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' .
THESE
En vue de l'obtention du Doctorat -
nouveau régime - en Linguistique
Présentée par
Léa Marie Laurence N'GORAN
Directeur de Thèse
Robert MARTIN
1993

.Jiu œrofesseur CR.g6ert :M..Ji(j{rr1:Jf qui} maliJré ses nom6reuses
cliarges} a accepté de diriger mes reclierches.
~I
_,_, _~__ Q!l1lme soit pennis ici de fui e~rimer ma profonde gratitude} car
c'est grâce à fa pertinence de ses suggestions que cette tlièse a pris
réeffementforme.

9rf.es remerciements 'Vont égafement :
a~ fami«es
- }Imon
- }Innstong
- œei(fon

- Cliaintro~
à
- :M. Jacques 7(issié
- ;Mme Wi(fem Ύrent
- ;Mme 9rf.eCan Ç;ennaine}
à mes amis
-
rrJiviane 7(acou
-
;Mariam Sanfo} œliifomène Q]lansali
- }Ik.sz 'Tanoli
- SaRg Soufeymane
et au (j)octeur Ossénou Ouattara)
pour Ce soutien qu 1fs ont su m'apporter pendant Ces périodes
aiffici1es.

Je tiens enfin à remercier particulièrement
- :Ma mère, :Madame Ol{§i Jacqueline dont les sursauts de r&volte
devant mes liésitations et mesfrustrations m'ont pennis de donner le
meilleur cre moi-même;
- Le (j)r. Sa/{g :Moliameapour son inestimaole co[faooration;
- Les enseignants au aépartement ae Linguistique ae f'Vniversité
:Nationà{e ae Côte cft/voire;
l
- Le (j)r; jl6ouoacar Ouattara aont les sages conseils m'ont rapprochée
de fa v~rité linguistique.

INTRODUCTION
Nous nous proposons, dans le cadre de notre thèse, d'analyser le phénomène
de la polysémie, plus que jamais d'actualité, avec l'évolution de la linguistique
automatique. Qu'entendons-nous par polysémie? Et sur quels critères nous fondons·>
nous pour décider du caractère polysémique ou non de tel ou tel lexème ? Telles sont
les questions que l'on se posera certainement.
Aussi, est-il important de donner d'emblée un aperçu de la notion de polysémie.
Si l'on considère le principe de l'analyse componentielle, l'on est en droit d'affirmer que
tout lexème est polysémique. D'autant plus que, comme l'a souligné L. Guilbert, "Tout
mot, dans sa face "signifiée" se définit par un complexe de sèmes et jamais par un
sème unique."1
Par exemple, un adjectif comme "Chaud" a la structure sémique suivante:
"Qui est 1S 1à une température 1SI 1plus élevée 152\\ que celle du corps 1531,,2.
Cette seule définition apparaît comme la combinatoire de plusieurs sèmes, ce qui
pourrait suffire à justifier son caractère "poly-sémique." Mais~ serait une erreur, car
le phénomène de la polysémie, analysé par M. Bréal dans son essai de sémantique,
se définit comme
"le phénomène
diachronique
qui
consiste
dans
l'addition
d'acceptions nouvelles au sens fondamental.,,3 Autrement dit, au fil des ans, l'on a vu
se multiplier le sens des mots.
Ainsi, d'un point de vue synchronique, cet état de fait a eu pour conséquence la
coexistence de plusieurs sens distincts pour un même mot.· C'est cet aspect du
phénomène qui retiendra notre attention.
Pour en donner une idée, considérons ces deux réalisations de l'adjectif Bon:
1- "Toute bonne Bruxelloise qui se respecte n'y avait jamais pénétré."
"(La nouvelle romance. H. L. P.144)
IGuilbert (L.) [1975] La créativité lexicale, P 65.
2C(index des symboles.
3Bréal (M.) [1897] Essai de sémantique, P J 14.

2
2. "C'est le mari d'une femme sans doute très bonne que tu voles."
(H.L. La nouvelle romance, P.61).
Dans l'exemple 1, l'on dit d'un élément X qu'il remplit toutes les conditions liées au
référent de "Bruxelloise". La seconde phrase, en revanche, exprime la bonté de l'être
désigné par le substantif caractérisé. Donc, nous sommes en face de deux sens
différents pour un même signifiant, ce qui atteste du caractère polysémique de Bon.
Présenté ainsi, le phénomène paraît assez simple. Quel est alors l'intérêt ou mieux,
qu'est-ce qui pourrait justifier, à l'heure actuelle, une étude sur la polysémie?
La première raison est relative à l'absence d'une conception unifiée de la
polysémie. En effet, malgré les nombreux travaux qui ont été effectués sur la
question,4 l'on n'a pas encore réussi à imposer une approche susceptible de la
maîtriser.
Par ailleurs, au cours de nos lectures, nous avons noté une confusion évidente,
entre ce que l'on pourrait considérer comme de simples variantes référentielles et des
polysèmes ou des homonymes. Pour ce qui concerne le premier rapport, nous faisons
~
allusion, par exemple, à l'analyse d'U. Weinreich à propos des phrases "Eat bread" et
"Eat soup" : 'When one considers the phrases eat bread, and eat soup, one realizes .
that eat has slighty different meaning in each phrase: in the latter expression, but not
in the former, it covers the manipulation of a spoon."5
Une telle analyse pose le problème suivant: à quel moment doit - on considérer que
l'on a affaire à un même sens ou à deux sens?
L'on constate, après l'analyse du fonctionnement de la polysémie, l'existence
d'un processus logique qui permet de relier les définitions du mot polysémique entre .
elles. Cela permet de contester l'idée du changement de sens mentionné ci-dessus
par U. Weinreich, car le jeu polysémique est inexistant. Il s'agit donc pour ce cas,
d'une simple variante référentielle. Qu'il soit question de "Pain" ou de "Soupe" ou que
l'un implique l'utilisation d'une cuillère, le signifié du verbe ne change pas.
4Voir la bibliographie sur la polysémie.
5Weinreich CU.) [1975] Explorations in semantic theory, P 35.
"

3
Quant à la seconde forme de confusion, elle se situe entre la polysémie et un
autre phénomène qui lui est sémantiquement proche, l'homonymie. L'exemple le plus
probant est fourni par B. Pottier et il concerne l'analyse qu'il fait du mot "cuisinière". Ce
lexème a plusieurs sens, car il peut à la fois signifier "Personne qui a pour fonction de
faire la cuisine" et "Fourneau de cuisine servant à chauffer, à cuire les aliments."e
Si l'on se réfère à la conception générale de l'homonymie selon laquelle les
sens des homonymes, au contraire des lexèmes polysémiques, n'ont de rapport que la
forme du signifiant, l'on ne peut logiquement classer "Cuisinière" dans la première
catégorie.
En effet, il existe un rapport sémantique évident entre "Cuisinière 1" et
"Cuisinière 2", lequel fait pencher le problème du côté de la polysémie: d'une part, il
est question de la personne qui cuisine et d'autre part, de l'objet physique qui sert à
cette même activité.
Ces confusions/montrent qu'il est nécessaire de réexaminer les critères de
polysémie déjà admis par les linguistes. Cette analyse nous permettra ensuite de
soutenir l'existence conjointe d'un ou de plusieurs sèmes communs et de relations
logiques entre les différents sens du mot polysémique.
En outre, la seconde raison de notre choix est liée au problème que pose la
polysémie sur le plan théorique : "Comment est-il possible qu'un lexème puisse
renvoyer à plus d'un signifié? Cette caractéristique est-elle inhérente au système ou
seulement un phénomène de la manifestation du discours"?? C'est la problématique
telle qu'elle est formulée par P. Charandeau.
Tout d'abord, notons que cette problématique fait appel au principe de la
biunivocité qui existe entre la forme et le sens. En effet, il est intéressant de souligner
que dans son fonctionnement, la polysémie suit ce principe. C'est ce que nous
traduisons par les propos ci-dessus de
B. Laursen qui confirme l'existence dlllun
paradoxe apparent entre d'une part, l'ambiguïté évidente de certaines formes lexicales
6Pottier (B.) [1967] Présentation de la linguistique, P 65.
7Charandeau (P.) [1971] "Analyse lexico-sémantique" dans Cahiers de lexicologie, l, PA.

4
considérées en isolation (langue) et d'autre part, le fait qu'en général ces formes
ambiguës en isolation ne le sont pas en contexte (discours)."a
En d'autres termes, au niveau du discours, seul un sens est actualisé. Ce qui
implique que,· malgré son assignation comme mot polysémique, le lexème est en
réalité monosémique dans sa manifestation
discursive.
D'où l'intérêt que le
phénomène suscite, tant sur le plan de la sémantique que dans le cadre général de la
linguistique.
Par ailleurs, le problème du caractère inhérent ou non de la polysémie au
système de la langue est déterminant, car la seconde conception qui s'inspire de
l'approche guillaurnienne du signifié permet de nier l'existence même du phénomène.
En effet, G. Guillaume pose l'existence de deux types de signifiés : le signifié de
puissance, attaché de façon permanente au signifiant et le signifié d'effet qui n'est rien
d'autre que l'actualisation discursive du premier.',9 Une telle conception pose la
polysémie comme un fait relevant du niveau de la parole et inexistant en langue.
Or, il a été abondamment démontré qu'il existe des règles contextuelles d'ordre
~
grammatical, entre autres, qui régissent cette actualisation du sens. 1O Et il nous
semble que la combinatoire syntaxique fait partie de la compétence linguistique du
locuteur. Dès lors, l'idée d'un sens unique qui. prend telle ou telle valeur dans le
discours devient fort discutable. D'ailleurs, les critiques concernant la conception
Guillaumienne du signe sont autant de raisons qui imposent le choix d'une théorie plus
réaliste. 11 Donc, il s'agira pour nous de confirmer l'existence de la polysémie en
langue, en nous basant sur la spécificité de la combinatoiré sémique et syntaxique de
chaque signifié.
8Laursen (B.) [1992] "Désambiguïsation lexicale" dans Cahiers de lexicologie, 60, l, P.86.
9Launay (M.) [1986] "Effet de sens: produit de quoi ?" dans Langages, 82, Juin, P 37.
I~OUS faisons allusion aux travaux considérables de C. Fushs et B. Vietorri dans le domaine de la traduction
automatique. Cf. Notes bibliographiques sur la polysémie.
IIRey (A.) [1976] Théories du signe et du sens, II, P 263.

5
Mais, en réalité, notre objectif central est d'arriver à interventorier les indices
contextuels permettant de sélectionner le sens que reçoit chaque adjectif non dérivé
en discours. Nous abordons, conformément aux préoccupations actuelles de la
linguistique automatique, le problème de la résolution des polysémies.
En effet, si la possibilité pour une même forme d'avoir, plusieurs acceptions est
normale dans les langues naturelles, elle est contradictoire au principe des langages
artificiels. 12 De même, si le sujet-parlant se livre automatiquement à un calcul
contextuel dans la résolution de l'ambivalence polysémique, l'application des règles
qu'il suit par une machine paraît très complexe. Il faut reconnaître que ce procédé
n'est pas exempt de difficultés, car le traitement des langues naturelles au moyen de
procédures automatisables suppose la recherche
de matériaux suffisamment
opérationnels pour en rendre compte. 13
Aussi, tenterons-nous dans une première approche, une désambiguïsation
moyennant des composants formalisables. Un tel choix paraît ambitieux quand on sait
qu'il existe un autre moyen de lever les ambiguïtés et qui plus est, semble convenir
~
parfaitement. Nous voulons parler de la connaissance encyclopédique du récepteur,
de son savoir culturel, de tous les faits situationnels qui l'empêchent de se soucier de
la nature polysémique des mots qu'il entend. Notre analyse devra donc indiquer
jusqu'à quel point le contexte linguistique, car c'est bien de cela qu'il s'agit, est
susceptible de désambiguïser le lexème polysémique.
En outre, par rapport aux autres travaux consacrés à la résolution des
ambiguïtés, notre étude aura l'avantage de s'attacher en particulier à une catégorie
lexicale extrêmement polysémique. Cela nous permettra de donner une image unifiée
du phénomène.
Pour ce faire, la première étape de notre recherche a consisté à effectuer un
relevé systématique de tous les usages possibles des adjectifs non dérivés14. Seul
12La Palme (G.) et Saint-Didier (P.) [1989] Prologue pour l'analyse automatique du langage naturel pp.2-3.
'JZoch (M.) et Sabbah (G.) [1992] "La génération automatique de textes: trente ans déjà ou presque" dans
Langages,I06,Juin,P.8.
14Voir la liste des adjectifs non dérivés.

6
un nombre important de contextes pouvait nous permettre de justifier le choix d'indices
perçus comme le reflet de la distribution particulière d'une acception donnée.
C'est ainsi que nous avons dépouillé un certain nombre d'oeuvres littéraires et
de journaux. 15 D'autres exemples ont été empruntés au T.L.F,16 dictionnaire qui a
l'avantage d'indiquer les références des exemples cités. Nous avons également
procédé à l'interrogation d'une banque de données. 17 Il était surtout question, nous le
rappelons, de trouver des contextes-types.
C'est pourquoi, nous avons considéré les adjectifs non dérivés comme des
mots jouant pleinement leur rôle de qualificatifs et intégrés à des énoncés relativement
courts. D'ailleurs, pour les raisons théoriques que nous avons exposées, le choix de
contextes plus larges s'avérait peu nécessaire.
Par ailleurs, nous avons essayé de faire coïncider les propriétés syntaxiques de
l'adjectif avec tel ou tel sens. Pour chaque contexte analysé dans ce cas, la syntaxe
vient simplement à la rescousse de la sémantique. Cela implique donc que tous les
faits syntaxiques ne seront décrits que par rapport à leur pertinence sémantique.
:.J..1
Quoiqu'essentiels dans la résolution des polysémies au sein des adjectifs non dérivés,
ils n'interviennent pas toujours. Et cela, dans la mesure où elle fait appel à des indices
uniquement sémantiques.
Au départ, notre hypothèse consiste à poser l'existence d'une structure sous-
jacente pour chaque contexte, exprimable sous forme de traits syntaxiques ou
sémantiques ou des deux à la fois. Inutile de souligner qu'une telle hypothèse se situe
dans la droite ligne d'une sémantique dite interprétative.
En effet, elle est le fait de linguistes comme J. Katz et Fodor qui "présentent
une syntaxe sémantique formée de règles de projection" rendant compte notamment,
du caractère ambigu (plus d'une lecture), normal (une lecture) ou asémantique
(aucune lecture) des phrases grammaticales. Ces règles s'appliquent aux éléments
l'Cf. liste des romans et journaux utilisés.
16Le trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle.
"En effet, certaines occurrences ont été fournies par la banque de données textuelles FRANTEXT à la
B.P.I du centre de Beaubourg.
.

7
d'un IIdictionnaire" où chaque signe lexical est doté d'un "indicateur" (marker)
grammatical catégoriel, d'indicateurs sémantiques et de différenciateurs déterminant
des IIrestrictions sélectivesll quant à la combinatoire du signe en discours.1I18 Cette
citation
exprime
bien
les objectifs et les
matériaux qui
interviennent dans
l'interprétation du sens. Nous nous inspirons donc de ces travaux tout en respectant la
spécificité des adjectifs non dérivés si elle existe et celle de la polysémie telle qu'elle
s'offre à nous.
En outre, l'idée de l'existence d'une structure sous-jacente permettra de
distinguer pour un même adjectif, les contextes indiquant ou non un changement de
sens.
Ainsi,
les contextes
différents
dont les structures
sous-jacentes
sont
équivalentes pourront être considérés comme l'expression de simples variantes
référentielles. Dans le cas contraire, c'est-à-dire s'ils correspondent à des structures
différentes, et dans des conditions que nous devrons déterminer, nous parlerons de
véritable polysémie.
~
La principale difficulté d'une telle méthode ::~se situe au niveau du choix des
indices intervenant dans la résolution des polysémies. En effet, dès lors que l'on fait
intervenir des traits sémantiques restreints ou les IIdifférenciateurs", la limite entre
sémantique et pragmatique devient extrêmement fragile. C'est également cette idée
qui est traduite à travers les propos de B. Gardin que voici: "Les tables ou règles qui
président à la sélection de combinaisons sémantiques bien formées sont en général
plus proches des réalités ad hoc que de faits structuraux, dans une langue donnée.,,19
Par exemple, pour lever l'ambivalence polysémique au sein de contextes
comme IIDes yeux fous" et lIune robe folle", l'on pourra se servir du trait [+mobile] dans
le premier et [-mobile] dans le second. lVIais il nous semble que ce trait, qui est en
18Rey (A.) [1969] "Remarques sémantiques" dans Langue française, 4, P.22.
'90ardin (8.) [1966] Interventions préparées sur "L'utilisation de l'information sémantique pour la résolution des
ambiguités syntaxiques" dans les Actes du premier colloque international de linguistique appliquée, Annales de
l'Est, 31, P.33.

8
rapport avec le fonctionnement des objets désignés par les substantifs caractérisés,
fait partie de notre connaissance des>ht non de notre compétence linguistique. C'est la
raison pour laquelle nous distinguerons les données dont le caractère formel est
indiscutable de celles qui
pour@être
considérées
comme
relevant de la
pragmatique.
En accord avec les problèmes que nous avons posés, le plan de notre texte
sera structuré : dans un premier temps, nous nous intéresserons aux différentes
structures des adjectifs non dérivés. Cette première analyse permettra d'insister à la
fois sur les modèles pertinents, dans la perspective de la levée des ambivalences
polysémiques (CH. 1) et sur les faits qui prédisposent particulièrement ce groupe
d'adjectifs qualificatifs au phénomène de la polysémie (CH. Il).
Après avoir établi leur caractère très polysémique, nous tenterons de tester la
validité des critères préalablement établis pour les vocables polysémiques en général.
Nous jetterons ainsi un regard critique sur ces critères (CH. III), non sans privilégier
~
ceux qui, selon nous, traduisent mieux la polysémie telle qu'elle se manifeste au sein
)
des adjectifs non dérivés. Puis, nous aborderons la question de la hiérarchisation des
sémèmes (CH. IV).
Cette analyse du fonctionnement de la polysémie nous permettra de souligner
la spécificité de chaque sens de l'adjectif considéré. Alors, nous nous demanderons
naturellement, comment cette spécificité se traduit dans les différents contextes . Ce
sera la question traitée dans la résolution des ambivalences polysémiques (CH. V).
Enfin, nous consacrerons le dernier chapitre aux limites de la méthode que
nous avons choisie. Il nous permettra d'aborder le problème des ambiguïtés qui
subsistent malgré tout dans la prédiction du sens des adjectifs non dérivés en
contexte et nous tenterons d'apporter autant que faire se peut les solutions qui
s'imposent (CH. VI).

9
PREMIER CHAPITRE
PRESENTATION DES ADJECTIFS NON-DERIVES
INTRODUCTION
Une simple présentation de la morphosyntaxe des adjectifs peut paraître
extrêmement banale, d'autant plus que "on suppose ces faits connus et traités à
suffisance.
D'ailleurs, il nous semble que les lacunes qui ont été relevées par des linguistes
comme L. Piccabia20 et D. Creissels21 à propos· des travaux consacrés à cette
catégorie de mots sont liés à des problèmes d'ordre méthodologique et non à la
complexité des adjectifs en tant que fait grammatical. Cette citation de D. Creissels
atteste de la véracité de nos propos: "Lorsque les grammairiens parlent d'adjectif, on
ne sait jamais s'ils raisonnent au niveau du classement grammatical des unités de la
langue (... ) ou au niveau du classement de la fonction qu'occupe une unité dans une
construction particulière".
Cependant, dès l'instant où l'on se situe dans la perspective de la résolution
des ambivalences polysémiques, cette présentation s'avère nécessaire. En effet, notre
but, dans le présent chapitre est certes de donner un aperçu global de la catégorie
grammaticale dont nous nous servons pour exemplifier le phénomène de la
polysémie, mais surtout d'effectuer une circonscription des contextes adjectivaux.
Une telle approche a deux avantages fondamentaux: d'une part, elle permet
d'inventorier les structures ou les formes linguistiques susceptibles ou non d'être
intégrées dans cette résolution des polysémies. Cet inventaire est incontournable si
%OPiccabia (L.) [1971] "des adjectifs et de quelques problèmes de fonnalisation du lexique" dans Langue
Française, T \\ \\. P. 91.
%ICreissels (O.) [1979] Unités et catégories grammaticales, publications de l'université des langues et lettres de
Grenoble. P. 138.

JO
-t-'\\
l'on se réfère aux travaux de S. B. Gabel sur les adjectifs anglais.22 Elle confirme qu'il
est important de fournir des renseignements sur le groupe lexico-syntaxique dans
Lequel il (l'adjectif) est intégré. Pour cela, il faut avoir fait préalablement le
recensement des différentes possibilités de comportement des adjectifs dans les
groupes dont ils peuvent faire partie".23
D'autre part, la diversité des contextes adjectivaux nous obligeant à éliminer
tous les phénomènes qui ne sont pas propres à la catégorie "adjectif', cette
présentation nous permettra de justifier le fait que ceux-ci ne soient pas pris en
24
compte dans la levée des ambivalences polysémiques.
Ainsi, nous ferons une première distinction entre les adjectifs non dérivés et les
autres adjectifs en général.
Ensuite, nous distinguerons les adjectifs qualificatifs, qui comprennent les
dérivés, des autres, notamment, les déterminatifs, les relationnels et les localisants.
Enfin, nous compléterons ces analyses par une approche sémantique des
adjectifs non dérivés.
1. LA STRUCTURE MORPHOLOGIQUE DES ADJECTIFS NON DERIVES
1. 1. Les adjectifs comme "mots primitifs"
Les adjectifs non dérivés constituent un groupe particulier de mots, ils
présentent
une
différence
morphologique
par
rapport
aux autres.
En
effet,
contrairement aux autres adjectifs et à certains mots, les non dérivés ne doivent leur
structure morphologique à aucun élément existant déjà dans la langue. Ils échappent
donc au phénomène de la dérivation qui se caractérise par l'addition d'affixes ou à un
mot pour la création d'un autre.
22Gabel (s. B.) [1968J Classement des adjectifs anglais en vue de leur analyse automatique.
23GabeJ (S.B.) [1968J, Ibid, Page introductive.
24Nous voulons parler précisément de la dérivation impropre (lIA.).

Il
Par exemple, un adjectif comme Désespérant a une structure morphologique
plus complexe que celle d'un non dérivé. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les
opérations suivantes:
la première opération consiste à reconnaître dans la composition du mot,
l'élément déjà existant qui permet la dérivation. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit
du participe présent du verbe Espérer. Ce qui nous donne l'organisation suivante :
dé (s) espérant.
Dans une seconde opération, l'on tentera de décomposer le mot reconnu. Ainsi,
ant équivalant à la désinence du participe présent, l'on peut en déduire que cet adjectif
a été formé du verbe espérer, moyennant le préfixe dés et le suffixe ant: Dé (s) \\
espér \\ ant.25
Afin de mieux marquer la différence avec les adjectifs non dérivés dont la
composant morphologique se limite à une racine flexion, nous proposons de le situer
avec bon, dans le schéma général de la structure du mot :26
2SPottier (B.) [1962] Systématique des éléments de relation, P. 64.
26Ottogrundt (L.) [1972] Etudes sur l'adjectif invarié en français, P. 31.

12
Mot ( Adjectif)
~
,.-
~
Thème
Flexis
A-
r
~
Racine
Dérivatifs
.A
r
~
Modificatifs
Suffixes
A-
,
r
Préfixes
Infixes
1
!
1
1
- Esper-
Des-
(2)
.. - Ant
(e) (s)
Bon
(2)
(2)
(2)
(n) (e) (s)
L'on constate, par rapport à ce schéma, que le phénomène de la dérivation n'a
pas seulement pour conséquence la modification d'un mot. Elle concourt également à
l'augmentation de la longueur de ce dernier. Une telle remarque permet de justifier la
forme en général très réduite des AND.
En effet. étant donné qu'ils ne se combinent avec aucun dérivatif, les AND sont
en grande majorité monosyllabiques. 21 Dérivés directement du latin (Niger ~ Noir;
. Viridis
~ Vert; Ruber ~ Rouge... etc 28), ce sont eux qui servent de base à la
construction de certains substantifs, certains verbes et même certains adjectifs et non
le contraire. Les exemples abondent dans les dictionnaires: à partir d'un AND comme
"Noir", l'on a pu créer "Noirceur', "Noircir', "Noiraud', "Noirâtre". Ainsi, l'on
comprend aisément le fait que les grammairiens s'entendent pour situer les AND
parmi la catégorie des mots "primitifs".
27Voir l'index des AND.
28En plus des dictionnaires, l'on pourra également se référer à Gougenhein (G.) [ed 1970] Les mots du français.
P.279.

13
~--
Cependant, les particularités que nous venons d'énoncer ne sont pas les seuls
éléments qui distinguent les AND des autres adjectifs. Il existe également le
phénomène de l'accord qui se manifeste au niveau de leur flexion.
i. 2. La flexïon des adjectïfs non dérïvés
De fait, le phénomène de l'accord ne constitue pas en tant que tel une
caractéristique propre aux AND. Tous les adjectifs prennent les marques du genre et
du nombre des substantifs sur lesquels portent leurs sens. 29
Cependant, les AND ont une particularité par rapport aux autres adjectifs, en ce
sens
que
le
phénomène
de
l'accord
a
pour conséquence
la
modification
morphologique de certains d'entre eux. Il faut préciser qu'il ne se produit que quand
les AND concernés caractérisent un substantif du genre féminin.
En effet, en plus du "e" muet qui est le caractère morphologique normal,
l'accord du féminin entraîne (à l'écrit) le doublement de la consonne finale ou
"'\\
l'apparition d'une nouvelle. C'est ce qu'indiquent les transformations suivantes des
adjectifs concernés par ces deux critères:
Bon _(gâteau) => Bonne (nouvelle).
Faux _(tableau) => Grasse (dent).
Gras _(cheveu) => Grasse (assiette).
Gros _(pantalon) => Grosse ( maison).
Roux _(poil) => Rousse (poussière).
Beau _ (livre) => Belle (femme).
Blanc _(sac) => Blanche (table).
Bref _(temps) => Brève (histoire).
Doux _(Sommeil) => Douce (nuit).
il
29Chevalier (J. C.), Benveniste (C.B.) ... [1964] Grammaire du français contemporain, p. 190.

14
Fou _(garçon) => Folle (fille).
Mou _(chapeau => Molle Gambe).
Par ailleurs, il existe un phénomène similaire, notamment la modification
morphologique des adjectifs se terminant par une voyelle ou un "h" muet. Ainsi,
devant un substantif comme Oiseau, l'on aura "bel Oiseau" et non "Beau Oiseau".
C'est également le cas pour les AND Fou et Mou qui se transforment respectivement
en Fol et Mol, suivant les même conditions. Comme nous l'avons souligné dans
l'introduction de ce chapitre, ces considérations peuvent sembler banales.
Cependant, elles représentent une importance capitale quand on sait que la
polysémie est bien souvent liée au critère de l'homographie. Elle résulterait, selon
certains linguistes, de la convergence d'une intégration graphique
de plusieurs unités .30
Or, ces variantes morphologiques, résultat d'une simple flexion, sont sans
conséquence sémantique. Si des phrases nominales comme "Un bel homme" et " Un
homme beau" présentent une différence au niveau de leurs structures syntaxiques,
elles sont, en revanche, sémantiquement équivalentes. Il n'y a donc pas lieu de
considérer ces formes comme des unités lexicales différentes. Toutefois, "on ne niera.
pas leur existence. Lion devra simplement exclure le critère de l'homographie qui ne
se justifie pas au sein des AND.
Après cette brève description des éléments qui permettent de distinguer les
AND des autres adjectifs, nous proposons de les analyser, à présent, sur le plan
syntaxique.
30Dubois (J.) [1966] "La résolution des polysémies dans les textes écrit et structuration de l'énoncé", dans Actes du
premier colloque international de linguistique appliquée, p. 75.

15
....
1
Il. LA STRUCTURE SYNTAXIQUE DES AND
Il. 1. Les types d'adjectif écartés de la recherche
Il existe quatre grandes classes d'adjectifs, à savoir les déterminatifs, les
relationnels, les adjectifs dits localisants et enfin, les qualificatifs, catégorie à laquelle
appartiennent les AND.
En fait, ce sont des classes ouvertes, car selon le rôle des éléments qui les
composent, les adjectifs basculent dans l'une ou l'autre. C'est pourquoi il est important
de déterminer les caractères qui leur sont propres. Cette procédure nous permettra de
singulariser les AND. De même, nous verrons dans le cas d'un changement de classe,
s'il est possible ou non d'intégrer les adjectifs concernés dans notre corpus.
Il. 1. 1. Les adjectifs déterminatifs
~I\\
Les adjectifs déterminatifs, comme leur nom l'indique, jouent dans la phrase le
rôle de déterminants. Ceux dont l'appartenance à cette classe est indéniable sont les
adjectifs possessifs et les démonstratifs.
Considérons, par exemple, les phrases suivantes:
1. Azizah se félicitait de sa nuit sèche. (H. C., Azizah de N., p.153)
2. Ce vent sec et brûlant apportait avec lui l'aridité...
(H. C., Azizah de N. p. 321).
L'on remarque qu'il est possible de remplacer les morphèmes soulignés par les
articles correspondant:
1. Sa nuit sèche ~ ... La nuit sèche.
2. Ce vent sec ~ Un vent sec
La possibilité d'une telle substitution atteste que ces adjectifs sont de véritables
déterminants. Ils sont en cela différents des AND qui ont pour rôle primordial de
caractériser le substantif ou d'attribuer une propriété à un élément présent dans la
phrase. C'est le cas de sèche ou sec que nous avons cités.

16
Par ailleurs, à cette classe de déterminatifs, s'ajoutent les adjectifs numéraux
que nous illustrons par la phrase suivante: _ Chacun des spectateurs voulut voir un
drame de la dernière scène d'une noble vie. (S. de B., La peau de chag. P.10).
Contrairement aux déterminants
que
l'on vient d'analyser,
les
adjectifs
numéraux ont la possibilité de s'ajouter à l'article pour déterminer le substantif. D'où
leur rôle de déterminant complémentaire. Par exemple, dans la phrase ci-dessus,
l'article La et l'adjectif numéral dernière fonctionnent tous les deux comme des
déterminants. L'on pourra donc dire:
... dernière scène d'une noble vie .
... La scène d'un noble vie.
Cependant, il arrive que ces adjectifs, notamment les numéraux ordinaux,
jouent le même rôle qu'un qualificatif. Ils "ne diffèrent que par le sens des adjectifs
qualificatifs, dont ils possèdent tous les caractères morphologiques et syntaxiques".31
C'est ce qu'indique l'exemple suivant que nous empruntons aux auteurs de cette
citation:
" Cet élève est faible (trentième) en thème latin".
Mais malgré la variation de classe de ces adjectifs numéraux ordinaux, nous ne
pouvons les intégrer à notre corpus puisqu'ils dérivent d'autres mots. Leur construction
à partir des suffixes -1er ou -ième en est la preuve.
En outre, ce groupe d'adjectifs n'est pas le seul à être syntaxiquement et
morphologiquement proche des qualificatifs. Il existe également la classe des adjectifs
de relation.
r
J1Chevaiier (J.e.) Benveniste (C.B.) ... [Ed 1988] Grammaire du français contemporain, p.26ü.

17
II. 1. 2. Les acUectifs de relation
Les adjectifs de relation forment une classe, car à la différence des autres, ils
traduisent un rapport entre deux substantifs. Voici leur description syntaxique telle
qu'elle est faite par J. Pinchon :
"Construits sur un substantif, ces adjectifs sont le plus souvent l'équivalent d'un
syntagme nominal formé de la préposition de et du substantif base".32
D'une manière implicite, cette description indique que la préposition de n'est
pas l'unique traduction possible de la relation que ce type d'adjectifs établit entre des
substantifs. En effet, il existe d'autres prépositions comme Pour et même des
propositions relatives qui permettent de traduire ce rapport. 33 C'est ce que nous
voyons à l'exemple suivant : _ Dans cette ville universitaire, il se lie à des
étudiants...(D. C. , L'herbe à brûler, p. 1).
Cette phase est en fait, la transformation de la structure profonde suivante : _ Dans
cette ville qui a plusieurs universités, il se lie à des étudiants ...
"
Cependant, ces pseudo-adjectifs34 fonctionnent parfois comme de véritables
qualificatifs. Et dans ce cas, seule l'impossibilité de les traduire sous la forme d'une
paraphrase prépositionnelle ou relative et de les intégrer dans une structure
prédicative permet de noter la différence. En effet, la structure de surface reste la
même, quel que soit le rôle assigné à l'adjectif. Par exemple, le vocable Population
dans une chanson populaire pourra être considéré comme un qualificatif si la phrase
accepte la transformation suivante : Cette chanson est populaire. Dans le cas
contraire, il sera question d'un adjectif en relation avec le mot Peuple.
32 Pinchon (1.) [1986J Morphosyntaxe du français, p. 27.
33 Riegel (M.) [1985J L'adjectif attribut, p. 113.
34 Bartning (1.) [1976J Remarques sur la syntaxe et la sémantique des pseudo-adjectifs dénominaux en français.

18
Tout comme les adjectifs numéraux ordinaux, les adjectifs relationnels ne
seront pas intégrés à notre corpus. Il est évident que ces derniers sont tous des
adjectifs dérivés. D'ailleurs, le suffixe de dérivation est l'élément qui permet d'affirmer
avec certitude le rapport avec un substantif base. La différence avec les AND ainsi
établie, nous proposons d'analyser la dernière classe d'adjectifs.
II. 1. 3. Les adjectifs localisants
Les localisants sont constitués d'un type particulier d'adjectifs qui traduisent une
relation, non plus avec un substantif comme c'est le cas pour les adjectifs relationnels,
mais avec une situation géographique.
Observons, par exemple, les emplois suivants des adjectifs Central, Gauche et
Droit:
1. (00') du côté du bosquet central (A. K. , Les soleils des ind. , p. 121).
2. Du côté gauche de la route ... (A. K. , Les soleils des ind. , p. 195).
y'
3. La main droite de Muller poussa un nouveau bouton (M. D. , La chaîne, p. 19)
L'on constate qu'il est possible d'intégrer à ces différents emplois, une
proposition relative indiquant une position dans l'espace. Cela nous donne les
transformations suivantes:
1. (... ) du côté du bosquet qui est situé au centre.
2. Du côté qui est situé à gauche de la route (... ).
3. La main de Muller qui est située à droite ...
Elles prouvent donc que la principale caractéristique des adjectifs localisants
est de situer géographiquement le substantif auquel ils se rapportent. Par ailleurs,
pareillement aux classes précédentes, les localisants suivent parfois les mêmes
critères que les adjectifs qualificatifs. Dans ce cas, le changement de classe est
marqué par une variation sémantique et le respect ou non d'une contrainte syntaxique.
r"
,

19
En effet, lorsque ces adjectifs ont une fonction de localisants, ils ne peuvent
faire partie d'une structure prédicative. L'on ne peut avoir par exemple, "Du côté qui
est gauche de la route ... ". Mais quand ils jouent le rôle de qualificatifs, cela est
possible et c'est ce que nous illustrons par la phrase suivante: "... la raie qui divisait
les cheveux était droite (O. C. , L'herbe à brCller, p. 9)
En ce qui concerne le niveau sémantique, disons qu'en tant que localisants, ces
adjectifs n'ont qu'un seul sens chacun. Mais dès l'instant où l'on se trouve devant des
caractérisants, ils deviennent polysémiques. L'adjectif Gauche, par exemple, peut
signifier "Qui s'y prend de travers" , "Qui présente une déviation" ou "Qui est marqué
par maladresse".
Cependant, il ne sera pas pris en compte dans notre analyse et Central non
plus. Le fait qu'il s'agit d'adjectifs dérivés nous oblige à les exclure du groupe des
AND. Aussi, ne retiendrons-nous que l'adjectif Droit qui échappe au phénomène de la
dérivation. Malheureusement, cette intégration risque de multiplier les difficultés que
l'on rencontrera dans la levée des ambivalences polysémiques, car l'on devra fournir
\\'
les indices permettant de prédire le sens contextuel de Droit assumant le rôle d'un
adjectif qualificatif, en tenant compte des critères que ce dernier suit en fonction de
localisant.
En fin de compte, tous ces faits que l'on vient de décrire posent les qualificatifs
comme la classe la plus ouverte, voire même la seule. Le fait est qu'il suffit qu'un mot
se comporte syntaxiquement et morphologiquement comme un qualificatif pour qu'on
le considère comme tel.
Après cette analyse morphologique, jetons à présent un regard sur les critères
syntaxiques qui distinguent les AND des types d'adjectif écartés de la recherche.

20
II. 2. Les différentes fonctions des adjectifs qualificatifs
II. 2. 1. Les adjectifs épithètes
La fonction épithètes se caractérise par la construction directe des adjectifs
qualificatifs avec les substantifs auxquels ils se rapportent. Nous le voyons à travers
les exemples suivants:
1.... ces [hommes] larges et massifs se sont soudainement lassés ...
(Libération, 28 Mars 1990, p. 30).
2. C'est pour ajouter aussitôt qu'elle fut une noble [enfant] ...
(Le nouvel Obs. , n01349, p. 132).
La juxtaposition des adjectifs aux substantifs atteste de l'absence de mot
précisant le lien entre eux. Dans ce cas, la structure adjectivale est ainsi schématisée:
[(Dét)+S+AD..I] ou [(Dét)+ ADJ+S].35
Par ailleurs, ces structures indiquent qu'en fonction épithète, l'adjectif n'occupe
'r
pas nécessairement la même place par rapport au substantif qu'il qualifie. Les
adjectifs larges et noble, par exemple, sont situés respectivement après et devant le
substantif. Il est évident qu'en dehors de toute considération d'ordre sémantique,
comme c'est le cas ici, le phénomène de la place ne présente aucun intérêt.
35Yoir J'index des symboles.

21
II. 2. 2. Les adjectifs attributs
Les adjectifs attributs, au contraire des épithètes, reçoivent une distribution
verbale. Nous voulons signifier ainsi le fait qu'ils sont introduits dans la phrase, soit par
la copule "être",36 soit par un copulatif. C'est ce qu'indiquent les exemples ci-dessous:
1. Comme cet homme était grand! (H
C., Azizah de N. , p. 10).
2....Ia face d'Amédée était devenue gl~~se. (H. C. , Azizah de N. , p. 197).
Autrement dit, le lien entre le subs:rantif et l'adjectif s'établit par l'intermédiaire
d'un verbe. D'où la structure suivante:
SA <=> [(Dét)+S+Verbe +ADJ].37
L'on a pu remarquer que nous avons préféré, dans le schéma de la structure
prédicative des adjectifs, le terme "Verbe" à "Copule" ou "Copulatif'. En effet, il arrive
fréquemment que le lien entre le substanL ~ et l'adjectif s'établisse grâce à un verbe qui
n'est ni la copule être, ni un copulatif.
Considérons par exemple, la phrase suivante
Les hanches se décollaient,
l
s'ouvraient noires (A. K. , Les soleils desnd. , p. 73).
Nous avons choisi une phrase proouite par un auteur africain qui plie la langue
française au gré des exigences de sa ::>ropre langue,38 afin de mieux montrer les
difficultés que l'on rencontre parfois dans ,'analyse des fonctions adjectivales.
L'on constate que l'observation d'·..Jne pause après la verbe s'ouvrir aurait pu
(nous le verrons avec les adjectifs appcsés) conduire au choix d'une fonction autre
qu'attribut. Mais l'absence d'une virgule cevant l'adjectif noires nous permet de penser
que ce n'est pas le cas.
36 Riegel (M.) [1985], ibid, p. 31.
37Le substantif n'est pas la seule unité lexicale caracr~:sée par les adjecti fs. Il arri\\~ qu'ils soient attribués à des
pronoms. Nous ne les avons pas mentionnés, car ii:::. ne xuvent nous servir dans la levée des ambivalences
polysém iques (Ch. V, II. 1.).
.
38Kourouma (A.) [1970] Les soleils des indépendance...::

22
Pour définir avec certitude la fonction qu'il assume dans cet exemple, nous
suggérons d'observer les transformations suivantes:
1. Les hanches se décollaient et les hanches s'ouvraient noires.
2. Les hanches qui étaient noires, se décollaient et s'ouvraient.
Ces deux phrases ne sont pas sémantiquement équivalentes, car contrairement
à la seconde, la première indique un processus à travers les verbes se décoller et
s'ouvrir. C'est pourquoi, nous éliminons la présentation statique que donne la copule
être de la caractérisation dans la seconde transformation. Nous pensons que la
phrase a en fait, un rapport avec celle-ci:
Les hanches devenaient noires quand elles se décollaient et s'ouvraient. Cela
permet de poser définitivement noires comme attribut du sujet.
Pour finir, remarquons que l'emploi de ces verbes qui ne doivent rien à la
copule être39 peut se relever très important dans le cadre de la résolution des
polysémies. L'on essaiera donc de les exploiter.
A ces deux fonctions que nous avons distinguées, s'ajoute celle des adjectifs
\\
apposés.
II. 2. 3. Les adjectifs apposés
Lorsque l'adjectif se détache du substantif auquel il se rapporte par une virgule
ou un tiret, l'on dit qu'il assume la fonction appositive. C'est ce que nous illustrons par
l'exemple suivant:
_J'en ai connu des jours, tous noirs, pas à prendre avec des pincettes.
(J. C. , La dérobade, p. 445).
Cependant, remarquons que l'idée de la pause marquée par la virgule ne suffit
pas. Observons, par exemple, les phrase ci-dessous:
1.... Nous sommes dans une saison unique, chaude, monotone.(M. D. ,
L'amant, p. 11).
3~OUS faisons allusion aux copulatifs, comme "devenir", "sembler" qui traduisent des modalités de la copule
'r
Etre.
\\

23
2. Son cerveau frémissait, léger comme une pelote de duvet. (O. C. ,L'herbe à
brûler, p. 42)
Etant admis que la fonction appositive est issue de la relative explicative, 40
nous proposons d'introduire une proposition de la même nature au sein du syntagme
adjectival de ces phrases, y compris la précédente:
1
Nous sommes dans une saison unique, qui est chaude, monotone.
2
Nous sommes dans une saison qui est unique, qui est chaude, qui est
monotone.
3. son cerveau, qui était léger comme une pelote, frémissait.
4. J'en ai connu des jours, qui étaient tout noirs...
L'idée d'un simple détachement de l'adjectif qualificatif du nom ne suffit pas, car
pour d'autres raisons comme la coordination, il peut se trouver en incise. C'est le cas
illustré par exemple 1.
Par ailleurs, les transformations
que
nous avons
faites
indiquent que
l'existence, en structure profonde, d'une relative explicative est un critère plus
y
déterminant que le précédent. En effet, si l'adjonction de la relative paraît possible
pour les transformations 3 et 4, elle est en revanche superflue au niveau de l'exemple
n0 1. Quant à la deuxième transformation, elle indique plutôt la possibilité d'insertion
d'une proposition relative déterminative et non explicative. Ce qui prouve qu'il ne s'agit
pas d'un adjectif apposé, mais bien d'une épithète. Chaude est simplement coordonné
aux autres adjectifs qui caractérisent également le substantif dans cette phrase.
En outre, l'on doit noter que la fonction appositive n'apparaît pas toujours sous
cette forme. En effet, quand l'adjectif caractérise un pronom indéfini, on peut le
considérer comme apposé, même si dans ce cas, la relation entre les deux
composants est différemment traduite. La phrase qui suit est un exemple de ce type
de construction :,..une espèce de no man's land oü rien de grave ne pouvait lui
arriver... (F. P. ,L'amour nu, p. 145).
4°Oubois (J.) & Lagane CR.) [1973] La nouvelle grammaire du français, p. \\06.

24
L'on constate que le qualificatif se rapporte au pronom par l'intermédiaire de la
préposition de. Cependant, cette structure adjectivale ne sera pas traitée pour la
raison suivante: il est difficile de catégoriser les pronoms indéfinis dans un contexte
restreint. Dans une phrase comme Quelque chose de rond et de plat '" , rien ne laisse
envisager la nature du caractérisé. Or, celle-ci est essentielle dans la levée des
ambivalences polysémiques.
En fin de compte, il existe trois fonctions adjectivales : l'épithète, l'attribut et
l'appositive. Elles se distinguent les unes des autres par le type de structure
syntaxique qui intègre l'adjectif qualificatif.
A propos de la structure adjectivale, il est important de souligner qu'elle ne se
limite pas aux composants que nous avons analysés, à savoir le substantif ou .le
pronom, le verbe et le qualificatif. Il existe également d'autres éléments qui constituent
ce qu'on appelle généralement une expansion.
II. 3. Les expansions adjectivales
r\\
II. 3. 1. L'expansion de l'adjectif par un adverbe
Parmi les différentes formes d'emploi subies par les adjectifs qualificatifs dans
le discours, il faut noter la présence d'un ou de plusieurs adverbes devant ces
derniers. Autrement dit, le groupe adjectival peut comprendre un composant adverbial.
Par ailleurs, ces adverbes qui intègrent parfois la structure adjectivale sont de
plusieurs natures.

25
1/. 3. 1. 1. Les adverbes de degré
Les adjectifs qualificatifs, dans ce cas, sont précédés de trois types d'adverbe:
les adverbes d'intensité, de quantité ou de manière, respectivement illustrés par les
phrases ci-dessous :
1. Vous courez un risque très grave. (F. P. , l'amour nu, p. 150).
2. Ce serait un coup trop dur...(R. O. K. , Lérionka écol. Mas., p. 13).
3. Les herbes d'eau salée sont bien grasses. (1. M. , Le pain des pauvres, p. 245).
En réalité, la question est de savoir si ces différents adverbes modifient le sens
des adjectifs auxquels ils se rapportent. C'est le seul procédé à suivre pour tester le
caractère déterminant ou non du composant adverbial dans la résolution des
polysémies adjectivales.
En effet, l'on est forcé de reconnaître que l'adverbe modifie l'adjectif qualificatif,
car il lui ajoute une valeur intensive quelle que soit sa nature.41 C'est pourquoi la
phrase n° 2, par exemple, ne peut être l'équivalente de celle-ci: Ce serait un coup dur.
y
Cependant, que l'adjectif soit intensifié ou non, cela ne change rien à son sens.
Ce qui veut dire que la modification occasionnée par l'adverbe est une question de
modalité et non de sens. Le sens de grave dans le premier contexte sera toujours le
même, qu'il soit précédé ou non de bien, assez ... Et même dans le cas où la
qualification est niée (lorsque l'adjectif est précédé d'un adverbe de négation), nous
sommes toujours d'accord pour dire que le sens ne varie pas. C'est uniquement la
manière dont on conçoit ce dernier qui change. D'ailleurs, nous verrons que les autres
types d'adverbe, notamment les comparatifs, suivent le même comportement.
41Chevalier (1 c.) & Benveniste (C.B.), ... ibid, p. 78.

