n'était
qu'un passager
anonyme,
et
le
moment

il
est
devenu
un
officiel
de
l'information, son statut a changé en profondeur. Dans cet aveu,
Waugh nous
suggére que
tous autant
qu'ils sont,
européens ou
africains, sont tous les
mêmes face au
pouvoir, car le pouvoir
corrompt. Il ne manque pas
alors de jeter son faisceau lumineux
sur la gabégie
qui préside lors des
cérémonies officielles, au
nom de
l'image, qui
fait
ignorer aux
autorités la
menace de
l'ordre des nations.
Plus
précisément,
les
ballets
et
les
tractations
diplomatiques des différentes
nations européennes et asiatiques

228
pour être
bien
en
cour avec
le
roi
d'Abyssinie, camouflent
l'impuissance de
la
société des
nations, et
ce
que l'auteur
appelle un désordre caractérisé. L'Abyssinie est libre. Pourtant
elle est convoitée par l'Italie,
un dessein que les politiciens
feignent d'ignorer. Ainsi, nous dit le texte:
«
Subtantial sums of public money were diverted for the
purchase of suitable gifts.»
(p.l3)
Donc le pouvoir est devenu insupportable. s ' i l s'est révélé
en Abyssinie, il a
perdu de sa force sur
le plan financier. Il
détourne l'économie de
sa mission. Donc il
crée les conditions
de
chômage
au
profit
de
bonnes
relations
diplomatiques.
Autrement dit, le
pouvoir néglige l'action
nationale en faveur
de visées expansionistes. Mais ces deux perspectives, d'ailleurs
liées, ne sont pas les seules représentatives de la situation de
crise du pouvoir, favarorable
aux extrémismes idéologiques dans
le Remote People.
C'est l'observation qui émane
de son analyse
de l'épopée du régime de Menelik.
Le
règne
de
ce
dernier
fut
terni
par
les
aventures
hasardeuses
de
Lej
Yasu.
Mais
c'est
l'occasion
pour
le
rapporteur de dénoncer
une autre
déformation de l'information,
utilisée
à
des
fins
de
manipulation
des
consciences.
Les
observations du pouvoir permettent
à Waugh, de nous transmettre
avec dextérité
la notion
d'image, de pose,
du paraître
et de
l'être. En
raison de
la
solennité de
la fête,
les indigènes
adoptent une attitude très étudiée
et adaptée à la circonstance
à
laquelle ils veulent donner toute sa dimension de sérieux, tel
que cela apparaît dans les extraits subséquents:
«Of the Abyssinians we saw very little except as grave,

229
rather stolid figures at the official receptions . . . .
insolent eyes.
( ... ) There was the venerable Ras Kassa
of a court page.»
(p.33).
Il s'agit
de
paraître
dans cette
occasion
unique, pour
donner une image de soi. Pour peu que nous laissions libre cours
à
notre
imagination,
la
première
phrase
se
revèle
fort
intéressante, en ce
sens que
les mots 'grave'
et 'stolid' qui
nous font penser
au caveau,
et la notion
de fraude, apportent
tout leur
poids
sur le
fait que
ces
représentants africains
remplissent une mission.
Ils jouent un rôle qui
a fini par submerger leur humanité,
faisant d'eux
des ombres,
derrière
tous les
accoutrements et
leurs
manières
de
circonstances.
c'est dans
cette
ambiance
protocolaire et
circonstancielle des
fêtes qu'un
indigène qui
assurait le service
d'ordre, s'acharne sur le
narrateur et ses
compagons de temps
à autre
en dépit
de leurs laissez-passers,
pour jouir
de
son
pouvoir
provisoire.
De
même,
dans cette
circonstance, l'animation
musicale
est
confiée
à
un colonel
belge et un major
Britannique. Ainsi, les missions transforment
les hommes en rôles,
en acteurs sur une
scène de théâtre. Mais
rien n'est statique en Abyssinie,
comme nous le suggère l'image
de la scène, très vite envahie par la foule des spectateurs:
«
As the last of the visitors disappeared, the people
broke trough
the soldiers, and the square became a dazzle
of white tunics and black heads.»
(p. 37).
Il nous
revient
ainsi,
qu'avec
la
fin
de
la mission,
s'achève le rôle~ donc
un retour à l'être
réel, le retour dans
la
masse
des
anonymes,
c'est-à-dire,
dans
le
désordre
et
l'indistinction.

230
C'est dans cette
optique qu'un thème
tout aussi important
est mentionné,
et
qui
est la
non
possession
d'une histoire
authentifiable abyssinienne. Plus
concrètement, c'est un peuple
qui
n'existait
pas
avant
Salomon
dont
il
revendique
la
descendance, suite à son union avec la reine Saba. D'un point de
vue non-averti, ce
peuple aurait
été parachuté
comme de nulle
part, ravivant en
notre mémoire
le titre d'une
oeuvre de Eric
Wolf, Europe and the
People without History,
et celle de Rider
Haggard, King Salomon's
Mines. Il a fallu
donc l'inscrire dans
l'histoire.
Or,
ce
début
dans l'histoire
occidentale,
donc
universelle,
signifie
aussi
l'acquisition
d'une
certaine
reconnaissance et d'une
notoriété sociale. Mais
en même temps,
il y a aussi une révélation d'éventuelles falsifications.
Ainsi, nous
apprenons que
Yasu aurait été
enturbané pour
séduire les musulmans Harar,
en jouant du
souvenir de son père
islamique. Nous retenons
ce qui
suit à
propos de
la magie de
l'image:
«
It is widely believed that he had in his last years
frankly apostatized from the Churchi his father's
Mohammedan origin added colour to this report, and proof
was supplied in the form of his portrait wearing a turban
which purported to have been taken at Harar. Many, however,
declare that this conclusive piece of evidence was
fabircated in Addis Ababa by an Armenian photographer.».
(p. 24).
L'élément d'information est
supporté par l'image, devenant
ainsi
un
montage,
un
collage
effectué
par
un
photographe
professionnel. Or,
dans ce
cas plutôt que
d'information, nous
avons une campagne
de désinformation (Voir
Pateman i Schapiro
15). La radioscopie de la
presse britannique et américaine, est
réservée à ce dessein.
Soit dit en passant,
c'est la satire de
cette même presse
britannique qui
fait l'objet
central de son

231
ouvrage, Waugh
in
Abyssinia.
Il
nous
y
révèle
les dessous
stupéfiants de l'information comme dans Remote People, lorsqu'il
s'agit de satisfaire aux exigences du public.
Ainsi, pour commencer, il nous confie amèrement:
«In Addis Ababa, for the first time,
l was able to match
the machinery of journalism working in a simplified form.»
(p. 41).
Ainsi, Fleet street,
que George Orwell a
satirisé sous le
titre de
Ministry
of Truth,
n'a
qu'un seul
objectif
qui se
définit comme suit:
«
'Getting in first with the news', and 'giving the public
what i t wants', the two dominating principles of Fleet
street, are not always reconciliable.»
(p. 40).
Or, un peu
plus loin,
le
narrateur ajoute à
propos de ce
même public que:
«
AlI he wants from Africa is something to amuse him in
the railway train to his office.»
(p. 40).
La lecture du journal par
le public vise à satisfaire leur
recherche
de
la
sensation,
surtout lorsqu'elle
provient
de
contrées reculées,
d'un
monde
très éloigné
de
son quotidien
immédiat. Or, cela ne
va pas sans poser un
dilemme à la presse
soucieuse de faire un
chiffre d'affaires et qui
veut tout à la
fois rester fidèle à sa
déontologie, sa vocation de communiquer
la connaissance. C'est
en quelque
sorte ce que
nous confie le
narrateur lorsqu'il dit que:
« I t seems to me a prig is someone who judges people by his
own, rather than their, standards; criticism only becomes
useful when i t can show people where their own principles
are in conflict. It is perfectlt natural that the cheaper

232
newspapers should aim at entertainment rather than
instruction . . . .
'If adog bites a man, that's nothingi if a
man bites a dog, that's news'.
( ... )
Events in a newspaper become amusing and thrilling
just in so far as they are given credence as historical
facts.»
(p. 40)
Si le
public
est
en
mal
de
sensation,
de
choses qui
l'éloignent de
son
quotidien, c'est
parce qu'il
vit
dans un
monde qui manque de
romantisme et de
poésie. Or, bien souvent,
il dispose
de ces
faits à portée
de la
main dans
son propre
entourage.
Mais
comme
le
journal peut
rendre
ces
éléments
matériels en les rapportant,
il leur confère
en même temps une
dimension d'authenticité,
de compassion,
de vraissemblance. Le
journal
joue
donc
un
rôle
d'autorité,
de
quelque
chose
d'infaillible, de
réel. Pourtant,
c'est justement là
le piège
pour l'homme de la rue.
En effet, il ne
peut plus faire la
part entre la fiction,
et
la
coordination
d'événements
interprétés en
fonction
de
l'ensemble historique, économique et social dans lequel faits se
situent, entre
l'autre et
lui.
C'est ce
qui nous
revient de
l'approche comparée du journaliste et du romancier:
«
He would deal out dramatic deaths in the royal family,
derail trains, embroil the country in civil war, and devise
savage and soluble murders.AII these things would be
profoundly exciting to the reader so long as he thought
they were true. If the y were offered to him as fiction the y
would be utterly insignificant.( And this shows the great
gulf which divides the novelist from the journaliste The
value of a novel de pends on the standards each book evolves
for itselfi incidents which have no value as news are given
any degree of importance according to their place in the
book's structure and their relation to other incidents in
the composition,
just as subdued colours attain great
intensity in certain pictures.»
(p. 41)
Ainsi, la différence entre l'écrivant et l'écrivain, serait
une question de motifs et de thèmes.
(Voir Vax, L.i p. 79). Tous

233
d'eux écrivant et écrivain, sont artistes. Comme des charlatans, .
ils
rusent
avec
la
réalité,
en
nous
installant
dans
des
cryptogrammes. C'est une situation de poésie de la rigueur, dans
laquelle ils prétendent appliquer des méthodes rigoureuses à des
données qui
ne
s'y prêtent
pas: les
histoires.
Ainsi, leurs
contes nous
installent dans
la réalité quotidienne
pour mieux
nous
entraîner
vers
le
mystère,
suscitant
une
exigence
d'explication interne, destructrice
du mystère. Les productions
de l'écrivain
et
du
journaliste sont
deux
visions
du monde
s'appuyant
sur
la
vérité
et
le
vraissernblable,
l'évidence
interne et
la
vérification
objective,
la
crédibilité
et la
qualité artistique. Donc,
leurs oeuvres se
distinguent en deux
cathégories: contes édifiants et pieux mensonges.
Puisque l'imagination
est
la
faculté
maîtresse
chez un
écrivain, c'est elle qui le rend justement suspect. Son récit se
fonde sur
un
art dramatique
et
un
art du
récit:
une sorte
d'intermédiaire
entre
vrai
et
faux, qui
nous
place
devant
l'évantail des
possibles.
Dans
ces conditions,
les
faits du
récit ne sont pas forcément
authentiques. Ceci n'est pas le cas
du journaliste, qui nous donne une vision finie du monde.
Waugh
se
satisfait
de
tout comprendre.
Le
journaliste
renforçe et exerçe ainsi
sa prétention à
lire dans les esprits
des hommes,
à
tel
point
que nous
sommes
en
droit
de nous
demander qui
du
publié,
et
des
organes
d'information, fait
l'autre dans le contexte britannique. Il semble en effet qu'il y
a un processus
d'abrutissement collectif
par la
presse, en ce
sens qu'elle agit
en dépendance
avec les désirs
du public des
lecteurs. Elle leur fabrique
ce qu'ils veulent entendre, plutôt
que de retransmettre ce qui est ou
ce qui a été,
justement pour

234
fuir l'immédiat et accéder
à des aires de
rêves. Il en résulte
une information au
rabais, si
ce n'est
pas une mésinformation
par un
système
irresponsable.
C'est ce
que
nous
suggère la
constatation satirique suivante:
«
A London office i~ too full and complicated to enable
one to form opinions on any brief acquaintance. Here l knew
most of the facts and people involved, and in the light of
this knowledge l
found the Press reports
shocking and
depressing. After aIl, there was really something there to
report that was quite new to the European public; a
succession of events of startling spectacular character,
and a system of life, in a tangle of modernism and
barbarity, European, African, and American, of definite,
individual character . . . . For instance, one newspaper
stated the emperor's banqueting-hall was decorated with
inlaid marble, ivory, and malachite. Thatis not strange to
anyone who has been into any of the cheaper London
hotels.»
(p. 41).
Aussi, ce qui est banal, vulgaire en Grande Bretagne, prend
une autre signification outre-mer. La
campagne de presse vise à
singulariser l'Afrique. Partant,
le familier
est rendu étrange
et l'étrange familier pour intéresser
le public, et vendre plus
que les
autres concurrents
(Voir
Boyce, Neuburg,
Hoggart et
Williams,
). Waugh s'aperçoit de ce que valent véritablement les
nouvelles qui
lui
parvenaient
d'Afrique dans
les
bureaux en
Grande Bretagne. Dans sa
quête de promotion
sociale, il en est
révulsé après
avoir connu
l'Afrique, inventée et
décorée pour
les besoins de la propagande et du commerce.
Par
conséquent,
en
dépit
des incidents
et
des
images
malencontreux, le narrateur de--RE peint l'Abyssinie de couleurs
somptueuses, en évoquant Alice au
pays des merveilles, à la fin
du premier
chapitre
et au
début
du
second. Il
nous
dit en
substance que:
«
In fact i t is to Alice in Wonderland that my thoughts
recur in seeking sorne historical parrallel for life in

235
Addis Ababa. There are others: Israel in the time of Saul,
the Scotland of Shakespeare's Macbeth ... these Ethiopian
days ?»
(p.
23).
Waugh révise le portrait de ce
pays. Or s ' i l en est ainsi,
c'est
parce
qu'il
est
captivé
par
ce
lieu
aux
couleurs
changeantes.
Pour
commencer,
ce
qui
rend
l'Abyssinie
merveilleuse, c'est
sa
ressemblance,
sa
comparaison possible
avec le passé d'Israël au temps du Roi Saul, au 11è b. c.
( Voir
Nouveau Testament,
16). Ainsi
c'est l'homme historien
qui est
séduit par l'action qui
se déroule sous ses yeux,
et qui lui a
été rapportée
pour les
faits antécédents.
De même,
une autre
justification de son envoûtement par
ce pays, consiste dans son
assimilation possible
avec l'Ecosse
sous le
roi Macbeth
(Se
reporter à 17). En somme, ce qui subjugue Waugh-narrateur, c'est
la violence de l'élément destructeur dans le pouvoir, mais aussi
les intrigues du
palais, en
Abyssinie. Mais
ces phénomènes ne
sont pas inédits,
puisqu'il a fallu que
l'historien remonte le
temps
pour
pouvoir
le
prouver.
Ce
qui
est
unique,
c'est
l'emplacement géographique et le moment.
De la
radioscopie
du
règne
de
Menelik
aux agissements
politiques du Négus, pour
le maintien de
leur image de marque,
on
peut
retrouver
le
cheminement de
pouvoirs
européens
ou
orientaux à différentes
phases de leurs histoires.
Et dans ces
tractations, il y
a eu
souvent confrontation
entre le pouvoir
politique et l'institution religieuse: deux pouvoirs. Dans cette
situation, le
rôle de
la mère
a souvent
été crucial
dans la
reconnaissance du roi-héritier.
D'autres
manifestations
du
pouvoir
destructeur,
se
reflètent dans le travail forcé, tantôt par sanction, tantôt par
un dirigisme visionnaire. Dans ces
conditions, le pouvoir et le

236
sang ont vite fait de s'allier, car ils sont aussi enivrants que
le
désir
sexuel.
Tous
deux
se
complètent
ou
deviennent
l'aboutissement l'un de l'autre,
comme le constate le narrateur
de Remote People:
«
The coronation festivities, were thus the final move in
a long and well-planned strategy. still maintaining his
double ruff of trumping at home with prestige abroad,
abroad with his prestige at home, Tafari had two main
motives behind the display. He wished to impress on
his European visitors that Ethiopia was no mere
agglomeration of barbarous tribes open to foreign
exploitation, but a powerful, organized, modern state.»
(p.25-26).
Ainsi, le
sang
versé
ou
le
pouvoir
se
célèbrent pour
consacrer l'homme. D'où la cérémonie rituelle au profit de Haïlé
Sélassié rapproché du pouvoir absolu,
face aux nations du monde
et face
à
son
propre
peuple, mystifié
par
le
concours des
nations modernes. Un passage du roman nous apprend que:
«
The disconcertingly eager response of the civilized
Powers gave good col our to this pretension.' We did not
think so much of Tafari', remarked the servant one
Englishman,
'until we learned that your king was sending
his own son to the coronation'.»
(p.26).
Par
leur
participation
les
délégations
européennes
renforçent la puissance du Négus, et son image de marque au sein
de son peuple. Or pour
ce peuple, le pouvoir signifiait travail
forcé
et
dictature,
s'appuyant
sur
un
fanatisme
ou
une
mystification de type religieux grâce à la légende de Salomon.
Le Négus quant à lui,
se sert de la
religion pour se donner un
aspect
de
saint
mystique,
et
de
l'armée
pour
faire
sa
démonstration de
force. C'est
ce
qui permet
la juxtaposition
dans le même tableau, de deux
images: celle de la protection et

237
celle du retranchement:
celle de
l'église - le
spirituel - et
celle des forces armées -
la représsion manuelle:
«
Their Majesties had spent the night in vigil, surrounded
inside the cathedral by clergy, and outside by troops: when
they entered the tent i t was from behind the curtains by
means of a side door leading directly from the cathedral.»
(p.39
)
Il ressort que
sur toute la
ligne, le Négus
est dans une
situation inconfortable par rapport à
Dieu, et en relation avec
le pouvoir des hommes. Il a volé
sa place, donc a menti à tous,
y compris lui-même.
Sa situation est celle
d'un d'homme traqué
sur terre et piégé par le monde
de l'au-délà. C'est ce qui nous
donne l'image de son refuge dans la foi, et derrière la crainte.
Ce qui veut
dire que ce
qui caractérise le
pouvoir, c'est son
action polymorphe.
Mais tout
tend à
le renforcer,
comme nous
pouvons
le
déduire
de
la
tendance
à
faire
observer
les
règlements, de la
police aux aguêts
pour surprendre l'intimité
des citoyens. En réalité, le
pouvoir permet au narrateur de RP,
d'examiner l'obsession de l 'entre-deux-guerres:
la menace de la
liberté et
de
la
destruction.
C'est
ainsi
que
le
sort du
successeur de Menelik
légitime la lui fait
signifier à travers
ces mots:
«
People do not really speak of him, for the whole country
is policed with spies, but more than one European who
enjoyed the confidence of his servants told me that the
name is still greatly respected among the lower orders. He
has through his mother, the true blood blood of Menelik.»
(p. 24).
L'administration et le mode d'action du Négus, sont ceux de
régimes
ménacés,
puisqu'ils
ne
sont
régis
par
aucune
constitution. Alors, il renforce
son pouvoir, en quelque sorte,
usurpé, usurpé pour n'avoir
pas été désigné
par le roi défunt,

238
et
semble-t-il,
n'étant
pas
de
sa
déscendance
légitime.
L'extrait suivant est assez convaincant à ce propos:
«
There was no constitution in Ethiopia.The succession was
determined in theory by royal proclamation, in practice by
bloodshed. Menelik had left no legitimate children.»
(p. 24).
Partant, dans
une
jungle,
sans
loi,
sans organisation,
celui qui
arrive
à
s'imposer s'affiche
donc
comme
un héros
sanguinaire, face
à qui,
rien ne peut
résister. C'est
ce qui
explique
le
fait
que
les
autochtones
traditionalistes,
se
contentent de porter
leur respect
en secret
au vrai héritier.
Pourtant, il est déchu du
pouvoir, remplacé par un empereur qui
a été
imposé par
le conseil
secret de
la cour
impériale. Ce
monde est un
univers démentiel
régi par
des déséquilibrés. si
Waugh en parle, c'est parce que cette situation le domine. Il en
est tellement stupéfait qu'il ne peut que se demander:
«
Why aIl this fuss ... towards a mere native.»
(p. 13).
Ce qui
veut
dire
que
les pouvoirs
se
résignent
et se
préoccupent à acquérir, à s'entourer
de sYmboles, et à
jouir du
présent
comme
ils
peuvent.
Or,
dans
la
recherche
de
la
jouissance
figure
le
goût
prononcé
pour
l'art,
signe
de
bourgeoisie. Ainsi, le texte nous confie à ce propos que:
«
l was in Ireland, staying in a house, where chinoiserie
and victorian Gothie contend for mastery over a Georgian
structure.»
(p. 11)
Trois mouvements se
retrouvent dans
une seule habitation,
faisant
d'elle,
la
conjonction
de
près
de
trois
siècles
d'histoire et d'esthétique (Voir
note 18). Mais en faisant cas

239
de
cette
imagination,
l'auteur
nous
transmet
le
goût.
sophistiqué, et surchargé d'une période.
Ce goût est marqué par
un grand exotisme, et tout à la fois un attachement au passé. En
réalité, il
réhabilite,
rappelle le
passé de
sa
patrie, qui
devrait regarder
devant
elle
après
s'être
inspirée d'autres
nations.
Implicitement,
ce
qui
se
profile,
c'est
la
relativisation des valeurs et des opinions, à travers ce passage
qui illustre les différents points
de vue par rapport au ballet
diplomatique, les
différents personnages
représentés. Partant,
les
représentations
de
l'écrivain
suivant les
contextes
se
multiplient. Mais,
outre
le pouvoir
et ses
méandres,
ce qui
fascine le narrateur de--RE, c'est la
vie elle-même en Ethiopie
et l'environnement.
En effet, la
particularité de cet
environnement, c'est sa
folie,
son
imprédictibilité,
son
insaisissabilité,
son
infinitude, comme nous le signifie la déclaration suivante:
«In Addis Ababa everything was haphazard ... »
(p.49).
Ainsi, la vie en
Abyssinie est aléatoire,
car tout peut y
arriver, et
son
contraire.
C'est
ce
qui
fait
sa puissance
enchanteresse. On y vit
comme on jouerait
à la roulotte russe.
Dans ce monde étrange, et si proche, s ' i l y a danger, on peut le
prévoir. Et s'il
y a
accalmie de violence
ou de
trève, on ne
sait pas
quel en
est
le fondement.
Donc, l'atmosphère
de ce
monde
chaotique,
imprescritible
émane
d'une
inspiration
conradienne, surtout en raison du décor.
C'est le cas par
exemple, de la
colonne de fumée derrière
les eucalyptus, et des tam-tams qui
battent au loin sans que le
reporter puisse en
donner la localisation
exacte. La situation

240
est semblable
à celle
de
Kayerts et
de
Carlier dans
AOP de
Conrad, où de
leur clairière, ils se
sentent diminués, menacés
et envahis par
une immensité
qui semble leur
en vouloir. Tout
comme ces derniers, Waugh se sent
envoûté par cette vie dont il
ne sait rien, et qui l'oblige à se replier sur lui-même, pour se
comprendre et expliquer son univers.
Mais il ne peut qu'essayer
d'en rire
et
de se
faire
une
raison, car
c'est
un univers
fantastique, vide
et chargé
de puissance à
la fois,
comme le
résultat de faux-semblants.
4 - Une âme assoiffée d'un pieu vivant
Dans ce monde, Waugh
est nulle part
et quelque part comme
le vaisseau de Noé. Le texte l'exprime en ces signes:
«
1 awoke as we stopped ... undulations of grasse
( ... )
The boy was dispatched,
like the dove from Noah's ark, to
find direction in the void.
( ... ) Meanwhile three native
women appeared from nowhere, peering at us from under straw
sunshades.»
(p.57)
Le décor est féérique, puisque dans ce vide immense, vivent
des hommes, qui comme sortis de terre surprennent le voyageur en
lui.
C'est
le
même
sentiment
qu'il
nous
donne
dans
la
description des Gallas (p. 20). Vu de cet angle, l'indigène fait
parti du décor
naturel avec lequel
il se confond.
Donc il est
chez lui à l'aise,
tandis que le narrateur
itinérant, est à la
quête d'une direction,
d'une destination comme
l'arche de Noé,
qui à la suite du déluge, attendait une terre d'élection.

241
En effet,
Waugh va
s'abreuver à la
source. Alors,
il se
refère religieusement
à
Noah.
De plus,
son
voyage
prend un
aspect de conte
merveilleux. Ainsi,
parti du
plateau de Addis
Abéba, il se retrouve sur une colline en apparence déserte, puis
sur
une
pente
abrupte.
Or,
ces
variations
géométriques,
succèdent au sommeil du narrateur comme dans cet autre constat:
«
When l next woke, the landscape had changed
dramatically.
( ... ) Prof essor W. was clearly already enchanted by the
sanctity of the place»
(p. 58).
Au fur
et à
mesure de sa
progression, le
paysage change
vers le haut
et vers le
bas, pour finalement
se revéler comme
pur et
sanctifié
par une
certaine présence
divine.
c'est du
reste la conviction du personnage américain:
«
It was a stiff climb; the sun was still strong and the
stones aIl radiated a fierce heat.
'1 think, perhaps, we
ought to take off our hats'; said the professor,'we are on
very holy ground'.»
(p. 61).
Concrètement, cette progression
procède en
dents de scie.
Il s'agit d'une quête spirituelle, d'un chemin de croix. Et dans
ce fragment de texte,
le
pélérinage signifie un renversement de
mouvements, dans la mesure où l'ascension s'oppose à la déscente
lors de l'entrée dans les zones
saintes. Ainsi, tout au long du
chapitre, les
références
fantastiques
abondent
avec
des
expressions telles que:
«
On our way we passed a place where overhanging cliffs
formed shallow cave ( ... )
At last we reached the spring, which fell in a pretty
cascade ( ... )
As we turned back, our armenians and a monk met us
with message from the abuna-should they kill a sheep, a
goat, or a calf for our dinner ?»
(p. 62).

242
Ou encore des mots tels que:
«
It was now nearly sunset».
Le conte a une forme
rituelle grâce aux nombreux obstacles
à braver:
par exemple,
la colline, suivie
de la
vallée, elle
aussi relayée à
son tour par
l'eau, le soleil,
les montées et
les déscentes. Et pour conclure,
elle se ferme sur l'offrande à
payer en sacrifiant un bouc-émissaire. Or, tout sacrifice vise à
contrebalancer, à
rééquilibrer. Mais
en
ces lieux
saints, le
sang sera versé aux
mânes, ou aux dieux tandis
que la chair de
la carcasse fera le
festin des ouailles.
Ce rite nous rappelle
le sacrifice
d'Abraham
offert
à Dieu,
ou
la
célébration du
Christ qui
offre son
sang pour sauver
les hommes.
Le pouvoir
encore une fois serait celui de la
mort, mais aussi celui de la
vie. Le pouvoir
politique et l'institution
religieuse sont des
homonymes s'exprimant dans
deux sphères différentes
et par des
voies souvent inconciliables. Or, tous deux sont pouvoir et plus
on a de pouvoir, plus on en
veut. C'est ce qui fait dire que le
pouvoir corrompt. C'est ainsi
que l'état de désorganisation qui
définit le
vaste
royaume
de Menelik,
se
justifie
aussi par
l'inconciliabilité de la politique et de la pratique religieuse.
Très souvent,
l'option
facile pour
les indigènes
va
vers le
refuge dans la
religion contre
la jungle.
Pour ce
qui est de
l'impératice Zauditu, la situation se resume comme suit:
«
By right of Menelik's blood, the second daughter reigned
as the Empress Zauditu, but her religious duties occupied
more of her attention than the routine of gouvernment.»
(p. 24-25).

243
Sa
préférence
pour
la
foi
religieuse,
autorise
la
conspiration
des
prétendants
illégitimes
au
trône,
qui
déléguèrent le Négus au pouvoir, peut-être par phallocentrisme.
Ainsi,le traducteur des faits nous raconte que:
«
Addis Ababa is a new town; so new,
indeed, that not a
single piece of i t appears to be really finished.»
(p.23-24).
Donc si Addis Abeba se
dévoile sous les traits d'une ville
inachévée, d'un
perpétuel chantier
permanent, c'est
en raison
d'abord, des rivalités entre les détenteurs de l'autorité ( Voir
Mudimbe, 19)
ensuite,
des
affrontements entre
l'homme
et la
nature, mais surtout entre des hommes individuels. Ainsi, tandis
que certains construisent,
d'autres détruisent.
C'est de cette
façon que Waugh énonce la stratégie de Menelik.
Pour le
contrôle du
pouvoir, il a
délocalisé le
site du
couronnement des rois. Donc il
a pris ses distances par rapport
à la
tradition.
Non
seulement, il
restreignait
l'emprise du
cercle de certains puissants de l'ombre, mais aussi, il étendait
son contrôle territorial,
en apportant sous
sa juridiction les
groupes ethniques en désaccord. En centralisant son autorité, il
abolit ainsi la division
en soumettant tout
le monde, en dépit
de
toute
catégorie
sociale.
Cependant
les
catégorisations
sociales dans Remote People existent
comme dans ~ de Huxley,
ou OOA de Blixen.
Nous y avons
les mêmes frontières et
les mêmes phénomènes
d'ethnicité tels
qu'ils
apparaissent
chez
Huxley
et Blixen.
Ainsi, le narrateur
de BE
nous dépeint
la géographie sociale.
Les Amharic sont
des chrétiens montagnards.
Les Shankallas eux
vivent à l'Ouest du
pays et sont aussi noirs
et impies que les

244
Kikuyu tels que nous
les fait voir Farah dans
OOA de Blixen. A
l'Est du
pays, vivent
les Danakils peints
sous les
signes de
nomades et
de
Cannibales,
comme les
peuples
comparés
à des
hyènes dans AOP de Conrad, ou
encore les Kikuyu dans OOA, selon
les Masai. Les Somali
y habitent le Sud-Est,
dans le désert de
l'Ogaden. Ensuite nous sommes renseignés
sur les Gallas, au Sud
du pays, islamisés et vivant de l'agriculture, surtout à Hawash.
Or, à cet aspect de cosmopolitisme du pays, qui caractérise
aussi bien le royaume
de Menelik que le
Kenya, il faut ajouter
d'autres
classifications
sociales
fondées
sur la
caste,
et
l'ethnie. Ainsi, les Guratchi, sont considérés comme occupant le
bas de l'échelle. Maudit peuple, il
ne leur est réservé que les
sales bésognes,
les
travaux
jugés
avilissants
pour "l'homme
digne". Et comme par hasard, ils
vivent au pied de la montagne.
Les Guratchi y constituent un réservoir de main d'oeuvre pour la
ville.
En
fait,
tout
cela
fait
partie
d'un
processus
de
transition pour une Afrique
qui se cherche.
Ce faisant, elle a
donné naissance à des rivalités entre les indigènes, des notions
de statut et
de rôle,
de pouvoir
et d'autorité.
(Voir ce que
Mitchell appelle "the
development of
the African bourgeoisie",
20).
L'auteur de--RE examine
de fond
en comble
les différents
aspects de la
vie abyssinienne.
Sur le plan
culturel, il nous
indique
qu'un
vendeur
d'objets
d'art
ne
s'empêche
pas
de
réactualiser
ses
oeuvres
avec
des
touches
insolites.
En
l'occurrence nous apprenons que:
«
There is one shop of interest near the bank,
... for
ecclesiastical decoration.
( ... ). His chief concern is to
ring the old patterns up to date, and this he does
irrespective of historical propriety, by the introduction

245
of topics, aeroplanes, and bombs
in English taste.»
(p. 30).
Or, il n'est pas donné à
tout le monde d'être artiste dans
la communauté, en raison
de la division
sociale du travail. En
effet, l'art comprend un aspect religieux, rituel en ce sens que
l'artiste peut tenir son élection
des dieux, mais aussi il peut
la tenir de sa
famille. L'artiste est
un médiateur entre l'ici
et l'au-délà
comme on
peut le voir
dans certaines
oeuvres de
Soyinka ou de Achebe. Il a un pouvoir magique qui fait de lui un
être extraordinaire.
Il est
un
être visionnaire,
puisque ces
motifs d'avion et de bombes
préludent à l'invasion italienne de
l'Abyssinie. Mais dans RP, sa mission est pervertie.
En effet
il s'est
posé
en commerçant
professionnel, qui
produit des
oeuvres pour
l'oeil étranger.
Or, ce
faisant,
il
risque d'hypothèquer ou
de détourner l'histoire,
en y ajoutant
des éléments et des évènements
de différentes époques. Cet art,
par ses
motifs principaux
au goût
du sang
comme inspiration,
c'est-à-dire la guerre
et la modernisation
des armes n'échappe
pas à l'oeil de l'historien.
Si elles retiennent l'attention de
Waugh,
c'est
parce
que
ces
altérations,
volontaires
ou
innocentes font
de
ces
objets d'art,
des
pièces originales,
curieuses. Elles
satisfont
au
goût
anglais,
et
évoquent le
courant artistique
Pré-Raphaelite.(Voir
les études
sur l'art,
21).
En
somme,
c'est
l'expression
d'un
idéal
de
beauté
correspondant
à
un
moment
donné,
grâce
à
l'association
d'éléments résultant de l'activité sensorielle et de la mémoire,
d'un homme, d'un peuple. C'est fort de cette assignation que les
hommes ont inventé les musées si l'on en croit le narrateur:

246
«
There was the opening of a museum of souvenirs,
containing examples of native craftmanship, the crown
captured by General Napier at Magdala and returned by the
Victoria Museum, and huge, hollow stone which an Abyssinian
saint had worn as a hat.»
(p. 48).
Ces mémoires
matérialisées avec
le
temps prennent
de la
valeur monétaire
d'où
leur
trafic souvent
illicite
comme en
témoigne le passage précédent. A
la fois,
il y a reconnaissance
du primitif, sa prise en compte alors qu'il était question de le
supprimer. L'auteur nous renseigne sur la façon dont l'Abyssinie
grâce à
la
coopération
avec
le
monde
des
arts britannique
reprend possession de
quelques témoignages
de sa civilisation.
Par sa
contribution le
musée
londonien empêche
l'évasion des
pièces du puzzle historique et
culturel éthiopien, à qui il est
accordé une
dignité. Donc,
il y
a découverte,
acceptation de
l'autre, mais cela ne va pas
sans condition. ( Voir la visite au
monastère). Aussi,
de
découverte
en découverte,
le
voyage à
l'intérieur du
pays, devient
un
parcours initiatique
pour le
communicateur en
proie au
doute, à
la reconsidération
de ses
rites d'adolescent chrétien face aux pratiques mystérieuses d'un
lieu étrange. Waugh est à la recherche de son Dieu. (Voir l'étude
de Gallagher, 22). Il nous raconte que:
«
At Debra Lebanos, l
suddenly saw the classical basilica
and open altar ... magical infections from the conquered
barbarian.»
(p. 68).
C'est
le
combat
dialectique
entre
la
lumière
et
l'obscurité, entre la
raison et la superstition,
le sauvage et
le
civilisé,
le
dominateur
et
le
dominé.
Mais
Waugh
est
conscient du fait que la conquête
de l'autre par soi, est aussi
la conquête de soi par l'autre.

247
Au moment

il
faut
travailler
pour
sortir
du sous-
développement, c'est
là que
les
indigènes choisissent
la vie
oisive. Pour
illustrer la
nécéssité
de construire,
le porte-
parole nous donne une image du mou, du visqueux et du gluant. Il
nous décrit
le
pourri, et
tout
à la
fois
l'inadéquation du
modèle européen en
Afrique. C'est
ce que nous
déduisons de la
lecture de ce passage:
«We bumped and rocked ... through pools of steaming mud .
... These, in the European quarter, were mostly built on
the same plan as the hotel, arcaded and decaying ... a birck
or two, toppling from the coping, splashed into the mud
below.»
(16 ).
Le
modèle
européen
de
construction
ne
résiste
pas
à
l'action du temps, en raison du site d'expérimentation. N'est-ce
pas tout simplement pour réhausser l'image chaotique du pays, ou
le narrateur ne suggère-t-il
pas une vision
de la damnation de
ce lieu?
C'est l'impression
qui se
dégage
des conclusions
que le
portraitiste tire de ses ouvrages de reférences sur l'Abyssinie.
Il écrit:
«
There are good reasons for not travelling at night;
...
into spear-heads.
( . . . )
We passed in the darkness the intolerable desolation ... at
dawn.»
(p.17-18).
L'environnement est abominable.
Rien ne peut
y réussir en
raison des
calamités naturelles
et aussi
à cause
du désordre
produit par
les
autochtones
dans leur
attitude
face
à leur
milieu. La nature s'acharne sur les efforts des hommes à travers
Ise
pluies
et
au
même
moment
les
indigènes
sabotent
les

248
réalisations dse civilisateurs, en
s'appropriant le fer pour se
fabriquer
des
armes.
Ainsi
à
la
construction
s'oppose
la
destruction,
à
cause
de
l'indiscipline des
indigènes,
leur
esprit martial, et en raison de leur ignorance de la technologie
et
de
l'innovation.
Donc,
primitivisme,
bellicisme
et
ingéniosité
de
destruction
sont
les
alliés
de
cette
chaotisation, et les causes directes de l'anéantisssement par la
violence dans le monde.
C'est le dessin
d'un champ de bataille
après les troubles qui se montre à nos yeux.
En
effet,
Waugh
profite
du
concert
naïf
des
nations
occidentales qui
se
sont
donnée comme
objectif
de
faire la
promotion morale
des
peuples inférieurs,
pour
dénoncer leurs
agissements réels
qui consistent
à
transférer leurs
vices en
Afrique tout particulièrement dans les affaires militaires:
«
Hardly had the blood congealed on Gougsa's mangled
corpse ... national army.»
(p. 21).
Il
dénonce
la
centralisation
de
la
violence,
sous
l'organisation de combattants formés
après le modèle des armées
modernes, pour en faire des appareils de destruction efficace et
rationnelle. Le détournement de la mission de civilisation prend
tout son poids, lorsque nous juxtaposons
ce passage à la fin du
premier chapitre
où nous
pouvons lire
qu'à la
célébration du
couronnement du Negus:
«
Instead, the street is full of Abyssinians arriving from
the country on mules ... fortnight has begun.»
(p.22).
Aussi,
plutôt
que
de
moderniser
et
d'améliorer
les
conditions matérielles de
vie des indigènes, il
semble y avoir

249
une conspiration du
mal, une culmination de
la bétise humaine.
Ainsi, à côté de la
coopération militaire, le commun des natifs
est en
marge
des
affaires publiques,
car
elles
ignorent la
dignité humaine, dans la mesure où elles tolèrent que des hommes
assujetissent
d'autres
hommes.
Plutôt
que
d'oeuvrer
à
la
production vivrière
la
présence britannique
en
Afrique s'est
transformée en
un monde
de paperasserie. Le
paradoxe consiste
dans le
fait qu'il
y ait tant
de travail
administratif quand
rien de
palpable
n'est
concret
sur
le
terrain
et
que des
atrocités se
perpétuent
avec
succès au
moment
où d'honnêtes
entrepreneurs,
chasseurs
de
fortune
échouent lamentablement.
N'est-ce pas le désenchantement du
narrateur qui nous fait voir
la
violence
et
le
bellicisme
des
indigènes
comme
étant
entretenus par
le pouvoir
britannique,
d'autant plus
que les
armes qu'ils portent sont souvent mal assorties aux munitions?
Cela s'entend car
lorsqu'un changement radical intervient,
dans le domaine
idéologique, dans les valeurs
et les prémisses
généralement admises, peu importe la qualité des observations et
explications de détail:
elles sont
balayées en
même temps que
les principes qu'elles impliquent. Ce
qui
est
remarquable
,
c'est que
le pouvoir
central
fait usage
de la
violence pour
pacifier ou décourager les agressions. Le pouvoir central semble
revendiquer
le
monopole
de
la formule
de
la
violence,
en
pratiquant la
loi de
la sharia,
sur un
peuple religieusement
cosmopolite. La violence est une image du pouvoir pour dissuader
les rebellions, et tout à
la fois pour prouver sa détermination
face à l'étranger.
En dépit
des mutilations
des coupables, le
service public de télécommunications est resté défaillant. Donc,
c'est une
violence
gratuite.
Ce
sera
l'opportunité
pour le

250
narrateur de nous donner une autre dimension du fouillis dans le
fragment suivant:
«
From now until Hawash, where we arrived at sundown, the
line ran ... hour upon hour.»
(p.19-20).
c'est la représentation d'une
terre désolante au regard de
la sècheresse
et
du désert
qui
inondent le
pays.
C'est une
vision à la T.S.Eliot
dans The Waste
Land, que
Waugh a lu et
admiré. Cette
vision
terrible
du
paysage
semble
destinée à
renforcer l'image héroïque du
narrateur, petit protagoniste qui
réalise des exploits face à
un environnement immense et hostile
qui, cependant attend
un geste de
sa part pour
lui donner une
autre allure. Dans cette optique, nous pouvons lire que:
«
Behind us, as far as we could see, the country was
utterly desolate;
... fresh and vital.»
(p.74).
Le paysage est désertique, nu, accidenté et plein à la fois
en raison de sa
végétation. Le décor alterne
entre vide plat ,
hauteurs et flore. En suivant
le parcours du conteur, nous nous
apercevons qu'il va dans
un univers peuplé qui
se meuble peu à
peu au fur et à mesure dans le réel géographique. Mais il semble
être à la recherche
d'un sens, d'un
but intérieur à atteindre.
Il est comme
un adolescent qui
veut vieillir pour
jouir de la
vie sans
devenir
responsable. Or,
cela
ne se
fera
pas sans
maturation. Mais il
se trouve que
derrière lui il
n'y a rien,
c'est
le
néant.
Donc
il est
sans
contexte,
c'est
à
dire
inconsistant comme un
mirage, un
rêve merveilleux.
Mais il se
peut qu'il ait voulu
croire qu'il n'y avait
rien, qu'il en ait

251
décidé ainsi, ou encore
que ce rien
qualifiait l'absence de ce·
qu'il comptait rencontrer. Dans tous les cas, dans la thématique
dévéloppée par--RE,
le narrateur nous
initie aux
embarras du
continent, dont le
paysage est
hostile à
l'homme blanc. C'est
l'objet du tableau qui est nous peint dans les lignes suivantes:
«
••. l was reluctant to fall back on Abyssinian food.
Together we persuaded the prof essor to attempt the
journey, ... intensely hot.»
(p.67).
Les routes
sont
dangereuses
et peu
sûres,
à
cause des
maraudeurs et
des
fauves en
divagation. Or,
ces
fléaux sont
perçus par illumination
et par rumeur propagée.
En réalité, le
conteur est en proie à des démons qui le hantent au fond de lui-
même devant un monde qui lui est
étranger et qui n'est pas plus
sécurisant que l'autre. Comme un
aveugle ou un malade mental il
cherche
son
chemin.
Du
reste,
c'est
ce
qu'il
insinue
à
l'occasion d'une
escale
dans
la
plaine où
ils
se
font par
l'obscurité:
«
We shall never find the road until daylight. We may be
going miles out of our way.
It is dangerous and futile.»
(p.69).
L'éclairage
du
véhicule
reste
impuissant
à
dissiper
l'obscurité dans laquelle ils se sont engouffrés. La science n'a
pas rendu
les hommes
plus sûrs.Dans ce
milieu sans
repère et
non-familier, il ne leur reste que la solution de la navigation.
Cette navigation serait synonyme
d'errance, l'errance d'une âme
en peine
à la
recherche d'un
asile accueillant,
le nomadisme
d'un campeur dans une
zone nouvelle, un nulle
part. De l'un ou
de l'autre, ni l'un ni l'autre n'ose aller trop loin, ne sachant
quelle surprise
lui
réserve
l'inconnu. C'est
pour
dire qu'à

252
travers cet
état de
choses se
profile le
poids du
passé sur
l'expérience
immédiate,
la
culture
et
le
présent
du
communicateur. Le passé est
maîtrisé et peut
ne pas faire peur
puisqu'il est passé. Aussi,
nul ne peut
échapper au seul passé
qu'il connaisse, en ce
sens qu'il est
source de savoirs acquis
finis; de
même,
c'est
par
rapport à
ce
passé
que
l'on se
projette dans
d'autres dimensions
de la
vie, par
exemple~ le
futur. Or, ici, ce futur
est sans consistance, non fiable, tout
comme le
passé reste
irréversible.
c'est pourquoi
le passage
traîne le
goût du
désespoir
d'un monde
qui n'a
pas vraiment
évolué. Partant, débarqué dans
un pays qu'il
ne connaît pas en
terme de réel géographique, Waugh a recours à des indigènes pour
ouvrir
sa
marche
et
le
conduire
dans
les
entrailles
de
l'Abyssinie. Il nous dit que:
«
Accordingly, l set out next morning, riding a lethargic
grey mule, accompanied by a mounted Abyssinian guide who
spoke French.»
(p.72-73).
Il
lui
a
fallu
un
guide
pour
le
conduire
et
un
intermédiaire pour surmonter
le problème du
langage. Ce passge
est très important dans la
mesure où nous pouvons remarquer que
la médiation
se fait
dans
une troisième
langue qui
n'est ni
l'anglais
langue
du
narrateur,
ni
l'Abyssinien,
mais
le
français. C'est comme si c'était une invite à trouver un terrain
neutre, une façon de
voir les choses
dans leurs contextes sans
passion et de manière détachée.
C'est une question de jugement,
d'investigation et
d'orientation qui
accompagne ce
tableau de
découverte,
ponctuée
de
rappels
historiques
comme
dans
ce
passage qui évoque l'oeuvre de Burton:

253
«
There was glamour in aIl the associations of Harar, the
Arab-city-state ... Menelik.»
(p.71).
Le
narrateur
refigure
ses
souvenirs
de
lecture
et
d'histoire sur le théâtre
abyssinlen avec les fantômes d'hommes
exemplaires tels que
Burton, Rimbaud et Harry
Johnston. Et par
ce
fait,
il
se
laisse guider
par
des
idées
reçues
qu'il
transpose systématiquement au paysage qui se profile à ses yeux.
Ces idées reçues lui
reviennent sous la forme
de flashes et de
clichés tout au
long de son
journal. Le passé
s'impose à lui,
mais vraisemblablement c'est l'oeuvre de Burton qui le tient par
la main dans la re-découverte
de l'Abyssinie. Il fait un va-et-
vient continuel entre la mémoire
et l'observation comme dans le
passage subséquent:
«
Approached from Haramaya i t presents a quite different
aspect from the drawing in Burton's First Steps In
Africa ... foot of the hills.»
(p.75).
En fait, ces mots dessinent le tableau d'un visiteur qui se
déplace,
carte
en
main
en
redéfinissant
les
points,
les
indicateurs pour les
ressituer dans un
contexte nouveau: celui
de l'exploration profonde
du narrateur. C'est
une situation de
développement spirituel
et
de quête
pour Waugh,
sujet
à des
réactions imprévisibles (Voir Sykes, 23).
Dans
l'évolution
spirituelle
de
Waugh,
le
désir
d'introspection le saisit au moment où il espère se délivrer des
mots qui
lui
arrivent
de
partout. Puis,
son
style,
par sa
volonté de
précision
rend sa
personnalité
reconnaissable. Il
veut
travailler
en
artisan
sans liberté
excessive
et
sans

254
romantisme lyrique.
Ainsi le
monde qu'il décrit
peu à
peu le
décrit lui-même. Par conséquent,-RE
, est le journal d'un homme
qui organise sa destinée: c'est son Etre qu'il joue.
De ce fait,
la géographie qui se
met en place
en un plan
rigoureux, livre les réponses aux
pourquoi que les gens indécis
ou déroutés, dans le monde moderne
se posent. De ce fait, Waugh
nous donne un
sens nouveau
du monde qui
lui a
été exposé, et
dont
il
reproduit
sans
ordre préconçu
les
événements,
les
rencontres, les faits
bruts indépendamment les
uns des autres.
Or il ne peut échapper au devoir d'un narrateur qui organise son
propos. En se
posant des
questions sur
cette Abyssinie, cette
région de Burton, le narrateur en arrive au Qui suis-je Ici?
En
effet, puisqu'il
s'agit de
saisir
l'essence d'un
autre Etre,
d'une autre
entité
qu'il puisse
identifier par
rapport
à sa
propre identité,
à
sa
reconnaissance. Sa
place
devient donc
semblable à celle de The Dark Eye
In Africa, de Laurens Van der
Post, dans la littérature Sud-Africaine. Dans les mots de Sevry,
c'est une situation
où le
monde noir ne
cesse d'interroger le
Blanc sur sa propre blancheur, dès
l'instant où il essaye de se
glisser dans
la peau
de l'autre.
C'est là
qu'il en
arrive à
contester sa situation, en assumant la défense de l'autre.
Néanmoins, de toute
évidence, lorsque paraît
son livre en
1931, personne
ne semble
connaître les tournures
de ce
qui a
commencé comme
une
simple
accession
au
pouvoir
en
1922 en
Italie, suivie
d'une
annexion
de territoires,
et
qui serait
finalement l'une des crises les plus folles qui ait été, et dont
les
signes
étaient
pourtant
perceptibles:
dans
le
retard
économique,
la
crainte
de
la révolution
communiste
initiée
triomphalement en
Russie en
1917, et les
ambitions nationales

255
frustrées, si les dirigeants du
monde ne se complaisaient pas à
cette époque
dans
une
jouissance excessive,
et
l'inertie du
pouvoir pour rattraper
le temps pourri par
une première Guerre
Mondiale ( Voir Marwick, Blythe, Mowat et Seaman, note ). Ainsi,
BE comme roman,
est une
histoire d'initiation,
qui se conclue
par une
prise à
partie, d'une
part contre
l'impérialisme, et
d'autre part,
contre un
monde qu'il
juge dément
pour l'avoir
éprouvé jusqu'au plus profond de son intimité (Voir Goodin, 24).
5 - Remote People, un roman initiatique
Waugh-auteur est descendu non
dans les enfers des ténèbres
africaines, mais
dans l'obscurité,
comme Orphée
cherchant son
Eurydice (Voir,
25). Mais
quand il l'a
retrouvée contre tout
espoir parmi les ombres errantes dans la nuit de ce pays presque
surnaturel,
et
qui
en
effet
appartenait
bien
à
un
monde
mystérieux, il n'a jamais pu
revenir lorsque les portes se sont
fermées, presque
comme
le personnage
de Johnson
dans
MJ, de
Cary. Mais l'initiation
de Waugh s'achève
par une résurection,
une nouvelle
vie au
contraire de
Johnson. C'est
son aventure
spirituelle, physique,
morale qui
le conduit
à ce
constat de
l'isolement de l'initié,
symbolisé par
un repli sur
soi et un
désenchantement dans
l'obscurité de
la guerre. Donc,
c'est le
narrateur qui revient de ses aventures complètement transformé.
Ce n'est pas simplement
dû au fait
que lui, Waugh raconte
son hisoire tandis
que l'autre,
Johnson est raconté
et mis en
scène. La différence réside
aussi dans le
fait que Johnson est

256
fils du terroir, de ce
pays où il a été
formé et informé. A la
différence
de
Waugh,
qui
est
allé
voir,
et
vérifier
son
information pour se nourrir à la source des expériences, Johnson
n'a fait
que voyager
par
l'esprit. Pour
le dire
en d'autres
termes, Johnson
comme un
oeuf a voulu
rouler sur
les roches.
Comme Ezeulu,
(Voir
Achebe, 26) qui a
confondu ses aspirations
personnelles de
vengeance contre
son peuple qui
l'a abandonné
devant l'envahisseur colonial, et
les instructions de la déesse
Vlu, il est allé
trop loin. Partant, il n'a
pas vu qu'il s'est
éloigné du
groupe,
qu'il s'est
égaré, mais
surtout
qu'il ne
pouvait pas
revenir. Or,
un
arbre sans
racines est
un arbre
mort.
C'est pourquoi il ne peut
donc pas parler comme Waugh pour
qui l'Afrique est
devenu un exutoire; l'exutoire
d'un homme en
mal d'être, à en croire sa production littéraire vis-à-vis de ce
pays.
Remote
People
(1931),
Black
Mischief (1932),
Waugh
in
Abyssinia (1936),
et
Scoop
(1938)
sont
une
quadriphonie de
l'expérience de Waugh en tant que journaliste, envoyé spécial en
Afrique,
mais
aussi
de
témoignages
personnels.
Dans
cette
partition, il nous rend compte de ce
qui se fait, de ce qui lui
revient tous les jours
dans différentes contrées de l'Abyssinie

il
s'est
rendu
à
l'occasion
de
l'intrônisation
du
roi
Sélassié, et surtout de la guerre italo-Abyssinienne: un périple
qui le mène aux
confins du continent,
repassant par les traces
de personnages illustres, tels que Stanley, ou Arthur Rimbaud et
Burton.
Ainsi, les
quatre oeuvres
prises ensemble,
se présentent
comme
le
développement
ou
la simple
reproduction
l'une
de

257
l'autre tant au
niveau de
la forme,
que du
fond. Toutes sont-
présentées sous forme de
prose. Leurs contenus mettent l'accent
sur la notion du pouvoir, la vie à la ville et à la campagne, la
vie des immigrés et celle des autochtones, les enjeux politiques
et les choix d'action historique possible des uns et des autres.
Certes la
trame
de
l'action
se
situe
en
Afrique,
mais en
réalité, cette Afrique est tout
simplement une rampe qui permet
à Waugh de jeter la
pierre sur le système politique britannique
figé,
indécis, et inerte.
En effet, par rapport à la Grande Bretagne, Waugh construit
un pont transbordeur pour prendre à partie la conduite politique
occidentale, l'impérialisme américain, et les nationalismes.
Mais
en
dépit
de
l'abondance
de
caricatures
et
des
représentations de
l'Afrique et
de ses habitants,
l'oeuvre de
Waugh
a
pour
fondement
la
manipulation
de
l'arme
de
l'information, qu'il tréfile dans un style de travelling pour en
sortir les
dessous, relever
les vices et
les ridicules
de la
période de l'entre-deux-guerres.
Son ton est sarcastique,
sanguinolant car il veut choquer,
provoquer des
réactions. Ce
salmigondis
où les
bons passages
sont mêlés à d'autres dépourvus d'intérêt, charrie une idéologie
de fragmentation d'une jeunesse
en manque d'identification sans
ressources passées
et sans
perspectives
futures, qui
se sent
sacrifiée
par
un
pouvoir
de vieux,
un
pouvoir
dément
qui
l'anéantit.
Ainsi,
les
sentiments
frénétiques
de
Waugh,
à
l'image de ses congénaires, nous ont valu des oeuvres d'histoire
annale, et de faits frelatés,
peut-être pour rester fidèle à ses
intentions humoristiques, quelque soit le roman.

258
C'est au
vu de
la récurrence des
thèmes, que
nous avons
priviligié la lecture
de Remote People. Cet
ouvrage, du reste,
est plus
large
au
niveau
de
sa
couverture
géographique et
évènementielle. De
plus, elle
est la première
de la
liste de
littérature africaine de Waugh.
Nous avons tenté de nous appuyer sur la vision de l'Afrique
et de l'Africain, tout
en rattachant le
narrateur à son temps,
et à d'autres écrits,
d'autres situations, en nous questionnant
sur la
narration.
Aussi, Remote
People est
une
narration, à
l'occasion du couronnement de l'empereur "Hailé Sélassié", "Lion
Conquérant, de la tribu
de Judas, élu
de Dieu, 225è descendant
de la
reine
de
Saba".
C'est donc
une
oeuvre
de témoignage
historique,
en
ce
sens
qu'elle
s'offre
à
nous
comme
une
chronique de faits, d'incidents et d'évènements que le narrateur
a vus pour la
plupart d'entre eux. A cet
effet Waugh veut nous
présenter de manière désintéressée,
objective, les faits et les
phénomènes tels que
la vie de Rimbaud,
Hailé Sélassié lui-même
dans
un
cadre
vérifiable,
libre
de
toute
théorisation
et
d'évaluations subjectives,
tout en
allant à
la source
par le
truchement des
témoignages oraux
puiser
les éléments
dont il
nous rend compte. C'est à
ce niveau que nous pouvons considérer
le narrateur
comme un
historien honnête dans
la mesure
où il
essaye de laisser
parler les faits d'eux-mêmes.
C'est un chef-
d'oeuvre
d'évaluation
historique
présentée
sous
la
forme
autobiographique.
Mais
évaluer
cette
version
de
l'histoire
Abyssinnienne, dans la prescription des canons d'historiographie
par un reporter authentique est une autre question.
En effet, il
y a
une disparité
entre l'autobiographie et
l'historien, puisque nous
sommes dans
une situation d'histoire

259
et pseudo-histoire. Waugh
nous le signifie
d'ailleurs dans les
premières pages du
roman, quant à sa
définition de l'histoire,
de l'information en tant
que régistre désintéressé d'évènements
et
de
phénomènes
passés,
de ce
fait
témoignage
historique
authentique ( Voir Lukacsi Macherey, 27). Or, à cette précision,
ce que nous constatons, c'est que le pseudo-historien faillit de
souscrire à sa définition de l'histoire.
En
effet
Waugh
évalue
biologiquement,
psycho-
culturellement,
radicalement,
philosophiquement
et
idiosyncratiquement en prétextant son
dilèmne personnel en tant
que représentant d'un
journal Britannique et
en particulier de
l'occident, donc d'une autorité de
savoir comme nous l'avons vu
dans son art comique ( Voir Mudimbe, 28).
De plus, l'auto-examen, en
raison du risque d'imagination,
conduit à
une
investigation
minutieuse
des
races
et
à une
réponse à
l'histoire
qui
est "fictive"
(voir
Foucault, 29).
Pourtant les faits historiques
constituent la base sur laquelle
Waugh dévéloppe fictivement, répand ses théories personnelles et
ses hypothèses, donc sa subjectivité. Ce qui veut dire que Waugh
va au-delà du simple reportage et devient de ce fait un écrivain
de fiction.
Sur
ce,
nous
nous
sommes
penchés
sur quelques
passages
choisis,
qui
relèvaient
le
désaccord
entre
l'autobiographe, l'historien
de génie,
et le pseudo-historien,
conteur.
Prôner
une
distinction
entre
l'histoire et
la
pseudo-
histoire
suppose
l'existence
d'une
méthode
historique
"correcte".
Autrement
dit,
un
historien
de
génie
est
un
chroniqueur lucide, qui élimine progressivement le soi. Le récit
idéal devrait ignorer les
opinions et les préjugés susceptibles

260
d'entraver son
impartialité. Or,
qu'en
est-il de
l'oeuvre de
Waugh, et de sa relation à l'Afrique, symbolisée par l'Abyssinie
?
L'Afrique que
nous présente
Waugh est
assez excentrique.
Elle s'écarte du
centre des
représentations dans
la mesure où
elle est exutoire pour un jeune, qui
ne se retrouve pas dans la
conjoncture internationale, et qui prend son destin en main pour
revendiquer son droit. Il est aidé
en cela, par ses qualités de
professionnel de l'information.
Autrement dit,
le regard qu'il
porte sur l'Afrique n'est pas uniquement la détermination de son
environnement immédiat en Afrique, mais une confrontation de ses
acquisitions mises à
l'épreuve des réalités
telles qu'elles se
présentent à
lui.
Un
fait
à retenir
en
passant,
c'est que
l'exégète du continent africain se meut dans une situation autre
que
l'exploration
fondamentale,
même
s ' i l
démeure
dans
la
catégorie des hommes que nous avons rangés sous l'inscription de
la dérive de
l'homme traqué.
Notre décision
s'inspire du fait
qu'en Afrique, il
a trouvé l'opportunité de
l'aventure pour se
faire, et pour se libérer de ce poids qui lui écrasait le coeur,
en ce
qui concerne
la gestion
du pouvoir
et la
politique de
l'information.
Waugh part
d'un champ
étranger,
pour élaguer
ses propos
d'homme appartenant à un
temps, à une culture
et à une nation,
dans le but de réfléchir sur son nationalisme.
Pour commencer, Waugh nous situe dans son récit, l'ensemble
des circonstances dans lesquelles les évènements prennent place,
se chargent de valeurs
et de significations.
c'est à ce moment
qu'il aboutit à
un lieu
commun avec
Conrad, Cary
ou tous les
autres. D'ailleurs le
titre de
l'oeuvre - Remote
People - est

261
très éloquent
quelque
soit
l'angle de
vue
sous
lequel nous
l'appréhendons.
D'abord le
titre du
roman pose
une question
de distance
spacio-temporelle, entre l'Abyssinie
- les Abyssiniens
- et le
centre qui
est la
Grande Bretagne, de
civilisation. Serait-ce
que
pour
les
besoins
de la
cause,
que
le
titre
se
fait
circonspect? Ou serait-ce un geste
fortuit de la part de Waugh
?
Ce qui s'impose à notre
entendement, c'est que nous sommes
dans une situation qui
diffuse une confrontation d'une histoire
et d'une
mythologie.
L'histoire
serait,
le
récit d'actions,
d'évènements réels ou
imaginaires, entrant dans le
cadre de la
vie d'une humanité, d'un peuple, comme par des documents, tandis
que la mythologie concernerait la déformation et l'amplification
des
faits
historiques
et
socio-culturels
par
l'imagination
populaire, ou encore
la construction de formes
de l'esprit qui
ne repose pas
sur un fond de
réalité. Ce que
veut dire Remote
People se
revèle
comme
une
rencontre
bidimensionnelle entre
Machiavel et Méphistophélès. Ce qui s'en dégage nettement, c'est
l'ampleur avec
laquelle
Waugh
a
exploité
l'idéologie
et le
préjugé pour
masquer
son
propre
attachement
au
pouvoir, en
examinant le continent et
ses habitants,
les enjeux politiques,
économiques et le
choix d'action
historique.Waugh procède donc
par l'établissement de faits
inutiles ou d'une grande banalité,
car le
narrateur de
RP
tout comme
ses homologues
des autres
écrits, survit à son supplice. Est-ce par dérision qu'il nous en
rend compte comme si c'était des éléments nouveaux?
En tout
cas, ce
qui revient souvent,
c'est l'acharnement
des conditions climatiques qui rendent la vie onéreuse au nouvel

262
arrivant en Afrique (voir
Charles, 30).Parmi les premiers mots
du texte, nous sommes interpéllés par les signes suivants:
«
For two days of gross heat the ship had been en
fête.( ... ) on a screen that flapped restlessly in the hot
breeze;»
(p.9).
Cet endroit de
l'Afrique est
un enfer comme
le bûcher de
l'inquisition, tel qu'il
apparaît de prime
abord à l'étranger.
C'est
le
même
propos
que tient
le
narrateur
de
Waugh
In
Abyssinia, à l'occasion d'une halte à Assab il nous dit:
«
... an afternoon of burning, breathless heat, far hotter
than noon at Assab.»
(p.162).
Originaire
d'un
pays
de
grand
froid,
Waaugh
qui
probablement rêvait
de
chaleur
s'en
trouve
accablé
par son
intensité, malgré
la transition
à
Marseille. Plus
la journée
s'avance et
plus
les
conditions climatiques
se
dégradent et
deviennent inténables
pour
le
Blanc qui
vient
de débarquer.
Ainsi ce qui frappe
dans le contenu de
ces propos, c'est qu'en
dépit des cinq
années qui
séparent ces deux
récits de voyage,
rien n'a évolué en
ce qui concerne les ardeurs
de la vie. Rien
n'a pu
s'améliorer
en ce
sens.
Nous sommes
dans
un fixisme
total. Est-ce pour
densifier la vision
chaotique de l'Afrique,
que Waugh-narrateur s'obstine à redire
ces données? Ne serait-
ce pas parce
que quelque
part, il chercherait
à prouver cette
idéologie
des
deux
mondes,
deux différences
inconciliables,
c'est à dire un monde noir et un monde Blanc ?
La survie serait un exploit
pour l'un plongé dans l'autre.
Mais il se trouve
que nous n'avons qu'un seul
point de vue; et

263
c'est toujours le même épreuve;
le narrateur aurait souscrit au-
refrain de
la température
africaine, assez
singularisée, pour
confirmer la nécéssité du préconditionnement que les candidats à
l'aventure africaine
subissait (
Voir
Hammond &
Jablow, 31).
c'est dans ce cadre
que s'inscrit le
phrase suivante de Remote
People qui dit que:
«
He had no hat and the sun was at its strongest.»
(p.lO).
La chaleur se revèle être une
menace à la santé des Blancs
en
raison
des
risques
d'insolation. Cette
déclaration
nous
rappelle une anecdote
de An
Outpost Of Progress
où Kayerts se
voit encouragé à porter le casque et dissuadé de crier au risque
de
succomber
à
la
fièvre, ou
tout
simplement
à
la
folie
délirante comme Johnson
de Cary. C'est pour
dire que l'Afrique
est un personnage essentiel de l'aventure des pionniers dans les
écrits britanniques,
en raison
de son aspect
d'ensemble comme
nous l'avons vu jusqu'ici.
Par sa forme générale, l'Afrique ressemble à un no-man's
land. Or, des hommes y habitent en harmonie même semble-t-il,
peut-être parce qu'ils ont su trouver comment s'y comporter et
par quels mots lui parler. Cependant aux yeux du nouvel
arrivant, ce qui caractérise le pays, ce sont les fourmis
'siafu', les sautériaux, les maladies, la sécheresse, la
chaleur: en un mot ce qui la définit c'est le chaos. Mais Waugh
y a survécu, puisqu'il peut nous en rendre compte. Ainsi, cette
vision chaotique, éloquemment soulevée dans la remarque de
Lettice dans The Flame trees of Thika, que nous verrons
ultérieurement nous donne une idée terrible de l'Afrique comme

264
celle de planète après le déluge (voir Génèse, 6, 5-8, 14). si
le bâtisseur britannique veut croire que l'Afrique est
chaotique, c'est parce q u ' i l veut donner une raison à son
exode. C'est ainsi que le pionnier détenteur de l'esprit de
rigeur, recourt tout naturellement à la religion pour y
justifier l'inconnu et l'inattendu. C'est ce qui nous permet de
lire Out of Africa de Blixen comme une histoire d'amour.

265
Notes bibliographiques
1 - Levi-Strauss, Claude, Tristes Tropiques, Paris, Plon, 1980,
raconte sa déception née de la confrontation des récits de
voyage, et de son séjour africain, en ces termes: «Je
comprends alors la passion,
la folie,
la duperie des
récits de voyage.
Ils apportent l'illusion de ce qui
n'existe plus et qui devrait être encore, pour que nous
échappions à l'accablante évidence que 20 000 ans
d'histoire sont joués.
Il n'y a plus rien à faire:
la
civilisation n'est plus cette fleur fragile qu'on
préservait, qu'on développait à grand-peine dans quelques
coins abrités d'un terroir riche en espèces rustiques,
menaçantes sans doute par leur vivacité, mais qui
permettaient aussi de varier et de revigorer les
semis. L'humanité s'installe dans la monoculture; elle
s'apprête à produire la civilisation en masse, comme la
betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat.»
pp.
38-39.
2 - C'est ainsi que, vers le milieu du 16è siècle, les récits
de voyages créent une légende qui propage dans les milieux
intellectuels que les indigènes sont des sages qui mènent
une vie innocente et vertueuse dans des pays fortunés.
Il
se dit qu'une harmonie parfaite existe entre une nature
qénéreuse, douce et ces êtres dont le pur bon sens condamne
la civilisation occidentale frelatée.
Soit dit en passant,
les récits à cette époque sont très peu nombreux et
s'illustrent par des productions Italiennes et Portuqaises
surtout. Mais en raison du commerce florissant avec
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décrivent la structure politique en termes de rois et de
nobilité, de richesses
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oc+-
rio
1 ~
vr i ci An
.. --- -- ....,- .... --- -- .... - ...... _.... _....
romantique de l'ailleurs, voir Fairchild, Hoxie, The Noble
Savaqe: A Study in Romantic Naturalism, N.Y., Columbia
University Press, 1928. Dans la même optique,
lire street,
V.
Brian, The Savaqe in Literature: Representations of
'Primitive' Societies in Enqlish Fiction, London, RKP,
1975. Pour ce qui concerne les influences de récits de
voyaqe sur la création littéraire, se reférer à Percy, G.,
Adams, Travel Literature and the Evolution of the Novel,
Lexinqton, Kentucky University Press, 1983. -
Barbosa, D.,
The Book Of Duarte Barbosa. An Account Of The Countries
Bordering On The Indian Ocean And Their Inhabitants, by
M., L., Dames, London, Hakluyt Society, 1918, l, p.12-13.
3 - Voir Bloom, Harold, The Anxiety of Influence, N.Y., OUP,
1979. - Blythe, R., The Age of Illusions: England in the
Twenties and Thirties, London, RKP,
1983. Mais pour ce qui
du reflet de la vie sociale sur les oeuvres d'art, se
reférer à Landow, P., Georqe,
Images of Crisis: Literary
Iconology 1750 to the Present, London, RKP,
1982.

266
4 - Dans un style semblable à celui de Leiris, de Pélissier de
Waugh, Gide, A , Voyage au Congo, Paris, Gallimard,
1927.
«
30 Octobre.
Impossible de dormir. Le "Bal"* de Bambio hante ma
nuit.
Il ne me suffit pas de me dire, comme l'on fait
souvent, que les indigènes étaient plus malheureux enco~e
avant l'occ~oation des F~ancais. Nous avons assumé des
resoonsabilités envers eux auxauelles nous n/avons oas le
droit de nous soustraire. Désormais. une immense olainte
m/habite:
ie sais des choses dont ie ne nuis orendre mon
oar~l.
Ouel démon m/a ooussé en Afriaue ? Ou/allais-ie donc
che~cher dans ce oavs ? J/étais trana~liie. A orésent ie
sais:
ie dois oarle~.».
* Des indiaènes avaient été contraints de tourner en
rond.
lourdement charaés. Darce aue leur fourniture de
caoutchouc avait été iuaée ins~ffisante Dar les
fonctionnaires des ;;Saianeurs de caoutchouc li •
5 - !<:ri t.eva , J.; 1; Bakhtine.
le Dialoaue et le Roman Il.
in
Critiaues. Paris. Seuil. Avril 196ï. -
Sur la structure
carnavalesaue. voir F~ev. G.. " Svmbolische On Ironische
Modelle;;.
in Svnthese. vol.
XII. n-
2/3.
i~bU. O.LiJ.
6 -
B~antlinaer~ Patrick/ Victorians and Africans: The Genealoav
of the Mvth of thé Dark Continent in Critical Inauirv 12.
Autumn 1985, University of Chicaqo Press.
pp.166-2û3, nous
dessine la qénéaloqie de la mythification de l/Afrique.
-,1
-
l""'h;::lrl~."
_ .. _- - --1'
p..llen J Tales From the aDark Contin~nt, London,
Futura,
(19ï9!
1986. O.JU: p.
34: p.6û: pp.9û-92: op.116-
11ï. Outre ces témoiqnaqes,
l/ouvraqe de Allen Charles est
incontournaDie pour l/étude détaillée de situations
individuelles et auotidiennes de la situation coloniale, du
déoart de la Grande Bretaqne aux Indépendances africaines.
-. - Voir aussi, Wilson, p.•• , Il Evil And The Novelist Toda'!;;,
The T·istener, Jan.
1ï.
1963.
8 -
Bhabha"" Homi/ K.,u The Other Question: The Stereotyoe and
Colonial Discourse;;,
Scre~n 24
Nov-Dec 1983, pp.18-36.
9 - Robert Stam & Louise Soencer: li Colonialism, Racism and
Representation;;, Screen 24, Jan -Feb.1983, n-2, pp.2-
20.

Weslev A., Kort, aeveioppe ce thème dans Mod~rn Fiction and
Human Tim~: A sturiv in Narrative and Belier, University of
Florida Press, 1985. Voir de même Ricardou, J.,
Il
Fonction
critiquellin Théories d/Pnsemhl~
Paris, Seuil, 1968. p.251.

267
Il - Thibaudeau, J.,
Il
Le Roman comme autobiographie Il in
Théories d'Ensemble. Paris, Seuil, 1968. p.2ü5.
12 - Voir Hall, James, The Tragic Comedians: Seven Modern
British Novelists, Bloomington,
Indiana University Press,
1966. Hall va dans le même sens que McCormick, John,
Catastrophe and Imagination: An Interpretation of the
Recent English and American Novel, London, Longmans, 1957.
~j -
Liironie est assez complexe à définir mais apparaît comme
un contraste de liapparence e~ de la rea~l~é Q'un
phénomène,
liiqnorance que liapparence est juste une
apparence et de lieffet comique de cette iqnorance. Le
lecteur pourrait se référer avec profit aux oeuvres de
MUECKE, D., C., The Compass of Irony, London, Methuen,
1969. - Voir Wayne, Booth, A Rhetoric of Irony, Chicaqo
University Press, 1974. - Voir Wilde, Alan, Horizons of
Assent: Modernism, Postmodernism and the Ironie
Imagination, Baltimore, Johns Hopkins University Press,
1981.
14 - Ransford, Oliver, David Livingstone: The Dark Interior, New
York, st Martin's, 1978. Dans l'économie de ce livre,
il
apparaît que la plupart des explorateurs ont été
techniciens, des hommes de sociétés, des géomètres, des
naturalistes au service de leurs gouvernements, de
compagnies commerciales et de forces armées.Il revéla aussi
que Livingstone exagéra la beauté et la potentialité
commerciale de l'Afrique Centrale.
Il n'arrive pas à
détrôner Burton et les autres explorateurs à la recherche
des sources du Nil. Malade et affaibli,
il erra longtemps,
fut récupéré et soigné par les esclavagistes qui pensaient
que les Boers,
les Africains et les Irlandais étaient des
peuples déchus. Léomis, C., C. nous dit à cet effet que:
Il
The Livingstone who emerges, whether or not actually manie
depressive, was remarkable for a strange mixture of
aggressivity and passivity, a mixture often found in the
sort of individualistic explorers who can be called
'adventurers'. Such men are aggressive in pushing beyond
the borders of the known, burning bridges behind them; they
force issues and take chances; they are quick and ingenious
in responding to crises. Yet many have testified to an
inner passivity as weIl: they have a capacity to submit to
the current of events when necessary and,
indeed, seem to
relish doing so. There is something self-destructive about
such adventurers. They are not necessary self suicidaI, but
the y do seem to want to lose their IIs elves ll • Their
willingness to submit to forces around them, to hand
themselves over to fate, chance, destiny seems to be an
indirect proportion to their self assertive egotism."
Victorian Studies, Autumn 1979. pp.14ü-141.
15 - Schapiro, J., Michael, Language and Politics, Oxford,
Blackwell, 1984. Pateman, Trevor, Language, Truth and

268
Polititics, London, Jean Stroud, 1980.
16 -
En effet Salomon, selon l'Ancien Testament, est le
troisième roi d'Israël,
fils de David et Batsheba.
Il règna
au 10è B.C .. Durant son règne, plusieurs alliances
pacifiques étrangères virent le jour, principalement avec
la Phoenicie et l'Egypte. Le commerce et l'échanae
DroDérèrent. Le temDle de Jérusalem et de nombreux Dalaces
furent édifiés. Et Dour atteindre ses obiectifs. il imDosa
de lourdes taxes aux DODulations soumises souvent au
travail forcé. aui Drovoaua la révolte du Nord Israël. Mais
il fut renommé Dour sa saaesse léaendaire. c'est semble-t-
il au cours d'une visite aue lui rendit à Jérusalem.
la
reine de Saba (actuellement le Yemen) aue fut concut le
Dremier roi d'EthioDie. aui accéda au trône aDrès le
déluae.
Est-ce un accident si les Juifs africains connus
sous le nom de Falasha se rencontrent surtout en EthioDie.
et aue les iuifs se disent DeuDle élu de Dieu ?
s'ils n'ont Das été d'une invention humaine, et si leur
histoire commence à la fin du déluae. cela Dourrait se
"'justifier Dar l'adionction du mot lIorthodoxe il à leur
crovance. Mais les DrODOS aui eXDriment cette orthodoxie
eXDriment une toute autre nature, au reaard des autres
attributs Dernicieux dont sont affublés les Abvssiniens.-
selon l'Ancien Testament. fils de Kish.
i l fut sacré roi
Dar Samuel. et débuta son rèane Dar une arande victoire sur
les Ammonites. et Dar la suite livra de nombreuses
batailles contre les philistins. suite à un acte de
désobéissance durant la destruction Israélite des
Amalekites, saul Derdit les faveurs divines, et ses
derniers "'jours furent emDreints d'une inimitié croissante
avec David.
Il se suicida aDrès avoir été blessé et défait
Dar les philistins.
17 - Macbeth Darvint au Douvoir aDrès avoir tué Duncan 1er à la
bataille de Bothnaaowan en 1040. et fut lui-même tué Dar
Malcolm.
fils héritier du Duncan. Cet éDisode historiaue
ecossais a du reste insDiré une des Dièces célèbres de
ShakesDeare, intitulée Macbeth. C'est donc en tant que
historien. aue Dour nous dresser un tableau comDlet,
les
exemples ne lui font Das défaut, aue ce soit Dar raDDort a
Israël, à l'Ecosse ou au 18è siècle analais.
par exemDle ce
18è anqlais fut maraué Dar la dvnastie des Georae. du 1er
au 4è. de 1660 à 1830. donc un rèane qui a débordé sur le
19è étant connu comme l'éDoaue victorienne. et la Dériode
eXDansionniste. Or,
le rèqne Georaien fut maraué par des
scandales coniuqaux aui ternirent l'imaqe du trône. et la
corruDtion de la cour. Darticulièrement sous Georae l,
George III et George IV.
Nous pouvons assimiler Menelik à
George II au regard de la situation dans laquelle se
retrouve Lej Yasu,
le successeur de Menelik. Rêvant de
bâtir un empire musulman, regroupant les Harar et tous les
autres éléments de la région,
i l négligea certains côtés
pratiques tels que la foi des uns et la combativité des
autres. A la suite des tensions.
i l fut démis et assiané à
résidence surveillé, et sévré de son faible pour la bonne
chair. Les rivalités entre le pouvoir et la religion se

269
retrouve dans le cas de Henry VIII au 16e. De plus,il s'est
posé la question de légitimité et de la légalité du pouvoir-
au regard du droit du sang comme pendant la période de
lutte des stuart ...
18 -
D'abord la chinoiserie est un art décoratif et une
architecture aux motifs chinois.
Elle est élaborée à la
manière de desians européens. c'est un courant artistiaue
très nODulaire vers la fin du 17è et le 18è. aui fut maraué
Dar l'imnortation en EurODe de la Dorcelaine. de l'émail et
autres ob;ets d'art chinois au 17è. La diffusion de la
chinoiserie en Grande Bretaane a été favorisée Dar l'oeuvre
de Thomas Miton. en 1780. et s'est étendue à l'usaae de la
céramiaue au 19è dont les traits essentiels sont une
Daaode. des fiaures sur un Dont au dessus d'une rivière.
deux oiseaux en vol. et un motif de saule nleureur sur une
bordure élaborée. La combinaison de tels éléments est
visible à l'intérieur du Briahton Roval Pavilion.
Ensuite cette maison est le lieu d'expression du stvle
Gothiaue victorien. connu sous le nom de la Renaissance
Gothiaue. un stvle architechtural associé au mouvement
romAntiaue.
Il reconauit sa popularité à la fin du 18è à
travers le Front Hill Abbev et lorsaue le Parlement
-
-
britannique vote environ un million de livres en 1818 pour
la construction de 214 éalises Analicanes. dont 170 furent
-
-
réalisées dans le style Gothique. C'est sous cette
impulsion aue furent réalisées la Chambre du Parlement de
1834-45 par Charles Pugin. et la Chambre de Lords en 1882
par G.
E. Street.
Des fiaures illustres de ce mouvement de renaissance
s'incarnent en Georae Gilbert Scott. Ruskin Butterfield et
Waterhouse en Grande Bretaane. Enfin. une troisième
expression caractéristique de l'esthétique britannique est
la conception Georgienne.
un amalgame de plusieurs
influences, dominées par le palladianisme et le néo-
classicisme. Elle consiste surtout en la bonne disposition
élégante, en mettant l'accent sur la symétrie. Cette
symétrisation se présente dans le modèle des fenêtres à
guillotine à douze carreaux, dans l'architecture
domestique, et l'emploi limité de traits classiques, dans
les constructions pUbliques. - Voir les études gothiques de
Unrau, John, Looking at Architecture with Ruskin, Toronto,
university of Toronto Press,
1978.
19 -
En s'inspirant de Colonial Africa, de Christopher, A., J.,
Totowa, New Jersey,
Barnes and Noble,
1984, Mudimbé,
précise que trois figures historiques ont oeuvré activement
à la colonisation du continent noir,
à savoir
l'explorateur,
le soldat et le missionnaire qu'il appelle
IIthe authority of the truth ll •
-
Voir "Power Of Speech i i in
The Invention of Africa: Gnosis. Philosophy. and the Order
of Knowledge, Bloomington,
Indiana university Press,
1988.
Cet ouvrage est une mosaïque de méditations sur la
rhétorique du pouvoir au coeur du passé, du présent et de
l'avenir africains.
D'autre part,
il a montré que les
questions relatives au symbole et à l'ego sont subordonnées
aux exigences d'un type de discours dans lequel l'histoire

270
puisse s'inscrire en tant que et dans la textualité. La
construction du langage devient elle-même intentionnelle.
20 -
Selon Mitchell, J., C,
"White Collar Workers and
Supervisors in a Plural Society". Civilizations,
3 .1960
.
pp.
296-306, on peut comprendre le processus
d'acculturation à travers la notion d'échelle,
introduite
utilisée par Godfrey et Monica Wilson dans The Analysis of
Social Change, Cambridge University Press 1954, s'appuyant
sur une observation de l'élite urbaine africaine.
Partaaeant le "bas" de l'échelle dans la structure sociale.
les Africains se mettent en devoir de creuser les
distinctions internes.
Ils aaissent ainsi en termes
d'identification avec "l'aaresseur". en adontant les
valeurs des dominateurs euronéens en affirmant le nrestiae
afférant aux occunations nrofessionnelles.
Il fallait donc
faire beaucoun d'études. être instruit. carIer narfaitement
la lanaue_ ce crui offrait des salaires élévés et ouvraient
la voie vers un mode de vie civilisé.
21 - La confrérie Pré-Ranhaelite comnrenait des neintres tels
aue Dante Gabriel Rossetti. John Everett Milais et William
Holman Hunt. crui s'unirent en 1848 nour réaair contre la
banalité de la neinture contemnoraine britannicrue et son
enthousiasme Dour Ranhaêl.
Ce dernier était neintre et
architecte de la Renaissance italienne et fils d'un
neintre. Les Pré-Ranhaelites. en sianant toutes leurs
oeuvres PRB cherchèrent è émuler les neintres italiens crui
ont nrécédé Ranhaêl et è élaborer des tableaux è suiet
moral ou è caractère reliaieux. dont la nlunart était tirés
de la littérature médiévale. Au début ils furent oris è
nartie Dour leur naturalisme. notamment sur les cruestions
reliaieuses nuis en 1851. ils bénéficièrent de l'annui du
criticrue d'art John Ruskin. et è
leur tour influencèrent
des artistes tels crue William Morris et Edward Burne-Jones.
aussi bien crue des stvles de neinture subsécruents.
22 - Voir Gallaaher/ Donat/, The Essavs. Articles and Reviews of
Evelvn Wauahl' London/ Methuen..... 1984. 662 n .. ouvraae
dans lecruel l'auteur fait cas des allusions reliaieuses
dans les oeuvres de Wauah.
23 - Voir Svkes/ Christonher/ Evelvn Wauah: A Bioaranhv? London.
Penauin. 1985. aui déclare crue les oeuvres de Wauah
tournent autour d'analyses de héros-victimes. et filous
heureux.
De ce fait.
Wauah serait un cas nlutôt intéressant
Dour des nsvchanalvstes crue Dour des critiaues. en raison
de ses tendances naranoïaaues. de ses dénressions nerveuses
et de ses insomnies chroniaues. -
Par contre. selon
Stannard/ Martin/ Evelvn Wauah: The Earlv Years 1903-1939,
London~ Dent/ 1984. soutient au'en réalité Wauah montrait
les caractéristiaues d'une oersonnalité dure. et envers
lui-même. et avec les autres. mais n'était en fait au'une
âme très tendre et très sensible.

271
24 -
Se reporter à Goodin, George, The Poetics of Protest:
Literary Form in the Victim-Of-Society Novel, Southern
Illinois University, 1985. 219 p.
25 -
Selon la mythologie grecque, Orphée a reçu une lyre
d'Apollon. Lorsque son épouse Eurydice meurt à la suite
d'une morsure de serpent,
il part la chercher aux enfers,
en charmant Cerbère,
le chien féroce qui garde le domaine
des morts. Mais il ne peut ramener sa dulcinée au monde des
vivants.
Par fidélité pour elle, i l chercha la consolation
dans la musique et le chant,
jusqu'au jour où il finit tué
et démembré par les femmes éprises de lui et dont il rejeta
l'amour.
26 - Achebe, C., Arrow Of God, London, AWS, Heinemann, 1964.
27 - Voir le dévéloppement de ce thème chez Lukacs, G., The
Historical Novel, tr. Hannah & Stanley Mitchell, Boston,
1963. et chez Macherey, P., Pour une théorie de la
production littéraire, Paris, Maspero, 1966. p.
333.
28 - Mudimbé, V., Y., The Invention Of Africa: Gnosis,
Philosophy, and the Order of Knowledge
, Bloomington,
Indiana University Press, 1988. p.165.
29 -
Foucault, M., Language, Counter-Memory, Practices: Selected
Essays and Interviews, Oxford, Basil Blackwell, 1977.
30 - Charles, A.,
"Men with Sand in their Hair",
in Tales from
the Dark Continent, London, Futura, 1979. pp. 112-127.
31 -
En effet cette oeuvre nous indique comment les candidats à
l'émigration africaine se voyaient vivement recommander le
port du casque, par exemple. Hammond, D.
& Jablow, A., The
Africa That Never Was, New York, Twayne Publishers,
Inc.,
1970.

272
v
L'AMOUR IMPOSSIBLE

273
Out Of Africa en tant
qu'expérience de l'Afrique est aussi
un roman
d'amour impossible,
entre Blixen et
l'Afrique, entre
Blixen et ses
Africains. C'est
ainsi que Blixen
nous donne sa
recette de l'Afrique comparée à la vie civilisée en ces termes:
«
Out in the wilds l
had learned to beware of abrupt
movements. The creatures with which you are dealing there
are shy and watchful, they have a talent of evading you
when least expect it. No domestic animal can be as still as
a wild animal. The civilized people have lost the aptitude
of stillness and must take lessons in silence from the wild
before thev are acceoted bv i t .. The art of movina aentlv.
without suddenness.
is the first to be studied bv the
hunter. and more so bv the hunter with the camera.
(, .. )
When vou have cauaht the rvthm of Africa. vou find
that i t is the same in aIl her music. What l
learned from
the aame of the country was useful to me in mv dealinas
with the native DeoDle.»
(D.
241.
Maîtrisant l'art
de
la
chasse.
et
étant
elle-même une
chasseresse de frontières.
Blixen comDare l'Africain à un animal
sauvaae Dar
raDDort auauel
il
faut s'accommoder
Dour Douvoir
l'aDDrivoiser.
Malaré
cette
conceDtion
Rousseauiste
de
l'indiaène. elle critiaue
les normes du 18è
siècle au'elle dit
n'avoir
Das
été
suffisament
clairvoyant Dour
Dercevoir
une
rencontre culturelle.
Notamment elle
nous dit dans
le Dassaae
suivant:
«
The love of woman and womanliness is a masculine
characteristic.
( ... 1. Those milords who fiaure in the
historv and fiction of the eiahteenth centurv. as
constantlv travellina in Italv. Greece. and SDain had not a
sinale southern trait in their nature. but were drawn and
held bv the facination of thinas whollv different from
themselves (, .. 1.
Aaueer illoaical Datience towards an alien world came
out in these imDatient DeoDle. As i t is almost imDossible
for a woman to irritate a real man. and as to the women. a

274
man is never quite contemptible, never altogether
rejectable, as long as he remains a man, so were the hasty
red-haired northern people infinitely long suffering with
the tropical countries and races. They would stand no
nonsense from their own country or their own relations, but
they took the drought of the African highlands, and a case
of sun-stroke, the rinderpest on their cattle, and the
incompetency of their native servants, with humility and
resignation.
( ... )
As for me, from my first weeks in Africa, l had felt a
great affection for the Natives.»
(p.
24-25).
Cette
pierre
que
Blixen
lance sur
le
18e
siècle
des
conquêtes, et à
ses préjugés
est en même
temps dirigée contre
les nationalistes primaires de
l'Occident. C'est ainsi qu'elle,
fait le procès de
la colonisation dévéloppée par l'aristocratie
et les puissances
coloniales, qui à
son sens, n'ont
pas eu de
tact à
l'encontre de
l'Afrique.
Et pour
cela, ils
n'ont pas
établi de communication
à partir
du moment
où les différentes
rencontres étaient
teintes
de
mythologie.
Mais
nous pouvons
relever le mythe selon lequel, elle aussi, prétend connaître les
Africains pour avoir passé
quelques années de
sa vie avec eux.
Connaissance, certes, mais en
quels termes, et
du point de vue
de qui ? En termes de patronne? De guide? De paternalisme?
Blixen nous laisse
le soin
de deviner. Dans
la mesure où
elle est éprise
d'une vie
rustique, ne
défendrait-elle pas le
mythe du
bon nègre
sauvage à
l'instar des
abolitionnistes de
l'esclavage,
qui
auparavant, . voyaient
le
"paradis"
naturel
africain tomber en poussière ?
D'ailleurs, elle
révèle ses
contradictions en
jettant la
pierre sur la
bourgeoisie décadente en Occident,
qui renaît de
ses
cendres
en
Afrique
dans
des
circonstances
pleines
de
promesses. Idéologues
de fragmentation,
les pionniers recréent
les mêmes
situations
qui
les ont
souvent
poussés
à partir.

275
Aussi,
l ' atti tude
ambiguë
ou
de
compromission
de
Blixen
s'explique peut-être par
l'influence du
milieu
africain,
comme
d'autres
avant
elle.
c'est
une
question
d'affectivité
et
d' héri tage
culturel.
Lorsque
deux
êtres
se
rencontrent,
il
se
passe un instant où l'on perd la raison, où peut naître la haine
ou l'amour. C'est pourquoi Blixen nous dit que:
«
It was not easy to get to know the Natives.
They were quick of hearing evanescenti if you frightened
them they could withdraw into a world of their own, in a
second, like the wild animaIs which at an abrupt movement
from you are gone - simply are not there. until you knew a
Native weIl, i t was almost impossible to get a straight
answer from him ... i t very likely goes against the
feelings of the Natives to be questioned in this way.
If we
pressed or pursued them ... they receded as long as they
possibly could, and then they used a grotesque humorous
fantasy to lead us on the wrong track . . . . When we really
did break into the Native's existence, they behaved like
ants, when you poke a stick into their ant-hilli they wiped
out the damage with an unwearied energy, swiftly and
silently - as if obliterating an unseemly action. We could
not know, and could not imagine, what the dangers were that
they feared from our hands.»
(p.25-26).
Le rendez-vous est manqué entre les deux Etres qui s'aiment
d'un amour à la fois platonique et narcissique.
C'est pour cela,
que Blixen compare l'Africain à un animal, qu'il faut guetter et
traquer.
Mais
en
dépit
de
l'ethnocentrisme
dont
elle
semble
faire
preuve,
Blixen
a
accompli
le
geste
héroïque
de
vouloir
comprendre l'Africain.
Et dans
tous
les
cas,
Blixen ne pouvait
que
s'appuyer
sur
les
seules
choses
qu'elle
connaisse:
son
propre passé et son héritage culturel.
Par conséquent,
dans cet
amour,
les
deux
amoureux
ne
sont
jamais
présents.
L'un
ou
l'autre est toujours en retard, rate la marche du train, ou bien
se
rend
compte
que
le
billet
d'amour
est
périmé,
que
l'être
chéri
est absent,
ou bien
se
joue des
avances de
l'autre.
Or,

276
aucune partie ne semble pouvoir bouleverser l'ordre des choses.
Ainsi le mal ne pouvant être guéri, il n'y a plus qu'à le subir.
Dès
lors,
Blixen
découvre
les
méandres
du
nouveau
pouvoir
politico-économique,
et
les
indigènes,
toujours
sujets
et
serviteurs,
n'arrivent
pas
à
suivre
les
détours
de
ce
même
pouvoir,
qui
les
a
pourtant
réorganisés,
restructurés
et
réactualisés.
Dans les rapports entre colons et autochtones,
il
y a méfiance de part et d'autre, comme nous l'indique ce passage
du texte:
« ..• in a moment of extreme tension, l have met the eyes
of my Native companions and have felt that we were at a
great distance from one another, and that they were
wondering at my apprehension of our risk. It made me
reflect that perhaps they were, in life itself, within then
own element, such as we can never be, like fishes in deep.
water which for the life of them cannot understand our fear
of drowning. This assurance, this art of swimming, they
had, l thought, because they had preserved a knowledge that
was lost to us by our first parents; Africa amongst the
continents, will teach it to you: that God and Devil are
one, the majesty coeternal, not two uncreated but one
uncreated, and the Natives neither confounded the persons
nor divided the substance.»
(p. 26-27).
D'un point de vue religieux,
l'Africain serait encore dans
les ténêbres de l'indistinct, d'où son manque de distance vis-à-
vis
d'une
nature
dont
il
se
sent
un
élément
composant.
D'un
autre point de vue,
il appartient au passé,
ce qui justifie la
conception évolutionniste de Blixen qui le compare aux temps de
ses propres ancêtres
(Voir OOA, p. 15). Ce qui signifierait que
l'Africain vit dans un temps consommé par l'éternité, une forme
de "golden age" où néanmoins il vit heureux, pour le meilleur ou
pour
le
pire.
Or,
dans
le
monde
de
Blixen,
l'essence
est
manichéenne, et la vie a deux faces comme l'envers et l'endroit

277
d'une
même
médaille.
Aussi,
Blixen
peut-elle
devenir
paternaliste, comme Jésus envers les pêcheurs dont il dira:
«
Pardonnez leur mon père, car ils ne savent pas ce qu'il
font.»
Dans
ces
conditions
d'indistinction,
de
naïveté,
d'ignorance,
les Africains permettent à
Blixen de se faire
leur
avocat,
comme
on
protègerait
certaines
espèces
animales
ou
végétales
en
voie
de
disparition.
Ainsi,
il
y
a
une
distanciation entre Blixen la narratrice et l'environnement dans
lequel
elle
vit,
tant
au
ni veau
physique
que
psychologique
ou
Chronologique.
L'interlocuteur
qu'aurait

être
l'indigène
est
perplexe
vis-à-vis
de
la
civilisation
et
de
Blixen.
Mais
elle,
vit
le
drame du soldat qui interroge l'état.
Pour en arriver à ce stade
il lui a
fallu
subir l'influence du milieu africain qui
se met
en
devoir
de
lui
enseigner
la
vie
et
de
la
nourrir
par
l'expérience.
Partant,
comme
un
assiégé
qui
connaît
mieux
son
terrain,
ou
par
simple
courage
face
à
la
vie,
l'homme
des
tenêbres,
l'Africain aborde le quotidien sereinement tandis que
l'assaillant
vit
dans
la
panique
de
la
clarté
du
jour
qui
pourrait
découvrir
son
camouflage.
Aussi,
cess
deux
protagonistes
sont-ils
unis
par
la
distance,
et
semblent
s'éviter mutuellement, quand ils ne s'expriment pas en termes de
malentendu comme nous le fait penser le passage suivant:
« ... When l asked them how they had known that l was
coming down, they looked away, and seemed uneasy, as if
frightened or bored, such as we should be if a dead person
insisted on getting an explanation of a symphony from us.
When the Natives felt safe with us from abrupt
movements, and sudden noises, they would speak to us a

278
great deal more openly than one European speaks to another.
They were never reliable, but in a grand manner
sincere ... »
(p. 27).
L'Africain
est
un
être primitif.
Il
est
évasif
quand
il
s'agit de percer le halo du mystère qui n'est qu'évidence de son
point
de
vue.
Alors
il
devient
un
professeur
qui
enseigne
à
saisir
la
voix
du
silence.
Il
faut
y
être
initié.
Or,
non-
avertie, la narratrice se trouve isolée malgré la foule:
«
At times, life on the farm was very lonely, and in the
stillness of the evenings when the minutes dripped from the
clock, life seemed to be dripping out of you with them,
just for want of white people to talk to. But aIl the time
l felt the silent overshadowed existence of the Natives
running parallel with my own, on a different plane. Echecs
went from the one to other.
The Natives were in flesh and blood ( ... ) were not
more truly Africa than Natives were - small figures in an
immense scenery. AlI were expressions of one idea,
variations upon the same theme. We ourselves, in boots and
in our constant great hurry, often far with the landscape.
The Natives are in accordance with it, and when the tall,
slim, dark, and dark-eyed people travel -
( ... ) - or work
the soil, or herd their cattle, or hold their big dances,
or tell you a tale, it is Africa wondering, dancing, and
entertaining you . . . . »
(p. 27-28).
Ce témoignage très serré nous révèle tout ce qui se passe
entre
un
monde
vécu
et
un
sujet
donné,
en
pays
étranger.
Ironiquement,
en dépit de cette marée noire,
Blixen ne se sent
seule
que
quand
elle
abandonne
sa
rêverie
pour
revenir
sur
terre.
Là, Blixen est sous la poigne du temps qui s'effrite et
qui lui rappelle que demain elle sera morte. Dans sa philosophie
existentialiste,
le
temps
est
un
monstre
qui
la
qualifie
d'étrangère,
et l'use.
Cette image transporte la même obsession
que
celle qui
envahit
l'oeuvre
de
Conrad
dans
An
Outpost
Of

279
Progress,

Makola
semble
se
faire
complice
de
la
sorcière
Africaine qui attend les offrandes du sacrifice des pionniers:
« ... Evil spirit that rules the lands under the equator. He
got on very weIl with his god. Perhaps he had propitiated
him by a promise of more white men to play with, by and
by.»
( AOP, p.57).
De même ces passages marquent une forme de progammation de
la
transformation
des
personnages
de
Conrad,
et
de
Blixen-
narratrice de OOA, qui semblent vivre du dedans, dans les cieux,
un
monde
imaginaire
qu'ils
savent
ne
pas
être
juste,
"vrai" .
C'est en ce sens que seuls les Africains
sont authentiques,
en
communion avec la nature.
Contrairement aux pionniers,
les
indigènes
sont décrispés,
maîtres d'une vie qu'ils rythment avec détachement.
Ils sont les
artisans clairvoyants de leur cycle cosmologique.
Dans
l'oeuvre
de
Blixen
ils
ne
sont
pas
que
rythme.
Ils
font
partie
du
paysage.
Les pionniers eux,
se sont détachés de ce paysage pour
se
l'approprier d'une
certaine façon,
en
le
tranformant.
C'est
dans ces conditions que Blixen se fait la tenante d'une théorie
évolutionniste.
C'est
aussi
ce
qui
lui
permet
d'apporter
un
témoignage
historique
au
processus
formateur
de
sa
vie
à
la
ferme.
Elle nous relate:
«
The colony is changing and has already changed since l
lived there. When l write down as accurately as possible my
experiences on the farm, with the country and with sorne of
the inhabitants of the plains and woods, i t may have a sort
of historical interest.»
(p.
28).

280
L'Africain est assimilé au naturel.
Le changement social de
la
colonie
est
donc
source
d'artifices.
En
témoignant
de
ces
réalités,
out of Africa se veut historique.
Or,
dans la mesure

Blixen
subit
aussi
cette
histoire
elle
ne
peut
pas
être
objective.
Dans
la
mesure

elle
s'implique,
s'engage
et
se
passionne
pour
sa
production.
Mais
l'histoire,
comme
nous
l'enseigne Garraghan:
«
history, strictly understood, concerns itself with the
doings of individuals, not merely as such, but as social
beings, as members of this or that social unit
the
family, the city, the state.».( Voir Garraghan~
).
Forte
de
cette
présomption
Blixen
nous
laisse
entrevoir
plusieurs versions possibles des mêmes faits et nous dévoile le
dilemne autour de la notion du noble sauvage,
qui néanmoins est
à
pacifier.
Mais ce passage dans
la structure du roman est une
transition
vers
des
gens
différents,
dans
leur
vie
et
leur
contact avec la
ferme de
Blixen.
C'est pourquo.i dans
l'entente
harmonieuse que Berkeley entretient avec son boy Jama dans OOA,
il y a
cependant un point de discordance qui nous fait voir en
lui une autre victime de la vampire ou de Mamy Watta.
Jama est
Somali,
un
homme
du
désert,
tandis
que
Berkeley
est
venu
en
Afrique
par
la voie
des
eaux.
Or,
à
ses
moments
perdus,
nous
rapporte l'auteur:
«
Berkeley had a great, ever unsatisfied love of the sea .
... Whenever Berkeley was tired or unwell he fell back on
his thoughts of the sea.»
(p. 187).
Comme Knudsen,
il rêve aussi de l'immensité de la mer, qui
s'offre
comme
une
ouverture
sur
l'inconnu,
la
liberté.
Mais

281
liberté
de
qui
et
envers
quoi?
Par
rapport
aux
contraintes
culturelles?
Selon
Bachelard,
l'eau
amène
l'homme
à
rêver.
Aussi
Berkeley
en
rêve-t-il,
et
dans
son
onirisme,
l'eau
est
la
consolatrice,
le remède qui calme les douleurs,
les brûlures de
la
vie
d'ici-bas.
C'est
elle
qui
guérit
et
purifie
comme
la
source de Lourdes. Tous ceux qui rêvent d'eau dans la savane Est
africaine
s'avèrent
être
des
anomiques,
qui
cherchent
à
se
départir du poids des échecs de
leur vie.
Ils cherchent refuge
dans un monde idylique et s'y enferment.
Tous rêvent de la mer
sans
pouvoir
y
aller,
et
se
condamnent
à
vivre
dans
des
fantasmes.
Les
extraits
suivants
sont
révélateurs.
Lorsque
la
narratrice a rapporté deux lanternes de navire qu'elle offre en
souvenir à Berkeley, il dit alors:
«
'Yes, i t would be nice', he said,
'the house would be in
that way like a ship. But they must have sailed'.»(p. 188)
Ce
que
réprésente
effectivement
ce
lieu
qui
leur
est
commun,
c'est un navire.
Mais c'est un navire à
la dérive,
car
si tous sont embarqués,
nul
ne sait où il va et ce qu'il
va y
trouver.
Les
bienheureux
de
la
désolation
s'y
embarquent
et
naviguent
à
vue.
De cette
optique,
aucun
personnage
ne
semble
mieux
illustrer
cette
condition
que
Berkeley
au
su.jet
duquel
nous lisons:
«
These lamps gave Berkeley much content of heart. He
often used to come to the house quite late, and ordinarily
at a great speed, but when the lamps were lighted he drove
slowly, slowly up the drive, to let the little red and
green stars in the night sink into his soul and bring back
old pictures, reminiscences of shipfaring, to feel as if he
were indeed approaching a silent ship on dark water.»

