UNIVERSITE DE CLERMONT-FERRAND Il
U.E.R.
LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DOCTORAT DE LITTERATURE FRANÇAISE
FORME ET FONCTION DE L'EXPRESSION
DU HAUT DEGRE DANS DEUX ŒUVRES
D'AHMADOU KOUROU MA :
ETUDE SYNTAXIQUE ET ENONCIATIVE
THESE DE DOCTORAT NOUVEAU REGIME
PRESENTEE
ET SOUTENUE
PUBLIQUEMENT
PAR
MONSIEUR HILAIRE BOHUI DJEDJE
~---
: CONSEIL AFRICAIN ET MALGACIIE
: POUR L'ENSEIGNEMENT SUPERIE R
1
li C. A. M. E. S. -
OUAGADOUG U
; Arrivée .' 2} {ll:"G: 'J'lot. ',' .:'
! Enregistré sous n° .. •
• ~ J
DIRECTEUR DE RECHERCHE
MONSIEUR LE
PROFESSEUR JACQUES
PHILIPPE
SAINT-GERAND
MAI 1995
- -

Remerciements
Ce travail qui est l'aboutissement de plusieurs années de douloureuses
privations mais aussi d'agréables défis, n'aurait sans doute pu être concluant sans
/inestlmable sollicitude de nombreuses personnes. Au premier rang, M. le
Professeur Jacques Philippe Saint-Gérand, notre Directeur de recherche que
nous prions de trouver ,ci l'expression de nos sincères remerciements. Nous
remercions ensuite M Ahmadou Kourouma de l'intèrêt qu'il a porté à ce travail en
nous accordant un entretien fort enrichissant. Nous n'oublions pas l'Institut de
IlnformatlOn SCientifique et Technique ( 1. N . 1. S. T)
et les agents de la
bibliothèque municipale et interuniversitaire de Clermont-Ferrand. Enfin, nous
remercIOns les amis résidant en France et en Côte d'Ivoire de leur soutien. En
particulier, nous remercions Mlles Isabelle Gendraud, Isabelle Collange et M. Fily
Kouadio pour leur disponibilité. A tous et à toutes, nous exprimons notre infinie
reconnaissance.

A mes parents

INTRODUCTION
Tout travail de recherche, du fait de sa circonscription thématique est toujours
sommé avant sa démonstration, de se définir clairement. d'exposer ses ambitions
ainsI que ses pnncipes méthodologiques devant permettre d'y aboutir. Mais par-
dessus tout. il doit répondre à la question préalable de son eXistence même, c'est-
à-dire énoncer les raisons qUI l'ont ITIOtivé
Dans cette logique, on peut se
demander ce qui a pu justifier de notre part, le choix de l'expression du haut degré
chez Kourouma comme sujet d'étude. Et pour commencer, qu'est-ce qUI a milité
en faveur du choix de l'écrivain dans l'ensemble du paysage romanesque africain
de langue française? A ces interrogations, nous pourrions répondre par
l'argument sans doute par trop commode de la liberté de choix dans le domaine
de la recherche. liberté qui dénote la part de subjectivité quasi omniprésente dans
tout choix. En l'occurrence, les raIsons subjectives se Justifient par le plaisir qUI fut
le nôtre à lire un style truculent et novateur du fait de ses nombreuses
Interférences lingUistiques et notamment, de son goût immodéré pour l'inflation
sémantique. La fascination de ce style à laquelle nous avons littéralement
succombé à travers Les Soleils des Indépendances et qui guida nos premiers
pas dans le monde de la recherche, constitue la première motivation de nature
subjective de notre choix. A cette première motivation saJoute une seconde.
fondée elle, sur des raisons objectives tenant pour l'essentiel à l'idée principale
subséquente à cette première lecture, que l'hyperbole est la matrice scripturale de
l'esttlétique romanesque kouroumienne
AUSSI, l'étude syntaxique et énonciative
de l'expression du haut degré dans les œuvres de Kourouma n'est-elle que
l'aboutissement prévisible de nos travaux antérieurs 1 qui étaient alors circonScrits
au premier roman de l'écrivain. En effet, au moment où nous acheVions la
rédaction de notre mémOire de o. EA sur l'expression hyperbolique dans Les
Soleils des Indépendances 2, le grand public faisait connaisance avec Monné,
Outrages et DéfiS
le deuxIème roman de l'auteur qUI venait d'être publié Le

3
projet que nous avions alors à cœur de proposer une étude plus ambitieuse sur le
style du ramancler se consolidait ainsi, autant que se précisaient les conditions de
sa réalisation. Ainsi, l'expression hyperbolique, alors sujet probable de cette étude
napparaît-elle en définitive que comme une dimension, mais une dimension
fondamentale du cadre global de réflexion de notre propos actuel.
La
problématique sous-tendant celui-ci peut être résumée de la manière sUivante. La
présence obsédante de l'hyperbole qUi caractérise l'écriture kouroumienne n'est
pas un surgissement ex-nihilo et fortuit. Acte de révolte contre le conformisme
~
langagier Jugé liberticide par l'écrivain et inadapté à l'expression de la pensée
e::..---
africaine. la forme romanesque de Kourouma est le produit d'un bilinguisme 1
Iconoclaste 'lUI, rour s'Imroser. se présente d'abord comme une rurlure Afin1
dapprécier objectivement cette rupture, nous nous intéressons en priorité au
dispositif énonCiatif lui-même, suivant une méthode d'analyse éclectique à
dominante sémantique et dont les composantes sont précisées plus loin. Mais si
l'écriture kouroumienne est une rupture, c'est avant tout par rapport au modèle
littéraire dominant d'importation européenne dont l'académisme négritudien fut le
paradigme au niveau négra-africain. " s'ensuit que le contexte situationnel du
roman kouroumlen, c'est-à-dire l'ensemble des circonstances historico-Iittéraires
qui préSidèrent à la production romanesque de l'auteur et conditionnèrent son
éCriture est fondamental. L'évocation de ces circonstances qui suscitèrent la
Négritude. premier mouvement littéraire négro-africain de langue française est à
ce titre, indispensable à la compréhension des motivations profondes de l'écriture
kouroumienne
i \\
En effet, sous-tendu par un européo-centnsme normatif, manifestation IUI-
même du postulat de la supériorité de la CIVilisation Judéo-chrétienne
le ~
colonialisme avait refusé au Noir Jusqu'au droit à la différence. La négation de
ç.ette aItérité sera le décret unilatéral de table rase absolue des valeurs
civilisationnelles noires, sUivant le mythe du Nègre-sous-homme-sans Civilisation.

4
Pris au lasso de l'indignité, devant sa mise en bière avant décès, l'homme noir
devait sarc-bouter à lui-même et réa~~~~ entreP7!se de réification. Sa
réponse sera la célébration plus que liturgique d'une Afrique pré-coloniale
édénique, exhumation littéraire d'un millénarisme voué aux gémonies. C'est la
période faste des panégyriques africanistes, l'affirmation généreuse d'une
solidanté négro··africaine triomphante grâce notamment à A. Césaire. Léon. G.
Damas et Léopold S. Senghor, co-fondateurs avec d'autres de la Négntude. Au
décret
subjectif
de
négation absolue
de
l'existence
d'une
civilisation
spécifiquement africaine, a répondu un décret de nature identique. L'idéalisation
de la stature négre, l'apologie des valeurs culturelles noires, furent quelques-uns
des thèmes principaux du mouvement littéraire. Aussi, peut-on dire avec raison
que cet hymne à un négro-narclssisme exubérant, ne fut rien mOins que le
corrélatif négro-africain de la postulation de la supériorité européenne. Fixation
thématique par conséquent.
mais aussi standardisation formelle car la Négritude
est avant tout le fait d'une élite intellectuelle versée dans l'art poétique et qui était
conviée par les préjugés, à rivaliser avec les colonialistes dans le maniement de
leur propre langue. Le langage châtié, l'académisme de l'expression confinant
souvent à l'hermétisme devaient en effet contribuer à infirmer l'accusation
d'Indigence intellectuelle qui pesait sur l'homme nOir. L'expression devenait de
facto une modalité du combat, combat pour la reconnaissance de la stature nègre
et au-delà,
combat aussi pour l'éveil des consciences nationalistes et
emanclpatnces Aussi, l'accession à la souveraineté nationale de la plupart des
colonies d'Afrique noire devait-elle inexorablement entraîner un émoussement
de la thématique négritudienne, surtout avec l'entrée dans le monde littéraire
d'une nouvelle génération d'écrivains à l'émergence de laquelle la Négritude a
en partie contribué. C'est qu'avec la disparition nominale de la tutelle coloniale, le
militantisme lIttéraire naguère essentiellement extraverti s'est introverti grâce à
l'lrltérêt nouveau que les écnvains accordent à cette Afrique re-naissante Mais

5
surtout. la diversification thématique et l'hypertrophie de la fonction sociale de la
production romanesque s'accompagnent souvent d'une recherche stylistique.
L'un des traits caractéristiques de celle-cI est l'intégration au roman de la
littérature orale par nombre d'auteurs. Parmi ceux-ci, figure Ahmadou Kourouma.
Mais. SI pour la plupart de ces écrivains, cette Intégration n'est en général que le
prisme Idéal de promotion du patrimoine culturel africain, avec Kourouma. elle
accède à une dimension supérieure qui se situe dans le prolongement de la
défense d'une certaine identité culturelle par le langage. C'est qu'avec luI. le
traitement de la tradition orale comme thème romanesque est autant un acte de
révolte quune réconciliation avec SOi au niveau de l'élaboration et de la
transmission de la pensée Chez Kourouma davantage encore que chez ses pairs
en effet. l'écriture assume une fonction idéologique importante. Celle-CI consiste
en 1expurgation du sentiment de malaise profond consécutif à l'usage d'une
langue allogène pour exprimer des manières de faire, d'être et de penser
autochtones. africaines. C'est ce langage-tampon entre le français et le malinké,
langue maternelle du romancier, ce «
parler franco-africain »
dénotant une
volonté aHichée de faire dire le personnage de l'intérieur, dont nous proposons ici
une deSCription sous l'angle particulier de l'expression du haut degré. De façon
succincte. notre étude a pour but de montrer que l'hyperbole est. sinon la
dominante scripturale de l'écrivain, du mOinS, l'une des caractéristiques
principales de son style et que l'expression intenSive y tient une fonction
cardinale Or, le haut degré est un mode d'énonciation spécifique formellement
Identifiable. Plus généralement par conséquent. c'est une étude de sémantique
lingUistique ayant pour tâche, la recherche, l'Identification et la deSCription de
lexpiossivile SOUS-Idcente dU style de
l'auteur à
travers
les procédés
dlntenslficaUon et leurs valeurs. Comment le projet stylistique et la volonté
culturellement partisane de faire dire le personnage de l'intérieur se structurent et
se développent-ils dans les œuvres du romancier au niveau des modalités du

6
haut degré? Comment en d'autres termes, l'auteur parvient-il à asseoir son
esthétique romanesque dans un double rapport oppositif de fidélité et d'infidélité à
ces modalités. de conformisme inéluctable et d'innovations irrécusables? Avec ce
qui précède. on
a sans doute
compris l'intérêt de la dimension éclectique de
notre méthode d'analyse, éclectisme imposé par la complexité et la polyvalence
disciplinaire de l'oblet d'étude lui-même. C'est que, comme forme spécifique
d'énonciation. le discours romanesque intéresse aussi bien la stylistique, la
--------'------
grammaire que la soci<2l1n9.llLsllQue,.§entiments et pensées sont par conséquent
~-"_._-_.. - .. --_.. _....
.
- " .
- - -~----_.-.. -
la qUintessence de notre étude selon l'héritage de L. Spitzer. Pour ce qui est de la
dimension sociolinguistique ensuite, précisons tout de sUite les conditions de son
intervention et l'avantage que nous en tirons. Il est essentiellement d'ordre
anthropologique
En effet,
du fait des interférences linguistiques et du
surgissement constant d'une instance narrative à statut de griot-conteur
traditionnel qUI sont autant d'hymnes à la société africaine et spécialement
Illalinké. l'anthropologle constitue l'invariant auquel l'analyse sémantique a
souvent recours. Et cela se justifie. Oans un
style romanesque à la recherche
d'une certaine crédibilité discursive en effet, la situation du sujet dans le procès
énonciatif est particulièrement importante en ce qui concerne la liSibilité, c'est-à-
dire au niveau de la tentative de décryptage et d'explicitation des sous-entendus
de l'éCriture du romancier. La dimension sociolinguistique de la procédure
d'analyse et des Inférences que nous avons adoptée n'a d'intérêt, par
consequent.
que dans la mesure où elle met en relief non seulement le rôle du
SUjet énonciateur. mais encore, l'importance du contexte et de la Situation de
communication. En termes différents, cela Signifie que pour nous, les autres
considérations sociolinguistiques telles que l'âge, le """e, la classe sociale et I~J
statut des Interlocuteurs, Qarce qu'elles ne présentent aucun enjeu réel daIJs--le
\\"
- . -
-
~
cadre de notre propos actuel, sont exclues de nos préoccupations.-Enfin, dans la
mesure où cette écriture se veut de rupture et se valorise par opposition à

7
j'écriture
romanesque conventionnelle,
celle
respectueuse de
la
langue
normative. sa mise en rapport avec celle-ci était indispensable. C'est la dimension
grammaticale de notre méthode d'analyse dont le principe fondateur est
sémantique
HypoHlético-déductlve, notre démarche descriptive privilégie les
similitudes sémantiques entre les énoncés réalisés. A ce niveau d'exposition
methodologique, Il est utile de faire deux précisions sémantiques importantes sur
ce que nous qualifions de «
dimension grammaticale »
d'une part. et sur ce qu'il
faut entendre par «
sémantique linguistique »
d'autre part. Toute grammaire de
langue procède toujours de manière différentielle en édictant des règles 1
d'expression dont l'ambition est de définir un Modèle de langue.
De ce point de
vue par conséquent, la grammaire est l'ensemble des phrases énoncées
conformément aux règles de «
bon usage », règles censées être admises et
sUivies par tous les locuteurs de cette langue. En français, les constituants de
base de la phrase canonique ( sUjet + verbe + complément) font nécessairement
apparaître une grammaire au moins bipartite avec la syntaxe et la sémantique et
leurs eXigences spécifiques. Tout énoncé qui transgresse l'une de ces exigences
..-------_.-
._---.
et. a fortiori. l'ensemble des différents types de règle étant en théone une infraction
'-------_-....
au code du bon usage, est de ce fait même, agrammatical. Or Kourouma affecte
les anomalies linguistiques. Nous appelons ainSI toutes les constructions
Inhabituelles qui sont autant de formes d'agrammatlcalité par rapport à la norme
Pourtant. nous valorisons ces formes tout au long de notre travail, ce qui est a
prion absolument paradoxal Mais nos démonstrations ont préCisément pour but
de lever ce paradoxe en situant le contexte et les conditions de valorisation de ces
anomalies lingUistiques. Récapitulons sur ce point. La dimenSion grammaticale
dont Il est question Inclut par conséquent l'ensemble du dispositif réglementaire
permettant de Juger de la grammaticalité ou de l'agrammaticalité d'un énoncé,
qu'elle SOit de nature syntaxique ou sémantique. Il est à noter du reste que, SI d'un
pOint de vue théorique, la distinction entre la sémantique et la syntaxe est

8
absolument à la fois nette et indispensable, leur complémentarité immanente qui
se fonde sur la recherche du «
sens »
dans la communication linguistique, rend
cette distinction peu aisée. Tout locuteur d'une langue parle en effet pour «
dire
quelque chose»,
pour délivrer un message. Celui-ci est à son tour doté d'une
fonction de signification, car ce qUI est dit a également pour vocation de vouloir
dire «
quelque chose », c'est-à-dire qu'il a un sens.
En fait,
rares sont les
études de syntaxe ou de sémantique pures, capables de faire abstraction totale de
l'une ou de l'autre dimension linguistique dans leur description Cette première
précision méthodologique étant faite, nous pouvons passer à la deuxième afin de
donner notre approche définitionnelle de la sémantique linguistique. Que signlfie-
----
t-elle?
S'il existe un pOint d'accord entre les linguistes au sUjet de la sémantique
cmnrTle SCience des significations, c'est Incontestablement celui de la controverse
sur la discipline, sa finalité, la méthode de description de son objet. Cette
controverse s'étend également à la définition même de la notion de «
sens ».
aux conditions de sa production et au choix des unités linguistiques ( mot, phrase,
énonce complexe) q,Ui doivent être Identifiées com~e porteuses de sensg(En fait,
ces divergences theorlques, conceptuelles et methodologlques ne sont' quun
héritage des différentes théories et procédures d'analyse qui eXistent déjà en
lingUIstique. AinsI, en faisant abstraction des préférences conceptuelles et
descriptives possibles, peut-on distinguer deux positions antinomiques. La
première tendance qui est d'obédience structuraliste, circonscrit son activité (la
description du sens) dans la langue prise comme un système autarcique à
l'exclusion des paramètres extra-linguistiques qui peuvent intervenir dans
l'énonCiation et influencer ainsi le sens de tout énoncé. Au contraire. la deuxième
tendance quI. elle. se veut pragmatlco-énonciative tient compte des conditions
générales de l'énonciation telles que les facteurs sociologique, psychologIque et
affectif. Pour notre part, la sémantique linguistique est avant tout une sémantique

9
de l'énonciation. c'est-à~dire une sémantique ouverte qui, tout en reconnaissant le
caractère systématique de la langue, intègre les paramètres extra-linguistiques
dans sa description des énoncés. Comment pourrait-on autrement rendre
efficacement raison du mécanisme synonymique et des effets de sens liés au
contexte et à la situation de communication surtout dans l'esthétique romanesque
kouroumlenne?
Seule une sémantique de l'énonciation ou une «
sémantique
globale »
selon l'expression de Irène Tambac-Mecz, parce qu'elle inclut dans sa
description la situation du sUJet, permet de rendre compte de l'expressivité des
énoncés comme ceux-ci: «
Fama est analphabète comme la queue d'un âne ».
«
Dehors le vent et la pluie donnaient », «
Le repas s'asseyait autour des
calebasses communes ».Ces constructions audacieuses sont un échantillon de
-----~
)
l'ensemble des «
Innovations »
stylistiques du romancier. Elles feront l'objet
d'étude dans les deuxième et troisième parties de notre travail. Cela nous amène
à 1organisation de celui-cl.
D'un point de vue structurel, le travail se subdivise en trois parties. La
première qui se veut
théorique, est une étude portant sur le contexte général
d'insertion de l'énonciation romanesque et du style de l'auteur. Conformément
aux principes de la stylistique littéraire ou de l'individu en effet, cette partie fait une
investigation dans le curriculum vitéE de l'écrivain à la recherch~l.O.tow:Jatlo.ns
------~
susceptibles d'éclairer l'int§.!lig.§..rJ.c_E?__C!~...20_n .dlscours romanesque En outre. grâce
- - -
-. '""'''-~'----='~'~''
à la dominante soclocritique, elle s'intéresse à quelques-uns des éléments
fondamentaux de la littérature orale dans les œuvres de Kourouma, notamment en
ce qUI concerne la narration, le "contage" et "l'illusion allocutoire" que cet emprunt
Institue, L'idée directrice sous-Jacente à nos démonstrations est que l'inflation
sémantique dans le style de Kourouma est tributaire des envolées hyperboliques
SI courantes dans la littérature orale, et en particulier dans les contes traditionnels
africainS La deuxième partie inaugure l'étude véritable des modalités du haut
degré en commençant par les procédés intensifs classiques, cecI pour mieux

10
apprécier les innovations de Kourouma en la matière. Les procédés lexicaux à
travers les adverbes motivés et les structures décommensuratives, qu'il s'agisse
d'une "hypo-décommensuration" ou d'une "panégy-décommensuration';, son
antonyme d'une part, les procédés logiques bifonctionnels d'autre part, sont entre
autres centres d'intérêt, l'objet de cette deuxième partie consacrée à la
caractérisation intensive. Cette partie définit également, non seulement les
concepts fondamentaux du sujet -
forme, fonction et degré notamment -
mais
encore, elle précise les principes descriptifs de notre méthode analytique. Quant à
la troisième et dernière partie, elle se consacre à l'exclamation intensive et montre
'-...
le rôle èombien capital de l'intonation dans le procès de haut degré. L'esthétique
de l'anomalie syntaxique est la deuxième idée-force de cette partie. C'est la
démonstration du mécanisme d'expressivité intensive des formes anomales.
En
termes différents, il s'agit de voir comment les nombreuses Impropriétés
linguistiques
sinsèrent
dans
l'ensemble
de
l'esthétique
romanesque
kouroumienne. Pour terminer, il est utile de préciser que la méthodologie choisie
n'est point hiérarchlsante. En effet, hormis la constante sémantique, aucune
méthode n'a de prééminence absolue sur les autres et leur application presque
simultanée est strictement fonction de l'efficacité analytique recherchée selon les
énoncés.
Notons à ce sujet l'importance de la notion de validation sémantique
dans l'ensemble de notre procédure de description
Elle définit l'opération
probatoire consistant à démontrer l'efficacité de la théorie de l'inclusion
sémantique qui est elle-même, la base de la procédure d'explicitation du sens des
énoncés.

1 1
1- Ce sont nos mémoires de Maîtrise et de Diplôme d'Etude Approfondie (D.E.A)
présentés en 1989 et 1990, respectivement sur la préposition et l'expression
hyperbolique dans Les Soleils des Indépendances.
2 - Toutes autres références aux œuvres de l'auteur seront restrictives. Ainsi, au
cours des développements à venir, citerons-nous Les Soleils et Monnè pour Les
Soleils des Indépendances et Monnè, Outrages et Défis. Précisons que le
caractère typographique a pour fonction de mettre en relief les termes et
séquences des énoncés importants et qui sont en général l'objet de la
description.

CH. 1 - I~TUDE BI()(;RAI'IIIQUE ET
1~ Il ~ 1~ 1()( ; RA PHI QUE
CH. Il - L'APPORT DE LA TRADITION OI{ALE
DANS L'ECIUTURE KOUROUMIENNE

Î 3
CH.1
ETUDE BIOGRAPHIQUE ET BIBLIOGRAPHIQUE
1ntroduction
L'ancrage dans l'Histoire de toute production romanesque se situe pour
l'essentiel à un double niveau. En amont d'abord, dans sa conception par
l'écrivain,
acte éminemment
individuel

cependant des éléments qUI
transcendent l'individu tels que l'ascendance familiale, le statut social, les
expériences vécues constituent déjà le pré-requis indispensable à la création
Ensuite, et parce que l'écrivain est membre d'une communauté qui le conditionne
à maints égards, tout acte créatif émanant de lui rencontre Inexorablement en
aval. oans un élan de solidarité non coercible, le niveau social où j'œuvre prodUite
se réalise véritablement. Dans son article consacré aux rapports multiformes entre
la littérature et la société, D Madélénat souligne parfaitement les contraintes
sociales dans la création littéraire Il note à ce propos:
L'écrivain,
COIT@e les autres hOIT@es,
appartient
à un milieu
(groupe d'âge ou génération,
classe
sociale,
province,
quartier,
coterie,
chapelle
ou
cénacle . . . )
dont
i l
exprime
les
préoccupations,
les
intérêts,
les
préjugés,
~a
sensibilité,
les fantasmes ( ... )1
Il ressort de ce qui précède que l'influence de la société sur le romancier
est une rèalité. et c'est bien ce qUI informe la fonction mimétique du roman Dans
ces conditions, une étude biographique est utile pour au moins deux raisons
essentielles. La première tient au fait que l'évocation de l'ascendance familiale de
l'lolllme. lie son cursus civil, éducationnel et formationnel est un moyen de faire
cJécouvm les motivations lointaines et profondes de l'esthétique romanesque de
l'écrivain. En effet, bercé dès sa prime enfance par le mode de vie de sa SOCiété
d'origine, par les réalités culturelles de cette communauté et tout le corollaire

14
psychologique qUI la caractérise, notamment la métempsychose et le merveilleux
SI présents dans la littérature orale traditionnelle, l'écrivain en tant que membre de
cette communauté. en a été nécessairement conditionné. La résurgence des traits
caractéristiques de cette littérature dans ses œuvres, tant au niveau de la forme
(la narration surtout) qu'à celui du fond (les événements de la trame romanesque),
témoigne de l'emprise réelle et de l'expérience pratique de son environnement
sur lui. Il n'est guère étonnant par conséquent, que ses romans s'Inscrivent dans
une perspective réaliste surtout en ce qui concerne le discours des personnages
du milieu rural. Mais par-dessus tout, et c'est la deuXième Justification à l'utilité de
l'étude biographique, cette tendance réaliste est sous-tendue par une quête
Identitaire qui se traduit par une écriture romanesque délibérément hétérodoxe.
Elle a une ambition principale, celle de tenter d'exprimer au mieux la pensée
africaine par le biais de tournures spécifiques qUI déstructurent le modèle de
langue prescrit par la grammaire normative. A ce propos, le prochain chapitre
pose la question fondamentale de l'identité culturelle africaine et ses corrélatifs
théoriques de la nécessité ou non d'une littérature spécifiquement africaine et des
critères de cette africanité en rapport avec la recherche stylistique de Kourouma
Pour l'heure. cest l'évocation du curriculum vitéE de l'homme qui mérite intérêt.
Létude bibliographique quant à elle, présentera succinctement l'écrivain et ses
œuvres, leur fortune au plan quantitatif et qualitatif,
la symbolique des
protagonistes

15
Section 1-1 -1-1 Etude biographique de l'auteur
C'est à Boundiali, au nord-ouest de la Côte d'Ivoire que naît A Kourouma
en 1927 d'une famille musulmane malinké. Son père exerce diverses activités
dont la culture vIvrière, la chasse et surtout le commerce qu'il partage avec sa
femme. A l'âge de sept ans, l'éducation du Jeune Kourouma est confiée à son
oncle Infirmier de son état. Grâce à cet oncle, il fréquente l'école occidentale dès
1935. En 1947, Il prépare avec succès le concours d'entrée à l'école technique de
Bamako (Mali). Mais la période 1943-1947 est une période décisive chargée
denselgnements pour le continent africain, surtout au lendemain de la deuxième
Guère Moncllale. 1':::11 elfet, avec la création du Rassemblement Démocratique
Africain (R 0
A), les premiers mouvements antl-colonlalistes et les velléités
d'émancipation ne se dissimulent plus
La fIèvre de la lutte émanCipatrice est
contagieuse. Les milieux Intellectuels et les grandes écoles en sont atteints. Ils
sont en proie à des vagues successives d'agitations et de grèves tous azimuts.
Considéré comme le meneur de la grève estudiantine, Kourouma est arrêté par
les autorités coloniales, expulsé de son école vers la Côte d'Ivoire avec en sus, la
levée de son sursis. Descolansé, il n'est pourtant pas oIsif
Au contraire. pour lui
apprendre à modérer son tempérament nationaliste, il est contraint de faire
connaissance avec l'art militaire en entrant comme tirailleur au bataillon autonome
de Côte d'Ivoire pour troIS ans En 1949, les mouvements de révolte du R. D.A
prennent de l'ampleur en Côte d'Ivoire et le bataillon de Kourouma est requis et
commis à la répreSSion de la révolte. Mais la fibre nationaliste de l'homme
supplante "ooélssance servile à l'autonté hiérarchique du soldat. Kourouma
refuse alors de participer à la répression des siens en lutte pour leur libération. La
sanction ne se fait pas attendre: le soldat est immédiatement dégradé et renvoyé
doffice au corps expéditionnaire français d'Indochine en bute à une autre guerre
de libération Il y reste Jusqu'en 1953 avant d'être affecté à l'état major de Saigon
En 1954, démobilisé, Il rentre en Côte d'Ivoire avec le qrade de sergent. L'année

16
daprès. il va poursuivre ses études à ses propres frais en France et prépare
différents concours des grandes écoles dont celui de l'école de construction
aéronautique et navale de Lyon. Reçu à ce dernier, Kourouma ne suivra pas la
formation, faute d'avoir pu obtenIr une bourse d'étude. Tout en militant au sein de
la Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France, il présente avec succès le
concours d'entrée à l'institut des actuaires de Lyon. En 1959, il est titulaire du
diplôme d'actuaire et obtient également un certificat d'administration des
entreprises
Un an plus tard, il convole en justes noces avec une française et
travaille dans une grande compagnie d'assurance à Paris.
1961: il rentre dans son pays devenu Indépendant et exerce comme
directeur-adjoint d'une banque à AbidJan. Mais deux années plus tard. un vent
inquIsitorial souffle sur la Côte d'Ivoire suite à de prétendus complots et
manœuvre de destabilisatlon 2
Soupçonné de collusion avec les meneurs du
complot présumé, Kourouma est d'abord arrêté pUIS relâché, faute de preuves.
MaiS 1/ paie de son poste
Après sept mois d'inactivité, il quitte la Côte d'Ivoire
pour la France d'abord, l'Algérie ensuite où il travaillera dans une compagnie
d'assurance de 1965 à 1969. De 1969 à 1971, il exerce de nouveau en France
dans une banque parisienne qUI lui confie en 1971 la sous-direction de son
agence à Abidjan
En Décembre 1972, la représentation jugée subverSive de
Tougnat/gui ou Je Diseur de vérité, une pièce de théâtre dont il est l'auteur lui vaut
d'être affecté à Yaoundé (Cameroun) comme directeur de l'institut international
des assurances, un organisme panafricain. Kourouma occupera ce poste jusqu'en
1983 avant de se voir confier à Lomé (Togo), la compagnie de réassurance des
Etats membres de la C ICA. Il en sera le directeur général Jusqu·en 19923 Il est
père de quatre enfants.
Si la vie de l'homme est à ce pOint riche en viCIssitudes de toute nature,
cest qu'elle est symptomatique de la situation historique et soclo-politique de
1 époque.
En cela, Kourouma nest guère une exception Toutefois. l'auteur lui,

17
est. parmi ses pairs, un cas d'originalité peu discutable, notamment au niveau du
traitement de la tradition orale comme thème romanesque et de l'écriture. Celle-ci
sera entendue dans son acception stylistique telle qu'elle se définit à un double
pOint de vue D'abord, en tant que marque personnelle du sujet dans ses rapports
ae floélité ou d'Infidélité ponctuelle et délibérée à une certaine esthétique
langagière posée comme modèle, et, par suite, le langage particulier résultant de
ces rapports. La définition qu'en proposent J. Mazaleyrat et G. Molinié dans leur
Vocabulaire de la stylistique corrobore notre approche sémantique de l'écriture.
L'écriture est, disent-ils, un:
Terme
qui
désigne
l'ensemble
des
contrain~es,
des règles,
des modèles,en fonction desquels,par
décision
variable
de
respect
et
d'infraction,s'organise le tissu langagier d'un
texte,de
manière
à
marquer
l'acte
spécial
de
manipulation
que
réalise
chaque
fois
le
scripteur.L'écriture est un concept du côté de
l'émetteur
primordial.On
peut
aussi,par
une
sorte de métonymie,en faire une désignation de
l'objet stylistique produit. 4
PrécIsons avant l'étude bibliographique que, conformément à cette acception de
!écriture, style et langage en seront des désignations synonymiques. Nous les
emplOierons donc indifféremment les uns pour les autres au cours des
développements à venir.
Section 2-1-1-2 Etude bibliographique
l.erls(~rnt)le de 1(1 procllJction \\ittéralr(:; de l'écrivain se compose d'œuvres
théâtrale et romanesque. Tougnatigui ou le Diseur de vérité, l'unique pièce de
tlléâtre à notre connaissance, date de 1972. Elle fut plusieurs fois Jouée avec
succès, bien que tronquée et remaniée pour des raisons aussi bien techniques

18
(scéniques) que politiques, avant d'être définitivement frappée d'ostracisme et
censuree. Mais c'est surtout dans la production romanesque que la notoriété de
l'auteur reste incontestable, une production assez spéciale. D'abord au niveau
chronologique de la parution des romans.
Monnè. le second ouvrage de l'auteur
paraît en 1990. SOit plus de 20 ans après Les soleils. La première publication par
les Presses de l'Université de Montréal (au Canada) de ce roman remonte en effet
en 1968. Mais si Les soleils est chronologiquement antérieur à Monnè , celui-ci
-
et c'est la deuxième raison -
est l'antécédent de celui-là au niveau du thème.
Particularité d'un mode de création qui, il faut le reconnaître, est souvent
diversement interprété. Certains y voient en effet l'indice révélateur d'une
inspiration laborieuse, euphémisme d'un soupçon d'indigence intellectuelle pour
dautres. Un tel procès est-il justifié? Nous en doutons. L'écart de parution nous
semble même pouvoir être doublement méritOire pour l'auteur.
En effet. l'espace temporel séparant les deux romans, s'il est considérable.
atteste précisément la difficulté du projet stylisque de Kourouma. Ce faisant, ne
souligne-t-il pas par ricochet le mérite du romancier? En effet, l'appartenance à la
même ère géographique et linguistique n'est pas une garantie de succès pour
tous.
La preuve en est que peu d'écrivains africains francophones de culture
malinké ou non ont réUSSI avec autant de bonheur, ce qui peut être appelé
l'esthétique romanesque kouroumienne. Et c'est bien ce qui crée l'Originalité. Ne
fût-ce que pour cette raison, le procès ci-dessus, S'II n'est pas totalement injustifié.
nous paraît quelque peu abusif. Mais surtout, l'activité créatrice, et notamment
dans le domaine des œuvres de l'esprit, ne nous semble pas pouvoir être
diligentée ni circonscriptible dans un terme temporel butoire sans porter
préjudice au créateur et à son œuvre. Quelles sont les caractéristiques de
l'esthétique kouroumlenne? La suite du travail a pour tâche d'y répondre. Pour
heure. notons que de façon générale, la spécificité de la démarche formelle du
1
romancier procède en partie de la rupture qu'il opère d'avec le langage
académique de la grande majorité de ses pairs, et davantage encore, d'avec le

19
langage châtié des écrivains négritudiens. En effet, le caractère insolite d'une
écriture anticonformiste qui enfreint irrévérencieusement le pacte du bon usage du
discours romanesque ne pouvait que susciter l'indignation des puristes de la
langue française, bien que celle-ci n'ait jamais prétendu à aucune homogénéité
absolue. Les raisons ne manquent pas. En effet, la taxinomie consacrée dans
l'existence de niveaux de langue à l'intérieur même du «
français français»,
selon l'expression bien heureuse de Léon G. Damas, en est une brillante
illustration. En outre. la variété du français extra-hexagonal que sont le belgicisme,
le québécisme et l'ivoirisme5, constitue le corrélatif étranger du «
français de
France »
et rend inopérant le raisonnement différentiel lorsqu'il est sollicité
Inopportunément. Mais c'est connu, tout acte novateur, s'il subvertit des habitudes
établies de longue date, doit payer le tribut de son onginalité à l'agacement
courtois, à l'ostracisme grégaire ou à la réprobation conservatrice avant d'être
toléré, puis admis, pour s'imposer plus tard grâce à la multiplication de cas
similaires. On ne s'étonne donc pas des caractérisations suspiCieuses de
«défoulement linguistique », ou franchement acrimonieuses de «
négrification
folkloriste »
de la langue française qui, naguère, furent parfois appliquées à
l'écriture kouroumlenne. Celle-cI est en effet, à bien des égards. un véritable
autodafé du langage romanesque conventionnel. En outre. dans la mesure où les
critiques sont Immanentes à toute création humaine, elles sont non seulement
inéluctables, mais encore, indispensables à l'acte créatif et au créateur. Mais
quelles qu'elles pUissent être, acariâtres ou apologétiques, les appréciations et
critiques peuvent difficilement empêcher une œuvre d'entrer dans la postérité.
Bien
entendu. "Idéal est d'y entrer avec gloire et honneur ce qui suppose que
l'œuvre produite réponde à certaines conditions. Ce n'est qu'à ce prix qu'elle
emporte l'adhéSion des IIlstltutlons de consécration IIlternatlonale grâce
auxquelles l'artiste acquiert une certaine notoriété
Nous touchons là, à la
question de la fortune de l' œuvre, fortune définie par la somme des réactions
qu'elle suscite et qui sont autant de preuves de la reconnaissance de sa qualité

20
par les exégètes desdites institutions et du monde littéraire en général Dans ces
conditions, on peut se demander quelle est la fortune actuelle des romans de
Kourouma.
En 1967, avant même la publication officielle de son premier roman,
Kourouma est désigné lauréat du Prix de la francité qui venait d'être créé par la
revue
«Etudes françaises »
de l'Université de Montréal. Son objectif: «
Attirer
1 attention du public sur le renouvellement de la langue et des formes littéraires qui
se produit actuellement dans les communautés francophones d'Amérique.
d'Afrique et d'Asie »6 L'auteur est également lauréat depuis 1970 du Prix de la
fondation Maille-Latour-Landry de l'Académie française. D'autres prix viennent
egalement rehausser le prestige de l'écrivain après la publication de son second
ouvrage. Ce sont entre autres, le prix des Droits de l'Homme. celui. d.es
Kssoclatlons des journalistes et enfin, le grand Prix du roman d'Afrique noire.
En outre, au plan pédagogique et didactique, Kourouma est inscrit depuis
longtemps au programme des lycées et universités d'Afrique et fait l'oblet d'études
universitaires en Afrique comme à l'étranger. Et, selon J.L.Nicolas, il est
également traduit en d'autres langues européennes: anglais, allemand, portugais,
polonais Le fait qu'il soit publié, toujours selon J. L. Nicolas, en Grande Bretagne,
en Allemagne, aux Etats Unis d'Amérique et bien sûr, en Afrique et en France. en
ajoute à l'heureuse fortune de sa démarche stylistique.
D'un point de vue classificatoire, l'apparent anachronisme que nous
avons précédemment noté en ce qui concerne la parution de ses romans fait
pratiquement éclater les cadres habituels de la taxinomie traditionnelle. En effet, à
partir de critère thématique, les essais de typologie proposent en général cinq
grandes rubriques sans doute discutables, mais qui reflètent bien la réalité.
Discutables. ces Critères le sont dans la mesure où le risque de recoupement
entre les micro-thèmes gravitant autour des macro-thèmes d'un type de mman à
un autre est réel. J. Chevrier, critique de notoriété du roman africain francophone,

21
note parfaitement cette possibilité de recoupement 7 au niveau des rubriques quil
distingue lui-même. Cette réserve prend toute son importance avec la question de
la lisibilité, phénomène subjectif s'il en est dans la perspective du lecteur. En effet,
la compréhension étant presque toujours fonction de l'angle de lecture, elle est
nécessairement variable: ce qui constitue pour soi le thème principal d'un roman
peut nêtre pour autrui qu'un épithème et vice versa. Rien ne pouvant par
conséquent être défini dans l'absolu ou presque, les rubriques proposées n'ont
pour nous que valeur de regroupement synthétique et non de classification.
En
effet la souplesse de la typologie est la condition nécessaire et suffisante à sa
propre ouverture à d'autres types de romans non encore connus,
mais
parfaitement possibles. On distingue respectivement:
a- Les romans de contestation
b- Les romans rlistoriques
c- Les romans de formation
d- Les romans de l'angoisse
e- Les romans du désenchantement
De manière succincte, on peut dire que les romans de contestation posent la
lancinante question de l'identité culturelle
Ils traduisent de façon générale. au
mOinS Jrnplicitement.
le malaise profond du personnage consécutif à la
juxtaposition de deux cultures au contact corrosif: l'une européenne, l'autre
africaine. avec chacune ses propres valeurs. Les romans historiques quant à eux,
élèvent un hymne à la gloire des héros mythiques ou légendaires et exaltent les
valeurs
antiques
perdues.
Les
romans
de formation,
presque
toujours
autobiographiques. racontent le parcours du personnage depuis sa prime enfance
Jusquà l'âge adulte, sans omettre la période adolescente et les péripéties
éducationnelles ou formationnelles relatives à chaque étape. En somme. un
parcours initIatique qui s'organise toujours, sauf de rares exceptions. à la fOIS en
Europe et en Afrique. L'expression d'une vision sinon pessimiste, du moins très
«
pathétique de la condition humaine », est la dominante thématique du roman

22
.de l'angoisse. Enfin, le roman du désenchantement a pour thème principal une
grande désillusion qUI résulte d'une espérance restée désespérément inassouvie,
inexorablement vaine. Outre l'extensibilité souhaitable de cette typologie, il faut
bien noter qu'elle ne vaut que pour les romans et non pour les romanciers eux-
mêmes. Le contraire serait absolument impensable. Tout écrivain peut en effet,
au gré de son inspiration et selon les contingences du moment, passer d'un type
de roman à un autre, ou même produire plusieurs types de roman à la fois. Dans
ces conditions, on s'en doute bien, toute tentative classificatoire serait on ne peut
malaisée, voire impossible. Or tel est à peu près la difficulté que pose Kourouma.
En effet, si la dominante thématique de Les Soleils est incontestablement
l'expression d'une désillusion innommable, des épithèmes aussI importants les
uns que les autres se greffent sur elle, qui touchent à la contestation, à l'histoire et
même à l'angoisse. Il en va de même pour Monnè où, en dépit de la
prédominance du thème de l'humiliation, les thèmes de la contestation, de la
désillUSion et même de l'histoire sont si enchevêtrés que l'hésitation et le doute
sont permis quant à son étiquetage
D'ailleurs, la grille taxinomique que nous
venons de proposer ne prévoit guère de rubrique sur le thème de l'humiliation. ce
qUI légitime à la fois les réserves que nous émettions précédemment et notre
suggestion sur l'extension de la typologie classique. Quoi qu'il en soit. cette étude
typologique sommaire introduit dans l'étude thématique. Cela nous amène à jeter
un regard sur les romans de Kourouma.
Section 3 -1-1-3 Regard sur les œuvres de l'auteur
1-1-3-1- Contexte situation net
Les circonstances historico-littéraires qui présidèrent à l'émergence des
romans de Kourouma ont déjà été largement développées. Par conséquent, nous
n'y reviendrons pas. On retiendra surtout que la métamorphose la plus
significative (dans le cadre de notre propos) qui accompagne la rupture

23
thématique est l'effort d'innovation stylistique dont le chapitre à venir se propose
dexammer quelques traits caractéristiques.
Dans l'immédiat, intéressons-nous
aux œuvres A ce propos, il faut tout de suite noter la différence d'époques qui
separe les romans En effet, SI Les Soleils est centré sur la période post-coloniale,
Monnè
lui, se situe dans une période extensible qUi part du pré-colonial au
colonial jusqu'à l'aube des Indépendances. Mais, hormis cette différence, nous
sommes en présence de personnages dont la naissance et le rôle font des
archétypes de situations somme toute semblables
Douloureuse désillusion et
pessimisme inqualifiable chez le prince Fama dans le premier roman, mépris et
humiliations sans nom avec le roi Kéita dans le second. Celui-ci, avec ses 290
pages,
est structuré en six parties de volume variable. Alors que la première
partie compte quatre chapItres, les deuxième, troisième et quatrième parties en
comportent respectivement trOIS (3 ), tandis que les deux dernières se repartissent
chacune en deux (2 ) chapitres de longueur inégale Quant à Les soleils qUI
compte 208 pages, il se subdivise en trois parties avec quatre (4 ) chapitres pour
la première, cinq (5 ) pour la seconde et deux (2 ) enfin pour la trOisième et
dernière partie
1-1-3-2 Résumés
1-1-3-2-1 Les soleils
Fama
Doumbouya, authentique prince de la dynastie du méme nom, est
un riche commerçant que l'infortune politique et commerciale a réduit à la
conditIon d'un misérable gueux vivant d'expédiants funéraires. Davantage par
ùpportullisme que par réelle convlcllon, Il mettra toute son energle au service de
la lutte anti-coloniale. Mais à l'heure OLJ «
comme une nuée de sauterelles les
Jrldépendances tombèrent sur l'Afrique »
( Les Soleils: 22 ), Fama attendra en
vain une hypothétique gratification
ni la direction (j'une coopérative, ni le
secrétariat général d'une sous-section du parti, «
les deux plus viandés et gras

24
morceaux des indépendances »
( Les Soleils : 23 ) ne lui échoiront. Seules, la
carte nationale d'identité et celle du parti unique seront sa récompense A la mort
du cousin Lacina qui lui a usurpé le pouvoir avec la complicité coloniale, Fama se
rend à Togobala, son village natal après vingt ans d'exil. L'idée le tentera un
moment de pérenniser le pouvoir des Doumbouya et de prendre ainsi sa
revanche sur l'histoire en restaurant la chefferie laissée vacante à la suite de ce
décès. Mais il y renoncera en définitive en raison de l'insignifiance de l'héritage et
autres accessoires nécessaires à l'exercice d'un pouvoir de confort. Retourné à la
capItale l'horizon s'opacifiera pour lui et Il se fera rattrapé par l'arbitraire politique.
En effet. convaincu de collusion ( pour n'avoir pas rapporté un rêve au sécrétaire
général du parti unique) avec les meneurs d'activités subversives, Il est arrêté,
écroué. Jugé puis condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Mais avant
d'avoir purgé sa peine, il est gracié et recouvre la liberté avec à l'horizon, une
promesse de fortune considérable. Mais physiquement affaibli et Vieilli. et surtout
moralement affecté par les vicissitudes et déconvenues de toute nature,
psychologiquement blasé de tout, il tournera le dos à cette fortune tardive à ses
yeux, à la capitale. Toutefois, son village natal devenu subitement à la fois, lieu
d'exutoire et espace édénique n'accueillera que son corps, la mort ayant entre
temps, impitoyablement frappé.
La situation du centenaire Djigui, «
personnage panoramique»
selon
l'expression de J. Chevrier, n'est pas très différente de celle de Fama. Faite
d'affllgeantes compromissions avec le colonisateur, de scènes d'humiliation en
série, la pathétique mort qui l'emporte, l'existence de ce patriarche fut un tissu de
désillusions autant que d'outrages inqualifiables.
1-1-3-2-2
Monnè
Après une enfance heureuse de descendant de l'illustre Soundlata Keita,
Djigui accède au trône à Soba. Dans une société où «
chacun avait. de la

25
naissance à la mort, son rang, sa place, son occupation et ( où ) tout le monde
était content de son sort»
( Monnè : 20 ), Djigui règne ra en paix savourant avec
délectation les plaisirs attachés à son rang. Mais les troupes conquérantes, en
prenant possession du royaume sans coup férir, mettront un terme à son règne.
L'établissement des militaires étrangers enclenchera le processus de la
colonisation. Même leur remplacement par les civils n'améliorera en rien la
condition de ceux de Soba. C'est que pour eux, «
le régime militaire et le régime
CIvil étalent l'anus et la gueule de l'hyène mangeuse de charognes: Ils se
ressemblaient, exhalant tous les deux la même puanteur nauséabonde»
(Monnè :70)
En dépit de l'affaiblissement de son pouvoir dont il ne conserve plus
que de spécieux simulacres, Djigui refusera d'abord de faire allégeance aux
nouveaux maîtres. Mais grisé par la gloriole des griots, le centenaire finira par se
soumettre C'est le début de quarante années de collaboration et de mirages de
compensations dont la promesse maintes fois réitérée mais indéfiniment différée.
de lamvée «
Imminente »
à Soba du «
train qui siffle et fume»
Jugé trop
âgé pour avoir la lucidité et le rendement politique requis, il est remplacé de façon
Irrévérencieuse et de son vivant par son fils Béma, véritable marionnette-suppôt
de la politique coloniale
ToutefOIS, exerçant toujours une autorité morale, sa
destitution eût pu n'être qu'un pis-aller SI Béma ne lui avait infligé un cinglant et
«
odieux monnè »
en l'impliquant dans une supercherie politicienne à son inSU
Pour manifester sa profonde indignation. le centenaire décide la sanction
supréme: l'exil volontaire. Alors qU'II allait franchir la frontière du royaume, il se
VOit «
désobéi, trahi, désavoué et honni »
(Monnè : 278 ) par sa monture qUi
refuse d'avancer en présence de tous les sujets réunis. Il n'est pas Jusqu'à sa
tentative de SUICide à l'arme blanche qui ne soit un insuccès. C'est finalement par
arrêt cardiaque que la mort frappera «
Il se pencha, arracha la sagaie d'un
proche courtisant et, afin que tout le monde vît la lame flamboyante s'enfoncer
dans sa gorge, voulut se redresser. A peine s'appuya-hi sur les étriers que le
cœur lâcha et qu'il s'effondra »
( Monnè : 278 ) Comme Fama. Djigui quitte ainsi

26
un monde hostile dont les valeurs leur sont étrangères. Identité dans la naissance
pour ces personnages, mais également communauté de désagréments et de
souffrance morale à l'âge adulte: Fama et Djigui sont unis par un destin somme
toute semblable.
Section 4-1-1- 4
Symbolique des protagonistes
Notons d'entrée les limites de la présente étude sur la symbolique des
personnages et celle, ultérieure, sur les valeurs des romans qu'il nous a paru utile
de souligner afin de prévenir d'éventuelles objections. Le travail que nous
proposons n'a en effet aucune prétention d'exhaustivité. A cela, une seule raison:
l'inlntérêt d'une telle étude. En effet, pour l'étude des personnages par exemple,
la typologie classique (personnage principal, héros ou protagoniste, personnages
secondaires, comparses ), l'examen du réseau des relations inter-personnages,
non seulement excéderaient le cadre de notre propos, mais encore, ils n'y
présenteraient aucun intérêt véritable. A une telle étude, nous avons préféré un
travail plus circonscrit dont les extraits cités constituent les éléments
fondamentaux. Nous nous intéresserons par conséquent exclusivement aux
protagonistes. Mais, même là encore, nous avons dû opérer un chOIX et nous
limiter à quelques points de similitude parmi les plus saillants entre Fama et
Djlgui. à savoir leur fonction symbolique et l'âge du pouvoir.
1-1-4-1
Similitude de situation à l'âge du pouvoir
" n'est pas exagéré de faire remonter la source des malheurs de Fama
Jusqu'à son intronisation manquée, ainsi qu'en témoigne du reste l'extrait ci-
après
Son
pere
mort,le
légitime
Fama
aurait


27
succéder comme chef de tout le Horodougou.Mais
i l buta sur intrigues, déshonneurs,maraboutages
et mensonges. Parce que d'abord un garçonnet,un
p e t i t
garnement
e u r o p é e n
d' administra teur, tou jours
en
courte
culot te
sale,remuant et
impoli comme
la
barbiche d'un
bouc, commandait le Horodougou.
Evidemment fama
ne pouvait pas le respecterises oreilles en ont
rougi et le commandant préféra,vous savez qui?
Le
cousin
Lacina, un
cousin
lointain
qui
pour
réussir marabouta,tua sacrifices sur sacrifices,
intrigua,
mentit et se rabaissa à un tel point
que( ... ).
Les Soleils:
21-22
D'après l'extrait. la rupture du processus successoral tel que codifié par la tradition
patriarcale malinké, est liée à la conjugaison de deux facteurs. En premier lieu, on
peut cIter les pratiques occultes (intrigues,
déshonneurs,
maraboutages,
mensonges) du perfide Laclna.
Ensuite, vient le commandant européen qui a
trouvé un allié de circonstance en la personne de Lacina. Mais au-delà de cette
collusion usurpatrice perceptible en première lecture, le texte ne fustlge-t-i1 pas
aussI des pratiques socio-politiques peu recommandables. surtout dans cette
l\\frique moderne? En effet. l'indignité dans laquelle sinstalle Lacina, la délation et
ies offrandes sacrifIcielles de toute nature, sont autant de procédés éthiquement
répréhensibles qUI illustrent un certain nombrilisme égomanlaque propre aux
parvenus de tout acabit. Pour ces derniers, obnubilés par un désir quasi
pathologique de promotion sociale, l'assertion selon laquelle la fin justifie les
moyens est leur leitmotiv. Et c'est là où s'onginent à notre avis, au mOins en partie,
1Incurie. la prime à la médiocrité et à l'Incompétence, des fléaux d'autant
pernicieux que leur omniprésence dans les secteurs de la vie sociale, politique et
econofllique contribue à mettre en pénl la viabilité déjà SI précaire des micro-états
africains. C'est que Lacina n'étaIt pas le dauphin putatif.
Mieux, il était loin d'être
l'héritier présumé En se faisant IntronIser au moyen de pratiques Infâmes, non
seulement Il viCie la procédure successorale, mais par là-même, il occupe sans

28
Illerite une place qUI ne lUI revenait pas de drOit Dès lors, le doute est permis
quant à ses réelles capacités politiques et ses compétences, puisque, n'ayant pas
été encadré ni entraîné au préalable dans une perspective administrative et
politique il n'a pas le profil requis à l'exercice de la dite fonction Mais dans cette
infractIon à l'ordre établi, le prince Fama, «
le légitime »
peut, dans une certaine
mesure, être comparé à Lacina. l\\Jous touchons là au deuxième facteur de
l'intronisation manquée de Fama. En effet, grâce à la faculté d'omniscience du
narrateur, les pensées intimes du prince nous sont livrées ainsi que son sentiment
sur son éviction du pouvoir avant exercice Ainsi apprend-on que l'insoumission
de Fama se fonde sur des griefs personnels contre l'autorité coloniale: «
Parce
que d'abord un garçonnet, un petit garnement européen d'administrateur toujours
en courte culotte sale, remuant et impoli comme la barbiche d'un bouc
commandait le Horodougou. Evidemment Fama ne pouvait pas le respecter ».
Dans la perspective de Fama en effet, l'adverbe argumentatif évidemment
apparaît comme étant la majeure d'une logique démonstrative à valeur de
syllogisme dont l'avalanche de caractérisants péjoratifs en initiale. ne sont pour
ainSI dire que la prémisse.
Fama n'entend pas se soumettre à un administrateur
qui est de très loin son cadet et qui, à l'impertinence de l'âge, ajoute une certaine
SimpliCité vestimentaire témoignant à ses yeux d'une négligence fort coupable
pour un homme de son rang.
En outre, la constante mobilité du commandant
apparaît au prince comme une sorte de désacralisation du pouvOir et de l'homme
politique qui. semble-t-il, devrait s'entourer d'un certain mystère par le respect de
protocoles de visite C'est que Fama se situe dans une logique culturelle différente
de celle de l'administrateur En effet, le respect de l'âge, la culture de certains
protocoles de communication entre le roi et ses sujets et l'importance de la
prestance phYSIque, sont autant d'éléments qui lèvent un cOin de valle sur certains
traits ae culturemalinké.Mais dans un sens, la fonction symbolique de Fama en
tant que repiésentant d'une élite Civile, même décadente, n'est-elle pas la
révélation d'une attitude de passe-drOit héritée de l'ascendance?
En effet. le

29
commandant est avant tout le représentant local de l'autorité politique. En fait. la
révolte de Fama apparaît davantage comme le résultat d'un choc de cultures
souvent irréconciliables et la difficulté pour lui d'admettre l'obsolescence des
valeurs qui furent celles d'un monde naguère prospère, mais aujourd'hui en
agonie. le sien propre C'est cette déliquescence et cette agonie qui constituent
les raisons lointaines et profondes qui invalident par la même occasion, la
prinCipauté de Fama. Ainsi s'enclenche-t-il pour le prince au titre désormais
honorifique, une série d'humiliations innommables. Un prince sans pouvoir ni
revenus, obligé de «
travaIller dans les obsèques et les funérailles »
pour
gagner sa vie, ne pouvait évidemment avoir la moindre autorité sur personne, pas
même sur les griots. Ainsi aux funérailles de Koné Ibrahima, Fama est-II accueilli
par un Cinglant affront du griot de la cérémonie En effet, dans une SOCiété castée
où le mélange des noms totémiques et des classes SOCiales est un sacrilège
intolérable, le griot a osé associer avec une impertinence outrageante. les
Doumbouya avec les Kéita. D'où j'indignation de Fama car «
en la circonstance
c'était un affront, un affront à faire éclater les pupilles »
(Les soleils • 12) Il n'est
pas Jusqu'aux descendants d'esclaves et autres «
bâtards de fils de chien»
Simples coreligionnaires. garde-frontières qUI ne se complaisent à le défier sans
vergogne. donnant ainSI la preuve de sa profonde déchéance
Grande désolation aussi pour cet homme, dernier représentant d'une lignée
royale hanté par la quête inaccessible dune paternité hypothétique à cause de la
stérilité présumée de sa femme.
Stérilité présumée car nulle part dans le roman,
le mystère de la stérilité ne sera percé et la présomption de l'infécondité
continuera de peser à la fois sur Fama et Salimata. A preuve, lorsque le prince
décide d'élargir son ménage à troIs avec l'arrivée de Mariam jouissant. elle, d'une
lJfJilllUIl
largelllenl lavolé:lble de lemme parllcullèrement fèconde, on pouvait
logiquement sattendre à ce que la dynastie Doumbouya se survécût grâce à la
naissance d'une progeniture
Mais là encore, Il n'en sera absolument rien Jusqu'à
la fin dU roman Identité de situation également quand, Fama écroué. Salimata

30
abandonne le foyer conjugal à la recherche du bonheur de la maternité en allant
vivre avec le marabout Abdoulaye. Qui de j'homme et de la femme est vraiment
stérile? Insondable mystère qui restera effectivement impénétré jusqu'à la fin de
l'œuvre
Oésellcllanternent total enfin lorsqu'apres la lutte contre l'occupation
étrangère à laquelle Fama s'est voué corps et âme, il n'a de gratification que la
carte nationale d'identité et celle du parti unique.
Au contraire de Fama, Djigui, lui, a connu les délices du pouvoir jusqu'à
la pénétration coloniale dans son royaume
Là, soucieux de sauvegarder un
simulacre de pouvoir dont il n'est plus le détenteur exclusif, il passe de suspects
compromis à de graves compromissions. S'ouvre alors pour lui et les siens, la
porte de tous les malheurs, de toutes les humiliations Il serait fastidieux d'aligner
les exemples d'humiliation, thème central de Monnè Retenons cependant cet
affront subi le jour même où les forces coloniales font leur entrée dans Soba:
C'eSt quand Djigui arrlva en tête de l'escorte
du coté de Kouroufi,
au bout du chantier,
qu'il
trouva,
arrêtée,
une colonne française . . .
Oui!
Djigui était nez
à
nez
avec
une
vraie colonne
francaise. Les
nazaréens
étaient
entrés
à
Soba
par la colline Kouroufi,
par Kouroufi truffée de
sor t i l è 9 es! Ils
l'avaient
escaladée
comme
s' enj ambent
le
seuil
de
la
case
et
les
cuisses
d'une
femme
déhontée;
s'étaient
emparés
de
l'arsenal.
Sans
tirer
un
coup
de
fusil!
Sans
faire
hurler
un
chien!
Sans
tuer
un
poussin!
Sans
effarer
une
seule
poule
couvant
ses
œufs!
Monnè :34
Si le roi Djigui, au pouvoir mystique notoirement connu navait organisé
et dirigé en personne tous les rites sacrificiels censés rendre inexpugnable le
royaume la prise de Soba eût pu passer pour un événement de moindre gravité
au double plan psychologique et moral Mais cette pénétration étrangère qui est
comparable à une véritable promenade de santé, est apparue à tous et, en

31
particulier au centenaire, comme une inqualifiable humiliation. C'est que, pour
être la démystification totale de la magie noire censée préserver le royaume de
toute agression étrangère. l'avènement sans impunité des Européens n'en est pas
moins le signe précurseur de la désagrégation d'une société naguère fière et sûre
de I·excellence de ses valeurs. Triple humiliation donc pour Djigui: d'abord
comme un homme au pouvoir surnaturel exceptionnel défait; ensuite comme
patriarche dépositaire des valeurs de civilisation autochtones, de leur pérennité;
enfin. en tant qu'homme politique naguère omnipotent, bientôt vassal de maîtres
étrangers.
L'âge du pouvoir,
comme nous espérons l'avoir montré, constitue, du
fait de la similitude des désagréments et des afflictions n)Qrales subis, l'un des
pOints où la symbolique des protagonistes se rejoint
Le second point est tout
naturellement leur signification.
1-1- 4-2 Signification des protagonistes
Fama Doumbouya, prince non couronné de la dynastie du même nom et
Djigui Kéita, roi descendant de la lignée Soundiata Kéita sont d'abord, par leur
ascendance, les légitimes représentants de l'anCienne aristocratie malinké. Ainsi
leur histoire traduit-elle en priorité, l'histoire de cette classe sociale qu'ils
assument et leurs malheurs, déchéances et décès signifient avant tout, les
déconvenues et la déchéance de cette aristocratie pré-coloniale. Mais toute
symbolique fonctionnant de façon dynamique, c'est-à-dire évolutive et extensive,
on peut légitimement penser que cette aristocratie pré-coloniale elle-même est le
représentant synecdochique de l'ensemble du monde traditionnel africain pré et
post-colonial. Ainsi, l'attachement indéfectible et Inconditionnel des protagonistes
aux valeurs ancestrales en font-ils également des dépositaires de celles-ci Dans
cette méme logique, leur disparition tradUit aussi la fin d'une époque et d'un
monde dont le mode de fonctionnement, trop brusquement prOjeté au devant
dautres valeurs d'Importation n'a pu ou su s'accommoder de celles-ci Ainsi, les

32
supplications de Bakary à l'adresse de Fama lorsque celui-ci recouvre à nouveau
la liberté, valent-elles pour un douloureux constat. L'ex-détenu a en effet pris la
décision irrévocable de rentrer définitivement dans son village natal et ce, en dépit
de la promesse d'une immense fortune faite par le président de la République lui-
même, en vue de redorer son image politique ternie. Apprécions ci-dessous
l'entreprise de charme parfaitement réaliste de Bakary:
_Ecoute,
Fama!
On
ne
part
pas
quand
on
a
la
possibilité d'avoir de
l'argent,
d'avoir une
situation,d'être
quelqu'un,
d'être
utile
aux
amis et aux parents. Que feras-tu à Togobala? La
chefferie
est
morte. Togobala
est
fini,
c'est un
village en ruine.Tu n'es pas une feuille d'arbre
qui
jaunit et tombe quand la saison change.Les
soleils
ont
tourné
avec
la
colonisation
et
l'indépendance;chauffe-toi
avec
ces
nouveaux
soleils( ... ).
Adapte-toi!
Accepte
le
monde!
Ou
bien est-ce pour les funérailles de Balla que tu
veux
partir'?
Mais
les
funérailles,
ça
peut
toujours attendre.
Reste,
Fama! Le président est
prêt à payer pour se faire pardonner les morts
qu'il
a
sur la conscience,
les
tortures
qu'il
vous a
fait subir;
il est prêt à payer pour que
vous ne parliez pas de ce vous avez vu.
Profice
de cette aubaine!
Buvons ensemble le lait de
la
vache de tes peines. L'argent que tu as en poche
n'est
qu'un
grain
de
foin
en
comparaison
du
panier que tu recevras.
Les Soleils:
189-190.
L'intervention de Bakary pour tenter de dissuader son ami dans l'application de sa
résolution de vivre désormais à Togobala, est loin d'être désintéressée, Il ne s'en
cache d'ailleurs guère pUisqu'il affirme une première fois: «
On ne part pas
quand on a la possibilité (
) d'être utile aux amis et aux parents », ce qui sous-
entend, «
ne pars pas Fama, car mOI Bakary, Je compte aussI sur tOI »
Il
réaffirmera et de façon on ne peut plus éloquente, ce soutien qu'il attend de son

33
ami Fama: «
Buvons ensemble le lait de la vache de tes peines »
Par la valeur
aSSOCiative du pronom personnel nous Intégré elliptiquement à l'Impératif
buvons et qui inclut à la fois l'énonciateur et l' énonciataire, on se rend compte à
quel pOint Bakary entend bien jouir avec son ami du fruit de ses peines Ladverbe
ensemble atteste et corrobore pariaitement cette volonté manifeste d'association,
cest-a-dlre en définitive, l'opportunisme égocentrique de Bakary. AUSSI, sa
jéceprlon est-elle grande devant l'insuccès de sa tentative de séduction. Le
passage qui suit marque bien à ce propos, l'IIlconsolable déception de Bakary
Fama,
en mourant tu te rappeleras d'avoir été
un mallvais
ami.
Je comptais
sur
toi
pour vivre
le reste de mes
jours et gagner de l'argent. Tu
me laisses dans le désespoir,
tu es un mauvais
ami.
Les Soleils
:191.
Comme Fama, le centenaire Ojigui n'a pas compris que les valeurs ont
change. que la pénétration étrangére a provoqué une crise des valeurs et que
celles ae son époque mises à mal, ne peuvent plus régenter le nouveau monde
en gestation.
AUSSI,
pour ne l'aVOir pas compris (a-t-Il seulement voulu
comprendre? Et même le pouvait-il vraiment?), il se couvma de ridicule lorsqu'il
réalise 1abjection politiCienne de son propre fils Béma Imposé par les nouveaux
maîtres de Soba, il brandit la menace de la sanction suprême. C'est l'exil
volontaire qUI est le procédé par excellence d'invalidation de tout pouvoir usurpé
En effet. n'ayant pas réussi à convalllcre son père de se présenter à son meeting
politique pour réfuter les allégations mensongères de son frère et adversaire
politique Kélétigui d'une part, et soucieux de consolider son estime auprès de ses
alliés européens d'autre part, Béma a Signé de sa propre main, un document fort
Important mais compromettant pour OJigUi en prétendant que cest ce dernier qUI
la signe Ignorant cette machinatIon cle génie, le commandant Lefort est allé en
exprimer toute sa gratitude au centenaire

34
Je
v lens,
moi
le
commandant
Lefort,
comme
commissaire
du
gouverneur de
la
colonie
vous
féliciter et vous remercier au nom de la France.
La signature de la déclaration,
votre démission
du parti antifrançais sont des actes
hautement
sages et courageux. Monnè : 274.
Le patriarche. dans un accès de colère indignée s'écrie
-Quelle déclaration? Quel
papier? Qui
l'a
vu?
l'a dit? Ce sont des menteurs! des menteurs!
Monnè! Monnè!
Intolérable monnè! Odieux monnè!
Etouffé de colère et d'indignation, le centenaire tombe d'abord en syncope
Revenu à lui, Il prend ensuite la très grave décision d'appliquer la sanction de
l'exil. à condition que Béma se montre honnête en faisant aveu de sa machination
Djigui allait vivant entrer à Toukoro! Toukoro,
le village.Immédiatement,un envoyé alla préciser
à
Béma que si,
pour son malheur et celui de la
dynastie,
i l
n'arrivait
pas
sur-le-champ
au
Bolloda,
Djigui aurait atteint Toukoro.L'entrée
du
patriarche
des
Kéita
à
Toukoro
signifierait
qu'il
aurait
en
abdiquant
renoncé pour
toute
la
dynastie des Kéita
à
toute prétention au pouvoir
à Soba:
Béma perdrait toute
légitimité,
ce qUI
aurai t
pour
lui
et
le
pays
des
conséquences
catastrophiques. Monnè :275.
Réaction dériSOire autant que pathétique d'un homme absolument dépassé par
les événements d'un monde qui lui est hostile et auquel il ne survivra pas
Fama et Djigui. les deux personnages principaux des romans de Kourouma se
ressemblent encore en bien d'autres points que l'étude succincte qui précède est
loin d'avoir épuisés. Toutefois, comme figures symboliques, Fama et Djigui

35
confèrent aux romans de l'auteur d'autres valeurs. Ce sont notamment les valeurs
de documents historique et sociologique.
Section 5-1-1-5 Valeurs des œuvres
Est-II encore beSOin après le postulat introductif et la brève étude sur la
fonction
symbolique
des
personnages,
de
préciser
notre
approche
méthodologique? L'Investigation sur la «
socialité »
du discours romanesque
selon le terme de C. Duchet, n'a en effet que trop trahi l'orientation sociocritique
de
notre démarche interprétative. La question essentielle qu'il eût été utile de
poser, SI sa résolution ne nous faisait courir le risque d'une diversion, est celle de
la "vérité" romanesque,
à savoir si le roman peut être l'exacte réplique de la
réalité. Or, on ne peut poser une telle question et en éluder ses corollaires
philosophiques et épistémologiques pourtant trop théOriques et généraux: débat
sur "antériorité ontologique entre réalité et imaginaire dans le fait romanesque, le
problème de la mimésis. l'élucidation et la connaissance du réel, la question
même du réalisme ... On le voit, c'est une question éminemment complexe qui
soulève un ensemble de problèmes dont le développement excéderait à n'en pas
douter, notre propos actuel. Aussi, soucieux de serrer de plus près notre centre
d'intérêt. nous nous limiterons à l'explicitation du postulat initial. Celui-cI stipule
que toute création humaine est toujours une projection de soi dans le monde et
vice-versa. un prolongement du monde dans l'œuvre ainsi créée. En effet.
l'HistOire interVient toujours dans le fait romanesque, inspire toujours la capacité
Inventive de l'écrivain, que ce soit par médiation ou par Immédiation. Cette
postulation de l'inter-influence entre l'art en général, et spécialement la littérature
et la société, Daniel Madélénat la pose clairement en affirmant:
L'art
est
une
activité
sociale,
l'œuvre
esthétique
ne
s'isole
pas
d'un
environnement
religieux,
politique,
culturel,
économique,

36
VOlre
technique,
bref
d'un
ensemble
d'institutions,
de mentalités,
d'idéologies,
de
savoirs,
d'attitudes
proprement
sociaux. 8
Cela ne signifie pas que le rôle de l'imaginaire est nié, ni que les contraintes
sociales du fait romanesque ne laissent aucune liberté au romancier dans la
modulation et l'exploitation qu'il fait des éléments que le répertoire référentiel (la
société) lui propose.
Il en dispose au contraire bien à sa guise selon ses projets
esthétiques. ses fantasmes, ses convictions personnelles, son génie créateur. On
peut même dire dans ce sens que la fiction romanesque développe un
microcosme autotélique. Mais ce qu'il est difficile de concevoir. et a fortiori
d'admettre, c'est l'affirmation d'une sui-référence absolue du roman d'une part, et
1inexistence du mOindre interstice médian entre lui et la réalité objective d'autre
part Mais, peut-être sommes-nous là victime de l'incurie sociocritique sous-
tendue par la croyance en un pré-requis inéluctable
l'anthropocentrisme
congénalre de l'homme qui déteint dans tous ses rapports au monde, et
par
conséquent dans sa création aussi
Qu'on y prenne bien garde. Nous ne nions
pas à la fiction sa logique intra-textuelle qui, elle aussi s'impose au romancier qui
ne peut la travestir ou l'ignorer sans évider l'esthétique romanesque de sa
substance.
En réalité, il n'est pOSSible à aucun écrivain d'y échapper et de toute
façon, cela est absolument Inconcevable à la base. Ce que nous affirmons sans
pousser à l'hypertrophie la valeur sociale de l'œuvre romanesque. c'est que, de
façon directe ou Indirecte, la société constitue l'invariant de tout procès créatif En
effet la littérature Ile sera Jamais la copie exacte de la société -
encore qu'entre
l'original et sa copie. il existe déjà une distance -
mais seulement une tentative
IllUSionniste de ses apparences C'est ainsi en partie que l'écrivain assure à son
œuvre. un ancrage social par l'évocation d'événements à historicité établie et
1allusion à des éléments architecturaux ou à des lieux géographiques connus.

37
1-1-5-1 Valeur de document historique
Chez
Kourouma,
la
valeur
de
document
rlistorique
se définit
precisement par l'évocation de faits historiquement authentiques.
AinsI dans Les
solet/s. le souvenir du bonheur de l'époque pré-coloniale (dans la mesure où la
société vivait en autarcie, renfermée sur ses propres valeurs), l'époque coloniale
elle-méme. ses corollaires, les luttes émancipatrices sont rappelés par Fama aux
pages 21-22.
On y retrouve également à la page 162, la peste de 1919 qUI séVit
atrocement dans cette partie de l'Afrique, l'expulsion de la Côte d'Ivoire des
ressortissants du Dahomey (actuel Bénin) à la page 89.
Par-dessus tout, on ne
peut s empêcher de penser au complot présumé de 1963: agitations politiques
(Les Soleils: 160) sUivies d'arrestations arbitraires et d'incarcération d'hommes
politiques et d'intellectuels redoutés, la mort dans des conditions mystérieuses du
ministre Nakou aux pages 163 et 173 respectivement, et qui rappelle étrangement
celle du président de la cour suprême d'alors. Monnè aussi évoque des faits bien
établis tels que l'envahissement de Soba par les troupes du colonel Archinard à la
fin du XIXe siècle à la page 34 et la défaite du grand résistant Samory Touré à la
page 45
Sont également explicitement nommées dans ce roman. les deux
granaes Guerres aux pages 85,
109 et 111, les joutes électorales pour
l'assemblée contituante suite à la loi-cadre de 1957 à la page 234,
et la VictOire
du R DA
à la page 238 de Félix Houphouet-Boigny, nommément cité
Les
guerres
d'Algérie
et
d'Indochine,
l'épidémie
de
méningite
qui
décima
Impitoyablement cette Afrique-là sont aussI rappelées aux pages 263 et 204-205
Toutes ces évocations d'événements historiquement authentiques confèrent aux
romans de I<'ourouma. une certaine valeur de document historique A cette valeur
s·ajoute une autre, sociologique celle-là, et qui Intéresse aussi bien l'Afrique
traditionnelle en général, que la SOCiété malinké en partIculier

38
1-1-5-2 Valeur de document sociologique
L'enracinement des œuvres de
Kourouma dans le terroir malinké se
traduit aussI par une description réaliste de la société traditionnelle, de la
mentalité et de la cosmogonie des hommes, leur rapport à la nature. Ce tableau
serait inachevé si les us et coutumes, l'art et surtout les croyances n'y figuraient.
C'esT en effet la somme de ces éléments culturels qUi font la spécificité de chaque
peuple. qui conférent aux romans de Kourouma, leur valeur de document
sociologique. Lune des caractéristiques fondamentales de cette société, c'est
d'abord sa hiérarchisation en cloisons étanches. Il existe d'un côté, la classe des
nobles et de l'autre côté, celle des non nobles et des esclaves. Ce qUI explique la
colère Indignée de Fama lorsque pour un léger retard du prince à la cérémonie
funéraire de Koné Ibrahima, le gnot préposé à l'animation ose faire un amalgame
outrageant en associant les Doumbouya avec les Kéita. AVilissement, déshonneur
et humiliation ineffables tout à la fois pour Fama. On notera particulièrement dans
ce sens la caracténsation de l'affront qui explicite le degré de gravité de l'infamie:
-
Un retard sans
inconvénient;
les coutumes
et
les
droi ts
des
grandes
familles
avaient
été
respectés;
les
Ooumbouya
n'avaient
pas
été
oubliés.
Les Princes du Horodougou avaient été
associés avec les Kéita.
Fama
demanda
au
griot
de
se
répétér.
Celui-ci
hésita.
Qui
n'est
pas
malinké
peut
l'ignorer:
en
la
circonstance
c ' é t a i t
un
a f f r 0 n t ,
un
affront
à
faire
éclater
les
pupilles.
Qui
donc
avait
associé
Doumbouya
et
Kéita?
Ceux-ci
sont
rois
du
Ouassoulou
et
ont
pour totem l'hippopotame et non la panthère.
D' un
ton
ferme,
coléreux
et
indigné,
Fama
redemanda
au
griot
de
se
répéter.
Les
soleils : 11 12.

