ECOLE DES HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES
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1
(EHESS)
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J.
Etre encadreur agricole en Côte d'Ivoire: principes et pratiques
(le cas de Sakassou)
Mariatou Koné
Doctorat d'Anthropologie sociale et Ethnologie
sous la direction de J.-P. Olivier de Sardan
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Membres du Jury:
T. Bierschenk (Université de Stuttgart)
l-P. Chauveau (ORS TOM)
l-P. Olivier de Sardan (EHESS)
Marseille 1994

3
Pour
Assoumou Ngoran
mon père Namoko
ma mère Fanda
toute ma famille
\\

4
SOMMAIRE
Sommaire............................................................................................................
4
Remerciements...................................................................................................
Il
Introduction générale: présentation de l'objet
13
1. Définition et Justification du thème: les contours du domaine de recherche....
15
2. Objectifs
17
Chapitre 1: Terrain et méthodologie
20
1.1 Aperçu général du milieu d'enquête..............................................................
20
1.1.1 De la prépondérance du politique à Sakassou..............................
22
1.1.2 Présentation de Sakassou....
27
1.1 .2.1 Le milieu et la population..
27
1.1 .2.2 Les activités économiques..........................................
32
1.1 .2.3 Le régime foncier traditionnel....................................
34
1.2 Réalités du terrain: questions méthodologiques
37
1.2 .1 Echantillonnage
37
1.2 .1.1 La population étudiée...............................................
37
1.2. 1.2 L'aire d'enquête: Pourquoi Sakassou?.........................
38
1.2 .2 Le contexte de l'enquête
38
1.2 .3 Les procédés de collecte des informations
42
1.2 .3.1 L'observation
42
1.2 .3.2 L'interview............
44
1.2 .3.3 Les questionnaires
47
1.2 .3 .4 Les sources documentaires
48
1.2 .4 Approches théoriques: choix méthodologiques...........................
49

5
Chapitre 2: Problématique générale de l'encadrement agricole
57
2.1 Des orientations ou méthodes générales d'organisation du développement rural et
leur apparition en Afrique
63
2.1 .1 Le développement communautaire
64
2.1 .2 L'animation rurale
67
2.1 .3 L'auto-développement, l'auto-promotion, le développement autocentré ..70
2.1 .4 Le développement participatif: une idéologie récurrente?
73
2.2 Des méthodes ou techniques d'encadrement ou d'appui et les organismes de diffusion
en Afrique
76
2.2 .1 L'encadrement classique
77
2.2 .1.1 Objectifs et application
77
2.2 .1.2 Inconvénients
78
2.2 .2 La Formation et Visites (F&V) ou la méthode Benor (de la Banque Mondiale)
........................................................................................................78
2.2 .2.1 Objectifs
79
2.2 .2.2 Organisation et champ d'application
81
2.2 .2.3 Inconvénients
81
2.2.3 La RecherchelDéveloppement(R/D)
82
2.2 .3.1 Objectifs
84
2.2 .3.2 Approches et organisation :
85
2.2 .4 Le Farming System Research (FSR)
87
2.2 .4 .1 Objectifs
88
2 2
.
4
.,2 0
"
rgarusation et champ d'appli
.
cation
88
2.2.5 Le Développement des Systèmes Agricoles: DSA (F.A.O.)
89
2.2 .5.1 Objectifs
89

6
2.2 .5.2 Clientèle
90
2.2 .5.3 Organisation et champ d'application
90
2.2.6 La Planification des Projets par Objeetif(pPO) de la GTZ
91
2.2 .6.1 Objectifs
91
2.2 .6.2 Organisation et champ d'application
92
2.3 L'image de l'encadreur agricole à travers l'histoire
95
2.3 .1 De l'inefficacité de l'encadreur/encadrement
96
2.3 .1.1 Niveau scolaire trop bas, formation professionnelle insuffisante et
incompétence technique: le trio infernal
96
2.3 .1.2 Indisponibilité et absentéïsme des agents d'encadrement
97
2.3 .1.3 Complexe de supériorité, manque de modestie et incompétence
pédagogique
97
2.3 .2 Justification des symptômes de l'inefficacité
98
2.3 .3 De l'encadreur idéal
100
Conclusion partielle
102
Chapitre 3: Développement agricole et encadrement en Côte d'Ivoire
104
3.1 La période coloniale
104
3.1 .1 Avant 1946
105
3.1 .2 Après l'abolition du travail forcé
110
3.2 L'indépendance
_
111
3.2 .1 La continuité de l'action coloniale
111
3.2 .2A partir des années 1980: Je développement rural intégré (DR!)
114
3.3 Etude de cas: deux projets de développement à Sakassou
119
3.3 .1 Le barrage de Kossou et ses conséquences
120
3.3 .2 L'aménagement hydre-agricole de la Loka
128

7
3.3 .2.1 Des structures d'encadrement successives
130
3.3 .2.2 Histoire du projet
135
3.3 .2.3 Les problèmes de fonctionnement: Irrigation et mécanisation.. 144
Conclusion partielle
153
Chapitre 4: Les acteurs du développement agricole à Sakassou
154
4. 1 Les acteurs directs
154
4.1 .1 Les paysans
154
4.1 .1.1 Sexe et âge
156
4.1 .1.2 Situation matrimoniale
156
4.1 .1.3 Niveau d'étude
156
4.1 .1.4 Origine géographique et origine sociale
157
4.1 .2 Les structures d'encadrement
158
4.1 .2.1 La CIDY
159
4.1 .2.2 La CIDT
164
4.1 .2.3 La SATMACI
166
4.1 .3 Les encadreurs agricoles
168
4.1 .3.1 Quelques portraits
168
4.1 .3.2 Quelques indicateurs
177
4.1 .3.3 Formation professionnelle et trajectoire
187
4.2 Les acteurs indirects
191
4.2.1 Préfecture et sous-préfecture
191
4.2 .2 Les représentants politiques: député et chefferies locales
194
4.2.3 Les bailleurs de fonds
196
4.2 .4 Les experts en développement
199
Conclusion partielle
201

8
Chapitre 5: De la norme à la pratique: quel rôle organisationnel?
202
5.1 Organisation du travail
202
5.1 .1 Division des tâches et distribution des rôles
202
5.1 .1.1 Le chef de périmètre (CP)
203
5.1 .1.2 Les conseillers agricoles (CA)
205
5.1 .2 Système de communication et système d'autorité
213
5.1 .2.1 Les rapports d'activité écrits
214
5.1 .2.2 Les rapports verbaux, oraux (officieux)
217
5.1 .3 Le système de relations
219
5.1 .3.1 Les relations avec le chef
221
5.1.3.2 Les relations avec les "grands"
223
5.2 Evaluation du travail de l'encadreur
226
5.2.1 Evaluation interne
226
5.2 .2 Evaluation externe
'"
236
5.2 .3 Sanctions et récompenses
243
5.24 Contrôle du travail de l'encadreur
244
5.3 Relations interpersonnelles: mise en scène des différences
248
5.3 .1 Solidarité du personnel
248
5.3 .2 Les jalousies et les conflits
255
5.3 .3 L'entraide au travail
256
Conclusion partielle
257
Chapitre 6: Du savoir faire au vouloir faire
260
6.1 Méthodes et contenus d'enseignement
260
6.1 .1 Le quotidien professionnel des encadreurs
260

9
6.1 .2 Langage et communication au travail
279
6.1 .3 Nature de la relation avec le "profane"
282
6.2 Comment les encadreurs évaluent-ils la connaissance des paysans
288
6.2 .1 Le caractère concret du contenu
290
6.2 .2 Le sensationnalisme (l'effet de l'extraordinaire, du jamais vu)
290
6.2 .3 Le minimum de coût (l'économique)
291
6.2 .4 La simplicité et la fluidité du langage parlé et du vocabulaire utilisé
290
6.3 Acquisition de connaissances grâce aux paysans?
296
Conclusion partielle
300
Chapitre 7: Ambiguités professionnelles et stratégies relationnelles: les encadreurs
hors du lieu de travail
301
7.1 L'encadreur dans un milieu rural ou semi-urbain
301
7.1 .1 La regression ou l'échec dans la vie
302
7.1 .2 Une situation avantageuse
305
7.1 .3 L'absence de choix dans le lieu de travail..
307
7.2 Degré et difficultés d'intégration
307
7.2 .1 Selon le statut professionnel
307
7.2 .2 Selon la durée de résidence
308
7.2 .3 Les associations
309
7.2 .4 Lieu d'habitation et qualité de l'habitat
311
7.3 Les relations interindividuelles entre encadreurs et paysans
315
7.3 .1 La recherche de revenus complémentaires: l'obtention d'une parcelle
315
7.3.2 La recherche d'une sécurité "spirituelle"
319
7.3 .2.1 Le paysan: guide de l'encadreur
319
7.3 .2.2 Le paysan: féticheur de l'encadreur
321
fo

10
7.4 Les rencontres interindividuelles entre encadreurs
322
7 4 1 L
Il
' I I

l
'1
. .
es sorties apres e travai
322
7.4 .2 Les cérémonies funéraires et cérémonies de réjouissances d'autres personnes
..................................................................................................... 326
7.4 .3 L'entraide entre encadreurs hors du travail
327
7.5 Les relations entre les encadreurs et les autres professions
330
Conclusion partielle
333
Eléments de conclusion
335
Références bibliographiques
340
Liste des sigles
368
Liste des cartes, diagrammes, graphiques, organigrammes et tableaux
371
Index des auteurs
372
Annexes
377

11
REMERCIEMENTS A:
- Tous les agents d'encadrement de Sakassou
- La CIDV, la SATMACI, la CIDT, la SODEPRA, le SADR de Sakassou
- Les autorités politiques et administratives de Sakassou
- Les paysans et la population de Sakassou
Mes remerciements particuliers à Kouadio Nguessan Jérôme, à Kouassi Kouadio Paul, à
Koffi Kouamé et sa famille, Diarrassouba Karim et sa famille et Silué Aboulaye.
Je les remercie tous pour cette thèse qu'ils ont inspiré. C'est grâce à leur concours que j'ai pu
comprendre "le métier d'encadreur agricole". Ils m'ont permis de pénétrer dans leur
existence. Sans leur savoir et leur inspiration, je ne pense pas que j'aurais pu mener à bien
toute seule cette entreprise. Ils ont bien voulu, en répondant à mes questions, m'aider à aller
plus loin.
Je remercie vivement Philippe Bonnefond (de l'UR SB: "modèles de développement
et économies réelles") grâce à qui j'ai pu bénéficier d'une allocation de recherche ORSTOM
pour la réalisation de cette thèse.
Je remercie également Jean-Pierre Chauveau qui m'a efficacement conseillée pour
enrichir cette thèse.
Je tiens à dire ma gratitude à Alain Marie pour ses excellentes critiques, ses
encouragements et son soutien.
Que Jean-Pierre Olivier de Sardan qui a dirigé et guidé ce travail avec chaleur et
sensibilité, trouve ici l'expression de mes sincères remerciements. TI a accepté de cautionner
ce sujet de thèse et m'a conseillée tout au long de son déroulement. Je le remercie de m'avoir

12
fait confiance. Il a beaucoup donné de son temps et de sa compétence professionnelle pour
en esquisser les grandes lignes et m'aider à sa mise au point.
Merci aussi à:
- Mou Yapi (ORSTOM)
- Contamin Bernard et tout le personnel de l'ORSTOM Petit-Bassarn
- Coulibaly Ibrahima (SGBCI) et sa famille
- Coulibaly Yaya (DOB)
- Folio Christian (Banque Mondiale)
- Koffi Laurentine
- Koné Adama
- Kouna Philomène et sa famille
- Kouamé Nguessan (lES)
- Lassègue Désiré
- Maïzi Pascale
- Ouattara Souleymane (lES)
- Ori Boizo (ORSTOM)
- Sié Koffi (MR.S)
- Toutes les personnes qui ont bien voulu, par leur témoignage ou leur documentation, me
livrer leurs savoirs sur l'encadrement agricole, le développement et l'Anthropologie.
- Tous ceux qui m'ont aidé par leurs conseils, leur assistance matérielle et morale, leurs
encouragements.
- Toutes les personnes qui de près ou de loin ont contribué à la réalisation de cette thèse.

13
INTRODUCTION GENERALE: PRESENTATION DE L'OBJET
Le développement rural est généralement' considéré comme la transformation
quantitative et qualitative d'un milieu ou d'une population donnée; il "évoque une certaine
forme d'action ou d'intervention propre à influer sur le processus général de
transformation sociale" (Oakley et Garforth, 1986: 1). Partant d'une telle conception, de
nombreux programmes, politiques et méthodes d'intervention ont été définis et mis en
place pour procéder à ces transformations. Sous cet angle, le développement devient
alors l'intervention volontariste programmée dans un milieu donné avec des structures
mises en place à ce propos.
Dans
les
colonies
africaines d'avant
les
indépendances,
l'action
des
"développeurs" portait sur la modernisation, l'occidentalisation, la "civilisation" (Kilani,
1994). De plus il s'agissait d'intégrer ces colonies dans l'économie mondiale en fonction
des ressources naturelles, minières ou agricoles dont elles disposaient. Ainsi dans certains
pays africains, on opta pour l'introduction de certaines cultures assez fortement
rémunérées au plan international (pendant la colonisation), puis pour l'augmentation de
leur production. En Côte d'Ivoire par exemple, l'agriculture fut choisie comme moteur de
l'économie avec les cultures du café, du cacao, du palmier à huile, de l'hévéa, etc.... Pour
mener à bien ces politiques, on a créé des structures d'encadrement qui aideraient les
populations à passer d'une économie d'autosubsistance à celle de marché.
Dans cette voie, les "développeur..s" rivalisent d'entrain pour
"aider" les
populations
à
se
"développer"; différents organismes se
spécialisent
dans
le
développement; des politiques destinées à favoriser ou à accélérer le développement sont
élaborées. Elles sont parfois concurrentes les unes des autres ou complémentaires.
Toutes insistent sur la formation des populations car comme l'écrit Chantran (1972: 15),
ICr. Chantran 1972, Deboubry 1994, Oakley et Garforth 1986.

14
"l'évolution de l'homme n'est réalisable que par la formation à l'occasion de l'intervention
des techniques, de l'adaptation ou de la création des structures, de la définition des
politiques ... la formation se présente donc comme le facteur essentiel de la
transformation" .
Après les indépendances, la plupart de ces colonies ont conservé cette façon de
voir
le
développement.
Ainsi
l'économie
de
la
Côte
d'Ivoire
repose
encore
essentiellement sur les ressources agricoles (café, cacao, hévéa ... ) et environ 68 % de la
population vit en milieu rural. Le développement du secteur agricole est de ce fait une
préoccupations majeure de l'Etat ivoirien. Pour mettre sa politique agricole en
application, l'Etat ivoirien a mis en place différentes structures pour l'encadrement des
paysans. Ces structures étatiques ou semi-étatiques relèvent du Ministère de J'agriculture
et du développement rural: la Société d'Assistance Technique pour la Mécanisation
Agricole (SATMACI), la Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles
(CIDT), le Centre Ivoirien du Machinisme (CIMA), la Société pour le Développement
des Sucriers (SODESUCRE), la Compagnie Ivoirienne pour le Développement des
Vivriers (CIDV), et bien d'autres structures.
Quelle peut être la responsabilité de ces structures dans la réussite ou l'échec d'une
opération de développement agricole?
Quelle est la place des agents d'encadrement dans le schéma du développement
agricole? Comment se situent-ils par rapport à la structure administrative et par rapport
aux paysans? Comment les encadreurs se représentent-ils les problèmes des paysans?
Quelles sont les stratégies professionnelles de ces agents? Quelles sont les effets de leurs
interventions?
En considérant qu'en dehors des opérations à exécuter qui leur sont imposées, ils
sont aussi des acteurs locaux soumis à un contexte particulier, nous chercherons à savoir

15
quels sont les éventuels problèmes qu'ils rencontrent en tant qu'éléments de connexion
entre structure étatique et producteurs, et comment ils sont perçus pas ces entités.
1. Définition et Justification du thème: les contours du domaine de recherche
Selon Max Weber (1922: 3), il est difficile de se passer de la définition des
concepts en sociologie; elle n'a d'autre ambition "que de formuler en un langage plus
approprié et un peu plus correct (...) ce que toute sociologie empirique entend
effectivement quand elle parle des mêmes choses". Aussi, est-il indispensable de définir
l'objet d'étude afin que tout le monde soit sur le même registre de "lecture et de
compréhension" pour éviter d'éventuelles confusions.
Qu'entendons-nous par "encadreur agricole"?
Il ne s'agit pas pour nous d'étudier un ou des systèmes d'encadrement. Il ne s'agit
pas non plus d'étudier ceux qu'on appelle généralement "les cadres du développement"
ou ceux que Robert Chambers (1990) appelle les "touristes en développement" c'est-à-
dire tous ceux qui ont rapport avec le milieu paysan:

Les "encadreurs de bureaux" - c'est à dire les cadres de l'administration qui se font
appeler encadreurs parce qu'ils organisent de temps en temps des missions vers le
monde paysan;
• Les experts en développement, les consultants, les chercheurs universitaires dont les
actions sont sensées profiter aux paysans;
o
Les hommes politiques, les diplomates;

Les chercheurs agronomes, zootechniciens, ingénieurs, "inspecteurs de ceci ou de
cela (. ..), techniciens du privé, personnels d'organismes d'aide, volontaires, etc."
(Chambers, R., 1990: 27).

16

L'ensemble du personnel d'une structure d'encadrement (du directeur général au
planton), le personnel du ministère dont dépend la structure d'encadrement.
En parlant d'encadreur agricole, il s'agit en fait de celui qui est en permanence sur
le terrain avec le paysan pour sa formation. C'est celui que d'autres nomment: l'agent de
base. L'encadreur ici, c'est donc le dernier maillon d'une longue chaîne administrative, en
contact réel et permanent avec le paysan. Notre définition recouvre ainsi la prise en
compte du contact quotidien ou fréquent, de la cohabitation et de la coexistence.
De plus, notre travail porte sur les encadreurs agricoles intégrés dans des
structures d'encadrement nationales et non dans des organisations non gouvernementales
(ONG). C'est un choix qui s'est imposé à nous quand nous avons choisi de travailler sur
toutes les structures d'encadrement présentes à Sakassou: il n'y avait là aucune ONG
agricole au moment de nos enquêtes. Nous prévoyons ultérieurement de faire une étude
comparative entre encadreurs d'ONG et encadreurs de
structures d'encadrement
nationales, sur d'autres sites de la Côte d'Ivoire.
Concernant la terminologie, nous employons le mot encadreur parce que les
paysans en parlant de ceux qui "travaillent" avec eux, utilisent ce mot; ils disent "encadrè
mou" (les encadreurs). On pourrait très bien dire agent de développement ou cadre du
développement au sens large pour signifier les personnes qui travaillent dans le monde
du développement (rural ou urbain) et sur le terrain; mais ces termes recouvrent aussi
bien l'encadreur agricole que la matrone accoucheuse, l'infirmier, le vétérinaire '"
En
voulant être plus précis, on pourrait faire usage des mots moniteur comme à la CIDT ou
conseiller agricole (CA) comme dans les fiches de fonction de la CIDV, ou
vulgarisateur - ou agent de vulgarisation - (terminologie de la Banque Mondiale, de la
F.A.O.) car dans le monde agricole, tous ces mots se réfèrent à la diffusion de méthodes,
de pratiques ou de techniques de culture: il s'agit d'amener le paysan à adopter un

17
matériel végétal performant, de lui enseigner des méthodes de travail et des techniques
culturales appropriées en vue d'améliorer la productivité de son système d'exploitation et
d'améliorer son cadre et son niveau de vie. A la diffusion, s'ajoutent des tâches
d'information, de sensibilisation, de démonstration mais aussi d'éducation des paysans
sur la commercialisation, la gestion et d'autres domaines tels que le regroupement en
coopérative par exemple. De ce fait, l'encadreur agricole est l'une des composantes
essentielles des organisations du développement agricole.
2. Objectifs
Ce travail vise à rendre compte de la complexité et de la richesse de l'action de
l'encadreur agricole autant en situation de travail qu'en situation extra professionnelle (au
plan social, culturel, économique, institutionnel et technique). Autrement dit, l'objectif de
cette thèse est d'apporter un nouvel éclairage sur le développement agricole, en mettant
en valeur les caractéristiques du travail d'un encadreur agricole, agent de terrain, et les
difficultés qu'il rencontre dans son action, enfin
les stratégies qu'il utilise pour les
contourner.
Signalons d'emblée qu'il ne s'agit ni de porter un regard apitoyé ou misérabiliste
sur
la condition de
l'encadreur,
ni d'orienter idéologiquement notre travail
en
"réhabilitant" l'encadreur, mais de tenter de le définir objectivement dans ses milieux
d'actions, par le biais de concepts sociologiques précis; de voir aussi comment il est
perçu par les paysans auprès de qui il intervient, comment il rentre en relation avec les
structures qui le dirigent, quelles sont ses fonctions en dehors des tâches officielles
administratives, quelles sont les stratégies (conscientes ou non) qu'il développe par
rapport à tous ces éléments, et enfin quelle peut être la portée de ses positions sur les
politiques de développement agricole en général.
,.~

18
En d'autres termes, il nous paraît indispensable aujourd'hui d'analyser la place et
le rôle de l'encadreur en tant qu'acteur socialement défini. Il a lui aussi et comme tout
autre ses propres logiques d'action. Il développe des stratégies en tenant compte de sa
situation et de ses perspectives d'action. Et comme sur une aire de jeu, ces stratégies sont
fonction de son "adversaire", de son "partenaire", et de l'enjeu que représente pour lui le
projet où il travaille.
Cependant il ne s'agit pas de décrypter l'ensemble des liens et
stratégies qui définissent les relations de l'encadreur mais plutôt de montrer l'apport d'une
analyse ethno-sociologique pour comprendre la complexité du réseau social et la
dynamique des processus liés au développement dans lesquels est intégré, bon gré mal
gré, l'encadreur.
Ce travail comprend ainsi sept chapitres.
Dans le premier chapitre, nous présentons d'abord le lieu d'enquête, puis les
réalités du terrain qui en découlent, et ensuite les outils théoriques qui nous permettent
de l'appréhender et de le comprendre.
Le deuxième chapitre est consacré à la présentation succincte de quelques
méthodes d'organisation du développement rural et quelques méthodes d'encadrement
proprement dit. Il s'agit en quelque sorte d'une vue panoramique de ces méthodes à partir
de la lecture de quelques auteurs et textes qui nous ont semblé importants. Elle
s'accompagne d'une analyse de la littérature existante des projets, pour montrer ce qu'on
dit au sujet de l'encadreur et comment on le dit.
Le troisième chapitre porte sur la présentation du cas particulier de la Côte
d'Ivoire. Nous présentons d'abord quelques politiques de développement à travers
l'histoire de ce pays et enfin deux projets de développement à Sakassou.

19
Le quatrième chapitre nous présente les différents acteurs intervenant pour le
développement agricole de Sakassou. Déjà dans ce chapitre, l'univers professionnel des
encadreurs agricoles se dessine dans toute sa complexité et dans son originalité.
Dans le cinquième chapitre, il est question du rôle organisationnel des agents
d'encadrement de Sakassou. Ce chapitre nous fait remarquer les décalages existant entre
la norme d'une structure d'encadrement et les réalités de fonctionnement sur le terrain.
Le sixième chapitre porte sur les encadreurs dans leur interaction avec les
paysans. Nous nous attachons ici à la manière dont les encadreurs abordent les paysans
sur le lieu de travail, à la perception qu'ont les paysans du rôle des encadreurs, et les
problèmes qui se dégagent de cette interaction.
Dans le septième et dernier chapitre enfin nous envisageons les encadreurs
agricoles de Sakassou sous l'angle extra professionnel, dans leurs relations avec le milieu
de résidence (la ville ou le village) et les autres travailleurs de la région.

20
CHAPITRE 1
TERRAIN ET METHODOLOGIE
1. 1 APERCU GENERAL DU MILIEU D'ENQUETE
La sous-préfecture de Sakassou a été créée en 1961 1. Elle fut érigée en
Préfecture (département) en 19852.
BURKINA _ FASO
o
50
190km
Légende: I l Le département de Sakassou
Cartel: la Côte d'Ivoire. Localisation de Sakassou
1 Par décret n" 61-16 du 3 janvier 1961.
:2 Selon le décret n085-1086 du 17 octobre 1985.

21
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Légende:
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Sakassou
Carte 2: Le pays baule
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1.1 .1 De la prépondérance du politique à Sakassou
L'histoire du peuplement permettra de comprendre pourquoi le politique est très
présent dans le projet Loka et partout ailleurs à Sakassou.
La région de Sakassou est en majorité peuplée de Baule'' qui font partie du grand
groupe akarr'. Selon Dozon (l985b; 56) le groupe baule représente "environ 1 million de
personnes" parmi les Akan qui au total "sont au nombre de deux millions" et représentent
"environ 18 p. 100 de la population de Côte d'Ivoire" (Chauveau, 1990: 908). Le pays
Baule (aussi appelé "V" Baulet) couvre environ 32 000 Km2 du territoire national.
Les Baule pratiquent la matrilinéarité. "Dans les principes, la descendance
matrilinéaire (communauté d'abusua) estompe la parenté patrilinéaire (...) la parenté est
reconnue selon un système cognatique mais valorise, notamment dans la dévolution des
biens et des fonctions, la parenté utérine (bla ba et neveux utérins: aoswa)" (Chauveau,
1990: 909).
Selon des sources de tradition orale que nous avons recueillies auprès des
notables et certaines personnes de Sakassou et aussi selon des travaux d'historiens,
d'anthropologues ou autres chercheurs (Ivoiriens ou non), plusieurs groupes formant
l'actuelle population akan de Côte d'Ivoire, auraient successivement migré du Ghana
actuel (situé à l'est de la Côte d'Ivoire) pour s'installer en Côte d'Ivoire; parmi ces
groupes figurait au 18 ème siècle le groupe asabu (ou assabou) dirigé par la Reine AbIa
3Concernant une étude détaillée sur le peuple baule, se référer aux travaux de Chauveau (par exemple
1979, 1987, 1990), Etienne (1965 à 1972), Guerry (1970), Miège (195Ü, Michotte, Chevassu, Ancey,
Etienne 1987.
4 Le groupe akan comprend : les Agni, les Baule, les Abron et les populations lagunaires que sont les
Alladian, les Adjoukrou, les Avikam, les Attié, les Abidji.
5Le découpage ou la délimitation géographique présente effectivement la région baule en forme de V.

23
Pokou. Chauveau (1990: 908), anthropologue, situe cette dernière migration entre 1730
et 1760. La préfecture de Sakassou parle de 1700 et 1720, Loucou (historien ivoirien)
lui, situe l'événement entre le XVIIo et la seconde moitié du
XVIITO siècle (Loucou,
1976: 22).
Les Asabu auraient été conduits par la reine Abia Pokou (ou Abra Pokou selon
les auteurs), personnage légendaire, qui fuyait des querelles à propos d'une succession
qui opposait son frère Dakon à Apokou Warè. Dakon tué, elle décida de s'enfuir avec les
partisans de son frère, poursuivie par les combattants de Apokou Warè. Grâce au
sacrifice de son fils unique6 dans le fleuve Comoé qui les empêchait de passer, elle put
traverser avec ses troupes et s'installa en Côte d'Ivoire, dans le bassin du Bandama où
elle avait trouvé des pépites d'or. La reine Pokou serait ainsi la fondatrice de l'ethnie
baule; baule étant une déformation de ba ouli c'est-à-dire "l'enfant est mort", nom que
prit le groupe après le sacrifice et la traversée. Dans cette société, "dès lors, la femme,
dépositaire et dispensatrice de la vie, devient un recours respecté du groupe social à tous
les moments critiques de son histoire" (Bony, 1980: 244).
A la suite d'une dispute qui les oppose sous un grand arbre à palabre (le walè), les
populations baule se scindent en 2 grands groupes dont l'un émigre. Le groupe resté
"sous le walè" avec la reine, prend alors le nom de walèbo. Le lieu d'installation des
Walèbo s'appellera plus tard saka sou (c'est-à-dire "sur le tombeau") parce que la nièce
de la reine Pokou qui lui succède après avoir poursuivi la conquête des régions
avoisinantes est enterrée chez les siens (les Walèbos) en un lieu désormais désigné sous
le nom de Akoua Boni saka sou ("sur le tombeau de Akoua Boni").
D'autres groupes baule, notamment les goli de Goliblénou distant seulement de
6Il existe plusieurs versions concernant le sacrifice à la Comoé; certains disent que la reine aurait
sacrifié son propre fils, d'autres avancent que n'ayant pas de fils, elle dût sacrifier le fils de sa soeur.
Toujours est-il qu'il y a eu sacrifice humain. Il existe également plusieurs versions à propos de la
traversée: avec le sacrifice d'un enfant, le fleuve se scinda en deux laissant un passage (en terre) au
milieu; une autre version raconte que des hippopotames s'alignèrent et le peuple traversa sur leur dos.

24
deux kilomètres de Sakassou, refusent leur racine commune avec les Walèbo et pourtant
administrativement, ils y sont rattachés. Le chef actuel de ce village raconte que "quand
les Walèbo sont arrivés, nous on était déjà présents mais on était invisibles; c'est même
chez nous qu'ils sont venus chercher du feu à leur arrivée en entendant les bruits que
nous faisions". Ceci montre bien que la migration des Baule s'est faite par vagues
successives et qu'en fait le groupe walèbo semble aujourd'hui prééminent et constitue un
foyer d'autorité grâce à la politique d'expansion qu'elle a menée. Comme le signale
Chauveau (1979: 46), ce groupe "développe plus que les autres son contrôle territorial,
subordonnant des ensembles entiers de villages plus anciens, contrôlant toute la haute
vallée du Bandama, et notamment des mines d'or importantes". Ce qui fait que malgré la
dispersion des Baule, Sakassou est officiellement présentée comme le chef-lieu de la
royauté Baule. C'est là en effet que seraient intronisés les rois baule descendants de Abia
Pokou, selon la filiation matrilinéaire. Niangoran-Bouah (1970), anthropologue et
drurnmologue", parle du "royaume baule de Sakassou" (cité par Chauveau et Memel-
Fotê, 1989: 38). Selon un document de la préfecture de Sakassou, la qualité de siège de
la royauté baule est reconnue à Sakassou. Amon d'Aby (1951: 14) explique qu'avant
l'érection de la Côte d'Ivoire en Nation, il existait six grands Etats organisés parmi
lesquels "au coeur du Baoulé, l'armature du puissant royaume de Sakasso fondé au
XVIII ème siècle par la Reine Pokou...".
L'histoire politique baule telle qu'elle est officiellement présentée, n'est en fait que
le résultat de débats et de compromis. Les colonisateurs d'abord et les hommes politiques
actuels ont récupéré cette histoire pour s'en servir à dessein. Ainsi, l'histoire nous
rappelle par exemple que pendant la colonisation, les colons pour se faire écouter des
populations baule, sont obligés de s'allier avec le roi de Sakassou qui "était l'objet de
7 Niangoran-Bouah est fondateur de la drummologie qu'il définit comme une science du langage
tambouriné.

25
mille sollicitations" (Nouvel Horizon n" 57). C'est par exemple le cas de Reste,
gouverneur de la colonie, qui a dû s'allier avec Kouamé Djè roi de 1880 à 1925 (selon
Préjean, 1991)8. Toujours pendant la colonisation, Houphouët Boigny (qui n'est pas
encore président de la Côte d'Ivoire) aurait signé un pacte avec le successeur du roi
Kouamé du nom de Kouakou Anoungblé, afin de pouvoir "parler au nom des Baoulés,
tout au moins dans le contexte nouveau qui responsabilisait les "lettrés" d'alors" pour
former le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) en 1946 (selon Prejean,
journaliste ivoirien, 1991: 2).
La reine Pokou règne de 1730 à 1780. Depuis, 9 chefs supérieurs se sont
succédés sur le trône. Le dernier en date est Kouamé Guié qui règne de 1958 à 1978. A
sa mort, la chaise royale "symbole de tout un peuple (le Baule)" disparut (vendue?
volée?). Selon Prejean (1991: 2), journaliste ivoirien de l'opposition, qui a mené une
enquête sur ce sujet, "aux dernières nouvelles, les gens disent que le Président de la
République lui-même, dans sa "générosité légendaire", aurait racheté cette chaise".
Les Walèbo sont généralement qualifiés de fainéants, de paresseux par les autres
groupes ethniques représentés à Sakassou, mais aussi par les encadreurs avec qui ils
travaillent. Cette attitude des Walèbo se justifierait par le fait qu'ils se disent nobles,
détenteurs de la royauté de tout un peuple. Pour cela, ils ne veulent pas être commandés,
recevoir des ordres. Ils ont cette réputation depuis la période coloniale (exemple du roi
Kouamé Djè: "il fut un roi sanguinaire..., il fut fusillé publiquement, en 1925, par les
colons" selon Préjean, 1991).
Du point de vue des encadreurs, les Walèbo ne veulent recevoir d'ordre de
8Les dates varient selon les auteurs. Par exemple Memel-Fotê et Chauveau 0989: 35) indiquent que le
roi Kouamé Djè (Kwamé Guié) est mort est mort en 1902 (soit longtemps avant 1925 comme le
montre le journaliste du Nouvel Horizon.
~ ~,
ë-r
~, ..'

26
personne. Cette représentation permet de comprendre certains conflits entre encadreurs
et paysans. Dans le projet V ème F.E.D.9 par exemple, il y a des notables qui sont
paysans, l'oncle du député est paysan, la présidente de l'Association des Femmes
Ivoiriennes
(AFI)
est
paysanne (non
déclarée).
La
cohabitation
"politique"
et
"encadrement" est ainsi très souvent difficile à gérer selon les encadreurs.
Le politique de Sakassou dépasse le simple cadre du milieu de l'encadrement
agricole. Par exemple, suite à une décision gouvernementale, le département de Sakassou
n'a pas de mairie. L'histoire montre que Houphouët Boigny a signé un accord avec le roi
des Baule, Kouakou Anoungblé (1925-1978), affilié Jau Rassemblement Démocratique
Africain (RDA). Selon Préjean (1991: 2), le secrétaire particulier de ce roi s'appelle
François Akoto Yao.
Pendant une mission du
roi à Abidjan pour rencontrer
l'administrateur colonial Péchoux, "Akoto Yao prévient Houphouët Boigny et fait
répandre dans toute la contrée que le roi était allé rencontrer le gouvernement (colonial)
pour vendre le peuple Baule aux blancs" (préjean, 1991). Cela vaut à Akoto, le poste de
secrétaire du RDA, en signe de reconnaissance. Après les indépendances, un de ses fils
est nommé ministre puis député de Sakassou par le Chef de l'Etat.
A Sakassou, il y a ainsi deux types de pouvoir qui coexistent: le pouvoir des "blancs" aux
mains de la famille de l'ex-secrétaire du RDA, et le pouvoir "traditionnel" aux mains des
descendants de la reine Abia Pokou. Pour éviter alors d'éventuels conflits, avec l'arrivée
du multipartisme, il a été décidé de ne pas créer de poste de Maire, afin de maintenir
cette séparation des pouvoirs.
s.,
9Grande opération de développement agricole à Sakassou
~.

27
1.1 .2 Présentation de Sakassou
1.1 .2.1 Le milieu et la population
Situé au centre de la Côte d'Ivoire (entre le sud forestier et le nord de savane), le
département de Sakassou compte une seule sous-préfecture du même norn'P. Sakassou
s'étend sur une superficie de 1820 km', avec 176 villages. Le département est est limité
(voir Carte 2)
- au Sud par la sous-préfecture de Tiébissou (département de Yamoussoukro),
- à l'Est par les sous-préfectures de Bouaké et Djèbonoua (département de Bouaké),
- à l'Ouest par la sous-préfecture de Béoumi (département de Béoumi) et la sous-
préfecture de Bouaflé (département de Bouaflé),
- au Nord par la sous-préfecture de Diabo (département de Bouaké).
'-
Selon le dernier recensement de 1988 sa population est de cinquante neuf mille
et quatre cent quatre vingt quatorze (59 494) habitants. Il y a une régression de la
population puisque en 1987 elle était de 68 000 habitants; en 1979, elle était de 70 000
habitants. Cela est dû au fait que la région connaît chaque année des problèmes de
migrations en raison des conditions climatiques précaires qui engendrent de nombreuses
conséquences: la sécheresse (les récoltes sont mauvaises), le chômage (l'agriculture en
temps de sécheresse ne rapporte pas assez de revenus). Outre les raisons climatiques, il y
a également le manque d'infrastructures socio-économiques pouvant inciter les jeunes à
rester sur place. Mais déjà en 1968, une enquête de Michotte (1968: 35) faisait
remarquer ce fléau des émigrations saisonnières ou durables à l'Ouest de Bouaké, en
démontrant que celles de Sakassou sont très anciennes; il fait notamment référence à une
IOSakassou est à la fois préfecture et sous-préfecture; il n'y a pas d'autres sous-préfectures dans la
préfecture de Sakassou.

28
étude de Etienne (1965) sur les migrations baule. Les émigrations baule en général et de
Sakassou en particulier datent effectivement de la période précoloniale: les Baule
partaient à la recherche ou pour échanger de l'or (surtout au Ghana, ex-Gold Coast), des
captifs, de sel, des perles, de la kola, des pagnes ... C'étaient des migrations saisonnières.
La colonisation n'a pas arrêté ces migrations; d'autres raisons se sont plutôt ajoutés aux
précédentes: la recherche ou l'échange du caoutchouc, de l'ivoire et surtout la fuite
contre l'impôt, les cultures obligatoires et le travail forcé.
Certaines migrations
deviennent alors définitives ou de très longue durée.
La carte 3 établie par Michotte (1968: 26) montre les lieux de prédilection des
migrants de Sakassou: le Sud d'abord, l'Ouest et l'Est ensuite. A ces aires géographiques
s'ajoutent depuis les années 1970 le Sud-ouest, zone forestière sur encouragement de
l'Etat ivoirien, soucieux de peupler cette région forestière favorable aux cultures
d'exportation que sont le café et le cacao et par la même occasion augmenter le nombre
de producteurs de ces cultures. On remarque que les Walèbo vont rarement au nord où il
n'y a que la savane.
Le recensement de 1988 montre aussi qu'il y a plus de femmes (30 784) que
d'hommes (28 710) dans le département, ces derniers ayant émigré seuls vers des zones
plus propices à la recherche de revenus.
Sur les 59 494 habitants, 20 000 sont des allochtones (ivoiriens, burkinabé et
maliens). La densité de la population à Sakassou est de 31 ~abitants au Km- (cf carte 4).

29
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Carte 3: les lieux de prédilection des migrants de Sakassou (Source: Michotte, 1968: 26)
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30
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~20_30
Carte 4: Densité des populations par sous-préfecture (Source: Dubresson, 1989: 233

31
Le climat est caractérisé par une irrégularité des pluies: une longue saison sèche
(d'octobre à mai) précède une saison des pluies (de juin à septembre) d'une moyenne
pluviométrique annuelle de 1000 mm. C'est un climat équatorial dit de transition, un
climat tropical humide. Les mois d'août et de septembre sont les plus pluvieux.
La savane arborée caractérise la végétation qui couvre la plus grande partie du
département, avec quelques forêts galeries autour du lac de Kossou notamment.
Le relief est dominé par des plateaux rompus par endroits par des plaines et des
bas-fonds.
D'un point de vue
religieux, l'islam concerne les Malinkés venant d'autres
régions du pays (le nord principalement), les Burkinabés et les Maliens. Les religions
catholiques et protestantes sont pratiquées par quelques personnes baule et d'autres
groupes ethniques ivoiriens installés à Sakassou. La majorité de la population autochtone
de Sakassou a recours aux pratiques ancestrales du magico-religieux, Les Baule en
général et les Walèbo en particulier, croient en un Dieu suprême (nyamien) qui intervient
à tous moments dans la vie des hommes. On le prie et on l'adore. Hiérarchiquement dans
l'ordre du sacré, après nyamien, viennent les génies (usu) ou les esprits (boson) qui sont
aussi puissants et interviennent dans la vie quotidienne de l'homme; "ils sont préposés à la
garde et à l'administration des espaces terrestres et aériens et c'est par leur intermédiaire
que Dieu pourvoit aux besoins des hommes. Ils ont chacun leur domaine particulier: les
espaces célestes, la mer, un cours d'eau, une vallée, un mont, une région désertique"
(Amon d'Aby, 1951: 107). Parmi les génies on peut noter fana le génie de l'eau.

32
En matière d'infrastructures socio-économiques, le département comprend 57
écoles primaires publiques et 1 école privée catholique, qui regroupent 7 870 élèves et
302 classes. Il y a 1 lycée moderne de 1500 élèves, 1 centre de formation technique
mobile.
La ville de Sakassou compte 1 hôpital de 73 lits, 1 maternité de 16 lits et
1 centre
antituberculeux. Un dépôt de pharmacie approvisionne Sakassou en médicaments.
Il y a un bureau de poste. Un centre culturel a été construit par la population dans les
années 1980. Un des préfets de Sakassou explique l'importance de la culture "la sous-
préfecture est le creuset de la tradition Baule. A ce titre de nombreuses habitudes
ancestrales y sont jalousement conservées: danses, fétiches etc.".
1.1 .2.2 Les activités économiques
L'agriculture est de loin l'activité dominante. Le café (environ 1600 tonnes par
an) et quelques plants de cacao (environ 150 tonnes par an) constituent les principales
cultures de rente. Les palmiers Il, le riz, le maïs, le manioc, l'igname, l'arachide et le taro
y sont aussi cultivés. On peut également noter des plantations qu'ont les habitants de
Sakassou dans des campements éloignés de la région ou à l'extérieure de la région,
comme activités économiques agricoles.
Avec la création du projet Loka en 1981, c'est la production du riz irrigué qui domine
aujourd'hui dans le département: 3200 tonnes par an pour le projet Loka et 1800 tonnes
par an pour le secteur informel qui produit du riz pluvial; ce qui fait au total 5000 tonnes
de production du riz par an (chiffres de la préfecture).
Si le riz pluvial est l'apanage des allochtones, l'igname demeure la principale culture
pratiquée par toutes les familles autochtones: il est d'abord destiné à la consommation
11Très prisés pour la fabrication locale du bandji ou me nzan (en Baule): c'est vin de palme

33
des ménages (l'igname est l'aliment de base des Baule et les allochtones consomment
beaucoup de riz) et les surplus sont vendus sur le marché. Les variétés d'igname les plus
prisées sont le bètè-bètè qui a un cycle de croissance de 8 mois, le n'za (8 mois) et le
lokpa (5 à 6 mois).
L'igname est cultivé selon des techniques culturales "traditionnelles": on coupe
les herbes et les broussailles pendant la saison sèche avec une machette; on les brûle
avant de retourner la terre mêlée aux cendres du brûlis. Puis on fait des buttes d'environ
50 cm de haut et 30 cm de rayon pour y planter une bouture d'igname à la saison des
pluies (à partir de Juin). Entre chaque butte, on cultive de l'arachide, du maïs, du manioc
et des condiments (piments, aubergines, tomates, etc.... ) en association de cultures. Les
Baule pratiquent ainsi une agriculture itinérante sur défriche et brûlis, avec des jachères
de deux à trois ans.
Concernant la répartition du travail: c'est l'homme qui défriche le champ et fait les buttes,
la femme ramasse les branchages, sarcle, récolte et commercialise la récolte sur le
marché.
Dans ce système, les outils les plus couramment utilisés sont la houe, pour le désherbage
et la formation des buttes; et la machette pour le défrichage, le fauchage, le sarclage. La
machette est aussi utilisée pour la chasse et comme arme de défense.
Le manioc est la culture de soudure consommée en "foutou" quand il n'y a plus
d'igname.
L'élevage à Sakassou est très peu développé comparativement à l'agriculture; la
pêche également malgré la présence du lac de Kossou. Elle est surtout l'apanage des
aIlochtones maliens (bozo) et nigériens. La sous-préfecture a recensé environ 80
pêcheurs. La production halieutique est exportée sur Bouaké; ce qui fait que malgré la
présence du lac de Kossou, il faut parfois aller à Bouaké pour se procurer du poisson.
.\\
"{-

34
Le Service des Affaires Domaniales et Rurales (SADR), la Compagnie Ivoirienne
pour le Développement des Textiles (CIDT), la Société d'Assistance Technique pour la
Modernisation Agricole de la Côte d'Ivoire (SATMACI) et la Compagnie Ivoirienne
pour le Développement des Vivriers (CIDY) sont les services de développement
agricole aujourd'hui implantés à Sakassou. La Société pour le Développement de la
Production Animale (SODEPRA) assure l'encadrement pour l'élevage.
1.1 .2.3 Le régime foncier traditionnel
Toute portion de terre est la propriété d'une famille, d'un clan ou d'un village. La
terre (assiè) est un bien inaliénable. Traditionnellement, la terre ne peut faire l'objet
d'aucune transaction commerciale. Comme modes d'accès à la terre, il y avait l'accès par
l'héritage, il y a le don de terre à quelqu'un qui épouse une fille du village par exemple ou
à un captif mais ce type disparaît quand celui à qui on donné la terre décède ou quitte le
village, il y a le prêt de terre: le Walébo peut prêter sa terre à quiconque (étranger ou
pas). Il ne demande rien en retour sauf que le gestionnaire observe les interdits liés aux
génies des lieux car "la terre est moins un objet d'appropriation que le partenaire d'une
alliance inaugurée par l'ancêtre fondateur" (Etienne, 1965: 18). Parmi ces interdits on
signalera par exemple:
1. L'acte sexuel sur le champ entraîne une souillure du sol qui empêche la pluie de
tomber et donc prive de toute nourriture.
2. Le travail pendant certains jours considérés comme sacrés: mercredi (mlan) et
vendredi (yaa): "ce sont les deux jours où on fait des sacrifices à la terre, on lui donne
quelque chose pour la récompenser de ses bienfaits et aussi pour qu'elle nous donne
une bonne récolte" (le chef de terre -assièfouè- de Goliblénou).
En pays baule, la terre est aussi considérée comme une divinité sacrée: la divinité

35
protectrice d'une famille (au/o) ou d'un village (klo). Elle est également divinité génitrice
en ce sens qu'elle "donne la nourriture" aux hommes qui l'occupent (les cultures
vivrières) et est également source de richesse économique (pour les cultures pérennes par
exemple).
Le gestionnaire en accord avec le propriétaire n'est qu'un gardien de cette terre: "nous
donnons des terres aux étrangers qui vivent avec nous et font des enfants avec des gens
du village; mais un étranger n'est jamais propriétaire. Le jour où il s'en va avec sa
famille, nous reprenons notre terre" (le chef de village -klôkpingbin- de Goliblénou). Il
ne peut y pratiquer que des cultures vivrières et non des cultures de rente (source de
richesse). Pour toute culture, un sacrifice le plus souvent d'animaux domestiques, doit
être fait pour que les assièoussou) bénissent et protègent le lieu.
Aujourd'hui, d'autres formes d'accès à la terre se sont ajoutées. On a par exemple
la vente de terre à des autochtones ou des allochtones; on peut ainsi devenir proprétaire
en achetant une ou des terres. Les familles qui traditionellement n'avaient pas de grandes
portions de terre peuvent aujourd'hui s'en acheter. On peut aussi s'approprier des terres
par le sytème des ~: des personnes cèdent en effet leurs terres comme garantie en
échange de quelque chose; c'est un système qui fleurit généralement à la rentrée scolaire
pour des personnes qui n'ont pas les moyens d'assurer la scolarisation de leurs enfants, ou
aussi à l'occasion de funérailles où des familles mettent des terres en gage pour avoir de
l'argent liquide en vue d'assurer les funérailles d'un membre de la famille, pour sauver
l'honneur de la famille. On a également de plus en plus un autre mode qui est la location:
des personnes qui ont des terres les mettent en location selon un contrat verbal ou écrit
préétabli. Le locataire est chargé de verser de l'argent selon les clauses du contrat
(mensuellement, annuellement ou à chaque récolte, etc.). Dans un type semblable, on a le
système abunsan qui est une forme de métayage;
c'est un système de partage des

36
revenus entre le propriétaire de la parcelle et l'exploitant réel de la parcelle. Abunsan en
Baule signifie diviser en trois parts. Le système est fait de telle sorte que les deux tiers
des revenus reviennent à l'exploitant réel, et le tiers au propriétaire.
En raison du caractère symbolique attaché à la terre, les autochtones baule se
sont inscrits nombreux dans le projet Loka, dans la deuxième vague de personnes
inscrites. Leur principale motivation était le droit de propriété: en s'inscrivant, ils
empêchaient ainsi les allochtones de devenir propriétaires de terres qui ne leur
appartiennent pas traditionnellement et aussi de terres auxquelles ils vont accéder
gratuitement. Ce qui fait qu'en s'en tenant à la liste des inscrits sur le projet, on remarque
une prépondérance des Walèbo; ce qui suppose logiquement qu'ils soient les plus
encadrés officiellement sur ce projet puisqu'ils sont propriétaires, les allochtones étant 0
alors majoritaires dans le secteur informel (là où on ne peut que prêter la terre). En
réalité, il y a plus d'étrangers que d'autochtones travaillant dans le "formel", sur le projet
Loka même. Les autochtones sont inscrits, les allochtones travaillent; ils sont liés les uns
aux autres par un contrat verbal: le système de métayage dit abunsan que nous avons
défini plus haut.
La présentation succincte de Sakassou laisse déjà entrevoir les problèmes qui
peuvent y exister quand à la gérence ou à la façon de gérer des "biens" de la région
(biens à usage collectif, biens fonciers par exemple). Elle donne un avant goût des enjeux
qui peuvent exister et des difficultés qu'on peut rencontrer dès l'instant où on s'intéresse à
l'étude de ces "biens".
Par rapport au milieu d'enquête comment avons-nous abordé le terrain?
e ;
;j,
0,
\\.

37
1.2 LES REALITES DU TERRAIN: QUESTIONS METHODOLOGIQUES
1.2 .1 Echantillonnage
1.2 .1.1 La population étudiée
Il y a 4 encadreurs de la CIDY sur le projet Loka pour 525 paysans. Concernant
les autres structures d'encadrement de Sakassou, il y a 04 encadreurs à la CIDI et Il
agents à la SAIMACI. Cela donne au total 19 encadreurs à Sakassou.
Nous avons
voulu
travailler avec tous
les encadreurs de
Sakassou
même SI
l'aménagement de la Loka constitue la plus grande réalisation agricole de la région,
donnant ainsi plus de "poids" aux encadreurs de la CIDY. En parlant des structures de
développement à Sakassou, nous avons cité la SODEPRA et le SADR mais nous
n'étudierons pas ces structures ici car:
• Le Service des Affaires Domaniales et Rurales (SADR) ne fait pas d'encadrement
agricole: il fait des inventaires agricoles, des constats en cas de litiges entre
propriétaires terriens, il délivre des attestations ou certificats agricoles et des
attestations de revenus agricoles .
• La Société pour le Développement de la Production Animale (SODEPRA) créée en
1973, s'occupe de l'encadrement des éleveurs exclusivement. A Sakassou, il y a un
seul agent de la SODEPRA qui couvre toute la région.
Par ailleurs, précisons que notre étude est qualitative et non quantitative; elle se
situe dans un axe socio-anthropologique qui s'appuie essentiellement sur des méthodes
qualitatives de recherche et des enquêtes sur le terrain relativement longues dans le
temps. Nous n'avons donc pas construit un échantillon représentatif des encadreurs en
Côte d'Ivoire, mais travaillé de manière régulière auprès des encadreurs à Sakassou.
',:;,

38
1.2 .1.2 L'aire d'enquête: pourquoi Sakassou?
Nous y avons été orientée au départ (en 1987) par le centre ORSTOM de Petit-
Bassam pour une expertise sociologique faisant le bilan de l'aménagement hydre-agricole
de Sakassou. Nous sommes revenue dans cette région dans le cadre de ce Doctorat pour
plusieurs raisons:
1. Nous connaissions déjà la région;
2. A travers ces enquêtes nous avions pris conscience d'un malaise existant entre
paysans et encadreurs d'une part, entre encadreurs et autorités administratives et
politiques d'autre part. Les encadreurs étaient au coeur de toutes les remarques
émanant aussi bien des paysans que des responsables administratifs et politiques.
Nous avons donc voulu en savoir plus sur cette catégorie de personnes; l'objectif
étant de travailler sur ces mêmes encadreurs à partir d'une rétrospective de notre
premier terrain; nous avons alors opté pour une approche diachronique.
3. Pour une perspective comparative, nous avons choisi de travailler avec tous les
encadreurs de Sakassou. C'est ce qui nous a conduit à nous intéresser aux autres
structures d'encadrement de la région.
1.2.2 Le contexte de l'enquête
Il est important de signaler les difficultés rencontrées lors des enquêtes, en tenant
compte
des
circonstances
particulières
de
leur
déroulement:
l'instauration
du
multipartisme en Afrique et en Côte d'Ivoire en particulier a joué ici comme une
circonstance déterminante: c'est un nouveau souffle politique dont découle une variabilité
de comportements chez les enquêtés et une augmentation de la méfiance.

39
Nous nous sommes ainsi heurtée à des réactions de méfiance de la part de la
population enquêtée: on ne sait pas quelle est la véritable appartenance politique de son
interlocuteur (femme et ivoirienne). Et l'on a peur de s'exprimer objectivement et de
porter des critiques (car dans le nouveau contexte de la démocratie, critiquer quelque
chose qui a rapport avec une action gouvernementale, ou qui a rapport avec l'Etat, c'est
être opposant à ce qui est en place) de crainte d'être "traduit en justice" comme l'ont été
de nombreuses personnes qui ont dénoncé quelque chose. Personne ne veut "mouiller
son pain". Par exemple en leur posant des questions sur leur appartenance ou leurs
activités politiques, tous les encadreurs répondent: "je ne fais pas de politique". Mais
quand on se retrouve au "maquis" ou dans un autre lieu public, tous se disent opposants
au parti politique en place: le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire ( PDCI). Ici, on n'est
apparamment plus méfiant peut-être parce qu'on est en groupe. Les discussions vont bon
train et on ne fait plus attention à l'enquêteur ou du moins on fait semblant de ne plus le
VOIr.
Nous avons cependant remarqué que certains encadreurs jouent un double jeu
quand à leur appartenance politique, en fonction du lieu où ils se trouvent et aussi en
fonction de l'interlocuteur. Ils se disent opposants, dénoncent beaucoup de faits,
énoncent des voeux (notamment de chute du gouvernement en place), mais en même
temps, certains font de "l'espionnage" dans les rapports d'activité. A ce propos, nous
évoquerons dans de prochains chapitres, le problème de la délation ou celui du soupçon
de délation et ses conséquences dans la vie d'une organisation telle que la structure
d'encadrement. L'''espionnage " est pour eux une stratégie pour se faire aimer du patron
ou du chef qui en tiendra compte dans les notations et les avancements? En effet, les
patrons sont tous censés être "pédécéistes" c'est-à-dire membres du parti démocratique
de Côte d'Ivoire, parti unique jusqu'en 1990. De fait, on n'a pas le droit de critiquer
malgré l'avènement de la démocratie, car critiquer c'est être opposant, c'est faire partie

40
d'un autre groupe politique. Certains encadreurs se font apprécier des paysans et des
collègues encadreurs qui ont la même opinion politique, en se ralliant à leurs idées, en les
aidant à critiquer, mais en même temps, ils défendent leurs intérêts du côté des supérieurs
hiérarchiques, en rapportant tous ce qui a été dit de négatif par les autres. On remarque
ici que l'encadreur peut jouer dans plusieurs jeux en même temps; tout dépend de l'enjeu
et de l'objectif recherché.
L'insécurité d'expression a bien évidemment pesé sur notre enquête durant les
premiers mois du terrain.
D'autres situations justifiaient la méfiance des encadreurs: plusieurs structures
d'encadrement dont la CIDV, la SATMACr et la CIDT, ont dû licencier plusieurs de
leurs agents. Les personnes directement concernées par les licenciements sont les agents
dits contractuels ou journaliers pour les structures étatiques (exemple de la CIDV), et les
agents de base pour les structures semi-privées (exemple de la CIDT)12. Ceux qui ont eu
la chance de ne pas avoir (encore) été renvoyés, sont méfiants et ne manquent pas
l'occasion de se faire apprécier de leurs supérieurs hiérarchiques, car les compressions
continuent. On se montre donc très attentif à son travail. On omet volontairement de
parler des problèmes qu'on y rencontre, car on ne sait pas jusqu'où peut aller le rapport
que va rédiger le chercheur: comme ils le disent eux-mêmes, "il vaut mieux avoir un
revenu même très bas, que ne rien gagner du tout, donc il ne faut pas verser du sable
dans notre attiéké" 13.
12D'ailleurs actuellement (1994), il Y a des licenciements en cours en vue de la restructuration de la
nouvelle société ANADERqui en septembre 1993 a remplacé l'ensemble CIDT, CIDVet SODEPRA·
13L'expression "ne pas verser du sable dans l'attiéké" est tirée du "français-ivoirien" et signifie qu'il ne
faut pas créer des problèmes, ne pas causer des ennuis à autrui (l'attiéké est comme du couscous de
manioc, il est inconsommable quand il contient du sable).

41
En plus de la méfiance pour "raison politique" à notre égard, d'autres motivations
et fonctions nous étaient assignées dont la pluralité et l'ambiguïté de statuts, le principe
d'identification à plusieurs personnages. Si pour certains, nous étions une espionne
payée par les directions respectives de chaque structure d'encadrement ou du ministère
de l'agriculture, pour d'autres, nous étions une envoyée du gouvernement en place, un
agent de l'Etat. Nous étions aussi considérée comme une partenaire économique par
d'autres personnes: c'est le "donnant-donnant", par exemple nous livrer des informations
contre certains avantages: entrer à la fonction publique, obtenir un stage en Europe pour
changer de statut professionnel. Nous étions prise dans de multiples stratégies selon la
position qu'on nous attribuait. Notre statut de femme n'était pas fait pour arranger les
choses ...
Un autre problème et non des moindres à évoquer, est celui de notre statut
d'originaire du pays. Selon les situations, des informations peuvent plus facilement être
livrées à un étranger qu'à un "compatriote", et cela en fonction de la portée de
l'information. Le sujet que nous traitons sur les encadreurs est très délicat dans la mesure
où il se situe en plein coeur du politique, du pouvoir. L'analyse que nous faisons des
relations stratégiques entre encadreurs est parfois risquée pour le chercheur local dès
l'instant où il s'agit de publier les manipulations, les détournements, les négociations etc.
entre personnes d'un terrain où nous sommes susceptibles de retourner pour de futurs
travaux. Traiter d'un tel sujet sur la base de la transparence qu'exige le métier
d'anthropologue est difficile pour le chercheur local qui se trouve ainsi en position
inconfortable. La transparence pose problème pour le chercheur local selon le sujet dont
il traite.
En définitive, face aux réalités du terrain, très souvent, nous avons ainsi été le
....
~

42
bricoleur improvisant et ajustant ses techniques en fonction des circonstances et des
matériaux de travail dont il dispose au moment de l'enquête. Face à tous ces statuts,
comment prétendre à une relation ethnologique?
C'est le problème des rapports au
terrain et au sujet.
1.2 .3 Les procédés de collecte des informations
Nous avons essayé de faire des études de cas pour chaque encadreur, de suivre
ces encadreurs dans différentes situations auxquelles ils ont affaire, de reconstituer avec
eux leur itinéraire professionnel, de leur faire raconter leur participation à telle ou telle
expérience de développement (surtout que la plupart de ces agents ont transité par
plusieurs structures ayant parfois des filières différentes), de leur faire expliciter le bilan
qu'ils en tirent. Nous avons suivi la même démarche pour les paysans.
1.2 .3.1 L'observation
C'est un élément indispensable du travail de terrain. L'interaction entre le
chercheur et le milieu observé et entre des éléments différents d'un même milieu, produit
des informations, des attitudes et des comportements significatifs.
Nous avons principalement exploité l'observation participante et l'observation indirecte.
En effet, nous accompagnions les agents sur le terrain en essayant d'apprendre à
leur côté les techniques et méthodes d'encadrement. C'est la voie que nous avions choisie
pour gérer leur méfiance. C'est aussi le moyen de savoir ce que représente une journée de
travail d'un encadreur. Nous avons ainsi pu établir un calendrier avec chaque structure
d'encadrement, à tour de rôle. C'est ainsi par exemple que nous avons passé plusieurs

43
semaines à parler de la méthode Benor initiée par la Banque Mondiale (système
d'encadrement utilisé par la quasi totalité des structures d'encadrement en Côte d'Ivoire),
ses effets, son application réelle, les moyens pour contourner les "filets" de contrôle des
supérieurs hiérarchiques...
Les observations et les conversations ont aussi eu lieu hors du travail. Et il s'agit
alors de mettre en interaction plusieurs personnes. C'est en ce sens que le modèle
sociologique de Goffinan (1973) nous a inspiré dans le recueil d'informations: la lecture
du social non pas en termes de structure, ni de fonction ou même de classes sociales,
mais en termes d'interaction: l'interaction étant l'influence réciproque que les partenaires
exercent sur leurs actions respectives lorsqu'ils sont en présence physique immédiate les
uns des autres, c'est-à-dire lorsqu'ils sont face à face car comme le précisent Berger et
Luckmann (1992: 44), "la situation de face-à-face (...) est le cas-type de l'interaction
sociale".
La mise en interaction des acteurs s'est faite sur la base d'invitations à dîner à
domicile ou dans un "maquis" (restaurant); les encadreurs nous invitaient et inversement.
Certaines de nos rencontres sont aussi faites par "hasard" (un hasard programmé) en un
lieu quelconque. Là, les conversations vont bon train et chacun raconte ses déboires. La
méfiance à notre égard à ce moment précis parait moindre dans la mesure où nous ne
prenions pas de note, comptant sur la mémorisation dans les détails de tout ce qui a été
mentionné par les uns et par les autres, même si cela paraît banal et sans importance.
Parallèlement à l'observation des encadreurs, nous observions aussi les paysans
(quand ils rentrent en scène en même temps que les premiers ou quand ils s'y trouvent).
Les gestes, la parole, le regard, la disposition des groupes dans un "maquis" ou bar, ...
étant toujours significatifs.
De ce point de vue, la méthode privilégiée de l'ethnologie (l'observation sur une
longue période) est réellement pertinente pour rendre compte d'une réalité sociale.

44
1.2.3.2 L'interview
L'objet de l'interview variait en fonction de l'interlocuteur. Si certaines questions
se rapportaient à la profession des encadreurs en général et concernaient leurs relations
quotidiennes au village (ou en ville), d'autres font référence aux seuls encadreurs de
Sakassou (toutes structures confondues). Il s'agit par exemple des questions relatives aux
pratiques sociales locales; aux comportements sociaux; aux modes et styles de vie
quotidienne; à la trajectoire professionnelle; à la structure des relations interpersonnelles
entre différents groupes que sont les autorités politiques les autorités administratives, les
habitants de la ville ou du village et l'encadreur; aux stratégies entre collègues de même
structure'"; à l'image que l'encadreur se fait de lui-même, de ses collègues et de ses chefs;
aux réseaux de sociabilité.
C'est seulement quand nous avons estimé qu'il n'y avait apparemment plus de
méfiance à notre égard que nous avons commencé ces interviews. Mais au début, il fallait
le faire sans enregistrer au risque de se voir refuser le dialogue. Nous avons cependant
parfois pris ce risqucl>, non pas parce que nous courions après une vérité absolue, mais
parce que nous voulions mieux comprendre le sens de ce refus: qu'est-ce qui dans la
position d'un enquêté fait qu'il a peur d'être interrogé et enregistré? Les hésitations, les
rires, les silences (accentués, prolongés ou pas), la façon de prendre la parole, tout est
finalement source d'information et de formation pour nous car en elle-même, la parole
n'est jamais neutre.
Avec les encadreurs, nous avons aussi organisé les discussions de groupe, et
relevé des récits de vie ou récits autobiographiques car cela permet de comparer les
14pour la promotion ou l'avancement au sein de la structure par exemple.
15Ici se pose la question de l'éthique en anthropologie, surtout dans les stratégies d'approche du terrain.

45
réponses aux mêmes questions: selon que l'entretien est une discussion de groupe ou un
dialogue, les réponses ne sont pas toujours les mêmes. Dans les récits, nous avons opté
pour la linéarité du discours: la narration commence de la naissance pour s'achever au
moment du récit.
Nous
avons
aussi
exploité
les
conflits
(encadreurs/encadreurs,
encadreurs/paysans, encadreurs-responsables administratifs et/ou politiques) comme une
voie productive, livrant quelques indicateurs pertinents, pour comprendre par exemple le
fonctionnement du projet V ème F.E.D. à Sakassou. Comme le montre Gluckman (1956:
2), "conflicts are a part of social life"; ils sont aussi souvent révélateurs de tensions ou de
dysfonctionnements habituellement cachés ou euphérnisés. Denière chaque conflit, nous
avons essayé non seulement d'analyser les stratégies formelles ou informelles mises en
place en fonction des intérêts personnels ou collectifs de chaque individu ou groupe, mais
nous avons aussi tenté d'identifier les alliances nouées par tel ou tel acteur ou groupe
d'acteurs pour aboutir à quelle (s) fin (s). Nous avons essayé d'obtenir les différentes
versions d'un même événement significatif en identifiant précisément les divers
informateurs (qui donne quelle (s) raison (s)?, quelle est la position sociale de celui qui
parle? ).
Certains responsables politiques et administratifs ont été interrogés non
seulement sur leurs relations et avec les paysans et avec les encadreurs, mais aussi sur
leur rôle dans la région, et la façon dont ils gèrent les éventuels conflits entre personnes
sous leur autorité.
Avec les responsables des structures d'encadrement, il a été plus question des
modalités de leurs interventions sur le terrain, de leurs méthodes de travail, de leurs
relations avec leurs agents et avec les paysans, ...

46
Pour communiquer avec les paysans baulelv, nous avions insisté sur la nécessité
d'un interprète bien que parlant la langue baule. Cest une stratégie d'enquête nous
permettant de voir les difficultés, les problèmes, les inconvénients et les avantages à
parler la langue locale ou à ne pas la parler. Et nous avons remarqué que très souvent,
l'interprète prend l'initiative d'omettre volontairement certaines réponses, ou alors il le
fait de concert avec les paysans: c'est-à-dire qu'ils donnent une réponse qui est la leur
mais demandent à l'interprète de nous transmettre autre chose ou de sélectionner
certaines parties de leurs réponses. Par exemple à la question: "pourquoi avez-vous
convoqué monsieur D. chez vos notables?", ils répondent en Baule "parce qu'il
favorisait les paysans de même ethnie", ou "parce qu'il ne nous plaisait plus", "on ne
voulait plus de dyula", "il n'était pas sérieux", ou encore ''parce qu'il nous volait en
vendant plus cher les produits phytosanitaires". Une fois toutes les réponses possibles
données en Baule, les paysans, par le biais de l'interprète nous font dire qu'ils n'ont jamais
su pourquoi il y a eu rencontre entre les encadreurs et les notables. Et l'interprète de dire:
"ils disent que monsieur D. ne connaissait pas son travail". Comprenant et parlant la
langue, nous notions les versions "officielles" (c'est-à-dire celles qui nous sont destinées)
et officieuses.
En enregistrant toutes ces déclarations "officielles" et officieuses, nous pouvions
par la suite faire la part de ce qui relève d'une appréhension "objective" des situations et
de ce qui relève d'une appréhension plus "subjective" ou même d'une déformation
intéressée des faits, car le "mensonge" est_ significatif et peut être utilisé comme un
indicateur pertinent des attitudes et des représentations paysannes. Avec le temps, c'est-
à-dire au bout de dix mois, nous leur avons fait savoir que nous comprenons un peu leur
langue, et nos conversations étaient parfois directes. Mais à partir de cet instant, les
16Rappelons que tous les paysans ne sont pas Baille; il y a également des paysans d'autres régions
linguistiques de Côte d'Ivoire, et des étrangers maliens et burkinabés. Mais presque tous parlent le
Dioula, Les deux langues couramment parlées à Sakassou sont ainsi le Baille et le Dioula ou Malinké.

47
discussions de groupe ne se sont plus faites en notre présence. Quand nous posions une
question de groupe, les concernés se retiraient en un lieu discret, débattaient du problème
et revenaient nous donner une réponse.
Ces deux types de situations linguistiques utilisées pour mener une enquête de
terrain, c'est-à-dire le fait de parler la langue des enquêtés ou de ne pas la parler,
présentent l'avantage de provoquer des réactions différentes et des situations de
communication différentes. Notamment quand le chercheur ne parle pas ou ne comprend
pas la langue, plusieurs choses peuvent lui échapper, et ce n'est pas une enquête de
courte durée, telle qu'elle est pratiquée par la plupart des experts en développement ou
"touristes en développernent'"? qui fera comprendre ces choses. C'est pour cela que
nous insistons sur l'intérêt pour le chercheur de comprendre la langue locale et de
l'utiliser dans certaines situations comme outil de communication. Ce constat est aussi
valable pour l'encadreur vis-à-vis du paysan car nous avons remarqué que l'encadreur
exprime mieux sa pensée dans la langue qu'il pratique (sa langue maternelle par exemple)
qu'en français. Les affectations selon le critère de la langue sont donc à encourager car
même si pour "se faire valoir", l'encadreur s'exprime en français, il est parfois obligé de
dire certaines choses dans la langue locale s'il veut se faire comprendre, surtout lorsqu'il
se retrouve devant un paysan qui ne parle pas du tout français et qu'il n'y a pas non plus
de paysan "parleur de français" 18 dans les environs.
1.2 .3.3 Les questionnaires
Face à la méfiance des enquêtés, nous avions adressé des questionnaires à tous
les encadreurs et chefs de structures d'encadrement de Sakassou et sa région afin qu'ils
17Selon le terme de Chambers, R., 1990.
18En Baule: sran bô kan blofouè (francophone); blofouè signifiant le (homme) blanc ou la langue
française.

sachent exactement l'objet de nos questions. De nombreux questionnaires sont restés
sans suite. Petit à petit, le climat de confiance s'instaurant, nous avons commencé nos
entretiens, certaines questions étant les mêmes que celles du questionnaire envoyé
auparavant mais formulées autrement. Nous avons alors remarqué que les réponses aux
questions de l'entretien n'étaient la plupart du temps pas les mêmes que celles du
questionnaire.
1.2 .3.4 Les sources documentaires
Dans les structures d'encadrement et certains organismes de développement, nous
n'avons pas pu accéder à certains documents dits confidentiels: on les appelle les
"documents souterrains", ils circulent dans la structure ou l'organisme
mais leur
consultation n'est pas autorisée aux personnes extérieures à la structure. La Banque
mondiale, la G.T.Z. et la F.A.O. ont été nos principaux informateurs du côté des
organismes internationaux de développement. Dans les structures d'encadrement locales
nous avons eu accès à des manuels de vulgarisation et fiches de fonction.
Des mémoires
sur la vulgarisation (en agronomie
ou en économie du
développement) nous ont été fournis par le CNEARC à Montpellier. Dans les institutions
spécialisées comme le CIRAn à Montpellier, nous avons eu accès à des travaux et
documents de terrain sur la vulgarisation. Nous avons également bénéficié des quelques
documents de l'ORSTOM sur la Côte d'Ivoire en général, et particulièrement sur la
région baule.
Nous nous sommes aussi inspirée de l'importante littérature sur le développement
en général et ses applications en Afiique (ce sont les ouvrages ou articles d'experts ou de
chercheurs en sciences sociales et en agronomie ainsi que des thèses ou mémoires dans
ces mêmes disciplines).
Les revues ou bulletins spécialisés tels que la lettre du réseau GAO, Chroniques

49
du Sud de l'ORSTOM, la lettre du réseau Recherche Développement
du GRET, les
archives (à Aix-en-Provence et à Abidjan), les travaux d'historiens sur la Côte d'Ivoire
(Loucou, Ekanza), les lettres et circulaires des gouverneurs de colonies, les notes de
service des Services de l'Agriculture, nous ont été d'un grand apport.
1.2.4 Approches théoriques: choix méthodologiques
L'interactionnisme, le comparatisme, l'approche stratégique, la Sociologie des
organisations et la Sociologie du travail, constituent les axes méthologiques qui ont
guidé pour le recueil des données de terrain et pour la rédaction de ce travail.
Dans le but de comprendre le métier et le vécu des encadreurs agricoles, nous
avons commencé par consulter les documents relatifs à leurs mission, fonction, rôle et
place dans la structure d'encadrement, en considérant la structure comme une
organisation. Ce qui explique pourquoi nous avons eu recours à certains outils
conceptuels de la sociologie des organisations et à la sociologie du travail.
Bernoux (1985) pour une idée générale sur la sociologie des organisations
(origine, développement, transforrnation) 19, explique que les caractéristiques d'une
organisation sont les suivantes: la division des tâches, la distribution des rôles, l'existence
d'un système d'autorité, d'un système de communication et d'un système de contribution-
rétribution. Ces caractéristiques peuvent être appliquées à toute structure d'encadrement.
La structure d'encadrement en tant qu'institution-? est donc une organisation.
Nous pouvons également considérer sous un certain angle, tout projet ou toute
19 Voir aussi par exemple Balle, 1990.
2oCf. Authier et Hess, 1981.

50
opération de développement comme une organisation, c'est-à-dire "un conglomérat de
coalitions qui changent ou comme des "institutions à liens multiples"" (Teulings, 1973:
363), qui comprend la structure d'encadrement, ses agents, les paysans, etc ..
Nous empruntons certains concepts et certaines notions à la sociologie des
organisations parce que "les recherches organisationnelles ont apporté une connaissance
approfondie des institutions et éclairé leur rôle dans les processus sociaux plus généraux"
(Balle, 1990: 121) .
L'histoire de la sociologie des organisations révèle que cette discipline est née aux
Etats-Unis dans les années 1930 avec par exemple les travaux de Merton (1936 et 1949)
mais n'a connu un essor que dans les années 1950 avec les écrits de Gouldner (1954),
March et Simon (1958), grâce au développement des sciences humaines. En France elle
n'est apparue que 30 ans plus tard avec les travaux de Crozier (1963), et ensuite
Friedberg, (1971), Crozier et Friedberg, (1977) par exemple. La sociologie des
organisations a connu de nombreuses écoles, de nombreux courants et tendances.
Morgan (1989) dans Images of organizations montre en effet que "l'organisation a été
considérée successivement comme une machine, un organisme, une culture ou une sous-
culture, un lieu de pouvoir et de conflits, une prison psychologique, un système de flux et
de transformations, un système de domination" (Balle, 1990: 109). Quatre courants ont
principalement influencé cette discipline: le structuralisme,
l'approche stratégique,
l'analyse culturaliste et le modèle écologique. Sans toutefois rentrer dans ces querelles
d'écoles, nous récusons la conception structurelle et systémique des organisations, qui ne
prend pas en compte certains facteurs qui apparemment n'ont rien à voir avec un projet,
une opération de développement, ou une institution mais qui pourtant y interviennent.
Dans notre travail, nous démontrons l'influence de l'environnement sur l'organisation.
Pour expliquer et comprendre les comportements des encadreurs, il faut
les
situer certes dans l'organisation qu'est le projet de développement dont ils font partie car

51
"dans toute organisation, les comportements ne se comprennent que dans un ajustement
permanent entre l'individu, son tempérament, ses besoins, ses désirs et le groupe"
(Bemoux, 1985: 27). Mais il faut considérer le projet comme un champ de pratiques et
de stratégies personnelles, et il est intéressant de les décrire, les définir, les circonscrire
dans un espace qui est à califourchon entre le projet et l'en dehors du projet.
En référence par exemple à l'ouvrage de Bailey (1971) les règles du jeu
politique, qui montre que le monde politique est comme une arène de jeux, un lieu de
confrontations et d'affrontements d'acteurs, et que les motivations les plus altruistes sont
politiques, nous essayons de démontrer que les projets de développement se présentent
eux aussi comme des arènes de jeux dans lesquelles
se rencontrent et s'affrontent
plusieurs acteurs ou groupes stratégiques: paysans, encadreurs, bailleurs de fonds, etc ..
L'image du jeu fait référence à la fois à la liberté, à la contrainte et aux enjeux. Dans ces
"arènes de confrontations" (Robertson, 1984), se croisent des logiques, des pratiques
et des représentations tant économiques, techniques que sociales, politiques, culturelles.
Robertson, montre bien que chaque individu dans cette arène de confrontations, est un
condensé de rôles différents et peut jouer différents rôles à la fois. Ainsi par exemple,
l'encadreur joue non seulement le rôle d'agent de développement mais en même temps il
défend une position sociale, un statut professionnel, un statut dans la ville parmi la
population, il est en même temps père de famille et époux; pour chacun de ces rôles,
l'encadreur tisse des relations ou contacts stratégiques (Boissevain, 1974) aussi bien au
travail qu'en dehors du travail, il se crée ou intègre des réseaux de relations. Il ne faut
donc pas privilégier ou considérer un seul de ces rôles. Toute la démarche de Robertson
se situe en fait dans un contexte organisationnel (connaître les faits de façon globale). Il
utilise la notion d'acteur social, de "human agency" à savoir, l'idée que des individus
sont des acteurs qui agissent sur la base de catégories culturelles cognitives et que

52
l'ensemble des résultats agrégés des individus aboutissent à des résultats tout à fait
inattendus de ces acteurs. Là-dessus, nous nous sommes aussi inspirée de quelques
travaux de l'école de Manchester (Gluckman, 1991, et Mitchell, 1983, 1969a et 1969b
par exemple) sur les acteurs et le choix qu'ils font face à des contraintes ou autres
situations pour élaborer des stratégies multiples: c'est le "actorcentered approach".
En se fondant effectivement sur une analyse fondée sur l'interactionnisme et le
rôle de l'acteur sociaJ, l'encadreur agricole n'apparaît plus comme un "sujet" appliquant
plus ou moins une série de recommandations, mais comme un acteur, à la fois "maître" et
"esclave" de règles, de normes, de stratégies, de relations et d'enjeux (aussi bien
individuels que collectifs). C'est en ce sens qu'il devient un objet pertinent pour le
sociologue ou l'anthropologue au même titre que n'importe quelle autre catégorie
d'acteur social. Cette approche dans le champ de l'anthropologie du développement,
présente à la fois l'intérêt de porter un regard nouveau sur les structures d'encadrement
qui ne sont finalement pas des objets abstraits de spéculation dès qu'il s'agit d'aborder le
développement, mais des cadres sociaux de conception, d'organisation, de mise en
pratique d'objectifs liés au développement. Elle permet la mise en évidence des
différences, des dynamiques particulières...
Les rôles de chacun des acteurs ne sont pas toujours prédéterminés; chacun
jouant en fonction de ses intérêts, de ses marges de manoeuvre. C'est en cela qu'il faut
tenir compte du contexte de l'action comme l'indique Strauss (1987, 1978, 1971a et
1971b) ou du contexte de confrontation selon Bateson (1971 et 1977); il faut restituer
les acteurs dans leurs mouvements ou dans leurs réseaux. Pour Bateson, tout
comportement est un comportement interactif. Quand l'encadreur déploie des stratégies
pour inscrire ses enfants dans une école où il n'y a par exemple pas assez de places, il
utilise ses atouts en fonction de ses "adversaires" pères de familles, de leurs références
sociales, statutaires; il peut essayer d'inscrire ses enfants non pas en temps que père de

53
famille mais en tant qu'encadreur ami ou protégé de tel notable ou chef, ou en tant que
collègue d'un autre agent de développement bien en vue dans la ville ou la région, ou
encore en tant que "petit ami" d'une belle-soeur d'un directeur d'école. Plusieurs
situations sont possibles mais les adversaires eux n'attendent pas les bras croisés, ils
essayent aussi de deviner les cartes ou de contrecarrer les stratégies des autres, de
développer d'autres stratégies afin que leurs enfants soient les seuls inscrits ou parmi les
inscrits. Chacun, dans ces cas de confrontations ou d'affrontements, fait référence aux
ressources dont il dispose, et parmi elles le pouvoir d'agir, le pouvoir d'influencer. C'est
en ce sens que nous avons recours aussi à Long (1989: 1) à qui nous empruntons le
terme de "interface" qui est une métaphore pour désigner l'interaction. Pour lui, quand
deux ou plusieurs individus, groupes d'individus ou systèmes se retrouvent "face à face",
représentant chacun des intérêts différents avec chacun des ressources différentes, ils
interagissent les uns sur les autres en fonction de la capacité de chacun, (du pouvoir
dont dispose chacun) à influencer ou réorganiser le résultat de l'interaction. La dimension
"pouvoir" dans ces "affrontements" ou "jeux" est très importante car l'on se situe dans le
politique. Crozier et Friedberg définissent le pouvoir comme, non seulement la capacité
de A d'imposer quelque chose à B, mais aussi comme la capacité de B à ne pas exécuter
tout ce que A exige. C'est ici qu'interviennent les notions de marge de manoeuvre et de
zone d'incertitude dont il faut tenir compte pour tout acteur. Il faut toujours comprendre
ce dernier comme étant actif. Son comportement a forcément un sens pour lui-même.
L'analyse de tous ces éléments nous conduit enfin à utiliser également le
comparatisme comme démarche méthodologique de construction de traits pertinents
pour identifier notre objet d'étude.
Passeron (1990 et 1991) nous explique en effet que le comparatisme est la méthode par
excellence des sciences interprétatives en général et de la sociologie en particulier; "c'est
aussi une forme inévitable de toute science sociale (00 .), c'est l'acte par lequel une science

54
se forme et se fait'?'. Il affirme aussi que "tout objet identifiable est un objet issu de la
comparaison"
Nous faisons ici une comparaison à deux niveaux:

D'abord au niveau du projet Loka lui-même: comparer par exemple le discours des
encadreurs selon leur statut, leur fonction dans l'aménagement; analyser leurs
comportements en tenant compte de leurs réseaux de relations personnels; voir leurs
relations avec les paysans selon que ces derniers sont Walèbo ou non, selon qu'ils
sont anciens ou nouveaux dans l'aménagement Notre objectif avec la comparaison est
de mettre à jour des traits distinctifs, pertinents pour décrire l'encadreur agricole à
travers la manière dont il vit ses relations quotidiennes.