26
II. 3. 1. 2. Les adverbes de comparaison
Contrairement aux adverbes que nous avons précédemment analysés, les
comparatifs ont la particularité d'établir un rapport d'identité, d'infériorité ou de
supériorité entre le substantif caractérisé et un autre. Pour élucider ces différents
rapports, nous proposons l'analyse des phrases suivantes:
1.... Une pratique médicale, aussi lourde que l'assistance publique de Paris. (Le
Monde, 30 Janv. ,1990, p. 2).
2. L'épiderme était lisse comme du vinyle. (P. B. , Les dents de la mer, p. 289).
3.... Et mes arguments d'habitude si convainquants sont plus légers qu'un sac de
plumes. (J .C. , La dérobade, p. 274).
Ces exemples, analysés par segmentation, peuvent être traduits de la manière
suivante:
Ex 1 : une pratique médicale lourde.
: L'assistance publique de Paris est lourde.
~~
\\
Ex 2 : L'épiderme était lisse.
: Le vi nyle est lisse.
Ex 3 : Un sac de plumes est léger.
: Et mes arguments ... sont plus légers.
Cette transformation des exemples en plusieurs phrases atteste que les
adverbes aussi et comme mettent en rapport deux éléments dont le sème commun est
le qualificatif.
Cela est également valable pour le troisième exemple, même si la
présence du comparatif de supériorité plus rend cette identité de sèmes imparfaite.
Par ailleurs, les comparatifs ajoutent à l'adjectif une valeur intensive, pareillement aux
adverbes de degré.
En effet, la comparaison du substantif caractérisé à un autre substantif auquel
le quali'ficatif semble adhérer comme une épithète de nature ne peut que renforcer la
caractérisation. Que le vinyle soit qualifié de lisse ou qu'un sac de plumes soit léger

27
paraît indiscutable. Ainsi, le parallèle avec une autre qualification attribue à celle-ci la
même qualité. Cela signifie donc que les comparatifs ajoutent une certaine valeur à
l'adjectif sans pour autant changer son sens. Aussi, ne retiendrons-nous pas la
structure suivante:
[(Dét)+S+Adv+Adj].
Mais le problème se pose différemment lorsque l'expansion adjectivale
comprend un groupe prépositionnel.
II. 3. 2. L'expansion de l'adjectif par un GP
Les adjectifs qualificatifs ont parfois une structure syntaxique semblable à celle
du verbe. En effet, ils peuvent avoir une expansion sous la forme d'un groupe
prépositionnel, d'une proposition subordonnée ou d'une infinitive. Les phrases qui
suivent témoignent de ces différentes structures:
1. Juste une mise en garde lourde de sens ...
,--\\
(Libération, 15 Janvier, 1990, p. 23).
2. Je suis sûre que tu l'aimeras. (R. O. K. , Lérionka écol. Mas. , p. 62).
3. Je ne suis pas sûre de pouvoir me débrouiller dans une ville inconnue". (A,
L'herbe bleue, p.26).
Si l'on admet qu'il est possible de substituer aux propositions infinitives ou
introduites par que une préposition et un substantif objet (dans les cas analysés ci-
dessus précisément), alors on peut tout a fait concevoir que ces différentes formes
soient regroupées par la structure:
(Dét)
S
+
+ (V) + GP
Pron
En réalité, les deux derniers exemples sont le résultat de la concaténation de
deux phrases dont la principale peut être traduite par "je suis sûre de cela" ou je ne
suis pas sûre de cela". Cela prouve que l'expansion adjectivale sous forme de

28
proposition peut être intégrée par cette structure. Nous pouvons donc nous intéresser
uniquement aux expansions moyennant un GP.
II. 3. 2. 1. Le GP de type circonstanciel
Le GP de type circonstanciel est celui que l'on retrouve dans l'expansion des
adjectifs qui, en général, n'admettent pas de complément. 42 Il s'agit des adj~:;tifs
comme Faible que l'on retrouve dans la phrase ci-dessous:
_Marmelov se montra infiniment plus faible des jambes que de la langue.
(F .0., Crime et Châtim., p.35).
Soit cette autre phrase qui résulte de l'effacement du groupe prépositicr.lnel
présent dans l'environnement de l'adjectif:
_Marmelov se montra infiniment plus faible.
En dehors de toute information supplémentaire, l'adjectif faible accepte deux
sémèmes différents: "Qui manque de vigueur physique" et "Qui manque de force
r
morale".
Par ailleurs, la possibilité de choisir les deux sens à la fois prouve deux
éléments essentiels: d'une part, elle montre l'importance du GP d'autant plus que sa
présence précise le sens que l'on doit assigner à l'adjectif. Il est évident que ., 'être
faible des jambes" ne peut signifier "manquer de force morale". D'autre part, elle
atteste que le premier sens, c'est-à-dire celui qui traduit un "manque de vigllJeur
physique", peut être envisagé dans les deux cas. Autrement dit, que la phrasE": soit
réduite ou non, il est toujours présent. Cela montre, par conséquent, que le GP a une
valeur circonstancielle.
Cependant,
le
fait
qu'il
apporte
une
information
importante
dans
la
compréhension du sens de l'adjectif suffit pour que l'on en tienne compte dams la
résolution des polysémies. D'ailleurs, il serait difficile d'agir autrement, car la plupart
42 Le Goffic (P.) & Combe (N.)[J975] Les constructions fondamentales du français, p. 138

29
des adjectifs non dérivés sont susceptibles d'avoir une expansion sous la forme d'un
GP. Nous avons des exemples comme ' ... grand de taille", "haut de taille" (G.F.,
Madame Bovary, p. 10) ou des phrases aussi surprenantes que celle-ci: ... des
fauteuils doux à s'asseoir. .. (H.C., Azizah de N. p. 36).
Ce n'est pas la douceur des fauteuils au toucher qui est jugée pertinente, mais le
plaisir que l'on ressent en s'y asseyant. Dans ce cas, l'expansion transpose la
caractérisation. Nous en arrivons ainsi au deuxième type de GP.
II. 3. 2. 2. Le GP de type déterminatif
" existe deux types d'adjectif susceptibles d'avoir pour expansion un GP à
valeur déterminative: le premier groupe établit un rapport intrinsèque avec le groupe
prépositionnel. C'est le type d'adjectifs comme cher que l'on retrouve dans l'exemple
suivant: Metz, ville d'ouverture chère à Rocard ... (Libération, 23 Janvier 1990, p. 6).
\\'
Pour montrer la valeur déterminative du groupe prépositionnel, il suffit
d'observer le résultat de sa suppression dans la phrase. En effet, "Metz, ville
d'ouverture chère" est sémantiquement différente de la phrase précédante. Pour la
première, il s'agit d'attachement ou d'affection pour l'objet caractérisé ville. La
seconde, en revanche, est en rapport avec le sens suivant: "Qui exige de grandes
dépenses" .
Cette différence sémantique prouve que l'expansion sous forme de GP peut
participer de la construction du sens de l'adjectif. C'est également ce que confirment
les propos suivants de M. Bréal concernant le comportement sémantique du
complément verbal: "le sens du complément rentre alors, en quelque sorte dans le
verbe et lui donne une signification tout à fait caractéristique".43
43Bréal (M.), op. ci t, p. 169.

30
~...
\\
Ce type de GP est déterminatif, non seulement parce qu'il est l'expression
d'une variation sémantique, mais parce qu'il semble inhérent à la structure même de
l'adjectif.
Quant au second groupe d'adjectifs, sa différence avec ceux qui précèdent se
limite au fait que son expansion est, en général, de type circonstanciel. 44
En effet, il arrive que pour ce type d'adjectifs, l'expansion reflète également un
véritable changement de sens. C'est ce cas que nous illustrons par les exemples
suivants:
1. ... Le même calme gros régnait dans les principales villes de province.
(Libération, 23 Janvier 1990, p. 19).
2.... Le même gros calme régnait dans les principales villes de province.
Lorsque l'adjectif Gros a une expansion, il signifie que le substantif complément
est en germe ou en puissance (cf Ex. 1). Au contraire, quand il est sans expansion
(cf Ex. 2), il signifie "Qui est considérable ou important". Ainsi, même pour ce type
d'adjectifs, l'expansion ne précise pas seulement le sens, elle le détermine également.
~
Pour finir, disons que quelle que soit la valeur du GP, le sens de l'adjectif
semble se figer à travers les diverses expansions qu'il occasionne. C'est une qualité
qui nous servira donc dans la levée des ambivalences polysémiques.
Etant donné que nous nous limitons, pour l'instant, à la justification du choix des
éléments susceptibles de nous intéresser dans cette perspective, nous ne pouvons
nous soustraire à la question non moins importante de la dérivation impropre.
44Cf. II. 3. 2. 1.

31
Il. 4. La dérivation impropre des adjectifs non dérivés
L'on a pu constater que nos différentes analyses ont été essentiellement axées
sur les adjectifs assumant pleinement leur rôle de qualificatif.
Or, il arrive fréquemment que ces adjectifs assument d'autres fonctions comme
celles d'un substantif ou d'un adverbe, et c'est cette tendance des mots à passer
d'une catégorie grammaticale à une autre que l'on appelle la dérÎvation impropre ou
encore le translation.
Comme nous venons de le mentionner, cette dernière s'effectue à travers deux
catégories grammaticales en ce qui concerne les adjectifs qualificatifs.
II. 4. 1. Dérivation de l'adjectif en substantif
La substantivation de l'adjectif se manifeste dans la phrase par le fait qu'il est
précédé d'un déterminant. C'est le cas de l'AND Gros dans l'exemple suivant: ... Ie
l,
gros de sa carrière était derrière lui. (M.D., la chaîne, p. 182).
"
En effet, dans un tel contexte, l'adjectif revêt toutes les caractéristiques du
substantif. Il est non seulement présenté par un déterminant (l'article le dans
exemple), mais il sert aussi de support à la prédication ou à une proposition
quelconque. Ainsi, l'adjectif quitte son statut de composant accessoire ou secondaire
pour devenir essentiel dans la phrase. C'est ce fait que traduisent les manipulations ci-
dessous:
1. Une grosse partie de sa carrière était derrière lui.
2. une partie de sa carrière était derrière lui.
3. le gros de sa carrière était derrière lui.
4. *Le de sa carrière était derrière lui.
Le caractère anormal de la dernière phrase montre bien que substantivé,
l'adjectif adhère véritablement à la catégorie du substantif. Il ne peut donc être effacé
sans conséquence.

32
Par ailleurs,
il est important de noter l'existence de deux formes de
substantivation. La première procède par effacement du substantif caractérisé. C'est
souvent le cas lorsque l'on veut éviter une certaine redondance dans l'énoncé.
Observons, par exemple, l'énoncé ci-dessous:
Là, apparaissent divers cieux: Le tourmenté par le vent (... ), le bas ... (A. K., Les
soleils des ind., p. 19).
Visiblement, cet exemple a subi plusieurs effacements que l'on peut sans peine
restituer:
Là, apparaissent plusieurs cieux: Le ciel tourmenté par le vent (... ), Le ciel bas ...
Dans cette forme de substantivation, l'adjectif n'a qu'un point commun avec le
substantif: le niveau syntaxique. En effet, l'on sait que le propre du substantif est de
désigner une substance, un objet ou un être. Or, l'adjectif substantivé par effacement
conserve sa propriété de caractérisant. Ainsi, "le bas", dans l'exemple ci-dessus, ne
désigne pas vraiment un objet, mais la qualité qui s'y rattache. Doit-on en tenir compte
dans la résolution des polysémies?
\\
Nous craignons qu'il faille renoncer aux structures de cette nature, car
l'absence du substantif caractérisé risque d'être un problème dans la détermination du
sens des AND. D'une certaine façon, ces structures ne sont pas véritablement exclues
puisque les cas où les substantifs sont effacés et ceux dans lesquels ils sont
exprimés, sont sémantiquement équivalents.
Quant à la deuxième forme de substantivation, elle peut être illustrée par
l'exemple suivant: \\1 était d'un blanc si pur que par comparaison, les hommes qui se
disent Blancs paraissent plutôt sales. (H.C., Azizah de N., p. 36).
Contrairement à l'exemple précédent, blanc peut être défini sans référence à un
substantif potentiel. Dans ce cas, il désigne précisément une couleur et quand il
apparaît comme un nom propre (cf. Le deuxième Blancs), il fait référence à un être de
race blanche. L'on peut dire, par conséquent, que cette forme de substantivation pose
la qualité exprimée par l'adjectif comme une notion abstraite. Présenté ainsi, il

33
converge sous tous les angles avec le substantif. Notre but étant d'analyser la
polysémie telle qu'elle se manifeste au sein de la catégorie adjectivale, l'élimination de
ce type de contexte paraît tout à fait légitime.
D'ailleurs, la polysémie paraît inexistante dans cette forme de substantivation.
Nous ne voulons pas dire que le substantif échappe au phénomène de la polysémie,
d'autant plus que des analyses ont déjà prouvé qu'une telle affirmation serait
erronée45. Cependant, dans le cas des adjectifs, la substantivation donne l'impression
de figer leur sens.
A ce type de dérivation, il faut ajouter la transformation de l'adjectif en adverbe.
II. 4. 2. Dérivation de l'adjectif en adverbe
Lorsqu'il assume la fonction d'un adverbe, l'adjectif n'est plus incident au
substantif6, mais à un verbe ou un autre adjectif. C'est ce fait que nous illustrons par
les exemples suivants:
1. Un vent fort souffla plus dru la puanteur.
(A. K., Les soleils des ind. P. 121).
2. On traversait d'abord la salle à manger, fort simple ...
(P.M., CololTlba, p. XXXI).
Pour se convaincre du rôle adverbial de l'adjectif, il suffit de le remplacer par un
adverbe qui lui correspond sémantiquement. Ainsi, l'on a pour les phrases ci-dessus,
les substitutions suivantes:
1. Un vent plus fort souffla plus vigoureusement la puanteur.
2. On traversait d'abord la salle à manger, très simple ...
45Martin (R.) [1983J Pour une logique du sens, pp. 64- 74.
46Guillaume (G.) [1973J Langage et science du 'an,~, p. ~--

34
Ces substitutions n'entraînent aucune conséquence sémantique ou syntaxique,
car l'adjectif fonctionne dans ces contextes comme un véritable adverbe. D'ailleurs,
face à ce type d'emplois, l'on n'a pas le sentiment qu'il s'agit d'adjectifs. sans doute
parce ce qu'ils suivent des critères normalement spécifiques aux adverbes.
A ce changement d'incidence de l'adjectif, s'ajoute son caractère invariable. En
effet, quand il joue le rôle d'un adverbe, l'adjectif échappe au phénomène de l'accord.
C'est pourquoi l'adjectif Fort dans l'exemple n02 n'est pas accordé. Nous rappelons
que c'est un critère qui est propre à la catégorie de l'adverbe et non à celle des
adjectifs qualificatifs. A ce propos, l'on pourra se référer à l'étude fort enrichissante de
L. Ottogrundt que nous avons déjà citée. 47
Autrement dit, ces faits suffisent à exclure ce type de contextes du traitement
que l'on voudrait faire de l'adjectif, car les différents sens que nous analyserons sont
ceux que recouvre l'adjectif en tant que qualificatif uniquement.
Cependant, l'on doit prendre garde à ne pas confondre le fonctionnement de
l'adjectif en tant qu'adverbe et la valeur adverbiale qu'il peut avoir dans certains
~.
emplois.
Observons, par exemple, les phrases suivantes:
1. On parle toujours des grands mutilés, des grands invalides de guerre ...
(J. C.. , La dérobade, p. 501).'
2. Deux morts, deux blessés graves.
(Libération, 5 Février 1990, p. 22).
" faut remarquer que ces qualificatifs se rapportent à des adjectifs substantivés.
L'intérêt d'une telle remarque réside en ce que, dans un tel cas, l'on peut dire que
l'adjectif s'applique à une autre caractéristique et non à une substance. Pour être plus
claire, nous proposons le schéma suivant:
470ttogrundt (L.) [1972], ibid.

35
" " ' d ! l f - - - - - - - - - [La classe des hommes]
\\+-+-------- [La classe des mutilés et des invalides]
ou
[La classe des blessés graves]
" " ' - - - - - - - [La classe des grands mutilés, des grands invalides]
ou
[La classe des blessés graves]
Nous voulons montrer, à travers ce schéma, que l'adjectif peut permettre de
souligner le degré de pertinence d'une caractérisation, tout comme l'adverbe.
D'ailleurs,
les
transformations
suivantes
de
ces
deux
phrases
sont
assez
r'
significatives:
1. On parle toujours des personnes fortement mutilées ... "
2. Deux morts et deux hommes grièvement blessés.
Ces phrases et les précédentes sont sémantiquement équivalentes, à cause de
la valeur adverbiale des adjectifs. Ils ont une valeur intensive que nous avons traduite
dans les deux dernières phrases par des adverbes de manière. E. Faucher a d'ailleurs
tenté de démontrer que dans ce type d'emplois, ces adjectifs n'agissent plus comme
des qualificatifs, mais comme des classificateurs dichotomiques48.
Toutefois, contrairement aux contextes analysés précédemment, ceux-ci ne peuvent
être considérés
comme spécifiques aux adverbes.
Ces adjectifs y assument
pleinement leur rôle de caractérisant malgré cette valeur adverbiale qu'on leur
attribue. Aussi, figureront-il parmi les contextes adjectivaux que nous aurons à
analyser.
48Faucher (E.) [1971] "La place de l'adjectif Critique de la notion d'épithète" dans Le Français Moderne, 39,
n04,p.121.

36
D'une certaine manière, nous venons de définir l'objet de notre étude à travers
cette approche morphosyntaxique des adjectifs non dérivés, en particulier, et des
qualificatifs, en général. Cependant, cette définition pourrait paraître incomplète si l'on
ne tente pas une approche sémantique de la question adjectivale.
III. L'ADJECTIF QUALIFICATIF COMME MOT DE QUALITE
D'un point de vue sémantique, l'adjectif qualificatif est généralement défini
comme un mot indiquant une "propriété, une qualité de l'être ou de la chose désignée
par le nom".49
Cela implique que Je rapport qui existe entre l'adjectif et le substantif se situe
non seulement au niveau syntaxique, mais également sur le plan sémantique.
Considérons, par exemple, les définitions des AND Bon et Grand que l'on
retrouve dans les phrases suivantes:
1. ... Ies bons livres se lisent toute l'année. (Le nouvel Obs., n01349, p. 98).
2. Un grand Nègre vêtu d'un imperméable ...
(S. de B., La femme rompue, p. 12).
Bon: "Qui a les qualités utiles qu'on attend".
Grand: "Dont la taille dépasse la moyenne".
En général, tout le système définitoire des adjectifs quali'f1catifs est ainsi
construit: il comprend d'abord l'utilisation d'un pronom relatif qui renvoie au substantif
caractérisé. Ensuite, la présence d'un verbe indiquant la nature de la qualité exprimée
et enfin, la formulation de la propriété distinctive qui fait l'objet de la caractérisation. Et
même les définitions qui semble échapper à ce schéma, comme c'est le cas pour celle
de Grand ci-dessus, peuvent y être intégrées. 1/ suffit pour cela de les redéfinir: le
sens de Grand ~"Qui a une taille dépassant la moyenne".
490ubois (1.) & Lagane (R.), op cit, p. 105.

37
Cette dépendance sémantique transparaît donc dans le mode de définition des
adjectifs. Cela est tout à fait logique, puisqu'ils disent quelque chose du substantif
qu'ils caractérisent.
Par ailleurs, lorsque J'on parle de qualité exprimée par l'adjectif, l'on se réfère à
une couleur, une forme et une manière d'être. Cependant, cette conception ne résiste
pas aux faits. C'est pourquoi il est important de faire la distinction entre les adjectifs
qui expriment véritablement une qualité et ceux qui indiquent d'autres réalités.
III. 1. Les qualités inhérentes au substantif
La plupart des adjectifs qualificatifs expriment une propriété faisant partie de la
constitution de l'objet désigné par le substantif, qu'elle soit circonstancielle ou
naturelle.
~.,
En effet, les choses ou les êtres s'offrent à nous par une certaine couleur, des
dimensions ou des mesures précises, une certaine forme et un contenu. A. Ceccato y
ajoute même le caractère pluriel ou singulier de l'objet. 5o
Dès lors que l'on admet que la caractérisation ou la qualification réside dans
l'intention de l'esprit qui classe ces éléments constitutifs dans "des catégories de
valeurs morales ou esthétiques ou simplement descriptives,51 on peut conclure que les
qualités exprimées sont normalement inhérentes à l'objet désigné par le substantif.
Les exemples les plus significatifs sont représentés par les épithètes de nature
comme "sang rouge" et "corbeau noir'.52 Dans de tels contextes, la qualité exprimée
par l'adjectif paraît essentielle dans la définition du substantif caractérisé. C'est ce
qu'indique, par exemple celle du sang: "Liquide visqueux, de couleur rouge qui circule
dans les vaisseaux ... "
50Ceccato (A.) [1966] "Interventions préparées sur le rapport de 1. Dubois" dans Actes du premier colloque
international de linguistique appliquée, op cit, p. 93.
51 Cressot (M.) [1971] Le style et ses techniques, p. 125.
52F. Rastier utilise cet exemple également pour illustrer la nature des "sèmes afférents" dans Rastier (F.) [1989]
sens et textualité, p. 280.
r-\\

38
Quant aux autres types de quali'f1cation, ils sont certes variables, mais ils
présentent également la propriété comme étant indissociable du substantif. Ainsi, un
homme est grand par sa taille ou par son esprit, noir par sa couleur, rond par ses
formes, .. etc.
Par ailleurs, le caractère inhérent de la qualité traduite par les adjectifs se
manifeste à travers le choix des verbes servant à les définir. Il s'agit, en général, du
verbe avoir signifiant "présenter en soi" et de verbes indiquant une manière d'être
comme "manquer de quelque chose" (dans "un homme dur', "une assiette plate") ou
simplement un état.
Par exemple, les adjectifs duret plat, dans les emplois ci-dessus, se dé'flnissent
de la manière suivante:
. Our <=::> "Qui manque de cœur"
Plat <i===:> "Qui manque de profondeur"
Ces deux définitions peuvent être retraduites par "Qui n'a pas de cœur" et "Qui
n'a pas de fond". Cela signifie donc que d'une certaine manière, la qualité exprimée
~.
par les adjectifs est intrinsèque aux substantifs. Mais pour d'autres adjectifs, l'idée
même de "Qualité" est difficilement défendable.
III. 2. Caractéristiques intrinsèques au substantif
Certains adjectifs, bien qu'étant définissables par le verbe avoir, ne traduisent
pas pour autant des qualités intrinsèques aux substantifs qu'ils caractérisent. Nous
voulons parler des adjectifs comme Riche ou Pauvre, utilisés dans les contextes
suivants:
Un riche industriel.
_Une femme pauvre.
Nous proposons de revenir aux définitions des adjectifs, lesquelles sont
révélatrices de la nature de la caractérisation:
Riche
<=> "Qui a de la fortune".
Pauvre <=> "Qui n'a pas le strict nécessaire".

39
La possession ou l'absence de bien matériels peut être considérée comme une
caractéristique distinctive, mais certainement pas comme une qualité. En effet, ces
adjectifs indiquent un "avoir" (qui se réduit à zéro pour l'adjectif Pauvre) et non une
manière d'être. Cela suppose donc que l'idée de qualité ne peut convenir dans ce cas.
Par ailleurs, il existe aussi des adjectifs qui indiquent la nature d'une relation
entre le substantif caractérisé et l'élément qui le détermine. C'est le cas représenté par
les adjectifs Propre et Cher que l'on retrouve dans les contextes suivants:
1.... mon propre frère, ma propre mère me préfèrent mon ex-mari. (S. de B., La
femme rompue, p. 88).
2. Mes biens chers frères drogués. (Libération, 5 Février 1990, p. 37).
Propre traduit le caractère exclusif de l'appartenance déjà souligné par l'emploi
des adjectifs possessifs mon et ma53. Ainsi, cet adjectif n'indique pas une qualité
spéci'f1que à frère ou mère, mais une propriété attachée à leur relation avec un autre
substantif.
Quant à cher, il indique dans le contexte ci-dessus un sentiment d'affection vive
f
pour le référent désigné par le substantif. Cela implique donc que la caractérisation
n'est pas liée au référent lui-même, mais à un mouvement externe qui prend en
compte ces relations avec d'autres êtres au d'autres objets. C'est également ce que
nous avons tenté de montrer avec l'AND Propre.
Même si "on nous fait faussement miroiter cette relation comme une qualité",54
la différence est nettement perceptible au niveau de certaines définitions. Elles
prouvent que ces qualités ne sont pas nécessaires à l'identification de l'objet désigné
par le substantif caractérisé.
53Faucher (E.), ibid, p. 120.
54Leisi (E.) [1981] Le contenu du mot pA.

40
Au terme de ce chapitre sur les AND, retenons les faits suivants: notre étude
se fonde sur un groupe d'adjectifs dont la particularité réside en ce qu'ils sont
"primaires".
Par ailleurs, chaque structure adjectivale est tributaire de la fonction assumée
par l'adjectif. Juxtaposé au nom, lié à ce dernier par l'intermédiaire d'un verbe ou
séparé par des virgules, telles sont les marques des différentes fonctions adjectivales.
Mais, en structure profonde, l'on tiendra compte de deux formes de distribution: une
distribution nominale pour les adjectifs épithètes et une distribution verbale pour les
attributs et apposés42. Dans l'optique de la levée des ambivalences polysémiques, la
structure réelle des expressions analysées est plus révélatrice que celle qui est en
surface.
En outre, ces structures peuvent s'enrichir de plusieurs composants. Mais le
plus important, d'un point de vue sémantique, semble être le GP. En effet, dans
certains cas, il s'intègre parfaitement à la structure interne de l'adjectif, fonctionnant
ainsi comme les verbes intransitifs. L'on devra donc tester son caractère opérationnel
dans la sélection des différents sens des AND, lesquels semblent considérables.
En effet, même si certaines formes de caractérisation ne décrivent pas une
"manière d'être", il n'en demeure pas moins que l'adjectif est, en général, un mot de
qualité. Ce qui nous amène à nous demander si ce statut sémantique et le rapport
étroit qui existe entre "Adjectif' et "Substantif' ne prédisposent pas particulièrement
les AND au phénomène de la polysémie. Nous en arrivons ainsi au deuxième chapitre
de notre travail.
42Nous avons montré en 2. 2. 3. que les adjectifs apposés sont issus d'une relative explicative. Ce qui explique une
structure attributive.

41
DEUXIEME CHAPITRE
LES PROPRIETES DES ADJECTIFS NON DERIVES GENERATRICES DE
POLYSEMIE
Ce second chapitre sera consacré aux fondements
linguistiques de la
polysémie, aussi bien d'un point de vue général qu'au niveau des adjectifs non dérivés
en particulier.
En effet, de nombreux linguistes s'accordent pour voir en l'arbitraire du signe la
source fondamentale de la polysémie. C'est ce qu'atteste cette longue citation que
nous devons à R. Yongen : « Il nous paraît, en effet, très étroitement lié aux
caractères définitoires du signe linguistique lui-même. Celui-ci en effet, étant défini par
pure immanence systématique, n'est rien de plus qu'un moyen virtuel d'une virtualité
désignative, moyen sans propriété particulière, sinon celle de pouvoir désigner tout et
n'importe quoi. De ce point de vue, la polysémie ne fait que confirmer l'impropriété
/~
fondamentale du signe linguistique ».55
A travers ces propos, R. Yongen pose le problème essentiel de la nature des
relations entre les différentes composantes du signe linguistique, c'est-à-dire le
signifiant et le signifié, ensuite le référent. La nature de ces rapports serait le facteur
principal de la polysémie et c'est ce que l'on voudrait admettre.
Par ailleurs,
l'on
voudrait
montrer que
les
propriétés
morphologiques,
syntaxiques et sémantiques des adjectifs non dérivés que nous avons définies au
chapitre 1 posent ces derniers comme l'illustration manifeste du phénomène de la
polysémie.
55 Yongen ( R.) [I985J La polysémie: lexicographie et cognition, p. 6.

42
r-
I
En effet, les dictionnaires usuels témoignent du fait que les adjectifs,
particulièrement les non dérivés, sont dans l'ensemble plus polysémiques que les
autres vocables. Prenons, par exemple, l'adjectif Grand: le petit Robert56 lui attribue,
dans l'ordre physique, sept sémèmes. Cela nous donne au total treize sémèmes pour
un même lexème. C'est un chiffre assez impressionnant quand on sait qu'en discours,
seul un sémème est sélectionné. C'est pourquoi, nous pensons que certains éléments
structuraux propres aux adjectifs non dérivés peuvent être considérés comme les
facteurs spécifiques de ces différents changements sémantiques.
Aussi, verrons-nous d'abord le facteur principal de polysémie. Ensuite, nous
insisterons sur l'extension des AND, sur la place des épithètes par rapport aux
substantifs et sur leur fréquence, lesquelles sont perçues comme génératrices de
cette multiplication sémantique.
1. LES FONDEMENTS LINGUISTIQUES DE LA POLYSEMIE
(
1. 1. La nature du signe linguistique
Plusieurs théories linguistiques, inspirées des travaux de F. de Saussure,
considèrent la langue comme un système de symboles dont les composants
établissent entre eux un rapport arbitraire. C'est ce que souligne l'illustration suivante
que l'on doit à Saussure: "Ainsi, l'idée de "Soeur" n'est liée par aucun rapport intérieur
avec la suite de sons S-o-r qui lui sert de signifiant; il pourrait être aussi bien
représenté par n'importe quelle autre".57 En d'autres termes, aucun élément présent à
travers les différents signifiants de la langue ne signifie leur sens, à l'exception de
certains faits linguistiques comme la création des onomatopées ou toutes sortes de
56La plupart de nos définitions sont empruntées au petit Robert 1, ed. 1990.
57Saussure (f.) [ed 1972] Cours de linguistique générale, p. 100.

43
motivations lexicales qui attribuent à l'arbitraire du signe un caractère relatif.
Par ailleurs, si selon la terminologie saussurienne le signe linguistique n'est pas
la mise en rapport d'un nom et d'une chose, mais celle d'un concept et d'une image
acoustique, il n'en demeure pas moins qu'il est conçu pour dire quelque chose du
monde. 58
Cela suppose donc que l'arbitre du signe n'est pas en soi un paradoxe, mais il
le devient dès l'instant où l'on considère qu'instaurée loin du monde, la langue sert à
traduire des choses dont elle n'est le reflet puisqu'elle est établie par simple
convention. C'est pourquoi le référent ou l'objet désigné par le signifiant constitue un
élément essentiel dans la structuration sémantique, qu'il soit imaginaire ou réel.
1. 2. L'impact du monde référentiel
Pour montrer l'impact du référent dans la face "sjgnifiée" du signe linguistique,
nous proposons d'observer la définition suivante de l'adjectif Bleu: "Qui est d'une
couleur dont la nature offre de nombreux exemples, comme un ciel sans nuage,
certaines fleurs (le bleuet), le Saphir". C'est le premier sens que le petit Robert donne
de cet adjectif. " indique que le signifiant est représenté dans la réalité extra-
linguistique par un référent qui se pose comme une occurrence du concept auquel il
est lié.59
Ainsi, le concept désigné par Bleu présuppose l'existence d'éléments présents
dans le monde susceptibles de l'illustrer: Un ciel sans nuage, le bleuet et le saphir
sont autant d'exemples qui confirment cette idée.
Cependant, l'on ne doit pas oublier que la nomination cognitive ou l'attribution
d'une qualité, dans le cas des adjectifs qualificatifs, se fait par la médiation de
58Kerbrat-Orrechioni (C.) [1977] De la sémantique lexicale à la sémantique de l'énonciation, p. 470.
59Jongen (R.) [1985] "Les fondements linguistiques et cognitifs de la polysémie" dans la Polysémie, p. 56.

44
r-i
symboles qualifiés d'arbitraires. Une telle réalité remet nécessairement en cause
l'identité que l'on établit entre le concept et l'objet auquel il réfère.
En effet, si l'on admet que "tout concept-désigné est une catégorie cognitive
naturelle, organisée autour d'un
noyau
prototype,
par rapport aux propriétés
desquelles s'évalue le degré d'appartenance à la catégorie",6o l'on conçoit aisément
qu'un même référent soit désigné différemment. Autrement dit, selon la capacité d'un
objet à illustrer tel ou tel concept, il sera nommé par le signifiant qui est normalement
attaché à ce dernier. D'où la possibilité d'avoir des expressions différentes pour la
traduction d'une même réalité référentielle ou une même forme linguistique pour des
concepts différents. Considérons par exemple, dans le cas de la première possibilité
ci-dessus, l'hyperonyme Siège: il se définit comme un "meuble disposé pour qu'on
puisse s'y asseoir" et il peut se substituer aux signifiants comme Banc, Canapé,
Chaise, Fauteuil, Tabouret. .. Une telle substitution est possible, car ils peuvent tous
être regroupés sous un concept général lié à leur fonction.
Quant au schéma inverse, c'est celui qui nous intéresse le plus puisqu'il a trait à
la polysémie. Elle est surtout générée par le rôle de la rhétorique dans la langue.
1. 3. Le rôle de la rhétorique
1.3.1. La communication linguistique
La communication linguistique ou l'échange de messages entre interlocuteurs a
pour instrument principal la langue. Cela implique que tout sujet parlant compétent
possède un savoir linguistique, c'est-à-dire qu'il connaît les règles grammaticales
nécessaires pour construire son message et un nombre relativement important
d'éléments faisant partie du lexique.
f--
60Jongen (R.) [1985], ibid, p. 59.
\\

45
r-
I
Par ailleurs, il existe deux processus importants dans la communication
linguistique: le premier équivaut à la production du message. C'est la démarche dite
onomasiologique, suivie par l'émetteur. Quant au second processus, il se pose
comme
l'inverse
du
précédent.
Il
incombe
au
récepteur
et
consiste
en
la
compréhension du message produit comme nous le voyons au schéma du réseau de
la communication tel qu'il est présenté par B. Pottier61 :
Verbal
M
Savoir
Savoir
Opérations
Opérations
linguistique
linguistique
e
(Mise en œuvre
(renvoi au
Langue
Langue
du savoir
S
savoir)
s
a
Compétence
(
g
Compétence
,
e
~
)
~
)
y
y
PRODUCTION, GENERATION
PRODUCTION, GENERATION
R
(Onomasiologie)
(Sémasiologie)
Référentiel
Il est important de noter que la polysémie se situe justement au niveau de la
compréhension du message produit par l'émetteur. Celle-ci est capitale, car elle
permet de juger, non seulement de la qualité du message, mais également de la
compétence du récepteur.
~-
61 Pottier (B.) [1987] Théorie et analyse en linguistique, p.12.

46
En effet, le but de la communication linguistique est lié à l'intentionnalité du
message. Ainsi, au cours de la production de son discours, l'émetteur fait des
opérations dont l'objet est de rendre sa pensée le plus clairement possible. 62
Or, la production de phrases bien formées est insuffisante quand il s'agit de
donner aux mots utilisés la justesse souhaitée. En d'autres termes, étant donné
l'arbitraire du signe linguistique, il existe forcément une inadéquation entre le concept
désigné et le signifiant auquel il s'attache que le choix de règles grammaticales
convenables ne saurait combler. M. Bréal souligne, d'ailleurs, que l'expression est
tantôt trop large, tantôt trop étroite pour ce que l'on veut exprimer. 63
C'est pourquoi, devant l'infinitude de l'univers comparée aux potentialités
qu'offre la langue, l'homme a fait intervenir la rhétorique. C'est par les processus
métaphoriques et métonymiques que celle-ci occasionne que naît la polysémie.
Disons, tout au moins, que ce sont les plus productifs.
1.3.2. Les tropes
Nous souhaitons montrer à travers l'analyse des tropes du langage que
l'arbitraire du signe est, en réalité, une cause indirecte des variations à l'intérieur du
signifié. En effet, les figures dont se sert le sujet parlant pour adapter la langue au
monde sont les principaux éléments qui occasionnent les différents changements
sémantiques. 54 Pour certains, l'idée de changement de sens mérite d'être nuancée et
c'est le cas de la métonymie. Nous proposons de voir comment naît la polysémie dans
les cas les plus représentatifs, notamment, la métaphore, la métonymie, l'extension et
la spécialisation.
62Kibédi Varga (A.) [1970] Rhétorique et littérature, p. 20.
63Bréal (M.) [Ed. 1897], op cit, p. 118.
MTutescu (M.) [1974] Précis de sémantique française, p.64.

47
1.3.2.1. Les métaphores
L'une des caractéristiques de la métaphore est d'élargir l'extension habituelle
du lexème. C'est également l'idée que soutient M. Tutescu quand elle affirme que "la
vocation de la métaphore est de violer les classèmes ou restrictions sélectives des
lexèmes cooccurrentiels, donc d'apparaître comme étrangère à l'isotopie de l'énoncé
où elle est introduite".65
Observons par exemple, la phrase suivante:
_ Des arbres nus et noirs au bord d'une mare gelée (IVI.D. , La chaîne, p. 69).
L'on remarque dans cette phrase, la transposition d'une qualité habituellement
attribuée à un humain à un objet concret. Le transfert est ce qu'on pourrait appeler
l'indice de métaphorisation.
Mais, la caractéristique la plus importante est l'existence d'une propriété
commune entre les deux dénotés en cause dans la métaphore. Pour montrer le
\\
rapport de ressemblance sur laquelle celle-ci se fonde, nous proposons d'analyser
l'exemple ci-dessus, à partir du processus de départ qui est ainsi traduit par F. Soublin
: "Rappelons que la forme canonique est construite au moyen de comme à partir de
deux phrases où les termes comparés sont des groupes nominaux sujets du groupe
copule attribut".66
Nous pouvons donc supposer que cette métaphore est la résultante des
différentes comparaisons suivantes:
1- Un arbre sans feuille est comme un homme sans vêtement.
2- Un homme sans vêtement est nu.
3- Un arbre sans feuille est comme un homme nu
4- Un arbre sans feuille est nu.
Elles indiquent, d'une part, que la métaphore tire ses analogies du domaine
extra-linguistique et d'autre part, que le concept désigné dans la qualification n02
65Tutescu (M.) [1974], ibid, p.67.
66Sou blin (F.) "Sur une règle d'effacement" dans Langue française, Il, p 105.

48
présente nécessairement des différences par rapport à la seconde (cf n04). "Un arbre
nu" ressemble à "un homme nu" sans que l'on puisse pour autant établir une
équivalence. Le changement de sens paraît ainsi inévitable puisque l'on se sert
simplement du lexème pour traduire une représentation mentale déjà fixée. D'où
l'existence de sens spécifiquement liés à chaque dénoté.
- Un arbre nu C=> Un arbre sans feuille.
- Un homme nu
C=>
Qui n'est couvert d'aucun vêtement.
Nous pouvons dire par conséquent que la polysémie naît de la motivation du
signe par des procédés métaphoriques.
1.3.2.2. Les métonymies
Contrairement à la métaphore, la métonymie se fonde sur une relation de
contiguïté entre deux dénotés. Cependant, les deux procédés présentent tout de
même un point commun, à savoir le caractère implicite du comparant pour la
(
métaphore et d'un dénoté pour la métonymie.
En effet, l'expression du rapport qui caractérise chaque catégorie, comme l'a
fait remarquer M. Le Guern, est omise dans la construction métonymique. Il s'agit, soit
de la cause pour l'effet, soit du signe pour la chose désignée ... 67
Observons par exemple la phrase suivante:
Une grande fille Brune, vêtue d'une robe de cuir... (J.C. , La dérobade, p. 179)
Il existe une contiguïté naturelle entre l'objet désigné par le substantif
caractérisé et le dénoté qui lui "prête" sa caractéristique. La preuve est que dans le
cas ci-dessus, les deux dénotés en cause sont représentés par un humain et ses
67Le Guern (M.) [1973 ] Sémantique de la métaphore et de la métonym ie, p.27.

49
cheveux. Cela indique que le rapport métonymique s'opère par substitution du tout à la
partie et qu'il prend sa source dans les réalités extra-lingustiques.
A présent, il reste à savoir si la métonymie occasionne véritablement un
changement de sens. Si l'on considère par exemple le cas du substantif "Blaireau",68
l'on peut affirmer sans hésiter que les sens sont fondamentalement différents: il est
évident qu'un mammifère carnivore ne peut être l'équivalent d'un pinceau, même si ce
dernier doit sa constitution aux poils du premier.
Mais en ce qui concerne les métonymies adjectivales, le problème est différent.
En effet, il est possible d'établir une équivalence sémantique entre "Une grande fille
brune" et "Une grande fille aux cheveux bruns ..."
De même, une phrase comme "Les 14 nouvelles victimes du week-end dans les
ghettos noirs ... "(L'humanité, 12 Février 1990, p.3) a le même sens que "Les 14
nouvelles victimes du week-end dans les ghettos où vivent des hommes à la peau
noire". Il n'y a donc pas de changement de sens.
Toutefois, le déplacement de la dénotation s'inscrit d'une manière ou d'une
\\
autre au niveau du signifié. Ainsi, l'on a pour le premier exemple, "Dont les cheveux
sont de cette couleur" et pour le second, "Qui appartient aux personnes de cette race".
Par conséquent, l'on peut dire que la métonymie est également une source de
polysémie, puisqu'elle permet, dans tous les cas, la structuration d'un autre sémème.
r
68Martin (R.) [1983], op cît, p.67.

50
1.3.2.3. La spécialisation et l'extension
a. La spécialisation
Nous avons évoqué, dans une analyse précédente,69 le problème de la
catégorisation, c'est-à-dire la tendance du sujet parlant à se représenter les choses à
partir de leurs propriétés communes. lO La spécialisation apparaît donc comme
l'opération qui sert à traduire les concepts particuliers.
En effet, elle se caractérise par la restriction des potentialités désignatives et
qualificatives du mot. Autrement dit, c'est le cas où le mot s'applique à très peu
d'objets. Prenons, par exemple, les emplois suivants de l'adjectif Petif1 :
1.... un petit quinquagénaire brun et nerveux ... (Le nouvel Obs., n01349, p.1DS).
2. Il est aussi excité qu'un petit garçon ... (A, L'herbe bleue, p.14).
Dès que cet adjectif s'applique à un substantif désignant un être jeune, il signifie
"Qui n'a pas encore atteint toute sa taille". C'est le cas illustré par l'exemple 2.
~
Substituer garçon au substantif présent dans le premier contexte entraînerait la
\\
modification du sens de petit. Ces faits suggèrent donc que la restriction de l'extension
du mot entraîne nécessairement celle de son sens.
Par ailleurs, la spécialisation suppose la prise en compte des traits distinctifs du
nouveau
concept à traduire,
en plus de l'identité sur laquelle se fonde
la
catégorisation. Dans le cas de la restriction de Grand par exemple, dans le contexte
"grande personne", le sens inclut non seulement l'idée de la hauteur de la taille, mais
aussi le caractère adulte du référent désigné. En se particularisant, le mot s'enrichit
donc sémantiquement; ce qui implique que le changement de sens est bien la
conséquence logique de la spécialisation ou la restriction.
69Cf 1.2
7°Kleiber (G.) [1990] La sémantique du prototype. Catégories et sens lexical, p.13.
71Pour les exemples en rapport avec d'autres catégories de mots, l'on pourra se référer à Kerbrat-Orrecchioni (c.)
[1977], ibid, p.285.

51
b. L'extension
L'extension est le processus inverse de la restriction, puisqu'au contraire de
celle-ci, le nouveau concept désigné est moins clos. Pour expliciter cette idée, nous
proposons l'analyse des phrases suivantes:
1. Perception le plus souvent fausse
(Libération, 28 Mars 1990, p. 32 ).
2. Et d'avoir cru me nourrir de ce faux blé ...
(T.M. , Le pain des pauvres, p. 231).
L'on constate que l'adjectif, dans le premier exemple, a une extension qui se
limite à des objets abstraits. Nous parlons de limite, car cette phrase peut être
considérée comme une occurrence du contexte courant de faux. Et dans ce cas,
l'extension est telle que nous venons de la décrire. L'on peut donc en déduire qu'au
niveau du deuxième exemple, les objets susceptibles d'être qualifiés par faux
s'étendent à des choses concrètes.
Or, la vérité à laquelle est lié le sens courant de faux72 est par dé'finition du
(
domaine des choses abstraites. Il est donc bien évident qu'étendre l'application de cet
objet au concret entraîne, tout comme la spécialisation, une modification au niveau
des signifiés. L'on passe ainsi du premier sens, "Qui est contraire à la vérité", à cet
autre: "Qui n'est pas ce qu'on le nomme".
Par ailleurs, ce changement de sens est possible parce que l'extension implique
l'effacement des traits jugés pertinents dans le contexte courant du mot. C'est ce que
suggèrent les deux sens ci-dessus de l'adjectif faux: l'idée d'absence de conformité
entre éléments demeure, mais le nom est substitué à la vérité. Cette substitution
permet de rassembler à la fois les substantifs désignant des objets abstraits et
concrets.
L'on peut dire, par conséquent,
que la spécialisation et l'extension se
caractérisent par l'existence d'une inclusion entre les sens qu'ils occasionnent et ceux
auxquels ils se rapportent. Un tel constat ne peut que se révéler essentiel dans
l'analyse du fonctionnement de la polysémie. Aussi tâcherons-nous d'en tenir compte.
t;
72Le sens de cet adjectif indique qu'il est lié à la vérité par négation: "Qui est contraire à la vérité".

52
Finalement, tous les autres facteurs de polysémie, notamment "les glissements
de
sens,
les
expressions
figurées,
l'étymologie
populaire
et
les
inlluences
étrangères",73 existent à cause du caractère arbitraire du signe linguistique. Etant
défini par rapport à lui même et non au monde, il autorise ainsi toutes les fluctuations,
à la fois au niveau du signifiant, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, et
du signifié. Si le locuteur choisit de dire par exemple, "Jacques Barrot n'est pas
chaud" au lieu de "Jacques Barrot n'est pas enthousiaste", c'est parce qu'il estime
sans nul doute que le premier adjectif est moins arbitraire en raison de la motivation
qu'il subit par la métaphore. C'est de cette motivation cognitive, conséquence de la
nature fondamentale du signe que naît la polysémie.
Donc, ces faits attestent que tous les mots de la langue sont susceptibles d'être
polysémiq ues.
Cependant,
certains paraissent plus prédisposés au
phénomène
de
la
polysémie que d'autres. C'est le cas des adjectifs non dérivés et c'est pourquoi nous
proposons d'analyser les éléments que l'on pourrait considérer comme des facteurs
\\
spéci'F1ques de polysémie adjectivale.
II. LES FACTEURS SPECIFIQUES DE POLYSEMIE ADJECTIVALE
11.1. La distribution des adjectifs non dérivés
Les adjectifs non dérivés ont une distribution extrêmement considérable et
variable. M. Glatigny affirme d'ailleurs qu'il est impossible de la limiter : "Les uns
comme les autres, dit-il, il ne font que situer les concepts dans une catégorie de
pensée d'extension infinie: Temps, grandeur etc, il n'est donc pas possible de limiter
73Bréal (M.), op.cit, p. 200.