282
(p. 188)
Berkeley,
avec ses yeux et
son
coeur,
ne voit
plus
clair
dans
l ' univers.
L'eau
sombre
sur
laquelle
il
semble
naviguer
n'est
rien
d'autre
que
la
fin
inexorable
vers
laquelle
il
progresse;
comme
un
tas
de
cendre.
Son
amertume
est
d'autant
plus grande qu'il
semble voir le néant partout,
tout autour de
lui, mais surtout devant lorsqu'il jette un oeil sur ce qu'il a
abandonné
derrière,
comme
nous
le
signifie
la
déclaration
suivante:
«
Berkeley, like his brother ... was an early settler, a
pioneer of the colony and intimate with the Masai, who in
those days were the domineering nation of the land. He had
known them before the European civilization -
... cut
through their roots; before they were moved from their fair
north country. He could speak with them of the old days in
their own tongue.»
(p. 188)
Ce
qui
est
resté
derrière,
c'est
ce
qui
était
Masai,
autochtone, et qu'il a contribué à tuer par sa présence:
la mort
culturelle d'une nation.
Bien qu'il ait été séduit et qu'il ait
adopté cette culture,
lui prolongeant
la vie par
son adhésion,
il
n'a
pas
pu
empêcher
l'explosion
de
cette
jarre
auprès
de
laquelle il essayait d'étancher sa soif.
En
effet
en
faisant
un
pas
vers
les
indigènes,
il
les
a
encouragés à venir à lui, et ils se sont regardés les yeux dans
les yeux.
Or,
ce
faisant,
ce que
l'un gagnait,
c'était ce que
l'autre
envoyait
au
rebus,
donnant
ainsi
une
communion
bidirectionnelle,
donc
confuse,
au
niveau
des
valeurs.
L' atti tude
de
Berkeley permet
à
la
narratrice
de
jeter
encore
une
fois
la
pierre
à
la
mission
de
civilisation
et
à
son
opportunité,
d'autant
plus qu'au niveau
individuel,
elle ne se

283
justifiait
pas,
bien
que
tout
individu
soit
le
produit
d'un
héritage culturel.
Au
niveau
individuel,
ce
qui
lie
les
pionniers
aux
indigènes,
c'est surtout le sentiment d'amitié et de don de soi
pour
le
bien
de
l'autre.
A travers
Berkeley
par
exemple,
les
autochtones
ont
trouvé
en
la
crise
mondiale,
une
occasion
de
faire la preuve de leur amitié.
Le passage qui suit décrit bien
le fait:
«When the Great War first broke out, and the Masai had
news of it, the blood of the old fighting tribe was all up.
They had visions of splendid battles and massacres, and
they saw the glory of the past returnning once more . . . . They
did not doubt then that they would not be allowed to
fight»
(p. 189)
Dans
ce
défi,
ils
essayent
d'apporter
par
alliance,
de
l'aide à
leur ami contre leurs ennemis
communs.
Mais au niveau
des systèmes,
la réaction
est toute autre comme
le démontre le
témoignage subséquent:
«But the English Government did not think i t wise to
organize the Masai to make war on White man, be they even
Germans, and i t forbade the Masai to fight ... »
(p. 189)
La brute sauvage devait être maîtrisée intelligemment dans
cette guerre qui n'était pas la sienne puisqu'étant indigène. La
reconnaissance
de
l'utilité
et
du
mérite
de
ce
dernier
à
l'occasion
de
la
guerre
en
tant
qu'espion,
agent
de
transmission ...
-
passait par la décoration de ses chefs.
c'est
ainsi que Blixen nous peint la situation dans DDA en ces termes:
«
The distribution of the medals, although in itself of no

284
consequence, was an event of great dimensions and weight.
So much wisdom, sagacity, and tact were displayed in it, on
both sides, as to make it stand for an act in the history
of the world, or a symbol:
' ... His Darkness and his Brightness
exchanged a greeting of extreme politeness.'
The old Masai had arrived, followed by retainers of
sons of theirs. They sat and waited on the lawn, from time
to time discussing my cows grazing there; perhaps they had
a faint hope that, in reward of their services, they were
to be made a present of a cow.»(p. 190-191)
Cette
cérémonie
est
un
moment
solennel,
comme
la
célébration d'un grand évènement.
Or,
l'auteur ajoute à
propos
de Berkeley que:
«
... who could let his face express so many things, could
also in the hour of need make it an absolute blank.»
(p. 191).
A ce cérémonial,
tous adoptent une image d'apparat,
comme
au théâtre. Tous paraissent avec cette solennité que la voyeuse
apprécie en ces termes:
«
The ceremony could only have been carried through so
weIl by two parties of noble blood and great family
traditions; may democracy take no offence.
A medal is an inconvenient thing to give to a naked
man, because he has got no place to fix it on to, and the
old Masai chiefs kept standing with theirs in their hand.
After a time a very old man came up to me, held out his
hand with a medal in it, and asked me to tell him what it
had got on it ... I explained it to him as weIl as l could.
The silver coin had on the one side a head of Britannia,
and upon the other side the words:'The Great War for
civilization' .
... 'Why was not the king's head on the medals? .. »
(p. 191-192)
L'accomplissement de ce protocole ne pouvait être fait que
par
un
personnage
du
rang
de
Berkeley.
D'abord
parce
qu'il

285
connaît bien les Masai,
et que cette affinité peut prévenir des
réactions désagréables, mais aussi parce qu'il est le beau-frère
de
Lord
Delamere.
Ce
dernier
a
souvent
intercédé
dans
les
litiges entre pionniers et indigènes; ce qui lui donne une autre
crédibilité en tant que civil.
Mais
le soldat de réserve qu'il
est
obéit
à
son
devoir
de
soldat
britannique.
Il
sert
des
intérêts, des ordres qui lui sont étrangers. Aussi, la cérémonie
de décoration permet-elle à Blixen la narratrice de ridiculiser
la situation grâce à la disproportion de la récompense face au
service rendu.
Elle dénonce la sacralisation d'un geste concret
par
une
notion
abstraite
à
la
manière
du
Vieux
Nègre
et
la
Médaille, de Ferdinand Oyono
Voir Oyono, 2).
Dans
cette
oeuvre,
le
j our
de
la
décoration,
le
protagoniste reçoit une médaille pour ses trois enfants tombés à
la même guerre.
Le même jour il se trouve malgré lui mêlé à une
rixe
et
il
finit
en
prison
dans
l'anonymat
et
le
déni
de
sa
médaille.
Or,
la distinction honorifique signifie une entrée et
une reconnaissance dans
l'histoire.
Pourtant,
cette conjoncture
ne répond pas aux attentes des indigènes qui y voyaient quelque
chose qui
pourrait
prolonger
leur
vie
terrestre.
En
décrivant
cette
scène,
l'auteur dénonce
l ' hypocrisie de
la
civilisation,
une
civilisation
d'ailleurs
ambiguë
au
regard
de
ses
manifestations, et de ses propos ambivalents.
Au nom de
la morale,
l'Europe a
combattu pour
se
sauver,
mais en Afrique elle combat pour maintenir un état d'hégémonie.
Ainsi,
cette ambigïté ne pouvait que décevoir
les attentes des
uns et des autres, en raison de l'administration britannique, de
ses institutions et de sa politique d'une part,
et de l'autre,
des
individus
britanniques
et
de
leur
expérience
des
réalités

286
africaines.
C'est ainsi que les autochtones et leurs valeurs se
sont
trouvés
au
coeur
de
ce
gâchis.
Partant,
puisqu'ils
ne
disposent
pas de
pouvoir
de
décision,
les
individus
assistent
impuissants
au
malentendu
des
deux
parties,
et
au
génocide
bureaucratique et culturel de l'une par l'autre.
Ce constat de
Blixen
rejoint
les
préoccupations
des
autres
écrivains
sur
la
civilisation,
son
sens
et
ses
objectifs.
Qu'est-ce
qu'une
civilisation qui se renierait en détruisant des vies humaines et
ses propres mythes? Serait-elle synonYme d'une chaos?
Dans ce cas,
la civilisation n'est qu'un outil élaboré ern
vue
d'une
destruction
massive
des
hommes.
Ainsi
pour
les
indigènes,
sur tous
les
tableaux,
elle signifierait
racisme,
à
partir du moment, où on a voulu les empêcher de pouvoir tuer un
autre
Blanc
en
tant
que
tel,
car
cette guerre
était
un
linge
sale
qu' il
fallait
laver
en
famille,
une
querelle
entre
des
utérins.
Or,
l'économie est quand même le nerf de la guerre,
et
les colonies sont le produit de cette économie.
Partant,
elles
ont fini par être associées à
cette guerre de civilisation qui
était
somme
toute
la
leur,
mais
sur
le
mauvais
front.
C'est
cette
hypocrisie
que
l'auteur
décape
acrimonieusement,
par
le
truchement
de
Berkeley
des
indigènes
et
de
la
bureaucratie
britannique.
Ainsi,
Berkeley
est-il
une
référence
historique
qui
lui
permet
d'authentifier
son
discours,
sa
signification
en
ces
termes:
«
When Berkeley died, the country changed. His friends
felt i t at the time, with great sadness, and many people
came to feel i t later. An epoch in the history of the
colony came to an end with him. In the course of the years
many things were reckoned from this turning point, and
people said:
' When Berkeley Cole lived' or ' Since

287
Berkeley died'. Up till his death the country had been the
Happy Hunting Grounds, now i t was slowly changing and
turning into business proposition.»
(p. 193)
Berkeley,
figure
théâtrale
dans
le
songe
de
Blixen,
est
aussi
une
grande
image
dans
la
vie
des
indigènes
et
des
pionniers.
En mourant,
le pourvoyeur de bonne vie s'efface avec
son
secret
et
tout
se dépeuple,
et
la
scène
se
retrouve
vide
ainsi qu'il va lorsque le rideau tombe:
«As Berkeley went away, a grim figure made her entrance
upon the stage from the opposite wing la dure nécessité
maîtresse des hommes et des dieux.
(.~.) The yeast was out
of the bread of the land.»
(p. 193)
Berkeley est devenu un repère historique de la dégradation
de l'harmonie des colonies.
Sa mort a
laissé tout sens dessus-
dessous,
comme
après
le
déluge
des
eaux
sombres
que
Blixen
percevait dans ses pensées.
Mais après
ce déluge,
il y
a
deux
soleils pour un même coucher,
tellement sa vie à
la colonie est
pas passée inaperçue, historiquement aussi bien que socialement,
tant
du
point
de
vue
de
la
narratrice,
que
de
celui
des
autochtones, un peu comme Denys.
L'économie et l'impérialisme, forces de la guerre,
leur ont
révélé l'absurdité et l'infamie de la civilisation industrielle.
Ainsi les personnages ont-ils quitté l'Europe,
une pauvreté sans
issue, une misère,
un malheur,
dont ils ont souffert pour errer
dans
le
monde.
De
plus,
il
s'agissait
aussi
de
fuir
une
insupportable
mauvaise
conscience,
sans
savoir
ce
qu'ils
allaient trouver devant.
Ils allaient à
la conquête d'un monde
nouveau
sans
passé,
sans
culture
digne
de
ce
nom,
et
sans
frontières
reconnaissables.
L'indigène
se
retrouvait
souvent

288
malgré lui,
à
la fois à
la disposition de tous les occidentaux.
Les
conservateurs
britanniques
et
européens
trouvèrent
en
Afrique l'opportunité d'assouvir
leurs
relents
bourgeois,
comme
la
narration
de
OOA
nous
le
confie
à
propos
de
la
horde
de
domestiques de Blixen:
«
Then, in the end, in the early morning, while i t was
still dark and l was lying in bed, l heard the wagons,
loaded high up ... starting on their way to Naïrobi railway
station up the long factory hill, with much shouting and
rattling, the drivers running beside the wagons ... in the
evening l walked out to meet the procession that carne back,
the tired oxen hanging their heads in front of the empty
wagons, with a tired little Toto leading them, and the
weary drivers trailing their whips in the dust of the road.
Now we had done what we could do ... »
(p. 17-18)
La ferme est un fardeau pour les uns comme pour les autres,
animaux aussi bien qu'hommes, bêtes de somme. Or, malgré l'union
par
la
distance,
la
protagoniste
exprime
sa
compassion
à
tel
point qu'on
croirait qu'elle
se
fait
volontairement
ambigüe,
à
moins qu'elle ne soit victime de sa propre naïveté.
En effet à la lecture de cette description détaillée,
notre
attention
est
retenue
par
le
'we'
qui
lui
permet
de
faire
le
bilan d'une saison de production de café.
Tout comme les natifs
asservis,
elle est engagée dans un processus économique qu'elle
ne maîtrise pas
«We could only hope
for
good
luck at
the
big
auction-sales in London»
(p.
18), mais qui cherche à
accomplir
une
mission
qu'elle
s'est
imposée
par
patriotisme.
c'est
pourquoi elle se présente comme un soldat en mission commandée,
qui
apporte
sa
contribution
à
la
grande
oeuvre
nationale
d'enrichissement
et
de
prospérité.
La
colonie
est
devenue
une
extension
de
la
nation,
de
la
patrie.
Quoiqu'il
en
soit,
le
passage suivant est édifiant:

289
«
It is a heavy burden to carry a farm on you. My Natives,
and my white people even, left me to dread and worry on
their behalf ... It appeared to be agreed upon, then, by the
speaking creatures and the dumb, that it was my fault that
the rains were late and the nights so cold. And in the
evening it did not seem right that l should sit down
quietly to read; l was driven out of my house by the fear
of losing it.»
(p. 278)
De ces propos ressort
l'aveu d'une autoculpabilisation de
Blixen. Sa responsabilité lui donne l'impression de porter tout
le poids de la Terre sur ses épaules.
Elle n'a pas su mener sa
mission à bien.
Et dans ce constat d'échec,
tout parle contre
elle,
aussi
bien
les
créatures
animales
qu' humaines.
Sa
transgression a été punie. Sa faute a été de vouloir régner sur
l'univers en jouissant du droit de mort et du droit de vie sur
les autres créatures. Voilà pourquoi la répétition de l'adjectif
possessif 'my' devient obsédante. Mais cele n'empêche pas Blixen
de dire que:
« .•. l had been keen on shooting and had been out on many
safaris. But when l became a farmer l put away my rifles.
The Masai, the nomadic, cattle-owning nation, were
neighbours of the farm and lived on the other side of the
river, from time to time sorne of them would come to my
house to complain about a lion that was taking their cows,
and ask me to go out and shoot it for them, and l did if l
could.
Sometimes on saturday, l also walked out on the Orungi
plains to shoot a zebra or two as meat for my farm-
labourers ... camping places fix themselves in your mind as
if you had spent long periods of your life in them ... like
the features of a friend.»
(p. 22-23).
Les Masai, peuple nomade,
étaient-ils ses voisins,
ou ceux
de
la
ferme
?
De
même
l'élévage
itinérant
égalerait-il
l'agriculture?

290
Dans tous les cas, puisqu'il y a une entente et une
distance à la fois entre patron et indigène, entachée souvent
d'une incompréhension, cette situation ne peut se justifier que
par la structure coloniale elle-même ébranlée par les
contradictions du capital.

291
l - Les situations de crises
Trois
points
essentiels
marquent
les
contextes
de
production
des
oeuvres
parlant
de
l'Afrique.
Ce
sont
des
évocations de situations de guerre comme celles d'une dimension
mondiale
ou
impérialiste
comme
en
Ethiopie,
sans
compter
les
simples
querrelles
tribales.
En
un
autre
moment
se
trouvent
évoquées
les
fluctuations
boursières
et
leurs
conséquences
sur
la vie des
immigrés britanniques en Afrique,
sur
les
relations
intercommunautaires
et
internationales.
Ambitions
territoriales
ou expansionnisme commercial,
ces deux questions se posent dans
la situation coloniale.
Ce
contexte
a
été
marqué
par
des
luttes
entre
groupes
sociaux, des ruptures de l'équilibre fondé sur le capital.
Il a
entraîné
l'ébranlement de
systèmes
entiers
qui
s 'y
appuyaient.
C'est
dans
cette
logique
que
s ' inscrivent
la
première
guerre
mondiale et la grande crise économique qui suivit et qui prépara
le terrain à l'avènement du second conflit mondial.
Mais si les
écrivains
britanniques,
font
état
de
ces
situations
troubles,
c'est pour la simple raison qu'elles stimulent leur imagination.
Ils
cherchent
le
sens
d'évènements
qui
laissent
les
gens
ordinaires
désemparés
ou
pris
dans
l'engrenage.
Ils
vont
à
la

292
découverte
des
coïncidences
que
les
circonstances
laissent
transpirer et les organisent dans leurs récits.
(OOA, p.
313).
La
guerre
de
1914
fut
pour
Huxley
et
Blixen,
comme
les
guerres
de
1936
et
de
1940
pour
d'autres,
une
occasion
privilégiée,
dans
la
mesure

la
fièvre
du
patriotisme,
l'enthousiasme à
obtenir
de
l'action,
et
à
réaliser
des
rêves
d' "enfants",
ont
agité
la
vie
dans
les
colonies
Il
fallait
guetter,
traquer
l'ennemi
à
abattre.
Mais
cela
signifiait
souvent fuir.
Il leur fallait faire face à
l'inconnu.
La guerre
qui
forçait
à
fuir,
exigeait
des
hommes
qu'ils
se
si tuent
de
nouveau,
sans
repères
psychologiques
et
sans
cadres
géographiques sûrs.
C'est ce qui
nous
ressort par exemple dans
la scène de la rencontre entre Blixen et Lord Delamere ,
vivant
en pays Masai.
(OOA,
p.
232).
C'est aussi
la situation qui est
évoquée à la fois dans l'oeuvre de Huxley et de Blixen lorsqu'il
a été question de déplacer les femmes,
de les interner pour les
prémunir de la menace sexuelle présumée des
indigènes
(OOA, p.
228)
comme cela apparaît dans
les propos d'un collaborateur du
District Commissioner dans le TFTT
«
... We'd heard rumours that your boy was a bad hat who'd
been stirring up trouble among the Kikuyu. In fact i had
orders to bring your wife and daughter to Fort Hall if
there were any sign of unrest.'»
p. 55).
Cette
crainte
était
beaucoup
plus
raciale
que
réelle.
Voir Sevry,
3). Ainsi,
en choisissant de rapporter ces moments,
les écrivains britanniques ont voulu sans doute leur donner une
qualité
de
mémoire
historique,
en
les
saisissant
dans
leur
avènement.
Ils
ont
voulu
aussi
se
donner
des
forces
pour

293
supporter
le
désarroi
que
suscitait
le
monde,
qui
en
cette
période avait perdu repères.
Aussi,
puisqu'ils devaient inventer un ennemi
-
l'indigène
sauvage -
et ses moeurs à transformer selon leur propre modèle,
pour ensuite l'affronter sans le voir,
les écrivains cherchent à
comprendre
leur
situation.
Ils
réfléchissent
aux
circonstances
en donnant aux mots une puissance dévastatrice.
c'est ainsi que
leurs récits reproduisent l'angoisse de toute une humanité. Mais
puisqu'il s'agit de narrations de cinq auteurs, ce miroir n'est-
il pas iconoclaste? Que deviennent les multiples images qu'ils
perçoivent
et
qu'ils
traitent
comme
le
ferait
un
photographe
dans son laboratoire ?
Les
écrivains britanniques
sont
des
êtres privilégiés,
en
ce
sens
qu'ils
rendent
intelligibles
des
choses
qui
restent
mystérieuses
aux
adultes
désemparés
par
la
culture
de
leur
siècle,
déchirés
et
ruinés
par
les
guerres
militaires
et
impérialistes.
Cette
situation
est
née
du
déséquilibre
entre
l'offre
et
la
demande,
puis
survient
la
surproduction,
par
exemple du café comme nous le signifie OOA,
( p.
279).
Les prix
s'effondrent, alors les puissances occidentales se tournent vers
les débouchés coloniaux, ou pour y convertir la production comme
le fait Ingrid (OOA, p. 181; p.
277) dans l'oeuvre de Blixen, et
même y déverser
la production des
usines.
C'est ainsi qu'après
Blixen
qui
a
fait
état
du
véhicule
de
Kinanjui,
acquis
en
seconde main,
après le consul américain, Waugh évoque le cas du
pick-up
de
fabrication
américaine,
qu'ils
ont
loué
pour
leurs
randonnées (RP, p.54).
La
forte spéculation se fait
partout à
des prix très bas,
bien
que
l'argent
se
fasse
très
rare.
Huxley
mentionne

294
l'entreprise
minière
à
laquelle
Robin
souscrit
pour
en
sortir
ruiné:
«
Robin had never ploughed anything in his life before.
He had been in other parts of Africa, but had spent his
time prospecting, and going into partnership with men who
knew infallible ways to make money quickly without having
any capital ... after an unproductive period in the Army he
had indulged a passion for inventing things that never
quite worked ... »
(TFTT, p. 27).
c'est ce qui explique aussi le fait que Kayerts et Carlier
attendent en vain le ravitaillement du navire qui n'arrive pas,
jusqu'à
leur
mort
(AOP,
p.
74)
Voir
Blythe;
Foulkes;
Gloversmith;
Gray;
Green;
Hynes;
Marwick;
Seaman,
4}.
Les
pouvoirs
européens
se tournent
vers
les
colonies pour
rétablir
leur
économie.
Or
l'Allemagne,
l'Italie
et
le
Japon
n'en
ont
pas,
et
vont
s'entendre
pour
exercer
un
impérialisme
sur
les
pays
faibles.
c'est
l'objet
du
reportage
de
Waugh
qui
nous
renseigne
sur
les
préludes
de
l'agression
de
l'Abyssinie
par
l'Italie.
Le
prestige
européen,
qui
semblait
s'être
affirmé
à
la
conférence des nations à Berlin en 1885, est finalement amoindri
par
la
guerre,
face
aux
colonies
qui
ne
songent
pas
encore
à
l'indépendance
Voir
Davidson,
5}.
En
un
mot,
la
situation
mondiale se caractérise par deux grandes crises.
D'abord,
les
lendemains de
la première guerre,
les années
Vingt,
nommées
années
folles
sont
marquées
par
une
jouissance
excessive de la vie, tandis qu'elles dissimulent l'inflation due
au
nombre
croissant
des
billets
de
banque
en
circulation
par
rapport à la dimunition des métaux précieux en réserve. Le monde
s' essoufle.
Aussi,
aux horreurs
de
la guerre
à
peine
oubliées

295
lors des années Vingt,
succèdent les années Trente ou les années
de
la
désillusion,
qui
font
voir
le
profil
inévitable
de
la
crise
économique
et
du
système
Britannique.
C'est
la
déroute
pour tous.
Mais
les écrivains eux,
sont un lieu de convergence
de tous ces évènements dans
la mesure où ils
les communiquent,
et leur donnent un sens incontestable. C'est pourquoi la langue,
le monde et le passé concourent à
signifier les écrivains eux-
mêmes.

296
II - Les fuites: The Flame Trees of Thika
Nous avons vu que l'Afrique magique dans Out of Africa de
Karen Blixen est en somme une histoire d'amour,
la passion d'une
femme qui sent qu'il est en train d'être privé de sa substance,
et
condamné
inéluctablement
au
divorce.
Plus
tard,
le
lecteur
retrouve l'Afrique -
le manque de Blixen -
à
travers le regard
d'un enfant émerveillé. The Flame Trees Of Thika , figure chacun
de ces
antagonismes
au goût de
failli te que
nous
avons
évoqué
pour
Blixen,
Cary,
Conrad
et
Waugh,
mais
trouve
cependant
le
compromis
de
l'innocence
d'un
enfant
pour
édulcorer
les
inadéquations ou
le non-aboutissement des
proj ets du monde des
grands. Ainsi dans la représentation de l'Afrique, pour sa part,
Huxley traque aussi
sa mémoire pour retrouver les lieux et les
instants
de
son
enfance.
Elle
la
veut
objective
et
autobiographique.
Pourtant
au
début
du
récit,
Huxley
nous
dit
que
les
noms
qu'elle
attribue
à
ses
personnages
sont
susceptibles d'altérations
(TFTT,
p.7-8
).
Conséquemment,
comme
le
ferait
un
producteur de
fiction,
elle
nous
avoue que
toute
ressemblance avec des personnages ayant existé ou des événements
réels serait purement fortuite.
Un peu plus tard,
Huxley reconnaît qu'elle a créé un mythe
pour ses lecteurs;
certains d'entre eux,
qui seraient tentés de

297
rechercher la flore aux couleurs de feu,
dont elle s'est servi
pour jalonner ses rêves merveilleux, risqueraient d'être déçus.
Quant à
l'oeuvre elle-même,
elle devient un
long récit de
remémoration
de
trente
chapitres,
dont
The
Mottled
Lizard
de
Huxley serait la continuité logique.
Partant, The Flame Trees of
Thika est écrit à
la première personne,
un
'We',
qui redevient
'l'occasionnellement,
sauf
en
ce
qui
concerne
la
description
des
personnages
et
des
dialogues.
La
première
personne
ne
désigne
pas
singulièrement
Huxley,
mais
aussi
ses
parents
et
d'autres personnages.
Huxley
est d'ailleurs
un
personnage
complexe:
narratrice-
enfant, puis adolescente ou adulte,
tenant la plume.
En un mot,
elle est plutôt une voix narratrice,
une sorte de conscience, à
qui
il
n'arrive
que
très
peu
d'aventures,
qui
observe
et
témoigne, décrit et juge.
C'est ainsi que sa vision du monde se
forme,
se
découvre
ou
se
modifie
au
fil
du
texte,
selon
les
hommes qu'elle aborde et les lieux où elle s'aventure.
Or,
s'il
y
a
des
ressemblances
évidentes
entre
Huxley
l'écrivain
et
Elspeth Jocelyn Grant
la
narratrice,
comme nous
le signifie le
sous
titre de
l'oeuvre
«Memory of
an African
Childhood»,
il
n'en est moins évident qu'il y a un grand écart entre la vie,
la
pensée réelles de Elspeth Jocelyn Grant,
devenue Mrs Huxley et
celle de de l'artiste qui raconte.
Ce grand écart permet à Huxley la romancière de construire
une Afrique
et
un
univers
imaginaires
qui
se
rencontrent
dans
The Flame Trees of Thika.
De même,
il lui permet de jouer avec
le temps,
qui est l'un des thèmes principaux.
Partant,
l'oeuvre
écrite
dans
un
monde
infantile
nous
ouvre
les
plus
larges
perspectives
sur
la
vie,
la
communication
interculturelle
et

298
interpersonnelle.
Elle
est
une
histoire
des
origines
comme
l ' Aj antala
de
la
mythologie
Yoruba,
chargé
de
rassembler,
de
retrouver
les
origines,
de
rendre
immortel
en
incarnant
le
personnage de l'enfant, le symbole de l'espoir.
A travers quelques événements, The Flame Trees of Thika est
un
portrait
de
la
société
Britannique,
plus
particulièrement
aristocratique
riche
ou
snob
comme
Hereward
et
Lettice,
Lord
Delamere
propriétaire
du
Norfolk
Hotel,
et
les
autres
spéculateurs
fonciers;
mais
en
raison de
la
caractérisation de
la vie des
,Hollandais à
l'instar des autochtones,
c'est aussi
une peinture de la classe moyenne à
la quête d'une fortune,
et
enfin des classes inférieures souvent assimilées aux indigènes
(
Voir
Lorimer,
6).
C'est
également
l ' histoire
partielle
et
par
bribes de certains moments de la guerre 1914-1918, comme nous le
verrons plus loin.
A
travers
quelques
lieux
privilégiés
comme
les
grands
hôtels,
les
salons
de
Mrs
Nimmo
ou
du
Norfolk,
cette
société
n'est pas vue de manière particulièrement favorable. Grâce à ces
lieux, Huxley peint des milieux, des hommes avec leurs préjugés,
leurs travers,
et leurs langages.
Mais ici encore la vision est
volontiers
humoristique.
Or,
l'un
des
propos
du
roman
est
de
décrire
longuement
la
désillusion
de
la
narratrice
qui
après
avoir
tant
fréquenté
le
monde
de
la
civilisation,
achève
son
réci t
complètement désabusée par
la rencontre
et
le divorce de
deux
cultures,
dont
aucune
ne
semble
vouloir
faire
des
concessions à
l'autre.
Aussi
son oeuvre port-t-elle le goût du
désarroi,
et constitue en même temps
son salut personnel.
Mais
pour
cela,
Elspeth
a
intégré
la
civilisation
et
les
sauvages.

299
Son
récit
est
une
suite
de
déceptions
quant aux gens
qua
le
constituent, et quant aux amours qu'on peut y voir.
Pour commencer, dans TFTT, Lettice s'est faite enlever par
le major Palmer Hereward, abandonnant son fils derrière elle. Le
texte nous dit à ce sujet que:
«
'There's something queer about anyone who cornes to
this country.'
'It might have been sorne kind of scandaI. And now l
think of it, l vaguely remember hearing something of the
kind connected with the name. Perhaps she ran away with
him. He's quite attractive, but a type. She does a helpless
female act, but underneath it aIl is probably as tough as
old boots.»
(p. 66).
Dans ces propos de Robin et de Tilly,
l'Afrique est perçue
comme un refuge pour les parias, ou pour ceux qui enfreignent le
code
social:
«
'There
was
a
scandaI
when
Iran
away
with
Hereward,
Lettice
said.
You
know
that
l
was
married
before'».
(p.
131).
Aussi,
dans
sa
fuite,
et
dans
son
impossibilité à
se donner au major plus vieux qu'elle,
Lettice
refuse
l'amour
de
Ian
contre
elle-même.
Elle
choisit
de
supporter sa douleur,
tandis que Ian,
insatisfait,
ne trouvera
le repos qu'en mourant à la guerre. Ian a peut-être choisi de ne
pas en revenir. En tout cas, le passage suivant du texte nous le
fait croire:
«
••• One after the other, cocks come to parade in their
finery before the female, who squatted in the centre with a
bright appraising eye; after a while, she would choose one
for her mate.( ... )
'Yes, there are the doomed, perpetuaI bachelors,; no nest
to go home to, no little chicks to find insects for, no one
to puff out chests and sing about when other cocks go by'.
'It sounds very sad.'

300
'Yes, it is. There was once a cock who loved the fairest of
aIl the whydah-birds-the darkest, perhaps 1 should say, the
darkest and the kindest; but another cock, a cock with
blacker wings and longer tail feathers, had made her his
own. So she shared the nest of another, and sat by his
side, and when her chosen mate danced before her, she
nodded her head at him to say bravo, bravo. The first cock
knew that she could not be his, because he came too late,
and hadn't got such black wings, or such a long tail. So he
flew far away into the mountains and looked for worms and
beetles and things like that. Sometimes he found them, but
they did not taste very good, and he knew that they never
would, so long as he had to eat themall by himself, with
his lady-love so far away.'»
(p. 109).
Cette vision imagée de la vie des oiseaux,
est en réalité
une allégorie de la situation de lan,
Lettice,
Hereward,
et du
père
du
fils
de
Lettice.
Aussi
comme
s'il
savait
qu'il
ne
survivrait pas à cet échec, lan confie à Jocelyn que:
«
... A made-up story always has neat and tidy end. But
true stories don't end, at least until their heroes and
heroines die, and not then really, because the things they
did, and didn't do, sometimes live on.
( ... ) everything ought to have a beginning, a middle, and
an end.»
(p. 109).
Aussi, l'histoire de lan est celle d'un homme traqué par le
célibat,
qui
lorsqu'il
trouve
son
amour
s' aperçoi t
qu'il
est
condamné d'avance.
C'est ce type de malédiction que représente
Mrs Nimmo, dont le mari ne fait qu'aller et venir, puisque trop
retenu par la chasse en brousse:
«
'And so you shall, when your ship commes home.'
'1 haven't got a ship', lobjected.
'We aIl have one, in a manner of speaking, but sometimes
they take a long time to come home.'
This was a.new idea __ everyone with ships sailing
about on sorne dlstant ocean, apparently quite out of
control ... »
(p. 97).

301
Ian
ne
mène
pas
sa
barque.
Il
se
laisse
conduire.
Ce
constat
nous
ramène
à
la
situation des
personnages
de
Blixen '.
souffrant du manque,
de la perte,
et qui éprouvent le désir de
trouver
la quiétude de
l'âme.
Or,
ce désir est si
fort que la
déception
sévit
à
tous
les
niveaux,

les
personnages
se
retrouvent face à
face avec les réalités qu'ils ont voulu fuir,
et qui finissent par les obséder.
Aussi,
la mort sauvage semble
être souvent la
seule issue possible.
Pour éviter d'être déçu,
il faut ruser avec les adversaires et avec leurs rêves. C'est en
cela que l'aventure provoque une mauvaise conscience de l'échec.
Pourtant, les fantasmes n'ont pas de limites.
Mais
le
monde
se
déchire,
et
des
voisins
unis
la
veille
empoignent des armes et se font la guerre sans merci au nom du
patriotisme.
De
la
même
façon,
les
espoirs
de
faire
fortune
grâce aux minerais,
à l'agriculture et au commerce s'effondrent
par
les agissements d'hommes,
d'une nature cruelle,
ou par des
artifices tragiques.
Dans le contexte colonial,
les malentendus,
les
feintes
hypocrites
éloignent
les
deux
hémisphères
du
même
tout - pionniers et autochtones - qui s'unissent par la distance
en croyant s'uniformiser.
Au lieu de se compléter,
l'un écrase
l'autre dans
les
relations
entre
indigènes
et Britanniques.
Ce
sont
les
amours
de
Jocelyn
Elspeth
pour
Ian,
et
pour
ses
animaux,
entre
Ian
et
Lettice.
Ces
amours
sont
fraternelles
entre Ian et son frère aîné.
Elles sont séniles entre Hereward
et
Lettice,
sans
oublier
les
amours
entre
domestiques
et
patrons, entre indigènes et des villageois pour leurs voisins et
amis.
Mais il s'agit d'échecs,
d'amours manquées,
decévantes et
torturantes,
en
raison
précisément
de
l'incommunicabilité
des
êtres.

302
1 - L'incommunicabilité des êtres
Une première raison à cela, c'est que nul ne peut posséder
un autre être. Il y a une barrière entre l'autre et soi, dans le
fait que l'autre n'est pas ce que
l'on
imagine qu'il
est.
Il
s'agit d'une incommunicabilité des êtres. C'est ce qui nous est
révélé dans le dialogue de Tilly et de Robin, où l'un étant tout
le
temps
distrait,
fait
que
chacun
raconte
une
histoire
différente de l'autre:
«
'Thank goodness you're safe', Robin said, beaming with
pleasure, after they had embraced.
' l have missed you ...
l'm planting out the coffee and everyone is hard at it, and
the office work has got chaotic, and Sammy is away'.
, It's lovely to see you', Tilly responded.
'And you
look well ... Do you know l shot a lion: not a very large
one, but definitely a lion: the skin is coming on with the
safari, so we shan't need another rug in the living-room'.
'l've got the still in working order, except for one
or two small details, and l think we shall be able to start
on the geraminiums in a week or two if this rain keeps on'.
'In a way l didn't want to shoot it, but it slopedoff
into a donga, and when l saw something tawny moving in the
grass l let fly and hit it in the leg.'
'We've had a bit of bad luck with the oxen ... »
(TFTT, p.214).
Mais
cette
impossibilité
à
communiquer
avec
autrui
se
retrouve aussi dans la relation du Britannique à l'Afrique, donc
dans la
situation coloniale.
C'est ainsi que lorsque le maj or
Breeches parle des porteurs indigènes en disant que que «They
don't
think .... »
(p.29),
ce
sont
deux
considérations
cul turelles qui
s'affrontent.
Et
ce,
d'autant plus que
Huxley
nous
dit
plus
tard
que
Robin
qui
n'est
pas
très
bavard
de

303
nature,
en arrive à
supporter le caquetage de Hereward Palmer,
avec enchantement lorsque la volonté de communication avec les
autochtones se bloque:
«At times he thought of himself as a great soldier manqué,
and after prolonged struggles with reluctant oxen, broken
implements, weather that refused to do what was expected of
it, and Kikuyu who had very little idea of what they were
expected to be doing at aIl, he yearned for the prospect of
the communication with more
orderly minds.»
(p.61).
La situation est dramatique.
Elle l'est d'autant plus que
les
parties
sont
face
à
face,
mais
ne
se perçoivent
pas,
en
raison de la projection culturelle et de la situation de chacun.
c'est ce que nous confirme le passage suivant, où Huxley discute
de sensibilité romantique britannique et de l'indifférence des
indigènes:
« ... Filled me with the terrible melancholy that
sometimes wrings the hearts of children, and can never be
communicated or explained.( ... )
The Kikuyu however, paid no attention to this great tragedy
of the death of the day. They talked of unknown things in
liquid,musical voices, spat, and sang, and hitched their
blankets on their shoulders. l felt like a missionnary
tormented by the sight of thousands of innocent souls
perishing merely because they lacked the words that would
have saved them. When l pointed to the sky in which the red
had aIl but faded and said: 'Look, it's good', which was
the only words available, they glanced up politely, nodded,
and one said:
'Yes, it's good', and went on with his
conversation.
Perhaps he had words for his feelings, and his
feelings were like mine, but l could never know, and this, .
too, was disquieting».
(p.132)
Partant,
ce
sont
deux
mondes,
deux
sphères
d'existence
aussi bien sur le plan socio-cul turel qu'esthétique.
Tous deux
évoluent côte à côte sans pouvoir réellement communier. Donc il
y
a
échec
et
c'est
aussi
l'échec
financier
et
matériel
des
promoteurs
en
Afrique.
Or,
leur
fiasco
est
un
signe
de
la

304
déroute européenne,
voire mondiale.
Cette destruction se répand
en chaîne.
Mais
en
fin
de
compte,
Jocelyn
va
pouvoir
faire
un
roman.
Elle se verra épargnée la dislocation et
la destruction
grâce à
l'univers artistique qu'elle va créer.
Aussi, TFTT,
est
une
image
idéalisée,
idyllique
de
la
paix,
de
l'enfance
heureuse.
La
fascination
de
l'enfance,
du
passé
lointain
est
telle
qu'il faut
n'avoir pas vécu dans la brousse pour ne pas sentir
tout
ce
qu'il
y
a
de
vrai,
de
profond
dans
cette
simple
notation.
Or,
l'auteur Huxley qui est devenue adulte,
en arrive
à
ne plus
trouver de
réalité que dans
sa
mémoire du
passé,
y
affirme
la
partie
réelle
et
incommunicable
de
nous-mêmes
à
un
moi superficiel.
Par conséquent,
le passé devient la matière de
son
oeuvre
d'art,
une
matière
unique,
singulière.
The
Flame
Trees of Thika est un infini du souvenirs comme il est un infini
de la perceptions. Le phénomène est fort simple.
Dans l'exercice
volontaire de la mémoire,
nous
remontons dans
le passé grâce à
des
points
de
repère
précis,
qui
font
appel
à
notre
intelligence.
Mais
il
arrive
qu'une
simple
émotion,
une
sensation
amplifie
un
point
de
notre
passé.
C'est
ainsi
que
Huxley songe au fait que l'écoulement de la durée est nécessaire
à l'élaboration de son oeuvre,
parce que le temps seul donne la
perspective de sa vision.
Sinon,
les thèmes dans
le roman sont
nombreux;
mais
celui
de
la
mort
prend
toute
son
importance
à
partir du non-retour de la guerre de Ian,
un ami ou complice de
la narratrice.
Tout cela nous vaut des pages émouvantes sur le
néant,
la
notion
de
sacrifice,
de
transition
et
de
transgression.
Il nous suffit pour nous en persuader,
de penser
à la mort du python, qui entraînera Robin dans sa faillite.

305
Dans
cette
perspective,
le
bracelet
que
Ian
a
confié
à
Huxley
prend
une
valeur
occulte.
En
raison
de
son
hésitation
entre son catéchisme prodigué par Mrs Nimmo,
sa prière du soir,
et
le
recours
au
féticheur
pour
prémunir
son
antilope
de
la
mort,
et les images aquatiques et célestes,
Huxley vit avec un
arrière-plan religieux, comme pour inviter tous les hommes de la
terre,
Blancs et Noirs à communier.
Mais l'explication de cette
obsession de la mort est simple.
En réalité,
tout artiste donne
un
but
à
son
art:
l'éternité.
Faut-il
parler
de
roman
initiatique dans le cas de Huxley?
2 -
Des personnages traqués
Au départ,
le
seul
guide
du
pionnier
en
Afrique
est
son
imagination.
Aussi
le
moindre
signe
ou
indice
devient-il
plus
plausible que
les
repères
traditionnels,
et
lorsqu'on
erre,
on
donne
un
sens
aux
choses
et
aux
êtres
indépendamment
de
leur
réalité.
Or pour le pionnier britannique,
l'Afrique reste quand
même
à
découvrir.
Dans
ce
nouvel
horizon,
il
lui
faut
être
attentif à ce qui va résulter de ces rencontres, car tout ce qui
se passe est
signifiant.
Le
sens
est
imminent,
et
c'est ainsi
qu'un
homme
africain
avant
d'être
indigène,
agriculteur
ou
anthropophage
est
d'abord
étrange,
c'est
à
dire
autre.
Dans
cette attente,
ce qui serait intolérable au voyageur,
ce serait
le
silence
d'une
Afrique
à
qui
il
confie
sa
destinée.
Le
pionnier serait en désarroi de se voir privé de la complicité du
continent, pour nourrir ses attentes.

306
Ce silence deviendrait pesant.
Ainsi du
fait que tout est
nouveau,
leBri tannique en débarquant se retrouve dans un état
d'enfance,
celui
de
l'enfant
qui
explore
et
ressent
son
environnement, pour exiger de lui une chaleur maternelle ou une
attention
particulière.
Alors,
il
éveille
tous
ses
sens
à
l'écoute,
en
s'attendant
à
ce
que
le
continent
Africain
le
reconnaisse parmi les autres, qu'il le remarque. Or, lorsque ces
attentes
ne
sont
pas
satisfaites,
c'est
comme
si
le
pays
le
repoussait, ou l'anéantissait. C'est l'attitude que nous livrent
ces paroles de Huxley:
«
•.•
l
could not believe that in a few moments the house,
the garden, the farm, and everything in it would be out of
sight and gone, as if on another planet; Or that it was
beyond my power, beyond anyone's, to freeze it, to catch it
in a groove like an old gramophone record and keep
repeating the same few minutes over and over, for ever.»
(p.
280)
Puisque
la
terre
semble
insaisissable,
toute
action
positive
semblerait
futile.
De
même
toute
rencontre
serait
faussée
en
raison
de
la
crispation
et
de
la
méfiance
des
protagonistes. C'est dans ce sens que Huxley déclare:
«
For until you actually saw it and travelled across it on
foot or on horseback or in a wagon, you could not possibly
grasp the enormous vastness of Africa. It seemed to go on
for ever and ever; beyond each range od hills lay another
far horizon; always it was the same, pale-brown grass and
bush and thorn-trees, rocky mountains, dark valleys, sunlit
plain; there was no break and no order, no road and no
town, no places even:
( ... )
On the third night, a new sound came from beyond the
golden circle, something to mingle with the queer whispers
and stirrings and insect calls that came out of the
darkness and seemed to hesitate upon the edge of light. l
lay in bed and listened with a thumping heart ... breaking
the surface with a coil or fin.»
(p. 32-33).

307
Par conséquent, dans cette écoute du monde,
le pionnier vit
la situation du désespéré.
Il est désespéré en raison d'un vide
immense où il se sent insignifiant,
et presqu'anonyme.
Or,
plus
l'aventurier
essaye
d'aller
au
bout
de
ce
vide,
et
plus
il
s'enfonce
vers
l ' horizon
illimité.
Lorsqu'il
s'arrête
pour
se
reposer,
il
connaît
la
peur
du
danger
qui
rôde,
et
pourtant
inconnu.
C'est pourquoi
la
lumière
lui
fait
prendre conscience
des
limites
de
sa
force,
alors
que
l ' obscuri té
lui
donne
une
dimension de sa fragilité et de son impuissance. Pour trouver le
salut,
le Britannique
se
laisse aller au gré de
ses
fantasmes
centrés sur les éléments du feu et de l'eau comme la narratrice
de OOA que nous avons évoquée plus tôt.
Ainsi,
puisque
dans
cette
disposition,
le
colon
est
aux
aguets,
tout
peut
survenir
et
rien
ne
peut
arriver.
c'est
la
situation de l'angoissé,
qui plisse le front pour percer ce qui
se profile à l'horizon. Or, pour identifier cet objet mystérieux
ou inconnu,
le pionnier devra recourir à ses souvenirs pour s'en
rapprocher.
C'est pour cela que Huxley ressent la nuit comme un
lac d'eau noire habité de poissons et des monstres.
Or,
ce sont
les
pulsions
de
mort
qui
l'animent.
C'est
ainsi
que
le
voile
noir
de
la
nuit
lui
rappelle
l'obscurité
de
la
grotte
des
entrailles de la mère,
et le berceau de la mort.
Mais il s'agit
de
fantasmes.
Or,
les
fantasmes
n'ont
pas
de
limites.
C'est
pourquoi,
dans l'expectative,
le personnage cherche à capter le
regard du monde,
qu'il interroge sans se soucier de savoir s'il
utilise le bon code.
C'est à
ce niveau que les propos de Robin
au sujet de la colonisation prennent tout leur sens:

308
«
'On the whole, modern improvements seem to be expensive,
temperamental, and smelly', Robin once remarked pensively.
'1 sometimes wonder whether civilisation is aIl that it's
made out to be' .»
(p. 43).
En
raison
de
l'écart
entre
les
promesses
et
leur
actualisation,
Robin se fait sceptique.
c'est pour dire que le
civilisateur en lui perd peu à peu son assurance,
et sa foi en
la suprêmatie de
la modernisation du sauvage.
Or,
c'est parce
qu'il y a une difficulté de communication entre le pionnier et
son milieu, que nous assistons à des dialogues de sourds.
Il ne
maîtrise pas son environnement, si bien que nous assistons à une
divergence de considérations ou de points de vue sur les faits.
Par exemple, au niveau des expatriés, Robin et Alec sont en
désaccord,
en
tout
cas
dans
leurs
visions
d'eux-mêmes
en
Afrique.
Ainsi,
lors d'une discussion à
propos de civilisation
des
indigènes
par
rapport
à
la
musique
classique
allemande,
Alec intervient et déclare:
«
'That is not the whole point of my being here', Alec
Wilson put in, during a pause that followed.
'1 didn't come
to civilize anyone. l came to escape from the slavery one
has at home if one doesn't inherit anything. I mean to make
a fortune if l cano Then I shall go home and spend it. If
that helps to civilize anyone I shall be delighted, but
surprised !' .»
(p. 125)
Les pionniers ne répondent pas aux mêmes motivations ni aux
mêmes devoirs en Afrique. Ainsi ce qu'il y a de remarquable dans
ce propos c'est le fait qu'auparavant, la même Tilly s'adressant
à Ian à propos de Lettice et de l'Afrique déclarait que:
«
'Surely it isn't a question of which is superior,
Lettice or the continent of Africa', Tilly suggested. 'lt's
a question of adapting ourselves to the conditions'. »

309
(p.
24)
Ainsi tout est faux dans
les devoirs que Tilly s'attribue
en tant que pionnière.
Ressortissante britannique,
elle veut se
donner
une
mission
historique,
pour
prolonger
l'empire.
Ailleurs,
en
Afrique,
Tilly
reste
prisonnière
de
l'hégémonie
culturelle
Britannique.
Mais
elle
pervertit
la
cynique
exploitation
des
indigènes
par
les
colons,
en
voulant
la
camoufler
derrières
des
paroles
creuses.
Toutefois,
son
époux
Robin est pessimiste quant à la promotion sociale des Africains.
Mais
ce
qu'il
ne
dit
pas,
Alec
l'avoue
très
haut.
Or,
si
la
vocation civilisatrice est déficiente,
comment les
Britanniques
pourraient
justifier le voyage en Afrique -
puisque le pionnier
saurait
que
le
combat
est
perdu
d'avance
avant
même
d'avoir
commencé
-
autrement
que
par
l'aventure
ou
la
recherche
d'un
monde meilleur?
Et si
tel
n'était
pas
le
cas,
la
ténacité des
Britanniques à continuer des actions inutiles,
ne s'expliquerait
pas
autrement
que
par
le
masochisme.
C'est
du
reste,
ce
que
Lettice remarque plus loin face à Tilly:
«
' ••. We are always trying to make time go at a different
pace, as if i t were an obstinate pony. Perhaps we should do
better to let i t amble along as i t wishes, without taking
much notice of i t ' .
'That is what the Natives do', Tilly said.
'And perhaps that is why they seem happier. Perhaps i t
is aIl a mistake, our trying to change them, and introduce
new worries, like Time's Winged chariot hurrying near. And
yet, those awful sores, and bloated spleens ... It will be a
nice change to get away from them into the wilds, like a
visit to the Garden of Eden before Adam's tiresome
curiosity started aIl our trouble ...
'.»
(p.
189)
L'Europe a
évolué,
et l'Afrique semble immuable.
Aussi,
le
temps semble être leur point de discorde.
Il y aurait donc deux

310
conceptions
du
temps:
l'une
britannique
et
l'autre
africaine.
Or,
en Afrique,
plutôt que de prendre le rythme africain et de
s'y adapter comme le préconisait Tilly, les pionniers sont allés
trop
vite.
Partant,
la
mission
de
civilisation
est
manquée,
voire même impossible dans la mesure où il y a une situation de
course-poursui te dans laquelle la tête ne sait pas si elle est
suivie ou non par le reste du corps, surtout si comme le déclare
Lettice, cette civilisation apporte plus de choses négatives que
des positives.
Finalement Tilly ne croit pas non plus en cette
mission,
mais
elle
ne
peut
rester
indifférente
face
aux maux
qu'elle
peut
contribuer
à
soulager,
surtout
après
avoir
voulu
croire que la terre sur laquelle elle vit aurait pu être vide de
toute présence humaine.
Mais il aurait fallu savoir écouter le
monde
autour,
sans
préjugés,
pour
mieux
le
découvrir
et
se
découvrir. C'est entre autres, ce que Lettice nous enseigne dans
ces termes:
«
'AlI the same, that is quite an interesting point'
Lettice remarqued.
'The best way to find out things, if you
come to think of it, is not to ask questions at aIl. If you
fire off a question, it is like firing off a gun; bang it
goes, and everything takes flight and runs for shelter. But
if you sit quite pretend not to be looking, aIl the
little facts will come and peck round your feet, situations
will venture forth from thickets and intentions will creep
and sun themselves on a stone; and if you are very patient,
you will see and understand a great deal more than a man
with a gun !»
(p. 268-269).
Ce qui implique qu'au lieu d'écouter, le Britannique traqué
comme il est, parle tout le temps.
Il pose les questions et se
donne les réponses, sans se rendre compte qu'il se parle à lui-
même. Il invente le monde à la mesure de son angoisse ou de son
besoin de réconfort.
Mais
Lettice semble s'être aperçue de ce

311
monde
contrefait,
puisqu'elle
admet
qu'elle
sera
encore
partante,
de
retour vers
l ' endroit auquel
elle appartient
-
la
Grande Bretagne - qui n'est plus non plus le centre de la terre
(p.
268). Or, si elle en est arrivée à cette constatation, c'est
parce que le
continent au lieu de
l'ignorer,
semble s'acharner
sur
elle
à
travers
ses
manifestations
monstrueuses,
écrasant
tout sur leur chemin:
ses animaux domestiques,
ses espoirs,
ses
amours. ..
En
effet,
Lettice
n'est
pas
faite
pour
ce
milieu,
comme nous l'indique la perception d'un monde tiers par Huxley-
narratrice:
«
l began to perceive that a third world lay beyond,
inside and intermingled with the two worlds l already knew
of, those of ourselves and of the Kikuyu: a world of snakes
and rainbows, of ghosts and spirits, of monsters and
charms, a world that had its our laws and for the most part
led its own life, but now and again, like a rock jutting up
through earth and vegetation, protuded into ours, and was
there aIl the time under the surface. It was a world in
which l was a foreigner, but the Kikuyu were at home.»
(p.
197).
Mais,
la dichotomie
n'est
pas que géophysique,
puisque
la
scène
se passe
en Afrique.
La disparité
est
psychique dans
la
conception
d'un
monde
tiers,
le
troisième
-
cosmique
étant
perçu comme un refuge,
un recours pour les Kikuyu pour résister
à
la
dévastation
de
leur
monde
physique,
à
la
considération
duquel
pourtant,
le
pionnier
accorde
toute
son
attention
au
premier
moment.
Nous
remarquons
donc
que
de
ce
fait,
la
communion
n'était
pas
possible.
Chacun
des
deux
groupes
s'est
inscrit aux abonnés absents comme s'ils évitaient tous les deux
cette
union,
en
raison
de
leurs
considérations
temporelles
respectives, comme nous l'avons vu dans les propos de Lettice et
de Tilly.

312
En effet,
dans
les
remarques
de
Jocelyn,
si,
en
tant que
pionnière,
elle
est
elle-même
étrangère
à
ce
troisième
monde,
c'est parce que peut-être à
force
d' aller vite,
elle a n ' a
pu
retenir que des
images
fugitives.
Elle a
perdu
le tiers de
la
vision cyclique du monde de l'indigène,
et c'est par rapport à
cet état de faits qu'elle cherchera plus tard à se rattraper.
Ce qui signifie que les indigènes ont une vision de la vie,
unifiée,
cosmologique, à la recherche d'un consensus,
d'une paix
les
uns
envers
les
autres,
de
l'individu
avec
son
génie
personnel habitant le monde de ceux qui
restent à
naître.
Dans
cette vision,
c'est l ' harmonie
entre
la vie,
la mort et
le ce
qui
reste à
naître,
ou
entre
le
Su,
le
visible
et
le
latent.
Tout dans ce monde indigène se rapporte à un être suprême qu'il
ne peut atteindre que par
l'intermédiaire de
certains
rituels.
Autrement
dit,
il
y
a
un
lien
intrinsèque,
un
rapport
étroit
entre
le
Visible,
l'Invisible
et
le
virtuel.
C'est
pourquoi
l'arc-en-ciel est considéré comme le lien entre la terre et le
ciel, comme dirait Bloom et al :
«
the figure of the rainbow is the figure of the unity of
perception and cognition undisturbed by the possibly
disr~ptive mediate of its own figuration.». ( Voir Bloom et
al,
)
Aussi,
s'il
y
a
un
lien
entre
le
passé,
l'avenir
et
le
présent
de
l'indigène,
nous
comprenons
pourquoi
il
n'éprouve
aucune
joie,
aucun
enthousiame
à
être
contraint,
pressé.
Il
n'est
pas
chassé
et
c'est
pourquoi
il
ne
ressent
rien
d'une
temporalité par rapport à
laquelle il doit se situer à
nouveau
ou
chercher
à
se
surpasser.
L'indigène
sait qu' il
fait
partie

313
d'un cycle où rien ne se perd et où
rien se crée,
au contraire
du pionnier qui n'a pas le temps pour lui.
En
effet,
l'expatrié
est
un
révolutionnaire
voulu
ou
non
dans
un
environnement
qui
lui
est
étrange.
Il
cherche
à
retrouver
une
image
familière
à
son
entendement,
et
à
ses
idéaux.
Et pour cela,
il
lui faut
construire vite avant d'être
débordé
par
le
découragement,
ou
par
la
résistance
du
monde
sauvage.
Il
lui faut donc prendre l'initiative de la surprise.
En d'autres termes,
il n'y a pas deux mondes,
mais plutôt deux
attitudes
face
au
même monde.
C'est
une
question
de
religion,
une volonté de croire et de s'accrocher à
quelque chose.
C'est
de
ce point de
vue
que
Ian
dit
à
la
narratrice
de
The
Flame
Trees of Thika, que:
«
'We're told that God moves in a mysterious way his
wonders to perform, and perhaps inaccuracy of British maps
is included in the mystery .... »
(p. 256)
Plus aucune donnée ne s'intègre dans son canevas d'étude et
ne
se
laisse
comprendre.
C'est
cela
qui
finit
par
agacer
le
pionnier.
Sa
vie
se
joue
dans
chaque
évènement.
Les
faits
se
succèdent
sans
continuité
ni
signification
générale
dans
sa
logique
britannique.
Or,
la
foi
en
un
Etre
Suprême,
aide
à
supporter le poids du mystère,
de l'inconnu et de l'inattendu,
surtout
lorsque
la
quantophrénie
européenne
ne
suffit
plus
devant
certaines
situations,
en
dehors
de
son
champs
clos.
Ainsi,
puisque
tout
lui
semble
nouveau
dans
l'aventure
africaine,
le
Blanc
paraît
aussi
bien
prédestiné
que
superstitieux.

314
3 - La superstition
L'Afrique
offre
au
pionnier
un
sens
inépuisable,
dans
lequel
la
géographie
et
la
mythologie
s'entrelacent.
Les
paysages que nous croyions être lointains,
ou de simples décors
que des artistes auraient créés et construits,
en dépit de leur
apparente
passivité,
ne
sont
plus
de
simples
apparences
extérieures,
mais
des
si tes
pleins
de
vie
et de
signification
spirituelle.
Leurs formes mobiles et fugitives deviennent équivalentes à
des formes humaines, d'autant plus qu'elles se métamorphosent en
ce qu'ils ont de plus profond et de plus intense.
Ainsi,
Birago
Diop
ne
nous
invitait-il
pas
déjà
à
écouter
plus
souvent
les
choses que les êtres,
que les morts
ne sont pas morts
?(
Voir
Leurres et Lueurs, 8).
Sans ce paradoxe,
l'aventure Africaine ne nous
fascinerait
pas autant,
lecteurs et/ou auteurs.
Nous y recherchons moins des
faits que des
indices pour allumer notre imagination.
MJ,
AOP,
OOA,
RP,
et
TFTT
sont
des
ressassements
permanents
des
mêmes
thèmes,
comme si les faits et les évènements qu'ils relatent ne
pouvaient
survenir
qu'en
Afrique.
Or,
jusque
dans
la
parodie,
cette
Afrique
reste
terrifiante,
monstrueuse
et
obscure.
A la
façon
des mythes,
ses
représentations
reprennent
ce que
firent
les hommes et les dieux à
l'origine.
Les oeuvres artistiques se
donnent une terre arbitrairement jugée chaotique,
vide,
dans la
liberté humaine d'agir et la décision de partir. Aussi, avec une
telle perception du vide, du chantier à ouvrir en Afrique, comme

315
après le déluge de Noé, tout est neuf et une nouvelle chance est
offerte
aux
rescapés
de
l'ancien
monde
pour
tout
recorrunencer.
c'est
dans
cet
esprit
qu'une
volonté
d'amnésie
manifestée
par
Lettice
par
exemple,
fait
croire
à
un
corrunencement,
mais
en
vain,
car les primitifs naufragés eux aussi peut-être,
sont bel
et bien

avec
leurs
plaies
et
leurs
souffre-douleurs.
Et
le
Britannique ne peut les ignorer. Mais le recours au passé,
à la
vie
des
prédécesseurs,
tels
que
Burton,
Buchan,
Shakespeare,
Defoe,
Swift,
Kipling,
Bunyan
et autres,
autorisent
l'émigré à
faire
de
ses
récits,
une
Odyssée,
et
des
autochtones
des
personnages qu'ils peuvent extirper du temps,
les préserver,
les
étudier,
les
admirer
les
détester
ou
les
plaindre.
C'est
cela
l'exploration dont ils embelliront leurs propres expériences en
clarté
ou
en
noirceur,
pour
se
donner
l'illusion
qu'elles
obéissent
à
des
lois
prédestinées,
se
prenant
pour
le
centre
d'un monde qui n'existait que par et pour eux.
c'est ainsi que
Blixen
tourne
à
la
superstition,
en
nous
en
expliquant
le
processus magique de l'ensorcellement corrune suit:
«
There is this about witchcraft that when i t has once
been pratised on you, you will never completely rid
yourself of it. »
( OOA, p. 100)
Blixen met dos
à
dos
l'image du sacrifice
chrétien

le
prêtre
vide
la
coupe
de
vin
au
nom
de
l'assemblée,
et
l'envoûtement
du
bienfaiteur
par
le
bénéficiaire
de
façon
paradoxale.
Ainsi,
elle admet l'ensorcellement corrune étant à
la
source
de
sa
ruine.
Mais
elle
n'envisage
pas
la
série
de
transgressions dont elle a été l'auteur, même si elle avait agi

316
innocemment.
Blixen
n'a
pas
entendu
l'alerte
de
Mrs
Crawford
dans TFTT lorsqu'elle remarque que:
«
The water seemed to lean against it, awaiting its
release. Under a cedar, a group of elders sat on their
haunches taking snuff. ( ... ) they were fascinated by the
furrow and everything about it, for the Kikuyu, although so
intelligent in many ways, had never thought of irrigation;
yet other, smaller and much less successful tribes such as
the Elgeyo and Njemps had worked out clever systems of
their own.
'Perhaps they think that we are being sacrilegious',
Mrs Crawford said.
'They think it wrong to cut down sacred
trees; if spirits live in them, they believe, the spirits
should not be disturbed. Perhaps it is wrong to move a
stream, or in this case create a whole new one. Do you
suppose we're being sacrilegious, Humphrey?'»
(p. 226)
Mrs Crawford essaye de comprendre les coutumes locales mais
elle n'est qu'un personnage, et se laisse persuader du contraire
de
ses
intuitions
justes,
que
l'Afrique
est
un
pays
libre et
vivant. Au lieu de la décrire, de l'adopter ou de l'aimer comme
telle,
le pionnier dans
sa vocation
fiévreuse,
a décidé de
la
remodeler.
Peut-être
parce
que
son
aspect
d'ensemble
le
provoquait
et
le
faisait
réagir
face
à
l'intenable,
l'inacceptable
à
son
sens
britannique.
La
morphologie
du
continent l'incitait à l'action du créateur, en le formant et en
le
modelant.
Ainsi
le pionnier
se donnait-il
la
sensation
de
participer à la genèse dès que l'environnement lui imposait des
conditions de vie très difficiles ou de survie, nécessaires pour
prendre le visage de la patrie, de la mère. Or, il ne suffisait
pas d'avoir du courage et de la tenacité pour dompter l'Afrique.
Il fallait aussi une grâce spéciale qui est accordée aux hommes,
à
la
terre
elle-même,
comme
nous
le
font
croire
Huxley
ou
Blixen. Aussi, le pionnier dut s'inscrire dans le paysage, comme

317
si
la
contrée
était
préparée
à
le
recevoir
comme
un
bâton
de
craie sur un tableau vierge ou un mot sur une page blanche. Mais
comme
dans
le
cas
de
Blixen,
le
pionnier
n'acquiert
sa
conscience
aiguë
d'une
histoire
par
rapport
à
laquelle
se
référer et agir qu'après le constat de l'échec.
Cependant,
dans
les oeuvres écrites, phrase après phrase, une épopée nouvelle se
dessine
à
nos
yeux
dans
la
quête
du
continent
noir,
d'une
topographie,
pleine
de
signes
auxquels
le
voyageur
ne
peut
réagir
qu'instantanément
dans
la
surprise
de
l'attaque
de
fauves,
d'anthropophages
ou
de
populations
indigènes
belliqueuses et primitives,
ou encore de la défense réflexe,
ou
dans la longue observation de l'affût, dans l'attente de moindre
signe de vie humaine dans les oeuvres britanniques.
Chez Waugh,
Conrad et Blixen, par exemple,
l'attente, le recueillement et le
sentiment
d'isolement
donnent
un
entendement
de
l'espace.
Ils
nous
font
voir
comment
les
pionniers
conçoivent
et
organisent
leur
vie
ailleurs.
Les
Somali,
Masai,
Kikuyu,
Dorobo,
Hausa,
Gallas,
Danakils,
Guratchi,
Indiens,
leur
occupation
du
sol,
leurs
occupations,
les
champs,
les
forges ...
indiquent
des
moeurs et des coutumes autres que britanniques.
Il y
a
un sens
autre que britannique.
Par exemple,
TFTT nous informe à propos
d'architecture et de croyances indigènes que:
«
.•• The Kikuyu had a strict rule that every building
must be completed between sunrise and sunset; if a hut were
to be left unroofed overnight, evil spirits would move in
and nothing, apparently, could be done to dislodge them.
This was a most fortunate belief, from an european point of
view.
( ... )
A young man called Njombo had emerged as the spokesman
of the labourers, who were always called boys. How this
name for grown men first originated l do not know, but
everybody used it. Njombo, with several friends,
looked
incredously at the trench and the pegs.
'We cannot build a house like that', he said.
'Why not

318
?'.( ... )
' I t will fall down', he said finally to Robin.
'Not if you built i t properly'.
'Why do you not have a house like that ?' he asked,
pointing to one of the round Kikuyu huts built by the young
men.
'Because l am not a Kikuyu, l am a European.', Robin
explained with what he thought was patience.
'Europeans
have houses like this, with straight lines and corners. So
do not argue any more.'
Njombo clearly thought Robin's insistence not merely
peculiar, but sinister . . . . , so the whole idea, although
strange, was not unheard-of, but he had never been asked to
take part in the actual building of such a monstruosity.
'Are rectangular buildings a sign of civilization ?
'Perhaps i t ' s the furniture', Tilly suggested.
'It
doesn't fit very well into round houses. Natives have
scarcely any furniture at all.'»
(p. 40).
Le
passage
est
d'autant
plus
significatif
qu'il
met
en
évidence
un
conflit
culturel
et
un
conflit
de
croyances,
de
pratiques.
Les
Britanniques
semblent
s'embarrasser
de
meubles
pour
occuper
et
décorer
le
vide,
alors
que
les
Africains
se
contentent
de
l'utile
à
leur
vie.
Ils
ne
s'affublent
pas
de
décombres puisqu'ils considèrent que l'homme ne fait que passer
dans
sa
vie
sur
terre.
Or,
en
dépit
de
leur
réprobation,
certains
pionniers
ne
manquent
pas
l'occasion
de
profiter
du
système
de
croyances
indigènes,
tant
qu'elles
les
arrangent.
Ainsi,
Robin,
en
agissant
en
propriétaire,
maître
de
ces
adultes,
"boys",
à
qui
il
promettait un
rattrapage mental,
n'a
pu tenir compte des coutumes indigènes et s'y conformer de bout
en
bout.
Partant,
Robin
connaît
le
sort
décrit
par
Nj ombo
à
propos de mauvais esprits.
En effet, du point de vue de Njombo, ce seraient les
mauvais esprits que Robin a couvés sous son toit, qui auraient
provoqué son échec financier en Afrique. Mais cette Afrique dans
TFTT, est vieille et jeune à la fois comme Huxley-personnage et

319
Huxley-écrivain. Partant l'Afrique est à la limite du réel. Pour
emprunter les mots de Alberto Moravia, l'Afrique serait un être _
qui:
" bears a greater resemblance to that of an infant, with
few barely indicated features, than that of a man, upon
which life has imprinted innumerable significant lines; in
other words, it bears greater resemblance to the face of
the earth in prehistoric times ... than to the face of the
earth as it is today" ( Voir Moravia, 9)
L'Afrique serait comme Ajantala de la cosmogonie Yoruba, ou
la divinité hindoue de l'immortalité.
Donc elle ne serait pas
inédite. Aussi, pour aller contre la monotonie terrifiante de la
narration
les
écrivains,
héros,
victimes
ou
oppresseurs,
prennent
vie
sous
les
stigmates
du
mauvais
garçon,
rebelle,
ivrogne,
voleur ou menteur,
indigène qui rivaliserait avec les
attributs
de
la
civilation,
la
morale,
l'arme
à
feu,
la
technologie, le rationnel, l'habillement, la loi, l'écriture, la
discipline,
ou la productivité.
Ainsi,
ces personnages ne sont
plus que l'ombre du héros britannique, à qui ils rappellent le
passé. Mais ils sont racontés, et montrés.
Partant,
l'oeuvre de
Huxley a un caractère mythique,
au regard des images et de la
mythologie qui
nourrit
le vocabulaire de
la narratrice,
qu'il
s'agisse des divinités des eaux, ou des nYmphes et divinités des
grottes, sans parler de lan présenté comme une figure du destin,
le dieu de la vie.
Donc TFTT a un arrière-plan,
une structure
orphique.
4 - Une oeuvre mythique

320
En effet,
tout comme le monde est occupé par des pionniers
blancs et des autochtones africains,
il y a une disposition d'un
autre monde coupé en deux parties opposées:
un monde proprement
terrestre et un monde dit 'des enfers'. Une série d'expériences,
en
apparence
banales,
correspondant
en
fait
aux
voyages
des
héros
mythologiques.
Par
exemple
Njombo
p.158-160)
et
Jésus
Christ ont eu le privilège de descendre aux lieux infernaux et
d'en revenir,
après avoir approché le royaume des ombres.
Cette
descente
aux
enfers
se
produit
plusieurs
fois,
symbo l i.quemerrt
dans le roman.
TFTT est un roman initiatique en ce sens que les
héros,
y
compris
Jocelyn,
traversent
nombre
d'epreuves,
de
souffrances,
pénêtrent dans un autre monde que celui de la vie
quotidienne,
et reviennent de leur quête,
initiés,
transformés.
Or,
puisque
le
roman
se veut
être
le témoignage d'une
enfant,
alors
il
devient
le
symbo l e
d'une
aventure
spirituelle,
d'une
formation de l'âme.
Concrètement,
c'est parce que Huxley vit dans un monde qui
contient
tous
les
cercles
de
l'enfer,
en
raison
des
jugements
corrompus qu'elle se fait enfant pour édulcorer les amertumes du
monde des grands. La remise en cause de la notion de barbarie et
de civilisation s'inscrit dans ses propos.
Puis Huxley critique
la
politique
britannique
et
son
organisation
sociale.
Finalement, elle attribue toutes ses découvertes aux vices de la
nature
humaine.
Ainsi,
Huxley
connaît-elle
l'isolement
de
la
future
initiée syrnbo Li.s ée par
un
séjour
à
la
campagne avec
le
Dorobo et les autres indigènes.
En fin de compte,
le fait de se
croire
talentueuse
avant
l'initiation,
équivaut
au
résultat
d'une
transformation,
de
la
découverte
de.
la
matière
et
la

321
manière de l'oeuvre à écrire.
Donc Huxley passe de l'angoisse à
la certitude,
puisqu'elle remonte d'un monde pour accèder à
la
lumière salvatrice de l'art romanesque.
Dans
cet
ordre
d'idées,
lorsque
l'orage
éclate
et
que
Jocelyn
a
la
sensation
que
les
feuilles
de
bananiers
l'enveloppent,
elle évoque la mort.
Elle accède au mystère,
au
sacré grâce
à
ce
type
de
lieu
souterrain
dont
elle
finit
par
triompher.
Les ténèbres et la lumière sont bel et bien dans le roman,
et tout s'achève par une résurrection, une nouvelle vie.
Huxley-
Jocelyn reproduit une suite d'instants privilégiés soustraits à
la
durée,
dans
lesquels
elle
pourra
s'adonner
à
l'adoration
perpétuelle de
ses
rêves
que
la
réalité
piétine.
Or,
si
elle
adore
ces
moments,
c'est
parce
qu'elle
croit
en
l'art,
l'art
conçu comme vérité,
reconquête de l'enfance perdue,
et conquête
de l'éternité:
c'est-à-dire comme une divinité stable,
échappant
aux erreurs dues à la perception fugitive des évènements.
c'est
donc dans
cette conquête que
la
narratrice trouve
le moyen de
vaincre
la
mort.
Huxley-Jocelyn
est
mystique,
mais
cette
dévotion est esthétique.
c'est une mystique,
dans
la mesure où
elle aboutit
à
une
magnification,
un
agrandissement des
lieux,
des
milieux et des
êtres,
une
extase
analogue
à
celle
des
mystiques
religieux
célestes
ou
démoniaques.
C'est
pourquoi
Huxley,
prévient
tous
les
visiteurs
qu'ils
ne
doivent
pas
s'étonner
de
ne
pas
retrouver
le
merveilleux
paradis
de
son
enfance,
de
son
innocence.
Elle leur dit que Thika est une petite contrée plus
qu'à moitié imaginaire.
c'est la mémoire qui donne un
sens à la
vie. Or l'artiste se substitue à celle-là.

322
Le
style de Huxley est d'abord une
sensation,
qui devient
chronique,
reportage,
naturalisme et réalisme selon les mots du
temps.
Cette
sensation
se
tradui t
par
un
texte
tantôt
artistique,
c'est à
dire vision personnelle,
tantôt tantôt par
un
enchantement
musical
ou
pictural
comme
dans
le
tableau
qui
nous
fait
imaginer
l ' insensibili té
poétique
des
Kikuyu
(p .132 )
et dans lequel elle entend la prosodie de ces derniers.
Or, dans
ce tableau,
nous remarquerons qu'il y a des rapports de vision,
une
j uxtaposi tion
d'impressions,
un
amalgame
du
concret
et
de
l'abstrait,
qui
reflètent
l'imaginaire
Huxleyien,
sa
vie
intérieure, riche en références culturelles.
Huxley fut une grande lectrice qui connaissait fort bien le
Français,
la
Bible,
Pres ter
John,
Goliath,
Pleistocene,
Plantagenet,
Orphée,
le
Swahili ...
Il
faudrait
cependant
une
longue étude pour retrouver toutes les références,
allusions,
ou
imitations
de
Huxley.
Ce
roman
long
est
plein
d'humour,
d'ironie, sinon même de comique.
Enfant,
Huxley
était
pleine
de
gaîté,
collectionnant
les
imbécilités des adultes trop impatients de vivre, de vaincre.
Un exemple de
ces
fautes
d' adul tes,
se
trouve
dans
le passage
suivant:
«
Most of the cannibals went home when the Palmers' house
wasfinished, but two or three settled down with wives and
families ... »
(p.169).
Le
ridicule est que
les
soi-disant anthropophages
ont
non
seulement une famille,
mais aussi ne semblent guère avoir trouvé
les
Palmer suffisamment à
leur goût pour pouvoir
les déguster.

323
De
même,
l ' atti tude
des
pionniers
au
suj et
des
élèves
de
la
mission est aussi éloquent:
«'A mission-boy', cried Hereward.
'Yes, bwana', the young man said, relapsing now into
Swahili.'
l can read a book, l can write a letter.'
' I t ' s a pitY he
did not stick to that', Alec remarked.
'You see? '
sa id
Hereward.
'What did l say? First thieves, and now
murderers.'
...
'Just shows you, what these missions teach them ... '»
(p.122).
Elspeth
Huxley
rit des
préjugés
des
colons
à
l'égard
des
religieux,
qui
eux,
enseignent
aux
indigènes
la
fraternité
et
l'égalité des hommes.
Les missionnaires
faisaient des
indigènes
des rivaux potentiels envers les pionniers,
héritiers d'un autre
discours:
celui
du
pouvoir
colonial
auquel
le
natif
doit
se
soumettre.
L'ensemble
devient
d'autant
plus
comique
lorsque
Huxley-narratrice nous apprend que:
«
Robin's mind ran to precious stones and metals ... »
(p.27)
Nous ne pouvons nous empêcher d'avoir un sourire impuissant
et plaintif en apprenant que Robin a choisi le pari difficile de
féconder
ce
qui
est
stérile.
Alors
qu'il
s'est
attaché
au
matériau dur, à la terre, qu'il trouve dégradée,
il cherche à en
faire surgir de la fraîcheur,
de la douceur.
La
transplantation
des
valeurs
occidentales
sous
les
tropiques,
est
inadaptatée,
voire
impossible.
C'est
dans
cette
optique
que
la
narratrice
nous informe de la mode vestimentaire de Tilly:
«
It became very hot in our ox-cart,
... Tilly hoisted a
parasol with black and white stripes which helped a little,
but i t had not been made for tropic sun. l was fortunate;
being only six or seven,
l wore no stays or stockings, but

324
Tilly was tightly laced in, her waist was wasp-like, her
skirt was voluminous, and the whole ensemble might have
been designed to prevent the circulation of air.»
(p.13-
14) .
Cette
tenue à
la mode de
l'époque
victorienne,
n'est
pas
particulièrement
recommandée
en
Afrique.
Son
design
contraste
avec les besoins humains des pionniers.
Conséquemment,
la satire
sociale
est
l'occasion
de
mettre
en
évidence
les
ridicules,
source
inépuisable
de
comique
dans
TFTT.
Ce
qui
lui
donne
un
caractère
de
drôlerie
sociale,
fruit
d'un
sens
aigu
de
l ' obervation,
d'une
vision
malicieuse,
voire
cruelle
du
monde
des adultes britanniques. Mais,
en lisant ce roman, il n'est pas
toujours facile de distinguer l'ironie de la satire,
le comique
voulu et l'humour voilé.
En effet,
l'ironie et l'humour ont pour objet de repousser
le sérieux qui s'attache à
la comédie humaine,
de détruire les
certitudes.
C'est le cas qui
se présente dans la polémique sur
l'occulte et le réel,
à partir de la situation des Britanniques
en Afrique:
«
'It's like walking on ice', she remarked.
In reality, i t was like living in one world while another
co-existed, but the two scarcely ever meshed ... »
(p.159).
Le fait que Njombo ait pu être envoûté, met en évidence le
fantastique défiant
le
rationnel
dans
la vision
britannique de
l'Afrique.
C'est
pour
dire
que
toute
vision
humoristique
commence
par
soi-même.
C'est
une
sorte
d'autoflagéllation
de
l'humoriste, de même que de ses compatriotes.
C'est ce que nous
pouvons
constater
par
exemple
dans
ce
passage

Hereward,
Robin, Lettice et Ian discutent de corruption et de pourboire:

325
«
'1 have never been able to understand difference between
a bribe and a tip', Robin said.
'Yet you are a blackguard
if you do give the one, or if you fail to give the other.
It is very difficult' .
'1 suppose it's a question of timing.' Ian suggest.
'One
cornes before service, the other after. Would it make you
think any better of us. Hereward, to know that we gave him
his pourboire after he has smoothed our path with Menelik,
and not before?'
'You can split hairs if you like', Hereward replied
gruffly.
'Right's right and wrong's wrong to me.'
, You are lucky to see things so clearly', said Lettice.
, There's no luck about it. Right and wrong are there for
every one to see. There are often inconvenient, and
therefore people pretend they're obscure as an excuse for
dodging them. That's all.'»
(p.167).
Mais ce que nous n'oublions pas,
c'est que Hereward s'est
enfui avec Lettice de Grande Bretagne,
et que Ian en est tombé
amoureux.
De même,
ils
se
sont
tous
mobilisés
pour
défendre
l'invasion du Kaiser, mais pas pour libérer les indigènes d'une
soumission
qui
ne
semble pas
leur
déplaire.
Au contraire!
Et
c'est là qu'apparaissent le comique,
le ridicule,
et l'humour,
ce
que
«le
langage
exprime
ou
que
le
langage
crée»
comme
dirait Bergson
( Voir Bergon,
10). C'est ainsi à la manière de
Evelyn
Waugh,
Huxley,
s'efforce
elle
aussi,
de
mettre
une
distance entre les réalités pénibles et la connaissance qu'elle
en a tout aussi bien en ce qui concerne les hommes, mais aussi
leurs écarts de langage.
5 - Pourquoi Partir?

326
si
l'Afrique
est
apparu
comme
un
grand
chaos
malgré
les
étendues immenses de
forêts
et de terrains,
dits vagues,
c'est
parce que
le pionnier était incapable de maîtriser son espace:
«
.•. but
the
whole
country
is
a
garden;
a
garden
God
has
planted .... »
(TFTT.
,
p. 17).
Et dans cet état,
au lieu de les
fondre dans l'anonymat du continent,
l'Afrique se fait
l'alliée
des
immigrés
qui
veulent
devenir
exceptionnels,
ou
faire
des
réalisations admirables, graver leurs noms dans l'histoire et la
mémoire
des
hommes.
L' Afrique
offrait
en
effet
un
bon
nombre
d'opportunités
à
ceux
qui
voulaient
y
croire.
c'est
ce
qui
explique la reprise en choeur de cette situation dans les écrits
britanniques,
par
exemple
dans
le
dessein
des
promoteurs
de
Conrad
(p.
63),
de
l'ingénieur
des
travaux
publics
de
Cary
(p.59),
de
même que
la
nomade
Blixen
(p.93)
sans
oublier
le
journaliste
Waugh
(p.152)
et
l'enfant
de
la
brousse,
Huxley
(p.16;
p.88;
p.
90-91).
De même on ne cessera
jamais de parler
de personnes comme Lord Delamere,
dans
la mesure où elles sont
des
hommes
de
reférence obligatoire pour
la
réalité
africaine.
Ainsi Waugh marche-t-il sur les sentiers battus de Burton, relit
Gide tandis que Huxley se refère à Prester John
,
et que Blixen
par
exemple
relit
l'Odyssée
Que
les
faits
accentuent
ou
gomment leurs vertus, ces personnages se métamorphosent en héros
qui
leur
donnent
le
sens
du
monde
qu'ils
ont
suggéré.
C'est
ainsi
que
naît
une
nouvelle
Afrique
qui
donnait
à
chacun
sa
chance.
Aussi,
l'Afrique
présentait-elle
les
manifestations
d'une
maladie
contagieuse,
les
caractéristiques
d'un
rite
de
passage pour ceux qui
voulaient
se prouver
à
eux-mêmes
et aux
autres qu'ils étaient des braves.
De même chaque sujet se sent
prisonnier du cercle où le hasard le fait vivre, d'où il éprouve

327
le
besoin
d'échapper
à
cette
sensation
d'étouffement
en
changeant de place, en allant le plus loin possible ( Voir Hall,
11).
C'est
pourquoi
pour
Conrad
et
pour
ses
personnages,
la
contemplation du paysage,
de son étendue,
le pittoresque et le
climat charmeront l'ennui, pour finalement estomper le but d'une
imprécision qui a permis au rêve de prendre son essor
( AOP, p.
58). Au contraire de Conrad,
Blixen semble chercher à
sortir de
ce cercle vers lequel elle a
été propulsée et qui ne lui a pas
réussi.
Elle prend da hauteur pour mieux chercher.
A son tour,
Huxley,
recherche
l'entrée
de
cette
Terre
Promise,
l'essence
même de son royaume, alors que le refus du séjour habituel et la
quête,
au
lieu de
la
satisfaire,
lui
font
éprouver
la
confuse
sensation du lointain,
d'une existence implacablement réglée et
révolue.
C'est peut-être de
ce point de vue que
Simon Gikandi
qualifie
de
monologue
sa
situation
idyllique
Voir
Gikandi,
12). De même,
à l'instar du temps irrécupérable de Huxley, Cary,
grâce
à
la
fiction,
nous
présente
les
caractéristiques
d'un
départ impossible. Ainsi à
l'opposé de Conrad et quelque peu de
Cary,
Blixen,
Huxley
et
Waugh
ont
plus
ou
moins
vécu
leurs
situations. C'est d'ailleurs pourquoi,
la peinture de la réalité
y est minitieuse, peut-être fidèle,
car ces romanciers savent ce
dont
ils
parlent.
Et
dans
tous
les
cas,
la
prospection
est
l'antidote
du
spleen,
puisqu'elle
procure
le
divertissement
auquel
ils
aspirent
tous,
et
le
goût
de
l'aventure.
Qu'elles
soient
réelles
ou
illusionnistes,
leurs
oeuvres
ne
s'arrêtent
pas aux apparences du monde
extérieur,
car elles
s'intéressent
aux
caractères,
aux
moeurs,
aux
croyances,
aux
faits
de
civilisations,
même
si
c'est
toujours
dans
une
recherche
du

328
dépaysement.
Cette
recherche
offre
donc
une
occasion
de
reconnaissance de l'autre.
Ainsi,
cette
Afrique
dont
les
littérateurs
ont
entendu
l'appel,
ils
l'ont
choisie.
Ils
l'aiment
ou
la
redoutent
en
l'observant avec la foi
de
l'enquêteur et
la sympathie d'amis.
Ce
qu'ils
recherchent
et
ce
qu'ils
trouvent
sous
ces
cieux
nouveaux,
ce sont des
impressions particulières
et fortes,
que
la
Grande
Bretagne,
terne
et
trop
familière,
ne
peut
leur
fournir. Mais, en tant qu'artistes,
les écrivains choisissent et
arrangent.
Or,
ce faisant,
ils nous donnent de la réalité,
une
image
plus
expr es s i ve
que
l'Afrique
elle-même,
en
ce
sens
que
nous
découvrons
un
monde
inconnu,
singulier.
Partant,
consciemment
ou
non,
ils
demandent
au
spectacle
du
neuf,
des
éléments qui répondent à leurs besoins intérieurs.
La tâche est
d'autant plus aisée qu'ils éprouvent de
l'attachement ou de la
répulsion pour ce nouveau monde qui leur rappelle et leur fait
oublier
le
passé
Voir
Hammond
&
Jablow,
13).
Aussi,
très
souvent,
les
écrivains
aboutissent
à
une
confession,
ou
une
méditation
sur
la
décadence,
ou
le
regret
de
la
perte
d' originalité,
avec même une proj ection de
l'âme de
l ' écri vain
sur l'Afrique qui l'inspire, ou une affubulation romanesque pour
exprimer
des
impressions
et
des
obsessions.
C'est
pourquoi
le
désert de Somalie ravive la foi de Waugh et son intérêt pour la
civilisation éthiopienne.
Blixen quant à elle retrouve dans les
déplacements
perpétuels
des
indigènes
le
reflet
de
son
propre
désenchantement de
femme
stérile.
Touj ours
dans
cette attitude
de correspondance,
la forêt centre-africaine devient un prétexte
à
flétrir
les puissants,
à
cri tiquer impunément
l'ordre établi
et
à
propager
des
idées
subversives
dans
AOP.
Soit
dit
en

.~
329
passant,
pour
conrad,
la
position
philosophique
est
d'autant
pl us
forte
qu'il
voit
les
choses
d'un
oeil
neuf,
et
que
les
préjugés et l'accoutumance n'ont point alteré son sens critique
(
AOP,
p.
57;
p. 66;
p. 69 i
p. 71;
p. 79).
C'est
pourquoi,
munie
d'une
intention
psychologique,
la
nouvelle
de
Conrad
nous
présente
une
vision
burlesque
et
absurde
du
monde

nous
vivons.
Ainsi le pays où évoluent ses pionniers comporte-t-elle
des
images
carricaturales,
pour
se
mettre
au
service
d'une
cause.
Kayerts et Carlier sont au coeur de nulle part,
si bien
qu'ils ne peuvent s'en échapper,
au contraire des indigènes qui
viennent les voir comme s'ils étaient des fauves dans une arène.
D'un autre côté,
le livre de Huxley,
nous
rappelle que le
dépaysement
a
deux
dimensions,
en
ce
sens
qu'il
évoque
une
région
disparue,
dont
l'étrangeté
procure
la
satisfaction
du
recours à l'enfance,
et un
sentiment de libération.
Mais Huxley
la
choisit
parce qu'elle-même
s'est
épanouie dans
un
âge
déjà
lointain.
De tous
ces
cas
de
figures,
Cary
semble
avoir
adopté
la
forme la plus simple dans la mesure où il parle d'un pays et de
gens qu'il
n'a
jamais
réellement
"connus",
des
personnages qui
lui
ont
été
révelés
imparfaitement
et
schématiquement
par
des
recherches
érudites
(MJ,
p.9;
p.250).
Cary
semble
exprimer
un
voeu
sincère,
bien
que
nous
décelions
touj ours
quelque
chose
d'autre
dans
cet
enthousiasme.
Il
s'agit
moins
d'un
goût
personnel que d'une recherche de satisfaction d'un public épris
d'un
pays
étranger
ou
d'une
forme
de
vie
étrange.
Par
conséquent, à qui faire crédit, puisque l'écrivain s'il est féru
d' exacti tude,
met
son
point
d' honneur
à
rester
impassible
ou
impartial:
ainsi
dans
le
regard
de
la
fille
sortie
de
la

330
brousse,
Huxley,
chez
qui
l'Afrique
prend
la
forme
d'une
reconstitution,
de
récréation
d'un
monde,
autre,
disparu
ou
actuel,
en
sachant que toutes
les
oeuvres
ont assez
de
forces
pour nous contraindre à participer au jeu?
En
effet
nous
sommes
Kikuyu,
Masai
ou
Somaliens
ou
Ethiopiens en lisant TFTT,
OOA, RP,
alors que nous nous sentons
Nigérians
en
abordant
MJ,
et
même
européens
ou
indigènes
en
feuillettant AOP. Or cette substitution n'est pas gratuite comme
elle le prétend, dans la mesure où les écrivains qui vivent avec
leurs
personnages
dans
une
contrée
étrangère,
selon
des
lois
d'une réalité et même d'une civilisation étrangère,
recherchent
une
consolation
à
l'angoisse,
un
remède
à
l'ennui,
au
banal.
Mais,
les
rêves dans
ce cas
sont
intérieurs,
alimentés par
le
souvenir ou l'imagination (l'invention).
Chez
Blixen
ou
chez
Huxley par
exemple,
l'artiste
a
vécu
dans le pays qu'il regrette, dont il croit avoir tiré un bonheur
d'une
pureté
et
d'une
intensité
infinies.
C'est
pourquoi,
lorsque son sort présent et son milieu l'accablent, il est tenté
de
recréer
ses
expériences
passées,
de
les
inventer,
de
les
altérer
de
façon
objective.
C'est
ainsi
que
les
oeuvres
de
Blixen et de Huxley sont mêlées de regret et prennent un timbre
nostalgique,
de
l'amertume d'un
bien-être physique qu'elles
ne
peuvent plus retrouver,
l'affliction de l'enchantement des sens,
d'une
sorte
de
paradis
perdu.
Mais
cette
quête
se
fait
à
rebours,
dans un monde à
l'envers qui
remonte dans
le passé
Voir Gurr;
Reising,
14).
si nous considérons que Waugh,
Conrad,
et
Cary
sont
des
explorateurs
en
puissance,
partant
à
la
rencontre d'un Eldorado vaguement entrevu,
en tant que néophytes
aspirant à
être initiés,
Blixen et Huxley elles,
se présentent

331
comme des
exilées qui
voudraient
retrouver
leur patrie perdue.
Dans
tous
les
cas,
le
rêve
intérieur
éveille
le
désir
d'un
retour
impossible,
qui
ressemble
parfois
à
un
trait de génie.
Ainsi,
seule une imagination déréglée peut-elle le nourrir,
dès
lors où il y a un refus de la réalité, de la logique du temps.
Cette
attitude
ressemble
à
la
recherche
du
merveilleux
ou
du
fantastique,
en
ce
sens
que
les
littérateurs
se
satisfont
de
l'invraisemblable
et
de
l'irrationnel.
Ainsi,
ou
bien
cette
Afrique crée des obsessions, des hallucinations comme chez Cary,
Conrad, Blixen, Huxley, ou Waugh, ou à la limite, elle prend une
dimension
mystique
avec
le
regret
douloureux
d'une
vie
inlassablement
revécue
puisque
la
situation
coloniale
visait
à
rapprocher l'Afrique de la Grande Bretagne.
Les Britanniques vont chercher le dépaysement. Or, pour les
. défricheurs,
tout
ce
qui
est
non-familier,
impénétrable,
est
dépourvu de sens,
ou est ténêbreux et sans ordre. Mais en fait,
c'est
leur
tempérament
lyrique
qui
les
incite
à
découvrir
partout
des
symbo l.e s
d'eux-mêmes.
si
la
situation
est
figée,
c'est parce que
le poids du passé est un
handicap,
et que les
habitutes
acquises
freinent
leurs
élans
et
leur
donnent
une
mauvaise
conscience.
Ce qui
veut
dire que
les
écrivains
n'ont
pas pu se débarasser des craintes et des inhibitions morales qui
les
culpabilisent.
Cependant,
même
inj uste
ou
despotique,
une
autorité a toujours un goût de légitimité qu'il faut vaincre.
Partant
là-bas,
en Afrique,
l'atmosphère
est
innocente
et
tout
est
neuf:
les
terres
et
les
hommes.
Mais
le
pionnier
devient
une
puissance
qui
s'attaque
à
l'ordre
établi,
se
rapproche
de
l'anarchisme
et
à
un
non-conformisme
provoquant.
Ainsi,
bien que les oeuvres soient soutenues par
la passion de

332
l'histoire, de l'archéologie et de l'intérêt porté aux religions
et aux philosophies millénaires
(OOA, p.251-252),
et le respect
de tous les vestiges épargnés par le temps,
la construction du
monde
équivaut
à
une
protestation
implicite
contre
une
époque
contemporaine,
hostile
au
rêve
et
à
la
beauté.
Pourtant,
les
personnages semblent subir le sortilège de ce continent.
Partant
pour
un
nouveau
monde,
les
pionniers
croient
échapper
au
principe
de
réalité
qui
pèse
sur
eux,
dans
la
pauvreté,
la
misère,
l'ennui.
L'Afrique
s'oppose
à
la
Grande
Bretagne,
comme l'espoir à
la contrainte,
valorisant
l'individu
au
détriment
du
sentiment
collectif
des
institutions
et
des
lois.
Comment pouvons-nous ignorer
le vague à
l'âme de Blixen,
sous le poids de la défaite? (OOA, p.317).
Entre la conscience de l'échec et l'espoir d'une chance,
il
a fallu qu'un idéal les attire,
assez vague pour leur donner un
sentiment
de
liberté.
Sinon,
pourquol
partir,
si
c'est
pour
retrouver les mêmes
misères,
et supporter
les mêmes
échecs?
Ne
change-t-on pas de monde pour obéir à un rêve ?
C'est pourquoi out of Africa caractérise l ' atti tude et
le rêve
de Denys en ces mots:
«
But ... that sort of civilization we're going to get ln
Africa.
'You know,' ... 'thls Continent of Africa has a
terribly strong sense of sarcasm'»
(OOA, p.295).
En
effet,
l'Afrique
prend
un
aspect
identique
à
celui
de
l'Europe.
C'en
est
fini
des
traditions
folkloriques
et
des
particularités
régionales,
même
les
croyances
et
les
pensées
tendent
à
se
niveler.
Le
fétichisme
tend
à
céder
la
place
au
christianisme
et
à
l'Islam.
Les
vestiges
des
civilisations

333
indigènes,
bien
que
préservés
à
l'usage
de
touristes
sont
étouffés
par
la
masse
des
coutumes
modernes
Voir
Gauthier;
Loti,
15).
La
nature,
elle
aussi
perd
sa
personnalité,
son
charme. Les spéculateurs et les pionniers ont dévasté les forêts
et les savanes. Tout se détériore et se banalise.
Partout tend à
disparaître la vie primitive, la douceur de vivre:
«
When l first came to Africa, there were no cars in the
country, and we rode in to Nairobi, or drove in cart with
six mules to i t ... »
(OOA, p.19).
Les
exigences
modernes
impriment
à
l'existence
un
rythme
précipi té.
Or
cette existence s'oppose à
la
notion
indigène du
temps
et
de
sa
gestion,
d'où
les
remarques
ennuyées
des
écrivains
sur
la
patience,
le
temps,
surtout
dans
la
palabre,
avec
les
indigènes.
Les
impératifs
économiques
ont
érodé
la
beauté de
la
nature.
Est-ce
cet
ailleurs
dont
tous
rêvaient
?
Qu'en reste-t-il ?
L'abandon d'identité
Du
point
de
vue
de
l'individu,
l'Afrique
offrait
des
circonstances et des possibilités diverses et variées.
C'est ce
qui fait dire à Waugh dans Remote People que:
«
In Addis Ababa everything was haphazard and incongruous;
one learned always to expect the unusual and yet was
surprised.»
(p.49).

334
L'imprédictibilité
du
temps
et
de
la
vie
constitue
la
puissance
et
le
charme
de
l'aventure
Africaine.
Or,
dans
ce
passage,
le conteur
est
un
être à
l'affût,
ou embusqué,
comme
Huxley
TFTT,
p.
33).
Une
fois
débarqué,
il
est seul
et tout
autant
inconnu
dans
ces
contrées
étrangères.
En
apparence,
personne ne peut distinguer le voyageur, du fait que son nom, sa
religion
s'effacent
au
moment
du
débarquement,
comme
pour
lui
donner une innocence:
«
with ha rd work and patience, the V1Slon could become
real: a house could arise, coffee bushes put down their
roots and bloom and fruit,
shady trees grow up around a
tidy lawn; there was order waiting to be created out of
wilderness, a home out of bush, a future from a blank and
savage history, a fortune from raw materials that were, as
they then existed, of no conceivable value at aIl.»
( TFTT, p. 28).
Il
peut
se
débarasser
des
masques
de
convention,
pour
apparaître
sous
le
visage
qu'il
a
voulu
assumer.
Le
nouvel
arrivant peut se métamorphoser,
face
aux normes,
aux moeurs
et
aux
comportements
nouveaux.
Là-bas
en
Afrique,
l'immigré
peut
recouvrir cette innocence.
Il crée sa loi,
et il n'y a
plus de
norme
contraignante.
C'est
ainsi
que
si
nous
j ettons
un
coup
d'oeil à
la nouvelle de
conrad,
ce que nous pouvons
remarquer,
c'est
que
Carlier
accepte
un
instant
l ' autor i té
de
Kayerts
p.59), avant de la remettre en cause,
surtout lorsque ce dernier
décide
de
conserver
le
sucre
pour
les
malades,
sans
pouvoir
accepter l'idée que Carlier puisse être souffrant «
You are no
more
sick
than
r am,
and
r go wi thout',
said
Kayerts
in. a
peaceful tone.
'Corne! out with that sugar, you stingy old slave-
dealer' .»
( p.75).

335
Dans
tous
les
cas,
la
représentation
de
leur
arrivée
en
Afrique nous fait dire qu'elle offrait des chances aux chasseur~
de
fortune
RP,
p. 22),
à
ceux
qui
recherchaient
un
asile
TFTT,
p.131),
en guise de thérapie contre les contradictions du
capitalisme
de
la
société
britannique.
Tout
autant,
l'Afrique
faisait de place aux amateurs de sensation
( Voir
Denys-Finch,
Emmanuel
dans
OOA)
ou
à
ceux
qui
s'imposaient
le
fardeau
de
civiliser
(Voir Tilly dans le TFTT) , de soigner les faux et les
vrais malades.
C'est ce que
nous
suggère Waugh,
lorsqu'il
nous
dit que:
«
Apparently the Kikuyu have a passion for pills only
equalled in English Bohemia; they come at aIl hours to beg
for them, usually on the grounds that their childreen are
ill, just as Europeans beg for sixpences.»
(p. 149)
La médécine fait des miracles
( Voir Tilly,
p. 44
in TFTT,
Kayerts
et
Carlier
in
AOP,
Blixen
in
OOA);
elle
a
une
force
magique
qua
fait
que
les
indigènes
en
raffolent,
faisant
des
pionniers
des
soignants
occasionnels,
leur
conférant
ainsi
un
pouvoir
et
un
statut.
Mais
il
se
trouve
que
Waugh
nous
a
enseigné auparavant que:
«
There is a slight infection of persecution mania about
aIl political thought in the colonies,
just as there is
megalomania in Europe. »
(p. 143)
En effet,
c'est parce qu'il y a un complexe de persécution
dans la vie coloniale, que par exemple les personnages de Conrad
se
livrent
la
guerre.
Par
contre
dans
RP,
les
pionniers
sont
comparés à des artistes, qui au nom du pouvoir, de l'autorité et
du
profit
se
sont
imposés
des
fardeaux.
(
RP,
p.
141)
C'est

336
ainsi que le fait de s'approprier des choses immobilières comme
si elles avaient été des objets mobiliers s'est répandu dans le
cercle des immigrés
( RP,
p.
148).
Cette situation est commune à
Conrad,
à
Blixen,
Huxley
et
Waugh
comme
nous
le
savons.
Mais
nous ne retiendrons que ce passage de Waugh:
«
It is not big business enterprise which induces the
Kenya settlers to hang on to their houses and lands, but
the more gentle motive of love for a very beautiful country
that they have come to regard as their home, and the wish
to transplant and perpetuate a habit of life traditional to
them, which England has ceased to accomodate. The
traditional life of the English squirearchy, which while i t
was still dominant, formed the natural target for the
satirists of every shade of opinion, but to which now i t
become a rare and exotic survival, deprived of the
normality which was one of its determining characteristics,
we can as the race look back with unaffected esteem and
regret.»
(p. 140)
En d'autres
termes,
les
colons
se font
les
défenseurs
des
valeurs aristocratiques.
Le pays leur a donné un
"chez eux",
et
de quoi vivre,
en
leur permettant de prendre leur
revanche sur
un
passé
qui
s'est
moqué
d'eux,
et
qu'ils
ont
finalement
rattrapé
ailleurs.
C'est

tout
l'intérêt
de
leur
situation.
Mais sur des terres lointaines,
on ne redevient pas pour autant
innocent.
En effet,
tout autant que l'immigré se donne une histoire,
en
même
temps
il
reste
attaché
à
un
passé,

la
violence,
l'amour,
ou la mort restent omniprésents
( RP,
p.139).
Donc,
ce
qui est nouveau, c'est la conscience et l'espoir qui font croire
au Britannique qu'il
peut agir
sur
ces
forces
sans
le
recours
d'autrui.
C'est
ce
que
nous
laisse
penser
la
vision
chaotique
d'un continent, qui attend d'être mis en valeur.
La rusticité du
pays,
son
désert
immense
parcouru
par des
nomades,
des
hommes

337
mal nourris,
souvent pris pour des anthropophages,
et ses zones
mystérieuses,
n'attendaient que le dynamisme,
la rationnalité et
la
conscience
professionnelle
des
débutants
pour
être
apprivoisés
(
Voir
AOP,
p. 58).
Emasculé
chez
lui,
le
pionnier
pouvait montrer qu'il était encore potentiel, et viril. La route
menait
partout

il
voulait
partir,
sur
le
plan
politique,
économique ou socio-culturel.
Mais,
l'étranger qui part revient
comme l'oiseau
à
son
nid.
Et
pourtant,
aller
en
Afrique
cela
voulait dire partir, fuir,
ou aller vers une défaite culturelle.
Ce
sera
donc
la
défaite
à
l'amont
comme
à
l'aval,
avec
simplement une puissance qui change de mains.
Or,
sans défaite,
il n 'y a
pas de victoire mais
un effort incessant du neuf,
du
progrès
ou
de
la
modernité,
comme
Sysiphe
dans
le
Mythe
d~
Sysiphe d'Albert Camus,
qui a roulé la pierre jusqu'à la fin de
ses
jours.
Aller de l'avant devrait effacer
les
souffrances du
passé.
Pourtant,
en Afrique,
ce qui
se passe avec
les
émigrés
Britanniques,
c'est qu'ils
effectuent
un
retour
sur
eux-mêmes,
sur leur passé culturel.
Ils auraient voulu suivre
le temps et
s'en tenir à
l'écart tout à
la fois pour le regarder s'égréner
et s'arrêter. Et c'est ce qui leur vaut la tragédie, des chemins
interrompus, la tragédie de leurs vies.
Aussi,
lorsqu'ils
ont aimé,
les
Britanniques
ont
touj ours
aimé seuls,
car ils n'ont jamais su puiser leurs joies ni leurs
peines à
la
source commune.
Face à
l'Afrique,
les
Britanniques
avaient peur de la vie, alors que l'Afrique incarne celle-là. La
peur est partout aux aguets,
en eux et par eux.
Mais est-ce la
peur d'un changement, d'un avenir, qui véritablement mènent à la
mort, au fini, à la fin de l'évitement et au début du dialogue?

338
Les lieux finis
En
attendant,
l'Afrique
porte
les
traces
de
ce
qui
est
fini.
Les
lieux
sont
chargés
d'histoire,
comme
le
signifie
Lettice dans TFTT:
« ' ... It's a sort of quiet, smiling, destructive ferocity.
Doesn't i t strike you as strange that nothing people have
created here has survived ? Not even a few traces ? No
ruins of cities or temples no ancient overgrown roads no
legends of past empires no-statues hidden in the ground no
tombs or burial mounds ? No sign that generations of people
have lived here, lived and died. Do you realize that quite
soon we shall be the past ? And what will there be to show
that we ever existed ? We shall be swallowed up like
everything else into a dreadful, sunny limbo.'
'You're being morbid', Tilly said.
'It's true that the
natives have done nothing yet with the country, that we
shall.'»
(p.72)
Mais grâce à la littérature, les sites sont jeunes et vieux
en
raison
de
l'élément
destructeur
subtil.
Aussi,
nous,
lecteurs,
nous
hésitons
à
distinguer
passé
personnel,
passé
collectif
et
passé
immémorial.
Ce
qui
nous
reste,
c'est
une
poésie,
qui
consiste
à
surprendre
ce
mouvement
d'appropriation
des
choses,
de
l'univers,
de
son
existence
par
l ' homme.
C'est
l'image
du
personnage
rattaché
à
un
lieu
légendaire
que
avons
là, tout comme dans OOA, où Blixen à force de gravir, d'explorer
les Ngong Hills,
et à y passer de longs moments,
a
fini par en
connaître
chaque
recoin.
A
force
d'y
être
attirée
irrésistiblement pour voir
le pays de haut,
en cet endroit qui
laissai t
les
indigènes
indifférents,
elle
en
prend des
clichés

339
qui
refusent
de
se
laisser
éteindre.
Les
hommes
sont
autant
rêves que rêveurs, imaginés qu'imageants.
c'est
dans
cette
perspective,
qu'en
plus
de
Lettice
interrogeant
son
environnement,
au
moment

Blixen
veut
le
survoler, que Kayerts et Carlier dans AOP rêvent de la forêt, de
la
ville,
du
premier
artiste
dont
il
ne
reste
dans
leur
cantonnement
que
la
croix
et
quelques
effets
personnels
rouillés.
Auparavant,
Waugh
est
fasciné
par
le
cycle
de
destruction dans
lequel
l'Abyssinie
est
enfermée,
sans
pouvoir
renaître de ses cendres
(RP,
p.23;
p.29).
Ces exemples ne sont
pas
exaustifs mais
nous
nous
contenterons d' aj outer
en mémoire
Rudbeck,
qui ne peut se départir de
la brousse et de
la
route
qui n'a pas encore menée ni à un village ni à un endroit précis.
Lorsqu'il
revient
en
communauté,
c'est
pour
supprimer
Johnson,
retrouver
la
paix de
l'âme,
mais
aussi
les
troubles
du
foyer
conjugal.
N'est-ce pas à dire que la passion conduit toujours à
la
mort?
Or,
n'est-ce
pas
l'infortune
qui
impose
le
rêve?
L'Afrique peut-elle être une thérapie à cette infortune?
Pourtant,
il semble que ce en quoi
l'on a
cru un
jour,
on
peut
y
croire
pour
touj ours,
si
l'on
ne
se
perd
pas
dans
la
nuit. C'est à ce sujet que le narrateur de AOP nous dit que:
«
A man may destroy everything within himself, love and
hate and belief, and even doubt; but as long as he clings
to life he cannot destroy fear; the fear, subtle,
indestructible, and terrible that pervades his being that
tinges his thoughts; that lurks in his heart; that watches
on his lips the struggle of his last breath ... »
(p.72).
Autrement
dit,
l ' homme
traqué
est
touj ours
en
agonie,
en
proie
à
la
crainte
de
l'échec,
de
la
failli te,
de
la
perte,
parce
qu'il
a
peur
d'être
fini,
et
anéanti.
Or
dans
les

340
situations que nous venons de voir,
le pionnier en Afrique est
un homme traqué. Mais est-ce la peur de l'Afrique qui a regénéré
sa
misère?
Ou
est-ce
parce
que
en
tant
qu'Etre
vivant,
il
portait l'ensemencement de la contradiction de la vie, à savoir,
la
mort?
Ou
bien
est-ce
parce
que
du
fond
de
l'abîme,
il
a
aperçu la ficelle d'argent qui se profilait au-dessus?
Ce qui
est
certain,
c'est que
la
Grande
Bretagne est
en
train
de
détruire
son
propre
mythe
à
travers
ses
écrivains
faisant état de l'Afrique et de la défaite du héros britannique.
En effet, si les logographes l'évoquent en plus de ses
réalités, c'est parce que ces réalités Africaines manquaient à
la Grande Bretagne, dont le passé les traque. C'est pourquoi, en
tant que chroniqueurs ils décident de rendre éternel, par
l'écriture, ce qui ne sera plus. C'est aussi parce que le passé
les hante que dans leurs écrits, l'échec et la mort sont
programmés dans la conquête de l'Afrique. Aussi l'espace
devient-il un dieu inconnu, un abîme où le voyageur britannique
finit par se perdre après avoir dégusté toutes les déceptions et
les insatisfactions des lieux définis. C'est ainsi, par exemple,
que les villes de Naïrobi ou de Monbasa sont de simples lieux de
passage, soit pour receptionner le courrier ou en envoyer, soit
pour prendre le train ou faire quelques emplettes.
Les villes, lieux de passage
Les
villes
sont
des
points
de
repère
à
peine
fiables,
puisqu'elles sont situées dans des
zones de transit
comme des

341
auberges,
pour le voyageur qui se découvre lui-même au fur et à
mesure qu'il
penètre
le
continent.
Paradoxalement,
c'est
là où
il s'installe qu'il retrouve ce passé qu'il avait cru évanoui:
«
It is impossible that a town will not play a part in
your life; i t does not even make much difference whether
you have more good or bad things to say of it, i t draws
your mind to it, by a mental law of gravitation. The
luminous haze on the sky above the town at night, which l
could see from sorne places on my farm, set my thoughts
going, and recalled the big cities of Europe.»
( OOA, p. 1 9 ) .
En effet,
pour se sentir chez lui,
le pionnier transforme,
aménage
la
contrée
sauvage pour
la
rendre
civilisée
(
OOA,
p.
16;
p.
17).
Peu
importe
l'image de
lui -même qui
est
renvoyée,
celle
du
faible,
peureux,
poisseux,
truand
ou
hypocrite,
ou
justicier.
Ce
qui
compte,
c'est
que
dans
les
circonstances
nouvelles
et
les
épreuves
de
l'environnement
auquel
il
mesure
ses forces,
il sait qu'il existe.
Il se confronte à des contrées
trop sublimes pour être réelles,
en raison de ce silence mortel
et
des
autochtones
soumis
à
cette
nature.
Ainsi,
s'ils
sont
grandioses,
les
paysages
suggèrent
au
pionnier
une
grandeur
cosmique à
laquelle il
participe,
bien qu'il
devra
un
jour
en
disparaî tre.
Aussi,
la
liberté qu'il
cherche semble
loger dans
ces déserts de
sable,
ces
forêts,
ces
roches,
ces vallées
qui
évoquent
le
crépuscule
des
temps
anciens
dans
RP
et
qui
pourtant,
l'imprégneront comme un grain de poussière dans TFTT,
et le reduiront au néant dans AOP et MJ.
Or, si ces paysages ne
sont
pas
réels,
ils
sont
enviés
pour
tout
ce
qu'ils
permettraient et que l'âme de chacun convoitait.
La
force
des
choses
conduit
l'homme
à
des
résultats
auxquels
il
n'a
pas
toujours
pensé,
avec
une
telle
puissance

342
qu'il lui est souvent impossible de réaliser ce qui lui arrive.
Aussi,
aucun
point
n'est
fixe,
ni
sur
terre
ni
dans
le
ciel,
puisqu'il n'y a d'autre orientation que sentimentale:
la droite
et
la
gauche,
l'avant
et
l'arrière
sont de
simples
directions
qui
ne
suffisent
plus
à
fixer
un
but.
Autrement
dit,
le
pionnier,
et en particulier Blixen obéit à
un inconscient assez
proche d'une
mystique de
l'espace.
Sur
ce
fait,
la
narratrice
affirme que:
«
Circumstances can have a motive force by which they
bring about events without aid of human imagination or
apprehension ... Those who have been through such events
can, in a way, say that they have been through death - a
passage outside the range of imagination, but within the
range of experience.»
(p.327-328).
L'assujetissement
de
la
protagoniste
est
d'autant
plus
total que ses oeuvres et son sort sont voués à
l'expiration de
sa
vie d' humain,
de
ses
crimes
de
femme
qui
s'est
crue
homme
dans
ses
agissements.
Mais
à
présent
ses
souvenirs
sont
plus
présents
que
jamais.
Chaque
pièce
du
puzzle
s'incruste
à
sa
place,
à
présent qu'elle peut tout
constater avec détachement,
unie aux évènements et aux circonstances par la distance spacio-
temporelle.
L' Afr ique
est,
semble-t-il
un
lieu
sans
pareil.
La
cohérence
et
la
séduction
des
oeuvres
qui
parlent
d'elle,
y
fondent
leur
esprit
pour
nous
dire
que
les
expériences,
les
rêves
qu'elle
renferme
ne
pouvaient
se
dérouler
nulle
part
ailleurs.
Ce
monde
ne
peut
pas
les
garder
en
son
sein
éternellement.
Il est inventé,
et aucun mot ne peut le décrire
adéquatement.
C'est le monde d'un
rêve merveilleux que seul
le
rêveur
ressent
et
peut
rapporter
du
point
de
vue
de
ses

343
sentiments.
L'espièglerie de ce monde,
lieu de pelerinage,
est
révélée dans les confessions de la traductrice ainsi que suit:
«
But it is not the vision but the activity ... Every time
l have gone up in an aeroplane and looking down have
realized that l was free of the ground, l have had the
consciousness of a great new discovery.
'1 see', l have
thought.
' This was the idea. And now l understand
everything' .»
(p. 204-205).
Blixen et Denys s'évadent dans les airs au contraire des
citadins qui sont emprisonnés dans leurs villes. Les habitants
des villes subissent les pressions et les exigences aliénantes
de leurs cadres de vies, où règnent la routine abrutissante, le
planning chronométré et les limitations de libertés de
mouvements. L'espace aérien au contraire, est infiniment
immense. Ce qui importe donc, comme pour les autres espaces,
c'est de le rechercher et non le posséder. Il existe tant que
l'on y va. Il s'évanouit dès que l'on y séjourne. Finalement,
après la mauvaise conscience de l'échec qui entraîne l'abandon
de l'identité, de la ville survient la recherche d'une
concession, c'est-à-dire le recours aux intermédiaires.