Ensuite une comparaison entre les pratiques des encadreurs du projet et ceux de
toute la région de Sakassou (agents de la CrnT et de la SATMACI).
Ainsi, stratégies d'acteurs, analyse stratégique,
système de régulation des
relations, alliances et négociations entre acteurs, relations de pouvoir, jeux de pouvoir,
stratégies alternatives,
manoeuvres et
marges de
manoeuvres. '"
constituent
les
principaux référents et fils conducteurs de ce travail sur les encadreurs agricoles.
Autrement dit, nous partons du constat que la structure d'encadrement est une
organisation formelle qui définit des fonctions propres à chacun de ses membres, et qui
comprend un organigramme, des systèmes de communication, des systèmes de contrôle,
des systèmes d'information, et des systèmes de décision, de transmission de l'autorité. Or
en observant la réalité, et en optant pour une analyse en termes d'interactions, on se rend
compte que cette organisation formelle en tant que telle, et telle qu'elle est décrite sur
21 Séminaire EHESS du 11112/90.

J J
papier, ne permet de voir certaines failles ni les relations que les agents d'encadrement
pourraient entretenir avec d'autres personnes extérieures ou d'autres éléments à la
structure. Et pourtant, malgré les contraintes qui émanent de la structure d'encadrement
et qui pèsent sur l'action des encadreurs, ils ont chacun une autonomie suffisante, une
marge de manoeuvre qui leur permettent de négocier certaines situations, comme par
exemple contourner les nonnes professionnelles qui leur interdisent d'avoir d'autres
activités économiques. Elle ne permet pas de ce fait de comprendre totalement les
attitudes et les comportements des agents d'encadrement, que nous cherchons à
appréhender.
Parallèlement, en observant les pratiques réelles des encadreurs et des paysans,
on remarque que c'est un ensemble de jeux de stratégies articulés les uns aux autres, en
fonction d'autres éléments ou catégories extérieurs à ces deux catégories. Mais chacun
selon la catégorie puise ou utilise parfois des ressources qui ne sont pas toujours dans le
projet ou l'action de développement, si on le ou la considère aussi comme une
organisation formelle. Effectivement et comme le montre d'ailleurs Long (1989), il faut
certes tenir compte de la situation de face à face, mais il faut également prendre en
compte ceux qui ne sont pas présents lors de cette situation mais qui peuvent aussi
l'influencer. Ce qui fait qu'au fond, l'organisation réelle, effective, dépasse le simple cadre
de l'organisation formelle (la structure d'encadrement ou le projet de développement) car
elle embrasse des éléments qui ne sont pas a priori dans le système.
En plus des jeux-de stratégies, on percoit également dans l'organisation réelle des
jeux de pouvoir. Par exemple pour les encadreurs, chacun essaye de se positionner par
rapport aux autres dans la structure; chacun utilise des astuces pour être le mieux écouté
et par les autres encadreurs, et par les paysans; chacun essaye d'être plus considéré par
un chef ou un patron que les autres; chacun tente de tisser le maximum de relations

56
efficaces et sûrs pour en tirer des avantages, etc.
On voit qu'une approche en termes de stratégies amène à prendre en compte
plusieurs facteurs à la fois: l'environnement physique, l'environnement socioculturel,
l'environnement politico-institutionnel. Rien qu'en essayant d'identifier des stratégies
d'une seule catégorie d'acteurs (ici les encadreurs), on se rend compte qu'il y a de
nombreux intervenants dans tout projet ou toute action de développement. Notre travail
sur le vécu des encadreurs agricoles nous permettra de le vérifier car nous essayons de
voir comment s'opèrent les compromis ("accomodation" selon Long, 1989: 222), les
conflits, les luttes et autres négociations. Mais avant de les aborder, analysons quelques
méthodes d'organisation du développement rural et quelques méthodes d'encadrement
agricole.

57
CHAPITRE 2
PROBLEMATIQUE GENERALE DE L'ENCADREMENT AGRICOLE
L'objet de ce chapitre est de faire l'état de la question sur l'encadrement agricole
dans le contexte africain en général. Comment et par qui a-t-il été introduit en Afrique?
Comment se pratique-t-il depuis lors? Comment a-t-il évolué? Quel bilan peut-on en
faire?
L'encadrement agricole tel qu'il est conçu généralement, est avant tout une
démarche éducative, censée apporter une connaissance technico-scientifique aux
paysans. L'encadreur agricole est ainsi porteur de changement. Ce souci d'éducation
guide ou sous-tend l'élaboration de plusieurs méthodes, stratégies ou politiques qui
rivalisent les unes avec les autres, ou sont complémentaires, afin de trouver la meilleure
manière de transmettre une connaissance. Education (apporter une connaissance) et
communication (meilleure manière de transmettre une connaissance) sont ainsi les mots
clés de l'encadrement qui prétend, à travers ces deux faits, améliorer à terme la qualité et
le niveau de vie des populations concernées.
Dans ce chapitre, nous passons en revue quelques orientations ou méthodes
générales d'organisation du développement, puis nous inventorions quelques unes des
méthodes ou techniques d'encadrement ou d'appui qui permettent de comprendre la
problématique générale de l'encadrement aujourd'hui. Il sera ensuite question de ce qu'on
peut en retenir pour comprendre l'encadreur agricole et sa pratiquel. Mais avant de les
énumérer et de les analyser, nous essayons de présenter d'abord des périodes et des
contextes ont marqué leur introduction en Afrique.
1 Pour J'histoire de J'encadrement agricoJe en Afrique, voir aussi Koné (1990) et Henry (1988).

58
Richards (1985) dans /ndigenous agricultural revolution, présente trois périodes
qui ont marqué l'histoire du développement rural africain et de l'encadrement agricole, à
partir d'exemples pris dans le monde anglo-saxon (Nigeria, Sierra Leone). La période
coloniale: l'ère des grands projets de développement rural avec la promotion d'une
agriculture extensive à partir de nouvelles espèces et aussi respect des savoirs et
pratiques locales). La période qui a suivi l'indépendance jusqu'en 1980: l'accent est
d'abord mis sur la productivité, la mécanisation et l'industrialisation des techniques dans
le développement agricole car l'agriculture est considérée comme une ressource
d'exportation, une industrie de substitution; puis on assiste à un premier revirement des
politiques de développement vers un appui aux petits propriétaires par l'octroi de crédits
à faible taux, de variétés à hauts rendements, ... aux petits agriculteurs. Et à partir des
années 1980 c'est l'époque où il y a un regain d'intérêt pour les savoirs-faire locaux: on
estime que le développement agricole passe nécessairement par une connaissance
préalable des savoirs et initiatives (projets) des paysans. Rëling (1985), fait également un
état des lieux très instructif à propos de la vulgarisation? en général, en montrant
comment un changement de politique d'intervention, de méthode d'organisation ou de
méthode d'encadrement, fait changer les comportements des
populations cibles.
Généralement, on peut distinguer quatre périodes ou cinq périodes:
Avant les indépendances: le développement extensif
Au niveau agricole c'est la promotion d'une agriculture extensive (arachide,
coton ...). C'est l'époque de la création de vastes plantations, de grands projets comme
par exemple de l'Office du Niger au Mali créé en 1932 qui pratiquait certes
l'intensification (irrigation) mais sur de grands espaces. Au niveau de la santé par
2Voir aussi Debouvry (1994) qui distingue deux périodes avec chacune des sous-périodes: 1910-1980
(qu'il appelle "l'ère des certitudes étatiques"), 1981-1994 ("l'ère des incertitudes étatiques").

59
exemple on a les grands programmes d'éradication de certaines maladies (lèpre, maladie
du sommeil)). Tous ces projets ont englouti de lourds investissements financiers. Les
idées qui sous-tendent toute action à cette époque pour ce qui est de la France, sont la
mise en valeur, la diffusion des techniques, des nouvelles variétés de semences, etc. Mais
la plupart de ces projets dans les colonies francophones se sont soldés par des échecs car
"on n'imaginait pas qu'un paysan noir auquel on offrait un logis plus confortable, un
outillage plus rentable, des perspectives d'avenir plus brillantes que celles de ses
traditions, pourrait ne pas s'adapter avec enthousiasme aux conditions nouvelles".
(Brunschwig dans la préface de Schreyger, 1984: VIII). On en a déduit que les
populations rurales sont réfractaires au progrès. On les a obligé alors à accepter le
développement.
Concernant l'encadrement agricole par exemple, on fait surveiller la réalisation
des cultures et des ordres par des commandants ou gardes-cercles, des chefs de canton,
chefs de village, etc. Ce qui fait dire à Henry (1988) que ces catégories de personnes sont
des encadreurs agricoles. Or en dehors de la surveillance, ils n'ont eux-mêmes aucune
connaissance technico-scientifique sur l'agriculture, ils n'ont aucune une formation (même
sur le tas) comme certains encadreurs aujourd'hui (Martin, 1947). Ils ne transmettent pas
non plus de connaissances agricoles aux agriculteurs. Or cette dernière fonction de
transmission de connaissances est unanimement reconnue comme étant la principale
fonction des encadreurs actuels, qui en plus sont des surveillants. On ne peut donc pas
dire que les gardes-cercles et autres sont des encadreurs, sinon on dira aujourd'hui que
les préfets ou sous-préfets en Côte d'Ivoire en tant qu'administrateurs sont des
encadreurs; car souvent, ils essayent de convaincre les paysans (suite à une plainte des
encadreurs) à pratiquer telle ou telle culture, à respecter tel ou tel conseil des encadreurs.
Signalons que dans les colonies anglo-saxonnes, on s'intéresse en même temps

60
aux savoirs et aux pratiques locales comme éléments importants pour comprendre le
milieu à "développer" et faciliter la mise en valeur. Dans les discours et parfois dans la
pratique de certains gouverneurs de colonies francaises", on retrouve également l'idée de
prise en compte des savoirs populaires.
Des indépendances aux années 1970
Les "développeurs" ont pour mots d'ordre: industrialisation des techniques,
intensification des cultures en vue d'une meilleure exportation des produits car le
développement passe par l'agriculture d'exportation et l'industrialisation: c'est l'ère des
projets "productivité" et de la mécanisation. Et pourtant, à quelques variantes près, c'est
le prolongement des actions coloniales. On continue la mise en place de grands projets de
développement, qui la plupart n'ont pas réussis comme l'auraient souhaité les
développeurs. On se pose alors de plus en plus des questions sur la façon d'administrer
le développement. Ainsi, à partir des années 1970, commence la floraison des projets de
développement intégré: "le mot intégré signifiait qu'on cherchait à résoudre un certain
nombre de problèmes de la vie des paysans d'une région. On ne s'intéressait pas
seulement l'augmentation de la productivité d'une ou plusieurs cultures, mais aussi à
l'ensemble des activités agro-pastorales des exploitations, à la santé, aux pistes, à
l'hydraulique, à la formation et à l'organisation des producteurs" (Deveze, Gentil, et
Mercoiret, 1989: 127). Au Mali par exemple, un projet de ce type est expérimenté déjà
en 1966: on développe les cultures du "dah" et du riz dans une région cotonnière.; en
Côte d'Ivoire, on expérimente par exemple l'AYB (Aménagement de ·Ia Vallée du
Bandama) en 1969: on associe agriculture d'exportation, agriculture vivrière, pisciculture
et élévage.
3Cf. Plans Sarrault 1921 ou plan Maginot 1931.

61
Des années 1970 aux années 1980
On donne la priorité aux petits producteurs en leur accordant des prêts à faible
taux leur permettant de mécaniser et de moderniser leur agriculture. On privilégie
l'intensification de l'agriculture à l'extensification. C'est l'époque où se multiplient les
aménagements hydro-agricoles et les périmètres irrigués.
A ces deux dernières périodes correspondent deux catégories de critiques issues
des échecs constatés: ce sont des critiques formulées par diverses instances ( chercheurs,
experts, développeurs) qui ont engendré des méthodes d'encadrement "nouvelles":
1)
Les unes partent du principe que les paysans sont réfractaires aux messages
vulgarisés; les paysans sont
ici considérés comme une
catégorie ignorante,
d'opposants aux projets mis en place. Ce point de vue conduit à proposer des
méthodes de
renforcement
de l'encadrement:
accroissement
du
nombre des
encadreurs dans une même zone par exemple. Ici le terme "encadrement"
est pris
dans son sens le plus radical: "mettre ces réfractaires sur le bon chemin et surtout les
empêcher de le quitter en leur faisant adopter de "bonnes attitudes"" définitives grâce
à l'animation rurale par exemple en tant que méthode d'incitation. En agissant ainsi,
les développeurs ont
pensé
que
"les attraits du
"développement"
devraient
nécessairement finir par l'emporter sur les résistances culturelles au changement et au
progrès" (Rist, 1994: 7).
2) Les autres critiques au contraire, considèrent que les populations se réapproprient les
messages qu'on leur propose selon des logiques qui leur sont propres. De ce fait et
selon Rist (1994: 7) par exemple, les développeurs se sont avisés que "pour emporter
une adhésion unanime, le "développement" devait se couler dans les formes
culturelles spécifiques des "sociétés d'accueil"". On insiste donc ici sur la prise en
compte des logiques paysannes. De ce point de vue, encadrer ne consiste plus

62
seulement à transférer des techniques modernes, pour la plupart occidentales, et à
contrôler leur bonne application; il s'agit également de découvrir, répertorier les
savoirs', les techniques traditionnels, et essayer de les adapter, de les valoriser, dans
un nouveau contexte de production. Ce type de réflexion conduit à proposer un
encadrement orienté vers le conseil aux paysans toujours grâce à l'animation rurale.
L'encadreur ne doit plus être alors systématiquement présent pour contrôler, il doit
surtout soutenir les paysans et les conseiller, parfois à la demande.
Les années 80
C'est la période décrite en détail par Richards (1985). Ces années correspondent
à un engouement des développeurs pour les micro-projets "les grands projets sont
discrédités" (Debouvry, 1994: 4) face aux nombreux échecs. De plus en plus, se
développe l'idée qu'il faut prendre en compte les savoirs locaux, les contraintes sociales
du milieu à développer,
les logiques paysannes. On essaye alors de promouvoir des
petits projets, on s'intéresse à la micro-localité. Cette période correspond à la "floraison"
des Organisations Non Gouvernementales (ONG); à partir de 1981 (Desjeux, 1987: 12).
Les ONG se présentent comme "une alternative mettant en oeuvre des petites opérations
conduites de manière intensive par un encadrement motivé et désintéressé" (Grégoire,
1987: 271). On cite partout leur volonté de construire un autre type de relations avec les
paysans, définies principalement en termes de partenariat.
Cette période correspond aussi à la diffusion de la méthode Formation et Visites de la
Banque Mondiale en Afrique francophone.
4Cf. Richards 1985 qui insiste sur la connaissance des savoirs populaires, Rëling 1991 qui propose la
méthode AKIS (AgriculturaI Knowledge and Information System) pour répertorier ces savoirs, Bayart
1992 qui propose une approcbe par "le bas" en s'inspirant du livre de De Certeau 1990 qui lui même
montre que le peuple est doté d'un certain nombre de ressources qui sont en fait des "arts de faire"
stratégiques ou tactiques.

63
Aux quatre périodes, nous ajoutons les années 1990. En effet, avec les années 90,
on voit s'accentuer les politiques du "micro" et plus récemment
l'idée d'un
développement participatif qui passe par la participation pleine et consciente des acteurs
(Lazarev, 1993) et la prise en compte de leurs stratégies (Yung et Zaslavsky, 1992).
L'approche "micro" et la participation ne sont pourtant pas nouvelles car elles ont
toujours existé de façon latente ou même évidente à différentes périodes de l'histoire du
développement rural>.
L'ensemble de ces périodes est traversé par des méthodes d'intervention,
d'organisation du développement et/ou de l'encadrement qui varient ou se ressemblent
entre elles. Nous avons choisi de les décrire ici car la plupart des textes en sciences
sociales n'en font qu'une brève allusion ou rarement une présentation partielle. C'est dans
les manuscrits ou manuels des structures d'encadrement et des organismes de
vulgarisation (et de développement) que nous avons pu avoir des informations précises et
détaillées sur ces approches.
2.1 DES ORIENTATIONS OU METHODES GENERALES D'ORGANISATION
DU DEVELOPPEMENT RURAL ET LEUR APPARITION EN AFRIQUE
De toutes les stratégies d'intervention ou de développement mises au point, le
développement communautaire (DC), l'animation, et l'auto-développement ou auto-
promotion, sont celles qui ont le plus marqué l'histoire du développement rural. Elles
proposent chacune la meilleure manière de développer, d'introduire une innovation,
d'apporter un changement dans la société (comme toutes les stratégies de développement
d'ailleurs). On retrouve ainsi ces méthodes d'organisation du développement dans
5Voir par exemple Ricbards (1985) pour des exemples en Afrique angle-saxonne, et Cbauveau (1994,
1992 a et b, et 1991) pour les cas de l'Afrique francopbone.
r). _

64
plusieurs domaines: au niveau de la santé, de l'agriculture, de l'aménagement du territoire
ou de l'habitat (AVB6 par exemple en Côte d'Ivoire), de l'hydraulique (forage des puits),
de l'éducation ... Bref, tous les secteurs en milieu rural (et parfois urbain) qui, du point de
vue des développeurs, nécessitent le développement. L'encadreur agricole est ainsi un
agent de développement au même titre que l'agent de santé, l'animatrice rurale qui
s'adresse aux femmes, ...
Concernant l'histoire de ces méthodes on peut se référer notamment aux ouvrages
de Meister (1968, 1969, 1970, 1971a, 1971b, 1974 et 1977), de Belloncle (1968, 1979a,
1979b, 1982 et 1987), de Gosselin (1970 et 1976), de Gentil (1984 et 1986) et de
Debouvry (1994) pour l'animation rurale et le développement communautaire; de Kwan-
kai-hong et Lecomte (1989 et 1990), Kwan-kai-hong (1991), ainsi qu'aux études de
l'IUED à Genève pour l'auto-promotion. Nous essayerons d'en faire ici une présentation
succincte qui permette de situer l'encadreur agricole dans le schéma du développement
africain.
On
peut
déjà
noter
en
premier
lieu
que
toutes
ces
méthodes
sont
communautaristes et prônent toutes la participation des populations: communauté et
participation en sont ainsi les deux récurrents. En second lieu on remarquera qu'elles
génèrent des pratiques qui sont le plus souvent le contraire de ce qu'elles proclament. Et
en troisième lieu, on peut constater que chacune de ces formes couvre des pratiques très
variées.
2.1 .1 Le développement communautaire
Le Développement Communautaire (DC) ou Community Developrnent (CD), est
d'origine anglo-saxonne et inspiré par la religion protestante (Meister, 1977: 23). Il est né
6Aménagemen t de la Vallée du Bandama.

65
dans les années 1920 mais sa conception a été développée au cours des années 1950,
dans les colonies britanniques. Il peut être aujourd'hui défini selon Lazarev (1993: 27),
comme "une méthodologie de prise en charge du développement par les communautés
elles-mêmes". Le DC "entend aider les habitants à penser, à analyser leur situation, à
décider ensemble et à oeuvrer collectivement..." (Meister, 1969: 32). Le développement
communautaire s'appuie sur la communauté villageoise censée être construite et guidée
par un principe de solidarité. Les partisans de cette idéologie en Afiique s'appuie sur
l'idée selon laquelle l'Afiique a "le culte de la solidarité qui trouve son expression la plus
totale dans lai forme même de sa vie traditionnelle, la vie communautaire. La mentalité
africaine, qui est une mentalité collective, est un facteur psychologique dont l'intervention
oriente la vie du sujet vers un altruisme complet par l'oubli total de soi. C'est donc, tout
d'abord, dans la structure de la société afiicaine que nous percevons les bases naturelles
de l'économie collective" (Dia, 1952: 11-12). Cette longue citation d'un homme politique
afiicain du Sénégal cultive bien le mythe de la communauté. C'est un discours très
idéaliste qui a été réinterprété par des responsables politiques africains l'utilisant comme
une idéologie révolutionnaire pour diriger leurs pays. C'est ce que Thomas Sankara?
appelait un développement du peuple pour le peuple et par le peuple, bien qu'au départ
cette méthode se voulait anti-communiste". Sur ces notions collectivistes, on a ainsi créé
des communautés villageoises en Tanzanie par exemple, appelées "Ujaama" (Michaïlof,
1989: 19). Ce sont des "communautés socialistes et démocratiques dont les membres ne
répondent qu'à eux-mêmes, les villages Ujaama sont gérés par leurs habitants, qui ont à
décider de toutes les questions qui sont du ressort du village. Ils doivent assurer la
7Président du Burkina de 1984 à 1987.
8Belloncle (1982) consacre le deuxième chapitre de son ouvrage à l'analyse du marxisme el certains de
ses concepts sur le "communisme primitif, les modes de production esclavagiste, féodal, capitaliste et
socialiste" (1982: 7). Il fait sans cesse des rapprochements entre les communes agricoles de l'URSS en
1880 et les villages africains.

66
gestion des exploitations agricoles, des moyens de production et d'un certain nombre
d'établissements et d'entreprises qu'ils possèdent en commun...". Joinet (1981), partisan
de ce point de vue, abonde dans le même sens en "rêvant" d'une société d'hommes égaux.
Pour atteindre cet idéal, il faut augmenter la production des produits essentiels à la vie
sans pour autant créer d'inégalités. Belloncle (1979 b) expert et consultant (sociologue
"spécialiste" des problèmes de développement dans le tiers-monde) nourrit également ce
mythe en montrant que les paysans africains sont "non pas des individus isolés, mais des
communautés solidaires" Cet auteur invite alors les responsables du développement rural
afiicain à utiliser un atout dont dispose l'Afrique: "cet atout: c'est le village traditionnel
dont on ne dira jamais assez combien il constitue la cellule de base de la vie africaine"
(Belloncle, 1982: 5). A son sens, à partir de ses expériences au Niger, au Mali et au
Burkina Faso, avec les paysans africains il faut une "analyse en commun d'un problème et
recherche en commun de solutions" dans des "entreprises villageoises de développement"
(Belloncle, 1979 c: Ill).
Mais, qu'il soit expert consultant ou homme politique local, chacun fait du
populisme misérabiliste. En effet, en ignorant que dans cette soi-disant communauté, il y
a "différents niveaux de décisions, largement emboîtés (...), les stratifications sociales
multiples (
), les rivalités individuelles, les querelles de personnes, les antagonismes de
groupes (
)" (Olivier de Sardan, 1990); ils oublient tous que la société n'est ni
homogène ni égalitaire.
Le programme de développement communautaire mis en oeuvre en Asie et en
Amérique latine, a été transférée, transplantée en Afrique (au Nigeria, au Ghana et en
Sierra Leone d'abord) dans l'optique d'aider les services techniques de la période
coloniale à associer les populations aux actions de développement. Elle part du constat
que toutes les actions de développement, toute innovation introduite en milieu rural,
échouent car que les populations concernées se sentent étrangères à ces actions. D'où le

67
postulat selon lequel pour qu'une action réussisse, il faudrait que toute la communauté
participe à son élaboration et/ou à son déroulement; elle prendrait ainsi elle-même
conscience des problèmes de son propre développement.
Les partisans du DC ont aussi initié les coopératives agricoles en Afrique qui
constituent des structures collectives de production et de commercialisation. Les
premières structures francophones créées sont les Sociétés Indigènes de Prévoyance
d'abord en 1910 au Sénégal et progressivement imposées dans les autres colonies; ainsi
par exemple elles sont mises en place en 1932 en Guinée (Conakry), en 1934 au Niger,
en 1935 au Dahomey (actuel Bénin), en 1937 au Cameroun. A partir de 1953, naissent
les Sociétés Mutuelles de Production rurale (SMPR) en remplacement des SIP "jugés
incapables de promouvoir l'esprit coopératif". Les SMPR sont "considérées comme de
véritables organisations précoopératives para-administratives, elles doivent donner aux
paysans des moyens matériels puissants parce que concentrés et, surtout alléger les
fonctions de plus en plus lourdes du commandement du cercle" qui dirigeait les SIP
(Sanon, 1994: 195).
La vision trop idéaliste de la communauté rurale, fait du DC une "utopie
généreuse mais politiquement inefficace" (Lazarev, 1993: 27). Avec le DC, tout
s'explique par le local sans tenir compte du fait que le non local ou l'extérieur au local
peut aussi et parfois influencer le fonctionnement du local.
2.1 .2 L'animation rurale
C'est vers la fin de la période coloniale que l'animation rurale fait son apparition
en Afrique, et plus particulièrement après la deuxième guerre mondiale. L'animation
rurale est d'origine française. Elle a été appliquée dans les colonies françaises comme par
9 Sanon, 1994: 195.

68
exemple le Niger (cf Belloncle, 1979 b et 1979 C) . Son objectif? Faire prendre conscience
des problèmes de développement aux populations, les stimuler, les inciter à agir par elles-
mêmes: c'est le "dirigisme" que Meister (1969) dénomme à juste titre la "participation
provoquée". A travers l'animation rurale, il s'agit d'amener les populations rurales à
participer à une action de développement. La participation est rendue possible par un
travail de sensibilisation, de conscientisation. Deux tendances prévalent alors:
1) celle qui est pour une approche individuelle:
sensibiliser chaque individu d'une
population de sorte que tout le monde ait à terme, reçu le même message, la même
formation sans faille; ainsi, la somme des sensibilisations individuelles équivaudrait à une
sensibilisation collective et engendrerait une participation populaire. (cf. Dumont, 1962);
2) dans la seconde tendance on juge plus efficace une sensibilisation par groupes (profiter
de l'effet de groupe) (cf Belloncle, 1979a, 1979c, 1982, 1985 a, 1985 b et 1987).
A travers l'idée de faire participer les populations, l'animation rurale apparaît
comme une version française du développement communautaire car comme les notions
qui sous-tendent le DC, "l'animation se veut socialisante par son action sur les structures
et les comportements" (Goussault cité par Dumont, 1962: 170). Toutefois, l'animation
rurale propose dlf'exhorter les gens à prendre réellement part à leur développement" (Ela,
1990: 91). Ici apparaît la dimension essentielle de la conscience. On veut "faire prendre
conscience", "inciter", "susciter", on veut faire prendre conscience d'un état de sous-
développement. Précisons ici que la politique d'animation rurale a été influencée par la
religion catholique (celle du DC l'a été de la même manière avec la religion protestante):
"à l'origine de l'animation se trouvent certains courants explicitement catholiques et une
tradition d'animation paroissiale" (Meister, 1977: 20).
L'animation rurale est perçue par ses promoteurs comme une action éducative,
c'est en quelque sorte "une pédagogie du changement social par lequel on parvient à la

69
promotion des choses par la promotion des hommes" (Ela, 1982: 175). Ainsi, le bon
animateur, au niveau agricole par exemple, c'est celui qui aura réussi à faire "accepter"
les messages technico-scientifiques par les paysans. Avec l'animation, "les individus se
conduisent en sujets animés dès lors qu'ils sont capables par eux-mêmes d'examiner la
réalité sociale, de la soumettre à une réflexion critique et de l'analyser, de se rendre
compte de ce qu'ils peuvent y changer, de prendre des initiatives et de considérer d'un
oeil critique les actions qu'ils ont entreprises, tout cela de façon routinière. Animer
consiste donc à aider les gens à se doter des capacités que nous venons d'évoquer et en
premier lieu de la capacité intellectuelle, à se constituer un fonds de connaissances et,
mus par une volonté créatrice, à agir pour transformer la réalité qui est la leur"
(Tilakaratna, 1988: 24). Nous verrons plus loin que certains partisans de l'auto-
développement s'opposent à cette forme d'approche qu'est la participation suscitée (voir
par exemple Kwan-kai-hong, 1991). En effet, l'auto-promotion insiste sur le fait qu'il faut
laisser le choix au paysan de décider de ce qu'il veut, de faire son propre développement
au lieu de le sensibiliser à participer à quelque chose. Car le sensibiliser, le
"conscientiser" suppose qu'on lui "ouvre les yeux" pour voir quelque chose qu'il ne voit
pas ou ne connaît pas.
Telle quelle, l'animation en Afrique peut être entendue comme un processus qui
amène à l'occidentalisation progressive des sociétés à développer. L'auto-promotion
dénonce ainsi l'ingérence, l'influence extérieure dans la prise de décision des populations
car, nul mieux que le paysan ne connaît ses vrais "besoins". II ne faut donc pas tracer des
programmes et amener les populations à y adhérer mais laisser le soin aux populations
elles-mêmes de réfléchir démocratiquement sur les intérêts communs à la société ou à
l'organisation. Selon lui, "les thèmes abordés par "animation rurale" écartent toute
référence au politique au profit des préoccupations économistes et technicistes" (Ela,
1990: 88).

70
2.1 .3 L'auto-développement, l'auto-promotion, le développement autocentré
Apparus à la fin des années 70 grâce aux Organisations Non Gouvernementales
(ONG) locales ou internationales, ce sont là des termes à la mode depuis la fin des
années 80. Comme le dit Ela (1990: 60), "personne n'ose plus parler de développement
sans inclure la nécessaire participation du peuple, reconnu comme le principal auteur et la
finalité ultime de ce développement. Tel est le sens du "développement auto centré" dont
la formule est reprise à tous les niveaux des discours institutionnels, sous des formes
diverses".
L'auto-promotion est présentée selon Kwan-kai-hong, consultant (1991: 13),
comme "une nouvelle perspective dans la problématique et de la coopération". C'est un
"mode alternatif de développement" endogène car "l'initiative d'un processus d'auto-
promotion est d'abord l'affaire des acteurs internes (...) dans le sens d'un développement
pensé
et
défini par
elles [les organisations d'auto-promotion]"
(1991:
23-24).
L'autonomie par rapport aux structures étatiques ou aux ONG internationales est le
principal leitmotiv de ces organisations. Kwan-kai-hong (1991: 24) insiste néanmoins sur
le fait que "l'affirmation de l'autonomie ne signifie pas que les organisations d'auto-
promotion cherchent à s'isoler dans une quelconque forme de développement autarcique.
Elle constitue au contraire une dimension essentielle qui lui permet d'interagir et de
négocier avec les autres acteurs. C'est ce qui distingue fondamentalement les processus
d'auto-promotion des approches du développement participatif ou de micro-réalisation.
Dans le premier cas, ce sont les acteurs de base qui se définissent leurs objectifs et leurs
finalités, et déploient des stratégies propres intégrant les relations avec les autres acteurs.
Dans le second cas, ils prennent part à des schémas de développement pensés de
l'extérieur et reposant principalement sur les acteurs et les méthodes traditionnels de la

71
coopération". L'option "endogène" de l'auto-promotion souligne cette idée qu'il faut que
les problèmes soient pensés par la population et que les décisions soient prises par elle-
même (autonomie de décision). Les bailleurs de fonds étrangers ou nationaux ne lui
viennent ainsi en aide que sur sa demande. La différence (si on peut parler de différence)
entre cette stratégie de développement et les deux premières est que celles-ci sont
pensées et commanditées à l'échelle nationale alors que l'auto-promotion se déroule
forcément sur une échelle locale (villageoise, communale) à travers l'émergence de
petites associations ou organisations de base locales.
Cette "nouvelle" approche a favorisé l'émergence de leadership local, que
Bierschenk et Olivier de Sardan (1993:
71) appellent
les courtiers locaux du
développement: ce sont des "acteurs sociaux implantés dans une arène locale qui servent
d'intermédiaires pour drainer (vers l'espace social correspondant à cette arène) des
ressources extérieures relevant de ce que l'on appelle communément "l'aide au
développement"". Ici, ce sont les populations elles-mêmes qui décident certes, mais pour
avoir des financements, elles s'adressent obligatoirement à l'extérieur (forme d'aide au
développement). Pour montrer que l'initiative vient d'elles, elles dressent un projet,
cotisent
et demandent un complément ailleurs. C'est une sorte de mise en scène
(d'ailleurs inévitable dans la logique des bailleurs de fonds et de l'auto-promotion) pour
attirer les bailleurs de fonds. Parfois, ce sont les intellectuels du village résidant en ville,
ayant écho d'éventuelles aides, qui suggèrent aux populations l'idée de former une
organisation
afin
d'obtenir
un
financement
pour
continuer
une
opération
de
développement ou pour en susciter une; ce qui fait de l'auto-promotion une participation
organisée tout comme l'animation rurale ou le développement communautaire. Ainsi, en
elle-même, l'auto-promotion n'est pas une innovation car même si ce sont les populations
elles-mêmes qui font appel à une aide, leur demande est suscitée, suggérée par un
"donneur" et/ou ses intermédiaires. Ces derniers procèdent généralement en suscitant des

72
envies, en donnant des exemples: "les gens d'à côté ont telle ou telle ressource, si vous
voulez la même chose, il faut telles conditions". On peut aussi ne pas dire aux
populations de s'organiser en coopérative, mais créer beaucoup d'avantages pour les
adhérents (circuit de commercialisation, crédit, ristournes); ainsi, les paysans qui ne
veulent pas se retrouver marginalisés, exclus de ces avantages, adhèrent à la coopérative,
qui, de son côté est exigée par les "développeurs" "dans le but de se garantir eux-mêmes
contre les risques de non remboursement des crédits" octroyés aux paysans (Dupriez,
1988: 200). Ce n'est donc pas une adhésion totalement libre des populations, mais une
adhésion suscitée. C'est le cas par exemple des riziculteurs de la Loka à Sakassou (en
Côte d'Ivoire): les agents d'encadrement leur ont indiqué que face au désengagement de
l'Etat et pour avoir une décortiqueuse (ou autres machines) comme pour ne pas être en
manque de produits quelconques, il faut se regrouper en coopérative et avoir une caisse
d'épargne collective, à l'image des riziculteurs de Bouaké ou de Yamoussoukro. Après
de nombreux pourparlers, la coopérative a été créée par les "intellectuels" du groupe sur
un mode de fonctionnement moderne (président, vice-président, secrétaire, responsable
de comité de gestion d'eau, comité de commercialisation, comité de suivi du matériel,
comité approvisionnement en intrants, comptable. Cette manière de convaincre les
paysans laisse penser qu'on n'est pas loin d'une idéologie de l'encadrement "à la tâche
d'huile"!" (par démonstration) de l'époque coloniale.
Si
l'auto-promotion est
née
en
réaction contre l'animation
rurale
et
le
développement communautaire, ces deux stratégies s'estiment aussi différentes l'une de
l'autre, et se présentent chacune comme une innovation. Pourtant, dans les faits, elles
présentent au moins un point commun: la participation comme leitmotiv. Que renferme
ce terme? Comment est-il utilisé par chaque méthode d'organisation du développement?
lO Cf. Gleizes (1968)

73
2.1 .4 Le développement participatif: une idéologie récurrente?
Même si les époques d'utilisation de ces doctrines diffèrent, les discours de
l'animation rurale, du développement communautaire et de l'auto-promotion signifient la
même chose: "il n'y a pas de développement sans les populations" ou bien "il faut laisser
les populations choisir elles-mêmes leur destinée", "il faut aider les groupes à réfléchir
sur leurs problèmes, à les étudier, à leur trouver des solutions, à décider eux-mêmes des
actions à entreprendre". C'est une simple récurrence sur le discours participatif comme le
démontre Chauveau (l992a: 20): "sur le plan de l'histoire des idées, il semble patent que
la "participation des populations" a très tôt constitué la pierre angulaire des conceptions
en matière de développement rural; el1e constitue en réalité le modèle de référence des
discours "développementistes" depuis la fin de la première guerre mondiale". Ainsi, pour
montrer qu'on a changé d'époque ou de lieu, ou pour montrer qu'on innove, on utilise des
mots, des expressions différents (es) en critiquant les précédents pour bien montrer que
ce n'est pas la même chose. Or "à un niveau concret, on s'aperçoit que les mêmes idées
reviennent avec plusieurs décennies d'écart (ce sont soit des idées de développement, soit
des techniques particulières, un moment mises à jour puis oubliées). Il y a des modes qui
ont des cycles de vie" (Chauveau et Couty, 1983:
211). Avec le développement
communautaire on parIe de vil1ages communautaires, avec l'auto-promotion, on parIe de
"forger une identité col1ective". Dans le premier cas, on fait appel à une sensibilisation
("aider à", "amener à" ...). Dans le second cas, on demande "un appui aux organisations
d'auto-promotion" ou de "mettre en oeuvre de nouveaux instruments d'appui susceptibles
de favoriser l'émergence des organisations de base". Avec l'auto-promotion, "la
formation et le conseil constituent une première forme d'appui direct"; ici, il s'agit de

74
stimuler.
Le
développement communautaire lui demande de sensibiliser.
De
la
sensibilisation à la stimulation, les différences sont faibles quand elles ne sont pas nulles:
on ne fait que jouer sur les mots.
La
participation
comme
condition
première
de
toute
réalisation
développementiste permet par ailleurs de conclure qu'il s'agit de développement
participationniste (Meister, 1977: 6), c'est-à-dire "différentes approches de suscitation de
la participation de la population à des activités qui concourent de près ou de loin au
développement: alphabétisation, éducation des adultes, vulgarisation, travail social,
développement communautaire, animation rurale, agit-prop".
Toutes ces théories envisagent un processus de modernisation fondé sur la
participation paysanne. Or "le terme de "participation paysanne" est un fourre-tout
sociologique. Il se prête commodément à des utilisations idéologiques diverses et
contrastées l l . Chaque projet de développement agraire tend à mettre en place une
"structure de participation" comme source d'investissement (travail
nécessaire à
l'exécution du projet), comme caution à l'obtention d'aides extérieures, comme
instrument de promotion et de diffusion des thèmes techniques de production"
(Martinelli, 1987: 50).
Participer est aussi un terme ambigu: il semble que chacun l'utilise dans le sens
de l'adhésion; mais selon les cas c'est une adhésion passive ou une adhésion active;
Cohen et Uphoff, 19&0 qui en anglais utilisent le mot "involvrnent". "Participer" peut en
effet signifier "être présent", "assister" (comme par exemple "j'ai participé à un
colloque"). Ce mot peut aussi vouloir dire "prendre part à", "contribuer" (exemple: "j'ai
participé à un colloque"). Dans les deux cas on emploie le terme participer et pourtant en
réalité le premier refère à une simple présence physique sans être actif et le deuxième
Il C'est nous qui soulignons.

75
veut montrer qu'on a été actif, qu'on a par exemple fait une communication au colloque.
On n'est jamais très bien fixé sur laquelle des formes d'adhésion est recherchée par le
développeur.
Quoi qu'il en soit, la participation est un mythe idéologique 12 tenace qui justifie
toutes sortes d'interventions. De plus, toute forme de développement proposée est
conçue sur un mode interventionniste'J, qu'il soit direct (sous forme de prêts) ou indirect
(sous forme d'aide, à but humanitaire le plus souvent); comme pour dire que, "la natte
des autres"14 est encore indispensable pour les peuples à "développer", tant qu'ils
n'auront pas eux-mêmes les ressources économiques, techniques, politiques, financières,
sociales, voire idéologiques, nécessaires pour un développement endogène à la manière
dont le souhaitent actuellement certains intellectuels africains. Au Sénégal par exemple,
un Centre de Recherche pour le Développement Endogène (CRDE) a été créé, qui
regroupe des chercheurs de différents pays africains; c'est "une organisation non
gouvernementale à base interafricaine et interdisciplinaire. Sa devise est:
"on ne
développe pas, on se développe" ... Sans recherche endogène, il n'y a pas de
développement endogène (...) qui vise à hisser notre personnalité au niveau du scénario
en cours, sans nous résigner à être un parasite des poubelles où tombent les miettes des
surplus, ou les déchets du développement des autres" (Ki-Zerbo, 1992: VI-VII).
Au contraire de ces intellectuels, les responsables politiques africains, loin de se
débarrasser des différentes approches du développement que nous avons présentées, s'en
12Cf. Chauveau (1991)
13Yoir par exemple Devèze, Gentil et Mercoiret, 1989 qui présentent une série d'interventions en
Afrique: les projets "productivité", les projets intégrés, les périmètres irrigués, la recherche -
développement, le développement rural décentralisé, etc.
14 "La natte des autres" est le titre d'un ouvrage sous la direction de Joseph Ki-Zerbo (1992), qui défend
le développement endogène de la manière suivante (1992: VII): ""dormir sur la natte des autres, c'est
comme si on dormait par terre". Notre modeste petite natte bien à nous est le trésor le plus précieux; le
capital des capitaux".

76
inspirent pour asseoir leur pouvoir en créant (au nom de ces méthodes d'organisation du
développement), des institutions "permettant le dialogue entre eux et leurs peuples"
(Meister, 1977: 37): c'est le cas par exemple de Julius Nyéréré qui préconise en Tanzanie
la création des Ujaama villages. Nous montrerons plus loin (chapitres 5 et 6) que dans le
domaine agricole, les paysans considèrent effectivement les encadreurs comme des
courroies de transmission de leurs messages, de leurs doléances au gouvernement.
Au delà du discours, les méthodes d'organisation du développement sont mises en
place, appliquées sur le terrain grâce à certaines méthodes d'encadrement. Quelles sont
ces méthodes et comment se traduisent-elles concrètement en Afrique? Comment sont-
elles diffusées?
2.2 DES METHODES OU TECHNIQUES D'ENCADREMENT OU D'APPUI ET
LES ORGANISMES DE DIFFUSION EN AFRIQUE
Dans ce répertoire, nous ne citons pas l'animation rurale qui est à la fois une
méthode
générale
pour
organiser
le
développement
mais
aussi
une
méthode
d'encadrement proprement dit. Sur le terrain dans les projets, elle est surtout utilisée
comme outil pédagogique d'appui (pour la sensibilisation par exemple) associée à
d'autres méthodes d'encadrement (Benor, ZOPP, RID, FSR par exemple). Aussi, dans ce
second cas, dit-on parfois animateur à la place d'encadreur et vice-versa (cf Debouvry,
1994: 4). Ayant déjà décrit la méthode de l'animation rurale dans la partie précédente,
nous ne le ferons pas dans cette deuxième partie.

77
2.2.1 L'encadrement classique
2.2 .1.1 Objectifs et application
L'encadrement classique ou "pédagogie traditionnelle" (Spinat, 1981: 14), est né
en Afrique pendant la colonisation. Cette méthode est conçue pour accroître la
production nationale et les revenus de l'exploitant agricole. Elle a aussi pour objectif
l'amélioration de la qualité de vie des populations rurales. C'est une méthode individuelle
de vulgarisation: l'encadreur visite les exploitations individuellement et/ou le paysan vient
le voir au bureau après convocation ou selon son libre choix. Ce type d'encadrement est
dit rapproché car l'encadreur voit chaque paysan individuellement. Dumont (1962: 163),
ingénieur agronome et conseiller de certains gouvernements africains insiste sur cet
aspect individuel:
"l'action individuelle seule compte vraiment, la connaissance directe,
d'homme à homme, qui crée une confiance, un lien personnel". C'est aussi un partisan de
l'animation rurale. Il montre que, pour bien "conscientiser" les populations il faut être
plus proche d'elles (la promiscuité spatiale et sociale ou statutaire) tout en contactant
individuellement les personnes. Pour cela, "la foi, le dévouement, la qualité civique et
morale compteront, au départ surtout, plus encore que le haut degré de formation
professionnelle, qui implique une séparation du milieu" (Dumont, 1962: 163).
Dans l'encadrement classique, l'encadreur n'a pas un rôle précis ou du moins il joue
plusieurs rôles à la fois: il enseigne les méthodes culturales, il vend ou distribue les
intrants, il gère sur le terrain les subventions apportées aux paysans, il exécute les
programmes décidés par le gouvernement (par le biais du Ministère de l'agriculture), il
informe les paysans des décisions nationales concernant l'agriculture, il arbitre et règle
dans la mesure du possible les conflits ou litiges sur son terrain d'action, il doit remonter
vers ses supérieurs toutes les données agricoles qu'il aura recueillies sur le terrain (à
travers des rapports d'activités) ... Toutes ces tâches font de lui le représentant local du

78
gouvernement ou du Ministère de l'agriculture vis-à-vis des paysans. En fait, l'encadreur
agricole, de part toutes ces fonctions, véhicule "derrière son assurance techniciste,
derrière sa fonction productiviste, le pouvoir des institutions sur l'agriculteur" (pharo,
Schaff et Simula, 1981: 69).
2.2 .1.2 Inconvénients
Comme l'écrit Gleizes (1978: 20), "les liens avec le paysan revêtaient un caractère
trop sporadique pour prétendre à une efficacité. Chaque moniteur devait visiter trop de
villages sans être jamais attaché à aucun. (...) un contrôle trop superficiel et hâtif'.
Concrètement avec cette méthode, on s'adresse à des groupes cibles où seuls les paysans
les plus importants et les plus productifs par exemple sont réellement pris en compte
(concernés) par la vulgarisation agricole; les petits agriculteurs sont peu touchés par les
actions de vulgarisation. En effet, dans la mesure où il n'y a pas autant d'encadreurs que
de paysans, les premiers rendent visite à ceux qu'ils jugent capables de contribuer
rapidement à l'accroissement de la production: ce sont par exemple les paysans qui ont
une grande exploitation, ceux qui disposent de ressources financières importantes. Cette
méthode favorise ainsi le développement de relations de type clientéliste entre encadreurs
et paysans.
2.2 .2 La Formation et Visites (F & V) ou la méthode Benor (de la Banque
Mondiale)
Les instigateurs du système de formation et de visites (Training and Visit, T&V
en anglais), prônent le "professionnalisme" des agents d'encadrement. Pour eux, le
paysan est d'abord un partenaire. Le système F&V est né pour pallier les insuffisances de
l'encadrement classique dont le clientélisme et le directivisme par exemple, au début des

79
années 1970, à l'initiative de Benor et Baxter tous deux experts à la Banque Mondiale. Il
a été expérimenté en Turquie puis vulgarisé en Asie par la Banque Mondiale.
Couramment appelée Méthode Benor, il doit aboutir à long ou moyen terme à un "auto-
encadrement" des paysans puisque l'encadrement "rapproché" qui caractérise la méthode
classique est jugé trop coûteux.
2.2.2.1 Objectifs
La méthode Benor préconise un accroissement de la production et par la même
occasion, l'augmentation du revenu et du niveau de vie du paysan, avec, dans une plus
large optique, une incidence sur la production et le niveau de vie national. On peut déjà
constater que ces objectifs sont presque identiques à ceux de la méthode classique.
Avec
le T& V, théoriquement, il s'agit théoriquement d'appliquer les 10
commandements suivants:
1. Fini le clientélisme entre encadreurs et paysans. Désormais, l'encadreur s'adresse à des
"paysans de contact" choisis par l'ensemble des autres paysans (en accord avec les
encadreurs).
2. Finie la polyvalence: l'encadreur ne fait plus tout et rien à la fois; il a une fonction
clairement définie d'enseignement et de communication.
3. Limitation du nombre d'exploitants à visiter (environ 10 % du nombre total des
paysans) et augmentation du nombre de vulgarisateurs afin d'améliorer la couverture de
la vulgarisation.
4. Facilité de déplacements grâce aux moyens de transport mis à la disposition des agents
d'encadrement, pour plus d'efficacité.
5. Finie la paresse: il faut rendre régulièrement visite aux paysans de contact, une fois
tous les 15 jours environ, selon des dates préétablies et connues de tous. Ce procédé est
un moyen de contrôle et de suivi des activités de l'agent d'encadrement en ce sens que ses

80
responsables hiérarchiques peuvent le surprendre sur le terrain sachant d'avance les lieux
où il se trouve. Cette mesure vient compenser le fait que "la plupart des services de
vulgarisation du continent [africain] ont souffert du manque de supervision du personnel
subalterne..." (Léonard David, 1990: 187). Avec la méthode Benor, comme le souligne
Gentil (1988: 78), "il Y a un quadrillage quasiment militaire du territoire, avec une
cascade de superviseurs de l'encadrement de base ...".
6. Beaucoup plus de compétences techniques par un recyclage régulier et permanent des
agents pour disposer de meilleures connaissances et affiner les compétences de chaque
vulgarisateur.
7. Rehausser l'image de l'encadreur auprès du paysan, valoriser la fonction d'encadreur.
8. Beaucoup plus d'initiatives et de responsabilité laissées à l'encadreur qui doit pouvoir
déceler les problèmes, les contraintes, et savoir les résoudre.
9. Etroite collaboration entre recherche agricole et vulgarisation afin de se rapprocher
davantage des réalités du terrain.
1O. Enfin, le service d'encadrement doit dépendre d'un seul ministère: on parle alors de
"chaîne de responsabilité unique".
Désormais, les encadreurs sont appelés "conseillers agricoles" (CA).
Baxter et Benor (1984: 4), expliquent que "le système a un certain nombre
d'implications indirectes, lesquelles sont appréciées des agriculteurs, du personnel de
vulgarisation et des services de l'agriculture ... Parmi les plus notables, on peut remarquer
les changements de comportements du personnel de vulgarisation. Les agriculteurs
réagissent favorablement au personnel d'encadrement de terrain qui les rencontre
régulièrement à des dates prévisibles et leur prodigue des conseils techniques utiles". De
ce point de vue, la méthode Benor paraît être la meilleure pour pallier tous les problèmes
liés à la vulgarisation agricole.

81
2.2 .2.2 Organisation et champ d'application
En moyenne, 1 encadreur travaille avec 10 agriculteurs de contact dans chaque
village. Il travaille avec 8 villages ou zones ( ce qui fait 80 groupes de contact).
Les visites aux paysans de contact sont effectuées tous les 15 Jours
conformément à un calendrier connu des agriculteurs et des cadres administratifs et
techniques. Le conseiller agricole doit consacrer un jour par semaine à sa formation
personnelle. Or à Sakassou, l'agent a un jour par semaine au bureau pour faire le bilan de
la semaine - en général le mercredi - et ce sont les paysans qui viennent les voir. Où est
sa formation?
2.2 .2.3 Inconvénients
En fait de conseil aux paysans, il semble qu'il n'en soit nullement question sur le
terrain car comme le soulignent Pharo, Schaff et Simula (1981: 69)" dans beaucoup de
cas, la relation de conseil ne fait pas de l'agriculteur un véritable partenaire, un véritable
interlocuteur, avec ses dimensions propres de connaissance, (...), il est en situation
d'assisté à qui on explique, on démontre et qu'il convient de rallier".
Ce système s'avère aussi très coûteux contrairement à ce qu'il avait laissé croire:
recyclage et formation réguliers (cf. chapitre sur formation), augmentation du nombre de
vulgarisateurs et donc augmentation du budget de la structure pour pouvoir les payer.
Gentil (1987: 133) le remarque aussi sur le cas de la Thaïlande.
Sur le terrain, on dénonce aussi le trop grand nombre de visites que nécessite une
telle méthode. Ces visites à la longue lassent à la fois l'encadreur et le paysan qui ne vient
plus rien écouter tant les messages sont répétitifs. Ainsi Levi et Kam, (1987) pour les
ORO (Organisme Régionaux de Développement) au Burkina, proposent par exemple
d'espacer davantage les visites des encadreurs aux paysans.

82
Outre ces quelques inconvénients cités, il faut également souligner le fait que
cette méthode est introduite sous conditions dans les pays économiquement faibles. Ainsi
par exemple, la Banque Mondiale qui la diffuse en Afrique, pose les conditions suivantes:
"les organismes chargés de l'exécution du projet prépareront des rapports semestriels sur
l'état d'avancement du projet, qui seront soumis aux Ministères de tutelle et à la Banque.
Ces rapports évalueront les progrès (physiques, institutionnels, budgétaires) réalisés par
chacun des organismes dans l'exécution de ses programmes annuels d'activités et ses
objectifs" (Banque MondialelWAPAA, 1986: 15). En outre, ces organismes "(a)
tiendront leurs écritures et leurs comptes de façon appropriée; (b) feront auditer leurs
comptes, leurs états financiers de fin d'année et les relevés de dépenses ayant servis aux
décaissements au titre du prêt par des vérificateurs externes indépendants jugés
acceptables par la Banque..." (Banque MondialelWAPAA, 1986: 16).
Toutes ces conditions sont acceptées par les gouvernements africains. Malgré ces
inconvénients, la méthode est adoptée en Afrique dès le début des années 1980.
En résumé, cette méthode engendre une sorte de technocratie qui prône la
rigueur et la discipline. Elle repose sur 2 principes essentiels:
1. La formation continue des encadreurs et des paysans;
2. Les visites programmées à jours fixes des encadreurs aux paysans organisés en
groupes de contact, les premiers chargés de véhiculer des messages techniques à
l'ensemble des autres paysans.
2.2 .3 La RecherchelDéveloppement (RJD)
Pour Blague (1992:
195), "de fait, la recherche-développement désigne une
activité de recherche dont les résultats sont immédiatement transférables dans une action

83
de développement économique et social (....) il s'agit de développement expérimental qui
vise le processus d'adaptation, d'essai et de mise au point qui permettent l'application
pratique". Au niveau agricole, on pourrait aussi caractériser la RID comme étant
"l'expérimentation en vraie grandeur et en concertation étroite avec les agriculteurs de
l'amélioration de leurs systèmes de production ... L'expérimentation porte à la fois sur les
améliorations
techniques
des
systèmes
de
production
et
sur
les
améliorations
organisationnelles permettant l'adoption par les agriculteurs de ces améliorations
techniques" (Jouve et Mercoiret, 1987: 8).
La RID s'occupe essentiellement de recherche (institutions ou instituts de
recherche) en amont de l'encadrement comme par exemple les systèmes de cultures, les
variétés de semences ..., dont les résultats sont mis au service de l'encadrement. Ainsi, à
partir de certaines méthodes d'encadrement (F&V et encadrement classique par exemple)
on diffuse les résultats de la RID auprès des paysans. En somme, comme l'indique Niang
(1992:
162) pour le cas sénégalais, la RID c'est de la recherche fondamentale tournée
vers des problèmes de développement. Elle "vise dans son principe à associer les
compétences et les responsabilités des chercheurs, des producteurs et des agents de
développement dans la mise au point d'innovations techniques, économiques et sociales
susceptibles de résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les différentes
catégories de producteurs" (Deveze, Gentil et Mercoiret, 1989: 36).
La recherche/développement est véhiculée en Afrique par certaines institutions
étrangères telles le CIRAn, l'INRA, l'ORSTOM, qui collaborent avec des instituts
nationaux "aux fins d'accroître les connaissances et la capacité de vulgarisation sur les
plantes, les ethnies, etc." (Blague, 1992:
196). En Côte d'Ivoire, la RID est également
assurée par des organismes nationaux tels que l'Institut des Savanes (IDES SA), l'Institut
de Recherche des Huiles et Oléagineux (IRHO), l'Institut pour la Recherche du Café et
du Cacao (IRCC) ... En fait dans le cas ivoirien, il existe un institut de recherche en

lS4
amont pour chaque culture.
Selon Richards (1985), la R/D est pratiquée dans l'Afrique anglo-saxonne en
général et en Sierra Léone en particulier, depuis les années 1930. En Afrique
francophone selon Debouvry CI 994: 4), c'est seulement "à partir de 1975 que américains
et français redécouvrent au travers du "farrning system research" et de la "recherche
développement" la rationalité technico-économique des comportements paysans que
notamment le belge de Schlippée avait mis en évidence dès 1950 .."
2.2 .3.1 Objectifs
La RecherchelDéveloppement "vise à modifier les processus de création et de
transfert d'innovations
en instituant des relations réciproques entre
chercheurs,
agriculteurs et agents de développement. Par ailleurs, innovations techniques et
innovations
sociales sont considérées comme deux aspects complémentaires et
indissociables des processus de transformation de la production agricole" (Jouve et
Mercoiret, 1987: 8).
Par ailleurs, le "feed-back" est fondamental ici. L'avis des paysans concernant les
changements techniques proposés est considéré comme indispensable pour l'évolution de
la Recherche et pour le Développement local d'autant plus que les innovations sont
modifiées, réajustées en fonction des jugements, des essais, pour une plus grande
efficacité ultérieure. Ainsi par exemple, on propose aux agriculteurs une nouvelle variété
de riz (le Bouaké 144); les paysans notent l'évolution et le comportement de la plante
pendant le cycle de production, les travaux qu'elle nécessite, leur coût; ils essaient de
nouvelles méthodes appropriées pour le sarclage, le fauchage, le battage et le vannage de
cette variété; ils expérimentent des engrais, des désherbants, des insecticides et autres
produits phytosanitaires, l'engrais etc. A la récolte, les paysans évaluent les quantités
produites (le rendement de la variété), donnent ensuite leur avis sur le goût du riz à la

85
consommation et les facilités de sa commercialisation. Quand leur avis est favorable, on
peut alors décider de vulgariser cette variété de riz. La R/D lutte ainsi contre une
approche descendante de la vulgarisation. Mais nous verrons tout à l'heure que le feed-
back n'est pas toujours appliqué.
La R/D peut être enfin considérée comme une politique ou une stratégie de
développement au même titre que l'animation rurale ou le développement communautaire
car comme celles-ci, elle défend l'idée que l'efficacité et la réussite des opérations de
développement se mesurent au taux de participation des populations.
2.2 .3.2 Approches et organisation
Pour assurer une meilleure application de ses objectifs, la R/D a recours à
l'interdisciplinarité. Ainsi, géographes, économistes, zootechniciens, agronomes, et autres
experts ou spécialistes en sciences sociales collaborent étroitement afin de mieux cerner
tous les domaines d'action des agriculteurs.
Jouve et Mercoiret (1987: 10) définissent par ailleurs trois grandes phases dans la
démarche de la R/D: 1) l'analyse et le diagnostic; 2) l'expérimentation des innovations et
3) l'extension et le transfert.
Dans la première phase, il s'agit d'identifier les problèmes et les contraintes des systèmes
de productions et d'essayer de les améliorer en fonction des "besoins" prioritaires
exprimés par ou identifiés chez des agriculteurs considérés comme '''associés'' ou
"acteurs" ..
La
seconde
phase
correspond
à
l'expérimentation
des
innovations
"choisies"
préalablement,
c'est-à-dire
qui
répondent
le
mieux
aux
"besoins"
des
paysans.
L'expérimentation a le plus souvent lieu en station ou en "milieu physique et social réel"
(Lefort et Pasquis, 1983: 14).
Une fois validés, les résultats de l'expérimentation sont "étendus et extrapolés à

86
des espaces plus vastes, à l'échelle régionale notamment" (Jouve et Mercoiret, 1987:
12): c'est la troisième phase. C'est ici qu'interviennent les agents d'encadrement qui sont
chargés de diffuser les résultats de la RID, en proposant par exemple de nouvelles
variétés de semences, de nouveaux produits aux paysans.
Mais la RID n'est pas sans lacunes: "on sait en effet que l'expérimentation en
laboratoire ou en ferme-modèle est rarement suffisante pour tester l'efficacité réelle de
telle ou telle technologie..." (pharo, Schaff et Simula, 1981: 113). Il faut pouvoir tester
une technique dans n'importe quel contexte physique et social avant d'en conclure son
efficacité, ou au moins la tester dans les conditions du milieu d'accueil. Or les transferts
techniques se font souvent sur la base d'expérimentations réalisées ailleurs que dans une
zone d'accueil spécifique. Par exemple à la Loka, il a été démontré par les paysans que la
batteuse Kubota ne peut fonctionner quand les pailles de riz sont mouillées, de même que
l'utilisation de la faucheuse exige que "le riz soit bien droit" alors que le plus souvent le
vent fait coucher les pailles de riz. Ces engins ont pourtant été testés en Asie avant d'être
acheminés en Afrique où par contre ils n'ont jamais été testés. On peut aussi citer les
exemples de l'igname "Florido" ou de l'aubergine "Ndrowa" deux variétés testées en
laboratoire, mais jamais en Afrique où elles ont été proposées: or une fois sur le terrain et
consommées, ces produits ont été rejetés par tous les paysans ainsi que d'autres
catégories de consommateurs.
Selon les principes définis et énoncés de la RID, on devrait avoir la chaîne
d'actions suivante:
Recherche fondamentale -> recherche d'application ->prévulgarisation (sur des
parcelles de paysans) -> réactions des paysans ->avis favorable->vulgarisation.
-> avis défavorable-> pas de vulgarisation

87
Mais il semble que l'on assiste la plupart du temps à des transferts de modèle, et .
les stations sont ainsi des vitrines de modèles importés. Ce qui signifie que les paysans
participent rarement au diagnostic et à l'expérimentation: "le paysan est davantage un
hanneton qu'on observe sous tous les angles qu'un partenaire" (Gentil, 1988: 79).
2.2 .4 Le Farming System Research (FSR)
Le FSR se retrouve sous différentes dénominations en francais: recherche sur les
systèmes de production (RSP), recherche sur les systèmes agraires (RSA), recherche-
système (R-S) ou approche-système (AS). C'est une méthode assez proche de la RID,
bien qu'elle dise se distinguer de cette dernière. Elle lui reproche "l'inadéquation qui
existe entre les innovations proposées par la recherche agronomique et les problèmes
réels auxquels sont confrontés les paysans" (Belloncle, 1987: 138). Aussi, en réaction
contre la R/D, elle se définit comme "une nouvelle approche de la recherche
agronomique non plus organisée de haut en bas (...) mais de bas en haut, c'est-à-dire une
recherche qui s'efforce d'abord de diagnostiquer l'ensemble des problèmes au niveau des
différents types d'exploitation avant de s'interroger sur les réponses techniques possibles
aux problèmes ainsi identifés" (Belloncle, 1987: 138).
Elle est pour l'instant très pratiquée en Asie (Gentil, 1988: 78). En Afrique, on la
retrouve en Ethiopie (Dixon, 1979), au Nigeria (Okigbo, 1987); au Sénégal ~lle est
pratiquée à l'ISRA15 (Niang, 1979, et aussi Pocthier, 1979). Selon Faye (1987: 173), le
FSR a été introduit en Afrique noire en 1979.
15Institut Sénégalais de la Recherche Agricole.

88
2.2 .4.1 Objectifs
Cette méthode se propose de répondre aux problèmes agricoles des paysans. On
étudie minutieusement des systèmes d'exploitation existant et on identifie les cultures
porteuses, par exemple en étudiant au préalable leurs circuits de commercialisation, les
possibilités de commercialisation à un prix rémunérateur. Dans un deuxième temps, on
entreprend des actions de promotion des cultures choisies et à la fois des actions de
recherche appropriées.
2.2 .4.2 Organisation et champ d'application
Selon Collinson (1983), le Farming System Research se déroule en quatre phases:
inventaire, planification, test et diffusion.
Des experts étudient et répertorient les besoins des familles. Ils essaient d'y
trouver des solutions en analysant les problèmes un à un: c'est la phase de planification.
Parmi les solutions possibles, ils sélectionnent les plus adaptées et les plus prometteuses,
en accord avec les paysans. Vient alors la phase de test puisque ces solutions seront
testées dans des stations de recherche sous conditions comparables à celles qui existent
dans les parcelles des paysans. Après ces essais, la solution peut être vulgarisée (phase de
diffusion) par les agents d'encadrement.
Le FSR n'a pas connu l'expansion escomptée pour plusieurs raisons parmi
lesquelles: "pénurie de personnel qualifié et expérimenté (....) surtout dans le domaine
socio-économique,
(...),
déficiences
des services
nationaux de recherche
et
de
vulgarisation (...), problèmes d'organisation des équipes de recherche pluridisciplinaires
(...), liaison inefficace entre les programmes nationaux et les centres de recherche
internationaux (. ..), problèmes institutionnels au sein des pays en voie de développement
(...), changements continus de personnel, de gouvernements, de politiques; important
taux d'analphabétisme qui crée des difficultés de communication avec les agriculteurs,

89
mais aussi incapacité des scientifiques expatriés à s'exprimer dans la langue locale"
(Okigbo, 1987: 152)
2.2.5 Le Développement des Systèmes Agricoles: DSA (F.A.O.)
Par "système" au sens de la F.A.O., il faut entendre "la nécessité d'appréhender
une situation dans sa globalité et non en entités séparées" (F.A.O., 1990: 13).
2.2.5.1 Objectifs
Le DSA est une approche participative. Il vise donc l'implication de la population
à toutes les étapes du déroulement d'un projet. Le principal objectif du DSA est
"l'amélioration des systèmes d'exploitation familiaux et des communautés rurales sur une
base permanente", et par la même occasion l'accroissement de leurs revenus et
l'amélioration de leur "bien-être" (en satisfaisant leurs "besoins" essentiels) (F.A.O.,
1990:
3). Pour ce faire, le DSA se propose de combattre les tares de la méthode
classique d'encadrement qui planifie les activités du haut vers le bas sans action retour du
bas vers le haut.
Sa devise est:
"productivité, rentabilité, stabilité, durabilité et équité" (F.A.O.,
1990: 3). Pour atteindre ces objectifs il faut que la population participe activement aux
projets ou programmes qui lui sont proposés et qu'elle accepte les innovations techniques
de la DSA par l'intermédiaire des sociétés d'encadrement. C'est une méthode comme la
R/D et le FSR où les recherches se font en stations puis "à la ferme"; les sociétés
d'encadrement assurent ensuite la diffusion des innovations.
Le DSA a enfin une vocation écologique: on y insiste sur la nécessité de préserver
l'écosystème afin que les générations futures puissent en bénéficier.

90
2.2 .5.2 Clientèle
L'Association pour le Développement de la Riziculture en Afrique de l'Ouest
(ADRAO) est l'une des grandes institutions de recherche en Côte d'Ivoire financée par la
F.A.O., qui pratique le DSA16. L'ADRAO "a été créée dans le but de lancer des activités
de formation, de développement et de recherche sur la culture du riz dans cette région,
en partant du principe qu'il suffisait d'importer des variétés d'autres pays, de tester leur
adaptabilité et de sélectionner les plants qui convenaient" (Dunstan Spencer, 1990: 214).
En aval de la recherche, ce sont des institutions de vulgarisation qui se chargent de la
vulgarisation auprès de groupes de paysans.
2.2.5.3 Organisation et champ d'application
Les paysans sont regroupés sous forme d'associations ou de groupements de
producteurs hiérarchisés, en fonction du type de système de production dans lequel ils
sont intégrés (ressources de base et leur utilisation, caractéristiques des ménages et de la
communauté concernée, les possibilités d'amélioration des contraintes et problèmes
communs etc.) et aussi selon les caractéristiques agro-écologiques de leur lieu de travail
(climat, sol, végétation, eau etc.).
On procède alors à un diagnostic exploratoire ou "Diagnostic Rapide des
Exploitations" - DRE17
sur la base de discussions et d'entretiens avec tous ceux qui
interviennent directement ou indirectement dans le système de production: les paysans et
leurs familles, les chefs religieux du village, les opérateurs de développement, les
-
commerçants et hommes d'affaires locaux, les encadreurs de base. En fait le "DRE", plus
connu sous le nom de RRA, a en effet pour objectif d'analyser et de comprendre "le
fonctionnement des systèmes de production en rapport avec leur environnement
16 En station: cette association est réputée pour sa station (station de l'ADRAO) située à Bouaké (en
ré~ion centre).
l
En anglais, Rapid Rural Appraisal ou RRA.

91
physique, socioculturel et politico-institutionnel" (F.A.O., 1990: 25). Précisons que le
RRA18 est aussi une méthode d'enquête rapide sur le terrain mise au point par des
chercheurs (Chambers, 1990 et 1991).
Après le "DRE", des essais d'innovations techniques sont réalisés sur des
parcelles de démonstration appartenant à des paysans volontaires; mais on prend par
ailleurs soin de reproduire sur d'autres parcelles les techniques traditionnelles des
paysans, à titre comparatif. En fonction des deux types de résultats, les agriculteurs
choisissent eux-mêmes la méthode qui leur convient (DSA ou pratiques traditionnelles).
Remarquons que le paysan peut être très influencé par le DSA dans la mesure où
tout
est
mis
en
oeuvre
pour
qu'il
choisisse
cette
méthode:
le
rendement,
l'approvisionnement en intrants, la gestion et la disponibilité en crédit, l'amélioration de la
commercialisation ... Tout concourt à l'augmentation du revenu de l'exploitant.
2.2.6 La Planification des Projets par Objectif (PPO) de la G.T. Z.
C'est la méthode de planification officiellement adoptée par la GTZ (Gesellschaft
fur Technische Zusarnmenarbeit) depuis 1983 "en tant qu'instrument obligatoire pour la
planification de tous ses projets" (GTZ, 1991: 5).
2.2.6.1 Objectifs
La PP019 se définit comme une méthode orientée en fonction du problème
central à résoudre et du sujet, permettant d'élaborer les bases d'un projet. En clair, la
18Concemant le RRA en tant que méthode de recherche en milieu rural, voir aussi l'article de Fall et
Lericollais (1992),
190u ZOpp (Ziel Orîentkierte Projekt Planung) en allemand.

92
PPO permet d'analyser les problèmes des individus ou groupes concernés par un projet,
de les hiérarchiser en fonction des objectifs à atteindre (ou des "besoins") et de choisir
différentes alternatives possibles en fonction du coût du projet.
2.2.6.2 Organisation et champ d'application
On parle de planification parce qu'il faut dès le départ définir clairement les
modalités de réalisation et les résultats à atteindre par le futur projet. Pour cela, il faut
d'abord faire une évaluation économique du projet (EPP) afin de déterminer les frais qui
y seront engagés et de mesurer sa "faisabilité économique". On dresse alors un plan
d'opérations (PO) qui "décrit les principales activités à accomplir, en indiquant leur
ordonnancement dans le temps et les ressources humaines, matérielles et financières à
mettre en oeuvre" (GTZ, 1991: 3). Une fois toutes les conditions remplies et le projet
mis en route, on procède régulièrement à un suivi-évaluation (S+E) qui permet d'élaborer
en moyenne tous les 6 mois, un rapport sur l'état d'avancement du projet (RAP). Puis
tous les 2 ou 3 ans, un contrôle d'avancement du projet (CAP) a lieu, "effectué par des
consultants indépendants avec le concours du personnel du projet" (GTZ, 1991: 3)
La PPO est essentiellement fondée sur un travail d'équipe qui implique la
participation de toutes les personnes concernées par le projet. Ce travail est guidé par
des animateurs: l'animation est l'un des outils privilégiés de la PPO. Elle insiste aussi sur
le fait que chaque personne concernée doit avoir par écrit chaque étape de la
planification.
En elle-même, la PPO n'est pas une innovation: participation et animation,
communication et coopération sont aussi les mots clés de la plupart des méthodes

93
d'encadrement. En outre, chaque organisme fait une étude de "faisabilité" (ce que la PPO
appelle "planification") avant l'élaboration de tout projet. Cependant, la hiérarchisation
des problèmes et des objectifs ainsi que la remise à chaque participant d'un document par
écrit sur la planification font la différence. Ce dernier élément fait que la méthode est
ciblée et n'est pas accessible aux paysans analphabètes ni même aux agents d'encadrement
peu instruits (comme c'est le cas des encadreurs de base) qui sont alors exclus (en tant
que participants) dans ce schéma de planification.
En résumé:
Toutes ces méthodes, nous semblent pouvoir être classées en deux grandes
catégories: les méthodes d'intervention orientée vers la recherche d'une part et les
méthodes
ou
techniques
d'encadrement
proprement
dites
de
l'autre.
Ainsi
la
Recherche/Développement, le Farming System Research, la Planification des Projets par
Objectifs et le Développement des Systèmes Agricoles sont à regrouper dans la première
catégorie tandis que les autres méthodes (encadrement classique, Formation et Visites)
font partie de la deuxième. Précisons néanmoins que chacune des méthodes de la
première catégorie se définit elle-même comme méthode d'encadrement:
la RJD par
exemple se présente à la fois comme une méthode d'intervention s'occupant de la
recherche et une méthode d'encadrement avec un dispositif d'intervention sur le terrain,
comme les services agricoles de la période coloniale. Martin (1947: 215), ingénieur
agricole, nous confirme en effet que ces services avaient trois fonctions:
"en premier
lieu, diriger l'agriculture indigène, en deuxième lieu ils doivent être des conseillers
normaux de l'agriculture tropicale à direction métropolitaine, en troisième lieu ils doivent
être chargés des services de recherche de l'agriculture tropicale ...".
Les méthodes d'organisation de la recherche s'occupent essentiellement de

94
l'élaboration et de l'expérimentation de systèmes de cultures, de techniques mécaniques,
biologiques et chimiques ayant pour objectif majeur l'augmentation de la productivité:
selon Lewis (1955), "quand on sait que la plupart des Africains vivent de l'agriculture, il
est certain que l'accroissement de la productivité agricole est une condition sine qua non
de l'accroissement du niveau de vie africain" (cité par Eicher, 1990: 231).
Même si la R/D, le FSR, la PPO et le DSA prétendent avoir chacune une
méthode de travail propre et originale, elles se recoupent et on pourrait même dire
qu'elles caractérisent une seule et même méthode rebaptisée autrement ou dotée de
quelques ingrédients différents selon leurs pays ou leurs institutions d'origine: la R/D est
française, le FSR est anglo-saxon, la PPO est allemande et le DSA est une méthode de la
FAO. Et tous les résultats mis au point par le FSR, la R/D ou le DSA peuvent être
vulgarisés auprès des paysans avec la méthode Benor ou la méthode classique
d'encadrement.
Remarquons aussi que chacune de ces méthodes (recherche et/ou encadrement)
se retrouve sur le terrain africain à travers une coopération bilatérale entre pays par
l'intermédiaire de l'institution qui la diffuse - ainsi par exemple, la Planification des
Projets par Objectifs (PPO) est diffusée par la GTZ (au Mali par exemple) qui représente
l'Allemagne sur le terrain du développement - ou entre un pays et un organisme
international (le DSA représente la F.A.O., le FV rappelle la présence de la Banque
mondiale).
De toutes ces méthodes d'organisation du développement, ces approches, ces
méthodes ou techniques d'encadrement que pouvons nous retenir de l'encadreur?

95
2.3 L'IMAGE DE L'ENCADREUR AGRICOLE A TRAVERS L'HISTOIRE
Il s'agit ici de voir ce qui est dit de l'encadreur, et comment on le dit autant dans la
littérature que dans les documents spécialisés.
Nous partons de quelques travaux sur l'animation rurale, le développement
communautaire et l'auto-développement. Nous avons consulté des rapports d'activités ou
des évaluations de certaines structures d'encadrement (CIDT en Côte d'Ivoire, CMOT au
Mali, ORD et SATEC au Burkina Faso, BOO-Sénégal et SAED au Sénégal, SOTOCO
et SRCC au Togo, ...), de quelques organismes de développement et des sociétés
d'études (SEDES, F.A.O, GTZ, CIRAD, Banque Mondiale ... ), ou de certaines écoles de
formation:
l'Institut
Agricole
de
Bouaké (IAB),
du
Centre
National
d'Etudes
Agronomiques des Régions Chaudes (CNEARC) à Montpellier. Nous avons aussi
consulté les écrits d'anciens administrateurs coloniaux (circulaires, allocutions du
gouverneur Reste en Côte d'Ivoire), certains textes de la période coloniale réunis aux
Archives Nationales de la Côte d'Ivoire (ANCI) ou aux Archives Nationales de France
Section Outre-Mer (ANSOM) ainsi que des textes plus récents (d'économistes,
agronomes,
anthropologues
ou
sociologues,
politologues,
reiigieux-? ...)
traitant
généralement de développement.
Nous avons alors constaté qu'il existe en fait très peu d'écrits (mis à part les
manuels et quelques rares travaux comme par exemple Akkari (1992)
sur la Tunisie,
Henry (1988) sur le Burkina Faso) qui mentionnent de manière détaillée les activités d'un
encadreur ou les réseaux dans lesquels il s'intègre.
L'encadreur agricole comme objet d'étude a rarement été abordé en sciences
sociales. Ailleurs on en parle de façon vague, en faisant généralement allusion aux
problèmes que rencontrent les paysans. On parle tout aussi vaguement des sociétés
2oef. Buijsrogge 1989.