53
leur distribution".74 Ainsi, tout peut être qualifié de bon, laid, chaud, frais. C'est ce que
nous illustrons par les différents exemples suivants qui comprennent tous le même
adjectif:
1. C'était un homme petit, maigre et déplumé ... (M. D. , La chaîne, p. 68).
2. ... Ie refuge de ses deux longs bras maigres ...
(G. B. , Les mensonges de la nuit, p. 112).
3. Elle dévale de sa grande démarche maigre les pentes de la forêt.
(M. D. , L'amant, p. 107).
4. Au lieu d'égorger un boeuf ou un veau, l'homme achetait une vache maigre.
(T. B. J. , L'enfant de sable, p. 29).
5. Beefheart, lui, avait su échapper aux lois du marché, en se cantonnant dans
une maigre production (L'Obs. de Paris, n0272, p. VIII).
Ces exemples montrent que maigre peut servir à qualifier, aussi bien un
substantif désignant un être humain (Ex n01), une partie de son corps (Ex. n02), tout
élément concret, qu'il soit matériel (Ex. n03) ou non (Ex. n04), qu'une abstraction
\\
(Ex.nOS).
Par ailleurs, ces exemples représentent seulement le contexte général de cet
adjectif. Ce qui veut dire qu'il existe d'autres contextes particuliers comme "Chevelure
maigre", "Viande maigre" ... etc, qui sont l'expression de la nature illimitée de la
distribution des adjectifs non dérivés.
En outre, nous n'avons pas manqué de souligner, dans le premier chapitre, le
style de définition auquel est soumis l'adjectif qualificatif. Notre propos concerne
surtout les pronoms relatifs qui servent à formuler leurs définitions. En effet, ces
75
pronoms témoignent du caractère peu distinctif d'un éventuel archisémème
dans les
définitions et de la diversité de la distribution des adjectifs non dérivés. Qui ou Dont
suppose que ces derniers peuvent être dits de n'importe quel référent.
74Glatigny (M.) [1967] "La place des adjectifs dans deux oeuvres de Nerval" dans Le Français moderne, 1. 35,
p. 213.
75La définition fournie par Kleiber (G) [1991] "Hiérarchie lexicale: catégorie verticale et termes de base" dans
tu -
Sémiotiques, vol. l, p. 36.
;

54
Or, l'on sait que les adjectifs non dérivés font partie de la classe des adjectifs
syncatégorématiques. Autrement dit, ils ont un contenu relatif aux substantifs qu'ils
caractérisent et c'est ce que nous proposons d'analyser.
II. 1. 1. La relativité du contenu des adjectifs non dérivés
Nous avons précédemment analysé le contenu des adjectifs non dérivés, mais
sous l'angle de la nature de la qualité attribuée au substantif. Dans la présente
analyse, nous souhaitons démontrer que leur caractère syncatégorématique, combiné
à la diversité de leur distribution favorise la multiplication de leurs sens.
Considérons, par exemple, les phrases suivantes:
1. '" il est difficile de savoir ce que maquille alors le jeune marié.
(Libération, 5 Février 1990, p.31).
2. '" il portait sur lui de grandes cartes parsemées de chiffres arabes ...
(G. B. , Les mens. de la nuit, p. 24)
(
Contrairement aux adjectifs dits "catégorématiques", jeune et grand dépendent,
sur le plan sémantique, du contenu des substantifs qu'ils déterminent. 76 En effet, le
sens des adjectifs ne se justifie que dans le cadre linguistique précis où ils
apparaissent.
C'est
pourquoi,
"le
jeune
marié"
(cf
Ex.
n01)
ne
sera
pas
nécessairement un "jeune homme". Pour s'en convaincre, il suffit d'ajouter au premier
exemple, la proposition suivante: "... il est difficile de savoir ce que maquille alors le
jeune marié [qui va avoir bientôt soixante ans]". Cette adjonction est possible parce
que l'être qualifié n'est jeune qu'en tant que marié et nO/1 en tant qu'homme.
76Cet aspect de l'adjectif est développé par Sorin (S.) [1975] dans Le système sémantique des adjectifs romans.

55
Quant au second adjectif, nous suggérons de l'observer également à travers les
différents emplois suivants:
3.
De grands candélabres 1900 ponctuaient le paysage ...
(F. P.
L'amour nu, p. 50).
l
4. L'appartement est grand...
(S. de B. , La fem. romp. , p. 177).
5. Hervé, un grand blond, consulta ses notes. (F. P. , L'amour nu. , p. 43).
6. ... ça l'aurait arrangé une grande fille de quinze ans ...
(S. de B. , La fem. romp, p. 98)
Les adjectifs dits spatiaux comme grand sont définis par rapport à une
moyenne, laquelle prend en compte l'espèce de l'objet désigné par le substantif. Cela
signifie donc qu'on ne peut établir une comparaison entre "grandes cartes" (Ex. 2) et
"grands candélabres" (Ex. 3). La première qualification n'est valable que dans le
domaine défini par les objets susceptibles d'être nommés par le substantif Cartes. G.
Kleiber analyse justement cet aspect de la relativité sémantique de Grand quand il
~.
soutient que "Certains attributs tels que "Grand" pour piano n'ont un sens que par la
relation à la catégorisation du piano dans une classe superordonnée comme celle de
meuble. L'énoncé Un piano est grand nécessite un standard de comparaison: il n'est
grand que par rapport à une catégorie. Qu'on se rappelle le petit éléphant qui est un
grand anima!." 77
Par ailleurs, il n'existe aucun critère spécifiant d'une manière exacte la qualité
d'être grand, puisque l'évaluation varie en fonction du substantif caractérisé. De
même, l'angle sous lequel cette évaluation doit se faire n'est pas préétabli: Est-ce la
longueur, la largeur, la hauteur ou la superficie? Seul le choix du substantif qualifié
permet de spécifier ces données. Ainsi, "grandes cartes" permet de privilégier
l'ensemble des dimensions, "grands candélabres", la hauteur et "grand appartement",
la superficie. Quant aux deux derniers exemples, ils ont trait à la taille.
77Kleiber (G.), Ibid, p.49.
,.
i

56
Remarquons que ces données sont plus distinctives que la nature variable de
l'évaluation. En effet, qu'un petit éléphant soit plus grand qu'un grand chien ne modifie
en rien le sens de l'adjectif Petit ou de Grand. En revanche, la combinatoire des
différentes dimensions avec les autres sèmes de l'adjectif permet la structuration de
plusieurs acceptions, dont les suivantes:
"Dont la hauteur dépasse la moyenne".
"Dont la longueur dépasse la moyenne".
"Dont la surface dépasse la moyenne".
"Dont l'ensemble des dimensions dépasse la moyenne".
Cependant, il arrive, dans certains cas, que la nature variable de l'évaluation
donne naissance aussi à un changement sémantique. En effet, l'idée de relativité qui
existe par exemple à travers "Un grand blond' (Ex. 5) et "Une grande fille de quinze
ans" (Ex. 6) est marquée par une différence sémantique. Que l'on puisse attribuer
cette caractéristique à une adolescente, qui normalement est plus petite que les êtres
ainsi qualifiés, suppose que l'on prend en compte d'autres critères. D'où l'adjonction
C
de sèmes distinctifs, lesquels occasionnent un changement de sens. Au lieu de la
définition suivante, "Dont la taille dépasse la moyenne", l'on aura celle-ci : "Qui a
atteint une taille notable". Il est vrai qu'il s'agit dans ce cas précis d'une restriction de
sens. Mais elle est surtout favorisée par la relativité du contenu de l'adjectif.
Ajoutons que les adjectifs spatiaux ne sont pas les seuls dont la relation
particulière avec le substantif entraîne un changement de sens. L'on aura qu'à se
rappeler par exemple la différence entre ''jeune marié" et ''jeune homme".
Donc, l'on conviendra que le caractère relatif du contenu de certains adjectifs
non dérivés, soit par rapport aux substantifs qu'ils caractérisent ou au manque de
critères fixes définissant les propriétés qu'ils expriment, est un facteur spécifique de
polysémie.

57
11.1.2. Cas particuliers: Les adjectifs de couleur
Les adjectifs de couleur sont considérés comme catégorématiques, car ils
définissent un sous-ensemble qui appartient à l'extension du substantif caractérisé.
"Une robe jaune", par exemple, est aussi un "objet jaune". De même qu'un "Costume
gris" fait partie des objets gris. Il suffit, comme l'a souligné E. Leisi, que l'objet
remplisse la condition indiquée par la couleur en cause: "Je puis appliquer l'adjectif de
couleur Gelb (Jaune) à tout objet remplissant cette condition de couleur, que ce soit
une trompette, une pierre ou un morceau de papier".78
Cependant, le fait que les adjectifs de couleur soient gradables comme
l'indiquent les phrases suivantes, "j'y trouvai un arbre tout jaune ... "
(R. O. K. , Lérionka écol. mas. , p. 84), "De beaux gars bien noirs ... "
(Libération, 23 Janv. 1990, p. 38), oblige à observer une réserve quant à l'idée même
de condition de couleur.
En
effet,
la
distribution
des
adjectifs de
couleur atteste
du
caractère
(~
approximatif, voire mouvant des qualités qu'ils traduisent. Pour mieux appréhender ce
qui
nous
semble
être
un
facteur
spécifique
de
polysémie,
nous
proposons
l'observation des exemples ci-dessous:
1. ... des couronnes de Noël flottent sur les portes blanches ...
(Libér. , 7 Janv. 1991, p. 26).
2. ... et les deux "déci" de vin blanc que l'on vous servait ...
(F. P. , L'amour. nu, p. 9).
3. Ce que la femme blanche possède de plus que la négresse ...
(M. B. , Une si long. let. , p. 25).
Si nous nous référons à notre expérience du monde, il est évident que l'objet
désigné par le deuxième substantif caractérisé Vin est celui qui représente le moins la
condition de couleur blanche. Dans un continuum intégrant les objets les plus typiques
~-
78 Le isi (E.), ibid, p. 48.

58
et les atypiques, ces substantifs pourront être situés ainsi:
Portes
Femme
Vin
)
Blanc 1
Blanc 2
Blanc 3
Or, le fait qu'une "Femme blanche" et un 'Vin blanc" ne soient pas tout à fait
"blancs" s'inscrit nécessairement au niveau de la structure sémantique. L'on comprend
donc que selon la nature du substantif caractérisé, le sens de Blanc change:
Portes blanches <=> "Qui est d'une couleur dont la nature offre de
nombreux
exemples".
Femme blanche <=> "Dont la peau est d'une couleur pâle, voisine du blanc".
Vin blanc <=> "Qui est d'une couleur claire".
Finalement, même les adjectifs de couleur doivent leur sens aux substantifs
qu'ils qualifient. Ce qui implique que la diversité de la distribution des adjectifs non
~.
dérivés est un facteur important de polysémie.
Cependant, ces faits ne signifient pas qu'il faille considérer l'extension des
adjectifs non dérivés comme exempte de toute restriction.
II. 1.3. Restriction à l'intérieur de l'extension
Notre première analyse de la distribution des adjectifs non dérivés les présente
comme des mots pouvant s'appliquer à n'importe quel objet. /1 est vrai que les facteurs
généraux de polysémie que nous avons énoncés, notamment la métonymie et la
métaphore, permettent de soutenir une telle assertion.
En effet, des adjectifs comme Triste, Gai, Fou, Digne, Fier... traduisent
différentes manières d'être d'une personne. Mais, au moyen de procédés

59
métonymiques, par exemple, l'on pourra dire d'une maison qu'elle est triste sans
entraîner une quelconque anomalie au niveau de la phrase. Il sera également possible
d'avoir les contextes adjectivaux suivants : "... physique gai...", "... mèches folles... ",
" ... regard fier... ", " ... vie digne ...". Cela suppose que les adjectifs non dérivés ont bien
une distribution qui ne comprend aucune restriction.
Toutefois, l'on ne peut ignorer ['existence d'une forme particulière de restriction.
En effet, il est clair que l'on ne peut parler de "maison triste", en pensant à un véritable
sentiment de tristesse. Si tel était le cas, la phrase serait absurde. Cela signifie donc
que chaque sens restreint l'extension du substantif ou encore, le champ des objets
potentiellement caractérisables par l'adjectif.
Par ailleurs, un adjectif comme "Digne" associe à cette sélection restrictive, des
contraintes syntaxiques. Lorsqu'il n'a pas d'expansion par exemple, il ne peut avoir
pour support un substantif désignant une chose matérielle. C'est ce qu'indiquent les
phrases ci-dessous:
1. Je trouve Pl~imlin calme et digne ... (Le Monde, 9 Janv. 1990, p. 2).
\\
2.... ces stocks dignes d'être diffusés en prime time sont voisins de zéro. (Libér.,
15 Janv. 1990, p. 13).
3. *...ces stocks dignes sont voisins de zéro.
Le caractère absurde de la dernière phrase, qui résulte de la suppression de
l'expansion, montre que dans ce cas, le sens de "digne" ne permet pas la sélection de
ce type de substantif.
Par conséquent, l'on doit tenir compte de ces sélections restrictives, liées ou
non à des contraintes syntaxiques dans le cadre de la résolution des polysémies. En
ce qui concerne la distribution des adjectifs non dérivés, l'on doit admettre que les
restrictions dont nous venons de parler ne modifient en rien son caractère illimité.
Aussi, maintenons-nous l'idée selon laquelle elle est une source fondamentale de
polysémie adjectivale.
>-

60
t\\
11.2. La place des adjectifs non dérivés
La place des adjectifs épithètes a fait l'objet de nombreux travaux dont ceux de
M. Forsgen 79 et E. Reiner. 8o Aussi, notre but n'est-il pas seulement de démontrer
qu'elle constitue un autre facteur de polysémie, mais également de discuter de
certaines conceptions sur l'influence des différentes positions de l'adjectif sur son
sens.
En réalité, seule l'antéposition se manifeste comme l'une des causes de la
diversité sémantique des adjectifs non dérivés. C'est pourquoi, il nous semble
important d'analyser les facteurs qui les lient particulièrement à cette place, avant
d'aborder la question du changement de sens.
Il.2.1. Les facteurs syntaxiques et rythmiques
L'antéposition des adjectifs n'est liée à aucun facteur syntaxique, contrairement
(\\
à la postposition. En effet, les adjectifs de relation et les participes passés employés
comme qualificatifs, par exemple, sont obligatoirement postposés. Ainsi, l'on ne dira
pas "un désorienté homme" ou "une frontale veine", mais "un homme désorienté",
"une veine frontale".
Cependant, ces contraintes syntaxiques sont plus complexes au niveau des
adjectifs non dérivés. Ils sont postposés suivant deux types de contraintes : le plus
strict est en rapport avec la présence d'un complément adjectival ou d'un comparatif.
Pour l'illustrer, nous proposons d'analyser les phrases suivantes:
1. "Le sable doux au toucher est désagréable dans les souliers"
(H. C. , Azizah de N. , P. 195).
2. "On y passait des jours plus longs que des mois ... "
(A. K. , Les soleils des ind. , p. 165).
79 Forsgren (M.) [1978] La place de l'adjectif épithète en français contemporain.
80 Reiner (E.) [1968] La place de l'adjectif épithète en français. Théories traditionnelles et essai de solution.

61
Il est impossible d'antéposer les adjectifs dans de tels contextes sans rendre les
phrases agrammaticales: *"Le doux sable au toucher", *"de longs jours plus que des
mois". Il s'agit, par conséquent, d'une véritable contrainte syntaxique.
Remarquons qu'il en va autrement pour la seconde forme de contrainte, qui
concerne la présence d'un ou plusieurs adverbes dans la structure adjectivale.
Soient les exemples ci-dessous:
1.... "des décoctions sûrement amères..." (A. K. Les soleils de ind, p. 28).
2. La silhouette d'une très jeune fille évoluait avec grâce ... (F. P. L'am. nu, p. 71)
3. Une surdité très légère ... (M. D. , L'amant, p. 44).
En général, lorsque l'adjectif a une expansion sous forme d'un adverbe, il est
postposé (Cf. EX.1 et Ex.3), mais cette place se pose comme une contrainte
syntaxique, uniquement pour les adverbes de manière. Le deuxième exemple montre
que l'antéposition est possible pour les adjectifs précédés d'un adverbe d'intensité.
D'ailleurs, on peut les antéposer dans les contextes où ils ne le sont pas sans risque
(\\
d'agrammaticalité : Une très légère surdité. Cela est impossible pour les adverbes de
manière comme nous le voyons à la transformation suivante de la première phrase:
*...de sûrement amères décoctions.
Excepté ces facteurs syntaxiques, toutes les règles de distribution que l'on a pu
établir ne sont en fait, que l'expression d'une tendance générale,81 y compris les
facteurs rythmiques qui posent l'antéposition comme la place privilégiée des adjectifs
non dérivés.
En effet, la langue française s'organise sur le plan rythmique en masse
croissante. Ainsi, dans la structure adjectivale, le constituant polysyllabique,
81 La tendance du français moderne serait à la postposition, au contraire du
moyen-âge, ce qui montre que la place
~..
des adjectifs en français n'est pas figée par des règles strictes. Glatigny (M.) [1967] Ibid, p. 201.

62
quel qu'il soit, est placé après le constituant monosyllabique. 82 Les positions suivantes
de l'adjectif par rapport au substantif sont donc ce qu'on pourrait qualifier de normales
: "bas salaires", "Une femme épaisse".
Or, nous avons montré dans le premier chapitre que la particularité des
adjectifs non dérivés réside dans leur structure monosyllabique, pour la plupart. D'où
le fait qu'ils soient le plus souvent antéposés. Certains linguistes affirment même que
l'antéposition est une caractéristique des adjectifs primitifs. 83
Cette assertion est
confirmée par les analyses de M. Wilmet, entre autres, qui fournit des statistiques sur
les cas d'antéposition et de postposition au niveau des adjectifs qualificatifs. 84 Nous
proposons d'analyser ces données (pour quelques adjectifs seulement), car elles sont
révélatrices de la forte antéposition des adjectifs non dérivés:
Adjectifs
Nombre d'occurrences
Cas d'antéposition
Cas de postposition
Grand
1304
1262
42
Petit
1139
1124
15
1
\\
Jeune
452
424
28
Long
300
238
62
Noir
242
20
222
Vrai
142
130
12
Ce tableau indique que les cas de postposition sont tout de même nombreux,
surtout pour l'AND Noir. Et les raisons de cette position n'ont parfois aucun rapport
32Chevalier (1. C.), Benveniste (B. c.) ... op ci t, p. 205 : ils soulignent que la structure adjectivale suit les schémas
suivants : [Adjectif monosyllabique + substantif polysyllabique], [Substantif monosyllabique + Adjectif
polysyllabique] et [Substantif monosyllabique + Adjectif monosyllabique].
8ôSorodina (M. A.) [1963] "L'adjectif et les rapports entre grammaire et sémantique" dans Le français moderne,
p.31.
S-1Wilmet (M) [1981] "La place de l'épithète qualificative en français contemporain" dans Revue de linguistique
r".
romane, 45, p. 25.

63
avec la structure morphologique du substantif ou de l'adjectif. C'est ce que nous
voyons aux exemples ci-dessous:
1. Cette fameuse paire de talons hauts en lamé or... (M. D. l'amant, p. 18).
2. La vapeur habille les corps nus (T. B. J. , La nuit sacrée, p. 88).
3. C'étaient les seuls blonds aux yeux bleus ... (Le nouv. Obs, N° 1349, p. 30).
D'après les facteurs d'ordre rythmique, l'adjectif présent dans le premier
exemple devait normalement se/ placer devant le substantif puisque ce dernier est
polysyllabique. Quant aux deux derniers exemples, ils confirment certes la règle, mais
ils comprennent des adjectifs qui sont presque toujours postposés. Il s'agit des
adjectifs de couleur et d'autres types comme sûr, Mou, Moite...
Leur postposition est quasiment similaire à une contrainte syntaxique puisqu'en cas
d'antéposition, la structure adjectivale paraît incongrue: "...Ies seuls blonds aux bleus
yeux... ", "La vapeur habille les nus corps".
Cependant, ces faits n'annihilent pas la tendance générale des adjectifs non
dérivés à l'antéposition. Néanmoins, ils prouvent que les causes réelles qui régissent
la place de ces adjectifs se situent ailleurs. Nous faisons ainsi allusion aux facteurs
d'ordre sémantique qui représentent un point important dans la multiplication des sens
des adjectifs non dérivés.
11.2.2. Les facteurs sémantiques liés à la place
11.2.2.1. L'épithète postposée
Nous n'avons pas manqué de souligner que la postposition est considérée
comme la place normale des adjectifs épithètes, en général, car nous espérons
montrer que la possibilité de les antéposer est précisément la cause de leur
changement sémantique.
En effet, les analyses statistiques donnent un pourcentage de 65% d'aqjectifs
postposés. 85 D'ailleurs, si l'on s'en tient au fait qu'en tant que lexème indiquant une
85Forsgen (M.) Ibid, p. 78.

64
manière d'être ou une propriété, les adjectifs renvoient nécessairement à des
supports, la structure adjectivale dans le cas d'une postposition est tout à fait logique:
un commentaire suppose l'existence préalable d'une entité. Il paraît donc normal de
focaliser l'attention sur le substantif avant la caractéristique exprimée par l'adjectif.
Par ailleurs, l'on est d'accord pour reconnaître que l'adjectif épithète postposé a
une valeur objective et spécifique, car dans cette position, il conserve une certaine
indépendance sémantique.
Considérons, par exemple, la phrase suivante:
_La force pesante des hommes grands ou gros. (M. D. La chaîne, p. 82).
De ces différentes structures adjectivales, se distinguent deux classes que l'on
peut schématiser ainsi:
\\ 4 - - - - Ensemble dénoté par le substantif.
i
.-"
) 8 - - f - - - - - Ensemble dénoté par la caractérisation .
\\
Ce schéma indique que l'adjectif postposé restreint l'extension du substantif.
D'un côté, nous avons par exemple la classe des hommes et de l'autre un sous-
ensemble constitué des hommes qualifiés de gros ou grands. Cette indépendance
relative est ce qui confère à l'adjectif postposé une valeur véritablement distinctive.
Etant donné que cette dernière se conçoit
mieux dans un rapport avec la
valeur liée à l'antéposition, nous proposons de procéder de cette façon.

65
11.2.2..2. De la postposition à l'antéposition
Les travaux consacrés à l'adjectif épithète sont en général orientés vers la
distin,ction entre son sens lorsqu'il est postposé et celui qu'il recouvre une fois
antéposé.
Cependant, les conceptions diffèrent sur la nature de la valeur à attribuer à
l'adjectif antéposé. En effet, contrairement à l'adjectif postposé, l'adjectif antéposé
s'amalgame avec le substantif pour ne former qu'une seule classe.
E. Faucher confirme cette idée quand il affirme qu'elle se combine au substantif pour
définiir une propriété P, laquelle alors et seulement alors peut être dite de l'objet
consiidéré. 86
Soit la phrase suivante:
_Claire était généreuse et se prit d'affection pour les grosses femmes.
(iF. P. , L'amour nu, p. 123).
L'intention du locuteur, dans cette caractérisation, n'est pas de spécifier un trait
1
particulier du substantif, mais de traduire une catégorie lexicale formée de deux
\\
éléments définissables l'un par l'autre. En d'autres termes, l'adjectif antéposé tombe
véritablement dans l'extension
du
substantif.
Dans ce
cas,
il
ne
s'agit pas
d'intersection entre deux classes (cf. l'épithète postposée) mais d'une identification.
D'où le schéma suivant:
. " . - - - - - Ensemble dénoté par le substantif.
Ensemble dénoté par la caractérisation.
Pour expliciter l'une des valeurs que l'on attribue parfois à l'adjectif antéposé,
nous proposons d'analyser les différentes transformations des groupes aqjectivaux
présents dans les phrases suivantes:
1. J'en ai fait, moi, une terre riche. (H. C., Azizah de N., P. 122)
2. Claire était généreuse et se prit d'affection pour les grosses femmes".
l
86FaucrJer CE.), op cit, p. 123.

66
La modification de la place des adjectifs donne les phrases suivantes:
1. J'en ai fait, moi, une riche terre.
2. Claire (... ) se prit d'affection pour les femmes grosses.
L'on sera certainement d'accord pour reconnaître que cette transformation des
phrases n'entraîne aucune modification du sens de ces adjectifs. Qu'il s'agisse d'une
"terre riche" ou d'une "riche terre", la qualité exprimée reste la même. Dans les deux
cas, l'adjectif exprime la fertilité de la terre. De même pour "grosses femmes" ou
"femmes grosses", il est question uniquement de l'opulence des formes.
Toutefois, nous ne pouvons nier les faits que nous venons d'évoquer, à savoir
le caractère distinctif de l'adjectif postposé au contraire de l'antéposé. Cette différence
apparaît a travers les implications ci-dessous:
1. "Une terre riche" implique "une terre qui remplit les conditions essentielles pour
être ainsi qualifiée".
2. "Une riche terre" implique "une terre qui remplit pleinement les conditions pour
être qualifiée de riche".
Ces implications attestent que l'on a des raisons de considérer que l'adjectif
antéposé a une valeur intensive ou simplement affective. D'ailleurs, certains auteurs
n'ont pas manqué de reléguer le phénomène de la place du côté de la stylistique,
probablement à cause de l'absence d'une différence sémantique dans les cas
semblables à ceux que nous venons d'analyser. Nous pensons particulièrement à E.
Reiner qui affirme "qu'il est hors de doute que le problème posé en français par la
place de l'adjectif épithète relève, au fond de la stylistique beaucoup plus que de la
grammaire au sens strict de ce terme" 87.
Par ailleurs, l'idée selon laquelle la valeur intensive est essentiellement liée à
l'antéposition est discutable. Pour s'en rendre compte, il suffit de se rappeler l'exemple
que nous avons analysé en 11.4.2. : "... un blessé grave".
Nous avons démontré que dans ce cas, l'adjectif a également une valeur
87Reiner CE.), Ibid, p. 307.
~, .

67
intensive. 88 Mais si l'on considère que les adjectifs postposés ayant cette valeur
subissent généralement une fonction adverbiale, notre objection ne peut être retenue.
11.2.2.3. Différence sémantique entre les adjectifs antéposés et postposés
La seconde conception de la valeur à attribuer à l'épithète antéposée situe le
problème non plus au niveau des faits stylistiques, mais sémantiques. Autrement dit, il
ne s'agit pas de valeur intensive ou affective dans ce cas, (par conséquent, de valeur
variable) mais bien de sens formellement identifiable si l'on en croit les propos
suivants de M. Forsgen : "L'on sait que le français possède l'heureux avantage de
pouvoir différencier formellement, dans le groupe épithétique, entre deux valeurs
foncièrement opposées, logiquement, du substantif Adjectif,
possibilité que par
exemple, les langues germaniques ne possèdent pas".89
Observons, pour illustrer la différence sémantique entre les adjectifs occupant
les deux positions, les phrases ci-dessous:
1. Mon administrateur, au demeurant un brave homme, mais pas du tout un
homme brave, beaucoup plus à l'aise devant un papier que derrière un fusil.
(H. C. , Azizah de N. , p. 328).
2. Constant prendra l'emploi de ce sale Romain à la Tannerie.
(T. M. , Le pain des p. , p. 94).
3. Constant prendra l'emploi de ce Romain sale à la Tannerie.
L'adjectif Brave est employé deux fois dans l'exemple n01, mais il occupe des
places différentes. En fait, nous avons choisi particulièrement cet exemple, parce qu'il
88E. Faucher donne plusieurs exemples d'adjectifs postposés occupant une fonction adverbiale: Cf. E. Faucher, op
cit, p. 123.
89Forsgren (M.), op cit, p. 35.

68
r/
indique une nette opposition sémantique entre les deux structures adjectivales
suivantes:
[8 + AD..I] *- [ADJ + 8].
Nous rappelons que cette opposition n'est pas possible pour les adjectifs
comme Riche ou Gros. Brave et Sale, au contraire, recouvrent des sens différents
lorsqu'ils sont antéposés ou postposés. Ainsi, placés devant l'adjectif, ils traduisent
respectivement "l'honnêteté, la gentillesse" et "le mépris". Lorsqu'ils sont postposés, ils
expriment "le courage" et "le manque de propreté".
Considérons, à présent, les relations suivantes:
1. Un brave homme. *- Cet homme est brave.
Un homme, brave.
2. Ce sale Romain.
*-
Romain est sale.
Ce Romain, sale.
3. Un homme brave <:::> Cet homme est brave.
Un homme, brave.
4. Ce Romain sale
<:::>
Romain est sale.
Ce Romain, sale.
Ces différentes relations montrent que le sens attaché à l'adjectif postposé est
le même que l'on retrouve dans les structures appositives et attributives (avec, bien
entendu, quelques restrictions que l'on verra dans la résolution des polysémies). En
revanche, le sens de l'adjectif antéposé semble exclusivement lié à cette position.
C'est pourquoi nous pensons que l'antéposition fréquente des adjectifs non dérivés est
une des causes de la multiplication de leurs sens.
En général, l'adjectif n'a une valeur adverbiale par exemple que quand il est
antéposé et dans ce cas, l'idée d'un sens attaché à la postposition n'est guère
pertinente. En d'autre termes, lorsqu'on parle de "Grands mutilés" ou de "Grand
responsable d'une catastrophe", l'on ne pense nullement à la possibilité que les êtres

69
,... -
désignés puissent être "grands". Cela prouve donc que la place est bien un facteur
spécifique de polysémie adjectivale.
11.3. La fréquence des adjectifs non dérivés
La
structure
morphologique
des
adjectifs
non
dérivés
les
prédispose
particulièrement à un usage fréquent dans le discours. C'est ce qu'attestent les
statistiques suivantes que nous devons à M. Wilmet : "Parmi les cent adjectifs les plus
fréquents, une majorité, (58 sur 100), 38 sur 50 premiers, 17 sur les 20 et 9 sur les 10
sont monosyllabiques".9o
Par ailleurs, des linguistes comme Zipf établissent une relation mathématique
entre la longueur du mot, sa fréquence et le nombre de sens qu'il peut prendre:
91
- 1
K
= constante.
Ainsi, plus un mot est court, plus il est fréquent et plus il risque
og.r
d'être très polysémique.
C
11.3.1. Fréquence et nombre de sémèmes
Pour analyser la fréquence des adjectifs non dérivés, nous nous sommes
référée aux études statistiques du dictionnaire des fréquences, car l'ensemble des
oeuvres que nous avons dépouillées nous a paru trop restreint pour en être
représentatif. 92
En effet, lorsque l'on compare les données fournies par ce dictionnaire,
l'équation qui existe entre la fréquence du mot et le nombre de ses sémèmes paraît
évidente. Considérons, par exemple, le tableau suivant qui représente la fréquence
absolue de 16 AND, (les 10 premiers et les 6 derniers), leur classe et le nombre de
leurs sémèmes. 93
90Wilmet (M.), op ci t, p. 26.
91 Kerbrat-Orrechioni (C.) [1979], p. 222.
920ictionnaire des fTéquences, vocabulaire des 19éme et 20éme s, [1971].

93Nous avons repris uniquement les données concernant le 20éme s.

70
Nombre de
1
Adjectifs
Numéro de classe
Fréquence absolue
sémèmes
Grand
66
66677
13
Petit
69
60219
11
Seul
93
41219
5
Beau
126
29964
5
Jeune
149
25403
5
Bon
174
21658
13
Vrai
182
20863
6
Fort
207
18661
16
Haut
220
16975
10
Noir
291
14198
11
Blond
2218
916
2
Roux
2561
560
2
Mat
2854
267
4
Moite
2865
256
1/3
Flou
3021
100
3
Acre
3110
11
2
Nombre de classes Total des occurrences
3121
37653685
L'analyse de ces données indique que le nombre de sémèmes des adjectifs les
plus fréquents peut largement dépasser 10. Quant aux moins fréquents, ils ont une
moyenne de 2 sémèmes. L'on peut donc affirmer que le nombre de sens des AND
dépend de la fréquence de ces derniers.

71
Cependant, cette relation pose deux problèmes que nous ne pouvons ignorer.
D'une part, elle suggère la possibilité d'établir avec exactitude le nombre de sémèmes
que peut avoir un mot. Or, il suffit de comparer les dictionnaires entre eux pour se
rendre compte que les lexicographes ne suivent pas tous les mêmes distinctions
sémantiques. D'où le caractère variable du nombre de sens de certains mots, puisque
les distinctions jugées pertinentes pour les uns ne le sont pas pour les autres.
Considérons, par exemple, l'adjectif non dérivé Moite: l'on constate que le petit
Robert lui donne un seul sens, c'est-à-dire "Légèrement humide". Quant au T. L. F. , il
lui en attribue trois. En plus du sens que nous venons de citer, il distingue "la
sensation d'humidité" de "l'impression d'humidité" (Ex: couleur moite). Autrement dit,
le nombre de sens des mots ne peut être qu'approximatif.
D'autre part, l'on s'attend logiquement à ce que les classes concernant le
nombre de sémèmes suivent un ordre décroissant dans le tableau. Mais ce n'est pas
le cas puisque l'adjectif Fort, par exemple, a le nombre de sémèmes le plus élevé (16),
bien qu'il soit situé à la septième place dans l'ordre des fréquences. Seul, au contraire,
\\
est plus fréquent que Fort et possède 5 sémèmes seulement.
Par ailleurs, l'on constate la même irrégularité au niveau des adjectifs non
dérivés à fréquence réduite. Nous en concluons donc que la fréquence d'emploi des
AND est sans aucun doute un facteur spécifique de polysémie, mais elle ne suffit pas
à expliquer le nombre de sémèmes de tous les AND.
C'est pourquoi nous proposons de faire intervenir le facteur en rapport avec les sèmes
constitutifs de ces adjectifs.
11.3.2. Sèmes constitutifs et nombre de sémèmes
L'analyse des sémèmes des adjectifs non dérivés semble confirmer l'idée selon
laquelle il existe un "rapport de proportionnalité entre la polyvalence d'un terme et son

72
degré de généralité".94 Pour illustrer cette relation, nous proposons l'analyse des
sémèmes courants des adjectifs de couleur noir et roux ci-dessous:
Noir <=> "un corps dont la surface ne réfléchit aucune radiation visible". (Ex.
"... pantalon noir").
Roux <=> "Qui est d'une couleur orangée, plus ou moins vive". (Ex.
"... roche
rousse".).
L'on remarque que le sémème de Noir comprend une information référentielle
qui n'est pas sémantiquement pertinente. Donc, sa longueur n'est que le résultat d'une
nécessité lexicographique. La preuve est qu'il est possible de regrouper les sèmes
sous le terme d"'Absence de radiation". Cette possibilité montre que Noir a un contenu
général, contrairement à Roux.
En effet, les sèmes constitutifs de Roux sont très précis et tous, véritablement
distinctifs. Le sème lié à la couleur est précisé par Orangée, lequel est également
marqué par l'idée de vivacité relative. Ce sémème est donc plus complexe que le
premier.
(
\\
Par ailleurs, si la nature offre de nombreux exemples de référents pouvant être
qualifiés par l'adjectif Noir, elle représente peu de choses rousses. En effet, Roux se
dit surtout de cheveux ou de poils. Cela implique donc que la composition sémique du
mot est le reflet de son extension. Sur ce point, nous sommes d'accord avec M.
Forsgen et G. Savard. Le premier affirme qu"'Un concept s'étend à d'autant plus
d'éléments qu'il réunit
moins de caractères ou de traits distinctifs".95 Quant à G.
Savard, il soutient qu'un mot a plus ou moins d'extension selon qu'il peut "recouvrir" un
plus grand nombre de notions complètement ou partiellement différentes. 96
9~Kerbrat-Orrechioni CC), op cit, p. 222 : loin de confirmer cette idée, elle expose plutôt les objections que l'on
peut faire par rapport à cette relation.
95Forsgren (M.), op cit, p. 32.
%Savard (G.) [1970] La valence lexicale, p. 27.
l

73
Autrement dit, puisque chaque changement de sens procède par adaptation
d'un ou de plusieurs sèmes véritablement distinctifs à la nouvelle réalité qui doit être
exprimée, plus leur contenu est général, plus l'extension des adjectifs est grand. Or,
l'extension du domaine d'application des adjectifs entraîne nécessairement leur usage
fréquent dans le discours et la multiplication de leurs sémèmes.
Une telle conception permet de justifier le caractère peu productif des adjectifs
qualificatifs suivants: Blond (2 sémèmes), Roux (2 sémèmes),
Âcre (2 sémèmes), Flou ( 3 sémèmes) et Mat (4 sémèmes).
Que l'on se rappelle que l'adjectif est "un élément de langue assujetti à
l'obligation d'avoir son incidence en dehors de son champ de signifiance, à des êtres
de toute sorte donc rien, à s'en tenir à ce que le nom-adjectif dit, ne le limite à la
différence.. .'I97.
Il n'y a donc rien de surprenant à ce que la clé de son interprétation soit liée à
l'unité linguistique qui le détermine.
Disons finalement que les adjectifs non dérivés se posent comme les éléments
(:
linguistiques les plus prédestinés au phénomène de la polysémie. Dès lors, l'on est en
droit d'émettre l'hypothèse selon laquelle cette caractéristique peut servir à établir de
façon définitive les critères de polysémie.
97Guillaume (G.) [1969]; Langage et science du Langage, p. 37.
'.

74
,"
TROISIEME CHAPITRE
DISCUSSION SUR LES CRITERES DE POLYSEMIE
Avant d'analyser le fonctionnement de la polysémie des adjectifs non dérivés, il
est nécessaire de présenter les éléments qui, en général, distinguent le phénomène
des autres faits sémantiques existant dans les langues naturelles.
En effet, la polysémie n'est pas le seul phénomène créé par l'impropriété du
signe linguistique. L'on sait qu'il existe des faits concomitants comme la synonymie et
l'homonymie. Le premier est généralement perçu comme l'inverse de la polysémie et
le second, un phénomène véritablement sémantique, contrairement à elle.
En raison de cette coexistence et des problèmes liés à la polysémie elle-même,
à savoir son existence en tant que fait de langue ou de parole, il est essentiel de
déterminer les critères susceptibles d'en rendre compte. A ce propos, l'on est forcé de
reconnaître que les avis sont partagés.
'\\
Certains linguistes caractérisent le phénomène de la polysémie en s'attachant à
la distribution des différents sémèmes des vocables. Ils admettent le critère d'après
lequel à chaque environnement correspond un sens différent. Il existe bien entendu,
par rapport à cette conception, certaines restrictions qui feront également l'objet de
notre analyse.
Par ailleurs, contrairement à cette première approche, le deuxième type de
critère se fonde sur des faits sémantiques. Les linguistes qui l'admettent considèrent
qu'un mot est polysémique si ses différents sens peuvent être traduits respectivement
par divers synonymes ou antonymes.
Quant au troisième groupe de linguistes, ils définissent la polysémie par
l'existence de sèmes communs aux différents sémèmes du vocable. Il s'agit, en fait

75
du critère le plus reconnu. Mais même dans ce cas, il existe une divergence puisque
les uns parlent simplement de sèmes communs et les autres, de noyau sémique.
L'on se propose donc, dans ce chapitre, de jeter un regard critique sur tous ces
critères et de distinguer celui qui semble représentatif de la polysémie telle qu'elle se
manifeste au sein des adjectifs non dérivés.
Ainsi, l'on verra d'abord les critères que l'on considère comme externes au
phénomène de la polysémie, précisément ceux des distributionnalistes et ceux qui
sont liés à l'existence de synonymes ou d'antonymes. Ensuite, ['on analysera le critère
du sème commun à travers les distinctions entre la polysémie et les autres
phénomènes linguistiques.
1. LES CRITERES EXTERNES DE LA POLYSEIVIIE
Nous parlons de critères externes lorsque les critères déterminés se fondent
sur les différentes relations des mots polysémiques avec les autres éléments présents
,.'
\\
dans l'environnement linguistique ou avec des synonymes ou des antonymes ..
1.1. Le critère distributionnel
D'après l'approche distributionnelle dont le théoricien est le linguiste
J. Apresjan, le sens du mot se détermine à partir des relations syntagmatiques qu'il
entretient au sein de la phrase. Autrement dit, les distributionnalistes admettent
l'existence d'une correspondance biunivoque qui "peut être établie entre certaines
significations et distributions".98 D'où la nature du critère qu'ils observent.
98 Apresjan
(J.) [1966] "Analyse distributionnelle des significations et champs sémantiques structurés" dans
Langage l, Mars, p. 56.

76
1.1.1. L'environnement syntaxique du mot
Les distributionnalistes soutiennent la
thèse selon
laquelle un
mot est
polysémique si ses différents sémèmes se réalisent à travers des combinaisons
syntaxiques différentes. 99 Soient les phrases suivantes:
1. Les hommes étaient ivres ... ". (R. O. K. , Lérionka écol. Mas. , p. 86).
2. Ils étaient la plèbe romaine, ivres de fureur et de joie"(M. D. , La chaîne, p. 255).
Dans l'optique distributionnelle, Ivre a nécessairement deux sens distincts
puisqu'il apparaît dans deux environnements syntaxiques différents. Dans le premier
exemple, l'environnement est constitué par un sujet et un verbe tandis que dans le
second, l'adjectif apparaît au sein de la structure suivante:
[S + ADJ + PREP + SN]. Ces structures peuvent être considérées comme l'expression
formelle de deux sémèmes de l'adjectif ivre, car la première phrase fait état d'un abus
d'alcool et la seconde, de l'emprise d'une émotion violente.
De même, des adjectifs comme Noir et Simple auront des sens différents selon
\\,
qu'ils figurent ou pas dans un environnement du type "être noir de colère", "un simple
fait" ou "une idée simple". Nous profitons de ces deux derniers cas pour faire
remarquer que l'approche distributionnelle ne concerne pas uniquement la nature des
éléments présents dans l'environnement du mot, mais également la position de ce
dernier dans les différents contextes. 100
Ainsi, la différence distributionnelle est bien un critère de polysémie. D'ailleurs,
la levée des ambivalences polysémiques que nous envisageons de faire repose sur
99 Apresjan (J.), Ibid, p. 48.
looSelon
la définition de Z. Harris cité par J. Apresjan(J.), op. ci t, p. 48, on nomme distribution d'un élément
linguistique, "la somme de tous les environnements dans lesquels il se rencontre, c'est-à-dire la somme de toutes
r_
les positions (différentes) d'un élément par rapport aux autres éléments".

77
la possibilité pour les sémèmes d'un même mot de s'identifier à travers différentes
formes de distribution.
Cependant,
l'on ne peut s'empêcher d'observer des réserves quant au
caractère biunivoque du rapport entre un sens et sa distribution. En effet, l'analyse de
certains contextes adjectivaux montrent qu'un même sémème peut s'identifier à
plusieurs environnements syntaxiques.
1. Je suis sûr que vous serez de mon avis. (P. B. , Les dents de la m. , p. 39).
2. Tu es bien sûre Maloup d'avoir retiré tous les os ? (J. C. , La dérobade,
p.347).
Qu'il soit suivi d'une complétive (cf Ex. 1) ou d'une infinitive (cf Ex. 2), Sûr
exprime l'idée de certitude. Il ne s'agit donc plus de relation entre une seule
distribution et un sémème, mais de deux environnements pour un même sens. Ce
deuxième type de rapport est également illustré par l'adjectif Propre que l'on retrouve
dans les contextes ci-dessous:
1. C'est notre première dépense propre ... (Libér. , 28 Mars 1990, p. 26).
2.... Des statuts personnels propres à certaines communautés.(Libér. , 28 Mars
1990, p. 9).
Avec ou sans expansion, Propre exprime l'idée de particularité. Autrement dit,
la différence de
distribution
n'est pas
toujours
l'expression
d'un
changement
sémantique.
1.1.2. l'environnement sémantique du mot
Essentiellement axés au départ sur la syntaxe du mot, les distributionnalistes
ont fini par comprendre la nécessité de s'intéresser à son niveau sémantique. 101 Ainsi,
IOIKerbrat-Orrechioni (C.) [1977], op cit, p. 42.

78
le critère distributionnel comprend également l'environnement sémantique du mot. Il
s'agit, en fait, de la classe sémantique du sujet de la prédication au sens large du
terme, laquelle sera considérée comme l'aptitude combinatoire du lexème.
Pour expliciter cet aspect du critère, nous proposons l'analyse des adjectifs cï-
dessous:
1
Ce ne fut pas une mince affaire... (Libér. , 17 Janv. 1990, p. 46).
2
Une mince lanière d'or... (T. M. 1 Le pain des p. , p. 174).
3. L'amour nu. (F. P.)
4. Je vois Gégé tout nu... (J. C. , La dérobade, p. 408).
Dans l'optique distributionnelle, ces adjectifs seront qualifiés de polysémiques si
leurs différents sémèmes sélectionnent un certain type de substantifs. En effet, Mince
ne signifie "peu important" que s'il qualifie une chose abstraite (cf Ex. 1) et "peu
d'épaisseur", quand il s'agit de choses concrètes (cf Ex. 2). De même pour Nu, la
distribution varie selon le sémème considéré: il signifie "Qui n'est couvert d'aucun
vêtement" quand il qualifie un être humain (cf Ex. 4) et "Qui est sans déguisement"
~
pour les choses abstraites.
Cependant, si ce critère traduit effectivement la réalité du phénomène de la
polysémie, il présente au niveau sémantique, les mêmes limites que nous avons
évoquées en ce qui concerne la distribution syntaxique.
Prenons, par exemple, les p~lrases suivantes:
1. Aujourd'hui, une chose est sûre ...(Le nouvel obs. , n01349, p. 89).
2 .... Maurice, tu es sûr qu'il a voulu la flinguer... ? (J. C. , La dérobade, p. 87).
Cet adjectif se situe dans deux environnements sémantiques et syntaxiques
différents que l'on peut structurer ainsi:
1. Sujet abstrait + Verbe copule + Sûr.
2. Sujet humain + Verbe copule + SOr + Proposition subordonnée.

79
Pourtant, il exprime dans les deux cas l'idée de certitude, ce qui atteste encore
que le rapport entre un sémème et une seule distribution n'est pas toujours conforme
à la réalité.
Par
ailleurs,
les
distributionnalistes
semblent
privilégier
l'environnement
syntaxique du mot; sans doute parce que son caractère formel ne peut être mis en
cause. Or, l'aptitude combinatoire est très importante quand il s'agit des adjectifs non
dérivés.
En effet, l'on a pu constater que l'expansion des adjectifs, par exemple, est en
majorité circonstancielle. Cela signifie donc qu'ils ne sont pas toujours suivis d'un
complément auquel serait identifiable tel ou tel sémème.
En outre, l'on a également noté que la position des adjectifs par rapport aux
substantifs n'est pas toujours le reflet d'un changement de sens. Il ne reste alors que
le niveau sémantique. Les limites de ce critère ayant été établies, nous proposons de
passer aux autres conceptions distributionnalistes.
"
1.2. Variantes du critère distributionnel
1.2.1. Le point de vue d'Oswald Ducrot
Selon Oswald Ducrot, l'on ne peut parler de polysémie que si la distribution du
mot n'est pas sémantiquement motivée. En effet, à travers son analyse du substantif
"Courage", il tient les propos suivants: "A qui proposerait une analyse de ce genre, on
fera remarquer que les restrictions en question sont directement explicables par la
nuance sémantique retenue pour définir Courage 1" : il est évident que, dans un
contexte verbal exprimant l'état subi par un sujet, on ne peut employer une expression
qui attribue à ce même sujet, dans son rapport à cet état, une attitude active ou en
d'autres termes, qui suppose que le sujet soit la source de l'état. Autrement dit, on ne

80
fait qu'une même chose en distinguant les deux unités Courage 1 et Courage 2 et en
notant les restrictions d'emploi de Courage 1".102
Si l'on se situe dans l'optique d'Oswald Ducrot, le changement sémantique n'est
effectif que quand il est indépendant de la distribution du mot.
Analysons, pour justifier ce critère, les phrases ci-dessous:
1. Il portait un pagne propre ... (R. O. K. , Lérionka écol. mas. , p. 113).
2. Et à côté de ses propres dessins, les croquis ... (Le nouvel obs.
n01349,
1
p. 129).
Il nous semble qu'aucun élément au niveau du sens de Propre 1, c'est-à-dire,
"Qui n'a aucune trace d'ordure.", ne justifie la position de cet adjectif par rapport au
substantif qu'jl caractérise. Il en va de même pour le second. Il existe donc deux sens
de Propre que l'on peut identifier aux différentes distributions ci-dessus, étant entendu
qu'elles ne sont pas sémantiquement motivées.
Cependant, il est difficile de soutenir, pour tous les cas où la distribution est liée
à une motivation sémantique, que le sens des mots demeure le même. C'est pourquoi,
Î\\
nous proposons comme contre-exemple l'adjectif Fier dans les emplois suivants:
1. Tu dois être fière. (T. B. J. , L'enfant de s. , p. 26).
2. Mon père peut être fier de moi maintenant.(R. O. K. , Lérionka écol. Mas. ,
p. 13).
L'on peut affirmer, si l'on tient compte du contenu suivant de Fier 2, "Qui a de la
joie, de la satisfaction de quelqu'un ou de quelque chose", que son environnement est
motivé par son sens. En effet, le sens de Fier 2 implique au niveau de
l'énoncé, la
présence de l'objet de la satisfaction en surface ou en structure profonde. Cet objet est
traduit par l'expansion sous forme de syntagme prépositionnel.
J02Ducrot (o.) [1975] "Je trouve que" dans Semantikos, 1, p. 65.