344
Notes bibliographiques
1 - Garraghan, Gilbert, A Guide to Historical Method, USA,
Fordham university Press, 1941. p.8.
2 - Dyono, Ferdinand, Le Vieux Nègre et la Médaille, Paris,
Julliard, 1956.
3 - Du point de vue de Jean Sevry, qui s'appuie sur le contexte
Sud-Africain, une telle situation manifeste la hantise du
blanc par la terreur de la miscégénation et le sang mêlé.
Ses thèses comportent une abondante bibliographie
concernant plus d'un écrivain sud africain tels que
Lessing, Millin qui évoquent cet aspect social.
4
La liberté d'entreprise qui croit à un équilibre qui
étouffera toute crise. Elle a commencé par une
surproduction, qui a entraîné à son tour le chômage et le
marasme économique. Les usines surchauffent, les
investissements croissent. Dans ces conditions, le monde
est médusé, déchiré par le système capitaliste.
Les usines ne tournent pas assez, et le manque
d'emploi rend la consommation impossible. Les masses de
désabusés se font sensibles à n'importe quelle propagande.
Les puissances coloniales qui ne pensent qu'à elles-mêmes,
et à la menace du communisme, développent des conflits
armés, des pouvoirs forts comme en Allemagne et en Italie.
Ces deux pays qui se croient humiliés par les guerres
précédentes, préparent déjà leur revanche. Aussi, la paix
qui semblait régner en ces moments, est perçue comme une
paix des dupes, signée à Versailles en 1919, puisque
n'aboutissant à rien.
Les puissances occidentales ne s'entendent pas.
L'Europe est ruinée. Les USA, jeunes nations deviennent
maîtres à l'issue du premier conflit mondial. La France
exige des réparations de la part de l'Allemagne écrasée, et
veut devenir puissance politique. Elle s'oppose alors aux
USA et à la Grande Bretagne qui craignent son dessein et
l'en empêchent. L'Allemagne profite de cette discordance
pour ne rien faire de ce que l'on attend d'elle.- Voir
Gloversmith, F., ed., Class, Culture and Social Change: A
New View of the 1930s, Brighton, Harvester, 1980 qui traite
du goût de l'échec qui pèse sur la vie britannique mise
entre crochets par les désastres de la guerre. - Voir des
oeuvres telles que Blythe, R., The Age of Illusion:
England in the Twenties and Thirties, London, DUP, 1983
Hynes, Samuel, The Auden Generation,
London, Bodley Head, 1976. - Gray, Nigel, The Silent
Minority, London, Vision, 1973. - Voir Green,
Martin, Children of the Sun: A Narrative of 'Decadence' in
England after 1918, London, Constable, 1977. - Foulkes, A.,
P, Literature and Propaganda, London, Methuen, 1983. -

345
Marwick, A., The Deluge: British Society and the First
World War, London, 1965. - Seaman, L., Charles, Life in
Britain between the Wars, London, Putman, 1970. Le point
commun à ces oeuvres est qu'elles offrent une vision
sociale, politique, économique et culturelle de la période
de l 'entre-deux-guerres: les mouvements sociaux,
économiques et les évolutions politiques de cette période.
5 - Davidson, Basil, Let Freedom Come: Africa in Modern
Histrory, Boston, Little Brown & Co, 1978. Voir le chapitre
3, pp.131-39 pour ce qui concerne la dépression et
l'exploitation coloniale; pour le nationalisme de
libération, voir le chapitre 5 qui y est consacré.
6 - Ce cas est examiné partant du 1ge par Lorimer, A., Douglas,
s'appuyant sur l'anglocentrisme pour montrer comment la
Négrophobie fut réhaussée par la crainte de voir une
nouvelle classe de gentlemen anglais émerger des
colonies.Il nous donne une histoire des classes sociales
axée sur le postulat de l'infériorité innée des non-blancs.
Son oeuvre Colour, Class and the victorians: English
Attitudes to the Negro in the Mid-Nineteenth Century,
Leicester, Leicester University Press, 1978., traite de
l'histoire de l'hégémonie culturelle et du racisme. Elle
s'avère incontournable pour des études dans ces domaines
aujourd'hui encore. Dans la même ligne de pensée, on
pourrait trouver le thème du racisme et de classe dans
Robert, Ross, ed., Racism and Colonialism: Essays on
Ideology and Social Structure,The Hague, Mouton, 1982.
7 _ Bloom, Harold, de Man, Paul et al, " The Triumph of Life",
in Deconstruction and Criticism, London, Routledge and
Kegan Paul, 1979. p.58.
8
Voir Diop, Birago, " Souffles" in Leurres et Lueurs, Paris,
Présence Africaine, 1960. pp.64-66.
9 _ Moravia, Alberto,
Which Tribe Do you Belong To?, tr. Angus
Davidson, New York, 1974. p.8.
10 - Voir Bergson, Henri, Le Rire: essai sur la signification du
comique (1900), Paris, PUF, 1978.
11 - Ce thème est le point principal de Hall, James, The Lunatic
Giant in the Drawing-Room: The British and American Novel
since 1920, Bloomington, Indiana University Press, 1968,
qui l'évoque en termes de Moi et de Surmoi.
12 - Voir Killam, G.,D., The writing of East and Central Africa,
London, Heinemann, 1984.

346
13 - C'est ce que Hammond et Jablow qualifient de nostalgie et
d'exotisme. - Voir Hammond, Dorothy & Jablow, Alta, Ibid ..
p.157.
14 - Voir Gurr, Andrew, Writers in Exile: The Identity of Home
in Modern Literature, Brighton, Harvester, 1981. - Pour
rester dans le même propos, se reférer à Nightingale Peggy,
ed., A Sense of Place in the New Literatures in English,
st. Lucia, University of Queensland Press, 1986, un peu
trop général mais contient de bons articles sur la vie de
pionniers racontée par les écrivains. ( comme l'oeuvre de
Singh) Ces ouvrages contiennent aussi des écrits de
ressortissants de pays colonisés. - Mais cette étude serait
incomplète si le lecteur ne passait pas par Russell,
Reising, The Unusable Past: Theory and the Study of
American Literature, London, Methuen, 1987, puisque par
rapport à l'Afrique, nous avons la même situation de
conquête.
15 - Gauthier, Th., caprices et Zigzags, Paris, Ed. Didier,
1884. «
la terre n'a jamais été plus ennuyeuse; toutes les
différences disparaissent et il est presque impossible de
distinguer une ville d'une autre ... les palétots et les
Mackintosch ont fait disparaitre tous les costumes
pittoresques ... Je voudrais qu'un nouveau bouleversement
géologique vint tourmenter la face du globe, creusât les
vallées en abîme ... et détruisît toutes les routes.»
pp.152-154. - Voir Loti, P., Madame chrysantème, Paris,
Flammarion, (1887) 1990: «
Il viendra un temps où la terre
sera bien ennuyeuse à habiter quand on l'aura rendue
pareille d'un bout à l'autre et qu'on ne pourra même plus
essayer de voyager pour se distraire un peu ... » . - Selon
Le Nouvel Observateur, n° 297, 20 Juillet 1970, article
cité. «Ce ne sont pas seulement les paysages et l'économie
des régions et de pays entiers qui se trouvent transformés
après l'action des bâtisseurs de cités de vacances: les
bases mêmes de la vie sociale des régions sous-développées
sont fondamentalement modifiées par l'avènement du tourisme
moderne. Les "voyageurs" en même temps qu'ils apportent
avec eux argent et emplois "réveillent" quelque peu les
habitants aux structures figées ...
Mais cette intrusion de touristes au milieu de
populations en retard de leur époque est souvent source de
confusion. Les autochtones ne voient leurs visiteurs qu'''en
situation de vacances", c'est à dire parés du masque de
l'inconscience et de la prodigalité. Ils ne se rendent pas
compte que ces touristes ... ont pour la plupart, économisé
une année entière pour le douzième mois qui, loin d'être à
l'image de leur vie réelle, en est au contraire la
négation. Le résultat de ce malentendu est souvent une
idéalisation, dans l'esprit autochtone, des conditions de
vie du touriste et, par extension, du pays et du régime
politique, qui permet à l'étranger de vivre un tel
bonheur.»

UNIVERSITE PAUL VALERY
MONTPELLIER III
Arts et Lettres, Langues et Sciences lIurnaines.
Spécialité: Etudes Anglaises
Des Ecrivains britanniques parlent de l'Afrique:
Situations, systèmes de représentations
occidentaux, rencontres culturelles et narration
chez Karen Blixen, Joyce Cary, Joseph Conrad,
Elspeth Huxley, et Evelyn Waugh.
Professeur, Université Paul Valery.
JURY.
Président: Docteur d'Etat Etienne GALLE, Professeur, Uni versi té
de RENNES II.
Membres:
Docteur dl Etat Christiane FIOUPOU, Maître de Conférences,
Uni versi té de TOULOUSE - LE MIRAIL.
Docteur dl Etat Etienne GALLE, Professeur, Universi té de
RENNES II.
Docteur d'Etat Jean SE\\1lY, Professeur, Université Paul
Valery, MONTPELLIER III
AVRIL 1993.

347
VI
LA SITUATION DE DEPART ET LES PERTURBATIONS

348
l
-
Le langage
Comme
nous
avons
tenté
de
le
montrer,
la
situation
de
départ dans
les narrations
sur
l'Afrique,
est
l'appel de l'au-
delà, du là-bas, tantôt pour le goût du merveilleux, tantôt pour
la
quête de
la
délivrance
contre
les
obsessions
qui
sévissent
dans le monde de l'écrivain. Mais les raisons et les données du
voyage changent vite,
en ce sens que le voyageur britannique se
place dans un état de tension ou de belligérance
Voir Freund;
Memmi,
1).
Par
le
recours
à
son
patrimoine
culturel
et
historique,
le personnage britannique s'attaque par procuration
à
ce qui lui semble intolérable,
c'est à
dire à
l'Africain,
en
tant
qu'indigène
représentant
au
premier
chef
l'inacceptable,
l'inadmissible
comme
nous
avons
eu
l'occasion
de
le
vivre
en
personne
en
Ecosse,
pendant
toute
une
année.
Dans
la
littérature,
le conflit y est surtout un conflit de valeurs que
les
descriptions
et
les
oppositions
détaillées
sont
tenues
de
rendre dans les oeuvres écrites. Tout semble opposer,
l'Africain
au
Britannique.
Par
exemple dans
An Outpost
Of
Progress,
nous
pouvons lire que:
«
.•• They were naked, glossy black,ornamented with snowy
shells and glistening brass wire, perfect of limb . . . . moved
in a stately manner, and sent quick, wild glances out of
their startled, never-resting eyes .... Did you ever see such
a face? Funny brute!»
( p. 61).
C'est ainsi
aussi
que
Blixen
par
exemple,
nous
donne
des
indices
d'une
forme
de
stratification
sociale
ou
tribale,
en

349
commençant par les Swahili,
les Somali,
les Indiens,
les Kikuyu
et
les
Masai,
chacun
selon
ses
traits
stéréotypés
dominants.
Dans
cette
classification,
les
Indiens
commerçants
pour
la
plupart
sont donnés
comme étant
les plus
intelligents,
puisque
sachant compter,
manipuler les livres,
donc les rivaux les plus
dangereux.
Ils
sont
plus
civilisés,
en
ce
sens

la
civilisation
en
passant
par
le
type
d'habitat
moderne
est
devenue
synonyme
de
maî trise
de
la
finalité
rationnelle
capitalisante. Le texte nous dit en substance:
«
The Indians of Naïrobi dominated the big native
business quarter of the Bazaar, and the great Indian
merchants had their little Villas just outside the town
were clever, travelled, highly polite people ... such
grasping tradesmen that with them you would never know of
you were face to face with a human individual or the head
of a firm.»
(p. 22).
c'est l'affectivité britannique de Blixen qui se manifeste
dans ces déclarations. Dans un premier temps,
nous avons affaire
à
une
expérience
esthétique
qui
relève
de
préjugés
psychologiques et dans
un
second
cas,
à
des
réactions du même
type.
Or,
l'expérience
phénoménologique
exige,
comme
la
perception
visuelle,
un
effort
d'accommodation,
par
effet
de
perspective et de dépaysement. Partant, Out Of Africa est tout à
la
fois
un
corps
matériel
et
un
ensemble
de
reflexions,
des
sentiments que le sujet cherche à susciter dans la conscience du
spectateur.
Aussi,
la
perception
esthétique
des
natifs
en
général,
et
des
indiens
en
particulier
est
altérée
par
des
parasi tes
psychiques,
aussi
bien
que
des
parasites
physiques.
C'est ce qui
provoque en
nous
ce
sentiment de
l'étrange.
Mais
dans tous les cas, le physique,
la couleur de la peau permettent
aux
écrivains
tels
que
Waugh,
ou
Blixen,
ou
Huxley
Cary
ou
conrad,
de parler des
indigènes
en termes de moins
et de plus

350
foncé.
Ce qui semble aboutir à une certaine hiérarchisation des
hommes avec pour critère fondamental le teint, comme cela est de
coutume
dans
la
Central
Region
de
l'Ecosse

l'on
parle
de
cabage, half a
cabage and a man.
Un conducteur qui transportait
trois
passagers
se
retourna
et
demanda
combien
de
personnes
étaient encore à bord, s'entendit dire par l'écossais: a cabbage
-
le Noir -
half a
cabbage -
le pakhistanais ou arabe -
and a
man
-
l'Ecossais
blanc.
Ces
exemples
foisonnent
dans
les
rues
d'Europe,
de Montpellier en particulier où nous nous entendimes
dire
par
un
ami
Blanc
à
la
sui te
d'une
provocation
dont
nous
avons été victimes que:
" Tu sais,
ici comme aux Etats Unis, on
n'aime
pas
les
Noirs.
On
préfère
les
marrons
Antillais,
Malgaches,
Comoriens ... " ou des propos tels que l'
Tu viens d'où
toi?
...
Ah!
Le
Burkina Faso,
il
paraît que
le SIDA fait
rage
là-bas.
Ce n'est pas que
je suis
raciste.· J'ai
été
choqué
choqué l'autre
j our par une émission à
la télé
sur
les
femmes
qui
se blanchissaient la peau avec
je ne
sais quoi...
Moi,
je
m'en fous de la peau mais vous,
de toutes façons,
vous êtes en
bas"
Ce qui n'a pas manqué de nous marquer dans notre travail,
qui
ne pouvait plus
avancer
de
façon
sereine,
donc
objective,
puisque nous n'avions pas le pouvoir du langage historique dans
un
système où
comme l'on dit
"Being White means
being Right".
Nous
ne
pouvions
plus
progresser
dans
cette
thèse
que
nous
vi vions
au quotidien
et
que
nous
traversions
à
chaque
instant
dans un pays étranger où nous étions étranges.
Cette situation
persiste
parce
que
le
teint
de
la
peau
est
considéré
par
certains - pour le meilleur ou pour le pire - comme un baromètre
humanoïde aussi bien dans le contexte colonial que dans
la vie
d'aujourd'hui, par ailleurs héritée des vieux jours de l'Empire.
Mais dans la littérature coloniale, en dépit de l'apparence
physique,
sur
le
plan
vestimentaire,
l'un
s'habille
de
façon

351
complexe - brodequins et bas, chemises et vestes kaki, casque et
foulard pour le Britannique - donc décemment, tandis que l'autre
as t
quasiment
dépouillé,
n'eûssent
été
les
maquillages
et
les
morceaux de tissus dont il
se recouvre.
Ainsi les parures,
les
dessins et le pagne caractérisent les indigènes dans ces longues
descriptions
des
Somali,
Masai
et
de
Kikuyu,
dans
The
Flame
Trees Of
Thika

Their heads were
clean-shaven except
for
a
patch on top,
about as large round as an egg-cup ... anklets,
and
objects dangling from their ears»
(p.
p.70), Remote People:«
The Somalis are a race of exceptional beauty, very slender and
erect,
with
delicate
features ... »
(p.16);
et
«
The
native
women l
had
seen at Addis Ababa had been
far
from attractive;
their
faces ... plumb and
smug ... The
women
of
Harar
are
slender
and
very
upright;
... monkey-like
faces
and
sooty
complexions,
they
had
golden
brown
skins
and
features
of
the
utmost
fineness ... »
( p. 77),
et des
indiens dans
Out Of
Africa
( p.
133)
Les
mêmes
considérations
prévalent
entre
populations
autochtones
dans
Mister
Johnson
p.33)

le
narrateur
rapporte les descriptions des
femmes de Fada et des
courtisans
du roi,
de la belle famille de Johnson ou du chef traditionnel
Mister
Johnson
(p.13)
.An
Outpost
Of
Progress
établit
une
comparaison
des
trafiquants
des
Luandais
et
des
villageois
de
Gobila,
(An
Outpost
Of
Progress·,
p.64
et
67)
en
termes
esthétiques.
Or,
cette
démarche
avec
sa
multitude
de
qualificatifs,
nous
fait
percevoir
des
variations
dans
les
propos,
en
raison
précisément
des
préjugés
qui
influencent
et
préviennent
toute
description
adéquate
et
vraisemblable
de
la
culture de l'Africain, ou de sa personne. C'est pourquoi dans ce
regard porté de l'un à
l'autre,
l'un semble anormal,
et l'autre
énorme.
Africain
et Britannique
sont des
Etres
extraordinaires
les uns pour les autres.
Blixen dans Out Of Africa nous y fait

352
penser en évoquant le dialogue avec son boy à propos de Dieu et
de vol
en
avion.
Elle
le
signifie encore
lorsqu'elle parle de
découverte de la vapeur qui a permis le contact Nord-Sud en les
éloignant à la fois:
«
When the first steam-engine was constructed, the roads
of the races of the world parted, and we have never found
one another since»
(OOA., p.186).
Si
nous
nous
attachons
à
ses
propos,
c'est
le
temps
de
l'évolution
sépare
les
deux
Britannique
et
indigène.
La
technologie,
et
surtout
le
langage
écrit
témoignent
des
changements
intervenus,
puisqu'un
rapport
au
savoir
s'y
manifeste.
Cependant
comme
Huxley
(TFTT' ,
p.1??),
Blixen
reconnaî t
la
dignité
de
chaque
langage,
en
intégrant
l'un
à
l'autre. (OOA, p.
234;
p.286).
Malgré tout,
nous sommes toujours
en
présence
d'un
Etre
qui
nous
signifie
spontanément
que
son
présent
doit
être
le
but
ou
la
finalité
de
l'évolution
de
l'autre. Ainsi sur la même scène Britannique et Africain restent
séparés
aussi
bien
dans
le
temps
que
dans
l'espace.
C'est
du
reste ce que nous suggère Blixen:
«
In sorne respects, although not in aIl, the white men
fill in the mind of the Natives the place that is, in the
mind of the white men, filled by the idea of God.»
(OOA',
p.318).
Dans son oeuvre l'Africain c'est celui qui parlerait comme
ses
ancêtres
directs
de
jadis.
C'est
aussi
le
cas
de
Remote
People:
«
the
Baganda
people
had
attained
a
fair
degree
of
organization
Of
course,
this
culture is
remarquable
only
in
comparison
wi th
their
savage
neighbours
in
Kenya .... completely
unsophisticated
peasant
cultivators ... »
p.155)
ou
de
An
outpost Of
Progress.(
p.61),
romans dans lesquels nous écoutons
les
tribus
indigènes
baragouiner
aux
oreilles
des
hérauts

353
occidentaux.
Le langage de l'Africain trahit donc les symptômes
de
la
distanciation:
ce
qui
sépare
l'état
sauvage
de
la
civilisation
Voir
Conrad,
2).
C'est
à
ce
ni veau
que
nous
adhérons entièrement aux thèses de Poliakov sur le mythe aryen,
puisque
pour
être
primitif,
il
faut
s'inscrire
dans
une
évolution. Or, même le plus barbare des hommes est humain à part
entière:«
There was the venerable Ras Kassa ... a
mountain of a
man
with
grey
beard
and
bloodshot
eyesi . • . he
looked
hardly
human ... »
(Rp·,
p. 33)
et «
As
i t
is almost
impossible for a
woman to
irri tate a
real
man,
and
as
to
the
women,
a
man
is
never qui te
contemptible,
never
al together
rej ectable,
as
long
as he remains a man ... »
( OOA., p.24). Et s'il est humain, il a
donc
une
culture,
un
stock d'informations
même s'il
n'en
fait
pas étalage
( Voir Poliakov,
3).
Ainsi la rencontre culturelle,
serait
donc
un
langage
qui
commencerait
à
un
stade
de
différenciations,
de classifications
( Voir Leach,
4).
C'est ce
qui
justifie les diverses unions
entre indigènes ou membres de
groupes.
Mais
en
les
évoquant
et
en
les
transcrivant
ou
les
autres
cultures,
les
oeuvres
britanniques
prennent
des
caractères ethnologiques ou anthropologiques
( Voir Fabian,
5).
De ce fait,
l'expression et l'intégration de l'indigène dans la
comédie
romanesque devient une
reconnaissance
de
son
humanité,
de
sa
dignité.
Mais
dans
l'organisation
coloniale,
fondée
sur
une
gestion
de
pouvoir,
l'Africain
et
le
pionnier
participent
tous deux du même monde,
mais ne relèvent pas de
la même aire
spatiale ou
temporelle.
C'est
ce que
semble
nous
suggérer
une
scène de Out Of Africa,
où les employés ne peuvent pas compatir
1
1..
à
la
hauteur
des
attentes
de
Blixen
au
moment

toutes
les
issues
en
vue
de
sauver
la
ferme
se
ferment
(OOA·,
p. 285) .
Huxley
semble
tenir
le
même
discours
en
nous
racontant
les
l.

354
histoires
merveilleuses
de
la
cosmogonie
africaine
et
en
éprouvant de la fascination pour la sorcellerie:
«
l was haunted by the fear of Twinkle being sucked,
still breathing, down the great tunnel of its body, to be
digested alive ... I asked him where one could be got .... I
thanked the mundu-mugo warmly but he rgfused both my
presents.»
(TFTT, p. 192-193 et note
).
Mais
derrière
ces
discours
de
distinction
culturelle,
l'indigène semble être
l'incompréhensible et
c'est
en
tant que
tel qu'il apparaît intolérable, malgré les rapports positifs qui
peuvent
s'instaurer entre
lui
et
le Britannique.
La
différence
indigène
et
Britannique se veut
normative
et morale.
Autrement
di t,
l'observateur
subit
les
préj ugés
de
son
milieu
culturel.
Or,
le
problème du
sens
suppose
une
communauté
d' interêt,
une
compassion possible, et non une distinction radicale.
s'il
y
a
une
communauté
d'intérêt
entre
Africain
et
Britannique,
alors leurs différences s'ancrent dans le fait que
tout homme ne cesse de comprendre l'espace où il
évolue.
c'est
ainsi
que
sa
volonté
de
puissance
devient
nihiliste.
Aussi,
l'inscription
des
personnages
dans
l'évolution
nous
donne
un
état sauvage et un état avancé -
l'un,
indigène,
semble être le
passé
de
l'autre,
britannique
et
l'autre
se
reflétant
comme
l'avenir de l'un.
Mais tout cela nous l'héritons du discours de
la culture.
Il aurait été intéréssant d'avoir l'avis du sauvage,
mais
comme
nous
le
verrons,
il
faudrait
la
culture
pour
civiliser
les
émotions
de
ce
dernier.
C'est
ainsi
par
exemple
que
l'indigène
paraît
sans
parole,
puisqu'il
semble
avoir
délégué Blixen pour exercer son droit.

355
1 -
Le discours de la culture
Pour le discours de la culture,
l'état sauvage serait une
transformation du primitif, un lieu de passage entre la barbarie
et
la
civilisation.
Même
s'il
constitue
une
élévation
par
rapport
à
la
nature,
l'indigène
reste
inadmissible
pour
un
système qui revendiquerait pour lui tout seul tout le sens (Voir
Rousseau,
7). Or l'autre,
le différent est là. De la même façon
la nature ne dit rien d'elle mais elle est active et présente.
Aussi,
si
l'état
sauvage
préoccupe
le
Britannique
dans
les
écrits, c'est qu'il rappelle que rien n'est fini,
surtout en ce
qui concerne la civilisation.
Le progrès n'est pas éternel,
et
subira
fatalement
le mouvement de
l'évolution,
sera
contredit,
condamné,
ou
encore
dépassé.
Cette
considération
des
choses
rejoint la typologie des relations à autrui établie par Todorov.
Très succinctement, Todorov nous apprend que le rapport à autrui
ne se constitue pas sur une seule dimension.
Aussi nous dit-il
que:
«
Pour rendre compte des différences existant dans le
réel, il faut distinguer entre au moins trois axes, sur
lesquels on peut situer la problématique de l'altérité.
C'est premièrement un jugement de valeur ( un plan
axiologique): l'autre est bon ou mauvais, je l'aime ou je
ne l'aime pas, ou, comme on dit plutôt à l'époque, il est
mon égal ou il m'est inférieur .... !l y a, deuxièmement,
l'action de rapprochement ou d'éloignement par rapport à
l'autre ( un plan praxéologique): j'embrasse les valeurs de
l'autre, je m'identifie à lui; ou bien j'assimile l'autre à
moi, je lui impose ma propre image; entre la soumission à
l'autre et la soumission de l'autre il y a aussi un
troisième terme, qui est la neutralité, ou indifférence.
Troisièmement, je connais ou j'ignore l'identité de l'autre
è ce serait le plan épistémologique) ... » ( Voir Todorov,
) .

356
c'est par exemple ce qui apparaît lorsque les Britanniques
rencontrent les indigènes
lors d'une de
leur tournée en avion.
La
marge
entre
les
colons
Blixen
et
Denys
d'une
part
et
les
indigènes dans cette scène, c'est l'ombre qui protège du soleil.
L'ombre est une porte palière.
En face il y a les indigènes qui
sont
le
panaché
du
maraudeur,
du
cannibale
et
du
sanguinaire
reformés.
N'eût été qu'ils ont évolué,
ils n'auraient pas donné
cher
de
la
vie
des
deux
protagonistes.
Mais
les
choses
ayant
changé le barbare sanguinaire peut côtoyer le bon civilisé, qui
pourrait probablement l'amener à
son propre niveau,
à
condition
que lui-même reste immuable.
Les autochtones offrent ces figures
belliqueuses
et
hostiles
en
raison
de
leur
nudité
physique,
puisque
se
couvrant
les
parties
essentielles
selon
la
stricte
nécessité:
«
Many of the young Kikuyu men, who smelt powerfully and
richly,
... wore short leather cloaks which failed to hide
their genitals ... ' ... a number of well-greased, shaven-
headed girls who had nothing on but very small triangles of
leather and strings of beads, and whose breasts were still
half-formed and therefore firm and in the right
position .... »
(TFTT, p. 120-121)
et aussi parce qu'ils traînent leurs armes avec eux partout où
ils se déplacent.
L'indigène
porte
des
armes.
Mais
elles
n'ont
le
plus
souvent
qu'une
valeur
phallique,
ou
emblématique.
Elles
distinguent
l'homme
valide
de
l'homme
inapte
au
combat,
et
généralement l'homme de la femme,
le héros du commun des hommes,
le
notable
du
suj et.
Et
à
l'occasion,
ces
armes
servent
à
se
garder
contre
les
dangers
de
la
route,
tel
que
cela
apparaît
encore dans le texte.
Mais reste encore le problème de la communication,
c'est à dire
de la langue ou de la parole, qui est une autre forme de marge.
Rester
dans
cette
perspective
nous
fait
comprendre
le
ton

357
nostalgique de la narratrice de Out Of Africa face à ce qui est
harmonieux et qui ne le sera plus par l'action de l'homme.
Nous
constatons le même changement dans An Outpost Of Progress chez
les indigènes qui après s'être rendus au comptoir des négociants
reprennent
leur
distance
face
à
ce
qui
symbolise
la
terreur,
persuadés
que
l'homme
sera
toujours
auteur
ou
victime
de
la
violence
gratuite.
Il
est
intéressant
de
remarquer
en
passant
qu'en
termes
d'infrastructures
la
colonie
a
implanté
un
cimetière
et
un
magasin
d'ivoire,
évocation
de
l'enfermement
comme dans The scarlet Letter de Nathaniel Hawthorne. Mais c'est
là leur seul point identique: évoquer l'obsession de la prison.
Pour
aller
plus
loin
Remote
People
nous
suggère
le
caractère
provisoire de la culture dans l'oeuvre du peintre abyssinien.
En
fonction
de
ce
que
lui
offre
le
présent,
l'artiste
retouche
l'histoire.
N'est-ce
pas
à
dire
que
c'est
l'instabilité
qui
excède
et qui
trouble
le
Britannique
en
Afrique?
Aux
yeux
du
Britannique
l'état
sauvage
de
l'indigène
est
excessif.
Il
est
dans
un
halo
sombre.
Mais
il
semble
aussi
que
ce
Noir,
l'Africain
permet
au
Britannique de
se défouler.
Pour
nous
en
rendre
compte,
rappelons
nous
la
polémique
entre
Kayerts
et
Carlier dans An outpost Of Progress à propos des indigènes et de
Makola,
et
ensui te
sur
les
concepts
d' exploi tation,
de
souffrance
et
d'esclavagisme,
qui
finissent
par
devenir
relatifs.
Or,
la
relativisation
implique
une
procédure
exploratrice de l'Autre,
de
l'Africain
et de
son mode
de vie,
dans
tous
leurs
sens
(
Voir
Rousseau,
9).
Mais
ce
regard
est
mul tiple
dans
les
romans
et
la
nouvelle.
Il
nous
offre
des
points
de
vue
et
des
langages
variés.
Direct
ou
détourné
il
succède au regard sur soi,
au "Self Scrutiny"
selon Pilling.
A
cette
auto-exploration
participent
panégyriques
urbains,
étiquettes de personnages,
pour cautionner l'histoire.
Ce n'est

358
que dans la mesure où l'Autre,
individu ou groupes sociaux qui
menacent
l'état
de
"noblesse",
est
assujetti,
intégré
à
la
perspecti ve
dominante
du
regard,
qu'il
est
possible
de
l'examiner,
de
l'observer.
Le
pouvoir
se
manifeste
donc
dans
cette
tentative
de
compréhension
de
l'autre.
Mais
ce
sont
la
structure coloniale et les conditions de l'étrange qui font que
par
réflexe,
le
colon
applique
systématiquement
des
images
et
des clichés irréfléchis sur l'Africain.
Pour
s'en
rendre
compte,
le
colon
extraordinaire
écrivain,
héros ou simple protagoniste -
devra se dépouiller de
l ' "extra",
dans les jugements esthétiques et éthiques.
sinon ce
serai t
un
monde
contrefai t,
de
faux
discours,
de
faux
ordres ... dans
lesquels
le
noble
Britannique
prêterait
ses
propres
attributs,
mais dévoyés,
tronqués,
et
subvertis
envers
un groupe qu'il croit ou qu'il rend "inférieur",
pour exorciser
sa
crainte
et montrer
par
la
dérision
et
la
parodie,
l'usage
qu'en fait ou en ferait l'Autre s'il venait à
l'intégrer.
Ainsi
puisqu'il
est pionnier,
il
lui
faut
anéantir
la différence
du
sauvage
à
lui
civilisé.
Mais
puisqu'il
s'acharne
contre
les
tentations envahissantes de la culture il ne serait pas loin du
sauvage.
Ainsi
la
narration
devient
très
souvent à
une
oeuvre
qui serait valable n'importe où.
Partant,
le
problème
de
la
rencontre
culturelle
se
pose
dans une conj oncture variable.
C'est ainsi que Denys et Blixen
se
sont
fait
adeptes
d'une
cause.
Mais
laquelle?
Pour
leurs
compatriotes,
ils
se sont indigénisés en adoptant plusieurs
us
et coutumes dans Out Of Africa.
Dirk l'est aussi dans The Flame
Trees
Of
Thika
contrairement
à,
Lettice,
qui
pour
un
coup de
coeur
échappe
à
la
subj ugation
de
la
vie
sauvage
pour
s'en
retourner
vers
le
monde.
Ce
serait
peut-être
la
meilleure

359
solution.
Mais
le
peuvent-ils
tous
en
tant
que
bâtisseurs
britanniques?
En
tout
cas
le
choix
de
Lettice
peut
s'expliquer
par
la
définition du contexte colonial dans le concept de Balandier qui
le
caractérise
de
"pathologie
sociale
réclamant
une
chirurgie
sociale" (
Voir
Balandier,
10)
et
qu'elle
ne
pouvait
endurer
longtemps.
De nos
jours,
on parlerait peut-être de purification
ethnique
comme
en
Bosnie-Herzegovine.
Partant
des
propos
de
Balandier,
nous sommes donc dans un univers manichéen.
Et c'est
pour
cela
c'est
presque
toujours
le
même
qui
revendique
le
monopole
du
sens
Voir
Pélissier,
11).
C'est
ainsi
que
le
voyeur tend à privilégier son héritage du passé,
le lien commun
où il peut se ressourcer en essayant d'éviter de se tromper dans
sa marche vers
la
nuit,
au détriment de ce qui
est différent,
divergent, qui semble déformé non familier ou contradictoire. Ce
phénomène
est apparent
par exemple,
chez Waugh
lorsqu'il
parle
du
culte
chrétien
éthiopien,
qui
à
ses
yeux
semble
être
un
panaché de satanisme et de catholicisme:
«
..• For anyone accustomed to the Western rite i t was
difficult to think of this as a Christian service, for it
bore that secret and confused character which l had
hitherto associated with the non-christian sects of the
East»
(RP., p.67).
Même
s'il
est
vrai
que
le
temps
se
distribue
de
façon
inégale
en
chacun
de
nous,
il
n'en
reste
pas
moins
que
selon
Pélissier
"
rien
n'est
plus
dangereux
que
de
rabibocher
son
enfance en
la prolongeant dans des
livres d'artifices"
(p .13) .
Mais comment s'en empêcher lorsque Katherine George nous informe
que :
«
The ego-flattering naïvety of the Aristotlean, division
of the world's population into Greeks and barbarians, or
freemen by nature and slaves by nature, has formed the
usual pattern into which men have fitted their observation

360
of human differences »
( Voir George, 12)
De
ce
point
de
vue,
devant
un
continent
immense
aux
réali tés
changeantes
d'un
coin
à
l'autre,
les
hommes et
les
cul tures devaient être presqu'aussi
inaccessibles.
Or,
plus le
continent était varié, et plus son adversité envers le colon dut
être assez forte,
le prédisposant à employer des stéréotypes ou
des clichés.
C'est ainsi que par exemple,
Blixen maintient une
distance par rapport aux évènements, au monde qui l'entoure, aux
autochtones,
et
surtout
à
leurs
cultures.
C'est
pourquoi
elle
adopte une attitude comparatiste, comme dans le passage suivant:
«
The Natives became silent under the drought. l could not
get a word on the prospects out of them, although you would
have thought that they should have known more about the
signs of the weather than we did. It was their existence
which was a stake; it was not an unheard-of thing to them
and had not been to their fathers
... their shambas were-
dry, with a few drooping and withering sweet-potato and
maize plants.
After a time l
learned their manner from them, and
gave up talking of the hard times or complaining about
them, like a person in disgrace. But l was European, and l
had not lived long enough in the country to acquire the
absolute passivity of the Native, as sorne Europeans will
do, who live for many decennaries in Africa. l was young,
and by instinct of self-preservation l had to collect my
energy on something, ( ... ). l
began in the evenings to
write stories, fairy-tales, and romances, that would take
my mind a long way off to other countries and times.
( ... )
My dining-room looked west,
... The land here sloped
down to the river that formed the boundary between me and
the Masai ... »
(p. 47-48)
Les
Masai,
agro-pasteurs
sont
unis
au
narrateur
par
la
grâce du cours d'eau, qui les tient en même temps physiquement à
distance.
Il en est de même psychiquement, puisqu'ils n'ont pas
le
même
comportement
vis-à-vis
de
cette
eau.
Et
dans
ce
contexte,
chacun
ne
peut
qu'imaginer
l'autre.
Or,
dans
cette
attitude,
Blixen
loue
la
compréhension
cosmologique
des
indigènes, comme uniquement dans le but de mettre la supériorité
de
la
rationalité
occidentale
en
inscription,
en
insinuant

361
qu'ils sont incapables de tirer des leçons de leurs expériences.
En tout
cas de
ce point de vue,
ils
se
complaisent dans
leur
condition de sinistrés,
comme des crapauds qui,
après
la pluie
attendent
tranquillement
de
se
faire
écraser
par
les
engins
roulants.
En
même
temps
nous
pouvons
comprendre
que
les
Africains
sont
dépeints
dans
cette
situation,
comme
ayant
un
sang froid intense face à
la nature pour en voir la suite dans
ses manifestations, car justement puisqu'ils en font partie, ils
ne la défient pas.
Leur impassivité est donc une démonstration
d'une
force
intérieure que
la
Britannique
n'a
pas,
et
qu'elle
cherchera
dans
l'écriture.
Alors,
elle
se
fait
écrivain,
inspirée
par
la
mauvaise
fortune
de
la
sècheresse
puisqu'elle
est indécise elle aussi, face aux circonstances.
Le désir de tout
avoir de
Blixen
s'était
exprimé dans
le
fait de vouloir draguer un lac, une ressource inappropriable, et
aussi
de
son
terrain
de
chasse.
Donc,
n'est-ce
pas
son
même
désir qui l'a ennivrée et conduite au désastre,
pour son manque
de clairvoyance?
Blixen
est
tiraillée
entre
la
perspective
de
mettre
l'accent sur la production vi vrière et la production de rente,
et préfère se réfugier dans la magie des mots, qui fascine à son
tour les autochtones. Or,
l'écriture apparaît comme une activité
individualisante
opposée
à
la
fonction
communale
des
travaux
champêtres par
exemple.
Les
indigènes
l'observent
en
cachette,
l'épient,
peut-être parce qu'ils
s'interrogent sur
la santé de
cet homme qui plante un arbre dont ils savent qu'il ne donnera
pas le même fruit auquel ils sont accoutumés.
Par le truchement
du mot écrit,
Blixen
retrouve
le temps de
faire du profit par
les calculs de rentabilité, et aussi du loisir, au moment où les
indigènes
attendent
du
concret.
Comme
par
hasard,
Blixen
les
évoque
comme
des
êtres
fantômatiques
qui
l'entourent.
Or,
en

362
étant elle-même arrachée à
sa mémoire,
c'est elle qui
rapporte
une histoire
surnaturelle pour que,
sans
aj outer
un
mot à
son
récit,
le
lecteur
le
tranforme
en
histoire
d'horreur,
sinon
vraisemblable,
du
moins
"naturelle".
Ne
s'agit-il
pas
d'un
décalage entre le point de vue du narrateur et celui de l'auteur
? Ou mieux encore un renversement de perspective ?
Ce que nous pouvons retenir néanmoins,
c'est que les récits
sur
l'Afrique
tendent
à
mettre
l'accent
sur
le
caractère
étrange,
troublant des
personnages
et
les
attributs
dégradants
de leurs valeurs britanniques. Et cela, semble-t-il, dans le but
de montrer la distanciation entre le monde civilisé et le monde
primi tif.
En
d'autres
termes,
les
Britanniques
ont
dépassé
et
maîtrisé
le
temps,
au
contraire
de
l'Africain.
Aussi,
ce
qui
caractériserait
l'Africain
dans
les
oeuvres
de
notre
étude,
c'est
l'absence
de
formes
institutionnelles
ou
de
manières
indigènes
qui
flatteraient
la
sensibilité
britannique,
ou
qui
lui
paraîtraient
normales
ou
nobles.
L'indigène
nous
apparaît
sous
les
traits
d'un
indiscipliné
Masai,
ou
d'un
hors-la -loi
Kikuyu,
tantôt
une
brute
Luandaise,
soupçonné
de
cannibalisme
comme un Guratchi -
ou un Kikuyu ou Makola,
tantôt grand enfant
sauvage comme Gobila,
ou comme un
être qui
n'a pas de retenue
sexuelle.
Pour schématiser,
il n'a aucun code moral digne de ce
nom,
comme
en
témoignent
sa
famille
nombreuse
comme
celle
de
Kinanj ui,
et
son
esprit
belliqueux
comme
le
Somali
Farah.
En
somme,
trois
choses
le
caractérisent
la
déshumanisation,
la
sauvagerie,
et l'absence de lois à proprement parler, politique
ou
religieuse.
Puisqu'il
vit
dans
un
monde
de
désordre
et
de
démesure,
les
multiples
vices
de
l'indigène
vont
du
vol
à
l'oisiveté
en
passant
par
le
mensonge,
l'ingratitude,
l'ignorance du bien, de la loi et de l'ordre comme dans ce film

363
des années 1956 The Inheritors, projeté par la BBC en Mars 1991
dans
liA Season of film in Africa".
Ainsi tout lui donne l'image
de Cham, le maudit ( Voir Nouveau Testament, 13).
L'islam et le christianisme, on s'en souvient, ont joué une
part importante dans la représentation éthique et religieuse de
l'Africain dans la littérature britannique.
Etant donné que ceux
qu'ils ont rencontrés n'étaient ni musulmans,
ni chrétiens,
les
voyageurs
en
déduisirent
qu'ils
étaient
des
impies,
qui
s'affublaient d'amulettes en guise de forteresse spirituelle, et
adoraient des
objets
au
lieu de
Dieux.
Ils
n'hésitaient
pas à
s'allier
au
Diable
et
à
en
devenir
les
disciples.
Par
conséquent, ils se vouaient au culte païen pour animer son monde
obscurci par la sorcellerie,
les oracles et la puissance de la
magie.
Et
finalement,
comme
s'ils
se
sentaient
en
faute
et
avaient conscience de leur vocation inavouable,
les indigènes se
réfugiaient derrière les sociétés secrètes comme Makola.
Toutes
les
oeuvres
de
An
Outpost
Of
Progress
à
The
Flame
Trees
Of
Thika,
en passant par Mister
Johnson,
Out
Of
Africa
et Remote
People y
font
allusion.
Ainsi,
l'aspect physique de
l'indigène
devient-il
riche de mystères
et de symbolisme.
De même,
a-t-il
une conception architecturale assez unique.
Huxley (TFTT', p.40)
et Blixen
(OOA',
p.101),
essayent chacune de l'expliquer ou de
la
justifier en termes de figures géométriques
et de croyances
aux
textes
du
sacré.
Mais
comment
se
fait-il
qu'il
soit
socialement organisé s'il est socialement organisé?
C'est
ainsi
dans
la
perspective
du
voyageur,
un
facteur
important et déroutant se matérialise dans le principe d'égalité
au sein de ces primitifs sans état, tels que les Masai du Kenya,
qui
ont
des
structures
de
contrôle
souples
et
un
égalitarisme
substantiel
Voir
Jones;
Schapera;
Glückmann,
14).
Cela
s'explique par
le
fait
que
derrière
le
pionnier,
ou
ce
qui
a

364
prévalu à
son
exode,
c'est
l'omniprésence de
l'empire qui
tue.
Surtout,
le. progrès
économique
ressemble de
plus
en plus
à
un
emprisonnement,
une
aliénation
de
l'individu.
Or,
la
colonisation se faisait synonyme de ce que Max Weber a appelé «
Le monopole de l'usage légitime de la force physique »
( Voir
Weber,
15).
Elle
a
bouleversé
la
vie
sociale,
économique
et
politique des
indigènes comme dans
Out Of
Afr ica
(p. 127)
avec
Kinanjui,
ou The Flame Trees Of Thika:
« ••• the Kikuyu did not
have chiefs in their hierarchy.»
(p.37)
à
travers Kupanya,
les
chefs qu'elle a proclamés dans les communautés qui n'en avaient
pas.

365
2 -
La nécéssité d'un héros dans la signification
Même
lorsque
le
narrateur,
qu'il
soit
de
An
Outpost
Of
Progress,
Out
Of
Africa,
Remote
People,
Mister
Johnson
ou
The
Flame
Trees
Of
Thika,
nous
livre
des
comparaisons
qu'il
veut
objectives, ou des points de vue des autres personnages, nous ne
pouvons nous empêcher de percevoir une vision dichotomique.
Dans
cette attitude,
le narrateur britannique affiche une volonté de
se
distinguer
de
l'autre.
Il
a
l'art
d'écrire
et
il
a
une
structure qui l'accueille à
bras ouverts.
Il a
donc
les moyens
d'une
représentation
adéquate.
Mais
il
s'appuie
sur
l ' autori té
des mots,
des
savoirs
et de
la
technologie.
Autrement dit,
il
s'assure
du
soutien
d'une
organisation,
d'un
certain
pouvoir
pour engager son entreprise
Voir Bhabha, 16). Aussi, est-il en
passe de reproduire les mêmes choses. Ce qui veut dire que l'art
crée
les
conditions
pour
un
commencement,
une
pratique
de
1 'histoire et de
la
narration.
Pourtant
si
nous
revenons
à
la
situation
conflictuelle
entre
le
plonnler
ou
le
narrateur
britannique
et
l'indigène,
l'issue
est
connue
d'avance.
Le
pionnier a
tous les avantages de maîtrise de la culture
( Voir
Bhabha,
17).
L'émigré
britannique
a
un
pouvoir
qui
semble
illimité,
et qui
en
fait
un
semi-dieu,
puisque
rien
ne
semble
résister à sa volonté. L'autorité que les progrès lui confèrent,
lui qui a
les moyens de maîtriser
les mots,
les
savoirs et
la
technologie
semble
invincible
ou
sans
alternative.
Ainsi,
le
Blanc, détenteur de la culture est-il aussi le maître de la loi,
de
la
loi
du
plus
fort.
Et
elle
appartient
à
celui
qui
sait
aussi comment se justifier comme le dirait Rousseau,
n'ayant pu

366
faire que le juste soit fort,
on a fait que le fort soit juste.
Aussi,
comment
ne
pas
comprendre
que
le
protagoniste
noir
analphabète,
ou
ressortissant
d'une
civilisation
orale
pour
employer
un
terme
moderne
soit
toujours
évoqué
et
le
plus
souvent caractérisé à la troisième personne? Par exemple dans le
Heart of Darkness de
Conrad,
en dépit des
trois
points de vue
sur Kurtz - bien qu'il ne soit pas vraisemblablement noir - nous
n'avons
pas
celui
de
l'Africain,
qui
reste
toujours
absent
Voir
Conrad,
18).
Pourtant
nous
sommes
supposés
être
dans
un
contexte de dialogue à deux ou même à plusieurs. Mais c'est une
voix monologique qui met en scène d'une part le "justicier"
et
"l'aliéné" dans
le personnage ou le narrateur,
et d'autre part
l'Africain
et
le
Britannique
dans
les
oeuvres
britanniques.
Ainsi
cette
voix
a
les
mots
et
le
Verbe,
c'est-à-dire
la
créativité.
puisque ce langage est autant créateur que le Verbe
de Dieu.
Donc
ce locuteur est le plus fort pour pouvoir donner
une
forme
universelle
à
ce
que
l'émotion
muette
dans
la
perception
de
l'indigène
ne
peut
que
sentir
de
façon
particulière
( Voir saïd,
19).
Par conséquent,
puisqu'elle est
celle
du
héros,
sa
voix
parlerait
en
tant
que
détentrice
et
représentante
de
toute
l'humanité.
L'autochtone
soumis
à
sa
seule
condition
physique
n'en
ferait
pas
partie
puisqu'il
ne
peut faire valoir son droit et son pouvoir.
L'indigène n'a pas
le droit à la parole, puisque le droit a besoin du langage pour
être. (
Voir
Quilligan,
20).
puisqu'il
ne
peut
revendiquer
à
être,
l'indigène
ne
peut
être
que
passif,
assister
muet
à
sa
propre construction,
et d'ailleurs
incapable de placer son mot
même si
on
le
lui
avait
demandé
Voir
Nelson
&
Crossberg,
Fanon;
Foucault;
Bhabha,
note).
Or,
cela revient à dire que si
l'indigène ne peut revendiquer un être,
c'est parce qu'il a été
abandonné loin derrière dans
l'histoire des hommes
et de leurs

367
civilisations.
Et
si
l'indigène
ne
l'était que
dans
le
regard
que
lui
porte
le
Britannique,
pour
satisfaire
à
son
besoin
d'insécurité
et
à
son
désir
de
se
mesurer
à
lui?
Voir
Rousseau,
21).
Donc,
imaginaire
ou
réel,
l'indigène
pourrait
être une autre force,
un mécompte pour le pionnier britannique.
Malgré tout
le
héros
-
qui
sait
tout
cela
-
nous
fait
croire
qu'il n'y a pas d'autre sortie que celle qu'il propose lui, dans
la théorie coloniale du texte.
La
langue du héros devient donc
l'outil
sans
lequel
il
n 'y
aurait
pas
de
signification
ni
de
contre-proposi tion.
Mais
cette
langue est
un. système
structuré
et organisé par opposition aux gestes et aux cris qui ne valent
rien,
et
qui
n'interviennent
que
dans
la
relation
entre
l ' instrui t
et
l ' incul te
dont
le
premier
cherche
à
médiatiser
l'état
et
les
conditions.
c'est
le
cas
de
Conrad
dans
(An
Outpost Of
Progress·,
p. 63-64),
lorsqu'il
représente Gobila
et
les
pionniers.
Comment
le
narrateur
peut-il
lire
dans
les
pensées de celui dont logiquement il ne parle pas la langue? Ne
chercherait-il
pas
à
mystifier
son
lecteur?
Ou
ne
se
projetterait-il
pas
lui-même
dans
cette
situation
de
pré-
langage?
Mais
An
Outpost
Of
Progress
n'a
pas
le
monopole
de
cette représentation,
puisque dans Out Of Africa,
Blixen
(OOA·,
p.152;
p.264;
p.265)
perce
le
mystère
d'abord
du
sourd
à
qui
elle
fait
don
d'un
sifflet,
et
ensuite
l'intimité
du
prêtre
indien lors de sa visite à
la ferme.
Pourtant,
Blixen ne parle
pas le sanskrit. Elle n'est pas handicapée sensorielle non plus.
Donc, comme le narrateur de An Outpost Of Progress, si elle peut
nous
livrer
l'intimité
de
ces
Etres
"étranges",
c'est
parce
qu 1 elle a

s'imaginer que
le
savoir grâce à
la
parole
et à
l'écriture,
peut
être
un
facteur
de
changement
du
devenir
humain. Mais c'est sa culture à elle qui se donne les moyens de
tout juger et de se défendre.
Elle se veut être l'aboutissement

368
de
l'humanité.
De
la
sorte,
le
langage
écrit
est
systématiquement
mis
à
son
service,
fournissant
les
seules
structures
d'énoncé
possibles,
donc
de
sens
(
Voir
Bhabha).
C'est ce qui
fait prétendre au narrateur de
Remote People que
l'indigène ne saisit
pas
ce que
le professeur w.
lui
signifie
dans
un
langage
occidental
(Rp·,
p.57;
p.
69).
C'est
cette
prétention qui
justifie le fait que Kayerts et Carlier dans An
Outpost Of Progress décèlent des sons fallacieux dans le langage
indigène:
«
It was like a reminiscence of something not exactly
familiar, and yet resembling the speech of civilized men.
It sounded like one of those impossible languages which
sometimes we hear in our dreams.»
(An Outpost Of
Progress., p.65).
Nous
pouvons
donc
constater
qu'il
est
aisé
pour
le
Britannique
de
dénier
la
convenance
à
ce
qui
manque
d'articulation et qui ressemble à des émotions autres que celles
que lui a
intégrées dans son système de signification,
c'est à
dire
les
VOles
orales
indigènes.
Ce
qui
implique
que
le
narrateur
britannique
se
trouve dans
la
position
du
héros,
ou
dans une orientation où le langage a été maîtrisé et façonné.
Ce
qui
fait qu'il
a
tendance à
s'acharner
contre tout
ce qui
lui
rappelle d'où il tient
son auto ri té
sur
les
choses et
sur
les
hommes:
la
parole.
Sa
culture
appelle
barbare,
analphabète,
qualifie d'intolérable tout ce qui la remet en question, ou tout
ce
qui
ne
lui
renvoie
pas
l'échos
d'elle-même.
Dans
cette
confrontation,
nous devrions admettre
'la force'
de la culture,
à pouvoir évoquer l'Autre et à
s'exprimer elle-même.
Mais toute
la
force,
la puissance de
soumission de l'Autre,
groupe social
ou
individu
dans
sa
configuration,
et
tout
son
pouvoir
sont
culturels, car ils sont arbitraires dans le sens de la réalité.
Cela s'entend,
puisque la Parole ne nous gratifie que de mots,

369
d'idées,
et
de
prises
de
vue
mais
ils
sont
vivants.
Dans
la
culture écrite par contre les mots sont froids,
figés et morts,
puisqu'ils
ont
besoin
de
la
parole,
de
la
lecture
parole
muette quelques fois - pour être perçus. Mais puisqu'elle est un
système,
elle
configure
le
héros
britannique
dans
un
pouvoir.
c'est pourquoi cette disposition lui interdit de se placer dans
un moment où tous les hommes auraient le même statut,
c'est-à-
dire
dans
une
civilisation
orale,
puisque
des
~ttributs
semblables
les
rendraient
frères.
Pourtant
c'est
ce
que
font
Blixen
et
Huxley,
par
leur
usage
considérable
de
la
tradition
orale en ce qui concerne le langage,
dans
l'expression de leur
relation à
l'Afrique,
de l'homme au monde.
Or,
avec leur Verbe,
le monde entier change de sens.
Par exemple Huxley nous raconte
que :
«
Tilly caught at this, and we all rode up to the Italian
Mission
which
lay
a
few
miles
inside
the
reserve.
Everything
there wasof the simplest - a plain mud-and-wattle chur ch ,
an open-sided shelter for a school, a cluster of huts. The
Fathers were small, bearded, dark, and always welcoming,
but they knew scarcely any English, so conversation had to
be conducted in pidgin Swahili.»
(TFTT, p.146).
Et en tant que personnages ou écrivains,
Blixen et Huxley
possèdent
la
Parole
du
premier
jour
de
la
création.
Blixen,
Cary,
Conrad,
Huxley
et
Waugh
sont
aussi
dépositaires
de
la
culture, de l'acte qui crée l'inégalité dans le langage.
Finalement,
le roman
comme la nouvelle
nous proposent,
en
guise de représentation de l'Afrique,
un univers entier fait de
nuée,
une inconsistance nébuleuse.
L'Africain ou l'Afrique dans
ces conditions devient sans fondement possible.
Ils se situent à
un point où
la
culture britannique,
qui
tente de
les
anéantir
les
a
mis,
pour
tuer
'l'Africain'
en
eux
en
vue
de
sauver
l'homme et
la
terre.
Blixen à
travers
l'histoire de
sa
ferme,

370
Huxley grâce au
retour
sur
son
enfance,
après
Conrad dans
son
questionnement
du
monde,
Waugh
dans
son
reportage
sur
les
peuples du lointain et finalement Cary à travers une tranche de
vie,
en
ont
fait
le
constat.
Certes,
la
culture
signifiait
initier,
développer
et
consolider
l'Afrique?
Mais
pourquoi
Blixen,
Huxley
et
Waugh
décelaient
les
fissures
du
pont
au
dessus
de
deux
réalités,
Conrad
et
Cary
se
refusent
à
les
colmater en laissant craquer et se disloquer les gérants Kayerts
et
Carlier,
l'agent
de
bureau
Johnson
fourni
par
la
mission?
N'est-ce pas parce que l'univers n'a plus de point fixe,
stable,
qu'il s'est dérobé sous les pieds des protagonistes au dessus du
sol
dans
leur
fragile
verticalité?
N'est-ce
pas
à
cause
de
l'omniprésence d'un empire dévorateur?
Dans le cas particulier du personnage de Johnson,
indigène
semi-alphabétisé, sa situation est celle de l'Afrique piégée par
le jeu de la puissance socio-économique, et qui se retrouve sans
issue. Aussi dans un emprisonnement tel que celui de Carlier et
de
Kayerts,
l'étrangeté
contamine
tout
et
tous.
Tout
devient
étranger dans un monde étranger aux cadres pré-établis,
donnant
à chacun un rôle, et de ce fait empoisonnant les relations entre
les
humanoïdes
Noir/Noir,
Blanc/Noir
ou
Blanc/Blanc
(
Voir
Maughan-Brown;
Gordimer;
Jacobson;
Brantlinger,
22).
Nous
retrouvons

une
situation
telle
que
les
anciens
récits
de
voyages et la création de mythes n'ont pas voulu connaître,
ou
ne
sont
pas
arrivé
à
traverser.
Partant,
vyageur,
passant
ou
immigré la situation sans issue.
Après
l'industrialisation , s e s retombées sur les
relations
internationales, et la défaite de la civilisation dans la Guerre
Mondiale,
comment
les
émigrés
britanniques
comprendraient-ils
des
lois auxquelles ils ne veulent plus
se soumettre
?
Ils ne

371
peuvent même plus obéir aux lois et aux coutumes de leur pays,
puisqu'ils n'ont ni coutume ni pays loin de chez eux, et que la
langue
leur
fait
défaut
pour
dire
ce
qui
est
autre.
Ainsi,
derrière
l'anti-impérialisme
de
Waugh
ou
de
Conrad,
ou
le
discours colonial de
Cary,
ou
encore
le témoignage lyrique de
Blixen
et
l'idyllisme
de
Huxley,
tous
truffés
de
constats
ethnologiques,
ou
sociologiques,
figurent
les
embarras
absolus
qui débouchent ou bien sur un scepticisme désespéré, ou bien sur
la création de fantasmes, à la recherche de leur vérité.
En parvenant à la capacité de créer, les écrivains sont
devenus des héros grâce à la littérature. Les mésaventures de
leurs héros sont une volonté de la vérité. Certes il leur ait
arrivé des moments, des situations où leur volonté cessait
d'avoir une emprise sur le réel ou, du moins sur la pensée du
réel. Alors une seule question fait toute la différence entre un
espoir possible et le désespoir: à savoir que le littérateur
britannique ne se préoccupe plus de savoir d'où il est mais qui
il est. C'est pourquoi à son niveau, il n'est plus question de
faire de l'héroïsme. C'est ce que O'Faolain appelle the
"va nishing hero", car l'histoire commande à l'écrivain de sortir
de son monde souterrain, de prendre la plume et de rendre
compte. Le personnage, qui passe de la translation de l'origine
géographique à l'introspection vise à se dé-couvrir, à se
trouver. Ainsi il marque une fin à son aspiration à jouer un
rôle de romantique. Dans tous les cas, le langage ne leur a
jamais manqué pour continuer le chemin qu'ils se sont tracés
pour échapper au désespoir, de ne jamais arriver nulle part. Non
seulement ils savent qu'ils arriveront quelque part, mais en
plus ils le disent en permanence dans l'acte même de la
narration. Or à partir de cette abstraction, le monde lui-même
change, et entraïne le pionnier dans une situation sans issue,

372
au même titre que son objet de représentation, étant donné la
persistence de la relation du sujet à l'objet (OOA·, p.241) qui
caractérise leurs rapports. Surtout, l'indigène-sujet est
d'autant plus dans une impasse, qu'il déborde et transborde le
cadrage qui essaie de le contenir, de le centrer dans l'oeuvre.
Pourtant, il ne s'offre au colon qu'une représentation de
l'indigène qui évoquerait ses propres images à lui, ou de
l'autre ( Voir Partridge, 23). Cependant, dans une situation de
face à face, les mystères se font très déconcertants. Blanc et
Noir sont hommes, et pour les uns comme pour les autres, leur
condition humaine n'est pas reconnue, étant des êtres
extraordinaires les uns pour les autres. Dans cette
représentation, si nous adoptons la perspective indigène, le
Britannique n'est pas un homme, au vu de ses pouvoirs. Ce qui
veut dire qu'il est ou démoniaque ou divin. Dans une vision
britannique, si l'Africain n'est pas reconnu comme un homme,
c'est qu'il est peut-être animal, puisqu'il est dans une
position subalterne. Or s'il était un animal, il obéirait aux
lois mécaniques de sa nature physique. C'est ce que nous font
croire les allégations des aventuriers énervés par les calamités
naturelles et les conditions climatiques, auxquelles
l'autochtone semble indifférent ou résigné. C'est le cas dans
Out Of Africa, lorsque Denys et Blixen au terme d'un passage en
avion, se posent en pleine chaleur et que les Masai les abordent
( p.206). Il en est de même chez Waugh sur le bâteau, dans
Remote People: Il For two days of gross heat .... in the hot
breeze ... " ( p.9). Les lois mécaniques agissent sur l'indigène
sans qu'il éprouve un quelconque besoin de les connaître. Or,
lorsqu'on l'agresse et qu'on combat ses us et coutumes, c'est
qu'on avoue en même temps qu'il n'est pas un tableau vierge,
néant. Mais il ne participe pas de la convenance, de la

373
coutumebritannique. Mais toutes ces réactions semblent répondre
à la recherche de l'origine de l'humanité de l'homme.
Le
colonialisme
insuflé
par
l'industrialisation,
n'est
si
fort
que parce qu'il
considère ces difficultés
comme résolues.
Or, tout ce l'on peut dire de la nature, on le propose depuis la
cul ture,
donc
à
partir
d'une
position
unilatérale.
Aussi,
la
situation coloniale crée un échange entre la chose et la parodie
de la chose,
en raison même du fait qu'elle monologue dans les
limi tes de
son
cercle de
vie
côtoyant
sans
toucher
les
autres
sphères
d'existence.
Puisqu'elle
n'offre
aucun
contact,
elle
devient
inacceptable,
et
se
dévoile
sous
les
traits
d'une
organisation
de
confiscation
des
libertés
individuelles,
des
sensibilités
excentriques.
c'est
pourquoi
dans
Out
Of
Africa
(p.18,
p.218),
The
Flame
Trees
Of
Thika
(p.
132)
ou
entre
acheteurs
et
vendeurs
dans
An
Outpost
Of
Progress
(p.
66)
l'organisation coloniale se montre comme un nouvel esclavagisme,
en dépit de
l'apparence d' harmonie entre employés
agricoles
et
promoteurs.
Il
en
est
de
même du
District
commissioner
envers
ses collaborateurs dans Mister Johnson
(p.
25).
C'est ce genre
de situation que Remote
People
(p.
144)
dénonce en s'attaquant
au
professeur
américain.
D'où
l'intérêt
de
comprendre
les
structures
qui
s'opposent,
et
les
figures
qui
se
confrontent.
Concrètement,
les écrivains semblent afficher un dédain de leur
propre civilisation.
Ceci,
parce qu'ils ne pouvaient ignorer ou
survoler
en
permanence
les
problèmes
humains
dans
le
réel
quotidien.
Ils
aboutissent
à
une
volonté
de
se
démarquer
du
colonial dont l ' humani té est doublement méconnue de la part de
l'Africain.
C'est
ainsi
que
nous
lecteurs,
l'Autre
ici
nous
atteint à travers les masques sauvages de la représentation, que
la littérature décrit dans les personnages d'aliénés culturels,
des
femmes,
des
boys,
des
"toto",
des
malades,
handicapés

374
physiques
ou
sensoriels,
des
primitifs,
épicuriens,
bagarreurs
ou malhonnêtes à qui elle les fait supporter.
c'est une logique
de la création.
En
effet,
puisque
la
culture
peut
parler,
elle
dit
ce
qu'elle veut,
et
joue le
jeu qu'elle entend.
Pour aller contre
cet
état
de
choses,
il
faudrait
l'intervention
d'un
élément
étranger
au
couple
formé
par
la
civilisation
et
la
barbarie,
oralité
et
littérature,
culture
et
nature
pour
proposer
de
nouveaux
équilibres,
de
nouveaux
mondes
possibles.
Par
conséquent,
dans la contestation des deux ensembles,
sauvage et
évolué,
et dans
l'épreuve de force
entre monde traditionnel
et
monde
modernisé,
s'interpose
le
héros.
Pourtant
il
n'est
pas
sans contexte.
Mais étant donné que l'Africain n'a pas toujours
une langue identifiable ou reconnue,
il
faut
que
la révélation
du sens de ses clameurs vienne d'un autre.
Il faut qu'un élément
étranger
constate,
traduise
et civilise ses aspirations.
De ce
fait,
la narratrice de Out Of Africa " Kipanda, the registration
of
each
individual
Native ... "(
p.121),
de
The
Flame
Trees
Of
Thika
" manyatta " ( p.56) ,
comme
les
narrateurs
de
Mister
Johnson" zungo,
fees" ,
" sojan gwona -
that is,
soldier of the
farm"
p.192),
de An Outpost Of Progress
( p.61)
ou de Remote
People
p.125)
nous
dressent
un
glossaire
de
phonologie
indigène
en
anglais.
Mais
ce
n'est
pas
seulement
une
enquête
linguistique qu'ils nous offrent.
Il s'agit également pour eux de parler pour les sans-voix,
les
sans-paroles.
Avec
les
mots,
l ' écrivain
devient
un
"dieu"
qui donne une figure à
celui qui
n'en avait point,
et dont il
lui
faut
tenir
compte
pour
être.
Un cri
qui
veut
être
perçu
suppose un projet, tout comme un comparatisme adéquat suppose un
but.
Ce but peut être une émancipation,
une reconnaissance d'un

375
élément pour mieux poser l'Autre,
ou mieux le mettre en valeur.
C'est
un
peu
comme
dans
la
situation

le
vainqueur
d'une
compétition en mettant les valeurs de son adversaire au sommet,
affirme en même temps
ses
exploits
et
son
mérite personnels
à
vaincre.
Il reste qu'une vocifération indigène n'est pas un son
animal.
Mais son sens est
'sauvage'.
Ce qui lui fait défaut,
et
qui
la
rend
particulière,
c'est
une
syntaxe
La
syntaxe
organise
les
structures,
en
permettant
la
distribution
des
termes,
des
mots,
des
mélodies
pour
leur
donner
un
ordre
convenable,
sociable
et
maîtrisable
-
commune
avec
l'anglais,
qui
la
situerait
dans
un
cadre,
et
lui
ferait
perdre
son
caractère
d'onomatopée.
Par
exemple,
Blixen
sait
cela
lorsqu'elle nous retransmet le contenu des lettres que ses boys
lui
envoient dans
son
pays.
Elle
nous
donne
même la
façon
de
composer du sens en anglais en passant par l'indigénat et vice-
versa:
«
A white man who wanted to say a
pretty thing to you
would write:
'
l
can never forget you'.
The African says:
'
We
do
not
think
of
you,
that
you
can
ever
forget
us'.»
(OOA.,
p.78).
C'est ce principe qui autorise aussi Cary à manipuler la
langue de Johnson:
«
'Go give me fire when l no got no wood.
Go give me light when l no got no kerosene,
Go walk with me when l poor man got no frien'.
Put you han' in my bress aIl same brother.
Warm my heart now in the cold morning.
Never ask for nutting for yourself' .»
(MJ·, p.243).
De ce fait,
les romanciers qui cherchent à utiliser le bon
sens des hommes,
se satisfont de tout
comprendre.
Mais puisque
chacun étant fait de ses propres perceptions,
lesquelles ont la
qualité d'émotions,
il
a
fallu
que
les
littérateurs
aient
une
force
suffisante
pour
recevoir
mais
aussi
pour
s'identifier
à
cette
émotion,
pour
pouvoir
la
transcrire
dans
un
code

376
équivalent, par rapport aux "discrete selves" dont est constitué
l ' univers
Voir
McTaggart,
24).
Mais
cette
émotion
dans
le
langage africain passé à l'anglais indique souvent une intensité
de peine,
de crainte et de fatalisme.
Ce qui
fait
que dans
le
regard
auquel
nous
parvenons
à
travers
le
héros,
le
langage
africain est simplifié jusqu'à l'imagerie. C'est pourtant par là
que
la
langue
se
construit
comme nous
l'avons
vu
dans
Mister
Johnson,
ou
Out
Of
Africa
et
The
Flame
Trees
Of
Thika,
à
la
manière fantaisiste
( Voir Rousseau,
25).
C'est donc à
l'homme
de lettres, ou au narrateur à compatir à ces émotions ou tout au
moins
à
les
ressentir
dans
leur
vérité
humaine.
Lui
seul
peut
accéder à l'efficacité.
C'est encore lui qui donne à chacun son
Etre,
beaucoup plus
qu'un
Etre qui
ne
se
serait
pas
donné
la
peine de
réfléchir
aussi
au
langage dans
lequel
il
s'exprime.
Dès
lors,
dans
l'ensemble,
la
création
littéraire
devient
le
produit d'Etres qui doutent,
qui conçoivent, qui affirment,
qui
nient,
qui
veulent
et qui
ne veulent pas.
Ces
Etres
écrivains
imaginent
et
sentent.
Donc
ils
vivent,
se
forment
et
s'informent.
Dans
leur
condition,
il
Y a
de
la
poésie.
Dans
cette
initiative
cependant,
l'Afrique
a
été
engloutie
par
la
politique
de
dissémination
Voir
Derrida,
26),
car
leur
atti tude
qui
se veut
scientifique
est aussi
poétique dans
son
langage, puisqu'ils reproduisent des mythes.
En
effet,
la
science
s'occupe
de
faits,
la
poésie
de
sentiments,
de
perceptions.
Le
langage
de
la
science
serait
dénotatif
tandis
qu'en
poésie,
la
connotation
serait
cruciale.
Ce qui veut dire que la science fait des constats, affirme alors
que
la
poésie déploie
l ' ambigui té,
l'ironie ou
le paradoxe.
Voir Richards;
Brooks,
27).
Toujours est-il que parler suppose
un
interlocuteur
que
l'on
comprend.
Or
comprendre
c'est
aussi
intégrer.
On intègre pourtant des
formations,
des
entités dans

377
leur
noblesse
dans
un
Etre
toujours
plus
grand
qui
les
absorberait
avec
le
temps.
Donc
l'anglais
est
limité.
Comme
l'indigénat,
il ne suffit plus en tant qu'élément absorbant.
Il
faudrai t
un
ri te de passage à
cet effet.
Et c'est pourquoi
le
héros dans la création littéraire de l'Afrique est sacrifié sur
l'autel du pouvoir.
Tel
a
été le cas des pionniers de Conrad,
morts au front, tout comme Johnson dans Mister Johnson.
Une
première
explication
en
ce
sens
est
que
le
héros
dépasse le point de vue rationnel,
car non
seulement il doute,
mais aussi il conçoit.
Il affirme et nie,
imagine et sent à
la
fois.
Mais dans tous les cas il parle.
Puisqu'il parle il a
le
pouvoir de se transporter hors de lui-même, de s'identifier avec
l'Autre.
Mais
pour
faire
ce
transport,
il
lui
faut
donc
une
mémoire,
pour faire miroiter les êtres absents
( Voir Rousseau,
28).
Ce qui
veut dire que le héros a
un sentiment très vif de
l ' homme,
et
se
donne
les
moyens
de
dominer
une
situation
que
nous
jugeons,
grâce au langage de l ' écr i vain.
Donc son
langage
découvre l'écrivain.
C'est
le
langage qui
donne
l'être
aux
héros
et,
partant,
aux hommes. Mais puisque c'est l'écrivain qui le gère,
il offre
aux hommes un monde pour vivre,
en les abritant dans son livre.
Le héros sait et
le héros peut
Voir
Platon).
Mais
Puisqu'il
sait
recevoir
et
transmettre,
il
est
aussi
confronté
à
l'isolement
et
à
la
solitude
en
raison
de
sa
bipolarité
extraordinaire et de son statut de médiateur.
Le
héros
devient
un
citoyen
socialement
désintégré,
un
réceptacle
isolé,
comme
la
hyène
hermaphrodite
dans
Out
Of
Africa.
Et
c'est
pour
cela
que
le
héros
peut
embrasser
et
dominer
toute
la
situation,
sous
tous
les
angles
surtout
dans
une
si tuation
de
"guerre"
culturelle.
Partant,
dans
les

378
oeuvresbritanniques,
les amours des héros sont inexplicables,
et
souvent
seules
la
mort,
ou
la
fui te
peuvent
les
arrêter
dans
leurs élans. Ainsi,
la narratrice de Out of Africa.
ne connaîtra
la
paix
qu'une
fois
sortie
du
cercle-piège
du
continent
africain.
Mais surtout comme la plupart des autres,
elle trouve
le
salut
en
se
réfugiant
dans
l'écriture
exutoire
à
ses
obsessions,
et en agissant comme fétichiste ou un animiste.
Dès
lors
le
héros
agit
en
dehors
des
raisons,
pour
échapper
à
la
misère de la mort,
et de l'élément destructeur d'un monde qu'il
est impuissant à
vaincre.
Alors il parle,
assure et se rassure.
Sa
présence
devient
sacrificielle
au
profit
du
dieu
qui
lui
donne et lui reprend la vie: l'artiste.
s ' i l s'agit d'un état de guerre entre une Afrique indigène
et
les
forces
occidentales de
civilisation,
ou
entre individus
assoiffés de pouvoir que la nouvelle et les romans veulent nous
rendre compte, nous ne pouvons que nous en remettre au héros.
En
effet, plus que dans la réalité quotidienne,
c'est dans le cours
du
récit
qu'il
intervient
pour
en
orienter
la
signification.
Pour cela, il faut que tous les intérêts convergent vers lui,
et
qu'il
soit
le
pivot,
la
figure
centrale
autour
de
laquelle
s'articule le récit.
C'est
lui qui
refigure
l'expérience ou
le
vécu
qui
nous
sont
transmis,
et
il
devient
également
dans
l'oeuvre
que
nous
parcourons
des
yeux,
ou
captons
de
nos
oreilles.
Son double pouvoir lui permet de classer
les protagonistes
selon une sémiologie à la fois imagée et verbale.
Il octroie des
aires
de
j eu
au
couple
colon
/
autochtone,
maître
/esclave,
oppresseur/opprimé dans son propos.
Mais il demande à
ce que le
premier cesse de vouloir contraindre le dernier à se soumettre à
ses propres
codes,
à
ses propres
valeurs
d'ailleurs multiples,
disparates et sujets à
caution.
Il
l'invite à
accepter d'autres

379
systèmes cohérents que le sien. c'est ce que nous suggère Blixen
de out Of Africa à partir des notions de justice, de crime et de
châtiment, dans les univers occidentaux et africains:
«
The ideas of
justice of
Europe and Africa are
not
the
same
and those of the one world are unbearable to the other. To
the African there is but one way of counter-balancing the
catastrohes
of
existence,
i t
shall
be
done
by
replacement ... A
loss has been brought upon the community and must be made
up
for, somewhere, by somebody.»
( p. 93)
.
De
même
pour
Conrad,
sur
le
plan
individuel,
Makola,
Kayerts et Carlier dans An autpost Of Progress,
ne sont que les
trois facettes humaines du même personnage face à
la notion de
profit:
« ••. He is no better than you and me ... There is nothing
but
slave-dealers
in
this
cursed
country ... »
(p.
74-75).
Il
n'empêche que
le détenteur
du
pouvoir
de
la
Parole
a
le
plus
grand mal à accepter cette contestation.
Aussi,
s'instaurent le
dilemme et la désorientation.
Cette désorientation provoquée par
l'autre
s'exprime
de
plusieurs
façons.
C'est
ce
qui
fait
que
dans
notre
étude,
deux
choisissent
l'issue
de
la
mort
pour
retourner
aux
sources
-
Johnson
est
mort
dans
Mister
Johnson.
Carlier,
Kayerts
et beaucoup d'innocents
sont meurtris dans An
Outpost Of Progress.
Blixen
dans
Out
Of
Africa,
Waugh
dans
Remote
People
et
Huxley dans The Flame Trees Of Thika, eux aussi retournent aussi
à
l'origine d'une autre façon
-
de corps -
mais l'esprit reste
attaché au là-bas, à l'Autre.
Ainsi, Blixen pose le problème de l'altérité de l'Afrique -
de
la
femme
destructrice,
à
ne
pas
définir
en
référence
exclusi ve
à
des
codes
masculins,
puisqu'elle
est
charmante
en
elle-même
sans
l'intervention
des
vrais
humanoïdes
(aOA' ,
p.326).

380
Huxley va plus loin dans l'expression de l'Afrique sous de
véritables traits maternels.
Enfant bercé par cette femme,
elle
rappelle les berceuses et les contes qu'elle lui a dits:
« ... The air was filled with fury, as if a wild, colossal
monster was setting on the earth with tooth and claw to
tear it to shreds .... The banana fronds ... a grey wall that
blotted out aIl vision ... the crashing and cracking and
reverberating of the thunder, and the violence of lightning
flashes that split the sky .... but it was not hard to
believe, as the Kikuyu did, that God himself was in a fury
and was raging through the storm, and that the lightning
was the flashing of his sword as he lunged at the devils
who had offended him»
(TFTT·, p.154).
Chez
Waugh
et
Cary,
l'altérité
se
manifeste
dans
les
traditions du pouvoir et de la violence politiques où l'être et
l'apparaître se confondent dans les couloirs
dans le Rp·( p.33)
et dans le MJ. :
«
Rudbeck sits hunched in his chair. He is still
dissatisfied, not with Johnson's explanation, for he knows
that Johnson is actually a thief and a murderer, but with
everything. He feels more digusted and oppressed, like a
man who finds himself walking down a narrow, dark channel
in unknown country, which goes on getting darker and
narroweri while he cannot decide whether he is on the right
road or not.»
( p.247).
Mais pour Conrad,
le problème de l'Autre s'exprime dans la
réflexion et la consultation solitaires de soi,
seul en tête à
tête avec soi-même. Aussi, le plus grand mal à suivre Kayerts le
penseur,
puisqu'il veut être seul «
Then he tried to imagine
himself dead ... wi th such unexpected success ... »
(An outpost Of
Progress·, p.79).
Dans tous les cas,
toutes ces démarches signifient que ec
qui
est
autre,
la
différence
n'existe
pas
toujours
hors
de
l' homme -
suj et pensant -
lui-même.
C'est ainsi que défait ou
fugitif,
le héros cherche à accorder les personnages en présence
sur le front. Alors il les ramène à un point où ils ne seraient

381
pas seulement semblables mais aussi équivalents
( Voir Mudimbe,
29).
Pour les assortir il les met en équation par le pouvoir d~
cette langue qui montre, qui distingue les protagonistes, ou qui
reconstitue les faits.
Du coup, dans sa reconstitution,
l'indigène se dresse comme
victime potentielle sur l'autel d'une civilisation qui se met en
route comme une machine,
avant de s'être assurée de sa maîtrise
sur le complexe entier. Or, par son intercession i l signifie que
l'organisation
coloniale ou
le
système de
protectorat
sont des
forces d'anéantissement.
Elles visent à
civiliser,
c'est à dire
à
digérer culturellement
le cru ou l'excès des
indigènes.
Donc
elles mènent un génocide culturel, puisqu'elles résulteraient en
une
suppression
du
différent,
du
particulier
et
de
l'excentrique,
ce qui est latent.
Or,
l'indigène par opposition
auBri tannique est ce qui
latent,
signifié mais
sans
signifiant
clair,
puisque
ne
pouvant
se
signifier
lui-même
(
Voir
Saïd).
Partant,
la présence du héros
se
justifie par
la
nécessité de
révéler, de libérer ou de produire le signifiant clair.
Le héros est là pour construire et pour représenter.
( Voir
Rousseau;
Aristote,
30).
C'est
ainsi
que
dans
An
Outpost
Of
Progress
de
Conrad,
(p.
59)
trois
caractéristiques
majeures
s'expriment:
la reproduction exacte de la vie,
qui veut exclure
tout
élément
romanesque,
et
tendant
même
à
faire
disparaître
l'intrigue.
Il
a
fait
un
choix
de
héros
de
taille
ordinaire,
nullement aggrandis; et enfin il tente de s'effacer derrière les
faits qu'il relate.
C'est cette dernière résolution du reste qui
le distingue surtout de Cary,
Blixen,
Huxley,
et Waugh qui nous
donnent des aperçus sur leur travail,
leurs projets de créateur,
leurs
doutes,
leurs
hésitations,
et
leurs
rêves
d' exal tation.
Mais toutes ces attitudes prises ensemble contribuent à
reposer
la
question
du
point
de
vue
romanesque
qUl
a
renversé
la

382
hiérarchie traditionnelle de la narration et de la description (
Voir
Frye;Lotman,
note).
De
même
elles
donnent
donnent
un
caractère paradoxal au héros et à
l'Africain,
à
la fois
fermés
sur
eux-mêmes
et
ouverts
sur
les
mondes
auxquels
ils
vont
accéder.
Mais s'il
n ' était pas paradoxal
le héros n'aurait pas
de fonction.
Il se substitue à l'Africain par sa compassion. C'est comme
cela que Blixen jette la pierre à la déportation des autochtones
dans out Of Africa
(p.321).
Or,
en lui donnant des sentiments,
et
une
forme,
le
héros
attribue
un
rôle
à
l'autochtone,
dans
lequel
il
peut communiquer avec
les
passions des
autres.
A un
autre moment, il l'initie, en le situant par rapport à un autrui
oppresseur.
C'est
ainsi
qu'un
indigène,
Sammy,
affronte
le
Hollandais Mr Ross
dans
(TFTT',
p.55)
de
Huxley,
de même q'un
autre
réplique
à
la
gifle
que
lui
porte
Denys
dans
Out
Of
Africa.
C'est
un
peu,
ce
que
fait
Conrad
en
sortant
les
indigènes de leur isolement
(An Outpost Of Progress',
p.72-73).
C'est donc le Britanniqué qui permet à
l'autochtone d'opérer sa
mue.
Ainsi,
si
narrativement
il
nous
révèle de gros
plans
sur
l'individu,
l'environnement,
c'est
pour
que
les
traits
divergents
soulignent
mieux
l'importance
de:
l'Altérité.
Par
conséquent,
le
héros
instaure
un
dialogue,


le
pouvoir
érige la force et la dictature. Mais, dans l'antagonisme des uns
et
des
autres,
qu'il
se
propose
de
résoudre,
aucun
acte
concluant ne peut sortir de son seul langage, puisqu'il s'immole
li ttéralement
pour
ne
pas
se
laisser
récupérer
cul turellement
par
le
milieu
culturel
auquel
il
appartient,
malgré
tout.
Pourtant,
il
ne
peut
s'indigéniser
puisqu'il
se
veut
accomplissement
d'une
symbiose
culturelle
et
humaine.
Mais
puisqu'il
faut
que
quelque
chose
réalise
la
parole
du
héros,
cela ne se fera que dans l'oeuvre écrite en Anglais.

383
C'est
ainsi
qu'à
force
de
description,
i térative,
insistante,
d'attention
à
l'impondérable
de
brusques
décrochages,
le
réel
sous
la plume de
Conrad,
par
exrnple,
se
fragmente,
se défait,
s' effri te
comme ses personnages Kayerts
et
Carlier,
traqués
et
marqués par l'échec,
incapables de constituer leur vie selon un
modèle romanesque ou héroïque.
Kayerts
meurt
à
la
fin
de
la
nouvelle
de
remords.
Mais
juste
après
revient
le
directeur
de
la
compagnie
avec
la
perspective
d'un
nouveau
départ.
Dans
l'architecture
de
la
nouvelle,
nous
avons
le
même processus,
en
ce
sens
que
nous
pouvons lire sa dernière page comme si elle était la première.
En plus, les déplacements physiques -
séances de chasse et pêche
infructueuses, va-et-vients entre la cabane et le dépôt d'ivoire
-
ou
les
transmigrations
imaginaires
-
ambiance
londonienne en
pleine
forêt,
course-poursui te
avec
Carlier
-
du
protagoniste
Kayerts, brouillent parfois les repères jusqu'à l'indécidable.
En
fait,
c'est
la
mauvaise
conscience
de
l'échec
et
le
pessimisme
qui
font
que
le
sujet
traité
se
dérobe,
ou
se
déclasse:
il
reste
là,
mais
sa
signification,
pourtant claire,
devient
incertaine.
Aussi,
les
réseaux
de
signification,
patiemment
ourdis,
semblent
s'annuler
se
suspendre:
suspens
momentané du sens,
de l'histoire,
du sujet même.
Ce style nous
pose
la
question
du
pouvoir
de
Conrad,
l'artiste,
qui
peut
rendre tout élément vraisemblable, pourvu de sens,
conjoint avec
ce
qu'il
redouble,
mime,
représente,
c'est
à
dire
ce
que
sa
parole
identifie
avec
le
réel
dans
le
double
signe
du
signifiant-signifié.
Il en est autant des autres textes,
surtout
de Mister Johnson.
L'élément dominant de Mister Johnson est
la confusion des
valeurs:
Il
He' s
a
stranger,
you understand -
a
foreigner"
( p.

384
32),
ce
pendant
que
An
Outpost
Of
Progress
exemplifie
la
démonisation, où par exemple nous lisons d'entrée que
«
- to the negation of the habitual, which is safe, there
is added the affirmation of the unusual, which is
dangerous; a suggestion of things vague, uncontrollable,
and repulsive, whose discomposing intrusion excites the
imagination and tries the civilized nerves of the foolish
and the wise alike.»
( p. 59).
Nouvelle du moi et de la sensibilité, avec développement du
discours,
Conrad comme Cary,
mettent en
jeu le héros qui quitte
son podium pour céder le plancher au personnage principal.
Mais
le narrateur ne désigne pas pour autant les bons et le méchants
de
façon
très manichéenne,
malgré la diversification
sociale et
le
développement
physique
et
psychologique
des
personnages,
entre le début et la fin des oeuvres.
Les valeurs s'opposent de
façon plus complexe, à la dimension des personnages.

385
3 - La force du voyeur
La
question
du
langage
demeure.
Nous
nous
sommes
donnés
comme
modèle
de
référence
out
Of
Africa.,
et
y
revenir
constamment, sans prétendre qu'il soit un modèle de vérité. Nous
l'avons
choisi
parce qu'il
est
plus
important
en
volume
d'une
part,
ensuite parce que ce roman
est plus détaillé et que
les
occasions
de
rencontrer
des
thèmes
évoqués
dans
les
autres
oeuvres, sont nombreuses.
De Conrad à Waugh,
en passant par Cary,
Blixen ou Huxley,
il
s'agit
de
voyages,
de
navigation
au
bout
de
la
nuit
pour
retrouver la clarté,
la
lueur qui
leur permettrait de se voir,
de s'identifier et de se trouver.
C'est pour cela que dans notre
situation
de
lecteurs,
nous
partirons
du
sentiment
de
l'existence
qu'ils
éprouvent,
pour
les
accompagner
jusqu'à
découvrir avec eux,
comment ils parlent de ce qu'ils vivent.
La
conscience
d'écrire
qui
est
la
leur
n'est
pas
immédiatement
donnée,
sauf
dans
le
cas
de
Cary,
de
Waugh,
de
Blixen
et
de
Huxley
qui
nous
demandent
de
prendre
conscience
de
notre
lecture,
en
nous
avisant
sur
l'art de
la
fiction.
Par exemple
Waugh dans Remote People nous dit que
«
There was the American professor, who will appear later
in this narrative ... »
(p. 34).
Ou plus nettement,
«He could deal out dramatic deaths ... certain pictures»
(p.41).
De
même,
Huxley,
dans
le
retour
vers
son
enfance
ne
se
souvient plus des noms des personnages:

386
«
It would be absurd to suppose that anyone could recall
detail about events, conversations and characters that took
place or existed in their childhood ... »
( TFTT, p. 7).
Mais cette omission de la part de Huxley,
fille de colons
Britanniques peut s'inscrire dans le cadre des propos de Mavis
stone qui affirme que:
«
For such children there may have been a 'certain
glamour' in having parents in Africa, but there was always
a heavy price to pay:
' The children grew up with little
contact and tended not to know their parents very weIl, and
you grew up never really belonging anywhere. l was divided
between africa and England. When in England you got very
homesick for Africa and when in Africa you felt homesick
for England' .»
( Charles, Ibid., p. 130).
Quant à Cary,
il nous enseigne les techniques littéraires.
Blixen le fait aussi à sa façon.
Et bien que Conrad ne nous le
dit
pas
clairement
dans
son
oeuvre
ou
son
contenu
même,
le
résultat
est
comparable
à
celui
des
autres.
C'est
contre
un
système de valeurs établi qu'ils s'érigent en faisant valoir une
autre
compréhension
du
monde.
Donc,
ils
nous
proposent
une
lecture.
Pour voir quels mondes apparaissent dans les textes, la
poétique semblait être un biais significatif pour saisir le dire
et le vivre ( Voir la définition de la poétique: Aristote;
Meschonnic, note ). Aussi, le contenu de référence linguistique
devient une sorte de pacte social, un langage, une intention
partagée, qui fait circuler du signifié entre deux
interlocuteurs, un émetteur et un récepteur, une écriture et une
lecture. Nous ne pouvons éviter dans cette situation, le
problème de la réalité.
En effet,
la vérité impose un ordre de choses dans lequel
chacune a sa place. Or,
l'artiste tout comme son être cherchent

387
à
donner
une
forme
tolérable
au
monde,
en
tâtonnant
à
la
recherche d'un sens.
Aussi les écrivains tissent un espace,
qu~
leur permettrait de vivre ou de survivre.
Donc il s'agit d'une
feinte
puisque
c'est
une
parole
qui
crée
l'Afrique
dans
les
oeuvres.
En
réalité
dans
cette
position,
l ' écrivain
est
comparable
à
l'enfant
qui
joue
à
l'apprenti-sorcier
avec
son
jouet.
Tous
deux,
gamin
et
romancier
sont
des
acteurs,
car
l'usage
de
la
métaphore
allégorie,
comparaison,
figure
ou
image -
change en permanence l'ordre et les rapports entre les
choses, en suggérant un plan différent du monde ( Voir Barker et
al;
Platon,
31).
Pourtant,
enfant et artiste posent la question
de l'imitation, de l'apparence, qui consiste à dessiner un monde
imaginaire
Voir
Rousseau,
32).
Mais
dans
l'oeuvre
écrite,
l'artiste s'oppose à l'enfant, à l'autre en lui, dans ce qui est
mis en jeu
:
c'est-à-dire un monde pour y vivre
( Voir Platon,
En
effet,
dans
leur
découverte
de
l'Afrique
tout
en
se
posant
la
question
de
savoir
qui
elle
est,
les
écrivains
britanniques tentent de rencontrer un qui suis-je.
Par analogie,
ils ne peuvent échapper à la fatalité de la métaphore de l'autre
tout en affirmant que celui-ci est également différent, comme le
dirait
Brooks
qui
affirme
que
le
principe
fondamental
de
la
métaphore est d'être asymétrique. Il nous informe que:
«The poet must work by analogies, but the metaphors do not
lie in the same plane or fit neatly edge to edge. There is
a continual tilting of the planes, necessary overlappings,
discrepancies, contradictions. Even the most direct and
simple poet forced into paradoxes far more often than we
think, if we are sUffici~2tly alive to what he is
doing »( Voir Brooks,
).
Or,
il
leur
faut
trouver
une
expression
dans
laquelle
l'identité parlerait directement sans avoir besoin de symboliser

388
ce qu'elle dit par quelque chose d'autre qu'elle-même.
Pourtant
l'homme
vit
en
société.
Il
parle.
Mais
sa
parole
ne
peut
identifier
le
mot
et
l'objet
désigné.
Elle
use
d'un
pouvoir
performatif pour exister et
imposer aux hommes,
aux autres
ses
intentions.
Cela s'imposait dans la mesure où l'écrivain ne peut
s'arracher au sort de narrateur qui organise son propos.
Comment
ne serait-il pas tenté d'y mettre de l'ordre,
d'autant plus que
même
l'inconnu
fait
moins
peur
quand
il
arrive
à
lui
faire
ressembler
à
son
imaginaire?
C'est
un
acte
social
que
Emile
Benveniste suggère en ces termes:
«
Mais quelle est donc la source de ce pouvoir mystérieux
qui réside dans la langue? Pourquoi l'individu et la
société sont-ils ensemble et de la même nécéssité, fondés
dans la langue? Parce que la langue représente la forme la
plus haute d'une faculté qui est inhérente à la condition
humaine, la faculté de symboliser.
Entendons par là, très largement, la faculté de représenter
le réel par un 'signe' et de comprendre le 'signe' comme
représentant le réel, donc d'établir un rapport de "
signification" ent35 quelque chose et quelque chose
d'autre.»( Voir,
).
C'est bien là le processus d'identification,
l'équation que
l'émigré devait
résoudre,
dans
la mesure où Bakhtin nous parle
d'évolution
de
langues,
faite
de
transformations,
et
d'hétéroglossie en ces termes:
«
At any given moment of its historical existence,
language is heteroglot from top to bottom; i t represents
the co-existence of socio-ideological contradictions
between the present and the past, between different epochs
of the past, between tendencies, schools, circles and so
forth aIl giv~g in bodily form.»( Voir The Dialogic
Imagination,
).
Il Y a dans ce processus une situation de centralisation et
de décentralisation.
Or dans cette opération,
l'ego s'aperçoit,
se
découvre,
se
nomme,
assuré
de
se
contempler
comme
il
apparaît,
bien
que
les
reflets
lui
paraissent
étranges
ou

389
bizarres. Donc le langage et les autres détournent des évidences
comme
le
dirait
Pratt
à
propos
d'un
passage
de
John
Barrow,
Account Of Travels Into The
Interior Of Southern Africa in The
Years 1797 and 1798., publié en 1801 à Londres:
«
Any reader recognizes here a very familiar widespread,
and stable form of "Othering". The people to be othered are
homogenized into a collective "they", which is distilled
even further into an iconic "he"( the standardized adult
male specimen).This abstracted "he"/"they" is the subject
of verbs in a timeless present tense, which caracterizes
anything "he" is or does not as particular historical event
but as an instance of a pregiven custom or trait.(In
contexts of conquest, descriptions are likely to focus on
the Other's amenability to domination and potential as a
labor pool, as Barrow's does in part). Through this
discourse, encounters with an Other can be textualized or
processed as a numeration of such traits. This is what
happens in modern anthropology, where a fieldwork encounter
results in a descriptive ethnography. It also happens in
ethnography's antecedent, the portrait of manners and
customs.»
( Voir Pratt, 37)
C'est
l'obsession
des
normes,
des
codes,
d'idéologie qui
commande cette observation des différences,
et qui fixe l'autre
dans un présent immuable. C'est ce qui fait dire à Belsey que:
«
the task of ideology is to present the position of the
subject as fixed and unchangeable, an element in a given
system of differences which is human in nature and the
world of human experience, and to show possible action as
an endle~§ repetition of 'normal' familiar action.»
( Voir
Belsey,
)
Tel est le fondement même des journaux de voyages. Or dans
la situation coloniale,
les écrivains se sont heurtés au non-
familier,
non
pas dans
les autres
seulement mais
en
eux-mêmes
aussi
comme
nous
l'avons
vu
dans
la
superstition
inavouée
de
Blixen en désespoir de cause, et dans les tortures des pionniers
de
Conrad.
Non
seulement,
ils
ont
reproduit
le
mode
de
production
capitaliste,
mais
aussi
ils
ont
reproduit
les
représentations des indigènes par
leurs prédécesseurs tels que

390
Richard Burton,
David Livingstone,
Mungo Park,
Ridder Haggard,
John Bunyan ... Par exemple Waugh nous dit que:
«
Burton
admits
their
beauty,
but
condemns
their
voices ... »
( p.
78).
C'est de ce point de vue que JanMohamed
nous situe en disant que:
«
Colonialist literature is an exploration a
representation of a world at the boundaries of "
civilization" , a world that has not (yet) been domesticated
by European signification or codified in detail by its
ideology. That world is therefore perceived as
uncontrolable, chaotic, unattainable, and ultimately
evil.( ... )one's culture is what formed that being.»
( Voir
JanMohamed, 39)
Ce qui veut dire que, si le voyageur décide que l'autre lui
est
semblable,
il
s'occupera
à
ignorer
ses
divergences
et
le
jugera en fonction de ses propres valeurs culturelles. s'il veut
qu'il
reste
différent
de
lui,
il
s'attardera
sur
la
mise
en
valeur de sa propre perspective culturelle.
Dans tous les cas,
il
s'agit
de
donner
à
voir
l'Afrique,
conformément
à
l'imagination
britannique.
Selon
JanMohamed,
cette
littérature
se
divise
en
deux
catégories
qui:
sont
l'imaginaire
et
la
symbo l i.que .
Dans
la
représentation
imaginaire
"people
tend
to
coalesce the signifier and the signified"
(p. 65),
alors que la
représentation
symbo Li.que tend
à
thématiser
le problème de
la
mentalité colonialiste et de sa rencontre avec l'autre race. Or
la construction de l'autre colonial est comme nous dit Bhabha:
«
the process by which forms of racial/cultural/historical
otherness have been marginalised in theoretical texts
committed to the articulation of 'difference',
'significance',
'contradiction', in order, it is claimed,
to reveal the limits of western representationalist
discourse. In facilitating the passage 'from work to text'
and stressing the arbitrary, differential and systemic
construction of social and cultural signs, these critical
strategies unsettle the idealist quest for meanings that
are, most oft~B' intentionalist and nationalist ... »
(
Voir Bhabha,
)

391
c'est un tel processus qui donne naissance au stéréotype à
propos duquel il fait remarquer que:
«
the colonial stereotype is a complex, ambivalent,
contradictory mode of representation, as anxious as i t is
assertive ... »
( Bhabha, Ibid., p.
22).
Le
mode
de
représentation
se
fonde
en
même
temps
sur
la
reconnaissance
et
le
désaveu
des
différences
historiques,
culturelles
et
raciales,
pour
justifier
la
conquête,
l'implantation
de
systèmes
administratifs
et
d'instruction.
L'indigène y est une réalité fixe,
à
la fois un autre et tout à
la
fois
connaissable
et
visible.
Or,
selon
Bhabha
Homi,
ce
système de représentation ressemble à:
«
a form of narrative whereby the productivity and
circulation of subjects and signs are bound in a reformed
and recognisable totality.
It employs a system of
representation, a regime of truth, that is structurally
similar to realism.»
( Bhabha, Ibid., p.
23).
Ce système de représentation a
permis à
Saïd de réagir en
disant que
la
copule
semble
être
au
stade

le
rationnalisme
britannique se réserve les limites du sens pour lui-même
( Voir
Saïd,
note
).
De même
selon
Bhabha,
cette
façon
de
faire
est
aussi:
«
••. a topic of learning, discovery, practice; on the
other, i t is the site of dreams, images, fantasie, myths,
obsessions and requierements.
It is a static system of
'synchronie essentialism', a knowledge of 'signifiers of
stability' such as the lexicographie and the encyclopaedic.
Hower, this site is continually under threat from
diachronie forms of history and narrative, signs of
instability.»
(Bhabha, Id., p.
24).
Il Y a dans l'acte des écrivains britanniques,
représentant
l'autre,
un décentrage sYmbolique du pouvoir dans
les multiples

392
relations
d'adversité,
de
transgression,
d'impureté~
de
métissage et d'aliénation
( Voir Barthes,
41). Ainsi le sujet se
retrouve-t-il
au
stade
narcissique
de
l'imaginaire
et
de
son
identification avec un égo idéal qui est blanc et tout,
dans de
telles
mises
en
scène
qui
mettent
l'accent
sur
le
visible,
l'aspect vu des choses.
Il y a d'une part un
jeu entre le sens
se
référant
au
si te de
fantasme
et de désir,
et
au
regard de
subjugation et de pouvoir.
Or dans le fond,
seule la couleur de
la peau reste le seul
signe,
le seul critère de discrimination
visible. Autrement dit, l'être du pionnier chosifie tout pour le
comprendre.
Il
est
dans
un
univers
de
théâtre
en
AFrique,
et
littéralement les oeuvres sont un décor à
ressemblance humaine.
Tant
qu'elle
restera
objet
de
discours
le
pionnier
pourra
s'extasier et le dire,
comme le dit Pratt à propos de l'oeuvre
de
Barrow
"to
invent
Africa
for
the
domestic
subj ects
of
the
Br i ti sh
Empire Il
Voir
Pratt,
42).
C'est
ainsi
que des
idioms
tels
que
I1black
sh e e p l1
sont
nés.
De
même,
les
berceuses
bri tanniques
en Grande
Bretagne menaçaient
les
bébés
pleureurs
ou récalcitrants de les livrer à l'homme noir,
comme en Afrique,
les
mères
menacent
de
jeter
les
bébés
à
la
hyène.
Par
conséquent,
nous
ne
pouvons
que
traiter
de
la
relation
littéraire
établie
par
les
Britanniques
dans
leur
relation
à
l'Afrique. De ce fait,
nous ne savons pas de quelle Afrique nous
parlons.
Il y a une Afrique perçue au nlveau collectif, à partir
d'un
certain
logocentrisme
(
Voir
Cunnigham,
43)
et
au
niveau
individuel,
de
chaque
écrivain,
de
son
histoire,
il
se
présentera
une
autre
Afrique.
Son
image
se
révélera
1.
progressivement.
Donc ce qui comptera pour nous dès cet instant,
ce
sera
la
scène
qu'occupe
l ' homme
écrivant,
héros
ou
personnage, car lui seul nous aidera à trouver l'I1Afrique".

393
Récits
de
quête
incertaine
sur
un
fond
de
satire
du
snobisme
et. de
l'aristocratie
(
Voir
Platon;
Hegel,
44)
comme
chez
Waugh,
tantôt,
analyses
du
rapport
entre
l ' explici te
et
l ' implici te
tel
que
chez
Conrad
et
Cary,
éléments
de
nature
poétique et journalistique grâce à
Blixen et Huxley,
les romans
et la nouvelle sont
fondés
sur une série d' anti thèses opposant
la
vie
à
la
mort,
le
familier
à
l'étrange,
l ' agitation
à
la
sérénité,
en mettant en scène une situation de conflit culturel
entre l'Afrique et la Grande Bretagne. Mais ce conflit est aussi
le
reflet
de
celui de
l'individu dans
la
société
industrielle
colonialiste.
Il est apparent aussi chez l'individu face à
lui-
même,
dans un pays où il ne se reconnaît plus.
C'est ainsi que
la dynamique des récits est assurée par la relation d'un retour
à
la
nature,
élément
du décor

s'épanouissent
les
relations
entre
les
divers
membres
de
la
création
artistique.
Non
seulement
la
nature
africaine
est
personnage
à
part
entière,
mais
elle
joue
aussi
le
rôle
d'un
tiers,
facteur
de
bouleversements au
sein
des
hommes
Blanc/Blanc,
Noir/Noir
mais
aussi Blanc/Noir.
C'est ce type de personnification,
d'animisme
qui imprègne les romans de Conrad,
Blixen,
Huxley,
Cary et même
Waugh,
et qui
se traduit par
l'attribution de caractéristiques
proprement
humaines
à
tous
les
éléments
du
paysage.
C'est
pourquoi, par exemple Blixen nous dit que "God is coming"
DDA,
p. 44), ou "The moon might be looking in and wondering" ... ( DDA,
p.322). De la sorte, c'est dans le tête à tête entre le monde et
le héros que le lecteur fonde
le sens de ces récits.
Là où le
hasard semblait en oeuvre, une rupture rend la réalisation d'une
intention
possible.
Autrement
dit,
le
récit
c'est
la
représentation signifiante dans laquelle le lecteur organise son
sens
( Voir Deledalle & Peirce,
45).
Donc,
la littérature exige

394
une
intervention
extérieure
pour
que
le
sens
du
récit
s'organise.
Au
sommet
du
système
de
sens,
c'est
l'auteur,
hanté
de
perfection,
qui
traduit
une
situation
donnée
dans
des
termes
tels
que
le
désir
du
lecteur
puisse
s 'y
désigner
sans
être
explicitement invoqué.
L'auteur peut donc feindre d'être absent
de
la
littérature.
Mais
le
lecteur
seul
a
le
plaisir
et
la
satisfaction
de
pouvoir
percevoir
la
tournure
des
événements,
puisqu'il
occupe
touj ours
la
place
déterminante
pour
voir
par
exemple,
en
Blixen,
une
femme
fragile
qui
a
invoqué
les
puissances divines avant d'être préparée à
les
recueillir et à
les entretenir, et qui en est affolée.
C'est aussi la condition
du voyageur Kayerts dans An Outpost Of Progress, qui a oublié où
il partait, et qui se met à tourner en rond sans fin,
incapable
de retrouver ses pas un peu comme Waugh dans Remote People.
Dans
Remote
People,
l'aventurier,
comme par
enchantement,
va toujours un peu plus loin.
Il progresse parce que son chemin
est balisé par ses prédécésseurs,
tels Burton ou Rimbaud.
Alors
il
retrouve ses pas,
mais il
ne retrouve plus son refuge comme
il l'avait quitté ne sait même plus s'il lui appartient encore.
Dès lors la situation originelle,
par le fait de l'intervention
divine, ou du hasard, est toute entière retournée.
Ainsi le récit semble obéir au lecteur.
Sans sa langue,
il
n' y
a
pas
de
héros,
ni
de
sens,
encore
moins
de
justice
ou
d'acte.
Bien
entendu,
le
candidat
à
l'aventure
rencontre
l'autochtone mais c'est lui-même qu'il découvre
( Voir Trilling,
46). Le pionnier est plus loin de la vie que l'indigène, et plus
proche
de
la
nature
que
lui.
Pour
découvrir
l'indigène
et
l'Afrique, il devra passer par sa propre exploration et celle de
sa
patrie.
Dès
lors,
il
pourra
retourner
à
la
découverte
de

395
l'Afrique.
C'est pourquoi,
le retournement des données initiales
se fait par leur amplification.
Excédé au départ par ce que l'état sauvage apportait à
ses
certitudes,
le
pionnier
succombe
mentalement
au
moins,
à
un
excès de force naturelle, par un retournement symétrique.
Finalement,
l'Afrique
impose
au
récit
une
signification,
comme
si le continent agissait volontairement.
Or,
étant un pays elle
ne
devrait
pas
agir,
mais
plutôt
subir.
Le
pionnier
agissait
conformément
aux
commandements
et
aux à
priori
de
la
culture.
Mais
l'Afrique
devient
l'être
qui
agi t
conformément
aux
intentions
personnelles
d'un
esprit
extérieur
au
récit,
le
nôtre.
C'est donc le plaisir du lecteur qui produit le sens de
l'acte du pays
(régional, végétal, ou paysager). Le sens naît de
son imaginaire, de notre imaginaire.
De
cette
manière,
les
titres
des
romans
captent
la
singulari té
de
l'acte,
de
l'évènement,
ou
encore
de
l ' obj et.
Singulier,
parce que non plus à
une plurarité mais à
une norme
sociale,
empirique
ou
rationnelle
que
le
sujet
individuel
est
arraché,
lien
paradoxal

l'individu
effectue
son
insertion
dans
un
ensemble
lui-même
placé
sous
le
signe
de
la
non
intégration
Voir
Achebe;
Bouthoul,
4 7).
Tel
est
le
paradis
perdu
duquel
le
roman
de
Huxley,
par
exemple,
invi te
l'imaginaire à
remonter.
Or,
ce
paradis
peut
devenir
un
enfer
lorsque ce lieu est vécu par
le personnage comme un
espace de
conflits et le lieu d'un exil intérieur comme chez Waugh ou chez
Cary
Voir
Hynes,
note
).
Aussi,
narrativement
l'écrit
se
désigne
lui-même,
à
travers
les métaphores
et
les
synecdoques,
dans les titres.
Ces figures de style font aussi référence à
l'espace et au
temps.
La
trame des
oeuvres
romanesques
est
rarement des
plus

396
complexes.
Le récit s'articule dans une opposition entre Moi et
Lui,
source
de
conflits,
de
contrastes
ou
de
retournements
imprévus,
tel
que
dans
An
outpost
Of
Progress:
«
That
poor
Kayerts;
he is sa fat and unhealthy.
It would be awful if l
had
to
bury
him
here.
He
is
a
man
l
respect ... »
(
p.
59).
Il
retrace
aussi
la
transition
progressive
ou
brutale
d'une
si tûation
donnée
à
une
autre.
C'est
le
cas
du
passage
d'une
transformation
agie
ou
subie,
à
partir
d'un
état
initial
comba ttant
de
manière
posi t i ve
ou
néga tive
l'équilibre
ou
le
manque,
à
un
état
final
inverse:
«
Before
they
reached
the
verandah
of
their
house
they
called
one
another
'my
dear
fellow'»
( p.59) ..
Dans tous
les cas,
ces oppositions ne sont
pas toujours
résolues
à
la
fin
du
récit AOP,
p.
78-80).
C'est
d'ailleurs cette préférence pour les situations sous-tendues par
une
antithèse qui
favorise
aussi
le
recours
à
l'ironie,
comme
chez Conrad, Huxley ou Waugh.
Aussi, puisque les romans sont obligés de passer par la
métaphore pour nous rendre compte, la situation et la
personnalité de l'explorateur dans la nouvelle et dans le roman
est illusoire. C'est pourquoi le pionnier perd son enthousiasme
et ne peut plus prétendre qu'à écrire, représenter ce qu'il a
été, ou cru'être. Mais il revient à la civilisation écrite. Son
écriture est une langue. Et sa langue est un pouvoir. Ainsi,
elle ne se justifie pas. Elle se revendique. Mais comme elle
procède d'un pouvoir, comme tous les pouvoirs, elle peut être
vaincue
voir Gloversmith, note). En fin de compte, le
vainqueur est le lecteur ( Voir Wimsatt, 48), qui comprend ce
qui se passe alors que le pionnier est aveuglé par sa mission et
la suffisance de son pouvoir, qui font que la réalité le
surprend et lui impose de réagir par reflexe. Dans ces

397
conditions s'il y a une main de dieu
elle peut prévaloir sur
toutes les vies, sauf peut-être une: celle du lecteur.

398
4 - La puissance des mots
Les
mots
ont
une
pUlssance
magique
en
ce
sens
qu'ils
peuvent
évoquer
des
images.
Le
temps
n'agit
pas
sur
eux,
sur
leur pouvoir d'évocation, qui fixe et rend l'univers compatible
avec
l 'homme,
et
lui
donne
son
sentiment
de
domination
de
la
nature.
Recueillis
et
classés,
les
mots
consti tuent
un
dictionnaire
dans
lequel
on
peut
se
ressourcer,
trouver
de
l'aide
en
ce
qui
concerne
l'éclaircissement
sur
des
mots
obscurs.
C'est
le
même
processus
qui
prévaut
au
niveau
de
l'appréhension de l'espace ou du temps par l'homme.
si l'objet,
l'époque semblent si étranges qu'il ne peut les
définir,
il
suffit de
se
reporter
aux
récits
du
passé
ou
aux
expériences
des
plus
instruits
pour
trouver
des
jalons,
des
indicateurs et des balises de sens, quitte à les confirmer ou à
les remettre en cause.
Le passé ne change pas
parce qu'il
est
achevé.
Mais
d'aucuns
diront
que
deux
millénaires
de
civilisation n'ont pas vraiment changé l'homme.
Au nombre de ceux-là se place Joseph Conrad pour dénoncer
la bêtise humaine dans
la mort des deux pionniers
en Afrique,
grâce à la nouvelle An Outpost of Progress . C'est du reste à la
même constatation étonnée qu'a abouti Waugh dans son examen des
comportements
bri tanniques
par
rapport
à
l'Afrique,
plus
particulièrement en Somalie,
en Ethiopie,
au Kenya,
en Ouganda,
au
Congo.
Néanmoins
comme nous
le
verrons,
il
ne
rej ette
pas
tout le passé en bloc.