39
Cest un sentiment de même nature que provoque chez Djigui, l'impertinente
inSistance du messager de Samory En effet, devant l'irrésistible ascension de
l'armée conquérante, le grand Samory lui-même, véritable stratège militaire,
conseillait à ses pairs une désertion pure et simple de leur royaume. Mais Djigui
avait une foi Inébranlable en ses forteresses qu'il avait fait édifier autour de Soba
et qUI devaient rendre son royaume Inexpugnable. Oès lors, Il ny avait aucune
raison de faire désertion, ce d'autant plus que les sacrifices expiatoires avaient été
agréés par le destinataire et qu'en outre, Soba était assuré de la protection divine
en récompense à sa grande piété.
Mais le messager que l'expérience a instrUit
est persuadé de l'inefficacité des arguments militaires et mystlco-religieux dont se
prevalent ceux de Soba. Il essaie donc d'en convaincre le roi Djigui après avoir
visité les forteresses:
Les marabouts et
les sorciers de Soba allèrent
immol.er sur Les pierres et:. les murs du
ta ta des
mouLons,
des bœufs,
des poulets et même un nain
et un albinos.
Dans les ultimes tressaillements
des
victimes,
les
devins
lurent
que
les
sacrifices étaient acceptés.
Les heureux augures
furent
confirmés
par les
cris
et
les
vols
des
charognards ec par le brutal changement de sens
des souffles des vents.Fièrement,
Djigui annonça
les
bons
présages
au
messager
qUl,
ostensiblement, manifesta un certain agacement;
il ne comprenait pas l'entêtement du roi.
Djigui
se
fâcha;
le roi
ne pouvait
accepter de
la part
d'un
griot,
un
honune
de
caste,
une
certaine
attitude
à
son
endroit.
Il
le
regarda
fixement;
le
griot
entendit, s'excusa
et
se
prosterna.
Nonnè
: 32.
La colère du roi est amplement Justifiée. Pour lui en effet, chacun dOit s'employer a
Jouef ,\\li mieux son rôle el1 assumant son statut SOCial et les règles du
clOisonnement qUI demeurent irréversibles
Les griots dOivent rester les

40
thuriféraires éternels des nobles, même déchus. Esprit de coterie, sens de
1honneur, respect obséquIeux de l'âge mais aussi croyance aux mânes, en la
survie de l'âme et présence du surnaturel dans l'imaginaire collectif les romans
de Kourouma en foisonnent d'exemples. Les soleils s'ouvre ainSI sur une
information d'ordre mystico-religieux au lecteur. Celui-ci découvre en effet, non
sans surprise, comme une chose apparemment naturelle chez le Malinké, la
présence parmi les vivants d'un défunt accomplissant des tâches quotidiennes.
L'ombre du défunt marche, fait du rangement à son domiCile. En somme, il mène
une vie normale après la vie:
Il
Y avait
une
semaine
qu'avait
fini
dans

capitale
Koné
Ibrahima,
de
race
malinké,
ou
rlisons-l.e en malinké:
il n'avait pas soutenu un
petit rhume ...
Comme
tout
Malinké,
quand
la
Vle
s'échappa de ses
restes,
son ombre se
releva,
graillonna,
s' habilla
et
parti t
par
le
long
chemin pour le lointain pays malinké natal pour
y
faire
éclater
la
funeste
nouvelle
des
obsèques.
Sur des pistes perdues au plein dans
la brousse inhabitée,
deux colporteurs malinké
ont rencontré l'ombre et l'ont reconnue. L'ombre
marchait vite et n'a pas salué.
Les colpor~eurs
ne
s'étaient
pas
mépris:
«
Ibrahima
avai ~
fini.»,
s'étaient-ils
dit.
Au
village
na~al
l'ombre
a
déplacé
et
arrangé
ses
biens ( ... ) .
Les soleils :7
Cet extrait rompt les barn ères entre réel et imaginaire,
réconcilie réalité et fiction
et corrobore en définitive, l'unité primitive de tous les étants selon la cosmogonie
africaine traditionnelle Celle-ci se trouve également exprimée dans Monnè
C'était
habituel,
connu
et
courant chez
nous:
les
zombies
de
ceux
qUl
viennent
de
mourlr
quittent
le
village,
marchent
et
sont
souvent

41
rencontrés et vus par les voyageurs.Monnè
12
Une autre réalité du monde malinké, et plus généralement du monde traditionnel
africain est la fervente croyance aux génies et aux mânes des ancêtres, capables
de régenter l'existence des vivants. Ils peuvent agir négativement ou positivement
sur le sort de chacun. Dans ces conditions, l'importance de j'oracle, le poids et la
crainte des spécialistes des sCiences occultes, médiateurs présumés entre les
hommes et leurs protecteurs, est indéniable. Capables de lire l'avenir, ils sont
solliCites quotidiennement pour prévenir ou conjurer un malheur avec les
sacrifices appropriés. Tout projet sérieux doit s'entourer de toutes les garanties de
succès en subIssant l'épreuve de l'oracle, en se soumettant à son Jugement:
Un
voyage s'étudie:
on consulte le sorCler,
le
marabout,
on cherche le sort du voyage,
qUl se
dégage
favorable
ou
maléfique.
Favorable,
on
jette
le
sacrifice
de
deux
colas
blancs
aux
mânes et aux génies pour les remercier( ... ).
Les
soleils:
151.
Pour comprendre de telles pratiques, Il faut les intégrer à l'ensemble de la
cosmogonie afncalne traditionnelle. Nous avons là en effet, une autre dimenSion
de la VISion profondément organique du monde, un monde où cohabitent dans
une parfaite symbiose, les dieux et les hommes, les vivants et les mânes des
ancêtres. les animés et les choses. Le rapport de l'homme à la nature est d'une
communion SI totale que toute IncondUite, toute démesure humaine provoque
systématiquement un bouleversement, signe de rupture de l'harmonie pnmltive
entre les forces naturelles et les Individus. A preuve, les pleurs des femmes à la
vue de Fama venu aux funérailles de Laclna déchaînent la fureur de la tempête.
Cest que ces pleurs étalent absolument Incongrus car le défunt avait été enterré
depUIS de très longues années:

42
La
cour
étai t
toute
jonchée
de
pleureuses,
asslegee par une légion de curieux et une meute
de cabots, survolée par un nuage de charognards.
C'en
était
trop
et
irrémédiablement
cela
provoqua le sirocco qui a surgi sous forme d'un
de ces prompts,
rapides et violents tourbillons
de poussière et de kapok( ... ).Le vent renversa,
arracha,
aveugla
et
le
vacarme
s'arrêta.
Les
soleils
:107.
Une réaction d'hostilité identique à celle-là est également provoquée dans Monné
à cause de l'obstination du roi Djigui à commander des offrandes au-delà du
raisonnable
Là encore, la rupture de l'harmonie se manifeste par des scènes
pittoresques avec l'attaque des humains par les animaux. L'offenSive de ceux-ci
oblige les victimaires à chercher refuge dans les habitations pour échapper à la
mort. Mais il ne sagit là que d'une solution bien trop précaire pour apaiser la furie
de la nature, car «
cette fois l'univers révolté ètait définitivement troublé Même
les fauves de la nuit étaient sortis en plein soleil »
( Monné. 14). Si Kourouma
propose des tableaux si colorés de la psychologie du Malinké traditionnel où des
événements historiquement avérés apparaissent comme des épiphénomènes, si
les us et coutumes sont présentés avec une telle réussite, cela procède avant tout
de la connaissance effective de ce monde par l'écrivain. Et les mdices
autobiographiques identifiables dans les œuvres, viennent attester la part réelle
prise par l'auteur et les siens dans l' histoire anecdotique des romans.
Section 6-1-1-6 Des indices autobiographiques
Les notes biographiques et l'étude sur la valeur des œuvres ont donné un
aperçu de l'implication effective de l'auteur dans l'histoire vécue et que rapportent
les romans CecI est davantage vrai pour les allUSions à la guerre d'Indochine
le complot présumé de 1963 et ses corollaires ... Mais le rapport au réel des
œuvres prend aussi appui sur 1 ascendance familiale même de l'écrivain dont les

43
parents ou proches servent parfois à la création de certains personnages.
De ce pOint de vue, les origines nobles des personnages principaux ont l'allure
d'une projection de l'ascendance personnelle de Kourouma et peut constituer de
ce fait même.
le premier Indice autobiographique Mais l'hommage aux siens va
bien plus loin, car l'auteur confie volontiers que le personnage de Fama est l'alter
ego de son grand-père. CelUI-ci se nommait Abdoulaye, et SI Fama n'en est pas
le sosie, du mOins lui ressemble-t-il beaucoup physiquement. " en est de même
pour Balla chargé d'incarner jusqu'au nom signifiant «
porc-épic », une
personne qui fut effectivement très proche de la famille de l'auteur. " n'est pas
même Jusqu'à la génèse de la dynastie Ooumbouya qui ne soit d'origine familiale.
f<ourouma lUI-même donne parfoIs procuration à ses personnages qUI deviennent
alors son porte-voix Ainsi cie Fama dont il reconnaît que bien des pensées du
personnage sont les siennes propres, notamment au sujet des Indépendances et
des espérances restées vaines.
Eu égard à ce qui précède, on peut affirmer que
I·ancrage des œuvres de Kourouma dans l'Histoire et le vécu quotidien est une
réalité
Et c'est sans doute parce que, aussi bien les personnages que les
événements dans une large mesure tiennent du réel, que les romans gardent
cette sincérité touchante située à l'antipode des modalités de vraisemblance.
Quant aux personnages, Ils permettent aux œuvres de garder une certaine
constance voulue par l'éCrivain.
Et,
parce que les romans prennent place dans
une même
société,
de nombreux thèmes de seconde importance sont
particulièrement récurrents de part et d'autre. Le tableau ci-après qUI achève ce
chapitre n'en présente qu'un répertoire indicatif.
Section 7-1-1-7 Tableau des thèmes réccurrents

44
Les Soleils
Thèmes/ Situations
Monnè
7
Errance de
122
fantôme
99 -100
Prophéties du
17 - 18
messager
99 - 102
Histoire des dynasties (la
277
mémoire de l'origine de leur
ascendance revient aux héros
lorsqu'ils prennent conscience
de leur fin proche)
109 -116
Le Malinké
14
musulman et
fétichiste
123
89
Rêve
cauchemardesque du
héros
147
Réaction de la nature
13-14/ 97
troublée (par l'abondance
de sang de sacrifice)
151
Obstination du héros
31-34/ 121-122

45
Conclusion
Avec l'accession à l'indépendance des pays africains, le rôle historique de
la Négritude, mère lOintaine du roman africain d'expression française échOit dans
son militantisme social, à une nouvelle génération d'écrivains. Toutefois, avec
ceUX-Ci le sens du combat s'introvertit, les écrivains s'attachant désormais en
priorité à cette Afrique en gestation. Presque simultanément à ce renouvellement
thématique, des démarches formelles sont entreprises qui ouvrent le roman à la
littérature orale. Parmi ces auteurs, figure A Kourouma dont nous voudrions
espérer que l'étude qui précède aura permis de le faire connaître davantage En
effet. ce travail préliminaire était indispensable, non seulement parce qU'II vise à
une bonne Intelligence des démonstrations à venir, mais encore, parce qu'en
dépit de la bonne fortune de ses œuvres, Kourouma n'a pas la notoriété mondiale
de L S Senghor ni d'Aimé Césaire. Notons par-dessus tout que la désobéissance
de 1homme à l'autorité hiérarchique, sa révolte contre toutes les formes
d'oppression inique témoignent d'un désir de liberté que tradUit son esthétique
littéraire Le chapitre sUivant permettra d'apprécier ce désir indomptable de liberté
au niveau de la production romanesque de l'éCrivain. Le but est de montrer que la
forme lirtéraire de Kourouma qui emprunte beaucoup à la tradition orale est sous-
tendue par une quête de crédibilité discurSive qui trahit une crise plus profonde,
celle dune certaine identité culturelle africaine Ambition légitime si elle en est, la
recherche de cette Identité n'est pas moins sujette à controverse. En effet, comme
nous le montrerons bientôt, le projet d'une certaine identité culturelle africaine
soulève des questions essentielles qui, de l'avis même des africanistes les plus
optimistes. et eu égard à l'impossibilité actuelle de satisfaire aux conditions tant
andogènes qu'exogènes, resteront pour longtemps encore en suspens En fait la
réalisation d'une telle ambition aussi légitime Salt-elle, paraît assez utopique.

46
1 - D
Madélénat. «
Littérature et société »
in Précis
de
littérature
comparée Presses Universitaires de France, 1989, p 120.
2 - Le complot présumé sera officiellement démenti en 1970 par feu Félix H.
Boigny lui-même. alors président de la République Lire à ce sUjet J Baulin. La
Politique intérieure d'Houphouet Boigny. Eurafor Press, 1982.
3 - Au cours de l'entretien qu'il a bien voulu nous accorder à son domicile de Lyon
le 25 août 1992, l'auteur nous a fait la confidence de l'imminence de la retraite de
l'administrateur au mois de novembre de la même année. Il regagnerait ensuite la
Côte d'Ivoire.
4 - J
Mazaleyrat & G. Molinié. Vocabulaire de la stylistique
Presses
Universitaires de France, 1989, P 118.
5 - L'ivoirisme est une sorte de français populaire parlé en Côte d'Ivoire. " se
caractérise entre autres, par sa tendance à la postposition de l'article défini,
comme de dire par exemple, «La femme-la est jolie». Peuvent également y être
Incluses. les hypostases impropres comme la transformation en verbe du
substantif moyen, ayant valeur du semi-auxiliaire pouvoir: «Je moyen te
frapper»
Des Interférences linguistiques traitées ici même en font aussi partie
6 - Cité par J C Nicolas in Comprendre Les Soleils des Indépendances
d'Ahmadou Kourouma. Editions Saint-Paul, 1985, p 5.
7 - J. Chevrier. Littérature nègre. A Colin, 1989, p 99.
8 - O. Madélénat op. cit, p 105.

47
CH.2
L'APPORT
DE
LA
TRADITION
ORALE
DANS
L'ECRITURE
KOUROU MIENNE
Introduction
L'ing3gratlon de la tradition orale au roman est une démarche que nous
.......--.:.--_----.;.---=-~-.:-.:.---...............
avons souvent soulignée comme participant à l'originalité du style de Kourouma.
Le moment est venu de Justifier une telle affirmation de mettre en relief le tribut de
l'écrivain à cette tradition. Mais, eu égard au fait que le concept de tradition orale
et ses variantes suscitent parfois un débat théOrique, l'élucidation de cette
question est un préalable à lever avant toute démonstration Que faut-Ii entendre
par tradition
orale?
Dans sa
définition qu'en
propose Le Petit
Robert
(Dictionnaire de la langue française) le lexicographe écrit à propos de tradition:
«Information,
plus
ou
moins
légendaire,
relative
au
passé,
::.ransmise
cl' abocd
ocalement
de
Cjénération
en
Cjénération;
ensemble d' informations
de ce genre>>.1 En dépit de quelques lacunes
(l'imprécision sur la nature des informations par exemple), cette définition illustre
::!en un postulat à valeur universelle, j
savoir qu'il n'existe aucune société
humaine qui n'ait pas (ou qui n'ait pas eu) de tradition. Il sagit par conséquent
dun postulat valide pour les SOCiétés à long passé scriptural, et plus encore pour
celle dont la mémoire seule constitue le dépositaIre des valeurs qUI font leur
spéCificité En effet, bien plus que de simples «
informations », il conviendrait de
parler d'activités SOCiales réelles intégrées au patrimoine culturel
A ce titre, la
définitIon que propose Le Dictionnaire de la langue française 2 est plus
satisfaisante. La tradition est, peut-on lire, la «communication,
sur
une
iongue durée de génération
(par des actes et des
paroles et en
del10cs de
J'écriture),
Je coutumes,
de récits,
de doctrines»
mais également 1'«
ensemble de récits
et d' usages
ainsi
transmis

48
dans
un
groupe>>. Un problème se pose alors à ce niveau qUI est relatif à la
nature de la transmission de ces valeurs. C'est celui du degré de crédibilité et de
fidélité par rapport au texte du message original
Comment conserver et
transmettre à travers le temps et sans risque de déperdition, l'expérience humaine
sur la foi exclusive de la mémoire d'une personne? En effet, le griot ou le conteur
est le dépositaire essentiel de l'Histoire dans les sociétés de tradition orale, et
seule sa mémoire sert de critère d'authenticité de l'expérience humaine. Du fait de
['oubli, les risques d'une sélection Involontaire sont par conséquent réels. Un
constat de terminologie s'Impose cependant,
lié au caractere de cette
communication. On comprend en effet
pourquoi, en raison de la modalité orale
de la pérennisation du
patrimoine, on a pu arriver au concept de tradition orale.
Cela répondait sans doute à une certaine exigence de précision sémantique,
méme SI. Il est vrai, le concept semble être assez pléonastique En fait. le concept
est révélateur de l'opposition classique scnpturalité-oralité. opposition qui, elle-
même pourrait susciter quelques critiques normatives, surtout par rapport au
concept de
«littérature orale traditionnelle ». L'oralité et la scripturalité
informent en effet des moyens de communication différents. Alors que l'une définit
!a propriété exclusivement auditive de la perception du message émiS. l'autre se
caractérise par la propriété exclusivement visuelle de la perception du message
ecrit. Chaque type de communicantlon ayant ainsi ses corrélatifs spéCifiques où ce
qUi est éCrit (littérature) s'oppose à ce qui est proféré (oral), il paraît a pnon
absolument contradictoire et aberrant de parler de littérature orale. Que répondre?
SI la réaction qui pourraIt s'opposer à la Justesse du concept de littérature orale
nest pas absolument injustifiée, elle est cependant irrecevable en raison de son
étymologlsme, car c'est bien d'étymologlsme qu'il s'agit dans le raisonnement. Or
de nos jours. l'extension du terme «
littérature »
à tout ce qUI est usage
esthétique du langage, quil soit de nature scripturale ou orale fait que le concept
sest logiquement imposé dans la terminologie de la critique littéraire. Nous ne
ien sortirons pas. A preuve, nous en usons comme variante du premier. " en va

49
de même pour l'oralité traditionnelle. Ainsi le concept de tradition orale (Iittéîature
orale ou oralité traditionnelle) sera-t-il entendu au sens densemble des genres
oraux à fonction ludique, didactique, philosophique, constituant une partie des
valeurs culturelles et du patrimoine commun d'un peuple. AinsI également,
mythes légendes, proverbes, contes. (taxinomie dont le caractère opératoire est
toujours sUjet à caution en milieu traditionnel africain) sont des éléments
constitutifs de la littérature orale. Nous utiliserons surtout l'exemple des contes
pour souligner l'apport de la tradition au style de Kourouma dans une brève étude
d'intertextualité De façon générale, on peut dire que les emprunts à la tradition
concernent aussi bien le contenu (l'histoire anecdotique romanesque) que la
<------
forme. c'est-à-dire la narration. Mais par-dessus tout, Il est à noter que
~
l'intégration de la littérature orale traditionnelle au roman répond chez Kourouma
autant à une ambition culturelle qu'à l'élaboration d'une esthétique romanesque
se situant dans le prolongement d'une crise identitaire plus profonde. celle
suscitée par l'usage du français comille support linguistique de la littérature
africaine

51
romanesque qui
s'en
inspire est l'hypertexte.
On pourrait objecter que
l'intertextualité ne s'applique qu'à des textes écrits et qui ont des auteurs
pariaitement Identifiables, mieux, pariaitement connus. Or, tel n'est pas le cas de
la littérature orale traditionnelle qUI, en tant que patrimoine public, n'est en général
la création ou la propriété privée d'aucun membre de sa société d'origine.
Dans
ces conditions, ne sommes-nous pas en porte-à-faux avec les principes
fondamentaux des études d'intertextualité? N'est-ce pas impropre, en d'autres
termes. de parler d'influence entre la littérature orale traditionnelle et des œuvres
romanesques?
Pour éviter tout enlisement dans un débat sans doute intéressant
mais dont le développement, dans le cadre de notre propos actuel serait on ne
peut plus Inopportun. tranchons la question tout de sUite
La justification à l'emploi que nous faisons du concept de littérature, à
savoir son extension à tout ce qUI est usage esthétique de la parole,
est encore
recevable pour notre brève étude d'intertextualité. Et, si le recueil, la traduction et
la publication des recits oraux traditionnels narrlvent pas toujours à résoudre
complètement la question de la propriété de ceux-ci, ni par consèquent à les sortir
de l'anonymat, on ne saurait récuser leur littérarité dès lors qu'ils sont publiés. Il
s'ensuit qu'il n'y a aucune impropriété à parler des influences intertextuelles entre
littérature orale et roman Poursuivons par conséquent. Dans son intervention au
colloque 3 sur la survivance du mythe dans la littérature africaille moderne. Jean
Derive montre bien que l'histoire de Balla est inspirée des «
récits mythiques tels
quon les trouve dans les chants de chasseur malinké ("ngoni donkili" ) ». Dans
ces conditions, qui, mieux que Derive lUI-même saurait proposer un résumé
commenté de l'hypotexte où le chasseur Ba Mari affronte un éléphant fabuleux du
nom de kowulen (le «
dos rouge »
)? Citons-le donc:
Après
avoir décoché en
vain
un coup de
fusil,
pourtant
particulièrement soigné,à
kowulen,
le
chasseur est poursuivi:Ba Mori se Lransforme en
fossé,
kowulen se transforme en eau,Ba Mari se

52
transforme
en
mouche,
kowulen
en
abeille,
Ba
Mori se transforme en pintade,
kowulen en aigle,
Ba Mori se transforme en margouillat,
kowulen en
gamin; et
à
la
fin,
on
retrouve
la
scène
qui
ouvre le combat chez Kourouma:le chasseur jette
son
fusil
en
l ' a i r

i l
reste
miraculeusement,et s'asseoit dessus pour tenter
d'echapper à son poursuivant. 4
Le réCit hypertextuel est par conséquent un collage qui traduit la survivance de
l'imaginaire cOllectif du monde rural où le merveilleux joue un rôle important. Il est
ainsi de notoriété publique que tout chasseur de réputation possède un pouvoir
surnaturel capable de le prémunir des périls liés à l'exercice de son métier. A ce
titre. le résumé commenté de l'hypotexte ci-dessus est une illustration de ce
postulat que consolide par ailleurs, l'hypertexte du combat du chasseur Balla avec
le buffle-génie C'est un combat épique dont le texte reste fidèle à la structure
consacrée par la tradition
afin que sOient respectés l'équilibre social et mieux
encore. les valeurs cardinales de la société productrice de cette littérature. Dans
une perspective morphologique selon Propp5, J. Derive a défini les différentes
~tapes du reclt de chasse de Balla. Les éléments que nous proposons cI-après
sont un panorama schématique inspiré de la description plus détaillée de Derive:
1- Au cours d'une partie de chasse, un chasseur émérite rencontre un animai
redoutable et prestigieux et lui décoche un coup de fusil.
2- Cette tentative n'a aucun effet (ou SI peu sur la victime présumée), sinon celuI
d'exacerber sa fureur destructrice, et alors s'ensuit une belle empoignade
magique. Dans cette lutte sans quartier, les deux antagonistes déploient à l'envi,
un véritable trésor d'imagination en matière de métamorphose en se réincarnant
dans divers éléments pour triompher l'un de l'autre.
3-Le pouvoir du chasseur supplantant presque toujours celui de l'animai-génie
pour des raisons Idéologiques tenant à l'hégémonie anthropocentrlste, cest
naturellement à lUI que revient l'issue de l'affrontement.

53
Précisons toutefois qu'il est de rares exceptions où l'animal sort
victOrieux de cette opposition antagonique. Mais, même dans ce cas, il est peu
probable que l'issue du combat n'ait pas été codifiée à dessein par la tradition,
soit pour sanctIonner une inconduite de l'homme, soit pour magnifier un service
rendu par l'animal à la communauté. Là, nous devons marquer un arrêt
momentané pour expliquer les exceptions Plusieurs raisons peuvent en effet les
Justifier Parmi elles, le lien de «
parenté »
consacré, soit dans l'idolâtrie, soit
dans une sorte de pacte de bienveillance dont le paradigme est l'interdit
totémique. Pour des raisons diverses en effet, une famille, une tribu peut rendre
une adoration à tel ou tel animal Celui-ci est censé protéger les membres de la
famille ou de la tribu des vicissitudes de la vie, ou au moins, d'en amoindrir leurs
effets, en un mot, de veiller au bien-être de la famille. Toutefois, l'animal idolâtré
n'est en général que l'iceberg d'un culte voué à travers lui aux mânes des
ancêtres, et souvent par extension, à Dieu lui-même Peu importe. En tant que
mode de médiation à ces pUissances supérieures et, en quelque sorte,
représentant vIsible de celles-ci, l'animal est respecté, voire craint et sa viande,
Interdite de consommation par les membres de la famille Il n'est pas rare en outre
que cet interdit commun en crée un autre, qui se traduit par une auto-censure
Individuelle se manifestant par un pacte de non agression de fait vis-à-vis de
lanimal bienveillant. On comprend pourquoi, une transgression volontaire et
surtout publique de cette règle de bonne conduite, parce qu'elle subvertit l'ordre
familial ou tribal et compromet l'équilibre social, ne saurait être laissée impunie
Peut-on affirmer que l'on y croit vraiment toujours, et surtout de nos jours? C'est là
une question à laquelle nous ne nous aviserions guère de donner une réponse
tranülee Mais une d10se est absolument certaine. Bien que l'eXIstence de ces
pratiques cultuelles suscite parfois quelques sourires incrédules, si ce n'est une
Incrédulité franchement agacée, elles sont souvent d'une Imprégnation telle, dans
k;s mceurs, qu'iI VIl'?llcJr;1It clifflCllclllcnl f:l l'espnl ~l quelqu'un de les enfreindre par
témérité et, a fortlri, publiquement. En effet, si les interdits totémiques peuvent

54
n avoir aucun pouvoir maléfique en eux-mêmes, il est toujours à redouter une
réaction mystique violente des dépositaires de ces pratiques qui eux, détiennent
effectivement la réalité des forces occultes et qui pourraient s'en servir pour faire
respecter leur autorité mise à mal. Mais, que l'on y accorde fOI ou non, ces
pratiques continuent aujourd'hui encore de régenter sous diverses formes,
l,exIstence de nombreuses personnes, toutes couches socio-professlonnelles
confondues. C'est que dans l'inconscient collectif, elles peuvent contribuer au
bonheur Individuel et social, de sorte que leur survivance traduit une sorte de pari
pascalien.
Un autre interdit transm is par les contes étiologiques se situe dans le
prolongement des raisons qUI viennent d'être évoquées à propos du pacte de non
agression, pacte dont l'obligation de respect, il va de soi, pèse exclusivement sur
les humains C'est l'existence de lien de «
parenté »
entre telle famille et tel ou
tel animal et qUI remonte en général à l'aïeul de la famille En effet les contes
génésiaques précisent presque toujours sans ambages, le tribut de l' aleul et, par
extension, de sa descendance à tel ou tel animal compatissant et secourable qui
le sauva d'un grave péril ou d'une situation fort délicate
Aussi en guise de
reconnaissance, l'aieul défendra-t-il formellement aux siens, la consommation de
a Viande de la bête devenue désormaiS un «
allié »
de la famille
Et, comme
dans le cas des rapports idolâtriques, la menace réelle ou supposée dun malheur
pouvant aller Jusqu'à la mort du contrevenant pèsera, telle l'épée de Damoclès,
sur toute personne qui serait tentée de rompre par malice cette alliance Toute
société étant naturellement tentée de se survivre, l'individu marginal qui, par
hardiesse affichée, risque de saper le soubassement culturel de l'édifice social,
sera en toute logique conservatiste, ex-communié Et, afin que !'lnexemplarlté de
la déviation ne fasse d'éventuels émules et que toute velléité imitative soit inhibée,
le contrevenant paiera au prix fort sa témérité: il sera en général mortellement
sanctionné dans le conte Ainsi s'explique en partie, la défaite du chasseur-expert
qUI aurait à dessein, contrevenu au code déontologique de la chasse ou au pacte

55
sacré entre humains et bêtes.
Mais, faut-il le répéter, ceci est un cas a-tYPique
extrêmement rare
Ouoi qu'il en soit, le combat de Balla avec le buffle-génie ne
subvertit pas la structure du modèle traditionnel. Nous reproduisons in extenso le
texte de cet affrontement.
A propos de buffles,
le combat de Balla contre
un buffle-génie
fut épique.Dans
les
lointaines
plaines du fleuve Bafing,
Balla déchargea entre
les
cornes
d'un
buffle
les
quatre
doigts
de
poudre.Quel
fut
l'ébahissement
du
chasseur
lorsqu'il vit la bête foncer sur
lui comme si
le
coup
n' avai t
été
que
le
pet
d'une
grand-
maman. L' homme
expérimenté
et
savant
qu'étai t
Balla comprit tout de suite qu'il avait affaire
à un buffle-génie,et il sortit le profond de son
savoir. Combat singulier entre l'homme savant et
l'animal-génie!
L'homme prononça une incantation
grâce au pouvoir de laquelle il balança son arme
qUl
se maintint à hauteur d'arbre entre ciel et
terre;
une
autre
incantation,
et
Balla
fut
transporté
et
assis
sur
son
fusil
aussi
confortablement que dans un hamac et trop haut
pour être inquiété par le buffle.Mais le buffle
était aussi
savant que
l'homme
et
l'animal
se
métamorphosa
en
aigle
et
piqua
ses
serres
en
crochets sur Balla qui ne dut son salut qu'à une
incantation,grâce à laquelle il se transforma en
aiguille,
le chasseur n'échappant
toujours
pas
aux poursuites du buffle qui se fit
fil,
et le
fil rampa promptement pour pénétrer et soulever
l'aiguille.Rapidement,
d'aiguille
Balla
se
métamorphosa en brindille pour se soustraire au
fil
rampant,et
la brindille disparut entre
les
herbes.Le buffle pourchassa toujours et se fit
flamme
et
la
flamme
se
mit
à
consumer
la
ln-ousse,
La
fumée
cie
J'incendie
s'éleva,
le
crepitement de La
llamme se mit a
assourdir et
le
remue-ménage
gagna
toute
la
brousse.
Profitant de ce remue-ménage,
Balla, grâce à une

56
dernière
incantation,
surprit
la
bête
par
un
~vatar de maitre.
Notre chasseur se fit rivière
et la rivière noya la flamme,
éteignit le dja de
l'animal,
le vital de l'animal, qui perdit magie
et
conscience,
redevint
buffle,
souffla
rageusement, culbuta et mourut.
Une fois encore,
Balla était
le plus
savant.
Les
Soleils
: 128-
129.
Sans entrer dans les détails d'une analyse narratologique, on peut dire que l'une
des dimensions de la spécificité du style kouroumlen consiste en la transgression
de la rhétorique de l'écriture, pour autant que celle-ci peut se définir comme l'art
par lequel la fiction romanesque s'organise, se développe et se pose comme objet
de lecture. Nous pensons notamment à l'ensemble des procédés artificiels
ou
conventionnels miS en œuvre pour faire sens dans le roman. Parmi eux, \\e code
typographique et, en particulier, les éléments qui indiquent l'emploi inhabituel
d'un terme, d'un énoncé ou sa provenance étrangère. En effet, tout emprunt est
d'ordinaire notifié au lecteur par des indices appropriés, phrases ou guillemets,
comme dans l'exemple du chant mélancolique de Fama (Les Soleils: 105), La
précision de la nature de celui-ci, grâce à la détermination «
cette mélodie de
noce malinké »
d'une part, le caractère italique du texte du chant d'autre part,
Instituent ulle sorte de rupture dans l'homogénéité du macro-texte ou il apparaît
ainSI comme un élément étranger,
Contrairement à ce texte, celui de l'affrontement entre Balla et le buffle-
génie s'insère dans la fiction romanesque globale sans la moindre Illdication
d'adaptation, sans que lien ne le signale comme un événement extérieur, En
Identifiant typographiquement à l'ensemble dlégétique (le macro-texte), en le
1
faisant dire subrepticement par le narrateur-griot omniscient, l'auteur tend à
présenter ce micro-texte comme Illdissolublement intégré au macro-texte du
roman
C'est un artifice stylistique qui présente l'avantage de conférer à
l'événement ainSI rapporté, une certaine objectivité pUisque de surcroît, li est

57
censé traduire une expérience réellement vécue par un personnage du roman
fI,,1als. si du point de vue du contenu, certaines anecdotes sont étroitement liées à
la littérature orale, la forme (le discours ou l'énonciation) doit également beaucoup
à cette littérature. En particulier, nous avons affaire à une narration qui rappelle la
pratique du conte traditionnel.
1-2-1-2 Emprunt relatif à la forme
\\-2-1-2-1 Une narration vivante
1-2-1-2-1-1 Le modèle du conte
Pour mieux saisir l'exploitation du conte, une démarche didactique s'impose.
Elle consiste en la description succcincte du «
contage »
Nous nommons ainsi
la préltiClue ciu conte. incluant l'atmosptlère générale de confraternité entre récitant
et auditeurs, avec la conscience collective plus ou moins réelle et la complicité
solidaire d'être des co-producteurs du conte. Une veillée de conte est en effet un
spectacle total, une véritable activité "trans-artistique" où danses, chants,
proverbes, devinettes.. interviennent. Comme au théâtre, le succès du spectacle
se mesure à la complicité agissante entre le récitant et son auditoire. Des qualités
oratoires et artistiques du conteur 6 (il doit être à la fois excellent orateur, bon
comique et parfois excellent chanteur, musicien et danseur) dépend en grande
partie la réussite ou l'échec du contage. En effet, du fait de l'institutionnalisation
des thèmes et leur orientation morale 7, Il pèse sur chaque auditeur, une
présomption de bon conteur
La récitation requiert par conséquent d'énormes
qualités pour répondre favorablement à l'horizon d'attente du public qui assure en
définitive un rôle de censeur et de critique collectif. En effet, si le récitant dispose
d'une certaine
marge
de
liberté
d'exposition
(pOSSibilité
d'actualisation
thématique. du moins pour certains détails du récit, variabilité du ton de
présentation) Il doit veiller à ne Jamais excéder et asservir les recommandations

58
edictées par la tradition. Ce n'est qu'à cette condition que le public co-producteur
occasionnel s'y retrouve avec satisfaction. Cette connivence, cette dynamique du
contage est une réalité de l'héritage littéraire oral judicieusement mis à profit par
Kourouma. Le jeu des questions-réponses entre le conteur et son public en
constitue l'une des manifestations les plus importantes. Comme précédemment
annoncé, nous allons proposer un extrait de dialogue au cours d'une séance de
conte
Le texte 8 porte sur le thème de la jeune fille nubile qui ne veut épouser
que l'homme de son choix contre l'avis de ses parents. Dans une société où
naguère la sUjétion de l'individu au groupe était inexorable pour des raisons déjà
évoquées, le désir d'indépendance ne pouvait être que mal perçu
AinsI, les
contes de la jeune fille difficile suivent-ils toujours, à quelques variantes de
présentation près, une orientation morale et idéologique commune A force de
caprice et d'obstination, la jeune fille finit par épouser un étranger, homme d'une
rare beauté mais dont la nature humaine n'est qu'une Imposture résultant d'une
métamorphose précaire. C'est le cas de cette jeune fille qui, subissant les
eXigences Infernales de son mari (un fantôme),
appelle à sa rescousse
I·autochtone qu'elle avait éconduit avec si peu d'égards.
La Jeune fille dans une élégie
Quand i l fait
jour: «remue dedans »
Quand i l fait nuit: «remue dedans »
Il Y a [)lein cie bêtes ici,
viens
( refraill
Mon mari Aka Ano
Aka Ana
J'appelle mon marl Aka Ano
Le conteur à l'auditoire et réplique de celui-ci
- Vous connaissez Aka Ana?

59
- Non!
- C'est le chasseur qu'elle avait refusé en
mariage qui s'appelait ainsi.
- Ah!
bon!
-Aujourd'hui lorsqu'elle l'appelle,
elle ne
dit plus Mo 9
Aka Ana.
-
Non!
Dans les romans de Kourouma, l'insertion de ce dialogue se fait par la sollicitation
constante d'un narrataire imaginaire assumant symboliquement la fonction
dévolue aux auditeurs. Le paragraphe qui va suivre ( p 61) l'atteste.
1-2-1-2-1-2 L'exploitation du modèle ou la technique
de l'illusion allocutaire
La modalisation est un concept important dans le procès d'énonciation. Il
pose la problématique de la distance du sujet de l'énonciation à son propre
énoncé
Deux attitudes, exclusives l'une de l'autre sont à considérer
SOit
l'énonclateur se détache affectivement de son énoncé -
on parle alors de
distance maximale -
soit au contraIre, il l'assume totalement, sy impliquant
personnellement C'est la distance minimale. Dans cette deuxième hypothèse.
l'adhésion du sujet à son propre discours est identifiable grâce à des Indices
pertinents de cette présence que R. Jakobson a désignés sous le nom
d'embrayeurs (shifters)
Ce sont tous les éléments de la déixis, quels qU'Ils soient,
spatiaux (ICI, là-bas et d'autres) ou temporels (hier, maintenant, demain). On y
compte également les personnels (je, moi ), les adverbes d'opinion (peut-être,
assurelllent .. ) et ce qu'il est convenu d'appeler verbes performatifs à la sUite de
BeilVenlste Ce sont tous les verbes dont le sémantisme se réalise au cours du
procès dénonCiation même qui les émet Imaginez un tribunal et un témoin invité

60
à donner sa version d'un fait qui constitue l'objet du procès. Le témOin qui, en
prètant serment énonce«
Je jure de dire la vénté», accomplit, dans le temps
mème où il affirme vouloir dire la vérité, l'acte même de jurement. En jurant de ne
dire que la vénté, le témoin ne fait pas autre chose que jurer à l'instant même où il
dit jurer
Ainsi peut-on dire que l'une des caractéristiques du discours performatif
est sa sLlHéférence Celle-cI ctésigne le fait que le discours soit auto-réfléchi ou
bien le fait que, selon l'expression de Ducrot, «
l'énonciation traite d'elle-même
»
Outre cette caractéristique, la periormativité d'un discours se définit surtout par
l'Instantanéité et la Simultanéité d'accomplissement de l'action à travers l'acte de
parole et à travers lui seul. Ceci est une condition importante car elle permet
d'anticiper sur des oblections prévisibles (et bien analysées du reste par
Benveniste) sur la théorie de la performativité. L'interrogation suivante traduit l'une
de ces objections
Un sUjet écrivant une lettre et énonçant lors de cette actiVité
«
J'écris une lettre »
tient-il un discours periormatif? La réponse est négative,
bien sûr La raison en est que la periormativlté est non seulement sUI-référentielle
et instantanée, mais encore, elle est restrictive et sélective
Cette condition
supplémentaire
exclut
de
la
performativité
tout
énoncé
qui
n'est
pas
sémantlquement invariable, quelle que soit la Situation de l'énonciation
Dire
«J'écris une lettre»
dans le temps où cette actiVité est accomplie ne peut être
performatif car la conformité de l'activité à l'énonciation est d'une validité
temporellement circonscrite. En termes différents, dès lors que l'association
actiVité - enonclatlon sera rompue, la prétendue performatlvité du discours sera
contrariée par ce fait même, ce qui n'est pas le cas de jurer et promettre La
val idité d'un discours performatif est par conséquent exclusive de toute
solliCitation extra-linguistique, de sorte que, pour le comprendre comme tel, Il n'est
nul besoin de faire appel à l'activité du sujet en procès énonciatif Ce qui COIT1pte
par conséquent. c'est l'énoncé et lui seul. Pour revenir à la modalisation et
conformément à ce qui précède, on peut dire qu'elle marque la prise en charge de
l'énoncé par son énonclateur au moyen des déictiques et assimilés
Dans les

61
romans de Kourouma, la modalisation Joue un rôle assez important dans l'illusion
élilocutoire sur l'axe imaginaire narrateur-conteur -
narrataires-auditeurs-Iecteurs
En effet, l'intervention de celui-là à l'adresse de ceux-ci est tantôt un effort
d'explication et d'instruction argumentative à visée persuasive, tantôt une prise à
témOin les Invitant à donner leur opinion sur une Situation où il est affectivement
Impliqué. l\\Jous verrons plus loin à quel point la communication à laquelle l'un
convie les autres est viciée dès le départ par l'omniprésence affective de
l'Instance narrative. Ce qUI importe dans l'immédiat, c'est que nous donnions une
illustration de la modalisatlon et l'exploitation du modèle du contage
Koné Ibrahima qui vient de quitter le monde des vivants met de l'ordre dans
ses propriétés, veille à l'organisation de ses propres obsèques avant d'aller
retrouver ses a'leux dans l'au-delà. Dans une société où la métempsychose et la
croyance en la survie des morts sont une réalité, les attentions du défunt sont
partie intégrante de l'imaglllaire collectif et sont par conséquent adr ,lises comme
parfaitement pOSSIbles Mais elles peuvent paraître fort burlesques et indignes de
fOI pour un étranger. AUSSI le narrateur omniscient tient-II à certifier
au narrataire-
lecteur profane, l'auUlenticité de son discours à l'image du conteur pour ses
auditeurs:
Vous
paralssez
sceptiques!
Eh bien,IDoi,
je vous
le jure,
et j'ajoute:si le défunt était de caste
forgeron, s i l ' on
n'étai t
pas
dans
l'ère
des
Indépendances
les
s o l e i l s
des
Indépendances,disent
les
f1alinkés) ,je
vous
le
jure,
on n'aurait
jamais osé l'inhumer dans une
terre
lointaine
et
étrangère( . . . ).
Donc
c'est
possible, d ~ ailleurs
sûr,
que
l'ombre
a
bien marché
jusqu'au village natal;
elle est
L-evenue
aussi
vite
clans
la
Capi tale ( . . . )
Les
Sole.ils
: 7-8.
LU dans la perspective jakobsonienne de la communication, le texte dégage au

50
Section 1-1-2-1
Aspects de la tradition orale
1-2-1-1-Emprunt relatif au contenu
L'exploitation, pluriforme de la tradition orale dans le roman kouroumien
Illustre bien. ainSI qu'on a pu le VOir, la conception organique en milieu rural de
tous les étants. Notons au passage qu'une telle conception est en général
lexpresslon de lâme profonde des sociétés animistes et polytéistes où
empirisme, superstition et d'autres valeurs diffiCilement accessIbles à la pensée
cartésienne sont si présentes. La littérature hellenique en général et. en
particulier, la littérature dramaturgique des Anciens a ainsi laissé à la postérité, un
héritage de valeur
Antigone de Sophocle dont le thème fut repris par Jean
i~nouilh. est un bel exemple parmi d'autres de ce témOignage historique La
présence dans la littérature traditionnelle de fantômes. mânes et génies aux côtés
des humains, dieux et animaux s'explique dans cette logique d'«lrratlonallté »
Les funérailles de Koné Ibrahima sont ainsi l'occasion de célébrer la solidarité
primitive entre tous les êtres:
Ce
furent
des
funérailles
pleinement
ré u s sie s ( . . . ) . D'a i 11 eu r s ,
c 0 mm e
t ou j ou r s e n
pareille occasion,
tous
les
présents
n'étaient
pas
des
hommes.
Des
génies,
des
mânes,
des
aïeux,
et mème des animaux avaient profité de ce
rassemblement et
s'étaient ajoutés
à
la foule.
Les Soleils :150.
Le récit de la célébrité inégalée du chasseur Balla est. au niveau du
contenu le paradigme même de l'Intégration de la tradition orale dans le roman
de Kourouma. Oans cette étude succincte des Influences, Il apparaît en effet
comme le pOillt névralgique de l'intertextualité. Pour emprunter quelques concepts
ILlIl;ll()I()~WJlI(~~~ Il()ll~~ c1lr()I1~~ qlle l'maillé trilcj,tJonfl(~llo est l'hYrOl8xle (Jans la
mesure où elle a fonction de modèle ou de texte de référence, tandis que l'intrigue

62
moins deux fonctions essentielles. D'une part, la fonction conative par laquelle le
narrateur interpelle le narrataire-Iecteur par le vous. D'autre part, on note \\a
fonction expressive qui marque la présence du narrateur dans son discours par
',es termes performatifs «
Eh bien, mOI, je vous le jure, et j'ajoute .. », mais aussI
au moyen des artifices d'auto-correction «
c'est possible, d'ailleurs sûr que ... »
grâce auxquels Il passe d'un doute simulé à une assurance infaillible. Tous ces
procédés langagiers excèdent la modalisation tout en instituant celle-ci pour créer
au second degré, l'illusion d'un dialogue impossible entre narrateur et lecteur. En
effet, les «
vous paraissez sceptiques », «
je vous le jure »
IIlstltuent une
situation de communication fictive entre allocutaires non moins imaginaires. C'est
:::ette situation de communicatIon fictive qui fonde l'illusion allocutolre.
En effet,
ces formules à valeur argumentative laissent supposer que le sujet du discours
juge de l'incrédulité d'un interlocuteur par une certaine gestuelle dubitative mêlée
parfois d'innocente nalveté Cela oblige le premier à affiner ses arguments afin
dêtre davantage persuasif et emporter ainSI l'adhésion du second. AinSI se justifie
la formule conclusive «Donc c'est possible, d'ailleurs sûr .»
Elle semble
cependant marquer un succès mitigé de la tentative de persuasion du locuteur
face aux pratiques du monde malinké. Démarche IIltiatique par conséquent
qui
procède d'un didactisme général dont le ton est si présent dans les œuvres de
Kourouma. Mais la volonté d'adapter à l'œuvre romanesque le contage se
manifeste d'avantage à travers le jeu des questions-réponses que la rhétorique
traditionnelle, soucieuse de taxinomie, nomme dialogisme. C'est le procédé de
simulation de dialogue par excellence, et on comprend qu'il convienne au
narrateur-conteur kouroumien. On imaginerait bien en effet, un auditoire
repondallt au récitant au cours d'une veillée de conte dans les extraits proposés
CI-dessous.
Après l'éclatant succès des funérailles du cousin Lacina d'une part,
et eu égard aux arguments magique et politico-financier que représentent Balla
(expert féticheur) et Diamourou (gendre du commandant Tomassini) d'autre part,
toutes les condItions semblaient réunies pour que le prince acceptât de s'établir

63
définitivement à Togobala. Mais Fama. lui, avait d'autres projets et le narrateur
prend à témoin le narra taire-lecteur de l'ineptie de la décision du prince de
retourner vivre dans la capitale:
Maintenant,
d i t e s - l e
moi!
L e
voyage
de
Fama
dans
la
capitale
(d'une
lune,
d i s a i t -
il) , son
retour
près
de
Salimata,
près
de
ses
amis et connaissances pour leur apprendre son
désir de vivre définitivement à Togob~la,
pour
arranger
ses
affaires,
vraiment
dites-le
moi, cela
é t a i t - i l
vraiment,vraiment
nécessaire?
Non et non! or le voyage de Fama portait un sort
très maléfique. Les Soleils :151.
La répetltion du modalisateur vraiment, la structuration de l'énoncé et l'énoncé
lUI-même, tout imbu de la présence de son énonciateur, donnent une orientation
presqu'évidente quant à la rf':ponse attendue. L'issue de l'interrogation est
Influencée dês le départ par la manière dont les faits s'organisent dans le discours
et qui tourne par ailleurs en dérision, les raisons alléguées par Fama pour justifier
son voyage. A ce titre, l'expressivité du déictique temporel maintenant est à
noter
Placé en initiale après une première exposition qui a tenu à présenter des
faits supposés réels de la manière censée être la plus impartiale et objective
pOSSible. le déictique introduit une conclusion logique à cette exposition. Tout se
passe com me si dans cette illUSion allocutolre, le locuteur demandait à son
Interlocuteur: «D'après tout ce que je viens de vous dire et dont je fais serment
que c'est la vérité pure, Fama n'a-t-il pas effectivement eu tort de s'être obstiné à
voulOir retourner à la capitale? »
En mettant implicitement la preSSion, le
locuteur favorise l'énonciation de la réponse qu'il souhaite entendre. Une autre
réponse eût été par conséquent absolument hypostatique dans une telle logique
argumentative
Certes, la rhétorique de la lecture permet de s'affranchir des
pièges de l'illusion allocutaire créée par les artifices stylistiques. La Situation de

64
communication que nous appelons illusion allocutoire se justifie par le fait que,
sous ces captieux échanges verbaux entre narrateur et narrataire, nous assistons
en réalité à un diktat locutoire unilatéral du premier. La réciprocité discursive étant
Impossible entre les interlocuteurs imaginaires, l'énonciation interrogatoire n'est
en définitive qu'un soliloque extériorisé sous forme de questions rhétoriques. La
dialectique de la subjectivité est par conséquent viciée et la subjectivité elle-même
suspendue.
La subjectivité discursive suppose en effet une alternance réciproque
de la position de locuteur entre les allocutaires le je locuteur s'énonçant comme
tel et disant tu/vous au partenaire de communication, devient à son tour, tu
/ vou s dans la réplique de celui-ci. Mais, faut-il le rappeler, ce procès
d'intersubjectivité n'est pas seulement illusoire en ce qUI concerne la sollicitation
du narrataire-Iecteur, elle est en plus suspendue et inachevée Qu'importe L'effet
de l'illUSion dialogique est peu contestable. Le vou s
sem ble directement
Iflterpeller un narratalre et par-delà lui, le lecteur qui a ainsi le sentiment d'être
invité à prendre une part active aux événements qUI lui sont rapportés en donnant
son aVIs. Le second exemple illustre bien ce sentiment Le narrateur veut faire
partager au lecteur, l'incongruité du désir de Balla de faire partie de la délégation
devant accompagner Fama. Celui-ci souhaite en effet honorer la mémoire de ses
parents en allant s'inclmer sur leurs tombes:
Balla voulait ètre de la compagnie. Un aveugle,
que
pouvait-il
y
voir?
Rien.
Un
vieillard
aux
jambes
gon fIées
de
douleurs,
quand pouva i t-on
arriver
avec
Jui?
Peut-être
au
soleil
couchant.Un cafre dont le front
ne frôle
jamais
le
sol,
qu'allait-il
y
faire?
Rien
de
rien.
Les Soleils
: 118.
A sa sortie de prison, blasé et éprouvé par les vicissitudes de la vie, Fama a priS la
ferme déciSion de regagner à jamais son Village natal Il ne saurait tolérer la
momdre contrariété dans la réalisation de ce projet.
AussI est-ce tout

65
naturellement quil passe outre les objections du garde-frontière et franchit le
barrage administratif qui gèle la circulation depuis un mois C'est que la naissance
est un passe-droit pour lui:
Un
Doumbouya,
un
vral,
père
doumbouya,
mere
Doumbouya,
avait-il besoin de l'autorisation de
tous les bâtards de fils de chiens et d'esclaves
pou r
a Il er
à
Togoba la?
Ev idemmen t
non.
Les
Soleils
:198-199.
L'insistance sur le statut social de Fama, son ascendance noble dans un monde
OLl la hiérarchie sociale est sacrée, a pour fonction de préparer l'énonciation d'une
réponse subsumée par la logique même du contexte. Mais surtout, c'est ici que la
symbolique plurielle du personnage joue pleinement et découvre une dimension
de la socialité de la littérature. En effet, Fama est d'abord un prince, SI bien qu'en
se fondant sur les présupposés anthropocentristes du procès romanesque, à
savOir «
l'illusion représentative »
selon l'expression de Todorov, il est permis
de penser que Fama représente une certaine élite civile. Dès lors, ce n'est pOint
exagérer de dire qu'à travers Fama, l'auteur fustige l'attitude de mauvais aloi
d'une certaine élite africaine moderne, démiurge omnipotent pour qui les lois ne
sont valides que dans la mesure OIJ elles ne lui sont pas appliquables.
Les passages qui précèdent, s'ils sont loin d'aVOir épuisé la totalité des
emprunts de Kourouma à la littérature orale, donnent tout de même un aperçu
tout à fait représentatif de ce tribut.
Nous pouvons ainsi conclure partiellement à
l'effectivité de l'influence de la tradition orale sur l'instance narrative. Mais loin de
vouloir se contenter d'adopter le style oral, Kourouma pousse parfois à l'extrême
l'exploitation du modèle, si bien qu'il aboutit à une subversion partielle de
l'écnture romanesque classique Cette observation vaut surtout pour la distribution
de l'énonciation.
,A.insi,
dans le passage extrait de Monnè
que nous citerons
l)lel1lôl. Id 1da lion du voyage de Diigui (~sl-elle assurée simultanément par

66
plusieurs instances narratives. Ce sont Djigui
lui-même et le narrateur
omniprésent. Marquons une pause pour expliquer quelques concepts utiles Au
demeurant, le lecteur les a déjà rencontrés dans nos développements antérieurs.
Ce sont entre autres, narration, énonciation, instance narrative
narrateur et
narratalre. Leur définition invoque le procès romanesque qui les fondent.
En effet, l'élaboration de tout Lin ensemble de signes producteurs de sens
qUI sous-tendent la rhétorique romanesque, se fondent sur des présupposés
anthropocentristes pris pour garants d'authenticité. C'est ainsI que le personnage
dans le roman se veut le sosie de l'être humain ayant comme lui, un état civil, une
famille, une dimension psychologique et que les lieux géograplliques, les
éléments architecturaux, la fiction romanesque elle-même participent à l'illusion
représentative
Dans ces conditions, les concepts cités plus haut prennent de
i'lnlportance car c'est l'illusion représentative elle-même qui les instituent. En effet,
pour donner matérialité à l'histoire anecdotique, pour l'animer. Il faut des
personnages, un lieu de théâtre, «
quelqu'un »
pour en rapporter
les
différentes péripéties Ce qui dénote l'importance de l'instance narrative et de la
narration. De façon succincte, celle-ci peut être définie comme le fait, pour un
narrateur, d'assurer la relation de l'histoire anecdotique, de la raconter, le
narrateur étant lui, la personne fictive qui raconte cette histoire dans le roman"
est aussI appelé instance narrative ou instance du discours au sens de
Benveniste. Comme le message de l'instance narrative est censé s'adresser à
quelqu'un au sein de l'œuvre romanesque même, il est convenu de désigner du
nom
de narrataire,
ce destinataire intra-romanesque.
Reste le concept
d'énonciation, important aussi bien en linguistique qu'en stylistique
Dans les
deux cas, c'est la perspective du locuteur qui est intéressante L'énonCiation peut
ainsi se définir comme l'acte individuel de production linguistique ou mise en
œuvre et actualisation de la langue.
Les déictiques spatio-temporels déjà définiS
cJans la Illodalisation y sont généralement inclus Une autre notion très étroitement
liée à l'énonciation est l'énoncé CelUI-ci désigne le résultat ou le prodUit de l'acte

67
d'énonciation. Pour ce qui est de la narration, elle est également englobée dans
l'énonCIation,
macro-concept qui excède bien souvent les limites de la
linguistique. Pour en finir avec la théorie, rappelons que l'instance narrative peut
être variable Elle peut en effet relater un événement dans lequel elle se trouve
personnellement impliquée c'est alors le règne du je narrateur. Mais le narrateur,
soucieux d'objectivité peut également se situer à la troisième personne et
rapporter un événement qu'il a lui-même vécu. C'est que 'l'anonymat de la
troIsième personne, parce qu'il introduit une certaine distance entre le fait exposé
et celui qui en assure l'exposition, passe pour être le garant de l'objectivité C'est
le cas du récit de voyage de Djigui, récit pris en charge à la fois par l'intéressé lui-
même et ce qu'il faut considérer comme le narrateur omniprésent. Mieux encore,
on assiste à L1ne confusion délibérée des genres du discours. L'indice de cette
confUSion est l'absence des signes métalinguistiques conventionnels (les tirets
principalement) marquant d'ordinaire un changement de l'instance narrative
L'extrait qUi suit est l'exemple
d'un discours réfléchi à la fois à son propre
énonclateur (DJigUl), et d'un discours en quelque sorte, extraverti (narrateur
omniscient)
Sans entrer dans les détails d'une analyse narratologique, nous
pouvons appeler Djigui, narrateur auto-diégétique, tandis que l'instance co-
narrative est dite narrateur 11étérodiégétique. En voiCI un exemple
J'allais enfin connaître le pays des Blancs que
les anciens combattants m'avaient tant vanté. Je
descendis au port. La nacelle dans laquelle nous
nous assîmes fut arrachée
( ... ).
Djigui eut le
mal
de
mer
et
voulut
demander
à
retourner
à
Soba,
la
sirène
retentit
et
le
naVlre
appareilla.
Ce
ne
fut
ensuite
que
la mer;
le
soleil
et
la
lune
sortirent de
la mer et
s'y
renoyèrent( . . . ) .Je
voulus
tout
voir,tout
connaître,
tout
toucher,
tout
admirer;
mais
partout je ne trouvai que des trains.Monnè :103.

68
Ce mélange des artifices stylistiques produit une linéarité dans le discours qui est
comparable à une sorte de circularité narrative Une autre caractéristique propre
au conte est son Inclination à l'exagération et cela se comprend. En effet, par-delà
sa (limenslon ludique, le conte est fondamentalement un moyen d'éducation des
jeunes aux idéaux ancestraux auxquels se reconnaît la communauté toute entière
et dont la pérennité, par atavisme, leur incombe en partie. L'individu ne devant
s'épanouir que dans le cadre culturel codifié par la tradition et la collectivité, la
valeur duale du conte mérite d'être soulignée. En effet, le conte possède comme
une dimensIOn prophilactique devant empêcher toute attitude anomique,
déviationniste En ce sens, le conte est un moyen propitiatoire d'un point de vue
éducationnel Mais, d'un autre côté, en fustigeant les attitudes déviationnistes, le
conte dévoile sa dimension expiatoire. Sur ce principe normatif et permissif, le
conte est sous-tendu par l'hypothèse que, plus l'inconduite incriminée et la
sanction encourue,
ou l'action magnifiée et la récompense méritée sont
amplifiées, plus I~ réceptivité des auditeurs au message est grande et plus facile
peut être par conséquent, le choix de la conduite à tenir.
Ainsi,
l'ênonciation qui
est le fait d'un narrateur au statut de conteur dans les romans de Kourouma
adopte-t-elle, dans bien des cas, un langage hyperbolique. Celui-ci se présente
sous plusieurs formes. Parmi elles, il faut distinguer d'une part, l'hyperbole
lexicale et. d'autre part. l'hyperbole de situation ou l'hyperbole contextuelle
1-2-1-2 -2
Une
narration hyperbolisante
1-2-1-2-1-1 L'hyperbole lexicale
C'est par la description que la recherche de l'expressivité confine Et
l'hyperbole En général, nous avons affaire à des emplois métaphoriques de mots
dont le contenu sèmantique par rapport au fait décrit est particulièrement excessif,
multiplicateur Oans les extraits qui vont suivre, les termes hyperboliques sont
soulignés en caractère gras
Le coq saCrifié pour conjurer le mauvais sort qui se

69
Joue de Salimata Vient d'être égorgé par le marabout Abdoulaye La volaille se
déb?t vigoureusement avant de mourir, et le narrateur assure à ce propos:
Ex
1:
Alors
il
siffla
la
douleur
et
la mort,
battit
un
tam-tam
d'ailes
et
disparut
dans
un
tourbillon de poussière,
de plumes
et de
sang.
Les soleils :75.
'La métaphore hyperbolique est nette. Les alles de la volaille luttant entre la vie et
la mort sont comparées aux mains d'un individu jouant d'un tam-tam que
représente ici, le sol sur lequel a lieu le battement des ailes. De plus, l'effet sonore
produit par le mouvement du coq est comparé à celui, incontestablement plus
porteur d'un tam-tam, d'où toute l'exagération de la métaphore. Dans l'extrait qui
SUIt. l'expressivité du procédé est encore mise à contribution. Il s'agit cette fois de
montrer à quel point les souvenirs abondent et absorbent littéralement celui à qui
Ils reviennent en série
Ex
2
Des
journées
d'harmattan
qUl
vous
pénètrent
jusque dans
le bout du coeur et vous
jettent
dans
les
tarn-tams
des
souvenirs
de
l'enfance, des grands
jours. Les Soleils:
122.
Mais l'hyperbole lexicale n'est pas seulement nominale, elle est aussi verbale.
Une pluie qui se préparait depuis longtemps commence à tomber. C'est une pluie
diluvienne qui tombe dans une atmosphère toute apocalyptique. Jugez-en
EX
3:
Les
premleres
gouttes
mitraillèrent
et se
cassèrent sur le minaret( ... ).Le tonnerre cassa
le ciel,
enflamma
l'univers
et ébranla
la terre
et la Inosquée.
Les Soleils
: 25.
iLa
métaphore guerrière employée dans ce passage sert à décrire un violent
orage
Dans l'extrait qUI sUit, nous retrouvons la même figure, mais avec des

70
termes différents. C'est une séance d'exorcisme chez 18 marabout Abdoulaye:
EX
.:J. :
Des
lèvres
ramassées
et
durcies
s'échappèrent
des
jurons
qui
pétèrent
et
ricochèrent
sur
les
murs, ( . . . )Salimata
traversée,
ailée
était
fusillée
par
les
Jurons
et les évocations( ... ). Les Soleils:
69
.
Les principaux termes de sens hyperbolique devant faire l'objet d'étude
dans la troisième partie du travail, il n'est pas nécessaire de multiplier maintenant
les exemples d'hyperbole lexicale
Avec cette forme d'expression. l'hyperbole
contextuelle est le deuxième procédé intensif qui rappelle le style ampoulé du
conteur traditionnel
Notons cependant que la limite entre les deux formes
d~lyperbole n'est pas toujours nettement perceptible. En effet, si l'hyperbole
leXicale repose sur l'emploi de termes au sens fort,
son développement par le fait
de la description aboutit souvent à l'hyperbole contextuelle. On retiendra toutefois
que celle-ci est la mise en relief exagérée d'un événement dont le caractère
exceSSif apparaît essentiellement à travers l'ensemble du récit qui en est fait, et
non plus seulement à travers quelques termes particuliers comme c'est
généralement le cas pour l'hyperbole lexicale.
\\-2-1-2-2-2 L'hyperbole contextuelle
Telle que définie plus haut, l'hyperbole contextuelle est un procédé courant
chez Kourouma Avec lui, le «
Nommo» 10, verbe créateur, parole-acte par quoi
tout acquiert mouvement et s'anime, retrouve la plénitude de sa puissance
creatrice, un peu à l'image de la parole divine des origines du monde telle que la
lélpporte la Genèse
l\\inSI dans le passage retenu, le grot Diabaté
heureux
bénéficiaire de la générosité intéressée de Djigui, stupéfie-t-il tout l'univers dans
un Ilommage dithyrambique au donateur. La nature toute entière est comme

71
suspendue
Il n'est pas même jusqu'au temps qui ne paraisse se figer
rnonlentanèment par respect pour ce maître de l'art oratoire. Jugez-en plutôt:
A huit pas de la case,
le griot par trois fois
crla:
le
ciel
se
vida
des
fumées,
le
soleil
brilla,
les charochards se réfugièrent dans les
touffes
des
fromagers
et
des
baobabs;
tout
se
tut,
même les gendarmes bavards des tamariniers
(ce
serait
plus
tard
que
nous
saurions
que,
par
respect
pour
la
hauteur
et
l'intensité
de
son
ténor
tout
l'univers
se
taisait
quand
i l louangeai t).
Mo[]nè
47.
~illustration de l'illogisme de toute affabulation qui transforme l'impensable en
pOSSible. et convertit l'Impossible en fait concret, est magistralement administrée
dans cet autre extrait. Le roi Djigui vient d'être informé par un messager du
commandant CelUI-ci le somme de mobiliser sur-le-champ une troupe de
'patrlotes' pour assurer la défense de la nation en péril.
Mais le rOI ne sexécute
pas tout de sUite. Il se livre d'abord à des préparatifs mystico-religleux censés
assurer sa propre protection et rendre sa mission favorable, sacqultte ensuite de
quelques devoirs familiaux Et lorsqu'II se décide enfin à aller au front à peine
a-t-il fait quelques chevauchées qu'on vient lui annoncer la fin de la deuxième
Guerre Mondiale. une guerre qui a quand même duré plus de cinq atroces
annees
Djigui,
malheureusement,
au
lieu de s'exécuter
sur-le-champ,
retourna
au
Bolloda
pour
travailler
et
préparer
le
voyage( . . . ) .Ces
préparatifs exigèrent des palabres que suivirent
des palabres,
du temps qUl s'ajouta à des demi-
journées et retardèrent le déplacement au point
qu'à
la
fin des
fins,
lorsque Djigui se décida
et sortit du Bolloda,
monta à
cheval,
démarra,

72
il
n'alla
pas
loin,
même
pas
jusqu'à
Tombou,
quand un
garde
nous
reJolgnl~ et
nous
annonça
que
la guerre
en
France
étai t
finie,
que
les
nàtres avaient été défaits et que le commandant
m'appelait. Monné :111.
On notera au passage 1'humour caustique de l'auteur fustigeant certains
comportements tels que l'attachement au fétichisme dont l'efficaCité dans cette
Afrique moderne sapprécie mal en terme de progrès et de développement.
Les
Soleils aussi offre des cas d'hyperbole contextuelle. Tel est le cas du passage
que nous avons proposé auparavant et où l'excès de sang sacrificatOire provoque
une désagrégation des rapports entre bêtes et humains. L'hyperbole est créée par
la manière dont la quantité des charognards conquérants est exprimée:
La deuxième
victoire des
hommes
fut
remportée
sur les charognards. Réveillés et affolés par le
sang,
les
charognards
tapissèrent
tout
le
ciel
et
assombrirent
le
jour.
Les
Soleils
:147
Cet exemple montre à quel pOint il peut être parfois malaisé de prétendre
proposer une classification entre les deux formes d'hyperbole. En effet. d'un strict
pOlllt de vue contextuel, le sentiment d'exagération est d'origine syntaxique dans
la mesure où cest d'abord l'ensemble sujet + verbe + objet qui crée l'hyperbole.
l\\ussi peut-on dire
que ce passage est une hyperbole lexicale.
Mais Si on se
place sous l'angle macro-textuel et qu'on prenne cette fois en compte le contexte
situatlonnel de l'énoncé, alors on s'aperçoit que le procès hyperbolique
senclenche bien plus tôt clans l'ensemble des événements antérieurement
décrits
L'interactIon réciproque des faits dans leur totalité produisant ainSI le
sentiment d'exagération, on
peut également Inclure cet énoncé dans 1hyperbole
contextuelle
L'extrait enVisagé est par conséquent un cas-limite entre les deux
figures. Mais iancrage des romans dans le terroir malinké est également

73
purement linguistique «malinkismes »
(expressions idiomatiques) et ivoirismes
créent des interférences linguistiques qui tiennent une place importante dans le
pl'ojet stylistique du rOfTiancier.
Mais par·dessus tOLlt, slles procèdent de la
recherche d'une expression "vraie", c'est-à-dire une certaine crédibilité dans le
discours qui institue une écriture de rupture.
Section 2-1-2-2 L'écriture kouroumienne: une écriture de rupture
«
Autour d'une crise », tel était initialement le titre du paragraphe qui
incluait alors le titre actuel. Nous aurions aimé en effet, ouvrir le débat sur l'une
des questions à controverse de la production romanesque africaine d'expression
française. Il s'agit prinicipalement de l'inadéquation entre les personnages du
monde rural (paysannerie analphabète surtout) et leur discours et davantage
encore, de la question de la nécessité ou non d'une littérature spécifiquement
africaine dont les Critères sont encore à définIr
Mais pour l'essentiel, la crise s'est
ouverte autour du support linguistique du discours romanesque à savoir, les
langues européennes. Deux raisons au moins peuvent être avancées pour
expliquer et comprendre l'origine de la crise qui. au demeurant, n'est pas
nouvelle
La première raison, de laquelle découle la seconde, est d'orJre
historico-Ilittéraire et remonte à la Négritude Son lyrisme combattant dont les
ondes irradiaient le monde avait pour support linguistique, le français. Mais,
certes. l'Ilistoricité même du paradoxe le faisait s'auto-légitimer. C'est qu'à
l'époque davantage encore qu'auJourd'hui, le français était presque l'unique
mode de médiation au but négritudien.
Ainsi, lorsque la Négritude vient à perdre
de sa superbe et que le roman dont elle a en partie suscité l'émergence se
développe, celui-ci hérlte-t-il logiquement le paradoxe historique de la Négritude.
Et SI LIlle certaine ITla]Orlté élcqulse au fil des ans par le roman africain est souvent
cause de quelque dissension thématique -
encore que limitée à l'aspect
panégYrique -
avec la Négritude, elle s'accompagne d'une aggravation de la

74
auestion du moyen d'expression qui, elle, demeure lancinante à Jamais. Le
malaise profond (diversement vécu, il est vrai) auquel se trouvent confrontés la
presque totalité des écrivains, critiques littéraires et autres littérateurs africains
peut être formulé de \\a manière sUivante. Peut-on continuer de produire des
œuvres dans les langues européennes sans faillir au devoir, sans trahir la cause
de
lidentité culturelle africaine?
Oans une élégie
intitulée précisément
«Trahison», le poète Hatïen Léon Laleau traduit parfaitement ce malaise des
écrivains négra-africains d'expression française d'utiliser une langue d'emprunt
pour exprimer leur propre culture et leur sensibilité C'est que l'importance d'une
langue comme moyen d'apprentissage et de transmission de mode de pensée et
des valeurs culturelles, est universellement reconnue. Apprendre et utiliser une
langue étrangère. c'est par conséquent adopter une autre manière de faire, d'être
el de penser dans la mesure où la langue contribue étroitement à l'élaboration de
!a pensée. Cette valeur éminemment idéologique de la langue, C Abastado la
souligne pariaitement lorsqU'II éCrit à propos de la langue
( ) elle
est
le
creuset
d' une
culture
et
le
(:iment d' llne organisation sociale;
elle rroduLt
et
reproduit
un
système
de
pensée:
les
catégories
grammaticales
renvoient
à
une
structure logique,
découpe dans
l'expérience les
éléments d'un univers mental;
une langue impose
a
ceux
qUl
l'utilisent
la
VlSlon
du
rnonde
qu'elle informe. ll
Etant donné l'importance culturelle de la langue, peut-on raisonnablement parler
dune littérature africaine lorsque celle-ci a un support linguistique d'importation?
On le voit, ce qui est sujet à caution, c'est l'existence même d'une littérature
africaine
Mais cette question de l'identité culturelle dont l'eXistence d'une
littérature spécifiquement africaine serait l'un des éléments fondamentaux,
n emporte pas l'adhésion de l'intelligentsia. Celle-ci connaît une bi-partition

75
oppositionnelle entre défenseurs et détracteurs de la nécessité d'une telle
littérature dont l'avènement reste éminemment problématique. Ouels dOivent être
par exemple, les critères de cette africanité? L'engagement idéologique de
l'écrivain comme le préconisent L. Kesteloot et ses exégètes? Ne risque-t-on pas
dans cette hypothèse, de choir dans la monotonie de tout stéréotype à force de
standardisation thématique?
Faut-il au contraire invoquer l'argument de
l'appartenance géographique ou celle de la communauté linguistique? Là encore,
on pourrait objecter, spécieux argument évidé à force de citation, que la variété
des langues nationales à l'intérieur de nombre de pays africains constitue un
obstacle de taille à cet idéal littéraire et culturel. Pour les opposants à l'avènement
d'une littérature spécifique assurant la promotion des langues africaines qUI en
seraient le support, on aboutirait au mieux à des littératures africaines, vu la
rn ultlpllclté de ces langues. En outre, se servant du précédent de certall1s
écrivall1s bien connus tels que Samuel Beckett, Joseph Conrad, Eugène \\onesco,
utilisant des supports linguistiques autres que leurs langues d'origlne. 12 ils
estiment que, plus que son support linguistique, c'est l'efficacité de l'œuvre
littéraire qui est avant tout fondamentale. On se retrouve ainsi au pOll1t initial sans
que la question de l'identité culturelle n'ait été résolue le mOins du monde, car en
quels termes l'efficacité envisagée doit-elle être appréciée? Peut-on se fonder sur
la fonction sociale de l'œuvre et de l'engagement de l'écrivain? Mais quel
engagement et sur quelle base? Et cette question elle-même, doit-elle ou peut-
elle être 1 exclusive des seuls intellectuels? Et le rôle du politique? Ouelle portée
réelle peut avoir une telle tentative sur le développement du continent? Et pour
coller davantage à la réalité, terminons cette série d'interrogations par une
question tonclarnentale qUI ne saurait être éludée
A l'heure ou de grands
ensembles économiques se mettent en place en Amérique
(alliance Canada -
Etats-UniS
-
MeXique) comme en Europe avec le Traité de Maastricht. le salut
de l'Afrique ne passe-t-elle pas par une solidarité inter-africall1e plus responsable
et audaCieuse? L'intégration économique des micro-états actuels ne devrait-elle

76
pas constituer une priorité? Mais celle-ci pourra-t-elle raisonnablement Ignorer la
dimension littéraire et culturelle? Ne
devra-t-elle pas au contraire la susciter à
terme? On le VOIt. le débat reste ouvert sur une question aussi complexe et lourde
de responsabilités de tous ordres. Partisans et adversaires se servent à l'envi des
difficultés réelles ou supposées que soulève l'épineuse question de la nécessité
ou non d'une littérature spécifiquement africaine, prolégomène à la vaine
réclamation d'une hypothétique Identité culturelle
Face à cette controverse pleine
d'inconnues, nous avons préféré, non pas renoncer au débat par crainte des
difficultés réelles à affronter, mais le circonscrire par réalisme En effet, la quête de
réponses satisfaisantes aux questions laissées en suspens non seulement nous
aurait Jeté dans un dédale inextricable, mais encore, le développement des
arguments qu'impose une analyse même à peine approfondie de la situation,
aurait été une digreSSion inopportune pour notre propos actuel. Oui plus est, nous
n'aurions pas eu la prétention de
trouver une solution définitive à la crise, Au
surplus par conséquent, nous ne pouvons que faire quelques observations.
Si la multiplicité des langues africaines est une réalité, cette multiplicité ne
constitue cependant pas une difficulté insoluble en sorte que c'est un pessimisme
aboulique d'évoquer cet argument qui nous paraît captieux et historiquement
rrecevable
En effet. de nombreuses rencontres de haut niveau réunissant
1
l'intelligentsia africaine autour de la question ont déjà eu lieu, et des résolutions
théoriquement susceptibles de réalisation ont été faites, Nous citerons entre
autres, le premier congrès des artistes et écrivains noirs de 1956 qui, après avoir
posé le diagnostic de l'acculturation du fait de la trahison et de la transformation
du message délivré dans une langue d'emprunt, affirmait la nécessité d'une
libération culturelle
AinsI Jacques-Stephen AlexIs proposait-il à ses pairs
l'élaboration
d'une
esthétique
particulière
sous
le
nom
de «réalisme
merveilleux»
et qUI serait fondée sur la symbiose entre l'écriture et la tradition
orale Cette préoccupation était encore à l'ordre du jour quelques années plus
tard. lors du colloque de Yaoundé (Cameroun) d'avril 1973 sur le thème «Le

77
critique africain et son peuple comme producteur de civilisation »
Il existe par
conséquent, sinon des acquis théoriques, du moins une réelle volonté d'une
frange de l'intelligentsia de trouver une solution à cette crise Identltaire. En outre,
d'un strict point de vue linguistique, il existe également de réels espoirs en ce qui
concerne les langues africaines susceptibles de servir de support à la littérature
attendue, si le critère fondamental doit en être l'étendue démographique qui en
fait usage. Nous pensons à des langues interafrlcalnes comme le swahili (Zalre,
f<énya, Tanzanie), le haoussa (Nigéria, Niger.), le manding (Soudan occidental,
Côte d'Ivoire, Ghana, Libéria, Sierra Leone), le yoruba (Nigéria, Bénin, Togo)
parlées par des millions de personnes et dont la plupart sont déjà de véritables
moyens de communication littéraire. Par ailleurs, la situation de bilinguisme des
pays africains depuis la colonisation rend absolument caduque la thèse défaitiste
de la IllUltlpliclté des langues locales. Il faut bien se souvenir en outre, que c'est
dans une France linguistiquement disparate que le français lui-même fut Imposé
par la royauté.
Par conséquent, ce qui pose avant tout problème, c'est l'absence
d'une réelle volonté politique pour donner corps à ce qui est théoriquement
réalisable. Bien entendu, cela n'ira pas sans d'énormes difficultés, difficultés qu'il
faudra aplanir avec intelligence, patience et abnégation. Seuls, une réadaptation
mentale de \\a vieille classe politique viscéralement conservatrice aux nouvelles
donnes mondiales et l'avènement d'une nouvelle génération d'hommes politiques
réfléchissant en termes d'intérêt général, garantiront véritablement les ctlances de
succès d'une œuvre monumentale et difficile certes, mais non impossible Pour
l'heure, la question reste insoluble et c'est en cela que la démarche stylistique de
Kourouma revêt une importance sans appel.
En effet, alors que le monde romanesque africain semble laminé par cette
crise identitaire larvée et qu'aucune solution probante ne se profile à l'ilorizon,
certains écrivains, conscients de l'importance culturelle de la langue, ont pris le
parti de risquer une tentative sCripturale. Cet effort stylistique, linguistiquement
Iwbride semble se présenter comme une solution possible à la crise. Mais surtout,

78
il est en partait accord avec l'esttiétique dont rêvait J. S. Alexis et que nous avons
précédemment évoquée. Pour ces romanciers en effet, la véritable question de la
. vérité"
littéraire ne semble plus être dorénavant celle de l'africanlté de cette
littérature en tant que telle, mais bien, si on peut dire, celle du «
comment écrire
vrai?»
En termes différents, la nouvelle question paraît être celle-cI. Comment
;,1sseOlr une structure qUI restitue au rnleux la pensée afncalne dans le roman tout
en faisant œuvre universelle? Mimésis et spécularité du fait romanesque
ressurgissent ainsi à nouveau, mais cette fois au niveau de l'expression, puisqu'II
s'agit de trouver un langage qUI soit plus crédible parce que plus proche de la
réalité. Oans son essai intitulé Interrogation sur la littérature nègre de langue
française 13 Makhily Gassama se penche sur les registres d'expression chez les
romanciers et relève la contradiction que nous notions plus haut. AinsI remarque-t-
il en substance que, conscients du malaise que suscite l'exemplarité d'un discours
par des personnages analphabètes, certains écrivains adoptent le «petit-
nègre»
supposé plus réaliste pour garantir une certaine crédibilité à leur
discours. A ce propos, les deux extraits de dialogue de Une vie de Boy 14 du
Camerounais F. Oyono sont assez significatifs. Le commissaire de police Gosier-
d'oiseau et ses hommes opèrent une perquisition nocturne crlez le beau-frère de
Toundi où habite celui-ci La famille est comme tétanisée par cette soldatesque et
en deVient presqu'aphone de peur. Certifiant à son supérieur une réponse de
loundl, le gradé noir déclare
«Yen a vérité, sep»
L'énoncé souligné par
nous peut être tradUit par «C'est exact chef ». Oans celui à venir. le garde du
commandant raconte une mésaventure personnelle avec son employeur pour
Inconduite. A Toundi Il confie: «Movié!. .. ,
Zeuil- de-Panthère
cogner
comme Gosier- d'oiseau!
Lui donner moi coup de pied qui en a fait
soufat'soud...
Zeuil y en a pas rire ...»
Ces deux passages priS respectivement aux pages 39 et 40 du roman
Illustrent bien la volonté de ces auteurs d'explorer toutes les voies susceptibles de

79
résoudre la question du comment écrire vrai, faute de pouvoir trouver une solution
adéquate à la crise identitaire. Dans cette optique, la démarche sCripturale de
Kourouma
apparaît comme une réponse possible à la question du comment
écrire vrai, tout en faisant œuvre universelle. En cela aussi, et sans doute en cela
surtout. l'effort d'innovation formelle de l'écrivain est méritoire
En effet. la
problématique de la production romanesque africaine et de son corollaire
!Irlgulstlque ne sera formulée de façon adéquate et opportune, que lorsque sa
résolution sera fondamentalement orientée vers sa propre efficacité opératoire en
termes de lisibilité universelle. Cela signifie que le support linguistique qui sera
proposé ne sera viable que dans la mesure où il sera accessible à un lectorat
elargl et non pas intelligible seulement à quelques initiés Or un roman qUI serait
entièrement écrit en petit-nègre tel qu'illustré précédemment ne nous semble pas
répondre à ce SOUCI majeur de lisibilité universelle, à moins que celuI-ci (le petit-
nègre en question) n'ait atteint un niveau de popularité et de promotion tel. qu'il
soit devenu accessible à tous les lecteurs potentiels de l'espace francophone
QUOI quil en soit, la tf.:ntative formelle de Kourouma est, elle. parfaitement
descriptible ProdUit (j'un amalgame du français et du malinké, elle est un tissu
d'intelférences en marge des lois de la fonction combinatoire et un autodafé de la
iangue classique. Ecriture de rupture, elle est aussI une écriture émanCipée. Afin
de mieux apprécier les transgressions qu'elle opère, il est utile de préciser la
notion d'interférence linSJuistique.
A l'origine, l'interférence qualifie un phénomène en physique. C'?\\'Ji-ci
traduit la Juxtaposition ou la superposition de deux ou plusieurs mouvements
vibratOires de même fréquence. Dans la terminologie linguistique, elle définit la
manifestation ou la présence dans le discours d'un sujet des éléments de
vocabulaire et de gréli i ii 1ié.tire d'une langue dans une autre langue servant de
support au cliscours. L'Interférence est en général un phénomène Involontaire
résultant d'une situation de bilinguisme, celui-ci pouvant succinctement être défini
par lusage courant par une communauté, d'une langue étrangère à statut orficiel

80
et d'une ou de plusieurs langues maternelles. Le Dictionnaire de linguistique note
à ce propos.
On
dit
qu'il
y
a
interférence
quand
un
sujet
bilingue
utilise
dans
une
langue-cible
A
un
trai t
phonétique,
morphologique,
lexical
ou
syntaxique caractéristique de la langue B.IS
Si l'interférence linguistique est en général involontaire,
il est important de noter
quelle est absolument délibérée chez Kourouma dans la mesure où elle répond à
une intention esthétique de crédibilité discursive. Nous le montrerons dans les
développements à venir
Ce qui importe pour l'heure, c'est que nous nous
intéressions à une forme d'interférence au niveau du registre sémantico-
syntaxique.
1-2-2-1 Le registre sémantico-syntaxique
L'exemple patent de la déstructuration résultant de cette interférence
linguistique est donné dès la page initiale de Les Soleils avec l'annonce de la
mort de Koné Ibrahirna • «
Il y avait une semaine qu'avait fini dans la capitale
Koné Ibrarlima, de race malinké, ou disons-le en Malinké. il n'avait pas
soutenu un petit rhume..
»(Les Soleils'
7)
L'emploi intransitif de finir
(ayant pour objet un nom de personne) avec l'auxiliaire avoir, pour exprimer
l'Idée de mort. nest pas seulement Impropre du point de vue de la langue
normative. Mais surtout, l'inhabituel de la syntaxe résulte d'une interférence
lingUistique que le ndrrateur lui-même signale à l'attention du lecteur en lui
precisant bien, grâce à la valeur métalinguistique de l'énoncé en incise «
ulsons-
le en Malinké », l'origine de l'expression sUivante et par extension, celle du
contexte I_e narrateur aurait voulu demander au lecteur avisé de prendre quelque
distance avec ie langage consensuel afin de mieux Intégrer l'esprit de son propre

81
discours, qu'il n'aurait sans doute pas trouvé une meilleure formule de mise en
garde
Tout se passe en effet comme si le narrateur disait en substance: «
Je
vous préviens, ce que vous lisez n'a de français que la forme, le contenu, lui, est
rnalinké »
Un tel aveu ne va pas sans poser quelque problème d'ordre
épistémologique, En effet, pour interpréter avec justesse l'énoncé ainsi produit,
une certaine connaissance anthropologique du milieu d'énonciation est utile,
voire indispensable, mais certainement insuffisante, L'existence d'universaux de
langage rend en effet opératoire, l'application de la sémantique à toute langue
naturelle et a fortiori, lorsque nous avons affaire à un langage d'interférence
comme celui de Kouroullla
En d'autres termes, quelques notions de culture sur
le 1l11lieu de production du discours peuvent être souvent utiles dans la démarche
Interprétative, mais elles ne nous semblent pas pouvoir garantir un succès absolu,
Cela signifie que
si du fait de l'ancrage culturel des romans de Kourouma, une
démarche linguistique d'obédience sémantique comme la nôtre, ne peut négliger
l'IllVariant anthropologique, elle doit également s'efforcer de s'appliquer sans
renoncer à ses principes analytiques, Sur ce fondement théorique, nous pouvons
émettre quelques 11ypothèses descriptives générales, En premier lieu, nous
postulerons que toute ifTl(iropriété 16 langagière chez l'auteur répond à une
eXigence intérieure c.i'expresslvité tant affective qu'intellectuelle, ~'Jous poserons
ensuite que les présupposés logico-sémantlques qui président à t(iute dèmarclle
cJt.::;scriptive soucieuse de révéler l'intention stylistique de l'écrivain restent valides
ICI
Ils doive.clt par conséquent permettre d'expliquer et de cornprendre
l'orSJar'lIsallon:t la Illolivalion (lu tiSSU langagier des romans !<ourourrllens, Les
pren118res glandes Ilypotllèses de travail ainsi posées, revenons au texte,
En
Malinké. le lerme cOllrant consacré pour désigner la mUi lest "saha"
'saél! /\\insi un énoncé comme «
a sala »/asalal signifie il (elle la chose)
est décédée. Or, ;'ban" Iba Iqui signifie finir et dont la syntaxe de l'énoncé
pr"(:;clté ac!opt(~ le sens, est en général employé pour les lIlanlmés. De toule
évidence par conséCluent, l'auteur a préféré cette dernière traduction. r::'ourquoi"?