81
Pourtant, l'on n'a pas le sentiment de faire la même chose en distinguant Fier 1
(sans expansion) de Fier 2 (avec une expansion). D'ailleurs, même si l'on arrive à
prouver que le contenu de Fier 1, "Qui a un vif sentiment de sa dignité, de son
honneur" implique "avoir de la satisfaction de quelqu'un, notamment, de soi-même",
cela ne minimiserait pas pour autant les distinctions que nous venons de faire.
Donc, nous en déduisons que ce critère est trop restrictif pour un phénomène
aussi complexe que celui de la polysémie.
1.2.2. Le point de vue de J. L. Austin
La conception de J. L. Austin est encore plus restrictive que celle d'Oswald
Ducrot. En effet, selon lui, un mot ne peut être qualifié de polysémique que si chacun
de ses sémèmes est présent, quel que soit l'environnement linguistique dans lequel il
se trouve. C'est du moins ce qui se dégage de l'analyse qu'il fait du verbe "Percevoir" :
"Tout d'abord, s'il y avait réellement deux sens de "Percevoir" on s'attendrait
naturellement à
ce que « Percevoir » puisse figurer avec chacune de ses
constructions de telle sorte qu'il semble qu'il vaudrait mieux dire que les implications
de « Percevoir» peuvent varier en fonction des différences de construction plutôt que
de dire qu'il y a deux sens de « Percevoir ».103
Finalement, ce critère ne prend en compte que les cas où il est impossible
d'inférer tel ou tel sémème du contexte du mot. Il est si restrictif que même les
homonymes dont la différence sémantique est indéniable ne peuvent lui résister. En
effet, l'analyse distributionnelle des homonymes permet également de noter une
104
différence au niveau des relations syntagmatiques qu'ils entretiennent
. L'on parle,
par exemple, de « faire la grève» lorsque ce mot signifie "cessation de travail" et
103 Austin (.1. L.) [1971] Le langage de la perception, p. 115.
"
104Tutescu (M.) [1974J op cit, p. 103.

82
"d'aller sur la grève" quand il s'agit d'un terrain en bordure de mer. Or, il est clair que
cette différence est l'expression de deux véritables sens et non de simples
implications contextuelles.
Par conséquent, nous considérons ce critère comme non représentatif des faits
sémantiques,
en
général.
Aussi
curieux que cela
puisse
paraître,
le
rôle
monosémisateur du contexte, très important dans la communication linguistique, n'est
pas pris en compte par J. L. Austin.
1. 3. Existence de synonymes qui ne sont pas synonymes entre eux
Ce critère est admis par des linguistes comme U. Weinreich qui soutiennent
que pour prouver le caractère polysémique d'un mot, il suffit de trouver dans la langue,
des synonymes différents pour chacun de ses sémèmes. C'est ce qu'atteste la règle
suivante : "L'article du dictionnaire sera désigné comme ayant deux significations
distinctes W1 et W2, si et seulement si, il existe dans la langue une signification Z1
\\
d'un article Z qui est synonyme avec W1 et qui n'est pas synonyme avec W2".10S
En effet, il est possible de relier chaque sémème de vocables dits polysémiques
à des synonymes différents. Les dictionnaires usuels en témoignent suffisamment
pour que l'on n'ait pas à en douter. Mais nous tenons tout de même à illustrer ce fait
par l'analyse des phrases suivantes:
1. Je vois que ma mère est clairement folle. (M. D. , L'amant, p. 40).
2....délai complètement fou que se sont donné cinq industriels.(Libér., 23 Janv.
1990,p.11).
L'adjectif peut être paraphrasé par" aliénée", dans le premier exemple, et par
"absurde" dans le second. Par ailleurs, il est impossible de dire, si l'on s'en tient au
sens des phrases, "ma mère est clairement absurde" et un "délai complètement
aliéné". Cela signifie donc que cet adjectif est synonyme avec deux mots
\\.
losTodorov (T.) [1966], op cil, p. 20.

83
~..
sémantiquement différents. Une telle possibilité atteste, dans la conception d'U.
Weinreich, de sa nature polysémique.
Cependant, le problème est que ce critère se fonde sur un fait sémantique
assez instable. Comme nous venons de le voir, les synonymes sont le plus souvent
contextuels. A. Rey affirme même qu' "il n'y a pas de synonymes absolus, dès l'instant
que l'on fait intervenir les relations syntagmatiques et en discours, les "effets de sens",
"les connotations", ...etc".106
Autrement dit, la distribution des synonymes n'est pas identique. C'est pourquoi
les commutations de synonymes sont possibles dans certains environnements et
impossibles dans d'autres, comme nous le voyons à cette seconde analyse:
1.... l'adoption en tant que principal document du congrès était toujours
l'objet
(... ) d'âpres discussions. (Libér. ,23 Janv. 1990, p. 17).
2. Des pommes âpres complétaient le dessert. (1. M. , Le pain de p. , p. 36).
3.... l'adoption ...était toujours l'objet (... ) de violentes discussions.
4. *Des pommes violentes complétaient le dessert.
L'on constate, par rapport à ces commutations, (possibles pour le troisième
exemple et cause d'anomalie pour le quatrième) que l'adjectif Apre est synonyme de
violent uniquement dans un certain type de contexte, ou alors, quand il signifie, dans
un environnement précis, la même chose que le second.
Par ailleurs, cette variation distributionnelle vient probablement du fait que les
mots-synonymes sont eux-mêmes sujets au phénomène de la polysémie. En effet,
des adjectifs aussi différents que Beau, Bon, Grand et Gros, par exemple, sont parfois
synonymes à cause du caractère variable de leur contenu sémantique. C'est ce
'OGRey (A.) [1969], ibid, p. 20.

84
~...
qu'indiquent les phrases suivantes qui ont le même sens ou tout au moins les mêmes
implications:
1. Une fois je les avait laissés partir et j'avais reçu une belle correction.(R. O. K.
, Lérionka écoL mas., p. 11).
2
j'avais reçu une bonne correction.
3
j'avais reçu une grande correction.
4
j'avais reçu une grosse correction.
En réalité, la limite du critère de la relation synonymique réside en ce qu'il est
tout à fait possible, étant donné le caractère polysémique des mots, de choisir le
même synonyme pour une expression située dans des contextes différents et ayant
des sens distincts.
Considérons par exemple, les deux phrases ci-dessous:
1....j'avais reçu une belle correction.
2. De ses deux mains, deux belles mains d'étrangleur, il le souleva ... (G. B. ,
Les mens. de la n. , p. 95).
~.
L'on a déjà noté que l'adjectif présent dans le premier exemple peut être
paraphrasé par Bon. Ce dernier peut également commuter avec belles dans le second
exemple sans pour autant modifier le sens de la phrase : "...deux bonnes mains
d'étrangleur...".
L'objection que l'on peut faire est que cette limite n'en est pas vraiment une
puisqu'il est possible de trouver un synonyme de belle 1 qui ne soit pas en rapport de
synonymie avec belle 2. A cela, nous répondons que nous souhaitons montrer ainsi,
les difficultés qui peuvent surgir quand il s'agit de prouver le caractère polysémique
d'un mot par un autre qui l'est également. C'est le même problème qui se pose au
niveau du critère lié à la relation antonymique des mots à plusieurs sens.

85
1. 4. Existence d'antonymes qui ne sont pas antonymes entre eux
Le critère de la relation antonymique est presque similaire au précédent. En
effet, les linguistes qui l'admettent considèrent qu'un mot est polysémique si ses
différents sémèmes peuvent être reliés à des antonymes distincts. En d'autres termes,
le rapport entre chaque sens et un antonyme particulier suffirait à justifier la nature
polysémique du mot. O. Duchacek confirme cette règle quand il souligne que "les
mots polysémiques peuvent avoir des antonymes à toutes leurs acceptions, ce qui est
relativement rare, à quelques unes de leurs acceptions, ou à une seule". 107
Si l'on en croit les analyses qui suivent, ce critère est bien conforme au
phénomène de la polysémie.
Soient les phrases ci-dessous:
1. Il est devenu un garçon froid. (T. M. , Le pain des p. ,P. 24).
2. La viande avait été rôtie et elle est maintenant froide.(R. O. K. , Lérionka
écol. mas. , p. 86).
\\.
3. Chaque baptême fut une cérémonie silencieuse et froide.(T. B. J. , L'enfant
de s. , p. 19 ).
Dans ces contextes, l'adjectif peut avoir comme substituts antonymiques les
mots suivants: "Chaleureux" (1 .... Un garçon chaleureux... ), "Chaud" (2."La viande est
... chaude".) et "Animé" (3." ... une cérémonie ... animée."). La différence sémantique qui
existe entre les antonymes de froid serait l'expression de celle de froid 1, froid 2 et
froid 3.
Par conséquent, cette différence entre antonymes justifie la polysémie de
l'adjectif. De même pour l'adjectif Plat dans les contextes suivants:
1
talons plats
2
cheveux plats.
I070uchacek (o.) [1965] "L'antonymie" dans Cahiers de lexicologie, 6, p. 57.

86
Dans le premier, il est contraire à "élevés" et dans le second, à "gonflants". Ces
antonymes traduisent ainsi deux sens distincts de Plat.
Cependant, le fait est que ce critère se fonde sur un phénomène aussI
complexe que la polysémie elle-même. Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer aux
définitions qu'en donnent O. Duchacek et A. Rey. Le premier soutient que l'antonymie
est "le rapport (généralement binaire) entre les mots dont au moins les dominantes
sont contraires". 108 Quand à A. Rey, il. affirme que "l'antonymie (... ) confondue avec
l'opposition,
recouvre
des
relations
différentes:
complémentarité
des
termes
contradictoires( ... ) et opposition graduelle des termes contraires ».109
Il ressort de ces définitions que l'antonymie est liée à la fois aux questions
d'incompatibilité stricte et de simple opposition entre mots; la seconde étant plus
représentative du phénomène que la première.
En effet, l'antonymie est le plus souvent partielle, tout comme la synonymie, de
sorte que les mots en relation d'antonymie peuvent se retrouver synonymes. Or, l'on
sait que cette dernière relation implique une convergence de champs sémantiques.
\\.
Une telle situation est susceptible de mettre en cause la différence sémantique que
l'on établit entre les antonymes.
Prenons, par exemple, les adjectifs "Chaleureux ", "Chaud" et "Animé" que
nous avons préalablement posés comme antonymes. Ils acceptent les définitions
suivantes:
Chaleureux <=> "Qui manifeste de la chaleur, de l'animation".
Chaud <=> "Où il ya de l'animation,. de la passion".
Animé <=> "Qui est plein de vivacité".
Ces définitions indiquent que ces mots sont synonymes. Autrement dit, une
dominante du mot, comme l'a souligné O. Duchacek, peut être retenue par un
I08Duchacek (o.), ibid, p. 56.
I09Rey (A.), ibid, p. 20.

87
certain contexte et une autre, par un emploi différent, créant ainsi un rapport
d'antonymie ou de synonymie selon les choix que l'on fait.
Par ailleurs, ces différentes paraphrases du mot polysémique peuvent entraîner
une certaine confusion entre ce qui n'est en fait qu'une simple variante référentielle et
les véritables cas de changement sémantique. Si l'on considère, par exemple, des
contextes comme "Un matelas mou" et "Du beurre mou": mou 1 peut être paraphrasé
par "moel/eux" qui signifie "Qui est doux au toucher, qui s'enfonce agréablement".
Quant à mou 2 , il est paraphrasable par "ramol/t' , lequel a le sens de "rendu moins
dur".
L'on conviendra qu'il existe une différence entre deux emplois de cet adjectif,
car si "ramolli' implique "moel/eux" , ces mots ne sont pas pour autant équivalents.
Néanmoins, il est possible de leur donner une définition conjointe, à savoir, "Qui cède
facilement à la pression". Le problème se pose également pour Doux, par exemple:
"Une lumière douce" est paraphrasable par "Une lumière tamisée" et "Un hiver doux"
par "Un hiver clément." Cependant, cette différence de synonymes disparaît lorsque
f\\
l'on réalise que doux 1 et doux 2 peuvent être définis par "Qui épargne des sensations
violentes ou désagréables".
Ces faits indiquent donc que le critère de l'existence de synonymes ou
d'antonymes pose le problème de la polysémie sans limite. Wagelas (cité par A.
Kibedi Varga) affirme justement à propos des synonymes, qu"'il est question de
peindre une pensée, de l'exposer aux yeux de l'esprit. La première parole a déjà
escabauché ou tracé la ressemblance de ce qu'elle représente, mais le synonyme qui
suit est comme un second coup de pinceau qui achève l'image"11o. Cela implique que
toutes les nuances occasionnées par la sélection de différents référents risquent
d'apparaître comme l'expression de plusieurs signifiés. Il nous semble que c'est dans
ce cas seulement qu'il serait judicieux de parler de valeurs d'emploi et non de sens.
IIOKibédi Varga (A.) [1973] "Synonym ie et antithèse" dans Poétique, 15, p. 312.

88
Aussi, serait-il souhaitable, pour des lexèmes dont le degré de polysémie est
très élevé, de se fonder sur des critères non aléatoires. Même si, d'après 1. Todorov,
ces faits sémantiques doivent trouver des solutions complémentaires et non isolées,111
nous pensons que les critères les plus représentatifs sont ceux qui s'appuient sur des
éléments internes au phénomène lui-même.
II. LE CRITERE INTERNE DE LA POLYSEMIE
L'EXISTENCE DE SEME(S)
COMMUN(S)
Bon nombre de linguistes reconnaissent l'existence d'une identité sémique
entre les sémèmes de vocables polysémiques. Cependant, les implications de ce
critère diffèrent selon la conception qu'ils ont du signifié.
En effet, les différentes conceptions du signifié ont donné naissance à deux
types de traitement de la polysémie. La première est celle que R. Martin présente ainsi
: "pour beaucoup, le signifié est par nature monosémique, et c'est décrire le référent
\\.
que de dégager la multiplicité polysémique. Un signifié unique de grande généralité
permettrait à "couler', à "changer' ou à "apprendre" de s'adapter à des contextes
extrêmement divers et de livrer des nuances de significations aussi variables que les
contextes eux-mêmes".112
La seconde conception est admise par les linguistes qui considèrent que la
polysémie met en jeu plusieurs signifiés dont l'intersection n'est jamais nulle.
Autrement dit, ce qui n'est que simple valeur d'emploi est considéré par certains
comme l'expression de la variabilité du signifié. Laquelle de ces deux conceptions
s'applique le mieux à la polysémie des adjectifs non dérivés? C'est la question à
'1lTodorov (T.),op cit, p. 17.
112 Mart in (R.) [1979] "La polysémie verbale, esquisse d'une typologie formelle" dans Travaux de linguistique et
de littérature, p. 259.

89
laquelle nous devons répondre avant d'aborder celle des distinctions que l'on peut
faire entre la polysémie et les autres phénomènes linguistiques que l'on a évoqués.
11.1. La nature de l'identité sémique
11.1.1. L'existence du noyau sémique
Le critère du noyau sémique prend sa source dans la conception guillaumienne
du signe linguistique. Selon cette théorie, "un signe totalise en lui-même un signifiant
et un signifié de puissance qui lui est attaché de façon permanente. (... ). Le signifié de
puissance, réalité inconsciente de l'ordre du virtuel, devient actuel par effet de
discours. Capable d'un seul type d'actualisation, le signe est un "polysème,,113
Il ressort de cette définition que la polysémie résulte de la manifestation
discursive du signifié de puissance sous forme de plusieurs signifiés d'effets, ou
encore, "d'un invariant qui s'actualise dans des valeurs d'emploi".114
Ainsi, le noyau sémique commun
aux différents sémèmes d'un vocable
polysémique est considéré comme un ensemble de sémes virtuels qui peuvent être
dégagés à partir de n'importe quel contexte de ce vocable.
Examinons, pour illustrer ce critère, les différents exemples ci-dessous:
1. Un riche commerçant comblé par cette naissance.(T. B. J. , La nuit s. ,
p.27).
2. Que je soit féconde et riche en enfants. (A. K. , Les soleils de ind. , p. 48).
3. La riche langue française qu'emploie avec génie monsieur Agboko. (H. C. ,
Azizah de N. , p. 87).
4. Mais je me sentais mal à l'aise dans ce salon trop riche ... (S. de B. , La force
des choses, p. 26).
113 Picoche (l.) [1986J Structures sémantiques du lexique français, p. 8.
114Tutescu (M.), ibid p. 105.
\\\\

90
Soient L:1, L:2, L:3 et L:4, les différentes lectures de riche:
L:1 : "Qui a de l'argent en abondance."
L:2 : "Qui a ou contient beaucoup de ... "
L:3 : "Qui contient de nombreux éléments."
L:4 : "Qui annonce ou suppose la richesse."
Pour tous ces sémèmes, l'on retrouve d'une manière implicite l'ensemble des
sèmes suivants: "Qui a quelque chose en abondance". Cet ensemble constitue le
noyau sémique. Il s'agit, en fait, du signifié que ces différentes lectures impliquent.
L'on pourrait également se référer à l'exemple du substantif "Guide" analysé
par M. Tutescu : qu'il soit question d"'une personne qui accompagne pour montrer le
chemin", de "celui ou celle qui conduit d'autres personnes dans la vie, les affaires" ou
d' "ouvrage contenant des renseignements utiles", tous ces sens peuvent être
généralisés par celui-ci: "Dont le but est de donner des renseig nements utiles".115
Par ailleurs, toujours dans l'optique du signifié unique, l'on considère qu'il est
possible de dériver, à partir du noyau sémique commun, les autres sémèmes. Ainsi,
\\
ces lectures ne seraient rien d'autre que les valeurs prises par le signifié basique,
selon les contextes d'emploi du mot. Quand riche, par exemple, se situe dans un
contexte où il s'agit de "biens matériels d'une personne", le noyau sémique s'actualise
sous la forme du sémème suivant: "Qui a de l'argent en abondance".
Ces faits indiquent, par conséquent, que la présence d'un noyau sémique est
bien une caractéristique du phénomène de la polysémie. Toutefois, pour être
représentatif de ce phénomène, les critères que l'on adopte doivent caractériser tous
les cas de polysémie que l'on rencontre. Dès lors que l'on pense à une conception
IISTutescu (M), op cit, p. 105.

91
générale,
l'idée du
noyau
sémique
comme
fondement
de
toutes
les
autres
constructions semblent ne plus convenir et nous allons voir pourquoi.
11.1.2. L'existence d'au moins un sème commun
Reconnaître l'existence d'un noyau semique implique l'idée de l'existence de
plusieurs sèmes communs aux différents sémèmes du mot polysémique, mais c'est le
seul rapprochement que l'on peut faire entre les deux conceptions.
En effet, il est difficile de concevoir, pour certains cas de polysémie, l'existence
d'un noyau sémique entre les sémèmes.
Analysons, par exemple, l'adjectif Rond employé dans les contextes ci-dessous
suivis de leurs lectures respectives:
1. Un ballon rond
<=>L:1
"Dont
la
forme
extérieure
constitue
une
circonférence"
2. Un dos rond
<=>L:2 : "Qui forme un arc de cercle."
3. Une main ronde <=>L:3 : "Qui est charnu, sans angles."
4. Un homme rond <=>L:4 : "Qui agit avec franchise, simplicité."
Pour déterminer le sème commun à tous ces sémèmes, l'on peut partir de
l'image de la rotondité que nous représentons par le schéma suivant:
~- Rotondité
Limite de l'arc
de cercle

92
L'on constate que tous les sémèmes de l'adjectif sont marqués par cette image
de la rotondité, d'une manière explicite ou implicite. Elle existe à travers les sèmes
suivants des trois sémèmes: "circonférence", "arc de cercle" et "sans angles". Quant
au dernier sémème, l'on peut supposer qu'il se fonde sur la ressemblance qui existe
entre l'aspect formel et sans détour du cercle et l'idée de franchise. Cependant, il est
difficile de déterminer, malgré ce lien entre les sémèmes, un noyau sémique commun
à partir duquel l'on dériverait les autres sens.
Il est évident que le contenu du mot polysémique comprend un certain nombre
de sèmes disponibles dont un seul ou plusieurs constitue(nt) l'intersection entre ses
différents sémèmes. C'est pourquoi nous sommes d'accord avec P. Charaudeau
quand il soutient que, "... chaque emploi a un sens structurel original. Mais si l'on
considère la totalité de ces emplois, on obtient une "architecture" dont le point de
convergence des différents liens sémantiques est un "noyau" où l'on retrouve
quelques "traits".116
Considérons, par exemple, les différents contextes de l'adjectif Blanc qu'il
analyse:
_Une feuille blanche (non écrite).
_Des draps blancs (non colorés), (non sales).
_Un mariage blanc (non valide).
_Une voix blanche (sans tonalité).
Les sèmes entre parenthèse indiquent que l'adverbe de négation "non" ou
l'idée d'absence constitue le lien entre les sémèmes.
Par ailleurs, chaque sémème privilégie un sème précis. Le premier, par
exemple, a comme sème dominant "l'écriture" et le second, "la couleur".117
En
modifiant ainsi la dominante, ces sémèmes se particularisent. Donc, l'on considère
que la polysémie est un phénomène qui réunit à la fois une unité et une différence
1'6Charaudeau (P.), ibid, p.24-25.
117L'on pourra également se référer aux analyses de Duchacek (O.) [1973] "Sur le problème de l'analyse
componentielle" dans Travaux de linguistique et de littérature, XI, l,pp. 25-29.

93
sémantique. En d'autres termes, un signifiant sera appelé polysème si ces différentes
lectures possibles convergent vers un ou plusieurs sèmes communs. Ce critère paraît
sans doute simpliste, mais il a l'avantage d'être plus représentatif.
En outre, parler de noyau sémique signifie que l'on réduit le phénomène à
l'unité sémantique uniquement. Or, que l'on considère qu'il s'agit de simples valeurs
d'emploi ou de véritables signifiés, l'on ne peut nier leur différence.
Comparons à présent la polysémie et les autres phénomènes linguistiques.
11.2. La polysémie et l'homonymie
Les travaux abondent sur la distinction entre l'homonymie et la polysémie, car il
existe une ressemblance entre ces deux phénomènes. La preuve est qu'il est possible
de les représenter par un même schéma:
Sa
En effet, qu'il s'agisse de polysémie ou d'homonymie, le problème se situe au
niveau de la possibilité pour un signifiant unique d'avoir plusieurs signifiés. Mais une
analyse plus approfondie des deux phénomènes permet de se rendre compte de la
profonde différence qui existe entre eux.

94
11.2.1. Distinction sémantique
L'on a mis en relief le fait que la polysémie se caractérise également par
l'existence d'une disjonction partielle entre les différents signifiés du mot. Cette
caractéristique la différencie de l'homonymie, car la disjonction est totale pour cette
118
dernière.
Considérons, par exemple, les définitions du substantif Baie:
L:1 : "Ouverture pratiquée dans un mur ou dans un assemblage de charpente
pour faire une porte, une fenêtre" (Une baie vitrée).
L:2 : "Fruit indéhiscent dont le péricarpe entièrement charnu renferme des
grains ou pépins" (Les oiseaux mangent les baies).
La différence entre les sèmes dominants "ouverture" et "Fruit" indique d'emblée,
une disjonction sémémique. Mais ce critère, comme on l'a vu, n'est pas suffisant pour
valider la thèse d'un cas de polysémie ou d'homonymie. La principale démarche
consiste à déterminer au moins un sème commun aux deux sémèmes puisque "la
polysémie suppose une cohérence sémique qui manque aux homonymes considérés
'\\
les uns par rapport aux autres".119 Les sémèmes, ci-dessus, ne pouvant être reliés par
un ou plusieurs sèmes, Baie 1 et Baie 2 seront considérés comme des homonymes.
En dehors de la forme de leur signifiant, ils n'ont aucun lien.
Il existe de nombreux exemples d'homonymes comme Marche 1 qui signifie
"Province frontière d'un état" et Marche 2, dont l'un des sens est "Un endroit où se
pose le pied"; ou encore, comme Souci 1, équivalent d"'un état d'esprit" et Souci 2,
désignant une plante. L'analyse de leurs signifiés atteste qu'il n'y a aucun rapport
sémantique entre eux.
Cependant, la conception d'après laquelle on appelle homonymes les mots qui
n'ont aucun sème en commun n'est pas toujours satisfaisante.
118Larochette (J.) [1967] "La signification" dans Linguistica antverpensia,l,p. 77.
119Gaimiche (M.) [1975] Sémantique générative, p. 50.

95
En effet, les sèmes de Baie 3, "échancrure" et "entrée", constituent une
communauté sémique par rapport au sémème de "Baie 1", que nous avons déjà
analysé. En effet, les sèmes de ce dernier (ouverture ... dans un mur) traduisent
également l'idée de découpage. Et pourtant, le petit Robert les présente comme des
homonymes.
Autrement dit, cette distinction suit d'autres critères que celui de l'existence ou
non d'un ou de plusieurs sèmes communs entre les sémèmes.
En effet, certains se fondent sur des critères dérivationnelles pour distinguer les
homonymes des polysèmes. Ainsi, ils en arrivent à poser par exemple l'existence de
deux homonymes, Juste 1 et Juste 2, car le premier permet d'obtenir le dérivé
"Justice" et le second, "Justesse ". De même pour "Propre 1 " et "Propre 2", il s'agit
d'homonymes à cause de leur différence dérivationnelle ci-dessous:
Propre 1 =>"Propreté"
Propre 2 =>"Propriété"
Or, dès lors que l'on admet un tel critère, la distinction moyennant le sème
commun disparaît. L'on est d'avis que la solution serait d'admettre que si le lien entre
les sémèmes d'homonymes existe parfois, il n'est guère présent à l'esprit des sujets
parlants, contrairement aux polysèmes. En effet, lorsque l'on emploie un adjectif
comme Fin, par exemple, dans un énoncé comme "... un petit tas de cendre fine ... "
(T..M. , Le pain des p.
p. 153), l'on est conscient de l'existence d'autres sens
1
possibles que celui qui se dégage de ce contexte, c'est-à-dire "Dont les éléments sont
petits". L'on pense que le sujet parlant a le sentiment d'employer le même mot pour
traduire des signifiés différents. En revanche, ce sentiment disparaît lorsqu'il s'agit
d'homonymes.
par conséquent, aussi bien pour "Cuisinière" que pour "Juste", l'on considère
que ce sont des mots polysémiques uniquement et non des homonymes, car le lien
entre les divers sémèmes est synchroniquement présent dans la conscience
collective, même s'il ne se pose pas comme un obstacle.

96
11.2.2. Distinction lexicographique
11.2.2.1. Les entrées en dictionnaire
Les entrées en dictionnaire diffèrent selon que l'on a affaire à un mot
polysémique ou
à un homonyme. En effet, "lorsque deux entrées distinctes
sémantiquement sont identiques graphiquement, on dit qu'elles sont homonymes.
Lorsque la même entrée recouvre des sens différents, on dit que le mot est
polysél11iq ue". 122
Cela signifie donc que les lexicographes respectent la tradition d'après laquelle
les homonymes sont des mots différents même s'ils sont graphiquement identiques, et
le vocable polysémique, l'expression de la multiplicité sémantique d'un seul signifiant.
Ainsi, l'on observera deux entrées pour Grève ou trois pour Baie à cause du nombre
de leurs sémèmes. Quant aux mots polysémiques comme Simple, Grave, Ravir et
Frais ... , ils n'ont qu'une seule entrée, sauf en cas de double utilisation.
Considérons, par exemple, le dernier adjectif ci-dessus, à travers les phrases
suivantes:
1. Elle sort très peu d'argent frais. (P. B., Les dents de la m., p. 472).
2. Il faut rester fraÎChe et bien coiffée. (M. D., La chaîne
p. 134).
1
3. Villa et château, par leurs frais d'entretien et de personnel ... (cf article sur
frais, n. m du petit Robert 1).
Ces différents emplois de l'adjectif donnent respectivement les sémèmes
suivants:
I1 : "Qui est nouvellement reçu".
I2 : "Qui est resté intact, ou a retrouvé sa vitalité".
122 0u bois (J.) & Dubois (c.) [1971] Introduction à la lexicographie, p. 67.

97
(
L:3 : "Dépenses occasionnées par une opération quelconque".
L'on constate qu'il est possible de compléter L:1 de la manière suivante: "Qui
est nouvellement reçu et qui a gardé ses qualités". L'on en déduit que les deux
premiers sémèmes ont en commun l'idée de conservation. Par ailleurs, la relation
métaphorique qui existe entre ces sémèmes nous conforte dans l'idée qu'il s'agit du
même signifiant.
En outre, aucune communauté sémique ne permet d'établir une relation entre le
dernier sémème et les deux précédents. C'est le cas de l'homonymie stricte qui ne
laisse place à aucun doute. Ces faits indiquent donc que Frais est à la fois
polysémique et homonymique. D'où les deux entrées qu'il a en dictionnaire.
Cependant, les différentes entrées ne sont pas toujours le reflet d'une
distinction sémantique radicale. Dés l'instant où le mot fait partie de plusieurs
catégories lexicales, les lexicographes lui attribuent des entrées différentes. En ce qui
concerne l'exemple que l'on vient d'analyser, le changement de catégorie peut être
considéré comme la marque d'une homonymie : l'adjectif Frais est en relation
l,
d'homonymie avec le substantif Frais (nom masculin pluriel.). De même pour l'adjectif
Bon et le substantif masculin Bon.
Comparons à présent les sémèmes ci-dessous de Frais:
L:1 : "Qui est légèrement froid". (Ex: L'air était frais).
L:2 : "A l'heure où il fait frais, dans un endroit où il fait frais". (Ex: à la fraÎche
[locution adverbiale]).
L'on remarque que FraÎche (nom féminin) occupe une entrée différente de celle
de l'adjectif dans le petit Robert. Or, il est évident que les deux sémèmes ci-dessus
ont des sèmes communs. L'on devrait, par conséquent, admettre une seule entrée
pour ces distinctions sémantiques qui ne sont que partielles.
En fin de compte, les exigences lexicographiques priment face aux problèmes
de sens.

98
'1.2.2.2. La distribution du mot
Certains auteurs proposent de distinguer les homonymes des polysèmes en
insistant sur leur différence distributionnelle. C'est ce que suggèrent les propos
suivants: "Le dictionnaire distingue les unités homonymiques par leur comportements
contextuels différents ... ,,123
Ailleurs, L. Picabia affirme que "Dans la mesure où un adjectif s'intègre dans
deux constructions différentes, i/ est convenu de dire que deux adjectifs sont en jeu,
car bien que les sens soient très voisins,
les liens unissant les différentes
constructions ne sont pas évidents. On convient alors de dire qu'il y a deux adjectifs
"Digne".124
nous ne nions pas le fait que chaque homonyme se caractérise par un
environnement linguistique particulier. Nous l'avons vu, d'ailleurs, lorsque nous
tentions de montrer que la distinction entre l'homonymie et la polysémie coïncidait
parfois avec une différence de catégorie lexicale. Il est évident que deux mots
appartenant à des catégories distinctes ne peuvent avoir le même fonctionnement
syntaxique.
Par ailleurs, même les homonymes faisant partie d'une seule catégorie lexicale
présente une différence distributionnelle. L'on a vu, par exemple, que l'on parle de
"faire la grève" quand ce substantif signifie "cessation de travail" et dlllaller sur la
grève" d'après le sémème "Terrain plat situé au bord de la mer... ". Le premier peut
entrer dans une forme accusative tandis que le second subit constamment la fonction
locative.
Dans tous les cas, accepter un tel critère présente un inconvénient important, à
savoir celui de voir des cas de polysémie évidente basculer du côté de l'homonymie.
C'est le fait illustré par le substantif "Cuisinière" que l'on a évoqué dans l'introduction
générale. En effet, M. Tutescu pose comme homonymes Cuisinière 1 et Cuisinière 2,
123Dubois (J.) & Dubois (C.), ibid, p. 71.
124Picabia (L.), ibid, p. 100.

99
(
car le premier apparaît dans une distribution comme "La cuisinière était enrhumée" et
le second, dans un environnement du type "La cuisinière était émaillée". Que l'un soit
marqué par le sème "humain" et l'autre sème "objet" serait une raison suffisante pour
les définir comme des homonymes.
Or, la plupart des analyses distributionnelles attestent que la changement
125
sémantique, quel qu'il soit, se reflète à travers une variation contextuelle.
par conséquent, ce type de distinction entre homonymes et polysèmes est
irrecevable. M. Galmiche semble d'accord sur ce point puisqu'il soutient que "si l'on
oppose la polysémie à l'homonymie, l'on a affaire au sens, non aux origines des mots,
ni à leur fonctionnement syntaxique".126 Cela prouve encore que les véritables critères
sont ceux qui ont trait aux signifiés des mots.
Il. 3. La polysémie et la synonymie
La synonymie est un phénomène que l'on pose généralement comme l'inverse
de la polysémie. En effet, la polysémie se situe au niveau sémasiologique de la
communication linguistique, c'est-à-dire, de la compréhension du message. La
synonymie, en revanche, est le fait d'une démarche onomasiologique, donc, contraire
127
à la précédente.
Qu'est-ce à dire?
Au cours de ses opérations discursives, le locuteur a le choix entre plusieurs
signifiants dont les propriétés sémantiques permettent de traduire plus ou moins sa
pensée. Ainsi, selon l'idée à faire valoir, il choisira entre Bon, satisfaisant et excellent,
125ef. 1.1.
126Galmiche (M.), op cit, p. 46.
I27Pottier (B.) [1987] op cit, p. 11.

100
par exemple, ou encore, entre Revue et Magazine. Cette opération se situe donc au
niveau de la construction du message.
D'autre part, tandis que la variabilité à l'intérieur du signe linguistique se
manifeste à travers la face "signifié" pour la polysémie, celle de la synonymie
concerne le "signifiant". Le deuxième phénomène peut être représenté par le schéma
suivant:
s~
S~
Se
s~
s~
Nous rappelons que nous avons déjà évoqué le problème de la synonymie
dans la justification du caractère polysémique des mots. Il s'agit, dans cette analyse,
de comparer les deux phénomènes, comme nous l'avons fait avec l'homonymie ..
Soient les contextes ci-dessous des adjectifs Pauvre et indigent:
1. On avait choisi une famille pauvre. (T. B. J. , L'enfant de s. , p. 19).
2. Ma pauvre grand-maman est folle ... (A . , L'herbe bleue, p. 52).
3. On avait choisi une famille indigente.
Voici les sémèmes que l'environnement de ces adjectifs permet de dégager:
L: 1 : "Qui manque du strict nécessaire".
L: 2 : "Qui inspire de la pitié".
L: 3 : "Qui manque des choses les plus nécessaires à la vie".
Il est tout à fait possible de traduire le deuxième sémème par "Qui souffre à
cause d'un manque et inspire, par conséquent, de la pitié". Autrement dit, l'on peut
considérer que Pauvre 1 et Pauvre 2 sont deux manifestations contextuelles d'un
même signifiant.
Par ailleurs, l'on pourrait croire à l'existence d'une équivalence parfaite entre

101
L 1 et L 3. Mais ce serait incorrect. La relation synonymique, comme nous l'avons vu,
est le plus souvent approximative. Cela signifie donc, que les synonymes traduisent la
même idée, mais conserve une certaine spécificité. En effet, il est vrai qu'il existe une
forte communauté sémique entre les mots en rapport de synonymie. "Manque" et
"nécessaire", par exemple, constituent l'essentiel du premier sémème de pauvre et se
retrouvent au niveau de la définition du synonyme indigent. Mais cette relation n'est
pas parfaite, étant donné les implications suivantes:
L 1=> Qui a des revenus très modestes.
L 3=> Qui n'a guère de revenus.
Ces différentes implications sont le fait de sèmes complémentaires qui
spécifient chaque parasynonyme. Dans le cas, par exemple, de Chaud (au sens de
"Qui est à une température plus élevée que celle du corps") et de Brûlant, la spécificité
réside en ce que le second mot comprend le sème "brûlure" en plus de ceux qu'inclut
l'adjectif.
Ainsi, qu'il s'agisse de la polysémie ou de la synonymie, il existe une disjonction
~
: "
sémique, même si elle est très infime au niveau du deuxième phénomène. De cette
disjonction provient la possibilité pour certains d'être plus expressifs que d'autres.
En fin de compte, tous ces phénomènes que l'on a analysés se rapportent
d'une manière ou d'une autre à la polysémie. doit-on encore se demander si elle
existe? il semblerait que oui puisque la question demeure.
Il.4. La polysémie, un fait de langue ou de parole?
Dans son analyse sur l'opposition qui existe entre la langue et la parole,
K.Heger affirme que "pour tout phénomène observé sur le plan de la parole, il existe
nécessairement un phénomène correspondant sur le plan de la langue, et pour tout
phénomène dont on postule l'existence sur le plan de la langue, il faut postuler en

102
même temps la possibilité de l'existence de phénomènes correspondants observables
sur le plan de la parole" .128
Ces propos se justifient par rapport à la nature des relations qui existent entre
les deux composantes de la linguistique que sont la langue et la parole. " est donc
essentiel de les définir,
d'autant plus que l'on voudrait arriver à poser de manière
définitive la polysémie comme un phénomène de langue. A ce sujet, la citation de K.
Heger indique que la véritable question n'est pas de savoir où se situe la polysémie
puisqu'admettre la thèse de son existence à l'un des niveaux revient à agir de même
pour l'autre.
Toutefois, l'on conviendra que démontrer son existence au niveau de la langue
ou de la parole implique que l'on reconnaît la réalité du phénomène.
Il.4.1. Les notions de langue et de parole
En général, ces deux éléments sont analysés par les linguistes dans un rapport
~,
oppositif auquel l'on identifie d'autres oppositions, à savoir celles du code linguistique
et du message, de la compétence et de la performance. 129
L'on voudrait, non pas les redéfinir, mais rappeler les éléments essentiels qui
permettent de comprendre pourquoi l'on est obligé de concevoir différemment le
phénomène de la polysémie selon que l'on se trouve en langue ou en discours.
En effet, la langue depuis F. de saussure se définit comme un ensemble de
symboles et de règles de combinaison qui constituent la compétence linguistique des
sujets parlants et dont on doit tenir compte dans la compréhension des messages.
128Heger (K.) [] 967] « La sémantique de la dichotom ie de langue et parole» dans Travaux de linguistique et de
littérature, T.7,] ,p.50.
129Heger (K.),ibib,p.50

103
r
Elle apparaît ainsi, comme un système virtuel et abstrait qui ne peut être véritablement
appréhendé que lorsqu'il est actualisé.
par ailleurs, il est important de noter que la langue est « sociale dans son
essence et indépendante de l'individu 130 }}. Une telle remarque implique que les faits
linguistiques relevant de la conscience collective des sujets parlants, tous les
éléments considérés comme non individuels peuvent faire partie de leur compétence.
En revanche, la parole se définit comme un acte individuel qui relève de la
performance du locuteur. Cet usage personnel n'est rien d'autre que l'actualisation
des faits de langue. Ainsi se justifient les propos de K. Heger que l'on a cités, car l'une
étant l'expression de l'autre dans un domaine différent, il est tout à fait logique de
supposer que les phénomènes linguistiques existent au sein des deux. Mais la
polysémie paraît plus complexe étant donné que l'on a, d'une part, les différents
signi'fiés que recouvre le mot et d'autre part, le fait qu'en contexte, seul un sens est
sélectionné. Dès lors, sa situation par rapport à la langue ou au discours devient
essentielle.
11.4.2. La polysémie de langue
L'on constate que, conscient ou pas de la multiplicité des sens que peut avoir
un lexème, le locuteur organise toujours systématiquement et sémantiquement son
message de manière à en faciliter l'interprétation. 131
Prenons, par exemple, la phrase suivante:
... annoncer à son grand ami le professeur, la magnifique nouvelle. (F. P.,
L'amour nu, p. 181).
Malgré le nombre important de sémèmes que l'on peut attribuer à cet adjectif,
sa lecture n'est nullement liée à la taille et encore moins à l'idée de notoriété. Il a une
valeur de superlatif qui indique une amitié très poussée. Ainsi, dès l'instant où le mot
apparaît en contexte, il est théoriquement univoque.
Par conséquent, il est inutile de souligner que c'est sur cet argument que se
fondent les linguistes pour défendre la thèse du caractère monosémique du signe
130Saussure (f.), op cit, p.37.
131Pottier (B.) [1987], op cit, p. Il.

104
(
linguistique. Mais l'on est d'avis que l'on confond simplement le niveau contextuel et le
niveau de langue.
En effet, logiquement, la polysémie est inexistante au niveau du discours pour
les raisons que l'on vient de souligner. Cependant, il suffit de considérer d'autres
données pour comprendre qu'elle existe certainement à un niveau supérieur.
Prenons, par exemple, la phrase suivante que nous avons déjà analysé:
Mon administrateur, au demeurant un brave homme mais pas un homme brave.
Cette phrase est très compréhensible et ne comprend aucune absurdité interne,
car il s'agit de deux occurrences distinctives du même signifiant. 132
Par ailleurs, cette opposition s'inscrit nécessairement en langue sous forme de
sémèmes partiellement disjonctifs liés à des règles de combinaisons et à un ou
plusieurs sèmes communs que l'on peut appréhender en termes de signifié de base
sont traduits de manière implicite ou explicite à l'intérieur des différents sémèmes d'un
même adjectif non dérivé.
L'on voudrait croire que la présence même de ce signifié de base et la nature
des relations sémantiques qui existent entre les sémèmes sont les clefs d'une
hiérarchisation possible entre eux.
132Heger (K.), op cit, p. 70.

105
QUATRIEME CHAPITRE
SUR LA HIERARCHISATION DES SEMEMES
Notre but dans ce chapitre est de tenter de hiérarchiser les sémèmes des
adjectifs non dérivés, à partir des relations logiques qu'ils entretiennent. Notons que
ces différents rapports sont étroitement liés au critère qui se fonde sur l'existence d'au
moins un sème commun aux différentes définitions.
En effet, la détermination des différents types de polysémie dont il sera
également question dans ce chapitre se justifie par rapport à un processus lié à la
communauté sémique qui existe entre les sémèmes
Par ailleurs, nous tenons à souligner que la question de la hiérarchisation des
sémèmes n'est guère nouvelle puisque les lexicographes l'on déjà résolu à leur
niveau. Ainsi, les différentes définitions apparaissent suivant l'ordre diachronique des
principales, puis des secondaires. La présentation de ces dernières se fait" selon un
ordre logique allant de la plus courante à la plus rare, du sens général au sens
particulier, de l'usuel au tectmnique. l33
Cependant, il est incontestable que d'un point de vue synchronique,
l'établissement d'un ordre sémémique paraît arbitraire. En effet, sur quels critères
peut-on se fonder pour affirmer que l'extension de sens doit apparaître avant le sens
métonymique ou métaphorique... ? Les interrogations que suscite le problème ne
manquent pas si l'on en croit les deux citations suivantes:
133Lenoble (M.) [1985] "Polysémie et lexicographie" dans La polysémie, de R. Yongcn, p. 89.

106
r'\\
"Par quelle acception commencer? Dans quel ordre présenter les différentes
acceptions ?"134
"En réfléchissant sur le substantif, j'en étais arrivé à la conclusion que seules
les acceptions étaient ordonnées, pas le sens. Encore faut-il ajouter que rien au plan
sémantico-Iogique ne permet d'opter pour la priorité de l'extension ou de la restriction
de sens. Seule décision qui ne soit pas arbitraire, celle de faire figurer au départ,
l'acception concrète". 135
Donc,
tous
ces
paramètres
montrent
qu'il
serait
ambitieux de
vouloir
hiérarchiser les sémèmes sur la base d'une simple distance sémantique. Mais la
nature même des rapports entre les sémèmes des adjectifs non dérivés nous fait
penser que cette approche peut se révéler constructive.
Aussi verrons-nous, au début, la typologie des relations logiques qui existent
entre les différentes définitions des adjectifs non dérivés. Ensuite, l'on verra dans
quelle mesure la distance sémantique entre ces sémèmes et l'acception dite concrète
peut permettre cette hiérarchisation.
1. LA CARACTERISATION DES RELATIONS LOGIQUES ENTRE LES SEMEMES
DES AND
Dans ces travaux sur la logique du sens, R. Martin établit une typologie des
relations logiques entre les définitions de vocables polysémiques. 136 Seulement, il est
surtout question de polysémie substantivale et verbale. Les adjectifs non dérivés étant
majoritairement très polysémiques, il nous a paru important de procéder à une
134Lenoble (M.), ibid, p. 88.
135Martin (R.) [1979] ibid, p. 260.
136Martin (R.) [1983] ibid, pp. 63-74.

107
validation des règles déterminées par R. Martin, afin de voir dans quelle mesure elles
s'appliquent ou pas à eux.
Par ailleurs, la nature des relations entre les sémèmes a permis de faire une
distinction fondamentale entre trois types de polysémie, celle dite d'acceptions, la
polysémie de sens et celle que nous qualifions à notre tour de fausse polysémie.
1.1. La polysémie d'acceptions
L'on parle de polysémie d'acceptions lorsque les différents sémèmes d'un
vocable
entretiennent
des
relations
de
restriction,
d'extension,
des
rapports
métonymiques ou métaphoriques.
1.1.1. La relation de restriction de sens
Ce type de rapport se caractérise par l'addition de sèmes spécifiques au sein
de l'un des sémèmes considérés. Ces sèmes se présentent comme la partie
disjonctive entre les sémèmes et ils ont pour conséquence, une restriction de sens.
Cette relation se formalise de la manière suivante:
2:2 <=> 2: 1 I\\Sj2 1\\. ..
2:2 => 2:1
Considérons par exemple, pour tester la validité de cette règle, les sémèmes de
l'adjectif employé dans les phrases suivantes :
1.... Saladin, petit et barbe sombre bien taillée ... (Libér. , Janv. 1991, p. 7).
2. Elle allait encore à l'école comme une petite fille? (F.P., L'amour nu ,p. 38).
2:1 : "Dont la taille est inférieure à la moyenne".
2:2 : "Qui n'a pas encore atteint sa taille, qui est jeune".