399
Comme
Elspeth
Huxley
et
Karen
Blixen,
Waugh
revendique
obstinément
le
passé
dans
Remote
People,
un
roman
d'aventures
autobiographiques,
peut-être parce qu'il
ne peut s'en départir.
Or,
plus les écrivains remontent aux origines, dans la fuite du
temps,
et plus il
leur donne une compréhension de l'avenir qui
se rapproche.
Le piège consiste dans le fait que tout un chacun
fait une confiance à
l'éternité des signifiants.
Ils remplacent
valablement les événements ou les objets que l'on pouvait croire
oubliés
et
ceux
qui
peuvent
advenir.
Donc,
ce
n'est
pas
une
simple
coïncidence que de
retrouver
des
mots
tels
que
'dark',
'savage',
evil' ,'native',
'witchcraft' ,'fetish' ,'chuckling',
'lying',
'cannibal',
'brute',
'drunk',
ou d'autres désignations
des indigènes, en référence au siècle des lumières britanniques.
En
effet,
depuis
les
oeuvres
de
Shakespeare
(othello,
Macbeth,
entre
1601
et
1604)
de
John
Bunyan
(Pilgrim's
Progress),
ou
de
Richard
Haggard
(King
Solomon's
Mines),
jusqu'aux
récits
de
voyages
les
pl us
récents,
ce
que
nous
ne
cesserons de dire avec
insistance,
c'est qu'une même cohérence
littéraire donne la vie
et
la vérité des
êtres,
des
choses et
des illustrations de l'Afrique.
Il se peut que ce soit parce que
le point d'observation est resté le même.
Or, si le point de vue
n'a
pas
réellement
changé,
c'est
en
ralson
du
risque
d'autodésintégration qui guette l'audacieux. Alors les écrivains
se
sont
contentés
de
savoir
représenter,
imaginer
et
deviner
l'autre dans ce qu'ils croient être son mystère,
et dont ils se
gardent de trop retourner de peur de
se perdre,
bien que
leur
objectif serait de s'autoréaliser.
Le
passé
influe
donc
activement
et
en
permanence
sur
le
présent,
le futur de l'homme,
ses productions et
lui permet de
définir une graphie des
espaces.
Ainsi,
c'est
l'étymologie qui
permet
de
comprendre
les
idiolectes
des
indigènes
venus

400
commercialiser leur ivoire,
tout comme les particularités de la
langue des
Luandais dans
An Outpost
Of
Progress,
barbares,
du
passé
aussi
bien
que
ceux
qui
logent
peut-être
encore
plus
exotiques,
dans
l'imagination
des
immigrés
Blancs.
Ceci
est
aussi
vrai
dans
les
livres de
Blixen,
que
de
Cary,
Huxley
ou
Waugh.
En gardant à
l ' espri t
les présomptions donnant
lieu à
une
ségrégation
entre
Hollandais
et
Britanniques
dans
The
Flame
Trees Of Thika,
de même que le regard curieux porté sur Johnson
venu
d'ailleurs
par
sa
belle-famille
à
être,
indigène
dans
Mister
Johnson.,
nous
constatons
que
c'est
le
temps
qui
se
réalise pour les écrivains dans le monde qu'ils dessinent.
Blixen et Huxley réagissent de la même façon par rapport à
l'Afrique,
dirions-nous.
Nous pourrions penser que faisant état
de la même contrée,
il ne soit pas étonnant qu'elles vivent les
mêmes
réactions,
et
connaissent
les
mêmes
attitudes:
elles
écrivent
leur
rapport
à
l'Afrique
dans
le
monde,
bien
que
la
volonté de rumination et la part d'aigreur soient moindres chez
Huxley.
Mais aucune des deux ne fait mention de l'autre,
quand
nous savons que les colons étaient obligés de former
une sorte
de
convivialité,
il
est
quand
même
surprenant
que
ces
deux
femmes
ne
se
soient
pas
rencontrées.
Mais

n'est
pas
la
question.
Dans tous les
cas,
si Huxley atténue sa mélancolie,
c'est
parce qu'elle n'a que son regard d'enfant,
et parce qu'elle n'a
pas toujours agi en Afrique de sa propre autorité. Son éducation
était à la charge de ses parents, les réels actants. Mais ce qui
est remarquable c'set ce qui vient de son langage.
Chez Huxley,
dans The Flame Trees Of Thika,
le vocabulaire
semble clairement aller de soi pour exprimer un monde qu'elle ne
se
contente
pas
de
dire,
mais
de
vivre
de
tous
ses
sens,
au

401
point
de
vouloir
tout
rendre
magique.
Certes,
une
magie
inoffensive
corrune
celle
qui
protègera
son
antilope
(TFTT
,p.193).
Cet
univers
est
candide,
corrune
celui

Blixen,
sans
l'avouer,
invoque
les
forces
extraordinaires
pour
lui
permettront de rester plus longtemps au Kenya
(OOA ,
p.284).
Il
s'agit
de
faire
durer
l'existence.
Donc
la
vie
demeure
en
l'écrivain plus que dans les autres horrunes ou personnages.
C'est la vie elle-même qui s'exprime dans
les oeuvres.
Et
c'est
précisément

la
vocation
de
l ' écrivain:
la
force
du
temps retrouvé et le refus de laisser mourir et s'enterrer des
tranches de vie,
en se disant "je me souviens ... " "en ce temps-
là ... ",
s'attachant aux mots.
Dans la vie,
les images de feu et
d'eau jouent un rôle de symbolisation très important.
Aussi les
descriptions
qUl
parlent
des
choses
et
des
êtres
corrune
des
acteurs
principaux,
signifient
les
attitudes
corrununes
de
partages
possibles
devant
les
réalités
de
l'environnement
africain,
entre
irrunigrés
Blancs
et
autochtones
Noirs.
C'est
ainsi
que
Blixen
la
Blanche,
nous
parle
de
lune,
de
feu
qui
descend la colline et anéantit l'espoir d'une saison.
Il en est
de même de son rêve devant le lac artificiel,
les eaux de pluie,
ou de son imagination, sur la route de chez le chef Kinanjui, et
de la nuit à l'approche de sa maison.
Puisque
les
pionniers
ne
pouvaient
pas
traduire
les
sons
qu'ils
recevaient
lorsque
les
indigènes
s'exprimaient,
ils
en
déduisirent
que
ces
derniers
ne
parlaient
aucune
langue.
Par
exemple dans
An outpost
Of
Progress,
les
pionniers
de
Conrad,
peut-être
par
psychopathologie,
prétendent
ou
s'imaginent
comprendre
ou même parler
une
langue
étrangère qu'ils
ne
sont
même pas sûrs de connaître.
Kayerts et Carlier ont l'impression
de
déceler
des
sons
qui
leur
sont
familiers,
parce
qu'ils
ramènent tout à
eux-mêmes et compaient tout par rapport à
eux-

402
mêmes.
Aussi,
tout
ce
qui
est
différent,
ils
se
mettent
en
devoir de le détruire.
Ils s'attendaient à
ce que
les côtiers
parlent Français ou Anglais et cela s'avéra être une succession
de mots,
une cacophonie,
une digression de vociférations.
Donc
c'est le passé qui s'impose à eux.
C'est dans le même élan que
dans An Outpost Of Progress , nous lisons que:
«
They made an uncouth babbling noise when they spoke.»
( AOP, p.61).
De même Waugh lui, nous parle de " general chuckling"
(RP,
p.44tandis que Huxley nous raconte que:
«
•.. A great many Africans in red blankets with a good
deal of shouting and noise ... »
( TFTT, p.12).
Et plus loin:
«
The invisible spectators kept just beyond the firelight,
as a buck will edge its way out of rifle range. They knew
no language but their own. . . . »
( TFTT, p.34).
si nous relevons ces exemples arbitrairement choisis parml
plusieurs autres,
c'est pour dire que les indigènes émettaient
des
sons
incompréhensibles
aux
oreilles
des
pionniers,
donc
étrangers à la langue britannique au même titre que les bruits
et les sons des tambours qui
leur parvenaient de ces contrées
proches et distantes. Les pionniers ne pouvaient les identifier.
N'est-ce
pas
par
un
processus
d'auto-identification,
un
narcissisme caractérisé de la part des pionniers, dans un milieu
égal à lui-même qu'ils voudraient autre et pareil au même?
Pourtant, ces bruits ou ces cris donnaient aux voyageurs un
signe
d'une
vie
autre
que
la
leur,
et
malgré
tout
ils
la
refusent.
Ainsi au lieu de retrouver le passé,
les défricheurs
le construisent dans le langage. Pour le rendre intelligible, il

403
faut s'en éloigner,
comme si la fidélité exigeait la trahison.
c'est dans ce contexte que Blixen nous dit que les Africains et
les pionniers se parlent sans s'entendre:
«
But these communications from Africa come to me in a
strange, unreal way, and more like shadows, or mirages,
than like news of a reality.
( ... ). But it is wrapped up in
darkness.»
( OOA, p.76).
Comme
Blixen,
bien
qu'il
n'ait
aucune
prétention
anthropologique,
et
bien
qu'il
ait
concentré
son
étude
de
l'homme
en
situation
dans
une
nouvelle,
Conrad
a
un
pouvoir
infini dans le choix des mots qui choquent,
qui provoquent de
vives émotions, surtout lorsqu'il laisse ses personnages parler.
C'est
ainsi
que
Gobila
et
les
indigènes
dans
An
Outpost
Of
Progress ne "parlent" pas beaucoup, mais lorsqu'ils le font, les
pionniers ne les comprennent pas:
«
There he sat ... then making a speech which the other
did not understand ... »
( AOP, p.63).
Cependant
lorsque
les
immigrés
parlent,
les
indigènes
saisissent
le
sens
sous
forme
télégraphique,
relayée
par
du
mime. Huxley nous apprend à ce sujet que:
«
It was surprising what a lot of difference half a year's
experience made, and a knowledge, however rudimentary, of
Swaheli. This was just as much a foreign tongue to the
KIkuyus as to us, but they picked it up quickly and,
although it led to many acrimonious conversations conducted
at cross-purposes, it did provide a means of communication
a little more explicit than shouts and gestures.»
( TFTT,
p.67).
c'est
la
situation
du
langage
dépouillé
à
l'essentiel,
comme dans
le style du
commandement
ou
d'ordres,
qui
ne veut
souffrir d'aucune répartie. Ce type d'expression ne demande qu'à
être exécuté par celui à qui elle est adressée. Seulement y a-t-

404
il
vraiment
communication,
surtout
lorsque
nous
rapprochons
ce
passage du tableau que Conrad évoque?
«
Kayerts, without interrupting ... They would smile to
one another ... »( AOP, p.63).
Dans cette scène,
les personnages entendent sans s'écouter.
Ils
bavardent
sans
se
parler.
Ainsi
s'opposent
discours
dramatique
et
discours
picaresque.
Les
uns
parlent
de
matière
dans le cas des pionniers,
les autres parlent pour la beauté du
langage.
Le
son
et
le
sens
se
motivent
pour
donner
une
ressemblance
au
désigné.
Les
onomatopées
et
les
métaphores
servent
à
motiver,
et
c'est
ce
qui
importe
à
Conrad,
par
exemple,
plutôt qu'une éventuelle visualisation.
C'est aussi ce
qui
accroît
la
complexité
de
sa
nouvelle,
qui
mime
l ' impénétrabili té
de
l'Afrique,
un
monde

deux
personnes
se
heurtent
sans
se
voir.
Aussi,
est-ce
un
hasard
s'ils
se
condamnent mutuellement ?
Kayerts et Carlier dans An Outpost Of Progress,
ou Jocelyn
Grant dans The Flame Trees Of Thika, Waugh dans Remote People ou
Blixen dans Out Of Africa essayent de donner un sens à ces mots,
à
ces sons ou à
ces signes inhabituels qui s'élevaient dans la
nuit
des
ombres.
Pour
expliquer
leur
environnement,
ils
le
dramatisent.
Ils utilisent des mots, des concepts abstraits pour
expliquer
les choses.
Lorsqu'ils ne
les comprennent pas,
nous
non plus
nous
ne
les
comprenons.
Ils
sont
eux-mêmes des
voix,
tout
comme
les
"sans-voix"
Gobila,
Karomenya.
Mais
dans
l ' atti tude
des
personnages
émigrés,
ne
s' agissai t-il
pas
plus
d'une
berlue,
d'une
illusion
avec
la
peur
irrationnelle
comme
une de ses facettes,
que d'une quête philosophique? Au moins il
y a prétention.

405
En effet,
les voyageurs
en Afrique,
sont fascinés
par
les
mots,
les sons,
les murmures,
les battements du tambour ou des
bois, et des signes. Or cette fascination est une obsession pour
les
mots,
comme
nous
pouvons
le
constater
lorsque
les
deux
protagonistes
blancs
de
Conrad
se
réveillent
au
milieu
de
la
nuit:
«
They could hear their shouts and their drumming ( ... )
They heard footsteps, whispers, some groans ... »
( AOP, p.
68-69)
)
Cela
est
plus
ou
moins
apparent
chez
tous,
de
Blixen
à
Waugh,
toujours
aux
aguets
d'une
nature
étrange.
Ils
essayent
d'exprimer les choses,
de les rationnaliser.
Alors ils pensent,
et
cherchent
à
avoir
raison.
Mais
le
piège
est
que
plus
ils
pensent
et
plus
ils
réfléchissent,
et
plus
ils
réfléchissent,
moins ils cherchent à avoir raison,
car les convictions sont les
ennemis
de
la
vérité.
Aussi,
n'est-ce
pas
une
coïncidence
que
par
exemple
Kayerts
et
Carlier,
se
perdent
dans
les
abstractions,
lorsqu'ils
essayent
de
comprendre
lia
deuce
of
a
stir"
(AOP,
p. 66),
ce qui se passe lorsque Makola rentre de sa
mission d'affaires,
que la fumée se lève dans la forêt,
que les
tambours
résonnent
et
qu'ils
meurent
tous
les
deux
comme
si
toute cette mise en scène visait à célébrer leurs funérailles ?
Son éthique et sa splendeur dramatisées, bafouées,
dénigrées et reniées, l'indigène se retrouve étranger chez lui à
cause de la méconnaissance de ses réalités. C'est pourquoi,
l'écrivain Britannique qui fait échouer la communication avec
lui, semble nous dire que ce dernier subit un mode de vie et
d'action dont il n'avait pas forcément besoin. Aussi, bien qu'il
ait appris le Kikuyu ou le Swaheli sur le terrain en Afrique ou
avant d'avoir embarqué, le pionnier devient un bâtisseur d'un

406
empire en détresse en ra1son des problèmes de traduction, Sl
nous en croyons ce témoignage tiré de Tales from the Dark
continent qui rapporte que:
«
Here such stand-bys as .... 'it had vocabulary which
enabled you to speak to Kikuyu-speaking gardeners and two
lots of Swahili, one for good Swahili speakers, called Ki-
Swahili and one known as Ki-settler, the language of the
settler. All this was a tremendous help, particularly when
you were new to it all and weren't too sure how to begin
handling your boys.»
( p. 135).
C'est dans ce cadre que s'inscrit Blixen qui a eu à
traduire des lettres de ses employés sans y comprendre mot.
C'est dans de telles occasions que l'interprète trouve les
moyens de se moquer des deux parties. C'est aussi ce que nous
suggère cet extrait de Tales from the Dark Continent, qui dit
que:
«
There were also language barriers to overcome and, where
largely untrained servants were concerned, enormous areas
of confusion that produced a rich crop of horror stories -
the family silver cleaned with Vim, silk underclothes
pounded on a stone, puddings decorated with toothpaste and
plates dropped with the remark that 'its day had corne'.
Extraordinary disasters would occur during dinner parties
and would be explained by the disarming apology that ' our
heads went round'.
'1 loved my black servants', declares
Violet Bourdillon, ' they were sweet and kind and lovely
but they were dreadfully inefficient ... »
( p. 135-137).
Mais surtout la question qui se pose est de savoir pourquoi
faut-il se rabaisser à parler un patois que l'on dédaigne et que
l'on est venu remplacer par quelque chose de plus valable, de
plus humain? Ainsi la première perturbation interviendrait à
travers le handicap de la langue, auquel le Britannique supplée
la recherche d'une indifférence grâce à l'interprète comme nous
le verrons plus loin. s'il est écrivain le Britannique peut
recourir à son narrateur.

407
4 -
1 - Le narrateur
Le
narrateur
est
un
intermédiaire
entre
les
personnages,
leurs
expériences,
leurs
perceptions,
et
nous,
les
lecteurs.
Celui-ci
est
évidemment
le
témoin,
le
carrefour,
qui
nous
raconte
ce qu'il
a
cru
voir,
comprendre
ou deviner.
Or,
dans
Mister Johnson et An Outpost Of Progress, le narrateur est celui
sur
lequel
nous
avons
le
moins
d'informations.
C'est
un
écrivain,
presque
toujours
présent
dans
le
roman,
annonçant
l'entrée en
scène de
personnages ou d'évènements,
évaluant
les
motivations et nous livrant les pensées secrètes d'un Kayerts ou
d'un Johnson, d'un Gobila et d'un Rudbeck ou d'un Blore.
Il est
un écrivain qui ne croit plus qu'à l'art, puisqu'il sait tout du
début à la fin.
si
ces
deux
écrits
diffèrent
des
trois
romans,
c'est
en
raison
du
caractère
biographique
des
seconds,

le
narrateur
évolue
considérablement,
en
passant
des
naïvetés
de
l'enfant,
douillet, maladif,
à l'adulte qui sait parce qu'il a été initié
à
la source de ce qu'il
raconte.
rapporte sa vie,
ses contacts
avec
les
autres,
si
bien
qu'il
s'oblige
à
nous
donner
des
détails sur lui-même pour que nous
le reconnaissions parmi
les
autres.
C'est ce qui explique la prédominance du
' l ' ...
'We' ...
'Me' ...
'Us' ...
'My' ...
'Our',
expressions
de
'moi'
qui
signifient
que
le
narrateur
se
prend
lui-même
pour
centre
d'intérêt
dans
ses
actions
et
dans
l'analyse
des
sentiments.
Aussi,
le lecteur voit Blixen,
Evelyn et Jocelyn sortir de leur
résidence,
s'enfoncer
dans
le
pays,
aller
à
dos
d'âne
ou
de
cheval,
dans
leurs
rêves
des
villes
caractéristiques
de
leur

408
pays,
puis il les revoit repartir de l'Afrique,
insatisfaits ou
désenchantés. Ainsi la lecture de leurs romans en se développant
,
dans le temps,
en parcourant l'espace typographique des textes,
devient métaphore de la quête d'un personnage, de son itinéraire
existentiel.
Ce
que
le
narrateur
britannique
recherche
à
présent,
c'est une identification avec l'indigène que l'Afrique
a
fait
miroiter
à
ses
yeux
tout
au
long
de
son
séj our.
Mais
cette
identification
ne
peut
s'accomplir
qu'en
se
lavant
des
origines impures au contact du pouvoir
colonial,
et de l'ordre
pré-établi
par
la
situation
coloniale,
qui
donne
au
pionnier
l'aspect
d'un
justicier.
Il
lui
fallait
pourtant
vivre
chaque
jour, or chaque instant voyait son énergie le quitter,
fût-il un
administrateur politique ou religieux.
De ce fait,
par son statut de médiation,
le narrateur est
un
peu
comme
le
chef
local
ou
le
traducteur,
qui
collaborent
avec
le
pouvoir
colonial,
en
tant
que
médiateurs
entre
le
District Commissioner et les autres indigènes.

409
4 -
2 -
La représentation: un langage de crises
Puisque
la
littérature britannique de
l'entre-deux-guerres
préconise une nouvelle interprétation des croyances,
des images
et des doctrines, la langue devient un outil adapté au besoin de
penser.
La
langue
anglaise
dans
les
oeuvres
britanniques
est
très
variée.
Mais
sa
li ttérari té
n'est
pas
seulement
faite
de
standards.
En
termes
linguistiques,
les
écrivains
de
l'Afrique
valorisent en quelque sorte la prose plus que la poésie.
Aussi,
dans la représentation que les romanciers en font,
que des mots
puissent valoir pour eux-mêmes leur semblent indifférent, car il
ne
suffit
pas
de
nommer
quelque
chose
pour
qu'elle
existe
ou
qu'elle
disparaisse
Voir
Rogers,
49).
Par
conséquent,
la
représentation
organise
la
morphologie
-
la
prose
-
du
monde,
dans les choses,
et dans
le langage.
Seulement existe-t-il
une
li ttérature assurée de pouvoir décrire
les obj ets et
les
êtres
comme ils sont, dans leur vérité?
Dans ce cas,
nous aurions des portraits exacts à tel point
qu'ils
seraient
des
reflets
fidèles,
ou
des
doubles
dans
les
livres.
Pour
que
l'équilibre
de
la
langue
s'épanouisse
il
suffirai t
qu'un
prétexte
leur
soit
fourni:
un
exode
pour
The
Flame Trees Of Thika, une chasse à la fortune pour An Outpost Of
Progress, Mister Johnson,
Out Of Africa et Remote People.
Après
l'appel
de
l'au-delà,
perturbés
dans
leurs
équilibres,
leurs
auteurs vont parler,
écrire jusqu'à se redonner les moyens d'un
épicurisme.
Il
est
vrai
que
les
angoisses,
les
pensées,
les
douleurs
et
autres
dangers
existent.
Ils
sont
pris
en
compte

410
dans
l'aventure
africaine.
Mais
ces
idées
sont
contenues,
digérées
au
point
de
devenir
aussi
familières
que
des
fauves
dressées
le concept du processus
répétitif
( Voir Harris,
50).
Mais puisqu'elles nous donnent à
voir,
les oeuvres
littéraires
deviennent
assez
proches
du
mythe,
dont
la
géographie
immémoriale conditionne les gestes des hommes
et détermine leur
humani té
( Voir Mircea,
51).
Certes,
le mythe se débarasse de
tout accord avec le réel. Mais,
puisqu'ils regardent en arrière
pour puiser à
la source de leurs expériences, au hasard de leur
inspiration,
mais
selon
un
destin
si
l'on
considère
la
seule
logique
et
les
lignes
de
force
de
leurs
oeuvres,
tous
autant
qu'ils
sont,
Blixen
ou
Cary,
Conrad
ou
Huxley
ou
Waugh,
se
donnent les moyens de comprendre où ils sont, où ils vont en une
période où les
autres
sont
trop distraits
ou
fuient
trop pour
s'interroger.
Mais
pouvons-nous
reprocher
aux
écrivains
de
ne
pouvoir s'abstraire de la douleur environnante, ou de ne pouvoir
rester trop sereins dans l'horreur qui se prépare? Leurs propos
ne sont-ils pas autres que de donner sa place à l'Histoire?
Il
n'en
reste pas moins
que
les
textes
se veulent nobles
dans
leur
ambition
de
nous
donner
à
voir
comment
des
hommes
vivent au quotidien et trouvent
leur bonheur en détruisant
les
sources
du
futur.
Ainsi,
les
hommes
font
leur
histoire
(Voir
Lévi-Strauss,
52).
Aussi
les
plus
minuscules
histoires
gardent
leur vie et vibrent sous notre regard attentif,
puisque parler
de l'autre revient à parler de soi-même.
(Voir Leibniz,
53).
De
ce
fait,
ce
que
nous
ne
pouvons
pas
savoir
c'est
la
part
d'artifice
qui
a
pu
influencer
ou
motiver
l'arrangement
des
scènes,
des
épisodes
ou
des
chapi tres
entiers
dans
la
représentation de l'Afrique.
En effet,
qui pourrait empêcher un
écrivain
d'ajouter
ou
de
retrancher
sans
mal
quelques
indices

411
qui
éclairent
la
lecture,
ou
d'accumuler
d'innombrables
anecdotes ?
En
effet,
un
écrivain
n'est
jamais
innocent
dès
qu'il
s'agi t
de
mots,
ces
mots
qui
donnent
un
être
à
son
introspection, ou qui lui procurent la manie de l'écriture et de
la métamorphose en suite romanesque.
Il nous suffit de penser à
Proust
ou
à
Schéhérazade,
pour
nous
en
apercevoir.
Cependant
seul
l'artiste
peut
annoncer
avec
exactitude
ceux
qui
ne
maîtrisent pas techniquement la langue, la magie du Verbe.
C'est
lui qui écrit et qui raconte son Afrique,
un monde dans lequel
il trouve refuge,
et au sujet duquel il revient sur son travail
de logographe.
Donc les romans et la nouvelle ont un
caractère
moral,
puisqu' en
décrivant
leurs
vies,
leurs
us
et
coutumes,
leurs
relations,
l'écrivain
donne
un
contexte
aux
hommes,
Africains ou européens,
dans un univers plein de
cohérence.
Et
pour
cause,
Blixen
à
plusieurs
endroits
de
son
livre
nous
détaille
l'entrée
et
la
sortie de
scène de
chaque
personnage,
comme
dans
le
générique
d'un
film.
C'est
ce
que
fait
Cary
particulièrement dans
la
mise
en
scène de
la mort de
Johnson.
Nous y reviendrons ultérieurement.
Cela veut dire que les mots
ont
un
référent,
car
ils
conviennent dans
les
appellations
et
insinuent la réalité de ce qu'ils expriment (L.R. Rogers, p.159-
160).
Mais
les
mots
n'ont
de
référent
que
par
rapport
à
l'espace.
Or,
l'espace britannique n'est pas africain.
Donc une
oeuvre
britannique
sur
l'Afrique
ne
mettrait
en
jeu
que
la
psyché
de
son
auteur.
Les
oeuvres
s' inscri vent
dans
un
vaste
ensemble de mode autobiographique, dans laquelle chaque écrivain
voulai t
se
faire
héros (
Voir
Shumaker,
54).
L'époque
exigeait
que
chacun
raconte
ses
épreuves
telles
qu'il
les
a
crues
ou
telle
que
sa
vie
a
été.
C'est
pourquoi,
l'auteur
se
présente
dans
le texte même qu'il
rédige,
souvent déguisé en personnage

412
comme chez
Blixen,
Huxley
et Waugh,
parfois
étranger au
texte
comme chez Cary et Conrad.
Dans
ce
premier
cas,
par
exemple
chez
Blixen,
ce
que
l'auteur vit et ce qu'il écrit se tiennent dans les propos à la
première
personne.
Ses
propos
trahissent
en
permanence
des
réseaux de sens qui organisent son propre monde.
Ainsi le texte
qui
nous
semble
le plus
captivant
est
celui
de
Blixen,
en
ce
sens
qu'il
combine
à
la
fois
le
caractère
autobiographique,
celui
du
reportage,
du
documentaire,
de
la
nouvelle
et
de
la
poésie,
même
si
les
autres
auteurs
n'en
sont
pas
moins
méritants.
En
effet,
out
of
Africa
est
faite
comme
un
ensemble
de
petits
billets
dans
lesquels
l'écrivain
s'exerce
dans
son
métier, tout en les passant en revue, pour les commenter ou pour
les rectifier.
Partant out of Africa nous donne en 54
épisodes
courts un bric-à-brac d'impressions fugitives,
destinées à
être
reprises, méditées et remises en situation dans des oeuvres plus
amples, c'est à dire plus construites, dirait-on.
En fait,
les schémas des
animaux,
la peinture du paysage,
les caractères des personnages sont instantanés.
Isolés de tout
contexte,
ils s'accentuent et se donnent des
formes
de valeurs
de
partages
possibles,
grâce
aux
figures
imaginaires
qui
évoquent ou donnent à voir.
C'est le cas de la scène de chasse
aux lions, de la navigation dont rêve Blixen, et même des lions
qui se retirent dans ce coin paisible qu'elle et Denys pensaient
être
les
seules
à
posséder
et
à
déguster. (OOA,
p.308)
Or
l'exactitude du vocabulaire employé pour donner
forme à
ce qUl
n'est
que
sentiments
et
sensations,
renforce
la
force
du
langage.
Mais ce langage reflète une
situation de crise.
C'est

413
ainsi
que
Blixen
trouvera
une
consolation
provisoire
dans
le
recours
au
vernaculaire
et
les
tentatives
de
traductions
de
certaines expressions indigènes
(OOA,
p.
91;
p.
236).
Ceci
est
plus ou moins
valable pour
Conrad,
Cary,
Waugh
et
Huxley.
Par
exemple,
Waugh
se
livre
à
un
humour
destiné
à
choquer,
à
atttirer
l'attention
sur
le
sérieux
de
la
situation,
par
exemple,
il transpose le langage du chauffeur indigène,
entiché
de
"exactement"
au
fait
qu'ils
sont
égarés
en
plein désert au
milieu
de
la
nuit.
De
même,
en
parlant
de
"purest
Bostonian
accent Il ,
Waugh n'a d'autre intention que de décaper les feintes
du
professeur
américain.
Mais
le
cas
le plus
remarquable,
est
celui de Blixen.
Blixen est Danoise.
Elle a
une connaissance de
l'Allemand
et
du
Français.
Mais
comme
Huxley,
elle
écrit
en
Anglais.
L'anglais semble en effet être un élément absorbant en raison de
la dimension de l'Empire britannique, et du nombre d'anglophiles
potentiels.
Mais
cet
ensemble
ne
suffit
pas.
Aussi,
comme
Huxley,
Blixen y
apporte
des
expressions
françaises,
danoises,
et
indigènes
tout
en
prenant
le
soin
d'éclaircir
les
mots
Kikuyu,
Masai,
Hausa ou Somali
-
pour l'enrichir.
Mais surtout
l'emploi du vernaculaire ou des langues indigènes, montre à quel
point elles étaient
importantes aux anglais,
puisqu'ils ont un
pouvoir qui
se heurtent aux réalités autochtones
et qui
risque
de foirer.
Donc si les prosateurs comprennent le monde africain
comme une anagramme, c'est tout simplement parce qu'ils étudient
la
grammaire plus
que
le
vocabulaire.
Partant,
ces
efforts
de
compréhension,
d' inscription
littéraire
de
la
pensée
africaine
dans
la
culture
et
la
mentalité
britanniques,
deviennent
un
encouragement
au
partage
culturel,
à
la
communication
interculturelle.
En
conséquence
l'attitude
de
l'écrivain
est

414
tout
simplement
un
antidote
à
la
crise
que
connaissent
les
individus et le monde aussi bien au niveau psycho-social qu'au
plan
socio-politique
et
économique,
et
provoquée
par
l'impérialisme et l'internationalisme. Mais comme Huxley,
Blixen
dans Out Of Africa nous
rapporte ce qui lui est propre;
malgré
tout,
elle
nous
jette
dans
les
artères
d'un
monde
que
nous
devrions
connaître,
et
que
nous
ne
pouvons
pas
ne
pas
reconnaître,
membres
priviligiés
de
la
communauté
profondément
intime
dans
laquelle
elle
nous
place.
En
parlant
des
Ngong
Hills,
Blixen nous situe sur un territoire aussi immémorial que
ces
lions
immuables
qui
vont
en
pèlerinage
sur
la
tombe
de
Finch.
En un mot elle et
les animaux ont maîtrisé l'espace et
l'ont rendu éternel. Mais en est-il de même de l'oeuvre du récit
?
La
durée dans
le texte de
Out of
Africa
se
veut
être
le
cadre dans
lequel
s' inscri vent
les propos,
et où
les
dates de
tel
ou
tel
événement,
départ
ou
arrivée,
Ngoma
ou
justice
populaire se succèdent. Or plus on réduit l'importance donnée au
temps,
et
plus
les
moments,
pour
être
transcrits
ou
décrits,
cèdent la place à
la géographia des événements,
c'est à dire à
une
forme
de
géométrie,
"sciences
des
ensembles
ordonnés
à
plusieurs
dimensions"
nous
dit
B.
Russell.
Pensons
un
instant
aux accidents survenus à
la suite de la vente du café,
ou lors
du jeu des garçons avec le fusil du maître, ou encore de la mort
du domestique après sa flagellation par son patron.
Ainsi,
nous
constatons que les plans géométraux de leur reconstitution dans
les débats ne permettent à l'instant d'être rapporté que dans le
minutieux inventaire des
obj ets qui meublent l'espace où il
se
situe
(OOA,
p.
104).
C'est
du
reste
sur
ce
modèle
qu'est

415
construit le livre tout entier, un peu à la recherche d'un temps
perdu.
out
Of
Africa
distribue
par
la
littérature
des
scènes
vécues sur deux plans,
dans lesquels Blixen et la narratrice se
trouvent
confondues.
Blixen
a
pu
écrire
les
différentes
séquences
de
son
roman,
indépendamment,
ou
ignorant
peut-être
les événements qui allaient suivre,
avant de les ré-agencer.
Ce
qui a
pour effet de
nous donner des
répétitions
comme si
elle
s'était égarée, revenait chaque fois sur ses pas pour essayer de
trouver le bon chemin.
Mais ce chemin est hors d'Afrique comme
nous le signifie le titre de l'oeuvre,
hors du cercle,
hors du
labyrinthe,
ou loin de ce point-là qui' l ' avai t
rendue anonyme,
un simple point de plus dans un monde qui vient et qui va,
et
qu'elle ne peut suivre.
Or s'il en est ainsi,
c'est parce qu'il
y a trouble, et crise.
Blixen
a
été
ébranlée
par
le
désespoir.
Mais
grâce
à
l'écriture,
elle
parvient
à
de
nouveaux
équilibres,
à
de
nouveaux espoirs.
Au moins
elle se satisfait de savoir qu'elle
peut
contrôler,
se
venger
d'un
univers
qu'elle
prend
dans
ses
doigts et dont elle peut faire
n'importe quoi.
C'est ainsi que
Out Of Africa qui aurait été un
journal intime,
est devenu une
oeuvre
à
part
entière
par
sa
longueur
exceptionnelle,
indéfiniment travaillée comme si le temps avait été immobilisé.
Mais
les
lettres
de
ses
anciens
serviteurs
lui
reviennent
du
fond des âges et aménagent son imagination, seul pont entre elle
et sa ferme en Afrique.
L'imagination
essaye
de
prendre
forme
sous
la
plume
de
l'écrivain. Avec des mots,
elle trace les contours du monde qui
lui conviendrait mieux que celui qui
se dessine sous ses yeux.
Elle utilise ses certitudes,
son vécu pour ordonner ce que son
espr i t
ne
peut
pas
assurer.
Ainsi
dans
le
désespoir,
on
peut

416
aboutir à des stabilisations inespérées.
C'est ainsi qu'opère le
mythe.
Le mythe n'est pas une simple histoire ou un modèle formel
imposant
l'ordre.
Contrairement
aux
faits
historiques
enregistrés, qui semblent donnés pour toujours bien que partiaux
et souvent partiels, le mythe a un aspect dynamique.
Il surpasse
le
fait
historique,
et
donne
la
vie
aux
absents,
aux
figures
sans nom, inconnues ou ensevelies
Voir Harris,
55). C'est pour
cela qu'il a le pouvoir de replacer le lecteur dans la situation
originelle,
en
produisant des
héros,
véritables
ou
imaginaires
selon les cas.
Il a donc fallu une angoisse pour stimuler cette
illusion
(
Voir Vax,
56).
C'est aussi
ce
que
réussit
à
faire
Conrad dans sa nouvelle. A partir de l'interrogation de Kayerts,
il
nous
fournit
des
exemples
beaucoup
plus
troubles,
et
très
fascinants
pour
cela.
Mais
dans
ce
cas,
comme
chez
Cary,
l'auteur
Conrad
ne
se
reconnaît
plus.
Aussi
il
délègue
son
pouvoir à un autre de le conduire.
Il vit par procuration. C'est
dire que l'Afrique perçue comme étant étrange dans AOP donne une
illusion d'être au pionnier britannique.
En effet sur une vingtaine de pages, cet écrivain imite une
Afrique,
qui lui permet de mettre en scène les allégories,
les
archétypes et les stéréotypes et clichés se rapportant au Mal et
au
Bien,
au
Bon
et
au
Méchant,
au
Naïf
et
au
Corrompu,
à
la
Pureté
et
à
la
Souillure ....
Dans
ces
conditions,
l'Afrique
devient
un
prétexte,
un
motif
pour
Conrad,
pour
représenter
l ' homme
face
à
lui-même,
et
à
l'élément
destructeur.
Ainsi
à
travers le défilé du trouble de Kayerts,
il réussit à
faire la
part entre la
folie de
l'âme et
la
folie
mentale.
Son procédé
est ce que Harris a
appelé"
the creative therapy"
(p.100)
de
l'artiste.
C'est
ainsi
que
Conrad
avant
de
retranscrire
en

417
Anglais, par exemple "Having not a penny ln the world ... ",
" He,
like Kayerts,
regretted his old life."( p.60),
" " How goes it,
you old image?"
( p.
63).
si
le
sentiment
de
l'étrangeté
a
pour
facteur
principal
l'incertitude
intellectuelle,
cela
veut
dire
qu'elle
est
la
conscience du
suj et
connaissant
en
présence
d'un
obj et qui
le
déconcerte.
Elle est capable d'inventer un objet qu'elle pose en
face d'elle dans un espace concret ou métaphorique, indifférent.
La distinction d'un monde intérieur et d'un monde extérieur
naît de
la
reflexion.
Mais
il
arrive que
l'étrangeté
soit une
simple émotion.
L'âme dans ce cas est en étroite relation avec
son
objet.
Les
pionniers
sont
introvertis,
puisqu'ils
se
détournent de la réalité et se replient sur eux-mêmes,
"And now
as dull as they were to the subtle influences of surrroundings,
they felt themselves very much alone"
(AOP,
p.58).
Ils s'aiment
pour ne pas aimer les autres.
Dans leur narcissisme,
Kayerts et
Carlier
finissent
sous
le
coup
de
la
névrose
obsessionnelle,
puisqu'ils ont peur de
la
fièvre de la mort loin de
la Grande
Bretagne,
" ... and they had the same,
...
sense of danger which
one half suspects to be imaginary"
(AOP, p.59). Leur névrose est
aussi
phobique,
et
s'exprime
dans
la
crainte
et
l'angoisse
irraisonnées de leur expérience de
l'Afrique
"The idea that he
would,
perhaps,
have
to bury Carlier and
remain
alone,
ln
the centre of Africa ... "
(AOP,
p.59).
L'excentricité ne renvoie
pas un objet, mais à un pseudo-objet, puisque chacun sait que la
tragédie est une chose sérieuse,
qu'il
convient de goûter dans
l'amertume et dans le recueillement.
C'est pourquoi le monde de
l'initiative ne ressemble pas au monde de la surprise.
Toutefois,
Carlier
et
Kayerts
jouent
le
jeu
de
la
convivialité
des
indigènes
qui
leur
procurent
de
quoi
se

418
nourrir,
jusqu'au jour où
les envahisseurs Luandais commettent
leur crime grâce au soutien de Makola. Makola a même échangé des
hommes
du
comptoir,
dont
les
pionniers
européens
avaient
la
responsabilité,
contre de l'ivoire au profit du comptoir,
donc
de ses gérants.
Aussi,
à la perspective du gain énorme,
qu'ils
vont
réaliser,
Carlier
et
Kayerts
tuèrent
en
eux-mêmes
tout
sentimentalisme.
Depuis ce sacrilège, surpris par l'attitude des colons, les
indigènes se terrent et imaginent le pire pour leur avenir.
Ils
ont peur.
Les pionniers de leur côté ont peur,
eux aussi,
de
l'imprévisible, se disant que les indigènes, d'une part, et l'un
ou l'autre de leur compagnie, de l'autre, sont capables du pire.
Par
conséquent,
est

un
phénomène
d' évi tement
les
uns
des
autres.
Pourtant
les
indigènes
sont aussi,
dans
une
situation
d'attente où ils espèrent une justice ultérieure:
«perhaps in time they would disappear into the earth as
the first one had disappeared.»
(p.73).
Mais cette justice les autochtones ne l'obtiennent que par
la torture morale des pionniers qui s'éveillent de leurs rêves,
et se préparent pour l'aller-retour dans la solitude de l'enfer.
Conrad le dit si bien en ces termes:
«The day had come, and a heavy mist had descended upon the
land: the mist penetrating, enveloping, and silent; the
morning mist of tropical lands; the mist that clings and
kills; the mist white and deadly, immaculate and
poisonous ... »
( AOP, p.77-79).
Conrad
assume
qu'il
existe
un
stimulus
pour
obtenir
une
réponse
observée.
Il
se
fait
l'avocat
de
la
théorie
de
l'apprentissage
et
du
désapprentissage,
des
techniques
de
conditionnement de l'homme ou du groupe, soumis en même temps à

419
des
processus
intérieurs,
à
savoir
les
croyances
et
les
sentiments
..,.
une
conception
qui
se
limite
à
l'observation
de
données extérieures de conduite.
Ainsi,
son ton est pessimiste.
Et
pour
pallier
à
la
faillite
des
pionniers,
il
charge
son
narrateur de faire des remarques morales, l'évaluation du tout.
En
effet,
Kayerts
et
Carlier,
porte-flambeaux
de
la
civilisation,
finissent
par
se
défier,
se
détruire
dans
l ' obscuri té de
leurs
coeurs,
après
avoir
enfreint grâce à
une
conspiration
du
silence,
à
la
bienveillance
du
chef
indigène
Gobila.
La lumière qu'ils veulent porter au coeur des ténèbres,
n'est-elle le feu intérieur,
destructeur qu'ils portent en eux-
mêmes ?
En
tout
cas,
en
tant
que
simples
humains,
les
ténèbres
finissent
par
avoir
raison
d'eux,
comme
un
typhon
emportant
tout.
Mais
c'est aussi
Conrad qui
leur
a
inoculé
une
dose de
venin pour satisfaire à
son
expérimentation
sur
le
changement,
le
développement
de
l'homme
depuis
son
stade
animal.
Donc,
Conrad
ramène
l'homme
à
ses
sources,
ses
origines
pour
lui
donner une chance de se regénérer dans un monde qu'il forge de
toute pièce. Ce monde serait ce que Frye appellerait" the world
that the desire rejects:
the world of the nightmare ...
as i t is
. ..
before any image of human desire,
such as
the city or the
garden, has been solidly established" ( Voir Frye, 57).
Cette intention de la part de Conrad confère à
sa nouvelle
An
outpost
of
Progress
une
dimension
onirique.
La
quête
du
savoir
est
un
enfer
dantesque,

la
géographie
physique
et
humaine
qui
contenait
l'action
romanesque
se
transforme
insensiblement en géographie onirique. Dans cette situation tout
est
latent.
La
promesse de
rencontre,
l'ouverture vers quelque
part,
l'attente
y
sont
présentes,
mais
l'homme
s 'y
bat
aussi

420
contre
lui-même
dans
une
arène

nous
n'osons
pas
nous
aventurer. Le conte est une histoire de remords.
Dans
ce
remords,
le
drame
envahit
l'âme,
altère
la
conscience du temps. Ainsi l'éternité circulaire de la quête de
Kayerts,
devient
un
châtiment
avant
sa pendaison.
Et qui
sait
c'est peut-être à
la suite de cette humiliation,
lui le héraut
britannique, qu'il décide de se donner la mort. Mais cette quête
éternellement
rotatoire
devient
une
image
de
l ' irréversibilité
de la faute, et du cercle vicieux du remords stérile de Kayerts.
La
solitude
de
Kayerts
n'est
pas
l'isolemènt
remarquable
de
Robinson dans son île,
mais plutôt sa
négation de la
forme de
communauté humaine qui
lui
est offerte.
Son monde n'a de
sens
que
pour
lui.
Son
temps
est
fermé
à
l'espoir
et
hanté
par
l'approche
de
la
terreur
et
de
la
mort
par
la
justice
des
hommes. Alors il ne peut que s'écrier
«Help! .... My God!»
(p.79).
Oeuvres ou médiatrices, les anecdotes sont des véhicules et
des
illustrations
d'idées,
ressortissant
encore
à
la
pensée
Bri tannique.
Le
caractère
historique,
réel
et
irrécusable
des
évenements s'estompe un peu, à la faveur de l'ironie romantique,
au
bénéfice
de
sa
signification
culturelle.
si
l'espace
se
disloque,
et que
le
temps
s'accélère
..
Next
day ... "
p.57),
tourbillone .. At the end of three months ... "
( p.
60),
" Then,
one morning ... " ( p. 64) ou coule à l'envers" The first day ... "
( p.59),
"Days lenthened into weeks ... "
( p.
73),
c'est qu'ils
sont cadres de
toute
réalité.
Est-ce à
dire que
l'Afrique est
chose invisible ou continent obscur ?
L'Afrique n'est pas une chose,
mais une manière originale
de penser et de sentir.
Elle est obscure,
mystérieuse parce que

421
l'imagination
populaire
la
veut
ainsi,
au
sens

Leavis,
Bantock
ou
williams
l'utilisent
pour
nous
présenter
Bunyan,
Dickens, et shakespeare comme des écrivains très attachés à l'"
authentic popular culture" différente de la culture populaire de
nos jours
( Voir Leavis;
Bantock;
58).
Ainsi,
illusion d'être,
l'Afrique possède pleinement l'être de cette illusion. Ainsi aux
premiers instants le voyageur s'accroche à cette illusion.
L'émigré s'accroche à cette image dont il a hérité de ses
lectures, ou de sa culture, pour naviguer en Afrique. Par la
suite, en raison de l'absence de repères valables, il se
surprend à errer dans les labyrinthes. Les garde-fous qui
balisaient son chemin étaient trompeurs, ou se sont
métamorphosés. Et comme l'émigrant ne peut plus croire à une
réalité, ou qu'il n'a pas voulu, il participe à une conférence
de spectres qui l'amène à devenir superstitieux, religieux, pour
trouver la force de continuer. Nous l'avons vu avec Waugh sur la
route de son pélérinage, tout comme avec Blixen - insatisfaite
de la religion chrétienne, qui se tourne vers les forces vives
de la nature. Tout devient signifiant, signe de providence aussi
bien chez Huxley que chez Conrad, ou Cary. Dans toutes les
oeuvres règne la théologie de l'incarnation, en rappel de
l'oeuvre citée par Hammond Dotothy et Jablow Alta, "The White
Man's Grave" ( Voir Hammond & Jablow, 59), parce que l'itinérant
en Afrique, qui supporte mal les nouvelles données, ses
conditions de vie se demande pourquoi ces choses n'arrivent qu'à
lui. Dès qu'il fait appel aux enseignements bibliques, il se
donne un visage de martyr, dont la présence sacrificielle le
mène au culte d'un surmoi, qui pourrait le soustraire à la
réalité menaçante de l'attraction de la mort, de la perte de
l'autre en lui. En fait, son attitude est liée à l'illusion
d'une perspective historique, dans laquelle la conscience alerte

422
et vigoureuse échappant à soi-même pour retrouver son assise en
soi, n'est pas dupe de la fascination qu'elle décrit. On
pourrait sur ce point lui adresser le même reproche qu'à la
vieille introspection, celui de modifier dans l'acte de décrire,
l'objet décrit. Or la conscience hantée par l'étrange est une
conscience divisée au plus profond d'elle-même, une conscience
incapable de se rassembler pour reprendre son destin en main.
Obsédée, c'est comme si elle s'endormait. Les images et les
sentiments qui l'habitent cessent de se soumettre à sa direction
pour mener une vie autonome ou presque. Sa vie originale est
faite d'un compromis entre l'unité et la mutiplicité. Autrement
dit en Afrique, le pionnier britannique est habité par l'idée de
possession, où l'être ou la chose inquiétante est possédée, et
en même temps le pionnier se sent lui-même devant elle, en
danger de possession, obscurément menacé par une monstrueuse
hybridation de sa conscience et de ces consciences aliénées. Son
être est un fantôme, un psyché inférieur, automatique qui est
soumis au destin fatal. Hallucinations ou paramnésie vivante, ce
double n'est pas une assurance contre la mort, mais plutôt un
signalement de la folie ou de la mort spirituelle. L'angoisse
est liée à la présence de l'autre Je, comme la peur est liée à
la présence de l'autre absolu, devenu force aveugle, et comme le
sentiment du salut est lié à l'absence de toute altérité, dans
l'unité spirituelle comme l'a si bien montré Todorov. Le seul
être concret semble donc être le conte dans le récit.
Partant, le narrateur, et/ou l'auteur se donnent la place
du héros, mais à échelle humaine. Ainsi, est-il assuré de
réussir dans le livre, ce qu'il a été incapable de faire dans la
vie, car les pires obstacles sont franchis grâce au pouvoir de
la langue. Tout ce qui se discute et se condamne parfois,
possède un statut "littéraire" incontestable. Mais c'est la

423
langue anglaise qui permettra d'en fixer l'intérêt. ( Voir
Bakhtin, 60). C'est pourquoi la langue
de représentation -
pouvoir de transformation - reste la leur, celle du
représentant, et non celle du représenté.
Partant
de
ce
principe,
Conrad
et
Blixen
choisissent
d'écrire en Anglais. Leur choix peut s'expliquer par les limites
de la Pologne, du Danemark, du Polonais et du Danois, en matière
d'audience
et
de
population.
Mais
il
s'explique
aussi
par
le
rôle poli tique britannique dans
la destinée du monde.
En effet
comme
la
Pologne,
le
Danemark
a
connu
une
situation
de
dépendance.
En
choisissant
l'anglais,
les
écrivains
ont
opté
pour
le langage du puissant dominateur.
Aussi,
contrairement à
Huxley de
naissance écossaise,
à
Cary irlandais du LondonDerry
et à Waugh,
s~jet anglais, c'est à dire des écrivains, qui ont
le
loisir
d'avoir
leur
langue
partagée
par
la
superpuissance
qu'est
les USA,
et
les autres
pays du
Commonwealth,
Conrad et
Blixen
ont
montré
leur
puissante
maîtrise
de
l'Anglais,
en
transmettant
leurs
opinions,
autrement
que
dans
leur
langue
maternelle.
Ce
qui
veut
dire
qu'ils
ont
eux
aussi,
comme les
indigènes
civilisés,
plus
d'une
mémoire,
plus
d'un
héritage
culturel.
Mais étant européens,
indépendants,
ils peuvent aussi
voir
les
choses
d'une
manière
lucide,
plus
crédible,
à
moins
qu'ils
ne
choisissent,
en
tant
qu'interprètes
de
se
jouer des
sans-paroles,
que
nous
sommes
censés
être.
Donc,
par
cette
transposi tion
de
leurs
mémoires,
ce
qu'ils
ont
à
dire
n'appartient pas à
ceux qui
sont
encombrés de
savoirs,
et qui
sont tournés vers le passé,
les "Victorian sages". ( Voir Gillie,
61).
C'est cela qui
semble inédit
et qu'il
faut
exprimer dans
une
langue
dite
internationale,
neutre,
et
pourtant
de
communications
scientifiques.
Donc
elle
n'est
pas
vierge
de
savoirs.

424
Aussi,
le modernisme dans
les
textes
littéraires à
propos
de l'Afrique, se définit comme une richesse dont la valeur croît
à
l'infini, de progrès en progrès:
l'extensibilité de la langue.
En atteste la variété verticible des textes de la même ère.
Le texte est concret dans ce sens qu'il se dessine comme le
parcours chronologique des étapes de la création romanesque,
un
peu comme à
la
poursui te de
l'enfance.
Or,
les
écrivains
sont
adultes à
partir du moment où ils nourrissent le désir de nous
raconter
quelque
chose,
leurs
visions
de
l'Afrique
et
leurs
situations.
Adultes,
ils savent.
Ils
savent qu'ils
sont allé à
la recherche de l'Afrique des légendes, l'inconnu, et qu'ils ont
survécu
à
la
glorieuse
légende
de
l'expérience
ou
aventure
africaine.
Mais
la
réalité
est
que
munis
des
préj ugés
et
des
images
légués
par
leurs
formateurs
et/ou
informateurs,
les
pionniers
se
sont
contentés
de
rechercher
et
de
comparer
les
indices et les objets.
En plus la situation coloniale signifiait
un isolement, un enfermement ou une prison pour eux, puisqu'elle
leur
circonscrivait
un
cercle en
dehors
duquel
il
leur
serait
hasardeux de s'aventurer. Donc elle ne permettait pas de contact
d'échange,
et de ce fait,
les pionniers à défaut de pouvoir se
rendre
à
la
source,
se
sont
contentés
des
échos
et
des
miroitements qui
leur parvenaient.
Mais puisqu'ils
ont posé
le
même
cadre
de
vie,
de
vue
et
de
perception,
les
pionniers
perçurent le même exotisme étrange,
vécurent la même existence,
le même horizon
et
les mêmes désespoirs que
leurs
aînés.
Mais
que faire s'ils veulent se distinguer du mauvais pionnier
?
Et
,.
comment le faire ?
Dans la langue courante,
l'allusion renvoie à quelque fait
réel.
Mais
puisque
le
réel
géographique
qui
s'offre
aux

425
Britanniques se fait hostile,
la mention du géographique est une
manoeuvre allusive prolongée de l'immédiateté des dangers,
pour
savoir
quelle
part
du
destin
des
hommes
relèverai t
de
l'accident, et quelle part de la méfiance absolue du fugitif.
Il
est question de déchiffrer simplement. Mais en quels termes?
En effet,
presque tous
écrivains
ou personnages
font
état
de la noblesse des forêts et savanes, en voie de disparition. Le
colonialisme
parti
d'une
croisade
chrétienne
décline,
car
ses
héros
ne
sont pas
à
la hauteur d'un décor
qu'il
leur
a
fallu
transformer.
Ce
qui
veut
dire
que
le
terme
de
cette
transformation
serait
similaire
au
monde
dont
ils
ont
été
arrachés.
De
même
l'importation
des
marques
d'autres
civilisations
nous
renvoie
les
reflets
ou
les
empreintes
de
notre
propre
civilisation,
dans
la
mesure

la
conquête
de
l'autre est une conquête de soi par l'autre, comme il est apparu
chez Blixen et ses Africains,
ou Marlow et Kurtz dans Heart of
Darkness
de
Conrad,
pour
rester
dans
le
contenu
des
oeuvres.
C'est ce qui a
inspiré The Rainbow de D.
H.
Lawrence.
C'est la
spéculation
mystique
qui
les
replace
tout
naturellement
parmi
les
réalités
de
ce
monde
et
de
l'autre.
Etres
de
lumière
descendus dans les ombres, les uns les suivent des yeux vers des
régions éblouissantes où les autres s'évanouissent.
Ce qui veut
dire qu'en matière littéraire,
c'est l'auteur qui décide en fin
de
compte
de
"l'existence"
ou
de
"l'inexistence"
du
fantôme.
Mais
aussi
libre
qu' arbi traire,
son
choix
est
révélateur.
Or
l'analyse de l'humanité britannique dans les oeuvres à propos de
l'Afrique,
se
joue
sur
un
monde de dérision,
nihiliste,
comme
nous avons eu l'occasion de le voir avec Waugh -
en particulier
dans
sa
perception
de
l'américain
de
même
que
l'hégémonie
culturelle britannique au Kenya - ou Blixen. Ce sont des valeurs
de désaveu et de dissidence vis à vis du centre.
C'est pourquoi

426
dans An outpost Of Progress, l'épisode insolite où nous avons la
sensation que Kayerts et Carlier courent l'un derrière l'autre,
n'est que la première station de leur chemin de croix:
«
And now he ran. He ran fast enough to keep out of sight
of the other man.
Then as, weak and desperate, he thought, 'Before l
finish the next round l shall die', he heard the other man
stumble heavily, then stop.»
( p. 76).
La
situation
de
Kayerts
s'explique
par
des
termes
entièrement négatifs à l'égard de l'Afrique et des indigènes: il
n'aime
pas,
ne
connaît
pas
et
ne
s'identifie
pas.
Aussi
son
monde stylisé comme celui des pionniers britanniques est celui
de la tragédie ( Voir Nietzsche,
62), puisque de ce monde sont
écartés
les
ennuis
de
l'existence
vulgaire,
afin
que
le
spectateur soit attentif à
la pure essence du
tragique.
Comme
dirai t
Richards,
l'essence de
la tragédie,
c'est qu'elle nous
pousse à vivre un instant sans elle ( Voir Richards,
63). Aussi
dans l'Afrique de An outpost Of Progress, Dieu est absent ou se
loge dans les ténêbres,
en Makola ou sous la croix tombale du
peintre. Les indigènes, hommes en chair et en os n'apparaissent
qu'à
l' horizon,
à
la
courbure
du
fleuve,
dans
la
brume
d'un
monde qu'ils
n'habitent pas:
" The
river
seemed to
come from
nowhere and flow to nowhither. Out of that void, at times, came
canoes, and men wi th spears ... "
p.
61).
Sur leur planète les
êtres
humains
sont
moins
réels
que
les
spectres.
Aussi
le
narrateur n' a plus qu'à poursuivre seul son pèlerinage vers la
solitude absolue de l'artiste dionysiaque ( Voir Nietzsche, 64).
An
Outpost
of
Progress,
devient
un
récit
d'aventure
plutôt
l,
qu'une histoire d'homme.
C'est une tragédie à la Corneille qui
se
joue.
Comme
chez
Corneille,
les
héros
de
Conrad
échouent.
Mais il s'agit peut-être pour ces auteurs de nous présenter non
pas seulement un théâtre de l'absurde, mais surtout un théâtre

427
de l ' Histoire
" dont le sens profond constitue une élucidation
de
l'Histoire,
en
général,
comme
dimension
de
l'existence
humaine,
et de l'histoire aristocratique,
en particulier,
comme
lieu privilégié de
son accomplissement
Voir Doubrovsky,
65).
C'est pourquoi le mystère épars sur les choses inquiète Kayerts.
Il stimule sa curiosité et le pousse à
remonter vers la source
du maléfice.
La quête de l'épouvante l'attire et se dérobe:
"He
had
pl umbed
in
one
short
afternoon
the
depths
of
horror
and
despair,
and
now
found
the
conviction
that
life
had
no
more
secrets for him: neither death."
( AOP, p.
78). Son initiation à
la terreur, se confond avec le récit lui-même. L'instant aigu de
la crise, la solution par pendaison n'est que l'aboutissement et
le début
de
la
quête:
"
he
seemed
to
be
standing
rigidly
at
attention,
but
wi th
one
purple
cheek
playfully
posed
on
the
shoulder."
( p.
81). Ainsi si la perspective adoptée est presque
toujours
celle
du
héros-victime,
et
presque
jamais
celle
du
continent
africain,
c'est
parce
que
le
premier
éprouve
des
sentiments,
se
sent
vivant
et
ménacé.
Voyageur,
ethnographe,
utopiste,
l'homme
essaye
de
se
comprendre
1 ui -même
dans
des
conditions inattendues.
Ainsi,
le
martyr
en
Kayerts
est
puni
pour
avoir
voulu
s'affranchir des préjugés de son milieu. Ce n'est pas par l'ici-
bas mais par le haut que son mystère se comprend.
Kayerts reste
terrifié par les images infantiles du Père et du Diable.
C'est
sa disposition mystique qui le replace tout naturellement parmi
les
réalités
de
ce
monde
et
de
l'autre.
Partant,
la
nouvelle
devient pessimiste puisqu'elle peint des sentiments négatifs:
la
peur,
l'horreur,
le
dégoût.
Et
ces
derniers
sentiments
qui
cèdent
à
la
pente,
font
boule
de
neige
jusqu'à
devenir
insupportables
pour
Kayerts:
"
that
men
died
every
day
in
thousands;
perhaps
hundreds
of
thousands
who
could
tell?-

428
... He,
Kayerts was a thinking creature."
( AOP, p.
79).
Donc la
folie
et
la
mort
qui
guettent
l'audacieux
semblent
être
des
avertissements
au
lecteur,
qui
veut
s'aventurer
trop
loin
des
sentiers battus.
De
ce
point
de
vue,
la
nouvelle
de
Conrad
est
une
mythologie d'autant plus émouvante que
la pensée du mythologue
est-elle
même
mythique.
Elle
est
instauratrice
autant· que
traductrice,
artistique et autant que littéraire.
si
elle nous
touche,
c'est
parce
qu'elle
exprime
des
sentiments
qui
se
justifient
à
l'intérieur
des
univers
nouveaux
et
singuliers
qu'elle instaure en nous grâce à
la pensée de Kayerts.
Ce qui
signifie que
le
conteur
est à
mi-route
entre
l'art
pur
et
la
mystification. Mais si la nouvelle est convaincante,
c'est parce
qu'elle
préfère
la
litote à
l 'hyperbole pour
la
simple
raison
précise que la première peut suggérer un infini d'horreur tandis
que
la
seconde,
si
elle
va
au-delà
du
supportable,
elle
se
discrédi tera
du
même
coup.
C'est
ainsi
que
Conrad
nous
fait
accepter
un
récit
qu'il
nous
donne
pour
imaginaire
et
invraisemblable,
grâce
à
des
aventures
fantastiques,
déraisonnables qui mènent à
des
catastrophes,
et dont pourtant
nous pouvons tirer une morale rationaliste.
Le monde de Conrad
dans An outpost Of Progress est simultanément perçu et senti.
Il
est fait des émotions qu'il éveille et des images qu'il offre.
Dans
le
petit
monde
du
récit,
les
images
étranges
et
le
sentiment de l'insolite sont donnés à l'état pur. Mais le fictif
pourrait--il égaler le vécu?
Finalement,
pour
tous
auteurs,
narrateurs
ou
personnages,
seule la langue aura cette mission rédemptrice de modus vivendi
ou
de
condamnation
dans
les
conflits
interpersonnels,
internationaux, et interculturels, comme ce fut le cas de Mister

429
Johnson
de
Cary qui
donne
une
langue
à
l'Africain
et
une
vie
intérieure.
En
ce
moment
cette
déclaration
de
Edward
Saïd
prendrait
tout son sens, lorsque parlant des orientaux, il rapporte que:
«They cannot represent themselves. They have to be
represented.»
(Saïd, E., Orientalism, mot de l'auteur).
La langue est une puissance inégalée.
C'est ce qui fait la
prolificité d'oeuvres de l'outre-mer,
de l'orient ou du là-bas,
telles que Gulliver's Travels de Johnatan Swift.
Mister Johnson
abonde en clichés, en malaproprismes,
et en formes grammaticales
incorrectes, par exemple dans le parler de Johnson à Rudbeck, ou
entre indigène Aliu /
Johnson,
Johnson /
Bamu,
Soapy /
Johnson
.s'il est vrai que cet anglais bancal reflète le déséquilibre et
le
malaise
de
Johnson,
supplanté
et
dépassé
par
le
charme
de
l'anglais,
il
n'en
reste
pas
moins
qu'il
est
quelque
part
la
photocopie de Cary lui-même.
Cary
est
Irlandais
de
Londonderry.
L'Irlande
est
sous
colonisation
britannique,
comme
le
Nigeria
de
Johnson.
Egalement,
l'irlandais
n'est
pas
tout
à
fait
l'anglais
de
Londres.
Ce qui implique que Cary est lui-même aliéné,
en tant
que
colonisé.
Partant,
l'acculturation
et
la
recherche
de
nouveaux équilibres dans
le pidgin de Johnson,
ne sont que les
mêmes troubles qui torturent Cary.

430
4 -
3 -
La traduction
Pour
sonder
les
cultures
africaines,
il
a
fallu
que
les
Britanniques
apprennent
une
autre
langue
que
les
langues
européennes,
notanunent
dans
le
cas
de
Blixen,
Cary,
Huxley
et
Waugh.
C'est
en
ce
sens
que
Lienhardt
nous
a
revelé
ce
que
contenait
le
projet
anthropologique
de
traduire
les
autres
cultures en ces termes:
«
When we live with savages and speak their languages,
learning to represent their experience to ourselves in
their way, we come as near to thinking like them as we can
without ceasing to be ourselves. Eventually, we try to
represent their conceptions systematically in the logical
constructs we have been brought up to us; and we hope, at
best, thus to reconcile what can be expressed in ours. We
mediate between their habits of thought, which we have
acquired with them, and those of our own society; in doing
so, i t is not finally some mysterious potentialities of our
thought and language.»
( Voir Lienhardt,).
Puisqu'ils adoptent d'autres
façons de signifier
le monde,
c'est
après
que
les
Britanniques
essayent
de
représenter
en
anglais
les
réalités
sociales
qu'ils
ont
rencontrées.
Et
puisqu'ils faisaient usage des
langues indigènes,
ces écrivains
ont
apporté
un
certain
encouragement
culturel
dans
la
transcription des
langues
orales
Voir Gleason;
Charles,
66),
vernaculaires
qui
ont
servi
d'une
part
de
médiation
entre
le
District conunissioner et ses administrés,
et d'autre part entre
inunigrés
européens
de
nationalité différente
conune
dans
le
cas
des
missionnaires
italiens
etbritanniques
conununiquant
en
Swahili dans The Flame Trees Of Thika. Bien que cet état de fait
ait existé dans les traductions de Blixen, ou de Huxley,
ou dans

431
la "bible" du nouveau District Commissioner débarquant,
il n'en
reste
pas
moins
selon
stetkevych
que
des
changements
interviennent dans
la traduction des langues non-européennes et
qui se manifestent comme suit: d'abord les emprunts stylistiques
risquent
d'affecter
la
structure
syntaxique,
puis
il
y a l e
problème de
traductions
littérales
en
langues
européennes
avec
probablement
une
déconsidération
d'équivalents
existants,
ensuite les emprunts stylistiques sont souvent rendus possibles
grâce
à
une
extension
et
abstraction
sémantiques,
et
enfin
l'assimilation d'expressions proverbiales et idiomatiques.
Toutefois,
puisque
les
personnages
de
la
situation
coloniale sont de milieux différents,
il leur faut arriver à
se
comprendre et à
expliquer au niveau des
échanges.
c'est là que
se pose un problème, puisque les uns et les autres sont limités
par rapport aux connaissances des uns et des autres,
et que la
langue constitue une barrière importante. Ce qui veut dire qu'il
n'y a pas communicabilité, puisque les deux groupes de pionniers
et d'autochtones se côtoient mais
ne se
fusionnent
pas.
Malgré
la volonté des uns et des autres à
se rencontrer,
la route est
encore
longue
vers
la
communlon,en
raison
des
préjugés
respectifs. C'est ce qui condamne les pionniers à recourir à des
comparaisons.
Pourtant
la
comparaison
devient
une
forme
de
métaphorisation,
comme le livre devient un mimétisme de la vie.
Aussi,
cette métaphorisation
est
inappropriée à
rendre tout
un
style et un mode de parler.
Le
langage devient
idiosyncratique
comme une oeuvre
littéraire est polysémique.
C'est ce qui
fait
que le langage entre colon et indigène fonctionne au niveau du
malentendu,
car
il
devient
comme
le
dit
Bagehot
au
suj et
de
l'oeuvre de Gibbon:
«
It is not a style in which_you can tell the truth. A
monotonous writer is suited only to monotonous matter.

432
Truth is of various kinds
grave, solemn, d~9nified,
petty, low, ordinarYi
... »
( Voir Bagehot,
).
Autrement dit c'est une vaine tentative,
un échec même que
de
vouloir
représenter
systématiquement
des
réalités
allogènes
dans
des
constructions
logiques
et
rhétoriques
pour
lesquelles
l'anthropologue a
été
formé
pour
s'en
servir.
C'est aussi
une
opération périlleuse que de vouloir
s'aventurer plus
loin dans
l'exploration poussée d'autres
potentialités
du
langage,
de
la
pensée
et
de
la
nature
des
choses.
De
ces
remarques,
si
nous
admettons
qu'un
tambour
est
un
mode
de
transmission
de
la
langue,
du
message
comme
la
télégraphie
sert
à
passer
des
messages en peu de temps, nous pouvons déduire que plutôt que de
perdre
du
temps
à
lire
ce
message,
on
l'écoute
et
on
le
déchiffre
grâce
au
tambour.
Donc
bien
que
l'oralité
semble
s'opposer
à
la
littérature,
il
s'agit de
deux
technologies
de
communication
similaires
sous
des
formes
différentes
Voir
Chinweizu et al,
68). Mais puisqu'il se pose comme le centre, la
norme
ou
le
modèle,
le
civilisateur
ne
pouvait
admettre
la
parité
des
valeurs
de
son
monde
et
de
celui
du
primitif.
Il
s'est
enfermé dans
l'imaginaire de
ses
réactions
primaires qui
font dire à Bhabha que:
«
This entails the classic subject/object structure of
knowledge, central to empirici~g epistemology ... form of
recognition.»
( Voir Bhabha,
)
c'est pourquoi par rapport à
la situation des pionniers de
Conrad,
nous
à
propos
des
employés
de
comptoir,
nous
pouvons
lire que:
« ... They did not run away, naturally supposing that as
wandering strangers they would be killed by the inhabitants
of the country ... »
(p. 67).
Ainsi,
les indigènes n'ont pas le sens de l'orientation ni
de
la
topologie de
leur
milieu
"naturel".
Mais
les
pionniers,

433
eux,
savent qu'il
est hostile.
La
logique veut pourtant que Sl
les autochtones n'ont pas de culture, qu'ils n'aient pas le sens
de
l'orientation
non
plus.
En
même
temps
dans
cette
représentation
les
indigènes
sont
dans
l'expectative
du
'wait
and
see'.
C'est
pour
dire
que
l'Afrique
pour
le
pionnier
britannique est un film d'horreurs,
qu'il aurait monté lui-même
pour se faire
une raison de lui-même.
Il
s'imagine des choses,
et
dans
son
imagination,
il
nous
donne
des
opinions
contradictoires
peut-être
en
raison
de
l'émotion
sur
le
continent,
ses cultures et ses langages.
Tout ceci a pour effet
de nous produire ce que Bhabha appelle "the imperial delirium":
«
Tom Nairn reveals a basic ambivalence between the
symbols of English imperialism which could not help
'looking universal' and a hollowness [that] sounds through
the English imperialist mind in a thousand forms:
in Rider
Haggard's necrophilia, in Kipling's moments of gloomy doubt
... in t98 cosmic truth of Foster's Marabar caves.»( Voir
Bhabha,
) .
Pour
le dire autrement,
le pionnier
s'est évertué dans
la
sainteté,
en
recherchant
une
jouissance
excessive
et
à
reconstruire
le
milieu
européen,
d'une
civilisation
enfermée
dans ses habitudes et ses coutumes bourgeoises,
à
commencer par
l'acharnement
dans
la
sainteté.
C'est
par
exemple,
le
constat
que
porte
Blixen
sur
un
malentendu
juridique

d'une
mésinterprétation.
Blixen
nous
raconte
le
sort
d'un
indigène
nommé
Ki tosch,
qui
après des demêlées
avec
son patron meurt des
sui tes de
sa
séquestration
par
ce
dernier.
La
communicatrice
nous
divulgue
que:
«
Kitosch's story has been in the papers . . . . But Kitosch
jumped on the mare, and rode her back, and on Saturday the
settler, his master, was told of the offence by a man who
had
seen it.
In punishment the settler, on Sunday afternoon,
had
Kitosch flogged, and afterwards tied up in his store, and

434
here late on Sunday night Kitosch died.»
(p.
238-239)
Grâce à cette déclaration,
l'auteur expose une situation de
discrimination
raciale
entre
un
autochtone
et
son
employeur,
sans scrupule. Le fait important dénoncé est que Kitosch n'avait
pas le droit d'aller sur le même cheval que les Blancs, et qu'il
devait le conduire à
pied.
Pour avoir enfreint à
cette loi,
il
est puni à coups de fouet,
et ficelé,
pour mourir des suites de
ces actions.
Cet état de choses nous rappelle un
autre cas qui
s'est
produit
dans
The
Flame
Trees
Of
Thika,
entre
un
Blanc
hollandais,
Mr Roos
et
un
indigène,
Sammy qui
a
osé
lever
la
main sur lui en riposte d'un coup du blanc.
C'est le lieu pour
le
texte
de
juxtaposer
deux
conceptions
de
la
justice,
d'une
part de la perspective indigène, et d'autre part, dans la vision
occidentale.
De ces deux points de vue,
l'énonciatrice déclare,
au
moment

se
prépare
à
siéger
la
Haute
Cour
de
Justice
à
Nakuru que:
«
The Natives who gathered ... To their mind the case was
plain, for Kitosch had died, of that there was no doubt,
and, according to Native ideas, a compensation for this
death should now be made to his people.
But the idea of justice of Europe varies from that of
Africa, and, to the jury of white men, the problem of guilt
and innocence at once presented itself .... Wha, then, had
been the intentions, and the attitude of mind of the
persons concerned in the Kitosch case ?»
(p.
239).
Cette
constatation
évoque
le
malentendu
de
deux
justices,
ou
d'une
justice
à
deux
termes:
la
réhabilitation
par
la
compensation de la victime ou de sa
famille de
façon palpable,
et la condamnation du coupable au nom d'une prescription pour la
protection
de
la
société.
Face
à
ces
deux
situations,
la
narratrice louvoie sur l'impertinence de la justice britannique,
qu'elle schématise sous les modalités d'une tragicomédie.

435
La
reconstitution des
faits de l'altercation entre Kitosch
et son patron est tragicomique.
A cet effet Blixen nous informe
que:
«
To decide upon the intention and attitude of mind of the
settler, the court had him cross-examined for many hours a
day. They were trying to make up a picture of what had
happened, and brought in aIl the details that they could
lay hands on.
It is in this way written down that the
settler called Kitosch, he came, and stood three yards
away. Here they are the opening of the drama, the white and
the black man, at three yards' distance.
But from now on, as the story advances, the balance of
the picture is broken, and the figure of the settler is
blurred and grows smaller. It cannot be helped.»
(p.
239).
L'exploration
des
motifs
et
intentions
conduit
à
un
rétablissement
de
l'action,
une
mise
en
scène
dramatique,
dramatique du
fait
que
la
répétition
finit
par
se
revéler
une
torture
avant
sentence
du
pionnier
coupable,
qui
reprend
ses
dimensions humaines et ses affects.
Mais le fait essentiel dans
cette dramatisation,
c'est
la
notion de distanciation
entre le
boy et son patron.
Il y a
une grande absence entre eux,
sur le
même domaine.
Ils sont unis par
la distance,
soit par crainte,
soit par méfiance ou encore par arrogance.
Dans cette scène il
s'agit
du
respect
que
porte
le
garçon
à
son
employeur,
qu'il
considère
comme
un
être
qu'il
ne
faut
pas
négliger
en
s'en
approchant
trop,
comme
il
est
de
coutume
souvent
en
Afrique,
entre une personne âgée et une plus
jeune,
ou une femme et son
époux.
Mais rien ne nous
empêche aussi de penser que c'est par
appréhension des représailles de la part du pionnier, pour avoir
manqué au respect de l'ordre qui lui avait été donné.
Dans tous
les
cas,
il
s'agit d'une
situation de déférence de
la part de
l'indigène envers son
chef,
qui
s'impose
le devoir de se faire
justice.
L'informatrice
continue
sur
ce
suj et
en
nous
disant
que:

436
«
'In England he could not have been able to ask a
question fort y to fifty times, he would have been stopped,
in one way or the other, long before, the fortieth time.
Here in Africa were people to whom he could shriek the same
question fifty times over.
In the end Kitosch answered that
he was not a thief, and the settler stated that i t was a
result of the insolence of the answer that he had the boy
flogged .... It says that during the flogging,
two Europeans,
who are designated friends of the settler, came over to see
him. They looked on for ten minutes, or a quarter of an
hour, and walked away.»
(p.
240)
c'est
ainsi
que
Blixen
exprime
son
sentiment
désabusé
envers la justice britannique qui se meut à deux vitesses selon
la
tête
et
la
couleur
du
client.
c'est
une
justice
à
deux
ni veaux,
qui
fait
des
dérogations
au
Blanc
contre
l'indigène.
s'il est vrai que nul ne peut se prémunir de son rang ou de son
grade pour échapper à l'action de la justice,
il n'en reste pas
moins
que
la
justice
est
interprétée
et
administrée
par
des
hommes,
or
hommes,
ils
ont
leurs
forces
et
leurs
faiblesses.
c'est pourquoi au dessus de
la
justice s'envole et se retrouve
l'esprit
de
corps,
le
phénomène
de
l'ethnicité
raciale.
Ce
phénomène fait ignorer certains faits et admet des atténuations
face à
certaines actions graves.
C'est pour cette raison que le
pionnier
j sutifie
facilement
le
fait
qu'il
ait
ligoté
Ki tosch
pour l'empêcher de fuir après la punition corporelle, bien qu'il
l'ait maltraité comme un animal.
Ce qui permet à
l'observatrice
de
faire
dans
cette
le
catilinaire
de
la
justice
occidentale
dans
son
action
face
à
l'Africain.
Elle dénonce
l'inadaptation
et l'impertinence de cette
justice,
qui
se revèle être un acte
d' inj ustice
aux
yeux
des
indigènes.
Blixen
n'épargne
pas
non
plus
les pratiques de
certains
immigrés qui
portent atteinte à
l'image
de
l'Occidental
dans
les
colonies.
Soit-disant
civilisés,
ils
se
comportent
souvent
pire
que
les
soit-disant
sauvages
à
civiliser,
produisant
de
ce
fait,
un
merdier
sans
pareil.
C'est ce qui explique que la religion soit enseignée en
Latin et dans
les
langues
indigènes par
les missionnaires pour

437
se
distancier
du
génocide
de
l'administration.
Dans
Out
Of
Africa,
les
Italiens ont
traduit
l'évangile en
Swahili"
so far
sa l
know, there are no other books translated into Swaheli than
the Bible and the
hyrnn-books.
I
myself,
during
e Ll,
my life
in
Africa,
was
planning
to
translate
Aesop's
fables,
for
thge
benefit of the Natives,
but l
never found time to carry my plan
through."
p.37).
Il
reste
que
l'épigramme
de
la
justice
bri tannique
est
encodé
dans
le
quiproquo
culturel,
plus
spécifiquement
dans
le
langage
indigène
que
les
pionniers
prennent pour paroles d'évangile,
sans détachement, mais dans un
changement de
situation dans
le
temps
et dans
l'espace
-
dans
l'anglais.
c'est le
cas dans
l'absence du
témoignage vivant de
la victime lors de la réactualisation.
L'interprète
constate
à
propos
des
intentions
et
de
l'attitude mentale de la victime ce qui suit:
«
It can be said that by his intention, and his attitude
of mind, the African, in his his grave, saved the
European.»( p.
241).
Autrement dit,
n'étant pas là pour réactualiser
sa parole,
Kitosch disculpe dans son langage interprété à
l'occidental.
Le
texte nous revèle que:
«
The night-watch states that he cried aIl night.
( ... )
Kitosch said to him that he wanted to die.»
(p. 241).
De plus,
l'autopsie
des
médecins
Blancs
ne
prouve
pas
le
contraire; bien au contraire le texte nous dévoile que:
«
The district surgeon, who had done the post mortem
examination, pronounced death due to the injuries and
wounds that he had found on the body. He did not believe
that any immediate medical attention could have saved
Kitosch's life.
( ... ) An important factor carne into the matter not to be
ignored: that was the will to die ... Many medical men could
support him that the wish to die , in a Native, had

438
actually caused death.»
(p. 241).
Ainsi
dans
le
témoignage
du
premier
légiste,
Kitoscn
s'était déjà prédisposé fermement à la mort.
Kistosch a émis le
voeu
de
mourir.
Ainsi
apparaîssent
les
nuances
entre
mort
et
suicide,
qui
ne
sont
pas
les
mêmes
dans
les
sociétés
traditionnelles ou modernes.
Par exemple on peut mourir de mort
naturelle
ou
accidentelle,
tandis
que
dans
le
suicide,
on
se
donne
volontairement
la
mort.
Pourtant
dans
le
témoignage
du
médecin
qui
dit
connaître
la
mentalité
morbide
africaine,
il
n'est pas question de
suicide,
mais de
souhait de mort.
C'est
presque
dire
que
l'Africain
s' autodétrui t
comme
certains
ordinateurs
aujourd'hui.
c'est
le
même
langage
que
tiennent
Waugh,
Huxley,
Cary
dans
le
voeu
de
Johnson,
et
Conrad
dans
l'a tti tude
des
employés
"
... for
nothing
is
easier
to
certain
savages
than
suicide"
(AOP,
p.
67).
Il
Y a
opposition
entre
l'intention et l'acte dans le passage qui nous concerne.
En effet comment Kitosch pourrait-il se suicider puisqu'il
a
été
immobilisé
par
ses
liens
?
Peut-être
que
le
mental
commande au corps, et si tel est le cas pourquoi tous les cas de
suicides
ne
suivent
pas
la
même
voie,
surtout
au
regard
d'Okonkwo dans le Things Fall Apart de Achebe?
Nous
savons
qu'en
Afrique,
les
cas
de
suicide
sont
réprouvés par la privation de sépulture digne à
la victime.
De
même très
souvent,
les
suicides
se
font
par
pendaison
ou
par
empoisonnement
ou
encore
à
l'arme
blanche
comme
chez
les
Samouraï ou les Indiens d'Amérique.
Alors comment le médecin a-
t-il pu confondre la réaction d'un homme qui ne trouve plus de
remède
à
sa
perte de
dignité,
qui
se
sent humilié
et
nourrit
probablement en secret sa vengeance, et l'attitude d'un être qui
dans
le
suicide
va
à
la
quête
d'une
reconnaissance
de
sa

439
dignité,
par souci de la préservation ou de la condamnation de
sa communauté ?
Nous
ne
sommes
pas
certains
de
trouver
la
réponse
à
une
situation qui dans tous les cas se résoud par une mort.
Par contre, nous pouvons émettre un doute quant à la crédibilité
du
médecin,
qui
part
de
la
théorie
de
passivisme
du
malade
pouvant entraîner sa mort,
pour justifier le décès de Kitosch à
la
sui te
de
ses
sévices
qui
ont
probablement
empêché
le
sang
d'être drainé dans son corps.
La
situation
qui
se
présente
est
la
dénonciation
par
l'auteur
des
limites
et
de
l'ignorance
des
réalités
profondes
indigènes par le médécin Blanc, dont elle ironise la conviction
logocentrique ( Voir Kenneth pour la question de l'establishment
des connaisseurs de l'Afrique,
71).
s'il se pose un problème de
traduction
de
passage
de
l'expressivité
indigène
à
la
signification
Occidentale,
c'est
parce
qu'il
n'y
a
pas
eu
respect
des
différents
contextes,
et
de
ce
fait
nous
nous
retrouvons dans une situation de parologisme, un constat de vice
de raisonnement, comme semblent nous le suggérer les deux autres
médécins légistes et la narratrice:
«
The death of Kitosch, then held, was due to the
flogging, to starvation, and to the wish to die, the latter
being the subject of special emphasis. The wish to die
might, they considered, have been caused by the effects of
the flogging .... These people, however, were found to have
been Europeans.»
(p. 242).
Le
procès
a
été
mené
sur
des
aberrations
à
partir
du
moment,
où les éléments en scène sont étrangers aux réalités de
celui au profit de qui il se déroulait.
Il s'agit d'une justice
Blanche qui
se
raccomode
sur
les
réels
allogènes,
comme si
la
notion
de
justice
était
homogène
et
uniforme
dans
le
monde.

440
Ainsi ce n'est pas un accident lorsque l'enquêteuse nous déclare
que:
«
It seems to you, as you read the case through, a
strange, a humiliating fact that the Europeans should not,
in Africa, have power to throw the African out of
existence. The country is his native land, and whatever you
do to him, when he goes he goes by his own free will, and
because he does not want to stay. Who is to take the
responsibility for what happens in a house? The man who
owns it, who has inherited it.
By this strong sense in him of what is right and
decorous, the figure of Kitosch, with his firm will to die,
although now removed from us by many years, stands out with
a beauty of his own.»
(p. 242-243).
Cette constatation militante et amère est une charge contre
la
justice
corrompue.
La
polémiste
tourne
cette
justice
en
dérision,
pour
être
partie
sur
de
fausses
prémisses,
du moins
préconçues
pour
aboutir
à
une
situation
d'injustice
par
son
manque
de
rigueur.
Elle
est
l'expression
d'un
pouvoir
de
domination,
qui
renie
ses
droits
à
l'indigène
notamment
sa
liberté chez lui. C'est à cette occasion que la narratrice prend
à partie tout le système colonial, qui est en somme figuré comme
un
cercle
sans
issue
pour
l'indigène,
aussi
bien
sur
le
plan
politique
que
social
ou
économique,
dont
l'un
ne
va
pas
sans
l'autre d'ailleurs.
Blixen
se
pose
en
défenseur
des
droits
des
Africains,
à
leur
terre,
à
leur
liberté
et
à
leur
dignité,
contre
les
insti tutions
et
les
conduites
coloniales
et
à
ce
titre,
elle
revêt
la
personnalité
de
Oba
de
la
mythologie
Yorouba.
Comme
Oya,
la
troisième
femme
de
Shango,
Blixen
est
une
femme
incomprise
et pourtant
valeureuse.
Comme
Oya,
son
militantisme
et
son
agressivité
découlent
des
expériences
malheureuses
et
amères
qu'elle
a
vécues
Voir
Verger,
72).
Face
à
ces
structures,
l'indigène qu'est Kitosch fait figure de martyr,
et
dans son drame,
la portraitiste saisit l'opportunité de faire de
l ' esrpi t
en nous
disant qu'au
fond,
le
sauvage
n'est
pas
pire

441
que
le
civilisateur,
et
qu'au
contraire
il
est
beaucoup
plus
libre et maître de sa destinée face à la mort et à la vie. c'est
une
des
raisons
pour
lesquelles,
il
est
insaisissable
dans
l'esprit
du
colon,
en
mal
d'adaptation
dans
une
milieu
non
familier,
comme
nous
le
signifie
l'informatrice
dans
les
épreuves de force de la nature.
C'est dans cette même ligne de
pensée que
la dissolution du
monde de
la
narratrice,
nous
est
offerte à l'occasion de la disparition du chef Kinanjui.
La question de la mort s'est déjà posée à propos de Kitosch
à propos duquel
on peut s'interroger quant à
ses intentions et
la
réalité
de
son
décès.
C'est
ainsi
qu'après
nous
avoir
signifié que le chef indigène est décédé,
Blixen s'occupe à nous
représenter sa mort en termes locaux, indigènes.
Pour
commencer
Blixen
la
narratrice
pose
un
problème
de
traduction
dans
l'expression
d'un
des
fils
du
chef
venu
lui
annoncer l'état critique de son père:
«Na-taka kufa he wants to die the Natives have it.»
(p.286)
La
traduction
fait
passer
d'une
situation
de
non-contrôle
de ce qui semble imminent et inévitable à
un état de choix,
de
volonté. Ce qui apparaît comme un choix est exprimé par un futur
en
termes
indigènes.
C'est
en
quelque
sorte
une
forme
de
régionalisme, dont le style particulier servira à qualifier tout
ce
qua
conduit
à
la
mort
de
Kinanjui.
Ainsi,
le
texte
nous
suggère une situation ambiguë dans les termes suivants:
«The old Kikuyu chief, as soon as he heard of it, set
forth in person, with a few retainers ... to wind up
multifarious accounts with the Masai, and bring back with
him the cows that belonged to him, together with the calves
that they had produced in their exile. While he was down
there he had fallen ill ... Kinanjui had been staying too

442
long with the Masai, or had been too i l l to undertake the
long journey, when at la st he turned his face homewards.»
(p.286).
Nous avons dans cet extrait deux figures du chef,
un peu à
l'image de Blixen et de ses
"indigènes".
Kinanjui apparaît sous
les
signes
du
berger
qu'il
est
de
tradition,
eu
égard
à
son
cheptel
confié aux Masai.
Et d'autre part de
façon
symbolique,
il
est
le
berger
de
la
nation
Kikuyu,
qu'il
s'est. chargé
de
réunir,
et de rendre cohérente dans son rôle de chef imposé.
Des
suites de l'exercice de ses fonctions,
il est blessé fatalement
par une vache.
Dans
tous
les
cas,
Kinanj ui
devait
rej oindre
un
j our
les
ancêtres, car sa vie sur terre n'est qu'un passage.
Et son droit
de passage est perçu par
la vache qui
lui
ouvre
les portes du
domicile
ancestral,
en
attendant
d'être
immolée
elle-même.
Il
rej oint les ancêtres
son moment venu,
pour prendre sa
nouvelle
place dans le cycle cosmique,
en permettant à
la narratrice de
poursuivre:
«Kinanjui lay fIat on his bed. He was dying, he was
already half-way into death and dissolution, and the sten ch
about him was so stifling that at first l dared not open my
mouth to speak for fear l
should be sick.
( ... )
Underneath the leg, the rug was dark and wet as if water
was aIl the time running from it.»
(p.288).
Blixen regarde Kinanjui s'évanouir dans le cosmos,
comme un
personnage
de
science
fiction.
Il
se
dissout
pour
quitter
la
terre
en
rendant
son
dernier
souffle,
et
la
symbolisation
du
liquide paraît comme la sève,
la source de sa vitalité en train
de se vider de lui.
Il
se fond parce qu'il
est en train de se
déssécher par la plaie à sa cuisse.
Son état de santé offre à la
narratrice l'occasion de personnifier la nature. A cet effet,
le
texte
nous
décrit
l'atmosphère
préfigurant
à
son
décès
comme
suit:

443
« ... the moon was up and in her first quarter.
( ... )
The grass was grey with dew ... white mist.
( ... )
Kinanjui's manyatta was always a lively and noisy placer,
like a well spouting from the ground and running over on
all sides; plans and projects were crossing one another in
all directions, and all under the eye of the pompous,
benevolent, central figure of Kinanjui. Now the wing of
death lay over the manyatta, and, like a strong magnet, i t
had altered the patterns below, forming new constellations
and groups.»
(OOA, p.287)
L'animation
de
la
nature
vise
à
rendre
compte
de
l'état
d'âme
des
hommes
frappés
par
la
désolation,
l'attristement
devant
un
départ
sans
retour
immédiat.
C'est
ce
qui
donne
du
sens
à
la
notion
de
transition
marquée
par
le
l i t
d'eau
à
traverser,
et la
conduite dans
le brouillard,
exprimée dans
la
première partie de l'extrait.
Dans
la célébration de ce départ,
la
concession du défunt
qui
resplendissait de vie et de
joie de vivre,
a
pris l'allure
d'un cimetière au dessus duquel volent les anges de la mort dans
l'attente de leur proie.
Et à
ce moment fatidique,
Kinanjui qui
a
toujours eu peur de la colère des Dieux,
qui grondent par le
tonnerre pour rappeler aux hommes qu'ils
veillent,
n'en a
plus
peur du tout:
«he had been afraid of thunder, and when a thunderstorm
broke, while he was in my house, he adopted a rodent manner
and loked round for a burrow. But here now he feared no
more lightning flash nor the all-dreaded thunder-stone: he
had plainly, l thought, done his wordly task, gone home,
and taken his wages in every sense.»
(OOA, p.289).
Kinanjui
sait
qu'il
n'a
plus
rien
à
craindre,
puisqu'il
sent cette mort
l'engloutir peu à
peu.
Ni
le grondement
ni
la
hâche divine ne peuvent empirer sa situation.
Il
n'a plus peur
du feu
sacré de
jupiter
s'il
devait venir
à
le
consumer.
Plus
jeune
oui,
car
la
foudre
est
une
puissance
que
les
hommes
peuvent utiliser contre
leurs
ennemis.
Elle est aussi
signe de

444
punition
divine
et
dans
ces
conditions,
on
est
jamais
trop
prudent. Le dieu jsuticier, c'est shango de la mythologie Yorub~
ou Zeus de la mythologie grecque antique
( Voir Verger,
73).
De
même si
Kinanjui
semble
n'avoir
plus
peur
de
la
foudre,
c'est
parce qu'il se trouve dans sa case et dans son l i t à
l'abri de
la
structure
coloniale.
Puisqu'il
va
mourir,
Kinanjui
n'aura
plus la responsabilité directe de son clan.
Il ne craint plus de
l'égarer.
Pareillement,
pour
les
Africains,
quoi
qu'il
arrive,
l'essentiel
est
de
pouvoir
choisir
le
lieu
de
la
mort,
et
de
préférence chez soi. A ce niveau, le texte nous dit:
«In the end Kinanjui was lowered into the ground of his
own country, and covered with it.»
(OOA, p. 293).
Pour un Africain,
le fait de pouvoir choisir le lieu de sa
mort
est
généralement
motivé
par
la
volonté
d'avoir
une
sépulture
digne
de
ce
nom,
et
d'entrer
dans
la
mémoire
collective de la communauté,
l'histoire du groupe.
Pour cela,
il
faut vivre le plus longtemps possible et être enterré chez soi,
à
l'endroit auquel on appartient de façon générale,
bien que de
tradition,
les
Kikuyu,
comme
d'autres
indigènes
n'enterraient
pas leurs défunts:
«The Kikuyu, when left to themselves, do not bury their
dead, but leave them above the ground for the hyenas and
vultures to deal with.
( ... ) to be made one with Nature and
become a common component of a landscape.
( ... )
But the practice does not go with the conditions of
civilized life. The government had taken much trouble to
make the Kikuyu change their ways, and to teach them to lay
their dead in the ground, but they still did not like the
idea at aIl.»
(p.291).
Dans tous les cas, c'est juste une façon de faire, car il
apparaît ici que les indigènes ne se sentent pas dissociés de la
nature,
et que
l'homme une fois
mort,
n'est pas plus
important
qu'un
tas
de
poussière
en
ce
qui
concerne
son
enveloppe

445
charnelle.
Or,
ce
type
de
pratiques
a
donné
naissance
à
des
clichés surIe cannibalisme des Kavirondos,
autant chez Huxley,
que Blixen, Waugh
et Conrad.
Mais pour les indigènes,
il s'agit
de communier avec la nature et c'est pourquoi ils sont réticents
à
remplacer
un
mode
d'enterrement
par
un
autre
imposé
par
l'administration coloniale. Ainsi,
dans leurs comportements face
à
leurs
morts,
les
Kikuyu
voient
leur
philosophie
se
transformer.
Il
Y a
donc
une
modification
culturelle
exogène.
L'enterrement
issu
de
la
confrontation
entre
civilisation
et
tradition, se prolonge dans les défits religieux.
En
effet
les
églises
saisissent
l ' opportuni té
de
la
mise
sous
terre
de
Kinanj ui
pour
faire
leurs
promotions
en
investissant
ses
enfants
de
leurs
pouvoirs
respectifs.
Sur
ce
point le texte nous raconte:
«
On the way Farah opened up the subject of who was to
succeed Kinanjui as chief of the Kikuyu. The old Chief had
many sons; i t appeared that there were various influences
at work in the Kikuyu world. Two of his sons, Farah told
me, were Christians, but one was a Roman catholic, and the
other a convert to the Church of Scotland, and each of the
two missions was sure to take pains to get their pretender
proclaimed. The Kikuyu themselves, i t seemed, wanted a
third, younger, heathen son.»
(p.287).
La
succession de
Kinanj ui
fait
l ' obj et de
ri vali tés
entre
trois
confessions,
sinon
deux,
Sl
nous
considérons
l'Eglise
romane
et
l'Eglise
écossaise
comme
soeurs.
Elles
font
concurrence au paganisme, qui veut se conserver par le troisième
enfant pour avoir leur représentant comme chef de la communauté
indigène.
Or,
Kinanjui n'est pas né chef et a
été imposé comme
nous
le verrons plus tard.
Mais
sa succesion doit se faire par
le
sang;
ce
qui
est
inadéquat,
en
ce
sens
qu'après
avoir
introduit
la
rupture
du
système
culturel
traditionnel,
la
modernisation par ce
fait
même,
semble tourner
en rond.
Plutôt
que d'un autre chef imposé,
elle opte pour un chef héritier.
A

446
croire que l'action de civilisation était le fait d'hommes qui
ne
savaient
pas
toujours

ils
allaient
et
pour
qui
les
réalités locales n'existaient pas ou comptaient très peu. N'est-
ce pas pour cela qu'on a pu parler d'aventure coloniale?
A propos
de
la
manipulation
et
de
l'action
calculée des
Missions évangéliques, la narratrice commente comme suit:
«Both the French Mission and the Missions of England and
Scotland were richly represented. If they wished to impress
the Kikuyu with the feeling that here they had laid their
hand on the dead chief, and that he now belonged to them,
they succeded. This is an old trick of the Church's. Here l
saw for the first time, in any number to speak of, the
mission-boys, the converted Natives, half sacerdotally
attired ... Probably Kinanjui's two Christian sons were
there, laying down their religious disagreements for the
day, but l did not know them.»
(p.292).
L'Eglise a récupéré la sépulture de Kinanjui à des fins de
propagande. Elle a détourné son image à son profit, en accolant
la sienne contre celle du chef pour l'expansion de son influence
et de son action. Mais pour nous,
l'enterrement de Kinanjui, et
la lutte fratricide à
cet effet,
ne constitue qu'une ouverture
sur
la mort de
Denys-Finch
Hatton,
que
nous
avons
évoquée au
préalable.

447
Notes bibliographigues
1 - Nous employons ce terme dans le sens de Freund, Julien, La
sociologie du conflit, la politique éclatée, Paris, PUF,
1983. Le rapport du Britannique et de l'Africain devient
plus conflictuel.- La pensée de Memmi, Albert, Portrait du
colonisé ( précédé du) portrait du colonisateur, Paris,
Payot, 1973, semble aller dans cette démonstration.- Voir
surtout la préface de Jean Paul Sartre, pp.27-29. On
pourrait consulter Durand, G., Les structures
anthropologiques de l'i-maginaire, Paris, Dunod, 1984, qui
qualifie cette situation de structures schizomorphes. - Ce
thème peut être retrouvé dans les travaux de Mannoni, O.,
Prospero et Caliban, psychologie de la colonisation, Paris,
Ed. Universitaires, 1984, Ile Partie, chap. 1. et 2., p.
99-120 de même que chez Fanon, F., Peau Noire, Masques
Blancs, qui nous offrent une étude psychologique de ce type
de situation qu'il appelle "manichéisme". On pourrait se
reporter aux pages 5-62 de Les Damnés de la Terre, Paris,
Maspéro, 1968, mais la page 41 plus particulièrement
présente une situation où le Noir devient aux yeux du
Blanc, devient l'épitomé du Mal, lui permettant ainsi de
s'en distinguer bien qu'il dispose du pouvoir de la police
et des armées. On pourrait finalement comprendre cette
situation du point de vue de Kovel qui nous dit: "Whatever
a white man experiences as bad in himself ... Whatever is
forbidden and horrifying in human nature, may be designated
as black and projected onto a man whose dark skin and
oppressed past fit him to receive the sYmbol."p.65. Kovel,
Joel, White Racism, A Psychohistory, New York, Random
House, 1970. chap.4. C'est du reste ce que soutient
Mphalhele, Ezekiel, The African Image, lorsqu'il dit à
propos de The Grass Is Singing de Lessing que:" It would
seem that when a white writer is still groping to define a
black man's character which he or she is not sure how to
present in dramatic terms, the writer finds it best to
portray the character as a sYmb0I. Moses is the epitome of
the destructive forces that make up the African landscape
as viewed by Mary; she and her husband are eventually
crushed by them." p. 166.
2 - Ce serait le même écart entre la matière première et le
produit. - Voir Conrad, Rosalind & John Ellis, "Language
and Materialism: Developments in Semiology and the Theory
of the Subject", London, pp. 56-80.
3 - C'est ce que nous pouvons déduire avec Poliakov, lorsqu'il
suit la pensée de Knox, Robert qui dit que:«
Que la race
décide de tout dans les affaires humaines, est simplement
un fait, le fait le plus remarquable, le plus général, que
la philosophie ait jamais annoncé. La race est tout: la
littérature, la science, l'art - en un mot, la civilisation
en dépend » , pour finalement argumenter que: «
A son
avis, les races les plus douées, notamment du point de vue
philosophique, étaient les Goths et les Slaves, suivis par
les Saxons et les Celtes ( il ne craignait pas de critiquer
"l'extrême suffisance du Saxon"). Au pôle opposé se
trouvaient les Noirs, auxquels il accordait pourtant des

448
qualités guerrleres susceptiples de mettre en péril la
suprématie blanche en Afrique. Tous ces accents étaient
nouveaux. » , - Voir Poliakov, Ibid.,p.238.
4 - si l'on en croit Leach, les classes sociales se distinguent
par des "sous-cultures". La stratification se fonde sur la
notion d'échelles et la reconnaissance d'un niveau
égocentré qui permet de dire 'les gens qui sont exactement
comme nous' contre ceux qui sont plus sélects et ceux qui
sont plus vulgaires. Leach, E., R., A Runaway World,
London, OUP, 1967. " l identify myself with a collective
We which is then contrasted with sorne Other ... What We are
or what the Other is will depend upon the context. 1I p.34.
Ce point de vue s'inscrit dans la logique de Glazer, N.&
Moynihan, D., P.,Why Ethnicity ? Commentary 58. pp. 33-9.
qui affirme que :" ... ethnicity is a matter of
classification, the separating out and pulling together of
the population into a series of categories defined in terms
of IIWE" and "THEy".1I p.l00. Ce qui est intéressant à noter
c'est sa remarque à propos de la dimension affective et
cognitive de ce phénomène. Il nous dit: Il A group that may
act together and that may never feel together, but
nevertheless knows that it is one." p.90. - Voir sur ce
sujet de l'écologie ethnique ou raciale, Barth, F., Ethnic
Groups and Boundaries, Boston, Little Brown & Co., 1969.
5 _ Voir Fabian ,Johannes , Time and the Other: How Anthropology
Makes Its Object, New York, CUP, 1983. Les notions
évolutionnistes, culturelles autour de concepts de
savagerie, de barbarie et de civilisation, furent relayées
par le concept de multiculturalisme. Or, la description des
us et coutumes de l'autre, tend à codifier sa différence
grâce à un discours normalisant, à fixer l'autre dans un
présent éternel dans lequel ses actions et ses réactions ne
sauraient être que des répétitions de ses habitudes
normales.
6 _ Ce dernier thème a fait l'objet d'un autre ouvrage de sa
part. Voir Huxley, Elspeth, African Poison Murders, New
York, Harper & Row, 1981. 279 p.
7 - Rousseau, J., J., Les confessions., bibliographie, notes,
relevés des variantes et index par Jacques Voisine, paris,
Garnier Frères, 1964. Il nous dit que:
«
Moi seul. Je sens mon coeur, et je connais les hommes.
Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose
croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. si je
ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. si la nature a
bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a
jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.»
8 _ Voir Todorov, T., La conquête de l'Amérique, la question de
l'Autre, Paris, Seuil, 1982. p. 191.
9 - Pour Rousseau, J., J., Essais sur l'origine des Langues,
établi par Charles Porset, Bordeaux, G. Ducros, 1968: « i l
faut observer les différences pour découvrir les

449
propriétés». p. 247, Chapitre III.
10 - Balandier, Georges, "The Colonial situation: A Theoretical
Approach" in Social Change : The Colonial Situation, ed.
Immanuel wallerstein, New York, John Wiley, 1966, article
dans lequel il le définit comme présentant les symptômes
d'une "pathologie sociale" réclamant une chirurgie
sociale", en raison dactions drastiques de la domination
coloniale, à travers la déportation, la création de
réserve, le travail forcé, et la destruction systématique
des valeurs culturelles indigènes en font une chirurgie
sociale, débouchant sur des situations antagonistes
latentes entre colon et autochtone.
11 - En parlant de découverte, René Pélissier dont le point de
vue rejoint celui de Balandier affirme que: «
L'explorateur professionnel n'aime pas à être exploré. En
Portugais, langue sans rivale pour les découvreurs,
explorar, veut dire simultanément explorer et exploiter,
l'un ne venant pas sans l'autre quand on se met en tête de
dévoiler l'exotique. La plupart des autres idiomes
européens ont moins de franchise et se servent de deux
verbes pour la même action. Mais le résultat est à peu près
identique pour l'exploré». p.46. - Voir de cet auteur,
Explorar et autres lieux incertains, Pélissier, Montamets,
1979. Il nous dit encore que: " Quand les bouches se
tordent pour ne pas parler, je regarde les maçons. C'est un
indice plus sûr que les périodes des discours de
circonstance. Le long des avenues asphaltées, les Portugais
ne construisent plus pour l'éphémère". p.95. Or plus loin
il ajoute" Au dessous de l'assimilé, toutes les rudesses
sont permises. Les hommes sont tous agglutinés autour du
chef, des vieux et des blancs( ... ). Le document, c'est moi
en action chez les indigènes." p.127. - On pourrait lire
des propos du même ordre chez Leiris, Michel, L'Afrique
Fantôme, Paris, Gallimard (1934) 1981.
12 - George, K., "The civilized West Looks at Primitive"
Africa : 1400-1800. A Study on Ethnocentrism", ISIS.
49 1958. pp.62-72.
13 _ Selon le Nouveau Testament, Génèse, 23:16. Cham, un des
trois fils de Noé a ri de la nudité de son père et qui, dès
cet instant dut payer sa faute par une malédiction, celle
de l'homme déchu, vivant dans un univers de désordre et de
démesure. C'est peut-être ce qui a inspiré ces propos de
Gobineau lorsqu'il dit que l'humanité blanche, détentrice
du "monopole de la beauté, de l'intelligence et de la
force". - Voir Gobineau, comte, Essai sur l'inégalité des
races humaines, éd. Paris, 1967. p. 208, puisqu'elle
dispose des deux éléments principaux de toute civilisation:
une religion et une histoire." p. 154.
14 - Voir Clastres, Pierre, La Société Contre l'Etat, Paris, ed.
de Minuit, Coll. Critique, 1974. - Voir Gluckmann, Max,
Politics, Law and Ritual in Tribal Societies, Oxford, Basil
Blackwell, 1971. - Schapera, 1., Government And Politics in
Tribal Societies, London, Watts, 1956.