82
Le terme consacré à l'expression de l'idée de mort a une portée sémantique
Circonscrite précisément à cette unique signification, de sorte quelle semble
n'avoir qu'une valeur purement Informative. Le terme impropre avait fini, par la
transgression qu'elle opère sur les principes de la cornbinatolre sémantique,
transcende lui, ce premier niveau informatif. Il semble situer le fait "mort" à un
niveau supérieur en insistant pour ainsi dire, sur le caractère d'irréversibilité
absolue que suggère "ban". En outre, à la connotation humanitaire de compassion
paraît s'adjoindre un autre sentiment qui jure avec les exigences d'éthique de la
situation à savoir, une fine note d'ironie, si on se réfère à l'usurpation au passif du
défunt. La construction acquiert ainsi une force expressive telle que l'expression
consacrée n'aurait pu en produire. Quant à la deuxième construction «
Il n'avait
pas soutenu un petit rhume », la métalangue en a déjà précisé l'origine. Pour en
mesurer l'expresslvlte, énonçons quelques présupposés fondamentaux tirés de la
construction elle-même. Koné Ibrahima est en effet décédé sans aveir «soutenu
le moindre rhume», ce qui peut être considéré cam me une Infraction à la bonne
logique chez le Malinké. On devine là un sous-entendu de causalité: la mort est
le résultat d'une cause Or la forme négative de l'énoncé contrarie cette causalité,
ce qui laisse supposer la soudaineté de la mort survenue à la surprise générale
,6,
un autre niveau d'analyse, nous rencontrons un deuxième sous-entendu
logique dans le procès de mort et qui fonde la notion de conditionnalité. Que
slgnlfie-t-elle? Elle se définit par l'eXistence dans toute situation, d'une condition
ou d'un ensemble de conditions minimales à satisfaire préalablement avant que
ne salt atteint un résultat escompté, ou avant que ne puisse se produire un
événement quelconque Soit lénoncé suivant que, pour une question opératoire,
IlOUS conSidérerons comme vrai dans l'absolu
«Pour présenter une Maîtrise, Il
faut êtr'e titulaire d'une licence»
La condition élémentaire à remplir pour
prétendre à l'obtention d'une maîtrise, c'est d'être d'abord titulaire dune licence,
diplôme Imméeliatement inférieur à la maîtrise dans la hiérarchie des diplômes
universitaires. Conformément à cette logique de conditionnallté. la mort de Koné

83
Ibrahlma est un grand mystère. En effet. le rhume passe pour être un simple
malaise, une maladie absolument bénigne. Il ne peut par conséquent inquiéter
celuI qUi l'a contractée ou son entourage et encore moins laisser présager sa
mort.
Cette condition minimale elle-même n'étant pas remplie, aucun indice
pliyslque n'aurait permis qu'on se doutât le mOins du monde que Koné Ibrahlma
pût être malade ou même simplement souffrant.
Sa mort est par conséquent un
mystère Inexpliqué. De ce point de vue, on peut dire que ce malinklsme se Justifie
dans une perspective expressive. Remarquons que, pour autant qu'il signifie
mourir. le verbe finir s'accommode aussi de l'auxiliaire être. Avec luI. la forme
passive de la syntaxe renforce davantage l'idée de l'impuissance de l'tlomme
devant la mort On retrouve même les deux auxiliaires employés dans un même
énoncé:
Ex:
Fama avait
fini,
était fini.On en avertit
le chef du convoi sanitaire. Les Soleils
: 205.
L'interférence linguistique est influencée par l'ivoirisme, peu enclin lui aussi au
respect de la bonne expression. Le cas de marier dans l'extrait qui suit en est un
exemple. Il s'agit des Jeunes filles autochtones:
Ex:
Les
Dahoméens
( ... )
marièrent
les
plus
belles.Les Soleils :89.
I_e verbe se trouve là dans son emploi populaire où il est synonyme d'épouser et
non de «
donner en mariage à »
comme on pourrait le penser Outre ces
énoncés interférés, d'autres constructions de conception malinké participent
également de cette reclierche de crédibilité discursive. Le commandant de Saba
vient dannoncer au roi Djigui l'arrivée imminente d'un chemin de fer. Heureux, le
rOI se montre extrêmement exubérant dans sa gratitude. Quelque peu

84
embarrassé, le commandant se crut en devoir de modérer l'enthousiasme du
patrJarctle
Il ne lui cache pas la difficulté de la tâche à accomplir ni par
conséquent, la longue durée qu'exigera la réalisation du projet. Mais son
Interlocuteur nen a cure, car Il trouve les réserves de l'administrateur absolument
injustifiées:
Ex
1:
Le
Commandant
se
salissait
le
coeur
avec les inquiétudes qui ne résistaient pas a un
revers de la main( ... ). Monnè : 74.
Ex 2 : Après sa triomphale élection à la tète de
son
parti,
Béma
se vanta d'avoir
tout
le pays
avec
lui
sauf
son
père.
Ce
qui
n ' était
pas
une
parole
qui
à
Soba
n' avai t
pas
0 j igui
n'avait personne. Monnè : 270.
Le sentiment lingUistique d'une pan, et la pratique de la combinatoIre
sémantique française d'autre part, signalent à l'attention comme inhabituelle, la
complémentation entre se salissait et cœur. AussI peut-on dire qu'elle a atteint
ce que nous appelons l'esthétique de l'anomalie sémantique à la base de toutes
les expressions métaphOriques. Oans l'énoncé Cité plus haut, le cœur, en tant que
siège supposé des sentiments nobles (charité, générosité, sociabilité .. ) se salit
parce que les angoisses, les SOUCIS, sentiments somme toute négatifs, lui sont
Incompatibles. Quant au deuxième extrait, il illustre ce que 0
Ducrot appelle <<la
négation deSCriptive »
qui n'a d'autre valeur qu'informative. En effet, l'expression
soulignèe slgl1lfie «
ce qui ne voulait absolument rien dire ». Elle nie le contenu
de la proposition précédente et on s'aperçoit, après traduction, qu'elle possède
une expreSSIVité telle que sa forme ne pouvait la faire deviner
Les énoncés
syntaxiquement anomaux ne sont pas moins expressifs. Nous citerons pour
exemple le cas de dormir la nuit dont nous proposons une description dans la
trOISième partie du travail avec d'autres constructions similaires. Pour l'heure.
terminons avec les formules d'accueil comptables parmi les procédés qui

85
participent de l'idéal de l'expression vraie.
1-2-2-2 Autres expressions idiomatiques
La distance prise par l'écrivain par rapport au modèle romanesque dominant
dlmportation européenne n'est pas, on l'a vu, fortuite mais Idéologiquement
connotée, notamment au niveau culturel. Son esthétique romanesque n'est donc
pas une génération spontanée, fruit inattendu d'une production ex-nihilo. Il est en
effet l'aboutissement prévisible d'une recherche formelle qui affichait ses
ambitions dès le départ, l'écho d'un cri de révolte contre une orthodoxie
langagière liberticide. Ecoutons à ce propos Kourouma qUI parle de son premier
roman.
Je l'ai pensé en Malinké et écrit en français en
prenant
une liberté que j'estime naturelle avec
le
français
classique
( . . . ).Qu'avais-je
donc
fai t?
Simplement
donner
libre
cours
a
mon
tempérament en distordant
une langue classique
trop rigide pour que ma pensée s'y meuve.
J'ai
donc LraduiL 1e malinké en
français en cassant.
le français pour trouver et restituer le rythme
africain. 17
La rechèrche stylistique de Kourouma a par conséquent été suscitée par une
insatisfaction linguistique dénotant un profond malaise réellement vécu par
l'écrivain. Dès lors, le but recherché était clair: essayer de montrer la personne
humaine dont le représentant conventionnel présumé est le personnage
iOmanesque avec son langage de tous les jours. Dans ces conditions, l'écriture
devenait une écriture de catharsIs car elle devait assurer le saut qualitatif
permettant au romancier d'évacuer ses frustrations. Une telle entreprise ne
pouvait manquer de tirer à conséquence car dans sa forme, elle Juxtaposait deux

86
modes d'élaboration et de transmission de pensées. Cela explique cette
distorsion et cette cassure du français classique nécessaires pour asseoir un
certain équilibre entre l'illétrisme du personnage et son langage et rester le plus
près possible de la réalité. Le résultat est ce langage de rupture dont l'une des
principales formes sont les formules de salutations et de retrouvailles qui
consacrent une certaine volonté d'«
africanisation »
du français. A ce titre, cette
pensée de J.c.J\\Jicolas mérite d'être citée du fait de sa double valeur de
certification. En effet, elle corrobore non seulement cet acte d'assujettissement du
français à la pensée africaine, mais encore, elle rend compte de l'hostilité que
suscita dans un certain public de puristes, l'écriture de Kourouma. Parlant de Les
Soleils , J. C Nicolas affirme:
Le livre témoigne de la volonté de réafricaniser
la littérature dans ses formes,
dans ses thèmes,
délns son style et sa sensibilité.S'il a déplu,
c'est aussi parce qu'il
témoignait de ce libre
changement:
un
Africain
osait
africaniser
le
français pour parler sa langue. lB
Pour les partisans Irréductibles de la nécessité d'une littérature spéCifiquement
africaine, l'esthétique romanesque kouroumienne c'est-à-dire, l'ensemble du
dispositif technique élaboré par l'écrivain pour faire accéder au rang de style cet
amalgame de françaIs et de mallnké, n'est pas seulement un pis-ailer, c'est une
une véritable trahison. Ainsi, après avoir qualifié la forme littéraire de Kourouma
cie «dangereuse mystification », Axel K. Avoni dans un article acerbe note-t-II:
KO\\lrollma
(o·t
:=;e:=,
laudateurs
cl' ici
et
cl 1 ailleurs
sont des mystificateurs,
parce que l'africanité,
l'originalité
de
notre
écrire
et
plus
généralement de
notre
littérature ne sauraient
t é::~ i li (~ 1·
, ' Il
II Il C
Il (; Cl 1.. i ri c é.l t i. () n
t 01 k .1. 0 c· .i.::; t (;
ci e~.,
langues de nos mai tres 19 ; ( ... ).

87
SI l'écriture de Kourouma laisse un goût d'inachevé à ces africanistes
inconditionnels, viscéralement réfractaires aux innovations formelles non
exclUSivement endogènes, c'est qu'au premier dilemme de nature manichéiste,
l'auteur a substitué une autre alternative littéraire dont témoigne son esthétique
romanesque et qui est sous-tendue par le souci d'un certain réalisme dans le
discours, surtout pour les personnages du monde rural
Le messager de Samory Touré est chez le roi Djigui. Après quelques
formules énigmatiques, le roi souhaite la bienvenue à son hôte: «
Soyez le
bienvenu! A vous nos félicitations l A vous les longues marches' A vous les peines
et les adversités endurées i »
( Monnè: 30 ). Dans l'extrait qui SUIt, DjigUi reçoit le
commandant Héraud qu'accompagne Kélétigui, le propre fils naguère banni du
patriarche
-C'est moi le commandant
-A vous la bienvenue, commandant Héraud.
-Je viens de loin( ... ) et ai beaucoup souffert
mOl aussi.
-Alors
nos
compliments
a
vous
qUl
avez
marché
le lointain voyage( ... ).
-Oui,
je suis bien votre fils Kélétigui
-A vous la bienvenue,
Kélétigui.
-Et
j'ai
marché
les
longues
excursions
et
vécu les grandes souffrances.
-Alors
à
vous
nos
compliments
pour
les
lointaines
expéditions
marchées( . .. ).Monnè :211-212.
On peut distinguer deux sortes d'énoncé D'un côté, les énoncés dont la syntaxe
est Identique à celle de dormir la nuit (et la nuit mal dormie qu'on verra plus
lOin)
Ce sont essentiellement marcher et ses compléments
marcher le
voyage; marcher les excursions et marcher les expéditions. De l'autre,
on note les énoncés-formules de politesse qUI complètent le sens des précédents:

88
«
.. nos compliments à vous qui avez marché le lointain voyage »
Comment
comprendre de telles tournures? D'un strict point de vue rhétorique, on s'aperçoit
que par une sorte de désignation métonymique, le déplacement dont la marche
constitue l'extériorisation physique, devient cette marche elle-même. Il devient en
quelque sorte la modalité de sa propre exécution: comme on effectue le voyage,
les excursions et les expéditions en marchant, ce voyage, ces excursions et
expéditions ne sont presque plus considérés comme des destinations à atteindre
par 1activité de la marche, mais ils sont dans l'activité elle-même. D'un point de
vue anthropologique, ces form ules s'inscrivent dans une vision globale des
rapports interhumains. En effet, la sympathie de l'hôte à l'adresse des arrivants
procède chez le Malinké, selon Kourouma lui-même, de la présomption des
désagréments de toute nature dont la menace réelle ou présumée pèse sur tout
voyageur
AinsI. alors qU'ailleurs l'hôte aurait demandé à l'arrivant si le voyage a
été agréable, ici, la présomption des adversités explique cette compassion
spontanée et toute question relative aux conditions du voyage devient alors
inopportune, vOire inutile. Cela dénote toute une philosophie de l'existence

89
Conclusion
Pour rendre entièrement compte de l'étendue des effets de l'oralité
traditionnelle dans le style de Kourouma, c'est un essai sur l'esthétique
romanesque du romanCier qu'il faudrait proposer
Un tel travail excède notre
propos actuel. Les points qui viennent d'être développés ont toutefois permis
d'évoquer quelques-unes des directives possibles dans lesquelles pourrait
s'orienter cette recherche à entreprendre. Dans l'immédiat, notons que pour
Kourouma, l'élaboration d'un style qui se veut de rupture semble avoir pour
ambition de répondre à un certain souci de réalisme au niveau du discours
romanesque qUI définit la problématique du «
comment écnre vrai »
Celle-cI
est Informée par le souci de la présence et de l'assomption de la pensée africaine
que le français académique, du fait de son caractère assez coerCitif, paraît Inapte
à traduire fidèlement. De ce point de vue, l'écriture kouroumienne est un véritable
manifeste culturel et littéraire qui, comme tel, ne pouvait manquer de susciter
hostilité et critiques acerbes de certains esthètes. Pour ces derniers, la recherche
formelle de Kourouma, en dépit de son caractère révolutionnaire, laisse en
suspens la question de l'identité culturelle africaine pour autant que celle-ci
suppose l'avènement d'une littérature devant assurer la promotion des langues
africaines. Or l'esthétique romanesque de l'auteur propose impliCitement, ainsi
que nous venons de le montrer dans ce chapitre, une redéfinition plus réaliste des
termes de la quête identitaire. Par conséquent, si elle reste en-deçà des
espérances littéraires africanistes, elle a cependant le mérite insigne d'être un
moyen terme réussi entre la littérature africaine de malaise actuelle et le rêve
d·ulle littérature spécifiquement africaine. Si celle-cI est encore utopique du fait de
l'absence d'une réelle volonté politique notamment, son avènement ne paraît
guère impossible car des conditions objectives de sa réalisation eXistent tant au
niveau de l'intelligentsia africaine qu'à celui des supports lingUIstiques potentiels
En attendant ce moment, l'écriture romanesque kouroumienne qui réalise la

90
synthèse entre l'écriture classique et la littérature orale traditionnelle, définit déjà
les conditions de l'exercice littéraire à venir, à savoir précisément, la diversité
esthétique. Les chapitres suivants, consacrés à l'étude véritable des procédés
Intensifs Insistent sur les eXigences et résultats de cette ambition stylistique.
Lobjectlf principal sera de montrer comment l'hyperbole devient un trait
caractéristique de l'écriture kouroumienne à travers l'expression du haut degré.

91
1 - Le Petit Robert (Dictionnaire de la langue française). Dictionnaires Le
Robert 1991, P 1994.
2 - Dictionnaire de la langue française. Editions Bordas, 1993, voL Il , P 2962.
3 - J Derive. «
L'utilisation de la parole orale traditionnelle dans "Les Soleils des
Indépendances d'Ahmadou Kourouma'»
ln L'Afrique littéraire et artistique,
n° 54-55, 4è trimestre 1979 (1 er trimestre 1980), p 106. Précisons que ce texte est
la publication de l'intervention de l'auteur au colloque organisé à l'Université
d'Abidjan (Côte d'Ivoire) en 1977 sur la survivance du mythe dans la littérature
africaine moderne. Selon Derive, «
ngoni »
désigne en malinké, l'instrument à
corde avec lequel ces chants sont exécutés.
4 - Idem. p 107.
5 - De manière succincte, on peut dire que selon Propp, tout récit apparaît comme
une dynamique évoluant d'un point initial de crise vers un autre point terminal de
résolution de cette crise.
6 - Nous passons sous silence la distinction conteur professionnel/conteur
amateur ou profane qu'on établit souvent.
7 - Au-delà de sa fonction ludique, le conte a plusieurs autres fonctions. Parmi
elles. la fonction sociologique qui passe entre autres, par la recherche de la
cohéSion de la communauté, l'inculcation des valeurs cardinales aux Jeunes
8 - Texte tiré d'«
Un problème d'alliance à travers le conte baoulé. le cas de la
fille difficile ». sUlet du mémoire de DE A de Mme Yao [\\J'guessan épouse
Akpagnl
1nstltut National des Langues et Civilisations Orientales (1 N L C. 0).

92
Etudes Africaines. 1989-90, p 34.
9 - Appliqué à un homme, ce terme serait péjoratif chez le Baoulé, peuple du
centre de la Côte d'Ivoire.
10 - J Jahn
Muntu, l'homme africain et la culture néo-africaine. Editions
du Seuil, 1961. L'auteur traite entre autres, de la croyance dans le pouvoir
magique du verbe en Afrique.
11- C Abastado, «
Liminaire: Représentations sociales, littérature africaine,
sémiotique textuelle »
in Ethnopsychologie. Revue de psychologie des
peuples. 35è année, n° 213, avril-septembre 1980, p 8.
12- Samuel Beckett et Eugène Ionesco respectivement d'origine irlandaise et
roumaine, publient en français tandis que le Polonais Joseph Conrad, lui, écnt en
anglais.
13 - M. Gassama. 1nterrogation
sur
1a
1ittérature
nègre de 1an gue
française. Nouvelles Editions Africaines, 1978.
14 - F Oyono Une vie de Boy. Editions Presses Pocket, 1991.
15 - J. Dubois, M. Giacomo, L. Guespin et al Dictionnaire de linguistique.
Larousse, 1989, p 265.
16 - rnpropnété est le terme générique désignant ici, toute forme de langage ou
1
de construction qUI s'écarte d'une certaine norme ou d'un emploi consacré par
l'usage.

93
17 - Cité par A
Huannou in L'Afrique
littéraire et artistique, nÙ 38, 4è
trimestre, 1976. Ajoutons que ce qu'affirme Kourouma de Les Soleils est
également valable pour Monnè.
18 - J
C
Nicolas. Comprendre
Les
Solei Is
des
Indépendances
d'Ahmadou Kourouma. Editions Saint-Paul, 1985, collection «
Les classiques
africains », n0858, p 177.
19 - Axel K. Avoni. «La lune des Dépendances »in Ivoire Dimanche, n° 995
du 11 mars 1990, p 40.

l,t
',r'\\!:~'~.1
(,..",~-' '.-:I.;':~i
r,•.\\
:\\i
CH. 1 . LA CARACTERISATION INTENSIVE
PAR L'ADVERBE ET L'ADJECTIF
CH. II - LA CARACTERISATION COMPLEXE
D'INTENSITE
CH. III . LA CARACTERISATION INTENSIVE
PAR LES ENONCES COMPARATIFS

95
Section 1-11-1 Généralités sur l'expression du degré
Une brève étude historique est utile afin de préciser les contours
sémantiques
du
sujet.
Cette
étude
permettra
d'évoquer
les
modalités
d'expression en latin de l'idée intensive, modalités auxquelles sont étroitement
liés nombre de procédés lexicaux français d'intensification.
Le latin exprimait en
effet le degré dans l'adjectif au moyen des désinences. La permanence de la
constante doct- à laquelle s'applique la variation suffixale dans les exemples ci-
dessous empruntés au Gand Larousse de la langue française 1, montre que
l'adjectif latin distinguait déjà les nuances de degré:
a)- Paulus doctus est: «Paul est savant»
b)- Paulus doctior est: «
Paul est assez savant»
c)- Paulus doctissimus est: «
Paul est très savant »
De cette distinction flexionnelle, proviennent les notions de «
positif»
de
l'adjectif, de «
superlatif »
dont ces énoncés sont des illustrations. Une première
remarque s'impose.
Elle concerne le fonctionnement de chaque système
linguistique. En latin en effet,
une nuance superlative est susceptible de traduire
la distinction des formes de positif (doctus ), de comparatif (doctior ) et de superlatif
(doctlssimus) sans que l'indication d'un «
étalon »
de mesure. ou d'un
ensemble référentiel (voir plus loin) SOit absolument nécessaire. C'est du mOins ce
qUI ressort de l'interprétation de l'encyclopédie qui précise que les suffixes en -ior
et -ISSlmus peuvent également se traduire respectivement en «
plus savant »
et
«
le plus savant »
En français, les restrictions de la fonction combinatoire
rendent impossibles des énoncés 2 comme: «
Il est assez savant que son
frère»'
et «II est très savant de tous » '
AinSI, contrairement à doctior et
rloctlsSlmLJs.
assez savant et très savant sont-ils exclusivement préposés à
expression du degré absolu.
Outre ces marques flexionnelles, le latin disposait
1
également d'une variété d'adverbes qui, s'appliquant au positif de l'adjectif,

96
exprimaient les variations d'intensité d'une qualité ou d'un phénomène. Le Grand
Larousse donne les exemples 3 suivants : non multum qui signifie «
peu »,
minime «
très peu », satis «
assez », sane, maxime ... qui signifient «très»
A cela s'ajoute une série de marques préfixales. Comme pour les adverbes, nous
nen proposons que quelques-unes parmi les plus usuelles telles que per- et
prae- Ceux-cI étaient affectés à l'indication d'un haut degré.
Ainsi perabsurdus
et praeclarus signifiaient-ils respectivement «
très absurde »
et «
très clair»
En français, mis à part quelques survivances latines et italiennes des
procédés suffixaux (le superlatif en Issime notamment), l'indication de la variation
en degré se fait essentiellement au moyen d'éléments préposés. Notons à ce sUjet
que, loin de constituer lin ensemble harmonieusement structuré et définitivement
clos, ces éléments forment au contraire un ensemble hétéroclite et ouvert à un
constant renouvellement. En effet, du fait d'un fréquent usage, certains éléments
viennent à être affaiblis sémantiquement. Ils sont alors évincés par de sérieux
concurrents, transfuges d'autres catégories lexicales au contenu notionnel plus
expressif. Plusieurs adverbes de manière illustrent ainsi cette dynamique
linguistique. Ce sont entre autres, absolument, extrêmement, parfaitement,
entièrement . . qui, participant à la régulation du système, se sont Imposés dans
la langue actuelle comme de véritables outJls intensifs.
De ce qUI précède, on peut inférer l'existence d'une hiérachie dans l'Idée
de degré OLJ la notion de haut degré, éminemment classificatoire, prend toute son
Importance. Dans cette stratification en paliers successifs en effet, le haut degré
occupe le stade suprême, chaque stade informant presque toujours des moyens
linguistiques spécifiques P Guiraud note à ce propos dans La stylistique que:
« ( .. )
la
spécificité des
moyens
d'expression
est définie en
fonction des types d'énoncés qui
les mettent en œuvre,
et les
~ypes d'énoncés
en
fonction
des moyens
d'expression qui
leur
sont
propres »4 Considérons un ensemble F d'éléments a, b, c, d, e, f,

97
représentant les membres d'une famille et la qualité «
serviabilité ». Il est
possible de faire une évaluation du degré de possession de la dite qualité entre
les éléments de F:
(1) - a est serviable
(2) - b est aussI serviable que a
(3 ) - c est plus serviable que d
(4) - d est le plus serviable de (des éléments de) F
L'énoncé 1 traduit la constatation de la serviabilité chez la personne a considérée
en soi sans intention comparative. Au contraire, les énoncés 2, 3, et 4 enclenchent
un procès de comparaison entre les éléments de F Cette opération linguistique
se traduit au plan de l'énonciation par des opérateurs appropriés. Aussi que
marque exclusivement l'égalité, mais la réciproque n'est pas toujours vraie, à
mOins d'exclure comme des opérateurs de l'égalité présumée.
Même l'argument
de la nuance sémantique entre ces marques grammaticales ne nous paraît pas
recevable. La seule explication valable tient à notre avis, à la variété des
«moyens d'expression »
tandis que les types d'énoncés eux, sont toujours
fixes, non évolutifs, excepté quelques exceptions au demeurant fort douteuses.
Les moyens linguistiques servant à exprimer l'idée d'égalité par exemple, peuvent
se renouveler, mais li est peu certain que l'idée en elle-même évoluera Jamais,
à
mOinS qu'on ne lui donne une autre signification
Toutefois, cette remarque
n'infirme pas totalement l'observation de P Guiraud qui est Justifiée dans une
large mesure
AinsI, plus que et le plus de marquent-t-Iis respectivement ce
qU'on appelle traditionnellement, comparaison de supériorité et superlatif relatif.
A
ce propos. rendons hommage à J. Damourettte et E. Pichon 5 qui, les premiers,
enrlcllirent le vocabulaire dans le c10maine de l'intensité en mettant au Jour les
(~Ofll.Ppts rl'i1CCOmIT1PnslIrallon et cie décommensuratlon Comment les distinguer?
D'un pOint de vue formel, l'accommensuration se définit par l'indication
d'un élément ayant valeur de norme évaluatnce dans la comparaison
C'est
1 élément
mtrodult par que. Parce qu'il a fonction de référence normative,

98
Damourette et Pichon l'appellent à juste titre «
étalon »
On verra tout au long
de notre description, à quelle hypertrophie cette fonction est soumise car dans les
faits, elle excède le cadre de l'accommensuration
Dans la terminologie
traditionnelle, celle-cI correspond à la comparaison de supériorité, d'infériorité et
d'égalité En effet les locutions conjonctives exclusivement préposées au procès
accommensuratif sont plus/ moins que, aussi que. La décommensuration,
elle, étend le procès comparatif à un ensemble référentiel réel ou imaginaire.
Rappelons-nous l'ensemble F et les énoncés proposés auparavant Dans
l'énoncé 4, l'élément d faisait l'objet d'une citation d'exemplarité comme
possédant avec excellence, la qualité «
serviabilité »
parmi tous les membres
de la famille. L'appel à l'ensemble référentiel dans le procès décommensuratif est
assuré par la préposition de ou
par une proposition relative amenée par que.
Terminons avec la question de «
forme»
L'élément valorisé ou dévalorisé
dans l'opération décommensurative, pour être pleinement distingué et élevé au
rang suprême, doit être toujours parfaitement déterminé. Cela Justifie la présence
indispensable de l'article défini dans l'énoncé 4, ou bien celle d'autres
actuallsateurs tels que les possessifs, les démonstratifs. La décommensuratlon
peut ainsi être définie comme une opération linguistique de prélèvement sur un
ensemble référentiel quelconque qui met en relief, par une sorte d'hyperbole
grammaticalisée, l'exemplarité de l'élément prélevé PréCisons que l'exemplarité
dont Il est question peut être positive ou négative. Nous parlons ainsi d'opération
panegy-décommensuratlve ou panégy-décommensuratlon, lorsque nous avons
affaire
à
une
l1yperbole
décommensurative
méliorative.
L'hypo-
décommensuration ou opération hypo-décommensurative désignera l'hyperbole
décommensurative péjorative
Soit les énoncés ci-après
(a) «Danse avec les loups »
est le film le plus beau de toute l'histoire du
Cinéma
(b)- Cette pièce de théâtre est le plus piètre spectacle qUI ait Jamais été joué à
l'Opéra

99
Les énoncés (a) et (b) sont respectivement une panégy-décommensuration et
une hypo-décommensuration. Cela montre que la nature de la décommensuration
est
déterminée
par
le
sens
de
l'adjectif.
Pour
ce
qui
concerne
la
grammaticalisation de la construction, elle est amenée par l'article le et ses
corréla tifs
adverbiaux
plu s ou moins que complète
de ou la relative
déterminative. Enfin, la décommensuration est l'opération comparative plus
connue sous le nom de superlatif relatif, antonyme du superlatif absolu. Comment
fonctionne celui-ci? Il est possible et de pratique fort courante, de qualifier un être,
une chose, à l'exclusion de toute intention comparative. On affirme alors de
manière absolue, sans souci de relativisation, que cet être (ou cette chose)
possède à un degré d'éminence, un attribut quelconque. Tel est le principe de la
mensuration (superlatif absolu). Formellement, l'adverbe très suivi d'un adjectif
qualificatif est le préposé classique à la mensuration. Mais nous verrons plus loin
que dans la langue actuelle, cet intensif primitif est presque supplanté dans sa
fonction par de nombreux adverbes de manière plus expressifs. Après cette vue
générale sur l'expression du degré, recentrons à présent le débat autour du sUjet
et élucidons-en les concepts fondamentaux.
Section 2-/1-2 Circonscription et définition de l'objet
Tel qu'illustré par les énoncés précédemment cités, le haut degré peut être
défini dans une première approche de la manière suivante. Le haut degré est un
procédé global de caractérisation au moyen duquel on exprime au sUjet d'un être,
d'une chose ou d'une notion, une appréciation laudative ou péjorative plus ou
mOinS absolue dans une qualité quelconque.
L'être, la chose ou la notion ainsi
distlngué(e), passe pour en être notoirement doté(e) à éminence. Une telle
c1éfillltlClIl POUITéllt susciter qIJ(~lqLJes objections
Parmi celles-cI, li faut noter
d'abord le fait que notre définition semble exclure a priori la décommensuration
quI. comme nous l'avons précédemment montré, Institue une comparaison

100
implicite
Mais la réalité est toute autre, car en dépIt de son apparente étroitesse,
cette définition englobe bien l'opération décommensurative. La justification en est
simple
C'est que pour nous,
la présence effective ou virtuelle de l'ensemble
ieferelltlel. qU11 SOit de nature spatiale «
La plus belle fille du monde »
ou
temporelle «
Le plus piètre spectacle du siècle », n'a d'importance que par sa
valeur Intensive, car la dimension comparative y apparaît presque toujours si
9ffacée qu'elle est à négliger. Une autre interrogation pourrait éventuellement
porter sur le terme expression rendu sans doute confus du fait de son double
emplOi D'abord
parce qu'il intervient dans la définition du haut degré telle que
proposée précédemment, ensuite parce qu'il fait partie de l'intitulé général du
sUjet Cela eXige de notre part, une plus grande rigueur en précIsion sémantique
Au terme expression, le Vocabulaire de la stylistique signale troIs
deflnltlons. Parmi celles-cI, une ressortit à la fonction linguistique fondamentale, à
savoir.
la communication interhumaine d'informations. de pensées et de
sentiments
Elle presente en effet l'expression comme étant un «Moyen
de
véhiculer
par
le
langage
(=
d' exprimer)
un mes sage »
6 Oans la
Illesure OL! Loute tOlîne est valeur, c'est-à-dire signification
conformément à
:essence même de la langue qui a pour fonction de «
vouloir dire quelque
chose»
cette acception du terme expression emporte notre adhésion. Quant à
forme et fonction justement ce sont deux concepts particulièrement polysémiques
tant en linguistique que dans le vocabulaire commun non didactique
Un
panorama sémantique sur leurs différentes acceptions serait non seulement
fastidieux à établir, mais de surcroît, il n'aurait aucun Intérêt pour nous. AUSSI, en
lieu et place. proposons-nous une approche plus pragmatique. Soit les énoncés
sUivants
( 1)- Laralgnée est aussI rusée que la tortue.
(2)- Le renard est plus rusé que l'hyène
\\3)- Le lièvre est le plus rusé de tous.
(4)- Il est bête à manger du fOin.

101
(5)-
C'est un athlète rapide comme l'éclair.
16)-
Elle est une personne très avenante.
Du point de vue sémantique, ces énoncés ont un dénominateur commun:
ils expriment tous l'idée de degré
La différence entre eux vient de leurs
composantes grammaticales respectives. On sait à quels types d'énoncés sont
affectés aussi que, plus que, le plus de et très.
A l'idée de degré, sadjomt à
la fois lidée de conséquence et de caractérisation dans l'énoncé 4 avec à
manger du foin, et celle de caractérisation seulement dans l'énoncé 5 avec
comme et son complément Nous verrons plus loin, grâce au principe d'inclusion
semantique, que les constructions du genre, à manger du foin et comme
l'éclair peuvent être traduites en très + adjectif / adverbe.
Le but de cette
description est le suivant. Si on admet- en réalité, cela paraît difficilement
contestable, sauf peut-être pour un étranger chez qui le sentiment linguistique
eXiste à peine -
que ces énoncés représentent chacun une variété spécifique de
l'Idée IntenSive, on admettra en toute logique notre acception des concepts de
forme et de fonction
Nous désignerons ainsi sous le terme générique de forme,
toutes les modalités d'expression de l'idée d'intensité, qu'elles soient de nature
lexicale. syntaxique ou figurative
Précisons toutefois que quand nous parlons
<<formellement »
ou «
d'un pOint de vue formel », c'est pour evoquer au
niveau descriptif les éléments grammaticaux des énoncés envisagés. On vient de
le vOir avec les énoncés cités plus haut
Pour ce qUI est du terme fonction, nous
lUI attribuons deux significations. La première reconduit l'acception traditionnelle
deflnle dans l'élaboration du sens au niveau de la fonction combinatOire. Il s'agit
du r61e Joue par les différents éléments d'une phrase C'est sur ce fondement
sémantique que s'établit la distinctIon tripartite sUJet- verbe -
complément.
A
cette acception.
s'ajoute une seconde. définie auparavant à travers les Idées de
conséquence et de caractérisation,
toutes deux consubstantielles à l'idée
dmtensné. Les énoncés 4 et 5 proposés auparavant en sont des Illustrations

102
Dans cene acception où la signification immédiatement saisissable d'un énoncé
saccompagne d'une plus-value sémantique, fonction est proche de connotation,
pour autant que celle-ci soit réductible à l'effet de sens d'un terme ou d'une
construction quelconque selon le contexte. Nous pensons
donc au sens
contextuel ainsi qu'à la nuance affective qUI peut ou non s'y rapporter. Sont
également Implicitement intéressés ici,
les "pré-requis"
de l'énonciation.
Rappelons l'énoncé 5 proposé auparavant pour rendre Intelligible la notion de
pré-requIs «C'est un athlète rapide comme l'éclair »
Pour tout locuteur de la
langue française instruit par le sentiment linguistique, la séquence «
comme
!éclalr »
a valeur de modèle en ce qui concerne la qualité «
rapidité »
D'un
pOint de vue culturel, cette séquence est l'expression d'un jugement a posteriori,
cest-à-dlre inspiré par l'expérience et
attesté par elle. C'est ce qui confère sa
dimenSion péjorative et ironique à un énoncé où cette séquence serait remplacée
par une autre qui jurerait avec l'expérience, comme de dire
par exemple quun
athlète est rapide «comme une tortue»
MaiS ce qui est important à souligner, ce
n'est pas uniquement la valeur culturelle de modèle de la séquence introdUite par
comme, cest également sa valeur purement linguistique. Cela signifie que cette
valeur pré-eXiste à la valeur culturelle dans \\e système linguistique !ul-même
Lexempiarlté et le rôle de modèle de rapidité que dénote le substantif éc 1air
tiennent en effet, à la linéarité des éléments dans le système et par conséquent à
leurs fonctions syntaxiques de substituabilité ou de non substituabilité Or, cette
linéarité. ces fonctions et ces rapports grâce auxquels s'organisent les jugements
de l'expérience linguistique humaine (au mOins sur des cas comme celUI de
l'énoncé qui précède) dépendent strictement de la langue, de sa structure interne
AinSI dans une première définition assez restreinte, le pré-requis déSignera pour
nous un certain a-prlorlsme de la langue. la logique intrinsèque de son
organisaTion qUi donne sens à toute énonCiation.
Oans une deuxième approche
plus extensive, nous qualltierons de pre-requIs d'une part, l'ensemble des regies
qUI régissent les Jugements de grammaticalité et d'agrammaticalité, et d'autre part

103
le pouvoir qu'a un locuteur de décrire un énoncé, cest-à-dire de l'interpréter et de
lUI trouver une signification. Cette pensée sera le postulat fondateur de notre
procédure d'analyse dont les principes descriptifs seront définis progressivement
au cours des développements ultérieurs

104
CH1 CARACTERISATION INTENSIVE PAR L'ADVERBE ET L'ADJECTIF
Introduction
Le but du présent chapitre est de définir le mécanisme d'expressivité de la
caractérisation en tant que modalité de haut degré Comme celui-ci, le concept de
caractérisatIon Intensive est classificatoire
En effet, l'adjectif inten si ve, en
modifiant le contenu notionnel du substantif caractérisation, laisse implicitement
entendre qu'il existe plusieurs sortes de caractérisation. Parmi celles-cI, il faut
compter la caractérisation non intensive. Cette dernière est exclue de notre étude.
Oans les énoncés ci-après, elle est illustrée par les exemples 2 et 4
~ 1)- Cest un athlète rapide comme l'éclair
(2)- Nadia aime voir les fleurs jaunes.
~3)- C'est une âme très sensible.
(4)- Le fleuve coule doucement.
Ladjectlf jaunes et l'adverbe doucement sont en fonction de caractérisation
auprès du substantif fleurs et du verbe coule.
Le premier fournit des informations
relatives à la preférence de Nadia en matière de fleurs à propos de la couleur, en
préCisant quel caractère extérieur emporte son agrément et lui procure un
ravissement Visuel Le second déCrit la modalité (manière) d'accomplissement du
phénomène exprimé par le verbe. Mais aucun de ces caractérisants n'est assez
explicite au niveau de leur sémantisme pour dire avec précision le degré de plaiSir
éprouvé par Nadia à la vue des fleurs, ni la vigueur avec laquelle le fleuve coule
Au contraire, les énoncés 1 et 3,
du fait de la dimension intensive de leurs
caracténsants respectifs, ont un signifié grâce auquel se mesure pleinement
l'intensité de la chose évoquée. Toute la différence réside. en ce qui concerne
l'énoncé 1, dans le Signifié prédicatif du syntagme prépositionnel Introduit par
comme et qui a valeur de modèle, 110rmis les cas d'ironie. Quant à l'énoncé 3, il
dOit sa valeur intensive à très. Ces énoncés permettent de distinguer entre

105
caractérisant intensif et caractérisant non intensif Mais intensif ou non, un
caractérisant suppose un caractérisé au contenu notionnel duquel le premier
applique le sien propre et le modifie en compréhension.
Dès lors, ce n'est point
gauchir ce rapport syntaxique de complémentation que d'appeler El la sUite de
DamoureIie et Pichon (Des mots à la pensée, Editions d'Artrey, 1935, voll p 115 )
le caractérisé «support»
quand le caractérisant, lUI, est dit «
apport »
On
peut ainsi définir le caractérisant dans cette complémentation comme un élément
linguistique dont le caractère virtuel du signifié ne s'actualise que dans 1 ensemble
support-apport. C'est cette propriété du caractérisant (ici l'adjectif) que G.
MOlgnet. à la suite de GUillaume Gustave définit ci-après à travers la notion
d'Incidence:
L'adjectif,
lui,
possède,
~ c6té de l'incidence
illterne qui le réfère a sa l1otion cle base,
llne
autre incidence,
externe celle-là, qui le réfère
à un support substantif:
beau ne peut se dire en
soi (sauf ~ devenir substantif), et doit se dire
d'un
être
ou
d'une
chose:
un
bel
homme,
une
belle auto. 7
De la caractérisation, on peut alors dire qu'elle est une opération
lingUistique par laquelle un caractérisant actualise la virtualité de son sémantisme,
en sappllquant à la constante notionnelle d'un caractérisé. Il en Indique les traits
marquants autant qU'II en limite la compréhension. Il faut noter ici la dimension
genenque du terme caractérisant qui a l'avantage de référer aussi bien à l'adjectif
qualificatIf et à l'adverbe, qu'à des structures diverses telles que à + infinitif et
comme + échantil. L'échantil désignera, soit le substantif complément de
co m me. soit la proposition amenée par lUI dans les énoncés comparatifs
d'intensité ( voir ch 2)
Mais plus prosalquement,
nous dirons avec F Brunot
que «Caractériser,
c'est noter les caractères,
essenciels ou
accessoires,
naturels
ou
acquis,
durables
ou
éphémères
d'un

106
être,
à' un
acte,
ct' une
notion
quelconque»,8 Ainsi définie, la
caractérisation doit être entendue dans sa plus générale acception intensive
incluant des procédés oraux qui ne ressortissent pas traditionnellement à la
grammaire. C'est le cas de l'intonation que nous étudierons au chapitre consacré
à l'exclamation intensive Mais avant de montrer comment l'intonation devient
symboliquement un procédé de haut degré, nous devons traiter du rôle de
l'adverbe et de 1adjectif dans l'expression de l'idée Intensive par le biais de la
caractérisation, En effet, la brève étude historique sur les modalités latines de
l'expression du degré a montré, grâce à la traduction du latin en français, que
1adverbe très suivi d'un autre adverbe ou d'un adjectif est le constituant de base
de l'intensité, Il est logique par conséquent que notre procédure d'analyse qUI vise
à prévoir et à expliciter le sens des énoncés s'applique d'abord à donner des
exemples demploi de cet intensif originel. C'est la condition idéale qUI accréditera
et permettra de comprendre nos hypothèses descriptives fondées sur l'II1clusion
sémantique.

107
Section 3-11-1-3 Caractérisation intensive par l'adverbe
11-1-3-1 L'intensif
très
Lantériorlté de la
valeur
superlative de très parmi
les moyens
d'intensliication est un fait unanimement admis par les études historiques à notre
connaissance. Mais avant de s'imposer comme l'outil intensif d'excellence,
l'adverbe a dû triompher de son prédécesseur moult, assure H Hultenberg dans 1
Le renforcement du sens des adjectifs et des adverbes dans les langues~
romanes. 9
Après l'éviction de ce dernier, très, resté seul sur le terrain de la
caractérisation acquiert sa pleine valeur d'intensif le plus usité
Aujourd'hui
encore quoique fort affaibli par un fréquent usage et quasi supplanté dans cette
ionctlon. cet adverbe connaît un emploi étendu
Il continue d'être un renforçatlf:
(
~
a)- soit d'adverbe. Dans le premier énoncé, le marabout fait une lecture des
événements météorologiques subséquents au sacrifice qu'il vient d'accomplir en
faveur de Salimata
~x 1: La pluie qui tombe, qui lave le sol apres
un sacrifice, c'est très bien.
Encore un slgne
de sacrifice accepté. Les Soleils:
76.
Dans l'attente fébrile d'une
rencontre politique à haut risque entre Fama et les
représentants du parti au pouvoir, le narrateur assure que ceux de Togobala n'ont
pas perdu leur piété:
Ex 2:
La quatrième prière arriva trop tôt, mais
on la courba très scrupuleusement.Les Soleils:
140.
b) - SOit d'adjectifs
t:x
~: Les
hyènes
du
Horodougou
fouilleuses
de
tombes
sont très voraces. Les Soleils:
119.

108
Oans cet emploi. l'adverbe peut s'insérer dans un syntagme à lexicalisation
achevée.
Il
modifie
alors
le
sens
d'ensemble du
groupe et non
plus
spécIfiquement celui de l'adjectif au sémantisme absolument évanescent C'est ce
qui se passe avec le groupe «de bon matin»
du passage suivant:
Ex
2: De
très
bon
matin,
les
premiers
conVOlS
descendirent
sissa-sissa sur le
sud
pour
aller
tirer le train de Djigui.
Monnè
:
76.
Un tel emploi de cet intensif primitif en dénote son évidement sémantique. Une
autre preuve de cette désémantlsation doit être trouvée dans le fait quil
sappllque souvent à des adjectifs dont le contenu notionnel en lui-même dégage
·jéjà une telle plénitude d'expressivité que leur proximité Immédiate aurait dû
apparaître comme une infraction sémantique. Il en va ainsi d'impérieux. On le
t'encontre pourtant dans la langue actuelle sans que cela provoque le mOins du
monde une quelconqu'impropriété
Ex
3: Mais
Béma,
alors
qu'il
n'étai t
que
le
simple
dauphin,
avait
refusé
de
s'offrir
aux
denLs
vengeresses
de
son
père,
allait-il,
avec
les
titres
de
Massa
et
de
présidenL
du
PREP,
fléchir?
Personne
ne
le
pensait.
Il
fallait
qu'une très impérieuse nécessité le contraignît.
Monnè
:
275.
La tentation est grande, dans ce genre de cas, d'invoquer l'argument d'un double
procès de désémantisation en estimant, pour Justifier la construction, que le terme
intensifié lUI aussi subit cette désémantlsation. II semble cependant plus
raisonnable Clue l'emploi soit justiciable de l'usage abusif de l'intensif, usage
procédant presque toujours d'un besoin irrésistible et parfois inconscient
d'llyperbolisation
Dans cet extrait en tout cas, \\e contexte corrobore nos
observations. En effet, l'ardent désir de promotion sociale de Béma autant que sa

109
boulimie des sommités politiques, sont aux antipodes des valeurs ancestrales qUI
ont pour noms humilité, sens de la conciliation, respect de l'âge. Homme
ambitieux et dénué de scrupules, rien ni personne n'arrive à lui faire entendre
raison
Pour un homme de son espèce,
il faut en effet que se produise
un
:événement au-delà de l'ordinaire pour qui! puisse être affectlvement atteint. La
structure Intensive
très
+
impérieuse,
par sa dimension quelque peu
pléonastique, est tout à fait symptomatique du caractère extraordinaire de cet
événement hypothétique. En d'autres termes, cette structure semble avoir été
voulue pour exprimer la nature de cet événement qu'on qualifie proleptlquement
de peu habituel. Mais ce type d'emploi, quoiqu'il soit digne d'intérêt pour
1analyste de discours, il ne revitalise guère l'intenSif très dont l'affadissement
sémantique est peu discutable. Il est normal dès lors que, pour réguler le rapport
expressivité-moyens d'expression, la langue se renouvelle et que ses usagers
(surtout les sujets parlants) initient des procédés de substitution au contenu plus
énergique. De cela procède l'avènement dans le domaine du haut degré de
nouvelles races d'intensifs comprenant aussi bien des structures complexes que
des mots simples tels que les adverbes en -ment
11-1-3-2
L'intensité par les concurrents de très
11-1-3-2 -1 L'adverbe «
motivé »
en-ment
La motivation. fondée sur le rapport d'identité entre le contenu notionnel
du concept et sa représentation phonique apparaît comme le corollaire opposable
au caractère arbitraire du signe linguistique. A l'origine en effet, la motivation
denote 1exacte correspondance entre un phénomène de la réalité objective et sa
traduction phonique au niveau de la langue. En ce sens. l'expressIvité des
onomatopées constitue l'illustration claSSique de la motivation
Elles (les
onomatopées) vont de la suggestion de l'idée d'une montre en marche (tIc-tac) à
celle d'un choc quelconque (plouf l
toc'
vlan!). Mais par extension, l'usage

110
actuel fait entrer sous la réalité évoquée par le concept de motivation, une série de
termes dont le sémantisme n'a aucun rapport avec le fondement originel de la
motivation Il en résulte ainsi un enrichissement de l'acception traditionnelle par
trop limitative de la notion. C'est ainsi que le rapport entre le haut degré et ses
moyens a expression peut-être qualifié de «
motivé»
Il est normal en effet quà
ce fait de langage se situant à l'échelle supérieure dans l'ensemble des paliers de
lidée dlntensité, correspondent des procédés dont le sémantisme rende le plus
fidèlement possible compte de ce rang d'excellence.
Parmi ces procédés. figurent
les adverbes en -ment à valeur intensive.
,A. l'origine. ces intensifs étaient commis à l'expression de l'idée de
«manière »
avec chacun son propre sens. Affectés de nos jours dans les procès
cilrltenslficatlon leur motivation vient de ce que, gardant encore pour la plupart
quelque trace de leur étymologie, ils font appararaître l'action qu'ils caractérisent
comme se réalisant sans restriction aucune
Cela signifie que l'action ainsi
caractérisée
est
censée
avoir
atteint
le
niveau
paroxystique
de
son
accomplissement
Prenons un exemple avec parfaitement dans l'énoncé
sUivant «Faire la table est une expression parfaitement française »
Ce que
dénote cette phrase, c'est, certes, sa grammaticalité, sa conformité avec les lois
de la cam blnatOlre sémantique et syntaxique
De ce point de vue
le même
énoncé privé de l'adverbe n'eût pas été différent en signification. Mais en outre,
parfaitement ajoute au jugement, une certification de grammaticalité qUI ne
saurait souffrir le moindre doute: l'énoncé sous-entend, grâce à l'adverbe, qu'il
eXiste différents degrés de grammaticalité et que la grammaticalité la plus
achevée. celle au-delà de laquelle tout jugement de correction perd signification
est celle qUI est parfaite. Le sens de base de ces caractérisants intensifs institue
par conséquent une nouvelle forme de motivation qui justifie l'appellation
dadverbes «motivés». Le cntère déterminant dans cette nouvelle acception du
concept cJe motivation est par conséquent cj'ordre sémantique
A ce critère
sadJoinr un autre, formel celui-là et cependant toujours influencé par le premier.
Il

111
est fondé sur l'hypothèse de la réductibilité par substitution de toute séquence à
valeur de caractérisation intensive, à un invariant de base. Celui-ci peut être décrit
en (être)+ très + adjectif/adverbe. 10 Le test sémantique qui permet d'aboutir
à cet invariant comporte lUI-même plusieurs étapes-hypothèses.
La confirmation
par celles-cI du résultat final attendu définit la validation sémantique:
1 - Tout énoncé contenant l'idée de haut degré est susceptible d'être décomposé
en deux séquences de longueur variable.
Nous représenterons par S 1a
séquence caractérisée (le support).
A sera le symbole de la séquence
caractérisante (l'apport).
2 - Nous poserons ensuite que toute séquence caractérisante A, si elle exprime le
Ilaut degré, est passible d'un test au cours duquel A s'effacera au profit de la
structure de base (être) + très + adjectif / adverbe quaiifiant S
3 - L·effacement de S sera partiel si ses éléments constitutifs sont naturellement
caractérisants comme l'adjectif et l'adverbe. Celui-cI disparaîtra alors a l'issue du
test dont le signe + signifiant «
sUivi de »
sera la marque
Ce test linguistique
est la dimension pratique du principe d'inclusion sémantique
En théorie,
l'inclusion sémantique se fonde en effet sur l'hypothèse que dans le sémantlsme
de tout adverbe présumé intensivement motivé. est intégré l'outil premier
d'intensification très, suivi de l'adjectif ou du verbe que modifie l'adverbe en
question ToutefoIs, il convient d'émettre quelques réserves utiles qui Intéressent
lefficaclte cle l'operation cI-dessus En effet, du fait de la diversité des procédés
intenSifs, des contraintes sémantiques liées aux propriétés morpho-syntaxiques
de certains d'entre eux peuvent faire que ce test ne SOit pas toujours Justiciable de
chaque cas. Les conditions de description étant définies, il ne reste qu'à la
confronter à l'expérience avec le caractérisant motivé en -ment Celui-ci peut être
intensif soit d'un adjectif, soit d'un verbe

112
11-1-3-2-1-1
Intensif d'un adjectif
En appliquant le contenu notionnel de son signifié à celui de son support
adjectif. l'adverbe en -ment devient porteur de haut degré identifiable grâce au
sentiment linguistique:
Ex
1
: (L'instituteur
européen)
refusa
de
travailler,
de perdre son temps et sa salive à
blanchir
ces
têtes
crepues,
absolument
indécrottables ( ... ). Monnê :
118.
Ex 2
Quand (les premiers messagers du pouvoir)
ne
furent
pas
assassinés,
ils
furent
renvoyes
sur
Soba
complètement
nus
comme
des
voleurs.Monné : 207
La synonymie de certains intensifs crée entre eux une relation de commutabilité.
C'est le cas de complètement,
entièrement,
totalement d'où se dégage
l'idée de «
plénitude »,
d'«
intégralité »
Aussi, quoiqu'il n'existe aucune
langue où deux mots renvoient exactement à une identité sémantique absolue en
dénotation comme en connotation, il est possible de substituer ces caratérisants
les uns aux autres sans fondamentalement changer la signification de leurs
enonces
Complètement, entièrement et même totalement (Exemple 3)
peuvent ainsi remplacer entièrement, tandis qu'ils se substitueraient aussi bien
à pleinement (Exemple 4)
Ex
3
( ... )
de
la
fumée
lointaine
ou
(le
cynocéphale)
disparut
émergea
une
femme
entièrement
voilée
de
blanc.
Les
soleils
171.
complètement
ex J'
.. une fellllll~ totalement ~ vOilée de blanc
~ absolument /

113
Ex 4: Ce furent des funérailles
(celle de Balla)
pleinement réussies.
Le soleils:
150.
~comPlètement~
Ex4' .. des funérailles
totalement --~,.réussles
absolument~ .
1
C'est de cette valeur d'emploi suggérant l'idée de plénitude, d'accomplissement
total ou de réalisation qui atteint son comble que doit être rapproché l'emploi des
intensifs totalement et parfaitement Fama a fait un rêve prémonitoire funeste
concernant le ministre Nakou. Il en fait confidence à son ami Bakary afin que
!Intéressé SOit prévenu. Mais Bakary ne se fait aucune illusion quant au résultat
de leur démarche. Il constate avec amertume:
Ex
5
C ' es t
un
devoir
pour
nou s
de
l'en
avertir
mais
je
sais
que
c'est
parfaitement
inutile. Ces jeunes gens débarqués de l'au-delà
des mers
ne pensent plus comme des nègres.
Les
soleils:
172.
Dans 1 exemple qui suit, Béma, fin stratège politique joue de sentiment pour se
faire pardonner ses turpitudes par son père. En fait. il espère bien qu après ce
mea culpa. l'autorité morale du centenaire profitera à ses propres visées
politiques Le roi qUI a perçu la ruse éconduit courtoisement son fils. Le texte ci-
dessous est un extrait de sa réponse :
Ex 6 : - Béma,
tu resteras mon fils quel que SOlt
ton chemin( ... ).Tu ne peux pas être beau et moi
paraître
totalement
laid,
tu
ne peux pas
puer
et llloi péJ.::>::;er pour ::>aill el [Jartul!lè. Monne : FU
Pour avoir été commis par l'usage à une fonction qUI nétalt pas leur
domaine initial, la quasi totalité de ces adverbes subissent une désémantisation

114
telle. qu lis ne sont plus reconnus dans nombre de leurs emplois que comme de
simples outils grammaticaux au service de l'Idée intensive.
L'opération
linguistloue décrite précédemment donnerait les résutats suivants dans son
application :
1 - Identification des séquences
Ex3: ( ... ) de la fumée lointaine où
(le cynocéphale)
disparut émergea une femme entièrement voilée de blanc
S
A
Nous avons donc:
Ex 3 --l'''~ S + A
Nous savons par ailleurs qu'il pèse sur tout adverbe intensivement motivé une
presomption
dinclusion sémantique.
AinsI,
à la phase de l'effacement,
aboutissons-nous au résultat partiel suivant:
2 - Effacement de A
Ex3
~
S+ très + adj
'!:wec les contraintes sémantiques Imposées par l'adjectif, le résultat final du test
donnera:
3 - Résultat
Ex ]'
: une femme très voilée de blanc*.
Ex ]"
une femme tout à fait voilée de blanc.
Le lest est par conséquent probant dans les limites sémantiques prévues.
Oans 1exemple qUI précède en effet, la grammaticalité de l'énoncé repose sur des
contraintes de la combinatoire sémantique qui obligent l'apparition d'un substitut

115
de très en fin de descnption. Il s'agit de tout à fait. Pour les mêmes raisons, les
exemples 1 et 2 cités en premier donneraient ce qUI SUIt:
Ex l'
des têtes crepues,
très indécrottables*.
Exl": . . . des
têtes
crépues,
tout
à
fait
indécrotL.ables.
Ex 2':
ils
furent
renvoyés
sur Soba très nus
comme des voleurs*.
Ex
2"
... ils
furent
renvoyés
nus
sur
Soba
tout à
fait nus comme des voleurs.
Le signifié du caractérisé influence assez largement le raisonnement syntaxique
comme Vient de le montrer le lest. Mais à l'exception de ces cas particuliers,
1opération reste tout à fait probante, rnême avec des caractérisants en -ment tels
que carrément
spécifiquement, grandement Si la tradition ne les a pas
encore consacrés comme des continuateurs attitrés de très, l'usage lui, a plutôt
tendance à les Imposer dans cette fonction. Salimata est en pleine séance
sacrificatoire avec Abdoulaye Mais accroupie face au marabout, la femme est en
mauvaise posture car,
Ex 7 : A force de tordre les reins,
de pelner,
de
pirouetter
Salimata
s'était
stabilisée,
disons-le,
dans
une
position
carrément
provocante:
les
selns
se
découvraient,
descendaient et se redécouvraient.Les soleils:
73.
La place de carrément en position terminale dans l'énoncé est à souligner. En
effet. c est en bout d'énoncé, après une suite de verbes marquant l'idée de
souffrance ou de malaise qu'intervient j'adverbe indiquant ainsi l'effet résultant de
cette Idée. Dans cet emploi. l'adverbe a quitté son sens de base de configuration

116
geométrique pour ne prendre qu'un sens de certification à nuance intensive vOisin
de tout à fait et de très. En ce sens, le reste de l'énoncé subséquent à la pause
introduite par les deux points n'est pas vraiment indispensable car son absence
Il'eût pas influencé la dénotation Intensive de la phrase précédente, Toutefois, il
est utile dans sa fonction de complément car il explicite le sens de l'ensemble
support-apport, à savoir celui du caractérisant intensif et son support adjectif. En
termes différents, ce complément d'explicitation a davantage une fonction
picturale par laquelle il tend à faire Visualiser aux lecteurs comme sur une scène
de théâtre, ce qui rend particulièrement provocante la posture de Salimata, C'est
dans ce rôle d'intensif que se trouve employé l'adverbe grandement dans le
passage qui va SUivre, Il s'agit de l'imminence d'une rencontre de Fama avec les
sommités politiques du Horodougou, rencontre qui trouble la quiétude du prince.
[_ïnsomnle qui le frappe depuis l'annonce de cette réunion est amplement Justifiée
car on ne venait pas
«pour rire ou honorer l »
Au menu il y aurait,
Ex 8 : Du sous-préfet, de la contre-révolution,
de
la réaction,
mais c'était grandement grave.
Les soleils:
136.
L'Idée d'«extrême gravité»
qui se dégage de ce passage permet d'appliquer
l'opération à cet extrait dans les conditions d'analyse précisées auparavant. On
consldèrera en outre qu'en structure profonde, c'est mis pour «
(Tout) cela »
ou «
quelque chose»
On aura ainsi:
1- Identification des séquences
Ex 8 :,' . mais c'était
grandement grave l
S
A
Ce qUI permet de réécrire symboliquement l'énoncé comme SUit·
EX 8
..
S + A

117
Conformément au principe d'inclusion sémantique, nous aboutissons à l'étape
suivante de l'effacement de A
2 -
Effacement de A
Ex 8~
S + très + adj.
Ce qui donne en définitive .
3 - Résultat
Ex8'
:
Du sous-préfet, de la contre-révolution,
de
la
réaction
mais
c'/(cela)
était
très
grave.
Tous les énoncés qui viennent d'être proposés sont des cas de caractérisation
Intensive portant sur l'adjectif. Mais le caractérisant en -ment peut aussi mettre en
relief un verbe. Il indique alors le degré avec lequel se produit le phénoméne de
11-1-3-2-1-2
Intensif d'un verbe
Une différence fondamentale est à noter entre une caractérisation portant
sur l'adJectif et celle intéressant plutôt le verbe. En effet, autant dans le premier
cas toute l'énergie superlative de l'intensif se concentrait exclusivement sur le
signifié de l'adjectif, autant dans le second, elle est distributive, se répartissant
équitablement entre le verbe et son sUjet ou son objet, le cas échéant. Tout le
procès y est ainsi impliqué comme le montrent les passages suivants
Ex 9. Le centenaire avait SUlVl,
résigné,
ce gUl
se
passait
dans
le
pays,
i l
avait
prle,
convaincu
que celui qui
se confie entièrement
au Tout-Puissant n'est jamais honni. Monnè : 270.

118
Le mécanisme de distribution de la valeur intensive du caractérisant est simple.
Du verbe. j'adverbe indique que son sémantlsme doit être réalisé avec plénitude
ainsi que ie suggère l'idée d'«entièreté », de «
totalité »
que l'on saisit en
première lecture. Mais en s'appliquant à l'action de se confier, le caractérisant
Intéresse au premier chef l'agent par qui doit saccomplir cette action. C'est de lui
qu'on attend quil réalise le signifié du verbe. Tout se passe à la limite comme s'il
devait lui-même intégrer le phénomène, faire corps avec lui. La preuve de
l'implication totale de l'agent est encore plus nette dans la substituabilité du
caractérisant en -ment par un autre qui dénote toute la dimension de l'action
«Celui qui se confie tout entier au Tout-Puissant n'est jamais honni»
C'est
cette valeur d'emploi qu'il faut saisir avec spécifiquement et lourdement dans
les exemples cI-dessous. Il s'agit de Djlgui
2x
9
:
Sa
fin
se
trouvait
dans
lui-même,
dans
ses
colères,
sa
salive:
cette
vérité
était
spécifiquement
admise
par
tous,
même
par
le
toubib toubab de Saba. Monnè :
179.
La position enclitique de l'adverbe placé entre l'auxiliaire et le participe passé du
veroe Joue un rôle assez Important dans sa valeur intensive. Oans cette position. Il
a un sens voisin de parfaitement
et l'énoncé ci-dessus peut être ainsi
paraphrasé « . cette vérité était parfaitement admise par tous »
En termes
différents.
cela signifie qU'II n'y avait aucune raison d'émettre le mOindre doute
sur l'authenticité de ce qui est notoirement considéré comme une vérité absolue. Il
eXiste par conséquent un garde-fou de véracité à double tour
ce qUI est
consldére comme vraI l'est d'abord en SOI, indépendamment de l'opinion publique
qui y accorde foi ensuite. Ce qui ne semble pas être le cas de «cette vérité était
admise spécifiquement par tous, même par le toubib toubab de Saba »
Cela
revient presqu'exclusivement à «
tous sans exception admettaient cette vérité »
Le centre d'intérêt de l'énoncé concerne surtout le jugement extérieur du public

119
par rapport à ce qui passe pour être une vérité C'est avant tout, semble-t-i1, la foi
de l'opinion publique qui crée les conditions de crédibilité dont bénéficie ensuite
et presquaprès réflexion, le fait considéré comme vrai. L'espace d'un doute nous
semble par conséquent permis, et cette éventualité imaginable, ce qui n'était pas
le cas pour j'énoncé précédent.
En tout cas, l'assertion paraît vérliculer une note
de suspicion autour de la chose qui fait l'objet du jugement et c'est précisément ce
qUi en affecte la valeur. Dans l'extrait suivant, la valeur intensive du caractérisant
procède d'un autre mécanisme. Commentant les événements survenus dans les
colonies un éditorialiste métropolitain assure:
Ex
10
C'est
une
nouvelle
agression
du
communisme
international
contre
l'union
française
et
le
Monde
libre,
une
nouvelle
Indochine, un nouveau Madagascar. On veut tester
notre
volonté
de
demeurer
libres.
Mais
cette
fois
nos
ennemis
se
sont
trompés,
lourdement
trompés; il faut le leur prouver. Monnè :258.
Certes, le volume d'un mot (sa brièveté ou sa longueur) n'est pas toujours motivé
par rapport à son signifié.
Grand, long, fourmi en sont des exemples édifiants.
Certains possèdent cependant une expressivité où leur volume Joue un rôle
important Tel est le cas de lourdement dans cet énoncé. Bien entendu, Il ne
s'agit pas d'une motivation par rapport à l'idée de poids qu'exprime en général
l'adverbe. mais plutôt, d'une motivation relative à la valeur intensive acquise.
C2I/e-cl. montrant la détermination Vll1dlcatlve du sUjet se perçoit en partie à
travers le volume du caractérisant, mais la ponctuation et le caractère itératif du
terme flnai y Jouent également un rôle remarquable. On devine ainSI, par un effet
d'égale réciprocité entre la cause et le résultat. que la réaction implicitement
recommandée dOit être ImpItoyable pour être dissuaSive à jamais. Outre les
caractérisants Intensifs en -ment, divers autres adverbes se sont aussI établis
comme de véritables outils intensifs

120
11-1-3-2-2
Autres adverbes intensifs
11-1-3-2-2-1 Tout à fait
Le test linguistique expérimenté antérieurement a permis de voir quel est le
champ lexical de cette locution. Selon le contexte en effet, elle peut commuter
avec absol ument,
entièrement, totalement, parfaitement. Est-ce cette
polysémie qui explique que ses concurrents lui soient souvent préférés et qu'elle
apparaisse à certains sous mauvaise presse? Ainsi par exemple, F Bar parlant
de la valeur intensive de combien écrit-il«
C'est
l'équivalent
de
beaucoup (devant comparatif) et plus encore de tout à fait,
qUl
est
démodé »11 Dire que cette locution adverbiale est démodée nous parait
assez abusif En effet, la possibilité de cette locution à se substituer à plusieurs
intensifs n'est-elle pas en SOI, une certaine richesse sémantique? Que cette
richesse ait été abusivement exploitée au point d'avoir provoqué un émoussement
de l'expressivité de tout à fait est indiscutable, le cas de très est en la matière
une référence. Or, cet intensif primitif lui-même continue encore de rendre de
précieux services dans l'expression de l'idée intensive. Comment alors
tout à
fait qui lui est postérieur de loin peut-il être mis au ban des intensifs
«démodés»? En outre, cette locution répond souvent nettement mieux à l'idée
de haut degré que ne le fait l"'ancêtre"
très. Mais il est possible que ce que nous
avons en commun avec F. Bar ne se limite qu'au matériau linguistique et que
langle particulier sous lequel nous jugeons de ces faits d'expression soit
absolument différent du sien. Qui plus est, toute démarche interprétative est
presque toujours assujettie à quelque subjectiVité. QUOI qu'il en SOit, cette locution
conserve encore sa valeur d'intensif. Nous n'en avons retrouvé qu'un seul
exemple dans Les Soleils
Ex: La
camionnette
soufflait
et
grimpait
une
côte.s'éloignait
un
tournant
tout
à
fait
semblable comme
deux
traces
du
meme
fauve
a

121
celui qui Si approchai t ( .. )
Les Soleils
92.
11-1-3-2-2-2 Tout
Fort
Tout
Adjectif indéfini, tout a souvent la valeur d'un adverbe dans sa fonction
Intensive Etymologiquement, il exprime l'idée d'«intégralité»
SI bien que selon
le cas, Il peut être synonyme de tout à fait.
En outre, comme le caractérisant en
ment auprès du verbe, la valeur intensive de tout est également distributive. Son
sens Illlpllque aussI bien l'agent du proces de caractérisation que la qualité elle-
même qUI fait l'objet du procès. M. Clédat dira dans ce· sens que l'expression
«être tout étonné »
signifie être «
tout entier dans l'étonnement>>. 12 On
devine les piéges que comporte l'interprétation d'expressions semblables dont la
première solution ne leur est pas toujours justiciable. Peut~on dire en effet des
expressions telles «
Il est tout fier »
et «Elle est tout soume »
qu'elles
Signifient respectivement «II est tout entier dans la fierté»
et«
Elle est toute
entière dans le sourire »? Ce serait sans nul doute faire des Interprétations
erronées
et, de toute façon non recevables d'un double pOint de vue logique et
:cemant/que
Il est plus raisonnable d'invoquer la dimension distributive de la
valeur de tout En effet, l'idée d'lI1tégralité exprimée par l'adverbe dans les
enoncés cités ne s'applique pas tant à la personne sujet qu'à la qualité fierté ou
au substantif sourire. Cela signifie que la personne qui est déjà seule (même le
pluriel n'y changerait absolument rien) JOUit d'une fierté totale et non à deml-
teinte. On ne saurait raisonnablement penser en effet que certallles parties du
corps sOient plus réceptives que d'autres à la fierté pour valider IlI1terprétatlon «II
est tout entier dans la fierté »
Ce qui revient en définitive à dire que l'intégralité
cJe la personne est fière. La seule explication recevable est par conséquent celle
qUI II1dlque que le sentiment de fierté ressentie est dans sa plus totale expression
et que la personne est fière au plus haut point.
Il s'ensuit que la valeur intensive

122
de tout est non seulement distributive,
mais encore,
au-delà de cette
"distnbutlvité", il y a selon les cas, une sélection entre la qualité exprimée par
l'adjectlf et le signifié du substantif sUjet en fonction d'attribut. Sourire dans
j'énonce précédent
en est une belle Illustration. M. Clédat voyant lUI-même les
iimltes ce son Interprétation devant des cas similaires à ceux que nous venons de
citer. a toutefois avisé par la suite, relativisant ses résultats. Cela étant, Il faut noter
que la valeur Intensive de tout n'apparaît parfois qu'en arrière-plan:
Ex
Tout
attendait
pour
ouvrlr
de
grandes
funérailles dignes d'un Doumbouya; quatre boeufs
au centre tout brillants,
tout
meuglants. Les
Soleils:
145.
Conformément à ce qui précède. on ne saurait lire dans cet énoncé «quatre
bœufs tout entiers dans la brillance et le meuglement ». Cela signifie que dans
un cas. «
tout brillants », la vivacité du teint qui dénote un soin particulier donné
aux bêtes et une santé plutôt avantageuse suscite une admiration pour les bêtes
qUI culmine à son niveau d'éminence. Dans l'autre, «tout meuglants»
il faut
entendre que les meuglements émis par les animaux touchent leur niveau de
stridence le plus élevé.
Fort
.::... l'instar de l'adjectif indéfini tout fort fait partie de ces adverbes dont on
peut dire qu'ils bénéficient d'une sorte d'ambivalence grammaticale dans la
mesure ou ils possèdent une double nature ,A.djectifs, Ils s'accommodent des
caractères morphologiques de leur support substantif ( les marques du genre et
du nombre ): adverbes, Ils restent naturellement Invanables C'est dans cette
seconae fonction que fort a acquis sa valeur d'Intensif à part entière. Son emplOI
courant mais non encore galvaudé participe sans doute de la dimension de

123
solennité qui s'en dégage souvent. A l'oral comme à l'écrit, il ressortit en général
au style soutenu mais cet avis n'est pas absolu, Seul Monnè en comporte un
exemple Dans ce passage, il s'agit des exercices d'exorcisation qui constituent le
menu essentiel du programme des Jeunes princes
Ex:
C'étaient,
dans
les détails,
des pratiques
fort
compliquées
mais
qui,
dans
le
prlnclpe,
consistaient à maîtriser l'étranger avant qu'il
ne prononçât un seul mot. Monnè : 18,
11-1-3-2-2-3
Aussi
L'adverbe équatif aussi suivi de son corrélatif conjonctif est l'un des outils
privilégiés de l'accommensuration Toutefois, selon le contexte, aussi peut être
préposé à l'expression du haut degré sans avoir totalement quitté sa valeur
accommensuratlve première Oans cette deuxième fonction, il n'est Jamais sUivi de
son corrélatif
Mais cette observation d'ordre morpho-syntaxique n'est que le
résultat et non la cause de la promotion au stade suprême de l'Intensité de
1adverbe Cam ment en rendre raison? Dans sa fonction première d'opérateur
d'égalité, l'adverbe et son corrélatif grammatical assuraient l'équilibre de
1Intensité entre le comparant et le comparé au sein des propositions prinCipale et
subordonnée, Mais avec la disparition dans les énoncés réalisés de type
mensuratlf de que, la symétrie étant rompue, la part d'intensité initialement
réservée à la proposition subordonnée a pu se reporter dans la principale
Ladverbe aussi en aurait alors recueilli toute la vigueur d'oiJ sa valeur d'intensif
auprès des adjectifs L'extrait qui va suivre le montre bien
La vendeuse Salimata
vient d'être VictIme de sa générosité en faveur des mendiants et autres
necesslteux Ceux-cI se sont rués sur elle, la dépouillant de tout son gain du Jour

124
Ex
1:
Depuis
des
mois
Salimata
n'avait
pas
traversé des
jours aussi maléfiques.
Il fallait
partir au marabout pour découvrir la cause.
Les
Soleils
: 64
Dans 1énoncé sUivant le rOI Djigui savoure avec raison 1'honneur qUI lui est fait
d'accomplir pour la deuxième fois de sa vie (c'est une exception) le grand sacrifice
expiatoire:
Ex 2
: Djigui attendit que les altercations des
pélerins
se
disputant
des
places
le
long
des
itinéraires
lui
parvinssent;
i l
poussa
un
puissant
bissimilaï,
souffla
et
se
sentit
un
autre,
eut l'impression que rien ne saurait lui
résister,
que tout était à sa portée( ... )jamais
i l ne s'était sentit aussi grand,
aussi
lourd.
Nonnè : 92.
L'absence dans ces énoncés de la subordonnée amène une modification de
1Intonation. Le ton hOrizontal, presque neutre s'estompe avant l'adverbe dont la
profératlon se fait avec une mélodie d'autant plus accentuée quelle est
consécutive à la légère pause ryH"lmique que l'on observe avant lui. Il s'ensuit une
inSistance sur le sens de l'adjectif qui, lUI-même, hérite
du martèlement tonal
lorsque la situation se prête à l'affectivité. Or la narration dans les œuvres de
Kourouma est marquée au sceau indélébile de l'hyperbole
Il en résulte une
multiplication de l'effet d'inSistance qui confine en définitive à l'intensité absolue.
La substituabilité de l'intensif consacré si à aussi dans les passages précédents
ajoute à la légitimité de nos observations. Avec les énoncés à venir, notre analyse
se conforte davantage en ce qui concerne l'intonation et l'accent sur aussi et leur
effet stylistique. On notera l'apport conSidérable de l'article et de la préposition
dont la présence contribue à accroître l'énergie tonale. Salimata vient de perdre
Baftl. son mari à qui elle s'était refusée de son vivant à cause du génie qUI la