96
d'encadrement, de vulgarisation, de développement, ou de l'encadrement en général (au
lieu de l'encadreur) pour signifier qu'il est inefficace. A partir de là une confusion semble
être entretenue entre l'inefficacité des méthodes d'encadrement et celle de l'encadreur.
2.3.1 De l'inefficacité de l'encadreur/encadrement
Quand les paysans ne sont pas directement accusés d'être les prerruers
responsables devant l'échec des programmes de développement (parce qu'ils seraient
"réfractaires au progrès" ou "subversifs", parce qu'ils auraient "détourné" les opérations
de leur objectif initial), ce sont généralement les encadreurs agricoles qui sont mis en
cause. On juge le plus souvent à travers eux le degré de mise en application par les
paysans des préceptes techniques et/ou économiques vulgarisés. Quelles sont les
remarques qui sont alors évoquées?
2.3 .1.1
Niveau scolaire trop bas, formation
professionnelle insuffisante et
incompétence technique: le trio infernal
Déjà, Martin, (1947: 189-190), ingénieur agricole pendant la colonisation, attirait
l'attention sur les services agricoles qui, à son sens, n'étaient pas fonctionnels parce que
"le personnel technique dont ils sont dotés ... ne possède pas les connaissances
techniques lui permettant de faire quoi que ce soit pour l'amélioration d'une culture
déterminée". Dans la plupart des textes, l'incompétence technique est décrite comme un
"trait caractéristique" des encadreurs de base depuis l'époque coloniale. Elle est
présentée comme la conséquence d'un niveau scolaire trop bas, lui-même à peine
compensé par une formation professionnelle insuffisante.

97
2.3.1.2 Indisponibilité et absentéisme des agents d'encadrement
Affou (1990:
131) explique les difficultés de fonctionnement de certains
périmètres rizicoles en Côte d'Ivoire, difficultés qui conditionnent immédiatement les
résultats économiques:
"le manque de disponibilité des agents de vulgarisation C.. ),
ceux-ci sont rares sur les périmètres (...) les encadreurs sont encore moins disposés à se
mettre à l'écoute des problèmes des paysans ...". Ce type de remarque laisse croire que si
les tares énoncées sont enrayées, la situation agricole serait meilleure. Or nous verrons à
partir de cas pratiques, plus loin avec par exemple la méthode Benor que les mêmes
maux apparaissent, s'amplifient ou s'atténuent, mais disparaissent rarement (ou du moins
se maintiennent sous d'autres formes ou se transforment) puisque les paysans ou les
encadreurs trouvent toujours les moyens de contourner les dispositifs mis en place pour
les enrayer (c'est l'exemple de l'absentéisme, du favoritisme et du clientélisme dans les
relations professionnelles).
2.3
.1.3
Complexe
de
supériorité,
manque
de
modestie
et
incompétence
pédagogique
Ori, sociologue (1988: 15) déplore quant à lui le manque de modestie et le
complexe de supériorité qui caractériseraient les encadreurs agricoles et qui résulteraient
de leur incompétence en matière de pédagogie: "l'expérience montre que la plupart des
agents d'encadrement manquent de modestie et de tact. Leur approche des paysans est
faite plus en "maîtres incontestés" qu'en conseillers ruraux. Rares sont les responsables
d'encadrement qui reconnaissent les efforts fournis par les paysans. Dans tous les cas, ils
ne sont pas près d'incriminer l'encadrement mais accusent plutôt les paysans de paresse".
Ces remarques reviennent assez souvent dans les écrits de chercheurs pour tenter
d'expliquer certaines attitudes paysannes. Ainsi pour Affou (1990: 132), "le refus de
reconnaître une erreur est une autre manière de qualifier le manque de modestie des

98
responsables d'encadrement (...) comme si reconnaître le manque de suivi et les
défaillances techniques du projet revenait à confirmer son propre échec et partant à lever
le voile sur sa propre incompétence ...".
Toutes ces remarques se rejoignent et tournent finalement autour d'un pôle
central: le manque de motivations et le manque de qualification des encadreurs.
En fait, il semble que l'encadreur et les paysans sont généralement perçus comme
un berger et son troupeau. Quand des éléments du troupeau se dispersent ou s'égarent, le
berger (ici l'encadreur) est chargé de les remettre sur le bon chemin.. On comprend que
celui-ci use nécessairement d'astuces pour maintenir son troupeau sur la bonne voie et
de ce fait, toutes les critiques sont destinées au berger dès que se manifestent des
récalcitrants. C'est donc le berger qui doit "payer" quand un élément sort du bon chemin.
Cette image donne toute sa dimension et tout son sens au terme "encadrer" qui dans le
contexte agricole en Afrique signifie bien "mettre dans un cadre".
Certains auteurs ont essayé de dépasser le simple inventaire des
causes
permettant d'expliquer l'échec des opérations de développement, pour analyser ces
"caractéristiques" des encadreurs agricoles. Leur question est de savoir ce qui fait que les
encadreurs ont ces lacunes sur le terrain.
2.3.2 Justification des symptômes de l'inefficacité
Maunder (1977: 4) résume ces explications en ces termes:
"il faut reconnaître
que la vulgarisation a été de peu d'efficacité dans certaines situations, à cause de
l'inadéquation des ressources, de la médiocrité de la formation du personnel de terrain,
des problèmes de transport, de l'insuffisance des ressources pédagogiques, ou encore,

99
parce que les agents de terrain étaient pris par d'autres responsabilités sans rapport avec
la vulgarisation'<I. Outre ces premières causes, Diouf (1985: 183) prend en compte la
qualité de la formation qui permet d'exercer un tel métier. Il montre effectivement que
"ce type d'agent a été "formé" pour prendre très peu d'initiative et a fait la preuve de son
incapacité d'adaptation à un travail plus exigeant en réflexion".
Gleizes (1978: 20) de son côté, met en cause tout Je dispositif organisationnel
d'intervention. Il va ainsi
plus loin en montrant que "les services publics (de
vulgarisation), ne répondent plus au critère fondamental d'efficacité, ils semblent
présenter une sorte d'inaptitude organique" 22.
Ela (1990: 78) incrimine l'Etat lui-même, qui cherche à dominer, exploiter, piller,
ponctionner les paysans et maintiendrait (par son silence) les encadreurs dans leur
complexe de supériorité. Les structures d'encadrement seraient alors des relais, des
intermédiaires ou des représentants de l'Etat. Il rappelle ainsi que "les appareils de l'Etat
ont pris le relais du système colonial en imposant des structures d'encadrement qui
enferment les producteurs locaux dans les nouvelles formes de domination ... Il s'agit, à
partir des appuis locaux, de légitimer leur (les classes dominantes) emprise dans les
régions où les prélèvements opérés sur la production paysanne impliquent une véritable
institutionnalisation des exactions".
La Banque Mondiale, à travers Benor et Baxter (1984), et Benor et Harrison,
(1977), Benor, Harrison et Baxter (1974), accuse entre autres la polyvalence des agents
d'encadrement, leur formation insuffisante ou médiocre ...
A toutes ces explications s'ajoutent selon Ela (1990: 108), le nombre limité des
encadreurs par rapport à celui des paysans encadrés. De plus, "leur formation est
21 C'est nous qui soulignons.
22 C'est nous qui soulignons.

100
insuffisante, ceux qUI sont affectés sur le terrain ne brillent pas par un dynamisme
exceptionnel" .
Après avoir énoncé les causes de l'inefficacité de l'encadreur ou de l'encadrement
agricole (de la colonisation à nos jours), chacun tente alors de proposer une (des)
solution (s) qui éventuellement pourrait (ent) résoudre les problèmes. Mais en fait de
propositions, il s'agit principalement de définir ce que doit être ou ce que doit faire un
encadreur. Aussi, se lance-t-on dans des définitions et descriptions de "l'encadreur idéal".
2.3.3 De l'encadreur idéal
A ce sujet, nous avons consulté les mémoires des étudiants en agronomie-', les
guides
ou
manuels
d'encadrement>,
les
rapports
de
consultations>,
les
écrits
d'enseignants dans les écoles de formation aux métiers de l'agriculture"; les journaux ou
revues destinés aux agriculteurs ou aux populations du monde rural (Agriprom0, La
lettre du réseau GAO, etc.) ainsi que les travaux de bien d'autres auteurs (chercheurs en
sciences sociales par exemple).
Pour Ori (1988:
15), sociologue ivoirien dans un rapport de consultation, "on
devrait songer à des encadreurs de type nouveau alliant compétence technique et
sens des relations humaines"27. Deux ans plus tard, Affou (1990: 134), socio-
23Exemple Fautret (1975), Vogel (1986).
24Cf. Oakley et Garforth, 1986.
25Debouvry (1983), Hirsch (ed.) 1984.
26Chantran1965, 1967 et 1972.
27 C'est nous qui soulignons.

101
économiste ivoirien, fait la même recommandation à quelques mots près, en indiquant
que l'encadreur "doit ici, (...) savoir allier compétence technique et sens des relations
humaines, gages de succès". Ainsi, "dans une première phase, l'encadrement doit être
proche et dense pour faciliter chez les paysans l'acquisition des réflexes du bon
agriculteur ...l'encadreur de cette phase n'aura plus alors qu'un rôle de conseiller"28. Cet
auteur ne nous dit malheureusement pas ce qu'est un bon agriculteur.
Koffi (1979: 8) (sociologue) qualifie les encadreurs "d'assistants techniques sans
formation en psychologie sociale-? mais (qui) ignorent complètement la caractéristique
fondamentale du milieu rural et la spécificité du paysan "baoulé"". Il aurait été intéressant
que l'auteur ne se limite à la critique et nous livre ces caractéristiques et spécificités afin
que les encadreurs travaillant en milieu baule puissent éventuellement en prendre
connaissance et améliorer leurs "mauvaises" façons de faire.
Dumont (1962: 163-164) agronome et expert, définit quant à lui quelques
critères à prendre en compte pour le recrutement des encadreurs de base et les qualités
requises pour l'exercice d'un tel métier:
"Au début, ..., on peut recruter des certifiés
ruraux, pour les régions où ils abondent [mais] comme l'encadreur devrait être du pays,
là où l'éducation est moins répandue, ce niveau n'est même pas obligatoire (...)
l'encadreur ne devrait jamais être cet ouvrier gratuitement fourni par l'Etat au planteur. Il
ne doit cependant pas craindre de prendre un outil en main puisque son rôle est
d'apprendre la pratique du métier". Les propositions de Dumont semblent répondre aux
critiques énoncées plus haut sur la formation du personnel, en insistant sur un niveau
d'études
minimum
(le CEPE en l'occurrence),
le caractère
pratique dans
l'enseignement du métier d'encadreur mais aussi la rémunération (ce dernier élément
étant une part importante de la motivation au travail).
28 C'est nous qui soulignons.
29 C'est nous qui soulignons.

102
En résumé:
De tous ces reproches et remarques faites au sujet de l'encadreur agricole, nous
retenons plusieurs représentations de ses fonctions. L'encadreur est perçu comme:
Un policier: il doit s'assurer que les ordres de sa structure de tutelle et du ministère de
l'agriculture sont effectivement exécutés par les paysans: fonction de contrôleur.
Un enseignant: il doit apprendre aux paysans l'utilisation "rationnelle" et efficace des
facteurs et moyens de production nouveaux mis à leur disposition.
Un conseil/er en gestion: il leur apprend la manière la plus efficace de faire fiuctifier
leurs revenus par l'accroissement de la production agricole et le regroupement en
coopératives.
Un éveil/eur de conscience ou "conscientisateur": il doit sensibiliser les paysans aux
slogans du développement agricole, et engendrer chez eux la motivation, l'intérêt, la
disponibilité pour accepter et intégrer les innovations agricoles.
Un avocat: il est enfin défenseur obligé des causes de sa structure; en ce sens, il en est le
principal représentant officiel au niveau local.
Autrement dit, l''encadreur de base est un acteur polyvalent et nous montrerons
plus loin à partir d'exemples concrets, que c'est un homme à tout faire. L'agent
d'encadrement en assumant toutes ces fonctions, gère aussi des réseaux de relations; cet
aspect relationnel est rarement perçu ou évoqué quand on parle de l'encadreur. Ce sera
l'objet d'un prochain chapitre.
Conclusion partielle
La perspective diachronique de l'encadrement agricole à travers une synthèse
rapide de l'histoire du développement en Afrique nous permet de poser les bases de notre
réflexion sur le métier d'encadreur agricole. Elle laisse aussi transparaître les problèmes

103
qui se posent aujourd'hui dans le domaine de l'encadrement agricole.
Dans une perspective comparative on peut déjà remarquer que les mêmes maux
se répètent depuis la colonisation, et qu'en fait d'innovations, il n'y a que des
transformations de procédés ou de processus. On peut aussi constater la persistance
depuis le départ, de l'idée de collectivités locales en Afrique, comme entités solidaires,
égalitaires ainsi que la persistance d'une volonté d'éduquer ces collectivités soit en
"éveillant leur conscience" grâce à l'animation rurale, soit en les "aidant" à s'auto-gérer
ou à s'auto-développer.
Dans le chapitre qui suit, nous présentons les politiques de développement en Côte
d'Ivoire en général et deux exemples de développement à Sakassou en particulier.

104
CHAPITRE 3
DEVELOPPEMENT AGRICOLE ET ENCADREMENT EN COTE D'IVOIRE
Nous parlons ici de développement agricole parce que la politique d'encadrement
y est liée et subit des modifications ou des changements selon l'orientation qu'elle prend.
Deux
périodes
nous
permettront
d'identifier
cette
politique
d'organisation
du
développement rural en Côte d'Ivoire: la période coloniale et celle qui débute à
l'indépendance. Nous partons de la période coloniale parce que nous n'avons pas
retrouvé de trace d'existence d'un encadrement agricole organisé pendant la Côte d'Ivoire
précoloniale. Concernant les cultures encadrées, nous prendrons très souvent l'exemple
des cultures du café et du cacao; la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial du
cacao et le troisième pour le café).
3.1 LA PERIODE COLONIALE
L'encadrement se faisait dans le cadre de la "mise en valeur coloniale" aujourd'hui
connue sous le nom de "développement" (Chauveau, 1985: 145). L'objectif premier
officiellement assigné, dans les discours, à cette mise en valeur était "d'assurer le bien
être (et) la prospérité des populations" (Reste, 1930: 17), tout comme aujourd'hui les
opérations de développement "visent" à améliorer le niveau de vie des populations. En
plus de l'agriculture, il fallait s'occuper de l'organisation administrative du territoire, créer
des infrastructures socio-économiques nouvelles (centres de santé, routes, ports, centres
de commerce, chemins de fer ...). Toutes ces activités étaient présentées comme
indispensables pour l'avenir de la colonie (Reste, 1931: 224-243).
La Côte d'Ivoire était alors considérée comme une "réserve" coloniale (Touré,
Ouattara et Annan-Yao, 1993: 5) en ce sens qu'elle devait produire des matières

lOS
premières (café, cacao, huile de palme, bois,...) et exportées pour alimenter et développer
l'essor industriel de la métropole. Pour ce faire, il fallait accroître la production agricole.
Ainsi, pendant la colonisation, toute la politique d'encadrement agricole reposait sur
l'orientation et les priorités industrielles de la métropole, et s'exprimait à travers des
programmes de mise en valeur tournant tous autour du même thème: le développement
des cultures de rente.
Cette période peut être encore divisée en deux sous périodes: avant 1946 et après 1946.
Cette année marque l'abolition du travail forcé qui a marqué le monde agricole et les
décisions dans ce domaine. C'est aussi l'année de formation d'un important syndicat
africain, le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) pour lutter contre l'oppression
coloniale.
3.1 .1 Avant 1946
A partir de 1881 selon Loucou (I976: 46) ou 1885 selon Bony (I980: 318) ou
1887 selon Kipré et Tirefort (1992: 290) les premières plantations
de café sont
officiellement créées par Verdier de La Rochelle, un négociant, propriétaire de comptoirs
au Sud de la Côte de la Côte d'Ivoire:
à cet effet, Fauré et Médard, (I982: 127)
rappellent que "la Côte d'Ivoire est la seule colonie française où l'administration avait
encouragé l'installation de colons européens pour y organiser des plantations de café et
de cacao notamment". Par la suite en 1908, l'administration coloniale sous la direction du
gouverneur Angoulvant, commence à diffuser de force! la culture cacaoyère au sud-est
du pays, en rendant sa culture obligatoire. Mais, comme le notent Kipré et Tirefort,
(1992: 297), "plus que les plantations industrielles, ce sont d'abord les "champs du
1 Cf. les travaux de Chauveau sur l'économie de plantation (exemple 1983, 1985, 1986).

106
commandant" ou les plantations collectives qui se développent, stimulés par un
relèvement des prix d'achat en 1913". On pourrait donc dire que c'est à partir de 1908
que commence officiellement l'encadrement agricole (au sens défini plus haut) en Côte
d'Ivoire; encadrement qui a été importé de la métropole. Henry (1988) situe le début de
l'encadrement agricole au Burkina Faso (ex Haute Volta) pendant la colonisation
également. Avant 1908 en Côte d'Ivoire, quelques populations frontalières du Ghana (ex
Gold Coast) et du Libéria produisaient le cacao de façon volontaire (vers les années
1895), sans la supervision d'une quelconque administration. Elles empruntaient à leurs
voisins ghanéens ou libériens (colonies anglo-saxonnes) des plantes et leurs méthodes de
culture, sans intervention institutionnelle d'aucune sorte (cf. Chauveau, 1985 et Touré,
Ouattara et Yao, 1993). L'expansion des cultures de rente ne s'est pas toujours faite par
la force (en obligeant les populations à cultiver, en augmentant l'impôt). Comme nous
venons de le voir, certaines populations développaient elles-mêmes des stratégies pour
produire plus. D'autres, comme les Baule ou les populations du nord, émigraient vers les
zones où on cultivait beaucoup ces cultures (le sud-ouest par exemple).
L'encadrement technique officiel sous la colonisation était assuré par le Service
de l'agriculture, "organisme de renseignements et de recherche" (Kipré et Tirefort, 1992:
297) auquel est rattaché "un centre d'apprentissage et de vulgarisation agricole et
zootechnique". Concrètement comment se manifestait-il?
Ekanza (1987: 53), historien ivoirien, parlant du rôle du Service de l'agriculture
en Côte d'Ivoire sous la colonisation, précise qu'''en dépit du nombre extrêmement réduit
de son personnel, celui-ci assure, par l'intermédiaire de ses agents auprès des planteurs,
une initiation aux cultures nouvelles du cacao et du café entre autres, poursuit une
formation permanente pratique et solide auprès des jeunes agriculteurs dans le cadre des
fermes-écoles. D'autre part, les stations agricoles de la colonie mettent à disposition des
villageois des plantes et variétés nouvelles, et à l'occasion, organisent des stages de

107
formation gratuite à l'intention des planteurs stagiaires". Comparativement à la situation
actuelle, le rôle des agents d'encadrement semble identique; encadrement étant synonyme
ici d'enseignement, d'éducation ou de formation.
Concernant l'organisation du travail, Ekanza (1987: 53), note que "les agents
d'agriculture effectuent des tournées périodiques afin de se rendre compte de l'état des
plantations. A l'occasion de ces prises de contact avec les planteurs, des conseils sont
dispensés. Ils veillent particulièrement à ce que les normes soient respectées et "que les
récoltes soient effectuées en totalité en temps voulu, afin d'obtenir des produits de
qualité"". L'histoire nous montre donc que tournées périodiques et conseils aujourd'hui
présentés comme une innovation de la méthode Benor, n'en sont pas vraiment.
La langue de travail des agents du service technique est le français. Ils ont
recours à des interprètes pour assurer la liaison avec les populations. Outre le problème
de traduction qui peut se poser, cette façon de travailler a fait de l'interprète un
personnage très important:
"son influence grandira de plus en plus et sa contribution
dans le processus d'adoption et de développement des cultures nouvelles sera d'autant
plus importante qu'en maintes occasions, il se substituera auprès des villageois planteurs,
au chef de poste empêché. Outre la surveillance et le contrôle du bon entretien des
cultures,
(...),
certains,
parmi
les interprètes, conscients de
la limite de leurs
connaissances en matière agricole, s'assurent judicieusement au cours de leur mission de
la collaboration du moniteur- d'agriculture, veillant à l'exécution parfaite de ce qui doit
être accompli aux différentes étapes du travail agricole" (Ekanza, 1987: 53).
2C'est l'appelation de l'encadreur agricole à cette époque (1932) en Côte d'Ivoire.

108
Les populations sont censées travailler sous le mode du "collectivisme'". Elles
doivent en effet travailler sur des "plantations collectives". Mais '"'les plantations
collectives" obligatoires (...) -imaginées sur la base du "collectivisme" et du respect de
l'autorité supposés inhérents à l'esprit africain- ne survécurent que grâce à un dispositif
de surveillance et de sanction renforcé" (Chauveau, 1985: 150). C'est ce dispositif que
Bony (1980: 314) qualifie d'encadrement forcé. En 1917, on fait créer des plantations
individuelles non sans conserver les précédentes qui deviennent alors "propriété des
chefs" (Chauveau, 1985). Les paysans ne reçoivent pas une formation agricole
particulière. Il faut ici distinguer deux périodes:
Jusqu'en 1920, on fait exécuter les cultures et autres recommandations de la métropole
d'abord sous le contrôle des chefs de canton ou de village. Ce contrôle est ensuite
renforcé par la présence et sous le regard des gardes-cercles, commandants. Certaines
cultures (café, cacao et coton par exemple) sont imposées et leur non réalisation peut
conduire le contrevenant à l'emprisonnement.
A partir de 1920, le système de mise en valeur s'assouplit relativement car on commence
à réflichir sur la manière d'aborder les populations autrement que par la force. Aussi
naissent des modèles de développement comme "le Community development" dans les
colonies britaniques, celui du "relèvement rural" fondé sur l'animation rurale et les
mouvements coopératifs et mutualistes dans les colonies françaises" (Chauveau,1994:
34). On voit la création des Sociétés Indigènes de Prévoyance (SIP) en Côte d'Ivoire en
19294; ce sont les premières institutions à adopter ~e regroupement des paysans en
"coopérative" en vue d'accroître l'efficacité de leur encadrement et mieux les contrôler.
Les SIP sont à l'origine des structures créées pour lutter contre l'imprévoyance des
3Nous empruntons ce terme à Chauveau (1985).
4 Les SIP ont été crées en 1910 au Sénégal. Elles ont vu le jour en 1926 en Mauritanie, en 1931 en
Haute-Volta. En Guinée (Conakry), elles apparaissent en 1932; au Niger en 1934.

109
"indigènes": secourir les adhérents en cas d'accident ou de maladie, les aider en période
de sécheresse ou d'inondations, leur permettre d'épargner pour s'acheter du matériel
agricole, et enfin constituer des greniers. Ces sociétés ont par la suite des activités
diversifiées: prêts d'argent aux adhérents, préfinancement de semences, vente des
produits, achats de matériel agricole, amélioration de l'habitat, forrage de puits, création
de pépinières, création de fermes agricoles... Mais, les SIP sont des organisations
bureaucratiques plus au service de l'administration coloniale que des populations. Elles
sont alors remplacées par les Sociétés Mutuelles de Production Rurale (SMPR) censées
faire réellement participer les populations au développement.
Comme autre mesure d'incitation, on récompense les meilleurs agriculteurs'' mais les
"inconscients" sont punis. La qualité de l'agriculteur est jugé par rapport aux superficies
qu'il met en valeur. Certains auteurs constatent par ailleurs que certaines personnes
arrosent parfois les plants de cacao avec de l'eau chaude la nuit, afin qu'ils meurent car
selon Amon d'Aby, (1951:
76) "une fâcheuse superstition répandue parmi ces noirs,
voulait que toute personne plantant un fruitier, mourut tout juste à l'apparition des
premiers fruits". Ne peut-on y voir aussi une réaction contre cette "force" des colons?
Le 25 novembre 1925, la première Chambre d'Agriculture de Côte d'Ivoire est
créée à Grand-Bassam (Kipré et Tirefort, 1992: 290).
A partir de 1931, le Gouverneur Reste impose un projet de formation agricole
aux populations. Outre l'idée d'étendre ou de créer les plantations de cultures pérennes,
d'introduire de nouvelles cultures comme le cocotier, le sésame, l'arachide, la banane, le
maïs, l'ananas, et le riz par exemple, l'objectif est d'assurer un encadrement pour
l'entretien et l'amélioration de ces cultures (cf Reste, 1931: 232 et 1939: 801). En effet,
un rapport du Service d'agriculture (1931) nous informe que "les soins d'entretiens
.5parexemple tous ceux qui avaient plus de 25 hectares recevaient une prime, ou bien ceux qui avait 2 ou
3 hectares de café ou de cacao étaient exemptés de travail forcé.

110
laissent à désirer, les indigènes se refusent fréquemment à les assurer. Dans un milieu
favorable, les maladies trouvent des conditions optima à leur développement. Des
plantations entières ont été détruites'P. Néanmoins, cette nouvelle mesure de la colonie
ne change pas grand-chose car cinq ans plus tard, "malgré une propagande suivie depuis
plusieurs années et des démonstrations pratiques faites sur presque toutes les plantations
par les agents de service de l'agriculture, ces opérations restent totalement ignorées?".
Parallèlement à la formation des populations et aussi en vue de renforcer l'action des
agents français des Services de l'Agriculture, l'Etat colonial crée deux écoles normales
rurales (ENR): celle de Katibougou en 1934 et celle de Dabou en 1936. Ces écoles sont
chargés de former non seulement des instituteurs ruraux mais aussi des assistants des
Services de l'agriculture et des eaux faisant office d'encadreurs de base. Ces encadreurs
recrutés par voie de concours sont formés sur quatre années pendant lesquelles ils
apprennent l'agriculture, l'artisanat et aussi l'élévage. Avant d'exercer leur profession, ils
sont tenues d'effectuer un stage pratique d'au moins deux ans dans une station agricole
ou forestière.
En 1944, c'est la création du syndicat agricole africain censé défendre les intérêts des
producteurs africains.
3.1 .2 Après l'abolition du travail forcé
Le travail forcé a été .aboli le Il avril 1946 par la "loi F.H. Boigny". Selon
Chauveau (1983: 46), "l'abolition du travail forcé en 1946-1947 marque un tournant dans
le mode d'intervention du Pouvoir (colonial) dans les activités agricoles en Côte d'Ivoire.
On passe du tribut à la production de masse et, progressivement de la coercition
6 Cf. AAOF 2g 31-35: Rapport du Service de l'Agriculture, 1931.
7Cf. AAOF 2g 36-32: Rapport du Service de l'Agriculture, 1936.

111
administrative directe au règne des "opérations de développement". A partir de cette
date, s'instaure un système productif centré sur l'extension continue des cultures
d'exportation (café, cacao) ...", Après "l'encadrement forcé", c'est un encadrement
orienté vers la démonstration, où l'innovation est censée faire tâche d'huile: "les résultats
des expériences acquises dans certains centres d'assistance rurale doivent diffuser
alentour et par contagion ou effet de démonstration, entraîner d'autres villages dans le
cycle du développement" (Gleizes, 1968: 18); c'est l'encadrement à la "tâche d'huile".
Pour stimuler encore plus les populations, on augmente les prix d'achat au producteur; ce
qui fait que les "années 1949-1957 font de la Côte d'Ivoire des années cinquante une
terre de colonisation agricole (surtout dans la zone forestière) ... et dès 1954, le territoire
effectue à lui seul 48% des exportations de l'AO.F. (contre 14,8% en 1925)". (Kipré et
Tirefort, 1992: 330). 1954 est également l'année de création des caisses de stabilisation
qui se chargent de l'achat et contrôle la vente des produits agricoles "dans le but d'assurer
une régularité minimale des revenus" des paysans (Fauré, 1982: 28). En outre, on rénove
les sociétés de prévoyance (SIP) qui deviennent des Sociétés Mutuelles de Production
Rurale (SMPR).
3.2 L'INDEPENDANCE
La Côte d'Ivoire devient officiellement indépendante le 07 août 1960.
3.2.1 La continuité de l'action coloniale
Le gouvernement ivoirien a jugé bon de poursuivre l'oeuvre entreprise par les
colons, de "développer" la Côte d'Ivoire par le biais des cultures de rente considérées
alors comme les seules richesses du pays. Accroître la production des cultures de rente

112
est alors synonyme de progrès comme à l'époque coloniale. On institue même dans les
années 1967-1968, La coupe nationale du progrès. C'est une institution étatique
d'incitation populaire décernée chaque année au "meilleur" planteur, aux "meilleurs"
Groupements à Vocation Coopérative, villages et sous-préfectures produisant ces
cultures d'exportation; une émission radiophonique porte le même nom et elle a pour but
de sensibiliser les populations à la production de ces cultures. Le président Houphouet
Boigny lui même donne l'exemple en étant propriétaire de nombreux hectares de café.
Un journal est créé plus tard en 1973, dénommé Terre et progrès:
le journal du
planteur: il donne des conseils aux paysans (lettrés) et les informe sur le secteur agricole.
C'est aussi un manuel pour les agents d'encadrement (voir en annexes le sommaire du
numéro 77 de Terre et progrès).
Plus tard les émissions Télé pour tous et La voix du paysan sont produites à la
télévision. Elles ont pour objectif d'éduquer, de sensibiliser et d'informer les populations.
On crée également la Banque Nationale pour le Développement Agricole
(BNDA). A l'époque, c'est la Banque Mondiale qui assure les principaux financements
pour le développement agricole de la Côte d'Ivoire. Dès 1962, l'Etat met en place une
Caisse de
Stabilisation
et
de
Soutien des Prix
et
des
Productions
Agricoles
(C.S.S.P.P.A.) sur le modèle de celles de la période coloniale. Elle assure un prix d'achat
aux producteurs afin d'éviter les fluctuations, et contrôle la commercialisation des
produits agricoles que sont principalement le café et le cacao. On crée aussi la
MOTORAGRI, une société qui doit inciter à la motorisation de l'agriculture en Côte
d'Ivoire. En 1976, les Caisses Rurales d'Epargne et de Prévoyance (CREP) sont créées
toujours dans le cadre de l'animation rurale.
L'encadrement est à ce moment assuré selon la méthode classique sur la base de
programmes de développement communautaire et d'animation rurale. D'ailleurs on parle
à l'époque en Côte d'Ivoire de "pays ruraux", d'animateurs:
les encadreurs doivent

113
"animer" les populations rurales, les inciter à "participer" aux différents grands projets
mis en place et dirigés par les Société de Développement (SODE). En 1979, on
dénombre 33 SODE. De 1964 à 1967, une Compagnie Internationale de Développement
Rural (ClOR) est créée pour la promotion de l'animation rurale en Côte d'Ivoire. Des
animateurs ruraux sont formés au Centre de Formation d'Animateurs Ruraux (CFAR).
Mais la méthode d'animation est classique: on encadre individuellement les paysans ou
encore en groupe par le biais de réunions. Les structures d'encadrement sont spécialisées:
chacune d'entre elles prend en charge une culture ou une activité spécifique (la ClOT
créée en 1973 pour le développement du textile, SODERIZ créé en 1970 pour le
développement de la riziculture, SODEPALM pour le palmier à huile, ...); et correspond
avec un institut de recherche spécialisé dans la même culture ou la même activité (Institut
pour la Recherche du Coton et des Textiles (IRCT) pour la ClOT, Institut pour la
Recherche du Café et du Cacao (IRCC) pour la SATMACI, ...).
1969 est l'année de création de l'Aménagement de la Vallée du Bandama (AYB)
et de l'Aménagement de la Région du Sud-Ouest (ARSO) avec la mise en place de
grands projets de développement rural, et du Centre National pour la Promotion de
l'Entreprise
Coopérative
(CNAPEC).
1971
voit
naître
les
Fonds
Régionaux
d'Aménagement Rural (FRAR) "dont l'objectif est l'amélioration de l'équipement collectif
dans les villages, avec une participation financière des populations proportionnelle aux
revenus régionaux" (Dubresson, 1987: 126), ainsi que l'Office Nationale de Promotion
Rurale (ONPR) remplacé en 1980 par la direction de la Mutualité et des Coopératives
(DMC) servant à faire éclore "un paysannat dynamique" (Dubresson, 1987: 126).
Comme on peut le constater, le regroupement des paysans en coopérative est une idée
qui prédomine depuis la colonisation même si les noms de structures coopératives
changent. La coopérative est un mode d'organisation qui s'appuie sur l'animation pour
inciter les populations paysannes à appliquer les principes du développement. Gentil

114
(1984: 5) la présente comme "outil de "développement", comme moyen d'atteindre la
majorité des petits paysans pour les approvisionner en intrants agricoles, leur distribuer
du crédit ou assurer la commercialisation primaire dans de bonnes conditions". En Côte
d'Ivoire, jusqu'à la fin des années 80, on parle plus de Groupements à Vocation
Coopérative (GVC) que de coopératives à proprement parler. Ces GVC sont créés sur
incitation de la structure d'encadrement. Ils sont organisés selon les règles fixées par la
structure. Des paysans y font partie sans le savoir; on en est membre d'office dès l'instant
où on est encadré par la structure qui la dirige. Le bureau qui représente les paysans est
en fait l'interlocuteur des agents d'encadrement. Dans les GVC, on exige que la majorité
des membres du bureau soient des lettrés. Mais la majorité des GVC regroupent les
producteurs de café et de cacao; ainsi 63% des GVC ivoiriens (soit 2484 GVC) en 1986
sont de ce type.
3.2 .2 A partir des années 1980: Le développement rural intégré (DR!)
Cette période correspond en fait à la mise en place des premiers programmes
d'ajustement structurel en Côte d'Ivoire (Contamin et Fauré, 1990: 55): "à partir de cette
date (1981) vont se succéder des plans de redressement cherchant à la fois à ajuster à
court terme les besoins et les capacités de financement, et à provoquer des modifications
de structure nécessaires à un redémarrage de la croissance économique".
Avant les années 80, la croissance économique est essentiellement liée au
développement des cultures d'exportation. Ce secteur commençant à s'essouffler, et pour
les besoins d'un nouveau financement, la Côte d'Ivoire accepte les projets de
développement rural intégré présentés alors comme une innovation alors que l'idée de

115
.
.
.
développement rural intégré fonctionne comme idéologie depuis les années 19708. Dans
le cas ivoirien, on peut nettement remarquer que chaque fois que l'Etat proclame une
nouvelle politique, celle-ci est en fait l'oeuvre des bailleurs de fonds internationaux qui la
recommandent.
Le développement rural intégré (DR!) devient la "nouvelle" manière de pratiquer
le développement en Côte d'Ivoire. Dans ce contexte, développer le monde rural, c'est
permettre aux populations rurales de se transformer aussi bien de façon quantitative que
qualitative, dans le but d'accroître leur niveau de vie. Il n'y a là aucune nouveauté par
rapport aux idéaux de la période coloniale. Seuls les mots diffèrent. En aidant les pays
africains à créer des projets de développement rural intégré, les gouvernements étrangers
et les bailleurs de fonds font une forme d'aide, la plus courante selon Droy (1990: 50).
Déjà en vogue dans les années 1970, c'est donc en 1982 que le développement rural
intégré a fait son apparition dans la sphère du développement agricole de la Côte
d'Ivoire; et ce, malgré l'échec de l'AYB créé en 1969 en pays Baule où l'on avait essayé
d'appliquer cette politique en créant des villages communautaires, en développant la
pêche et l'élevage,
en associant cultures de rente
et culture vivrière,
etc. Le
développement
rural
intégré préconise de combattre les inégalités
économiques
engendrées par le choix de l'Etat ivoirien qui, en accédant à l'indépendance, a encouragé
et favorisé les cultures d'exportation (café et cacao) au détriment des cultures vivrières.
La diversification des cultures est ainsi devenu le mot d'ordre du Ministère de
l'agriculture relayé par les structures d'encadrement agricole. Il s'agit de prendre en.
compte tous les secteurs et toutes les filières agricoles au lieu d'en privilégier certains.
Avec le poids de la dette extérieure, l'Etat a vite compris que "le miracle ivoirien" (Amin,
1971: 73) n'a pas empêché l'accroissement du déficit budgétaire, dû à l'importation de
8Voir plus loin dans ce chapitre en 3.3 .1 "le barrage de Kossou et ses conséquences". Les responsables
ivoiriens ont peut-être oublié que le DR! (bien qu'on ne l'ait pas connu sous cette appelation) a déjà été
appliqué en 1969 dans ce pays et s'est soldé par un échec?

1I6
produits vivriers. C'est donc le poids de la dette et "les douloureuses thérapies des
ajustements structurels" (Lazarev, 1993: 28) qui ont amené les responsables ivoiriens en
accord avec les bailleurs de fonds, à redéfinir la politique agricole. Chauveau (1983: 51)
nous en parle en ces termes: "l'urgence d'une réorganisation est d'autant plus vive que
1975 et 1976 connaissent une pénurie de vivriers et une flambée des prix des denrées et
que (vers 1977) la Banque Mondiale s'inquiète explicitement de l'endettement public
ivoirien. C'est dans ce contexte que le Ministère de l'Agriculture change de titulaire
(1977) et la solution adoptée consiste en la prise en charge par la "Sodé" dominante
régionalement de toutes les actions intégrées". Par développement intégré, il faut aussi
entendre la volonté de réduire les disparités régionales. Désormais, les structures
d'encadrement ne sont plus spécialisées (malgré leur spécialisation nominative), elles
encadrent d'autres cultures (la CIDT par exemple se charge du riz en plus du coton, la
SODEFEL du riz et de l'igname en plus des fruits et légumes, etc .... ). Il se crée de cette
manière une spécialisation par régions: la CIDT est essentiellement représentée en région
de savanes (au nord et au centre du pays), la SATMACI au Sud dans la zone forestière,
la SODEPALM en basse côte, etc. C'est ainsi que se met en place un développement
agricole intégré par la mise en place de projets régionaux. C'est dans ce cadre que le
projet Loka de Sakassou (présenté en fin de ce chapitre) a vu le jour, sous l'appelation de
projet péri-urbain.
Ainsi, à l'animation et à la participation, thèmes- dominants des grands
programmes de développement, vient s'ajouter dès 1985 la Formation et Visites (F&V),
en tant que méthode permettant de bien mettre en application les principes des politiques
de développement. Par exemple pour que les paysans comprennent mieux, il faut passer
les voir tous les 15 jours (visites périodiques), leur faire des démonstrations sur ce qu'on
leur "conseille", etc .... Nous avons déjà indiqué que la démonstration comme pédagogie

117
d'incitation a existé pendant la période coloniale (encadrement "à la tâche d'huile"),
aujourd'hui elle est présentée comme une innovation.
Comment fut introduite la méthode F&V en CÔte d'Ivoire?
Connu sous le nom de méthode Benor, la F&V a été introduite en 1985 dans
l'ex-SODEPALM (Société pour le Développement du Palmier à huile) grâce au Projet de
Vulgarisation Agricole de la Banque Mondiale (pVA), dans le département de Divo sous
forme de projet-test ou projet-pilote, puis diffusée au niveau national dans les zones
d'intervention de la SODEPALM en 1986, les promoteurs ayant jugé les premiers
résultats" satisfaisants".
A partir de 1988, face au "peu d'intérêt accordé à l'action coopérative et (à) la
spécialisation excessive de l'encadrement de base'", cette méthode a été revue et corrigée
avant d'être appliquée dans la nouvelle structure qui remplaçait la SODEPALM:
la
CIDV.
En 1989, le programme s'arrête pour les raisons déjà mentionnées auxquelles
s'ajoutent le fait que selon la Banque Mondiale, la Côte d'Ivoire n'a pas payé sa
contrepartie du projet. Le tableau qui suit montre que la Banque Mondiale a financé 75
% du PVA sur une période de 4 ans, pour les principales structures d'encadrement que
sont la CIDT, la SATMACI et la SODEPALM; étant actionnaire majoritaire, elle ne peut
qu'y dicter ses lois.
Le financement de la Banque Mondiale est de 34 Millions de dollars prêtés à la
Côte d'Ivoire pour une période de 20 ans, remboursables au "taux variable" de la
Banque. Le coût total du projet, net de taxes, est de 45,4 Millions de dollars. Pour un
pays qui traverse une crise économique difficile et dont l'économie repose essentiellement
sur l'agriculture, cette "offre" ne peut être qu'alléchante: elle pennet de payer les agents
9J3anque MondialeIWAPAA, 1986: Il.

118
d'encadrement, d'équiper les structures d'encadrement et d'accroître par leur action la
production agricole. Et ne dit-on pas, qu"'un homme qui a faim n'est pas un homme
libre"?
Plan de financement du projet
(en millions de dollars)
Gouvernement
Banque Mondiale
Total
Investissements
5,3
5,3
10,6
Coûts
de 17,4
26,4
44,1
1
Fonctionnement
Assistance
1,5
2,3
3,8
Technique
Coût Total
24,5
34,0
58,5
% du Total
42;0
58,0
100,0
Coût Total (Net de Il,4
34,0
45,4
taxes)
-
%du
25,0
75,0
100,0
Total
(Source: Banque Mondiale/WAPAA, 1986: Il)

119
Aujourd'hui, la Banque Mondiale finance le Programme National d'Appui aux
Services Agricoles (PNASA) qui remplace le PVA depuis 1990, mais sous certaines
conditions. Selon un des agents de cette institution, "la banque mondiale donne de
l'argent a un projet à condition d'auditionner toute la strocture". Avec le droit de regard
exigé par cet organisme on peut penser que les accords qui se font et se défont autour
des projets de développement sont des accords de séduction/soumission, des chantages
subtils etc. ... "Les pays acceptent le T and V parce que c'est une des conditions
imposées par la Banque pour financer des projets de développement rural. Peu importe le
système, l'essentiel est d'avoir l'argent pour payer les salaires des encadreurs de base, les
moyens de déplacement, les indemnités et éventuellement, quelques autres avantages"
(Gentil, 1988: 78).
Il y a aujourd'hui en Côte d'Ivoire sept écoles d'agriculture qui offre trois niveaux
de formation:
- la formation pour les Assistants et les Moniteurs de Productions Végétales et Animales
(APVA et MPVA) le plus souvent dispensée par le Lycée agricole de Bingerville.
- la formation pour les Ingénieurs des Techniques Agricoles (ITA) à l'Institut Agricole de
Bouaké (IAB)
- la formation pour les agronomes à l'Ecole Nationale Supérieure Agronomique (ENSA)
à Abidjan.
3.3 ETUDE DE CAS: DEUX PROJETS DE DEVELOPPEMENT A SAKASSOU
Après cette vue panoramique du développement et de l'encadrement agricole en
Côte d'Ivoire, nous présentons titre d'exemeple ici deux grands projets qui en matière de

120
développement marquent ou qui ont marqué l'histoire de Sakassou: le barrage de Kossou
et l'aménagement hydro-agricole de la Loka.
3.3.1 Le barrage de Kossou et ses conséquences
Face à une demande nationale d'énergie croissante de 15% fan, l'Etat ivoirien a
décidé de la construction d'un barrage hydroélectrique. En 1960, il s'adresse à EDF
(Electricité De France) pour étudier le potentiel hydroélectrique de la Côte d'Ivoire. A la
suite de l'étude, le site de Kossou sur le Bandama blanc au centre du pays, est choisi. Ce
site couvre sept secteurs: Yamoussoukro (ville natale du Chef de l'Etat: Houphouët
Boigny), Tiébissou (ville du grand chancelier de la Côte d'Ivoire: Germain Coffi
Gadeau), Sakassou ("siège" du royaume baule), Bouaflé, Béoumi (historiquement
"cousine" de Sakassou)!", Bodokro et Kounahiri. L'opération AYB (Aménagement de la
Vallée du Bandama) touche uniquement les populations baule (et quelques Ayaous dans
la région de Bouaflé). Elle est dirigée par des Baule originaires de l'un des secteurs de
l'opération (Aoussou Koffi puis Akoto Yao); ironiquement elle fut appelée "association
des voleurs baule".
En plus de la production d'énergie, les responsables ivoiriens souhaitent
rentabiliser le barrage. En 1964, Kaiser Engineers and Constructor inc ainsi qu'EDF
envisagent
un
vaste
projet
prévoyant
une
agriculture
irriguée,
un
système
d'approvisionnement en eau, le développement de l'élevage, de la pêche, la construction
de nouveaux villages, la construction de nouvelles routes, la création de nouvelles
plantations pour des cultures de rente, et l'organisation de transports lacustres sur le site
choisi. En avril 1968, Export Import Bank propose un financement de 36,5 millions de
dollars (V.S.A.) remboursable sur 20 ans. En Juillet de la même année, le groupe
lOear selon la tradition orale, le frère de la reine AbIa Pokou s'y installa, et une rumeur dit que les Baule
nommés dans le gouvernement vont s'y faire bénir par l'un des chefs baule.

121
industriel italien Th1PREGILO-GŒ (Impresit-Girula-Lodigiali) propose un financement
du même montant et dans les mêmes conditions. Le financement total du projet s'élève à
29 milliards d'anciens francs CFAll dont 8,5 milliards CFA restent à la charge de la Côte
d'Ivoire. Le 14 Novembre 1969 débutent les travaux pour ce qui sera appelé "l'opération
Kossou" ou "opération AVB". A partir de 1973, la centrale de Kossou est mise en
fonction. Ce barrage hydroélectrique couvre environ 1750 km2 avec une capacité de 30
millions de m3.
Les zones concernées par le barrage sont: la presqu'île centrale comprenant le sud
de la ligne Béoumi-Sakassou (15 000 à 20 000 ha) et les alentours de la forêt classée du
Péoura (9 000 ha), la vallée du Kan à l'Est de Tiébissou (18 000 ha), la vallée de la
Marahoué de part et d'autre de Bouaflé (15 000 ha en amont, 8 000 ha) et le nord-est de
Yamoussoukro (4 000 à la 000 ha).
Mais une fois le barrage construit, 200 000 hectares de plantations sont inondés
par les eaux du lac de retenue du barrage, 75 000 personnes sont alors déclarées
sinistrées car une centaine de villages sont également inondés. Ces événements ont
amené les populations à émigrer vers des terres propices à l'agriculture ou à la recherche
de revenu, et vers des zones habitables. Ces zones d'accueil sont généralement des
espaces géographiques autour de la vallée du fleuve Bandama mais qui ne sont pas
directement touchés par la construction du barrage de Kossou. Nul besoin de rappeler ici
les conflits qu'ont dû provoquer ces réinstallations dans des zones déjà occupées: conflits
pour l'accès à la terre par exemple.
III franc CFA équivaut depuis Janvier 1994 à 0, a1 franc français.

122
1
1
,
1
1
1
1
1
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TIENIGBOUE
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1
1
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- 5% des terres
ITITIIJ 22,7% des terre s
m
DIIJ
30% des terres
de 10,4% à 13,7% des terres
0ITlJ
17% de s terre s
Carte 5 ..Les circonscriptions touchées par le lac (Source: N'ramé, 1978: 1~

123
En prévision de ces inondations, l'Etat avait décidé de la réinstallation "sans
préjudice" des populations sur les terroirs d'autres villages. Certaines familles sinistrées
ont ainsi été transférées
par le biais et sous la responsabilité d'une superstructure de
développement "intégré", une société d'Etat créée pour l'opération Kossou en 1969:
l'AYB (Aménagement de la Vallée du Bandama); "deux vastes zones d'accueil sont
proposées aux villageois qui désirent recevoir l'aide de l'Etat: la périphérie du futur lac, et
la région du sud-ouest où se crée actuellement le port de San-Pedro, autre pôle futur de
développement régional" (AYB, Février 1971: 24). La société AYB elle, s'occupe de la
périphérie du lac qui concerne 10 sous-préfectures.
Pour le transfert, 60 nouveaux villages modernes sont construits par l'Etat avec
pour la plupart un centre de santé, un hangar agricole, un foyer de jeunes, une école, un
marché, des toilettes publiques, l'électricité et un terrain de sport. Chaque nouveau
village (entre 1000 et 2000 habitants) regroupe 2 ou 3 anciens villages. De plus, on
prévoit le développement d'un programme de pêche et d'irrigation, une aide alimentaire
par le PAM (programme Alimentaire Mondial) sur deux ans, et une indemnisation pour
ceux dont les plantations de café et de cacao ont été détruites.
A partir de 1976 et jusqu'en 1979, l'Etat décide pour ces populations sinistrées,
d'instaurer un programme de stabilisation vivrière avec mise en oeuvre d'îlots irrigués et
création de fermes pilotes, en associant l'élevage et la pisciculture, sous la supervision de
l'AYB. Cette opération consiste à moderniser le système traditionnel de pratiques
culturales des sinistrés par l'introduction d'un système de rotation de cultures, de la
mécanisation, de l'usage de produits chimiques, de l'irrigation. Le riz, le maïs, l'arachide,
l'igname sont retenus comme cultures à pratiquer alors qu'initialement les exploitants
possédaient des plantations de café et/ou de cacao sur leur site d'origine. On prévoit des
jachères, on prévoit l'installation d'agriculteurs modernes avec exploitation familiale sur

1.L't
la base de l'autogestion et création de coopérative, on prévoit l'octroie de matériel
agricole aux paysans qui deviennent propriétaires de ce matériel au bout de 5 ans. Les
cultures comme l'igname "florido" à Sakassou sont peu appréciées car concrètement il n'y
a pas
de circuit de commercialisation: les populations de Sakassou n'aiment pas cette
variété d'igname; ils n'en apprécient ni le goût ni la taille ("c'est trop gros") qui diffèrent
de ce qu'ils consomment habituellement.
Si au niveau national, on explique que ce barrage doit favoriser l'autosuffisance
alimentaire et freiner l'exode rural, au niveau régional, on justifie la création de ce
barrage et le transfert des populations par des raisons socio-économiques: élever le
niveau de vie des populations, moderniser l'agriculture, mettre en valeur une zone
écologiquement défavorisée, créer des emplois rémunérateurs. On verra plus loin, dans le
projet Sakassou, que les objectifs officiels de création sont les mêmes. Il semble qu'il y a
là des objectifs standards, passe-partout, en fonction des caractéristiques sociologiques,
écologiques et/ou géographiques des régions ou pays qui reçoivent les projets de
développement. .
L'opération AVB est analysée comme un échec par les sociologues (cf. Ori,
1987) car les objectifs de départ n'ont pas été atteints: pas d'adhésion volontaire des
populations; refus des villages à exécuter le programme des cultures vivrières stabilisées
sur leurs terres; ceux qui ont accepté n'ont jamais défriché les parcelles qui leur ont été
attribuées, d'autres ont cultivé du café et/ou du cacao au lieu de vivriers stabilisés. On12
considère les sinistrés traumatisés par le transfert, surpris par le départ. Or un rapport
"sociologique" (?)13 de la structure de développement (AVB, -1971) note que le
transport de biens et le transport de personnes ont eu lieu sans aucun problème: "tout ce
que les villageois voulaient emmener semble avoir été transporté sans difficulté majeure";
12Voir Ori (1987), N'tamé (1978), Lassail1y-Jacob (1982 et 1983), Kouakou (1977).
13C'est un rapport dit sociologique qui est signé "AVB'"

125
et pourtant le même rapport signale en passant que pour les fétiches "certains chauffeurs
-de religion musulmane- auraient refusé de (les) transporter. ..". Les fétiches laissés sur
place ne sont-ils pas importants pour les populations? Ces populations se sentent-elles
chez elles sur la terre appartenant aux ancêtres d'autres personnes? Outre ces faits, les
sinistrés ont été accueillis dans des maisons "modernes" en ciment, construites par la
structure de développement sans tenir compte de leur organisation spatiale et sociale
d'origine; les "nouveaux venus jouissent d'un habitat "en dur" (murs en parpaings de
ciment, toit de tôle) agrémenté d'équipements individuels (douches, latrines, cuisines) et
collectifs (école, puits, hangar agricole, terrain de sport). Certains même bénéficient de
l'électrification" (Lassailly-Jacob, 1982: 45). Des grandes familles se retrouvent avec un
nombre réduit de pièces, avec des cases très petites, tandis que des petites familles ont de
grandes et nombreuses pièces. A cela s'ajoutent des problèmes alimentaires. Une aide
alimentaire fut en effet octroyée aux populations sinistrées par le Programme Alimentaire
Mondial (PAM) sans tenir compte de leurs habitudes alimentaires (l'igname est le
principal aliment de base des Baule); cette aide est composée de lait en poudre, de riz
blanchi, d'huile de soja.
Kouakou (1977: 8) note que "la position des sinistrés doit se comprendre à partir
de cette double perte matérielle (plantations, maisons, ...) et "spirituelle" (liens avec le
terroir et les divinités maîtresses) qui est à leurs yeux un seul et même dommage. Il
insiste surtout sur le côté spirituel négligé par les opérateurs de développement qui
s'empressent de vouloir indemniser ces pertes: "les pertes qu'ils (les Baule) ont subies ne
se comptabilisent pas ... Les sépultures inondées, la force de travail des champs, les cases
et les bois sacrés des anciens, valent combien de francs CFA?'''' (1977: 16).
En dehors des raisons "sociologiques" qui ont expliqué l'échec de l'opération
Kossou, l'inefficacité des "responsables de pays ruraux" 14 de la structure d'encadrement
14Appelation des encadreurs sous l'AVE.

126
qu'est l'AVB, est aussi mise en cause (cf. Ori, 1987). Kouakou (1977: 14) remet en cause
"la formation et le recyclage des responsables de "pays ruraux?".
Et pourtant
Il animation rurale présentée par Belloncle (1979)
comme
une
pédagogie du
changement social contrôlé, et par Ela (1982) comme indispensable en tant que forme
d'intervention en milieu rural, pour la réussite d'une opération de développement, est la
méthode appliquée dans cette structure d'encadrement. En fait, avec ce projet, on a rêvé
d'un développement communautaire
en créant ce qui fut appelé "les équipements
socio-cornrnunautaires" (construction de villages modernes, écoles, puits, coopérative
agricole et gestion collective, exploitations familiales auto-gérées). Ce rêve n'a pas pu se
réaliser. Le développement communautaire n'a pas rencontré l'engouement et l'adhésion
des populations concernées car "le système de culture sur blocs porte atteinte aux
structures de production et au mode de vie traditionnel des paysans baule. Même si le
cadre de l'exploitation familiale est respecté, le volontaire perd toute capacité d'initiative
puisqu'on lui impose des cultures précises, un assolement rigoureux, un calendrier
agricole impératif et lourdement chargé et des techniques culturales sophistiquées. Très
individualiste, il est contraint d'utiliser et gérer en commun les outils de production
regroupée. Ses coutumes agraires sont remises en cause puisqu'il n'y a plus de
spécialisation des tâches agricoles entre les hommes et les femmes, qu'il n'est plus
question de respecter les jours d'interdits de travail ou de consacrer trop de temps ë.UX
cérémonies traditionnelles comme les funérailles" (Lassailly-Jacob, 1982: 48). Ainsi, face
à de telles attitudes paysannes, "en 1980, l'AVB disparaissait et avec elle, le projet de
stabilisation
vivrière,
atteint par l'onde de choc provoqué par
la crise.
Ainsi
s'évanouissaient tous les rêves de modernisation de la culture vivrière sur les périmètres
de repli des sinistrés de Kossou" (Ori, 1987: 23).

127
Le projet Kossou n'a été en fait qu'une vaste opération d'aménagement du
territoire décidée par les instances internationales (F.E.D., PNUD, F.A.O. etc.), qui s'est
mal terminée; la même opération a été créée presqu'au même moment dans le sud-ouest
ivoirien avec l'ARSO (Aménagement de la Région du Sud-Ouest), en Haute-Volta
(actuel Burkina Faso) sous la dénomination de AVV (Aménagement des Vallées de la
Volta), au Nigeria et au Ghana. On remarque par exemple pour ce qui est de la Côte
d'Ivoire que la création du lac de Kossou n'a été qu'un prétexte pour implanter une
structure d'encadrement et des opérations de développement.
Techniquement et administrativement, comment fonctionne l'AYB?
L'AYB a une direction générale à Abidjan, une direction régionale à Bouaké qui
couvre Béoumi, Bodokro et Kounahiri, une direction régionale à Yamoussoukro qui
couvre Sakassou, Bouaflé, Yamoussoukro et Tiébissou. Chaque direction régionale est
subdivisée en secteurs correspondant aux sous-préfectures). Les secteurs comprennent
des sous-secteurs. Les secteurs supervisent et coordonnent les travaux des villages
encadrés et exécutent les programmes établies selon une hiérarchie descendante du
directeur général à l'agent subalterne. La méthode d'intervention est l'animation rurale.
N'tame (1978: 123), nous livre la composition d'une équipe d'encadrement du temps de
l'AVE:
"-1 chef de secteur pour 2 assistants et 1 formateur"
-1 assistant pour 5 encadreurs
-1 encadreur ou conseiller spécialisé pour 30 familles, l'équivalent des volontaires d'un
bloc cultural
-1
responsable de
village
ou
animateur généraliste (chargé
des
problèmes de
déguerpissement et d'animation)
- 1 conseiller pêche pour 40 pêcheurs environ

128
-1 assistant, 1 responsable de bloc et 3 conseillers spécialisés pour les périmètres
maraîchers.
Au total près de 200 agents de terrain, encadrent environ 70 villages. En
moyenne 2,8 agents AYB dans un village"
Après avoir présenté le barrage de Kossou, nous présentons maintenant
l'aménagement hydro-agricole de la Loka. Cette deuxième présentation est un peu plus
longue car cet aménagement est d'actualité, il fonctionne encore et se présente comme un
enjeu pour les populations de Sakassou. Il est l'un des principaux éléments autour duquel
se font et se défont des stratégies concernant le développement agricole de cette région.
Signalons en passant que parmi les encadreurs de cet aménagement figurent des agents
ayant travaillé dans l'AYB.
3.3.2 L'aménagement hydro-agricole de la Loka
La Loka est un affiuent de la rive gauche du fleuve Bandama blanc. La plaine: de
la Loka est située à 3 km de Sakassou sur l'axe Sakassou-Béoumi, et fait l'objet d'un
aménagement rizicole depuis 1981.
L'aménagement hydro-agricole de la Loka à Sakassou est situé à environ trois
kilomètres de la ville, et non loin des villages ayant cédé leurs terres à l'Etat pour sa
- création. Il s'agit des villages de N'zokossou, Kpétébonou, Goliblénou, Ngbèdjo-
Koffikro et Walèbo (Sakassou village). Ces villages ont cédé 1200 hectares de leurs
terres à l'Etat; désormais, ils n'ont plus aucun droit coutumier sur ces terres.
L'aménagement s'étend aujourd'hui sur 400 hectares exploités par 525 paysans
qui sont formés par 4 encadreurs. On y cultive du riz irrigué. Un barrage d'une capa.cité
de 800 millions de m3 d'eau assure l'irrigation des bas-fonds de la Loka.

129

130
Ce site, avec le projet V ème F.E.D.qui a démarré en 1990, n'en est pas à sa
première exploitation. C'est d'ailleurs pourquoi dans la ville on ne parle pas de "projet V
ème F.E.D." mais de "projet Loka". On ne voit pas différents projets se succéder. On
considère que c'est le même projet qui existe depuis des années mais avec des
financements différents.
3.3.2.1 Des structures d'encadrement successives
La société pour le développement de la riziculture
(SODERIZ)' 1973 à 1977
En 1973-1975, il existait un projet de riziculture sur le site de la Loka. Ce projet
était encadré par la SODERlZ créée en 1971 par les autorités ivoiriennes en vue de
couvrir les besoins nationaux en riz - le riz étant la principale alimentation dans le pays.
La SODERIZ sur le site de la Loka, travaille sur un territoire géré par l'AVB
(aménagement de la vallée du Bandama). L'''innovation agricole et technique" 15
introduite par la SODERlZ est l'irrigation. Les bas-fonds rizicoles à Sakassou sont
alimentés par un cours d'eau au gré des précipitations. Les travaux à effectuer (240 jours
de travail par an et par hectare selon Dozon, 1985: 132) et les revenus (30 F CFMg en
1973) sont tels que seuls les allochtones s'intéressent à cette culture, bien que: la
SODERlZ
fournisse
tout
le matériel
technique,
l'engrais et
tous
les
produits
phytosanitaires. Elle achète également toute la production des riziculteurs. Mais la
SODERIZ est dissoute en 1977 pour une incompatibilité entre "logique des développeurs
et réalités des développés" (Dozon, 1985). En effet, "la SODERlZ dans sa définition
15Dozon (1985 : 132) qui a fait une étude dans la région de Gagnoa au centre-ouest chez
des riziculteurs hété encadrés aussi par la SODERIZ.

131
(société sectorielle de production) et dans sa conception du développement rizicole s'est
heurtée à deux obstacles incontournables: d'un côté l'illusion
qu'elle a délibérément
entretenu de lieux de production (les bas-fonds) qui seraient uniquement investis de ses
techniques et de sa rationalité économique: confronté au réel, aux logiques d'un système
socio-éconornique local, l'organisme de développement s'est révélé finalement incohérent
et inadapté. De l'autre, l'Etat ivoirien qui ne lui a pas donné les moyens de contrôler
l'ensemble du secteur rizicole (la distribution notamment) et qui l'a en quelque sorte
trahie en augmentant trop fortement le prix du riz et en donnant ainsi au secteur privé et
aux groupes de pression les armes pour la saboter" (Dozon, 1985: 141). Les allochtones
qui travaillaient à la Loka ont cependant poursuivi leur activité, en alternant les cultures
du riz pluvial et celle du riz irrigué.
La SODERIZpratiquait l'animation rurale en plus de l'encadrement classique, car
l'animation rurale était la méthode d'appui de l'AYB. Mais elle avait une "conception
"socialisante": égalité des producteurs, valorisation du travail et la solidarité" (Dozon,
19853 : 134).
La Compagnie Ivoirienne pour le Développement du Textile
( la CIDT) 1978 à 1981
La CIDT assure la relève jusqu'en 1981. Elle fournit alors le matériel agricole et
les semences et aidait aussi à la commercialisation des produits agricoles. Mais cette
expérience est encore un échec car les rendements sont estimés insuffisants alors que les
charges des paysans (frais des prestations de la CrnT) sont trop élevées. La culture du
riz irrigué n'est donc pas rentable économiquement pour les paysans. C'est d'ailleurs l'une
des raisons qui a poussé les populations à se détourner du projet F. E. D.-Kan initié en
1981 sur le site de la Loka. Les villageois n'y voyent que le prolongement des opérations
SODERIZ et CIDT.

132
Comme méthode, les encadreurs de la CIDT s'adressent à des paysans individuellement
avec l'animation rurale comme support.
Le Bureau d'Etudes Techniques des Projets Agricoles
(BETPA): 1981 à 1985
Si le BETPA devient à cette époque responsable de l'encadrement technique
officielle des paysans, la gestion et l'encadrement sur le terrain sont confiés au BDPA
(Bureau pour le Développement de la Production Agricole) qui agit ainsi comme une
ONG française autonome. Le BDPA préfinançe toutes les opérations agricoles (du
matériel technique à l'insecticide en passant par l'engrais, l'herbicide). L'aménagement de
la Loka est à cette époque classé comme domaine agricole périurbain de l'Etat (DAPE).
Des agents du BETPA sont mis à la disposition du BDPA pour assurer la formation des
agriculteurs à l'utilisation de ces nouveaux équipements sur des blocs d'exploitation. C'est
un cas spécifique de collaboration encadrement étatique/encadrement privé à Sakassou.
Il y a sept blocs au total créés sur une superficie de 130 ha aménagés sur le site de la
Loka. La formation initiale pour la riziculture irriguée avait lieu sur le bloc n01 appelé
CP1 par les paysans, à l'image du cours préparatoire 1 ère année scolaire. Toutes lies
prestations fournies aux paysans doivent être remboursées à la fin de chaque cycle de
production. Chaque encadreur tient un cahier des charges à cet effet. Le type
d'encadrement appliqué était la méthode classique.
Avec le BETPA, en plus du riz, on introduit les cultures du maïs, del'igname, du
coton et de l'arachide. On projette même de faire plus tard la culture du soja. Il s'agit de
faire fonctionner un projet de développement intégré. Les encadreurs agricoles sont
chargés d'assurer la formation des paysans pour toutes ces cultures bien qu'ils n'aient pas
eux-mêmes la formation requise pour chacune de ces cultures. Parallèlement, ils

133
organisent le regroupement des paysans en Groupement à Vocation Coopérative (GVC)
selon des critères que la structure a elle-même préalablement défini.
Le BETPA est dissout en 1985 et le contrat avec le BDPA rompu. La gestion et
l'encadrement du périmètre est alors aux mains de la SODEFEL (Société pour le
Développement des Fruits et Légumes). L'aménagement n'est plus classé Domaine
Agricole Périurbain de l'Etat (DAPE).
La Société pour le Développement des Fruits et Légumes
(SODEFEL): 1985 à 1989
En ne tenant compte que de son sigle, on se demande ce qu'un encadreur de fruits
et légumes fait dans une structure d'encadrement de la culture de riz. Mais en réalité
seule la dénomination a changé; ce sont les mêmes agents du BDP A et du BETPA qui
ont été affectés à la SODEFEL, hormis le responsable du BDPA, un Français, qui est
rentré dans son pays, son contrat d'expatriation étant à terme. Ce sont également les
mêmes paysans à qui l'on s'adresse. Les méthodes d'encadrement n'ont pas changé non
plus. L'aménagement de Sakassou est désormais "géré" officiellement seulement par des
nationaux exclusivernent'"; mais il est supervisé par un assistant français qui est basé à
Yamoussoukro où se trouve la direction régionale de la SODEFEL.
L'aménagement reste néanmoins sous la forme de projet car il reçoit un financement du
F.E.D. et fait partie d'un grand projet dénommé projet F. E. D.-Kan17. Avec ce
financement, on ne cultive plus que du riz. Les parcelles de maïs, igname et autres sont
ainsi restées inexploitées. Les paysans n'ont pas réagi à l'arrêt des cultures du maïs et de
16C'est l'une des périodes en Côte d'Ivoire où les responsables politiques et les membres du
gouvernement parlent de plus en plus de "I'ivoirisation des cadres". Dans les discours, ils estiment que
les postes clés (de cadres) doivent revenir aux ivoiriens et non aux étrangers, en vue d'enrayer le
chômage.
17Le Kan est le nom d'un fleuve qui traverse les régions qui bénéficient du nouveau projet (Sakassou,
Tiébissou etc.).

134
l'igname car tous ces produits ne s'intègrent pas dans un circuit de commercialisation; en
outre, l'igname produit à la Loka "n'avait pas bon goût à cause de tous les produits de
blancs qu'on nous demande de mettre dans notre champ" (un paysan). Il ne sert donc
même pas pour l'autoconsommation. En revanche, la culture du coton est pour eux une
source de revenus sûre car toute la production est achetée par la CIDT.
La Compagnie Iyoirienne pour le Déyeloppement des Vivriers
(CIDV)' depuis 1989 Œormation et Visites)
C'est la structure en place actuellement à la Loka. Avec un nouveau financement
F.E.D., ce projet fait maintenant partie (depuis 1990) d'un grand projet qui s'appelle
projet V ème F. E. D. qui regroupe les régions de Sakassou (400 ha), Nianra (80 ha),
Nabyon (50 ha) et Segbono (112 ha), toutes situées au centre du pays. Mais
l'aménagement de Sakassou est le plus grand en superficie.
Encore une fois, seul le nom de la structure a changé: les deux encadreurs de base depuis
l'époque du BETPA1BDPA demeurent sur l'aménagement. La principale innovation
apportée est le T&V, Training and Visit en Anglais ou F et V (Formation et Visites, en
Français). Désormais l'encadrement est assuré sous forme de conseil auprès des paysans
(non pas individuellement mais en "groupe de contact"). Aux 106 anciens paysans se
sont ajoutés 419 exploitants nouvellement recrutés; de plus, l'aménagement de la Loka
est passé de 130 ha à 400 ha.
Le 30 Septembre 1993, la CIDV, la SODEPRA et- la SATMACI ont fusionné pour
former l'ANADER (Agence Nationale d'Appui au Développement Rural).
Malgré
la
succession
des
structures
d'encadrement,
les
problèmes
de
fonctionnement restent les mêmes comme nous le verrons plus loin.

135
La mise en perspective historique est ici éclairante: si les développeurs n'ont pas
de mémoire, les paysans eux en ont. Ils font référence aux expériences passées. Ils ont
une longue tradition de développement programmé, de ruse, de méfiance, de "résistance"
indirecte, de détournement. Or l'agent d'encadrement est directement aux prises avec ces
pratiques, comme nous le montrerons au chapitre 5 et 6.
3.3 .2.2 Histoire du projet
L'histoire ici relatée commence en 1981 avec le projet F. E. D.-Kan.
Objectifs de création
Ce sont les conditions et objectifs officiels de création.

L'autosuffisance alimentaire, impératifnational
En 1977, la Côte d'Ivoire importe 147 000 tonnes de riz. En 1981 soit trois ans
après, l'importation passe à 320 000 tonnes. En 1985, c'est près de 70 % du riz
consommé qui est importé, quand on sait que les ivoiriens consomment en moyenne 30
000 tonnes de riz par mois. Les importations alimentaires qui coutaîent 7 milliards de F
CfA en 1970 à l'Etat sont passés à 115 milliards en 1983.
Ainsi, face aux dépenses engendrées par les importations massives, l'autosuffisance
alimentaire est une urgence, à la fois pour assurer la sécurité alimentaire de la population
et pour enrayer ce mouvement croissant de dépenses.

136
JMPORTATION ET PRODUCTION NATIONALE DE RJZ ]
III import
o équivalent riz blar
4CO
300
289
-
291
- 2 7 7
-
3CO
264
-
x 1000 t.
162
lCO
ANNEE
(Source: Banque Mondiale, 1991: 4).

137
Nous remarquons que l'autosuffisance alimentaire a toujours été présentée en
Côte d'Ivoire dans les discours politiques depuis l'indépendance, comme comme une
urgence chaque fois qu'il s'agit de créer un projet concernant les cultures vivrières'! et
pourtant après 34 années d'existence, le problème alimentaire demeure; certes ce pays n'a
pas encore connu de pénurie alimentaire comme certains pays afiicains du Sahel mais on
continue d'importer des vivriers comme le riz par exemple (Requier-Desjardin, 1989).
Au ruveau de Sakassou, les populations s'approvisionnent le plus souvent à
Bouaké, ville située à 42 Kilomètres de Sakassou et classée deuxième grande ville du
pays. Le marché de Sakassou se tient une fois par semaine: tous les dimanches les
provisions arrivent de Bouaké, de Béoumi, de Tiébissou et de tous les villages
environnant Sakassou.

L'introduction et développement de la mécanisation
L'on envisage de maximiser la production, même sur de petites surfaces, et de
créer des exploitations de type modernes: d'où l'utilisation de machines agricoles telles
que motoculteurs, faucheuses, batteuses, ... et l'utilisation de semences sélectionnées,
d'engrais minéraux, de produits phytosanitaires pour moderniser le système de
- production mais aussi améliorer la productivité.
18Voir par exemple dans Sawadogo (1977) quand les chinois en 1963 ont voulu aider la Côte d'Ivoire
pour la riziculture irriguée.

138

La lutte contre l'exode rural
Cette politique a été mise sur pied pour désengorger les grandes agglomérations
que sont Abidjan et Bouaké, et aussi certaines régions forestières.
Mais, comme le disait le président Houphouët Boigny lors de sa tournée en 1974 dans le
Nord du pays, "on ne lutte pas contre l'exode rural en interdisant l'accès des métropoles
mais en créant pour la population de l'intérieur, pour les jeunes comme pour les
adultes, les conditions d'un certain épanouissement ou pourquoi pas d'une certaine
douceur de vivre qui les guérissent de la démangeaison du départ". Dans ce sens,
l'aménagement de Sakassou permettrait aux populations de "s'épanouir", et de ne plus
émigrer par exemple vers les régions de Soubré et de San-Pedro à la recherche de terres
cultivables (migrations de longue durée) ou bien pour faire ce que les jeunes appellent
communément les "6 mois" (migrations saisonnières). Avec la nouvelle politique
agricole, les unités familiales pourraient non seulement s'approvisionner en produits
vivriers mais aussi s'offrir des revenus monétaires élevés.

L'un des leitmotiv de la lutte contre l'exode rural est aussi le développement des
petites et moyennes vil/es. Sakassou est classée comme ville moyenne en raison du
nombre d'habitants.

Le retour des jeunes à la terre
Afin de résoudre non seulement le problème de l'exode mais aussi celui du
chômage, de vastes campagnes de sensibilisation ont été menées (radio, télé, etc.), afin
d'inciter les jeunes (surtout les déscolarisés) à retourner dans les campagnes. La région
de Sakassou étant une zone à forte migration, le projet Loka vient à point nommé.

139
CQnditiQns de créatiQn et de fQnctiQnnement

Les terres ''purgées des droits coutumiers"
C'est une expression employée par les promoteurs du projet pour signifier qu'il n'y
a plus de droit coutumier sur les terres qui désormais appartiennent à l'Etat. En 1979, des
études pédologiques Qnt été faites dans la région. Des surfaces ont été retenues.
De 1981 à 1983, un comité de développement (comité de promotion et de
gestion) a été constitué et placé sous la présidence du sous-préfet, pour sillonner les
régions et sensibiliser la population non seulement à participer au nouveau projet qui va
être mis en place, mais aussi à céder ses terres. Ainsi, 1200 hectares Qnt été "purgés des
droits coutumiers" et remis à l'Etat pour être aménagés et distribués aux paysans sous
forme d'exploitations familiales. Les anciens propriétaires perdent alors tout droit sur ces
terres que seul l'Etat est habilité à gérer par le biais de son représentant local.
Excepté un seul village, N'zokossou, tQUS les autres villages n'ont fait aucune
objection à la cession des terres; les bas-fonds étaient inexploités et ne servaient qu'à la
pêche. Sur les autres terres, il n'y avait que quelques vieux plans de café et de cacao et
des palmiers. Les villageois de N'zokossou eux, avaient des terres encore fertiles; ils ont
donc exigé en contrepartie l'électrification de leur village et l'entretien des pistes. Mais
ces voeux n'ont pas été respectés par l'Etat. De plus, une partie de leur forêt sacrée a été
enregistrée aux cadastres pour être aménagée. Par la suite, les villageois se sont
détournés du projet parce qu'ils avaient peur des effets maléfiques que pourrait
occasionner la mise en valeur de cet aménagement.

Le recrutement des paysans
Deux conditions suffisaient pQur être recruté dans cet aménagement: il fallait
aVOIr moins de 40 ans et être instruit, sans distinction de sexe. Concrètement, les

140
"groupes ciblés" n'étaient pas intéressés au départ. Certaines personnes redoutaient les
précédentes expériences fâcheuses de travail dans cet aménagement. D'autres (surtout les
jeunes) établissaient une relation de cause à effet entre le travail dans les bas-fonds et le
fait d'avoir des maladies vénériennes, la bilharziose ou la hernie. En outre certains
villageois (ceux dont les plantations avaient été détruites) n'avaient pas été dédommagés
ou ne l'avaient été que partiellement. Ceux-là continuaient à cultiver leurs terres (en
principe cédées) et boudaient le projet. Par exemple à N'zokossou, les villageois ont
demandé comme sacrifices: 3 boeufs, 3 moutons, 3 cabris (bouc), 4 bouteilles de gin, 72
bouteilles de vin rouge et 3 poulets. Mais ils n'ont reçu qu'l boeuf, 1 mouton, 1 gin, 1
poulet et 5 000 FCFA pour toutes leurs demandes. Pour l'indemnisation des parcelles
détruites, selon le sous-préfet en 1979, "nous proposons la à 15 000 F (CFA) à l'hectare
selon la qualité des parcelles... ". Jusqu'au moment de nos enquêtes, aucun paysan n'a
affirmé avoir reçu quelque chose.
Tableau illustrant les demandes des populations et l'offre des développeurs
boeufs
moutons
cabris
gin (75 cl)
vin rouge (1)
poulets
argent
(CFA)
Demande
des 3
3
3
4 bouteilles 72 bouteilles
3
a
populations
offre
des 1
1
a
1
a
1
-
5000
développeurs
Il est important de rappeler ces faits car ils permettent de comprendre certains
comportements de paysans et même de non paysans vis-à-vis de l'aménagement.

141
Le sacré est très important pour le villageois, mais on a constaté que cela n'a pas été
respecté par les instigateurs de l'aménagement. Pourtant l'échec de l'AYB
devrait être
une expérience gravée dans la mémoire de toute personne entreprenant une action de
développement chez les Baule. Des promesses ont été faites aux villageois mais n'ont pas
été tenues. Ce sont des facteurs culturels, des rituels qui ont été négligés. La seule
rationalité économique guidait les développeurs qui se sont enfermés "dans les limites
étroites d'une rationalité technoscientifique et marchande..." (Berthoud, 1990: 17). On se
plaindra après que les paysans sont fainéants, pas intelligents, réfractaires au progrès,
hostiles au développement..., tendance qui a prévalu dans les discours jusque dans les
années 70, alors qu'en réalité toute la faute incombe à ceux qui prétendent avoir négocié
avec les villageois dont la culture est spécifique. Comment les paysans peuvent-ils
travailler sur un lieu sachant que les génies qui l'habitent n'en sont pas contents?
Comment peuvent-ils travailler sur une parcelle du village quand ils savent à l'avance que
les ancêtres du village sont contre le travail sur un lieu qui n'a pas été béni? Nous avons
vu que l'une des conditions à respecter pour lesquelles le Baule prête sa terre, c'est que le
"locataire" respecte le rapport avec les génies de la terre. Il a pourtant maintes fois été
démontré qu'il faut prendre en compte les réalités socioculturelles des milieux où doivent
être introduites des innovations.
Au démarrage des travaux en 1981, se sont inscrits :
- 31 vieilles personnes qui se sont inscrits, selon eux, plus par souci de s'occuper que par
volonté réelle de travailler. Certaines sont guidées aussi par le souci d'accaparement de
nouvelles parcelles. Il n'y a que 17 jeunes (de 21 à 40 ans).
- 7 femmes: elles sont toutes filles-mères préoccupées par leur survie et celle de leurs
enfants.