450
15 - Weber, M., Le Savant et le politique, Paris, Plon, 1969.
Freund, Julien Sociologie du Droit, Paris, PUF,1986,
oeuvres pour la plupart traduites par son disciple Freund,
Julien. - Voir Max Weber, Paris, PUF, 1969.
16 - Voir Bhabha, K H., Signs Taken For Wonders: Questions of
Ambivalence and Authority Under a Tree outside Delhi, May
1817, in critical Inquiry 12 , Autumn 1985, University of
Chicago.: «
"The scene answered sorne of the political
panic l was beginning to feel.
To be a colonialist was to know a kind of securitYi
it was to inhabit a fixed world. And l suppose that in my
fantasy l had seen myself coming to England as to sorne
literary region, where, untrammeled by the accidents of
history or background, l could make a romantic career for
myself as a writer. But in the new world l felt that ground
move below me ... Conrad ... had been everywhere before me.
Not as a man with a cause, but a man offering ... a vision
of the world's half-made societies ... where always
"something inherent in the necessities of successsful
action ... carried with it the moral degradation of the
idea." Dismal but deeply felt: a kind of truth and half a
consolation»
p. 143.
17 _ Bhabha, K H., Ibidem,: «In the double inscribed space of
colonial representation where the presence of authority the
English book is also a question of its repetition and
-
displacement~ where transparency is techné, the immediate
visibility of such a régime of recognition is resisted.
Resistance ... is the effect of an ambivalence produced
within the rules of recognition of dominating discourses as
they articulate the signs of cultural difference and
reimplicate them within the differential relations of
colonial power
hierarchy, normalization, marginalization,
and so forth. For domination is achieved through a process
of disavowal that denies the différannce of colonialist
power
the chaos of its intervention as Entstellung, its
dislocatory presence
in order to preserve the authority of
its identity in the universalist narrative of nineteenth-
century historical and political evolution.
The exercise of colonialist authority, however,
requires the production of differentiations,
individuations, identity effects through which discrimatory
practices can map out subject populations that are tarred
with the visible and transparent mark of power.»
p.153.
18 - Conrad, J., Heart Of Darkness, London, Penguin, 1982,
p.107.
19 - Saïd, E., orientalism., New York, Pantheon, 1978, Préface.
20 - Le colon et l'Africain vivent dans un monde allégorique où
les signifiants ont au moins autant de pouvoir que les
signifiés, si nous appliquons à leur contexte la pensée de
Quilligan qui affirme que Il Language itself must be felt to
have a potency as solidly meaningful as physical fact

451
before the allegorist can begin" Quilligan, Maureen, The
Language of Allegory: Defining the Genre, Ithaca and
London, cornell University Press, 1979. p.26.
21 - Rousseau, J.,J., Essais Sur l'origine des Langues, Chapitre
IX.nous dit: «
Dans les premiers temps, les hommes épars
sur la face de la terre n'avaient de société que celle de
la famille, de lois que celles de la nature, de langage que
le geste et quelques sons articulés. Ils n'étaient par
aucune idée de fraternité commune; et n'ayant aucun arbitre
autre que la force, ils se croyaient ennemis les uns les
autres. C'était leur faiblesse et leur ignorance qui leur
donnaient cette opinion. Ne connaissant rien, ils
ignoraient tout; ils attaquaient pour se défendre. »
22 _ Voir Maughan-Brown, David, "Myths on the March: The Kenyan
and Zimbabwean Liberation struggles in Colonial Fiction",
Journal of Southern studies, 1988. où l'auteur fait cas du
racisme libéral d'auteurs tels que Huxley, ou Van Der Post.
- Voir W. H. New, Among Worlds, Erin, Ontario, Press
Porcepic, 1975. qui reprend le phénomène de la
distanciation sociale, économique et linguistique créé et
entretenu par la situation coloniale; cette perspective
peut se retrouver chez Dorothy Hammond & A.Jablow, The
Africa That Never Was, New York, TP, 1970. p.82, où il est
fait état des rapports entre serviteur / maître. C'est
encore le même thème de la distance qui apparaît chez Cary,
où pour plusieurs raisons politiques et socio-économiques
et culturelles, les indigènes se terrent dans un mutisme
qui déconcerte le DC. - Voir Cary, J., The Case Of African
Freedom And Other Writings On Africa, Austin, University of
Texas Press, 1962. p.203-209. - On retrouvera ces thèmes
largement dévéloppés dans David, G. Riede, Swinburne: A
study of Romantic Mythmaking, Charlottesville, University
Press of Virginia, 1978. 227 p. dont les premiers
chapitres traitent de questions relatives aux figures bien
connues telles que 'Dolorès',
'Hesperia', 'Althaea',
'Atalanta', 'Herta', 'Chthonia',
'Homer',
'Aeschylus',
'Sappho' ... Godfrey, E. Cox., A Reference Guide To The
Literature Of Travel, Vol. 1 , "The Old World", section
XI II, "Africa", Seattle, 1935, pp. 354-401. - Voir aussi
Monroe, N. W., A Bibliography Of The Negro In Africa And
America, Part I. "The Negro in Africa" section I,
"Discovery and Exploration in Africa from Ancient Times to
1800", pp. 1-17. Pour des études plus récentes, le lecteur
pourra se reporter à Brantlinger, Patrick, Rule of
Darkness: British Literature and Imperialism 1830-1914,
Ithaca, Cornell University Press, 1988. qui aborde la
génèse du mythe du continent Noir.
23 - Partridge, C., The Making Of New Cultures: A Literary
Perspective, Amsterdam, Costerus, 1982, pp.33-34.
24 - Selon Mc Taggart, The Nature of Existence, 2 vols.,
cambridge University Press, 1927., l'amour consiste dans la
perception d'un autre moi.
25 - si l'on en croit, Rousseau, J., J., Essais Sur l'Origine

452
des Langues, Chapitre premier: «
Ce que les anciens
disaient le plus vivement, ils ne l'exprimaient pas par des
mots mais par des signes; ils ne le disaient pas, ils le
montraient.».
26 _ Voir Derrida, J., La Dissémination, Paris, Seuil, 1972.
p.195.
27 _ C'est ce qui a permis à Richards de dire que la poeSle se
définit comme " emotive language, pseudostatement
objectless, which are not about anything or in anything". -
Voir Richards, I.A., Principles of Literary criticism,
London, Routledge and Kegan Paul, 1925. C'est aussi l'avis
de Brooks qui dit que: «
The tendency of science is
necessarily to stabilize terms, to freeze them into strict
denotations; the poet's tendency is by contrast disruptive.
The terms are continually modifying each other, and thus
violating their dictionary meanings ... the poet has no one
terme Even if he had a polysyllabic technical term, the
term would not provide the solution for his problem. He
must work by contradiction and qualification.»
- Voir
Brooks, C., The Well-Wrought Urn, London, Dobsdon, 1949.
pp.8-9.
28 - Rousseau, J.,J., Essais Sur l'Origine des Langues, Chapitre
IX. nous apprend que: «Celui qui n'a jamais réfléchi ne
peut être ni clément, ni juste, ni pitoyable; il ne peut
pas non plus être méchant et vindicatif. Celui qui
n'imagine rien ne sent que lui-même.»
29 - C'est tout à fait identique aux propos revendicateurs de E
Blyden dans sa mission panafricaniste face au système
colonial victorien.- Voir Mudimbe, V.Y., The Invention of
Africa, Indiana University Press, 1988. p.132.
30 - c'est une question de signification et de figuration - de
poétique - qui se résume à ces propos de Rousseau: «
On ne
transpose les mots que parce qu'on transpose aussi les
idées, autrement le langage figuré ne signifierait rien.».
- Ce thème est également abordé chez Johnathan Culler, The
Pur suit of Signs: Semiotics, Literature and Deconstruction,
London, RKP, 1981. - C'est aussi une question de poétique.
La poétique est à prendre dans le sens de la littérarité
d'un texte, au sein de laquelle s'emmêlent ce que l'on
ressent, l'ego, la façon de le dire, et le texte. - Voir
Meschonnic, H., Pour la poétique~, paris, Gallimard, 1970.
- Ducrot, o. & T., Todorov, Dictionnaire encyclopédique
des sciences du langage, seuil, 1972, pp. 106-112. - L'art
poétique se situe dans le sillage d'Aristote. Dans son
ouvrage Aristote illustre par mimésis, la reproduction de
l'action humaine (praxis), ou encore d'hommes agissants. Ce
qui veut dire que le mimétique figure l'être humain en
action. Souvent traduit par le terme imitation, la mimésis
est en réalité, la représentation. Selon Aristote, elle a
un aspect dramatique, théâtral, en ce sens que la fable ou
l'histoire, est l'essentielle de la tragédie, avant les
"caractères" (ethos). Surtout Aristote insiste sur le fait
qu'elle ne décalque pas purement son sujet, "l'homme doué

453
de caractère, capable d'action et de passion, puis dans un
réseau d'évènements", mais au contraire consiste en une
construction selon une rationalité, qui est de l'ordre du
général et de la nécessité, une histoire (mythos): l'art
poétique est l'art de ce passage. L'objet "imiter",
toujours présent se dépasse en objet "représenté"; qui
doit, pour être réussi, obéir aux règles de l'art (tekhné).
- Voir Aristote, Poétique, édition présentée par Dupont-
Roc, R. & Lallot, J., Paris, Seuil, 1980.
31 - C'est le constat que nous suggère Barker, F., Europe and
its Others, Essex, 1985. 2 Vols., une série d'articles qui
traitent de la mythologie de l'Ailleurs qui a prévalu aux
représentations européennes de l'Asie, des Caraïbes et de
l'Afrique, selon le processus de "othering" corrune·dirait
Bhabha. Mais cette façon de faire concorde avec la
conception du langage de Platon qui soutient qu'il doit
tendre à mimer l'univers. Il dit à ce sujet que «
Le
langage le plus parfait possible consisterait sans doute à
user de mots qui seraient tous, pour la plupart, semblables
aux objets, c'est à dire appropriés; tandis que le laid
consisterait dans le contraire.». - Voir Platon, Cratyle,
435, d.
32 - Pour Rousseau, J., J., Essai sur l'origine des langues,
Chapitre x, «Le peintre, dirons-nous par exemple, nous
représentera un cordonnier, un charpentier ou tout autre
artisan sans avoir connaissance de leur métier; et
cependant, s'il est bon peintre, ayant représenté un
charpentier en le montrant e loin, il trompera les enfants
et les horrunes privés de aison, parce qu'il aura donné à sa
peinture l'apparence 'un charpentier véritable.». - Voir
Auerbach, E., Mimésis, Gallimard, 1968, p. 482
33 _ Selon Platon, «L'imitateur n'a aucune connaissance valable
de ce qu'il imite, et l'imitation n'est qu'une espèce de
jeu d'enfant, dénué de sérieux.». Platon, La République,
602, b. L'écrivain qui illustre mieux cela est Blixen, au
regard des nombreuses occurences de termes tels que "like",
"as " et de leurs dérivés qui expriment son
impressionnisme, ses hésitations et sa volonté de trouver
des assimilations.
34 - Brooks, Cleanth, The Well-Wrought Urn, London, Dobsdon,
1949. p.9.
35 - Benveniste, E., Problèmes de Linguistique Générale l,
Paris, Gallimard, 1966. p.26.
36 - Bakhtin, M., The Dialogic Imagination, ed., M. Holquist,
Austin, University of Texas, 1981. p.291.
37 - Pratt, L.," Scratches On The Face Of The Country
" in
critical Inquiry 12 , Autumn 1985,. p.120.

454
38 - Belsey, C., Critical Practice, London, New Accents
Series, 1980. p.90.
39 - JanMohamed, R. A., " The Economy Of Manichean Allegory. The
Function Of Racial Difference in Colonialist Literature" in
Critical Inguiry 12, Autumn 1985,. p. 64.
40 - Bhabha, K. H., "The Other Question - The Stereotype and
Colonial Discourse", Screen 24, Nov-Dec. 198. p. 19.
41 - Barthes, R., L'Empire des Signes, Paris, Flammarion,
1970.
42 - Pratt, L., Ibidem. p. 128.
43 _ Cunningham, V., "Renoving That Bible:The Absolute
Text of (Post)Modernism"., in The Theory Of Reading,
ed., F.,Gloversmith, Brighton, Harvester Press, 1984, p.
16. définit le logocentrisme du point de vue de Derrida
comme: " the idea of the all-powerful word, full of
centred, presented, world-referential, personal meanings
and messages ... "
44 _ Nous employons ce mot dans le sens de Hegel, lui-même
précédé d'ailleurs de l'auteur de La République, pour qui
aristoï signifie les meilleurs, ceux qui possèdent le
savoir.
45 - Nous faisons ici allusion à l'enseignement de Deledalle, G.
& Peirce, C., Ecrits Sur le Signe, Paris, Seuil, 1978. qui
que: «
Une icône est un signe qui renvoie à l'objet qu'il
dénote simplement en vertu des caractères qu'il possède,
que cet objet existe réellement ou non ... N'importe quoi ...
est l'icône de quelque chose, pourvu qu'il ressemble à
cette chose et soit utilisé comme signe de cette chose.».
p. 140.
46 _ Voir Trilling, L., Beyond Culture, London, Secker &
Warburg, 1966. p.116, pour qui la littérature crée les
conditions d'existence de l'Autre au-delà de la culture. Le
mot culture est à comprendre aussi comme autodidactisme et
auto-développement.
47 - Voir chez Achebe, C., le thème de l'écrivain et de sa
position dans la société. Ce point de vue rejoint la pensée
de Bouthoul Gaston lorsqu'il soutient que: "A man may be
uprooted from his surroundings and taken to the antipodes
or shut up in a cell, but the society to which he belongs
will continue to live in him, in his beliefs and in the
entire content of his mental life and the knowledge he
takes with him. If such a man has the strength, or if he
meets sorne of his fellows, he may build in sorne distant
spot a society almost identical with the one he left
behind." p.109.

455
48 _ Selon Wimsatt, W. K., The Verbal Icon, London, Methuen,
1970., le lecteur serait Il the teacher or explicator of
meanings ll. p.34.
49 - Rogers, L. R.,IIRepresentation and Schemata ll British Journal
of Aesthetics, June 1963. pp. 159-178.
50 _ Voir Harris, Wilson, The Infinite Rehearsal, London, Faber
and Faber, 1987. Il nous déclare que" one novel may pick
up something in the fabric of a previous work and rehearse
its implications anew, revise, revision itselfll. - Voir le
développement de ce thème à partir de l'étude d'oeuvres de
sept écrivains dans Hills.,J., Miller, Fiction and
Repetition, Oxford, Blackwell, 1982.
51 _ Mircea, E., Traité d'Histoire des Religions, paris, Payot,
1975. p.41; p.139.
52 - Voir Levi-Strauss, C., La pensée sauvage, Paris, Plon,
1962. pp.309-311.
53 - Certes par la réflection ou le phénomène du miroir, nous
avons tendance à nous projeter sur notre environnement et à
nous identifier. Mais lorsque nous sommes attentifs, nos
sens changent d'échelle et renouvellent nos perceptions à
l'infini. - Voir Leibniz, G., Discours de Métaphysique,
Paris, Vrin, 1970. pp.37-38.
54 _ Wayne, Shumaker, English
Autobiography: Its Emergence,
Materials and Form, Berkeley, University of California
Press, 1954. pp. 115-121.
55
Voir Harris, Wilson, " Character and Philosophie Myth ll, in
A Sense Of Place, ed., Britta Olinder, University of
Gothenburg, Department of English, 1984. qui le définit
comme Il a capacity for mediation between polarized
emotions, polarized cultures" p.124. On pourrait retrouver
cette notion de mythe refuge développée dans les oeuvres de
Abrahams, Karl, Psychanalyse et culture, Paris, Payot,
1965; pour des études régionales voir, Bastide, Roger, Sens
et Fonction de la mythologie, in Mythologies des Peuples
lointains ou Barbares, Paris, Larousse, 1963.
56 - Vax, L., La Séduction de l'Etrange, Paris, PUF, 1965. p.23.
Voir aussi The Anxiety of Influence, qui évoque le même
thème de l'étrange appliqué à l'art.
57 - Northrop, Frye, Anatomy of criticism, Four Essays,
Princeton, 1957. p.147.
58 - Voir en particulier Leavis, F., R., " Literature and
Society", in The Common Pursuit, Harmonsworth, Penguin,

456
1972. - Bantock, G., H., " The Social and Intellectual
Background" in The Modern Age, ed., Ford, B.,
Harmondsworth, Penguin, 1964. - Et surtout Williams
Raymond, The English Novel from Dickens to Lawrence:
London, Chatto and Windus, 1970.
59 - Hammond, D. & Jablow, A., The Africa That Never Was, New
York, TP Inc, 1970, p. 21, 24, 38, 48, 60, 89, 107, 137.
60 - C'est de ce point de vue Bakhtin définit le concept
unificateur et hégémonique de la langue. Il dit en
substance que: «
Aristotleian poetics, the poetics of
Augustine, the poetics of the medieval church of ' the
language of truth', the cartesian poetics of neoclassicism,
the abstract grammatical universalism of Leibniz ( the idea
of 'universal grammar'), Humboldt's insistance on the
concrete
aIl these, whatever their differences in nuance,
give expression to the same centripetal forces in
sociolinguistic and ideological life; they serve one and
the same project of centralizing and unifying the European
languages. The victory of one reigning language ( dialect)
over the others, the supplanting of languages, the
enslavement, the process of illuminating them with True
Word, the incorporation of barbarians and lower social
strata into a unitary language of culture and truth, the
canonization of ideological systems ... aIl this determined
the content and power of the category of 'unitary language'
in linguistic and stylistic thought, and determined its
creative, style-shaping role in the majority of the poetic
genres that coalesced in the channel formed by those same
centrepetal forces of verbal ideological life.»
- Voir
Bakhtin, M.,
The Dialogic Imagination, ed., M. Holquist,
Austin, University of Texas, 1981. p.271.
61 _ Gillie, Christopher, Language and Literature in the
Victorian in The New Pelican Guide To English Literature,
6. From Dickens To Hardy, ed. Boris Ford, London, Penguin
Books, (1958) 1982. p.294 et 296.
62 _ Nietzsche, Friedrich, The Birth of Tragedy And Genealogy of
MoraIs, tr.Francis Golffing, New York, 1956. Selon
Nietzsche, l'émergence de l'esprit gai d'investigation dans
le domaine du théâtre grec a repoussé la mort de la
tragédie.La profondeur de la tragédie grecque réside dans
la confrontation directe entre les forces chaotiques qui
sous-tendent la vie consciente, et les forces Dyonisiaques
ensemble, résistant aux pressions Appolloniennes également
inhérentes à la conscience individuelle. C'est l'opposition
de ces forces qui constitue la tragédie.Il écrit:" For who
among Us can close his eyes to the optimistic element in
the nature of dialectics, which sees the triumph in every
syllogism and can breathe only in an atmosphere of cool,
conscious clarity? Once the optimistic element had entered
tragedy it overgrew its Dionysiac regions and brought about
their annihilation and, finally, the leap into genteel
domestic drama." p.88.
63 - Richards, I.A., Principles of Literary Criticism, London,

457
Kegan Paul, 1925. p.246.
64 - Nietzsche nous dit que : «Dionysiac art, too, wishes to
convince us of the eternal delight of existence, but it
insists that we look for this delight not in the phenomena
but behind them. It makes us realize that everything that
is generated must be prepared to face dissolution. It
forces us to gaze into the horror of individual existence,
yet without being turned to stone by the vision; a
metaphysic solace momentarily lifts us above the whirl of
shifting phenomena. For a brief moment we become,
ourselves, the primaI Being, and we experience its
insatiable hunger for existence. Now we see the struggle,
the pain, the destruction of appearances as necessary,
because of the constant proliferation of forms pushing into
life, because of the extravagant fecundity of the world
will », Ibidem. p.102.
65 _ En s'appuyant sur La Phénoménologie de l'esprit de Hegel,
axée sur les rapports Maître/esclave, l'Homme et lui-même,
avec les autres, Dieu, le Cosmos, et le rapport final de
la réalisation de l'homme lui-même de ses échecs,
Doubrovsky nous dit que le déclin du héros survient dès
l'instant où il est corrompu et n'est plus maître de sa
défaite ou de son échec ultimes comme Attila, Tite et
Bérénice dans Surena, bien que l'analyse ddes premières
tragédies célèbres ait montré un héros conquérant les
autres ( Don Rodrigue), se conquérant soi-même ( Horace),
le pouvoir ( Cinna) et finalement Dieu ( Polyeucte).
Doubrovsky, Serge, nous enseigne que: «
La tragédie ici
n'est donc pas privation du libre arbitre: le choix de
l'homme demeure jusqu'au bout sa croix. Mais la liberté,
inutilisable, est récupérée d'avance, non plus seulement
par son vieil ennemi, la nature, mais par son alliée,
l'histoire, qu'elle était supposée faire, et qui désormais
la fait.»
p.471 - Pour sa définition de l'Histoire, voir
p.492. Corneille et la dialectique du héros, Paris,
Gallimard, 1963.
66 _ Voir Gleason, Judith, Illsey, This Africa, Illinois,
Evanston, 1965. qui outre la littérature anglophone
Africaine examine en même temps la littérature francophone.
- Voir de même Charles, A., Ibidem.p. 71; p. 80; p. 139. -
Voir aussi, Forster, Malcolm, Joyce Cary: A Bioqraphy,
Boston, Houghton Mifflin, 1968. pp.82-84.
qui nous donne des éléments sur la formation de base
sommaire donnée aux prétendants administratifs à l'aventure
outre-mer. - Stetkevych, J., The Modern Arabie Literary
Language: Lexical and Stylistic Developments, Chicago U.
Press, 1970. - Voir aussi Mazrui, A., Ali, The Africans,
London, BBC Publications, 1989.- Lienhardt, G., "Modes of
Thought" in The Institutions of Primitive Society, ed., E.
E. Evans-Pritchard, et al, Oxford, Basil Blackwell, 1954.
p. 96 - 97. - Voir aussi Asad TalaI, " The Concept of
Cultural Translation in Britain Social Anthropology", in
The Making of Ethnographie Texts, eds. G., E., Marcus and
J., Clifford, Albuquerque: University of Mexico Press,
School of American Research Advanced Seminar, Series, 1984.

458
67 - Bagehot, W.,
"Edward Gibbon"
in Literarv Studies, London,
Everyman edn., 1911. vol.2. pp 31-33.
68 - Chinweizu, Jemie, Madubuike, Ihechukwu et Onwuchekwa,
Jemie, The Decolonization of African Literature, vol. I,
Washington University Press, 1983
69 - Bhabha, H. K., "Representation and The Colonial Text: A
critical Exploration of Sorne Forms of Mimeticism" in The
Theory of Reading, Brighton, Harvester Press, 1984. p~99­
100.
70 _ Bhabha, H.K., Signs Taken For Wonders Questions of
Ambivalence and Authority under a Tree outside Delhi, May
1817", Critical Inquiry 12 , Autumn 1985. - Voir aussi
Nairn, Tom, The Break-Uo of Britain: Crisis and Neo-
Nationalism , London, Verso, 1981. pp. 264-265.
71 - Pour le thème des soi-disants spécialistes de l'Afrique au
temps colonial et néo-colonial, voir Kenneth, Little,
Negroes in Britain, London, 1947, p. 165-94. Kenneth parle
de l'âge des experts de l'Afrique, qui revendiquaient des
connaissances personnelles de l'Afrique. En tant que corps
institué par des individus qui n'ont cessé de faire les va-
et-vient entre l'Afrique et l'Europe, ces experts ne
réussirent qu'à donner des informations loin de la
précision et soumises à des préjugés ethnocentriques sur
l'Afrique.
72 _ Voir Verger, Pierre, Orisha, Les Dieux Yorouba en Afrique
et au Nouveau Monde, Paris, Ed. A. M. Métailié, 1982.
pp. 184-185.
73 _ Voir la ressemblance de leurs sYmboles et de leurs haches
doubles. Verger, Pierre, Orisha, Les Dieux Yorouba en
Afrique et au Nouveau Monde, Paris, Ed. A. M. Métailié,
1982. pp. 132-138.

459
I I -
Les relations à la frontière africaine
Les
textes
que
nous
avons
vus
jusqu'à
présent
ont
pour
personnages
centraux des
émigrants.
Ils narrent
le voyage dans
un
style
épique
de
défis
et
de
tergiversations,
de
di verses
rencontres,
dans
lequel
les
indigènes
avoisinnent
les
Britanniques au point d'en être les ombres.
Dans la plupart des
oeuvres,
le héros blanc se met en scène comme voyageur et objet
perçu.
Mais
la
prévalence
de
l ' ouie,
de
l'odorat
sur
la
vue
exprime la limite de l'autorité de l'émigré à
appréhender et à
représenter
son
environnement.
Ce
qui
résulte
en
une
descente
dans l'enfer colonial, une perte de l'innocence sainte, sans que
cela
signifie
une
génération
d'un
autre
être,
d'une
nouvelle
production de discours,
étant donné que cette
littérature sera
relayée . par
d'autres
auteurs
et
d'autres
modes
tels
que
les
médias.
La
Grande
Bretagne a
créé
sa propre
légende
noire,
au
travers d'une lutte atroce et meutrière pour l'Afrique, dont les
mésaventures
des
personnages
deviennent
les
histoires
canoniques. Les grands rêves sombrent au coeur des ténèbres dans
tous
les
cas.
Autrement
dit,
les
lecteurs
de
ces
récits,
témoignages
ou
journaux de voyage
n'ont
rien
lu d'autre
qu'un
ensemble donné de différences qui moralisaient
l'ego et autrui
dans des cadres prédéfinis.
Les littérateurs ont offert à
leurs
lecteurs
de
multiples
lots
de
différences,
de
multiples
positions
subjectives
fixes,
plusieurs
manières
de
légitimiser
et
de
les
familiariser
au
processus
d'expansion
britannique.

460
Quand
aux
discours
de
ces
oeuvres,
ils
se
complétaient,
se
contestaient autant qu'ils se démystifiaient les uns par rapport
aux
autres.
C'est
ce
qui
leur
donne
l'allure
de
productions
idéologiques en tant que résultat d'une pratique de fixisme de
la
production
infinie
de
la
chaîne
signifiante.
Cette
'vraisemblance idéologique'
rend le quotidien du monde africain
incompréhensible
Voir
Conrad
&
Ellis,
1).
Donc,
il
y
a
eu
distanciation de soi à soi au niveau de l'écrivain britannique,
et
cette
distanciation
est
née
de
mythes
personnels,
de
séparation du pays et de la culture familière,
dont le résultat
fut
une aliénation,
une nostalgie,
un délire et
finalement une
agonie devant l'absence de l'image de la mère.
Comme nous l'avons vu antérieurement,
l'exode vers ailleurs
ou
vers
l'Afrique
a
été
une
tentation
constante
pour
les
Bri tanniques.
C' étai t
la mode
et tentation de
l'exotisme,
pour
des
raisons
socio-politiques,
économiques,
personnelles
ou
autres.
Aussi
le moteur du périple dans
les contrées denses ou
désertiques,
réside
justement
dans
la
curiosité
d'aller
voir
"l'autre",
pour
combler
la
distance
qui
sépare
de
lui.
De ce
fait,
l'écart géographique entre la Grande Bretagne et l'Afrique
peut se lire comme une métaphore de la distance culturelle.
De
même si comme on peut le lire dans l'étude de Bahir,
le mal se
tient au Nord,
et que Satan en tant que principe de séduction,
principe
du
mal,
vient
du
Nord,
donc
le
Nord
est
lieu
d'infortune
( Voir Chevalier & Gheerbrant,
2).
Ce qui ne serait
pas
le
Nord
ne
comporterait
pas
de
principe
destructeur
mais
constructeur.
Pourtant,
l'Histoire
nous
montre
que
l'Europe
s'est tournée vers
l'Orient sur la route des épices,
puis vers
l'Ouest dans la conquête américaine,
mais aussi au Sud pour se
ressourcer
en
Afrique,
berceau
de
l'humanité
bien
que
ce
dernier en ait été meurtri dans l'esclavage qui devait permettre

461
au circuit triangulaire de se poursuivre.
Ainsi,
les pages des
oeuvres qui relatent les mésaventures du pionnier peuvent-elles
sembler
anecdotiques.
Mais
l'âme
du
Britannique
Waugh
qui
se
déplace
dans
le
continent,
figure
une
autre
distance,
à
soi-
même,
cette fois trouble,
intime,
et très vague,
que l'aventure
est
censée
apaiser.
Il
s'agit
peut-être
de
retrouver
son
humanité, de se mettre en accord avec son "chi" comme le dirait
Achebe
à
propos
d' Okonkwo,
qui
après
avoir
ignoré
les
frontières,
s'est détruit à
force de vouloir se surpasser.
Mais
dans
le
cas
du
pionnier
britannique,
l'inconnu,
souvent
quatrième dimension, vers lequel il se dirige va être chargé de
faire
la lucidité sur les malaises secrets qu'il porte en lui.
Comme
un
pélerin,
il
espère
trouver
une
révélation
dont
le
voyage serait
l ' herméneutique.
si
les
images et
les
curiosités
des
pays
"lointains"
peuvent
être
admises
comme
étrangères
à
soi, c'est qu'elles sourdent du dedans, récusant à priori celles
du moi.
C'est
ainsi
que
Blixen
qui
feint
de
douter
de
sa
propre
évidence,
donne
à
la
vie
un
goût
de
folie
inacceptable,
en
raison
du
fait
que
de
soi
à
SOl,
apparaît
une
distance
plus
dépaysante que celle qui
sépare le voyageur de
sa destination.
En
un
mot,
c'est
une
mise
à
l'épreuve
de
l ' espri t
avec
une
valeur
d'initiation.
C'est
pourquoi
comme
les
auteurs
elle
choisi t
de
placer
dans
son
récit,
les
premiers
j ours
de
son
voyage.
Ainsi
tous
donnent-ils
une
forme
littéraire
à
une
expérience vécue,
ne serait-ce que sur le mode imaginaire comme
dans
la
circumnavigation
de
Conrad.
Mais
la
raconter
nous
renvoie
à
l'obsession
de
l'écart
entre
le
vrai
et
le
vraisemblable
( Voir Vax,
3)
qui
a
longtemps
été débattue,
et
qui a vu la préférence des écrivains pour le second.
Dans tous
les cas la migration ne prend tout son sens que dans la mesure

462
où elle renferme l'espoir que le voyageur pourra vivre ailleurs
autrement, sans cesser d'être lui-même. c'est ce qui fait que le
moindre
incident,
la
plus
petite
frustration
ou
vexation
au
cours de son déplacement, prend l'allure d'un drame, accroissant
par conséquence la distance de soi à
soi,
de soi au but qui se
trouve
touj ours
reporté.
Dans
la
nervosité
et
la
panique,
le
voyageur
se
place
dans
l'absolu,
si
bien
que
les
évènements
cessent d'avoir un étalon de mesure par rapport auquel,
il peut
les comprendre.
Le
Britannique ne pense qu'à
lui et se confère
la valeur indiscutable de la rationnalité,
de la pensée qui
se
situent
hors
du
monde
afin
de
se
revéler
à
lui-même
par
contraste.
La
géographie
et
la
topographie
s'offrent
en
spectacle
et
s'imposent
à
l'imagination
de
la
spectatrice
que
devient
Huxley.
Ainsi
la
mésaventure
nous
donne
à
voir
des
personnages dont la raison est impuissante à
s'adapter au monde

ils
évoluent
comme
Johnson.
Le
problème
qui
se
pose
aux
écrivains
britanniques
dans
leur
relation
à
l'Afrique,
c'est
l'étendue,
et
par
rapport
à
l'étendue,
la
pensée
insulaire
bri tannique
où demeure
la dramatique
question
de
l'aliénation.
Comment n'être pas aliéné?
L'évidence du sens est mise en cause à
chaque étape comme
nous l'avons vu par exemple chez Waugh,
Conrad et Blixen.
Quand
le
voyage
s'arrête
et
que
le
voyageur
se
repose,
il
fait
le
point et réfléchit sur sa situation.
Il évalue la distance qu'il
lui
reste
à
parcourir
vers
le
but
défini tif,
psychologique
ou
géographique.
C'est
au
récit
de
traduire
les
différents
changements
qui
s'opèrent
et
à
les
organiser
pour
leur
donner
une signification.
Vivant à
chaque frontière provisoirement,
le
Britannique
connaît
la
jouissance
aussi
bien
que
le
désespoir
d'être Ailleurs.
Il
nous
raconte ses mésaventures pour combler
la pause entre ces mésaventures,
les dangers qu'il
affronte et

463
les
banalités
envahissantes dont
i l
se détourne.
Lorsqu'il
n'a
rien
à
nous
revéler
sur
son
propre
voyage,
le
narrateur
nous
raconte
celui
des autres.
Aussi,
le
récit débute-t-il
touj ours
par une mise en situation.
En tête apparaît une autorité fondée sur une reconnaissance
de
signes.
Le
pionnier
voyage
avec
ses
meubles,
ses
effets de
civilisation,
l'argent
et
se
fait
servir
par
une
mul t i tude
de
domestiques.
Le Britannique se fait propriétaire et maître d'une
qualité abstraite dont Marx nous dit que:
«
Ce n'est pas la science des hommes qui détermine leur
être; inversément leur être social qui détermine leur
conscience.»
( Voir Marx, 4).
En d'autres
termes,
le promoteur se donne de
la puissance
et veut être reconnu comme tel,
à partir du moment où le regard
complaisant que
lui porte autrui
semble le
configurer
sous
ces
traits, comme le dirait Todorov à propos du personnage de Colon:
«
Même s'il était toujours finaliste,
Colon ... était plus
perspicace lorsqu'il observait la nature que lorsqu'il
cherchait à comprendre les indigènes»
( Voir Todorov, 5).
C'est ainsi
que
pareillement
à
Colon,
les mésaventures du
Britannique
commencent
exactement
par
les
inattendus
des
circonstances
qui
échappent
à
son
assurance.
Tel
est
tout
d'abord le cas de la géographie africaine.

464
1
-
Les Lieux sans issues
Dans la géographie imaginaire pour Blixen, Huxley et Waugh,
les fermes sont-elles au milieu de nulle part, obligeant les uns
et
les
autres
à
se déplacer
en
voiture,
à
dos
de
mulet
ou
à
cheval. Mais aucune limite n'est certaine,
et aucune voie n'est
sûre. Chez Conrad, le comptoir est bâti en pleine forêt,
sur les
rives
d'un
cours
d'eau
navigable
pour
les
expédier
et
receptionner les fruits de la traite et les provisions.
Il
n'y
est pas question de routes terrestres comme chez les autres,

leur
construction
est
une
nécessité
impérieuse,
puisque
civiliser, c'est aussi circuler et transporter. La raison en est
que An Outpost Of
Progress se passe en période de prospection.
Kayerts
et
Carlier
n'avaient
qu'à
suivre
le
fleuve,
dont
on
ignore la source, la longueur et l'aboutissement.
Mais lorsque Denys,
Kanuthia et la narratrice se rendent à
la campagne,
pour y
chasser
le
lion,
et
sont contraints de
le
faire à pied, c'est encore la notion de galère qui est évoquée à
l'occasion de l'absence de route.
Il en est de même pour Huxley
qui
nous
suggère
l'héroïsme
des
immigrés
européens,
à
la
découverte
de
régions
vierges,
qu'ils
doivent
dompter
pour
en
tirer
profit:«
'They're
opening
up
new
land
beyond
the
plateau ... No
settlers
yet,
no
natives,
lots
of
game,
and
centuries of untapped fertility.»
(The Flame Trees Of Thika, p.
16;
p.
28).
Ainsi,
les
routes
terrestres
ou
maritimes
ne
semblent-elles
mener
nulle
part,
ou
déboucher
sur
des
cul-de-

465
sacs,
par
exemple dans
le
cas
de
Blixen
lors
de
la
chasse
au
lion. L'extrait qui suit va dans le même sens :
«
But when we had driven a further two miles there was
no more road.»
(OOA, p. 197)
Ce
voyage
de
Blixen
et
de
Denys
évoque
un
saut
dans
l'inconnu
une
navigation
à
vue,
dans
des
zones
non
encore
découvertes.
A lire
cette
situation
on
ne
peut
s'empêcher
de
penser
à
l'oeuvre
de
Graham
Greene,
Journey
Without
Maps,

l'auteur attiré par
l'obscurité et
le mystère qui
ont
servi
à
qualifier l'Afrique dans l'inconscient des hommes,
est descendu
du Libéria hostile en Sierra Leone,
accompagné de ses porteurs
jusqu'à Grand Bassa.
Tout comme nos protagonistes Denys et Blixen,
il est arrivé
au
personnage
de
Greene
de
se
trouver
dans
les
zones

les
voies
ne
menaient
apparemment
nulle
part
alors
qu'il
fallait
tout de même avancer. Comme nous l'avons vu plus tôt,
Blixen met
côte-à-côte la destruction de la vie animale et la construction
d'une
route.
Alors
ne
s'agit-il
pas
d'une
géographie
sentimentale de
la
part
des
écrivains qui
cherchent
à
montrer
les incertitudes d'une pensée en "survol"?
Cary,
pour sa part,
réussit à
nous donner la même image à
travers Rudbeck,
ingénieur administrateur, qui se passionne pour
la construction de routes, se sent mal dans son bureau, et grâce
à
la
route,
tisse des
rapports
de
confiance avec
Johnson,
son
employé.
La
notion de route dans ces propos du Mister Johnson:
«
Rudbeck has a passion for roads ... ln this he has no sYmpathy
from Blore, who considers motor roads to be the ruin of Africa,
bringing
swindlers,
thieves,
and
whores,
disease,
vice,
and
corruption, and the vulgarities of trade, among decent,
unspoilt
tribesmen.
»
(MJ.,
p.
51)
est
comparable
à
celle de
Soyinka

466
dans les propos de Kotonu:«
My humble quota to the harvest of
the
road.». ou de
Professor:
«
Be
ven
like
the
road
itself.
Flatten
your
bellies
wi th
the
hunger
of
an
unpropi tious
day,
power your hands with the knowledge of death .... Breathe like the.
road,
be even like the road itself ... [ The mask still spinning,
has
continued
to
sink
slowly
until
i t
appears
to
be
nothing
beyond a heap of cloth and raffia.
still upright in his chair,
Professor's head falls
forward.
Welling fully from the darkness
falling around him,
the dirge.]
(The Road,
in Collected Plays,
p.
181 et p.228-229),
dans
la mesure où la
route est celle du
transport,
de
même
qu'elle
est
la
vie,
l'aventure.
Et
nous
voyons
que,
celle
qui
est
empruntée
par
Prof essor
et
Rudbeck
après l'avoir construite,
mène à
la mort.
De même,
Johnson est
exécuté,
pour
avoir
bloqué
les
travaux
de
la
route
par
son
détournement des fonds.
Mais au-delà ces successions des faits,
apparaît la figure du héros qui a pour ambition de nous donner à
voir, ce que nous pouvons tout au plus sentir.
C'est
ainsi
que
Waugh
nous
expose
des
faits
tout
à
fait
étonnants,
où au-delà
des mots,
nous
percevons
des
hommes
qui
changent
le
cours
des
choses,
fût-ce
de
façon
négative,
comme
semble
nous
le
signifier
le
narrateur
lorsqu'il
tourne
en
dérision
l'Américain
dans
son
comportement
vis
à
vis
des
indigènes
(RP,
p.
55;
p.
57;
p.
69).
C'est
aussi
le
cas
lorsqu'il nous informe de son périple forcé à la recherche d'un
moyen
de
retour
vers
Europe,
en
passant
par
Zanzibar,
Kénya,
Congo, qui s'est avéré être un retour sur soi,
puisque tout lui
prend
alors
l'aspect
d'un
labyrinthe
(RP,
p.
160;
p.
168;
p.
174). Mais il n'en reste pas moins qu'il y a égarement, désarroi
devant
l'inconnu.
Les
immigrés
britanniques
recherchent
des
signes,
des
manifestations
providentielles.
Nous
relevons
par
exemple chez Conrad ce qui suit:

467
«
They lived like blind men in a large room, aware only of
what came in contact with them (and of that only
imperfectly) but unable to see the general aspect of
things. The river, the forest, aIl the great land throbbing
with life, were like a great emptness. Even the brilliant
sunshine disclosed nothing intelligible. Things appeared
and disappeared before their eyes in an unconnected and
aimless kind of way. The river seemed to come from nowhere
and flow nowhither ... »
(AOP, p. 61).
Mais
Conrad
n'a
pas
le
monopole
de
cette
topographie
ambigüe
comme
nous
pouvons
le
voir
chez
Cary
(MJ,
p.
218),
Blixen
(OOA, p.
177;
p.269;
p.
270),
Huxley
(TFTT,
p.
157)
et
Waugh (RP, p. 81).
En fait,
dans cette géographie poétique,
les pionniers sont
abandonnés
et
livrés
à
eux-mêmes.
C'est
ainsi
qu'en
ce
qui
concerne les personnages de Conrad,
l'espace dans lequel Kayerts
et
Carlier
évoluent
est
celui de
l'Eden
retrouvé
et
à
nouveau
perdu dans leur campement.
Kayerts et Carlier vivent en cercle,
et tout ce qui est en
dehors
de
ce
cercle
n'existe
pas.
C'est
unvide
absolu
qu'ils
veulent
néanmoins
s'approprier.
C'est
le
néant
tout
autour qui
attend
d'être
transformé.
Or,
de
ce
néant
naissent
et
disparaissent
des
foules
entières,
des
flotilles
(AOP,
p.61;
p.62). Mais en réalité les émigrés britanniques sont des hommes
traqués
et
livrés
à
la
dérive.
C'est
peut-être
pourquoi
nous
pouvons lire ce qui suit:
«
.•• trailing a sulky glance over the river, the forests,
the impenetrable bush that seemed to cut off the station
from the rest of the world.»
(AOP, p.57).
L'attitude
des
Britanniques
en
Afrique
a
comporté
un
registre
existentiel,
un
registre
esthétique
et
un
registre
physique,
tous reliés les uns aux autres.
Leur création utilise

468
la puissance des mots dont les consonances à elles-seules créent
une
ambiance.
certaines
syllabes
insolites,
certains
vocables
s'associent
à
des
spectacles
précis.
Quelques
mots
associés
à
des sites ou à des scènes d'un pays,
suffisent à nous donner la
puissance
de
l'image
narrative
Voir
Dumas,
6).
C'est
un
système de dénotation
et de conotation,
dans
lequel
les
choses
et les mots sont confondus.
Ainsi,
l'image s'organise-t-elle en
tableaux;
étant donné que
l'écrivain
semble
figer
le
spectacle
qu'il évoque, il utilise un procédé analogue à celui du peintre.
Par exemple,
Blixen
( p.14;
29),
et Huxley ( p.
34; p.132) nous
font sentir la torpeur de la savane kenyane,
la beauté de scènes
africaines,
usant
tour
à
tour
de
la
plume
et
du
crayon.
La
narration
se
suspend
volontiers,
roman,
poême,
ou
récit
de
voyage,
pour
s'attarder
sur
une
simple
vision.
C'est
la
même
atti tude qui
permet
à
Waugh
de
nous
décrire
une
Abyssinie
aux
rues
étroites,
aux
maisons
délabrées,
et
des
abyssiniens
aux
visages miséreux, ou au regard méprisant
( p.16;
p.17;
p.81; p.
167).
Ce qui se passe,
c'est que l'écrivain choisit des détails
typiques,
les organise en tenant compte de
la perspective,
des
couleurs
et
des
contrastes.
Ailleurs,
dans
An
outpost
Of
Progress,
Conrad
évoque
en
une
synthèse
mouvante,
une
cité
africaine où se meurt une civilisation ( p.S8; p.73; p.
77), qui
tombe
en
poussière
avec
Johnson
dans
Mister
Johnson
de
Cary.
Aussi,
ces oeuvres s'adressent-elles surtout au regard,
puisque
lecteurs,
tenant le rôle de touristes,
nous
suivons à
la piste
les écrivains, guides avisés qui nous initient aux secrets d'un
autre monde.
Souvent les images se succèdent,
et se télescopent
dans
les
déplacements
méthodiques
ou
les
errances
des
héros.
L'Afrique
s'anime
alors
dans
l'énumération
des
scènes.
Par
exemple chez Conrad,
l'accélération du défilé des images abolit
la notion de durée, et nous coupe ainsi du réel:

469
«
It was not the absolute and dumb solitude ... And out of
the great silence of the surrounding wilderness, its very
hopelessness and savagery seemed to approach them nearer,
to draw them gently, to look upon them, to envelop them
with a solicitude irresistible, familiar, and disgusting»
( An outpost Of Progress, p.?3).
Aussi,
un
auteur
comme
Blixen,
emporté
dans
son
imagination, recueille en une masse dense, nombre d'éléments qui
lui
font
prétendre
créer
l'illusion
de
la
vérité
par
l'utilisation de la force étourdissante d'un torrent d'images:
«
My garden by the river that had been irrigated and kept
green, was now like a dust-heap- flowers, vagetables, and
herbs had all gone .... The grasshoppers had laid their eggs
in the soil" ( OOA, p. 282).
Or, le constat qUl s'impose,
c'est que l'Afrique étant mal
dominée,
elle
devient
redoutable
par
deux
aspects
indissociables.
Le
premier
comprend
une
part
de
fantastique,
dans la mesure où elle écrasait l' homme civilisé et ses grands
desseins, tandis que le second se manifeste dans le merveilleux,
dans la mesure où on l'apprivoisait comme une femme envoûtée et
envoûtante.
Dans
le
fantastique,
l'une
est
portée
par
le
temps,
et
l'autre est privée de mémoire. A un espace visuel,
se substitue
un espace auditif, sensitif par exemple chez Blixen «
The early
morning air ... Whirls of smells drift quickly past you ... »
(OOA,
p.196),
«
It was
very still here
in the hills ... there was
a
whisper to all sides»
(OOA , p.
303), ou encore chez Huxley «
One cannot
describe
a
smell ... in
fact
the
smell
of
Africa
... This was the smell of the Kikuyu, who were mainly vegetarian.
The smell of tribes from ... almost acrid .. »
ou «
On the third
night, a new sound carne from beyond the golden circle, something
to mingle with the queer whispers ... coil or fin »
(TFTT,
p.14i

470
et p.33).
La même contrée est susceptible de recevoir plusieurs
qualificatifs,
comme nous pouvons le constater dans les oeuvres
britanniques,
en
particulier
dans
le
cas
des
promoteurs
de
Conrad.
C'est pour dire que
la situation et le
lieu se
jouent
tour à tour, ou simultanément entre le pittoresque,
l'équivoque,
le sinistre, l'ignoble, le répugnant ou le sordide.
Il s'agirait
donc
d'une
vision
euphémiste
et
euphorisante
des
écrivains
britanniques, qui essayent d'élaborer et de donner un traitement
caractérisé
de
l'homme
sur
terre,
ici-bas
dans
son
cercle
habituel.
Aussi,
n'est-ce
pas
un
hasard
si
sur
le
plan
cosmologique,
nous
relevons
des
symboles
ascentionnels
aussi
bien chez Blixen ( p.302i p.306i p.308) que Huxley ( p.85i p.99)
et Waugh ( p.61i p.174), de même que des symboles spectaculaires
surtout
de
vision
et
des
symboles
diacritiques,
des
exigences de clarté et de distinction.
1 - 1 - Les contradictions entre Caïn et Nature
Le
constat qui
s'impose dans
les écrits britanniques,
est
que
les
indigènes
sont
les
moins
actifs
des
êtres
si
nous
faisons exception des moments où ils s'occupent des corvées.
Ils
ne
ressentent
aucun
besoin
de
changer
le
cours
de
la
nature.
Tout
au
plus,
agissent-ils
dans
le
secret.
Les
autochtones
semblent
trouver
leur
bonheur
dans
la
contemplation
des
agissements et de la vie des pionniers. Mais cette béatitude est
esthétique.
Elle
n'est
rien
d'autre
qu'une
distance
entre
l'homme et la nature, et même entre le Blanc et le Noir comme il
apparaît dans une lecture ironique du titre du livre de Waugh.
Remote
People
nous
signifie
d'abord
que
les
indigènes
vivent
loin
de
la
Grande
Bretagne,
mais
aussi
au-delà
des

471
réalités
terrestres.
Dans
ce
cas,
ils
ont
compris
que
les
actions de l' homme sur son environnement sont désastreuses,
et
prennent
souvent
l'allure
de
cataclysmes.
c'est
pourquoi,
le
Blanc est assimilé à un sorcier, un magicien, ayant le droit de
vie mais aussi le pouvoir de donner la mort. Et en tant que tel,
l'indigène s'en tient à distance.
Pour commencer,
les indigènes
subissent la déportation en
raison de
la
spéculation
foncière,
qui
fait
que
la
terre
sur
laquelle
ils
vivaient
va
changer
d'usage.
Cette
terre
serait
utilisée à d'autres
réalisations,
qui
mettent
l'accent
sur
la
propriété privée et le monopole des gardiens de la civilisation.
Ce
qUl
signifie
que
comme
la
narratrice
sans
pouvoir,
les
indigènes sont devenus étrangers chez eux comme du mobilier dans
le cadastre colonial.
Pour maintenir leur cohésion sociale,
les
autochtones avaient à faire des compromis avec les particuliers,
comme nous signale le passage suivant:
«
The squatters knew that in order to stay on the
land ... getting round them.»
(p.317-318).
En effet, pour les colons, cette terre était une source de
romantisme,
un don de Dieu,
le sYmbole de leur gloire, de leur
puissance,
et
surtout
d'une
richesse
inestimable.
Pour
donner
une illustration à cette action, le roman nous fait lire que:
«
l had thousand acres of land, and had thus got much
spare land beside the coffee-plantation. Part of the farm
was native forest, and about one thousand acres were
squatters 'land, what they called their Shambas. The
squatters are Natives, who with their families hold a few
acres on a white man's farm, and in return have to work
with him for a certain number of days in the year. My
squatters, l think, saw the relationship in a different
light, for many of them were born on the farm, and their
fathers before them, and they very likely regarded me as a
sort of superior squatter on their estates ... The squatters
'land was more intensively alive than the rest of the farm,

472
and was changing with the seasons the year round ... »
(p. 18)
La
production
de
subsistance
s'oppose
à
la
production
de
rente, autour de la notion de vie. Leur opposition revèle encore
une
fois
un
qui
proquo
par
rapport
à
la
notion
de
propriété
immobilière entre les colons et les autochtones.
Très fréquemment la disposition géographique, et le système
d'exploitation ou d'occupation des sols étaient tels qu'un champ
pouvait se situer à
plusieurs kilomètres du village ou du lieu
d'habitation.
Ce
qui
fait
qu'avec
la
politique
économique
capitaliste,
quand
un
espace
n'était
pas
clôturé,
ou
délimité
selon
les méthodes modernes,
il
n'appartenait plus à
personne.
C' étai t
un gâchis qu'il
fallait
réparer.
En pl us
de
cela,
les
colons se sont vus imposer des terres à moins que possesseurs de
terres déj à
occupées,
avec
l'aval
de
l'empire,
ils
ne
se
sont
pas
toujours
posé
de
questions,
et
ont
voulu
croire
que
les
natifs étaient aussi étrangers qu'eux à cette terre. Etant donné
que
les
terres
étaient
exploitées
extensi vement
par
les
indigènes,
les
occidentaux
en
conclurent
qu'elles
étaient
incultes,
donc
à
défricher.
Et
en
les
défrichant,
ils
bouleversèrent tout le paysage social,
économique et historique
de ces régions.
Ainsi après l'introduction de nouveaux systèmes
d' exploi tation du
sol,
les
habitants
se
trouvèrent-ils
insérés
bon
gré
mal
gré
dans
un
système
économique
auquel
ils
ne
comprenaient rien.
Eux,
qui pensaient certainement oeuvrer pour
le
bien
de
l'espèce
humaine,
en
respectant
ceux-là
venus
d'ailleurs,
et
en
leur
donnant
leur
assistance
physique,
se
voient
amenés
à
payer
leur
droit
à
vivre
sur
leur
terre.
Ce
devoir est appelé aujourd'hui
Po Ll,
Tax,
ou Community Local Tax
en Grande Bretagne ( Voir Imlah, 7).

473
Les premiers -
les
indigènes
-
sui vent les seconds
-
les
pionniers -parce qu'ils ne devinent pas leurs desseins,
et ne
peuvent
pas
comprendre
qu'ils
s'attachent
à
des
possessions
qu'ils
n'emporteront
pas
dans
leurs
tombes
Pour
les
enj eux
historico-politico-économiques
qui
rendent
les
colonisés
perplexes, voir Meek, Macmillan & Hussey,
8).
La perplexité des
autochtones devant une telle rapacité pour quelque chose que nul
ne peut empocher -
la terre - permet à
l'auteur de s'égarer en
stipulant que:
«
In sorne respects, although not in aIl, the white men
fill in ... the idea of gode
( .. ) What is completely
an
act of god.»
(p. 318)
L'économie de marché justifie les plantations de café,
et
l'obstination des planteurs à vouloir récolter, même d'une terre
stérile.
c'est
au
nom
de
cette
économie
que
la
terre
fut
transformée
en
un
bien
mobilier
source
de
profit,
par
le
truchement de la propriété privée. Or cette propriétée privée ne
fut
rien
d'autre
qu'une
série
de
figures
géométriques
restructurant l'espace, comme le constate l'héroïne:
«
Later on, on when l flew in Africa, ( ... )
and l realize how keenly the human mind yearns for
geometrical figures.
( ... )
and here live a people who are constantly thinking and
talking of planting, pruning, or picking coffee, and who
lie at night and meditate upon improvements to their coffee
factories. Coffee-growing is a long job. It does not aIl
come out as you imagine, when, yourself young and
hopeful ... with the whole number of farm-hands in the
field, watch the plants ... shaded against the sun ... since
obscurity is the privilege of young things.
( ... ) in the
meantime you will get drought on the land, or diseases, and
the bold native weeds will grow up thick in the fields the
black-jack, which has long scabrous seed vessels that hang
on to your clothes and stockings.»
(p. 16-17).
L'existence
d'une
voix
impérieuse
à
qui
la
pionnière
s'adresse à la recherche d'une illumination, l'insistance sur un

474
destin
non maîtrisé et
fou
comme celui
de Johnson
dans Mister
Johnson,
de Carlier ou Kayerts dans An Outpost Of
Progress,
ou
de
Knudsen
dans
Out
Of
Africa,
confirment
tout
au
long
du
portrait de l'Afrique,
une situation irrémédiable de soumission
involontaire à la fureur d'un destin destructeur.
C'est pourquoi
Blixen
et
Robin,
conscients
du
malheur
dans
lequel
ils
entraînent
tous
ceux qui
les
approchent,
veulent
s'écarter
de
l'Afrique
en
s'en
échappant.
Néanmoins
la
réussi te
en
Afrique
est présentée comme une réalité certaine , mais il faut plus que
de la volonté.
L'apothéose en Afrique devient un pari à
long terme,
comme
nous
le
voyons
dans
les
efforts
constamment
repris
par
des
pionniers tels que
Ingrid dans Out Of
Africa ou Mary dans The
Flame Trees Of Thika.
La volonté de réussir implique du courage
et de la persévérance,
signalés par les adverbes temporels.
Les
auteurs
analysent
les
réactions
et
les
états
d'âme
des
personnages
de
l'intérieur
et
à
travers
les
relations
de
ces
derniers avec leur environnement.
Les paragraphes se succèdent,
ponctués par l'indication des perceptions qui marquent un retour
à
la
réalité,
par
exemple
dans
la
situation
de
Blixen,
de
Kayerts
ou
de
Johnson,
sans
oublier
Waugh.
Alternativement
passif
et
actif,
subissant
une
forte
émotion,
et
prenant
conscience
du
réel,
ils
sont
peu
à
peu
métamorphosés.
Nous
pourrions
nous attacher à
la transformation des
personnages au
travers
l'alternance
des
phases
d' émoti vité
et
de
l ucidi té,
à
leur
contact
avec
l'environnement,
mais
nous
n'en
retiendrons
qu'un cas.
Par exemple,
le déroulement de An outpost Of Progress nous
montre
un
Kayerts
en
proie
à
une
intense
émotivité,
mais
évoluant comme Blixen dans le sens d'une conscience progressive

475
de
ce
qui
se
passe
en
lui.
Nous
remarquons
le
passage
de
l'inconscience totale pour le premier "like blind men in a larg~
room" ( AOP, p.61), et pour le second "like a blind person who is
being
led" (
OOA,
p. 328)
à
une
sensibilité
exprimée
"He
found
life
more
t.er r i.b.l ev t
AOP,
p.78)
et
"Thi.nqs
are
happpening
to
you,
and
you
feel
them ll (
OOA,
p.328).
Autrement
dit,
le
Bri tannique
en Afrique
se
trouve
d'abord
dans
un
état
second,
d'absence
de
conscience.
Il
Y
est
soumis
à
une
force
incontrôlable.
L'absence
de
direction
précise
et
le
caractère
aléatoire
d'une
démarche
marquée
par
le
hasard,
insistent
sur
l'absence
de
maîtrise
de
soi
et
de
réelle
conscience .
Après
quoi,
une sensibilité progressive s'installe.
Dans les extraits
précédents,
les
écrivains
nous
font
part d'un
phénéomène perçu
de l'intérieur des personnnages,
mais difficile à
identifier,
à
nommer, mais dont la perception suggère un appel, une voix venus
d'ailleurs.
La formulation vague de ce phénomène par des verbes
comme
'to feel',
ou
'to
find',
marque à
la
fois
la difficulté
d'identification
et
une
certaine
familiarité.
Chez
Blixen
l'allusion
au
lecteur
par
le
'You'
souligne
que
le
phénomène
peut être connu de tout le monde.
Cet état d'esprit est encore
caractérisé par le fait que le personnage le subit sans que sa
volonté
intervienne.
Sa
passivité
est
montrée
dans
des
expressions telles que Il you have no connection with them ll (
OOA,
p.328),
et
IIHe
seemed
to
have
broken
loose
from
himself
al t.oqe the r " ( AOP, p. 78).
Le personnage évolue vers
la prise de
conscience
de
l'existence
d'un
environnement
qui
échappe
au
contrôle
des
forces
de
son
héritage
culturel.
Lucide
et
réaliste,
le narrateur
fait
constamment sentir dans
les
textes
une attitude un peu amusée et un peu ironique à
l'égard de ses
personnages:
en
les
montrant
passionnés,
enthousiastes
et
prisonniers
de
leurs
rêves,
il
semble
faire
du
romantisme
un

476
moment
tout
à
fait
comparable,
par
certaines
de
ses
caractéristiques,
à
la
période
rêveuse
et
enflammée
de
l'adolescence.
Autrement
dit,
les
représentations
de
l'Afrique
par les écrivains britanniques sont des prétextes pour parler de
leurs
personnalités.
c'est
pourquoi
le
rêve
se
confronte
perpétuellement au paysage.
Concrètement,
lorsque
le
Blanc
veut
agir,
il
rompt
l'équilibre
et
l'harmonie.
Il
compartimente,
place
des
haies
dans le paysage,
fait des
lotissements,
crée des villes
et des
conglomérats.
Et non
content de cela,
il affiche sa volonté de
puissance dans les guerres,
c'est-à-dire l'autodestruction et la
violence gratuite. C'est dans cette perspective que nous pouvons
comprendre cette altercation
entre
l'indigène
et
la
narratrice
de out Of Africa à propos de Dieu et de traversée en avion:
« ' You were up very high today,', he said,
' we could not
see you, only hear the aeroplane sing like a bee.'
l agreed that we had been up high.
'Did you see God?' he asked.
'No, Ndewti,
'1 said,
' we did not see God'.
'Aha, then you were not up high enough', he said,
'
but now tell me: do you think that you will be able to get
up high enough to see him?
'Really l do not know, Ndewti', said Denys.
'Then', said Ndewti,
'
l do not know at all why you
two go on flying'.(OOA, p.210).
La
scène
constate
la
contradiction
qui
existe
entre
les
ambitions des fils de Caïn et l'âme de la Nature.
Les premiers,
les pionniers se sont sevrés de la nature et veulent néanmoins,
rester partie du Tout
en Un.
Il
en
ressort deux visions de
la
vie:
l'une
attachée
à
une
entité,
une
plénitude
sur
laquelle
présidérait un Dieu,
et une autre conception fondée sur le défi
à
la nature sous l'urgence de Prométhée.
Ainsi,
la déduction de
l'indigène
qualifie
la
défaite
des
Blancs
par
une
puissance

477
suprême.
En ne se laissant pas voir,
cette autorité les met en
échec.
La
guerre
de
1914-1918
et
ses
retombées
massives
replongent
les pionniers citadins ou fermiers
dans
une nature,
qu'ils ont fuie ou délaissée,
parce qu'elle offre les meilleurs
refuges et les protections les plus sûres.
Le matériau littéraire de notre étude est très varié.
D'une
oeuvre
à
l'autre,
les
différences
sont
multiples
au
niveau
culturel
et
même
économique.
Aussi
ce
serait
adopter
une
perspective réductionniste et de simplification excessive que de
les
percevoir
de
la
même
façon,
car
les
récits
jouent
de
paradoxes
Voir
Brooks,
9).
Puisqu'il
ne
respecte
pas
la
chronologie, ce miroir prétend revenir sur le passé pour décrire
une
vie
qui
retourne
à
sa
source.
Ce
qui
suppose
que
l'imagination
ne
prend
pas
en
compte
le
temps
présent
et
l'angoisse
du
futur
qui
l'habite,
alors
que
tel
est
implicitement une partie de son propos.
Cependant des attitudes communes apparaissent en raison de
l 'héritage
colonial.
C'est
ainsi
que
les
récits
se
présentent
sous
la
forme
d'une
juxtaposition
de
tableaux,
de
notes
de
séjour
dans
des
espaces
insolites
plutôt
d'un
temps
qui
s'écoule.
En
fait
il
est
plus
question
d'espace
que
de
temps
dans
la
relation
des
écrivains
britanniques
à
l'Afrique.
Ils
veulent
faire
un
bilan
de
leurs
connaissances
de
l'Afrique.
Alors tantôt ils se replacent tragiquement à
l'origine du sens
comme dans le cas de Conrad et de Cary,
tantôt ils s'inscrivent
dans
une
chaîne
de
savoirs
comme
c'est
le
cas
de
Blixen,
de
Huxley ou de Waugh.
Ils savent que les choses se transforment.
Dans l'exode et dans l'écrit,
le regard porté de près à l'autre
et
à
sa
culture,
l ' Etre
mortel
prend
conscience
que
quelque
chose
est
fini.
Il
est
inapte
à
penser
le
sens
de
ses
comportements,
de
sa
situation
sur
le
mode
temporel
dans
sa

478
relation coloniale à
l'Afrique.
Mais dans
tous
les
cas,
toutes
les attitudes visent
à
répondre
à
une
exigence
imposée par
le
contexte social,
économique et politique:
distinguer
les choses
qui ont encore une valeur en ces temps de crise,
de celles qui
n'ont plus.
Aussi,
avons-nous
les mêmes dénominateurs
axés
sur
la domination culturelle et l'imposition d'un certain nombre de
valeurs d'un groupe social sur un autre.
Par exemple,
dans out
Of
Africa,
les
indigènes
en dépit
de
leur propre
soumission
à
des lois qui leur ont été imposées,
s'empressent de demander à
participer à une lutte de libération pour d'autres peuples, tout
en
ignorant
ou
se
complaisant
dans
leur
propre
situation
de
dominés
(OOA,
p.134).
De même,
dans Remote
People,
la conduite
des diplomates occidentaux corrompus
en
Ethiopie,
les
détourne
de
leurs
fonctions
(RP ,
p. 13 i
p. 69)
de
hérauts
de
la
civilisation
en
lui
donnant
en même temps
un double
registre.
Mais cette ambiance trouble est révélatrice.
En effet,
l'Afrique en ces moments de tourmentes révèle la
radioscopie
de
la
situation
mondiale,
en
particulier
de
la
Grande Bretagne dans sa vocation civilisatrice en Afrique.
Dans
cette ère de
crises,
l ' individu est devenu insignifiant,
comme
nous
l'avons
vu
avec
Blixen
soumise
à
la
volonté
du
District
Commissioner.
Aussi
ces
troubles
ne
sont-ils
pas
des
périodes
que
l'individu
écrivain
peut
mettre
entre
parenthèses.
Mais
comme il
n 'y peut
rien
il
lui
faut
partir Ailleurs,
s'il
veut
les
fuir.
Ce
qui
implique
qu'il
lui
faudra
s'adapter
à
de
nouvelles contrées. Blixen elle, est toujours en train de partir
tantôt
à
la
verticale
comme dans
ces
moments

elle
rêve
de
bateau,
tantôt à
l 'horizontale lors de ses
randonnées en avion
ou sur les collines Ngong
(OOA,
p.183i
p.188).
Egalement,
dans
An outpost Of
Progress Kayerts et Carlier tournent le dos à
la
déshumanisation
du
commerce
en
allant
à
la
pêche
ou
en
se

479
faisant les ongles. Ces nombreux exemples qui expriment la crise
et la fui te,
signifient aussi qu'en plus de l'adaptation à de
nouvelles
régions,
le
pays
impose
aux
Britanniques
de
reconsidérer ce qu'ils y rencontrent.
Habitués à une culture qu'ils ont adoptée sans réserve,
la
croyant
infaillible,
sa
remise
en
cause
est
d'autant
plus
intolérable qu'ils sont sans repères sécurisants pour remplacer
les
mythes
qui
leur
ont
servi
de
refuges
ambigus
et
qui
ont
masqué l'autodestruction d'un monde
civilisé.
Soudain,
tout se
passe
comme
si
la
Grande
Bretagne,
et
à
travers
elle,
l'Occident,
ne
pouvait plus se concevoir historiquement.
Si on
ne peut pas revenir en arrière dans le temps, on ne peut revenir
dans les régions de son enfance.
Pourtant l'oeuvre de Huxley le
fait, de même que celle de Blixen, comme le figurent les titres.
Pour Huxley, l'Afrique représente aussi son enfance, tandis
que pour Blixen, elle signifie sa jeunesse. En décrivant l'une,
toutes deux espèrent retrouver l'autre, pour rendre leurs mondes
supportables. Ainsi, Blixen et Huxley peuvent-elles transférer à
leurs émotions l'extérieur. Par conséquent, puisqu'ils se
rabattent sur le paysage - l'espace - les Britanniques dans ces
romans cherchent à retenir des indications au niveau de
l'étendue, de même qu'à s'inscrire dans la continuité, la durée
et la permanence. Les confessions des hommes de lettres
caractérisent aussi leur impossibilité totale à saisir, et à
comprendre quoi que ce soit de stable dans la durée. C'est
pourquoi ils se rabattent sur l'étude de l'espace. Le continent
est gigantesque et ne se laisse pas conquérir autrement que dans
la défaite du compétiteur ( Voir Eliot, 10). Nous en avons
l'évocation dans l'oeuvre de Waugh, lorsqu'il décrit les
éléments de la nature en Ethiopie lors de ses tournées de
reconnaissance et surtout lorsqu'il fait le constat de la

480
disposition écologique des différents habitants, de la
différence entre la Somalie britannique et la Somalie française
(RP, p.74; p.109-110; 128-129). L'attention accordée à l'espace
fournit des repères grâce auxquels le Britannique cherchera à
surmonter la détresse de l'égarement chez Conrad, Waugh, Blixen
ou Cary. Mais cet espace reste indomptable, comme le temps qui
révèle l'impossibilité de la durée. Le temps du pionnier est
donc statique ou régréssif, dans la mesure où il revient
constamment à son point de départ, surtout en temps de crises.
Sur le plan économique, pour le britannique, la terre était
signe de prestige, de richesse et de grandeur. C'est ainsi que
l'agriculture africaine a enrichi le reste du monde, par son
inclusion dans l'économie de marché faite de produits
d'exportation (Voir Brett; Wolff, Il). Les colons sont à la
recherche d'une destination, et d'une compréhension du monde.
Or, ce sens est quelque part dans la conscience britannique des
voyageurs qu'ils sont. Il est incarné dans des livres et des
oeuvres, Shakespeare, Defoe, Bunyan, Swift, Byron, Dickens,
Maugham ou autres, tant il est troublant de constater que la
situation coloniale en Afrique peut se comprendre comme l'envers
du "contrat social" de Rousseau.
1 -
1 - 1 - Temps dynamique indigène
En Afrique,
lorsque vient la nuit,
c'est un univers qui se
termine et qui sera peut-être celui d'un lendemain. En Afrique,
l'âme et
l'espace se mêlent.
Ainsi,
les
natifs
sont mystifiés
par la magie du sorcier Blanc. De par ses actions et sa maîtrise

481
d'une
techné pl us
efficace,
le
colon
réalise
ce qui
relève du
miracle.
Cependant,
les natifs s'interrogent sur ces gens qui se
donnent
inutilement
tant
de
mal
pour
satisfaire
à
des
besoins
individuels.
Ils se disent que tout ce que eux-mêmes vivent ou
tout ce qui leur arrive est la manifestation de la volonté d'un
Dieu.
Et
partant de
la
conviction
que
nul
ne
peut
se dresser
contre
la
volonté
de
ce
Dieu,
ils
suivent
le
mouvement
du
pionnier en attendant d'en connaître la suite.
Or,
la suite de
cette
mystification
est
la
concussion
et
l'invention
de
lois
unilatérales,
c'est
à
dire
des
codes
injustifiables
pour
repousser les Africains au bout du monde, voire les rayer de la
carte, si leur force ne peut servir à ménager celle du colon. Le
texte
nous
revèle
à
propos
de
cet
ensemble
de
règles
obligatoires que:
«
The natives cannot, according to the law, themselves buy
any land, and there was another farm that l knew of, big
enough to take them on as squatters.»
(p. 318-319)
Ce
commandement
imposé
ne
semble
répondre
à
aucun
autre
impératif
que
la
préservation
d'une
race
au
détriment
de
l'autre,
malgré
la
bienveillance
du
départ,
inspirée
par
un
désir de mettre de l'ordre dans ce chaos. Ainsi,
les autochtones
sont non seulement dépouillés de leurs biens,
mais en plus ils
n'ont aucun pouvoir pour les racheter, si bien qu'ils ne peuvent
trouver un asile permanent.
Pourtant,
la
terre
est
liée à
une
histoire, à une vie, à une culture.
En
effet,
la
mystique
du
respect

à
la
terre
est
une
conséquence du
lien
entre
les
vivants,
les
morts,
et ceux qui
vont naître ( Voir Tempels, 12). C'est là que sont ensevelis les
ancêtres c'est là que réside l'âme du clan,
et c'est encore là
que
les
perspectives
de
bonne
santé
des
générations
futures
doivent
être
envisagées.
La
terre
reste
donc
un
élément

482
important
pour
toutes
les
communautés.
D'un
point
de
vue
africain,
elle
est
une
divinité
correlée
à
l'agriculture
et
à
l'enterrement des
ancêtres.
Or,
pour
le voyageur,
elle
exprime
le
pouvoir
et
la
souveraineté
devant
le
chantier
qu'il
pourra
ouvrir grâce à l'Indirect Rule ( Voir Robinson & Gallagher, 13).
Si
pour
les
colons,
elle
signifie
un
réservoir
de
ressources
économiques, pour les autochtones elle est Tout.
La
terre
est
toute
une histoire,
l ' histoire des
Africains
et celle de leur lignée.
Et chaque endroit est la mémoire d'un
peuple.
C'est
ce qui
nous
permet de
comprendre l'interrogation
des
indigènes
dans
Out
Of
Africa
lorsqu'ils
ont
appris
qu'ils
devaient déguerpir de la ferme,
ou plutôt de ce qui en restait.
Blixen constate que:
«
They did not blame me for it, for that was talked out
between us; they asked me where they were to go.»
(p.
318)
s'ils quittent ces lieux,
ils laissent derrière eux quelque
chose, une partie importante d'eux-mêmes.
Ils seront des enfants
sevrés
de
leur
mère,
car
ils
abandonnent
leurs
racines,
le
cordon
ombilical,
la
sève de
la
culture d'un
peuple,
son· être
profond.
Même
si
l'occasion
leur
était
donnée
de
rebâtir
ensemble, Ailleurs,
ils seront étrangers aux yeux de tous.
C'est
pour amoindrir cette aliénation qu'ils restent groupés,
en tant
que
noyau
culturel,
une
cornnununauté
de
destin,
qui
fonctionne
sur la base du phénomène de
l'ethnicité.
C'est pourquoi,
notre
observatrice nous signale que:
«
l was surprised that they should be so determined to
stay together, for on the farm they had found i t difficult
ta keep peace, and had never had much goad ta say of one
another. still, here they aIl came, the big swaggering
cattle-owners like Kathegu ... l
felt that they were not
only asking me for a place to live on, but that they were
demanding their existence of me.».(p.319)

483
c'est surtout dans le besoin,
face à la menace allogène que
se resserrent les liens ethniques,
par affection ou par intérêt
à se défendre au nom de la communauté. Mais dans ces conditions,
déplacer une nation,
c'est la couper de ses ressources,
car son
histoire
est
à
transplanter
dans
cet
ailleurs,
et
elle
perdra
donc
sa
source.
Autrement
dit
cette
action
est
un
génocide
culturel,
bureaucratique
en
raison
des
conceptions
planifiées
ailleurs et appliquées aux réalités de
ce peuple.
La
situation
des
indigènes
fait
écho
au
cas
des
Amérindiens,
depuis
leur
découverte par Colomb jusqu'à la politique de préservation mise
en
place
par
le
gouvernement
Reagan,
à
la
suite
de
la
protestation
violente
des
premiers
habitants
américains
contre
leur
extermination
socio-économique,
leur
identité
reniée,
en
voie de destruction au nom de l'invention de pays et de colonies
de peuplement,
par le côté nihilisé de
leurs
Histoires.
Ainsi,
les
indigènes
-
en
particulier
les Masai,
nomades
de
culture,
sYmbolisent le thème dynamique d'une la marche interminable pour
tenter de récupérer ce qui est perdu:
«
The Masai when they were removed from their old country,
north of the railway line, to the present Masai Reserve,
took with them the names of their hills, plains, and
riversi and gave them to the hills, plains, and rivers in
the new country. It is a bewildering thing to a traveller.
The Masai were carrying their cut roots with them as a
medecine, and were trying, in exile, to keep their past by
a formula.»
( OOA, p.
319).
Il
s'agissait de
tuer
le
sauvage
pour
sauver
l'homme,
et
comme tous deux sont l'envers et l'endroit de la même médaille,
cela
résulte
un
holocauste,
dans
lequel
les
sauvages
n'auront
aucune opportunité de mener leur vie comme ils l'entendent.
Ils
continueront
donc
à
se
chercher
dans
cette
vie
nouvelle
vers
laquelle on
les pousse.
Dans
la déroute
et
la
panique de
leur

484
disparition,
il ne leur reste qu'une force intérieure,
celle de
la tradition orale, l'histoire et la mémoire d'une nation.
La mémoire orale sera le seul point d'attache qui les unira
encore
à
un
passé,
soumis
à
la
limite
des
hommes,
à
leurs
facul tés
de
conserver
et
de
remplacer
leurs
sentiments,
leurs
connaissances
antérieurement
acquis.
Or,
ces
procédés
mnémotechniques
les
illustrent
comme
des
êtres
qui
n'ont
pas
encore quitté la nuit des temps,
dans leur recherche de ce qui
leur est plus cher au monde:
leur dignité.
Pour eux,
le voyage
n'a pas de fini
alors ils se déplacent avec tout ce qu'ils ont
de matériel et d'immatériel partout où ils vont,
en se passant
le flambeau de père en fils:
leur temps.
Cet aspect continu de
leur
lutte
pour
retrouver
leurs
racines
confère
au
temps
indigène un côté dynamique,
symbolisé par le thème de la marche
vers
une
frontière
touj ours
transitoire.
La
reconnaissance des
lieux est suivie d'une présentation du paysage,
décrit avec un
lyrisme
qui
peut
s'expliquer
par
l'état
de
sensibilité

se
trouve
le
héros.
C'est
son
âme
romantique
qui
se
pose
sur
le
paysage.
1 -
1 - 2 - Prise de conscience du temps
La
reconnaissance des
lieux est d'une prise de conscience
du temps.
Aussi,
le
temps
s'impose par
exemple à
Kayerts dans
l'attente
du
bâteau
ravitailleur.
s'il
semble
immuable
c'est
parce que dans An outpost Of
Progress les pionniers ne peuvent
pas
sortir
du
cadre
du
campement,
des
limites
britanniques.
Quant à
Blixen cette horloge qui
règle sa vie sociale,
est le
signe du nouveau qui attire et fait rôder les enfants indigènes
autour de sa cuisine:

485
«
... the children had a real love and enthusiiasm for
civilization; to them i t held no dangers at all, for they
could leave i t again whenever they liked. The central
symbol ot i t was a German cuchoo-clock that hung in the
dining-room .... From the position of the sun, they judged
accurately when the moment for the midday call was due, and
by a quarter to twelve l could see them approaching the
house from all sides ... »
( OOA, p. 49).
Mais
puisque
l'appropriation
du
temps
ne
peut
être
que
collective, ce temps s'imposera à Johnson qui a voulu abandonner
les
siens
et
qui
n'a
pu
traverser
la
rivière
du
pouvoir.
Ce
temps
moderne
se
manifeste
dans
l'oeuvre
de
Waugh
par
les
nombreux telexet par l'annonce de l'intrânisation de Sélassié.
Et surtout,
comme à Blixen,
elle s'impose dans The Flame Trees
Of
Thika,
par
la
guerre
de
1914-1918,
mais
en
plus
par
l'expectative
de
retourner
un
jour
en
Afrique
TFTT,
p.288).
Ainsi, après l'émotion,
le protagoniste s'adresse à lui-même, et
à
ce qui
avait trait à
son avenir:
c'est l'aboutissement d'une
crise émotionnelle qui a permis au héros de passer de l'attente
incertaine
à
la
certitude
d'une
existence
enfin
justifiée.
Ainsi, de An Outpost Of Progess à The Flame Trees Of Thika, i l y
a
une
forme
de
religiosité
par
rapport
à
la
terre,
à
la
géographie
et
à
ses
représentations.
Mais,
la
terre
dans
ces
oeuvres
est
stérile.
Quand
elle
ne
l'est
pas,
ses
fruits
ne
mûrissent
pas
assez
ou
finissent
par
pourrir
avant
que
le
producteur ne soit prêt à les cueillir. C'est ce que l'auteur de
Out of Africa nous signifie lorsqu'elle dit que:
«
The Masai when they were moved from their old country
... Now my squatters were clinging to one another from the
same instinct of preservation . . . . Then they could still,
for sorne years, talk of the geography and the history of
the farm, and what one had forgotten the other would
remember. As i t was, they were feeling the shame of
extinction falling on them.»
(p.319-320).
Qu'est-ce qui reste à un homme dont on a déshabillé l'âme?

486
Ainsi,
ce type d'actions
remet
le processus de civilisation en
cause.
Vue
sous l'angle du déplacement des populations locales,
repoussées
chaque
jour davantage vers des
confinements de plus
en plus restreints,
la civilisation ne semble pas se distinguer
de
la
loi
de
la
jungle,

la
raison
du
plus
fort
est
la
meilleure.
Nous pouvons
constater que
la
loi
du
nombre
ne pas
ç.
toujours jouer,
car s'il en était ainsi,
les indigènes seraient
les vainqueurs.
Mais étant donné les circonstances,
ils se sont
laissés
dépasser
par
la
force
des
choses,
et
se
retrouvent
condamnés à les subir.
Ce
qui
a
commencé
comme
un
processus
d'évolution
intellectuelle
et
industrielle,
se
révèlait
en
fait
être
une
volonté
d'éradication
du
primitif
et
de
sa
différence.
Les
délocalisations
étaient
des
reniements
et
des
ignorances
de
leurs
histoires,
de
leurs
valeurs
religieuses,
politiques,
économiques et sociales.
Les organisations sociales et politiques indigènes,
semble-
t-il,
ne
laissaient
pas
saisir
de
formes
institutionnelles
reconnaissables et reconnues,
à
cause des différences tribales.
Mais
comme l'écrivain
en
parle,
c'est qu'il
doit
en
avoir
une
expérience.
Mais
par
rapport
à
quoi
les
comprend-il?
Peut-il
prétendre être impartial ?
Nous aurons du mal à
le croire, puisque dans tous les cas,
il se posera un problème de signification, de destinateur et de
destinataire, quelle que soit l'information. Nous sommes donc en
présence de deux cultures, de deux systèmes qui s'affrontent:
la
communauté indigène et les civilisateurs.
Or en réalité,
un des
membres
civilisateurs,
le
capitalisme,
échappe
à
la
fois
au
contrôle de l'administration,
de l'évangélisation mais aussi au
suj et
local.
C'est
ce
qui
apparaît
dans
les
propos
tenus
par
Blixen
la
narratrice
et
dans
ses
tentatives
pour
modifier

487
l'ordre
infernal
des
choses
à
l ' endroi t
des
natifs.
Elle
nous
certifie que
«
with this began for me a long pilgrimage, or beggar's
journey which took up my last months in Africa.»(p.
320).
Mais le sort a voulu que Blixen elle-même en soit réduite à
la mendicité,
dans
un dernier
sursaut d'espoir
pour
le bonheur
de
la
communauté
autochtone.
Mais
confrontée
au
pouvoir
de
l'argent
elle
se
heurte
à
l'inefficacité
de
l'administration
britannique. Au contraire,
c'est l'administration qui s'attribue
ce pouvoir.
Le
défilé de
nouveaux
représentants
coloniaux,
qui
font tout pour sauver
leur propre
image,
est assez éloquent en
ce sens. Nous lisons que:
«
The government officials were patient and obliging
people. The difficulties in the matter were not of their
making: i t was really a problem to find,
in the Kikuyu
Reserve, an unoccupied stretch of lland big enough to take
in the full number of the people and their cattle.
Most officials had been in the country for a long
time, and knew the Natives well. They would only vaguely
suggest the resource of making the Kikuyu sell out their
stock ... > > (p.
320).
Ainsi,
les représentants du pouvoir ne sont-ils pas maîtres
de
la
situation
et
de
l'évolution
des
choses
en
Afrique.
Le
système
lui,
a
inventé
des
maladies
qui
ne
connaissent
aucun
remède,
et qui finissent par les hanter au même titre que leurs
malades
reconnus,
les
autochtones.
Pour
s'en
abriter,
ils
suggèrent aux indigènes de liquider leur bétail, un autre relent
de
leurs
traditions.
Mais,
que
serait
un
soldat
au
front,
désarmé et incertain ?
Ce soldat, c'est le Masai ou le Kikuyu que Blixen aurait pu
être
et
dont
la
vie
se
révèle
être
un
dépouillement
éternel.
Après avoir été délogé,
il se retrouve privé de tous ses biens.
Or,
ces
biens
font
partie
d'un
système
économique
certes,

488
sophistiqué,
mais
très
fragile.
Il
se manifeste dans
le
troc,
qui commande à son tour un
jeu de communications et de partages
entre l'agriculture,
l'élévage,
la chasse,
la cueillette et les
cérémonies
socio-religieuses.
Mais
ce
type
d'organisation
leur
permet
de
produire
les
biens
dont
ils
ont
besoin,
et
qui
s'évaluent
très
souvent
en
têtes
de
bétail.
C'est
pour
cette
raison que le troupeau est très important dans la vie indigène.
Tous n'ont pas le même rapport à la terre,
et dans l'oeuvre
des
écrivains britanniques
ce
sont
les
sociétés d'accumulation
d'hommes
indigènes
qui
semblent
triompher
des
sociétés
d'accumulation
de
biens
européennes.
Le
malentendu
est
que
d'un
point de
vue
indigène,
la
terre
ne
leur
appartient
pas.
Elle
est
un
don
de
Dieu,
une
créature
de
Dieu
au
même titre
qu'eux-mêmes
et que
les autres.
Ils
l'ont
trouvée
là,
et s'en
iront
sans
elle.
Aussi,
ils
ne
comprennent
pas
que
le
Blanc
veuille
transformer
ce
qui
est
infini,
ce
qu'il
ne
peut
pas
soulever
et
emporter
avec
lui,
et
qu'il
ne
peut
utiliser
que
momentanément pendant son passage sur terre.
N'est-ce pas pour
cela
que
la
route
de
Blixen
s'est
heurtée
à
une
montagne
infranchissable
? N'est-ce pas pour cette raison que
le voyage
ou la quête de l'artiste, de l'agent des communications Kayerts,
et du cavalier Carlier,
aboutit à une impasse mortelle? N'est-
ce pas le produit déformé d'une réalité que seuls les artistes
connaissent ?
Conrad dans
An Outpost
Of
Progress
traverse
une
sorte
de
somnanbulisme
tout
comme
Waugh
dans
Remote
People,
alors
que
Blixen, tout comme Huxley semble être dans un état médiumnique.
Mais
il
ne
s'agit
plus
seulement
d'une
mystification
de
l'Afrique.
Placés devant des
situations,
des
interrogations
en
apparence
insolubles,
ils
sont
tous
prêts
à
admettre
le
surnaturel plutôt qu'à modifier leurs méthodes de connaissance,

489
leurs cultures en s'enfermant dans une logique du vraisemblable.
Cary,
et
dans
une
certaine
mesure
Waugh,
Huxley,
et
Blixen
auront pressenti la voie, mais ils n'auront pas pu surmonter le
long
passé
narcissique,
et
se
seront
arrêtés
au
seuil
de
la
découverte
et de
la rencontre culturelle.
Nous
pouvons
trouver
dans
les
titres
de
leurs
oeuvres
un
autre
élément
d'interprétation.
Par exemple Huxley sous-titre The Flame Trees
Of
Thika
par
"An
African
Childhood",
Waugh
ajoute
à
Remote
People,
"A Report from Ethiopia and British Africa,
1930-31". Le
caractère
finaliste
de
ce
procédé
est
patent,
et
des
rapprochements
s'imposent involontairement.
Mais ce parcours de
l'interprétation doit-il toujours aller du charnel au spirituel?
Quel est le destinateur de ces oeuvres?

490
2 - Le mythe et l'Afrique
Puisqu'il
s'agit
de
construire,
leur
discours
est
comparable
à
l'invention
d'un
continent.
Cet
univers
pourrait
être
l'Afrique.
Mais
il
pourrait
être aussi
ailleurs.
Il
peut
être dû aux hasards des temps qui
l'aurait provoqué et motivé,
puisque des oeuvres de ce type se veulent des formes de partages
possibles,
universelles.
Donc les oeuvres montrent la rencontre
de deux modes de pensée, de deux vies, et surtout, la façon dont
l'esprit
humain
appréhende
ou
apprivoise
son
environnement.
Pourtant,
le système social colonial,
la rhétorique du pouvoir,
n'autorisent
que des
vases
clos,
fermés
sur
eux-mêmes.
Ils
ne
permettent donc aucune contre-proposition,
et aucun dialogue ne
peut s'instaurer.
Le piège est que chaque système de valeurs a
une tendance
spontanée à
se croire unique,
comme l'ont montré ethnologues et
anthropologues,à
travers
le
phénomène
de
l'ethnicité
et
des
frontières.
Chaque
système
établit
des
différenciations,
des
assimilations,
et des classifications selon l'intérêt en
jeu au
niveau des divers groupes sociaux.
La situation coloniale permet
ainsi
aux Britanniques de
juger barbares et
naïfs
ceux qui
ne
s'exprimaient
pas
comme
eux:
les
indigènes
et
leurs
dérivés,
fruits
de
métissage
ou
d'indigénisation.
Grands
marins,
conquérants
au
tempérament
dynamique,
les
Britanniques
ont
su
s'imposer
à
un
monde
d'outre-mer
qui
ne
semblait
pas
être
accaparé
par
l'exploration
du
monde
au-delà
de
son
quotidien
immédiat,
et qui
n'avait aucune connaissance de l'usage,
de ce

491
que
les
Britanniques
tenaient
pour
des
richesses.
Les
illustrations abondent en ce sens,
mais nous ne retiendrons que
ce passage où
Blixen
compare
l'indigène à
un
animal
sauvage à
aborder avec beaucoup de tact dans OOA (p.25).
Cette
comparaison,
en
dépit
de
sa
connotation
raciste,
exprime
pourtant
d'autres
valeurs
qui
visent
à
abattre
les
ruines
encombrantes,
à
combattre
les
opinions
fossiles,
trop
anciennes pour qu'on en
saisisse les
raisons d'être,
mais trop
solides
pour
être
négligées
dans
une
époque
de
panique
et
d'insécurité.
Le
malentendu
se
joue
sur des
considérations
spirituelles
et
des
valorisations
matérielles,
et
par
la
participation
passive,
donc
encourageante
des
autochtones:
les
dominateurs
s'égarent.
Comme ni
les
Britanniques ni
les Africains
n'ont pu
qui tter
leurs
remparts,
les
uns
convaincus
et
déterminés
dans
leur action,
les autres moqueurs et curieux, de voir où cela les
conduirait
de
jouer
le
jeu
du
langage
de
la
"civilisation".
Ainsi,
tous
furent
pris
à
leur
propre
jeu,
les
Africains,
émerveillés par le pouvoir enivrés par la magie du Blanc et ces
derniers,
médusés
par
la
complaisance
des
Noirs.
C'est
une
question
de
langage,
autant
que
de
pouvoir.
L'ordre
mondial,
l'ordre du capital
exigent
une
relation de maître et de
suj et
entre
les
hommes.
Voir
Mitterrant;
Pateman,
14)
si
les
Africains n'en disposent pas,
les pionniers non plus ne peuvent
exercer
continuellement
ce
droit.
Or,
la
Grande
Bretagne
a
souvent présumé de ses forces en s'appuyant sur son insularité,
sa différence.
Mais puisque chaque étranger est l'étranger d'un
autre, ces indigènes n'ont-ils pas des valeurs qui puissent être
retenues,
plutôt que d'en
être dépossédés?
Comment
s'en
rendre
compte si on les écrase au lieu de les écouter?

492
Les rapports entre l'Afrique et la Grande Bretagne ont été
corrompus par
l'empire
néfaste de
l'élément destructeur.
Si la
mission de civilisation conserve par certains aspects un certain
charme,
dans son ensemble elle ne convient plus,
en raison des
paradoxes qu'elle met
au grand
jour.
Par
exemple,
sur
le plan
individuel et socio-politique, elle confisque la liberté; sur le
plan
économique
elle
crée
une
situation
de
commerce
avec
des
hommes qui n'ont pas d'argent et qui serviront de main d'oeuvre
malgré eux.
En le disant,
les écrivains
luttent contre l'ordre
établi entre les êtres et les choses,
qui abonde en défauts.
Il
manque quelque chose, qu'il faut trouver et ajouter pour adapter
le réel au vrai. Or, ce quelque chose c'est le dialogue des deux
moitiés:
l'âme et la conscience pour ce qui est de l'individu,
mais
surtout
l'Européen
et
l'Africain
pour
ce
qui
est
des
cul tures
(
Voir
Senghor,
15).
La
Grande
Bretagne
ne
peut
pas
assumer tous ces rôles.
Ainsi,
les
écrivains
britanniques,
en
donnant
dans
ces
oeuvres,
une place d'interlocuteur à
l'indigène,
tentent-ils de
décider
quelle
disposition
il
est
convenable
d'adopter
par
rapport à l'ordre passé pour en proposer un nouveau, pour situer
les
responsabilités,
et
repartir
sur de
nouvelles
bases.
C'est
un des devoirs de l'artiste, de l'écrivain,
que de reconstruire
et restaurer un ensemble organisé pour de nouveaux usages.
C'est
ainsi dans que OOA (p.251) l'auteur fait ainsi pendant plusieurs
pages le bilan, des stéréotypes des évaluations et des jugements
trop hâtifs sur les Africains.
Il en est de même de RP de Waugh,
qui place les africains en situation de catadioptres,
pour nous
permettre
de
suivre
le
colon
dans
ses
mouvements
ponctués,
accentués d'images et de représentations de l'autochtone,
avant
de
crever
la
situation
Voir
la
lecture
de
Remote
People).
Ainsi,
l'indigène
sert-il
de
contraste
aux
tableaux
que
les

493
écrivains
peignent.
c'est
aussi
bien
le
cas
de
Conrad,
qui
d'ailleurs s'est servi des Africains comme figurants et porteurs
de
rôles
secondaires,
pour
placer
le
proj ecteur
au-dessus
du
plus
profond
de
l'intimité
des
deux
agents
Blancs
de
la
compagnie
marchande,
Kayerts
et
Carlier,
pour
fixer
les
stigmates d'un système culturel britannique et de son action, de
ses agents, produits et conservateurs de ce même système.
Le
caractère chancelant de l'exportation des
traditions de
ce
système
industriel,
tient
à
leur
maladroite
application
inconditionnelle.
C'est ainsi que Rudbeck,
par exemple,
devient
sceptique quant au bien-fondé de la réalisation de la route dont
il
a
la charge dans Mister Johnson,
et que Kayerts
et
Carlier
succombent à
la fièvre de l'ivoire dans AOP.
Les écrivains ont
ainsi
repris
la
confiance
qu'ils
avaient
accordée
de
façon
irréfléchie
à
toutes
sortes
de
tiers,
respectés
pour
leur
pouvoir
plus
que
pour
leur
réel
savoir:
l'aristocratie
et
le
clergé britanniques,
véritables
tenants du pouvoir,
que
l'on a
surnommés
l'Establishment
( Voir Gurvitch;
Devolvé;
Comte,
note
). Aussi,
les littérateurs cherchent-ils à substituer au rapport
de
domination
maître!
esclave,
un
relation
pédagogique
entre
savants
et
foules.
C'est
ce
qui
expliquerait
le
comportement
paternaliste envers ses "my people",
"my natives", et la passion
illimitée de Blixen pour ce pays, qui l'a pourtant tant meurtrie
et plongée dans un malaise si profond.
Pour ces hommes de lettres, il ne s'agit pas de transmettre
ce qu'ils savent,
mais d'acquérir quelque chose de nouveau.
Et
ce
faisant,
ils
aboutissent
à
un
relativisme
qui
leur
fait
prendre conscience que l'homme libre qui hérite d'une suprématie
tant
proclamée
ne
vit
pas
de
la
même
façon
que
celui
qui
se
retrouve dans un régime de protectorat, ou sur le même mode que
le colonisé.
Il y a un rapport de forces réelles ou imaginaires,

494
de
présomptions
qui
rendent
la
situation
injouable.
Ceci,
d'autant
plus
que
pour
jouer
il
faut
être
deux.
Donc,
la
modernité est purement esthétique.
C'est dans ce sens que Ortega
a pu dire que:
«
We want the novelist to linger and to grant us good long
looks at his personages, their being, and their environment
till, we have had our fill and feel that they are close
friends with whom we know thoroughly in aIl the wealth of
their lives ... The essence of the (modern) novel lies ... in
the personages' pure living, in their being and bei~g thus,
above aIl, in the ensuing milieu.»
( Voir Ortega,
).
De la même façon Williams nous affirme que
la tradition
"
has continually to be renewed,
recreated,
defended and modified"
(
Voir
Williams;
Vernon;
Eagleton;
17).
Finalement,
sous
le
voile d'une indulgence humoristique,
les
écrivains britanniques
nous indiquent qu'ils ont conservé leurs valeurs britanniques ou
occidentales,
en
dépi t
de
l ' esprit
de
fragmentation
des
écrivains
qui
mettent
leurs
héros
en
échec
sur
la
scène
africaine.
C'est
cet
état de
choses
que
figure
la
représentation
du
chef
indigène Kinanjui
dans
OOA,
oeuvre dans
laquelle
l'auteur
est
tant
convaincu
de
la
supériorité
de
la
civilisation
occidentale et de la plupart de ses valeurs, qu'elle étend cette
conviction à la manifestation de l'hospitalité et aux visites du
chef nommé:
«
Naked he was like an animal when you have cut from i t
the trophy, for the sake of which you have killed
i t .... Chief Kinanjui had arrived. He had come in his own
car, which he had the day before bought from the American
Consul, and he did not want to get out of i t t i l l l had
seen him in it.(
)
immovable as an idol ( ... ) an
impressive figure(
). And an elephant, finally,
like
Kinanjui, would have a head of the greatest nobility if he
did not look so clever.».
( p. 129-130).

495
Blixen
nous
montre
Kinanjui
sceptique
face
à
sa
propre
religion, puisque certains de ses enfants seront convertis (OOA,
p.
287),
mais
il
refuse
le
christianisme
pour
des
raisons
sociales
et
politiques
comme
il
apparaît
le
jour
de
son
inhumation (OOA, p. 292).
Kinanjui
est
peut-être
persuadé
que
le
christianisme
pourrait apporter la destruction du tissu social Kikuyu:
«
My houseboys and squatters, when they had news of his
arrival, came and grouped themselves there, and entertained
him with the happenings on the farm, the whole company
forming a sort of political club under the tall tree.( ... ).
But when he talked freely and openly, for my private ear,
he showed much originality of mind, and a rich, daring,
imaginative spirit;»
( p. 127-128).
C'est ainsi que nous
lisons avec
réserve que Kinanj ui est
si
attiré
par
la
civilisation
britannique
symbolisée
par
une
voiture
d'occasion,
qui
lui
permettrait
de
s'identifier
au
pionnier.
En
cela,
Kinanjui
est
une
exception
parmi
les
autochtones;
non pas parce qu'il
est chef mais,
parce que lors
de
leur
rencontre,
la
narratrice
en
est
arrivée
à
réaliser
à
quel point il est clairvoyant bien qu'il ne s'habille que d'une
simple
peau
de
bête.
C'est
peut-être
pourquoi
Blixen
semble
incapable d'étendre ce constat à toute la communauté indigène en
tant
qu'entité.
Certes,
elle
regrette
les
changements
qui
ont
pris
place
depuis
l'implantation
des
pionniers
au
sein
des
Kikuyu
pour
le
pire
imposition
de
chefs,
justice
de
désintégration du DC à
la place de la
justice coutumière,
sans
parler de dépossession de terres,
ou des
impôts de capitation.
Mais Blixen n'en attribue pas la faute au contact britannique, à
sa propre présence, puisque dans ses jugements, elle semble être
au dessus de
tout
reproche.
Si
Blixen
semble
se préoccuper de
fixer
l'histoire
passée,
c'est
parce
qu'elle
trouve
que
son
expérience est en soi intéressante et mérite d'être communiquée.

496
Et elle sait qu'un public même limité,
sera au
rendez-vous du
partage de cet intérêt
(Voir FitzGerald,
18). Mais l'opinion de
Blixen
nous
montre
qu'elle
a
cessé
de
croire,
pour
pouvoir
éval uer,
mesurer,
et
connaître.
Nous
pouvons
admettre
que
son
point de vue,
son oeuvre soit une métaphore de l'Afrique,
même
si elle est souvent
synonyme de
la perversion de
sa vision du
monde.
C'est à partir de leur expérience,
leur propre passé que
les écrivains britanniques jugeront de ce qu'il y a de bon ou de
mauvais outre-mer,
de ce qui est mis à
l'épreuve de la réalité
des faits et des hommes.
Et c'est cela l'acte fondateur même de
leur modernité.
Mais cela ne veut pas dire qu'ils proposent un
ordre
tout
à
fait
nouveau.
C'est
sous
cet
angle
que
Gindin
soutient
qu'après
la
guerre
"
many
young
wri ters
have
been
attempting to return to a traditional 19th century theme" ( Voir
Gindin, 19).
Bien
que
Blixen
critique
le
système
qui
sévit
sur
son
entourage et sur elle-même, elle n'a pourtant pas renoncé à s'en
servir quand les temps
lui souriaient.
Et comme par hasard,
ce
sont
dans
ses
moments
de
désolation,
d'aigreur,
qu'elle
se
rapproche ou cherche le regard complice des autochtones.
De même,
Huxley,
de son abri secret d'enfance,
ne fait que
le témoignage,
la description de la situation telle qu'elle lui
parvient dans
son
retranchement,
car
elle
est
trop
jeune
pour
comprendre le monde des adultes,
semble-t-il,
à moins que ce ne
soit une tentative de sa part pour s'en échapper,
puisque c'est
quand même l'adulte qui réécrit son enfance.
Nous
remarquerons
que
si
les
écrivains
que
nous
avons
évoqués parlant de l'Afrique sont modernes,
c'est parce que la
simple
souffrance
doit
être
au
maximum
exclue
de
leurs
situations
et
de
leurs
systèmes
de
représentations.
Dans
sa
reflexion
l ' écrivain
ne
cherche
pas
la
gloire,
mais
la
juste

497
mesure,
préférant renoncer à
son
rôle de héraut ,
produit d'une
cul ture à
laquelle il
est étranger,
et dans
laquelle il
ne se
retrouve pas.
L'écrivain est dans la situation du schizophrène,
où les deux parties de son être se brisent, se combattent, et ne
lui permettent pas de se reconnaître dans ses actes. Le familier
lui
devient
étrange,
et
l'étrange
lui
devient
familier.
En
somme,
en
s'inspirant de
l'Utopia
de Moore,
au delà de cette
situation,
c'est l'état de "dystopie" comme le dirait McDonald.
Oeuvre
de
fiction,
elle
est
donc
imaginaire,
car
elle
fait
surgir un Nulle part
( Voir McDonald,
20).
Ce qui veut dire que
la littérature autorise une action sur les choses,
en inventant
les
images et les mots qui
collent à
la
réalité,
en
refaisant
l'ordre
du
monde.
Leurs
systèmes
de
représentations,
leurs
narrations
ne
peuvent
être
élaborés
qu'au
travers
d'une
ressemblance
à
quelque
chose
de
réel
et
de
véritable,
conformément à leurs situations. Cette considération nous ramène
au problème de la littérature et de la réalité posé par Todorov
( Voir Todorov,
21).
Ainsi,
le premier mot dans chaque oeuvre,
dans
chaque
roman,
impliquait-il
la
possession
entière
de
la
possibilité de
parler d'une
réalité qui
échappait
à
la
langue
anglaise.
Les peintres,
même lorsqu'ils s'attèlent avec le plus
d'artifice à
dessiner des
scénographies,
des
tableaux,
par des
formes
bizarres
et
extraordinaires,
ne
peuvent
toutefois
pas
leur attribuer des
formes
et une nature entièrement nouvelles.
Il
faut
que
les
éléments,
les
couleurs
avec
lesquels
ils
composent
soient
véritables,
qu'ils
soient
reconnus.
C'est
ce
qui explique le paradoxe du modernisme; à savoir qu'en tout cas,
il
reste
tributaire,
prisonnier
du
matériau,
de
l'état
des
choses qu'il aspire à ordonner.