125
nante Aussi, lorsqu'elle reVient à Tiémoko selon les coutumes. celuI-ci juge-t-il
'iècessalre de prendre quelques précautions:
Ex
3
Le
frère
de
Baf f i
auquel
on
légua
Salimata
hésita
d'abord
à
introduire
dans
sa
cour
une
aussi
maléfique
femme
chargée
de
malchance.
« I l faut d'abord éloigner le génie
malfaisant et jaloux » .
Les Soleils:
42.
C'est encore de Salimata qu'il s'agit, de son destin de femme stérile qui ne
connaîtra jamais la joie de la maternité:
Ex
4
Allah
le comptable
du
mal
et du
Dien,
comment
justifies-tu d'avoir
gratifié
d'aussi
méchantes
créatures
de progéni ture,
alors
que
Salimata une musulmane achevée .. . Les Soleils:
59.
11-1-3-2-2- 4 Si - Tant
Si et tant sont deux IntensJfs qUi s'accompagnent parfoIs d'une nuance
consécutive implicite. Mais. alors que le premier est généralement préposé à
Intensification des adjectifs et adverbes, \\e second. lui, ne s'acommode que des
1
verbes. En outre, si, substitut possible d'aussi peut recevoir une augmentation de
sa force Intensive de l'article et de la préposition de. Oans l'extrait qUI suit, il s'agit
des caprices de jeune fille de Moussokoro:
Ex
l
Les
parents
étaient
ravis
du
mari
de
groupe d'àge de
leur
fille
et
ne comprenaient
pas
pourquoi
~oussokoro
n'avait
plus
d'attachement
pour
un
garçon si parfait.Monné
:138

126
l\\j10USSOKOro, bannie du village parce que convaincue de luxure est allée solliciter
laide dune spécialiste en sciences occultes.
Le diagnostic de cette dernière est
sans appel.
~x 2 : Le sable servant à la divination éclata;
l'extraordinaire apparut.Jamais,
jamais, dans sa
vie de sorcière,
un patient avec un si lumineux
destin ne s'était révélé sous ses doigts.
Monné
: 148
Le narrateur donne les raisons du dérèglement sexuel de Kélétlgui
La cause
prinCipale est l'immerSion de l'enfant dans les macérations aphrodisiaques
destinées à son père, le roi Ojigul:
Ex
4
:
Saran, la
mere
de
Kélétiglli
qlll,
avant
l'arrivée de
Moussokoro,
était commise à
leur
préparation en catimini, sans discernement, prit
l ' hab i t II d e
d' i mmerge r s 0 n
en fan t
dan s
d e s i
redoutables médications. Monné:
213.
Tant
Dun point de vue morpho-syntaxique, tant est en général préposé aux
verbes à la forme simple (non composée) et à l'infinitif dont il intensifie le sens
Mais les cas de postposition ne sont pas rares non plus et c'est affaire de style que
de préférer une position à une autre. Ouelle que place qu'il puisse occuper
cepenoant. tant, dans sa valeur d'intensif verbal est toujours dans la sUite
Immédiate du verbe qu'il modifie, à moins que ce dernier ne SOit à un temps
compose
L'adverbe s'intercale alors entre l'auxiliaire et le participe passé du
verbe
!_eXCISlon de Salimata fut un échec total. En effet,
alors que le retour du
:hamp a operation des autres excisées honorées s'est fait dans une allégresse

127
générale. Salimata est rentrée le profil bas:
Ex l
: Salimata n'a pas vécu le retour triomphal
au
village
dont
elle
a
tant
rêvé. C'est
à
califourchon au dos d'une matrone par une piste
abandonnée,une
entrée
cachée,qu'elle
fut
introduite dans le village.
Les Soleils :. 36.
Dans l'extrait qUI suit, Fama se trouve au cimetière où il est venu en compagnie
d'autres pélerins rendre un dernier hommage à ses défunts parents:
Ex
2
:
Un vent
plus
fort
souffla plus
drue
la
puanteur.
Fama se demanda ce qui
pouvait tant
empester le lieu( ... ).Les Soleils
:121.
Avec les Intensifs comme tant et si, on réalise à quel point peut être parfois
Illusoire la prétention à l'exhaustivité de toute démarche qui se veut scientifique
En effet. SI l'opération linguistique précédemment décrite s'applique avec succès
aux intensifs en -ment, elle ne peut être extensible à tous les procédés intensifs
adverbiaux. Doit-on pour autant en inférer son Inefficacité? La réponse à cette
interrogation est négative bien sûr, le champ d'application du test ayant été
clairement délimité et les conditions de son fonctionnement précisées en tenant
compte des spécificités morpho-syntaxiques de chaque outil d'intensification
,A,insl, tant dans 1énoncé ci-dessus ne peut que se tradUire par la locution
prépoSitive «à ce point »
exprimant un haut degré. Il existe des adverbes qUI,
sous l'Idée de «quantité »
assument également la fonction d'intensifs
Ce sont
notamment assez et trop.
11-1-3-2-2-5
Assez -
Trop
Assez
Ladverbe garde son étymologie d'Idée de «
suffisance »
ou de «mesure»

128
requise à la reallsatlon d'une chose. De cette Idée primitive de seuil normal vient
que, selon le contexte, assez peut être un outil de jugement positif ou négatif
AinsI. opère-t-II en trompe-I'cell de l'idée de suffisance pour exprimer un vif
agacement, une exacerbation qui montre que le seuil du tolérable a été franchi. Le
passage à venir en est une Illustration éloquente. Incarcéré à Mayako, Fama avait
fini par saccommoder de sa vie de détenu qui avait l'avantage de le soustraire
aux vIcissitudes de la vie d'homme libre. Aussi regarde-t-il avec beaucoup
d'appréhension sa récente libération·.
A
Mayako
tout
était
sûr.Alors
que
cette
surprenante
libération
et
cet
enrichissement
soudain
étaient
une
sorte
de
résurrection,
relançait
Fama dans
le monde et
l'obligeait à
rebàtir des projets,
à espérer de nouveau,
même
à almer,
détester,
regretter et à combattre de
nouveau.
De tout cela Fama en avait assez.
Les
.:Joleils
:193.
SI Fama qUI a recouvré la liberté regrette sa vie de détenu, c'est bien que cette
libération l'obligeait de nouveau à mesurer par contraste. le degré de sa propre
déchéance
L'expérience encore ardente de sa vie précarcérale est la preuve
Ine\\utab\\e d'une eXistence cruellement triste faite de frustrations et d'humIliatIons
en série et qui, à ses yeux, avalent excédé les limites compatibles avec sa dignité.
Ce qUI explique l'exacerbation de Fama pour cette libération. Exacerbation, excès
ou exagération, voilà qUI est le domaine privilégié de trop. Rien de vraiment
étonnant par conséquent que l'un et l'autre soient parfois Indifféremment
employes et que tous deux aient valeur d'emplOI de très. Cela est fréquent surtout
dans les formules de politesse.
Par exemple, on dit plus couramment à une
personne qUI vous oblige «
Vous êtes trop aimable »

129
Trop
Conformément à ce qui précède, trop indique à l'origine qu'une chose a
dépassé la mesure raisonnable ou nécessaire, ce qu'explique bien l'étymologie
«
plus qU'II ne faut ». Yacouba vient d'être incarcéré par le commandant à
'=:ause de ses activités religieuses Jugées subversives
Le roi Djigul, son hôte
sadressant au messager du commandant juge:
Ex l:-Zan Traoré,tes paroles ont été entendues,
mais tu devrais d'abord repartir et faire savoir
au
commandant
qu'il
agit
avec
trop
de
précipitation.
Monnè:
174.
Cest encore de la rencontre redoutée de Fama avec les autorités politiques de
rlorodougou qu'il est question. Le narrateur au style vlsualiste note:
Ex 2 : Du sous-préfet,
de la contré-révolution,
de
la
réaction,
mais
c ' é t a i t
grandement
grave!( . .. ) C'était grave et aussi embarrassant
qu'un
boubou
au
col
trop
large. Les
Sol ei 1 s
:136.
Alors que dans l'énoncé 1 l'idée de quantité semble dominer avec la
présence de la préposition de, l'exemple 2 au contraire laisse saiSir d'emblée le
Jegré de gravité de la situation au moyen de cette comparaison dont le réalisme
même assure sa propre expreSSivité. En fait, il ne s'agit que d'une Impression liée
a la valeur d'emploI plus courante de trop en ce qui concerne EX1, car c'est bien
!idée quantitative qu'exprime le couple «
trop de »
lorsque nous avons affaire à
des noms de notion nombrable.
Mais il existe aussi des emplois dune partaite
correcTion de l'adverbe suivi de la préposition devant un nom de notion non
nombrable comme de dire: «II y a trop de beurre dans le pain »
C'est de cette
valeur d'emplOI par extension de la première qu'il faut rapprocher le cas de
[énoncé précédemment cité, et qui marque l'intensité bien plus qU11 n'y paraît

l '
_.
130
C'est 1adverbe bien qui met fin à la série des Intensifs adverbiaux concurrents du
primitif très.
11-1-3-2-2- 6
Bien
3a valeur varie selon le contexte.
AinsI, auprès d'un verbe, indique-HI la
manière tandis que s'appliquant à un adjectif, il joue le rôle d'un intensif.
ToutefoIs. Il arnve que l'interprétation imposée par le contexte contrevienne à ce
principe morphologique ou plus exactement qu'elle le transcende. C'est lorsqu'à
l'expression de la modalIté s'adjoint une nuance intensive ou quà l'inverse, la
valeur Intensive auprès des adjectifs et assimilés (les participes passés) se double
de l'idée de
«manière»
Fama vient de recouvrer la liberté avec en sus,
1assurance d'une prospérité donnée par le président de la République lUI-même.
Bakary. son ami sorti de pnson plus tôt ne bénéficiera pas de cette mâne A Fama,
Il confie. envieux:
Ex
l
:
Tu
vois
qu'un malheur c'est parfois
un
bonheur bien emballé et quand tout s'use c'est
le bonheur qui tombe. Nous qui avons été libérés
avant
vous,
on
n'a
pas
été
aussi
gâtés.Les
Soleils:
183.
Le sens de bien dans ce passage peut être rapproché de parfaitement. Mais
l'interprétation par «
manière»
est tout aUSSI recevable En effet, la valeur
demplol de l'adverbe dans cet énoncé n'eût pas été différente, si les contraintes
sémantiques l'avalent permis, de celle de l'extrait suivant C'est qu'à l'Idée de
manière sadJoint une nuance affective d'ordre éthique:
2x
2
:
(Balla)
ilvrtit I:OUjOllCS
ce jeté
la pate de
l.a
converSlon
et
il
avait
bien
fait.
Les
Soleils:
115

131
Comme on peut le constater, l'adverbe bien soppose à son antonyme mal et
seule l'Idée de manière est recevable dans l'interprétation. De même, les emplois
à interprétation monolithique dans le sens de l'Idée d'Intensité se rencontrent
également
Bien
a alors
le sens d'entièrement, de
tout à fait
L'Interprète du tribunal annonce aux prévenus avec ironie et cynisme:
Ex 3:
Le
juge va lire les peines que vous avez
bien méritées.
Les Soleils:
175.
C'est encore dans le rôle d'intensif plein que se trouve en général bien auprès
d'attributs repris par lui en épanaphore. L'insistance prend alors la valeur d'une
intensification:
Ex
Tout
était
silencieux,
tout
était
inUTIobile. Les yeux se retournèrent vers la porte
du
vieux
féticheur
Balla;
elle était close et
bien close.
Les Soleils:
187.
C'est
la caractérisation adjectivale qUI achéve partiellement le premier volet de
l'étude sur la caractérisation intensive.
Section 4-11-1-4 Caractérisation intensive par l'adjectif
11-1-4-1 Caractérisation distinctive à valeur intensive
La notion de caractérisation distinctive se situe dans le prolongement de
l'extension du concept de motivation. Que signlfie-t-elle? Quel rapport entretient-
elle avec l'expression du haut degré? En d'autres termes, dans quelle mesure
peut-on dire quelle constitue un procédé IntensIf? Pour répondre à ces
Interrogations, il faut évoquer les conditions morpho-sémantiques présidant à son
fonctionnement. En effet, le caractérisant distinctif d'où se dégage une valeur

132
Intensive
présuppose
l'existence
d'un
environnement
extra-linguistique
descnptlble de la manière suivante:
1- Au départ, on considère un ensemble quelconque d'éléments. Ceux-ci peuvent
être des substantifs indiquant, SOit des noms de personnes, soit des notions plus
ou mOins concrètes. souvent des qualités. En outre, en l'absence de tout
caractérisant, ils sont a prion censés avoir les mêmes qualités.
2- L'introduction d'un caractérisant et son présupposé grammatical opèrent parmi
les éléments de cet ensemble, une sélection méliorative de type mensuratlf. Cette
sélection est à l'avantage de l'élément auquel s'applIque le caractérisant en \\e
présentant comme l'archétype de la qualité évoquée par son propre sémantisme.
En d'autres termes, l'élément ainsi caractérisé est mis en relief en tant qu'il
possède au plus haut degré, tous les traits caractéristiques requIs pour être
considérés comme une référence normative au sein dudit ensemble.
De
l'ensemble caractérisant,
il découle ainsI une valeur proche de celle du
décommensuratif, d'où la notion de caractérisation distinctive à valeur intensive.
3-
Formellement,
l'ensemble caractérisant que nous noterons E.C comprend un
déterminant (déter.) qui peut être un article ou une préposition. Ce déterminant
(le présupposé grammatical du caractérisant) est sUivi d'un apport épithète (A) et
son support substantif (S). L'ensemble de la structure peut être déCrit comme suit:
E.C
---.. déter. + A S,
en sachant que AS peut se décomposer en:
A.S
~
A+S
Notons pour terminer que par sUite de l'invariabilité spatiale de l'épithète (elle est
toujours antéposée au substantif), l'ensemble caractérisant est une structure figée
formellement. On remarquera aussI que dans ces structures, les caractérisants
appartiennent au même champ lexical. Ce sont vrai, véritable, authentique Si
la statistique peut être un Critère distinctif, on peut affirmer que dans la mesure où

133
vrai
a la plus importante occurrence 13,
Il est le caractérisant de base dans ce
type de procédé intensif. Après aVOir décnt la notion de caractérisation distinctive,
Il reste à 1 Illustrer par des exemples textuels.
11-1-4-1-1
A.S en complément prépositionnel
Ex
1:
Ils
partirent,
et
dès
la
sortie
de
la
capitale Fama se
félicita d'avoir à
l'autogare
découvert
ses
canines
de
panthère
de
v ra i
Doumbouya( ... ).
Les Soleils:
84.
Ex
2
Comme
authentique
descendant
il
ne
restait que lui( ... ). Les Soleils :102.
Ex 3:Et Fama tronait,se rengorgeait,
se bombait.
Regardait-il
les
salueurs?
A
peine!
3es
paupières
tombaient
en vrai totem de panthère
et les houmba!
jaillisaient.Les Soleils :113.
":'u sémantisme propre de l'invariant adjectivai quI, en SOI, établit déjà une
selection restrictive, s'adjOint la connotation Intensive renforcée par la présence
au déterminant prépositionnel
Le phénomène que présente ce matériau
linguistique est un parfait dyptique. Le premier volet
immédiatement perceptible
ou signifié de la structure dénote la certification, dans la qualité considérée de
iêtre caractérisé:
Fama ISSU de la dynastie Doumbouya
avec tous les
presupposés dont s'accompagne cette naissance. Mais une lecture au deuxième
degré fait apparaître une valeur de l'ensemble caractérisant qui transcende le
oremler
volet de compréhension
pour déboucher en
définitive sur
une
mensuration absolue AinSI Fama n'est-il pas seulement un Doumbouya, c'est-à-
Clire un descendant quelconque de la dynastie du même nom. Outre cette

134
première qualité. il est considéré comme un cas d'exemplarité irréfutable dans la
mesure où il réunit sans exception, tous les traits d'une lignée d'honneur des
Ooumbouya. Il épure en quelque sorte et avec excellence, l'authenticité de son
ascendance en tant que modèle. Fama n'est pas un Ooumbouya anonyme mais
un vrai Doumbouya, celui qUI a toute la légitimité qu'on peut exiger d'un auguste
représentant de la lignée distinguée.Tout se passe en effet comme SI l'histoire
avait consacré dans l'excellence une classe privilégiée des Ooumbouya dont
Fama serait une figure symbolique, ou mieux, un représentant canonique. Or cette
hlérachlsatlon familiale Imaginaire se traduit au plan lingUistique par l'ensemble
caractérisant qUI a valeur de décommensuratlf implicite. La structure n'est donc
pas Simplement distinctive, elle est superlativement dithyrambique
La présence
d un actuallsateur auprès de A.S dans l'ensemble caractérisant conforte
davantage notre analyse.
11-1- 4-1-2
A.S précédé d'actualisateur
On remarque dans cette structure que l'artIcle défini et son contraire
conventIonnel se rejoignent pour une fois en valeur, celle de leur nuance
,JISCrlmlnante à connotation mensuratlve. Oans le premier extrait, il
est question
du très pieux Yacouba:
:::x
1:
Sans
souffler,
il
parla des
obligations
,1 es
na n t i s e t ci e 5
p \\1 i s san \\: S,
Lac 0 nt a
l a
vie de
quelques saints et grands empereurs du Moyen Age
africain
qui,
pour
plus
d'humilité,
~ecueillalent
les
orphelins
et
pour
leur
pénitence les élevaient eux-mèmes dans les pans
de boubous. «
Ce qui constituait un don de leur
propre
personne,
donc
la
vraie
charité
qu'Allah ~pprécie( ... »>. Monné: 169.
2x
2
Depuis trois
nuits,
Djigui n'était plus

135
le vrai
chef des
pays de Saba -
il était seul
à
l'ignorer.
Monnè :128.
La relative déterminative (Ex 1) apporte un complément de précision sur la qualité
du signifié antécédent. En effet, grâce à elle, le substantif charité reçoit comme
un surcroît de valeur, de sorte que le sens de l'ensemble caractérisant est voisin
de «la chanté des charités»
qUI est un procédé décommensuratlf. Mais, hormis
l'apport de cette double détermination, ni la valeur en connotation première de
[ensemble caractérisant, ni celle de l'exemple 2 ne diffèrent de la signification à
retenir de l'extrait suivant et qui comporte un actualisateur indéfini. Bakary met en
garde l'amant de \\a deuxième femme de Fama incarcéré:
Ex
3:
«
Tout
le
monde
voit
que
tu
détournes
Mariam( . . . ).
Attention,
Papillon,
le
mari
de
Mariam
s'appelle
Doumbouya,
c'est
un
vrai
prince;
il reviendra( ... »>. Les soleils: 185.
Ex
4
:
Fama
voulait
partir,
i l
partirait.
Eh
bien
qu'il
fût assuré de l'accueil de chien
que Salimata servirait
à Mariam,
il accepta que
celle-ci fût du voyage. Une
vraie
entreprise
de possédé!
Les
Soleils
:152.
Comme l'article défini dans les exemples précédemment Cités, l'actuallsateur
Indéfini apporte à l'ensemble caractérisant, une dénotation de spécification
méliorative à nuance mensurative. Ainsi s'estompe pratiquement leur oppOSition
habituelle fondée sur
leurs natures respectives.
En outre, du fait de la position
IrréverSible du caractérisant propre (l'adjectif qualificatif) de la structure, les deux
actuallsateurs partagent également la connotation affective qui accompagne
généralement le sens de tout adjectif antéposé
A ce titre, l'exemple 4 qui donne
sa pleine expression à l'explosion sentImentale grâce a sa tonalité exclamative

136
est très significatif Outre la caractérisatIon distinctive, 1\\ eXiste également d'autres
procédés de caractérisation à valeur intensive. On y compte entre autres: les
"
syntagmes nominaux, les caractérisants adjectifs motivés.
Il -1- 4 -2
Autres caractérisants intensifs
Nous avons déjà assez Insisté sur l'extension du concept de motivatIon
pour ne pas vouloir faire l'économie d'un long développement iCI. On voudra
seulement se rappeler que consécutivement à l'extension de son sens intitial, la
motivation touche dorénavant une diversité de termes. Parmi ceUX-CI, figurent des
termes dont le sens dans l'ensemble du dispositif sémantique les fait apparaître
comme des formes superlatives de leurs synonymes au contenu notionnel
atténue. Il en est ainsi de colossal, gigantesque à côté de grand ou gros;
parfait, excellent
par rapport à bon
Dans les
œuvres de Kourouma OIJ la
narration se pare souvent des couleurs de l'hyperbole, les superlatifs sont d'un
emplOI courant En ce sens, une étude statistique est à souhaiter qUI dresserait un
répertoire exhaustIf des termes mensuratifs et leurs occurrences. On pourrait ainsi
distinguer entre plusieurs champs sémantiques: celui de la sexualité et de la
scatologie si présent chez l'auteur, celui de l'art militaire également remarquable.
Une telle étude qUI serait sans doute instructive dans le cadre précis du travail
ultérieur. excéderait le but de notre propos actuel Aussi, ne proposons-nous dans
l'immédlat qu'une liste Indicative des principaux caractérisants adjectifs à valeur
mensuratlve, La bipartition proposée est fondée sur les propriétés morpho-
syntaxiques des caractérisants, à savoir la pOSSibilité d'antéposition et de
postposition pour les uns, mais aussI la fixité formelle des autres.

137
__ Monnè
_ _
__ Les Soleils __
1
-
C'est
un
changement
important une notable promotion
pour le pays et un
insigne
honneur personnel pour vous
1 - Salimata ne remarqua même
Ojigui P 70.
pas que Baffi balançait une
2 - La vieille, à la fois marabout et
volumineuse
hernie
qui
experte féticheuse chargée de
l'accablait
de
la
démarche
ces
cours,
fut
stupéfaite
par
l'intelligence
et
l'érudition
de
d'écureuil terrestre de Tiécoura.
Moussokoro ( ... ). P 147.
p 40.
3 - Ojigui les (soldats) félicita; et
avec l'immense
humanisme
qUi
le caractérisait,
le
Massa
2 - La suprême Injure qUI ne
énonça
les
paroles
de
piété
se presse pas, ne se lasse pas,
Idoine ( ... ). P 186
n'oublie pas, s'appelle la mort.
p 83
4 - C'était une vérité historique
qUi simposalt;
tous ceux de
Soba le disaient et le croyaient: Il
n y a pas un seul Kéita sur
l'infinie
étendue du grand
Mandingue qui ne se prétende
3 - Et c'était bien cela
u n
descendant de Soundiata
1
p
immense
feu
de
brousse
190.
comme un orage
p 95
5 - Par quatre fois, le centenaire
lUI commanda d'avancer: elle (la
Jument) refusa. Djigui dans une
terri ble colère la mordit dans
4 - Ce furent des funérailles
sa
crinière.
vociféra
des
Imprécations, sans succès.
p
pleinement
réUSSies.
Mais
278
pourquoi? Diamourou et Balla,
les
Jours
suivants
( ... ) ont
6 - Mais nous promîmes de
décompté les innombrables
témOigner qu'il avait renoncé au
sig ne s
de
funérailles
train
et. su prême refus, qU'li
était mort avec un non Samonen
exaucées. p 150
entre les dents.
p 284

138
Ouelques observations peuvent être faites à propos de ce tableau. La
première qui est
d'intérêt général,
concerne
les valeurs
d'emplOI
des
caracterlsants par rapport à leur position dans l'énoncé. En effet, à la fonction
primaire de caractérisation, l'adjectif antéposé ajoute une nuance affective. Cela
Signifie que l'adjectif placé avant le substantif est en général préposé à
1expression de divers sentiments: plaisir, désagrément, admiration ou antipathie,
Intention laudative ou péjorative ... A l'opposé, l'adjectif postposé convient
davantage à une opération de l'esprit qui, analysant un phénomène quelconque,
le qualifie après réflexion en lUI attribuant l'adjectif qu'il estime le mieux approprié
au phénomène en question. C'est sans doute pourquoi ce procédé a presque
toujours une valeur de jugement intellectuel où l'affectivIté est si peu remarquable
quelle est
négligée.
Affectation de la sensibilité dans un cas, jugement
Intellectuel dans l'autre, telle est la portée stylistique de la place de l'adjectif dans
lénoncé
A ce titre, aucune remarque particulière n'est à tirer de l'écriture
kouroumlenne. Mais si
l'antéposltion
ressortit à l'affectivité et la postposition à
l'intellect.
le caractérisant superlativement motivé rompt ce cloisonnement en
réconCiliant adjectif antéposé et adjectif postposé dans l'expression de l'idée
II1tensive. Dans cette fonction, certains adjectifs sont spatialement réversibles.
Cest le cas de suprême et immense. Pour celui-ci,
on voudra bien se reporter
au tableau. Quant au premier, en voici un exemple de postposition:
::x:
Dans
un
monde

tout
est
sens
dessus
dessous,
le
bonheur
suprême
pour
un
vieillard n'est-il pas de
l a i s s e r i e
pouvoir et la force dans des mains fennes?
Monnè
:
271.
Cet énonce avec «
bonheur suprême»
et tous ceux du tableau qu'on vient de
vOir suscitent une question. En effet, le postulat de «
termes superlatifs »
appliqué dès le départ à ces caractérisants était sous-tendu par l'idée que la

139
description de ces caractérisants devait aboutir à l'explicitation de leur valeur
Intensive sous-Jacente. On peut alors se demander si à l'instar des caractérisants
adverbes. l'analyse suivant l'hypothèse de l'inclusion sémantique peut être
appliquée ICI.
La description suivante permettra d'y répondre.
11-1-4-2-1 Antéposition
Considérant que chaque terme superlatif et son support nominal forment
l'ensemble caractérisant (E. C), nous pouvons écrire la règle générale de
symbolisation comme suit:
E. C
~ très + A S
Avec
A signifiant respectlvement«
grand »
et «
nombreux »
on a:
E.C
..
très + grand / nombreux + S
11-1- 4-2-1-1
Très grand Igros + S
Appelons résultante, la paraphrase d'explicitation obtenue par modification
d'un quelconque des éléments de l'énoncé textuel. Avec l'énoncé 1 du tableau
signifiant «
honneur », on obtient la résultante ci-dessous:
Ex
l ' :
C'est
un
changement
important 1
une
notable promotion pour le pays et un très grand
honneur personnel pour
vous
Djigui.
L'énoncé 1 d'antéposltion, extrait de Les Soleils aboutit de même à :
2x l':
Salimata ne remarqua même pas que Baffi

140
balançait
une
très
grosse
hernie
qUl
l'accablait de la démarche d'écureuil terrestre
de Tiécoura.
Dans cette décomposition de l'ensemble caractérisant en très grandI gros +
substantif, il faut compter les énoncés 2, 3, 4 et 5' du tableau en ce qUI concerne
Monné et l'énoncé 3 pOLir Les Soleils.
11-1- 4-2-1-2
Très nombreux + S
Rappelons l'énoncé 4 du tableau tiré de Les Soleils
Ex
4
• Ce
furent
des
funérailles
pleinement
réussies. Mais
pourquoi?
Diamourou
et
Balla,
les
jours
suiva.nts
( . . . )
ont
décompté
les
innombrables signes defunérailles
exaucées.
Les Soleils:
150.
A (innombrables) slgnifiant«
très nombreux », Ex4 peut être paraphrasé en
Ex
4' :Ce
furent
des
funérailles
pleinement
réussies. Mais pourquoi? Diamourou et Balla,
les
jours
suivant.s ( . . . )
ont
décompté
les
très
nombreux signes de funérailles exaucées.
Toutefois. Il eXiste des superlatifs qui ne peuvent rentrer dans cette description
parce qU'Ils ont un sens proche de la formule hébralque Ils constituent un cas
particulier et dOivent être décrits comme tels.

141
11-1- 4-2-1-3
S des
S
La construction de la formule hébraique à valeur superlative est celle d'un
complement déterminatif. Il eXiste toutefOIS une différence qUI tient au fait qu'icI, le
subsrantlf déterminatif ou celui qUI en tient lieu est le substantif déterminé lui-
même.
Seule la forme (le nombre et le genre suivant le cas) en varie, ce qui
explique le sens décommensuratif VOISin de «
le plus grandi gros de»
Soit
l'énoncé 2 du tableau extrait de Les Soleils:
Ex 2 :La suprême injure qUl ne se presse pas, ne
se lasse pas, n'oublie pas,s'appelle la mort. Les
Soleils
83.
Conformément à ce qui précède, Ex 2 peut être paraphrasé comme suit:
Ex
2':
L' inj ure
des
inj ures ILa
pl us
grosse
des
injures qui
ne se presse
pas,
ne se lasse
pas, n'oublie pas, s'appelle la mort.
C'est également ce sens décommensuratif qui se perçoit dans l'énoncé 6 de
Monné du même tableau:
Ex
6':
Mais
nous
promimes
de
témoigner
qu'il
avait renoncé
au train ( ... ) et (ce qui était)
le
refus
des
refus
Ile
plus
grand
des
refus, qu'il
était
mort
avec
un
non
samar ien
entre les dents.
Ces exemples montrent que la descnptlon par le prinCipe d'inclUSIon sémantique
est probante pour les caractérisants adjectifs dits superlatifs. Mais. il ne s'agit que
des cas d'antépositlon. /1 reste à vOir la postposition.

142
11-1- 4-2-2 Postposition
SOit l'énoncé:
i::x
1. Le
Vleux
griot
avait
été
soigneusement
conservé et séché. Tout serein et blanc,
brillant
comme rarement on en rencontre dans le Horodougou
(... )
Des
mots
rapides,
une
intelligence
bouillante. Les
Soleils:
113.
Lexpresslvlté même du caractérisant bouillante le signale à l'attention comme
un terme superlatif,
voire
hyperbolique.
Mais à défaut d'une meilleure
Interprétation, c'est le recours
à la structure classique avec très qUI permettra
d'expliciter ce sens superlatif. Ainsi l'énoncé 1 donne-t-II la résultante que VOICI:
t:x
l ' : Le
v leux
griot
avait
été
soigneuement
conservé
et
séché.
Tout
sereln et
blanc( . . . ).
Des
mots
rapides,
une
très
grande
intelligence.
l_a même pauvreté d'expression plus InCISive dans l'idée superlative nous fait
réduire le caractérisant de sens hyperbolique hors pair à«
très grand »
dans
extrait cI-après .
1
t:x: Ce n'était pas
trop mème pour un homme promis
à
un
destin hors pair.
Monnè
:
15.
Dans les mêmes conditions de description, les exemples 3, 4, 6 et 7
de Monnè
\\volr taoleau) rejoignent tous le sens de très grand + S pour ce qUI est de leurs
superlatifs Cette remarque en appelle d'autres, hautement plus Importantes. En
premier lieu, Il s'agit de la confirmation de l'applicabilité de l'analyse par le
principe dlncluslon sémantique aux termes superlatifs adjectifs dans l'explicitation
de leur valeur Intensive.
La seconde intéresse la différence d'expressIvité entre

143
ces superlatIfs et leurs synonymes à base de très. Cette remarque est surtout
vraie lorsqu'interviennent l'effet de la ponctuation, le ryUlme et l'intonation. C'est
que la position en incise, soit entre virgules. soit entre tirets de certains
caractérisants leur confère un relief plus accusé qui aboutit à un accroissement de
leur vigueur intensive. Il en résulte comme L1ne amplification du contenu notionnel
du substantif support auquel ils s'appliquent. Tel est le cas d'experte (Ex 1), de
suprême ( Ex 2 ) du tableau et d'exceptionnelle dans l'extrait qui suit:
Ex: Pour montrer l'importance de l'événement,le
commandant, l 'interprète et moi-même,
accompagnés
par
les
gardes,
sommes
partis
démarche
exceptionnelle
dans
les
villages
pour
informer
les
habi tants
de
l ' inhumani té
des
Allemands ( ... ) Monnè : 83.
On a pu voir en outre que, dans l'expression de l'idée intensive, la distinction
claSSique opposant adjectIfs antéposés et adjectifs postposés, SI elle est utile par
sa valeur stylistique.
elle devient finalement caduque. En effet, quelle que soit la
place de l'adjectif, la structure de base du haut degré reste formellement
Identique. C'est que dans la description, les cas de postposition prennent la
construction des cas d'antéposition. Conformément au principe fondateur de notre
description. nous dirons que, si la description permet d'identifier les cas
d'antéposition aux cas de postposition, c'est précisément parce qu'elle obéit aux
eXigences combinatoires propres au système lingUistique lui-même. La description
ne fait ainsi que découvrir ou extérioriser des lois internes à la langue.
Il existe une catégorie assez particulière de caractérisants intensifs Ce sont
ceux derlvant d'une préfixation de sens négatif. En effet, la description de l'énoncé
4 tiré de Les soleils (voir tableau) a révélé le sens intensif du caractérisant
Innombrables. On note ainSI qu'une évolution sémantique le fait graduellement
qUitter son sens de base de «
qu'on ne peut compter »
vers un sens
hyperbolique proche de «
qui est d'une quantité trop importante pour être

144
quantifiable»
ou simplement superlatif de «
qui est d'un nombre très
. Important».' Au demeurant, la séparation entre sens hyperbolique et sens
superlatif n'est souvent que pure illusion, les deux acceptions étant toujours
consubstantielles dès lors que le sens premier de pure négation est supplanté par
la visée impressionniste. Un tel processus sémantique ne laisse pas de poser
quelques problèmes. S'agit-il d'un phénomène généralisable ou seulement
sélectif et limité? Autrement dit, peut-on affirmer que la négation est un procédé
d'intensification? Si non, quels critères président-Ils à la sélection et, en définitive,
à l'interprétation dans la valeur intensive?
Amorçant une tentative d'explication du processus, nous Invoquerons
l'argument qui nous semble le plus objectif d'entre tous: l'irrésistible besoin
d'expresslvitié. C'est un argument qui paraîtra sans doute un lieu commun, nous
en étant servi précédemment et plusieurs fois.
Le fait est que le besoin
d'expressivité est la véritable Justification à l'existence de variantes sémantiques
(la polysémie) et de l'enrichissement lexical, antidote SI efficace contre la
monotonie stylistique
Il est très rare en effet que les écarts sémantiques ou
syntaxiques ne procèdent pas d'un besoin d'expressivité, ne serait-ce qu'en effet
IndUIt. AinsI, par la force de l'usage, ce qui n'était que déviation par rapport à une
norme finit-II par simposer avec sa valeur acquise Tel est le cas de tous les
procédés de haut degré, substituts ou concurrents de très, de tous les moyens de
superlatlvisatlon
Peut-on cependant généraliser le phénomène en ce qUI
concerne la négation? Autrement dit, tous les préfixes exprimant l'idée de
«contraire»
peuvent-ils être des procédés intensifs? Pour pouvoir tirer de ce
phenornène une loi générale, Il faudrait que sa validité SOit SI étendue que les cas
favorables dominent quantitativement les exceptions. Or de toute évidence, les
contre-exemples sont Incomparablement plus Importants que les exemples
heureux dont font partie: innombrables, infinie, immaculée. Ceux-ci sont des
superlatifs auprès de nombreux, grande ou vaste et tout blanc. A mOins qu'on ne
prenne exceptionnellement en compte la situation tout aussi particulière du

145
discours qui contiendrait les termes comme irrespirable, invraisemblable,
ini ntéressant., nul ne saurait y vOir des intensifs, sinon de simples contraires
dadJectlfs au positif. AussI peut-on affirmer que le passage de certains préfixes
négatifs au rang de superlatifs est un fait linguistique trop limité pour être
;]énérallsable dans la langue actuelle et encore moins dans les œuvres de
Kourouma. Ce qui Joue un rôle important dans l'interprétation vers l'idée intensive,
c est sans nul doute le terme lui-même dont le contenu notionnel peut être plus ou
mOins favorable à cette plus-value sémantique. Mais c'est aussI dans une
certaine mesure, le contexte où le terme est employé et la situation de
communicatIon. En voici quelques Illustrations:
Exl:
C'était
une
vérité
historique
qUl
s'imposait;
tous ceux de Saba le disaient et le
croyaient
i l
n'
y
a
pas
un
seul
Kéita
sur
l'infinie
étendue du grand Mandingue qui
ne se
prétende descendant de Soundiata! Monnè : 190.
Ex
2
:
( . . . ) un Blanc vètu de blanc
:
le casaue
colonial,
la
longue
soutane
et
les
chaussures
étaient tous d'un blanc immaculé.
Monnè
: 69.
La valeur superlative des caractérisants dans les énoncés ci-dessus est nettement
plus énergique que celle qu'aurait donnée la structure Intensive avec très, ou
même celle amenée par tout à fait. C'est ici que le poids de l'usage se fait sentir,
etabllssant une nuance dans le procédé d'intensification.
En effet, du fait de leur
caractère «
discret », infinie et immaculé sont auréolés d'une force
expressIve qUI leur confère cette marque d'intensification. Ils présentent en outre
l'avantage d'être concis. Comparez'
Ex
l'
( . . . )11 n'y a pas un seul Kéita sur la
très
grande étendue du
grand Mandingue qui
~e
se prétende descendant de Soundiata! Monné:
190.

147
caractérisé étant considéré comme possédant Incomparablement la qualité
envisagée. Il devient en quelque sorte la référence normative de la dite qualité. Ce
faisant on aboutit à l'expression du haut degré comme le montrent les extraits qui
sUivent Alors quil se trouve dans une mosquée, lieu de pureté, Fama a du mal à
réprimer les Idées lascives qui lui viennent en tête à propos de sa femme:
Ex
1
:
Salirnata!
Il claqua la langue.
Salirnata
une
femme
sans
limite
dans
la bonté du coeur,
les douceurs des nuits et des caresses( . . . ).
Les
Soleils:
26.
Le griot père de Matall, sensible aux bienfaits de sa fille rend grâce:
Ex2: Matali! Ah! ma chère fille Matali! qu'Allah
t'accorde
grandeur
et
prospérité
sans
bornes.Les Soleils:
111.
Formellement, on note que le caractérisant ISSU de cette construction est
toujours postposé au substantif caractérisé, qu'il soit ou non en fonction d'attribut.
En outre
par analogie avec ce qui précède, notamment l'énoncé 1, le
caractérisant prépositionnel peut être privé du complément qui sert d'élément
dappréclatlon de j'être caractérisé. Dans l'exemple 1, le groupe «
dans la bonté
du cœur »
Joue parfaitement ce rôle. L'énoncé acquiert alors une concision et le
sens du caractérisant prédicatif se réfléchissant sur le sujet peut être rapproché de
«
absolument tout permis»
comme dans l'extrait suivant:
~x 3 : Enhardi par le trouble du griot,
Fama se
crut sans limite.Les Soleils:
12.
ToutefoIs. le sens n'est pas toujours aussi net et Il faut souvent faire appel au
contexte
pour éclairer l'interprétation. Dans le prochain passage par exemple,

147
caractérise étant considéré comme possédant Incomparablement la qualité
envisagée. 1/ devient en quelque sorte la référence normative de la dite qualité. Ce
faisant, on aboutit à l'expression du haut degré comme le montrent les extraits qUI
sUivent. Alors qU11 se trouve dans une mosquée, lieu de pureté, Fama a du mal à
réprimer les Idées lascives qui lui viennent en tête à propos de sa femme:
Ex 1 : Salimata!
Il claqua la langue.
Salimata
une
femme
sans
limite
dans
la bonté du
coeur,
les douceurs des nuits et des caresses( ... ). Les
Soleils:
26.
Le griot pére de rylatali, sensible aux bienfaits de sa fille rend grâce:
Ex2: Matali! Ah! ma chère fille Matali! qu'Allah
~'accorde
grandeur
et
prospérité
sans
bornes.Les Soleils:
111.
Formellement, on note que le caractérisant issu de cette construction est
touJours postposé au substantif caractérisé, qu'il soit ou non en fonction d'attribut
En outre. par analogie avec ce qui précède,
notamment l'énoQcé 1, le
caractérisant prépOSitionnel peut être privé du complément qui sert d'élément
d'appréciation de l'être caractérisé. Dans l'exemple 1, le groupe «
dans la bonté
du cœur »
Joue parfaitement ce rôle. L'énoncé acquiert alors une concision et le
sens du caractérisant prédicatif se réfléchissant sur le sujet peut être rapproché de
«
absolument tout permis»
comme dans l'extrait suivant:
~x 3 : Enhardi par le trouble du griot,
Fama se
crut sans limite.Les Soleils:
12.
ToutefoIs. /e sens n'est pas toujours aussi net et Il faut souvent faire appel au
contexte
pour éclairer l'interprétation. Dans le prochain passage par exemple,

148
cest le contexte qUI gUide l'interprétation en faveur de l'Idée d'«extrême
générosité »
Les propos trop élogieux et répétitifs de Babou à l'adresse de
Fama exaspère quelque peu l'auditoire de la réunion politique:
Ex
4
:
Oui d'accord,
Fama était sans
pareil,
sans limite.
Oui!
L'humanisme et la fraternité
sont
avant
tout
dans
la
vie
des
hommes. Mais
après?
Les Soleils :140.
Ces passages montrent bien la variété des procédés expressifs à connotation
Intensive
Ainsi, certains syntagmes nominaux unis par la préposition de dans sa
pure fonction relationnelle participent-ils avantageusement à l'expression du haut
degré
Le cllapltre s'achève avec l'étude de cette forme de procédés
d'intensification
Il -1- 4-2- 4 Syntagmes nominaux intensifs
Dans
la fonction de mise en relief abusive de la caractérisation, la
preposition de tient une place importante, surtout pour la construction des
compléments déterminatifs comportant virtuellement l'Idée comparative
La nature
constitue le patllilloine de reférence pour ces constructions dithyrambiques Dans
les exemples qUi sUivent, les syntagmes soulignés ont respectivement le sens de
«très longs bras »
et «
très grande taille », La valeur hyperbolique y est nette:
Ex
1:
Fama( . . . )
parla,
parla
avec
force
et
ilbondance
en
dg i tant
des
bras
de
branches
de
fromager ( ... ).
Les Soleils:
13.
Ex 2 : Le chef de Toukoro l'lie grand marabout)
avait distingllé il
sa taille de
fromager ( . . . ) .
Les soleils:
99.

149
D'autres. sous l'idée de «quantité»
excessive qu'ils expriment, sont également
de nature hyperbolique. Leur vigueur expressive vient encore de l'union de leur
sens réalisée au moyen de la préposition de:
Ex 3 : Les deux exploits de leur roi( ... )avaient
été célébrés par ceux de Soba par de nouvelles
orgies
de
sang. Monné:
20.
La sorcière,
grande experte en sciences divinatoires s'adresse à la pécheresse
MOLissokoro bannie de chez les siens pour luxure:
Ex
4
«
Tes
sacrifices
ne
seront
pas
acceptés( . . . ).11
te
faut
prier.D'innombrables
nuits
et
Jours
de
prière.Une
montagne
d'aumônes.
Un
fleuve
de
sacrifices».
Monné:
147.
Lldée de quantité est ainsI consubstantielle à l'idée d'Intensité avec laquelle
l'action évoquée à travers la quantité s'accomplit. Peut-on cependant affirmer que
dans l'ordre de la perception, les deux idées sont au même niveau avec un égal
effet?
Lune cède-t-elle au contraire le pas à l'autre et dans quelle mesure? Ce
sont là des questions d'autant plus difficiles à trancher que la perception est
souvent du domaine du subjectif. Il nous semble cependant qu'à l'idée de quantité
revient la légitimité de l'antérionté, mais que le sens intensif est SI fort dans ces
constructions qu'll doit être retenu en définitive. C'est en tout cas ce sens qui se
dégage Indiscutablement des énoncés comme:
Ex 5: Fama ( ... ) avait quelque chose en poche et
à
ses
pieds
des
fourmis
de
malheureux.
Les
Soleils:
25.
Ex 6: Avant les soleils des Indépendances
( ... 1
le quarantième
jour d'un grand Malinké fais aie

150
déferler
des
marigots
de
sang.
Les
Soleils
143.
2x 7 : Sa tête gronda comme battue,
agitée par
un
essaim de
souvenirs.
Les
Soleils:
31.
2x
8
( . . . )brillaient
au
loin
des
myriades
d'étincelles.
Les
Soleils:
59.
L Idée Intensive est d'autant plus présente dans ces syntagmes nominaux que la
valeur évocatoire des substantifs de base a toute la forme d'un procédé
hyperbolique.
Cette remarque achève l'étude sur le dispositif lexical de l'idée de
haut degre Que peut-on en retenir avant la conclusion? La grande difficulté que
dOit résoudre une étude comme celle qui précède est de convaincre de sa propre
legltlmlte. En effet, l'usage fréquent de la plupart des procédés lexicaux d'Intensité
et en particulier de très, assez, trop, bien .. crée souvent un sentiment d'évidence
qUI rend
le travail très délicat. Nous espérons cependant avoir montré que rien
nest mOins certain dans les faits de langage que ce qui paraît aller de SOl. En
outre, les exigences morpho-syntaxiques et sémantiques sur l'axe paradigmatique
entre certains procédés lexicaux qUI paraissaient à première vue remettre en
cause le caractère opératoire de notre test linguistique, montrent en fait deux
cnoses essentielles. La première concerne les problèmes de synonymie qUI
seront développés dans la troisième partie du travail. La deuxième observation
Intéresse la justification du test linguistique et, d'une façon générale, celle de notre
procedure d'analyse. En effet, le caractère presque hétéroclite des modalités
intensives nous a semblé ne pouvoir s'accommoder que d'une description qui
procède au cas par cas et qui s'adapte à chacune de ces modalités. C'est ce qUI
Justifie notre préférence pour cette méthode de travail variable dont les
aéveloppements ultérieurs donneront d'autres illustrations.

151
Conclusion
La brève étude historique sur le dispositif lexical préposé à l'expression de
l'idée intensive. a montré l'antériorité de l'adverbe très parmi les outils
grammaticaux de haut degré. On retient à ce propos qu'un usage abusif a entraîné
une sorte d'évidement sémantique de cet intensif primitif, lequel évidement se
traduit par la recherche et l'emploi d'autres adverbes au contenu notionnel plus
expressif
A ce titre, l'extension de la notion de motivation à des termes
contextuellement intensifs comme les adverbes de manière est à noter dans la
mesure où elle apporte un enrichissement lexical significatif dans le domaine des
modalités du haut degré. Ainsi des caractérisants tels que
parfaitement
ab sol ume nt,
extrêmement, tota 1e me nt,
font-Ils partie intégrante de
l'énonciation intensive et définissent par la même occasion, une nouvelle
dimension de l'expression du Ilaut degré. Le test linguistique fondé sur la théorie
de l'inclusion sémantique a permis de décrire le mécanisme d'expressivité de ces
nouveaux Intensifs. De ce point de vue, il est Important de noter que l'usage de
ces modalités lexicales d'intensification chez Kourouma ne s'écarte guère de
l'usage ordinaire. si bien qu'on peut affirmer qu'elles échappent à son anti-
conformisme langagier. On note toutefois l'orientation hyperbolique dans l'emploI
de ces procédés C'est le cas notamment
des syntagmes nominaux avec des
bras de branches de fromager, une
montagne
d'aumônes. un fleuve
de sacrifices. des marigots de sang,
mais aussi des structures formées de
l'adJectlf vrai et ses vanantes, et qUI créent la caractérisation distinctive à valeur
intensive
C':elle-ci est la rJeuxlème nouvelle forme de haut degré après les
adverbes motivés en -ment qui complètent les moyens traditionnellement affectés
~l l'Idee cJlrltellslte Cd effort (Je renovatron est-II Cjénéral et extenSible a dautres
types de procèdes intenSifs'; Ou bien au contraire, s'agit-il d'un acte isolé?
L...analyse des structures plus complexes telles que les propOSitions et les
locutions verbales en vOie de clichage permettra de trouver des reponses

152
satisfaisantes à ces interrogations au cours des chapitres suivants.

153
1 - Grand Larousse de la langue française. Larousse, 1972, vol. Il, P 1172-
1178.
2 - L'astérisque sera la marque de toute impropriété.
3 - Chacun des adverbes proposés avait plusieurs synonymes français. Mais nous
nen avons ChOISI que quelques-uns afin d'éviter de longues énumérations.
4 - P Guiraud. La stylistique. Presses Universitaires de France,
1954, collection
«
Que sais-je? ». n° 646, p 109.
5 - J
Damourerte & E. Pichon Des mots à la pensée. Editions d'Artrey, 1935,
livre VII.
6 - J
Mazaleyrat & G. Molinié
Vocabulaire de la stylistique.
Presses
Universitaires de France, 1989
7 - G. Moigne! «L'incidence de l'adverbe et l'adverbialisatlon des adjectifs >:> in
Travaux de linguistique et de littérature Klincksieck, 1963, vol. l, P 175-76.
8 - F Brunot La pensée et la langue
Masson & cie,
1953, 3è édition, partie
IV. livre XIII. ch 1.
P 577.
9 - Adjectif et Adverbe auront comme abréVIations respectives, adj. et adv. La
flèche
~ slgnlfie« Se décompose en >:> tandis que le trait oblique / marque
le rapport de substituabilité.
10 - H. Hultenberg
Le renforcement
du
sens
des
adjectifs et des
adverbes dans les langues romanes. Upsal. 1903, p 52.

154
11 - F. Bar. «Superlatifs»
in Le français moderne, 1952, vol.XX, p 25.
12 - M. Clédat. Revue de philologie, 1889, p 47.
13 - Létude statistique donne les résultats suivants pour les œuvres:
- Vrai : 44 cas, soit 22 pour chaque roman.
- Authentique: 10 cas, soit 2 cas pour Les Soleils et 8 pour Monnè.
- Véritable: 6 cas, tous pour Monnè.

155
CH.2 LA
CARACTERISATION COMPLEXE D'INTENSITE
Introduction
D'un strict point de vue formel, on peut distinguer deux sortes de
caractérisation intensive. D'une part, la caractérisation lexicale étudiée au cours
du chapitre précédent et que nous appellerons caractérisation simple, et d'autre
part. une caractérisation à base de subordonnées propositionnelles. Pour cette
raison même, nous aurions voulu la nommer caractérisation propositionnelle
Mais le sens d'opposition n'en eût pas été clair, l'adjectif propositionnelle étant
3 la fOIs trop vague et imprécis pour être opposable à simple. Comment justifier
par ailleurs de faire entrer sous cette même appellation, des énoncés semblables
en Signification certes, mais formellement différents tels que les suivants?
EX
1:
(Fama)
bailla
à
se
faire
éclater
les
commissures. Les Soleils
:98.
Ex
2
Nous
nous
sommes
ballonnés
(de
nourriture)
au
point
que
nos
ventres
ont
retenti
comme
la peau de
tam-tam tendue( ... ).
f.Jonnè
:
243.
SI
la
séquence
infinitive
à
se
faire
éclater
les
commissures et la
subordonnée amenée par la locution au point que dans les énoncés 1 et 2
renvoient en signification à une même réalité, la différence de forme qui les
separe
empêche
de
les
regrouper
sous
la
rubrique
«caractérisation
propositionnelle»
Un tel parti-pris nous expose à certaines objections. L'une
d'elles pourrait être que l'énoncé 1, en dépit de sa forme sans subordonnant
logique n'est pas moins une proposition, ce qui est du reste parfaitement exact
La deuxième objection résulte logiquement de la précédente. En structure

156
profonae en effet, l'énoncé 1 peut parfaitement s'accommoder de la présence
d'une ilgature ayant la même valeur que la séquence infinitive. Cela est
également vrai et cependant, ni l'un, ni l'autre arguments ne suffisent à invalider
notre parti-pris en faveur du facteur formel et nous convaincre d'y renoncer. C'est
d'abord que,
précisément, la forme a été retenue comme un critère distinctif. Et
par sUite logique de ce choix, le concept de caractérisation complexe répondant
mieux aux réserves formulées antérieurement a emporté notre préférence.
Récapitulons
par conséquent : la caractérisation intensive peut être dédoublée
avec dun côté, la caractérisation simple et de l'autre, la caractérisation complexe
La première ayant déjà fait l'objet d'étude, c'est la seconde qui retiendra notre
attention au cours de ce chapitre. Ouelles sont les différentes marques
gram maticales de la caractérisation complexe? Comment fonctionnent-elles au
sein de celle-cI pour lui conférer une valeur Intensive? Les développements qui
vont sUivre tentent d'y répondre Concrètement, ces développements ont pour but
d'expliciter le mécanisme d'expressivité de la caractérisation complexe en tant
que modalité d'intensification.

157
Section 1-11-2-1 Les procédés consécutifs de haut degré
C'est à la grammaire traditionnelle que reVient le mérite ~listorique d'avOir
mis au Jour le découpage séquentiel de la pensée entre propositions principale et
subordonnée
On reconnaît ainsi, sUite logique de ce découpage, l'existence
d'une serie de propositions dites subordonnées Celles-ci vont (l'ordre est sans
valeur) de la causale à la finale, en passant par la comparative, la consécutive 1, .
Cette dernière forme de subordonnée nous intéresse au premier chef dans la
mesure où elle fait partie intégrante de la caractérisation complexe à valeur
intensive. Une question vient alors à l'esprit. Comment l'idée de haut degré se
perçoit-elle à travers la conséquence dont la subordonnée du même nom semblait
être le sens exclusif? Pour répondre à cette question, rappelons l'énoncé 2 ainsi
formuié «Nous nous sommes ballonnés (de nourriture) au pOint que nos ventres
ont retenti comme la peau de tam-tam tendue ...»
(Monnè : 243). Ou pOint de vue
crlronologique de la production des faits, deux actions sont à noter dans cet
énoncé. D'une part, le ballonnement des ventres résultant du fait manger et,
d'autre part, le retentissement des ventres subséquent au ballonnement.
Lénonce peut être ainsi sCindé en deux sequences (a) et (b), scission que
représente l'espace entre les séquences:
2) a- Nous nous sommes ballonnés
b) Nos ventres ont retenti ...
Ce découpage permet d'apprécier dans toute sa dimension, le rôle logique de la
ligature locutlonnelle qui établit entre les actions des deux séquences, un
véritable lien de cause à effet. Le ballonnement des ventres est la cause qui en
provoque un effet. leur retentissement. C'est cette proportionnalité même dans la
causalité qui revêt un intérêt significatif En effet. l'importance de la cause exposée
dans la principale rejaillit sur le degré de l'effet produit et inversement, la portée
de la conséquence est symptomatique de l'intensité de la cause Dans la mesure

158
où le résultat est le fidèle reflet en intensIté de la cause qui le suscite, la
subordonnée consécutive se double de cette plus-value sémantique qui la signale
comme un procédé intensif à part entière. En effet, pour que les ventres pUissent
retentir comme une peau de tam-tam tendue, Il faut quils aient atteint leur limite
extrême de plénitude le plus haut degré de leur capacité de contenance
Le
procédé consécutif est par conséquent autant un moyen d'accroissement de
IllitenSlte quune caracténsation
On remarquera au passage le goût du narrateur
pour les envolées hyperboliques grâce au pouvoir évocateur de l'expression
sonore produite par le tam-tam. Mais surtout, on remarquera le rôle de la
conjonction que dans le mécanisme d'expressIvité du procédé. Ce rôle semble
remonter jusquà l'origine de la langue française.
En effet, l'antériorité du rôle
dopèrarateur de conséquence de que employé absolument,
c'est-à-dire sans
antécédent adverbial ou adjectival après les constructions asyndétiques, est un
fait attesté par l'ensemble des études historiques à notre connaissance. PourquoI
la conjonction sest-elle adjoint un corrélatIf sous les diverses formes que présente
la langue actuelle? A cette question, on peut alléguer plusieurs arguments-
réponses.
De tous les arguments possibles, ceux-ci nous paraissent les plus
probables. Cela peut s'expliquer d'une part, par l'insuffisance de que à expliciter
avec clarté la causalité, et, d'autre part, par le besoin d'une plus grande
expressIvité et de précision. Quant à la manière dont cette Insuffisance a été
palliée, on note simplement que dans son rôle de subordonnant, que
saccompagne touJours, soit d'adverbes et de locutions adverbiales préposés à
1expression de l'Idée Intensive (si, à tel poin!,.), soit de locutions exprimant à
l'origine la manière (de manière que, de façon que, .. ). Le haut degré étant notre
préoccupation, c'est tout naturellement que nous commencerons l'étude par la
première série de procédés conjonctifs d'Intensité après en avoir décrit le
mécanisme

159
11-2-1-1
Si que
La double valeur de si
que à la fois comme Introducteur de
conséquence et de haut degré remonte, d'après les études historiques, à la
:ormation même de la langue française. Ainsi par exemple, au chapItre IX de son
ouvrage précédemment cité et consacré aux subordonnées «
conséquentielles
», G. Le Bidols parlant de la faculté de cette ligature d'intensité à marquer la
conséauence ècrit-il :«
Dès
les origines de la langue,
si pris au
sens de tellement,
a servi à marquer ce rapport >>-2 Dans l'état
actuel de la langue, cette locution a réussi à préserver son ambivalence
fonctionnelle. D'un point de vue morphologique, si que encadre soit un adjectif,
SOit un adverbe dont il modifie intensIvement le sens. La qualité. l'action ou la
notion ainsi intensifiée dans la principale par si se répercute avec une égale
proportion de puissance et de vigueur dans la subordonnée amenée par que.
Prenons quelques exemples.
Dans le premier extrait cI-dessous, Il s'agit des festivités marquant le
quarantième Jour de la mort de Lacina.
Au cours de ces festivités,
les
coreligionnaires du défunt ont fait preuve d'un recueillement et d'une piété
exceptionnels. Le caractère inhabituel de la religiosité ne manque pas de tirer à
consequence :
Ex 1 : Quelle solennité! Quelle dignité! Quelle
religiosité! C'était si extraordinaire pour des
Malinkés
que leurs
génies s'indignèrent et un
maléfique tourbillon déboucha du cimetière( ... ).
Les soleils:
146.
Ex 2:
A les
(les Malinkés) entendre,
l'épidémie
fut
si
décimante
qu'on
vit
des
enterrés ( '"
)émerger des tombes pour marcher et
revenir au village( ... ) des cadavres abandonnés

160
ressusciter,
s'assembler,
creuser leurs propres
tombes,
prier
et
s'enterrer
réciproquement.
Monnè
85.
2x
J
Djéliba
( ... )
commença
de
crier
une
quatrième louange inédite, mais en l'articulant,
ouvrit si large la gorge qu'une quinte de toux
s'y engouffra et étouffa le chanteur.
Monne :
222.
D'un pOint de vue strictement grammatical, la succession des événements sous
cette causalité est d'une logique Implacable. La conséquence apparaît en effet
comme étant non pas un terme possible d'un processus, mais comme le terme
inéluctable du processus. De ce fait même, elle semble se parer des garanties
d'obJectivité. En réalité, ce n'est bien souvent qu'un leurre car la probabilité que
l'événement-conséquence se produise dans les conditions décrites, SI elle nest
pas tOLJJoLJrs nulle, est du mOins fort mince. Peu Importe La visée Impressionniste
Inscme au cœur de l'expression hyperbolique ne se préoccupe guère de
vraisemblance. pas plus davantage qu'elle ne pose la question de la vérité.
L'essentiel est de présenter les faits tels qU'Ils sont censés se produire et
d essayer d'en persuader le destinataire du message. Ce rapport logIque se
marque également au moyen d'autres mots-outils parmi lesquels si bien que,
forme étoffée de la précédente ligature.
11-2-1-2 Si bien que
L'étude des outils Intensifs que nous avons passés en revue au chapitre
précédent a faIt allUSion à la valeur originelle de bien qui est l'expression de
l'idée de manière Son Intercalation entre la conjonction et son corrélatif adverbial
remonterait au XVIe siècle, selon G. Le Bldois. L'ensemble forme de nos Jours
une locution conjonctive à valeur consécutive dont le sens est proche de «à tel

161
pOint que ». Cest que ['adverbe a dû payer de son autonomie sémantique, son
entrée au sein de cette ligature initialement composée de deux éléments. Aucun
autre argument que celui de sa profonde aversion pour le «hiatus»
que
présente si que. ne semble en effet pouvoir être justiciable de la formation de
cette locution. Une autre remarque également tirée de l'expérience est celle
relative au mode d'emploi de la dite locution. Elle ne s'emploie que lorque la
valeur IntenSive de si ne s'applique ni à un adjectif, ni à un adverbe. L'ensemble
locutionnel assure alors le plein rôle d'un outil grammatical préposé à l'Idée de
conséquence autant qu'à l'expression du haut degré. En voici des exemples.
~x l
:
Un jour sur un chantier ~ la place de son
habit:uel
verre
de
bière,
(le
Blanc)
se
fit
apporter
une
Jeune
Négresse
et
l'essaya.
L'expérience le transporta et le transforma si
bien que sa femme blanche ne lui suffit plus
:
elle devint
pour
lui
froide
comme
un
serpent.
Normé :
117.
Ex
2 :
Et Karika qUl alma si bien sa
première
femme Masséni que systématiquement il égorgeait:
après
l'acte
toutes
les
autres
femmes
avec
lesauelles il la trompait.Monnè : 192.
Ces extraits montrent que si bien que requiert des conditions morpho-
syntaxiques
différentes
de
celles
de
si
que.
Il
semble
en
effet
presqu exclusivement ne s'accommoder que d'un antécédent verbal dont Il
modifie le sens. Cette remarque nous permet de voir d'autres ligatures logiques
comme tel que. de sorte que ..
11-2-1-3 Tel que
C:::orrélatlf adjectivai de que dans les subordonnées consécutives, tel est

162
autant un moyen de qualification que d'intensification. Fort curieusement, cet
adjectif indéfini tire parti de l'imprécision de son sens puisque de là Vient sa
propriété à Jouer son double rôle déjà mentionné. Morpho-syntaxiquement, il peut
se construire tantôt comme épithète d'un substantif, tantôt comme attribut. Dans le
premier cas, il suit ou précède immédiatement son support, tandis que dans le
second. il est séparé du substantif auquel il s'applique par la copule être ou par
d'autres verbes pouvant s'accommoder de cette construction. Les extraits ci-
dessous en sont des illustrations:
Ex
l
:
(Dj igui)
éprouva
tous les mots
inusités
du
Livre,
les
prononça
avec
une
force
et
une
ferveur
telles
que
le
roi
atteignit
le
tout-
puissant Lui-même,
Le perturba dans Sa splendeur
et L'obligea à se débusquer. JI10nnè : 24.
Ex 2 :( ... ) les lèvres(de Mariam) piquetées dont
les
noirceur
et
excroissance
étaient
telles
qu'on résistait difficilement
au
désir
de
les
mordiller. Monnè : 249.
Du fait de l'imprécision du sens de tel qui laisse l'espnt se mettre en frais à la
recherche du terme de qualification qu'il jugera le plus approprié, la conséquence
amenée par que est ici plus que dans les procédés antérieurs, l'indice
d'évaluation de l'intensité de la cause (ou de l'excellence de la qualité évoquée)
Mais, quoique ce rapport de cause à effet soit grammaticalement tout à fait
logique,
li n'y a pas toujours une ausSI nette rationalité extra-linguistique entre la
cause et l'effet. si l'on se fonde sur des critères probabilistes et qu'on se demande
SI
l'effet peut être effectivement réalisable ou non. AinsI dans les exemples
précédents comme dans ceux qui vont suivre, les résultats provoqués et atteints
en discours sont-ils probables. C'est le cas de l'énoncé 2. D'autres au contraire
sont simplement du domaine de l'imagInaire et n'ont de vérité que romanesque,
cest-à-dire qu'ils sont dans l'ordre du fictif. L'exemple 1 en est un cas.

163
11-2-1- 4
De sorte que
Comme ses semblables (de manière que, de façon que), cette locution
servait originellement à décrire la manière dont se déroule l'action-cause qUI
produit la conséquence. Mais le sens consécutif acquis a presque complètement
supplanté le sens initial de manière. De l'idée de conséquence, le sens de la
locution glisse quelquefois vers le domaine de l'intensité. Le critère qui en
détermine l'emploi dans ce sens semble être d'ordre sémantique, si on se fonde
sur les similitudes formelles. Nous invoquons ici notamment, la substituabilité avec
d'autres locutions conjonctives établies dans l'expression de l'idée intensive Ce
sont entre autres, si bien que, tellement que, si que. Dans l'extrait qUI SUit, la
première locution peut bien remplacer de sorte que:
1;: x
J:
C' est
v r () i In en t
In al heu r eux
qu' A11 a h
n ou s
ait mal fabriqués,
nous Nègres.
Il nous a créés
menteurs
de
sorte
que
le
Noir
n'accepte
de
dire la vérité que la plante du pied posé sur la
braise. Monnè : 81.
Quant à tellement que et si que, leur introduction entraînerait une modification
syntaxique, mais aucune en ce qui concerne le sens de l'énoncé. Avec eux,
l'intensification portée sur la qualité "menteurs" deviendrait explicite comme le
montre cette résultante:
Ex
l ' :
( . . . )
Il
nous
a
créés
tellement/si
menteurs que
le
Noir
n'accepte
de
dire
la
vérité que la plante du pied posé sur la braise.
Mais le contexte ne se prête pas toujours avec un égal bonheur à l'interprétation
en faveur du sens intensif, et on hésite parfoIs à trancher entre la prédominance à
accorder à l'intensité ou à la conséquence. Le passage suivant est un exemple de

164
cas 'litigieux"
Ex 2:
(Fama)
dégagea sa gorge par un hurlemen~
de
panthère,se
déplaça,
ajusta
le
bonnet,
descendit
les manches du boubou,
se pavana de
sorte que partout on le vit.
Les Soleils:
13.
Le problème que pose cet extrait Vient de l'apparente discordance entre la nuance
finale qUI se dégage des actions et le mode indicatif du verbe de la subordonnée,
On note en effet une suite d'actions dont la série verbale ci-dessus témoigne, Cela
semble soulever à première vue, un problème de concordance de temps
En effet,
si Fama a été vu de toute l'assistance (c'était à l'occasion de la cérémonie
funéraire de Koné Ibrahima), c'est bien qu'JI s'est délibérément posé en objet de
curiosité en attirant le regard sur lUI par tous les moyens Ainsi, ne se contente-HI
pas de se désenrouer la gorge, mais Il se la racle avec tellement de vigueur que le
bruit provoqué fait penser à un hurlement de panthère, A lUI tout seul, ce fait suffit
à attirer 1attention de tous ses coreligionnaires, Les autres événements, à savoir
le fait de se déplacer et de se pavaner ne sont plus que de Simples
épiphénomènes qui viennent compléter l'action principale, En tout état de cause,
ies manières trop ostentatoIres de Fama plaident en faveur d'une nuance
d intentiOn, Celle-CI est cependant formellement contrariée pUisque nous avons
affaire, non à un subjonctif, mais à un indicatif et cela se comprend aisément En
effet, la subordonnée consécutive a iCI une valeur constatative dans la mesure ou
elle exprime un résultat, que celui-CI
soit attendu ou qu'il se SOit effectivement
prodUit et ce, en dehors de toute Idée de finalité, C'est par conséquent j'indicatif,
mode ou réel qUI convient et cest préCisément de là que vient le paradoxe que
nous soulignions plus haut En effet, l'indicatif de la subordonnée atteste bien que
1expression de j'Idée de résultat effectif et non à obtenir était le but réel de
1auteur, Que faire?
il faut distinguer deux sortes d'analyse, D'une part, celle de la logique Interne

165
des événements dans leur chronologie qUI laisse voir une certaine finalité, et
d'autre part, une analyse strictement formelle excluant toute considération extra-
linguistique. Autrement dit,
il n'y a là aucune impropriété qu'on pourrait Imputer à
la confusion des modalités qui président à la distinction entre la conséquence et la
finalité
Quant à la question de la prédominance entre l'intensité et la
conséquence,
Il
nous
semble
que
celle-cI
prend
le
pas
sur
celle-là.
Lomnlprésence de la conjonction que dans les passages proposés Jusque-là
d'une part, et les différents cas de procédés consécutifs Impliqués dans
l'expression du haut degré d'autre part, confirment que cette conjonctIon est bien
l'élément de base dans l'établissement du rapport logique de causalité. Cela
explique qu'on le trouve dans la presque totalité des structures aux côtés de
certains mots comme point qui contiennent de manière diffuse, l'idée de degré.
C'est le cas de quelques procédés locutionnels à valeur intensive que sont au
point que, à tel point que.
11-2-2
Autres procédés locutionnels intensifs
11-2-2-1
Avec Point
La langue est d'abord appréhendée dans sa fonction fondamentale de
moyen de transmission des pensées et des sentiments Il arrive cependant des
Situations où l'affectivité est si atteinte que la langue se trouve démunie et inapte à
rendre compte avec exactitude de l'intensité du sentiment éprouvé. Soit les
énoncés sUivants:
(1)
Elle dit avoir fait la connaissance d'un homme d'une avenance, mais d'une
avenance'
(2) Mon père hait au plus haut point toute forme de délation.
Entre les énoncés 1 et 2, Il eXiste certes une marge affective considérable à
lavamage du premier (on le verra plus lOin dans la troisième partie du travail)
Pourtant. cette marge affective est une différence de degré et non une différence

166
de nature.
En effet,
les deux énoncés se rejoignent par leur caractère
dimpréclsion quant à la quantification de la dose de sentiment éprouvé, qu'il
s'agisse du plaisir suscité par le coté avenant de l'Ilomme ou du degré d'aversion
provoquée par la délation. En ce qui concerne l'énoncé 2 en effet, toute la force
intensive du groupe prépositif au plus haut point vient précisément de ce que
poi nt est Lin terme de sens indéfini. C'est ce qui lui permet d'assurer un role
d'évaluateur ou de coefficient d'intensité à l'image de tel. Cela est si vrai que
lorsqu'II entre dans les constructions subordonnées, son expressIvité paraît
s'affaiblir car l'idée de la subordonnée amenée par que se présente alors comme
la limite envisageable à ('extensibilté du sens de point. Tout se passe en effet
comme si les dimensions à atteindre et qu'on ne pouvait cerner avec précision
devenaient subitement circonscriptibles, permettant ainsi de Juger de la portée de
la cause Prenons quelques exemples avec au point que et à tel point que.
11-2-2-1-1-1
Au point que
Le commandant vient d'exiger du roi Djigui, une mobilisation générale
pour aller à la guerre contre les Allemands
Mais au lieu de s'exécuter
Illlmédlatement le patrlarclle s'est livré à des préparatifs SI longs quau moment
où Il se met enfin en route, c'est pour apprendre la défaite de la métropole:
Ex
l
:
Ces
préparatifs
exigèrent des
palabres
que suivirent des palabres
( ... ) et retardèrent
le
déplacement au point qu'à
la
fin des
fins,
lorsque
Djigui
se
décida
et
sortit
du
Bolloda(
) il n'alla pas
loin
( ... ) quand un
garde(
) nous annonça que la guerre en France
étai~ finie, que les nôtres avaient été défaits
( ... J.
Monné:
Ill.
Oans l'extrait qUI SUit, on célèbre la victoire aux constituantes de 1957 du candidat

167
Fouphouai :
Ex
2:
Les
crépi ternents
des
tam-tams
et:.
les
chants
se
répétèrent
et
se
prolongèrent
au
point que les oiseaux gazouillèrent les noms de
«Fouphouai » . Monnè:
240.
Le fait que toute la nature, par le biais de la gent ailée assure le relal tonitruant de
la gloire au vainqueur, atteste le faste avec lequel cette victoire est célébrée, mais
en même temps, cela indique les limites de la portée de l'hommage rendu au
vainqueur. La conséquence apparaît en effet comme le terme butolre que peut
atteindre l'Imagination.
En réalité, celle-ci ne se met guère en frais pUisque grâce
à la subordonnée, elle n'a plus à inventer et à deviner l'intensité de la cause.
Cette remarque est aussI valable pour à tel point que
11-2-2-1-1-2
A tel point que
Comme prince, Fama est tenu à l'obligation d'humanisme et de charité
AusSI met-il un pOint d'honneur à faire étalage d'une générosné somme toute
particulière. Qu'on en Juge plutôt.
Farna
se
devait
de
donner/il
devait:.
être
généreux;
et
i l
l ' é t a i t
à
tel
point
q u ' i l
a l l a i t
offrir
jusqu'à
son
cache-sexe.
Les
Soleils:
131.
La conséquence portée par la subordonnée dans ces passages amène une
explicitation du sens de point et tel imprécis et vague au départ en fixant comme
une marge butolre à leur extensibilité. En effet, dans «
Mon père hait au pius haut
point toute forme de délation », la marge de manœuvre de l'imagination dans sa
tentative de quantification du sentiment de haine est nettement plus large que

168
dans les extraits ci-dessus. Ici, la préSef'1Ce de la 8uborctc)f"\\I'H:~e eel'\\8t1tue UI'\\€) $~rte
de limite infranchissable imposée à l'espnt. La nuance apparaîtra sans doute plus
nette encore en remplaçant dans le second passage par exemple,
à tel point
que par au plus haut point
«Fama se devait de donner, Il devait être
généreux: et il l'était au plus haut pOint ». On le voit, la présence de la
subordonnée amène une précision de taille que la concision de la locution
prépoSitive dissimule à l'esprit. Cela peut-il être un critère de hiérarchisation au
niveau de l'expressivité de ces procédés?
1\\ est Indéniable qu'aucun fait de langage ne peut être interprété sans un
minimum de logique, celle-ci étant fondée d'abord sur le sentiment linguistique.
En effet Il existe toujours une sorte de «
degré zéro »
de signification a partir de
laquelie les interprétations peuvent diverger selon une série de facteurs propres à
chaque analyste de discours. Comment
rendre raison Sinon de la diversité de
lectures autour d'un même fait d'expression? C'est que toute démarche
Interpretative en langue fait toujours Intervenir une note inconsciente de
subJectivité. aussi infime sOit-elle. Dans ces conditions, Il peut être souvent risqué
de VOUlOir proposer une hiérarchisation absolue des faits d'expression comme
ceux orécédemment cités Tel\\e personne étant plus sensible à ce que son esprit
peut circonscrire et visualiser accordera sans doute la primeur de l'expressivité
aux énoncés à subordonnées, parce qu'ils lui donnent l'occasion de se
représenter les événements comme sur une scène de théâtre. Telle autre à l'esprit
plus ouvert.
plus autonome. préférera au contraire les énoncés où les procédés
intenSifs laissent libre cours à l'imagination comme c'est le cas avec au plus
haut point. Terminons ce paragraphe par au point de, variante prépositive de
au poi nt que Syntaxiquement,
cette locution eXige une Identité parfaite entre le
sUjet ae la proposition principale et celuI de la subordonnée. ICI également, la
relativité doit être de mise en ce qUI concerne l'expressivité de la locution au
point que et sa variante
Mais pour nous, l'énoncé avec une conséquence
amenée par la locution conjonctive paraît plus incisif du point de vue de l'intensité

169
de la cause que celui avec la locution prépositive. Voici un exemple de cette
dernière Le narrateur veut faire entendre que les envies sexuelles intempestives
de Salimata sont on ne peut déraisonnables, compte tenu de l'âge de son mari.
Ex:
?ourtant,
Allah
et
son
prophète,
vous
le
savez,
vous
nous
avez
fabriqués
ainsi,
aucune
drogue,
aucune
prière
ne
peut
ragaillardir
un
vidé
comme
Fama,
au point
de
l ' exc i ter
tous
les soirs comme un jeune pubère.Les soleils
:29.
Cet extrait met ainsi fin à l'étude des procédés logiques à valeur intensive
construits
avec que Au paragraphe sUivant, les procédés locutionnels avec la
préposition j usq ue constituent le centre d'Intérêt Quel est en le mécanisme
dexpresslvlté I,ntenslve? Les extraits choisis et les analyses qui en sont faites
permettent de comprendre ce mécanisme.
11-2-2-2
Avec jusque
La nuance de limite extrême que nous avons précédemment évoquée dans
l'explicitation du sens de certains procédés à travers leurs subordonnées,
notamment avec poi nt, trouve sa pleine expression au selll de structures
amenées par j usq ue
L'em ploi de celui-cI appelle quelques remarques qui
Intéressent aussI
bien
la
morpho-syntaxe que
la
sémantique.
Morpho-
syntaxiquement.
jusque se construit avec divers éléments. Il s'agit soit
d·adveroes, notamment les déictiques spatiaux (iCI, là .. ) et temporels (auJourd'huI,
hier ... ) SOit dautres prépositions Le syntagme ainsI obtenu a pour complément
une proposition ou un substantif, ou bien encore un infinitif. C'est ce deuxième cas
de figure qui nous Intéresse. D'un point de vue sémantique, le syntagme Indique
le déroulement d une action vers un terme final que constitue le complément du
syntagme lui-même
La conséquence (le complément syntagmatique) étant
considéré comme la limite extrême envisageable, l'attellldre ou même la

170
dépasser, c'est mettre en relief par ricochet, l'intensité de la cause qUI la suscite.
C'est ainsi que le procédé devient un moyen d'intensIfication.
11-2-2-2-1 Jusqu'à + proposition
Le résultat iCI est rarement du domaine de l'Irréel dans la mesure ou la
perspective probabiliste nest pas Infirmée par lui Cela signifie que le résultat
traduit une chose tout à fait probable. Moussokoro, jeune pubère convaincue de
luxure reçoit le châtiment de son père blessé dans son amour-propre'
Ex 1: Un matin,
le pere de Moussokoro se fâcha,
lia les bras de sa fille au dos,
l'attacha à un
pieu/l'injuria
abondamment,
la
battit
jusqu'à
ce
qU'elle
perdit
la
voix.
Monnè
:
132.
La gravité de l'inconduite de Moussokoro apparaît davantage dans toute sa
dimension lorsque le griot déclare, s'adressant à la pécheresse impIe:
Ex 2 : La religion demande que tu sois enterrée
j llsqu' aux
seins
et
lapidée
jusqu'à
ce
que
mort
s'en
suive.
Monnè
:
149.
Le rOI Ojigui à qui Yacouba vient de s'adresser avec Impertinence, assure,
nostalgique:
Ex
J
( . . . )
lorsqu'un déhonté de
l'espèce de
Yacouba
se présentait avec
l'air méprisant
et
hautain,
j'esquissais un geste: Fadoua,
secouru
par deux
solides
sicaires,
se précipitait
sur
l'arrivant,
le dénudait,
le jetait à terre,
lui
liait les mains derrière le dos et le fouettait
jusqu'à
ce
qu'il
criât
et
urinâ"t.Monnè
161.