142
- les allochtones Ivoiriens non originaires de Sakassou, Maliens, Burkinabé; ils sont au
nombre de 25 sur 48 exploitants.
Une deuxième série d'inscriptions a eu lieu après les premières récoltes en 1982.
Dans cette vague, de nombreuses personnes parmi les populations autochtones se SOll1t
inscrites. A priori, on estime qu'à la vue des premiers résultats, tout le monde a eu un réel
engouement au travail dans l'aménagement. Or, en fait, la principale source de motivation
pour la plupart de ces personnes est la main mise sur une exploitation car selon Iles
textes, chaque exploitant devient propriétaire de sa parcelle s'il la met en valeur: le droit
d'usage devient droit d'appropriation. En outre, tout exploitant peut bénéficier jusqu'à 1,5
ha voire plus pour les Paysans Motorisés (PM) pour la riziculture et jusqu'à 3 ha pour les
cultures sur plateau (maïs, igname, coton, soja). Les autochtones recrutés sollicitent
d'autres personnes pour réaliser les travaux: c'est le système abunsan: les sous-traitants
effectuent les travaux agricoles et la récolte est divisée en trois parties égales dont le tiers
revient au propriétaire de la parcelle. Ces tractations se font entre paysans à l'insu (ou sur
le dos) des encadreurs. Par exemple, Sangaré est un paysan allochtone encadré par la
CillY. Il a commencé dans l'aménagement de la Loka comme un manoeuvre et se
retrouve aujourd'hui comme acheteur de produit de presque tous les paysans, parce qu'il
paye comptant même si ce n'est pas à un prix élevé. Il est un moyen pour les paysans de
contourner les mailles de la coopérative pourtant géré par des paysans. Sangaré est en
même temps "propriétaire" de plusieurs parcelles appartenant majoritairement aux
autochtones: "ils ont toujours des funérailles. desfêtes, etc.. mais ils n'ont pas d'argent.
Moi je leur en prête et en retour, ils me prêtent leurs parcelles pour un certain nombre
de cycles. C'est comme çà que j'ai eu mes biens". Justement les encadreurs ont voulu
éviter ces sous-louages en expulsant tous ceux qui s'y adonnent, car ils se retrouvent à
former chaque année différentes et nouvelles personnes. Face à ces mesures des

143
encadreurs, l'astuce des paysans est de ne pas dénoncer Sangaré, qui d'ailleurs fait
travailler des manoeuvres dans toutes "ses" parcelles. Chaque manoeuvre se présentera à
l'encadreur comme étant le serviteur du paysan effectivement inscrit sur cette parcelle
(''je travaille pour X'). Il arrive même que le vrai propriétaire, à certaines phases des
travaux, se présente lui-même dans sa parcelle et fait semblant de travailler; et dès que
l'encadreur s'éloigne de la parcelle ou achève les surveillances, le manoeuvre reprend sa
place. Aucun paysan ne dénoncera un autre paysan, c'est un consensus que seul
l'encadreur ne saura pas.
Les alliances entre paysans sont révélatrices de la cohésion, de l'unité qui peuvent
exister entre eux dès l'instant où il s'agit de défendre leurs intérêts. Comme nous l'avons
déjà montré, leurs intérêts c'est de s'approprier le plus de parcelles possibles, même s'ils
n'y travaillent pas, et ceux au nom de l'intérêt supérieur du groupe walébo, de la région
de Sakassou. Théoriquement le projet fonctionne comme prévu mais dans les faits, il est
détourné de ses objectifs initiaux par les paysans: il n'a pas arrêté ou même freiné l'exode
rural, il n'a pas aidé à insérer les jeunes déscolarisés, ...
L'une des conséquences de la ruée vers l'aménagement est manifestement le
conflit entre autochtones et allochtones pour le droit d'accès à la terre (et non pour le
revenu): les premiers dénoncent l'occupation de leurs terres par les seconds. Etant donné
que le gouvernement n'a pas dédommagé les autochtones pour les plantations détruites,
ils considèrent que ces terres leur appartiennent jusqu'au règlement de leur "dette"
comme cela a été initialement prévu. Or, selon la circulaire n" 78 du Ministère de
l'intérieur, en date du 17 décembre 1968 19, l'Etat est propriétaire de toutes les terres et
concède l'usage du sol à tout citoyen ivoirien ou étranger s'il est en mesure de le faire
valoir personnellement.
190fficialisée par le décret 71-74 du 16 février 1971.

144
L'erreur de départ des développeurs entraîne beaucoup de conséquences: pour ne
pas avoir respecté les systèmes de représentations des autochtones, ils voient ces derniers
rejeter le projet. Or en se détournant du projet, les autochtones laissent une chance (sans
le savoir peut-être) aux allochtones qui ont été recrutés, quite dans un premier temps à
délaisser la terre de leurs ancêtres comme ils l'ont fait. Mais, comme en reconsidérant Iles
clauses du contrat de recrutement, ils se rendent à l'évidence qu'ils perdront le droit
d'accès et de propriété de la terre; ils changent alors d'avis. Commence ainsi la ruée vers
l'aménagement, et les conflits entre populations autochtones et allochtones.
De
l'extérieur, on expliquera cette ruée vers l'aménagement comme un succès de l'action
développementaliste.
Les
partisans de l'approche participative en déduiront une
participation massive de la population au projet. Or ce n'est pas tant le projet lui-même
qui intéresse mais plutôt le site du projet, qui est chargé d'histoire pour les habitants de la
région.
3.3 .2.3 Les problèmes de fonctionnement: irrigation et mécanisation
Ces problèmes sont essentiellement liés à l'irrigation et à la mécanisation,
présentés comme nouveaux instruments de développement agricole.
Le problème de l'eau (irrigation)
La maîtrise totale de l'eau est une condition importante pour parler d'irrigation.
Or cet aménagement a connu deux périodes: l'irrigation avant la création d'un barrage et
l'irrigation avec un barrage. Comment se situe le problème selon la période? Y a-t-il eu
changement d'une période à l'autre?

145

A vant le barrage
Les paysans de Sakassou ont vécu près d'une décennie sans barrage, attendant
toujours d'avoir une bonne pluviométrie. Deux motopompes alimentent le bas-fond (de
130 ha à l'époque) en eau pour l'irrigation, en débitant la Loka (cours d'eau situé non loin
de l'aménagement). C'est une exploitation au fil de l'eau où le débit aléatoire du cours
d'eau naturel a une influence remarquable sur la production. Pourtant comme nous
l'avons déjà signalé, le climat est caractérisé par une longue saison sèche (d'octobre à
mai) et une saison des pluies (de juin à septembre). L'irrégularité des pluies influence
évidemment la récolte. On a ainsi différentes situations de productions. Quand on
prend par exemple la campagne de production 1985-1986 sur cet aménagement, on
remarque que les blocs 1, 2, 3 et 4 ont été mis en place en premier lieu. Les blocs 5, 6 et
7 ont été cultivés après. En production on a les résultats suivants: le bloc 4, avec 16,7595
ha, occasionne un revenu monétaire de 5.476.930 francs CFA; alors que pour une
surface plus grande de 31 ha, le bloc 7 fournit un revenu de 1.360.531 francs CFA. On
remarque que le problème de l'eau est crucial dans l'aménagement. Même avec des
objectifs purement techniques, il faut tenir compte des moyens de productions. On ne
peut pas parler d'irrigation quand il n'y a pas d'eau (l'eau est indispensable même pour le
riz pluvial). On a prévu deux cycles de production par an; mais les paysans n'ont pu en
faire qu'un. Ce projet n'a pas arrêté la "démangeaison du départ" chez les jeunes
puisqu'ils s'organisaient de façon à pouvoir passer les "six mois" en région forestière
(pour travailler dans les plantations de café et de cacao comme manoeuvres) après
chaque cycle annuel.
Le problème de l'eau est assez significatif pour justifier les conflits entre
paysans. Au lieu par exemple d'ouvrir les vannes à tour de rôles, tous les paysans les
ouvrent en même temps. Certains n'hésitent pas à se rendre la nuit sur l'aménagement

146
pour approvisionner leurs parcelles en eau. Ceci fait que mutuellement, les paysans se
suspectent les uns les autres d'être des jeteurs de mauvais sort, des sorciers, dès l'instant
où l'un d'eux a un malaise (physique) quelle qu'en soit la nature ou lorsque la parcelle
n'atteint pas le seuil de production fixé par la strucure d'encaderernent; ils disent
généralement que "c'est celui qui est venu la nuit qui a mis quelque chose dans mon
champ". A la nuit, on attribue toutes sortes de cachotteries: c'est la nuit que se
promènent les sorciers, les jeteurs de sort et les mangeurs d'âmes, c'est la nuit qu'on fait
introduire les maladies et les mauvaises choses, c'est la nuit que se réalisent toutes les
mauvaises intentions des mauvais esprits. La famille d'un des paysans "médicalement"
victime de maladie mentale, a attribué cette pathologie à des voisins ''jaloux de sa
réussite. Après consultation de nombreux féticheurs, on nous a dit que c'est la nuit
qu'ils sont venus enterrer le fétiche dans son champ pour l'anéantir, pour qu'il n'ait plus
les moyens de travailler ici; ils veulent sa place". Nous avons aussi un exemple de
conflit entre deux agriculteurs dont l'un assure chaque année une bonne récolte selon les
normes fixés par l'encadrement (pas moins de 4 tonnes à l'hectare) et l'autre est en
dessous de ces normes. L'agriculteur qui ne remplit pas les conditions de l'encadrement
se justifie en accusant l'autre: "il a planté un fétiche dans son champ la nuit pour avoir
une bonne récolte et pour être ainsi apprécié des chefs; donc moi, quel que soit le
travail que je fais, les encadreurs ne le voient pas parce que je suis voisin immédiat de
K. ". Ces deux parcelles sont voisines et respectent parfaitement les consignes de
l'encadrement, dans les mêmes conditions pluviométriques et utilise les mêmes facteurs
de production, mais n'ont pas la même production. Les paysans dans leur conflit font
référence à des forces occultes maléfiques et pourtant la qualité du sol de chacun peut
influencer la production.

147

Après le barrage
Un barrage d'une capacité de 8 millions de m3 a été construit sur la Loka en
1990, cours d'eau qui auparavant alimentait l'aménagement. Son coût de 3 milliards de
francs CFA a été financé par le F. E. D .. On est ainsi passé d'une exploitation au fil de
l'eau à une exploitation sous barrage.
Mais on remarque que:
- l'eau coule exagérément à certains endroits et pas suffisamment à d'autres;
- l'eau du drainage de certaines parcelles passe par des parcelles qui n'en ont pas besoin.
Ces défaillances sont dues au fait que les parcelles ont été mal nivellées et mal
morcellées, et au fait que les drains, canaux et vannes ont été mal disposés par la société
(Jean Lefèvre) chargée de le faire.
Encore une fois, les mêmes stratégies adoptées avant la construction du barrage,
se remettent en place. Par exemple, au lieu d'attendre leur tour pour la distribution de
l'eau, certains paysans se servent la nuit; ce qui occasionne encore des conflits de même
nature que ceux qui existaient avant le barrage. Il n'y a pas encore eu de sanction contre
un paysan à ce sujet. Et pourtant à la création du barrage, dans une optique
d'autogestion, les développeurs avaient laissé le choix aux paysans de gérer eux-mêmes
la distribution de l'eau (avec la supervision du service d'encadrement); ils fixeraient eux-
mêmes les sanctions et les éventuelles amendes selon leur propre organisation, leur
propre "loi".
Se servir illicitement d'eau est su et connu de tout le monde. Et tout le monde le
fait. On se "cache" pour s'approvisionner, on montre bien aux yeux de tous qu'on se
cache, puisque c'est toujours la nuit qu'on choisit.
Cet approvisionnement se fait soit
avec la complicité du gardien du barrage, soit avec celle du chef de périmètre qui donne
l'ordre d'ouvrir les vannes la nuit, soit avec un encadreur sans l'avis et à l'insu du dernier.
Les négociations pour l'obtention de l'eau ne se font pas avec n'importe qui: on s'allie

148
dans la clandestinité avec le détenteur de la clé du barrage, ou bien avec le chef du
périmètre (et dans ce cas le gardien n'a rien à dire) ou encore avec l'encadreur le plus
influant.
Nous venons de voir quelques problèmes et stratégies adoptées à l'usage de l'eau pour
l'irrigation. Quels sont maintenant les problèmes liés à la mécanisation?
La mécanisation

Avant 1990
Le périmètre agricole de Sakassou dispose de: 9 tracteurs pour les cultures
sèches dont 3 en panne; et pour ce qui nous intéresse c'est-à-dire le matériel pour le bas-
fonds, il y a: 6 batteuses, 3 faucheuses dont 2 en panne, 3 remorques dont une en panne,
Il motoculteurs dont 4 épaves. Paysans et encadreurs constatent que le matériel agricole
en état d'utilisation était insuffisant pour le nombre de paysans. Il y a par exemple 7
motoculteurs pour 130 ha alors qu'en réalité il en faut 13 pour la même superficie. Cette
insuffisance de matériel crée un décalage dans le temps au niveau du piétinage par
exemple et donc du semis; ce qui fait que pendant que certains paysans récoltent, les
autres ont leur riz en épiaison; ceux qui récoltent en saison pluvieuse ont des pertes car
les grains de riz germent faute de bâche pour les couvrir ou faute d'un lieu de stockage.
Pourquoi parle t-on alors de mécanisation? D'autant plus qu'une fois en panne, ces
machines sont soit irréparables (parce que la panne est trop grande et nécessite de grands
frais de réparation), soit réparables mais à Bouaké ou à Yamoussoukro (les 2 villes les
plus proches) et dans un délai préalablement indéterminé. Les réparations possibles dans
ces deux localités demeurent la seule issue de secours parce que les mécaniciens de
l'aménagement ne sont pas formés pour du matériel agricole tel que faucheuses,
batteuses, motoculteurs par exemple mais ne le sont que pour les engins tels que
tracteurs et voitures. En fait ce sont des mécaniciens de la ville qui ont été recrutés. Par

149
manque de matériel, les paysans s'en prennent alors aux encadreurs qu'ils jugent
incapables, incompétents... Pour eux, l'encadreur doit pouvoir faire tout ce qu'il enseigne
aux paysans: ainsi, leur diffuser la mécanisation suppose qu'il sache réparer les engins
mécaniques proposés.
Face à une telle situation, la plupart des paysans en sont arrivés à rejeter la
mécanisation, préférant les faucilles à la faucheuse, abandonnant le travail avec les
motoculteurs, préférant le battage manuel à celui effectué la batteuse ... De, plus avec les
machines toujours en panne, les paysans ne comprennent pas pourquoi l'encadrement leur
demande de payer des charges de mécanisation qu'ils trouvent d'ailleurs trop élevées.
Autre raison qui les encourage dans leur attitude: certains outils agricoles sont inadaptés
aux besoins et aux réalités du terrain. Par exemple, quand le battage se fait en saison des
pluies, les pailles de riz sont mouillées et la batteuse ne peut pas les battre; quand il y a
un coup de vent qui couche les pailles de riz, il devient inutile d'utiliser la faucheuse.
Pour pallier tous ces problèmes, les paysans utilisent la main d'oeuvre salariée pour faire
du travail manuel.

Après 1990
Le Japon fait don de 80 matériels agricoles d'une valeur de 100 800 000 F CFA
(cent million huit cent mille francs). Les bas-fonds accueillent ainsi 40 motoculteurs, 20
batteuses et 20 faucheuses-andaineuses. Mais ces machines sont vendues à des paysans
sélectionnés et doivent être remboursées au bout de 5 ans. Elles sont réparties entre 40
paysans (13 anciens et 27 nouveaux recrutés) sur 525 paysans au total encadrés par les
agents de la CIDV. On a ainsi 40 Paysans Motorisés (PM) parmi lesquels 20 "Grands
Paysans Motorisés" (GPM) ayant la chaîne complète de machines, et 20 Petits Paysans
Motorisés (pPM) qui n'ont que des motoculteurs. Les GPM ont des parcelles de 3 à 4
hectares, tandis que les PPM bénéficient de 2 à 2,5 hectares. Les autres paysans (non

150
motorisés) c'est-à-dire les "Paysans Satellites" (PS) ont des surfaces qui varient entre 0,5
et 0,75 hectares. Les PM font des prestations de service avec leur matériel sur lies
parcelles des PS à titre onéreux.
La distribution du matériel n'a pas été sans problèmes en ce sens qu'elle a
occasionné de nombreux conflits et jalousies entre les paysans eux-mêmes, entre certai.ns
paysans et les notabilités de leur village, et entre paysans et encadreurs taxés de
favoritisme; conflits qui durent encore. Les paysans contestent les critères d'attribution
du matériel. Ils auraient souhaité décider eux-mêmes de ces critères qui ont été fixés par
la structure d'encadrement. Les encadreurs ont en effet sillonné les villages et demandé
aux chefs de village et aux notables d'indiquer les personnes qui peuvent être attributaires
de matériel, avec comme critères:
1. Etre volontaire.
2. Etre travailleur.
3. Avoir le sens des responsabilités (pouvoir respecter le bien d'autrui, le matériel, le
bien commun).
4. Etre ouvert, sociable (accepter de travailler pour et avec les autres).
Ces critères de classement sont jugés aléatoires et subjectifs par les paysans non
sélectionnés pour la motorisation car en fonction des affinités, des querelles préexistant
au village, on peut être choisi ou pas. De plus, ne pas être sélectionné est une honte car
cela montre au grand jour qu'on ne mérite pas la confiance du chef de village, qu'on n'est
pas brave, qu'on n'est pas travailleur. En même temps, cela fait la fierté des élus. C'est
une tâche difficile pour les chefs de village aussi qui de ce fait se font des ennemis parmi
les personnes non choisies. Parmi les PS, on accuse tel ou tel chef de favoritisme; on

151
reproche à tel PM d'avoir acheté sa sélection; on indique que tel autre a usé de l'influence
de tel parent ou ami auprès du chef de village ou de ses notables.
Les critères d'attribution des parcelles aux 106 anciens paysansë'sont différents.
Leur "sens du travail" a été mesuré, par les encadreurs, à partir de la moyenne de leur
rendement sur trois ans. Les 13 "meilleurs" producteurs ont ainsi été retenus pour la
mécanisation. Or, selon les paysans, ce critère ne reflète pas la valeur réelle d'un
travailleur; les rendements sont en effet fonction du site de la parcelle. Les inondations de
1989 ont emporté la grande partie de certaines récoltes avant même qu'on les ait pesées.
Les productions ont donc été évaluées "subjectivement" en fonction des superficies et de
l'état des parcelles et surtout en fonction d'affinités particulières entre individus. Les
candidats non sélectionnés disent être déshonorés d'abord devant leurs anciens collègues
et surtout devant les nouveaux. L'un d'eux explique que: ''j'ai travaillé à la Loka
pendant 10 ans; je connais bien le travail du riz. Aujourd'hui, on prend quelqu'un qui
n'a jamais cultivé le riz et on dit qu'il est plus travailleur que moi. JI est PM et moi je
suis ps. Je ne peux pas accepter ça".
A la suite de la distribution des matériels, des "paysans satellites" ont refusé de
travailler en collaboration avec certains "paysans motorisés" qu'ils ont jugés non
méritants. D'autres "paysans satellites" ont refusé de payer les prestations des paysans
motorisés car ils ont appris que les machines ont été offertes et non vendues par les
japonais>'. D'autres encore n'ont pas _accepté de diminuer ou de quitter leurs parcelles
comme cela a été prévu; le chef de périmètre explique: "en mars 90, nous avons fini le
remembrement et nous l'avons communiqué aux paysans qui l'ont tout de suite contesté
20B s'agit des paysans qui étaient dans l'aménagement avant le nouveau financement V ème FED
21Berche (1994) montre dans un projet de soins de santé primaire (SPP) au Mali, comment des dons
destinés aux populations se transforment une fois sur le terrain en objets stratégiques dans les relations
de clientélisme entre ces populations et les agents chargés de la distribution. On retrouve ici la même
chose bien qu'on soit dans le domaine agricole.

152
car certains estiment qu'ils sont dans l'aménagement depuis JO ans et ils ne veulent pas
de petites terres. Nous en avons parlé à la préfecture qui a décidé qu'on laisse tous les
anciens paysans sur leurs anciennes superficies, mais qu'on agrandisse les superficies
de ceux qui ont les machines car avec leurs anciennes superficies, ils ne pourront pas
rembourser les frais de machine au bout de 5 ans comme prévu". On constate ici que ce
sont les autorités administratives qui jouent le rôle d'arbitre face à un conflit entre
encadreurs et paysans.
Quand on leur a demandé de former des groupes autour des différents "paysans
motorisés" selon les normes techniques (1 motoculteur travaille sur 10 ha/cycle), il y a eu
des groupes de 7 personnes et d'autres de plus de 20 selon les affinités, alors qu'il faut 13
personnes par groupe. Les encadreurs par le biais de leur chef ont dû faire appel à la
préfecture qui a convoqué les paysans. Ici les autorités administratives sont des
intermédiaires pour négocier les relations encadreurs/paysans. Elles sont donc impliquées
dans le fonctionnement du projet.
A la présentation de cet aménagement, on constate que ru l'irrigation, ni la
mécanisation préconisées comme innovations techniques n'ont été effectives. Alors
qu'est-ce qui confère à cet aménagement son caractère pilote? Dans le discours des
développeurs, tous les moyens sont censés avoir été mis à la disposition des encadreurs
et des paysans pour que ce projet soit un modèle applicable dans d'autres régions de Côte
d'Ivoire. On remarque que certes il y a eu d'autres sites aménagés, d'abord Tiébissou avec
le projet FED-Kan, puis Nianra, Ségbono et Nabyon avec le projet V ème FED, mais
chaque fois il a été question de projet pilote avec la Loka de Sakassou comme
aménagement "mère" autour de laquelle se greffent de petits essais (voir plus haut la
superficie de chacun des autres sites). Il semble tout simplement que c'est une manière de
drainer des fonds vers Sakassou.

153
En voulant introduire une innovation, ce projet a réveillé ou provoqué des
tensions, s'ingérant ainsi dans l'ordre social préétabli.
Conclusion partielle
En Côte d'Ivoire, on est passé de la vulgarisation sectorielle axée sur la
production de quelques cultures (café, cacao, coton etc.) avec des projets productivistes,
à une vulgarisation polyvalente avec des projets de développement intégré par zone.
L'animation et la participation ont été et sont encore les fils conducteurs pour la
réalisation de ces projets (Voir en annexes un programme de formation coopérative
établi par la CIDV, 1992).

154
CHAPITRE 4
LES ACTEURS DU DEVELOPPEMENT AGRICOLE A SAKASSOU
Nous ne présentons pas ici tous les acteurs: par exemple les commerçants, les
travailleurs de la ville qui ne sont pas encadreurs, les instituteurs, infirmiers, etc., bref, le
reste de la population de Sakassou, les acheteurs de produits à Sakassou ou venant
d'ailleurs, et bien d'autres personnes. Certes l'analyse stratégique nous indique qu'ils
interviennent d'une manière ou d'une autre dans les opérations de développement (en tant
que contacts stratégiques ou autres), mais nous ne présentons que quelques acteurs,
parce qu'ils sont ceux qui rentrent le plus souvent en scène. Nous avons choisi le critère
de la fréquence d'énonciation des autres acteurs (par les paysans et par les encadreurs).
Cette présentation n'est donc pas exhaustive.
4.1 LES ACTEURS DIRECTS
4.1 .1 Les paysans
Par ordre d'importance, ils viennent en premier, parce que directement concernés
par les oeuvres des projets. C'est d'ailleurs en leur nom que se font les demandes de
fonds.
A Sakassou il y a les paysans de la Loka (projet de développement implanté à
Sakassou depuis 1981), tous regroupés sur un même espace (un aménagement hydro-
agricole) et qui cultivent le riz irrigué, et sont encadrés par la CIDV. Certains parmi ces
paysans pratiquent d'autres cultures (igname, maïs, coton, etc.) en d'autres lieux, sont
encadrés ou pas par d'autres structures telles la CIDT ou la SATMACI ou la SODEPRA

155
(pour l'élevage). Il y a également les paysans qui ne sont pas sur la Loka. Ils font de la
riziculture pluviale et/ou d'autres cultures comme le café, le cacao, l'igname, le maïs,
l'arachide, le coton. Les paysans des cultures vivrières sont encadrés par l'agent CIDV du
secteur informel, ou les agents de la CIDT. Pour le café et le cacao, l'encadrement est
assuré par la SATMACI. Le coton est essentiellement encadré
par la CIDT. La
SODEPRA elle, s'occupe de l'élevage dans la région. Les paysans qui font plus d'une
culture sont parfois suivis par deux ou plusieurs encadreurs de structures différentes.
Le projet Loka étant le plus important dans la région, nous avons interrogé les
106 paysans qui y sont depuis que nous menons nos enquêtes sur ce projet (1986): Les
autres paysans de Sakassou sont interrogés au hasard des rencontres.
4.1 .1.1 Sexe et Age
Dans la région, très peu de femmes sont chefs d'exploitation. A la Loka par
exemple, il y a 7 femmes chefs d'exploitation, contre 99 hommes.
Les femmes en tant qu'exploitantes ont assez rarement des relations conflictuelles avec
les agents d'encadrement; quand il y a des conflits, c'est par personne interposée: soit le
mari pour celles qui sont mariées, soit le frère.
Concernant l'âge, si 56,6% des exploitants inscrits sont des jeunes de 25 à 45 ans
à la Loka l, la majorité des autres exploitants de Sakassou sont des vieux (à partir de 55
ans). Le faible pourcentage des jeunes est du aux nombreux départs saisonniers
communément appelés "6 mois"; les jeunes vont dans les régions forestières faire du
métayage ou dans les grandes villes en vue d'obtenir un quelconque revenu.
L'âge des paysans est assez souvent présenté par les encadreurs comme facteur
de conflits de générations ou conflits de compétence: les vieux se disant plus compétents
1Au démarrage du projet, il n'y avait que 17 jeunes. C'est seulement à partir de 1983 (soit après deux
récoltes), que les 39 autres ont été recrutés. Mais, tous partent en saison pluvieuse ou sèche selon les cas
pour les "6 mois".

156
que les jeunes "enseignants" par exemple. L'âge joue également dans les relations d'amitié
entre encadreurs et aussi entre encadreurs et paysans. S'agissant du projet Loka p,ar
exemple, le CP. (chef de périmètre) et le MPV A (moniteur des productions végétales et
animales), tous les deux jeunes, ont plus d'amis jeunes dans l'aménagement. Par contre
les deux CA (conseiller agricole) -journaliers, qui eux ont la quarantaine, se lient plus
facilement d'amitié avec les "vieux".
4.1.1.2 Situation matrimoniale
Le nombre de paysans non mariés est infime. La plupart sont mariés à l'état civil
ou selon la coutume (mariage traditionnel), et gèrent une grande famille. C'est ainsi que
72,7 % des paysans de la Loka sont mariés, 20,1 % sont célibataires, et le reste des
veufs. Comme nous le verrons plus loin, la situation matrimoniale a parfois un impact sur
le tissage de relations amicales entre encadreurs et paysans. Un paysan non marié est
logiquement plus "libre" pour sortir avec un encadreur le soir. Mais en même temps chez
les encadreurs, fréquenter un paysan marié, est une preuve qu'on est "sérieux".
4.1. 1.3 Niveau d'étude
La majorité des paysans de la Loka est analphabète (soit 71,7 %), c'est-à-dire ne
sait ni lire ni écrire le français, n'est jamais allée à l'école. Parmi les "lettrés", il y El 9
déscolarisés: ils ont arrêté leurs études soit parce qu'ils ont été exclus de l'école, soit
parce qu'ils n'avaient pas les moyens de continuer la scolarité. Les autres paysans
"lettrés" sont pour la plupart des retraités. Les paysans qui ne sont pas sur le projet Loka
de Sakassou sont également majoritairement analphabètes. L'analphabétisme des paysans
pose un grand problème aux encadreurs, s'agissant de la transmission des messages

157
techniques. Le choix d'une langue d'enseignement est ici déterminant du type de relations
professionnelles encadreurs/paysans par exemple.
4.1 .1.4 Origine géographique et origine sociale
Les paysans sont tous principalement originaires de Sakassou et de sa région. Il y
a aussi des paysans non ressortissants de cette région; des Maliens et Burkinabés, y
vivent depuis des décennies mais sont considérés comme des étrangers. Il y a également
des Ivoiriens non originaires de Sakassou. L'exemple de la Loka montre que 27,2 % des
paysans sont des Maliens, 6,1 % des Ivoiriens non originaires de Sakassou, 2,1 % des
Burkinabés, et 64,6 %
originaires de Sakassou et sa région. En gros, la plupart des
paysans de Sakassou parlent Baule et/ou Dyula.
Précisons que l'accès aux cultures pérennes est essentiellement réservé aux autochtones
(cf. présentation de Sakassou, chapitre 1). Cela fait qu'on retrouve la majorité des
paysans "étrangers" sur le projet Loka, dans la riziculture pluviale, et dans la pratique
d'autres cultures vivrières. Ceux qui ont des plantations de café, de cacao ou de coton,
les ont obtenu par le mariage avec une fille de la région; le plus souvent d'ailleurs ces
plantations appartiennent à cette épouse qui la lègue à son époux.
Si aujourd'hui, il y a une prédominance des Walèbos inscrits sur l'aménagement
de la Loka, cela n'était pas le cas au démarrage du projet. Les allochtones étaient les plus
nombreux inscrits et travaillant dans l'aménagement. Les bas-fonds des Walèbos étaient
inexploités ou servaient à la pêche, ou bien prêtés à des "djoura" (étrangers maliens ou
burkinabés) pour la culture du riz pluvial. On remarque qu'aujourd'hui, il y a certes plus
d'autochtones inscrits officiellement, mais ce sont les allochtones qui sont majoritaires

158
officieusement; ce sont eux qui exploitent réellement l'aménagement: des contrats les
lient aux vrais propriétaires que sont les Walèbos.
Concernant l'origine sociale, on remarque des notables, chefs de village ou
descendants de la reine Abia Pokou parmi les paysans qu'ils soient sur la Loka ou
ailleurs. Cet état de fait influence les rapports professionnels ou extra-professionnels
encadreurs/paysans, les relations paysans/paysans, ou même celles entre encadreurs et
administration, surtout que Sakassou est considéré comme le fief de la royauté baule (cf
chapitre 1, "histoire du peuplement").
4.1 .2 Les structures d'encadrement
Nous n'avons pas consacré une partie au Ministère de l'agriculture mais il est
évident qu'en évoquant les structures d'encadrement ici et les bailleurs de fonds dont le
gouvernement ivoirien plus loin, il s'agit implicitement de la politique du Ministère de
l'Agriculture.
Trois structures encadrent les paysans à Sakassou et sa région: la Compagnie
Ivoirienne pour le Développement du Vivrier (CIDY), la Société d'Assistance Technique
pour la Modernisation Agricole (SATMACI) et la Compagnie Ivoirienne pour le
Développement des Textiles (CIDT). Malgré des dénominations qui laissent croire à une
spécialisation de ces structures, elles sont polyvalentes et parfois "concurrentes (...)
chacune essayant d'élargir son champ d'action" (Koné, 1991: 49), d'autant plus que les
mêmes paysans sont parfois encadrés par des structures différentes et, comparent de ce
fait les rapports entre qualité des prestations de service de chaque structure, les coûts de
ces prestations, la présence physique que cela nécessite et les profits qu'ils pourraient en
tirer.

159
A Sakassou, il y a également la société pour le développement des produits
avicoles (SODEPRA) qui s'occupe d'élevage dans la région (avec un encadreur), et le
SADR qui a deux agents, que nous n'étudierons pas dans ce cadre.
Quelles sont les activités menées par ces structures et comment se présentent elles?
4.1 .2.1 La cmv
A Sakassou, c'est la structure qui encadre le projet Loka.
Sur arrêté ministériel, la CillY absorbe l'Office des Semences et Plants (OSP) et la
Société pour le développement des fruits et légumes (SODEFEL) le 8 novembre 1991.
Présentation
La compagnie ivoirienne pour le développement du vivrier est un établissement
public à caractère industriel et commercial (EPIC), né de la transformation de l'ex-
SODEPALM. C'est un organisme de vulgarisation créé par décret présidentiel le 2 mars
1988 pour la promotion et la valorisation des productions alimentaires (les céréales, les
tubercules et le soja), et aussi la promotion des mouvements coopératifs et l'installation
des jeunes agriculteurs modernes (IJAM). Il est à ce titre chargé d'encadrer les paysans,
de gérer les aménagements agricoles (périmètres), de moderniser les exploitations
agricoles, de suivre la commercialisation et la transformation des produits vivriers en
produit fini.
Selon le directeur national de cette structure d'encadrement, "la mission de la CillY
consiste à apporter des concours de l'Etat aux paysans au plan de la formation technique,
au plan de l'information, et au plan du conseil technique. Deuxième volet de notre
mission, quand l'Etat peut mobiliser un certain nombre de moyens, au plan matériel et des
ressources en direction du monde paysan, la CillY peut, de son côté, canaliser ces
moyens afin qu'ils parviennent effectivement aux paysans. Un exemple, les dons de

160
certains pays amis... La CillV est une institution de vulgarisation et une structure qui vit
de subvention..."2
Autrement dit, la CillV est intermédiaire entre l'Etat et les paysans d'une part, et
intermédiaire entre la recherche et les paysans d'autre part. De ce deuxième point de vue,
elle se charge de diffuser des thèmes de vulgarisation qui au départ étaient émis sous
forme de recommandations techniques par la recherche.
Organisation (et types d'opérations menées)
L'action de la CillV s'étend sur le territoire national subdivisée en DR, Directions
régionales: région Nord, région Sud, région Centre. Chaque région comprend des DD
(Délégations régionales) ayant en leur sein des secteurs de développement dans lesquels
travaillent des conseillers agricoles.
• Les DR (Directions Régionales): le Directeur régional est le représentant du directeur
général dans sa région. Il gère et contrôle toutes les activités de la CillV sur le terrain.
• Les DD (Délégations Départementales): leur rôle est d'animer les programmes et de
contrôler leur exécution afin que la vulgarisation ait des retombées favorables sur la
production agricole et sur le revenu des paysans; et ce, par un encadrement plus
rapproché.
Un délégué départemental (DD) est responsable des programmes d'organisation et
d'exécution coopérative; il contrôle les dossiers de crédits et de commande d'intrants. Il
est le représentant du DR dans son département.
Avec les DR, le DD traite des questions relatives à la politique agricole du département.
Il est conseillé au DD de travailler en étroite collaboration avec les responsables
2 Cf. Fraternité matin, 8111: 6.

161
administratifs (préfets, sous-préfets), les responsables politiques (députés, maires,
), les
responsables coutumiers (chefs de village, chefs de canton, chefs de tribus,
), les
organismes et sociétés de développement sous la tutelle du ministère de l'agriculture et
du développement rural de sa circonscription préfectorale. Ces collaborations si elles
s'avèrent nécessaire, aident le DD et les encadreurs à sensibiliser les populations
paysannes aux programmes de développement définis par le gouvernement.
Au sein de sa structure, il collabore avec les responsables de l'opération, les techniciens
spécialisés, les chefs de cellules, les chefs de services, les assistants de développement et
le personnel de la CillV sous ses ordres.
Le DD doit pouvoir distinguer les besoins des populations afin de les insérer pour la
définition des programmes, les prévisions gouvernementales. Il participe au choix des
lieux à aménager (les bas-fonds rizicoles par exemple). Il est chargé de l'application de la
politique d'installation des jeunes agriculteurs sur les aménagements agricoles. Il doit
gérer le personnel mis à la disposition de sa délégation: contrôler les absences, signer les
ordres de mission, noter le personnel par exemple. Il doit aussi gérer les biens mobiliers
et immobiliers de la CillV dans sa délégation.
Tous les 15 jours et tous les mois, il doit participer aux réunions avec la DR. Il doit
présenter des rapports d'activité trimestriels et annuels au DR.
Par des visites (officielles ou non), il contrôle les activités des chefs de secteur et des
conseillers agricoles: bonne tenue des documents de travail, des journaux de bords,
utilisation et consommation des intrants, du carburant, des pièces de véhicules, ...
Dans la plupart des cas, le DD est soit ingénieur des techniques agricoles (lTA), soit
ingénieur agronome (lA) qui doit avoir "une expérience suffisante:
des problèmes du
terrain, en agronomie et techniques tropicales générale concernant les cultures pratiquées
dans le département ou plus particulièrement pour celles encadrées par la CillY, en
gestion des services de l'administration publique. Il doit avoir la capacité de coordonner

162
les activités à caractères administratifs et privés. Appelé à traiter avec un nombre
important d'interlocuteurs, il doit avoir des qualités lui permettant d'entretenir de bonnes
relations hurnaines'v.

Les secteurs: ils constituent le dernier échelon dans la hiérarchie descendante de
la CillY. Ils sont directement concernés par l'encadrement des paysans et s'occupent
concrètement de la vulgarisation. Ils sont dirigés par des chefs de secteur (C. S.) qui sont
des intermédiaires entre le DD et les encadreurs de base.
Le secteur de Sakassou a la particularité d'être dirigé par un chef de périmètre. Dans le
cas de Sakassou, on parle de chef de périmètre parce que ce secteur dispose d'un
périmètre rizicole irrigué, et les travaux sur le périmètre constituent les activités
principales du secteur; ce qui justifie le fait que 2 des 3 conseillers agricoles (CA) s'en
occupent.
Le personnel CillY à Sakassou
Le chef de périmètre (CP) de Sakassou est un ingénieur des techniques agricoles. Il Cl 7
"employés" sous ses ordres: 3 conseillers agricoles dont deux sur le projet Loka et 1 hors
du projet appelé "encadreur du secteur informel" (c'est-à-dire hors projet Loka: il
s'occupe des paysans qui se sont installés à leur propre compte), 2 gardiens, 1 tractoriste
et 1 mécanicien. Tous ces "employés" (encadreurs ou non), participent pleinement à la
vie du projet Loka, chacun ayant parfois des rôles autres que ceux qui lui sont assignés
par la CillY, comme nous l'indiquerons dans les chapitres suivants.
Dans son organisation sur papier, on ne sent pas de rigidité structurelle, on, ne
sent pas de blocage des différents systèmes de valorisation et de reconnaissance de
3 Koffi (1988: 8).

163
l'encadreur. Chaque "employé" a une fonction bien défini. Mais la réalité est différente et
nous allons le montrer plus loin (au chapitre 5), dans le fonctionnement réel des
structures d'encadrement de Sakassou.
La méthode d'encadrement (modalités d'intervention)
Elle demeure un facteur essentiel de transfert de technologie car elle permet
d'enseigner et de faire appliquer aux paysans des techniques, méthodes et technologies
améliorées en les intégrant dans leur système de culture: en fait c'est une démarche
éducative.
Depuis 1989, les encadreurs de la CillV à Sakassou appliquent la méthode Benor
mais à leur manière car la Formation et les Visites a des failles dont n'ont pas tenu
compte les initiateurs dans le contexte ivoirien: c'est désormais "le Benor à l'ivoirienne"
ou "Benor à la sauce CillV".
Dans son élaboration par exemple, les initiateurs de cette méthode n'ont pas pns en
compte le poids de l'action répétitive. Un délégué départemental (DD) explique que
"nous avons remarqué qu'avec le F&V, il Y a beaucoup de visites dans l'année sur la
même parcelle. Aufil du temps, le CA n'a plus rien à dire aux paysans, qui ne sont plus
intéressés par la formation et ne viennent plus. Chez nous, avec le F& V remodelé:
1) Les paysans ne sont pas obligés de participer à la mise en place des parcelles
modèles.
2) Le paysan modèle accepte lui-même qu'on travaille sur sa parcelle. Il sert de point
de mire. C'est chez lui qu'on applique les techniques et les autres paysans sont
intéressés ou pas, ils ne sont pas obligés d'appliquer ces techniques sur leurs parcelles.
Comme à la F&V, nousfaisons des programmes de visites et des cartes de zones mais le
CA peut modifier son programme en fonction des contraintes du terrain, à condition

IV~
qu'il dise à l'organisation de base (OB) où il se trouve de telle sorte qu'on puisse suivre
son itinéraire en cas de visites surprises".
A Sakassou, les paysans sont regroupés par bloc ou par village. Chaque groupe de
paysans a 1 PM (paysan motorisé) qui est en quelque sorte le "leader" du groupe. C'est
.lui qui reçoit les enseignements des encadreurs et les "conseille" aux membres de son
groupe. Il est tenu d'être présent à chaque séance de formation avec les encadreurs. Il y a
au total 13 Paysans Motorisés parmi les anciens paysans; ils sont repartis dans les
Organisations de Base (OB).
4.1 .2.2 La CIDT
La Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles est une société
d'économie mixte créée en 1973, et qui a remplacé la CFDT4, Compagnie Française pour
le Développement des Textiles. La Côte d'Ivoire fournit 55 % du capital et la CFDT
(France) en octroie 45 %.
Elle s'occupe de la promotion du développement agricole régional en zone de savane (le
nord, le nord-ouest, le nord-est et le centre): production, commercialisation du coton-
graine, modernisation des exploitations par l'introduction de la culture attelée et aussi de
la motorisation, traitement du coton-fibre. Dans certaines zones, elle s'occupe aussi de
l'amélioration des cultures vivrières et de la riziculture, suite à la dissolution de la
SODERlZ qui initialement s'en occupait.
Son siège est à Bouaké (capitale du centre) et son action s'étend vers les régions
d'Odienné, Boundiali, Korhogo, Ferké, Séguéla, Bouaflé, Touba, Yamoussoukro,
Bondoukou, Mankono et Bouaké (Sakassou fait partie de la région de Bouaké).
4Créée par l'Etat français en 1949 (Campbell, 1984).

165
La CIDT a une Direction générale à Bouaké à l'intérieur de laquelle, il y a une
direction administrative, 1 direction comptable, 1 direction financière,
1 direction
agricole, 1 direction commerciale et 1 comité de coordination.
La direction agricole se subdivise en 3 directions régionales (nord, centre, ouest). Les
directeurs régionaux ont pour mission de faire exécuter au niveau régional, les décisions,
les orientations de la direction agricole. Au sein de chaque direction régionale, se
trouvent des agents d'encadrement chargés d'assurer le conseil technique aux paysans
pour la réalisation des cultures ci-dessus nommées, de fournir également des intrants, du
matériel agricole, de recenser les besoins et problèmes agricoles des paysans. Ces agents
sont eux-mêmes dirigés par des chefs de zone (ce qui correspond aux chefs de secteurs à
la CIDV).
La modernisation et la mécanisation de l'agriculture sont les maîtres mots de la
CIDT. Elle travaille en étroite collaboration avec l'Institut de Recherche sur le Coton et
les Fibres textiles (IRCT) de l'Institut Des Savanes (IDES SA), un institut de recherche
basé à Bouaké. Comme l'Institut de Recherche sur le Café et le Cacao (IRCC), l'IRCT
fait aussi de la Recherche/Développement; les essais se font sur les stations principales
(une) et régionales (trois) de l'IDESSA, et aussi sur les points d'appui (PA) dont dispose
la CIDT. On remarque ici que d'une structure à une autre le nom des parcelles ou
exploitations de démonstration change (pO pour la SATMACI, PA pour la CIDT).
A la différence de la CIDV, la CIDT commercialise elle-même le coton des paysans
qu'elle transporte et stocke en magasin.
La CIDT applique la méthode Benor. Les agents de base y sont désormais appelés
conseillers agricoles (CA) au lieu de moniteurs comme auparavant.
"Le système Benor est bien parce que avant, avec la méthode traditionnelle, certains
encadreurs passaient des jours sans arriver dans un vil/age. Ils étaient plus réguliers
chez les paysans avec qui ils ont des affinités parentales ou amicales. Benor permet de

166
contrôler les encadreurs dans leurs activités" (un encadreur de la CIDT). Les
encadreurs ne voient que l'aspect "contrôle" dans le système Benor.
Concernant le coût des prestations de cette structure, le représentant de la
structure explique que "à la CfDT, toutes les prestations sont gratuites sauf l'engrais et
les herbicides. Même les appareils sont gratuits. On les donne aux paysans et à lafin de
la campagne, on regroupe les appareils au magasin à Sakassou".
Signalons qu'à la CID V, structure étatique, toutes les prestations sont payantes
bien que certaines soient subventionnées. Le paysan encadré à la fois par la CIDV et par
la CIDT fait des comparaisons entre les deux structures au niveau des prestations.
4.1.2.3 La SATMACI
La SATMACI est une Société d'Assistance Technique pour la Modernisation
Agricole de la Côte d'Ivoire. C'est une société d'Etat créée en 1958. Comme activités,
elle s'occupe principalement de l'encadrement pour le café et le cacao en moyenne Ohe
d'Ivoire, dans la zone forestière sud et centre du pays. Secondairement, depuis 1978,
année où la SODERIZ a été dissoute, elle encadre également des vivriers dans sa zone
d'action. Son siège est à Abidjan, tandis que Daloa, Gagnoa, Abengourou, San-Pedro et
Man se partagent les directions régionales. L'organigramme de cette structure est sous
une forme aussi pyramidale que celui de la CIDV, les agents de base étant le dernier
maillon intermédiaire entre la SATMACI et les paysans. La SAJ:MACI collabore avec
une institution de recherche: l'Institut de Recherche sur le Café et le Cacao (IRCC), qui
fait des programmes de recherche sur les cultures ci-dessus nommées dans ses propres
stations au nombre de 4, ou sur des points d'observation (PO) -il y en a 7- de: la
SATMACI
ou
encore
sur
des
exploitations
agricoles
de
planteurs
(c'est
la
RecherchelDéveloppement: R/D).

167
A Sakassou, la SATMACI dispose de Il agents d'encadrement repartis entre 120
villages, dont 9 moniteurs (conseillers), 1 conseiller de gestion et de groupement (CGG)
et 1 superviseur qui lui, détient le programme des agents. à partir de ce programme on
peut les joindre. Le superviseur est en quelque sorte le chef des agents. Il leur donne des
appuis et renforce l'encadrement.
Comme méthode d'encadrement, la SATMACI pratique le F&V depuis 1986:
"nous avons des groupes de contact sur un même axe; nous avons un cycle régulier de
visites de 15 jours". L'encadreur établit une carte de secteur avec les axes, les noms de
villages encadrés, la superficie des vergers dans les villages, les jours tabous. Sur deux
vendredis, l'un est réservé pour la formation des paysans et l'autre pour les réunions entre
les agents et le superviseur.
Dans les années 1970, la SATMACI était "gérée et animée selon les principes de
la Direction Participative par Obiectifs5" (AfCA-SIPCA, 1989: 54)). Nous avons déjà
signalé que la participation par objectifs (PPO) est une méthode d'encadrement et de
recherche intiée par la GTZ (Allemagne) et dénommée ZOPP en allemands. Il est
important de remarquer ici la succession des méthodes d'intervention ou d'encadrement
au sein d'une même structure.
La SATMACI encadre ici plus de café que de cacao. En effet, selon le
superviseur, "Sakassou n'est pas une zone cacaoyère; notre action est essentiellement
orientée vers l'encadrement du café, et nous dirigeons aussi les GVC par le biais du
CGC". Selon le sous-préfet, la région de .Sakassou produit environ 1600 tonnes de
café/an, alors que le cacao n'est produit qu'à 150 tonnes/an..
5 Ce sont les auteurs qui soulignent.
6 Cf. chapitre sur la problématique générale de l'encadrement

168
La présentation des différentes structures nous fait remarquer que les circuits
d'information, de contrôle et de communication de la Direction générale aux paysans, est
quasiment la même d'une structure à l'autre; les subdivisions sont sensiblement les mêmes
mais changent de nom selon les structures. L'organisation hiérarchique est pyramidale.
On constate également que toutes les structures pratiquent la même méthode
d'encadrement, bien que n'encadrant pas toutes le mêmes cultures. Elles pratiquent toutes
la Recherche/Développement et collaborent ainsi avec des instituts de recherche
nationale et/ou internationale. Elles dépendent toutes du Ministère de l'Agriculture même
si elles n'ont pas toutes le même statut (société nationale ou société à économie mixte).
4.1 .3 Les encadreurs agricoles
4.1 .3.1 Quelques portraits
Ces portraits sont fonction de l'histoire de vie, de la trajectoire et de l'expérience
professionnelles des encadreurs et aussi du rôle ou de l'importance de chaque encadreur
du point de vue des paysans, des autres encadreurs ou de sa structure; certains ont ainsi
une présentation plus courte que d'autres.
Koffi Kouamé ( crnvj
Il est né en 1964. Il est Baule agha, originaire de la sous-préfecture de Bouaké. Il
est marié coutumièrement et père d'un enfant avec une femme originaire de Diabo dans le
département de Bouaké. Ses parents sont agriculteurs, mais son père fait partie de ceux
qu'on appelle en Côte d'Ivoire "les grands planteurs" (propriétaire de grandes plantations
de café et de cacao).
Titulaire d'un Baccalauréat série D en 1985, il passe plusieurs concours dont celui
d'entrée à l'Institut agricole de Bouaké auquel il est reçu. Bien que ce soit en réalité le

169
hasard de la réussite qui l'a amené à une telle profession, Kouamé explique que ''je suis
venu à l'encadrement par vocation".
Après 2 ans de formation dans cet institut, il obtint son diplôme d'Ingénieur des
techniques agricoles (ITA) etest affecté à Yamoussoukro sur le projet Yabra en 1989.
Quelques mois plus tard, il est affecté à la CillV de Sakassou où vient de naître un
projet: le V ème F.E.D. qui remplace le projet FED-Kan: ''je suis arrivé à Sakassou sur
proposition de mutation pour apporter mon savoir, mon expérience de périmètre et mon
dynamisme à ce périmètre qui était en perte de vitesse". Il Y exerce de 1990 à 1992 la
fonction de chef du périmètre. Il dirige 525 paysans, 3 conseillers agricoles (CA), 2
gardiens, 1 tractoriste et 1 mécanicien.
Il se considère comme acteur du développement de Sakassou: ''je participe au
développement de la région de deux manières:
1) par la nature de mon travail, j'aide les paysans à améliorer leur production rizicole,
et donc à améliorer leur revenu.
2) de par ma présence à Sakassou, je fais rentrer des devises dans cette ville: location
maison, achat nourriture, habits, etc.".
Comme loisirs, Kouamé aime regarder la télévision même si "à Sakassou c'est très
souvent en panne", il adore le football, faire des pique-niques, et lire.
Ses projets sont les suivants: "être propriétaire d'une habitation, être propriétaire d'une
ferme agro-pastorale, poursuivre encore mes études".
Depuis 1992,11 est affecté à Grand-Lahou comme délégué départemental (DD).
Kouadio Nguessan Jérôme (CillY)
Sa présentation est un peu plus longue car c'est un personnage central dans le
projet Loka; tous les encadreurs et tous les paysans ont recours à lui dans les cas de
conflits ou de problèmes quelconques. A l'image des jeux de cartes, on pourrait dire que

170
c'est le joker dans les situations délicates bien qu'il soit également compétiteur dans
certaines situations.
Né en 1951, il est Baule de la sous-préfecture de Bouaké. Après l'obtention du BEPC, il
est orienté en classe de seconde C où il arrête les études. En 1970, il est recruté sur
dossier pour faire de l'animation rurale jusqu'en 1972; il est alors conseiller d'animation
rurale à Béoumi. Pour l'animation rurale, il a été formé sur le tas pendant 6 mois. En
1973, il est engagé à l'Aménagement de la Vallée du Bandama (AYB), grande structure
de développement rural en tant que responsable de pays rural. Il y pratique l'encadrement
agricole, notamment l'animation rurale jusqu'en 1981, bien qu'il n'ait pas de diplôme
d'encadrement; il a reçu une formation sur le tas pendant 3 mois et a fait un stage à la
CFAE. Les deux formations qu'il a reçues portaient sur l'agriculture générale, l'animation
et l'encadrement des Groupements à Vocation Coopérative (GVC). A la dissolution de
l'AYB, il est mis à la disposition du DAPE (domaine agricole périurbain de l'Etat) de
1981 à 1984 pour encadrer les paysans recrutés pour le nouveau projet FED-Kan à
Sakassou. Déjà en 1979, il a participé à tous les comités de sensibilisation de la
population avant la création du projet de développement agricole de la Loka. Avec
Lossouam, responsable du DAPE, ils ont sillonné les villages walèbos. C'est lui qui était
intermédiaire entre Lossouam et les populations en ce sens qu'il interprétait les messages
baule en français et vice-versa. Il a ensuite participé à l'identification des plantations
détruites. Il assumait la fonction d'assistant d'exploitation. Il était ainsi l'adjoint au chef
qui l'avait lui-même nommé à ce poste. Le DAPE encadrait non seulement le riz irrigué,
mais aussi des cultures sèches faisant aussi partie du projet: le maïs, l'igname, l'arachide
et le coton. De 1984 à 1985, Jérôme est sous le commandement du BETPA qui lest
désormais la structure d'encadrement, le contrat du DAPE-BDPA7 arrivant à expiration;
le responsable du DAPE continue de travailler néanmoins. Jérôme n'est plus assistant
7DAPE: Domaine Agricole Périurbain de l'Etat
BDPA: Bureau pour le Développement de la Production Agricole.

171
d'exploitation; le BETPA étant une structure étatique, un fonctionnaire a été affecté à
Sakassou et nommé adjoint à Lossouarn. Après cette année, Je BETPA est dissout le 04
septembre 1985 et c'est la SODEFEL qui a en main la destinée du projet de 1986 à 1989.
Le précédent chef rentre en France, son adjoint est nommé responsable de la SODEFEL
à Sakassou. De nouveau, Jérôme est mis à la disposition d'une autre structure: la
SODEFEL. Sa fonction n'a pas changé, il reste encadreur mais est assistant d'exploitation
jusqu'en 1988, mais son salaire est aligné sur celui des Etablissements Publics Nationaux
(EPN). Il est moins payé et a maintenant le statut de journalier (contractuel); sa femme le
quitte et il se remarie plus tard. A ce propos, Jérôme nous dit que "les dissolutions de
sociétés provoquent des divorces et font multiplier les enfants avec plusieurs mères...
Avec 30 000 F, je paye aujourd'hui les cours de 4frères et 6 de mes enfants ... J'ai fait
19 ans avec ma femme. Depuis, avec ma nouvelle situation, elle est partie en me
laissant les enfants. Dans ces conditions, comment voulez-vous que je me sacrifie pour
le paysan qui vit d'ailleurs mieux que moi. C'est le Président lui-même qui a dit qu't'un
homme qui a faim n'est pas un homme libre". Alors chacun de nous se débrouille
comme il peut. ,,8.
Le 1 er octobre 1989, la CIDV remplace la SODEFEL sur le projet et Jérôme
contractuel de cette nouvelle structure gagne 52 000 F de salaire alors qu'au DAPE et au
BETP A il gagnait 95 000 F.
Comme langue de travail, il parle le français, le baule (sa langue) et le dyula (langue
beaucoup parlée en Côte d'Ivoire).
Jérôme a aujourd'hui 17 personnes à charge à Sakassou. Pour s'en sortir, il a "un champ
d'igname pour la nourriture de lafamille et du manioc pour la vente". Ces champs, il
les a obtenu en négociant avec les autochtones.
8 Cette citation de Jérôme a été recueillie lors des enquêtes de 1987, sous l'égide de la SODEFEL.

172
Un de ses souhaits, c'est de rentrer à la fonction publique afin de sortir de cette
"précarité" qu'il subit. Il ne souhaiterait d'ailleurs pas quitter Sakassou et ce projet tant
qu'il n'est pas fonctionnaire car dit-il, "ma situation administrative reste inchangée, c'est
ce qui m'empêche de solliciter une affectation car je suis un peu protégé par le projet à
Sakassou, qui est Je mieux vu en Côte d'Ivoire".
Il souhaiterait aussi avoir une promotion dans son travail car dit-il "l'encadreur est sans
promotion. Il est toujours très mal payé. Il ne reçoit ni prime de soleil, ni matériels
suffisants pour les
travaux.
Les affaires
administratives d'avancement
et de
régularisation de situation sont négligées". Comme autre souhait, "nous voudrions avoir
aussi des syndicats pour être écoutés".
Depuis 1992, il a un nouveau chef qui est assistant des productions végétales et animales
(APVA), "il n'a jamais fait de riz irrigué. Par là, ma souffrance triple au niveau des
activités" (Jérôme, le 28/06/93).
Jérôme dit pratiquer ce métier, parce que ''j'aime beaucoup le métier de l'agriculture".
Ndouba Georges (CillY)
Né en 1963, il est Agni (l'Est du pays). Avec le BEPC, il est MPVA (moniteur
des productions végétales et animales). Il est fonctionnaire. Il a d'abord travaillé au
ministère du développement rural et fut ensuite affecté (à la création de la CillY) à
Katiola où il encadrait du riz pluvial. En 1991, il est muté à Sakassou sur le projet. C'est
sa première expérience d'encadrement du riz irrigué. Pour cette raison, il a été affecté àlla
rive droite sur seulement 62 hectares alors que Jérôme l'ancien, se charge des autres
surfaces. Pour incompétence, Georges serait depuis 1992 affecté au secteur "informel",
c'est-à-dire qu'il est désormais chargé d'encadrer les paysans qui sont installés à leur
propre compte dans la région de Sakassou, et qui doivent être encadrés par la CillY. Il
est remplacé sur le projet par Etienne qui auparavant était au secteur informel.

173
Koffi Bertin (CIDT)
Koffi Bertin, 43 ans, est conseiller agricole (CA). Il est à Sakassou depuis 1989.
C'est le seul encadreur cmT de la ville de Sakassou (les autres sont dans les villages). Il
est Baule mais du sous-groupe godè de Béoumi (environ 35 kilomètres de Sakassou). Il
est entré à la CIDT en 1970 où il a commencé le métier d'encadreur sans diplôme.
Auparavant, Bertin était "élève à Bouaké. En 6 ème, on m'a choisi pour le service
militaire, à l'issu duquel j'ai obtenu un "certificat de fin de stage" à l'école des cadres
du service civique (15 Août 1968). Là-bas, j'ai reçu une formation d'encadreur
agricole. Au service civique nous avons un test et en fonction des notes, chacun a été
orienté. Voilà pourquoi je suis à l'encadrement. Je n'ai pas choisi". Par la suite, en
1982, après des cours par correspondance à INADES-fORMATION-CI, il obtint une
"attestation d'apprentissage agricole 1 ère, 2 ème, 3 ème année".
Il a 10 enfants dont 7 scolarisés, 1 épouse qui vient du même village que lui.
Il a encadré 15 ans dans la région de Mankono (langue dyula) et 3 ans à Marabadiassa (le
dyula également). Sakassou est son premier poste baule.
Il est à Sakassou par décision de son ancien chef de zone (de Marabadiassa) à l'issue d'un
conflit avec les paysans: "les paysans ont volé des produits de l'ordre de 325 000 F
CFA9. Ils ont été emprisonnés suite à ma dénonciation. Ils étaient très mécontents. Pour _
éviter le pire, qu'ils ne me fassent du mal car ils m'en voulaient, mon chef de zone m'a
affecté à Sakassou, en remplacement de celui qui était ici; c'était une permutation. Il a
occupé ma maison à Marabadiassa et moi la sienne ici".
9 Ancien franc; depuis Janvier 1994, le CfA a été dévalué de 50 %.

174
Bertin s'occupe de l'encadrement du coton. A son arrivée à Sakassou, il a été présenté
par son prédécesseur à tous "ses" planteurs, puis "chaque village a envoyé un
représentant pour venir me dire "bonne arrivée", avec un peu de nourriture, poulet ou
autre". Il est allé se présenter aux responsables administratifs de Sakassou, 2 semaines
après sa venue à Sakassou, puis aux responsables politiques au cours d'une réunion
régionale, et enfin aux autres encadreurs de Sakassou.
Bertin a une mobylette pour joindre les paysans sur leur lieu de travail. "Ses" paysans de
contact sont éparpillés dans la région de Sakassou. Il encadre 5 villages, en raison dt: 1
village par jour, sauf le mercredi et le samedi où les paysans eux-mêmes ne travaillent
pas. Ces jours sont ainsi' utilisés par la CIDT comme des "jours de rattrapage":
l'encadreur peut passer voir des paysans pour des explications ou rester chez lui s'il :n'a
rien à faire.
Bertin souhaiterait que les encadreurs anciens de plus de 20 ans de service reçoivent une
médaille de décoration par la structure d'encadrement, le Ministère de l'Agriculture ou
par le Président de la république lui-même: "ça nous ferait plaisir et nous distinguerait
des nouveaux". Il souhaiterait également que les salaires de la CIDT soient révisés car
dit-il, "21 ans de service pour un tel salaire (135 000 FCFA) alors que le coût de la vie
est chère à Sakassou et augmente au fur et à mesure que les enfants grandissent, c'est
vraiment déplorable".
Kouamé Yao (SATMACI)
Kouamé Yao a aujourd'hui 28 ans. Il est originaire de Bondoukou (à l'Est idu
pays) et parle la langue koulango. Il est marié à une femme originaire de la région de
Guiglo (ouest du pays) et père de deux enfants. Après avoir fait échec au baccalauréat, il
passe un concours pour entrer à la SATMACI. Sakassou est son premier poste

175
d'affectation. Sa formation a duré 6 mois (3 mois de théorie et 3 mois de pratique). Il est
agent temporaire à la fonction publique et en tant que tel, il gagne 80 000 F net (97 269
F brut).
Cet encadreur habite Sakassou mais travaille dans des villages de la région. Il ne parle
que le français aux paysans: "Pour me faire comprendre, je m'adresse surtout aux
quelques déscolarisés ou instruits qui traduisent ensuite aux autres". "Si on me
demandait mon choix, je souhaiterais aller dans une région où on parle ma langue".
Tanoh Nyamien (SATMACI)
Nyamien a 45 ans. Il est Agni de Bongouanou. Marié à une femme d'Assandrè
(village de Sakassou), il a 15 enfants.
A la SATMACI de Sakassou, il est le superviseur (ce qui correspond au c.P. sur le
projet Loka ou C. S.); c'est lui le chef des encadreurs de sa structure à Sakassou.
Après son BEPC, il a passé le concours de la gendarmerie pour 9 mois de formation.
Mais après 7 mois, il reçoit un message de sa mère qui lui interdit d'être gendarme. Il
abandonne alors et passe le concours de la SATMACI. Une fois admis, il fait des stages
de formation.
De 1968 à 1969, il est encadreur agricole à Kouto (au nord du pays), de 1970 à 1974, il
est à Man. En 1974, il est mis à la disposition (détaché) de l'AYB à Sakassou. Cette
structure dissoute en 1980, Nyamien reprend sa place à la SATMACI. Il fait partie des
encadreurs "doyens" de Sakassou. Il est passé de moniteur à superviseur dans la même
région. Son rôle désormais est de surveiller les moniteurs: "j'ai le programme des
moniteurs. Je construis un programme à moi pour pouvoir suivre les moniteurs sans les
prévenir (c'est un moyen de contrôle). Le moniteur ne voit donc pas mon programme".
Pour cette fonction, il souhaiterait "avoir un véhicule de liaison entre Sakassou et
Yamoussoukro pour des
courses rapides". Il
souhaiterait
également
que
"le

176
gouvernement pense à rétablir les prestations gratuites des paysans, afin qu'ils soient
motivés".
Nyamien gagne 92 000 F en tant qu'agent temporaire de la Fonction publique: "C'est très
peu mais comme c'est difficile de trouver du travail, en tant qu'agent temporaire, j'ai un
pied dans la/onction publique et c'est une garantie de stabilité".
Ndri Jacques (SATMACI)
TI a 47 ans et est Baule du sous-groupe ayaou de Bouaflé. Ses parents étaient
agriculteurs. Il est marié à une femme Baule, et a 8 enfants. Comme diplôme, il n'a que le
CEPE mais a le niveau 4 ème; c'est en 4 ème qu'il décide de passer le concours d'entrée à
la SATMACr. Admis, il fait 3 mois de stage théorique à Bingerville et 21 jours de sta..ge
pratique à Divo. De 1968 à 1982, il est moniteur à Agboville. De 1982 à 1983, il ,est
affecté à Aboisso. A partir de 1983, jusqu'en 1987, il est à Daoukro, d'où il partira pour
Tanda jusqu'en 1991. Et depuis 1991, il est à Sakassou car il avait demandé à être muté
dans une ville ou région proche de sa région d'origine. Il regrette son acte car dit-il, "les
Baule de Sakassou ne sont pas gentils. Quand je suis arrivé ici, un de mes collègues m'a
présenté aux paysans et aux villageois. Mais ils ne m'ont pas reçu. Ils ne m'ont rien
donné en tant qu'étranger".
Comme rémunération, il gagne 68 000 F CFA comme salaire de base et 97 000 F CFA
net. Il projette de construire une maison pour sa famille et de faire de l'élevage. Ses
souhaits au sein dela SATMACI, c'est l'augmentation des salaires, le rétablissement de
certaines primes, et la création d'un syndicat pour défendre les encadreurs.
Malgré certaines différences, on constate des régularités dans les projets
personnels, revendications, trajectoires professionnelles et pratiques professionnelles des
encadreurs tant au sein d'une même structure que dans des structures d'encadrement

177
différentes. Peut-on dresser un profil socio-professionnel des encadreurs à partir de ces
portraits? C'est ce que nous essayons de réaliser dans la partie qui suit en utilisant
certains indicateurs.
4.1 .3.2 Quelques indicateurs
Il est pertinent comme indicateur du "poids social" de l'individu dans le groupe.
Un encadreur âgé d'une cinquante d'années par exemple paraît logiquement plus ancien
dans le métier que celui qui a la trentaine!", et pour ces deux raisons (l'ancienneté dans
l'âge et celle dans le métier), son avis ou ses revendications seront mieux écoutés à tous
les niveaux, que ce soit dans la structure d'encadrement ou parmi les paysans.
Dans les relations avec les paysans, l'âge est déterminant pour la vulgarisation des
messages. Les paysans semblent écouter un peu plus les encadreurs plus âgés, comme si
l'âge attestait d'une certaine expérience, une "sagesse", une compétence. Mais les paysans
plus âgés que les encadreurs mettent en avant leur propre âge et se dérobe à de
nombreuses formations sous le prétexte que "les jeunes n'ont rien à nous apprendre.
Quand ils naissaient, nous on faisait déjà l'agriculture" (le vieux Akoto Victor - oncle
du député de la ville- 1987). On voit bien que le rapport à l'âge intervient et influence les
relations encadreurs/paysans.
Un autre élément essentiel dont il faut tenir compte et qui est parfois associé à
l'âge, c'est l'ancienneté dans la ville. Elle peut être favorable pour l'encadreur dans ses
relations avec les paysans quand par exemple ils entretiennent de bonnes relations; c'est
l'exemple de Jérôme très écouté et très sollicité à la CillV: il a une connaissance du
milieu social et des règles du jeu tacite. Un nouveau venu pourrait se sentir à l'écart dans
une telle ambiance. Par contre, quand les relations ne sont pas bonnes, l'ancienneté dans
10 Cela n'est pourtant pas forcément vrai dans la mesure où le vieil encadreur peut avoir exercé
plusieurs métiers avant de devenir encadreur.

178
la ville est plutôt défavorable car les paysans s'associent ou simulent l'entente parfaite
avec les nouveaux encadreurs qui en sont conscients ou pas, non pas parce qu'ils sont
bien professionnellement mais pour rendre l'ancien jaloux, pour le fiustrer comme cela
s'est passé quand Kouamé de la CillV est arrivé, contre Diarrassouba Il. Dans certains
autres cas, la mise à l'écart ou l'association avec un nouveau, n'a rien à avoir avec un
quelconque précédent lié à des anciens ou à l'âge. Dans ce genre de situation, il faut
rechercher l'explication ailleurs. Ce témoignage de René de la SATMACI qui a eu des
difficultés professionnelles avec ses encadrés à son arrivée, nous en révèle par exemple
une. René est dans la région depuis "1972. Je ne voulais pas venir ici parce que j'ai
entendu que la population n'est pas accueillante et les gens ne travaillent pas bien.
Effectivement quandje suis arrivé, ils se sont comportés comme on me l'avait dit. Ils ne
voulaient pas se regrouper en coopérative. Ils ne s'occupaient ni de moi ni de ce que.je
leur proposais. Leur raison, c'est que ils sont des villages regroupés et créés par l'Etat;
donc s'ils travaillent, un jour ou l'autre, l'Etat va reprendre les caféiers". Les paysans
voient en l'encadreur le représentant de l'Etat; lui obéir, c'est obéir à l'Etat (awaen
Baule). En le boudant, on boude ainsi l'Etat. Un paysan de Assandrè explique pourquoi
c'est l'encadreur qui "encaisse" les coups de l'Etat: "quand on donne un message à la
fumée, c'est pour qu'il arrive à Dieu". Il y a là une image de l'Etat inaccessible. Dans
l'imagerie du paysan, par Etat, il faut comprendre aussi les bailleurs de fonds. Le point de
vue de ce paysan est explicite de la paternité dont il a été couvé par l'Etat; le paysan
_ pense que toutes ses actions sont pour l'Etat quand c'est l'encadreur qui les lui conseille.
Il boude ainsi l'encadrement pour ne pas avoir affaire à l'Etat.
Indépendamment des relations encadreurs/paysans, l'âge influence aussi les
relations encadreur/encadreur. Les plus âgés ont parfois un certain mépris des plus jeu~les
Il Nous exposons en détail cette histoire dans le chapitre 7 sur les relations extra-professionnelles des
encadreurs.

179
et vice-versa. Quand on prend la CIDV par exemple, on remarque qu'il y a deux jeunes
(Kouamé et Georges) l'un de 1964 (le c.P.), et l'autre de 1963 (le MPVA). Les deux
jeunes sont fonctionnaires tandis que les deux autres (les journaliers et plus anciens dans
le métier) ont la quarantaine et de surcroît n'ont aucun diplôme agricole. Si les deux
premiers en sont à leur première structure (et donc première expérience), les deux
derniers ont transité par plusieurs structures n'ayant pas les mêmes spéculations. Ils
disent avoir beaucoup plus d'expérience professionnelle que les autres qui n'ont que leur
diplôme. Côté salaire, leur ancienneté n'aura servi à rien puisqu'ils sont moins payés.
Les premiers (les jeunes) s'enorgueillissent du diplôme, du montant du salaire, de
la sécurité d'emploi (ils sont fonctionnaires), tandis que les autres (les "vieux")
brandissent leur expérience professionnelle. Il en est de même pour les autres encadreurs
de Sakassou. La majorité des encadreurs de la CIDT et de la SATMACI ont plus de 40
ans. Un seul agent y a moins de 40 ans (Kouamé Yao qui a 28 ans). Comme dans
l'exemple du projet Loka, les plus âgés allient "vieillesse" et "compétence", "vieillesse" et
"accumulation de connaissance", tandis que les "jeunes" disent vivre leur temps: le temps
moderne avec sa cohorte de savoir-faire technique et scientifique moderne.
Le problème soulevé ici est celui de la qualification. Bidart (1993: 102),
sociologue, fait le même constat dans un contexte géographique et institutionnel différent
(une entreprise de fabrication de semoule en France): "un autre clivage important est
celui qui divise les "anciens" et les "nouveaux"; la différence de qualification entre ces
deux catégories est au fondement de sa cristallisation: les nouveaux sont plus qualifiés, et
accèdent souvent directement à des postes de responsabilité en "passant devant" les plus
anciens, qui attendaient ce poste. Car auparavant, le système était différent, la promotion
se faisait à l'ancienneté, et les anciens attendent donc légitimement leur tour; ils se sentent
humiliés de voir cette attente déçue"12. La remarque des jeunes encadreurs à trait au fait
12 C'est l'auteur qui souligne.

180
qu'il y a rarement recyclage dans la structure; leur niveau de connaissance "moderne" a
été "fraîchement" acquis alors que les ""vieux" ont des manières rétrogrades de
travailler" (le c.P. de la CillY). C'est l'opposition traditionnelJmoderne, ancien/nouveau.
L'âge en lui-même n'a d'importance que parce qu'il rappelle l'expérience professionnelle;
ici intervient la durée. Mais il est à la base de nombreux conflits car on n'accepte pas de
recevoir des ordres d'un "petit" (jeune) qu'on juge très souvent incompétent. Ici être
moins âgé est synonyme d'incompétence, de manque de pratique professionnelle ou de
savoir faire.
~
Tous les encadreurs de Sakassou sont de sexe masculin. Peut-on en déduire qu'il
n'y a pas de femmes encadreurs agricoles en Côte d'Ivoire? Nous ne pouvons pas
l'affirmer dans la mesure où, étant sur le terrain, nous avons rencontré des encadreurs-
stagiaires de la CillY, hommes et femmes pour la formation pratique de APV A, ou
MPVA. Nous n'avons cependant rencontré aucune femme encadreur-journalier .en
formation.
Les femmes stagiaires interrogées nous ont dit que les "encadreuses" agricoles sont en
général dans les bureaux des directions régionales et départementales et particulièrement
à la direction générale de la CillY; nous insistons sur agricoles, parce qu'il y a des
femmes qui font de l'encadrement au niveau de la santé, de la nutrition, de l'hygiène: ce
sont des femmes qui s'adressent aux femmes, et dépendent du ministère de la promotion
de la femme. Pourquoi? Les moeurs seraient telles que les femmes ne peuvent pas
encadrer les hommes?
Selon l'une de ces femmes en formation (explication confirmée par les autres),
"quand on est stagiaire, on vient sur le terrain mais une fois diplômée, on est dans les
bureaux, parce que c'est un métier difficile pour lesfemmes. Difficiles, parce que il faut

181
une présence permanente sur le terrain, difficile parce que les encadrés sont méchants
avec nous et ne nous considèrent pas comme encadreur; ils se demandent ce qu'on peut
leur apprendre". Une autre femme continue: "déjà que c'est dur avec les encadreurs
hommes, imaginez vous même ce que ça peut être avec nous les femmes; nous pensons
que si vous vous référez à ce qu'ils pensent de vous en tant que femme-chercheur, vous
saurez ce qu'ils pensent de nous". Une des stagiaires explique aussi pourquoi les femmes
elles-mêmes préfèrent les bureaux: "c'est difficile parce que ceux avec qui on a grandi et
tous les autres, nous traitent de "gaou" 13 ... ". Cette dernière raison est assez
significative: être "gaou" a des conséquences: c'est ne pas être considérée par les
hommes qu'on désire, c'est ne pas pouvoir se marier à un "quelqu'un" c'est-à-dire
quelqu'un de bien placé dans la société - référence au statut social. Or ces femmes rêvent
de se marier car le mariage est très important: une femme mariée est beaucoup plus
respectée a priori qu'une femme célibataire.
Les encadreurs aussi pensent que les femmes sont bonnes pour les bureaux parce
qu"'e/les ne peuvent pas supporter les piqûres d'insectes qui donnent des boutons, les
morsures de serpent ou de scorpion, les coups de soleil qui provoquent parfois le
paludisme". On évoque ici la fragilité de la femme face aux risques du métier d'encadreur
agricole.
Face à toutes ces explications contre la présence des femmes encadreuses
agricoles sur le terrain, on se demande pourquoi elles ont choisi ce métier.
Leur réponse fait référence à la crise de l'emploi en Côte d'Ivoire: "Simplement
parce qu'on ne trouve pas facilement du travail aujourd'hui. On passe plusieurs
concours, celui qui marche, c'est vers lui qu'on va". Contrairement aux hommes qui
13Etre gaou : expression tirée du langage populaire ivoirien (le français ivoirien), pour signifier qu'on
n'est pas "civilisé", qu'on n'est pas "moderne".

182
parfois répondent qu'ils sont venus dans ce métier par "amour pour la terre" ou "par
vocation", on remarque à travers les réponses des femmes stagiaires, qu'elles sont dans le
métier de l'agriculture parce qu'il n'y avait pas mieux. Et quand elles y sont, elles
s'arrangent avec les chefs pour rester dans les bureaux.
L'origine géographique et origine sociale
Si l'origine géographique permet d'expliquer certaines réticences chez l'encadreur
ou chez les paysans qui l'accueillent ou même de comprendre les problèmes de
communication qui se posent entre ces deux catégories, l'origine sociale elle, est décisive
dans le type de comportement qu'adoptera l'encadreur vis-à-vis des paysans et de ses
supérieurs hiérarchiques et aussi décisive pour sa satisfaction au travail.
Tous ces encadreurs de la Loka par exemple sont du groupe akan: 3 Baule et 1
Agni. Peut-on en déduire une xénophobie des Walèbos pour les non Akan?
A priori non, puisque le chef de périmètre précédant était malinké (autre groupe
ethnique). Mais il lui a été reproché de favoriser ses compatriotes, ceux de la même
origine géographique et ethnique que lui. Des rapports ont été écrits aussi contre lui,
mentionnant qu'il n'était pas compétent. C'est cette dernière raison qui a été officialisée.
Mais en fait la conspiration dans les coulisses portait surtout sur le fait qu'il n'était pas
originaire de la région. Il a ainsi été renvoyé et remplacé par un Baule. Est-ce par hasard
ou par choix délibéré de la direction de la CillY? La direction répond que c'est un simple
hasard en ce sens que les affectations ne se font pas du tout selon le critère de
l'appartenance ethnique. Mais selon les paysans baule, c'est un choix délibéré, "un kanga
djura"14 ne peut pas venir imposer sa loi chez les Walèbos.
14 Littéralement: un esclave dyula ; tous les Malinkés sont considérés de façon peujorative par les
Walébo comme des gens inférieurs.

183
Avant lui il y avait un "blanc" (blôfouè), assistant technique français que les paysans et
même les encadreurs ont tous apprécié. Indépendamment de sa couleur et de sa
compétence, on peut noter que quand il était là, l'aménagement fonctionnait sous la
forme d'une ONG grâce aux dons et autres qu'il recevait de la France (notamment du
BDPA).
Le conseiller agricole agni a été par la suite jugé incompétent, il a été affecté au secteur
informel. On ne retrouve ainsi sur le projet que des encadreurs baule. Au moment où
nous rédigeons ce travail, le chef de périmètre a été remplacé par un autre qui dit-on est
aussi Baule de la ville voisine: Béoumi.
Ces 2 cas (encadreur agni et encadreur dyula) ne sont pas suffisants pour tirer
une conclusion sur la xénophobie des paysans walèbo d'autant plus que les agents des
autres structures d'encadrement à Sakassou que nous avons interrogés, ne sont pas tous
Baule. L'élément important ici qui semble justifier une certaine xénophobie est le fait que
le projet est une réalité d'une importance capitale pour la population. Toutes les villes de
Côte d'Ivoire ne sont pas dotées de ce genre de projet (importance symbolique) qui fait
la fierté de toute la population; et par conséquent pour les populations, sa gestion ne doit
(peut) être confiée à n'importe quel individu qui à leur avis n'en défendrait pas les intérêts
du fait qu'il n'est pas de la région de Sakassou: "quand on créait ce travail là, le sous-
préfet et de nombreux gens du pays des blancs'> sont venus nous voir; ils ont dit que on
doit tout faire pour que le travail qu'on va mettre ici marche bien. Ils disent que notre
nom est chez les blancs même là-bas; donc depuis la France on sait que y a une ville
qui s'appelle Sakassou. Si les blancs nous ont envoyé ce travail, on ne doit pas faire
honte à nos enfants; on ne doit pas faire honte à notre président, c'est parce que
15 "Les gens du pays des blancs", ce sont les habitants des grandes viIles par opposition aux villageois
c'est-à-dire ceux qui sont restés dans le lieu d'origine, ceux sont ceux qui exercent une profession
"moderne". Dans ce cas précis évoqué par le porte-parole des sages de Sakassou, il s'agit des cadres de
Sakassou venus de partout, il s'agit des missions d'expertise et de sensibilisation qui se sont succédées
avant la mise en place du projet.