498
2 -
1 -
La divinisation de l'artiste
Puisqu'ils
sont
désenchantés
par
le
présent
du
monde,
et
ppuisqu'ils
se
sont
accrochés
à
un
passé
aux acquis
infondés,
Conrad,
Huxley
et
leurs
compagnons
s'enferment
dans
des
bavardages exutoires qui leur font perdre le sens du réel: celui
de la modernité.
Les
écrivains
sont
condamnés
à
cette
position
extrême,
peut-être par hyperesthésie pour une créativité trop à
l'étroit
dans ce que leur offrent les modèles des prédécesseurs.
Mais ce
simulacre leur permet d'épancher leur déraison. Ainsi,
en lisant
AOP nous
nous demandons qui de Kayerts
ou de
Carlier
(AOP,
p.
76)
est le vrai mort.
Autrement dit,
rien n'est impossible dans
ce contexte,
car
les
songes
nous
poussent
à
nous défier de
la
véri té,
du
concret,
et
nous
font
éprouver
un
malin
plaisir
à
nous
égarer.
C'est
de
cette
façon
que
Blixen
cherche
à
nous
faire
croire
que
la
lune
lui
parle
(OOA,
p.
322)
ou
que
les
lions sont en quelque sorte l'incarnation de sa propre personne
et
de
Denys
Berkeley
(OOA.,p.
308).
Il
en
est
de
même de
la
si tuation
de
Johnson
qui
invoque
les
déités,
en
accomplissant
son ex-voto bien avant l'exaucement de son secret désir secret.
A
partir
de
cet
instant
la
fable
devient
mathématique,
et
l'allégorie,
une vérité partagée puisqu'elle met en fonction un
même ordre, et un moyen d'accéder à cet ordre,
en établissant le
lien clair qui va de la matière à l'idée. Ce n'est par hasard si
Conrad utilise le mot de "fetish"
(AOP, p.
61) pour qualifier le
dépôt
de
défenses
d'éléphant,
en
référence
à
un
lieu
de
recueillement.
C'est
pourquoi
la
metaphore
signifie
transposi tion,
c'est
à
dire
un
ordre et
une
mesure.
Autrement

499
dit,
elle
compare
les
chaînes
signifiantes,
en
cherchant
la
nature commune qui ne se trouve pas dans
les deux objets d'une
manière
identique,
mais
selon
certains
rapports
ou
autres
proportions qui
l'enveloppent.
Ainsi,
la
nouvelle et
le roman,
en
flirtant
avec
la
poésie,
sont
les
langues
parfaites
qUl
cherchent à établir la vérité indiscutable sur l'histoire ou les
histoires
de
vie.
La
métaphore
rend
la
découverte
possible,
puisqu'elle
consiste
avant
tout
à
ramener
des
proportions
à
égalité, et qu'elle fait comprendre en quoi la substance et les
idées
correspondent
entre
elles.
Partant,
les
oeuvres
littéraires en intégrant des valeurs indigènes,
sont à
tous les
niveaux des
anagrammes
parfaites,
aussi
bien dans
le
fond
que
dans la forme, dans une perspective multiculturelle.
c'est ainsi
par
exemple,
qu'en
parlant
de
leurs
situations,
de
leurs
passions,. Blixen
et
Huxley
mettent
en
place
des
compassions
entre
les
hommes,
grâce
à
leurs
langues,
en
distribuant
les
choses selon des chaînes de sens,
qui finissent par composer un
monde
excellent,
un
monde
de
partages
possibles.
Ce
monde
devient un univers vernaculaire.
Nous
proclamons
leur
nouveauté,
en
ce
sens
qu'elles
semblent
dénoncer
la
mythification,
et
même
l'invention
de
l'Afrique.
Or
ces
oeuvres
en
elles-mêmes
sont
des
expériences
individuellles, des perceptions subjectives; donc elles sont des
inventions et des mythifications
( Voir Mirevale,
22).
En dépit
des situations nouvelles,
et de la variété de narrations,
elles
sont
bâties
sur
les
ruines
d'un
passé
centrifuge.
Aussi,
la
nouveauté
consiste
dans
le
fait
qu'elle
ne
compare
plus
seulement
avec
les
yeux,
comme
le
feraient
les
écrivains
de
l'âge
d'exploration,
mais
en
plus,
elle
cultive
aussi
la
clairvoyance
des
autres
sens.
C'est
pourquoi,
forts
de
leurs
convictions,
ou
de
leur
aveuglement,
les
initiateurs,
croient

500
accéder à un univers surréel, qui en fait les esclaves de leurs
passions,
des
passions
qui
agissent
sur
eux,
jouent
de
leur
plaisir et de leur peine,
comme dans la situation de de Blixen.
Par exemple Blixen,
la narratrice de OOA y devient l'objet sur
lequel les forces extérieures, qu'elle ne maîtrise pas, viennent
imprimer
leur
poids.
En croyant
agir
sur
l'Afrique,
c'est
sur
Blixen
elle-même
que
cette
dernière
agit.
Comme
les
autres
héros,
ces puissances obscures
lui
font
réaliser
l'éphémère en
Afrique.
Mais
dans
le
mythe,
la
narration
ne
cesse
d'agir
positivement
sur
l'ordre
des
choses,
les
métaphores,
les
schemata
ou
les
paradoxes,
pour
produire
des
représentations
incontestables de l'Afrique,
en vue de
lui conférer un
sens où
Dieu et l'homme se rencontreraient et se comprendraient
( Voir
soyinka,
23).
Ainsi
le
désir
de
modernité
tend-il
vers
une
divinisation
de
l'artiste.
Mais
sa
pensée
doi t
demeurer
consciente
de
ses
limites,
car
l'intelligence
qui
aspire
à
l'infini,
s'égare
comme
les
esprits
malsains
ou
ignorants
de
AOP,
de
MJ et
même OOA.
C'est
pourquoi
par
exemple
Cary
non
assuré de pouvoir gérer entièrement un hybride,
fait de Johnson,
qui
se déplace
en direction
de
l'autel
du
sacrifice,
comme la
mouche
effrontée
qui
suit
le
cadavre
dans
sa
tombe.
Johnson
devient
ainsi
un
personnage
sacrificiel.
C'est
pourquoi
aussi
Blixen procède par approximation,
par impressionisme,
grâce aux
métaphores.
Ce qui a pour effet de nous dessiner un labyrinthe
dans lequel elle tâtonne, tourne en rond pour chercher la sortie
out
Of
Africa.
C'est
ce
qui
justifie
les
répétitions,
la
description détaillée des choses et des êtres.
Cary
représente
les
enjeux
sociaux,
politiques
et
économiques, qui rendent les colonisés perplexes. Cependant, son
point
de
di vergence
avec
Waugh
réside
dans
le
fait
que
le
second
prétend
faire
de
l'histoire
vérifiable,
tandis
que
le

501
premier certifie l'invention pure et simple de son histoire. Vu
sous cet angle,
Cary se rapproche de conrad, qui a su fabriquer
de toutes pièces,
unrécit de vie applicable à n'importe quel
contexte
( Voir Darras,
24),
comme l'avait fait Swift avec son
pays imaginaire Lilliputien, un siècle plus tôt.
Huxley elle, a cette qualité originale du style de contes
et de fables,
pour amuser et instruire à la fois.
Elle y reste
fidèle dans son texte de mémoires.
Huxley rapporte les paroles,
les histoires qui lui ont été narrées, pour nous laisser le soin
de faire les inférences. C'est comme un regard naïf qui raconte
ce qui se passe autour de lui tout en détails.
Ainsi le style,
par
sa
précision
rend
la
personnalité
des
écrivains
reconnaissable.
De ce point de vue les oeuvres de Conrad et de
Cary sont assez exemplaires en tant que textes de fiction.
Ils
se résolvent dans
la mort.
De plus,
la dernière page indique
que la mort des héros est constatée par des personnages-tiers.
Cary et Conrad font mourir ces personnages parce qu'il n'y avait
pas
d'autre
issue
pour
Johnson,
pour
Kayerts
et
Car lier .
Les
auteurs ne pouvaient aller plus loin au risque de se repéter.
Cary
ne
pouvai t
sauver
Johnson,
tandis
que
Conrad,
puisqu'il
écrit
une
nouvelle,
est
contraint
par
les
circonstances,
et
surtout
par
son
sujet
à
caractère
philosophique.
C'est à ce titre si le lecteur le voulait,
que
la dernière page pourrait tout aussi bien être la première.
Oeuvres de fiction certes, mais c'est là que se jouent les
comparaisons, même si certains peuvent objecter que la nouvelle
est un
petit
roman,
et un
roman,
une
longue nouvelle.
Voir
Abrams, 25)
L'autre fait
remarquable qui unit Cary et Conrad,
auteurs
de
fiction,
est
qu'ils
subissent
leur
oeuvre
pour
une
trop
grande
part,
dès
l'instant

ils
éprouvent
le
désir

502
d'introspection
et qu'ils
veulent
travailler
en artisan,
pour
ne pas se perdre ou se décourager devant leur vocation: c'est-à-
dire
désespérer
des
mots,
pour
nous
offrir
des
oeuvres
sans
liberté
excessive
et
sans
romantisme
lyrique,
et
sans
narcissisme,
puisque
ni
Johnson,
ni
Kayerts
ou
Carlier
ne
les
intéressent
autant
que
ce
monde
qui
leur
permet
de
vivre
et
d'être
dépeints.
C'est
ainsi
que
les
textes
qui
représentent
l'Afrique,
sont des
reflets
de
leurs
auteurs. Les
géographies,
situations, temps et lieux qui sont représentés dans ces oeuvres
donnent des
réponses
aux questions
que
les
gens
en déroute
se
posent,
et
que
le
pourquoi
obsède.
A
ces
appréhensions,
l'écriture offre la meilleure des réponses et le refuge le plus
sûr. Mais pourquoi?
2 -
2 -
L'écriture: une survie
Pour
faire
la
part
des
choses
entre
écrire
et
vivre,
et
décrire le monde pour pouvoir y
survivre.
Bien que les oeuvres
soient en elles-mêmes des ponts en dessous de la réalité,
il ne
s'agit
pas
pour
les
auteurs
britanniques
de
verser
dans
la
passivité, mais de créer une actualité qui décrispe la vision du
monde, de rendre les obstacles franchissables et de dépasser les
embarras de la vie.
Ce sont ces images qui ont poussé plus d'un
écrivain à aller vivre selon ses rêves. Mais c'est l'imagination
de ces écrivains qui a tissé le texte,
en leur faisant dessiner
de mémoire ce qui est effacé
( Voir Crawford,
26).
C'est ainsi
que plutôt que de
fuir
dans
l'exode,
ils ont décidé de partir
simplement,
sachant
regarder
et
se
souvenir,
c'est
à
dire
posséder
un
lieu.
Partant,
c'est
l'écrivain
qui
imagine
les
dangers,
les spectres pour nous lecteurs, qui participons à ses
propres expériences. Bien qu'ils décrivent leur désarroi face à

503
une tradition qui ne les sécurise plus, la langue dans laquelle
ils reviennent s'exprimer - la langue anglaise - témoigne encore
d'un équilibre et d'une sérénité possibles.
En
effet,
puisqu'ils
vivent
souvent
les
drames
et
les
tragédies
les
plus
terribles,
les
écrivains
semblent
insensibles,
alors
que
c'est
l'écriture
qui
leur
permet
de
conserver
leur
équilibre,
en
offrant
des
lieux
magiques,
inaccessibles
aux
perturbations,
sources
d'enrichissements.
c'est dans cette optique que Gurr a pu écrire que:
«
Distance lends perspective though not enchantment to the
exile ... To be out of the country about which one is
writing seems to be a vital pre-requisite for poise in many
writers beside Joyce and Mansfield.
The use of memory as the basis for the finest kinds of
the creativity is one of the strongest features which the
exiled writers have in common. To recognise this offers a
useful corrective to the sentimental view which has them
like squirrels, hoarding childhood memories like nuts for
the long win ter of exile. The creation of a human identity
through the recreation of an image 9f home is anything but
a sentimental act.»
( voir Gurr, 2 )
Ainsi,
les
écrivains
étrangers
en
Grande
Bretagne,
en
Europe
et déçus par
l'Afrique
recherchent-ils
continuellement
un lieu géographique qu'ils pourraient appeler "chez eux" Mais
c'est
en
définitive
dans
la
langue
anglaise
qu'ils
trouvent
cette vraie demeure,
et qu'ils passent leur vie à
explorer cet
héritage incomparable où tout est reconduit.
Pour cela, il faut
que la mémoire soit leur alliée. Il s'agit de leur vérité, comme
le
pensaient
les
Grecs
pour
qui,
"dire
bien
revient
à
dire
juste"
( voir Heidegger,
28).
Mais tout se passe comme si les
écrivains
artistes
ne
pouvaient
pas
accéder
réellement
à
la
dimension historique,
et
jamais aussi peu que dans
les propos
des historiens.
En effet, les historiens, comme les poètes ou les critiques
littéraires, peuvent avoir à répondre à cet impératif moderniste

504
du "Innovez
!".
C'est dans cette optique que Martin Gray nous
enseigne que
«
Fiction, while the feigner of it knows that he is
feigning, partakes, more than we suspect, of the nature of
the lying; and has ever, in sorne degree, unsatisfactory
character. AlI Mythologies were once Philosophies; were
believed. ( ... )
with the regard to the differences between historical
writing and fictional writing, Carlyle's method of
narration acts as a sharp divider: fictional masks,
detached and distanced from their inventor are a sine qua
non of aIl dramatic writing, and a cornrnon means of prose
narration; invented sources are equally part of the
apparatus of imaginative prose, and though the reader may
be tricked, this only demonstrates the mistaken gullibility
of the reader, and does not dislodge the claims that may be
made for the fiction as to the overall meaning and truth.
However, for the historian, the cancealed invention of
sources or mouthpieces is anathema and discovered
inventions wo~~d be perceived as misdemeanours. ( ... »>
( Voir Gray,
).
Dans
ces
conditions,
l'écrivain
devient
un
mythologue,
puisque
ce
qui
n'est
pas
historique
serait
un
mythe
ou
un
fanstasme, deux genres qui proposent pourtant des actions et des
évènements en marge de la vie de tous les
jours.
Le mythe par
rapport
à
l'histoire,
nous
offre
des
époques
et
des
êtres
vivants dont nous parlons à
l'infini,
en nous
servant de leur
existence pour éclairer la nôtre.
Leurs actions et leurs dires
nous
permettent
de
sortir
des
limites
de
la
culture
en
nous
offrant des
repères,
des points d'appui.
Donc,
c'est du
passé
que les écrivains britanniques tirent leurs héros, parce qu'ils
leur donnent une idée du désordre dans lequel ils se débattent
eux-mêmes personnellement.
Ils
veulent
pouvoir
être
rassurés,
et
c'est
pourquoi
ils
rejettent
le
conditionnel
qui
régit
l'histoire dans le vécu de périodes exceptionnelles, de moments
essentiels,
qui
finissent
par
devenir
des
mythes,
peuplés
de
héros ( Voir starobinski; Roy, 30). C'est une manière de réviser

505
l 'histoire grâce à
la
réappropriation de
l'allégorie de voyage
dans l'enfer et au purgatoire de l'histoire coloniaux.
Le
colonialisme a
imposé ses
codes
de
reconnaissance,
ses
structures culturelles et métaphysiques, et ses institutions sur
l'esthétique
de
l'espace
colonial.
C'est
ce
qui
a
permis
à
Stephen Slemon d'affirmer que:
«
Allegory proceeds from identification between things and
depends upon an act of reading that recognizes events and
characters to be analoguous with specifie poi~rs of
reference in a master code.»
( Voir Slemon,
)
Le mythe correspond à
de
la
fiction,
en
ce sens que tous
deux,
cherchent à mettre à
égalité des figures,
des personnages
et
leurs
actions,
dans
le
sérieux
ou
dans
la
parodie
du
quotidien
(
Voir
la
définition de
Northrop,
;32).
Mais
ce qui
est
remarquable,
c'est
le
tâtonnement
du
mythe
dans
son
existence
et
dans
sa
vitalité,
en
tant
qu'il
s'oppose
à
la
mimique du fait.
Contrairement
aux
faits
historiques
enregistrés,
en
apparence
définitifs,
mais
plutôt
partiels
et
souvent
unilatéraux,
le
mythe
est
essentiellement
dynamique.
Il
s'extirpe du fait
passé et porte à
la
lumière
le monde obscur
que les hommes vivent dans leur existence refoulée.
Dans
le
mythe,
la
curiosité
sans
cesse
en
éveil,
est
d'autant plus vive qu'elle cherche à contenter,
par la quête de
régions
ignorées,
le
besoin
de
savoir
et
la
croyance
au
merveilleux. On veut s'imaginer que le mystère est partout sous-
jacent.
C'est
ce
qui
explique
le
fait
que
les
écrivains
britanniques tels que Waugh,
éprouve par exemple le désir de
rendre
l'Afrique
singulière.
(RP,
p. 41).
C'est
pourquoi
aussi,
il
descend plus
en
profondeur dans
le pays.
Aussi,
il
y
a
un

506
grossissement,
et une exagération des
proportions,
tels que
le
héros
devient
un
être
minime,
aux
forces
insignifiantes.
Pourtant tout cela vise à le mettre en relief,
à le grandir même
dans la défaite,
et à faire de son expérience un mythe plein de
sens,
de repères pour notre existence.
Dans ce processus,
étant
donné
que
les
littérateurs
se
heurtent
continuellement
à
l'incompréhension
et
à
l'hostilité,
deux
choix
leur
sont
offert: soit ils dépensent leur énergie à se battre contre leur
situation de malaise,
soit ils se retranchent dans leur monde
privé
pour
19norer
leur
environnement.
Mais
l'Europe
vit
précisément une crise qui touche l'Afrique,
par rebondissements,
justement au moment où elle pouvait croire que son colonialisme
était l'amorce d'une victoire de la lumière sur l'obscurité,
de
la
civilisation
sur
la
barbarie.
Aussi
la
guerre
et
les
rivalités
impérialistes
renient-elles
ces
valorisations
comme
nous le suggère cette confession de Huxley:
«
After the end of the First World War, my parents
returned to Thika to find everything run down and in
disarray. They re-established and extended the coffee
plantation, refurbished house and garden and started anew
with money borrowed from the bank. Then came an economic
slump which forced them to sell up in order to repay the
overdraft ... »
(TFTT, p.8).
puisque la crise est omniprésente,
nous comprenons donc que
le désarroi qui
suivit fut
choquant pour des mentalités et des
sensibilités
qui
y
étaient mal
préparées.
C'est
la
débâcle
en
amont et en aval pour ces voyageurs qui ont qualifié
l'Afrique
de nouveau monde pour se donner le courage de s'y expatrier.
Or
cet
exode
était
simplement
un
mouvement
vers
nulle
part,
ailleurs
qu'en
Grande
Bretagne puisque
l'Afrique
n'était qu'un
mot.
Et
ce
mot
était
une
conquête,
une
possession
pour
les
écrivains britanniques,
pour créer le sens d'un territoire pour
y
vivre.
Ils
devinrent
conquérants
pour
avoir
été
obligés
de

S07
créer du neuf. Mais il reste que cette conquête de l'Afrique est
un mythe.
C'est ainsi que Huxley et Blixen qui traitent du même
pays et du même temps ont un sens radicalement différent de ce
lieu et de ce temps.
Cette situation confirme la thèse du lieu
de
Stephen
Gray
qui
écrit
à
propos
de
la
littérature
sud
africaine que:
«
In summary, l feel that a sense of place today, has gone
far beyond the tourist view of things, and far beyond the
polemical emotionalism of founding texts. The sense of
place is no longer a geographical condition of
classificatory principle. It is located at the heart of a
writer's society, his or her class, and culture, and his or
her very being important only insofar as ~t relates to the
region before the whole.»
( Voir Gray, 3 ).
Finalement,
pui sque
la
soumission
de
l'Afrique
est
imaginaire,
le
roman
et
la
nouvelle
Voir
la
définition
de
Shlovski,
34)
sont
donc
des
moments
dépassés,
tant
que
la
volonté
des
écrivains
peut
disposer
d'assez
de
pouvoir
pour
mettre en forme et donner une cohérence à ce qui hante une bonne
part de leurs rêveries,
et qui ressemble à un destin tout tracé
ou à des fantasmes inconscients.
Mais
ce
monde
enchanté
qu'est
l'Afrique
offre
aux
ritanniques
l'occasion
de
renaître,
chacun
pour
soi
avec
d'innombrables
chances
TFTT,
p.28).
Autrement
dit,
en
débarquant,
ils
sont
chargés
de
construire
et
d'exploiter
l'intérieur des terres
(Mister Johnson,
p.Sl),
en
s'aventurant
dans un monde monstrueux
( Remote People,
p.S9i
p.8l),
hostile
à
l'homme
(Out
of
Africa,
P.4Si
Remote
People,
p.S7):
ils
veulent
réaliser
le
rêve
merveilleux
de
l'enfant
qui
veut
devenir adulte
sans
contrainte
(An
Outpost of
Progress,
p. 59) .
Pour
la
vie ou
pour
la
survie,
comme
Kayerts
et
Carlier,
les
immigrés
doivent
assumer
leur
responsabilité;
mais
ils
ne
se
détachent pas de leur regard naïf habitué
(AOP,
p.60).
C'est de

508

que
naît
le
mythe,
qui
fait
de
nous
des
spectateurs
ineffables . Nous avons beau savoir que la vie est un songe et
que
les
mots,
les
images
nous
mentent,
nous
ne
cessons
de
préférer
les
simulacres
aux
réalités
parfois
terribles.
Nous
savons bien que l'art d'imiter est loin du vrai, qu'il dépend du
cadrage de l'imitateur,
et qu'il ne nous offre que l'enveloppe
des
choses.
Mais,
toute organisation de savoir est un
système
symbo l i.que , un effet de représentation,
qui a pour vocation de
rendre l'univers moins énigmatique.
Alors comment pourrons-nous
mesurer l'inexactitude de la réalité? De même les réalismes ne
sont-ils pas loin d'être parfaits? Et des croyances, qu'en est-
il?
Ce que les littérateurs construisent nous permet d'aimer ou
de détester tel ou tel phénomène, tel goût ou telle couleur.
Nous condamnons ou plaignons par procuration des choses et des
hommes sans les avoir rencontrés, préférant les "pieux
mensonges", des dieux que sont les artistes. Le monde que
l'écriture représente dans sa précision est là pour qu'on en
parle. Les écrivains, et nous les spectateurs, nous nous
contentons de l'évoquer, puisqu'il nous démeure étranger. (Voir
Ricou, 35). Ainsi, le premier personnage essentiel est l'Afrique
ou les Afriques, dont personne, pas même les littérateurs, ne
connaît le "petit tas de secrets" ( Voir Malraux, 36). Ecrivains
et personnages constatent les limites de leur entendement du
monde et de leurs temps. Mais leur art les rend semblables à une
divinité. Ce que le personnage cherche ou trouve, c'est ce que
son initiateur fait en tant que divinité. Il s'agit d'éclairer
la route, comme ogun ( Voir Verger, 37) dans la mythologie
Yoruba ouvre le chemin dans la forêt, ou encore l'apprenti-
chauffeur qui court au devant de son véhicule. C'est aussi la
même motivation que celle de Okolo, cherchant le "ça", "It",

509
interne ou externe à l'individu, à la communauté, à l'existence,
tout comme le Professor cherche "The Word" , le mot, la parole,
leurs essences ou leurs pouvoirs, pour se situer à la génèse de
l'humanité, et se rapprocher des dieux ( Voir Okarai Soyinka,
38). C'est donc cette motivation qui donne à l'artiste, l'image
et la ressemblance à un dieu. Pourtant, l'imagination est un
modèle, une parodie de l'objet, dans laquelle toute la réalité
ou la perfection, est renfermée formellement et ne peut se
rencontrer que dans la représentation. Autrement dit, il n' y a
pas d'oeuvre britannique dont la modernité ne s'expliquerait pas
par le fait qu'elle interprète l'Afrique comme une écriture,
qu'elle transcrit grâce à son art. Est-ce pour autant que c'en
est fini des chimères, c'est à dire des ordres fantaisistes?
L'Afrique dans le regard britannique est un simulacre.
Elle est
la représentation figurée de quelque chose,
le fruit de l'art.
Ainsi
est-elle le produit d'une parole artificielle
et
libre,
dont
les
écrivains
ne
dévoilent
que
lentement
ce
qu'ils
en
savent,
ce qu'en apprennent leurs narrateurs.
Dans cette vision
lente, le temps est le principal révélateur.
De
la
sorte,
Waugh
nous
parle
du
lointain
et
de
ses
habi tants,
tandis
que
Conrad
fait
mention
d'une
chasse
à
la
frontière de l'inconnu. Huxley, elle, retourne sur ses pas pour
chercher
ce qui
est
éphemère,
les
fleurs
qu'elle
a
cru
voir
quelque part, tandis que Blixen parle de l'extérieur de sa boule
de cristal.
Cary,
lui,
nous retrace l'histoire d'un enfant qui
est tué par l'un de ses créateurs à
la frontière,
hybride des
deux créateurs complémentaires,
parce que l'auteur n' avai t
pas
d'autre solution pour venir à
bout du monstre de
Frankenstein
qu'il avait conduit aux portes de Méphistophélès. Dans tous les
cas, seule la mort paraissait salutaire.

510
si
ces
oeuvres
prennent
l'allure
de
crescendo
tragique,
c'est parce que les auteurs,
pionniers ou colons,
n'ont pas su
mettre fin à la discussion de savoir à quoi bon partir, si c'est
pour recréer ce que l'on a fui?
Dans
ces
conditions,
la
parole
exprime
une
force
de
domination, en dépit de la présence et de la puissance des dieux
dans
le
monde
et
dans
les
textes
panthéistes
des
écrivains
bri tanniques.
Dans
leurs
tentatives de
nomination,
ils
font
la
part belle aux émotions vagues.
Or,
il ne suffit pas de deviner
pour accéder à
l'essence des êtres.
Par exemple,
'Ngong',
'one
shot',
'shauri','bad hat',
'Thika',
'Kyama',
'Ngoma' ...
ces noms
que nous ignorons, évoquent-ils des sens spatio-temporels.
Il ne
s'agit
pas
tout
à
fait
d'un
ésotérisme,
comme
nous
serions
tentés de le croire,
dans
la figuration des pionniers,
et dans
l'expression des indigènes aussi bien chez Blixen
(OOA, p.
275;
p.
91)
que chez Huxley
(TFTT,p.
192;
p.
202;
p.
169).
Ce sont
des termes d'un savoir immémorial, hérité des traditions, et que
les
écrivains
britanniques
posséderaient
s'ils
savaient
se
montrer
plus
attentifs,
plus
curieux
d'intégrer
les
valeurs
autochtones.
C'est
ce
manque
d'attention
qui
justifie
l ' incapaci té
à
comprendre
cet
espace
africain,
plein
de
sens.
C'est encore cet handicap qui désespère les pionniers,
de même
que leurs porte-paroles.
Etant
donné
que
les
archétypes
sont
insuffisants
dans
l'explication
du
monde
de
l'autre,
le
désarroi
naî t
de
l'incapacité
à
reconnaître,
à
désigner
les
choses
et
les
phénomènes.
Alors,
tout s'enveloppe du voile noir de l'inconnu,
de
l'insaisissable
en
raison
de
la
distance
psycho-culturelle.
Dans
le recours au concept de noirceur pour évoquer
l'Afrique,
il ne s'agit pas toujours de métaphores.
(Voir Ducrot & Todorov,
39)

511
Ainsi,
si
Huxley décrit
ou
réécrit
ce qu'elle
voit,
sans
toujours jouer avec les significations,
il n'en est pas de même
des
adultes,
Waugh,
Blixen,
Cary
ou
Conrad,
qui
eux,
transportent
les
signifiés
d'un
système
à
l'autre,
aussi
bien
sur
le
plan
historique
(RP,
p.
23
& OOA,
p.
321)
que
social
(OOA,
p.
252;
p.
112)
ou
religieux
(AOP.,
p.
61)
et
(OOA,
p.
163).
Or,
ils
accordent
des
noms
aux
êtres
auxquels
ils
appartiennent
en
les
interprétant.
Ils
se
chargent
de
combler
notre
ignorance,
en
ajoutant
leur
intelligence
du
monde,
pour
nous
l'expliquer.
Ce
faisant,
ils
nous
rendent
étrangers
et
incongrus
dans
un
espace
que
nous
croyions
sentir
sous
nos
pieds.
Huxley,
par
tous
les
moyens
narratifs
qu'elle
se
donne,
tend à nous signifier qu'elle est à sa place, à l'aise dans les
lieux naturels de son enfance,
c'est à
dire non
encore tout à
fai t
ankylosée
par
la
civilisation
moderniste.
C' set
pourquoi
par exemple,
elle
ne
juge pas
nécéssaire
de
nous
traduire des
termes
tels que
"impi"
p.
39),
"shenzis"
(p.
82)
"borna"
ou
"manyatta"
(p.
202).
Elle
s'épanouit
tout
autant
dans
les
campagnes
les plus traditionnelles,
que dans
les
centres
semi-
urbanisés,
à
l'hôtel Norfolk ou sur les quais de la gare.
Peut-
être parce que l'enfant qu'elle est a la faculté de s'adapter à
tout.
Elle connaît trait pour
trait
les gestes
et
les
valeurs
qui ont cours dans les secrets des adultes, dont elle lit chaque
trait sur leur visage.
Elle n'est pas une touriste et vit comme
il faut,
en apprenant.
Elle n'a pas besoin de remettre en doute
ses acquis puisque de toute
façon
elle est encore en train de
s'ouvrir au monde.
Ses
savoirs
à
elle
sont dans des
vocables,
qUl
ne
sauraient
tromper
comme
les
opinions.
Elle
se
sent
partout
chez
elle;
et
ayant
l'intelligence
des
mots,
elle
y
conforme les comportements adéquats.

512
Ainsi,
en
plus
de
la
préface
de
son
livre,
Huxley
nous
livre-t-elle les détails de
sa vocation
littéraire,
en prenant
le
soin
de
la
situer
dans
un
contexte

la
connaissance
instinctive
de
l'Afrique
et
du
reste
du
monde
s'impose:
un
enfant qui découvre son monde.
Fille de parents écossais comme
nous
le font
croire certains
indices
(TFTT,
p.220i
p.
128),
à
aucun moment,
elle ne nous dit
elle-même sa
nationalité,
parce
qu'elle se sent native.
De ce fait,
les mots
lui
sont venus à
partir des choses elles-mêmes, de la nature, de leurs usages, et
des
êtres
vivants,
à
la
manière
de
Blixen,
en
dépit
de
leur
différence
d'âge.
L'Afrique
est
donc
le
lieu

le
pionnier
s'instruit,
mais aussi et surtout le lieu où il vérifie ce que
la nature a donné.
Ce constat peut s'appliquer aussi aux trois
autres
adultes
que
sont
Cary,
Conrad
et
Waugh,
que
le
métier
d'écrivain coupe de leur milieu, et rend interminable leur quête
qui
consiste
à
se
demander
comment
on
pourrait
afriquer
une
Afrique
de
mondanités
à
celle
des
paysages
étranges
et
aliénants.
Cela
en
raison
de
leur
désenchantement
face
à
un
continent
inaccessible,
géographiquement
inépuisable,
à
des
hommes
cosmopolites,
à
des
cultures
multiples,
et
variées,
souvent contradictoires.
c'est donc dire que c'est parce que ce
pays
est
énorme,
et
infini,
qu'il
désespère
des
hommes,
las,
avides
du
fini,
mais
qui
se
trouvent
inaptes
à
épuiser
la
substance de ses mystères.
Pourtant, pour se faire comprendre, les écrivains utilisent
un prétexte, une figure qui n'existe presque plus, comme nous le
signifient les livres eux-mêmes.
De plus, dans le cas de Blixen
dans out of Africa, il s'agit de déplorer la triste action de la
modernisation. C'est aussi le cas de Huxley dans The Flame Trees
of
Thika,
ou de Conrad dans
les mots
de Marlow dans
Heart of
Darkness. C'est dire que le regard sur le passé, l'interrogation

513
de
l'histoire
n'est
pas
tant
nostalgique
que
fondamentale.
Ce
regard intervient après l'action, ce qu'on peut palper, examiner
froidement.
De ce fait,
en lui logent les bases des savoirs que
l'on
peut
dire,
donc
incontestables
selon
l'orientation
du
temps,
puisque
tout
le
reste
manque
de
consistance
ou
de
fermeté,
car on ne peut pas vivre uniquement au présent,
et que
le futur n'est qu'un horizon.
En d'autres
termes,
on
s'oriente dans
le
temps,
comme on
s'oriente dans
l'espace.
Il
faut
trouver des
coordonnées.
Pour
trouver
ces
repères
en Afrique,
il
faut
qu'un
même sens
anime
les choses et les mots. Or l'Afrique est polychrome, polysémique
dans les livres des Britanniques.
Est-ce parce qu'ils n'ont pas
suivi
le
même
itinéraire
initiatique
vers
l'acquisition
du
savoir
ou
du
pouvoir?
Ne
se
pose-t-il
pas
une
question
de
déterminisme, ou de choix ?
Les
écrivains
britanniques
posent
dans
leurs
oeuvres
la
relation
entre
deux
types
de
discours.
Grâce
à
la
voix
des
narrateurs,
ils
tentent
de
rendre
quelque
chose
de
conventionnellement
littéraire
grâce
à
la
langue
anglaise,
et
par conséquent,
ils
soulèvent
la question de
l ' écri ture
sur
le
paysage.
Ils
représentent aussi
les
impulsions qui
soufflent à
l'artiste
ce
qu'il
doit
dire
sur
le
système
de
la
nature
contingente de son sujet. C'est la raison pour laquelle ce sujet
se nomme Peuples Lointains,
La
Ferme Africaine,
M. Johnson,
Un
avant-poste,
Les Arbres en Feu de Thika . . . . Ce sont des livres
qui expriment l'obsession des auteurs britanniques à comprendre
l'Afrique.
Mais
ils
se
trouvent
constamment
mis
en
échec
dans
leurs
tentatives
d'en
donner
une
représentation
exhaustive.
D'autant
plus
qu'ils
écrivent
à
partir
de
deux
situations,
coloniales
et
de
protectorat,
qui
sont
pourtant
une
seule
et
même chose:
la gestion du pouvoir.
Or
dans cette situation qui

514
est
la
leur,
il
n'y
a
aucune
base
ferme
pour
une
relation
durable entre femme et homme,
Blanc et Noir,
colon et colonisé,
entre l'art de conter et le livre,
l'auteur et le lecteur.
Les
oeuvres
ainsi
produites
correspondent
à
un
modèle
de
non-
consommation,
de non-fini.
En dépit de
la quête méticuleuse et
de la soif de comprendre, les reportages et autobiographies sont
elliptiques et incomplets.
Nous en arrivons à
cette impression,
d'abord,
en raison de
l'inadéquation palpable de la source du matériau -
la géographie
qui
nous
suggère
que
les
écrits
sont
des
constructions
partielles.
Ensuite,
l'Afrique
ne
pouvait
permettre
aux
narrateurs d'être des hommes impartiaux.
Ainsi,
si à priori,
le
narrateur
de
OOA,
RP ou
MJ,
ou
TFTT
et
AOP,
semble
par
son
caractère à
la limite de la santé,
il devient en fin de compte
la norme de l'équilibre, de la santé,
comparé à des personnages
comme Kayerts,
Knudsen,
Johnson
....
Dans
le rôle du biographe
ou du reporter conventionnels, le désir de plénitude est dans ce
contexte un idéal malsain.
Aussi,
l'itinéraire
de
tous
ces
textes
tend-il
vers
l'inachèvement.
L'insanité
commune
à
tous
les
écrivains
viendrai t
donc
de
leur
effort
à
capturer
les
réalités
insaisissables
d'un
monde
extérieur
en
mouvement
dans
leur
langage. Or, ce que le corps ne peut plus garder, c'est l'esprit
qui va
le
chercher:
un
monde
laissé en
friche.
c'est pourquoi
dans The Flame Trees of Thika,
l'adulte Huxley retourne sur les
recoins de l'enfance de Jocelyn à
la recherche d'une origine et
d'un
horizon.
Ce
regard
sur
le passé
ressemble à
un
fantasme,
car il comporte deux expériences ambivalentes. La première y est
pessimiste
et
se
rallie
à
une
raison
timorée,
tandis
que
la
seconde
est
plus
optimiste,
et
veut dépasser
toute
raison.
Ce
qui
veut
dire
que
le
fantasme
a
un
côté
mystique,
et
que
la

515
religion
y
reste
présente.
Mais
cette
religion
a
un
caractère
plus magique que spirituel.
Nous pourrons en dire autant de MJ,
de AOP, de OOA et de RP au regard de leurs histoires.
Dès
lors,
nous
pouvons
comprendre
la
tragédie
de
Johnson
dans Mister Johnson
(
p. 210)
qui
défie
la
puissance di vine
en
commandant sa propre mort à Dieu sans en préciser les modalités.
c'est
dans
cet
ordre
d'idées
que
Kayerts
et
Carlier
sacrifient
leurs
vies
au
fétiche
AOP,
p. 76)
"Sugar"
a
la
connotation de la cupidité et de la voracité des "profiteurs" -
qu'ils ont dérobé, au nez des maraudeurs de Luanda.
Par contre dans OOA (p.
278)
, il s'agit d'un châtiment, de
la punition d'une transgression de la loi divine.
En effet,
la
femme, symbole de vie, s'est posée en agent de mort.
De même,
pour avoir tué le python de la vie
(TFTT,
p.194),
Robin
devient
un
poisseux
légendaire
surnommé
"Bad
Hat",
en
raison de ses insuccès.
Seul semble échapper à
cette action des
Dieux, RP (p.61, p.62, p.63).
En
fait,
c'est
parce
qu'il
est
allé
à
la
découverte
de
Dieu.
Il
nous
suffit
de
nous
rappeler
le
parcours
jusqu'au
monastère
en
compagnie
du
professeur
américain,
leur
errance
dans
des
jeux
de
lumière
et
de
géographie.
De
même,
son
scepticisme
vis
à
vis
de
la
ferveur
des
moines,
est
une
manifestation de
son perfectionnisme.
Les vrais héros dans
ces
romans seraient-ils donc des dieux?
L'image de Dieu a perdu de son prestige comme on peut s'en
apercevoir chez Conrad,
chez Waugh,
et à
un degré moindre chez
Blixen.
Nous constaterons qu'il
n'y a
de Dieu que dans
l'ordre
et dans la disposition des choses créées et enchaînées,
et dont
l'inversion
ou
l ' usurpation
équivalent
à
des
écarts
tragiques.
Autrement
dit,
les
écrivains
britanniques
de
l'Afrique

516
s'opposeraient
donc
à
l'art
de
la
raison
qui
serait
l'art
classique. ( Voir Goethe, 40).
Il
nous
suffit
de
faire
une
corrélation
du
titre
de
la
nouvelle
de
Conrad,
An
Outpost
Of
Progress,
à
la
dernière
proposition de l'oeuvre,
pour nous heurter à
la question de la
raison et de l'absurdité.
Puisque Kayerts et Carlier rêvaient de
promotion
socio-économique,
il
nous
est
difficile
de
nous
satisfaire de l'explication du suicide de Kayerts par le remords
de sa privation de sucre, qui avait entrainé la mort de Carlier.
De même Out Of Africa.
nous place entre les deux univers de la
raison et de la folie.
Mais cette opposition procède du domaine
du
fantastique.
C'est le
fantastique.
C'est un monde
rationnel
menacé de désagrégation.
( Voir Todorov,
41).
Dans ce cas,
par
ses rigueurs de composition et de sobriété,
caractérisant l'art
classique,
An
Outpost
Of
Progress
de
Conrad,
devient
fantastique.
Le
fantastique
dans
cette
nouvelle,
signifie
une
irruption de désordre
-
le désir
du
sucre,
la
contestation de
l'autorité -
de troubles -
l'arrivée des Luandais;
la vente des
employés
indigènes
-
de
la
folie
-
les
crises
de
Kayerts;
le
directeur de la compagnie qui vient après la mort de Carlier et
le suicide de Kayerts - dans un univers était ordonné, serein et
rationnel.
C'est
pourquoi,
lorsque
dans
Remote
People,
nous
sommes de coeur avec le conteur,
le récit ne se dénoue pas dans
l'horreur,
mais en une douce contemplation mystique.
Donc si An
Outpost Of
Progress vire à
l'horreur c'est parce que Kayerts a
fait fausse route:
son destin qui refusait la raison le justifie
par l'absurde.
An Outpost of
Progress devient de ce fait
la narration et
la reflexion du destin suicidaire d'un homme à
la recherche de
la faute
impardonnable,
et qui découvre son obsession pour
les
abstractions
théologiques,
au
détriment
de
toute
attache

517
affective,
envers
ceux
qui
vivent
à
ses
côtés.
L'homme
s' aperçoi t
qu'il
a
commis
lui-même
ce
péché,
et
que
ce
péché
loge au fond de son propre coeur.
L'Afrique reste le cadre dans lequel se tissent les mots et
les images de la personnalité britannique,
du pionnier dans son
aventure.
Elle
se
profile
comme une
réalité
aussi
bien
qu'un
mythe. Elle se comprend comme les tragédies les plus classiques.
L'illusion du
nouveau
repose
sur
la
représentation
littéraire.
Sinon,
comme nous
l'avons vu
jusque-là,
l'idée essentielle qui
domine les portraits tracés dans
ces cinq textes
sur l'Afrique
est
l'existence
d'une
fatalité
qui
mene
le
héros
de
manière
violente
et
incontrôlable
vers
un
destin
d'échec,
de
désenchantement, de malheur, c'est à dire à la mort.
Cette
irascibilité
est
traduite
par
l'emploi
d'un
champ
lexical,
d'un
mouvement
impétueux
qui
domine
les
personnages
tels que Lettice, Blixen, Johnson, Robin et Waugh.
Elle apparaît
dans
la
représentation
des
ténêbres,
la
densité
des
bois,
la
désolation
du
paysage
brûlé
par
l'érosion
et
la
chaleur
intenable,
les
flammes
qui
descendent
de
la
colline
et
qui
lèchent
tout
sur
leur
passage.
Elle
est
aussi
dans
le
sang
bouillant
des
veines
agressives
des
indigènes
et
dans
leur
nourriture,
Masai
ou
Dorobo.
Dans
les
représentations
de
l'Afrique, tout se passe comme si les écrivains ne pouvaient pas
réellement
accéder
à
la
réalité,
tant
ils
nous
montrent
des
préférences.
Ils
passent
leur
temps
à
parcourir
une
région
Waugh
en
somalie,
en
Ouganda,
au
Congo,
en
Abyssinie
-
ou
un
évènement
la
sècheresse
au
Kenya;
les
justices
populaires;
l'état
d' espri t
de
Knudsen
chez
Blixen
en
se
plaçant
eux-
mêmes,
ou leurs héritiers au coeur même d'une épreuve qui
leur
permettra
de
s'affirmer.
C'est
ainsi
que
lorsque
la
narration
nous
décri t
l'ampleur
de
la
tâche
des
pionniers,
pour

518
s'installer,
le
courage
et
les
contraintes
que
cela
comporte,
dans
An outpost
Of
Progress,
c'est
l'image
de
demi -dieux
qui
nous
revient
d'eux,
puisqu'ils
doivent
tout
créer
(AOP,
p.59-
60.)
et
meubler
le
néant,
selon
la
volonté
de
puissance
de
Nietzsche.
Au delà du présent qui nous parle,
c'est une vérité
qui s'élabore et s'impose à nous, au delà de nos opinions et de
nos certitudes.
Ces individus nous fascinent parce qu'ils peuvent agir sur
le
cours
de
leur
monde,
et
parce
que
dans
ces
récits
ils
semblent savoir ce qu'ils font,
et où ils vont.
Mais ne s'agit-
il
pas
d'un
élan
masochiste
de
la
part
de
ces
artistes,
puisqu'il s'agit de décrire ce qui a été?
D'autre part,
ce sont ces héros qui
stimulent les
récits,
en particulier les récits de voyage,
et ils nous font
songer à
la
vérité
des
représentations.
Les
héros
deviennent
eux-mêmes
des
images qui vivent,
et qui
nous
atteignent par
les
récits,
qui
en
font
des
métaphores.
Ainsi,
nous
devenons
par
eux
les
contemporains
d'actions
passées
et
les
témoins
de
lointains
pays,
et
ce,
d'autant
plus
que
l'étranger
et
l'étrange
font
partie de notre vie,
et que nous sommes sans cesse à
la veille
de
partir
à
la quête d'une
terre
promise,
d'images
insolites,
voire
inédites.
Par
conséquent,
dans
notre
imaginaire,
la
représentation
occupe
la place d'une
photographie,
nous
séduit
avant même que nous
connaissions
les pensées
et
l'intelligence
des
s~jets.
La
réprésentation
se
donne
des
privilèges
inaliénables dans le mythe, transforme les êtres et les faits au
gré de la fantaisie par des moyens ectoplasmiques.
Mais elle ne
peut ignorer les humbles et les miséreux,
les ratés qui restent
vivants pour accroître un aspect pittoresque.
Aussi,
le trouble
qui couronne les clichés sur l'Afrique,
l'enferme dans un voile

(6
519
de
mystère,
met
en
place
un
mythe
sur
lequel
les
écrivains
fondent
leur
savoir,
en
raison
de
la
divination
qu'ils
entreprennent
pour
combler
leurs
ignorances.
Contraints
de
transpercer l'indistinct, ils tissent tout autour un langage qui
s'élabore peu à peu,
et qui leur fait découvrir des idées sur
eux-mêmes. Leur Afrique apparaît comme un intermédiaire entre le
monde où ils vivent et leurs désirs intimes.
En somme, grâce à
cette Afrique, les littéraires produisent des normes sociales et
fictives comme les définit Wolfgang qui nous dit:
«
Norms are social regulations, and when they are
transposed into the novel they are automatically deprived
of their pragmatic nature. They are set in a new context
which changes their function, insofar as they no longer act
as social regulations but as the subject of discussion
which, more often than not, ends in a questioning rather
~~an a confirmation of their validity.»( Voir Wolfgang,
) .
Les artistes adoptent ces normes ou les construisent pour
rendre
leurs
réalités
plus
tolérables.
Aussi,
si
nous
sommes
existentialistes,
nous
ne
saurons
rester
indifférents
à
l'évasion
de
Kayerts,
dont
l'insatisfaction
sensuelle
et
sentimentale,
se
transforme
en
insatisfaction
intellectuelle.
Face au réel déprimant, la navigation aventureuse ne lui procure
pas la paix de l'âme.
Aussi,
An
outpost
Of
Progress
devient-il
l'hallucination
d'un marin, une théorie d'images radieuses ou répugnantes autant
que
d'illuminations,
traduisant
les
hantises
de
la
vie
intérieure du matelot.
Kayerts à
la dérive,
c'est la pensée du
navigateur qui s'abandonne à ses rêveries, qui aspire au départ
vers l'inconnu. C'est aussi la conséquence de la griserie de la
délivrance
mêlée
de
regrets
et
de
craintes,
dans
un
monde
d'illusion
dont
l'auteur
de
de
la
nouvelle
a
conscience.
Atteinte
de
mélancolie,
l'oeuvre
de
Conrad
prend
une

520
signification
mystique.
L'histoire
de
Kayerts
est
vraie
puisqu' elle
peut
être
indépendante
des
lieux et
des
époques
{
Voir
Darras,
43
).
De ce
fait,
elle
se
distingue
du
mythe
de
Cary ou de Huxley,
de même qu'elle se différencie de la poésie
de Blixen.
Toutefois dans ces oeuvres britanniques, nous rencontrons
beaucoup d'images qui suggèrent l'enfer et la destruction. La
marche en avant, la persévérance du pionnier peuvent être
assimilées à une descente aux enfers, qu'il subit, victime d'une
force extérieure qui lui échappe, comme à un héros fatal.
Cette
fatalité est exprimée par un ensemble de formulations qui
traduisent sa passivité. Par exemple, les mots 'dark',
'blind',
'death' et leurs dérivés insistent sur l'incapacité du Blanc à
se diriger, ce qui accentue l'aveu de son ignorance. Tous
finissent par mettre la civilisation britannique au banc des
accusés, comme nous l'avons vu avec Blixen dans Out Of Africa.
Le constat qui s'impose est que les auteurs se préoccupent
des
insuffisances
et
des
limites
britanniques.
Alors,
ils
décident
d'attirer
la
vigilance
de
leurs
contemporains
sur
la
nécéssité d'innover,
donc de moderniser
( Voir Stephen Spencer,
44).
Leurs
recueils
expriment
une
opinion.
La
vie
quotidienne
les
met
au
contact
immédiat
d'une
réalité
sur
laquelle
elle
agit,
et qui pèse
sur elle.
Or,
l'expérience esthétique creuse
une distance entre le sujet et son objet
( Voir Rosen & Zerner,
45).
Mais
cette
distance
est
inévitable
dans
ce
processus
d'esthétisation,
en
s'appuyant
sur
le
"photoréalisme"
comme
modèle. (
Voir
Fredic
Jameson,
46).
La
participation
elle
est
plus
détachée.
Ce
qui
veut
dire
que
le
littérateur
est
à
mi-
chemin entre l'art et la mystification.
C'est au nom de ce principe que l'horreur ou le désespoir
esthétiques
procurent des
jouissances proches du
réel,
car
ils

521
se fondent sur la réalité la plus banale,
la plus quotidienne,
la plus solide pour mieux la désagréger et nous enrôler.
Aussi,
les
sentiments
sur
lesquels
jouent
les
écrits
sur
l'Afrique
sont~ils des sentiments esthétiquement négatifs: peur, horreur,
dégoût,
à
partir de
l'art qui
se
charge de
les
métamorphoser,
avec
pour
conséquence de
nous
donner
une
image
iconoclaste de
l'Afrique.
( Voir Dabydeen, 47).
Puisqu'il
ne
peut
affirmer
directement
la
nouveauté,
l'écrivain
va
la
rendre
métaphorique.
Dans
ce
procédé,
une
j uxtaposi tion de deux chaînes
signifiantes
conçues
sur un même
modèle. Leur place dans le système est équivalente ( Voir Ducrot
&
Todorov,
48).
Les
romanciers
britanniques
rusent
avec
eux-
mêmes,
la
rationalité
en
produisant
la
figure
Voir
Ducrot
&
Todorov,
49)
d'une
nouveauté
qui
est
touj ours
présente.
Mais
leurs productions s'écartent de la norme des
précurseurs de la
li ttérature
bri tannique
africaine.
En
un
mot,
par
leurs
témoignages,
ils disent sans vraiment l'exprimer,
leurs opinions
renouvelées
de
l'Afrique
et
surtout
d'eux-mêmes
face
à
l'Afrique,
pour
l'avenir,
c'est-à-dire
qu'il
nous
convient
de
décrypter
leurs
propos
et
leurs
romans.
Or,
ces
systèmes
de
représentation
proj ettent
le
tout
dont
ils
font
partie.
C'est
pourquoi des rapports divers s'instaurent entre le fragment,
les
tranches de vie,
les actions et les mondes que constituent les
récits.
Par exemple, An outpost of Progress nous donne la fin et le
début
comme
interchangeables.
Aussi
l'oeuvre
est-elle
métonYmique, car elle est ouverte aux deux extrémités.
Ouverture
et fragmentarité vont de pair, tout comme fermeture et clôture.
C'est
de
ce
point
de
vue
que
Blixen
tente
de
faire
l'ouverture de son roman en lui donnant un
caractère générique.
Or
la
fin
d'un
roman
n'est-elle
pas
vraisemblablement
fermée,

522
pour ne pas risquer de décevoir le lecteur, qui cherche le bout
du tunnel
derrière
l'infini
de
ces
pages?
De plus,
comment un
roman saurait-il être ouvert comme un pont,
alors qu'il suggère
une
impasse,
une
impossibilité à
communiquer,
à
communier dans
une situation qui l'interdit?
Dans tous les cas,
les oeuvres par leurs titres An outpost
Of
Progress,
Mister Johnson,
out Of
Africa,
Remote
People,
The
Flame Trees Of Thika,
en mentionnant des objets,
des évènements
ou des
hommes,
expriment
succinctement
ce
rapport
métonymique.
Dans
le
rapport
métonymique,
nous
reconstituons
le
tout
en
suppléant
les
actions
ou
les
circonstances
que
le
début
présuppose à titre d'antécédents, ou que la fin implique à titre
de
conséquences.
Aussi
les
rapports
entre
la
métaphore
et
la
synecdocte sont-ils difficiles
à
démêler.
Souvent
la partie se
rattache
analogiquement
au
tout.
Or
dans
quelle
mesure
des
lambeaux de vie remplaceraient toute une vie?
Il
faut dans la dimension temporelle,
faire
la part de la
partie représentante et du tout représenté.
Ce qui nous donnera
l'instant
ponctuel,
le
segment
temporel
formé
de
tranches
de
durée variable partant de quelques minutes à
plusieurs années,
la durée d'une vie, la durée historique à travers les siècles et
l'éternité.
Chacun
de
ces
éléments
peut
être
amené
à
se
superposer
ou
à
exprimer
analogiquement
les
autres.
Le
représentant
de
l'''instant''
peut
avoir
l'''éternité''
comme
représenté. Ainsi lorsque Blixen dialogue avec la nature animée,
dans Out Of Africa,
ou encore lorsque de Waugh fait au bar fait
un rapprochement entre les hommes qui sont tout près et ceux qui
sont au loin dans Remote People.
La dimension a-temporelle se révèle dans la ponctualité de
l'instant,
et
dans
la
perception
portée
au
degré
d ' acuité
le

523
plus extrême.
C'est ainsi par exemple que la contemplation des
oiseaux dans
le ciel,
par dessus
la
colline donne dans
out Of
Africa à
la narratrice un
sentiment d' éterni té personnelle.
La
métaphore spatiale est aussi proche de cet exemple,
où le héros
ou narrateur s'introspecte, et voit un monde plus vaste.
Pour
qu'un
évènement
ponctuel,
ou
un
segment
temporel
puissent
représenter
valablement
une
tranche
de
temps
plus
étendue,
il
est
utile
que
cette
dernière
appartienne
à
de
l'accompli.
Ce personnage sera donc toujours ce qu'il est et ce
qu'il
a
été.
C'est
alnSl,
par
exemple
que
les
textes
sont
ponctués d'anticipations, selon la situation et par rapport à la
vision
du
monde
de
l'écrivain.
Blixen
anticipe
sur
ce
qu'est
devenu
le
Kenya
en
raison
de
l'urbanisation
sauvage
(OOA,
p.
20),
tout comme Cary le fait de la fin de Johnson
(MJ,
p.
22).
On peut en dire presqu'autant de Conrad lorsqu'il nous présente
Makola sous les caractères du bourreau servant un dieu satanique
(AOP,
p.
57).
Et sur un autre plan,
Huxley et Waugh
utilisent
des prolepses soit pour augurer de la fin du jeune amoureux, de
la
compagne
de
l'officier
britannique
(TFTT,
p.
72;
p.
109),
soit
pour
annoncer
l'entrée
en
jeu
de
personnages
dans
le
déroulement
du
récit
comme
le
fait
Waugh
pour
le
personnage
américain
(RP,
p.
34).
Certes,
certains épisodes
sont clos
sur
eux-mêmes,
et le fil qui
les relie est celui qui parcort l'âme
de l'auteur.
Dans tous les cas,
que l'on connaisse ou que l'on
ne
soupçonne
pas
le
sens
final
de
ce
qui
est
écrit,
on
n'en
participe pas moins activement à
une stratégie de dévoilage du
sens:
l'Afrique
est
un
texte
pour
les
écrivains
britanniques.
Nous obtenons ainsi des récits de type itératif dans lesquels un
évènement singulier,
une situation particulière,
deviennent
les
types d'évènements ou de situations à venir.

524
Aussi,
la
li ttérature
bri tannique
montre
une
grande
prédilection
pour
ces
coups
de
sonde
dans
la
morne
existence
d'individus englués dans la routine,
comme Carlier et Kayerts.
Ces éclaircissements en font éclater le dérisoire. Ainsi, la vie
entière est-elle
figée,
et
comme
consumée,
avant
même d'avoir
été
vécue.
En même
temps,
les
écrits
de
l' Entre-deux-Guerres
dépeignent ainsi le fiasco de la Société des Nations, du geste
qui pourrait soustraire à la pétrification, ces soubresauts qui
jamais ne débouchent sur le passage à l'acte: c'est la débâcle,
la dépression et la panique.
C'est pourquoi au niveau des individus, ni Robin, ni ran ne
parviendront à s'arracher à leur existence étriquée. C'est la
vision plus compréhensive à laquelle nous aboutissons dans The
Flame Trees Of Thika, grâce au personnage clé qu'est l'enfant.
Partie d'une perception fragmentaire des choses, Huxley est
capable, au terme de son parcours initiatique, de nous la livrer
( Voir Tiffin; Wescott; 50). Ce qui ne l'empêche pas d'être
aussi créatrice que les adultes, Waugh, Conrad, Cary, ou Blixen.
Ce qui implique et signifie que sa capacité à créer consiste
dans ce que le regard rétrospectif croît discerner dans
"l'enfant", les théâtres d'opération de "l'adulte" qu'elle est
devenu. Pour conclure, les jeux sont faits dans le roman, et
l'avenir est programmé au présent.
Dans leurs livres les Britanniques entreprennent de donner
l'Afrique en spectacle, pour stimuler semble-t-il le mythe et la
rêverie, pour donner à chacun l'extase de l'inconnu. Les
écrivains racontent leurs aventures, en posant en permanence la
question de l'ego, de l'identité. Or ce faisant, ils sont amenés
à chercher le caractère unique de ce continent, à épuiser son
mystère. Mais l'acharnement dans la perfection empêchera la
réussite de la rencontre, et mettra en évidence le phénomène de

525
la distanciation que ne peut annuler la situation coloniale,
cette barrière placée entre les hommes. Donc il n'y a pas de
dialogue véritable possible, mais seulement des échecs, des
monologues. Il reste que cet autre - l'indigène, en l'occurence
- est un spectre pour le pionnier dont il est séparé par de
nombreux obstacles immédiats. contraints par les limites,
comment l'un peut être en accord avec l'autre? Comment deux
êtres peuvent-ils aimer dans ces conditions?
La
nouvelle
de
Conrad,
tout
comme
les
romans
de
Blixen,
Cary,
Huxley
et
Waugh,
tous
résultent
d'une
même
intention
littéraire
Voir
Zeraffa,
51).
Mais
cette
intention
implique
une
attention
à
son
obj et,
proche de
la
volonté
rationnaliste
(Voir
Jeffres,
52).
L' expression
littéraire
et
artistique
est
donc instauratrice autant que traductrice,
comme dirait Zeraffa
"
the
writer
is
observer
and
translator
of
reality"
(p.57).
L'écrivain
choisit
de
réaliser
un
hétérocosmisme,
qui
ne
convient
qu'à
demi
au
réaliste.
Peut-être
parce
que
le
monde
réaliste
est
sans
cesse
menacé
par
deux
domaines
voisins:
la
poésie
et
le
comique.
De
même,
la
nature
équivoque
du
genre
place le héros-victime à mi-chemin entre le réel et l'illusoire,
la relation historique et la libre création.
Les
productions
littéraires
sont
donc
les
produits
des
espaces particuliers dans lesquels ils ont été élaborés.
Ainsi,
chez
les
écrivains
britanniques,
l'Afrique
est-elle
omniprésente,
dans
les
mots,
leur
nécessaire
référent.
Mais
leurs
oeuvres
s'intéressent
à
la
non-création,
à
la
non-
invention et à
la non-dénomination des structures,
si bien que
les modes de perception habituels se dissipent pour préparer le
terrain
en
vue
d'une
rencontre
avec
le
monde
naturel,
dans
lequel
le
lecteur
assume
le
rôle
d'Adam,
la
source
de
tout

526
langage (Voir Génèse II, 53). Or pour parler de l'Afrique et en
revéler les réalités, il faut qu'elle soit traduisible, qu'ell~
ait un être exactement déchiffrable. Il faut donc être initié au
caractère secret de l'indice~ Or ce que nous avons pu observer à
propos
du
lyrisme
sur
le
paysage
de
la
ferme
africaine
de
Blixen,
ou
du
comptoir
perdu
au
milieu
de
nulle
part
chez
Conrad,
de
l' idyllisme de Huxley en passant par les intrigues
violentes et sanguinaires de palais chez Waugh, à l'absurdité de
la
mort
de
Johnson
dans
l'orbi te
du
pouvoir
traditionnel
et
moderne: c'est que chaque écrivain perçoit l'Afrique, mais ne la
reconnaî t
pas assez pour ce qu'elle est,
dans son mystère,
son
obscurité ou sa vérité qui circule dans tous les indices.
Les perspectives changent de l'Afrique de HOD à
l'Afrique
de l'entre-deux- guerres, à tel point qu'au sens le plus fort du
mot,
elle n'a
servi que de prétexte aux artistes
pour parler
d'eux-mêmes,
de
leur
conscience
posée
dans
une
région,
leur
terreur
ou
leur
enchantement
au
seuil
d'un
autre
monde
en
gestation. C'est ce qui a fait dire à Eliot que:
«
No generation is interested in Art in quite the same way
as any other; each generation like each individual, brings
to the contemplation of art its own categories of
appreciation, makes its own demands upon art, and has its
own uses for art. 'Pure' artistic appreciation is to my
thinking only an ideal, when not merely a figment, and must
be so long as the appreciation of art is an affair of
limited and transcient human beings existing in space and
time. Bg~h artist and audience are limited.».( Voir T.S.
Eliot,
)
C'est pour dire que les romans sont des moments de passage,
de crise et de malaise engendrés par l'épouvantail d'une guerre
non
encore
oubliée,
et
d'une
autre
qui
se
profile
déjà
à
l'horizon. Mais en se vantant de la mission qu'ils se sont vus
confiée, les protagonistes britanniques se sont projetés dans un
miroir
fantasmatique;
aussi,
puisqu'il
voyageait
imbu
de
son
passé, le britannique est toujours habité des mêmes délires, des

527
mêmes
frénésies
qu i,
obsèdaient
ses
prédécésseurs.
C'est
peut-
être
dans
ce
sens
que
O'Faolain
parle
de
"vanishing
hero",
c'est-à-dire
d'un
héros
hésitant,
tâtonnant,
frustré,
qui
finalement
ne
se
sent plus
socialement
intégré,
tout
comme le
héros du 1ge siècle.
Il se retrouve être une réceptivité isolée,
qui remonte le temps,
en mettant l'accent sur l ' individualisme,
la
désillusion
et
les
"states
of
mind"
dont
le
Groupe
de
Blomsbury
s ' était
fait
le
fervent
défenseur
Voir
0' Faolain,
55). A partir de cet instant,
l'Africain n'est plus seul à subir
le
conflit
lumière/nuit.
De
ce
fait,
l'écrivain
britannique
s'impose
de
trouver
un
équilibre
dans
une
aventure
sans
fin,
tout
en
se
refusant
toute attache.
C'est qu'un
monde
africain
ordonné ne saurait être une fin en soi, tout comme le vingtième
siècle ne pourrait être le but ultime d'idéaux humains.
Partant,
la
moralité
ou
la
révolte
à
laquelle
le
voyageur
aboutit,
incapable de se retrouver entre l'Afrique et ses guides,
prend
une valeur d'initiation physique et spirituelle,
en ce sens que
le
pays
lui
a
accordé
quelques
révélations.
c'est
dans
ces
conditions
que
son
dialogue
solitaire
avec
le
reste
de
l ' univers,
rend
les
récits
possibles.
Autrement
dit,
pour
ses
écrivains,
la
Grande
Bretagne
est
morte,
finie
tandis
que
l'Afrique est vivante, puisqu'elle offre des sensations uniques,
et
parce
qu'elle
est
libre
de
toute
Histoire
qui· puisse
l'expliquer
une
fois
pour
toutes.
En
tant
que
lecteurs,
nous
sommes
les
spectateurs
fascinés
d'hommes
lointains
dans
leur
lutte insensée contre un
"géant".
Ce qui veut dire que le mythe
demande
une
participation
affective.
C'est
une
situation
de
spectacle,
qui
est
aussi
éloigné
que
possible
de
celui
de
la
participation.
C'est
ainsi
que
le
destin
que
le
personnage
affronte donne naissance à la tragédie, alors que l'acceptation
sereine de la mort serait plutôt élégiaque.
Chaque objet, décor

528
ou personnage devient exemplaire et participe de l'universel, en
ce
sens
qu'il
fonctionne
comme
un
type
de
caractère
qui
nous
permet
d'anticiper
sur
sa
destinée.
Pour
les
uns,
ce
sera
la
fatalité,
la défaite, ou la mort, et pour les autres, ce sera la
prospérité,
l'opportunisme,
la
fortune
ou
l'amour.
Partant,
le
pionnier
britannique
en
Afrique
se
demande:
"Suis-je
moi?
Ne
suis-je plus moi?"
Il n'est plus seulement question pour lui de
tolérance
morale
vis
à
vis
d'une
fantaisie
onirique,
mais
d'existence personnelle. Dans le cas de Kayerts, par exemple,
il
s'agit
d'états
ambigüs
faits
d'unité
imparfaite
et
de
mul t.i.p l ici té,
donc de malaise
( Voir
l'étude de Levenson,
56).
Par exemple, le texte du An autpost af Progress nous dit:
«
Night came, and Kayerts ... He seemed to have broken
loose from himself. His old thoughts, convictions
false
and ridiculous ... He argued with himself about aIl
He,
Kayerts, was a thinking creature ... »
(p. 78-79)
Ainsi,
c'est lorsque le héros choisit d'exercer sa volonté
que
cette
volonté
compromise
lui
rapporte
sa
propre
négation.
Puis
"Then
he
tried
to
imagine
himself
dead,
... with
such
unexpected
success .. " (p.
79)..
Ainsi,
le
paradoxe
inhérent
au
personnage de Kayerts devient le thème central de cette oeuvre,
que
ce
soit
un
paradoxe psychologique
ou même universel.
Pour
Kayerts,
il est question de savoir si oui ou non quelque chose
s'est brisé
en
lui
et du même coup dans
le
monde,
si
quelque
maladie
mystérieuse
n'a
pas
frappé
le
cosmos
et
son
for
intérieur
Voir
Watts,
57).
Dans
les
documentaires,
les
reportages
ou
les
narrations
sur
l'Afrique,
nous
n' y
trouvons
pas
que
des
héros.
Pour
que
le
héros
soit,
il
faut
qu'il
connaisse
l'avenir
et
sa
destinée,
de
même
que
le
but
des
évènements qu'il vit. Le héros ne se refère pas par rapport à la
simple actualité, en spectateur dont l'essentiel lui échappe, ou

529
au système paisible de ce que chacun peut saisir.
Il vit ce qui
lui arrive sur le mode du destin sous la plume de l'écrivain
.
C'est
de
ce
point
de
vue
que
nous
ne
disons
plus
Johnson,
Blixen,
Huxley,
Waugh,
Kayerts
mais
l'acculturé,
la
fermière
malheureuse
ou
l'androgyne,
la
fille
de
la
brousse,
le
journaliste
britannique
ou
le
pionnier
égaré.
Autrement
dit,
l'imagination consacre son objet et le mythifie.
Le
mythe
de
l'Afrique,
terre
d'exploit
ou
d'aventure,
demeure
dans
le
sentiment
et
se
nourrit
de
la
communion des
fidèles du temps,
comme s'ils se refusaient à devenir adultes.
C'est dans cet esprit que sir Charles Arden-Clarke a pu dire à
propos de vie coloniale au Ghana que:
«
' there would be jobs for us there during our lifetimes
and the lifetimes of our sons.' This reluctance to face
facts was certainly not due to personal motives, because
there was undoubtedly a widespread awareness that, in
principle, 'we were there to do ourselves out of a job'.
But what actually happened, as Darrell Bates found, was
that 'once one arrived and was actually involved in the day
to day administration it seemed so remote, to be perfectly
honest, that l didn't really give any thought to it. l
didn't conceive that a situation would arise in which they
would run their own affairs without our help in my
lifetime .... »
( Charles, Ibid., p. 160)
C'est le refus de la responsabilité, car par le mot et par
ce qu'il évoque, les littérateurs britanniques nous montrent les
choses
sans
nous
l'expliquer
de
manière
satisfaisante
Voir
Spacks,
58).
Quand les personnages agissent,
ils ont seulement
besoin de se repérer,
de se donner un passé culturel comme si
une
connaissance
scientifique
des
choses
africaines
leur
importait peu, du fait de leurs habitudes.
Nous lisons dans An
Outpost Of Progress:
" If there were commissions to get, so much the better;
and, trailing a sulky glance over the river, the forests,
the impenetrable bush that seemed to cut off the station
from the rest of the world, he ( Carlier) muttered between
his teeth, 'We shall see, very soon' ... Few men realize

530
that their life, the very essence of their character, their
capabilities and their audacities, are only the expression
of their belief in the safety of their surroundings».(
AOP, p. 58-59).
Pour
parler
d' héroïsme,
il
nous
faut
donc
nous
reférer
à
une
expérience
passée,
à
un
monde
évanoui.
Pourtant,
il
se
trouve que
les voyageurs
sont partis
pour tourner
le dos
à
un
passé,
comme le peintre,
initiateur du comptoir
(AOP,
p.
57)
ou
à
un
passé
peut-être
triste
comme
celui
de
Berkeley
et
Denys
(OOA,
p.
184).
C'est
ce
qui
justifie
la
contestation
de
l'héroïsme britannique.
En
effet,
dès
le
début
du
XX·
siècle,
la
conquête
de
l'Afrique est terminée. La première victoire des Britanniques en
Afrique
fut
celle
de
l'espace
maîtrisé,
et
redessiné
pour
répondre aux besoins et à
l'idée qu'ils s'en faisaient.
Lorsque
Waugh nous dit que :
«
At the time of the construction of the Uganda Railway,
vast tracks of the present colony of Kenya were completely
uncultivated and uninhabited. Walls of desert were the
only protection which the agricutural tribes could put
against the warrior tribes. It was from these neutral areas
that a large proportion of the European farms were
developped.
In cases ... they drew out.»
(p.141-142).
C'est donc ce type d'actions,
en accord avec le Bureau des
Colonies qui ont fait le Kenya.
Ils mettaient ainsi en place un
important complexe interdépendant de codes
spatiaux,
numériques
et
magnitudinaux:
ce
qui
se
revèle
être
un
simple
système
binaire de privilège et de pouvoir.
Aussi,
il nous précise plus
loin que:
«
... AlI the European settlers l met, while eschewing
colonial office uplift, had a sense of responsibility
towards their Native employees ... to Black servants.»
(p. 142-143).

531
Ce qui veut dire que les colons se montrent concernés par
les indigènes dans la mesure où ils entendent tirer profit. Ils
se sentent responsables vis-à-vis d'eux, dans une relation de
parent à enfants. Or, tout à la fois, ces indigènes sont placés
en arrière dans l'échelle de l'évolution britannique. Par
conséquent, les notions de justice (RP, p.29; p.162), et les
termes politiques deviennent vagues (RP, p.110; p.144; p.155; p.
158), désarçonnants dans la mesure où les colons se montrent à
la fois intéréssés et désintéréssés face aux indigènes. On parle
alors de colonialisme. Mais tout ne semblait pas encore avoir
été dit. La singularité des pionniers fait contre-écho à la
pluralité africaine. Mais entre les deux réalités, se trouve un
raccourci qui n'est pas tout à fait britannique ni tout à fait
africain, pas encore moderne et mais encore sauvage: la ville
coloniale. Si l'on supporte mal l'ennui d'une civilisation
enfermée dans ses habitudes et ses coutumes bourgeoises, que
faire sinon partir?
Lorsque
les
personnages
ne
peuvent
pas
rêver
de
grandes
cités comme les pionniers de Conrad, ou ceux de Cary,
ils vont à
Naïrobi
ou
à
Addis
Abeba
se
ressourcer
à
la
ville
en
ce
qui
concerne
Blixen,
Huxley
et
Waugh.
La
modernisation
apparaît
comme
l'avenir
de
la
culture
indigène,
eu
égard
à
l'environnement
des
modernistes.
En
même
temps,
la
culture
indigène
se
revèle
en
fait
comme
une
longue
période
de
sauvagerie:
celui
des
origines
de
la
culture
industrielle
britannique.
Ainsi
l'appropriation
de
l'espace
africain
est
moins une action historique qu'une action pour l'histoire.
Et en
tant que telle,
elle fonctionne non pas seulement pour élaborer
l ' histoire,
en
tant
que
privilège
du
colon,
mais
aussi
pour
légitimer un concept particulier d'histoire, à savoir l'histoire

532
en tant que recueil d'événements notoires,
la reconnaissance de
grands hommes sur le principe spatio-temporel.
Dans
un
tel
concept,

les
heures
de
gloire,
les
événements
et
les
figures
peuvent
se mesurer aux
ruines
et au
béton,
les
cultures
africaines,
bien
qu'elles
puissent
signifier,
devraient
rester
non-inscrites,
dans
la
mesure

leurs pratiques communales d'existence quotidienne,
leurs actes
cul turels
d'auto-définition
et
de
résistance,
sont
enregistrés
hors
du
recueil.
Aussi,
dans
ce
processus,
les
populations
indigènes,
peuples
sans
Histoire,
n'ont
d'autre
capacité
à
signifier que dans
le cadre qui a
leur a
été délimité dans
le
système
sémiotique
qui
s'exprime
au
nom
de
la
force
colonisatrice.
C'est
ainsi
que
dans
la
remarque
de
Lettice,
les
colons
partent du principe que la terre qu'ils foulent est vide
(TFTT,
p.28). Dans ce cas, les autochtones sont incongrus.
En attendant,
le pays
commençait
à
être
trop
plein
comme
nous le dit le pionnier Sud africain dans le The Flame Trees Of
Thika
( p.16),
à l'instar de Marlow dans le Heart of Darkness.
Or,
les
colons
ont
voulu,
tout
au
moins
politiquement
et
physiquement,
se
rapprocher
des
terres
conquises
de
l'esprit
métropolitain,
au
lieu
de
s'en
contenter
comme
d'exutoires
imaginaires.
En fait,
leur dessein reflète l'avancée inexorable
du progrès universel,
et de façon significative, elle trouve son
expression profonde dans l'acquisition de territoires et dans la
soumission
d'autres
cultures
à
l'entreprise
colonialiste.
L'Afrique
est
toujours
disposée
à
recevoir
et
à
faire
leur
histoire.
Aujourd'hui
encore,
lorsque
nous
entendons
des
personnes
nous
dire
qu'elles
ont
passé
tant
d'années
ou
tant
de
temps
d'Afrique,
c'est pour signifier que l'Afrique est un
lieu rêvé,

533

la
noblesse n'est pas
touj ours
une valeur.
Par
contre,
la
réussite peut être une preuve de courage et de persévérance.
Dans
le
fantastique
et
la
démesure,
le
travail
en
industrie,
en milieu rural,
les travaux publics ou l'urbanisme
pouvaient
faire
miroiter
des
chances
de
réussi te.
Mais
comme
pour
un
aventurier
avide
de
sensations,
il
suffit
d'aller
toujours de l'avant.
Et puisque l'Afrique tout entière est en
devenir,
l'écrivain
et
les
immigrés
peuvent
croire
en
leur
héroisme.
Or,
encore une fois,
ils doivent puiser en eux-mêmes
leur inspiration et leur force pour changer l'échec en victoire,
et faire renaître un ordre nouveau.
La nouvelle situation du monde qu'ils créent en Afrique, et
les décisions qui prévalent à leurs actes sont, en apparence, la
simple
résultante
de
leurs
intérêts
particuliers
(
Voir
Williams;
Kettle;
Goldmann,
59).
Les
Britanniques
ont
conquis
l'espace,
mais
pas
l'homme
dans
le
héros,
ni
le
temps.
Ils
restent même tributaires de ce temps là qui les informe et les
prend en
otage
(Voir Lukacs,
60).
Or,
comment un otage ou
un
incarcéré peut-il gérer sereinement sa destinée sans voir le mal
partout, ou sans croupir sous le remords?

534
3 - La redistribution du pouvoir
3 - 1 - Le District Commissioner: l'ordre
Un
protagoniste
important
de
l'aventure
africaine
est
le
District Commissioner.
rI est détenteur du pouvoir.
Le District
Commissioner est administrateur civil,
mais aussi
technicien à
l'occasion et officier de justice. Comme nous le verrons, c'est
le voleur,
le buveur et l'insoumis indigène qui donnent de la
légitimité à sa vocation. Dans The Flame Trees Of Thika, Out Of
Africa
et
Mister
Johnson,
il
joue
un
rôle

il
se
met. au
service du droit britannique appliqué à l'Afrique, donc abstrait
puisqu'il n'est rien de plus que la simple raison du plus fort.
Sans les 'Askaris', soldats indigènes, il n'est rien, si nous en
croyons Charles qui dit que:
«
As a symbol of government and the keeper of the King's
peace, the District Officer was a natural object of respect
and flattery, addressed as bwana makuba ( great master) or
zaki (lion), or in such terms as 'you are our father and
our mother - please help me in this .•. '. As weIl as the
flattery there was the awareness that he exercised a quite
remarkable degree of authority - which he took for granted:
'One assumed a superioty and capacities which make one
surprised now that we didn't have a bit more
humility .... Any feeling of superioty was also tempered by
the knowledge that the effectiveness of indirect rule
depended on the co-operation and consent of others- ... »(
Charles, Ibid., p.89).
Le District Commissioner force
le respect mais avec cette
force
il
inspire
la
terreur.
Et
les
locaux
qui
l'abritent

535
deviennent
un
lieu
hanté
pour
les
administrés.
Un
exemple
de
cette situation se reflète chez Cary qui raconte que:
«'Go to the hamfiss', an old market woman says,
'Hamfiss',
'hamfish', or 'haffice' is the Fada translation for office.
Aliu goes to the station. He has lived within six
miles of i t for thirty years, but he has never seen i t
before.
Fada natives avoid the station as English villagers avoid a
haunted manor. It seems to them a supernatural place full
of strange and probably dangerous spirits.»
(MJ, p.16-17).
La
terreur
des
indigènes
ne
se
justifie-t-elle
pas,
à
partir du
moment

c'est
à
cette
station
que
Johnson
tombera
définitivement sous les coups de plus fort que lui?
Le
District
Commissioner
est
un
spectre
dans
le
regard
des
indigènes comme le dit Blixen:
«They had taken up their abode on the farm and were
threatening to bring the case before the District
Commissioner.»
( OOA, p.107).
Le
District Commissioner est
synonyme d'incarcération pour
des personnages comme Awaru:
«He was in closer contact with civilization than the
others, for he had been seven years in jail.»
( OOA,
p.105).
Puisqu'il peut confisquer la liberté des uns et des autres,
les
indigènes
ressentent
de
la
terreur
en
pensant
à
son
nom.
C'est le cas de Esa dans Out of Africa.
Esa
est un
cuisinier de
la
période de
la
première guerre
mondiale,
" an old man of much sense and a gentle disposition".
(p. 217).
Très
vite,
il
devient
un
objet
de
rivalité
entre
la
narratrice et la femme d'un administrateur colonial.
Ne pouvant

536
rien
entreprendre
contre
cette
première,
cette
dernière
s'en
prend à son entourage. Le texte nous dit:
«'My husband is a government official. will you please
tell Esa when you go home, that l want him back, and that
if he does not come he will be taken for the Carrier Corps?
( ... )
'Oh why did you not tell me at once, Memsahib?, said
he.
'The lady will do what she has told you, and l must
leave you tonight.'
( ... ).
'WeIl', said Esa,
'you will not have me for a cook
either when l am with the Carrier Corps, or when l am lying
dead, as l shall surely then be very soon.'
So deep was the fear of the Carrier Corps ln the
people in those days that Esa would not listen to anything
l had to say.»
( OOA, p.217).
Cette dame, en dépit de tous les domestiques dont elle peut
disposer, en raison de l'abondance de main d'oeuvre, et de la
position sociale de son mari, use plutôt de trafic d'influence
pour faire sentir sa présence dans la famille féminine.
Cette
manipulation se manifeste au travers d'un chantage qui est
exercé pour se défaire des indigènes.
En effet, le Carrier Corps est le spectre qui fait trembler
le
plus
intrépide des
autochtones.
C'est
le
groupe
de
travail
forcé dans
lequel
on
affectait
les
récalcitrants,
les
bagnards
et
tous
ceux
qUl
défiaient
la
loi
civilisatrice.
Ce
corps
utilisait
les
travailleurs
comme
des
marchandises
passant
d'un
propriétaire
émigré
à
l'autre,
moyennant
une
retribution
au
gouvernement
local.
Face
à
de
tels
abus
de
pouvoir,
et
de
dictature
privant
l'indigène
du
moindre
droit,
le
témoin
de
l'histoire
exprime
son
ahurissement,
sans
pouvoir
altérer
le
cours
des
pratiques
autrement
qu'en
les
dénonçant,
puisque
simple
ressortissant
britannique
elle
n'a
pas
d ' autorité
politique ou administrative, parmi ses pareils.
Elle observe les
détournements
de
la
bonne
cause
civilisatrice
par
des
hommes

537
sans
scrupules.
Ainsi
la
guerre
dont
il
est
question
dans
le
roman se déroule-t-elle sur un champ de bataille opposant alliés
et Allemands.
Mais elle se manifestait aussi dans
l'exercice de
la
puissance
poli tique
locale
entre
émigrés,
et
sur
cet
autre
front, c'est l'autochtone qui se trouve en jeu.
C'est pourquoi lorsque la narratrice entrevoit Esa quelques
temps plus tard,
après son retour à
la dame,
i l est devenu une
figure qui lui fait face:
«
.•• absent-minded as if at a distance. He had been ill-
used by fate, and deadly frightened.( ... ).
It was obvious that Esa's regrets were mainly on my
behalf ... »
(p.218).
Esa
est
un
souffre-douleur
qui
se
trouve
comme
un
jouet
dans le jeu des dieux de sa vie immédiate,
la puissance égoïste
des hommes.
Il est usé en raison de l'exploitation cynique dont
il
est
l ' obj et par
la
femme
de
l'administrateur
qui
s'acharne
sur lui.
C'est une bête de somme qui finit par avoir une pensée
pour
les
vraies
bêtes,
alors
que
l'observatrice
nous
affirme
que:
«
Natives have in themselves very little feeling for
animaIs »
(p.218).
Les
bêtes
souffrent
en
silence,
puisque
privées
des
attributs
de
l'homme.
L'homme
Esa
souffrant
son
calvaire
fait
appel
à
la pensée de
l'auteur
pour vivre
sa guerre.
Puis vint
l'Armistice et la scène prend fin:
«
In this stillness Europe and Africa seemed near to one
another, as if you could have walked by the forest-path on
to Vimy Ridge.»
(p.219).
Dans
les
moments
de
paix,
les
deux
continents
communient
comme
pendant
la
guerre
mais
ils
ne
partagent
pas
le
même

538
destin.
Comme une femme et un homme,
ils font un bout de chemin
ensemble pour le meilleur et pour le pire.
Ainsi,
de
façon
théâtrale,
avec
la
fin
de
la
guerre
s'achèvent les tribulations de Esa,
qui réapparaît sur le seuil
de
la
porte
avec
un
cadeau
en
main
pour
la
narratrice.
Ce
souvenir
se présente
sous
la
forme
d'un
tableau
dont
le
texte
nous dit:
«
Esa's present was a picture, framed and under glass, of
a tree, very carefully penned down in ink, every one of its
hundreds of leaves painted a clear green. Upon each leaf,
in diminutive Arabie letters, a word was written in red
ink.
l take i t that the writings came out of the Koran, but
Esa was incapable of explaining what they meant.»
(p.219).
L'art de ce tableau consiste dans la somme de patience qu'a
exigé sa réalisation,
et
les
lettres arabes
sur chacune de
ses
centaines
de
feuilles
sont
certainement
- des
lettres
de
bénédiction,
qui ont une valeur de talisman.Si
l'arbre est tout
en
vert,
ce
n'est
pas
un
hasard,
dans
la
mesure

le
vert
suggère la possibilité,
l'abondance,
le repos surtout qui vient
sceller les déboires du donateur.
Esa
est dans
l ' incapaci té de
l'expliquer
à
la
narratrice,
car
il
ne
comprend
pas
qu'elle
puisse
ignorer
ce qui
lui
semble
évident.
Il
a
peur de
tomber
dans
le
ridicule de
la
tautologie..
Il
se
contente
simplement
d'éveiller à l'esprit du témoin,
l'histoire de sa rencontre avec
la Grande Bretagne:
«
He kept on wiping off the glass with his sleeve and
assuring me that i t was a very good present.»(p.219).
Pour l'indigène qu'il est, il s'agit de survivre malgré les
peines.
En tant qu'indigène,
il est aussi étrange que familier.
Ce
thème
s'inscrit
dans
la
logique
de
Out
Of
Africa,
tout
particulièrement dans la répétition de la rencontre de Esa,
une

539
situation que JanMohamed qualifie de
"fetishization" de la part
de
Blixen
Voir
JanMohamed,
61).
En
effet,
Esa,
lors
de
sa
séparation
d'avec
Blixen
et
de
son
service
chez
l'administrateur, a subi une profonde transformation.
Le passage
suivant illustre son changement:
«
But something had happened to Esa in his exile, and he
had come back changed. Sometimes l was afraid that he might
imperceptibly die on me, like a plant that has had its
roots cut through.
Esa wasmy cook, but he did not like to cook, he wanted
to be a gardener. Plants were the only things for which he
had preserved a real live interest.»
(p.247-248).
Esa a perdu de sa sève comme un arbre qui se déssèche.
Esa
est un homme qui ne se reconnaît plus ni dans ses actions ni en
lui-même.
Le revers d'Esa
Le
garçon
qu'il
est
s'est
mis
au
service
de
femmes
pour
lesquelles
il
fait
la
cuisine,
une
activité
généralement
réservée aux éléments
féminins
en Afrique.
De ce point de vue,
le
service
de
Esa
serait
une
transgression
Or
s'il
a
transgressé
le
code
de
son
milieu,
nous
comprenons
les
motivations
qui
le
poussent
à
devenir
jardinier.
Contre
sa
fonction de donner la vie par le feu qu'il a usurpée, il cherche
à
reconquérir
sa
vraie
position
en
voulant
donner
la
vie
par
l'eau qui peut procurer la douceur de l'apaisement.
Il cherche à
récupérer son vrai
rôle,
qu'il avait troqué contre celui de la
femme dans un cercle de femmes. A son sujet, le texte constate:
«
But as he had been alone at it, and was not a strong
man, the dam was not solid enough, and in the long rains i t
went away altogether.( ... ) In particular, l believe, he
could not quite stand happiness.»(p.248).

540
Il
a
dépensé
son
énergie à
d'autres
activités
qui
ne
lui
ont
laissé de
la
force
que
pour
son
seul désespoir.
Il
échoue
dans son entreprise et ne trouve pas de consolation.
Il cherche
alors une nouvelle source d'énergie en la personne de la femme,
l'être
qui
porte
l ' autre
moitié
de
son
ciel.
Pour
accéder
à
elle,
il utilise l'héritage que lui lègue la mort de son frère:
une vache noire
,
l ' obj et de
son sacrifice.
La
narratrice nous
raconte que:
«
AlI Natives are gamblers, and under the illusion,
created by the black cow, that from now fortune was going
to smile on him, Esa began to develop a terrible confidence
in things; he had great dreams.»
(p.248).
Esa,
enfièvré
par
la
perspective
de
connaître
enfin
les
j oies
de
la
vie,
a
manqué
de
clairvoyance,
et
l'inattendu
de
l'héritage l'empêche de voir encore plus loin que le bout de son
nez,
le poussant dans
la
voie de
la
polygamie.
Or
cette
fois,
pour lui, c'est un coup de grâce:
«
It is possible that Esa had now a short time of
greatness and rejoicing, but i t did not last, and his
peaceful existence on the farm went to pieces through his
new wife. A month after the wedding she ran away from him,
to live with the Native soldiers in the barracks of
Nairobi.
( ... ). But Esa had not got i t in him to let her
go. Towards the end he came down in his expectations of
life, and and i t was simply the monetary value of his woman
that he sought to retain.»
(p.249).
Esa va à
la recherche de la vie,
d'une alliée et c'est la
femme fatale qu'il rencontre.
Elle l'écrase sous la force de sa
jeunesse,
pour
aller
se
prostituer
avec
les
soldats
indigènes
pour
la
force
et
le
pouvoir
nouveaux
qu'ils
incarnaient
à
travers
leur
uniforme.
Face
à
cette
conjugaison
de
forces
juvéniles,
Esa n'arrive pas à
s'arrêter à
temps pour éviter le
désastre.
Son porte-parole nous renseigne à
propos du préambule
de sa mort en ces termes:

541
«
He had been given sorne sort of Native poison, similar to
strychnine, and must have suffered terribly in his hut,
under the eyes of the murderous young wife, until she felt -
that she had safely finished him, and had made off.»
(p.249).
Fatomma est la faiblesse qui perd Esa.
Elle n'hésite pas à
le supprimer pour dégager sa route et avoir le loisir de vivre
la
nouvelle
mode
de
la
capitale
Nairobi.
Elle
est
une
femme
létale dont les traits de femme méchante se dissimulent sous sa
beauté
physique
et
sa
jeunesse
pour
parvenir
à
ses
funestes
fins.
Esa a misé sa vie sur le numéro perdant pour n'avoir pas
su en tant qu'Africain s'abstenir de spéculer sur son sort,
et
c'est elle qui gagne. De son sort, l'auteur écrit:
«
l he Id his hand, a human hand, a strong ingenious tool,
which had he Id weapons, planted vegetables and flowers,
caressedi which l had taught to make omelettes. Would Esa
himself hold his life to have been a success or a failure?
It would have been difficult to tell.»
(p.250).
Esa a perdu parce qu'humain, et en tant que simple humain,
il n'a pas su s'empêcher de succomber à
la tentation.
Mais sa
vie
a
prouvé
qu'il
était
un
homme
capable
de
révéler
son
humanisme et qui a
fini
par couler sous
le
joug de sa nature
humaine. Qu'il ait eu raison ou qu'il ait eu tort, nul ne saura
le dire,
car sa vie est sa vie,
et lui seul sait ce qu'il en
fait. c'est pour cette raison que l'interprète nous dit:
«
Farah and l held a council as to what we ought to do
about Fatomma, and we decided to do nothing. It evidently
went against Farah to take steps to have a woman puni shed
by the law. l gathered from him that the Mohammedan law
does not hold a woman to account. Her husband is
responsible for what she does, and must pay the fine for
what misfortunes she causes as he must pay what damage his
horse may do. But if the horse throws te owner and kills
him? WeIl yes, Farah agrees, that is a sad accident.»
(p.250).

542
Esa
était
programmé
pour
échouer.
Il
n'a
pas
eu
d'enfant
pour
lui succéder et venger
sa mort dans
le cas actuel,
et il
n'a pas réussi
à
faire pousser un
seul
arbre.
Tout ce qu'il
a
fait
était
périmé.
Il
s'est
accroché
à
des
valeurs
inconsistantes
qui
l'ont
jeté
dans
le
vide.
Il
n'a
pas
su
relever le défi de sa vie.
Du point de vue islamique,
en tout
cas,
il est entièrement responsable de son choix,
car sa femme,
celle qui
l'envoie sur
le
chemin de
la
perdition est une
non-
personne qui lui doit un dévouement absolu, et des actes dont il
doit
répondre.
Etant
le
propriétaire,
principal
intéréssé
du
malheur,
sa
mort
est
tout
juste
un
accident
déplorable,
la
tragédie d'un homme qui
a
porté
sa
croix
jusqu'au gouffre qui
l ' attendai t.
Cependant,
pour
Esa,
le
District
Commissioner
ou
les fonctionnaires coloniaux sont ceux qui disposent de la force
de soumission des indigènes dans les Carrier Corps,
où ils sont
utilisés comme des marchandises d'un propriétaire à l'autre.
Ils
étaient
prêtés
à
des
particuliers
sans
rémunération.
Toujours
est-il que le District Commissioner semble avoir le monopole du
pouvoir absolu tel que le suggère Huxley:
«We had reached, now, the end of the road: or rather the
road continued to Fort Hall, where perhaps a quarter of a
million Kikuyus were ruled by a solitary District
Commissioner ... »
( TFTT, p.23).
Pouvoir incontesté,
le District Commissioner est capable de
faire ou de défaire
les pouvoirs
intermédiaires.
Tilly le sait
et
se
sert
de
cette
éventualité
pour
menacer
le
chef
local
Kupanya:
« ' ... and then the District commissioner will send askaris
to arrest you. He will put you in jail and fine you
hundreds of goats, and take away the staff of the
chief ... »
(TFTT, p.153).

543
Le
District
Commissioner
use
et
abuse
du
pouvoir
dans
toutes les oeuvres exceptée une: An Outpost Of Progress.
Certes
une
nouvelle,
mais
aussi
parce que
l'Afrique y
est
encore
au
stade d'exploration et d'échanges commerciaux légitimes.
Ainsi,
généralement
sa
violence
fait
justice.
Il
se
met
au
service
d'une
cause qui
reproduit
les
coutumes
sociales
de
la
Grande
Bretagne,
en
fondant
son
autorité
sur
une
fausse
légitimité
comme le constate Huxley:
« ••• Those were the days when to lack respect was a more
serious crime than to neglect a child, bewitch a man, or
steal a cow, and was generally punished by beating. Indeed
respect was the only protection available to Europeans who
lived singly, or in scattered families, among thousands of
Africans accustomed to constant warfare and armed with
spears and poisoned arrows, but had themselves no
barricades and went about unarmed. This respect preserved
them like an invisible coat of mail, or a form of magic,
and seldom failedi but it had to be very carefully
guarded.»
( TFTT, p.21).
Le
pouvoir
du
District
Commissioner
réside
dans
la
reconnaissance et
le respect
Mais de quel
respect
s'agit-il
d'autant plus que Waugh nous raconte que:
« .•• but the fact remains that if the British had not come
to East Africa the change would not have taken place. We
came to establish a Christian civilization and we have come
very near to establishing a Hindu one. We found an existing
culture which, in spite of its narrowness and
inflexibility, was essentially decent and valuablei we have
destroyed that
or, at least, attended at its destruction
and in its place fostered the growth of a mean and dirty -
culture ... »
( RP, p.128).
Au
regard
de
ces
différentes
manifestations,
le
District
Commissioner s'appuie sur une inj ustice et se complaît dans la
dictature
et
tyranie.
Ainsi,
comme
les
autres
participants
à

544
l'exode,
le
District
Commissioner
s'acharne
à
défendre
des
valeurs abandonnées derrière.
En
cherchant
une
existence
en
tant
que
pionnier,
ou
une
reconnaissance
de
son
autorité,
le
District
Commissioner
n'y
parvient
qu'en
jouant
avec
les
habitudes
de
l'Empire
Britannique.
Il
exploite
la
peur
de
l'indigène,
qu'il
utilise
pour sa gloire, au lieu de se donner les moyens de le mettre en
confiance.
Il
prend
appui
sur
des
valeurs
qui
ont
échoué
ailleurs, dans l'ancien empire,
et qui ont enseigné que même le
soleil finit par quitter le ciel dès que vient son heure.
Dans
ce cas,
le District Commissioner est négatif dans la mesure où
dans
le
nouveau
monde,
inconnu,
il
n'y
a
pas
de
croyances
neuves, démocratiques qui convienne.
Bien au contraire, il détourne la loi du plus fort en guise
de contrat social, pour s'imposer à un groupe social qui n'était
pas associé à
l'élaboration,
et qui a dû céder par contrainte.
Ce qui laisse supposer que son autorité est remise en question,
comme le prouvera le mouvement de la Négritude, qui aboutira aux
indépendances
africaines.
Mais
le
District
Commissioner
flatte
le
Britannique
en
chacun
des
auteurs
comme
Huxley
ou
Cary,
puisqu'il
représente
non
seulement
la
puissance
mais
aussi
l'ordre.
Il est le représentant de l'ordre.
Il est le garant de
la sécurité des coutumesbritanniques, qui ont fonctionné jusque-
là,
et qui
confèrent au Blanc en Afrique
le haut de
l'échelle
sociale.
Or,
il
est flou,
abstrait
et disponible pour diverses
causes et raisons.
Aussi,
il est sans limites,
à
tel point que
c'est
son
côté
fantômatique,
inj uste
qui
est
révélé
dans
les
romans de Waugh,
de Blixen,
de
Cary et de Huxley.
Le
District
Commissioner
est
le
père
qui
punit
le
mauvais
garçon.
Mais
celui-là
n'est
pas
touj ours
l'indigène
comme
nous
le
verrons
ultérieurement. Mais ce pouvoir passe par les Askaris.

545
3 -
2 - Askari: la force armée
Les Askaris ou Zombis, sont les garants et les attributs du
pouvoir du District Commissioner.
Ils sont
ses
hommes de main,
puisqu'ils ne sont que des exécutants.
De ce fait,
comme le dit
Blixen:
«No one liked having the askaris in, they were as bad as
locusts, and in sorne ways worse, for locusts did not eat
rupees or menace daughters.»
( OOA, p.120).
Ainsi,
au
lieu
d'oeuvrer
au
bien-être,
l'autorité
du
District
commissioner
désunit
les
hommes,
indigènes
et
pionniers,
dans
la
mesure
même

aucun
de
ces
deux
groupes
n'est à
l'abri de l'action de
la loi du District Commissioner,
comme
ce
fut
le
cas
dans
la
soirée
Ngoma
que
les
anciens
voulaient
offrir
à
Blixen
dans
Out
Of
Africa.
C'est
ce
nous
revèle le témoignage suivant de Blixen:
«
The Askari who had brought i t was himself so impressed
with the importance of the show he had upset, that he did
not open his mouth to the old people or to my houseboys,
nor strut or swagger in the usual manner of Askaris, who
are pleased to show off their plenitude of power to other
Natives.»(p.324).
Les
Askaris,
hommes
en
uniforme,
sont
des
travailleurs
royaux.
Bien qu'exécutants,
ils sont imposants auprès des autres
indigènes,
car ils constituent le bras armé de l'administration
coloniale.
Ces
gardes-cerles
ont
un
pouvoir
limité.
Mais
aux
yeux des autochtones, ce pouvoir est immense par le fait même de
leur participation à sa gestion.
Ils impressionnent car ils sont
proches du pouvoir et parcequ'ils sont chargés des
répressions.

546
Ainsi,
s'ils représentent un pouvoir,
ce n'est pas uniquement en
raison
de
leurs
armes,
mais
plutôt
parce
qu'ils
portent
une
image
du
pouvoir
du
Blanc,
et
parce
qu'ils
en
sont
proches.
C'est pour cette raison que les indigènes sont perplexes devant
ce
qui
arrive
à
Blixen
qui
en
est
presque
réduite
à
la
soumission devant cette loi coloniale. Elle nous indique que:
«
The piece of news, l knew, would in their minds take on
a different aspect, but what l could not tell. Perhaps they
realized at once how completely the Ngoma was off, for the
reason that there was no longer anybody to dance to, since
l no longer existed. Perhaps they thought that i t had, in
reality, already been held, a matchless Ngoma, of such
force that i t made naught of everything else, and that,
when i t was over, everything was over. »
(p.
325).
TOus,
autochtones
et
immigrés
en
sont
réduits
à
des
non-
personnes
sous
l'emprise
d'une
mécanique
puissante,
inféconde,
digne
de
l'enfer
par
son
caractère
horrible,
furieux
et
désordonné.
C'est la fin de l'individu, de la communauté et le
temps de
l'agonie.
La
narration
nous
rapporte
cette atmosphère
d'abattement, de mélancolie profonde,
en faisant entrer en scène
le
chien
et
Kamante
comme
des
éléments
salvateurs
dans
cette
vallée de peines.
Par rapport à la désolation des anciens, suite au report de
la danse, elle nous fait remarquer que:
«
A small Native dog on the lawn profited of the stillness
to yap out loudly ... »
(p. 325).
Les aboiements du chiot rompent le silence qui règne sur ce
lieu,
permettant ainsi
aux anciens
de
marquer
une
fin
à
cette
nuit de cauchemars, dont ils sortent par l'existence palpable du
tabac que leur distribue Kamante.
Ensuite ils s'en vont hors de
ce mauvais rêve,
chercher refuge au
fond de
leurs huttes,
pour
ruminer
en
silence
leur
affliction,
contrairement
aux
femmes

547
usées
par
les
ardeurs
de
la
vie,
l'âge
et
leurs
devoirs
conjugaux,
et
qui
semblent
pourtant
inépuisables.
La
femm~
s'oppose au garçon.
Le garçon est moins fort face à
la vie,
et
moins
résistant,
tandis
que
la
femme,
en
dépit
de
son
long
calvaire,
vit
sans
se
lécher
la
main,
et
a
su
garder
un
attachement
face
à
cette
vie.
Or,
le
départ
inattendu
de
la
protagoniste
plongea
son
entourage
féminin
dans
un
profond
chagrin. A leur sujet la narratrice nous signale que:
«
They were more difficult for any disease to kill of than
their men, as l learned in my practice as a doctor, and
they were wilder than the men, and, even more thoroughly
than they, devoid of the faculty of admiration . . . . .
This strength, and love of live in them, to me seemed not
only highly respectable, but glorious and bewitching ... »
(p.
325-326).
La
femme
indigène s'attache à son rôle de génitrice et de
gardienne de la vie qu'elle a appris à aimer.
Aussi,
elle trime
toute sa vie sans tomber.
c'est pourquoi la narratrice reçoit le
sobriquet
'Jerie',' un
nom affectif
que des
aînesses
donnent
à
leur benjamine.
Ce surnom lui sied bien en ce sens qu'il semble
l'inviter
à
s'inspirer
de
ces
aînesses
africaines
sur
les
chemins
épineux
de
la
vie.
Le
monde
colonial,
le
pouvoir
semblent être des éléments masculins.
A tous
les niveaux,
pour
Blixen, l'Afrique est un monde d'adversité, et de domination par
la nature. A partir de ce moment, le surnom de
'Jerie' est aussi
un
signe
de
compassion
de
la
part
des
femmes
envers
une
des
leurs,
condamnée
à
labourer
un
sol
infertile.
Donc,
c'est
la
femme
qui
s'identifie
à
une
autre
femme
dans
un
monde
à
domination mâle,
du sexe fort
et de choses
fortes.
C'est ainsi
que la dernière occasion de recevoir la gratitude des indigènes
lui
est
enlevée.
A
travers
les
Ngomas
soirées
populaires
traditionnelles -
les autochtones voulaient lui offrir ce qu'ils

548
ont
de
plus
valable
au
niveau
culturel
pour
lui
faire
leurs
aurevoirs:
«
At that time, i t came to pass that the old men of the
neighbourhood resolved to hold a Ngoma for me.
These Ngomas of the Ancients had been great functions
in the past, but now they were rarely danced, and during
aIl my time in Africa l have never seen one of them.
( ... ) There one thing about these Ngomas of which l did not
know - namely that they have been prohibited by the
government. The reason for the prohibition l
do not know.
( ... ) The old Native men are chilly people, and generally
wrap and muffle themselves up weIl in furs and blankets,
but here they were naken, as if solemnly stating the
formidable truth ... the old age of the performers.»
(p.
323-324).
Les
Ngomas
sont
des
manifestations
culturelles,
de
récréation
et
de
préservation
de
la
tradition
Voir
Ranger,
62).
Ce
sont
des
occasions
d'orgies

l'on
peut
boire
à
satiété, absorber de la drogue ou fumer et que tout est permis.
Mais
la
prestation
des
vieilles
personnes
est
une
chose
rare
dans
les
communautés
indigènes.
C'est
une
chose
inédite
pour
Blixen que toutes ses 17 années passées en leur sein.
Toutefois
elle ne peut savourer cette rareté en raison du manque qu'elle
doi t
souffrir
jusqu'à
la
fin
de
ses
jours.
Cette
fois,
c'est
l'interdiction
administrative
qui
frappe
l'organisation
de
ces
soirées
dansantes
indigènes,
donc
qui
prive
Blixen
de
satisfaction.
Pourtant
le
texte
ne
nous
donne
aucun
justificatif.
Serait-ce parce que,
lors de ces soirées la tenue
vestimentaire était négligée?
En dehors des ornements,
les danseurs étaient sans voiles,
ce qui d'un point de vue moral,
colonial, passait pour atteinte
à la pudeurbritannique.
C'est d'ailleurs à ce titre que le Major
Hereward
met
les
occidentales
en
garde
contre
l'agressivité
sexuelle des indigènes dans The Flame Trees Of
Thika.
C'est au
nom de
la
morale
coloniale
que
les
Africains
sont
frappés
de

549
prohibition
d'alcool,
si
nous
nous
souvenons
de
l'incident
d'ébriété
dans
lequel
Kinanjui
s'est
trouvé.
La
civilisation,
pense-t-on,
c'est
aussi
un
corps
sain
et
un
esprit
sain,
débarassé de toute toxine,
bien que dans les romans et sur les
lieux,
les pionniers pouvaient accéder à
l'ivresse.
Donc,
pour
les
immigrés
à
l'écoute
du
calme
menaçant
de
la
nuit,
la
conduite
des
locaux
était
synonyme
d'insouciance
face
aux
besoins
physiologiques
de
l ' homme
Blanc
en
Afrique.
C'est
le
même état des choses dénoncé entre autres par Batouala de Réné
Maran, un autre roman colonial.
Le commandant de cercle, un District Commissioner a empêché
les Africains de danser et de chanter la nuit sous le prétexte
que leur bruit troublait
son
sommeil
ou
son
repos.
si
tel
est
donc le cas,
il
fallait que le détenteur du pouvoir trouve des
excuses pour interdire ce type de manifestations.
Il fallait par
ailleurs trouver une
justification à
cet interdit.
Aussi,
cette
occasion
pour
Blixen
de
découvrir
une
autre
dimension
de
l'authenticité,
de
la
profondeur
indigène,
illustrée
par
la
nudité des anciens,
lui est reniée par la faute d'un pouvoir qui
la dépasse.
Ainsi,
de commandant de bord,
elle est reléguée au
rang de passagère.
Et ayant perdu le contrôle de son navire de
créatrice,
elle
se
laisse
conduire
par
celui-ci.
Blixen
nous
confie:
«
l did not have i t in my power to leave Africa, but i t
was the country that was slowly and gravely withdrawing
from me, like the sea in ebb-tide.»
(p. 324).
Chaque jour, chaque instant recréent Blixen et lui montrent
quelque chose de nouveau. Mais à chaque fois, demain c'est comme
la
veille,
car
l'Afrique
refuse
toute
prétention
héroïque
au
Britannique.