171
Ex 4
:( ... ) les militants
furent
arrêtés,
PU1S
envoyés
dans
le
camp
de
Soba

ils
furent
déshabillés et
battus jusqu'à ce qu'ils
aient
publiquement
renié
le
parti.
Monnè
:
261.
Notons une autre exigence morphosyntaxique qui est liée à l'emploI de jusqu'à
sUivi de proposition. C'est le mode subjonctif.
Il s'en SUIt que l'idée de
conséquence s'accompagne parfois d'une nuance de finalité, Tel est le cas de
l'énoncé 2,
Cette nuance y est d'autant plus frappante que nous avons affaire à
une prescnption, La finalité est par conséquent l'idée-force A un degré mOindre,
on peut en rapprocher les énoncés 3 et 4, Quant à l'exemple 1, Il est certain que
l'aphonie n'était pas le but expressément recherché par le père de Moussokoro
lorsqu'il donnait à sa fille, la correction suscitée par son inconduite. L'aphonie
nest quun «accident »
survenu à force de cri et de pleurs. Dans cet emploi,
jusque peut également avoir pour complément un substantif. En général, il se
construit avec à, mais on le rencontre aussi avec d'autres prépositions,
11-2-2-2-2 Jusqu'à + substantif
Certaines de ces constructions sont proches des formules stéréotypées et
nont d'intérêt que par leur caractère intensifiant qui touche parfoIs à l'hyperbole:
Ex 1: Fama lui (au commerçant syrien) fit lécher
comme
a
un
àne
du
sel
gemme,
et
Si endet ta
jusqu'à
la
gorge.
Les
Soleils:
24.
Mais les exemples avec les constructIons d'un réalisme banal se rencontrent
également et sont quantitativement supérieurs à ceux du cas précédent:
Ex 2:
Un matin,
le pere de Moussokoro se fàcha,
lia les bras de sa fille au dos,
l'attacha à un
pieu,
l'injuria abondamment,
la battit jusqu'au

172
sang.
Monnè
132.
La conséquence, Indice d'évaluation de l'intensité de l'action-cause montre que
celle-cI a atteint son point culminant d'accomplissement, le stade suprême de sa
leailsallon Les extraits ci-dessous le confirment. La rencontre politique attendue
semble tomber très à propos pour Fama qui saisirait cette opportunité pour faire
certaines révélations
Ex
3:
Fama
pouvai t
en
outre
dire
à
tous
les
présidents
et
sécrétaires
généraux
que
les
habitants
de
Togobala
étaient
usés
jusqu'à
la
dernière
fibre.
Les
Sol ei 1 s
:
136.
Ex
4:
Touboug
et
ses
partisans,
les
plus
nombreux
dans
le
pays,
se
levèrent
tous
et
injurièrent,
jusque
sous
le
pagne
et
le
pantalon,
les meres et les pères des collecteurs
et des recruteurs.
Monnè:
253.
Dans les conditions sémantiques et logiques identiques, jusqu'à peut également
appeler un complément infinitif
(noté symboliquement inf)
Lunique exemple
rencontré dans ce cas et que nous citerons bientôt, achève l'étude des procédés
consécutifs prépOSitionnels et conjonctIfs
11-2-2-2-3 Jusqu'à + infinitif
Toute la nourriture préparée pour la cour royale a été enlevée par une
collorte cie sUjets affamés et dégUisés en étrangers Pour prévenir une réaction
Impitoyable du roi que cette nouvelle ne réjouit pas, le griot Djéliba rappelle à son
maitle que cet acte (Je vandalisme apparent est un pOint de culture de pratique
mllitiséclliaire l_'explication ne va [Jas sans quelque flatterie
Ex
1:
( . . . )
la
fière
devise
des
Kéita
àit:.:

173
«Arrivant au Bolloda, assieds-toi et rassasie-
toi
jusqu'à
en
vomir
sans
aucune
considération,
sans
regarder
n l
t'en
soucier( ... ) » . Monn~ : 126.
Tous ces exemples montrent le rôle syntaxique de la prépostion à dans les
constructions locutlonnelles intensives, qu'elles sOient de nature conjonctive ou
prépositionnelle
Mais l'idée de conséquence et de haut degré peuvent être
exprimées de façon plus nette encore par à et son complément infinitif, le tout
dans un procès de caractérisation.
Section 2-11 -2-2
A propos de à + infinitif
Au cours des développement antérieurs, un problème essentiel inhérent à
1ambivalence fonctionnelle des procédés logiques en tant qu'ils sont à la fois
porteurs dintenslté et introducteurs de conséquence a été souvent posé. C'est la
question de la prédominance entre les valeurs de ces procédés. Oans le rapport
logique de cause, l'intensité de la cause était mesurée à la portée du résultat
obtenu ,Cl,insi l'esprit a-t-il naturellement tendance à se laisser "séduire" par le
caractere extraordinaire de la conséquence produite. En termes différents, il faut
retenir que
dans ces constructions à subordonnants, l'intensité qUI a besoin en
partie de la preuve de la subordonnée et du poids de la conséquence pour être
perçue comme telle,
apparaît comme une valeur seconde
résultant de la
conséauence. Celle-ci est en effet le domaine de prédilection de ces procédés SI
bien que l'intensité n'y est pas la valeur première
Au contraire, les énoncés
construits avec à + inf. Inversent la tendance, l'Intensité y prenant nettement le
pas sur la conséquence. Mais les avis sur cette question sont loin d'être unanimes
chez les grammairiens. Certains font en effet prévalOir l'idée de conséquence,
d'autres. celle de caractérisation
AinSI, SI l'on en crOit Ch Berthelon, pour W Von
Wartburg et P Zumthor, c'est à la conséquence qu'accompagne une nuance

174
d'intensité «après
un
substantif
ou
un
adjectif
dont
on
veut
marquer
que,
par
son
intensi té,
i l
pourrait
entraîner
une
certaine
conséquence »3, que reVient indiscutablement la priorité
Au
contraire F. Brunot, J. Oamourette et E. Pichon verraient d'abord en à + inf. , un
outil de caractérisation du substantif et un certain développement de la qualité
exprimée par l'adjectif. Partant du sens final de à, G. Le Bidois reconnaît quant à
lui, plusieurs valeurs à à + inf. Ainsi la structure sert-elle tantôt à «marquer le
haut: ciegré ou la caractérisation
entraînant la conséquence »4,
tantôt à indiquer«
la conséquence qui résul te d'un état porté à un
ha ut
deg ré ».5 On verra bientôt que la distinction entre la conséquence
résultant d'un haut degré et celle issue d'une caractérisation pure que semble
établir Le Bido\\s, n'est pas toujours éVidente.
Mais le problème de fond dont les
avis que nous venons de citer sont les différents aspects, est celui de la
problématique de la subjectivité dans l'approche et l'interprétation des faits
d'expression En effet, les divergences mentionnées nous semblent devoir être
Imputables à la réceptivité affective des uns et des autres C'est là un argument
qui peut paraître captieux, semblant n'excuser qu'une erreur d'analyse ou une
certaine Inaptitude à interpréter avec justesse les faits de langage. Mais comment
faire autrement? Comment justifier sans prétention ce qUI nous apparaît avec une
incohérence inadmissible dans l'analyse d'un grammairien comme Kr. Sandfeld
et qUI nous console quelque peu, il est vrai, de nos propres difficultés
d'Interprétation? En effet, partant du sens directif de à comme Le Bidois, Sandfeld
ne met en relief que l'aspect résultatif dans les énoncés ci-après que nous lui
empruntons Quant à la nuance d'intensité, elle ne mérite pas la mOindre allusion
Au contraire, elle est purement et simplement ignorée:
Ail
!
Je l'ai reçu,
la face plate, à lui oter le
goût
de
revenir
(O. Imm. 272 )

175
Tout
en
mOl
doit
vous
déplaire
à
crier ( Gyp.
chiffon 44 )
Oans quelles constructions l'Idée Intensive interVient-elle alors? Sandfeld le salt et
peut ecnre à ce propos •
Dans bien des cas,
il ne s'agit pas d'un effet
réel, mais de ce qui est seulement sur le point
d'avoir
l ' ef fet
indiqué,
et
à
+
inf.
ne
sert
alors
qu'à marquer
l'intensité et
le degré de
l'action ou de l'état en question. 6
L·argument probabiliste (l'éventualité que la chose se produise) qUI peut
effectivement servir de critère distinctif est-II utilisé à propos? Nous en doutons et
les exemples proposés par le grammairien lui-même nous confortent dans ce
sentiment.
Leurs canots partaient chargés à craquer
(Dorgelès, Partir 67)
(Elle)
bâilla à
se
décrocher
la
mâchoire
( Monterla nt. Pitié 101 )
Oh
!
j'ai faim,
j'ai faim à manger de la
terre ( Z. Déb. 156 )
Comment expliquer autrement cette différence SI ce n'est par la dimension
subjective accompagnant toute démarche sémantique des faits d'expression?
Comment comprendre que à + inf. dans un cas (les deux premiers énoncés)
marque exclusivement l'effet d'une action-cause, c'est-à-dire la conséquence
pure, tandis que dans l'autre (les énoncés suivants),
Il est un pur outil intensif?
Pour notre part,
à + inf
tel que ci-dessus employé a surtout une fonction
essentiellement intenSive dans la langue actuelle. Oue, primitivement, la structure
ait marqué la manière et la conséquence, cela est plausible et même établi. Ce
qUI est en cause ici n'est donc pas tant cette valeur première que, sion peut dire,

176
la valeur acquise, celle que possède la structure dans la langue actuelle En effet.
à + inf ayant principalement un rôle d'intensification 7, ce serait s'assujettir à une
approche étymologiste atrophiante que de le confiner dans sa fonction originelle.
Il exprime certainement la conséquence aussi, mais rares sont les emplois où il s'y
limite. Il est d'abord un outil de haut degré Après cette question théorique qui
nous a contraint à prendre quelques exemples hors-texte, nécessaires pour
garantir une objectivité à nos propres vues, reconsidérons à présent la question
par rapport à notre matériau d'étude.
11-2-2- 1 A + inf. dans les œuvres
D'un point de vue morphosyntaxique, plusieurs découpages sont possibles
selon
antécédent de à + inf. Celui-ci Intensifie soit une qualité (le sens d'un
1
adjectif) . soit une notion par le biais d'un substantif ou d'un phénomène (le sens
dun verbe).
11-2-2-1-1
Adj. + a + inf
Ex
1:
Salimata naquit belle,
belle ~ emporter
l'amour. Les Soleils:
37.
Dans le passage qUI SUit. des vendeuses Jalouses de la prospérité de Sallmata
médisent d·elle.
Le complément de l'adjectif méchants en dit long sur le degré
de haine vouée à Salimata Les commérages étaient en effet proférés.
Ex
2: ( . . . )
avec
des
cœurs
méchants
à
égorger
des poulets sur llO li.nge hlanc sans
laisser de
trace.
Les Soleils:
59.
Ex J
Le crocodile atteint grogna d'une manière

177
horrible
à
faire
éclater
la
terre,
à
déchirer le ciel( ... ).
Les Soleils
200.
Ex 4
Dans
certains
lougan et
concession,
des
greniers
restaient
pleins
à
déborder.Monnè
:
252.
Les dimensions picturale (caractérisation) et consécutive sont toutes deux
notables dans la structure à + inf.
Mais ce qui prime en définitive, c'est la valeur
d'Intensification qui relègue au second plan le rapport logique de causalité.
Que le procédé s'applique à un adjectif, à un substantif ou à un verbe, sa valeur
essentielle n'en varie pas.
1\\-2-2-1-2
Substantif + à + inf.
Ex 1 :
Il
fallait
bousculer,
menacer,
injurier
pour
marcher.
Tout
cela
dans
un
vacarme
à
arracher
les oreilles.
Les
Soleils:
10.
Le griot commis aux obsèques de Koné Ibrahlma vient de perpétrer un crime de
lèse-honneur en associant sans discernement. les Doumbouya avec les Keita.
C'est une grave faute, un terrible affront pour Fama :
Ex 2: Qui n'est pas Malinké peut l'ignorer: en
la circonstance c'était un affront,
un affront à
faire
éclater
les
pupilles.
Les
Soleils
:12.
Plus de neuf mOIs de grossesse nerveuse laissent des traces morales Indélébiles.
Salimata l'a appris à ses dépens, elle qui s'est reJoule à l'avance d'une maternité
dont elle ne connaîtra jamais le bonheur:
Ex
3:
Ce
qUl
est malheureux dans
ce
genre
de
choses,
c'est la honte subséquente.
Une honte à

178
vouloir
fendre
le
sol pour
s' y
terrer.
Les
Soleils:
53.
Ex
'-l: Dans
une
pestillence
à
vous
brûler
la
gorge,
dans un tourbillon de mouches,
gisait un
chien mort,
yeux et nez arrachés.
Les Soleils:
121.
On remarquera dans ces extraits que le substantif est toujours actualisé par
l'article indéfini, ce qui est le résultat d'une exigence syntaxique. En outre, Il est
intéressant de noter que formellement, à + inf. s'applique en réalité à un support
substantif à épithète sous ellipse. En effet, on peut deviner l'épithète qui modifie
chacun des substantifs intensifiés, A ce sujet, les aVIs divergent encore quant à
iantériorité des constructions, certains dont Kr, Sandfeld estimant que la structure
originelle est substantif + à +inf. D'autres au contraire, parmi lesquels Ch,
Bertllelon,
soutiennent que
adj. + à + inf. est la structure initiale Sans entrer
dans les détails dune querelle historique, nous dirons simplement que ce dernier
avis emporterait
notre agrément.
Mais ce qui nous intéresse par-dessus tout,
cest la fonction Intensive de la structure. Le verbe peut ainSI être modifié par à +
inf. comme le montrent les extraits à venir.
11-2-2-1-3
Verbe + à + inf
L'expression Ilyperbolique est le domaine où à + inf. déplOie son énergie
superlative au mépris de toute norme d'objectiVité. A ce titre,
nous proposons à la
fin de ce paragraphe, un regroupement tripartite sUivant une logique probabiliste,
Pour l'heure, c'est l'intensification verbale qui mérite notre attention.
Ex
1:
(Djigui
et
ses
séides)
avalent,
par
les
fusillades,
cris,
chicottes,
torturé,
chauffé
les
pays
à
faire
sortir
les
caîmans
des

179
biefs
( ... )
. Monn~
76.
Ex 2
Fama se leva et tonna à faire
vibrer
l'immeuble.
Les Soleils
: 12.
Ex 3
:
L'échine de Fama commença à
se raidir,
comme
une
barre
et
i l
bâilla
à
se
faire
éclater
les
commissures. Les
Soleils:
98.
Ex
4
:
Fama éclaca,
injuria,
hurla à
ébranler
tout
le poste des
douanes.
Les
Soleils:
104.
Dans un énoncé comportant une série d'actions résultatives, la préposition se
répète en général devant chacune d'elles, tant pour en souligner la spécificité que
pour apporter une note d'insistance qUI amplifie d'autant la portée de la cause:
Ex 5 : Et quand la nuit appartenait a Mariam,
il
y avait toujours
le même grincement du tara qui
l'(Salimata)
endiablait
à
hurler,
à
courir
chercher
le
couteau,
à
vouloir
tuer.
Les
Soleils:
159.
,~vant de conclure partiellement, Il est utile de faire quelques remarques. Tous les
passages cités montrent bien que à + inf. a une tendance hyperbolique naturelle.
Et.
bien que ce soit une construction formellement souple en général
(seule la
préposition est la constante), on rencontre des combinaisons formant des unités
sémantiques. Le résultat de la formation de ces locutions figées Issues en partie
dun émoussement du sens de l'infinitif, est leur transformation complète en outil
préposé à l'idée intensive. C'est le cas de jolie à croquer, bête à manger du
foi n. aimer (quelqu'un ) à l'avaler Le passage cité ci-dessous est un
exemple de la dernière expression.
Il s'agIt de l'amour de Salimata pour son man
Fama au tout début de leur manage:
Elle
l'aimait
à
l'avaler!
Commerçant
et

180
travailleur,
i l
voyageait
beaucoup;
elle
l'attendait et pensait des
journées et des nuits
entières au bruit de ses pas( . . . ). Les Soleils:
56.
il/lais le caractère figé de ces formules stéréotypées même n'est pas toujours un
facteur positif à la pérennité de leur propre expressivité. En effet, par le fait d'un
fréquent usage, beaucoup d'entre elles s'affaiblissent quelque peu, laissant ainsi
libre champ à l'imagination inventive de la langue parlée de réguler le système.
C'est ainsi que naissent d'autres constructions qui apparaissent com me des
variantes-remèdes au risque de monotonie des stéréotypes et un moyen
d'enrichissement lexical.
De ces variantes, sont à rapprocher les expressions
telles que belle à emporter l'amour, pleins à déborder, bâilla à se faire
éclater les commissures. Syntaxiquement,
la fonction de l'infinitif est vanable
selon l'antécédent auquel il se rapporte
AinSI à + inf. est une épithète auprès de
son support substantif ( voir les exemples y afférents ). Com me complément
prépositionnel de l'adjectif, Il forme avec celui-ci un syntagme modifiant le
substantif auquel il se rattache.
Il existe cependant une exception avec
«Sallmata naquit belle, belle à emporter l'amour»
où le syntagme est en
fonction dattrlbut. Revenant à la question de la distance entre l'expression et la
réalité. c est-à-dire le rapport au réel du passage de la cause à la conséquence
produite. il est pOSSible de faire le regroupement tripartite qui SUIt.
11-2-2 -2
Regroupement
logique
il faut distinguer deux sortes de logique. D'une part, le rapport logique de
cause à effet suggéré par à + inf dans sa double valeur consécutive et Intensive
Cette ioglque d'ordre lingUistique qu'on pourrait appeler logique grammaticale,
dOit être différemment perçue par rapport à une logique a posteriOri et extérieure
au fait dexpression lui-même. C'est lorsque nous faisons subir à j'effet produit ou

181
attendu. l'épreuve probatoire de la rationalité et cherchons à savoir si, d'un point
de vue physique, j'action-résultat a quelque chance de succès. Suivant cette
hypothèse, certaines conséquences attendues bénéficient d'une faveur de
logique plus que d'autres. On distingue ainsI des conséquences impossibles, des
conséquences réalisables et des conséquences réelles
11-2-2-2-1 Des conséquences impossibles
La conséquence IC\\ n'est pas seulement impossible; . elle l'est avant tout
par son caractère irréaliste. C'est le domaine de l'inflation sémantique où à + inf.
apparait avec sa pleine valeur de moyen d'intensification
Les exemples de
conséquences Impossibles sont de lOin quantitativement plus Importants8
quailleurs. Mais pour faire l'économie de répétitions gratuites, nous nous
contenterons dindiquer les énoncés représentatifs déjà cités et les pages qui s'y
rapportent
Ce sont
par exemple les énoncés 2 et 3 de la page 176, et d'une
façon générale. la majeure partie des énoncés proposés de la page 176 à la page
179.
11-2-2-2-2 Des conséquences réalisables
L'exemple étant unique Ici, nous le reproduisons in extenso. Mais avant il
est utile de préciser la situation. Salimata frappée de stérilité est allée solliciter les
services du très réputé Abdoulaye, marabout de son état Mais seul avec sa
'patlente", l'homme nourrit des idées lascives et très vite veut donner libre cours à
ses puisions libidinales. La douceur et la délicatesse ne sont pas ses premières
qualités'
Il
ne
voyait
qu'une
femelle
brillante,
ronde,
hésitante,
mais
soumise,
et ne connaissant Gue

182
le désir qui l'agitait et le chauffait.
Il tira
à
arracher
le pagne.
Les
Soleils:
78.
Même SI le texte ne précise pas d'emblée que le pagne fut effectivement arraché.
l'éventualité que la chose eût pu se produire ne peut souffrir le mOindre doute. En
réalité, plus quune simple éventualité, c'est d'une probabilité qu'il faut parler La
situation évoquée plus haut s'y prête bien et la suite du texte l'atteste
éloquemment
«
... et il s'accrocha et tira plus fort; la femme fut projetée,
dispersée et ouverte sur le lit: il ne restait plus qu'à sauter dessus »
Des
circonstances extérieures peuvent par conséquent influer négativement ou
positivement sur la réalisation de l'action-conséquence Mais il ne s'agit là que
d'une éventualité et tous les cas ne se présentent pas sous les mêmes conditions.
Certains ont une marge de probabilité plus autonome, intrinsèque. Lénoncé 4 de
1117
" la page 176 en est une illustration. Le troisième et dernier cas retenu d'après le
cntère d'objectivité est celui où la conséquence, réalisable au départ,
se produit
effectivement.
11-2-2-2-3
Conséquences réelles
Devant la stérilité irrémédiable de Salimata, Fama s'est résolu à la
polygamie. Il prend donc Mariam en second mariage. Or, celle-ci est précédée
dune solide réputation de femme extraordinairement féconde. Il n'en fallait pas
plus pour susciter des crises hystériques chez Salimata et lui donner des envies
d'homicide Tout l'exaspère désormais dans sa rage de jalousie:
Ex 6 :
Et quand
la nuit appartenait a Mariam,
il
y avait
toujours
le même grincement du
tara
qui
l'endiablait
à
hurler,
à
courir
chercher
le
couteau,
à
vouloir
tuer.
Les
Soleils
159.

183
Dans une société où la femme semble d'abord être Jugée par sa capacité à
assurer la pérennité d'un lignage, «Le but de la vie est que naisse un rejeton »
(Les Soleils :77), la stérilité de Salimata est une souffrance morale inconsolable.
Ses tentatives dhomicide ne sont que le fidèle reflet de l'ampleur du désespoir et
du sentiment de déréliction qui la minent littéralement. Et de fait, le texte précise
bien, grâce à l'adverbe temporel touj 0 U rs à valeur itérative, qu'elle a
effectivement eu plusieurs fois recours au couteau pour ressusciter de cette mort
sociale. La violence physique peut ainsi être interprétée comme une sorte de
catharsis permettant d'expurger cette tension morale et psychologique Avec cet
énoncé. nous mettons un terme à ce volet de la caractérisation complexe
consacré aux procédés consécutifs de haut degré. Que faut-il en retenir?
En premier lieu, il faut retenir le fait que, outre leur fonction première qui
est dindiquer l'effet résultant ou devant résulter d'une action, ces procédés sont
également parfaitement en mesure d'exprimer l'Idée Intensive. Mais cette bi-
fonctionnalité ne va pas sans poser quelques problèmes. Nous pensons
notamment au malaise réel qu'on éprouve parfOIS quand vient à se poser la
question de la prédominance entre conséquence et intensité.
C'est que, loin de
constituer un couple dual, nous avons presque toujours affaire à deux dimenSions
consubstantielles d'une seule et même réalité Pour être plus exact nous devons
plutôt dire qu'on a affaire à une même modalité préposée à l'expression de
notions souvent IIldissolublement liées. Un autre problème est la questIon
probabiliste, celle de la distance entre l'expression et la réalité qu'elle est censée
traduire.
Du pOlllt de vue de l'expressivité, à + inf. de sens en général
Ilyperbolique a une valeur nettement plus rehaussée que ses concurrents
conjonctifs et locutionnels. En outre, le caractère de logique implacable de ceux-cI
les soustrait à la variabilité formelle de ceux-là, plus réceptifs aux Innovations.
Mais en tout état de cause, l'intensité marquée par chaque modalité dans sa
spécificité est plus que suggérée; elle est presqu'évidente. A côté de ces
modalités. il existe d'autres moyens d'exprimer le haut degré de manière implicite.

184
A ce titre. les propositions à haut degré implicite sont la deuxième forme de la
caractérisation complexe à laquelle nous allons nous intéresser.
Section 3-11-2-3
Propositions à haut degré Implicite
Nous avons tenté de montrer l'importance de l'hyperbole en tant que
macro-procédé intensif. Nous avons également montré combien sa tendance
naturelle à attirer exagérement l'attention sur un fait pour l'imposer et en
persuader l'inscrivait au cœur même de l'affectivité. Par cet élan Impressionniste,
l'hyperbole est avant tout un procédé multiforme. Elle englobe en effet tous les
faits d'expression au pouvoir sémantique inflationniste.
On y compte les termes
excessifs (les caractérisants superlatifs par exemple), les énoncés comparatifs
Irréalistes, les évaluations décommensuratives ... Procédé de caractérisation
abUSive par excellence, l 'hyperbole 9 peut être simple (leXicale) ou complexe.
C'est le cas des propositions. Celles-ci peuvent être de forme positive ou négative.
11-2-3-1
Propositions négatives
Nous avons posé plus
haut le problème de la perception des faits
d'expression et évoquer l'erreur d'interprétation à laquelle peut induire la marge
de subjectivité qui l'accompagne presque toujours.
Il nous faut en donner ici une
autre Illustration avec la réaction de B Dupriez contre la définition généralement
admise de l'hyperbole. Il est admis en effet que celle-ci sert à augmenter ou à
diminuer avec excès la vérité des choses pour susciter plus d'impression. Dupnez
se fait dubitatif quant à la propriété diminutive de cette figure et s'Interroge
<<t-Iais
y a-t-il des
hyperboles qui
"diminuent"?»
10 Pour lUi en
effet. les hyperboles s'opposent aux atténuatlons,«
procédés
caractérisés
parune diminution,
alors que l'hyperbole consiste au Contralre

185
a
augmenter
fût-ce
jusqu'à
l'impossible»11 Les auteurs du
Vocaoulaire de la stylistique semblent à première vue corroborer l'avIs de Dupriez
lorsqu ils écrivent que l'hyperbole est une
Figure
macrostructurale,
selon
laquelle
on
exagère
l'indication du
sens
véhiculé
par
le
message, à l'aide de lexies ou de caractérisèmes
de portée sémantique supérieure au contenu réel
de l'énoncé. 12
Simplifions cette définition de rhétorique, puis élucidons-en quelques
termes Importants. Réduisons ainsi "arbitrairement" l'épithète macrostructurale
El la pertinence du contexte sltuationnel de l'énonciation et de l'énoncé. Faisons-
en de mème pour lexies et caractérisèmes qu'on entendra circonstantiellement
aux sens respectifs de mots et caractérisants, et reprenons la définition. On
s·é1perçolt que le rôle de l'hyperbole consiste en une exagération de la "vérité"
des choses signIfiées ou décrites, cette exagération elle-même étant, comme on
la vu
pluriforme L'hyperbole lexicale et contextuelle définies précédemment
illustrent fort bien cette réalité. Mais ce qu'il convient par-dessus tout de noter dans
la définition de J Mazaleyrat et G. Molinié, cest son affinité apparente avec le
réajustement définitionnel de Dupriez Nous disons bien affinité apparente parce
qu'elle est sUjette à caution et que, comme on le verra sous peu, Duprlez iUI-
même énonce les conditions d'infirmation de l'affinité présumée. Ce faisant, il
apporte un rectificatif à sa proposition de réajustement définitionnel Initiale. Celul-
CI
pose un problème là où précisément, il semble n'yen avoir aucun pour tous, et
où par conséquent, l'unanimité paraissait avoir établi son règne
Que faut-il
entendre par «
augmenter, fût-ce jusqu'à l'impossible »? Ne pose-t-on pas là,
en des termes Simplement différents, la question de la dIstance de l'expression
lîypemolique au réel? Si la réponse à cette question est positive, alors l'objection
qUi nous Intéresse ici n'est guère recevable, à moins peut-être qu'elle ne SOit

186
reformulée. Il est absolument certain en effet que. du fait de son inclination
naturelle à l'inflation verbale, l'essence même de toute hyperbole est son défi à
l'objectivité. Ch. Sally ne disait-il pas dans ce sens, dans Le Langage et la vie 13
que «
Pour ètre expressif, le langage doit sans cesse déformer
l.es idées,
les grossir ou les rapetisser (...
) »? Mais peut-être
ce «jusqu'à l'impossible »
signifie-t-il que la diminution atteint en définitive
l'hyperbole dès lors que les frontières de l'objectivité sont franchies?
A peine
formulée, cette lecture est à récuser car Dupriez lui-même ne permet pas
d'accorder le moindre crédit à une telle interprétation. Il relativise en effet sa
définition antérieure en écrivant à la même page: «On
peut
cependant
observerun emploi ironique de l'hyperbole dont le résultat est
une diminution»
Un espace est par conséquent prévu qui atteste la valeur
diminutive de l'hyperbole, que ce soit comme «
résultat »
ou comme but. Mais
ce n'est là que question de terminologie, la réalité elle, est invariable: diminuer ou
augmenter les faits avec excès sont bien les deux dimensions de cette figure
macrostructurale. Relativement à ce qui précède, on peut retenir ceci. Selon la
nature abstraite ou concrète de la chose évoquée par le contenu notionnel du
substantif complément, on distingue d'un côté, les propositions négatives d'objet
concret. de l'autre, les propositions négatives d'objet abstrait.
11-2-3-1-1
Objet
concret
Ex lLes indépendances et le parti unique ont
desti tué,
honni
et
rédui t
le cous in Lac ina à
quelque
chose
qui
ne
vaut pas
plus
que
les
chiures
d'un
charognard. Les
Soleils
:
22.
Ex 2: Togobala était la chose des Doumbouya( ... ).
Malheureusement, Togobala,
les Doumbouya et mème
le
Horodougou
ne
valaient
pas
en
Afrique
un
grain
dans
un
sac
de
fonios.
Les
Soleils

187
117.
Ex 3
(Mariam)
était
belle,
ensorcelante,
exactement la femme née pour couver le reste des
jours d'un homme vieillisant comme Fama. Assise
côte
à
côte avec
Salimata,
c e l l e - c i
ne
vaudrait
pas
une demi
noix
de
cola.Les
Soleils
134.
Ex 4
Fama
Il
ne
pesait
pas
plus
lourd
qu'un
duvet
d'anus de
poule
-
un vaurien,
un
margouillat( .. ). Les Soleils:
138.
Les énoncés 1 et 4 illustrent la discrimination annoncée dans la partie
Introductive en ce qui concerne les énoncés accommensuratifs. Mais qu'elle soit
Intégrée ou non dans une proposition à valeur accommensurative. la négation et
le substantif complément qui l'accompagne fonctionnent de manière identique
dans l'expression du haut degré par l'hyperbole. Ce substantif possède une
valeur etrmo-sociologique seconde qui le signale comme une référence normative
dans l'ordre péjoratif. Il sert ainsi comme de coefficient d'évaluation à rebours,
avec cette particularité que la chose qui lui est rapprochée se situe nettement au-
:Jessous de cette référence normative
AIrlSI Lacina a perdu toute sa dignité
d'homme au point d'être ravalé, non au rang d'un charognard. mais pire, au-
dessous de ses chiures tandis qu'un duvet d'anus de poule produirait plus d'effet
à la pesée que Fama. Nous retrouvons Ici, sous d'autres aspects, les notions de
conditions minimale et maximale. Les autres énoncés procèdent du même
mecanisme de dépréciation
Dans l'énoncé 3 par exemple, la cola est un produit à valeurs duales.
Intervenant dans plusieurs grandes occasions de la vie comme le mariage où il a
vaieur de dot. cest un prodUIt de grand prestige positivement valorisé en tant que
tel. Mais d'un autre côté, par LIn pur paradoxe né de ce qu'elle est en général à la
portée de tous, la cola est, somme toute, un prodUit ordinaire presque banal, ce

188
qUI semble finalement en affecter le prestige. Ainsi s'explique la comparaison
péJoraIlve dont Salimata est l'objet. La beauté de Mariam est de loin si peu
comparable, dans le sens mélioratif, au physique de Salimata, que celle-ci est
mOIns côtée qu'une demi-noix de cola. Nous avons là des hyperboles à valeur
procne des énoncés hypo-décommensuratifs. Si l'exemplarité de la beauté de
l'une est irréfutable selon le texte, l'indifférence qu'on éprouve à la vue de l'autre
au physique si peu agréable semble aussi la signaler comme un exemple
canonique de laideur. Est-ce cet effet ironique de l'hyperbole qui a suscité la
définition proposée par Dupriez?
Quoi qu'il en soit, ces observations valent
également pour les énoncés où le sens de négation est complété par un objet
abstrait
1/-2-3 -1-2
Objet abstrait
Des termes qui désignent des choses non concrétes, immatérielles peuvent
participer à l'expression hyperbolique. Leur immatérialité même assure comme la
garantie d'une plus-value d'expressivité qui les distingue des précédents. Après
vingt ans de vie à la capitale, Fama est de retour dans son village natal
Evidemment, 1étonnement est à la dimension de la durée de l'exil:
Ex 1 : Au nom de la grandeur des aïeux,
Fama se
trotta
les
yeux
pour
s'assurer
qu'il
ne
se
trompait
pas.
Du
Togobala qu'il
avait
dans
le
cœur
i l
ne
restait
même
plus
la
dernière
pestilence
du
dernier pet.
Les
Soleils
:105.
Ex
2:
Balla
déchargea
entre
les
cornes
ct' un
buffle
les
quatre
doigts
de
poudre.
Quel
fut
l'ébahissement du chasseur lorsqu'il vit la bête
foncer
sur
lui
comme
si
le
coup
n'avait
été
que
le pet
d'une
grand-maman.
Les
Soleils
:
128.

189
Après sa sortie de prison, Fama a pris la ferme résolution de rentrer dans son
Horodougou natal sans même chercher à revoir tous ceux qu'il aimait Il en
éprouve quelque regret pour Salimata, mais point pour Mariam
Ex3:
Mariam
non
plus
n'aimait
pas
Fama,
ne
souhaiterait
pas
le
revoir.
Mais
celle-ci
ne
valai t
pas
lin
grain
de
regret,
une
seule
goutte de
souci.
Les
Soleils:
193.
Conformément El l'hypothèse de la conditionnalité qui désigne l'opération de mise
en équation entre un fait et les circonstances préalables qui président à sa
léalisatlon, ces énoncés de forme négative dOivent être entendus au sens de
negatlons absolues. Ainsi l'énoncé 1 signifie «
... Il ne restait absolument rien »
et
l'énoncé 3 «
On ne devait pas éprouver le moindre regret pour celle-ci »,
Quant à l'exemple 2, sans qu'on puisse lui trouver une signification précise, il faut
en retenir l'esprit qui, lui, est sans équivoque: il traduit simplement que la tentative
du chasseur n' a pas eu même le plus petit effet sur la victime présumée L'idée de
haut degré peut également être suggérée à travers des propositions de forme
positive. avec toujours au centre, cette amplification verbale propre à l'hyperbole,
Certaines sont de sens comparatif, d'autres de sens plutôt métaphorique,
Précisons toutefois quune telle distinction n'est pas absolue, n'ayant pour but que
de simplificatIon C'est que la distinction entre comparaison et métaphore, hormis
les marques grammaticales classiques (comme, aussI que, autant) qui permettent
d'identifier nettement la première n'est souvent que superficielle, tant ces figures
sont proches l'une de l'autre. Quelques critères sémantique et syntaxique ont
toutefOIS été retenus qui peuvent être réductibles aux hypothèses suivantes
1- Le postulat Initial est que toute proposition de sens comparatif est
décomposable en deux séquences de longueur variable. L'une, comprenant
l'échantll est touJours introduite par co m m e ou par un de ses substituts à
identifier

190
2 - Nous posons ensuite que, comme, l'opérateur de comparaison canonique
dans cette proposition signifie «
de telle façon / manière »
ou «
à la manière
de ».14 "s'ensuit que son substitut ainsi identifié doit pouvoir s'interpréter de la
même façon
3 - Ce substitut assure le rapprochement des deux séquences obtenues par
décomposition, la proposition analysée n'apparaissant en définitive que comme le
résultat de cette opération de liaison. De là vient que celles des propositions qUI
ne s'accommodent pas de l'opération sont les propositions de sens métaphorique,
tout simplement.
/1-2-3-2
Propositions positives
Soit les énoncés suivants, tous tirés de Les Soleils
Ex
i:
(Fama)
se dépêChai t
encore,
marchait au
pas
redoublé d'un
diarrhéique
Les
Soleils
9.
Ex
2 :
(Fama)
était fatigué,
bien cassé,
aussi
coula-t-il
dans
le
sommeil
d'une
pierre
dans
un bief.
Les Soleils:
30.
Ex
3
: Bien sùr (Salimata
) avait dans
le bout
de
pagne
de
l'argent
qui
ne
pouvait
pas
être
distribué.
Ce
serai t
of fr i r
ses
yeux
pour
regarder
avec
sa
nuque.Les
Soleils:
61.
Ex4:
Marabout pour député, ministre, ambassadeur
èt
<.luttes
b-Ju.LSsanls
qu'aucune
somme
ne
peut
dépasser
et
qui
pourraient
se
confectionner
des
pagnes
en
billets
de
banque ( . . . ).
Les
Soleils:
66.

191
Ex 5 : Le malheur qui courait à la rencontre de
Salimata et de son époux,
que pouvait-il étre?
Ils
avaient
la
pauvreté,
s ' é t a i e n t
habillés
de
toutes
les
couleurs
de
la
pauvreté. Les Soleils:
72.
Ex
6
Les
aSSlS
se
levèrent,
serrèrent
les
mains des arrivants et en bons musulmans chacun
s'enquit des nouvelles de la famille de l'autre,
cela
dura
le
temps
de
faire
passer
par
un
lépreux
un
f i l
dans
le
chas
d'une
aiguille. Les Soleils:
138.
Ex
7:
Cette
nuit-là
(Fama)
sombra
dans
le
sommeil
d'un
homme qui
s'est
cassé
le
cou
en tombant.
Sans
ronfler.Les Soleils
:
142.
Appliquons à présent le test précédemment défini en prenant les énoncés
et 3 comme représentant respectivement les propositions de sens comparatif et
celles de sens métaphorique. Précisons que les séquences mises en relief par
leur caractère typographique sont celles censées être le siège de la distinction à
établir. Ce qU'II faut noter au premier chef, c'est le rapport étroit à la vie de ces
propositions, le degré de réalisme des Images dont elles sont construites. AinsI.
dans
énoncé 1, l'allure de Fama est jugée par rapport à un homme souffrant le
1
malaise de la diarrhée et qUI a hâte de trouver un espace discret pour se soulager.
C'est que, pour Fama,
arriver parmi les tout premiers aux cérémonies funéraires
est plus qu'une simple obligation humanitaire ou sociale, c'est presqu'une
nécessité vitale. En effet, dans la mesure où l'argent qu'on y distribue constitue
pour partie ses moyens d'existence, être de bonne heure à ces cérémonies est
absolument capital Or ce Jour-là, il accusait du retard sur les obsèques de Koné
Ibrahlma, ce qUI était lOin d'être une garantie de prospérité car Il serait lesé dans
le partage des butins. Cela explique pourquoi il avait tout intérêt à y aller au plus
vite, a ia manière d'un homme atteint de diarrhée. L'énoncé peut se décomposer

192
comme SUIt: 15
Ex1- al - Un diarrhéique marche de telle façon / manière
Ex1- b ) - Fama( .. ) marchait
.. à la manière d'un diarrhéique ou de cette même manière/
façon
... comme un diarrhéique
La préposition de qui introduit le complément déterminatif est le siège du
rapprochement des actions exprimées par les séquences (a) et (b). Des
contraintes de la combinatoire syntaxique et sémantique justifient par la suite qu'à
la coordination des séquences, l'explicitation du rapprochement sOit mise sous
ellipse Il s'ensuit que de a la valeur d'un substitut de comme dans la mesure où
il opère une comparaison entre les deux faits: la démarche de Fama d'un côté, et
1allure dun diarrhéique de l'autre
Sur un modèle Identique sont construits les
énoncés 2 et 7
Ils présentent en outre une richesse d'un intérêt tout particulier.
Avec [énoncé 2 en effet, nous retrouvons l'une des modalités figuratives favorites
de l'auteur, à savoir. l'anthropomorphisme si présent dans la littérature orale. C'est
la personnification. AinSI, pour dire que Fama dormait d'un profond sommeil
(le
caractère habituel de l'expression eût sans doute laissé indifférent), l'auteur attire
l'attention
sur l'excellence de la qualité du sommeil en le comparant à celui
«d'une pierre dans un bief »
D'un double pOint de vue grammatical et
sé ma ntlq ue, pierre n'est pas seulement l'échantil: il est surtout l'élément
archétYPlque, le modèle en matière de qualité de sommeil. Et le fait précisément
quune pierre qUI gît au fond de l'eau, sans vie et incapable naturellement du
Illolf1dre mouvement par elle-même SOit l'objet d'un transfert d'attribut humain,
cree en définitive l'expressivité de la comparaison. L'auteur veut simplement
laisser entendre que rien ni personne n'aurait pu interrompre le sommeil de Fama,
le perturber. tellement il dormait bien, profondément. C'est une interprétation
similaire qUI dOit être faite de l'énoncé 7. On soulignera simplement ICI l'apparente
contradiction que revêt l'énoncé à travers la relative déterminative. En effet, la

193
logique eût certainement voulu qu'après une fracture du cou consécutive à une
chute. ia victime éprouvât que/que difficulté à trouver le sommeil à cause de la
douleur.
Au contraire, Fama dormait plutôt du profond sommeil «
d'un homme
qUI s'est cassé le cou en tombant. Sans ronfler ». On retrouve là, l'illogisme
chronloue des expressions hyperboliques. En ce qui concerne l'énoncé 3
représentant les propositions de sens métaphorique, il va sans dire que la
séquence soulignée, «
Ce serait offrir ses yeux pour regarder avec sa nuque »
ne peut formellement supporter le test linguistique.
Il n'y a en effet aucun terme
qUI Introduise une idée de comparaison et qui permette, après son Identification.
d'opérer le découpage séquentiel et le fonctionnement du test
Il nous semble par
conséquent nappe/er de commentaire que sémantique. Nous dirons ainSI que
l'énoncé 3 condamne par anticipation, l'extrême stupidité de l'acte de générosité
éventuelle de Salimata en faveur des néceSSiteux de toute nature qui
l'assaillaient
FaIre don de sa recette du jour laborieusement gagnée serait faire
preuve d'une InconSCience et d'une StUpidité inqualifiables puisque la nature n' a
pas assigné à la nuque, la fonction visuelle réservée aux yeux. Offrir ses yeux
pour regarder avec la nuque étant déjà naturellement absolument Impossible,
cela Signifie en définitive que pour rien au monde, Salimata ne se séparerait du
frUit a un dur labeur. Dans cette logIque, les énoncés 4, 5 et 6 de sens
métaphorique expriment implicitement respectivement, l'idée d'une extrême
richesse, d'une extrême pauvreté et d'une durée infinie. Quelle que soit leur
forme
négative ou positive, les propositions à haut degré implicite tirent leur
énergie hyperbolique dans la construction d'images au pouvoir toujours SI
évocateur que l'esprit en saisit sans difficulté leur valeur d'intensification AinSI,
1énoncé 4 révèle-t-i/ un trait de la culture africaine en matière de vêtement
Les
pagnes sont en effet en Afrique, le pendant des tissus en Europe
Le fait
matériellement possible sans doute mais raisonnablement Irréalisable de pouvoir
se confectionner des vêtements tout de billets de banque, passe pour être
lindicateur
d'une
immense
fortune.
Quant
à
l'énoncé
5,
Il
exprime

194
metaphortquement qu'il n'existe aucune forme de pauvreté qui soit étrangère à
Fama et sa femme, aucune forme de misère dont ils n'aient fait la douloureuse
expérience. L'exemple 6 enfin n'est pas moins suggestif Il représente en effet
avec force, la scène pathétique d'un lépreux aux doigts tout rongés par la maladie
et qUI essaie désespérément de faire passer un fil dans le chas d'une aiguille. La
fonction préhenslve n'étant plus assurée, on devine qu'il s'agit là d'une mission
comparable au mythe littéraire slsyphien.
Les expressions verbales stéréotypées
d'une part, la substantivation de rien au sein de constructions formant des unités
sémantiques d'autre part, participent à la démarche stylistique kouroumlenne
C'est par l'étude de ces formes verbales et nominales porteuses dans l'idée
Intensive que s'achève le présent chapitre.
Section 4-11-2- 4
Autres
formes
intensives
11-2- 4-1 Formes
verbales ..
L'usage a consacré dans l'expression du haut degré, certaines formes
verbales composées pour l'essentiel de deux éléments: le verbe (ou la copule) et
son complément Mais la plupart de ces expressions sont aujourd'hui senties
comme des unités sémantiques à part entière. Certaines sont en voie de clichage,
d'autres sont des stéréotypes confirmés. Syntaxiquement, ces constructions
rappellent à + inf. Mais à la différence de celui-ci où le complément est toujours
un Infinitif, ces formes verbales appellent au contraire un substantif en objet. Celul-
CI est en général amené par à ou par de.
11-2-4-1-1
Construites
avec
à
Ex
l
:
Mariam cardait au
fond
près de
la
por~e
opposée,
de
sorte
gue
le
soleil
finissant
l'éclairait
complètement,
dans
l ' a t t i r a i l
du
deuil
qui
-
on
ne
devait
pas
le
dire
-
lui
seyait
à
merveille.
Les Soleils:
133.

195
Ex
2
(Fama)
s'arrêta
et
cria
à
tue-tête
co~ne un possédé: «
Regardez Fama ! Regargez le
mari de Salimata !( ... ) » . Les Soleils:
199.
D'un strict point de vue sémantique, ces formes verbales se rejoignent quant à
leur fonctionnement dans l'expression de l'idée intensive.
Leur signifié ne peut en
effet être saisi que réalisé dans toute sa plénitude et sans la mOindre restriction,
exactement comme les caractérisants complètement, totalement ... Leur
signlfication n'admet guère de jugement mitigé, mais plutôt radical. En effet, ou
l'avIs est absolument appréciatif, ou il est au contraire, absolument dépréciatif et
ce, même dans l'hypothèse d'une ironie. Cela signifie que ce qui
«sied à
merveille »
est ce qui satisfait au plus haut point un ravissement visuel total et
procure par là-même une satisfaction morale absolue. Nous excluons Ici les cas
de politesse empruntée qui veut que pour paraître avenant et bienséant, on affecte
dêtre généreux dans l'expression et flatteur alors même qu'on ne pense pas un
mot de ce qu'on dit. Mais, même dans l'hypothèse de cette hypocrisie socialement
codifiée, le sentiment contraire qu'on éprouve réellement est censé être
dexpression totale et Il l'est effectivement. C'est que ce qUI «
sied à merveille »,
que ce soit au mélioratif ou au péjoratif, est toujours perçu intérieurement comme
se situant aux pôles extrêmes, non au centre ou à mi-chemin. Il en va de même
de crier à tue-tête Notons à ce propos qu'il
existe déjà une nuance affective
entre parler et crier Cette nuance va croissante lorsqu'il ne s'agit plus d'un simple
cri, mais que celui-ci est poussé avec la dernière énergie, et, par-dessus tout, avec
l'intention affichée de se faire remarquer comme c'est le cas de Fama
L'expression adverbiale à tue-tête tient alors lieu d'élément exponentiel de
l'Intensité avec laquelle le cn est poussé.
A l'instar de à + int,
la préposition et
son complément constituent l'invariant de la locution. Toutefois, celle-ci peut
changer de composantes avec d'autres verbes.
Ce changement impose
Inévitablement des modifications syntaxiques au niveau de la prépOSition et
entraîne une plus-value d'expressivité et d'affectivité,
La nuance est nette entre

196
crier à tue-tête et d'autres formes verbales de signification identique construites
avec de
11-2-4-1-2 Construites avec
de
Ex
l
:
(Fama)
marcha
jusqu'à l'escalier,
monta
le
minaret,
au
sommet
s'arrêta
et
cria
de
toute
sa
force,
de
toute
sa
gorge
l'appel
à
la prière.
Les Soleils:
25.
Ex 2
:
Diabaté,
l'ex-griot de Samory,
égrenait
quelques
notes
sur
sa
cora,
brusquement
s'interrompait,
se redressait sur les étriers et
( . . . )
vocalisait
de
toute
la
force
des
nerfs du cou le chant des monnew.
Monnè
: 65.
Ex
3
Revêtue
de
ses
bijoux,
camisoles
et.
pagnes de la nuit nuptiale
(Moussokoro)
avança
à pas précautionneux. A cinq pas de Djigui, ~lle
hur la
de
toute
sa
force:
«Clémence
» .
Monnè : 149.
ii arrive cependant que cette nuance affective soit négligée au profit du
phénomène lui-même au point que plusieurs formes verbales se trouvent
simultanément employées dans un même énoncé ToutefoIs, celuI-cI n'en perd
pas pour autant son expressivité. L'extrait suivant en témoigne
Il s'agit de
l'excIsion de Salimata, douloureux souvenir d'une cérémonie qUI fut dramatique:
Ex
4
Et
elle
a
encore
hurlé,
crié
à
tout
chauffer,
crié
de
toute
sa
poitrine,
crié
jusqu'à
s ' é t o u f f e r ,
jusqu'à
perdre
connaissance.
Les
Soleils
: 32 .
Cet exemple est presqu'un résumé des procédés Intensifs à base verbale. Il est

197
Important de noter que leur co-présence dans un même énoncé ne provoque
guère de saturation sémantique.
Au contraire, Il se dégage comme une sorte de
«complicité»
dans le pouvoir d'intensification. Dans un sens, des formes
verbales d'un autre registre peuvent être rapprochées des précédentes. Comme
celles-cl. ces formes verbales expriment aussI l'Idée intensive par suggestion.
Mais la force de l'habitude, le fait qu'elles soient d'un emploi très courant en
viennent presqu'à faire oublier leur valeur intensive. C'est le cas par exemple de
trembler de peur, combler de joie.
Ex 5 : Et moi Djigui qui,
pendant toutè la scène
ne m'étais pas départi de mon calme,à l'étranger
se tordant
et tremblant
de
peur,
je
demandais
avec chaleur le nom totémique,
les nouvelles du
terroir.
Monnè :
162
L'idée de «peur extrême »
à l'origine de cette perte de maîtrise de soi
se manifestant par le tremblement de tout l'être, nous la retrouvons encore dans
1expression être transi de frayeurs.
Affectivement, celle-ci se situe un cran au-
dessus de la première, surtout avec l'effet de la ponctuation:
Ex 6 : A la fin de la retraite de l'excision,
la
Jeune
fille
malinké
guérie
est
conduite
au
marlage.
Salimata,
transie
de
frayeurs
fut
<'1ppor-tée
lin
~-;nir i1
son
fianr-é
(lvec
tam-tam
et
chants.
Les Soleils:
39.
La discontinuité rythmique imposée par la ponctuation entraîne une mise en relief
de la forme ( transie de frayeurs) et signale par ricochet le fond à l'attention, à
savoir 1Idée d'une peur extrême, Inqualifiable Formellement, le passage à venir
peut être rapproché de ce qUI précède. Il s'agit de la vie à la prison de Mayako :
Ex
7
En
pleine
nuit
le
soleil
éclatait
en

198
plein
jour
la
lune
apparaissait.
On
ne
réussissait pas
à
dormir
la nuit,
et
toute
la
journée
on
titubait,
ivre
de
sommeil.
Les
Soleils:
166.
A l'image des procédés antérieurs, la forme est ici également le premier indice
d'évaluation de l'expressivité du contenu. Ainsi existe-t-il une marge affective
notable dans l'expression de l'idée d'un certain ravissement moral, d'un bonheur
entre être content et ivre de joie. En effet, autant la première forme laisse une
certaine imprécision quant au degré de joie éprouvée, autant la deuxième n'offre
de possibilité de compréhension que celle qui situe la joie au niveau paroxystique
de sa réalisation et dans toute sa plénitude. L'avènement de Béma au pouvoir
apparal[ à ceux de Soba comme une flagrante usurpation. " en découle une
fébrilité du pouvoir qUI vacille
Aussi l'arrivée des tirailleurs est-elle plus que
salutaire pour Béma, car ils lui permettront d'asseoir son autorité:
Ex 8 : La présence des
tirailleurs balafrés
le
comblai t
de
joie.
Elle apprenait
aux
insoumis
que
l'amusement avec
la queue du
fauve
devait
cesser( ... ). Monné:
260.
Quelques-unes de ces formes verbales se constrUisent nécessairement avec la
copule être, et l'ensemble constitue une unité sémantique complète
11-2-4-1-3
Construites avec être
Oans le premier extrait la forme verbale est une vanante de être tout
ouïe. Par cette forme, on veut entendre que l'attention auditive est entièrement
captée et Intéressée par ce qUI se dit, toute entière à l'écoute d'un sUjet parlant
HormiS le défaut d'esthétique phonique (être tout ouïe nous est agréable, plus
harmonieux
phonétiquement
qu'être tout oreilles), la variante est aussi

199
expressive .
Ex
1
Brusquement,
( l'interprète)
commanda
qu'on
l'écoutât
(nous
étions
déjà,
tout
oreilles)
et dans
une attitude sermonnaire,
se
mit à regarder tour à tour le ciel et la terre.
Monnè :
55.
Contrairement à cette forme verbale qui laisse quelque marge de variabilité,
certaines unités sémantiques sont de véritables locutions figées prêtes à être
employées sans modification. Parmi ces locutions, figure c'est tout réfléchi
Celle-ci se veut l'expression d'une résolution Irrévocable par rapport à une
situation donnée Mais cette locution apparaît souvent bien plus spontanément
dans le discours qu'elle ne veut le faire croire. Elle ne traduit pas toujours
iaboutlssement inéluctable d'une réflexion préalable. Le commandant qui a
promis la construction d'une voie ferroviaire tente de persuader le rOI DJigui de
renoncer à vouloir abriter la gare des chemins de fer non loin de la cour royale.
Mais le patriarche voit les choses sous un angle dIfférent:
Ex
2
:
Un
vacarme
pour
l ' honneur
ne
pourrai t
fatiguer un homme d'honneur.
Je veux ma gare et
mon
train
à
ma
porte.
C'est
tout
réfléchi.
On
ne
craint
pas
la
nuisance
quand
on
se
porte
acquéreur d'un panier de grelots. Monnè : 75.
Le rOI semble avoir priS sa décision en toute connaissance de cause, ce que
confirme le proverbe énoncé. Mais la réalité est toute autre car le patriarche n'a
encore jamais fait l'expérience du branle-bas infernal d'une gare ferroviaire. Sa
fermeté et son obstination ne peuvent donc être motivées que par une certaine
mégalomanie et une fierté à être le premier chef noir à disposer d'une telle
Infrastructure de communication. Il ne s'agit pas là, par conséquent, d'une
décision a posteriori. Le passage suivant rappelle quant à lui, quelques extraits

200
déjà cites où l'idée de «
paroxysme »
sous-tendait l'expression intensive:
Ex
3
Quand
le
pouvolr
de
Dj igui
était
au
z è n i t h ,
:-; 0 1\\
F' " d 0 \\ 1d
Il \\1 .1
V t.' n a i t
cl e
If\\ 0 U C 1. r
pouvait;
i l pouvait par temps menaçant affirmer
que le ciel était serein sans que personne de ce
coté du fleuve osât désigner du doigt les nuages
encombrant l'horizon. Monnè : 197.
De l'invariabilité formelle soulignée précédemment, doit être rappochée la
locution suivante que sous-entend l'idée d'«
entièreté »
:
Ex
4:
Le
messager
exorcisé,
guidé
par
des
esclaves
arriva
au
Bolloda habillé de neuf de
pied en cap( . . . ).Monnè :
18.
Au niveau syntaxique, cette locution s'emploie toujours avec la copule être, que
celle-Ci SOit en ellipse (c'est le cas pour le passage ci-dessus) ou pas. En réalité,
la locution prépositive «
de pied en cap »
est complément de la forme verbale
«
être habillé de neuf »et s'adapte par conséquent à sa syntaxe. L'ensemble
signifie «
être entièrement habillé de neuf »
et il est facile d'établir l'équation
sémantique: de pied en cap =entièrement/complètement. D'autres formes
ver baies fJlOclleS du fJarler tamiller rnallnké dont elles sont probablement des
traductions, doivent être également soulignées dans la mesure où elles sont
styllstiquement porteuses Elles sont des variantes de l'expression bien connue
en avoir assez. Selon le contexte, l'expression peut avoir une valeur positive ou
négative. Dans le premier cas, la locution verbale marque une satisfaction Dans
le second au contraire, elle traduit une profonde exaspération, l'explosion d'une
patience à bout, suite au franchissement du seuil du tolérable C'est dans cette
deuxième valeur que sont employées les variantes. Le prince Fama devenu
«vautour »
et qUI vit des prébendes distribuées lors des cérémonies funéraires,
a l'art de se mettre à dos tous ses coreligionnaires. Evidemment cela finit par

201
provoquer quelque ressentiment:
Ex 1:
Pourtant,
pouvait-il l'ignorer? Les gens
étaient
fatigués,
i l s
avaient
les
nez
pleins
de toutes les exhibitions,
tous les palabres ni
noirs ni blancs de Fama à
l'occasion de toutes
le.s réunions. Les Soleils:
13.
Ex
2:
Toujours
Fama,
toujours
des
parts
insuffisantes,
toujours quelque chose! Les gens
en
étaient
rassasiés.
Les
Soleils:
13.
Ex 3 : Avec les Indépendances,
le parti unique,
le comité et tous les autres,
on avait vanné les
Malinkés
à
leur
coller
des
vertiges.
Ils
en
avaient
plein
la
gorge
et
le
nez.
Les
Soleils :
136.
L expression du sentiment de lassitude agacee, par des termes qui ne
désignent pas les parties dites nobles du corps, à savoir le nez et la gorge mérite
attention
C'est l'explosion spontanée de ressentiment de personnes dont la
patience, maintes fois mise à rude épreuve, a finalement succombé aux assauts
répétés de certaines Inconduites sociales. En proie à cet agacement coléreux
dans un milieu traditionnel cosmopolite, circonstantiellement homogène (les
barrières dressées par la hiérarcrlie sociale paraissent s'effondrer à l'occasion
des obsèques), le sujet parlant ne se formalise guère de préciosité Au contraire.
l\\J'ayant cure des règles coercitives de la bienséance langagière, Il emploie des
termes dont la verdeur est tout à fait symptomatique de l'intensité des sentiments
éprouvés
En effet, voudrait-on se montrer courtois dans ces cas que, bien
souvellt on ne le pourrait pas, tellement la force de l'affectivité paraît se décupler
et deVient irrésistible, indomptable De là vient qu'on s'exprime sans ambages en
employant des termes directs qui sont le fidèle reflet de notre état d'âme du

202
moment.
A ce titre, le nez et la gorge dans les passages précités revêtent une
valeur métapllonque remarquable Ils désignent d'abord deux organes essentiels
assumant des rôles vitaux chez l'être humain. L'un est préposé à la fonction
respiratoire, l'autre à la fonction nutritionnelle. Avoir le nez et la gorge obstrués,
«
pleins », c'est gêner le bon fonctionnement de la faculté respiratoire et
d'ingurgItation. Dans ces conditions,
ce n'est pas exagérer de dire que
physiquement, ce dysfonctionnement fait peser un certain péril sur la vie.
Métaphoriquement, cela signifie qu'on en a assez d'une chose dans le sens
dépréciatif évoqué antérieurement. Ces expressions peuvent sembler familières,
même quelque peu
relâchées,
elles
n'en paraissent pas
moins
riches
stylistiquement, car ce qu'elles perdent en niveau de langue, elles le compensent
avantageusement en expressivité et en affectivité. Nous venons de le montrer à
travers cette métaphore de l'asphyxie. Terminons par l'étude de quelques
syntagmes qui ont ceci de particulier qu'ils sont plus porteurs dans l'idée intensive
qu'ils nen donnent l'air
Formellement, ils se composent de l'adverbe rien
substantivé que SLilt un complément amené par la préposition de.
11-2-4 -2
Rien + de + substantif
D'un pOint de vue sémantique, rien et son complément renvoient au
mécanisme de fonctionnement de l'hyperbole tel que nous en avons débattu
précédemment. Rappelons simplement que cette figure a la faculté de décupler la
valeur réelle des choses au moyen d'une inflation verbale. Mais il eXiste
également une forme d'hyperbole par atténuation qui, alors même qu'elle
présente la chose évoquée dans sa plus faible manifestation, la signale
paradoxalement com me se situant à un haut degré. Cette forme devient ainsi un
procédé suggestif d'intensité dont le sens est proche de très Itout petit SUIVI
d'un substantif Les troupes françaises qUi ont vamcu Soba sans coup férir
viennent de s'établir dans le royaume. 1mpuissant. le roi Djigui fait mine de

203
banaliser la portée du revers politique et militaire qu'il vient d'essuyer.
Ex1
: Les nazaréens n'occupaient que ce rien de
son univers,
une insignifiante parcelle de son
ciel,
portion d'ailleurs maudite( ... ).Monné :76
Bernier, ex-instituteur à Soba renvoyé à la métropole de force est de retour, cette
fois en qualité de commandant. L'interprète Soumaré a tenté sans succès de
rappeler Bernier aux souvenirs du roi Djigui. Quelque peu dépité, il confie par la
voix du narrateur.
Ex 2 : Bernier était l'instituteur blanc qui,
à
l'époque,
s'était
enfui
avec
la
femme
du
commandant
Journaud.
Djigui,
avec
un
rien
d'effort,
pouvait se souvenlr des cachotteries
et de la fugue de Mme Journaud. Monné:
117.
Notons enfin que rien peut être précédé de certains actualisateurs tels les
indéfinis quelque, un, le démonstratif ce mais presque Jamais par l'article défini.
L'un des rares emplois de ce dernier auprès de rien, c'est lorsque celui-ci est
précédé d'une épithète Dans l'exemple à venir, le démonstratif pourrait bien être
remplacé par l'article défini
Ex: Les Jours étaient sans vent,
sans voix,
sauf
de
lointain
en
lointain,
ces
éphémères
et
riens
de
tourbillons
de
poussière( . . . ). Les
Soleils :202.
Ce passage achève l'étude sur la valeur intensive de la caractérisation
complexe, ce qui nous permet de tirer une conclusion

204
Conclusion
La caractérisation complexe atteste la diversité des modalités du haut
degré. Les problèmes d'interprétation et les divergences entre grammairiens sur
!a question de la primauté des nuances, notamment avec à+inf. sont autant de
preuves de la part de subjectivité quasi om ni présente dans une approche
semantique comme la nôtre. La constante hyperbolique, notable dans la plupart
de ces procédés et surtout avec à + inf., le ton oraliste d'un humour tantôt
satirique, tantôt guilleret mais touJours d'une simplicité et d'une familiarité
exaltantes, participent étroitement à l'originalité de Kourouma dans l'exploitation
de la littérature orale. La construction d'images illogiques et les comparaisons
, Irréalistes confère au style, truculence et saveur inattendues. Mais l'innovation ICI
Vient surtout du mécanisme d'expressivité par lequel des propositions en
apparence ordinaires, accèdent au rang des modalités intensives. Qu'elles soient
de forme négative ou positive, ces propositions sont presque toujours empreintes
d'un réalisme anthropologique qui crée le terme exponentiel d'intensité. Tel est le
cas par exemple de la noix de cola qui devient IJne norme référentielle à
connotation péJorative.
Le chapitre sUivant qui se consacre aux énoncés
comparatifs dans leur valeur Intensive étudie plus à fond le mécanisme
aexpresslvité intensive de la comparaison.

205
Î
- La terminologie varie parfois à propos des subordonnées consécutives selon
les grammairiens Ainsi G. Le Bidois dans son ouvrage cité ci-après préfère-t-il
l'appellation de subordonnée «
conséquentielle ».
2 - G. Le Bidois. Syntaxe du français moderne. A. Picard, 1967, p 485, vol.ll
3-Ch. Berthelon. L'Expression du haut degré en français contemporain:
essai de syntaxe affective. Thèse, 1956, p 120
4 - G. Le Bidois. op. cit P 481.
5 - Idem, p 482.
6 - Kr. Sandfeld Syntaxe du français contemporain. Oroz, 1965, p 250, vol.lll
7-La structure à + inf. peut avoir d'autres valeurs, comme par exemple la valeur
d'incitation dans un énoncé tel que «
C'est un spectacle à voir absolument »
8 - Le calcul des exemples est Simple. Excepté 1énoncé 5 de la page 25. la quasI
totalité des exemples proposés sont des cas de conséquences impossibles.
9 - Plusieurs termes passent pour être des synonymes d'hyperbole. Ce sont:
Exagération avec Ch. Bally. Traité de stylistique française
Klincksleck, 1929,
p 295. vol. 1. et
Auxèse avec H Suhamy
Les Figures de style.
Presses
Universitaires de France, 1981, P 102.
10 - B Dupnez. Les Procédés littéraires. Coll.
10/18, 1980, P 238.
11 - Idem

206
12- J. Mazaleyrat & G. Molinié. Vocabulaire de la stylistique.
Presses
UniverSitaires de France, 1989, p 170.
13 - Ch. Bally. Le langage et la vie. Droz, 1965, p 19.
14 - Notre démarche s'inspire ici de celle de M. Delabre dans son article sur
«Les deux types de comparaison avec comme»
paru dans la revue Le
français moderne, 5è année, avril 1984, n° 112.
15 - Nous émettons l'hypothèse que la séquence-source de rapprochement
exprime toujours un fait établi ou supposé tel.
Aussi avons-nous retenu le présent
de 1 indicatif comme temps "standard" du fait de sa valeur intemporelle.

207
CH.3
LA CARACTERISATION INTENSIVE PAR LES ENONCES
COMPARATIFS
Introduction
Le but de ce chapitre est de décrire le mécanisme de la comparaison
intensive
Notons toutefois que le concept de comparaison ne réunit pas toujours
1accord des rhétoriciens. Il existe en effet une divergence théorique qui se traduit
par une querelle de terminologie. A ce titre. l'Insurrection conceptuelle de M. Le
Guern 1 contre l'acception généralement admise de la comparaison mérite d'être
soulignée. Selon lui en effet, le phénomène linguistique qu'on prête d'ordinaire à
la comparaison ne convient guère à celle-ci. Pour être fidèle à sa pensée, nous
devons dire que d'après lui, le terme générique de comparaison est générateur de
confus/on Aussi propose-t-il similitude en lieu et place de comparaison. Et pour
rétablir cette dernière dans sa réalité linguistique, il distingue entre comparatio et
similitude Ainsi dans les énoncés que nous proposons plus loin, (a) illustrerait
comparatio et (b) similitude. Notons tout de suite que pour ce qui nous concerne,
cette querelle terminologique présente peu d'intérêt. Les développements et
descriptions antérieurs et à venir précisent du reste clairement notre parti sur la
question. Ce quil faut souligner en revanche. c'est le mécanisme sémantique de
la structure formelle des énoncés comparatifs dans leur rapport avec l'expression
du haut degré. En outre, comme pour les chapitres précédents, les questions de
grammaire et de stylistique que soulève ce procédé multiforme sont également
abordées selon les spécificités morphosyntaxiques de chaque morphème de
comparaison

208
Soit les énoncés suivants: 2
( a ) - Jonathan est fort comme son père.
( b ) - Landry est bavard comme une pie.
Formellement, (a)
et (b) sont identiques, Ils comportent tous deux des éléments
facilement identifiables, Leur situation peut être décrite de la manière suivante.
Un élément C ( Jonathan et Landry) est comparé à un élément 0 ( père et pie)
sur la base d'un attribut commun noté symboliquement Q ( la force dans un cas, la
prolixité dans l'autre), au moyen du morphème comme (M), Mais si ces énoncés
sont formellement identiques, il en va tout autrement pour ce qui est de leur
signification. En effet, alors que (a) est une comparaison ordinaire, (b) ajoute
quant à lUI, une plus-value sémantique qui le fait légitimement prendre place
parmi les procédés intensifs.
A quoi ce type de comparaison doit-il cette
différence? Nous le montrerons bientôt grâce à tout l'héritage culturel qui s'attache
à tous les éléments échantils (l'élément 0 ) de la valeur de «
pie »
de (b)
Reprenons donc celui-ci:
(b) - Landry
est
bavard
comme
une pie.
1)
C
Q
M
0
2)
S
A
Considérant que 1analogie est définie par un rapport de similitude perçue entre
deux c~loses, notions ou êtres rapprochés par des structures grammaticales,
l'énoncé ci-dessus peut être décrit comme suit
1- Par analogie, l'élément C est miS en rapport avec l'élément D. Cette analogie
est fondée sur un caractère (qualité ou attribut) commun Q et réalisée par le
morphème
cam me. Comment la structure ainsi décrite participe-t-elle de
l'expression de l'idée intensive?
C'est ici qu'intervient l'importance du deuxième
niveau d'analyse. Son développement doit en effet déboucher sur l'explicitation
des présupposés linguistiques et culturels qui sous-tendent la valeur intensive de

209
l'énoncé Nous avons montré, d'après l'hypothèse de départ, que sous certaines
conditions, des énoncés de sens intensifs peuvent être scindés en deux
séquences de longueur variable. Nous avons également décrit l'hypothèse
principale elle-même comme étant fondée sur le principe d'inclusion sémantique.
Ainsi, une description au deuxième niveau de (b) donne-t-elle le découpage
séquentiel sUivant:
2 - ( b ) - Landry est bavard comme une pie
S
A
Formellement, on peut distinguer les séquences suivantes: d'un côté, le
support (S) composé de l'élément C que caractérise a et qui se situe à gauche du
morphème comme; de l'autre, l'apport (A) comprenant comme et j'élément
échantil D, son complément. De fait, c'est cette deuxième séquence qui possède
une valeur intensive car elle est porteuse de toute la charge culturelle par laquelle
sexplique le mécanisme sémantique du procédé. La définition qUI suit permettra
de préciser notre pensée sur la question. Une personne, un objet,.. peut passer
dans la conscience collective comme possédant à un degré éminent, une qualité
quelconque au point d'être notoirement considéré comme le représentant
canonique de la dite qualité. On peut ainsi valoriser une autre personne, un autre
objet censé posséder la qualité en question au moins à un degré de parfaite
égalité avec le représentant connu de la qualité. Le rapprochement prend alors la
valeur d'un procédé intensif qui a précisément pour siège la séquence A, celle
avec le morphème et l'échantil.
En réalité, l'attribut commun qUI fait l'objet de
rapprochement entre l'échantil (l'être, l'objet exemplaire) et l'élément C, son
comparé. n'est jamais équitablement partagé et cela se justifie En effet, l'échantll,
cet élément-étalon passe pour être un modèle inégalable dans la possession de
Ia.ttribut envisagé Ainsi l'opération d'analogie devient-elle par ce fait même une
pure hyperbole En outre, la séquence IIltensive, ou plus exactement le terme
ayant valeur de modèle étant presque toujours Immuable. ancré qu'il est dans la

210
conscience collective com me non surclassable, Il s'ensuit inévitablement une
fixation de l'attribut par rapport au modèle.
Ainsi s'explique le clichage
d'expressions telles que «
Fier comme Artaban », «Riche comme Crèsus ».
devenues aujourd'hui de simples tournures intensives. C'est ce type de formules
dont nous allons bientôt vOir l'exploitation qu'en fait
A. Kourouma. Mais avant,
IlOUS devons donner sUite à une interrogation possible que peut susciter la
description du mécanisme de la comparaison intensive que nous venons de
proposer. En effet, la co'mparaison intensive et son antonyme circonstanciel, celle
que nous avons qualifiée d'ordinaire parce qu'étant non intensive. sont
formellement identiques. Supposons, pour les besoins de la démonstration que le
morphème comme ( ou son substitut) et l'échantil, son complément. soient
Interprétables en très + adj. selon la théorie de l'inclusion sémantique. Précisons
que 1adJectif auquel s'applique très est celui-là même qui motive l'analogie.
AinSI. a priori, )es énoncés ( a) et ( b ) peuvent-ils être paraphrasés comme suit:
l a )- Jonathan est fort comme son père. ( a' )- Jonathan est très fort"
l b )- Landry est bavard comme une pie. (b')- Landry est très bavard
Formellement par conséquent, rien ne justifie à première vue la
distinction entre comparaison intensive et comparaison ordinaire que nous
établissons. Pourtant ( a ) et ( b ) n'ont pas la même valeur. Comment expliquer
cette différence? Pour justifier la validité de la distinction, nous émettrons le
postulat suivant. Pour que la description d'un énoncé comparatif en modalité
intensive SOit recevable,
l'échantll dOit posséder une valeur de modèle
notoirement établie dans la qualité sur laquelle se fonde l'analogie. Ainsi, la
résultante ( a' ) ne peut-elle être considérée comme un procédé intensif que si la
force ou la pUissance du père de Jonathan est d'une exemplarité absolument
irréfutable, et qu'elle constitue de la sorte, une référence commune. Ce qui est
discutable. sauf peut-être si on tient compte de la situation particulière de
communication. En revanche, dans la culture linguistique française et même
francoohone. la valeur de modèle de «
prolixité »
de la pie est supposée

211
unanimement admise, et c'est cette apparente unanimité autour du modèle qui
confère à ( b ) sa valeur intensive, Dans !'esthétiql.l6 romanesque kouroumlenne,
la construction des analogies semble être fondée sur la postulation implicite dune
unanimité de fait. ainsi que nous allons le voir grâce aux exemples choisis.
Section 1-11 -3 -1 Les
énoncés d'analogie ..
l\\Jotons que le choix est ouvert et les types de regroupement variés, si l'on
considère la nature des éléments qui sont les termes de comparaison
Celle-cI
peut en effet rapprocher des personnes entre elles, des personnes avec des
animaux. des objets de la nature avec des personnes,.
l'inverse de ces
combinaisons et d'autres non citées étant également possibles. Mais 1\\ est
également possible de partir des morphèmes par lesquels l'analogie se fait.
Privilégiant un fondement syntaxique, un tel regroupement nous semble plus
pertinent. Il présente en outre l'avantage de permettre une étude plus centrée
11-3-1-1 Amenée par comme
11-3-1-1-1
Analogie intensive sur l'adjectif
Une remarque essentielle est à faire: l'expressivité de l'analogie est en
généraie fonction du degré de dichotomie entre les champs sémantiques des
termes mis en rapport
En termes différents, il faut entendre que cette expressivité
sera d'autant plus remarquable que les termes rapprochés appartiendront à des
champs sémantiques différents et que par là-même, la situation qui les rapproche
sera fort Inattendue. C'est le cas pour les exemples qui suivent.
Au décès de son
père. le prince Fama n'a pas hérité du trône ...
~x l: Parce que d'abord( ... ) un petit garnement

212
européen
d'administrateur ( . . . ) remuant et
impoli
comme
la
barbiche
d'un
bouc
commandait
le
Horodougou. Les Soleils:
21.
Au lendemain de l'indépendance de son pays, la déception le disputait au
désespoIr chez Fama face à l'oubli dont il a été victime dans le partage des postes
de responsabilité.
C'est que le prince qui s'est investi sans compter dans la lutte
anticolonialiste ne demandait rien qu'il n'eût pu obtenir,
Ex 2:
Fama demeurant analphabète
comme la queue
d'un âne.
Les Soleils
23.
Ex 3. (Les mendiants envahisseurs)
turent
leurs
chuchotements
et
silencieux
comme des
pierres
présentèrent leurs mains,
leurs infirmités! ... ).
Les Soleils:
62.
L'anthropocentrisme des énoncés ci-dessus apporte une modification des
valeurs par ces rapprochements on ne peut plus Insolites Grâce à eux, les
animaux et les objets se vOient dotés d'attributs qui sont naturellement l'apanage
exclusif des humains. Dans l'énoncé 1 ( P 212 ) en effet. la qualité «
politesse »
ou ( impolitesse) ne peut s'appliquer qu'à un étre humain parce que seul, celui-CI
dispose de la faculté de discernement qui lui permet d'avoir la pleine conscience
de la qualité en question, et de l'intégrer dans ses rapports avec ses semblables.
On ne saurait donc attendre d'un bouc la manifestation ou non de ce trait
déducatlon qUi est le propre des SOCiétés humaines. Toutefois, cette comparaison
se fonde SLir une réalité sexuelle simple en rapport avec l'analyse précédente
C'est qu'en période de rut,
le bouc,
commandé par l'instinct se dirige
systématiquement vers toute femelle sans diSCrimination, cest-à-dlre qu'il nexclut
pas sa mère et a fortiori, ses sœurs éventuellement. Nous assistons là par
conséquent, à un transfert de comportement et de sentiment. Dans ces conditions,

213
une tel\\e comparaison SI Illogique à l'évidence. sert d'abord à souligner la
constante mobilité et à fustiger l'impolitesse notoire (aux yeux de Fama) de
l'administrateur européen. Ainsi, l'interprétation de la séquence remuant et
impoli comme la barbiche d'un bouc en «extrêmement mobile et impoli »
n'est-elle qu'une piètre équation sémantique qui rend très mal compte de toute
l'expressivité de la formule originelle Cette observation vaut également pour les
autres énoncés tout aussi illogiques. En effet, l'analphabétisme ( EX 2, P 212 ) est
une tare déplorable chez j'être humain, seul susceptible d'alphabétisation et non
un animal, qui plus est, un âne, le représentant attitré de la bêtise. C'est que
l'analphabétisme du prince Fama est tout simplement Incurable. Quant à l'énoncé
3 ( P 212 ) enfin. Il est légèrement différent des précédents. En effet. une pierre est
par nature aphone. muette si bien que l'effet de surprise provoquée (si surprise Il y
a) par le rapprochement entre le silence des mendiants et celui des pierres peut
être négligeable puisque la situation présente quelque logique. Cela n'enlève
toutefois absolument rien à l'énergie expressive de l'énoncé. Mais toutes les
comparaisons ne sont pas aussi Illogiques. Il en existe qui, sans qu'il n'y ait une
distance réelle entre les situations présentées, ne sont pas moins hyperboliques:
Ex 4
Quant à l'infidélité( . . . )les femmes propres
devenaient
rares
dans le
Horodougou
comme des
béliers
à
testicule
unique.Les
Soleils
: 135.
Mais Il faut le reconnaître, les énoncés illogiques quaffectionnent l'auteur
supplantent de lOin les énoncés comparatifs logiques qUI, de ce fait, passent
finalement pour des cas a-typIques. Dans l'extrait qui suit, nous en retrouvons une
illustration:
Ex
5:
C'était
(l'amant
de
Mariam)
un
frêle
adolescent,
élancé,
noir
comme
un sourd-
muet( ... ).
Les Soleils
:185.