184
Houphouët est gentil que le travail là est venu ici sinon ce serait dans un autre pays; on
ne doit pas faire honte à notre pays. Tout le monde compte sur nous. Ainsi, les gens qui
viennent pour nous montrer le travail à faire, ne doivent pas être contre nous, sinon ils
ne vont pas bien nous le montrer et c'est notre nom qui sera gâté" (entretien réalisé en
1987 au quartier walèbo à Sakassou, intervention du porte-parole des Walèbos -le chef
lui-même).
Le besoin de parler une langue commune sur le lieu de travail pourrait aussi
expliquer le refus des paysans de travailler avec une personne d'une autre ethnie, d'un
autre groupe linguistique. Mais nous ne trouvons pas ce fait pertinent puisque bien
qu'étant baule, la plupart des encadreurs parlent français aux encadrés pour maintenir la
distance. En fait, selon certains conseillers agricoles 16 "c'est pour se faire respecter et
leur montrer que nous sommes importants. Quand on leur parle Baule, ils pensent qu'on
est leur frère ou quoi; ils s'amusent avec tout ce qu'on leur dit". En dépit du complexe
de supériorité qu'ils affichent, nous avons
remarqué que parler la langue locale lest
parfois un outil stratégique utilisé par certains encadreurs pour se faire apprécier des
paysans en d'autres occasions. Nous développons ce point dans le chapitre suivant. Ce
complexe de supériorité est différemment interprété par les paysans.
Des paysans qui ne parlent que la langue locale passent par des intermédiaires
pour s'exprimer. Certains paysans refusent ce procédé et parlent le baule non pas parce
qu'ils ne parlent que ça, mais parce qu'ils veulent ainsi forcer les encadreurs à parler leur
langue.
En prenant l'exemple des encadreurs qui ne sont pas dans le projet Loka, les
remarques sont parfois différentes. Aucun de ces encadreurs n'est originaire de Sakassou.
Leurs origines géographiques diverses montrent que les affectations ne se font pas selon
16 Que nous ne nommerons pas ici selon leur volonté; nous les avions interrogé en groupe (discussion
de groupe).

185
le critère de la communauté géographique. L'avantage d'un tel choix selon le superviseur
de la SATMACI, provient du fait que "l'encadreur travaille objectivement alors qu'en
travaillant dans son village d'origine ou dans a région, il fera sans doute du favoritisme
envers ses parents et n'encadrera pas les autres ou bien il donnera plus de produits à
certaines de ses relations plus qu'à d'autres. Nous faisons ça aussi pour le bien de
l'encadreur parce que s'il travaille chez lui, les villageois vont lui demander trop de
chose au nom de la parenté, s'il refuse ça peut briser les liens qu'il a avec eux. Dans un
autre village, hors de chez lui, il va appliquer les méthodes et recommandations sans
sentiment parce qu'il est neutre". Malgré cette explication, il est très probable que
clientélisme et favoritisme soient exercés par l'encadreur quel que soit son lieu
d'affectation, dans les stratégies d'intégration au milieu par exemple.
Nous avons aussi remarqué que les paysans se rapprochaient davantage des
encadreurs qui sont et parlent Baule au travail que des autres.
L'analyse de l'origine sociale (concernant l'activité professionnelle des parents)
montre que la plupart des encadreurs de base sont nés de parents pratiquant l'agriculture
comme activité principale. Ils peuvent être classés dans deux catégories: les grands
planteurs c'est-à-dire ceux qui ont de grandes plantations de cultures de rente (café,
cacao, coton, hévéa par exemple) et les petits planteurs qui ont de petites exploitations
de cultures de rente ou qui vivent de l'agriculture de subsistance (riz, igname, manioc
etc.).Tous les encadreurs n'ont pas à l'origine un statut social important.
Situation matrimoniale
Tous les encadreurs sont mariés coutumièrement, chacun à une femme de sa
région pour les encadreurs de la CillY, et les autres encadreurs sont mariés à des

186
femmes d'origine géographique diverse. Aucun n'a fait un mariage à l'Etat civil (mariage
dit légal). L'origine de l'épouse n'a pas une signification particulière en rapport avec les
relations professionnelles ou extra-professionnelles de l'encadreur. li faut plutôt constater
que quel que soit le statut matrimonial (marié ou non) et quel que soit le statut
professionnel (fonction et grade par exemple) tous les encadreurs ont au moins une petite
amie walébo. Cela est a priori dû au libéralisme des relations sexuelles chez les Baule!".
Chauveau (1987: 142) remarque à ce sujet que "la "propension" des femmes baule: à
s'établir durablement ou à se marier avec des hommes d'ethnie différente a été notée dès
les premières années de colonisation. Les Baule fournirent concubines et épouses à bien
des administrateurs et fonctionnaires européens et à de nombreux "Sénégalais" des
troupes coloniales". C'est le même système qui se reproduit aujourd'hui avec les
fonctionnaires et travailleurs qui sont en milieu Baule. Concernant les encadreurs
agricoles à Sakassou, plus qu'un hasard, il semble, comme nous le verrons dans le
chapitre 7 que leur choix soit une stratégie d'intégration ou de protection de l'encadreur
dans un milieu dit "hostile" aux étrangers. Par exemple un conflit a amené des paysans à
se débarrasser d'un de leurs encadreurs. Indépendamment de toutes les explications liées
à ce renvoi, la femme de l'encadreur fait remarquer que: "c'est parce qu'il a laissé lafille
des Walèbos là qu'ils l'ont chassé d'ici". Cet encadreur avait en effet une petite amie
walèbo. Comme justification à cette liaison il disait: "c'est pour me protéger que
j'entretiens cette relation".
Niyeau d'études
Le niveau moyen d'études est le cours moyen avec comme diplôme, le Certificat
d'Etudes Primaires et Elémentaires (CEPE). Seuls deux encadreurs ont le niveau Bac et
quatre ont le niveau BEPC.
17Voir Etienne, 1972, Etienne et Etienne, 1965, et également Etienne, 1987.

187
L'orientation des agents de base vers le métier d'encadreur agricole a fortement
été influencée par le niveau d'études peu élevé, combiné avec le manque d'emploi. Les
encadreurs qui sont venus à ce métier avec le niveau CM (cours moyen) sont contents de
leur métier car c'est une promotion pour eux, à défaut d'être dans les grandes industries
Abidjanaises, employés comme ouvriers. En pratiquant ce métier, ils disent avoir la
possibilité de se nourrir à moindre frais puisqu'ils ont tous un champ personnel de vivrier,
de se loger moins cher que s'ils étaient dans une grande ville ou même de ne pas payer le
loyer comme par exemple des encadreurs qui sont dans les villages, dans les maisons
AVB.
A titre d'exemple pour la CillY, en dehors du chef de périmètre qui a un
baccalauréat série D, le MPVA (fonctionnaire) a obtenu le BEPC, l'un des conseiller
agricole journalier a le niveau de la seconde C (sans avoir le BEPC) et le deuxième
conseiller agricole journalier n'a que le CEPE. Le diplôme obtenu semble avoir un
rapport avec le rang hiérarchique occupé; les deux "vieux" qui en fait n'ont que le CEPE
comme diplôme sont relégués au rang de journalier et occupent par la même occasion la
dernière place dans la hiérarchie de la structure (au niveau des agents d'encadrement).
Une hiérarchisation informelle est parfois parallèle à la hiérarchisation officielle dans
certaines institutions.
4.1 .3.3 Formation professionnelle et trajectoire
Les cadres et techniciens de l'encadrement ont suivi des formations agricoles dans
des écoles spécialisées dans le domaine agricole en Côte d'Ivoire: Ecole Normale
Supérieure d'Agronomie (ENSA), Institut Agricole de Bouaké (IAB), Lycée agricole de
Bingerville ou Lycée agricole d'Odienné ou à l'étranger (Centre National d'Etudes

188
Agronomiques des Régions Chaudes (CNEARC) de Montpellier par exemplej l''. Ils font
des stages pratiques sur le terrain avant l'embauche. La plupart des agents de base à
Sakassou ont été recrutés sur le tas et ont effectué par la suite des stages pratiques sur le
terrain (Jérôme par exemple). D'autres ont passé un concours direct d'entrée dans la
structure, par exemple Jacques de la SATMACI avec son CEPE a passé le concours
d'entrée à la SATMACI à Bingerville après trois mois de cours théorique au lycée
agricole de la dite ville, il reçoit une formation pratique de 21 jours à Divo une autre
ville. Il est ensuite affecté sur un terrain quelconque. D'autres ont été recrutés après avoir
été formés à l'école des cadres de Bouaké pendant leur service civique: c'est le cas par
exemple de Bertin de la CIDT. D'autres encore sont intégrés à la structure sur dossier
(exemple de René). Il y a également des agents de base qui sont Assistant des
Productions Végétales et Animales (APVA) et Moniteur des Productions Végétales et
Animales (MPVA), qui passent le concours d'entrée dans une école d'agriculture et
sont ensuite affectés sur le terrain dans une structure ou sont affectés au Ministère de
l'Agriculture (exemple de Georges actuellement à la CIDV).
Quelle que soit le centre ou lieu de formation, l'agriculture générale et les
techniques culturales, la mécanisation, l'élevage, la gestion agricole, les différentes sortes
de cultures, la topographie, la connaissance des matériels agricoles, la tenue dies
documents afin de pouvoir rédiger rapports d'activité et entretenir des informations, la
connaissance de la faune et du monde végétal et les différentes pratiques vétérinaires sont
les principaux thèmes appris pendant les stages de formation sur le tas. Comme on peut
le constater, aucune place n'est faite dans la formation sur le tas à l'approche
18 Les institutions de formation des agents CillV par exemple en Côte d'Ivoire sont: l'ENSA, l'IAB, le
Lycée agricole de Bingerville et celui Lycée d'Odienné
-Les cabinets de formation: PREFEP, CUFOP, GAMAfORCE, CAMPC, 2A, FORMOM
- Les organismes internationaux (bailleurs de fonds) : Banque Mondiale, ONU, OIT, BIT
- Les cabinets de formation à l'étranger: IMS, WU, GREF, IMI, AFSRE, OIE, USA

189
psychologique ou sociologique du milieu paysan. Les agents ayant un diplôme agricole
reçoivent eux ce type de formation en plus. Mais concrètement sur le terrain, on ne
perçoit pas de différence entre les premiers et les seconds dans les relations avec les
paysans. C'est plutôt la pratique quotidienne du métier dans un même endroit ou en des
lieux différents qui font prendre conscience aux encadreurs de l'importance de la
connaissance du milieu de travail et de la manière d'aborder les paysans. Comme ils
l'expriment tous, "il n'y a pas de recettes pour approcher les paysans, tout dépend du
caractère de chaque paysan et aussi des paysans de chaque région". Les paysans ont
une bonne ou mauvaise réputation selon leur appartenance ethnique ou régionale. Les
encadreurs qui ont travaillé chez les Abbey, les Guéré ou les Bété par exemple les
trouvent difficiles, tous ceux qui travaillent chez les Walèbos les trouvent fainéants,
d'autres estiment que les paysans "dyula" sont dociles, mais un rapport de Ori (1988)
dans le Nord-Ouest (région dyula) montre que les encadreurs de cette région à cette
époque se plaignaient du caractère difficile de ces paysans-là. Tout laisse donc croire
qu'il n'y a pas de paysans "faciles". Les encadreurs eux-mêmes le disent "quand tu dis
que les paysans de telle région sont mauvais et que tu vas ailleurs, tu trouves que
l'endroit d'où tu viens était mieux. C'est comme le mariage quoi: il faut pas laisser une
femme pour aller chercher une autre, parce que la deuxième est parfois plus mauvaise"
(Bertin).
Il n'y a pas de spécialisation dans la formation d'encadreur agricole en général. Le
moniteur ou l'assistant des productions végétales et animales (MPVA ou APV A) peut
autant exercer en agriculture qu'en élevage. C'est en fait dans la structure d'affectation où
il exerce sa profession, qu'il se spécialisera selon la spéculation ou la filière qui y est
encadrée.

190
Il est important de noter que les conseillers agricoles journaliers qui ont reçu une
formation sur le tas, n'apprennent que des informations concernant les spéculations et
filières de la structure qui les forme. Les 2 CA (conseiller agricole) de la CillV par
exemple ont par exemple reçu comme formation au DAPE: l'agriculture générale et les
pratiques culturales du riz, de l'igname, du coton, du soja et du maïs parce que ce sont
les spéculations qui étaient pratiquées par cette structure à cette époque. Une fois à la
disposition de la CillY, ils se sont "spécialisés" dans la culture du riz. Le niveau de
formation dépend ainsi du contenu de la formation. Les agents ayant reçu leur formation
dans une école d'agriculture ont une formation plus complète que ceux ayant appris sur le
tas. Mais dans la réalité, la compétence au travail est fonction de l'expérience
professionnelle. Sur le terrain, on ne distingue pas un conseiller agricole ayant appris sur
le tas, d'un conseiller agricole formé dans une école. Les conseillers agricoles sont en
principe des APVA (assistants de productions animales ou végétales) ou des MPVA
(moniteurs des productions végétales ou animales), titre que l'on acquiert avec le niveau
3 ème après une formation de 2 ou 3 ans à l'IAB. Mais en réalité, sur les 3 CA (conseiller
agricole) de la CillV à Sakassou, seuil est MPVA (moniteur des productions végétales
et animales). Les 2 autres portent ce titre (de MPVA) de façon abusive: ils ont été
formés sur le tas et travaillent sur la base de leurs expériences professionnelles. Ils n'ont
aucun diplôme agricole.
C'est la cellule "formation" de chaque structure d'encadrement qui s'occupe de la
définition d'une politique de formation des encadreurs et des paysans. ~lIe intervient
également au niveau du suivi et de l'organisation des stages et des recyclages. Cette
cellule anime également des cessions de formation des responsables de terrain que sont
les C. S. (chef de secteur), les C. Z. (chef de zone) ou les C.P. (chef de périmètre).
Une fois recrutés, certains encadreurs quel que soit leur statut professionnel ou
leur fonction sont passés d'une structure à l'autre par des mises à disposition ou transfert,

191
soit parce que la structure précédente est dissoute, soit parce qu'elle diminue ses effectifs
(c'est l'exemple de Jérôme qui passe de l'AYB, au DAPE, BETPA, SODEFEL, à la
CIDV), avec ou sans nouvelle formation.
Les trajectoires professionnelles des encadreurs sont variées certes mais on
retrouve les mêmes éléments partout.
Les plus anciens de Sakassou ont transité par
l'AYB avant de se retrouver dans la structure où ils sont actuellement. Auparavant, ils
ont exercé une autre profession. Parmi les plus courantes on retrouve: commerçant,
électricien, manoeuvre au port d'Abidjan, manoeuvre sur des chantiers de TP (travaux
publics), manoeuvre dans d'autres sociétés (SOCOPAO, PALMINDUSTRIE, etc.... ).
Les plus jeunes sont généralement à leur première structure ou premier emploi.
4.2 LES ACTEURS INDIRECTS
Visiblement, ils ne sont pas directement impliqués dans le développement
agricole; ce ne sont pas des agents de développement. Mais ils participent d'une manière
ou d'une autre à ce développement. Comment? c'est ce que nous allons essayer de
montrer.
4.2 .1 Préfecture et sous-préfecture
Nous avons vu dans le fonctionnement du projet Loka (Chapitre 3) que
l'administration est assez souvent sollicitée par les agents d'encadrement ou par les
paysans, en tant qu'arbitre ou en tant que négociateur. Cet exemple montre que les
autorités administratives sont impliquées dans le développement agricole de la région,
parce qu'elles sont sollicitées par les acteurs directs de ce développement mais aussi
parce qu'elles se décrètent elles-mêmes acteurs. En effet, elles se considèrent comme les

192
deux structures administratives qui représentent l'Etat dans la région. Elles gèrent des
populations qui sont aussi leurs administrés. A ce titre elles se donnent le droit de
s'ingérer dans les affaires intérieures des structures d'encadrement à Sakassou qui sont
également sous leur autorité. Elles peuvent interdire des réunions, concernant les grandes
mesures ou informations émanant de l'Etat au sujet du milieu agricole, entre encadreurs
et paysans si le préfet ou le sous-préfet n'est pas présent ou n'en donne pas l'autorisation.
De même, un responsable d'une quelconque structure ne peut aller en mission sans
autorisation signée par l'une de ces administrations. Il doit fournir des explications s'il (~st
en faute vis-à-vis de l'administration: c'est le cas par exemple de Yéo, responsable de la
SADR (société des affaires domaniales et rurales) puni pour s'être absenté sans l'accord
du préfet.
C'est la préfecture qui note les chefs de service de Sakassou et par ricochet tous
les chefs de structures d'encadrement. Les notations revêtent une importance particulière
car elles permettent l'avancement en grade (et aussi l'augmentation des revenus). Cette
importance fait d'elles parfois une anne au service du préfet pour faire exécuter ses
ordres par les chefs de service.
A titre d'exemple, cette lettre du préfet adressée aux
chefs de service, le 12 mars 1987 (lettre n" o12/P.SAK/CAB/C: objet: absences aux
réunions) :
"i1 m'a été donné de constater que certains d'entre vous, toujours les mêmes, ne sont
presque jamais aux diverses réunions auxquelles ils sont conviés.
C'est ainsi que lors des réunions mensuelles des chefs de service et à l'occasion des
sessions du conseil de sous-préfecture, s'offre à nos yeux le spectacle désolant de
démissions de nombreux chefs de services.
Une telle attitude est condamnable et autorise à se poser des questions sur le sens des
responsabilités de ces chefs de services qui ignorent ou feignent d'ignorer le rôle qui est
le leur dans le département.

193
Que ceux qui ont pris l'habitude de se singulariser de la sorte s'amendent; car
désormais, j'en rendrai compte directement à leurs Ministres, sans occulter que j'en
prendrai acte au moment de la notation 19.
En outre, aucune excuse ou autorisation d'absence ne sera accordée pour ne pas
participer à une réunion sauf sur production d'un document émanant du supérieur
hiérarchique".
La partie que nous avons nuse en gras montre bien que les encadreurs sont
parfois victimes de "chantage". Cette lettre montre aussi que l'encadreur reçoit des
ordres non seulement de sa structure de tutelle mais aussi de l'administration. Tout le
problème est de savoir si ces ordres concordent (Cf. partie sur évaluation des encadreurs,
au chapitre 5). Par exemple pour le projet Loka selon les agents d'encadrements, les
autorités administratives recommandent des personnes à recruter dans l'aménagement
alors que selon les principes de la structure d'encadrement seuls les paysans eux-mêmes
en accord avec les agents d'encadrement peuvent décider du recrutement de volontaires
dans l'aménagement. Les encadreurs "acceptent" car personne ne veut perdre sa place.
Les responsables administratifs peuvent aussi prendre l'initiative de "vider" des paysans
"fainéants" du projet sur suggestion des encadreurs ou même d'autres paysans, ou bien
de maintenir des paysans que l'encadrement est prêt à exclure sur proposition des
paysans.
On constate malgré tout, qu'une ambiguïté ou un paradoxe réside dans les
relations encadreurs/autorités administratives, également entre les paysans et ces mêmes
autorités et aussi entre encadreurs/paysans/autorités: les encadreurs déplorent l'ingérence
de ces responsables mais en même temps et assez souvent d'ailleurs, les encadreurs
négocient
"le
charisme"
des
autorités
administratives pour
faire
accepter des
19 C'est nous qui soulignons.

194
recommandations aux paysans (exemple de la formation des groupes de travail après la
distribution des matériels aux paysans du projet Loka). Pour certaines choses, selon le
délégué départemental de la CillV à Bouaké, "il vaut mieux avoir les autorités
administratives de notre côté comme témoin. En cas de problème, c'est eux qui peuvent
contenir la masse de populations. C'est eux qui ont en main toute la politique du
département. Quand on a une nouvelle stratégie, on leur expose notre stratégie et ils
nous aident à la mettre en place. Ils nous orientent et nous font des propositions. Ils
nous aident à faire passer le message auprès des paysans mais aussi auprès de leurs
supérieurs hiérarchiques". La collaboration des encadreurs avec l'administration, ici sert
de couverture, de protection contre "les coups" qui pourraient venir des paysans. Selon
les encadreurs, les relations avec les autorités administratives constituent pour les
encadreurs un type de contacts obligatoires.
Les
paysans
également
déplorent
certaines
ingérences
des
responsables
administratifs mais en même temps négocient avec eux quand il s'agit de prendre des
mesures contre les encadreurs.
4.2 .2 Les représentants politiques: député et chefferies locales
Ils jouent un grand rôle dans le développement de la région en général et dans le
fonctionnement de l'aménagement hydro-agricole de la Loka en particulier.
_ C'est grâce à eux que le projet Loka par exemple existe à Sakassou; notamment
grâce à l'un des fils qui était directeur général de AYB -Aménagement de la Vallée .du
Bandama, grande superstructure de développement (aujourd'hui dissoute).
La vallée du Bandama est le "pays" des Baule (voir carte de localisation
géographique, chapitre 1: 21). Quoi de plus normal que de nommer un fils de la région, à
la tête d'une structure qui s'occupe du développement de la région. Il est de surcroît

195
membre (fils) de la famille de celui qui fut le secrétaire du R.D.A. (cf chapitre 1,
"l'histoire du peuplement") et en même temps natif du siège de la royauté baule
(Sakassou). L'aménagement de la Loka n'a ainsi pas été créé à Sakassou par hasard. Le
projet Sakassou est un projet arrangé comme "la plupart des projets ( ...). La répartition
géographique
des
projets de développement
ne dépend
pas
très
souvent
des
infrastructures déjà disponibles comme les routes et les chemins de fer mais plutôt de
l'existence d'un groupe d'intermédiaires-arrangeurs de toutes sortes ("fils du village",
paysans-leaders etc." (Bierschenk, 1991: 13)
Pour légitimer sa présence, il a été classé comme aménagement-pilote ou
aménagement-test, qui serait réalisé dans d'autres régions du pays. Mais depuis sa
création, on remarque qu'il est toujours au stade "pilote".
Les paysans mécontents de l'action des encadreurs portent quelquefois plainte
auprès de leurs
représentants locaux. Ces personnes interviennent en tant que
représentants ou en tant que "courtiers" soucieux de la bonne réussite de leur mission.
Les agents d'encadrement de la Loka et ceux des autres structures travaillent ainsi en
collaboration avec les élus locaux, alors qu'en principe il ne devrait pas y avoir de
relations "d'ordre" entre autorités politiques et encadreurs (dans la prise de décisions en
tous cas). Le rôle des représentants se limitent en théorie à la sensibilisation de leur
population quand il s'agit par exemple de faire passer des messages gouvernementaux qui
peuvent avoir un rapport ou non avec l'agriculture.
Entre les recommandations des paysans, celles de sa structure de tutelle, celle des
élus locaux, celles de l'administration et celles que l'encadreur juge lui-même nécessaires
à appliquer, il y a parfois de nombreuses divergences qui peuvent engendrer des conflits
d'autorité. L'agent d'encadrement se retrouve ainsi dans une position très ambiguë.

196
4.2 .3 Les bailleurs de fonds
Comme l'écrivent Dozon et Pontié (1985: 79), "le monde du développement ne se
résume pas à un face à face entre le monde paysan et les praticiens chargés d'administrer
le projet sur le terrain. Sont également parties prenantes: les divers organes de
financement qui ne partagent pas toujours les mêmes opinions sur la philosophie du
développement. ..". Ils sont les maîtres d'oeuvre de tout projet de développement. Sans
leur contribution financière, le projet ne peut voir le jour (Voir en annexes un exemple de
dossier de présentation de projet en vue d'un financement). Les bailleurs de fonds sont
soit le gouvernement ivoirien lui-même, soit des organismes internationaux, soit des
ONG (organisations non gouvernementales) nationales ou internationales.
S'agissant des organismes et ONG internationaux, à la limite, ils en font à leur
tête et usent parfois de chantage vis-à-vis des gouvernements nécessiteux. Très souvent,
l'action des bailleurs de fonds se limite à un financement qui n'est d'ailleurs pas forcément
compatible avec les idées, les centres d'intérêts des gouvernements nationaux. Nous
avons déjà vu dans le chapitre 2, sur les méthodes d'encadrement, que les aides
financières ou autres sont souvent des échanges de service entre le donateur et le
récepteur; par exemple le financement des structures d'encadrement par la Banque
Mondiale s'échange contre la pratique de la méthode Formation et Visites -méthode
d'encadrement de la Banque mondiale- en Côte d'Ivoire. L'aide internationale est de ce
fait rarement gratuite. Les financiers voient en leur action "un moyen idéal de réaliser une
aide
parfaitement rentable;
en effet,
l'aménagement des
rizières,
des
bas-fonds
essentiellement, exige des investissements élevés ainsi qu'un haut niveau de technicité.
C'est dire d'une part que le capital crédité revient aux sphères centrales sous forme
d'achats de matériels et de produits pour le moins sophistiqués (engrais, insecticides,

197
etc.), d'autre part que la réussite du projet est subordonnée au "sérieux" et à la
compétence d'un assistanat européen (principalement français)" (Dozon, 1979: 42).
L""assistant européen" est en fait dans le projet afin de veiller aux intérêts de l'organisme
qui l'envoie. Pour le projet V ème F.E.D. par exemple, c'est G. qui a été envoyé par la
CEE (Communauté Economique Européenne) comme coordonnateur du projet: "en
réalité, je suis agronome, mais la CEE m'a envoyé comme coordonnateur du projet. Je
ne sais même pas ce que ça signifie. Mais mon rôle a été de négocier les fonds pour
l'aménagement". En fait de négociation de fonds pour le projet, il s'agissait pour lui de
vérifier si les fonds demandés par la CillV et ses paysans, correspondaient à leurs
"besoins" réels. Cette attitude de la CEE se justifie par le fait que selon G., "la CEE veut
directement travailler avec les encadreurs de base et les paysans, parce que les
structures d'encadrement et leurs ingénieurs sont dans des bureaux climatisés à ne rien
foutre, alors que les vrais travailleurs n'ont que des miettes". Les "vrais travailleurs" tel
qu'il l'entend, ce sont les encadreurs de base et les paysans. Il soulève ici le problème des
détournements de fonds destinés aux paysans. L'une des causes des échecs de projet est
ainsi l'inaccessibilité des paysans à certains moyens ou facteurs de production détournés
par les "cadres" de la structure d'encadrement. La solution de mettre un "surveillant"
dans le projet ne résout pourtant pas le problème. En effet, aux dires du coordonnateur,
"onfait tout pour monter un dossier consistant de financement avec les paysans et leurs
encadreurs de base, sans qu'aucune direction s'en mêle. Mais dès que le financement a
été accordé, toutes les directions s'en mêlent. Et le délai prévu pour que l'argent soit
utilisé sur le terrain est passéë). Le motif, c'est que chacun veut se servir". Le
financement déjà accordé, le financeur n'a plus rien à faire, sinon constater son utilisation.
Un encadreur déplore cette attitude des "patrons détoumeurs": "au moment des
20Il s'agit notamment de l'exercice 91.

198
négociations, ils n'étaient pas là. Nous on fait tout le travail. Et c'est seulement à
l'arrivée de l'argent qu'ils disent être entrain d'étudier tous les cas de figures possibles
pour une meilleure utilisation de l'argent. Ça nous a mis en retard pourjusqu'à quand?
On ne sait pas" .
li est paradoxal de remarquer que les bailleurs de fonds veulent s'adresser
directement aux paysans et agents de base pour déterminer leurs "vrais besoins" alors
que quand ils remettent le financement, c'est par l'intermédiaire des "patrons" de la
structure que l'argent est acheminé sur le terrain. Tout laisse croire qu'il y a complicité
entre les bailleurs de fonds et ces intermédiaires, sinon que les bailleurs de fonds
encouragent les "détournements" car comme nous le montre un encadreur, "quand on a
vu une tige dangereuse la journée, on ne peut pas aller y planter les yeux la nuit". Mais
au fond loin d'être de la "complicité" ou de l"'encouragement", il s'avère que les bailleurs
de fonds sont le plus souvent impuissants face aux détournements: arrêter les
financements revient à pénaliser, handicaper les "pauvres" paysans destinataires des
oeuvres humanitaires, qui ainsi ne recevraient même plus des "miettes". C'est d'ailleurs
pour éviter ces détournements que l'on encourage la création de coopératives de paysans
avec le soutien du Domaine de la Mutualité Coopérative (DMC); les paysans organisés
reçoivent ainsi directement les fonds dont ils ont "besoin" et les gèrent à leur guise sous
la surveillance parfois des structures d'encadrement. Ainsi par exemple, pour l'achat d'un
produit quelconque, il faut la co-signature des paysans désignés mais aussi celle d'un ou
des encadreur (s) désigné (s).
A Sakassou, le F.E.D. s'est chargé de financer le défiichement, la construction de
digues, de diguettes, la délimitation des parcelles (de 0,25 à 3 ha), la construction d'un
barrage, de vannes, de casiers, de canaux d'irrigation (principal, primaire, secondaire) sur
la Loka. La Banque mondiale elle, a financé le projet de vulgarisation agricole (pVA
(voir tableau ci-joint» et institué la méthode Formations et Visites.

199
Tableau: Utilisation du budget CillV (1989)
Sources de financement
Prévu
Réalisé au 30/06/89
PVABM
1 066 000 000 F
210000000 F en juin
247000000 F en juin
PVA contrepartie CI
541 000000 F
(achat véhicules)
BSIE
2035000000 F
360
000
000
F
par
tranches mensuelles
(hors salaires)
Total
3 635000000 F
817000000 F
(Source: AFCA-SIPCA International, 1989: 121)
Légende:
PVA= Projet de Vulgarisation Agricole
BSIE= Budget Spécial d'Investissement et d'Equipement
BM= Banque Mondiale
CI= Côte d'Ivoire
4.24 Les experts en développement
Ce sont eux qui inspectent les lieux avant la réalisation d'un projet, et/ou à la fin
du projet, et quelques rares fois au milieu du projet quand celui-ci semble évoluer
contrairement aux prévisions initiales. Très souvent,
l'expertise est
confiée aux

200
agronomes ou aux économistes, dans une logique purement technicienne, économique ou
technico-économique..
Pour le projet Loka à Sakassou, en plus des agronomes et économistes,
deux
sociologues nationaux ont été sollicités, dont l'un est de la région de Sakassou. Ces
personnes n'ont pas omis de mentionner les éventuels obstacles à l''opération pilote
d'aménagement'<l, insistant beaucoup sur la situation foncière
de cette région.
Aujourd'hui, soit environ 14 ans après ces mises en garde, on remarque qu'on en a pas du
tout tenu compte. Pourquoi alors avoir fait appel aux sciences sociales? Pour montrer
qu'on pratique effectivement l'interdisciplinarité ou la pluridisciplinarité (très à la mode)?
Et c'est là que se pose le problème du rôle de l'anthropologue par exemple.
En général, les gouvernements ou bailleurs de fonds attendent des explications
simplistes; or l'anthropologue donne des explications complexes qui dans l'immédiat ne
sont pas très souvent réalisables surtout quand intervient la dimension culturelle des
choses. Si le second fonctionne sur une logique de connaissance, le premier lui est pour
la logique d'action, la "logique du chiffre d'affaires" comme le dit Freud (1991-22). Et il
l'explique très bien en indiquant les objectifs des bailleurs de fonds et ce qu'ils attendent
des anthropologues par rapport à ces objectifs: "tout concourt, donc à l'accélération du
processus de financement. Tout ce qui risque de freiner cette course -délai d'étude,
réflexion- est à proscrire. Les bailleurs de fonds veulent des certitudes, qui leur
permettent de présenter de façon positive les financements de leurs projets à leurs
mandants..."
Avant
la
création
du
projet
Sakassou
en
1981,
une
équipe
d'experts
internationaux avait élaboré une étude de faisabilité du projet; un rapport a été rédigé
mais classé comme "document souterrain", donc inaccessible ..
21 Kouarné, ] 979.

201
Régulièrement des missions d'expertise sont effectuées tant par des nationaux que
par des étrangers; mais la majorité des experts "accrédités" sur le projet sont des
"expatriés" (c'est-à-dire des étrangers). Certaines missions d'expertise ont pour but de
conforter les bailleurs de fonds, leur montrant que l'investissement n'est pas vain, ou
plutôt montrer que les objectifs ne sont pas atteints.
Conclusion partielle
Paysans, structures d'encadrement, encadreurs, préfets, sous-préfets, députés,
chefferies locales, experts, bailleurs de fonds etc. ..., sont des catégories sociales et
professionnelles différentes Ils ont tous des fonctions différentes et jouent chacun un ou
des rôle (s) différent (s), mais leurs actions convergent vers le monde paysan et tous
participent et contribuent directement ou indirectement au développement agricole de
Sakassou. Ils figurent tous sur la scène du développement agricole de cette région.

202
CHAPITRE 5
DE LA NORME A LA PRATIQUE: QUEL ROLE ORGANISATIONNEL?
Les encadreurs agricoles en tant que membres d'une structure
d'encadrement,
doivent se référer à des normes professionnelles; les normes étant "des manières de faire,
d'être ou de penser, socialement définies et sanctionnées, des valeurs qui orientent d'une
manière diffuse J'activité des individus en leur fournissant un ensemble de références
idéales, et du même coup, une variété de symboles d'identification, qui les aident à se
situer eux-mêmes et les autres par rapport à cet idéal" (Boudon et Bourricaud, 1986:
417). Etant donné que les encadreurs s'adressent à des gens qui ne font pas partie de la
structure d'encadrement, ils sont confrontés aussi à d'autres types de normes: les normes
paysannes, les normes administratives étatiques, les normes politiques, les normes de
développement international etc ....
Ce chapitre se propose de définir le rôle des encadreurs tel qu'il est prescrit au
sem de la structure d'encadrement et de le montrer tel qu'il est utilisé ou tel qu'il
fonctionne sur le terrain. Il s'agit aussi de montrer comment les encadreurs sont perçus
les uns par les autres à l'intérieur d'une même structure, comment ils sont perçus par les
autres membres de la structure et quel regard portent-ils à leur tour sur ces derniers. Et
par rapport aux normes professionnelles, comment les encadreurs sont-ils appréciés par
certains des autres acteurs du développement agricole de Sakassou?
5.1 ORGANISAnON DU TRAVAIL

203
La distribution des rôles elle, est en corrélation directe avec la division des tâches. Nous
abordons ces deux éléments à l'intérieur de quelques structures d'encadrement de
Sakassou que sont la CIDV, la SATMACI et la CIDT; nous élargissons ensuite notre
champ au monde ou cadre du développement agricole de Sakassou en incluant ceux que
nous avons présenté comme les acteurs du développement agricole de cette région.
Nous décrivons principalement la répartition des tâches et la distribution des rôles
au sein de la CIDV pour illustrer le propos selon lequel la structure d'encadrement
fonctionne comme une organisation bureaucratique. Nous avons constaté que bien que
la répartition des tâches soit différente selon le type de culture encadré, toutes les
structures de Sakassou fonctionnent de la même manière au niveau organisationnel. La
distribution des rôles et les fonctions sont les mêmes d'une structure d'encadrement à une
autre, quelle soit étatique ou para-étatique. Seules quelques appellations changent, par
exemple au lieu de chef de secteur comme à la CIDV, on dira chef de zone à la
SATMACI. Cette organisation se présente d'ailleurs de la même manière qu'il y a une
vingtaine d'année avec l'AYB (Aménagement de la Vallée du Bandama) présentée au
chapitre 1.
5.1 .1.1 Le chef de périmètre (CP)
Dans le chapitre 4 sur les acteurs du développement à Sakassou, nous avons
montré que hiérarchiquement au niveau régional, il yale directeur régional, les délégués
départementaux, les chefs de zone (ou chef de secteur selon la structure), les
superviseurs (ou chefs de périmètre quand il s'agit de l'encadrement d'un périmètre
agricole), et en dernière position les conseillers agricoles ou (moniteurs selon la
structure). Sur le terrain à Sakassou, on retrouve les deux derniers niveaux: superviseur
ou chef de périmètre d'abord et ensuite les conseillers agricoles. Nous parlons ici du chef

204
de périmètre de la Loka (CillV) comme exemple pour illustrer notre propos sur les chefs
hiérachiques directs des conseillers agricoles.
En tant que représentant de la CillV dans la circonscription,
le CP. (chef de
périmètre) s'assure du bon déroulement des travaux agricoles sur le périmètre, et de
l'application effective des programmes diffusés par la CillY. Il veille à la propreté de
l'aménagement (entretien des canaux, des diguettes, drains, etc. C'est lui qui ordonne les
réparations de matériels agricoles, supervise leur utilisation ainsi que l'approvisionnement
en eau l, en intrants, en pièce de rechange. Il définit de concert avec les paysans, les
besoins en produits phytosanitaires, en lubrifiants, en carburant, en engrais, en petit
outillage, en semences sélectionnées, autant pour la campagne en cours que pour celle à
venir. Une fois en possession de tous ces produits (subventionnés ou non par l'Etat), il
organise leur distribution en accord avec les CA (conseiller agricole) selon un calendrier
préalablement établi.
Le C.P.
(chef de périmètre) assiste aux réunions des paysans (les GVC ou la
coopérative). Il organise lui aussi régulièrement des réunions pour informer et sensibiliser
les paysans. Il les assistent dans leurs opérations avec les organismes d'achat et de
transformations des productions (les commerçants, les banques par exemple pour monter
un dossier de financement ou de prêt). Il incite les paysans à l'épargne.
A la SATMACI, ce rôle est joué par le superviseur. Superviseur et c.P. (chef de
périmètre) sont les chefs des agents de base.
Si officiellement les c.P., CZ, CS ou autres chefs sont des ITA (ingénieurs des
techniques agricoles) ou des APVA (assistant des production végétales et animales), on
remarque que dans la pratique certains de ces chefs n'ont aucune des qualifications
précitées. Le superviseur de la SATMACI par exemple est un ancien conseiller agricole
ou encadreur de base promu à cette fonction.
1Sur les aménagements hydro-agricoles, c'est une des fonctions très importantes dans les stratégies
d'acteurs comme nous l'indiquerons plus loin.

205
5.1 .1.2 Les conseillers agricoles (CA)
"Conseiller agricole" est le terme à la mode dans le jargon du développement
agricole pour marquer qu'on pratique l'encadrement sous forme de conseil et non de
façon obligatoire comme pendant la période coloniale: le paysan est libre et non
contraint. Le rôle de conseiller agricole "implique la possession et la maîtrise de
connaissances dans les domaines techniques, financiers, économiques, organisationnels. Il
nécessite également des qualités individuelles dont les plus essentielles sont l'aptitude aux
relations interpersonnelles (négociation, dialogue), l'ouverture d'esprit (nécessaire pour
adapter le raisonnement à chaque situation nouvelle) et la disponibilité" (CIRAD-
SEDES, 1988: 60).
En principe, les conseillers agricoles sont des MPVA ou des APV A (moniteur
des productions végétales ou animales ou assistants des productions végétales ou
animales); ils reçoivent ce diplôme après une formation dans une école d'agriculture.
Mais sur le terrain, on rencontre des CA (conseillers agricoles) qui ne sont ni MPVA ni
APVA; ce sont généralement des encadreurs formés sur le tas qui ne sont passés par
aucune structure officielle de formation à l'encadrement ou qui ont fait des stages après
leur recrutement. A la CillY, on les appelle les "journaliers" selon la terminologie
administrative; mais eux-mêmes se désignent sous le vocable d'"encadreurs " ou celui de
"conseillers agricoles".
Le CA (conseiller agricole) établit une carte de secteur et un programme de
travail qu'il remet à son chef afin que ce dernier puisse le suivre ou le rejoindre dans tous
ses déplacements qu'il soit préalablement averti ou non, selon les normes de la méthode
Benor (décrite au chapitre 2).
Il rapporte au chef les besoins, observations, doléances et critiques des paysans.
Il lui transmet les rapports d'activité sur l'état d'avancement des travaux, les difficultés

206
rencontrées et toute autre observation relative à l'exercice de ses fonctions. Le CA
(conseiller agricole) est conçu comme la bouche des paysans et l'oreille du chef de
périmètre.
Avec les paysans, "le conseiller agricole est le véritable agent d'information et de
formation des agriculteurs au niveau des villages. A ce titre, il est chargé de l'éducation
permanente et de l'organisation pratique des agriculteurs pour la réalisations des objectifs
techniques; de préparation des terres, de mise en place et d'entretien des cultures, de
récolte et de commercialisation des productions. Il a le devoir impérieux d'augmenter la
productivité du travail des agriculteurs encadrés et de gagner leur confiance "selon la
fiche de fonction du conseiller agricole de la CillV (1989: 11). Le CA (conseiller
agricole) est ainsi l'agent de base de l'encadrement des organisations et exploitations
paysannes. A ce titre, il devrait avoir une expérience suffisante en vulgarisation agricole
et en communication, et des notions pratique d'animation coopérative, selon les
recommandations de toutes les structures d'encadrement.
On constate qu'à quelques exceptions près, le CS (ou le c.P.) a le même rôle sur
papier (sinon les mêmes fonctions) que les CA (conseiller agricole), mais comment cela
se passe-t-il concrètement?
En prenant l'exemple de l'aménagement hydro-agricole de Sakassou avec la
CIDV d'abord et celui de la SATMACI ensuite, on perçoit ce que sont division du travail
et distribution des rôles.
Cet aménagement est divisé en deux grands blocs ou rives: rive gauche et rive droite.
Nous avons déjà signalé
qu'il y a 1 c.P. et trois conseillers agricoles dont deux
travaillent sur la Loka et 1 dans le "secteur informel", Chaque conseiller agricole
s'occupe d'une rive; il encadre les paysans de "sa" rive (dont il est responsable). Il ainsi
est autonome vis-à-vis de son collègue. La répartition du travail a été faite par le c.P.

207
(chef de périmètre) qui lui-même joue le rôle de superviseur; il passe sur l'aménagement
surveiller le travail des deux conseillers, ou bien il leur donne des travaux à faire d'après
ses observations sur l'aménagement. Au bureau, il règle les conflits entre paysans ou
entre paysans et encadreurs; il répond également aux questions de paysans qui passent au
bureau, quand il n'y a pas de conseillers. Le CP. prépare également l'arrivée des
délégations de visiteurs sur le terrain. Il reçoit des rapports d'activité de ses conseillers
agricoles (le plus souvent à sa demande ou en fin de semaine) mais en même temps il en
fournit à son supérieur hiérarchique directe qui est le DD à Bouaké. Il assiste à quelques
réunions de la structure d'encadrement au niveau départemental ou régional, auxquelles il
est convié.
Dans le cas de la CillY, on voit bien que sur le terrain, les véritables agents de
formations sont les conseillers agricoles. Le chef de périmètre est surtout un superviseur.
Cette répartition des tâches ne fait d'ailleurs pas l'unanimité: Nous rapportons ici un
extrait de réunion entre les conseillers agricoles et leur chef de périmètre. Il s'agit de la
partie C intitulé "divers".
-Jérôme: "Sous prétexte que Georges est nouveau ici, moi on me donne plus de travail
que lui alors que nous sommes tous des CA, et en plus lui il a le diplôme de MPVA, il a
fait une école d'agriculture; où est le rapport entre sa nouveauté ici et sa compétence
au travail? Il était nouveau donc on lui a donné peu de travail pour s'accommoder.
Maintenant qu'il est imprégné, ilfaut équilibrer le travail"
- Kouamé (le c.P.): "qu'est-ce que tu proposes?"
- Jérôme: "ma préoccupation, crest l'efficacité de l'encadrement. Pour que le paysan soit
mieux encadré, il ne faut pas que tout repose sur une seule personne"
- le c.P.: "c'est par rapport à ton expérience et aussi parce que toi tout le monde te
connaît. Lui, il vient d'arriver et aussi, avant de venir ici, il faisait du riz pluvial. Tu es

208
ancien et pour l'instant plus écouté. En Décembre quand Ouattara 2 partira, Georges
prendra ses J30 hectares".
Cet extrait de dialogue est assez significatif pour montrer que la répartition du
travail, la division des tâches prend en compte des facteurs que l'on ne perçoit pas
toujours dans les organigrammes ou fiches de fonction des structures d'encadrement. Et
le décalage entre les textes et la pratique est assez manifeste à la CillY.
Il en est de
même pour la SATMACI: les conseillers agricoles vont sur le terrain selon un
programme préalablement établi. Ils sont repartis sur toutes les zones d'action de la
SATMACI par le superviseur qui lui-même passe de temps contrôler leur travail. Le
superviseur est le intermédiaire entre les paysans et les conseillers agricoles d'un côté, et
le chef de zone et le reste de la structure de l'autre.
Dans la pratique, ce sont les conseillers agricoles qui font tout le travail et le c.P. ou CS
ou CZ ne joue que le rôle de superviseur. Il met la main dans la pâte pour signer des
documents, prendre des décisions ou pour régler des conflits.
L'ossature hiérarchique des structures d'encadrement nous montre un système
pyramidal du Directeur général au personnel d'exécution que sont les encadreurs de base
(cf organigramme suivant).
2 C'est un stagiaire qui effectuait sa formation pratique afin d'obtenir le titre de APVA (assistant des
productions végétales et animales). C'est lui qui encadrait les 130 ha de l'ancien bloc où il n'y a que des
"anciens" paysans (qui pratiquent la riziculture irrigué depuis la création du projet). Son affectation sur
ce bloc n'est pas fortuite. Il devrait s'inspirer de l'expérience de ces paysans. On voit ici le rôle du paysan
formateur.

209
ORGANIGRAMME D'UNE DIRECTION REGIONALE DE LA C.I.D.V
ACS
DR
1
1
1
1
1
CC
CC
CC
CC
CC
CC
PCG
PROD
ADC
AME
FAC
AAF
1
1
Adj
CC
Adj
CC
Adj
CC
AME
PROD_R.I
PROD_MEC
REG
DD
1
1
1
1
1
~ TS TS
TS
TS
CB
CPO
PCG
PROD
l\\ŒCA
GE
FAC
AAF
CB
CS
1
1
1
CA
CA
CA
CA
CA
Légende
DR: Directeur Regional
ADJ. CC : ADjoint Chef de Cellule
ACS
: Agence Comptable Secondaire
R I : Riz Irrigué
CC
: Chef de Cellule
D D
: Délégué Départemental
PCG : Programme et Contrôle de Gestion
REG
: REGisseur
PROD: PRODuction
C B
: Chef de Bureau
ADC : Agronomie et Défense des Cultures
G E : Gestion de 11 Eau
AME : AMEnagenment
C S : Chef de Secteur
FAC : Formation et Action Coopérative
C A : Conseillers Agricoles

210
Que ce soit à la CillY, à la CillT ou la SATMACI, l'organigramme des
structures d'encadrement est de type bureaucratique.
On y perçoit un système
d'encadrement directif. Au niveau institutionnel, toutes ces organisations de type
bureaucratique, administratif très hiérarchisées relèguent les intervenants à la base. Et
pourtant les moyens matériels sont mal repartis: accumulés en haut des organigrammes.
"Tout repose sur l'encadreur de base alors que quand on donne des primes, c'est aux
grands. Le carburant qu'on demande n'arrive pas. Or c'est à partir de nos demandes
que la structure fait le budget et les grands bouffent ça. Ils nous utilisent pour gagner
les choses" (Tanoh de la SATMACI, superviseur).
Les encadreurs de base ont en principe des mobylettes qui leur permettent de se
déplacer d'un lieu de travail à un autre. La Banque Mondiale finance théoriquement le
carburant. Mais suite au non respect d'un contrat signé par la Côte d'Ivoire, le
financement du carburant est arrêté, le temps de négocier un nouveau contrat. Quelques
rares fois, le carburant arrive sur le terrain sous forme de bons d'essence. Mais selon la
station où le bon doit être présenté, l'encadreur n'est pas servi. Par exemple en Octobre
1991, les agents de base de la CillY qui recevaient des bons de la station B.P. (alors qu'il
n'y a pas de station B.P. à Sakassou) se sont vus refuser l'accès au carburant dans les
deux stations de la ville (Total et Mobil); et pourtant habituellement ces deux stations
acceptaient les bons d'essence des encadreurs quitte à les monnayer après avec la
direction de la station B.P. à Abidjan ou Bouaké. Ce refus inhabituel serait dû au fait que
"il y a un trafic de faux bons. B.P. a donc écrit à toutes les villes qui n'ont pas de
station B.P. de refuser les bons jusqu'à nouvel ordre" (un gérant de station à Sakassou).
Dans un cas pareil que doit faire l'encadreur? Attendre que la situation se débloque avant
d'aller travailler (pendant une durée indéterminée)? Aller travailler en payant soi-même
l'essence? Face au problème du carburant, tous les encadreurs, qu'ils soient du secteur

211
"informel" ou du projet Loka, ont choisi d'aller travailler pour montrer surtout à leur
structure (aux "chefs" et "patrons") qu'ils sont volontaires. De toutes façons, c'est un
choix obligé étant l'annonce incessante de licenciement. Mais c'est surtout la manière de
travailler qui a changé.
Les encadreurs qui ne sont pas sur le projet Loka! ont choisi de n'aller qu'en des
lieux pas trop éloignés de leur lieu de résidence ou bien quand ils vont loin, l'essence est
à la charge des paysans qui les y invitent. Les encadreurs du projet eux, étant donné que
l'aménagement est à seulement deux kilomètres de la ville, y vont également. Mais en
raison de l'étendue de l'aménagement (400 ha), ils ne peuvent pas voir tous les paysans.
De ce point de vue, le favoritisme et le clientélisme entre encadreurs et paysans que le
système Benor a voulu enrayer, existe encore.
Le problème du carburant a aussi engendré des stratégies du côté de certains
encadreurs (ceux qui ne veulent pas payer l'essence): créer ou utiliser des réseaux de
relations" qui
leur permettent d'obtenir l'essence avec les bons qui sont censés être
refusés. Certains par exemple se feront ouvrir un cahier de crédit et se servir en essence
le temps que durera la situation, puis la station qui participe à cette complicité se fera
rembourser par la suite. D'autres au contraire laissent leurs bons comme gage chez des
commerçants et obtiennent de l'argent en liquide. Dans l'un ou l'autre des cas, ce genre de
manoeuvre s'établit grâce à un acte de confiance; la confiance est l'un des éléments qui
_entre en jeu dans la composition d'un réseau de relations stratégiques. Or Georges de la
CillV est nouveau à Sakassou et dit-il "les gens ne veulent pas me donner des crédits
3Ce sont les encadreurs de la SATMACI, de la CIDT et de la CIDV que les encadreurs du projet Loka
appellent "encadreurs du secteur informel" car ils forment des paysans individuellement installés en des
lieux géographiquement éloignés les uns des autres.
4Mitchell (1969 et 1983) a étudié aussi ce type de réseaux et son fonctionnement en zambie (milieu
urbain).

parce qu'ils disent qu'ils ne connaissent pas". Une telle situation amène à développer
d'autres stratégies (de séduction par exemple) mais auprès de ses collègues anciens qui se
portent garants auprès de leur réseau.
Tout laisse penser que la structure d'encadrement ne laisse aucune initiative aux
agents sur le terrain. Or l'extrait de la réunion entre agents de la CIDV montre que dans
la distribution des rôles par exemple, il a été tenu compte de l'ancienneté dans le travail
et de la durée de résidence. Le C.P. (chef de périmètre) a pris l'initiative de hiérarchiser
ses administrés: c'est Jérôme, bien qu'étant sans diplôme agricole, qui est l'adjoint au C.P.
(chef de périmètre). C'est un honneur d'être ainsi distingué dans l'ordre du mérite de la
compétence (?) car être choisi parmi des diplômés et des fonctionnaires signifie qu'on a
une expérience professionnelle et par la même occasion une compétence que les autres
n'ont pas. Cependant, cette distinction ne s'accompagne pas toujours d'avantages
matériels: "je joue le rôle d'assistant mais je n'ai pas les avantages d'assistant". Si cette
distinction fait l'objet de fierté pour le contractuel (bien qu'elle ne s'accompagne pas
d'avantages matériels), elle est l'objet et le signe d'une humiliation publique pour le
MPVA fonctionnaire. "A quoi ça sert d'avoir une formation, un diplôme et un numéro
matricule, si même les journaliers sont mieux considérés que nous?".
On remarque ici que la motivation au travail des encadreurs n'est pas toujours et
seulement d'ordre matériel (tel que le salaire); ce que Sainsaulieu (1987: 51) appelle le
"facteur humain"
est
très
important à prendre
compte
pour
comprendre les
comportements au travail qui "ne sont pas que la conséquence du salaire et des aptitudes
techniques, ils traduisent des besoins plus complexes et plus profonds qu'on appellera
motivation'". La distinction, l'honneur que procure à cet encadreur la hiérarchie
informelle, sont pour lui une grande marque de considération. C'est un "facteur humain"
Svoir aussi Muccelli, 1981.

213
non quantifiable. Aussi, les encadreurs déploient-ils des stratégies professionnelles
également pour l'accès à une position d'influence autant dans la structure que dans le
monde extérieur à la structure. Ceci confirme l'idée de Hughes", "qui mettait l'accent sur
le fait essentiel que le "monde vécu de travail" ne pouvait se réduire à une simple
transaction économique (l'usage de la force de travail contre un salaire): il met en jeu la
personnalité individuelle et l'identité sociale du sujet, il cristallise ses espoirs et son image
de Soi, il engage sa définition et sa reconnaissance sociales" (Hughes, 1955, 1958 et
1966)7.
Division
des
tâches
et
distribution
des
rôles
façonnent
des
identités
socioprofessionnelles, qui elles, permettent aux individus de défendre une position
sociale ou au contraire de la transformer.
5.1 .2 Système de communication et système d'autorité
Outre les circulaires, notes de services et réunions, le véritable moyen de
communication entre les encadreurs et leurs responsables hiérarchiques, est la production
de rapports d'activités. C'est un système de communication ascendant de l'encadreur de
base vers le Directeur Général.
Le regard sur le terrain fait ressortir deux sortes de rapports d'activité, même si
officiellement il n'yen a qu'une: les rapports d'activité écrits (officiels) d'une part, et les
rapports d'activité oraux (non officiels) qui ne sont pas du tout formels.
Il faut cependant noter que si les rapports écrits sont officielles, systématiques,
obligatoires et établis par tous les agents, les rapports oraux eux, sont informels,
officieux, pas obligatoires (facultatifs voire interdits) car ils ne figurent nulle part dans les
6Sociologue du travail se siluant dans une perspective Interacuonniste.
7Lu par Dubar (1991: 149).

214
recommandations et demandes des sociétés d'intervention; et d'ailleurs, officiellement ils
n'existent pas et tous les "chefs" et "patrons" interrogés les répugnent et les interdisent
catégoriquement, les jugeant amoraux. Et pourtant, ils ont un grand poids dans les
relations stratégiques des encadreurs.
5.1 .2.1 Les rapports d'activité écrits
Ils suivent un circuit ascendant: le CA (conseiller agricole) rend compte au CS
(ou c.P.) qui lui aussi s'adresse au DD (Délégué Départemental) qui lui-même s'explique
devant le DR (Directeur Régional) qui à son tour s'adresse au DG (Directeur Général).
Comme disent les encadreurs, "notre travail, c'est comme un cadre militaire. Tu ne dois
pas dépasser le caporal pour aller voir le capitaine. Tu ne peux pas laisser ton chef
direct pour aller voir quelqu'un de plus gradé que lui. Et même si tu le fais, il te dira de
voir d'abord ton chef'. Les encadreurs agricoles assimilent la structure d'encadrement à
l'année, où officiellement rien n'est négociable. On a ainsi:
CA---> CS ---> DD ---> DR ---> DG ---> Ministère
A quelques exceptions près, les mêmes informations sont transmises - il Y a
parfois des censures, on enlève (supprime) ce qui ne doit pas parvenir au supérieur
hiérarchique: ce qui peut l'irriter ou le compromettre - mais l'auteur de l'information
change. Par exemple le conseiller agricole peut mentionner des conflits ou des
suggestions qui ne parviennent pas à l'étape finale; ainsi selon Jérôme: "on doit produire
des rapports. Mais dans les rapports qui arrivent à la Direction ne figurent pas tous les
points, les problèmes entre paysans que nous réglons. A quoi ça sert alors? Par
exemple quand Diarrassouba nous avait donné les parcelles et que les paysans s'étaient
fâchés, j'avais mis ça dans mon rapport parce que ça fait partie des problèmes du

215
terrain. Mais lui quand il afait son rapport au DD, il n'a pas parlé de ça. La direction
a été informée seulement quand les paysans l'ont convoqué chez le député. Je crois que
s'il leur avait dit ça au début, l'affaire n'allait pas être comme ça aujourd'hui. Nous on
pensait que c'est le projet qui nous avait donné les parcelles, or c'était lui-même". Cet
entretien fait ressortir le problème des suppléments de salaire". Comme on le voit les
parcelles attribuées aux encadreurs par leur chef de sa propre initiative pour les motiver
au travail, est un supplément de salaire qui n'est en principe pas reconnu ni par les
bailleurs de fonds, ni par les paysans, ni par la structure d'encadrement elle-même. Les
encadreurs le considèrent comme un dû, ne sachant pas comment cela leur a été octroyé
ou peut-être même le savent mais feignent de l'ignorer. Une revendication des paysans
met à jour cet état de fait qui au fond n'était pas si secret qu'on l'aurait pensé. Au niveau
hiérarchique, certains chefs ou patrons savaient l'existence de ces parcelles, mais "nous
n'avons rien dit parce qu'on connaît la situation salariale des encadreurs, ils ont un
niveau de vie très bas. JIfaudrait qu'ils aient un minimum de ressources. Or la réussite
du projet dépend d'eux, et en plus, on a considéré que cela serait des parcelles modèles
pour les paysans" (un "patron" anonyme).
Les relations entre les responsables et le personnel de base n'existent souvent que
par les rapports d'activités écrits, les compte-rendus. 11 y a une absence de concertation
avec les encadreurs de base pour débattre des problèmes ou trouver des solutions, bien
que certains de ces rapports exposent les problèmes rencontrées sur le terrain.
Les rapports officiels (écrits) du CA (conseiller agricole) au c.P. (chef de
périmètre) sont périodiques (mensuels, bimensuels ou hebdomadaire). Certains rapports
se font également spécialement à la demande du c.P. (chef de périmètre). 11 y a
8A ce sujet, voir aussi Berche, 1994: 486. Son étude sur les pratiques des infirmiers dans un projet de
santé au Mali révèle aussi l'existence de ce qu'il appelle les "topping up" que les agents de
développement considèrent comme un dû.

216
également des rapports de fin de campagne faisant le bilan, l'inventaire des produits
utilisés et ceux restant, en rapport avec la production générale de l'aménagement. En
réponse à ces rapports, le chef remet aux conseillers agricoles des fiches de suivi des
travaux pour la campagne suivante.
Quelle que soit la structure d'encadrement, on a ici les éléments qui le plus
souvent reviennent dans les rapports d'activité écrit du chef:
1 Pluviométrie
II Personnel
- Personnel (en place, en congé, en mouvement)
- Sanctions
III Informations sur les villages
- Ambiance générale
- Evénements importants
- Vie des GVC
IV Réalisations agricoles du mois (de la semaine ou de la quinzaine suivant les cas)
- Situation des différentes opérations agricoles
(labour, semis, traitements, sarclages etc.)
- Commercialisation (situation)
VI Difficultées rencontrées
- Difficultés à chaque niveau
- Personnel et matériel
VII Suggestions
Les rapports des conseillers agricoles ne portent que sur six des sept points ci-dessus
cités, la partie "personnel" étant réservée aux chefs. Les deux derniers points sont ceux
où se "glissent" parfois les propos de délation.

217
5.1 .2.2 Les rapports verbaux, oraux (officieux)
Ce sont des paroles émises de bouche à oreille du CA au DG et qui ne suivent pas
nécessairement le même circuit que les rapports écrits. Dans ces rapports, la délation fait
office d'instrument stratégique pour gagner les faveurs de tel ou tel "chef", tel ou tel
"patron" ou tout simplement pour nuire à telle ou telle personne (encadreur ou paysan).
On remarque cependant qu'en tant que telle, elle n'a d'intérêt que parce que des
encadreurs soupçonnent d'autres encadreurs de la pratiquer, sans même vérifier son
existence; peu importe de savoir s'il y a eu délation ou pas, l'important c'est de penser
qu'elle existe et cause du tort à ceux qui ne l'utilisent pas comme instrument stratégique;
peu importe la réalité ou la gravité de l'acte de délation, l'important c'est de jeter un
discrédit sur quelqu'un.
Ecrits ou oraux, les rapports d'activité sont non seulement le lieu de
faire l'état d'avancement des travaux et les difficultés rencontrées, mais aussi le lieu de
faire de la délation. C'est l'exemple d'un des chefs dans un de ses rapports à la DD, contre
y. un expert consultant, coordinateur d'activités de développement au F.E.D.: "je vous
l'avoue, il a dit trop de choses, accusant même les ivoiriens de ne pas être assez
organisés et qu'il écrirait au FE.D. pour le leur signifier. Du coup il pense qu'on se
moque de lui car vous ne m'avez pas informé de sa visite". Ce chef rapporte ici des
propos informels d'un entretien qu'il aurait eu avec cet "expatrié" Y., propos
apparemment anodins mais qui sont amplifiés et répercutés au niveau national grâce à un
compte-rendu d'activité (officiel ou officieux).
Les rapports de ce genre semblent avoir une influence (positive ou négative) sur
le fonctionnement normal des activités de développement car le coordinateur a été

218
remplacé dans l'exercice de ses fonctions et rappelé dans son pays d'origine (Belgique).
L'agent d'encadrement n'est donc pas seulement qu'un exécutant, il a aussi du pouvoir.
Tout le monde connait l'existence de rapports contenant de la délation. Comme le
montre Y., consultant, "les encadreurs sont prêts à "vendre" leurs collègues pour
bénéficier de faveurs quelconque, même s'ils n'accèdent pas à un rang supérieur. Ils
vont même jusqu'à mentir et c'est dégueulasse". Tous les encadreurs présents,
approuvent cette explication et chacun donne un exemple: "Untel il rapporte et de temps
en temps il reçoit des bons d'essence supplémentaires" ou bien "depuis que Untel a
rapporté tel acte, il a maintenant une voiture (4x4 Mitsubishi)". Dans leurs déclarations
chacun prend un exemple lointain, c'est-à-dire sur des encadreurs ou chefs d'autres
régions ou villes. Personne ne parle officiellement de délation dans son groupe.
Par contre, interrogés individuellement, il ressort que les exemples lointains sont
en fait très proches et que les individus dont il s'agissait plus haut ne sont en fait que des
caricatures d'encadreurs présents lors de la discussion de groupe. On nous explique alors
par exemple que la nouvelle voiture dont dispose un des chefs est le fruit de ses bons
rapports avec un des "patrons" de la direction; il n'est plus question de 4x4 (comme
indiqué dans la discussion de groupe) mais d'une petite voiture de tourisme.
Les rapports contenant de la délation sont ainsi des "lieux" de négociation; c'est
l'un des moments où on peut rentrer en contact personnel avec le chef ou le patron; on en
profite pour discuter des problèmes personnels. Ces rapports circulent non seulement
entre
les
encadreurs
de
base
et
leurs
supérieurs
hiérarchiques,
entre
pairs
(encadreurs/encadreurs) mais aussi entre les paysans et les chefs ou autres visiteurs qui
viennent en mission sur le terrain ou encore entre les paysans et les encadreurs. Sont
également concernés par la délation: notables et paysans, notables et encadreurs,
responsables
administratifs et
paysans,
ou
encore responsables administratifs et
encadreurs. Nous avons également rencontré des cas de délation entre des personnes qui

219
ne font partie d'aucune des catégories précitées et les encadreurs: les premiers
témoignent parfois avoir vu les encadreurs transgressser une norme professionnelle
(détourner des produits destinés aux paysans, mentir sur les véritables raisons d'une
absence, etc...).
Contrairement au système de communication à travers les rapports d'activité
écrits, le système d'autorité lui est descendant; les circulaires et notes de services
également. Les ordres vont du ministère vers le CA (conseiller agricole).
Ministère--->DG---> DR--->DD--->CS--->CA
L'obligation d'appliquer des recommandations en un temps préalablement défini, nous
renvoie à une conception très autoritaire de l'encadrement.
5.1 .3 Le système de relations
A la question "il y a combien de catégories de personnels d'encadrement?", les
encadreurs distinguent trois catégories de personnels: "nous, les encadreurs" (agents en
permanence sur le terrain), les "chefs" et les "patrons" (ceux qui sont dans les bureaux).
Ces derniers sont dénommés selon les encadreurs de base, comme tel, "parce que ce sont
eux qui ne se fatiguent pas. Ils sont dans les climatiseurs" (dans des bureaux climatisés)
là-bas el c'est nous qui travaillons. Nous on n'a pas le droit defaire comme eux".
Les chefs sont les plus proches hiérarchiquement, ils sont aussi appelés les petits;
c'est le chef hiérarchique direct, tel le c.P., le superviseur, le CS, le CZ. Et les patrons
9 Même s'il n'y a pas de climatiseurs dans certains bureaux, ce genre d'allusion est simplement fait pour
montrer l'inactivité, l'"aisance", le fait d'être dans de grandes villes.

220
sont les plus éloignés, ce sont les grands, (eux ce sont les "inaccessibles"). La distinction
petit/grand fait référence au pouvoir. Les encadreurs considèrent que plus on est éloigné
de la base ou plus on monte en grade, plus on a de poids et de pouvoir dans la structure
d'encadrement.
Les relations sont plus tendus avec le chef direct qu'avec les patrons mais en
même temps, c'est avec le chef direct qu'on développe plus de stratégies de séduction au
travail.
Les "chefs" et surtout les "patrons" par contre font rarement cette distinction. En
général, ils répondent au nom de tous (encadreurs de base y compris). Les supérieurs
hiérarchiques, les ingénieurs, les agronomes qui sont dans les directions générales,
régionales ou départementales, utilisent régulièrement l'expression "nous les hommes de
terrain" pour parler des encadreurs de bureaux ou de terrain. Ils sont prêts à montrer les
résultats de l'aménagement pour signifier qu'ils connaissent et maîtrisent vraiment "le
terrain". En fait, les informations dont ils disposent sont cel1es fournies par les encadreurs
de base, à travers les rapports d'activités. De temps en temps les patrons effectuent des
visites, des missions sur le terrain. Un encadreur non consciencieux peut ainsi manipuler
le patron à sa guise en lui fournissant des fausses informations, des résultats erronés.
Nous remarquons que dans le milieu du développement agricole, tout le monde se
dit "homme de terrain" dès l'instant où il est en contact même d'une minute (peu importe
la durée) avec le milieu destinataire du développement. Ainsi en prenant l'exemple du
projet Loka, les cadres de la structure qui de temps en temps viennent effectuer une
visite sur le projet se disent "hommes de terrain", les experts qui passent en voiture sur le
projet ou même qui restent à Abidjan et prennent des nouvelles du projet se définissent
comme hommes de terrain10, ceux qui de loin téléphonent pour avoir des nouvel1es
10 A ce sujet, voir Chambers, 1990, qui les désigne sous le vocable de "touristes en développement".

221
fraîches de ce projet se classent parmi les hommes de terrain, l'élu politique qui le week-
end vient dans sa région et s'enquiert des nouvelles du projet se dit homme de terrain, le
préfet ou le sous-préfet qui rend compte du projet s'octroie le titre d'homme de terrain
etc.... La notion de terrain telle qu'elle est employée est relative.
5.1 .3.1 Les relations avec le chef
Elles comptent beaucoup dans la façon de travailler du conseiller agricole. Le
chef doit être accessible. "Un chef doit être autoritaire d'accord mais accessible
d'abord On doit pouvoir compter sur lui, partager certains de nos problèmes avec lui,
cela signifie qu'il doit savoir nous écouter" (propos d'un des CA).
Dans les conflits entre encadreurs et chef direct, on évoque plus la personnalité,
l'âge, la qualification et la compétence que la position du chef.
Certaines complicités participent aussi au désir des chefs de se faire respecter (chantage
subtil). Par exemple un encadreur ne peut s'absenter sans un ordre de mission de la
préfecture; mais à cause de la lourdeur et de la lenteur administrative, il arrive que le chef
prenne sur lui l'engagement de donner une autorisation verbale à un de ses agents pour se
rendre à des funérailles, baptêmes, ou autre activité nécessitant une présence immédiate
(banque par exemple il n'yen a pas à Sakassou). C'est quelquefois l'échange du respect
contre quelques faveurs de ce genre.
Il y a rarement relations conflictuelles ouvertes, déclarées entre deux encadreurs
de même statut. Ils privilégient officiellement l'unité, la complémentarité et la solidarité.
Mais dès l'instant où entre en jeu non pas le statut (puisque "un encadreur reste un
encadreur" selon Jérôme), mais l'avancement en salaire par exemple ou une quelconque
rémunération même officieuse, alors changent aussi les intérêts, et chacun développe des
stratégies pour contrecarrer l'autre; ainsi s'instaure la concurrence, la jalousie, la rivalité.
Par exemple, quand le chef de la Loka devait choisir deux des trois encadreurs de sa

222
structure à Sakassou, pour assurer l'encadrement du projet, chaque encadreur, à sa
manière adopte des attitudes et comportements de séduction afin de rester sur le projet
(et ne pas se retrouver dans le secteur informel). Plusieurs raisons expliquent leur "lutte":

On se déplace seulement à deux kilomètres de la ville et on économise ainsi en
carburant, contrairement au secteur informel (hors projet Loka)
où il faut se
déplacer à des dizaines voire des centaines de kms pour exercer sa profession. Or;
selon leurs explications, le carburant dont ils bénéficient au compte-goutte n'est pas
suffisant même pour les 2 kms.

On a la possibilité de nouer et d'entretenir des relations privilégiées avec certains
paysans et échanger des "services" car à Sakassou, l'enjeu chez toute la population,
c'est cet aménagement. Les "grands" de la ville (commerçants, chauffeurs, hommes
politiques (par personnes interposées: exemple la présidente de l'Af'I!', de l'oncle du
député, ...), certains représentants de l'administration (exemple d'un agent au cabinet
du préfet) sont dans ce projet alors pourquoi ailleurs? Chaque encadreur déploie des
stratégies de séduction auprès des paysans et du chef pour montrer qu'il est plus
travailleur, plus compétent, plus gentil que les autres.
Ces quelques cas de conflits ou de lutte, ne sont pas du tout manifeste chez les
encadreurs qui ne sont pas sur le projet V ème F.E.D. (les autres encadreurs de
Sakassou). Les agents de la CIDT par exemple sont autonomes les uns des autres car il
n'y a pas de bureau, lieu conventionnel de rencontre professionnel entre encadreurs et de
surcroît les encadreurs ne travaillent pas avec les mêmes paysans. Ils se rencontrent ainsi
rarement si ce n'est pour d'éventuelles réunions administratives chez le chef de zone à
Béoumi (35 kms de Sakassou). Les agents de la SATMACI également, bien qu'ils aient,
eux, un bureau sur Sakassou, ne se voient (tous ensemble) que pour des réunions au
Il Association des Femmes Ivoiriennes

·223
bureau autour d'une grande table rectangulaire. Les jours ordinaires ce bureau fait office
de lieu de travail du superviseur qui en quelque sorte assure la permanence au cas où des
paysans passeraient par là.
Dans ces cas (chez les encadreurs hors projet Loka), la délation sur d'autres
encadreurs se fait sur la base de ce que les paysans respectifs de chaque encadreur
rapporte à un autre encadreur ou à un (des) paysan (s) encadré (s) par d'autres
encadreurs ou encore par ce que l'encadreur lui-même aura dit de ses activités à un
collègue, ou même à travers des croisements de réseaux extra-professionnels des agents.
5.1 .3.2 Les relations avec les "grands"
Presque tous les encadreurs disent ne pas avoir de relations avec les grands
(patrons) c'est-à-dire ceux des directions régionales et générales. "Le chef direct est
l'intermédiaire entre les patrons et nous, nous n'entrons en contact avec eux que
lorsque quelques uns parmi eux viennent en mission ici" (des encadreurs de la
SATMACI en groupe). Les agents refusent de donner leur opinion personnelle sur les
patrons, en général parce qu'il ne les connaissent pas personnellement. Mais en fait, ils
ont quand même une idée du genre: "lui il est gentil" ou "lui il est méchant". Quels sont
les critères d'appréciation? Simplement les rumeurs: les "il paraît que" ou les ''j'ai appris
que". Les encadreurs partent de ragot, de commérage, de rumeurs pour se faire une idée
d'un patron ou pour véhiculer des idées sur un patron. Calogirou (1989: 47) ethnologue,
explique à propos de rapports sociaux en milieu urbain défavorisé, que. "ragot,
commérage, rumeur sont des phénomènes sociaux du même ordre, un bruit qui court,
dont la force réside dans la parole, mais dont le sens social est fort différent" . Nous nous
intéressons ici au sens social des rumeurs. Quels sont les réseaux de rumeurs? Comment
se forment et sont véhiculées les rumeurs?

224
La rumeur peut partir d'un encadreur qui a été personnellement reçu par un des
grands pour une raison quelconque. Il en parle à ses collègues, amis et connaissances
"pour qu'ils sachent que moi aussi je connais les grands" (informateur anonyme, non
fonctionnaire). L'objectif en racontant aux autres est de se valoriser, c'est la fierté de
connaître le milieu des grands. La rumeur peut également se transmettre par le biais d'un
encadreur qui connaît le patron à travers un parent ou un ami, ou même un paysan.
Connaître ici, c'est avoir eu un contact direct avec. La rumeur peut être le fait d'un
quelconque patron qui informe un encadreur ou quelqu'un proche du milieu, qui se
chargera de la diffuser. La rumeur est parfois également véhiculée par quelqu'un qui n'a
eu aucun contact direct, qui ne connaît pas du tout le patron mais qui en a entendu parlé
par hasard quelque part.
Les journaux ou la presse quotidienne participent aussi volontairement ou non,
des rumeurs concernant de l'image qui peut être véhiculée d'un patron. L'exemple d'un
article paru dans les colonnes du Nouvel Horizon12 n" 77 intitulé "CfDV: détournement
de 115 905 000 FCFA" et signé "un groupe de conseil/ers agricoles et de chefs de
secteur CfDV", le montre bien. Cet article accuse deux patrons (le Directeur Général et
le Sous-Directeur de la DAAF) d'avoir détourné un fond destiné aux encadreurs de la
CillV et conclue: "M. N'dri Brou Benoît et son fameux Moustapha ignorent que nous
sommes les plus petits et que nous jouons un très grand rôle, et que sans nous, il n'y a
pas de DG ni de S/DAAF, ni de CillV". Que les accusations portées soient vrais ou pas,
le journal a permis d'amplifier au niveau national des rumeurs qui se limitaient à un
groupe restreint d'encadreurs.
Dans le milieu des encadreurs, les phrases du genre: "sans nous, il n'y a pas de
DG ni de S/DAAF, ni de CfDT/lI l3 ou "sans moi, ce projet serait à l'eau", sont très
12 Le Nouvel Horizon est un journal hebdommadaire, de l'opposition ivoirienne.
13 Un groupe d'encadreurs de la CillV in Nouvel Horizon n? 57.

225
courantes. Les encadreurs légitiment ainsi leur intervention. Jérôme par exemple rappelle
assez souvent que c'est grâce à lui que fonctionne la Loka. ''je suis ici depuis plus de 15
ans. Tous les paysans me connaissent. Tous les nouveaux qui arrivent doivent passer
par moi pour connaître ce projet et son histoire. Je connais l'encadrement comme ma
poche et pourtant je n'ai pas de diplôme. J'ai fait de l'animation et je sais m'adresser
auxpaysans". Il montre ici le caractère indispensable de sa présence dans le projet Loka;
il valorise ainsi son image personnelle et par la même occasion sa profession "les paysans
ne pourront pas tout faire sans l'encadrement, surtout que on leur fait croire qu'il y a de
nouvelles techniques", comme pour dire "tant qu'il y aura des projets, il y aura des
encadreurs". En général, chaque encadreur se considère comme "le bon samaritain". Par
la même occasion, tous les encadreurs pensent que le métier d'encadreur agricole ne
disparaîtra pas tant qu'il y aura la mécanisation et de nouvelles techniques agricoles, tant
qu'il y aura quelque chose à apprendre aux paysans.
Dans tous les cas, la rumeur permet de s'octroyer symboliquement une identité ou
d'en octroyer une à celui qu'on veut "noyer" (ternir la réputation) ou au contraire
"arranger". L'article dont il est ci-dessus question joue les deux rôles en même temps
ternir l'image de deux patrons et en même temps porter un regard misérabiliste sur les
encadreurs, les "exploités". La rumeur ici exprime les rapports de force au sein d'une
structure d'encadrement, ou même d'une opération de développement qui au fond se
présente comme une arène de luttes (Crehan et Von Oppen, 1988); luttes pour le
pouvoir, la capacité d'influencer autrui, luttes pour obtenir des faveurs, luttes pour se
positionner
dans
la
structure
d'encadrement
ou
le
projet
ou
l'opération
de
développement, etc. La délation dans ces cas se présente comme un instrument
stratégique pour accéder à ces fins.

226
Très souvent, rumeur et délation vont de pairs. C'est en effet dans les pratiques
de délation qu'on retrouve le point de départ des rumeurs vraies ou fausses.
5.2 EVALUATION DU TRAVAIL DE L'ENCADREUR
5.2 .1 Evaluation interne
Il s'agit des évaluations internes à la région de Sakassou -faites par les paysans,
les habitants de Sakassou, les autorités politiques et administratives- et internes à la
structure d'encadrement elle-même. Le premier type est une évaluation "informelle" et le
deuxième (par la structure) une évaluation bureaucratique.
Théoriquement, le travail des conseillers agricoles est évalué par le CP. ou
superviseur ou CS qui eux sont évalués par le délégué départemental. L'évaluation suit
officiellement la trajectoire hiérarchique descendante de la structure d'encadrement. Mais
la pratique montre que chacun, à tous les niveaux, évalue les encadreurs. En réalité, le
paysan peut évaluer le travail de l'encadreur, la préfecture ou la sous-préfecture
(représentant local de l'Etat) peut évaluer le travail de l'encadreur, le petit personnel (non
encadreur, tel gardien, chauffeur ou mécanicien) de la structure d'encadrement peut
évaluer le travail de l'encadreur, les représentants politiques de la région peuvent évaluer
le travail de l'encadreur etc ....
Voyons un exemple d'évaluation interne, à partir d'un conflit entre un encadreur
et des paysans du projet Loka: Diarrassouba (chef de périmètre sur le projet Loka de
1987 à 1989) et les paysans.
Diarrassouba est le C.P. qui a précédé Kouamé. Il est malinké. Précédemment
adjoint à un "blanc", Lossouam qui était responsable de la Loka (sous l'égide du

· 227
BETPA). Au départ de Lossouarn, Diarrassouba est nommé responsable du périmètre.
Alors commencent les comparaisons entre l'ex-chefet le nouveau chef. Beaucoup de faits
sont reprochés au nouveau:
1- Par les paysans
- "iI ne rentre pas dans la boue avec nous"
- "iI est incompétent"
- "iI favorise les paysans de même ethnie que lui"
Les reproches des paysans font référence à son ongme ethnique, à son
incompétence, à sa distance.
2- Par les autres encadreurs
- "il détourne les machines destinées aux paysans", ou bien
- "il sous-loue les machines des paysans de la Loka à d'autres paysans"
- "ilfait payer des prestations qui sont en principe gratuites"
Les remarques des encadreurs font référence plutôt à ses relations avec les biens
du projet.
3- Par les autorités administratives
- "il refuse de nous établir des rapports d'activité sous prétexte que ses chefs le lui
interdisent"
- "les paysans se plaignent trop de lui"
- "il refuse de répondre aux questions des enquêteurs à qui nous avons déjà donné
l'autorisation"
Ces autorités lui reprochent sa "fausseté".