108
L'on conviendra que le deuxième sémème peut également se traduire de la
manière suivante:
I2 : "Dont
s7
lia taille
s;
est inférieure s;
à la moyenne
s:
en raison
1
1
1
1
1
1
1
de 1s~ 1sa jeunesse 1 s~
1".
Dès lors, l'on peut poser que I2 <=> I1/\\ s~. Cela signifie que le sème spécifique
ajouté au sein du deuxième sémème, c'est-à-dire l'idée de jeunesse est l'élément qui
restreint le sens de l'adjectif. Nous tenons à souligner que ce type de rapport est en
général facile à déterminer lorsqu'il s'agit d'un adjectif de dimension comme c'est le
cas pour Petit.
Mais la situation est différente pour les autres types d'adjectif. En effet, les
sèmes restrictifs sont moins explicites à travers leurs sémèmes. Voyons par exemple,
ceux de Beau, dans le contexte ci-dessous:
1. Les tableaux étaient Beaux. (F.P., L'amour nu, p. 125).
2. Je sais que vous êtes belle. (J. d'O., Tous les hom.en sont fous, p. 179).
I1 : "Qui plaît à l'oeil".
I2 : "Dont le physique et spécialement le visage répond à certains critères de
beauté".
L'on constate qu'il n'existe aucun sème explicite commun à ces deux sémèmes
et là réside la différence avec ceux que nous avons précédemment analysés. Or, si
l'on veut soutenir l'idée d'un cas de polysémie, il est important de déterminer au moins
un sème qui constituera l'intersection entre les sémèmes. Quant à la relation de
restriction de sens, elle suppose que la totalité des sèmes du premier sémème se
retrouve au sein du second.
Aussi, est-il nécessaire, dans les cas similaires à celui-ci, de reformuler l'un des
sémèmes. I2 peut être redéfini ainsi: "Dont le physique et spécialement le visage
plaît à l'oeil parce qu'il répond à certains critères de beauté". Cette définition est certes
longue, mais elle a l'avantage de mettre au jour tous les sèmes implicitement présents
dans la définition du mot. I2 => I1, car "répondre aux critères de beauté" implique

109
nécessairement "Plaire à l'oeil".
Donc, ces faits indiquent que la relation de restriction de sens a les mêmes
caractéristiques quel que soit le vocable polysémique concerné.
1.1.2. La relation d'extension de sens
La relation d'extension de sens, comme l'indique la règle ci-dessous, se fonde
également sur une implication entre les sémèmes :
2:1 <=> 2:2 1\\ S1 1\\ S21
2:1 => 2:2
Soient les exemples suivants:
1
un grand arbre mort... (P.L.D., Opér. Bluew., p.135).
2
Ia réouverture d'un grand magasin. (Libér., 23 Janv. 1990, p. 11).
Grand est respectivement lié aux sémèmes ci-dessous:
2:1: " Dont la hauteur dépasse la moyenne".
~.
2:2 : "Dont l'ensemble des dimensions dépasse la moyenne".
Il est difficile de soutenir que 2:1 implique 2:2, car dire d'un arbre qu'il est grand
n'implique pas que l'ensemble de ces dimensions possède cette caractéristique.
D'après ces sémèmes, nous pouvons poser qu'un sème de 2:2 est l'expression de la
généralisation d'un sème contenu dans 2:1. "La hauteur" étant implicitement contenu
dans "l'ensemble des dimensions", l'on peut parler d'une substitution d'un sème
généralisant à un sème spécifique et affirmer également que
2:2 comporte
implicitement le premier sémème. En effet, "Dont la hauteur dépasse la moyenne,
suppose que "La hauteur, la largeur, la superficie... dépassent la moyenne".
Pour montrer que les sémèmes entretiennent bien ce type de rapport, l'on
propose également d'analyser l'adjectif Faux que nous avons déjà évoqué sous un
angle différent.
Soient les sémèmes suivants:

110
(
L1: "Qui est contraire à la vérité" (Perception fausse).
L2 : "Qui n'est pas ce qu'on le nomme" (Faux blé).
Pour faciliter l'analyse sémique, nous redéfinissons Faux 2 par "Qui est
contraire à sa nomination".
Grâce à cette définition, la relation entre les deux sémèmes paraît plus
qu'évidente. Par ailleurs, si l'on tient compte du fait que la 1vérité l, sème spécifique
de L1, peut se définir comme "la conformité qui existe entre un fait réel ou intellectuel
et son objet", l'on peut dire par conséquent que L2 implique L1. D'ailleurs, l'on conçoit
tout à fait que la substitution de 1 Nomination 1 à 1 vérité 1 soit l'équivalente d'une
généralisation. La preuve est que le premier sémème se caractérise par une
restriction sélective. Par exemple, l'on ne pourra avoir de phrase du type "? Une
gomme fausse". En revanche, le second sémème possède une distribution illimitée.
Ces analyses attestent donc que l'extension de sens suit d'autres critères au
niveau des adjectifs non dérivés. Il existe bien une relation d'implication, mais elle est
similaire à celle que l'on détermine dans le cas d'une restriction de sens. Cela ne
signifie pas pour autant qu'il faille les confondre. Au contraire de la restriction de sens,
qui suppose une adjonction de sèmes spécifiques, l'extension se caractérise par une
substitution de sèmes généralisants à des sèmes spécifiques.
1.1.3. La relation métaphorique
Ce type de rapport se caractérise par une identité de sèmes entre les sémèmes
du vocable polysémique. Cette identité a pour conséquence une ressemblance entre
les sémèmes. La relation se formalise donc de la manière suivante:
"'2
2
2
2
L.
<=>S I\\SII\\ ... s"

111
r'
Pour exemplifier cette règle, observons les sémèmes de l'adjectif employé dans
les phrases suivantes:
1. Délice dans notre bouche, la mangue verte. (M. B. , une si longue lettre,
p.7).
2. A soixante ans, paraît qu'il est encore vert. (J. C. ; La dérobade, p.397).
2:1: "Qui n'est pas mûr"
2:2 : "Qui a de la vigueur".
Afin de démontrer l'existence de ce type de rapport, nous proposons, ci-
dessous, l'énumération des caractéristiques implicites dans les deux qualifications:
1. "Mangue Verte" => "Mangue jeune" , "Chair ferme" et "Non mûre".
2."Homme Vert" => "Homme vigoureux", "Qui n'a pas les signes apparents de
la vieillesse" et "Qui paraît jeune".
L'on constate que l'identité sémique se situe au niveau du sème 1jeunesse l,
implicite à travers les deux sémèmes. D'ailleurs il est possible de les reformuler ainsi:
2:1 : "Qui n'est pas mûr en raison de sa jeunesse".
2:2 : "Qui a de la vigueur et paraît jeune".
L'idée de jeunesse est bien l'élément qui permet d'établir une ressemblance
entre les deux sémèmes, donnant ainsi lieu à un rapport de type métaphorique. Les
exemples de cette relation prolifèrent au sein des sémèmes des adjectifs non dérivés
et des vocables polysémiques en général.
L'on comprend donc pourquoi le
phénomène de la polysémie est souvent mis en rapport avec le processus de
métaphorisation. R. Dirven, par exemple, montre comment le phénomène de la
métaphore contribue très fortement à l'extension du lexique. 137
137Dirven (R.) [1985] "Metaphor and polysemy" dans La polysémie de R Yongcn, pp. 9-27.

112
En fin de compte, l'extension de sens est le seul type de rapport entretenu par
les sémèmes des adjectifs non dérivés qui présente un caractère nouveau dans la
polysémie d'acceptions.
Par ailleurs, l'on a certainement remarqué que la relation métonymique n'a pas
été traitée. La raison à un tel choix est que tous les rapports que l'on vient de voir sont
l'expression d'un véritable changement de sens. Ce n'est pas le cas pour la polysémie
d'acceptions de type métonymique. Aussi, traiterons-nous de cette question au niveau
de la polysémie que l'on qualifie de fausse.
En outre, le lien étroit entre les différents sémèmes que nous avons analysés
est sans doute l'élément qui a permis à certains linguistes comme Y. Gentilhomme et
R. Talbory de parler de "polysémie faible" . En effet, ils tiennent les propos suivants:
"Nous dirons qu'il y a polysémie faible si l'ensemble des traductions possibles se
compose des synonymes d'un
mot avec éventuellement
des différences de
nuance". 138
Il est vrai qu'il est parfois possible de traduire certains sémèmes par des
t\\
synonymes qui ne diffèrent que par de simples nuances. En ce qui concerne les
extensions, les restrictions de sens et les définitions de type métaphorique, les
rapports sont certes étroits, mais leur différence est très nette.
Considérons, par exemple, les sémèmes suivants de Rude:
L:1 : " Qui est dur au toucher" (Un pelage rude).
L:2 : "Qui donne du mal" (Une rude épreuve).
L:3 : "Qui est désagréable à l'oreille" (Un ton rude).
L'adjectif est synonyme de "rugueux" dans L:1, de "difficile" dans L:2 et
"désagréable" dans le dernier sémème. Il ne s'agit donc pas de nuance, mais bien
d'une véritable différence sémantique. Elle a seulement la particularité d'être peu
importante, comparée à la deuxième forme de polysémie.
138Gentilhomme (Y.) & Talbory (R.) [1960] "Le problème des vraies polysémies et la méthode du paramètre
contextuel" dans La traduction automatique, l, p. 9.

113
\\
\\.
1. 2. La polysémie de sens
La polysémie dite de sens se caractérise par l'absence de lien immédiat entre
les sémèmes dégagés d'un même vocable.
A cette
caractéristique,
s'ajoute
l'impossibilité de les relier par les opérations déterminées dans la polysémie
d'acceptions. Pour en juger, nous proposons d'analyser les deux types de relation qui
existent dans la polysémie de sens.
1. 2. 1. La polysémie de sens dite étroite.
Ce type de relation se formalise de la manière suivante:
1
S 1
1
1
l:
<=>
f\\ s,
I\\. .. S k
l:2 <=> S2 f\\ S2 1\\. .. S2
1
S2=S1=S
nous tenons à souligner que pour les adjectifs, S considéré comme le genre
prochain n'a pas de valeur distinctive, étant donné la diversité de leur distribution et
aussi, la formulation même de leurs définitions. Nous avons vu qu'elles commencent
généralement par un pronom relatif. C'est la raison pour laquelle nous ne tiendrons
pas compte de la règle concernant les archisémèmes.
Or, la relation telle qu'elle est formalisée se singularise surtout par l'identité des
archisémèmes. Elle sera donc forcément différente pour les adjectifs non dérivés et
c'est ce que nous proposons d'illustrer par l'analyse des emplois suivants de Sourd:

114
,-
\\
1. A part la vieille bonne sourde, il y a pas d'autre compagnie. (T. M. , Le pain
des p. , p. 13).
2. Abel resta sourd à ses protestations. (P. L. D.
Opér. Bluew.
p. 59).
1
1
Soient 2:1 et 2:2, les sémèmes dégagés de ces exemples:
2:1 : "Qui perçoit insuffisamment les sons ou ne les perçoit pas du tout".
2:2 : "Qui refuse d'entendre quelque chose".
2:2 peut être redéfini par "Qui refuse de percevoir par l'ouïe quelque chose".
L'on constate qu'il est impossible d'établir une relation d'implication entre
2:1 et 2:2 : 2:1 :f;> 2:2
2:2 :f;> 2:1
En effet, 2:2 contient implicitement les propositions suivantes: "Qui perçoit par
l'ouïe quelque chose et refuse d'en tenir compte" ou "Qui agit comme s'il perçoit
insuffisamment les sons ou ne les perçoit pas du tout." Cela montre que les
implications sont effectivement impossibles et qu'il ne s'agit ni d'une extension, ni
d'une restriction de sens.
Par ailleurs, l'on ne peut parler de relation métaphorique, car il existe plus d'une
identité sémique : 1 perçoit 1 et 1 l'ouïe 1 . " y a également plusieurs substitutions de
sèmes
spécifiques
qui
nous
font
abandonner
l'idée
d'une
possible
relation
métaphorique. "Qui perçoit insuffisamment ou pas du tout" est remplacé par "Qui
refuse de percevoir" . Quant au sème "quelque chose", il est substitué à "sons".
Par conséquent, nous dirons que l'absence d'implication entre les sémèmes et
l'existence d'une opération de substitution de sèmes spécifiques sont les éléments qui
distinguent la polysémie de sens dite étroite des autres.
S'il est aisé de déterminer le ou les sèmes commun(s) aux définitions dans ce
type de rapport, cela n'est pas le cas pour la polysémie de sens dite lâche.

115
1. 2. 2. La polysémie de sens de type lâche
Contrairement à la polysémie de sens étroite, celle qualifiée de "lâche" se
caractérise par des archisémèmes différents et par l'existence d'un sème commun aux
sémèmes. Autrement dit, dans le cas des adjectifs non dérivés, seul le critère commun
à tous les lexèmes polysémiques permet de distinguer cet autre type de rapport qui se
formalise ainsi:
::J
1
S2
[S2 = S
]
J '
J
'
cette relation paraît semblable au type métaphorique puisqu'elle se fonde
également sur une identité sémique. Mais contrairement au type métaphorique, cette
identité n'entraîne pas de ressemblance entre les sémèmes dans la polysémie de type
lâche. Pour l'illustrer, analysons les sémèmes dégagés des contextes suivants:
1. Crois-moi mon cher Jacques... (Libér. ,15 Janv. 1990, p. 11).
2 ... Acheter autre chose que des objets follement chers. (P. B. , Les dents de
la m., p. 22).
~1 : "pour qui l'on éprouve une vive affection".
~2 : "Qui est d'un prix élevé".
Il n'existe apparemment aucun sème commun pour constituer l'intersection
entre les deux sémèmes. Mais la situation est différente lorsque l'on analyse les
propositions qu'ils impliquent:
~1 => "Qui a une valeur sentimentale pour quelqu'un".
~2 => "Qui est d'une grande valeur matérielle".
Le sème 1valeur l, commun implicitement aux deux sémèmes, permet d'établir
le rapport sémique essentiel pour justifier la thèse d'un cas de polysémie.
Cependant, le lien entre les sémèmes des adjectifs non dérivés n'est pas
toujours définissable. Autrement dit, il existe des cas où l'on est contraint de parler
d'homonymie. En fait, il s'agit uniquement de l'adjectif Propre.

116
Soient les phrases suivantes:
1. Chaque morceau ayant son nom propre ... (R.O.K., Lérionka écol. mas. ,
p. 51
2.... des gens qui les tripotent avec des mains plus ou moins propres. (S. de B. ,
La fem. romp. , p. 95).
Soient 2:1 et 2:2, les sémèmes de propre 1 et propre 2 :
2:1: "Qui appartient d'une manière exclusive à quelqu'un."
2:2 : "Qui n'a aucune trace d'ordure, de crasse".
L'on peut établir un lien entre les deux sémèmes avec l'implication suivante de
2:2, "qui ne comporte aucun élément extérieur susceptible de le souiller". Mais malgré
cette implication, il n'est pas possible d'avoir une identité sémique entre eux. Nous
considérons, dans ce cas, que l'on ne peut que conclure à une homonymie.
Finalement, l'intersection entre les sémèmes du mot polysémique est toujours
positive, même s'il arrive très souvent que le type de définition choisi dissimule la
communauté sémique.
0'-
l
Par ailleurs, les différentes acceptions du mot polysémique sont très proches,
en raison des opérations qui caractérisent leurs relations. Pour les différents sens, en
revanche, la relation est moins immédiate. D'où le fait que l'on considère les sémèmes
comparés
comme de véritables
sens.
Ils
paraissent
autonomes
malgré leur
intersection sémique. La "Polysémie de sens" permet ainsi de rejeter définitivement la
thèse du signifié unique à partir duquel l'on dériverait tous les autres sémèmes du
mot.
En outre, nous avons souligné le fait que la disjonction entre les sémèmes
existe toujours dans la polysémie. Autrement dit, l'idée de changement sémantique est
essentielle et c'est pourquoi, l'on doit faire une distinction entre les cas où cette
modification est interne au sémème (c'est ce que nous venons de voir) et ceux où l'on
a seulement l'illusion d'un changement de sens.

117
(
"\\
1.3. La fausse polysémie ou la polysémie externe
L'on parle de polysémie externe lorsque les modifications subies par l'un des
sémèmes considérés ne sont pas l'expression d'un changement sémantique. En ce
qui concerne les adjectifs non dérivés, cette polysémie externe concerne les sémèmes
liés aux autres par métonymie et par un type particulier de métaphore.
1.3.1. La relation métonymique
Selon R. Martin, la règle permettant de parler d'une relation métonymique entre
les sémèmes se formalise de la manière suivante
2
S2
2
2
1: <=>
1\\ S1
A .. Sn
:3 S2 [S2 =1:1]
J'
J
D'une manière littérale, cette règle pose l'existence d'un sème spécifique dans
le deuxième sémème, lequel serait interprétable sous la forme du premier, c'est-à-dire,
1:1. C'est ce que nous illustrons par les exemples suivants:
1. Ses cheveux blonds coupés court... (M. D. , La chaîne, p. 293).
2. Marie Claude était blonde. (M. D. , L'amant p. 80).
Les sémèmes dégagés de ces contextes ce définissent ainsi:
1:1 : "Se dit du poil, des cheveux de l'homme, de la couleur la plus claire,
proche du jaune".
1:2 : "Qui a les cheveux blonds".
L'on constate que le petit Robert établit une relation d'extension entre les deux
sémèmes ci-dessus. Mais en réalité, il s'agit d'une relation de type métonymique et
pour s'en convaincre, il suffit de considérer que l'ensemble des sèmes "Se dit du poil,
des cheveux de l'homme" n'est en fait qu'une information purement contextuelle et de
reformuler le second sémème :

118
2:2 : "Dont les cheveux sont de la couleur la plus claire, proche du jaune".
Donc, il existe bien un sème spécifique de 2:2, 1blonds l, qui équivaut à 2:1.
Cette équivalence atteste qu'il s'agit d'une relation métonymique et non d'une
extension de sens.
Reprenons à présent les sémèmes tels qu'ils étaient formulés au départ: il est
évident que la métonymie touche le sujet de la qualification et non un véritable sème
de 2:2. Le premier sémème sélectionne les cheveux et le second, celui ou celle qui les
possède. Au sein des adjectifs non dérivés, ce type de relation que l'on retrouve au
niveau des sémèmes
de Roux, Brun, Noir, Blanc et Blond, ne traduit pas un
changement de sens. C'est pourquoi nous sommes d'avis qu'il s'agit d'une fausse
polysémie. Elle existe également dans certaines relations synesthésiques.
1.3.2. Les relations synesthésiques
Dans la description qu'il fait des mécanismes polysémiques qui se déploient au
sein des différentes acceptions de l'adjectif Sweet, R. Dirven mentionne la présence
d'un rapport synesthésique, lequel avait été déjà signalé par M. Bréal dans son essai.
Ce dernier définit ce rapport de la manière suivante : "Une espèce particulière de
métaphore,
extrêmement
fréquente
dans
toutes
les
langues,
vient
de
la
communication entre les organes de nos sens, qui nous permet de transporter à l'ouïe
des sensations éprouvées par la vue ... " 139
Pour en donner une idée, nous proposons d'observer le schéma suivant de
l'adjectif Frais, fondé sur le modèle présenté par R. Dirven 140 :
139Bréa1 (M.), op cit, pp. 143-144.
1400 irven (R.) , ibid, p. 16.

119
"Qui est légèrement
Sens de base:
froid"
Sens
primaires
[Toucher]
[Goût]
"'-.
P 1 't' ~ (Boisson) : qui est glacé à point.
~ L o.an,e
(Cave):qui est presqu'humide.
Polarisation
}
eXlca e
(M
th)
.
t
"
. .
en
e : qUI es presqu eplcee.
Transferts
rouie] (voix):agréable.
aux
f-E==-----.... [Odorat] (partum):pur.
}
Synesthésie
autres sens
[Vue] (Iumière)c1aire.
Personne
jeune.
Non reliés aux
organes sensoriels f-ooi=:===--------+ IAttitude
lnnocente
Métaphore
Objet...
de production récente
Ce schéma a l'avantage de montrer la diversité de l'extension de l'adjectif et le
rapport étroit qui existe entre les différentes acceptions et leurs distributions. Ainsi,
lorsque Frais qualifie un son ou une odeur, par exemple, il est respectivement
synonyme d'''agréable'' et de "pur'.
Cependant, les exemples concernant cette distribution
et le choix des
synonymes de l'adjectif ne permettent pas de rendre compte des sèmes sur lesquels
se fondent les types de relation que le schéma est censé représenter. Aussi, nous
servirons-nous des définitions pour montrer que ce rapport synesthésique n'est, en
réalité, qu'une extension qui s'effectue hors des sémèmese et n'entraîne pas de
modification sémantique.

120
Soient les phrases ci-dessous:
1. Un splendide sol en ciment, si frais ... (H. C. ,Azizah de N. , p. 36).
2. Le juge (... ) éclata d'un grand rire frais ... (H. C. ,Azizah de N. , p. 96).
3. Un grand parfum frais montait des paniers poissonniers.
(T. M. , Le pain des p. ).
4. Les heures (... ) font apparaître ce lieu-là dans une lumière fraÎche.
(M. D. , L'amant, p. 124).
Soient L:1 et L:2, les sémèmes tirés des deux premiers emplois de frais:
L:1 : "Qui est légèrement froid".
L:2 : "Qui donne une impression vivifiante de pureté, de jeunesse".
Ces sémèmes peuvent être respectivement redéfinis de la manière suivante:
L:1 <:::> "Qui n'a pas encore eu le temps de se réchauffer ou de se refroidir
complètement".
L:2 <:::> "Qui a les caractéristiques des choses qui ne sont pas marquées par le
temps".
Au regard de ces sémèmes, l'on peut affirmer que le sème 1 temps 1 constitue
l'identité sémique existante. Ce sème commun permet d'établir une relation de
ressemblance entre L:1 et L:2. Il s'agit donc d'une relation métaphorique. Le problème
qui se pose, en fait, réside en ce que le deuxième sémème peut être également traduit
à partir des deux derniers exemples.
En effet, si nous reformulons L:2 par "Qui est agréable", il est possible d'affirmer
que L:3 équivalant à "Qui est pur" et L:4 à "Qui est claire" sont différents. Or, l'on
remarque que
ces sémèmes peuvent être paraphrasés par des
synonymes
exprimant tous une même qualité en plus de certaines nuances ou par le même
synonyme:
2. "Un rire cristallin, pur, agréable".
3. "Un parfum pur, agréable".
4. "Une lumière claire, vive, agréable".

121
La substitution des autres sens au toucher est sans nul doute l'expression d'un
changement des sens. Mais dès l'instant où l'on met en rapport des définitions qui
traduisent un transfert synesthésique, le sens du vocable ne se modifie pas. Le
schéma de R. Dirven indique, par conséquent, des transferts externes aux sémèmes
même s'ils sont présentés comme étant internes.
Finalement, cette distinction entre des opérations internes et externes aux
sémèmes aura permis de montrer que la combinatoire sémique de chaque définition
doit présenter une unité sémique.
Par ailleurs, déterminer une relation d'extension, de restriction, de métonymie
et de métaphore interne ou l'existence d'un rapport de type étroit ou lâche revient à
poser le vocable analysé comme étant polysémique.
En outre, l'on a pu remarquer que la polysémie d'acceptions se distingue de
celle dite de sens par la distance sémantique qui existe entre les sémèmes. L'on est
forcé de reconnaître, par exemple, que Gros 1 dans "Les grosses pierres" ("Qui dans
son genre dépasse la mesure ordinaire") est sémantiquement plus proche de Gros 2
dans "Le gros froid" ("Qui est intense") et plus éloigné de Gros 3 dans "Elle était
grosse de tous les valeureux et honorés aïeux... " (Qui recèle certaines choses en
germe, en puissance"). G'est pourquoi nous présumons que la notion de distance
sémantique peut servir à établir une hiérarchisation entre les sémèmes.
Il LA DISTANCE SEMANTIQUE ENTRE LES SEMEMES
On nous objectera sans doute que la notion de distance sémantique est aussi
aléatoire que la thèse d'une hiérarchisation possible entre les sémèmes. En effet, bien
que certains linguistes aient donné une règle d'évaluation de la distance entre les

1

122
sémèmes ou les mots,141 quelques éléments de la théorie demeurent encore
incertaines. Si l'on considère, par exemple, que la synonymie n'implique pas
nécessairement une identité sémantique, la distance entre plusieurs synonymes pose
forcément un problème. Entre les synonymes "Enthousiaste" et "Passionné"; lequel
doit-on juger plus proche de "Chaud' ?
Par ailleurs, dès l'instant où l'on ne délimite pas les champs d'opposition ou tout
simplement le domaine des mots que l'on se propose d'évaluer, les distances ne
peuvent que varier. C'est ce qu'indiquent les propos suivants de Kerbrat-Orrechioni :
" ... l'antonymie, loin d'être un cas extrême de distance sémantique, correspond à une
proximité de sens (qui vient juste après la synonymie et la domination immédiate).
Comme le remarque Queneau, il y a plus de rapport entre la couleur blanche et la
couleur noire qu'entre la couleur blanche et une sauterelle,,142
Cependant, ces problèmes ne se posent pas à notre niveau, étant donné que
nous demeurons à l'intérieur des sémèmes d'un même mot et que nous nous fondons
sur la nature des relations logiques qui existe entre eux.
D'abord, il sera question de l'évaluation du sémème qui constituera le premier
maillon de la chaîne. Ensuite, l'on verra comment évaluer sa distance avec les autres
sémèmes.
Il.1. L'acception concrète ou la notion de sens propre
L'on admet généralement que le sens propre est l'acception qui s'impose à l'esprit en
dehors de tout contexte 143. Ainsi, lorsque l'on prononce le mot Rond, sans aucune
14lKerbrat-Orrechioni (C.) [1977], op cit, pp. 215-216.
142Kerbrat-Orrechioni (C.) op cil, p. 216.
143Dumarsais-Fontanier [1967] Les tropes, t. 2, p. 43.

123
preCISion, l'on pense immédiatement
à la forme d'un ballon. D'ailleurs, cette
caractéristique est ce qui permet de classer les adjectifs non dérivés en groupes: les
adjectifs de couleur, les adjectifs spatiaux et les adjectifs de jugement.
Cependant, l'on n'ignore pas que selon les types d'emploi qu'ils subissent dans
les énoncés, les adjectifs peuvent tous basculer vers la catégorie des adjectifs de
jugement. Dans une phrase comme "Toujours de l'argent, ce que les hommes sont
bas...", l'adjectif ne traduit nullement une mesure (ce qui serait normal si l'on se réfère
à sa catégorie), mais il permet de juger de la moralité du référent désigné par le
substantif.
Autrement dit, l'acception concrète est plus habilitée à subir toutes les
opérations d'effacement, d'addition ou de substitution que l'on a déterminées. En effet,
elle se caractérise par sa capacité à établir des relations de toutes sortes avec les
autres sémèmes de l'adjectif considéré.
Prenons, par exemple, les acceptions de l'adjectif Etroit que nous dégageons
des emplois suivants:
r-
1. L'agacement apparut sur le visage étroit de Sidar.
(M. O., La chaîne, p.15).
2. Muller se mit à arpenter l'étroit espace libre... (M. D. , La chaîne, p. 26).
3. Célestine, attristée jugea son mari étroit...(B. , Employés, p. 12).
4. Une étroite coopération dans le secteur...
(Libér. , 28 Mars 1990, p. 15).
L:1 : "Qui a peu de largeur"
L:2 : "Qui est de peu d'étendue".
L:3 : "Qui est sans largeur de vue".
L:4 : "Qui unit de près".
al La relation entre L:1 et L:2 est une extension de sens, car L:2 => L:1 et le sème
1 largeur 1 est implicitement contenu dans le sème 1étendue 1.

124
bl La relation entre L1 et L3 est métaphorique, car elle se fonde sur une identité
sémique. La
largeur
est, en effet, le sème qui permet d'établir une ressemblance
1
1
entre les deux sémèmes : I3 ~ I1.
cl Pour analyser le rapport qui existe entre I1 et I4, l'on doit d'abord
considérer leurs implications, car il n'y a apparemment aucun sème commun à ces
deux sémèmes :
I1 => "Dont les limites sont rapprochées sur le plan de la largeur".
I4=> "Qui établit des liens très rapprochés".
L'idée de rapprochement est donc ce qui permet d'affirmer que I4 est lié à I1
par métaphore.
Ces différentes relations peuvent être ainsi schématisées:
Par extension ----+ 2:2
r
~-------. Par métaphore ----+ 2:3
Par métaphore ----+ 2:4 144
Cependant, cela ne signifie pas qu'il existe, à l'intérieur des sémèmes, un seul
susceptible de jouer ce rôle. En effet, notre idée du sens propre n'a de valeur que s'il
est lié aux autres sémèmes par les différentes opérations que l'on a énumérées. Ce
qui implique que dans le cas d'un mot comprenant à la fois des acceptions et des
sens, l'on aura autant de sens propres que de "sens" déterminés. C'est ce que nous
souhaitons montrer à travers l'analyse qui suit.
Soient les emplois ci-dessous de l'adjectif cher:
1.... trois heures, mes chers amis. (M. D. , La chaîne, p. 227).
144Nous tenons à souligner que l'on ne doit pas confondre ce schéma avec la présentation d'une dérivation. Il est
surtout question de relation entre les sémèmes

125
2.... cette chère image de la" Vraie femme" ...
(J .C. , La Dérobade, p .11).
3. "II sent bon la cigarette anglaise, le parfum cher... "
(M. D. , L'amant, p. 54).
4. Dans cet endroit si snob, si cher? (S. de B. , La fem.romp. , p. 154).
Soient 2:1, 2:2, 2:3 et 2:4, les sémèmes dégagés de ces contextes:
2:1 : "Pour qui l'on éprouve une vive affection ".
2:2: "Que l'on considère comme précieux ".
L:3: "Qui est d'un prix élevé".
L:4 : "Qui exige de grandes dépenses."
Nous avons déjà établi que la relation entre 2:1 et 2:3 est de type lâche. Pour
ces deux sémèmes, il s'agit donc de polysémie de sens.
Par ailleurs, l'on constate qu'il n'est pas possible d'établir une relation immédiate entre
L:1 et L:4. En revanche, le rapport entre L:3 et I4 paraît plus qu'évident:
2:3 ~ I4 et le sème 1 prix 1 est implicitement contenu dans 1 dépenses 1
Ces faits attestent que chaque sens entretient des liens privilégiés avec
certaines acceptions. D'ailleurs, cette particularité est nettement spécifiée dans les
dictionnaires. Ainsi, les premiers sémèmes de Cher apparaissent sous le même article
tandis que les deux derniers sont traités ensemble sous un autre. L'on pourra
également se référer à Propre dont les sémèmes subissent le même traitement.
Toutefois, cette remarque concernant la possibilité d'avoir plusieurs sens
propres n'est pertinente que dans la mesure où elle suggère que d'un point de vue
synchronique, il n'est pas nécessaire de hiérarchiser les différents sens. Par rapport à
ce que l'on voudrait montrer, seule la nature de la distance sémantique entre le sens
propre, quel qu'il soit, et les autres sémèmes liés à lui par extension, par restriction,
par métaphore ou par une polysémie de sens de type étroit ou lâche s'avère
essentielle.

126
/
,....
Il.2. Le rapport entre le sens propre et les autres sémèmes
11.2.1. Le sens propre et le sémème par extension de sens ou par restriction
Nous avons cité, en introduction, les propos de R. Martin qui soulignaient, entre
autre, l'impossibilité de poser l'extension de sens comme phénomène précédant la
restriction et vice-versa. En effet, sur quel argument pourrait-on se fonder pour classer
les sémèmes suivants de Grand?
L1 : "Qui atteint une taille notable".
L2 : "Dont l'ensemble des dimensions en général dépasse la moyenne".
Le premier sémème LO ("Dont la hauteur, la taille dépasse la moyenne")
est l'acception liée au sens propre par restriction et le second, par extension.
Comparons-les, à présent, sous l'angle du nombre de sèmes communs qui existent
entre eux : si l'on considère que "la hauteur" est implicitement contenu dans "les
dimensions" , on peut poser que tous les sèmes de LO sont présents à travers L1 et
r
L2. Nous en déduisons que la distance sémantique entre le sens propre et le sémème
lié à lui par extension ou par restriction est très réduite. Ce serait dans le cas
particulier de la polysémie, la distance sémantique minimale.
Par ailleurs, il est vrai que le fait que la relation polysémique par extension de
sens soit le phénomène inverse de la restriction de sens pose un problème dans
l'ordination des sémèmes. Cependant, l'on pense qu'il est possible, à partir de
l'analyse des champs sémantiques qui se déploient au niveau des sémèmes, de faire
figurer l'extension de sens devant la restriction.

127
11.2.1.1. L'extension de sens et le sens propre
Dans l'extension de sens, la relation s'établit à l'intérieur d'un même champ
sémantique. Pour le sémème 2:1 de Grand que nous avons analysé, l'on passe d'une
dimension, "la taille" à "l'ensemble des dimensions".
Par ailleurs, l'on remarque que l'idée de dimension constitue le sème
véritablement distinct à la fois du sens propre de cet adjectif et de son acception par
extension. Ce qui montre bien que le champ sémantique du deuxième sémème, c'est-
à-dire 2:1, s'enrichit mais ne change pas. L'on peut tirer les mêmes conclusions des
définitions du substantif "Minute" analysé par R. Martin145:
2:0 : "Espace de temps égal à la soixantième partie d'une heure".
2:1 : "Court espace de temps".
L'on constate qu'à la communauté sémique, "espace de temps", s'ajoute le fait
que "la soixantième partie d'une heure" implique le sème "court". Ce sont autant
d'éléments qui prouvent le caractère étroit de la relation d'extension de sens par
r-
rapport au sens propre.
11.2.1.2. La restriction de sens et le sens propre
Au niveau de la restriction de sens, il n'y a pas non plus de modification de
champ sémantique. Comme nous l'avons montré, les sèmes du sens propre sont
présents à travers le sémème par restriction.
Mais à la différence de l'extension de sens, ce dernier ajoute un autre sème
véritablement distinctif, celui de la !jeunessel, pour le sémème de Grand, par exemple.
Ce sème est très important, car c'est le seul élément qui permet cette spécialisation
sémantique. D'ailleurs, plus le sémème par restriction a de sèmes spécifiques et plus
145 Martin (R.) [1983], op cÎt, p. 65 .
. ~

128
l'écart sémantique avec le sens propre paraît important.
Soit, par exemple, Bleu dans le contexte suivant: "Œdème bleu". Dans ce cas,
il se définit par "Se dit de la teinte de la peau après une contusion ou un épanchement
de sang ou simplement par "Qui est sensiblement d'une couleur dont la nature offre de
nombreux exemples après une contusion ou un épanchement de sang". L'on
conviendra certainement que la notion de couleur semble un simple détail comparée
aux sèmes spécifiques qui la précisent, c'est-à-dire 1 sensiblement \\. 1 après " 1 une
contusion 1 et lun épanchement de sang 1.
Par ailleurs, le caractère extrêmement limité de la distribution en rapport avec le
sémème relié au sens propre par restriction est assez significatif. En effet, il atteste de
son autonomie. Ainsi, les sémèmes par restriction, nous le rappelons, ne sont
sélectionnés que quand l'adjectif qualifie des substantifs d'une certaine particularité.
Ces faits nous amènent à conclure que le sémème qui procède par restriction
de sens est plus éloigné du sens propre que l'extension.
.~!
11.2.2. Le sens propre et le sémème par métaphore
Les précédentes relations comportent plus d'une identité de sèmes, car dans
les deux cas, le sens propre peut apparaître presque entièrement dans les autres
sémèmes. En revanche, l'acception métaphorique, comme nous l'avons vu, se fonde
sur une seule identité sémique qui a pour conséquence une ressemblance entre les
sémèmes.
Par ailleurs, hormis le sème qui permet d'établir la relation entre LD et L2, les
autres les maintiennent dans des réalités différentes.
Observons, par exemple, les sémèmes LD et L1 de l'adjectif Acre qui se
dégagent des contextes suivants:

129
1.... il nous remplissait la bouche d'une saveur âcre et salée",
(P. B. , Les dents de la m. , p. 82).
2. Vérités, demi-vérités et sophismes se pressaient sur les lèvres, mêlés à
d'âcres sarcasmes". (H. D. M. , Les jeunes filles" p. 906).
LO : "Qui est très irritant aux sens, principalement au goût et à l'odorat".
L1 : "Où se mêle quelque chose de cuisant et de douloureux".
L'idée de douleur qui est présente à travers les sèmes 1irritant l, 1cuisant 1 et
douloureux est la seule identité possible entre les deux sémèmes.
1
1
Par ailleurs, le champ sémantique des sens disparaît dans le second sémème
pour être remplacé par une abstraction. Ce qui signifie que ses sèmes ne se
combinent pas avec ceux du sens propre pour donner une acception différente
comme c'est le cas avec les autres types de relation. Il doit sa construction à
une
simple analogie avec le sens propre.
Par conséquent, l'écart sémantique entre les deux sémèmes se révèle plus
important dans le cas présent. Ainsi, on en arrive à la classification suivante:
1. Le sens propre.
2. L'acception par extension de sens.
3. L'acception par restriction de sens.
4. L'acception par métaphore.
Cette classification est défendable lorsque l'adjectif ne comprend qu'une seule
extension de sens, une restriction ou un seul sémème métaphorique. Or, la plupart
des adjectifs multiplient les sémèmes liés par une même relation au sens propre.
Observons, par exemple, les sémèmes suivants de Mûr:
LO : "Qui a atteint son plein développement en parlant d'un fruit, d'une graine".
(Une mangue mûre).
L1 : "Qui est près de se percer" (Un furoncle mûr).

130
L3 : "Qui a atteint le développement nécessaire à sa réalisation, à sa manifestation"
(Un projet mûr).
al Le sème développement permet de relier
1
1
L2 à La par métaphore.
bl Quant au rapport entre L1 et La, il suffit de se référer à l'implication suivante
pour en déterminer la nature. En effet, La ::::>"Qui est près de pourrir". Par conséquent,
la similitude entre les deux sémèmes se situe au niveau du caractère imminent du
cycle final traduit par le sème 1 près 1. L'on en déduit qu'il s'agit d'une relation
métaphorique.
Comment les classer dans ce cas ? Le fait que L1 sélectionne des substantifs
concrets peut justifier sa position par rapport à L2 qui s'applique à une chose
abstraite. Cependant, le problème demeure, puisqu'il arrive que les sémèmes
entretenant des relations métaphoriques avec le sens propre sélectionnent la même
catégorie de substantifs. Dans ce cas, leur hiérarchisation ne peut être qu'arbitraire.
11.2.3. Le sens propre et la polysémie de sens de type étroit
Nous rappelons que la polysémie de sens de type étroit se caractérise par
plusieurs identités sémiques, une opération de substitution de sèmes spécifiques et
l'absence d'implication entre les sémèmes.
Par ailleurs, elle a la particularité de mettre en présence des champs
sémantiques différents. C'est ce que l'on voit à l'analyse suivante:
1.... Sa queue battante creva le miroir lisse...
(P. B. , Les dents de la m. P. 9).
2. La faucille lisse (... ) s'était substituée à la faucille dentelée"".
(L. F. , Combats pour l'hist. , p. 155).
L'adjectif non dérivé, présent dans ces phrases, est respectivement lié aux
sémèmes suivants:
La : "Qui ne présente ni rugosité, ni aspérités au toucher ou au regard".

131
r
l:1 : "Qui ne présente pas d'irrégularités de surface fonctionnelle".
L'on constate qu'il est impossible de valider les règles de l'extension, de la
restriction de sens et de la relation métaphorique. En effet, l'on ne peut poser que
l:1 => l:O, car "La surface fonctionnelle" n'inclut pas la surface entière de l'objet
caractérisé comme c'est le cas au niveau du sens propre. Autrement dit, une faucille
lisse peut avoir sa partie supérieure ou non fonctionnelle très rugueuse et conserver la
qualité que lui attribue l'adjectif non dérivé.
Par ailleurs, l:O pleut être ainsi reformulé: "Qui ne présente pas d'irrégularités
au toucher ou au regard". Cela signifie que l'ensemble des sèmes indiquant l'absence
d'irrégularités constitue l'intersection entre les deux sémèmes. Aussi, en avons-nous
déduit qu'il s'agit d'une polysémie de sens de type étroit.
En outre, au champ sémantique du "toucher" ou du regard", se substitue celui
de la "surface fonctionnEdle". Mais la nature même de cette relation est l'élément qui
permet de supposer que la distance sémantique entre le sens propre et le sens étroit
est plus importante que celle que l'on a évaluée pour les acceptions.
En effet, nous avons fait remarquer que la polysémie de sens suppose
l'absence de liens directs entre les sémèmes. " est donc logique que la distance
sémantique entre les sémèmes soit grande. Malgré les identités sémiques, il existe
toujours un sème spécifique dans la polysémie de type étroit qui permet de le
différencier du sens propre.
II. 2. 4. Le sens propre t~t la polysémie de sens de type lâche.
Soient les exemplE~s suivants:
1. Que M. Eltsine, soit critiqué par ses propres conseillers est tout sauf une
nouveauté. ( Le Monde, 8 avril 1992, p. 3).

132
2. Pour la paix des familles, voici quelques adresses propres à réconcilier
parents et enfants. (L'observ. de Paris, N°272, p. 16)
Les sémèmes de propres qui se dégagent de ces exemples sont les suivants:
I.1 : "Qui appartient d'une manière exclusive ou particulière à une personne,
une chose, un groupe"
I.2 : "Qui est apte à ... "
Le second sémème peut être traduit de la manière suivante: "Qui est
particulièrement capable de quelque chose".
Autrement dit, I.1 ~ I.2
et
I.O ~ I.O. Nous sommes donc bien dans un cas de
polysémie de sens, puisque toute implication semble impossible.
Il faut également noter que l'idée de particularité est le seul lien commun aux
deux sémèmes. Cependant, elle n'entraîne pas de ressemblance entre les deux
sémèmes : I.1 =J= I.2. Il est donc indéniable que l'écart entre eux est de plus en plus
important lorsqu'il s'agit de la relation de type lâche.
Il est important de souligner qu'il existe très peu de cas de polysémie de sens
au sein des sémèmes des adjectifs non dérivés. Ce sont, pour la plupart, des
acceptions.
De fait, une telle situation semble logique si l'on se réfère aux facteurs de
polysémie. Etant donné que les vocables se multiplient, sur le plan sémantique, par
extension, par restriction, par métonymie ou par métaphore, les véritables sens
apparaissent comme une exception. Cependant, l'existence de la polysémie de sens
permet de poser le phénomène général de la polysémie, non pas comme la
manifestation d'un signifié qui aurait plusieurs emplois dans le discours, mais de
plusieurs signifiés qui convergent vers une communauté sémique.

133
En fin de compte, les relations qui se déploient à l'intérieur des sémèmes des
AND sont les mêmes que l'on retrouve après l'analyse de n'importe quel vocable
polysémie. Mais à la différence des autres vocables, certains types de rapports
déterminés ici suivent d'autres règles qui attribuent aux AND une certaine singularité.
En outre, l'évacuation de la distance sémantique entre les sémèmes permet
d'ajouter à l'ordre que nous avons établi, la relation de sens de type étroit suivie du
type lâche.
Il faut reconnaître qu'une telle approche a bien évidemment des limites: elle
n'est pas valable lorsque l'adjectif a plusieurs sémèmes par extension ou par
métaphore. Et même si l'on considère que certaines extensions, par exemple,
embrassent un domaine plus étendu que d'autres, il n'en demeure pas moins que la
classification des sémèmes reste arbitraire.
Néanmoins, nous sommes toujours d'accord pour soutenir que certains faits
linguistiques peuvent permettre de légitimer un ordre sémémique. Il reste à les
déterminer.

134
CINQUIEME CHAPITRE
LA LEVEE DES AMBIVALENCES POLYSEMIQUES
La variation sémantique des mots polysémiques n'est certes pas un problème
pour les sujets parlants, puisqu'ils arrivent à se comprendre grâce à leur compétence
linguistique et à leur expérience des choses. Cependant, intégrer ces lexèmes à un
programme automatique suppose informer la machine sur les éléments permettant à
l'homme d'effectuer ce calcul du sens. Nous rejoignons sur ce point C. Fuchs quand
elle affirme ceci : "... si le sujet francophone, sans même s'en rendre compte, a
intériorisé ces règles, s'il se livre à un calcul contextuel, l'effectuation d'un tel calcul au
niveau des procédures automatisées exige une explicitation". 145
D'une part, ces propos mettent en évidence deux réalités essentielles : ils
traduisent en premier lieu,
la monosémisation du lexème ou de l'expression
polysémique en contexte. Ensuite, ils supposent l'existence de règles permettent la
résolution des ambivalences
polysémiques,
et mieux,
l'utilisation
du
système
linguistique en général. C'est également cette idée que R . L. Wagner admet quand il
affirme que ''... l'expérience incite à admettre que, parvenu à un certain degré de
maîtrise, un individu applique mécaniquement les règles qui gouvernent le système de
son idiome et en tire les emplois qu'elles impliquent".l46
D'autre part, ils indiquent qu'une telle entreprise présente forcément des
difficultés quand elle a pour objet des lexèmes aussi polysémiques que les AND.
145Fuchs (C.) [1985] Aspects de l'ambiguïté et de la paraphrase dans les langues naturelles, p. 13.
146Wagner (R.L.) [1969] "Note SUT les recherches diachroniques et synchroniques" dans Langue française, n° l, p.
6.

135
En effet, l'inventaire des règles suppose nécessairement deux qualités essentielles, à
savoir la clarté et la précision. De telles qualités sont-elles envisageables pour des
règles contextuelles? Ce serait sans compter avec le caractère illimité des contextes
possibles du mot. Ce problème a d'ailleurs été déjà noté par 1. Todorov que nous
citons : "Mais puisque les contextes imaginables d'une unité sont innombrables, il
s'ensuit que ses significations le sont tout autant: dans chaque contexte nouveau, le
mot a une signification différente. En fait, un tel postulat équivaut à la négation de
toute sémantique". 147
" est donc important de délimiter les contextes utilisables, et par la même
occasion, de restreindre la notion même de sens.
Aussi, verrons-nous dans un premier temps, le rôle du contexte et à travers
cette analyse, la nécessité d'une approche distributionnelle. Ensuite, nous aborderons
la question des indices permettant la levée des ambivalences polysémiques.
1. LE ROLE DU CONTEXTE
Les linguistes à tendance pragmatique tiennent compte, dans leurs différentes
analyses sur le sens, de trois types de contextes148 :
1. Le contexte littéral ou l'environnement verbal de l'énoncé considéré: c'est ce
qui correspond au contexte dit linguistique ou intra-Iinguistique.
2. Le contexte situationnel, lié au temps, à l'espace, aux raisons de la
communication.
3. Le contexte mondain, à savoir, tous les éléments extérieurs qui peuvent
intervenir dans la communication.
147Todorov (T.), op cit, p. 19.
l 48E1uerd (R.) [1985] La pragmatique linguistique, pp. 12-18.