550
Narrati vement,
les
évocations
de
perceptions
d'ennui
qui
jalonnent
les
livres
pour
qualifier
le
climat
ou
l'attente
changent selon l'intérêt du moment, elles sont même à l'occasion
contradictoires.
En
réalité,
elles
reflètent
le
J eu
de
cache-
cache
auquel
se
livrent
les
artistes
avec
les
aspects
d'une
réalité étrange pour préserver leur santé et leur prétention au
bon goût. C'est ce qui a valu ce constat de Ignacy Sachs :
«For the three or four hundred years that the people of
Europe have been swarming aIl over the world and constantly
publishing new accounts of their travels and dealings, l am
convinced that we have kno~9 no men other than
Europeans.»( Voir Sachs,
)
Autrement dit,
le colon est inapte à voir autre chose que
des
reflets
de
lui-même.
Par
conséquent,
la
hiérarchie
des
valeurs
qui
constitue
son
point
d'appui
psychologique
même
lorsqu'il
est
libéral,
est
vite
remplacé
par
une
conception
horizontale.
Mais dans
cette structure étendue,
les
valeurs ne
peuvent
plus
être
classées,
mais
comprises
corrune des
aspects
identiques
de
l'existence.
En
témoignent
la
classification des
indigènes chez Blixen ou Waugh,
ou les attitudes condescendantes
vis
à
vis
d'un
Somali
ou
d'un
Masai,
produits
d'un
métissage
racial
(RP,p.145iP.155 & OOA,p.133).
Bien que la tentation soit
grande,
nous
ne
pouvons
pas
parler
de
racisme.
Ces
catégorisations
stéréotypées
ne
sont
qu'innocentes,
de
simples
opinions,
en
tout
cas
en
ce
qui
concerne
Blixen.
Elles
sont
dénotati ves de
l'idéologie de
la mission du
Britannique envers
des
peuples
moins
évolués.
Blixen
dénonce
par
exemple,
une
attitude raciste dont elle a été le témoin.
En
effet,
en
dehors
des
oppositions
ethniques
entre
indigènes,
et de la guerre qui a opposé deux groupes de colons,
l'Afrique
a
été
aussi
le
théâtre
d'un
racisme
entre
Blanc
et

551
Noir.
Lorsque la narratrice sollicite les services d'un médécin
blanc au profit d'une indigène le texte nous apprend que:
«
Afterwards he wrote a letter to say that although he had
for once, on my appeal, treated a Native,
l must understand
that he could not let that sort of thing occur again.
l
myself would fully realize the fact, he felt convinced,
when he informed me that he had before now, practised to
the elite of Bournemouth.»
(p. 223)
Ayant
servi
l'élite
blanche,
le
médecin
ne
voudrait
descendre de ce piedestal qui mettrait Sa supériorité de Blanc.
Il lui
faut donc sérier et choisir ses malades entre hommes et
bêtes
sauvages.
Les
Blancs
étant
des
hommes,
les
indigènes
ne
pouvaient
donc
pas
être
comme
eux,
égaux
face
à
la
mort.
Le
médecin Blanc adopte une attitude contraire à
la déontologie de
la
profession
médicale
en
se
plaçant
du
point
de
vue
de
la
couleur.
Blixen
est
tellement
choquée
par
cette
situation
qu'elle reconstruit,
qu'elle ne porte aucun
jugement de valeurs
quant au fondement ou au ridicule de ce cas.
Est-ce parce que la
science s'y met que Blixen ne peut faire face à
ces sophismes?
Mais
la
science
n'est-elle
pas
un
résultat
de
perceptions
individuelles ? Et dans cet antagonisme où se situe le point de
vue indigène ?
3 -
3 -
L'Indigène sans Parole: sans pouvoir
L'indigène
est
l'absent,
le
sans-parole
que
Blixen-
narratrice interprète.
Dans ses traductions,
c'est l'incertitude
qui apparaît:
«
The barbarian loves his own pride, and hates, or
disbelieves in, the pride of others. l will love the pride
of my adversaries, of my servants, and my lover; and my

552
house shall be in aIl humility, in the wilderness a
civilized place. Pride is faith in the idea that God had,
when he made us.»
( OOA, p.
223-224)
Mais
Blixen
satirise
les
valeurs
civilisatrices
qui
dans
leurs
manifestations,
se
revèlent
être
des
actes
de
barbarie.
N'est-ce
pas
cet
état
de
choses
qui
agiront
sur
Blixen
et
l'amèneront à manifester un paternalisme étouffant envers
"ses"
indigènes?
En
tout
cas,
l'incertitude de
Blixen
semble d'autant plus
grande
qu'en
tant
que
représentante
des
mêmes
valeurs
d'élévation sociale, elle les brandit à l'envers. Elle déclare:
«
As the good citizen finds his happiness in the
fulfilment of his dutY to the community, so does the proud
man find his happiness in the fulfilment of his fate ...
before their fate.»
(p.
224)
De ce point de vue,
dans le contexte actuel,
les pionniers
ne sont pas ceux qui devraient se poser en donneurs de morale.
L'esprit a été faussé dès le début.
Aussi ce qui lui reste pour
se maintenir à
flot,
c'est de
se considérer
comme
un
agent
en
mission,
qui a
accompli son devoir au mieux des attentes et de
ses convictions. c'est pourquoi elle proclame:
«
Love the pride of the conquered nation, and leave them
to honour their father and their mother.»
( OOA, p.224)
Ainsi,
elle
défend
la
dignité
et
la
respectabilité
des
autochtones
contre
la
violence
du
pouvoir
colonial.
Dans
sa
plaidoirie,
Blixen défend
les
droits
des Africains
à
conserver
leurs valeurs,
leurs
croyances et
leurs modes de vie,
car tout
compte
fait
la
soumission
à
d'autres
valeurs
ou
croyances
ne
peut être que la source d'expériences désagréables.
Par exemple,
lorsque
les
employés
de
la
ferme
compatissent
à
son
épreuve
douloureuse,
elle
reconnaît
en
eux
l'image
de
son
propre

553
désarroi
après
l'incendie,
puis
les
nombreux
passages
des
sautereaux et la sécheresse qui se prolonge sur la plantation de
café
dans
cette
partie
du
Kenya
(OOA,p.47).
Leurs
situations
respectives
celles
du
colon
et
du
natif
ne
sont
pas
différentes dans la désolation. Mais l~;position de Blixen-colon
est la plus
forte.
Elle est celle du père
face au désarroi de
son fils
( Voir Eag1eton,
64).
Ce type de confiance visionnaire
se retrouve plus ou moins chez Conrad,
Huxley ou Waugh.
De ce
fai t,
les
oeuvres
se
transforment
en
invitations
lancées
aux
européens
leur
demandant
d'accoster
l'Afrique
avec
observance.
Mais
une
telle
appréciation
ne
semble
pas
présente
chez
Cary,
qui parle de la vie du colon en Afrique de l'Ouest.
Dans Out Of Africa Blixen a manqué de clairvoyance dans sa
plantation comme dans l'incident de la tuerie de l'iguane, dont
elle
voulait
utiliser
la
peau
pour
se
faire
un
bracelet.
La
voyant
pleine
de
couleurs,
elle
la
tue,
mais
une
fois
morte
l'iguane
perd
toutes
ses
tonalités.
C'est
pour
dire
que
tout
n'est
pas
universellement
adaptable.
C'est
la
révélation
à
laquelle Blixen aboutit et se fie.
Ce qui veut dire quedans la
possession
britannique
de
l'Afrique,
l'indomptable,
l'insoumis
ou
le
sauvage,
c'est
aussi
l'espace.
Aussi
les
oeuvres
dépeignent-elles
la difficulté du
nouveau venu à
établir toute
sorte
de
relation
étroite
avec
le
paysage
dont
la
première
caractéristique
est
la
distance,
dans
une
situation
physique.
Pour commencer,
l'immigré britannique se fait
jardinier dans un
monde
sauvage
presqu'aussi
intact
qu'au
Premier
Jour
de
la
création.
Mais
cette
culture
répond
aux
besoins
pressants
de
subsistance en même temps qu'elle procure la satisfaction de la
fécondation.
Mais puisque
le
sol
est vierge
et
nu,
ces gestes
deviennent des actes de survie.
Dans ces conditions, le pionnier
regrette très vi te sa terre natale,
sa patrie dans
son tête-à-

554
tête avec un monde
impitoyable.
La vie devient s i
terrifiante
dans la forêt,
la savane, qu'elle se fait plutôt aussi confuse
qu'une existence dans la
jungle.
Par conséquent,
la lutte dans
les
romans
démontre
la
difficulté
du
pionnier
à
garder
le
contrôle de la réalité, pour ne pas perdre son identité dans un
environnement
peu
tendre,
et

il
mesure
l'ampleur
de
son
isolement.
La situation de Blixen dans
Out Of Africa
illustre
cet état de choses.
Ainsi, les différentes épreuves que Blixen subit, en
particulier les aléas climatiques, les incendies et leurs
séquelles distancés dans le temps, la privent de toute retraite.
Après quoi, elle est rejetée par le pays comme un navire qui
échoue sur un banc de sable. La notion de crime est inversée
pour satisfaire aux exigences de la communauté, par exemple dans
Remote People:
«
No distinction is made in Abyssinian law between
manslaughter and murder; both are treated as offences
against the family of the dead man. It is for them to
choose whether they will take blood-money or blood; the
price varies with the social status of the deceased, but is
usually about a thousand dollars ... »
( p. 29).
La bienveillance est remplacée par la tyranie sanguinaire
et brutale, par exemple dans An Outpost Of Progress . Ainsi, la
beauté du paysage et sa fertilité sYmbolisent le paradis espéré
et pourtant inaccessible. Ces oeuvres britanniques nous donnent
la compréhension de la relation des hommes à leur environnement:
une situation fermée sur elle-même, donc vouée à l'échec de la
communication ou de la communion. Ces histoires se soldent par
des échecs en ordonnant à chaque partie de s'en retourner à sa
fermeture et à son isolement individuels ou ethniques. C'est
pourquoi, Out of Africa signifie qu'il n'y a plus d'autre futur,
d'autre projection possible pour Blixen que de suivre le

555
parcours à sens unique, flèché vers la sortie du labyrinthe, le
retour au centre du pouvoir dominateur. Sa vie face à l'Afrique
est celle d'une âme face à un vampire dans son antre ou un fétu
de paille sur une mer déchaînée. Elle a appris à gagner sa vie.
Seulement elle s'aperçoit en fin de compte, qu'il n'y a aucune
vie à faire, surtout pour une femme dans un monde à domination
masculine comme elle nous l'a elle-même suggéré dans les
conditions de vie des femmes africaines. Pourtant, entre ces
hommes il règne une sorte du raison de plus fort.
C'est
pourquoi, le District Commissioner paraît plus puissant que tous
en ce sens qu'il recourt à plusieurs autres autres personnages
pour gérer sa puissance. C'est à cette occasion que le District
Commissioner se sert du chef indigène.
3 - 4 - Le chef local
Le
pouvoir
local
est
représenté
dans
les
oeuvres
britanniques
à
travers
certaines
figures.
Ce
personnage
se
distingue de la masse des autochtones et du colon qui cherche à
exercer son pouvoir moderne
( Voir Achebe;
Leach,
65).
Dans Out
Of
Africa,
c'est
Kinanj ui.
Il
est
Gobila
dans
An
Outpost
Of
Progresse
Dans The Flame Trees Of Thika,
il est Kupanya.
Il est
le
Waziri
servant
l'Emir
dans
Mister
Johnson.
Et
dans
Remote
People
ce
sont
les
conseillers
et
le
Negus.
En
dehors
de
An
outpost Of
Progress,
il
est
nommé par
le
conseil
des Anciens.
Les
indigènes
sont
reconnus
par
des
formes
institutionnelles.
Mais
dans
le
cadre
colonial,
le
chef
est
aussi
installé
par
l'administration
coloniale
dans
le
cadre
de
l'Indirect
Rule.
L'Indirect
Rule
vient
en
réaction
au
constat
de
l'absence
de
statut
dans
lequel
v i t I ' Indigène
relégué
dans
une
sorte
de

556
néant institutionnel.
Ce qui implique que ce système rejette les
formes organisationnelles.
Il permettait au pouvoir colonial de
se servir des institutions locales, ou de les structurer dans le
but
d'accroître
la
productivité
et
la
rentabilité
économique
destinées à
la métropole.
Aussi,
par rapport à
tous les autres,
le
Warrant
Chief,
est-il
élevé
à
un
rang
honorifique.
Par
conséquent,
Kupanya
et
Kinanj ui,
en
ra i son
des
subventions
et
des
grâces
dont
ils
bénéficient du
fait
de
leur
collaboration
avec
le pouvoir colonial,
ont acquis des voitures.
Ils ont une
famille
nombreuse,
et
sont
polygames.
Ce
qui
fait
autant
de
bouches
à
nourrir,
en
même
temps
que
cela
procure
une
main
d'oeuvre
abondante.
Nous
pouvons
donc
considérer
que
leur
baromètre social -
le bien-être matériel
et humain
-
est assez
raisonnable.
Mais
malgré
tout,
le
vrai
pouvoir
est
tenu
en
réalité par un groupe d'anciens,
qui
le délègue à
celui qu'ils
ont désigné,
qu'il
soit ou non de sang royal.
Le
chef proclamé
n'est-il
qu'un
représentant
de
ces
Anciens
de
la
communauté.
c'est du reste ce à
quoi
Ian
fait allusion,
lorsqu'ils anciens
sont réunis autour de Kupanya:
«
They displayed wise, lined, authoritative faces, and the
dignity of those whose word is always obeyed.
'Those are the real rulers of the tribe', Ian said.
'Kupanya is more or less a figure-head'.»
( TFTT, p. 119-
120).
De même Blixen nous raconte au sujet de Kinanjui que:
«
He had not been born to be a chief, but had been made
so, many years ago, by the English, when they could no
longer get on witch the legitimate ruler of the Kikuyu of
the District.»
( OOA, p. 127).
C'est
le
même
état
de
choses
que
Huxley
nous
revèle
à
propos de l'accession au pouvoir de Kupanya:
«
This man was called Chief Kupanya. It was only much

557
later that we discovered he was wrongly labelled because
the Kikuyu did not have chiefs in their hierarchy. They had
eIders of various grades, and he was a spokesman for his
particular set of eIders.»
( TFTT, p.
37)
Ainsi,
les
Kikuyu
sont-ils
organisés
selon
des
classes
d'âge,
qui persistent malgré l'introduction d'un pouvoir nouveau
comme nous le dit ce témoignage recueilli par Charles:
«
such direct handling of local affairs was far less
typical ...
' Most of the hard work was done by the Africans
themselves, who had a tribal structure of government with
chiefs and headmen and courts and the whole paraphernalia
of government, and the major part of one's job was to see
that that functioned, as far as one could, fairly,
efficiently and honestly. So the major part of one's job
was really supervising them in ~he running of the show
themselves.»
( Voir Charles, 6 ).
Ce sont les Anciens
-
véritables pouvoirs
-
et les autres
qui se trouvent paradoxalement mis à la disposition des corvées,
des
travaux forcés
au gré des
réquisitions
de
l'administration
coloniale,
comme dans
le cas de Esa que nous avons évoqué dans
out Of
Africa.
Mais
comme
ce
sont
ces
anciens qui
gardent
les
tradi tions et font
l ' auto ri té du chef,
le Warrant ou Appointed
Chief devient un ôtage de la civilisation.
Le
chef
traditionnel
est
un
ôtage
dans
la
mesure

ses
fonctions proches de l'administration moderne lui
rapportent du
prestige,
des
avantages
en
nature,
auxquels
il
prend
goût.
De
même,
de par
sa
situation,
il
est
le premier
touché et menacé
d'être démis de ses
fonctions,
s'il
ne daigne pas agir souvent
contre
sa
communauté.
Dans
la
structure
coloniale
le
chef
autochtone est à la fois un homme et une institution.
Puisque
le
chef
est
un
amalgame
de
modernité
et
de
traditionalisme,
il
devient
un
indicateur
du
changement
des
moeurs.
C'est
pourquoi,
Kinanjui
roule
en
voiture,
mais
est
simplement
revêtu,
en guise de
vêtement,
d'une peau de bête
Il
Naked
he
was
like
an
animal
when
you
have
cut
from
i t
the

558
trophy, for the sake of which you have killed i t "
(OOA ,p.
129)
Ainsi,
son
hésitation
entre
les
obj ets
modernes
et
anciens
détermine
la
mentalité
des
indigènes,
déchirés
entre
la
magie
ancestrale
et
la
technique
souvent
incompréhensible,
comme
souvent l'interprète l'est entre son peuple et son patron.
Mais
le
pouvoir,
puisqu'il
ne
cesse
de
confondre
l'être
et
le
paraî tre,
se
joue
de
l'innocence
du
puissant,
qui
tient
son
autori té d'une croyance
à
priori
en
la
normalité de
son
état.
Cela, même Aliu dans Mister Johnson le sait lorsque le narrateur
nous livre ses pensées:
«
Authority, as he knows it, is always dangerous, selfish,
inexplicable. It looks after its own mysterious affairs in
a dark privacy. It never explains. Its servants, even the
most approachable, like store clerks, resent nothing so
much as a request for explanation. Even when they do give
it, i t is generally false.»
( MJ, p. 19)
En d'autres termes,
le pouvoir est ambigü.
Et par là même,
il peut être soumis à des perturbations en cherchant à être.
La
frontière entre le pionnier et sa destination, entre le Blanc et
le
Noir,
le
civilisateur
et
le
sauvage,
le
chef
et
la
masse,
perturbe les relations du pouvoir. Mais pour exercer son pouvoir
le
Britannique
fût-il
le
District
Commissioner,
a
besoin
de
parler
le
même
langage,
la
même
langue
que
ses
administrés
virtuels.
sinon
la
communication
au
sein
de
son
état
demeure
impossible. Aussi recourt-il au traducteur.
3 - 5 - L'Interprète et sa langue

559
Puisqu'il
faut
toujours
des
intermédiaires
au
puissant,
pour gérer son autorité,
il tient sa force de l'institution et
d'un
acte
qu'il
poserait
en
personne.
Pour
être,
il
a
donc
besoin
d'un
interprète
qui
résoudrait
les
problèmes
que
lui,
pose. Le premier auquel nous pensons est Makola dans An Outpost
of
Progress.
Le
texte
nous
apprend
qu'il
a
beaucoup
voyagé,
puisqu'il est venu de Sierra Leone - l'Afrique de l'ouest -
au
coeur
du
continent,
et
a
réussi
à
trouver
sa
femme"
a
Negress
from
Luanda",
en
Afrique
Australe,
le
Mozambique,
vraisemblablement.
Il
est
fonctionnaire,
membre
du
système
colonial,
ce
qui
lui vaudra des déplacements successifs, ou pour aller plus loin,
l'exil
sous
contrat.
Puisqu'il
occupe
une
position
assez
importante,
l'agent
de
l'administration
peut
user
de
son
influence afin d'acquérir beaucoup plus d'avantages
sociaux et
matériels.
Mais
les
autres
indigènes
considérent
encore Makola
comme un des leurs. Aussi, ils ne lui font pas de traitement de
faveur,
alors
qu'ils
font
bénéficier
les
pionniers
de
leurs
grâces,
en tant qu'étrangers à qui ils offrent leur hospitalité
et tout ce qu'ils croient de meilleur, en se posant comme leurs
hôtes.
Puisque
Priee
le
prix,
la
redevance
prend
ses
fonctions consciencieusement, il se trouve contraint de réclamer
sa part, en tant qu'intermédiaire vers le pouvoir.
Dans
son
aventure
africaine,
il
est
évident
que
Blixen
n'est pas indifférente au milieu qu'elle perçoit comme un
rêve
et
dans
lequel,
Kamante
surgit
d'abord
sous
les
traits
d'un·
chien
fidèle,
et quelques
instants
plus
tard,
sous
ceux d'une
chauve-souris. Est-ce un concours de circonstances?
Kamante est un être volant comme Denys,
puisque la chauve-
souris est un hybride à la croisée des chemins entre les oiseaux
et le chien. Elle ne trouve de sursis que suspendue la tête vers

560
le bas,
les pattes vers les cieux.
Et dans cette atitude, elle
agonise
sans
cesse.
Alors
si
Kamante
ressemble
à
une
chauve-
souris, n'est-ce pas une ruse de
l'auteur qui chercherait ainsi
à
célébrer son aspect inattendu? En effet, Kamante,
l'Africain,
après
son
contact
avec
la
mission
catholique
est
condamné
à
"voler" entre deux mondes.
Aussi,
est-il un point d'appui pour
Blixen. Kamante devient un intermédiaire, un lieu de transition
entre
le
l'Afrique
et
l'Occident
si
lointain,
entre
la
vie
terrestre et les cieux.
Face à son monde qui s'effrite, Blixen ouvre une parenthèse
pour nous parler de Farah, son serviteur et commis. Elle raconte
à propos du sort qui est le sien que:
«
The Somalis are generally pleased to announce a
disaster. But here Farah was not happy . . . . »
(p. 279).
Par
rapport
aux
autres
Somalis
ou
indigènes,
Farah
fait
exception à la règle qui dit que les Somalis jouissent de leurs
rôles de prophètes du malheur.
En fait,
Farah et la narratrice
sont unis par un
lien de fidélité,
voire de communion.
Blixen
nous livre les propos de Farah dans ses moments d'épreuves comme
suit:
«
Farah unterstood me very weIl, for aIl Somali have
something of the ascetic in them. Farah during this time
was set and concentrated upon assisting me in eveything ...
During these months, Farah wore his best clothes every day
( ... ) But now he put on the best he had. He walked one step
behind me in the streets of Nairobi, or waited on the dirty
stairs in the government buildings and the lawyer's
offices, dressed like Salomon in aIl is glory »
( p 310 ).
Ainsi
le
serviteur,
qui
fait
aussi
office
d'interprète,
résoud-il les problèmes,
bien qu'il ne sache pas les poser.
Il
tient la place d'une frontière entre sa maîtresse et les autres
indigènes,
entre le civilisateur et les primitifs,
le puissant

561
et
la
populace.
Comme
Makola
dans
An
Outpost
Of
Progress,
Johnson
dans
Mister
Johnson,
Farah
dans
Out
Of
Africa,
le
chauffeur dans Remote People et particulièrement Juma que Robin
inj oncte dans
The
Flame
Trees
Of
Thika,
" 'For heaven' s sake
think
of
something,
Juma
1'"
(p.
34),
le
serviteur
est
le
détenteur d'une langue universelle.
Il comprend non seulement le
pionnier,
mais
aussi
l'indigène.
Il
devient
indispensable pour
leur communication.
Mais
sa
langue est
corrompue
comme dans
le
cas du pidgin.
Le pidgin est une adaptation de la syntaxe vernaculaire au
standard
orthographique
qui
rend
le
rythme
et
la
texture
du
discours
plus
accessible.
Nous
avons
signalé
comment
Cary dans
Mister Johnson faisait dire aux indigènes "hamfish" ou "haffice"
pour
traduire
'office'
(p.
16).
C'est
une
intrusion
indigène
dans la langue anglaise par le fait même de se l'approprier et
de
la
fusionner
syntaxiquement
dans
le
vernaculaire.
Par
ce
processus d'indigénisation de la langue anglaise
( Voir Albert;
Zabus,
67),
l'autochtone
démantèle
les
aspirations
et
les
valeurs du pionnier lui-même.
D'une part,
l'indigène accepte la
langue
anglaise,
mais
il
entend
conserver
son
identité,
et
d'autre
part
il
y
a
l'inscription
d'une
différence
et
d'une
absence en tant que corollaires de cette identité:
«
The articulation of two quite opposed possibilities of
speaking and therefore of political and cultural
identification outlines a cultural space between them which
is left unfilled, and which, indeed, locates a major
signifying difference in the post-colonial text.
"The
'cultural space' is the direct consequence of the metonymic
function of language variance.
It is the 'absence' which
occupies the gap between the contiguous inter/faces of the
'official' language of the text and the cultural difference
brought to it. Thus the alterity in that metonymic juncture
establishes a silence beyond which the cultural Otherness
of the text cannot be t6~versed by the colonial language"»
( Voir Ashcroft et al,
)

562
Les
signes
d'identité
et
de
différence
sont
des
actes
d'invention
et de construction,
un
processus
de
représentation
mimétique, tout particulièrement dans les oeuvres écrites,( Voir
Bhabha,
69).
Aussi
le
pidgin
signifierait-il
que
la
société
post-coloniale
indigène est composite.
De même,
il
exprime une
forme de nationalisme dont il devient lui-même une synecdocte
(
Voir Dupriez,
70),
en proposant un
syncrétisme culturel,
sous-
estimant
à
sa
façon
le
pouvoir
officiel.
Voir
Ulasi;
BA;
Oyono,
71)
Il
Y
arrive
en
se
frayant
un
passage
entre
la
'vernacular'
et
le
'standard'
anglais,
tout
en
permettant
l'édification d'un milieu social distinct.
Le pidgin devient un
moyen
de
communication
entre
individus
de
la
même classe.
Par
exemple,
c'est
en
'Broken
English'
que
Aliu,
Benjamin
et
Johnson,
la nouvelle élite conversent dans Mister Johnson.
C'est
encore en pidgin que Johnson s'adresse à Rudbeck,
et que Makola
dans un style télégraphique s'adresse aux pionniers: «
You very
red, Mr Kayerts»
(AOP, p. 70). En d'autres termes,
la formation
de classes en Afrique n'aurait pas été occasionnée par le seul
fai t
économique,
mais aussi
par
la possession de
la
langue du
dominateur.
Le
pidgin
instaurait
la
différence
de
classes
en
même
temps
qu'il
affirmait
son
existence.
Ainsi
l'interprète
prenait-il
le
visage
d'un
nouveau
dieu.
De
ce
fait,
il
était
sollicité,
soudoyé,
flatté
et
récompensé
par
les
avantages
de
ses fonctions. Ainsi Makola parle-t-il le Français et l'Anglais.
Mais comme il
ne peut bénéficier impunément du don d'ubiquité,
sans
surprise
ces
deux
langues
sont
corrompues
par
ce
que
le
narrateur de An outpost Of Progress appelle "a warbling accent".
Puisqu'il
y
a
aj outé de
la
couleur
locale,
il
n'est
donc
pas
étonnant,
que corrompu comme il
l'est lui -même,
son langage en
porte
les
marques.
C'est
pour
dire
aussi
que
le
pouvoir,
lorsqu'il ne peut se réaliser immédiatement,
par exemple par la

563
force
et
la
dictature,
a
recours
à
une
médiation
par
une
symbolique, dont la monnaie ferait partie selon Marx qui dit que
par
analogie
"la
logique,
c'est
l'argent
de
l'esprit"
Voir
Marx,
72).
Comme
l'argent,
la
langue de
l'interprète
était
un
symbole.
Tant que l'argent est conçu symboliquement,
il concourt au
maintien de l'équilibre d'un univers organisé en référence à un
monde idéal,
fixe,
stable,
clairement divisé.
C'est pourquoi la
guerre
de
1914-1918,
suivie de
la
crise
économique
des
années
vingt,
en raison de
la déflation,
parasitent les
certitudes de
la
civilisation
britannique,
et
lui
font
envisager
des
mythes
nouveaux et d'autres
mondes
possibles
à
travers
ses
écrivains.
Mais
la
question
de
l'autre,
à
qui
il
faut
faire
une
place
quelle qu'elle soit, pour s'exalter ou pour se remettre en cause
subsiste
dans
tous
les
cas.
C'est
pour
cela
que
l'autochtone
dans le roman britannique,
fait figure non seulement de sauvage
mais
aussi
de
mauvais
garçon
pour
donner
une
légitimité
au
District Commissioner.
3 - 6 - L'Indigène et le sauvage
Entre colon et natif,
le premier étant mal connu,
le second
le craint et le guette.
Aussi,
l'indigène est imprévisible dans
un
territoire
fantôme
comme
nous
le
font
penser
Kayerts
et
Carlier,
pour qui les Africains sortent et repartent vers nulle
part dans An autpost af Progressa
C'est dans cet esprit que sur

564
ce
territoire,
Lettice
s' attendai t
à
trouver
un
désert
humain
dans
The
Flame
Trees
Of
Thika.
Or,
au
vu
des
actions
de
civilisations,
l'indigène est la face de la Grande Bretagne qui
doit s'effacer dans les propos de Blixen, de Waugh et de Huxley
qui
sont
obligés
de
revenir
des
siècles
en
arrière
pour
le
comprendre.
Donc
l'état
de
l'indigène
est
intolérable
pour
le
Britannique,
sinon
insatisfaisant.
Pourtant,
le
véritable.
interlocuteur du Blanc en Afrique,
est l'autre indigène. Mais le
pionnier le connaît mal puisque tout ce qui ne correspond pas à
ses notions classiques de sens, de logique, ou de raison ne peut
être que leur contraire. Aussi,
la rencontre culturelle entre la
Grande Bretagne et l'Afrique est une situation de communication
impossible, entre indigène et pionnier.
Cela dit l'Afrique,
comme dans la nouvelle de Conrad ou les
romans,
a
été vue à distance,
interpretée et rendue mystérieuse
par
son
impuissance
à
s'opposer
au
pouvoir
de
la
rhétorique
technologique de manière ouverte.
L'indigène
a
la
destruction
dans
le
sang.
Partant,
dans
Remote People,
il est un obstacle à
la modernisation,
puisqu'il
coupe les câbles téléphoniques pour en faire des parures, ou des
armes.
Pour
cela,
les
colons
ne
laissaient
pl us
traîner
des
ustensiles et leurs objets métalliques
sans surveillance,
comme
dans
The
Flame
Trees
Of
Thika.
Ainsi,
avons-nous
l'image
du
sauvage violent qui a adopté le mode d'agir du conquérant par le
fusil qu'il porte. Le narrateur nous en dit que:
«
••• a knot of armed men came out of the forest and
advanced towards the station. They were tall
carried
percussion muskets over their bare shoulders
Their
leader, a powerful and determined-Iooking Negro with
bloodshot eyes, stood in front of the verandah and made a
long speech.»
( AOP, p. 64-65)

565
Pour
renforcer
l ' esprit
martial
de
l'autochtone,
même
la
presse britannique s'acharne à
publier des photos d'Abyssinien~
en armes, quel que soit le lieu où ils se trouvent.
Quand ce ne
sont pas des
fusils,
ce sont des
sabres
joliment gravés qu'ils
portent. Et lorsque le conteur nous revèle que:
«
It was a memorable experience to emerge after the Latin
holiday-making on the Azay le Rideau, thascamble at
Djibouti, and the unquiet night in the train, into the
sweet early morning air and the peace cast by these
motiionless warriors; they seemed at once so savage and so
docile; great shaggy dogs of uncertain temper held for the
moment firmly at leash.»
(p. 19).
puisqu'il a une arme à feu et semble être venu d'une région
côtière comme c'était auparavant le cas de l'explorateur venu en
colon,
il a
donc été en contact avec ce dernier.
C'est l'image
que nous dessine Waugh lorsqu'il dit que:
«
Sorne splendid fellows with spears, in from the country,
spat contemptuously as we passed.»
(p. 17)
outre
son aspect
agressif dans
Remote
People,
Conrad dans
An outpost Of
Progress nous donne une autre image du sauvage,
à
travers
Makola qui
dit
des
Luandais
que
"They are
perhaps
bad
fellows "
(p.
65).
Pourtant,
ces émigrés sont des représentants,
des
exécutants
des
administrateurs
de
leurs
pays,
qui
disent
agir en Afrique pour des raisons philanthropiques, se disant les
rédempteurs
ou
les
civilisateurs de
ces
pauvres
sauvages.
Dans
le
cas de An outpost
Of
Progress,
Kayerts,
Carlier,
et Makola
sont tous trois embarqués sur le même navire,
chacun armé de ses
motivations et de ses objets de valeur,
mais ils ne connaissent
pas. Aussi, tous ont une appréciation différente de la peine qui
afflige
Gobila
et
les
autres
autochtones.
Makola
collecte
l ' ivoire
au
risque
de
la
vie
des
chasseurs,
tandis
que
les

566
esclavagistes
font
leur
collecte
de
vies
humaines.
L'indigène
dans
le
regard du
colon,
est
une
brute.
Conrad
aussi
nous
en
donne une illustration dans les propos de Carlier (AOP, p.67).
A la vue de l'un des hommes de Gobila, venus échanger leurs
marchandises,
Carlier le qualifie de brute simplement fait d'un
paquet de muscles.
Il
en éprouve pourtant une telle admiration
qu'il frise le ridicule en se disant prêt à
recevoir volontiers
un coup de poing au nez de sa part:
«
Oh, the funny brute !
Fine animals ... all. carried percussion muskets over t
heir bare shoulders cavalry men of them.»
(p. 61)
Aussi,
il
est
intéressant
de
remarquer
que
même
s'il
en
éprouve
de
l'admiration,
il
les
trouve
néanmoins
inaptes
à
servir dans
la
cavalerie britannique,
puisqu'ils
n'ont pas
les
formes de jambes requises. Mais rappelons nous que Carlier a été
autrefois un soldat, qui à sa libération ne savait pratiquement
rien
faire:
il
était
un
incapable.
Toutefois,
ces
brutes
musclées
deviennent
dans
sa
représentation
des
bêtes,
ou
des
hommes
à
la
force
animale,
comme
dans
la
représentation
que
Blixen nous donne de Karomenya,
le petit sourd-muet dans Out Of
Africa.
Aussi,
l'indigène
subit-il
des
métamorphoses
aux
yeux
des
colons.
Sous
la
plume des
clers,
se dressent
des
barbares
aussi sauvages que des animaux, qui ignorent presque les autres
animaux
qui
se
déplacent
au
large.
L'ironie,
c'est
que
le
narrateur dénonce la contagion du mal,
en exposant
la tendance
eurocentrique des
pionniers,
dans
leurs
rapports
vis-à-vis
des
hommes
du
comptoir,
et
dans
leur
jugement
des
villageois,
de
Makola et des esclavagistes.
C'est
ainsi
qu'en
plus
d'être
"violent",
le
sauvage
est
malheureux. Ce sauvage dans An Outpost Of Progress a perdu de sa

567
vi talité
loin
des
siens,
car
il
n ' arrive
pas
à
se
faire
aux
nouvelles habitudes alimentaires,
puisqu'il
est cannibale.
ceci
a
été
dit
aussi
au
suj et
des
Danakils
chez
Waugh,
des
Nyeri
Kikuyu de
Blixen
ou des
Kavirondo de
Huxley.
Mais
seul
Conrad
semble nous poser la question de savoir si la perte de vitalité
de ce sauvage n'est pas dûe à
l'exploitation de la colonisation
attachée
à
la
notion
de
profit
et
de
plus-value,
ou
à
l'oppression.
outre le mal du pays,
il échangeait un travail inestimable
pour
une
poignée
de
grains
ou
une
pièce
de
monnaie,
dont
ni
l'une ni l'autre ne suffisait à reproduire ou à reconstituer les
énergies perdues.
Puisqu'il ne reçoit que le minimun nécessaire
à sa survie,
et au travail pour le profit,
le commerce est donc
une
forme
de
catacombe,
qui
l'achemine
vers
la
mort
Voir
Shepperson & Priee,
73).
Il
reste que ce sauvage malheureux ou
cannibale reformé est très peu vivant.
Il peut être sauvé de la
sauvagerie
car
son
inactivité
est
peut-être
due
à
un
profond
désespoir,
le
désepoir
de
voir
ses
rapports
avec
l'autre
se
tisser sur des quiproquos.
Et puis, s'il est cannibale, pourquoi
ne
s'en
prend-il
pas
au
pionnier
et
aux
autres
autochtones?
Peut-être
qu'ils
ne
sont
pas
suffisament
à
son
goût.
D'autre
part
l'initiative
de
Gobila
d'aller
voir
les
pionniers
en
premier,
n'est-elle pas dictée par une volonté d'échanges
? Au
lieu
de
cela
les
pionniers
de
Conrad
trouvent
son
attitude
absurde.
Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger devant une
telle floraison d'images.
D'abord,
nous
n'avons
plus
la
même
vision
du
primitif
belliqueux,
agressif,
comme
si
le
narrateur
nous
invitait
à
redéfinir les notions de sauvage et de docile.
En plus de bout
en bout,
il
nous
dépeint
des
personnages
inoffensifs,
qui
lui
ont paru menaçants, mais qui sont en réalité victimes. Donc, ils

568
sont
le
fruit
de
l'imagination
britannique,
au
regard
des
illustrations
contradictoires.
Dans
ces
perspectives,
Conrad
nous convie à un éveil de conscience dans un monde qui se fige.
L'indigène
sauvage
est
dépassé
et
anéanti
par
des
forces
divines en qui il a trouvé une raison de vivre dans An Outpost
Of
Progress,
une
énergie
pour
continuer
à
vivre
après
les
calamités
dans
Out
Of
Africa.
En
Kamante,
Farah
dans
Out
Of
Africa, Makola dans An outpost Of Progress, Njombo et Sammy dans
The Flame Trees Of
Thika,
il
est un
spectre à qui
il faut
une
éternité pour accéder au rang de vrai humanoïde.
L'indigène est
donc le signe nostalgique,
ou un prélude annonçant la fin d'une
Grande
Bretagne
évoluée.
Aussi,
l'autochtone
n'a-t-il
aucune
normalité et, quoi qu'il fasse, il est bizarre.
C'est
ainsi
que
lorsqu'il
ne
parle
ni
le
Français,
ni
l'Anglais et voire le Swahili,
il ne possède pas de langue.
Il
est
incapable de
parler
autrement
que
par
onomatopées,
ou
par
images.
Or,
avec sa langue façonnée et ses marques,
il rend les
progrès britanniques sauvages. Blixen nous dit à ce sujet que:
«
The native mind works in st range ways, and is related to
the mind of bygone people, who naturally imagined that Odin
They can turn you into a symbol.»
( OOA, p.98).
Les
Africains
utilisaient
des
signes
pour
qualifier
les
Etres
et
les
choses
autour d'eux,
comme s'ils
les
peignaient.
Or,
cette
peinture
s'inspirait
de
la
faune,
de
la
flore
ou
encore de
la géologie.
C'est une
cosmogonie qui
se propose de
donner
une
explication
de
leur
univers,
à
des
fins
de
plaisanteries,
ou d'injures,
mais toujours pour se l'approprier
dans tous les cas.
Ainsi,
le natif
surnomme,
et rend
"sauvage"
tout ce qui est nouveau en accord avec ses réalités immédiates,

569
ses
besoins
et
le
calendrier
des
événements.
Aussi
avons-nous
dans les oeuvres,
d'une part les noms de théâtre employés pour
les uns ou pour les autres,
notamment
"Bad Hat"
pour signifier
la
poisse
légendaire
de
Robin,
"Meat
of
the
wild
Pig"
pour
exprimer le faible de Mr Roos pour le sanglier ( TFTT, p.56), ou
"Ngawri"
pour
Mrs
Nimmo
qui
présentait
les
qualités
d'un
francolin
TFTT,
p.98).
Dans
le
même
esprit,
dans
Out
Of
Africa,
l'adresse au tir de Blixen est surnommée "One Shot" par
les écoliers.
De même,
Rudbeck est assimilé à
l'appellation de
"Pig's
Neck"
(
Mister
Johnson,
p.227),
un
des
vétérans
de
la
guerre, au nom de "Dog-Nose", et le Caporal Lousy "Fish-Teeth" (
MJ,
p. 224).
Mais
les
pionniers
usent
eux
aussi
de
pseudonymes
pour qualifier les autochtones. Le cas particulier sur lequel il
nous
faut
nous arrêter
est celui de Makola dans
An Outpost of
Progress.
En effet, dans An Outpost Of Progress,
le nom de Makola le
sierra-léonais
s'accompagne de
"Priee".
Ne peut-on pas
le
lire
"my kola priee"?
Il est appelé Makola par les villageois.
Mais
ni
Conrad
ni
le narrateur
ne
nous
disent
ce
que
contient
cet
hétéronyme.
Peut-être que
cette
incapacité
à
définir
provient-
elle du
fait
que
chaque groupe a
sa propre
vision
de
la
vie,
ainsi que nous le dit Blixen dans Out Of Africa à propos de sa
mule:
«
l once had a fat riding-mule that l had named Molly. The
mule-siee gave her another name, he called her Kejiko,
which means 'the spoon' ... Then l saw that the siee had
been right. Kejiko was unusually narrow across the shoulder
and had broad plump hindquarters, she looked very much like
a spoon with the rounded side up.»
(p.255).
Dans
ce passage,
il
est
évident que
les
indigènes
et
les
émigrés
ont des perceptions
différentes
de
leur
environnement.

570
Aussi,
si nous nous permettons de spéculer, alors nous pourrions
penser
que
"Makola"
veut
dire
"My
kola",
le
régulateur
de
tensions à l'intérieur de certains groupes sociaux africains -
(
Voir
Pritchard;
Malinowski;
Mauss,
74),
-
comme
on
dirait
"my
tea" en au Ghana,
ou
"my cup of tea"
en Grande Bretagne ou "ma
Sobbra
ou
ma
Brakina"
au
Burkina
pour
montrer
la
corruptibilité du personnage.
Plus
loin,
c'est
en
donnant
des
sobriquets
aux
indigènes
que
Gobila
est
appelé
tour
à
tour
"Father
Gobila",
ironie
dramatique, par les jeunes pionniers,
et plus tard
" Old Image"
(
AOP,
p. 63)
pour
caractériser
son
apparence
physique
et
sa
symbolique.
Comme
nous
pouvons
le
constater,
le
lexique
est
varié, polysémique et ambigü dans sa conception.
Par conséquent,
dans
les
oeuvres
britanniques
sur
l'Afrique
de
l ' entre-deux-
guerres, le sauvage s'applique à tout le monde.
Tout le monde apparaît sauvage aux yeux de tout le monde,
comme nous le laisse penser le narrateur à propos de Gobila dans
An Outpost Of Progress:
«
••. the mild old Gobila offered extra human sacrifices
to all the Evil Spirits that had taken possession of his
white friends. His heart was heavy. Sorne warriors spoke
about burning and killing, but the cautious old savage
dissuaded them. »
(p. 72).
Gobila
qui
a
été
perçu
auparavant
comme
sauvage,
par
la
bouche du narrateur finit par traiter les pionniers de sauvages,
par les mêmes moyens.
En
réalité,
ne
s'agit-il
pas
d'une
attitude
passionnelle,
donc
simpliste
et
même très
carricaturale dictée
par
la
haine
des différences, et le complexe de supériorité?
Cette attitude qui consiste à s'exprimer en clichés, et par
jugements nuancés, des ressentiments, des raisonnements signifie
aussi qu'aucun - pionnier et Africain - n'avait des arguments

571
précis et objectifs. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons une
multitude de types de sauvages ou de brutes, notamment dans An
outpost Of Progress. Mais en plus des hommes, les objets eux
aussi paraissent sauvages. Par exemple la statue de la Vierge
chez Blixen, ou la croix dans An Outpost Of Progress peuvent
être perçues toutes deux comme des fétiches ou des lieux de
sacrifice que les européens vénèrent. Aussi dans le dernier cas,
Kayerts a-t-il dû escalader la tombe du peintre pour se pendre.
Aussi, ce foisonnement de termes pour exprimer le primitivisme
de l'homme, semble destiné à nous poser la question de savoir
qui est le sauvage, la brute, du pionnier et/ou de l'indigène.
Or, peut-on savoir où s'arrête le mal, et où commence le bien,
la perfection ?
En
fait,
ce
glossaire
est
aussi
l'oeuvre
d'un
esprit
de
création qui veut montrer
les
choses de manière à
ce que
nous
nous
interrogions
sur
leur
signification
d'un
point
de
vue
européen,
et
d'un
point
de
vue
africain,
les
deux
signifient
sans communiquer et sans pouvoir partager.
Les pionniers et les
Africains semblent avoir le même système de qualifications, mais
ils
ne
parlent
pas
le
même
langage
et
ne
font
pas
la
même
peinture
(
Voir Moore,
75)
de
la
réalité,
sauf
quand
ils
sont
rapportés dans la langue anglaise. Aussi, c'est à nous lecteurs,
de remettre chaque chose dans son contexte.
Dans l'examen de leurs traditions et de leurs performances
linguistiques
les
Africains
en
sont
réduits
au
stade
de
non-
humains:
ils sont féroces ou magiciens.
La satanisation devient
inhérente
à
la
nouvelle
de
Conrad,
lorsque
du
point
de
vue
narratorial, Makola attend d'offrir les bâtisseurs aux dieux des
ombres,
et lorsque Gobila et les villageois incantent ces mêmes
forces
pour se venger des
pionniers,
en offrant des
sacrifices
humains
après
avoir
perdu
des
hommes.
Or,
cette
démonisation

572
contraste
excessivement
avec
des
tentatives
d'assimiler
les
phénomènes africains et britanniques,
particulièrement dans des
expressions telles que "the fetish of civilization" et " Makola
the priest" attendant le moment de les offrir en sacrifice à son
dieu.
Ainsi, à
l'instant même où Conrad exclut les indigènes du
rang
d'humains
purs,
il
crée
une
perspective
historique
qui
porte
les
âges
de
l'esclavagisme
et
de
l'aventure
coloniale
britannique.
Aussi
sa
perspective
devient
a-historique.
C'est
ainsi que les pionniers se placent sur la même ligne temporelle
que
les
indigènes.
Or
dans
cette
disposition,
le
primitivisme
des autochtones devient inaltérable.
Ils n'auraient rien appris
de
leurs
contacts avec
l'Occident
(AOP,
p.56-57).,
se tiennent
comme
délibérément
en
marge
de
la
voie
du
progrès,
et
se
complaisent
dans
de
longues
palabres.
Ce
serait
dire
que
l'indigène incarne la mort du Blanc,
et des progrès qu'il croit
divins.
Aussi,
puisqu'il
fait
obstacle
à
la
culture
et
n'est
admirable que dans
la soumission
( Voir la question de l'autre
chez Bhabha, 76).
Pour
le
soumettre,
il
faut
le
pacifier.
Or,
pour
le
pacifier,
le
colon
brtitannique
a
souvent
fait
usage
de
la
force.
Et lorsque la
force
n'était pas
nécessaire,
le pionnier
devait ruser avec lui comme le revèle Huxley dans les propos de
Randall:
«
'Get hold of the local chief', he said.
'Meanwhile, l ' l l
give you a tip. Put a safari lamp up on a pole outside your
tent a night. These people have never seen lamps before.
Once they get over thinking it's a spirit, they can't
resist a closer look at such remarkable thing'.»
( TFTT,
p.
32)
Pour le récompenser de la part qu' il prenait pour ménager
les
forces
du
colon,
le
bâtisseur
trichait
et
piégeait

573
l'indigène. C'est ce que Huxley nous apprend plus loin à propos
de la rémunération des indigènes que:
«
So Kupanya was told he would receive a goat for every
ten young men who came to work and stayed a month. There
would be no pay for those who left in less than thirty
days.»
( TFTT, p.38)
Parfois,
le
Britannique,
au
lieu
de
se
contenter
de
l'accomplissement du travail, voulait que les choses se passent
de son propre point de vue, sans respect des croyances locales.
C'est ainsi que
la
narratrice
nous
dévoile que
les
indigènes
sont réticents à désherber, car cette activité est réservée aux
femmes et aux enfants dans leurs communautés.
Mais pour Robin,
cette situation est un faux-fuyant. Nous lisons à ce propos que:
«
Robin was indignant. He thought that the warriors were
making an excuse and, if they were not, that work like this
should not be done by women, but by otherwise idle young
men. His anger did not make any difference. The young men
downed pangas and said that they were going home.
'1 know what our Dutch friend would do', Robin mused.
'Put them down and give them twenty-five'.
This was a sovereign remedy in those days, ...
( ... ) 'You know what tribal customs are', Robin answered
knowingly, although it was unlikely that either of them had
much information on this subject. Anthropologists had not
yet made it respectable.»
( TFTT, p.69-70)
Le natif est dans un monde à part, qui contredit celui du
pionnier.
Mais il devra se soumettre à
ce dernier.
C'est dans
cette optique que Blixen nous apprend de la mort de Kitosch, qui
s'est assis à la même place que son patron que:
«
In punishment the settler, on sunday afternoon, had
Kitosch flogged, and afterwards tied up in his store, and
here late on sunday night Kitosch died. ( ... )
... during the flogging of the settler, came over to see
him. They looked on for ten minutes, or a quarter of an
hour, and walked away.»
( OOA, p. 239-240).

574
Puisqu'il est d'un autre univers que britannique, civilisé,
l'indigène
est
préférable
dans
l'assujetissement
car
il
sert
d'appoint à la force du colon.
C'est aussi pourquoi le pionnier
ne lui parle pas. Il ruse avec lui, car son langage est toujours
un mensonge quelque part comme nous
le signifient tour à
tour
Blixen et Huxley.
Par exemple Blixen profite de Kamante pour nous enseigner
que:
«
AlI Natives have a strong sense for dramatic effects.»
( OOA, p. 36).
Plus
tard
ce
constat
portant
sur
les
simulations
de
l'autochtone s'étend comme suit:
«AlI Natives have in them a strong strain of malice, a
shrill delight in things going wrong, which in itself is
hurting and revolting to Europeans.»
( OOA, p. 38).
Et finalement Blixen nous dit encore grâce à Kamante que:
«
If ever l scolded him in earnest, he stood up straight
before me and looked me in the face with watchful, deep
sadness which the faces of the Natives take on in a single
moment; then his eyes swelled, and filled with heavy tears
that slowly, one by one, rolled out and down over his
checks. l knew them to pure crocodile's tears, and in other
people they would not have affected me... »
( OOA, p. 52)
Autrement
dit,
le
colon
se méfie
de
l'indigène,
car
lui
aussi se dissimule toujours comme cela ressort du renseignement
suivant à propos des candidats indigènes à l'emploi de boy:
« ... sorne simply turned up on the verandah with their
'books', the testimonials or 'chits' from previous
employers that always featured prominently in expatriate
folklore. Here would be found such old colonial chestnuts
as 'l'm sure this boy will do you as weIl as he has done
me', and 'This cook leaves me n account of illness - mine,
not his'. Mocked though they were by employers, these

575
'books' were held in high regard by their servants ... "
Harrison, l go die." Harrison said, "Give me book first".
In other words, give me my testimonial before you go'»
(Charles, Ibid., p. 73)
C'est dans ce jeu de cache-cache que nous suggère Hereward
dans The Flame Trees Of Thika:
«It was his intention to create a healthy spirit of inter-
squad rivalry, but in this the African response was
disappointing; if rivalry existed, it was not expressed in
terms of work. ( ... ) The respective headmen, tackled on the
subject, would merely look hurt, shrug their shoulders, and
make sorne excuse bearing no possible relation to the truth,
but applied as an emollient to irritate feelings.( ... )
'Every one of these fellows lies like a trooper, and
not one has an inkling of the meaning of discipline l'»
( TFTT, p. 112)
Dans
ces
conditions
le
langage
entre
Africain
et
Britannique
fonctionne
toujours
au
niveau
du
malentendu.
Mais
c'est
après
coup
que
Huxley,
Waugh,
Blixen
ou
Cary
le
comprennent, mais pas sous le "feu" de l'action, c'est à dire au
bon endroit et au bon moment. Ce qui n'enlève pas leurs qualités
anthropologiques
à
leurs
oeuvres,
qui
se
veulent
objectives,
bien
que
parties
de
préjugés,
de
prévisions
dans
l'intérêt
qu'elles
portent
ou
aux
Masai,
aux
Somali,
Kikuyu
et
autres
indigènes
dont
nous
découvrons
les
mentalités,
les
moeurs
et
autres manifestations culturelles d'un point de vue britannique.
De ce fait, si nous prenons les tableaux à vif, dans le contexte
entre voyageur et autochtone, il n'y a pas eu de communication,
dans
la mesure où
si
le Britannique comprenait l'indigène,
il
lui
donnerait
une
légitimité,
des
droits
à
l'existence,
à
sa
terre,
à
sa dignité.
Et ainsi,
il se serait remis lui-même en
question,
en
rendant sa vocation civilisatrice caduque et non-
avenue.
Mais puisque les choses ont continué comme si de rien
n'était de toute cette situation dans les romans, l'Afrique dans

576
les oeuvresbri tanniques
est un mythe comme dans
la conquête de
l'Ouest américain.
Dans
la
conquête
de
l'Ouest,
les
hommes
refusent
l'Histoire. Ainsi les Américains dans leur chasse aux frontières
ont-ils continué à croire en une frontière occidentale bien que
la
conquête
fut
achevée
actuellement
depuis
belle
lurette.
si
tel
a
été
le
cas,
c'est
parce
que
l'Ouest,
c'est
le
rêve,
l ' ini tiation des hommes
contre une
nature intraitable mais
non
invincible. c'est pourquoi aujourd'hui encore nous avons dans le
cinéma
des
"westerns"
récents.
Les
Américains
refusent
de
laisser mourir leur Ouest.
C'est presque
la même situation que
nous avons dans la relation des Britanniques à l'Afrique. De nos
jours l'Afrique,
c'est celle qui est là-bas,
sous la forme d'un
grand
point
d'interrogation,
pleine
d'ésotérismes
qui
ne
se
laissent
pas
épuiser.
L'aventure
africaine
refuse
le
principe
d'un centre,
contrairement aux rites traditionnels par lesquels
l'homme se donne un être en se donnant un centre.
Le point fixe
finit
constamment ailleurs,
redistribuant
ainsi
les
chances
et
laissant
croire
que
jamais
le
but
ne
sera
atteint.
Dans
le
système
de
représentations
britanniques,
l'Afrique
se
voit
refusée le principe même d'une Histoire. Mais il se peut que ce
soi t
le
pionnier
qui
lui
refuse
ce
principe,
ou
qui
qui
ne
l'accepte
que
partiellement
par
éclats,
ici
ou
là,
pour
se
donner une crédibilité.
En aucun
cas,
le colon
ne
se
confond avec
cette Histoire
puisqu'il
se nourrit de
l ' espri t
de
la
conquête,
dont
le
seul
rapport avec le réel est la fuite loin des racines britanniques
qu'il retrouve au bout du chemin.
Et,
puisque l'errant s'appuie
sur le passé britannique pour être sûr de ne pas se tromper,
il
s'approprie le sens épique.
c'est pourquoi il oppose la mémoire
historique britannique à la tradition orale qui caractérise les

577
sociétés africaines,
pourtant toutes deux mémoires
historiques.
En effet c'est la conclusion à laquelle nous aboutissons si nous
en croyons la vision de l'histoire de Walcott,
qui dit à
propos
de la situation de conquête des Américains que :
«
They know that by openly fighting tradition we
perpetuate it, that revolutionary literature is a filial
impulse, and that maturity is the assimilation of the
features of every ancestor ...
These writers reject the idea of history as time for
its original concept as myth, the partial recall of the
race. For them history is fiction, subject to a fitful
muse, memory.
Their vision of man is elemental, a being inhabited
by presences, not a creature chained to his pasto Yet the
method by which we are taught the past, the progress from
motive to event, is the same by which we read fiction.
In
time every event becomes an exertion of memory and is thus
subject to invention. the further the facts, the more
history petrifies into myth ... The truly tough aesthetic of
the New World neither explains nor forgives history.
It
refuses to recognize it as a creative or cuplable
force.».( Voir Walcott, 77).
Le
continent
africain
représente
donc
une
ambition,
un
territoire
infini
au
point
d'absorber
le
nouveau
venu
pour
pouvoir
l ' ini tier .
I I I e
met
au
devant
d'une
série
d'épreuves
tant
physiques
que
psychologiques,
au
terme
desquelles
l'être
désorienté
initialement
acquiert
une
âme
qu'il
ne
soupçonnait
pas
habi tée
par
les
forces
des
animaux
et
des
plantes,
des
roches et de l'eau, des ombres,
des travaux humains et de leurs
limi tes dans
la mise en
échec,
la mort.
Peut-être aussi
Conrad
nous
suggère-t-il que c'est de
l'arrogance qui
fait
croire que
le
développement
culturel
et
matériel
de
l'Afrique
doi t
nécessairement
se
faire
suivant
le
modèle
européen.
Alors
ce
postulat s'accompagnerait de
l'implication
tout aussi
arrogante
qu'il est du devoir des Européens de combler le vide temporel de
la perte d'un
savoir,
et donc de civiliser.
C'est
le fondement
de
cette idée dans
sa
forme
prétentieuse
et
idéaliste qui
est
exposée dans les propos de Tilly dans The Flame Trees Of Thika ,

578
que nous verrons plus loin, dans les opinions du Belge dans out
Of
Africa:
«
Il
faut
enseigner
aux
nègres
à
être
honnêtes
à
travailler.
Rien de plus.»
(p
.262)
et dans celles de Carlier
et de Kayerts qui nous proposent une éthique du travail pour les
indigènes
(AOP,
p.66-67-69).
Dans tous
les cas de
figure,
nous
aboutissons
à
la
même philosophie,
à
savoir
que
l'Africain
en
est
encore perçu au
travers
d'un
mélange de
stéréotypes
et de
réduction
au
statut
de
non-humanoïde.
En
fait,
ce
type
de
fabrications des clichés est inhérent à
la tradition littéraire
britannique.
Elle
tend
à
faire
surface
lorsque
l'écrivain
rencontre la nature sauvage et crue,
si
nous en croyons Achebe
qui parle du Heart Of Darkness de Conrad en ces termes:
«
the desire
one might indeed say the need
in western
psychology to-set Africa up as a foil to Europe, a place of
negations at once remote and vaguely familiar in comparison
with which Europe's own sta1Sof spiritual grace will be
manifest.»
( Voir Achebe,
)
Certes,
les
oeuvres
britanniques
qui
témoignent
de
la
rencontre
avec
l'Afrique
sont
variées.
Mais
cette
rencontre
s'est
faite
à
partir
d'un
certain
stade
de
dévéloppement
technologique.
Au moment où l'Europe entama sa percée coloniale
de
l'Afrique,
aucune
société
africaine
n'avait
atteint
son
niveau.
Puis le partage de l'Afrique par l'Europe intervint à la
suite de la révolution industrielle qui lui inspira un devoir et
une assurance sans précédent par rapport au reste du monde.
Elle
s'appuie sur des valeurs Anglo-celtes pour apprécier des valeurs
qui sont autres.
Donc elle compare.
Les émigrés dédaignent donc
les cultures africaines, à l'exception du primitivisme idéalisé.
Ce qui veut dire que la littérature du "vieux" monde,
l'Europe,
et surtout du Royaume Uni est eurocentrée dans ses réactions vis
à
vis
du
continent
africain.
Ce
qui
veut
dire
que
cette
littérature recourt à la métaphore.
Pourtant la métaphore change

579
l'ordre du monde,
en le remodelant.
Or,
il s'agit de parler de
faits
étranges au contexte britannique.
Ainsi,
alors que Conrad
croyait recomposer le monde il n'a fait que le mépriser en lui
pissant
dessus,
tandis
que
Waugh
se
livrait
à
des
graffiti
politiques,
et que The
Flame Trees
Of
Thika ou Out Of
Africa,
montraient une préférence ouverte pour l'inculte contre le semi-
éduqué ( Voir Hammond & Jablow, 79). Ce n'est donc pas un hasard
si Johnson est mort dans le Mister Johnson de Cary.
L'univers de Johnson, comme celui de Kayerts et de Carlier,
est devenu un monde inconnu où les concepts de
'lumière'
n'ont
plus cours.
puisque ce monde est perçu et senti simultanément à
travers les émotions qu'il éveille,
au travers des images qu'il
offre,
alors l ' opposi tion entre un monde extérieur
et un monde
intérieur devient artificielle.
En fait,
si le roman de Cary et
la
nouvelle de
Conrad,
sont purement subjectifs
ils prétendent
se donner comme objectifs. Mais c'est quand même la victime qui
connaît la terreur absolue de la mort,
et qui
secrète l'espace
et
le
temps
qui
la menacent.
Donc
leur
existence n'est qu'une
prétention
à
l'existence
Voir
Husserl,
80).
Mais
puisque
la
morale humaine est faite de la reprocité des consciences,
alors
sera bon ce qui rassurera Kayerts dans An Outpost Of Progress ou
Johnson dans Mister Johnson,
et sera mauvais ce qui les menace.
La morale
la morale du
héros
dans
la
situation
coloniale
fait
qu'il n'attend pas de rachat,
mais le châtiment du coupable qui
est
en
lui.
Pour
Kayerts,
la
faute
grave,
c'est
celle
qui
inspire l'horreur:
il est lui-même un maillon dans cette chaîne
de
destruction
et
son
tour
venu,
il
n'est
plus
sûr
d'être
épargné.
C'est ainsi que Johnson est tombé dans Mister Johnson.
Mais la morale de Kayerts et de Johnson se réfugie derrière des
instincts
de
défense,
qui
donnent
à
leur
futur
impossible
le
caractère
d'un
espca r ,
et
à
leur
destin
présent,
celui
d'un

580
naufrage.
Aussi
ne
peuvent-ils que
sombrer pour aller
chercher
ce qu'il y a à l'horizon.
c'est ce qui pousse Huxley à
explore~
le fond des âges.
out Of Africa et The Flame Trees Of Thika se
présentent
comme des
recueils
de
contes
et de
légendes
sur
la
forêt
ou de
la
savane.
Mais
c'est
ainsi
que d'abord
l'Afrique
est apparue chez Conrad:
comme une
jungle,
un
continent obscur
avec ses pièges.
Puis pour des écrivains comme Blixen et Waugh,
ce
continent
qu'il
fallait
arracher
à
l ' obscuri té
devient
la
lanterne
d'une
humanité
future.
En
fait,
l'Afrique
apparaît
comme un lieu de passage obligé vers la mâturité pour les jeunes
pionniers qui
se réveillent dans
son obscurité.
C'est pourquoi
Blixen
fait
l'allusion
suivante
à
la
pépinière
de
café
qui
a
besoin d'obscurité pour se dévélopper:
«
The big coffee-dryer turned and turned, rumbling the
coffee in its iron belly with a sound like pebbles that are
washed on the sea-shore ... in the middle of the night. That
was a picturesque momerrt, wi th many hurricane lamps in the
huge dark room ... with eager glowing dark faces,
in the
light of the lamps ... ; the factory you felt, hung in the
great African night like a bright jewel in Ethiop's
ear ... »
(p. 17)
L' obscuri té,
c'est aussi
la
nuit,
l'Afrique qui
donne une
âme poétique à Blixen. L'usine est ainsi singularisée, car c'est
à
ces moments romantiques que Blixen s'identifie aux indigènes,
main-d'oeuvre malgré eux, et qui confirmeront son emprise petite
bourgeoise qui se manifeste dans les prestations de service que
Blixen
reçoit.
Aussi,
si
nous
nous
en
tenons
là,
la
rencontre
avec l'Afrique fut un acte manqué, un transfert révélateur de la
Grande Bretagne et de chaque auteur.
C'est ce qui fait que très
vite
viennent
les
regrets
pour
certains
pionniers
qui
se
demandent
s ' i l
en
valait
la
peine
vraiment
pour
eux
d'aller
sacrifier leurs vies pour et sur ce continent sauvage.
C'est le
cas,
par
exemple
de
An outpost
Of
Progress,

nous
avons
au

581
départ,
deux
hommes
Blancs,
qui
s'octroient
tous
les
droits,
puisque conférés de puissance et acteurs du progrès au bénéfice
des sauvages. Mais obnubilés par la perspective d'une prospérité
facile dans
leur
commerce de
l ' ivoire,
ils
finissent
eux-mêmes
'ivoirés'.
Ils
deviennent
eux-mêmes
des
brutes,
comme si
dans
leur
tentative
d'exorcisme
des
indigènes,
ils
recevaient
et
incarnaient
le
flux
du
mal
en
eux-mêmes.
Comme
deux
tigres
enfermés dans
une
cage prévue pour
un
seul,
ils
finissent
par
s'entre-dévorer.
Ce qui
permet
à
Conrad
de
jeter
la
pierre
à
l'impérialisme,
à
l'homme nu qui par son manque de retenue,
de
solidari té
et
de
compassion
en
arri ve
à
des
résultats
inescomptés.
Donc,
il n'y a pas que l'Africain qui soit capable
du
pire.
Pourtant,
associer,
c'est
assimiler.
Mais
avec
des
écrivains
britanniques
tels
que
Conrad,
cette
association
nous
donnai t
une idée du
sens
final:
la découverte d'un
contenu en
accord avec
la doctrine
aryenne.
De même dans
le
cadre de
la
narration,
il
fallait
un
préjugé
au
départ
pour
ensuite
le
confronter à l'épreuve des faits.
Il a fallu que Conrad fasse un
effort intellectuel,
pour
comprendre
et
justifier
le
phénomène
et ses effets, au lieu de jouer à
l'inquisiteur.
Aussi,
au lieu
de
rester
en
accord
avec
une
mentalité
scientifique,
qui
rendrai t
les
indigènes
impurs,
ou
singuliers,
Conrad grâce aux
ombres de
la
lutte
pour
le
pouvoir,
l'impérialisme
et
de
ses
"guerres" ,
adopte
une
atti tude
de
sympat.hi e
envers
les
indigènes,
et
surtout
les
hommes
malheureux.
C'est
peut-être
dans ce sens qu'il faut situer le scepticisme,
l'incrédulité et
la méfiance des uns envers les autres,
l'échec des présomptions
dans cette affaire d'amour et de rendez-vous manqués.
Cependant,
c'est
en
Afrique
que
Conrad
si tue
le
cadre
de
cette
assimilation,
la
désintégration
des
colons,
pour
dire
qu'ils

582
sont descendus aux enfers. Les Africains n'ont-ils pas longtemps
été considérés comme des descendants de Cham ?
C'est ainsi
que dans
les
réactions des
héros-personnages-
écrivains dans
leurs
contacts avec
l'Afrique,
ils
font de nous
les
témoins
des
splendeurs
du
pays,
ou
font
de
nous
les
interlocuteurs
d'un
certain
misérabilisme,
au
gré
de
leurs
aventures
dans
un
monde
obscur

en
général
ils
ne
rencontraient pas d'autres personnages d'égale carrure - même si
Carlier soutient le contraire dans An Outpost Of
Progress,
"He
is
no
better
than
you
or
me"
p.
74)
mais
plutôt
des
sauvages
endiablés
ou
ensorcelés.
En
tout
état
de
cause,
l'Afrique leur est apparue drapée de noir comme ils ont voulu le
croire en réalité.
Et si le continent Noir était un
miroir qui
sur une face réflétait ce que les pionniers voulaient y voir -
c'est-à-dire
des
images
saintes
et
héroïques
d'eux-mêmes
-
et
sur un autre plan,
les ombres fantômatiques de leur culpabilité
et
de
leur
regression
grâce
à
la
contamination
de
l'élément
destructeur?
Arrêtons-nous
sur
ce passage de
Out
Of
Africa
lorsque
la
narratrice
fait
état
de
l'invasion
préindustrielle
et
capitaliste de l'Afrique, qui a commencé par la fabrication des
bateaux à vapeur. (OOA, p.186). C'est à partir de cet instant que
l'écart fut creusé entre les peuples européens et les Africains,
et
se
poursuivit
par
la
défiguration
de
l'Afrique,
engagée
malgré elle dans une course-poursuite sans
fin.
C'est aussi
la
révélation
que
nous
fait
la
narratrice
de
The
Flame
Trees
Of
Thika
lorsqu'elle
évoque
l'acquisition
d'une
propriété
par
Robin,
et
la
spéculation
foncière
au
Norfolk
Hotel,
suivie de
l'avancée
des
pionniers
vers
une
sorte
d'Eden.
(TFTT ,
p.
12 ;
p. 34-35;
p. 72).
Quant
aux
initiateurs
de
Conrad,
ils
trouvent

583
qu'il
n'y
a
rien
du
tout
dans
cette
forêt

ils
ont
été
parachutés.
Et conformément à leur pensée,
ils sont enfermés au
campement.
Ils quittent leurs baraquements mais ils ne vont pas
au-delà
de
la
rivière
pour
pêcher.
Ceux
de
Cary
cherchent
à
désenclaver la brousse,
à
l'ouvrir au monde extérieur grâce aux
services de Rudbeck ( MJ,
p.52).
Ce sont ces mêmes préoccupations de perte,
de répérage qui
sévissent chez Waugh. Aussi, puisqu'il n'y a rien, Waugh navigue
de jour comme de nuit et pas même la religion ne semble pouvoir
l'aider.
De surcroît,
elle est corrompue en Abyssinie.
Et quant
au
pays
représenté
par
la
capitale,
la
pourriture
cotoîe
les
quartiers somptueux du fait de la rivalité entre les puissances
occidentales.
Finalement,
la
littérature
britannique
africaine
s'intéresse d'abord au choc culturel que connaissent les colons.
Leurs
espérances
de
rencontrer
un
Eden
. se
soldent
par
l'affrontement
avce
l'étrangeté
des
choses
et
des
êtres.
L'adversité
brutale
consiste
dans
la
confrontation
des
sensibili tés britanniques aux réalités de
ce nouveau monde que
serait l'Afrique.
L'expérience est sauvage car face à
l'espace,
les concepts et les images traditionnels ne peuvent plus suffire
au suj et dans
l'interprétation de
sa
situation.
En défini ti ve,
il
se
retrouve
dans
une
sorte d'égarement,
de
vide
entre deux
systèmes
de
valeurs
spoliés:
un
système
africain
qui
a
été
endommagé
sui te
à
la
pénétration
coloniale,
et
l'autre,
eurocentrique qui se révèle inadéquat dans un pays naturellement
et socialement différent.
Mais dans cette attitude,
les émigrés
Britanniques apparaissent comme des habitants innocents dans une
prairie qui ne leur apporte que des frustrations par sa laideur,
par
son
hostilité
et
par
son
inhospi talité
au
regard
de
ses
aspects
physiques
RP,
p.140-141).
Par
exemple,
si
nous
repensons
à
Blixen
en
peine
dans
sa
production
de
café,
en

584
réalité il s'agit pour l'auteur de Out Of Africa de nous montrer
des hommes qui tentent de dépasser leurs propres limites dans un
environnement cruel.
De même,
la
situation de Blixen n'est pas
différente de celle de Robin dans The Flame Trees Of Thika dans
ses
nombreuses
tentatives
de
prospérité
vaines.
Tout
particulièrement
lorsque
la
narratrice
de
The
Flame
Trees
Of
Thika
nous
explique
que
Robin
porte
le
"mauvais
chapeau",
c'est toute
la
compréhension de
l'oeuvre,
et du
sort de Robin
qui
irradient.
Donc
s'il
y
a
un
Eden
en
Afrique,
il
est
démoniaque,
dans
la mesure où
il
porte
la maladie
et donne
la
mort:
le
climat
est
âpre,
les
récoltes
échouent,
le
bétail
meurt.
Les
hommes
sont
au
bord de
la
famine,
dans
OOA et
The
Flame Trees Of Thika. Mais finalement cette Afrique indomptable,
ne serait-elle pas
le produit d'un
esprit britannique qui
perd
son
latin
dans
un
monde
insoumis,
qui
réclame
de
nouvelles
catégories de différenciation?
Dans ces conditions qui serait finalement le bandit, le
sauvage ou le rebelle dans la structure coloniale?
3 -
7 -
Le Mauvais garçon
Le
mauvais
garçon
contrevient
à
l'ordre
établi,
à
la
loi
sociale.
Aussi
il
peut
être
aussi
bien
indigène
qu'expatrié.
c'est pourquoi il
peut s'appeler Hereward,
Ross,
ou Tilly dans
The
Flame
Trees
Of
Thika,
en
tant
qu' individus
qui
mettent
à
profi t
une
situation
d'anarchie
qui
dure,
dans
un
monde
sans
frontières entre individu et pouvoir, force et droit.
Partis exister autrement ailleurs,
et conscients de l'échec
des anciennes valeurs,
ils évoluent dans un univers
sans
règle
fixe.
Donc, c'est l'absence de loi qu'ils viennent vivre. Or,
le

585
mauvais
garçon
et
le
District
Commissioner
ne
constituent
que
les
deux
faces
du
conquérant,
l'une
tournée
vers
le
passé
et
l'autre cherchant comment en profiter au maximum,
comme dans le
cas de Emmanuelson dans OOA.
Les pionniers peu fortunés ou ne disposant pas de pouvoir,
sont des parias autant que les Africains, exclus de la
communauté européenne. Ces émigrés sont sensibles aux forces qui
les ont poussés vers ce pays: les croyances, les modes de vie et
les vocations capitalistes ont fait d'eux des êtres
inacceptables. C'est une question de norme, qui a tendance à
nier les valeurs minoritaires, les différences, pour les mêmes
raisons qui poussent une culture à se croire universelle ( Voir
Hammond & Jablow, 81).
Au
contact
de
l'Afrique,
le
Britannique
éprouve
un
sentiment
de
culpabilité.
La
présence
des
indigènes
lui
donne
mauvaise conscience.
Il n'ose plus célébrer les beautés du Ngong
Hills,
ou
les
ruines
des
églises
Coptes.
Il
s'apitoie
sur
le
Masai
en
voie
de
disparition,
plaint
le
Kikuyu
rongé
par
les
plaies,
et
le
Somali
portant
la
charge
des
colons.
Son
témoignage
ne
peut
plus
être
une
déclamation
poétique,
une
description pi ttoreque,
un
élan d'admiration.
C'est un acte de
contrition.
Rebelle au sortilège exotique,
il note avec exactitude les
beautés et les défauts du paysage observé ainsi chez Waugh.
La
constation d'une injustice,
le spectacle de la misère mêlent un
sentiment de gêne au plaisir éprouvé par chez Blixen ou Huxley.
L'esthète se transforme en une sorte de missionnaire social qui
se
fait
une
loi
de
dire
toute
la
vérité.
Il
s'en
prend
aux
pseudo-civilisés
coupables
à
ses
yeux
d'avoir
introduit
la
misère
en
ce
pays,
autrefois
"fortuné".
or,
c'est
hélas,
la
réappar i tion
du
mythe
du
bon
sauvage
et
du
méchant
européen.

586
Mais
puisque
le
voyage
a
déçu
les
immigrés
britanniques,
l'image,
désormais
inexacte,
que
les
écrivains
conservent
d~
l'Afrique,
qui alimentera leurs rêves,
leur permet de supporter
une
civilisation qui
secrète
l'ennui.
L'exploration
de
déserts
ou de paysages confus,
était plutôt celle de la mémoire,
de la
communicabili té
(Voir Waugh
dans
son
rapport à
l'Américain,
et
au conducteur,
qui
sont pourtant des
compagnons proches de lui
), que de ceux qui l'entouraient vraiment. Animaliers de talent,
ils
décrivent
la
faune
dont
ils
s'efforcent
de
pénétrer
les
instincts, puisque le monde est cloisonné et s'est rapetissé.
Il
n'y
a
plus
de
place
pour
l'imprévu.
Or
l'âme
héroïque
du
voyageur
veut
participer
à
une
communauté
qui
respecte
ses
désirs
et ses
rêves
(
Voir
Nietzsche,
82).
Aussi,
puisque
les
lois
de
"l'ancien"
monde
britannique,
lui
sont
imposées
de
l'extérieur, elles contraignent le Britannique à l'échec.
Le
voyageur
est
parti
construire
une
fraternité.
Une
adhésion
intime
le
lie
avec
les
autres
colons,
et
leur
fait
aimer
leur sort
(AOP,
p. 59).
Au lieu de
se sentir isolés,
ils
s'unissent en un libre contrat, qui les dispense du recours à la
loi du plus fort.
Mais puisqu'ils sont des personnages traqués,
ce contrat repose sur une conscience de l'échec. C'est pourquoi,
dans An Outpost Of Progress,
les émigrés Kayerts et Carlier qui
sont à la recherche d'une lumière légendaire,
la lampe d'Aladin,
se laissent contaminer par les épidémies qu'ils ont feintes,
un
peu
comme
le
'boy'
Kitosch
qui
a
voulu
mourir
dans
OOA,
ou
Johnson dans Mister Johnson.
Cependant la différence entre tous
ces personnages est qu'ils sont dans une situation de domination
et
de
soumission.
C'est
pourquoi
dans
la
position
des
dominateurs,
l'alcool
est
de
mise
pour
contrer
les
épidémies,
s'immuniser,
ne pas se créer des problèmes de conscience ou se
poser des questions
saugrenues.
L'alcool
joue ici
le même rôle

587
que
la
femme,
et
il
se
peut
même
qu'ils
finissent
par
représenter l'Afrique.
En effet,
l'un
comme l'autre peuvent aider à
se préserver
du
pire,
de
la
certitude,
de
la
vérité
trop
nue
qui
éblouit
comme le soleil.
Aussi,
Kayerts et Carlier qui sont allés à
la
recherche de
leur vérité,
de
leur
lumière,
n'ont-ils
rencontré
que des mots et des impressions.
Ils vont à
la recherche d'une
révélation,
et
s'aperçoivent
que
la
coquille
est
vide.
Leur
histoire
est
existentielle.
L'Afrique
et
son
environnement
ne
les
laissent
pas
indemnes.
Aussi,
pourquoi
émigrer
pour
reconstruire un monde que l'on a fui?
Est-ce simplement en vue
de découvrir des espaces infinis ?
Toute
une
partie
de
Out
Of
Africa
est
consacrée
à
un
personnage du nom de Emmanuelson,
un
Suédois qui vient étoffer
l'univers
du
roman.
Outre
sa
présentation
physique,
l'auteur
nous livre Emmanuelson sous les signes suivants:
«
... When l
first knew him he held the position of maître
d'hôtel at one of the hotels of Nairobi.
( ... ) he seemed to
have a gift for bringing himself into trouble ... the
country.»(p.171).
Ainsi,
ce
scandinave
est
en
somme
la
honte
de
sa
communauté.
Il est caractérisé par tout ce qui est condamnable.
Il
est
une
sorte
de
hors-la-loi,
de
filou,
le
parla
de
sa
communauté. C'est pourquoi à force de transgresser les règles et
les lois sociales, il en est au point de fuir contamment, d'être
traqué
et
d'errer
dans
la
jungle.
Aussi,
le
thème
du
fugitif
est-il
important
dans
le
roman.
Tandis
que
Kabero
fuit
les
conséquences de coup de fusil malheureux, et que Knudsen s'évade
par
l'esprit,
Emmanuelson
est
constamment
sur
la
route
par
fourbérie.
En
fait,
ce
sont
des
personnages
qui
se
cherchent

588
chacun
à
leur
façon.
Ils
sont
tous
des
voyageurs
qui
franchissent des frontières. Ainsi la ferme marque une forme de
limite,
un
détour
obligé
pour
tous
ces
gens
qui
ne
se
rencontrent pourtant point.
Quant à
Enunanuelson,
il
est
cette
fois-ci en marche vers le Tanganyika, ce qui signifie:
«
it would mean three days through the Masai Reserve
without water, and the lions were bad there just now.»
(p.
172).
Le danger est aux aguêts,
attendant
ses victimes
sur
les
routes
et
les
brousses
africaines.
Mais
Enunanuelson,
conune
Knudsen qui a fait fi des enseignements reçus,
est déterminé à
braver
ces
périls
pour
chercher
la
quiétude.
Sans
recours
et
sans secours, délaissé de ses compatriotes, Enunanuelson a appris
à
supporter
son
sort,
à
se
résigner
à
tout
ce
qui
peut
lui
arriver. Le conte allègue à son endroit que:
«
He had no faith in my hospitality or in his own power of
persuasion, and he made a lonely figure in the dark outside
my house, a man without a friend.
( ... ) this was courtesy
in a hunted animal.»
(p. 172).
Ainsi est-il un honune poursuivi,
qui n'a plus mal ou peur
d'être déçu parce qu'il n'attend plus rien d'autre des honunes,
même dans la lumière que représente la maison de la narratrice,
cette lanterne au milieu du chaos.
Il reste dans l'obscurité de
ses
tourments,
et
quand
nous
apprenons
que
la
narratrice
a
transigé, nous voyons avec elle que:
«
In the light of the lamp Enunanuelson was a sad sight. He
had on a long black overcoat such as nobody wears in
Africa, he was unshaven and his hair was not cut, his old
shoes were split at the toe. He was bringing no belongings
with him to Tanganyika, his hands were empty. It seemed
that l was to take the part of the high priest who presents
the goat alive to the Lord, and sends it into the
wilderness. l thought that here we needed wine.»

589
(p.
172-173).
De ce personnage excentrique,
se dégagent
les
traits d'un
homme usé,
abandonné et miséreux,
que la lumière fait voir sous
une
apparence
sinistre.
Peu
à
peu,
alors
que
nous
persevérons
dans
ses
échanges
avec
la
narratrice,
il
se
revèle
sous
le
signalement
d'un
souffre-douleur,
mais
aussi
d'un
artiste
qui
s'exclame:
«
'Why, l am an actor'.
( ... )
'Oh l am a tragic actor' .»
(p. 173).
Dans la comédie de la vie, en réalité,
Emmanuelson se situe
comme
un
personnage
de
théâtre.
Il
se
fait
passer
pour
un
objecteur
de
conscience
qui
a
rejeté
les
standards
de
vie
occidentaux comme nous le revèle l'extrait suivant:
«
l asked him how i t was that he had not been able to find
any work at all. He answered that i t was because he knew
nothing of the things with which people out here occupied
themselves.
( ... ) '1 have always found i t very difficult to add to
figures together' .»
(p. 173).
Aussi devient-il
un phénomène en
son genre,
qui
ne trouve
pas sa place dans une vie de sédentaire. Dans son itinéraire, il
nous rappelle un aventurier,
un homme sans ambition qui accepte
de vivre jusqu'au bout,
son désir de partir de l'Occident.
Mais
en réalité, il se pose en acteur pour servir de jauge, de repère
par rapport à
la vie occidentale et africaine.
Dans la vie,
il
est comme au théâtre,
car dans sa dramaturgie,
il a
l'image du
Christ rendant visite au riche. La comparaison est d'autant plus
frappante
que
l'auteur
au
préalable
évoque
le
sacrifice
d'Abrahams.
Dans
cette
imagerie
religieuse,
le
vin
remplacera

590
bien le sang comme cela se passe dans la célébration du
cul te
catholique. Lorsqu'il affirme à propos de son propre sort que:
«
Sorne person or other will have to be in the worst
position of aIl people.»
(p. 175).
Errunanuelson
est
la
brebis
galeuse
(black
sheep)
du
troupeau ,
doit
accomplir
sa
mission
corrune
ces
hommes qui
ont
traversé le désert à pied pour aller déposer leurs fardeaux aux
pieds
de
l'Eternel.
Ainsi,
il
est
un
martyr
qui
prend
sa
souffrance
corrune
un
mérite,
en
la
ramenant
à
ses
justes
proportions, corrune il le confesse en ces termes:
«
'This journey', he said,
'is a sort of gamble to me, le
rouge et le noir. l have chance to get out of things, l may
even be getting out of everything. On the other hand, if l
get, to Tanganyika l may get into things.
( ... ) But with the exception of God l believe in absolutely
nothing whatever' .»
(p. 175).
Armé de sa seule foi en Dieu, il court à la révélation, au
mystère.
Il
a
rej eté la vie des hommes et leur
société en en
riant,
pour faire son pélérinage dans les régions profondes du
monde et de lui-même. Tandis que certains cherchent leur destin,
d'autres
le
subissent
dans
le
théâtre
des
âmes
déçues.
Dans
cette
comédie,
la
narratrice
elle
aussi
craint
de
devenir
pareille à Errunanuelson; elle ne voudrait pas être en reste:
«
... l
did not like to see him step straight from the
threshold of my house into an uncertain fate, and besides l
wished to be, myself, somewhere within this comedy or
tragedy of his ...
Errunanuelson in the dawn looked like one of those
legendary corpses whose beards grow quickly in the earth,
but he came forth from his grave with a good grace and was
very placid and well-balanced as we drove on.»
(p.175-176)

591
Pour
renaître,
Emmanuelson
doit
mourir
et
ressusciter
ensuite
ne
serait-ce
que
symboliquement,
car
s'il
revenait
à
tout
hasard de
sa quête,
il
ne
serait plus
le même homme.
Il
aura été instruit par l'expérience et nourri par la sagesse du
monde.
L'auteur de OOA quant à
elle,
nous donne une présentation
théâtrale de ce personnage qui entre en scène inopinément,
joue
son rôle pour laisser le soin aux spectateurs d'apprécier.
Dans
cette
représentation
artistique,
au
moment
des
adieux
la
narratrice
et
Farah
deviennent
eux
aussi
des
spectateurs
du
comédien qui quitte la scène,
pour se plonger dans le décor de
la
vie,

son
rôle
sera
improvisé avec
d'autres
spectateurs.
Autrement
dit,
Emmanuelson
est
un
personnage
complexe
qui
s'expose à plusieurs points de vue:
celui des autres personnages
et celui du lecteur avec toutes les variations de lumière et de
costumes.
Bien
que
Emmanuelson
soit
pauvre,
il
est
Blanc
et
rappelle celui qui détient le pouvoir. c'est ainsi que même avec
une image de clochard,
Emmanuelson force néanmoins la sympathie
et le respect de tous. Du point de vue de Farah, il est:
«
a Bwana for the sake of his own dignity.»
(p. 176)
et par ces paroles:
«
'Allah
be
with
him' .»
(p.
176),
il
lui
accorde
ses
bénédictions. Farah accompagne ce pélérin de ses pensées, car il
n'a rien à
lui
reprocher.
Il
a
juste des visions et des idées
différentes
de
la
vie.
En
cela
il
est
respectable
pour
ses
convictions.
Par
rapport
à
la
narratrice,
du
bandit
qu'il
paraissait,
il
est
devenu
un
homme
comme
les
autres;
elle
compatit à son sort:

592
«
l heard the roar of a lion far away to the south-west·
half an hour later l heard him again. l wondered if he w~s
sitting upon
on aIl black overcoast.»
(p. 177).
Cette sentimentalitée l'amène à compatir avec l'artiste, et
à
imaginer
le
pire
qu'il
puisse
vivre
jusqu'à
ce
que
par
surprise,
contre toute attente,
Emmanuelson
se
revèle
sous un
autre jour. Le paria, en fait:
«
He seemed to have in him a talent for gratitudei he
remembered everything of his evening on the farm, and came
back many times to the fact that there he had felt amongst
friends. He told me about his journey to Tanganyika. He had
much good to say of the Masai. They had found him on the
road and taken him in, had shown him great kindness and
hospitality ... »
(p. 177).
Puisqu'il
se
présente
comme
un
vagabond,
les
Masai
l'adoptent
en
tant que
compagnon d'armes
et
de
lutte,
car
le
texte nous dit:
«
The true aristocracy and the true proletariat of the
world are both in understanding with tragedy. To them it is
the fundamental principle of God, and the key - the minor
key - to existence. They differ in this way from
bourgeoisie of aIl classes, who deny tragedy, who will not
tolerate it, and to whom the word tragedy means in itself
unpleasantness. Many misunderstandings between the white
middle-class immigrant settlers and the Natives arise from
this facto The sulky Masai are both aristocraticy and
proletariat, they would have recognized at once in the
lonely wanderer in black, a figure of tragedYi and the
tragic actor had come, with them, into his own.»
(p. 177-178).
Vagabond comme eux,
Emmanuelson est démuni aussi,
il n'est
pas plus riche que le plus pauvre des Masai. Comme eux, il a sa
digni té.
C'est le type de personnage qui
semble permettre aux
Masai
de
s'assumer
en
affirmant
leur
fierté
face
au
pouvoir
colonial.
comparé aux autres pionniers, il est le type même du
personnage tragique, puisqu'il fait l'impression de pouvoir être
secouru
par
des
indigènes
qui
sont
confortés
de
voir
que
le

593
pionnier blanc n'est pas différent de l'homme. Les points de vue
et les images sur Emmanuelson changent selon les sujets, mais ce
que nous retenons en plus,
c'est qu'il est aussi cultivé que la
narratrice,
au moins en art dramatique.
En attestent les pièces
de Armand, La Dame aux Camélias, et de Oswald, Ghosts.
Pourtant,
un
code
vide
-
le
District
Commissioner
-
peut
s'appliquer
à
tout,
comme nous pouvons le constater dans Mister Johnson,
mais
aussi
An
Outpost
Of
Progress,
bien
qu'il
n'y
ait
pas
de
District Commissioner dans ce dernier cas.
Dans l'ensemble des écrits sur l'Afrique,
l'accent a
porté
sur le regard et les lieux,
les odeurs et les sensations.
Ainsi
les
drames
ne
résultent
plus
des
mésaventures
des
émigrants,
mais plutôt de la face changeante du paysage,
qui leur imposait
des
monologues.
Ces
monologues
sont
les
effets
de
tragédies
exprimées
par
l ' impossibili té
de
la
durée,
de
la
permanence.
Pour
tout
achever,
la
mort
est
là.
Dans
la
représentation
de
l'autre,
il
y
a
comme
la
vérification,
la
confirmation
du
présentateur, comme le dirait Breton citant Engels:
«C'est sa propre essenc g que chacun cherche chez
autrui.»( Voir Breton,
3)
Ainsi le pionnier britannique veut-il parvenir quelque
part, un n'importe où perpétuel, à la recherche de ce que les
apparences cachent encore. Il veut découvrir les parties du
monde qui peuvent ressembler au moi,
jusqu'à en être le miroir.

594
3 - 8 - Autres inversions
Le
pouvoir pour être réalisé transi te par des éxécutants.
Ce
qui
veut
dire
qu'il
y
a
des
rôles
secondaires
qui
s'installent dans son exercice.
Or,
la tentation de s'en servir
pour conserver sa puissance est grande,
à
tel point que toutes
les
inversions
deviennent
possibles.
Mais
on
ne
prend
pas
la
place
des
dieux
sans
risques.
C'est
ce
que
Blixen,
Robin,
Kayerts et Carlier ont appris à leur dépens.
Ces promoteurss ont
ignoré
les
valeurs
du
sacré des
indigènes,
en
oubliant
qu'ils
vivaient
sur
les
réalités
du
terrain,
et
ont

payer
leurs
écarts
par
la
fin
de
leurs
rêves
ou
la
mort.
Plutôt
que
de
s'adapter
au
pays,
ces
Britanniques
ont
voulu
l'adapter
forcément à leurs sensibilités, leurs personnalités.
Une inversion que nous avons déj à
signalée se passe entre
l'homme
et
la
femme,
situation
dans
laquelle
le
second
se
comporte
comme
le
premier,
par
exemple
Blixen
et
le
premier
comme le second à
savoir Esa tous deux dans
OOA.
Le
résultat,
c'est une punition:
tout
renversement de
rôle ou de
statut
se
solde
par
un
drame
ou
une
tragédie.
Cependant,
une
remarque
s'impose:
entre gens de maison et maîtres,
les seconds peuvent
se déguiser,
prendre la place des
"grands" dont ils connaissent
les
habitudes,
le
style
de
vie
et
l ' intimi té.
Nous
avons
vu
comment
Kabero,
se
prenant
pour
Belknap
a
tué
et
blessé
ses
compagnons de jeu, par manque d'une maîtrise complète du pouvoir
de son patron dans Out Of Africa.
De même Makola,
agissant pour
le
compte
de
ses
employeurs,
provoque
un
sociodrame
qui
se
résoud dans la destruction de ces derniers. Mais la question que

595
nous
voulions
préciser
c'est
que
dans
le
processus
d'interversion
entre
employés
et
employeurs,
"petits
et
forts"
la
symé t r i e
n'est
pas
possible.
Les
employeurs
ne
peuvent pas
prendre la place des
subalternes,
car
la
logique veut que
les
seconds n'aient pas d'intimité.
Une fois que les maîtres ont vu
un
domestique,
ils
ont
vu
tous
les
autres.
Et
entre
les
deux
groupes,
il n'y a pas d'autre communication que le commandement
et
l'imposition,
car
la
volonté
des
chefs
civilisateurs
est
perçue comme celle des indigènes dominés.
Mais comme le pouvoir
assume
la
non-reconnaissance
de
limites.
Aussi
il
n'est
pas
possible que le Blanc occupe la place de
l'indigène en qui
il
veut tuer
le
sauvage pour
sauver
l ' homme nègre.
Pour
cela,
il
doit
jour
et
nuit
se
montrer
disponible,
prendre
le
cap
et
repartir vers de nouveaux horizons.
Pour qu'il
puisse échanger
des
rôles
avec
l'indigène,
il
eût
fallu
que
leurs
positions
soient
égales
ou
qu'elles
s'équivalent.
Or,
la
situation
coloniale ne reconnaissait d'autorité de sens et de vérité donc
de
pouvoir
qu'aux
missionnaires
et
aux
administrateurs
de
la
civilisation.
La
situation
des
indigènes
et
des
colons
peut
être
représentée par un diagramme.
Le Blanc voyant les choses et les
obj ets
de haut
nous
inspire une
vision
verticale.
Par
exemple
dans Out Of Africa
(p.13)
Blixen contemple la nature depuis les
hauteurs du Ngong.
Elle fait des passages en avion, pour revenir
finalement poser son esprit sur l'eau du lac -
ses passions ... -
un
plan horizontal.
Donc
ce qui caractérise le pionnier,
c'est
le
vide,
l'air,
le
nuage,
c'est-à-dire
rien,
et
finalement
l'attraction
tellurique,
au
regard
de
ses
incessants
déplacements, de son instabilité, et de son errance.

596
Le promoteur britannique est loin de la terre, de l'Afrique
au
dessus
de
laquelle
il
plane,
et
quand
vient
le
moment
de
redescendre, le pionnier s'enfonce dans le sous-sol.
Dans un autre lieu,
l'Africain lui, peut être lu de manière
cyclique.
Il quitte son cantonnement pour se rendre au domaine
de l'aventurier,
s'y occuper de ce qui donne la vie grâce à
la
cul ture,
des
produits
de
la
terre
et
s'en
retourne
chez
lui,
pour
célébrer
une
journée accomplie
-
celle qui
lui
permettra
d'avoir des grades pour rejoindre les ancêtres
( Voir Radcliffe-
Brown; Onwuejeogwa; Krije, 84), le jour où il ne se relèvera pas
de son lit.
Il est donc dans un cercle qui lui reste dans toutes
les
situations.
Mais
la
Terre
est
ronde
même s'il
ne
le
sait
pas, comme dans ce film Les Dieux Sont Tombés Sur La Tête, où le
protagoniste noir décide de porter au bout de la terre,
son bout
de la terre, une bouteille de Coca qui n'a pas cessé de créer la
zizanie dans sa tribu depuis qu'elle y
fut
jetée à
partir d'un
avion.
Mais
Blixen
elle,
le
sait.
Nonobstant,
elle
veut
traverser
cette
enceinte.
Pourtant
qui
coiffe
le
nuage,
la
colline,
sinon
nous
les
lecteurs
que
l'auteur
a
placés
en
contre-plongée de
son texte?
Et c'est au ciel que
se
si tue
le
paradis,
donc
les
dieux.
Ainsi
tout
compte
fait,
il
nous
appartient
à
nous
lecteurs
d'achever,
de
dire
ce
que
vit
le
personnage et comment il nous est montré ou s'est montré.
Pourtant dieux, démons et héros sont bons et ne peuvent que
vouloir
la
justice.
Mais
en
tant
qu 'homme
le
héros
commet
le
péché,
la
faute
tragique
du
démon.
lIserait

donc
dans
le
roman
pour
proclamer
la
parole
di vine,
et
à
la
fois
susciter
l'intervention divine qui la réalisera comme Moïse (Voir Nouveau
Testament,
85).
De même le dieu peut tout rompre en sauvant son
protégé comme Ogun dans la mythologie Yoruba ( Voir Verger, 86).
A présent,
le
mode
de
pensée,
d'action,
de
vie
britannique,

597
cessent
d' apparaî tre
comme l'unique
fond
possible
du
sens.
Il
nous
faut
y
aj outer
la part du di vin.
Or
là,
seul
le
lecteur
peut tout survoler en dominant la situation verticale. Mais cela
n'empêche pas
les personnages de
suivre
fatalement
leur route,
et le cours du récit qui les attend.
Cependant considérons que
le pionnier dans
les
récits
est
ouvert sur le monde,
puisqu'il a
fait
le déplacement Nord-Sud.
Et dans la plupart des cas, il a agrandi son espace foncier,
son
terri toire à
tel
point qu'il
est devenu presque incontrôlable.
Pensons aux terrains de chasse de Blixen OOA
(p.197)
ou à
ceux
de
The
Flame
Trees
Of
Thika
(p.28),
en
particulier
de
la
propriété
de
Robin,
et
surtout
l'espace
que
le
spéculateur
organise au Norfolk Hotel -
Comprenons Norfolk dans l'émigration
des
Britanniques
du
Nord
au
Sud,
en
Afrique,
vers
Ailleurs
-
sans pouvoir en donner une idée exacte.
Ainsi,
dans An Outpost
Of
Progress.
(p. 58),
le
colon dispose
d'une
clairière pour
le
coton,
d'une zone de pèche,
et d'une
forêt
dense où se logent
les
autochtones.
Dans
Remote
People
(p.23)
ou
dans
Mister
Johnson.
(p.58),
nous avons à
peu près le même type de zonage,
de
stratification
géographique
en
fonction
du
revenu
et
du
statut
social.
C'est
ainsi
que
les
villageois
dans
Mister
Johnson,
sont
logés
derrière
un
marais,
et
le
District
commissioner, dans un pays salubre disposé linéairement et gardé
par des fonctionnaires autochtones qui veillent sur son sommeil.
Mais leur rapport à l'espace est similaire à celui du prisonnier
et de son gardien.
Puisque
c'est
sa
profession
et
qu'il
est
convaincu
de
l'avoir
choisie,
le
gardien
de
prison
se
retrouve
lui-même
prisonnier. Il se contente de son rôle. Comme le géôlier ne peut
abandonner
son
poste,
il
n'a
aucun
pouvoir
de
s'éclipser.
Détenteur
d'un
pouvoir
illimité,
il
reste
contenu
par
les

598
frontières de son patrimoine foncier.
rI ne les dépasse pas. Et
puisqu'il est impuissant à aller au-delà des frontières de son
état, c'est qu'il ne le possède pas suffisamment.
Donc en tant
que bâtisseur,
le Britannique ne
représente pas une libération
ni pour lui-même, ni pour l'autre. si sa liberté existe, elle le
concerne tout seul. c'est ainsi que Blixen dans OOA nous confie
que:
« •.. r had a great respect for those government officiaIs
who could get any work at aIl done in the little burning
hot, inky rooms in which they were sat.»
(p.20).
La disposition géographique de
l'administration
ne
permet
pas aux fonctionnaires de se libérer des contraintes de leurs
statuts.
Tout
semble
fixé
d'avance
dans
leur
vie,
qui
n'est
autre qu'une vie fermée sur une ethnicité et exprimée en termes
de
cercles
Voir
Galbraith,
87).
Pourtant,
en
assumant
son
celle-ci, Blixen semble déprécier tout ce qui n'est occidental,
comme nous pouvons le lire dans le passage suivant:
«
The quarters of the Natives and of the coloured
immigrants were very extensive compared to the European
town. The Swaheli town ... had not a good name in any way,
but was a lively, dirty and gaudy place, with at any hour,
a number of things going in it. rt was built mostly out of
old paraffin tins hammered fIat, in various states of
rust,like the coral rock, the fossilized structure, from
which the spirit of the advancing civilization was steadily
fleeing.»( OOA, p.20).
En
fait,
au
regard
de
ce
village
Swahili,
la
descriptricebritannique
est
choquée
par
le
cloisonnement
des
indigènes, poussés vers des sortes de faubourgs,
à travers des
bidonvilles qu'ils occupent en
conséquence de la civilisation,
comme
ce
fut
le
cas
en
Angleterre
suite
à
la
révolution
industrielle
Voir
Bédarida;
Dyos;
Kellet,
88)
et
qui
leur
donne
le visage de
ce que London
appelle
"the people of
the

599
abyss".
Blixen,
dénonce
et
nous
pousse
à
nous
demander
à
qui
s'adresse cette civilisation si les indigènes sont laissés pour
compte.
Ils font
le va- et-vient pour servir le colon,
en tout
aise.
Ils
vivent
avec
le
bâtisseur
et
sans
lui.
Enfermé
chez
lui,
le
Britannique
les
perçoit
au
son
de
leurs
tambours,
des
murmures de la forêt,
ou des champs de café.
D'où des occasions
de
malentendus
qui
se
multiplient,
par
exemple
dans
cette
assertion de Blixen:
« ... Europeans who live for a long time, even for several
generations, in the same place, cannot reconcile themselves
to the complete indifference to the surroundings of their
homes, of the nomadic races.
The Somali were cattle-dealers and traders aIl over
the country.
( .. )
The Somali bring much trouble upon themselves by their
terrible tribal quarrels. In this matter they feel and
reason differently from other people ... »
(p. 20-21).
De ce
fait,
les
Somali
lui
apparaissent belliqueux.
c'est
ce qui explique les nombreuses guerres tribales où ils semblent
exceller.
De
même
ils
se
montrent
indomptables.
Ils
n'ont
d'autre
préoccupation
que
leur
bétail.
En
dépi t
de
son
abondance,
ils
n'hésitent pas
à
s'affamer.
Ils
semblent
s'être
délibéremment mis hors
de
la
voie du
progrès.
Ne
sont-ils
pas
sous
l'emprise
d'une
puissance
religieuse,
céleste,
qui
leur
permet de dépasser
le monde
ici-bas,
au
risque
de
passer
pour
des ascètes ?
De
même,
Blixen
nous
confie
que
pour
certains
émigrés,
c'est la notion de profit qui aurait motivé les autochtones pour
se convertir au christianisme. Le texte nous dit:
«
The day before, he (Father Bernard) told me, nine young
Kikuyu from the Chruch of Scotland Mission, had come and
asked to be received into the Roman Catholic Church,
because they ha, upon meditation and discussion , come to
hold with the doctrine of Transubstantiation of that
church.»
(p.251).

600
Aux
yeux
de
certains
immigrés,
les
Kikuyu
dans
leur
recherche de la vérité,
ne sont que de menteurs qui voient dans
ce stratagème une occasion de jouer de la concurrence entre les
églises pour acquérir plus de biens matériels.
c'est ainsi que
out
of
Africa,
qui
se
veut
historique,
diffuse
une
odeur
funèbre,
une
atmosphère
morbide
de
choses
inachevées.
Cette
oeuvre réserve une section entière à
la vie des indigènes et à
leurs attitudes
face
à
l ' Histoire
(
Voir
Garraghan,
89),
et à
leur histoire en particulier. L'auteur constate en effet que:
«The people who expect the Natives to jump joyfully from
stone to the age of motor cars, forget the toil and labour
which our own fathers have had, to bring us all through
history up to where we are.
( ... ) It takes centuries to produce it, and i t is
likely that Socrates, the crusades, and the French
revolution, have been needed in the making.»
(p.251).
Blixen
reproche
à
l'action
de
civilisation
de
demander
l'impossible
aux
indigènes,
en
leur
sommant
de
prendre
des
raccourcis
pour
rattraper
le
reste
du
monde,
et
vivre
en
harmonie
avec
elle.
Elle
leur
reproche
de
ne
pas
prendre
le
temps de jeter un oeil sur leur propre héritage historique pour
accorder s'adapter aux nouveaux.
Et pour cela, elle fait appel à
Socrate comme à un repère historique pour aboutir à la modernité
du monde contemporain. Blixen raconte que:
«We of the present day, who love our machines cannot quite
imagine how people in the old days could live without
them ... still we must imagine, since they have been made at
all that there was a time when the hearts of humanity cried
out for these things, and when a deeply felt want was
relieved when they were made.»
(p.
251).
Ainsi
la
modernité
est-elle
la
conséquence
d'une
longue
évolution.
Le monde autochtone est encore primitif,
arriéré sur
la
voie
de
l'Histoire.
L'homme
part
d'un
point
A
pour

601
s'acheminer vers un point X. Ce processus est obligatoire pour
tous les hommes, mais il faut donner du temps aux Africains pour
y
parvenir.
De ce
point
de
vue,
l'Afrique
est
arriérée
par
rapport au reste du monde,
non pas parce qu'elle est incapable
de
le
faire,
mais
parce
qu'elle
ne
réunit
pas
encore
les
conditions
nécéssaires
à
son
évolution.
Aussi,
malgré
elle,
Blixen se fait évolutionniste. C'est ainsi qu'elle poursuit:
«
The minds of the young Kikuyu may now be walking on the
shadowy paths of our own ancestors, whom we should not
disown in their eyes, who held their ideas about
Transubstantiation very dear. Those people of five hundred
years ago, were in their day offered higher wages, and
promotion, and easier terms of life, even sometimes their
very lives, and to everything they preferred their
conviction about Transubstantiation ....
The modern white people in Africa believe in evolution
and not in any sudden creative act. They might then run the
Natives through a short practical lesson of history to
bring them up to where we are»
(p. 252).
Tout comme elle
justifie,
elle renie.
Mais qu'est-ce que
l'évolution
?
Serait-ce
vraiment
un
objectif
sur
le
plan
linéaire,
ou circulaire,
incliné ou autre,
jalonné vers lequel
les hommes doivent nécessairement passer,
sans détour? Serait-
ce une prédestination
? Vers quoi
évolue-t-on
?
Et par quels
moyens ? A quelles fins ?
Nous
sommes
dans
le
domaine
des
incertitudes
et
des
convictions
personnelles.
Mais
Blixen
ne
nous
aide
pas
à
résoudre
notre
énigme
en
s'en
prenant
à
ce
processus
de
transformation
artificielle,
à
ses
conséquences
souvent
catastrophiques.
Elle adopte un ton apocalyptique pour désigner
la
perdition
du
continent
africain
qui
sera
livré
à
la
consommation et aux menées capitalistes - monde dans lequel elle
se
trouve
elle-même
sans
pouvoir
nous
dire
lequel
est
le
meilleur de ces deux mondes, l'un soi-disant primitif et l'autre
soi-disant évolué.
Serait-ce parce que la narratrice en a fait
la pratique qu'elle se pose tant de questions suscitées par les

602
théories du moment - le darwinisme -
, ou est-ce tout simplement
une réaction subjective de la femme-victime du capital ?
L'attitude de Blixen peut s'expliquer aussi par le fait que
devant l'insuffisance des archétypes pour expliquer les mystères
de l'autre,
les clercs se sont aperçus que leurs réactions ont
été naïves dans plus d'une situation. Aussi, ils éprouvent alors
la
nécessité
de
parler,
de
s'excuser,
de
se
confier
Voir
Riboul,
90).
En
voulant
gommer
ses
prétentions,
pour
se
découvrir
ellIe-même,
Blixen
interroge
la
Grande
Bretagne,
et
l'Europe
en
passant
par
l'Afrique,
comme
tous
les
autres
romanciers.
Cette
Afrique-là,
ou
ces
"Afriques"
sont
à
rechercher ailleurs: dans les ténèbres des écrivains,
en raison
du pessimisme qui règne en chacun d'eux.
L'Afrique semble être
un
concepteurocentrique,
subjectif
à
ses
origines,
dans
la
mesure où avant la dérive des continents et même le percement du
canal de Suez,
cette partie du monde faisait partie de ce qui
rattache l'Europe et l'Asie.( Voir l'étYmologie du terme Africa
de
Pélissier
et
de
Mazrui,
91).
L'Afrique
à
définir,
à
représenter
est
dans
la
culture
et
dans
l'individualité
de
chaque écrivain britannique. Grâce à la théorie de la polysémie
de l'oeuvre d'art, Mauron nous enseigne que:
«
The meaning of a book, which lies so often apart from
what happens and what is said, and consists rather in sorne
connection which things in themselves different have had
~ge writer, is necessarily hard to grasp.»
( Voir Mauron,
) .
C'est de ce point de vue que la narratrice de OOA s'enferme
dans son imagination, et tourne presqu'à la paranoïa de la femme
seule,
déçue par les réalités quotidiennes du besoin et de la
nécessi té,
dans son intention de posséder et son désir d'être
elle-même.
Tel
est
aussi
le
cas
de
Kayerts,
qui
franchit
le
point de non-retour en relativisant toutes les valeurs dans un

603
mouvement
de
va-et-vient
entre
l'observation
de
Makola,
de
Gobila,
et
de
ses
propres
observations.
C'est
pourquoi
aussi
Cary rend Johnson hybride,
dysgénète,
écartelé comme la hyène à
la
croisée
des
chemins
dans
les
contes
populaires
ouest-
africains, derrière deux proies. La fin de Remote People., où le
narrateur se sent seul
parmi
ses amis
au
café,
nous
le montre
bien,
tout comme d'ailleurs le tableau des adieux et d'échanges
de
souvenir
dans
The
Flame
Trees
Of
Thika.
pourtant
riche
en
partage et en compassion.
Tous
recherchent
l'Afrique et
c'est
lorsqu'elle
ne
répond
pas
aux
pionniers
et
aux
écrivains
que
s'accroissent
le
l'embarras,
l'angoisse,
la
perte
dont
le
remède
réside
très
souvent
dans
les
fantasmes
et
l'imaginaire,
la
possession
d'univers secrets
Voir Greenberg,
93).
Dans tous les cas,
il
se révéle que les acquis de
la Grande Bretagne,
ses motifs de
suffisance ne
sont plus satisfaisants.
C'est de
cette attitude
que la modernité de Blixen, de Cary, de Conrad, de Huxley et de
Waugh prend son envol, en confrontant le passé au présent. C'est
l'art
narratif
qui
s'exprime
Voir
Wellek,
94).
Et
puisque
c'est au lecteur de découvrir le sens lorsque Kayerts au bout de
la corde à
laquelle il se pend,
tire la langue en direction du
directeur
de
la
compagnie marchande,
c'est
toute
la
nausée
du
système impérialiste qui
étrangle
le narrateur,
qui
s 'y trouve
dépeinte,
et toute la bêtise humaine qui se trouve réactualisée
( Voir Berthoud,
95).
C'est ainsi que la tragédie se joue dans
toutes ces oeuvres.
C'est par exemple le cas de Out Of Africa,

nous
retenons
la
lutte
entre
le
coq
et
le
caméléon.
Ce
dernier
se
trouve
privéé
de
sa
langue.
Le
caméléon
peut
s'adapter à n'importe quel milieu mais il n'a plus sa langue, ce
qui
est grave
pour
celui
qui,
dans
les mythologies
populaires
africaines,
est souvent traité comme un envoyé des Dieux ( Voir

604
Dathorne,
96). Le coq peut chanter mais ne sait pas tout,
et il
ne
peut
se
cacher.
Du point
de
vue
allégorique,
cet
affront
représente la situation de Blixen, porte-parole des indigènes et
naine
européenne dans
un
monde
de
géants
qui
finit
par
subir
leur loi.
Cary lui,
à
travers le drame de Johnson,
semble en appeler
à
l'éveil
des
consciences,
la
responsabilité
des
uns
et
des
autres,
dans une situation où il
estime que nul
n'a osé aller
assez
loin
(
Voir
Cary,
97).
C'est
ce
qui
expliquerait
que
l'employé de bureau devienne la première victime de la machine
qui
l'a
moulé,
pour
ne
plus
être
l ' obj et
de
demi-mesures
ou
d'une
synthèse
hasardeuse
et
dangereuse
Voir
Echuero,
98).
Mauvaise conscience de l'échec,
goût de faillite ou pessimisme,
ce
phénomène
dans
le
texte
écrit,
montre
que
l ' homme
est
au
théâtre.
En
une
période
de
crises
sociales,
économiques,
et
politiques,
l'Afrique
offre
une
possibilité
de
refuge,
mais
seulement à
ceux qui ont appris d'elle,
qui ont couru dans ses
entrailles en se dévêtissant.
Il ne s'agit pas de fuir,
mais de
retourner sur les lieux que l'on connaît.
L'Afrique est donc le
berceau de
l ' humani té,
en
ce
sens qu'il
est
le continent d'où
sont
partis
les
peuples
de
la
terre
Voir
Le
Nouvel
Observateur, 99).
De ce point de vue, en allant du Nord au Sud, Blixen, Cary,
Conrad, Huxley et Waugh retournent aux sources de leur humanité.
Mais ils incarnent ainsi des personnages androïdes.
Le Nord est
éblouissant,
donc
obscur
parce
qu'il
est
attaché
aux
vanités
citadines. De même il est déchiré par la notion de profit et par
son
pouvoir
de
destruction
massive.
Le
Sud
est
impénétrable,
ténébreux. Mais il offre des zones de camouflage aussi bien que
des
lieux d'embuscades qui
s'avèrent utiles
lorsque l'on est à

,
~---p.
605
la
recherche
d'un
refuge.
Puisque
ce
pays
l'Afrique
est
encore à
l'état brut,
il
donne
sa
consistance,
sa présence et
son existence à
l'homme.
L'homme devient transcriptible,
et les
mots désignent aussi bien le réel que l'imaginé,
dans la mesure
où les mots
tirent leur puissance de
leur pouvoir d'évocation.
Ce
sont
les
mots
qui
donnent
les
différentes
possibilités
d'interprétation.
Ils donnent aussi la cohésion à la langue, qui
recrée
un
monde,
et
donne
un
rôle
aux
personnages.
Le
passé
nourrit l'écrivain et lui donne des repères et des modèles pour
discerner et saisir les situations les plus troubles.
Dans
une
telle
conjoncture
de
crises
et
de
revers,
à
ce
moment de notre entreprise,
nous nous demandons encore s'il y a
eu rencontre culturelle, même si le constat semble évident dans
une situation de rapports de force entre dominés et dominants.
Dans
cet état de
choses,
quelle Afrique
figure
dans
le
regard
Britannique,
puisqu'il semble y avoir une invitation à
réécrire
la langue anglaise?

-...
606
Notes bilbiographigues
1 - Voir Conrad, Rosalind & John Ellis, Language and
Materialism: Developments in semiology and The Theory of
The Subject, London, 1977. p. 67.
2 - Chevalier, J; & Gheerbrant, A., Dictionnaire des Symboles,
Paris, Laffont/Jupiter,
(1969) 1982 p. 679.
Voir aussi Jérémie 1, 13-16 et 46, 20.
3 - Vax, L., La Séduction de l'Etrange, Paris, PUF, 1965. p.
129; pp. 153-154.
4 - Marx, K., Contribution a la Critigue de l'Economie
Politique, Paris, Ed. Sociales, 1972. p. 4.
5 - Voir Todorov, T., La conquête de l'Amérique, la question de
l'Autre, Paris, Seuil, 1982. p. 25.
6
«
Il Y a dans ce mot Afrique, quelque chose de magique et
de prestigieux qui n'existe pour aucune des autres parties
du monde ... »
Dumas, A., Le Veloce, l, p. 15.
7 _ La Poll Tax ou community Tax consiste à verser une taxe
d'habitation par tête d'habitant et par concession. Donc
plus la concession est grande, et plus les impôts étaient
élevés. Or, les familles procurent une main d'oeuvre
abondante et permettent aussi d'échapper à l'extinction dûe
à la forte mortalité. Cela justifie la réticence des
indigènes qui ont de grandes familles, à communiquer des
nombres exacts. Donc deux faits sont à garder en mémoire:
la civilisation pour les indigènes était synonyme de
déportations en raison des déplacements forcés qu'ils
vivaient, en plus du diadème de cette même action, qui les
obligeait à remplir les caisses des finances coloniales. -
Se reporter à Imlah, Albert, Economic Elements in the Pax
Britannica, Cambridge, Massachussetts, 1958. pp.20-41.
8 _ Meek, C., K., Macmillan W. M. & E., R., J. Hussey, Europe
and West Africa: Sorne Problems and Adjustments, London,
OUP, 1940.
9 - Brooks, C.," Metaphor, Paradox And Stereotype", British
Journal of Aesthetics, June 1963. p.320.
10 - Ce thème a fait l'objet d'une célèbre étude par T.S. Eliot
"The Waste Land", poême publié en 1922, et qui influence
énormément Waugh entre autres jeunes de cette époque.
Il - En ce qui concerne l'expropriation de l'indigène, de son

607
imposition, de son introduction dans l'économie de marché,
de la spécialisation, et du monopole d'exploitation, on
consultera avec profit les thèses de Brett, E., A.,
Colonialism and underdevelopment in East Africa: The
Politics of Economie Change, 1919-1939, New York, NoK
Publishers, 1973. - Wolff, Richard D., The Economies of
Colonialism: Britain and Kenya 1870-1930, New Haven, Yale
University Press, 1974. Pour un exemple sur le colonialisme
français, voir l'étude socio-politico-économique de
Boutillier, La moyenne Vallée du Fleuve Sénégal, Paris,
PUF, 1960.
12
Tempels, Jahn, Muntu,l'homme Africain et la culture néo-
africaine, Paris, Seuil, 1961.
13 - Voir Robinson, R.& J. Gallagher, Africa And the Victorians:
The Climax of Imperialism in the Dark Continent, New York,
st Martin's Press, 1961, oeuvre dans laquelle les 52
premières pages nous retracent comment les britanniques ont
gardé l'empire africain informel. Ce faisant, ils évitaient
le fardeau de l'administration directe, d'autant plus que
leur conversion sociale impliquait une influence
informelle.
14 _ En faisant une lecture de Voyage Au Bout de la Nuit de
Céline, Mitterand, H.,"Colonial Discourse in Journey to the
End of the Night", SubStance, 15, 1976, pose l'équation
pouvoir =argent et langage. Ce point de vue rejoint celui
de Pateman. Selon Pateman Trevor, la communication comporte
deux types de discours: le discours simple et le discours
radical. Dans le premier cas, les significations sont
statiques et considérées comme acquises, tandis que dans le
second, la stabilité du sens est remise en cause tout comme
les pratiques qui encouragent et entretiennent le discours
simple qu'il définit comme étant" the language of the
powerless who accept their position. l' p.77. - Voir
Language, Truth and Politics, Jean Stroud, 1980.
15 - C'est" le rendez-vous du donner et du recevoir ", selon
Senghor, L. S, Liberté III: Négritude et Civilisation,
Paris, Seuil, 1977.
16 _ Ortega, José Gasset, The Dehumanization of Art, New Jersey,
Princeton University Press, 1968. pp.61-66. Voir de même
Fry, Roger, Vision and Design, London, Chatto and Windus,
1920 où, en interprétant les mouvements modernistes, il
perçut dans leur style en particulier chez les Post-
impressionnistes, le langage de l'esprit, une vision
fondamentale qui informa tous les autres arts (musique,
architecture, poésie et théâtre. Pour lui la " Significant
form" est le produit du sens esthétique. Il y soutient
aussi que toute représentation de personnes ou d'événements
est sujette aux transformations de l'art, comme le sont les
objets et les sensations qui facilitent l'expression
plastique et spaciale.( lire surtout les pages 22-39; 222-
237) et Transformations, London, Chatto and Windus, 1926.,
qui dévéloppent sa philosophie de l'art et sa théorie
esthétique.

608
17 - Williams, R., Marxism and Literature, Oxford University
Press, 1977. p.112. - Voir John Vernon, ed., Movement and
Fiction: Literary Realism in the 19th and Early 20th
Centuries, Ithaca, Cornell University Press, 1984. - En
parlant des écrivains britanniques du 1ge et du début du
20e Eagleton, T., dit: «
For Eliot, Hardy, Joyce and
Lawrence, by contra st , the ideological question is implicit
in the aesthetic problem of how to write; the 'aesthetic'
textual production
becomes a crucial, overdetermined
instance of the question of these real and imaginary
relations of men to their social conditions which we name
ideology.»
ibid. p.181.
18 - C'est de ce point de vue que Fitzgerald, J, en parlant de
littérature du Pacifique a pu dire de l'autobiographe et de
sa vocation que: «If one asks oneself what causes a man or
a woman to consider his or her life-story worth writing
down ... add to human knowledge». Voir "Images Of The Self:
Two Early New Zealand Autobiographies by John Logan
campbell and Frederick Edward Maning" Journal of .
Commonwealth Literature, pp.16-42.
19 _ Ce thème porte essentiellement sur l'homme et la société,
le comportement et la classe socio-économique. Voir Gindin
James, Post-War British Fiction,London, Cambridge
University Press, 1962. p.4.
20 _ En s'inspirant de Moore, pour parler du 1984 de George
orwell, une oeuvre écrite un quart de siècle avant la date
qu'elle évoque, McDonald oppose Utopie à Dystopie. - Voir
McDonald Avis, G.,«" Within the Orbit of power": Reading
Allegory in George Lamming's Natives of My Person»,
Journal of Commonwealth Literature, 1988. p.77.
21 - Todorov, T., Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982.
p. 11.
22 - Mirevale, P.," Since we construct our worlds by associating
phenomena, l would not be surprised if at the very
beginning of time there were a gratuitous and repeated
association, tracing a direction in chaos and originating
an order .... Is reality obsessional by nature?". - Voir
préface de Gombrowicz witold dans le Cosmos, tr. Georges
sedir, Paris, Denoël, 1966. pp.9-10.
23 _ soyinka, Wole, Myth, Literature and the African World, CUP,
1979. pp.10-15.
24 - Voir Darras, J., Joseph Conrad, Paris, Lieux de l'Ecrit,
1991, nous dit que: «
L'espèce d'isolement où il abandonne
son lecteur privé de contexte géographique précis n'empêche
pas qu'il suscite en lui un sentiment de connivence
spatiale, d'origine musicale essentiellement ( ... ) Par
l'abstraction de l'espace, naît ici le poids spécifique du

609
temps.»
p.1S.
2S - Voir Abrams, M., H., Glossary of Literary Terms, New York,
1981. p. 176.
26 - Voir Crawford dans son exposé sur l'imagerie et les
influences de 'The Waste Land' de Eliot sur ses
congénaires. Mixing Memory and Desire:
' The Waste Land'
and British Novels, Pennsylvania state University Press,
1982.
27 - Gurr, A., Writers in Exile: The Identity Of Home in Modern
Literature, Brighton, Harvester Press, 1981. pp.17-26.
28 - Un évènement ou une période de temps ne valent que par ce
que notre mémoire en fait. Nous n'en retenons que ce qui
nous a fasciné ou meurtri, car le temps peu à peu filtre
les thèmes et les organise en un système de sens, en
Histoire.La société part du fait que toute personne
praticipe d'une mémoire. Il y a une valeur culturelle à la
façon dont chaque société acquiert sa mémoire, par exemple
par le fait de donner une sépulture aux défunts. Donc tout
arrangement social renvoie à la mort, et toute société est
bâtie sur l'idée de la mort qu'elle a intégrée et dépassée.
Aussi la société britannique a été véritablement bâtie
d'une façon ambiguë, sur le rapport mémoire/vérité, car par
exemple, au Vè siècle b.c en Grèce, on n'oppose pas la
vérité au faux, mais la vérité à l'oubli. On considère
comme vrai ce que la mémoire entretient comme dans les
sociétés orales africaines, sans écriture. C'est ce qui
fait que le même mot désignait la réalité de la mémoire et
la réalité de la vérité: alethei-a aletheia. C'est pourquoi
le poête avant Socrate était considéré comme porteur
d'humanité qui le transcende de même que l'artiste. Puis le
pont est rompu entre véritas et faux de l'univers latin.
Cependant, est devenu vrai, ce qui est techniquement
possible. La mémoire est liée à la notion de la temporalité
sociale. Donc l'élimination de la magie apparaît comme une
norme de vérité, dans la mesure où la magie et l'alter ego
sont perçus comme les matériaux de la romance. -Voir
Heiddeger, M., Question II:" La Doctrine de platon sur la
vérité",(1940), Paris, Gallimard, 1968. Cette vision des
choses affectera le continent Noir. Très rapidement, elle
est née de la question de l'écriture. La mémoire annale
peut se définir tout simplement comme une préoccupation à
conserver des annales, une manière de conserver le passé
sous forme de documentation avec une certaine précision. Or
la tradition annale était presque inexistante en Afrique,
en ce sens qu'elle était tenue par des spécialistes de la
parole, et que ces paroles s'atrophiaient très souvent ou
subissaient l'action de l'amnésie à la faveur d'une
conquête qui installait ses nouvelles réalités, faisant du
passé un objet d'humiliation quelques fois. D'autre part,
si la mémoire historique n'était retenue que de façon
orale, c'est en raison du fait que le passé n'a jamais été
considéré comme fini définitivement, ou le présent
comme éphémère. Les africains considèrent que leurs
ancêtres sont toujours avec les jeunes, eux-mêmes des
ancêtres. à être. De ce fait, si le présent n'est que

610
passager, pourquoi s'en encombrer?
En plus de cet état de faits, il y a que le
'calendrier' est aléatoire, variable avec tantôt les
pluies, les grands événements. C'est pourquoi aujourd'hui
encore, sur certains actes de naissance, on lit encore
"né(e} vers ... ".
Mais et surtout cette opposition tient au fait que
l'écriture
n'est intervenue sur le continent noir africain
qu'au 19° siècle. Ainsi la mémoire annale est occidentale
de conception, à la limite islamique en référence à
l'algèbre. Pendant longtemps, ce déficit littéraire fit
conclure aux pionniers que l'Afrique était un continent
sans Histoire. En un mot, ce qui caractérise mieux la
Grande Bretagne en particulier, et de l'Occident en
général, c'est l'histoire de la technique. Elle est devenue
une valeur en soi, indiscutée et échappe au contrôle social
qu'une société puisse exercer pour son propre
développement. C'est ce qui signifie le risque de
l'autodestruction du 20è siècle avec la bombe atomique,
découverte après deux conflits à l'échelle mondiale. Or,
Wordsworth parle" du fils père de l'homme" Wordsworth W.:
" Ode On Intimations Of Immortality".in Brooks Cleanth, The
WeIl Wrought Urne p.136. Ce qui nous permet de dire que la
mémoire transcrite est fille de la tradition orale. On
trouvera une étude importante sur le passage de la première
à la seconde dans l'oeuvre de Goody, J. et Ian Watt,
"The
Consequences of Literacy" in Literacy in Traditional
Societies, ed., Jack Goody, London, CUP, 1968. pp.27-68 ,
qui pose la question de la littérature , qui en ouvrant les
populations orales à de nouveaux horizons, détruit à la
fois" l'amnésie structurelle" dans les cultures orales, en
rendant un passé spécifiquement donné disponible. Ce que
Goody conclue est que la mentalité mythique se trouve
remplacée par une conscience historique. Donc, la mémoire,
c'est mettre dans le présent des fragments du passé qui ne
sont pas révolus, comme chez Proust. - Voir Marcel Proust,
A la Recherche du Temps Perdu, Paris, Gallimard, Folio,
1980.
29 - Dans cet ordre de pensée, l'historien essaye de découvrir
par la recherche, et d'énoncer dans un discours narratif,
les évènements passés. Or la vérité d'une telle narration
est discutable, tout particulièrement en raison de
différences possibles dans la sélection des faits, et de
leur disposition dans un rapport de cause à effet. En plus,
il y a la possibilité du doute, de la remise en cause de
l'analyse historicienne, bien ou mal menée, en raison des
apports possibles d'une nouvelle lecture. Mais cela
n'empêche pas l'histoire d'essayer de donner un modèle
significatif d'arrangement d'évènements passés, se fondant
sur l'évidence. - Martin, G., Images Of Africa, University
of stirling, Centre of Commonwealth Studies, 1990.
30
Voir Starobinski, Jean, "The style of Autobiography" ln
Autobiography: Essays Theoretical anc Critical, ed., James
Olney, Princeton, Princeton University Press, 1980.
pp.115 21. - Voir de même Roy, Pascal, Design and Truth in
Autobiography, London, Routledge and Kegan Paul, 1960, en
particulier pp.5_6.