228
4. Les autorités politiques
- "nos paysans se plaignent trop de lui. Il ne travaille pas bien"
A l'issue de toutes ces remarques,

Les paysans ont fait un rapport (officieux) oral d'évaluation sur ses activités auprès
de l'administration et des autorités politiques.

Les autorités politiques l'ont convoqué au tribunal populaire pour avoir des
explications, c'est-à-dire devant tous les paysans, tous les villageois walébo, ainsi que
le chef du village, les notables et le député. Puis elles ont à leur tour fait un rapport
évaluatif oral (officieux) également à l'administration.
• L'administration à son tour fait un rapport écrit (officiel) à la CillY tenant compte des
deux précédents rapports (oraux) et de son constat personnel. Or, à propos de
constat personnel,
Diarrassouba a eu des démêlés avec différents administrateurs
(préfets ou sous-préfets) pour ne leur avoir pas régulièrement fourni des rapports
d'activité quand ils le souhaitaient.
Exemple en 1989: nous avons assisté à une scène entre Diarrassouba et le sous-
préfet qui donna l'ordre à ses gardes ainsi "allez me chercher Diarrassouba chez lui.
Qu'il vienne en même temps que vous quel que soit ce qu'il fait. S'il refuse, je vous
donne l'ordre de l'amener ici de force".
Quand Diarrassouba arrive, le sous-préfet lui dit:
"Diarrassouba, tu désobéis à mes ordres sous prétexte que tes chefs ne veulent pas que
tu donnes à mon service et celui de la préfecture, des comptes rendus de tes activités à
la Loka. Moi je suis le représentant de l'Etat dans cette région. Tes chefs sont
commandés par qui? Est-ce qu'ils exercent sur un territoire autre que celui de la Côte

229
d'Ivoire? Si non, tu es sous mes ordres comme tous les services ici (à Sakassou). Tu
mens sur eux pour ne pas que je vois tes sales activités ici. Méfie-toi car tu auras de
mes nouvelles".
Les évaluations "informelles" des différents acteurs ont rapport avec la "paresse"
de l'encadreur, sa "fausseté", la trop grande "distance" entre lui et les paysans. De ce fait,
l'effort conjugué des différentes évaluations d'acteurs entraîne la décision de "chasser"
l'encadreur d'abord par des rapports oraux et ensuite par des rapports écrits, l'oralité
précédant et renforçant l'écrit (le discours et l'action officiels). On voit l'usage de la
langue, la communication orale comme outil stratégique puissant puisqu'on aboutit au
renvoi effectif (par retour de courrier écrit) de l'encadreur. Aussi, Diarrassouba a-t-il été
dans un premier temps "chassé" 14 de Sakassou, affecté dans une autre ville. Devant son
refus d'obtempérer, son salaire a été suspendu pendant 1 an et il fut menacé de radiation.
Et après de multiples marchandages et de nombreuses négociations initiées par lui-même
et son réseau de connaissances constitué par certaines des mêmes personnes qui
négociaient son départ, les dernières sanctions ont été levées, et il a rejoint son poste
d'affectation où il a même obtenu une promotion: il est passé de c.P. (chef de périmètre)
à Sakassou à DD (délégué départemental) à Man puis Tabou. Ce résultat illustre bien
l'idée de Mendras et Forsé (1983: 192) selon laquelle "un conflit est toujours un jeu à
somme non nulle. par conséquent les protagonistes peuvent être tous deux "gagnants" .
ou "perdants""ls. Dans ce cas précis tous les protagonistes sont gagnants: l'encadreur est
puni sans l'être puisqu'il a une promotion à la suite du conflit et de leur côté les paysans
et leurs alliés ont réussi à mettre à exécution leur projet qui était de faire quitter la région
14 C'est le terme utilisé par les différents narrateurs.
ISC'est nous qui soulignons.

230
à cet encadreur. Les relations entre les encadreurs et les autres d'acteurs ne sont pas
univoques: ce ne sont pas seulement des relations conflictuelles ou de solidarité.
L'utilisation de son réseau de connaissances par l'encadreur, pour aboutir à ses
fins n'est pas chose étonnante car Boissevain (1974) à la première page de son ouvrage
Friends of friends montre que c'est une pratique courante: "... ail us have problems
which we attempt to resolve via friends and friends of friends with whom we may even
fonn temporary alliances... ". Cela fait au contraire partie des règles du jeu implicites car
"dans un conflit social, les acteurs veulent généralement minimiser leurs pertes, ...,
obtenir quelque chose qui améliore (leurs) situations et diminue (leurs) faiblesses"
(Mendras et Forsé, 1983: 190). C'est pour cela qu'on marchande, qu'on négocie en
pensant tout autant à ses intérêts personnels qu'à ceux de l'adversaire car comme le dit
Strausslv (1992: 250), "l'ordre social est un ordre négocié". On essaye de gérer les
imprévus et de manipuler les imprévus. Les paysans et leurs alliés n'avaient pas prévu une
résistance de l'encadreur (refus de partir); face à cette nouvelle donnée ("carte"), ils ont
dû modifier leur plan et opter pour le marchandage avec pour postulat: "cet l'encadreur
doit quitter la région". L'encadreur devrait se réjouir de cette situation (quitter la région
et en même temps retrouver son emploi) mais voulant partir "la tête haute", il négocie
une promotion tout en tenant compte du contexte de négociation.
Cette histoire met en scène de multiples dimensions: rapports entre paysans et
autorités; paysans/responsables locaux du développement; autochtones et allochtones
face au développement, etc.. On voit bien combien il est important dans une telle
situation conflictuelle'? de disposer de "contacts stratégiques" (Boissevain, 1974).
16 Traduction française de Strauss, 1978: Negociations. Varieties, pro cesses. contexts, and social order.
San Franscisco: Jossey-Bass, par Baszanger.
I7Voir par exemple Beauchard (1981).

231
L'exposé de ce conflit montre que l'évaluation du travail des encadreurs n'est pas
l'apanage des seuls initiateurs du projet ni des seuls chefs des encadreurs, mais une
pratique quotidienne de toutes les catégories de personnes concernées directement ou
indirectement. Les encadreurs ont ainsi plusieurs évaluateurs. L'évaluation prend deux
formes: écrite et orale. Selon la forme, elle constitue une force assez puissante parfois
pour modifier les cartes. L'évaluation n'est donc pas simplement une opinion.
On remarque également que se pose le problème du conflit d'autorité:
Diarrassouba subit la pression de l'administration locale qui demande un compte-rendu
d'activité parce que la CillV est une administration, et aussi celle de ses supérieurs
hiérarchiques pour qui la CillV est une structure autonome et à ce titre ses agents n'ont
de compte à rendre qu'à elle-même (souci de préserver leurs informations?). Certes ils
sont pour la coopération avec l'administration mais elle est à leur sens bien défini selon le
DD (délégué départemental) de la CillV à Bouaké: ''je suis pour la collaboration avec
les autorités administratives. C'est important. C'est même indispensable. C'est eux qui
peuvent contenir la masse de populations en cas de problème. C'est eux qui ont en main
toute la politique du département. Ils nous aident à/aire passer les messages auprès des
paysans". En fait l'apport que la CillV ou toutes les structures d'encadrement demandent
à l'administration, c'est l'aide à sensibilisation des populations et non l'ingérence dans le
fonctionnement interne de la structure d'encadrement elle-même.
A qui obéir?
Il semble que son remplaçant Kouamé, lui, a compris qu'il faut composer avec les
deux. Et de là découlent toutes les stratégies pour se faire apprécier des uns et des
autres. Il fournit des comptes rendus aux autorités administratives sur leur demande, il
leur présente tous les stagiaires qui passent par le projet Loka, il assiste aux réunions,

232
etc. Bref, il collabore avec eux. De toutes façons, c'est pour lui la meilleure solution
puisque leurs rapports sont pris en compte dans l'évolution de la carrière d'un agent.
On note paradoxalement que selon les sociétés d'intervention, la coopération avec
les autorités administratives se limite à la sensibilisation des populations et pourtant elles
constitue une voix décisive pour l'évaluation de l'encadreur au sein de sa structure.
On remarque aussi qu'il n'y a pas de critères en soi d'évaluation. Il y a plutôt des
types d'évaluateurs et ce, en fonction des intérêts de chacun. Chaque type d'évaluateur
a ses
critères personnels qui oscillent entre l'officiel et l'officieux selon la nature et la
portée de l'évaluation, selon l'affinité des encadreurs avec tel ou tel autre acteur du
développement agricole. Si la structure et ses éléments font des évaluations en fonction
de l'application ou la diffusion des ordres donnés du sommet vers la base, les autres
évaluateurs ont des éléments d'appréciation autres. Dans tous les cas, la subjectivité est
beaucoup utilisée.
Au sein de la structure, comment apprécie-t'on le travail des encadreurs?
Les chefs et patrons semblent officiellement apprécier le travail d'un encadreur
sur la base des résultats obtenus en fonction des objectifs initialement définis dans le
programme annuel d'action. Ils disent prendre également en compte la maîtrise des tâches
techniques, l'assiduité et la ponctualité au travail, et la volonté et le courage de
l'encadreur. A cette liste, s'ajoute l'esprit d'initiative et de -créativité. Ainsi, le bon
encadreur selon un "patron", "c'est celui qui arrive à développer une capacité et qui a
les aptitudes qui lui permettent d'appréhender dans le milieu les atouts et les
contraintes sur lesquels il peut s'appuyer pour échanger avec les paysans qui sont pour
lui des partenaires économiques".

233
Pour les "chefs", un bon encadreur, "c'est l'agent qui ne fait aucune différence
entre lui et le paysan dans le souci de réussir la mission qui lui est confiée. C'est celui
qui cherche, qui a l'esprit d'initiative, qui aime le métier qu'il exerce, le monde des
paysans" (un chef).
Les paysans quant à eux, définissent le bon encadreur comme étant "celui qui
nous écoute, il nous montre bien le travail, il ne crie pas sur nous, il nous donne tous
les produits, il passe nous voir très souvent. Quand tu ne connais pas lui même il rentre
dans ton champ pour te montrer le travail. Or nos encadreurs, ils passent loin sur la
route et ils crient pour t'appeler et te posent les questions. II y en a qui ne viennent
même pas te voir; tu apprends seulement que c'est lui ton encadreur".
La définition de l'encadreur lui-même est assez explicite: "le bon encadreur c'est
celui qui creuse sa propre tombe ...". L'image de la tombe fait référence à la politique
d'auto-encadrement de plus en plus encouragée par les
institutions nationales ou
internationales qui financent ou mettent en place les politiques de développement
agricole: remettre l'encadrement aux mains des villageois, paysans eux-mêmes, afin qu'ils
s'assument en tant que responsables de leur propre développement; l'encadreur agricole
de profession devant alors disparaître. Nous verrons plus loin que cette définition n'est en
fait que théorique car au sein du groupe des encadreurs, il y a effectivement des normes
de travail élaborées qui établissent des limites "acceptables"-entre "trop travailler" et "pas
assez travailler".
La préfecture et la sous-préfecture tiennent compte des rapports d'activité
(officiels ou officieux) qui leur ont été fournis dans l'année. Mais leur relation personnelle
avec l'encadreur ou les représentants politiques, rentre en compte dans les notations.
Comme l'encadreur, le sous-préfet ou le préfet sont "épiés" par les autorités politiques. Il

234
faut s'entendre avec elles si on veut avoir une bonne renommée (cf. discours du sous-
préfet lors de l'émission télévisée sur Sakassou: "pour bien travailler à Sakassou, il faut
s'entendre avec ses représentants politiques" en 1992).
Les représentants politiques tiennent compte des rapports qui leur sont fournis
par les paysans pour évaluer le travail de l'encadreur.
Les paysans sont le plus souvent ceux qui influent sur les évaluations. Ce sont
eux qui sont en contact direct avec l'encadreur. On a vu par exemple dans le cas du
conflit Diarrassouba/paysans que tout est parti des paysans. Il a suffi qu'ils fassent un
rapport par l'intermédiaire des notables qui sont eux-mêmes paysans sur le projet Loka,
pour que autorités politiques et administratives tissent autour de ce rapport plusieurs
autres faits qui donnent une cohérence et une consistance à l'accusation des paysans.
Toutes ces catégories de personnes évaluent le travail de l'encadreur, parce que
elles sont toutes d'une manière ou d'une autre impliquées dans l'aménagement et nous
avons déjà montré qu'elles sont tous directement ou indirectement
acteurs du
développement de Sakassou.

Les paysans parce que ce sont les premiers concernés par le travail de l'encadreur. Ce
sont eux qui reçoivent la formation et sont donc à même de juger leur "maître" à
travers des critiques et remarques.

La préfecture et la sous-préfecture parce que ce sont des représentants locaux de
l'Etat dans la région de Sakassou. La CillV étant une structure étatique, elles se
donnent le droit de rendre compte des activités de cette structure à leur chef
hiérarchique (le ministère de l'intérieur).

Les représentants politiques de la région parce que l'aménagement de la Loka a été
créé avec leur caution. Et pour leur "honneur", ils doivent suivre de près tout ce qui
s'y passe afin que cet aménagement qui est leur fierté ne tombe pas en décadence.

235
Leur intervention est théoriquement dirigée vers les paysans dont ils sont en fait les
porte-parole auprès des instances politiques du pays.

Le petit personnel de l'organisme d'encadrement (mécaniciens, gardiens, chauffeurs,
etc ..) intervient ou influence aussi les rapports d'évaluation de ce genre, parce que ils
sont en permanence sur le terrain avec encadreurs et paysans. Ils participent à la vie
du projet. Leur intervention n'est que le témoignage de ce qu'ils constatent au
quotidien. Il y a par exemple deux gardiens qui se relayent jour et nuit pour la
surveillance de l'aménagement de la Loka contre les vols de matériels agricoles. L'un
d'eux (le plus vieux Moïse), est craint à la fois des paysans et des encadreurs. C'est un
personnage sans importance apparente mais qui est très écouté du chef et de certains
visiteurs qui le rencontrent discrètement pour être informés des activités du projet, et
du comportement de chacun. Tout le monde estime que "ce qu'il voit assis, personne
parmi les encadreurs et les paysans ne le voit même debout". En fait, il fait des
rapports d'activité officieux. C'est donc un "petit - grand".
Moïse est d'origine burkinabé. Il a la soixantaine et est le premier gardien de la
Loka. Il vit à Sakassou depuis une trentaine d'année. Fixé à son poste, il suit les allées et
venues de tous ceux qui viennent sur le périmètre (au bureau). C'est lui qui surveille tout
le matériel agricole (les machines, les tracteurs ...) et aussi les intrants (engrais,
semences, etc.) et les produits phytosanitaires (insecticides, herbicides, etc.). Il doit
rendre compte de tout ce qui disparaît sur le périmètre.
Pendant les visites surprises (surtout de jours fériés ou tard le soir des jours ouvrables), il
est présent. On lui pose parfois des questions sur ce qu'il voit, ce qu'il constate. Et c'est là
que Moïse le gardien devient un personnage important. C'est lui qui dit l'heure d'arrivée
et de départ de chaque agent. On essaye de rentrer dans ses bonnes grâces quand on ne
veut pas être l'objet de mauvais rapport par lui.

236
Il apparaît clairement qu'il ne faut pas voir dans les projets que les intervenants
directs (encadreurs, paysans) mais tenir aussi compte de l'environnement du projet.
Cet exemple nous permet de dresser le tableau suivant sur les implications des
uns et des autres dans le fonctionnement d'un projet selon les nonnes, et selon la
pratique:
paysans encadreurs autorités
sociétés
responsables
petit personnel
politiques
d'intervention administratifs de la société
locales
locaux
d'intervention
en
+
+
-
+
-
-
principe
en
+
+
+
+
+
+
réalité
Légende: + = implication
- = non implication
5.2 .2 Evaluation externe
Il s'agit des évaluations faites par des bailleurs de fonds, des chercheurs, des
membres du gouvernement, etc., en mission sur le terrain. Comment par exemple
s'organise des missions sur Sakassou? Nous présentons ici l'exemple de la mission
japonaise accompagnée par des agents du siège de la CillV sur le projet V ème F.E.D. à
Sakassou.

237
La préparation de la mission
Pendant les préparatifs de la mission, les paysans par le biais de leurs
représentants au niveau de la coopérative, mettent au point les doléances à exposer.
Les encadreurs font faire des "répétitions" au (s) paysan (s) choisi par eux-mêmes: un
exemple de répétition pour l'arrivée prochaines des japonais: le 21 octobre 1991.
Il h 55: le c.P. (chef de périmètre) et les CA (conseiller agricole) se rendent sur la
parcelle d'un PM (paysan motorisé). Le chef demande au paysan les dates de semis, de
repiquage, de traitement herbicide, etc., il parle en baoulé (langue locale): "combien de
kilo de semence faut-il pour ta parcelle?", "quelle quantité d'engrais?", "quel est le jour
du semis?", "... du repiquage?", "... du drainage?", "combien de jours faut-il pour le
repiquage?", "quelle est la date du traitement?"; suivent ensuite les questions de l'utilité
pratique des actes technico-scientifiques qu'on recommande au paysan: "pourquoi on te
dit defaire le semis?", "pourquoi on te dit defaire le repiquage en ligne?" etc.
Mais le paysan ne se rappelle aucune des dates ni ne peut les situer par rapport au stade
végétatif actuel de sa parcelle. Il se tourne vers son encadreur et demande un rappel des
réponses. Le chef engueule le paysan "ignorant": " quand les visiteurs viendront, c'est à
toi qu'on va poser les questions et non à ton encadreur ". Il pose les mêmes questions
aux encadreurs,
non
pas
pour tester leurs
connaissances mais
pour s'informer
précisément sur certaines parcelles qui seront visitées; il note toutes les réponses par écrit
et demande au paysan de les répéter. Quand la leçon semble mémorisée, les agents se
dirigent vers d'autres paysans et répètent les mêmes questions. Sur l'une des parcelles,
avant que le c.P. n'arrive, un des CA donne rapidement les réponses au paysan; réponses
qui seront communiquer au c.P. "... comme ça il ne va pas te gronder comme X'. Ici
apparaît
l'image
des
encadreurs défenseurs
des
paysans
et
aussi
les
alliances

238
encadreurs/paysans face à d'autres encadreurs, face à d'autres paysans ou face à certains
événements.
Les répétitions se font pour montrer deux cas de figures:

Pour montrer par exemple cOmment le projet marche bien.
En général, on choisit un PM (paysan motorisé) qui manipule bien les engins
agricoles et qui a une belle parcelle (une parcelle sur laquel1e sont appliqués les messages
techniques de la direction), et on lui fait faire des répétitions. On veil1e à ce que les lieux
de passage des visiteurs soient propres; voici un exemple de note envoyé au C.P. pour
l'avertir d'une visite et lui donner des consignes:
"Réception provisoire à Sakassou le 19/06/91.
Arrivée du DG + S/Dir ==> nettoyer ancien bloc (URGENT).
Venir chercher la moto de la DD en attendant".
Dans cet exemple, la solidarité depuis la délégation départementale jusqu'aux agents de
base.

Quand on veut montrer que tout marche mal, on choisit la plus "laide" des parcelles,
la moins entretenue. On enlève et on cache des pièces de certaines machines pour
montrer qu'elles sont défectueuses. Ou bien on cache les machines elles-mêmes dans
la brousse.
Mais dans la réalisation concrète de ces cas de figures programmés, il y a des cas
où les paysans gâchent le "scénario" prévu par les encadreurs, ils viennent eux-mêmes
voir les visiteurs et exposent le contraire de ce que disent les encadreurs et leurs paysans
complices. On a ainsi deux cas: soit les paysans s'associent aux encadreurs et ainsi les

·
239
encadreurs leur font faire des répétitions (dans ces cas de partenariat, chacun utilise
l'autre comme outil stratégique), soit les paysans sont dissociés par les encadreurs ou par
eux-mêmes et là on remarque des stratégies d'évitement, des discours inattendus, des
absences.
Dans tous les cas, il faut dire que pour les visites, un circuit est déjà tout tracé
(quand les encadreurs sont informés de la visite) pour ne montrer, selon ce qu'on désire
faire voir: les bons paysans ou les mauvais paysans.
Quand il s'agit de visites de bailleurs de fonds ou de membres du gouvernement, il
y a un consensus obligé entre les encadreurs et la direction pour montrer ce que la
direction veut que l'encadreur fasse voir. Dans ce cas, un agent de la direction se déplace
lui-même quelques jours avant Je jour J de la visite officielle, pour mettre toutes les
choses au point.
En matière d'expérience de la production rizicole, on présentera par exemple des
paysans anciens qui sont dans le projet depuis sa création (par exemple Armand ou Paul).
Pour la bonne mécanisation, on présentera le vieux Kouakou pour dire que bien qu'il soit
vieux, il n'est pas contre la mécanisation au contraire, il l'utilise très bien; préalablement
on lui fera mémoriser quelques séances de démonstration. Dans Je cas d'un consensus
pour des défaillances, on fera pareil.
Il arrive que les paysans et les encadreurs ne soient pas sur les mêmes longueurs
d'ondes et pour boycotter la visite, le (s) paysan (s) désigné (s) ne vient pas au rendez-
_
vous. Ou bien ce sont les encadreurs qui pour "lâcher" leur "chef' ou leurs "patrons" ne
se présentent pas aux lieu et date indiqués.
Il y a aussi des cas où, le visiteur refuse de suivre l'itinéraire tracé et fait une visite
aléatoire. La présentation de la mission qui suit nous donne quelques pistes.

240
Le déroulement de la mission sur la Loka
Le 24 Octobre 1991 arrivée d'une délégation japonaise de trois personnes qui ne
parlent pas le français mais l'anglais, accompagnée de 6 ivoiriens de la direction de la
CillV dont l'un joue le rôle d'interprète.
La délégation arrive sur le périmètre à Il heures au lieu de 10 heures comme prévu.
- Première étape: on s'arrête à l'entrée de l'aménagement: séances de photos (par les
japonais), présentation du c.P. (chefde périmètre) par le DD (délégué départemental).
- Il heures 16 minutes la visite commence: le C.P. (chef de périmètre) a préalablement
établi un programme de visite. On va d'abord au groupement de N'zokossou, voir deux
PM (paysan motorisé).
L'un des membres ("patrons") de la délégation ivoirienne venue d'Abidjan (le Sous-
directeur de la formation à la CillY) engueule le c.P. (chef de périmètre) qui n'a pas au
préalable averti les PM officiels de l'arrivée des japonais. "Et si on ne les trouve pas? Et
s'ils ne font pas du bon boulot? ..." Le c.P. répond qu'il a lui-même été informé de la
visite seulement 3 jours avant. Heureusement pour le c.P., le premier des PM (paysan
motorisé) dans l'ordre de visites prévu est présent. La visite se fait en anglais. Les
japonais posent des questions au Paysan Motorisé (A.) sur les problèmes de mécanisation
(le motoculteur), le prix, les traites de paiement. Le PM ne connaît pas les réponses? Ou
plutôt fait semblant? Pendant les répétitions il semblait avoir mémorisé les réponses. Les
agents ivoiriens sont énervés par ce fait. Ils répondent eux-mêmes aux questions:
"Prix: 980 000 F CFA
Traite: 150 000 F CFA!Cyc/e remboursable sur 3 ans".
Les visiteurs demandent le temps entre la fin du labour et le début du semis à la volée:
aucune réponse non plus. Une série de questions s'enchaînent et les agents ivoiriens eux-

241
mêmes répondent à certaines questions. L'un des membres de la délégation ivoirienne fait
des remarques au chef de périmètre: "le paysan doivent répondre automatiquement
quand on /'interroge. Si il Y a une évaluation, c'est vous qui serez pénalisé".
Il heures 52 minutes: on décide de visiter une autre parcelle. Mais avant de monter dans
la voiture, un paysan (non prévu) interpelle la délégation pour dire que "l'eau ne sort pas
de ma parcelle. J'ai semé et drainé mais l'eau y est toujours".
Face à cette réaction inattendue, les ivoiriens ne transmettent pas le message à la
délégation japonaise ("il vous dit bonjour") mais demandent au paysan de passer plus
tard au bureau contacter le c.P. (chef de périmètre).
Le reste de la visite se fait en voiture, personne ne descend.
12 heures 13 rnn: on est au barrage
12 heures 27: visite de la parcelle du deuxième PM (Konan Trogbo)
12 heures 40, fin de la visite.
Après cette visite, le c.P. remarque que: "les paysans, quand on leur demande les
problèmes qu'ils ont (avant la visite), ils ne répondent rien. Mais dès que le visiteur
arrive, ils citent beaucoup de problèmes et vous (les agents) êtes noyés devant vos
supérieurs".
Il faut signaler qu'avant une visite longtemps prévu à l'avance, le chef de toute
structure d'encadrement, fait un rapport complet à ses supérieurs hiérarchiques sur les
activités du lieu de travail, et à la visite il faut qu'il y ait concordance entre ce qu'il a
rapporté et ce qui se passe réellement.
Nous avons signalé plus haut que pour la visite de la Loka, il y avait eu des
répétitions. Mais dans la pratique cela n'a servi à rien puisque le jour de la visite certains

242
paysans ont choisi de ne connaître aucune réponse. Une telle attitude des paysans est le
lieu d'exprimer aux encadreurs un quelconque mécontentement.
Contrairement aux agents du projet Loka, les autres encadreurs de Sakassou ont
moins de problèmes avec les autorités politiques et les paysans. Cela démontre bien que
le projet Loka est un enjeu pour les populations pour deux raisons. D'abord, parce qu'il
n'y a plus d'activités rémunératrices dans la région (en sous-louant leurs terres ils ont
quand même un revenu - même s'il est modeste) et ensuite parce que ce projet leur a été
présenté comme un projet pilote. Dans ce sens, ils se considèrent comme un modèle
national, chose dont ils s'enorgueillissent car commencer par chez eux, c'est légitimer leur
souche royale.
Toujours à propos d'enjeu, les paysans de cultures pérennes ne sont pas
menacées par les allochtones au niveau de l'appropriation des terres. Les terres de ces
cultures sont attribuées par les populations autochtones elles-mêmes, elles en gèrent
l'attribution selon les normes foncières en vigueur dans la région. Alors que les parcelles
de la Loka sont attribuées par "le gouvernement" à n'importe qui et échappe ainsi au
contrôle des autochtones.
Une autre explication des relations moins tendues entre encadreurs et paysans du
"secteur informel", est que les cultures pérennes ne nécessitent pas la mobilisation du
paysan lui-même comme cela est exigé par la riziculture irriguée, elles sont considérées
comme moins contraignantes.
Un facteur non moins essentiel entre aussi en compte dans la "docilité" des
paysans du secteur informel: "les paysans respectent les normes lorsqu'ils sont
convaincus des messages reçus". Or, ces cultures de rente formant l'économie du pays,
des campagnes de sensibilisation sont faîtes à la télé telles La voix du paysan, à la radio
avec La coupe nationale du progrès pour faire passer certains messages sur l'entretien
par exemple, insistant sur la qualité du produit qui est acheté par les instances de

243
commercialisation. Il Y a des primes pour récompenser le meilleur paysan. Ce sont des
mesures incitatives qui ne figurent pas pour l'instant pour les riziculteurs de la Loka. Le
riz ce n'est pas leur aliment de base, le riz à leurs yeux
ne rapporte pas de l'argent
comme le café, le cacao ou le coton.
5.2 .3 Sanctions et récompenses
Les sanctions sont officiellement décidées et appliquées par la structure
d'encadrement. Soit, l'encadreur en infraction est affecté dans une autre région en général
dans un endroit où il n'a pas les mêmes avantages professionnelles: c'est le cas de
Diarrassouba affecté à la CillY de Man pour encadrer des paysans qui ne sont pas
regroupés sur un aménagement du type de Sakassou.
Soit il reste dans la même ville
mais n'exercent plus sur l'aménagement (cas de Georges, le CA fonctionnaire relégué au
"secteur informel": "il ne travail/ait pas bien sur le projet; or ce projet est un enjeu pour
la CIDV, on doit tout faire pour que ça réussisse" (selon le DD). Il y a aussi des cas où
le salaire
de l'encadreur est
suspendu jusqu'à nouvel
ordre (toujours exemple
Diarrassouba), ou bien il ne bénéficie plus de certaines prestations ou primes (carburants
par exemple), c'est le cas de Etienne. Les sanctions peuvent aussi émaner des paysans par
le biais de leurs représentants politiques, sous forme de mise en garde (cf conflit 1987).
Quant aux récompenses, l'encadreur peut être mis par exemple à la disposition du
projet. C'est le cas par exemple de Etienne du secteur informel qui remplace Georges sur
l'aménagement. On voit là que le projet est très important. Comme récompense, on peut
avoir une promotion (à partir des bonnes notes), avancer en grade ou fonction par
exemple (Tanoh de la SATMACI qui est passé de conseiller agricole à superviseur).
Les sanctions et récompenses touchent toujours l'encadreur, son avenir.

244
5.2.4 Contrôle du travail de l'encadreur
Comme moyen de contrôle, les structures d'encadrement rendent des visites
imprévues aux encadreurs sur le terrain. C'est d'ailleurs l'une des "forces" de la méthode
Benor qui est un système de contrôle "serré" des encadreurs. "Ne sachant pas le jour et
l'heure d'une visite, ils sont obligés d'être présents tous les jours et de faire le travail
comme cela se doit" (un "patron" de la CIDT).
Les encadreurs eux-mêmes trouvent ironiquement quelques qualités théoriques en
ce système: "à la SA TMACl, on nous a dit qu'avec le système Benor, c'est l'essence qui
nous attend et non nous qui attendrions l'essence, parce que nous allons mieux
travailler. Or (rires), ce n'est pas le cas" (Jacques). Ils retiennent les avantages matériels
que devrait engendrer cette méthode.
Au niveau purement professionnel avec les paysans, "la méthode Benor est bonne
car elle permet de toucher plusieurs planteurs et facilite le déplacement car les paysans
sont regroupés. Ça ne nous disperse pas" (Tanoh Nyamien superviseur SATMACI). De
ce point de vue, cette méthode permet d'économiser de l'énergie et en outre elle enraye
théoriquement le clientélisme: "le système Benor est bien parce que avant avec la
méthode traditionnelle, certains encadreurs passaient des jours sans arriver dans un
village. Ils étaient plus réguliers chez les paysans avec qui ils ont des affinités
parentales ou amicales. Benor permet de contrôler les encadreurs dans leurs activités"
(Bertin de la CIDT).
Mais pratiquement, les encadreurs ont depuis longtemps perçu les failles du
système Benor concernant le contrôle et les utilisent à leur avantage. En mettant en place
ce système de contrôle, les initiateurs n'en avaient pas prévu les effets pervers ou "effets

245
contre-intuitifs" qui selon Crozier et Friedberg (1977:
16) "désignent les effets
inattendus, non voulus et à la limite aberrants sur le plan collectif d'une multitude de
choix individuels autonomes, et, pourtant, chacun à son niveau et dans son cadre
parfaitement rationnels. Ils marquent le décalage, voire l'opposition souvent fatale entre .
les orientations et les intuitions des acteurs et l'effet d'ensemble de leurs comportements
dans le temps, ce mécanisme fondamental qui fait qu'en voulant le bien, nous réalisons le
mal".
La façon dont les agents "détournent" la méthode Benor est fort intéressante car,
elle se retrouve de la même façon dans toutes les structures d'encadrement de Sakassou,
mais
en fonction
des
ressources des
différents agents (leur personnalité,
leurs
expériences, leurs trajectoires ou itinéraire professionnel). Plusieurs techniques sont
utilisées pour contourner les "filets" de contrôle parmi lesquelles:
1. S'absenter du travail à un moment où on est sûr que les "contrôleurs" ne viendront
pas. Les encadreurs estiment que "nos responsables se croient intelligents; ils
attendent la dernière minute pour venir sur le terrain. Or nous on sait cela. On
s'absente quand on veut et on revient en fin de matinée ou de journée. Comment
ils peuvent nous attraper?".
2. Reprogrammer les lieux de visite en fonction de la distance par rapport à la ville.
Cette technique est surtout utilisé par les encadreurs du "secteur informel". Les
encadreurs reconnaissent tous qu"'il est plus facile pour les agents du secteur
informel (hors projet étatique) de tromper les contrôleurs. S'ils viennent et ne te
trouvent pas là où tu devrais être, tu peux dire "j'étais chez le paysan X à 5 ou JO
kms dans la brousse". Quand ils entendent "brousse", ils ne peuvent pas vérifier ce
que tu dis parce qu'en général, ils ont horreur de la brousse" (un encadreur qui a

246
travaillé sur un projet et aussi dans le secteur "infonnel). L'observation et l'expérience
quotidienne des allées et venues des chefs ou patrons sur le terrain de l'encadreur, lui
ont de faire cette observation. Les plus anciens résidents dans la région informent les
nouveaux des heures et lieux probables des visites imprévues. L'apprentissage se fait
donc de manière informelle,
3. Prétexter les pannes de mobylette
"il y a des cas où nous avons des pannes (crevaisons par exemple) et le paysan ne
le sait pas. Mais connaissant nos horaires d'arrivée, ils rentrent chez eux après
l'heure fixée. Les jours de rattrapage, nous les rencontrons en leur présentant nos
excuses" (Bertin, CIDT). Cet alibi employé pour justifier les rendez-vous manqué
avec les paysans est aussi fort utilisé pour échapper aux visites des "contrôleurs".
La panne de mobylettes est dans le milieu de l'encadrement, un alibi aussi
généralisé que celui de "l'embouteillage" dans les grandes villes pour justifier tout retard
ou la plupart des absences à un rendez-vous.
Pour avertir les paysans de son absence ou de son arrivée, l'encadreur s'adresse à
un quelconque villageois qu'il aura rencontré ou bien remettra une lettre aux
transporteurs qui passent par le village concerné; ce dernier transmettra (peut-être) le
message aux paysans concernés. Mais, les paysans aussi jouent sur le fait que le message
est confié à "n'importe qui", pour esquiver certaines invitations de l'encadreur. Ils
répondent: "on ne nous a rien dit" ou bien "on nous a dit que tu viendrais plutôt à telle
date" ou bien "on n'a pas reçu la lettre que tu as envoyée". Ce dernier cas est possible
quand l'encadreur remet une lettre aux transporteurs pour annoncer son message; or
généralement, quand personne de la voiture ne descends dans le village, les chauffeurs
jettent les lettres à leur passage au village et la personne qui les ramasse les remet au chef
du village ou au destinataire. Encadreurs et paysans jouent sur ce flou pour se dérober

247
les uns aux autres ou pour justifier les absences aux éventuelles visites des "contrôleurs"
de la structure d'encadrement.
4. Prétexter le manque ou l'insuffisance de carburant
C'est une réalité dont les responsables de structure d'encadrement sont informés; et
les encadreurs l'utilisent parfois à leur avantage quand ils veulent vaquer à des
occupations autres qu'être présent sur le lieu de travail. "Nos patrons ne peuvent pas
trop nous contrôler parce qu'ils ne nous donnent pas suffisamment de carburant.
Nous allons donc là où on peut aller..." (Yao de la SATMACI).
5. Programmer des lieux difficilement accessibles
"il nous arrive de programmer des villages qui ne sont pas accessibles en
voiture. Or eux ils ne se déplacent qu'en voiture. Comment sauront-ils si nous
sommes effectivement dans le village ou pas? (René, SATMACI)"
Il n'y a pas d'apprentissage réel ou officiel du détournement, chacun s'inspire de
son expérience personnelle, et celle des autres de façon informelle. "Un tel l'a fait ça a
marché, alors moi je le fais". La diffusion des techniques de détournement se fait avec la
complicité (la coopération) entre encadreurs eux-mêmes, et entre encadreurs et paysans,
et spontanément par le biais de conversations entre eux.
En définitive, au lieu d'enrayer le clientélisme, le système Benor n'a fait
que le renforcer: comme d'habitude, la fréquence des visites des encadreurs aux paysans
est fonction des relations qu'ils entretiennent avec les paysans ou les élites du village, du
lieu de travail. N'est-ce pas aussi le signe que certains groupes dans la société villageoise
réussissent d'une certaine manière, en fonction de certains intérêts, à partir d'une certaine

248
position sociale, etc .... , à capter l'intérêt de l'encadreur? A ce sujet aussi, on constate
qu'il faut analyser le village ou lieu de travail lui-même comme un espace politique qui se
dévoile dans la manière dont ses différents acteurs réagissent à l'intervention et à la
présence de l'encadreurtê.
5.3
RE LATIONS
INTERPERSONNELLES:
MISE
EN
SCENE
DES
DIFFERENCES
5.3 .1 Solidarité du personnel
Selon Olivier de Sardan (1984-1985: 15), "la reconnaissance de soi (par soi et par
les autres) passe par des "nous" dont les référents peuvent être multiples, emboîtés, et
dont aucun n'a de sens sans référence aux autres..."
Le "nous" est très souvent utilisé quand il s'agit par exemple d'évoquer les
problèmes rencontrés dans l'exercice du métier. Les encadreurs parlent très souvent au
nom de leurs collègues, de leur profession; comme expression ils utilisent "l'encadreur",
"l'encadrement". Ils parlent au nom de la profession. Ils évoquent les problèmes et les
difficultés propres à la profession et non à l'individu en particulier. L'évocation de leurs
souhaits est aussi collective (avancement, promotion, stage de recyclage, primes de
risques, de logement, de carburant, etc.).
Mais concernant les projets de chacun, ils sont individualisés ("je" est alors
beaucoup plus utilisé): pouvoir construire une maison, avoir une bonne retraite, disposer
d'une grande plantation, etc.). Remarquons quand même que ces projets sont communs à
chacun des encadreurs.
18er. chapitre 7 sur les relations extra professionnelles des encadreurs.

249
Le métier d'encadreur est vécu par ces agents comme une profession à part
entière.
Tous
les
encadreurs
fonctionnaires
ont
la
possibilité
de
progresser
hiérarchiquement à condition de passer des concours professionnels ou d'avoir une bonne
notation par le chef. Concernant les notations, "chaque année, ilfaut avoir 3/5 (trois sur
cinq) comme note pour être avancé. Si on a en dessous, on n'avance pas de grade"
(Tanoh, le 28/08/91). Les CA sont notés par les superviseurs ou CP. (chef de périmètre
qui sont à leur tour notés par le CS (chef secteur) ou CZ (chef de zone), selon la
structure. Ces notations constituent des évaluations du travail de l'encadreur à l'année par
sa structure, et se font selon une hiérarchie descendante (du DG au CA). Les chefs de
services reçoivent deux notes car ils sont à la fois notés par leur supérieur hiérarchique et
la préfecture.
Il n'existe pas de concours professionnel pour les encadreurs de base journaliers.
Les
concours sont organisés au niveau de la fonction
publique,
et
seuls
les
"fonctionnaires" sont habilités à les présenter. Il semble néanmoins que chaque fonction
ou qualification soit une situation durable. Selon les encadreurs, il est difficile (voire
impossible) de passer de la fonction d'II A (Ingénieur des Techniques Agricoles) à celle
d'agronome: "en tout cas en Côte d'Ivoire ici ce n'est pas possible à moins d'aller faire
sa formation en Europe et à ses propres frais" (Kouamé, ITA de la CIDY). De la même
manière, on ne peut pas passer de Moniteur à Assistant des PVA. Non pas que cela soit
interdit dans les textes, mais parce que les procédures hiérarchiques sont longues et
lentes et de surcroît, "ceux qui sont en haut et qui doivent déciderdu départ ne veulent
pas quitter ou partager leur bonne place, ils font donc retarder ou perdre les dossiers
qui doivent transiter par leurs mains" (un agent de la CIDT). De la même manière, les
recyclages d'agents subalternes sont rares à moins qu'ils soient commandités par des
organisations internationales ou des ONG (comme PREFEP, une ONG canadienne).

250
1
1
1
A propos de recyclage, c'est l'un des objectifs de la Direction de chaque structure
et c'est aussi le souhait des agents. Mais en réalité rarement ils reçoivent une formation
de recyclage. Les stages de recyclage sont prioritairement réservés aux ingénieurs, aux
agronomes et aux techniciens supérieurs. De temps en temps, des TS (Techniciens
Supérieurs) viennent sur le terrain diffuser quelques thèmes (surtout destinés aux
paysans). Mais, selon un encadreur, "on ne peut pas parler de recyclage systématique,
car en fonction des besoins des paysans, et des nouveaux dispositifs du milieu, on (la
CIDV) fait une formation des paysans, et les encadreurs assistent. Je ne sais pas si on
peul appeler ça recyclage puisque ce ne sont pas des cycles de formation programmés".
Les "recyclages" se font annuellement et en fonction du budget alloué à la cellule
formation. Le sous-chef de la formation de la CillV par exemple explique que: "chaque
année nous avons des séances de recyclage à la façon Benor mais renouvelé en fonction
de nos besoins. Par exemple, nous ne faisons pas de formation par quinzaine, mais à la
carte. Ce n'est pas systématique". Même ces séances de formation à la carte sont chères
selon la CillY. Pour les conseillers agricoles par exemple, les formations durent 1 à 2
semaines et porte sur la phytotechnique et la gestion des exploitations. Une formation
d'une semaine pour environ 25 personnes "nous coûte 3 750 000 à 4 500 000 francs.
C'est pour cela que nous discutons désormais avec des formateurs privés qui eux sont
moins cher que les cabinets. Pour la même formation, eux ils prendront entre 850 000
et 200 000 par semaine" (le Sous-Directeur de la formation).
Le
regard
porté sur les agents
d'encadrement
de toutes
les
structures
d'encadrement de Sakassou nous renvoie à la question du statut professionnel des
encadreurs agricoles. Il nous permet également de retenir trois catégories d'agents de
base:

251
- les cadres fonctionnaires ou non (il s'agit des Ingénieurs des Techniques Agricoles et
autres agents sur le terrain, faisant fonction de chefs)
- les conseillers agricoles fonctionnaires ou agents temporaires
- la main d'oeuvre occasionnelle (ou journalière).
Par rapport à l'absence de promotion pour les journaliers dans l'exercice de leur
métier quelles sont leurs chances de mobilité sociale?
L'émulation chez eux, c'est accéder au statut de fonctionnaire ou "avoir un pied
dedans" (être agent temporaire) qui lui, garantit au moins la sécurité de l'emploi. Si les
journaliers pensent se situer dans une situation transitoire, la crise de l'emploi et
l'application de la politique d'ajustement structurel nous fait croire que, c'est une situation
durable et même définitive. Les différentes tentatives d'intégration à la fonction publique
ont été vaines. Leur carrière est donc compromise par ce statut car à tout moment, ceux
qui font le plus gros du travail d'encadrement peuvent se retrouver sans emploi. N'ayant
parfois aucune autre qualification, et étant d'un âge assez avancé, leurs chances sont
minimes pour trouver un autre emploi. Au niveau institutionnel, on remarque ainsi une
absence de profil de carrière, l'entretien d'un doute permanent de licenciement, de perte
de poste pour cette catégorie sociale qui le plus souvent, a d'énormes responsabilités en
raison de nombreux enfants et personnes à charge.
Ces agents auraient souhaité se regrouper en syndicat pour faire parvenir leurs
revendications à la direction. Il n'en existe pas car toute manifestation syndicale est
qualifiée de subversive (bien qu'officiellement faisable). Une des possibilités utilisée est le
recours aux associations d'encadreurs. A Sakassou, il n'yen a pas.
Les agents de la SATMACr par exemple ont une association restreinte aux
membres de la structure. Cette association se nomme MEASY, Mutuelle des Encadreurs
Agricoles de la SATMACr à Yamoussoukro. C'est une association au niveau régional à

252
laquelle ont adhéré les agents de Sakassou "nous faisons des cotisations. Et les agents
ont trouvé que c'était trop de faire une association encore à Sakassou, pour encore des
cotisations". Cette association est en fait un regroupement d'entraide et de solidarité en
cas de malheur "avec cette association, quand un encadreur a un problème, il se rend à
Yamoussoukro et on lui donne de l'argent" (Tanoh., le 28/08/91). On pourrait dire que
cette association sert de tontine, de lieu de cotisation (pour les cas de malheur) aux
encadreurs de la SATMACI car en fait on reçoit ce qu'on a cotisé ou bien on rembourse
ce qu'on prend (emprunte) en plus.
Chez les encadreurs de la CillY, c'est à peu près le même système: "à notre
niveau à Sakassou, nous avons n'avons pas d'association ni syndicat, mais nous
essayons chaque fois qu'il y un problème, d'en avertir notre chefafin qu'il le transmette
à qui de droit, ou bien, nous nous adressons à la préfecture" 19 (les encadreurs de la
CillY). Les encadreurs journaliers ou fonctionnaires, n'ont pas de représentants
syndicaux. Aucun syndicat n'existe, représentant cette catégorie de personnel. "C'est
seulement à travers les rapports d'activité que nous essayons de transmettre certaines
doléances nous concernant directement. Mais pour nous adresser par exemple au CiP,
qui est notre chef immédiat, nous avons choisi Jérôme comme notre porte-parole" (les
encadreurs de la CillY). Ce porte-parole bénéficie de l'ancienneté dans l'exercice du
métier, et aussi de l'ancienneté de résidence dans la région de Sakassou.
C'est d'ailleurs également à ce titre qu'il a été désigné comme l'adjoint ou l'assistant du
c.P..
19 Concernant la préfecture, il y a un paradoxe : les agents sont contre l''ingérance'' de la préfecture
dans les affaires du projet, mais en même temps, la préfecture demeure une des courrois de
transmissions de leurs doléances (rappelons qu'en 1987 par exemple, les CA journaliers avaient remis
leurs dossiers, au préfet (frère du ministre de la fonction publique) afin qu'ils soient intégrés à la
fonction publique. Mais le ministre a perdu son poste avant que les différentes démarches
des
encadreurs n'aient abouti).

253
Outre la recherche d'une sécurité d'emploi ou d'une stabilité professionnelle, les
projets professionnels des agents d'encadrement sont exprimés en liaison étroite avec la
rémunération au travail, les motivations au travail et le niveau de vie des encadreurs.
Tous
les encadreurs
souhaitent l'augmentation du
salaire,
l'instauration
ou
la
réinstauration des primes compte-tenu des dangers de la pratique d'un tel métier
(morsure de serpent, coups de soleil, etc....), le paiement de perdiem pour les heures
supplémentaires jusqu'ici non rémunérées, etc.
Le temps de travail en rapport avec le salaire ou la rémunération est un des
points forts des revendications des encadreurs. Pour des structures étatiques, le temps de
travail normal devrait être le suivant: de 07 heures 30 à 12 heures, puis de 14 heures 30 à
18 heures. Ce qui représente environ 08 heures de travail par jour. En outre, les agents
devraient bénéficier de dimanches et jours fériés comme tous les agents des EPN
(établissements publics nationaux). Mais en réalité, suivant les saisons, les encadreurs
travaillent même en dehors des heures officielles de travail (pour certaines réunions,
pendant les labours, récoltes etc., par exemple) Certains travaillent plus de 08 heures par
jour. Il n'y a pas un temps de travail précis car le travail se fait en fonction du calendrier
cultural. Selon les périodes, les encadreurs sont beaucoup chargés ou bien ils le sont
moins (pour le battage par exemple): "il n'y a pas d'heure de travail. Lorsqu'un travail
nécessite qu'on soit présent jusqu'à 20 heures, on est obligé d'être là. Même les
dimanches, vous êtes obligés d'être là, même les jours fériés, vous êtes obligés d'être là.
Comme par exemple au traitement herbicide, on sait que le traitement a lieu 21 jours
après le semis. Donc si par exemple à partir du semis vous avez établi votre programme
et que le traitement doit tomber un dimanche ou bien un jour férié, vous êtes tenu d'être
là. Vous ne pouvez pas dire que c'est parce que c'est un dimanche donc en ce moment il
faut laisser au lundi, sinon à partir du moment où les heures sont trop, le produit

254
devient inefficace. Donc en ce moment, c'est comme si vous n'avez rien fait" (Etienne,
CIDY). Les encadreurs de base font des heures supplémentaires qui ne sont pas
rémunérées. En plus de cela, ils dénoncent une inégalité de la répartition des salaires
entre agent de même fonction ou de même statut: par exemple le C.P. à la CIDV est
payé à 168 904 F CFA par mois. L'un des CA journaliers Jérôme (qui fait office de sous-
chef) gagne 68 696 F CFA (1373,92 FF). Le deuxième journalier Etienne (qui
auparavant était dans le secteur informel) gagne 97 415 F CFA (1948,3 FF). On
remarque effectivement qu'il y a une différence d'environ 30 000 F de salaire (salaire +
charges + indemnité) entre deux agents de même statut et de même fonction. Sur quelle
base alors sont fixés les salaires? Les deux agents ont la même ancienneté dans
l'aménagement mais celui qui gagne moins (Jérôme) a un niveau d'instruction plus élevé
(seconde C), et a beaucoup plus d'enfants. Ce genre de situations peut faire de lui un
aigri vis-à-vis de son collègue. Ce sont des situations qui ne sont pas prises en compte
par les structures d'encadrement et qui ne sont pas perceptibles de l'extérieur, mais qui
pourtant régissent parfois la nature des relations encadreur/encadreur au sein d'une même
structure ou même dans des structures différentes.
Si tous les encadreurs déplorent leur rémunération, ils font des comparaisons
entre les structures. Par exemple, les agents de la CIDT se plaignent du salaire peu élevé
et pourtant, ils sont enviés par les encadreurs d'autres structures: "Il y en a qui ont le
même diplôme que nous mais parce qu'ils sont dans des boîtes comme la caisse de
stabilisation ou la CID'f20, ils touchent plus que nous" (un agent de la SATMACI).
Les salaires des conseillers agricoles varient entre 55 000 F CFA, 65 000 FCFA,
85 000 F CFA et 115 000 F CFA. Bertin de la CIDT mentionne que: "j'ai 21 ans de
service mais je suis payé comme contractuel". Si chez les encadreurs de base de la CIDV
(structure étatique) ce mot est le contraire de "fonctionnaire" (où la sécurité de l'emploi
20 C'est nous qui soulignons.

255
est garantie), à la CroT, il a une autre connotation. En principe tous les agents de la
CroT sont "contractuels" dans la mesure où c'est une structure privée; c'est un contrat à
durée indéterminée qui peut prendre fin à tout moment. Mais l'usage fréquent de ce mot
chez l'agent de base, témoigne certes de sa peur du renvoi, de l'insécurité d'emploi, mais
en plus "contractuel" pour lui, est lié à son statut d'agent de base: un agent de base a plus
de chance d'être compressé qu'un cadre; l'agent de base, c'est le moins fort parce que le
plus petit en grade; il fait partie de la "main d'oeuvre occasionnelle".
Le problème salarial est assez important pour les encadreurs: salaire trop bas qui
n'augmentent pas, "c'est le reflet d'une idéologie qui considère l'encadreur comme un
volontaire au service du progrès" (Koné, 1990: 64).
Le salaire influe sur les comportements et l'attitude au travail, notamment au
niveau de la motivation. Malgré cette situation salariale, et malgré le rapport instable au
travail (des journaliers par exemple), on ne peut pas parler de précarité ou de
vulnérabilité sociale chez les encadreurs agricoles. Justement, compte tenu de cette
situation, ils développent des stratégies autres que celles professionnelles pour s'encastrer
dans des réseaux de sociabilité comme nous le montrerons au chapitre suivant. Certains
réseaux d'interconnaissance sont de véritables réseaux d'échanges de service, pour
compenser une situation que les sociologues qualifieraient à priori de précaire (en raison
du statut économique faible).
5.3 .2 Les jalousies et les conflits
Si les conflits sont significatifs du degré de sociabilité au travail. Les jalousies
elles, expriment les rivalités au travail et hors du travail.

256
Ce qui provoque la jalousie, c'est surtout l'augmentation de salaire ou autre
promotion (qui sont des procédure de distinction) sur la base de notation du chef
Concernant les notations par exemple, elles sont jugées arbitraires par les encadreurs car
elles sont très souvent fonction de la personnalité de l'encadreur, de sa créativité (ses
initiatives), de sa sympathie qui sont des valeurs subjectives de jugement et de notation.
Les relations personnelles entre le chef et l'encadreur jouent ici un rôle prépondérant.
Les jalousies ne sont pas manifestes car, quand on évoque "l'entente" entre
encadreurs, on s'entend dire: "on s'entend bien, on n'a pas de problèmes puisqu'on se
parle".
5.3 .3 L'entraide au travail
Rarement on prend l'initiative d'aider le collègue "débordé" de travail. Le plus
souvent, c'est le chef qui impose le remplacement ou "l'aide" à un des encadreurs
disponibles, ou bien il partage les tâches entre les autres encadreurs. Par contre, nous
avons déjà montré qu'il y a entraide pour la préparation des visites officielles: les
réponses à donner aux visiteurs, les questions à poser, les doléances qui ont trait à
l'exercice de la profession d'encadreur. Ici, on défend des intérêts communs, alors on
s'allie pour avoir plus de poids et de crédibilité. Il y a également entraide pour des thèmes
à diffuser mal compris ou entraide pour des renseignements concernant un site particulier
encadré. Sur le projet Loka par exemple, c'est Jérôme qui est le plus souvent sollicité et
par les autres CA (conseiller agricole) et par le c.P. (chef de périmètre); étant maître de
la situation, il tire ainsi les ficelles à volonté.
En définitive, il y a une homogénéisation des comportements seulement quand
rentre en jeu l'honneur du groupe devant des "étrangers" que sont par exemple les

257
visiteurs. Les encadreurs partagent les mêmes logiques d'action, les mêmes intérêts etc.,
vis-à-vis d'un même enjeu local, ou professionnel.
Conclusion partielle.
L'encadreur agricole a un rôle organisationnel complexe. Dans ce contexte,
l'approche interactionniste est tout à fait intéressante car elle permet de comprendre cette
complexité. On se demande en fin de compte au service de qui il travaille: le paysan? sa
structure? les deux? l'administration? Il est à la fois bouc émissaire-' et intermédiaire:
intermédiaire entre les paysans et sa structure comme l'indique le schéma ci-après de
Rogers (1983: 314), entre sa structure et l'administration étatique locale (représentée par
la préfecture et la sous-préfecture). etc ..
Ce rôle d'intermédiaire fait en même temps de lui un bouc émissaire de chacune
de ces parties en présence. Avec le rôle flou, pas bien défini, ambigu qui est sien, il est à
la fois sollicité et traqué de tous les côtés (surtout concernant les évaluations).
L'encadreur, c'est le "touche-à-tout", c'est le "fait-tout".
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21Voir aussi Bonazzi (1980).

258
L'opération de développement est aussi une combinaison, un amalgame
d'interactions (mais non une somme d'interactions), d'opportunités, d'incertitudes: entre
encadreurs et encadreurs, entre encadreurs et paysans, entre paysans et paysans, entre
encadreurs et structures d'encadrement, entre structures d'encadrement et paysans, entre
encadreurs, structures d'encadrement et paysans, entre encadreurs et environnement
social et politique immédiat, etc. Les règles et les logiques d'action sont fonctions de cet
amalgame car les contraintes, les choses à négocier diffèrent selon la nature et le type de
l'interaction. Tout ceci donne l'image d'un jeu ou d'un combat comme le démontre Bailey
(1971) dans le cas de la sphère politique. Ce n'est pas un combat ou un jeu physique,
palpable, mesurable, mais la confrontation de stratégies pour un ou des buts déterminé
(s). Le concept du jeu ou du combat que nous employons est tout à fait symbolique. Le
jeu se déroule selon des règles préétablies-? ou non, contraignantes ou non. En fonction
de l'enjeu, il donne l'impression d'une compétition pour acquérir quelque chose que
Bailey (1971) appelle "trophée" (le journalier pour obtenir par exemple son insertion à la
Fonction publique, le paysan pour maintenir un projet de développement en place, etc.
...): "la compétition ... se situe aux limites de l'anarchie parce que les adversaires ont des
convictions, parce que, en d'autres mots, ils pensent que ce qui est en jeu est important"
(Bailey, 1971: Il). L'acquisition de ce trophée est la preuve de l'efficacité stratégique de
l'acteur. Par exemple les stratégies mises au point pour ne pas se faire prendre en flagrant
délit d'absentéisme par des contrôleurs sont pour les encadreurs une preuve d'efficacité
de leur action -les encadreurs connaissent les cartes ou les stratégies des contrôleurs,
mais parallèlement les contrôleurs aussi, en pensant connaître les atouts des encadreurs,
se disent efficaces ou du moins trouvent leurs méthodes efficaces puisque selon leur
22 Les règles préétablies sont généralement celles de la structure d'encadrement et/ou celles issues de
l'orientation nationale de la politique agricole du pays.

259
constat, les encadreurs ne sont plus absentéistes. Chacun pense avoir gagné un combat.
On voit bien que tout cela est relatif
Face à une organisation hiérarchique et pyramidale de l'autorité dans les
structures d'encadrement, on remarque également qu'il existe une hiérarchie informelle
entre encadreurs, différente de celle officiellement mentionnée sur l'organigramme de la
structure d'encadrement, hiérarchie qui elle, tient compte de l'ancienneté dans l'action de
développement et l'ancienneté dans la région, et aussi semble - t - il de la compétence au
travail. C'est ainsi qu'à la Loka par exemple Jérôme est bien positionné par rapport à
Etienne alors que tous les deux ont à peu près la même trajectoire et sont de la même
génération d'âge; Georges lui, malgré son diplôme et son statut de fonctionnaire est
relégué au dernier rang (après Jérôme et Etienne), il est nouveau dans la région et jeune.
Mais Kouamé occupe chez les encadreurs sa position de chef bien qu'il ne soit pas
ancien. Par contre chez les paysans, en matière de considération, il y a d'abord Jérôme,
puis Etienne et ensuite le C.P. et enfin Georges. Et c'est cette hiérarchie informelle qui
régit les relations entre encadreurs dans la structure d'encadrement; elle régit aussi les
relations paysans/encadreurs.

260
CHAPITRE 6
DU SAVOm. FAIRE AU VOULOm. FAIRE
Nous nous situons ici dans le domaine de la pratique d'enseignement par les
encadreurs agricoles.
Les encadreurs agricoles exercent un métier qui consiste d'abord à transmettre
des connaissances technico-scientifiques aux paysans. Cela fait qu'ils doivent eux-mêmes
avoir un certain nombre connaissances, de savoir-faire, qu'ils aient une pratique
pédagogique. Or nous avons vu que les agents de base sont généralement formés sur le
tas. Une série de questions se posent alors. Comment enseignent-ils? Selon quelle
pédagogie? Quels sont les problèmes et obstacles qu'ils rencontrent? Comment réagissent
les élèves que sont les paysans? Autrement dit comment se présente le "rapport
pédagogique" 1 entre encadreurs et paysans?
6.1 METHODES ET CONTENUS D'ENSEIGNEMENT
Il est ici question du quotidien professionnel des agents d'encadrement. Nous
essayons de savoir les types de gestes qu'ils font et les types de conseils qu'ils donnent en
une journée de travail.
6.1.1 Le quotidien professionnel des encadreurs
Maragnani (1990: 49), responsable de la formation des enseignants agricoles au
CNEARC (Centre National d'Etudes Agronomiques des Régions Chaudes) à Montpellier
1 Nous empruntons ce tenne à Bourdieu et Passeron, 1965.

261
indique que "pour la formation à l'emploi de "formateur" dans l'enseignement agricole, il
convient d'intervenir à deux niveaux :
- Celui des compétences nécessaires à l'exercice du métier d'enseignant;
- Celui des méthodes pédagogiques que devront mettre en oeuvre les formateurs eux-
mêmes pour préparer à leur emploi leurs élèves, futurs vulgarisateurs, dans un milieu
précis, au contact des populations, pour le développement rural".
Ce deuxième niveau nous conduit à examiner de près les instances d'émission du
message: des "en haut de en haut" (ceux qui sont au sommet de la pyramide), et les
courroies de transmission jusqu'à l'encadreur de base.
D'abord; la direction générale de la structure d'encadrement, à travers la cellule
"Formation et Coopération", adopte le planning de l'année. Elle l'envoie aux différents
directeurs
régionaux
qui
s'occupent
de
les
acheminer
vers
les
délégations
départementales. Les délégués départementaux informent les chefs de section qui à leur
tour le transmettent aux CA (conseiller agricole).
Ensuite, tout au long de la campagne, des techniciens passent sur le terrain, à
tour de rôle, pour "former" les encadreurs sur les thèmes de l'année. Ce sont: les agro -
formateur, coopérateur - formateur, spécialiste en gestion hydraulique et spécialiste en
production.
Mais le message parti du sommet arrive-t-il fidèlement et intégralement à la base?
Outre les éventuelles déformations, il y a également le fait que les ordres du sommet ne
sont pas toujours intégralement respectés à la base. Ainsi par exemple, à la CillY, les
thèmes à diffuser auprès des encadreurs pour l'année 1992, étaient les suivants selon un
rappor établi à ce sujet:
- Formation et visites
- Conduite et maintenance du matériel agricole

262
- Phytotechnie du riz
- Préparation de la semence et dosage des intrants
- Entretien du réseau hydraulique
- Conduite de l'irrigation
- Organisation coopérative - fonctionnement des groupements et formation comptable
des gérants
- Analyse et exploitation technique et économique des résultats de campagne.
Les encadreurs par la suite seraient chargés d'enseigner ces thèmes aux paysans de façon
continue en fonction du stade végétatif de la plante et selon le programme de visite
préétabli.
Or, selon quelques rapports d'activités écrits consultés, en 1992 les thèmes effectivement
traités sont:
- la phytotechnie du riz
-Iafumure minérale et organique
- le matériel agricole utilisé
- l'organisation et le suivi des comités de gestion de l'eau
- l'entretien du réseau hydraulique
- la gestion de l'eau
Comme on peut le constater, en fonction des réalités du terrain (temps effectif de
formation, disponibilité des TS (techniciens supérieurs), visites imprévues d'experts
étrangers, etc.),
tous les thèmes prévus par la direction n'ont pas été traités par les
encadreurs; notamment "l'analyse et l'exploitation technique et économique des résultats
de campagne" et aussi "formation et visites", et "préparation de la semence et dosage des
intrants".

263
Pour rendre compte de la réalité du terrain, nous relatons maintenant une journée
d'encadrement avec quelques encadreurs.
Une journée d'encadrement avec JérÔme (CID Y)
A 08 h 00, l'encadreur arrive sur le périmètre. Etienne également. Georges arrive
à 8 h 35 et le chef de périmètre à 8 h 40.
Jérôme va servir l'engrais aux paysans comme il le fait tous les matins, depuis 1989,
année où le chef magasinier et le comptable ont été licenciés. Il assume cette fonction en
plus mais ne reçoit aucune rémunération en contrepartie.
A 9 h 45, départ pour un bloc (sur la rive droite). Là, il trouve certains paysans
qui appellent les paysans qui ne sont pas encore sur le lieu du rendez-vous à la h 00.
La réunion se fait en baule. Jérôme prend la parole et remercie l'assistance. Il donne
l'ordre du jour: 5 chapitres sont au programme.
Le n? 1 porte sur les informations sur le programme d'irrigation.
"Ecoutez bien parce que je ne veux pas que vous fassiez des histoires après. II faut
l'entente. Les paysans de la rive droite ont été divisés en 3 blocs se servant (en eau) à
tour de rôle pour l'irrigation:
bloc A- kissié (lundi) et oué (jeudi)
bloc B- djolè (mardi) et ya (vendredi)
bloc C- mlan (mercredi) et foué (samedi)
Il faut respecter ce calendrier. D'ailleurs, nous afficherons dans l'aménagement le
programme d'irrigation afin que vous ne soyez pas surpris". Les paysans écoutent et ne
font pas d'objection. Comment les paysans analphabètes qui ne savent ni lire ni écrire, et

264
qui ne sont pas présents à la réunion savent-ils leur tour de passage? L'encadreur répond
que "ceux qui savent lire et écrire les informerons; ils n'auront donc qu'à se
renseigner" .
li aborde ensuite le deuxième point sur "la date et les modalités du traitement
herbicide'<.
"Le traitement doit commencer à partir du 14 ème jour, après le semis. Le litre de
produit coûte 4060 F et il faut 6 litres à l'hectare. Plus vous traînez, plus vous paierez
cher car les herbes poussent plus et vous aurez besoin de plus de 6 l/ha. Donc si vous
êtes absents à la date prévue (pour un malheur ou autre motij), il faut demander à un
de vos voisins de faire le traitement ou à quelqu'un d'autre qui sy connaît.
Autre chose, il ne faut PaS attendre le jour J (le 14 ème jour) pour aller chercher le
produit au chantier, parce que ça nous perturbe". Encore une fois, il n'y a pas
d'objection du côté des paysans.
TI passe alors au chapitre 3 sur "le délai de repiquage et les parcelles de
démonstration" .
"Nous avons pris 2 Parcelles de 2 paysans comme champs de démonstration. Les
paysans désireux qu'on leur montre quelque chose doivent nous faire appel.
Concernant le repiquage, il faut tout faire le même jour avec plusieurs personnes pour
éviter le décalage de pousse entre les plants". A cette dernière phrase, les paysans se
mettent à murmurer entre eux. L'un d'eux prend la parole:
- "Et si on est orphelin? Et si on n'a personne pour nous aider?"
- L'encadreur répond "il faut prendre les Kado"ê,
2 Pour le mot "traitement", l'encadreur a employé l'expression baille goi a ré ("verser les médicaments").
Pour le mot "urée", il a prononçé "urée" en Baille, mais il a pris soin de leur expliquer que "c'est la
saleté"
(en rapport avec la fumure).
3Les Kado ce sont les manoeuvres, le plus souvent des étrangers Maliens ou Burkinabé.

265
- Et le paysan de rétorquer: "et si on n'a pas l'argent pour payer les Kado?".
- Alors l'encadreur répond: "c'est vous qui souffrirez à la récolte; vous allez récoltez
votre riz tige par tige". Et de continuer: "bon, on passe à la phase suivante de notre
ordre du jour. Il s'agit de la date et des conditions de l'épandage de l'urée l",
Il explique que l'urée 1, c'est le prenuer épandage d'urée. L'urée 2, c'est le
deuxième épandage à partir du 60 ème jour. Pour les deux types d'urée, il faut 75 kglha.
Il donne le mode d'emploi: "4 jours après le traitement (herbicide), il faut diminuer
l'eau (de la parcelle). Et le 26 ème jour après le semis, il faut faire le premier épandage
("verser la saleté dans la parcelle". Je vous rappelle qu'il faut aller chercher l'urée trois
semaines à l'avance. Normalement il est interdit de mélanger Furadan et Urée. Mais
puisqu'il n'y a pas assez de produits, vous pouvez le faire".
Il explique que le Furadan est un insecticide qui détruit tous les insectes qui s'attaquent
au riz. Il tue aussi les rats qui mangent les feuilles du riz. L'Urée lui, c'est de l'engrais.
En tenant compte du "cours" de cet encadreur, on remarque qu'il y a
effectivement décalage entre la façon dont doit procéder l'encadreur et la façon dont il
procède en réalité;
tout ceci en fonction des données réelles du terrain. C'est lui qui sait
la quantité de produits dont il dispose. li doit faire des choix. Son initiative personnelle
rentre ici en jeu. Le mélange des deux produits ne provoque pas une réaction chimique
quelconque. Les "chefs" et "patrons" interdisent de faire le mélange parce qu'un
calendrier d'utilisation des produits est établi qu'il faut respecter (selon les normes
retenues par les experts de l'agriculture en agronomie).
Nous en arnvons au cinquième point de l'ordre du jour: "le nettoyage des
diguettes, canaux secondaires et drains".

266
"Quand les diguettes sont sales, les plantes ont des maladies. Si les drains ne sont pas
propres, l'eau stagne au moment où les plantes n'en ont pas besoin. Dans ce cas, c'est
vous qui perdez". La réunion prend ainsi fin. Mais l'encadreur prévient les paysans que "il
faut annoncer le message aux 9 paysans absents". A partir de ce moment, les paysans
commencent à poser des questions:
1) Nos machines sont en panne. Nous en avons 2 et il y a J en panne. Il faut transmettre
ça à ton chef'.
2) "On n'a pas encore fait le piétinage de nos parcelles (nous sommes deux). Le
responsable du piétinage (Koffi Yao, Paysan Motorisé) nous a dit qu'il va essayer la
machine dans son champ. Depuis, nous ne l'avons pas vu alors que les autres (nos
collègues) travaillent et sont ainsi en avance".
3) "Avant le 26 ème jour pour l'épandage de l'urée, il y a des bêtes (insectes) qui
attaquent la parcelle. Comment éviter ce fait?" Ici, l'encadreur répond: "il faut verser du
sable dessus" (recouvrir de sable). Ce n'est pas un conseil de la structure d'encadrement
mais son expérience personnelle qui lui permet de guider les paysans sur ce point.
4) "Nous devons pomper (traiter) notre riz. Nous avons besoin d'un peu d'eau, il faut
ouvrir les vannes du barrage".
A la fin des questions, l'encadreur fait des mises en garde personnelles: "faîtes
attention à l'urée. Il ne faut pas l'épandre le matin, quand il y a la rosée. Il faut le faire
seulement quand il fait chaud (quand il y a du soleil), sinon ça brû!e les plants de riz.
Donc l'urée est compliquée. C'est le même qui arrange le riz mais sa mauvaise
utilisation est néfaste".
Pendant la discussion, tout le monde parle en même temps. Le chef de périmètre
arrive sur le lieu de la réunion. Un des paysans lui fait remarquer: "il y a longtemps qu'on
t'a vu ici hein!". Il ne réplique pas. Le conseiller agricole lui fait le compte-rendu verbal

267
de la réunion sur le champ. Le chef de périmètre prend la parole et s'adresse aux paysans
en français (il est baule et parle cette langue): ''je ne peux donner une réponse à aucune
de vos questions. Il faut attendre la réponse du F.E.D. à qui on a écrit". Le conseiller
agricole traduit le discours en Baule. Les paysans râlent: "toi tu ne sais jamais rien. Tu
es ici pour quoi alors?". Tous s'en vont.
Il h 15, c'est la fin de la réunion.
A la fin de la réunion, Jérôme visite quelques parcelles. A Il H 30, il rejoint
Georges (l'autre conseiller agricole) sur ses blocs. Georges est à sa première expérience
sur ce type d'aménagement. Jérôme vient l'aider de façon officieuse, informelle.
Aujourd'hui, il l'aide à délimiter les parcelles (les superficies exactes de chaque paysan)
car "cela n'a pas été fait comme il se doit par les sociétés qui étaient chargées de le
faire". Par exemple elles ont délimité quatre parcelles à distribuer entre deux paysans. On
connaît la surface de chaque parcelle, mais il faut que les encadreurs remesurent et
divisent les quatre parcelles en deux en fonction de la superficie à accorder à chacun.
A 12 H 45, les conseillers agricoles ont fini.
A 12 H 47, le c.P. vient chercher Jérôme pour visiter d'autres parcelles.
12 H 50, ils se rendent au barrage pour ouvrir les vannes. Le c.P. demande à Jérôme
d'ouvrir les vannes à 1 tour mais Jérôme l'ouvre à 2 tours: ''j'ouvre à 2 tous parce que je
suis sur le terrain et je connais le nombre de paysans qui ont besoin de l'eau. Si
j'ouvrais à J seul tour comme il me l'a demandé, je suis sûr qu'il me dira (suite à une
plainte des paysans) de venir ouvrir un deuxième tour. Or la distance entre le barrage
et mon bureau est longue, et c'est mon carburant qui finit". Cet encadreur prend une
initiative personnelle par rapport à la demande de son chef
-A 13 H 30, Jérôme rentre chez lui.

268
-16 H, il revient au travail. A 16 H 30, il va sur l'aménagement afficher le programme
d'irrigation qu'il avait promis aux paysans.
Jérôme nous explique que "selon le F&V, mon programme devrait être le suivant:
Lundi, Mardi, Mercredi, je suis à l'ancien bloc. Jeudi, Vendredi, Samedi, je suis au
nouveau bloc. Mais les paysans de l'ancien bloc sont en ce moment au battage. Il n'y a
donc rien à leur apprendre. Les blocs nouveaux qu'on a vu aujourd'hui sont prévus
pour Jeudi. Mais étant donné qu'ils ont des problèmes (piétinage, semis, traitement), je
suis venu les voir plus tôt que prévu. On dit de ne pas les voir individuellement mais
moi je le fais parce qu'ils ont parfois des problèmes qui ne peuvent pas attendre le jour
de leur tour". L'encadreur prend ainsi des initiatives personnelles pour orienter son
travail.
Tel que pratiqué, ceci fausse tout le plan du F&V (formation et visites) qui lui n'a pas
prévu ces imprévus.
A 17 H 15, la journée de travail de Jérôme est terminée. Il se rend dans son champ
personnel.
Une journée d'encadrement avec Georges (Crny)
8 H, Georges arrive au travail.
8 H 45, il va dans l'aménagement sur les blocs qu'il encadre (D 1 au D6).
9 H, il va sur une parcelle où son c.P. lui a demandé de compter les feuilles du riz au
repiquage. Il devra ensuite repasser chaque semaine pour constater l'évolution des
feuilles.
Sur le terrain, il parle en français.
Selon lui, "mon programme normal d'aujourd'hui était d'aller voir les travaux au D3, et
prendre des notes. J'aurais fini au plus tard à 13 H ma journée. Mais Kouamé (le c.P.)
m'a donné un travail supplémentaire à la dernière minute. Il m'a dit de venir voir l'état

269
végétatif des plantes au D6. Je lui ai dit que c'est trop tôt mais il m'a dit de venir quand
même".
Après ce travail, Georges se rend enfin au D3. Les paysans sont au stade du labour. Il se
rend directement chez le Paysan de Contact (p.C.) pour contrôler s'il travaille bien. Il
justifie le choix du P.C.: "il y a un PM qui est au D4 etfait des prestations au D3, à ses
PS (paysans Satellites). J'ai choisi son frère comme P.c. au Dl parce qu'il parle
français. Il me fait des CR (comptes-rendus)". Etant donné qu'il ne parle pas baule,
l'encadreur choisit un P.c. (paysan de contact) qui lui sert en même temps d'interprète,
sans l'avis des autres paysans. Le critère de la compétence au travail n'a pas été retenu
pour choisir le P.C. (paysan de contact), alors que cela devrait être une référence. "Tes
diguettes sont sales, pleins d'herbes. Et s'il y avait une visite surprise, comment on allait
faire? Tu sais que je te fais confiance et puis tu me déçois comme ça?" Le paysan se
confond en excuses.
10 H 30, l'encadreur se dirige au bloc D6 où il va délimiter 20 m2 de parcelles chez un
paysan. Ces 20 m2 constitue le champ de démonstration.
A 10 H 40, Georges est dans son bureau. Il commence à mettre au propre les notes qu'il
a prises sur le terrain. Sa journée est terminée.
Une journée de travail avec Yao de la SATMACI
Il ne parle que le Français aux paysans: "Pour me faire comprendre, je m'adresse
surtout aux quelques déscolarisés ou instruits qui traduisent ensuite aux autres". "Si on
me demandait mon choix, je souhaiterais aller dans une région où on parle ma langue".
Le programme du 26 Août 91 porte sur la diffusion du thème: "l'entretien et la qualité de
produits: le café".
8 h 45, l'encadreur est à Allokodjékro; dans le programme hebdomadaire initial, c'est
seulement le lendemain que la visite à cet endroit était prévue. Le paysan qu'il va voir est

<-:
270
Kouadio qui n'est pas P.C. (paysan de contact) officiellement. Lors des visites dans ce
secteur, ce paysan est une étape obligée de visite pour l'encadreur quand il s'agit de
montrer que le discours de l'encadrement et des organismes d'intervention est reproduit
sans faille; car bien qu'il ne soit pas P.c., il applique pratiquement tous les conseils de la
SATMACI et en outre parle français. Il a une plantation de café recépée, qui est de 0,60
ha et qui produit environ 1,5 tonnes. Le recépage est le thème national de sensibilisation
à la mode; il s'agit de renouveler les anciens plants de café en les coupant, afin
d'augmenter la productivité de ces plants. C'est l'une des raisons qui explique l'affinité
entre l'encadreur et lui. Il est en quelque sorte le "modèle", la référence, le P.C. de
l'encadreur. Le P.c. officiel lui, a été choisi par les paysans. Il y a ici le P.C. (paysan de
contact) de l'encadreur et le P.c. (paysan de contact) des paysans, chacun ayant été
choisi selon des critères différents. Le premier selon l'applicabilité des messages de la
structure d'encadrement (il est la preuve que les messages passent bien et sont bien
reproduits) et l'usage de la langue française. Et le second en raison de son âge (avancé)
et aussi de sa position sociale dans le village (c'est un notable).
L'encadreur visite ensuite la plantation du "paysan leader" (P.C. officiel) qui lui
ne parle pas français. Il fait appel à son fils "déscolarisé" pour servir d'interprète. Dans
cette plantation, il y a deux piquets que l'encadreur regarde. Ces deux piquets
contiennent des messages. D'abord leur emplacement et leur espacement
marquent la
_ distance normale qu'il faut respecter entre deux plants. Ensuite, sur un des piquets,
figurent quatre traits qui indiquent le nombre de fois où doit être nettoyer, entretenu un
champ, en raison de 1 nettoyage par trimestre. Après chaque nettoyage, le paysan efface
ou raye le trait et sait combien de nettoyage il lui reste à faire. En plus de la langue
locale, l'utilisation de tels outils de travail sur la base de signes, peut être prometteur
pour les relations professionnelles et le véhicule des messages encadreurs/paysans. Ces

271
piquets et leurs signes constituent un langage codé, initié par l'encadreur lui-même. Les
initiatives personnelles de ce genre n'enfreignent pas les recommandations de ses chefs;
au contraire elles aident l'encadreur à mieux les véhiculer auprès des paysans.
L'enseignement des techniques agricoles se fait sur la parcelle du P.e. paysan de contact
officiel (et aussi sur la parcelle du P.e. de l'encadreur), "sur la parcelle du paysan, nous
lui demandons 25 m sur 20 (25x20) qui servent de parcelle de démonstration. Il doit y
exécuter tout ce qu'on dit. Le reste de sa parcelle est considéré comme parcelle témoin,
il y applique les mêmes recommandations que sur la parcelle de démonstration s'il le
veut" (l'encadreur).
L'encadreur explique au paysan que "il ne faut pas cueillir le café quand ce n'est
pas bien mûr, sinon tu ne vas pas gagner de l'argent dedans", et aussi "pour que le café
pousse bien sans s'étouffer, il faut nettoyer son champ". Le paysan écoute toutes les
recommandations sans rien dire. A la fin du "cours", il remercie l'encadreur qui lui
demande de transmettre "les deux conseils d'aujourd'hui aux autres", puis il continue de
vaquer à ses occupations.
A 9 h 30: c'est la visite d'une pépinière de café à Mandéké (lieu de visite prévu sur la
carte de secteur). Ce sont des boutures de trois mois, il faut les planter au bout de neuf
ou dix mois à la grande saison des pluies. Le propriétaire (paysan) est absent.
L'encadreur regarde si les pépinières sont bien arrosées et si elles poussent bien. Il note
des remarques sur son carnet et c'est la fin de sa visite sur cette parcelle.
Vers 10 h 30, l'encadreur arrive dans la parcelle d'un planteur avec qui il entretient des
relations privilégiées; c'est une visite imprévue mais dit-il, "quandje finis tôt ma journée,
je passe chez des paysans quelconques pour bavarder un peu et par la même occasion
voir s'ils ont des problèmes". Le paysan visité est considéré comme un grand planteur

272
dans le village. TI a des plantations de café (3 ha), de cacao, d'igname, de manioc, de
banane, d'arachide et du maïs. En référence à la politique agricole de la Côte d'Ivoire
dans les années 80, on dirait que ce paysan fait du développement agricole intégré. En
fait de "intégré", iJ s'agit de la diversification des cultures prônée et encouragée dans les
années 80 face au déclin des cultures vivrières et à la baisse du prix d'achat des cultures
pérennes sur le marché international.
A la fin de la visite, le paysan (Amani) offre trois régimes de banane à l'encadreur. On
remarque ici les cadeaux en nature que reçoit l'encadreur. On peut les considérer
comme des rémunérations qui ne sont pas officielles, mais qui, comme source de
motivation, guident la qualité de ses relations avec les paysans.
A l'instar des autres encadreurs, Yao, concernant le système de contrôle indique:
"Nos patrons ne peuvent pas trop nous contrôler parce qu'ils ne nous donnent pas
suffisamment de carburant. Nous al/ons donc là où on peut al/er..."
Comme moyen de contourner les pièges qui leur sont tendus, l'encadreur explique que "il
nous arrive de programmer des villages qui ne sont pas accessibles en voiture. Or eux
ils ne se déplacent qu'en voiture. Comment sauront-ils si nous sommes effectivement
dans le village ou pas?".
12 h 30, fin des visites. L'encadreur rentre chez lui. A 14 h 30 il se rend au bureau, prend
des notes, recopie au propre tout ce qu'il a noté lors des visites. A 17 h 30, sa journée est
achevée.
Une journée d'encadrement avec Bertin (CID!)
09 h: Arrivée à Mandéké, seul village de Sakassou à posséder de grandes surfaces de
coton. Le paysan de contact est absent, il est dans un autre de ses champs (loin du

273
. village). Le chef des planteurs (président du Groupement à Vocation Coopérative -GVC)
lui non plus n'est pas présent. Pourtant le programme de visites les prévoyait pour ce
jour:"ils étaient informés; au lieu d'attendre au village, ils sont partis. Ça fait du
carburant en plus si on doit les rejoindre au champ".
Les paysans présents exposent leurs problèmes (dont celui de l'insuffisance des
herbicides): ils décrivent le problème et l'encadreur donne des réponses en fonction de
leur description sans prendre le soin d'aller vérifier concrètement (sans voir l'état réel,
effectif des problèmes).
L'encadreur explique: "en principe il faut refaire le traitement herbicides quand il pleut,
au moins trois h après. Mais la CfDT n'a pas de moyens. Quand la pluie tombe et lave
lesfeuil/es, tout le produit précédent part et le paysan n'a pas la possibilité de refaire le
traitement. C'est à la perte du paysan. Au début de la campagne, nous donnons une
quantité calculée de produits, sans plus;
donc au cas où il pleut "n'ï fois, c'est tant pis
pour le paysan". En fait, face au "manque de moyens" de la CIDT, elle, mise sur la
sagesse du paysan et son applicabilité à la lettre de toutes les instructions même si les
intrants sont insuffisants. Or le paysan lui aussi justifie son comportement (la non
application à la lettre des instructions) par le manque de moyens pour s'approvisionner
ailleurs, il préfère ne pas utiliser d'herbicide quand c'est la saison des pluies. On constate
que ce n'est pas forcément quand le paysan est "fainéant", "récalcitrant", que les
messages ne sont pas appliqués. Il y a parfois des contraintes financières ou sociales
(quand par exemple il choisit d'aller aux funérailles plutôt que d'entretenir sa parcelle).
Pour la visite, les paysans font des pourparlers en baule avec l'encadreur afin de
trouver le meilleur champ à présenter. Ils procèdent par élimination en fonction de
l'applicabilité des conseils de l'agent (c'est-à-dire présenter le champ du paysan qui aura le
mieux respecter les consignes de la CIDT par le biais de son agent). L'étranger doit bien

274
voir que les recommandations des bailleurs de fonds sont respectées et ainsi, il fera un
rapport positif qui encouragerait à investir davantage.
Avant de les quitter pour aller visiter la parcelle, ils demandent à l'encadreur en
Baule (et avec humour): "quand est-ce qu'on te revoit par ici?". L'encadreur répond:
"peut-être vendredi (yaa), peut-être jeudi (oué)". Et les paysans de rétorquer: "ce n'est
pas la peine;
on sait que c'est seulement dans au moins un mois qu'on te reverra".
Nous retranscrivons ce dialogue entre agent et paysans à propos de la date de
prochaine visite pour montrer que:

La grille de visites dont s'enorgueillit la Banque Mondiale n'est pas appliquée à la
lettre même si effectivement elle est établie en bonne et due forme. De ce fait le
contrôle de l'agent échappe à la fois aux "contrôleurs" de sa structure et aux paysans.
Néanmoins, si le système de contrôle a peut-être plus de chances d'être appliqué sur
un projet où les paysans sont regroupés sur le même espace géographique, il est
difficilement applicable sur des encadreurs ayant des paysans éparpillés dans la
région: les pannes de mobylettes, les lettres de rendez-vous avec les paysans non
arrivées à destination, etc.... sont autant de raisons stratégiquement "convaincantes"
et beaucoup utilisées pour se dérober à ce système.