136
Ces analyses, dont celles plus ancIennes de
M. Bréal, ont effectivement
montré que détenir des informations sur le contexte général de l'énoncé signifie que
l'on possède les moyens permettant de lever toute ambivalence polysémique. Que
l'on se rappelle l'exemple qu'il donne à ce propos: "Quand nous voyons le médecin
au lit d'un malade ou quand nous entrons dans une pharmacie, le mot "ordonnance"
prend pour nous une couleur qui fait que nous ne pensons en aucune façon au
pouvoir législatif des rois de France".149
Autrement dit, on ne peut se fonder sur le seul environnement verbal de la
phrase. Pour mieux expliciter ce type de levée d'ambivalence polysémique, nous
proposons d'analyser la phrase suivante:
JI (... ) s'étonna de la trouver moins légère. (F . P., L'amour nu, p. 51).
En langue, léger recouvre les différentes acceptions ci-dessous:
~1 : "Qui a peu de poids, se soulève facilement".
~2 : "Qui est ou donne l'impression d'être peu chargé".
~3 : "Qui se meut avec aisance et rapidité"
~4 : "Qui n'est pas appuyé".
~5 : "Qui a peu de matière, de substance".
~6 : "Qui est peu perceptible, peu important".
~7 : "Qui se meut aisément dans les registres aigus".
~8 : "Qui a peu de profondeur, de sérieux".
~9: "Qui est facile à supporter".
Nous avons choisi cette phrase précisément, car formellement, elle ne nous
apprend rien sur le sens à attribuer à l'adjectif. Supposons, à présent, les informations
situationnelles ci-dessous:
a- Il tenait une pierre dans les mains.
b- Il tenait la jeune femme endormie dans ses bras.
c- Il retrouva la jeune femme dans les bras de son meilleur ami.
14~réal (M.) Opcit, pp. 156-157.
...
/

137
Ces informations permettent d'écarter les acceptions n02, n03, n04, nOS, nOG,
n07 et nog et de privilégier L1 et LS .
En effet, la présence de la première et de la deuxième situation (a et b)
permettent de sélectionner L1, car elles attestent qu'il s'agit dans ces deux cas, de
poids uniquement. Quant à la troisième, elle permet
le choix de LS. La situation
qu'elle traduit, c'est-à-dire la preuve d'une infidélité, est tout à fait
dans l'ordre du
sémème nOS.
Par conséquent, il n'y a pas de doute sur l'efficacité des données situationnelles
dans la levée des ambivalences polysémiques. Cependant, nous ne pouvons pas
nous en servir, car elles sont difficilement formalisables. Il nous reste dans ce cas, le
contexte linguistique, lequel a l'avantage d'avoir des constituants formels.
Par ailleurs, le rôle de filtre que l'on attribue au contexte verbal du mot n'est
plus à démontrer. La plupart des linguistes ayant traité de la question de la résolution
des polysémies ou des ambiguïtés ont reconnu l'importance du contexte linguistique
dans l'interprétation
du sens. Nous pensons, par exemple, aux travaux
très
importants de C. Fuchs et B. Victorri l50 , à ceux de Y. Gentilhomme et R. Talbory qui
proposent d'introduire des indices contextuels pour lever les ambiguités151.
De même,
il faut noter que le contexte linguistique dont il est généralement
question, est limité aux constituants immédiats qui entrent dans la structure syntaxique
du mot analysé comme en témoignent les propos suivants de P. Jacob : "La
signification des phrases dépend systématiquement de la signification des mots et des
morphèmes qui les composent, c'est-à-dire, qu'elles dépend notamment de l'ordre des
mots et de leur agencement structural". 152 La raison à cela est que, le contexte
150er. Bibliographie sur la polysémie.
151G
'lh
entl omme (Y.) & Talbory (R.) ,op cil, p. 9.
152 Jacob (p.) [1984] " La syntaxe peut-elle être logique?" dans communication ,40, p. 26.

138
,-
étendu peut se révéler, tout comme les données situationnelles, très complexe et
difficilement inventoriable.
Considérons, par exemple, les phrases suivantes:
1. Il faut faire de l'enfant un bon citoyen ... (Libér. ,7 janv. 1991, p.8).
2. Metz, ville d'ouverture chère à Rocard. (Libér. , 23 janv., 1990 p.6 ).
La structure syntaxique de l'adjectif dans la phrase 1, [ADJ+S] et celle qui est
présente dans la seconde, [ADJ+PREP+S], permettent de lever l'ambivalence
polysémique des adjectifs Bon et Cher. Nous verrons au niveau de l'analyse des
indices que ces structures ne permettent pas de résoudre complètement la polysémie.
Mais elles auront au moins servi à montrer le caractère formalisable d'une levée
d'ambivalence fondée sur le contexte immédiat du mot.
En outre, s'appuyer sur les constituants immédiats suppose que l'on choisit de
décrire le sens et non la signification. La différence entre les deux conceptions du
signifié apparaît clairement dans la citation suivante, que nous devons à P.
Charandeau : "... on aura remarqué que s'il y a variation des circonstances de
communication, il semble que l'énoncé, lui, soit toujours présent avec un sens global
qui correspondrait à la saisie empirique de cet énoncé hors contexte extralinguistique
par tout individu de la même communauté socio-linguistique ayant compétence
linguistique suffisante" .153
Ainsi, une phrase comme "Metz, ville d'ouverture chère à Rocard", pourra avoir
autant de significations que d'énonciateurs, si on la considère· comme une simple
occurrence. En revanche, son sens sera toujours en rapport avec l'attachement que
l'on a pour quelqu'un ou pour quelque chose. C'est cette formulation élémentaire de la
signification, c'est-à-dire le sens, qui nous intéresse puisqu'elle a l'avantage d'être
stable.
J53Chardndeau (p.) fl972] "Sens et signification" dans Cahiers de lexicologie, II, V, XXJ, p. 14.

139
Par ailleurs, le choix du contexte immédiat suppose également que notre
analyse s'inscrit dans l'option distributionnelle. Nous avons vu, au niveau de la
détermination des critères, ce type d'approche. Précisons que le fait que les critères
distributionnels soient discutables n'enlève en rien leur caractère opérationnel dans la
levée des ambilavences polysémiques.
En effet, selon Benveniste, déterminer la distribution d'un mot "consiste à définir
chaque élément par l'ensemble des environnements où il se présente et au moyen
d'une double relation de l'élément avec les autres éléments, simultanément présents
dans la même proportion de l'énoncé (relation syntagmatique); relation de l'élément
avec les autres éléments mutuellement substituables (relation paradigmatique)".l54
Il s'agit pour nous de repérer, dans la distribution de l'adjectif, des régularités,
des constantes qui seraient le reflet d'un sens contextuel.
Il est évident que l'ambiguïté éventuelle des autres mots et la diversité
distributionnelle des adjectifs non dérivés poseront un problème. Mais nos différentes
analyses nous ont prouvé qu'en nous fondant sur un contexte-type et en admettant
que la seule ambiguïté virtuelle réside au niveau des AND, nous pouvons arriver à
déterminer des indices fiables permettant de calculer leurs sens.
II. LES INDICES PERMEITANT DE LEVER LA POLYSEMIE
II. 1. La sous-catégorisation du substantif caractérisé
Nous avons souligné, tout au long de nos précédentes analyses, l'importance
du substantif caractérisé par rapport à l'adjectif, car sa sous-catégorisation intervient
fortement dans la levée des ambilvalences.
154Benveniste (E.), cité par Lerat (p.) [1983] Sémantique descriptive, p. 49.

140
En effet, l'appartenance du substantif caractérisé à telle ou telle catégorie
sémantique est un indice fiable dans la mesure où elle ne dépend pas de notre
connaissance du monde en tant que telle, mais de notre compétence linguistique. Ce
sont des catégories générales à partir desquelles il est possible de classer tous les
substantifs entrant dans la distribution des AND.
II. 1. 1. Le trait [+concret] vs [+abstrait]
Dans bien des cas, l'opposition pertinente entre les substantifs caractérisés par
un même AND et dans le même contexte linguistique, se situe au niveau de leur
matérialité. D'ailleurs, l'on a de plus en plus tendance à préférer la dénomination
[ .±.matériel].155 Une telle dénomination pourrait, en effet, éliminer toute forme de
confusion sur la nature sémantique de certains substantifs.
Soient les exemples suivants:
1. [Les mains de Maurice] étaient douces ...
(S. de B. ,La fem. romp., p. 163).
2. Claire émue, aurait voulu lui exprimer [la joie] très douce qu'il venait de lui
donner... (F. P. , L'amour nu, p. 126).
Si les sensations comme la peur ou la joie, comme c'est le cas dans le
deuxième exemple, sont décrites par des substantifs qui ne peuvent avoir le trait
[+matériel], ils ont, en revanche, la possibilité d'entrer dans la sous-catégorisation
[+concret] parce qu'ils désignent des faits en rapport avec les sens.
Cependant, il est évident que par rapport à un substantif comme Mains
(cf Ex. n01), Joie relève de l'abstrait. Le trait [ ±.matériel] s'avère donc plus opérationnel
I55 Pottier (B.) [1987l, ibid, p. 69.

141
.-
que [+concret] vs[+abstrait]. Mais malheureusement, il ne permet pas de résoudre
totalement les problèmes qui se posent à nous.
Considérons, par exemple, les énoncés suivants:
1. Stratégie à hauts [risques] dans une ville secrète...
(Libér. , 7 Janv. 1991, p. 11).
2. Sa main caressa une des hautes [colonnes] de bois...
(P. L. D. , Opér. Bluew. , p. 13).
3.... sa haute [silhouette] voûtée ... (Le nouvel Obs. , n01349, p.1 08).
Haut 1 : Qui est considérable
Haut 2 et Haut 3 : "Qui est, dans le sens vertical, d'une dimension considérable
par rapport aux autres êtres ou objets de même espèce".
Le fait que l'adjectif recouvre le même sens dans les contextes n02 et n03
suppose que les substantifs Colonnes et Silhouette doivent être catégorisés par une
propriété commune. Or, nous ne pouvons assigner au deuxième substantif le trait
[+matériel] dans la mesure où il désigne l'allure générale d'une personne. L'on sera
d'accord pour reconnaître que plus un trait est général, plus il permet de regrouper un
nombre important de propriétés. Mais nous pensons qu'il serait judicieux de choisir
l'un ou l'autre des traits [ ± Concret] ou [ ± Matériel], dans les cas où ils se révèlent
distinctifs. Le premier, par exemple, permet parfaitement de distinguer Risques (cf Ex.
1) de Colonnes et Silhouette. C'est donc ce qui sera retenu dans une telle distinction.
Et dans le cas où il est nécessaire de distinguer ces deux derniers substantifs, nous
utiliserons le trait [ ± matériel] qui est plus restrictif que le premier.
Observons, par exemple, les phrases suivantes:
1.... Ie [cœur] encore faible de l'enfant qu'elle porte.
(G. B. , Les mens. de la nuit, p. 41).
2. je laissai la faible [lumière] ... (T. B. J. , La nuit sacrée, p. 126).
3. des [combats] qualifiés de "faible importance"...
(Libér. , 15 Janv. 1990, p. 26).

142
Nous ne pouvons dire que quand Faible caractérise un substantif [+concret], il
signifie "Qui a peu de solidité", Le choix de ce critère inclurait le substantif Lumière (cf
Ex.2). Or, dans ce contexte, l'adjectif ne peut logiquement recouvrir ce sens.
L'on a pu remarquer le rapport étroit qui existe entre ce sens et sa distribution
dans l'énoncé. Il constitue pour nous un indice, une sorte de point de départ à la
recherche des constantes. D'ailleurs, c'est l'une des raisons qui poussent les
distributionnalistes à parler de distribution du sens et non du mot, car d'une certaine
manière, la définition détermine l'extension d'un concept. Si l'adjectif Faible, dans le
sens indiqué ci-dessus, peut être appliqué au substantif Cœur (cf Ex. n01) parce qu'il a
le trait [+matériel], il ne peut, en revanche, caractériser Lumière qui à le trait
[-marériel]. Nous discriminerons, par conséquent, les indices de la manière suivante:
1. S[+matériel]=> Faible 1 : "Qui a peu de résistance, de solidité" (Un cœur
faible).
2. S[-matériel]=> Faible 2 : "Qui a peu d'intensité" (Une lumière faible).
3. S[+Abstrait]=> Faible 3 : "Qui est peu considérable" (De faible importance).
Par ailleurs, ces traits ne fonctionnent pas toujours comme des indices forts.
Nous entendons par "indices forts", la possibilité pour un trait distinctif de lever seul
l'ambivalence polysémique. C'est le cas des traits concernant les sens de Faible que
nous avons indiqués. Il arrive, en effet, et même très souvent, que ces traits soient
inefficaces dans la levée des ambivalences.
C'est ce qu'indique l'analyse des exemples suivants:
1. [un café] à la cannelle, bien chaud...
(1. B. J. , La nuit sacrée, p. 12).
2. [L'odeur] chaude des cataplasmes ne mêlait dans sa tête ...
(G. F. , Madame Bovary, p. 21).

143
3. [des chaussures] tricotées par elle, trop chaude pour le climat du Var...
(1. M., Le pain des p. ,P. 121).
4.... Une fondante et chaude [douceur]. .. "(R. L. , Poussière, p. 2S).
5. Husi vivait [des heures] chaudes symboliques...
(Libér. , 15 Janv. 1990, p. 23).
Soient les acceptions suivantes de chaud:
l:1 : "Qui est à une température plus élevée que celle du corps".
l:2 : "Qui exprime vivement et donne une expression de chaleur, de passion".
l:3 : "Qui réchauffe".
l:4 : "Où il ya de l'animation, de l'agitation".
Dans ces différents contextes, l'adjectif caractérise des substantifs qui ont la
sous-catégorisation [+concret] (Café, Odeur) et [+abstrait] (douceur et heures). Or, ils
traduisent quatre acceptions différentes de cet adjectif. Ce qui signifie que ces traits
ne peuvent permettre de lever l'ambivalence polysémique. Et même en faisant
intervenir la distinction [±matériel], la sélection ne peut se faire sur cette base.
al Chaud 1 (cf Ex. 1) est lié au sémème l:1.
bl Chaud 2 (cf Ex. 2) et chaud 4 (cf Ex. 4) sont liés à l:2.
cl Chaud 3 (cf Ex. 3) est lié à l:3.
dl Chaud 4 (cf Ex. 4) est lié à l:4.
Dans un contexte où le substantif a les traits [+concret] ou [+abstrait] comme
c'est le cas pour les
exemples n02 et n04, l'on doit assigner
à l'adjectif un sens
unique. Et dans un contexte où ce dernier caractérise des substantifs [+concret] ou
[+matériel], il recouvre deux sens différents. C'est le cas illustré par les exemples
n03 et n01. Ce même cas de figure apparaît à travers les exemples n04 et nOS où les
substantifs désignés sont tous les deux [+abstrait] sans être pour autant les indices
d'un sens unique. Soulignons que dans le cas que nous venons de voir, nous ne

144
pouvons même pas considérer la sous-catégorisation comme un indice faible.
En effet, nous parlons « d'indice faible» lorsque le trait considéré se conjugue
avec un autre pour lever l'ambivalence polysémique. La seule façon de discriminer les
sens dans les contextes cités consiste à tenir compte de traits distinctifs plus restreints
comme, par exemple, [+vêtement] pour Chaud 3.
Or, il s'agit bien souvent, dans ce cas, de description référentielle. l56
Cela n'entre donc pas dans le cadre de ce que l'on se propose de faire, mais elle aura
servi à montrer les limites d'un tel choix.
A présent, voici la liste des adjectifs dont la simple identification du trait
[+concret] ou [+abstrait] du substantif caractérisé permet de lever l'ambivalence et les
acceptions ou les sens qui sont sélectionné(e)s par la même occasion:
a [+concret]
1. S [+concret] +âcre => « Qui est très irritant au goût ou à l'odorat... »
(<< Une odeur âcre », M. D. , La chaîne, p. 136).
2. S [+concret] +aÎgre => « Qui est d'une acidité désagréable au goût ou à
l'odorat» (<< Un vin aÎgre », J. C. , La dérobade, p. 393).
3. S [+concret] +amer => « Qui produit au goût une sensation sUÎ generis le
plus souvent désagréable»
(<< Des racines amères », R. O. K. , Lérionka écol. Mas. , p. 53).
4. S [+concret] +beau => « Qui fait éprouver une émotion esthétique»
(<< Les tableaux étaient beaux», F. P. , L'amour nu, p. 1).
5. S [+concret] +Îvre => « Qui est incontrôlable»
(<< Un bateau Îvre», Le Monde, 14-15 Janv. 1990, p. 1).
156Borillo (M) et Sabath (G.)
« L'ambiguïté et la paraphrase en traitement automatique» dans C. Fuchs [1987],
p.37.
157 Le signe + indique une simple adjonction entre le substantif et l'adjectif et non un ordre nécessaire comme nous
le verrons avec le phénomène de la place.

145
,-
6. S [+concret] +roux => « Une couleur orangée, plus ou moins vive»
(<< Des poils roUX», M. D. , La chaîne, p. 122).
8. S [+concret] +tiède => « Qui produit une sensation thermique modérée,
entre le chaud et le froid» (<< De l'eau tiède », J. C. , La dérobade, p. 441).
Ces indices impliquent, bien entendu, que l'on ne se préoccupe que de phrases
bien formées et sensées. En effet, le fait de poser qu'un substantif [+concret]
caractérisé par un adjectif comme ivre, par exemple, sélectionne le sens que l'on a
indiqué, n'inclut pas tous les substantifs de cette nature. Pour que l'on attribue ce
qualificatif à un substantif, il faut que ce dernier ait la caractéristique [+mobile] ou qu'il
soit doté de mouvement. Ainsi, l'on peut dire des paupières qu'elles sont ivres, car
elles sont mobiles. En revanche, l'on ne pourra
dire d'une table ou d'une maison
qu'elle est ivre.
Par conséquent, ces faits indiquent que dès l'instant où l'on tient uniquement
compte des phrases sensées, la catégorisation générale [+concret] suffit à distinguer
la distribution des sémèmes que l'on vient de voir, des autres.
b. [+Abstrait]
Avant de présenter cette liste, l'on tient à souligner que les adjectifs concernés
par cet indice abondent. Le fait est que, l'identification de cette catégorie au sens
métaphorique n'a rien de surprenant, car le phénomène de la métaphore implique
dans la majorité des cas, le transfert d'une réalité concrète à une abstraction.
Par ailleurs, bon nombre d'adjectifs n'ont qu'un seul sémème dont la distribution
inclut le trait [+abstrait]. Dans ce cas, l'adjonction de traits sémantiques plus restreints
à cette catégorie n'est pas nécessaire. D'où le nombre important des adjectifs au
niveau desquels elle fonctionne comme un indice véritablement opérationnel:

146
1. S [+abstrait] + âcre ~ "Où se mêle quelque chose de douloureux et de
cuisant".
(" ... d'âcres sarcasmes", H. D. M., Les jeunes filles, p. 966).
2. S [+abstrait] + aigre ~ "Qui est violent ou plein d'aigreur".
(" ... d'aigres échanges", Le Monde, 20 Oct. 1990, p. 7).
3. S [+abstrait] + amer ~ "Qui engendre l'amertume".
("... un mensonge amer', A. L'herbe bleue, p. 142).
4. S [+abstrait] + ample ~ "Qui se développe largement".
("... Une ample matière à réflexion", 1990, G. B. , Les mensonges de la n. ,
p.117).
5. S [+ abstrait] + âpre ~ "Qui présente une certaine violence, une certaine
austérité". ("Une âpre ventriloquie luciférienne", G. B., Les mensonges de la n. ,
P. 117).
6. S [+abstrait] + bref ~ "Qui est de peu de durée".
("... Debrèvesaventures", F. P., L'amour nu, p.17).
7. S [+abstrait] + calme ~ "Qui a une faible activité".
("Une soirée calme", J. C., La dérobade, p. 119).
8. S [+abstrait] + court ~ "Qui a peu de durée".
("Des cycles de vie courts", Libér., 2 Fév.1990, p. 22).
9. S [+abstrait] + dense ~ "Qui renferme beaucoup d'éléments en peu de
place... ".
("Une existence dense", A. de S. -E., Pilote de guerre, p. 286).
10. S [+abstrait] + dur ~ "Qui est marqué par la rigueur, l'âpreté".
("Des mots durs", Libér., 15 Janv. 1990, p. 35).
11. S [+abstrait] + faible ~ "Qui est peu considérable".
("Des effectifs faibles", Libér. , 23 Janv. 1990 p. 7).
12. S [+abstrait] + Flou ~ "Qui est trouble".
("Des conditions floues", Libér. , 28 Mars 1990, p. 23).
13. S [+abstrait] + frêle ~ "Qui n'est pas fermement assuré".
("Un frêle équilibre", R., Beevthoven, t. 2, p. 374).

147
14. S [+abstrait] + gai => " Qui marque la gaieté, où règne la gaieté".
("Une vie gaie", A., L'herbe bleue, p. 43).
15. S [+abstrait] + grand => " Qui a de l'importance ".
("Un grand sacrilège", A. K. , Les soleils des ind. , p. 29).
16. S [+abstrait] + gras => " Qui est abondant ".
("De grasses surpercheries", J. C. , La dérobade, p. 346).
17. S [+abstrait] + gris => " Sans éclat, sans intérêt ".
("Une vie grise", Le Monde, 20 Oct. 1990, p.10).
18. S [+abstrait] + gros => " Qui est important ".
("De grosses surprises", Libér., 15 Janv. 1990, p. 35).
19. S [+abstrait] + jeune => " Qui est nouveau, récent ".
("Un jeune amour", 1. M. , Le pain des p. ,P. 68).
20. S [+abstrait] + laid => " Qui inspire le dégoût, l'horreur, le mépris".
("Des choses laides", F. P. , L'amour nu. , p. 13).
21. S [+abstrait] + lent => " Qui met du temps à s'accomplir".
("Une lente gestation", S. de B. , La fem. romp. , p. 14).
22. S [+abstrait] + lisse =>" Qui est exempt de tout désagrément".
("La remontée vers Paris est lisse", J. C. , La Dérobade.
p. 444).
1
23. S [+abstrait] + mince =>" Qui est de peu d'importance".
(... ses causes étaient minces", M. D. , L'amant. , p. 96).
24. S [+abstrait] + morne =>" Qui est maussade".
("Une morne indifférence s'installe dans sa voix... ", 1. M. , Le pain des p. , p.
180).
25. S [+abstrait] + mou =>" Qui dénote ou suggère la mollesse".
("... Un consensus mou", Le Monde, 20 Oct. 1990, p. 12).
26. S [+abstrait] + mûr => " Qui a atteint le développement nécessaire à sa
réalisation, à sa manifestation".
("de mûres considérations", P. L. D. , Opér. bluew. , p. 29).
27. S [+abstrait] + nu =>" Qui est sans apprêt, sans déguisement"

148
("... Ia lumière vraie et nue de "Shoah" " , Le nouvel Obs. , n° 1349, p. 46).
28. S (+abstrait] + pâle =>" Qui manque d'intérêt, d'attrait". ("Les propositions
de Mai sont toutefois apparues bien pâles", Libér. , 2 Fév. 1990, p. 4).
29. S (+abstrait] + petit =>" Qui est de peu d'importance".
("... une seule petite différence... ", G. B., Les mens. De la nuit, p. 99).
30. S (+abstrait] + plat => " Qui est sans caractère saillant, ni qualité
frappante".
("C'est l'expression plate d'une vérité", J. C. , La dérobade, p. 13).
31. S [+abstrait] + riche =>" Qui contient de nombreux éléments ou des
éléments importants en abondance".
("... c'est une musique très riche... ", Le monde, 15 Janv. 1990, p. 7).
32. S [+abstrait] + rude =>" Qui donne du mal ou qui est dur à supporter".
("... La polyclinique ferait une rude concurrence... ",
Le monde, 30 Janv. 1990, p. 12).
33. S [+abstrait] + sourd =>" Qui ne se manifeste pas nettement ".
("Une haine sourde les séparait", 1. B. J. , L'enfant de s. , p. 18).
34. S [+abstrait] + sûr => " Dont on ne peut douter". ("... aujourd'hui, une seule
chose sûre, le déclenchement des combats... ", Libér. ,7 Fév. 1990 p. 23).
35. S [+abstrait] + tendre =>" Qui présente un caractère de douceur et de
délicatesse". (".. des mots tendres", Le monde. , 9 Janv. 1990, p. 2).
36. S [+abstrait] + triste => " Qui suscite des pensées, des jugements pénibles,
qui afflige". ("Pendant longtemps, la France a eu le triste privilège
d'introduire ... ", Le monde, 9 Janv. 1990, p. 29).
II. 1. 2. Le trait [+animé] vs [-animé]
Le trait ( +animé] est celui qui sert à distinguer les substantifs désignant des
êtres vivants de ceux qui, au contraire, réfèrent à des choses, au sens général du
terme. Observons l'exemple de l'adjectif Gras, présent dans les contextes suivants:
-.

149
1. On avait abattu un [boeuf] gras. (R. O. K. , Lérionka écol. mas. , p. 86).
2. Trop mou, trop gras, [Thomson] trébuche du podium.
(Libér. , 5 Fév. 1990, p. 30).
3. Après avoir absorbé ce [jus] gras, le malade...
(R. O. K. , Lérionka écol. mas. , p. 95).
4.... Vers elle, l'odeur mouillée des roses grasses...
(1. M. , Le pain des p. ,P. 92).
La sous-catégorisation [+concret] des substantifs Jus et Rose ne permet pas de
lever l'ambivalence polysémique puisque l'adjectif a respectivement les sémèmes
suivants:
Gras 3 : "Qui évoque la graisse par sa consistance".
Gras 4 : "Qui est important par son épaisseur".
Remarquons qu'il s'agit
d'une différence sémantique assez minime, car ces
deux acceptions peuvent être regroupées sous la définition suivante: "Qui évoque la
graisse par ses qualités". Une telle définition nous autoriserait à considérer le trait
[+concret] comme étant attaché à cette acception. Mais malheureusement, cela est
inutile parce que l'analyse de toutes les acceptions le relègue parmi les indices faibles.
Néanmoins, il permet de marquer l'opposition qui existe entre les contextes 1 et 2 et 3
et 4.
En effet, lorsque Gras qualifie des substantifs désignant un animal ou une
personne, il a un sens unique. Ce qui nous oblige, dans ce cas, à les catégoriser de la
même manière. D'où le choix du trait [+animé] qu'ils ont en commun:
S [+animé] => Gras 1 et gras 2 : "Qui a beaucoup de graisse".
Voici les autres adjectifs dont l'un des sémèmes est marqué par cet indice:
1. S [+animé] + beau => "Dont le physique et spécialement le visage répond à
certains canons de beauté".
("Roger est encore plus beau...", A., L'herbe bleue, p. 59).

150
2. S[+animé]+calme=>"Qui n'est pas troublé ou agité".
("Julien était absolument calme" (R. L. ,Poussière, p. 23).
3. S[+animé]+doux=>"Qui ne heurte personne, n'impose rien ... ".
("... Ia douce Marie-Jeanne", L'Obs. de Paris, n0 1349, p. IV).
4. S[+animé]+fou=>"Qui se comporte d'une façon peu sensée anormale".
(... Cette douleur qui la mord comme un chien fou", 1. M. , Le pain des p. , p.
31 ).
5. S[+animé]+frêle=>"Qui est d'une finesse excessive, qui semble dénué de
vigueur physique".
("La frêle dame en blanc...", Le Canard enchaîné, 28 Fév. 1990, p. 8).
6. S[+animé]+gai=>"Qui a de la gaité".
("... Marcher avec ces gens gais ... ", R. O. K. , Lérionka écol. Mas. , p. 81).
7. S[+animé]+laid=>"Qui s'écarte de l'idée que l'on a de la beauté".
("... Cinq filles laides... ", 1. M. , Le pain des p. , p. 102).
8. S[+animé]+lent=>"Qui manque de rapidité".
("Et elle, lente, patiente, elle le ramène ... ", M. D. , L'amant, p. 49).
9. S[+animé]+maigre=>"Dont le corps a peu de graisse ou qui en est
dépourvu".
("Reigner est grand et maigre ", M. D. , La chaîne, p. 131).
10. S[+animé]+prompt=>"Qui agit ou fait quelque chose sans tarder".
("... Elle était prompt, irréfléchie", G. , Si le grain. P. 411).
11. S[+animé]+sourd=>"Qui perçoit insuffisamment les sons ou ne les perçoit
pas du tout". ("... Nous sommes sourdes... ", J. C. , La dérobade, p. 235).
Ces sémèmes sont valables pour tous les contextes dans lesquels les adjectifs
cités ci-dessus qualifient des substantifs désignant des êtres vivants. En revanche,
certains sémèmes d'autres adjectifs non dérivés nécessitent que l'on distingue les
contextes où le substantif désigne une personne de ceux dans lesquels le dénoté est
un animal. C'est pourquoi nous proposons d'analyser cet autre adjectif:

151
1. La ceinture de sécurité barre son pull blanc. (M. D. , La chaîne, p. 103).
2. Ce que la femme blanche possède de plus...
(M. B. , Une si longue lettre, p. 25).
3. J'ai bien vu le coq rouge et le mouton blanc...
(A. K. , Les soleils des ind.
p. 71)
1
lorsque Blanc signifie "Dont la peau est d'une couleur pâle...", il ne concerne
que les contextes dans lesquels les substantifs qu'il qualifie ont le trait [+humain]. Sa
distribution, dans ce cas, n'inclut pas les substantifs qui désignent un animal. Ainsi,
dans le premier et le troisième contexte, l'adjectif est lié à la même acception: "Qui est
d'une couleur dont la nature offre de nombreux exemples."
Par ailleurs, notons que le trait opposé [-humain] peut paraître tout aussi
opérationnel dans la levée des ambivalences. Par exemple, pour un adjectif comme
Brave, le seul fait d'avoir un contexte où le substantif a le trait [-humain] permet de
sélectionner l'acception visée. Comparons, pour illustrer ce fait, les contextes ci-
dessous:
1. En route, je marchais à côté de Bellot, un brave [chien].
(1. M. , Le pain des p. , p. 172).
2. Notre brave Edith Cresson a beau s'acharner. ..
(Le cano ench. , 18 Mars 1992, p. 1).
Cet adjectif possède deux acceptions en langue:
:L1 : "Qui ne craint pas les dangers, les entreprises difficiles".
:L2 : "Qui possède des qualités de droiture, de loyauté, d'honnêteté".
Il est impossible d'attribuer au dénoté du substantif "chien", les qualités
humaines traduites par le deuxième sémème. Donc, le premier contexte sélectionne
systématiquement :L1. Ce qui implique que le trait [-humain] permet également de
lever la polysémie.
Cependant, nous ne pouvons l'admettre comme un indice car, il inclut les autres
traits, c'est-à-dire, [+concret] ou [+abstrait]. En effet, dans la majorité des cas, l'on est

152
obligé d'indiquer d'une manière précise la nature du substantif caractérisé. Aussi, est-il
plus satisfaisant de dire ce que le substantif est, plutôt que ce qu'il n'est pas.
L'on devra donc retenir uniquement le trait [+humain]. Voici les adjectifs
concernés par cet indice:
1. S[+humain]+âpre=>"Qui se porte avec trop d'ardeur (à quelque chose)".
("Olélé Sururu est âpre...", R. O. K. , Lérionka écol. Mas. , p. 37).
2. S[+humain]+blond=>"Dont les cheveux sont de couleur proche du jaune".
("... Deux enfants blonds de deux et trois ans", J. C. , La dérobade, p. 144).
3. S[+humain]+brun=>"Dont les cheveux sont de couleur sombre, entre le roux
et le noir". ("Deux filles brunes", J. C. , La dérobade, p. 469).
4. S[+humain]+dur=>"Qui manque d'humanité".
("Djamel est dur', Le nouvel Obs. , n01349, p. 30).
5. S[+humain]+fade=>"Qui manque de personnalité, d'originalité".
("... Ces bellâtres insipides et fades ... ", H. B., La peur de vivre, p. 107).
6.
S[+humain]+ivre=>"Qui est
physiquement et mentalement troublé
par
l'absorption excessive de boissons alcoolisées". ("Mon père vint à notre
rencontre ivre et titubant", R. O. K. , Lérionka écol. Mas. , p. 53).
7. S[+humain]+juste=>"Qui se comporte, agit conformément à la justice".
("Je te sais un homme juste", R. O. , Blé, p. 248).
8. S[+humain]+mince=>"Qui a des formes relativement étroites pour leur
longueur" .
("Dorothy Meadows, petite, mince... ", P.B. , Les dents de la m. , p. 139).
9. S[+humain]+morne=>"Qui est d'une tristesse morose". ("Une foule morne qui
piétinait dans le noir... ", C. , Bourlinguer, p. 102).
10. S[+humain]+mûr=>"Qui montre de la réflexion, de la sagesse". (" ... Son
costume épais d'homme mûr... ", T. M. , Le pain des p. , p. 222).
,

153
L
11. S[+humain]+neutre => "Qui s'abstient de s'engager d'un côté ou de l'autre".
("... Je suis un sujet neutre", Le nouvel Obs. , n° 1349, p. 104).
12. S[+humain]+nu => "Qui n'est couvert d'aucun vêtement".
("Laure apparaissait nue...", M. D. , La chaîne, p. 301).
13. S[+humain]+riche => "Qui a de la fortune".
("... Une riche héritière... ", Le Cano ench. ,28 Fév. 1990, p. 3).
14. S[+humain]+roux => "Dont les cheveux sont d'une couleur orangée plus ou
moins vive". (Des oranges de jaffu, rousses comme la fille rousse...",
J. C. , La dérobade, p. 352).
45. S[+humain]+vert => "Qui a de la vigueur". (Personnellement, je me sens
très très verf', Le cano Ench. , 18 Mars 1992, p. 1).
Autrement dit, la levée de l'ambivalence polysémique moyennant la sous-
catégorisation des substantifs caractérisés est dans certains cas efficace. Le seul fait
d'assigner à un substantif les traits [+concret], [+Abstrait], [+animé] et [+humain] peut
permettre la sélection de telle ou telle acception.
Cependant, en raison même de leur caractère général, ces indices autorisent le
choix d'un nombre restreint de sémèmes. Il s'agit, par conséquent, d'une résolution
partielle. Et c'est également le cas pour les indices liés à la place des adjectifs.
Il.2. La position de l'a~jectif non dérivé
La place des adjectifs non dérivés par rapport au substantif qu'ils caractérisent
est parfois un indice fort dans la levée des ambivalences polysémiques. Etant donné
que nous avons déjà analysé la nature des différents rapports sémantiques entretenus
par l'épithète qualificative, la question concernant ce point ne sera pas abordée.

154
Par ailleurs, la position ne sera considérée comme indice fort que si elle se
pose comme le reflet d'une différence sémantique. Soulignons également que cet
indice n'apparaît pas de manière homogène au sein des adjectifs non dérivés
concernés. Nous les analyserons donc par cas.
11.2.1. L'antéposition comme indice fort
Lorsque l'adjectif épithète est placé avant le substantif caractérisé, ni l'un ni
l'autre ne doit être pris individuellement, car nous tenons à le rappeler, dans cet ordre,
les deux éléments s'amalgament en un concept unique.
Par conséquent, il n'y a rien de surprenant à ce que le rapport [AND+S]
entraîne parfois des restrictions sélectives à l'intérieur de la distribution de l'adjectif.
Observons, pour clarifier cette idée, les exemples suivants:
1.... seul [bruit] de cette fin d'après-midi d'été... (M. D. , La chaîne p. , p. 57).
2. Pense-t-il qu'il n'y a qu'un seul requin?
(P. B. , Les dents de la m. , p.73).
3. Une seule personne sonne ainsi Il (S. De B. , La fem. romp. , p. 54).
4 ....Avec la seule intention de me distinguer...
(G. B. , Les mens. De la nuit, p. 85).
L'on constate que quand l'adjectif Seul est placé devant n'importe quel
substantif, il est synonyme d'unique. En effet, que le substantif ait les traits [+concret]
(cf Ex.1), [+animé] (cf Ex.2), [+humain] (cf EX.3) et [+abstrait] (cf ExA), ce même sens
demeure. Nous en concluons qu'il est attaché à la place de l'adjectif. D'ailleurs, ce
dernier change de sens lorsque l'on modifie sa position. C'est ce qu'indiquent les
transformations ci-dessous des exemples 2, 3 et 4 :
2. Un seul requin :j; Un requin seul.
3. Une seule personne :j; Une personne seule.
4. La seule intention :j; ? L'intention seule.

155
Ces transformations attestent de deux faits importants: quand l'adjectif Seul se
trouve dans l'ordre [S+AND] et que le substantif a le trait [-animé] (cf ExA), il a une
valeur adverbiale. Cet ordre apparaît donc comme figé par les contextes incluant ce
type de substantif, ce qui pose l'antéposition comme un indice. Le second fait montre
qu'une fois placé après le substantif, Seul a une acception autre que celle que nous
avons signalée. Il signifie alors "Qui n'est pas avec d'autres semblables".
En réalité, l'antéposition fonctionne dans peu de cas comme indice fort. Mais,
toujours est-il qu'elle permet de lever l'ambivalence polysémique au sein des adjectifs
non dérivés suivants:
1. Pauvre+S => "Qui, inspire de la pitié".
("La pauvre vaisselle", M. D. , L'amant, p 36).
2. propre+S => "Qui appartient exclusivement à quelqu'un ou à quelque
chose". ("Son propre personnel", Libér. 15 Janv. 1990, p 28).
3. Pur+S => "Qui est seulement et complètement tel".
("Pur hasard", R. L. , Poussière, p 29).
4. Sale+S => "Qui est très désagréable".
("La sale besogne", Libér. , 15 Janv. 1990, p 3).
5. Seule+S => "Qui est unique dans son espèce".
("Un seul coup d'oeil", G. B. , Les mens. De la nuit, p 58).
6. (Simple+S] => "Qui est uniquement ce que le substantif implique".("Un
simple coup de force", Le nouvel übs. , n° 1349, p 68).
Dans d'autres cas que nous n'avons pas inclus dans cette liste, l'antéposition et
la postposition auraient pu être considérées comme indices. Mais, pour les raisons
que l'on découvrira dans les prochaines analyses, cela est impossible. L'on propose
d'en donner un aperçu à travers l'analyse de Brave présent au sein des contextes
suivants:
1.... c'est un brave garçon, honnête qui me rendra heureuse.
(1. M. , Le pain des p. , p. 25).

156
2. Autrefois, ce poignard avait appartenu à un brave officier. ..
(P. M. , Colomba, p. 77).
L'on remarque que la place de cet adjectif n'est pas distinctive, puisque la
différence sémantique que notre sentiment linguistique nous permet de discerner ne
se reflète pas à travers elle. Il est vrai que, quand brave est lié aux sentiments de
loyauté et d'honnêteté, il est généralement antéposé. C'est le cas illustré par le
premier exemple.
Cependant, nous constatons avec le second exemple que l'antéposition est tout
aussi valable lorsque cet adjectif exprime l'idée de courage, de bravoure. La position
de l'adjectif apparaît donc inefficace. D'où la possibilité de passer de ['antéposition à [a
postposition sans entraîner de changement au niveau du sens:
1
c'est un brave officier.
2
un officier brave...
Il. 2. 2. L'antéposition ou la postposition comme indice faible
Dans la majorité des contextes, l'on est obligé d'ajouter d'autres éléments
distinctifs
pour discriminer les différentes acceptions à attribuer aux adjectifs non
dérivés.
Mais nous tenons à insister sur le fait que la position de l'adjectif par rapport au
substantif reste le premier indice qui permet la sélection d'un certain nombre de sens.
Les
autres
indices
supplémentaires
achèvent
les
ambiguïtés qui
subsistent.
Considérons, par exemple, les phrases suivantes:
1. Larry avait été un [ami] cher... (P .B. , Les dent de la m. , p. 293).
2. Des [choses] futiles et chères, à l'image de la robe ...

157
(F. P. , L'amour nu, p. 94).
3. Il portait un [pagne] propre de cotonnade bleue".
(R. O. K. , Lérionka écol. mas. , p. 113).
4. Une somme que les [fonds] propres de Radio-France permettraient
d'assurer. (Libér., 28 Mars 1990, p. 13).
La place des adjectifs non dérivés permet d'éliminer immédiatement certaines
acceptions liées à l'antéposition.
Par ailleurs, l'on ne peut affirmer que quand Cher , par exemple, est placé
après le substantif, il est lié à l'idée de prix. Une telle règle inclurait le premier
exemple, ce qui serait absurde. Donc, il est nécessaire d'ajouter au critère de la
position, la nature de la sous-catégorisation des substantifs caractérisés. Cela nous
donne les règles suivantes:
1. S[+humain]+cher :::)"Qui est aimé... "l58
2. S[+concret]+Cher :::)"Qui est d'un prix élevé".
Cela signifie que la première acception ci-dessous, se reflète à travers deux types de
distribution. Quant au cas illustré par Propre, il est plus complexe que Cher. En effet,
nous pouvons dégager des deux derniers contextes, les acceptions ci-dessous:
L:3 : "Qui nia aucune trace d'ordure"
L:4 : "Qui appartient d'une manière exclusive ou particulière à une personne,
une chose".
La place de cet adjectif, combinée au trait [+concret] du substantif permet de
sélectionner L:3. Mais, le trait inverse [+abstrait] ne permet pas vraiment de lever la
polysémie. La levée de l'ambivalence, à ce niveau, fait intervenir d'autres traits
distinctifs que nous spécifierons dans le dernier chapitre: dans ce cas, la structure [S
[+abstrait]+Propre], la place et la sous-catégorisation se situent parmi les indices
faibles.
158Cet indice ne sera pas retenu, car il ne permet pas de marquer la différence sémantique entre des contextes du
type" ... des êtres chers... " et "... un marchand cher... ".

158
En outre, la levée des ambivalences polysémiques moyennant cet indice se
réduit à un petit nombre d'adjectifs:
1. S[+humain]+bon =:>"Qui veut du bien ou le fait à autrui".
("... C'est un homme bon. .. ", R. O. K., Lérionka écol. Mas., p. 62).
2. S[+concret]+cher =:> "Qui est d'un prix élevé" (cf "des choses futiles et
h '
")
c eres '"
.
3. Cher+S[+concret] ou S[+abstrait] =:> "Que l'on considère comme précieux".
(... Brucan va retourner à ces chères études", Libér., 15 Janv. 1990, p. 19).
4. S[+humain]+Grand =:> "Dont la taille est supérieure à la moyenne".
("Un homme grand', 1. B. J. , La nuit sacrée, p. 13).
5. S[+humain]+Gros =:>"Qui est supérieur à la moyenne dans le sens de la
largeur".("Des hommes gros", A. K., Les soleils des ind., p. 104).
6. net+S[+abstrait] =:>"Qui est sensiblement marqué".("Wall street partait hier
en nette progression." , Libér. , 3-4 Fév. 1990, p.16).
7. S[+humain]+Pauvre =:>"Qui manque du strict nécessaire".
("Les vieilles dames pauvres", F. P., L'amour nu., p. 39).
8. S[+concret]+propre =:>"Qui n'est pas souillé ou taché".("... une serviette
propre sur les genoux" , Le Quotidien de Paris, 23 Mars 1990, p. 2).
9. S[+abstrait]+pur =:>"Qui est sans mélange, absolu".("Quatre pages de folie
pure", Le nouvel Obs., n° 1349, p. 104).
10 pur+S[+abstrait] =:>"Qui est seulement et complètement teL".
("C'est un pur hasard", R. L., Poussière., p. 36).
11. Rare+S[+abstrait] =:>"Qui est remarquable".
("C'est un acte d'une rare sauvagerie", Libér., 15 Janv. 1990, p. 29).
12. S[+humain]+Seul =:>"Qui se trouve sans compagnie, séparé des autres"
("...entamer ses forces de femme seule", D. C., L'herbe à brûler., p. 21).
13. Triste+S[+humain] =:>"Qui est lamentable".
("Triste sir... " , Libér.23 Janv., p. 16).
,

159
Remarquons que les cas qui n'ont pas été mentionnés nécessitent, comme
nous l'avons déjà noté pour Propre , d'autres critères. L'on a par exemple des
contextes du type "un bon père" que nous proposons d'analyser également:
1.... Les bonnes femmes, c'est comme ça ... (J. C.
La dérobade. , p. 196).
1
2. C'est un bon gendre. (H. L.
La nouvelle rom. , p. 21).
1
L'on constate que l'adjectif occupe dans ces deux contextes la même position
par rapport à des substantifs ayant la même sous-catégorisation, c'est-à-dire
[+humain]. Pourtant, il n'a pas le même sens dans les deux phrases:
Bon 1<=>"Qui entretient avec autrui des relations agréables ... "
Bon 2 <=>"Qui fait bien son métier, son travail, tient bien son rôle".
Autrement dit, dans des cas comme celui-ci, une description plus précise du
substantif est nécessaire si l'on veut arriver à prédire le sens privilégié par le contexte.
C'est le cas où seules des connaissances sémantiques plus restreintes (comme nous
le verrons dans la résolution des ambiguïtés superficielles) permettent de résoudre le
problème de la polysémie.
L'on retiendra de tous ces faits qu'indice fort ou faible, la place de l'adjectif joue
un rôle important dans cette résolution des polysémies.
II. 3. L'expansion des adjectifs non dérivés comme indice faible
Nous avons fait remarquer, au cours de la présentation des adjectifs,
l'importance de leurs expansions par rapport à l'acception que l'ail doit leur attribuer.
En effet, en tant que syntagme ayant pour but de préciser la caractérisation, le GP de
l'adjectif apparaît comme un indice très fiable dans la levée des ambivalences
polysémiques. Cependant, comme les autres indices que l'on a déjà analysés, il arrive
que la résolution qu'il permet de faire soit seulement partielle.

160
Par ailleurs, l'expansion de l'adjectif est considérée dans tous les cas comme un
indice faible, car l'on est obligé de trouver des informations sur plusieurs éléments
contextuels pour déterminer le sens concerné. En effet, si la structure [AND+GP] peut
suffire à distinguer les contextes où l'adjectif a une expansion sous forme d'un groupe
prépositionnel de ceux dans lesquels il est simplement lié au substantif, elle apparaît,
au contraire, inefficace dans les cas ci-dessous:
1.... un puits rempli d'une pluie rouge de vin ou de sang ...
(G. B. , Les mens. de la nuit, p. 26).
2. Trente ans, des lunettes, rouge d'excitation (M. D. , LA chaîne, p . 78).
3. Une gerbe de braises rouges (M. D. , La chaîne, p. 111).
L'on distingue deux types de construction: [S+rouge+GP] (cf Ex. 1 et 2).
[S+rouge] (cf Ex. 3).
Or, chacune des trois phrases est liée à une acception différente. Cela signifie,
par conséquent, qu'il est nécessaire d'ajouter à la détermination de la simple
expansion, d'autres indices distinctifs.
Il. 3. 1. L'identification de la préposition
La seule identification de la préposition permettant l'expansion de l'adjectif est
un indice dans la levée des ambivalences polysémiques au sein des adjectifs non
dérivés. En effet, les prépositions intégrées au syntagme adjectival sont extrêmement
diverses. Il est donc essentiel de les distinguer de celles qui ne favorisent aucune
sélection sémantique et dans le cas contraire de discriminer les différents sens.
Soient les exemples suivants:
1. Est-ce que le milieu n'a pas été plus dur avec vous ... ?
(Libér. , 19 Fév. 1990, p. 39).
2. L'amélioration de leur sort sera plus dure à satisfaire.