214
Par ces formations d'images pour le moins Inattendues qUI ne laissent pas
indifférent, l'auteur semble cultiver l'art de l'insolite et de l'impensable. Est-ce une
résurgence inconsciente de la littérature orale et spécialement celle du monde
mirifique des contes OLl, même les éléments inorganiques sont doués de
dynamisme et de vie? Sinon comment expliquer raisonnablement quune Infirmité
physique, en l'occurrence la surdi-mutité puisse objectIvement servir de critère
pnnclpal vOire exclusif d'appréciation de la pigmentation' de la peau'} En effet, si
la couleur de la matière justIfie l'expressIon bien connue «Noir comme le ials »,
rien, génétiquement n'explique que le sourd-muet SOIt l'unité de mesure de la
noirceur. Il apparaît par conséquent nettement que la construction des images3
est parfoIs abusive et ornementale, nayant pour fonction principale que
l'intensification. Il peut paraître alors d'une grande spéciosité d'alléguer ici
largument de la volonté de l'écnvaln de s'affranchir du carcan d'une certaine
orthodoxie langagière.
Mais à quoI peut-on alors attribuer la formation de telles
associations SI ce ne sont aux eXigences de la tentative d'adaptation du style
orallste au roman? Or cette tentative elle-même participe de cet acte
révolutionnaire" au niveau du discours romanesque. N'étant pas un acte isolé par
consequent, Il sinscnt tout naturellement dans l'ensemble de cette nouvelle forme
littéral re.
11-3~1-1-2
Analogie intensive sur le verbe
A la différence des énoncés anténeurs où l'énergie Intensive était centrée
sur l'adjectif, l'attribut commun mis en relief ici a pour siège le contenu sémantique
d'un verbe
Dans l'extrait qUI SUIt. c'est le débIt oratOire du griot ou la qualité
«loquacité »
qui fait l'objet de l'analogie:
Ex
L
Le
(Jriot
débitait
comme
des
oiseaux
de
figuiers. Les Soleils
:
114.

215
Cet extrait est un des cas des Innovations imputables à l'auteur en ce qUI
concerne le renouvellement (on le verra plus loin dans un tableau) des termes
faisant image. et notamment le terme échantil. Ainsi, par rapport à l'expression
consacrée «
Bavard comme une pie », l'énoncé qui précède apporte-t-il
plusieurs modifications formelles. Il faut remarquer en premier lieu l'établissement
de l'équation sémantique entre la forme verbale attributive sous-entendue «
être
bavard »
et le verbe débiter. Puis, toujours au niveau
paradigmatique, on
observe le remplacement de l'échantil (une pie) par un autre complément de
forme différente «
des oiseaux de figuiers ». Nous avons ainsi affaire, non
seulement à un syntagme nominal là où il n'y avait qu'un simple substantif, mais
encore. alors que celui-ci est toujours invanable, celui-là est au plunel A propos
de l'illvanabilité de pie, notons que,
SI métaphonquement on peut dire «Ces
enfants sont de véritables pies », nous émettons de sérieuses réserves quant à
!a recevabilité et à l'existence même de «
Ils sont bavards comme des pies" »
Nous expliquerons plus loin cette différence grammaticale, à savoir, la possibilité
d'accord de l'un et l'invariabilité de l'autre. Poursuivons pour l'heure avec d'autres
exemples.
Dans l'extrait qui suit immédiatement et où la qualité «
mensonge »
est l'attribut (Jomlnant, on note aussI une modification au niveau du complément
du morphème ayant valeur de modèle Le griot Diamourou parlant de la veuve
Manam à son maître Fama assure:
Ex 2
-Les très gros défauts de la jeune femme
ont
tourmenté
les
dernières
années
du
décédé.
Elle
ment
comme
une
aveugle,
comme
une
édentée( .. . ). Les
Soleils
134.
Oans la mesure où l'infirmité visuelle peut être cause d'erreur pour le non voyant
dans 1Identification des individus et objets dont la Juste appréciation requiert le
parfait fonctionnement de la vue, la valeur d'échantil du terme aveugle, et, par-
delà luI. la comparaison toute entière peut être Justifiable. Encore qu'il faille faire

216
abstraction totale de l'odorat et du toucher dont le développement, dans ces cas.
atteint souvent une performance (au sens non linguistique) identificatoire
exceptionnelle. Mais du moins, quelques raisons objectives, fussent-elles
discutables existent, qUI rendent l'analogie somme toute recevable. Il en va tout
autrement de la sUite de l'énoncé «
elle ment comme une édentée ». Rien
apparemment ne permet en effet de soutenir le rapprochement entre les deux
individus, et ce que nous avons dit auparavant de la surdi-mutité comme unité de
mesure de la pigmentation de la peau reste tout entier valable pour cette image de
l'édentée.
Il existe cependant des cas de comparaisons où, exception faite de la
démesure qui est la matrice de toute hyperbole, les faits rapprochés sur la base
d'un attribut commun obéissent à une certaine logique. Les extraits ci-dessous en
témoignent:
Ex 3. Alors le serpent partait du marigot, droit
sur Togobala,
filait
comme un orage ( . . . ).
Les
Soleils
:
162.
La qualité «
extrême rapidité »
évoquée dans cette image peut également
s'exprimer avec d'autres compléments au contenu notionnel proche ou non du
champ lexical d'orage. Mais la constante est qu'on a affaire à des objets ou à des
phénomènes réputés fort rapides dans leur déroulement:
Ex 4
Fama
se courba,
se pencha,
mais
ne put
rien
distinguer,
le
manque
filait
comme
le
v e n t ( . ) .
Les Soleils:
178.
Ex 5
Fama( ... ) se laissa tomber sur un banc de
sable.
Il se releva,
l'eau n'arrivait pasà la
hauteur du (Jenou.
rI
voulut faire un pas,
mais
aperçut un caïman sacré
fonçant
sur
lui
comme
une flèche
Les Soleils
200.

217
Outre le morphème comme dont les passages cités jusque-là sont des
emplois. d'autres outils grammaticaux qUI passent pour être ses substituts,
peuvent également participer à l'expression du haut degré. Parmi eux, il faut
compter aussi, suivi de son corrélatif que, mais aussi, autant que.
11-3-1-2
Amenée par les substituts de comme
11-3-1-2 -1
Aussi que
Avec ce morphème,
plus encore qu'avec les autres,
la faune,
la flore du
terroir de l'intrigue romanesque et de manière générale, les phénomènes naturels
Jniversels sont largement mis à contribution par l'écrivain. Bien souvent en effet.
lauthenticité
des
assertions
s'appuie
sur
la
réalité
de
phénomènes
universellement connus tels que la succession du jour et de la nuit. Ce faisant,
1auteur semble poser des garde-fous de crédibilité par rapport aux événements
décrits et réussit de la sorte à les faire admettre et à les imposer comme effectifs et
absolument vrais C'est le cas dans l'extrait qui suit où, par narrateur Interposé,
,i.(ourouma souligne la foi inébranlable et la très profonde conviction du roi Djigui
dans la prédiction concernant la fin de son ascendance
Ex 1:
Il lui avait été révélé et i l le croyait
aussi
sûr que
la nuit
succède
au
jour,
que
le
règne
de
la dynastie cesserait
le
jour 00
les
murs de sa capitale tomberaient. Monnè :31.
L'interprète vient d'expliquer à ceux de Soba, les services attendus d'eux à travers
les différentes prestations, insistant particulièrement sur le châtiment qui serait
réservé à qUiconque s'y déroberait. Le passage suivant donne la réaction des
destinataires du message:
Ex
;2. Les
v ieillards
se
regardaient.
C' étai t
aussi
vrai que
l'eustache
du
circonciseur
que

218
personne
parmi
eux
ne
pourrai t,
après
les
épreuves du feu et du piment, survivre aux vingt
plus deux fois cinq coups de fouet.
Monnè
:63.
Les situations insolites ne manquent pas. Leur caractère extraordinaire permet
toujours de décupler l'énergie expressive de l'analogie. La valorisation se fait
alors avec plus d'éclat:
Ex
3:
(Le
griot)
demanda
au
brigadier
les
ralsons
d'un débarquement aussi insolite que la
rencontre
des
cynocéphales pêchant des
carpes
dans le courant. Les Soleils
: 175.
Ex
4
C'étaient
les
immenses
déchéances
et
hon te,
aussi
l::Jrosses
que
la
v ieille
panthère
surprise disputant des charognes aux hyènes, que
de
connaitre
Fama
courlr
ainsi
pour
des
funérailles.
Les Soleils:
10.
Ces énoncés se passeraient bien de commentaire, tant ils sont
sémantlquement clairs.
Mais il est utile d'insister sur le réalisme incisif qui leur
donne toute leur expressivité. La succession du jour et de la nUit est un
phénomène d'une banalité intemporelle vécu sous tous les cieux En comparant
la fOI et la conviction de Djigui à cette réalité de tous les temps, l'auteur veut mettre
en relief le degré d'importance que le roi attache à la révélation qUI lui a été faite
quant au déclin de sa lignée et de son règne. En effet,
autant la succession du
Jour et de la mJlt est incontestable, autant sa croyance et sa conviction par rapport
aux événements précurseurs de la fin de la dynastie sont inébranlables. La réalité
d'une situation sert ainSI de terme exponentiel d'intensité à la véracité de l'autre.
Tous les passages qui sUivent fonctionnent sur le même mode de réalisme incisif
mais surtout IntenSifiant Tel est le cas de (4). En effet, la panthère est un prédateur
parmi les plus redoutables qUi se repaît presque toujours de viande de qualité.

219
I\\lnsl. Il n'est pas pire déchéance pour ce félin que d'être obligé de faire bande
avec les hyènes pour leur disputer des miettes de viandes faisandées. Grosse
honte également et misère sans nom que la situation d'un prince réduit à vivre de
quelques prébendes funéraires. Comme pour l'extrait précédent, le réalisme de
!analogie est particulièrement instructif, enrichissant.
Mais à ce stade d'analyse,
quelques interrogations viennent à l'esprit. Le choix de l'un ou l'autre morphème
est-II Indifférent chez j'auteur? Ou bien obéit-il au contraire à quelques exigences
spécifiques et lesquelles? La suite du travail nous éclairera sur ces interrogations
Pour 1heure, poursuivons avec d'autres exemples du substitut de comme.
Même dans la mosquée, lieu de sainteté, Fama n'a cesse de penser
lubriquement à sa femme Salimata. Le passage ci-après donne la mesure de la
gravité du péché commis:
Ex 5 Les détailler (les turpitudes de Salimata)
n'était
pas
seulement
profanateur,
mais
aussi
superflu et indécent que de descendre pantalon
et
caleçon
pour
exhiber
un
furoncle
quand on
vous
a
seulement demandé
pourquoi vous boitez.
Les Soleils: 29.
Parfaitement conscient de son Incompétence Intellectuelle et de son "in-formation"
liées à un analphabétisme total, Fama comprend qu'on ne lui ait pas proposé
certains postes de responsabilité d'élite
Ex 5 : Passaient encore les postes de ministres,
de députés,
d'ambassadeurs,
pour lesquels
lire
et écrire n'est pas aussi
futile que des bagues
pour un lepreux. Les Soleils:
22-23.
Limage de la litote est nette, frappante. Le lépreux ayant les doigts complètement
r-onges par la maladie, Il n'a nul besoin de bague car elle ne peut lUI être de la
mOindre utilité.
Au contraire, les postes ministériel, d'ambassadeur et de député,

220
du fait des attributions qui s'y rattachent et des responsabilités qui incombent à
ceux qui exercent ces fonctions, requièrent une qualification intellectuelle et
formationnelle certaine qui suppose une scolarisation préalable. Or Fama est un
analphabète total qui ne sait ni lire ni écrire. Si les bagues sont absolument
inutiles pour un lépreux. le savoir que confèrent la scolarisation et la formation est
une exigence de premier ordre dans la société moderne pour assumer des
fonctions aussI importantes que celles d'un ministre, d'un ambassadeur ou d'un
député. Outre comme et aussi que, le morphème autant sert également à
marquer un rapport d'égalité.
11-3-1-2-2
Autant que
La valeur de cet opérateur d'égalité paraît d'abord faire intervenir une
appreclatlOIl d'ordre quantitatif.
Mais cet aVIs dOit être relativisé car la nuance de
qualité se superpose presque toujours à celle de la quantité en sorte que toute
tentative de hiérarchisation est parfois rendue très délicate. On peut toutefois
affirmer avec certitude, que la forme de la proposition précédant le morphème
Joue un rôle remarquable dans l'élévation de la nuance de qualité. En effet,
lorsque la proposition antécédent du morphème est de forme négative, elle donne
plus de relief à la valeur intensive de ce dernier. Sous cette forme en effet, on nie
que la chose comparée puisse être égalée, et moins encore dépassée par l'autre,
exactement comme avec la préposition sans sUivie de pareIl ou égal De la sorte,
on marque un haut degré. En voici quelques illustrations. Devant le pessimisme
Impertinent du griot quant aux chances de succès de ceux de Soba face aux
troupes coloniales, le rOI Djigui excédé, assure
Ex l
• -
La dynastie des Keita a été la seule de
toute
la
Négritie
à
être
informée
six siècles
plus tôt de l'arrivée de l'irreligion. Aucun des
rOlS
vaincus
n'a
autant
que
nous
prié
Allah;

221
aucun n'a autant que nous vénéré les mânes des
aïeux. Monnè : 32.
Dans cet emploi, le morphème a un sens vOisin de «
à ce point »et rappelle la
logique des procédés consécutifs marquant l'intensité. En effet. la protection des
siens par Dieu face aux troupes ennemies apparaît évidente au roi, eu égard à la
dévotion qu'ils lui ont due. Cette protection divine serait alors la récompense
méritée de tant d'adoration et de piété inégalables.
L'extrait à venir confirme tout
simplement le sens du morphème:
Ex 2 : Le porte-canne fut d'abord tenu de goûter
à
tous
les
sacrifices
qu'il
égorgeait:
rlen
n'affaiblit autant
que de
tuer et de
consommer
les sacrifices. Monnè :198.
La chaleur est d'une atrocité insoutenable à Soba et le soleil, une véritable
canicule sans égal. C'est ce que dit implicitement le passage ci-dessous:
Ex3: En récapitulant la journée,
on s'aperçoit
qu'il ne peut exister de jour qui chauffe autant
que celu i
de Soba.
l1onnè:
267.
Une autre exigence syntaxique de l'emploi de ce morphème auprès d'un
verbe concerne sa position Lorsque le verbe se trouve à la forme simple en effet,
Il en est le complément immédiat, venant directement à sa suite.
Tel est le cas
des énoncés
2 et
3.
Mais lorsqu'un auxiliaire intervient
(cas de Ex1) autant
que se met en position enclitique, s'intercalant entre l'auxiliaire et le participe
passe
Cette observation
nous rapproche
d'un
début
de solution
aux
Interrogations que nous formulions antérieurement à propos des Critères
éventuels du choix de l'auteur par rapport à l'un ou l'autre morphème.

222
11-3-1-3
De Comme à Aussi que
Solt l'énoncé hors-texte déjà proposé:
(b) - Landry est bavard comme une pie.
D'un stnct point de vue sémantique, il n'existe pas la moindre nuance entre l'Idée
expnmee par ( b) et celle de sa résultante:
(b')- Landry est aussi bavard qu'une pie.
Mieux, à l'un et l'autre énoncés est imputable l'illusion d'égalisation Inscnte dans
le procès comparatif. En effet, alors même qu'elle tente d'imposer deux faits ou
deux notions comme étant absolument égales, la comparaison établit une
hiérarchie entre elles. Dès lors, on peut affirmer que d'une manière générale,
l'emploi de l'un ou de l'autre morphème n'est pas déterminé par des eXigences
specifiques
Peut-on en dIre autant de Kourouma? Une remarque élémentaire
s'impose d'abord, qui intéresse le volume des énoncés comportant chaque outil
de comparaison
Formellement, on note une disparité de longueur entre les
énonces comparatifs avec aussi que d'une part, et ceux construits avec comme
dautre part. Ceux-ci sont en général moins développés que les premiers:
2x
2
- (Mariam)
ment
comme
une
aveugle,
comme
une édentée.
Ex
3 ( . )
un débarquement aussi
insolite que la
rencontre
des
cynocéphales
pêchant des
carpes
dans le courant.
Comme le montrent ces extraits, les séquences à droite des morphèmes sont de
longueur variable selon que la comparaison est amenée par comme (séquence
brève) ou par aussi que (séquence longue) On constate en outre que l'analogie
Introduite par comme semble davantage porter sur une qualité évoquée par un
terme de la proposition, tandis que pour aussi que, l'analogie s'étendrait plutôt à

223
l'idée de la propoSition toute entière.
Mais à peine formulée, cette hypothèse se
voit Sinon infirmée, du mOins relativisée par la qualité des contre-exemples qui ne
manquent pas. à commencer d'abord par ceux que nous avons précédemment
cités. En effet une simple opération de commutation des morphèmes aboutit à des
résultats significatifs. En premier lieu,
on s'aperçoit qU'II n'existe aucune
différence fondamentale entre le sens de l'énoncé 3 avec aussi que, et sa
résultante ci-dessous avec comme:
Ex
3': (Le
griot)
demanda
au
brigadier
les
ralsons
d'un
débarquement
insoli te
comme
la
rencontre
des
cynocéphales
pêchant
des
carpes
dans le courant.
,:'x,u demeurant. nous avons déjà vu le morphème comme employé dans un
énoncé à séquence finale développée. Rappelons cet énoncé:
Ex
4
Quant
a
l'infidélité{ . . . )
les
femmes
propres cievena ient rares dans
le HorocioLlgou connne
des béliers à testicule unlque.
On remarquera en outre que les deux morphèmes se rejoignent sur un autre pOll1t
formel qui concerne la reprise du verbe de la proposition principale. L'un et l'autre
laissent en effet deviner en structure profonde, la reprise du verbe de la
proposition qUI les précède, ou de tout autre verbe de même sens dans la
séquence qUlls introduisent.
En général, pour cette reprise, c'est l'auxiliaire être
qui convient. AinsI l'exemple précédent donnerait-il la résultante ci-après:
Ex
4': Quant
a
l'infidélité{ . . . )
les
femmes
propres
devenaient
rares
dans
le Horodougou
comme le sont les béliers à
testicule unique.

224
Le résultat est également concluant avec aussi que: «
... les femmes propres
devenaient aussi rares dans le Horodougou que le sont les béliers à testicule
.'
unique»
Nous fondant sur ces opérations, nous pouvons dire que le morphème
comme peut bien s'accommoder des séquences relativement développées. Peut-
on pour autant en Inférer le succès total de cette commutation? Autrement dit,
l'opération Inverse de la commutation de comme par son substitut est-elle
toujours aussi heureuse? Prenons un exemple. En français, il est impossible et
incorrect de dire:
Ex
2':
(Mariam)
ment
aussi
qu'une
aveugle,
qu'une édentée*
Si la résultante Ex 4' est tout à fait acceptable, Ex 2' ne l'est guère. Cela signifie
que la substituabilité entre les deux morphèmes n'est pas parfaite, notamment
dans le sens aussi que -> comme. Ainsi se trouve posée la question des
conditions d'efficacité de l'opération et nous pouvons tirer quelques observations
utiles
1 - Comme peut se substituer à aussi que dans les énoncés d'analogie
IfltenSlve amenée par le second morphème et ce, sans conditions particulières.
Mais la rèciproque n'est pas toujours vraie.
2 - La substitution de co m me par aussi que est possible lorsque le terme
désignant l'attribut commun, objet du rapprochement, se construit (ou peut se
construire) avec l'auxiliaire être ou avec tout autre verbe pouvant en terllr lieu
C'est le cas de l'énoncè 4'
3 - La substitution est absolument impossible quand la qualité à mettre en relief se
trouve Intégrée exclusivement au sémantlsme d'un verbe à la forme simple.
La
résultante 2' en est une Illustration
Les premières règles ainsi formulées, revenons à l'interrogation principale.
Elle est \\a sUIvante. Peut-on affirmer que le choix des morphèmes est spécifié

225
chez l'auteur? Là-dessus, il faut le reconnaître, aucune hésitation n'est possible
Le test de substitution a en effet montré les limites de l'opération, quand les
conclusions qui viennent d'être tirées, elles, précisaient les conditions syntaxiques
de son succès. Il ressort que le choix de ces outils n'obéit a priori à aucune
eXigence spécifique qui soit imputable à la volonté de l'écrivain. Tout au plus,
peut-on émettre quelques hypothèses. Conformément à ce qui précède, nous
pouvons dire que Kourouma semble préférer l'emploi d'aussi que à comme
lorsqu'il s'agit de rapprocher, non pas deux termes simples, mais deux situations
assez rocambolesques dont la compréhension nécessite l'explicitation de la
situation comparante. Le fait est que dans ce cas, les situations sont envisagées
non
dans
leur
individualité,
mais
au
contraire,
comme
deux
facettes
Indissolublement liées (l'une seule et même réalité. La preuve en est qu'on a
généralement affaire à deux propositions hiérarchisées d'un double pOint de vue
sémantique et logique, la première Introduisant l'idée d'ensemble que la seconde
(amenée par que) complète en compréhension.
Aussi que conviendrait par
conséquent plus aux énoncés à développer. Quant à comme, il est davantage
apte à exprimer une analogie réelle ou supposée entre deux termes simples,
même SI. comme nous l'avons montré, Il peut aussI Jouer le rôle dévolu à son
substitut
aussi que
Mais cela nous semble surtout être la preuve de son
caractère de morphème principal de comparaison En tout état de cause, nous
pouvons affirmer que le chOIX de ces outils grammaticaux, s'il n'est pas
absolument indifférent chez l'auteur, répond moins à des contraintes syntaxiques
ou sémantiques qu'à des des préférences de raison stylistique. C'est également
dans ce sens que doit être Interprété l'effort de l'écrivain au renouvellement des
enonces comparatifs usuels tels que «
Nu comme un ver »
devenus pour la
plupart de véritables stéréotypes.

226
11-3-1- 4
Renouvellement des énoncés stéréotypés
. La comparaison intensive présente un individu ou un objet censé posséder
une qualité quelconque à un degré imbattable, comme le représentant
archétypique de la dite qualité. Ce représentant étant de ce fait même
théoriquement insurclassable, il en résulte à terme un clichage de la comparaison.
Mais li ne sagit là que d'une apparence fort trompeuse car bien de ces.
constructions sont susceptibles de recevoir des variantes. Cela signifie que l'être-
modèle peut avoir un ou plusieurs concurrents. Empressons-nous d'ajouter
toutefois que cela ne constitue pas toujours non plus un remède efficace contre le
risque de clichage des tournures Comment en rendre raison? Il semble que les
habitudes linguistiques, l'usage courant de certaines formules activent leur
clichage par rapport à d'autres. AinSI, alors que des expressions comme «
Léger
comme une plume », «Clair comme de l'eau de roche », ... passent nettement
pour être des clicllés, leurs variantes sont peu courantes et sont par conséquent
peu exposées au lîsque de lexicalisation. Ce sont par. exemple «Léger comme
un oiseau », «Clair comme le jour»
Mais l'impossibilité à définir des critères
objectifs autres que ceux faisant appel à l'usage courant, fait peser d'énormes
risques d'erreurs sur toute tentative de classification et rend par conséquent
l'exercice très délicat. Rien d'absolu ne nous paraissant proposable en la matière,
nous ne nous y hasarderons pas
Mais le fait que nombre de ces expressions
connaissent des variantes laisse libre cours à l'imagination de l'écrivain pour la
formation de nouvelles Images A Kourouma en tout cas explore cette pOSSibilité
avec réalisme souvent, presque toujours avec une audace iconoclaste
Pour
illieux apprécier ce qUi apparaît comme une contribution de l'écrivain à un effort
denrlchlssement leXical, nous proposons dans le tableau qui suit, les exemples
les plus représentatifs de sa «
création»
Pour faCiliter la lecture du tableau, Il
est utIle de faire certaines préciSions Nous avons disposé à gauche, les formules
usuelles cIe nature intenSive. A droite. viennent les variantes quon peut leur

227
rapprocher ainsi que d'autres tournures qUI sont toutes du fait de l'auteur
Précisons quen fait de tournures, Il s'agit plutôt de leurs termes principaux, cecI
pour éviter de longues répétitions Terminons par la signification des symboles
utilisés. Le signe < représente le morphème de comparaison. S'il est un substitut
de comme, à savoir aussi que, nous marquons en bas, à droite du couple
constitué C-
Enfin, lorsque la comparaison sappllque à une personne, nous
notons H+ en bas, à gauche du terme comparé

228
Formes usuelles
Nouvelles formules
LES OEUVRES
Monnè
pages
Les Soleils
pages
Croire < Liu fer
Croire < nUlt/ jour
31
C-
Sec< coup de
Sec < granit
27
trique
H+
Stérile < harmat-
30/37
tan - cendre/ roc
poussière
H+
Nu < ver
Nu < fil de
5411 71
coton / baobab
H+
Vrai < paume de la
56/58
grenouille/noix de
cola blanche
Clair < eau de
Clair < paume de
175
roche
la grenouille
Silencieux <
143
Silencieux <
62
zombies H +
pierres H +
Léger < plume
Léger < toile
69
d'araignée C -
Lourd < plomb
Lourd <
121
montagne
Mentir < arracheur
Mentir < aveugle
134
de dent
/édentée
Filer <
Filer < zèbre
162/
orage/Vent
178
-
Noir < corbeau
Noir < Sourd-
134
muet
DIOlt < i
Droit < ronier
272

229
De ces formules.
on retiendra en priorité le caractère hyperbolique du
rapprochement qui sous-tend la quasi totalité des constructions. Mais le haut
degré peut également s'exprimer au moyen des procédés décommensuratifs de
nature variable.
Section 2-11-3-2
Les énoncés de décommensuration
Avec cette forme d'expression, nous abordons l'un des procédés les plus
usuels de caractérisation en français, procédé largement mis à contribution par
Kourouma.
Le
fait
est
que,
comme
tous
les
procédés
hyperboliques
précédemment décrits, la décommensuration ne craint guère l'excès. Or, l'écriture
kouroumienne, du fait qu'elle emprunte au style de la littérature orale, affecte le
grossissement, l'exagération
Quel est alors le mode de fonctionnement du
procédé décornmensuratif c~lez le romancier? Il est possible de louer le degré de
possession d'une qualité ctlez un individu, d'exalter l'éclat d'un événement
quelconque en rapportant l'individu ou l'événement à ceux de leur espèce
(groupe. classe ou famille) En réalité, la manifestation de cette caractérisation est
d'une quotidienneté telle, dans le discours, qu'on y prête à peine attention. C'est
! exemple de cella personne qUi, après une pièce de théâtre à laquelle il a pris un
réel plaisir, déclare. heureuse «
C'est le plus beau spectacle de toute l'histoire
du théâtre »
La démesure de l'expression vient de ce qu'il est peu probable que
la personne qui s'exclame de la sorte ait IJne expérience illimitée des spectacles
dramarurgiques à travers les siècles, ce qui serait une mémoire encyclopédique.
En fait. cela est tout Simplement impossible et ce qUI éclate là d'abord n'est rien
mOins que le sentiment diffus d'un Immense plaisir qu'elle veut communiquer et
faire partager aux autres. Par conséquent, ce qui compte avant tout. c'est la valeur
expressive de la tmmule.
MaIS ce qu'il faut noter par-delà cette Inflation verbale,
ce sont les conditions qUI président au mécanisme sémantique du procédé
décornmensuratlf. En effet. l'opération de prélèvement linguistique perceptible

230
dans la décommensuration suppose au préalable, la constitution ou l'existence
dun ensemble d'éléments semblables. Toutefois, en dépit de leur ressemblance,
ces éléments sont nécessairement de qualité variable. C'est cette différence qui
permet qu'on puisse considérer et valoriser un élément parmi ceux de l'ensemble
référentiel comme possédant à un degré éminent, un attribut quelconque commun
a touS
Le procédé oppose par conséquent un être à tous ceux du même groupe
ou de la même nature à travers un Jugement qui peut être valorisant ( positif) ou
dévalorisant (négatif). C'est ainsi que cette forme de comparaison fait
logiquement partie de la caractérisation intensive.
D'un point de vue formel, on
peut distinguer deux procédés décommensuratifs. D'un côté, les procédés
synHlétlques ( mieux, meilleur, pire ) de l'autre, les procédés analytiques.
PréCisons tout de suite que, n'ayant pas rencontré d'exemples représentatifs des
premiers, nous nous limiterons à l'étude des seconds.
11-3-2-1
Décornrnensuration intensive
par les procédés analytiques
Rappelons la remarque formelle que nous avons déjà formulée Elle
concerne la présence d'un actualisateur défini ou non dans la structure
décommensurative. Cela est une exigence syntaxique du mécanisme sémantique
du procédé lUI-même tel que précédemment décrit. En effet, pour que la mise en
relief de la notion ou de l'être soit pariaite, celui-ci doit nécessairement faire l'objet
d'une spécification ou d'une individualisation. C'est ainsi qu'il acquiert une
notoriété par le pouvoir cJe détermination de l'article ou de ses substituts (pronoms
démonstratifs et personnels) et sort de l'anonymat. Les extraits qui vont suivre en
témOignent.

231
11-3-2-1-1
Le plus adj. + compléments
11-3-2-1-1-1
Complément spatial
L'importance quantitative, en étendue ou volume du complément
spatial, c'est-à-dire l'ensemble référentiel par rapport auquel s'effectue le
prélèvement, Joue un rôle considérable dans l'expressivité de la tournure.
Plus
cet ensemble est étendu en effet, plus l'attribut dominant et l'être caractérisé sont
célébrés avec énergie:
Ex
1
(Salimata)
s'était
rappelé
la
premlere
fois
au'elle
avait
vu
fama
dans
le
cercle
de
danse:
le
pl us
haut
garçon
du
Horodougou,
le plus
noir
( . . . ).
Les Soleils:
47.
Les compléments de lieu sont comme organisés en cercles concentriques, les uns
Incluant les autres.
L'exemple patent en est le Horodougou, territoire du grand
Mandingue, lUI-même partie Intégrante de la «Négritie»4 Ce sont des panégy-
décommensurations:
Ex 2
(Le griot Diabaté)
était sans nouvelles de
ses
trois
femmes
(les
plus
belles
griotes
du
Mandingue).
Monnè
:
43.
Ex
3: (.)
LI n
ta ta
en
hau teur et
en
profondeur,
infini..
La
plus
titanesque
construction
de
la
Négritie!
Monnè:
33.
Ex 4 ( ... ) l ' Almamy,
dans son Bor ibana, conunandai t
a
l'Armée
la
plus
puissante
et
la
plus
glorieuse
de
la
Négritie.
Monnè
: 189.
Grâce à la concentricité des espaces, tout évolue vers un développement de plus

232
en plus Impressionnant qui accentue ainsi l'éclat et le rayonnement de
l'événement, de la notion ou de l'être caractérisé
Ex
5
( . )
Fadoua
arrêtai t
le
suppl ice,
le
(l'hôte hautain)
détachait,
lui commandait de se
courber,
de
s'agenouiller,
se
prosterner,
se
couvrir
de
poussière
pour
respecter
et
saluer
l ' homme le
plus
ancien,
le
plus
sage
et
le
pl us
généreux
du
monde.
Monnè:
162.
Ex
6
Les
quatre
alliés
allèrent
consulter le
plus
grand
devin
de
l'univers
qui
leur
dévoila les secrets du maître de Berlin. Monnè :
216.
Certaines de ces formules sont devenues complètement figées:
Ex
7: Fama,
le
plus
tranquillement
du
monde,
comme
s ' i l
entrait
dans
son
jardin,
tira
la
porte et se retrouva sur le pont
Les Soleils :
199.
Ex
8
Kélétigui
et
Touboug
eurent
le
plus
grand
mal
du
monde
dans
de
longs
discours à
expliquer
ce
qu'étaient
le
vote
et
la
citoyenneté française.
Monnè :241.
Outre l'ensemble référentiel désignant un espace, d'autres compléments
participent aussI à ce procédé de sens hyperbolique. Ce sont notamment les
compléments temporels, ceux qui désignent des personnes

233
11-3-2-1-1-2
Autres compléments
11-3-2-1-1-2-1
Complément de personne
Ex
1
Traoré,
a
la
langue
mielleuse,
avait
promis
la
poudre
gu i
rend
féconde
la
plus
aride des
femmes.
Les
Soleils
:49.
Ex 2· Journaud fut
le sixième commandant civil
de
Soba
et,
de
tous nos
chefs blancs,
le
plus pansu.
Monnè
:
116.
Ex 3 ( . )
Au pied de l'arbre le centenaire,
le
plus
prestigieux
des
hommes
entouré
des
vieillards ( .. ).
Monnè:
165.
On le VOIt, l'appréciation hyperbolique est le fondement même du mécanisme
sémantique du procédé.
Il n'est point étonnant par conséquent qU'II soit
l'expression favorite des griots, ces louangeurs hors pair et autres thuriféraires
dont le caractère lénifiant du discours constitue l'essence de leur eXistence. Les
exemples ne manquent pas. Dans le premier passage, un architecte intéressé
tente une opération de séduction auprès du roi Djigui pour le convaincre de se
faire bâtir un palais à la dimension du prestige de l'homme d'état qu'il est:
Ex
4
«Roi
0 j igu i,
vous
êtes
le pl us
grand
chef
de
la
Négritie.
Vous
devez
habiter
un
palais de votre rang,
je saurai vous le bâtir».
f\\1onnè
:
81.
/~u cours cie son sOITllllel1 de prisonnier, Fama qUI se laissait aller au fatalisme est
reveillé par des flatteries de griot le célébrant:

234
Ex 5 : «Vrai Doumbouya!
Authentique!
Le prince
de
tout
le
I-lorodougou,
le
seul,
le
grand,
le
plus grand
de
tous »
Les
Soleils:
178.
Sur la position dans l'énoncé de la structure décommensurative, quelques
r·emarques utiles sont à faire. La structure le plus + adj., lorsqu'elle s'applique à
un substantif peut avoir une place variable. Soit elle le précède, ce qUI est courant,
soit elle vient à sa suite. C'est le cas des énoncés 4 et 5 des pages 231 et 232.
En outre, le plus + adj. peut être en position initiale Les exemples 1 et 3 de la
page 231 l'illustrent bien.
Mais on le trouve aussi en apposition comme dans les
extraits 7 et 3 respectivement aux pages 232 et 233. Il n'est pas rare non plus qu'il
occupe la position terminale dans l'énoncé C'est ce qui se passe lorsqu'on a
affaire à l'énumération d'une série d'attributs caractérisant le même Individu. Les
énoncés 1 et 5 des pages 232
et 233 l'attestent. Toutefois, il existe aussi des
tournures à place fixe.
L'énoncé de la page 232 avec «
le plus grand mal du
monde»
en est une illustration
Il convient de souligner que cette formule
décommensurative est touJours postérieure à l'auxiliaire avoir. Il en est du reste
presquexclusivement le complément
La panégy-décornmensuratlon peut
également s'exprimer au moyen de la litote. Tel est le cas lorsque la proposition
est de forme négative et qu'en outre, l'adverbe plu s est remplacé par son
antonyme auprès d'un adjectif. En voici un exemple. Enfant, Moussokoro est
pressentie non seulement comme la future femme du roi Djigui intronisé de fraîche
date. mais encore, elle sera la préférée du souverain C'est une situation qui
présente des avantages énormes pour son petit ami. Et pour cause:
Ex 6
: Son mari de groupe d'âge n'était pas le
moins heureux.
La tradition veut que le mari de
groupe d'âge de la femme
reste l'ami du ménage.
!'Ionnè
:
138.

235
Ce que l'expression laisse entendre avec force sans paraître le faire, c'est l'idée
dun insigne honneur autant que d'un bonheur suprême du mari de groupe d'âge
de la future préférée du roi
Grâce à cette union en effet, l'ami d'enfance de
Moussokoro sera auréolé d'un grand prestige et fera dorénavant partie de la
classe (les priVilégiés parmi les sUjets
11-3-2-1-1-2-2
Compléments avec possible /du siècle
Une autre manière de marquer la spécificité d'un objet au moyen de la
caractérisation consiste à envisager les limites dans lequelles le fait en question
peut se produire.
La décommensuration ajoutera le terme pas s i b 1e au
complément pour indiquer que le fait a atteint l'étendue enti~re de ses possibilités
de réalisation. Bien souvent, Il s'agit d'une étendue temporelle comme dans les
extraits suivants.
Les femmes de Fama se disputent à longueur de Journée dans
l'indifférence totale du prince
L'attitude qu'il s'est imposée en dit long sur son
attentisme:
Ex
l
Tl
ne
fallait
pas s'en préoccuper,
malS
s'éloigner
de
la
maison
le
plus
longtemps
possibl e
clans
la
journée,
n' écou t.er
pers onne,
ignorer les querelles ( .. ). Les Soleils
:160.
Ex 2 : Aussi paradoxal que cela puisse paraître,
Fama partait dans le Horodougou pour y mourir le
plus
tôt
possible. Les
Soleils
193.
Il arrive que le terme possible Indiquant l'étendue entière des pOSSibilités
concevables dans le déroulement du fait évoqué .soit employé de façon elliptique
On le devllle alors à la sUite du substantif qU'II complète plus qu'on ne le VOIt:
Ex]
Se constituait dans
la capitale,
par des

236
Noirs( . . . )
un
nouvau
parti( . . . ).Seraitdésigné
président
fédéral
de
ce
parti
le
chef
gui
y
ferait
adhérer le plus de nègres.
Monnè
:
264.
Toutefois, qu'il soit employé de manière elliptique comme dans l'extrait ci-dessus
où il est complément du substantif nègres, ou bien qu'il apparaisse effectivement
dans l'énoncé,
le sens de possible est voisin de «
qU'II se peut » e t cela
explique sans doute son invariabilité. En effet, quelle que soit la forme ( pluriel ou
singulier) du substantif antécédent, possible ne prend jamais la marque du
pluriel.
Avnnt d'aborder d'autres moyens décommensuratifs, notons la valeur du
,
syntagme nominal de notre siècle dont l'explication rejoint celle des tournures
qui ont pour complément «
du monde »
:
Ex
4
: Assurément,
Djéliba
était
un
griot
talentueux,
le
plus
grand
poète-louangeur de
notre
siècle.
Monnè
:
42.
Nous retrouvons cJans cel extrait, le même effet d'élévation apologétique de la
panégy-décommensuration. Les passages qui vont suivre en donnent d'autres
Illustrations.
11-3-2-2
Autres procédés analytiques
11-3-2-2-1
Des plus
1 Jeune des jeunes
La structure des plus + adj. est une tournure des plus usuelles parmi les
procédés de car-actérisation Intensive. Son mécanisme sémantique est presque
totalell1er1l Identique à celui cIe l'ensemble des procédés décommensuratifs
étudiés jusque-là
Ell
tlléorie, Il suppose l'eXistence d'un ensemble référentiel à
partir duquel
se fait la sélection. La légère nuance réside en ceci que cet
ensemble ne regroupe a priori que des individus de stature exceptionnelle, ceux

237
reconnus d'avance comme possédant au mieux la qualité envisagée Rapporter
ainSI un Individu à ce groupe d'élite dans la même qualité reVient pratiquement à
dire de lui qu'il possède ladite qualité au plus haut degré.
En fait,
le
rapprochement n'est rien moins qu'une forme de prélèvement à partir du groupe
d'élite
Ex
l
:
La case
patriarcale,
la case
royale
du
Horodougou
étai t
une des
pl us
anciennes
( ... )
Les Soleils:
131.
Le châtiment impitoyable réservé à la péchbi dse Impie donne la pleine mesure de
la gravité de la faute (l'impudicité) dont 1\\I10ussokoro s'est rendue coupable:
Ex
2.«
Le
plre des
transgressions
d' interdi t,
des
coutumes:
un des
plus
grands
péchés.
Sauf
le pardon d'Allah,
l'absolution des mânes,
toute
la vie
tu demeureras une réprouvée »
Monné :
147.
(
Soulignons la souplesse formelle de la tournure pour conclure partiellement
sur ce point Elle peut en effet se rencontrer avec une autre syntaxe sans que le
sens de l'énoncé n'en subisse la moindre modification. Tel est le cas lorsqu'au
lieu dêtre au pluriel comme dans les passages qui précèdent, le substantif
caractérisé est au
singulier après
l'article
indéfini.
Celui-ci
le
précède
Illlmedlatement sous cette syntaxe-là et des plus + adj. est alors presque
toujours rejeté en position finale. Ainsi, au lieu de la description:
\\a)- un (e) des plus + adj.+ substantif, on a plutôt,
(b)- un (e)+ substantif + des plus + adj
Prenons les résultantes des énoncés Cités antérieurement, faute de mieux
Ex
J' ·La
case
patriarcale,
la
case
royale
du
Horodollgou
é t a i t
une
case
des
plus

239
Ex
2
Par la poudre,
le feu
et le fer,
Samory
s'était
taillé
le
plus
grand
emplre
que
le
Handingue
a i t
rassemblé
depuis
Soundiata.
Monnè
:
24.
Notons que
d'un
point
de
vue
formel,
la relative
détermlllatlve,
outil
d'intensification Joue le même rôle qu'un groupe prépositionnel complément. C'est
le cas des compléments spatiaux. Comparez avec les résultantes des extraits qui
précèdent:
Ex
l ' :
C'est
au
XIIè
siècle
que
Tiewouré,
le
plus
grand
devin
du
Mandingue
à
un
aïeul
de
Djigui annonça . . .
Ex 2'
Par la poudre,
le feu et le fer,
Samory
s'était taillé le plus grand empire du Mandingue
depuis Soundiata.
S'il eXiste une différence, elle est d'abord syntaxique, les énoncés originels
étant plus développés (ce qui est tout à fait normal) que leurs résultantes. Il
convient de souligner également que le mode de la relative dans cette
construction est presqu'autant une exigence sémantique que syntaxique. En eHet,
la présence de la structure décommensurative appelle nécessairement le
subjonctif.
Cela explique qu'on soit tenté de donner un avantage en plus-value
d'expressivité à cette tournure par rapport à ses résultantes. En voici un autre
exemple'
Ex
3:«
Hon
nom
totémique
est
Diabaté;
Je
me
nomme Kindia Mory Diabaté,
le plus
grand griot
que
le
Mandingue
a i t
enfanté
depuis
Soundiata ( ... ) ». Monnè: 30.
Certes. la relative à l'indicatif se rencontre après une structure décommensurative

239
Ex 2
Par la poudre,
le feu et le fer,
Samory
s'étai t
taillé
le
plus
grand
empire
que
le
Mandingue
ait
rassemblé
depuis
Soundiata.
Nonnè
:
24.
Notons
que d'un pOint de vue formel, la relative déterminative, outil
d'intensification Joue le même rôle qu'un groupe prépositionnel complément. C'est
le cas des compléments spatiaux. Comparez avec les résultantes des extraits qui
précèdent:
Ex
l ' :
C'est
au
Xllè
siècle que Tiewouré,
le
plus
grand
devin
du
Mandingue
à
un
aïeul
de
Djigui annonça ...
Ex 2'
Par la poudre,
le reu et le fer,
Samory
s'était taillé le plus grand empire du Mandingue
depuis Soundiata.
S'il eXIste une clifférence, elle est d'abord syntaxIque, les énoncés originels
étant plus développés (ce qUI est tout à fait normal) que leurs résultantes. Il
convient cie souligner également que le mode de la relative dans cette
construction est presqu'autant une exigence sémantique que syntaxique. En effet,
la présence de la structure décommensurative appelle nécessairement le
subjonctif.
Cela explique qu'on soit tenté de donner un avantage en plus-value
d'expressivité à cette tournure par rapport à ses résultantes. En voici un autre
exemple
Ex
J
«
['Ion
(lOm
t.otémique
est
Diabaté;
Je
me
nomme Kindia Mory Diabaté,
le plus grand griot
que
le
Mandingue
ait
enfanté
depuis
Soundia ta ( . . ) »
l'tonné:
30.
Certes, la relative à l'indicatif se rencontre après une structure décommensurative

240
comme c'est le cas dans l'extrait qUI suit. Mais il n'existe aucun risque de
confusion des deux fmmes d'énonciation:
Ex 4 : Le grand sacrifice était une institution
de la dynastie,
la suprême des adorations qu'un
chef pouvait exposer. Monnè : 91.
HormiS sa nature déterminative, cette relative n'a rien de commun avec la
précédente. En effet, alors que la relative au subjonctif est le prolongement
logique de la structure décommensurative, celle à l'indicatif se limite
presqu'exclusivement à la fonction de détermination. Mais le véritable enjeu
ce sont
les valeurs respectives des modes en présence Dans un cas, le
subjonctif indique que l'excellence évoquée, si elle est momentanément
inégalable,
reste
néanmoins
susceptible
d'égalisation,
voire
de
dépassement. Par conséquent, nous avons affaire à
un jugement dont la
validité est limitée clans le temps. A l'opposé, l'indicatif ( ICI du mOins )
possède une valeur intemporelle qui donne l'idée exprimée comme vraie à
Jamais. Et, de fait, tel semble être le cas puisque le grand sacrifice est
notoirement reconnu depuis toujours par ceux de Soba comme le plus
prestigieux des rites sacrificiels auquel le souverain n'a recours que de façon
tout aussI exceptionnelle
Avant de conclure, voyons une catégOrie assez
spéciale de moyens intensifs que sont les nombres et les chiffres.
11-3- 2-3- Nom bres-coeffi c ients
Des nombres Indiquant ordinairement l'idée de quantité peuvent, selon le
contexte. servir à marquer symboliquement l'intensité. A Dauzat justifiant l'usage
de certains cie ces nombres dans cette fonction note:
L'emploi
de
dix
et
de
ses
mul tiples
est
en

c...-,. 1
rapport avec notre numération décimale.Quant aux
chiffrés
élevés
(cent et
au-dessus),
ils
sont
moins
fréquents
que
dans
les
langues
romanes
méridionales:
le
français
répugne
a
l'exagération. 5
Si l'opinion selon laquelle «
le français répugne à l'exagération»
peut
être discutable, elle corrobore néanmoins le fait que «
les chiffres élevés »
peuvent convenir à l'expression hyperbolique. Cela se remarque bien chez un
auteur tel que Kourouma pour qui la description est un art qUI ne saurait se
concevoir sans quelques envolées emphatiques et une forte dose d'amplification.
Tout prend alors des proportions démesurées et on comprend que des numéraux
tels que cent et davantage encore mille, passent pour être de véritables
coefficients d'intensité:
Ex 1 : Depuis midi les nuages charriés par le vent
et
brulés
par
le
soleil
se
distendaient
et
mangeaient
le ciel.
Maintenant
les
éclairs
le
battaient,
le hachaient,
le parcouraient pour le
casser
en
mille
parts
d'où
jaillissait
le
tonnerre.
Les Soleils:
76.
Ex 2
La chaleur diffuse était là,
partout;
et
dans
les
aisselles,
les
alnes
et
le
cou
sourdaient
mille
picotements.
Les
Soleils
:
172.
Ex 3: Diamourou avait résisté aux
famines,
aux
guerres,
au régime
(louange au tout-puissan~ 1)
grâce à Matali
! Qu'Allah lui en soit cent fois
reconnaissant!
Les Soleils
:115.
Ces chiffres-coefficients mettent fin au chapitre consacré aux énoncés comparatifs
dans leur rapport avec l'expression du haut degré. On retiendra surtout la

confirmation d'un certain a-priorlsme interne au système linguistique lUI-même
grâce notamment â la description sémantique de comme L'expressivité intensive
de
nombre d'énoncés comparatifs s'explique non seulement par leur caractère
Insolite. mais encore, par la déviance qu'ils opèrent par rapport à la logique
admise
Cela nous permet de tirer une conclusion générale

Conclusion
La variété des procédés comparatifs à valeur IIltenslve confirme la
complexité de la caractérisation et, plus généralement, celle de l'expression du
haut degré
Sémantiquement, l'expressivité de ces images réalisées par les
énoncés comparatifs tient pour une grande part aux présupposés linguistiques et
culturels et à leur mécanisme de fonctionnement. D'un point de vue linguistique.
on note que la linéarité du discours est à la fois discriminante et hiérarchisante
car elle conditionne l'appréciation en posant a priori le terme Introduit par le
morphème de comparaison comme la référence normative. L'apport culturel
réalise et confirme cette logique linguistique sous-Jacente en lUI donnant une
forme à partir de l'expérience vécue. Et, comme pour les autres procédés passés
en revue précédemment, l'hyperbole y Joue un rôle capital bien que ce SOit à des
degrés divers. Ainsi les associations d'images qui sont du fait de l'auteur
possèdent-elles, par l'effet d'inattendu qu'elles créent du fait de leur caractèrEi?
souvent insolite, un avantage certain en expressivité sur nombre de structures
classiques. Véritables créations analogiques. ces Images sont tantôt réalistes.
tantôt illogiques avec pour fonction principale le haut degré par l'hyperbole. AinsI
se justifient les constructions telles (être) impoli comme la barbiche d'un
bouc, (être) analphabète comme la queue d'un âne, (être) noir comme
un
sourd-muet, croire (quelque chose) aussi sûr que la nuit succède
au jour.
Quant aux morphèmes, il est utile de noter que la substituabilité entre
comme et aussi que n'est pas parfaite, le premier pouvant tenir la place du
second dans presque tous les cas de figure, alors que l'inverse n'est pas toujours
vrai. Dans ces conditions, on peut affirmer que comme est 1introducteur de
comparaison intensive par excellence.
Enfin,
au
niveau de la structure
décommensurative le plus adj. + compléments, il faut
noter l'importance du
sens de l'adjectif dans la nature de la décommensuration C'est lUI en effet qUI
détermine
la
distinction
entre
l'hypo-décommensuration
et
la
panégy-

~44
décommensuration. Les chapitres suivants qui portent sur les énoncés exclamatifs
et métaphoriques développent d'autres modalités intensives avec leurs
spécificités. Il s'agit notamment de l'exclamation et de l'esthétique de '·anomalle
syntaxique dont traite la troisième partie de notre travail.

1 - M. Le Guern. Sémantique de la métaphore et de la métonymie.
Larousse. 1973, p 52.
2 - C'est à dessein que nous prenons des exemples avec comme qui est pour
nous, le morphème de comparaison par excellence.
3 - Le terme image est pris au sens large où toute structure de comparaison telle
que nous l'avons définie a une valeur intensive.
4 - Néologisme indiquant chez l'auteur, l'univers réel et/ou fictif supposé habité
par les Noirs dans l'imaginaire collectif.
5 - A Dauzat.
«L'expression de l'intensité par la comparaison »
ln
Le
français moderne, juillet-octobre 1945, n° 3 - 4, P 183-84

"
,
CH. 1 - L ·EXCLAMA l'ION INTENSIVE
CH. II - L'ESTHETIQUE DE L'ANOMALIE
SYNTAXIQUE DANS LE HAUT
DEGRE

~4(
CH 1
L'EXCLAMATION
INTENSIVE
Introduction
La modulation vocale est un phénomène naturel censé être constamment
éprouvé par tout sUjet énonciateur. A une assertIon de constatation simple
exprimant une vérité universelle, comme de dire par exemple «La terre tourne».
à un énoncé interrogatif ... , correspondent dans la voix, des inflexions distinctes.
Les énoncés exclamatifs n'y échappent pas. Mais à la différence des premiers. les
énoncés d'exclamation manifestent l'assomption, par son propre énonciateur. de
l'énoncé produit C'est dans l'exclamation en effet, que s'exprime au mieux
l'affectivité du sujet par rapport au contenu de son discours. AinSI. une vive
émotion sera-t-elle traduite de façon tout aussi iIltense par une iIltonatlon
spéciale, car ce qui touche au plus profond notre âme ou notre cœur. suscite
toujours en nous diverses réactions qui explosent littéralement dans nos propos.
C'est ainsi que l'intonation, parce qu'elle accompagne toujours cette luxuriance
sentimentale, fait partie des procédés d'intenSification les plus courants, quoique
souvent de caractère fort discret Pour cette raison, l'exclamation rappelle quelque
peu les modalités Intensives implicites que nous avons analysées auparavant.
D'un pOint de vue scriptural, les signes conventionnels existent qui permettent de
transcme approximativement cette inflexion vocale et de l'identifier dans un texte
écrit Ce sont notamment les éléments de la ponctuation. Parmi ces éléments, il
faut compter en premier lieu le point d'exclamation. Mais le sujet écrivant dispose
également des pOints de suspension pour signaler à l'attention de ses lecteurs.
lesquels des moments de son discours sont porteurs d'une certaine charge
émotive. Une autre remarque d'ordre général propre à l'exclamation concerne le
contexte et l'atmosphère affective générale de l'énonciation. En effet, il faut
convenir que la distinction entre une exclamation Simple et celle à nuance
intensive n'est pas toujours aisée à établir. Cela est davantage vrai pour ce que

248
nous appelons exclamation pure, caractérisée par la presence de termes
Interjectifs classiques (Ah! , Oh! ). Dans ces conditions. le recours au contexte
situationnel s'impose pour départager ces cas-limites. ainSI que les énoncés
exclamatifs à termes motivés. En effet, termes II1teqectifs et termes motivés dans le
procès exclamatif, témoignent d'une forte réaction émotive qui se veut tout cl fait
symptomatique de l'intensité de la cause qUI suscite cette réaction.
Il s'agit par
conséquent d'une forme toute particulière d'intensification dont nous traitons dans
ce chapitre.

Section 1-111 - 1-1
L'exclamation notoire
111-1-1-1 Exclamation pure
L'insistance sur l'ascendance noble de Fama est un procédé à diverses
finalités lorsqu'on envisage le discours dans la perspective de l'instance narrative.
Elle s'en sert en effet, soit pour souligner l'obstination presquobsessionnelle ou
l'impertinente témérité du prince devant une cause perdue d'avance. salt pour
mettre en relief sa patllétique déchéance. L'extrait ci-dessous est une illustration
du dernier cas de figure:
Ex 1: Fama Doumbouya!
( ... ) dernier et légitime
descendant des princes Doumbouya du Horodougou.
( . . . )
Un
prince
Doumbouya!
Totem
panthère
faisait
bande
avec
les
hyènes!
Ah!
les
soleils
des
Indépendances! Les
Soleils
9.
L'énoncé mis en relief n'eût pas été suffisant tout seul, à marquer ce soupir
désabusé et cette impuissance résignée, En effet, le contexte de l'énoncé et le
climat affectif général contribuent pour une large part à 1accrOissement de
l'intensité de la charge émotive. l\\Jous pensons surtout à l'effondrement des
valeurs d'une époque décadente, celle où la qualité de la naissance était une
solide garantie pour une vie épargnée des soucis existentiels, notamment les
soucis d'ordre matériel. Le souvenir lointain de cette époque heureuse, celle sans
doute de son enfance comparée à la combien triste réalité de sa vie actuelle qui
porte tous les stigmates d'une décrépitude sociale irrémédiable, permet de situer
toute la portée d'une douleur morale absolue que traduit l'exclamation CI-dessus.
Par conséquent, elle n'exprime pas seulement un sentiment quelconque, neutre,
mais el1 indique en même temps l'intensité et marque que ce sentiment est porté
à son plus haut degré de manifestation. Selon le même fonctionnement. le
passage à venir est semblable au précédent. C'est encore Fama, nostalgique,

voire passéiste qui s'écrie:
Ex 2: Ville sale et gluante!
pourrle de pluie!
Ah!
nostalgie
de
la
terre
de
Fama!
son
ciel
profond et lointain,
son sol aride et toujours
sec.
Oh!
Horodougou!
tu
manquais
à
cette
ville( .. )
Les Soleils
19.
Expression de dégoût blasé et réprobation Indignée se mêlent subrepticement
pour déboucher en définitive sur un sentiment où une forte nostalgie le dispute à
une grande admiration, à travers la personnification d'un lointalll Horodougou
dont le souvenir heureux est pourtant si présent dans l'esprit de Fama. Mais
l'exclamation peut également être de nature positive. Elle marque alors une Jale,
un plaisir intense. Tel est le cas des extraits suivants
Dans le premier,
l'imminence de la cérémonie d'excIsion rend la mère de Salimata heureuse et sa
Joie est compréhensible. En effet, dans la mesure OIJ elle consacre la rupture avec
l'enfance et l'entrée dans le monde des adultes pour la jeune fille nubIle qUI a
subi avec succès l'épreuve de l'excision, celle-ci revêt une importance sociale et
culturelle de premier ordre. Par-dessus tout, l'issue de l'opération engage aussi le
prestige et l'honneur des familles Intéressées. Cela explique la jale anticipée de la
mére de Salimata:
Ex 3 : Quand poussèrent et durcirent les seins de
Salimata,
sa
maman
éclata
de
joie«
Ah!
te
voilà
jeune
fille!
Ce
sera
pour
bientôt».
Les Soleils:
33.
La présomption de réussite totale qui pèse sur chaque candidate et par-
delà elle, sur tous les siens d'une part, les retombées morales (1 honneur, la
dignité et la joie de la réussite) qu'on en attend d'autre part, Justifient cette
explosion de joie longtemps contenue et cependant anticipée de la mère de

252
ceux de Togobala, le griot Diamourou, grâce à un physique avantageux qui trahit
une existence épargnée des SOUCIS matériels, est un cas unique de vie douillet~e
Cette bonne santé qUI témoigne d'une certaine aisance. le griot la doit à sa
situation privilégiée de beau-père du commandant Tomassini, époux de sa l'Ille
Matali. Reconnaissant, Diamourou en rend grâce à sa fille et Intercède en sa
faveur auprès de Dieu:
Ex
3:
Matali
!
Ah
!
ma
chère
fille
Matali!
qu'Allah t'accorde grandeur et prospérité sans
limite!
Les Soleils:
111.
Cette gratitude, il va de soi, ne saurait être calculée. mitigée ou feinte. Au
contraire, elle est non seulement spontanée et sincère, mais encore et surtout, elle
est totale et sans restriction. Et c'est ainsi, dans la mesure où la Joie qui motive
l'exclamation ne peut être perçue qu'à son niveau paroxystique. que l'exclamation
elle-même grâce à laquelle ce sentiment s'exprime, acquiert une valeur
hautement intensive. Outre ces exemples d'exclamation pure. les énoncés
exclamatifs à termes motivés participent également pleinement à l'expression de
l'idée intensive.
111-1-1-2-Exclamation à termes motivés
L'expressivité de ces énoncés est étroitement dépendante du contenu
notionnel des termes motivés. En effet, leur sémantisme à l'emploi ne peut jamais
être envisagé que dans la plénitude de leur réalité, même dans l'hypothèse d'une
ironie caustique. Pour l'essentiel, ce sont des termes qUI servent à exprimer une
profonde gratitude pour un heureux événement. Après le douloureux Insuccès de
son excision, la jeune Salimata a été mariée selon les coutumes, c'est-à-dire
presque de force à un homme qu'elle n'aimait pas
Mais peu après, le mari
disparaît au grand soulagement de la femme. C'est ce sentiment de libération que

nous communique ci-après le narrateur:
Ex
1: Louange
à
Allah!
seigneur
des
mondes,
bienfaiteur
miséricordieux!
La
hernie
étranglée
terrassa
son
homme
qUl
souplra
et
succomba. Les Soleils : ~O-41.
L'énumération laudative des attributs dominants de Dieu qui délivre la femme du
martyre conjugal, outre le fait qu'elle suggère l'infortune qu'a dû être la vie de
Salimata du vivant de son mari, souligne par la même occasion à quel point ce
décès a été salutaire pour elle. On comprend qu'elle en rende grâce de toute son
âme au Tout-Puissant par narrateur interposé Cela signifie que le sentiment
éprouvé est ici exprimé dans sa plus absolue totalité, qu'il est au plus haut degré
de ses possibilités de manifestation. Le contexte ne permet pas en effet qu'il pût
aVOir lieu graduellement, rll même à moitié, mais en totale intégralité uniquement.
Les exemples qui suivent fonctionnent sémantiquement comme le précédent..
Après un long et pénible voyage «< (. .. ) on partait mais on n'avançait pas: il était
fatigué, plus épuisé et fini que le fond de culotte d'un garnement »
(Les Soleils :
96 ), Fama est enfin à Bindia. C'est l'occasion d'un sursis par rapport à la
souffrance et à l'ennui qui semblaient durer une éternité. La sUite du texte se
passe de commentaire:
Ex 2 :Enfin
( ... ) Bindia apparut dans un halo.
Il sursauta. La ville-étape,
la halte d'une nuit,
la
fin
de
la
courbature.
Allah en
soit loué!
Les Soleils:
96.
Un rêve funeste a tiré Fama de sommeil. Dans une atmosphère apocalyptique
générale où presque tout
a été consumé
par un incendie Impitoyable. seul un
cynocéphale épouvantable semant la terreur règne sur les miraculés Mais Fama
est doublement béni. D'abord parce qu'il fait partie des rescapés. ensuite parce

quil est le seul à bénéficier de la clémence du singe sexuellement anthropophile,
ce qUI explique son infinie reconnaissance
Ex
3
: (Le
cynocéphale)
avait
les
griffes
de
flanune,
de flamme qui vascillait,
il poursuivait
les
hommes
tous
nus
et
musclés
malS
fous
d'épouvante qu i
se débandaient (
. . . ) Louange a
Allah!
le
singe
répugnant
épargna
Fama ( )
Les Soleils:
170.
A côté de ces énoncés exclamatifs de type religieux, on trouve des exclamations
réalisées avec d'autres mots-programmes
L'expressivité de ceux-ci,
leur
mécanisme sémantique rappellent le fonctionnement des précédents dans leur
connotation Intensive. En voici quelques exemples
Ex
4
:
(Salimata)
avait
le
destin
d'une
femme
stérile
comme
l ' harmattan
et
la
celldre.
Malédiction!
Malchance!
Allah
seul
fixe
le
destin
d'un
être.
Les
Soleils:
30.
Dans le chapitre consacré à l'expression du haut degré par la caractérisation
intensive adjectivale, nous avons montré quelle nuance séparait un adjectif
postposé d'un adjectif antéposé: l'antéposition convient à l'expression affective
Cela. J. Marouzeau l'atteste lorsqu'il note que: «Dans un énoncé complexe,
on
peut
s'attendre
à
ce
que
les
éléments
affectifs
soient
antéposés
aux
éléments intellectuels ».1 Cette remarque est surtout
vraie pour l'exclamation comme le montre l'exemple qui va SUivre
La veuve
Salimata est indirectement tenue pour responsable de la mort de son marI. Et pour
cause, Selon l'entourage, c'est le génie malfaisant censé
habiter
1
qUI en est
l'auteur direct:

Ex
:
Baffi
ne
serait
pas
mort
par
la
grosse
hernie étranglée,
mais
assassiné par
le
génie
malfaisant et jaloux qui hantait Salimata; elle
en était responsable. On se la montrait du doigt
pour
se
la
conter
«Maudi te
beauté
qui
attirait
le
génie!
une
femme
sans
trou!
une
statuette!
» .
Les Soleils:
41.
C'est une colère indignèe à la limite de la haine qui explose littèralement et dont
la manifestation se perçoit au niveau de l'intonation par l'accentuation de 1adJectif
placé en initiale. Des adjectifs et des adverbes peuvent également servir à
marquer le haut degré. Ce sont entre autres, quel. combien et que.
Section 2-111-1-2
Exclamatifs d'intensité
111-1-2-1
Exclamatifs simples
Aux exclamatifs qui viennent d'être énumérés, s'opposent des constructions,
formellement SI bien élaborées qu'elles sont comparables à des locutions. AinSI le
caractère de simplicité appliqué à quel, combien et que se veut-il distinctif dun
point de vue formel.
111-1-2-1-1
Combien
L'ambivalence fonctionnelle de combien (il peut aussi bien marquer l'idée
de quantité que l'intensité) montre à n'en pOint douter, à quel pOint quantité et
intensité se superposent et sont souvent étroitement unies. Cela ne va pas sans
poser quelques difficultés. Nous pensons notamment au problème de la frontière
à tracer entre les deux notions et celui, infiniment plus délicat encore de la
prééminence entre elles. Comment résoudre ces difficultés? Des conditions
morphosyntaxiques y contribuent. En effet. lorsque combien est en fonction
nominale (son sens est alors proche de beaucoup de + substantif)
Il sert à

t:..JI
constatation, soudain la voix subit une inflexion ascendante dont le sommet
culmine sur cam me nt. Celui-ci est ainsi prononcé avec énergIe. même
littéralement martelé sous la poussée d'un sentiment qUI reste à préciser afin
qUlntervienne à sa suite, l'explicitation de l'idée de la proposition. Ce qUI explique
l'importance du deuxième groupe des exclamations. En effet. \\a structure «
mais
comment! », bien que càmplétant partiellement l'idée de son antécédent. a
besoin elle-même d'autres éléments pour que sa signification SOit intelligible.
C'est que son sens est parfaitement imprécis, bien qU'li soit éminemment
suggestif. «
Mais comment' », formule de renchérissement Insinue en effet
l'Idée contraire à celle exprimée par la proposition qui la précède. de sorte qu'il
convient en général à l'expression Ironique. Ainsi, avant l'énonciation de «
et
après combien de douleurs' »
dans l'extrait précité, il est certes pOSSible de
deviner la dichotomie entre l'espoir initial et le résultat. En revanche. 1\\ est
parfaitement impossible de quantifier avec précision, la qualité et l'étendue réelle
des sacrifices consentis pour infléchir positivement le cours des evénements .
Grâce à son caractère explicite par conséquent, la deuxième séquence de
j'énoncé enrichit la signification de «
mais comment\\ »
en la clarifiant et en la
précisant. Quant à la valeur de l'ensemble de l'énoncé (Opposition intensité-
quantité) et en particulier celle de combien, l'idée de quantité semble à première
vue
primer sur
l'intensité.
Le
fait
est
que
l'intensité est
précisément
consubstantielle à la quantité. Autrement dit, l'étendue des souffrances endurées
par la mère de Salimata sert de mesure exponentielle à leur propre portée en
terme d'intensité.
La superposition des deux notions et la difficulté quen Impose
parfOIS une tentative de claSSification se retrouvent également avec l'exclamatif
que.
111-1-2-1-2
Que
Ex 1
Pauvre maman!
OUl
la maman de Salimata,

que d'innombrables
et grands malheurs
a-t-elle
traversés pour sa fille. Les Soleils
32.
Ex 2:
Qu'étaient
nauséabonds
les travailleurs
en sueur avalant Les poignées de Ll.Z, .Les oL'teils
gonflés et pourris de chique.
Les Soleils:
60.
Du pOint de vue des dominantes sémantiques respectives, les passages qui
précèdent peuvent être répartis en deux groupes D'un côté. l'énoncé 1 à valeur
non essentiellement intensive: il insiste d'abord sur la douleur morale et 'Ia
souffrance endurées par la mère de Salimata. On peut opposer à cet énoncé.
l'exemple 2 qui ajoute à l'expressivité affective une plus-value d'intensité
évidente
C'est ici que l'adverbe que,«
héritier
du
guam
latin
exc lamatif »2 retrouve sa fonction originelle. Exclamatif d'intensité, il indique
le haut degré atteint par l'être caractérisé dans une qualité quelconque, ou par
rapport à une action donnée. Mais à ce stade d'analyse, quelques interrogations
méritent d'êtr~ formulées, Elles intéressent l'explication à trouver à la valeur
intensive de que comparé à ses homographes A quoI peut-on attribuer cette
différence? La place de l'exclamatif dans l'énoncé joue-t-elle un rôle et comment?
Il
suffit d'observer attentivement les passages cités auparavantt pour faire
une première remarque. Dans l'énoncé 2 où que a un rôle intensificateur,
l'adverbe est en position initiale, Au contraire, son homographe qui introduit une
propOSition sans intensité, occupe une position plutôt "discrète", un peu comme en
Incise. Ce critère spatial est-II vraiment distintif? Des exemples foisonnent dans
l'expression courante où que n'occupe pas la position initiale Par conséquent. la
réponse à cette question ne peut être que négative. En effet, quel amateur de
belles femmes ne s'est écrié au moins une fois dans sa vie, à la vue d'une Jeune
fille au physique fort agréable
«Mon Dieu! quelle beauté! »? On pensera
également aux exclamations à gros jurons suscités par une émotion negatlve en
dysharmonie totale avec nos critères d'éthique et d'esthétique, Par ailleurs, la

place de que dans les exemples 1 et 2 n'est pas non plus absolument figée
Certes une certaine hiérarchie d'expressivité eXiste entre ces énoncés et leurs
résultantes quand l'adverbe vient à occuper la position initiale
Ex
l ' :
Que d'innombrables
et grands malheurs a
traversés la (malheureuse) maman pour sa fille.
Ex 3': Qu'Allah t'accorde granàeur et prospérité
sans limite.
En dépit de cette nuance d'expressivité affective peu discutable, les résultantes
sont parfaitement recevables. Cela signifie que lintensif que n'a pas l'exclusivité
de la position Initiale, ce qui nous ramène à la lanCinante Interrogation sur la
valeur Intensive de cet exclamatif. Puisque l'explication par la syntaxe comporte
d'évidentes lacunes et ne peut suffire à donner une réponse satisfaisante. nous
devons en chercher les Justifications complémentaires ailleurs et invoquer
d'autres arguments. Tournons-nous vers la motivation psychologique de l·énonce.
c'est-à-dire l'idée qui provoque l'exclamation elle-même Il semble en effet que
cette motivation
psychologique Joue un
rôle
moteur dans !·énonclatlon
exclamative d'intensité et que la syntaxe (ici du mOins), si elle y tient une place
non négligeable, n'est en définitive qu'une contribution d'appOint et non
particulièrement
déterminante.
Notons
cependant
quelques
remarques
syntaxiques avant de conclure partiellement sur ce point. En plus de '·adjectlf
(dans exemple 2), l'exclamatif Intensif que peut aussi s'appliquer à un adverbe,
1
à un verbe ou à une locution verbale. MaiS. étant donné que nous navons
rencontré aucun de ces emplois chez l'auteur, les exemples qui sUivent sont tous
hors-texte:
1- adverbe: Qu'il fut peu délicat dans cette affaire, Franckl
2- verbe: Dieu, qu'il renifle sans arrêt, Sébahi 1
3- locution verbale: Mon Dieu. qu'il fait chaud aUJourd'hui!

.::::ou
Par ailleurs, l'exemple 2 a montré que lorsqu'il modifie intensivement un adjectif,
j'adverbe que n'est presque3 jamais immédiatement suivi de ce dernier, Après
combien et que, voyons à présent l'adjectif quel.
111-1-2-1-3
Quel
S'il existe un domaine commun à tous les procédés d'exclamation en
général, et en particulier aux exclamatifs que nous venons de vOir avec l'adjectif
quel, c'est bien celui des états d'âme ou, si l'on prèfère, des sentiments. En eHet
selon que les agissements (en parole ou en acte) d'un individu ou les événements
sont en exacte conformité avec notre moi intérieur, ou à l'opposé, Jurent avec lui,
nous passons d'un sentiment à un autre
Mais quelle que soit la nature de notre
état d'âme, l'exclamatif quel peut lui servir de coefficient d'intensité. Les exemples
qui suivent en sont des illustrations:
Ex
1
Etre
le
chef
de
la
tribu,
avant
la
conquête
des
Toubabs,
quel
grand
honneur,
quelle grande
puissance cela représentait!
Les
Soleils:
92.
Souvent, l'intonation aidée du contexte suffit à expliciter l'aHectlvité et il n'est alors
nul besoin de faire intervenir le signe graphique (le point d'exclamatIon)
Ex
2
:
Dans
les
lointaines
olaines
du
f ::'euve
Bafing,
Balla déchargea
entre
les
cornes
d'un
buffle
les
quatre
doigts
de
poudre.
Quel
:~~
l'ébahissement du chasseur lorsqu'il vit la bète
foncer sur lui comme si le coup n'avait été que
le pet d'une grand-maman.
Les Soleils:
128.
L'énoncé suivant concerne Fama. CelUI-CI est en plein délire fantasmatique
devant la jeune veuve Mariam :

261
Ex 3 : Les cuisses et les fesses se répandaient
inf inies
et
ondulantes
sous
le
pagne.
Quel
saisissement au toucher! Les Soleils:
133.
Ex
4
:
Quelle
solennité!
quelle
dignité!
quelle
religiosité!
C'était
si
extraordinaire
pour des Malinkés que leurs génies s'indignèrent
et
un
maléfique
tourbillon
déboucha
du
cimetière( ... ). Les Soleils:
146.
Quelques remarques d'ordre morphosyntaxique sont à noter à propos de
l'adjectif exclamatif. La première concerne sa position dans l'énoncé. En effet.
quel a une place variable. il peut tour à tour occuper la position initiale (exemole
4) ou terminale (exemples 1 et 3 ) " peut également se trouver en position
enclitique comme dans les exemples 2 et 3. Mais la variabilité spatiale de que
dans l'énoncé n'influe guère sur l'exigence syntaxique qu'impose son emploi et
qui est l'inversion des structures. De cela, nous inférons quelques règles
1 - Quelle que soit sa position dans l'énoncé, l'exclamatif d'intensification quel
informe toujours une séquence inversée ou régressive
2 - En fonction attributive auprès du sUjet inversé, Il peut être soit immédiatement
suivI du terme qU'II modifie intensivement, lorsque le verbe de la proposition
introduite n'est pas la copule être (exemple 1, P 258), salt séparé du sUjet par la
copule être ( exemple 2, p 258 ).
3 - LorsqU'li s'applique comme épithète à un substantif. il IntrodUit une proposition
indépendante nominale ( exemples 3 et 4, p 261 ).
Ces emplois Jouent-ils un rôle dans l'expressivité de l'adjectif?
Autrement dit.
la place de l'adjectif dans l'énoncé a-t-il
une valeur hlérachisante? Invoquons la
dimension sémantique des énoncés pour tenter de trancher la question. A l'instar
de point et tel dans les constructions
« à ce point »
et «
à tel point ».
l'adjectif quel est sémantiquement vague et imprécis. De là vient sa double
fonction de caractérisation auprès d'un substantif et d'intensification de la qualité

262
du substantif en question Qualité et intensité se superposant ainsI. 1expressivité
de l'adjectif apparaît relativement amoindrie lorsque la qualité se trouve explicitée
«
quel grand honneur, quelle grande pUissance cela représentait' »
Au
contraire, l'absence d'adjectif qualificatif auprès du substantif. parce qu'elle laisse
!imaglnation libre de trouver l'épithète qui lUI semble le mieux convenir à
l'expression du sentiment éprouvé par le sujet, donne incontestablement plus de
vigueur au rôle intensif de quel. Tel est du moins notre Jugement par rapport à
des énoncés comme: «
( .. ) les cUisses et les fesses se répandaient infinies et
ondulantes sous le pagne. Quel bonheur au toucher' »
On le VOIt. l'exclamatif
multiplie à l'infini l'excitation libidinale de Fama, ou, pour être plus exact. il essaie
de traduire au mieux l'intensité de cette excitation qui est au summum de sa
manifestation. En effet, rien qu'en évoquant les avantages physiques de Manam,
Fama est transi de convoitise et on devine qu'il aurait bien aimé assouvir cette
flambée de désir lubrique qUI le consume littéralement. L'exlamatlf possède par
conséquent un pouvoir expressif indéniable.
Quant au second énoncé : «
Quelle solennité' quelle dlgnité l quelle
religiosité l c'était si extraordinaire pour des Malinkés que ( .. ) ». nous
n'insisterons pas davantage en glose. On voudra simplement se souvenir des
développements que nous avons déjà faits dans la deuxième partie du travail sur
!a valeur intensive des propositions consécutives. Mais exprimer l'impossibilité à
trouver un terme qui rende le plus fidèlement possible compte de ce qu'éprouve
réellement le sujet parlant, n'est pas dévolu au seul adjectif intensif quel. Nous
avons montré que tel et point, de sens imprécis pouvaient également servir à
cette fin. Outre ces termes. des locutions suspensives servent elles aussi à
marquer un très haut degré sentimental. C'est à ces locutior',s exclamatives et à
d'autres formules assimilées que nous nous Intéressons au paragraphe suivant.

263
111-1-2-2 Locutions suspensi ves
Si la capacité des sujets parlant une langue à tirer le meilleur parti des
Insuffisances lexicales et syntaxiques de celle-ci, pour en enrichir le vocabulaire et
la grammaire peut être valorisante pour la langue, alors le français est sans aucun
doute une grande langue. Nous avons montré en effet combien les énoncés
exclamatifs introduits par quel, avec ellipse d'une épithète précise gagnaient en
expressivité affective autant qu'en puissance intensive. L'indicible qUI mettait à nu
les lacunes de vocabulaire devient ainsi un facteur particulièrement propice à un
enrichissement lexical. C'est ce procédé que nous retrouvons dans les mêmes
conditions psychologiques, suivant le même mécanisme sémantique à travers les
locutions exclamatives telles :«
Elle est d'une beauté! », <<II fait une chaleur l».
Si à l'origine, l'incapacité pour le sujet à trouver une épithète au sémantlsme
assez fort pour qualifier avec justesse le sentiment éprouvé a pu Justifier l'absence
de cette épithète, cette ellipse involontaire au départ est devenue par la sUite un
véritable moyen d'intensification. Il arrive ainsi, et plutôt fréquemment quon ne se
soucie guère de chercher le qualificatif approprié, de sorte qu'on aboutit à un
procédé de haut degré où l'intonation détient un priVilège absolu. C'est ce
quexprlmait en d'autres termes Ch. Bally en notant que dans ce procédé,
«l'ellipse n'est plus sentie,
(et)
l'intonation affective qui
fait monter la voix est devenue l'exposant de l'intensité qu'on
veut
expr lmer. » 4 Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de constructions où
l'épithète soit exprimée. Simplement, le premier cas de figure avec absence
d'épithète est plus frappant par sa vigueur particulière. Ici, l'énergie IIltensive de
l'inflexion vocale atteint son point culminant sur le substantif qualifié absolument.
cest-à-dire sans épithète apparente. Les passages proposés ci-après le montrent
parfaitement.