L'agent d'encadrement, quand il le souhaite, montre le meilleur de lui-même dès qu'il
y a un visiteur. Ce genre d'attitude est flatteur pour les "experts" qui passent
rapidement mais pas avantageux pour les paysans car le visiteur n'a pas le temps de
percevoir les réalités quotidiennes auxquelles ils sont confrontés.

275

Mais dans ce cas précis de visite (et assez souvent d'ailleurs), c'était sans compter
avec les paysans "leaders" qui ont boycotté la visite en s'absentant. C'est leur façon
de mettre l'encadreur au pied du mur, dans l'embarras: "X et Y ont bien fait de
s'absenter. Lui il ne vient pas souvent et parce qu'il y a une visite aujourd'hui, il a
besoin de nous" (un des paysans en baule).

Nous avons pu saisir le message des paysans parce que nous comprenons la langue
baule: l'interprète nous a résumé tous ces pourparlers de la manière suivante: "ils
disent que vous êtes la bienvenue et c'est celui là qui va vous accompagner au
champ pour voir comment on travaille ici à Mandéké". Il n'est pas besoin de montrer
que comprendre la langue locale est indispensable pour la pratique du terrain, surtout
quand on n'a pas la possibilité d'enregistrer les entretiens comme c'est le cas ici.
A 09 h 55, le chef planteur (un des paysans leaders) arrive à un moment où il
estime que l'encadreur serait déjà parti (il ne s'attend pas lui-même à des pourparlers si
long entre ses collègues et l'encadreur). Il tente donc de justifier son absence au rendez-
vous: "on m'avait dit que vous arriverez jeudi, or on est mercredi, c'est pour ça que je
me suis absenté". En fait sciemment, le paysan se sert aussi des éventuelles déformations
du message (rendez-vous) de l'encadreur comme raisons stratégiques pour ne pas
respecter les rendez-vous. On remet ici en question le système de transmission des
rendez-vous entre encadreurs et paysans. Chacune des deux parties utilisent le fait que le
messager a mal transmis l'information ou ne l'a pas transmise du tout, pour s'excuser
(comme nous l'avons déjà vu avec la SATMACI). L'encadreur n'était pas lui-même
favorable non plus à la présence de ce paysan leader car dit-il :"i1 n'est pas un bon
exemple, il ne fait rien comme on lui demande de le faire, il n'en fait qu'à sa tête". On
prétexte d'ailleurs son "retard" pour aller sur les parcelles choisies en son absence.

276
A la h la, c'est le début des visites sur les parcelles choisies. Les conversations
encadreur/paysans se font en baule et en français pour les paysans qui parlent français.
Dans un des champs, le paysan fait la cuisine et exige que l'encadreur déjeune avant de
s'en aller. Sur une autre parcelle, un paysan offre des arachides à l'encadreur. A 14 h 30,
l'encadreur termine sa journée. On retrouve ici encore les cadeaux en nature que reçoit
l'encadreur.
Ces
journées
de
travail
montrent
que
les
rencontres
professionnelles
encadreurs/paysans se font soit à partir de réunions commanditées par les encadreurs,
soit à partir de visites des encadreurs aux paysans ou des paysans dans les bureaux ou
chez les encadreurs. Même si généralement ce sont des rencontres de groupe, il y a des
cas où les encadreurs rencontrent individuellement les paysans. Ainsi donc à Sakassou,
on emploie à la fois la pédagogie individuelle et la pédagogie de groupe (Kang et Song,
1988: 111). En plus de la démonstration sur une parcelle témoin ou parcelle modèle,
d'autres types de techniques pédagogiques sont utilisés soit en complément, soit
séparément:
- Les émissions ou films télévisées adressés au monde agricole: en Côte d'Ivoire, c'est
l'exemple des émissions Télé pour tous et La voix du paysan, magazines d'éducation
diffusés les soirs. Ces émissions s'adressent à tous les paysans; on y donne la parole aux
paysans qui exposent leurs problèmes, difficultés et "besoins", selon les régions et aussi
selon les produits cultivés. Ce sont aussi des émissions qui produisent des films destinés à
la sensibilisation de ce milieu; les films véhiculent certains thèmes de vulgarisation: la
qualité des produits, la phytotechnie, la commercialisation, ... On y véhicule aussi les
messages du gouvernement concernant les orientations politiques en matière agricole.

277
- Les émissions radiophoniques jouent en Côte d'Ivoire le même rôle que celles de la télé.
Comme exemple d'émission, on peut noter La coupe nationale du progrès diffusée tôt le
matin.
- Les journaux comme Terre et Progrès, destinés à la fois aux paysans et aux encadreurs,
mais dont la majorité des destinataires ignorent l'existence.
L'impact des média audiovisuels n'est pas à négliger. Selon Behrens et Evans
(1988: 121), "ces méthodes sont particulièrement indiquées si l'on veut faire connaître à
un large public des idées et des pratiques nouvelles ou l'alerter en cas d'urgence... Une
fois que les médias auront attiré leur attention, les agriculteurs chercheront à en savoir
davantage auprès de leurs voisins, de leurs amis, des vulgarisateurs ou des exploitants
plus évolués de la zone" ..
- Les brochures, tracts et dépliants: expérimentés au Pakistan", ils ne sont pas encore
beaucoup utilisés en Côte d'Ivoire dans le domaine agricoles, mais le sont plutôt en
médecine comme par exemple ceux utilisés pour sensibiliser les femmes en animation
rurale sur l'hygiène, la maternité etc., et aussi ceux utilisés pour les campagnes de lutte
contre le SIDA.
- Le concours: c'est le moyen privilégié en Côte d'Ivoire pour sensibiliser surtout les
paysans qui s'adonnent aux cultures de rente; ainsi une coupe, dénommée Coupe
nationale du progrès (comme l'émission radiophonique) et une certaine somme d'argent
sous forme de ristournes, sont décernées chaque année aux meilleurs planteurs ivoiriens.
- La méthode des piquets comme on l'a vu avec les encadreurs de la SATMACI, est
employée par plusieurs agents d'encadrement. On inscrit des signes sur des piquets dans
une parcelle; le paysan décode ces signes même quand l'encadreur n'est pas présent, et
4Cf Behrens et Evans (1988: 123).
SOn les utilise surtout pour sensibiliser les populations contre les feux de brousse provoqués par
l'agriculture sur brûlis par exemple.

278
inversément en l'absence du paysan, l'encadreur comprend en regardant les piquets, les
activités entreprises par le paysan. En Corée, une méthode semblable est employée
dénommée la méthode du fanion dans le champ (Kang et Song, 1988: 113): "cette
technique mise au point par des vulgarisateurs coréens, consiste en ceci: un vulgarisateur
se rend dans une rizière pour aider, par exemple, un agriculteur à identifier les maladies
et les insectes nuisibles au riz. Le diagnostic et le traitement, s'il y en a un, sont notés sur
une feuille mise ensuite dans la pochette d'un fanion de vinyl rouge fixé à une perche ou à
un fil de fer. Le fanion rouge est planté dans la rizière où l'agriculteur se trouve
facilement. Après avoir pris connaissance du message, l'agriculteur roule le fanion et le
remet là où il l'a trouvé. Le vulgarisateur récupère le fanion lors de sa prochaine visite".
- Les visites des paysans à l'extérieur de leur lieu de travail, ou zone, auprès d'autres
paysans ou coopératives, dans un centre de formation ou une station agronomique, pour
s'inspirer des techniques, méthodes et/ou pratiques de ces lieux. Ainsi par exemple,
certains paysans de la Loka sont allés au centre de formation de Grand-Lahou, d'autres
sont allés à la station expérimentale de l'IDESSA à Bouaké ou encore ont regardé
l'expérience en matière de coopérative de quelques paysans de Bouaké.
Le quotidien professionnel des encadreurs nous montre aussi que
le système
Benor a du chemin à faire en Côte d'Ivoire. Au lieu de plaquer le modèle indien, les
instigateurs de cette méthode auraient dû trouver des formules plus adaptés au cas
ivoirien. Les encadreurs ne travaillent pas toujours comme le prévoit le programme mais
comme ils le "sentent" en fonction des réalités du terrain. Ce qui pourrait être retenu
dans cette méthode est son système de contrôle des agents sur le terrain. Mais nous
avons vu dans le chapitre 4 que les encadreurs ont des astuces pour le contourner.

279
6.1.2 Langage et communication au travail
A Sakassou, la langue de travail est principalement le français bien que les agents
reconnaissent que le plus souvent, le message aux paysans ne passent mieux que dans la
langue locale. On constate qu'aussi bien sur le projet Sakassou que sur les autres sites
encadrés à Sakassou, la langue locale n'est pas un outil privilégié de communication. Et
pourtant la plupart des paysans ne parlent pas le français. Les encadreurs ont assez
souvent besoin d'interprète pour s'adresser aux paysans qui ne parlent pas le français.
Finalement en recomposant le schéma la communication du message de la Direction
Générale au paysan, l'encadreur n'est pas le dernier transmetteur du message;
il y a un
intermédiaire entre l'encadreur et le paysan: c'est l'interprète.
au lieu de:
DG-->DR-->DD-->CS-->CA--> paysans
Ona:
DG-->DR-->DD-->CS-->CA--> interprète--> paysans
A la difficulté de transmettre fidèlement et intégralement les messages selon la
VOle hiérarchique, s'ajoute celle de la traduction avec un interprète. Concernant la
seconde, nous avons déjà montré dans la présentation des difficultés du terrain (chapitre
1) que l'interprète ne traduit pas toujours fidèlement. Pour les encadreurs qui ne savent
pas ou ne veulent pas parler la langue locale, et qui utilisent un interprète, le risque des
pertes et des déformations est beaucoup plus grand. C'est pourquoi l'accent doit être mis
sur le recrutement des agents de base et leur affectation selon le critère de la langue
parlée; un effort doit également être fourni pour accroître les champs ou parcelles de

280
démonstration et non les limiter aux seuls paysans de contact, en insistant davantage sur
le caractère concret, pratique du message. A moins d'alphabétiser tous les paysans quel
que soit leur âge, et ainsi le français, langue nationale du pays serait aussi la langue de
travail avec les paysans quelle que soit la région d'affectation.
Non pas pour pallier ce problème de la compréhension des messages par les
paysans mais plutôt pour gagner les faveurs de certains paysans, des encadreurs qui
parlent la langue locale, l'utilisent comme outil stratégique pour se démarquer des autres
encadreurs, se rapprocher des paysans.
Le thème de la transmission de la connaissance soulève le problème de la langue
d'enseignement. Là-dessus, deux tendances s'opposent: l'une prône l'indispensabilité
d'enseigner dans la langue de l'auditeur (ici le paysan), et l'autre montre que ce n'est pas
indispensable. Parmi les partisans de cette deuxième tendance, Hymes (1984) indique que
l'indispensable
dans
la
transmission
de
connaissances,
est
"la
compétence
de
communication" de celui qui enseigne. Cette compétence n'a rien à avoir avec la
compétence linguistique, le fait de parler la même langue (différence entre savoir parler
une langue et savoir communiquer). Borzeix et Lacoste (1990: 25) expliquent que "cette
notions entend mettre en évidence le fait que l'efficacité des performances entre locuteur
et auditeur dépend d'un savoir qui dépasse très largement la phonologie, le lexique ou la
structure grammaticale abstraite".
Darré (1985) porte un témoignage sur ce problème, qui montre que c'est un faux
débat. Il évoque ici le cas des éleveurs du Ternois, des populations françaises, encadrés
par
des
Français.
Il
y
a
ici
communauté
de
langue
mais
les
problèmes
"encadreurs/encadrés" existent concernant la compréhension des faits et pratiques de
6 La notion de "compétence de communication" qu'ils empruntent aussi à Hyrnes (1984).

281
développement. En fait il soutient l'idée que la communauté de langue n'a de sens que par
rapport à la construction de sens; les mots sont liés à leurs contextes d'énonciation. On
peut utiliser les mêmes mots sans pour autant dire la même chose. Ceci, dans le contexte
africain, nous inspire l'idée qu'il faut donner aux encadreurs les outils pour comprendre
les savoirs, systèmes de pensée des paysans afin que la communauté technique soit un
référent commun. Le tout n'est pas d'utiliser la langue locale ou pas, mais de présenter un
message sous une forme accessible aux populations. Il faut connaître le code de pensée
des paysans, adopter leur langage et utiliser les mêmes cadres de référence.
Dans notre cas particulier des encadreurs et des paysans, nous pensons que tout
dépend du contexte de travail, du contenu de la technique à enseigner: il est évident que
l'encadreur ne s'y prendra pas de la même manière pour enseigner le dosage de l'engrais
en fonction de la superficie d'une parcelle ou en fonction de la quantité de semences par
exemple, que s'il enseigne le maniement d'un motoculteur ou d'un tracteur. Là où peut
devenir indispensable l'utilisation de la langue, c'est par exemple comment expliquer aux
paysans l'utilité ou le bien-fondé de l'utilisation de telle ou telle machine, de tel ou tel
produit phytosanitaire; comment fournir ces explications sans l'usage de la langue (alors
que les "élèves" ne sont pas des sourds-muets?) Autrement dit, comment sensibiliser des
paysans à une ou des innovations techniques sans recours à la langue dans un milieu où
tout le monde ne sait pas lire et écrire?
L'important comme le montre Chiva (1985: 8) dans la préface de La parole et la
technique, c'est de trouver "une stratégie qui privilégie la parole parce qu'elle privilégie le
sens dans les actes et les actions". La communication est le pivot du développement
rural, en matière d'encadrement en tous cas. Il faut que encadreurs et encadrés puissent
partager des connaissances; la communication dans les deux sens est donc indispensable.
Par exemple, les encadreurs doivent pouvoir détecter les capacités des paysans en

282
matière de production, et les problèmes tels qu'ils sont vécus par les encadrés eux-
mêmes, et les encadrés à leur tour découvrent les techniques et propositions des
encadreurs. Nous soulignons "proposition" pour insister sur le fait que le paysan ne doit
pas être obligé d'adopter les techniques de l'encadreur.
En réalité on constate que certains facteurs entravent la communication entre
encadreurs et paysans: les plus importants sont les différences de langue et de niveau
d'instruction des encadreurs. Sur ce sujet, nous remarquons que les encadreurs sont
conscients du problème de la communication et de la langue. Néanmoins, comme nous
l'avons déjà souligné, ces problèmes sont quotidiens dans leur profession: pour eux la
langue n'est le support d'un message technique que parce qu'elle répond à des besoins
stratégiques.
6.1.3 Nature de la relation avec le "profane"
Les encadreurs qualifient les paysans de profanes qui ont besoin de connaissance:
"parce que le paysan n'a aucune connaissance scientifique de l'agriculture, il utilise les
vieilles méthodes traditionnelles pour cultiver" (un encadreur jeune et fonctionnaire). Ils
se considèrent alors comme des enseignants, les paysans étant les élèves.
Pour les encadreurs, tous les paysans qui n'appliquent pas leurs enseignements
sont des ignorants. Or le paysan n'est pas aussi profane que le pensent les encadreurs;
ce n'est pas un terrain vierge en ce sens qu'il a un passé agricole traditionnel ou même
moderne avec les opérations de développement qui ont précédées. Nous avons déjà
montré que Sakassou n'en est pas à son premier projet de développement, de nombreuses
opérations se sont succédées avec des "structures d'encadrement à la queue leu leu". Le
paysan dispose de ce que Olivier de Sardan appelle "savoirs techniques populaires". Cet

283
anthropologue, (1991: 21), nous montre en effet que "il n'existe aucun domaine où,
quand une opération de développement veut diffuser un nouveau savoir technico-
scientifique, il n'existe déjà un savoir technique populaire en place, qui règle les pratiques
concernés". On a très souvent considéré le paysan comme un jeune enfant qu'il faut
éduquer, et qu'on oblige à adopter des comportements. Et l'encadreur, c'est celui qui sur
le terrain se charge de transformer les comportements du paysan. L'encadreur agricole
devient ainsi le vecteur de la modernisation.
Ceci renvoie à la question du non-savoir: il n'y a pas de non-savoir absolu. Même
les paysans censés être ignorants savent quelque chose sur les pratiques agricoles aussi
bien traditionnelles que modernes; refuser d'appliquer et ne pas savoir constituent deux
choses différentes. Les "ignorants" nous ont tous décrits ce qu'ont leur demande de faire.
Par exemple tous les paysans savent ce qu'est le repiquage en ligne, mais certains ne le
font pas parce qu'ils n'en voient pas le bien-fondé. Un des paysans, du projet Loka, en
donne les raisons: "ça demande beaucoup de travail, il faut tout arracher et tout
replanter en suivant une ligne droite. Or avec notre méthode, on jette le riz dans la
parcelle. Quand ça germe, on arrache seulement les plants qui sont trop serrés et on les
repique en les espaçant, sans regarder si c'est tordu ou si en ligne. Ça donne le même
résultat que celui proposé par les encadreurs". Le paysan met en rapport temps de
travail et revenu: il n'est pas question de travailler plus si la différence en gain, en revenu
n'est pas significative. Une autre raison assez souvent évoquée est le risque de voir toute
la semence "dévorée" par les oiseaux: "ils mangent tout le. riz quand c'est bien en ligne;
or quand on sème à la volée, après on attache une bande de cassette [audio] sur des
piquets dans la parcelle et chaque fois que le vent souffle, la bande produit un son qui
effraie et chasse les oiseaux. Si les blancs veulent qu'on utilise leur méthode là, ils n'ont
qu'à nous trouver une très bonne méthode pour chasser les oiseaux aussi" (un des
paysans de l'ancien bloc à la Loka). Un chercheur français a fait le même constat avec les

284
paysans togolais, sur la culture du sorgho, qui usent de certaines astuces pour lutter
contre les oiseaux: "les paysans expliquent que leur souci principal est de minimiser les
dégâts causés par les oiseaux, et notamment les perdrix ... Les paysans considèrent ces
animaux comme très intelligents. Les derniers auraient bien repérer un semis en ligne, et
en semant à la volée et en noircissant les graines avec du charbon, les paysans trompent
leur vigilance" (Urbino, 1988: 117). Rien qu'avec le repiquage en ligne et les remarques
des paysans dans deux pays différents, on peut déjà répertorier des savoirs ou pratiques
populaires sur les techniques de lutte contre les oiseaux par exemple; on remarque par la
même occasion que les savoirs populaires ne sont pas figés: ils évoluent en fonction de
nouvelles données. Roling (1991) a mis au point un système qui permet de prendre en
compte ces savoirs paysans, de les améliorer dans des institutions de recherche et de
développement et de les retransférer comme techniques dans le milieu paysan: AKIS
(Agricultural Knowledge and Information System). Selon Rëling, en les répertoriant
grâce à la méthode AKIS, ces techniques peuvent faire avancer la recherche agricole et
aider au développement.
On voit qu'au fond, le message ou la technique "conseillé" (e) a été assimilé (e),
su (e) par les paysans, mais pas appliqué (e) pour des raisons diverses. C'est d'ailleurs en
ce sens que nous déplorons l'emploi abusif du terme "conseiller agricole" et que nous
trouvons celui de "encadreur agricole" plus adapté à la réalité. En termes de conseils, on
laisserait le choix au paysan d'adopter la technique qu'il préfère malgré les propositions
qui lui sont faites. Or avec_ l'encadrement, le paysan a obligation d'adopter la
"proposition" au risque de se voir qualifier de "ignorant" ou de "réfractaire au progrès"
etc. On se retrouve ici presque dans la situation coloniale où on obligeait les paysans à
certaines pratiques culturales. Dès l'instant où un paysan n'applique pas les "conseils", les
encadreurs le traitent de "fainéant", de "paresseux", de "quelqu'un qui ne veut pas
travailler". Les paysans encadrés, se présentent un peu comme les majorettes: il faut que

285
tout soit uniforme selon les nonnes "conseillés". Même si un paysan a de bons résultats
avec sa propre méthode, on s'en plaint car il ne reproduit pas le discours technico-
scientifique. Le rôle de l'encadreur tel qu'il est pratiqué et recommandé par les
"développeurs", est alors de veiller à conjurer le non-savoir, et à imposer le technico-
scientifique. Mais en même temps comme on le verra plus loin, étant donné que
l'encadreur vit dans le milieu paysan qu'il essaye aussi d'intégrer, il doit "d'un côté prôner
les savoirs technico-scientifiques contre les savoirs populaires, de l'autre il doit les marier
l'un à l'autre", comme le souligne Olivier de Sardan, (1991: 30).
On remarque pourtant que dans son champ personnel, l'encadreur lui-même
n'applique pas ce qu'il demande au paysan. Comme exemple, tous les encadreurs de la
CillY (du projet Loka) ont une parcelle sur l'aménagement hydro-agricole. Rares sont
ceux qui parmi eux appliquent à la lettre les recommandations techniques que nécessite la
riziculture irriguée. Or les paysans observent les faits et gestes des encadreurs sur ces
parcelles et ne peuvent s'empêcher de très souvent faire des comparaisons entre les
parcelles des encadreurs et les leur. Ils ont ainsi classé leurs "enseignants" selon plusieurs
critères (la négligence d'entretien des parcelles, le non respect des dates de semis ou
autre, le non respect des techniques de repiquage, etc ....). Par ordre de négligence par
exemple, le chef vient en tête. Un paysan, membre de la coopérative des paysans,
scolarisé, indique que: "c'est lui le chef et voyez vous-même comment son champ se
présente. Il nous dit de mettre les herbicides à temps sinon les herbes vont envahir la
parcelle. Or dans son champ, on n'arrive même pas à distinguer les herbes du riz. C'est
ça l'exemple qu'il nous donne?".
Un autre encadreur (conseiller agricole) sème le riz à la volée au lieu de faire le
repiquage en ligne. Que répond-il à cette remarque: "nous, c'est notre travail. On nous
demande de faire quelque chose avec le paysan, on doit le faire;
mais on n'est pas

286
obligé d'appliquer nous-mêmes ces recommandations. Sur notre champ, on n'est plus
dans le projet, 'onfait ce qu'on a envie defaire". Et pourtant les parcelles des encadreurs
leur avaient été attribués du temps du BETPA pour "faire des essais" qui serviraient de
modèles. Avec le T&V (Training and Visit), ils ont conservé ces superficies comme
parcelles de démonstration.
Les raisons réelles du choix des encadreurs sont-elles différentes de celles des
paysans?
Les encadreurs expliquent pourquoi, ils ne reproduisent pas les normes
professionnelles sur leurs parcelles personnelles. Avec le même exemple du repiquage en
ligne, ils donnent la réponse suivante: "c'est bien mais ça demande trop de travail" (les
encadreurs en choeur"). Cette raison est la même que celle évoquée par les "ignorants".
Le refus du repiquage en ligne semble être une "tare" de tous les paysans africains:
Urbino (1991: 117) constate par exemple qu'au Togo, "malgré la répétition régulière du
message, les paysans s'en tiennent à une autre pratique: ils sarclent et ils effectuent un
semis à la volée avant les pluies. Au moment des pluies, ils effectuent un labour en billon
et un semis à la volée".
Paysans et encadreurs ont également le même avis sur l'utilisation des faucheuses
et des batteuses; et travaillent manuellement pour les travaux nécessitant l'utilisation de
ces engins". Pourtant, dès l'instant où il s'agit de donner un avis "professionnel" là-
dessus, tous les encadreurs incriminent les paysans.
Mais alors, si les méthodes à enseigner ne sont pas efficaces ou alors présentent
d'autres alternatives, pourquoi forcer les paysans à les appliquer? La réponse des
7 En fonction des thèmes et de la nature du sujet, nous avions eu des discussions de groupe avec les
agents d'encadrement.
8Cf. chapitre 3 sur les problèmes de fonctionnement de la Loka.

287
encadreurs est immédiate: "parce que nous sommes payés pour eux, nous sommes notés
(officiellement en tous cas) en fonction de l'application de nos enseignements par les
paysans". C'est en somme le ''faites ce queje vous demande, mais ne faites pas ce que je
fais". En dehors de cette explication, on remarque aussi qu'en fait, face à certaines
situations,
les
agents
d'encadrement
se démarquent
des
paysans
ou
occultent.
volontairement les savoirs populaires dans le but "d'affirmer leur supériorité toujours
socialement et politiquement fragiles sur les paysans afin, disent-ils, de se faire respecter.
A ce titre, ils se considèrent comme détenteur d'un savoir moderne qui s'opposerait au
savoir traditionnel et qui lui serait supérieur" (Koné, 1991: 50).
A travers ce genre de discours, on se laisse persuader que les encadreurs
reproduisent ou respectent systématiquement les normes professionnelles, ce qui pourrait
laisser supposer que les encadreurs agricoles appliquent aveuglément ce qu'on leur
recommande depuis le siège de la structure d'encadrement, sans initiatives personnelles
face aux réalités du terrain. Or, il leur arrive de prendre des initiatives à des niveaux
différents mais très souvent, "cela dépend du chef hiérarchique direct car certains
veulent qu'on applique à la lettre ce qu'on nous demande, et qu'on vienne les voir s'il y
a quelque chose afin que eux-mêmes ils décident" (un encadreur CIDI).
Les encadreurs rivalisent par exemple d'initiatives "professionnelles" pour les
punitions (qu'ils appellent "mesures correctives") de paysans quand ces derniers ne
respectent pas les consignes "réglementaires": "on ne dit pas de les punir mais quand on
les punit pour la bonne cause, c'est-à-dire pour défendre notre structure, nos patrons
voient que nous sommes dévoués". Ce genre d'initiatives sont ainsi des stratégies pour se
faire apprécier des patrons. Comme exemple de punitions, les encadreurs refusent de
servir un quelconque produit aux paysans (engrais, semences, herbicides, insecticides,
etc ....).

288
Les initiatives ne se limitent pas seulement aux punitions, elles concernent aussi
les pratiques professionnelles. Certains encadreurs utilisent la ruse pour faire passer
certains messages. Ainsi par exemple ils encouragent les paysans à cultiver des légumes,
du maïs ou de la banane sur les diguettes. C'est une stratégie pour leur faire passer le
thème de l'entretien des diguettes. Il y a d'autres initiatives. Par exemple selon cet
encadreur de la SATMACI: "souvent on nous demande d'épandre de l'engrais mais
selon la qualité du sol, il nous arrive de ne pas le faire; quand le sol est trop fertile ou
quand il est sablonneux, ce n'est pas la peine de gaspiller l'engrais car le paysan
dépense pour rien". L'encadreur peut aussi demander aux paysans de doubler la dose de
certains produits ou d'en diminuer d'autres. Dans ces cas là, on peut dire que toutes les
initiatives des encadreurs ne sont pas faites seulement pour défendre la cause de la
structure d'encadrement. Certaines comme celle ci-dessus citée sont pour être en
harmonie avec les paysans. Il y a ainsi des savoirs technico-scientifiques dictés par la
structure d'encadrement, il y a des savoirs propre à l'encadreur en raison de son
expérience professionnelle ou qu'il acquiert grâce à ses collègues, et il y a des savoirs
techniques populaires. L'amalgame de quelques uns ou de la totalité de ces savoirs
permet alors aux agents d'encadrement d'évaluer techniquement les projets. Ils ont un
regard des projets qui n'est pas toujours celui des structures d'encadrement ou celui des
paysans.
6.2 COMMENT LES ENCADREURS EVALUENT-ILS LA CONNAISSANCE
DES PAYSANS?
Les encadreurs ne conçoivent pas la pratique de leur métier en d'autres termes
que ceux d'une transmission de connaissances: véhiculer un message, le transporter d'un

289
point A à un autre B, selon les conventions de la communication. Mais ce transfert de
connaissances ne se fait sans omission volontaire ou involontaire.
Ela (1990: 88) confirme que "sur le terrain, on retrouve l'encadreur qui sait et le paysan
ignorant. Le rôle de l'animateur se limite à être une courroie de transmission à sens
unique, c'est-à-dire du sommet à la base".
Avant l'instauration de la méthode Benor, les encadreurs voyaient individuellement les
paysans au gré de leurs humeurs et de leurs affinités (parentales, amicales ou ethniques
etc.). Ainsi par exemple la formation des paysans de la Loka se faisait sur le tas; les
encadreurs n'avaient pas de programmes de formation. Les paysans étaient formés sur un
sol particulièrement aride ou sableux. On apprenait au paysan comment semer le riz,
l'entretenir, le récolter mécaniquement ou manuellement, et comment on commercialisait
la production. L'encadreur faisait tout à la fois; il n'y avait pas de spécialisation. Dans la
formation, on insistait surtout sur la maîtrise du matériel agricole mécanisé et l'utilisation
des produits phytosanitaires (l'herbicide, l'insecticide). Le paysan apprenait aussi le
calendrier agricole tel qu'il est prévu par la structure d'encadrement. C'était la
combinaison de toutes ces acquisitions qui déterminait la durée de formation d'un paysan;
formation dont la durée variait entre un cycle de production et trois voire quatre. Les
paysans d'ailleurs assimilaient (ironiquement) la formation agricole techniquo-scientifique
d'initiation à l'école occidentale. Leur bloc de formation était pour eux le "CPl" - Cours
Préparatoire première année. Ceux qui restaient plus d'un cycle au "CP1" étaient les
"redoublants". Les encadreurs étaient les "maîtres" (les enseignants).
Comment détermine-t-on aujourd'hui les différents degrés de compréhension des
messages? Selon les encadreurs, les facteurs les plus importants pour la compréhension
des messages par les paysans sont les suivants:

290
6.2.1 Le caractère concret du contenu
"Le paysan, tant que tu n'as pas fait de démonstrations, il ne comprend pas.
C'est pour cela que nous avons des parcelles de démonstration. C'est indispensable"
(Jérôme de la CIDY). Un encadreur de la CIDr (Bertin) évoque le même facteur: "le
paysan, il faut toujours lui faire des démonstrations car le paysan vit sur le concret....,
le paysan ne croit que lorsqu'il voit".
. Du point de vue des paysans, cette remarque ressort également et ils jugent
l'efficacité d'un encadreur par rapport à son aptitude à "descendre dans la boue des
paysans". "Tel encadreur est bien parce qu'il rentre dans la boue pour nous montrer les
choses" "tel autre n'est pas bien parce qu'il passe sur la route (sur une mobylette ou
dans une voiture) et regarde de loin ce qu'on fait;
parfois même, il verse la poussière
sur nous". Les comparaisons de ce genre sont courantes dans le milieu des paysans.
Certains encadreurs utilisent ainsi ce facteur comme stratégie d'approche du milieu
paysan, s'efforçant à démontrer le moindre acte technique ou non enseigné.
Mais la démonstration à elle seule n'est parfois pas suffisante, "il faut pendant la
démonstration faire quelque chose d'extraordinaire" (Yao de la SATMACI): faire du
sensationnalisme.
6.2.2 Le sensationnalisme (l'effet de l'extraordinaire, du jamais vu)
Le sensationnalisme intervient surtout dans les choix techniques: choisir entre le
manuel et la mécanisation. Ainsi selon
Jérôme de la CID V, "quand tu veux que le
paysan choisisse par exemple la faucheuse au lieu defaucilles, il faut t'arranger pour

291
que la faucheuse-là ne tombe pas en panne tout le temps, il faut que la faucheuse soit
rapide, couper une grande surface en un rien de temps. Comme ça le paysan se dit que
vraiment il gagne du temps et puis il est moins fatigué". Le sensationnalisme peut aussi
intervenir dans le choix des produits phytosanitaires entre tel insecticide ou herbicide
plutôt que tel autre.
6.2 .3 Le minimum de coût (l'économique)
Comme l'indique Bertin de la CIDT, "en montrant les choses au paysan, il faut
savoir que lui il regarde mais en même temps, il pense à combien il va dépenser après.
Nous on essaie donc de s'arranger pour que les dépenses du paysan soient le moins
possible parce que même si la méthode qu'on leur montre est extraordinaire, si c'est
trop cher, le paysan ne va pas la choisir". Une dimension très importante est introduite
par cet encadreur: la dimension financière.
6.2.4 La simplicité et la fluidité du langage parlé et du vocabulaire utilisé
"Si tu veux que le paysan t'écoute, il faut parler dans sa langue, et ne pas
utiliser les gros mots" (Etienne de la CIDY, secteur "informel"). "Ne pas utiliser les gros
mots" signifie parler clairement et simplement de façon à ce que le paysan comprenne le
sens du message: il faut savoir expliquer, il faut pouvoir formaliser .soi-même avant de
transmettre. Ici se pose le problème de la simplicité de vocabulaire. Mais jusqu'où peut-
on simplifier le vocabulaire agricole tout en lui conservant les caractéristiques propres à
la vulgarisation, à l'encadrement? Comment peut-on décrire techniquement dans une
langue autre que celle techniciste, les techniques à appliquer? La difficulté d'une

292
description technique des techniques en langue locale pose un problème de traduction, de
ré interprétation (cf. paragraphe sur langage et communication).
Avec ces quatre facteurs, on remarque que les encadreurs "connaissent" les
paysans même s'ils ne mentionnent pas des critères très souvent cités par les paysans eux-
mêmes: l'expérience personnelle, l'observation, la volonté et le coût de l'apprentissage.
L'encadreur, en enseignant les techniques culturales aux paysans, est guidé par la volonté
de leur faire "savoir"; à partir de certaines explications, ils doivent comprendre. Or le
paysan a une toute autre volonté: "il faut voir avec tes deux yeux et comprendre avant
de faire" car voir ne signifie pas du tout qu'on a compris ou qu'on sait. Autrement dit, le
paysan privilégie son (ses)
expérience (s); viennent ensuite au second plan les
expériences que pourrait lui apporter l'encadreur. Pour "savoir-faire", il faut avoir la
qualité de "savoir-observer" et "vouloir-faire", et c'est seulement à partir de là qu'il faut
penser au "savoir-coopérer" et au "savoir-apprendre" avec l'encadreur.
Le "savoir-observer" implique qu'on regarde dans les détails, qu'on remarque bien
les différentes étapes pour (si on l'accepte) pouvoir choisir ce qu'on veut et peut-être y
intégrer des techniques (et "savoir-faire") personnelles, car l'objectif, ce n'est pas toujours
de vouloir copier textuellement ("bêtement") ce qu'on voit avec l'encadreur. Selon Darré
(1991: 102) parlant des agriculteurs français, "toute technique, telle qu'elle est mise en
oeuvre par les agriculteurs et quelle qu'en soit l'origine, est nécessairement re-créée par
les agriculteurs eux-mêmes, et ceci à deux niveaux: celui de la définition des chaînes
opératoires et celui de la connaissance qui en assure la maîtrise.
Ce travail de réinvention technique, à la fois matériel et conceptuel, s'impose lorsque la
technique vient d'ailleurs, mais tout autant lorsqu'elle est héritée". Et c'est en ce sens que
le "savoir-apprendre" demande beaucoup d'imagination et de l'intelligence.

293
Le "vouloir-faire" est principalement déterminé par le coût de l'apprentissage (en
temps, en dépense d'énergie, en argent et en productivité) et aussi par la simplicité et la
fluidité du langage.
Malgré l'omission de ces quelques facteurs importants pour les paysans, on
remarque quand même que les encadreurs savent très bien ce qu'il faut faire pour que les
paysans soient à leur écoute, ils savent ce que les paysans attendent d'eux. Mais quelques
fois ils refusent de le faire. Ici se pose le problème de la censure.
Chez les journaliers par exemple: ils sont certes notés en fonction de l'application
par les paysans des messages techniques enseignés, mais en même temps ils redoutent
que les paysans comprennent tout: "si on leur apprend tout et bien, ils sauront tout et
nous qu'est-ce qu'on devient?" (un encadreur de la SATMACI préférant garder
l'anonymat). Il faut rappeler que l'objectifde l'encadrement à long terme, c'est d'arriver à
responsabiliser le paysan qui à la longue devrait arriver à l'auto-encadrement, et à quitter
les sites d'encadrement actuels pour d'autres non encadrés ou être affecté dans une autre
ville pour un encadrement étatique ou informel. Dans une situation d'auto-encadrement,
avec les titularisés (les fonctionnaires), le problème ne se situe pas au même niveau car
pour eux, c'est de toute façon la sécurité de l'emploi sauf quelques rares cas de
suspension de salaire, vite rétabli d'ailleurs. Mais là où se pose problème, c'est avec les
journaliers; ils n'ont aucune garantie professionnelle, ils peuvent être renvoyés à tout
moment de la structure d'encadrement qui les a engagés, surtout s'il n'y a plus de paysans
à encadrer. Et c'est là qu'interviennent les consensus et complicité entre encadreurs (CA)
par exemple pour maintenir un projet ou une action de développement longtemps en
place. L'enjeu chez eux, dans ce cas, c'est rester le plus longtemps possible dans ce
travail, avec l'espoir de devenir un jour titulaire, fonctionnaire. La non évolution des
paysans (selon les termes prévus) vers l'assimilation totale des messages techniques

294
venues d'en haut, sera justifiée dans les rapports d'activité mensuelle ou bimensuelle, par
leur incapacité d'assimilation, leur refus d'assimilation etc. La complicité des chefs: C.P.,
CS, CZ est implicite mais parfois involontaire dans la mesure où ce sont les CA qui lui
font les comptes rendus, et les chefs n'interviennent auprès des paysans qu'en cas de
conflits ou pour expliquer une mesure venant "d'en haut"; ils ne connaissent pas assez
bien les paysans comme les CA par exemple. Mais puisqu'il faut qu'il y ait aussi des
progrès dans les pratiques des paysans (sinon on se fait renvoyer pour incompétence), on
choisit de leur apprendre quelques trucs élémentaires. Nous avons déjà expliqué que tous
les paysans n'appliquant pas les "conseils" des encadreurs sont qualifiés de "fainéants";
mais en même temps le plus important pour les encadreurs dans les faits, ce n'est pas tant
l'applicabilité des techniques mais plutôt le nombre de tonnes récoltées à l'hectare. La
moyenne de production ne doit pas être en dessous de 4 tonnes pour le riz par exemple.
Les encadreurs se situent ici dans la logique de production des instigateurs du projet: ils
veillent à ce que les paysans produisent selon les normes quantitatives.
Dans ce contexte, les encadreurs utilisent leur savoir technico-scientifique pour
exercer un pouvoir sur les paysans qui ne "savent pas": ils donnent les informations aux
paysans par bribes car ces derniers ne doivent pas tout savoir; ainsi ils solliciteront
toujours l'aide de l'encadrement. Or bien qu'ils aient des savoirs propres à eux, certains
agents d'encadrement ne maîtrisent pas le savoir technico-scientifique (recommandé)
qu'ils disent posséder; de nombreux
travaux en témoignent (cf. chapitre 2). Les
encadreurs réussissent parfois ainsi à influencer les paysans de sorte à créer une
complicité.
Prenons toujours l'exemple du projet Loka: on remarque initialement, le service
d'encadrement devait rester 3 ans ou 5 ans (termes prévus) sur l'aménagement créé en
1981; durant ces années les paysans seraient sensés avoir maîtrisés les techniques et
méthodes, et donc se prendraient eux-mêmes en charge: c'est l'auto-encadrement.
Or

295
jusqu'aujourd'hui (1994), la société d'encadrement est toujours présente avec ses
encadreurs même si elle a changé de nom? et que certains encadreurs (toujours les
mêmes sont présents depuis plus de 10 ans).
Depuis sa création, les paysans ont toujours cherché des financements pour ce
projet par quelque moyen que ce soit et se disent trop jeunes pour se prendre en charge
ou analphabètes: "si les encadreurs partent, nous mêmes on peut faire certaines choses,
mais il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas faire seuls parce que nous sommes
analphabètes" (Nguessan Kouakou). Selon Bernard (non scolarisé), "Tout ce que les
blancs nous donnent, c'est parce que il y a les encadreurs; si les encadreurs s'en vont,
c'est fini pour nous. Qui va nous donner des conseils? qui va veiller sur nous? .
Regardez vous-mêmes, est-ce qu'on s'occupe des orphelins ou des veuves comme on
s'occupe des enfants qui ont leurs parents ou des femmes mariées?". Après enquête, on
se rend ainsi compte que les paysans souhaitent rester assistés, encadrés; et les
encadreurs eux-aussi ne sont pas près à partir, surtout les journaliers pour qui le travail
n'est pas garanti., prêts à "creuser leur propre tombe". L'action conjuguée (volontaire ou
non) des deux parties aboutit au fait que, finalement au lieu de 3 ou 5 ans, l'encadrement
perdure. On a même négocié un nouveau financement qui a donné naissance au projet V
ème F.E.D. en 1990.
On voit bien que le projet ou du moins l'aménagement est plutôt géré (approprié)
par les encadreurs et les paysans qui ont ici une volonté commune, convergente mêmes si
_ les
raisons
pour l'expliquer
diffèrent:
maintenir l'encadrement
et
chercher des
financements.
Mais au fond pour certains paysans, s'ils reçoivent des aides, c'est parce qu'il y a
des encadreurs (ou un service d'encadrement). Il faut donc tout faire pour les maintenir;
c'est d'ailleurs certains encadreurs qui leur font penser çà. Les paysans considèrent alors
9 En septembre 1993, la SAlMACI, la SODEPRA et la CIDV ont fusionné pour donner l'ANADER.

296
que l'encadreur c'est l'indispensable intermédiaire dans la chaîne des financements de
projets: "on a plus de chances d'avoir l'argent quand ceux qui donnent l'argent savent
qu'il y a un service d'encadrement" (paul, déscolarisé niveau BEPC, membre du bureau
de la coopérative des paysans). Le service d'encadrement est souvent perçu comme le
représentant du gouvernement et des bailleurs de fonds.
6.3 ACQUISITION DE CONNAISSANCES GRACE AUX PAYSANS?
Certes les encadreurs sont censés transmettre un savoir technico-scientifique aux
paysans, mais étant donné que ces derniers possèdent aussi un savoir dit traditionnel,
nous nous préoccupons de savoir s'il n'y a pas d'échanges de connaissances entre ces
deux catégories: il est question ici de la relation entre tradition et modernité.
Du point de vue de certains encadreurs, ce sont eux les détenteurs du savoir
technico-scientifique, et les paysans n'ont aucun savoir. L'encadreur se considère ainsi
comme celui qui sait, et attribue au paysan la place de celui qui bénéficie ou qui apprend.
Or le paysan lui-aussi se dit détenteur de savoirs. Les savoirs techniques populaires
peuvent être qualifiés de pragmatique, de savoirs empirique qui ne sont pas forcément
opposés aux savoirs technico-scientifiques. Pharo, Schaff et Simula (1981, 69), résument
assez bien ces relations encadreurs/paysans: "le conseiller est dépositaire du savoir
légitimé, porteur de la nouveauté et du progrès. Sa formation, aussi bien que sa position
sociale et professionnelle, l'amènent plus ou moins à rejeter ce que la mémoire et
l'expérience ont pu accumuler comme acquis, savoir-faire, ce que l'irrationalité peut elle-
même obtenir de positif pour la production, ce qui en somme, se réfère à des pratiques
concrètes et définit généralement la qualification de l'exploitant".

297
Mais la majorité des encadreurs reconnaissent quand même un savoir aux
paysans, même s'ils le qualifient de savoir traditionnel, "authentique". Certains ont un
engouement pour "ce" savoir qui leur a plus ou moins apporté quelque chose. Il faut
cependant distinguer ici deux formes de connaissances acquises par les encadreurs auprès
des paysans:
1) Des connaissances en matière de techniques culturales;
2) Des connaissances sur les pratiques culturelles (les "coutumes" locales) et sociales qui
permettent à l'encadreur de se situer et de "cadrer" ses propres stratégies comme on le
verra dans le chapitre suivant. Cette deuxième forme de connaissances est celle à laquelle
les encadreurs font beaucoup référence.
Parmi les connaissances "culturelles" acquises, les encadreurs citent par exemple
les jours interdits: "il faut les respecter si on veut travailler avec les paysans parce que
ce sont leurs coutumes" (Kouamé Yao de la SATMACI).. Il est important de les savoir
car ce sont des jours fériés où les paysans ne travaillent pas la terre pour des raisons
culturelles comme nous l'avons indiqué dans le chapitre 1. Si J'encadreur prévoit une
formation ces jours-là, il n'aura pratiquement pas d'''élèves''. C'est l'une des raisons
d'ailleurs pour lesquelles il y a parfois du retard dans les formations de paysans ou bien
les encadreurs n'enseignent pas tous les thèmes prévus. Et pourtant selon les nonnes
professionnelles, tout calendrier agricole établi doit être respecté.
Concernant les connaissances "culturales", les encadreurs notent que les paysans
ont le sens de l'observation. Ils essayent d'adapter leurs enseignements à la réalité du
terrain, selon l'effort physique qu'ils doivent faire, selon les ressources financières,
naturelles (les conditions climatiques par exemple), techniques dont ils disposent et aussi
selon ce que les encadreurs peuvent leur offrir en matière d'intrants. Ainsi par exemple
selon Georges (de la CIOY) "nous leur demandons qu'ils mettent l'urée 15 jours après

298
le NPK. Mais eux, ils préfèrent attendre 45 jours pour mettre les deux en même temps.
C'est bien parce que ça fait moins de travail pour le même résultat".
La plupart des encadreurs de cultures pérennes (SATMACI, CIDT) réfutent
l'idée que les paysans puissent leur apporter une quelconque connaissance cuturale dans
leur domaine, laissant croire qu'il n'y a pas de savoirs techniques populaires sur ces
cultures: "/es paysans ne peuvent pas nous apprendre quelque chose parce que tout est
mécanisé et moderne". Modernisation et mécanisation semblent être ici les critères
d'accès à la Connaissance technico-scientifique!". Or les cultures du café et du cacao par
exemple ne nécessitent pas beaucoup de mécanisation; une fois plantées ces deux
produits demandent seulement des entretiens. Si les paysans n'apportent apparemment
aucune connaissance sur ces deux éléments, il est par exemple des lieux où ils ont des
pratiques à leurs manières: par exemple ils nettoient les plantations de café et de cacao à
leur rythme et non à celui recommandé par les "enseignants". Ces encadreurs estiment
que c'est seulement dans le domaine du vivrier qu'ils ont appris quelque chose: "ils
peuvent nous apprendre des choses sur les boutures de l'igname précoce (Lokpa) et la
conservation de l'igname en général" (Jacques, SATMACI). L'igname étant l'aliment de
base des Baule, les encadreurs ne la considèrent pas comme une culture étrangère chez
les paysans baule mais plutôt comme un acquis cultural dont ces derniers maîtrisent
toutes les facettes. La domination des encadreurs sur les paysans des cultures de rente, se
manifeste par la détention d'un savoir et un savoir-faire étrangers.
L'apprentissage des savoirs populaires (ou traditionnels) devrait être indu dans le
programme de formation des encadreurs. S'adressant au milieu rural, ils doivent au
préalable être préparés à ce qui les attend sur le terrain, connaître les pratiques des
paysans avec qui ils travailleront afin de pouvoir introduire le savoir dit moderne en
lOI! Ya aussi le fait que ces cultures ont été introduites assez récemment (à l'époque coloniale) elles
paysans s'en souviennent encore.

299
fonction. En Côte d'Ivoire on parle de l'existence d'une soixantaine d'ethnies qui peuvent
être regroupées selon l'Atlas de Côte d'Ivoire (1979) en 5 grands groupes ou "grandes
familles ethniques"!' à familiarité culturelle: les Akan, les Krou, les Mandé nord, les
Mandé sud, les Malinké-sénoufo. Dans toutes les écoles de formation agricole, on
pourrait enseigner d'une part l'histoire de ces ensembles "culturels" pour montrer la
diversité des pratiques culturales et des comportements agraires, et d'autre part les
systèmes culturaux régionaux caractérisés par des combinaisons d'espèces cultivées.
Nous reconnaissons avec Olivier de Sardan (1991: 27) que "il faut rompre avec
un certain populisme idéologique, qui valorise systématiquement les savoirs populaires,
les idéalise et finalement les fétichise". Dupré (1991: 19) va dans le même sens en
indiquant que "il faut se garder d'un fétichisme qui doterait les savoirs paysans de toutes
les vertus qui leur étaient autrefois refusées. Ils ne sont pas une panacée propre à
résoudre toutes les misères". Mais les recommandations que nous faisons nous semblent
très importantes (pour l'encadreur) pour comprendre certaines attitudes des paysans et
conditionnent
(dans
le
cas
de
notre
enquête),
les
relations
interpersonnelles
encadreurs/paysans au travail. Nous décrirons ces relations dans le chapitre suivant car
elles découlent aussi des relations hors-travail. Nous verrons par exemple que la
connaissance des "coutumes" du milieu où travaillent les encadreurs répond pour eux à
de nombreuses stratégies. Nous verrons également que les relations d'amitié au travail
sont aussi fonction de la position sociale du paysan encadré (fils ou parent d'un
représentant politique, ou notable villageois, etc.) et aussi selon la position de l'encadreur
dans le projet. Lier ces types d'amitié est stratégique à tout point de vue au plan
professionnel.
11 Chauveau et Dozon (1987: 229).

300
Conclusion partielle:
Ce chapitre montre qu'aux yeux des paysans, les encadreurs sont des médiateurs
en tant que représentants de l'Etat, et des enseignants. Il fait ressortir également un
décalage entre la nonne, la pratique locale et la vie quotidienne des encadreurs et des
paysans sur le plan professionnel.
Sur le terrain, l'encadreur choisit parfois des "paysans de contact" autres que ceux
des paysans. Mais ses critères de choix sont diffus. On a pu constater que l'encadreur
choisissait ses "paysans de contact" parmi les notables villageois, parmi ses amis, et non
des paysans représentants les différents groupes socio-économiques de la région. On voit
alors apparaître ici une autre dimension à prendre en compte dans les relations
encadreurs/paysans: le favoritisme et le clientélisme. Les autres paysans manifestent leur
indifférence ou leur rejet de tels principes en refusant de participer aux séances de
démonstration. L'absentéisme des paysans aux différentes réunions ou séances de
démonstration semble être l'un des premiers signes d'échec d'une telle méthode (cf.
"Méthodes et contenus d'enseignement").
On constate également que la langue de travail est déterminée par la nature des
relations que les encadreurs veulent entretenir avec les paysans. Quant à la confrontation
savoirs locaux/savoirs technico-scientifiques, elle n'est pas toujours conflictuelle.

301
CHAPITRE 7
AMBIGUITES PROFESSIONNELLES ET STRATEGIES RELA TIONNELLES:
LES ENCADREURS HORS DU LIEU DE TRAVAIL
Les chapitres précédents nous ont permis de voir que les encadreurs agricoles ont
une position ambigüe au travail. Ils sont partagés entre les sollicitations de tous les acteurs
du développement à Sakassou et les normes professionelles. Nous essayons ici de
comprendre comment ils gèrent leur vie extra-professionelle face à toutes ces ambiguités
professionnelles qui l'influencent à notre avis.
Dans cette partie, il sera surtout question de modes de sociabilité quotidiens des
encadreurs, au niveau extra-professionnel, dans leur rapport avec les autres groupes sociaux
avec qui ils partagent le même espace géographique qu'est la ville de Sakassou. Toutefois,
précisons que notre objectif n'est pas de donner une théorie générale de la sociabilité, mais se
limitera à appréhender les différents types de comportements face à toute interaction sociale
hors du travail.
7.1 L'ENCADREUR DANS UN MILIEU RURAL OU SE MI-URBAIN
En dépit de son effectif démographique (59 494 habitants) et bien qu'elle soit classée
ville moyenne, Sakassou tient plus du village que de la ville. Il n'y a pas de salle de cinéma.
Pour la moindre complication sanitaire, il faut se rendre à Bouaké situé à 42 kilomètres, bien
qu'il y ait un hôpital à Sakassou. Pour acheter les médicaments, c'est encore à Bouaké qu'il

302
faut se rendre car la pharmacie de Sakassou est "pauvre" dans ce domaine. Pour certains
produits manufacturés et pour quelques produits vivriers, il faut aussi aller à Bouaké. Pour la
banque, il faut se rendre à Bouaké '" Tout se fait à Bouaké', Sakassou étant ainsi comme
une banlieue de cette grande ville (la deuxième ville du pays après Abidjan). Tous ces trajets
entre Sakassou et Bouaké se font, quand on emprunte les transports en commun, au prix de
700 F CFA (sept cent) pour l'aller simple (soit 1400 F CFA aller/retour). Comment les
encadreurs vivent-ils leur "séjour" dans cette ville ou région? Cela a-t-il une influence dans
leur rapport professionnel ou extra-professionnel?
Les avis sont partagés: s'installer en "brousse", c'est-à-dire loin des grands centres
urbains, a plusieurs connotations, significations, qui se manifestent à travers les différentes
stratégies qu'adoptent les encadreurs quelle que soit leur structure d'appartenance. Pour les
uns il est préférable de vivre en "brousse" qu'en ville, pour les autres vivre en "brousse" est
le signe même de l'échec dans la vie.
7.1.1 La régression ou l'échec dans la vie
Cet avis est celui d'encadreurs qui ont grandi en ville, de ceux qui sont nés d'une
"grande'? famille, de ceux qui sont issus de milieux ruraux mais dont l'aspiration est de vivre
en milieu urbain ou encore de ceux qui estiment avoir un niveau scolaire élevé (BEPC et
Bacccalauréat). Pour ces personnes, rester en "brousse" montre qu'on n'a pas changé, qu'on
n'a pas évolué, qu'on n'a pas réussi, ou encore qu'on est pareil que ceux qui y sont. Or il faut
1Bouaké est aussi situé en pays baule; mais a hérité de ses fonctions commerciales et administratives dès la
période coloniale. La ville de Bouaké comprend une population à dominante non baule (notamment les
dyula) qui s'adonne au commerce.
2 Familles de commerçants ou "riches" planteurs (de café ou de cacao par exemple).

303
se démarquer des "analphabètes", montrer que les études qu'on a faites sont valorisantes' car
la grande ville c'est le symbole de la "réussite" économique et sociale et le symbole de la
"modernité". Les encadreurs de cette catégorie éprouvent un sentiment d'échec vis-à-vis de
soi-même, vis-à-vis des promotionnaires mais aussi et surtout vis-à-vis de leurs parents qui
ont "investi'" pour la scolarisation. Cet avis est par exemple celui du chef de la Loka, et du
conseiller agricole fonctionnaire du même aménagement.
Indépendamment du statut social, le niveau d'étude semble être à priori l'élément qui
justifie ce sentiment de régression ou d'échec puisque la majorité des encadreurs agricoles de
base a un niveau d'études peu élevé (cours moyen deuxième année - CM2 - pour la plupart).
Mais en réalité, la fonction et le statut professionnel aussi expliquent ces réponses. Certains
encadreurs qui occupent une fonction importante ou qui ont un statut professionnel
important préfèrent être dans une grande ville.
D'autres arguments participent de cette opinion des encadreurs qui estiment que:

On n'est pas rapidement au courant des nouvelles à Sakassou. Par exemple les
quotidiens nationaux tels que Fratemité matin ou La voie, sont lus avec 1 jour de retard;
on ne reçoit qu'une chaîne de télévision au lieu de deux comme à Abidjan par exemple, avec
en outre des pannes fréquentes.

Il n'y a pas de banque à Sakassou. "Quand tu vas à Bouaké à la fin du mois, tout le
monde sait que c'est pour aller chercher l'argent. Les bandits peuvent attendre ton retour
pour te voler ou bien ils peuvent attendre et passer dans les jours qui suivent parce qu'ils
savent que c'est à la maison qu'on garde notre argent. Et puis, les gens qui sont plus
3Cf. Ouédraogo (1988) qui donne l'exemple de deux villages burkinabé.
4C'est un investisssement pour les parents qui retiennent de l'école "le souvenir d'un rôle, celui d'octroyer
des débouchés sûrs et rémunérateurs qui permettent au fils de venir en aide à la famille" (Ouégraogo, 1988:
96).

304
pauvres que toi profitent ce jour-là pour venir te dire bonjour ou demander un crédit".
Nombreux sont ceux qui n'apprécient pas d'habiter des villages: "le principal
problème que nous avons. c'est la vie que nous menons dans les villages sans même une
Structure de développement (école. dispensaire. etc. .... sans toutefois parler d'électricité,
d'adduction d'eau et autres de la vie). Vivre au village c'est un moyen de freinage pour le
développement de nos enfants dans le monde de demain" (un encadreur). Les structures de
développement dont il s'agit ici sont considérées comme les symboles de la modernité, de la
"civilisation". Ce sont surtout les jeunes encadreurs qui sont animés par l'idée de quitter
Sakassou ou les villages de la région pour une grande ville, en raison du manque
d'infrastructures de distraction par exemple (cinéma, boîtes de nuit, dancing, etc.).
Malgré les différentes raisons évoquées, la "gêne" ou le refus d'habiter la "brousse"
est un sentiment qui n'est pas particulier aux encadreurs. La plupart des Ivoiriens
(encadreurs ou pas) n'aiment pas habiter "la brousse": c'est le mythe de la grande ville déjà
évoqué par de nombreux spécialistes de la migration africaine (et de l'exode rural). Dumont.,
(1962: 79-84) dans L'Afrique noire est mal partie, montre comment ce sentiment s'est
installé chez la plupart des africains; c'est selon lui un héritage de la colonisation dû au
système scolaire. Pendant la colonisation, les africains sont au départ formés à l'école
française pour être des auxiliaires de l'administration. L'école est par la suite "devenue
l'institution-tremplin pour l'accès aux différentes fonctions de direction, de contrôle au sein
de l'appareil d'Etat et les secteurs modernes de l'activité économique" (Ouédraogo, 1988:
88).

305
En Côte d'Ivoire à cette même époque, les scolarisés", mis à part quelques instituteurs,
exerçent pour la plupart dans les villes et les grandes agglomérations qui représentent ainsi
les lieux de la promotion sociale. De plus, les grandes villes sont des centres administratifs et
commerciaux et regorgent d'infrastructures modernes et d'équipements socio-économiques
et culturels. Aujourd'hui encore, les grandes villes ivoiriennes se présentent comme telles.
Chambers (1990: 20) explique qu'au fond, tout le monde est tenté par la grande ville "y
compris les chercheurs en sciences sociales ("les universitaires"), et il en donne les raisons:
"le confort de l'habitat, l'existence d'hôpitaux, d'écoles et de transports, les biens de
consommation, les loisirs, les services sociaux, de meilleures conditions de travail, des.
salaires plus élevés et un avenir prometteur sont aussi des facteurs puissants d'attrait".
7.1 .2 Une situation avantageuse
Ceux qui soutiennent l'idée qu'habiter en brousse a des avantages, sont surtout des
agents sans qualification, pour qui exercer ce métier est une promotion sociale, une chance:
d'autres personnes avec le même diplôme (Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires) ou le
même niveau d'études (Cours Moyen) sont au chômage, ou manoeuvres dans les grandes
villes, ou encore agriculteurs, éleveurs, artisans, ouvriers, etc .... Avec leur travail, les
5Entre 1903 et 1945, seuls les écoles urbaines, réservées aux enfants européens ou assimilés, aux enfants
d'employés de commerce et de fonctionnaires, décernaient le diplôme du certificat d'études primaires
élémentaires qui permettaient à ceux qui en étaient issus de travailler dans l'administration ou dans le
commerce. Les écoles de village et les écoles régionales servaient à former des enfants qui, avec leur
certificat de fin d'études (mention "Agriculture" ou mention "Travail manuel"), ne pouvaient exercer que
dans l'agriculture ou dans une profession du milieu ruraI (comme leurs parents). Seuls les meilleurs des
écoles de villages et régionales avaient accès à une école urbaine pour y achever leurs études et pouvaient
de ce fait accéder à un métier en ville.

306
encadreurs ont l'avantage de nouer des relations humaines avec différentes catégories de
personnes; relations qu'ils n'auraient peut-être pas s'ils étaient dans une grande ville. Dans
une petite ville ou un village, ils sont connus de tout le monde. Outre les avantages
1
symboliques, sociaux, ils ont également des avantages économiques, matériels qui découlent
de ces relations humaines: par exemple, avoir des parcelles à cultiver dont le revenu (en
nature ou financier) constitue après tout un supplément de salaire important: "Quand on a
son propre champ d'igname, manioc ou riz, on dépense moins en nourriture surtout quand
on a une grande famille à nourrir" (Bertin, CIDT); obtenir la main d'oeuvre gratuitement ou
à bon marché, .... La plupart de ces encadreurs ont une grande famille à charge. Et les
stratégies déployées pour les suppléments de salaire sont multiples que l'on aime la "brousse"
ou pas.
Certains encadreurs ont aussi peur des attitudes et comportements (qu'ils jugent
néfastes) qu'engendrent la ville: "la ville ouvre les yeux aux enfants, et ils me demanderont
l'impossible en voyant leurs camarades. lei c'est avantageux pour moi parce que je ne suis
pas bien payé, et puis je risque la compression tous les jours, si je suis en ville ça va être
difficile: la maison coûte cher, la nourriture coûte cher, tout coûte cher en ville. Or, ici en
campagne, je pourrai au moins les nourrir, en dormant dans une case" (un encadreur de la
CIDT dans un village de Sakassou). "Ici tu trouves une maison à 7000 F, en ville non".
Certains sont même logés gratuitement. Face aux "vices" de la grande ville, la "brousse" est
considérée comme le lieu de la "bonne" éducation pour les encadreurs de familles
nombreuses.
Le montant du salaire est en rapport avec cette OpInIOn favorable à la vie en
"brousse", l'âge également.

307
7.1. 3 L'absence de choix dans le lieu de travail
Pour la plupart, les encadreurs n'ont pas choisi Sakassou comme lieu de travail. C'est
un hasard s'ils exercent leur profession dans cette ville. Les conseillers agricoles dit
"journaliers" se sentent sédentarisés à Sakassou du fait de leur statut de contractuel: "si on
demande une affectation. ça peut marcher si on a de la chance. Mais à l'heure où il y a les
compressions, c'est risqué de demander une affectation parce que les patrons peuvent
interpréter ça comme une volonté de ne plus vouloir travailler à Sakassou et certains
peuvent en profiter pour nous faire licencier". Les "fonctionnaires" eux, considèrent le
séjour à Sakassou comme une étape (transitoire). Mais, la durée de l'étape est imprévisible.
On peut partir plus tôt ou plus tard que prévu par soi-même. "Tout dépend de l'humeur des
patrons à la Direction et aussi de la réputation qu'on a dans la région où on travaille". Les
patrons ont écho de cette réputation soit par des rapports directs de paysans ou bien par le
biais de leurs représentants politiques, soit par des rapports de la préfecture ou de la sous-
préfecture, ou soit par les rapports de "visiteurs" sur le terrain. Il faut préciser que les
relations particulières que le fonctionnaire entretient avec telle ou telle personne de la
Direction peut aussi influencer la durée du séjour.
7.2 DEGRE ET DIFFICULTES D'INTEGRATION
7.2 .1 Selon le statut professionnel
En fonction du statut au travail, le degré d'intégration dans la vie régionale diffère.

308
Un encadreur journalier, hiérarchiquement "bas", développe beaucoup plus de stratégies
d'intégration, par exemple avoir des enfants avec des filles de la région, que le fonctionnaire
agricole car le journalier intériorise le fait qu'il a beaucoup plus de chance, ou de malchance,
de passer toute sa vie dans la région. Nous avons vu dans le chapitre 1 par exemple que le
Baoulé peut consentir à donner une portion de terre à un étranger si ce dernier a des enfants
avec une fille du village. Les encadreurs semblent avoir bien enregistré ce fait (la
matrilinéarité) et l'utilisent dans les stratégies qu'ils déploient pour s'intégrer; mais c'est peut-
être aussi une stratégie du milieu pour intégrer l'encadreur et le faire servir à ses intérêts.
La différence de statut se sent dans les rapports entre paysans et encadreurs
concernant certains privilèges sociaux et matériels. A la Loka par exemple, Jérôme est
beaucoup plus "rapproché" des paysans que Kouamé ou Georges. En plus de ses parcelles
sur l'aménagement (comme tous les autres encadreurs), il a des champs dans la région
(champ d'igname, de manioc, etc.) grâce aux relations interpersonnelles tissées avec les
villageois.
Pour la majorité des encadreurs, il faut entretenir de bonnes relations avec les
Walèbo car comme le dit un notable (Kouakou), "même si le singe a conquis la terre, il
n'oublie jamais que le lion est le roi de la forêt". Ce notable walèbo qui est aussi paysan
dans la Loka se justifie: "ils ont leur pouvoir de blanc mais nous sommes les maîtres ici".
7.2 .2 Selon la durée de résidence
Dans les stratégies d'intégration, il faut tenir compte de la durée de résidence
(l'ancienneté locale) dans la région. Plus on est ancien dans la région, plus on développe des

309
stratégies pour bien s'intégrer et ne pas être en marge des autres, ou plus on se méfie des
autres.
Mais la durée de résidence n'aboutit pas forcément à l'achat ou à la construction
d'une résidence dans le lieu d'exercice du métier. Tous les encadreurs louent une maison à
Sakassou mais souhaitent construire une maison dans leur village ou ce qui est considéré
comme tel, leur lieu d'origine. Certains ont même déjà construit. Le village, c'est le lieu où
on est fier de marquer ou de montrer son ascension sociale; construire une maison au village
est signe de réussite et signifie aussi qu'on n'a pas rejeté (oublié) ses racines.
Le sentiment d'être étranger à Sakassou est très fortement ressenti malgré la durée de
résidence de certains encadreurs dans cette ville (plus de 20 ans pour Jérôme, Etienne et
Tanoh). Les encadreurs sont unanimes à signifier que "les habitants de Sakassou ne sont pas
gentils; tous les jours on te montre que tu n'es pas chez toi". Les encadreurs sont
directement qualifiés d'étrangers dans des propos du genre "retourne chez toi pour
commander, si tu le veux, mais ici c'est chez moi et un étranger ne peut pas faire le malin
sur moi".
La participation active des agents d'encadrement, et même d'autres travailleurs non
originaires
de
Sakassou,
aux
associations
villageoises
d'origine
(associations
des
ressortissants de ..., amicales des originaires de...), est bien le signe qu'on n'appartient pas à
la société où on travaille, qu'on ne s'enracine pas dans la société locale bien qu'on soit en
contact avec les habitants et malgré les relations privilégiées qu'on tisse avec eux.
7.2.3 Les associations
Chaque encadreur est dans une structure associative à solidarité villageoise ou

310
communalistes ou régionales et parfois ethniques. "Dès qu'on arrive dans une ville ou un
village, on cherche d'abord à savoir si on n'a pas des compatriotes ici". Les "compatriotes"
ne sont pas toujours des ressortissants du même village que l'encadreur; l'affinité peut être
départementale, sous-préfectorale ou villageoise.
Ces associations regroupent des membres dont l'ancienneté dans la région est
différente; tous les originaires peuvent faire partie de l'association, peu importe la date
d'arrivée dans la région. Les associations ou amicales sont surtout des lieux de contact, de
mise en relation. On y organise par exemple toutes les fêtes concernant le groupe.
On cotise, par exemple pour le 31 Décembre et le jour de l'an, pour les baptêmes, les
mariages, les funérailles ou autres événements qui touchent au moins un des membres de
l'association. Les fêtes sont organisées soit chez le Président de l'association, soit dans un
local de location (ce qui est rare) ou soit chez l'un des membres de l'association à tour de
rôle. Les cotisations sont mensuelles, trimestrielles, ou événementielles et sont inscrites dans
un cahier de collecte. Chaque association a un bureau qui compte généralement, un
président, un vice-président, un secrétaire général, un secrétaire général adjoint, un trésorier
et son adjoint, etc. En plus de l'organisation de manifestations joyeuses ou tristes, les
associations sont le lieu de règlement de conflits entre membres de la même association ou
entre un membre de l'association et des personnes extérieures. A ce titre, l'association peut
être comptabilisée dans les réseaux ou contacts stratégiques, pour les encadreurs. La
position sociale des autres membres de l'association est importante car elle donne de la
valeur non seulement à l'association sur le plan local mais aussi et surtout à celui qui .en est
membre (tel que l'encadreur). Les associations peuvent de ce fait être considérées aussi
comme des groupes stratégiques. Le groupe stratégique" c'est le groupe avec qui on partage
6 Voir par exemple Biersehenk et Olivier de Sardan (1994).

311
les mêmes intérêts à défendre, les mêmes problèmes, et c'est le groupe qu'on choisit comme
partenaire pour affronter ou négocier avec un autre groupe ou avec des éléments de ce
groupe.
D'autres raisons motivent l'encadreur à intégrer ces regroupements:
• C'est par l'écho de ce type d'associations qu'au village on saura s'il a vraiment réussi ou pas.
• L'association permet une entraide pour des activités d'intérêts communs au village d'origine
pour améliorer les conditions de vie au village, pour défendre et protéger les intérêts du
village, pour obtenir une aide. Dans ce sens, l'encadreur est aussi
promoteur du
développement de son village.
• Promotion, renforcement et consolidation de l'union et l'entente sont également les
leitmotiv des associations.
Pour leur organisation et fonctionnement, il y a des règles à suivre après qu'on ait
défini les rôles et tâches de chacun dans l'association qui généralement fonctionne sur la base
de réunions, de prise de décision, de travaux collectifs.
7.2.4 Lieu d'habitation et qualité de l'habitat
Aucun encadreur de la CIDV n'habite dans
un village
aux
environs
de
l'aménagement. L'aménagement est à environ deux kilomètres de la ville de Sakassou et
aussi à cette même distance des villages qui l'entourent. Pour une même distance, leur choix
s'est naturellement porté sur la ville, comme centre des activités administratives et
économiques de la région. Un des encadreurs de la CIDT, bien qu'étant loin de son lieu
d'activité, préfère habiter également Sakassou. Il en est de même pour les agents de la

312
SATMACI. Seuls deux encadreurs CIDT habite des villages (Assandrè et Ayaou-Sokpa).
Mais dans cette ville de Sakassou, tous n'habitent pas le même quartier, ni le même
type de maison. Les 2 conseillers agricoles journaliers de la CIDV par exemple habitent le
quartier populaire (ou populeux) de la ville. Le conseiller agricole qui est MPVA à la CIDV
est lui dans un quartier un peu plus "luxueux". Et le chef de la CIDV dans un quartier
résidentiel. On pourrait penser que les choix de logement sont fonction de la bourse (salaire)
de chaque encadreur car, en effet, le montant du loyer augmente quand on passe du quartier
des CA à celui du chef en passant par celui du MPVA. La même constatation est valable et
pour les encadreurs de la SATMACI et pour ceux de la CIDT. En fait, encore une fois,
l'image de marque, ou l'identité (honneur et prestige dus au statut et à la fonction)
interviennent dans ce choix, surtout pour les chefs. Selon un des chefs de Sakassou, "la
maison, est à l'image de celui qui l'occupe; en tant que fonctionnaire et chef de service, il
est normal que j'habite une maison bien, si je veux que les autres me considèrent". Les
"autres" ici, ce sont à la fois les encadreurs et les chefs d'autres services. On dépasse donc le
cadre de la concurrence entre encadreurs pour aller vers celui plus large des travailleurs de la
ville, l'élément important étant cette fois le statut dans la ville.
Nous avons également remarqué qu'aucun encadreur n'habite le quartier Walèbo.
Pourquoi?
C'est à Walèbo qu'il yale chef de village de Sakassou et ses notables; "disons que
Walèbo, c'est le coeur de Sakassou et il faut s'en éloigner si on ne veut pas avoir de
problèmes. Il vaut mieux entretenir avec ce quartier, des relations à distance: on y va pour
chercher des copines, on y a des camarades et des amis mais on ne veut pas y habiter" (un
encadreur fréquentant pourtant beaucoup ce quartier). Les notables walèbo inscrits dans

313
l'aménagement ont un grand pouvoir de décision et d'influence sur les autres paysans, et sur
le projet. D'ailleurs, paysans et encadreurs évitent d'être en conflit avec eux.
Cette peur (ou ce refus) des encadreurs à habiter ce quartier pourrait s'expliquer par
la peur de partager chaque instant de sa vie avec des gens qui sont toujours prêts à faire des
rapports aux autorités politiques et administratives non seulement sur la façon de travailler
de l'encadreur mais aussi sur ses activités extra professionnelles; "habiter ce quartier, c'est
(donc) se jeter dans la gueule du loup surtout si on n'est pas très apprécié". Avec la
méfiance, il y a ainsi une certaine préservation de l'intimité quotidienne.
Les encadreurs entretiennent-ils des relations avec les habitants de leur quartier?
Les relations des encadreurs dans le quartier sont à priori des relations de voisinage
mais la promiscuité à elle seule n'est pas déterminante pour nouer des relations. Le plus
souvent, ce sont des relations superficielles éparpillées.
Un chef encadreur X par exemple a 5 voisins. En face de lui se trouve un autre
encadreur Y d'une autre structure d'encadrement mais qui est :MPVA (donc moins "gradé"
que X). Les deux entretiennent des relations purement de voisinage qui se limitent la plupart
du temps aux salutations quotidiennes. Les enfants des deux encadreurs se fréquentent et
jouent ensemble. Par contre les femmes de chaque encadreur ont, comme leurs maris, des
relations limitées aux salutations quotidiennes et à quelques échanges de paroles lorsqu'elles
se croisent devant le portail.
Les relations entre les deux femmes sont à l'image de celles de leurs époux: la femme
de chef se montre distante de celle du :MPVA. Selon madame X, "madame Y doit me
respecter parce que mon mari est plus "grand" que son mari": la hiérarchie entre les
hommes, bien que n'étant pas de la même structure, se transpose du côté des femmes.