161
(Libér., 15 Janv. 1990, p. 23).
Pour montrer le caractère déterminant de la préposition dans l'une des deux
phrases, nous proposons de procéder par effacement des groupes prépositionnels:
1.... Ie milieu n'a pas été plus dur...
2. L'amélioration de leur sort sera plus dure.
Si l'on considère que le substantif caractérisé dans le premier contexte, Milieu,
signifie "personnes d'une classe sociale ou culturelle", sa sous-catégorisation peut
permettre de lever l'ambivalence polysémique, puisque, comme on l'a vu,
S
[+humain]+dur est déjà un indice fort. Donc, l'expansion n'est pas essentielle dans la
détermination du sens de l'adjectif dans le contexte n0 1. Mais le problème se pose
différemment pour le second contexte.
En effet, il est impossible d'établir une équivalence sémantique entre l'exemple
n0 2 comprenant l'expansion et le deuxième contexte OCI celle-ci est effacée. La preuve
est que la sous-catégorisation [+abstrait] du substantif caractérisé par dur est l'indice
de l'existence d'une relation synonymique entre dur et pénible.
En revanche, l'expansion adjectivale par l'infinitive permet la sélection d'une
autre acception, celle qui est liée à l'idée de difficulté. Il est vrai que, dans le présent
contexte, la seule identification de la préposition ne suffit pas. Simplement, nous
voulions montrer l'importance de distinguer la préposition concernée des autres,
comme Avec ou Sûr, par exemple.
Par ailleurs, les cas où la seule détermination de la préposition présente dans
l'expansion adjectivale suffit à lever l'ambivalence polysémique sont assez importants.
Mais, avant d'en donner la liste, nous proposons d'analyser les contextes suivants de
l'adjectif riche.
1.... un pays riche en culture et tradition. (Le monde, 20 Oct. 1990, p. 9).
2. Il doit être riche à craquer et pourtant. .. ( J. C. La dérobade, J. C.
p. 95).
1

162
1
l.
3
le vieux stade de "la cité blanche" dans une riche banlieue de
Sydney
(Liber.
15 Janv. 1990, p.31).
J
D'emblée, soulignons que la position de l'adjectif par rapport aux substantifs
n'est pas un indice, car placé après ou avant, il n'existe aucun changement
sémantique: "une riche banlieue... "ou une banlieue riche ... ", l'adjectif est synonyme
de prospère. D'où l'absence de cet adjectif parmi ceux dont l'un des sémèmes est
marqué par la position. Quant à l'expansion adjectivale du premier contexte, elle
permet la sélection d'une autre acception, à savoir "qui possède beaucoup de...".
D'ailleurs, son effacement ramène l'adjectif à la même acception que celle qu'it
recouvre dans le troisième contexte.
En outre, nous avons mentionné la deuxième phrase pour illustrer une autre
forme d'expansion de riche. Celle-ci est l'équivalente d'un adverbe:
"... riche à craquer... "<:::>"... très riche... ". C'est encore la preuve
qu'il est important de
déterminer la préposition qui fonctionne comme indice. Voici la liste des adjectifs pour
lesquels l'on observera ce type de résolution:
1. bon+(en) => "Qui réussit dans un domaine". ("... quatre copains très bons qui
les ont échoué", Liber. ,15 Janv. 1990, p. 28).159
2. cher+à => "Que l'on considère comme précieux". ("... selon une expression
chère à Gérard ... ", J. C.
La dérobade, p. 261).
J
3. fier+de => "Qu; a de la joie, de la satisfaction de quelqu'un ou de quelque
chose". ("Elle était fière de la force de ces fils... ", M. D. ,L'amant. , p. 72).
4. fort+en (sur) => "Qui excelle dans un domaine". ("Tu es fort sur l'histologie,
des fois?", A. ,Beaux quartiers, p. 202).
5. gris+de => "Qui est couvert d'une couche de... ". ("Ses cheveux aplatis étaient
gris de poussière", C. H. ,La reine des p. , p. 107).
6. gros+de => "Qui révèle certaines choses en germe, en puissance".
15~'on a choisi une phrase dont le groupe adjectival a été effacé pour montrer, conformément à la parenthèse qui
encadre la préposition, qu'il arrive que cette dernière existe uniquement en structure profonde

163
1
~,
("Le golfe, gros d'une nouvelle guerre... ", Le Monde 20 Oct. 1990, ,p. 10).
7. ivre+de => "Qui est transporté hors de soi sous l'effet de quelque émotion
violente ou par quelque chose".
("J'ai gagné le jardin, ivre de Dieu ... ", D. C. ,L'herbe à b. , p. 134).
8. las+de => "Qui est dégoûté de quelque chose ou de quelqu'un". ("Se disant
lasse de cette situation et de ses stéréotypes... ", Le Monde, 30 Jan. 1990, p.1).
9. lent+à => "Qui met plus ou trop de temps dans une activité (... quand son
cerveau lent à digérer les chiffres lui laissait quelque repos",
1. M. ,Le pain des p. , p. 45).
10. mûr+pour => "Qui est prêt ou préparé pour quelque chose". ("Le Sénégal
est mûr pour l'indépendance", France-Soir, 1er Déc. ,1990, p. 4).
11. pauvre+en => "Qui n'a guère de ".
("L'Espagne était pauvre en refuges ", A. de S. -E. ,Terre des h. , p. 143).
12. prompt+à => "Qui agit ou fait quelque chose sans tarder". ("... Ies Israéliens,
d'ordinaire si prompts à la riposte?", Le nouvel Obs. , n° 1349, p. 60).
13. riche+en (de) => "Qui a beaucoup de... ". ("... Ies carnets (... ) sont très
riches de notations et de rédactions plus ou moins étendues",
D. ,Crime et ch. , p. XIX).
14. simple+à => "Qui ne présente aucune complication, qui est d'une
réalisation facile". ("Sur cette question cruciale, simple à formuler... ", M. D. ,
Le Monde, 9 Janv. 1990, p. 30).
15. sourd+à => "Qui reste insensible à quelque chose, qui refuse d'entendre".
("Abel resta sourd à ses protestations...", P. L. D. ,Opér. bluew. , p. 59).
L'on remarque que les prépositions dont la simple présence dans le contexte
adjectival permet de lever l'ambivalence polysémique sont seulement au nombre de 5
: à, de, en, pour et sur. Il était donc nécessaire de les distinguer des autres
prépositions que comprend la langue française et qui n'interviennent pas dans cette
résolution des polysémies adjectivales.

164
11.3.2. La nature syntaxique du groupe prépositionnel
En plus de l'identification de la préposition dans l'expansion, il est parfois
important de préciser la nature syntaxique de la dite expansion.
Soient les exemples ci-dessous:
1.... des statuts personnels propres à certaines communautés. (Ibid).
2. Le moyen propre à faire passer un humaniste dans le cas des
agricoles... (D. C. , L'herbe à b. , p. 40).
Dans ces deux cas par exemple, l'on sait que propre a deux sémèmes :
propre 1 signifie "Qui est particulier à. .. " et propre 2, "Qui est apte, capable par sa
personnalité, ses capacités, ses connaissances" . Cette différence sémantique se
manifeste dans la structure syntaxique du groupe prépositionnel adjectival. Ainsi,
lorsque propre est intégré dans un contexte du type [propre+à+SN] comme c'est le
cas pour le premier exemple, l'on doit privilégier 2:1. Quand à propre 2, il est marqué
par la structure syntaxique suivante: [propre+à+INF]. Ces structures sont donc des
indices attachés aux différents sémèmes de propre que l'on a indiqués. Ils sont
déterminables au sein des adjectifs susceptibles d'avoir un comportement verbal.
Il en est de même pour les structures présentes dans les contextes suivants qui
sont les indices d'un changement sémantique et de la sélection d'un sémème précis:
1. "J'étais si sûr de son amour pour nous ... "
(S. De B. , La fem. romp. , p. 37).
2. "... Une fjlle qui a ses règles est sûre de se faire attaquer..."
(P. B. , Les dents de la m. , p. 41).
En effet, lorsque cet adjectif est intégré par la structure [ADJ+de+SN]

165
(cf Ex. n01) il signifie "Qui envisage les événements avec une confiance tranquille,
sereine; qui tient pour assuré un (événement)" . Mais dès l'instant où il entre dans une
structure du type [ADJ+de+INF] (cf Ex. n02), il a le sens de "Qui sait avec certitude, qui
est assuré de ne pas se tromper" . Voici la liste des adjectifs dont la nature syntaxique
des
groupes
prépositionnels
permet
véritablement
de
lever
l'ambivalence
polysémique:
1. Fou+de+INF
2. Propre+à+INF
3. Propre+à+SN
4. Sûr+de+INF
11.3.3. La nature sémantique du substantif du SN 2
Les cas que nous avons omis dans la liste ci-dessus sont ceux dont la simple
identification d'un SN présent dans l'expansion adjectivale ne suffit pas. En effet,
parfois,
seule la nature sémantique du substantif du SN2 permet de
lever
l'ambivalence polysémique.
Prenons, par exemple, les phrases suivantes:
1. La ligue étudiante de son université avait été ferme sur les consignes.
(Libér. , 28 Mars 1990, p. 26).
2.... de remonter, de me retrouver ferme sur mes jambes...
(D. ,Journal, p. 196).
Si l'on supprime l'expansion adjectivale de ces deux phrases, cela servira à
effacer l'information qu'elle donne sur le sens à attribuer à l'adjectif dans chaque cas.
L'on pourrait, par la même occasion, inférer une seule acception des deux phrases:
dans "La ligue étudiante avait été ferme" et "... me retrouver 'ferme", l'adjectif signifie
"Que rien n'ébranle". Aussi, nous contenterons-nous encore une fois de comparer les
structures entre elles. En effet, d'un point de vue syntaxique, il n'y a pas de différence

166
fondamentale entre les deux contextes adjectivaux cités précédemment, pUIsque
l'adjectif entre dans une structure unique, c'est-à-dire [ferme + sur + SN].
Or, tout locuteur francophone attribuera deux sens différents à l'adjectif. Ce qui
implique l'existence d'indices permettant de noter cette différence sémantique. Cette
dernière se reflète à travers le sous-catégorisation des substantifs sélectionnés par le
deuxième syntagme nominal des phrases.
La première expansion adjectivale
comprend le substantif "jambes" qui est [+concret].
Par ailleurs, nous rappelons que ces indices proviennent, non pas de la seule
comparaison entre deux ou trois contextes, mais de l'analyse de la distribution globale
de tous les adjectifs non dérivés. Voici la liste de ceux pour lesquels l'on est obligé de
tenir compte de la nature sémantique du substantif du SN 2 et les sémèmes
sélectionnés :
1. Ferme + sur + S[+abstrait] => "Que rien n'ébranle" (cf Ex. 1).
2. Ferme + sur + S[+concret] => "Oui se tient sans chanceler" (cf Ex. 2).
3. Noir + de + S[+abstrait] => "Que est plein de quelque chose au point de
paraître sombre".
("Ceausecu était noir de colère", Le Figaro, 30 Janv. 1990, p. 3).
4. Noir + de + S[+concret] => "Qui pouvant être blanc et propre, se trouve sali".
("Ses ongles étaient noirs de terre").
5. Rouge + de + S[+abstrait] => "Qui devient rouge par l'afflux du sang"
("Muller se leva d'un bond, rouge de colère", M. D. , La chaîne, p. 147).
6. Rouge + de + S[+concret] => "Qui est de la couleur de ... " ("... Ies montagnes
rouges de viande ... ", La chaîne, M. D.
p. 72).
1
L'on constate que cet indice est surtout déterminable au niveau des adjectifs de
couleur et même de ceux qui ne sont pas attestés par notre liste. En effet, la majorité
des adjectifs non dérivés étant susceptibles d'avoir une expansion sous forme d'un
groupe prépositionnel, il est tout à fait possible d'avoir des contextes du type "Une
1
\\
\\

167
chambre verte de plantes", "Le sol était blanc de craie"... etc.
Donc, l'on conviendra que pour tous les adjectifs non dérivés de couleur, la
présence de la préposition "de" et le trait [+concret] du substantif du SN2 permet de
sélectionner le sens lié à la couleur. Quant au trait [+abstrait], il autorise le choix du
sémème attaché à l'émotion.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que l'on peut penser que le sens de
l'adjectif dans le premier cas ne change pas vraiment. "Le sol était rouge de vin", par
exemple, équivaut à "Qui est de la couleur du vin" et "Le sol était rouge" peut
également avoir le même sens. L'on peut donc considérer que le trait (+concret] du
substantif caractérisé suffit pour lever l'ambivalence polysémique. L'on ramène ainsi la
différence qui existe entre les contextes à une simple variation référentielle.
Cependant, l'expansion fournit des informations importantes par rapport au
sens de l'adjectif. D'une part, elle pose la couleur comme occasionnelle: "être blanc
de craie" équivaut à "être blanc à cause de la craie". D'autre part, elle indique que le
dénoté du substantif présent dans l'expansion est massif ou simplement important.
D'où, le sens que l'on a attribué à noir, c'est-à-dire "Qui est plein de quelque chose au
point de paraître sombre". Ainsi, "être blanc de craie" équivaut à "être plein de craie".
Par conséquent, ces distinctions entre les indices liés à l'expansion des
adjectifs de couleur et ceux qui se limitent au substantif caractérisé sont nécessaires.
II. 3. 4. La nature du déterminant du substantif du SN 2
La nature du déterminant du substantif présent dans l'expansion permet parfois
de lever l'ambivalence polysémique au même titre que les indices précédents.
Comparons, pour l'illustrer, les phrases suivantes:

168
1.... Un peuple tout à la fois sûr de son identité et fort d'une solidarité
égalitariste. (Libér., 15 Janv. 1990, p. 6).
2.... Un armée de professionnels surentraînés, forte de 1,5 millions d'hommes.
(Le Cano ench., 7 Mars 1990, p. 33).
Dans les deux cas, l'expansion de l'adjectif comprend une préposition et un
syntagme nominal. Pourtant, il existe une différence sémantique:
Fort 1<=> "Qui tire sa puissance de que/que chose".
Fort 2<=> "Qui est constitué de n éléments".
L'on constate une parenté sémantique évidente entre la structure de Fort 2 et le
sens qui lui est attribué. Mais le plus important est de noter que chaque fois que cet
adjectif a ce sens, la structure qui l'intègre est la suivante : Fort + de + dét
[+numérique] + S. Elle se distingue ainsi de la structure dans laquelle ce critère
n'existe pas, c'est-à-dire Fort + de + dét [ - numérique] (Cf Fort 1).
Par ailleurs, cet indice est surtout déterminable au sein des adjectifs spatiaux
ou d'évaluation en général. C'est ce qu'atteste la liste suivante:
1. Haut + de + dét [+numérique] + S => "qui est d'une certaine dimension dans
le sens vertical" ("... personne ne craint de se promener sur un mur haut d'un
mètre, G. B., Les mens. de la nuit, p. 108).
2. Large + de + dét [+numérique] + S => "Qui a telle ou telle dimension dans le
sens de largeur'. ("... Une muraille Large d'au moins un mètre... ", T. B. J. 1
L'enfant de s. , p. 13).
3. Long + de + dét [+numérique] + S => "Qui a telle ou telle dimension dans le
sens de la longueur ". ("Un camion grue hissera les gargouilles longues de deux
mètres", Le Parisien, 19 Fév. 1990, p. 15).
4. Lourd + de + Dét [+ numérique]+S =>"Qui a tel ou tel poids" ("... les
gargouilles, longues de deux mètres et lourdes de 600 ki/os ... ",
Le Parisien 19 Fév. 1990, p. 15).
~.
\\

169
Ces indices signifient que dès l'instant où les adjectifs qui traduisent une
évaluation objective ont dans leur environnement syntaxique un groupe prépositionnel
dont le substantif a un déterminant numérique, l'ambivalence polysémique disparaît.
Il existe d'autres cas isolés comme celui de propre que l'on propose d'analyser
à travers les exemples ci-dessous:
1.... il était maladroit de mettre en leur nom propre les parts de trois
sociétés... (Libér., 5 Fév. 1990, p. 26).
2.... il paraît incompatible avec le génie propre de l'Europe ...
(Libér., 5 Fév. 1990, p. 5).
Dans ces cas, l'idée d'appartenance exclusive est privilégiée par le contexte
adjectival. En effet, elle est traduite en contexte par l'utilisation d'un adjectif possessif
comme déterminant du substantif caractérisé ou alors, sous la forme d'un complément
du nom. Ces deux formes sont équivalentes, puisque "... le génie propre de l'Europe"
peut commuter avec "... son génie propre Il et "... leur nom propre...", avec "... le nom
propre de chaque individu ... ".
li:'"
Ainsi, noter ces deux structures convergentes permet de discriminer la
distribution du sémème qu'elles permettent de sélectionner:
[Adj. Poss. + S + propre] ou [Art. Déf. + S + propre + de + S] ~"Qui appartient d'une
manière exclusive à quelqu'un ou à quelque chose.
L'on doit garder à l'esprit le fait que ces indices ne sont valables que dans la
mesure où ils fonctionnent comme des unités oppositives.
II. 4. La structure attributive des adjectifs non dérivés
La présence de la structure attributive ou prédicative comme marque distinctive
dans les dictionnaires peut amener à croire qu'elle fonctionne comme un indice fort
dans la levée de la polysémie aqjectivale.

170
En effet, l'on a par exemple, pour l'adjectif Pauvre, les informations suivantes:
(Employé comme attribut ou épithète après le nom), "Qui manque du strict
nécessaire".
Ces indications marquent un mode de distribution et non une structure
véritablement distinctive que sélectionnerait le sémème ci-dessus. C'est pourquoi
nous proposons d'analyser les phrases suivantes:
1. La sélection des reportages présentés( ... ) était cette année, particulièrement
pauvre. (Libér. , 19 Fév. 1990, p. 46)
2. Elle est moins pauvre qu'elle ne le dit... " (S. de B. , La fem. romp. , p. 10S).
L'on constate que l'adjectif a la fonction attribut dans le premier exemple. Il
signi'f1e, dans ce cas, "Qui est insuffisant ou fournit peu". Cela atteste que, présentée
ainsi, la structure attributive ne peut permettre de lever certaines ambivalences
polysémiques.
Cependant, elle aide dans la recherche d'indices. En effet, si tous les sémèmes
des adjectifs non dérivés peuvent être intégrés à un contexte du type [ADJ+S] ou
[S+ADJ], il n'est pas possible de les représenter tous par une structure attributive.
C'est ce qu'indique l'absence d'équivalence entre les différents contextes ci-dessous:
1.... sa très chère amie... j::. Son amie est très chère... (Dans ce cas précis, la
structure attributive nécessite la présence d'une expansion sous forme de groupe
prépositionnel ou d'un pronom : "Son amie lui est très chère" ou "Elle est très chère
à. .. ".
2.... Son grand rival ... j::. Son rival est grand. .. (Tous les adjectifs en rapport de
parasynonyrnie ou d'antonymie avec Grand suivent la même différence. C'est le cas
de Petit, Haut et Gros).
3
un pauvre homme... j::. Cet homme est pauvre...
4
ses propres dessins ... j::. Ses dessins sont propres...

171
5
par pure amitié
7:- Cette amitié est pure ...
6
un seul homme
7:- Cet homme est seul. ..
7
de simples victimes ... 7:- Les victimes sont simples...
8
un triste individu ... 7:- Cet individu est triste ...
Ainsi, un contexte attributif permet d'éliminer les sémèmes que l'on peut inférer
de la position des adjectifs ci-dessus. C'est également le cas pour les adjectifs de
couleur qui peuvent prendre une valeur achromatique. Leduc-Adine montre bien qu'il
est impossible d'avoir la phrase suivante : "Le régime est rouge".100 L'on peut
expliquer ce fait par le rapport particulier qui existe entre l'adjectif épithète et le
substantif. De la fonction épithète à l'attribut, l'unité du concept formé par les deux
éléments concernés disparaît, ce qui signifie qu'après le substantif et surtout en
fonction prédicative, l'adjectif gagne son autonomie et recouvre un autre concept. Une
telle explication serait intéressante pour l'analyse des adjectifs de relation qui n'entrent
pas, sauf pour certains, dans une structure prédicative. 161
Cependant, il faut reconnaître que cette structure peut être prise comme un
indice si elle est combinée avec d'autres critères. En effet, nous avons vu que quand
Pauvre qualifie un substantif [+humain] et est placé après lui, la polysémie disparaît.
Cette remarque est également valable pour la fonction attribut:
S[+humain]+être+pauvre::::>"Qui manque du strict nécessaire".
Mais, même dans ce cas, il suffit de poser que l'adjectif est placé après le nom. Il
importe peu de préciser qu'il s'agit d'une fonction attributive ou épithète.
Par ailleurs, l'on remarque que les sémèmes liés à l'antéposition ne sont pas
toujours éliminés dans une phrase comprenant une structure attributive.
l~educ-Adine [1980] "Polysémie des adjectifs de couleur" dans Cahiers de lexicologie. 37. Il. p. 70.
161
.
.
.
Dubois (l) & Lagane (R.), op cil., p. 107.
Î

172
Considérons, par exemple, les contextes suivants:
1. Il est trop brave, dit Olivier, et encore, il nous a fait cadeau de la voiture.
(1. M. , Le pain des p. , p. 312).
2. Il faisait semblant d'être brave et de la croire. (R. L. , Poussière, p. 23).
3. Y me semblait la voir, votre brave tante. (1. M. , Le pain des p. , p. 108).
Nous avons déjà cité une phrase qui traduit la différence entre le sens de
Brave, lorsqu'il est antéposé et celui qu'il a en cas de postposition.
Cela suppose que l'on devrait s'attendre à la disparition du sens de Brave antéposé,
dans un contexte où il assume la fonction attributive.
Or, ce n'est pas ce qu'indiquent les phrases que l'on vient de citer. En effet, l'on
pourrait se servir d'une indication tout à fait banale comme la présence de l'adverbe
"trop" dans le premier exemple pour montrer qu'il s'agit du sémème suivant: "Qui est
honnête et bon avec simplicité".
Si l'on conçoit difficilement une phrase comme "il est trop courageux", étant
entendu que cet adverbe traduit une idée négative, l'on accepte plus aisément celle-ci
: "II est trop honnête". Cette explication est sans doute discutable, mais il n'en
demeure pas moins que la phrase entière prouve que l'adjectif a effectivement le sens
que nous lui attribuons.
Autrement dit, que ce soit dans une structure épithète ou attributive, Brave est
susceptible d'avoir les deux sens. D'où l'absence des adjectifs comme Bon sur la liste
des adjectifs dont un sémème exclut la structure attributive. Donc, ces analyses
montrent que la structure [S+être+ADJ] ne peut être véritablement considérée comme
un indice dans la levée des ambivalences polysémiques.
Par ailleurs, les autres indices liés à la sous-catégorisation du substantif
caractérisé ou présent dans l'expansion adjectivale, à la place des AND, à leur
expansion sous forme d'un SP sont autant de faits liriguistiques qui attestent de

173
l'efficacité du contexte dans la monosémisation du lexème. A chaque construction
syntaxico-sémantique, correspond un sens précis. C'est une relation qui est, bien
entendu unilatérale, puisque nous avons vu qu'un même sémème pouvait être dégagé
de différentes structures.
En outre, l'on a certainement remarqué que les indices sont déterminables dans
les contextes comprenant un certain type d'adjectifs. Ainsi, les adjectifs spatiaux
suivent, dans l'ensemble, le critère lié à la nature du déterminant du substantif présent
dans l'expansion adjectivale, les adjectifs dits de notion ou d'appréciation respectent le
critère de la position ... Ces indices ne permettent certes pas de déterminer des
classes, mais ils témoignent d'une certaine homogénéité à l'intérieur des types
d'adjectif que nous venons de citer.
En fin de compte, le contexte immédiat des adjectifs ne peut permettre qu'une
levée d'ambivalence partielle.

174
SIXIEME CHAPITRE
LES AMBIGUITES DANS LA DETERMINATION DU SENS CONTEXTUEL
DES ADJECTIFS NON DERIVES
Notre
but,
dans
ce
dernier
chapitre,
est
de
déterminer
les
indices
complémentaires permettant une levée d'ambivalence complète au sein des adjectifs
non dérivés. Pourquoi le traiter sous le terme d'ambiguHé ? Pour répondre à cette
question, nous proposons de nous servir de la notion même d'ambiguHé.
Selon C. Fuchs, l'ambiguHé se définit généralement "... comme la mise en
correspondance directe entre une forme unique et plusieurs représentations porteuses
de sens disjointes et mutuellement exclusives".162
Autrement dit, un mot sera
considéré comme ambigu si, dans un contexte égal, il accepte deux lectures
différentes. C'est ce cas que nous illustrons par la phrase suivante: "II veut devenir un
gros monsieur' (S. De B. , La fem. romp. , p. 72). L'on constate que cette phrase peut
être paraphrasée par les énoncés ci-dessous:
1. Il veut devenir un monsieur important.
2. Il veut devenir un monsieur corpulent.
Ces phrases indiquent que l'aqjectif est ambigu, puisqu'il peut être paraphrasé
à la fois par deux synonymes dont les sens sont opposés.
Cependant, si l'on se réfère à la définition suivante du substantif caractérisé
monsieur, à savoir "homme de la bourgeoisie opposé au travailleur manuel, au
paysan", l'on peut activer l'acception représentée par la première phrase et lever par la
même occasion l'ambiguHé.
162Fuchs (C.) [1987] L'ambiguïté et la paraphrJse, p. 16.

175
~,
Ainsi, ces faits suggèrent qu'il est aisé de lever l'ambivalence polysémique d'un
adjectif si l'on accepte de décrire les propriétés sémantiques concrètes ou particulières
qui caractérisent les substantifs qualifiés ou encore, si l'on tient compte de son
contexte linguistique général.
En effet, dans le précédent chapitre, nous avions pour but de démontrer que le
contexte immédiat des adjectifs non dérivés joue un rôle important dans la résolution
des polysémies. A ce propos, nous n'avons pas manqué de souligner que le choix de
catégories générales comme \\Concret\\, \\Abstrait\\, \\Animé\\ et \\Humain\\ est la cause
des obstacles que nous avons rencontrés.
Aussi, distinguerons-nous les ambiguïtés superficielles, c'est-à-dire celles que
la détermination de propriétés moins générales, voire même pragmatiques permet de
lever, de celles que nous qualifierons d'indécidables. Mais avant, il nous semble
important d'analyser les éléments qui peuvent être considérés comme des facteurs
d'ambiguïté au niveau des adjectifs non dérivés.
1. LES FACTEURS D'AMBIGUITE AU SEIN DES ADJECTIFS NON DERIVES
De nombreuses analyses, dont celles de François Wioland et de Marie-Line
Groussier, montrent que les facteurs d'ambiguïté sont très diversifiés et peuvent être,
dans certains cas, très complexes. Le premier linguiste, par exemple, explique
comment la composante rythmique d'une phrase peut créer l'ambiguïté. 163 Quant à
Marie-Line Groussier, elle souligne à propos de l'ambivalence de "Pour", que "le
facteur fondamental qui, dans ce cas vient neutraliser l'opposition entre départ et
arrivée métaphorique est donc le rôle central du sujet, ce que J. Annderson a appelé
"anthropocentricity".164 Nous avons choisi cette citation précisément, car elle atteste
163Wioland (F.) [1987] "Jointure et ambiguïté" dans C. Fuchs [1987], ibid, p. 53.
164Groussier (M. L.) [1987] "A propos de l'ambiguïté "Par"/ "Pour" " dans C. Fuchs [1987], op cit, P 76.

176
le caractère complexe des facteurs sur lequel nous tenons à insister.
Cependant, nous sommes loin d'une telle complexité en ce qui concerne les
adjectifs non dérivés, dont les sources d'ambiguïté peuvent être limitées à trois
éléments essentiels : le caractère polysémique du substantif caractérisé, la non
spécification de la propriété réelle sur laquelle tombe la caractérisation et les ellipses,
notamment, dans les cas où l'adjectif est susceptible d'avoir une expansion sous la
forme d'un groupe prépositionnel.
1. 1. La polysémie du substantif caractérisé
En raison de la dépendance qui existe entre l'adjectif et le substantif qualifié, le
caractère polysémique du second entraîne inévitablement une ambiguïté au niveau du
sens à attribuer au premier. Pour en donner une idée, nous proposons l'analyse des
phrases suivantes:
1. Un beau morceau comme çà ! (H. C. , Azizah de N. , p. 18).
2. Parmi les plus grands "s'en-fout-Ia-mort" de Kobilénou ...
(H. C. , Azizah de N. , p. 194).
L'on remarque que le premier substantif caractérisé est presque semblable aux
mots vides comme "Machin" et "Truc". En effet, en dehors de tout contexte, "morceau"
peut signifier beaucoup de choses et faire appel à des connaissances sémantiques
totalement différentes : il peut s'agir de "morceau de gâteau", par exemple, donc
d'alimentation, de musique ou d'un être humain. Ainsi, selon le choix du locuteur par
rapport à ces différents domaines, beau sera respectivement lié à l'idée de quantité,
d'agrément et de beauté.
Par ailleurs, l'on tient à souligner que cette distinction sémantique entre
morceau de musique et morceau de gâteau n'est valable que dans la mesure où le
substantif est analysé par rapport à beau. Dans le cas contraire, l'on ne pourra parler
de deux acceptions différentes de ce substantif si l'on en croit les propos suivants

177
de Joël Pynte : "En ce qui concerne morceau, la différence perçue pourrait provenir du
fait que les objets dénotés par morceau de musique et morceau de pain sont
différents. Autrement dit, il n'y a pas à proprement parler modification de la
signification lexicale de morceau avec celles associées aux mots formant le contexte
afin de déterminer les caractéristiques des entités conceptuelles susceptibles de servir
de référents à morceau dans ce contexe".165
Il est évident que l'on ne peut véritablement parler de modification sémantique
pour ces deux contextes de morceau. Cependant, il se trouve que dans le cas de la
qualification par un adjectif, la variation référentielle peut avoir une pertinence
sémantique.
En d'autres termes,
qu'il
s'agisse de polysémie référentielle
ou
sémantique, l'on ne peut lever l'ambivalence de l'adjectif qu'après avoir effectuè le
même acte pour le substantif caractérisé. 166
En outre, pour un natif francophone, le deuxième adjectif cité sera considéré
comme ambigu, à cause du groupe de mots qui joue le rôle du substantif caractérisé.
Ce dernier est susceptible de renvoyer à n'importe quel sémème de grand. Pour
activer l'un des sémèmes, l'on doit nécessairement désambiguïser s'en-fout-fa-mort
qui désigne une personne audacieuse ou téméraire dans un idiome typiquement
africain.
Pour finir, disons que ces faits confirment, encore une fois, l'impact du
substantif dans son rôle de support par rapport au sens des adjectifs non dérivés. Son
caractère polysémique ou une incompréhension en rapport avec le sens à lui attribuer
compromet de façon inévitable la levée de l'ambivalence polysémique de l'adjectif qui
devient alors ambigu.
165Pynte (1.)[1989] "La levée des ambiguïtés lexicales" dans l'accès lexical", par (P.) Lecocq et (1.) Segui, p. 87.
'66L'on pourra également se référer à l'exemple analysé par Katz (l. J.) et Fodor (1. A), "La note est juste", dans
"Structure d'une théorie sémantique", Cahiers de lexicologie, 1966, pp. 43-45.
Il

178
r
1. 2. La non spécification de la propriété réelle du substantif caractérisé
Les ambiguïtés au sein des adjectifs non dérivés résultent surtout du fait que le
contexte linguistique indique rarement la propriété qui est véritablement sélectionnée
par la caractérisation. 167
Considérons, par exemple, les phrases suivantes:
1.... Le dos appuyé à la balustrade que son poids léger fit frémir.
(H. C. , Azizah de N., p. 37).
2. Ils nous veulentlégères... (J. C. , La dérobade, p. 206).
Il est clair que l'on ne peut parler d'ambiguïté en ce qui concerne le premier
exemple, car la propriété caractérisée est spécifiée: il s'agit du poids. Ce seul élément
permet de sélectionner le sémème 2:1, "Qui a peu de poids, se soulève facilement". En
fait, l'on constate que cette spécification est systématiquement indiquée au niveau des
définitions de nature métalinguistique. Dans le cas d'un contexte du type "belle
l' .
femme" , par exemple, la définition indique que cette épithète se dit précisément du
physique ou du visage d'une personne. Ainsi, la présence d'un de ces substantifs
dans le contexte de l'adjectif permettrait de lever toute équivoque si tant est qu'elle
existe.
Or, les sujets parlants ont tendance à employer des figures métaphoriques,
lesquelles ont pour conséquence
la dissimulation
des
substantifs
réellement
caractérisés. C'est le cas illustré par le deuxième exemple que l'on vient de citer.
En effet, le contexte de la phrase n'indique pas la propriété qui est réellement
prise en compte dans la caractérisation. D'où le caractère ambigu de cette phrase, qui
accepte plus d'une lecture, que l'on propose de déterminer à partir des deux
transformations suivantes:
1. Ils veulent que notre poids soit léger.
167Ricoeur (p.) [1975] La métaphore vive, p 77.

179
2. Ils veulent que notre attitude soit légère.
Etant donné que rien n'est spécifié, l'on peut attribuer à la fois à l'adjectif le
même sens que léger 1, auquel cas l'on parlera d'insuffisance de poids, et celui qui est
traduit par la deuxième transformation et qui est synonyme de frivole.
Par ailleurs, remarquons que l'ambigu"lté concerne très souvent les contextes
comprenant les substantifs susceptibles d'avoir le trait [+Humain], comme l'indiquent
les contextes ci-dessous:
1. Le juge rouge a remarqué ton nom... (H. C. , Azizah de N. , p. 99).
2. Cet homme si fin ... (T. B. J. , La nuit sacrée, p. 91).
3. Eugénio était doux. (O. C. , L'herbe à b. , p. 124).
Ces trois adjectifs sont ambigus, car ils correspondent chacun à deux types de
transformation, lesquels donnent lieu à deux lectures différentes:
1. a. Le juge aux cheveux rouges a marqué ton nom... (~1 : "D'un roux vif').
1. b. Le juge dont l'emblème est le drapeau rouge, a marqué ton nom...
(~1 : "Qui est d'extrême gauche").
2. a. Cet homme au corps si fin ... (~2 : "Qui est mince avec élégance").
2. b. Cet homme dont l'esprit est si fin. .. (~2 : "Qui discerne les moindres
rapports des choses").
3. a. La peau d'Eugénio était douce. (~3 : "Qui est agréable au toucher... ").
3. b. Eugénio possède un caractère doux. (~3 : "Qui ne heurte, ne blesse
personne").
Ces ambigu"ltés sont dues au fait que le dénoté des substantifs au trait
[+humain] est constitué de plusieurs éléments qui peuvent être, les uns comme les
autres, sélectionnés dans la caractérisation:
La taille
_Le corps ou une des parties du corps (cf Ex. 3).
_Les cheveux (cf Ex. 1).
_L'esprit (cf Ex. 2).

180
Ainsi, pour dire d'une femme qu'elle a des hanches étroites, par exemple, l'on
peut se contenter de l'exprimer par "Elle est étroite". Mais lorsque l'on se limite au
contexte immédiat de l'adjectif, cette absence de spécification du dénoté réel
caractérisé relègue ce type de phrases parmi les cas d'ambiguïté.
1. 3.. Les ellipses
Les ellipses peuvent être considérées comme une autre forme d'absence de
spécification, puisqu'elles se définissent comme une omission grammaticale ou
rhétorique. A ce propos, notons que seul le premier cas nous intéresse.
En effet, nous avons souligné, dans les précédents chapitres, l'importance du
groupe prépositionnel dans la détermination du sens des adjectifs non dérivés. Il est
essentiel, car son absence peut se poser comme un facteur d'ambiguïté adjectivale.
Observons, par exemple, la phrase suivante: Fuir ces murs gras d'humidité. (J.
C. , La dérobade, p. 309). Elle peut se traduire également par "Fuir ces murs gras",
~ ..
car l'expansion n'est pas nécessaire à la construction du message. Ce type
d'expansion, comme nous l'avons vu, a une valeur purement explicative. La preuve en
est qu'il existe des contextes dans lesquels gras n'a pas d'expansion et garde pourtant
le même sens, c'est-à-dire, "Qui est encore enduit ou sali de graisse". C'est ce que
nous illustrons par la phrase ci-dessous:
_J'ai la figure bouffie et les cheveux si gras.
L'attribut d'une expansion au contexte adjectival ne modifie en rien le sens de
gras: "j'ai la figure bouffie et les cheveux si gras de pommade".

181
Cependant, il existe des cas où l'absence de l'expansion crée une ambiguïté
lexicale. Autrement dit, l'adjectif sans expansion est parfois susceptible d'avoir deux
lectures différentes.
Soient les phrases suivantes:
1
J'ai les mains grasses" (P. B. , Les dents de la m.
p. 24).
1
2
Elle crie qu'on la laisse, ils sont sourds, calmes, souriants, ils restent
(M. D. , L'amant, p. 38).
La présence d'un groupe prépositionnel dans la première phrase, par exemple,
aurait permis de lever l'ambivalence polysémique de l'adjectif. Etant donné que ce
n'est pas le cas, l'on considère que gras est ambigu, car il peut avoir le sens qu'il
possède lorsque l'expansion est inexistante en structure profonde ou celui qu'il
recouvre quand elle est présente. Ce qui nous donne les deux lectures suivantes:
a. ... Ies mains grasses <=> ... Ies mains grasses (d'huile), et gras ~ "Qui est enduit
ou sali de graisse.
b.... Ies mains grasses <=> ...Ies mains grasses [-GP], et gras ~ "Qui a beaucoup
de graisse".
Cependant, le problème n'est pas véritablement de savoir si ces deux sémèmes
de gras sont exclusifs ou incompatibles. D'ailleurs, l'on peut tout à fait concevoir que
les mains soient charnues et en même temps enduites d'huile ou de graisse.
L'élément le plus déterminant se situe au niveau du choix du locuteur qui, à moins
d'un désir conscient de créer une ambiguïté, ne vise qu'un seul sens. Or, la phrase
telle qu'elle est présentée donne aux deux sémèmes la même probabilité d'être
sélectionnés.
En ce qui concerne le deuxième exemple ci-dessus, disons que la phrase qui
intègre l'adjectif sourd est l'expansion d'une proposition coordonnée à une principale,
moyennant une virgule, laquelle a été substituée à la conjonction de coordination
mais. La restitution de ces éléments donne la phrase complexe suivante: "... elle crie

182
qu'on la laisse, mais ils sont sourds, calmes, souriants, ils restent".
Tout comme gras, le contexte permet d'attribuer à sourds deux définitions
différentes:
a.... ils sont sourds...<=>... ils sont sourds (à ces cris) ... , et sourd =>"Qui refuse
d'entendre quelque chose".
b. ... ils sont sourds... <=>... /Is sont sourds [-GP],
et sourd=> "Qui entend
insuffisamment ou très peu les sons".
Cela signifie, par conséquent, que l'effacement des expansions peut réduire
simplement les informations en rapport avec le sens de l'adjectif, comme nous l'avons
vu avec "cheveux gras" et "cheveux gras de pommade".
Mais cette réduction de sens qu'il occasionne peut entraîner une véritable ambiguïté
au niveau du sens de l'adjectif.
Il. RESOLUTION DES CAS D'AMBIGUITE
t~
En principe, l'on ne peut parler d'ambiguïté que quand la polysémie demeure en
contexte168 ou lorsque, même en situation de communication, le destinataire n'arrive
pas à attribuer au mot le sens visé par le locuteur. L'on est d'avis que dans ce dernier
cas, il est également question d'ambigu'ité, car seule la possibilité pour le lexème
d'avoir plusieurs interprétations dans le même contexte conduit le destinataire au
choix d'un sémème différent de celui auquel pense l'émetteur du message.
Prenons, par exemple, le texte suivant:
168Pottier (H.) [1979] La polysémie lexicale en espagnole, p. 18.

183
"Une dame entre dans une épicerie et demande si les œufs sont frais. Le
commerçant se vexe:
_Mais, madame, chez nous, ce n'est pas la peine de le demander!
Puis, s'adressant à l'arrière-boutique:
_Eh, Germaine, touche un peu les œufs et dis-moi s'ils sont assez froids pour
pouvoir être vendus. (Télé Z de la semaine du 24 au 30 Avril 1993, p. 14).
Il apparaît que les deux personnages en situation n'attribuent pas le même sens
à l'adjectif frais: pour l'émetteur, il signifie "Qui est nouvellement produit" et pour le
récepteur, "Qui est d'une température relativement basse. Autrement dit, aucun
élément, dans cette situation de communication ou dans le contexte, n'indique le choix
sémantique de l'émetteur. Seule l'expérience que l'on a du monde permet de
sélectionner, dans ce cas, le sens à attribuer à l'adjectif. En effet, l'on sait qu'en
général, lorsque l'on parle de frais à propos d'aliments, il est question de production
récente, mais rien n'exclut la seconde interprétation.
Par conséquent, ces faits indiquent non seulement qu'en cas d'ambiguïté, la
\\"
polysémie est présente dans le discours, mais également, qu'elle se trouve déjà
réduite. C'est pourquoi les indices de résolution de ces ambiguïtés seront analysés
sous forme de conditions d'interprétation.
11.1. Les ambiguïtés superficielles et leurs indices de résolution
Les ambiguïtés superficielles concernent les cas où des informations plus
précises sur le substantif caractérisé permettent de lever l'ambivalence polysémique.
L'on a décidé de les classer parmi les cas d'ambigUïté, car d'un point de vue
automatique, la formalisation de ces indices présente des difficultés. Pour s'en
convaincre, il suffit de considérer leurs différentes natures.

184
+
Il.1.1. Les connaissances sémantiques sur le substantif caractérisé
Il ne s'agit plus de déterminer la sous-catégorisation du substantif, mais de
trouver la propriété sémantique concrète du substantif qui paraît pertinente dans la
levée des ambivalences polysémiques.
Considérons, par exemple, les phrases suivantes:
1.... se couvrir comme on protège les enfants trop blonds d'une chemisette
légère ... (F. P. , L'amour nu , p. 123).
2
un léger pantalon de coton... (P. B. , Les dents de la m. , p. 247).
3
Ia présence, les gestes eussent été aussi légers...
(F. P. L'amour nu , p. 20).
4. Le pas léger, ils partaient (M. D. La chaîne, p. 248).
L'on constate que tous ces substantifs caractérisés peuvent avoir le trait
[+concret]. Dans ce cas, il ne peut constituer un moyen de résolution de la polysémie
de léger. D'où la nécessité de considérer d'autres
critères pertinents : les deux
premiers contextes comprennent des substantifs dont l'hyperonyme est le terme
'Vêtement". Quant aux deux derniers, ils incluent des substantifs qui se définissent
comme le "mouvement d'un organe du corps".
Etant donné que cette différence entre les substantifs coïncide avec un
changement sémantique, l'on en déduit les règles suivantes:
a. Lorsque léger qualifié un S[+vêtement], il signifie "Qui a peu de matière, de
substance".
b. Lorsque léger qualifie un S[+mouvement d'un organe du corps], il se définit
par "Qui se meut avec aisance et rapidité".
Par ailleurs, ces indices sont très diversifiés. Cela peut être constaté à l'intérieur
des sémèmes d'un même adjectif. C'est le cas par exemple, de grand que l'on
propose d'analyser à travers les phrases suivantes:

185
1. Un grand professeur... (F. P., L'amour nu, F. P. p.172).
2
C'était un grand soldat. (J. D'O. , Tous les homo en sont fous, p.42).
3
Les grandes initiées dévorent les enfants ...
(A. K. , Les soleils des ind. , p. 13).
4.... Le prince Sihanouk... était le grand perdant de cette réunion
(Libér. , 15 Janv. 1990, p. 26).
5. Un grand costaud, toujours le même... (Libér. , 17 Janv. 1990, p.31).
6. Hervé, un grand blond, consulta ses notes. (F. P. , L'amour nu., p. 43).
Quand un contexte comprend un substantif qui
traduit une certaine activité,
comme c'est le cas pour "professeur" et "soldat" (cf Ex. 1 et 2 ), l'adjectif signifie "Qui a
une importance sociale ou politique". Lorsque le substantif indique une caractéristique
(cf Ex. 3 et 4), grand est l'équivalent d'un superlatif. Mais l'on ne peut se limiter à ce
dernier indice pour lever l'ambivalence polysémique, car il est également pertinent au
niveau des deux derniers exemples. Or, ils traduisent un sens différent des deux
précédents.
~
C'est pourquoi, l'on doit analyser la différence qui existe entre les substantifs du
type perdant, initiées, et ceux du type blond, costaud. Il se trouve que les seconds se
définissent comme une caractéristique physique, ce qui n'est pas le cas des premiers.
Cet élément peut donc être considéré comme un indice distinctif. D'où les règles ci-
dessous:
1. Grand+S[+activité] =>"Qui a une importance sociale ou politique".
2. Grand+S[+caractéristique] 1\\ [-physique] =>"Qui est supérieur en quelque
chose".
3. Grand+S[+caractéristique] 1\\ [+physique] =>"Dont la taille est supérieure à la
moyenne".
Ces critères de sélection sont complémentaires à celui de la place de grand par
rapport à ces substantifs.

186
Ces analyses attestent donc que les connaissances sémantiques du sujet
parlant interviennent également dans cette levée d'ambivalence polysémique. Cela
signifie que le problème que posent les indices de cette nature ne se situe pas au
niveau de leur détermination, mais plutôt, de leur organisation. C'est ce facteur que
souligne B. Gradin quant il affirme que:
"Les expériences conduites depuis deux ans par M. Coyaud en matière d'analyse
automatique ont montré que les organisations sémantiques nécessaires à la résolution
des polysémies étaient en fait fort étendues et qu'elles devaient faire appel à des
catégories conceptuelles nombreuses, inégalement diversifiées".169
Voici, par exemple, des indices sémantiques que l'on retrouve dans la
prédiction des différents sémèmes d'un certain nombre d'adjectifs non dérivés:
a.5[+50n]
Clair <::> "Qui est pur et net". ("Son rire est clair' , M. D. , La chaîne ,p. 166).
r-\\
Dur <::> "Qui est désagréable aux organes des sens"
("... un bruit sonnant et dur', G. R. , Bonheur occas. , p. 17).
Froid <::> "Qui produit une impression désagréable..."
("... Iire de sa voix froide", M. D. , La chaîne, p. 154).
Grave <::> "Qui est bas, pesant".
("... un son grave et creux... ", P. B. , Les dents de la m. , p. 287).
Léger <::> "Qui est peu perceptible".
("Un bruit léger', H. C. , Azizah de N. , p. 28).
Mat <::> "Qui a peu de résonnance".
("... des bruits mats...", J. C. , La dérobade, p. 454).
Mou <::> "Qui est peu sonore".
("... Ie bruit mou des pieds... ", G. Gd. Troupeau, p. 29).
169Gardin (B.) [1966], ibid, p. 33.

187
Rude <=> "Qui est désagréable aux organes sensoriels" (... l'accent rude de son
terroir natal ... ", Libér. , 7 Fév. 1990, p. 41).
Sec <=> "Qui manque d'ampleur, de moelleux ou de douceur" (... son petit rire
intermittent et sec", R. L. , Poussière, p. 23).
b. ADJ+S(+activité]
Bon <=> "Qui fait bien son travail. .." (.. .faire de l'enfant un (... ) bon travailleur... "
Libér. 7 Janv. 1990, p. 8).
Gros <=> "Qui est important par le rang, la fortune, l'activité, ... " ("... un gros client
qui a ôté à l'autre le soin de ses affaires", S. De B. , La fem. Romp. , p. 177).
Haut <=> "Qui est élevé sur l'échelle sociale et politique". ("Tous les hauts
fonctionnaires de ce pays", H. L. , La nouvelle romance, p. 152).
Jeune <=> "Qui est relativement moins âgé que les personnes du même état".
(" ... 11 félicite le jeune industriel. .. ", Libér. , 7 Janv. 1990, p.11).
(.,
c. (+Espace]
Chaud <=> "Où il ya de l'animation, de la passion" ("... certains quartiers
chauds... ", Le nouvel Obs. , n° 1349, p. 20).
S+[espace]+cher <=>"Qui exige de grandes dépenses".
("Dans cet endroit si snob, si cher..." , S. de B. La fem. romp. ,P. 152).
Gris <=> "Qui est d'une teinte sombre sous l'effet de l'éclairage ou des"
conditions atmosphériques". ("... Ie gris paysage de Vernon", 1. M. , Le pain des
Q. , p. 68).
Léger <=> "Qui est ou donne l'impression d'être peu chargé".
("... un monde (... ) plus léger...", R. L. , Poussière, p. 10).