264
111-1-2-2-1 Et d'une beauté
Le griot Diamourou explique
à Farna, les ro.isons de so. bonne sante
physique, Il lui fait le récit de la rencontre de sa fille avec le commandant
Tomasslni. Celui-ci a littéralement succombé à la beauté de celle qUI serait plus
tard sa femme.
Ex l
:
Comme un bubale elle a sauté et atterri
aux pieds du commandant Tomassini qui sifflota
d'admiration.
«
Jolie!
»
( ... ).
Elle
était
plus vigoureuse qu'une génisse de deux ans,
et
d'une
beauté!
d'une
beauté!
Le
commandant
n'en avait
pas
vu de
comparable
dans
tout
le
Horodougou.
Les Soleils:
111.
Le griot qui est en général le maître de la faconde, celui pour qui l'art oratoire n'a
aucun secret et qui possède un registre lexical toujours riche et varié. semble
subitement à court d'épithète. Il laisse alors l'interlocuteur libre de se figurer le
degré le plus éminent que son imagination puisse concevoir pour qualifier la
beauté ineffable de sa fille Matali. En fait, il est peu probable que le griot se donne
la mOindre peine de trouver l'épithète correspondante, ni même quil la cherche
C'est que la ressource vocale dans une expression comme celle-là, privée de
qualificatif précis est depuis longtemps un procédé de caractérisation IIltensive,
Absente dans l'énoncé, l'épithète n'en acquiert que plus de présence de sorte
que, ce que le procédé semble perdre en précision notionnelle par défaut
d'épithète, il le compense plus qu'avantageusement en intensité émotive, Bien
entendu, le contexte intervient pour éclairer l'interprétation vers les nuances de
caractérisation et d'intensité extrême, toutes deux fondant harmonieusement dans
un climat affectif général propre à toute exclamation. Formellement, cette
exclamation suspensive est simple à décrire Elle se compose de 1article IIldéflnl
uni une précédé de la préposition de, le tout suivi d'un substantif. CelUI-CI peut

265
être de nature abstraite ou concrète. Fonctionnellement. la formule est un attribut.
En effet, bien que ia copule être salt absente dans 1énoncé, elle y est néanmoins
virtuellement présente, de sorte que l'ensemble forme une locution verbale
descriptive en être d'un + substantif. Et c'est peu dire que d'affirmer que,
sémantiquement, l'équation être d'un + substantif = très + adjectif est un
pis-aller. Le fait est que l'énonciation obéit là à deux niveaux psychologiques
différents, selon qu'elle est toute entière dans l'affectivité intensive. ou qUI\\
s'agisse au contraire d'exprimer une froide constatation sur laquelle l'affectivité
n'a pas prise ou si peu qu'elle est à négliger.
Mais l'expression du haut degré au
moyen de l'exclamation suspensive est un procédé
à plusieurs registres AinsI.
alors que dans la locution verbale précitée, l'épithète était sentie comme étant
intégrée au sémantisme même du substantif, dans d'autres locutions, seuls
l'intonation et le contexte orientent l'interprétation vers l'intensité.
111-1-2-2-2
Autres locutions
111-1-2-2- 2-1
Mais la fausseté
Nous avons déjà montré que la conjonction mais occupant la place initiale
dans un énoncé pouvait, selon le contexte, servir délément d'appuI à une
expression affectivement marquée. Mais contrairement à la structure être d'un +
substantif où les éléments sont assez soudés, la construction exclamative avec
mais est, elle, plutôt libre et susceptible de recevoir divers compléments. Les
extraits proposés CI-dessous en témoignent. L'éventualité d'un héritage après la
disparition de son cousin semble enchanter Fama. Par rapport à 1ensemble des
biens, l'héritier putatif a ses centres d'intérêts bien Ciblés, ses préférences.
Ex
1:
L' enterré
laissai t
quatre
veuves,
les
plus
sérieuses
pièces
de
la
succession,
dont
deux vieilles
que
le défunt avait acquises
par

266
legs.
Ces
dernières
ne
se
coupleront
plus(
. . ) .Hais
les
deux
autres!
Surtout
Mariam. Les Soleils:
93.
Ex 2 : Sans la fausseté malinké,
cette première
nuit
aurait
été
reposante
( . . . ).
Hais
la
fausseté!
les Malinkés
ont
la duplicité parce
qu'ils ont l'intérieur plus noir que leur peau
( ... ). Les Soleils:
108.
Mis à part leur volume, ces formules interjectives lancées comme d'un trait sous la
poussée émotive sont dans une certaine mesure comparables aux phrases
adjectivales «Magnifique' », «
Ravissant!»
qu'on prononcerait devant un
objet d'art qui frappe vivement notre sensibilité de dilettante ou de professionnel
de l'art. En effet, lorsque l'affectivité est atteinte à un degré extrême. la
grammaticalisation ou la construction élaborée d'une proposition complète et
explicite cède en général le pas à une expression ramassée. concise et qui est
symptomatique de l'intensité du sentiment éprouvé Tel est le cas de la locution
exclamative avec mais ... ! Du point de vue de la courbe mélodique de la voix,
seul le terme complément de la conjonction reçoit toute l'énergIe d'accentuation.
SI bien que c'est par lui que le sUjet se trahit affectlvement, laissant exploser sa
sensibilité. Dans les passages que nous venons de citer à la page 266,
1intonation porte respectivement sur autres (exemple 1) et fausseté (exemple
2)
En effet, pour que ces cris de cœur soient poussés avec une telle force. il a
fallu que les causes qui les ont suscités aient atteint le sujet à l'extrême limite de
sa sensibilité, ce qui l'oblige à recourir naturellement aux interjections. De ce point
de vue par conséquent, la formule suspensive avec mais est comparable au
mécanisme expressif de la structure être d'un + substantif.
En effet. Incapable
sous le coup d'une vive émotion de qualifier notionnellement ce qu'il ressent
viscéralement, le sujet se limite à ce jet spontané à valeur d'autant plus intensive
qu'il est de sens imprécis. En somme, la formule suspensive avec mais en initiale

267
devient un véritable moyen d'expression de l'affectivité autant que de 1intensité,
grâce a l'effet conjugué de l'intonation et le précieux concours du contexte La
conjonction y sert alors de coefficient négatif ou pOSitif selon le cas
Les
exclamations conjonctives amenées par et sont comparables à cette locution
exclamative. A ce propos, notons d'emblée que ce qUI vient d'être dit des locutions
avec mais étant valables pour celles avec et. nous nous contenterons de donner
quelques exemples de ces dernières.
Le prince Fama se rend à une cérémonie funéraire en quête de
quelques subsides. Mais quoique lamentablement déchu, il a encore le sens de
de l'honneur pour être sensible aux commentaires peu amènes, et a fortiori. aux
critiques acerbes des autres AUSSI, la présence des badauds contrlbue-t-elle à
accroître son exaspération.
Ex
1
Fama
se
récriait
«
Bâtard
cie
bâtardise!
Gnamokodé!
»
Et tout manigançait à
l'exaspérer.
Le
soleil!( . . . )
Et
puis
les
badauds!
les
bâtards
de
badauds
plantés
en
plein trottoir comme dans la case de leur papa.
Les Soleils
:9-10.
Dans cet extrait,
l'exclamation marque \\a grande exaspération de Fama,
exaspération provoquée par une combinaison d'événements dont la présence
dans la rue des badauds. Leurs regards moqueurs et complices, probablement
sUivis de quelques réflexions désabusées au passage de Fama, est une véritable
épreuve morale pour le prince. Ils lui donnent en effet l'occasion de mesurer sa
cruelle déchéance et sa situation actuelle de ITIlsérable gueux accroché à
quelques hypothétiques subSides funéraires. Sémantiquement. Il est
difficile de
trouver une interprétation précise et absolue à cette exclamation
Mais nous
pensons que parmi d'autres synonymes à proposer sur le strict plan de 1affectiVité.
celui-cI serait tout à fait recevable. «
Ahl ces badauds. qu'ils mexaspèrent ».
'lu sous l'angle de l'affirmation simple, cet énoncé signifierait «
Ces badauds

268
m'exaspèrent au plus haut point. »
Mais l'apport du contexte dans la démarche interprétative est d'autant
plus précieux que l'environnement linguistique immédiat de l'exclamation
suspensive est peu explicite, L'extrait qui va sUivre en constitue un exemple
L'imminence des agitations socio-politiques dans la capitale de la République des
Ebènes provoque chez Fama, la nostalgie d'une certaine époque où tous les
événements graves de la vie étaient présumés par les oracles, Parmi ceux-cl. un
serpent boa fort Impressionnant:
Ex 2:
Et le serpent!
Aussi âgé que l'Ancienne,
aussi gros que le cou d'un taurillon,
vingt pas
de longueur( ... ).
Les Soleils:
162.
Cette exclamation dont le sens est imprécis peut être interprétée de deux façons,
Elle peut être l'expression d'une nostalgie admirative pour le serpent. non
seulement du fait de sa dimension qUI en Imposait, mais également, cOlllme
instrument de divination respecté, Dans ce sens, Il est aussI permis (deuxième
Interprétation possible) de penser que l'exclamation expnme ulle très grande
admiration pour le serpent en tant qu'il représentait une institution Jugée infaillible,
et que cette fonction dans l'art divinatoire paraît avoir été toujours assumée avec
bonheur par l'animal. En fait. ces deux hypothèses, loin de s'exclure l'une l'autre,
sont plutôt dans un rapport de complémentanté mutuelle, On peut ainsi affirmer
que la formule suspensive exprime à la fois l'indéfectible attachement de Fama au
serpent, symbole des valeurs sûres de son époque et l'extrême admiration du
prince pour la vérité et l'éfficacité réelles ou supposées des diagnostics de
l'animal-oracle, Du point de vue syntaxique, on notera la substituabilité dans les
passages cités jusque-là entre l'article défini et son alternant habituel, le
démonstratif ce (cet ou cette). C'est que celUI-ci peut également introduire une
exclamation dans des conditions presqu'identiques à celles de l'article défini. C.
De Boer, parmi d'autres grammairiens des ongines note en substance à ce

269
propos. dans sa Syntaxe du français moderne 5, que l'emploi exclamatif de cet
adjectif démonstratif est un héritage de l'ancienne langue où le démonstratif et le
défini alternaient déjà. Les exemples suivants mettront fin au paragraphe.
111-1-2-2-2-2
Cette fuite!
Le rôle Intensif du démonstratif dans l'exclamation peut être parfois sUjet à
caution comme certains procédés que nous avons précédemment étudiés. Cela
s'explique par le fait que les données intensive et affective sont presque toujours
si intimement liées, que vouloir accorder la primauté à l'une d'elles n'est pas
toujours aisé. Plus encore, cela peut même paraître relever d'une prétention
d'exégète.
Mais peut-on vraiment échapper à cette prétention devant un fait de
langage qui fait essentiellement appel à la sensibilité? Or, nous savons qu'il
n'existe rien de moins coercible, parce que non susceptIble de standardisation.
que l'affectivité ou la subjectivité. La relativité que nous avons notée comme étant
indissolublement liée à toute démarche interprétative dOit être de mise plus
encore Ici qu'ailleurs. En tout cas, le rôle du contexte est toujours aussi capital
pour l'Intelligence des énoncés. Salimata, nostalgique des temps Idylliques entre
elle et Fama se souvient de la fugue qu'elle fit pour rejoindre son amant dans des
conditions de courage inhabituel pour une jeune fille de son âge:
Ex l
: Cette fuite!
Par la nuit grlse,
seule,
par
une
piste,
dans
la
brousse
nOlre,
mystérieuse
d' espri ts,
de
mâmes,
infestée
de
fauves,
un
baluchon
sous
l'aisselle,
elle
s'était enfuie. Les Soleils:
46.
Sans la suite de l'énoncé qui complète l'exclamation. il eût été impossible de
donner une signification précise à celle-ci. Tout ce qUI pourrait être avancé comme
interprétation avant la partie postérieure à l'exclamation ne sera en fait
que

270
simples conjectures risquées. En termes différents. cela signifie quen elle-même.
la formule suspensive amenée par le démonstratif n'est pas sémantlquement
autonome, ou, plus exactement, que son autonomie sémantique ne se limite qu'à
1expression d'un état d'âme innommable, en tout cas notionnellement vague et
imprécis, Seule la description des conditions de la fuite permet de saisir l'idée
d'extrême témérité de la jeune Salimata. Et comme pour nombre de procédés
déjà analysés, le degré de cette témérité sert en même temps d'exposant
d'intensité au sentiment de fierté personnelle que peut éprouver Salimata à
l'évocation de ce moment décisif de sa vie. On le voit. affectivité et Intensité se
mêlent encore étroitement sans qu'on puisse dire de façon absolue, si l'une prend
le pas sur l'autre,
bien que,
à première vue, la dominante affective semble
l'emporter, Du point de vue de l'intonation. l'accent se porte sur le terme ou sur le
groupe complément immédiat de l'exclamatif, à savoir le substantif tuite. On
remarquera du reste que dans cet emploi, le démonstratif est le correspondant de
l'adjectif exclamatif quel qUI, dans ce cas précis, alternerait parfaitement avec lui
sans que pour autant ne soient confondues leurs spécificités respectives,
actualisateur pour l'un, épithète ou attribut pour l'autre.
Au niveau syntaxique, ce peut alterner avec l'article definl Mais sans
quon puisse en donner d'autres explications objectives que celle de leurs
'personnalités" respectives, on note une légère différence d'expressIvité entre ces
morphèmes de même champ lexical.
Ainsi, dans le passage à venir où la place
de l'article pourrait être tenue par ce ou quel,
nous pensons que l'énoncé varie
en charge affective et intensive selon qu'on emploie tel ou tel morphème, Après
une nuit d'insomnie subie, l'angoisse de l'infécondité au ventre, Salimata revit en
souvenir l'affreux abus sexuel dont elle fut victime et qui couve peut-être le secret
de sa stérilité:
Ex 2 : Le viol!
Dans le sang et les douleurs de
l'excision,
elle a
été mordue
par
les
feux du
fer
chauffé
au
rouge
et
au
piment.
Et elle
a

271
crié, hurlé.
Les Soleils
31.
Indignation et dégoût atteignent leur paroxysme dans l'esprit de la victime par
simple évocation de cet acte pourtant déjà bien lOintain. Et comme pour le cas
précédent, affectivité et intensité s'imbriquent indissolublement l'une dans 1autre.
rendant ainsi toute tentative de hiérarchisation très délicate, vOire Impossible.
Quant à la possibilité de combinaison des unités de même rôle (ce, le. quel), Il ny
a qu'un seul cas de figure acceptable. Cela peut-II être discriminant au niveau de
l'expressivité? Hormis la variation d'expressivité qui reste à démontrer. aucune
modification significative n'est à noter en ce qui concerne le sens de l'énoncé
lorsque l'article vient à être remplacé par les deux morphèmes. Voyons-en les
résultantes :
Ex
2'
a)
Ce
viol!
Dans
le
sang
et
les
douleurs de l'excision elle a été mordue ...
Ex
2'
b)
Quel
viol!
Dans
le
sang
et
les
douleurs de l'excision elle a été mordue ...
Mais une telle mise en équation au rllveau syntaxique ne rend pas totalement
compte de la complexité réelle de la spécificité de chaque morphème quant à
leur possibilité d'union. En effet, les exigences de l'intonation apparaissent
sélectives sur le plan syntaxique où les énoncés varient en degré de
grammaticalité, les uns étant plus ou moins anomaux que les autres. Les
passages ci-après montrent bien les limites du processus d'amalgation de's
morphèmes:
1 - Lei quel
a)
-
**
: Le viol!
Ce
viol!
Dans
le
sang
et
les douleurs de l'excision elle a été mordue ...

272
b)
-
**
:
Ce
viol!
Le
viol!
Dans
le
sang
et
les douleurs de l'excision elle a été mordue ...
2 - Le/quel
c) - . Le
viol!
Quel
viol!
Dans
le
sang
et
les
douleurs de l'excision elle a été mordue ...
d)
-
**:
Quel
viol!
Le viol!
Dans
le
sang et
les douleurs de l'excision elle a été mordue ...
3 - Ce / quel
e)
-
:
Ce
viol!
Quel
viol!
Dans
le
sang
et
les douleurs de l'excision elle a été mordue ...
f)
-
:
Quel
viol!
Ce
viol!
Dans
le
sang
et
les douleurs de l'excision elle a été mordue ...
La combinaison au niveau de l'exemple 1 entre l'article défini et le
démonstratif est absolument impossible
Cela ne serait-il pas la preuve de
l'identité presque totale de leur fonction? En ce qui concerne le et que, seul (c)
paraît recevable avec cependant une acceptabilité située au-dessous des
énoncés de la combinaison ce/ quel. En effet, seuls ces énoncés ont valeur de
modéle au plan
morpho-syntaxique. En outre, du pOint de vue de la courbe
mélodique de la voix, l'intonation montante dans les exclamations amenées par
quel semble Incontestablement supplanter celle des autres exclamations. Le
critère phonétique est-il pertinent du point de vue de l'expressivité? Pour trouver
une réponse à cette ultime question, ouvrons davantage l'étude à l'accentuation.
quoique sa valeur intensive puisse être assez discutable dans certains cas. Il en
va ainsi de l'indéfini même dont la fonction d'insistance confine à une seml-
intensité.

273
Section 3-111 1-3
Insistance semi-intensive par
même
L'insistance est la dominante sémantique que peuvent accompagner
différentes nuances. Parmi celles-ci, il faut compter le renchérissement Comment
cette insistance devient-elle symboliquement un procédé intensif? L'extrait qui SUit
permettra de mieux faire comprendre cet autre mécanisme linguistique. Après
l'éclatant succès des funérailles de son cousin Lacina, Fama fut un moment tenté
d'assurer la continuité du pouvoir pour les Doumbouya. Mais un moment
seulement car l'irrésistible appel du retour à la capitale devait finalement
l'emporter:
Ex
l
: Pour
reconquerlr
son
pOUVOlr,
Fama
possédait un sorcier, un griot, de l'argent, àes
appuis politiques
( ... ). C'était beaucoup, mais
pas tout.
Il manquait que le prince lui-mème n'y
croyait pas,
et qui aurait pu affirmer que dans
son
for intérieur
i l
le
voulait,
ou
même
le
souhaitait? LesSoleils
:
117
Le rôle de l'indéfini même est capital dans la conditionnalité marquée par
l'énoncé, Pour obtenir des résultats, il faut s'en donner les moyens, y travailler et
surtout. Il faut déjà être désireux de les obtenir. C'est la condition première. non
suffisante certes, mais nécessaire car les autres en dépendent étroitement Pour
que Fama pût effectivement restaurer la cheffene laissée vacante, il eût fallu qU11
remplît la condition minimale. En l'occurrence, le prince devait. à défaut de vouloir
ardemment assurer le relai politique et administratif. le souhaiter au rnOll1s
sincèrement.
Or Fama ne semblait pas vouloir remplir cette condition minimale.
Que 1option de l'exil ait pris le dessus chez lui n'est par conséquent qu'une sUite
logique, Telle est du moins l'interprétation à tirer de la nuance qU'établit le
narrateur entre vouloir et souhaiter Mais ce qU'II faut noter, c'est quau-delà de
cette nuance sémantique, c'est l'importance du caractère systématique de la

274
langue et des problèmes de synonymie qui ressurgissent. En effet. bien que
vouloir et souhaiter appartiennent au même champ lexicàl ( celuI d'un vœu) et
qu'ils pUissent être mutuellement substituables. ils sont également opposables
l'un à l'autre dans des cas comme celui qui précède. Aussi peut-on faire au moins
deux observations en tenant compte du contexte d'énonciation. La première qUI
est d'ordre sémantique, concerne les deux synonymes. tandis que la deuxième
qui ressortit plutôt à la syntaxe, intéresse davantage le rôle de 1indéfini même.
Supposons que ces deux verbes expriment «
l'idée d'une chose qu'on aimerait
voir se produire mais dont la réalisation est soumise à certaines conditions »
Supposons encore, pour les besoins de la démonstration, que la nuance
sémantique qui sépare vouloir et souhaiter tienne d'une part. au degré
d'implication de la personne qui formule le vœu dans la réalisation effective de
celui-ci, et d'autre part, à la difficulté réelle ou supposée à satisfaire aux conditions
nécessaires. Pour expliquer cette nuance, nous dirons ainsi que le contenu
notionnel de souhaiter laisse entendre selon le passage cité précédemment.
que la réalisation du vœu est tributaire de différents facteurs tout à fait
imprévisibles et par conséquent indomptables par la personne aUI form ule ce
vœu. Quant au signifié du verbe vouloir, il indiquerait plutôt que dans le
processus d'accomplissement du vœu, les conditions qu'évoque son synonyme
sont déjà remplies, ou bien qu'elles pourraient parfaitement l'être sous réserve
que la personne en manifeste un vif intérêt. Par conséquent, sil est possible de
parler de responsabilité en terme d'implication ou d'intérêt effectif. nous pouvons
dire, selon l'extrait que nous avons proposé, que la responsabilité de Fama est
plus engagée dans l'interruption du processus successoral. En d'autres termes. si
le relai politique et administratif n'a pu être assuré après la mort de Lacina, si le
pouvoir est resté vacant à Togobala, c'est parce que Fama na pas fait ce qU'II
aurait dû et sans doute pu faire: souhaiter prendre le pouvoir, ne fût-ce que cela.
La conclusion sémantique que nous tirons de ce qui précède est la suivante. La
synonymIe entre deux termes n'est Jamais absolue mais seulement partielle, car

275
elle ne s'applique qu'au point d'intersection des deux synonymes. Ce pOint grâce
auquel une équivalence sémantique supposée est établie. nous la désignons
sous le terme d"'invariant sémantique' En ce qui concerne l'lndéfinl même.
l'observation syntaxique est la suivante. Dans un énoncé, l'indéfini peut unir ( ou
séparer) soit deux termes en particulier dont dépend la signification d'ensemble
de l'énoncé ( c'est le cas de vouloi r et sou haiter ), soit au contraire. deux
séquences plus élaborées. Dans le deuxième cas. on peut dire que même
«coordonne»
les "idées principales" de ces séquences, idées grâce auxquelles
on attribue une signification globale à l'énoncé. Outre ce rôle syntaxique de
coordination, l'indéfini même Joue également un rôle sèmantlque Important: il
amène un renchérissement soit progressif, soit regressif sur ce qUI a été dit
auparavant. Les extraits qui suivent permettent de mieux apprécier ce pouvoir de
renchérissement. Si le prince a dû se résoudre à regagner la capitale. cest sans
doute aussi parce qu'il a réalisé qu'il hériterait d'une situation de pénurie
désespérante. peut-être sans promesse d'amélioration imminente. ni même à
terme:
Ex 2 : Comme héritage,
rien de pulpeux,
rien àe
lourd,
rlen
de
gras.
Même
une
poule
épatée
pouvait faire le tour du tout. Les Soleils: 110.
Le fait qu'une poule physiquement diminuée puisse faire le tour de la concession
dont aurait hérité Fama s'il avait accepté la chefferie à Togobala est. selon le
narrateur, parfaitement révélateur du dénuement total où se trouve tout le Village.
On remarquera que le narrateur n'a pas choisi un animai qui SOit d'ordinaire cité
en modèle pour sa rapidité, ce qui n'est pas gratuit. Dans ces conditions.
l'embarras. puis le refus définitif du prince sont, sinon justifiés. du moins
parfaitement
compréhensibles car la situation était incompatible avec son désir
de grandeur. Mais l'indéfini même, en coordonnant plusieurs Idées. faits ou
sentiments selon un ordre de présentation bien précis, peut
être un moyen de

276
renchérir sur ce qui a été déjà dit. Le passage que nous venons de citer le montre
bien. En revanche, ce qui pourrait faire l'objet de discussion, c'est sans doute la
double nature de ce renchérissement qui, selon nous, peut être progressif ou
regresslf. N'est-ce pas contradictoire de parler de renchérissement regresslf? En
d'autres. termes, comment un renchérissement qUI est synonyme d'augmentatlon
peut-il être regressif? Pour lever cette apparente contradiction, nous devons
définir les critères de progression et de regresslon du renchérissement. En fait de
critère, il n'en eXiste qu'un seul et il est d'ordre "moral".La règle est la suivante. Si.
dans un énoncé, le renchérissement amené par même est positif. alors ce
renchérissement est qualifié de progressif. Dans le cas contraire. nous avons
affaire à un renchérissement regressif. Ajoutons pour terminer que. pour être
recevable. la dimension affective de ce critère doit impérativement tenir non
seulement du sentiment linguistique, mais encore et surtout du bon sens
L'envoyé spécial de Samory vient de livrer au roi Djigui. la teneur du
message dont il était porteur: le roi de Soba est invité à sceller un pacte d'alliance
anticoloniale avec le grand résistant par la consommation de la boisson de
suzeraineté. C'est une situation on ne peut plus délicate pour Djigui. écartelé
entre l'attachement à son honneur de souverain et son patriotisme
Ex 3
L"enthousiasme de Djigui baissa;
même i l
s'assombri t
et
se
tut.
Pouvait-il,
fût-ce
en
raison
d'une
alliance pour vaincre
les
«Nazaras»,
accepter la suzeraineté? Monnè : 25
Le roi Djigui est dans une situation véritablement cornélienne. S'il refuse le pacte
que lUI propose le célèbre nationaliste Samory. il court le double risque d'être
accusé de trahison et de collaboration avec le conquérant étranger. Mais s'il
accepte l'offre du résistant, Il en devient inéluctablement le vassal avec cependant
la récompense du patriotisme utile, et surtout, la reconnaissance de toute la
«Négritie>>. La tristesse qUi succède à l'affaiblissement de son enthouSiasme

277
initial montre une gradation affective ascendante de plus en plus négative. Le
renchérissement sentimental amené par même est par conséquent de type
regressif. Quant au renchérissement de type progressif, l'extrait qui suit en est une
illustration. Il s'agit des funérailles du quarantième Jour de Laclna
Ex 4
Les marabouts
-
des
prestigieux!
-
i l Y
avait
même
deux
El
Hadj
-
s'accroupirent
au
centre,
à
un
pas
des
plats
et
se
mirent
a
feuilleter
des
papiers
jaunis.
Les
Soleils
:
145.
Ces funérailles furent un éclatant succès. La preuve en est que des marabouts et
non des moindres, y avaient pris part, rehaussant ainsi la dimension religieuse de
la cérémonie de leur présence effective. Le fait que la présence des sommités
religieuses SOit synonyme de réussite totale est très révélateur d'un point de vue
sémantique.
On peut supposer en effet que, même la venue d'un seul haut·
dignitaire religieux n'était pas évidente, qu'elle n'était guère certaine.
A fortiorI. la
présence de deux musulmans prestigieux dépassait toutes les espérances et cest
précisément en cela qu'elle sert d'élément évaluateur d'une réUSSite parfaite. Ce
qu'il est important de noter aussi, c'est l'accent d'insistance qu'hérite même. que
ce soit après une légère pause ryHlmique imposée par la ponctuation ou. cas
assez rare, dans la cadence «
normale »
d'une lecture ininterrompue. Au
lendemain de l'indépendance de son pays, Fama rêvait légitimement d'une
promotion sociale. La fin Justifiant les moyens à ses yeux, Il ne fit l'économie
d'aucun sacrifice pour que son rêve devînt réalité:
Ex 5 :
(.) il Y avait quatre vingts occaSlons de
contenter et de dédommager Fama qui voulait ètre
sécrétaire général d'une sous-section du parti
ou directeur d'une coopérative. Que n'a-t-il pas
f ai t
pour
être
coopté?
Prier
Allah
nu i t
et
jour,
tuer des sacrifices de toutes sortes, même

278
un chat nOlr dans un puits( ... ).
Les Soleils :23
L'ordre de présentation progressif des faits Jusqu'à même. la place et l'énergie
tonale qu'en nécessite la prononciation dans cette positiol1
contribuent à dire
combien Fama était obsédé par une quête de promotion sociale
En effet. la
séquence complément de l'indéfini même peut être Interprétée de deux façons. A
travers elle, le narrateur veut dire Implicitement, soit que Fama a accompli le
sacrifice suprême avec l'idée que cela s'accompagne d'un jugement positif. On
émettra l'hypothèse que, dans ce cas, sacrifier un chat afin d'obtenir ce qu'on
désire est un acte positivement valorisé. Dans l'hypothèse opposée sur laquelle
se fonde la deuxième interprétation. on supposera que le sacrifice du chat est un
acte tout à fait ignoble. Dans ce cas. le narrateur qUI se veut dénonCiateur et outré.
chercherait à dire que Fama s'est livré à des pratiques futiles et abjectes à la limite
du grotesque et du pathétique. En fait, les deux hypothèses. SI elles paraissent
s'exclure mutuellement à première vue, sont plutôt complémentaires dans
l'expression de l'idée principale, celle du désir obseSSionnel de Fama
C'est
encore dans ce sens que les énoncés à venir possèdent une valeur exemplaire.
Fama vient de se voir infliger vingt années de réclusion Criminelle Le narrateur,
dans sa fonction symbolique de porte-parole de l'opinion publique. affirme. l'âme
en peine. que le prince a pleinement mérité cette sanction pour navolr pas écouté
les conseils avisés de personnes respectables qui ont la sagesse de 1expérience:
Ex 6 : Fama avait ce qu'il avait cherché( ... ). On
l'avait prévenu.
Les gens de l'indépendance ne
connaissaient
ni
la véri té,
ni
l ' honneur,
ils
sont capables
de
tout,
même
de
fermer
l ' œil
sur une abeille.
Les Soleils:
175.
Si la piqûre d'une abeille sur l'une quelconque des parties du corps les
plus exposées telles que le visage ou le bras provoque une douleur atroce. on
peut imaginer le martyre à souffrir lorsque la piqûre est portée sur un organe aussI

279
précieux et sensible que l'œil. Par conséquent ce qu'exprime l'énoncé n'est rien
moins que la détermination presque pathologique de la nouvelle race de gens à
aller jusqu'au bout de l'impensable. La valeur d'indéfini de l'adjectif tout qUI
ponctue la phrase précédant la séquence avec même, souligne parfaitement.
dans un curieux paradoxe d'imprécision notionnelle. combien Il peut être
présomptueux, voire suicidaire de vouloir contrarier cette nouvelle génération. de
s'opposer à elle. La séquence amenée par même explicite ainSI une des
capacités des «
gens de l'indépendance»
implicitement contenue dans
l'indéfini tout. Dans sa fonction de marqueur de gradation à valeur dinsistance.
même peut être précédé de la conjonction et. Citons-en quelques exemples. Aux
funérailles de Koné lbrahima, Fama a eu une vive altercation publique avec un
coreligionnaire. Bien qu'il en ait été dédommagé, il n'en éprouve pas moins un
profond chagrin pour sa dignité bafouée:
Ex 7 : L'ombre du décédé allait transmettre aux
mânes que sous les soleils des Indépendances les
Malinkés
honnissaient
et
même
giflaient
leur
prlnce.
Les Soleils:
15.
Entre son désir obsessionnel d'avoir un enfant et la stérilité irrémédiable dont elle
est SI cruellement frappée, Salimata est devenue psychologiquement vulnérable
au point de rencontrer des bébés partout:
Ex
8
: Ses
rêves
débordaient
de
panlers
grouillants
de
bébés,
i l
en
surgissait
de
partout( . . . ).
En plein
jour et même en
pleine
rue,
parfois elle entendait des cris de bébés,
des
pleurs
de
bébés.
Elle
s'arrêtait.
Rien:
c' étai t
le vent qui siff lait.
Les Soleils
52.
L'extrait cI-dessus met ainsI un terme à l'étude succincte des valeurs de

280
l'indéfini m ê me.
Avant de conclure ce chapitre
sur des observations
fondamentales, Il est utile d'insister sur l'Importance du contexte dénonciation
dans la syntaxe expressive
En effet, les nuances que nous avons essayé de
montrer sont étroitement dépendantes des conditions d'emploi de même. En
outre, la distinction entre renchérissement regresslf et renchérissement progressif.
bien qu elle pUisse être discutable, elle était cependant utile. Elle avait pour but de
décrire une des formes du mécanisme d'expressivité linguistique par la syntaxe
La remarque principale à en tirer est l'inexistence d'une synonymie absolue sur
l'axe paradigmatique.

281
Conclusion
La première observation concerne la confirmation du rôle combien capital
de l'intonation dans l'expression, non seulement de l'idée d'insistance à ml-
chemin entre une simple gradation et l'intensité, mais aussI de l'idée d'intensité à
nuance affective, La deuxième observation qui découle de la précédente est
relative à la difficulté réelle à faire une distinction absolue entre l'une et l'autre
notions, du fait précisément qu'elles s'expriment d'une manière indifférenciée au
moyen du même procédé. A fortiori, c'est parfois une profonde gageure de
prétendre établir IJne hiérarchie entre intensité et affectivité, C'est que la
perception de l'intensité et de l'affectivité au travers d'un procédé oral (l'intonation)
que l'écriture peine à adopter peut varier considérablement suivant les individus.
De là vient que toutes les hypothèses qui sous-tendent les démarches
interprétatives peuvent être a priori recevables, pUisqu'il ne semble guère eXister
de critères objectifs imposables à tous, c'est-à-dire absolument Ifrécusables. On
peut légitimement, dans ces conditions d'incertitude, présumer des risques réels
ou supposés d'une polysémie interprétative et Infinie
En fait. il n'en est
absolument rien, car il existe tout de même une base d'objectivité mlillmaie pour
tout analyste de diSCOurS, et qUi constitue un garde-fou prémunissant des dérives
sémantiques ou autres interprétations erronées. Ce garde-fou. c'est l'expérience
de la pratique linguistique, le sentiment linguistique et le bon sens.
Ainsi, si le
doute est permis entre la prééminence à accorder entre l'intensité pure et
l'intensité affective dans les énoncés que nous venons de voir, il ne serait guère
raisonnable en revanche, d'en exclure complètement les idées d'affectivité et
d'intensité qu'ils dénotent d'abord. Il apparaît de la sorte clairement que ce qui
présentait au départ quelques lacunes possède en définitive, d'un strict point de
vue analytique, une rentabilité opératoire certaine. Que faut-II en inférer?
Lintonation
détenant un
privilège certain,
reconnaître
la
spécificité
de
l'exclamation amenée par quel parmi d'autres, c'est établir impliCitement une

282
hiérarchie et accorder en définitive une certaine supériorité au pouvoir expressif
de cet exclamatif. Dans ce sens, le rôle et le mécanisme d'expressIvité intensive
des locutions suspensives avec «
Et d'une beauté 1 »
notamment. méritent
d'être soulignés.

283
1- J. Marouzeau. «Quelques aspects d'u relief dans l'énoncé »
ln Le français
moderne, Juillet-Octobre 1945, nù 3 - 4, P 163
2 - Ch. Berthelon. L'Expression du haut degré en français contemporain
essai de syntaxe affective. Thèse, 1956, p 22.
3 - La restriction concerne l'expression emphatique proche d'une déclamation
poétique, comme de dire par exemple: «Que noble est le métier d'enseignant 1»
4 - Ch. Sally. Traité de stylistique française. Klincksieck, 1929. vol.l. p 279-
80.
5 - C De Boer. Syntaxe du français moderne.
2è édition, Leyde. 1954. p
120

284
CH.2
L'ESTHETIQUE DE L'ANOMALIE SYNTAXIQUE DANS LE HAUT
DEGRE
Introduction
Afin de présenter sous les meilleurs auspices l'objet de ce chapitre, nous
devons nous pencher en premier sur la question fondamentale d'intérêt général
qui le sous-tend. C'est l'élucidation du sentiment de paradoxe apparent que
pourrait susciter la relation déterminative entre esthétique et anomalie. Deux
choses en effet sont à considérer dans cette relation. D'un côté, le sentiment de
dépréciation souvent attaché aux constructions anomales et de 1autre
19
sémantlsme même du terme esthétique qUi jure précisément avec toute forme
d'anomalie. Rappelons à ce propos que, d'une façon générale, lanomalle
linguistique qui se définit par opposition à la langue normative est une
construction qui transgresse les lois de la fonction combinatoire. G. Mounin, dans
son Dictionnaire de la linguistique écrit dans ce sens à propos du terme anomal:
Terme sémantique employé pour désigner un énoncé
grammaticalement correct,
pour ~equel on ne peut
fournir
aucune
interprétation
sémantique
à
l'aide
de
critères
linguistiques
et
dans
le
cadre du code de la langue ordinaire
( ... ).
Un
énoncé
anomal
peut
être
interprétable,
à
condition que l'on se place à
l'intérieur d'un
code poétique,
en donnant à
chaque lexème,
un
sens fiquré. 1
On entrevoit déjà les implications syntaxiques et, surtout. l'idée dune certaine
finalité assignée volontairement ou non à tout énoncé anomal et qUI le place dans
la perspective d'une certaine esthétique,
La polysémie et la variété des
applications de celle-ci (on rencontre le terme en philosophie, dans 1industrie.

286
Section 1-111-2-1
De l'anomalie en général
111-2-1-1 Anomalie et correction
Dans la mesure où le concept d'anomalie en linguistique se définit toujours
Implicitement par opposition à une certaine correction qui sous-tend l'idée de
norme. il est utile de traiter la question à rebours, en nous intéressant dabord à la
structure de base dans le système français. Cette structure de base qUI actualise
la fonction combinatoire est celle que consacre la complémentatlon principale
entre le verbe, son sujet et son objet. sujet +verbe ( + obJet) SOit les énoncés CI-
dessous.
(a)- Qui dort dine
(b) - Arnaud bat sa sœur cadette
Ce qUI est important à noter, c'est le rôle joué par le verbe dans la mesure où ses
propriétés syntaxiques interviennent pour beaucoup dans l'exlstence d'une
certaine terminologie qui se veut classificatoire. l\\Jous pensons notamment à la'
grande opposition entre verbes transitifs et verbes intransitifs Mais en fait. cette
tentative de classification obéit au moins autant si ce n'est plus, à des critères
sémantiques qu'à des critères syntaxiques. Et à mesure que le fondement
sémantique se fait plus sélectif, les subdiVisions issues de la bipartition Initiale
deviennent plus précises et se multiplient d'autant. L'existence des verbes dits de
mouvement tels aller, partir, des verbes performatifs comme jurer et promettre en
est une preuve. Quant aux verbes de la classe «
transitif »
Ils appellent
nécessairement un complément d'objet pour la réalisation parfaite de leur schème
syntaxique. C'est la nécessité de ce rapport syntaxique que soulignait déjà au
Xlllè
Siècle, Michel de Marbais cité par J. C. Chevalier en notant:
Il est dans la nature des choses que certaines
actions réclament un autre terme extrinsèque et
différent de leur agent,
tandis que d'autres ne
requièrent
pas
un tel
terme:
et
i l en est qui

287
réclament
un
terme
qUl
non
seulement
termine
l'action,
mais
la
reçolve,
et
d'autres
OUl
requlerent
seulement un
terme qui
la
termine,
sans
que
ce terme reçoive
l'action en quelque
façon. 2
Cette loi de la combinatoire sémantique gouverne les règles générales de
l'expression «
correcte »
au sens de la langue courante ou. si l'on veut.
de la
grammaire permissive et normative. Or la grammaire structurale elle-même,
quoique privilégiant la dimension morpho-syntaxique dans son analyse.
reconnaît l'importance du sens. Ainsi, après avoir défini les conditions de la
«phrase minimale active achevée »
ou «
phrase canonique »
par l'existence
de part et d'autre du verbe (ou du syntagme verbal ) de deux syntagmes
nominaux, l'un étant sujet et l'autre objet, J. Dubois note-t-il:
( ... )
la
structure
des
signifiants
dans
une
phrase
minimale
active
achevée
est
fortement
indiquée.
Elle traduit
l'opposition sémantique
fondamentale entre l'acteur et/ou le destinateur
qui ont la fonction grammaticale de sujet et le
patient
et/ou
le destinataire qui
ont
le raIe
grammatical d'objet. 3
Cela signifie que les exigences sémantiques qui se répercutent au niveau
de la syntaxe sont à la fois discrimlllantes et coercitives. car certains verbes
imposent au sujet parlant, l'emploI d'un complément d'objet. Tel est le cas de ( b),
Pour dautres au contraire, le locuteur n'est tenu à aucune contralllte de cette
nature Les verbes de la classe «
intransitif »
que l'énoncè (a) Illustre bien en
sont un exemple. Mais à un niveau supérieur d'analyse, les contrallltes de la
sélection deviennent plus spécifiantes. exigeant de certains verbes un SUjet ou un
objet soécial répondant préalablement à des traits de compatibilité précis. Il s'en
suit Gue la nomenclature verbale se fait plus variée et en même temps.

288
particulièrement restrictive. Ainsi se justifie par exemple, l'existence des verbes
dits animés et non animés. Au sein même de ce groupe, des sous-catégorisations
sont encore possibles puisque certains verbes exigent un sUjet ou un objet de la
classe des animés humains, alors que d'autres sont incompatibles avec cette
classe et demandent exclusivement un sujet ou un objet de la classe opposée
Ainsi, les énoncés qui suivent sont-ils tous anomaux:
(c) - La Jument a accouché de deux petits.
(d) - L'arbre mange le fer à repasser.
(e) - Le tabouret contemple la peinture.
Les transgressions sémantiques sont évidentes. Dans le premier énoncé, a
accouché exige un sujet "humain" tandis que mange dans le second ne se
construit à la fois qu'avec un agent et un patient susceptibles l'un, de réaliser le
signifié du verbe, l'autre, de le subir. Or aucune de ces conditions nest satisfaite.
En outre, d'un strict point de vue anthropologique. la probabilité de l'événement
décrit est absolument nulle. Dans ce sens, les énoncés ( d) et ~ e ) sont du même
registre. car contempler demande un sujet doté de la faculté de discernement et
capable d'émettre un Jugement de valeur sur la chose qui fait l'objet de
.,
contemplation. Bien entendu, cette remarque exclut les violations fréquentes des
présupposés linguistiques dont la littérature et le monde des arts et du spectacle
sont si avides. Ainsi le jeu du «
cadavre exquis »
des surréalistes peut-II être
considéré comme le paradigme même de l'anti-conformisme littéraire, Ce Jeu
consiste à découper des phrases dans des textes choisis au hasard, puis à
composer un nouveau texte par juxtaposition arbitraire et collage des phrases
découpées au préalable.
Le texte ainsi obtenu bouleversait inévitablement les
règles de sélection sémantiques. Marina Yaguello cite dans son ouvrage un bel
exemple
de texte «
automatique »
dont nous proposons l'extrait ci-dessous:
Il regarde le dos des livres gui se voùte.
Il
écoute
la
musique
qui
reluit
sur
ses
chaussures.

289
Il passe a toutes les sensations les menottes àu
sourlre.
Le son de sa VOlX est une cicatrice.
Voici la grande place bègue 4 .
Le projet stylistique de Breton, Eluard et d'autres surréalistes visait. par le biais de
l'écriture automatique, à créer l'effet de sens a posteriori, cest -à-dire en
Juxtaposant sans préméditation, des Illats ou des phrases qUI ne peuvent
logiquement être employés ensemble. Le monde des arts. et en particulier la
musique, proposent aussi des combinaisons qui violent les présupposés
linguistiques. Un exemple frappant est la chanson du célèbre compositeur
français Serge Gainsbourg qui s'intitule: «
Je t'aime mal non plus »
Ou pOint de
vue logique en effet, les contraines sémantiques de «
Je t'aime »
demandent
comme complément
«moi aussi », tandis que la séquence «
mal non plus »
présuppose, elle, un antécédent de forme négative. Cette remarque est Illlportante
car elle permet d'envisager la notion de présupposé dans une acception
extensive et non plus exclusivement par rapport à la grammaticalité
Soit les
énoncés ci-dessous:
1- Jean-Christophe n'ira plus en Afrique.
2- Paul reviendra.
De l'énoncé 1, on peut inférer deux interprétations possibles. Soit on laisse
entendre que Jean-Christophe a déjà effectué au moins un voyage en Afrique et
que son prochain voyage qui était en vue va être annulé pour certaines raisons
Soit au contraire, on veut dire implicitement que Jean-Christophe n'a Jamais été
en Afrique, qu'il' était sur le point de s'y rendre pour la première fois mais que, pour
certaines raisons, son voyage ne peut pas avoir lieu. Ces deux hypothèses qUI
sont tirées de la négation ne plus permettent détendre le sens et l'application de
la notion de présupposé. Le «
ne plus »
suppose au préalable un "ayant déjà
été" effectif ou virtuel que
0
Ducrot appelle le posé. AinsI dans la description
qu'adopte l'auteur de Dire et ne pas dire: principes de sémantique linguistique. le

290
présupposé ( pp) et le posé ( p) de l'énoncé 2 seraient les sUivants
2- Paul reviendra.
2' ( p. P )- Paul était là.
2" ( p. )- Paul est parti.
Le posé et le présupposé sont par conséquent, dans la procédure d'analyse
ducrotienne,
les
synonymes
conceptuels
de
ce
que
nous
appelons
génériquement les résultantes. Celles-ci désignent en effet les propositions
déductibles d'un énoncé ou les paraphrases qu'on peut en faire pour expliciter
son sens. Les exemples que nous venons de proposer permettent ainSI de clanfier
les notions d'anomalie linguistique et de présupposé. Précisons que. en ce qui
concerne le présupposé, nous le prenons surtout dans son acception restreinte où
il définit les exigences de la fonction combinatoire.
111-2-1-2 Présupposés de combinatoire sémantique
Tout mot ( les termes mis en relief préciseront ce que recouvre pour
nous cette appellation) possède des sèmes spécifiques identifiables
Ce sont ses
propriétés ou ses traits sémantiques.
Ainsi la construction d'un énoncé
sémantiquement partait doit-elle respecter au niveau syntaxique, la compatibilité
des propriétés sémantiques des mots employés. Sur ce fondement sémantique.
nous pouvons énoncer les hypotllèses de travail suivantes: 5
1- Au niveau du sens, tout mot est susceptible de réduction jusqu'à ses
caractéristiques extrinsèques. Ce sont ces traits sémantiques qui imposent des
restrictions sélectives sur l'axe syntagmatique des combinaisons possibles (la
fonction combinatoire).
2 - Chaque mot ainsi réductible fait jouer dans ses rapports avec les autres, le jeu
de la compatibilité combinatoire. Celle-ci est définie par la correspondance entre
les traits sémantiques essentiels des mots pour que l'énoncé produit (ou à

291
produire) soit acceptable d'un double point de vue sémantique et syntaxique.
Appelons L', l'ensemble des lois sémantiques et R le rapport de tout locuteur L à
ces lOIs. étant entendu que ce rapport peut être de transgression ou de
soumission. En excluant les transgressions involontaires. celles qUI sont Justifiées
par une Ignorance de ces lOIS, nous émettons l'hypothèse que les transgressIons
délibérées visent à produire Uil effet de sens particulier. SOit 1_'=R \\a relation qUI
définit la soumission du locuteur aux lois sémantiques. L'équation
L= non R
définira quant à elle, la relation de transgression volontaire. Supposons enfin que
le signe> traduise une certaine visée esthétique du locuteur L. Notre postulat
sera le sUivant. Si L'= non R alors L > idée intensive ou idiome. Cela Signifie que
la transgression délibérée des lois sémantiques par le locuteur a pour but, dans le
cas des énoncés à verbes, soit d'exprimer symboliquement l'idée Intensive. SOit
d'exprimer des idiomes conformément à l'ambition de l'expression vraie. Après
ces vues générales, nous pouvons à présent traiter des énoncés anomaux chez'
Kourouma.
111-2-2- Des
"anomalies" syntaxiques chez Kourouma
111-2-2-1
" Renouvellement" syntaxique
11I-2-2-1-1-Verbes
"intransitivisés" .,.
111-2-2-1-1-1- Par effet de contamination
Des verbes qUI s'emploient d'ordinaire avec un complément d'objet sont
employés intransitivement. Mais ce qu'il convient par-dessus tout de noter. cest
l'origll1e de cette "nouvelle" syntaxe, son mode de création qui opère comme par
contamination. A la vue de Fama venu vlllgt ans après aux funeral\\\\es de son
cousin Lacina, des pleurs se sont élevés, provoquant une atmosphère de chaos
général où pleureuses, chiens et charognards se mêlaient. Lincongrulté de la
scène est considérée comme un outrage impardonnable par la nature qUI réagit
par un vent Impétueux:

292
Ex
l
• Le
vent
renversa,
arracha,
aveugla
et
le
vacarme
s' arreta,
chiens
et
pleureuses
s'enfuirent et se refugièrent dans et derrière
les cases.
Les Soleils
:
107.
Ex
2
Le
marabout
grogna
un
soufflant
«bissimilai»( . . . ) grasseya le nom du verset à
dire
sept
fois.
Et
un
vent,
un
soleil
et
un
unlvers
graves
et
mystérieux descendirent
o r
enveloppèrent.
Les Soleils:
119.
La réalisation complète du schème syntaxique de renversa. arracha.
aveugla dans l'énoncé 1 d'une part, et d'enveloppa dans lénoncé 2 dautre
part, exige un complément d'objet. Ces énoncés montrent au contraire une
infraction à ce code du bon usage, puisque ces verbes sont en emploi absolu.
Mais la question d'intérêt à se poser concerne surtout le mécanisme de cette
déstructuration, D'un point de vue formel ( temps verbal), nous avons affaire dans'
les deux cas au passé simple. temps de récit adapté à la narration d'événements
ponctuels, «
clos »
En outre, leur caractère ponctuel en ajoute à leur vitesse
d'exécution,
ce qUI contribue avantageusement à la modalité aspectuelle
d'accompli qUI est celle du passé simple, Mais au-delà de cette valeur modale et
aspectuelle, ce qui revêt une importance fondamentale dans la narration et qUI.
convenons-en, est moins tributaire du passé simple en tant que temps verbal quil
n'est du fait de l'auteur, est l'infraction syntaxique soulignée plus haut. Comment
devient-elle symboliquement un moyen d'exprimer l'idée d'intensité?
Dans une suite de verbes à dénominateur commun (le mode et le temps).
certains, employés dans les conditions normales de plénitude de leur schème
syntaxique en influencent d'autres comme par phagocytose en modifiant leur
rection, Tel est le cas de s'arrêta et descendirent par rapport respectivement à
ren versa, arracha, aveu g 1a d'une part, et d'en velo ppèrent d'autre part
Cette sorte de phagocytose linguistique. opérant par proximité. nous l'appelons

293
effet par contamination. Ou point de vue de sa valeur, la suspension du schème
verbal par cette contamination décuple la pUissance et la vitesse d'exécution des
événements décrits et confère à l'ensemble de l'énoncé, une dimension
hyperboloïde. Cela est surtout vrai de l'énoncé 1. En effet, l'absence de
complément d'objet qUI aurait pu servir de terme butoire à "extension des
événements, amplifie en quelque sorte l'ampleur de leur déroulement Par cette
narration suspensive, l'auteur nous fait deviner l'intensité avec laquelle se
produisent ces événements, sans quartier. Parfois, l'intensité dOit simplement se
deviner à travers la vitesse d'exécution du fait relaté. Mais touJours, un terme
faisant partie intégrante du sens du verbe est sous ellipse dans ce cas
Tel est le
cas du substantif chemin dans la locution verbale rebrousser chemin dans
l'extrait
qui suit On notera qu'il s'agit toujours sinon d'une anomie sociale, du
mOins d'un bouleversement significatif au niveau de la nature ou de phénomènes
qUI sont souvent d'une extrême violence ou d'une rare abondance
Pour échapper au contrôle des garde-fronlières, le plînce Fal1la sest Jete
d'un pont, se laissant ainsi choir sur la berge d'un fleuve infesté de calmans. Il est
mortellement mordu par une de ces bêtes en dépit de l'intervention d'un garde-
frontière qui a tiré sur la bête. Le cri de douleur de Fama, le grognement de
l'animal et le coup de fusil, en interrompant une fois de plus l'harmonie cosmique,
met aux prises animaux et humains dans un bouleversement apocalyptique digne
d'un conte:
Ex
3 : Les
oiseaux
( . . . )
en
poussant
des
crlS
sinistres s'échappèrent des
feuillages,
mais au
lieu
de
s'élever,
fondirent
sur
les
anlmaux
terrestres
et
les
hommes. Surpris
par
cette
attaque
inhabituelle,
les
fauves
en
hurlant
fonçèrent
sur
les
cases
des
villages,
les
crocodiles
sortirent
de
l'eau
et
s'enfuirent
dans
la
brousse,
pendant que
les
hommes
et les
chiens,
dans
des
crlS
et
des
aboiements
infernaux,
se débandèrent et s'enfuirent dans la

294
brousse ( . . . ).
Les
montagnes,
les
rlVleres,
les
forêts
et les plaines encore une deuxième
fois
se relayèrent pour faire entendre la détonation
à
tout
le
pays.
Les
oiseaux,
les
animaux
et
les
ho mm es
r e br 0 u s s ère nt,
les
0 i s eau x
s'élevèrent,
.Les
hommes
et
les
chiens
rev inrent ( ... ). Les Soleils
2 al.
L'emploi intransif de certains verbes de la classe «transitif »quon vient de voir
n'est qu'une des formes de l'impropriété participant du "renouvellement"
syntaxique. La mise en suspens du schème verbal, cette fois, non par effet de
contamination mais par "intransitivisation" absolue, est une autre forme de
déstructuration syntaxique.
111-2-2-1-1-2 Par "intransitivisation"
absolue
Alors que dans l'lntransltivisatlon par effet de contamination des verbes
perdent leur autonomie syntaxique au contact d'autres verbes du même énoncé.
dans l'intransitivisation absolue, nous avons plutôt affaire à des verbes employés
solitairement par énoncé. Cela signifie simplement que des verbes qui. d'ordinaire
saccompagnent d'un complément d'objet, subissent une modification syntaxique
sans quon puisse invoquer la raison de l'effet par contamination Le problème
que pose l'intransitivisation absolue est celui de la polysémie Celle-ci désigne le
fait qu'on puisse attribuer à un même mot plusieurs sens selon le contexte Les
extraits qui suivent le montrent bien. En compagnie de nombreux coreligionaires.
Fama est allé rendre un dernier hommage à ses défunts parents au cimetière du
village. Une odeur de putréfaction à couper le souffle les enveloppe soudain en
pleine prière. Le narrateur décrit l'intensité de ce baume fétide en ces termes:
Ex 1 : Ils prièrent au pied de la tombe malgré la
puanteur
qui
donnait
comme
s ' i l s
étalent
enfermés dans les boyaux. Les Soleils :122.

indiquer l'idée de quantité. En fonction adverbiale. il marque l'intensité Dans cet
emploI,
l'adverbe modifie SOit un adjectif,
SOIt un verbe ou un adverbe avec Ull
sens voisin de à ce point Remarquons tout de suite, avant de passer à
l'exemplification de sa valeur d'emploi chez l'auteur, que dans l'unique passage
retenu, combien est un cas de superposition de ses deux valeurs Au fur et à
mesure qu'approchait la date fatidique de l'excision de sa fille, la mère de
Salimata était minée par une appréhension grandissante. Elle éprouva alors la
nécessité d'invoquer les génies et mânes de ses aleux afin qu'ils assurent sa fille
de leur protection et garantissent le succès de l'opération. Lextrait qUI suit est
dans ce sens significatif à plus d'un titre:
Ex
l
: Oui,
les génies entendirent les prières
de sa maman,
mais comment! et après combien de
douleurs!
après
combien
àe
soucis!
a.près
combien de pleurs!
Les Soleils:
33.
L'expressivité de cette série d'exclamations est frappante quant au martyre
souffert par la mère de Salimata et l'issue de l'opération. Pour l'essentiel, ces
exclamations peuvent se répartir en deux groupes. On verra bientôt que. si
au
niveau sémantique ces deux groupes sont mutuellement dépendants, cest surtout
grâce à une certaine hiérarchie qui les sépare. Mais penchons-nous en premier
sur les composantes mêmes de ces groupes. D'un côté, nous avons l'exclamation
initiale « ... mals comment l »
Plus qu'une simple juxtaposition syntaxique, cest
une véritable structure expressive et combien affectivement porteuse de la langue
parlée. En effet, complément d'une proposition,«
mais comment l »sert
à
Intensifier en la reprenant en d'autres termes, l'idée de cette proposition. Sa forme
ramassée et conCise, sa position toujours postérieure à cette proposition
contribuent beaucoup à cette intonation particulière que sa profératlon exige du
sujet parlant. Alors que son antécédent (la proposition que suit la structure) se dit
ou se lit avec le ton assez neutre qui Sied en général à toute assertion de simple

295
Dans le Horodougou, les grands 110mmes sont censés être des chasseurs
réputés AUSSI, lorsque vient El disparaître Ull 110lllllle de cette envergure. ses pairs
se doivent-ils d'honorer sa mémoire dans L1ne compétition d'adresse et de
prestige en essayant à l'envi d'accomplir, chacun pour son compte. le plus grand
miracle El l'occasion des funérailles du disparu. Ce qui donne lieu à un concert de
coups de fusil qui provoque une fumée épaisse. Le narrateur, dans son langage
hyperbolique décrit l'événement comme suit:
Ex
2
: Il
y
avait
tous
les
chasseurs
du
Horodougou,
des chasseurs de toute carapace, de
toute
corne,
même
des
chasseurs
ayant
à
leur
actif
sept
tigres.
Les
fusillades
ébranlaien~
les murs
et le sol,
la fumée donnait comme un
incendie. Les Soleils:
128.
Une fête populaire est organisée en l'honneur de tous les prisonniers dont Fama.
La cérémonie est présidée par le chef de l'état des Ebènes lui-même. A son
arrivée sur le lieu des festivités, les groupes d'animation se font entendre sans
compter
Ex 3
Mais soudain les accents métalliques des
griottes
retentirent,
les
crlS
des
griots
suivirent et ensemble
tous
les
instruments de
danse donnèrent. Les
Soleils:
180.
Ces énoncés qui montrent différents emplois dans des sens particuliers de
donner. anticipent quelque peu sur j'étude des énoncés métaphoriques. Nous
nous limiterons pour l'heure à en tirer quelques observations. La première
observation intéresse le mécanisme, multiforme de la création de ce qu'il est
convenu d'appeler sens contextuel. Celui-ci est fondé sur le fait linguistique bien
connu quest la polysémie consacrée dans l'opposition classique sens propre /
sens figuré. Le premier, défini essentiellement par les critères d'usage général et

296
commun des sujets parlant une langue,
précède le second qui, lui. est issu du
contexte d'emploI, d'où l'appellation de sens contextuel. Du Marsais, dans le
Traité des tropes devenu un classique parmi les études de rhétorique. définit ainSI
le sens propre (et le sens contextuel aussi, implicitement ):
Le
sens
propre
d'un
mot,
c'est
la
première
signification
du mot.
Un mot est pris dans
le
sens propre lorsqu'il signifie ce pourquoi il a
été premièrement établi. 6
Si la tentation étymologiste est inévitable dans toute démarche définitionnelle, il
faut veiller à en relativiser la dimension, surtout dans l'acception du sens propre
selon Du Marsais. En effet, si l'antériorité du sens propre sur le sens contextuel ou
sens figuré est incontestable, l'exclusion des considérations synchroniques serait
une lacune réelle dans le sens d'une certaine dynamique sémantique En effet.
dans la mesure où le sens propre suit la trajectoire Ilistorique et est par
conséquent évolutif, la valeur étymologiste de «signification première»
peut être
non seulement cause d'erreur d'analyse, mais encore, elle nous semble être pour
cette raison même, assez restrictive. Dans ces conditions, pour éviter la tentation
d'une sémantique étymologiste d'une part, et dans la mesure où, d'autre part, le
sens propre parait être fondé sur le critère d'usage général et commun des sujets.
ne conviendrait-il pas de privilégier le sens actuel, ici et maintenant? "faut bien
noter en effet que le sens propre n'est rien moins que la signification qu'une
communauté linguistique dans son ensemble ou dans sa grande majorité. donne
à un mot à un moment précis de son histoire. AinSI, pour éviter que le sens propre
ne rime avec «
première signification », il serait plus exact de le définir comme
étant le sens actuel le plus connu. Cela éviterait les pièges d'un étymologlsme
sclérosant. Mais au-delà de cette proposition de réajustement définitionnel. ce qUI
mérite Intérêt au premier chef, c'est le processus de création en grammaire du
sens contextuel.

297
D'un point de vue morpho-syntaxique par exemple. le procédé peut être de
nature additionnelle ou "réductlonnelle" Oans le premier cas, le procede consiste
en une adjonction de terme
Dans le second au contraire. c'est la suppression du
terme normalement attendu. Le résultat de ces opérations est toujours un
"néologIsme" dont le sens diffère en général complètement du sens Initial Tel est
le cas de don n er dans les exemples cités auparavant et où. excepté
l'homographie avec le verbe transitif donner, nous avons affaire en quelque sorte
à plusieurs verbes donner. Ainsi dans
l'énoncé 1. donnait signifie «
exhalait
très fort >>. C'est également dans le sens d'une exhalaison tenace que dOit être
interprété donnait dans l'énoncé 2. En outre, ces verbes se rejoignent presque
au niveau de la complémentation.
Dans l'énoncé 1 en effet. don n ait
s'accompagne d'une séquence à valeur de comparaison hypothétique qUI a pour
fonction, du fait de sa caractérisation, de suggérer l'intensité de l'exhalaison fétide.
Oans
l'extrait 2, il s'agit simplement d'une comparaison hyperbolique dont nous
avons déjà montré combien elle défie la logique probabiliste quant à l'événement
décrit. Pour ce qUI est de l'énoncé 3, donnèrent doit être compris dans le sens
de «
résonnèrent avec force >>. Outre donner, d'autres verbes subissent
également une modification de leur syntaxe selon le même procédé Ce sont entre
autres, mitrailler, pilonner. débiter, écraser
Les deux premiers verbes
seront étudiés plus loin dans le paragraphe des verbes de métaphore militaire.
Toutefois, ces verbes et les autres participent tous de l'expression du haut degré
par l'hyperbole comme le montrent les énoncés qUI suivent.
Ex 4 : Le griot débitait comme des oiseaux de
figuiers.
Les
Sole.ils
:
114.
A Soba où la puissance d'un homme se mesure aussi à l'étendue de son pouvoir
mystique, le roi Djigui a des raisons d'éprouver un sentiment d'auto-satisfaction et
de fierté silencieuse mêlées: il avait encore le pouvoir de commander à la nature:

298
Ex 5 : Le centenaire caressa sa barbe, rajusta sa
coiffure
et
plongea
sa
maln
droite
dans
la
grande poche chargée de mille fétiches
et gri-
gris impossibles. A ce geste,
tous les gendarmes
regagnèrent leurs nids.
Donc il pouvait encore.
Monnè
:
121.
Le statut de seml-auxiliaire de pouvoir requiert toujours un complément
II1finitif. Employé de manière absolue comme dans l'énoncé ci-dessus. il est
comparable aux verbes précédemment étudiés qui, du fait de la modification de
leurs propriétés syntaxiques, acquièrent un nouveau sens. Le semi-auxiliaire ainsi
employé exprime, sans qu'on pUIsse lui trouver un synonyme précIs. 1idée d'une
omnipotence mystique exceptionnelle. Le passage qui SUit permet d'apprécier
davantage, par son caractère explicite, la signification en degré de pouvoir
Ex
6 : Quand
le
pouvoir
de
Dj igui
étai t
au
zénith,
son
Fadoua
gUl
venait
de
mourlr
pouvait;
il pouvait par temps menaçant affirmer
gue le ciel était serein sans gue personne de ce
côté du fleuve osât désigner du doigt les nuages
encombrant l'horizon. Monnè : 197.
Suivant le même procédé de suspension de son schème, le verbe écraser reçoit
un accroissement sémantique et suggère que la chose décrite se produit avec un
éclat tout particulier qui traduit implicitement l'idée d'une intensité indicible. Et le
fait que dans. cet emploi le verbe ait des sujets appartenant au même champ
leXical n'est pas indifférent. C'est en effet la condition nécessaire et suffisante pour
que l'énoncé soit sémantiquement II1telligible:
Ex
7 : (... ) Ce
maudit
soleil
de
notre
pays
qUl
écrasait et étouffait au point que les vautours
avaient déserté le ciel. Les Soleils
71.

299
Ex 8 : Le
soleil montait,
la chaleur éCL"asai t.
Les .Soleils :
JS9.
Ex
9 : Nous
étions
dans
le
Livre,
tentant
de
dénombrer
les
surnoms
de
l ' Etre
suprème;
le
soleil brûlait,
écrasait;
les illlrages montaient
des rues et des places. Monnè
169.
Ces énoncés sont une des formes de l'anomalie linguistique participant de
l'expression hyperbolique. Les verbes d'emploi métapllorlque par matérialisation
de l'abstrait ou par transfert de sens pur, contribuent aussi avantageusement à
1expression de l'idée intensive au moyen de l'hyperbole.
111-2-2-'-2
Verbes d'emploi métaphorique
Considérée comme la reine des figures, la métaphore opère elle aussi un
transfert de sens identique à ce que nous venons de VOIr.
A ce titre, la définition
qu'en propose Du Marsais mérite d'être citée. On y notera la synonymie entre
«
transporte »et transfère:
La
métaphore
est
une
figure
par
laquelle
on
transporte,
pour
ains i
dire,
la
s ignif ication
propre d'un mot à une autre signification qui ne
lui convient qu'en vertu d'une comparaison qui
est dans l'esprit. 7
AinsI dans les énoncés hors-texte ci-dessous, les mots combat et mort sont dans
un emplOI métaphorique car ils possèdent un sens autre (sens contextuel ou
figuré) que leur sens propre:
1- La scolarisation combat l'illetrisme
2- Après son spectacle au Zénith, il étaIt mort de fatigue.

300
Dans le premier énoncé, combat n'a plus son sens d'«
affrontement physique»
entre des antagonistes. Il signifie simplement que le savoir qu'on acquiert par
l'école affranchit (autre métaphore) de l'ignorance ou de l'analphabétisme. Dans
le second aussI, le terme mort ( ou la forme verbale être mort de ) ne marque pas
la cessation définitive de la Vie, mais un état de grand exténuement ou l'absence
de la moindre force s'apparente à l'inertie que suppose la mort. Ainsi. sans entrer
dans les détails, peut-on noter qu'il existe un dénominateur COITllTlun entre la
métaphore et la comparaison telle que nous l'avons précédemment illustrée. Il
tient pour l'essentiel à l'analogie fondée elle-même sur un attribut commun. Mais
alors que la présence du morphème opérateur de l'analogie empêche
l'aboutissement du processus d'identification dans la comparaison, la métaphore.
elle, établit cette identification. Pour être plus exact, on peut dire que le degré de
suggestion de l'illusion d'identification est plus fort dans
la métaphore qu'il ne
l'est dans la comparaison.
Mais par-delà cette différence, ce qu'il convient de
noter, c'est le rapport à l'expression du haut degré de la métaphore que nous
allons voir à travers les verbes de sens hyperbolique.
111-2-2-1-2-1
Verbes de sens hyperbolique
Outre le fait qu'ils sont pris dans un sens métaphorique, ces verbes dégagent
également une si grande expressivité qu'ils confinent en définitive à l'hyperbole.
Certains emplois métaphoriques de sens hyperbolique appartiennent à une
terminologie spécialisée qui se situe dans le prolongement de ce que Cil. Bally
appelle «
effet par évocation du milieu ». Un regroupement bipartite peut être
fait qUI distingue d'un côté, les verbes de sens militaire, de l'autre. tous ceux qUI
ne font partie d'aucune terminologie particulière,

301
111-2-2-1-2-1-1
Verbes de
sens
militaire
Ex l
Vers
la mer,
la pluie c.jrondaJ1te souf'[lée
par
le
vent
revenait,
réa t taquai t
au
pas
de
course d'un troupeau de buffles.
Les
premières
gouttes
mitraillèrent
et se cassèrent
sur
le
minaret.
Les Soleils:
25.
On trouve également mitrailler dans son emploi syntaxique idéal avec un
complément d'objet. Toutefois, cela n'influe guère sur sa force expressive
Ex
2
(.)
la
pluie
tombait
faible
en
gouttes
espacées
grosses
comme des
amandes
de
karité.
Les
gouttes
mitraillaient
la
cuvette
et
les
épaules. Les Soleils
79.
En consultation chez son marabout Abdoulaye, Salimata, Impressionnée par la
méthode de travail de l'homme, est comme tétanisée:
Ex
')
J
: Salimata
traversée,
ailée,
é t a i t
fusillée
par les
jurons et les évocations( . . . ).
Les Soleils:
69.
La femme vient d'essuyer une tentative d'abus sexuel de la part du marabout.
Grâce à sa pugnacité, elle a réUSSI à mettre son agresseur hors d'état de nuire:
Ex 4 : (... ) elle hurla la rage et la fureur et se
redressa frénétique,
possédée,
arracha,
rammassa
un
tabouret,
un
sortilège,
une
calebasse,
en
bombarda le marabout effrayé( ... ).Les
Soleils:
79.
Balla a signé un pacte avec un génie chasseur. Les clauses en sont l'acquIsition
d'une célébrité en échange de la vie de l'homme à une date dont seul. le génie

302
détient le secret On comprend alors l'extrême angoisse qUI étremt l'homme à
chaque partie de chasse:
Ex
5
: A
chaque
sortie,
le
cœur
de
Balla
pilonnait,
son ventre bouillait,
elle
pouvait
être la dernière sortie. Les Soleils:
130.
Dans cet énoncé, pi lonnait peut être interprété de deux manières Soit li est
employé dans son sens militaire -
Il rejoindrait alors les anomalies déjà notées,
puisque dans ce cas, le verbe doit être suivi d'un complément d'obJet- soit il est
employé dans un deuxième sens métaphorique. Dans cette hypothèse, Il fait
allusion au mouvement de va-et-vient d'une pileuse. C'est cette dernière
interprétation suggérant l'idée d'un rythme rapide qui emporterait notre agrément
car elle est plus compatible avec le contexte. Ces verbes et expressions verbales
empruntés à l'art militaire peuvent être rapprochés d'autres emploIs verbaux qui
traduisent quant à eux, l'activité militaire elle-même. C'est le cas des verbes
comme enflammer, exploser et surtout éclater:
Ex 6 : Les premières gouttes mitraillèrent et se
cassèrent sur le minaret( . . . ).Le tonnerre cassa
le ciel,
enflamma l'univers et ébranla la terre
et la mosquée.
Les Soleils:
25.
Toute l'hyperbole se perçoit à travers la puissance et la portée du coup de
tonnerre: l'incendie qu'il provoque -
ce qui en soi, n'a déjà de logique
qu'hyperbolique -
ne fait pas de quartier puisqu'il va à l'assaut de l'univers tout
entier. Dans certains cas, c'est l'atmosphère de guerre, mieux, la fusillade elle-
même que les mots expriment. ce qui entraîne un déplacement fondamental de
l'Orientation de la glose comme on le verra bientôt:
Ex 7
Des slogans antigouvernementaux apparurent

303
sur les murs de la capitale.
Des ordres de grève
circulaient.
Une
nuit
Llne
bombe
éclata,
Lies
incendies
s'allumèrent
dans
les
poudrières
environnantes.
Les Soleils:
163.
Ex 8:
Des inconnus chapardaient dans les champs
et
les
greniers
lorsque,
juste au
lever de
-'- a
lune,
deux
coups
de
fusil
éclatèrent
(.
)
Monnè :
253.
Ex
9 : En
dépit
des
coups
de
feu
qUl
partout:.
éclataient,
(Moussokoro)
quitta
Soba
à
pied
pour «
devancer »
son maître et époux Djigui à
Toukoro( . . . ). Monnè : 286.
Il existe une nuance d'expressIvité entre les énoncés qui viennent d'être
proposés ( Ex? à Ex9) et ceux que nous avons cités antérieurement Celte nuance
tient pour l'essentiel, dans un cas, au respect des principes de la combinatoire·
sémantique entre le verbe et son sujet. Dans l'autre cas au contraire (les verbes
d'emploi métaphorique), il n'existe aucune compatibilité sémantique entre les
traits combinatoires du verbe et ceux de son sujet. De fait. cest cette
incompatibilité qUI crée la métaphore hyperbolique. En effet. d'après l'hypothèse
de départ, les verbes et expression verbale empruntés à la terminologie militaire
possèdent tous le même trait sémantique «
arme à feu »
au niveau du sUJet.
Cela Signifie qu'il doit être
inscrit dans le sémantisme de leurs sujets, des
caractéristiques qui s'accommodent avec ce trait pour respecter les exigences de
la communication logique. Or tel n'est pas le cas puisque les substantifs gouttes,
jurons et évocations respectivement sujet et agent de mitraillaient (Ex2 et
Ex3) et était
fusillé d'une part, les substantifs tabouret.
sortilège et
calebasse, compléments de moyen de bombarda (Ex4) d'autre part. nentrent
pas dans la caractéristique combinatoire «
arme à feu »
de ces verbes. De cette
dichotomie structurale, vient le caractère opératoire des emplois considérés dans

304
l'expression du haut degré au moyen de la métaphore hyperbolique. AinsI. au lieu
de «les gouttes tombèrent drues », «Salimata était stupéfaite par les Jurons et
évocations ». et«
elle en assomma le marabout », l'auteur a préféré les
em plais métaphoriques cités pour mieux toucher affectivement Au contraire.
lorsqu!1 eXiste une parfaite compatibilité entre les traits sémantiques du sUjet et du
verbe. nous nous situons sur le plan idéal de la communication logique. les mots
pris dans leur sens propre inhibant à la base toute formation métaphorique. Tel est
le cas des énoncés de sens non figuré (Ex? à Ex9) avec éclater et ses différents
sujets qui ajoutent au trait précédent, celui de «
déflagration »
ou de «
bruit
tonitruant». Plus loin, nous verrons que le verbe éclater qui n'a ici aucune
énergie sémantique particulière acquiert une expressivité remarquable dans
d'autres contextes. Terminons pour l'heure avec une observation qui intéresse la
valeur hyperbolique des emplois métaphoriques. En effet. ils possèdent tous une
plus-value d'expressivité qui tient à leur valeur hyperbolique. Cela pourrait laisser
penser que cette valeur est absolue pour tout emploI métaphorique, que les
emplois métaphoriques ont systématiquement valeur d'hyperbole. Rien nest
mOllls certain, car il existe des verbes (rares certes) de sens militaire qui restent
en-deçà de cette plus-value d'expressivité. L'exemple patent en est patrouiller:
Ex
10
: Les
tisserins
gazouillaient
dans
les
feuillages des fromagers et des manguiers, alors
que très
haut dans
les nuages,
les charognards
et les éperviers patrouillaient poursupervlser
le vacarme.
Les Soleils:
202.
On retrouve dans cet extrait, l'anthropocentrisme littéraire que la rhétorique
traditionnelle nomme personnification: le vol aérien des oiseaux est comparé à un
mouvement de soldats effectuant une mission de surveillance. Mais là s'arrête la
valeur de patroui 11er. Elle n'atteint pas l'hyperbole et le verbe n'entre pas, par
conséquent, dans l'expression du haut degré. Ce qui suscIte la question suivante.

305
PourquoI, en dépit de la dichotomie combinatoire réelle. patroui 11er sarrête-t-il
au seuil de la métaphore? Le rapport de charognards et éperviers à patrouiller
est en effet identIque à celui de gouttes à mitrailler. Du fait de cette identité
structurale, les observations que nous avons précédemment faites pour l'un
devraient être valables pour l'autre. En l'occurrence, la relation entre patrouiller
et ses sujets aurait
dû être de nature hyperbolique. Or tel n'est pas le cas
L'argument strictement linguistique étant ici IIld\\scutablement irrecevable
l'explication doit en être trouvée ailleurs, par exemple, du côté de l'anthropologie.
Pourquoi? En effet. à moins de considérer des raisons stylistiques particulières. la
probabilité que des gouttes de pluie, par nature incapables de mouvement
conscient et réfléchi puissent mitrailler des indiVidus, est absolument nulle. Au
contraire, les animaux et les humains ont en commun le trait «
animé », ce qui
réduit en quelque sorte le degré d'improbabilité du rapprochement et consolide
d'autant la personnification
Oans le premier cas, l'étrangeté du processus
d'identification amenée par la métaphore ne repose sur aucun fondement logique.
aussi précaire soit-il. Dans le second en revanche, la raison de la différence de
valeur entre les énoncés 1 et 2 d'une part. et l'énoncé 10 d'autre part. tient au
degré d'écart de probabilité entre les faits considérés dans chaque cas. Des
verbes à évocation du milieu non spécifié que nous appelons verbes de sens
"inflationniste" , ont également une allure hyperbolique.
111-2-2-1-2-1-2 Verbes de sens "inflationniste"
Nous avons précédemment noté que par suite de la subversion du schème
syntaxique de certains verbes, l'auteur aboutissait à une espèce de néologismes
dont le caractère manifestement abusif de leur sens, les intégrait aux procédés
intensifs. Les verbes de sens inflationniste ont ceci en commun avec les premiers
qu'ils sont en général pris dans un sens contextuel. Toutefois. une différence
notable les sépare. En effet, contrairement aux premiers néologismes contextuels.