314
Madame y elle, n'admet pas cette transposition: "c'est son mari qui est plus grand que mon
mari, mais pas elle. Après tout je suis plus âgée qu'elle et mon mari aussi est plus âgé que
son mari! Crest elle qui doit courir vers moi mais pas moi". L'une met en valeur le statut
socio-professionnel de son mari, l'autre insiste sur l'âge.
De même qu'il peut exister une hiérarchie entre femmes de chefs et femmes
d'encadreurs subalternes, il y a parfois aussi une distinction entre femmes de paysans et
femmes d'encadreurs. Selon les encadreurs eux-mêmes et selon leurs épouses, la femme d'un
encadreur doit
se distinguer des femmes de paysans
par son
habillement
et son
comportement par exemple. A l'image du mari encadreur (face à ses paysans), la femme
projette aussi de se faire respecter par les femmes des paysans. Cette distinction permet
semble-t-il aussi de préserver et d'assurer l'image que le mari entretient auprès de ses
paysans. Par contre les relations entre les femmes d'encadreurs et celles des autres
fonctionnaires ou travailleurs de la ville, relèvent surtout de la concurrence: la distinction
prend ainsi une autre forme. Chaque femme essaye de se montrer meilleure qu'une autre. La
concurrence est plus marquée entre les femmes de chefs de service"; généralement ce sont
elles qui ont l'occasion de se rencontrer et faire connaissance lorsqu'il y a par exemple des
fêtes ou cérémonies officielles (fête de la commémoration de l'indépendance par exemple)
qui regroupent les chefs de services chez le préfet ou le sous-préfet. Entre elles, elles font
état du niveau d'études et/ou de l'âge de telle ou telle femme, elles évoquent le
comportement de telle autre, elles parlent du degré de "civilisation" ou de "modernité" de
certaines femmes. Tous ces éléments font l'objet de comparaison. Ainsi par exemple, elles
? A la fm des années 80, il existait une association des femmes de fonctionnaires à Sakassou dont la
présidence fut confiée à l'épouse du secrétaire général de la préfecture.

315
font des classifications par rapport au métier exerçé par les femmes d'encadreurs, telle
femme a un poste ou un travail plus important que telle autre. Elles classent parfois les
époux non pas selon leur statut socio-professionnel mais selon celui des épouses: tel chef de
service malgré son grade peut être au bas du classement parce que sa femme est
analphabète, tandis que tel autre occupe un bon rang parce que sa femme travaille à tel
endroit ou a tel diplôme.
Malgré des relations à distance avec les voisins, les encadreurs partagent avec eux les
bonheurs (baptêmes, tètes et mariages par exemple) et les malheurs tels que funérailles et
maladie. L'entraide ici prend un caractère obligatoire, chacun étant guidé par la morale qui
régit la vie en communauté. Les agents d'encadrement ont parfois aussi des "amis" dans le
quartier, c'est l'exemple de K. avec A., instituteur et de la même génération d'âge. Ils ne sont
pas voisins immédiats; plusieurs maisons les séparent. Ici l'âge est fondamental dans le choix
des amis dans le quartier, le statut et la fonction dans la ville aussi. Comme dans les relations
de voisinage, les relations des épouses peuvent s'orienter en fonction de celles des époux.
7.3 LES
RELATIONS INTERINDIVIDUELLES ENTRE ENCADREURS ET
PAYSANS
7.3.1 La recherche de revenus complémentaires: l'obtention d'une parcelle
Il est officiellement interdit aux encadreurs d'avoir des activités professionnelles
autres que celle d'encadreur; mais pratiquement tous (exceptés pour l'instant les nouveaux

316
arrivants) ont une activité rémunératrice en plus de celle d'encadrement. "On ne peut pas
s'en passer parce que c'est grâce à çà que nous arrivons à joindre les deux bouts; nous
avons un salaire misérable et tout est cher à Sakassou". Parmi les activités remunératrices,
on note l'obtention de parcelles cultivablles. Comme nous l'avons déjà expliqué, la recherche
de terres cultivables dans la région est présentée par les encadreurs comme une recherche de
compléments de salaire, pour laquelle ils mettent en place des stratégies pour approcher les
propriétaires de terre. On voit que pour légitimer la violation d'une interdiction les
encadreurs évoquent le montant
du
salaire. Comment
contournent-ils
les normes
professionnelles? Quels sont les modes d'accès aux champs qu'ont les encadreurs à
Sakassou? Comment se font les négociations des encadreurs avec les paysans et/ou les
villageois pour avoir une exploitation à Sakassou?
En réalité, ces interdictions professionnelles sont de l'ordre de l"'officieux officiel",
"Chacun n'est pas censé connaitre l'existence du champ de l'autre", tous travaillent comme
s'ils se cachaient alors qu'en réalité tout le monde sait ce qu'ils possèdent comme biens en
dehors du travail.
Quelles relations impliquent la recherche de revenus complémentaires? Comment se
font les négociations pour avoir une parcelle par exemple dans le village?
En général, on s'adresse soit au chef du village concerné, soit au chef des paysans
(c'est-à-dire le représentant des GVC ou coopérative), ou bien on renseigne dans le village
pour savoir ceux qui ont des portions de terre. S'il s'agit de personnes qui sont sous la
responsabilité de l'encadreur (c'est-à-dire encadrées par lui), il essaie de les approcher sur le
lieu de travail: c'est un encadrement très rapproché dans ce cas. En fonction de la réaction
du paysan à ses avances, l'agent formule sa demande verbale de recherche d'une parcelle.
Si les propriétaires terriens ne sont pas des paysans de l'encadreur, mais ont un

317
parent qui l'est, l'encadreur utilise la même stratégie mais auprès du paysan qui devient ainsi
un intermédiaire.
Il y a des cas où c'est le paysan lui-même qui propose la terre à l'encadreur. Les
agents les plus sollicités ainsi sont: le chef, son adjoint selon l'organigramme officiel
(formel), et aussi l'agent de la structure le plus ancien dans la région ou l'agent qui fait office
d'adjoint selon l'organigramme informel,
Il apparaît nettement que la principale motivation des encadreurs est l'échange de
services. C'est comme ça qu'on se constitue un réseaux de relations,
des contacts
stratégiques. Les stratégies pour former ce type de réseau diffère de ceux qu'il utilisera pour
entrer en contact avec une notabilité villageoise. Nous avons déjà signaler par exemple que.
chaque encadreur a une "petite amie" chez les walèbo. Or les walèbo sont les propriétaires
terriens. Ainsi, cette stratégie de l'encadreur d'''intégrer'' ou plutôt infiltrer une famille grâce
à une de ses filles, est plus une relation qu'implique la recherche de revenus complémentaires
(tels que obtenir une portion de terres à cultiver) qu'une relation à priori amoureuse. Mais ce
ce fait n'est pas du tout perçu de la même manière chez la fille et chez ses parents; surtout
s'ils ont une ou des parcelles encadrées par ces agents. Pour les parents, la relation avec leur
fille est pour eux une occasion de manipuler J'encadreur à volonté et obtenir ses faveurs.
Certains paysans racontent par exemple un vieiJ encadreur a été classé GPM à Ja Loka à
cause des relations particulières qu'entretiennent ses nièces avec des encadreurs de ce projet;
dans le secteur informel, on montre que tel ou tel paysan "paresseux" a été classé paysan de
contact favori grâce à ses fils, soeurs ou parentes. On voit là que la rumeur et les ragots sont
véhiculés aussi entre paysans. Ce type de relations particulières des encadreurs avec le milieu
des paysans, est aussi une stratégie du milieu (paysan), pour intégrer l'encadreur et le faire
servir à ses intérêts.

Dans certains cas, face à des réticences par exemple, l'encadreur utilise ses réseaux
personnels pour s'octroyer des faveurs. Les réseaux personnels sont surtout des réseaux
clientélistes, des réseaux d'échange de services. Ici, les atouts professionnels (statut
professionnel par exemple) et les atouts sociaux ont une très grande importance dans les
contrats de négociation ou de marchandage. Les relations personnelles se créent et se
forgent en fonction de l'assiduité, l'esprit d'initiative de l'encadreur. A la Loka, par exemple
pour le premier cycle 1992, certains paysans (nouveaux) ont désisté faute de moyens,
attendant de trouver des fonds pour le deuxième cycle. Le C.P. a pris sur lui J'initiative de
prêter ces parcelles à d'autres personnes, essentiellement des habitants de la ville. Son choix
s'est porté, selon les paysans et des habitants de la ville, sur des "gens qui ont plus de
moyens"; à savoir des gens qui travaillent à la (seule) pharmacie de Sakassou, des gens de la
préfecture (et pas n'importe qui: un agent du cabinet du préfet), des commerçants de la ville,
un garagiste - mécanicien. Ces prêts se révèlent une stratégie pour se créer un réseau
d'amitié. L'encadreur choisit ici ses "paysans" selon un critère déterminant: J'activité
professionnelle principale. Selon l'envergure de la situation à négocier, l'encadreur agricole y
fait prévaloir un ou plusieurs de ses rôles (voir diagramme qui suit). Les opérations de
développement sont bel et bien des arènes de négociation comme le constate aussi
Bierschenk (1988) dans une entreprise de modernisation des éleveurs béninois.
Diagramme sur la multiplicité des rôles de l'encadreur agricole

319
Selon le degré "d'amitié" ou d'affinités que les encadreurs ont avec les paysans, ils les
font travailler dans leurs champs "cachés" ou bien négocient avec eux la main d'oeuvre
familiale ou salariée. Des encadreurs ont de cette manière, les mêmes manoeuvres que les
paysans.
7.3.2 La recherche d'une sécurité "spirituelle"
Tous les encadreurs se déclarent païens, sans appartenance religieuse. Néanmoins,
"nous sommes africains et de temps en temps nous allons voir les féticheurs".
Concernant les choix des féticheurs, l'encadreur choisit lui-même son féticheur ou
consulte des membres de sa communauté (parents, amis ou autres) pour le choix, ou bien
l'encadreur est guidé par un ou des paysans.
7.3.2.1 Le paysan: guide de l'encadreur
Les encadreurs sont quelquefois guidés par les paysans en fonction de l'intensité de
l'amitié qui les lie (à la demande de l'encadreur lui-même, ou de son ami). Mais, un paysan
quelconque n'ayant aucune affinité particulière avec l'encadreur, peut aussi lui "offrir" ses
services, lui-même en tant que féticheur, ou bien les services de bons féticheurs ou
marabouts qu'il connaît. Mais c'est rarement un acte gratuit car en échange, il devra recevoir
implicitement des avantages au travail. Ainsi par exemple un allochtone paysan
(d'origine
malienne), propose ses services au chef des encadreurs, parce que ce dernier est en conflit
avec des paysans baule qui menaçent de le chasser comme ils l'ontt fait pour Je précédent

320
chef.
L'allochtone avance les arguments suivants, en se référant à sa propre expérience:
"Je suis dans ce projet depuis JO ans, sur une parcelle hantée''. Deux paysans qui l'ont
exploité avant moi sont morts et plus personne n'en a voulu. Si moi j'y suis et je n'ai jamais
eu un mal de tête, c'est parce que je suis marabout et je suis puissant". Il poursuit en fixant
les termes du contrat: "si tu agrandis ma parcelle qui est trop petite pour le nombre de
personnes que j'ai à charge, je te protégerai contre les paysans qui t'embêtent". Son
argumentation va plus loin: "ils ont tout fait pour que nous les dyula, on quitte ce périmètre,
mais ils n'y sont pas arrivés parce que je suis là; et d'ailleurs certains de ces paysans sont
aujourd'hui morts ou ont un handicap, une infirmité: cécité, lèpre, etc.".
Ainsi, les stratégies de séduction pour gagner des faveurs tiennent également compte
de ce que l'on apprend en observant le comportement de l'encadreur et sa personnalité. C'est
le signe que certains groupes dans la société réussissent à capter l'intérêt de l'encadreur. Le
signe extérieur qui semble indiquer que le chef a un penchant pour les fétiches, ce sont les
nombreuses bagues spéciales qu'il porte aux doigts. Mais en même temps, l'allochtone se
souvient des querelles entre ce chef et son prédécesseur en 1990 9; tous les deux s'alliant
chacun avec un groupe de paysans sympathisants pour se défendre contre les fétiches de
l'autre. Les paysans font feu de tout bois pour tirer avantage de l'encadrement et des
8 Cette parcelle fait partie du bois sacré des Walèbo que l'Etat a cadastré contre leur gré.
9 Nous avons déjà expliqué que des paysans, de concert avec les autorités administratives de Sakassou,
avaient chassé un chef de leur région. Mais ce dernier a refusé le départ, arguant que c'était une conspiration
ethnique, dans la mesure où son remplaçant est Baule comme la majorité des paysans. Il est alors resté à
Sakassou et son successeur est arrivé. Il n'y a pas eu de passation de service parce que l'ancien chef avait les
clés du bureau et en empêchait l'accès au nouveau. C'était donc une guerre officiellement déclarée,
principalement axée vers le magico-religieux ; et toute la ville en était informée puisqu'elle en parle encore
aujourd'hui.

~ -~~-~~-----
321
encadreurs.
Que l'encadreur passe ou non par ses paysans pour trouver un féticheur, il y a une
forte probabilité pour que le féticheur soit un des paysans encadrés.
7.3.2.2 Le paysan: féticheur de l'encadreur
Partons ici de l'exemple d'un paysan qui est en même temps féticheur.
Un encadreur a su par les autres paysans que Kouassi est un bon féticheur. Il a alors décidé
d'aller le consulter ''pour défendre un peu le travail contre les sorciers et les mauvais esprits
qui pourraient en empêcher le bon fonctionnement, " (selon ses propres termes). Le bon
fonctionnement se juge par la quantité de la récolte totale par cycle, par le fait qu'il n'y ait
pas beaucoup de décès de paysans, par le fait qu'il n'ait pas trop de conflits entre encadreurs
et paysans, et entre encadreurs et leurs patrons, et enfin par la taille et l'importance de l'aide
du gouvernement et des bailleurs de fonds aux paysans.
"Mais à la longue, j'en ai profité pour exposer mes problèmes personnels". L'avantage pour
l'encadreur dans ce cas, c'est qu'il légitime ses visites chez le féticheur officiellement pour le
travail alors qu'en réalité c'est une stratégie pour "résoudre" ses problèmes personnels.
L'encadreur est bien un manipulateur "entrepreneur" selon le terme de Boissevain (1974: 7):
"an entrepreneur who tries to manipulate norms and relationship for his own social and
psychological benefit".
Si cela présente des avantages, il y a également un danger. Ce féticheur est
ressortissant d'un village qui a boudé le projet à sa création au départ (cf. chapitre 3) et c'est
d'ailleurs en 1990 qu'il l'a lui-même intégré. C'est l'occasion pour ces villageois, à travers leur
féticheur, de tirer profit de l'aménagement qu'ils considèrent un peu comme leur propriété.

322
L'enjeu ici est de taille. On comprend alors facilement les négociations, les manipulations et
les stratégies des paysans villageois utilisant le féticheur comme intermédiaire pour
transmettre leur volonté au chef des encadreurs. Cette situation rehausse davantage l'image
du féticheur; la présence de l'encadreur chez lui fait sa fierté et de la publicité pour lui (il
élargit ainsi sa clientèle).
7.4 LES RENCONTRES INTERINDIVIDUELLES ENTRE ENCADREURS
7.4.1 Les "sorties" après le travail
Chaque encadreur voit au moins un autre encadreur après le travail pour (par ordre
d'importance) :

Boire un verre au maquis, manger au maquis, se retrouver en d'autres lieux (à un
domicile par exemple) avec des amis communs.

Boire, manger et discuter, s'accompagner chez des copines (des petites amies).
En général ce sont des rencontres entre conseillers agricoles (CA) ou entre
conseillers agricoles (CA) et paysans, ou bien des rencontres entre le chef et les paysans: des
paysans avec qui on travaille et pas n'importe lesquels: les "bras droits" c'est-à-dire ceux
avec qui on a des relations privilégiées.
Les rencontres CA/chef sont rares et quand elles ont lieu, c'est parfois à partir d'une
invitation organisée à l'avance; tandis que les autres rencontres se font sans invitation
organisée à l'avance.

323
Les maquis, les bars, les domiciles (des "maîtresses", des amis et copains) qui servent
de lieu de retrouvailles, sont des lieux ou centres de sociabilité. Les bars et maquis sont plus
des lieux de sociabilité que des lieux de restauration et de rafraîchissement pour l'encadreur.
La fréquentation de ces lieux et la fréquence des rencontres sont fonction de la discrétion
(intimité) ou de l'indiscrétion qui peut y régner; selon la personne avec qui on est (une
maîtresse par exemple ou quelqu'un avec qui on veut parler de choses secrètes). On y va
tous les week-end, mais aussi en cours de semaine.
On fréquente ces lieux pour parler politique, pour parler "affaires", pour parler de
sport, pour commenter la vie quotidienne du pays, de la région, de la ville, du travail, etc., .
pour parler de la profession, pour faire le compte-rendu des rencontres (avec les femmes ou
jeunes filles), etc. Bref, ce sont des lieux où on vient pour "se défouler".
La plupart des lieux publics que sont les maquis et les bars sont des lieux appropriés
par des groupes qu'on pourrait appeler des "cercles sociaux" si l'on s'accorde avec la
définition de Bidart (1993: 63), qui elle-même reprend celle de Degenne: ""les cercles
sociaux sont pour nous des ensembles d'individus ayant en commun et en propre un système
de règles, de normes, de "ressort d'action" à l'intérieur de ces cercles plus vastes que sont
l'entreprise ou le quartier"; les groupes dont nous parlons s'inscrivent dans un espace plus
large qu'est la ville. Ces cercles sociaux peuvent aussi être des groupes stratégiques. Ici tout
tourne autour de la confiance. On s"'inscrit" dans le même groupe stratégique avec tel ou tel
acteur parce qu'on lui fait confiance car quelquefois il ne faut pas dévoiler les atouts qui
peuvent être utilisés par l'adversaire.

324
On ne s'approprie pas un de ces lieux de sociabilité en déclarant la guerre aux autres
groupes, mais en y venant très souvent; par exemple le maquis bar de la chaîne PAC est le
lieu privilégié d'un conseiller agricole de telle société, celui de "tantie Mado" est l'apanage du
chef de la même structure tandis que le chef d'une autre structure est très souvent au maquis
près du goudron, etc ..... Les autres groupes "évitant" le (s) conflit (s), usent de la même
stratégie pour s'accaparer d'autres lieux.
Les paysans savent retrouver chaque encadreur en fonction du lieu public qu'il
fréquente: ''pour trouver Untel, il faut aller au bar X ou au maquis Y'. On peut ainsi situer
les relations entre encadreurs et paysans selon le lieu de fréquentation. Il y a aussi des
groupes qui fréquentent le même lieu public mais qui entretiennent des relations d'évitement
en gardant leurs distances vis-à-vis des autres (ségrégation spatiale): c'est le cas du maquis
près du goudron fréquenté à la fois par tel conseiller de la CIDT et tel autre agent de la
SADR.
Les maquis et bars sont intensément fréquentés par les encadreurs au niveau le plus
bas de l'organigramme. C'est pour eux un lieu de prolongement des relations qu'ils ont au
travail avec leurs amis paysans. Si les chefs ont "leur" maquis et bars, leur choix se porte
surtout sur les lieux d'un certain standing, relativement cher.
On constate que même dans les fréquentations des lieux publics, il y a une
hiérarchisation (outre le maquis de "tantie Mado", un des chefs d'encadreurs fréquente
assidûment le bar night-club de Agbanou). Le statut professionnel et le montant du salaire
pourraient éclairer ce constat mais en fait, les "hauts placés" semblent guidés par le souci de
se démarquer des plus bas. La fréquentation des lieux publics peut donc être socialement
marquée.

325
Le fait d'être marié, n'empêche pas la fréquentation des bars et maquis. Au contraire,
c'est un alibi auprès de l'épouse, pour "rencontrer des gens importants pour mon travail" qui
se gêneraient en présence de cette dernière. Le prétexte est qu'on ne doit pas discuter de
certaines choses devant une femme.
En observant les fréquentations de chaque encadreur par un autre, seul le chef
pourrait, peut-être, être classé dans la sociabilité minimale c'est-à-dire ceux qui n'ont aucune
relation avec des collègues hors du travail. Mais quand on suit ses relations de près, on
remarque que parfois, pour certaines activités ou sorties, il rencontre d'autres encadreurs.
Un des chefs par exemple est quelquefois avec son adjoint. Il dit à sa femme qu'il va
travailler'? avec cet adjoint qui lui-même est marié et dit la même chose de son côté à sa
femme. En fait, ils sortent ensemble pour rencontrer des maîtresses qu'ils ont dans un même
village.
Pourquoi l'adjoint et pas un autre encadreur? Dans ce cas précis, il y a la promiscuité
statutaire: hiérarchiquement c'est celui qui le suit, qui le remplace quand il est absent. Il y a
aussi le fait que ce conseiller agricole est ancien dans la région. Par contre l'adjoint lui, en
sortant avec le chef, est sûr de rentrer dans ses bonnes grâces. Chacun profite alors
stratégiquement de l'autre.
Ils ont des relations privilégiées mais ne sont pas des amis dans la mesure où leurs
relations conflictuelles priment au travail. D'ailleurs chacun répond spontanément en parlant
de l'autre "ce n'est pas mon ami et il ne peut pas être mon ami". Mais en présence l'un de
l'autre, personne ne signifie ses états d'âme à l'autre, laissant place à l'hypocrisie. Cela montre
IOSelon les encadreurs, il n'y a pas d'heure de travail.

326
que l'amitié et la fréquentation ne sont pas toujours à classer dans le même registre; la qualité
des relations n'a pas de rapport avec les activités qu'on partage.
7.4.2 Cérémonies funéraires et cérémonies de réjouissances dautres personnes
Baptêmes, funérailles, mariages et fêtes, sont des lieux quotidiens de sociabilité dans
J
Il
la pratique du métier d'encadreur. Ces lieux de sociabilité sont parfois des lieux de
prolongement des rapports hiérarchiques entre encadreurs: la valeur de ce qu'on donne à la
famille qui accueille l'événement est certes fonction de l'intérêt et des relations qu'on
entretient avec elle, mais aussi fonction du rang du donneur dans l'ordre hiérarchique, de la
fonction ou du statut (quand les autres encadreurs sont réunis au même lieu ou participent
au même événement).
Le dilemme ici c'est: "donner plus ou moins que le chef ou le collègue qui gagne
plus" car donner plus que celui qui gagne plus, c'est rabaisser ce dernier dans la hiérarchie
des honneurs. Or le comportement extra-professionnel d'un encadreur peut avoir des
conséquences sur la façon dont le traite ses collègues et/ou chefs. Alors, en général, on opte
pour donner moins afin d'éviter d'éventuels conflits occasionnés par la concurrence. Le chef
quand à lui a tendance à donner plus pour sauvegarder son image de marque, pour "éviter la
honte". La honte, le devoir, l'honneur, le prestige sont des éléments dont il faut tenir compte
dans la définition des relations entre les encadreurs eux-mêmes et aussi entre les encadreurs
et les autres. Concernant les funérailles par exemple, Vidal (1991), nous en montre
l'importance en Côte d'Ivoire: "de toutes façons ici, on n'a pas le choix, si on ne veut pas être
traité de mauvais, de méchant". Cet auteur explique que "les funérailles institutionnalisent
une mise en scène générale des relations de pouvoir et de dépendance, mise en scène fort

327
réaliste au demeurant, car l'efficacité des luttes symboliques entre les individus et les groupes
en concurrence dépend très directement des richesses mises en jeu" (1991: 87).
A travers ces événements également, on maintient "le respect" et "la distance" dans
la façon de se parler, de se comporter... Si les conseillers agricoles souhaitent voir
disparaître ce prolongement de rapport de travail, le chef lui opte pour la reproduction des
rapports de travail à l'extérieur pour pérenniser son image de chef même devant "l'étranger",
c'est-à-dire un étranger à l'organisation interne de la structure d'encadrement.
Outre ce que nous venons d'évoquer, la participation matérielle et financière d'un
encadreur quand il y a un événement dans le village, est fonction de son degré d'affinités
avec les membres de la famille concernée. Or le degré d'affinités est parfois fonction de la
place qu'occupe la famille (ou un des membres) dans le village et aussi de son influence.
Les cérémonies familiales en tant que lieux de sociabilité sont ainsi le lieu de
croisement de plusieurs réseaux.
Quand l'encadreur a les mêmes problèmes, ce qu'il reçoit des paysans et de la
communauté villageoise ou de la ville est fonction des relations particulières nouées avec
chaque groupe, sous-groupe ou personne.
7.4.3 L'entraide entre encadreurs hors du travail
S'agissant des prêts d'argent par exemple, ils sont rares entre encadreurs. Par contre
ils sont fréquents et très discrets entre encadreurs et paysans, plus fréquents surtout dans le
sens paysans vers encadreurs.

Comment expliquer ces faits?
Entre encadreurs, il y a la fierté, l'orgueil et surtout l'honneur. "Moi en tant que chef, je ne
peux pas demander un prêt à mes subalternes, même si je dois mourir de problèmes. Ils
peuvent me venir en aide de leur propre gré si j'ai des problèmes familiaux, mais jamais, je
n'oserai leur demander un prêt. Ce geste fait perdre l'autorité qu'on a. En tant que chef, je
suis sensé gagner plus d'argent qu'eux. Moi, je peux leur prêter de l'argent; je dirai même
"je dois" leur en trouver même si je n'en ai pas. C'est une question d'honneur" (un chef).
Par contre en cas de bonheur, de malheur ou dans certaines situations difficiles chez
des encadreurs, ils sont solidaires les uns des autres comme ils compatiraient au problème de
toute personne qu'ils connaissent. Mais le chef est beaucoup plus' sollicité en cas de
problèmes.
Le 19 Août 1991, à 19 heures, deux personnes viennent annoncer au chef d'une
structure d'encadrement à Sakassou que l'enfant d'un de ses agents est très malade. Cet agent
doit rentrer cette nuit même à Yamoussoukro où se trouve sa famille. L'encadreur étant basé
dans un des villages de la région de Sakassou, le chef décide d'aller lui annoncer la nouvelle;
mais n'ayant pas de voitures, il demande les services d'un transporteur à qui il achète du
carburant. L'agent informé demande au chef de le déposer à Bouaké d'où il se rendra à
Yamoussoukro. Chose que le chef accepte, en mettant encore du carburant à ses propres
frais dans le véhicule du transporteur. Tout ceci n'était pas prévu et pourtant face aux
problèmes de ses agents, le chef doit se montrer solidaire même si c'est une solidarité obligée
"parce que moi aussi je ne veux pas leur montrer que je ne peux rien. Je suis quand même
le chef Quand il y a des problèmes d'argent mes subalternes se tournent vers moi; or ce
n'est pas prévu dans mon budget. Nos patrons devraient penser à ça, en nous donnant de

329
l'argent pour les imprévus. Nous sommes au milieu du mois et moi aussi je n'ai pas
d'argent". On remarque là que l'entraide n'est pas forcément un facteur pertinent pour
expliquer l'amitié entre encadreurs; ici le chef peut venir au secours de ses administrés sans
pour autant qu'ils soient liés par une quelconque relation amicale.
Une autre forme d'entraide est l'accueil des nouveaux venus: dans l'intention de
rendre des services, les anciens dans la ville "maternent" et dirigent les nouveaux, le temps
qu'ils s'installent. Ils peuvent par exemple les héberger quand ils n'ont pas encore de
logement, leur faire découvrir la ville ou la région. Ils peuvent également les aider à trouver
un logement en usant de leurs relations personnelles dans la ville. Cette forme d'entraide.
n'est pas gratuite car à long terme, les nouveaux se sentent toujours reconnaissants sous
quelle que forme que ce soit envers les anciens qui les auront aidé, manifestant ainsi leur
gratitude. Les "parrainages" sont ainsi des formes de stratégies pour s'approprier ou gérer
les nouveaux venus. Il est ici opportun de montrer comment se marque l'arrivée ou le départ
d'un encadreur. Quand il y a un nouveau venu, c'est le chef de la structure qui en est informé
le premier par la structure d'encadrement et se charge officiellement de le présenter aux
autres encadreurs mais aussi aux autorités administratives de Sakassou (préfet, sous-préfet,
et secrétaire général de préfecture) qui d'ailleurs se plaignent quand le chef faillit à ce
"devoir", Quand c'est un chef qui arrive, il s'adresse directement aux responsables
administratifs ou bien se fait présenter par l'encadreur qui faisait office de sous-chef. A leur
tour ces responsables présentent le nouveau chef aux autres chefs de service de Sakassou
lors d'une prochaine réunion ou à l'occasion de fêtes officielles. Entre conseillers agricoles
ou entre chefs (si c'est un chef qui arrive), on fait des passations de service; le partant est
tenu d'informer le nouveau sur les activités agricoles, sur sa fonction réelle, la répartition des

330
tâches, la distribution informelle des rôles préexistants, les attitudes et comportements des
paysans qu'il encadre et les éventuels problèmes professionnels qu'il rencontre avec eux.
Parfois, on prend soin de "présenter" un peu les collègues afin que l'arrivant en ait une idée.
Le chef se doit aussi d'informer les paysans de l'arrivée ou du départ d'un encadreur.
L'accueil réservé à un encadreur est très importante pour lui car elle lui permet a priori de
juger ceux qui sont là et de tester l'ambiance qui existe. On s'estime bien accueilli quand on a
été "reçu" à son arrivée. On est "reçu" dans le jargon des encadreurs, quand les encadreurs
ont fêté l'arrivée ou bien quand les paysans ont offert des cadeaux (poulets, riz, igname,
boissons, etc.). On est bien "reçu" aussi quand les collègues et/ou les paysans se déplacent
ou délèguent quelqu'un pour venir souhaiter la bienvenue à domicile. Certains encadreurs
sont parfois plus sensibles à l'accueil des paysans qu'à celui des encadreurs car c'est avec les
paysans qu'ils travailleront et développeront sans doute plus de stratégies de séduction, de
clientélisme, et probablement des stratégies d'intégration.
7.5 LES RELATIONS ENTRE ENCADREURS ET AUTRES PROFESSIONS
Les relations sont plus visibles entre chefs de service. Tous les chefs de service
sollicitent le chef de la Loka pour le riz. Lui à son tour, comme tous les autres. chefs
d'ailleurs, sollicite plus: le directeur de l'hôpital, les médecins, les directeurs d'école, la
pharmacienne, le chef de la gendarmerie, le chef du Service des Affaires Domaniales et
Rurales (SADR), les différents vendeurs de la chaîne PAC (commerce) et le chef du syndicat
des transporteurs. Ces personnes sont sollicités de la même manière par tous les autres chefs
de service.

331
Les encadreurs les plus sollicités dans les relations amicales intéressées sont ceux de
la CillY, pour obtenir du riz à bon marché ou pour négocier une place à la Loka. Eux aussi
ont recours à d'autres travailleurs de la ville, selon les fonctions occupés par ces personnes.
Les enseignants, les commerçants, les agents de la pharmacie, les agents de l'hôpital,
occupent la première place dans ces sollicitations.
Nous pouvons en déduire que les relations entre les encadreurs et les autres travailleurs de la
région sont d'ordre intéressés sous forme de troc, d'échanges de services.
Dans toutes les pratiques stratégiques, si le clientélisme et le favoritisme sont des
pratiques couramment dénoncées par certains encadreurs ou certains paysans, on parle
toutefois rarement de corruption bien qu'elle soit courante.
Avec la corruption, le
clientélisme et le favoritisme l'on se situe dans le registre complexe des valeurs morales car
ce qui est qualifié d'immoral pour les uns ne l'est pas forcément pour les autres.
Nous avons remarqué par exemple que dans les relations interpersonnelles entre
encadreurs et encadreurs, entre encadreurs et paysans, entre paysans et paysans, tout se joue
autour de l'honneur (ahoungnan ou ahinyè en Baule). L'honneur semble être la principale
motivation de tout acte, car dit-on, "l'honneur, c'est la richesse des pauvres", contrairement
à la honte (gnanzoin en Baule). Et pourtant la corruption est un des moyens (le privilégié en
tout cas) pour sauver l'honneur. Or, prise dans son sens le plus large, la corruption est une
"flétrissure morale, dégénérescence, péché" (Rocca, 1993: 16); elle n'est dans ce sens pas
honorable. Contre cette idée, Scott explique que la corruption dans le monde asiatique
(exemple de l'Indonésie) est plus un échange informel de services, de biens matériels ou
immatériels que la transgression de nonnes.
Les pratiques corruptives ne sont pas propres au milieu encadreur/paysan. Si elles

332
apparaissaient comme résiduelles auparavant, aujourd'hui, elles semblent s'être généralisées
avec la crise économique, la misère.
La corruption est un phénomène social généralisé en Côte d'Ivoire et même en
Afrique!t. Des études montrent que le "syndrome" de la corruption n'est pas spécifique à
I'Afriquetê. Concernant l'Afrique selon Diakité (1986: 71), "la corruption constitue la plaie la
plus criante de l'administration africaine: on la retrouve partout, dans tous les pays d'Afrique
et dans tous les services, au point qu'elle apparaît parfois comme une pratique
institutionnalisée, ancrée dans les moeurs et dans les consciences". En Côte d'Ivoire, elle est
désignée par une longue série d'images ou d'appellations que les encadreurs et les paysans
utilisent aussi:

"Mouiller la barbe"

"Faire démarrer"

"Faire les affaires"

"Voir le cas"

"Glisser quelque chose"

"S'arranger" ou "faire des arrangements"

le "Fait nousfait" ou ''fait on vafaire"

le "Donnant donnant"

"Graisser la patte", etc....
llDumont (1962), Bayart (1989), Abelès (1990), Dacraene (1984).
12Yoir par exemple les travaux de Scott (1972, 1976. 1990) sur l'Asie, et aussi Rocca (1991 et 1993) sur la
Chine populaire.

333
La plupart des études qui parlent de la corruption la situent au ruveau des
fonctionnaires, des gros bonnets de l'Etat ou du gouvernement, des milliardaires, les big
men, des riches. Mais notre étude sur les encadreurs montre, comme le remarque aussi
Rocca (1993: 13), que la corruption ne se limite pas seulement à ces personnes d'une classe
sociale supérieure ou intermédiaire, "la corruption n'est
pas une
simple
affaire de
fonctionnaires et de milliardaires... La corruption permet à une nombreuse population de
répondre à la simple nécessité quotidienne de survie dans un environnement déterminé et
bien souvent hostile".
Conclusion partielle
L'exposé de ce chapitre nous montre clairement qu'il y a une continuité entre le
professionnel et l'extra-professionnel chez les encadreurs. Il existe une interdépendance entre
les rapports au travail et les rapports sociaux au village. Autant la vie au village est fonction
de la nature des relations au travail, autant celle au travail dépend parfois des liens tissés au
village. Cet enchevêtrement entre ces deux types de rapports influence beaucoup la vie des
projets ou opérations de développement. L'un des objectifs essentiels de l'encadreur, est
l'augmentation de son capital de relations et de connaissances; le capital accumulé hors du
travail s'investit dans le travail et réciproquement.
Ce chapitre montre également que les encadreurs agricoles ne sont pas de simples
courroies de transmission passifs; en tant qu'acteurs sociaux, ils manipulent aussi bien leur
statut social que leur fonction professionnelle et bien d'autres valeurs, en tant que
ressources, pour arriver à leurs fins; des micro - processus sociaux influencent et orientent
les actions des encadreurs. Ceci nous amène à reconnaître avec Chamboredon et Lemaire,

334
(1970: 13), que "les conduites de sociabilité les plus anodines engagent toute la position
sociale et tout le rapport aux autres groupes sociaux".
Les relations hors du travail sont pour l'encadreur, le moyen d'affirmer son prestige
personnel, sa dignité et son honneur: "l'honneur est un système de valeurs dans lequel
s'organisent les conduites prescriptives et préférentielles. Il est la richesse symbolique du
groupe" (Calogirou, 1989: 142). Car être fort dans ce milieu, c'est connaître beaucoup de
personnes influentes dans plusieurs milieux ou réseaux.
"
....\\

335
ELEMENTS DE CONCLUSION
Le métier d'encadreur agricole a été analysée à deux niveaux: celui du rapport
pédagogique entre encadreurs et paysans et celui des relations professionnelles et extra-
professionnelles entre les encadreurs et plusieurs catégories d'acteurs.
En premier lieu, au niveau du rapport pédagogique entre encadreurs et paysans,
ce travail a permis de confirmer que l'encadreur est le point d'insertion entre des savoirs
technico-scientifiques et des savoirs locaux qu'il doit gérer et harmoniser. De plus, fort
de ses expériences, il a aussi des connaissances propres à lui issues des deux types de
savoirs précités qui font que, grâce à ses expériences ou à celles de ses collègues, l'agent
d'encadrement prend souvent des initiatives pour gérer ses pratiques professionnelles
d'enseignant et d'éducateur. On a pu constater aussi qu'il existe des échanges de
connaissances entre encadreurs et paysans. L'un des problèmes essentiels qui se dégagent
au
niveau
pédagogique, est
le rapport à la langue locale et
le
problème de
communication. Mais on a pu remarquer que si la langue locale constitue pour les
encadreurs un support pour faire passer des messages, elle est avant tout un outil
stratégique auprès des paysans analphabètes pour entretenir des relations de clientélisme.
On note, toujours au niveau pédagogique, qu'il y a la conception que les projets et leurs
acteurs ont sur ce que devrait être le rôle des encadreurs et il y a ce qu'est réellement le
rôle de ces agents. L'encadreur est généralement perçu comme un transmetteur de
connaissances technico-scientifiques. Or concernant cette fonction de transmission des
connaissances,
toutes les
études sont
unarumes
à montrer le faible niveau de
connaissances des encadreurs agricoles. Pourtant, d'année en année, des personnes
fonctionnaires ou cadres, reçoivent des formations nationales et/ou internationales pour
rester dans des bureaux. Ces personnes diplômées sont celles qui font des stages de
recyclages, elles sont spécialistes dans tel ou tel domaine de l'encadrement agricole. Si

336
l'encadreur agricole de base est considéré comme le relais indispensable, le dernier
maillon en contact direct avec le paysan, pourquoi ne bénéficie- t-il que rarement ou pas
du tout des mêmes formations? Comment peut-on prétendre à une amélioration des
connaissances des paysans, si ceux qui sont chargés de les leur transmettre ne les
maîtrisent pas eux-mêmes?
Le deuxième niveau d'analyse est celui des relations aussi bien professionnelles
qu'extra-professionnelles entre encadreurs, entre encadreurs et
paysans
et entre
encadreurs et d'autres catégories d'acteurs. Nous l'avons abordé grâce à l'approche
interactionniste, en nous intéressant aussi bien à ce qui se passe sur le lieu de travail de
l'encadreur qu'à ce qui se passe en dehors; cet "en dehors" dont on ne tient nulle part
compte ni dans la formulation et l'élaboration d'opérations de développement urbains ou
ruraux, ni dans l'organigramme des structures d'encadrement et encore moins dans les
"fiches de fonction" ou manuels d'encadrement. Et pourtant tout notre travail montre que
le "dedans" et le "dehors" vont de pairs; ils s'influencent mutuellement de manière
permanente. Et c'est ce qui fait d'ailleurs les limites de l'analyse systémique: le projet vu
comme une organisation ne restitue pas complètement ce qu'est l'encadreur si on ne tient
,r'
1
pas compte de l'environnement du projet. Il n'en demeure pas moins que nous l'avons
j
utilisé comme une entrée qui a permis d'entrevoir de nombreux problèmes dont
l'explication ne se trouve pas forcément dans le projet. De ce point de vue, cette entrée
permet à l'anthropologue d'élargir son champ de recherche par les nombreuses pistes
qu'elle suggère. Nous avons ainsi remarqué que l'encadreur agricole a une position
ambigüe et complexe, partagé entre les recommandations de sa structure, celles des
responsables politiques et administratifs de son lieu de travail, et les sollicitations des
paysans qu'il encadre. Mais loin d'être une victime, il est en perpétuelle négociation avec
chacune des partis, à la recherche d'une harmonie. De plus, l'encadreur de base est le
théâtre de plusieurs phénomènes complexes qui se jouent à propos de la promotion

337
sociale, la compétence professionnelle, etc. Ces phénomènes favorisent un ou des
systèmes de régulation des relations (des relations de pouvoir, des alliances entre acteurs,
...) qui ne sont pas toujours compatibles avec les normes professionnelles. Plusieurs
logiques qui sont opératoires en même temps sur le terrain, sous-tendent les relations
entre les encadreurs et d'autres catégories d'acteurs. Mais elles se contraignent à la fois
les unes et les autres, dès l'instant où on veut en déployer une et l'optimiser. Des
stratégies se mettent en place, se renouvellent et sont remises en question en fonction des
"atouts" de l'adversaire et du partenaire. Il y a en fait des procès de négociations
permanents et des lieux de négociations, où chacun défend ses propres intérêts, en
fonction des marges de manoeuvres dont il dispose. Il y a une diversité de stratégies
socio-éconorniques
parmi
lesquelles,
la corruption.
Si la
corruption
n'est
pas
systématique, elle apparaît comme une stratégie individualiste.
On a remarqué aussi que le champ politique se retrouve à plusieurs niveaux:

Interne à l'organisme d'encadrement, entre les encadreurs et les autorités étatiques
locales et entre les encadreurs et les paysans;

Interne à la société paysanne, entre les paysans et les autorités étatiques locales, ....
Tous ces niveaux interagissent les uns sur les autres. On est donc loin ici des objectifs
purement techniques et productifs qui sous-tendent généralement les opérations de
développement. Les relations de pouvoir influencent beaucoup la nature des relations
entre l'encadreur et les autres et entre encadreurs eux-mêmes. Bien qu'ils ne soient pas
officiellement institués, on n'ignore pas l'existence et l'exercice des pouvoirs. On n'ignore
pas non plus leur influence, aussi bien dans les alliances, dans les conflits que dans les
négociations. Les agents d'encadrement autant que les paysans, ne sont pas des agents
passifs, ils sont aussi des manipulateurs. Par exemple chaque fois qu'il y a un nouveau
financement, ils démontrent aux paysans que c'est grâce aux rapports d'activités qu'ils ont
envoyé à leurs chefs (relatant les difficultés de fonctionnement) que l'argent a été

338
débloqué. Ou bien, quand il y a consensus avec les paysans, ils se réjouissent en disant
que c'est grâce à leurs actions conjuguées qu'il y a eu nouveau financement.
Fort de ces analyses et constats, on se rend compte qu'on peut aussi parler de logiques
des encadreurs de base. Ainsi, au lieu de plaquer des modèles d'encadrement ou de
développement extérieurs, les développeurs pourraient associer et accorder une plus
grande place à la fois aux encadreurs de base et aux paysans dans la définition et la mise
en place de projets de développement. Cette étude montre que quelles que soient les
méthodes utilisées, les attitudes et comportements des encadreurs et paysans contribuent
- en termes d'évaluation - à leur réussite, à leur échec ou au contraire à leur stagnation
(cercle vicieux).
Il reste sans doute de nombreux domaines à exploiter sur ce sujet car notre travail
n'a porté que sur quelques aspects de la pratique du métier d'encadreur à Sakassou. Tous
les aspects relationnels n'ont peut-être pas été abordés ici non plus. Ce travail a
néanmoins mis en exergue le grand écart qui existe entre les textes et la pratique
concernant cette catégorie d'acteurs. Le projet que nous avons entrepris ici est
essentiellement exploratoire. Dans une perspective comparative, il serait intéressant,
d'étendre la recherche commencée à l'échelle nationale (voire internationale) en étudiant
toutes les sociétés d'intervention en Côte d'Ivoire qu'elles soient étatiques ou privées, en
y incluant les ONG (organisations non gouvernementales). La comparaison permettrait
par exemple de faire une typologie des pratiques des encadreurs selon plusieurs critères
et indicateurs. On envisagerait par ailleurs le problème de l'identité socio-professionnelle
des agents d'encadrement de base. On pourrait par exemple aussi dégager différents axes
du rapport pédagogique entre encadreurs et paysans, et de la confrontation entre savoirs
locaux/savoirs technico-scientifiques. Notre recherche a aussi mis à jour l'importance de

339
la corruption, en tant que stratégie, dans les relations entre individus dans le monde du
développement agricole, même si explicitement ce terme n'apparaît pas dans les
revendications, reproches, et discours des différentes catégories d'acteurs. Aussi, serait-il
souhaitable de l'envisager en tant qu'objet d'étude à part entière; jusqu'à lors, ce thème a
été abordé de façon éparse dans des études d'anthropologie politique sur l'Etat, les
gouvernements, les fonctionnaires, .... La corruption en tant qu'objet d'étude est un
terrain prometteur en Anthropologie.

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368
LISTE DES SIGLES
AEF:
Afrique Equatoriale Française
ANADER:
AgenceNationale d'Appui au Développement Rural
AOF:
Afrique Occidentale Française
APVA:
Assistant des Productions Végétales et Animales
ARSO:
Aménagemement régional du Sud-Ouest
AVB:
Aménagement de la Vallée du Bandama
AW:
Aménagement des Vallées des Volta
BAD:
Banque Africaine de Développement
BM:
Banque Mondiale
BIRD:
Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement
BNDA:
Banque Nationale pour le Développement Agricole
CA:
Conseiller Agricole
CFA:
Communauté Financière Africaine
CFAR:
Centre de Formation d'Animateurs Ruraux
CIDV:
Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Vivriers
CIDT:
Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles
CIDR:
Compagnie Internationale de Développement Rural
CIMA:
Centre Ivoirien du Machinisme Agricole
CIRAD:
Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique
CNAPEC:
Centre National pour la Promotion de l'Entreprise Coopérative
CNEARC:
Centre National d'Etudes Agraires des Régions Chaudes
CP:
Chef de Périmètre
CREP:
CaissesRurales d'Epargne et de Prévoyance
CS:
Chef de Secteur
CZ:
Chef de Zone
DMC:
Direction de la Mutualité et des Coopératives

369
DSA:
Développement des Systèmes Agricoles
FAC:
Fonds d'Aide et de Coopération
FAO:
Food and Agricultural Organization (Organisation des Nations-Unies pour
l'agriculture et l'alimentation)
F.CFA:
Franc de la Communauté Financière Africaine
FED:
Fonds Européen de Développement
FF:
Franc Français
FIDES:
Fonds d'Investissement pour le Développement Economique et Social
FMI:
Fond Monétaire International
FSR:
Farming System Research
GTZ:
Gesellschaft fur Technische Zusammenarbeit
IDESSA:
Institut des Savanes
INADES:
Institut Africain de Développement Economique et Social
IRCC
Institut de Recherche sur le Café et le Cacao
IRCT:
Institut de Recherche sur le Coton et les Textiles
IRHO:
Institut de Recherche sur les Huiles et Oléagineux
ISRA:
Institut Sénégalais de Recherche Agronomique
MPVA:
Moniteur des Productions Végétales et Animales
OMS:
Organisation Mondiale de la Santé
ONPR:
Office Nationale de la PromotionRurale
ORSTOM:
Office pour la Recherche Scientifique et Technique d'Outre-Mer
ONG:
OrganisationNon Gouvernementale
ORD:-
Organisme Régional de Développement
OSP:
Office des Semences et Plants
PNASA:
Programme National d'Appui aux Services Agricoles
PNUD:
Programme des Nations-Unies pour le Développement
PPO:
Planification des Projets par Objectifs
PVA:
Projet de Vulgarisation Agricole
RJD:
RecherchelDéveloppement

370
RRA:
Rapid Rural Appraisal
SATEC:
Société d'Assistance Technique et de Conseil
SEDES:
Société d'Etudes pour le Développement Econorniqueet Social
SODEFEL:
Société pour le Développement des Fruits et Légumes
SODEPALM: Société pour le Développement du Palmier à Huile
SODEPRA:
Société pour le Développement de la Production Animale
SODERIZ:
Société pour le Développement de la Riziculture
SODESUCRE: Société pour le Développement des Sucres
SOTOCO:
Société Togolaise du Coton
SRCC:
Société de Rénovation de la Caféière et de la Cacaoyère
ZOPP:
Ziel Orientierte Projekt Planung

371
LISTE
DES
CARTES,
GRAPIDQUES,
DIAGRAMMES,
ORGANIGRAMME,
TABLEAUX
Carte 1: La Côte d'Ivoire. Localisation de Sakassou
20
Carte 2: Le pays baule
'"
21
Carte 3: Les lieux de prédilection des migrants de Sakassou
29
\\
Carte 4: Densité des populations par sous-préfecture
30
Carte 5: Les circonscriptions touchées par le lac
122
Carte 6: L'aménagement hydro-agricole de la Loka
129
Graphique: Importation et production nationales de riz
136
Diagramme: Change agents provide linkage betwen a change agency and client system
257
Diagramme sur la multiplicité des rôles de l'encadreur agricole
318
Organigramme: d'une direction régionale de la CIDV
209
Tableau sur l'utilisation du budget CIDV (I 989)
199
Tableau sur les implications des catégories d'acteurs dans un projet..
236

372
INDEX DES AUTEURS
A.AO.F: 110
Abe1ès: 332
AFCA-SIPCA: 167, 199
Affou: 97) 100
Agripromo: 100
Akkari:95
Amin: 115
Amon d'Aby: 24, 31, 109
Ancey: 22
Annan-Yao: 104, 106
Authier: 49
A\\nB: 123, 124, 125
Bailey: 51,258
Ballé: 49, 50
Banque Mondiale: 136
Banque Mondiale!WAPAA: 82, 117, 118
Baszanger: 230
Bateson: 52
Baxter: 79) 80, 99
Bayart: 62, 332
Beauchard: 230
Behrens: 277) 278
Bellonc1e: 64, 65, 66, 68, 87, 126
Benor: 79, 80, 99
Berche: 151,215
Berger: 43
Bemoux: 49, 51) 202
Berthoud: 141
Bidart: 179, 323
Bierschenk: 71) 195,310,318
Blague: 82, 83
Boissevain: 51,230,321
Bonazzi:257
Bony: 23, 105, 108
Borzeix: 280
Boudon: 202
Bourdieu: 260
Bourricaud: 202
Buijsrogge: 95
Brunschwig: 59

373
Calogirou: 223
Campbell: 164
Chambers: 15,47,91,220,305
Chantran: 13, 100
Chauveau: 22, 23, 24, 25, 63, 73, 75, 104, 105, 106, 108, 110, 116, 186, 299
Chevassu: 22
Chiva: 281
crov 206
CIRAD-SEDES: 205
Cohen: 74
Collinson: 88
Contarnin: 114
Couty: 73
Crehan: 225
Crozier: 50, 53, 245
Darré: 280, 292
Dacraene: 332
De Certeau: 62
De Schlippée: 84
Debouvry: 58,62,64, 76, 84,100
Degenne: 323
Desjeux: 62
Deveze: 60, 75, 83
Dia: 65
Diakité: 332
Diouf: 99
Dixon: 87
Dozon: 22,130,131,196,197,299
Droy: 115
Dubar: 213
Dubresson: 30, 113
Dumont: 68, 77, 101,304,332
Dunstan Spencer: 90
Dupré: 299
Dupriez: 72
Eicher: 94
Ekanza:49, 106,107
E~:68,6~7~9~126,289
Etienne: 22, 28, 34, 186
Evans: 277,278
FaIl: 91
F.A.O: 89,91
Fauré: 105, 111, 114

374
Fautret: 100
Faye: 87
Forsé: 229, 230
Fraternité Matin: 160
Freud: 200
Friedberg: 50, 53,245
Garforth: 13, 100
Gentil: 60, 64, 75, 80, 81, 83, 87, 113, 119
CHeaes:72, 78,99, III
Gluckrnan: 45, 52
Goffinan: 43
Gosselin: 64
Gouldner: 50
Goussault: 68
Grégoire: 62
G.T.Z.: 91, 92
Guerry: 22
Harrison: 99
Henry: 57, 59,95, 106
Hess: 49
Hirsch: 100
Hughes: 213
Hymes: 280
Joinet: 66
Jouve: 83, 84, 85, 86
Kam: 81
Kang: 276
Kilani: 13
Kipré: 105, 106, 109, III
Ki-Zerbo: 75
Koffi: 101, 162
Koné: 57, 129, 158,255,287
Kouakou: 124, 125, 126
Kwan-Kai-Hong: 64, 69, 70
Lacoste: 280
~~y-Jacob: 124, 125, 126
Lazarev: 63, 65, 67, 116
Lecomte: 64
Lefort: 85
Léonard David: 80
Lericollais: 91
Lettre du réseau GAO: 100

375
Levi: 81
Lewis: 94
Long: 53,55, 56
Loucou:23,49, 105
Luckmann: 43
Maragnani: 260
March: 50
Martin: 59, 93, 96
Martinelli: 74
Maunder: 98
Médard: 105
Meister: 64, 65, 68, 74, 76
Memel-Fotê: 24, 25
Mendras: 229, 230
Mercoiret: 60, 75, 83, 84, 85, 86
Merton: 50
Michaïlof 65
Michotte:22,27,28,29
MucceUi: 212
Miège: 22
Mitchell: 52, 211
Morgan: 50
Niang: 83, 87
Niangoran-Bouah: 24
Nouvel Horizon: 25, 224
trTmne: 122, 124, 127
Oakley: 13, 100
Okigbo: 87, 89
Olivier de Sardan: 66, 71, 248, 282, 285, 299,310
Ori:97, 100, 124, 126, 189
Ouattara: 104, 106
Ouédraogo: 303,304
Passeron: 53, 260
Pasquis: 85
Pharo: 78, 81, 86,296
Poethier: 87
Pontié: 196
Préjean: 25,26
Requier-Desjardin: 137
Reste: 104, 109
FUchards: 58,62,63, 84
FUst: 61

376
Robertson: 51
Rocca: 331,332,333
Rogers: 257
Rôling: 58,62,284
Sainsaulieu: 212
Sanon: 67
Sawadogo: 137
Sc~: 78, 81, 86,296
Schreyger: 59
Scott: 331,332
Simon: 50
Simula: 78, 81, 86, 296
Song: 276
Spinat: 77
Strauss: 52, 230
Teulings: 50
Tilakaratna: 69
Tirefort: 105, 106, 109, III
Touré: 104, 106
Uphoff: 74
Urbino: 284, 286
Vidal: 326
Vogel: 100
Von Oppen: 225
Weber: 15
Yung: 63
Zaslavsk:y: 63

377
ANNEXES

378
Source: ''Projet Riz centre: programme de mise en valeur des périmètres". CillY, mars 1992.
EXTRAIT DES REFLEXIONS POUR L'ELABORATION OU PL~N
DIRECTEUR OU DEVELOPPEHENT ~GRICOLE (1991/2010)
Dans le cadre de sa stratégie de relance économique et financière le
Gouvernement de la
RCI envisage la restructuration
de l'économie à
travers :
- un désengagement progressif de l'Etat; .
- une réduction des distorsions ;
- un
plu~ grand rôle du
secteur privé dans les
investissements et
les marohés :
- une
substitution partielle
des
importations
par la production
national,e.
Le secteu~ agricole, qui représente la plus grande composante du PIS
~t plus deI 60\\ des
exportations, a régulièrement bénéficié d'inves-
tissements
publics
impo~tants et
des
programmes
d'ajustement
spécifiques.
Bien qu'ayant
offert
résistance à
la récession,
ce
secteur se:
trouve aujourd'hui insuffisamment préparé
pour répondre
aux objectifs de relance confiés aux secteurs productifs .
.
Les filières des produits agricoles se caractérisent par
- une f~ible intégration ;
- une valorisation insuttisante des produits (faibles transformation
et développement des marchés) ;
- une fragilité vis
à vis du niveau et de
la concurrence des.~ours
internati~naux :
- des prix à la production stagnant ou en réduction ;
- des exploitations restées, pour la majorité, de très petite taille
peu modernes et peu rentables.
Ayant
jusque là
fonctionné sur
un rôle
très important
de l'Etat
(subventions,
stabilisation, projets
de développement,
opérations
diverses d'appui), certaines filières nécessitent, dans le cadre des
orientations actuelles de désengagement, ·quelques renforcements bien
ciblés pour pouvoir contribuer à la relance.
Pour parvenir aux objectifs de relance, le Gouvernement ~ise sur les
effets d'une :
- responsabilisation accrue des opérateurs
dans le financement
des
activités et
du développement
des tilières agricoles
(meilleur
ciblaqe de5 interventions de l'Etat ~\\ utilisation prioritaire des
flnancements
publics
en
faveur
d'un
appui
au
développement
spontané des opérateurs privés) :
- rationalisation
de l'encadrement
et de
la formation
des opéra-
teurs
(conseils
mieux
ciblés,
formation
et
Bppui
à
ln
~~Tucturation des
opérateurs en qroupements
et interprofessions,
~és~~g~gement progressif
de l'Etat pour
une professionnalisation
des filières)
;
- organisation
et
professionnalisation
de la ~ise en
~arché des
produits
agricoles
et
agro-industriels
(développement
de
la
circulation et de la transformation des,produits) ;
- meilleure gestion et préservation de l'espace rural.

379
DIAGNOSTIC DE LA SITUATION ACTUELLE DU SECTEUR AGRICOLE
Financement de l'agriculture.
Depuis
l'indépendance,
les
appuis financiers
à l'agriculture
ont
reposé essentiellement sur les budgets
~is en place par l'Etat, par
transfert
direct aux
entreprises
publiques
ou aux
collectivités
rurales, et
indirectement à
travers la
rétrocession de
lignes de
crédit agricole gérées par la BNDA.
Ceci
a
peu
favorisé
le
développement
d'un
système
de
crédit
susceptibl'e
de
fonctionner
de
façon autonome
l'habitude
des
opérateursl à
disposer de
financements ce l'Etat,
d'une couverture
publique des risques
ou de peu de
sanctions de la part
de la BNDA
ont entralné
une grande
difficulté à instaurer
des remboursements
spontanés et une faible attitude de développement autofinancé.
La BNDA n'est plus en mesure
d'assurer sa fonction de crédit : elle
ne
dispose ni
des ressources
propres pour
effectuer des
crédits
commerciaux
ni des
~oyens
nécessaires à
la
gestion efficace
et
rentable, pour le
compte de l'Etat, des crédits
distribués dans le
cadre
de Projets
de développement.
Cette
banque est
en voie
de
dissolution.
Les transferts d'activité ou
de financements aux opérateurs privés,
envisagés dans le cadre de la-relance, ainsi que certains projets en
cours ou
prêts à démarrer, nécessitent
une intervention importante
de crédits de campagne et d'investissements.
Dans la
période intermédiaire actuelle, les
'seules ressources pour
le
financement
de
crédits
à l'agriculture
sont
les
ressources
publiques
de
Projets
;
les seules
structures
disponibles
pour
assurer
leur
distribution,
leur
gestion
et
leur
recouvrement
reposent
essentiellement sur
les organismes
chargés d'administrer
ces Projets, dont
le rôle n'est pas
de gérer du crédit
et dont on
souhaiterait
de
plus recentrer
les
interventions.
Il y
a
donc
urgence à mettre en place un système de crédit adapté.
Encadrement et formation des opérateurs.
Le~ techniques
de développement
de l'agriculture se
sont appuyées
~~r un encadrement systématique basé sur des structures très lourdes
en effectif et
très coüteux et, de plus,
multiples car spécialisés
par produit.
.
~es caractéristiques de l'encadrement sont
- il est
davantage adapté aux besoins antérieurs
d'extension de la
production
selon une
approche
standardisée
et spéci~lisée
par
'J;-OOll11:.
"u'aux
baso Lns
a c t.ue Ls
d'une
approche
giooale
et
p~urlàisciplinalre ce
l'exploitation, visant à
adapter celle-ci,
en
fonction
de chaque
cas,
à
l'évolution
des marchés
et
de
l'environnement socio-économique;
- il est lourd et coûteux, systématique et non ciblé

380
- s~s s~ructures~ étant spécialisées
par produit, sont multiples et
les
lnterventlons
de
leurs agents
chez
l'agriculteur
parfois
redondantes ou même contradictoires :
- il
reste essentiellement public, l'activité
de conseil agricole
n'ayant"
pas pour
le
moment
été confiée
car
le secteur
privé
(individus
ou structures)
et les
groupements professionnels
ou
interprofessionnels n'ont guère
été associés pour le
moment à la
définit~on
des
programmes
d'encadrement,
de
recherche-développement ou de formation~
Au?our~'h~i,
les
structures d'encadre~ent représentent un
poids
tr~s
lmportant
pour les
budgets
publlCS
normalement destinés
à
l'investi$sement.
1
Suite
au~
réductions
budgétaires
successives
qui
ont

être
opérées,
'faute
de
ressources
publiques
suffisantes,
plusieurs
services
Ine couvrent
plus
que
leurs frais
de
structure et
les
actions
\\de
terrain
sont
devenues
extrêmement
réduites
OU
inefficaces.
1
i
Commercialisation.
Les systèmes de prix garantis par l'Etat sont insuffisamment liés au
cours des marchés
mondiaux et les subventions
accordées à certains
niveaux des filières
(y compris semences et
intrants) ont entraîné
le
déséquilibre
de
certgjnes
filières
et
une
baisse
de
la
compétitivité des produits nationaux.
Les mises en
marché confiées à des monopoles·
publics ne permettent
pas toujours
la recherche
ou l'atteinte des
meilleures conditions
financières.
De
même, les systèmes
de barèmes fixes
ne permettent
pas un ajustement suffisant des structures de coûts.
Les insuffisances
dans la
gestion de
la commercialisation
et des
importations de produits,
susceptibles d'être produits localement à
des
prix
compétitifs,
entraînent
un
creusement
des
déficits
nationaux et des baisses de production.
Le
manque
de débouchés
(industriels)
ne
permet pas
souvent
de
valoriser
l'effort de
productivité
obtenu par
les organismes
de
vulgarisation agricole.
Les
problèmes
d'organisation du
réseau
de
marchés empêchent
de
orofiter de toutp.s les opportünités et conduisent à des excédents ou
àes déficits locaux durables.
La
structuration
professionnelle
et
interprofessionnelle
est
insuffisante pour permettre une libéralisation des filières.

381
PROGRAMM8 DE fORMATION COOPERATIVE
ANIMATION, SENSIBILISATION El INFORMATION us PAYSANS
objectif : Àléner les paysans à cosprendre la nécessité de l'action qu'ils doivent entreprendre ..n VIli:
d'obtenir leurs accords de participation.
Expliquer le fonctionnement général des périmètres
Les organisations de base des paysans (PM/PS)
• Les comités de gestion

Le conseil d'pdministration
Le commissariat aux comptes
La gérance (le gérant-comptable)
Mise en place des Comités
• Expliquer les tâches et la composition
• Faire désigner les membres
~OI~MAIION OU PlRSONNlL li OLS MlM8RlS OlS ORGANISAIIONS COOPlRAIIVlS
Objectif: Veiller à l'initiation et à l'actualisation des connaissances du personnel et des lenbres dE:S
organisations coopératives.
Formation des comptables
• Expliquer leurs tâches
• Présenter et expliquer les documents à utiliser
Formation des membres des comités
• Définir les domaines d'intervention
• Expliquer les méthodes de travail
• Présenter et expliquer les documents de travail
Initiation des paysans motorisés (PM) à la co~ptabilité
• Définir la nécessité de la comptabilité
• Présenter et expliquer les documents de travail
Formation des dirigeants (administrateurs) deS comités
• Expliquer. le rôle des membres du Conseil d'Administration
et des cornmissai~s aux comptes
• Faire comprendre le mécanisme de la gestion des GVC
Formation des Conseillers ègricoles
Système de formation-visite
• Tenue des documents de travail

382
Renouvellement du matériel agricole
• La nécessité du renouvellement du matéri~l
L'ouverture d'un compte d'épargne
• L'importance
des
revenus,
issus
de
la
pr~station d~
services, dans le renouvellement du matériel
Ce
programme
a
été
établi
à
titre
indicatif.
Il
peut
être
modifi2 selon les besoins et l'importance des activités.

383
[DUCATION COm'[RATIV[ DES MEMfjl~ES
Objectif: Apprt:ndre aux coopérateurs (paysans) les principes de base des crqanlsat lcns coopérat ives afin de
raffer.ir leur esprit coopératif
Définition des principes de base
Historique de la coopérative
Les idées coopératives
Les principes coopératifs
Les droits et obligations du coopérateur
Les conditions D'admission et de retrait
Statuts et règlementinté~ieur
Présenter et commenter le statut
Expliquer
la
nécessité
d'établir
et
de
respecter un
règlement intérieur
CONSTI1UTION JURIDIQUE ET ADMINISTRATIVE DES GVC
Objectif: Légaliser l'existence des cr par l'élaboration d'un dossier de constitution en asseablée qénérale
constitutive et la lise en place de documents administratifs légaux
1
Mise en place des documents juridiques de constitution
La déclaration de constitution
Le Procès-Verbal de constitution
• L'attestation de solde bancaire
• La délégation de pouvoirs (légalisée)
• L'engagement solidaire (légalisée)
• La demande d'enregistrement
Les statuts-types du GVC
La fiche de renseignements
Mise en place des documents administratifs de travail
1
Le registre des sociétaires
• Le registre des procès-verbaux de réunions
ORGANISATION DES ACTIVITES DES GVC
o
Objectif: kIIener les paysans ~ saltrlser les différents paresetres de leur action (~estion rationnelle d~
leurs activités) a1iQ ~'en tirer de leilleurs revenus pour améliorer leur niveau de vie.
,
Approvisionnement en facteurs de production
• Déterminer,les besoins
• Contacter les fournisseurs
Passer les commandes
• Assurer la distribution aux paysans

384
. PIWGRIIMMI~ D'liPPU] Il IJ. GESTION HYDI~AULlQU8
ORGANISATION ET SUIVI UES COMITES DE l;[SIiON OE L'EAU
Objectif: ),maner la cosité de qest ion de l 'eau a jouer son rôle de Iiaiscn entre 1'ëncaJrellç"t H les
Ildysans
Mise en place des comités de gestion de l'eau
Choisir les membres
Définir le rôle de chacun
• Méthode d'intervention

Relation comité de gestion de l'eau / l'encadrement
Mise en place des irrigateurs
• critères de choix des irrigateurs
• Rôle des irrigateurs
• Relations irrigateurs / comité de gestion de l'eau
Suivi des comités et des irrigateurs
• organiser des séances de travail
ENTRETIEN DU RESEAU HYDRAULIOUE
objectif: Comprendre la nécessité d'entretenir le réseau bydrauli~ue et assurer son fonctionnement ad~quat
Formation des comités de gestion de l'eau et des paysans
• Expliquer la nécessité de l'entretien des ouvrages
1
Effectuer le curage et le recalibrage des canaux / drains
Nettoyer et redimensionner les diguettes
• Maintenir le matériel hydraulique
GESTION
DE L'E A U
Objectif: hener les paysans ~ une gestion rationnelle de l'eau par le respect des tlurs d'eau
1
t '
d
.
.
1
Forma lones lrrlgateurs
1
1
1
périmètre
• Nécessjté de la présence des irrigateurs sur le
Respect de la durée d'irrigation
• Utilisation du calendrier
• Technique d'irrigation gravitai~e
• contrôle des parcelles à irriguer
• Connaissance de l'utilisation des petits ouvrages
• Connaissance de la quantité d'eau
(hauteur)
à
appliquer
en fonction du stade végétatif
Recensement et analyse des différents
problèmes
sur
le
réseau hydraulique

385
Formatioo des paysans
Respect du calendrier d'irrigation
Relever et analyser les différents problèmes sur l'aména-
gement
Utilisation des ouvrages
Formation dès encadreurs et des aiguadiers
• Suivi des comités de gestion de l'eau et des irriga~eurs
• Sensibilisation
• Calcul du débit des canaux
Relever les échelles limnimétriques des barrages
Relever la pluviometrie
[ _ .
lR AV AUX
CONFOR1ATIFS
-------1
Objectif : Orienter les paysans sur les petits travaux confortatifs au niveau des parcelles
Planage
des
parcelles
découpage
des
parcelles
et
remblayage
• Construction
de
passerelles
en
madriers
sur
drains
et
canaux primaires
Ce
programme
a
été
établi
à
titre
indicatif.
Il
peut
être
modifié selon les besoins et l'importance des activités.

386
. PROGRAMM8 D'APPUI AL\\ PRODUCTION
LA PHYlOlECHNIE
DU
r~IZ
Objé'ct if: },i€:nH les paysans à lai triser la culture du ri l
La semence
Choix de la semence et test de germination
Sélection à l'eau
Prégermination par trempage
Précautions à respecter •
Le semis direct à la volée en rizière principale
Exigences de la rizière (sol, eau 1
• • • )
Evaluation des besoins en semences selon la dimension de
la parcelle
Semis à la volée
La mise en place de la pépinière
Choix du site et confection des planches
• Irrigation
• Semis et entretien
Précauti9ns à respecter
Le repiquage dans la rizière principale
• Confection du rayonneur et préparation du cordeau
• Age des plants à re~iquer
Arrachage et transport des plants
• Repiquage dans la rizière (ligne et quinconce)
Précautions à respecter
La maîtrise du tallage
• Technique de blocage du tallage
,
Les besoins en éléments nutritifs en {ct du stade végétatif,
1
Faire le lien entre le stade végétatif et les besoins en]
engrais
LA unu CONTRE LES ENNEMIS DU RIZ
• Choisir et doser son herbicide et sdn insecticide
• Lutter efficacement contre oiseaux, rongeurs. et poissons
• Lutter contre les mauvaises herbes
(traitement herbicide
et sarclage manuel)
• Conserver
soigneusement
les
produits
chimiques
et
les
produits p~troliers inflammables

387
AC1!Vllts RECOI.H:S ET POST-R[CULIE~
[ - - - - - - - - - - - - - - -
Coupe, séchage et conservation de la production
Conservation de la semence
LA FUMURE ET L'EPANDAGE urs U~Gi"\\AIS
[ - - - - - - - - - - - - - - - - . - - .
J
J
Objêctif : A~~ner les paysans à une utIlisation rationnelle des engrais chiBiqu: ét d: la fucuré organiqué
La paille de riz en tant gU'engrais organigue
• Localisation des aires de compostage
• Technique d'entassement de la paille
• Déclenchement et entretien de la fermentation
Epandage du fumier dans la parcelle
Effet de la fumure organique sur les caractéristiques du
sol
L'épandage des engrais minéraux en fct du stade végétatif
• Détermination des quantités en fonction de la superfi~ie
de la parcelle
• Présentation
des
différents
composants
nutritifs
et
de
leur utilité pour le plant de riz
L'épandage de fond
L'épandage de couverture
Tenue
des
fiches
de
distribution
et
d'utilisation
des
engrais
GESTION DU MATERIEL AGRICOLE DES PERIMET~ES
Il
Objéctif : Amener les paysans à une utilisation rationnelle de leur latériel
utilisation du ~atériel agricole
• Organisation du travail et planification
• Contrôle des orcganes avant la mise en routej
• Conduite au champ et technique d'utilisatiop
utilité du conducteur
1
Tenue des t.iches de sui vi des engins
Maintien du matériel agricole
• Entretiens périodiques
• Révisions de fin de campagne
• Commandes de pièces détachées
Tenue des fiches d'entretien et de réparation
Rapport avec les mécaniciens privés
Construction d'abris pour le parquage

388
Gestion du matériel agricole
Respecter les conditions d'utilisation du matériel
• Assurer l'entretien du matériel
• Suivre les réparations du matériel
• Effectuer l'entre~ien des canaux, drains, diguettes, pis-
tes et ouvrages dlvers
Réaliser les travaux de réfection
• Etablir un calendrier de distribution de l'eau
Commercialisation de la production agricole
• Préparer la campagne de commercialisation
· Assurer la collecte primaire des produits
• organiser la livraison à l'acheteur
• Assurer le paiement aux paysans
Assurer le remboursement des prêts aux paysans
Règlement des fournisseurs
SUIVI ET EVALUA110N DES AC110NS
Objectif: Apporter un appui pour faciliter l'application des thèles et apprécier l'évolution des actions en
vue de lieux les orienter.
• Niveau coopérateurs : ~embres du GI
• Niveau
direction/gestion
conseil
d'administration,
comptable
'
Niveau ènvironnement : état, fournisseurs, acheteurs,
••.
Niveau GI
en tant
que personne morale
et entité
écono-
mique
Ce
programme
a
été
établi
à
titre
indicatif.
,Il
peut
êtr~
modifié selon les besoins et l'importance des activ~tés.

389
KInSTba tes IfEtATI063 txrtxmszs
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PIJlTt"AIRt OU COflP.tSI'OHOAJ(T LOCAL (r'O .. , «luLl Lté, adr•••• CO""Ill ète )
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PROJET I«JIJVtAU
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391
• Déc,.i,.. ta ,itll4t icoI ~e>gf't1p1ti.qo.l, ,t ,oei.t>-4~" ~t (%I,j ..i~au
de- ta '/70\\1 d'v,t'l"\\J"'t~ (io~ I:«7t,J.
• Défi .. ,,. la ~"P'-eibt.. ct ~t:i..r la tW4 cf·ol"paPli.at':- lDoG1.'.
Z·c,.igi,.ç d. ta d.1ftt11'\\dc "
ta _"i,,.. ~ , n, cs .té fo,.,.l ••.
• Rapp.ln' Z'v,u,.tÏCrt du prooi.t Ja,u la. pric,.üé• ..ati.cr>al.. "Ic'"
,.égw..al.. , ov,.,: 41""
l'4I'ticwlot':- av«: d'a..t,. .. C1p.l'Ct~ d. d.w~.
• s~l,,. l·a;'I"P-..t tU. ~ol"it•• 1«ol" "
$c;".œ.. ocp':" tU.
cO,.,.Up<1"odtV\\CII ,t d'..,.., .w..e",.lt. eCftu"'t.:o.. avec l'lt<rt d'ocClA.iL.
· Déf':"':,. l. ()W W. chi.ct ':f. du proJ.t.
· D",.i,.. L,. octw... è rrtt,..p"~ ft W'ÎJlW" w ooZ".œ.w,.
pN.,,:• .:c...... Z d',z.awtÏCrt.
· r"",,...i,. dei do-N .. "',. l" _~01'\\6 .wou.a':,.., ([ÏN:P\\e":'''', -.ze.,.,:.,z."
"...-.ai....J. av..,: qwl 'lU' t'id."tité "
ta "iucew tU oo-p.t.-. d.. v,t~t••
· ~,. du iJtfOrwr:J.tVTM , ..,. la p:Jnlrtai,.. 1«at tApliq\\l••
• l"'?"t. att......n... t 'CIp.l'Ct':- .... • "",l\\go>4I't d'IIV part t 'C7l"'iVÛ\\atit.
tJ,. P1'OJ.t • .. , foc.. tt •• tÙ rql"'OdwDt~ It W. 'ff't' _teipticatl~ " .
d'a.ut,.. part t.. focta ..,.. tU b1«o~. tu Alp4ct• ...,.. V1t.~. "" la.
tJ,;""tcpp--..u ..tt.,.ina-, .; ..,,,,i,og.,..
• $",,:.,,: ct oo..i";z, du proJ.t ... W,:,q..-t ta ";t~tcg-W .t la, -)'''''
d'.uaZWlt':- P".IIW.
• Te-:tic....._"t du prooJ.t li t'i..... ta ,.n.iDd.a tU oofiNutD~t
(""J>O".c.biZill1ti(/'P\\ d" """"'t~.. , ON:r~' ".~l"I"r'Itu. es«;},
• Pot..uc':,. -v,forw'4tif- ft ....'ibitill1t,lU' dl. prooi.e.o;m,.. w. oct.:o..,
d'éd"'cat':ort a.u déwtcpp-. ..e t e« '~J cf':,..ct~ ti... C1U pNJJ.e.

392
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~ l'N"" ~"~til', ,UW,..,. ~,.;"",.
INl\\itw,,. w. _~, dl ~~C -" p";~C
- t'(I~ 1 ,....~. pn1p"'" ......e,.." (u-stC. _CI)
- 14 _C~ (A n) _l'U lftI MtwC~ ~ ... tLl d.. qpcrt,
~ (lIIGcir-i.œ« n ..~ d·~.-..)
- 14 ~gré 4'~ {""qw;u ~"
.. -..n IÛ. "'~Cw...
~\\4'. W"-,,,}
-
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• e-CrU1wCw.t ~Uwic;, CI SILO" (pœ' .....;, n ,14b<r.tI)
• llÜ'1\\ttc. ~t"" fN "",'hw (J.,v..J.N ,...~)
Source:~yIDé) 1987:83-86

393
r
0 " .~. _
SOMMAIRE
_ _ U JOVD N A..LDU P'LAHTtUa _ _
Page J
moyenne COte d'Ivoire ...
-Installation des jeune
-
Création d'une planta-
Agriculteurs
Moderne
- CAFÉ - CACAO
tion (suite et fin)
(suite)
-
Conseils de "IRCC
Les Centres de Forrnauon c
en Avril
Pago 1S
la Jeunesse Rurale
en Mai
en Juin
CULTURES VIVRIÈRES
Page 30
Page 6
Fiches Tochnique s: .
ECHO DE L'INTERIEUR
-
CULTURES
OLÉAGI-
a - riz pluvial. ..
Concours
des
Groupe
NEUSES
b • riz irrigué ...
ments à Vocation Cocpè
A· Palmier à huile
Page 19
rative.
Conseils de l'IRHO (suite)
- Le groupement 2 VOC2
-
Influence de la qualité
EAUX ET FORËTS
tion Coopérative (GVC) dé
de
l'andainage
sur
le
Conseils du Comité Na-
petit Boncoukou: taure a
régional du Sud-Ouest
développement des pal-
tional de défense de la
miers à l'huile ...
forôt ot de lutte contre
page 31
-
Rappel de quelques
les foux de brousso.
données utiles pour le
- Les feux de brousse el les
FOCUSSUR ...
défrichement et landai-
incendies ...
La SODEPRA-NORD
nage
mecanique
d'une
Pagll 21
Son organisation et ses
plantationlndustrielle de
activités ...
palmiers à huile ...
-
COUPE NATIONALE
-
Rappel do quelques
DU PROGRÈS
données utiles pour I'irn-
-
Notes aux éleveurs do
~~~~i
plantation de palmier à
moutons en Côto d'Ivoire
huile...
(suite ot finJ...
B - Cocotier
-
Projet
Agricole. du
60.000
Centre-Ouest: .relance de
Exemplaires dans
- Le cocotier et l'amena-
la production caféièro au
toute laCôte d'Ivoire
gement des bas-fonds en
PACO ...
TERREIET PROGRES N' 77. JANVIER· FEvRIER. MARS' PAGE


Cette thèse a bénéficié du soutien financier
de l'ORSTOM, département SUD, UR SB: "Modèles de développement et économies.'·
réelles" (allocation de recherche)
et du Ministère de la Recherche scientifique de Côte d'Ivoire
(bourse d'études)
Elle a été rédigée dans les locaux du laboratoire de sociologie, histoire et anthropologie des
dynamiques culturelles (SHADYC) de l'EHESS Marseille

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