611
31 - Slemon, S.," Post-Colonial Allegory and The Transformation
of History", Journal Of Commonwealth Literature, 1988.
p.161.
32 - Northrop nous dit que " The central principle of
displacement [from myth to romance] is that what can be
metaphorically identified in myth can only be linked in
romance by sorne form of simile: analogy, significant
association, incidental, accompanying imagery and the
like." Northrop,
Ibidem. p .137.
33 - Gray, S.," A Sense Of place in New Literatures in English,
Particularly South African" in ed., Peggy Nightingale, A
Sense Of Place in New Literatures in English, st. Lucia,
University Of Queensland Press, 1986. p.7. - Seidel
Michael, Exile and the Narrative Imagination, Yale, Yale
University Press, 1987, où il nous demande de ne pas
comprendre "exile" dans le sens moderne d'aliénation , mais
plutôt comme permettant à la fiction de développer une
imagination, au lieu d'un thème littéraire. La narration en
ce moment n'est plus une rivale d'expérience mais comme un
substitut esthétique. Il dit qu'à partir de là "Exilic
imagining is thus the mirror and the 'other' of narrative
process; mimesis an alien phenomenon which establishes
fictional sovereignity on fictional ground".
34 _ Voir Shlovski, V., " La construction de la- nouvelle et du
roman" in
Théorie de la Littérature, ed., Todorov, T.,
Paris, Seuil, 1965. pp.170_96.
35 - Pour paraphraser de Ricou, L., "Fieldnotes and Notes in a
Field: Forms of The West in Robert Kroetsch and Torn
Robbins",Journal of Canadian Studies, 17, 1982: «
The West
has always been a mystery to the East. Recently and l'm
commenting here in a positive sense, the West has become a
mystery to itself. The tracing of that mystery is made by
the current preminence of whimsy as overt artistic
procedure ...
... The World so imagined is neither Horizon nor Dodge
city, but somewhere mere exotic and magical and other-
wordly: it's a place of mystery, at once deceptive yet
alluring. In fiction, much of this shift originates in the
self-reflexive and comic qualities of the post-modern
novel?»
p.117.
36 - Malraux, A.,
Le Miroir des Limbes, Paris, Pléiade, 1976.
p. 26, formule relative au fait que le romancier ne peut
offrir que le reflet, l'apparence de ses 'secrets'.
37 - Voir Verger, Pierre, Orisha, Les Dieux Yorouba en Afriaue
et au Nouveau Monde, Paris, Ed. A. M. Métailié, 1982.
pp. 84-86.
38 - Okara , G., The Voice, London, Heinemann, AWS, 1964.
157 p. - Soyinka, W., The Road, Collected Plays I, OUP,
1965. p. 193.

612
39 - Ducrot, 0 & Todorov, T., Dictionnaire encyclopédique des
sciences du langage, Paris, Seuil, 1972. p.354 et 442.
40 - Nous employons le concept de 'Classicisme' ici dans le sens
où il prend ses sources dans le Weimar Classicism de Goethe
et de Schiller, tous deux angoissés par la modernité qu'ils
craignent de dégrader le monde et de rendre la production
de toute grande oeuvre d'art impossible. Or le paradoxe est
qu'un ideal classique est aussi romantique, en ce sens
qu'il désigne un clivage entre l'artiste et la société, et
parce que l'artiste devient un superhomme. Pour Goethe
donc, dont le point de vue est relayé par Nietzsche,
l'écrivain romantique reflète un malaise social alors que
le classique en prend ses distances.
41 - Selon Todorov, T., Introduction à la Littérature
Fantastique, Paris, Seuil, 1970.
42 - Wolfgang, 1., The Implied Reader, Baltimore, Johns Hopkins
University, 1974. p.xii.
43 - Voir Darras, J., Joseph Conrad, Paris, Lieux de l'Ecrit,
1991, nous dit que: «
L'espèce d'isolement où il abandonne
son lecteur privé de contexte géographique précis n'empêche
pas qu'il suscite en lui un sentiment de connivence
spatiale, d'origine musicale essentiellement ( ... ) Par
l'abstraction de l'espace, naît ici le poids spécifique du
temps.»
p.15.
44 _ Voir The Struggle of the Modern, London, Hamilton, 1963.
De même qu'il pose aussi la question des deux langages,
scientifiques et poétiques, Spencer affirme que la
confrontation du présent au passé en réaction aux pressions
du monde industriel, poussent les écrivains à produire des
formes, des idioms et des sensibilités reflétant les
réalités de leur temps devrait être le but de la modernité.
45 _ Rosen, Charles and Henri Zerner, " What Is, and Is Not,
Realism?" , New York Review of Books, February 18 1982, «
If contemporary life was to be represented with aIl its
banality, ugliness, and mediocrity undistorted,
unromanticized, then the aesthetic interest had to be
shifted from the objects represented to the means of
representation. This is the justification of the
indissoluble tie of mid-nineteenth-century realism to art-
for-art's sake; and although it is sometimes seen as an odd
contradiction in Realism, it is, in fact, the condition of
its existence.»
p.25.
46 _ Nous empruntons ce terme à Fredic Jameson, qui, en
utilisant le photoréalisme comme paradigme, définit l'art
postmoderniste comme suit:«[ a style] looked like a return
to representation after the anti-representational
abstractions of abstract expressionism, until people began

613
t~ realiz~ that these paintings are not exactly realistic
elther, slnce what they represent is not the outside world
but rather only a photograph of the outside world
or in
'
other words, the latter's image. False realisms, they are
really art about other art, images of other images.»."On
Post-Modernism" provisional title of paper delivered
November 4 1982 at Miami, University of Ohio.
47 - Dabydeen, D., The Black Presence in English Literature,
Manchester, Manchester University Press, 1985 & Hogarth's
Blacks: Images Of Blacks in Eighteenth Century English Art,
Mundelstrup, Dangaroo, 1985. Ces deux oeuvres traitent des
représentations du Noir dans l'art et la littérature
britanniques, en nous donnant des détails iconographiques
de l'indigène présenté sous des traits déshumanisés, de
dépossédé, d'opprimé et occupant une position sociale
inférieure comme les Somaliens aujourd'hui sur les
couvertures de certains journaux.
48 - Ducrot, O. & Todorov, T., Dictionnaire Encyclopédique des
Sciences du Langage, Paris, Seuil, 1972. p.442.
49 - Ducrot, O. & Todorov, T, Ibidem"
Paris, seuil, 1972.
p.349.
50 - Pour le concept de IIwriting back", se reporter à Tiffin,
Helen, "Post-Colonial Literature and counter-discourse",
in Kunapipi, 9, (1988), 3. pp.17-38. Pour ce qui de Blixen,
voir l' Fiction Writing in a Time of Troubles" in Wescott,
Glenway, Images of Truth: Remembrances and Criticism,
London, Hamilton, 1963.
51 - Voir le point de vue formaliste de Zeraffa, Michel,
Fictions; The Novel and Social Reality, Harmondsworth,
Penguin, 1976, qui dit que" literature unveils meaning
and, therefore, the world of actuality". p.50.
52 - Selon Jeffres A., Norman, à propos de textes littéraires,
nous dit:.«
True one reads them because they tell us about
the way their countries are evolving; true, one reads them
because they enrich our pleasure in the English language,
but in the cold in the cold light of judgement one reads
them for the supranational qualities of their work. One
reads them because they bring new ideas, new interpretation
of life to us. One reads them, in short, because they are
good writers. The standards of judgement are not national
standards. Standards of the critic must be cosmopolitan;
only the best should be praised. » , Introduction,
Commonwealth Literature, ed. John Press, London, Heinemann,
1965, p.xiv.
53 - Genèse, II. pp. 19-20.
54 _ Eliot, T.S., The Use of Poetry and the Use of Criticism,
London, Faber & Faber, 1933. p.105.

614
55 - ~u point de vue de Sean O'Faolain, des auteurs qui
II lustrent mieux cette conception du héros seraient des
écrivains tels que Waugh, Graham Greene, Woolf, Faulkner,
ou Joyce. - Voir Sean O'Faolain, The Vanishing Hero:
Studies in Novelists of the Twenties, London, Eyre
Spottiswoode, 1956.
56 - Voir sur ce fait, l'article de Michael Levenson, " On the
Edge of Heart of Darkness" dans A Conrad Companion de Page
Norman. Mais cet article nous offre autre chose de plus
qu'une vision psychanalytique, autour de concepts de
lumière, d'obscurité de tensions idéologiques ou
d'incertitudes, de centre, d'absence de dieu. On y trouvera
la question du point de vue sur les fausses vérités et les
vérités fausses. Voir de cet auteur, Levenson, Michael, 8
Genealogy of Modernism: A Study of English Literature
Doctrine 1908-1922, London, CUP, 1963.
57 - Voir sur ce point, Cedric Watts, The Deceptive Text: An
Introduction to Covert Plots, Brighton, Harvester. qui
présente les thèmes d'aliénation, de narrateur transexuel,
d'évocation de surnaturel, d'habitudes métaphysiques de
l'imagination ...
58 _ Ce thème a été présenté dans l'oeuvre de Patricia Meyers
Spacks, The Adolescent Ideas: Myths of Youth and the Adult
Imagination, London, 1981.
59 _ Voir le thème des intérêts de classe et de tradition est
dans Williams, R., The Long Revolution, Harmondsworth,
Penguin, 1965. p.68; p.70, dans la lignée des critiques
tels que Eagleton, Terry, criticism and Ideology, London,
New Left Books, 1976. - Goldmann Lucien, Le Dieu
Caché: Etude sur la vision tragique dans les Pensées de
Pascal et dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard,
1955. - Kettle, Arnold, " The Progressive Tradition in
Bourgeois Culture", in Radical Perspectives in the Arts,
Harmondsworth, Penguin, 1972.
60 - Lucas, John, ed., The 1930s: A Challenge to Orthodoxy,
Brighton, 1978.
61 - JanMohamed, A., R., The Economy Of Manichean Allegory: The
Function of Racial Difference in Colonial Literature , in
CritiquaI Inguiry 12, Autumn 1985, University of Chicago
62 - Ranger, T., Osborn, The Dance and Society in Eastern Africa
1890-1970: the Bend Ngoma, London, Heinemann, 1975.
63 - Sachs, Ignacy, The Discovery of The Third World,
Cambridge, M.I.T Press,1976. p.12.

615
64
C'est ce qui a permis à Eagleton, T., de dire que: «
Literature, one might argue, is the most revealing mode
of experiential access to ideology that we possess. It is
in literature above aIl, that we observe in a peculiarly
fashion the workings of ideology in the textures of lived
experiences of class-societies.»
Ibid. p.101.
65 - L'administration coloniale s'assure de la collaboration
des indigènes qu'il faut: qui par naïveté, qui par
philantropisme, qui pour le prestige personnel, qui pour
une revanche contre un système qui l'a exclu
Il s'agit
très souvent de cas d'ostracisme social vu les rapports
entre l'esclave et son soit-disant maîtr,e dont on trouvera
des manifestations dans les personnages de Clara et de Obi
ne pouvant se marier, étant de différentes castes dans
No Longer At Ease, London, AWS, Heinemann, 1960 . On
trouvera ce thème dans la définition de l'esclavage à
travers le personnage de Ikemefuna dans Things Fall Apart,
London, AWS, Heinemann, 1958. Pour une approche plus
théorique de cette notion, se reporter à Leach, E. R.,
Culture and Communication, London, CUP, 1976.
66 _ Voir Charles, A., Ibid., p. 101. - Forde, Jones G.I., The
Ibo and Ibibio Speaking People of Southern Nigeria, London,
OUP, 1950. p.140.
67 _ Gérard, Albert, contexts of African Literature, Amsterdam,
Rodopi, 1990. - Zabus Chantal, The African Palimpsest:
Indigenization in the West African Europhone Novel,
Amsterdam, Rodopi, 1990.
68 - Ashcroft, Bill, Gareth Griffiths and Helen Tiffin., The
Empire Writes Back: Theory And Practice In Post-Colonial
Literatures, London, Routledge, 1989. pp. 54-55.
69 - Bhabha, K.H., "Representation And The Colonial Text: A
critical Exploration Of Sorne Forms Of Mimeticism" in The
Theory Of Reading, ed., F. Gloversmith, Harvester, 1984.
pp. 93-122.
70 - Voir Dupriez, B., Gradus: Les Procédés Littéraires
(Dictionnaire), Paris, 10/18, 1984. pp.440-441.
71 - Outre Ulasi, L., Adaora, Many Thing You No Understand,
London, Michael Joseph, 1971 qui pose les problèmes de
traduction par l'interprète faisant dire aux deux parties
ce qu'elles n'ont pas pensé, on pourra consulter avec
profit l'Etrange destin de Wangrin de Hampaté Bâ qui nous
revèle comme dans Une Vie de Boy de Ferdinand Oyono,
comment le boy-interprète se moque tantôt malicieusement
tantôt par excès de zèle de son patron dans les traductions
de ses propos.
72 - Marx, K., critique de l'Economie Politique, Paris, 10/18,
1972. p.268.

616
73
.
- VOlr Shepperson & G. Priee, Ibidem, où les indigènes
recevaient tous indistinctement du tabac de la part de
Livi~gstone. E~ lorsqu'~ls.protestaienten disant qu'ils ne
fumalent pas, II leur dl salt de le donner à leurs mamans.
De même, le camp de concentration vers lequel étaient
dirigés les captifs après la révolte de John Kilemgwe,
étaient nourris au sel et à l'eau.
74 - Voir Malinowski, Bronislaw, Argonauts of the Western
Pacifie, London, Routledge and Kegan Paul, 1922. - Evans-
Pritchard Edward, Nuer Religion, Oxford, The Clarendon
Press, 1956. - Voir surtout de la page 145 à 273 qui
traitent du don, de la forme et de la raison de l'échange
dans les sociétés archaïques, chez Mauss, Marcel,
Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, coll.Sociologie
d'aujourd'hui, préf. de C. Lévi-Strauss, 1950.
75 _ Moore, G., E., principia Ethica, cambridge University
Press, 1903. Les signes de la peinture sont allongés dans
l'espace. Le fait de représenter ce qui est dans l'espace
nous fait y percevoir une esthétique, c'est à dire la
notion du Beau, plutôt que l'Ethique, l'utile qui se
déroule dans le temps. C'est une définition psychologique,
surtout subjective, car les uns et les autres aiment le
beau pour lui-même alors que la justice voudrait qu'ils
aiment l'utile pour eux-mêmes, comme nous le fait penser
Moore G., E., qui nous donne une définition du Beau dans
une perspective architecturale. Selon Moore, les entités
mentales ont le status, la qualité objective, donnée des
biens ("goods ") irréductibles perçus qui leur donnent leur
forme et leur être. De son point de vue, la perception y
est elle-même à la fois esthétique dans son enregistrement
des données ("givens") indéfinissables (le Bon, le Vrai, le
Beau) et dans sa composition d'une conscience ordonnée,
l'état d'esprit. La dualité est celle d'une philosophie qui
unifie une métaphysique et une psychologie; elle sous-tend
ou entraîne la conception de la sensibilité comme l'agent
de tout ordre.
76 - Voir Bhabha, H. K., "The Other Question.", Screen 24, Nov-
Déc 1983: « ••• that 'otherness' which is at once an object
of desire and derision, an articulation of difference
contained within the fantasy of origin and identity.»
p.
19.
77 - "The Muse of History", Is Massa Day Dead?, ed., Orde
coombs, New York, Anchor Pressj Doubleday, 1974. pp.1-2.
78 - Achebe, C.," An Image Of Africa", Research In African
Literatures, The Massachussetts Review, 18, n° 4 , 1977.
p. 783.
79 - Hammond, D.& A. Jablow, The Africa That Never Was,
pp. 74 113.

617
80 - Voir le développement de Husserl, Edmund Idées
Dir~ctrices.pour une Phénoménologie, tr.'Ricoeur, P.,
Parls, Galllmard, 1950. et La Philosophie comme science
rigoureuse, tr. Lauer, Q., Paris, P.U.F., 1955.
81 - On trouvera à cet effet, la négation des valeurs
institutionnelles, culturelles ( mariage, religions ... )
indigènes par le colonisateur dans Hammond Dorothy & Jablow
Alta, Ibidem. p.20; p.23.
82 - Voir Nietzsche, Friedrich, Le Voyageur et son Ombre, § 3,
tr. Albert, H., Paris, Mercure de France, ge ED., 1919.
83 - Breton, A., Les Vases Communicants, Idées/Gallimard, 1970.
p. 84.
84
On peut retrouver le thème de la succession développé chez
Radcliffe-Brown, A.R., structure and Function In Primitive
society, London, Cohen and West, 1952. - Voir aussi
Onwuejeogwa, Anjulu, M., The Social Anthropology of Africa:
An Introduction, London, Heinemann, 1978. Pour le thème de
la relation mystique du peuple et du chef, des pouvoirs de
ce dernier sur la nature grâce à la magie, se reporter à
S, . D., & E., J ., Krige, " The Louedu of the Transvaal" in
African Worlds, London, OUP, 1954, p.61 s'appuyant sur des
exemples Zulu et Tsonga.
85 _ Voir Exode 1, 22-2, 10.
86 _ Voir Ogun appelé en renfort par ses amis contre leurs
ennemis, sous le coup de l'ivresse, massacra et ses amis
et leurs ennemis sans distinction. - Voir Verger, Pierre,
Orisha, Les Dieux Yorouba en Afrigue et au Nouveau Monde,
Paris, Ed. A. M. Métailié, 1982. p. 18.
87
Nous utilisons ce terme dans le même sens que Galbraith
qui a montré comment le lien entre race et richesses s'est
étendu dans le discours académique sur la différence
économique. La pauvreté et les richesses sont perçues comme
des fonctions d'ethnicité et de race. Bien entendu,
l'attribution des richesses à la différence ethnique érige
un mythe d'homogénéité qui ne prend pas en compte la
signification de la classe et du genre par rapport à
l'accession à la richesse dans une formation sociale
donnée. - Voir Galbraith John Kenneth, The Nature of Mass
Poverty, Harmonsworth, Penguin, 1979.
88 _ Bédarida, F., La Société Anglaise 1851-1975, Paris, 1976.
Dyos, H., J., 1. The Study of the Urban Past, London, 1971.
2. Exploring the Urban Past, Cambridge, CUP 1982. - Voir
surtout Kellet, R., John, Railways and victorian Cities,
London, 1979.

618
89 - Il.s'ag~ra d'un système de procédures qui,
"hlstorlquement" ont trouvé leurs représentants en devenant
des sédimentations signifiantes. Nous employons ce terme
dans le sens de Garraghan qui dit que:" The career of an
individual has historical meaning only to the extent to
which it influences an organized group or other individuals
or is influenced by it. The details of the daily
occupational or intimate family life of a person belong to
history only to the extent to which they affect the
development of sorne other social group, whether this be
political, religious, or sorne other sort." Garraghan
Gilbert, J., A Guide to Historical Method, Usa, Fordham
University Press, 1941., pp.8-9.
90 - Voir Riboul, Anne, Rhétorique et stylistique de la
fiction, Paris, PUF, 1992. pp. 6-8.
91 - Ali Mazrui nous suggère ce qui suit quant à la définition
de l'Afrique: «
As for the name 'Africa' sorne have traced
it to the Berber originsi others have traced it to the
Greco-roman ancestry. The ancient romans referred to their
colonial province in present-day Tunisia and eastern
Algeria as 'Africa', possibly because the name came from a
Latin or Greek word for that region or its people, or
perhaps because the word came from one of the local
languages, either Berber or Phoenician. Did the Romans calI
the continent after the Latin word Aprica (sunny) ? Or were
the Romans and the Greeks using the Greek word Aprike
(without cold)? Or did the word come from the Semites to
refer to a very productive region of what is today Tunisia
a name which meant Ears of Corn? Later, the Arab
Immigrants 'Arabised' the name Africa to Ifriqiya. Whatever
the origin of the word Africa, two legacies (Sernitic and
Greco-Roman) have probably helped to define the identity of
the third legacy (indigineous Africa).»
- Voir Mazrui, A.
A., The Africans, London, BBC Publications, 1986, p. 25.
92 _ Mauron, Charles, The Nature of Beauty in Art and
Literature, tr. Roger Fry, London, Hogarth Press, 1927.
p. 185 .
93 _ Greenberg, Alvin, " The Death of the Psyche: A Way to the
Self in the Contemporary Novel", criticism VIII, 1966. pp.
1-18.
94 - Selon Wellek, René, Concepts Of Criticism, ed. Nichols,
S., G., London, Yale University Press 1963." The work of
Art can be conceived as a stratified structure of signs and
meanings". - Voir pp.14-15 et 293. - Goodman, N., Languages
of Art, Indiana, Hacket Publication, 1976.
95
Ce constat s'inscrit dans la logique des thèmes exposés
par Berthoud, et axés sur la vision tragique cohérente de
Conrad s'appuyant sur les notions de 'restraint',
'solidarity' et de 'fidelity'. - Se reporter à Berthoud,
Jacques, Joseph Conrad: The Major Phase, Cambridge, CUP,
1978.

619
96 - Voir Dathorne, O., R., The Black Mind: A History of
African Literature, Minneapolis, University of Minnesota
Press, 1974. pp.18-19.
97 - Cary, A, Joyce, The Case of African Freedom and Other
Writings, Austin, Texas University Press, 1962.
98 _ C'est dans cette perspective que Echuero, J., C., Michael
a soutenu que Cary est un philosophe qui a le sens de
l'organisation de la tragédie intérieure au personnage tout
en caractérisant à la fois, le ridicule , le comique du
sujet observé. - Voir Echuero, J., C., Michael, Joyce Cary
and the Dimensions of Order, London, Macmillan, 1979.
99 - Voir Le Nouvel Observateur, Dossier, n01420 du 23 au 29
Janvier 1992. pp.6-12.

620
UNE CONCLUSION ?

621
Comme
nous
l'avons
remarqué
le
Nord
s'est
toujours
cru
supérieur du fait de sa culture, de son avance technologique et
industrielle
vis-à-vis
de
l'Afrique,
et
du
Tiers-Monde.
Alors
les pionniers se sentent spontanément imbus de
ce
sentiment de
supériorité.
Or,
dans leur exode vers le
"Sud",
vers l'Afrique,
les
Britanniques
font
un
retour
vers
leurs
origines,
vers
les
sources
de
leur
humanité.
Puisqu'ils
étaient
convaincus
que
l'Europe et la science détiennent la vérité,
ils découvrent que
l'Afrique
qui
est
en
dehors
de
la
science
n'est
qu'obscurantisme,
magie
ou
sorcellerie.
Mais
il
leur
fallait
faire peau neuve.
Aussi,
celle-ci se fera dans une descente aux
enfers,
à
travers
leurs
échecs,
la
mise
à
l'épreuve
de
la
situation coloniale.
Puisque voyager c'est pouvoir choisir une destination,
les
écri vains
britanniques
éprouvent
une
grande
angoisse
à
l'égard
de la frontière.
C'est ainsi
qu'en parlant de
l'Afrique,
leurs
oeuvres
portent
l'hallucination,
la
recherche
d'un
monde
meilleur,
la volonté d'arriver vers d'autres destinations. Aussi
ces préoccupations allaient-elles de pair avec la vie intérieure
de
chaque
écrivain
Voir
Greene,
1),
puisque
ce
que
l'on
retrouve dans
la
littérature britannique des
années
de guerre,
c'est
l'obsession
des
départs,
de
la
redéfinition
de
la
si tuation
nationale
et
internationale,
de
l ' indi vidu
et
de
la
société. C'est de ce point de vue que Cunningham écrit:
«
The traveller is seen as a type of the delver into the
self, he is a psycho-anal y tic explorer, but he is also

622
united with other sorts of seeker after truth, religious
pilgrims, explorers, detectives, and those very conscious
tanglers with the undergrowths of epistemology and
hermeneutics _ writers, particularly novel~sts and their
surrogate narrators.»
( Voir Cunningham,
).
Cependant l'écrivain-voyageur
reste un quêteur,
qui
essaye
peut-être
de
réconcilier
deux
éléments
contraires,
bien
que
complémentaires
-
le Bien et
le Mal
-
dont
il
veut
trouver
la
source. C'est ce que Cunningham nous indique plus loin :
«
Going back home to the childhood memory, the village
one's ancestors come from, the place where one's political
forebears
( ... ) were located, stands for the theological
journey, the regression from modernity and from "progress",
back towards the safe sources of memory, revelation,
conservative attitudes, the world of Mother Church and
Father God.»
( Voir Cunningham, 3)
Parler de l'Afrique pour les écrivains britanniques revient
à
retrouver
de
nouveaux
équilibres,
de
nouveaux
asiles,
rassurants
ou
inquiétants.
C'est
pourquoi
la
religion
s'impose
aux pèlerins.
Elle est présente en la personne des missionnaires
catholiques,
orthodoxes,
protestants
ou
islamiques
dans
des
oeuvres
telles que celles de Waugh
-
qui
nous donne
sa
vision
d'un syncrétisme chrétien, abâtardi par les fidèles indigènes en
Abyssinie
dans
Remote
People.
De
même,
dans
An
Outpost
Of
Progress
la
présence
diffuse
d' une
autorité
religieuse
nous
est
suggérée par
la
localisation
de
la
croix
sur
la
tombe
du
premier pionnier.
Dans Out Of Africa,
les pouvoirs religieux se
livrent
une
bataille
sans
merci
pour
faire
l~
plus
de
conversions
et
de
recrues
possibles.
Dans
Mister
Johnson,
les
missionnaires
se
font
voir
par
leur
produit
en
la personne de
Johnson,
qu'ils
ont
égaré
et
"
détourné
dans
sa
tête
et
jeté
dans la brousse"
(traduit du Bambara ou du Mossi).
C'est le même
discours que tient The Flame Trees Of Thika où il est dit que la
mission
forme
des
"menteurs",
"des espions",
et des
"voleurs".
C'est peut-être pourquoi
la petite Jocelyn
se laisse entraîner

623
vers
l'animisme.
Dans
tous
les
cas,
la
religion
chrétienne,
islamique ou animiste,
à travers ses hérauts et leurs pratiques
fascine
l ' écri vain
avide
d'orthodoxie
et
de
raison
autant
que
l'Afrique elle-même.
L'autorité
religieuse
fascine
parce
qu'elle
rappelle
au
pionnier
l'obsession
du
péché,
du
mal
en
l'homme
dans
la
si tuation
coloniale.
Etant
donné
que
les
auteurs
sont
obsédés
par les frontières
et les
repères
comme des gens
en
fui te,
il
est logique qu'ils se servent de ce que la situation coloniale
leur proposait.
Pourtant
cette situation s'est inspirée de la
vision
dichotomique
de
la
période
aristotélienne,
qui
posait
l'inéquation Grecs
/
Barbares.
Cette
inéquation
signifiait que
ce qui n'était pas grec était donc barbare, puisque ne disposant
pas
de
la
faculté
de
raison.
Aussi
la
distribution
coloniale
si tuai t
les pionniers dans
une
position telle qu'elle devenait
elle-même une barrière,
un monde clos,
une prison.
La migration
coloniale
établissait
un
rapport
non
pas
entre
étrangers
seulement,
mais
aussi
entre
colon
et
colonisé,
Britannique
et
indigène.
Selon
Fanon,
le
résultat
de
cet
état
d' espri t
-
le
manicheism
delirium
vient
de
la
dichotomisation,
de
la
réparti tion
en
binômes
opposés,
bon/mauvais ,
civilisé/barbare,
vrai/faux,
blanc/noir,
dans
lesquels,
le
premier
signe
est
axiomatiquement privilégié dans la situation coloniale.
Mais en
réali té,
cette
dichotomie
s'est
fondée
sur
des
considérations
économiques,
qui
ont
contaminé
tous
les
autres
niveaux
des
valeurs
humaines.
C'est
pourquoi
dans
les
systèmes
de
représentation britanniques, étant donné que l'indigène ne s'est
pas
tourné
vers
la
maîtrise
matérielle.
Il
ne
pouvait
y
être
qu'un primitif, se tenant en marge de la voie du progrès humain.
Aucun
vestige
ne
semblait
témoigner
en
faveur
de
sa
faculté
probable à dominer la matière et la technologie.
Puisqu'il était

624
attardé,
il
était du devoir du
Royaume
Uni
de
lui
apporter
la
vie
et
le
salut,
en
raison
d'une
Révolution
Industrielle
qui
venait alors de se dérouler à l'époque victorienne.
C'est ce que
rapporte Charles qui cite un ancien District Commissioner:
«
The simple people in the villages looked upon you too
much as a
'fixer'.
'The government is our father and
mother', they used to say, but the father and mother
couldn't do very much for them . . . . But most of the time they
were asking you to do things for them and i t was terribly
difficult either to say no or say yes with conxiction that
you were able to do much ... »
( Voir Charles,
).
Puisqu'il
n ' avait
pas
de
temples,
ni
de
lieux
de
cul te
identifiables et semblables à
ceux que
l'on
trouvait
en Grande
Bretagne,
l'indigène
était
païen
et
sorcier.
Comme
il
ne
possédait
pas
le
désir
de
technologiser
la
parole
et
le
mot,
bien que Walter Ong nous permette de penser le contraire
( Voir
Ong,
5),
il
ne
possédait
pas
de
culture,
donc
pas
d' histoire
fiable.
Le
Britannique
dans
sa
relation
avec
l'Afrique
est
en
pleine ambiguïté.
Il
est parti d'Europe avec
les
images
toutes
faites
sur l'Afrique et convaincu de la supériorité britannique
( Voir Allen Charles;
Hammond & Jablow).
Ou il
les conserve et
tout se passe bien,
ou i l cherche à
s'en départir"et il sombre.
C'est ainsi par exemple que Kayerts dans An Outpost Of Progress,
est en plein désarroi culturel.
Il sait qu'il y a une culture en
face mais il ne la connaît pas.
Kayerts est complètement isolé;
il est perdu et ne sait plus du tout où i l en est.
Il n'est plus
convaincu de la supériorité de l'Occident.
Il en est de même de
Blixen
qui
crée
une
nouvelle
chaîne
de
dépendances
sans
le
savoir. Elle n'est pas du tout consciente.
Elle est dans un état
second.
C'est
ainsi
que
les
romans
et
la
nouvelle
l'entre-deux-
guerres
à
propos de
l'Afrique mobilisent
toutes
les
ressources

625
que leur offrent la société,
la rhétorique et la poétique pour
étayer le propos constant qu'ils nourrissent dans leurs défenses
des valeurs aristocratiques.
Narrativement,
ils n'hésitent pas à
ouvrir
des
brêches
qui,
sous
la
forme
d'épreuves
vécues
ou
perçues
dans
la
roture
ou
les
bas-fonds
de
l'environnement
indigène,
par
les
membres
de
la
"caste"
ou
de
"l'ethnie"
dominante,
révèlent les vertus les plus authentiques.
Ainsi,
se
ferment
à
l'Autre
l'Africain
toute
possibilité
d'accès,
toute
vélléité
d'ascension,
toute
prétention
à
s'élever
et
lorsqu'il est reconnu, le trouble qu'il suscite est réprimé.
Un regard
complaisant
ne
signifierait
idéologiquement
que
l'affaiblissement
du
groupe,
toutes
distinctions
confondues,
même si la réalité semble autre. Ainsi ce qui au départ n'était
qu'une
banale distortion de
l'information
envers
l'indigène va
devenir,
afin
de
pouvoir
justifier
le
besoin
de
conquête
et
d'expansion,
le
seul
critère d'évaluation
et d'appréhension de
ce
dernier.
Il
se
pose
une
question
de
conscience
historique
pour laquelle nous ferons appel à JanMohamed dans son examen de
la
littérature de
l'Afrique
Coloniale.
Il
nous
fait
remarquer
qu'une
littérature
qui
ne
fai t
qu'enregistrer
des
fai ts
particuliers d'un passé spécifique
«
will not allow memory,the major mode of temporal
mediation in oral cultures, to eliminate facts that are not
consonant wi~h or useful for contemporary needs.»( Voir
JanMohamed,
)
Autrement dit,
la
littérature propose
l'examen
d'un
passé
fixe.
De
ce
fait,
elle
détruit
la
relation
intime
entre
l'expérience personnelle directe et la profonde socialisation du
monde;
et
par
conséquent,
la
nature
totalisante
des
cultures
orales. L'écriture ou la littérature ont pour vertu de permettre

626
de statuer sur la vérité et sur l'erreur.
Elles permettent aussi
de distinguer mythe et histoire.
Vues
sous
cet
angle,
l'absence
ou
la
présence
d' écri ture
est l'un des facteurs déterminants qui permettent de comprendre
la
distance
coloniale
comme
faisant
partie
de
la
séparation
ini tiale
entre
Afrique
et
Grande
Bretagne.
Pourtant,
même une
conscience historique qui
se veut
obj ecti ve,
ne peut prétendre
échapper à
la
nature
fictive
de
la
reconstruction
historique
(
Voir
Hayden;
Foucault;
Lévi-strauss,
Aussi
puisque
l'écriture donne à
voir,
les écrivains ne peuvent se dérober à
la route fatale de la narration,
de l'utilisation d'un matériau
qu'ils organisent d'une manière ou d'une autre,
comme le dit si
bien wiebe:
«
The advantage a fiction writer has is the right from the
beginning he doesn't pretend that his is the only way of
looking at it, he doesn't have to pretend that he has the
authentic account of what happened. Then he has this
fantastic freedom, you see, of shaping according to sorne
world view that he has, sorne king of concept of what people
are really like.»( Voir Wiebe,
).
puisque
l'indigène
parle
en
paraboles,
avec
des
proverbes
et
des
détours
énigmatiques
-
peut-être
par
tradition
pour
ne
pas choquer son interlocuteur,
par respect pour son âge ou pour
sa
qualité
d'étranger,
ou
tout
simplement
pour
le
plaisir
de
manier la parole ( Voir Achebe,
9)
-
le langage autochtone était
mensonger.
Puisqu'il
n'était
pas
suffisamment
cultivé
pour
dialoguer
ou
prétendre
se
mettre
au
même
niveau
que
le
Bri tannique,
l'indigène
n'était
bon que pour
servir "l'élu"
de
Dieu,
tout comme les Indiens d'Amérique que les quakers anglais
massacraient au
nom de
Dieu,
en
s'écriant
"God
l s
Above
Us"
(
Voir BBC publications,
10). Nous reconnaissons dans ce processus
ce
que
JanMohamed
a
appelé
une
'manichean
allegory'
dans
l'appréhension du nouveau monde par le voyageur.

627
Ces représentations péjoratives prennent leurs sources dans
l'expansionnisme
britannique
apparu
dès
le
16'
siècle
Voir
Jones,
11).
Mais
il
se
trouve
qu'en
désignant
les
réalités
sociales
qu'ils
rencontraient,
par
la
force
des
choses
ou
de
manière
délibérée,
les
voyageurs-observateurs
ont

apprendre
ne
serait-ce
que
des
rudiments
d'une
langue
indigène
une
langue
autre
que
la
leur
pour
pouvoir
traduire
ces
autres
cul tures.
Pour
ceux
qui
l'ont
fait
délibérément
comme
Blixen,
Cary,
Conrad,
Huxley
ou
Waugh,
cet
élan
était
motivé
par
la
volonté
d'aller
directement
à
la
quête
du
réel
et
de
réinterpréter
les textes. De ce
fait,
ils déplaçaient
le centre
de signification vers un ailleurs.
Il n'empêche que la situation
coloniale,
historiquement
et
politiquement
parlant,
pose
la
question de l'absence et de la distance, donc le problème de la
représentation
et
de
la
transcription,
notamment
entre
les
sociétés à représenter et les destinataires de ces actes.
Est-ce
un hasard si les représentations partent du même point de vue -
celui du britannique, maître de la communication - même quand il
dit s'exprimer au nom de ses sujets de représentations quelques
fois?
Le
problème
qui
se
pose
consiste
dans
le
fait
que
le
traducteur
ne
peut
se
départir
de
lui-même,
de
son
contexte
socio-culturel, ou cesser simplement d'être lui-même.
N'y a-t-il
pas un
risque pour
l'observateur de
tomber dans
un .lyrisme de
mauvaise aloi, en se voulant épique?
Ce
qui
est
incontestable,
c'est
que
l'indigène
dans
le
système de représentations britannniques,
est
'toujours et déjà
là', disponible, en tant que sujet ou modèle de représentation (
Slemon,
12),
tout comme le pays lui-même,
qui devient sujet au
rêve.
c'est ce que nous suggère Benterrack et al à propos de la
situation coloniale australienne:

628
«
The land itself is contructed as a text of the Dreaming
and that text is intimately bound up with the life and
experience of each individual. The Aboriginal painter does
not represent space nor signify the visual in a "European"
way, but sYmbolizes both the mythic time of the Dreaming
and its embodiment in the land. Aboriginal art and
performance are a re-working of the basic text of mythic
experience which is 'written on the land itself.»( Voir
Benterrack, 13)
C'est du reste ce que stipule Blixen lorsqu'elle oppose le
dictateur bienveillant à l'artiste, dont la volonté est libre:
« ... the real glory of dreams lies their atmosphere of
unlimited freedom. It is not the freedom of the dictator,
who en forces his own will on the world, but the freedom of
the artist, who has no will, who is free of will. The
pleasure ... class of dreams" ( Out Of Africa, p. 82-83).
De ce
point
de
vue,
nous
pouvons
étendre
l'analogie
de
l'artiste à l'écrivain britannique lorsqu'il pose son regard sur
l'Afrique,
dans
la
mesure

il
est
libre
de
traduire
et
de
transcrire ce qu'il veut, comme le suggère ce passage:
«
we respond to a work as poiema before attempting to
formulate it as logos.( ... ). The parts of the poiema are
things we ourselves do; we entertain various imaginations,
imagined feelings, and thoughts in an order, î2d at a
tempo,prescribed by the poet.»( Voir Lewis,
)
Lewis nous rappelle qu'une oeuvre littéraire est à la fois
un logos,
c'est à dire quelque chose de narré et un Poiema,
ou
quelque chose de construit.
Le contexte colonial en imposant un système de relations
politiques, économiques et idéologiques entre sujets
britanniques et sujets indigènes, établit le principe que les
cultures dominées doivent se plier et s'adapter aux concepts et
aux exigences de la culture dominante, si bien que les premiers
feront très peu d'efforts pour s'accommoder ou comprendre les
langues dominées. Dans cette situation, ce qui ne sera pas connu

629
ou suffisamment possédé par le voyeur britannique fera l'objet
d'interprétations, d'allusions, de devinettes par
différenciation.
Or,
ces allusions n'expriment rien d'autre que
la distance culturelle, par exemple dans le cas de Blixen ou de
Huxley,
à
propos
de
mort
et
de
travail
-
à
l'occasion
de
la
construction
de
la
maison
de
Robin
dans
The
Flame
Trees
Of
Thika,
et de
la compagnie du Belge,
à
quoi
il
faut ajouter la
mort de Kinanjui dans Out Of Africa.
De même,
par le fait de commenter les mots Kikuyu,
Somali
ou
Hausa
dans
leurs
oeuvres,
les
auteurs
par
leur
procédé
allusif
installent
une
distance
linguistique,
qui
elle-même
devient un sujet du texte de représentation.
La métaphorisation
des
cultures dans
les
écrits
sur
l'Afrique
crée
la
réalité de
l'al ter,
en
prétextant
le
décrire
pour
des
prétentions
langagières.
c'est
dans
ce
contexte
que
Bhabha
soulève
la
question
de
l'importance
de
la
distinction
entre
métaphore
et
métonymie,
en argumentant que la perception de figures du texte
comme
métaphorique,
impose
une
lecture
universaliste,
car
la
métaphore ne fait pas de concessions à la spécificité culturelle
de chaque texte.
Ainsi il
serait préférable de
lire
les tropes
comme
une
métonymie
qui
symptomatise
le
texte
en
lisant
à
travers
ses
traits,
les
forces
sociales,
cul turelles
et
poli tiques
qui
s 'y
profilent.
De
ce
fai t
la
variation
linguistique
devient
elle-même
une
métonymie
de
la
différence
culturelle ( Voir Bhabha, 15).
L'indigène par sa langue résiste naturellement à la culture
bri tannique.
Le
problème
qui
nous
laisse
également
perplexes,
c'est le fait que les écrivains britanniques aient été formés et
éduqués
pour
maintenir
un
comportement
de
bâtisseurs
que
les
lecteurs britanniques attendent d'eux.
En plus de cette censure
virtuelle
des
lecteurs,
les
caractéristiques
des
traductions,

630
leurs vocations
et leurs réactions
sont délibérément distantes,
dès
le départ,
par rapport aux autres
cultures ou langages qui
ne
gouvernaient
pas
le
monde,
et
étaient
essentiellement
conduites par
le sort du narrateur
et le projet de
l'écriture.
D'autre
part,
il
y
avait
des
exigences
nationales
ou
internationales,
qui
font
de
l'autobiographie
et
du
Journal
"diary",
une
mode
presqu'autant
que
l'exotisme.
Il
s' agissai t
d'être témoin, puis humain, avant d'être héros.
En
effet,
dans
l 'entre-deux-guerres
la
crise
économique
étai t
tellement
forte
qu'elle
débouchait
sur
une
autre
crise:
celle
de
l ' identi té
pour
les
écrivains
de
ces
années,
petits
bourgeois
en
général
qui
s'étaient
fixés
le
devoir
de
parler
pour et au nom des
masses populaires,
sans
réussir à
infléchir
leur
situation.
West
Alick
nous
en
donne
les
raisons
en
ces
mots:
«
The difficulty of the change is the resistance of the
bourgeois habits. While the development intensifies the
desire to abandon individualism for a consciously social
life, i t also intensifies the conflict as to how that
desire is to be satisfied. There is a desire to feel, think
and say 'We' instead of ' l ' , but who are ~he 'We' ?
Bourgeoisie or workers ?»
( Voir West,
1 )
Cette
observation
est
cruciale
dans
la
mesure

elle
ajoutera plus tard dans un article que:
«
Personality, character, self, "1" have become
problematic beI~use "We" have become problematic ... »
( Voir West,
)
Presque
tous
les
littérateurs
voulaient
se
faire
héros,
sinon dans la réalité, au moins dans l'écriture. Aussi, il y eut
une telle prolifération des Journaux et des autobiographies que
la
littérature prit un
ton de
romantisme individualiste et les
dimensions
d'un
narcissisme
dans
lequel
chaque
écrivain
se

631
contemplait,
se
mirait,
ou
s'autojustifiait.
c'est
ce
qui
a
permis à Virginia Woolf de dire que:
«
When every thing is rocking round one, the only person
who remains comparatively stable is oneself. When aIl faces
are changing and obscured, the only face one can see
clearly is one's own. . . . No other ten years can have
produced much autobiography as the ten years between 1930
and 1940. No one whatever his class or obscurity, seems to
have reached the age of thirty w~thout writing his
autobiography.»
( Voir Woolf, 1 )
Les systèmes de représentation se résument à une pratique
scripturale marquée, présentant l'Etre de chaque écrivain tantôt
identifié à un héros, tantôt scindé en plusieurs moi partiels,
inspirant la multiplicité des personnages, s'attribuant le rôle
d'un spectateur qui serait en définitive le responsable de
l'effet produit par le roman ou la nouvelle. Par ces
représentations, on assiste donc à une actualisation d'un
théâtre, à une mise en scène et une représentation des
fantasmes.
Ces reportages, ces autobiographies ou fictions, cette
rhétorique et cette écriture, ces métaphores vives, si
extravagantes que soient leurs péripéties, nous donnent
l'illusion de la réalité. Ce sont les romans et la nouvelle qui
exigent de tels procédés pour représenter ce qu'ils cherchent à
atteindre: les conditions d'une confession, d'une communion,
d'une fusion, d'une communication, et surtout le contact avec
une réalité immatérielle, un Etre évanoui, un temps révolu,
inutilisable mais surtout insaisissable. La difficulté et
l'impuissance à réaliser cette situation semble résider dans le
fait que chaque écrivain britannique est attaché à sa
métaphysique, à son idéologie ou aux intérêts de sa classe
sociale, culturelle ou politique en tant qu'individu ou homme.

632
Autrement
dit,
la
traduction
de
la
vérité
par
chaque
écrivain est,
à
sa façon,
problématique.
A vouloir les intégrer
toutes
dans
le
vaste
ensemble,
ne
fait
qu'accroître
les
difficul tés.
Par
exemple,
le
Conrad
de
le
Heart
Of
Darkness
n'est pas le même que celui de le An outpost Of Progress. A voir
la scène des esclaves dans le Heart Of Darkness:
«
The idleness of a passenger, my isolation amongst these
men with whom l had no point of contact, the oily and
languid sea, the uniform sombreness of the coast, seemed to
keep me away from the truth of things, within the toil of a
mournful and senseless delusion.( ... ) black
fellows .... their bodies streamed with perspiration; they
had faces like grotesque masks - these chaps; but they had
bone, muscle, a wild vitality, an intense energy of
movement,
( ... ).
, A slight clinking behind me made me turn my head.
six black men advanced in a file, toiling up ... be called
enemies.»
( Heart of Darkness, p. 19-22).
Le
passage
tourne
autour
de
l'exploitation
et
de
la
colonisation.
Mais aussi,
le narrateur va à
la
recherche de la
vérité dans l'obscurité, mais il n'en trouve aucune.
Il cherche,
tout
en
la
cachant,
cette
vérité
par
son
incapacité
à
l'exprimer.
Aussi
tout
est
statique
en
comparaison
avec
l'aventure de Kayerts qui arrive à
sa vérité
insupportable:
le
commerce et la mort
ont partie
liée.
Le
jugement porté
sur
la
situation
coloniale
est
devenu
une
condamnation
beaucoup
plus
dure.
On remarquera que Kurtz demeure invisible dans HoD,
mais
ni Kayerts ni Carlier ne continueront à vivre dans An Outpost of
Progress.
Ce qui
veut dire que le Britannique a
changé d'avis.
Nous
sommes
encore
dans
l'ambiguïté.
Une
question
essentielle
qui
demeure
reste
celle
des
possibilités
d'une
transcription
inadéquate
de
l'Afrique,
accrue
par
le
manque
de
volonté
ou
l'incapacité des écrivains à se mettre à l'écart de l'entrée en
solennité
sacerdotale
des
mythes
du
passé,
pour
examiner
d'un
oeil
critique
les
conditions
dans
lesquelles
le
pouvoir

633
structuré
agissait
sur
leur
matériau
et
transpirait
de
leurs
oeuvres.
Sur le plan culturel, se pose la question du langage que
les écrivains britanniques ne peuvent aborder que par
substitution et par approximations. De plus, l'Histoire fait
croire que l'Europe et la Grande Bretagne sont passées, finies,
ou en désuétude, ennivrées par leur propre orgueil et leur
suffisance, en raison de l'industrialisation et du matérialisme
apportés par la période victorienne. Ainsi se fait sentir le
poids du temps dans les oeuvres écrites, qui invitent le passé à
se confronter au présent, à des fins de modernité. Dans cette
démarche,les littérateurs faisaient de leurs oeuvres, des
témoignages historiques de l'entre-deux-guerres, marqué par les
relents de crises, l'angoisse de la destruction, de la perte et
l'obsession de la privation de liberté confisquée des individus
face à l'ensemble social ou aux Etats.
Entre individus africains et britanniques, la situation
semble se jouer à l'envers du contrat social. Elle apparaît
comme telle en ce sens que le langage en tant que langue de
représentation, logique de l'esprit ou pouvoir, ne sont détenus
que par un seul interlocuteur, et un seul agent.
Ces conditions, contraires à l'esprit de la démocratie, ne
favorisent qu'un monologue, une dictature, contre lesquels celui
qui veut aller se retrouve en train de prêcher dans un désert à
moins qu'il ne pervertisse sa vision de la réalité, tricher avec
lui-même ou l'Autre, en se donnant les moyens d'interpréter et
de gloser sur l'Africain. C'est cette perception des choses qui
nous autorise à parler de logocentrisme, contexte dans lequel,
un seul personnage revendique pour lui tout seul la
signification. c'est aussi que le système de représentations
britannique sur l'Afrique ramène des nations entières, des

634
Britanniques qui, eux n'ont pas besoin semble-t-il d'être
représentés, mais agissent, se suffisant à eux-mêmes.
Dans sa relation à l'Afrique, l'écrivain britannique dans
ce déplacement, se retrouve aliéné face à l'espace du pays. Sa
crise d'identité commence dans l'exode même puisqu'il cherche à
fuir et à abandonner ses racines. Ensuite cette crise se
poursuit dans le dénigrement culturel né de l'oppression
délibérée ou inconsciente de celui-là même qu'il croyait sauver
- la personnalité indigène et sa culture par un soi-disant
modèle culturel dont lui, le pionnier s'est départi en quittant
son pays. Finalement la crise se manifeste dans l'écart entre la
connaissance du pays et de l'insuffisance de l'Anglais -
structure disponible - pour traduire cette expérience ou la
décrire. C'est dans ce contexte que toutes les représentations
de l'Afrique et des Africains ne peuvent être que contestables.
Mais en dépit des apparrences, l'écrivain ne peut se soustraire
à l'institution sociale britannique dont il est lui-même le
produit. Il en arrive à privilégier la fonction sociale de
l'écrit au détriment de sa fonction d'expression individuelle.
C'est ainsi que l'homme de lettres donne naissance à la création
de mythes, de légendes, du merveilleux et de l'enchantement pour
répondre aux besoins du temps, de sa société à laquelle il
appartient.
Les thèmes de ces oeuvres sont la chose qui se laisse le
mieux
percevoir
par
une
lecture
orientée
vers
le
sens.
Ces
thèmes
sont
ce
qui
répond
le
mieux
à
l'ordre
de
la
représentation,
et à
tout ce qui
est
reconnu
au
Royaume Uni,
comme pouvant apporter de la satisfaction et du plaisir.
Il se
crée alors une distance à
l'intérieur du
moi,
entre le moi et
autrui, entre l'écrivain et l'Afrique, entre l'Afrique et Grande
Bretagne.
C'est pour vaincre ces obstacles que les auteurs de

635
romans
et de
nouvelles
écrivent,
pour
combler
ces
manques,
et
restaurer
ainsi
un
contact
intime
entre
eux
et
les
obj ets
de
leurs
désirs,
entre
eux
et
l'Afrique,
avec
lesquels
ils
pourraient
jouer.
Or,
ils
sont
en
position
de
reproduire,
de
transformer
sur
le mode
'irréel'
des
réalités
s'opposant à
la
satisfaction,
et
ce
d'autant
plus
que
la
mémoire
ou
l'imagination
peuvent
être
sélectives.
En
reproduisant
l'Afrique,
ils l'imitent dans un
jeu orienté par
leurs désirs.
C'est pour cette raison que nous avons dans
le même tableau,
à
la
fois
ce
que
Freud
a
appelé
la
"Dartstellung"(
représentation),
le
"Trauerspiel"
(tragédie),
le
"
Lustspiel" (
comédie).
Ce
qui
veut
dire
que
dans
cette
situation
de
monologue,
un
j eu
de
fantasmes
et
de
rêves
éveillés,
qui
se
modèlent
sur
les
perceptions
et
des
impressions
successives
qu'apportent
la
vie,le
passé,
le
présent -et
l'avenir.
En
considérant que les
souvenirs et
les projets occupent la place
des représentations du passé et de l'avenir,
le présent serait
le
stade
du
miroir,
fait
des
pensées
métaphysiques,
psychologiques,
d'introspection
et
de
prise
de
conscience
du
sujet
face
à
ses
objets
d'identification.
Il
n'en
reste
pas
moins
que pour
nous
lecteurs,
ce présent
est
épuisé et défini
par notre perception. Mais puisque le contact avec l'Afrique ne
laisse
pas
le
pionnier
indemne,
c'est
à
ce
moment
que
nous
pouvons parler de modernisme dans la littérature, dans la mesure

l ' écrivain
est
contraint
d'évoquer,
de
livrer
les
réalités
africaines par des mots qui n'ont pas toujours des
équivalents
anglais.
Partant,
bien
que
les
cultures
africaines
aient
été
subjuguées - au moins par l'apprivoisement des indigènes - elles
font réaliser au Britannique que sa culture n'était qu'une parmi
tant
d'autres
qui
organisaient
aUSSl
bien
leurs
rapports
au
réel,
leurs
représentations
dans
l'art,
et
leurs
pratiques

636
sociales.
Tandis
que
le
processus
ci vilisateur
combattait
les
cul tures
"sauvages"
dans
les
années
1880-1890,
les modernistes
obtinrent
l'occasion
d'une
voie
al ternati ve
qui
n'est
pas
le
réalisme
du
19è
siècle
ni
l'idéologie
bourgeoise
dominante,
après la révolution industrielle qui occasionna
l'explosion des
banlieues et de nouvelles classes privilégiées ( Voir Dyos,
19).
Le
transfert
des
masques,
des
objets
d'art
africains,
de
sculpture
et
de
bijouterie
dans
les
sites
comme
le
British
Museum,
la
découverte
de
l'art
nègre
par
Picasso
les
Demoiselles d'Avignon -
Braque avec sa collection de masques en
France
inspireront
la
réception
d'images
africaines
dans
les
oeuvres de l'entre-deux-guerres,
par exemple chez des écrivains
tels que D. H. Lawrence, dans The Rainbow paru en 1916. Ce n'est
pas qu'ils
s' intéréssaient nécéssairement à
l'Afrique ou à
ses
objets de culture - cultes, rituels, des systèmes religieux -
mais
plutôt
à
sa
statuaire.
Leur
intérêt
était
purement
artistique.
Ce qui intéréssait, c'étaient les formes esthétiques
abstraites qui étaient entièrement nouvelles et
révolutionnaires.
Cela
faisait
partie
du
dévéloppement
du
mouvement
cubiste,
qui
a
voulu
se
détacher
de
l'école
impressionniste.
Finalement,
l'art africain serait plus abstrait
que l'art britannique.
En d'autres
termes,
il
y
a
eu dans cet
élan
une
remise
en
cause
de
l'esthétique
britannique,
par
le
fait même que l'allusion aux cultures primitives situait l'autre
aussi
bien
en
tant
que
force
posi ti ve
que
négative
dans
le
concept
culturel
britannique
du
soi,
de
son
unicité
et
de
sa
valeur. C'est ce que constate Wolfgang lorsqu'il dit que:
«
Linking these essays is dominant, and i t seems to me,
central theme: discovery. the reader discovers the meaning
of the text, taking negations as his starting point; he
discovers a new reality through a fiction which at least in
part, is different from the world he is used tOi and he

'lm'
637
discovers the deficiencies inherent in.prevalent n05Ws and
in his own restricted behaviour.»( VOlr Wolfgang,
).
Ainsi,
la
découverte
de
l'art
africain
marquai t
la
relativité des cultures ou de la distance historique. Elle était
donc une représentation de l'autre face du
Britannique:
son le
côté obscur.
Or,
Deleuze,
qui
s'inspire de
la botanique,
nous
di t
à travers
l'exemple du
rhizome -
tige souvent allongée et
verticale, pouvant vivre plusieurs années comme dans le cas de
l'iris - que:
«A rhizome never ceases to connect semiotic chains,
organisations of power, or events in the arts, ~riences and
social struggles.»
( Voir Deleuze & Gyattari,
)
Plus loin il ajoute ce qui suit:
«The great ruptures and oppositions are always negotiable,
but not the little cracks and imperceptible ruptures that
come from the South. We say "from the South" merely as
illustration, to mark a direction that is no longer one of
a segmented line. Each one has his own South, situated any
where, his own line of inclination or flight. Nations,
classes, sexes have their South. As Godard says, what
counts are not only the two opposed camps on the great line
where they confront each other, but also the frontier along
which everything passes and runs on a broken molecular line
with a different orientation. May '68 was the explosion of
such a molecular line, the irruption of the Amazons, the
frontier that traced its unexpected line, dragging along
segments like no longer recognisable blo~~s that have been
torn away.»
( Voir Deleuze & Gyattari,
)
Il Y a une ambiguïté dont l'écrivain sort peu à peu avec un
désir réel de comprendre
l'Afrique.
Aussi
le mul ticul turalisme
serait une rhétorique tolérant l'individualisme et la diversité
ethnique.
Il
légitimerait
le
droit
à
la
différence,
à
la
spécificité,
prônant
ainsi
la
franchise
culturelle
au-delà
de
toute
exclusion
perpétrée
par
un
discours
monocul turaliste de
l'assimilationnisme Anglo-celtique. Donc il serait une remise en
question,
une
interrogation
des
entités
hégémoniques,
sur
un

638
système de hiérarchisations de classes fonctionnant de pair avec
les
races.
Nous
nous
demanderons
toujours
pourquoi
un
tel
racisme avait besoin d'être enchâssé dans
la
littérature après
une
première guerre de
libération,
et
ce que
nous
trouverons,
c'est
que
les
hommes,
écrivains
ou
aventuriers
ont
été
désorientés
dans
leur
recherche
d'asiles,
de
lieux
plus
sécurisants.
Dans
ces
nouveaux
pays,
ils
ne
pouvaient
qu'y
apporter
leurs
hantises
et
leurs
obsessions
comme
le
disent
Hammond et Jablow:
«Whether confident or doubtful, the writers describe
Africa in the same conventions. The image of Africa remains
the negative reflection, the ~hadow, of the british self-
image.»( Hammond & Jablow, 2 )
Ce
point
de
vue
a
été
celui
d'autres
auteurs
tels
que
Bradbury qui affirme que :
«
An essential aspect of culture is precisely that i t
ernbodies systems of preference and selectivity that enable
us, or have enabled us, to think of certain activities as
more cultured or less cultured. In short they have enabled
us to think of a hierarchy of culture and a factor of
criticism and discrimination at2ihe heart of its
functioning ".( Voir Bradbury,
).
En d'autres termes,
c'est ce qui a permis à JanMohammed de
parler
de
"manichean
allegory"
concept
qui
lui
a
permis
de
classer
les
oeuvres
écrites
sur
l'Afrique
à
propos
de
la
situation coloniale en quatre types de récits qui sont,
le récit
d'aventure dans
lequel
le héros/narrateur
fait
figure
d'enfant
qui
devient
adulte,
après
avoir
vaincu
les
forces
obscures
du
mal; puis il y a celui qui se sert de l'Afrique en la présentant
sous les traits d'une femme
fatale,
comme dans le cas de Kurtz
dans Heart of Darkness de Conrad,
qui est resté fasciné par une
femme
satanique
obscure;
un
autre
type
de
récit
utilise

639
l'Afrique comme un labyrinthe dans lequel le pionnier se démène,
comme dans An Outpost Of Progress de Conrad ou The Heart Of The
Matter
de
Graham
Greene,
oeuvres
dans
lesquelles
la
quête
d' identi té
de
sens
et
de
direction
se
solde
par
la
mort
des
protagonistes
blancs.
Enfin
la dernière
catégorie
se manifeste
dans
la
représentation de
l'Afrique
sous
les
traits d'un
Eden
non
encore
corrompu
Voir
"le
bon
sauvage"
de
Roussseau;
Tucker;
Mphahlele;
Gleason;
JanMohamed,
25).
Cette
dernière
série
ne
fait
pas
l ' obj et
de
notre
discussion,
puisque
nous
parlons
de
la
période
post-coloniale.
C'est
dans
cette
perspective que l'on peut lire le Heart of Darkness de Conrad,
comme une recherche des origines et des racines culturelles par
un
pionnier
Marlow
hanté
par
la
psychose
du
primitif
qui
pourrai t
avoir
raison du Bri tannique civilisé qu'il
est.
Ainsi
la perception de Marlow affirme que la civilisation britannique
et
européenne
que
l'on
pouvait
croire
achevée
et
permanente,
n'était pas finie et éternelle,
comme le prouverait la première
guerre mondiale. C'est toujours de ce point de vue que l'Afrique
au
début
du
siècle
dans
le
roman
britannique
a
présenté
une
image d'horreur absolue.
Dans
les
histoires
comme
dans
les
oeuvres,
la
voix
est
celle
de
la
désillusion
et
du
défaitisme
en
raison
de
la
puissante barrière coloniale,
et de l'inachèvement du sujet.
Ne
pouvant
franchir
cette
muraille,
les
écrivains
britanniques
interprètent,
réfléchissent et
ironisent
sur
la
di te
puissance
civilisatrice qui
s'est attelée à
la destruction d'opinions
et
de modes de
vie
sans pouvoir
en
proposer de meilleures.
D'une
part
parce
que
la
révolution
industrielle
n'a
pas
profité
au
commun
des
hommes
vivant
dans
les
zones
industrialisées
d'Ecosse,
du Nord de
l'Angleterre et du
Pays de Galles
( Voir
London,
26), mais en plus la guerre de 1914-1918 fit comprendre

640
aux
littérateurs
que
l'industrialisation
ne
signifiait
pas
toujours un monde d'abondance, surtout quand il s'agissait d'une
industrie convertible en industrie d'armement. Dans ce cas, elle
pouvait
provoquer
une
grande
crise
à
la
dimension
de
la
dépression des années Vingt. De ce fait,
l'industrialisation fut
perçue
sous
son
côté
destructeur
de
grands
espoirs,
dans
la
mesure où
en
installant la dépression elle préparait la vebue
d'une
autre
guerre.
Donc
elle
menaçait
tout:
la
culture,
la
civilisation,
la
littérature,
la
religion
et
l'individualisme
humain
par
ce que
Cunningham appelle
"the
ant-like
future
of
mindness progressivism"
(p.
37-39). Du fait même de cette crise
économique qui se déroule en
Europe,
on assiste à
une faillite
de l'Occident. Et cette faillite de l'Occident est projetée sur
la situation coloniale. Aussi l'écrivain n'est-il plus le Blanc
imbu de sa supériorité, mais l'homme très angoissé qui projette
sa
faillite
sur
le
monde
colonial.
Il
est
porteur
de
cette
faillite; aussi,
finie la Belle époque comme le reconnaît cette
darne, Mercedes Mackay, citée par Charles:
«
We arrived in the docks in Lagos and the first thing
that happened was what our luggage was aIl put into a
blazing hot Customs shed and instantly up marched a very
smart-Iooking black man aIl in uniform .... I couldn't
believe my eyes, they were popping, almost literally - that
an Africazn would dare to even dream of doing sueh a thing!
A few days later we went to Government House for a cocktail
party and there, to my equally amazed eyes, were Africans
dressed in dinner jackets ... being introduced as Mr 80 and
80, Mrs 80 and 80. And you shook hands with them, which is
something quite unheard of - and l
suddenly bega~ to look
at these people and heard them talking perfectly normally,
and l
realized that they were not only human but most
charming human beings. And from that moment on my colour
prejudice just faded away.»
( Charles, Ibid., p. 162-163).
Toutes
ces
préoccupations,
et
toutes
ces
psychoses
appliquées à l'Afrique représentée, nous offrent une littérature
poétique et personnelle, un culte du moi.
Il n'est pas étonnant
que cette littérature manifeste les symptômes de l'obsession des

641
écri vains
britanniques
pour
la
topographie.
Les
artistes
sont
les
artisans
historico-cul turels
de
leur
époque.
C'est
ce qui
fait dire à Bloom que:
«
Poets, not otherwise than philosophers, painters,
sculptors, and musicians, are in one sense, the creators,
and in another, the creations of their age. From this
subjection, the loftiest do not escape.»( Voir Bloom, 27).
Etant réduits
jusqu'au plus profond de
leur être à
l'état
d'objets -
comme Conrad par exemple l'a dénoncé par la voix du
narrateur
dans
le
An
outpost
Of
Progress
par
l'élément
destructeur
inné
au
pouvoir,
les
écrivains
s'adonnèrent
à
la
recherche et à
la possession de sites,
de lieux ou de paysages
propres
à
leur
rendre
l'équilibre
perdu.
De
ce
fait,
les
écrivains s'avouent vaincus, devant la vision d'un monde absurde
gouverné par des fous,
et face auquel l'homme -devrait rire pour
ne pas finir fou lui aussi. C'est par exemple ce qui justifie le
style
satirique de
Waugh.
Le
traumatisme
du
cloisonnement,
la
sauvagerie
sociale,
les
cruautés,
les
morts
inutiles,
les
emprisonnements,
et
les
absurdités
de
tout
genre
tissent
les
trames
des
oeuvres
de
l ' entre-deux-guerres
sur
l ' Afr ique .
La
raison en est que le fait de voyager, d'émigrer même en Afrique
finit par montrer qu'il n'y a aucune issue à
l'angoisse et à la
tristesse,
même pour
ceux qui
ont voulu
rejeter
le passé.
Par
exemple
Blixen,
Conrad
et
Huxley
ont
changé
leurs
noms
pour
faire
peau
neuve.
Blixen
est
devenu
Baroness,
Isak
Dienesen.
Konrad
Korzeniowski
est
devenu
Joseph
Conrad.
Elspeth
Jocelyn
Grant
est
devenu
Elspeth
Huxley.
Or,
en
rej ettant
leurs
noms
authentiques,
ces
écrivains britanniques
rej ettent
le
passé
et
en même temps leur alter ego.
Mais lequel de ces deux egos est
un tableau vierge ?

642
suite
à
cette
faillite,
les
écrivains
découvrent
leur
impuissance.
La puissance Jupiterienne du
Blanc est à
bout de
souffle.
Et dans les oeuvres coloniales s'installe le sentiment
d'une impuissance profonde. C'est par exemple le cas de Kayerts.
Lorsque
les
écrivains
s'en
rendent
compte,
le
ton
devient
apologétique
face
aux dégâts
qu'ils
constatent
sans
avoir
la
force ou la puissance nécessaire pour arrêter la lourde machine
d'un système politique, économique et social qu'ils subissent en
Grande Bretagne et qui
les traque en Afrique où
ils ont fui.
Pour échapper à cette invasion, il ne leur reste plus que l'art
de
l' écri ture pour donner à
voir ce qui
s'en va,
comme s'ils
cherchaient la compassion d'autres victimes, à s'identifier et à
communier
avec
elles
comme
Johannes
Guilhelmus
de Grevenbroek
cité par Katherine George:
«1 am astonished that ... those half-truths that are
spread about our Africans should have reached even your
ears. l found this people with one accord in their ...
daily life living in harmony with nature's law, hospitable
to every race of men, open, dependable lovers of truths and
justice, not utterly unacquainted with the worship of sorne
God, endowed ... with a rare nimbleness of mother-wit, and
having, and having minds receptive of instruction ... it is
trough the faults of our countrYmen ... that the Natives
have been changed for the worse ... From us they have
learned ... misdeeds unknown to them before, and among
other crimes of2~eepest die, the accursed lust for gold.»
( Voir George,
)
Bien que ce passage reconnaisse que beaucoup d'erreurs ont
été commises au détriment de ces Africains
idéalisés,
il
n'en
reste pas moins que certains d'entre eux ont été séduits aussi à
l'idée de pouvoir acquérir la magie du Blanc, son pouvoir - Voir
le cas de Kinanjui dans Out Of Africa, celui de Kupanya dans The
Flame
Trees
Of
Thika,
Makola
dans
An
Outpost
Of
Progress
et
Johnson dans Mister
Johnson.
Mais
puisque
le
système colonial
n'est pas allé jusqu'au bout,
il a failli comme il apparaît du
renseignement suivant:

643
«
The failure to build an indigenous executive cadre was
widely recognized as perhaps the greatest error of colonial
rule - and, with hindsight, the 'slowness with which we
brought the people to manage their own affairs' was
universally and deeply regretted. Yet this failure was, in
James Robertson's opinion, brought about not so miuch by a
lack of will as by , a lack of imagination' .... "NO, we
couldn't run our province if we had to have these chaps" -
because they were not educated enough .... They couldn't see
that if the country was going to be independent you must
take risks and get ahead with these things' .»
( Charles,
Ibid., p. 160-161).
Aussi,
du
contact
culturel
inachevé ou
non abouti,
il
ne
pouvait en résulter que le phénomène de l'hybridation en ce qui
concerne les Africains,
comme Fanon
le définit si bien en ces
termes:
«La mise en place du régime colonial n'entraîne pas pour
autant la mort de la culture autochtone. Il ressort au
contraire de l'observation historique que le but recherché
est davantage une agonie continuée qu'une disparition
totale de la culture pré-existante. Cette culture,
autrefois vivcante et ouverte sur l'avenir, se ferme, figée
dans le statut colonial, prise dans le carcan de
l'oppression. A la fois présente et momifiée elle atteste
contre ses membres. Elle les définit en effet sans appel.
La momification culturelle entraîne une momification de la
pensée individuelle. L'apathie si universellement signalée
des peuples coloniaux n'est que la conséquence logique de
cette opération. Le reproche de l'inertie constamment
adressé à "l'indigène" est le comble de la mauvaise foi.
Comme s'il était possible à un homme d'évoluer autrement
que dans le cadre d'une culture qui le reconnaît et qu'il
décide d'assumer .»( Voir Fanon, 29}
Entre
la
foudre
jupiterienne
et
la
superstition
des
indigènes,
il existe une autre voie en effet dans la. mesure où
certains
écrivains
tels
que
Ngugi
ou
Soyinka
considèrent
la
situation
coloniale
comme
une
étape
qui
sera
dépassée
dès
la
réorganisation
politique
et
culturelle
effectuée
lors
des
indépendances africaines ( Voir Ngugi; Soyinka, 30). Il y aurait
un
processus
de
syncrétisme
culturel
inévitable,
mais
structurant
dans
la
mesure

le
recours
à
la
tradition
permettrait
de conserver
l' identi té et
les valeurs
nationales.

644
c'est de ce point de vue que Phelps a pu dire de la littérature
de la première moitié du siècle que:
«
The trend of the English novel since the war has, on the
whole, been analogous to that of the poetry of the period
a turning aside from the mainstream of English Literature,-
~~d a tendency to retreat into pariochalism.»(Voir Phelps,
) .
Or,
si
nous
nous
reférons
à
Virginia Woolf
qui dit que
Il
Life tells no stories" ,
les histoires des années 1910-1920 sont
anachroniques dans la mesure où elles ignoraient et ne prenaient
pas en compte la sensibilité collective contemporaine.
Ceci,
en
raison du fait que la littérature de l'entre-deux-guerres a été
marquée
par
un
rej et
de
la
Grande
Bretagne
de
cette
période
provoqué
par
l'engagement
patriotique,
l'emprisonnement
et
l'angoisse
dans
les
limites
socio-cul turelles.
Cette
situation
commandait donc une volonté de changement,
de décentralisation,
politique
ou
autre
comme
nous
le
déclare
Orwell
lorsqu'il
allègue que:
«
the opinion that art should have nothing to do with
~~litics is itself a political attitude.»(Voir Orwell,
) .
Autrement
dit,
le
refus
de
choisir
est
un
choix.
Or,
le
plus souvent cet élan de la part de l'artiste n'aboutissait qu'à
un
dédoublement
du
moi
comme
seule
indication
de
changement,
puisque
l ' écri vain
par
exemple
ne
peut
échapper
à
la
fatalité
d'un
narrateur
qui
organise
son
propos
en
fonction
des
conventions
auxquelles
il
se
trouve
assuj etti.
Il
nous
dit
en
substance que:
«
If a writer were a free man, and not a slave, if he
could write what he chose not what he must, if he could
base his work upon his own feeling, and not upon

645
convention, there would be no plot, no comedy, no tragedy,
no love inte3jst or catastrophe in the accepted style.»(
Voir Woolf,
) .
Le
concept de
signification peut-il
rester Anglocentrique,
dans
la
mesure

le
langage,
l'émetteur
et
le
récepteur
participent
de
la
situation
sociale
du
texte
écrit,
par
l'évènement même de ce point de rencontre particulier?
En tout cas la production et la consommation du langage se
manifestent
sous
forme
d'une
communication
entre
deux
acteurs
sociaux
absents
si
l'on
en
croit
la
théorie
littéraire
post-
coloniale:
«
Post-colonial texts confirm that writing by freeing
language from the contingent situation, paradoxically gives
language its greatest permanence, whilst, at the same time,
giving meaning its greatest volability because i t opens up
horizons within which many more sets of relations than
those pertaining to the contingent situation can be
established. Writing does not merely inscribe the spoken
message or represent the mj~sage event, it becomes a new
event.»
(Voir Ashcroft,
)
En
effet,
la
littérature
post-coloniale
en
inscrivant
le
vernaculaire en Anglais,
crée un
nouveau discours qui
n'est
ni
le
premier
ni
le
second.
Ce
processus
est
l'un
des
éléments
constitutifs de la formation des langues. Mais surtout il révèle
un potentiel d'horizons changeants, de sens possibles - qui sont
eux-mêmes
une
distance
que
l ' écrivain
et
le
lecteur
survolent
pour
établir
la
communication.
Ainsi,
l'écriture
prend-elle
corps au carrefour des actes de production et de consommation
(
Voir Genette,
35).
Les deux sujets absents que sont l'auteur et
le
lecteur manifestent
leur
relation
sociale dans
la
situation
de
l'écriture,
de l'interaction du
contexte,
de l'auteur et du
lecteur
accomplissant
chacun
leurs
fonctions
Voir
Docherty,

646
A ce stade de notre démarche, ce que nous pouvons retenir,
c'est que les textes qui reflètent les objets de fantasmes des
écrivains britanniques, sont des fictions, des produits
d'appareils psychiques, historiques, politiques et culturels,
sécrétant leur propre langage, en tenant pourtant compte du
système de réception et de l'histoire britanniques.
Pour recapituler la situation, les conditions entrant en
jeu dans les tentatives de formulation, de concrétisation de
l'Afrique semblent obéir à des conventions morales, religieuses,
et culturelles touchant l'utilisation de codes traditionnels
tels que "White Man's Burden", " White Man's Grave", " Magic
Jungle", "Flame Trees", "Darkness", "African Pulse", "Witch",
"Mischief", "Devil Drives", " Shadows" , " Sorcerer",
"Crossroads" , "Heart" , "Poison Murders", "Black Mischief"
Il y a donc un cloisonnement renforcé des groupes sociaux,
participant à ces codes traditionnels de représentations se
faisant valoir historiquement, géographiquement, et
culturellement au regard des modes de reférences des oeuvres à
travers leurs titres. Comme le Britannique qui est obsédé et
obnubilé par l'analyse et par la technologie ne peut plus
décoder l'Afrique qu'à travers son propre prisme, d'autant plus
que tous ces codes, qu'il s'agisse d'analyse ou de technologie,
sont en liaison étroite avec le monde scientifique. Or ils ont
aussi une sYmbolique. Et la science est porteuse d'un ordre
sYmbolique, c'est-à-dire d'un pouvoir. Il y a ceux qui ont la
science et il y a ceux qui ne l'ont pas. C'est pourquoi, nous
avons des notions telles que Sud, Nord, Pays en voie de
développement, pays moins avancés, tiers-monde ...
Nous pensons donc comprendre pourquoi à l'intérieur de la
littérature britannique, un ensemble de paralysies se mettent en
place. Dans son regard, l'Afrique devient un foyer révélateur,

647
au sens physique de la photographie, sans lequel cet état de
choses serait absent, oublié, masqué ou détruit. Ce n'est donc
pas un hasard si dans les oeuvres écrites, un certain nombre de
phénomènes se rapportent à la notion de chambre noire, laquelle
pourrait être rapprochée des phénomènes d'ordre mental,
inconscient, organique ou social en chaque écrivain, chaque
britannique de l'entre-deux-guerres. Une certaine colonisation
intérieure se mène par le conservatisme dans la vision des
littérateurs. Leurs manifestations de plus en plus claires,
farouchement 'réactionnaires', de contestation, ou dans un
esprit de fragmentation, est la contrepartie de l'ensemble
coercitif perçu jusqu'au fond d'eux-mêmes, qui leur fait faire
le constat de l'échec, et d'un processus de perte. Or en posant
ce nombre de problèmes, ils revenaient finalement à mettre en
place de nouveaux rapports avec l'Afrique, en commençant par la
déprécier. Mais si les rapports se mettent en place, les termes
du contrat restent les mêmes: garder le pouvoir. Ce qui a pour
conséquence de nous donner un ensemble de narrations d'états
variables, souvent constants, avec pour finalité une fonction
symbolique. Comme nous le constatons, les écrivains britanniques
ne peuvent s'empêcher de parler, de dire et de lancer des
messages. Mais ceux-là, récits, ou narrations exigent d'être
faits dans une langue reconnue et acceptée par le peuple
destinataire: leurs compatriotes anglais. C'est ce que. Barbara
Belyea & Estelle Dansereau, entre autres, ont montré dans
Driving Home: A Dialogue Between Readers and writers. C'est
peut-être pour cette raison aussi que les oeuvres écrites
colportent les notions de cloisonnement, du proche, de la
proximité, qui semblent toujours inquiétantes et dangereuses,
alors que le lointain est tout aussi illusoire et ne sécurise
pas non plus. Dans la mesure où il est inconnu, il convient de

648
de s'enfermer ou de se diriger vers quelque chose de plus
familier. Mais le fait d'invoquer l'étrange ou l'inhabituel ne
peut laisser indifférent. En conséquence, l'Afrique dans le
regard britannique devient présente, exige d'être narrée comme
un Autre Ailleurs, un "Autrefois, je me souviens ... "
L'écriture devient le véhicule, le répérage historique et
le trait d'union entre l'homme et
une Afrique, qui s'est
profilée à ses yeux sous un visage flou, fantômatique, et des
figures qui n'accepteraient pas d'être perçues et effacées
ensuite à jamais, puisque cela signifierait que tout est fini et
qu'elle peut mourir. Abstraction différente sous son aspect
visible, et de toutes les formes concrètes qui la rendent autre,
elle se refuse à se laisser épuiser au même titre que la
frontière et l'ouest américains. c'est pourquoi, nous sommes
dans ce que Wilson Harris appelle "the infinite rehearsal".
Cette considération des choses nous a souvent poussé à
faire une lecture moralisante, soulevant la question du rapport
entre le fond et la forme, d'une part, et d'autre part, une
lecture psychologisante qui, bien que ne mettant pas en doute la
sincérité des écrivains, nous a permis de constater que tout le
matériau de toute histoire est susceptible de falsification,
d'abus, d'anachronismes, comme l'ont montré d'autres tels que
Lévi-strauss, Foucault, Hayden, surtout dans le cas présent où
l'Afrique semble traitée selon un contre-sens passé à l'état de
réflexe, développant la notion d'individu et de survie.
Nous pouvons donc avancer que le système de représentations
que l'occidental se fait de l'Afrique devient identique parce
que le message garde son mystère à la façon d'un hiéroglyphe qui
ne souffre aucune substitution ni échange par la force de son
étendue, et de l'expérience de sa révélation propre à chaque
individu écrivant. Les oeuvres écrites peuvent être lues comme

649
des métaphores, des traductions et des transcriptions d'un texte
original, à savoir la notion d'ordre, la volonté de créer et
surtout celle de communiquer. Mais le contexte ne pouvait
autoriser une traduction neutre dans la mesure où l'auteur parle
de la vie, et il est donc amené à se refléchir. Puisqu'il vit en
société, son activité de communication fonctionne avec les
moyens conformes à cette fin, comme l'ont montré entre autres,
Searle, Mukarovsky ou Jameson. Cependant, puisqu'il écrit, il
donne un caractère spécial à son acte ( Voir Walter Ong , Graff
R.J., McGregor Graham & White R.S., Stubbs Michael, ou Goody
Jack, notes) sachant que l'Afrique est surtout composée de
sociétés à traditions orales. Ainsi l'écrivain pose-t-il à
nouveau le problème de l'individu et de la communauté face à la
littérature écrite.
Néanmoins, l'acte de communication aboutit au même produit
usuel, - le même signifié - dans la mesure où le même signifiant
crée la même image ou évoque la même présence en la nommant
simplement. Nous pouvons donc nous dire que les représentations
de l'Afrique dans les textes britanniques sont les vestiges d'un
Ailleurs mythologique, généralement produit par une idéologie
historique, religieuse et culturelle en accord avec une
structure politique et sociale d'hégémonie. Bien qu'elles
évoquent une activité esthétisante, personnalisée, elles sont
hermétiques à la mythologie exotique, idéaliste, conformes à un
jeu de miroirs brisés, comme une religion qui apporterait sa
dose de mystères. C'est ce qui justifie la place de choix
allouée à la métaphore au sein de laquelle les préjugés
d'ethnie, de caste, de classe, de race ou de nation se font
complices pour déprécier l'Autre, groupe social ou individu, en
somme les "Autres Moi". Ainsi, la métaphore en se développant
aboutit à l'allégorie qui permet d'introduire une optique morale

650
à travers laquelle le Blanc ne serait pas plus un ange que le
Noir ne serait un méchant cannibale, mais tout simplement dans
sa condition humaine, un homme capable de sentir, de douter, de
souffrir, d'aimer, de haïr, de voir, de dire, c'est à dire Etre,
un Etre social. L'attitude qui consistait à utiliser la
métaphore ou l'image, préparait les esprits récepteurs à
accepter la formation de schèmes ou d'activités étranges de
l'imaginaire, comme dirait Burns Alan & Charles signet, "the
imagination on trial", occultant ainsi le travail scriptural, où
le même et le différent se confondent dans un questionnement du
monde soumis à l'épreuve du langage et de l'imagination. Il
s'agissait pourtant de tenir compte de cet homme sous le joug
colonial, comme nous avons eu l'occasion de le voir à travers le
structuralisme de figures telles que Todorov ( Voir Todorov,
37), et le post-structuralisme grâce à des critiques tels que
Saïd ou Foucault,
( Voir Foucault; Saïd,
) car, il y a eu un
rapport dialectique entre colon et colonisé qui ne laissera
aucun d'eux indemne. Il faut qu'il y ait eu un impact du
'nouveau' monde, de l'Afrique sur 'l'ancien', de la Grande
Bretagne et de l'Europe dans un même mouvement de renvoi, au
moins au niveau de l'interprétation et de la production
littéraire et culturelle, comme l'ont démontré d'autres tels que
Sevry, JanMohamed, ou Bhabha Homi. Certes l'ensemble colonial a
rendu l'Africain, les Johnson étrangers à eux-mêmes. Mais il
aura permis aussi au colon de se rendre compte de sa condition
d'homme. Aussi, par le recours aux valeurs indigènes,
africaines, ne serait-ce pas au Britannique à renseigner
l'Africain sur son propre patrimoine culturel?

651
Notes bibliographiques
1 - Pour un aperçu de l'usage de l'adversité active de
l'environnement africain, on pourrait lire avec profit
Graham Greene, The Heart Of the Matter, dont l'action se
passe à Freetown et s'achèvera par le suicide du DC. De
même, Journey without Maps, London, Heinemann, 1936
s'inscrit dans ce cadre, et porte sur un voyage dans un
Liberia sans limites définies, où le voyage à l'intérieur
du pays s'accompagne d'une introspection du soi.
2 - cunningham, V., British writers Of The Thirties, London,
OUP, 1988. p. 408-409.
3 - cunningham, V., Ibidem., p. 410-411
4 _ Voir Charles, A., Tales from the Dark Continent, London,
Futura, 1980, p. 77; p. 89.
5 - Ong, W., J., Orality And Literacy: The Technologizing Of The
Word, London, Routledge, (1982), 1990., écrit en effet que:
" Human knowledge cornes out of time. Behind even the
abstractions of science, there lies narrative of the
observations on the basis of which the abstractions have
been formulated. Students in a science laboratory have to
'write up' experiments, which is to say, they have to
narrate what they did and what happened when they did it.
From the narration, certain generalizations or abstract
conclusions can be formulated. Behind proverbs and
aphorisms and philosophical speculation and religious
ritual lies the memory of human experience strung out in
time and subject to narrative treatment. Lyric poetry
implies a series of events in which the voice in the lyric
is embedded or to which it is related. All of this is to
say that.knowledge and discourse come out of human
experience and that the elemental way to process human
experience verbally is to give an account of it
more or less as it really cornes into being and exists,
embedded in the flow of time. Developping a story line is a
way of dealing with this flow." p.140.
6 - JanMohamed, R., A., Manichean Aesthetics: The Politics Of
Literature in Colonial Africa, Amherst, University of
Massachussetts,1983. p.280.
7 - Voir Levi-Strauss, C., Anthropologie Structurale, Paris,
Plon, Pocket, 1974; et surtout La pensée sauvage, paris,
Plon, 1962, dans lequel il dit que: " ... le fait,
historique, c'est ce qui s'est réellement passé; mais où
s'est-il passé quelque chose? Chaque épisode d'une
révolution ou d'une guerre se résout en une multitude de
mouvements psychiques et individuels . . . . Par conséquent,
le fait historique n'est plus donné que les autres; c'est
l'historien, ou l'agent du devenir historique, qui le

652
constitue par abstraction, et comme sous la menace d'une
régression à l'infini.
Or, ce qui est vrai de la constitution du fait
historique ne l'est pas moins de sa sélection. De ce point
de vue aussi, l'historien et l'agent historique
choisissent, tranchent et découpent, car une histoire
vraiment totale les confronterait au chaos . . . . Une
histoire vraiment totale se neutraliserait elle-même; »
( p. 340-341). - Hayden, White, Metahistory,
Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1973. -
Foucault, Michel, Les Mots et les Choses,Paris, Gallimard,
1966. / L'Archéologie Du Savoir, Paris, Gallimard, 1969. /
Language, Counter-Memory, Practice, Oxford, Basil
Blackwell, 1977.
8 - Personnal Fictions: stories by Munro, Wiebe, Thomas and
Blaise, ed.,Michael ondaatje, Toronto, Oxford University
Press, 1977. p.226.
9 - Voir Achebe, C., Arrow Of God, London, Heinemann, 1964 ,
dans lequel, le rival de Ezeulu, Nwaka est surnommé "the
owner of the words" p.40, car possédant le pouvoir
d'improvisation et de persuasion.
10 - Emission BBC Savagery And The American Indian ( Part 1:
Wilderness et Part II: Civilization). diffusée en Mars
1991, durée 255mn. - Voir aussi Pearce, R., Hearvey, The
Savages of America: A Study of the Indian and the Idea of
civilization, Baltimore, Johns Hopkins University Press,
1953, qui démontre que la mort ou la disparition des
sauvages laisserait de la place à la civilisation dans la
conception des émigrants européens en Amérique.
11 - Voir Jones, E., Durosimo, Othello's countrymen:The African
in English Renaissance Drama, London, OUP,1965. - Dabydeen,
D., The Black Presence in English Literature, Manchester,
Manchester University Press, 1985 et Hogarth's Blacks:
Images Of Blacks in Eighteenth Century English Art,
Mundelstrup, Dangaroo, 1985.
12 - Voir Slemon, S.," Monuments Of Empire: Allegory/Counter-
Discourse/ Post-Colonial Writing ... "
Kunapipi 9, 3, 1987.
p.1-16.
13 - Benterrack, Krim, stephen Mineke and Paddy Roe., Reading
The country: Introduction To Nomadology, Fremantle , W.
A., Fremantle Arts Press, 1984.
14 - Lewis, C., S., An Experiment in Criticism, Cambridge, CUP,
1961, p.128-129.
15 - Bhabha, H. K., "Représentation And The Colonial Text: A
critical Exploration Of Sorne Forms of Mimeticism." in The
Theory Of Reading, ed. Gloversmith, F., p. 93-192

653
16 - West, Alick, Crisis and Criticism, London, Lawrence and
Wishart, 1937.
17 - West, Alick, "'Poetry' ln Poetry", Left Review, III, 3,
April 1937.
18 - Woolf, V., Between The Acts, London, Hogarth, 1941.
19 _ Voir en particulier, H.J. Dyos, Ibidem.
20 _ wolfgang, Iser, The Implied Reader, Baltimore, Johns
Hopkins University, 1974. p.xiii.
21 - Deleuze, G. & Gyattari, "Rhizome" in On The Line, Foreign
Agent Series, Semiotext(e) , New York, 1983. p. 12.
22 - Deleuze, G. & Gyattari, Ibidem., p. 84.
23 - Hammond, D., & Jablow, A., The Africa That Never Was., New
York, Twayne Publishers, Inc., 1970. p. 197.
24 - Voir Bradbury Malcolm, The Social Context of Modern Enalish
Literature, Oxford, Blackwell, 1971. p.237-238. - On
pourrait consulter aussi Leavis, F.,R., Mass civilization
and Minority Culture, Cambridge, Minority Press, 1930. -
Voir Eliot T.,S., Notes Towards the Definition of Culture,
London, Faber & Faber, 1948.
25 - Voir aussi Martin, T., Africa In Modern Literature, New
York, Frederick, Ungar Publishing Co., 1967. - Mphahlele,
E., The African Image, London, Faber & Faber, 1974. -
Gleason, J. 1., This Africa, Illinois, Evanston, 1965. -
JanMohamed R., A., "The Manichean Allegory: The Funtion of
Racial Difference in Colonialist Literature", Critical
Inguiry 12, University of Chicago, Autumn 1985.
26 - London, J., The People Of The Abyss, introd. by Lindsay
Jack, London, JourneYman Press,
(1903) 1977.
27 - Voir Bloom, Harold, The Anxiety of Influence, New York,
Oxford University Press, 1973. p.104, dont le point de vue
rejoint celui de Goethe, Nietzsche ou Eliot.
28 - George, K., "The civilized West Looks At Primitive Africa:
1400-1800. A Study In Ethnocentrism". ISIS, p. 69.
29 - Fanon, F., "Racisme et Culture" in Pour la révolution
africaine, écrits politiques, Paris, Maspéro, 1975. p. 35-
36.

654
30 - Ngugi, W., Decolonizing The African Mind. The Politics of
Language in African Literature, London, Currey 1986.
Soyinka, W., "Neo-Tarzanism: The Poetics of Pseudo-
Tradition", Transition N° 48, 1975.
31
Phelps, Gilbert, " The Novel Today" in Ford, B., The Modern
Age, Harmonsworth, Penguin, 1964.
32 _ Orwell, George, "Why 1 Write", in Collected Essays,
Journalism and Letters, Vol.I., London, Secker and Warburg,
1968. p.4.
33 - Woolf, V., "Modern Fiction" in Collected Essays, vol
II.,p.159.,ed. Woolf L., 4 vols., London, Chatto and
Windus, 1966-1967.
34 - Bill, A. et al., The Empire Writes Back, London,
Routeledge, p.186. Cette position rejoint le point de vue
des post-struturalistes.
35 _ Genette, G., Figures III, Paris, Seuil, 1972 qui nous dit
que" Le véritable auteur du récit n'est pas seulement
celui qui le raconte, mais aussi, et parfois bien davantage
celui qui écoute." p.267.
36 _ Voir Docherty, Thomas, Reading (Absent) Character: Towards
A Theory of Characterization in Fiction, London, Clarendon,
1983.
37 - Voir Todorov, T., La Conquête de l'Amérique. La question de
l'autre, Paris, Seuil, 1982: «
Je veux parler de la
découverte que le je fait de l'autre . . . . Mais les autres
sont des je aussi: des sujets comme moi, que seul mon point
de vue, pour lequel tous sont là-bas et je suis seul ici,
sépare et distingue vraiment de moi. Je peux concevoir ces
autres comme abstraction, comme une instance de la
configuration psychique de tout individu, comme l'Autre,
l'autre ou autrui par rapport au moi; ou bien comme un
groupe social concret auquel nous n'appartenons
pas .... C'est cette problématique de l'autre extérieur et
lointain que je choisis, un peu arbitrairement et parce
qu'on ne peut parler tout à la fois, pour commencer une
recherche qui ne pourra jamais être terminée.»
( p. 11).

655
BIBLIOGRAPHIE
ET
SOURCES.
Notre bibliographie ne se prétend nullement exhaustive dans
la
mesure

nous
avons

la
limiter
à
quelques
titres
d'oeuvres.
La
première
raison
est
que
des
écrivains
tels
que
Cary,
Conrad ou Waugh par
rapport à
l'Afrique ou non,
restent
incontournables
pour
leurs
places
dans
la
littérature
Britannique. Une thèse qui s'est voulue panoramique,
ne saurait
épuiser
leurs
propres
productions.
La
deuxième
motivation
de
notre
préférence
est
que,
Sl
nous
comparons
ces
auteurs
au
groupe de Blixen et Huxley,
toutes les productions cri tiques à
leur
endroit,
bien
que
moins
abondantes,
les
associent
à
l'Afrique
de
l'Est.
Par
exemple,
de
plus
en
plus
le
nom de
Blixen
évoque
le
Kenya
auprès
de
plus
d'un
Britannique.
Mais
contrairement
à
ce
que
l'on
pourrait
penser,
Huxley
qui
a
pourtant
eu
une
vie
littéraire
féconde,
presque
aussi
prolifique,
sinon
plus,
que
Cary
semble
être
inexistante dans
les
considérations
critiques.
Aussi,
la
plupart
des
oeuvres
critiques de la situation coloniale ne l'évoquent presque jamais
sans
Blixen.
La
troisième
explication
à
notre
sélection
de
quelques
oeuvres,
c'est
que
outre
la
bibliographie
abondante
donnée dans bon nombre d'oeuvres critiques, un très grand nombre
de
ces
écrits
reste
inaccessible
aussi
bien
sur
le
marché
britannique que français.
Dans les bibliothèques publiques, nous
n'avons
pas
pu
en
disposer
non
plus
lorsque
ces
textes
existaient. Très souvent,
nous avons dû recourir aux centres de

656
documentation américains sans pouvoir satisfaire à nos attentes.
Tels
sont
les
motifs
à
partir
desquels
notre
documentation
et
nos sources de renseignements ont été sélectionnées.
C'est aussi
pourquoi,
nous nous sommes appuyés beaucoup plus sur la théorie
que
sur
des
textes
concernant
les
écrivains
britanniques
de
notre
étude.
Cependant
toutes
ces
sources
se
répartissent
en
quatre
points,
selon
un
classement
effectué
par
ordre
alphabétique
et
suivant
chaque
auteur.
C'est
l'importance
du
thème
et
ses
implications
qui
nous
ont
fait
préférer
cette
présentation,
puisque la période envisagée et les témoignages y
afférents s'écoulent sur plus d'un demi siècle.
l
-
QUELQUES OEUVRES
Les
dates
et
les
éditions
sont
celles
que
nous
avons
utilisées
dans
le
cadre
du
présent
travail.
Lorsque
celles-ci
diffèrent
de
des
ver s i.ons
que
nous
avons
employées,
nous
le
signalons entre parenthèses,
aussi
bien en
ce qui
concerne les
romans que les autres publications.
BLIXEN, Karen ( Karen Christine Blixen Finecke, Baroness Blixen,
pseudonYme: Isak Blixen Karen)
- Shadows On The Grass,
( 1rst published Michael
Joseph 1960), London, Penguin, 1988.
128 p.
- Out Of Africa, London, Penguin,
(1937), 1954.
330 p.
La ferme africaine, tr. du danois par
Yvonne Manceron, Paris, Gallimard, 1942. pp.495)

657
- Letters from Africa 1914-1931, ed. pour la
Fondation Rungstedlung par Frans LASSON, tr. du
danois par Anne Born, Chicago, University of
Chicago Press, 1981. 474 p.
CARY, Joyce
- Mister Johnson, London, Penguin, (1939), 1985.
251 p.
- Art and Reality, New York, Harper and Bros,
1961. 174 p.
- The Case of African Freedom and Other Writings,
introduction de Christopher Fyfe, Austin,
Texas, Un. of Texas Press, 1962. 243 p.
_II
Africa Yesterday: One Ruler's Burden" in The
Reporter (May 15,.1951). pp. 21-24.
- The Captive and the Free, introduced by Lord
David Cecil, London, Michael Joseph,
1959. (publication posthume).
317 p.
CONRAD, Joseph
- Tales of Unrest, London, Penguin, (1898) 1977.
185 p.

658
- " Geography and Sorne Explorers", Last Essays,
Freeport, New York, 1970. 171 p.
- Heart of Darkness, London, penguin,(1902),
1982. 111 p.
- An Outpost of Progress, in The penguin Book of
Short Stories, ed., Christopher Dolley, London,
Penguin (1898), 1984. pp. 56-81.
HUXLEY, Elspeth (Jocelyn Grant)
- The Flarne Trees of Thika: Mernories of An
African Childhood, (1959) London, Weidenfeld &
Nicolson, 1987. 288 p.
- The Walled city, Philadelphia and New York,
J.B. Lippincott Co., 1949. 227 p.
- The Mottled Lizard, London, The Reprint
Society, 1964. 335 p.
- The African Poison Murders, New Yor k , Harper &
Row, 1981. 279 p.
WAUGH, Evelyn
- Rernote People, London, Penguin, 1931.( American
edition They Were still Dancing, 1932). 184 p.

659
Waugh In Abyssinia, London, Penguin, (1936).
1984. 169 p.
- Black Mischief,
(1930) London, Methuen, 1983.
240 p.
- A Tourist in Africa, Boston, Chapman & Hall,
1960. 167 p.
- Scoop: A Novel About Journalists, (1938)
London, Penguin, 1988. 222 p.

660
II - ECRITS SELECTIONNES SUR LES AUTEURS.
Ce point fait allusion aux oeuvres critiques en rapport
avec un ou plusieurs auteurs de notre corpus.
1 - BLIXEN, Karen ( Karen Christine Blixen Finecke,
Baroness Blixen, Isak DINESEN)
COLEMAN, Wescott, Images of Truth: Remembrances and Criticism,
London, Hamilton, 1963. 310 p.
HANNAH, Donald, Isak Dinesen and Karen Blixen: The Mask and
Reality, New York, Random House, 1971. 218 p.
THURMAN, Judith., Isak Dinesen: The Life of A Storyteller,
London, Penguin, 1984. 511 p.
2 - CARY, Arthur, Joyce
BLOOM, Robert, The Indeterminate World: A Study of the Novels of
Joyce Cary, Philadelphia, Pennsylvania State University
Press, 1962. 212 p.
ECHERUO, Michael, J.C., Joyce Cary and the Novel of Africa,
London, Longman, 1973. 156 p.

661
- The Conditioned Imagination from Shakespeare
to Conrad, London, Macmillan, 1978. 135 p.
- Joyce Cary and the Dimensions of Order,
London, Macmillan, 1979. 175 p.
GIBBS, James, " Grafting is an Ancient Art: The Relationships of
African and European Elements in the Early Plays of Wole
Soyinka", World Literature written in English, 1983.
LARSEN, Golden, L., The Dark Descent: Social Change and Moral
Responsibity in the Novels of Joyce Cary, London, Michael
Joseph, 1965. 202 p.
3 - CONRAD, Joseph ( Jozef Konrad Korzeniowski)
ACHEBE, Chinua,
"An Image of Africa", Research in African
Literatures 9 ( Spring 1978).
BERTHOUD, Jacques, Joseph Conrad: The Major Phase, Cambridge,
CUP, 1978. 191 p.
BRYDON, Diana, " The Thematic Ancestor: Joseph Conrad, Patrick
White and Margaret Atwood",
World Literature Written in
English 24, n02, (Autumn 1984).
DANON, Ruth, Work in the English Novel: The Myth of Vocation,

662
London, Croom Helm,
1985. 214 p.
DARRAS, Jacques, Conrad and the West: Signs of Empire, tr. Anne
Luyat & Jacques Darras, London, Macmillan, 1982. 158 p.
- Joseph Conrad, Paris, Lieux de l'Ecrit, 1991.
87 p.
DAVIDSON, E. Arnold, Conrad's Endings: Theories of Action in
Conrad, Ann Arbor, Michigan Research Press, 1985. 124 p.
HUNTER , Allan, Joseph Conrad and the Ethics of Darwinism,
Chicago university Press, 1983. 259 p.
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NAZARETH, Peter, Il Out of Darkness: Conrad and Other Third World
Writers ll , Resarch in African Literatures, Vol.9, n01, 1978.
pp.173-187.
NOVAK, E., Maximillian, " Johnson, Dryden and the Wild
vicissitudes of Taste ll ,
in BURKE,
J., John & Donald, KAY,
eds., The Unknown Samuel Johnson, University of Wisconsin
Press, 1983. 182 p.

663
PAGE, Norman, A Conrad Companion, London, Macmillan, 1987.
185 p.
PARRY, Benita, Conrad and Imperialism, London, Macmillan, 1983.
162 p.
SEIDEL, Michael, Exile and the Narrative Imagination, New Haven,
Yale University Press, 1986. 234 p.
SIMPSON, David, Fetishism and Imagination: Dickens, Melville,
Conrad, Johns Hopkins University, 1982. 141 p.
TRETHEWEY, Eric, "Language, Experience and Selfhood in Conrad's
Heart of Darkness", Southern Humanities Review 22, 1988.
pp. 101-111.
WATTS, Cedric, The Deceptive Text: an Introduction to Covert
Plots, Brighton, Harvester, 1984. 203 p.
WREN, Robert M., " Mister Johnson and the Complexity of Arrow of
God" , critical Perspectives on Chinua Achebe, eds. Innes
C.L. & Lindfors Bi, London, Heinemann, 1979. pp.207-218.
4 - HUXLEY, Elspeth, Jocelyn, GRANT

664
En
dépit
de
sa
prolificité,
l'oeuvre
de
Huxley
est
généralement
évoquée
conjointement
avec
Blixen
ou
dans
les
cri tiques
en
rapport
avec
l'Afrique
de
l'Est.
C'est
pourquoi
d'ailleurs
une
version
cinématographique de
The
Flame Trees of
Thika a été envisagée à
l'instar de Out of Africa de Blixen.
Il
reste que les ouvrages critiques réservés à Huxley semblent être
rares.
5 - WAUGH, Evelyn
BLAYAC, Alain, ed., Evelyn waugh: New Directions, London,
Macmillan Academie and Professional, 1992. 160 p.
CARPENTER, Humphrey,
The Brideshead Generation:
Evelyn Waugh and
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666
III -
OUVRAGES GENERAUX.
Ces
recueils,
essais
et
collections
concernent
plus
d'un
auteur du corpus étudié. Lorsqu'ils ne les concernent pas tous,
nous indiquons les noms des intéréssés.
BRANTLINGER, Patrick, Rule of Darkness: British Literature and
Imperialism 1830-1914, Ithaca, Cornell University Press,
1988. 309 p.
- " Victorians and Africans: The Genealogy of the Myth of
The Dark continent", Critical Inguiry, 12{ Autumn 1985),
University of Chicago Press. pp.166-203.
BURGESS, Anthony, " The Manicheans", TLS, 3 March 1966. pp. 153-
154.
contient une évaluation des écrits de Waugh et
d'autres tels que Greene.
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University of Tutorial Press, 1960. 410 p. donne des
aperçus sur Cary, Greene entre autres, mais traite surtout
des "Angry Young Men".
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Series, [Vol.XLII. 291 p; Vol.XLIII. 302 p; Vol.XLIV.
295 p; Vol. XLV. 304 p.], London, Gale, 1986.
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1920, University of Kentucky Press, 1970. 206 p.
DABYDEEN, David, ed., The Black Presence in English Literature,
Manchester, Manchester University Press, 1987. 214 p.
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1968. 228 p. Concerne outre Graves, Huxley, Orwell,
Greene, Golding, mais aUSSl Cary et Waugh.
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GASKIN, D., Bruce, From Lord Jim to Billy Liar: An Introduction
to the English Novel in the 20th, London, Longmans,
Heritage of Literary Series 12, 1969. 302 p. Evoque Cary,
Huxley et Waugh parmi d'autres écrivains.
GLEASON, Judith, Illsey, This Africa, Novels by West African in
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HALL, James, The Tragic Comedians: Seven Modern Bristish
Novelists, Bloomington, Indiana University Press, 1960.
176 p. contient des chapitres individuels sur Cary,
waugh ...
- The Lunatic Giant in the Drawing Room- The British and
American Novel Since 1930, Bloomington, Indiana University
Press, 1968. 242 p. Mentionne Waugh d'un point de vue
Freudien en
termes de moi" the lunatic giant" et de surmoi
" the drawing-room" pour évoquer les contraintes sociales.
HAMMOND, Dorothy & Alta JABLOW, The Africa That Never Was: Four
centuries of British Writing About Africa, New York, Twayne
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JANMOHAMED, R., Abdul, Manichean Aesthetics: The Politics of
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KARL, R., Frederick, A Reader's Guide to the Contemporary
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Concerne entre autres Beckett, Cary, Greene et Waugh.
KILLAM, G., D., Africa in English Fiction: 1874-1939., Ibadan,
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- The Writing of East and Central Africa, London,
Heinemann, 1984. 274 p. Est intéressant pour son
traitement de Blixen et de Huxley.
KLEIN, Holger, The Second World War in Fiction, London,
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LEVENS ON , H., Mickael,
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Novelists since 1920, Lexington, Kentucky University Press,
1970. 203 p. Porte une considération sur l'oeuvre de Cary
et de Waugh...
WILLIAMS RaYmond, " Realism and the Contemporary Novel", PR
XXVI, 1959. pp. 200-213.
- The Long Revolution, London, Chatto & Windus, 1961.
pp 274-289.
Prend Cary pour exemple dans sa démonstration
sur le réalisme.

672
IV - OEUVRES GENERALES ET THEORIE LITTERAIRE
Ce
point
comporte
outre
la
théorie
et
la
critique
li ttéraire qui
nous ont
inspirés dans
le cadre de ce travail,
des
études
anthropologiques,
artistiques,
historiques,
linguistiques, psychologiques et sociologiques de la période aux
alentours
de
l' Entre-deux-guerres.
Mais
étant
donné
que
cette
époque chevauche la période victorienne Britannique,
le lecteur
rencontrera de temps à autre des sources d'information y faisant
allusion.
ABRAHAMS, W., E., The Mind of Africa,
(1962) Chicago, The
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- Arrow of God,
(1964) London, Heinemann, AWS, 1978. 230 p.

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230 p.
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