306
les verbes de sens inflationniste ne sont soumis à aucune transgression
syntaxique. Leur caractère excessif provient plutôt de la distance surréaliste entre
eux et leurs sUJets. Autrement dit. l'inflation sémantique naît de l'abime entre
l'événement décrit et le terme préposé à cette description, Les énoncés qUI
sUivent par la transgression qu'ils opèrent sur les présupposés linguistiques de la
fonction combinatoire, Illustrent bien cette inflation sémantique:
Ex
1
Le
ciel
avait promené des
éclaircies
à
l'horizon
quelques
temps,
puis
la
lune
avait
éclaté (... ).
Les Soleils
: 47.
Ex 2 :Salimata
admirait.
L'admiration montait
par son échine ( ... ) éclatait dans ses oreilles
en tam-tam de joie. Les Soleils:
70.
Dans le passage à venir, Fama est en plein délire onirique. C'est un rêve
éminemment important dans la mesure où il a valeur de prémonition et lUI donne
par la même occasion, en le mettant au pinacle, des raisons d'espérer en un
lendemain meilleur:
Ex
3 :
Un
matin,
quelques
instants
avant
le
réveil,
un songe éclata devant ses yeux.Et quel
songe!
On lui cria:«
Regarde-toi!
Regarde-toi!
Tu
es
vivant
et
fort!
Tu
es
grand
» .
Les
Soleils:
178.
Nous avons montré plus tôt que le sémantisme d'éclater Imposait une restriction
discriminante quant aux sujets possibles. Par conséquent, pour pouvoir se
construire avec ce verbe en fonction de sUJet, tout substantif dOit posséder au
moins les traits sémantiques minimaux sUivants: «objet concret>>. «
susceptible
d'explosion»
En effet, éclater suppose une action soudaine et brutale qUI se
produit avec un accompagnement sonore parfaitement audible Or aucun de ses

307
sujets ne répond à ces exigences sémantiques de la fonction combinatoire. Par
conséquent, cela pose un problème. Pour mieux Juger de la situation selon les
règles de la sélection sémantiques. revenons aux exemples proposés plus haut
Dans 1 énoncé 1, avait éclaté a pour sUjet lune. Or. la lumière diffusée par cet
astre est en général d'intensité progressive et. même SI tout se passe relativement
vite, 1 éclat de la lune n'est que l'aboutissement d'un certain processus. AussI.
pour en rendre compte, c'est un verbe exprimant une action moins soudaille et
brusque qu'il aurait fallu. Dans cette logique, apparaît conviendrait davantage à
la situation, ce d'autant mieux que l'apparition de la lune est visuelle et non
sonore.
Cette remarque vaut également pour le substantif admiration qUI est
en fonction de sujet auprès du même verbe (Ex2). En effet, admiration est un
substantif abstrait matériellement inquantifiable et qui,
du fait de cette
immatérialité, peut difficilement faire l'objet d'une explosion au sens physique du
terme C'est que l'admiration est du domaine de l'affectivité et ne peut sapprécier
que de manière discrète, personnelle et Intime par le sUjet admirateur. N'est-ce
pas ce qui explique que pour faire sentir au lecteur le degré d'admiration de
Salimata pour le marabout, l'auteur introduit cette comparaison avec le tam-tam?
En effet, la séquence comparative «
en tam-tam de joie »
sert de terme
exponentiel à la dose de sentiment de Salimata, sentiment dont il eût été diffiCile
de juger exactement sans cette séquence. L'énoncé 3 s'inscrit dans cette même
logique de narration hyperbolisante. Ainsi Fama en détention ne fait-il pas un rêve
comme le commun des mortels. C'eût été reconnaître en effet le caractère banal
de la chose du fait de sa quotidienneté. Or , il s'agit précisément de mettre en relief
le caractère extraordinaire supposé du phénomène et le signifiant dOit rendre le
plus fidèlement possible compte de sa nature étrange. Ainsi le songe éblouit-II
littéralement Fama comme quelque chose d'une intense luminosité qUI lui serait
Imposé brusquement de l'extérieur, sans qu'il s'y attendît le mOins du monde. Ce
qu'exprime par conséquent le verbe n'est rien moins que l'excellence de la qualité
du rêve. un rêve qui plus est, concerne personnellement Fama. Il arrive que

308
l'emploi d'éclater soit destiné à éviter la répétition. Cela n'enlève cependant
absolument rien à sa force expressive. Fama vient d'apprendre la mort de son
cousin Lacina dans le Horodougou. Il en informe ses coreligionnaires de la
capitale pour réunir les moyens d'effectuer le voyage en vue de prendre part aux
obsèques:
Ex 4
(Fama)
parcourut
toutes
les
concessions
malinké
de
la
capitale
pour
faire
éclater
la
nouvelle
du
décès
du
cousin
et
annoncer
son
voyage.
Les Soleils : 83.
Ex
5
Le
féticheur
jurait
que
le
soleil
ne
b r i l l a i t
pas
sur
le
village
tant
que
ses
fétiches
restaient.o exposés ( . . . ) . Les
fétiches
rengainés,
entrés
et
enfermés,
le
soleil
réussissait
à
se
libérer( . . . ).
D'un
coup
i l
éclatait.
Les Soleils:
125.
Deux hypothèses sont à considérer en ce qui concerne l'énoncé 40 La première
pose qu'éclater précédé du factitif faire à valeur de semi-auxlliaire. a pour
synonyme annoncer. On s'aperçoit alors qu'il n'existait qu'une alternative pour
l'auteur. Faire un double emploi d'annoncer au risque de créer une Inélégance
expressive du fait de la répétition, car l'énoncé reviendrait à «
... pour annoncer
la nouvelle du décès du cousin et annoncer son voyage ». Certes. les mêmes
raisons de style auraient empêché la répétition grâce à l'ellipse sur le verbe dans
sa deuxième occurrence. On aurait alors « .. pour annoncer la nouvelle du décès
du cousin et son voyage », ce qui, sémantiquement n'est pas différent de
l'énoncé originel. Cela nous rapproche justement du deuxième terme de
l'alternative. L'auteur semble en effet avoir préféré éviter la répétition. non par
suppression-ellipse,
mais par ce qu'on pourrait appeler
le procédé de
«synonymisation»
en optant pour faire éclater. Quelle peut être la motivation
d'un tel choix? Existe-HI même une quelconque motivation?
La réponse à ces

309
Interrogations nous situe de facto dans la deuxième hypothèse.
Là encore. nous
sommes dans l'obligation de référer au contexte sltuatlonnel pour tenter de trouver
une explication satisfaisante. Prenons pour point de départ. l'objet-cause du
message, c'est-à-dire le décès dont l'information à communiquer constitue la
substance principale. En effet, dans la société malinké où le sentiment de la
communauté religieuse en ajoute à la confraternité naturelle et aux relations de
bon voisinage, la disparition d'un individu afflige tOUjours el1 quelque façon
l'ensemble de la communauté
Comme corollaire aux réactions de sympathie
attristée qui s'ensuit, on peut citer des cris de douleur et des pleurs. Dès lors. il est
permis de supposer que c'est en présumant de l'effet consécutif à l'annonce de la
triste nouvelle que l'auteur emploie à desselll faire éclater au lieu du synonyme
annoncer. quand celui-ci est réservé au voyage à effectuer par la sUite. En
termes différents, le choix de l'auteur ne semble pas obéir seulement à une simple
question de style consistant à éviter le désagrément de la répétition Au-delà de ce
SOUCI. sa motivation principale, pensons-nous, doit être trouvée dans cette réalité
sociologique liée à la mort. Comme l'effectuation du voyage après l'élan de
solidarité des coreligionnaires
-
leur contribution financière.
du fait de
l'insolvabilité chronique du prince éploré est l'implicite de la démarche de celui-
CI- ne fait aucun doute, annoncer suffit à la communication. Comparé à faire
éclater dans ce contexte en effet, annoncer exprime un fait banal. une chose
considérée comme acquise, en un mot, une certitude. Quant à 1énoncé 5 où le
soleil après aVOir été longtemps empêché de luire brille enfin. il vient simplement
porter témoignage de ce que le sémantisme d'éclater suppose une action
brutale, soudaine, même de manière abstraite.
A ce titre, le groupe «
d'un
coup»
qui précède le verbe est très significatif. Mais outre éclater, d'autres
verbes procèdent également par grossissement sémantique excessif. Ce sont :
ricocher, jaillir, bouillir, cracher. Le contexte ici pèse également de tout son
poids et guide la démarche interprétative
La méthode de travail du marabout Abdoulaye est vraiment impressionnante,

310
même pour une habituée comme Salimata: alternance de gestes lents. mesures,
SUIVIS de moments de méditation d'abord, pUIS de mouvements divers. surtout de
crispation du visage et de contorsion à la limite de la transe. Il observe un lourd
silence encore, rompu à nouveau par de puissantes incantations Invoquant pêle-
mêle génies, mânes des ancêtres, dieux et Dieu
Là.
l'homme devient
particulièrement volubile et ses mots prennent la consistance de véritables
proJectiles. Jugez-en plutôt:
Ex 6 : Hagard,
il fixait les signes tracés.
Des
lèvres
ramassées
et
durcies s'échappèrent
des
jurons
qui
pétèrent,
ricochèrent
sur
_2S
murs ( ... ). Les Soleils: 69.
Après les funérailles de Lacina, Fama décide de regagner la capitale en dépit de
toutes les tentatives de dissuasion de ses proches, le vieux Balla en tète. Arrèté
puis Incarcéré à son retour, le prince fait une analyse introspective de sa vie.
Fataliste, il en tire la conclusion que son obstination, sa situation actuelle de
prisonnier étaient inscrites dans la trajectoire de son destin et quelles étaient par
conséquent. tout à fait inéluctables:
Ex
7
Les
paroles
de
Balla
n'ont
pas
été
écoutées,
parce
qu'elles
ricochaient
sur
2.e
fond des oreilles d'un homme sollicité par son
destin,
le destin prescrit au dernier Doumbouya.
Les Soleils:
176.
Ex
8
Le
marabout
bégaya
des
paroles
incantatoires. La gorge était enrouée. Mais pas
pour
longtemps,
car
les
mots
terribles
~a
dégagèrent
et
j a i l l i r e n t
en
volée
ce
projectiles qui remplirent la case de mystère.
Les Soleils: 72.

311
Comme on peut le voir, par la magie des mots et leur pUissance mystique,
l'inanimé prend corps, acquiert mouvement et sanime quand l'abstrait. lui. devient
par transmutation, objet concret, chose matériellement préhensible. Autrement. les
mots qUi, par nature, n'ont aucune consistance matérielle ni par conséquent le trait
sémantique «
solide »
ne pourraient pas
ricocher sur les murs
La
caractéristique combinatoire de ce verbe demande en effet comme sujet, un objet
ayant une matérialité physique. C'est la condition sémantique minimale pour que
le signifié du verbe qui suggère l'idée d'une percussion ou le choc violent de deux
objets consistants, soit logiquement acceptable. Mais nous savons déjà quel
soufflet royal administre à la logique, le langage littéraire et en particulier. la
narration hyperbolisante dans le style kouroumien. Les extraits qui suivent
l'illustrent parfaitement. On se rappelle les clauses du pacte entre le chasseur
Balla en quête de réputation et le génie chasseur. Chaque séance de chasse
étant ainsi un péril constant pour lUI, on comprend que Balla ait SI grand peur et
que son cœur batte à un rythme anormalement rapide:
Ex
9
A
chaque
sortie,
le
cœur
de
Balla
pilonnai t,
son
ventre
bouillait,
elle
pouvait
être la dernière sortie. Les Soleils:
130.
Qu'on imagine seulement une eau portée à ébullition et le mouvement des bulles
et on comprendra la force de l'image et réalisera par ce fait même, l'Intenslté de la
peur de Balla dans cette attente angoissée. Vivant, le chasseur était un mort en
sursIs soumis à une pression psychologique dautant plus pernicieuse quelle lUi
était indomptable. L'exemple qui suit se situe sur un autre plan sans être pour
autant différent du précédent.
Le tout Togobala couvait une agitation particulière en prévision de la
non moins inhabituelle rencontre politique entre les représentants locaux du parti
au pouvoir. leurs partisans et Fama, soutenu par les siens. L'heure était donc
grave. Mais revenu dans son village après vingt ans d'exil, Fama ne semblait pas

312
tout à fait apprécier la gravité de la situation Le griot Oiamourou se fait fort de l'en
instruire:
Ex 10
Un lundi matin Diamourou l'avait tiré en
dehors
du cercle des
causeurs,
s'était penché
pour lui cracher dans l'oreille le secret.
Les
Soleils :
136.
Deux observations capitales sont à faire, L'une, d'ordre spatial, concerne la
position de Oiamourou et son maître Fama. L'autre. de nature sémantique, est la
sUite logique, ou, plus exactement, la sUite illogique de la première, En effet, le
griot et son maître sont en aparté, hors de toute oreille indiscrète: «
"Oiamourou
l'avait tiré en dehors du cercle des causeurs, .. », Les deux hommes étant par
conséquent réuniS en toute intimité et les risques de déperdition de la confidence
ainsi minimisés, voire inexistants, on pouvait logiquement s'attendre à ce que
l'information salt livrée en toute sérénité et avec délicatesse, Mais tel ne semble
pas être le cas puisque le message n'est pas dit, mais plutôt « craché »
et c'est
précisément ce qUI fait problème et nous amène à la deuxième observation,
Le contenu notionnel de cracher suggère en effet un mouvement qui, sil n'est
pas violent, est du moins assez sec et exécuté avec rapidité du fait de sa brièveté
et sa concision, C'est un Jet ponctuel, une projection de soi vers l'ailleurs (la
nature en général), Ce jet, cette projection suppose donc une certaine distance
entre la personne qui effectue le mouvement et le lieu où la matière atterrit Or, le
texte le dit clairement, Oiamourou et Fama étalent l'un près de l'autre, et c'est bien
ce qui explique que le premier ait pu se pencher sur le second pour l'informer,
Dès lors, n'eût-il pas été plus logique de dire: «
Oiamourou s'était penché pour
lui souffler / dIre à l'oreille le secret »?
En effet, la situation d'intimité où se
trouvent les deux confidents est très peu compatible avec le verbe cracher en
raison du signifié de celui-ci. Mais sans doute faut-il chercher à résoudre

313
autrement cette question de vocabulaire. La gravité de la situation qui motive la
confidence elle-même interviendrait alors. Qu'est-ce que cela signifie?
Le contexte donne à penser que Fama sous-estimait la gravité de la
rencontre. Diamourou que l'expérience de la pratique du sérail politique a instruIt.
savait lui, quel péril pesait sur son maître dans cette rencontre peu ordinaire. Il
devait par conséquent perdre patience devant l'insouciance de Fama et en
paraître en même temps excédé, pour décider de l'instruire à son tour En outre.
autant l'action de cracher au sens propre est un acte clos qUI saccompllt en
totalité et sans restriction, autant l'instruction au profit du pnnce sur la portée réelle
de la situation devait être complète et sans réserve. AusSI peut-on penser que le
concours des trois facteurs réunis explique la métaphore avec crac her. C'est
d'abord la gravité de la situation; ensuite l'exaspération de DlamourolJ devant
l'insouciance de Fama; enfin, Je fait que l'information à porter devait être la plus
convaincante possible. Dans l'énoncé suivant, le narrateur omniscient instruit le
lecteur profane au sujet du sang sacrificatoire 1\\ insiste particulièrement sur sa
valeur mystique, sa brillance spéciale traduite par flamboyer:
Ex 11
: Mais le sang, vous ne le savez pas parce
que
vous
n'êtes
oas
Malinké,
:'.-e
sang
2St
prodigieux, criard et enivrant. De loin, àe très
loin,
les oiseaux le voient flamboyer (.
).
Les
Soleils
:
147.
DepuIs que Fama est devenu polygame, son foyer porte le deuil de l'entente
cordiale et de la paix qui y règnaient. Non seulement Salimata ne supporte plus
son man, mais encore, elle est viscéralement Jalouse de sa co-épouse
Ex 12
:
Fama la crispait,
l'effrayait et surtout
le tara grinçait; et le grincement déchirait ~es
oreilles, brûlait les yeux( ... ). Les Soleils:
159.

314
L'exagération est indiscutable. En effet. quelle que SOit l'intensité du grincement et
le désagrément auditif qu'on peut en éprouver, Il est absolument Impensable quil
puisse mettre en lambeaux les oreilles qui insupportent ce bruIt. Le caractère
Infernal du grincement peut être exaspérant, même nOCif, mais pas au point de
lacérer carrément les parties auditives. Ce que déc h ira i t
exprime pal
conséquent, c'est à la fois la grande intensité du bruit et l'extrême nocIvité qUI en
découle pour la personne qui le subit. Cette remarque nous rapproche de l'étude
d'autres anomalies.
111-2-2-1-3
Autres "anomalies" syntaxiques
111-2-2-1-3 -1-1 Réalisation de l'objet interne
La notion d'objet interne est une notion linguistique (grammaticale) qui
Intéresse la question de la complémentatlon dont nous avons vu des réalisations
avec les extraits proposés précédemment.
Donnons-en encore quelques
exemples hors-texte :
1- Isabelle mange un chocolat.
2- Au clair de lune, les jeunes filles chantent souvent des chansons grivoises en
Afrique
Les substantifs chocolat et chansons sont en fonction de complément d'objet
auprès de mange et chantent. Leur présence permet la réalisation parfaite du
schème des verbes qu'ils suivent. Une différence sémantique les sépare
cependant qui est liée au contenu notionnel de chaque verbe
Le signifié de
mange réfère à un élément extérieur et pour ainsi dire, extrinsèque à lui.
Autrement dit, le fait «
mange »
se porte sur cet élément du monde extérieur qUI,
non seulement n'est pas Inclus dans le signifié du verbe, mais mieux, ne peut
même y être Inclus. Le substantif chocolat est donc le prototype du complément
d'objet direct classique Ouant à la relation entre chantent et chansons, elle est
spéciale, dans la mesure où le substantif se trouve naturellement Intégré au

315
sémantlsme même du verbe. On chante nécessairement une chanson. non une
mangue, un verre, la mer,
Bien sûr, nous ne parlons pas iCI du thème de la
chanson car à ce niveau, le choix et la motIvation sont ouverts et chacun peut
librement donner cours à son lyrisme. Ce que nous voulons souligner au
contraire, c'est que chansons est le résultat exclusif inscrit à l'intérieur Illêllle de
l'action chantent. Et c'est là le fondement même de la différence entre 1objet
classloue et l'objet -interne
celui-ci est unique. celui-là pluriforme et variable.
Prévenons une autre objection pour terminer cette partie définitionnelle
L'oppOSition objet Interne- objet externe sur les critères d'unité et de variabilité
est strictement fondée sur une base logico-sémantique excluant les possibilités de
réalisatIon structuralistes. Il est certain en effet que sur l'axe paradigmatique des
substitutions, les critères que nous venons de citer perdraient leur valeur, tant la
substituabilité est illimitée, infinie. Sur cette base et au propre, on pourrait aussI
bien manger un téléphone, une cassette vidéo ... que chanter une chaussure. un
lampadaire, ... Certes, d'un point de vue grammatical, ces énoncés seraient
corrects puisqu'ils ont une syntaxe tout à fait conforme à la structure de base
sUJet+verbe (+ objet). Dans ce sens, ils rejoignent les constructions anomales dont
nous avons déjà évoqué une forme. Mais nos critères ici sont d'abord fondés sur
des présupposés anthropologiques qui priorltisent le facteur probabilité des
événements décrits. Après ces vues théoriques, tournons-nous du côté des
romans de Kourouma pour passer el1 revue les cas de réalisation du complément
d'objet Interne. Notons tout de suite que deux sortes d'objet Interne sont à
distinguer. D'un côté, les objets internes propres, de l'autre, les objets internes
analogiques. Pour mieux mettre en relief la relation entre les verbes et leurs
objets. nous soulignons l'un et l'autre.
111-2-2-1-3- 1-1
Objet
interne
pur
Dans le premier énoncé, c'est le substantif salut qui est en fonction d'objet

316
Interne propre On remarquera la synonymie entre salut et prière dont l'éviction
par l'auteur rend discrète la répétition et en amOindrit d'autant l'effet:
Ex
1
Fama
était
parti
à
la
mosquée,
il
y
priait chaque matin son premier salut à Allah.
Les Soleils: 44.
Un couple verbe-objet interne propre est courant sous la plume de Kourouma.
C'est celui composé de marcher et voyage ou des substantifs assimilables. Au
lendemain des funérailles réussies de Lacina, Fama prit la ferme décision de
retourner s'installer à la capitale, ce, non seulement en dépit de sérieux atouts à
sa disposition à Togobala, mais encore, des tentatives Insistantes de Balla pour le
persuader de renoncer au voyage. Exaspérante obstination d'autant mOins
compréhensible que le voyage n'était pas placé sous les meilleurs auspices:
Ex 2 : Qu'allait-il chercher ailleurs? Il avait
sous
ses
mains,
à
ses
pieds,
à
Togobala,
l'honneur (membre du comité et chef coutumier),
l'argent
(Balla
et
Diamourou
payaient)
et
le
mariage
(une
jeune
femme
féconde
en Mariam).
Pourquoi
tourner
le
dos
a
tout
cela
pour
marcher un mauvais voyage? Les Soleils:
152.
Ex 3 : D'ailleurs l'interprète sortait très peu,
sauf
la
nuit
ou
i l
marchait
les
longues
promenades
dont
nous
avons
parlé,
a
cause
du
mal que nous savons. Monnè : 115.
Le roi Djigui vient de recevoir, non sans grande surprise, le commandant Héraud
et ses amis. Parmi ceUX-CI, Kélétigul, le propre fils du rOI qUI fut desllerlte et banni
de Soba pour crime de lèse-majesté. Dialogue
Ex 4 : - C'est moi le Commandant Héraud.
- A vous la bienvenue, Commandant Héraud.

317
Je
Vlens
de
loin
et
ai
beaucoup
souffert moi aUSSl.
-
Alors
nos (Compliments ~ VOliS <lU]
avez
marché
le
lointain
voyage.
Nonnè
211.
Comme l'attestent ces extraits, le caractère pléonastique des constructions mis en
relief tient au fait qu'entre le verbe et l'objet, il n'existe aucune activité dont le
second est la manifestation qui ne SOit déjà exprimée virtuellement par le contenu
notionnel du premier. C'est du reste pour cette raison qu'on se serait attendu aux
expressions plus courantes telles que faire une prière (Ex1), effectuer un
voyage (Ex2 et Ex4), faire
une
promenade
(Ex3)
Ces
formes
qui
transgressent les principes élémentaires de la combinatoire sémantique en ce qUI
concerne la complémentation, sont le résultat d'une Interférence linguistique,
laquelle procède, comme on l'a vu, de la volonté de l'auteur de faire dire le
personnage de l'intérieur en restituant au mieux la pensée africaine. Dans ces
conditions, il est tout à fait compréhensible qu'une lecture sans doute de bonne
foi, mais ignorante du volet militant -
dans le sens d'une certaine identité
linguistique -
du discours romanesque de Kourouma, et de toute façon esthétiste,
ait parfois chercher à discréditer l'auteur et son style. Une telle attitude
d'ostracisme, si elle peut se justifier dans une perspective académiste, nous paraît
cependant
réductrice pour \\a
recherche
sémantique et les possibilités
d'investigation stylistique. Parce que les constructions comme celles qui
précèdent et celles encore à venir font partie intégrante du style de Kourouma,
une étude des faits de langage telle que la nôtre n'aurait pu se concevoir en
dehors de
ces questions de grammaire
et de
sémantique,
Comment
apprécierions-nous autrement l'intérêt du strict point de vue de la recherche
linguistique d'un passif inhabituel illustré dans les passages qUI suivent? Le
patnarche Djigui s'adresse au commandant Héraud et sa suite.
Ex 5
Alors à vous notre remerciement pour
le

318
long chemin marché jusqu'à nous.
Monnè
230.
La même forme se retrouve dans l'extrait suivant où la vieille femme accomplit, à
force dobstination et de patience, la mission que lui ont confiée son mari et son
fils, tous deux tués par les travaux forcés. Cette mission consiste à exprimer le
sentiment de gratitude des défunts aux députés pour la suppression des travaux
forcés·
Ex 6 : «
Mes compliments!
Mes compliments pour
les
chemins
marchés,
pour
l'harassant
travail ( . . . »>. Monnè : 239.
Sur le modèle de la réalisation de l'objet Interne tel que nous venons de le VOir, on
rencontre d'autres constructions qui extériorisent la relation virtuelle eXistant entre
le verbe et le substantif correspondant.
Nous appelons objets internes
analogiques, par opposition aux premiers, ces substantifs réalisés par analogie
au moyen de ce procédé de complémentatlon peu ordinaire.
111-2-2-1-3-1-2
Objet interne analogique
Il s'agit de Djigui qui effectue une tournée avec ses sUJets:
Ex
1 :
Le
soir
l'avait
surprls
avec
ses
compagnons
dans
un village de
montagne

les
habitants
les
avaient
accueilis
et
avaient
courbé avec eux la dernière prière.
Monnè
:16.
Ex 2 : La quatrième prière arriva trop tôt, mais
on
la
courba
très
scrupuleusement,
PUlS
la
nuit vint.
Les Soleils:
140.
Ex 3 : Pour encourager et honorer notre rOl,
des
villageois
spontanément
vinrent
à
la
mosquée,
courbèrent
la
prière
du
combattant( . . . ).

319
Monné
188.
La nouvelle complémentation illustrée par les extraits ci-dessus est assez
significative du point de vue de la gestuelle religieuse. et spécifiquement
musulmane. En effet, le fidèle musulman alterne différents mouvements au cours
de l'adoration de l'Etre suprême: station debout, accroupissement. génuflexion.
prosternation Jusqu'au contact du front avec le sol, ... sont les principales postures
qu'adopte le musulman lors de la prière. C'est ainsI que la prière, chose abstraite
en réalité. acquiert une certaine matérialité au moyen de cette désignation
métonymique où les différentes positions deviennent, de partie d'un tout quelles
étaient le tout lui-même. Il en découle une économie du matériau IlI1gulstiaue
génératrice d'expressivité grâce à sa forme concise. Le passage sUivant où la
gestuelle est détaillée par l'auteur lui-même corrobore nos vues en ce qUI
concerne l'économie et l'expressivité de courber la prière.
Comparez
«Fama se ressaisit et se livra tout entier à la prière. Par quatre fOIS Il se courba ..
s'agenouilla, cogna le sol du front, se releva, s'assit, croisa les pieds »
( Les
Soleils: 26 ) Courber la prière concentre donc l'ensemble des mouvements
accomplis par le croyant, mouvements dont la description ci-dessus permet
d'apprécier la volonté de concrétisation de la chose immatérielle prière. Une fois
obtenue cette concrétisation, l'étape de pronomll1alisation métaphOrique nest
plus lOin, par laquelle l'acte prier se trouve proposé à l'attention à travers se
courber. En voici une Illustration:
Ex
4
L' heure
de
la
premlere
prière
avait
passé,
il
aurai t
été
ridicule de
se
courber,
par un soleil aUSSl loin. Les Soleils
179.
Ex 5 : Comme il se doit,
la première prlere de
l'aube et les suivantes de
la journée,
si on le
pouvait,
se courbaient ensemble à
la mosquée.
Nonnè :
187.

320
Entre
se courber de l'exemple
de la page 26 de Les Soleils
et celui des
exemples 4 et 5, il n'existe qu'une simple homographie, car au niveau du sens,
nous avons affaire à deux verbes différents. Ce qui rappelle le cas du verbe
donner employé intransitivement et que nous avons déjà vu. D'autres verbes
sont également construits avec un substantif objet sUivant le modèle de courber
la prière. Ce sont entre autres, danser un accueil, asseoir le deuil:
Ex
6
Tout
commença
le
so~r
mème
que
Fama
arriva à Togobala.
Il alla saluer,
se courber,
se pencha
à la porte de la case où les veuves
asseyaient
le
deuil
(pendant
quarante
Jours
elles restaient cloitrées).Les Soleils
132.
Ex
7
Les
gens
du
comité
avaient
fait
le
déplacement parce que Fama asseyait le deuil.
Les Soleils
138.
Ex 8 :
(Moussokoro)
rendit visite à la mère de
Dj igui
dans
la
case
ou
celle-ci
asseyai t
le
deuil( ... ). Monné:
138.
Ex 9 : «
L'Almamy nous demande des chevaux, des
bœufs, du mil,
des guerriers, des esclaves pour
a limenter
le
combat
contre
les
envahisseurs
nazaréens.
» ,
déclara
Dj igui
à
son
retour
à
Soba à la foule enthousiaste qui lui dansait un
accueil à la porte du rempart. Monnè : 28.
Ex 10
:
( ... ) nous chantions et dansions haut
et
fort
les
fêtes
de
suppression des
travaux
forcés et de l'indigénat( ... ). Monné:
244.
Grâce à la phrase parenthétique de l'exemple 6, l'intérêt linguistique de la
forme asseoir le deuil se double d'un autre, culturel celui-là Le profane est en
effet instruit des us et coutumes relatifs au deuil chez le Malinké, flon seulement
pour ce qui est de sa durée, mais aussi pour ce qui touche à la liberté de

321
mouvement de la personne éplorée. S'il est abusif de parler dune rupture totale
avec le monde extérieur, il ne s'en faut pas de beaucoup pour que la situation y
ressemble. Et parce que la formule copulative claSSique «
être en deuil »
à
valeur constatative ne semblait pas pouvoir fidèlement rendre compte de cette
Situation de privation partielle de liberté, l'auteur lUI a préféré une forme
particulièrement expressive du faIt de son caractère Inhabituel. Asseoir le deuil
traduit par conséquent toute une réalité culturelle consacrée par une pratique
multlséculaire ayant ses contraintes propres: l'individu éploré dOit être le plus
sobre, discret et casanier possible. C'est ainsi qu'il reçoit à domicile toutes les
manifestations de compassion des autres membres de la communauté. On
comprend alors parfaitement que dans cette société phallocratique. la Situation
des veuves par rapport à la pratique du deuil confine à la claustration. ce qui peut
faire penser à une assignation à résidence pour le profane. L'Intention de l'auteur,
en employant inaccoutumièrement asseoir touche également l'aspect collectif du
mouvement référé par le Signifié du verbe. AinSI, pour expnmer avec exactitude le
cercle des mangeurs qui se forme à l'heure et autour des repas, l'auteur risque
une pronominalisation sur le verbe dont l'impropriété n'a d'égal que toute la
richesse expressive des constructions précédentes, L'extrait sUivant en témoigne:
Ex
:
Les
histoires
de
chasse
permettaient
de
parcourir facilement les
journées.Rapidement le
soleil montait au-dessus des têtes et le repas
s'asseyait autour de
calebasses
communes.
Les
Soleils:
130.
La volonté de l'auteur de matérialiser le mouvement exprimé par le contenu
notionnel d'asseoir d'une part, et d'en exploiter consubstantiellement. la
clrculanté implicite d'autre part, est sans limite pUisqu'elle inclut Jusqu'aux notions
abstraites telles que palabre'
Ex
Salimata,
en
allégresse,
courut
à
la

322
rencontre
et
salua
fama.
Dans
l'après-midi
un
palabre
fut
convoqué
et
assis.
Les
Soleils
:
157
On le voit, l'objet-cause qui motive la convocation de l'assemblée devient par effet
synecdochique, l'assemblée elle-même: le palabre qui est assis réfère au niveau
extra-linguistique, aux personnes qui constituent l'assemblée et qUI vont débattre
d'un ordre du jour Quant à l'autre construction, danser + substantif. elle est
assez différente des précédentes, quoique répondant comme elles à un besoin
d'expressivité. En effet, à une époque coloniale faite de corvées de toute nature,
avec pour corollaire la raréfaction Inéluctable des fêtes populaires dans une
société naguère émotionnellement exubérante, une bonne nouvelle est une
éclairicle dans la grisaille eXistentielle. Et comme telle, elle doit être célébrée avec
faste. rythme (danses, chants,.) et couleur, toutes choses indissociables et faisant
partie intégrante de l'accueil et de la fête. C'est par conséquent toute cette
générosité émotionnelle, ce bouillonnement rythmique haut en couleur que
traduisent tour à tour, les expressions dansait un accueil et dansions haut
et fort les fêtes, ... En effet, des fêtes privées de chants et danses nen sont pas.
et on ne peut concevoir d'accueil public chaleureux sans quelques prestations de
danses. Ainsi, est-ce par un CUrieux paradoxe que ce qUI se présente à première
vue sous les apparences d'une impropriété revêt en définitive un intérêt certain du
point de vue du rendement expressif. Terminons dans ce sens avec d'autres
constructions d'une particularité encore plus frappante. Il s'agit entre autres, des
verbes dormir et coucher qui ont pour objet le substantif nuit. de tuer avec
pour objet, sacrifices, d'entendre une odeur
Section 3-111-2-3 Nouvelle rection directe
La notion de rection est relative
aux propriétés syntaxiques du verbe.
Selon le Dictionnaire de linguistique en effet, elle qualifie«
la
propriété

323
qu'a un verbe d'être accompagné d'un complément dont le mode
d'introduction est
déterminé ».8 Ainsi un verbe transitif est à rection
directe SI son objet est introduit sans préposition. En fait. la rection n·est quune
variante de la transitivité puisqu'un verbe dit transitif direct réfère exactement à la
même réalité linguistique qu'un verbe à rection directe. Mais ce qUI mérite surtout
d'être noté, c'est l'exploitation par Kourouma de la réalité linguistique elle-même.
On observe en effet la "création" d'une nouvelle rection directe, SOit pour des
verbes qui d'ordinaire s'employaient peu transitivement. soit pour des verbes
transitifs directs mais qui reçoivent un objet inattendu. Certains se sitU€nt
dans le
prolongement de l'expression du haut degré, d'autres, de loin les plus nombreux.
s'arrétent au seuil de l'idée intensive. Commençons par les premiers.
111-2-3-1 Rection directe à valeur intensive
Le marabout vient d'égorger le coq pour le sacrifice devant conjurer le
mauvais sort qui
menace
Salimata et son
mari.
La volaille se débat
vigoureusement avant de mourir. L'extrait que nous proposons, montre le tableau
saisissant de la scène:
Ex l
: Comme une gousse de baobab l'oiseau frappa
le sol et se croyant libéré se projeta vers
le
ciel, une fois,
deux fois,
trois fois,
s'efforça
de
s'élever
en
vain;
le
bec
et
la
tête
ne
décollèrent
pas
du
sol.
Alors
i l
siffla
la
douleur
et
la mort (... ).
Les
Sol ei 1 s
:
75.
La tentative d'abus sexuel perpétré par Abdoulaye sur la personne de Salimata a
échoué. Blessée dans son amour propre, la femme a non seulement réagi avec
promptitude, mais encore, avec une fougue Insoupçonnée par le victimaire.

324
Ex
2
: (. .. ) la
femme
fut
projetée,
dispersée
et
ouverte
sur
le
l i t ;
i l
ne
restait qu'à
sauter
dessus.
Il
ne
le
put;
car
elle
hurla la
rage
et
la
fureur
et
se redressa frénétique
( . . . ) .
Les Soleils :79.
Ainsi transie de fureur vindicative, Salimata vient d'asséner un violent coup de
couteau à son agresseur. L'extrait qui suit décrit la réaction de celui-ci:
Ex 3
: Dans
les
yeux de Salimata éclatèrent
le
viol,
le
sang
et
Tiécoura,
et
sa
poi trine
se
gonfla de la colère de la vengeance.
Et la lame
recourbée frappa dans l'épaule gauche.
L'homme à
son
tour
hurla
le
fauve,
gronda
le
tonnerre.
Les Soleils:
79.
Des similitudes formelles fondées sur le sentiment linguistique et le contexte
peuvent être dégagées au niveau sémantique entre ·Ies énoncés mis en relief et
d'autres
locutions
verbales.
Il siffla la douleur et la mort peut
ainsi
s'entendre, faute de mieux, au sens de «II siffla de douleur»
Elle hurla la
rage et la fureur signifie «
Elle hurla de rage et de fureur »
tandis que
«hurla comme un fauve, gronda cOlTlme un tonnerre »
possède le même
signifié que hurla le fauve, gronda le tonnerre. Quelle nuance sépare-t-elle
alors ces expressions qui justifie la préférence du romancier? Les équations
sémantiques ci-dessus montrent que la différence entre ces expressions n'est que
de degré, non de nature Or justement, l'intention de l'auteur semble être sous-
tendue par la conscience de cette nuance de degré, c'est-à-dire l'expressivité des
formes choisies pour mieux faire sentir au lecteur les événements décrits. L'usage
ayant en effet affadi les expressions courantes, celles-ci sont presque les
euphémismes des formes choisies par l'auteur. C'est ainSI qu'elles accèdent en
définitive et de manière
symbolique au stade des moyens d'expression du haut
degré grâce à leur expressivité, tributaire elle-même du caractère inhabituel de

325
leur syntaxe. A côté de ces verbes à rection directe marquant l'intensité, on trouve
d'autres verbes dont l'expressivité n'atteint pas l'idée intensive, L·étude de ces
verbes que nous avons voulu succincte parce que n'ayant pas d'intérêt réel dans
le cadre de notre travail, mettra un terme à l'étude générale des anomalies
syntaxiques.
111-2-3-2
Rection directe simple
La modification syntaxique ( par l'emploi de compléments inhabituels) des
verbes à rection simple entraîne un transfert de sens qui crée une certaine
polysémie. On remarquera que de ce point de vue. le mécanisme tropologique en
cause est identique, quant au résultat, à celui de l'emploI absolu des verbes
tranSitifs déjà étudiés. A propos du sang, le narrateur assure, sentencieux:
Ex 1 ( .. ) vous ne le savez pas
parce que vous
n'êtes
pas
Hal inké,
le
sang
es t
prodig ieux,
criard et enivrant.
De loin,
de très
loin,
les
Olseaux
le
voient
flamboyer,
les
morts
l'entendent.
Les Soleils:
147.
D'après le passage, l'exhalaison du sang sacrificiel n'est pas perçu par l'attribut
humain naturellement commis à la tâche olfactive, puisque les morts ne sentent
pas l'odeur du sang, mais «
l'entendent >>. La modification fonctionnelle au
niveau des facultés sensorielles est-elle alors dépendante des statuts (vivant!
mort) des sujets qui en sont dotés, ou sont censés en faire usage? Une telle
hypothèse serait assez commode pour expliquer la redistribution des sens, sans
doute trop commode même pour être plausible. Aussi. pensons-nous que cette
forme, autre manquement à la combinatoire sémantique doit être Justifiée
autrement,· en nous situant par exemple du côté de la langue rnalinké. En effet, en
malinké comme dans nombre de langues africaines, l'expression des activités
olfactive et auditive est assurée par le même terme: on «
entend »
une

326
exhalaison, un parfum quelconque comme on entend une musique. la voix de
quelqu un. Cela signifie que la distinction sémantique établie par le français n'est
souvent perçue dans certaines langues africaines et singulièrement en mallnke.
que d'après le contexte. Autrement dIt, la forme en cause Ici. entendre une
odeur est une influence du malinké sur le français et Il faut comprendre en réalité
«
les morts le sentent ». Mais en dépit du fait que les contextes sont en général
assez explicites pour ne laisser subsister aucun doute quant à 1interprétation. on
hésite parfois à dire si certaines constructions doivent être imputées aux
interférences linguistiques, ou SI elles ne ressortiraient pas davantage à une forme
spécifique des créations personnelles de l'écrivain. En fait, vu l'improbabilité de
l'argument par les interférences linguistiques, seule la deuxième hypotnèse paraît
plausible. Nous devinons les questions qu'un tel parti-pris peut susciter. Existe-t-il
des critères objectifs permettant de distinguer nettement entre la nature des
constructions? Dans l'affirmative, quels sont-ils et comment opèrent-Ils? Pour
donner des réponses tranchées, l'idéal eût sans doute été d'entreprendre une
étude contrastive complète du français et du malinké, encore que, mème dans
cette perspective, le résultat pourrait n'être pas absolument garantI. vu les écueils
inévitables liés à la traduction. Mais là du moins, des résultats probants seraient
obtenus. Une telle étude qui répondra à des exigences spécifiques excèderait le
but de ce travail. Toutefois, nous ne nous déroberons pas aux interrogations
formulées plus haut. Pour y répondre, citons quelques extraits tirés de Les
Soleils. On accordera un intérêt tout particulier à dormir et tuer et leurs
compléments. Salimata n'a pas eu une nuit reposante, préoccuppée qu'elle était
par sa stérilité:
Ex 1 : Et cette
journée-là débuta par un réveil
trop matinal à
la suite de
la nuit mal dormie.
Elle tournait dans le lit,
le matin était encore
loin(
). Les Soleils:
JO.

327
Une rafale salutaire laisse cependant quelque chance de sommeil à Salimata peu
avant le lever du jour:
Ex 2 : Un vent quelque peu décidé arr~va, frappa
les
tales,
siffla
dans
la
porte,
caressa
les
joues
et
le
visage
de
Salimata
jusqu'à
l'engourdir. Elle referma la porte,
se recoucha,
pour
dormir
le
petit
reste
de
la
nuit.
Les
Soleils:
36.
La complémentation entre dormir et nuit est à souligner Cette relation
syntaxique est en effet absolument identique à ce qui unit un verbe transitif comme
déguster et vin dans l'énoncé: «
Avec fierté, le cellier dégusta le premier ce Vin
nouveau »
Le substantif vin ne fait pas seulement l'objet d'une dégustation: Il
est surtout le terme butoir qui supporte passivement l'action de dégusta. Il est en
quelque sorte le patient grâce auquel l'action de l'agent (le cellier) saccomplit. Si .
par conséquent, nuit est dans une relation syntaxique identique avec dormi r,
cela signifie qu'on aboutit au plan sémantique, à une modification du signifié de
dormir unef la nuit. Ainsi les extraits que nous venons de proposer ne
semblent-ils plus devoir être pris dans l'aspect duratif de «dormir pendant Llne
nuit », mais bien, sous le rapport agent-patient. En d'autres termes, dans ces
énoncés, tout se passe comme si nuit n'était plus la période, le moment du JOur
où l'on dort, mais plutôt ce qui fait l'objet du sommeil, de sorte quon pourrait bien
établir une équation sémantique entre faire un somme et dormir une nuit.
Quant à la question des critères permettant de savoir si les formes doivent être
rangées parmi les Interférences linguistiques, ou si au contraire, elles ne dOivent
l'être qu'au titre des marques personnelles de l'écrivain, donnons encore
quelques exemples avant de la trancher définitivement. Le retour de Fama et son
éventuel établissement définitif après vingt ans d'exil n'est pas du goût de tout le
monde. Mais il a un atout, Balla, et un devoir à accomplir, conjurer le mauvais sort
par quelques sacnfices:

328
Ex 3 : Fama pouvait vivre sans
inquiétude,
tant
Cj u e
jJ cl 11 cl
S 0 Il
cl t 1: r Cl Il cil 1.
l' e spi. r cl 1. l. Se u l e 11\\ e Il t ,
Fama
devait
tuer
des
sacr if ices
aux mànes des
aïeux.
Les Soleils :123.
Comme Fama. Djigui conjure le mauvais sort par des sacrifices après un
cauchemar:
Ex 4
Cinq requlns happèrent Djigui qui dégagea
ses
jambes
tuméfiées
par
des
chiques
grouillantes et sautillantes
( ... ).
Il cria au
secours,
tua des
sacrifices; Monné:
89.
Ex 5 . Toutes les mamans Doumbouya versaient des
libations,
tuaient
des
sacrifices
pour que de
leur giron descendît l'enfant qui serait le chef
de la dynastie.
Les Soleils:
92.
La relation entre tuer et sacrifices corrobore ce qui a été dit plus tôt de la
complémentation entre dormir et nuit. Et c'est précisément ce qUI pose
problème, car l'énoncé n'autorise d'interprétation recevable pour sacrifices que
celle qUI voit dans le substantif, au niveau extra··llnguistique. ia bête quon tue. En
termes différents, il faut entendre par ce substantif, non pas l'offrande rituelle. la
cérémonie au cours de laquelle l'animal est tué, mais tout se passe plutôt comme
si la bête se transmutait entièrement en la cérémonie, incarnait absolument celle-
ci. Aussi peut-on dire que de l'abstrait qu'il est d'ordinaire, sacrifices devient en
quelque sorte un objet matériel préhensible grâce à cette construction. Quel
intérêt peut avoir une telle observation par rapport à l'interrogation principale?
Tuer un sacrifice pour «
faire un sacrifice »
dans le sens propre d'immolation
ne semble pas être imputable à une interférence linguistique comme par exemple.
marier dans le sens d'épouser. Il en va de même de dormir une nuit. Dans ces
conditions, il est loisible d'émettre d'autres hypothèses et nous pensons que ce::

329
constructions sont une forme spéciale des marques personnelles de 1auteur. Elles
ajoutent ainsi à l'originalité de SOIl style dans lequel, Il est vrai. les formes
interférées linguistiquement occupent une place Importante. A ce propos du reste.
l'emploI de tomber sans le défectif faire est significatif:
Ex 1 : Mariam voulait coûte que coûte tomber le
pagne
de
Salimata
afin
que
tout
le
monde
vit
« l a
matrice
ratatinée
d'une
stérile».
~es
Soleils:
158.
Ex 2 : Fama
( ... ) s'écria:
«
Ah!
j'ai compris!
tout
entendu!
Une
intrigue
tombera
Nakou ,
désolera la ville( ... »>.
Les Soleils:
171.
Terminons par quelques exemples d'un ensemble encore plus vaste d'anomalies
leXicales comprenant des néologismes particuliers. Nous pensorls notamment aux
substantivations et aux pronominalisations (en ce qui concerne les verbes).
Impropres. Au niveau de la substantivation par exemple, on note qu'elle est
pluriforme, si le critère de classification est la nature du terme substantivé Ainsi.
Ex3 et Ex4 sont-Ils des cas d'hypostases adjectivales. tandis que Ex5 et Ex6 sont
des hypostases participiales:
Section 4-111-2-4 Néologismes particuliers
111-2-4-1 Par substantivation impropre
De manière SUCCincte, la substantivation peut être définie comme un
procédé linguistique par lequel un terme se nominalise par "antéposltion de
l'article. C'est donc un procédé en apparence banal dont f<ourouma abuse à
dessein, puisqu'on assiste chez lui à de flagrantes Ilypostases:
Ex
3 : Au
retour
de
la
mosquée,
chaque
mat:in
Diamourou et Fama s'arrêtaient et saluaient à la
porte des veuves. Mariama les attendait. Disons-

330
le,
parce qu'Allah aime le vrai! Elle était belle.
ensorcelante( ... ). Les Soleils:
134.
La réticence de Fama à prendre Mariam pour seconde femme alors même que
Salimata est victime d'une stérilité irrémédiable, exaspère ceux de Togobala et les
critiques et médisances ne se dissimulent plus:
Ex
4
: Fama
avait
refusé
Mariam
parce
qu'il
n'avait ni les reins ni l'argent. Au village,
on
avait
juré,
protesté,
médit
de
Fama:
un
légitime,
un fils
de chef qui courbait
la tête
sous les
ailes d'une femme stérile,
un dévoyé!
Les Soleils:
93.
Tout le monde a fait preuve d'une grande générosité compatissante pour la famille
éplorée à l'occasion des funérailles de Koné Ibrahima. A preuve:
Ex 5 : Les amis,
les parents et même de simples
passants déposèrent des offrandes et sacrifices
qui furent repartagés et attribués aux venus et
aux grandes familles malinké de la capitale. Les
Soleils
9.
Ex
6
Et
chaque
Jour
le
cercle
autour
des
calebasses de tô s'était élargi des camarades de
classe
d'âge
qUl
avaient
choisi
l'heure
de
l ' a s s i s e
des
repas
pour
ven_lr
saluer. Les
Soleils
131.
111-2-4-2 Par création verbale impropre
La création verbale suit elle aussi un processus néologique quasI Identique
à celui de la substantivation. La différence vient du fait qu'au niveau des verbes,

331
on peut distinguer entre néologismes par pronomillaiisation et néologismes non
pronomillaux. ToutefoIs, les deux formes de néologismes se rejoignent par leur
impropriété
111-2-4-2-1 Néologismes simples
Dans cette forme néologique, la création verbale exploite des substantifs
déjà eXistants tels que nuit, contrebande,
marLlbout, ...
Aucune autre
explication que celle d'un désir stylistique iconoclaste Ile semble pouvoir être
justiCiable de ce néologisme excessif. Mais on a pu montrer au cours de nos
développements antérieurs, que ce style qui se veut LIn véritable autodafé de la
forme littéraire classique était sous-tendu par la recherche et le goût d'une
expressivité tout aussi inaccoutumée, modalité de l'esthétique romanesque
kouroumienne globale. Les exemples ne manquent pas:
Ex
l
Même
s ' i l
nuitait
dans
les
Cleux,
restait un enfant.
Les Soleils
67.
Ex
2
:
C' étai t
pour
atténuer
les
rigueurs
du
socialisme
qu'il
hantait
les
frontières,
trafiquait
( . . . )
et
contrebandait
les
marchandises. Les Soleils:
98.
Dans l'extrait suivant, il s'agit du très pieux Yacouba dont le couple royal ( et
surtout la préférée du souverain Djigui ) est tombé en admiration:
Ex
3
:
Moussokoro avait estimé qu'il
meritait
d'être
appelé
au
Bolloda
même
s ' i l
ne
maraboutait pas.
C'est ce que Djigui faisait en
évoquant le dévot dans un demi-sommeil. Nonnè :
161.

332
111-2-4-2-2 Néologismes par pronorninalisation
Les verbes issus d'une pronominalisatlon impropre dérivent également
pour la plupart d'autres verbes déjà existants. C'est le cas de s'enrager, se
découcher, s'excéder. Mais on peut Joindre à cette liste Iflexhaustive, le
néologisme s'étranger qUI, lui, s'appUie plutôt sur l'adjectif étrange En vOici
quelques exemples:
Ex
1:
Moussokoro
était
née
dévoyée,
dès
onze
ans,
elle
multipliait
les
fugues,
se
découchait et mentait.
Monné:
142.
Ex 2:( . . . ) le firmament s'élevait,
s'éloignait,
bleuissait
et
s' étrangeait
même
pour
les
hirondelles. Monnè : 202.
Ex
3
Fama
devait
jouer
a
1.' empres sé
et
consommer du Salimata chaud
( ... ) sinon,
sinon
les
orageuses
et
inquiétantes
fougues
de
Salimata!
Elle
s'enrageait,
déchirait,
griffait
( ... ).
Les Soleils:
29
Ex
4
Dehors,
le
vent
et
la
pluie
s'enrageaient.
Les
Soleils:
ï8.
EX
5:
( . . . )
les
Malinkés
ont
beaucoup
de
méchancetés et Allah se fatigue d'assouvir leur
malveillance;
beaucoup
de
malheurs,
et
Allah
s'excède
de
les
guérir,
de
les
soulager.
Les
Soleils:
116.
Ces exemples achèvent l'étude consacrée aux énoncés anomaux dans leur
rapport à l'expression du haut degré. Nous pouvons ainsi revenir à l'interrogation
initiale du paradoxe apparent suscité par ce que nous appelons «
esthétique de
l'anomalie »
Pour ne pas créer une mystique Iflcongrue par la prolongation

333
inopportune du débat sur la question, tranchons-la définitivement en notant ce qUI
suit.

334
Conclusion
Les anomalies linguistiques telles qu'elles viennent d'être décrites. doivent
être évidées du jugement de valeur dont elles sont s/ souvent affublées. Le
raisonnement différentIel traditionnel sous-tendant le dyptique oppositif bon
usage- mauvais usage est tout à fait révélateur de ce jugement de valeur. Or. les
énoncés anomaux répondent tous chez l'auteur, à une intention stylistique dans la
mesure où ils participent de l'ensemble de sa forme littéraire AinsI se dissipe le
malaise qu'a pu susciter la détermination caractérisante Citée plus haut et, par
extension, le sentiment de paradoxe apparent aussi
En termes différents. cela
signifie que les formes anomales analysées acquièrent un certain statut de beauté
dans la mesure où elles s'insèrent harmonieusement dans l'ensemble de
l'esthétique romanesque de l'écrivain, spécialement en ce qUI concerne les
procédés d'intensification. Le mérite de Kourouma réside dans la création d'une
forme littéraire issue en partie de la déstructuration de la langue normative. Cette
déstructuration est pluriforme. Elle procède tantôt par "intransltivisatlon' par effel
de contamination, tantôt par "intransitivisation" absolue. Dans les deux cas. la
suspension
des
schèmes
verbaux
crée
un
sens
nouveau
qUI
traduit
symboliquement l'Idée d'Intensité.
A ce titre, l'emploi des verbes comme donner,
écraser. débiter et surtout de pouvoir est très significatif. D'autres verbes
également d'emploi métaphorique tels mitrailler, enflammer, éclater,.
au
pouvoir expressif.
participent tout aussi avantageusement à l'expression
hyperbolique. Dans ce sens, une mention spéciale doit être faite à propos
d'éclater et de ricocher pour leur polysémie en tant que verbes "inflationnistes".
Ils sont en effet parfaitement représentatifs des anomalies sémantiques de nature
métaphorique. Avec le premier, des notIons abstraites prennent une consistance
matérielle, des objets intrinsèquement non mobiles s'animent AinSI par exemple.
la lune, \\e songe, l'admiration éclatent-ils. C'est également le cas du second qui a
pour sUjet les substantifs jurons et paroles. La complémentation faite à courber

335
(courber la prière), marcher ( marcher le voyage / les prornenades , ), danser
danser un accueuil), asseoir (asseoir le deuil), .. sont également l'une des
innovations principales de l'écriture kouroumienne dans la recherche d'une plus
grande expressivité, Enfin, il faut signaler le procédé d'enrichissement lexical avec
les néologismes impropres, qu'ils soient de nature substantive ou verbale.
Produit d'un bilinguisme novateur, l'écriture kouroumienne initie une véritable
révolution dans la forme du roman. Si elle a choqué la critique normative, c est
sans aucun doute parce qu'elle redéfinit en des termes nouveaux, le rapport de
l'écrivain africain à la langue française. En laissant toutefois un goût d'inachevé
aux irréductibles de l'avènement d'une littérature spécifiquement africaine dont le
critère fondamental seraient les langues locales, Kourouma ne pose-t-li pas là ie
soubassement stylistique de ce qui pourrait être une école littéraire?

336
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7 - Idem p 112.
8 - J. Dubois, M. Giacomo, L. Guespin et al. Dictionnaire de linguistique.
Larousse, 1989 p 407.

337
CONCLUSION
La valeur Idéologique de la langue, comme prisme d'élaboration et de
transmission du mode de pensée et des éléments civilisatlonnels caractéristiques
dun peuple, est un fait incontestable. Aussi apprendre la langue d'autrui. ce nest .
pas seulement s'ouvrir à d'autres réalités culturelles, c'est également, par cet
apprentissage même et la maîtrise de la langue étrangère. adopter une autre
manière de se comporter et de penser, admettre inconsciemment par conséquenl
une abdication partielle de sa propre culture Discours d'imponation oCCldentale\\
en Afrique avec ses contraintes esthétiques, le roman témOigne parfaitement de
cette charge idéologique. Le malaise de c.ertalns éCrivains africains francophones
vis-à-vis de la langue française, support essentiel de leurs œuvres traduit à ce
propos leur prise de conscience de ce phénomène, mais surtout il révèle une
crise Identitaire plus profonde. L'id~e-force de celle-ci est la mise en cause de
l'existence d'une littérature spécifiquement africaine, question à controverse dont
l'opportunité même est sujétte· à caution, Etant donné la valeur culturelle de la
langue, peut-on parler à l'heure actuelle d'une littérature africaine lorsque celle-ci
a pour support linguistique I~ français? Est-il OUI ou non nécessaire d'œuvrer à
1avènement d'une littérature dont le Critère prinicipal d'africanité seraient les
lfangues locales'I Dans l'affirmative, quelles sont les conditions qUI dOivent définir
~cette nécessité? Pour quelle(s) langue(s) africaine(s) opter? Si la question d'une
,,- ,JIHérature spéCifiquement africaine est complexe et pleine d'inconnues, et que
QW pour cette raison même, elle semble être une parfaite utopie, l'espOif demeure di
voir à terme une esquisse de solution sous certaines conditions. En effet. avec une
volonté solidaire réelle entre l'intelligentsia préoccuppée par la question et del
hommes politiques plus audacieux, le
projet qui, faut-il le rappeler, n'est pas
nouveau, peut être remis au goût du jour pour, à défaut d'y trouver une solution
radicale et immédiate, réfléchir à sa faisabilité. C'est une évolution mentale à
souhaiter dans la mesure où cet effort solidaire peut être un heureux antécédent

338
à la question vitale de l'intégration inter-africaine. Il faut bien dire en effet que la
question de l'identité culturelle africalfle qUI sous-tend cette littérature on ne peut
hypothétique encore, ne mérite d'être posée que dans la mesure oü elle sera
formulée en termes d'efficacité de développement solidaire et non plus
autarcique. En outre, cette littérature ne sera vraiment viable que par opposition à
la littérature de support linguistique français actuelle qui ne devra ni ne pourra être
vouée aux gémonies, car le propre de l'art, c'est précisément d'être libre. Entre
ces deux formes littéraires ( dans l'hypothèse optimiste que le rêve devienne
réalité) parallèles, une troisième est déjà élaborée qui ne laisse point indifférent:
l'esthétique romanesque kouroumienne.
En effet, suscitée par une insatisfaction profonde vis-à-vis des normes
conventionnelles en matière de production romanesque en général. et en
particulier, vis-à-vis de l'incapacité du français à exprimer fidèlement, du fait de
son caractère coercitif, la pensée africaine, l'écriture kouroumlenne trouve sa
spécificité dans la rupture avec la langue de convention. Dans ces conditions, la
distorsion du français idéalisé était nécessaire à la restitution du «
rythme
africain»
à travers les structures propres à la langue malinké. C'est que le
discours romanesque de Kourouma se présente comme une tentative de
recentrage de la crise identitaire générale en des termes différents, ou comme une
proposition de redéfinition du rapport de l'écrivain africain à la langue française.
Comment faire une jonction intelligente entre deux formes de discours aux réalités
souvent irréconciliables, l'un, d'importation, le roman et l'autre, autochtone, la
littérature orale traditionnelle? Comment trouver sa propre esthétique romanesque
en s'affranchissant du modèle littéraire occidental sans porter atteinte à
1universalité de l'œuvre produite? Autrement dit, quel langage faut-Ii adopter dans
l'œuvre qui puisse répondre à la question de la crédibilité du discours
romanesque africain, corollaire elle-même de la quête identitaire? Telles étaient
les ambitions et les motivations profondes de l'écriture kouroumienne Si elle a
éveillé la double hostilité d'une certaine critique d'esthètes défenseurs d'un

339
académisme à tout crin cJ'une part, et celle des partlséllls irreductibles de 1,\\
nécessité d'une littérature spécifiquement afncame d'autre part, cest en raison de
ses ambitions mêmes et de leurs exigences. Les mterférences à l'origine des
nombreuses anomalies linguistiques, mais aussi tous les malinkismes ne sont que
le corrélatif préVisible de cette recherche de crédibilité discursive et de
l'adaptation à l'œuvre romanesque de la littérature orale africaine. La création
d'une Instance narrative au statut de griot-conteur traditionnel d'une part.
l'intégration du contage et l'illusion allocutaire qui en découlent d'autre part.
s'inscrivent dans cette logique de quête de réalisme linguistique. En outre,
l'omniprésence du merveilleux dans la littérature orale et spécialement dans les
contes, et la logique éducationnelle implicite qUI en sous-tend la fmallté
sociologique, justifient la tendance hyperbolique des anecdotes et leur narration.
Dans ces conditions, la dominante de l'inl'Iation sémantique dans l'éCrlture
kouroumienne ne surprend guère, l'illogisme des constructions hyperboliques
aussi, puisqu'il répond autant à L1ne visée impressionniste qu'à une exigence
intérieure d'expressivité. A ce titre, l'écriture kouroumienne n'est pas seulement
une écriture de rupture, elle se veut également une écriture de céltharsis car elle
se présente à la fois comme acte d'expurgation d'un certain malaise et acte
d'auto-réconciliation culturelle. L'étude du haut degré à travers le dispositif
d'intensification en atteste parfaitement, non pas tant au niveau de sa forme qu'à
celui de son exploitation C'est que, comme individu, f<ourouma ne peut créer une
langue, produit par essence trans-individuel et social qui le supplante et lui pré-
existe. Cela signifie qu'il n'a pas inventé l'énonCiation intensive en malinké et. a
fortiori en français. De façon générale par conséquent, l'écriture kouroumienne est
conformiste par l'emploi fidèle des moyens traditionnellement préposés à
l'expression du haut degré. Nous pensons notamment aux procédés lexicaux
d'une manière générale, et en particulier aux adverbes. Toutefois, l'écrlture
kouroumienne innove incontestablement au niveau du traitement audacieux sur
ces procédés intensifs. Ainsi, suivant un processus identique aux caractérisants

340
motivés en -ment. des adverbes comme lourdement. gravement.
acqulèrent-
Ils par analogie, une pleine valeur contextuelle de modalités lexicales Intensives.
A fortiori, les structures décommensuratives naturellement Ilyperboliques ne
pouvaient manquer de jouer un rôle important au niveau pictural à travers la
caractérisation sous ses différentes formes. Ainsi, qu'il sagisse des procédés
logiques à double valeur ou des procédés métaphoriques et comparatifs. tous
obéissent à ce besoin obsédant de surenchère sémantique qui fait de l'hyperbole.
la matrice scripturale de l'esthétique romanesque kouroumienne. C'est bien ce qui
explique dans la comparaison intensive par exemple, le goût du narrateur pour les
rapprochements aussi inattendus qu'insolites. Ainsi (les handicaps physiques tels
la surdi-mutité, la défaillance visuelle, ... deviennent-ils de nouveaux étalons
d'évaluation du degré de pigmentation de la peau et d'une incurie de mensonge.
C'est également dans cette logique autotélique toute spéCiale. que l'illetrlsme du
prince Fama est comparé à l'analphabétisme de la queue d'un âne, comme si
celui-ci était susceptible de scolarisation. L'exclamation où l'intonation tient une
place importante participe aussi très étroitement à l'énonciation intensive chez
Kourouma. Dans un procédé qui a une fonction d'intensification essentiellement
symbolique comme l'exclamation et où le facteur affectif domine. Il convient
dinsister sur l'importance du contexte et de la situation de communication. Mais
l'une des grandes innovations de l'écrivain est sans doute à chercher du côté du
"renouvellement" syntaxique et du procédé inhabituel d'enrichissement lexical par
les trangressions contre les normes conventionnelles de la fonction combinatoire
Les nouvelles expressions verbales telles que courber la prière. asseoir le
deuil, marcher le
voyage
(l'expédition
ou
l'excursion), danser
un
accueil, dormir une nuit,.
qui sont autant d'interférences, tiennent d'une
certaine esthétique de l'anomalie qui contribue avantageuselTlent à l'miginalité du
style de Kourouma. En d'autres termes, toutes les agrammaticalités délibérées qui
violent les présupposés lingUistiques les plus élémentaires, s'intègrent et se
réhabilitent dans l'esthétique kouroumienne où elles ont une fonction essentielle

341
D'un strict point de vue méthodologique cependant" faut noter que le
produit de bilinguisme qu'est le langage kouroumlen n'est pas toujours aisé à
analyser. En effet, la complexité même de ce langage-tampon crée les conditions
d'une polysémie du dispositif énonciatif de nature intensive, et prédispose celui-ci
a une lecture sémantique plurielle. En outre, le fait que nous ne soyons pas nous-
même d'expression mallnké a pu influencer inconsciemment notre description
sémantique.
Mais
l'impossible
unanimisme
théorique.
conceptuel
et
méthodologique entre linguistes en général, et entre IlTlguistes sémanticiens en
particulier, en dépit des problèmes qu'il soulève, est très utile. vOire Indispensable
à une meilleure connaissance de la langue et de son fonctionnement Cest ainsi
en effet qu'une sémantique de l'énonciation comme la nôtre. garde toute sa
légitimité malgré ses lacunes possibles
Ainsi par exemple, notre préférence
méthodologique pour une procédure d'analyse variable selon les types d·énoncés
au détriment d'une méthode descriptive monoliHlique se justifie-t-elle par la
diversité et la spécificité même des énoncés décrits. Dans ces conditions, la prise
en compte des paramètres extra-linguistiques dans la description apparaissait
comme un corollaire indispensable à l'ancrage de l'écriture kouroumlenne dans le
terroir malinke. Si l'intégration de ces paramètres était inévitable dans la mesure
où Ils devaient contribuer à l'efficacité de la description sémantique. il serait
erroné de penser que celle-CI a épuisé la totalité des interprétations recevables.
En effet, notre tentative d'élucidation des énoncés décrits et les Interprétations
proposées, ne sont qu'une lecture possible sur l'esthétique kouroumlenne. Ou
strict point de vue du vocabulaire, la diversité du procédé d'enrichissement lexical
doit être notée. On y compte une tentative de resémantisation de certains termes
Vieillis ou peu usités qUI font érudition. Mais la forme d'enrichissement la plus
dominante est la création néologique. C'est ainsi que des néologismes comme
négritie, nazér/sme, déhonté, honterie font leur apparition dans le deuxième
roman de l'écrivain et que par une création verbale inhabituelle. nuiter,
contrebander, s'enrager, se découcher, s'étranger et s'excéder viennent étoffer

342
son vocabulaire. Enfin. l'exploitation abusive de la substantivation qu'on remarque
avec des adjectifs tels que vrai, légitime mais aussi des participes comme venu et
assis. contribue à asseoir une forme romanesque
toute originale. D'une façon
générale par conséquent, les deux ouvrages de Kourouma se situent dans une
continuité esthétique voulue par l'écrivain. Toutefois, il est à noter une légère
modification dans le niveau de langue. La resémantlsation de certains termes que
nous avons précédemment cités en constitue un exemple. En outre, les anecdotes
et les propos grivois sont quantitativement moins importants dans Monnè,
Outrages et Défis que dans Les Soleils des Indépendances. Comment peut-on
Justifier cette modification? L'exil de Kourouma pour des raisons professionnelles
et le manque d'exercice linguistique, son corollaire d'une part. la rupture de
contact avec les nouvelles réalités d'une société en mutation permanente d'autre
part, peuvent-Ils être considérés comme des facteurs déterminants? Cette
nouvelle démarche stylistique est-elle passagère ou présage-telle au contraire un
changement radical? Telles sont les questions auxquelles devront permettre de
répondre les prochaines publications romanesques de l'écrivain. Mais par-dessus
tout. la question de la fortune de l'esthétique romanesque kouroumienne en terme
d'émules en Afrique, et les difficultés qu'exige son élaboration, sont une
orientation de travail intéressante qu'une étude ultérieure devra élucider Cette
étude permettrait de savoir si l'esthétique kourournienne est en voie ou non de
constituer une école littéraire.
Elle pourra également appr.ofondir l'étude
d'intertextualité que nous avons succinctement abordée dans la première partie
de notre travail pour tenter de préciser quelles sont les sources d'influence de
Kourouma. l\\Jous pensons notamment aux éCflvains de notoneté qUI, dans la
production romanesque, ont une antériorité incontestable sur Kourouma. En
attendant que ce travail ne soit entrepris, nous devons émettre un avis sans
équivoque sur l'écriture de Kourouma dans sa forme actuelle, En effet. du strict
pOint de vue de la recherche linguistique. l'esHlétlque kouroumlenne telle que
nous venons d'en proposer une description, est une rlct"'lesse ce l'téllf',e , ToutefOla,

343
elle ne saurait faire l'objet d'une étude didactique pour ceux qui apprennent la
langue française. En d'autres termes, l'existence d'une langue modèle est non
seulement indipensable. mais encore inévitable. D'une façon plus précise encore
cela signifie que la dimension laudative de notre travail s'estompant au seuil de la
recherche linguistique, il serait fort erroné de croire que nous préconisons la
langue romanesque de Kourouma comme modèle d'expression pour les non
"avertis'. Nous pensons notamment aux élèves et étudiants. et, d'une manière
générale, à tous les locuteurs du français du LJon usage. L'avIs du lingUiste qUI
décrit et qui crOit en l'existence non pas d'une norme fixe et immuable, mais de
plusieurs normes selon le contexte et la situation de communication, doit par
--
----
.. --
~
conséquent
être
différe&;ié
de
l'avis
du
pédagogue
qUi,
lUI.
prescrit
nécessairement pour les besoins de l'apprentissage.

344
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Sociolinguistique »
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«
Style »
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Enonciation »
Id. 405-410.
Yagueilo
Marina.
Alice au pays du langage.
Pour comprendre la
linguistique. Paris: Seuil: 1981.

355
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
GENERALE
2
rF-'lliill;r~'jJmEml]; )li>~'Il'ID~ g lliJUJf (Ç@l.t\\'f"n"~~'Ir~ ~TI'H'{()J~'Ir)1@R\\J'N·lE·l1
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l~S:@l(JjH<l@\\Œ1~'{IlLO~)l\\!j')~Jl~
1:2
Ch.1 Etude biographique et bibliographique de l'auteur
13
Introduction
1 3
Section 1 - 1 - 1 - 1Etude biographique de l'auteur
15
Section 2 - 1 - 1 - 2 Etude bibliographique
17
Section 3 - 2 - 3 - 2 Regard sur les œuvres de l'auteur
22
1- 1 - 3 - 1 Contexte situationnel
22
1- 1 - 3 - 2 Résumés
23
1- 1 - 3 - 2 - 1 Les Soleils
23
1- 1 - 3 - 2 - 2 Monnè
24
Section 4 -1 - 1- 4 La symbolique des protagonistes
26
1- 1 - 4 -1 Similitude de situation à l'âge du pouvoir
26
1- 1- 4 - 2 Signification des protagonistes
31
Section 5 -1 - 1- 5 Valeur des œuvres de l'auteur
35
1- 1 - 5 - 1 Valeur de document historique
37
1- 1 - 5 - 2 Valeur de document sociologique
38
Section 6 - 1- 1- 6 Des indices autobiographiques
42
section 7- 1-1-7 Tableau des thèmes récurrents
43
Conclusion
45

356
Ch. 2 L'apport de la tradition orale dans l'écriture kouroumienne
47
Introduction
47
Section 1 - 1 - 2 - 1 Aspects de la tradition orale
50
1 -
2 - 1- 1 Emprunt relatif au contenu
50
1 - 2 - 1 - 2 Emprunt relatif à la forme
57
1 - 2 - 1 - 2 - 1 Une narration vivante
57
1 - 2 - 1 - 2 - 1 - 1 Le modèle du conte
57
1 - 2 - 1 - 2 - 1 - 2 L'exploitation du modèle ou la technique
de l'illusion allocutaire
59
1 - 2 - 1 - 2 - 2 Une narration hyperbolisante
68
1 - 2 - 1 - 2 - 2 - 1 L'hyperbole lexicale
68
1 - 2 - 1 - 2 - 2 - 2 L'hyperbole contextuelle
70
Section 2 - 1 - 2 - 2 L'écriture kouroumienne: une écriture de rupture
73
1 -
2 - 2 - 1 Le registre sémantico-syntaxlque
80
1 - 2 - 2 - 2 Autres expressions idiomatiques
85
Conclusion
89
ill)rn;WJ%~Mrn; IFJ~'1fTI)],; ~ IL)E r~TI5J1f )])~@)R<JE ~JlD~m
~ ec~m.&ec'Il)];mTI~d\\'1fTI@)l\\1[
94
Section 1- Il
Généralités sur l'expression du degré
95
Section 2-11 Circonscription de l'objet
99
Ch.1 Caractérisation intensive par l'adverbe et l'adjectif
104
Introduction
104

357
Section 3 - Il - 1 - 3 Caractérisation intensive par l'adverbe
107
Il - 1 - 3 - 1 L'intensif primitif Très
107
Il - 1 - 3 - 2 L'intensité par les concurrents de Très
109
Il - 1 - 3 - 2 - 1 L'adverbe motivé en - ment
109
Il - 1 - 3 - 2 - 1 - 1 1ntensif d'un adjectif
112
Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 2 Intensif d'un verbe
117
Il - 1 - 3 - 2 - 2
Autres adverbes intensifs
120
Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 1 Tout à fait
120
11-1-3-2-2-2 Tout -
Fort
121
Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 3 Aussi
123
Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 4 Si -
Tant
125
Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 5 Assez - Trop
127
Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 6 Bien
130
section 4 - Il - 1 - 4 Caractérisation intensive par l'adjectif
131
Il - 1- 4 - 1 Caractérisation distinctive à valeur intensive
131
Il - 1 - 4 - 1 - 1 A.S en complément prépositionnel
133
Il - 1 - 4 - 1 - 2 A. S précédé d'actualisateur
134
Il - 1 - 4 - 2 Autres caractérisants intensifs
136
Il - 1 - 4 - 2 - 1 Antéposition
139
Il - 1 - 4 - 2 - 1 - 1 Très grand 1 gros + S
139
Il - 1 - 4 - 2 - 1 - 2 Très nombreux + S
140
Il - 1 - 4 - 2 - 1 - 3 S des S
141
Il - 1 - 4 - 2 - 2 Postposition
142
Il - 1 - 4 - 2 - 3 Sans limite 1 pareil
146
Il - 1 - 4 - 2 - 4 Syntagmes nominaux intensifs
148
Conclusion
151

358
Ch. 2 La caractérisation complexe d'intensité
155
Introduction
155
Section 1- Il - 2 - 1 Les procédés conjonctifs de haut degré
157
Il - 2 -1 - 1 Si que
159
Il - 2 - 1- 2 Si bien que
160
11-2-1-3Telque
161
Il - 2 - 1 - 4 De sorte que
162
Il - 2 - 2 Autres procédés locutionnels intensifs
165
11-2-2-1 Avec point
165
Il - 2 - 2 - 1- 1 Au point que
166
Il - 2 - 2 - 1 - 2 A tel point que
167
Il - 2 - 2 - 2 Avec jusque
169
Il - 2 - 2 - 2 - 1 Jusqu'à + proposition
169
Il - 2 - 2 - 2 - 2 Jusqu'à + substantif
171.
Il - 2 - 2 - 2 - 3 Jusqu'à + infinitif
172
Section 2 - Il - 2 - 2 A propos de à + infinitif
173
Il - 2 - 2 - 1 A + infinitif dans les œuvres
176
" - 2 - 2 - 1 - 1 Adjectif + à + infinitif
176
Il - 2 - 2 - 1- 2 Substantif + à + infinitif
177
Il - 2 - 2 - 1 - 3 Verbe + à + infinitif
178
Il - 2 - 2 - 2 Regroupement logique
180
Il - 2 - 2 .. 2 - 1 Des conséquences impossibles
181
11-2-2-2-2
Des
conséquences
réalisables
181
Il - 2 - 2 - 2 - 3 Des conséquences réelles
182
Section 3 - Il - 2 - 3 Proposition à haut degré implicite
183
Il - 2 - 3 - 1 Propositions négatives
184

359
" - 2 - 3 - 1 - 1 Objet concret
186
Il - 2 - 3 - 1 - 2 Objet abstrait
188
Il - 2 - 3 - 2 Propositions positives
190
Section 4 - Il - 2 - 4 Autres formes intensives
194
Il - 2 - 4 - 1 Formes verbales. .
194
Il - 2 - 4 - 1- 1 Construites avec à
194
Il - 2 - 4 - 1- 2 Construites avec de
196
Il - 2 - 4 - 1- 3 Construites avec être
198
Il - 2 - 4 - 2 Rien de + substantif
202
Conclusion
204
Ch. 3
La caractérisation intensive par les énoncés comparatifs
207
Introduction
207
Section 1- Il - 3 - 1 Les énoncés d'analogie...
211
Il - 3 - 1- 1 Amenée par comme
211
Il - 3 - 1 - 1- 1 Analogie intensive sur l'adJec[lf
211
Il - 3 - 1- 1- 2 Analogie intensive sur le verbe
214
Il - 3 - 1 - 2 Amenée par les substituts de comme
217
Il - 3 - 1 - 2 - 1 Aussi que
217
11-3-1-2-2Autantque
220
Il - 3 - 1 - 3 De comme à aussi que
222
Il - 3 - 1 - 4 Renouvellement des énoncés stéréotypés
226
Section 2 - Il - 3 - 2 Les énoncés de décommensuration
229
Il - 3 - 2 - 1 Décommensuration intensive par les procédés
analytiques
230
Il - 3 - 2 - 1- 1 Le plus adj. + complément
231

360
Il - 3 - 2 - 1 - 1 - 1 Complément spatial
231
Il - 3 - 2 -1 - 1 - 2 Autres compléments
233
~
Il - 3 - 2 - 1 - 1 - 2 - 1 Complément de personne
233
lJ .
~,
1/ - 3 - 2 - 1 - 1 - 2 - 2 Complément avec possible / du siècle
235
\\
,
~ ,
Il - 3 - 2 - 2 Autres procédés analytiques
236
1
1
Il - 3 - 2 - 2 - 1 Des plus / Jeune des jeunes
236
Il - 3 - 2 - 2 - 2 La relative déterminative au subjonctif
238
Il - 3 - 2 - 3 Nombres-coefficients
240
Conclusion
242
'jJill@II~JJ~Ei(~ )pgJ~'jJJJ~ g 11~~ ~RJ@)~~rn;~ ~~~Umffi,'jJJJW~
JE'F QQ~JI'~m&f.t'~LDJXS:QQ )])lE )}Lla?,\\ll)i'F fr}).~(ΠEm-~
246
Ch.1
L'exclamation intensive
247
Introduction
247
Section 1- III - 1 - 1 L'exclamation notoire
249
III - 1 - Î - 1 Exclamation pure
249
III - 1 - 1 - 2 Exclamation à termes motivés
252
Section 2 - III - 1 - 2 Exclamatifs d'intensité
255
III - 1 - 2 - 1 Exclamatifs simples
255
III - 1 - 2 - 1 - 1 Combien
255
III - 1 - 2 - 1 - 2 Que
257
III - 1 - 2 - 1 - 3 Quel
260
III - 1 - 2 - 2 Locutions suspensives
263
1/1 - 1 - 2 - 2 - 1 Et d'une beauté 1
264
III - 1 - 2 - 2 - 2 Autres locutions
265
III - 1 - 2 - 2 - 2 - 1 Mais la fausseté 1
265

361
III - 1 - 2 - 2 - 2 - 2 Cette fuite 1
269
Section 3 - III - 1 - 3 Insistance semi-intensive par même
273
Conclusion
281
Ch. 2 L'esthétique de l'anomalie syntaxique dans le haut degré
284
Introduction
284
Section 1- III - 2 - 1 De l'anomalie en général
286
III - 2 - 1 - 1 Anomalie et correction
286
III - 2 - 1 - 2 Présupposés de combinatoire sémantique
290
Section 2 - III - 2 - 2 Des "anomalies" syntaxiques chez Kourouma
291
III - 2 - 2 - 1 "Renouvellement" syntaxique
291
III - 2 - 2 - 1 - 1 Verbes "intransitivisés"...
291
III - 2 - 2 - 1 - 1 - 1 Par effet de contamination
291
III - 2 - 2 - 1 - 1 - 2 Par "intransitivisation" aLÎsolue
294
III - 2 - 2 - 1 - 2 Verbes d'emploI métaphorique
299
III - 2 - 2 - 1 - 2 - 1 Verbes de sens hyperbolique
300
III - 2 - 2 - 1 - 2 - 1 - 1 Verbes de sens militaire
301
III - 2 - 2 - 1 - 2 - 1 - 2 Verbes de sens "inflationniste"
305
III - 2 - 2 - 1 - 3 Autres "anomalies" syntaxiques
314
III - 2 - 2 - 1 - 3 - 1 Réalisation de l'objet interne
314
III - 2 - 2 - 1 - 3 - 1 - 1 Objet interne pur
315
III - 2 - 2 - 1 - 3 - 1 - 2 Objet Interne analogique
318
Section 3 - III - 2 - 3 Nouvelle rection directe
322
III - 2 • 3 • 1 R@ction dirGlcta à vmlaLir intonoiVG
;323
III - 2 - 3 - 2 Rection directe simple
325

362
Section 4 - III - 2 - 4 Néologismes particuliers
329
III - 2 - 4 - 1 Par substantivation impropre
329
III - 2 - 4 - 2 Par création verbale impropre
330
III - 2 - 4 - 2 - 1 Néologismes simples
331
III - 2 - 4 - 2 - 2 l\\léologismes par pronomillalisation
332
Conclusion
334
CONCLUSION
GENERALE
337
344
TABLE DES MATIERES
355

','
, ,
Loin de la célébration oeucumenique' et dG l'idéalisénitJil nc.riritudienn8s de
l'/\\frique pré-coloniale d'lIr'le part et du cultedu franç;3.is'norrnatfpa\\' le::-, écriv~lÎns de .
sa génération d'autre. part;l<our~Llma é,labore une nouvell,e. esthétique rOnl~l.nesque
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