188
d. ADJ+ S[+caractéristique] 1\\ [-physique]
Gros <=> "Pour renfoncer une qualification péjorative" ("... Ia droite de ce gros
mangeur qui n'apportait rien", A. K. , Les soleils de ind. , p. 41).
Par rapport à ces indices généralisés, l'on a d'autres qui sont spécifiques à
certains adjectifs et que l'on ne retrouve qu'une seule fois. C'est, par exemple, le cas
pour rouge que nous proposons d'illustrer par les contextes suivants:
1
une gerbe de braises rouges. (M. D. , La chaîne, p 111).
2
Un énorme bouquet d'œillets rouges. (J. C. , La dérobade, p. 117).
La sous-catégorisation des substantifs braises et œillets, qui ont le trait
[+concret], ne permet pas d'opérer un choix entre les deux sémèmes suivants,
auxquels revoient les deux contextes ci-dessus:
Rouge 1 <=> "Qui est porté à l'incandescence et dégage un rayonnement
calori'f1que".
Rouge 2 <=> "Qui est de la couleur du sang".
En effet, l'analyse de la distribution générale de cet adjectif atteste que l'on doit
lui attribuer le premier sens lorsque le substantif présent dans le contexte se dit d'une
source lumineuse calorifique (cf Ex. 1). Quand ce caractère est inexistant, ce
qu'illustre le deuxième exemple ci-dessus, le choix se porte sur le second sémème.
De même pour l'adjectif Bleu dans "Un steak bleu": le sens qui se dégage de
ce contexte, c'est-à-dire "Qui est très saignante", ne doit être pris en compte que
quand l'adjectif qualifie un substantif en rapport avec la chair animale.
Donc, il est évident que plus la propriété pertinente du substantif caractérisé est
spécifique ou locale, plus la formalisation est difficile. Mais le problème de la
formalisation demeure secondaire, par rapport au fait que l'utilisation d'indices
sémantiques restreints ne permet pas d'atteindre une levée d'ambivalence complète

189
~\\-
au sein des adjectifs non dérivés. Nous devons donc faire appel à des données plus
pragmatiques comme le fonctionnement du référent ou sa constitution.
II. 1. 2. Les connaissances pragmatiques sur le substantif caractérisé
Soient les phrases suivantes:
1. Une robe un peu folle, une robe de star... (F. P. , L'amour nu, p. 94).
2. Des yeux fous, un regard d'affolement. .. (M. D. , La chaîne ,p . 234).
Avant d'analyser ces contextes, nous proposons d'observer la liste ci-dessous
des sémèmes auxquels est lié cet adjectif ainsi que les indices de résolution:
1. S[+animé]+fou 1 fou+de+/NF=> "Qui se comporte d'une façon peu sensée,
anormale".
("... elle a été folle de se marier... ", 1. M. , Le pain des p. , p. 21).
2. Fou+de+S[+sentiment] => "Qui est dans un état psychologique de trouble
intense ou d'exaltation".
("... Une odeur qui me rend fou de joie ...", M. D. ,L'amant, p. 76).
3. fou+de+S[-sentiment] => "Qui a une passion ou un goût excessif pour
quelqu'un ou quelque chose".("Entière, passionnée, .. .folle de lui ... ", J. D'O. 1
Tous les homo En sont fous, p. 49).
4. S[+sentiment] => "Que l'on ne peut réprimer".
("Une rage folle ... ", F. P. , L'amour nu, F. P. p.159).
5. S[+qualité humaine] => "Qui est prodigieux, extraordinaire".
("J'ai un chic fou...", A. , L'herbe bleue, p. 67).
6. S[-sentiment] 1\\ [-qualité humaine] => "Qui est contraire à la raison". (Les
idées .. .folles couraient dans sa tête... " , F. P. , L'amour nu, p. 181).
7. S[+concret] => "Dont le mouvement est irrégulier". (Cf "yeux fous").
8. S[+concret] => "Qui dénote l'étrangeté". (Cf "robe folle").

190
Cette liste indique que les deux derniers sémèmes n'ont pu être distingués
comme les autres. En effet, un contexte du type "Une robe fol/e" exclut les sémèmes
n01, 2, 3, 4 et 5, à cause de leurs indices de sélection. Mais il peut être considéré
comme représentatif de la distribution des deux derniers. Or, il existe une différence
pertinente qui réside en la possibilité pour l'un des substantifs sélectionnés d'avoir le
trait [+mobile]. Ainsi, l'on conviendra que quand fou qualifie un substantif possédant ce
critère, il est lié à la définition nO? Dans les cas où les substantifs ont le trait [-mobile],
il implique l'idée d'étrangeté, de bizarrerie. Seule notre expérience des choses du
monde nous apprend qu'une robe, par exemple, n'est pas dotée de mouvement. D'où
la classification de cet indice dans le domaine de la pragmatique.
En outre, les indices relevant des connaissances pragmatiques posent les
mêmes problèmes de formalisation que ceux qui appartiennent au domaine de la
sémantique. Ceux qui sont susceptibles d'être formalisés doivent être concis et dotés
d'un certain degré de généralité, de sorte à limiter leur nombre et les rendre plus
opérationnels. Or, les indices que l'on vient de présenter sont parfois très imprécis.
Considérons, par exemple, les contextes ci-dessous de nu :
1. Laisser la main (... ) sur son ventre nu... (T. S. J. , L'enfant de s. , p. 19).
2. La bouche plus nue sous le masque de mousse blanche.
(S. De S. , La fem. romp. , p. 141).
Ces contextes permettent de privilégier les sémèmes suivants:
2,1 : "Qui n'est couvert d'aucun vêtement".
2,2 : "Qui est dépourvu de ... "
En effet, il existe un rapport nécessEllre entre les substantifs désignant une
partie du corps susceptible d'être couverte par un vêtement et le premier sens de nu.
Quand au second sémème, il sélectionne également les substantifs désignant une
partie du corps, mais qui n'ont pas cette possibilité. Comment traduire ce trait? Doit-
on le réduire sous la forme S(±vêtement] ou préférer celle-ci:

191
[±couverture] 1\\ [+vêtement] ? En réalité, ni l'une, ni l'autre n'est assez explicite pour
rendre compte de ce critère.
En fin de compte, il n'est pas utile de fournir un inventaire des indices
déterminés à partir du fonctionnement du référent désigné par le substantif, comme
nous avons tenté de le faire pour les autres. Ils sont trop spécifiques, et même dans le
cas où ils sont déterminables au niveau des sémèmes de plus d'un adjectif, il s'agit
tout simplement de synonymes. Par exemple, le trait [±mobile] n'est valable que pour
les adjectifs Fou et Ivre quand ils traduisent la même idée, c'est-à-dire une irrégularité
de mouvement.
Cependant, les indices permettant de lever la polysémie au sein des adjectifs
non dérivés sont déterminés à partir de connaissances purement descriptives. L'on
entend par cela, le fait que l'ambivalence polysémique disparaît dès l'instant où l'on
fait intervenir des informations sur la constitution concrète du référent.
Observons, par exemple, les prlrases suivantes:
1.... là où la poupe est si basse qu'elle est au ras de l'eau.
(P. B. , Les dents de la m. , p. 275).
2.... Le cinéaste entre et ressort... d'une maison basse.
(Libér. , 13 Janv. 1990, p. 37).
3. C'est d'ça qu'on parlait à voix basse. (J. C.
La dérobade, p. 24).
J
L'on ne peut réduire la polysémie de manière satisfaisante en se fondant sur la
sous-catégorisation des substantifs caractérisés par Bas.
Aussi,
sommes-nous
contrainte de faire intervenir des indices plus restreints pour discriminer la distribution
de chaque sémème représenté par ces contextes. Si l'on considère par exemple le
deuxième contexte, l'on se rend compte que l'indice auquel il est lié nous est suggéré
par le sens de l'adjectif: "Qui a peu de hauteur".

192
.',"
En effet, ce sémème ne peut sélectionner que des contextes dans lesquels les
substantifs caractérisés désignent des objets au trait [+verticale]. Il est possible
d'affirmer que, dans ce cas, il s'agit d'un indice sémantique, étant donné que l'idée de
hauteur implique celle de la verticalité,
Cependant, savoir qu'une "maison" est en position verticale et s'évalue par
rapport à cette dimension, relève de la connaissance des choses du sujet parlant,
donc de la pragmatique- C'est également le cas pour le premier contexte, En ce qui le
concerne, l'on peut se contenter de poser son caractère [-vertical] ou non évaluable
par rapport à cette dimension pour sélectionner le sémème suivant: "Qui se trouve à
une faible hauteur" , Mais la présence d'un autre type de contexte, (cf Ex,3), la rend
inopérante- D'où le choix de la propriété pertinente du substantif caractérisé,
Il nous semble que l'élément qui fonctionne comme un indice est la nature
dépendante du référent du substantif. Dès l'instant où le dénoté fait partie intégrante
d'un tout, bas recouvre systématiquement ce sens. C'est le cas pour des substantifs
comme branches (les parties d'un arbre), poupe (la partie d'un navire) ... etc.
Ainsi, faire intervenir ces indices de reconnaissance du sens des adjectifs non
dérivés n'est rien d'autre qu'une description référentielle. Seulement, l'on ne peut nier
le fait que ces descriptions ont un rapport très étroit avec le sens ou l'acception
qu'elles traduisent.
Par exemple, lorsque l'adjectif non dérivé Pauvre exprime l'idée d'insuffisance à
propos des choses concrètes, il ne peut être dit que des objets qui ont la capacité de
contenir quelque chose. C'est pourquoi, l'on dira "Une bouche trop pauvre" (J. C. , La
dérobade, p. 187); "Un sang pauvre" (J. C. , La dérobade, p. 349). Le premier contient
des dents et le second, des globules, Mais cet adjectif, pour les raisons que l'on a
avancées, ne peut être attribué à un substantif comme Chaise ou Table. Dans le cas
où cette attribution est faite, il s'agit nécessairement d'un autre sens de pauvre.

193
Les exemples qui illustrent l'intervention des descriptions référentielles dans la
résolution complète des polysémies sont en nombre important. Qu'il s'agisse du
fonctionnement ou de la constitution du référent désigné par le substantif caractérisé,
(donc, de faits d'ordre pragmatique), il n'en demeure pas moins qu'ils sont efficaces
dans cette levée d'ambivalence, vu qu'ils permettent de prédire le sens contextuel des
adjectif non dérivés. Mais l'on est forcé de reconnaître que de véritables ambiguïtés
subsistent, malgré tout. L'on entre ainsi de plain-pied dans l'exposé en rapport avec
les cas profonds d'ambiguïté.
11.2. Les cas d'ambiguïté indécidables et leur résolution
Les cas d'ambiguïté indécidables sont présents lorsque ni le contexte
linguistique du lexème,
ni les informations sur le référent désigné dans la
caractérisation ne permettent de lever la polysémie complètement.
Mais, étant donné que certains indices autorisent tout de même l'exclusion d'un
grand nombre de sémèmes, nous avons la possibilité de fournir les données
permettant de prédire le sens du lexème ambigu.
Pour mieux observer la différence entre les ambiguïtés superficielles et celles
que nous qualifions d'indécidables,
nous proposons d'analyser différents cas
d'adjectifs et de donner une représentation globale de leurs indices de prédiction
sémantique.

194
II. 2. 1. Le cas de Bon
Soient les phrases suivantes:
1. Aucune communauté n'est plus hiérarchisée que celle que les bons Blancs
appellent "les sauvages". (H. C. , Azizah de N.
p. 39).
1
2. Elle verrait qu'elle avait un bon père... (H. C. , Azizah de N. , p. 27).
Remarquons que les deux premiers exemples font apparaître l'adjectif dans des
contextes similaires dont la structures est : bon+s[+humain]. Mais le fait que le
substantif père indique une activité sociale permet de lever la polysémie sur bon 2 qui
signifie "Qui tient bien son rôle". Il est possible de soutenir que ce sens ne peut être
inféré à partir du premier contexte qui inclut une certaine ambiguïté.
En effet,
l'on peut envisager que le substantif Blanc est une simple
dénomination, au même titre que Garçon ou Femme. Dans ce cas, l'on peut attribuer à
l'adjectif le même sens que celui qu'il possède au niveau du deuxième exemple. Ainsi,
Bon 1 signifierait "Qui entretient avec autrui des relations agréables".
Or, tel qu'il est présenté, l'adjectif peut également avoir le même sens que
Bon 2. C'est le cas si l'on considère que Blancs doit être pris comme un ensemble de
propriétés. Ce qui impliquerait que "Les bons Blancs" sont des Blancs qui remplissent
les conditions pour être ainsi nommés et donc, "Qui tiennent bien leur rôle".
Cependant, l'on se demande s'il y a vraiment lieu de parler de différence
sémantique entre les deux sémèmes, étant donné les équivalences suivantes:
Un bon garçon <=> "Un garçon secourable, serviable... "
Un bon père <=> "un père attentif, compréhensif'.
L'on peut concevoir que dans les deux cas, l'adjectif exprime une appréciation
sur le rôle qui est assigné au dénoté du substantif. Malheureusement, cela ne SI.Jffit
pas pour regrouper les deux définitions sous un concept général. Dans les contextes

195
du type "bon meurtrier", par exemple, il serait absurde de tenter d'établir une
équivalence entre les deux sémèmes. Autrement dit, l'ambiguïté demeure.
Par ailleurs, cette ambiguïté subsiste quelquefois au sein de contextes qui
comprennent une structure attributive. C'est ce cas que nous illustrons par la phrase
suivante:
- Certainement, il n'avait pas un boy aussi bon que lui.
(H. C. , Azizah de N. , p. 56).
Cet exemple est ambigu, car
l'adjectif accepte deux lectures différentes et
exclusives que l'on peut traduire de la manière suivante:
1. Certainement, il n'avait pas un boy qui faisait son métier aussi bien que lui.
2. Certainement, il n'avait pas un boy qui faisait autant de bien que lui.
D'une part, l'on dit du substantif caractérisé qu'il est bon en tant qu'humain et
d'autre part, en tant que boy. Cela nous conforte encore dans l'idée selon laquelle la
structure attributive ne peut suffire à lever l'ambivalence polysémique. Seules des
informations sur le contexte général de l'adjectif pourraient permettre de neutraliser
l'ambiguïté. Nous pouvons tout de même établir ces conditions d'interprétation.
En effet, l'on sait que l'existence d'une structure comparative pose une
contrainte au niveau de la place de l'adjectif par rapport au substantif. Il reste
obligatoirement postposé. L'on peut donc envisager de supprimer l'adverbe de
comparaison et établir le contexte pouvant être sélectionné par chaque sémème :
1. Si la phrase peut être traduite par" ... il n'avait pas un boy bon" , alors l'on est
contraint de sélectionner le sémème qui est en rapport avec le sème
1métier 1.
2. Si elle est l'équivalente de "II n'avait pas un boy bon", alors il s'agit de la
définition liée à la 1bonté 1.

196
Toutefois, il serait souhaitable de traduire la résolution des ambiguïtés
indécidables sous forme d'indices sémantiques ou pragmatiques. L'ambiguïté existe,
car la propriété réelle caractérisée n'est pas nommée. Ainsi, la résolution se limitera à
la détermination des différents indices que l'on suppose présents en structure
profonde ou dont l'existence peut être vérifiée par le contexte général de l'énonciation
et certaines précisions de l'émetteur.
Le tableau qui suit représente justement les indices de prédiction du sens de
cet adjectif y compris ceux qui s'attachent aux ambiguïtés indécidables:

197
Sèmes différenciateurs des
Indices pour la levée des
Types d'exemple
acceptions ou sens
ambivalences
1. Bon_S[+concret]r+alimentl-odeur]
1. L'eau est bonne...
(Libér., 7 Janv. 1991, p. 34).
1 Qualités utiles 1
2. Bon_ S[+abstrait]A
2.... il faut gratifier ces messieurs d'une
[-qualités humaines]17o
bonne récompense.
A. S. F. , La grève des b. p. 72).
Bon+S[ +humain]A
_ Modou, bon père et bon époux
1 Métier 1 Oll 1 rôle 1
( [+activité] )
(M B. , Une si longue let. , p. 58).
1. Bon+pour
1. On devient bon pour le cabanon. (S.
de B . , La fem romp. , p. 88).
1 Convenance 1 ou
1 utilité 1
2. Bon+à
2. Première certitude toujours bonne à
rappeler ... (Libér. , 7 Fév. 1990, p. 40).
Bon_S[+aliment\\+odeur]
_Du bon baasi salté. ( A. S. F. , La grève
1Agrément 1
des b. , p. 85).
Bon_S[+Ioisir]
_Ca va être un bon voyage.
1P/aisirl
(A. , L'herbe bleue, p. 177)
Bon_S[+qualités humaines]
- ... de bons sentiments...
1 Moral 1
(H. L. , La nouv. rom. , p. 177)
- Celui-ci
s'est
rangé
dans
le
"bon
1 Convenance 1
1 Particularité 1
Art. Oéf. Sg. +Bon+S
camp"...
(Le Monde, 20 Oct. 1990, p. 1).
1. S[+humain](A[+activité]) + Bon
1. C'est un homme bon et généreux.
(R. O. K. , Lérionka écol. mas. p. 62).
1 Bonté 1
2. S[+humain] (A [-activité] )
2. Mais ton père est trop bon
+V. cop. +bon. 171
(A. S. F. , La grève des b. , p. 103).
_ ... éloignée de l'autre, celle de ce bon
1 Relations 1
Bon+S[+humain]A [-activité]
abbé Prévost. ..
(L'Obs. de Paris, n° 272, p. 16)
Bon+Oet[+numérique\\+quantifié]+S
_.et cela pendant une bonne douzaine
1 Mesure 1
d'heures.
(Libér., 17 Janv. 1990, p. 14).
Bon+S[+abstrait]A[+connotation
_ ...je serais content si un bon incendie
Ilntensité 1
négative]
me délivrait...
(P. M. , Colomba. p. XXVII).
17CUans ce cas, la structure qui intègre l'adjectif importe peu.
171 Les parenthèses indiquent les cas d'ambiguïtés indécidable et leurs indices de résolution.

198
(,
II. 2. 2. Le cas de propre
Les ambiguïtés sur le sens de cet adjectif apparaissent lorsqu'il est lié à l'idée
de propreté et non à celle de la propriété ou de la capacité. En effet, cet adjectif
accepte, dans ce cas, deux types d'emploi qui donnent lieu à un sens propre et un
sens figuré, comme nous le voyons aux deux phrases suivantes:
1. Ces planches étaient propres... (0 .C. , L'herbe à b. , P 125).
2. Toléré pour son honnêteté et son sérieux, le "monsieur propre" du SEO a vu
resurgir son passé... (Libér. , 17 Janv. 1990, p. 23).
Le premier contexte fait état d'une propreté matérielle et le second, morale.
Alors que l'ambivalence polysémique au sein du premier peut-être levée par la
postposition de l'adjectif et le trait [+concret] du substantif caractérisé, le second au
contraire, fait problème: l'on peut envisager que "le monsieur propre" est ainsi qualifié
à cause de son aspect convenable ou à cause de son honnêteté. Mais le début de la
phrase est incompatible avec la première cause.
Pour mieux illustrer ce cas d'ambiguHé indécidable, analysons cette autre
phrase : _Que faudrait-il faire pour rendre la Suisse plus propre?
(Libér. , 3-4 Fév. 1990, p. 15).
Cette phrase est ambiguë dans la mesure où elle accepte les deux explications
suivantes:
a. L'énonciateur s'interroge sur la réputation de la Suisse.
b. L'énonciateur s'interroge sur l'aspect des espaces en Suisse.
Cette possibilité d'avoir plusieurs lectures est due au fait que le contexte
linguistique restreint de l'adjectif ne permet pas de lever l'ambivalence polysémique.
Etant donné que cette ambiguHé met en cause deux sémèmes seulement et non tous
ceux que l'on peut déterminer à partir des différents contextes de propre, l'on
conviendra que:

199
_Si le substantif qualifié traduit en réalité une attitude morale, un acte, alors il
sera question de propreté matérielle.
_Si le substantif caractérisé se pose comme l'emploi métonymique d'un lieu ou
d'un objet concret, alors seul le sens propre devra être activé.
. Pour être certain du choix du locuteur, l'on peut se référer à la réponse fournie
par le destinataire de cette interrogation, à savoir, "II faut mettre en place un contrôle
public sur les grandes banques, abolir le secret bancaire, accepter l'entraide judiciaire
internationale".
Il est évident que la seconde interprétation que l'on a donnée serait absurde par
rapport à cette réponse. Mais toujours est-il que les conditions d'interprétation restent
déterminables.
Pour insérer cette résolution dans un cadre global, nous proposons le tableau
ci-après:

200
Sèmes différenciateurs des
Indices pour la levée des
Types d'exemple
acceptions ou sens
ambivalences
_ ... elle plie à sa propre loL .. (F. J.
Adj. Poss. +propre+S
, Le gd espoir du 20 ème siècle, p.
344).
_ ...Ies propres termes du
1 Appartenance 1
Art.Oét.+propre+S+de+S
président...(Le Monde, 9 Janv ..
1990, p. 2) .
.. .l'évolution de la société et de la
Pron. Poss.+propre
sienne propre... (S. B. , Pour une
éduc. penn. , p 8) .
...au fond, chacun exige un
S[+abstrait]+propre
symbole propre (J. L. L. , Le
traitem. des infos. , p. 435).
1Spécifité 1
_Les banques font ces opérations
Adj. Poss.+S +propre
avec leur capital propre... (L. G.
,Hist. écon. , p. 296).
_L'équipe souffrait de ce mal
S+propre+à+S
propre à la province (M. O. ,La
chaîne, p. 63).
_N'est-ce pas la nature propre de
Art.Oéf.+S+propre+de+S
la langue...? (O. G. , Traité de
sociol. , p. 338).
1 Capacité 1
_ ... cette mesure propre à
S+propre+à+INF
intéresser les historiens...
(L. G. , Hist. écon. , p. 296).
1Propreté 1 1Matérielle 1
1. S ( [+concret] )+propre
1. ' ..ils m'ont donné des vêtements
propres' (A. , L'herbe bleue, p.
126).
2. S[+humain] (A[-acte]\\(-
2....voilà un garçon très
attitude] )+propre
propre.(R. O. K. , Lérionka écol.
mas. , p. 35).
1Propreté 1 1Morale 1
1. S( [+acte]\\[+attitude])+propre
1. Nous voulions être un couple
propre. (S. de B. , La fem. romp. ,
p. 106).
2. S[+humain] (A[+acte\\+attitude] 2....Ie "monsieur propre" de la
+propre
SEO ... (ibid)

201
Il. 2.3. Le cas de Grand
Les cas d'ambiguïté indécidables au sein de cet adjectif se posent lorsqu'il est
antéposé à un substantif ayant le trait [+humain] ou susceptible d'avoir à la fois un
aspect concret et abstrait et que les indices sémantiques servant à lever la polysémie
sont inexistants.
Considérons, par exemple, les phrases suivantes:
1. Et le grand homme là-bas, c'est de Gaulle.
(S. de 8., La fem. Romp., p. 79).
2. Il a fallu cinq mois pour que la grande vieille dame se rende ...
(Libér., 7 Janv. 1990, p. 26).
Dans cette position et qualifiant des substantifs de cette nature, l'adjectif peut
être défini de deux manières:
a. Qui a une importance sociale ou politique.
b. Dont la taille est supérieure à la moyenne.
L'on constate que le premier sémème ne peut être inféré du premier contexte,
car la caractérisation est suivie d'un déictique spatial. En effet, la puissance
référentielle de "de Gaulle", un homme de grande valeur, aurait pu permettre d'activer
le premier sémème. Mais elle est neutralisée par "là-bas". Cela signifie que seul le
sémème traduisant une description physique de grand doit être sélectionné. 172
En revanche, aucun élément dans le second contexte ne permet d'attribuer tel
ou tel sens à l'adjectif. Aussi, conviendrons-nous simplement que si le substantif réel
caractérisé indique une activité importante ou un certain statut, l'on doit attribuer à
grand la première définition. Dans le cas contraire, le choix doit se porter sur le
deuxième sémème.
I72Les déictiques spatiaux auraient pu faire partie des indices susceptibles d'être formalisés, étant donné qu'ils
permettent d'opérer une distinction entre les cas où les adjectifs servent à une description physique et ceux dans
lesquels ils n'ont pas ce caractère. Mais cela n'est pas le cas, dans la mesure où les contex1es au sein desquels ils
sont absents sont trop nombreux.

203
\\
En outre, le caractère non contradictoire des adjectifs peut s'expliquer grâce à
l'opposition des axes De dicto et De ré. l73 Ainsi, l'on peut supposer que la première
caractérisation (cf. Ex 1) est faite par un émetteur X à un certain moment et à partir de
critères objectifs, c'est-à-dire, se fondant sur la trame, les acteurs, le décors... Ensuite,
à un moment ultérieur, un autre émetteur prend en charge ce même énoncé, mais en
lui ajoutant une seconde caractérisation (cf Ex 2) qui se pose comme le complément
d'une caractérisation jugée partielle.
Cependant, ces faits ne peuvent être intégrés aux indices permettant de lever
l'ambivalence. Aussi, ne 'figurent-ils pas dans le tableau suivant qui concerne la
résolution des polysémies de Grand 174 :
Sèmes
Indices pour la levée des
différenciateurs des
Types d'exemple
ambivalences
acceptions ou sens.
- Dans
les
grands
escaliers
1 mesure 1
Grand_S[+mesurable]
sonores... (f.P., L'amour nu, p. 45).
_... ça l'aurait arrangé, une grande
1 Taille 1 1 Notable 1
Grand+S[Humain] A[-adulte]
fille ... (S de BOl La fem. romp., p. 98).
- ...s'intéresser
aux
grands
1 Valeur 1
Grand_S[-mesurable]
problèmes du temps... (Le nouvel
Obs., n01349 p. 59).
André est un grand savant... (S. de
Grand+S[Humain] (A [+activité])
B. , La fem. Romp., p. 25).
_...Ies grands frères surveillent les
1 Aîné 1
Grand+S[+Humain] A[+parenté]
petites sœurs... (Le nouvel Obs.,
n01349, p. 30).
- ...l'arsenal
thérapeutique
pour
1 Surpassement 1
Grand+S[+caractéristique] A
traiter les plus grands agités... ~
[-physique]
nouvel Obs, n01349, p. 94).
173Martin (R.) [1987] 1 Langage et croyance. P. 111-117.
174Cette représentation contextuelle réduit considérablement le caractère polysémique de Grand, car elle ne prend
pas en compte les distinctions jugées non pertinentes. En effet, que la propriété réelle caractérisée soit, par
exemple, la longueur, la hauteur, la taille, la surface... .le sens visé ne change pas radicalement : X a une mesure M
supérieure à la moyenne ordinaire.

204
\\
CONCLUSION GENERALE
A travers l'analyse du phénomène de la polysémie tel qu'il se manifeste au sein
des adjectifs non dérivés, nous avons abordé plusieurs problèmes non moins
importants.
En effet, nous avons étudié la question adjectivale à travers' .LfJne approche
morphosyntaxique et sémantique. Cette anafyse était un moyen pour nous de définir
les éléments sur lesquels se fondent nos recherches. Ainsi, nous avons pu montrer
que les problèmes que pose l'adjectif sont loi.n d'être épuisés.
Par exemple, d'un point de vue sémantique, la notion de qualité que l'adjectif
est censé attribuer au substantif qu'il caractérise mérite d'être redéfinie ou appliquée
avec certaines restrictions. Traduire une appartenance entre un être et un objet ou
une simple relation n'est pas ce que l'on appelle précisément une qualité.
Par ailleurs, d'un point de vue syntaxique, l'on a pu voir que la complexité de
~
l'adjectif ne se situe pas uniquement dans son rapport étroit avec le substantif, mais
également dans la possibilité qu'il a de se transformer en adverbe sans prendre les
marques de la dérivation. Il est donc impossible de les classer parmi les cas de
dérivation impropre quand ils ont une valeur adverbiale. Cela pose des problèmes, car
au niveau de leur définition, les dictionnaires indiquent seulement cette valeur: il s'agit
d'une valeur intensive ou majorative.
En outre, nous avons présenté l'immotivation du signe linguistique comme la
principale cause des phénomènes sémantiques, en général, et de la polysémie, en
particulier. ~faisant, l'on a pu comprendre que le caractère relatif de cette
immotivation ne provient pas uniquement de l'existence dans la langue de
phénomènes

205
comme l'onomatopée, mais également de tous les faits qui traduisent les tentatives
d'adéquation entre le signifiant et le signifié par le sujet parlant. Ainsi, l'on choisit tel ou
tel mot, car de par ses propriétés sémantiques, il permet d'exprimer, voire même de
visualiser notre pensée.
Ajoutons également que nous avons tenté de montrer, à travers l'analyse de la
polysémie par rapport aux autres phénomènes linguistiques, notamment la synonymie
et l'homonymie, qu'elle a une réalité très affirmée, car elle regroupe en son sein les
autres. En effet, l'on a pu voir avec l'adjectif non dérivé propre qu'il n'est pas
impossible que certains homonymes aient eu, au départ, un lien polysémique qui s'est
effacé au fil des différents usages subis.
Quant à la synonymie, son utilisation comme moyen de description des
différents sémèmes d'un adjectif non dérivé a pu attester de son caractère
approximatif. Si certains linguistes ont réussi à justifier l'existence de synonymes
absolus, cela prouve que certains critères restent encore au stade hypothétique.
En ce qui concerne la polysémie des adjectifs non dérivés proprement dite,
nous espérons avoir montré, d'une part, que le phénomène est bien lié à la langue et
non au discours. Les cas d'ambiguïté que nous avons déterminés pourraient servir à
prouver le contraire. Mais nous avons vu qu'en fait, ils résultent d'une insuffisance de
désambiguisateurs contextuels.
En effet, le contexte est l'instrument stable grâce auquel l'on peut arriver à
déterminer le sens d'un lexème polysémique. En d'autres termes, il est l'élément qui
guide le récepteur dans la sélection de l'acception ou du sens visé(e) par l'émetteur.
Cela implique que les règles de prédictibilité des différents sémèmes doivent provenir
d'une analyse contextuelle. Une telle perspective se situe en droite ligne de l'objet de
toute théorie linguistique si l'on en croit J. J. Kartz et J. A. Fordor: "... Ia connaissance
qu'un locuteur a de sa langue prend la forme de règles qui projettent l'ensemble fini
de phrases qu'il a rencontrées par hasard sur l'ensemble infini de phrases de la
\\

206
t
\\
langue. Une description de la langue qui veut représenter d'une manière adéquate la
connaissance linguistique du locuteur doit en conséquence établir ces règles".176
Mais les connaissances relevant de la compétence linguistique du récepteur ou
du locuteur suffisent-elles à lever l'ambivalence polysémique? Il faut reconnaître que
non, étant donné que son expérience du monde intervient nécessairement.
Nous avons voulu montrer que le contexte apparaît comme un moyen de
désambiguisation sûr, mais malheureusement partiel. L'on peut parfois éliminer
certains sens, mais la polysémie demeure entière. Doit-on tenir compte uniquement
des sémèmes prédictibles et rejeter les autres cas dans le domaine de la signification
telle que nous l'avons définie? Un tel choix ne serait guère souhaitable, car le codage
du message est si sélectif177 que la plupart du temps les faits qui paraissent évidents
dans la situation de communication, ne sont pas verbalement marqués. L'idéal serait
donc que l'on étende les indices contextuels intervenant dans la désambiguisation à
certaines connaissances encyclopédiques, par exemple, pouvant faire œuvre de
règles parce qu'intériorisées en chaque interlocuteur. Cela montre que l'analyse
,.
automatique des langues naturelles ne sera réellement concluante que si l'on tient
vraiment compte de leur spécificité. Cela signifie intégrer tous ces phénomènes
ambigus, assigner des probabilités aux sémèmes en contextes ambigus, envisager
des indices pouvant activer tel ou tel sens. C'est une tâche énorme. Ces difficultés
apparaissent à travers les propos suivants de R. Martin: "La pragmatique de l'énoncé,
la seule pragmatique qui mérite véritablement ce nom, n'est donc pas tout à fait
étrangère à la prévisibilité. 1/ reste que le domaine est semé d'embûches (... ). Mais, il
176Katz (J J ) & Fodor (JA) [1986] "Structure d'une théorie sémantique"dans Cahiers de lexicologie, vol. IX
p.40.
177Pottier (H.) [1987], op cit, p. 11.

207
(
\\
faut bien reconnaître que la phrase n'est qu'une abstraction, que seul existe l'énoncé
dans l'infini de ses interprétations". 178
Notre étude s'avère intéressante sur le plan lexicologique, car nous avons pu
montrer le caractère erroné de certaines distinctions adoptées dans les dictionnaires.
Celles que nous avons faites ne sont pas uniquement le reflet d'une définition-type. En
effet, les structures grammaticales du mot ne sont marquées que si elles sont
véritablement l'expression d'un sémème en contexte. Quant aux rapports entre les
sémèmes, ils auront servi à apprécier certaines distinctions préalablement opérées.
Nous avons analysé la polysémie des adjectifs non dérivés en partant d'un
constat d'unicité, celle de l'existence d'un ou plusieurs sèmes communs pour en
arriver à poser chaque sémème comme autonome.
Tout reste à faire, car nous sommes loin d'avoir fait le tour de la question. Nous
espérons seulement que les problèmes que nous avons soulevés à travers nos
analyses retiendront l'attention du lecteur et ouvrirons des pistes de recherches
nouvelles.
178Martin (R.) [1983], op cit, p. 243.

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228
/
\\.,
LISTE DES ADJECTIFS NON DERIVES ANALYSES
Acre
Dur
Aigre
Epais
Amer
Etroit
Ample
Fade
Apre
Faux
Bas
Ferme
Beau
Fier
Blanc
Fin
Bleu
Flou
8\\ond
Fort
-
Bon
Fou
l Brave
Frais
'y
Bref
Frêle
Brun
Froid
Calme
Gai
Chaud
Grand
Cher
Gras
Clair
Grave
Court
Gris
Cru
Gros
Digne
Haut
Droit
Ivre
Dru
Jaune
~.-\\

229
)
~,
Juste
Plat
Laid
Prompt
Léger
Propre
Lent
Pur
Lisse
Raide
Long
Rare
Lourd
Riche
Maigre
Rouge
Mat
Rude
Mince
Sage
Moite
Sale
Mou
Sec
Morne
Seul
Mûr
Simple
Net
Souple
(
Neuf
Sourd
Neutre
Sûr
Noble
Tendre
Noir
Tiède
Nu
Triste
Pâle
Vert
Pauvre
Vrai
Petit

230
!
1.,;
LISTE DES TEXTES DEPOUILLES
1. Les œuvres littéraires
A. Kourouma,
Les Soleils des Indépendances, éd. du Seuil, 1970.
A. Sow Fall,
La grève des battùs, Les Nouvelles Editions Africaines,
1979.
Auteur anonyme,
L'herbe bleue, 1973.
C. Détrez,
L'herbe à brûler, Calmen-Lévy, 1978.
f
C. H. Kane,
L'aventure ambiguë, Julliard, 1961.
C. Himes,
La reine des pommes, Gallimard, 1972.
F. M. Dostoevski,
Crime et châtiment, Garnier, 1971.
F. Prévost,
L'amour nu, Stock, 1980.
G. Bufalino,
Les mensonges de la nuit, éd. Julliard, 1989.
G. Flaubert,
Madame Bovary, Garnier, 1990.
H. Bordeaux,
La peur de vivre, Plon, 1921.
H. Crouzat,
Azizah de Niamkoko, Presses de la cité, 1959.
H. de Balzac,
La peau de chagrin, Le trésor des lettres françaises, 1976.
H. Dufour,
Le tournis, Grasset et Fasquelle, 1984.
H. Lapez,
La nouvelle romance, CLE, 1980.
J. Cordelier,
La dérobade, Hachette, 1976.
J. D'Ormesson,
Tous les hommes en sont fous, Lattès, 1986.

231
M. Bâ,
Une si longue lettre, Les Nouvelles Editions Africaines,
1983.
M. Drucker,
La chaîne, Lattès, 1979.
M. Duras,
L'amant, les éditions de minuit, 1984.
M. Duras,
Le ravissement de la Loi V. Stein, Gallimard, 1964.
P. Bencriley,
Les dents de la mer, Hachette, 1974.
P. L. Dixon,
Opération bluewater, Hachette, 1980.
P. Mérimée
Nouvelles de Mérimée, 1. 1, Librairie Générale Française,
1983.
R. Lehman,
Poussière, Plon, 1929.
1.-
R. Olé kulet,
Lérionka, Ecolier masaï, Les Nouvelles Editions Africaines,
';
1987.
S. de Beauvoir,
La force des choses, Folio, 1978.
S. de Beauvoir,
La femme rompue, Gallimard, 1967.
S. Lilar,
Une enfance gantoise, B. Grasset, 1976.
Tahar Ben Jelloun,
La nuit sacrée, éd. du Seuil, 1987.
Tahar Ben Jelloun,
L'enfant de sable, éd. du Seuil, 1985.
1. Monnier,
Le pain des pauvres, Grasset, 1977.

232
Il. Les journaux
Libération
(60 numéros).
Le Monde
(30 numéros).
Le FIGARO
(30 numéros).
L'Humanité
(20 numéros).
Le Canard enchaîné
(15 numéros).
Le Parisien
(10 numéros).
France-Soir
(10 numéros).
Le QUOTIDIEN
(8 numéros)
Le Nouvel Observateur
(8 numéros).
Télérama
(4 numéros).
r
t

233
INDEX DES SYMBOLES ET DES ABREVIATIONS
AND est l'abréviation de "adjectif non dérivé".
~ sert à traduire les sémèmes.
S sert à traduire les sèmes.
<=> exprime une équivalence.
=::> exprime une implication.
1\\ exprime une addition entre les éléments d'une structure.
* exprime une agrammaticalité.
S sert à traduire l'archisémème.
V est le symbole du verbe.
GP est le symbole du groupe prépositionnel.
ADJ est le symbole de l'adjectif.
INF est l'abréviation de l'infinitif.
Dét. est l'abréviation du déterminant.
Art. est l'abréviation de l'article.
Déf. est l'abréviation de "défini".
S sert à désigner également le Substantif. 1
ADV sert à traduire l'adverbe.
PRON indique le pronom.
SN est le symbole du syntagme nominal.
NP indique le nom propre.
? placée devant une phrase, l'interrogation indique une incertitude.
l L'on ne pourra confondre S "archisémème" et S "substantif', car le premier intervient très peu dans nos
différentes analyses

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION...............................................
1
PREMIER CHAPITRE: PRESENTATION DES ADJECTIFS NON-DERIVES
9
INTRODUCTION................................
9
1 LA STRUCTURE MORPHOLOGIQUE DES ADJECTIFS NON DERIVES
10
1. 1. Les adjectifs comme "mots primitifs"
10
1. 2. La flexion des adjectifs non dérivés.
13
Il. LA STRUCTURE SYNTAXIQUE DES AND
15
II. 1. Les types d'adjectif écartés de la recherche.....................................
15
II. 1. 1. Les adjectifs déterminatifs.........
15
II. 1. 2. Les adjectifs de relation
'
,
17
II. 1. 3. Les adjectifs localisants
'"
'
18
II. 2. Les différentes fonctions des adjeçtifs qualificatifs
'" . ..
20
II. 2. 1. Les adjectifs épithétes
20
n. 2. 2. Les adjectifs attributs
21
II. 2. 3. Les adjectifs apposés
,
'
'"
22
II. 3. Les expansions adjectivales
"
'
24
II. 3. 1. L'expansion de l'adjectif par un adverbe
'"
24
II. 3. 1. 1. Les adverbes de degré ... ...
25
11 3 1 2 Les adverbes de comparaison
'"
26
II. 3. 2. L'expansion de l'adjectif par un GP
27
II. 3. 2. 1. Le GP de type circonstanciel...
...
28
II. 3. 2. 2. Le GP de type déterminatif
'"
.
29
II. 4. La dérivation impropre des adjectifs non dérivés
'"
31
II. 4. 1. Dérivation de l'adjectif en substantif
'"
31
n. 4. 2. Dérivation de l'adjectif en adverbe
'
33
III. L'ADJECTIF QUALIFICATIF COMME MOT DE QUALITE
36
III. 1. Les qualités inhérentes au substantif
'" ... ... 37
III. 2. Caractéristiques intrinsèques au substantif...........................
38
DEUXIEME CHAPITRE: LES PROPRIETES DES ADJECTIFS NON
DERIVES GENERATRICES DE POLySEMIE............... 41
1. LES FONDEMENTS LINGUISTIQUES DE LA POLYSEMIE
42
1. 1. La nature du signe linguistique
'"
..
42
I. 2. L'impact du monde référentiel..
.. .. ..
. .. .
..
43
I. 3. Le rôle de la rhétorique ... .. . .. .. . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . ..
.. . .. .. .. .. . .. ..
44
1. 3. 1. La communication linguistique
'"
..
44
1. 3. 2. Les tropes...
..
46
1. 3. 2. 1. Les métaphores
'"
. .
..
47
1. 3. 2. 2. Les métonymies
... ... ... ... ...
48
1. 3. 2. 3. La spécification et l'extension
50
a. La spécification
'" ."
'
'"
. .. 50
b. L'extension
,
'"
51
II. LES FACTEURS SPECIFIQUES DE POLYSEMIE ADJECTIVALE
52
II. 1. La distribution des adjectifs non dérivés......... . .. . .. ... .. .. ..
..
52
II. 1. 1. La relation du contenu des adjectifs non dérivés...
54
II. 1. 2. Cas particuliers: Les adjectifs de couleur...
57

Il. 1. 3. Restriction à l'intérieur de l'extension
58
II. 2. La place des adjectifs non dérivés
'" .. , '"
'"
'"
'"
"
60
Il. 2. 1. Les facteurs syntaxiques et rythmiques
,
60
II. 2. 2. Les facteurs sémantiques liés à la place
'
63
II. 2. 2. 1. L'épithète postposée.
.
'"
.
... 63
Il. 2. 2. 2. De la postposition à l'antéposition
...
...
65
lI. 2. 2. 3. Différence sémantique entre les adjectifs antéposés
et postposés
'"
67
II. 3. La fréquence des adjectifs non dérivés
69
II 3 1 Fréquence et nombre de sémèmes
'"
'
69
II 32 Sèmes constitutifs et nombre de sémèmes
71
TROISIEME CHAPITRE: DISCUSSION SUR LES CRITERES DE POLYSEMIE ..
74
I. LES CRITERES EXTERNES DE LA POLySEMIE..............
75
1. 1. Le critère distributionnel
"
, '"
'" .. ' '"
"
,
75
1. 1. l. L'environnement syntaxique du mot
'"
'"
76
1. 1. 2. L'environnement sémantique du mot
,
'" .. ,
77
1. 2. Variantes du critère distributionnel
79
1. 2. l. Le point de vue d'Oswald Ducrot .. ,
, 79
1. 2. 2. Le point de vue de J. L. Austin
81
1. 3. Existence de synonymes qui ne sont pas synonymes entre eux
82
1. 4. Existence d'antonymes qui ne sont pas antonymes entre eux...
85
II. LE CRITERE INTERNE DE LA POLYSEMIE: L'EXISTENCE DE SEME(S)
COMMUN(S) .
88
II. 1. La nature de l'identité sémique... .. . . ..
.. . .. . .. . . .. .. . .. . . ..
.
.. . .. .. ..
89
II.!.!. L'existence du noyau sémique
'"
'"
89
"
II. 1. 2. L'existence d'au moins un sème commun
91
II. 2. La polysémie et l'homonymie......
." '"
93
Il. 2. 1. Distinction sémantique...
94
II. 2. 2. Distinction lexicographique.................................................
96
Il. 2. 2. 1. Les entrées en dictionnaire
'"
.
96
Il. 2. 2. 2. La distribution du mot
..
98
II. 3. La polysémie et la synonymie
'"
'" .. . .
99
II. 4. La polysémie, un fait de langue ou de parole?
101
Il. 4. 1. Les notions de langue et de parole
'" .. . .. .
.. .. .. . ..
102
II. 4. 2. La polysémie de langue
103
QUATRIEME CHAPITRE: SUR LA HIERARCHISATION DES SEMENIES
105
I. LA CARACTERISATION DES RELATIONS LOGIQUES ENTRE
LES SEMEMES DES AND
106
1. 1. La polysémie d'acceptions
'"
107
1. 1. l. La relation de restriction de sens
'"
107
1. l. 2. La relation d'extension de sens
, '"
'"
..
"
109
1. 1. 3. La relation métaphorique
'"
'"
110
1. 2. La polysémie de sens
113
1 2 1 La polysémie de sens dite étroite '"
" ...
113
1 2 2 La polysémie de sens de type lâche...
..
115
1. 3. La fausse polysémie ou la polysémie externe...
117
1. 3. 1. La relation métonymique
'"
'"
" .. " '"
'"
117
1. 3. 2. Les relations synesthésiques
'"
'"
118
II. LA DISTANCE SEMANTIQUE ENTRE LES SEMEMES
'"
121
.,
II. 1. L'acception concrète ou la notion des sens propre
.. . .. . .. . .. . . .. ..
.. .. .. 122
,
II. 2. Le rapport entre le sens propre et les autres sémèmes
" .. . . . . .. 126

'.
II. 2. 1. Le sens propre et le sémème par extension ou par restriction
126
II. 2. 1. 1. L'extension de sens et le sens propre
'"
'"
127
II. 2. 1. 2. La restriction de sens et le sens propre .. ' .
.
127
II. 2.2. Le sens propre et le sémème par métaphore...
128
II. 2. 3. Le sens propre et la polysémie de sens de type étroit
'"
130
II. 2. 4. Le sens propre et la polysémie de sens de type lâche '"
131
CINQUIEME CHAPITRE: LA LEVEE DES AMBIVALENCES POLYSEMIQUES... 134
I. LE ROLE DU CONTEXTE..
135
II. LES INDICES PERMETTANT DE LEVER LA POLYSEMEIE
139
II. 1. La sous-catégorisation du substantif caractérisé
'"
139
,
II. 1. 1. Le trait [+concret] vs [+abstrait]
,
140
II. 1. 2. Le trait [+animé] vs [-animé]
'"
148
II. 2. La position de l'adjectif non dérivé
153
II. 2. 1. L'antéposition conune indice fort
'"
'"
154
II. 2. 2. L'antéposition ou postposition comme indice faible...
156
II. 3. L'expansion des adjectifs non dérivés comme indice faible
'" .. ,
159
II. 3. 1. L'identification de la préposition
'"
'"
160
Il. 3. 2. La nature syntaxique du groupe prépositionnel
,
164
Il. 3. 3. La nature sémantique du substantif du SN2
165
II. 3.4. La nature du déterminant du substantif du SN2
167
II. 4. La structure attributive des adjectifs non dérivés.. . . .. .. .
.. . .. .
169
SIXIEME CHAPITRE: LES AMBIGUITES DANS LA DETERMINATION DU
SENS CONTEXTUEL DES ADJECTIFS NON DERIVES..
174
I. LES FACTEURS D'AMBIGUITE AU SEIN DES ADJECTIFS NON DERIVES
175
I. 1. La polysémie du substantif caractérisé. .. ... ... . .. ... . .. ... ... ... . .. ... ... ........ 176
I. 2. La non spécification de la propriété réelle du substantif caractérisé
" 178
I. 3. Les ellipses. .. ... ... ... ... ... .. . . .. ... .. . ... ... ... ...
.. . ... ... . .. ... ... ... ... ... .. .. 180
II. RESOLUTION DES CAS D'AMBIGUITE
182
II. 1. Les ambiguïtés superficielles et leurs indices de résolution
, 183
II. 1. 1. Les connaissances sémantiques sur le substantif caractérisé
'"
184
II. 1. 2. Les connaissances pragmatiques sur le substantif caractérisé...
189
II. 2. Les cas d'ambiguïté indécidables et leur résolution
'"
193
Il. 2. 1. Le cas de bon
'"
'"
'
"
..
..
194
II. 2. 2. Le cas de Propre
"
'"
198
Il. 2. 3. Le cas de grand '"
,
'"
201
CONCLUSION GENERALE...................................................................... ....
204
BIBLIOGRAPHIE GENERALE.
208
TEXTE TRAITANT PARTICULIEREMENT DES ADJECTIFS OU DE LA POLYSEMIE ....
222
LISTE DES ADJECTIFS NON DERIVES ANAL YSES
228
LISTE DES TEXTES DEPOUILLES
230
1. Les œuvres littéraires..................
230
2. Les journaux
'" ..
..
.. . .. . .. . .. .. . .. . ..
232
INDEX DES SYMBOLES ET DES ABREVIATIONS.........................................
233
\\